ENCYCLOPEDIE
THÈOLOGIQUE,
OU
SÉRIE DE DICTIONNAIRES SUR TOUTES LES PARTIES DE LA SCIENCE RELIGIEUSE ,
OFFRANT EN FRANÇAIS
LA PLUS CLAIRE, LA PLUS FACILE, LA PLUS COMMODE, LA PLUS VARIÉE
ET LA PLUS COMPLÈTE DES THÉOLOGIES.
CES DICTIONNAIRES SONT :
D'éCMTOnB SAINTE, DE PHILOLOGIE SACRÉE, DB LITURGIE, DE DROIT CANON, DHÉRES1ES BT
DB SCHISMES, DES livres jansénistes, mis a l'index ET CONDAMNÉS, DES PROPOSITIONS
CONDAMNÉES, DE CONCILES, DE CÉRÉMONIBS ET DE RITES, DE CAS DE CONSCIENCE,
D'ORDRES RELIGIEUX (HOMMES ET FEMMES), DES DIVER8ES RELIGIONS, DB
GÉOGRAPHIE SACRÉE ET ECCLÉSIASTIQUE, DB THÉOLOGIE DOGMATIQUE ET
MORALE, DES PASSIONS, DES VERTUS ET DES VICES, IE Jl RI*PHt iDF.NCE
ECCLÉSIASTIJUE, D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, d'aRCHÉOLOGIE SACRÉE,
DE MUSIQUE RELIGIEUSE, D'HÉRALDIQUE ET DE NUMISMATIQUE RELI-
GIEUSES, DE PHILOSOPHIE, DE GÉOLOGIE, DE DIPLOMATIQUE
CHBÉTIENNB ET DES SCIENCES OCCULTES.
PUBLIÉE
PAR M. L'ABBÉ MIGNE ,
ÉDITEUR DE LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DU CLERGÉ,
on
TES COURS COMPLETS SUR CRAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE ECCLÉSIASTIQUE.
50 VOLUMES IN-f.
PRIX î G FR. LE VOL. POMl LE SOUSCRIPTEUR A LA COLLECTION ENTIÈRE, 7 FR., S FR., ET MEME 10 Kit. l'OL'R LE
SOUSCRIPTEUR A TEL 01) TEL DICTIONNAIRE PARTICULIER.
TOME VINGT ET UNIEME.
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX
TOME DEUXIÈME.
k VOL. PRIX : W FRANCS, A CAUSE DES INNOMBRABLES GRAVURES.
CHEZ L'ÉDITEUR,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES DU PE TIT-MONTROUGE ,
BARRIÈRE D'ENFER DE TARIS.
1649
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/dictionnairedes21hl
DICTIONNAIRE
DES
ORDRES RELIGIEUX
ou
HISTOIRE
DES ORDRES MONASTIQUES, RELIGIEDI ET MILITAIRES
ET DES CONGRÉGATIONS SÉCULIÈRES DE L'UN ET DE L'AUTRE SEXE, QUI ONT
ÉTÉ ÉTABLIES JUSQU'A PRÉSENT;
CONTENANT :
LEUR ORIGINE, LEUR FONDATION, LEURS PROGRÈS,
LES ÉVÉNEMENTS LES PLUS CONSIDÉRABLES QUI LEUR 60NT ARRIVE!,
LA DÉCADENCE DES UNS ET LEUR SUPPRESSION,
L'AGRANDISSEMENT DES AUTRES PAR LE MOYEN DES DIFFÉRENTE» RÉFORMBI QUI T ONT
ÉTÉ INTRODUITES,
LES VIES DB LEURS FONDATEURS ET DE LEURS RÉFORMATEURS,
AVEC DES FIGURES QUI REPRÉSENTENT LES DIFFÉRENTS HABILLEMENTS DE CES
ORDRES ET DE CES CONGRÉGATIONS,
RELIOUl'I PÉNITENT DO TIERS ORDRE DB SAINT rRANÇOIS, DB LA COMMLTiACTB DE PICPU(.
MISE PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE
CORRIGÉS ET AUGMENTÉE D'CNE INTRODUCTION, O'CNE NOTICE SUR L'AUTEUR,
D'UN GRAND NOMBRE D'ARTICLES OU TART1ES D'ARTICLES, ET D'UN SUPPLÉMENT OC L'ON TROUVE t'HlSTOlRB DM
CONGRÉGATIONS OMISES PAR HÉLYOT,
ET L'HISTOIRE DES SOCIÉTÉS RELIGIEUSES
ÉTABLIES DEPUIS QUE CET AUTEUR A PUBLIÉ SON OUVRAGE,
PAR MABIE-LEANDHE BADICHE,
VICAIRI DB fAIim-MAaaCBUTE A PARIS, LICENCIÉ EN THÉOLOGIE, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE, DE L'iNUlTVT «TÏIwrUQlv ,
de l'académie impériale et royale d'arezzo, etc.
publié pat 3JÎ. l'abbé SDÏignr,
EDITEUR DB LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DO CLERGÉ.
OU DE» COUR* COMPLETS SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE E6CLEWA«T1Q»«.
TOME DEUXIÈME.
'* VOL. PRIX : 40 FRANCS.
CHEZ L'ÉDITEUR,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES DU PET1T-MONTROUGE ,
BARRIÈRE D'ENFER DE PARIS.
Imprimerie de MIGNE, au Felit-Moutrouge.
'mpi iinerie de MIG.Mi, au Pelil-Moulroog.e.
DICTIONNAIRE
DES
ORDRES RELIGIEUX.
D
DALMATIE ( Congrégation de ). Voyez
Augustins.
DALMATIE (Religieux pénitents de la
congrégation de). Voyez Sicile.
DAMES PAU VUES. Voyez Clarisses.
DANNEBROCH. Voyez Eléphant.
DÉCHAUSSÉS (Frères Mineurs de l'É-
troite Observance en Espagne, dits).
Des Frères Mineurs de l'Etroite Observance
en Espagne , appelés les Déchaussés, et
dans leur origine les Frères du Capuce ou
du Saint-Evangile.
Entre les disciples de Jean de la Puebla,
le bienheureux Jean de Guadaloupe fut un
des plus zélés, non-seulement pour mainte-
nir l'Etroite Observance qu'il avait établie,
niais encore pour l'étendre dans les autres
provinces, souhaitant avoir pour cet effet
quelque établissement au royaume de Gre-
nade-, afin de l'introduire chez les Pères de
l'Observance de la province de Saint-Jac-
ques; et, pour mieux réussir dans son des-
sein, il en obtint la permission de François
Samson, général de l'ordre. Il ne se contenta
pas des austérités que le bienheureux Jean
de la Puebla ;ivaii introduites, il en ajouta
encore de nouvelles, et fit quelque change-
ment dans l'habit : car, outre qu'il en prit
un fort étroit et rapiécé, il accommoda le
capuce à la façon de celui que saint Fran-
çois avait porté, lui donnant une forme car-
rée, et le rendant pointu, ce qui fit donner
aux religieux de sa réforme le nom de Frè-
res du Capuce ; il quitta les socques ou san-
dales pour marcher nu-pieds , sans avoir
rien aux pieds, ce qui les fil aussi appeler
les Frères Déchaussés ; et comme les pre-
miers couvents de cette réforme furent éri-
gés en cuslodie sous le nom de la Custodie
du Saint-Evangile, on leur donna encore le
nom de Frères du Saint-Evangile; mais ils
quittèrent ceux du Capuce et du Saint-Evan-
gile lorsque le pape Léon X eut réuni toutes
les différentes réformes de l'ordre de Saint-
François sous le nom d'Observance et de
Réformés, et conservèrent celui de Déchaus-
sés, pour se distinguer des religieux de l'E-
troite Observance d'Italie, qui avaient pris
celui de Réformés.
Jean de Guadaloupe, ayant pris un habit
tel que nous avons marqué, alla à Rome
pour remontrer au pape Alexandre VI les
abus qui s'élaient glissés dans l'ordre et
dans l'Observance contre la pureté de la rè-
gle; et, ayant renoncé entre les mains de ce
Dictionnaire des Ordres religieux. 1!.
pontife à tous les privilèges et à toutes les
dispenses qui avaient donné lieu au relâ-
chement, il en obtint une bulle le 25 sep-
tembre 1W6, par laquelle Sa Sainteté lui
donnait permission de bâtir un couvent au
royaume de Grenade, et de prendre avec lui
six religieux de l'Observance , de quelque
province qu'ils fussent , auxquels le pape
accordait la permission de le suivre , même
contre la volonté de leurs supérieurs, pourvu
qu'ils la leur eussent demandée, les mettant
sous l'obéissance du général de l'ordre, et
les exemptant de la juridiction des Obser-
vants, qui n'avaient pour lors, comme nous
avons dit ailleurs , que des vicaires géné-
raux, le général étant Conventuel.
Jean de Guadaloupe étant retourné en Es-
pagne présenta sou bref à l'évêque de Gre-
nade et au prieur de Notre-Dame de Guada-
loupe , que le pape avait nommé pour le
faire exécuter. Plusieurs religieux zélés en
ayant eu connaissance se joignirent à ce ré-
formateur, qui leur donna un habit pareil à
celui qu'il portait, en envoya quelques-uns
dans un ermitage proche Oropeza, et d'au-
tres en un autre ermitage proche Placenza,
en attendant qu'il plût à Dieu leur procurer
quelques pauvres couvents.
Comme dans le même temps plusieurs re-
ligieux quittaient l'ordre sous divers prétex-
tes , et que quelques-uns même prenaient
des habits d'ermites , avec permission de
Rome, lesPères de l'Observance, qui voyaient
avec peine leurs meilleurs sujets passer dans
la réforme de Jean de Guadaloupe , voulant
se servir du prétexte de ces abus pour en
empêcher le progrès , obtinrent du même
Alexandre VI un bref qui révoquait tous
ceux qu'il pouvait avoir accordés, de quel-
que nature qu'ils fussent, pour permettre
aux religieux de vivre hors de l'ordre. En
vertu de ce bref, les Pères de l'Observance
inquiétèrent Jean de Guadaloupe et ses com-
pagnons pour les obliger de retourner à leur
obéissance et de rentrer dans les couvents
de l'Observance; mais le saint réformateur
fit un second voyage à Rome, et obtint un
autre bref, du 26 juillet 14-99, par lequel ce
pontife déclarait que son intention n'avait
point été de comprendre dans celui qu'il
avait accordé aux Observants, Jean de Gua-
daloupe ni ses compagnons. Cette tentative
des Observants contre ces saints religieux,
bien loin de leur être préjudiciable, leur fut
avantageuse : car non -seulement le pape
confirma son premier bref du 25 septem-
Il
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
bre 1496, mais il accorda encore à Jean de
Guadaloupe la permission de recevoir dans
sa reforme tous les religieux qui se présen-
teraient à lui pour y entrer, défendant sous
de grosses peines à qui que ce fût de les in-
quiéter en aucune façon. Outre ce liref, il
obtinj aussi , avant que de partir de Rome,
du procureur et du commissaire, du Père
François Samson , général , auquel le bref
du pape le soumettait lui et les siens, un am-
ple pouvoir de rerevoir toutes les maisons
qui lui seraient offertes. Les Pères de l'Oh-
servance, ayant eu communication de ces
brefs et de ces permissions n'inquiétèrent
plus les réformés, sur lesquels ils n'avaient
plus aucune autorité ni juridiction.
Jean de Guadaloupe jouissant de la paix
et de la tranquillité, et ne songeant plus qu'à
se procurer un couvent pour y jeter les fon-
dements de sa réforme, Dieu suscita un gen-
tilhomme de Truxillo qui lui en offrit un
proche cette ville. Ce zélé réformateur en
prit possession l'an 1500 , et le dédia à la
sainte Vierge sous le nom de Notre-Dame-
de-Lumière. Ce fut là qu'il dressa ses pre-
mières constitutions, et où, après avoir ob-
tenu trois ou quatre autres petits couvents,
il se forma une custodie, à laquelle on donna
le nom du Saint-Evangile, et qui fut depuis
érigée en province sous le titre de Saint-Ga-
briel.
De si heureux commencements encoura-
gèrent le l'ère Jean de Guadaloupe à éten-
dre sa réforme jusqu'en Portugal, où il alla
à cet effet, et y bâtit quelques couvents,
dont le premier lui fut donné par le duc de
lîragance , près de la ville de Vitiosa. L'é-
glise de ce premier établissement, qui fut
dédiée en l'honneur de Notre-Dame-de-
Pitié, donna dans la suite le nom à une
province de la même réforme; le second
couvent qu'il obtint en ce royaume fut pro-
che la ville de Chauves ; le troisième proche
Barcelos, et un ermitage dans un village
nommé Mérida.
Le* Pères de l'Observance, voyant les pro-
grès de cette réforme, que les plus zélés
d'entre eux embrassaient pour y travailler à
la perfection en observant la règle avec plus
de rigueur dans sa pureté, voulurent l'em4
pêcher, et formèrent leurs plaintes au P.
Martial Bourlier, Français de nation et vi-
caire général de l'Observance de la Famille
Ultraïuoutaine, qui à leurs sollicilaiions as-
sembla un chapitre général en Castille l'an
1502, ou il fut ordonné que dans toutes les
provinces d'Espagne on assignerait certains
couvents à ceux qui voudraient observei la
règle avec plus de rigueur et embrasser les
mêmes pratiques et les mêmes austérités
que les Frères du Saint-Evangile, à condi-
tion qu'ils seraient toujours sous l'obéis-
sance des provinciaux de l'Observance.
Telle fut la résolution du chapitre général,
par laquelle on prétendait arrêter le progrès
de la réforme de Jean d,- Guadaloupe, et em-
pêcher que les re igieux des provinces do
l'Observance eu sortissent pour y embrasser
epite reforme. Mais ce dessein ne réussit
pas : ce qui fil prendre aux Observants d'au-
tres mojens pour la détruire. Pour cet effet
ils eurent recours aux rois catholiques Fer-
dinand et Isabelle, qui étaient affectionnés à
l'Observance, à laquelle ils avaient fait bâtir
un couvent à Tolède et accordé plusieurs
privilèges. Us leur rem titrèrent la division
que la réforme du Saint-Evangile causait
dans les différentes provinces, et les priè-
rent d'interposer le::r autorité pour faire re-
venir les réformés sous l'obéissance des Ob-
servants, qui leur promettaient toute assis-
tance, leur offrant des couvents de récollec-
tion pour y vivre si aus èrement qu'ils vou-
draient. Ces princes, se laissant persuader
par des raisons si justes en apparence, en
écrivirent au pape Alexandre VI, qui à leur
prière accorda un bief, la même année 1502,
par lequel il révoquait ceux qu'il avait don-
nés en faveur de Jean de Guadaloupe et de
sa réforme, et les remettait sous l'obéissance
des Observants. Ce bref leur fut signifi é, et
ils furent chassés par force des couvents
qu'ils avaient en Castille, d'où ils se retirè-
rent dans ceux de Portugal.
Jean de Guadaloupe, surpris do ce chan-
gement, entreprit un troisième voyage à
Rome, où il représenta au pape l'injustice
de la per>écution qu'on leur avait suscitée, et
ce puutife donna un nouveau bref par lequel
il déclarait que celui qu'il avait accordé a la
sollicitation des rois catholiques était seule-
ment contre ceux qui étaient sortis de l'or-
dre pour vivre à leur volonté et avec scan-
dale, et non pas contre le P. Jean de Gua-
daloupe et les autres de la cuslodie du Saint-
Evangile, qu'il regardait comme véritables
religieux de Saint-François et observateurs
de sa règle sous l'obéiss'ançe du général, et
confirma les deux premiers brefs qu'il avait
accordés en leur faveur. Jean de Guadaloupe,
muni de ce bref, arriva en Portugal, où il
trouva ses religieux sans couvent, aussi
bien qu'en Castille, et dispersés dans des
montagnes et dans des solitudes, en atten-
dant qu'il plût à Dieu de dissiper cet orage.
11 publia son bref, mais il trouva tant d'op-
posiiions de la part des Observants, que non-
seulement il ne put réussir, mais que même
il fut obligé de se retirer dans une solitude,
n'ayant pu avoir une retraite dans leurs
couvents.
Après la mort du pape Pie III, qui ne gou-
verna l'Eglise que vingt-sept jours, et qui
avait succédé à Alexandre VI, Gilles Del-
pbiuo, qui avait été élu général en 1500,
ayant sollicité le pape Jules II de réunir en-
semble les Conventuels et les Observants, et
ce pontife ayant fait assembler lechapte
généralissime à Home l'an 1506, comme
nous avons dit ailleurs, Jean de Guadaloupe
se résolut d'j aller avec le P. Pierre Melgaro
et quelques autres de ses religieux, afin d'y
faire lever les oppositions qui s'étaient trou-
vées dans l'exécution de son bref; mais, ac-
cablé de vieillesse, ii mourut en chemin. Ses
compagnons étant arrives à Rome, le géné-
ral leur donna pour custode et supérieur à
la place de leur réformateur, le même Pierre
\r>
DEC
DEC
ii
de Melgaro, qui n'oublia rien pour main-
lenir l.i réoraie , nonobstant les traverses
que les Observants, appuyés par les puis-
sances, leur suscitaient, mais sans aucun effet:
car, comme nous le dirons en parlant des
Frères Mineurs de l'Observance . le pape,
voyant que l'union qui avait été projetée
n'avait pu se faire, et ayant ordonné que les
différentes réformes de l'ordre de Saint-
François , quelque nom qu'elles eussent ,
se mettraient dans un certain temps sous
l'olié ssance des Conventuels ou des Obser-
vante, les Frères du Capuce ou du Sain C-
Evangilc se mirent derechef sous l'obéis-
sance des Conventuels, dont le général les
prit sous sa protection, et leur confirma
Pierre de Melgaro pour leur custode, auto-
risa leur congrégation sous le nom du Ca-
puce ou du Saint-Evangile, leur permit de
vivre selon leur manière, et de pratiquer à
la lettre la règle de Saint-François, et con-
firma toutes les grâces que ses prédécesseurs
leuravaienl accordées. Le cardinal protecteur
ratifia ce que le général avait fait, et ces ré-
formes obtinrent un bref du pape, au mois
de juillet de la même année 150(3, qui leur
permettait de bàlir de nouveaux couvents
unis en çustodie sous l'obéissance du gé-
néral.
Ces religieux étant retournés en Espagne,
et y ayant trouvé leur couvent de Truxillo
et de SaÏT a-Léon ruinés, se retirèrent dans
quelques autres qu'ils avaient en ce royau-
me; mais ces couvents n'étant pas suffisants
pour contenir tous ceux qui se joignaient à
eux pour embrasser la réforme, ils en bâ-
tirent d'autres qui furent unis à la çustodie
du Saint-Evaugile , avec l'agrément du pro-
vincial de la province de Saint-Jacques, qu'Us
trouvèrent favorable à leurs desseins. Mais
ils ne jouirent pas longtemps du fruit deleurs
travaux, car les Observants, envieux de
leurs progrès, eurent encore recours aux
rois d'Fspagne et de Portugal, et obtinrent à
leur sollicitation un bref du pape qui ordon-
nait aux Frères du Capuce ou du Saint-
Evangile de retourner sous l'obéissance des
Observants, ou de sortir des royaumes d'Es-
pagne et de Portugal.
Ces saints religieux aimèrent mieux aban-
donner leur couvent que de retourner sous
l'obéissance des Observants, et se r« tirèrent
dans des solitudes et des déserts où ils ne
vécurent que d'herbes et do racines, jusqu'à
ce que ce nouvel orage eût été apaisé. A
cet effet ils envoyèrent à Rome le P. Ange
de Viilladoiid pour représenter à Sa Sainteté
le fâcheux état où ils étaient réduits, et les
injustes motifs des persécutions qu'on leur
avait suscitées au sujet de la reforme, qu'ils
n'avaient embrassée que de son consente-
ment el de celui d'Alexandre VI, son prédé-
cesseur. Jules II, touché de leurs misères,
révoqua son dernier bref par un autre du 10
mars 1508, où, rapportant tous les privilèges
que lut et sou prédécesseur avaient accordes
au P. Jean de Guadeloupe el au P. Pierre
de Melgaro , non-seulement il les con-
firma de nouveau , mais il les aug-
menta, érigeant leur çustodie du Saint-Evan-
gile en pro\ inço, leur donnant pouvoir d'é-
lire un provincial ; el eu attendant l'élection,
il confirma Pierre de Melgaro dans sou of-
fice oe custode, révoquait tous les brefs qui
pouvaient avoir été accordés contraires à ce
dernier.
Le P. Ange de Valladolid étant retourné en
!\ agne, on rendit aussitôt à ces réformés
tous les couvent-, qu'ils avaient en ce royau-
me, et ils en bàtireni de nouveaux en Por-
tugal, où ils tinrent leur premier chapitre,
dans lequel ils élurent pour provincial le P.
Pierre de Melgaro; ce qui aigrit tellement
l'esprit des Observants d'Iîspagne, qu'ayant
formé opposition à l'érection de cette pro-
vince, ils obtinrent des lettres du roi d'Es-
pagne en leur faveur adressées au roi de
Portugal, qu'il priait de proléger les Obser-
vants. Le roi de Portugal, ayant fait venir les
uns el les autres en sa présence, et après
avoir écouté leurs raisons , les fit conve-
nir que tous les couvents que les Pères du
Saint-Evangile avaient en Portugal seraient
érigés en cuslodie, sujette seulement au vi-
caire général de l'Observance de la Famille
Uliramonlaine ; que ceux de Castille ren-
draient obéissance au provincial de la pro-
vince de Sa:nt-Jacques, aussi de l'Obser-
vance, et que les réformés quitteraient leurs
capuces pointus pour en porter à l'avenir de
ronds, afin de se conformer en quelque fa-
çoa aux Pères de l'Observance : ce qui lut
accordé et aussitôt exécuté. Le P. Pierre de
Melgaro renonça au litre d<" provincial, et
demeura custode comme il était auparavant
de la çustodie de la Piété, et le P. Ange de
Valladolid alla en Castille, où il fut cus'.ode
de la çustodie du Saint-Evangile de ce
royaume.
Les reformés de Castille, ayant appris ce
qui s'était passé en Portugal, n'approuvè-
rent point les résolutions que l'on avait pri-
ses dans la conférence qui s'y était tenus :
c'est pourquoi, ne pouvant se résoudre à
quitter le capuce pointu el à se soumettre
à l'obéissance du provincial de la province
de Sainl-Jacqu s, ils eurent recours au gé-
néral Renaud de Catignola, auquel ils s'é-
iaient soumis dans le chapitre généralissime
de l'an 1506, le priant de leur accorder sa
protection, et de ne pas permettre qu'ils
fussent soustraits de son obéissance. Le gé-
néral les écoula favorablement, et rem.t la
décision de cette affaire à la congrégation
générale qui devait se tenir à Valladolid au
mois d'avril de l'an 150i), où il fut ordonné
que ies Pères du Capuce auraient terme de
six semaines, pendant lequel temps ils seraient
tenusdedéclarerde nouveau sous quelleohéis-
sance ils voulaient vivre, ou sous celle du
général de l'ordre, ou sous celle du vicaire
général de l'Observance ; et qu'en cas qu'ils
choisissent celle du général, il leur serait
libre de retourner dans les couvents qu'ils
avaient auparavant occupés par autorité
apostolique.
11 y eut par ce moyen division entre les
réformés d'Espagne et ceux de Portugal ;
IS
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
car ceux-ci reconnurent le vicaire général
de l'Observance pour leur supérieur, sui-
vant l'accord qu'ils avaient fait en présence
du roi de Portugal, et ceux d'Espagne re-
connurent le général, comme ils avaient
fait jusqu'alors. Mais on ne garda pas les
conditions qu'on leur avait promises dans la
congrégation générale; car on ne leur voulut
pas rendre leurs couvents ; et tout ce que put
faire le général de son autorité lut de leur
donner (roi s pauvres cou vents dans l'Es trama-
dure, où ils furent même si inquiétés que,
dans la crainte qu'on ne les en chassât, le
P. Ange de Valladolid fut obligé d'aller à
Rome pour s'en assurer la possession. 11 se
trouva pour cet effet au chapitre général de
l'an 1510, dans lequel on élut pour général
Philippe Bagnacavallo, auquel il fil si bien
connaître la justice de sa cause et la mau-
vaise intention de ses adversaires, qu'il l'en-
gagea à leur conGrmer les trois couvents
que son prédécesseur leur avait donnés; ce
que fit pareillement son successeur, le P.
bernardin de Pralo, l'an 1512, qui y ajouta
même trois autres couvents, qu'il érigea,
avec les trois premiers, en custodie, sous le
titre du Saint-Evangile ; ce qui fut ratifié et
approuvé par le pape Léon X, qui avait suc-
cédé à Jules 11.
Ce pontife ayant convoqué à Rome un
chapitre généralissime, l'an 1517, comme
nous avons dit ailleurs, et ordonné que dans
ce chapitre il n'y aurait que les réformés
qui y auraient voix pour élire un ministre
général de tout l'ordre de Saint-François,
comprenant sous le nom de réformés les
Observants, Amédéistes , Coletans, Clare-
nins, du Saint-Evangile ou du Capuce, et
Déchaussés, qui devaient à l'avenir quitter
tous ces noms pour prendre celui de Frères
Mineurs de la bégulière Observance, les
Frères du Capuce ou du Saint-Evangile fu-
rent par ce moyen incorporés dans l'Obs r-
vance, prirent le nom de Reformés, et quit-
tèrent celui de Frères du Capuce ou du
Saiul-Evangile, sans préjudice pourtant à
leur réforme parth ulière, dans laquelle ils
continuèrent. Leur custodie fut ensuite éri-
gée en province sous le nom de Saint-Ga-
briel, aus^i bien que celle de la Pitié, qui re-
tint toujours son nom. Celle des Anges, dont
Jean de la l'uebla avait été fondateur, fut
aussi érigée < n piovince, et ces provinces en
ont produit plusieurs autres, tant en Espa-
gne qu'en Portugal, et dans les Indes, où ils
ont présentement douze provinces, dont les
PP. François des Anjes et Martin de Valence
sont les fondateurs. Ces saints religieux
étant passés dans ce pays en 1521, en vertu
d'un bref de Léon X, eï ayant mené avec
eux neuf prêtres et deux frères laïques,
tous religieux de la province, de Saint-Ga-
briel, non-seulement ils s'y établirent, mais
encore ils y firent de si grandes conversions,
qu'ils furent obligés de multiplier leurs cou-
vents à proportion qu'ils soumettaient de
pays à la loi de l'Evangile. Le P. Jean de
Zumarraga fut premier archevêque de Mexi-
que, et un grand nombre de religieux ont re-
16
çu en ces quartiers-là la couronne du mar-
tyre. Le P. François des Anges fut dans la
suite général de l'ordre de Saint-François,
et le pape Clément VU l'éleva à la dignité de
cardinal. Les religieux de cette réforme ont
toujours observé la règle de Saint-Frauçois
dans sa pureté, à l'édification de toute l'Es-
pagne, où ils sont connus sous le nom de
Déchaussés, à cause que dans le commence-
ment de leur origine ils allaient nu-pieds,
sans socques ni sandales. Mais présentement
ils portent des socques ; il n'y a que ceux de
la provincede la Pitié en Portugal, qui dans la
maison sonttoujours nu-pieds, neportantdes
socques que quand ils sor lent. 11 est difficile de
rapporter leurs observances, puisque presque
toutes les provinces ont des constitutions
particulières; mais elles conviennent toutes
dans l'exacte pauvreté dont elles font pro-
fession et dans le renoncement à toutes les
grâces cl privilèges qui pourraient donner
atteinte;'1, l'Etroite Observance. GrégoireXV
permit à ces religieux d'Espagne d'avoir un
procureurgénéral eu cour de Rome ; mais Ur-
bainVUI révoqua celte permission. Quanta
l'habillement, il est d'étoffes rudes et grossie*
res, et ne diffère de celui des Cesarins. que nous
avons donné à l'article Césahins, qu'en ce
que le capuce est un plus pointu ; c'est pour-
quoi nous n'en donnons peint d'estampe
particulière.
Francise. Gonzag., De Orig. Seraph. Re-
lig. Luc Waûinç, Annal. Minorum. Dominic.
de Gubernatis, Orb. Seraphie. Barezzo Ba-
rezzs Continuation de la Chronique des Frè-
res Mineurs. Mariau. abOrsccIl <r, Francise.
Redivivi, sive Chron. Observ. Slrictioris.
Juan de sauta Maria, Chronic. de la Provin-
ciu de San Joseph de los Descalzos de la or-
den de los Menores. Antonio Panes, Chro-
nica delà Provinc. de San Juan Bautista de
reliyiosos Menores Descalzos de la Regular.
Obscrvantia. Andr. de Guidaloupe, Hislor.
de la Provinc. de los Angelos. Charles Rapi-
ne, Hisl. générale de l'origine et progrès des
Frères Mineurs, Récol'ets, Réformés ou Dé-
chaussés.
DECLAN (Saint-). Voyez Irlande.
DENIN'. Yvyez Nivhi.LE.
DENIS EN FRANCE (Ancienne congréga-
tion de Saint-).
Si l'on a donné le titre de chefs d'ordres et
de congrégations aux abbayes dont nous ve-
nons de parler dans quelques articles, l'on
ne peut sans injustice refuser le même titre
à celle de Saint-Denis en France, puisque,
outre qu'elle est la plus célèbre du royaume,
et même de l'Europe, elle a non-seulement
été chef d'une véritable congrégation , qui a
été érigée sur la fin du seizième siècle ; mais
elle a encore eu de tout temps un grand
nombre de monastères et d'églises de sa dé-
pendance. Quoiqu'on attribue la fondation
de cette illustre abbaye au roi Dagoberl l",
il y avait déjà néanmoins un abbé et des re-
ligieux dans celle église de Saint-Denis avant
que ce prince eût fait jeter les fondements
des nouveaux, édifices, comme il paraît par
17
DEN
DEN
ls
une charle datée de la quarante-troisième
année du règne de Clotaire II, c'esl-à-dire
l'an 627, d'une donation faite par une dama
nommée Théodetrude, auquel temps Dodon
en était abbé. Cependant, quoique Dagobert
n'en ;iil pas été le premier fondateur, nul
autre que lui n'a mieux mérité ce litre, par
les grands biens dont il a enrichi cette ab-
baye. L'on ne peut dire certainement en
quelle année elle fut fondée pour la première
fois, ni en quel temps Dagobert entreprit de
rebâtir avec une magnificence royale l'église
de ce monastère, où il employa un grand
nombre de colonnes de marbre et d'autre* or-
nements de même matière. Elle était même,
selon quelques historiens, tout' pavée de
marbre, et brillait au dedans de l'éclat de ri-
ches tapisseries, toute rehaussée d'or , de
perles et de pierres précieuses. Au milieu
de toutes ces richesses , il fit construire sur
la sépulture de saint Denis, apôtre des Gau-
les, dont le corps se conserve dans celte
église avec ceux de ses compagnons Rusti-
que et Eleuthère, un magnifique tombeau ,
don! il donna la conduite à saint Eloi.
Comme son dessein était d'établir la psalmo-
die continuelle dans celte église, à l'exem-
ple des abbayes de Saint-Maurice d'Agaune
el de Saint-Martin de Tours, il fit faire des
bâtiments suffisants pour loger les religieux
qui devaient vaquer à ce saint exercice,
auxquels il fit de grands biens; et tant
qu'il vécut, il ne laissa échapper aucune oc-
casion de favoriser ce monastère et de le
combler de nouveaux bienfaits. Enfin , ce
prince étant mort l'an 638 , dix ans ou en-
viron après la fondation de cette abbaye ,
autant qu'on peut le conjecturer, il voulut y
être enterré : ce qui servit d'exemple à nos
rois, qui ont toujours depuis élu leur sé-
pulture dans ce lieu, à la réserve de quel-
ques-uns, qui ont été enterrés en quelques
aulres lieux. Clovis II, fils de Dagobert .re-
gardant l'abbaye de Saint-Denis comme l'ou-
vrage de la piété et de la magnificence de
son père , ne m <nqua pas de lui donner sa
protection, et confirma loutes les donations
que ce prince y avait faites. 11 lui procura
aussi l'affranchissement de la juridiction de
l'évêque de Paris , par le privilège d'exemp-
tion qu'il demanda à saint Landry , et qu'il
fit confirmer, l'an 653, dans un synode ou as-
semblée de plusieurs évêques et des grands
du royaume. Chanleric en étantabbé en 674,
lit bâtir sur son propre fonds le monastère de
Toussainval dans le Chambli. Il en fit dédier
l'église sous les noms de saint Déni- el de
saint Marcel , et y mil des religieux de Saint-
Denis, qui furent comme le premier essaim
qui soriit de cette maison. Le roi Thierri I"
autorisa ce nouvel établissement, el lui donna
même avec beaucoup de privilèges la lerre
de Noisi, pour l'entretien des religieux; mais
ce monastère n'est plus connu, et le P. dom
Félibiendans l'Histoire de l'abbaye de Saint-
Denis, dont nous avons lire la plus grande
partie de ce que nousdirons dans cet article,
croit que c'est peut-être l'abbaye du Val
près Poutoise, possédée par les Feuillants.
La psalmodie continuelle qui avait été
établie dans celte église par le roi Dagobert
avait été interrompue; mais, l'an 723,
Thierri II ordonna qu'elle serait rétablie; el,
pour y engager les religieux, il confirma
leurs anciens privilèges accordés par les
évêques de Paris et les rois ses prédéces-
seurs. Une chose digne de remarque qui se
trouve dans les lettres que ce prince en fit ex-
pédier, c'est que l'on y lit que saint Denis et
ses deux compagnons, saint Rustique et
saint Eleuthère, furent les premiers apôtres
des Gaules el qu'ils vinrent à Paris par or-
dre du pape saint Clément, pour y prêcher
l'Evangile. Déjà les biens de ce monastère
avaient été usurpés en partie, lorsque Ful-
rad en fut abbé l'an 750. Un de ses premiers
soins fut de les recouvrer: ce qu'il fit aisé-
ment avec le crédit de Pépin, qui n'était en-
core que maire du palais, mais qui avail déjà
la souveraine autorité, et qui, étant parvenu
à la couronne, protégea cette abbaye comme
auparavant: il honora même l'abbé Fuirai!
de la dignité de maître de sa chapelle.
En celle qualité, cet abbé fut obligé de
suivre le roi en Italie lorsqu'il y porta la
guerre pour remettre le pape Etienne III en
possession des terres de l'Eglise, dont Al-
tophe, roi des Lombards, s'élait emparé. Ce
puntife, qui était venu en France implorer
le secours du roi, avait sacré de nouveau ce
prince et ses deux fils Charles et Carloman
dans l'abbaye de Saint-Denis, où il avait sé-
journé quelque temps; et, comme il avait
besoin du crédit de l'abbé Fulrad auprès de
ce prince, il lui ac.orda beaucoup de privi-
lèges. Entre autres, il lui donna permission
et à ses successeurs de fonder autant de mo-
nastères qu'il leur plairait, sous la protec-
tion du saint-siége. 11 accorda de plus à cet
abbé de ne pouvoir être l'ait é\éque contre
son gré et sans la volonté du roi Pépin, d'u-
ser de certaines chaussures, et de parer son
cheval d'un ornement particulier qui ne con-
venait, selon les apparences, qu'aux grands
seigneurs ou à quelques cérémonies. Celle
grâce fut accordée par ce pontife au seul
Fulrad, à la prière du roi. Il ordonna même
qu'après la mort de cet abbé, ces ornements
seraient mis avec son corps dans le tom-
beau. Il lui donna encore le pouvoir d'élire
un évèque qui fît les fonctions épiscopales
dans ce monastère el dans les autres qui en
dépendaient, et beaucoup d'autres grâces,
qu'on peut liredans l'histoiredecetteabbaye.
Il y avait de ces sortes d'évèques à Saint-
Martin de Tours el en d'autres célèbres mo-
nastères. M. l'abbé Fleury dit, à la vérité
[Hist. ecclés. t. IX., lin. xuv , que ee n'é-
taient point des évêques titulaires, comme
si ces monastères et ceux de leur dépen-
dance eussent été des diocèses; mais qu'ils
étaient de ceux qui avaient été ordonnés
sans aucun titre, ou qui, après l'avoir quitte,
se reliraient dans ces monastères et y fai-
saient les fonctions, comme en des lieux
exempls de la juridiction des ordinaires.
Quelquefois c'étaient des chorévêques, qui
avaieutleur siège fixe dans les monastères,
19
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
20
ou l'abbé, qui était en même temps évoque
de son monastère; et d'autres fois c'étaient
de simples prêtres, à qui on donnait le titre
d'évêques parce qu'ils avaient mission pour
précber l'Evangile en certain territoire.
Pépin, ayant voulu rendre la basilique rie
Saint-Denis plus auguste, avait fait commen-
cer un nouveau bâtiment dont la construc-
tion fut interrompue par sa mort, qui ar-
riva l'an 7G8; mais Charlemagne, son fils,
l'ayant fait continuer, il fut achevé l'an 775.
Ce prince vint à Saint-Denis et fil faire la cé-
rémonie de la dédicaee avec toute la pompe
imaginable. Le monastère se sentit aussi de
ses libéralités, car il lui fit don de ses mé-
tairies de Luzarches avec l'église du lieu,
bâtie sous l'invocation de saint Come et de
saint Damien, et d'une autre métairie située
à Messi, au diocèse de Meaux. L'année pré-
cédente, il avait confirmé la donation <iue
son père y avait faite des terres de Faveroles
et de Noron, avec une partie de la forêt Jue-
line, des cerfs et des chevreuils qui y étaient,
dont les cuirs devaient servir pour rouvrir
les livres des religieux, et la chair pour la
nourriture des malades : d'où le P. Maliillon
tire une conséquence, qu'en ce temps-là l'abs-
tinence de la viande était en usage dans
celte abbaye.
Un différend que l'abbé Fulrad eut avec
l'évêque de Paris au sujet d'un monastère
bâti au village de Plaisir près de Sainl-Ger-
main-en-Laye fournit un exemple d'une
épreuve qui se faisait dans ce temps-là pour
juger des procès. L'évêque alléguait que ce
monastère avait été donné à son Eglise ; Ful-
rad soutenait que c'était un (ion fait à son
abbaye. Les juges, ne sachant lequel des deux
avait droit, eurent recours à l'épreuve qu'on
appelait le jugement de Dieu devant la croix.
Deux hommes dont l'un soutenait les droits
de l'Eglise de Paris, l'autre ceux de l'abbaye
de Saint-Denis, allèrent dans la chapelle du
roi, et, pendant qu'un prêtre récitait des
prières, ils commencèrent tous deux en
même temps à étendre les bras en forme de-
croix. Celui de Saint-Denis étant demeuré
ferme dans cet état, et l'autre ayant chancelé
un peu, il n'en fallut pas davantage pour
faire perdre le procès à l'évêque, qui avoua
lui-même que Dieu s'était déclaré en faveur
de l'abbaye de Saint-Denis. Sur quoi le roi,
assisté des comtes et des autres officiers de
justice, prononça en faveurde l'abbé Fuirai),
qu'il maintint en possession du monastère
de Plaisir, par un arrêt du 28 juillet 77 .">.
Mais cette sorte d'épreuve fut interdite quel-
ques années après par Louis le Débonnaire.
L'abbé Fulrad, par son testament fait à
Hérislal, sept ans avant sa mort, donna à
son abbaye tous les biens qui lui étaient
échus en héritage, dont quelques-uns étaient
situés en Alsace et en Brisgau, avec ceux
qu'il avait eus par présents, soit de nos rois,
soit de ses parents ou de quelques-uns de
ses amis, et les terres qu'il avait acquises à
titre d'échange ou autrement. II assujettit à
(1) Voy., à la fin du vol., noi 1 et 2.
la i.
même al. baye tous les monastères qu'il
„/ait fondés ou rebâtis au diocèse de Metz et
ailleurs, comme ceux de Salarié, de Saint-
Hippolyte ou Saint-Bisl, rie Saint-Cucuplias,
d'Arberling, d'Adalogne, sans compter ceux
de Lehraha et de Saint-Alexandre, qu'il y
avait déjà soùmi*. Outre ces monastères et
ceuk dont nous a\ons ci-devant par'é, il y
avait encore celui de Saint-Michel, qui est
présentement une fameuse abbaye proche
Verdun, qui était aussi de si dépendance.
Quant au testament de l'abbé Fulrad, il
faut remarquer que les abbés réguliers n'a-
vaient pas plus de pouvoir que les autres
religieux de donner par testament à leurs
parents ou à d'autres, et que, s'il se (rouie
plusieurs testaments de celte nature en fa-
veurdes monastères, c'est qu'ils Défaisaient
que confirmer les donations qu'ils y avaient
faites avant que d'y faire profession, ou
celies qu> avaient été faites en leur considé-
ration depuis qu'ils avaient i mbrassé l'état
religieux, ne pouvant point disposer rie leurs
propres, puisqu'ils n'en avaient point, et ne
pouvant pas non plus d'ailleurs disposer des
biens du monastère, dont ils n'avaient que
l'économat. Nous donnons ici l'habillement
des religieux qui étaient à Saint-Denis du
temps de l'abbé Fulrad (1), que nous avons
tiré sur les figures que le P. Mabillon en
a données dans le deuxième tome de ses An-
nales Bénédictines.
Fulrari étant mort l'an 784, M iginaire, l'un
de ses disciples, lui succéda. Il obtint, entre
autres privilèges du pape Adrien I", l'an 786,
la confirmation de celui qui avait été accor-
dé à Fulrad par Etienne III, d'avoir un
évoque a Saint-Denis pour y faire, selon les
besoins, les fonctions épiscopales, et dans
les autres monastères qui en dépendaient
Il fut envoyé en ambassade en Italie, et à son
retour il obtint d'Offa, roi des Merciens en
Angleterre, la confirmation des biens situés
au port de Landowic, qui avaient été donnés
par quelques-uns de ses sujets à l'abbaye de
Saint-Denis, à laquelle ce princedonna aussi
ce qui lui appartenait au même lieu, en or,
en argent et autres revenus, et ratifia en
même temps le don que le duc Bertwal avait
au-si fait à cette abbaye d'une autre part.
Ce ne lut pas le seul endroit hors du royaume
où ce monastère avait des biens. Cbarle-
magne lui en donna aussi dans la Valleline;
elle en eut dans la suite en Allemagne, en
Espagne et en d'autres provinces. Outre les
monastères de sa dépendance qu'elle avait en
France, elle en avait encore dans les pays
étrangers, comme en Angleterre et en Es-
pagne.
Entre les donations qui fuient faites à cette
abbaye sous le gouvernement de l'abbé Far-
dulfe, successeur de Waginaire.on remarque
que le comte Theudald , qui fut accusé rie
crime de lèse-majesté , après s'être justifié
parla voie du jugement de Dieu devant la
croix, donna une partie de ses biens à ce mo-
nastère et plusieurs familles de serfs ou d'es-
21
DEN
clave». Ces serfs étaient destinés à la culture
de li terre, et taisaient l'une de s principales
richesses de ce temps-là. Dagobert I*, d;ins
la 10e année de son règne , qui était l'an 631
de Jésus-Christ, ordonna que les enfants des
serfs d:' cette abbaye , soit qu'ils tussent nés
de légitime mariageou non, appartiendraient
au monastère, sous peine d'amende on de
punition corporelle contreles contrevenants.
Comme ils étaient en grand nombre, ils vou-
lurent se révolter et secouer le joug de la
servitude, sous le gouvernement d'Eudes de
Deuil, qui obtint un bref du pape Adrien IV,
adressé aux évoques de France, pour con-
traindre parles voies canoniques les serfs de
cel'e abbaye à rendre les services auxquels
ils étaient obligés; etenviron cent ans après,
Clément IV, l'an 12GG, donna pouvoir aux
abbés de Saint-I) nis de conférer la tonsure
cléricale aux serfs de celle abbaye, après
qu'ils ai raient été affranchis , du consente-
ment de la communauté.
Il y avait aussi dans cette abbaye des pau-
vres naatrieuliers, ainsi appelés parce qu'ils
étaient instruits dans la matricule ou catalo-
gue de l'église. Ils avaient souvent pari aux
largesses des bienfaiteurs. Ils faisaient les
plus gros ouvrages de la sacristie, comme de
tendre les tapisseries, garder les portes, em-
pêcher le tumulte du peuple, tenir l'église
propre, et veiller à la garde des saintes re-
liques. La plupart étaient des personnes qui,
en reconnaissance de ce qu'ils avaient été
guéris par l'assistance des saints martyrs,
consacraient le reste de leurs jours au ser-
vice de l'abbaye, portant l'habit monastique
et la tonsure comme les moines.
Quoique cetle abbaye dût selon les appa-
rences servir de modèle aux maisons reli-
gieuses qui étaient de sa juridiction, elle eut
cependant besoin elle-même d'être réformée
sur la fin du septième siècle. Le relâchement
s'y était introduit insensiblement, il avait aug-
menté de jour en jour, on n'y reconnaissait
plus ni régularité ni discipline : les religieux
avaient même quitté l'habit monastique et
s'étaient transformés en chanoines pour vi-
vicavec plus de licence. Hilduin, qui en
était abbé en 815, ayant tâché inutilement
de les faire rentrer dans leur devoir, eut
recours à l'autorité de l'empereur Louis le
Débonnaire , qui l'an 828 y envoya deux
sainls abbés, Benoît d'Aniane et Ariioul de
Nermoutier ; mais leurs remontrances ne
servirent qu'à irriter davantage ces préten-
dus chanoines, qui envoyèrent dans un pe-
tit monastère de leur dépendance ceux de la
communautéqui n'avaient pas encore quille
l'habit monastique. Les évèques assemblés
l'an 829 dans le concile de Paris résolurent
d'employer leuraulorité pour rétablir la dis-
cipline régulière dans celte abbaye, mais les
troubles excités l'année suivante furent un
obstacle aux ordonnances qui furent faites
pour cela dans le concile. Hilduin, songeant
toujours aux moyens de réussir dans son
dessein, gagna en 831 Hincmar, l'un de ces
prétendus chanoines, qui fut le premier à
s'offrir de prendre l'habit monastique et à
DEN as
suivre les autres pratiques du cloitre ; quoi-
qu'il ne fût pas du nombre de ceux qui les
avaient abandonnées, ayant toujours porté
l'habit de chanoine depuis son entrée en re-
ligion. Ils travaillèrent ensemble si efficace-
ment pour la réforme de ce monastère, qu'é-
tant aidés par les archevêques de Sens et de
Reims, et appuyés de l'autorité t'e l'empereur,
la discipline monastique fut enfin pair leur
moyen rétablie à Saint-Denis. Hincmar en fut
tiré quelques années après pour être élevé à
la dignité d'archevêque de Reims.
Hilduin, pour affermir la règle monastique
qu'il avait rétablie dans ce monastère avec
tant de peine, voyant qu'une des \ rincipales
causes de sa décadence venait de ce que les
abbés ne fournissaient pas aux religieux les
choses nécessaires à la subsistance, partagea
les biens de l'abbaye et en assigna une par-
tie pour l'entretien et la nourriture des reli-
gieux. Le grand nombre de terres el de mai-
sons, qui sont marquées dans l'acte de ce
partage, font connaître qu'elle élait dès bus,
comme elle est encore aujourd'hui , la plus
riche du royaume. Chaque terre el chaque
ferme avait sa destination particulière. Le
revenu de quelques-unes devait être employé
pour vêtir les religieux; celui des autres, ou
pour assister les malades , ou pour la nour-
riture de la communauté , ou pour les répa-
rations, ou pour les dépenses extraordinaires,
tant de l'église que du monastère. 11 y en
avait que l'abbé cédait eniièreimnt aux reli-
gieux, d'autres sur lesquelles il donnait sim-
plement à prendre en espèces certaine quan-
tité de blé, de vin, de fruits, de légumes, do
miel, de volaille, de poisson et autres sem-
blables choses.
Le P. Mabillon rapporte dans ses Diploma-
tiques la charte de ce partage , par laquelle
il parait que l'abbé Hilduin ordonna que l'on
donnerait tous les ans aux religieux , tant
pour eux que pour les hôtes qui mangeaient
au réfectoire, deux mille cent munis de blé
froment, neuf cents muids de seigle pour ses
domestiques, deux mille cinq cents muids de
Vin pour les religieux , outre la bière pour
les serviteurs ; trois cents muids de légumes,
trente-cinq muids de graisse, trente-cinq ses-
terces de beurre, de la volaille , du bois et
autres choses dont il est inutile de faire ici
le détail. II y eut un aulre partage qui fut
fait par l'abbé Louis en 862, et confirmé par
le roi Charles le Chauve. Il paraît par ce
partage que l'abbé élait obligé de fournir
treize cents muids de seigle pour les servi-
teurs, el que pour en demeurer quille, aussi
bien que des trois cents muids de légumes ,
de vingt muids de graisse sur les trenle-cinq
qu'il donnait, de doux cents muids de sel,
outre un muid que l'on recevait aux salines,
de cinquante muids de savon et autres den-
rées, de cent masses de fer pour les faux, de
cent autres masses de fer pour les fourches
et autres choses qui étaient nécessaires pour
les ouvriers, il avait abandonné aux reli-
gieux quelques terres et seigneuries , mais
qu'il était toujours obligé de fournir deux
mille cenl muids de blé froment pour faire
23
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
2J
leur pain, el qu'il consentait que pour leur
boisson ils jouiraient , comme ils faisaient
depuis longtemps, de certaines vignes, à con-
dition que si elles rendaient moins de deux
mille cinq cents muids, l'abbé serait tenu de
suppléer au reste. Mais il ne faut pas croire
que le muid de vin fût aussi grand en ce
temps-là qu'il l'est aujourd'hui, non plus
que le muid de blé ; car par les statuts qu'Ad-
halard, abbé de Corbie, fit pour son monas-
tère, l'an 8*22 (1), il paraît que le muid de
vin n'était que de seize seliers et chaque se-
tier de six tasses , par conséquent l'hémine
qui contenait demi-setier était de trois tasses.
A l'égard du muid de blé, l'on n'en devait
.faire que trente pains. Ces statuts ne mar-
quent point combien chaque pain pesait ;
mais par la lettre que Théodemare, abbé du
Mont-Cassin, écrivit à l'empereur Charle-
magnc , lorsqu'il lui envoya l'hémine el le
poids du pain, il est constant que chaque
pain pesait quatre livres et servait à quatre
religieux : d'où il s'ensuit que le muid de blé
ne devait pas peser plus de six vingts livres,
et qu'ainsi il était bien moins qu'un selier de
Paris, qui en pèse deux cent quarante.
Ces partages font connaître qu'après celle
réforme les religieux de Saint-Denis gar-
laient l'abstinence de la chair prescrite par
/a règle de Saint-Benoît ; toutefois , avec les
adoucissements que le concile d'Aix-la-Cha-
pelle y avait apportés, puisqu'ils usaient
d'huile de graisse dans leurs mets ordinaires
au défaut d'huile d'olive, et qu'ils pouvaient
manger de la volaille à certaiues fêtes de
l'année.
Quelques années avant ce partage , l'abbé
Louis ayant été pris par les Normands , les
religieux donnèrent pour sa rançon six cent
quatre-\ingts livres d'or et trois mille deux
cent cinquantelivres d'argent, qui reviennent
à plus de six cent mille livres de notre mon-
naie, sans compter plusieurs vassaux et leurs
enfants qu'on fut aussi obligé de leur livrer.
Ces barbares s'emparèrent, pour la première
fois, de cette abbaye l'an 865; et, comme il
n'y avait rien qui s'opposât à eux, ils la dé-
pouillèrent entièrement de tous les dons pré-
cieux que nos rois y avaient faits, ayant été
pendant trois semaines maîtres de ce mona-
stère, d'où les religieux, en se retirant,
avaient emporté heureusement avec eux les
saintes reliques. Charles le Chauve, ayant
pris , l'an 8(57 , l'administration de cette ab-
baye, après la mort de l'abbé Louis, qui était
son chancelier et son parent , fit gloire de
porter le nom et la qualité d'abbé de Saint-
Denis, et fit faire autour du monastère une
enceinte de bois et de pierres en manière de
fortification , pour empêcher que les Nor-
mands ne vinssent la piller une seconde fois;
mais les religieux ue crurent pas ces fortifi-
cations assez fortes pour leur résister, puis-
que , dans le temps que ces infidèles assié-
geaient Paris, l'an 887, ces religieux se réfu-
gièrent à Reims avec les corps de 1< urs saints
patrons et plusieurs autres reliques. L'an
912, le monastère de Saint-Denis se voyait en-
core à la veilled'étreen proieaux Normands,
si leroiCharlesle Simple n'eût pris leparli de
s'accommoder avec Rollon , leur duc , qui se
fil baptiser à Rouen, comme nous avons déjà
dit ailleurs. Robert, comte de Paris, qui était
pour lors abbé de Saint-Denis el qui fut roi
de France dans la suite, le tint sur les fonts
de baptême et lui donna son nom. Avant k
comte Robert, le roi Eudes en avait aussi éié
abbé; Hugues le Grand, fils de Robert, le fut
après lui ; et enfin Hugues Capet, qui par un
motif do conscience rendit à ce monastère
ses abbés réguliers , étant persuadé que la
cause du relâchement des religieux ne ve-
nait que de ce qu'ils n avaient que des laï-
ques pour abbés. Ce prince, après avoir re-
mis en règle cette abbaye, jugea nécessaire
d'y rétablir le bon ordre. 11 en fit parler à
saint Mayeul, qu'il croyait plus capable que
personne d'une telle entreprise. Ce saint
avait quitté la charge d'abbé de Cluny el vi-
vait fort retiré, ne pensant plus qu'à se pré-
parer à la mort. H crut néanmoins devoir
faire un effort pour satisfaire son prince :
c'est pourquoi il se mit en chemin; mais
étant tombé malade à Souvigny, il y mourut.
Ainsi ce fut l'abbé Odilon, qui lui avait suc-
cédé dans le gouvernement de l'ordre de
Cluny, qui fut chargé de cette commission ,
qui, quoique difficile, fut exécutée avec tout
le succès que l'on pouvait attendre de son
zèle.
L'ancienne discipline y était encore fort
relâchée lorsque Suger, en étant abbé,
entreprit l'an 1123 de réformer les abus qui
s'y étaient glissés, el auxquels il n'avait pas
peu contribué lui-même : car, n'étant que
simple religieux de Saint-Denis , il avait
gagné les bonnes grâces du roi Louis VI et
s'était abandonné à sa propre fortune, se
laissant introduire bien avant dans les af-
faires du siècle. H suivait ce prinee partout,
même à l'armée, et vivait plutôt en courtisan
qu'en religieux. Après qu'il eulélé fait abbé,
il continua de vivre comme auparavant, et
même avec plus de pompe et de magnificence;
l'on a même cru que saint Bernard l'a voulu
marquerlorsqu'il se plaintdans son Apologie,
d'un abbé qui avait pour l'ordinaire soixante
chevaux à sa suite. Ce saint l'en reprit avec
une liberté chrétienne, cl Suger, louché de
ses remontrances, renonça à sa vanité passée,
travailla à se corriger lui-même et à réfor-
mer les abus qui s'étaient glissés dans son
monastère, commençant par retrancher tout
ce qui ressentait en sa personne la pompe
el les manières du siècle. 11 eût bien souhaité
quitter entièrement la cour; mais le roi, qui
avait besoin de ses conseils, n'y put jamais
consentir. Obligé de rester malgré lui dans
le ministère , il parut à la cour avec une
modestie qui édifiait toule la France. De,
cette manière il persuada aisément la re-'
forme à ses religieux. La ferveur et l'exac-
titude avec laquelle ils s'acquittaient de
tous leurs devoirs les mirent bientôt en
(1) Mabillon, Annal. Benedict., lom. Il, pag. iCC et 28*2.
JS DEN
grande réputation; el cette -renommée fut
suivie d'une si grande prospérité, qu'il sem-
blait que toutes sorles de biens vinssent
fondre en abondance sur ce monastère : il ne
fut jamais plus florissant que sous le gou-
vernement de l'abbé Super, qui en soutint
tous les intérêts avec une fermeté tout à fait
noble. Il lui fit restituer le prieuré d'Argen-
leuil, qui lui avait appartenu originairement.
Il rentra dans plusieurs biens qui avaient
été aliénés. Il rédima de la vexation diffé-
rentes terres opprimées depuis longtemps ;
et l'on compte vingt-deux, terres et seigneu-
ries qui furent beaucoup augmentées par les
soins de cet abbé. Pour conserver les droits
de sonabbaye, et non par ostentation, comme
quelques-uns l'ont avancé mal à propos, il
fil faire une chasse aux cerfs dans la forêt
Iveline, où il passa une semaine entière sous
des tentes, avec Amauri de Montfort, Simon
deNeauphle, Evrardde Villepreux, plusieurs
autres seigneurs de ses amis el quantité de
vassaux. Le gibier fut porté à Saint-Denis :
on le servit aux religieux convalescents et
aux étrangers, qui mangeaient au logis des
Hôtes, et le reste fut distribué aux so'dals
de la ville. Il fonda aussi le prieuré d'Essone,
où il mit une communauté de religieux; el
celui de Chaumont en Yexin fut à sa consi-
dération soumis à l'abbaye de Saint-Denis.
Le crédit qu'il avait en France augmenta
encore davantage lorsque le roi Louis VII,
étant prêt de partir pour la croisade l'an
1147, le nomma pour régent du royaume
pendant son absence. Ce prince avait résolu
avec le pape Eugène III de réformer l'abbayo
de Sainte-Geneviève; mais, n'en ayant pas
eu le temps , '.'exécution en fut réservée à
Suger, qui s'en acquitta de la manière que
nous le rapporterons en parlant de cette
abbaye. Le roi étant île retour, cet abbé fut
chargé d'une nouvelle commission par le
pape : c'était de mettre des moines dans
l'église de Saint-Corneille de Compiègne ,
desservie alors par des chanoines d'une vie
peu réglée : ce qu'il exécuta en y établissant
une communauté de religieux tirés de Saint-
Denis. Enfin , après avoir rendu de grands
services à l'Etat , qui lui firent donner le
litre de Père de la patrie, et avoir gouverné
son abbaye pendant vingt-neuf ans, il mou-
rut l'an 1151. Il n'est pas le seul abbé de
Saint-Denis qui ait été régent du royaume.
L'abbé Matthieu de Vendôme le fut aussi
lorsque saint Louis alla pour la seconde lois
en Orient l'an 1269. Ce prince étant mort
dans ce voyage, son fils Philippe 111 , qui
l'avait accompagné, non-seulement continua
la régence à l'abbé Matthieu , mais le fit à
son retour son ministre d'Etat.
Quoique Suger eût assez de crédit pour
obtenir du pape Eugène III d'user d'orne-
ments pontificaux, cependant, soit par mo-
destie, ou pour quelque autre raison, il ne
s'en servit pas : ce ne fut que l'abbé
Guillaume II qui l'an 1176 obtint cet hon-
neur du pape Alexandre III. Du temps
d'Eudes II , qui succéda immédiatement à
Suger, l'abbaye de Saint-Denis acquit plu-
DEN
2G
sieurs églises el prieurés , entre autres le
prieuré de Fornalos, qui lui fut donné l'an
1156 par le roi d'Espagne Alphonse VII, el
sous le gouvernement d'Henri V. On lui sou-
mit encore le prieuré de Grand-Puits. Le
P. Félibien rapporte un puuillé de celte
abbaye . tiré d'un ancien cartulaire de l'an
1411 , où il y a dix-huit prieurés et environ
quatre-vingts cures à la nomination de
l'abbé , sans les canonicats et les petits bé-
néfices; et il paraît par ce même pouillé que
dès ce temps-là cette abbaye avait déjà
perdu plusieurs monastères de sa dépen-
dance ; comme ceux de Toussenval , de Plai-
sir, celui de Saint-Michel, changé depuis en
abbaye, el plusieurs autres, dont il est fait
menlion dans 1 Histoire de Saint-Denis, quoi-
qu'ils ne se trouvent point dans ce pouillé.
Ces monastères , qui étaient de sa dépen-
dance, et dont les prieurs étaient obligés de
se trouver aux chapitres généraux qui se
tenaient dans cette abbaye, n'élaient que
trop suffisants pour lui faire donner le nom
de chef d'ordre et de congrégation ; mais elle
a mérité ce litre avec plus de fondement par
ce que nous allons dire.
Dès l'an 1580, quelques monastères de Bé-
nédictins, pour satisfaire au décret du concile
de Trente qui obligeait les monastères im-
médiatement soumis au saint siège de s'unir
en congrégation , s'ils n'aimaient mieux se
résoudre à la visite de l'ordinaire, s'élanl as-
sociés ensemble sous le titre de Congrégation
des Exempts, les religieux de Saint-Denis,
qui n'avaient point encore obéi sur ce point
au concile de Trenle , et se voyaient pressés
d'entrer en congrégation , aimèrent mieux,
sans s'assujettir à une autre congrégation,
chercher eux-mêmes à en composer une dont
leur monastère pût être le chef, et faire en
sorle par ce moyen de ne changer à leurs
usages (quelque abusifs qu'ils fussent) que
ce qu'ils voudraient. La chose conclue , la
communauté députa plusieurs religieux pour
aller solliciter divers monastères de s'unir à
celui de Saint-Denis pour faire un même.
corps de congrégation. Ils en trouvèrent
jusqu'à neuf, qui furent ceux de Saint-Pierre
de Corbie , de Saint-Magloire île Paris , do
Saint-Père de Chartres, de Bonneval , de
Coulombs, de Josaphat.de Neauphle-le-Vieux,
de Saint-Lomer de Blois, el de Monstieren-
der. On dressa des statuts , qui , n'étant la
plupart que des règles ou maximes assez
généralement reçues dans les cloîtres , sans
déroger aux coulumes de chaque monastère,
furent aisément admis par les procureurs
de toutes ces abbayes , assemblés à Paris le
6 mars 1607 au prieuré de Saint-Lazare, au
faubourg de Saint-Denis , où 6e conclut le
traité d'association.
On en poursuivit ensuite les lettres paten-
tes , el le roi Henri IV les accorda dans le
même mois. Elles furent enregistrées el ho-
mologuées au parlement le 5 septembre de
la même année, nonobstant l'opposition de
l'abbé de Saint-Corneille de Compiègne, dont
les religieux demandaient d'être associés à
la même congrégation, à laquelle iis lureu(
aï
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
S
aussi agrégés. La cour trouva seulement à
propos d'avancer le temps des chapitres
généraux; et, au lieu que les statuts n'en
niellaient que de six en six ans , elle déter-
mina qu'ils se tiendraient tous les quatre
ans. Le premier chapitre général avait été
indiqué à Saint-Denis le 28 juillet ; mais
quelque incident survenu obligea de le dif-
férer jusqu'au 21 octobre suivant, comme il
paraît par les actes capitulaires de celte
année-là. Nicolas Hesselin, qui était prieur
de Saint-Denis, fut élu général de la nouvelle
congrégation. Le pape Paul V la confirma
l'an 1014 sous le titre de Congrégation de
Saint-Denis, et donna à tous les monastères
immédiatement soumis au saint-siége la li-
berté de s'y associer, dans l'espérance de
rétablir par ce moyen la discipline mona-
stique en France.
L'année précédente le général Nicolas
Hesselin étant mort, Denis de Rubenlel fut
élu en sa place. 11 remplit aussi celle de
grand prieur de celle abbaye, et mourut en
1620, après s'être démis quelque temps avant
s;i mort du grand prieuré entre les mains
de Firmin Pingre. Comme par sa mort la
congrégation de Saint-Denis se vit sans gé-
néral, et que dans le même temps Claude
Louvet, prieur de Corbie, qui en était vicaire
général, vint à mourir, aussi bien que le
syndic nommé François Wasl, religieux et
ihambrier de Sainl-Magloire, Firmin Pingre
convoqua l'année suivante le chapitre géné-
ral dans l'abbaye de Saint-Corneille de Com-
piègne , où l'on fit de nouveaux officiers.
Mais celle congrégation ne subsista pas
longtemps. Le monastère de Saint-Magloiiv,
qui était un de ses membres, fut donné aux
Pères de l'Oratoire l'an 1628. Ella en perdil
encore d'autres dans la suite, et les Béné-
dictins réformés de la congrégation de Sainl-
Maur entrèrent dans l'abbaye de Saint-Denis,
chef de celte compagnie, l'an 1633. Ils eu-
rent aussi dans la suite celle de Saint-Cor-
neille de Compiègne, de Monstiérender, de
Saint-Père de Chartres et quelques autres.
Nous avons vu ci-devant que dans le nom-
bre des abbés réguliers, cette abbaye a pu
compter des régents du royaume, des chan-
celiers et des ministres d'Etat. Lorsqu'elle a
élé entre les mains des laïques, elle a eu des
rois mêmes pour abbés; et, avant qu'elle fût
tombée en commende, plusieurs de ces abbés
réguliers ont élé élevés à la dignité d'evê-
que, d'archevêque et de cardinal. Le pre-
mier abbé tommendataire fut le cardinal
Louis de Bourbon, l'an 1528. Le litre d'abbé
fut supprimé, et la mense abbatiale unie à la
maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr
l'an 1691, comme nous avons dit en parlant
de cette maison dans l'article Cir.
Ses abbés, quoique réguliers, avaient-
séance au parlement de Paris, el avaient
grand nombre d'officiers religieux et laïques.
Lorsque l'abbé de Saint-Denis allait en cam-
pagne, il était ordinairement accompagné
d'un chambellan et d'un maréchal, dont les
offices étaient érigés en fiefs, comme il pa-
raît par des actes des années 1189 et 1231.
Ces offices et ces fiefs ont été depuis réunis
an domaine de l'abbaye, aus-i bien que l'of-
fice de bon tillrer de l'abbé, qui était pareil-
lement un office érigé en fiel et possédé par
un séculier domestique de ce même abbé,
qui avail toule juridiction spirituelle el tem-
porelle dans la ville de Saint-Denis ; et plu-
sieurs de nos rois lui avaient attribué la con-
naissance et la punition de tous les criminels
qui seraient pris dans le château et la ville
de Saint-Denis, et dans toute l'étendue de
leur juridiction, soil qu'ils fu-sent usuriers,
faux monnayeurs et même criminels de lèse-
majeslé. A certaines fêles de l'année on
chante dans l'église de cette abbaye la messe
tout entière en langue grecque, et en d'au-
tres seulement l'Epîire et l'Evangile. Elle a
aussi toujours conservé jusqu'à présent la
communion sous les deux espèces à la
messe solennelle des dimanches et dis prin-
cipales fêles de l'année, où les religieux non
encore prêlres communient de celte sorte,
non par un privilège spécial, comme plu-
sieurs se l'imaginent (selon ce que dit le
P. Félibien), mais par un usage non inter-
rompu dans celte église aussi bien que dans
celle de Cluny.
Après toutes les perles que cette abbaye
a faites, il est étonnant qu'elle soit encore
aujourd'hui la plus riche et la plus floris-
sante du royaume, tant par la beauté de son
trésor, qui est d'un prix inestimable, que
par ses revenus, qui, quoique très-grands, le
seraient encore davantage sans les disgrâces
qu'elle a éprouvées en différents temps ,
dont les principales ont élé celles du pillage
qu'elle souffrit en 14-1 J, pendant la guerre
civile qui fut causée par les différends qu il
y eut au commencement du xv' siècle entre
les ducs d'Orléans et de Bourgogne: ce qui
ayant donné occasion aux Anglais de re-
tourner en France , dont ils avaient été
chassés, elle fut encore pillée en 1419 par
ces peuples tiers et barbares. Ils s'en ren-
dirent maîtres de nouveau en 1455, après
que la ville de Saint-Denis, qu'ils assié-
geaient, leur eut élé rendue par capitula-
tion. Les ealvini-tes n'eurent pas plus de
respecl pour ce monastère : car, en f.lii
élant entrés dans la même ville de Saint-
Denis, où ils profanèrent plusieurs églhes,
ils endommagèrent la plupart de ses bâti-
ments, prirent presque tous les ornements
d'église, dépouillèrent les châsses des viinls
de l'or, de l'argent el des pierreries dont
elles étaient couvertes, empoilèrent et dis-
persèrent les livres de sa riche bibliothèque,
qui était remplie de quantité d'anciens ma-
nuscrits ; et ils n'en seraient pas restés là si
le prince de Condéj l'un de leurs chefs, qui
aimait cette abbaye parce qu'il y avait élé
élevé, n'eûl arrêté leur fureur en faisant pu-
nir u. e douzaine des principaux auleurs de
cet attentat. Mais ce ne fut pas là la dernière
de ses disgrâces; car (sans parler de celle
qu'elle reçut de la ligue en 159 J par l'inso-
lence des soldats, qui, non contents d'y
avoir commis plusieurs indignités, dérobè-
rent jusqu'au plomb de l'église) le duc de
19
DU
Nemours, qui manquait d'argent pour défen-
dre Paris, résolu d'en faire au\ dépens du
trésor de celle abbaye, qui était gardé chez
les religieux de Sainte-Croix de la Brelon-
nerie, en lira, par un arrêt du conseil d'Etat
rendu le 28 mai 1590, un rubis estimé vingt
mille écus et un crucifix d'or pesant plus de
dix-neuf marcs, que l'abbé Suger y avait
mis. 11 n'y eut pas jusqu'au prévôt des mar-
chands, conjointement avec les échevins de
Paris, qui, voulant en enlever toute l'argen-
terie, firent rompre les serrures, et empor-
tèrent six lampes d'argent , dont la plus
grosse, qui venait d'Espagne, pesait plus de
quatre-vingt-treize marcs , quatre figures
d'anges et un bénitier d'argent, le tout pe-
sant deux cent quinze marcs. Mais présen-
tement celle fameuse abbaye s'est remise de
toules ces perles avec tant d'avantage, qu'il
serait difficile de les croire, si l'histoire ne
nous en assurait.
Voyez Doublet et le P. Félibien , Histoire
de l'abbaye de Saint-Denis; Sainte-Marthe,
Gall. Christ.; Mabillon , Annal. De.. < du t.,
etc.
DÉVIDOIR (Chevaliers di). Foycs Crois-
sant.
DIJON ET DE LANGRES (Hospita-
lières de).
Des Hospitalières de Dijon et de Latii/ies,
avec la vie de M. Joly, prêtre, docteur en
théoloqift et chanoine de l'église de Saint-
Etienne de Dijon, leur fondateur.
M. Joly, instituteur des Hospitalières de
Dijon et de Langres, naquit à Dijon le 22
septembre de l'an 16ii, et eut pour père
Jacques Joly, secrétaire du parlement de
Bourgogne. Le nom de Bénigne lui fut donné
sur les fonts de baptême, et il eut toute sa
vie un grand soin d'honorer ce saint martyr
et apôtre de Dijon, par l'imitation de ses
vertus. Ses parenis, qui par un principe de
piété et de devoir s'étaient appliqués à éle-
ver tous leurs enfants, dont le nombre était
assez grand, dans les pratiques d'' la vérita-
ble dévotion, remarquèrent dans le jeune
Bénigne de si heureuses dispositions pour la
vertu, qu'ils redoublèrent leurs soins pour
l'y former de bonne heure; mais surtout à
celle de la charité envers les pauvres, dont
sa mère lui donnait l'exemple en allant de
maison en maison chercher les pauvres les
plus abandonnés, auxquels elle donnait elle-
même tous les secours dont ils avaient be-
soin, jusqu'à exposer sa propre vie pour
conserver la leur, comme il parut assez en
1632, que la ville de Dijon fut affligée d'une
fièvre pourpreuse qui emporta plus de qua-
tre mille personnes. Car cette charitable
dame s'employa arec tant de charité et de
zèle pour le service des pauvres qui étaient
attaqués de celte maladie, et avec si peu de
ménagement pour sa santé, qu'elle en Tut
elle-même attaquée et en mourut le 2 octobre
de la même année. Pour accoutumer de
bonne heure ses enfants à faire l'aumône
aux pauvres, elle leur donnait souvint de
quoi la faire eux-mêmes ; et jamais elle n'a-
DIJ 50
vait plus de plaisir que quand, après avoir
fait leurs peiites libéralités, ils retournaient
à elle pour avoir de quoi en faire d'autres.
Le pelit Bénigne sur tous les autres se si-
gnala si bien dans ces pratiques de charité,
que, dès l'âge de cinq à six ans, ayant un
jour rencontré dans les rues quelques pau-
vres qui languissaient de faim, et n'ayant
rien à leur donner, il les pressa si vivement
de découdre tous les rubans qui ornaient
une robe neuve que sa mère lui venait de
faire faire à la mode de ce temps-là. que la
nécessité jointe à ses sollicitations les ayant
obligés de le faire, ils eurent de quoi ache-
ter du pain en abondance : ce qui parut à sa
mère une action si héroïque de charité, que,
bien loin de lui en faire des reproches, elle
augmenta pour lui sa tendresse, louant et
bénissant Dieu de lui avoir donné un enfant
qui donnait de si belles espérances.
Après la mort de celle dame le jeune Bé-
nigne fut envoyé à Beaune par son père,
qui confia son éducation aux Pères de l'Ora-
toire. 11 fit des progrès dans les lettres, qui
■ urprirent ses maîtres, et il avança si bien
lâns la piété, qu'on jugea dès lors qu'il se
;on^acrerait au service de l'Eglise. On ne
voyait point eu lui ces empressements si or-
dinaires aux jeunes gens pour le jeu et le
divertissement. Il avait une grande solidité
d'esprit, beau coup de discernement, une gran-
deur d'àme qui n'élait pas commune, et son
inclination était d'obliger ses compagnons
et leur faire plaisir auianl que son attache-
ment à son devoir le lui pouvait permettre.
Il employa six années à faire ses huma-
lilés; mais son père étant mort au mois do
mai de l'année 1639, son frère aîné, qui se
trouva chargé de la famille, le fit revenir à
Dijon. Un an après il l'envoya à Rennes, où
il le mit en pension chez les Pères Jésuites,
sous lesquels il fit sa rhétorique et com-
mença sa première année de philosophie;
mais quelques-uns de ses amis lui ayant
conseillé d'aller à Paris et d'y recommencer
sa philosophie pour se mettre en état de
prendre les grades, il les crut, et son frère
y ayant donné les mains, il se rendit à Paris
au commencement du mois de septembre de
l'année 1662. Après avoir fait ses cours de
philosophie et de théologie, il fut reçu ba-
chelier en 1667, et reçut le bonnet de doc-
teur en 1672, après avoir été ordonné prêtre
la même année à l'âge de vingt-sept ans.
Il avait été pourvu d'un canonicat dès l'âge
do quatorze ans dans l'église abbatiale de
Saint-Etienne de Dijon; mais ses éludes
l'ayant empêché légitimement de satisfaire
aux devoirs d'un chanoine, elles ne furent
pas plutôt finies, qu'il songea de retourner
dans sa pairie pour remplir ses obligations.
A pe.ne fut-il arrivé à Dijon , que Dieu
éprouva sa patience par une maladie de Iris
mis. pend.nl laquelle il résolut de se dé-
fais e de son canonicat afin d'avoir la liberté
d'à 1er de village en village i our instruire
les paysans et passer toute sa vie dans une
mission continuelle; mais le P. Charles
Gautcrol, provincial des Pères de la Doctrine
SI
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
59
Chrétienne, qui avail élé son directeur pen-
dant qu'il était à Paris et sans l'avis duquel
il n'entreprenait rien, prévoyant le fruit qu'il
pouvait faire à Dijon sa pairie, l'empêcha
d'exécuter ce dessein, et lui conseilla de de-
meurer dans l'état où Dieu l'avait mis.
M. Joly suivit donc cet avis, et, à peine
eut-il recouvré ses forces, qu'il se rendit si
assidu à toutes les heures de l'office divin
de l'église de Saint-Etienne, qu'il en préféra
Passislance à toutes les oeuvres de piété
auxquelles il se sentait porté de lui-même et
auxquelles d'autres personnes voulaient l'en-
gager. M. Fiol, pour lors abbé de cette collé-
giale, qui était autrefois un célèbre monastère
de l'ordre de Saint-Auguslin, conçut lant d'es-
time de sa vertu, que, sans avoir égard à son
âgi\ qui n'était encore que de vingt-neuf ans,
il l'honora de la qualité de son grand vicaire
pour toutes les dépendances de l'abbaye, et il
fit la visite de toutes les églises qui étaient de
sa juridiction, avec le succès qu'on en pou-
vait espérer.
N'ayant pu exécuter le dessein qu'il avait
formé d'aller dans les missions pour instruire
les pauvres de la campagne, il trouva les
moyens de se dédommager d'une si sainte
entreprise sans sortir de Dijon. 11 y avait
dans cette ville quantité de pauvres men-
diants élevés dans l'oisiveté et dans une pi-
toyable ignorance, qui ne se trouvaient dans
les églises que pour interrompre par leurs
importunités la dévotion de ceux dont ils
imploraient la charité. Pour empêcher cet
abus et procurer en même temps aux pau-
vres les secours spirituels et temporels dont
ils avaient besoin, il fit publier par toutes
les paroisses de Dijon que l'on ferait une
bonne aumône à tous les pauvres de quel-
que âge qu'ils fussent, qui se trouveraient
les fêtes et les dimanches aux catéchismes et
aux exhortations qu'il ferait dans la chapelle
de Saint-Vincent, et cette libéralité étant se-
condée par celle de plusieurs personnes cha-
ritables, attira un si grand nombre de pau-
vres, que la chapelle se trouva trop petite
dans la suite.
Ce ne furent pas seulement les pauvres
qui vinrent écouter ses instructions, il y eut
aussi un grand nombre de personnes de tout
sexe et de toutes sortes d'étals qui s'y trou-
vèrent. Les personnes les [dus accommodées
de la ville crurent qu'elles devaient profiter de
l'occasion pour faire mieux instruire leurs
domestiques qu'elles ne l'auraient pu faire
chez elle-. 11 y eut même des ecclésiastiques
d'un mérite et d'une pieté distinguée qui,
animés par son exemple, s'offrirent de par-
tager avec lui le travail. Plusieurs prélats
que les affaires de leurs églises obligèrent
de passer à Dijon, ayant ouï parler avanta-
geusement du grand fruit que produisaient
ces instructions, voulurent bien eux-mêmes
en être les témoins, et entre les autres M. le
Goux de la Berchère, archevêque de Nar-
bonne, qui se faisait un plaisir particulier
de venir en celte chapelle pour y autoriser
par sa présence ces exhortations.
Le «èle que M. Joly avait pour le service
de l'Eglise lui fit aussi entreprendre de
donner de pareilles instructions aux clercs
qu'on élevait dans le séminaire de la Made-
leine, où il vint faire sa demeure à la prière
du supérieur; ce qui n'empêchait pas que,
nonobstant l'éloiguement de l'église de Saint-
Etienne et ses grandes occupations, il n'as-
sistât à matines et aux autres offices, aux-
quels il se rendait exactement dans les temps
même les plus fâcheux, aussi bien qu'aux
assemblées capitulaires et aux autres obi i—
galions de son bénéfice; mais toutes ces fa-
tigues jointes aux grandes austérités qu'il
pratiquait épuisèrent tellement ses forces,
qu'il tomba dangereusement malade et fut
obligé d'interrompre ses offices de charité
et de retourner à sa maison canoniale,
après qu'on eut employé l'autorité de son
directeur pour l'y faire consentir. A peine
eut-il recouvré sa santé, qu'il recommença
avec plus de ferveur ses instructions dans la
chapelle de Saint-Vincent, où, comme elles
attiraient un grand nombre de pauvres, il
crut que pour les y engager davantage il
était à propos d'y établir une confrérie dont
les bons règlements les pussent soutenir
dans les sentiments de pieté qu'il leur inspi-
rait, et leur faire supporter avec patience
l'état de pauvreté où Dieu 1rs avail mis.
Mais plusieurs personnes riches et de piété,
ayant voulu être de cette confrérie, elle s'est
trouvée dans la suite composée des plus
considérables de la ville, sans que pour cela
elle ait prrdu le nom de confrérie des pau-
vres, puisque c'est à eux que tout ce que
l'on y l'ait de bon se rapporte.
Ce saint homme ne se contenta pas seule-
ment d'exhorter les pécheurs à la pénitence
et à changer de vie, il voulut encore leur
ôlcr les occasions du péché; c'est ce qui lui
fit entreprendre l'établissement de la com-
munauté du Bon-Pasteur, qui non-seulemenl
sert de refuge et d'asile aux filles débauchées
qui ont dessein de quitter leur vie déréglée,
mais encore de retraite et de lieu de correc-
tion à celles que leurs parents, pour prévenir
le déshonneur de leur famille, jugent à pro-
pos d'y renfermer, et à celles qui sont con-
damnées à y être renfermées pour punition
de leur vie scandaleuse, comme il est porté
par les lettres patentes que le roi donna l'an
1687 pour l'établissement de celte commu-
nauté. Il établit aussi une société qu'on
nomme la Chambre de la Divine Providence,
en faveur des pauvres servantes qui se trou-
vent sans condition. Sa charité n'était pas
moins grande pour les pauvres malades,
qu'il visitait et consolait par ses exhorta-
tions, par les aumônes qu'il leur faisait, et
les services qu'il leur rendait, avec lant de
douceur et d'assiduité, que l'évêque de Lau-
gres lui conGa la direction spirituelle du
grand hôpital de Dijon, ce qui donna lieu à
l'établissement des Filles Hospitalières, dont
il a élé l'instituteur, de la manière suivante.
Il y avail dans la ville de Dijon un hôpital
fort ancien, sous le nom du Saint-Esprit,
qui était desservi parles religieuses de l'ordre
du Saint-Esprit de Montpellier, sous la di-
33
DU
DU
34
reclion d'un commandeur et de quelques
autres religieux du même ordre. Mais cet
hôpital ne s'étant pas trouvé suffisant pour
le nombre des pauvres malades ou autres
qui avaient besoin d'assistance, on y joignit
dans la suite du temps l'hôpital de Notre-
Dame de la Charité, qui, par la quantité îles
pauvres qui y ont été reçus, est devenu l'hô-
pital général. Ces deux hôpitaux furent assez
longtemps administrés par les religieuses de
l'ordre du Saint-Esprit. Mais celle union
ayant change l'état des choses, et les ma-
gistrats qui en avaient l'inspection s'étant
aperçus qu'il y avait quelque chose dans
l'administration qui n'était pas favorable au
public, s'y opposèrent pendant plusieurs
années, jusqu'à ce que, voyant toutes leurs
remontrances et leurs oppositions ne servir
à rien, ils jugèrent que le moyen le plus
convenable pour remédier aux abus était de
renvoyer les religieuses à l'ancien hôpital
du Saint-Esprit pour y prendre soin des pau-
vres qu'on y recevait, et de confier ceux de
l'hôpital de Notre-Dame de Charité à des
tilles qui dépendraient, pour le temporel, des
administrateurs, et, pour le spirituel, des
supérieurs ecclésiastiques qu'il plairait à
l'évèque de Langres de leur donner. Cette
résolution prise, on l'exécuta, nonobstant
les oppositions qu'on y fit, et qui furent le-
vées trois ans aprèi par un arrêt du conseil
d'Etat du 22 septembre 1688. L'évèque de
Langres, informé du bon ordre qu'on gar-
dait dans cette maison depuis qu'il eu avait
confié la conduite spirituelle à Al. Joly ,
donna volontiers son consentement à l'éta-
blissement d'une nouvelle communauté de
filles séculières pour le service des pauvres,
auquel elles seraient attachées par des vœux
sous l'obéissance d'une supérieure autant de
temps qu'elles demeureraient dans cet hôpital.
La nouvelle de cet établissement ne se fut
pas plutôt répandue , que l'on fut surpris
de voir a Dijon une troupe de filles pieuses
qui y venaient des provinces même les plus
éloignées pour s'y consacrer au service des
pauvres. Il en vint de Paris.de Champagne et
de Flandre, qui, s'étant unies a celles de la
ville, turent logées dans une maison qui leur
avait été préparée, en attendant qu'on les fit
entrer dans l'hôpital de Notre-Dame de la
Charité, où après quelques mois elles pri-
rent enfin la place îles religieuses du S;iint-
Esprit , et y demeurèrent en habit séculier
jusqu'à ce que, du consentement de l'évèque
de Langres, AL Joly donna l'habit de novice
à quinze d'entre elles le 6 janvier 1085. Cet
habillement est semblable à celui des Tilles
de Sainte-Agnès d'Anas et de la Sainte-Fa-
mille de Douai, dont quelques-unes vinrent
à Dijon pour instruire ces nouvelles Hospi-
talières des observances îégulières. Trois
ans après, c'est-à-dire en 1688, le roi accor-
da ses lettres patentes pour l'établissement
de ces filles en corps de communauté sécu-
lière, et en 1689 elles furent enregistrées au
pailemenl le 23 mars.
Quoique M. Joly eût été établi supérieur
de cet hôpital pour le spirituel par l'autorité
de l'évèque, son humilité néanmoins l'empê-
cha d'en accepter et la qualité, et les fonc-
tions ; il pria un autre ecclésiastique de ses
amis d'un mérite distingué et d'une grande
piété de vouloir bien s'en charger. Mais, s'y
étant trouvé des difficultés, on conseilla à
ces bonnes filles de choisir elles-mêmes un
supérieur sous le bon plaisir de l'évèque de
Langres. Elles suivirent ce conseil comme le
moyen le plus sûr pour en avoir un qui leur
fût convenable ; et, s'étant assemblées pour
cet effet, elles élurent AI. Joly, dont elles
avaient déjà expérimenté le zèle. Lorsque ce
saint prêtre en fut averti, il témoigna beau-
coup de répugnance pour cet emploi ; mais
il se soumit enfin aux ordres de la Provi-
dence en acceptant la conduite de ces Hospi-
talières, dont la fidélité à remplir tous leurs
devoirs l'encouragea à leur dresser des rè-
glements, afin qu'il y eût entre elles une
uniformité d'actions et de pratiques.
Il passa plusieurs années à cet ouvrage ,
auquel il s'était disposé par le jeûne et la
prière, afin d'implorer le secours et les lu-
mières du ciel ; et, après avoir consulté les
personnes les plus éclairées dans ces matiè-
res, il les fit pratiquer pendant quelques an-
nées, afin que, l'expérience lui en ayant f.iit
connaître les défauts et les inconvénients, il
pût les reloucher, comme il fil effectivement
en y retranchant plusieurs choses superllues
ou difficiles à observer, et y en ajoutant d'au-
tres qui lui semblèrent plus conformes à l'es-
prit de cet institut et plus proportionnées à la
faiblesse de ces filles , auxquelles il les fit
observer jusqu'à la veille de sa dernière ma-
ladie, que, lui paraissant sans défaut, il prit
la résolution de les faire approuver et les
présenta pour cet effet à l'évèque de Lan-
gres, qui les fit examiner par son conseil et
par des personnes spirituelles expérimentées
en ces sortes d'affaires, et les lut aussi avec
beaucoup d'attention. Mais AL Joly n'eut pas
la consolation de les voir approuvés de son
vivant, ne l'ayant élé que quelques jours
après sa mort, qui fut causée par une es| èce
de maladie, contagieuse qui suivit immédia-
tement la disette des grains dont la France
fut allligée en 1693 et I69i. Car ce saint hom-
me s'employa au secours spirituel et tem-
porel de ceux qui en étaient attaqués avec
tant d'ardeur et si peu de ménagement pour
sa sauté, qui u'élail pas encore bien rétablie
d'une maladie qu'il avait eue, qu'il ne put
résister à la malignité de ce mal, dont il re-
garda les premières attaques comme un aver-
tissement qu'il devait achever son sacrifice ;
c'est pourquoi il s'y prépara par une con-
fession générale, et reçut le saint viatique
dans des transports d'humilité, de reconnais
sance et d'amour, qui tirèrent les larmes des
yeux de tous les assistants. Enfin, après
avoir souffert pendant dix jours des douleurs
excessives sans qu'il lui échappât aucune
plainte, sentant approcher le moment auquel
il devaitquitter le monde pour aller jouir de
la présence de son Créateur et de son souve-
rain bien, il demanda l'extrêine-onction ,
répondit lui-même à toutes les prières mai-
35
quécs dans le Rituel pour la recommanda-
tion de l'âme, et mourut sur les neuf heures
du soir le 9 septembre 1694, étant â«ë de
cinquante ans. l*eu de jours avant sa mala-
die, ayant donné son propre lit à des pau-
vres, il eul .a consolation de mourir sur un
lit d'emprunt après avoir prodigué sa vie
pour le soulagement des misérables : aussi
les pauvres ie regardant comme leur père ,
le litre lui en est resté après sa mort. Il y
eul contestation entre les chanoine, de Saint-
Elienne et les filles Hospitalières à qui aurait
sou corps, sur une clause de son testament;
niais il fut adjugé aux Hospitalières comme
étant leur fondateur. Il fut enterré dans le
Cimetière de l'hôpital, et son ccrur fut donné
aux chanoines de Saint-Etienne.
Douze jours après si mort, le 22 septem-
bre, l'évèque de Langres appr. uva avec
eh.ge les règlements qu'il avait faits pour les
Hospitalières, auxquels il ajouta quelques
modifications qui étaient plutôt des marques
ce 1 exactitude avec laquelle il les avait us
que des corrections qu'il y eût faites. Ces
Ules étant demeurées en habit de novices
les; ace de près de douze ans, firent 1 us
premiers vœux le 2a février 1096, dix-huit
mois après la mort de M. July, qu'elles re-
connaissent pour leur seul et véritable insti-
uteur, don: elies imite.. t encore à présent
la charité pour les pau. res malades, aux-
quels elles donnent toutes les assistances
-iont ils ont besoin : ce qu'elles fout avec
tant d edil. cation, que la benne odeur de leur
pic'e el de leur charité a donné lieu à l'éta-
blissement do leur institut dans trois autres
maisons, dont il y eu a une à Langres. Ouoi-
que 1 ecrivam de la Vie de M. Jo.y donne à
ces Hospitalières le litre de religieuses, elles
nelout pas néanmoius de vœux solennels,
lilles lout ciuq au, de noviciat, après les-
quels elles luut seulement trois vœux simples
de chasteté, d'obéissance et de chante envers
es malades. Elles sont sous la couduite de
eveque pour le spirituel, et des administra-
teurs de leurs hôpitaux pour le temporel.
Les supérieures sont élues tous les six ans.
L.ur habillement, qui est noir et tel que
nous 1 avons fait graver (1 ), est, comme nous
1 avons dej[a dit, semblable à celui des filles
i\ STlTÀ,SQii>- U'A!',US. et ^ la ! ainte-
1 a.... le de Doua., dont l'institut est d'élever
de petites filles erpheliues et abandonnées ,
josqu a ce qu elles soient en âge d'être ma-
riées ou d entrer en service. E.les fout aussi
rois vœux simples, et ont eu pour fonda-
trice mademoiselle Jeanne Biscot, née à Ar-
ias, 1 au 1001, et qui mourut le 27 juin iUOi
agee de 00 aus. '
Le l'ère lieaugendre Bénédictin, Vie de
M.Joly, imprimée à Paris l'an 1700, et Mé-
moires envoyés par ces filles Hospitalières,
et par les filles de la Société de Sainte Agnès
(i II ras. J
DIMESSES ou MODESTES
(L'uMGKKGàTION DES).
De la congrégation des Filles et Veuves ap-
(I; V'ui/., à la lin du vol., n'a
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
pelées Dimesses ou MoJestes dans l'Etat
) enitten.
La congrégation des Filles et Veuves ap-
pelées Dimesses ou Modestes, dans l'Etat
\ cnilien, a eu pour fondatrice Deianara Val
marana, fille d'Aluise Valmarana et d'Isa-
belle Nogaru e de Vérone. Elle naquit à li-
cence 1 an 1549, Etant eu âge d'être mariée
elle épousa Agrippa Prislralo . jurisconsulte
ue la même ville, dont elle eul un fils. La
TreSf '1"CI' SUiVie llUelq"e le'»PsnPrès
de celle d .on mari, qui mourut en 1572 la
déliant de tout ce qui pouv.it I altacher'au
monde elle prit l'habit du Tiers-Ordre de
Saint-François d'Assise el se relira aver
quatre pauvres femmes dans une maison qui
lu. appartenait, ou elles vécurent ensemble
dans la pratique de toules les vertus chré-
tiennes sous la conduite du P. Antoine
Pagan, religion, de l'ordre de saint "'ràn-
cois de 1 Observance. A son exemple, Angèle
Aalmarana, sa cousine, se voyant llVsi
veuve, acheta une maison joignant celle de
Uejanara Valmarana, où elle alla dem! urer
avec quelques femmes dévotes, et y pratiqua
lotit ce que sa pieté lui inspirait de plus par-
fa. , jusqu a ce que le P. Pagaui e& („4ssé
pa ecut des règlements communs pour ces
deux maisons, qui lurent approuvés par
1 eveque de V.ceuce el par le cardinal Au-
gusiin \aherio, eveque de Vérone et visiteur
aposolique dans le diocèse de Vicence fan
ins.ii. P.? ql!eS,afUlT maistms du u'éu,e
insHiul ayant ele fondées en d'aulres lieux
Dejapara Valmarana les gouverna en quai
le oc supérieure générale pendant vingt-
quai, e ans, jusqu'à ce que, pleine de mérites
et de vertus , Dieu la retira 'de ce m, de
ans II, ïï' i""1 aS% de ciuquaute-trois
dé N, ï n en.teripee a Vicence dans l'église
sépulture commune des Dimesses.
d^niuler1eÇ,°it,]ansCeUe congrégation que
des filles et des veuves libres de Tous enga-
gements, qui ne soient point obligées .3 1 n
tutelle de leurs enfants, ou dont fe enfan î
pourraient ^ avoir besoin pour leurs établis!
semants. Elles sont éprouvées pendant os
ans avant que d'être reçues, et après leur
réception, elles ont encore deux autres an-
nées d épreuve, pendant lesquelles on peut
es renvoyer. 11 ne doit pas } avoir plus e
Luit ou neuf Dimesses dans une même
maison, non comprises les servantes et
1 tue3' da;0.,V,,UJOUrr d0UX ,Ui,isons voisines
luue de 1 autre, afin que Ion puisse .dus
SïZt eut avui,r des vieilles SSZ&
Pdguer les jeunes lorsqu'elles sortent. Tous
es ans ces deux maisons, ou quatre au
Plus, élisent ensemble une supérieure, à4ë
au moins de (renie ans, et qui doit en avoir
passe ç.u | dans la congrégai.on. Elles élisent
aussi deux ajulantes ou majeures pour cha-
que maison, qu, doivent av'oir demeuré au
moins rois ans dans la congrégation el qu'on
appelle aussi consullrices. Il leur est dé-
37
niv
fendu de laisser entrer les hommes dans leurs
maisons. Leurs obligations principales sont
d'enseigner le catéchisme aux personnes de
leur sexe, d'assister aux sermons et aux
dévoilons particulière? des églises, de fré-
quenter souvent les sacrements, de visiter
et d'assisler corporellement les pauvres
femmes dans les hôpitaux. Elles ne s'ohligent
par aucun vœu envers la congrégation, et
elles en peuvent sortir quand bon leur sem-
ble, même pour se marier. Comme elles font
une profession particulière d'humilité, elles
ne se donnent point hs unes aux autres le
titre de Signora ou Madame, mais seulement
celui de Madonnn ou Dame. Leur habille-
ment tel qu'on le peut \oir dans la figure
que nous avons fait graver (1), doit élre de
laine noire ou brune, à leur volonté. Celui
des sirvantes est plus court, el elles portent
un voije blanc, au lieu que les Dimesses,
lorsqu'elles sortent, ont une grande cape ou
manie de taffetas noir. 11 y a des maisons de
cet institut à Vicence, où il a pris nais-
sance; à Venise, à Padaue, à Udine et en
d'autres lieux de l'Etal Vénitien.
Philippe Bonaani, Cnlulvg. Ord. rcligios.
par. n, pag. 1J6, et Mémoires envoyés de
Venise en 171 i.
DISCIPLINES (Chevaliers des ). Voyez
Dragon renversé.
DIVINE PROVIDENCE ET DE SAINT-BER-
NARD (Congrégation de la).
Des religieuses Bernardines II '■ formées drs
congrégations de la Divine Providence el
de Saint-Bernard en France et en Savoie,
aicc il vie de la vénérable Mcre L ■ttisr-
Blanche-Ikéc'sc de Ballon, leur fondatrice.
Ce n'était pas seulement dans les mo-
nastères d'hommes de l'ordre de Citeaux
que le relâchemenlet le dérèglement s'étaient
introduits; une pareille licence régnait aussi
dans la plupart des monastères de fille; du
même ordre. Mais, comme Dieu avait suscité
de saints religieux pour faire revivre le pre-
mier esprit de Cileaux dans plusieurs mo-
nastères et tablir dans d'autres des obser-
vances moins austères que les premières,
afin que ceux qui vivaient dans le dérègle-
ment, attirés par leur douceur et par leur
facilité, eussent moins de peine « embrasser
une vie uniforme et réglée, il suscita pareil-
lement de saintes filles pour remettre dans
les observances réguli. ' res celles qui s'en
étaient écartées, qui embrassèrent toutes les
austérités de l'ordre. Les autres, effrayées
de cette grande austérité, se contentèrent
d'embrasser des observances qui, remplies
de sagesse et de modération, les mettaient à
couvertdu dérèglement et durelâchement qui
s'étaient introduits dans plusieurs mona-
stères, et leur prescrivaient un genre de vie
qui les rendait des sujets d 'édification à tout
le monde. Les religieuses Bernardines Ré-
formées des congrégations de Franee et de
Savoie furent du nombre de ces dernières, et
(1) Voy., à la fin du vol., n" i.
D1V
33
eurent pour institutrice la vénérable Mère
de lia lion.
Elle était fille de Charles-Emmanuel de
i;al!on, gentilhomme de la chambre du duc
Je Savoie Charles-Emmanuel I"\ et qui fut
dans la suite ambassadeur de ce prince en
France et en Espagne. Elle vint au monde
1 an lo91 dans le château de Vanchi, séjour
ordinaire de ses parents, comme le plus
agréable el le plus commode de leur do-
maine, et ; ut situé au milieu de la baronie
de Ballon, à cinq lieues de Genève, et amant
'I Annecy. Elle reçut le nom de Louise au
baptême, celui de Blanche lui fut donné à lu
confirmation, et elle prit elle-même celui de
Iherese, qu'elle ajouta aux deux autres
quand elle, commença sa reforme.
A l'âge de sept an'; ses parents la mirent
dans l'abbaye de Sainte-Catherine de l'ordre
de Citeaux, dont l'abbesse était leur parente.
Suivant la pratique de ce monastère, elle y
rc.ut l'habit à cet âge, el fut admise au nu-
vie al. Elle fit un si grand progrès dans la
vertu, et devint en peu de temps si éclairée
dans ies choses spirituelles, que sa mère, se
jiréval .ni de la liberté que les novices et les
professes de ce monastère avaient d'en sor-
tir pour aller voir leurs parents, la faisait
venir sou» enta Vanchi pour l'entendre par-
ler de sujets de piété, el pour recevoir de le
des avis sur ce qui regardait sou propre
salut. Comme les visites qu'elle rendait à ses
parents ne venaient ni de légèreté, ni d'oisi-
veté, que ce n'était ni par ennui de la soli-
tude, ni par recherche des divertissements
qu elle pouvait trouver au dehors qu'elle
venait à Vanchi, mais seulement par conde-
scendance et même par obéissance à la vo-
lonté de son abbesse el de ses parents, il n'y
avait point de temps plus saintement em-
ployé que celui qu'elle passait chez eux,
étant dans le monde comme si elle n'y était
pas. Ayant atteint l'âge de seize ans, et le
temps étant arrivé qu'elle devait s'engager
plus étroitement par la profession religieuse,
ses parents souhaitèrent que ce fût dans
leur château même qu'elle fit ce grand sa-
crifice. Ils n'eurent pus de peine à obtenir
celte consolation des supérieurs de l'urdre :
car, comme en ce temps-là on ne gaidait
point de clôture dans le monastère de Sainte-
Caiheiine, non plus que dans les autres, ils
ne se rendaient pas difficiles à permettre
que les novices allassent faire leur profes-
sion chez leurs pirnU quand ils le deman-
daient. Le i mars 1007 ayant été destiné pour
le jour de celle cérémonie, dom Ktcojas de
Rhides, abbé régulier de Thamiers et vicaire
général de celui de Citeaux, s'y trouva pour
recevoir les vœux de cette nouvelle épouse
de Jesus-Christ, qui eut la consolation de
les prononcer en présence d'une de s. s
sœurs, novice du mon.aslère de Boniieu, du
même ordre , qui s'était aussi rendue au
château de son père pour le même sujet,
avec une autre novice du même monastère.
La sœur Louise de Ballon n'eut pas plutôt
59
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX
40
fail sa profession, qu'elle voulut se rendre à
son monastère, comme au séjour où elle
venait de s'attacher plus étroitement. Ce fut
en vain que ses parents la solicitèrent de
rester quelque temps avec eux : insensible à
leurs larmes et inexorable à leurs prières,
elle leur déclara que c'était inutilement qu'ils
tâchaient de l'attendrir par les unes et de la
fléchir par les autres; qu'elle était résolue
de s'aller enfermer dans son monastère,
pour y jouir de la conversation de son divin
époux et pour satisfaire à son devoir. Quoi-
que la clôture n'y fût pas observée, comme
nous avons dit, c'était néanmoins lacou'ume
que chaque religieuse l'observait la pre-
mière année de sa profession avec tant
d'exactitude, qu'elle ne sorlait pas une seule
fois, non pas même pour prendre l'air à la
campagne autour du monastère, comme fai-
saient les autres professes quand elles le
voulaient, outre que la nouvelle professe
était obligée d'assister au chœur si fidèle-
ment à toutes les heures canoniales pendant
cette année, que la maladie même ne suffi-
sait pas pour s'en excuser, car si elle tom-
bait malade dans celte même année, il fallait
qu'elle la recommençât après comme si elle
n'eût rien fail, et on ne la tenait quitte de
cette obligation qu'après avoir assisté régu-
lièrement an chœur pendant toute une année
sans interruption. Mais la mère de Ballon
ajouta encore quelque chose de plus; car
elle fut pendant ce lernps-là si recueillie et
si retirée dans sa chambre, qu'on ne la
voyait qu'au chœur et au réfectoire.
Ce fut dans une retraite qu'elle fit sous la
conduite de saint François de Sales, son
pioche parent, que Dieu lui inspira les pre-
miers désirs d'une réforme, qu'elle eut le
bonheur de voir accomplir quelques années
après, loisque ce saint prélat fut prié par
l'abbé de Cileaux de réformer le monastère
de Sainte-Catherine, qui était de son diocèse.
Nous avons déjà dit qu'on ne gardait aucune
clôture dans ce monastère, ce qui faisait que
l'entrée était autant permise aux séculiers
que la sortie en était libre aux religieuses.
Les visites fréquentes et le séjour qu'elles
allaient faire chez leurs parents et leurs
amis les faisaient rentrer dans l'esprit du
monde avec tant d'excès, qu'elles revenaient
presque toutes séculières à leur monastère.
L'ameublement de leurs chambres était tout
mondain. C'était une émulation entre elles à
qui aurait son appartement plus richement
paré. Les étoffes les plus fines et les plus
apparentes étaient celles qu'elles recher-
chaient pour s'habiller, quelques-unes y
ajoutaient des parures et des ajustements
qui donnaient lieu de croire qu'elles avaient
honte de laisser sur elles les moindres mar-
ques de leur état. Les séculiers avaient même
leur demeure dans l'enceinte du monastère ;
car, outre les servantes que chaque religieuse
avait, il y avait aussi des valets qui y de-
meuraient, tant pour la culture ues terres
que pour la garde des troupeaux qui appar-
tenaient à des religieuses particulières, en
sorte que cette maison ressemblait en quel-
que façon à une ferme plutôt qu'à un mo-
nastère, ce qui fut un des principaux motifs
qui engagèrent celles qui commencèrent la
réforme dont nous allons parler.
Tel était l'état de cette abbaye lorsque saint
François de Sales fut prié, l'an 1608, par
l'abbé de Cileaux, dom Nicolas lîoucherat,
d'employer son autorité et ses soins pour la
réformer. .Mais ceux qu'il apporta furent
inutiles, de manière qu'il avait perdu toute
espérance d'y réussir, croyant même qu'il
sérail inutile d'y travailler; mais Dieu, qui
est admirable dans ses saints, voulant con-
soler son serviteur et mettre fin à l'accom-
plissement des désirs de la mère de Ballon,
lui en fit naître l'occasion quelques années
après: car cinq religieuses de ce monastère,
unies ensemble, ayant formé le dessein de
commencer une nouvelle réforme dans un
autre lieu, prévoyant que les autres reli-
gieuses ne voudraient jamais consentir à la
clôture, en parlèrent à saint François de
Sales, qui, bénissant le Père des miséri-
cordes des grâces qu'il faisait à ces saintes
filles, les fortifia dans leurs résolutions. Il fit
de nouveaux efforts pour obliger les autres
religieuses de ce monastère à recevoir la
clôture et embrasser la réforme; mais,
voyant que c'était inutilement, il consentit
que ces cinq religieuses commençassent la
réforme hors le monastère. Elles en obtin-
rent les permissions nécessaires de l'abbé de
Cileaux, à la recommandation du prince
Thomas de Savoie et de l'abbé de Thamiers.
M. de Leaz, frère de la mère de Hallon, alla
lui-même à Cileaux pour ce sujet; et Ru-
milli, petite ville de Savoie, fut le lieu où
elles jetèrent les premiers fondements de leur
réforme l'an 1622.
Ces cinq religieuses furent les Mères Ber-
nardede Vignol, Louise-Blanche-Thérèse de
Ballon, Emmanuelle de Monthoux ,. Péroné
de Boclietle, et Gasparde de Ballon, propre
sœur de la Mère de Ballon, et la troisième de
ses mêmes sœurs qui avait embrassé l'ordre
de Cileaux. Ce fut le 8 septembre, fêle de la
Nativité de Notre-Dame, qu'elles prirent pos-
session de leur chapelle, et le 21 du même
mois qu'elles y prirent l'habit de la réforme,
à la réserve de la Mère Gasparde de Ballon,
qui n'était pas encore sortie de l'abbaye de
Saime-Caiherine par les oppositions des reli-
gieuses et de ses parents.
Elles commencèrent dès lors à dire l'office
au chœur, mais sans le chanter , à cause de
leur petit nombre. Elles gardaient un étroit
sileme, à l'exception de deux heures par
jour, l'une après le dîner,, l'autre après le
souper. Elles disaient tout haut leurs coul-
pes au réfectoire, balayaient la maison, la-
vaient la vaisselle, faisaient la cuisine, ser-
vaient tour à tour au réfectoire, et le plaisir
qu'elles prenaient dans ces bas exercices
était si grand, qu'il y avait une sainte émula-
tion entre elles pour être la première à les
exercer et la dernière a les quitter.
Elles furent visitées peu de lemps après par
sainl François de Sales, qui leur avait permis
de conserver le saint sacrement daus leur
D.V
451
chapelle. 11 vit leur nouvelle maison et la
trouva suffisante pour une communauté ;
mais le pressent ment qu'il avait de ce qùa
leur pauvreté leur ferait souffrir le porta par
un esprit de charité a les encourager et à les
exhorier à la patience, et à se tenir en garde
contre l'ennemi de leur salut, leur représen-
tant souvent que Dieu, qui par sa provi-
dence a soin des plus petits animaux , n'a-
bandonne jamais ses serviteurs qui ont con-
fiance en lui, leur apportant pour exemple
dom Jean de la Carrière, fondateur des Feuil-
lants , qui pendant quelques années ne se
nourrit que de Heurs de genêt et d'herbes
sauvages, et ne se servait point la nuit d'au-
tre lumière que de celle de la lampe qui
brûlait devant le saint sacrement. Jusque-là
elles avaient obéi à la Mère de Vignol ,
comme la plus ancienne; mais cette Mère
ayant proposé au saint prélat 1 élection d'une
supérieure, tous les suffrages se trouvèrent
pour la Mère Louise-Blanche-Thérèse de
Hallon. qui, considérant avec ses religieuses
les obligations singulières qu'elles avaient à
la divine providence, proposa à saint Fran-
çois de Sales, qui était de retour à Annecy,
d'agréer qu'elles prissent le nom de Filles de
la Divine Providence. La réponse qu'il fit à
la lettre qu'elle lui écrivit au nom de sa pe-
tite commuuauié fut qu'elles devaient encore
attendre un an, pour voir si elles se ren-
draient dignes d'un nom si beau et si glo-
rieux. Elles obéirent à ses ordres, et l'an
étant expiré, elles prirent ce nom, qui leur
fut confirmé par M. Jean-François de Sales,
frère et successeur de saint François de Sa-
les, dans l'approbation qu'il fit de leurs con-
stitutions; mais le peuple les a toujours
appelées les religieuses Bernardines Ré-
formées.
La .Mère Gasparde de Dation , après avoir
surmou é toutes les difficultés qui s'oppo-
saient à sa sortie de l'abbaye de Sainte-Ca-
therine, tant de la part des religieuses que
de ses parents , arriva enfin au mois de n >-
ventbre à Rumilli. Ainsi les cinq religieuses
qui avaient projeté la réforme se trouvèrent
pour lors réunies. Quoique leur pauvreté fût
grande, elle leur faisait néanmoins si peu
de peine, et elles cherchaient si peu les
moyens de s'en délivrer , qu'elles continuè-
rent d'un commun accord de ne s'en plain-
dre jamais à personne. Mais la divine provi-
dence, dont elles avaient pris le nom, ne les
abandonna pas : elles se trouvèrent même
en état de faire des charités, et elles donnè-
rent retraite à quatre religieuses de l'abbaye
des Hayes proche Grenoble, qui dans le des-
sein d'une même réforme avaient quitté celte
abbaye, où l'on ne gardait aucune forme de
règle, où. la clôture n'était point en usage, et
où les religieuses, qui vivaient à la façon des
séculières, en avaient presque pris l'habille-
ment.
Ces quatre religieuses furent la Mère de
Taquier, coadjulrice de l'abbaye des Hayes ;
les Mères de Pouçonas et de Buissorond, et
la sœur de Monlenard, encore novice. Elles
sollicitaient depuis un an un établissement
Dict.onnaire des Ordres remgieu\. II
dans Grenoble : elles y avaient même loué
une maison, et, à la sollicitation du vicomte
de Paquier, père de la Mère de Paquier.et de
leurs amis, elles avaient obtenu verbalement
le consentement de l'évéque de Grenoble.
Mais plusieurs difficultés qui se rencontrè-
rent dans cet établissement en ayant empê-
ché l'exécution, et ayant appris pendant ce
temps-là que cinq religieuses de l'abbaye de
Sainte-Catherine en étaient sorties pour al-
ler à lîumilli jeter les fondements d'une nou-
velle réforme, elles résolurent de se joindre
à elles. Le vicomte de l'aquieralla lui-même
trouver saint François de Sales pour lui com-
muniquer le dessein des religieuses de l'ab-
b.iye des îlayes, et ce prélat porta celles Av
Rumilli à les recevoir.
Ces quatre religieuses de l'abbaye des
Hayes arrivèrent donc à Rumilli le premier
janvier 1623. Elles reconnurent pour supé-
rieure la Mère Louise de Ballon, qui, peu do
j iurs après , ayant fait la distribution des
emplois de son monastère, donna la charge
de maîtresse des novices à la MèrePonçonas.
Quelques esprits malintentionnés leur ayant
persuadé que l'abbé de Cîtcaux dans le cha-
pitre général de cet ordre avait résolu de
supprimer leur réforme, elles en furent fort
alarmées. Elles redoublèrent leurs vœux et
leurs prières, et reconnurent bientôt après
que ce n'était qu'une fausse alarme qu'on
leur avait donnée, puisqu'elles reçurent une
lettre de cet abbé dans laquelle, bien loin de
désapprouver leur entreprise , il les exhor-
tait au contraire fortement à la continuer ;
c3 qui les détermina à tenir le premier cha-
pitre de leur congrégation pour la réception
des novices. Il y en avait déjà cinq qui se
présentaient; mais elles ne pouvaient leur
donner l'habit sans la permission de l'abbé
de Thamiers, qui s'y opposa, sur ce que la
maison où elles demeuraient ne leur appar-
tenait pas, et qu'elles n'avaient aucun re-
venu fixe. Mais l'abbé de Chescri , oncle de
la Mère de Ballon, ayant eu recours à l'au-
torité du prince Thomas de Savoie, l'abbé
de Thamiers ne put résister aux ordres de ce
prince, et consentit que l'on donnât l'habit
aux novices. Cependant ces religieuses
ayant acheté une maison à Rumilli, elles y
allèrent demeurer le 2i mai 162i.
La même année tous les obstacles qui s'é-
taient trouvés jusqu'alors à l'établissement
de ces religieuses à Grenoble ayant été levés,
la Mère de Ballon y alla accompagnée des
rel gieuses de Dauphiné, qui s'étaient mises
sous sa conduite et l'avaient reconnue pour
supérieure à Rumilli. Elles arrivèrent dans
celte ville le 22 novembre 102i. La Mère de
Ballon fut encore reconnue supérieure de ce
nouveau monastère, où l'on dressa les con-
stitutions de cette reforme, qui furent con-
formes aux avis qu'en avait donnés saint
François de Sales, qui étaient que, sans em-
brasser les grandes austérités de l'ordre de
Citeaux, ces filles devaient s'attacher uni-
quement à l'essentiel de la règle et des vœux,
s'appliquant de toutes leurs forces à la mor-
tification de l'esprit, au recueillement inte-
43 DICTIONNAIRE DES
rieur et à l'union avec Dieu. Ces constitu-
tions étaient néanmoins peu conformes aux
usages communs de Cîleaux. C'était propre-
ment un traité ou conduite spirituelle con-
venable à toutes sortes de personnes , et ,
pour, les usages particuliers, ils étaient entiè-
rement conformes à ceux des religieuses de
la Visitation instituées par le même saint, à
la réserve de la couleur de l'habit. Ces con-
stitutions portaient qu'elles se serviraient du
bréviaire romain, qu'elles diraient matines
le soir , afin d'avoir la matinée plus libre
pour employer une heure entière à l'orai-
son mentale; qu'elles se coucheraient à dix
heures, se lèveraient à c:nq. Elles devaient
aller sept fois le jour au chœur pour y dire
l'office divin. Ellesdevaientfaire l'aprôs-dînée
une demi-heure de lecture spirituelle, une
autre demi-heure d'oraison mentale, et l'exa-
men de conscience deux fois le jour. L'u-
sage de la viande lenr fut permis trois fois
la semaine; elles portaient du linge et se
servaient de matelas et de tours de lit. Quant
à l'habillement, elles se conforment pour la
couleur à l'ordre de Clteaux , et pour la
forme à celui des religieuses de la Visitation,
excep'é le bandeau, qui est blanc (1). Pour
ce qui regarde les autres usages, ils sont
aussi contormes à ceux des religieuses de la
Visitation. La sous -prieure élait nommée
sœur assistante , la maîtresse des novices
sœur directrice. Les religieuses ne s'appel-
lent que sœurs, et elles ne chantent point de
messes hautes. Elles travaillèrent ensuite
<) se soustraire de la juridiction des Pères de
l'ordre, qui s'y opposèrent, mais en vain,
car ces religieuses obtinrent un bref du pape
Urbain VIII, l'an 1628, qui les exemptait de
la juridiction des Pères de Cileaux , et les
mettait sous celle des ordinaires des lieux où
elles s'établiraient.
La Mère de Ballon ayant séjourné à Gre-
noble jusqu'au mois de décembre 1623, re-
tourna en son premier monastèrede Rumilii,
d'où quelque temps après elle fut obligée de
sortir pour aller faire un nouvel établisse-
ment à Maurienne. Elle en fit encore un
quatrième à La Roche, petite ville de Savoie,
et un cinquième à Seyssel. Elle repassa en
France en 1631, pour y faire deux autres
établissements, l'un à Vienne en Uauphiné ,
et l'autre à Lyon, qui furent suivis peu de
temps après de ceux de Toulon et de Marseille.
Ce fut la même année 1C31 que les consti-
tutions furent imprimées à Paris pour la
premièie fois, avec toutes les approbations
nécessaires, à l'exception de celle de Rome,
que ces religieuses n'obtinrent que l'an 1634.
La Mère de Ponçonas étant venue à Paris
en 1634 pour y faire un nouvel établissement,
fit imprimer pour la seconde lois ces consti-
tutions, ce qui fut la source de beaucoup de
troubles et de divisions dans celle congréga-
tion ; car, soit qu'il y eût déjà eu quelque
bruit entre la Mère de Ballon et la Mère de
Ponçonas, soit que cette dernière fît quelque
changement dans eus constitutions, afin de
ORDRES RELIGIEUX.
M
S" donner le litre d'institutrice d'une nou-
velle réforme, il est certain qu'à peine celle
seconde impression fut achevée, que la di-
vision commença à éclater. En effet, la Mère
de Ballon, voulant soutenir sa qualité do
réformatrice, fâchée du changement que la
Mère de Ponçonas avait fait dans ces consti-
tutions, en fit imprimer d'autres à Aix qui
étaient conformes à celles de la première
impression, à la réserve de quelques petits
changements qu'elle crut avoir droit de faire,
comme institutrice : ce qui fut si sensible à
la Mère Ponçonas, tant par l'affront qu'elle
crut recevoir en cela que par le chagrin
qu'elle eut de se voir contrarier dans ses
desseins, qu'elle engagea les religieuses du
monastère de Paris à se révolter contre leur
Mère et fondatrice, et à la persécuter. Elle
réussit selon son désir : car elles commencè-
rent par solliciter la suppression des consti-
tutions de la Mère de Ballon, qu'elles accusè-
rent de vouloir usurper l'autorité de géné-
rale et d'en prendre le nom. ( C'est néan-
moins à quoi cette fondatrice ne songea ja-
mais, comme elle le proteste dans ses écrits,
qui ont été imprimés à Lyon en 1100. ) Non
contentes de cela, sachant qu'elle était dans
son monastère de Toulon occupée à y établir
sa réforme, elles envoyèrent un homme
exprès à l'évèque de Marseille pour lui don-
ner avis de prendre bien guide à la Mère de
Baliou, qui était allée fonder un couvent
dans son diocèse; que c'était un esprit léger,
inquiet, ambitieux, qui voulait toujours ré-
gner et dominer; qu'elle n'était allée en Pro-
vence que pour y faire la générale de sa
congrégation, et qu'il y allait de son honneur
de ne pas souffrir que cette étrangère s'é a-
blil dans son diocèse, si elle ne voulait pas
renoncer à ses constitutions. Mais la Mère
de Ballon, soit qu'elle reçût sur cela quelque
avis de l'évèque, soit que d'autres personnes
lui en parlassent, ne voulut jamais consentir
à ce changement, qui ne pouvaitpas manquer
d'in.roduire le schisme dans ses monastères.
Celle première démarche n'ayant pas eu le
succès qu'on en attendait, on porta la com-
munauté de Rumilli, dont elle était encore
supérieure, à la déposer, et à en élire une
autre en sa place, afin que n'ayant plus
d'autoriié, elle ne pût s'opposer au change-
ment. Cette entreprise leur ayant réussi ,
elle supporta cette morlificaliou avec sou-
mission à la volonté de Dieu. Mais les reli-
gieuses du nouveau monastèrede Marseille
réparèrent l'outrage qu'on lui faisait en la
choisissant pour leur supérieure. Son élec-
tion ayant été sue dans la ville, chacun s'em-
pressa de lui en témoigner sa joie ; personne
ne le fit avec plus de marques de satisfaction
et d'estime que les Filles Congrégées de Sain-.
té-Ursule, qui formaient une communauté
fort nombreuse ; car, non contentes de lui
en faire les compliments ordinaires dans de
pareilles rencontres, elles lui en donnèrent
des marques plus sensibles en se soumettant
à sa conduite et en embrassant sa réforme ,
(!) Voy., à la (in du vol., h*
13
DIV
DOC
46
qui par ce moyen cul un second monastère
très-considérable dans cetlo môme ville.
.Mais, pendant que la Mère de Ballon était
dans cetlc nouvelle maison pour recevoir
ces Ursulines à sa congrégation et les former
à la vie religieuse, elle y eut un sujet d'exer-
cer sa patience. Celles qui s'étaient déclarées
les adversaires de ses constitutions , étant
averties qu'elle était sortie de son premier
monastère, employèrent le crédit de quel-
ques prélats auprès des supérieurs de ce mo-
nastère pour y l'aire recevoir les constitu-
tions de la Mère Ponçonas, qui avaient été
imprimées à Paris, et obliger les religieuses
de ce monastère de brûler celles de la Mère
de Ballon. L'autorité de ces supérieurs l'em-
porta sur la justice et la reconnaissance :
ainsi ces religieuses timides et ingrates, so
laissant persuader, brûlèrent les constitu-
tions de leur Mère, qui, l'ayant su, supporta
cet affront avec tant de vertu et de modéra-
tion, qu'elle n'en lit pas paraître le moindre
ressentiment; au contraire, après avoir éta-
bli l'observance régulière dans le second mo-
nastère, elle retourna dans le premier pour
y achever le temps de sa supériorité. Les
religieuses quittèrent quelque temps après
celte maison pour aller demeurer dans une
autre plus grande qu'elles achetèrent, et la
Mère de Ballon sortit de Marseille l'an 16V1.
Llle eut encore le déplaisir en sortant de
voir que ces religieuses qu'elle quittait, et
pour qui elle avait pris tant de peine, la
laissèrent partir comme une personne indif-
férente et inconnue, sans aucun témoignage
de reconnaissance et sans lui rien présenter
pour son voyage. Le supérieur mémo lui dit
que s'il voulait suivre l'avis de quelques-
uues, il visiterait ses bardes, parce qu'on
l'accusait d'emporter trois mille écus de la
maison. Eile alla de Marseille à Gavaillon
pour y voir un nouveau monastère de sa ré-
forme, qui venait d'y être fondé par les reli-
gieuses du monastère de Seyssel. Elle y fut
d'abord supérieure; mais elle se démit quel-
que temps après de cet emploi et retourna
en Savoie. Six ans après, dans uu voyage
qu'elle fit en Provence, en passant par Ga-
vaillon, elle fut de nouveau élue pour supé-
rieure. Le temps de sa supériorité étant
expiré, elle fut encore rappelée en Savoie
par l'evôque de Genève. [Llle y lit encore plu-
sieurs fondations, et étant au monastère de
Seyssel, elle y mourut ie li décembre 1668,
dans sa soixante-dix-septième année.
Quant à la Mère de Ponçonas, après avoir
établi ce monastère de Paris dont nous avons
parlé ci-dessus, elle retourna à Grenoble,
où elle et àt supérieure, et d'où elle sortit
encore une autre l'ois sur la lin de l'année
1037 pour aller à Aix, où elle était appelée
pour faire un autre établissement; elle de-
meura toujours dans ce monastère jusqu'à
sa mort, qui arriva le 7 février 1657. Les
mémoires qui m'ont été communiqués por-
tent que le» supérieures des autres maisons
de Bernardines Réformées qui sont en Pro-
vence lui demandèrent avec instance ses rè-
glements, l'assurant qu'elles voulaient vivre
avec elle dans une union parfaite et une en-
tière conformité de ses saintes pratiques ;
que les évéques de Marseille et de Grasse
lui témoignèrent d'une manière particulière
la vénération dont ils étaient prévenus pour
elle, et le désir qu'ils avaient que les monas-
tères de leurs diocèses eussent communica-
tion avec elle et vécussent sous les mêmes
observances. Mais s'il y en eut quelques-uns
en Provence qui suivirent ses règlements, il
y en eut d'autres aussi qui ne quittèrent
point ceux de la Mère de Ballon, qu'ils re-
connurent toujours pour fondatrice de la
réforme. Comme en effet cette qualité lui
appartient plutôt qu'à la Mère de Ponçonas,
et ce n'est même qu'à la sollicitation des re-
ligieuses du monastère de Marseille au de-
là du port que la vie de cette réformatrice
a été écrite et donnée au public en 1605.
Ces mêmes mémoires ajoutent que le monas-
tère de Lyon qu'elle avait fondé dans le
temps du démêlé qu'elle eut avec la Mère do
Ponçonas au sujet des constitutions , reçut
dans la suite du temps celles do celte der-
nière, et obtintun bref de Borne qui l'exemp-
tait de la dépendance du monastère de Bu-
milli et l'unissait à celui de Grenoble : ainsi
la division qui est survenue entre ces reli-
gieuses Bernardines Réformées en a formé
deux congrégations différentes, dont l'une
porte le nom de la Divine Providence, qui
est celle de Savoie, qui comprend quelques
maisons en France qui en dépendent, et l'au-
tre est sous ie tilre de Saint-Bernard, qui no
sort point de France.
Mémoires communiqués par les relig euses
Bernardines du Sang-Précieux. Jean (irossi,
Vie de la Mère de Ballon ; et celle de la Mère
de Ponçonas par un autre auteur.
DOCTRINAIRES. Voyez Doctrine Chré-
tienne.
Nota. Quoique Hélyot n'ait point em-
ployé les mots Doctrinaires, I isitandines,
Trappistes, etc., et qu'on ne soit pas tenu par
conséquent à les employer, je crois qu'il
vaut mieux, vu leur popularité, les indiquer
à leur rang, sauf à faire le renvoi né-
cessaire. B-D-E.
DIX VERTUS. Voyez Annonciades.
DOCTRINE CHRÉTIENNE en France
( Prêtres de la ).
Des prêtres de la Doctrine Chrétienne en
France, i.vec la vie du vénérable Père César
de Bus, leur fondateur.
La congrégation des Prêtres de la Doctri-
ne Chrétienne en France a d'abord été éta-
blie en qualité de congrégation séculière,
elle devint dans la suite régulière par l'u-
nion qu'elle fit avec celle des Somasques,
dont nous parlerons à cet article ; mais, après
avoir demeuré dans cet état régulier
près de quarante ans, elle est
dans son premier état par autoritéifbirtfînt-
siége, comme nous le dirons dans
Ainsi l'union qu'elle fit avec les
et l'état régulier où elle est demè
daul un temps considérable nous
M
DICTIONNAIRE DES
la mettre .tu nombre des congrégations qui
ont suivi la règle tic Saint-Augustin.
Le bienheureux César d> Bus, fondateur
de cette congrégation , naquit à Cavaillon,
ville épiscopaledu comté Venaissin, le 3 fé-
vrier de l'an 15M-. Son père, Jean-Baptiste
île Bus, et sa mère, Anne de la Marc, étaient
recommandables par leur piété et par leur
noblesse ; surtout Jean-Baptiste, qui descen-
dait d'une f.imille illustre de Cômo dans le
Milanais, laquelle compte au nombre de ses
ancêtres sainte Françoise Romaine veuve,
dont nous aurons sujet de parler dans la
suite comme fond itrice des Oblales qui por-
tent son nom. Dieu, qui deslinnii César de
Bus à de grandes choses, le prévint dès sa
plus tendre jeunesse. Dès lors il s'appliquait
a l'oraison, mortifiait sa chair par des ab-
stinences , jeûnait des carêmes entiers et
tous les vendredis de l'année, et était ravi
lorsqu'il trouvait occasion de l'aire du bien
aux pauvres, se privant de son déjeuner
pour le leur donner secrètement. Il était
surtout si jaloux de la pureté, qu'il fuyait
comme un grand mal tout ce qui était capa-
ble d'y donner quelque atteinte.
Après ses éludes , il s'entretint encore
quelque temps dans ces saintes dispositions.
Son occupation la plus agréable était de
parer les autels, et, étant entré dans la com-
fiagnie des Pénitents-Noirs, il prit le soin de
a chapelle où les confrères s'assemblaient,
u (in de pouvoir l'embellir et l'orner. Son
humeur douce, complaisante et agréable, le
faisait aimer et respecter de tout le monde ;
on était ravi de l'avoir dans la conversa-
lion, où sa modestie retenait les plus licen-
cieux, qui en sa présence n'osaient rien
faire ni dire qui lût hors de propos. A râ.:e
dedix-huii. ans, s'étant engagé dans le paiti
des armes à l'exemple de deux de ses frè-
res, qui avaient des emplois considérables,
l'un dans l'armée du pape, l'autre d.ms celle
du roi, il servit comme volontaire dans les
troupes du comte de Tende, lieutenant pour
le roi en Provence, qui, par ordre de Sa Ma-
jesté, levait quelques compagnies de cava-
lerie et d'infanterie pour s'opposer aux hé-
rétiques ; et ce fut par une espèce de mira-
cle que César de Bus, nonobstant la licence
de la guerre, sut conserver la même inno-
cence et la même modestie qu'il avait gar-
dées dans la maison de ses parents.
L'édit de pacification lui ayant fait mettre
bas les armes, il retourna chez lui, où pour
éviter l'oisiveté il s'appliqua à la poésie et à
la peinture; mais, ne trouvant pas ces oc-
cupations dignes de son courage, il en alla
chercher de plus nobles à Bordeaux, où son
frère Alexandre de Bus était arrivé pour
commander un vaisseau de l'armée navale
qui se disposait pour le siège de La Ro-
chelle. La maladie qui lui survint l'empê-
cha d'exécuter son dessein, et, après que sa.
santé fut rétablie, il alla à Paris. Mais ce
voyage lui fut fatal : car la fréquentation de
quelques libertins lui fit perdre le trésor
qu'il avait conservé jusque-là avec tant de
ORDRES RELIGIEUX. 19
soin, et il se laissa entraîner aisément à la
débauche.
Après trois ans de séjour en celle ville, il
retourna à Cavaillon, où à peine fut-il ar-
rivé, que son père mourut, et peu de temps
après, l'un de ses frères, qui élail chanoine
de Salon. Comme celui-ci laissa par sa mort
quelques bénéfices à simple tonsure, César
de Bus s'en chargea selon la coutume ou
pluiôt selon l'abus de ce temps-là, sans
avoir eu dessein de s'engager dans l'état
ecclésiastique, pensant au contraire à se
marier; mais Dieu, qui sait tirer le bien du
mal, se servit de ce moyen pour le détacher
insensiblement des emplois séculiers et faire
revivre en lui l'inclination qu'il avait eue
dans son jeune âge pour les fonctions et les
ministères ecclésiastiques. Il suscita aussi
deux personnes peu considérables aux yeux
des hommes, mais très-considérées de sa di-
vine majesté, pour travailler à sa conver-
sion : l'une fut une bonne veuve de la cam-
pagne, et l'autre un simple clerc de Cavail-
lon qui servait de sacristain dans une église
de celle ville. Tous les deux, d'inlebigence
pour ramener cette brebis égarée au bercail,
ne cessaient d'offrir à Dieu leurs vœux et
leurs prières pour qu'il amollît la dureté du
cœur de César de Bus.
Insensible à toutes leurs reinonlran es, il
en faisait peu de cas et s'en moquait; mais,
un jour qu'ils lui présentèrent la Vie des
Saints, il ouvrit ce livre par complaisance,
et, en ayant lu quelque chose, il fut si tou-
ché en lisant les actions des saints, où il
trouva la condamnation de ses débauches,
qu'il résolut de changer de vie et de quitier
entièrement le désordre. 11 eut encore beau-
coup à combattre avant que de remporter
la victoire sur ses passions; mais enfin il
triompha ; il fit une confession générale et
s'exerça dans les pratiques d'humilité, de
mortification, et de m sericorde envers les
affligés, visitant souvent les malades do l'hô-
pital, les assistant spirituellement et corpo-
rellement, et faisant de graudes aumônes
aux pauvres.
Comme ses voyages et ses divertissements
lui avaient fait oublier ce qu'il avait appris
de latin dans ses classes, sachant que la
science lui était nécessaire pour rendre à
Dieu les services qu'il attendait de son zèle,
il se remit aux études, et réussit si bien,
qu'en peu de temps il fut capable de la phi-
losophie. Il y étudia quelques mois et y fit
de grands progrès, après quoi il se donna
entièrement au service du prochain. Son
évêque, persuadé de sa vertu et de sa capa-
cité, le pourvut d'un canonicat de sa cathé-
drale. D'abord il gagna six personnes du
chapitre, avec lesquelles il s'assemblait tous
les dimanches dans la chapelle de l'évêque
pour vaquer à plusieurs exercices spirituels.
Après avoir reçu la prêtrise et dit sa pre-
mière messe, il s'appliqua à la prédication,
aux confessions et à tous les antres exerci-
ces qui peuvent servir à sauver les âmes.
On ne peut assez admirer l'assiduité, la pa-
tience, la ferveur et la générosité avec les-
ta
doc
quelles il s'acquittait de tous ces ministères.
Rien n'était capable de le rebuter; il passait
quelquefois les jours entiers et une partie
de la nuit dans les hôpitaux à consoler les
malades, sans que ni la pourriture de leurs
plaies ni la puanteur et l'infection-de leurs
corps l'empêchassent de s'a;iprocher d'eux
et de recevoir leurs derniers soupirs.
Sa charité, toujours active pour la gloire
de Dieu, le porta à travailler à la réforme
des religieuses Bénédictines de Cavaillon,
qui vivaient sans clôture, sans régularité
et avec beaucoup de licence. 11 en fit les
premières propositions à la Mère Catherine
de la Croix, que l'on reconnaît pour la ré-
formatrice de ce monastère, Elle avait des-
sein d'entrer chez les religieuses de Sainte-
Claire d'Avignon, où l'observance régulière
était mieux gardée; mais il lui persuada de
prendre l'habit chez les Bénédictines de Ca-
vaillon, cl d'y faire profession selon la ri-
gueur de la règle de Saint-Benoit. Elle eut
en peu de temps des compagnes qui suivirent
son exemple : les anciennes religieuses qui
s'étaient le plus opposées à la clôture, tou-
chées de l'Esprit divin, embrassèrent aussi
la réforme, et celte maison s'est toujours
maintenue depuis ce temps-là dans une
grande régularité.
La lecture qu'il fit du Catéchisme du Con-
cile de Trente lui fit concevoir le dessein d'é-
tablir une congrégation de prêtres et de
clercs dont la fonction fût d'enseigner la
doctrine chrétienne. Ce Catéchisme du Con-
cile de Trente étant <J, visé en quatre par-
ties, qui sont le Symbole, l'Oraison domi-
nicale, le Décalogue et les Sacrements, le
Père de Bus réduisit ces quatre parties à
trois différentes instructions, qu'il appelait,
petite, moyenne et grande d ictrine. Cinq
ou six jeunes ecclésiastiques de famiile se
joignirent à lui, et, après les avoir instruits
de la manière de faire la petite doctrine, il
les envoyait dans les carrefours de la ville
et à la campagne, pour catéchiser tous ceux
qu'ils rencontreraient. Pour lui il enseignait
dans les églises, et en particulier dans les
maisons, la moyenne doctrine, et ensuite la
grande, afin d'attirer les savants qui se glo-
rifient dans la science, et ignorent celle du
salut. Cette façon d'enseigner la doctrine
chrétienne étant nouvelle, souffrit au com-
mencement de la contradiction, et on s'en
moqua d'abord; mais elle fut à la fin ap-
prouvée de tout le monde.
Dieu envoya, peu de temps après, au Père
de Bu s des compagnons, afin qu'ils s employas-
sent â ce saint exercice. Michel Pinelli, cha-
noine de l'église de Saint- Agricole d'A-
vignon; Jeun-Baptiste Bomillon, chanoine
de l'église collégiale de liste; Jacques Tho-
mas et Gabriel Michel, furent les premiers
qui vinrent se joindre au nouveau corps
que le Père de Bus formait. 11 les assem-
bla tous à l'isle dans le comté Veuaissin,
l'an 1592,1e 29 septembre, fête de l'ar-
change saint Michel. Le sujet de leur as-
semblée fat pour délibérer des moyens qu'il
fallait prendre pour établir lVtcrcice de la
DOC 50
Doctrine Chrétienne dans le comté Venais-
sin. Ils conclurent qu'il fallait joter les
premiers fondements de cet institut dans
Avignon, comme dans la ville capitale, et
demander au pape permission d'établir cet
exercice de la Doctrine Chrétienne dans
l'église de Sainte-Praxède, où il n'y avait
point encore de religieuses. Ils envoyèrent
à Rome pour cet effet , et le pape Clé-
ment V|||, qui gouvernail pour lors l'Eglise,
répondit à leur supplique que le nouvel ar-
chevêque d'Avignon qui venait d'être nommé
par Si Sainteté et qui élait Marie Tauru-
,-ius, satisferait à leur demande lorsqu'il
serait arrivé à Avignon.
Ce prélat y étant venu l'an 1593, envoya
quérir le P. de Bus, et, après avoir con-
féré avec lui de l'établissement de la Doctrine
Chrétienne, il lui donna permission de l'en-
seigner dans l'église de Sainte-Praxède. C'est
ainsi que fut érigée celle congrégation, qui
fut confirmée quatre ans après , l'an 1597,
par le même pape Clément VIII. Le P. de
Bus entra le 21 septembre de la même an-
née 1593 dans Sainte-Praxède, et commença
dès le lendemain ses instructions 11 y ensei-
gna premièrement la petite doclrine , et le
dimanche suivant la grande. Celle manière
d'enseigner fut reçue avec applaudissement,
et l'exemple de l'archevêque d'Avignon atti-
rait beaucoup de personnes à ces instruc-
tions familières. Dans le commencement ,
celle congrégation ne fut composée que de
douze personnes, savoir, de quatre prêtres,
de quatre clercs et de quatre coadjuteurs ; et
le P. de Bus fut élu supérieur de celte
nouvelle congrégation. Ils qu ttèrenl peu de
temps après la maison de Sainte-Praxède
pour aller à Saint-Jean-le-Vieux, et les re-
ligieuses de Saint-Dominique, qui y demeu-
raient, laissèrent aux Pères Doctrinaires la
maison de Saint-Jean, qu'ils ont toujours
conservée depuis.
Le P. de Bus ayant proposé à ses con-
frères dans la suite de se lier par un vœu
simple d'obéissance, pour attacher en quel-
que façon ceux qui entreraient dans la con-
grégation, le Père Bomillon ne fut pas de cet
avis, prétendant que le lien de la charilé
suffisait. Le P. de Bus persistant à vou-
loir que l'on fît ce vœu d'obéissance, le P.
Bomillon, avec quelques autres qu'il avait
attirés de son côté, quitta le fondateur et
fit un corps à part qui depuis fut uni à ce-
lui de l'Oratoire de France , perdant le nom
delà Doctrine Chrétienne, qui est demeuré
par un bref de Paul V à ceux qui sont des-
cendus du P. César do Bus, et qui ont fait
avec lui le vœu d'obéissance; et lui-même
déclara par un acte public que tous les biens
do ses maisons devaient appartenir à ceux
qui avaient fait vœu avec lui. Celte sépara-
tion lui fut sensible; néanmoins il la souffrit
avec beaucoup de résignation aux ordres de
la divine providence. 11 fil pour la conduite
de sa congrégation quelques règlements
qu'il gardait exactement, étant le premier à
tous les exercices. Il avait beaucoup de dou-
ceur pour les autres et beaucoup de sève-
fil
DICTIONNAIRE DÉS OKDISES KEUGIEUX.
92
rite pour lui-même, mortifiant son corps par
des jeûnes et des austérités continuels.
Dieu, voulant encore éprouver sa patien-
ce, permit qu'il fût privé de la vue à l'âge de
quarante-neuf ans. Il souffrit celle aflliction
avec une eonslance admirable; il reTusa mê-
me tous les remèdes que l'on voulut appli-
quer sur ses yeux , étant Irès-content de
l'état où Dieu l'avait réduit. Il lui en ren-
dait continuellement des actions de grâces,
se réjouissant d'être délivré (à ce qu'il di-
sait) de deux de ses plus grands ennemis,
qui l'avaient si souvent engagé dans le pé-
ché, qui étaient ses deux yeux. Ce qui lui
pouvait faire de la peine dans cet état , c'é-
tait d'être privé de la consolation de pouvoir
célébrer la sainle messe, ce qu'il tâchait de
récompenser en communiant tous les jours.
Cette affliction ne l'empêchait pas de va-
quer continuellement aux exercices de la
JDoctrineChrélienne. Il n'y eut que les grands
maux qui le rendirent comme un homme de
douleur, à l'imitation de son divin Maître, et
qui arrivèrent dix-huit mois avant sa mort,
qui furent capables d'interrompre ses exer-
cices. Enfin, après avoir été éprouvé par les
souffrances pendant plusieurs années , il
mourut le 15 avril de l'an 1607, étant âgé de
63 ans. On l'enterra dans l'église de Saint-
Jcan-Ie-Vieux en présence d'une infinité de
monde, qui l'honorait comme un saint. Les
miracles qui se firent à son tombeau obligè-
rent les Doctrinaires , quatorze mois après
sa mort, de le lever de terre, avec la permis-
sion de l'archevêque d'Avignon , pour le
transporter dans la sacristie, ce qui se fit
avec beaucoup de solennité; et son corps fut
trouvé tout entier et sans aucune corrup-
tion. On l'a mis depuis dans une chapelle ,
où il est exposé à la vénération des fidèles;
ce qui a sans doute obligé M. du Saussay à
insérer son nom daus le martyrologe des
saints de France.
Avant que de recevoir l'e'trênic-onction,
le P. de Dus voulut être déchargé de la
supériorité, et fil de fortes instances aux
Pères pour s'assembler, afin de procéder à
l'élection d'un nouveau supérieur, ce qu'ils
ne firent qu'avec peine, et le sorl tomba sur
le P. Sisoine , qui fut élu supérieur en la
place du saint fondateur. Mais il ne se passa
rien de considérable de son temps daus la
congrégation. Le P. Vigier lui ayant suc-
cédé, et la congrégation ayant déjà trois
maisons, une à Avignon, une à Toulouse, et
l'autre a Drive dans le Limousin, il obtint
des lettres patentes du roi le 29 seplembro
1010, qui en permettaient l'établissement en
France, lesquellesletlres furent vérifiées aux
parlements de Bordeaux, de Toulouse, d'Aix
et de Grenoble.
• Le P. Vigier, pour affermir davantage
la congrégation el engager ceux qui y en-
treraient par des vœux solennels, conçut le
dessein de la faire ériger en vraie religion :
il le communiqua aux Pères Doctrinaires,
qui, après plusieurs délibérations , résolu-
rent d'embrasser l'état régulier, et à cet effet
passèrent dans toutes leurs maisons des pro-
curations spéciales au P. Vigier, l'an 1014.
pour demander cet état au saint-siége, soit
par union, soit par une nouvelle érection ,
ou par telle aulre voie qu'il plairait au pape.
En 1615, Sa Sainteté ayant fait dire au
P. Vigier qu'il convînt avec quelque con-
grégation régulière déjà établie, il eut sur
cela quelques conférencesavecles Pères Bar-
nabites ; on donna une seconde procuration
à ce Père par abondance de pouvoir, faisant
mention de celle de 1614 el la confirmant de
nouveau, s'il était besoin de cette confirma-
tion pour s'unir avec les Barnabites. Le
P. Vigier n'ayant pu néanmoins s'accor-
der avec eux, traita l'an 1010 avec les Pères
Somasques en vcr<u des procurations de
1014, qui subsistaient toujours. Le pape
Paul V, par un bref de la même année 1016,
confirma ce traité , qui avait été approuvé
par la congrégation des Réguliers, et unit la
congrégation des Pères de la Doctrine Chré-
tienne avec celle desPères Somasques, réglant
le noviciat du P. Vigier par dispense à qua-
tre mois seulement.
Il était entre autres choses stipulé par ce
traité que les Pères de France garderaient
toujours leur institut d'enseigner la doctrine
chrétienne , et reconnaîtraient pour leur
fondateur le P. César de Bus ; qu'ils s'appel-
leraient en France les Pères de la Doctrine
Chrétienne de la congrégation des Somas-
ques; qu'ils vivraient sous l'obéissance du
supérieur général des Somasques, qui les
visiterait, ou par lui , ou par d'autres, une
lois tous les trois ans. Le P. Vigier, après ce
traité, fut reçu au noviciat en la maison de
Saint-Biaise des Pères Somasques à Rome.
Le bref d'union fut reçu dans un chapitre
général de cet ordre qui se tint la même an-
née, et le P. Vigier élant de retour à Avi-
gnon le 25 juillet, fit sa profession entre les
mains du P. Bonet, Somasquc, député à cet
effet par le P. Boscoli, pour lors général de
cet ordre. Le P. Vigier élant profès, le traité
qu'il avait fait avec les Somasques , et qui
avait été autorisé par le bref de 1616, fut
ratifié premièrement à Avignon , ensuite à
Toulouse et à Brive , par tous les Pères et
les Frères de la congrégation de la Doctrine
Chrétienne; et, en vertu du bref du pape
Paul V, après être entrés au noviciat, ils
firent tous profession au bout de l'an entre
les mains du P. Vigier, qui avait le titre de
provincial, ou en celles d'autres supérieurs
qu'il avait députés. Les Pères de la maison
do Toulouse liront d'abord difficulté de re-
cevoir la ceinture de novice; mais ils firent
l'année de probaliou comme les autres, après
laquelle ils firent aussi profession solennelle.
Le roi accorda des lettres patentes en 1017,
par lesquelles il confirmait leur union avec
les Somasques, et les recevait comme reli-
gieux en France, et ces lettres furent véri-
fiées en quatre différents parlements. Les
Doctrinaires firent ensuite plusieurs établis-
sements, et ils furent reçus à Paris en 1625,
du consentement de Jean-François de Gon-
dy, pour lors archevêque, qui, après avoir
pris communication du bref et des lettres
f.~
doc
DOC
:,i
patentes du roi, les recul comme religieux
dans son diocèse et leur permit de s'établir
dans leur maison de Saint-Charles, au fau-
bourg Saint-Marcel, dans laquelle depuis i's
reçurent plusieurs novices à la profession
religieuse.
Les Doctrinaires ne furent jamais bien
d'accord avec les Somasques; ceux-ci ayant
voulu contraindre les Doctrinaires de rece-
voir leurs nou\elles constitutions , qui
avaient été approuvées par le saint-siége en
1626, le chapitre provincial des Doctrinales
qui se tint à Gimont l'an 1627 refusa de les
accepter : il résolut qu'on observerait tou-
jours les anciennes, quoiqu'elles ne fussent
pas approuvées par le pape, et enlre autres
règlements qui y furent faits, il fut ordonné
que Ton ferait un vœu particulier d'ensei-
gner la doctrine chrétienne. Mais le chapi-
tre général des Somasques ténu l'an iii28
refusa la permission que les Doctrinaires
avaient demandée de faire imprimer de nou-
\eau les constitutions anciennes, au nom
delà province de France, et leur défendit
défaire aucun vœu d'enseigner la doctrine
chrétienne. Il n'y eut guère de chapitre en
France où il ne survînt quelques contesta-
tions touchant cette union entre les Doctri-
naires et les Somasques , ce qui fit prendre
la résolution aux Doctrinaires de s'en sépa-
rer entièrement ; et le P. Vigicr, qui le pre-
mier avait fortement sollicité l'union avec
les Somasques , fut aussi le premier à de-
mander la séparation. Et il se forma trois
partis parmi les Doctrinaires : les uns ne
voulaient point de séparation, les autres la
demandaient, mais prétendaient toujours vi-
vre dans l'état régulier, comme clercs, sous
larègledeSaint-Augustin; elilyenavaitd'au-
tres qui, prétendant qu'il y avait plusieurs
causes de nullité dans l'acte d'union, voulaient
que la congrégation ne fût point sortie de
l'état séculier où elle avait d'abord été, et
que par conséquent les vœux qu'ils avaient
faits dans la congrégation de la Doctrine
Chrétienne ne les engageaient à rien. De ce
nombre était un gentilhomme de Bretagne
allié aux meilleures maisons de la province ,
qui , étant entré parmi les Doctrinaires en
1636, et y ayant fait un an de noviciat dans
la maison de Saint-Charles à Paris, avait en-
suite fait profession solennelle entre les
mains du P. Vigicr comme député du pro-
vincial. L'an 1140, ce gentilhomme, dégoûté
de son état , sortit de la congrégation et se
m iria en 1643 avec une demoiselle de Bre-
tagne. La cause lut portée au parlement de
Par. s en 1644, et il y eut en 1645 un célèbre
arrêt rendu entre les parents de ce gentil-
homme breton , appelant comme d'abus de
son prétendu mariage; ce religieux qui s'é-
tait marié, intimé; les religieux clercs de la
Doctrine Chrétienne, ordre de Saint-Augus-
tin (c'est ainsi que porte l'arrêt), défendeurs,
et entre les mêmes religieux de la Doctrine
Chrétienne demandeurs en requête par eux
présentée à la cour, pour être reçus parties
intervenantes auxdites appellations avec les
parents de ce religieux marié, pour soutenir
qu'il était leur religieux proies et qu'il leur
devait être rendu : le même religieux défen-
deur d'autre part, et encore le même, appe-
lant comme d'abus du bref portant érection
de la congrégation de la Doctrine Chrétienne
en religion, et son union avec les Somas-
ques, etc.; et encore enlre les l'ères clercs
et frères de la congrégation d<> la Doctrine
Chrétienne des maisons de Paris , deman-
deurs en requête par eux présentée à 'a cour,
tendante à lin d'être reçus parties interve-
nantes auxdites appellations et demander
qu'il leur fût donné acte de ce qu'ils désa-
vouaient la poursuite faite au nom de toute
la congrégation par le provincial de cet or-
dre, de l'enregistrement des lettres patentes
obtenues au nom de leur ordre, en ce qu'el-
les portaient confirmation de l'union et dé-
pendance des Pères Somasques d'Italie; et,
faisant droit sur le tout, ordonner qu'ils se
pourvoiraient par-devant N. S. P. le pape
pour obtenir un bref, pour vivre suivant la
règle des Clercs de Saint-Augustin, de la-
quelle ils faisaient profession , sous un gé-
néral français, et pour avoir des commis-
saires en France pour l'exécution dudit bref.
Et encore Gabriel de Tregouin, Claude Bou-
cairan , François Vuidot et Laurent Lespe-
riôres, ci-devant religieux de ladite congré-
gation des Pères et clercs de la Doctrine
Chrétienne, demandeurs en requête tendante
à fin d'être reçus parties intervenantes et
opposantes à l'entérinement des lettres pa-
tentes du roi portant établissement de la
maison de la Doctrine Chrétienne à Paris, et
à faire exercice de religion en France, en
vertu du bref de l'union avec les Somas-
ques, etc. Après plusieurs audiences, la cour
déclara le mariage de ce gentilhomme bre-
ton non valablement contracté , ordonna
qu'il rentrerait dans le monastère des reli-
gieux de la Doctrine Chrétienne pour y vi-
vre suivant la règle, et, faisant droit sur les
conclusions du procureur-général du roi,
qu'il serait incessamment procédé à la véri-
fication des lettres obtenues par les Doctri-
naires, si faire se devait, et cependant leur
fit défense d'admettre aucun à profession et
d'envoyer leurs religieux hors le royaume,
ni de recevoir en leurs maisons des supé-
rieurs étrangers sans permission du roi.
Peu avant cet arrêt, qui est du 18 mai
1645, l'archevêque de Paris, Jean-François
de Gondy, avait déjà ordonné dès le 10 du
même mois que les Doctrinaires se pourvoi-
raient à Borne dans un an, et leur avait fait
défense d'admettre aucuu, ni au noviciat
ni à la profession. Après l'arrêt rendu, le
roi, par un arrêt du conseil du 22 mai 1646,
leur donna des commissaires qui furent les
archevêques de Toulouse et d'Arles, le chan-
celier de l'université de Paris, le curé de
L;ainl-Nicoias-du-Chardonet, le grand péni-
tencier de Notre-Dame, et le sieur du Val,
docteur de Sorbonne, pour aviser aux
moyens propres et convenables pour termi-
ner leurs différends. Ces commissaires, après
avoir vu les actes capitulaires des maisons
de Paris, de Toulouse, de Narbonne, d<„
DICTIONNAIRE DES ORDRES REUGtiX'X.
se
Villefracche, de Brive, de Beancaire, de Lec-
tourc, dcNérac, de Tudet, de Cadillac, même
celui du chapitre provincial assemblé à
Toulouse le G septembre 1643, par lesquels
les Pères Doctrinaires avaient résolu de de-
mander et procurer par toutes les voies lé-
gitimes et rai.sonnables leur séparation d'a-
vec les Somasques ; après avoir aussi vu
l'ordonnance de l'archevêque de Paris et
l'arrêt du parlement dont nous avons parlé
ci-dessus, et en avoir fait le rapport au roi,
Sa Majesté étant en son conseil révoqua
toutes les lettres patentes qu'il avait ci-de-
vant accordées pour l'union des Doctrinaires
avec les Somasques, comme faite avec des
étrangers sans permission de Sa Majesté ;
leur fit défense de reconnaître le général des
Somasques ni recevoir aucun supérieur de
sa part, communiquer ni avoir aucune par-
ticipation avec eus; et ordonna qu'ils se
pourvoiraient vers le pape pour obtenir la
décision de leur appel et des autres différends
concernant la validité de l'érection de leur
congrégation en religion, et des professions
qui avaient été faites; leur enjoignant de vi-
vre chacun sous l'obéissance des supérieurs
de chaque maison, selon leurs anciennes
constitutions; et, s'il arrivait quelques difû-
cullés extraordinaires, d'avoir recours aux
évéques dans les diocèses desquels leurs
maisons sont établies, pour recevoir d'eux
par provision les règlements qui leur se-
raient nécessaires; leur permit l'assemblée
et tenue de leur chapitre provincial assigné
à Narbonne au mois de septembre, pour y
élire un provincial et des supérieurs qui
exerceraient leurs charges par provision,
jusqu'à ce que Sa Sainteté y eût pourvu, à
la charge que l'archevêque de Narbonne et
l'évêquc d'Alet y présideraient; et Sa Majesté
leur défendit de recevoir au noviciat ni à la
profession, ni même d'envoyer aucun aux
ordres sacrés pour être promu sous le litre
de pauvreté.'
Les Doctrinaires s'étant donc pourvus à
Lomé, le pape Innocent X, après avoir pris
l'avis d'une congrégation de cardinaux et
de prélats qu'il avait aussi commis pour la
connaissance de celte affaire, cassa par un
bref du 30 juillet 1647 le bref d'union des
Doctrinaires avec les Somasques, soumit les
Doctrinaires aux ordinaires des lieux où sont
situées leurs maisons, et rétablit la congré-
gation de la Doctrine Chrétienne en son pre-
mier état, tel qu'il avait été établi par le
pape Clément VIII, lequel était purement
séculier; et, pour accommoder les parties sur
leurs différends , Sa Sainteté valida l'union
pour le passé et les professions qui avaient
été faites pendant ce temps-là , et obligea
ceux qui les avaient faites ci-devant de per-
sévérer toule leur vie dans la congrégation,
sans pouvoir en sortir d'eux-niênes ni être
renvoyés par les supérieurs.
Le P. Hercule Haudifrel, qui prenait lo
titre de général de la congrégation, surprit
des lettres patentes du roi sur le bref d'Inno-
cent X, prétendant qu'il donnait le titre et la
qualité de religion à leur congrégation poul-
ie passe of poiir l'avenir; et, voyant qu'on
avait formé opposition à l'enregistrement de
ces lettres, tnr ce que les opposants préten-
daient au ronlraire que le bref ne lui don-
nait le litrn derégulière que pour le passé et
non pas pour l'avenir, ce général, sur sa sim-
ple supplique, et s'étant adressé à la Daterie,
au lieu d'arolr recours à la congrégation des
cardinaux qui avait élé commise par le pape
pour connaître des différends de cette con-
grégation, obtint une bulle le 27 janvier 1651
qui déclarait la congrégation de la Doctrine
Chrétienne régulière tant pour le passé quo
pour l'avenir. Elle fut examinée à Paris par
ordre de l'archevêque le 1" avril de la mé-
mo annéo dans une assemblée de docteurs
qui la déclarèrent nulle; et le pape, sur l'a-
vis de !a congrégation des cardinaux qu'il
avait commise, déclara par un nouveau bref
du 30 août 1652 que celte bulle du 27 jan-
vier 1631 était nulle, comme étant contraire
à son précédent bref de 1647 et ayant été ob-
tenue par fraude ; déclarant que son inten-
tion était de rétablir la congrégation de la
Doctrine Chrétienne en son premier état sé-
culier, conformément à son institution , et
d'obliger à y demeurer pendant leur vie,
comme véritables religieux et sous l'obéis-
sance des ordinaires, ceux qui avaient fait
profession pendant l'union avec les Somas-
ques; et déclara séculiers tous ceux qui y
entreraient à l'avenir, cassant et annulant
en conséquence toutes les professions qui
avaient élé faites dans cette congrégation de-
puis l'expédition du bref du 30 juillet 1647,
et toutes les choses qui avaient été faites de-
puis contre sa forme et teneur.
Il y eut de nouvelles contestations sur ce
dernier bref. Il y avait des Pères dans la con-
grégation qui ne pouvaient la voir réduite à
l'état séculier pour l'avenir, et d'autres qui
ne pouvaient souffrir qu'elle fût déclarée ré-
gulière pour le passé. Ainsi, il fallut encore
retourner à Home, dont l'on n'obtint autre
chose par un bref de 1654 que ce qui avait
été déclaré par le bref précédent de 1652, que
le pape voulait que l'on exécutât.
En 1657, les Pères de la Doctrine Chré-
tienne eurent encore recours à Rome, en
conséquence d'un arrêt de renvoi du parle-
ment de Paris de 1653 ^ur l'enregistrement
des lettres patentes qu'ils avaient obtenues
pour le bref de 1647. Le pape Alexandre Vil
députa le cardinal Grimaldi , archevêque
d'Aix, pour présider au chapitre général de
toule la congrégation à Avignon, et conlirma
le bref de 1047. Ce chapitre général fui célé-
bré ; toutes les contestations y furent réglées
et assoupies , et les brefs des années 1647 ,
1652 el 1654 y furent de nouveau reçus dans
toute leur teneur. Ils s'adressèrent encore au
pape pour l'affermissement de leur congré-
gation, cl Sa Sainteté, par un bref de l'an
1659, confirmatif de celui de 1647, pour l'exé-
cution duquel l'archevêque de Paris était
commissaire apostolique, leur donna permis-
sion de faire faire après une année de novi-
ciat les trois vœux simples de chasteté, <!<i
pauvreté cl d'obéissance, et un quatrième da
57 DOC
perpétuelle stabilité, dispensables seulement
par le souverain ponlife.ou par le chapitre,
ou par le diffinitoirc général de la congré-
gation.
Voilà comme la congrégation des Pères de
la Doctrine Chrétienne, de séculière est de-
venue régulière, et, de régulière, séculière.
Elle est présentement divisée en trois pro-
vinces, savoir : d'Avignon, de Paris et de
Toulouse. La première a sept maisons et dis
collèges; la province de Paris a quatre mai-
sons^ dont deux à Paris et trois collèges, et
celle de Toulouse a quatre maisons et treize
collèges. Ces Pères sont habillés comme les
prêtres séculiers et ont seulement un petit
collet large de deux doigts; ils ont pour
iirmes une croix avec la lance , l'éponge et
des fouets (1).
Voyez les PP. deBeauvaisetdu Mas,Viedu
P. César de Bus. G. de Trégouin, Recueil drs
nullités survenues dans l'institution prétendue
régulière de la Doctrine Chrétienne en France.
Constitut. Clericor. Congreg. Doctrinœ Cliri-
stianœ, Mémoires, Factions , Arrêts et pièces
concernant cette congrégation.
La vie du P. César de Bus est peu connue
en France, et il serait à propos qu'on en
donnât une nomelle édition, ou plutôt qu'on
en publiât une sur un plan nouveau, suivie
d'un précis historique sur sa congrégation,
qui a probablement disparu pour toujours
dans ce pays. On ignore presque générale-
ment que lors du voyage que fit à Home le
P. Jeaume, général, voyage dont nous allons
parler, on lui fit la proposition ou la pro-
messe de canoniser ( et même sans frais de
procès, dit-on) le pieux fondateur de son in-
stitut. Il y a eu peu de congrégations qui
aient subi autant de révolutions et éprouvé
autant de guerres intestines que la société
de la Doctrine Chrétienne. Aux renseigne-
ments si riches que la sagacité du P. Hélvot
a recueillis et consignés ci-dessus, nous en
joindrons ici quelques autres sur cette con-
grégation, contre laquelle était répandue et
reste encore une prévention presque géné-
rale, qui l'accuse de jansénisme. Nous justi-
fierons ce soupçon; nous ferons voir qu'il
demande cependant des exceptions plus nom-
breuses que nous ne l'avions cru nous-mê-
me, soit sur le fait du jansénisme, soit sur
l'adhésion à la constitution civile du clergé,
à l'époque de la révolution française. Aux
deux maisons que compte à Paris le P. Hé-
lyot, il faut en ajouter une troisième, celle
de Bercy, qu'habitait un Doctrinaire fameux,
dont nous parlerons dans cet article.
11 y avait en effet trois provinces de Doc-
trinaires en France, comme le dit Hélyot,
celles d'Avignon, de Toulouse et de Paris.
Chaque province élisait tous les trois ans ses
supérieurs, et le général était élu tous les six
ans par les trois provinces réunies. Ce su-
périeur général avait un conseil ou défini-
(I) Vo;/., à la fin du vol., n° C.
('2) Une note manuscrite, jointe à l'exemplaire
que nous possédons dit que le P. Valette, Doctri-
naire, fort versé dans la langue latine, est celui qui a
w»t* en cet idieme cette vremière édition des constitu-
noc
53
toirv composé de six officiers, deux de cha-
que provint e, lesquels, avec le général lui-
même, trois provinciaux, six députés, et le
supérieur de la maison où l'on s'assemblait,
composaient le chapitre général, qui se te-
nait ordinairement dans la maison de Saint-
Charles, faubourg Saint-Marceau, à Paris.
En 1733, au chapitre général tenu à Paris,
on revit les constitutions, qui, l'année sui-
vante, furent traduites en latin par le P. Va-
lette (2) et publiées. Après un chapitre et drs
observations préliminaires , elles forment
deux parties , dont l'une, composée de 33
chapitres, traite du régime de la congréga-
tion ; l'aulre contient quinze chapitres con-
sacrés à traiter de la vie spirituelle. Nous
venons de dire comment la congrégation
était gouvernée. Ajoutons : Les bénéliciers
ne pouvaient jouir de leurs bénéfices que
conformément aux dispositions de la con-
grégation , qui voulait avant tout que les
bénéfices fassent unis au corps. Deux pa-
rents au premier ou second degré ne pou-
vaient, dans les élections, se donner leurs
voix. Si trois parents à ce degré s'y trou-
vaient, le plus jeune ne volait pas du tout.
Pour être élu général, il fallait avoir au
moins 40 ans d'âge et vingt années de pro-
fession ; il fallait en outre avoir rempli pen-
dant six ans un emploi important dans la
congrégation. Les provinciaux et recteurs
(supérieurs de maison) faisaient serment de
bien conduire leur administration. Le chapi-
tre provincial se tenait tous les trois ans, au
mois de seplerubre ou octobre. 11 y a un
chapitre fort sagement conçu concernant la
garde des archives. Pour cire admis au no-
viciat, il fallait avoir fait sa rhétorique, n'a-
voir pas fait vœu d'entrer en religion, n'avoir
aucun défaut canonique qui empêchât la
promotion aux ordres. On ne recevait pas
dans l'institut sans une dispense du provin-
cial ceux qui avaient plus de 40 ans ou
moins de la; ni sans une permission spé-
ciale du général ceux qui avaient porté,
même pour peu de temps , l'habit d'un autre
institut. Avant d'entrer, le prétendant devait
postuler un ou deux mois. Les frères con-
vers devaient postuler pendant six mois, et
ne prenaient l'habit qu'après un an de sé-
jour dans la maison. On n'en recevait point
qui ne possédât ou ne fût apte à apprendre
uu métier utile à la maison, et, autant que
possible, qui ne sût lire, et écrire. Le convers
ne pouvait recevoir la tonsure sans une au-
torisation du chapitre général. On voulut dé-
sormais, sauf exception en faveur des sujets
de riche espérance, que chacun fournit un
titre patrimouial aux ordres. La congréga-
tion encourageait ses membres à publier
luis compositions , mais après examen de
deux réviseurs et avec permission du géné-
ral. L'enseignenientde ladoctrinechrétienne,
premier but de la congrégation, y était aussi
lions de sa congrégati.-m. Cela ne peut s'entendre, du
moins, que des constitutions revues en 1735, puisqua
nous vovons ci-dessus les constitutions latines citée3
par le P. Hélyot.
D1CTI0NMIKE DES ORDRES RELIGIEUX.
l'exercice préféré, el on le faisait même dans
les classes. Entre les régies pour l instruc-
tion et l'éducation des écoliers dans les col-
lèges, ou doit distinguer celles qui prescri-
vent de donner des sujets religieux et mo-
raux pour matières de thèmes, de former les
jeunes gens à la dévotion à la sainte Vierge,
de les faire se confesser tous les mois, etc.
On admettait aussi des pensionnairesadultes,
'mais des mesures étaient prescrites pour ne
' [es laisser pas influencer l'esprit ou les per-
sonnes de la communauté. Des mesures non
moins sages regardaient aussi ceux qui de-
vaient être employés à la prédication ou aux
missions. La soulane des clercs était cousue
à la hauteur de deux pieds, et le reste se bou-
tonnait jusqu'en haut. Le manteau était île
même longueur. A dater de 1733 l'habit des
convers devint une tunicelle et un manteau
de drap noir descendant un peu au-dessous
d'u genou, mais il pouvait être plus court
pour les voyages. Gomme la plupart des usa-
ges monastiques ne sont plus connus que
par une tradition qui s'affaiblit de plus en
plus , nous affecterons d'en consigner ici
quelques-uns de la Doctrine Chrétienne. Les
lettres adressées au général portaient pour
suscription : A mon tris-révérend Père (Admo-
dum reverendo Palri mco); aux supérieurs
majeurs : A mon révérend Père ; à un con-
frère prêtre : Au révérend Père Ecrivant
à un simple clerc ou à un frère laïque, ils
disaient : Mon citer, ou Irès-honoré confrère,
ou frère, selon la personne. On se disait fils
en Jésus-Christ en finissant une lettre adres-
sée au supérieur propre, et seulement servi-
teur en écrivant à un autre. Ainsi les termes
de confrère en Jésus-Christ ou de serviteur
terminaient les lettres écrites entre simples
Doctrinaires, selon qu'elles s'adressaient aux
prêtres ou à d'autres. En tête de chaque let-
tre étaient ces mots : Binedictus Deus; le gé-
néral seul mettait : Pax Christi. On portait le
bonnet carré à tous les exercices, etc. La pu-
nition des fautes se faisait à peu près comme
dans les monastères. Aux trois vœux de
pauvreté, de chasteté cl d'obéissance , les
Doctrinaires ajoutaient le vœu de stabilité.
Ces vœux étaient simples, et, comme l'a dit
Hélyot, l'état de la congrégation était sim-
plement séculier. Elle prit la mesure de lier
ainsi ses membres par des engagements ,
parée que l'ingrate défection de ceux qui,
après avoir été nourris par elle , usant de
leur liberté, la quittaient, lui faisait souffrir
trop de pertes et d'inconvénients... Ex mul-
lorum quos educaveral ingrata defectione mul-
tum dclrimenli patiebnlur... Clément X avait
déclaré que la dispense de ce vœu de stabi-
lité renfermait aussi celle des trois autres
vœux. Les Doctrinaires se levaient à qualre
heures, faisaient leur lit et leur chambre, et
à la seconde cloche se rendaient à l'exercice
de L'oraison, à laquelle ils vaquaient une de-
mi-heure. Le soir avant le souper, ils ré-
pétaient le même exercice pendant le même
espace de temps. Les confrères engagés dans
les ordres sacrés récitaient l'office romain,
en particulier, si ce n'est les vêpres (les di-
manches et fêles, les matines de Noël et des
ténèbres, auxquelles tous les clercs élaient
tenus d'assister en surplis. Les clercs qui n'é-
taient point dans les ordres sacrés étaient
exhortés à réciter tous les jours, et surtout
les dimanches et fêtes, le bréviaire romain;
les laïques étaient obligés à dire chaque jour
ou l'office de la sainte Vierge, ou le chapelet.
Les prêtres devaient tous les jours célébrer,
et les autres entendre la messe. La table
était de forme oblongue et tous mangeaient
du même côté, comme dans les communautés
régulières. On servait à chacun séparément
sa portion. On ne faisait pas abstinence de
viande; on permettait difficilement de man-
ger en ville. Le jour anniversaire de la mort
de César de Bus se faisait la rénovation des
vœux. Les clercs et les frères devaient com-
munier tous les dimanches et fêtes, à moins
que le confesseur n'en jugeât autrement. Hors
le temps de Pâques et deux semaines avant
l'A vent et le Carême, on faisait abslinence de
viande le mercredi el jeûne le vendredi; on
jeûnait aussi la veille de la mort du vénéra-
ble César de Bus, si elle ne tombait pas dans
l'octave de Pâques, et trois fois la semaine
pendant l'Avent. Les exercices religieux
étaient tous, en un mot, marqués au coin de
l'esprit de prudence et de sagesse ; l'esprit
janséniste n'y paraît en rien.
Néanmoins, à l'époque où les constitutions
furent de nouveau publiées, le jansénisme
dominait une grande partie de la congréga-
tion. Son histoire serait mal connue si nous
n'en donnions ici des preuves frappantes par
des détails curieux et intéressants. L'esprit
de nouveauté dominait surtout dans les pro-
vinces de Toulouse et de Paris. Grâce à Dieu,
la province d'Avignon était moins infectée,
et devait sans doute cet état meilleur à des
sujets italiens qu'elle renfermait dans son
sein, et qui faisaient partager leurs bons sen-
timents à leurs confrères.
Le chapitre général se tenait ordinaire-
ment dans la maison de Saint-Charles, à Pa-
ris. Un chapitre devait se tenir en 1743, et
l'autorité , comme tous les hommes judi-
cieux, craignant que le jansénisme n'influât
trop malheureusement sur les opérations de
la congrégation s'il se tenait au lieu ordi-
naire , le fit transférer à Beaucaire. Le P.
Jeaume, général, obtint, d'accord avec le dé-
finitoire, un bref du pape, et le chapitre qui
devait se tenir au mois de septembre 1743 fut
remis au mois de mai 1744, non sans la mé-
diation de la cour de France, qui intervint
par le crédit de Boyer, ancien évêque de Mi-
repoix, que réclamèrent les Doctrinaires bien
pensants. On fit venir le P. Valenlin, procu-
reur général en cour de Borne, qui s'enten-
dit avec le nonce, le cardinal de Tencin et
Boyer, pour éloigner du chapitre et des em-
plois les hommes opposés aux décisions de
l'Eglise, et pour soustraire l'assemblée à
l'influence qu'elle eût subie à Paris. Il y eut
donc des lettres de cachet expédiées à ce su-
jet. La première, du 17janvier 1744, portait :
«.... Informés que le chapitre général de vo-
tre congrégation doit être tenu au mois de
61
DOC
mai prochain, nous vous faisons coite lettre
pour vous dire que notre intention est qu'il
ne soit pa9 assemblé à Paris; et nous vous
permettons seulement de le tenir dans quel-
qu'une des maisons de votre ordre des pro-
yinces d'Avignon ou de Toulouse. Notre in-
tention est aussi qu'il ne soit élu ou nommé
aux charges de supérieurs et autres de votre
congrégation, que des religieux qui aient
donné des preuves suffisantes de leur sou-
mission aux décisions de l'Kglise et aux bul-
les apostoliques, et qui justifient de leur si-
gnature du formulaire ; et nous vous man-
dons et ordonnons de tenir la main à l'exé-
cution de ce que nous jugeons à propos de
vous prescrire à ce sujet. Si n'y faites faute,
car tel est notre plaisir. »
UnesecondeletlrefutadresséeauP.Jcaume,
général, en ces termes : « Cher et bien-amé,
le chapitre général de votre ordre devant se
tenir, à la fin de ce mois, dans la ville de
Beaucaire , notre intention est que tous les
religieux vocaux qui doivent y assister dé-
clarent avant les élections leur soumission
aux bulles apostoliques et au formulaire, et
que ceux qui n'auront pas fait ladite soumis-1
sion ne puissent être élus dans aucune charge
et dignité de l'ordre. Si n'y faites faute, etc."
Donné à Versailles le deuxième jour du mois
de mai 1744. » Le même jour, lettre à M. l'ar-
chevêque d'Arles, nommé commissaire royal
au chapitre, et conçue en ces termes : « Mon-
sieur l'archevêque d'Arles, Ayant donné mes
ordres pour que le chapitre général de la
Doctrine Chrétienne se tienne dans la ville
de Baucaire , et étant informé qu'il doit s'y
ouvrir incessamment, mon intention est que
vous y assistiez de ma part en qualité de
commissaire, et que vous déclariez que tous
ceux qui ne sont pas soumis aux bulles apo-
stoliques et au formulaire ne pourront être
élus dans aucune charge et dignité de l'ordre.
Mon intention est au surplus que ceux qui
composeront ledit chapitre général aient à
se conformer sans aucune difficulté à ce que
Vous leur ordonnerez de ma part. Sur ce je
prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur l'arche-,
vêque d'Arles , en sa sainte garde. A Ver-
sailles, etc. »M. de Saint-Florentin, ministre,
écrivait en outre au P. Jeaume: «Mon rêvé-,
reud Père, Je vous adresse les ordres du roi
pour la tenue de votre chapitre général.
Vous ne manquerez pas de vous y confor-
mer. S. M. a chargé M. l'archevêque d'Arles
d'y assister en qualité de son commissaire.
Votre premier soin en arrivant à Beaucùre,
sera de voir ce prélat et de vous concerter,
avec lui, tant pour l'ouverture que sur les;
autres opérations à faire pendant la tenue'
de votre chapitre. Je suis , etc. »
11 est évident que des mesures de cette'
sorte, prises par l'autorité civile , ne lais-
saient guère de liberté aux opérations du
chapitre, et elles ne peuvent se justifier ici
que par le concours qui régnait dans ces me-
sures entre l'autorité civile et l'autorité ec-
clésiastique , dont celle-là ne faisait que
maintenir les prescriptions. Ce n'est qu'en
rocédaut ainsi que le prince peut se mon-
trer Vévêque du dehors , il doit se humer à
être le bras droit et agissant île l'évéque du
dedans, de l'autorité des chefs des diocèses
et surtout du souverain pontife. Ces mesures
rigoureuses montrent aussi à quel point en
était venue une congrégation contre laquelle
il fallait les prendre. Nous avons affecte d'en
parler avec une certaine étendue , et nous
aurons encore à venir sur des faits analo-
gues, par exemple en parlant de l'Oratoire ,
et nous voulons par là donner une idée de
l'esprit qui s'était glissé dans un grand nom-
bre de congrégations religieuses au dernier
siècle.
A Beaucaire d'autres mesures furent prises
en outre au chapitre général. Nous dirons ,
par exemple, que le P. LalTont, recteur de
Moissic , l'un des capitulaires , eut ordre de
se retirer sans délai en sa maison de Moissac.
Il en demanda la raison ; le secrétaire de M.
Boyer la lui donna et disait dans sa réponse:
« Ceux d'entre vos confrères qui gémis-
sent de voir que votre congrégation ne se
dislingue presque plus aujourd'hui que par
son opposition aux décisions du chef et du
corps des premiers pnsteurs, ont pris les me-
sures les plus efficaces pour empêcher que le
gouvernement n'en fût confié à des personnes
portées à entretenir parmi vous un esprit
d'indépendance et de rébellion D. Héliot,
secrétaire de M. l'ancien érêqu'e de Mire-
poix. A Paris.ce 1er juin 1744. » Pareil ordre
donné au P. Delfour, définileur de la pro-
vince de Toulouse , secrétaire de la congré-
gation et du chapitre général , pour qu'il se
retirât à Glmon ; pareil ordre au P. Préjean,
député de la province de Paris, pour qu'il se
retirât à la maison de Noyers, en Bourgogne.
Dans l'indiclion du chapitre , les récalci-
trants avaient vu , sinon avec surprise , du
moins avec peine , qu'un vicaire général se
trouvât compris au nombre des vocaux. C'é-
tait le député d'une province italienne dont
nous a Ions parler. La plupart des maisons
des provinces de Paris et de Toulouse signè-
rent des actes d'opposition et de protestation,
dont elles chargèrent leurs députés au cha-
pitre général. Ces protestations étaient contre
l'admission au chapitre du vicaire général de
Borne en qualité de vocal, et contre l'admis-
sion de la bulle Unigenilus. Elles portaient
trente-six signatures de la province de Paris,
la moins nombreuse des trois; cinquante et
une de la province de Toulouse , prêtres,
sous-iliacres et clercs; cinq même delà pro-
vince d'Avignon. La cour avait fourni la
somme de mille écus pour les frais du cha-
pitre, qui s'ouvrit le 30 mai. On lut le bref
du pape qui avait prorogé le chapitre, et à
l'occasion de cette pièce le P. de la Molhe,
provincial d'Avignon , présenta une requête
(qui fut aluiise, et ce nous semble avec rai-
ton) tendante à ce qu'il fût statué que le gé-
néral et son définituire ne pourraient sollici-
ter aucun bref sans la participation des trois
provinces. Dans le discours de Mgr d'Arles,
commissaire, on tloil remarquer ces paroles :
« Hélas! mes Pères, vous le savez encore
mieux que moi, et je me Qatle que vous en
C5
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
gémissez autant que moi-même: hélas! il ne
reste plus dans votre congrégation que quel-
ques étincelles de ce feu primitif, seul capa-
ble de li perpétuer. »
Les Pères de la province d'Avignon , ber-
ceau de l'institut, et conservant mieux que
les autres les sentiments de soumission à
l'Eglise et les étincelles de ce feu primitif, fi-
rent tout leur possible pour que le résultat
«lu chapitre fui à l'avantage de leur congré-
gation, et ils y réussirent. Tout se passa as-
sez tranquillement , bien qu'on y eût laissé
quelques-uns des opposants pour la canoni-
ale des élections. Les Pères qui ne voulu-
rent pas signer et se soumettre furent dé-
clarés inhabiles à posséder les charges. La
procuration du P. Pcilloni, vicaire général de
la province romaine, du 10 mai 1744 , au P.
de la Moine, provincial d'Avignon, pour agir
en son nom dans le chapitre, celle procura-
lion, disons-nous, fut piésenlée et admise à
la pluralité des voix, après une longue dis-
cussion. A la place du P. Jeaume , dont le
temps était expiré, on élut pour général le
P. Mazenc, supérieur du séminaire de Tar-
bes, province de Toulouse , homme lecom-
mandable par ses bons sentiments et son op-
position au jansénisme, el qui jouissait d'une
pension de 400 livres sur l'évéché de Com-
minge. Le P. Muleti fut nommé assistant de
la province d'Avignon ; le P. Valette fut conti-
nué assistant de la province de Toulouse, et
le P. Moreau, recteur de la maison de Saint-
Charles, assistant de la province de Paris.
Le P. Valentin fut continué dans sa place
de procureur général en cour de Rome; le
P. Vauveray, procureur général en France ,
et le P. Racolis, secrétaire général. Tous ces
hommes étaient actuellement soumis à la
bulle, et plusieurs avaient toujours montré
de bons sentiments. Dans le chapitre on
porta plusieurs décrets pour remédier aux
dangers du temps. Leurs dispositions géné-
rales étaient de s'assurer, avant les chapi-
tres, les nominations aux emplois, l'émis-
sion des \oix , etc., des sentiments de sou-
mission au formulaire d'Alexandre VU el à
la bulle. Le chapitre fut clos par un discours
que prononça l'archevêque d'Arles, M. Gi-
gaull de Relief mt.
Aux chapitres généraux qui élurent suc-
cessivement les prédécesseurs du P. Mazenc,
c'est-à-dire le P. Griffon, qui -fut maintenu
pendant douze ans; le P. Cuaussac , le P.
Daccarère el le P. Jeaume, tous soumis aux
décisions de l'Eglise, il y avait eu aussi des
orages qui , sans être aussi violents qu'à
Rcaucaire, étaient bien loin de l'édifiante
union qui doil régner dans de telles assem-
blées. Dans quelques maisons la soumission
à la bulle ne trouvait aucune résistance; en
plusieurs autres il y eut des interdits nom-
breux lancés par des évoques. Des supé-
rieurs ou professeurs lurent éloignés , des
collèges de jeunes gens évacués, etc.
Deux ans avant le chapilre de Rcaucaire,
le "P. Jeaume , général , se rendit à Rouie
pour travailler à la béatification do César de
i-fis et à l'union des Doctrinaires italiens
avec les Doctrinaires de France. Cette union
fut, à ce qu'il parait , effectuée , et c'est en
conséquence de ce résultat que sera venu au
chapilre général le fondé de pouvoirs du vi-
caire général de la province de Rome ; ce
qui ferait compter dans la congrégation
quatre provinces au lieu de trois. On les y
comptait en effet , el même on eût dû peut-
être en compter cinq, puisqu'il y avait aussi
une province de la Doctrine Chrétienne d'Ita-
lie au royaume de Naplcs; mais nous ne pou-
vons dire si ces mesures furent reconnues
par toute la congrégation. Nous allons en
outre en nommer bientôt une autre.
Les Doctrinaires n'accordaient la voilure
pour les voyages qu'aux prêtres seu'ement;
il' est vraisemblable que l'on aura modifié
cet usage dans les derniers temps. Ces Pères
dirigeaient aussi , comme les Oratoriens et
surtout les Jésuites, des congrégations d'hom-
mes, si propres à maintenir les habitudes et
le goût de la piété.
Cette contagion du jansénisme qui avait
fait tant de ravages dans la société de la
Doctrine Chrétienne , n'y dominait plus sur
la fin, et, dans sa visile au collège de La Flè-
che , le général , ayant entendu un ancien
parler dans le sens de l'opposition à la bulle,
le reprit fortement de tenir ainsi devant les
jeunes gens un langage conforme à des sen-
timents qui n'étaient pas ceux de la corpo-
ration. Néanmoins il y eut jusqu'au dernier
moment des jansénistes déclarés ; nous en ci-
terons un exemple frappant.
La destruction des Jésuites avait porté un
coup funeste aux Doctrinaires comme aux
autres congrégations enseignantes, non-seu-
lement sous le rapport chrétien , puisque
toute l'Eglise s'en ressentit, mais sous le rap-
port de l'intérêt d'existence et de force mo-
rale. Ils voulurent prendre et prirent en
effet plusieurs des collèges abandonnés par
la célèbre compagnie, et la disette de bons
sujets et même de sujets quelconques aurait
dû leur faire envisager celle nouvelle lâche
avec effroi. Ils eurent l'honneur d'être char-
gés du fameux collège de La Flèche. Nous
n'avons rien à dire contre leur administra-
tion dans celle maison, ni sur leur enseigne-
ment. Ils auront lâché sans doute de se tenir
au niveau de leurs illustres devanciers. Les
supérieurs mirent à ia tête du collège le P.
Corbin , homme d'un grand mérite, qui fut
ensuite nommé précepteur du dernier dau-
phin et nio;irut à Meudon. Le P. Corbin fut
remplacé, en qualité de principal à La Flè-
che, par Noët-Gabriel-Luce Villar, qui prêta
le serment à la constitution civile du clergé,
fut sacré à Paris, le -22 mai 1791, pour l'évé-
ché de la Mayenne, dont le siège lacticc était
à Laval ; fut conventionnel , déclara Louis
XVI coupable el vota sa détention; devint
membre du corps législatif, renonça à son
évêehé , abdiqua ses fonctions et mourut le
26 août 18'26. C'est, croyons-nous , le seul
évêque de celte sorte qu'ail donné la congré-
gation de la Doctrine Chrétienne, qui se se-
rait volontiers passée d'une semblable dis-
tinction.
es doc doc n<;
L'ordonnante tic Louis XV (1768) et la propre, la modération naturelle, le dépit ou
création de la commission pour les réguliers l'impuissance , retenaient dans une sorte de
produisirent, comme on sait, un effet affreux réserve constitutionnelle,
sur toutes les congrégations religieuses; la Nous devons citer ici l'exemple fameux de
Doctrine Chrétienne fut une de celles qui en l'esprit janséniste maintenu dans la cougré-
lurent le plus larg"ment atteintes. Comme galion, que nous avons promis , c'est celui
un grand nombre d'instituts , elle réédita et du P. Minard, l'un des oracles du parti et de
refondit ses constitutions. Celte opération l'Eglise constitutionnelle. Né à Paris en 1725,
fondamentale se fit au chapitre général qui Louis-Guillaume Minard, après sa philoso-
eut lieu à Paris en 17S2, et elles furent pu- phie, entra au noviciat de la Doctrine Chré-
L'Iiées l'année suivante. Nous ne répéterons tienne, qui comptait alors des jansénistes zé-
point ce que nous avons dit ci-tiessus en lés, tels que le P. Jaid, le P. de Sainl-Genis
l'analyse des règles, qui restèrent les mêmes le P. de Convenance , etc., et donna ardem-
au fond : mais nous ferons connaître ici les ment lui-même dans leurs opinions. Quoique
principales modifications qu'elles subirent et interdit par M. de Juigué, il fut sur les rangs
qui peignent bien l'esprit de l'époque et de la de ceux que ses confrères voulaient choisir
malheureuse congrégation. Les frères con- pour leur général en 1778. 11 vécut retiré
vers ne sont plus obligés à la récitation de dans la maison du Petit-Bercy, au faubourg
l'olficc de la sainte Vierge ou du chapelet ; Saint-Antoine, où, toujours interdit, il con-
il reste un chapitre consacré à traiter de la tinua de diriger un grand nombre de ses ad-
vertu d'obéissance ; ceux qui traitaient de la hérents. 11 embrassa avec chaleur le parti
chasteté et de la pauvreté ont disparu. On de la constitution civile du clergé et fut le
ne fait plus de vœux, pas même celui de sta- premier curé constitutionnel de Bercy, qui
bililé. Dans le chapitre de 1770, tenu à Paris, n'était pas alors paroisse, mais qui l'est de-
il fut décidé qu'on en demanderait l'abolition venu depuis. Etant aussi une des colonnes
à Pic Vil, qui l'accorda en effet par un bref de la nouvelle Eglise de Paris, il se trouva
du li mars 1783. Après deux années de no- encore au nombre des candidats entre les-
vicial , passées à la maison même du no- quels on devait choisir un successeur à l'évê-
viciât ou dans une autre de l'institut, celui que Gobet. Minard mourut le 22 avril 1798.
qu'on jugeait propre à ê;re admis prenait, Il n'a laissé que deux volumes, l'un intitulé:
chaque année, l'engagement de ne point Avis aux Fidèles, 1700; l'autre, Supplé-
abandonner la charge qu'on lui confiait, ment, etc. Il y prêche un jansénisme presque
avant les grandes vacances suivantes , et aussi cru que celui du P. Gerberou dans sou
sans en prévenir la congrégation ; et s'il ve- Miroir de ta Piété , et engage à se confesser
nait à sortir avec ces formalités, il était tou- aux prêtres jansénistes, quoique interdits.
jours regardé comme membre de l'institut, Tous les Doctrinaires n'avaient pas, comme
qui lui indiquait même une maison comme nous l'avions cru , prêté le serment civique,
maison d'alfilia ion, s'il le désirait, et lui ac- et il parait que le jansénisme ne dominait
cordait certains privilèges , comme le droit plus dans leur corps, où il avait seulement
de voter, de rentrer un jour; mais il fallait laissé les traces et les effets de son action
pour cela que le confrère sorti renouvelât sa corrosive. A côté du P. Minard nous avons à
demande tous les ans. Les bénéfices ne sont nommer le P. Rioulx, qui a vécu dans le
plus unis nécessairement à la congrégation ; même temps que lui. Prédicateur célèbre à
les membres peuvent en jouir sans cela. Par Paris, le P. Raoulx, Doctrinaire, vivait à la
lettres patentes du 28 juin 1778 , Louis XVI maison de Saint-Charles , dans celte ville,
déclarait les membres de la congrégation de Les Pères de la congrégation étaient restés
l,i Doctrine Chrétienne propies à recueillir dans cette maison et ne la quittèrent qu'au
les successions, etc., et aux autres bénéfices mois d'août 1792, quand on fit la recherche
deseffetscivils.il paraît qu'outre les pro- des prêtres qui avaient refusé leur adhésion
vinces que nous avons ci-dessus indiquées, à la constitution civile du clergé ; le P
la congrégation avait sur la fin créé celle Kaoulx était de ce nombre ; il se cacha chez
dite de La Flèche, car nous la trouvons de- deux personnes , et faisait une course pour
signée avec les autres dans les nouvelles l'exercice du saint ministère, quand il fut
constitutions. reconnu et trahi par un habitant de l'île
La Doctrine Chrétienne avait, dans les Saint-Louis. Dénoncé, arrêté, incarcéré, puis
derniers temps, accepté la direction des col- interrogé et absous, il était rendu à la li-
leges de Bourges et de Moulins. Elle possé- birté, quand son dénonciateur, irrité de cet
dait au>si le collège d'Avallon, où elle comp- acquittement, imagina d'aller débiter des
lait au nombre de ses membres Royer-Col- blasphèmes contre Jesus-Christ et la religion
lard , publiciste ou politique fort renommé en présence du P. Kaoulx, qui allait sortir de
dans ces derniers temps, et qui a été fort nui- la salle, mais qui crut loccasion toute natu-
sible à la monarchie des Bourbons. C'est de relie de défendre la vérité , en parlant et
Royer-Collard, qui fut réellement, non ec- prêchant là sans crainte. 11 fut arrêté de
clésiaslique , mais membre de la congréga- nouveau et conduit à Saint-Lazare, où tant
lion des Doctrinaires , qu'est venue cette d'ecclésiastiques étaient renfermés, il fut
nuance de parti politique qu'on appelait des condamné à mort; mais Dieu lui réservait
Z>oc£n'rtaim-,sanssavoirnipourquoiniàquoi; une épreuve terrible : il reconnut dans la
car on nommait, sans aucun bon sens, des charrette qui le conduisait à la mort sou
Doctrinaires certains hommes que l'amour- propre frère, qui, la veille, avait été cou-
DICTIONNAIRE DES ORDRES REL1GIEIX.
03
damné dans une autre chambre. Tous deux,
furent exécutés à la barrière du Trône, où
périrent tant de victimes. Unis par les liens
de la nature et de l'amitié pendant la vie, in
morte quoque non sunt divisi.
Lederniergéuéral des Doctrinaires, le l'.de
Bonnefous, homme estimable et qui n'avait
embrasse ni les erreurs du jansénisme, ni
celles de la révolution, mourut en 1806, dans
l'établissement de l'abbé Sicard, à Paris.
Nous ne connaissons plus aujourd'hui
qu'un membre de la congrégation delà Doc-
trine Chrétienne , c'est M. l'abbé Souquet de
la Tour, curé de Saint-Thomas d'Aquin, à
Paris, qui a peut-être survécu à tous ses con-
frères, et qui est comme le testament laissé
par cette corporation savante, pour nous
donner une idée de ses richesses littéraires.
On en jugera par ce que nous allons dire des
travaux de M. l'abbé de la Tour. Ce piètre
laborieux était entré fort jeune dans la con-
grégation delà Doctrine Chrétienne, qui l'a-
vait employé à l'enseignement au collège de
La Flèche. Il y résidait et était déjà prêtre,
quand la révolution vint l'arracher à sa so-
ciété et sa vie paisible. Il n'embrassa point
les erreurs du temps et ne quitta point ses
habitudes studieuses. Son attrait particulier
l'a porté vers les poètes latins, et il a publié
les traductions suivantes : 1° La Christiade
de Vida ; 2° l'Enfantement de la Vierge, de
Seiraazard ; 3° /' Enfant Jc'sus, poème du P.
Seva, jésuite ; k° Saint Hyacinthe, poëme de
Guillaume le Blanc, év êque nomme de Grasse,
mais qui ne prit point possession. M. de la
Tour publia ce poème en l'honneur de saint
Hyacinthe, par adulation pour M. Quélen,
archevêque de Paris, qui s'appelait Hyacin-
the, a' Cl a tdien. C'est la première traduction
de ce poète qui ail été publiée ; M. de la
Tour la lit étant encore à La Flèche. G" L'E-
tablissement du christianisme ait Japon, poè-
me, par Simon Franck, écolier du collège
des Jésuites, à Liège, et élève de Feller. 7"
Les SU vis, de Stace. 8' La guerre de Tripoli,
poème, parCazdosa, Portugais. Cet ouvrage
est peu connu en France. M. de la Tour l'en-
tendit vanter et le chercha aussitôt à la Bi-
hl.oihèquedu roi, où il ue le trouva point, et
il le (il venir de Lisbonne, pour le traduire.
9" Poêles latins : c'est le nom que AI. de la
Tour donne à un recueil de traduct'ons de
poinies moins volumineux, et qui sont au
nombre de six ou sept : €rratius-Failaciust
Aémésien, Castor, Les Travaux d'Hercule,
Anonyme, Cornélius Severus : la traduction
de ce dernier a élé faite par H. l'abbé de
L , grandvicaireà Bourges, que
M. de la Tour a préparé à sa première com-
munion. Nous ne connaissons pas de traduc-
teur qui ait plus ni même autant publié en ce
genre, que M. l'abbé de la Tour. Octogé-
naire aujourd'hui, il se souvient qu'il a jadis
passé des nuits à ces éludes chéries, et quoi-
que place à la tète d'une paroisse et arrivé
au delà de l'âge du repos, il ne les quille
jamais avant minuit. Oh ! qui rendra à l'Eglise
les congrégations religieuses, lesquelles four-
nissaient de '.els hommes ! Au tome second
de son Histoire des Ordres religieux, M. Heu-
rion, parlant de la DoctrineChré tienne, donne
quelques lumières sur l'établissement en Ita-
lie que nous avons mentionné ci-dessus, et
dit qu'iis avaient, jointe aux trois françai-
ses, une province de Rome, formée dans li».
dernier siècle de huit maisons que la congré-
gation avait en Italie, et de sept autres qui
lui furent données par Benoit XIII. Ces mai-
sons étaient des collèges , séminaires ou pa-
roisses. Nous ignorons toujours ce qu'était
cette province de Naples, dont nous avons
parlé, et si ces maisons étaient celles de Doc-
trinaires italiens qui s'étaient, nous a-t-on
dit, unies à celles de France, et possédaient
le corps de César de Bus.
La maison de Saint-Charles à Paris était
située à l'extrémité supérieure de la rue des
Fossés-Saint-Victor, et était habitée par le
général, 18 ou 20 prêtres environ, et un cer-
tain nombre de novices , qui payaient 500
livres pour l'année de probation. Ces con-
ditions et le nombre des Pères avaient sans
douteétémodilîés vers la fin du dernier siècle.
On remarque comme une chose singulière
que dans la chapelle de la Doctrine Chré-
tienne, il y avait tous les ans sermon et sa-
lut en l'honneur du bon Larron. En 1703,
M. Miron, docteur en théologie, de la mai-
son de Navarre, légua sa bibliothèque aux
Pères de la Doctrine Chrétienne, à condition
qu'elle serait publique. Elle était composée
de plus de 20,000 volumes, parmi lesquels
il y avait des éditions rares et les manuscrits
du savant abbé Le Beuf, auteur de l'Histoire
du Diocèse de Paris. L'établissement de Bercy
avait d'abord été faità Anloni auxvir siècle.
M. de Gondi, qui avait attiré les Doctrinaires
dans son diocèse, estimait ces Pères et se
retirait quelquefois chez eux; l'autre éta-
blissement, à Paris, était à Saint-Juli u-des-
Menetriers. Le célèbre Fléchier, evèque de
Nîmes , était membre de la congrégation de
la Doctrine Chrétienne.
Nouvelles ecclésiastiques, passiin. Tableau
hist irique et pittoresque de Paris... par J.-B.
De Saint-Victor. 8 vol. in-S. Etat ou tableau
de la ville de l'aris ; par... in-8. Constitutio-
nes Congfegalionis Doctrines Chrisli, 173V ;
eœdem 1783. Histoire des Ordres, par M. Hen-
ri on* 2 vol. in-12. — Description de Paris ;
parPiganiol de la Force. — Renseignements
fournis par M. l'abbé delà Tour ; — notes
prises passim, etc. B-d-e.
DOCTRINE CHRETIENNE, en Italie
(Congrégation de la].
L'union qu'il y a eu entre les Somasques
et les Pères de la Doctrine Chrétienne eu
France nous a oblicré de parler de ces der-
niers avant Les Pères de la Doctrine Chré-
tienne en Italie, dont l'institution rst plus
ancienne ei que l'on peut mettre au nombre
des réguliers , quoiqu'ils ne fassent pas de
vœux solennels ; mais la stabilité à laquelle
ils s'engagent dans cetle congrégation Ie> y
lie de telle manière, que le pape Urbain A ||I
a oidonné que ceux qui on soi liraient se-
69
PCC
raient traités comme aposlata cl encourraient
les mêmes peutes que celles qui sont portées
par sa constitution du 20 septembre 10-27
conlre les fugitifs et apostats des ordres ré-
guliers. Quoique nous les rangions sous la
règle de Saint-Augusiin,ils ne la suivent pas
néanmoins; mais nous ne parlons d'eux ici
qu'à cause que nous avons parlé dans l'arti-
cle précédent de la congrégation qui porte
le même nom en France, cl qui a véritable-
ment suivi la règle de Saint-Augustin pen-
dant un temps assez considérable.
Celle congrégaiion des Pères de la Doctrine
Chrétienne en Italie commença d'abord par
une espèce de confrérie, dans laquelle quel-
ques prêtres et laïques entrèrent sous le pon-
tifical de Pie IV, et qui s'unirent ensemble
pour enseigner le catéchisme aux enfants et
aux ignorants, non-seulement les jours ou-
vrables dans les maisons particulières, mais
encore les fêles et dimanches, afin que les
gens de métier qui ne pouvaient quitter leur
travail les autres jours pussent, les fêtes ,
profiter de leurs insiructions. Le premier à
qui Dieu inspira une si sainte œuvre fut un
gentilhomme milanais nommé Marc de Sadis
Cusani , qui , ayant abandonné ses biens et
sa pairie, vint à Home l'an 1560 et s'asso-
cia un nombre de personnes charitables
pour travailler avec lui à ces sortes d'ins-
Iruetions.
L'église de Saint-Apollinaire à Rome fui
le lieu où ils commencèrent d'enseigner pu-
bliquement la doctrine chrétienne, et un des
premiers ouvriers qui s'employa à ce sainl
exercice fut le célèbre César Baronius, qui
fui depuis cardinal. Celle confrérie s'augmen-
tant de jour en jour, le pape Pie V accorda
l'an 1507 des indulgences à ceux qui y en-
treraient, et l'année suivante le cardinal Sa-
vclli nomma pour supérieur de toules les
écoles de Hume le P. Henry Pétra de Plai-
sance , l'un des premiers compagnons de
saut Philippe de Néry. Ceux qui s'enga-
geaient à celte œuvre charitable se divisaient
par bandes pour aller faire les mêmes lonc-
lionsdans les ullages qui sont aux environs
de Kome. Quelques-uns abandonnèrent en-
suite leurs propres maisons pour aller de-
meurer ensemble dans une maison , vers le
Pont-Sixte, sous la conduite du P. Marc Cu-
sani, qui l'an 1586 fut ordonné prêtre en
vertu d'un bref du pape Sixte V et à la per-
suasion du P. Henri Pétra. qui lui commanda
d'obéir.
Le pape Pie V, voyant le grand fruit que
ces personnes charitables faisaient, et vou-
lant faire observer le décret du concile de
Trente touchant ces soties d'instructions, or-
donna par une bulle du 0 octobre 1571 que
dans tous les diocèses, les curés de chaque
paroisse établiraient de pareilles confréries
do la Doctrine Chrétienne, et accorda beau-
coup d'indulgences à ceux qui y entreraient.
Grégoire X1I1 augmenta encore ces indul-
gences et donna aux Pères de la Doctrine
Chrétienne l'église de Sainte-Agathe à Home,
au delà du libre, où la confrérie fut aussi
transférée. Comme les uns et les autres n'a-
DOC 70
vaicnl qu'un même esprit et ne (endaient
qu'à l'instruction de la jeunesse cl des igno-
rants, et qu'ils faisaient d'abord leurs assem-
blées en commun, ils jugèrent à propos d'é-
lircenlre eux quelques personnes qui eussent
non-seulement l'intendance des écoles, mais
encore le soin de maintenir l'union et la paix
entre eux. C'est pourquoi ils en choisirent
quatre, auxquels ils donnèrent le nom de
déliniteurs, dont il y en eut deux qui furent
choisis entre les Pères, et deux entre les con-
frères.
Les écoles se multipli int aussi bien que le
nombre des ouvriers, ils demandèrent un
protecteur au pape Clément VIII, qui leur
donna le cardinal Alexandre de Médicis, qui
fut ensuite pape sous le nom de Léon XI; et
peu de temps après le P. Marc Cusani, fon-
daleur de celle soc été, mourut le 17 sep-
tembre 1595. Les déliniteurs gouvernèrent la
congrégation et la confrérie pendant un
temps assez considérable, et ils faisaient
leurs assemblées dans l'oratoire de l'église
Saint-Jérôme-de-la-Charilé; mais les Pères
de la Doctrine Chrétienne et les confrères, so
voyant en grand nombre, élurent chacun un
chef pour leur corps. Les Pères donnèrent à
leur chef le litre de prévôt, et les confrères à
leur chef celui de président, et ils élurent
aussi d'autres officiers auxquels ils donnè-
rent différentes qualités, comme de conseil-
lers, visiteurs, etc. Ce qui se fit l'an 1590 du
consentement du caidinal Delmonte, pour
lors vice-protecteur en l'absence du cardinal
Médicis, qui étail légat en France.
Le pape, afin d'exciter les uns et les au-
tres à se comporter avec encore plus de zèle
dans les fonctions de l'institut qu'ils avaient
embrassé, et voyant que l'église de Sainte-
Agathe, nui avait été accordée aux Pères de
la Duclrine Chrétienne, était trop petite pour
y faire leurs fonctions et pour assembler
leurs confrères, leur donna encore celle de
Saint-Martin-du-Mont-de-Piété, au quartier
de la Regola, où ils ont toujours tenu depuis
ce temps-là leurs assemblées générales et
particulières; et le pape supprima le titre de.
paroisse, que celte église avait, afin qu'elle
fût plus libre. Ce pontife, souhaitant de plus
que l'instruction sde la doctrine fût partout
uniforme, donna ordre au Père Bellarmin de
la Compagnie de Jésus, qui fut ensuite cardi-
nal, de composer un petit catéchisme que l'on
devait enseigner dans toutes les écoles.
Léon XI ayant succédé à Clément VIII,
Antoine Cisoni, qui était pour lors président
de la confraternité et qui fut ensuite évoque
d'Oppido, et le prévôt des Pères de la Doc-
trine Chrétienne, allèrent trouver ce nou-
veau pontife pour le prier de leur accorder
un prolecteur; mais il leur déclara qu'il vou-
lait être lui-même leur prolecteur, ce qui ne
dura pas longtemps, puisque ce porflife mou-
rut vingt-sept jours après sou élection. Les
Pères et les confrères se rassemblèrent après
sa mort pour faire élection d'un autre pro-
tecteur, et choisirent le cardinal Borghèse,
alors vicaire de Home, qui, a*yant été fait
pape quelques jours après sous le nom de
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
Paul V, et désirant favoriser celle confrater-
nité , l'érigea en archiconfralernilé dans
l'église de Saint-Pierre, voulant que les égli-
ses de Sainte-Agathe et de Sainl-Martin-du-
Monl-dc- Piété restassent toujours aux Pères
de la Doctrine Chrétienne et aux confrères,
et qu'à l'avenir les cardinaux vicaires fus-
sent leurs protecteurs. Il accorda encore à
celle archiconfralernilé la permission de
pouvoir agréger telles autres confraternités
dans le monde qu'ils voudraient, et, par grâce
spéciale, de pouvoir délivrer tous les ans
deux prisonniers pour crimes, voulant (te
plus qu'un pauvre confrère de celle archi-
confraternite fût toujours du nombre des
douze pauvres auxquels Sa Sainteté lave les
pieds le jeudi saint.
Les papes Urbain VIII, Innocent X et Clé-
ment X oui encore accordé beaucoup d'in-
dulgences à ces confrères, et Innocent XS,
au commencement de son pontifical, lit pa-
raître son zèle pour l'avancement de cet in-
stitut, le regardant comme très-nécessaire
pour maintenir et étendre la foi catholique.
Pour ce sujet il renouvela les élections de
douze députés de la même congrégation et
archiconfralernilé : savoir , six gentils-
hommes et six ecclésiastiques d'une vertu
el d'une piélé exemplaires, auxquels il donna
pour président M. Ange de la Noce, arche-
vêque de Rossanc. Il lit réimprimer les con-
stitutions el les statuts de celte a rchi confra-
ternité qui avaient été autrefois dressés par
les cardinaux lîaronius, Taurugi el Bellar-
min, par ordre de Clément VIII ; il voulut
que la congrégalion se tînt tous les huit
jours, et accorda de nouvel es indulgences
et de nouveaux privilèges aux confrères.
Quoique les Pères de la Doctrine Chré-
tienne fassent une congrégation ^séparée de
celte archiconfralernilé, el qu'ils aient neuf
maisons en différentes provinces, ils sont
toujours néanmoins unis ensemble en ce qui
regarde l'instruction de la jeunesse et jouis-
sent des mêmes grâces el des mêmes privilè-
ges. Le Pè'e Jeau-RaptisteSéralîni d'Orvièle,
étant général de celle congrégalion, dressa
l'an 1003 des constitutions pour y maintenir
l'observance régulière. Elles furent approu-
vées par le cardinal vicaire, par ordre du
pape Grégoire Xlll, el impr. niées à Rome
l'an 1004. Elles sont divisées en deux par-
lies : la première, qui contient -22 chapitres,
regarde les officiers et supérieurs de la con-
grégation, et traite de leurs élections; la
seconde, de hk chapitres, traite des obser-
vances el regarde la congrégation eu par-
ticulier.
Les officiers généraux et supérieurs qui
gouvernent toute la congrégation sont : le
prévôt général, qui en est le chef; le vice-
prévôt, trois définileurs, un chancelier, deux
visiteurs«et un compoliste. Les subalternes
sont : les recteurs des maisons, sacristains,
infirmiers, maîtres des novices, dépositaires,
communiera , provéditeurs et dépensiers.
Tous les ans l'on tient la congrégation géné-
rale; tous les mois il s'en tienl aussi une
particulière dans la maison do Rome, e:i
présence du général, ou, en son absence, du
vice-prévôt, ou au moins de deux défini-
leurs; toules les semaines dans chaque mai-
son il y a une autre congrégation en pré-
sence du recteur.
Dans la congrégalion générale, (ous les
recteurs des maisons doivent s'y Irouver
avec un député de chaque maison, lorsqu'on
doit faire élection d'un général ; et, lorsque
l'on n'en doit point faire, la congrégalion esl
seulement composée des officiers généraux
qui élisent les subalternes : le recteur de
Rome envoie les fêles et dimanches les frères
dans les écoles pour enseigner le catéchisme,
qui cjt la première fin de cet institut.
Toules choses sont communes dans la con-
grégaton, personne n ayant rien en propre,
el les chambres ne doivent point fermer à
ciel'. Lorsque quelqu'un doit être promu aux
ordres sacrés, les supérieurs obtiennent un
bref du pape pour faire recevoir sous le litre
de la congrégalion ceux qui en sont jugés
capables. Afin que la vie commune puisse se
maintenir dans celte congrégation, elle pos-
sède des rentes et des fonds pour l'entretien
des frères : c'est pourquoi ils ne reçoivent
aucun établissement qu'il n'y ait en même
temps des fonds suffisants pour le pouvoir
entretenir, afin qu'ils ne soient point détour-
nes des fondions de leur institut, qui est
d'enseigner la doctrine chrétienne; ce qui
pourrait arriver s'ils étaient obligés d'aller
mendier les choses nécessaires à la vie. Le
fonds nécessaire pour commencer un éla-
blissemenl doit être au moins suffisant pour
entretenir six personnes. L'uniformité de-
vant être dans toutes leurs maisons, elles
doivent élre partout, aussi bien que leurs
églises, de même structure et de même gran-
deur, autant que taire se peut.
ils ne disent point l'office en commun, si
ce n'est aux l'êtes principales de l'année et
des patrons de leurs églises ; les autres jours,
ceux qui sont prêtres récitent en particulier
l'ofiice du bréviaire romain; ceux qui ne
sont pas dans les ordres sacrés et les laïques
sont seulement exhonés à réciter le petit
olfice de la Vierge, et ceux qui ne savent
point lire doivent dire le chapelet, ils ont
deux heures d'oraison par jour, l'une le ma-
tin et l'autre le soir ; ils prennent la disci-
pline tous les mercredis ci vendredis de
l'année, et encore tous les lundis de l'Aven!
et du Carême, et tous les jours de la semaine
sainte; ils jeûnent pendant l'Avent el tous
les vendredis de l'année. Une fois la semaine
ils reconnaissent leurs fautes devant le rec-
teur, ils l'ont tous les jours une conférence
de cas de conscience, et il y a un maître qui
enseigne la manière d'euseigner le caté-
chisme. Ils ne peuvent écrire ni recevoir au-
cune letire sans l'avoir montrée auparavant
au supérieur, qui ne leur doit jamais per-
mettre de parler ni d'écrire à aucune reli-
gieuse, et ils ne peuvent sortir sans sa per-
mission et sans un compagnon qu'il leur
doit donner.
Quant à l'habillement , les prêtres et les
clercs portent l'habit ecclésiastique avec ujj
73
DOC
DOM
7*
petit rabat large d'un doigt autour du col-
let (1), et les clercs ne peuvent porter le
bonnet carré que lorsqu'ils sont dans les or-
dres sacrés, les laïques ont un habit plus
court et portent dans la maison une calotte
au lieu de bonnet carré.
11 leur était autrefois permis de sortir de la
congrégation quand bon leursemblait. Après
l'année de noviciat , le général, à qui il ap-
partient derecevoir avec sesdéfiniteurs ceux
qui se présentent pour entrer dans la con-
grégation , demandait à celui qui voulait
s'engager s'il avait connaissance des consti-
tutions, de leur manière de vivre, de leurs
observances, des fatigues qu'il fallait sup-
porter, et s'il avait des forces suffisantes
pour cela ; qu'il lui était permis de sortir,
mais que s'il voulait rester il fallait qu'il ob-
servât la vie commune et enseignât la doc-
trine chélienne avec un ferme propos de
persévérer toute sa vie dans la congrégation,
et qu'après cette résolution il ne lui serait
plus permis d'en sortir. Si le novice consen-
tait à rester, le général l'avertissait que passé
cinq ans il aurait voix active et passive
dans le chapitre et même plus tôt s'il se com-
portait bien , s'il vivait régulièrement et s'il
donnait des marques d'une plus grande sta-
bilité, comme si volontairement il jurait et
faisait vœu de cette stabilité et de vouloir
persévérer dans cette congrégation. Toi à de
quelle manière se faisait leur engagement;
cependant il y avait des raisons peur les-
quelles on pouvait les renvoyer après s'être
engagés à la congrégation , qui sont mar-
quées dans le chapitre septième des consti-
tutions. Si ceux qui étaient sortis de la con-
grégation , soit qu'ils eussent été renvoyés ,
ou qu'ils fussent sortis volontairement , y
rentraient, ils devaient reeommencer l'an-
née de noviciat ; mais l'an 1609 il fut ordonné
dans leur chapitre général qu'après l'année
de noviciat ion ferait vœu de demeurer dans
la congrégation. Le pape Grégoire XV, par
un bref de l'an 1621 , réserva aux souverains
pontifes le pouvoir de dispenser de ce vœu,
et Urbain Vll[, comme nous avons dit, or-
donna que ceux qui sortiraient de la congré-
gation seraient traités comme apostats et en-
courraient les mêmes peinesque les apostats
et les fugitifs des ordres religieux, confor-
mément au concile de Trente et à la consii-
tution de ce pape du 20 septembre 1627. Le
pape Clément VIII, dès l'an 1596, avait
exempté de la juridiction des curés, tant
pour les sacrements que pour la sépulture,
les Pères de cette congrégation, et les avait
mis sous celle du cardinal vicaire. Us ont
pourarmes trois montagnes surmontées d'une
croix , avec la lance, l'éponge et des fouets
qui pendent de chaque côté de la croix.
Mémoires envoyés de Rome en 1707. Cari.
Bartliol. Piazza , Husecolog. Rom. t. V, c.
37, et t. VI, c. 19. L'on peut consulter aussi
les Constitutions de cette congrégation, celles
de larchiconfraternité, le Militaire romain,
et Philipp. Bonanni, Catulog. ord. relig.,
part. m.
(1) Voy., à la fin du vol., n° 7.
Dictionnaire des Ordres unuaiBcx. II.
Le P. Hélyot ne dit point assez clairement
quelle a été l'origine réelle de la congréga-
tion de la Dtictrine Chrétienne, en Italie, et ne
fait point assez voir quand et comment elle
a été séparée de l'archiconfraterniié du même
nom et qui a eu aussi les mêmes fondateurs.
Nous avons entendu dire que cette société
s'était réunie , au dernier siècle , à la con-
grégation des Doctrinaires de France et avait
embrassé ses règles, et que c'était pour
cela qu'elle s'était procuré le corps de César
de Bus.
il est vraisemblable, sinon certain, qu'elle
formait celte province de Borne qui députa
un vicaire général , en 1744, au chapitre gé-
néral de France , tenu par les Doctrinaires à
Beaucaire , et dont nous avons parlé dans
l'article additionnel précédent , et qu'elle
était composée des maisons dont les Doctri -
naires formèrent leur province italienne. Il
paraîtrait en outre qu'elle avait aussi une.
province au royaume de Naples. Voir ce que.
nous avons dit sur cette union aux Doctri-
naires français.
Les Doctrinaires italiens avaient autrefois
dans la ville de Borne les maisons de Sainte*
Agathe in Transtevere, Sainte-Marie a Toire
di buon Viaggio , et Sainte-.M nie in Mouti-
celli. Aujourd'hui leur supé ieur général est
le R. P. Pierre-Sylvestre Glauda , appelé vi-
caire général. Le R. P. Victor Bevilacqua
Vallelti est leur procureur général.
B-n-E.
DOGE, a Venise. Voyez Chausse.
DOMINICAINES.
De l'origine du second ordre de Saint-Domi-
nique, ou des religieuses Dominicaines , ap-
pelées en qudques lieux Prêcheresses.
Si l'on avait égard au temps del'institulion
des premières religieuses de l'ordre de Saint-
Dominique, elles devraient tenir le premier
rang entre les trois ordres qui portent le
nom de ce saint , puisqu'il avait déjà fondé
des religieuses à Prouilie quelques années
avant que d'avoir institué son ordre * our les
hommes , mais il est juste que les Gllcs don-
nent la préséance à leur Père saint Domini-
que, qui , dans le temps qu'il travaillait
pour la conversion des Albigeois , fut si
touché de voir que quelques gentilshommes
de Guyenne, contraints pur la nécessité et
n'ayant pas de quoi nourrir el entretenir
leurs filles , les vendaient ou les donnaient ;';.
élever aux hérétiques, qui les pervertis-
saient, qu'il prit la résolution de fonder et de
bâtir un lieu où ces pauvres demoiselles,
pourraient être élevées et entretenues de-
tout ce qui serait nécessaire pour leur sub-
sistance. Il communiqua son dessein à Ber-
nard, archevêque de Narbonne, et à Foul-
ques, évéque de Toulouse , qui non-seule-
ment l'approuvèrent, mais y voulurent con-
tribuer par leurs libéralités ; el saint Domi-
nique , ayant encore reçu quelques aumônes
de plusieurs personnes <!e piété , jeta les fon-
dements dumonaslère de Prouilie entre Car-
cassonne et Toulouse, à un quart de lieue
75
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
76
de Fanjanx. Î-! fui bâti en peu de temps l'an life avait donné de renfermer ces religieuses
1206, et l'année suivante l'archevêque de dans un même monastère , il le fut irouver
Narbonne donna à ce monastère l'église de pour le prier de commettre (1rs personnes
Saint-Martin de Limoux avec tous les droits
et dîmes qui lui appartenaient dans ce bourg
et dans celui de Tax.
Il y eut d'abord onze demoiselles qui se
consacrèrent à Dieu dans celle maison le
jour de saint Jean 1 Evangéliste, doni il y en
avail neuf hérétiques albigeoises qui avaient
été converties par les miracles de saint Do-
minique, savoir : Aladaicie, Raymonde, P.is-
sarine , Bérengère , Richarde, Barbeyrane,
Jordanne , Guillemette de Baupuis, Ray-
monde Clarelle et Gantienne , qui reçurent
les premières l'habit des mains de sainl Do-
minique, et les deux autres se nommaient
Messane et Guiliemette de Fanjaux. Leur
habit dans ce temps-là consistait en une robe
blanche, une chape tannée et un voile
noir (1). Ce saint fondateur lesobligeaà tra-
vailler à certaines heures du jour pour fuir
l'oisiveté, principalement à filer de la laine
et du lin pour faire leurs h. .bits et le linge
qui leur était nécessaire. 11 leur prescrivit
aussi quelques règlements pour leur con-
duite , et leur donna pour supérieure Guille-
mette de Fanjaux , quoiqu'elle eût reçu l'ha-
bit la dernière. Elle gouverna jusqu'en l'an
12:25 cette communauté , qui s'augmenta si
notablement dans la suite, qu'il n'y a jamais
eu moins de cent religieuses dans ce mo-
nastère, où l'on ne recevait autrefois que des
Glles nobles. La supérieure est présente-
ment à la nomination du roi ; et la première
d'autorité pour le seconder. En effet, le pape
donna cette commission à trois cardinaux,
qui furent Hugolin , évêque d'Ostie, Etienne
de Fosse-Neuve , du titre des Douze-Apô-
tres, et Nicolas, évêque de Frascali.
Les plus opiniâtres étaient les religieuses
de Sainte-Marie au delà du Tibre , et entre
autres raisons qu'elles donnaient pour ne
point se soumettre aux ordres du pape, elles
disnient qu'elles ne pouvaient se résoudre à
abandonner une image miraculeuse de la
sainte Vierge qui était dans leur église , et
que l'on prétend avoir été peinte par saint
Luc, laquelle était en grande vénération
parmi le peuple. Mais le pape leva cette dif-
ficulté en leur permettant delà transporter
dans le lieu où l'on voulait les mettre. On vit
tout d'un coup un changement merveilleux
dans ces religieuses, que l'on attribua aux
prières de saint Dominique. Elles se soumirent
au joug de l'obéissance , embrassèrent la
clôture , s'engagèrent à ne plus sortir de leur
monastère, et de n'y faire entrer personne.
Dès ce moment saint Dominique se chargea
de leur conduite, et leur prescrivit des rè-
glements pour maintenir l'observance régu-
lière. Le pape , ayant appris ce que ce saint
fondateur avait fait, voulut que le couvent
de Saint-Sixte, qu'il avait accordé aux reli-
gieux , lût donné aux religieuses; il trans-
féra les religieux à Sainte-Sabine, et leur
donna la moitié de son propre palais pour
qui fot nommée fut Jeanne d'Amboise , à la- leur demeure. Le bâtiment du couvent de
2.,-n :j. >i. i.l.:„. J. n i A„..: c..:_. ^:_._ r..i „„1 Al'„„ 4(lin „• i„,,i„„
quelle succéda Madeleine de Bourbon, a qu
deux autres princesses de la même famille
royale ont aussi succédé dans la suite. Il est
sorti de ce monastère des religieuses pour
en fonder ilix ou douzeaulres.tant en France
qu'en Espagne , et il porte pour armes de
gueules au chevron d'or , au chel d'azur se-
mé de (leurs de lisd'or, l'écu surmonte d'une
croix pommelée, et environné d'une palme
et d'un lis.
Depuis que le monastère de Prouille fut
fondé, jusqu'en l'an 1218, saint Dominique
ne fit point de nouveaux établissements pour
des filles , et peut-être qu'il n'aurait point
songé à en faire , si , étant à Rome occupé à
la nouvelle fabrique du couvent de Saint-
Sixle , que le pape Honoi ius III lui avait
donné pour ses religieux, il n'eût pas reçu
commission de ce pontife de rassembler en
un seul monastère plusieurs religieuses qui
étaient dispersées à Rome dans plusieurs pe-
tites communautés, où elles ne vivaient pas
avec assez de régularité. Saint Dominique
exécuta d'abord les ordres du pape; mais,
voyant que ses discours étaient inutiles et
qu'il ne pouvait réussir, s'il n'était secondé
de l'autorité du saint-père, puisqu il ne trou-
va il |>as seulement de l'opposition de la part
des religieuses , mais encore de leurs parents
et de leurs amis, et que le peuple criait hau-
tement contre l'ordre que le souverain pon-
Saint-Sixte fut achevé l'an 1219, et toutes
les religieuses qui étaient dispersées dans
Rome y furent renfermées le 21 février de
celte année.
Autant que ces religieuses avaient mal
édifié par leur conduite peu religieuse, au-
tant devinrent-elles des exemples de vertu
par leur modestie, leur retenue, leurs austé-
rités , leurs mortifications et leur grande
pauvreté , à laquelle elles s'engagèrent vo-
lontairement. C'était une règle parmi elles,
que, le quatrième jour après qu'une fille était
reçue dans ce monastère, elle était obligée
de renoncer à tous les biens qu'elle possé-
dait et qu'elle pouvait prétendre. La première
qui reçut l'habit de l'ordre de Saint-Domini-
que tel que les religieux le portèrent après
la vision du bienheureux Renaud , fut la
bienheureuse Cécile Romaine , de la famille
des Césarini, qui était supérieure de ce mo-
nastère, et qui, l'an 1223, en sortit par ordte
du pape Grégoire IX pour aller faire un nou •
vel établissement à Bologne, où elle mourut
saintement, l'an 1280, âgée de 89 ans. Ainsi,
si les religieuses de Rome n'ont pas été fo:i
dées avant celles de Prouille , elles ont en
l'avantage de recevoir les premières l'habit
de l'ordre, que celles de Prouille n'ont reçu
qu'après eLes.
Ce monastère de Saint-Sixte étant mal si-
tué, et les religieuses y étant toujours ma-
(!) Voy., à la fin du vol., u" 8 et 9.
;•
DOM
DOM
M
iades à cause du mauvais air, elles furent
transférées , par ordre du pape Pie V, au
mont Magnanupoli, qui fait une partie du
(juiiinal, où, l'an 1611, sous le pontificat
d'Urbain VIII, elles ont fait faire une magni-
fique église et un beau monastère , où l'on
ne reçoil que des Dlles de la première no-
blesse de Rome, qui apportent avec elles lie
grosses pensions outre leur dot ; et j'en ai
vu, du temps que j'étais à Home, qui avaient
plus de deux mille ccus romains de pension,
c'esl-à-dire plus de sept mille livres de notre
monnaie, et d'autres qui avaient cinq cents
écus : ainsi il ne faut pas s'étonner si ce
monastère est un îles plus fiches de Home.
Les religieuses de cet ordre se sont fort
multipliées en Italie, où elles ont plus de
cent trente maisons. Klbs en ont aussi en-
viron quarante-cinq en France, cinquante
en Espagne, quinze en Portugal, quarante
en Allemagne , où les hérétiques en ont dé-
trait un plus grand nombre. Elles en ont
cussi en Pologne, i n Hu-sie et dans plusieurs
aulris lieux, et même dans les Indes. La
plupart de ces monastères sont soumis aux
supérieurs de l'ordre ; mais il y en a plu-
sieurs qui dépendent des ordinaires des lieux
où ils sont situés. Parmi le nombre de ces
monastères , il y en a aussi du tiers ordre
de Saint-Dominique. Les religieuses de cet
ordre, tant du second que du troisième, sont
habillées de blanc quant a la robe et au sca-
pulaire, mais le manteau est noir. Celles du
tiers ordre ne devraient point porler de
voile noir, cependant elles en portent en
plusieurs endroits, comme à Melz,àToul,etc.
Les religieuses du second ordre, conformé-
ment à leurs constitutions, ne douent man-
ger de la viande que dans les maladies. Outre
les jeûnes prescrits par [Eglise, elles doivent
jeûner tous les vendredis , depuis Pâques
jusqu'à la lète de 1 Exaltation de la sainte
croix, et tous les jours, depuis celle fête jus-
qu'à Pâques. Elles ne doivent avoir que des
chemises de serge, ne doi\ent dormir que
sur des paillasses. Mais il y a plusieurs mo-
nastères qui se sonl relâchés de ces austéri-
tés. Oulre le grand office, elles doivent en-
core réciter au chœur le petit office de la
Vierge.
Voyez Gio Michiele Pio , Proç/en. di S.
Domenic; Vincent Mar. Font., Monument.
fiominiç,; Jean de Rechac , Vie de S. Dum.
el de ses i otitp.
Outre le monastère de Pi ouille, donl nous
avons parlé, il y a encore en France plu-
sieurs célèbres monastères de cet ordre, où
l'on ne recevait autrefois que des ûlles no-
bles , comme ceux de Poissy, d'Aix et de
Monlfleury. Le monastère de Poissy fut fondé
par Constance, femme du roi Robert. Eile y
mit d'abord des religieux de Saint-Auguslin ;
mais Philippe le Bel ayant fait refaire Féglise,
augmenta le iuona>tère et y mil des religieu-
ses de l'ordre de Saint-Dominique.
(I) Des Noulys, Hist. des rois de Sicile el deNa-
plt's. liv. vin, n" 6.
W Voy., à la lin du vol., n* 10.
Charles II, roi de Sicile et de Naplcs, el
comte de Provence , fut fondateur de celui
d'Aix. D'abord il fit bâtir le monastère, sous
le titre de Noire-Dame de Nazareth, dans le
territoire d'Aix, au lieu nQmmé la Di rame,
et y donna des fonds suffisants pour l'enlre-
licn de cou: religieuses, qui devaient être
toutes d'extraction noble. Béalrix , la plus
jeune de .-es ûlles, y prit l'habit, el depuis
il l'en tira pour la marier (1). Ce monastère
a été transféré dans la suite dans la ville.
d'Aix et a pris le nom de Saint-Barlhélemj.
Les religieuses, élant tombées dans le reiâ-
chement, n'abandonnèrent pas seulement
les observances régulières , mais quittèrent
encore leur habit religieux pour se confor-
mer entièrement aux dames du n, onde, à
l'imitation de tant de collèges de chanoines-
ses séculières ; ( l peul-ètre qu'elles auraient
pris encore ce titre et renonce aux vœux
solennels à l'exemple des chanoinesses, si
l'on n'y avait remédié en introduisant la ré-
forme dans ce monastère sue la fin du der-
nier siècle. Comme il v en eut j lu ieurs qui
ne voulurent pas s'y soumettre , o;i sépara
le monastère eu deux, afin que les réformées
ne pusS' nt point avoir de communication
avec celles qui voulaient persister dans le
relâchement , et on appela le quartier de
celles-ci le Vicariat, a cause que celle à qui
elles obéissaient n'avait que le titre de \ i-
caire, comme dépendante de la prieure des
réformées. On leur défend, t de recevoir des
novices, el on les laissa vivre dans leur an-
cienne observance , en conservant toujours
leur habillement séculier, qu'elles ont néan-
moins un peu change de temps en temps, se-
lon que les modes du monde , auxquelles
elles se conforment, ont changé; el il était
l'an 1708 tel qu'il est représenté dans la fi-
gure que nous avons fait graver d'une de ces
religieuses non réformées (2>. Cet habit est
blanc entièrement : elles ont une espèce de
scapulaire qui pourrait passer pour un ta-
blier, ne se niellant que par devant ; el der-
rière leur coioure , elks mettent un petit
morceau de gaze noire en guise de voile,
mais qui néanmoins ne couvre que leur bon-
net et leur coiffure, et descend jusqu'au mi-
lieu du dos.
Les religieuses de Monlfleury furent fon-
dées par Humberl II, dauphin de Viennois,
l'an JiG2. Ce prince, ayant fait vœu d'a-su-
rer un fonds à perpétuité pour l'entretien de
Irois cenls religieuses, commença, pour sa-
tisfaire a celle obligation , par la fondation
d'un monastère de religieuses de l'ordre de
Saint-Dominique auquel il destina son châ-
teau el sa terre de Muntlleury, éloignes de
Grenoble de deux lieues (3). Le nombre de
ces religieuses devait être d'abord de quatre-
vingts, oulre six religieux pour leur admi-
nistrer les sacrements. Deux ans après, il
l'augmenta de quarante, et en ISiS il le ré-
duisit à soixanle-dix. Ces religieuses ont
(3 Mémoires pour l'histoire du Dauphiné, p. 174,
et 451.
vo
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
ta
toujours fait paraître une grande régularité
de mœurs et de conduite, accompagnée d'une
honnête liberlé, n'étant pas obligées aux lois
étroites de la clôlure, comme dans les autres
monastères. On voit les noms des plus con-
sidérables Familles de la province parmi
ceux des filles dont le monastère de Monl-
fleury a été rempli depuis .-on instiiution.
Clément VI approuva cette fondation, et ac-
corda aux religieuses de cette maison tous
les privilèges dont jouissaient celles de
Prouille, qui entre autres avaient obtenu de
Grégoire \ eelui d'élire entre eiles leurs
prieures à perpétuité, et avant ce pontife,
Alexandre IV leur avait permis de posséder
les biens qui leur écherraient des successions
de leurs pères et mères, et tout ce qui pro-
viendrait de la libéralité de leurs parents.
Ces religieuses sont distinguées des autres
pour l'habillement, en ce que l'hiver elles
portent une robe noire ouverte par devant
sur leur habit blanc; celle robe noire ne
descend que jusqu'à mi-jambe, et est dou-
blée d'hermine, et elles ont sur le front une
pointe noire comme les veuves en portaient
autrefois (1).
L'ordre de Saint-Dominique a, comme tous
les anciens corps religieux, subi sa pari des
épreuves amenées par le dix-huitième siècle.
Il avait continué de servir et d'édifier l'E-
glise; il avait vu aussi en plusieurs contrées
quelques-uns de ses établissements dispa-
raître. La persécution la plus sensible que
reçurent les religieuses Dominicaines fut
peut-être celle que leur fiL éprouver le trop
fameux Ricci, évêque de Pistoie , en
Toscane. Dans les mémoires de ce prélat, on
voit que des désordres régnaient dans les
couvents de Sainte-Catherine et de Sainte-
Lucie de Pistoie , et que les deux évéques
qui l'avaient précédé sur le siège de cette
ville avaient essaye, presque sans succès,
d'y apporter remède. Ces deux évéques
étaient Alamanni et Ippolili ; tous deux
avaient demandé à Rome que les Domini-
caines des monastères dont il est ici queslion
fussent soustraites à la direction des Domi-
nicains, et soumises à leur entière juridic-
tion, lppoliti reçut en janvier 1777 une let-
tre du pape qui non-seulement refusait
formellement tout ce que le prélat lui avait
demandé, mais encore l'accablait de repro-
ches et le réprimandait aigrement de ce qu'il
avait osé rappeler à la mémoire une affaire
que Sa Sainteté croyait entièrement oubliée
depuis la mort de l'évèque Alamanni. Ou
trouvait surtout fort mauvais dans cette let-
tre qu'lppolili eût contribué de cette ma-
n .e à l'exécution du plan du grand-duc
Léopold, lequel plan était de priver tous les
cou ents de femmes de la direction spiri-
tuelle des réguliers ; «plan, y était-il dit,
« opposé aux saints canons, et nuisible à
« l'Eglise, à la religion et à la réputation des
« ordres monastiques. » Ippolili eut seule-
ment la permission de transférer les dissi-
dentes (c'est-à-dire les opposées à son cn-
(1) Voff., à la fin du vol.,n* IL
treprise ), do couvent de Sainte-Catherine
de Pistoie à celui de Saint-Clément de Prato,
alors dirigé par les Dominicains, et où elles
furent ri eues, disent les Mémoires de Ricci,
comme en triomphe. Sous l'administration
de Pcvéq'ie Ricci, vil instrument et peut-être
en partie instigateur des mesures odieuses
prises par le grand-duc Léopold contre la
liberté de l'Eglise, l'affaire des Dominicaines
prit une nouvelle activité. S'il fallait en
croire ce prélat, il y aurait eu chez les reli-
gieuses des monastères que nous avons
nommés , et cela depuis des siècles, des
scandales affreux, fomentés et amenés par
les Dominicains, sous le rapport de la foi et
des moeurs. Des révélations avaient été fai-
tes par quelques religieuses, et il paraît que
les accusations avaient quelques fondements.
.Mais il faut savoir que nous n'avons pour
renseignements que les Mémoires de l'évè-
que Ricci , puisés dans les arch.ves de sa
famille et publiés en 1826 par le sieur De
Potier, si connu par son opposition à l'Eglise
catholique, et aujourd'hui si complètement
oublié, nonobstant la fraternité qui s'était
établie entre lui et le parli Lamennaisieu,
après la révolution de 1830. Un grand pré-
jugé contre ce qu'il est dit de fort sur les
Dominicaines et les Dominicains dans ces
Mémoires plus ou moins véridiques , c'est
qu'on y voit que les Dominicains , les Jé-
suites, la cour de Rome et le pape, étaient
opposes aux entreprises de Ricci, et favori-
saient les religieuses. Tant de personnes de
ce poids n'auraient guère soutenu des fem-
mes coupables au point que prétendent
monseigneur l'évèque janséniste et monsieur
l'éditeur athée et révolutionnaire. Nous
croyons savoir que le monastère de Dijon,
en France, avait été supprimé avant la révo-
lution.
Lors des innovations amenées par celle
révolution, si funeste à l'Eglise et surtout à
l'état religieux , les Dominicaines , comme
tous les ordres de femmes , montrèrent un
grand exemple de fidélité. Nous citerons en-
tre autres le monastère des Dominicaines de
Calais. Il y avait alors dans ce monastère une
religieuse fort rem rquable, dont M. l'abbé
Tiion parle dans son Histoire abrégée des or-
dres religieux. Cette religieuse était madame
Grey, dont le véritable nom était très-proba-
blement, Dorwni Waler. Son grand-père était
mort sur i'échafaud en 1746, pour 1 honora-
ble cuise du prétendant Edouard ^tuart.
Cette religieuse et les autres Dominicaines
expulsées s'étaient toutes retirées à Calais.
Elles rendirent de grands services aux émi-
grés par l'intermédiaire de l'une d'elles, qui
était une française nommée Danel. Les let-
tres qu'elle recevait pour les familles mal-
heureuses étaiei.l adressées à la sœur Grey;
mais c'était la sœur Danel qui les recevait
et allait les prendre des mains des commis-
sionnaires obligeants. Ces lettres étaient ap-
portées dans une vessie attachée à la partie
sous-manne du bâtiment. Un jour la ruse
81
no.M
DOM
89
fut découverte, les religieuses compromises
et accusées. Une rivalité édifiante s'établit
entre les sœurs Crey et Daoel, à qui prou-
verait le mieux sa culpabilité et l'innocence
de sa compagne. La Mère Crey fut poursui-
vie et condamnée; mais comme elle avait
atteint l'âge de soixante-quinze ans, au lieu
de la conduire à l'échafaud , ou l'envoya à
l'île de Ré.
11 e»t surprenant que le P. Hélvol n'ait pas
dit un mot du monastère des Dominicaines
de Paris , qui méritait pourtant quelque
mention, et était situé presque à la porte de
son propre monastère. Nous allons reparer
cetle omission, d'autant plu; que ce couvent
esi le seul aujourd'hui à Paris, et le plus re-
marquable du petit nombre des couvents
de cet ordre c^ui se voient aujourd'hui en
France.
Les religieuses dominicaines avaient au-
trefois deuv monastères à Paris, l'un situé
dans la rue qui porte encore aujourd'hui le
nom des Fi les-Saint-Th ornas, ou plutôt rue
Neuve-Saint-Augustin, en face de la rue Vi-
vienne. Celte partie de la rue Neuve-Saint-
Augustiu prit depuis le nom de rue dos
Filles-Saint-Thomas. Ces religieuses de-
vaient leur établissement à Pans à Anne de
Caumont, femme de François d'Orléans de
Longueville , comte de Longueville et de
Saint-Paul, et duc de Fronsac. Celle dame,
ayant obtenu du cardinal Barberin , légat
d'Urbain VIII, par une bulle dalée du 5 oc-
tobre 1625 , la permission de fonder à Paris
un monastère de religieuses de l'ordre des
Frères Prêcheurs réformés, sous l'invocation
de sa in te Catherine de Sienne, fit venir de Tou-
louse la Mère .Marguerite de Jésus, dont la vie
se trouve dans l'ouvrage intitulé L'Année Do-
minicaine, et six autres religieuses du même
ordre. Arrivées à Paris, le 27 novembre 1026,
elles furent, Ie2 mars suivant, avec la permis-
sion de l'archevêque de Paris, installées dans
l'hôtel du Bon-Air, rue Neuve-Sainte-Gene-
viève, faubourg Sl-Marceau, et y restèrent jus-
qu'en 1632. Alors elles allèrent se loger rue
Vieille-du-Temple, au Marais; et enfin, le 7
mars 16V2 (Le Bœuf. Labane, La Caille, Piga-
niol, disent 1652), elles s'établirent dans la rue
Ncuve-Sainl-Auguslin, où elles sont demeu-
rées jusqu'à la suppression. Le 7 mars étant
le jour de la fêle de saint Thomas d'Aquiu,
les religieuses dominicaines pr rent ce nom
illustre pour leur maison. Une partie des re-
ligieuses de la maison du faubourg Saint-
Marceau , alors trop nombreuse à Saint-
Thomas, s'établit au Marais, rue d'Orléans.
Le 6 mars 1627, la Mère Marguerite, prieure,
accompagna la petite colonie qu'on faisait
sortir d i premier établissement, et en 1636,
elle les conduisit dans la rue Plâtrière, où
elles restèrent jusqu'à la fin de la même an-
née. De là elles allèrent rue Matignon , où
elles demeurèrent jusqu'en 164.1. Alors elles
allèrent s'établir rue Charonne, dans la mai-
son qu'elles occupent encore par leurs suc-
cesseurs, et qu'elles durent à la générosité
de mademoiselle Ruzé d'Effiat, fille du maré-
chal de ce nom , qui donna tout son bien à
cette maison , et s'y fit religieuse, e» 1636,
dans la maison de Saint-Thomas.
La première pierre du bâtiment fut posée
le 3 août 1639, et on donna au monastère le
nom de la Croix, sous lequel il est encore
connu aujourd'hui. Les religieuses y entrè-
rent le 16 janvier 164-1. Cette date s'accorde
avec celle que nous avons donnée pour épo-
que de l'entrée des religieuses au couvent de
Saint Thomas , d'après M. de Saint-Victor ;
mais nous croyons devoir ajouter ici que
les Mémoires qui nous sont fournis par
les religieuses dominicaines elles-mêmes
portent que leurs Mères , en arrivant de
Toulouse , logèrent d'abord à l'abbaye de
Jouarre , d'où elles passèrent dans leur mo-
nastère de la rue Vivienne, le 6 mars 1627,
et y chantèrent les premières vêpres de
saint Thomas d'Aquin ; que ce fut de cette
maison que sortit la Mère Marguerite pour
la seconde fondation , conduisant d'abord la
nouvelle colonie rue Vieille-du-Temple , et
de là rue Plâtrière dans l'hôtel de madame
de Castille, où mademoiselle d'Effiat fit pro-
fession.
Le monastère de la Croix avait une vaste
clôture, qui lui a été enlevée par la révolu-
tion et le gouvernement de Louis -Philippe,
car une partie de son enclos n'a été définiti-
vement aliénée que depuis la révol >li u de
juillet 1830; mais il n'était point entièrement
bâti, et forme un carré non fermé. L'église
est prise sur le rez-de-chaussée , du côté
nord , et sur la partie du cloitre qui y est
jointe.
Quand les Frères des Ecoles chrétiennes
vinrent s'établir à Paris, conduits par M. De
la Salle, le monastère de la Croix, alors dans
l'aisance, subvint à leurs besoins par des se-
cours généreux et abondants.
Vers l'année 1731 ou 1732, le roi envoya
aux religieuses de la Croix une leltre de ca-
chet qui leur défendait de recevoir des sujets
et de taire faire profession aux novices. Cette
interdiction dura jusqu'au mois de juin 1736.
Il nous a paru, parla lettre de l'archevêque
de Paris, qui annonce à la prieure la ces-
sation île cette défense, que le jansénisme ou
le défaut de régularité avaient pu donner
occasion à cette rigueur.
En 1782, la communauté obtint de Pic VI
des indulgences en faveur de la dévotion au
sacré cœur de Jésus, établie dans son église.
En 1790, il fut signifié à la communauté, par
l'assemblée nationale, d'envoyer à la mon-
naie toute l'argenterie, et même les vases
sacrés dont on pouvait se passer, pour être
fondus, et pour qu'elles se rendissent ainsi
utiles à la patrie. La communauté déclara,
en envoyant l'argenterie, qu'elle n'avait de
vases sacrée que ceux qui étaient nécessai-
res. La même année, la municipalité de Pa-
ris fil faire une visite dans le monastère, in-
terroger toutes les religieuses séparément,
et demander leur volonté sur leur séjour
personne! dans la maison , et enfin faire l'é-
lection d'une prieure. Toutes déclarèrenl
qu'elles nommaient el voulaient la prieure
en charge, révérende Mère Sainte-Thérèse
83
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
81
Charlon. Le procès-verbal de la visile minu-
tieuse qu'on fit alors, est tout à la louange
de la communauté.
En 1792 , la communauté eut ordre d'éva-
cuer le monastère pour le 20 août, et défense
en même temps de former corporation, dans
aucune maison, au nombre de plus de huit.
La Mère prieure laissa auxjeunes religieuses
qui avaient leur famille, le rihoij de s'y retirer
ou de rester avrc quelques-unes d'elles , et
de se résoudre à une rigoureuse pauvreté.
Plusieurs furent forcées par leurs parents à
se retirer chez eux ; une des anciennes fut
demandée pour faire une éducation parlicu-
lière ; les autres s'abandonnèrent à la con-
duite de la Mère prieure, à qui elles avaient
voué obéissance.
Elles se divisèrent en Irois groupes : la
Mère prieure et sept de ses filles allèrent de-
meurer rue de la Cerisaie; la Mère sous-
prieure alla, avec sept autres, demeurer rue
de la Roquette; la majeure partie des sœurs
converses se relira dans une maison de la
rue de Charonne, où il y avait un four et un
jardin. Là elles cultivèrent la terre et conti-
nuèrent leur commerce de bonbons jusqu'en
l'année 1819, époque à laquelle elles se réu-
nirent à leurs anciennes Mères. Malgré leur
séparation , les religieuses restèrent toutes
sous l'obéissance de la Mère prieure , qui
confiait son autorité à une des anciennes
dans les maisons qu'elle n'habitait pas , et
recevant en audience celles qui voulaient
lui parler. Lors de la séparation, il y avait
vingt-cinq religieuses de chœur et treize con-
verses; quelques-unes de celles-ci vivaient
encore quand nous fûmes nommé confes-
seur extraordinaire de celte communauté,
en 1831.
La prieure et celles qui s'étaient réunies
à elle firent un petit commerce de fleurs,
éventails, jarretières et autres petits ouvra-
ges de celte sorte , qui leur permettaient de
suivre leur règle et de faire même des éco-
nomies pour les temps où elles pourraient
se réunir.
Dès l'année 1807, elles fuient reconnues
par l'empereur Napoléon , qui leur pro-
mettait l'ancien couvent de Saint-Thomas,
rue Vivienne. Par la protection de M. Porta-
lis , ministre des cultes , qui s'intéressait à
elles, elles étaient sur le point d'en prendre
possession lorsque la mort de ce protecteur
vint retarder leur bonheur. Les choses
restèrent en suspens jusqu'en 1810.
Leur monastère de la Croix n'avait point
été vendu par la nation; un décret de l'Em-
pereur l'avait concédé aux filles de la Cha-
rité de Saint-Vincent-de-Paul, pour leur ser-
vir de noviciat et de maison-mère. Grâce
à Dieu, celte maison ne put convenir à ces
sàinlés filles, qu'on établit rue du Bac, au
lieu où elles sont actuellement, et l'injuste
spoliation de la maison de la Croix ne fut
point consommée. En 1810, MM. le comte
de Wilmauzy et le marquis de Grosbois,
pairs de France, obtinrent de Louis XVIII la
concession du monastère de la Croix à ses
anciennes religieuses. Celle concession fut
faite par une ordonnance datée du 26 septem-
bre. La sénalorerie mit aussitôt opposition à
la concession des terrains ou marais qui lui
avaient été concédés, et il ne resta aux reli-
gieuses que le jardin, d'un arpent d'étendue,
qu'elles possèdent actuellement. Elles ne
purent entrer en jouissance qu'à la fin du
bail de M. Richard Lenoir, qui avait loué
les bâtiments. Ce bail ne devait expirer que
le 31 décembre 1824.
Dès ratifiée 1814, lors des espérances si
belles et malheureusement si trompeuses
que donna la Restauration, les Dominicaines
pensèrent à vivre toutes ensemble; mais leurs
bails respectifs ne finissaient qu'en 1816, et
chaque maison élait trop petite pour les con-
tenir loutes.Un autre obstacle venait de leur
pauvrelé, qui nclenr permettait pas de payer
un aumônier. Le P. Monteinard, ancien Mi«
nime, directeur d'un grand nombre d'entre
elles trouva moyen de lever celte difficulté
de la manière édifiante que nous allons dire:
madame de Alazard était une ancienne reli-
gieuse de Montmartre qui vivait relirée dans
le Marais, à Paris, avec une sœur converse
qui l'avait suivie à la sortie de son abbaye.
Elle avait un oratoire particulier, où à l'épo-
que don! nous parlons neuf ecclésiastiques
on religieux disaient la messe. Le P. Mon-
teinard en était un, et il se concerla avec
madame de Alazard, qui entra dans ses vues,
et l'un des ecclésiasiiques de s fi maison,
M. l'abbé Leclerc, se dévoua gratuitement à
l'œuvre des Dominicaines, dont il fut l'aumô»
nier dès 1814, dans la maison de celles qui
habitaient alors la rue Saint-Denis, les sui-
vit dans leurs diverses habitations et desser-
vit la communauté pendant trente ans. Nous
avons eu le bonheur de nous lier avec ce
saint ecclésiastique, ancien professeur, qui,
non content d'être gratuitement au service
de la communauté des Dominicaines, lui a
même fait part île ses bienfaits.
Les religieuses prirent d'abord une maison
à loyer, rue des Amandiers-Popincourt, y
entrèrent au mois de juillcl 1816 et y repri-
rent l'habit religieux le 4 août de celle an-
née; jusqu'alors elles avaient gardé l'habit
séculier. Elles étaient an nombre de 12 cho-
ristes et de 4 converses. Les autres converses
de la rue de Charonne ne s'y réunirent, ainsi
que nous l'avons dit, qu'en l'année 1819.
Nous dirons ici que les Dominicaines de la
Croix offrirent aux religieuses de leur ordre,
qui n'avaient pas eu comme elles le bonheur
de recouvrer leurs maisons, de venir se
réunir à elles. Cinq se rendirent à celle in-
vitation ; l'une était madame de la Prade, du
couvent de Saint-Etienne ; lr. deuxième, du
couvent de Dinan ; la troisième, madame le
Normand de Villers, de l'ancienne maison do
Poissy, et qui exerça depuis la charge de
prieure, pendant onze ans ; la quatrième
élail une religieuse de la maison de Rosaye,
du second ordre, en Brie; la cinquième était
du couvent de Montpellier. Nous voyons avec
surprise que celte liste ne contient aucune
religieuse de l'ancienne maison de Saint-
Thomas.
85
DOM
DOM
se
De la niciles Amandiers, les Dominicaines
allèrent demeurer rue de Montreuil, n° 37,
au faubourg S;iint-Anloine, dans un local
plus vaste. Mesdames de Cîroshois et de Wil-
mauzy furent très-utiles par leurs dons cha-
ritables au rétablissement de l'intérieur de
la maison de la rue Ch ironne ; mais un tiers
des bâtiments avait été abattu, par suite de
vétusté.
La pauvreté de la maison n'a point encore
permis d'y rétablir la clôture rigoureuse,
que les religieuses gardent néanmoins au-
tant que possible. Nous avons donné ces dé-
tails sur cette maison des Dominicaines,
p;irce qu'ils feront voir par analogie ce qui
fut fait dans les autres monastères à cette
époque, et aussi parce qu'ils sont édiGanls et
intéressants pour cet ordre célèbre et pour
les lecteurs.
Depuis la mort de M. Lcclerc , les Pères
de la maison de Pirpus font à La Croix les
fondions d'aumônier. Les religieuses ne se
lèvent pas actuellement à minuit pour ma-
tines, mais elles font promettre à toutes
celles qui font profession de ne pas meilre
d'obs'acle au rétablissement de ce point de
la règle, quand on pourra le rétablir. Lors-
qu'elles habitaient la rue de Montreuil, la
prieure et M. l'abbé Leclerc, sans tenir cha-
pitre et «ans consulter l'autorité, se déter-
minèrent à faire prendre aux religieuses le
bréviaire- do Paris. Cette mesure singulière
fut prise pendant le carême. Peu de temps
après l'archevêque de Paris, M. de Quélen,
vint voir la maison. La prieure lui dit qu'elle
avait pris le brév aire du diocèse. L'arche-
vê iue témoigna sa surprise et son mécon-
tentement. «Je n'ai qu'une maison de Domi-
nicaines dans mon diocèse, dit-il, je désire
qu'elle garde son rite et que son bréviaire n'y
suit pas supprimé.» La prieure fil reprendre
le bréviaire de l'ordre, la veille de saint
Dominique, au mois d'août suivant ; ainsi
le bréviaire de Paris ne fut récité que pen-
dant quelques mois. Ceci se passa e*i 1824
ou 1825. Les religieuses ne rentrèrent dans
la maison de la Croix qu'au mois d'octobre
1825. Lorsque nous étions confesseur extra-
ordinaire de cette maison, alors peu nom-
breuse, nous limes, de la part d'un supérieur
ecclésiastique, la triste commission de pro-
poser la récitation de l'office de la sainte
Vierge au lieu du bréviaire de l'ordre. Nous
vîmes avec plaisir et édification la mère
prieure rejeter avec empressement notre pro-
position et tenir à son bréviaiie, qu'elle avait
pourtant abandonné, comme nous venons de
le dire, quelques années auparavant. Les re-
ligieuses ont eu la consolation de voir les
Dominicains rétablis venir plusieurs fois of-
ficier dans leur monastère. Elles ont eu suc-
cessivement deux religieuses, venues d'un
monastère de Suisse, pour gouverner la mai-
son en qualité de prieures.
11 reste peu de maisons de cet ordre en
France. La célèbre maison de Prouille est
tout à fait détruite. Celle de Poissy, non
moins illustre, sert aujourd'hui de prison
centrale ; ce célèbre monastère avait gardé
jusqu'à la fin une partie do son ancienne
splendeur. Les religieuses y étaient nom-
breuses ; dix religieux Dominicains la des-
servaient; la prieure était perpétuelle; la
dernière fut madame de Ouelen, de la famille
de l'archevêque de Paris du même nom.
Les religieuses Dominicaines appellent re-
ligieuses du second ordre celles qui ne sont
pas réformées comme elles, mais en réalité
elles sont toutes du second ordre de Saint-
Dominique, hors celles qui, réellemeut sui-
vant la troisième règle, sont du tiers ordre
et appelées Calheriueites en quelques lieux.
La maison de Mauriac, diocèse de Saini-i
Flour, a été détruite au mois de mai 18i7.
L'esprit de l'ordre ne régnait pas autant qu'il
eût fallu dans ce monastère, et peut-être
pourrions-nous ajouter que l'autorité ecclé-
siastique n'a pas pris les moyens de l'y ré-
tablir. D'autres religieuses occupent la mai-
son.
Reste donc encore la maison de Lange m-,
qui est connue par la célébrité que lui donne
la vénérable mère Agnès, amie de M. Olier,
et qui est, dit-on, actuellement très-pauvre.
Celle-ci est, comme celle de Paris, du grand
ordre de Saint-Dominique. Le tiers ordre
compte les maisons de Langres, d'où est
sortie celle de Bar-le-Duc et de Châlons-
sur-Saône.
L'ordre de Saint-Dominique possède au-
jourd'hui des monastères de femmes dans la
plupart des pays catholiques en Europe; il
y en a aussi en Amérique et même, croyons-
nous, en Asie et en quelques pays prote-
stants. Il y a, dans les Etals soumis à l'em-
pereur d'Autriche, huit maisons, contenant
cent cinquante religieuses. La maison de
Rome est sous la direction immédiate des
Dominicains, eomme l'étaient autrefois celle
de Poissy et autres. Dans la plupart des au-
tres pa\s, les Dominicaines sont, comme à
Paris, sous la juridiction de l'ordinaire.
Mémoires de Scipion liieci, lom. 1". — •
Tableau historique et pittoresque de Paris,
par M. de Saint-Vie or. — Mémoires manu-
scrits, fournis par la révérends Mère Saint-
Bernard,- Dominicaine de Paris, etc., etc.
B— D-E.
DOMINICAINS (Ordre des).
De l'Ordre des Frères l'récheuis ou Do>iiini~
cains appelés en France Jacobins, avec la
vie de saint Dominiqw, leur fondateur.
§ I". Institution de l'ordre.
Guillaume de Puys Laurens, dans son His-
toire des Albigeois, parlant de l'ordre des
Frères Prêcheurs fondé par saint Domi-
nique, dit que l'établissement de cet ordre
est une preuve manifeste de ce qu'a dit l'apô-
tre saint Paui, qu'il fallait qu'il y eût des
hérésies [I Cor. xi, 19). I n effet, s'écrie uu
auteur moderne dans une histoire qu'il nous
a donnée aussi de ces mêmes Albigeois, que
de saints, que de martyrs, que de docteurs,
que de lumières de l'ordre de Saint-Domi-
nique qui n'auraient peut-être jamais éclairé
l'Eglise sans les erreurs de ces hérétiques I
87
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
Saint Dominique naquit l'an 1170 à Calarue-
ga ou Calaroge, bourg du diocèse d'Osma
dans la Vieille-Castille. Son père se nommait
Félix Guzman de l'ancienne et noble famille
«les Guzman , qui tient encore un rang con-
sidérable en Espagne; et sa mère, Jeanne
d'Aza, laquelle, élant grosse de saint Domi-
nique, eut un songe mystérieux où elle s'ima-
gina mettre au monde un polit chien qui
d'un flambeau allumé qu'il tenait à sa gueule
«clairail tout le monde : présage évident de
ce qui est arrivé dans la suite, lorsque par
l'ardeur de son zèle et le feu de sa charité
il a éclairé un nombre infini d'hérétiques
<ju'il a lires des ténèbres de l'erreur pour
leur faire connaître les lumières de la vé-
rité.
Ou lui donna au baptême le nom de Domi-
nique, à cause de la dévotion que sa mère
portait à saint Dominique de Silos, qui lui
apparut un jour qu'elle priait à son tombeau
dans un monastère proche de Calaroge, et
lui prédit ce que Dieu devait faire par le
moyen de son fils. Ce fut ce motif qui porla
ses parents à chercher de bonne heure les
moyens les plus propres pour lui procurer
une éducation qui le rendît digne de devenir
le ministre des desseins de Dieu. Dominique
répondit aux intentions et aux soins de ses
parents. A peine commença-l-il à parler qu'il
demandait d'aller dans l'es églises pour y
prier Dieu, et qu'il se levait secrètement la
nuit pour donner à celte sainte occupation
le temps qu'il ôtait à son repos. A l'âge de
six ans on le mit sous la conduite d'un de
ses oncles arciiipréire de l'église de Gumycl
d'Vssan, pou! y apprendre les lettres hu-
maines. Le temps qui lui restait de ses études
n était point employé à des amusements in-
utiles ; l'assistance aux divins offices, le chant
de 1 Eglisv, les exercices de dévotion, la dé-
coration des autels, satisfaisaient sa piété et
lui tenaient lieu de divertissement.
Ayant p;issé sept années dans l'étude des
îellres humaines et dans ces sortes d'occu-
pations, on lf relira de la maison de son on-
cle pour l'envoyer à Palencia, ville episco-
pale du royaume de Léon, où il y avait pour
lors une université qui fut transférée dans
la suite, l'an 1217, par le roi Ferdinand 111
dans la Tille de Salamanque. 11 y employa
^ix ans à l'étude de la philosophie et de la
théologie, joignant toujours à l'étude l'orai-
son et la prière. Il jeûnait dès lors très-fré-
quemment, dormait peu, et ne se reposait
souvent que sur le plancher de sa chambre.
11 faisait paraître un amour tout particulier
pour la retraite. Il ne sortait que pour aller
aux églises et aux écoles publiques. Il était
le père des orphelins, le protecteur des veu-
Tes, le refoge des pauvres, pour le soulage-
ment desquels, dans une cruelle famine
qui désola toute l'Espagne, il Tendit tous
ses livres et ses meubles; et même dans une
autre rencontre il se voulut vendre lui-
même, s'élant offert pour être la rançon d'un
jeune homme qui avait été pris par les
Maures.
Sa charité ne se borna pas à soulager son
prochain dans les nécessités du corps, il vou-
lut lui procurer des biens spirituels, et le
zèle qu'il avait pour le salut de ses frères
lui fit entreprendre de rudes pénitences pour
la conversion de ceux qui étaient endurcis
dans leur péché. Toujours prêt à donner sa
vie pour empêcher que Dieu ne fût offensé,
il sentait au dedans de lui-même une si forte
douleur des péchés d'aulrui, qu'il les pleurait
amèrement, comme s'ils avaient été les siens
propres. Ce fut ce zèle du salut du prochain
qui le fit résoudre à travailler à la conver-
sion des pécheurs par ses discours ; il com-
mença pour lors à faire paraître les grands
talents que Dieu lui avait donnés. 11 les em-
ploya avec tant de succès que les premiers
fruits qu'il en retira furent la conversion
d'un seigneur nommé Conrard qui avait élé
compagnon de ses éludes, et qui, s'étant fait
dans la suite religieux de l'ordre de Cîleaux,
fut élevé à la dignité de cardinal. Ses dis-
cours épouvantaient les pécheurs, conver-
tissaient les hérétiques, servaient de guides
aux pénitents, et de consolation auxalfligés.
De si saints exercices et tant d'exemples de
vertu augmentèrent la réputation de Domi-
nique, qui, n'ayant pas encore vingt-quatre
ans, était déjà consulté comme le directeur lo
plus expérimenté sur les affaires du salut.
Dom Diègue de Azebez, évêque d'Osma,
voulant reformer les chanoines de son Egli-
se, et leur faire embrasser la vie régulière
sons la règle de Saint-Augustin, jeta les yeux
sur Dominique pour le faire entrer dans son
chapitre, le regardant comme celui qui se-
rait le plus capable de soutenir par son
exemple l'établissement de la réforme qu'il
projetait. Il lui en fit la proposition , et Do-
minique, ne doutant point que Dieu ne lui
parlât par la bouche de son évêque, quitta
Palencia pour venir prendre l'habit de cha-
noine et faire profession de la vie religieuse
dans l'Eglise d'Osma. Quoiqu'il n'y changeât
que son extérieur, il ue laissa pas de paraître
un homme tout nouveau parla ferveur avec
laquelle il se porta à la perfection de son
étiit ; et, croyant que jusque-là il n'avait en-
core rien fait pour son salut, il augmenta
ses jeûnes, ses veilles, ses pénitences et ses
mortifications. Les chanoines d'Osma, sur-
pris et édifiés de ses vertus, croyaient voir
leur cathédrale changée en un oés< rt sem-
blable à ceux de la ïhébaïde et de l'Egypte,
tanl était grande l'humilité, la mortification,
l'abstinence et la retraite de Dominique ;
aussi faisait-il son élude particulière des
Conférences de Cassien, afin d'imiter ces an-
ciens Pères des déserts.
Son évêque, qui connaissait son talent, ne
voulut pas renfermer dans son Eglise le tré-
sor qu'il possédait; il lui permit d'aller por-
ter la parole de Dieu aux nations, et de prê-
cher la pénitence aux pécheurs. Aussitôt il
parcom ut plusieurs provinces, travaillant à
détruire en même temps les vices et les er-
reurs dont les mahométans et les hérétiques
les avaient infectées. La première conver-
sion qu'il fit, et la plus éclatante, fut celle de
Reinier, qui, ayanl renoncé à l'hérésie dont
88
DOM
DOM
90
il était l'auteur, fut employé bientôt après
par le pape Innocent 111 contre d'autres hé-
rétiques qui avaient autant de noms dif-
férents qu ils occupaient de différentes pro-
vinces, cl qui entra depuis dans l'ordre des
Frères Prêcheurs.
Quelque temps après, Dominique fut or-
donné prêtre par l'évèque d'Osma, qui le fit
sous-prieur de son chapitre, qui était la pre-
mière dignité après la sienne, puisque, après
avoir embrassé la régularité qu'il avait pre-
scrite aux autres, il en était devenu prieur.
Ce prélat ayant encore scrupule de retenir
Dominique, dont la vocation était d'instruire
et de convenir les peuples, l'envoya dere-
chef pour remplir ie ministère de prédicateur
évangélique. H parcourut plu>ieurs provin-
ces, la Galice, la Castille et l'Aragon, où
il fil plusieurs conversions, jusqu'en l'an
1204-, qu'Alphonse, roi de Castille, ayant en-
voyé l'é^éque d'Osma ambassadeur en France
pour y négocier le mariage de son fils Fer-
dinand, qui fut son successeur, avec la prin-
cesse de Lusignan, fille de Hugues, comte de
la Marche, ce prélat prit Dominique en sa
compagnie.
Ils passèrent parle Languedoc, où ils fu-
rent témoins des ravages que faisaient les
hérétiques albigeois. Ils ne purent entendre
le récit qu'on leur fit des erreurs et des abo-
minations qu'on leur attribuait sans en être
vivement touchés. L'évèque cependant re-
tourna en Espagne pour rendre compte au
roi Alphonse de sa négociation ; mais ce
prince, l'ayant renvoyé en France avec un
magnifique équipage pour amener la prin-
cesse promise au prince Ferdinand, il prit
derechef Dominique avec lui, et, étant arri-
vés au château de Gace, lieu de la résidenre
du comte de la Marche, ils trouvèrent toute
la cour en pleurs pour la mort de cette prin-
cesse, qui venait d'expirer, et assistèrent
eux-mêmes à ses funérailles. Frappés de cet
objet qui leur donnait une si vive idée de la
fragilité et de l'inconstance des choses delà
terre, ils résolurent de ne plus retourner en
leur pays. Ils y renvoyèrent leur équipage,
et, ayant pris le chemin de Home, ils obtin-
rent permission du pape Innocent lll de de-
meurer dans le Languedoc pour y travailler
à la conversion des Albigeois; mais le saint
pontife limita le séjour de Dièguedans cette
province à deux ans, après lesquels il lui
ordonnait de retourner dans son Eglise.
Avec ce pouvoir ils revinrent en France
pour travailler à leur nouvelle mission. Ils
y trouvèrent les légats du pape, qui, rebutés
du peu de profil qu'ils faisaient parmi ces
hérétiques, étaient sur le point de s'en retour-
ner et de secouer la poussière de leurs sou-
liers, selon le conseil de l'Evangile. Mais le
saint évêque d'Osma les arrêta en leur per-
suadant qu'ils feraient plus de fruit si , en
juittanl leurs grands équipages, et le faste
qu'ils avaient cru nécessaire pour relever
leur dignité, ils embrassaient la vie aposto-
lique. Ce qui réussit effectivement; car, ayant
quitte leur train et leur équipage, et mar-
chant sans argent, sans valets, sans provi-
sions, afin de prêcher encore mieux par
leur exemple que par leurs discours, ils de-
vinrent respectables par leur nouveau genre
de vie, au lieu qu'on les avait méprisés dans
leurs richesses. L'évèque d'Osma, qui avait
donné ce conseil, l'avait mis le premier en
pratique avec Dominique. 11 avait été établi
chef de la mission, dont le nombre des ou-
vriers s'était augmenté par l'arrivée de l'abbé
de Cîleaux et de douze abbés de son ordre ;
mais ces religieux étant retournés dans
leurs monastères quelque temps après, aussi
bien que l'évèque d'Osma dans son diocèse,
où il mourut dans le temps qu'il se disposait
à retourner dans le Languedoc, le légat
Raoul ayant aussi quitté cette province, et
Pierre de Caslelnau ayant été assassiné par
les émissaires de Raymond , comte de Tou-
louse, Dominique se trouva seul chargé de
tout le poids de la mission. Rien loin de se
laisser intimider à la vue des fatigues, des
tourments et des périls dont elle était accom-
pagnée, il se sentit animé plus que jamais à
poursuivre son entreprise. Un renfort de sept
ou huit ouvriers qu'il reçut redoubla son
courage, et il les distribua dans les endroits
qui avaient plus de besoin de secours. Le
nombre se multiplia encore dans la suite;
mais, comme il diminuait aussi par inter-
valle, parce que la plupart ne se joignaient
à lui que pour un temps, que souvent après
le terme de quelque mission limitée, ils s'en
retournaient à leurs premiers emplois, et
que plusieurs même ne faisaient point de
scrupule de l'abandonner dans ses plus
grands besoins, il songea à exécuter la réso-
lution qu'il avait déjà formée avant la mort
de l'évèque d'Osma et celle de Pierre de
Caslelnau, touchant l'institution d'un ordre
religieux qui eût pour fin la prédication de
l'Evangile, la conversion des hérétiques, la
défense de la foi et la propagation du chri-
stianisme. 11 assembla peu à peu des per-
sonnes touchées de l'Esprit de Dieu, qui
étaient animées du même zèle de sa gloire
el du salut des âmes. Les premiers furent
Guillaume du Clairet, et Dominique surnom-
mé l'Espagnol, à cause qu'il était natif d'Es-
pagne. Cette compagnie s'augmenta jusqu'au
nombre de seize, dont il y avait huit Fran-
çais, six Espagnols, un Anglais el un Por-
tugais. Les Français étaient Guillaume du
Clairet , dont nous venons de parler, qui
quitta l'ordre dans la suite pour entrer dans
celui de Cîleaux ; Rertrandde Cariga, Etienne
de Metz, Odier de Rrelagne, Matthieu de
Paris, Jean de Navarre, et deux frères de
Toulouse, Pierre et Thomas de Syllan, qui,
non-seulement se donnèrent eux-mêmes à
saint Dominique, mais encore leur maison
située à Toulouse proche la porte de Nar-
bonne, où saint Dominique et ses compa-
gnons firent leur première demeure. Entre
les Espagnols était Dominique l'Espagnol et
le frère de notre saint fondateur , nommé
Menez de Guzman.
Ayant ainsi réuni cette sainte troupe l'an
121j, Il résolut, pour assurer les fondements
de son institut, d'en aller demander la coafir-
Si
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
'•■3
malion à Rome, où le pape Innocent III
devait faire l'ouverture du eonciie général
de Latran. Il se mit à la compngiiie de Foul-
ques, évoque de Toulouse, l'un des approba-
teurs de son dissein, qui allait au concile.
F. Jean de Navarre fut son compagnon en
ce voyage, et il laissa pour gouverner sa
petite communauté Berirand de Cariga.
Gomme ce concile venait d'ordonner qu'on
travaillerai! plutôt à la réforme des ordres
déjà établis qu'à leur multiplication, le pape
ne voulut pas approuver celui de saint Do-
minique, qui venait d'être nouvellement
institué, quoique l'évëque de Toulouse et
plusieurs prélats eussent parlé en sa fa\cur.
Il fut lui-même rebuté plusieurs fois par ce
pontife; mais une vision semblable à celle
qu'il avait déjà eue lorsque saint François,
dés l'an 1-209, lui avait demandé la confirma-
tion de son ordre, le détermina à accorder à
Dominique ce qu'il demandait. Il le fit venir,
approuva seulement de vive voix son insti-
tut, et promit de lui donner celte confirma-
tion par une bulle lorsque, de concert avec
ses compagnons, il aurait choisi une des
règles déjà approuvées par l'Eglise, et qu'il
aurait vu les constitutions et les statuts de
son institut.
H retourna en Languedoc, où il assembla
ses frères dans le monastère des religieuses
de Prouille, qu'il avait établies ; et, s'étant
mis tous en prières afin que Dieu leur inspi-
rât le choix d'une règle, ils furent d'avis de
prendre celle de saint Augustin, à laquelle
ils ajoutèrent des statuts et des constitutions
tiont l'usage était en pratique dans un an-
cien or re. Quelques auteurs veulent que ce
foil l'ordre des Chartreux, mais le B. Hum-
bert, dans un mairuscnt qui est encotfe con-
servé à Toulouse, au rapport du Père Jean
de Rcchac, historien de l'ordre des Domini-
cains, dii que saint Dominique les tira des
constitutions de l'ordre de l'remonlré. Les
principaux articles ordonnaient le silence
perpétuel, n'y ayant aucun temps où il fût
permis de parler ensemble sans la permis-
sion du supérieur; les jeûnes presque con-
tinuels, au moins depuis le ik septembre
jusqu'à Pâques; l'abstinence de la viande en
tout temps, excepté dans les grandes mal i-
dies; l'usage de la laine au lieu de linge;
une pauvreté rigoureuse et plusieurs autres
austérités. Quelques-uns ajoutent, le renon-
cement aux rentes et à toutes possessions;
mais ce renoncement ne fut ordonné que
dans le premier chapitre général, l'an 1220.
Les résolutions ainsi prises sur le genre
de vie, saint Dominique partit pour retour-
ner à Ilome afin d'en obtenir la confirmation
du saint-siége, pendant que dans Toulouse
on jetterait les fondements de la première
maison de l'ordre. Il apprit en chemin la
mort du pape Innocent III, arrivée le 17
juillet 1210, à Pérouse, et qu'Hononus III
lui avait succédé. Quoiqu'il prévît les diffi-
cultés que les affaires du nouveau pontificat
devaient apporter à ses desseins, il ne. laissa
(1) Voy., à la fin du vol., n* 12.
pas de continuer son voyage à Rome, où f!
tut écoulé du nouveau pontife plus tôt qu'il
ne l'aurait espéré; il obtint dès le 22 décem-
bre de la même année une bulle qui approu-
vait et confirmait son institut sous le titre
do l'ordre des Frères Prêcheurs. Comme fon-
dateur il voulut y être le premier agrégé, co
qui ne se pouvait faire sans une rénovation
de ses vœux qu'il avait faits autrefois entre
les mains de l'évëque d'Osma, et une nou-
velle profession. Il la réitéra et s'obligea de
nouveau de vivre selon les statuts particu-
liers qu'il avait choisis avec ses frères pour
être à l'avenir les constitutions de son ordre.
Ce fut entre les mains du pape qu'il fit cette
profession solennelle, el Sa Sainteté l'établit
supérieur et maître général de sou nouvel
ordre, lui donnant pouvoir de recevoir à
l'habit el à la profession ses compagnons,
el d'instituer b'S supérieurs el les officiers.
Etant retourné à Toulouse, il eut la con-
solation d'y voir déjà le premier couvent de
son ordre achevé par la diligence de ses frè-
res, el plus encore par les libéralités de
lévêque de Toulouse el de Simon , comte
de Montfort. Il y établit aussitôt l'écono-
mie et la discipline, et reçut avec les solen-
nités prescrites les vœux de ses religieux,
dont le nombre s'était augmenté pen-
dant son absence. L'habil dont il se revêtit
fut celui des chanoines réguliers, tel qu'il
l'avait porté jusqu'à ce lemps-là, et qu'il
l'avait reçu des mains de l'évëque d'Osma,
c'est-à-dire, une soutane noire et un rochet
par-dessus, comme il paraît parles anciennes
peintures où ce sainl et ses premiers disci-
ples sont représentés de cette manière (1),
selon ce que dit Michel Pio, historien de cet
ordre. Il envoya ensuite de ses religieux en
différents endroits pour y travailler au salut
des âmes par la prédication, qui faisait l'es-
sentiel de son institut. Le Père Matthieu de
Paris et Maaez de Guzman, frère de notre
saint, furent destinés pour Paris. 11 en en-
voya d'autres en Espagne, il en laissa à
Toulouse, et se réserva pour lui la ville de
Rome (2).
Comme son dessein, après avoir séjourné
quelque temps en Italie, était de passer en
Afrique pour y annoncer la parole de Dieu
aux infidèles, et que pendant son absence il
ne pouvait pas gouverner son ordre, il en
donna le soin à Matthieu de Paris, qui, selon
les hisloriens de cet ordre, eut le litre d'abbé
général, ayant été le seul qui ail eu eelle
qualité, qu'il ne garda pas longtemps, car
saint Dominique ne passa point en Afrique,
et gouverna toujours son ordre. Matthieu
de Paris n'exerça aucune juridiction que
dans la province de France , dont il fui
provincial. Ce fut lui qui, avec son compa-
gnon, fit la fondation du couvent de l'aris
l'an 1218, un an après leur arrivée en celte
ville, où ils logèrent d'abord dans une mai-
son qu'ils louèrent auprès de l'evêché; mais,
en ayant obtenu une autredans la rue Saint-
Jacques, on les appela dès lors Jacobins,
(2) Vit. de gl. Uuom. «Huit. degl. Ord. de S. Dont,
03
DOM
noM
i i
nom qu'ils ont retenu jusqu'à présent par
toute la France.
Quelque temps après que saint Domini-
que eut ainsi dispersé ses disciples, il quilta
Toulouse pour aller en llalie, et choisit pour
compagnon le bienheureux. Etienne de Melz.
Il prit sa route par Paris, et de là par La Lor-
raine, pour aller à Venise par les frontières
d'Alli magne. En passant à Metz il y bâtit
un couvent de son ordre, dont il donna la
conduite à on compagnon le bienheureux
Etienne, qui fut peuplé en peu de temps d'un
grand nombre de religieux à qui il donna
lui-même l'habit pendant le séjour qu'il fit
en celte ville. Il prit six de ces religieux,
qu'il mena avec lui en lia ie. Il fonda encore
un autre couvent à Venise, où ayant encore
laissé quelques-uns de ses compagnons, il
s'en alla à Home pour essayer d'y mettre le
centre de son ordre, qui de là pourrait plus
facilement s'étendre dans les autres villes
jusqu'aux extrémités du monde.
Le pape Honorais 111 lui donna d'abord
l'église de Saint-Sixte et ses dépendances
pour en faire un couvent; mais à quelque
temps de là ayant fait donner cette maison
aux religieuses deson ordre, comme nous l'a-
vons dit à 1 article Dominicaines, il obtint du
même pape l'église de Sainte-Sabine avec une
partie de son propre palais, pour servir de
demeure à ses religieux, qui se trouvaient
déjà en grand nombre. Ce fut dans ce mo-
nastère que l'an 1219 il quitta son habit et
celui de ses frères, qui avaient été jusque-là
des chanoines réguliers, pour prendre celui
que l'on prétend que la sainte Vierge montra
au bienheureux Renaud d'Orléans, qui con-
sistait en une robe blanche, un scapulaire
de même couleur, auquel était attaché le
ehaperon de la même façon que le portent
encore aujourd'hui les Chartreux, les reli-
gieux de Saint-Dominique de Poilugal et
ceux de laCongrégation du Saint-Sacrement
en F:ance. dont nous parlerons aussi dans
la suite. Ils prirent aussi la chape et ie cha-
peron noir aboutissant en pointe comme
celui des Chartreux (1).
11 avait envoyé l'année précédente de nou-
veaux missionnaires à Bologne qui y avaient
fondé un couvent, l'église de Notre-Dame de
la Mascarella leur ayant été accordée pour
ce sujet. Mais celle même année 12. :) ils en
obtinrent un second dans la même ville, qui
est de\enu si recommandable dans la suite
fies temps, qu'il est l'un des plus beaux et
des plus fameux d'Italie, tant par la magni-
ficence de ses bâtiments, de ses cloîtres et
par le nombre des religieux, qui est ordi-
nairement de cent cinquante, que pour l'a-
vantage qu'il a de posséder les sacrées reli-
ques de ce saint fondateur, qui tint deux
chapitres généraux dans ce couvent en 1220
et 1221. Dans le premier on fit plusieurs
règlements pour maintenir dans l'ordre la
discipline régulière et la pauvreté, à laquelle
ils s'engagèrent en renonçant dans ce chapi-
tre à toutes les renies et possessions. Ce qui
porta saint Dominique à ce renoncement
furent les effets admirables de la divine pro-
vidence, dont il avait vu les preuves dans
le chapitre général de l'ordre des Frères
Mineurs que saint François avait tenu l'an-
née précédente à Assise, où se trouvèrent
plus de cinq mille religieux qui ne manquè-
rent de rien, quoiqu'ils ne possédassent au-
cun revenu : ce qui toucha si vivement saint
Dominique, qui s'était trouvé pour lors à
Assise pour admirer ces hommes apostoli-
ques, qu'il résolut de faire embrasser la
même pauvreté à ses religieux, et que, au
rapport de sainl Antonin, il donna en mou-
rant sa malédiction à ceux qui introdui-
raient dans son ordre les renies et les pos-
sessions.
J'avoue que la plupart des historiens de
l'ordre de Saint-Dominique soutiennent que
leur fondateur ne se trouva point à ce
chapitre des religieux de l'ordre de Saint-
François, suc ce qu'ils prétendent que saint
Dominique était pour lors en Espagne; et à
cause que ce l'ait est rapporté pir Wadding
et quelques autres historiens de l'ordre des
Mineurs, le P. Rechac, Dominicain, par une
fade raillerie , dit que c'est une tradition
grise; mais, sans examiner si elle est grise
ou blanche et noire, il est certain qu'aucun
des écrivains de l'ordre de Saint-Dominique
ne s'accorue sur le temps que demeura ce
saint en Espaane , ni dans quelle année il y
fut et qu'il en revint, le nombre de ceux
qui la mettent en 1218 étant plus grand que
de ceux qui prétendent que ce fut l'an 1219.
Ouoi qu'il en soit , c'est une question peu
importante desavoir si ce fut à l'exemple de
saint François, ou de son propre mouvement
que saint Dominique renonça à toutes les
rentes el les possessions dans le premier
chapitre général qu'il tint à Bologne l'an
12^0. L'année suivante 1221 il y tint encore
un second chapitre général , où l'on divisa
l'ordre, qui avait déjà soixante couvents, en
huit provinces , qui furent celles d'Espagne,
de Toulouse , i'e France, de Lombardie, de
Rome, de Provence, d'Allemagne et d'Angle-
terre, et on élut pour chaque province un
provincial. Le chapitre étant fini , saiut
Dominique envoya des religieux en Ecosse,
en Irlande el dans les pays du Nord jus-
qu'en Norwége , et s >us le pôle , el dans le
Levant, jusque dans la Palestine. Il alla
ensuite à Manloue, à Ferraro, à Venise,
d'où il retourna à Bologne, où, après avoir
travaillé si utilement pour le bien de l'Eglise
et pour l'établissement de son ordre , il
termina heureusement ses jours dans son
second couvent, qu'on appelait pour lors
Saint-Nicolas des Vignes, et rendit son âme
à son créateur le sixième jour d'août l'an
1221. Le cardinal Hugolin, légat du sainl-
siége , fil la cérémonie de sa sépulture , ac-
compagné du patriarche d'Aquilée ; et ce
cardinal ayant été depuis pape sous le nom
de Grégoire IX le canonisa le 13 juillet
123V.
(t) Voy., à la fin du vol., n" 15, 14 et 15.
95
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
9£
Vey. Hernando de Castiglio, Juan Lopez,
el Anlon. île Remescl, Hisl. (le San Domingo,
y desuordende Predicadores. Ludov.Cabecas,
Ilist. de San Domingos. Thom. Maluenda ,
Annal, ord. Prœd. Leand. Albert, de Viris
illustrïb. ord. Prœd. (Yio. Michel Pio, Vit. de
gli iluomini illustri di S. Domenico. et Hist.
délia nobil. progen. de S. Domenico. Anlon.
Senens. Chronic. FF. Prœdicalorum. et Vitt.
SS. PP. ord. Prœd. Vincent. Maria Fonlana,
Monumriiia Dominicana, Tlieatrum Domini-
canum, et Constitution., déclaration, et ordi-
nation. Capitulai uni Gêner il. ord. Prœdicat.
Scraph. Razzi, Vit. de primi sancti et beati
del ord. di Predie. et Istoria de gli Fluomini
illustri del ord. de Prédicat. Jean de Rechac,
Vies de saint Dominie/ue et de ses premiers
compagn. Jacob Perrin, Monumenla Conten-
tas Tolosani ord. Prœdicat. Jean-Baptiste
Feuillet et Thomas Souéges , Année Domi-
nicaine. Silveslr. Maruli. Mar. Océan, di tult.
gli Rdii/ion. Pietio Crecenz , Presidio Ro-
muno. Pauolo Morigia , Hist. dell'origin. di
lutte le Iieligioni.ei Hermanl, Hist. des Ordr.
religieux, tom. II. Giry et Raillet, Vies des
saints, 4 août.
§ II. Du grand progrès de l'ordre des Frères
Prêcheurs, et des dignités et offices atta-
chés à cet ordre.
Après la mort de saint Dominique, les
religieux de son ordre s'assemblèrent à
Paris l'an 1222 dans un chapitre général,
pour lui donner un successeur, et élurent le
bienheureux Jourdain de Saxe, quoiqu'il
n'y eût pas plus de deux ans et trois mois
qu'il fût dans cet ordre; mais son insigne
piété et son grand mérite, qui l'avaient déjà
éle\é à la charge de provincial de Lombar-
die, le firent encore choisir de tous les frères
pour les gouverner en qualité de général. Il
envoya après son élection des religieux en
Allemagne , où ils fondèrent de nouveau
quatre couvents. Il en envoya d'autres dans
la terre sainte , où ils fondèrent en peu de
temps cinq autres couvents; et, le nombre
s'augmentant de jour en jour, on érigea
quatre nouvelles provinces dans le chapilre
général qui fut tenu à Paiis l'an 1228 :
savoir, les provinces de Grèce, de Pologne,
de Danemark, et de terre sainte. Il défendit
très-élrnilemeut à Ions les religieux de man-
ger de la viande , ni rien de cuit avec la
viande, même dans les maladies , sans per-
mission de leurs supérieurs ; mais celle
grande rigueur a été modérée dans la suite
dans le chapitre qui se tint aussi à Paris
l'an 1230. Il déclara la résolution qu'il avait
prise de passer en terre sainte. En effet , il
s'embarqua pour ce voyage ; mais, à la vue
du porl d'Acre, comme le vaisseau était près
d'y entrer, une grande tempête s'éleva qui
le fit submerger, et le bienheureux Jourdain
avec ses compagnons y périt après avoir
gouverné l'ordre pendant quinze ans. Ce fut
lui qui poursuivit la canonisation de saint
Dominique, dont il transféra les |irécieuses
reliques dans un tombeau de marbre.
Saint Raymond de Peguaforl lui succéda
dans le gouvernement de l'ordre , ayanl élé
élu dans le chapilre général qui se tint aussi
à Paris l'an 1237. 11 rédigea par écrit les
constitutions ; il leur donna une meilleure
forme, et les divisa en deux parties. Dans le
premier chapitre général qu'il tint, il fit re-
cevoir une ordonnance qui portail qu'il serait
permis aux généraux de se démettre de leur
office quand bon leur semblerait , et qu'on
serait lenu d'accepter leur démission : c'est
pourquoi, profilant de celte ordonnance, il
renonça au généralal dans un autre chapilre
qu il tint l'année suivante. Onlui donna pour
successeur Jean de Waldosusen en West-
phalie, sous le gouvernement duquel l'ordre
tilde nouveaux progrès, ayant (onde trente-
quatre couvenls. Il y eut cinquante-quatre
établissements sous le généralat du bien-
heureux Humbert, cent vingt-cinq sous celui
du bienheureux Jean de Verceil, et le nom-
bre des couvenls s'est tellement multiplié
sous les aulres généraux, que l'ordre est
présentement divisé en quarante-cinq pro-
vinces , dont il y en a une sous le litre de
Sainle-Cioix des Indes occidentales , une
sous celui de Saint-Jacques de Mexique dans
l'Amérique, une de Sainl-Jean-Baplisle du
Pérou , une de Saint-Vincent de Chiapa
dans l'Amérique , une de Sainl-Antonin du
nouveau royaume de Grenade, une de Nak-
siran dans l'Arménie, une de Sainte-Cathe-
rine , martyre de Quito, dans l'Amérique;
une de Sainl-Laurenl de Chili au royaume
de Chili, aussi dans l'Amérique; une du
Saint -Rosaire des Philippines aux Indes
orientales , une de Sainl-Hippolyle, martyr
d'Oxaca , dans l'Amérique , el une des iles
Canaries; ce qui fait voir combien cet ordre
s'est répandu dans toutes les parties du
monde. Outre ces quaranle-cinq provinces,
il y a encore douze congrégations ou réfor-
mes particulières gouvernées par des vicaires
généraux, desquelles nous parlerons dans la
suite.
Je crois bien que les religieux de cet ordre
ont aussi passé en Elhiopie dès l'an 1253 et
qu'ils y ont travaillé à la conversion des
peuples de ce pays-là, comme quelques au-
teurs du mêmeordrele prétendent, alléguant
pour cet effet une bulle du pape Innocent IV
adressée aux religieux qui étaient en Elhio-
pie el en d'autres pays. Mais ce que dil le
P. Louis d'Urret i dans l'Histoire de l'ordre
de Saint-Dominique en Ethiopie qu'il a com-
posée en espagnol et publiée l'an 1611,
n'est pas soulenable. Il prétend que ces
religieux y ont plusieurs couvents, dont les
principaux sonl ceux de Plurimanos et d'AI-
leluya ; que dans le premier il y a toujours
neuf mille religieux et plus de trois mille
ouvriers et serviteurs, et dans celui d'Aile—
luya sept mille religieux ; que le couvent de
Plurimanos a quatre lieues de circuit; qu'il
contient quatre-vingts dortoirs, que chaque
dortoir a une grande cour, un cloitre, une
bibliothèque, une sacristie et une église par-
ticulière, où tous les religieux de ce dortoir
disent l'office divin pendant la semaine ; mais
que tous les dortoirs sont disposés de telle
M DOM
sorte, qu'un des bouts répond de plain-pied
à la grande église où tous les religieux se
trouvent le dimanche pour chanter l'office en
commun, et que l'autre bout répond au ré-
fectoire, qui a deux milles de longueur, c'est-
à-dire une lieue, où tous les religieux man-
gent ensemble tous les jours; que dans ce
réfectoire il y a un serviteur pour trois tables,
au bout desquelles il y a un passoir qui ré-
pond à la cuisine, qui est aus>i commune
pour tous les religieux ; et qu'il y a un grand
et \asle cloitre proche la grande église, qui
sert à faire les processions ; que le sacristain
de la grande église donne le signal pour aller
à l'office, et qu'en même temps les sacristains
des églises particulières de chaque dortoir
sonnent aussi , afin que les religieux se
rendent dans leurs églises.
Nous croirions ennuyer le lecleur si nous
voulions rapporter loules les fables que le
P. d'Urreta débite touchant ce couvent,
son fondateur saint Thècle-Aymanol , S.
Thècle-Avaret, sainte imate, sainte Glaire,
et autres saints de son ordre, à ce qu'il pré-
tend, et touchai»; les couvents d'Alleluya et
de Beningali. Nous en avons suffisamment
parlé dans la préface qui est à la télé du
premier volume de celte Histoire; de telles
fables ne méritent pas d'être réfutées, mais
nous ferons seulement remarquer que ce
Thècle-Aymanot que les religieux de l'ordre
de Saint-Dominique s'attribuent, et dont ils
niellent la mort l'an 1366, vivait l'an 620,
c'est-à-dire près de cinq cent cinquante ans
avant la naissance de leur fondateur. C'est
ce même Thècle-Aymanol qui fut le restau-
rateur de la vie monastique en Ethiopie,
suivant le témoignage de M. Ludolphe, très-
versé dans l'histoire de ce pays; et le cou-
vent de Plurimanos est sans doute celui de
Debra Libauos, qui fut transféré à Bagendra,
comme nous avons dit ailleurs.
Le P. Séraphim Razzi, qui avant le P.
Louis d'Urreta avait donné Jes Vies de ce
Thècle-Aymanol et de quelques autres saints
d'Ethiopie, avoue que ce qu'il en dit n'est
que sur le rapport de deux Ethiopiens ou
Abyssins, qui se disaient de l'ordre de Saint-
Dominique, et qui lurent reçus en cette
qualité l'an 1513 dans le couvent de cet or-
dre à Pise, d'où ils allèrent à Home, où l'un
d'eux, ayant demeuré près de trois ans, et
avant appris la langue italienne, laissa par
écrit la description de ce prétendu couvent
de Plurimanos et de celui de l'Alleluya, avec
les vies de quelques saints de l'ordre de
Saint-Dominique qui sont morts en Ethio-
pie, comme des saints Thècle-Aymanot,
fondateur de ce beau et spacieux monastère
de Plurimanos; Thècle-Avaret, Philippe,
André, Samuel, et des s nntes Imate, Claire,
et quelques autres. Michel Pio dit aussi la
même chose, et le P. Louis d'Urreta recon-
naît que l'an 1515 il y en eut huit qui furent
reçus dans le couvent de Valence, et qui ve-
naient de Rome. Apparemment que de ce
nombre était cet Abyssin qui avait laissé à
DOM
'S
Rome la description du couvent de Plurima-
nos, et qui avait composé les Vies de ces
saints d'Ethiopie, dont il laissa aussi des
mémoires en Espagne qui ont servi au P.
Louis d'Urreta à composer son Histoire.
Ainsi il y a lieu de s'étonner de ce que sur
la bonne foi de quelques Abyssins inconnus,
sans crédit et sans autorité, les PP. Razzi
d'Urreta, Pio el les autres historiens de cet
ordre aient débité de telles fables.
Mais quoique nous n'accordions pas à
l'ordre de Saint-Domi tique Thècle-Ayma-
not, Thècle-Avaret, et les autres saints d'E-
thiopie dont parlent les hisl i mis de cet or-
dre, ce ne sera lui rien diminue* de la gloire
qu'il a acquise d'avoir donné un nombre in-
fini de martyrs, de saints pontifes, de con-
fesseurs et de sainles vierges. Outre les
grands personnages que leur science, leur
mérite et leur vertu ont élevés aux premiè-
res dignités de l'Eglise, on y compte trois
papes, qui sont Innocent V, Benoît IX et
saint Pie V, canonisé l'an 1712 par le pape
Clément XI; plus de soixante card naux,
plusieurs patriarches, près de centeinquante
archevêques, et environ huit cents évoques,
outre les maîtres du sacré palais, dont l'of-
fice a toujours été exercé par un religieux
de cet ordre, depuis que saint Dominique en
fut revêtu le premier par le pape Ùono-
rius III l'an 1218.
Ce qui donna lieu à l'érection de cet of-
fice fui que saint Dominique ayant obtenu
du pape Hor.orius le couvent de Sainte-Sa-
bine avec une parte du palais de ce pontife
pour servir de demeure à ses religieux (1),
comme nous avons dit dans le paragraphe
précédent, il fut sensiblement louché de ce
que, pendant que les cardinaux et les minis-
tres de la cour étaient avec le pape, leurs
domestiques s'amusaient à jouer el à perdre
leur temps; c'est pourquoi il conseilla au
pape de préposer quelqu'un pour leur faire
des instructions. Le pape approuva ce con-
seil et chargea saint Dominique de cet em-
ploi. Ce saint leur expliqua les Epîtres de
saint Paul; et ses instructions eurent un
succès si heureux, que le pape voulut que
l'on continuât à l'avenir ces instructions, et
que cet emploi fût donné à un religieux de
l'ordre de Saint-Dominique, qui prendrait
la qualité de maître du sacré palais, ce qui a
été pratiqué jusqu'à présent; mais le maître
du sacré palais ne fait plus ces instructions
aux domestiques des cardinaux, il ne les
fait qu'aux domestiques du pape, qu'il est
obligé d'instruire dans les choses de la foi,
le carême, l'avent el les fêtes principales ;
ou bien il le fait faire par ses compagnons.
Les papes ont dans la suite accordé beau-
coup d'honneurs et de prééminences aux
maîtres du sacré palais. Eugène IV, ayant
pourvu de cet ofiice Jean de Turrecremata,
qui fui ensuite cardinal, ordonna par une
bulle de l'an 1436 que les maîtres du sacré
palais auraient place dans la chapelle du
pape immédiatement après le doyen des au-
(1) Vù*mJ. Mar. Fontana, Syltabus Majist. S. Palatii.
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
09
diteurs de Rote, qne lai seul examinerait les
sermons que l'on devait faire da:is cette cha-
pelle; que personne n'y pourrait prêcher, à
moins qu'il n'eût été nommé par le maître
du s.irri' palais ; qu'au cas qu'il fût obligé
de s'absenter de Rome, il pourrait avee la
permission du pape substituer quelque autre
a sa place, qui jouirait des mêmes honneurs,
et que personne ne pourrait être reçu d-ins
Rome docteur en théologie sans sa permis-
sion. Calixle III confirma l'an >kï6 non-seu-
lenient le droit que le pipe Eugène avait
accordé au maître du sacré palais de nom-
mer ceux qui devaient prêcher dans la cha-
pelle du pape, mais il lui accorda encore ce-
lui de reprendre publiquement ces prédica-
teurs, même en présence du pape, s'il y
avait quelque chose de répréhensible dans
leurs discours.
Léon X ordonna que l'on ne pourrait rien
imprimer dans la ville de Rome ni dans sou
district sans l'approbation et la permission
du cardinal vicaire et du maître du sacré
palais, ce qui lut confirmé l'an 1620 par te
pape l'aul V, et l'an 1625 Urbain Vill défen-
dit à tous ceux qui auraient composé dans
l'Etat ecclésiastique quelques ouvrages sur
quelque matière que ce pût être, de les faire
imprimer en pays étranger sans la même
permission. Mais présentement le maître du
sacré palais ou ses compagnons donnent
seuls la permission d'imprimer les livres. 11
est juge dans Home de lous les imprimeurs,
libraires et graveurs, pour ce qui regarde
l'impression, la vente, l'achat, l'entrée et la
sortie des livres et des estampes. Il est con-
sulteur-né des congrégations du Saint-Of-
fice et des Riies. 11 assiste aussi comme pré-
lat à celle de l'Index et à celle qui se lient
chez le cardinal vicaire pour le concours des
curés de Rome. 11 nomme des compagnons
qui sont aussi religieux de son ordre, qui
signent les permissions pour l'impression
des livres, et font la visite chez les libraires,
et il a le litre de réverendissime, que les
cardinaux mêmes lui donnent. Le pape
Pie V fonda pour son entretien un canonicat
dans la basilique de Saint-Pierre, avec le
titre de théologal, par une bulle de l'an 1570,
et il en pourvut Thomas Menrique, pour
lors maître du sacré palais; mais après la
mort de Mennque, Sixte V, par une autre
bulle de l'an 1586, révoqua celle de Pie V,
voulant que celte prébende fût possédée par
nu ecclésias ique ; ei par la même bulle il
donna au maître du sacré palais une pen-
sion de trois cents écus romains sur l'ab-
baye de Sainte-Marie de Terreto de l'ordre
de Saint-Basile, au royaume de Naples, que
le cardinal Rusticucci possédait en coui-
mende ; voulant que celle pension, dont les
maîtres du sacré palais ont toujours joui,
fùl exempte de toutes charges et imposi-
tions, sous quelque prétexte que ce fût. Lu
pape lui entretii'iu aussi un carrosse.
Nous avons dit ci-devant que le pape Eu-
gène 'V avait ordonné l'an ik36 que le maî-
tre du sacré palais aurait place dans la cha-
pelle papale immédiatement après le doyen
'.00
des auditeurs de Rote ; mais l'an 1G55 Alex;: .i-
dre VIJ ordonna qu'il aurait séance, tant
ilans la chapelle du pape que dans les céré-
monies, après les auditeurs de Rôle, et qu'il
aurait le pas devant tous les « lercs de la
chambre apostolique, ;ui sont comme les
conseillers du conseil des finances du pape;
et, afin que l'on voie l'autorité que le maître
du sacre palais exerce dans Rome, nous rap-
porterons ici l'ordonnance que chaque maî-
tre du sacré palais publi> lorsqu'il est nou-
vellement pourvu de cet office.
Ordonnance du maître du sacré palais. —
I. L'expérience ayant fait connaître la gran-
deur du préjudice et du danger que cause
la lecture des livres défendus, à la pureté de
la foi et aux bonnes mœurs, non sans of-
fenser la divine majesté, et au détriment de
l'âme ; par ordre exprès et commission de
noire irès-saint père le pape N. le frère N.,
maître du sacré palais, juge ordinaire, etc.,
commande et défend par la présente ordon-
nance, sous peine de la perte des livres, de
trois cents écus d'amende et autre peine
corporelle, à imposer à si volonté (outre les
censures et peines contenues dans les saints
canons, l'Index des livres défendus, la bulle
In Cœna Dominï , et autres constitutions
apostoliques), que personne n'ait la har-
diesse de porter dans Rome et hors de Rome,
de retenir, acheter, vendre, donner et prê-
ter aucun livre défendu et suspect, sous
quelque litre que ce soit, sans sa permission
expresse et par écrit. Et, au cas que quel-
qu'un porte a un libraire un livre défendu,
Sa Réverendissime Paternité ordonne que le
libraire le retiendra en présence d'un autre
libraire son voisin et de deux témoins, et
que dans le terme de huit jours il le portera
à Sa Réverendissime Paternité ou à ses com-
pagnons, ce qui s'enlend aussi des mêmes
libraires, en quelque autre manière que ce
puisse être, sous la même peine.
II. De plus, par la présente ordonnance,
Sa Réverendissime Paternité révoque toutes
les permissions qui ont été ci-devant don-
nées par les maîtres du sacré palais, tant de
vive voix que par écrit, en quelque manière
que ce soit, déclarant que ceux qui vou-
draient s'en servir encourront les mêmes
peines que ceux qui retiennent des livres
défendus sans permission.
III. Que toutes sortes de livres, histoires,
oraisons, almanachs, images, ou figures et
quelque autre chose imprimée , si petite
qu'elle puisse être, que l'on appuiera à
Rome, seront consignés à la douane ou pré-
sentés à Sa Réverendissime Paternité ou à
ses compagnons pour en avoir la permis-
sion, et que les catalogues des livres qui
sortiront de Rome seront faits avec fidélité,
en mettant le titre de chaque livre, le nom
de l'auteur, le lieu et l'année de l'impres-
sion, et qui en a été 1 imprimeur, sous peine
de confiscation des livres, et de cinquante
écus d'amende, plus ou moins, selon la qua-
lité des livres et du délinquant.
IV. Qu'aucun charlatan n'ait la hardiesse
de porter cl vendre à Rome aucune chose
101
noM
PO.M
109
avec recettes, si auparavant il n'a montré
lesitites recettes à Sa Révérendissime Pater-
nité ou à ses compagnons, qui les approu-
veront ou les feront approuver par d'autres,
sous peine de confiscation de tout ce qu'il
aura à vendre, et de vingt-cinq écus d'a-
mende.
V. Que les courriers et postillons qui se-
ront chargés de livres, si petits qu'ils soient,
et pour toule sorte de personnes de quelque
état, qualité, condition el prééminence qu el-
les puissent èlre, -ot dedans ou hors de
Rome, soient tenus de les montrer premiè-
rement au maître do sacré palais ou à ses
compagnons ou de les laisser à la douane,
sous peine de cinquante écus d'amende et de
trois traits de corde (1).
VI. Qu'aucun douanier de Rome, soit de
terre, soit de rivière, ne soit assez hardi
pour délivrer les livres qui sont consignés à
la douane sans ladite permission, ce qui
doit être aussi observé par les commis des
portes sous les mêmes peines.
VII. Qu'aucun batelier, marinier, voilu-
rier, fourrier et roulier, ne rende aux l.brai-
res et autres personnes les livres dont ils
auront été chargés, avant que d'avoir dé-
claré à la douane ce qu'ils portent, sous
peine de cinquante écus d'amende ; s il se
trouve que l'on ait délivré quelque chose
qui concerne l'ofûce du maître du sacré pa-
lais, et autres cinquante < eus d'amende el
confiscation de la marchandise pour celui
qui l'aura reçue.
VIII. Que personne ne puisse vendre par
la ville, livrets, histoires, oraisons, alma-
nachs, lettres, images ou ligures, ou quel-
que autre chose imprimée, si petite qu'elle
soit, même de la musique, ou les exposer en
vente sur les boutiques ou dans les places
publiques, ou dans quelque autre lieu de la
ville, s'il n'est libraire de profession, ou s'il
n'a permission du maître du sacré palais ou
de ses compagnons. Déclarant que les re-
lieurs et papetiers sont compris sous le nom
de libraire, et pour ce sujet ils ne pourront
vendre aucun livre, soit vieux ou nouveau,
et (es relieurs relier aucun livre imprimé,
s'ils n'en ont permission, et s'ils n'ont fait
le serment ordinaire et la profession de foi,
conformément au décret de ["Index des livres
défendus ; et personne ne pourra ouvrir
boutique d'imprimeur et de libraire, ou exer-
cer celte profession, s'il n'est approuvé et
reçu, et s'il n'a des patentes signées de Sa
Révérendissime Paternité ou de ses compa-
gnons, sous peine de confiscation des livres
et de cinquante écus d'amende , plus ou
moins, selon la qualité des livres et du dé-
linquant, lesquelles patentes doivent être
renouvelées à chaque changement de maî-
tre du sacré palais.
IX. Que les héritiers et exécuteurs testa-
mentaires des libraires décédés, ceux qui
voudront vendre leurs propres livres, et au-
tres, ne puissent vendre aucun livre de
quelque sorte et en tel nombre que ce puisse
(I) Espèce d'estrapade.
être, les monirer, les eslimer, ou en traiter
avec d'autres pour les vendre, ou en dispo-
ser en quelque autre manière, s'ils n'en ont
obtenu auparavant la permission du maitre
du sacré palais ou de ses compagnons, sous
peine de confiscation des livres et de 200
ecus d'amende.
X. Que les juifs, regratiers, et autres ar-
tisans ne puissent vendre , emprunter et
prendre en nantissement aucune espèce de
livres, tels qu'ils puissent être, sans la per-
mission du maître du sacré palais ou de ses
compagnons ; et s'ils en ont à présent, qu'ils
aient, dans le terme de huit jours, à en don-
ner un catalogue fidèle, sous peine de con-
fiscation desdits livres, de cinquante écus
d'amende, et autre peine, même corporelle,
à la volonté de Sa Révérendissime Paternité.
Que s'il arrive que dans l'encan des juifs et
de la dépositairerie de la chambre, l'on y
vend.1 des livres, Sa Révérendissime Pater-
nité ordonne que ceux qui les vendront,
après en avoir obtenu la permission, en
donneront avis à la communauté des librai-
res, afin qu'ils puissent se trouver à ladite
vente, Sa Révérendissime Paternité ordon-
nant très-e^pressêmen't que hors de l'encan
l'on ne puisse vendre aucun livre mis en
séquestre ou en nantissement, sans une
nouvelle permission, sous la même peine
ci-dessus imposée.
XI. Que tous les libraires et vendeurs de
livres aient, dans le terme de trente jour-, à
donner au maitre du sacré palais ou à ses
compagnons un inventaire fidèle par ordre
alphabétique de tous les livres, tant vieux
que nouveaux, qu'ils ont, en y marquant le
nom de l'auteur, le titre, l'imprimeur, l'an-
née et le lieu de l'impression, et le nombre
des volumes de chaque sorte, lequel inven-
taire soit signé de leur main, et qu'ils en
retiennent un double de leur côté; et que
dans ledit terme chaque libraire ait à so
présenter en personne pour se faire écrire
sur le livre que l'on retiendra pour cet effet
dans l'office du maitre du sacré palais, où
seront marqués tous les noms des libraires
et vendeurs de livres qui auront la permis-
sion d'exercer celte profession. Passé ce
temps, l'on procédera contre ceux qui ne se
seront pas présentés, comme vendant sans
permission , et ils encourront les peines
portées dans l'article V1I1.
XII. Pareillement, Sa Révérendissime Pa-
ternité ordonne aux graveurs, imprimeurs
et marchands d'estampes en taille douce ou
en bois, de se présenter dans le même temps
et de donner un catalogue de toutes les es-
tampes qu'ils ont dans leurs boutiques, avec
le nom de l'auteur, de l'imprimeur et du lieu
où elles ont été imprimées, et de se faire
écrire dans le même livre, sous les mêmes
peines.
XIII. Qu'aucun médailliste, fondeur, gra-
veur de cachets, tant en acier qu'en fer,
bronze ou autre matière, ne soit as-ez hardi
de graver, fondre el jeter en moule aucune
105
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
104
figure, soit sacrée ou profane, avec des let-
tres ou sans lettres, s'il n'en a la permission
du maîire du sacré palais ou de ses compa-
gnons, ce (îui se doit entendre aussi de tous
ceux qui (ont des coins, poinçons et autres
instruments pour frapper et marquer lesdites
figures ou lettres, sous peine de deux cents
écus d'amende, de trois traits de corde, de
suspension de l'exercice de sa profession, et
autres peines arbitraires, selon la faute du
coupable; et que dans le terme d'un mois ils
se présentent tous devanl le maître du sacré
palais ou ses compagnons, avec la iste des
figures et lettres qui sont gravées dans leurs
coins, afin que l'on mette au bas la permis-
sion de pouvoir s'en servir dans leur profes-
sion.
XIV. Que tous les libraires aient à porter
au maître du sacré palais un exemplaire
relié ou broché de tous les livres nouvelle-
ment imprimés ou réimprimés qui viendront
dans Rome, do manière qu'on les puisse lire
aisément, afin qu'ayant été examinés et ap-
prouvés pour bons, on les puisse rendre aus-
sitôt au libraire qui les aura donnés, et qu'il
puisse retirer les autres de la même sorte
qui resteront pendant ce temps- là à la
douane, et qui ne pourront être délivrés
qu'avec la permission de Sa Révérendissime
Paternité ou de ses compagnons déclarant
que tous les ordres qui seront donnés par
6on compagnon, en pareil cas, aux garçons
des libraires en l'absence de leurs maîtres,
obligeront les maîtres comme s'ils leur
avaient été signifiés à eux-mêmes.
XV. Que, dans le même terme d'un mois,
tous les imprimeurs aient à se présenter
aussi en personne pour se faire inscrire
dans le même livre des libraires et graveurs,
et qu'aucun ne puisse de nouveau ouvrir
une imprimerie, s'il n'a fait auparavant le
même serment que les libraires, sous les
mêmes peines.
XVI. Qu'aucun imprimeur publie ou par-
ticulier n'ait la témérité d'imprimer ou réim-
primer aucun livre, manuscrit, ou quelque
auire chose, si petite qu'elle soit, sans la
permission par écrit de Sa Révérendissime
Paternité ou de ses compagnons, ni qu'il soit
assez hardi de changer, ajouter ou diminuer
une seule parole, ni de mettre que l'impres-
sion soit faite en un autre lieu qu'à Rome.
Sa Révérendissime Paternité veut que l'im-
pression soit conforme à la copie qui lui
aura été donnée signée, et qu'il ne rende
point publique l'impression jusqu'à ce que
le maître du sacré palais ou ses compagnons
ait collationné ladite impression sur la copie
signée de l'un d'eux, laquelle copie restera
toujours dans l'ofûce du sacré palais, et doit
être signée de la propre main de l'auteur,
avec la permission de débiter le livre. Et en
cas que ce qui aura été signé par le maître
du sacré palais et qui aura été donné à l'im-
primeur ne lût pas imprimé, l'imprimeur
devra, avant de rendre la copie à l'auteur,
la redonner au maître du sacré palais, afin
d'effacer la permission qu'il avait donnée,
Ce peur que quand on le voudra imprimer
on n'ajoute quelque chose, et afin qu'il
puisse être examiné de nouveau avec une
nouvelle approbation, sous pfine de confis-
cation des exemplaires et de cinquante écus
d'or d'amende.
XVII. Que tous bs imprimeurs, libraires,
graveurs, marchands de livres ou d'estam-
pes, douaniers, médaillistes, courriers, pos-
tillons, gardes et portiers des portes de la
ville, afin qu'ils ne poissent ignorer ce qui
est contenu dans la présente ordonnance et
qu'ils obéissent ponctuellement à ce qui leur
est commandé, aient à affii lier dans leurs
boutiques, imprimeries, douanes et autres
lieux où ils exercent leurs offices publique-
ment, une copie de la présente ordonnance,
sous peine de cinq écus d'amende pour cha-
que fois qu'ils seront trouvés sans ladite
ordonnance; et de plus les libraires sont
obligés sous la même peine d'avoir {'Index
des ivres défendus.
XVIII. Toutes lesquelles choses sont or-
données et commandées sous lesdites amen-
des, applicables partie en œuvres pieuses,
partie aux dénonciateurs, qui ne seront point
nommés, Sa Révérendissime Paternité se
réservant de diminuer ou d'augmenter les-
dites peines, et de les étendre même jusqu'à
punition corporelle, suspension et privation
de la profession, et de bannissement, selon
la qualité du crime et des personnes, les-
quelles peines seront encore augmentées à
l'égard de ceux qui feront récidive, et l'on
procédera contre les transgresseurs avec la
dernière rigueur.
Voulant que la présente ordonnance, qui
sera affichée et publiée à Rome aux lieux
accoutumés, oblige un chacun comme si elle
lui avait été signifiée personnellement. Don-
né au palais apostolique, etc.
Il y a eu plusieurs Français qui ont été
pourvus de cet office. Le premier fut Hugues
Seguin de Billion) en Auvergne, qui le fut
par Martin IV l'an 1281. Le pape Nicolas IV,
l'an 1288, le fit cardinal, et il fut ensuite ar-
chevêque de Lyon. Guillaume de Bayonne
succéda à Hugues Séguin dans cet office,
qu'il exerça sous le pontificat de Nicolas IV
et sous celui de Clément V, qui le fit aussi
cardinal l'an 1312. Guillaume Gavant de
Laon l'exerça sous le pontificat du même
Clément V; il fut archevêque de Vienne, en-
suite archevêque de Tou ouse. Raimoud Re-
quin de Toulouse fut pourvu de cet office
par le pape Jean XXII; il fut ensuite évèque
de Nîmes et patriarche de Jérusalem. Jean
de Lcmoy, confesseur de Philippe IV, roi
de France, fut aussi pourvu de cet office par
le même Jean XXII, Lan 1323; mais il mou-
rut la même année, et eut pour successeur
Durand de Saint-Porlien, qui fut évêque du
Puy et de Meaux. Jean XXII conféra encore
cet office à Dominique Grenier de Toulouse,
qui fut ensuite é>êque de Pamiers. Le même
pape pourvut encore de cet office Pierre de
Pirelo, que Renoît XII fit dans la suite évê-
que de Mirepoix. Raymond Durand l'exerça
sous le pontificat du même pape. Jean Mor-
laud fut maître du sacré palais sous le pon-
ras
DOM
DOM
ioG
lificat de Clément VI; il fut ensuite général
de son ordre, et mourut cardinal l'an 1338.
Guillaume Sudre, son successeur, exerça
aussi cet office sous le pontificat du même
Cément VI. Urbain V le fit cardinal l'an
13C3, et évêque de Marseille I an 1369. Ni-
colas de Saint-Satuinin de Clermont fut le
dernier Fiançais qui exerça cet office, dont
il fut pourvu par le pape Grégoire XI l'an
1370, et il mourut l'an 1382. Outre ces car-
dinaux dont nous venons de parler, qui ont
été mailres du sacré palais, il y a eu encore
les cardinaux Annibaldi, Statius de Datis,
de Caseneuve, de Turrecremala, de Badia,
Galamini, MichelMazarin,archevéqued'Aix ;
Capisucci et Ferrari, qui ont aussi exercé cet
office.
Un office qui est encore exercé par un re-
ligieux de cet ordre en plusieurs provinces,
et qui lui donne beaucoup d'autorité, est ce-
lui d'inquisiteur. Cet emploi était demeuré
attaché a l'épiscopat jusqu'à la fin du dou-
zième siècle; mais, comme tout était en
trouble dans l'Eglise, où les hérésies se mul-
tipliaient; que les hérétiques devenaient trop
puissants, et que les discours des prédica-
teurs et des missionnaires qu'on envoyait
pour les convertir étaient inutiles, le pape
Innocent III établit (selon quelques-uns) un
nouveau tribunal qui regardait les matières
de la foi, pour punir sévèrement les héréti-
ques, et qui fut appelé l'Office de l'inquisi-
tion; et comme les hérétiques albigeois fai-
saient de grands désordres dans le Langue-
doc , le pape nomma pour inquisiteur saint
Dominique, qui y travaillait pour lors à la
conversion de ces hérétiques. Mais les his-
toriens de son ordre ne sont point d'accord
louchant l'année que ce tribunal fui établi;
plusieurs auteurs prétendent que saint Do-
minique n'exerça point cet emploi, et que ce
ne fut que l'an 1-232 que le pape Grégoire IX.
attribua le tribunal de l'inquisition de Tou-
louse aux religieux de son ordre, qui est le
premier qui ail élé établi.
Quoi qu'il en soit, l'inquisition passa en
Pologne, en Italie et en plusieurs autres
provinces, où les Dominicains exercèrent
l'office d'inquisiteurs. Mais ces offices étant
passés en d'autres mains dans la plupart de
Ces provinces, ils ne leur sont restés qu'en
quelques lieux d'Italie , où ils l'exercent
avec autorité dans Irente-deux tribunaux,
en autant de villes, aussi bien que dans celle
d'Avignon et de Cologne, mais seulement en
qualité d'inquisiteurs provinciaux, eteomme
délégués des cardinaux qui composent la
congrégation du Saint-Office à Rome, et qui
sont inquisiteurs généraux. Autrefois le gé-
néral de l'ordre de Saint-Dominique nom-
mait ces inquisiteurs ; mais présentement
ils sont institués par le pape ou par la con-
grégation du Saint-Office. Cette congréga-
tion, par un privilège accordé à l'ordre de
Saint-Dominique, se lient au couvent de la
Minerve, tous les mercredis, dans l'apparte-
ment du général de cet ordre, qui y assiste
avec le maître du sacré palais et le commis-
saire du Saint-Office, qui est aussi religieux
Dictionnaire des Ordres religieux. II.
du mémo, ordre , et qui fait sa demeure or-
dinaire dans le palais du Saint-Office. Le
secrétaire de la congrégation de V Index des
livres défendus , composée de plusieurs car-
dinaux , est toujours aussi de l'ordre de
Saint-Dominque.
Il y a encore à présent deux inquisitions
en France, l'une à Toulouse et l'autre à
Carcassonne, mais sans autorité. Les Domi-
nicains ne lai>sent pas toujours de se faire
pourvoir par le roi des offices d'inquisiteurs.
Ils ont même quelques appoinlements, mais
ce sont des titres «eulement sans aucune
fonction. L'inquisition de Toulouse est la
première qui ait élé établie, comme nous
avons dit ci-dessus. Les inquisiteurs, après
avoir perdu leur autorité, et que ce tribunal
fut tombé en décadence, ont néanmoins re-
tenu assez longtemps le droit qui leur avait
été donné à leur établissement, qui était de
se faire apporter tous les ans le scrutin de
l'élection des capitouls de Toulouse pour
l'examiner et pour voir si parmi ceux qui
avaient été élus il n'y en avait point quel-
ques-uns suspects d'hérésie ; mais C' droit
leur fut ôté vers l'an 16+6 par un arrêt du
conseil, et fut attribué à l'archevêque de
Toulouse Charles de Mondial et à ses suc-
cesseurs.
Je ne m'arrêterai poinl à parler de toutes
les personnes illustres de cet ordre, puisque
Michel Pio, Léandre Albert et plusieurs
historiens du même ordre nous en ont donné
des volumes enliers. Personne n ignore que
sain! Thomas d'Aquin, saint Antonin, saint
Vincent Ferrier, Albert le Grand, Vincent
de Beauvais, Louis de Grenade, ont été des
plus beaux ornements de cet ordre, qui jus-
qu'à présent a eu soixante généraux qui
sont à vie, et que leur grand mérite et leur
capacilé ont élevés à celte dignité. Cependant
il y en a eu deux qui ont élé déposés par
autorité du saint-siege, savoir, Munio de Za-
morra par le pape Nicolas IV, l'an 1292, et
Martial Auribel, Provençal, par le pane
Pie II, l'an 1+62. L'on ne sait point les rai-
sons que ces souverains pontifes eurent de
déposer ces généraux, qui étaient d'une
éminente vertu. On leur rendit néanmoins
jus.ice dans la suite. Munio de Zamorra,
après avoir refusé l'évéclié de Galice, fut
contraint par le pape Célestin V d'accepter
celui de Palenza, et Martial de Provence fut
élu une seconde fois général dans le chapitre
qui se tint à Novarre l'an 1+65.
Le schisme qui partagea l'Eglise en 1378,
après la mort du pape Grégoire XI, et qui
dura quarante ans, divisa aussi cet ordre.
On vit dans le chapitre général tenu à Bo-
logne en 1380 deux généraux. Les provinces
qui reconnurent pour pape Urbain VI élu-
rent le bienheureux Raymond de Capoue
pour général, et déposèrentElie de Toulouse,
qui gouvernait actuellement l'ordre, à qui
les provinces de France, d'Espagne, d'Ara-
gon, de Provence, de Sicile et de delà le
Phare, qui reconnaissaient pour pape Clé-
ment VII, prêtèrent toujours obéissance.
Celles qui élurent le bienheureux Raymond
10? DICTIONNAIRE DES
de Capoue furent les provinces d'Ilalie, d'Al-
lemagne, de Hongrie, d'Angleterre, de Po-
logne, de Grèce, île Dalmatie, de la terre
sainte, de Bohême et de Saxe. Après la moK
de ces généraux, chaque parti en élisait un,
ce qui dura jusqu'en l'an 1Ï18, que le pape
Martin V réunit tout l'ordre sous le P. Léo-
nard de Florence, qui avait été élu par les
provinces d'Italie et les autres du même
'parti, ayant donné l'évôchéde Calcine à Jean
de Poggio, qui était reconnu par les Fran-
çais, par les autres provinces qui leur
étaient unies, et même par saint Vincent
Ferrier. Ce fut sous le généralat du P. Bar-
thélémy l'ester, qui succéda au P. Léonard,
que l'ordre commença à posséder des rentes
et des biens immeubles, par un privilège du
même Martin V. Les généraux font présen-
tement leur séjour ordinaire à Rome dans e
couvent de la Minerve, qui est double, l'un
pour les religieux de la province de Rome,
et l'autre pour les étrangers qui se trouvent
à Rome chargés des affaires de leurs provin-
ces. C'est dans ce lieu qu'est l'appartement
du général, qui est fort spacieux. Il y a dans
ce couvent une riche bibliothèque qui a été
rendue publique l'an 1700 par la magnili-
cence et la libéralité du cardinal Casanatlc,
qui pour l'augmenter a donné la sienne,
composée de cinquante mille volumes sans
les manuscrits, avec un fonds de quatre
mille écus romains de revenu , voulant
qu'une partie de ce revenu s'employât tous
les ans à l'achat des livres nouveaux, et
l'autre partie ta l'entretien de deux Pères bi-
bliothécaires et d ■ deux convers pour le ser-
vice de la bibliothèque, de deux lecteurs qui
doivent enseigner la doctrine de saint Tho-
mas, et de six théologiens do différentes na-
tions et du même ordre, pour s'opposer par
leurs écrits aux nouveautés des dogmes qui
pourraient naître au préjudice de l'unité et
de la vérité de la loi de l'Eglise catholique;
il a fait encore d'autres fondations qui ren-
dront sa mémoire immortelle. Outre ce cou-
vent de la Minerve et celui de Sainte-Sabine,
ils en ont encore un sous le nom de Sainl-
Nkolas de Perl'etti, et deux monastères de
filles; mais il n'y a point de villes où ils en
aient davantage qu'à Naples, puisqu'on y
compte vingt-huit couvents de cet ordre, sa-
voir, dix-huit d'hommes et dix de filles.
Nous avons parlé dans le § précédent de
l'habillement de ces religieux. Les frères
laïques sont distingués des prêtres en ce
qu'ils portent un scapulaire et un capuce
no rs, et que les prêtres ont un scapulaire
blanc, ne mettant le capuchon noir par-des-
sus la chape que lorsqu'ils sortent ou qu'ils
sont en habit de chœur. Les religieux d'Es-
pagne et de Portugal avaient toujours porté
des chapes grises, jusque sous le généralat
du P. Martial Auribe le, qui, ayant été élu
l'an i'« 3, les obligea de prendre des chapes
nui; es. Les armes de l'ordre sont chape d'ar-
gent et de sable à un lis tige, et une palme
d'or passée en sautoir, brochant sur le tout,
et une étoile d'or en chef, l'argent chargé
d'un livre, sur lequel est un chien posant sa
ORDRES RELIGIEUX.
ios
palle sur un monde, et tenant à sa gueu! fî
flambeau allumé; l'étu timbré d une cou-
ronne ducale, ayant pour cimier une liarre,
une mitre, un chapeau île cardinal, une
crosse et une croix patriarcale. Favin pré-
tend que et ordre portait anciennement pour
armes, gironé d'argent et de sable à une
crois fleurdelisée, partie de l'un en l'autre,
à la bordure comportée de huit pièces aussi
d'argent, et de sable à huit étoiles de l'un
en l'antre, et huit besans de même. Cet or-
dre illustre a présentement pour chef le ré-
vérend P. Antonin Cloche, Français, qui fut
élu l'an 1G85, du consentement unanime de
tous les vocaux, pour ses excellentes quali-
tés, dans le chapitre générai qui se tint à
Rome après la mort du K. P. de Monroy.
Nous avons dit dans le § précédent que
l'on nomme en France ces religieux Jaco-
bins à cause que leur premier' maison à
Paris est située dans la rue Saint-Jacques.
M. Heimanl, curé de Maltot, i.it qu'on les
appela aussi en Italie Jacobites, parce qu'ils
imitaient la vie apostolique, et que quelques
auteurs les appellent les Prédicateurs de
Saint-Jacques ; mais M. Henuant rce nomme
point ces auicurs. Cependant s'il était vrai
qu'ils eussent eu le nom de Jacobites à
cause qu ils imitaient la vie apostolique, ou
celui d< Prédicateurs de Saint-Jacques,
pourquoi leur aurait-on donné plutôt le nom
de Prédicateurs de Saint-.ïacques ou de Ja-
cobites, que celui de quelque autre apôtre?
Ils peuvent néanmoins avoir été appelés à
Paris Jacobites; car j'ai des épîlres canoni-
ques et rites à la main l'an 150 j par un pro-
fesseur en théologie de l'université de Paris,
qui les appelle ainsi ; mais il y a de l'appa-
rence qu'il ne le faisait que par dérision, et
pour se venger d'en avoir été maltraité dans
une dispute qu'il avait eue sans doute avec
eux au sujet de l'immaculée conception de
la sainte Vierge, comme il paraît par ce qui
est à la fin de ce manuscrit: Ego Petrus lli-
cliarcli annos agens 4r>, in aima tlieologoruin
Faculiate Paris ensi professer indighus, née
non in Ecclcsia Trecensi canonicus, has epi-
stolas manu mea propria de.<cripsi, ausilianle
Domino N. J. C. et immaculata ejus Maire
Maria omni laude dignissima, anno salatis
îo fk. Férié 3 post lnvocavil. Eodem onno
fratres Jacobit e sœpe expugmvervml me, std
laus Deo et conceptioni Mariœ intemeralœ :
non potuerunt mihi. Parcat ci s AHissimns.
Voyez les auteurs cités dans le § précé-
dent, et, pour les provinces particulières de
cet ordre : Louis de Urrela, llist. de la su-
grqda orden de Predicadores en Etiopùu An-
tonio de Rcmasal, IJisl.de la Provinda de
Sanlo-Vincente deChyapa y Guatemala. Au-
gust. d'Avila, Hist. de la Provinçia de S.
Jago. Dorn lionzalès, Hist. de la Provincia
del Rosàrio de Filipinas Japon y China.
En parlant des missions auxquelles, en
diverses contrées, les Dominicains s'eni-
p oient avec zèle et avec fruit, le P. Hélyot
n'a point mentionné leur opposition aux Jé-
suites dans l'affaire des rits chinois, proscrits
par le cardinal de Tournon, envoyé dansUes
IBS DOM
missions (i'Oricnt pour informer de cette im-
portante affaire, et condamnés ensuite par
le saint-siége. On sait que les Jésuites, qui
connaissaient mieux que personne , il est
■vrai, ce qu'il pourrait y avoir de supersti-
tieux dans cc9 cérémonies, ne montrèrent
pas une obéissance aussi ponctuelle et aussi
prompte qu'il le fallait, et on les en a géné-
ralement blâmés. Néanmoins, il faut bien
rabattre des blâmes qu'on leur a donnés,
quand on voit les mesures de prudence pro-
visoire que Borne prescrivit aux mission-
naires qui la consultaient après la suppres-
sion de la Compagnie de Jésus. Les Domini-
cains ont vu aussi quelques-uns des leurs
donner dans le jansénisme, et le fameux
P. Lambert, mort dans les commencements
du dix-neuvième siècle, a poussé son affe-
ction àcette erreur jusqu'à un fanatisme ri-
dicule. Ils ont eu des membres de leur ord:e
qui ont embrassé les erreurs de la constitu-
tion chile du clergé, mais en même temps
ils ont eu également des religieux qui ont
donné l'exemple de la soumission à l'Eglise
et d'une fidélité héroïque aux bons princi-
pes. Cet ordre respectable continue aujour-
d'hui ses bonnes œuvres dans les missions
lointaines ; nous en donnerons pour exem-
ple celles de l'Amérique du Nord, auxquelles
nuis nous bornerons, sans parler de ses
établissements dam les missions d'Orient et
ailleurs actuellement en activité. Le premier
évéque (le New-York a été le P. Richard-
Luc Concanen, assistant général de l'ordre
des Frères Prêcheurs ; et c'est d'une lettre du
P. F. D. Fenwicfc, son confrère, qui- nous
lirons ces détails sur rétablissement des Do-
nauicains aux Liais-Unis. Le P. Fenwick
avait d'abord conduit les catholiques de
Malaoumen dans l'Etal du Maryland. Il alla
depuis se tixer dans le Kentucky dès les
premières années du dix-neavièrue siècle,
car il était déjà depui- quelque temps à Pis—
catawey en août 1805. 11 était venu d'Angle-
terre s'établir en ces contrées, adressant, en
partant, aux catholiques et àla noblesse de
la Grande-Bretagne une circu aire pour se
procurer leur intérêt et leurs secours. Né
dans le Marylaud, Fenwick était allé se
faire Dominicain à Bornhem, en Flandre,
dans le dessein d'établir plus lard un sémi-
naire de religieux de son ordre dans sa pa-
trie, et d'y propager la religion par ce moyen
puissant. Les révolutions arrivées en Eu-
rope retardèrent longtemps l'exécution de
son projet, pour lequel ii fut autorisé par
ses supérieuis de Rome et d'Angleterre ; et
M.Carrol, évéque de Baltimore (siège qui ne
fut que plus tard érigé en archevêché), lui
promit la plus ferme assistance. 8a cii\ u-
lairc lui procura une .omme importante, et
il arriva au Maryland vers le milieu du mois
de mai, accompagné du P. Antoine Angier.
L'évéc;ue de Baltimore lui conseil. a de tixer
son établissement dans la provint* éloignée
duKcnlucky, où les catholique^ le désiraient,
et il y projetait l'éreeM m du i collège. Il ne
trouva (tans le Keiilueky que Panne Badin,
prêtre secui'er, qui les recula bras ouverts,
DOM
110
et qui dans les commencements éprouva
quelques peines causées par le peu de fer-
meté des Dominicains pour le soutien de la
morale dans l'exercice du saint ministère.
Le P. Fenwick s'établit enfin dans le comté
de Washington , près de Sp'i ing-Field, et
acheta une propriété de 880 Publ d'étendue,
contenant ééjà une maison assez bien bâtie
etc., et cela du produit de ses biens pater-
nels, dont il retira 5000 piastres. Ce trait
lui méritait la reconnaissance de ses compa-
triotes, de toute la religion même et sort ut
des Dominicains, dans l'histoire desquels il
méritait au moins celle mention. Il était ac-
compagné, quand il commença enfin cette
fondation, des PP. M", Thomas Wilson, An-
toine Angier, Raimond Tuite, qui ont donc
été les premiers missionnaires Dominicains
de cette contrée, alors exploitée par les hé-
rétiques, comptant déjà neuf ou dix impri-
meries à leur service, et qui trente-cinq ans
auparavant if était qu'une forêt inculte, ha-
bitée seulement par les sauvages, vivanl de
chasse et de pêche. Le P. Fenwick fat de-
puis élevé à l'épiscopal.
L'ordre possédait à Rome, au demi r siè-
cle, les maisons sii.antes: 1" Sainte-Marie
de la Minerve, 2 Sainte-Sabine, 3° Saint-
Sixte le Vieux, 4° ^ainl-Clément , 5° Saint-
Nicolas de Perfetii, 6" Notre-Dame du Ro-
sa re au honte-Mario, 7° Sainl-Cyr et Sainte
Julilte, 8° la Pénitencerie de Sainle-Marie-
Maj ure. La maison de la Minerve est en-
core aujourd'hui le chef-lieu de l'ordre et la
résidence du général.
L'institut possédait autrefois à Paris trois
maisons, celle de Saint-Jacques, rue Saint-
Jae ;ues, d'où leur est venu, comme on sait,
le nom de /flCôêfrfS, qui était la première
maison de l'ordre en France, et le col ége de
cet institut. On y comptait, il y a un siècle,
quatre-vingts religieux. 11 n'y avait pas de
noviciat, il se faisait en province. La biblio-
thèque de celte maison était de quinze à
seize mille volumes. C'étail beaucoup, mais
peu néanmoins comparativement aux biblio-
thèques des deux autres maisons dont nous
allons parler, et qui n'avaient pas un si haut
rang dans la nomenclature des monastères
de l'ordre ; cette bib'ioliièque contenait plu-
si urs manuscrits d'ouvrages île piété, lé-
gués par saint Louis à ces religie x, qu'il ai-
m il beaucoup. L'église du couvent, qui
depuis longtemps menaçait ruine, avait été
abandonnée par les religieux avant la Revo-
ie.Hou, et l'office divin >-e célébrait dans la
s; Ile des exercice , connue sous le nom
û'Ecoles de Snint-TImmos. On remarquait
dn-.s ces écoles, situées à c Vé de l'église et
bâties au seizième sièeie, aux frais du i\
Jean Biuet, une ébattre revêtue de marbre,
dans laquelle était, dit-on, renfermée celle
qui avait servi a ^aint Thomas d'Aquin. Ce-
pendant la vieille égHSê; vasle i t partagée
et» deux dans toute sa longueur, comme
celle de- Dominicains de Toulouse, asub-
sis é encore après la Révolution e a servi de
inaain. On voit encore les restés de ci
m ...istère dans la rue des Grès.
il)
Le couvent des Dominicains de la rue
Saint -Honoré était situé entre l'église Saint-
Roch et la place Vendôme. C'est dans la
salle de la bibliothèque de celte maison que
se réunit cette horde d'êtres gâtés par le gé-
nie du mal et des passions humiliâmes, qui
prirent ou reçurent du lieu de leurs séances
et garderont dans l'histoire le nom hideux
de Jacobins. L'église des religieux , les bâti-
ments fort simples et les jardins, qui occu-
paient presque tout l'espace qui est entre ia
rueSaint-Honoré et la rue Neuve-des-Petits-
Champs, ont disparu, et l'on a transporté
sur ce vaste terrain le marché qui s'y voit
actuellement. Celle maison, où les éludes
étaient cultivées, possédait un cabinet d'his-
toire naturelle très-curieux, formé par les
soins du P. Labat, connu par ses relations
d'Afrique et d'Amérique. Peu de couvents de
l'ordre avaient, croyons-nous, une biblio-
thèque aussi nombreuse, car on y comptait
environ trente-deux mille volâmes, le dou-
ble de celle du célèbre couvent de la rue
Saint-Jacques. Celte riche bibliothèque pos-
sédait des éditions rares et des manuscrits
précieux. On y conservait soigneusement
une chaise qui avait servi, disait-on, à saint
Thomas d'Aquin. 11 y avait un noviciat dans
cette maison, et les aspirants payaient deux
cents livres pour le noviciat et deux cents
livres pour l'habillement. Elle renfermait il
y a un siècle soixante prêtres et cent novi-
ces. Cette maison faisait partie de la congré-
gation Occitaine, dont nous parlerons en
traitant des réformes dans l'ordre des Frè-
res Prêcheurs (Voyez Lombabdie) ; mais cette
congrégation fut érigée en province sous
l'invocation de Saint-Louis.
Outre ces deux monastères mentionnés par
Hélyot, les Dominicains en possédaient à
Paris un troisième, donl il ne parle point, et
qui était situé au faubourg Sainl-Germain.
Afin d'assurer le succès de la réforme du
P. Sébastien Michaelis, mort dans le couvent
de la rue Samt-Honoré, le P. Nicolas Ro-
dolphi, général de I ordre, résolut d'établir
en France un noviciat général pour ceux
qui voudraient embrasser cette réforme. Il
y fut autorisé par un bref d'Urbain VIII ,
donné en 1629, par des lettres patentes de
Louis XIII, et trouva en même temps dans
le cardinal Richelieu un protecteur puis-
sant qui, par ses bienfaits, mérita d'être
considéré comme le fondateur du nouvel
établissement. Dès 1631 , quatre religieux
lires de la maison de la rue Sainl-Honoré
avaient été placés dans celle-ci, située rue
Sainl-Dominique-Saint-Germain et qui n'é-
tait alors qu'un bâtiment très-simple, avec
un jardin et un clos contenant sept arpents
et demi. Ils s'y firent construire aussitôt une
petite chapelle, qui fut bénite en 1632. Le
nombre des sujets qui se présentaient pour
obtenir leur admission dans l'ordre, aug-
mentant chaque jour, il fallut penser à bâtir
des lie x plus réguliers. Ils commencèrent
par l'église, qui fut élevée sur les dessins de
l'architecte Pierre Bullel. La première pierre
eu fut posée en 168*2, par Hyacinthe Serroni,
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 112
archevêque d'Albi, et par madame Anne
Monlbazon, duchesse de Luynes. Elle fut
aehevée l'année suivante. Le bâlimenl, dé-
coré intérieurement d'un ordre de pilastres
corinthiens, offre tous les caractères de l'ar-
chitecture employée à celte époque dans les
édifices sacrés, et du reste n'a rien de remar-
quable. Le portail, rebâti quelques années
avant la révolution par le frère Claude, reli-
gieux de cette maison, se compose de deux
ordres élevés l'un sur l'autre, dans la forme
pyramidale adoptée pour le plus grand
nombre des églises de Paris et de quelques
autres villes, et même dans la boiserie de
quelques autels. Ces deux ordres, dont l'en-
semble a quelque apparence, sont d'une pro-
portion el surtout d'une maigreur qui peut
choquer l'œil le moins exercé. Nous sommes
cnlré dans ces détails sur cette église parce
qu'elle existe encore aujourd'hui el est celle
de la paroisse Saint-Thomas-d'Aquin. Le
couvent, qui est habité en partie par des
particuliers et en partie occupé par le musée
d'Artillerie, a élé le séjour de plusieurs reli-
gieux célèbres, entre autres du P. Vincent
llaron, docteur de l'université de Toulouse
et théologien distingué du dix-septième siè-
cle ; du frère Jean-André, peintre habile, et
dont les tableaux faisaient le principal orne-
ment de l'église et du monastère; du frère
François Romain , ingénieur et architecte
très-estimé. On lui doit le plan du pont de
Maëstricht et une partie de sa construction.
Louis XIV, qui l'avait chargé de la conduite
du Pont-Royal, fut si content de ses travaux,
qu'il lui confia l'inspection des ouvrages des
ponts el chaussées, et la réparation des bâ-
timents dépendants de son domaine. C'est
ainsi que les monastères renfermaient une
réunion d'hommes ignorants el inutiles.
Cette maison des Dominicains du faubourg
Saint-Germain était sous la seule direction
du général de l'ordre, et depuis un temps
immémorial les supérieurs étaient tirés de la
province de Toulouse. La province occitaine,
à laquelle elle appartenait d'abord, ayant
été érigée en province, elle avait un noviciat
qui n'avait aucun rapport avec celui de la
rue Sainl-Honoré. Ce noviciat était d'un an,
et on n'y payait point de pension. La biblio-
thèque de la maison, composée de plus de
ving-qualre mille >olumes, était ornée de
deux globes de Coronelli.
Pour résumer ce que Hélyot a dit de l'il-
lustration de cet ordre célèbre, nous rap-
pellerons qu'il a eu plusieurs saints cano-
nisés, des savants illustres, et surtout saint
Thomas d'Aquin, quatre papes (Innocect V,
Benoît XI, saint Pie Vct, depuis la mortd'Hé-
lyol, Benoit XIII), un grand nombre de cardi-
naux, de patriarches , d'archevêques, d'é-
vêques, de docteurs et d'écrivains célèbres.
Le P. Jacques Echard el le P. Touron, tous
deux Français, ont écrit l'histoire des hom-
mes célèbres de leur ordre. On a vu dans le
premier article d'Hélyot que l'habit des Do-
minicains avait été différent à l'origine do
l'ordre. Comme ils mettaient sur leur habit
blanc un manteau et un capuchon noirs, on
115
DBA
DBA
114
les appela jadis en Angleterre les Frères
noirs, tandis qu'on appelait les Carmes
Frères blancs.
Les Dominicains ont des maisons en di-
verses contrées, en Italie, en Angleterre, en
Irlande, à Gand el autres lieux de la Belgi-
que. En l'année 183:!, l'empereur de Russie
a supprimé dans la seule province de Mohi-
low cinquante-cinq monastères de Domini-
cains; vingt-neuf restent encore ou du
moins restèrent alors. La révolution d'Es-
pagne a détruit tous les couvents de Domi-
nicains ; il en reste, dans les Etats soumis à
l'empereur d'Autriche, trente-sept contenant
deux cent deux religieux. Les Dominicains
ont actuellement pour supérieur ou maître
général le R. P. Ange Ancarani, et pour pro-
cureur général le P. Joseph Alberli , tous
deux résidant à Rome. Quelques tentatives
avaient été faites sans sucrés aux diocèses
de Rodez et d'Evreux el peut-être ailleurs,
pour rétablir en Fiance l'institut de Saint-
Dominique. M. l'abbé Lacordaire ayant em-
brassé l'oidre des Frères Prêcheurs, sous le
nom de F. Dominique, après avoir fait son no-
viciat à Home, a été autorisé par le général à
rétablir rel ordre dans sa patrie. Après plu-
sieurs projets d'établissement en divers dio-
cèses, il a pu enfin se Oxer à la maison, du
Cholais, appartenant autrefois aux Char-
treux el originairement à une congrégation
spéciale de Bénédictins que nous ferons con-
naître dans le Supplément. C'est donc à Cho-
lais, au diocèse de Grenoble, qu'il a établi le
chef-lieu de celte future et prochaine pro-
vince de France, et qu'il a donné l'habit aux
premiers novice-, le 4 août 1845. Comme
celte province, sans faire une réforme parti-
culière, sera pourtant une sorte de congré-
gation spéciale dans l'ordre, nous consacre-
rons un article exprès à cette palingénésie
des Dominicains en F'rance. Vvy. Domini-
cains, au Supplément. B-D-K.
DOMINIQUE (Congrégations diverses de
l'ordre de Saint-}. Voyez Lombard. e, etc.
DOMINIQUE (Ordre de Saint-). Voyez
Dominicains.
DONAT (Saint-) Voyez Césaire (Saint-).
DORDRECHT. Voyez Algdstins.
DORÉS (Chevaliers). Voyez Constantin
(Chevaliers de).
DRAGON RENVERSÉ, des Disciplines, de
l'Aigle-Blanche, du Tusin , de Notre-
Seignelr et de si Passion, de la Fidé-
lité, et de Saint-Rupeht, en Allemagne
(Chevaliers du).
Presque tous les écrivains conviennent que
l'empereur Sigismond a institué un ordre
militaire sous le nom du Dragon renversé
ou vaincu, mais ils ne s'accordent pas sur le
li mps auquel se fit celte institution : les uns,
après Michieli, la mettant l'an 1400, et les
autres, après Favin, prétendant que re fut
l'an i418. Michieli ajoute que le motif qui
porta ce prince à instituer cet ordre fut afin
que les chevaliers qui le recevraient pussent
combattre les hérésies qui infectaient la Bo-
hême el la Hongrie, el que, pour cet effet, il
sollicita la convocation des conciles de Cons-
tance et de Bàle, où ces hérésies furent con-
damnées. Sur ce fondement il n'y a point de
doute que Michieli ne se soit trompé en met-
tant l'institution de cet ordre en 1400, puis-
que les conciles de Constance et de Bâle ne
furent tenus, le premier qu'en 1414, el le se-
cond l'an 1431, el que Jean Hus ne com-
mença à semer ses erreurs en Bohême qu'en
1407.
L'abbé Giusliniani fait voir que ceux qui
ont cru que cet ordre n'a\ait été institué
qu'en 1418, après la tenue du concile de
Constance, se sont pareillement trompés»
prelendant qu'il était établi avant l'an 1397 :
ce qu'il prouve parle testament de François
det-Poizo, de Vérone, de la même année, où
il est parlé de son fils Viclorio del-Pozzo,
chevalier de l'ordre du Dragon, qui était
pour iors auprès de l'empereur Venceslas,
oùGaleas Visconti, prince de Vérone, l'a-
vait envoyé pour quelques affaires. Voici ce
que porte re le-tamenl, dont l'original est
conservé dans la maison des seigneurs Poz-
zo de San- Vitale, et dont il esl l'ait aussi men-
tion dans la généalogie de celte maison,
écrite par Jean-Bapiiste Merlo et imprimée
à Vérone. In omnibus, et inslituit et esse
voluit s/i. et egreg.virum D. Victorium aPtt-
tej militent Draconis ejus dileclissimum fi-
lium, qui modo, pracepto magn. et potentiss.
D. Jo. Galealii, rtperitur cipud serenissimum
Venceslaum imperatorem nostrum, pro ejns
negoliis pertraclandis. Ce qui fait croire a
l'abbé Giusliniani que l'empereur Sigismond
avait fondé cet ordre lorsqu'il épousa, en
1385, Marie, reine de Hongrie, ou le jour
qu'il fut couronné roi de Hongrie l'an 1387,
parce que ce jour-là il fil chevalier Panta-
léon Barbo, ambassadeur de Venise. Le mê-
me auteur ajoute que ce prince étant devenu,
dans la suile, empereur et roi de Bohème, et
ayant reçu la couronne impériale à Rome,
l'an 1493, il fit, en passant à Vérone, plu-
sieurs chevaliers, aussi bien qu'à Manloue,
où il alla ensuite; et que les armes de ces
chevaliers se voient encore daus plusieurs
églises et sur les portes de plusieurs palais
de Vérone, avec deux dragons au-dessous
de ces armes, dont l'un regarde l'ecu, leurs
queues passées sous le corps, tortillées au-
tour du cou par le bout, et ayant chacun une
croix sur le dos. Favin a donne la représen-
tation du collier de cet ordre, composé de
deux ihaines d'or, sur lesquelles sont des
croix à double traverse, avec un dragon
renversé au bout du collier (1).
Mennénius, sur l'autorité de Jérôme Ro-
man, historien espagnol, dit que sous les
empereurs Sigismond et Albert II il y a eu en
Allemagne Irois ordres militaires fort célè-
bres, el qu'un certain Moïse Didace de Va-
lera, espagnol, reçut de l'empereur
ces Irois ordres, savoir : celui du
(1)Voy..àlanndiivol.,n*16.
us
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
U6
dont nous venons de parler, que ce prince
lui donna comme roi de Hongrie ; celui du
Tusin, comme roi de Bohême, et celui des
Disciplines nu de l'Aigle-Blanche, comme
archiduc d'Aulriclie. Mais comme l'Autriche
n'a été érigée en archiduché que par l'empe-
reur Maximilien 1er, l'an 1495, Albert, qui
mourut l'an 1440, n'aurait pu donner l'ordre
île l'Aigle-Blanche à ce Moïse Didace de
Valera en qualité d'archiduc d'Autriche.
Aussi les hisioriens sont-ils partagés au su-
jet de l'institution de cet ordre, que quel-
ques-uns attribuent à Uladislas V, roi de Po-
logne, surnommé Lokler, qui, selon eux,
l'institua au mariage de son fils Casimir le
Grand avec une fille du duc de Lithuanie, en
1325, ajoutant qu'un nid d'aiglons qui fut
trouvé par Lechus, premier prinre de Polo-
gne, lorsqu'il faisait creuser les fondements
de la ville de Gnesne, donna occasion à Ula-
dislas de prendre pour marque de cet ordre
Une aigle blanche couronnée, pendanle à un
collier composé de chaînes d'or (1). 11 se peut
faire qu'il y .lit eu aussi en Autriche un ordre
sous ce nom et sous celui des Disciplines,
dont le collier, selon quelques écrivains,
était en forme de baudrier, où étaient atta-
chées des aigles blanches. Quoi qu'il en soit,
l'an (705, Frédéric-Auguste, roi dePologne et
duc de Saxe, renouvela dans ce royaume
l'ordre de l'Aigle-Blanche, et donna à plu-
sieurs seigneurs qui avaient suivi son parti
une aigle blanche [aveccetledevise, pro fuie,
lige et rege.
S'il est vrai que l'empereur Albert II don-
na à ce Moïse Didace de Valera les trois or-
dres du Dragon, de l'Aigle-Blanche et du
Tusin, ce dernier aurait été institué avant
l'an 1562, quoique l'abbé Giustiniani dise
que dans l'incertitude où on est de son ins-
titution on doit conjecturer qu'elle ne peut
avoir été faite que dans cette année, puisque
selon lui les archiducs d'Autriche eu ont été
les fondateurs, et que ce ne fut que dans ce
temps-là que l'on donna le litre d'archiducs
à Ferdinand et à Charles, neveux de l'em-
pereur Charles V. Mais cet auteur n'a pas
fait réflexion que ce Ferdinand n'eut que ls
titre d'archiducd'lnspruck, et son frère n'eut
que celui d'archiduc de Gratz; que leur
père Ferdinand, frère de l'empereur Charles
V, avait été archiduc d'Autriche dès l'an
1520, et que l'Autriche avait été érigée en
archiduché pac l'empereur Maximilien I ',
comme nous avons déjà dit. Schoonebeck,
qui ne parle qu'après l'abbé Giustiniani et
qui souvent traduit mal cet auteur, dit que
l'ordre du Tusin dépendait des archiducs
d'Autriche, et que Ferdinand et Charles, qui
étaient frères, furent les premiers qui reçu-
rent cet ordre, l'an 1562. Ce qui e t certain,
c'e^t qu'on ne sait point quelle a été l'origi-
ne de cet ordre ni pourquoi on lui donna le
nom de Tusin. L'abbé Giustiniani dit encore
que ces chevaliers portaient un manteau
rouge sur lequel il y avait une croix verte
(2), qu'ils faisaient vœu de chastelé et d'o-
V \
(1) Vày., à la fln du vol., n* 17.
béissance au saint-siégeet à leur souverain»
et qu'ils suivaient la règle de Saint-Basile;
mais cet auteur a soumis à la même règle et
à d'autres tant d'ordres de chevalerie qui
n'en ont eu aucune, que nous n'ajoutons pas
beaucoup de foi à ce qu'il dit de ces cheva-
liers, qu'il confond peut-être avec les che-
valiers d'un autre ordre qui subsistait en
Hongrie, et qui étaient habillés de cette
sorte, desquels Mennénius fait mention suv
le rapport de Jérôme Mégiser, historiogra-
phe de l'archiduc d'Autriche, et dont Josse
Annanus et quelques autres ont donné l'ha-
billement sans parler de leur origine, ne
leur donnant seulement que le nom de che-
valiers hongrois. Quoi qu'ilen soit, nous don-
nerons l'habillement de ces chevaliers sous
le nom du Tusin.
Favin, Théâtre d'honneur et de chevalerie.
Le P. Anselme, Palais de l'Honneur, Ber-
nard Giustiniani, Hist. dï lutt. gli ordinx
militari. Mennénius, Deliciœ equest. ordin.
Herman et Schoonebeck, dans leurs Histoi~
res des Ordres religieux.
A ces anciens ordres d'Allemagne nous
joindrons encore trois autres ordres militai-
res qui ont été établis de nos jours par des
princes allemands. Le premier est celui de
Jésus-Christ et de si Passion, que le prince
Charles, neveu de l'électeur de Saxe Jean-
Georges IV, institua ; dont les chevaliers
devaient porter sur leurs manteaux une croix
de salin blanc ou en broderie d'argent, au
milieu de laquelle était l'image de Noire-
Seigneur, et au col un ruban bleu ta! isé,
ayant au bout une grande médaille d'or où
la même image était gravée; et étaient obli-
gés d'assister avec dévotion au service qui
se fait le vendredi et le samedi de la semai-
ne sainte. Le 7 février fut choisi pour la cé-
rémonie de l'in litution de cet ordre. L'ar-
chevêijue de Lèrambert célébra ponliGca-
lemenl la messe ci) l'église des Récollets do
la ville de I.elbe, avec la musique de Son
Altesse et l'harmonie des timbales et trom-
pettes; après quoi ce prince donna le collier
de l'ordre à ce pi élal, cl ensuite au prince
Adelphe, au prince Frédéri', son frère, à
celui de Nuremberg et à plusieurs autres
personnes de la pus haute qualité.
Frédéric 111, marquis el électeur de Bran-
debourg, ayant pris le titre de roi de Prusse,
institua le 14 janvier 1701 un ordre militaire
sous le nom de la Fidélité, et donna aux
chevaliers pour marque de cet ordre une
croix d'or émaillée de bleu ayant au milieu
les chiffres de ce prince F. R., et aux angles
l'aigle de Prusse émaillée de noir. Celte croix
est attachée à un ruban de couleur d'orange
que les chevaliers portent en f irrue d'écharpe
depuis l'épaule gauche jusqu'à la hanche
droite , dessus le justaucorps , la couleur
d'orange a1, ant été choisie apparemment en
niém ire de la mère du roi, princesse d'O-
range. Ces chevaliers portent encore sur le
côte gauche de leurs habits une croix brodée
d'crgeul, en forme d'étoile, au milieu de la-
(2) Voy.)àlalinduvol.,n0 18.
117
ECH
ecii
118
quelle est une aigle eu broderie d'or sur un
foiul d'orange, l'aigle tenant dans l'une de
ses serres une couronne de laurier, et dans
l'autre un foudre avec celle inscription au-
dessus de sa tète , Suum euique, en broderie
d'arpent. Cet ordre ne se donne qu'à ceux de
la maison royale et aux personnes les plus
considérables de l'Et.it, en reconnaissance de
leur mérite. Ceux qui reçurent cet ordre les
premiers furent le prince royal, les trois
margraves frères du roi, le margrave d' ns-
pac, les ducs de Cm lande cl d'Holstein , les
comtes de VVarlcmberg, de Barfuns, de Doua
et Loltum ; les quatre conseillers régents e
Prusse. MM. de Bcrbanl, Branschke, Creutz,
et Vallenrond ; le grand mailre de l'artillerie
et le général major , le commissaire général
comte d'Onhoff , le chambellan comte de--
Doua et M. Billau , grand maître d'hôtel de
la reine.
Il y a encore eu un ordre militaire institué
la même année 1701 par l'archevêque de
Salzbourg Jean-Ernest de ïhun, sous le nom
de Saint-Bupert, premier évéque de ce te
ville. Le prélat , après en avoir obtenu la
confirmation de l'empereurLeopold Ier, créa,
le 15 novembre, fê'e de saint Léopold, douze
che\ aliers de ce! ordre, qu'il choisit entre la
plus illustre noblesse de ses Etats : la céré-
monie se fit dans l'église de la Trinité , nou-
vellement construite , et il donna à chacun
de ces chevaliers une médaille d'or, avec
l'image de saint Rupert d'un côté, etde l 'autre
une crois ronge. La cérémonie fut suivie d'nn
magnifique festin, auquel les chanoines de la
cathédrale et plusieurs personnes de qualité
assistèrent, et deux fontaines de un coulè-
rent pendant le repas dans la place qui est
devant le palais. Le lendemain, le comte Er-
nest de 1 hun , neveu de l'archevêque , qui
l'avait fait commandeur de l'ordre, donna
aux chevali rs un autre repas magnifique,
qui fut suivi d'un combat d'ours et de tau-
reaux
E
ÉCAILLE. Voy. B.ode (Ordre de la).
ÉCHABPE. Voy. Hache.
ÉCHELLE (Religieux bospitaliers de
NOTRC-DiME DELLA S ALA OU DE l').
Des religi ux hospitaliers de A'olre-Drme
délia Sc&la on de l'Echelle, à Sienne, ifce
la vie du bienheureux Soror, leur fonda-
teur.
Voici des hospitaliers à qui Barbosa, Tam-
burin. Crusenius et quelques autres auteurs
donnent pour fondateur le bienheureux Au-
uslin Novelii, qui, après avoir élé chance-
lier de Main Fi oi, roi d • Sicile, se lit religieux
de l'ordre des Ermites de Saint-AugUstin ,
doit il fut ensuite général , et u-.t pour lors
péniienci r et confesseur du pape Boni-
face VIII; et ils prétendent nue ce fut vers
l'an 1300 qu'il fonda celle enngrégai n. C s
auteurs se sont peut-être fondés sur ce que
dans la vie de ce saint il est dit qu'il per-
suada à on homme riche de la ville de Sienne,
nommé Restauras, de d mner tout son bien à
l'hô. ilal de cette ville, et que, comme le bien-
heureux Augustin avait beaucoup de crédit à
Borne, il obtint des privilèges et des exemptions
pour cet hôpital et pour ceux qui le desser-
vaient, qui prirent le nom de religieux, et
auxquels il prescrivit une manière de vivre
et quel devait être l'habillement du recteur.
Selon l'auteur de cette vie, qui (à ce que
dit le Père Pap"broch) était contemporain de
ce bii-nheureux Augustin, il n'aurait pres-
crit ces règlem nls pour les religieux de cet
hôpital de Sienne que vers I'an"l300, puis-
qu'il ne les fil qu'après avoir renoncé au
généralat, qu'il exerça pendant deux ins, et
auquel il avait été élevé le 23 mai 1298,
comme remarque le même Papebroch dans
ses annotations sur cetlevie. Par conséquent
ces hospitaliers n'auraient été religieux que
dans le même temps, puisque l'autur de la
vie du bienheureux Augustin dil qu'il leur
en obtint la permission , ce qu'il a entendu
par ces paroles : Insuper et omnia ! onn
privilégia quœhabe! dictum hospilale, et quod
passent vocari fratres, et deeorumexempli me
a an'lu matre Eccle-in, ipse cum esset inn-
gnœ reputalionis in curia , acquisivit. Ce-
pendant il y avait des religieux dans cet hô-
pital dès l'an 1292, selon Giugurla Tomniai i
dans son H stoire de Sienne ; et, si !e re.c.tp.up
et eux qui desservaient cet hôpital n'eus-
sent pas été religieux , la république de
Sienne, à qui le pape Célestin III avait re .iâ
le gouvernement de cet hôpital l'an H9i,
en l'ôtant des mains des chanoines dé !<i
cathédrale, aurait pu les changer et en
mettre d'autres en leur place, l'an 12 (2,
voyant que par leurs malversations les re-
venus se dissipaient, et que les pauvres
élaient privés de secours. Mais cono
tail dans ce temps-là de véritables religieux
quMle ne pouvait pas renvoyer, elle em-
ploya seulement on autorité pour que l'hô -
pilai fût mieux go :verné à l'avenir qu'il
n'avait élé jusqu'alors. Le sénat (dit Tom-
n asi) envoya pour ce sujet six députés à
Orlando , qui en était recteur, et qui les
rebuta d'abord sans les vouloir entendre;
mais ils furent derechef envoyés avec ordre
exprès à ce recteur de réformer avec eux
les abus qui élaient dans celle maison , afin
que les pauvres fussent mieux soulagés à
l'avenir. Lesénat lui défendit en même te nps
de soumettre cet hôpital à aucune église ni
à aucun ecclésiastique, et fit des règlements
pour le bon gouvernement qu'il prétendit
qu'on observerai!. Ainsi cela détruit ce que
l'auteur de la vie du bienheureux Augustin
Novelii a avancé ; et n'y ayant eu que h^it
ans d'intervalle entre les années 1292 e|
1300, il semble que Tommasi aurait dû faire
mention des règlements qui avaient été Faits
par le bienheureux Augustin Novelii , s'il
est rrai qu'il en ait fait; mais au coutraire il
119
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
120
sic parle aucunement de lui, non plusqu'Or-
lando Malavolti, dans l'Histoire de Sienne,
qu'il a faite aussi. Au reste; il se peut faire
>iue le bienheureux Novelli leur ait seule-
ment procuré la règle de saint Augustin.
Il se trouve une peinture dans cet hôpital,
de l'an 144-2, laquelle représente le bienheu-
reux Augustin Novelli donnant l'habit au
recteur avec celle inscription au bas, Corne
S. Agoslino Novelo die l'abito aretlore de lo
spedale; mais on ne peut pas tirer de là une
conséquence qu'il a élé le fondateur de ces
hospitaliers. Peut-être en avait-il commis-
sion, ou bien ce recteur était bien aise de le
recevoir de sa main par dévotion. D'ailleurs,
il en était de ces recteurs comme de l'admi-
nistrateur de l'hôpital du Saint-Esprit en
Saxe, à Rome, qui est toujours une personne
distinguée, qui n'est pas tirée du corps de la
religion, quoiqu'il en soit général; et il
S'1 pourrait faire que le bienheureux Augus-
tin ayant persuadé à ce Ile staurus, dont nous
avons parlé, de donner tous ses biens, qui
étaient considérables, à cet hôpital, et cet
homme ayant voulu se consacrer au service
des pauvres, on l'aurait par reconnaissance
fait recteur de cet hôpital, et qu'il aurait
voulu recevoir l'habit des hospitaliers des
mains du bienheureux Augustin Novelli.
Lombardelli, dans la vie du bienheureux
Soror, qui est le véritable fondateur de ces
hospitaliers, après avoir dit qu'il recul l'ha-
bit des mains de l'archevêque de Sienne, de-
mande grâce au lecteur, et le prie de ne le
point faire passer pour un menteur, si par
hasard il lui tombe entre les mains une vie
du bienheureux Soror écrite par un auleur
anonyme, qui dit que ce fut le biriiheureux
Augustin Novelli qui lui donna l'habit. Il l'ait
en même temps remarquer que ces deux
bienheureux n'étaient point contemporains,
que le bienheureux Soror mourut l'an 898,
cl que le bienheureux Augustin Novelli vi-
vait en 1306. 11 ajoule qu'il est vrai que le
bienheureux Augustin donna l'habit et le
vole à une sainte femme, nommée Oiéla, qui
demeurait dans cet hôpital au service des
femmes malades. Ainsi, selon cet auteur, co
serait peut-être le bienheureux Soror qu'on
aurait voulu représenter dans ce tableau re-
cevant l'habit des mains du bienheureux
Augustin Novelli, et qui aurait donné occa-
sion a cet anonyme auteur de la vie du bien-
heureux Soror de dire qu'il avait reçu l'ha-
bit des mains du bienheureux Augustin No-
velli, ce qui ne peut pas être, et il n'y a
nulle apparence que ce dernier ait institué
les hospitaliers de Sienne, à qui nous don-
nons à plus jusle tilre pour fondateur le
bienheureux Soror.
Il naquit à Sienne le 25 mars de l'an 832,
de parents qui subsistaient plutôt du travail
de leurs mains que des biens de leur patri-
moine, dont ils étaient médiocrement pour-
vus. Ils ne laissèrent pas de donner de si
bonnes instructions à leur fils, et de l'élever
dans des sentiments d'une piété si solide,
qu'après leur mort, se voyant libre des soins
qu'il leur rendait, et des secours qu'il leur
procurait , il se dévoua entièrement au ser-
vice de Dieu dans les exercices de la péni-
tence. Pour cet effet il se prescrivit un genre
de vie qu'il ne changea que par raison de
conformité lorsqu'il eut établi la congréga-
tion dont nous allons parler. Il portait con-
linuellement le cilice, jeûnait trois fois la
semaine au pain et à l'eau, et les autres
jours il ne prenait que des viandes commu-
nes et en très-petite quantité. Je ne sais si
l'auteur de l'Histoire des Flagellants ne s'é-
lèvera point contre moi si je dis que le bien-
heureux Soror, pendant une heure du jour
et autant de la nuit, déchirait son corps avec
des disciplines armées de pointes de fer,
puisque c'est aller contre son sentiment, et
donner un exemple de celle sorte de mar-
tyre dans le neuvième siècle. Mais commo
je ne parle qu'après Lombardelli, qui rap-
porte ce fait dans la vie du bienheureux So-
ror, l'auteur de l'Histoire des Flagellants
pourra le lui contester s'il le veut, et je passe
aux autres mortifications de ce bienheureux,
qui à peine donnait à son corps quelque re-
pos la nuit, et le peu qu'il lui accordait n'é-
tait que sur une planche, employant le
reste de la nuit à la prière et à la méditation.
Il se levait à minuit pour aller à quelque
porte d'église dans laquelle on disait mati-
nes à cette heure-là. Le jour il assistait à
tous les offices, et visitait presque loutes
les églises de la ville et les autres lieux de
piété.
Mais, comme Dieu le destinait à secourir
les pauvres, il lui inspira d'abord la pensée
de donner un asile aux pauvres pèlerins,
qui, passant à Sienne pour aller à Rome, et
n'y ayant point de retraite assurée, étaient
obligés de coucher le plus souvent dans les
rues. Il avait une petite maison joignant l'é-
glise cathédrale, qu'il destina pour cette œu-
vre de charité, en la faisant servir d'hospice
pour ces pauvres pèlerins. 11 les invitait à y
venir loger, il leur lavait les pieds, leur don-
nait à manger, et raccommodait leurs habits.
Ses soins ne se terminaient pas à des assis-
lances simplement corporelles ; il s'appliquait
à leur procurer le salut éternel, en leur fai-
sant des instructions, les entretenant de cho-
ses spirituelles, et les consolant dans leurs
misères.
Son exemple, joint à ses exhortations,
anima tellement les personnes charitables
de Sienne, qu'il y en eut plusieurs qui vou-
lurent contribuer à son pieux dessein. Les
uns l'assistèrent d'argent, d'autres lui en-
voyèrent des vivres en abondance; de sorle
que par cette assistance il se vit en état d'aug-
menter sa chambre et d'y mettre un plus
grand nombre de lits. Les étrangers qui
avaient ressenti les effets de sa charité en
passant à Sienne, étant de retour chez eux,
lirent connaître ce saint homme, auquel on
envoya de différents endroits de grosses som-
mes, par le moyen desquelles il se vil en
état d'entreprendre de grands bâtiments
afin de pouvoir recevoir un plus grand nom-
bre de pauvres. Pour cet effet il jeta les fon-
dements de l'hôpital de Notre-Dame délia
121
ECU
ECO
Scala ou île l'Echelle, qui fui ainsi nommé à
cause qu'en creusant la terre pour faire les
fondements, on y trou.va trois degrés de mar-
bre que l'on crut être des restes d'un temple
qui était dédié à Minerve. Son hôpital étant
achevé, et étant ainsi beaucoup augmenté,
sa charité augmenta aussi en même temps.
Non content d'y loger les pèlerins, il y reçut
encore les malades d'* la ville et les étran-
gers ; et voulant que les pauvres prisonniers
se ressentissent aussi des aumônes qu'on lui
faisait, il leur envoyait à manger trois fois
la semaine. Sa charité, qui n'avait point de
bornes, le porta encore à recevoir les en-
fants exposés, et, par le moyen des grands
legs que l'on fit à son hôpital, il se trouva
en étal de faire apprendre des métiers à ces
enfants, afin qu'ils pussent gagner leur vie:
et il m niait même les files. Enfin cet hôpi-
tal est devenu si fameux dans la suite, qu'il
a présent ment plus de deux cent mille li-
vres de revenu, sans les aumônes, qui sont
considérables.
Le bienheureux Soror, voyant son hôpital
solidement établi, et que plusieurs personnes
qui s'étaient jointes à lui pour servir les
pauvres voulaient persévérer le restede leur
vie dans ce saint exercice de charité, il leur
prescrivit une forme d'habillement pour les
distinguer des séculiers, et dis îèglements
tant pour leur manière de vivre que pour
l'ordre du service des malades, la réception
des pèlerins et l'élection des officiers. 11 y
a*ait des règles qui regardaient le recteur en
particulier, et d'autres qui ne regardaient
que les frères. 11 y en avait aussi pour les
sœurs; car, comme il y avait dans l'hôpital
des appartements séparés pour les femmes,
elles étaient servies par des personnes de
leur sexe, qui étaient habillées de même que
les frères. Ces règles furent d*abord approu-
vées par l'évéque de Sienne, et confirmées
dans la suite, longtemps après la mort du fon-
dateur, par le pape Célestin III, l'an 1191, et
par plusieurs de ses successeurs. On y fit
néanmoins des changements en différents
temps, selon qu'on le jugea à propos pour le
plus grand bien de l'hôpital. Plusieurs hôpi-
taux d'Italie, voyant le bon ordre qu'on ob-
servait dans celui de Sienne, y voulurent
être soumis et le reconnaître pour leur chef.
Le recteur de Sienne envoyait des hospita-
liers dans ces hôpitaux, qu'il retirait quaud
il le jugeait à propos; et il y faisait la usité
comme général et nommait les recteurs. Il
avait aussi voix à l'élection de l'évéque, et
le droit de patronage dans plusieurs églises.
Les principaux hôpitaux qui dépendaient de
celui de Sienne étaient ceux de Florence,
de Saint-Geminien , d'Aquapend.nle , de
Rie'i, deTodi, de San-Miniata, de Poggibonzi,
de Saint-Savino, de Barberino, et de Caslel
délia Pieve; mais dans la suile ils se sont
soustraits de l'obéissance du recteur de
Sienne, et même tous ces hospitaliers, qui
eurent d ms la suile grand besoin de réforme,
à laquelle ils ne voulurent point entendre,
(1) Voy., à ia fin du vol., n* 19.
122
oui été entièrement supprimés vers le milieu
du xvr siècle. Quant au bienheureux Soror,
voyantque l'hôpital de Sienncaugmenlait en
revenus, il ne voulut faire aucune dépense
sans l'avis de deux gentilshommes de la ville,
auxquels il fit donner le nom de Sages de
Notre-Dame délia Scala ; mais dans la suite
le nombre de ces gentilshommes a été aug-
menté, et on en élit lous les ans huit le pre-
mier jour de janvier, qui doivent prendre
connaissance de toutes le recettes et de tou-
tes les dépenses de cet hôpital. Le bienheu-
reux Soror y mourut le 15 août de l'an 898.
L'on fut quatre jours sans le pouvoir mettre
en terre, à cause de la grande foule du peu-
ple qui ne le voulait point quitter. On le leva
de terre l'an U92 pour le meltre dans la sa-
cristie, et son corps fut trouvé tout entier et
sans corruption.
L'habillement de ces hospitaliers consis-
tait en une soutane noire comme celle des
ecclésiastiques, sur laquelle ils menaient une
chape ou manteau, et par-dessus celte chape
une espèce decamail.sur lequel il y avait du
côté gauche une petite échelle à trois éche-
lons surmontée d'une croix en broderie de
soie jaune, et pour couvrir leur tète ils
avaient un béguin d' toile noire qu'ils atta-
chaient avec des cordons sous le menton; et
sur ce béguin ils portaient un bonnet rond
large d'un palme et demi replié de la lar-
geur de quatre doigts (1), et ils n'ôlaient ja-
mais le béguin qu'en présence du pape.
L'habit du recteur n'était pas différent de
celui des hospitaliers, sinon que dans certai-
nes fêtes et cérémonies, sa chape et son bon-
net étaienl de velours, et l'échelle en brode-
rie d'or; mais je crois que la vanité y avait
fait ajouter quelque chose de plus que ce que
le bienheureux Soror avait ordonné.
Voyez Rolland, tom. IV" Maii. Lombardelli,
Vit. dell. li. Soror. Tommasi et Orlando Ma-
la volt i, Hist. de Sienna. Barbosa, de Jur.
ecclrsiastico lib. i, cap. VI. Ascag. Tambur.
de Jur. Abbat. tom. II. disp. 21. Crusen, A/o-
nastic. Augusl. Luigi Torelli, Sccoli Agosli—
ninni (om. V; et Philip. Bonanni, Culalog.
Ord. Relig. tom. \,p. 111.
ECOLES CHRÉTIENNES %t de l'ENFANT
JÉSUS (Frères et Soeurs des).
Le défaut d'éducation et d'instruction des
enfants de l'un et de l'autre sexe ayant tou-
jours élé la source de plusieurs dérèglements
qu'on voit régner au milieu du christianisme,
Dieu a suscité de temps en temps de saints
fondateurs et autres personnes pieuses, qui,
poussés d'un saint zèle pour la gloire de sa
divine majesté, ont tâché de remédier à ces
dérèglements en établis sa ni des congrégations
de l'un et de l'autre sexe, qui, sous différents
noms et des règles particulières, ont pour fin
principale l'instruction de la jeunesse. Telle
est celle des Ecoles Chrétiennes et charita-
bles de l'Enfant Jésus, qui ue diffère des
précédentes qu'en ce qu'elle renferme sous
123
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
124
Un même nom et sous une même règle des
personnes de l'un et de l'autre sexe, dont
les uns son! destines pour enseigner les gar-
çons, et les autres pour enseigner les filles.
Le P. Nicolas Barré, religieux de l'ordre des
Minimes, qu'ils reconnaissent pour leur in-
stituteur,nàquità Amiens vers l'an 1621. depa-
rents hnnnrtescl fort vertueux, qui n'omirent
rien pour lui donner une bonne éducation.
Lorsqu'il fui en âge de choisir un état de vie
dans lequel- il pût servir Dieu comme il sou-
haitait, il entra dans l'ordre des Minimes, et
y fit ses vœux l'an I6k%, âgé de 21 ans. Son
principal caractère était de retirer les plus
grands pécheurs des abîmes du désordre , et
de porter les âmes déjà gagnées à Dieu et
avancées dans la pieté à de plus hauts de-
grés de perfection. Ce fut ce zèle qu'il avait
de gagner de-, âmes à Dieu qui le porta à
unir ensemble plusieurs filles vertueuses
qui s'employassent à l'instruction des per-
sonnes de leur sexe. Le premier établisse-
ment s'en lit à Paiis l'an 1678, et le P. Barré,
voyant le succès de cet établissement , enga-
gea aussi des maîtres d'école à faire une
pareille société, qui fut commencée l'an 168J.
Les uns et les autres vivent en commu-
nauté, sans faire de vœux, sous la conduite
d'uii supérieur ou d'une supérieure, auxquels
ils sont obligés d'obéir. Selon l'esprit de leur
institut, ils doivent travailler sans relâche à
leur propre sanctification, par l'açquisi i n
de toutes les vertus. Leur emploi principal
est de tenir les écoles pour des enfants pau-
vres et indigents, et d'instruire des princi-
paux mystères de la foi les grandes person-
nes auxquelles Dieu inspirera d'avoir re-
cours à eux , et cela sans aucune distinction
ni acception de personnes. Il n'est pas néan-
moins permis aux Frèresde recevoir m leurs
écoles des filles, de quelque âge qu'elles soienl,
ni aux Sœurs des garçons, si jeunes qu'ils
puissent cire. Les uns et les autres ne peu-
vent pas non plus aller dans les maisons poii r
enseigner à lire, écrire ou travailler, sous
quelque prétexte que ce soi!. Ils doivent être
toujours disposés au premier ordre de chan-
ger de demeure pour aller faire l'instruction
aux lieux et aux personnes que les supé-
rieurs jugeront à propos, imitant en cela
l'exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
qui étant sur la terre enseignait dans les
bourgs et villages aussi bien que dans les
villes, allant pour cet effet partout où la
gloire de son Père l'appelait.
Ces instructions se don eut faire gratuite-
ment, en sorte que tant les Frères que les
Sœurs ne doivent rien recevoir de ce q i leur
sera offert par les parents des enfants qu'ils
instruisent, soit riches soit pauvres ; et à plus
forte raison leur rien demander, ni directe-
ment ni indirectement. Les dimanches et fê-
tes les Frères (ont des instructions publiques
et des conférences chrétiennes pour les hom-
mes et les garçons âgés qui y veulent venir,
et les Sœurs en font aussi pour les iilles et
les femmes. Quoiqu'ils ne fassent point vœu
d'obéissance ni de pauvreté', ils sont néan-
moins dans une si grande dépendance do
leurs supérieurs, qu'ils ne peuvent rien avoir
à leur insu ni disposer de rien sans leur vo-
lonté ni leur permission. S'il y a des écoles
dans la ville autres que celles qui sont dans
la maison, et qui dépendent de l'institut, le
supérieur des Frères doit visiter celles des
garçons, et la supérieure des Sœurs celles
des filles, tous les quinze jours ; cl, s'il y en
a auprès des villes, ils sont obligés d'y aller
au moins une fois tous les trois mois, et y
demeurer tout le temps qui sera nécessaire;
pour examiner de quelle manière les maîtres
et maîtresses se comportent, et l'édification
que le peuple en retire. Pour ce qui est des
écoles les plus éloignées , ils ne sont obligés
d'y aller qu'une fois l'année. Ces maisons
des Ecoles charitables sont sous la protec-
tion du saint Enfant Jésus et de la sainte
Vierge sa mère : c'est pourquoi leurs fêles
principales sont celles de la Nativité do
Noire-Seigneur, la Pentecôte et celle de la
Présentation de la sainte Vierge, auxquels
jours les Frères et Sœurs doivent faire une
protestation nouvelle de servir Dieu sincère-
ment, de se rendre dignes de lui appartenir,
et de suivre sa conduite en telle manière
qu'il voudra, et qu'il leur sera signifié par
leurs supérieurs. Ils doivent réciter en com-
mun tous lesdimanches les litaniesdes saints,
les jeudis celles du saint Nom de Jésus, ej le
samedi celles de la Vierge, dont iis doiv ut
réciter aussi l'office tous les jours. Tons les
ans ils font une retraite de dix jours. Ils
prennent chacun à l'alternative un jour de
rejraile, depuis e premier dimanihe de l'A-
yent, jusqu'à Noël, et depuis le dimanche de
la Passion jusqu'à Pâques, et en quelques
autres jours de l'année. Ils ne peuvent faire
aucune mortification ni austérité de corp§,
sous quelque prélexle que ce soit, sans le
consentement exprès du directeur général ,
mais au jour de leur associât on, il leur est
permis de faire quelque dévotion extraordi-
naire, aGn de renouveler l'esprit avec lequel
ils se sont consacrés ce jour-là aux emplois
qui regardent uniquement la gloire de Dieu
et |e service du prochain ; et deux fois la se-
maine ils reconnaissent leurs fautes en pré-
sence de toute la communauté assemblée.
Tels sont les principaux règlements que leur
a prescrits le P. Barré , leur instituteur,
qui mourut à Paris le 31 mai 1686, âgé de
65 ans.
11 y a déjà en France plusieurs maisons
tanl d'hommes que de filles de ces Ecoles
chrétiennes et charitables. La principale de
celles des Frères est à Paris au faubourg
Saiui Germain, et ils en ont en plusieurs pro-
vinces, comme le Poitou, l'Auvergne, la Lor-
raine, la Champagne, la Picardie, la Bour-
gogne, le Boulonnais i I le Berri. Ce qui est
honorable pue les Sœurs,c'< si que madame
de Maintenon en choisit quelques-unes pour
avoir soin de l'éducation des jeunes demoi-
selles qu'on éiève à Saint-C] r, lorsque le roi
Louis XÎV fit cet établissement, i'an 1686.
Les Frères ont pour habillement une sou-
tane et une houppelande, avec des manches
peudautes, le tout d'étoffe noire et grossie-
1$
fxo
re(i). Los Sœurs «ont vêtues plus propre-
m ni, mais mo est-mont, à peu près comme
|i - F Iles de l'Union Ghrétipnne.
lierai nt. Ifist. des Ordres religieux^ tom.
IV ; ci les Statuts et Règlements îles Ecoles
( /retiennes et charitables , imprimés à Paris
i\ n KJ85.
ÉCOLES PIEUSES ou ÉCOLES PIES ,'Clrrcs
KÉGl LIERS PAUVRES DE I.A MÈRE DE DlEU,
DITS di:s).
De 1 1 congréqation des Clercs Réguliers Pau-
vres delà Mère de Dit u (les Ecoles pieuses,
ave- la rie <lu vénérable P. Joseph Casa-
! nz. leur fondateur.
Entre les éloges que les souv< rains pon-
tifes ont donnés à la congrégation des Ciercs
Réguliers Pauvres de la Mère de Dieu, ils
1' ni appelée un institut pieu* et r< c iqimao-
deble, un institut digne lie louanges, un
institut fort uli e à la république I rélj une,
ei un ouvrage d'une ch ri é éprouvée et
d'une éducation | ar! aite. Et l'ordre d. Sai it-
Dominique, ; our montrer l'estime, qu'il fai-
sait aussi de c. te congrégation) ordonna,
par un décret du chapitre : enér 1 de l'an
1686,à tonslesprovinc aux el'or.'r , d'avoir
beaucoup de n pect et de vénération pour
les Cl rcs Kégulieis de cette congrégation, pt
d'en procurer auianl qu'il pourraient le
progrès et l'avance nent, ce que firent aussi
les religieux conventuels de l'urdre de
François , dans leur chapitre général de
l'an 1693.
Joseph Casalanz., fondateur de ces Ciercs
Réguliers des Ecoles pieuses, naquit à I é-
ralte de la Sal au royaume d'Aragon, le il
septembre lo'iti, de d m Pierre Casalanz et
(ie Marie Caslon, tous deux également no-
bles , allies a ix premières maisons du
royaume, et qui joignaient encore à hur
noblesse beaucoup de pieté. Il reçut ;.u
baptême le nom de Joseph, et lit paraître
dès ses plus faibles années les fruits de 1 1
bonne éducation ;u'il avait reçue de se; ; a-
rents. Etant parvenu à un âge pies avancé,
il fui envoyé aux écoles pour y apprendre
les lettres humaines, et après avoir fini ses
humanités '1 fit ses éludes de philosophie et
de droit dans l'université de Léiida, comme
la plus proche de Péralte, et qui n'en était
éloignée que de six lieues. Il alla ensuite à
Valence pour y faire son cours de théologie ;
mais il ne demeura pas longtemps dans celte
université, car une dame de considération
chez laquel'e il allait, sjrtMit conçu pour lui
u n a nour dé- lion nèle, et ayant voulu donner
altciiiie a sa chasteté, il abandonna Valeurs
pour éviter ses poursuites, et alla continuer
sa théoloiie dans l'uni'. rs;te il' Ai ala d'Hcn-
narés, où il reçut le bonnet de docteur.
Dans le temps qu'.l étudiait dans celle
université, son frère aine mourut, a près avoir
vécu irois ans dans le mariage saus laisser
d'enfants ee qui avait porte son père à le
solliciter de revenir à Peralte, afin de l'enga-
ger dans le mariase, le regardant comme le
soutien de sa famille, étant le seul enfant
mâle qui lui restât. Mais Joseph Casalanz,
qui avait bien d'autres pensées et qui ne
songeait qu'à se donner à Dieu, appréhen-
dant que son père ne le violentât à suivre
ses volontés, auxquelles il avait toujours été
soumis, ne revint point à Péraltc. Après
avoir pris ses degrés dans l'université d'Al-
cala, il alla à Jacca, où il demeura pendant
deux ans avec l'évèque de cette ville, dom
Gaspard Jean de la Figuera, en qualité de
son aide d'étude. Comme ce prélat, qui avait
enseigné dans l'université de Salamanque,
était un des ; lus savants de l'Espagne, Ca-
salanz profita beaucoup de sa conversation ;
il aurait même souhaité d meurer plus long-
temps avec lui, mais il ne put enfin résister
aux sollicitations de son père, qui le voulait
avoir auprès de lui.
Il revint donc à Péralte; mais il demeura
toi: j >urs constant dans la résolution qu'il
avait prise de ne point s'engager dans le
mariage. Son père lui en faisait tous les
jours de nouvelles propositions; mais il les
éludait par les difficultés qu'il faisait naître
t<r les partis qui se présentaient, espérant
qu'à la fin il pourrait obtenir le ronsenle-
nienl de son père pour prendre l'état ecclé-
siastique. Pour cet effet il se recommandait
jour et nuit à la sainte Vierge, qu'il avait
prise pour sou avocate auprès de Dieu, afin
qu'il lui plût de loucher le cœur de son
père : il ajouta à ses prières et à ses oraisons
[es jeûnes, les veilles et les austérités, afin de
pouvoir plus facilement obtenir de Dieu cetie
grâce, qui lui fut enfin accordée ; car il
tomba dangereusement malade, et se voyant
abandonné des médecins, il pria son père de
lui permettre de recourir aux remèdes di-
vins, puisque les remèdes humains étaient
inutiles. Son père, les I rmes aux yeux, y
consentit, et dans le même temps Casalanz
fit vœu à Dieu de se faire prêtre s'il lui ren-
dait 1 ; santé. Comme Dieu le destinait pour
ère le fondateur d'une congrégation reli-
gieuse, il lui accorda la santé qu'il deman-
dait ; car à peine eut- il fait son vœu, qu'il
commença à se mieux porter, el, ayant en-
tièrement recouvré ses forces, il se mit en
étal d'exécuter ce vœu. 11 reçut les quatre
mineurs e! le sous-diaconat au mois de dé-
cembre 1582. Il pril le diaconat le jour du
samedi saint de l'année suivante, et au mois
de décembre de la même année il fut fait
prêtre.
Il ne se vit pas plutôt revélu de la qualité
de ministre du Seigneur, qu'il redoub.a .lon
zèle et sa ferveur pour son service, el, fai-
sant réflexion que la dignité du sacerdoce
il; andait en lui une plus grande perfection,
il s'eludiait de joindre une vie sainte à la
saintelé de son ministère, et il célébrait tous
les jours la sainte messe avec beaucoup de
dévotion. La réputation de sa vertu s'étant
bientôt répandue, l'évèque de Lérida le vou-
lut avoir auprès de lui ; il le prit pour sou
lt> Yoy.,ïi la lin du vol.,n°àO.
127
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
128
confesseur, et le fit son théologien et son
examinateur synodal. Pou de temps après, ce
prélat ayant été commis par le roi d'Espagne
pour visiter le monastère de Notre-Dame de
Monl-Srrral en vertu d'un bref du pape,
prit avec lui Casalanz pour secrétaire de la
visite. L'cvcque de Lérida élanl mort dans
le cours de cette visite, on lui substitua
l'évéque de Vioh, qui pria Casalanz de con-
tinuer la même fonction de secrétaire; mais
il s'en excusa et retourna à Péralle, où il ne
fit pas grand séjour; car dom André Capri-
glia , évoque d'Urgel, non-seulement lui
donna la cure d'Ortoncda, mais il lui donna
encore la charge d'officia! dans retendue de
Tremp, qui comprenait environ trois cents
bourgs ou villages. Il s'acquitta de cet emploi
pendant l'espace de huit ans; mais se sen-
tant inspiré d'aller à Rome, il remit son bé-
néfice entre les mains de son évêque avec
l'emploi qu'il lui avait confié, et partit pour
û'ier à Rome, où ii arriva au commencement
du. mois de mai 1592. Il y visita avec une
dévotion extraordinaire les sépulcres des
saints martyrs. Pendant quinze ans il alla
tous les jours aux stations des sept églises;
et lorsque quelques affaires le détournaient
de cet exercice de dévotion pendant le jour,
il s'en acquittait pendant la nuit.
A peine fut-il arrivé à Rome, qu'il entra
chez le cardinal Marc-Antoine Colomne, en
qualité de son théologien. Ce prélat avait
une si grande vénération pour sa piété et sa
vertu, qu'il le donna pour directeur à ses
neveux, fils du connétable Colomne, qui ne
sortaient jamais du palais sans avoir baisé
la main de ce saint homme. Tous les same-
dis il faisait une exhortation aux domesti-
ques de ce cardinal. 11 avait ses heures ré-
glées pour tous ses exercices spirituels, il
portait presque continuellement un rude ci-
lice, et il jeûnait plusieurs jours de la se-
maine au pain et à l'eau. On pouvait même
dire que ses jeûnes étaient continuels, car
les jours qu'il ne jeûnait pas au pain et à
l'eau, il ne faisait qu'un repas le malin, et
il ne prenait rien le soir, ce qu'il a continué
de faire pendant quarante ans, et ce ne fut
que sur la fin de ses jours qu'étant fort in-
firme et caduc, les religieux de sa congré-
gation le prièrent de modérer ses grandes
austérités.
Deux ans après son arrivée à Rome, l'an
1594, on lui conféra un canonicat dans l'église
cathédrale de Barbast au royaume d'Ara-
gon, qui était la ville la plus voisine du lieu
de sa naissance; mais, charmé des exercices
de piété qui se pratiquaient à Rome, il ne
voulut point quitter cette ville, et il résigna
son bénéfice au docleur Pierre Navarre. 11 se
fit inscrire dans plusieurs confraternités,
comme dans celles des Douze-Apôtres, des
Stigmates de saint François, du Suffrage et
de la Sainte-Trinité, observant exactement
les exercices prescrits par les statuts de ces
compagnies.
11 entra aussi parmi les Confrères de la
Doctrine Chrétienne, et, conformément aux
constitutions de cette compagnie, il allait
avec beaucoup de charité dans toutes les
places de la ville pour enseigner la doctrine
chrétienne aux gens de la campagne qui s'y
trouvaient, et il faisait assembler les enfants
dans les égli-es pour leur faire les mêmes
instructions. Ce fut dans ce saint exercice
qu'il connut par expérience la nécessité
qu'il y avait d'apprendre de bonne heure aux
jeunes enfants les principes du christia-
nisme. Il pensa dès lors aux moyens de le
faire avec plus de fruit, et ce qui le fit ré-
soudre à s'y employer entièrement fut
qu'ayant trouvé par les rues plusieurs en-
fants qui ne s'amusaient qu'à jouer e! di-
saient beaucoup de paroles malhonnêtes, il
s'arrêta à les considérer. Il fut vivement
louché de voir le. peu d'éducation qu'on leur
donnait, el pour lors ces paroles du prophète-
roi lui vinrent tout d'un coup dans In pen-
sée : C'est à vous que le soin du pauvre est
réservé, el vous serez le protecteur de l'orphe-
lin. Il y fil réflexion, il crut que Dieu les lui
avait suggérées afin qu'il prît le soin d'in-
struire ces enfants, et il chercha dès lors les
noyens de leur donner une bonne éducation,
afin qu'étant élevés dès leurs plus tendres
années dans la crainte de Dieu et les maximes
du christianisme, ils ne pussent pas dans la
suite ignorer les choses de leur salut. Il en
fit la proposition à plusieurs personnes ;
mais tous les moyens qu'il prit n'ayant pas
réussi, et ces personnes ne l'ayant pas voulu
seconder, il entreprit de le faire seul. Il loua
pour cet effet, d'Antoine Baudini, curé do
Sainte-Dorothée in Ti anstevere proche la porto
Sellimania, quelques chambres où il com-
mença à rassembler tous les enfants de ce
quarlier,et par charilé il leur apprenait à lire
et à écrire, l'arithmétique, et leur fournissait
aussi gratuitement des livres, de l'encre et
du papier. Tous les jours il leur enseignait la
doctrine chrétienne, leur faisait des exhor-
tations spirituelles, et quoiqu'il demeurât
encore au palais du connétable Colomne,
qui est fort éloigné de Sainte-Dorothée, il ne
laissait pas d'aller deux fois par jour à ses
écoles, où le nombre des enfants s'augmen-
tant, et ne pouvant suffire seul à leur in-
struction, il s'associa quelques prêtres qui
étaient aussi Confrères de la Doctrine Chré-
tienne, qui l'aidèrent dans son entreprise.
L'ordre qu'il avait établi dans ses écoles
lui donna une si grande réputation , que
plusieurs familles de la ville y envoyèrent
aussi leurs enfants, ce qui fit résoudre Ca-
salanz de les transférer dans la ville pour la
plus grande commodité de ceux qui y vou-
draient venir, ce qu'il fit au commencement
de l'année sainte 1600, ayant loué pour cet
effet une grande maison proche le lieu qu'on >
appelait le Paradis. Il quitta pour lors le pa-
lais Colomne pour venir demeurer dans cette
nouvelle maison avec lesmaitresqui s'étaient
joints à lui. Deux ans après ils la quittèrent
pour en prendre une autre à louage, proche
de Saint-André delta Y aile : là il commença
à vivre en commun avec ceux qui s'étaient
joints à lui, et il partagea cette école de
piété en plusieurs classes.
429
ECO
ECO
130
Il arriva àCasalanz un accident dans celle
maison : car voulant attacher une cloche
dans un lieu assez élevé de la cour, il tomba
dé l'échelle où il était monté, et se rompit
une jambe. Il fut en danger de perdre la vie,
à laquelle il n'avait aucune attache, et qu'il
aurait quittée sans beaucoup de peine. 11 n'y
iivait que l'appréhension que son ouvrage
ne vînt à manquer s'il mourait, qui lui cau-
sait de l'inquiétude. Mais Dieu pour le con-
soler lui envoya de nouveaux ouvriers, dont
l'un fut le P. Gaspard Dragonclti, qui avait
déjà tenu des écoles pendant quarante ans,
et qui persévéra dans la congrégation jus-
qu'en l'an 1628, qu'il mourut à l'âge de cent
vingt ans, dans une grande réputation de
s.iintelé; et l'autre fut le P. Gellius Ghellini,
noble Vicentin.
Casalanz ayant recouvré la santé au bout
de quelques mois, Dieu le voulut consoler
de nouveau. M. Veslrio, prélat de la cour
romaine, qui lui avait loué sa maison pour
servir d'écoles, assistait souvent aux exer-
cices qui s'y faisaient, et fut si content du
bon ordre qu'on y observait, qu'il en parla
au pape Clément VIII, qui fit venir le P. Ca-
salanz pour être instruit par lui-même de
quelle manière les maîtres se comportaient
dans les instructions qu'ils faisaient aux en-
fants. Ce pontife, content des réponses du
fondateur, l'exhorta à persévérer; et, afin
de l'animer à poursuivre son entreprise, il
promit d'aller lui-même visiter ces écoles
pieuses, et ordonna que l'on donnât tous les
ans deux cents écus pour le louage de cette
maison.
Celle libéralité du pape, jointe au bon ac-
cueil qu'il avait fait à notre saint fondateur,
donna de la jalousie aux maîtres d'école de
la ville. Ils décrièrent Casalanz auprès de
ce pontife, et ils lui firent entendre que les
choses n'étaient pas comme on les avait ex-
posées à Sa Sainielé, ce qui porta !e pape à
nommer les cardinaux Antoniani et Baro-
nius pour faire la visite des écoles de piété.
Ces cardinaux n'y ayant trouvé que des su-
jets d'édification, le pape de vive voix ap-
prouva ces écoles et les prit sous sa protec-
tion. Après la mort de Clément VIII, Paul V
leur donna pour prolecteur le cardinal de
Torres, et ce prélat étant mort, il lui substi-
tua le cardinal Giustiniani.
Les écoles pieuses augmentant de jour en
jour en écoliers, et la maison que Casalanz
avait prise à louage étant trop petite, il
acheta, l'an 1612, le palais Torres, qui était
conligu à l'église de Sainl-Pantaléon , située
dans la place qu'on appelait anciennement
de Matcrazzari. Le cardinal Giustiniani con-
tribua à cet achat, ayant donné deux mille
écus, et l'abbé Landriani, noble Milanais,
non-seulement donna une somme plus con-
sidérable , mais entra dans la suite dans la
congrégation , et y mourut dans une si
grande réputation de sainteté, qu'on a même
travaillé au procès de sa canonisation. Enfin
le palais fut entièrement payé par un legs
de six mille écus que le cardinal Lancclloiti
fit aux écoles pieuses. Casalanz obtint en-
core l'église de Saint-Pantaléon, et le papo
Paul V, considérant combien cet institut
était utile à l'Eglise, l'approuva par un bref
du 6 mars 1617, l'érigeant en congrégation ,
à laquelle il donna le litre de Congrégation
Pauline, permettant à ceux qui y entre-
raient de faire les vœux simples d'obéis-
sance , de chasteté et de pauvreté. Le pape
nomma pour chef ou supérieur de cette con-
grégation, sous le nom de préfet, Joseph
Casalanz , pour gouverner tant les maisons
qui élaient déjà établies que celles qui s'éta-
bliraient dans la suite, avec pouvoir de
dresser des constitutions.
Casalanz consulta ses compagnons, qui
étaient au nombre de quinze, sur la ma-
nière de \ie qu'ils devaient pratiquer, et
l'habillement qu'ils devaient prendre ; et ,
après être convenus ensemble de la forme
de l'habillement, le cardinal Giustiniani fit
faire les habits à ses dépens, et le jour de
l'Annonciation de la sainte Vierge de la
même année, le fondateur fut revêtu de cet
habit par les mains de ce cardinal, dans la
chapelle de son palais, lui ayant donné cet
habit au nom du pape, avec le pouvoir de Io
donner à ses compagnons, ce que Casalanz
fit le même jour lorsqu'il fut retourné aux
Ecoles pieuses. Il voulut encore renoncer à
son nom du monde, et il prit celui de la
Mère de Dieu, ce que firent aussi ses com-
pagnons, qui changèrent de nom, et cela sa
pralique encore dans cette congrégation,
Elle l'ut mise au nombre des ordres relw
gieux, l'an 1621, par le pape Grégoire XV,
qui lui donna le nom de Congrégation des
Clercs Réguliers Pauvres de la Mère de Dieu
des Ecohs pieuses. Par un autre bref da
l'an 1622, il approuva les constitutions qui
avaient élé faites par le fondateur, qu'il dé-
clara général de cette nouvelle congréga-
tion, à laquelle il accorda, la même année,
tous les privilèges dont jouissent les ordres
mendiants, et Urbain VIII dispensa ces reli-
gieux d'aller aux processions publiques, par
un bref de l'an 1629.
On ne peut exprimer le progrès que le Pèro
Joseph de la Mère de Dieu fit dans toutes
sortes de vertus, se voyant engagé dans
l'état religieux. Tout ce qu'il avait fait jus-
qu'alors, tant pour l'instruction de la jeu-
nesse que pour son avancement spirituel ,
, lui semblait peu de chose. 11 augmenta ses
mortifications, ses veilles et ses abstinences.
Il faisait tous ses exercices avec plus de fer-
veur que par le passé; et l'instruction de la
jeunesse étant la principale fin de son insti-
tut, il s'y appliqua encore avec plus de zèle
qu'il n'avait fait. 11 ne se contentait pas de
donner tous ses soins à ce que les maîtres
s'acquiltassent de leur devoir, il enseignait
encore lui-même les enfants, et il continua
cet exercice jusqu'à la fin de sa vie. Sa cha-
rité le portait à secourir son prochain dans
toutes les occasions. 11 était encore le plus
souvent au confessionnal ou dans les hôpi-
taux, il visitait les prisonniers, il secourait
les pauvres et les indigents, et souvent il leur
donnait jusqu'aux choies nécessaires pour
l'A
l'entretien de ses religieux, auxquels il re-
commandait de se confier en la Providence,
qui en e'ïet ne leur manqua jamais. Il n'en-
seignait rirn à ses religieux qu'il ne prati-
quât lui même. 11 leur recommandait sur-
tout l'humilité ; il leur en donnait l'exemple,
s'employanl aux of ires les plus bas de la
maison, quoique général de l'ordre. 11 allait
par la ville, la besace sur les épaules, pour
recevoir le-, aumônes des fidèles, et ce lut
celle même humilité qui lui lit refuser l'ar-
chevêché de Briodisi, qui lui fut offert.
L'opinion que l'on avait de sa sainteté fit
que, de son vivant, on offrit à sa congréga-
tion plusieurs établissements qu'il accepta,
dans l'état ecclésiastique, dans la république
de Gènes', en Toscane, au royaume de Na-
plei, en Sicile et en Sardaigne. Le cardinal
François de Diclrichzan, évêque d'Olmus,
lui demanda, l'an 1631, de ses religieux pour
les établir à Nicoispurg, et il leur d orna
aussi un autre établissement à L- pniek, d'où
ils se sont répandus par toute l'Allemagne
el en Hongrie. Le roi de Pologne, Ladis-
Jas IV, voyant les grands fruits qu'ils fai-
saient dans les lieux où ils étai ni établis,
en fit venir dans son royaume l'an 1641, et
ils y ont fait aussi plusieurs établissements ;
ils en ont aussi quelques-uns en Espagne :
de sorte que le Père Joseph de la Mère de
Dieu eut la consolation de voir sa congréga-
tion élendue en plusieurs provinces. 11 avait
quatre-vingt-douze ans lorsqu'il fut attaqué,
à Home, de sa dernière maladie; ce fut le
deuxième d'août de l'an 1048. 11 voulut en-
core dire la messe ce jour là, après quoi il
se mit au lit et vécut encore jusqu'au 2a du
même mois, qu'il rendit son Ame à Dieu.
H fut enterré au miheû de l'église de Saint-
Pantaleon, où il est resté jusqu'en l'an 168 i,
qu'on le transféra dans ,u nonv. lb- église
que ses religieux on! fait bât r. L'on travaille
actuellement à sa canonisation.
La fin de cet institut, comme nous avons
déjà dit, est île procurer aux enfants une
lionne éducation, principalement aux pau-
vres, à quoi les religieux s obligent par un
quatrième vœu , en leur enseignant (par
charité) à lire et à écrire, en commençant
par t'A, B, C, à jeter, compter, calculer, et
môme tenir les livres chez les marchands
cl dans les bureaux. Ils enseignent encore
non-seulement les humanités, la rhétorique
et les langues latine et grecque, mais dans
les villes ils tiennent aussi des écoles de
philosophie, de théologie scolastique et
morale, de mathématiques , de fortifications
cl de géométrie. Les classes durent deux
lieur.s et demie le matin et autant le : oir ,
ci tous les jours, pendant le dernier quart
d'heure, chaque régent est obligé de donner
aux écoliers quelques leçons spirituelles.
Tous les samedis un religieux leur fait aussi
un sermon d'une demi-hrure dans l'église
ou dans l'oratoire, et lorsqu'ils sortent de
classe ils vont par bande chez leurs parents,
où ils sont conduits par un religieux, de
[ éûr qu'ils ne s'amusent par li s rues à jouer
i' .; perdre le temps.
DICTIONNAlilE DES ORDRES RELIGIEUX. 13'.
iis avons dit ci-dessus que ces Chrcs
Réguliers avaient été mis au nombre des
ordres religieux par le pape Grégoire XV,
l'an 1G21, et qu'il leur permit de faire des
vœux solennels ; niais Alexandre VII, l'an
1C5G, les remit dans leur premier état sécu-
lier, voulant qu'à l'avenir ils ne fissent plus
que des vœux s mples avec un serment de
persévérer dans la congrégation , ce qui ne
dura que jusqu'en l'an 1669, que le pape
Clément IX les rétablit dans leur étal régu -
lier. Il y en eut néanmoins quelques-uns qui
ne voulurent point s'engager à des vœux
solennels et qui eurent recours au pape
pour en obtenir la dispense des va'ux. sim-
ples qu'ils avaient faits , et du serment de
persévérer daus la congrégation; c'est pour-
quoi Clément X, par un bref du 18 octobre
1G70, accorda du temps à ceux qui n'avaient
fait que des vœux simples, pour se détermi-
ner ou à sortir de la congrégation, ou à y
demeurer en faisant les vœux solennels,
donnant pouvoir au général d'absoudre du
serment et de dispenser des vœux simples
ceux qui les auraient fais et qui vou-
draient sortir de la congrégation , pourvu
qu'ils ne fussent que laïques ou dans les
ordres mineurs ; que s'ils étaient dans les
ordres sacrés, el eussent du bien depatii-
luoine suffisamment pour vivre, ou quel-
ques bénéfices, ils seraient renvoyés sous
l'obéissance de leu èvêquç; que si, au
contraire, ils étaient dans les ordres sacrés,
et s'ils n'avaient point de bien de patrimoine
ou de bénéfices, il leur serait libre de rester
dans quelque couvent de la congrégation et
de vivre avec les religieux profès de cet
ordre , sans pouvoir prétendre aucune voix
active cl passive, auquel cas ils pourraient
exercer leurs ordres ; mais que si absolu-
ment ils voulaient sortir de la congrégation,
n'ayant poi.it de bien de patrimoine ni de
bénéfices, ils seraient renvoyés pour vivre
sous l'obéissance des évéques, mais qu'ils
seraient suspendus de leurs ordres. Le môme
pontife approuva derechef leurs constitu-
tions.
Par un bref du 28 avril 1GG0, Alexandre
ATI ordonna qu'ils n'auraient point d'autres
protecteurs que le cardinal vicaire de llome;
que le général de celle congrégation serait
élu tous les six ans , el qu'il aurait quatre
assistants. Il approuva par le même bref la
coutume introduite dans celte congrégation
d'y associer de pauvres jeunes gens, la nu-
dité des pieds el la grande pauvreté doutées
Clercs faisaient profession , principalement
dans les vovages qu'ils faisaient à pied et à
l'Apostolique; mais Alexandre VIII, par un
bref du 22 février 1G90 , les obligea ce se
chausser. S n prédécesseur, Innocent XI,
les avait exemples, l'an 16S9 , de la juridic-
tion des ordinaires, et les avait soumis im-
médiatement au saint-siège, en confirmant
tous leurs privilèges.
Leur babil est semblable à celui des Jésui-
tes, excepté que leur robe s'attache par de-
vant avec trois boulons de cuir, et que leur
manteau ne descend que jusqu'aux ge-
I
EfO
nonx fl). Ils sont au nombre des mendiants,
et l'ont la quête parla ville comme Ic3 reli-
gieux des autres ordres nieiuli ails. Il y a
peu de bonnes villes en Italie où ils ne se
soient établis; il j 'en a même où ils ont
.us m,ii».ons et c lièges, comme à Na-
I 1rs, où ils en onl quatre, cl à Home, où ils
eu ont cinq.
Alexis de la Conception, Vie du Pire Jo-
seph de Gasalanz. Càrl. Barlholom. Piazza,
J usevolog. Rom., tract. 3 , cap. 13 et 14.
Ascag. fainbuf. de Jur. Al>bnt. ium. 1! ,
disput. '2'.-, quœst. 8, n 6. Bull. Rotii. tom.
l!l, IV et V ; cl Philipp. Bouanni, Calatog.
Ôi i. Rèlîg. p-.irt. i.
Depuis que ie P. Hclyot a écrit le chapi-
tre consacré à l'histoire des Ecoles piéi, le
fondateur de cette congrégation a été cano-
nisé, et la fête de saint Joseph Casalanz a
été Uiéé au 27 août. Il y a dans le bréviaire
romain un office en son honneur approuvé
en 1,69. L'institut des Ecoles pies n'a jamais
eu d'établissements en France , mais il a
été et est encore répandu en plusieurs Etats
de l'Europe. Sa constituai n populaire le
rendait infiniment utile et a contribué à sa
propagation. La tidéli'.é duc à l'histoire nous
oblige à dire ici avec une certaine franchise
que celle congrégation n'a pas , croyons-
nous, gardé l'esprit primitif de son élab is-
semcnl ni celui de son pieux fondateur. Une
certaine émulation avec les Jésuites n peut-
être pris un cara (ère qui ne convient poinl
à des religieux, et même celui de la jalou-
sie, il règne dans cetie société un attache-
ment ou une sorle de prédilection pour les
idées nouvelles qui onl mis le trouble dans
l'Eglise depuis près de deux siècles. Nous ci-
terons l'exemple du P. Jean-Baptiste Moli-
nelli, prêtre des Ecoles pies au dernier siè-
cle, ciui a professé la philosophie dans leur
collège d'Oneiiie» puis la théologie dans ce-
lui de Gènes, sa patrie. En 1769, il remplaçai
pour professer la même science à Rouie, le
P. Nalali , qui venait d'être nommé profes-
seur à Pavie , et se montra favorable aux
idées jansénistes. 11 joignit des remarques et
des notes à l'édition de la Théologie do Lyon,
faite à Gênes, par Ozati, en 1788. Molinelli
eul sur ses opinions des ilérnélés avec le sa-
vant et pieux Lambruschini , a. ors profes-
seur au séminair ■ de Gènes , et depuis ar-
chevêque de cette ville. Il était retourné et
professait de nouveau la théologie à Gênes.
il se montra favorable à la révolution de son
pays, et il faisait partie d'une espèce d'aca-
démie ecclésiastique formée en ce sens à
Gênes. Les principaux membres étaient i'é-
véque Solari, Palm cri. Degola et autres pa-
triotes; ils donnaient des ouvrages en fa-
veur du système démocratique. Molinelli pu-
blia pour sa part , en langue italienne, le
Préservatif contre la séduction, et Du droit
des propriétés des Eglises sur les biens ecclé-
siastiques. Le sénat ae Gênes l'avait nommé
un de ses trois théologiens, et il rédigea, en
celte qualité , des mémoires et des consuita-
(1) Voy., à la (in du vol., n" 21.
Ef.o r. i
vtions sur différentes matières. Il mourut à
Gênes au commencement de 1799. Molinelli
n'était pas le seul de son corps à être dans
de tels sentiments, qui pourraient peut-être
expliquer la popularité dont jouit la con-
grégation des Piarisles , car on lui donne
au.-si celle dénomination. II. faut croire que
la recommandation faite par les Dominicains
et les Franciscains à leurs religieux en fa*-
veur de la congrégation des Ecoles pies n'a-
vait pour motif que les services qu'elle rend,
et nullement , dès ce temps-là , une sorte
d'antagonisme contre les Jésuites. Cet anta-
gonisme règne malheureusement depuis lon-
gues années, el passe des maîtres aux élè-
ves, qui n'aimen: pas les Jésuites, et qui ont
quelquefois affeclé de répéter celte épigram-
me, laite par leurs professeurs : // tombera,
ce grand arbre, etc. Les Jésuites répondaient
par d'aulres vers qui dis.aient qu'il tomberait,
mais qu'il entraînerait les ait'res dans sa
chute, etc. Ils avaient raison, el nous ose-
rions soupçonner que les Pères des Ecoles
pies n'ont pas vu sans peine ce grand arbre
relevé. En parlant ainsi d'une société esti-
mable eu elle-même, mais gâtée en quel-
ques-uns, peut-être en le grand nombre de
ses membres, dont on accuse le mauvais es-
prit, nous ne prétendons point exprimer le
désir do sa suppression, ni méconnaître les
exceptions honorables qu'elle renferme. On
dit qu'en Allemagne les Piarisles sont éga-
lement animés de l'esprit janséniste , et
peut-être est-ce à cet esprit favorable au
pouvoir séculier que l'Institut des Eco-
les pies doit d'avoir été l'objet des excep-
tions et même des affeclions des gouverne-
ments révolutionnaires. Quand Rome déso-
lée voyait avec horreur et indignation les
Français el leurs opérations à llome , sous
Pie VII , le P. Isaïe , supérieur des Ecoles
pies, était l'objet de l'estime ou de l'affec-
tion du général Miollis , et mangeait fré-
quemment à sa table. Tandis que l'Espagne,
révolutionnée par les intrigues d'une reine
coupable, espulsail tous les religieux en gé-
néral , elle faisait une exception en faveur
des Ecoles pics, qui même celle année (1847)
onl reçu une nouvelle preuve d'attachement
et de protection du gouvernement de la
reine Isabelle. Si cette préférence est due à
l'utilité réelle d'un institut qui s'occupe ac-
tivement de l'instruction ifé la jeunesse , à
qui elle apprend l'A, B, C, el qu'elle conduit
jusqu'aux sciences élevées, tant mieux, nous
en bénissons la Providence. Nous serions
peiné si celte prédilection était motivée par
les idées qu'on supposerait dominer chez les
Piarisles, qui sans doute n'ignorent pas ce-
pendant que l'Eglise et son gouvernement
doivent trouver des raisons et des armes
pour soutenir la justice de leur cause, dans
le lalent el le zèle des religieux. Au dernier
siècle, les Pères des Ecoles pies possédaient
à Rome : 1° l'établissement de Saint-Panta-
léou, qui était leur maison professe ; 2" Saint»
Laurent in Borgo, qui était le noviciat; 3* le
135
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
i3fi
collège dit. Nazareno ; 4° le collège dit, en
l'honneur du fondateur, Calassauzio, ou Col-
lège-Neuf; 5° le collège ecclésiastique ou in-
firmerie des prêtres à Ponte-Sisto ; 6" l'hos-
pice apostolique de Saint-Michel. Aujour-
d'hui ils ont encore deux maisons dans celte
ville et de nombreux établissements en
Italie. On nous a dit que les Jésuites n'ont
pu être admis dans les lieux où professent
les Piaristes, si ce n'est dans une seule ville ;
nous ne pouvons attester ce fait. Le même
institut a donc reçu, comme nous venons de
le dire, la faveur exceptionnelle de survivre
en Espagne au renversement de tous les
couvents de religieux, et il y est seul subsis-
tant aujourd'hui, avec le célèbre monastère
de Mont-Serrat,à qui on a aussi permis de se
relever. Dans les Etats autrichiens, ils ont
actuellement soixante-sept établissements,
contenant trois-cent quarante religieux. Le
préposé général est aujourd'hui le R. P.
Jean-Baptiste Rosani, et le procureur géné-
ral est le R. P. Janvier Fucile. Tous deux
résident à Rome.
Exirait de recherches faites passim, et de
renseignements fournis par M. R., ancien
élève des Piaristes. R-d-e.
ÉCOLIERS DE BOLOGNE, de Saint-Pierre
de Mon te-Coubulo en Italie , et de
Saint-Côue-lez-Tours en Fkance (Cha-
noines RÉGULIERS DES CONGRÉGATIONS DES).
Le cardinal Jacques de Vitry, dans son
Histoire d'Occident, fait mention d'une con-
grégation de chanoines réguliers proche
bologne, établie par quelques écoliers de
celte ville. Il parle d'eux avec éloge, mais il
ne marque ni le monastère où celte congré-
gation a commencé, ni ceux qui en dépen-
daient. Penot dil que s'il est permis de devi-
ner, c'était peut-être dans le monastère de
Saint-Victor, proche Bologne , parce qu'il
parait par plusieurs bulles de Martin V que
ce monastère était le chef de plusieurs au-
tres. Mais ce monaslère ayant été ruiné en-
tièrement, il fut uni à celui de Saint-Jean de
la même ville, qui fut aussi uni dans la suite
à la congrégation des chanoines de Saint-
Sauveur de Lalran l'an 1415. Falconius, qui
était chanoine régulier de Lalran aussi bien
que Penot, dit, dans ses Mémoires histori-
ques de la ville de Bologne, pag. 201, que,
quelque recherche qu'il ait pu l'aire, il n'a pu
découvrir ni le lieu où demeuraient ces éco-
liers, ni le pape qui avail approuvé leur
congrégation, m à quelle fin elle avait été
instituée. Mais le P. Papebroch a cru avoir
trouvé le nœud de la difficulté en disant que
c'était nt des Frères Prêcheurs fondés par saint
Dominique, dont le cardinal de Vitry avait
voulu parler, l'habit des religieux de cet or-
dre ayant beaucoup de rapport à celui que
les Prémontrés portent encore à présent en
Allemagne , et qui ne diffère qu'en couleur
de celui des Prêcheurs.
Si l'on considère néanmoins les paroles du
cardinal de Vitry, on connaîtra qu'il a sans
doute distingue ces Ecoliers de Bologne d'a-
vec les Prêcheurs ; car, après avoir dit qu'il
y a une autre congrégation de chauoines
hors la ville de Bologne, etc. : Est alia regu-
lariwn eanonicorum Deo grala et hominïbus
gratiosa congregatio extra civitatem Bono-
niœ, il ajoute plus bas qu'ils unissent en-
semble l'ordre des Prêcheurs et celui des
Chanoines : Prœdicaïorum ordinem Canoni-
corum ordini conjungentes. Mais ce qui mon-
tre plus évidemment que ce cardinal n'a
point entendu parler des Frères Prêcheurs,
c'est que, pariant de la manière de vivre aus-
tère de ces chanoines , il dit encore qu'ils
mangeaient de la viande trois fois la se-
maine : Tribus in hebdomade diebus , carnes
si eis apponanlur non récusant , in refectorio
manducantes : cependant les Frères Prê-
cheurs n'en mangeaient point. Enfin, ce qui
me persuade davantage que cet ordre des
Ecoliers était différent de celui des Frères
Prêcheurs, c'est que saint Dominique n'ob-
tint une maison à Bologne pour ses reli-
gieux que l'an 1218, et que selon plusieurs
auteurs cette congrégation des Ecoliers était
déjà établie avant l'an 1200; mais on ne sait
point quel était l'habillement de ces chanoi-
nes, et combien de temps ils ont subsisté.
Voyez Jacob de Vitr. Hist. Occid., c. 27.
Penot, Hist. tripart. tib. n, cap. 54, n. 1.
Tamb. deJur. Abb. disp. 2ï,qiiœst. 14, n. 21.
Le Paige, Biblioth. Prumonsl.; et Pap.broch
Resp. ad P. Sebast. a S. Paulo t. II , art. 16,
n. 170, et an. 22, n. 32.
A ces chanoines de Bologne nous join-
drons une autre congrégation de chanoines
réguliers qui ont été institués en Italie et
qui prirent le nom de Monte-Corbulo , à
cause que leur premier monaslère était si-
tué sur la montagne de Coi bulo, éloignée de
la ville de Sienne de douze milles. Ils eurent
pour instituteur Pierre, surnommé de Reg-
gio parce qu'il avait pris naissance dans
cette ville. Ouelques-uns néanmoins disent
qu'il était de Milan, qu'il avait passé de l'or-
dre des Chartreux dans celui des Chanoines
Réguliers, et qu'il avail même pris l'habit
dans le couvent de Saint-Sauveur de Rolo-
gue. Ce Pierre de Reggio était ami de Fran-
çois Soderini , évêque de Volterre et réfé-
rendaire de l'une et de l'autre signature sous
le pape Alexandre VI. Il obtint par le crédit
de ce prélat la permission de f >nder une
congrégation sous le nom de Saint-Pierre
dans l'église de Saint-Michel sur le Mont-
Corbulo, laquelle fut confirmée par Jules II,
selon Raphaël de Volterre , ou par le pape
Léon X, comme assure Benoît de Saint Ge-
niinien, chanoine de la même congrégation,
cité par Penot et le P. R nanni. Mozzagru-
nus ajoute que ce ne fat point sur le Mont-
Coibulo que les fondements lurent jetés ,
mais au monastère de Sainte-Marie de Bi-
bona, à quelques milles de Pisc, du côté de
la mer et du diocèse de Volterre. Il y a bien
de l'apparence néanmoins que ce fut au
Mont-Corbulo, puisque la congrégation en a
pris le nom. Leur habillement consistait en
une tunique grise, sur laquelle ils menaient
un rochet , et sur le rochet une aumussc ou
capuce. Le P. Bonanni dit que l'an 1521 ils
137
ECO
ECU
158
changèrent la couleur grise en noire, pour se
conformer à l'habillement des chanoines ré-
guliers de Saint-Frigdien de Lacques, ce qui
ne peut èlre, puisque dès l'an 1507 ceux-ci
avaient été unis, avec dix monastères qui dé-
pendaient de leur congrégation, aux chanoi-
nes réguliers de Latran, qui ont toujours
clé habillés de blanc , et qu'ils convinrent
seulement que dans le monastère de Lucques
ils retiendraient la chape noire au chœur. 11
semble que, selon le même auteur, la congré-
gation de Monte-Corbulo subsiste eucore ,
car il dit que ces chanoines vivent dans une
grande pauvreté et du travail de leurs mains,
étant beaucoup solitaires.
Voyez Mozzagrunus Narrât, rerum gest.
Can. Regul. Penot, Bist. tripart. Raphaël
Voilai, lib. xxi ; et Bonanui, Catalog. Ord.
rclig.
Les chanoines réguliers de Saint-Côme-
lez-ïours sont du nombre de ceux qui, ayant
trouvé la règle de Saint-Benoît trop austère,
ont secoué le joug de cette sainte règle pour
en suivre une plus douce, qui est celle de
Saint-Augustin, et ont pris le titre de Cha-
noines Réguliers. Ils ne sont pas au moins
si blâmables que les chanoines de Saint-
Martin de Tours, dont ils dépendent, et qui
ont quitté entièrement la règle de Saint-Be-
noît pour se séculariser. Hervé, qui était
trésorier de celle dernière église au commen-
cement du onzième siècle, se retira dans une
Ile de la Loire proche de Tours, et y bâtit
une petite ég ise sous le nom de Saint-Côme,
avec un petit monastère, où il mena une vie
solitaire et retirée. Les chanoines de Tours
l'ayant obligé de retourner chez eux, il les
pria de donner cette ile, avec le monastère
qu'il y avait bâti, aux moines de Marmou-
tiers, ce que ces chanoines accordèrent ; et,
comme celle île appartenait à Hugues, ccllé-
rier de Saint-Martin, il y consentit aussi.
Ainsi cette île, qui prit le nom de Saint-dô-
me, à cause de l'église dédiée à ce saint, qui
y avait été bâtie par Hervé, trésorier de
Saint-Martin, fut donnée aux religieux de
Marmoutiers, à condition qu'il y en aurait
au moins douze qui y demeureraient et y fe-
raient l'oftice divin. Nous ne savons point en
quelle année les religieux qui y étaient quit-
tèrent la règle de Saint-Benoît pour prendre
celle de Saiut-Augusliu et vivre eu chanoi-
nes réguliers ; mais ils ont toujours dépen-
du de ceux de Saint-Martin, et n'ont point
reconnu la juridiction des archevêques de
l'ours; et ce n'est que depuis l'an 1708 que
les chanoines de Saint-Martin, qui avaient
une juridiction presque épiscopale dans une
partie de la ville de Tours, l'ayant perdue et
ayant été soumis à celle de l'archevêque de
Iours, ce prélat a aussi droilde visite chez
les Chanoines de Saint-Côme. C'est dans leur
église que l'on prétend que Bérenger, archi-
diacre d'Angers et écolâire de Saint-Martin
de Tours, fut enterré. 11 fut le premier qui
osa dire que le sacrement de l'autel n'était
que la ûgure du corps de Notre-Seigueur,
et il attaqua les mariages légitimes et le bap-
(1) Voy., a la fin du vol., n° 22.
U;ctionxatre ds:s Ordres religieux. IL
lènie des enfants. Le pape Léon IX, à qui
l'hérésie de Bérenger avait élé déférée, fil
tenir un concile à Rome l'an 1030, où die
fut condamnée pour la première fois ; elle le
fut ensuite dans ceux de Brione, de Verceil,
de Plaisance, de Tours et de Rome, sous Ni-
colas IL Dans celui de Tours, tenu l'an 105i,
il avait abjuré ses erreurs, et les légats du
pape l'avaient reçu à la communion de l'E-
glise. Il fil aussi la même chose dans celui
de Rome, l'an 1059, et le cardinal Humlcrt
ayant dressé une formule de foi, il la signa
et jeta au feu les livres qui contenaient son
erreur ; mais à peine le concile fut-il termi-
né, qu'il écrivit contre cette profession de
foi, et chargea d'injures le cardinal qui l'a-
vait dressée. Au concile qui se tint encore à
Home, l'an 1079, sous le' pape Grégoire Vil,
Bérenger reconnut encore sa faute et de-
manda pardon. On lui fit signer une profes-
sion de foi : mais à peine fut-il arrivé en
France, qu'il publia un autre é.rit contre
celle dernière profession de foi. L'année sui-
vante, 1080, l'on tint un coucile à Bordeaux
où assistèrent deux légats du sainl-siége.
Bérenger, amené apparemment par L'arche-
vêque de Tours, y rendit raison de sa foi,
soit pour confirmer la profession qu'il avait
faite à Rome, soit pour rétracter sou der-
nier écrit, el depuis ce concile il n'est p!us
parlé de lui jusqu'à sa mort, qui arriva le 5
janvier 1088. 11 mourut dans la communion
de l'église, et l'on croit qu'il fut enterré dans
l'église de Saint-Côme-lez -Tours, où il s'é-
tait retiré, el y avait mené une vie pénitente.
Ce prieuré appartenait pour lors aux moines
de Marmoutiers, selon le témoignage du sa-
vant Père Mahillon ; et ainsi il n'y a pas
d'apparence que la retraite de Bérenger dans
ce prieuré ait donné lieu à quelques cha-
noines de Saint-Martin de suivre son exem-
pe,el qu'ils aient par ce moyen formé la
com nunaulé des Chanoines Réguliers de
Saint-Côme, l'an 10J5, comme a avancé le
Père dom Etienne Badier dans l'Histoire de
l'Abbaye de Marmoutiers et de l'église de
Saint-Martin de Tours, qu'il donna en 1700.
Ronsard, le prince des poètes du seizième
siècle, qui avait été prieur commendataire
de Saiul-Côme, y est aussi enterré dans un
magnifique tombeau. Il mourut le 27 décem-
bre 1585. Ces chanoines sont habillés com-
me les ecclésiastiques, et mettent seulement
sur leurs manches nne bande de toile de la
largeur de quatre doigts, qu'ils lâchent de
cacher le plus qu'ils peuvent en retroussant
leurs manches [1). Au chœur ils portent un
surplis avec une aumusse sur le bras, et un.
bonnet carré.
Joan. Mahill. Annal. liened. Tom. IV, pag.
135 et sequent. Fleury. Histoire ecclés. Tom.
Xll et XIII.
ECU D'OR OU VERT (Ordre de l').
Des Chevaliers des Ordres de VEcu d'Or ou
Vert, et de Notre-Dame du Chardon en
France.
Louis II, duc de Bourbon, comte de Cler-
DICTIONNAIRE RES ORDRES RELIGIEUX.
iiO
mont en Forez, seigneur île Beaujeu el de
Bombes, pair et grand chambrierde France,
surnommé le Bon, à son retour d'Angleterre,
où il avilit demeuré prisonnier avec le roi
Jean I", assembla les plus grands seigneurs
de ses terres en sa ville de Moulins en Bour-
bonnais, le premier jour de janvier de l'an
13G9, auquel jour, de temps immémorial, on
donne les élrennes. 11 leur dit qu'il avait
dessein de prendre pour devise une ceinture
dans laquelle il y aurait en écrit le joyeux
mot Espérance, el qu'il voulait les étrenner
d'un ordre qu'il avait fait, et qui s'appelle-
rail VEcu d'or, dont la marque était un écu
d'or dans lequel il y avait une bande de per-
les, avec ce mot Allen. Les premiers qui re-
çurent cet ordre lurent Henri de Montagu,
seigneur de la Tour ; Guicbard, dauphin
d'Auvergne; Griffon de Montagu, Hugues
de Cbaslellus, Uaîné dcChâlelmorant, le sire
de Chastelde Montagne, l'aîné de la Palissa,
Guillaume de Vichy et quelques autres. Le
duc de Bourbon dit à ces nouveaux cheva-
liers qu'il désirait que tous ceux qui rece-
vraient cet ordre à l'avenir et ceux qui l'a-
vaient reçu, vécussent comme frères, se
donnassent secours les uns aux autres, fis-
sent toutes les actions d'honneur qui con-
viennent à des chevaliers et gentilshommes,
et qu'ils s'abstinssent de jurer et de blasphé-
mer le nom de Dieu. Il leur commanda sur-
tout de porter honneur aux dames et aux
demoiselles, de ne pas souffrir que l'on par-
lât d'elles en mauvaise part, et de ne point
mal parler les uns des attires. Il les exhorta
aussi à se garder réciproquement loi et
loyauté, et à se porter respect, comme il ap-
par.îi nt à chevaliers de louanges et de vertu;
el pour les exciter à remplir leur devoir il
leur dit que le mot AHen, qu'il avait fait met-
Ire sur l'écu, voulait dire : Allons tous en-
semble au sei lice de Dieu, et demeurons unis
pour la défense de noire pays, et cherchons à
acquérir de l'honneur par nos actions glorieu-
ses. Il promit de sa part d'exécuter tout
cela, el les chevaliers prè.lèrent ensuite ser-
ment entre ses mains de le servir fidèlement.
Nous donnons l'habillement de ces cheva-
liers tel que nous l'avons trouvé dans la bi-
bliothèque du Roi (1). 11 y en a qui préten-
dent que ce n'était point un ordre de che-
valerie qu'il leur donna, mais seulement une
devi e qu'il prit pour lui, et qu'il permit
aussi de prendre aux seigneurs de sa cour ;
et que le véritable ordre de chevalerie de ce
prince lut celui du Chardon ou de l'Espéran-
ce, qu'il insiitua l'an 1370, en l'honneur de
Dieu et de la sainte Vierge immaculée, sous
le nom d'ordre des chevaliers de Notre-Da-
me , dit autrement du Chardon, lorsqu'il
épousa Anne, tille de Béraud, deuxième du
nom, comte de Cleimont et dauphin d'Au-
vergne ; mais il est plus probable que c'é-
taient deux ordres différents.
Cet ordre du Chardon était composé de
vingt-six chevaliers, y compris le duc de
Bourbon, qui en était le chef. 11 voulut que
ses successeurs ducs de Bourbonnais en fus-
sent aussi clie!s el souverains, et que l'on ne
reçût pour chevaliers que des personnes no-
bli s et sans reproche. Ils portaient tous les
jours une ceinture de velours bleu doublée
de salin rouge bordée d'or, avec le mot Es-
pérance en broderie aussi d'or. Elle ferma l
à boucles et ardillons de fin or ébarbillon-
nés et écbiquelés avec l'émail vert, comme
la léte d'un chardon. Aux grandes fêtes, et
principalement à celle de la Conception de
la sainte Vierge, ce prince tenait table ou-
verte aux chevaliers, qui étaient couverts
de soutanes de damas incarnai avec les man-
ches arges, ceintes de leur ceintures bleues.
Leur grand manteau était de bleu célesto
doublé de salin rouge, et le grand collier de
l'ordre de lin or, du poids de dix marcs, fer-
mant à boucles et ardillons d'or par derrière.
Il était composé de losanges entières et de
demies à double orle, émaillées de vert, per-
cées à jour, remplies de fleurs de lis d'or, et
du mot Espérance écrit en lettres capitales à
l'antique. Au bout du collier pendait sur l'es-
tomac une ovale, dans laquelle était l'image
de la sainte Vierge entourée d'un soleil d'or
et couronnée de douze étoiles avec un crois-
saut sous ses pieds, et au bout une tête <io
chardon émaillée de vert. Leur bonnet était
de velours vert rebrassé de panne cramoisie,
sur lequel était l'écu d'or à la deuse Allen,
dont, nous avons pari'. Cet ordre l'ut recher-
ché par plusieurs grands seigneurs, el même
par des étrangers, qui se faisaient honneur
de porter l'ordre du duc de Bourbon, qui
passait pour le plus grand capitaine de son
temps.
M. Herman, dans son Histoire des Ordres
militaires, parlant de celui du Chardon, dit
que l'abbé Giustiniani s'est trompé lorsque,
voulant corriger quelques auteurs qui ont
l'ail Louis II, duc de Bourgogne, instituteur
de cet ordre, vers l'an 1403, il en attribue
l'établissement à Philippe H, duc de Boorgo.
gne l'an 14-30, et que la raison que l'abbé
Giustiniani en donne, c'est qu'il n'a point
trouvé de Louis II duc de Bourgogne en 14-03.
Apparemment que M. Herman n'a pas lu
l'Histoire des Ordres militaires de cet auteur,
et qu'il s'en est rapporté à d'autres qui lui
ont fait un faux rapport; car, bien loin que
l'abbé Giustiniani mette l'établissement de
cet ordre en 1430, il dit positivement que
l'on en doit mettre l'institution en 1370, se-
lon l'Histoire des Ordres militaires impri-
mée à Paris en 1071, à laquelle il faut ajou-
ter foi, puisqu'elle a été composée en France,
où cet ordre a pris son origine : Per questu
autoriiu historien, che per essere ori'jinata
nella Francia doue quest ordine Trasseti pjin-
cipii, mérita fede, pare doversi dure l'anno a
laie inslitutione 1370. Comme l'auteur de
cette description des ordres militaires en a
attribué la fondation à un Charles 11 duc de
Bourbon, l'abbé Giustiniani fait voir que cfi
Charles de Bourbon ne peut pas en avoir été
le fondateur; et, bien loin d'en attribuer la
(1) Voy., à la fin du vol., n" i".
HI
ELE
EI.F.
\',l
fondation à Philippe II duc de Bourgogne,
comme prétend M. Herman, ii dit que c'est
Loais II, et non pas Charles de Bourbon qui
i n a été l'instituteur : Da taie essame ben si
veile cite Lodovico If, non Carlo duca di Bor-
tion fu Vinstitutore di questo ordine. Et dans
un autre endroit, où il corrige aussi Michieli,
qui avait avancé que Louis de Bourgogne
était le fondateur de cet ordre, il dit: h a Lu-
dovico duca di Borbone Vinstitutore, et non
di tlorgogna, came serive Michieli.U y a long-
temps que cet ordre ne subsiste plus, quoi-
que l'abbé Ginstiniani ait donné une chrono-
logie de ses grands maîtres depuis Louis 11,
duc de Bourbon, jusqu'à Louis le Grand, roi
de France. Si M. Herman avait seulement
jeté les jeux sur cette chronologie, il n'au-
rait pas accusé l'abbé Ginstiniani d'avoir
l'ait Philippe II, due de Bourgogne, institu-
teur de cet ordre, puisqu'il a mis à la tête
de ses grands maîtres ou chefs de l'ordre
Louis 11, duc de Bourbon, en!370.
Fa vin, Théâtre d'honneur et de chevalerie.
Josef Michieli, Tesoro militai' de cavaleria.
Mennénius, Deiciœ Equest. Ord. Bernard
Giuslini ini, Hist. di tutt. gli ord. rnilitar. Le
P. Anselme, Le Palais d'honneur. Herman et
Schoonebeck, dans leurs Histoires des ordres
militaires.
ECUYEltS AU FER D'ARGENT. Yovez
Fer d'or.
EGYPTIENS (Moines). Voyez Coptes.
ÉLÉPHANT (ORDRE DE l').
Des chevaliers des ordres de l'Eléphant et de
JJanebroch en Danemark.
L'ordre de l'Eléphant en Danemark est du
nombre de ceux dont on ne connaît point
l'origine. Les uns la font remonter jusqu'au
temps de Christiern 1èr, d'autres prétendent
qu'on ne la doit mettre que sous le règne de
Christiern IV, et d'autres enlin ne la fixent
que sous celui de Frédéric IL .Mais l'opinion
la plus commune est que Christiern Lr a été
l'instituteur de cet ordre, l'an 1478, selon
quelques-uns, ou l'an 1474, selon d'autre-;.
M. Ashmole dit avoir vu une lettre écrite l'an
1 137 par Avoleide, évêque d'Arhusen, chan-
celier de Jean, roi de Danemark, à Jean Fris,
aussi chancelier de Christiern 111, dans la-
quelle ce prélat marque que Christiern I*r,
étant à Rome, demanda au pape Sixle IV la
permission de pouvoir instituer cet ordre en
l'honneur de la passion de Noire-Seigneur
Jésus-Christ, et que les rois de Danemark
eu fussent toujours chefs ; et il ajoute que
ce prince fonda une chapelle magnifique
dans la grande église de Roschild, lieu de la
sépulture des rois de Danemark et éloigné de
quatre lieues de Copenhague, où tous les
chevaliers devaient s'assembler. Le même
auteur, décrivant le collier de cet ordre, dit
que ce n'était d'abord qu'une chaîne d'or au
bas de laquelle pendait un éléphant qui avait
sur le côié une couronne d'épines dans la-
quelle il v avait trois clous ensanglantés en
mémoire de la passion de Noire-Seigneur,
que dans la suite ce collier fut coin osé de
croix entrelacées d'éléphants, et qu'au bas
de ce collier il y avait encore un éléphant
qui tenait sous ses pieds une image de la
sainte Vierge, en l'honneur de laquelle il y a
aussi des auteurs qui prétendent que cet
ordre lut institué. Favin et le P. Anselme,
qui sont du nombre de ces auteurs, disent
que les chevaliers de cet ordre portent au
cou une chaîne d'or au bout de laquelle pend
sur l'estomac un éléphant d'or emaillé de
blanc, le dos chargé d'un château d'argent
maçonné de sable ; et cet éléphant est porté
sur une (errasse de sinople émailléede fleurs.
J'ai une ancienne esiampe où le collier de
cet ordre est ainsi représenté, à l'exception
que le collier est de trois chaînes d'or. Mais,
quoique Favin et le P. Anselme décrivent de
celte manière le collier de l'ordre de l'Elé-
phant, néanmoins celui qu'ils oui fait gra-
ver est composé de plusieurs croix entrela-
cées d'éléphants qui portent chacun sur leur
d .;s une tour, et au bout de ce collier il y a
une médaille entourée de rayons, au milieu
de laquelle est l'image de la" sainte Vierge.
J'ai encore une ancienne estampe où ce col-
lier n'est que d'une chaîne d'or composée de
plusieurs os qui paraissent des vertèbres, au
bas duquel pend un éléphant ayant sur le
dos une tour, et au-dessus de la lour un I,
qui pourrait signifier le roi Jean ; de même
que le C que les chevaliers qui furent fai s
par Christiern IV mirent sur le collier, mar-
quait le nom de ce prince. Celui que Men-
nénius a fait graver est semblable à celui
que Favin et le P. Anselme ont donné, avec
cite différence que la médaille de la sainte
Vierge est attachée à trois petites boules, et
qu'au bas de celte médaille il y en a encore
une aulre représentant trois clous de la pas-
s.on. Enfin la plupart des auteurs qui ont
parlé de cet ordre en ont donné le collier de
différentes manières. Celui que les cheva-
liers portent présentement est composé de
plusieurs éléphants entrelacés de tours, cha-
que éléphant ayant sur le dos une housse,
bleue, et au bas du collier il y a un éléphant
d'or chargé dur le dos de cinq gros diamants,
en mémoire des cinq plaies de Notre-Sei-
gneur ; cet éléphant est entaillé de blanc et
a sur le dos un pelit Maure assis.
Quant à leur habillement, ils portent dans
les jours de cérémonie un grand manteau de
velours cramoisi doublé de salin blanc, dont
la queue traîne de deux aunes, avec un cha-
peron par derrière attaché au manteau : les
cordons qui lient le manteau sont d'argent
et de soie rouge, le haut-de-chausses et le
pourpoint de satin blanc, et les bas de cou-
leur de perle. Ils portent sur le côté gauche
du manteau une croix en broderie, entourée
de rayons ; leur chapeau est de velours noir
avec un bouquet de plumes rouges et blan-
ches (1). Ce qui dislingue le roi, c'est que
les plumes de son chapeau sont blanches
avec une aigrelte noire, et que son manteau
(l) Voy., à la tin du vol., n° 24.
113
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
m
est doublé d'hermine. L'habillement de ces
chevaliers, que l'abbé Giusliniani a fait gra-
ver, a élé dessiné, à ce qu'il dit, sur un por-
trait du roi Christiern V, mort l'an 1699. Ce
prince y est représenté avec une cuirasse,
ayant un cordon bleu passé en écharpe de-
puis l'épaule gauche jusqu'à la hanche
droite, et un Éléphant d'or au bout, avec un
manteau bleu, semé de couronnes d'or et de
cœurs en broderie ; ce manteau est doublé
de peaux de loups-cerviers et a sur le côté
gauche une croix entourée de rayons. Ainsi
il y a eu souvent du changement dans l'ha-
billement, aussi bien que d;ins le collier.
Favin , qui a été suivi par d'autres , s'est
trompé lorsqu'il dit que les rois de Dane-
mark ne confèrent cet ordie que le jour de
leur couronnement ; car, sans parler des rois
de Danemark qui ont régné depuis l'insti-
tution de cet ordre, Christiern V, qui, à son
avènement a la couronne, avait fait des che-
valiers de l'Eléphant, Gl encore chevalier de
cet ordre, l'an 1672, l'ambassadeur d'Angle-
terre qui résidait auprès de sa personne. 11
y eut une promotion de plusieurs autres che-
valiers l'an 1679. Le marquis de Bade Dour-
lach, et Christiern, prince d' Ostfrise, le fu-
rent aussi l'an 1682. L'année suivante, Fré-
déric Charles de Roye de la Hochefoucault ,
comte de Roye, fut fait pareillement c heva-
her de I Eléphant. Il y eut une autre promo-
tion le lo juillet 1691, et le collier de cet
ordre fut donné à Evrard Louis , prince de
Wirtemberg; Sluttgard Georges, landgrave
de Hesse-Darmstadl; Philippe, landgrave de
liesse Cassel; Albert, duc de Saxe-Gotha;
Léopold Evrard, duc de Wirtemberg-Mont-
belliard, et à d'autres ; et l'an 1697 le duc
Jean Adolphe de Saxe-Weinsenfelz le reçut
aussi.
Elie A'hmole, dans son Traité de la Jar-
retière ; Favin, Théâtre d'honneur et de che-
valerie ; Bernard Giusliniani , Hist. di tutti
gli Ordini militari ; Mennénius , Herman et
Schoonebeck, dans leurs Histoires des Ordres
militaires; et le P. Anselme. Le Palais de
l'honneur.
Outre l'ordre de l'Eléphant en Danemark ,
il y a encore un autre ordre sous le nom de
Danebroch , dont quelques écrivains , ama-
teurs des fables, font remonter l'origine jus-
qu'au temps de Dan, lils du patriarche Jacob,
qui, selon eux, fut le premier roi de Dane-
mark et donna son nom à ce royaume. Ils
disent que ce roi prétendu étant sur le point
de livrer une bataille, l'an du monde 2898,
vit descendre en l'air une grande croiv blan-
che qui fut le siyne de la victoire qu'il rem-
porta : ce qui fui cause qu'il inslilua un or-
dre auquel il donna son nom et celui de
Broge, qui, en danois, veut dire peinture.
D'autres, plus raisonnables, croient que
Waldemar 11 en a élé l'instituteur vers l'an
1219. M. Bartholin , qui est de ce seutiment
et qui a fait une dissertation sur l'origine de
cet ordre, ajoute que ce prince donna aux
chevaliers une croix blanche. Il y en a d'au-
tres qui en attribuent aussi l'institution à
Waldemar, et qui prétendent que cette croix
blanche était bordée de roupe, et que le mo-
tif qui porta ce roi à instituer cet ordre fut
qu'étant près de donner combat à ses enne-
mis, il avait vu une croix pareille qui des-
cendait du ciel. Ce qui est certain, c'est que,
s'il est vrai que Waldemar ait institué cet
ordre, il n'était plus connu en Danemark
lorsque Christiern V le rétablit l'an 1672;
mais il y a plus d'apparence qu'il en a été
plutôt l'instituteur que le restaurateur, et et;
fut à l'occasion de la naissance du prince
royal de Danemark Christiern Guillaume ,
son fils, qu'il célébra avec beaucoup de ma-
gnificence. Les chevaliers de cet ordre por-
tèrent alors en écharpè depuis l'épaule gau-
che jusqu'à la hanche droite un rubau blanc
bordé de vert , auquel pendait une croix de
diamants , et sur leurs manteaux ces deux
mots en broderie , Pielate et Justitia , dans
une couronne de laurier. Ce princ retran-
cha dans la suite ces paroles, et ayant ré-
formé l'ordre, il ordonna que les chevaliers
porteraient un manteau de couleur aurore,
doublé de salin blanc. Ce m inteau est à peu
près de la même manière que celui des che-
valiers de l'Eléphant ; mais le haut-de-
chausses est plus large , semblable à celui
des Suisses. Ils doivent paraître devant le
roi avec cet habit de cérémonie trois fois
l'an, le jour de la naissance de ce prince ,
celui de son couronnement et celui de sou
mariage. Leur nombre n'est que de dix-neuf,
le roi en est le chef et ne confère cet ordre
qu'à des officiers d'armée.
Thom. Bartho!., De equest. Ord. Danebro-
g'ui Dissertât, histor.; et Schoonebeck, llis~
toire des Ordres militaires, tom. IL
ELISABETH (Religieuses de Sainte-).
De l'origine des religieuses du Tiers Ordre de
Saint-François , avec la v:e de sainte Eli-
sabeth de Hongrie , veuve du landgrave de
Thuringe, première religieuse de cet ordre.
C'est avec raison que les religieuses du
Tiers Oidre de Saint- François regardent
sainte Elisabeth de Hongrie comme leur
mère, puisqu'elle a été la première Tiertiaire
qui ait fait des vœux solennels. Elle était fille
d'André H, roi de Hongrie, et de Gerlrude ,
fille du duc de Carinthie. Elle \ int au monde
l'an 1207. Ses vertus commencèrent à écla-
ter presque dans le berceau, particulière-
ment sa compassion envers les pauvres, qui,
dès l'âge de trois ans, lui mérita un miracle
signalé de la puissance de Dieu ; car ayant"
été surprise par le roi, son père, lorsqu'elle
leur portait quelque chose qu'elle ne voulait
pas que l'on vît, et lui ayant dit que c'étaient
des roses, cela se trouva véritable. Le land-
grave de Thuringe l'ayant demandée en ma-
riage pour son fils aîné , et ayant envoyé
pour ce sujet une célèbre ambassade au roi
de Hongrie , elle fut conduite en Thuringe
dès l'âge de quatre ans avec toute la magni-
ficence possible.
La cour du landgrave la vit encore plus
fervente cl plus verlueusc que ne l'avait vue
celle du roi de Hongrie. Sa gouvernante s'ef-
«45
ELI
eu
liG
força de diminuer la longueur de ses prières
et de ses autres pratiques de dévotion ; mais
ce fut toujours inutilement. Son oraison était
presque continuelle, l'exercice de ses vertus
n'avait point d'intervalle, même dans ses re-
créations, qu'elle passait dans des divertisse-
ments saints et pieux. Sa dévotion et sa ten-
dresse étaient si grandes pour les mystères
de la passion de Jésus-Christ, qu'elle répan-
dait une grande abondance de larmes lors-
> qu'elle entendait la messe, qui en est la re-
présentation. Le roi de Hongrie, allant à la
i conquête de la terre sainte , établit un sei-
gneur de sa coer, nommé Branchant , pour
gouverner le royaume pendant son ab ence;
mais à peine ce prince lut-il parti, que Ger-
trude son épouse fut tuée par ce Br.mebant.
Les larmes que ce meurtre fit répandre à
sainte Elisabeth furent les fidèles témoins de
sa douleur et de sa tendresse pour cette prin-
cesse; mais si constance n'en l'ut point ébran-
lée ; elle lâcha même de porter son père et
ses frères à n'en point tirer vengeance.
Après la mort de la reine sa mère, elle com-
mença à vivre d'une manière d'autant plus
agréable à Dieu, qu'elleétait désagréable à la
cour. Sophie, duchesse de Thuringc, et les
gens de cette cour la méprisaient; mais ces
mépris la eonsolaient , dans l'espérance de
cette récompense que Dieu promet à ceux
qui souffriront la persécution pour la justice
Le landgrave la défendait contre la malice
des envieux ou des censeurs de sa vertu ;
mais Dieu, qui éprouve ses élus comme l'or
dans la fournaise, la priva de cette protec-
tion par la mort de ce prince , qui arriva
lorsqu'elle n'avait encore que neuf ans.
Quoique les pratiques de la pénitence ne
soient pas ordinaires aux personnes de cet
âge, cette jeune princesse les embrassait déjà
avec tant d'ardeur, que la haire et la disci-
pline lui étaient ordinaires, et elle inventait
tous les jours de nouvelles mortifications.
La couronne qu'elle portait sur sa lête les
jours de fêles et de dimanche, pendant qu'elle
assistait au saint sacrifice de la messe, selon
la coutume des princesses de Thuringe, lui
paraissait si peu convenable au ni) stère d'hu-
milité qui y est représenté , qu'un jour elle
la quitta ; mais cette, action, qui aurait dû
faire l'admiration de toule la cour, déplut
fort à la duchesse Sophie, et procura de
nouvelles humiliations à notre sainte , qui,
malgré les oppositions de celte princesse tt
de ses courtisans, à qui ses vertus donnaient
de la jalousie, épousa enfin, l'an 1221, à l'âge
de quatorze ans, Louis V, landgrave de Thu-
ringe, qui en avait vingt et un. Elle eut de
ce mariage trois enfants, un fils nommé Her-
inan, qui posséda la souveraineté du Thu-
ringe après la mort du landgrave son père ;
une princesse qui porta le nom de Sophie,
cl fut mariée au duc de Brabant; et une au-
tre fille qui fut abbesse d'un célèbre monas-
tère de Franconie.
Comme le landgrave son époux avait beau-
coup de piété , il lui laissait une entière li-
bellé de vaquer à ses exercices de dévotion.
11 l'encourageait même à la persévérance, et
approuvait toutes les aumônes qu'elle distri-
buait aux pauvres. Sitôt que cette princesse,
qui cherchait toutes les occasions d'avancer
de plus en plus dans le chemin de la perfec-
tion, eut nouvelle de l'établissement du troi-
sième ordre de Saint-François, elle demanda
d'y être associée, et elle lut la première en
Allemagne qui le reçut des mains d'un reli-
gieux du premier ordre, avec la permission
du prince son époux, qui l'eût pareillement
embrassé, s'il eût eu assez de santé pour en
pratiquer les règles. Saint François, qui vi-
vait encore pour lors, ayant appris cette nou-
velle, aurait bien souhaité lui faire un pré-
sent digne de sa qualité, pour lui témoigner
la joie qu'il en avait ; mais sa grande pau-
vreté lui en ôtant les moyens, il lui envova
le pauvre manteau qu'il portait, comme le
gage le plus assuré de son amour paternel
pour une si sainte fille : aussi sainte Elisa-
beth le reçut comme un riche présent , et
avec le respect d'une véritable fille pour un
père si saint et si ami de Dieu. Le Saint-Es-
prit, qui avait toujours été son guide avant
son mariage, ne le fui pas moins lorsqu'elle
fut engagée dans cet état : elle choisit pour
son confesseur le Père Hodingerius , dont se
voyant privée à l'âge de dix-sept ans , elle
prit Conrad de Masburg, à qui elle rendit
une parfaite obéissance, après en avoir fait
le vœu entre ses mains en 1225, y joignant
en même temps ctlui de chasteté, si elle sur-
vivait au prince son époux.
Les pauvres et les malades étaient les
principaux objets de ses soins et de son af-
fection, leur ayant fait bâtir un hôpital à
Maspurg, afin qu'on leur y administrât
tous leurs besoins . tant spirituels que tem-
porels. Dans un temps de famine elle nourrit
pendant deux années do suite neuf cents
pauvres. Ses greniers étant épuisés, elle eut
soin de faire venir du blé de toutes parts , et
employa à cette œuvre de charité non-seu-
lement toute sa dot , que son mari lui avait
accordée , mais encore sa vaisselle d'argent,
ses perles, ses diamants , et tout ce qu'elle
avait de plus précieux.
Le landgrave, ayant entrepris le voyage de
la terre sainte, laissa cette princesse pour
régente de ses Etals; mais ayant été saisi
d'une violente Gèvre dans la ville de Troïna
en Sicile, il ne laissa pas d'aller à Trente,
où, sa maladie augmentant , il mourut en
1227. On annonça à la sainte la mort de son
mari , dont elle reçut la nouvelle avec une
parfaite conformité à la volonté de Dieu. En
même temps on la dépouilla de ses Etats,
comme indigne de la régence. Etant sortie la
nuit hors de son palais par la violence de
sesennemis, qui l'en chassèrent aveemépris,
non-seulement elle ne trouva aucune mai-
son qui la voulût recevoir, mais encore, pour
surcroît de disgrâce, une malheureuse femme
qui en avait reçu de grands secours la jeta
dans la boue au milieu de la rue, et elle fut
obligée de se retirer dans une pauvre étable
avec ses demoiselles , jusqu'à ce qu'ayant
entendu sonner àminuitla cloche des Frères
Mineurs pour les mutines , clic se fit ouvrir
117
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
148
la porle de . église, el les pria de chaîner le
Te Deum en action de grâces des humiliations
où Dieu l'avait réduite.
Un si grand changement de fortune, capa-
ble d'abattre tout autre courage que le sien,
ne fitqu'augmentersaconslanceetson amour
pour Dieu , comme il parut assez par la pa-
tience avec laquelle elle souffrit ce que la
pauvreté a de plus rude et de plus humiliant,
puisqu'elle fut réduite à demander du pain
de porte en porte pour sa subsistance. L'ab-
besse de Kizingen , sa tante , en ayant eu
avis, la fit venir chez elle, et l'envoya en-
suite à l'évêque de Bamberg , qui était aussi
son oncle, cl qui lui proposa de se remarier,
étant encore dans la fleur de son âge ; mais
elle ne voulut point entendre parler de se-
condes noces , ayant choisi Jésus-Christ
pour époux.
Comme on portait le corps du prince son
mari en Thuringe , il passa par Bamberg,
accompagné des seigneursqni l'avaient suivi
en Sicile. La sainte veuve le \ ou lut voir, pour
lui donner les dernières marques de sa ten-
dresse en l'arrosant de ses larmes. Ces sei-
gneurs, ayant appris le mauvais traitement
que l'on avait fait à celte princesse, la vou-
lurent rétablir dans la régence , mais elle dé-
clara qu'elle y renonçait, et ne prétendait
aucune part au gouvernement. Elle demanda
seulement que Ion conservât les droits de
ses enfants, et qu'on lui donnât son douaire
en argent , afin de le pouvoir distribuer aux
pauvres. Rodolphe , qui tenait le premier
rang parmi ces seigneurs , la ramena en Thu-
ringe , et la remit en possession de son pa-
lais, où elle fut traitée selon sa dignité;
mais celte pieuse princesse, appréhendant
que les honneurs qu'on lui rendait et l'abon-
dance où elle se trouvait ne fussent contrai-
res au vœu de pauvreté auquel elle s'élait
engagée, renonça à tous ces honneurs el re-
tourna d'elle même à cet état d'humiliation
où ses ennemis l'avaient d'abord réduite
après la mort de son mari. Rodolphe et les
autres seigneurs de la cour, peu accoutu-
més aux humiliations de la croix de Jésus-
Christ, qui leur semblait plutôt une folie
qu'une sagesse , ne sachant à quoi attribuer
un si grand mépris de soi-même et si con-
traire aux maximes du monde, ne la regar-
dèrent plus que comme une folle, et n'eurent
plus pour elle que du mépris : ce que la
sainte souffrit avec une joie qu'il n'est pas
facile d'exprimer, se reconnaissant à ces
marques servante de Jésus-Christ, qualité
qu'elle préferait à loules les grandeurs de la
terre.
Le pape Grégoire IX la prit sous sa pro-
tection, et la recommanda à Conrad de Mas-
purg, son confesseur, entre les mains du-
quel elle avait fait , comme nous avons dit ,
venu d'obéissance el do chasteté dès l'an r2Z'>.
C;: sage directeur Voulut modérer son zèle
pour la pauvreté , qu'elle voulait pratiquer
dans un si haut degré de perfection, que, non
contente de renoncer à tout ce qu'elle pou-
vait prétendre dans "le monde, elle ne vou-
lait vivre que des aumônes qu'elle oourrait
trouver; et sur le refus qu'il lui fit de la
permission qu'elle lui en demandait, elle lui
répondit : Je le ferai , je le ferai, et vous ne
pouvez pas m'en empêcher; et effectivement ,
étant entrée le jour du vendredi saint dans
l'église des Frères Mineurs, elle mit les
mains sur l'autel , et là, en présence des re-
ligieux et de son confesseur, elle fit une
profession solennelle par laquelle elle re-
nonça à toutes les vanités du monde, à ses
parents , à ses enfants, à sa propre volonté
el à tonl ce que le Sauveur du monde con-
seille d'abandonner pour être parfait.
Plusieurs auteurs disent qu'elle se retira
ensuite dans un monastère, où elle s'em-
ploya à filer la laine et à exercer les plus
vils ministères : ce qui n'empêchait point
que, comme elle ne s'était pas obligée à la
clôture , elle n'eût soin des pauvres de l'hô-
pital qu'elle avait fait bâtir. Il y eut aussi
trois ou quatre de ses demoiselles qui l'imi-
tèrent , et se revêtirent de l'habit du Tiers
Ordre ; mais la pauvreté de celui de la sainte
la faisait distinguer des autres. Enfin ses aus-
térités et ses mortifications ayant abrégé ses
jours , elle mourut à Maspurg le 19 novem-
bre 1231, n'étant encore que dans sa vingt-
quatrième année.
Quelques-uns doutent néanmoinsque cette
sainte ait été du Tiers Ordre de Saint-Fran-
çois et véritablement religieuse; mais c'est à
tort, puisque saint lîonaventure assure
qu'elle en a été, el qu'il l'a appris de son
confesseur; et que Vincent de Jieauvais el
saint Antonin, qui ont été suivis par plusieurs
autres écrivains, disent qu'elle se revêtit
d'un habit gris, et qu'elle fit une profession
solennelle : Grisœum habit um induit , et ha-
bitue susceptionem voti emissione solemniza-
vil . Wadiug , qui dispute à cette sainte la
qualité de religieuse , dit néanmoins que sa
profession fut solennelle : Positis super ai-
tare manibus , solemni ac magnanima profes-
sione renuntiat parentibus , etc.; et dans un
autre endroit, en rapportant la bulle de ca-
nonisalion , où le pape Grégoire IX marque
qu'elle se revêtit de l'habit de religion , il
n'a pas manqué de marquer à la marge
qu'elle avait été religieuse, fuit religiosa.
Ainsi c'est à tort qu'il lui dispute celle qualité.
Bonfinius, dans son Hiv.oire de Hongrie, dit
qu après avoirpris l'habit île Saint-François,
elle se retira dans un monastère, où elle s'oc-
cupait à filer et aux offices les plus vils. Nous
I ourrions rapporter aussi le témoignage
d'un grand nombre d'auteurs, qui n'ont point
fait difficulté de la reconnaître pour reli-
gieuse du Tiers Ordre de Saint-François ;
mais ce que nous en avons dit suffira pour
faire connaître que les religieuses de cet or-
dre ont eu raison de la reconnaître pour leur
mère et pour leur patronne, yen ayant même
quelques-unes qui prennent le lilre de reli-
gieuses de Sainte-Elisabeth. Il est vrai qu'elle
ne gardait pas la clôture et qu'elle sortait
souvent de son monastère pour aller servir
les pauvres a l'hôpital ; mais la clôture n'est
pas essentielle à la profession religieuse; et
il y a eacore aujourd'hui plusieurs couiinu-
149 ELI
Hautes de religieuses du Tiers Ordre de
Saint-François qui ne s'y engagent pas et
qui, à' l'exemple de leur Mère sainte Elisa-
beth, sortent de leurs monastères pour aller
, ssister les malades, consoler les mourants,
ensevelir les morts , et qui prennent la qua-
lité de religieuses hospitalières. 11 y en a
d'autres qui exercent l'hospitalité sans sor-
tir de leur clôture, d'autres qui gardent seu-
lement la clôture sans exercer 1 hospitalité;
et parmi celles qui ne sont point hospitaliè-
res, il y en a de réformées qui prennent le
nom de religieuses du Tiers Ordre de Saint-
François de l'Etroite Observance , d'autres
de religieuses Récollectines. Les unes suivent
la règle de Nicolas IV, d'autres celle de
Léon X. La plupart sont habillées de gris.
Les unes ont des scapulaires , d'autres n'en
portent point. Il y en a aussi qui sont habil-
lées de blanc, d'autres de noir et d'autres de
bleu. Nous avons parlé cl parlerons encore
de quelques-unes de ces religieuses plus par-
ticulièrement dans d'autres articles , et nous
donnons la figure d'une des anciennes reli-
gieuses hospitalières de cet ordre qu'on nom-
mait de la telle, qui étaient babillées de gris,
et portaient des manteaux noirs lorsqu'elles
sortaient (1). Comme la règle défend de por-
ter des habits tout à fait blancs ou tout à fait
noirs, ces hospitalières de la Celle des mo-
nastères de Sainl-Ouier, Hesdin , Abbeville
et Montrcuil , eurent du scrupule de porter
des manteaux noirs, quoiqu'elles en eussent
su permission du pape Sixte IV. Elles s'a-
dressèrent, l'an 1489, au pape Innocent VIII,
qui leva leur scrupule et confirma la permis-
sion que son piédéei sseur leur avait donnée
de porter ces manteaux noirs qui les cou-
vraient depuis la tète jusqu'aux pieds , et ne
portaient point de scapulaire, non plus que
certaines hospitalières dont nous avons fait
aussi graver l'habillement , et qu'on appe-
lait les Sœurs de la Faille, à cause des grands
manteaux qu'elles portaient aussi, au haut
desquels il y avait un rond de chaperon qui
couvrait leur visage pour n'être point vues
du peuple (2) ; elles allaient servir les ma-
lades dans leurs maisons , et avaient soiu des
pestiférés; leur habilement était gris.
Vincent. Bellovacensis, lib. xxx Speculi,
Hist. c. 136. S. Anton., m part. Hist.. titul.
19. c. 2; Wading, Annal. Minorant, t. I,
unn. 1228, n. 8ï. S. lionavent. Serin, de S.
Etisab. Conrad de Maspurg, Fpisi. ad Pa-
pain. Gregor. IX de Vila S. Elisabeth. Joau.
Mar. Vernon , Annal. Tei t. Ord. S. Fran-
ciser. Franc. Bordon, Clirunolog. FF.etSo-
ror. Tert. Ord. S. Francisa.
Nous ne partageons point le sentiment
d'Hélyot sur la profession de sainte Elisabeth
de Hongrie, qu'il dit avoir été solennelle , si
le mot solennelle doit être pris à la rigueur.
Néanmoins nous ne décidons pas absolument
<l ne sa profession ne fut point solennelle,
puisqu'elle la faisait dans le Tiers Ordre ,
qui est un ordre véritablement approuve
comme ordre religieux ; mais quelle commti-
(!) Voy., ii ia Qu du vol., u° 25,
P..NF
r><>
naulé habitait-elle , quelles constitutions y
mi \ ait- on? Ce seraient des points à celai rcir ,
puisque Wading est allé jusqu'à contester
l'état religieux de la sainte, qu'il reconnaît
pourtant à la Gn par l'expression religiosa.
Quoique les religieuses Tiertiaires de Pans
soient connues aujourd'hui sous le seul nom
de Religieuses de Sainte-Elisabeth , elles no
sont point néanmoins à placer au rang de
celles qui sont mentionnées dans ce chapitre.
Elles appartiennent à celles qu'on appelle
de l'Etroite Observance ; nous renvoyons les
additions que nous fournirons à leur his-
toire au chapitre où leur établissement est
raconté par Hélyot ; c'est là leur place natu-
relle , c'est-à-dire à l'article de l'ordre de la
Pénitence, ou Tiers Ordre régulier de Saint-
François d'Assise. Nous parlerons en même
temps de deux autres maisons que les Fran-
ciscains du Tiers Ordre avaient aussi à Paris,
et sur lesquelles Hélyot a gardé un silence
d'autant plus surprenant, que ces deux mo-
nastères étaient du môme ordre que lui.
Au dernier siècle les Franciscains du Tiers
0/'d/v,ainsi lu'onlesappelaitàllome, avaient,
dans cette dernière ville, les quatre établis-
sements suivants , tous quatre gardant la clô-
ture et dirigés par des prêtres séculiers :
Saint-Bernardin de Sienne , Sainte-Claire, la
Purification , Sainte-Apolline. Aujourd'hui
les Franciscaines du Tiers Ordre, à Home,
sont encore sous la direction des prêtres sé-
culiers ; nous ignorons si elles y ont plus
d'une maison , mais tous les monastères dont
nous parlons ici sont plutôt à mentionner
dans le chapitre consacré aux religieuses du
Tiers Ordrevivant en clôture. Dans les Etals
autrichiens ou compte aujourd'hui dix mo-
nastères de religieuses de Sainte-Elisabeth,
dites Elisabélhines, renfermant, en totalité,
319 religieuses. B-d-e.
ENFANCE DE NOTUE-SE1GNEUR 'Filles
DE l').
De la congrégation des Filles de C Enfance de
Notre-Seigncur Jésus-Christ.
Dans le temps que les Filles de l'Enfant
Jésus à Borne commençaient à former leur
congrégation, comme nous le dirons à l'ar-
ticle Enfant Jésus, l'on en établit en France
une autre que l'on nomma de l'Enfance de
Noire-Seigneur Jésus Christ , qui eut pour
fondatrice madame de Mondnnville Jeanne
Julliard, veuve de Claude de Turle, seigneur
de Mondonville , conseiller au parlement de
Toulouse. Celle pieuse dame avait déjà éta-
bli, conjointement avec. M. l'abbé de Ciron,
chanoine de la cathédrale et chancelier de
l'université de Toulouse, quelques maîtres-
ses pour l'éducation el l'instruction des nou-
velles catholiques et des pauvres filles de la
paroisse de Saint-Etienne de la même ville;
mais, voulant changer cet établissement eu
une congrégation de vierges chrétiennes qui,
sans porter l'habit de religieuses, pratiquas-
sent les vertus de religion el se donnassent
(2) Voy., à la fui du vol., n* 26.
t. "H
DiCTIONNAIflli DUS OfluRES RELIGIEUX.
t;;2
loul à Dieu cl ;iii service du prochain, cl!.'
se relira en 1657 dans la maison qu'elle avait
achetée pour l'instruction des nouvelles ca-
tholiques. Elle y assembla, par les avis de
M. de Ciron, un si grand nom tire de filles, que
cette maison n'étant pas suffisante pour les
loger toutes , elle en acheta une autre
l'an 1CG1, où, sitôt qu'elle fut logée avec
toutes celles qui s'étaient mises sous sa con-
duite, elle demanda pour sa congrégation
naissante des règlements et des constitutions
à l'archevêque de Toulouse, Pierre de Marca,
qui , ne pouvant refuser une demande si
sainte et si juste , commit, par une ordon-
nai.ce du 2o mai 1061, M. de Ciron pour tra-
vailler à ces mêmes constitutions. Elles ne
furent pas plutôt finies, que madame de
JVIondonvilIe et quatre de ses filles présentè-
rent une requête à ce même prélat au mois
de janvier de l'année suivante, pour le prier
île les approuver et d'ériger Irur congréga-
tion sous le titre de ï'iïnfance de Noire-Sei-
gneur Jésus-Christ, et le vœu simple de sta-
bilité auquel elles voulaient s'engager. Le
grand vicaire de l'archevêque répondit à la
requête, et érigea les suppliantes et celles
qui se joindraient à elles en société et con-
grégation, sous le titre et de la manière
qu'elles souhaitaient, pour vaquer à l'édu-
cation chrétienne des jeunes filles, à l'in-
struction de celles qui étaient nouvellement
converties à la foi catholique, au secours et
;> l'assistance des pauvres malades honteux
et autres, avec le vœu simple de stabilité,
sous la conduite de leur fondatrice et insti-
tutrice. Il approuva les constitutions qui
.liaient été dressées par M. de Ciron, à
condition néanmoins qu'aucune fille ne
pourrait être reçue à faire le vœu de stabi-
lité dans la congrégation avant qu'il y eût
un acte public de la donation que la fonda-
trice avait promis de faire pour l'entretien
du huit filles : ce qu'elle exécuta la même
année, et fit la première ce vœu de stabilité
Ici mars. Elle envoya ensuite à Rome les
mêmes constitutions, pour en avoir la con-
firmation du saint-siège, que le pape Alexan-
dre VII accorda par un bref du 6 novem-
bre 1662. Le roi donna aussi ses lettres
patentes pour cet établissement le 21 octo-
bre 1663, et elles furent enregistrées au par-
lement de Toulouse le 17 novembre suivant.
Tels furent les commencements de la con-
grégation des Filles de l'Enfance, qui ne
subsistèrent pas longtemps, comme nous le
verrons dans la suite.
Les constitutions qui furent dressées par
M. de Ciron contenaient cinquante -trois
chapitres. Le premier traitait de la fin de
l'institut, qui était d'honorer tous les états
de l'Enfance de Notre-Seigneur Jésus-Chrisl,
mais particulièrement celui dans lequel il
commença d'instruire les hommes et de se
séparer de ses parents pour s'appliquer plus
particulièrement aux affaires de son l'ère : ce
que les filles qui embrassaient cet institut
devaient imiter, en procurant au dedans et au
dehors de leurs maisons l'instruction et le
secours spirituel et temporel du prochain,
autant que 1 1 modestie de leur état le pou-
vait permettre. Le second chapitre détermi-
nait les emplois des filles de celte congréga-
tion , dont le principal était d'élever les
jeunes filles dès leur enfance dans la con-
naissance des obligations de leur baptême,
dans l'estime et la pratique des promesses
qu'elles y ont faites à Dieu, dans la haine du
monde et de ses pompes, auxquelles elles ont
renoncé, et dans l'amour de Jésus-Christ et
des maximes de son Evangile. Le troisième
traitait de la manière que les filles de l'En-
fance devaient s'appliquer à celte éducation,
en prenant des pensionnaires dans leurs
maisons et en tenant des écoles publiques.
Le quatrième et le cinquième regardaient le
gouvernement des pensionnaires et des éco-
les^, Le sixième enseignait la manière avec
laquelle ces filles devaient se comporter dans
la visite des malades et la distribution des
bouillons. Le septième, ce qu'elles devaient
faire à l'égard des nouvelles catholiques. Le
huitième et le neuvième, le soin qu'elles de-
vaient avoir des hôpitaux et des pauvres en
temps de peste. Le dixième parlait des re-
traites qu'elles devaient f.iire pendant huit
jours tous les ans. Les onzième, douzième,
treizième et quatorzième regardaient la ré-
ception des filles. Il devait y en avoir de
trois sortes : les premières étaient des demoi-
selles de noblesse d'épée ou de robe, qui
pouvaient seules avoir voix délibérative dans
toutes les choses qui demandaient les suf-
frages de la communauté, comme aussi voix
active et passive dans les élections aux char-
ges de supérieure, intendante et économe de
la maison. Dans le second rang étaient les
filles d'une condition inférieure, qui pou-
vaient avoir part à tous les emplois de la
congrégation aussi bien que les premières,
comme de maîtresses des écoles, du gouver-
nement des pensionnaires, de la visite des
pauvres, distribution des bouillons, et au-
tres choses semblables : elles étaient seule-
ment exclues des charges de supérieure, in-
tendante et économe. Enfin dans le troisième
rang étaient les suivantes, femmes de cham-
bre et servantes du gros emploi, qui de-
vaient toujours demeurer dans la condition
que la naissance leur avait donnée, sans
qu'elles pussent en être tirées pour quelque
cause que ce fût. Avant que ces filles fissent
le vœu de stabilité, elles devaient être éprou-
vées pendant deux ans, lesquels expirés, la
fondatrice avait droit de les recevoir elle
seule, et après sa mort ce droit appartenait
à la communauté. Celles qui étaient admises
devaient faire vœu de stabilité en cette ma-
nière -.Jepromels sincèrement et librement, et
je voue à l'honneur de la sainte et sacrée £n-
-f-ince de Notre-Seigneur Jésus-Christ stabi-
lité perpétuelle dans la congrégation des
Filles de l'Enfance, pour y vivre le reste de
mes jours conformément à ses statuts et rè-
glements, sans clôture et sans aucune liaison
de vœu solennel, et sans aucune affectation
d'habit singulier. Dieu me fasse la grâce d'y
être fidèle. L'épreuve de deux années se
nommait l'essai, et la profession la liaison,
153
LNF
:i(in de n'avoir rien de commun avec les au-
tres congrégations régulières et séculières,
("est pour celte raison que le dis-neuvième
chapitre ordonnait que les maisons de cette
congrégation de l'Enfance seraient à la ma-
nière des maisons des bons bourgeois, et
qu'on ne bâtirait point surtout ni dortoirs,
ni réfectoires ni chauffoirs, et que les lieux
destinés à ces usages n'en devaient avoir ni
la forme ni le nom. Le quinzième défendait
de recevoir de-; veuves. La fondatrice devait
être en cela seule privilégiée; et si quelque
autre veuve voulait faire quelque nouvel
établissement, on devait lui permettre seu-
lement de passer huit jours dans la maison
de six mois en six mois. Le seizième exclut
toute singularité. Les maisons ne pouvaient
avoir de chapelles extérieures, de clocher,
ni de cloche, que de la grosseur nécessaire
pour êire entendue dans toute la maison.
Les filles ne devaient point changer le nom
de baptême ni celui de leur famille. Cl ne
devaient point su; peler soeurs. Conformé-
ment au dix-septième , elles ne devaient
point affecter d'étoffe particulière, mais de-
vaient se servir indifféremment, suivant les
saisons, de celles qui sont au-dessous de la
pure soie, simples et unies, sans passements
d'or et d'argent, ou de soie. Il ne devait
point non plus y avoir de couleur affectée;
mais elles pouvaient choisir indifféremment
le noir, le gris, le blanc, le feuille-morte, ou
autre couleur. Les habits des demoiselles
suivantes et des femmes de chambre ne de-
vaient être que de laine avec quelque diffé-
rence, soit dans la nature des étoffes, soit
dans la forme des habits. Le dix-huitième
prescrivait quels devaient être les ameuble-
ments des filles. Les chapitres dix-neuf et
vingt concernent les laquais, les carrosse-,
les chevaux et les chaises à porteurs, il
était dit dans le vingtième chapitre que les
laquais ne pouvaient pas être reçus s'ils
avaient servi des filles dans le monde ; et
que les cochers devaient être maries. Il de-
vait y avoir beaucoup d'union entre les tilles
d'une même maison, et celle union deva t
être réciproque entre toutes les maisons de
l'institut, comme elle est recommandée dans
les chapitres vingt-sept et vingt-huit. La
maison de Toulouse devait être le centre de
l'union des autres, à cause qu'elle avait reçu
les prémices de l'esprit de l'institut : c'est
pourquoi elles devaient avoir une communi-
cation particulière avec elle, la consulter
dans toutes les difficultés considérables qui
pouvaient survenir, el s«ivre ses décisions
après la mort de la fondatrice, qui était l'o-
rade de toute la congrégation; et qui seule
avec l'économe et une autre fille nommée
par la communauté, pouvait recevoir l'ar-
gent, non-seulement de la maison de Tou-
louse, mais encore des autres, comme il est
marqué dans le chapitre quaranle-six. Les
trente-trois el trente-cinq, où il était parle
de la nourriture, des pénilences et mortifi-
cations des filles, ne les obligeaient qu'à
celles que l'Eglise impose à tous les chré-
tiens. Elles ne soupaicul pas néanmoins le
ENF ir>4
vendredi ni le samedi, excepté celles qui vi-
sitaient les malades, qui ne pouvaient s'en
abstenir qu'avec la permission de la supé-
rieure. Leur nourriture ne pouvait être quo
de viandes ordinaires, comme bœuf, veau,
mouton, pigeons et volailles, la venaison
leur étant défendue, hors les cas auxquels
les médecins la jugeraient absolument né-
cessaire ; el les filles de service devaient être
traitées comme elles l'auraient été dans les
maisons particulières. Elles ne pouvaient
sortir qu'avec une compagne. Il ne leur
était pas permis de manger dehors. Elles de-
v aient ordinairement aller les dimanches et
les fêtes à la paroisse pour assister à la
messe, au prône et aux vêpres. On ne pou-
vait dire la messe dans leur chapelle domes-
tique que dans des cas extraordinaires ;
mais madame de Mondonville s'était réservé
la liberté de la faire dire quand elle voulait.
Elles se confessaient toutes dans l'église de
ia paroisse, où leur confesseur devait avoir
un confessionnal, avec la permission du
curé donnée par écrit ; el ce confesseur ne
pouvait être jamais qu'un prêtre séculier,
libre de tout engagement et liaison à toute
compagnie, congrégation ou communauté.
C'est ce qui est marqué dans les chapitres
trente-six, trente-huit et quarante et un.
Nous omettons les autres, qui ne regardent
que les pratiques des vertus, les élections
des supérieures et ofûcières, et l'économie
des maisons.
Ces constitutions trouvèrent des censeurs,
on écrivit contre, el on voulut persuader à
M. de Ciron d'en changer plusieurs articles ;
mais il ne put s'y résoudre. On y fit néan-
moins quelques changements, l'an 168i, par
ordre de M. l'archevêque de Toulouse; mais
ces changements ne furent point considéra-
bles, on retrancha seulement quelques mots
de peu de conséquence el quelques pensées
pieuses : en sorte qe?e ces secondes constitu-
tions ne diJeraient en rien des premières
dans l'essentiel :ce qui, selon les apparences,
ne fut pas agréable au roi, qui, peu satis-
fait de c-'s filies, ayant "oulu voir ces con-
stitutions tant nouvelles qu'anciennes, pour
être informé de leurs coutumes et usages, fit
défense, le 7 novembre 1G85, <ie recevoir des
filles dans celte congrégation sans nouvel
ordre, el par un arrêt du conseil d'Etal du
limai 1G8G il annula la fondation de celle
congrégation, cassa l'institut, el onlonnaaux
lilies de se retirer chez leurs parents ou ail-
leurs. Elles en appelèrent au saint siège la
même année; mais les poursuites qu'elles
firent furent inutiles, et ne servirent qu'à
faire donner une leltre de cachet à madame
<le Mondonville leur fondatrice pour se re-
tirer à Coulances, où elle a fini ses jours.
Ainsi la congrégation de l'Enfance fut entiè-
leuient supprimée. Elle s'élail déjà multi-
piée el avait des établissements à Toulouse,
a Sainl-Félix, à Montcsquiou, à Pézénas, à
Carmang et à Àix en Provence.
Constitutions des Filles de V Enfance im-
primées en 1G 54, c( Mémoires du temns.
155 DICTIONNAIRE DES
ENFANT JÉSUS (Filles ou Sœurs de l').
Voyez Ecoles Chrétiennes.
ENFANT JÉSUS (Filles de l').
Des Filles de l'Enfant Jésus à Rome.
Les Filles de l'Enfanl Jésus à Rome recon-
naissent pour ondatrice une sainte fille,
nommée Anne Moroni, qui prit naissance
dans la ville de Lucqucs. Se voyant orpheline
et sans biens, elle vint à Rome, où elle entra
au service de quelques dames de qualité.
Etant âgée de quarante ans, elle voulut si>
retirer de l'embarras du monde, dont elle
connaissait la vanilé et l'inconstance par la
pratique qu'elle avait eue avec lui pendant
le temps de son service ; et Dieu lui inspira
d'assembler quelques filles, avec lesquelles
elle commença à vivre en commun, l'an 1661,
après en avoir obtenu la permission des su-
périeurs. D'abord elle les entretenait de ce
qu'elle avait pu amasser étant en service ;
mais, comme cela n'était pas suffisant pour
les maintenir, elle leur demanda une légère
pension pour aider à leur subsistance. Le
F. Corne Berlintani, Clerc Régulier de la con-
grégation de la Mère de Dieu et curé de
Sainte-Marie in Campitelli, qui était son di-
recteur, voyant la ferveur de ces saintes
filles, en prit un soin particulier; et , afin
d'affermir ce pieux établissement, non-seu-
lement il le fit approuver par le sainl-siége,
mais il dressa des règlements que ces filles
suivirent. II persuada à la fondatrice de se
consacrer entièrement au service de Dieu et
du prochain avec ces filles, et de vingt-qua-
tre qu'elles étaient pour lors, il en choisit
douze des plus fervenles qui, ayant mis en
commun tout ce qu'elles avaient, sans aucun
égard à leur intérêt particulier, se proposè-
rent de garder inviolablement la chasteté, la
pauvreté et l'obéissance. Néanmoins elles ne
s'y engagèrent par aucun vœu, se conten-
tant de celui de persévérance jusqu'à la
mort dans la congrégation. Elles le firent le
ti juillet de l'an lo7.'5, jour consacré par l'E-
glise à honorer la visite que la sainte Vierge
rendit à sa cousine Elisabeth.
Ces filles ne doivent, pas être plus de tren-
te-trois, en l'honneur des trente-trois années
que Notre-Seigneur Jésus-Christ a vécu sur
la terre. Après trois années de probation,
et étant âgées de vingt et un ans, elles font
publiquement vœu, comme nous l'avons dit,
de persévérer jusqu'à la mort dans la con-
grégation, et un ferme propos de garder la
pauvreté, la chaslelé et l'obéissance. Si pour
de justes raisons elles veulent être relevées
de ce vœu de persévérance, soit pour se ma-
rier ou entrer dans quelque religion, elles
peuvent redemander ce qu'elles ont apporté
à la communauté sous le titre de dot ou
d'aumône. Tout y est en commun, personne
n'ayant rien en propre. Leur habillement est
île serge de couleur tannée, en l'honneur île
Notre-Dame du mont Carmèl, et consiste eu
une robe ceinte d'une ceinture de laine.
Elles n'ont ni guimpes, ni voiles, ni coiffes
(1) Vi'S/.j à la (in du vol. n* il.
ORDRES RLLIGIEUX
t.-iô
lorsqu'elles sont dans la maison ; mais quand
elles sortent, elles mettent un grand voile
noir qui descend depuis la tête jusqu'aux ta-
lons (1). Ces sorties sont fort rares, menant
une vie fort retirée; il n'y a que certains
jours de l'année qu'elles vont toutes ensem-
ble visiter quelques églises. Les jours de
jeûne, tous les vendredis, les dimanches et
fêtes, et pendant tout le temps de carême,
elles ne parlent à aucune personne de de-
hors, non pas même à leurs parents au pre-
mier degré. Elles ont tous les jours une heure
d'oraison mentale; et, outre les prières vo-
cales et plusieurs exercices de piété qu'elles
font en commun, elles disent toutes les fêt* s
le grand office de l'Eglise. Tous les ans elles
font les exercices spirituels pendant huit
jours, et tous les mois elles ont un jour de
recueillement. Le jour qu'elles communient
elles portent le cilice pendant la matinée.
Trois fois la semaine elles prennent la disci-
pline. Outre les jeûnes de l'Eglise, elles jeû-
nent encore tous les vendredis, les samedis
et toutes les veilles des fêtes de la sainte
Vierge. A certains jours elles font publique-
ment des mortifications. Elles s'occupent
beaucoup au travail manuel, comme à faire
toutes sortes d'ouvrages à l'aiguille, à dessi-
ner, à peindre, et plusieurs autres. Elles ap-
prennent le plain-chant, à jouer des orgues,
du clavecin, de la basse de viole, et autres
instruments de musique, qu'elles enseignent
aussi à d'autres filles qui demeurent chez
elles en qualité de pensionnaires, dont le
nombre ne doit pas excéder celui de trente.
Outre cela elles doivent recevoir gratuite-
ment pendant huit ou dix jours les filles qui,
voulant faire leur première communion, leur
demandent à se retirer chez elles pour s'y
préparer et se faire instruire de ce qu'elles
doivent savoir pour recevoir avec fruit cet
auguste sacre;neut. Elles reçoivent de la
même manière les filles qui veulent embras-
ser l'état religieux, afin de les exercer dans
les pratiques de la vie religieuse ; cl font
faire pendant huit ou dix jours les exercices
spirituels aux filles et aux femmes, veuves
ou mariées, qui, avec la permission du car-
dinal vicaire et le consentement de leurs ma.
ris ou de leurs parents, se veulent retirer
chez elles. Cette communauté fut d'ahord
établie dans une maison qui était à la place
M irgana, proche Sainte-Marie tn Campitelli;
elle fut ensuite transférée à Sainte-Praxèdo
et enfin proche Saint-Laurent in punis sper-
na, où elle subsiste à présent avec beaucoup
d'édification.
Carlo. Barlholom. Piazza Kusevoloij. Ito~
ma/no. part, i, iruct. k, cap. 7; et l'Iiilipp.
Bonanni, Calai. Ord. religios., part. il.
ÉPÉE (Ordre de Saint- Jacques de l).
§ le'. D s chanoines et des chanoinesscs d&
l'ordre de Saint-Jacques de l'Eoée en lis-
pagne.
La qualité de chanoines réguliers, que
157 EPE
les souverains .pontifes ont donnée aux ena-
pelains de l'ordre militaire de Saint-Jacques
île l'Epée en Espagne, nous oblige de parler
ici de cet ordre. Mai-, comme nous ne trai-
tons particulièrement que des chanoines ré-
guliers, nous ne parlerons des chevaliers
de Saiul-Jacques de l'Epéc qu'après avoir
rapporté ce qui concerne leurs chapelains,
p uisqu'ils sont chanoines réguliers ; et nous
joindrons aussi dans ce chapitre les reli-
gieuses du même ordre, qu'on peut aussi re-
garder comme chanoinesses. 11 y en a qui
prétendent que Ram ire 1", roi de Galice,
a fondé l'ordre militaire de Saint-Jacques
l'an 8iti, après avoir remporté une célèbre
victoire sur les Maures, où il en demeura
soixante-dix mille sur le champ de bataille;
parce que l'on en attribua le succès au se-
cours de ce saint apôtre, qu'on avait vu
< ombaltre dans la mêlée, tenant à la main un
étendard blanc sur lequel il y avait une épée
rouge en forme de croix ; ce qui fit que ce
prince institua, en faveur des gentilshommes
qui avaient cjmbaltu en celte action, une
confrérie sous le litre de Saint-Jacques, à la-
quelle il donna pour armes une épée de
gueules en champ d'or avec celte devise :
llubel ensis sanguine Arabum; et ils ajoutent
que dans la suite iette confrérie fut érigée
en ordre militaire par les souverains ponti-
fes. Mais pour détruire cette opinion il ne
f .ut que faire attention à ces armes, qu'on
donne à cet ordre dès le commencement de
son institution, ce qui en marque évidem-
ment la fausseté, puisque ies armoiries n'ont
été en usage qu'après le dix ou le onzième
siècle.
Ce ne fut que l'an 1170 que cet ordre com-
mença, sous le rè^ne de Ferdinand 11, roi de
Léon et de Galice. Et ce qui y donna occa-
sion lurent les courses des mêmes Maures,
qui troublaient la dévotion des pèlerins qui
allaient à Composlelle visiter te sépulcre de
saint. Jacques. Les chanoines de Saint-Eloi,
qui avaient un monastère au royaume de
Galice, bâtirent des hôpitaux de leurs reve-
nus, qui étaient fort considérables, sur le
chemin qu'on appelle communément Voie
Française, pour y loger les pèlerins. Le pre-
mier lut celui de Saint-Marc l'évangélisle ,
hors les murs de la ville de Léon; et le se-
cond au deli oit deCastillc appelé De lasTien-
das. Peu de temps après, treize gentilshom-
mes, à leur imitation, prenant le même apô-
tre pour leur protecteur, s'obligèrent par
vœu de garder et assurer les chemins contre
les incursions des infidèles. Ils communi-
quèrent leur dessein à ces chanoines de
Saint-Eloi, leur proposant de ne faire qu'un
corps entre eux, de mettre en commun le re-
venu du monastère ci ce qu'ils pouvaient
avoir et pourraient acquérir dans la suite
par le moyen de ceux qui se joindraient à
iux. Comiiie ces chevaliers possédaient déjà
plus de vingt châteaux, les chanoines furent
plus faciles à accorder celle union, et devin-
rent par ce moyen ciaus la suite dépendants
de ces chevaliers, dont ils ne sont que les
chapelains.
EIE
15 I
Cette union sent l'an 1170, et l'accord fut
fait entre don Pierre Ferdinand de Fuentes
Encalada , de la part dos chevaliers : et, de
la part des chanoines, entre don Ferdinand,
qui fut ensuite évêque, comme il parait par
son épilaphe qui est dans l'église du couvent
d'Uclès : Obiit Ferdinandus episeopusB. Ma-
ria? primas prior ordinis militiœ S. Jacob»,
era CCXI : ce qui répond à l'année 1173,
deux ans avant la confirmation de l'ordre,
qui ne fut accordée que l'an 1175, auquel
temps don André était prieur. Le cardinal
Hyacinthe Bubo, qui a été pape sous le nom
de Célestin III, et qui était pour lors légat en
Espagne du pape Alexandre III pour termi-
ner les différends qui étaient entre les rois do
Léon et de Castille, allant au diocèse d'Osma,
reçut le maître don Pierre Ferdinand avec
quelques-uns de ces chevaliers qui le furent
visiter ; et il approuva ce nouvel ordre. Tou-
tes choses y furent réglées par son conseil,
et l'an 1175 le même Pierre Ferdinand alla
trouver le pape Alexandre III à Rome, ac-
compagné de quelques chevaliers dont le
nombre était augmenté, et obtint la confir-
mation de cet ordre, conformément à ce que
le cardinal Hyacinthe avait ordonnéparune
bulle qui fut expédiée la même année. Elle
enjoint, entreautres choses, aux clercs de cet
ordre de vivre en communauté sous l'obéis-
sance des supérieurs, d'administrer les sa-
crements aux chevaliers , qui leur doivent
fournir tout ce qui est nécessaire pour leur
entrelien ; et elle contient en substance tout
ce que les uns et les autres doivent faire.
Mais le cardinal Albert, du litre de Saint-Lau-
rent in lucina , de l'ordre de Saint-Benoît,
et qui fut aussi pape dans la suite sous le
nom de Grégoire VIII, leur écrivit, par or-
dre d'Alexandre III, une règle plus ample,
qui contient soixante et onze chapitres, qu'il
approuva et qui fut confirmée par Jules II
l'an 1507. Il est vrai que par la bulle d'A-
lexandre, les chanoines de Saint-Jacques ne
sont appelés que clercs ; mais par deux au-
tres bulles des papes Adrien VI de l'an 1522,
et de Clément Vil de l'an 1531 , il est parlé
d'eux sous le nom de chanoines réguliers,
soumis à la règle de Saint-Augustin.
Une des premières dignités qui est tou-
jours occupée par un de ces chanoines est
celle de prieur, auquel élait confiée la con-
duite de tout l'ordre après la mort du grand
maître, avant que la grande maîtrise eût été
réunie à la couronne d'Espagne ; et il avait
le soin de convoquer ceux qui devaient pro-
céder à une nouvelle élection. Cette dignité,
qui fut d'abord unique , a été dépuis divisée
en deux, pour les raisons que nous dirons
au § suivant ; et il y a présentement deux
prieurs, savoir, le prieur d'Uclès, et le prieur
de Saint-Marc de Léon, qui, par concessiou
des souverains pontifes, portent tous deux la
mitre et les autres ornements pontificaux.
Le prieur d'Uc es a néanmoins retenu quel-
ques prérogatives, comme d'enseigner la rè-
gle à ceux qui veulent être reçus dans l'or-
dre, qui sont obligés de faire leur année de
probiiliou dans ce couvent, où il y a des reu-
159
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
100
les affectées pour ce sujet, et c'est aussi dans
ce lieu qu'ils doivent faire profession.
Ces chanoines sont vêtus de noir, comme
les ecclésiastiques, et mettent sur leur sou-
tane un surplis sans manches , appelé giral-
dète, et sur le côté gauche de leur manteau
une croix rouge en forme d'épée qui est celle
de l'ordre (1). Au chœur ils mettent par des-
sus leur surplis ou giraldète , une chape et
un camail noir avec la croix de l'ordre sur
la poitrine (2) ; et dans le collège de Sala-
manque ils se servent de la chape et camail
de violet brun. Les prieurs portent les sur-
plis avec des manches étroites, c'est-à-dire
des rochets, comme les prélats. Il y a eu
parmi eux plusieurs personnes illustres, et
qui sont sorties de cet ordre pour remplir des
dignités ecclésiastiques : comme Julien Ba-
mirez, le docteur Durand et Nicolas de Car-
riazo, qui ont été évêques de Cadix ; Martin
l'cirez de Aïala, archevêque de Valence, Fer-
dinand de Azevedo, évêque d'Osma et en-
su i te archevêque de lîruges, Jérôme de Leyna,
archevêque de Montréal en Sicile, Barthélémy
de Percz, évêque de Tunis , et plusieurs au-
tres. Quelques-uns se sont aussi distingués
par leur sainteté, comme Alphonse, prieur
d'Uclès, dont Martin Peirez , archevêque de
Valence, a donné la Vie ; d'autres par leurs
écrits, comme Benoît , Arias Montanus , du
monastère de Saint-Marc de Léon et prieur
de Saint-Jacques de Séville, mort en 1598,
qui a travaillé à la Bible polyglotte d'Anvers.
11 possédait parfaitement treize langues, et
entre autres l'hébraïque, la chaldéenne, la
grecque et la syriaque. Il fut chéri du roi
Philippe II, et a été regardé comme un des
plus grands hommes que l'Espagne ait pro-
duits. Le Maître Isla, Didace de la Mole ou
Mota, Jean Bamirez, ont été aussi écrivains
de cet ordre, qui a produit plusieurs autres
personnes illustres par leur piété et par leur
doctrine.
Autrefois le prieur de Saint-Jacques de
Séville n'était point soumis aux supérieurs
de l'ordre, parce que ce couvent fut fondé
l'an 1400 par don Laurent Suarez de Figue-
roa, grand maître de l'ordre, qui obtint du
pape des bulles pour exempter ce couvent
de toute juridiction de l'ordre ; mais l'an
1429 dor. Henri d'Aragon , neuvième grand
maître et son successeur, les fit révoquer
par le pape Martin V, qui soumit ce couvent
au grand maître de l'ordre et au prieur d'U-
clès ; et don Alphonse de Cardenas l'incor-
pora à l'ordre dans un chapitre général, l'an
1480. Les prieurs d'Uclès étaient perpétuels;
mais don Ferdinand de Santojo, ayant été
élu en 1426, renonça volontairement à celte
dignité, comme il paraît par la bulle d'A-
lexandre VI de l'an 1501, qui ordonna qu'a
l'avenir ils seraient élus tous les trois ans.
Afin de lever lesdisputes qui pourraient sur-
venir au sujet de l'élection de ce prieur, les
religieux firent un concord.it en 1648, par le-
quel ils consentirent qu'alternativement on
en prît un de la province de la Manche ou
(1) Voij., à la Qn du vol., ii° 28.
(2) Wy.,àla lin du vol., n" 29.
Mancha, et un de celle de la Ribera et Cumpo
de Monlicl, et que de quarante religieux dont
il y en avait huit dans lecollégede Salaman-
que, il y en aurait la moitié d'une province
et la moitié de l'autre, en sorte néanmoins
qu'il y en aurait toujours quatre de Campo
de Monlicl, ce qui fut approuvé par le roi
Philippe IV et confirmé par le pape Urbain VIII.
Ceux du monastère de Saint-Marc de Léon
ont consenti aussi par un concordat que
leurs prieurs seraient alternativement des
provinces de Léon et d'Estramadure.
Pour les peines que les chanoines ont d'ad-
ministrer les sacrements aux chevaliers ,
ceux-ci sont obligés de leur payer les dîmes
de tous leurs troupeaux et animaux, comme
veaux, agneaux, pouleis, cochons, poulains,
vaches, etc. ; et, comme il y a beaucoup do
chevaliers au service du roi, il y a toujours
quatre chanoines qui suivent la cour, pour
confesser et administrer les sacrements aux
chevaliers qui s'y trouvent. Le chevalier qui
est éloigné, et qui ne peut se confesser à l'un
de ces chanoines, doit prendre la permission
du prieur de sa province pour aller à un
autre confesseur tel que bon lui semblera, le-
quel a pouvoir de l'absoudre de tous péchés,
excepté celui de n'avoir pas payé les dîmes
à l'ordre, qui est un cas léservé parmi les
chevaliers. Les chanoines ont des couvents
à Tolède, à Séville, à Cuença, à Barcelone,
à Crenade, à Salamanque, et en plusieurs
autres endroits de la domination d'Espagne.
Pour être reçus dans l'ordre, il faut qu'ils
fassent preuve de quatre races tant du côté
paternel que du côté maternel, non pas de
noblesse, qui n'est que pour les chevaliers,
mais seulement comme leu:s ancêtres n'ont
point été fadeurs , commissionnaires , cour-
tiers, changeurs, ni exercé aucun art mé-
canique ou vil, et que les mêmes ancêtres
n'ont point été juifs, hérétiques, et comme
tels punis par le tribunal de l'inquisition. Il
y a aussi quatre autres couvents de ces cha-
noines en Portugal, dont un à Lisbonne, qui
est le chef de cet ordre en ce royaume. Le
roi Jean 111 voulut le réunir à la congréga-
tion de Sainte-Croix de Conimbre avec un
autre de religieuses chevalières ou chanoi-
nesse du même ordre, qui est aussi à Lis-
bonne ; mais la mort de ce prince, qui ar-
riva peu de temps après qu'il eut pris celle
résolution, l'empêcha de l'exécuter.
L'on prétend que le premier monastère de
ces chevalières fut fondé à Salamanque, l'an
1312, par le chevalier Pelay Perez et Marie
Mendez, sa femme. Le principal exercice de
ces chanoinesses chevalières est de loger et
de pourvoir à toutes les nécessités des pèle-
rins qui vont visiter les reliques de saint
Jacques. Elles sont , aussi bien que les cha-
noines, habillées de noir, tant celles qui sont
destinées pour le chœur que celles qu'on ap-
pelle converses ou sœurs laïques, les premiè-
res portant une croix rouge en forme d'é-
pée (3j semblable à celles des chevaliers, et
les converses la portant avec quelque dilTc-
Ç>) Voij. il la (in du vol., n"' 5C et 31.
m
EPE
EPE
tG2
rence. Elles ont se;. t monastères en Espagne,
qui sont le Saint-Esprit de Salamanque ,
Sainte-Foi de Tolède, Notre-Dame de Jun-
jueras à Barcelone, Sainte-Croix de Valla-
lolid , Sainle-FuUilie à Mérida , Notre-Dame
de Grenade, et un à .Madrid, fondé vecs le mi-
lieu du dernier siècle. Nulles de Barcelone ne
sont pas religieuses; mais les autres font les
vœux solennels de pauvreté, de chasteté et
d'obéissance, cl dans ce monastère elles
gardent différemment la clôture, car à Val-
ladolid, à Mérida et à Grenade, elles obser-
vent une clôtuie très-exacte, ne permettant
à qui que ce soit d'entrer dans leurs monas-
tères, et elles n'en sortent point pareille-
ment. A Sainte-Foi de Tolède elles reçoivent
les visites des femmes dans une salle, et n'y
admettent point d'hommes. Dans celui de Sa-
lamanque les hommes et les femmes entrent
indifféremment dans le monastère avec la
permission de la commandalrice. Les reli-
gieuses mêmes sortent à certains jours dans
leur église, et vont jusque sur le porche;
mais elles ne peuvent aller plus avant s us
la permission du conseil des ordres. Celles
de Madrid, ayant été fondées sur le modèle
de celles de Salamauque, ont voulu jouir de
ce même privilège; à quoi le conseil des or-
dres s'est opposé, prétendant qu'elles n'en
doivent pas jouir sur ce qu'elles n'avaient
été fondées que depuis le concile de Trente,
qui ordonna la clôture à toutes les religieu-
ses, ce qui a donné lieu à plusieurs écrits de
part et d'autre en Espagne. M tis à l'égard de
celles de Barcelone , comme elles ne sont
point religieuses, elles peuvent se marier et
ne sont point tenues à une clôture si exacte.
Elles font seulement vœu, comme les cheva-
liers, de pauvreté, d'obéissance et de chas-
teté conjugale. Elles sont gouvernées par une
prieure eu commanJatrice , et ne diffèrent
en ren des véritables religieuses , soit pour
l'habillement, soit pour les exercices du
chamr et de communauté; et étant mariées
ou veuves elles peuvent toujours porter la
croix de l'ordre. Celles du monastère de
Sanctos en Portugal sont de même que celles
de Barcelone, et peuvent aussi se marier.
Les religieuses des autres monastères ne
faisaient aussi que aes vœux pareils à ceux
que font celles de Barcelone et de Sanctos,
ce qui a duré jusqu'en l'an 14-80, que, sous
le grand maître don Alphonse de Cardenas,
le chapitre général de l'ordre ordonna qu'à
l'avenir elles ne pourraient se marier et se-
raient obligés de faire des vœux solennels.
Les anciens statuts obligeaient les femmes et
les filles des commandeurs de se retirer dans
ces monastères pendant qu'ils étaient à la
uuerre, et, s'ils y mouraient, le grand maître
fixai* le temps pour qu'elles pussent se dé-
terminer ou à prendre l'habit de l'ordre ou
à sortir des monastères; mais celle pratique
a élé abolie, à cause que, le nombre des che-
valiers augmentant, plusieurs monastères
n'auraient pas suffi pour recevoir les fem-
mes, les veuves et les filles des chevaliers.
Les religieuses ne peuvent être reçues sans
le consentement de toute la rouiuiuuaulé, et
lessupérieures en donnent avis auconseildes
ordres pour avoir aussi son consentement,
et afin qu'il commette quelqu'un pour faire
les informations nécessaires , qui sont les
mêmes que l'on fait à la réception des che-
valiers, non pas touchant la noblesse, mais
seulement touchant la religion des pères et
mères, et des aïeux, qui ne doivent point
être soupçonnés d'hérésie , le président nom-
me un enanoine de l'ordre pour faire les in-
formations, qui sont ensuite présentées au
conseil, qui donne son consentement si elles
sont approuvées. Les monastères élisent les
supérieurs, qui sont aussi confirmées parle
conseil des ordres, et le roi leur accorde des
lettres qui ordonnent aux autres religieuses
de lui obéir. Les religieuses de Salamanque
prétendent faire remonter l'antiquité de cet
ordre jusqu'en l'an 1030, par le moyen d'un
privilège qu'elles conservent dans leur mo-
nastère, qui est daté de celte année; mais
nous en avons fait connaître la fausseté eu
parlant des chevaliers du Saint-Esprit de
Montpellier, qui ont voulu aussi se prévaloir
de ce privilège.
Voyez Francisco Caro de Torres, Hist. de
los Ordines militares de Santiago Calatravay
Alcantara. Francisco de Hadez , Chronic de
las Ordenes y Cuvait, de Santiago. Diego délia
Mola, de la Orden. de ta Cavall. de S. Tiago.
Atidr. Mendo, de Ordinibus mUitaribus Dis-
i/uis. Canonic. Joann. Mariana , de Rébus
Hispanicis lib. xi, cap. 13 et li. Turquet,
Hist. d'Espagne, tom. I, liv. x. Favin, Hist.
de Navarre, liv. iv. Tambur. de Jur. Abbat.
d sp. 24, quœst. k. Philipp. Bonauni, Cata-
loy. omn. Ord. relig. part, i et u. L'abbé
Giusliniani, Mennénius, llermanl et Schoo-
nebeck, dans leurs Histoires des Ordres mi-
litaires.
§ '2. Des chevaliers de Saint -Jacques de
l'Epée en Espagne.
Nous avons suffisamment parlé de l'ori-
gine des chevaliers de Saint-Jacques de l'E-
pée dans le paragraphe précèdent, il uous
reste seulement à parler des principaux évé-
nements arrivés dans cet orare. Ces cheva-
liers, s'élaut joints d'abord aux chanoines de
Saint-Eloi, comme nous avons dit, embras-
sèrent la règle de Saiut-Aui:usliu et firent
les vœux ordinaires de religion. Leur habit
consistait en une robe blanche et un chape-
ron de même couleur ; et, pour marque de
leur ordre, ils perlaient sur la poitrine une
épée rouge, el ils avaient la lêle rasée en
forme de couronne (lj comme les chanoines,
el vivaient en commun.
Cet ordre commençant à se multiplier,
leur premier grand maiire, don Ferdinand
de Fueutes Eucalada, entreprit le voyage de
Rome pour en avoir l'approualion du saint-
siége. Alexandre 111, en le confirmant par
sa bulie de l'an 1173, dont nous avons fait
meution, fil quelques règlements qui concer-
(1) Yoy., i h lia du va! , n° 32,
103 DICTÎONNAItaK DES ORDRES RELIGIEUX
naicn! ces chevaliers, et entre autres il leur
permit de se marier. Il régla les dignités de
cet ordre, dont la plus considérable, après
celie de grand maître, est celle des treize,
qui ont le pas devant tous les autres com-
mandeurs. Avant que la grande maîtrise eût
été réunie à la couronne , ils élisaient le
grand maître, le pouvaient déposer s'il était
tombé en quelque faute, et en élire un autre.
Ils donnaient leur» conseils dans toutes les
affaires, terminaient les différends qui pou-
vaient arriver entre le grand maître et les
chevaliers; mais leur pouvoir est bien dimi-
nué présentement, que le conseil des ordres,
dont nous parlerons ci-après, est juge de luus
les différends qui arrivent dans l'ordre. La
seconde dignité est celle de prieur, qui est
annexée aux chanoines ; et la troisième celle
de grand commandeur.
La première place qu'ils conquirent sur
les Maures fut Cacerès clans l'Estramadure.
ils la prirent l'an 1171 , et le roi don Ferdi-
nand la donna à ces chevaliers, qui aidèrent
ce prince à conquérir Badajoz , Buexa, Lu-
chena et Monte-Major, dont il leur fit aussi
présent. Mais Ferdinand étant entré en
guerre avec son neveu Alphonse IX. , roi de
Castille, surnommé le Noble , sur lequel il
avait usurpé plusieurs places pendant la mi-
norité de ce prince, et soupçonnant les che-
valiers de Saint-Jacques de favoriser son ne-
veu, il les fit sortir de ses Etats, et reprit les
biens qu'il leur avait donnés. Ces chevaliers
se réfugièrent en Castille, où le roi Alphonse
leur donna, l'an 117i, le château dTclès, au-
près duquel ils bâtirent un couvent, qu'ils
établirent pour chef de leur ordre, et l'année
suivante 1175 le grand maître alla à Rome,
pour obtenir du pape Alexandre 111 la
confirmation de son ordre, comme nous
avons dit.
L'an 1176, ce grand maître et les cheva-
liers prirent les armes, pour le service du
même Alphonse, contre le roi de Navarre,
t'anche VI, dit le Sage, qui, proGlanl pareil-
lement de la minorité de ce prince, qui était
aussi son neveu, prit des places du royaume
de Castille, qu'Alphonse recouvra par le se-
cours des chevaliers de Saint-Jacques. La
même année, les Maures étant entrés sur les
terres de la dépendance d'Uclès qui apparte-
naient aux chevaliers, ils y firent de grands
ravages; mais ils ne purent s'emparer du
château d'Uclès, ni de celui d'Altharilla, que
les chevaliers défendirent vigoureusement.
Le roi de Castille, ayant su le dégât que les
infidèles avaient fait sur les terres des che-
valiers, mil des troupes sur pied, à la prière
du grand maître. Il Ut venir aussi les cheva-
liers du Temple et de Catalrava.el mit le
siège devant Cuença, dont il s'empara, et
donna aux chevaliers de Saint-Jacques une
maison dans cette ville avec de gros reve-
nus. Ce prince, continuant la guerre contre
les Maures, prit sur eux les châteaux d'A-
larcou et quelques aulres, et, pour récom-
penser ces chevaliers du secours qu'ils lui
avaient donné, il leur fit don encore de quel-
ques héritages à Alarcon.
{fil
Le grand maître Pierre Ferdinand de Fuen-
tes , après avoir gouverné l'ordre pendant
treize ans , mourut l'an 118i. Il eut pour
successeur Ferdinand Diaz, et dès lors il y
eut schisme dans l'ordre, parce que les che-
valiers qui étaient retournés dans le royaume
de Léon, et qui étaient rentrés dans les bon-
nes grâces de Ferdinand, élurent, par les or-
dres de ce prince don Sanche Fernandez, et
ceux de Castille, par ordre du roi Alphonse,
don Ferdinand Diaz ; et, comme ces cheva-
liers avaient déjà acquis beaucoup de biens
dans ces deux royaumes, que le couvent de
Saint-Marc était dans celui de Léon , et le
couvent d'Uclès dans celui de Castille , ces
deux princes prétendirent avoir chacun dans
leur royaume le chef de l'ordre. Sous le gou-
vernement du grand maître Ferdinand Diaz
en Castille, qui était le légitime grand maî-
tre, les chevaliers de Saint-Jacques conqui-
rent sur les Maures plusieurs places, et ceux
de Léon firent aussi la guerre à ces infidèles
dans l'Estramadure. Mais l'an 1186, le grand
maître de Castille ayant renoncé à celte di-
gnité, celui de Léon fut reconnu par les che-
valiers de Castille. La même année le roi
Alphonse donna à l'ordre le monastère de
Sainte-Euphémie de Cocollos dans la vieille
Castille , pour y mettre des religieuses du
même ordre, qui furent transférées dans la
suite à Sain!e-Foi de Tolède.
Ce fut du temps de ce grand maître don
Sanche Fernandez , que se donna la bataille
d Alarcos , l'an 1195, où la victoire s'étant
déclarée pour les infidèles, il y eut un grand
nombre de chrétiens qui y périrent, parmi
lesquels il y avait plusieurs chevaliers des
trois ordres de Saint-Jacques , de C ilalrava
et d'Alcantara. Ce grand maître y fut blessé,
et mourut peu de jours après. Gonzalve Ro-
driguez lui succéda la même année. A peine
fut-il élu, qu'Alphonse, roi de Léon, déclara
la guerre au roi de Castille Alphonse IX, et
se ligua avec le roi de Cordoue, qui lui en-
voya un grand nombre de Maures, avec les-
quels il entra sur les terres du roi de Castille.
Il avait aussi avec lui plusieurs chevaliers
de Saint-Jacques, de ses royaumes de Léon
et de Galice, et il les obligea d'élire un grand
maître, afin qu'ils ne fussent pas soumis à
celui de Castille : ainsi l'on vit encore deux
grands maîtres dans l'ordre. Mais un autre
ioi maure des Almoades, voyant que le roi
de Castille était occupé à la guerre contre
le roi de Léon, vin! du côté de la Manche cl
ravagea les terres des environs de Tolède ,
de Madrid , d'Alcala, d'Uclès , d'Huète et de'
Cuença, jusqu'à Alcaraz, et emmena captifs
un grand nombre de personnes avec un riche
butin. Les deux rois de Léon et de Castille
firent ensni'c la paix, à condition que celui
de Léon épouserait la fille du roi de Castille;
et le roi île Léon voyant que quelques che-
valiers de Saint-Jacques de ses sujets avaient
suivi le parti du roi de Castille, s'e;npar,i
d'une partie des biens de l'ordre.
Le grand maître GonzalveRodriguez, étant
mort l'an 1203, (ionzalve Ordognez , qui
avait été élu par les chevaliers de Léon, lut
105
EPE
EPE
166
reconnu par ceux, de Casiille, et par ce
(noyeii le schisme cessa dans l'ordre. Suero
Rodrigue?, sixième grand maître, voyant les
rois de Léon et de Castille en paix , porta ses
armes contre les Maures ; il entra sur leurs
terres du côté de Campo-de-Montiél, et prit
sur eux quelques places, entre autres le châ-
teau de Gastil-Segura et celui de Villa-Nueva.
Sous le gouvernement de Ferdinand Gon-
zalve de Maragnon, huitième grand maître ,
le roi de Castille ayant guerre avec celui de
Navarre l'an 1208, les chevaliers de Sainl-
Jacqucs servirent utilement le roi de Castille,
et le roi d'Aragon étant entré sur les terres
des Maures par le royaume de Valence, le
grand maître sortit d'Uclès avec les cheva-
liers et les attaqua de l'autre côté. Il prit sur
eux les châteaux de Javaloyas , Villa-Qùeda
et Soutaner. Ayant joint ensuite le roi d'A-
ragon, ils firent ensemble le siège de Monta-
luan, qui fut pris d'assaut et dont ce roi lit
don à l'ordre. On y fonda la grande com-
manderie d'Aragon, dont l'ordre a toujours
joui jusqu'à présent.
Le grand maître don Pierre Arias, qui
succéda à Ferdinand Gonzalve de Maragnon,
lit aussi la guerre aux Maures, sur lesquels
il fit beaucoup de prisonniers et emporta de
riches dépouilles. Ces mêmes chevaliers fi-
rent paraître enc. re leur courage l'an 1212,
dans la fameuse bataille appelée de Meura-
dat ou des Naves de Toulouse, où les rois de
Castille, de Navarre, d'Aragon et plusieurs
princes de France, de Provence et d'Italie,
qui étaient joinis ensemble, remportèrent
1,1 victoire sur ces infidèles, qui y perdirent
plus de 150 mille hommes d'infanterie et 30
mille chevaux. Le grand maître don Pierre
Arias reçut quelques blessures dans ce com-
bat, dont il mourut. Son successeur, don
Pierre Gonzalve d'Aragon, eut le môme sort
au siège d'Alcarez. Après lui don Garcia»
Gonzalve de Candanio l'ut élu devant la
même place pour grand maître, l'an 1213, et
peu de temps après la ville fut prise.
Après cette conquête, le roi de Castille,
ayant encore fait ligue avec celui d'Aragon
pour combattre contre les Maures, les che-
valiers de Saiiii-Jacques lurent obligés de
soutenir les intérêts de leur prince en lui
Donnant du secours, et le servirent utilement
dans cette guerre. Mais ce prince étant mort
l'année suivante, 1214, et Ferdinand 111, sur-
nommé le Saint, et qui en effet a été mis au
catalogue des saints l'an 1661 , ayant hérité
du royaume de Castille, par la renoncialiou
que. la reine Berengère sa mère, femme d'Al-
phonse, roi de Léon, en avait faite, le même
Alphonse déclara la guerre à la Castille, pré-
tendant avoir la tutelle de son fils Ferdi-
nand et le gouvernement du royaume. Les
chevaliers de Léon suivirent son parti, et ne
voulurent point reconnaître le grand maître
de Castille; ils élurent même un grand
maître dans le royaume de Léon, qui fut don
Martin Pélaez, ce qui causa un tort considé-
rable à l'ordre pendant les trois ans que dura
le schisme. Lei chevaliers, bien loin de faire
la guerre aux Maures, en vinrent souvent
aux mains les uns contre les autres. Mais le
roi de Léon lit cesser le schisme, ordonnant
à Martin Pélaez de renoncer à la grande
maîtrise, et aux chevaliers de reconnaître le.
grand maître de Castille.
Alphonse, roi de Léou, étant mort en 1230
et ayant laissé ses royaumes de Léon cl de
Galice à ses deux filles les infantes Sanche
et Douce, au préjudice de son fils, saint Fer-
dinand, roi de Castille, ce prince voulut sou-
tenir ses droits, et vint avec une puissante
armée pour prendre pessession de ces royau-
mes. Les grands se partagèrent, les uns pre-
nant le parii du roi de Castille, que la reine
Bérengêre sa mère, veuve du roi de Léon, fa-
vorisait, et les autres, celui des infantes, et
du nombre de ceux-ci furent les chevaliers
de Saint-Jacques avec leur grand maître. Le
roi de Castille s'accorda avec les infantes
ses sœurs, elies renoncèrent aux prétentions
qu'elles pouvaient avoir sur les royaumes
de Léon et de Galice, et consentirent que
saint Ferdinand leur frère prît possession
de toutes les places de ces deux royaumes,
à la réserve du château de Castroras, que ce
prince leur donna leur vie durant, aîec
trenle mille maravédis d'or tous les ans, jus-
qu'à ce qu'elles fussent mariées ou religieu-
ses. Ce château appartenait aux chevaliers
de Saint-Jacques. Saint Ferdinand l'avait
donné lui-même auparavant au cardinal Hia-
cynihe pour l'Eglise romaine, et ce cardinal
l'avait donné a l'ordre de Saint-Jacques en
fief : c'est pourquoi le pape Grégoire IX
ayant su que le grand maître avait consenti
que ce château fût donné aux infantes, il
l'excommunia pour avoir consenti à l'alié-
nation d'un bien qui appartenait à l'Eglise,
et il ne lui donna l'absolution qu'après avoir
déclaré que les infantes n'avaient ni la pro-
priété, ni l'usufruit de ce château, ni de ses
revenus, mais qu'elles y pouvaient seule-
ment demeurer. Ce grand maître fit encore
la guerre aux Maures; et il y eut de son
temps de grands différends entre les cheva-
liers et les chan ines de cet ordre, qui fu-
rent terminés par les évêques de Burgos et
de Placencia, commissaires da pape, et le
grand maître renonça à celte dignité l'an
122V. Ses successeurs tirent aussi de temps
en temps de nouvelles conquêtes, et rempor-
tèrent des victoires sur les infidèles, n'y
ayant quelquefois que les chevaliers seuls
qui les combattissent, et d'autres fois étant
joints aux troupes des rois de Castille,
comme il arriva dans la bataille de Hellania-
rin, l'an 13i0, sous le roi Alphonse XI, où
il y eut plus de deux cent mille de ces infi-
dèles qui y périrent. On y lit un si grand
nombre de prisonniers, et le bu; in y lut si
grand, que le prix de l'or en baissa d'une
sixième partie. Don Alphonse Mendez de
Gusman élait pour lors grand maître, et,
étant mort en 13i2, le roi Alphonse fit élire
en sa place don Frédéric, l'un de ses enfants
naturels, frère du comte de Tristemare, qui
succéda à la couronne de Castille après la
mort de Pierre le Cruel. Comme ce nouveau
grand maître n'avait que dix ans et était bà-
107
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
468
tard, on obtint une dispense du pape, cl Fer-
dinand Rodrigucz de Villalobos, grand com-
mandeur de Léon, gouverna l'ordre pendant
sa minorité. Alphonse, roi de Castille, étant
mort l'an 1350, don Pierre, son fils, auquel
on donna avec justice le nom de Cruel, mon-
ta sur le trône, et une de ses premières ac-
tions de cruauté fut de faire trancher la têle
à Eléonore de Gusman, mère du grand
maître. Ce roi avait épousé Blanche de Bour-
bon, princesse qui avait autant d'esprit que
de vertu et de beauté, et qui n'était alors
que dans la quatorzième année de son âge.
Il la traita de la manière du monde la plus
cruelle; trois jours après son mariage il la
quitta, la relégua à Valladolid, et l'ayant
longtemps retenue en prison, la lit enfin em-
poisonner à Medina-Sidonia, l'an 1361. Toute
l'autorité du royaume était cependant entre
les mains des oncles de Marie de Padilla,
maîtresse de ce prince; ce que les grands
du royaume ne pouvant supporter, ils se li-
guèrent contre lui, et le grand maîlre se
joignit à eux. C est pourquoi le roi en fit
élire un autre, qui fut don Jean Garcias de
Villagera, frère de sa maîtresse, ce qui cau-
sa un nouveau schisme dans l'ordre. Mais
les choses se paciiiôrent dans la suite, et le
grand maître Frédéric servit le roi son frère
dans la guerre qu'il eut avec le roi d'Aragon
l'an 1157; néanmoins, sur un faux rapport
que l'on lit à ce prince que le grand maître
avait agi contre ses intérêts, il le fit venir
l'année 1358. Frédéric, se liant trop à la
bonne foi de son frère, et n'ayant pas voulu
croire les avis qu'on lui donnait, que l'on
ne le faisait venir que pour le faire mourir,
vint trouver le roi à Séville, et ce prince le
fit assassiner en sa présence par ses arbalé-
triers. Ils l'assommèrent à coups de massue,
et le roi, voyant qu'il respirait encore, donna
son poignard pour l'achever.
Frédéric étant mort n'ayant encore que
vingt-six ans, après avoir été grand maitr^
pendant seize ans, l'on vit encore deux
grands maîtres dans l'ordre de Saint-Jacques,
l'un ayant été é.lu par les chevaliers qui te-
naient le parti du roi de Castille, et l'autre
par ceux qui s'étaient joints au comte de
Tristemare, frère de Frédéric, qui voulait se
mettre la couronne de Castille sur la tête.
La grande maîtrise fut aussi contestée en
1380 entre don Pierre Ruys de Sandoval, et
Kuys Gonzalvc Mexia, qui avaient été tous
deux élus. Mais la division cessa peu de
lemps après par la mort de Ruys de Sando-
val.
Le gouvernement de l'infant d'Aragon don
He.iry, trente-sixième grand maître, ne fut
pas tranquille. Il épousa l'infante Catherine,
sœur du roi de Castille Jean 11, à laquelle ce
prince donna en dot le duché de Vrillena;
mais le grand maître et sa femme en ayant
voulu prendre possession, ils y trouvèrent
des oppositions de la part du roi, ce qui fit
que le grand maître s'en empara par force
au nom de sa femme. Le roi le fit arrêter et
enfermer dans une prison à Madrid, d'où il
fut transféré peu de jours après au château
de Mora. 11 en sortit deux ans et dem. après,
par l'entremise de Jean, roi de Navarre, son
frère, qui le demanda au roi de Castille, lui
promettant de s'assurer de sa personne. Le
roi de Navarre le réconcilia quelque temps
après avec le roi de Castille, qui lui donua
les villes de Truxillo et d'Alcaraz,avec d'au-
tres terres, pour le dédommager du duché de
Villena. Les infants d'Aragon s'étaut brouillés
dans la suite avec le roi de Castille, et le
grand maître les favorisant, ce prince le pri-
va une seconde fois de tous ses biens, qu'il
distribua à plusieurs seigneurs. Le grand
maîlre se retira vers le roi d'Aragon, qui
était son frère, avec lequel il se trouva dans
le combat naval que le roi de Navarre donna
contre les Génois, dans lequel les trois frères
furent faits prisonniers et envoyés à Savoue,
et de là transférés à Milan, où le duc leur
donna la liberté. Peu de temps après, le
grand maître et le roi de Navarre entrèrent
avec des troupes dans le royaumede Castille,
pour contraindre le roi Jean III à rétablir
le grand maîlre dans sa dignité, dont il avait
donné l'administration à don Alvarez do
Luna, connétable de ce royaume. Ces princes
en vinrent aux mains, et dans la bataille qui
se donna l'an 1445, proche de la ville d'Ol-
medo, le grand maître y fut blessé; et, étant
mort quelque temps après, il eut pour suc-
cesseur le connétable de Castille, qui fut élu
par une partie des chevaliers, et les autres
élurent aussi don Rodrigue Menriquez, com-
mandeur de Ségura, qui prit aussi le tilre
de grand maître. Il y eut une guerre san-
glante entre les chevaliers au sujet de ces
deux grands maîtres, qui avaient chacun
leur faction. Le roi de Castille appuyait le
connétable, son favori, et le prince d'Aragon,
don Rodrigue; mais le connétable, abusant
de son pouvoir, alluma la guerre dans le
royaume, persécuta les grands, s'enrichit du
bien d'autrui, et reçut même de l'argent des
Maures pour empêcher la prise de la ville de
Grenade. Ayant été convaincu de ces cri-
mes, le roi le fit mettre en prison, enleva ses
trésors, et lui fit trancher la tête à Vallado-
lid, l'an 1453. File fut exposée plusieurs
jouis avec un bassin pour trouver de quoi
enterrer son corps, ce qui parut d'autant
plus étonnant, que cet homme avait acquis,
par une faveur de plus de trente années, des
biens qui égalaient presque les richesses
u'un roi.
Après sa mort, le roi fut administrateur
de l'ordre par autorité du pape Nicolas V, à
cause du bas âge de l'infant don Alphonse,
son lils , auquel il avait fait conférer la
grande maîtrise; et Jeau 111 étant mort l'an-
née suivante, 1454, le roi Henri IV, son suc-
cesseur , en eut aussi l'administration. 11
avait épousé Blanche, fille de Jean II, roi de
Navarre, et ce mariage ayant été dissous
l'an 1453 , il épousa en secondes noces
Jeanne, tille d'Ldouard , roi de Portugal.
Comme il n'avait point d'enfants, et qu'il
était incapable d'en avoir, l'on dit qu'il pria
sa femme de permettre que Bertrand de la
Cueva , son favori, suppléât à son défaut.
169
EPE
La reine devint grosse el mil au monde une
fille qui fui mariée à Alphonse V, roi de
Portugal, et que le roi de Castille déclara
héritière de ses Etats, ce qui causa une
guerre entre elle el Isabelle, sœur d'Henri,
mariée à Ferdinand d'Aragon, laquelle fut
terminée à l'avantage d'Isabelle. Bertrand
«le la Cueva eut pour récompense, enlre au-
tres choses, la grande maîtrise de l'ordre de
Sainl-Jacques, dont l'infant don Alphonse,
frère du roi Henri, se démit en sa faveur, ce
qui fut confirmé par le pape Pie II l'an 1462;
mais les chevaliers s 'étant plaints de ce
qu'on leur ôlail le droit d'élection, et qu'il
n'était pas raisonnable que l'infant quittât
la grande maîtrise pour la donner de lui-
même à un autre, le roi, voyant leurs oppo-
sitions, porta Bertrand à y renoncer en le
récompensant de plusieurs belles terres, et
don Alphonse y fut rétabli, en venu d'une
bulle de Paul II. Après sa mort, don Jean
Paciieco, marquis de Villena, fut élu grand
maître l'an 1469, et, ayant gouverné l'ordre
pendant quelques années, il se démit de la
grande maîtrise, en faveur de son fils, don
Didace Lopez Pacheco. Le roi Henri IV fit
solliciter le pape pour en avoir la confirma-
lion; mais, n'ayant pu l'obtenir, ce prince
mil Didace de l'acheco en possessiou de la
grande maîtrise, en vertu de la renonciation
du marquis de Villena, qui s'élait faite du
consentement de la plus grande partie des
treize. Mais, après la mort de ce marquis,
qui arriva l'an li'i, don Jean de Velasco,
prieur d'Uclès, convoqua le chapitre et les
treize électeurs, ce que fit aussi celui de
Saint-Marc de Léon : de sorie qu'il y eut
trois grands maîtres dans le même temps :
don Rodrigue Mamiquez, comte de Parède,
élu par ceux d'Uclès ; don Alphonse de Car-
donas par ceux de Saint-Marc, et le mar-
quis de Villena, don Didas Lopez de Pa-
checo, en faveur duquel D. Jean Pacheco,
marquis de Villena, son père, s'était démis
de celle dignité, el qui en était en posses-
sion. Ce dernier prétendit se maintenir par
la voie des armes, et chasser ses deux com-
pétiteurs qtii avaient élé élus à Uclès et à
Saint-Marc. Il s'empara du château d'Uclès
étant protégé par le roi, mais il ne put s'y
maintenir, ni être reconnu comme grand
maître, car, après la mort du comte de Pa-
rède, qui arriva l'an 1476, les chevaliers qui
dépenila ent du prieuré d'Uclès élurent aussi
pour grand maire don Alphonse de Carde-
nas : ainsi le schisme cessa après que les
chevaliers se furent réunis. Mais ces divi-
sions ayant déplu à Ferdinand et Isabelle,
rois de Castille, qui craignaient qu'elles ne
causassent quelque guerre dans le royaume
à cause de la puissance de ces chevaliers,
ils demandèrent pnur eux et pour leurs suc-
cesseurs l'admiuistra'icn de cet ordre, qui
leur fut accordée par le pape Alexandre VI,
l'an li93, après la mort du grand maître
don Alphonse de Cardenas, el pour lors la
grande autorité des chevaliers commença a
diminuer. L'empereur Charles Veut aussi
l'administration de l'ordre, qui lui fut ac-
DlCTIONNAlRE DES ORDRES RELIGIEUX. IL
EPE i7(i
cordée l'an 1515 par le pape Léon X, el
l'an 1523 le pape Adrien VI annexa pour
loujours à la couronne d'Espagne les gran-
des maîtrises des trois ordres de Saint-Jac-
ques, de Cal ilrava et d'Alrantara.
L'ordre de Saint- Jacques s'était aussi
élendu en Portugal, où il avait reçu de
grands biens par la libéralité des souverains
de ce royaume. Les chevaliers dépendaient
du couvent d'Uclès ; mais le roi don Denis
voulut avoir en son royaume un grand maî-
tre indépendant de celui d'Espagne; il éta-
blit le chef de cet ordre à Alcazar d'Ozal, et
depuis il fut Iransféiéà Palmella. Les rois
<!e Portugal ont été les premiers qui obtin-
rent l'administration de cet ordre. Elle fut
accordée au roi Jean II après la mort du
prince Georges, duc de Cônimbre, son fils,
qui en a élé le dernier grand maître en Por-
tugal, el le pape Jules II l'annexa à la cou-
ronne en la personne du roi Jean III.
Comme nous avons déjà parlé du conseil
des ordres, et que nous aurons encore lieu
d'en parler dans la suite de celle histoire, il
est à propos de rapporter l'origine de ce
conseil, qui est maintenant comme le supé-
rieur général non-seulement de l'ordre de
Saint-Jacques, mais encore de ceux de Cala-
trava et d'Alcanlara. Le pape Adrien VI ne
réunit les grandes maîtrises de ces ordres
à la couronne d'Espagne qu'à condition
qu'en ce qui regardait le spirituel, le roi
n'agirait point par lui-même, mais commet-
trait pour cela des personnes des mêmes
ordres : c'est pourquoi l'empereur Charles V,
roi d'Espagne, établit un conseil, qu'il ap-
pela le conseil des ordres, lequel doit êlre
composé d'un président et de six chevaliers
(dont deux de chacun de ces trois ordres),
qui ont le même pouvoir et la même aulo-
rité que le roi peut avoir sur ces ordres en
qualité d'administrateur perpétuel, tant en
ce qui concerne la juridiction temporelle ou
séculière que la juridiction ecclésiastique,
pourvu qu'elle ne soit pas purement spiri-
tuelle, comme de conférer les ordres, ad-
ministrer les sacrements, fulminer des cen-
sures et autres choses semblables, dont les
fonctions sont exercées par des personnes
ecclésiastiques de l'ordre, et qui sont dépu-
tées par le conseil, qui connaît des causes
civiles et criminelles des chevaliers et de
leurs vassaux, el qui fait exécuter les or-
donnances laites aux chapitres généraux.
Il donne avis au roi des commanderies ,
dignités, prieurés, bénéfices, gouverne-
ments et charges qui vaquent, afin qu'il y
pourvoie. Celle juridiction , qui ne forma
qu'un tribunal avec le roi, est ecclésiastique
et régulière, quoique exercée par des per-
sonnes laïques. Elle esl souveraine, juge en
dernier ressort , et on n'en peut appeler
qu'au sainl-siége. Clément Vil l'approuva
par des bulles des années 1524 et 1525, et
ajouta à son pouvoir celui de connaître des
décimes, des bénéfices, des mariages et au-
tres choses semblables dont la connaissance
appartenait aux évêques comme ordinaires.
Elle lui aussi approuvée par le pape Paul III,
6
DM TIONNAIUE DES ORDRES RELIGIEUX.
i7î
en 1543, et dans la suite par le pape Pie V.
Le pouvoir de ce tribunal s'étend sur deux
villes, deux cent vingt bourgs et soixante-
quinze villages, dont il y a deux villes et
cent soixante-dix-huit tant bourgs que
villages qui appartiennent à l'ordre de Saint-
Jacques, soixante-quatre à celui de Cala-
liava, et cinquante-trois à celui d'AIcan-
tara. Non-seulement les chevaliers, les cha-
noines, les chapelains et les religieuses de
ces ordres, sont soumis à l'obéissance et
correction du conseil des ordres; mais la
juridiction de ce conseil, tant pour le tem-
porel que pour le spirituel, s'étend aussi
sur tous les prêtres séculiers qui ont des
bénéOces, et les religieuses des autres or-
dres qui ont des monastères situés dans les
lieux qui appartiennent à ceux de Saint-
Jacques, de Calalrava et d'Alcantara. Le
président de ce conseil est ordinairement un
des plus grands seigneurs d'Espagne. Il y a
encore plusieurs offices qui dépendent de ce
conseil, dont les plus considérables sont ce-
lui de secrétaire des ordres, le contador
mayor, ou grand trésorier des ordres, le
grand huissier des ordres, trois procureurs
généraux , trois chevaliers fiscaux et un
grand trésorier du conseil, qui dans les ac-
tes publics ont tous séance dans ce tribunal.
Les autres offices, qui sont en grand nombre,
sont moins considérables, comme l'agent, le
fiscal, l'avocat et le procureur des pauvres,
les trésoriers de chacun de ces ordres en
particulier, leurs chanceliers, les huissiers
et quelques autres.
Nous avons vu, parle nombre des villes,
hourgs et villages qui appartiennent à l'or-
dre de Saint-iacques, qu'il possède lui seul
plus de biens que les deux autres. A l'égard
des cnmmanderies, il y en a quatre-vingt-
quatre, dont il y en a trois grandes, qui sont
les grandes commanderies de Caslille, de Léon
et de Montaluan en Aragon. Ces quatre-
vingt-quatre commanderies ont 230,000 du-
cats de revenu, oulre deux cents prieurés,
cures et autres bénélices simples qu'on peut
donner avec dispei^e du pape à des person-
nes qui no sont pas de l'ordre. Il y a treize
bourgs qui sont des vicariats avec des juri-
dictions spirituelles , savoir: Villa-Nucva de
los Infantes, Villa-llodriguo, Yillalua, Es-
triana, Xérès, Emerila, Tudia, Jesle. Cara-
vacca, \ cas, Segura de la Sierra, Aledo et
Tolana. Il a encore quatre ermitages,
cinq hôpitaux et un collège à Salamanque.
Cet ordre est divisé en quatre provinces,
qui sont Caslille, Léon, la Vieille-Castille et
1 Aragon, où le roi , comme administrateur,
et le chapitre général envoient des visiteurs.
Celui de la province de Léon est élu par le
prieur et le chapitre du couvent de Saint-
Marc de Léon, et doit être confirmé par le
conseil des ordres. Outre ces visiteurs géné-
raux, le roi en députe encore d'autres pour
s'informer si les chevaliers, les chapelains
el les autres observent leur règle et les sta-
tuts de l'ordre. Ces visiteurs sont toujours
chevaliers et sont accompagnés de quelques
chapelains ; leur pouvoir ne s'étend pas seu-
lement sur les chevaliers, mais aussi sur
«eux qui possèdent des bénéfices dans leo
lieux qui appartiennent à l'ordre. Les che*>
valiers doivent obéir au conseil des ordres
el aux supérieurs des monastères lorsqu'ils y
demeurent, ou qu'ils y font leur noviciat, oa
lorsqu'on les a obligés de s'y renfermer pour
quelques fautes.
Pour être reçu chevalier, il faut faire
preuve de noblesse de quatre races, tant du
coté paternel que du côté maternel ; et quoi-
que anciennement la noblesse maternelle ne
fût pas requise, elle est néanmoins présen-
tement nécessaire depuis qu'elle a été or-
donnée dans le chapitre général de l'an 10j3.
11 faut encore faire preuve que les mêmes
ancêtres n'ont point été juifs, Sarrasins, hé-
rétiques, et qu'ils n'ont point été punis
comme tels p;ir le tribunal de l'inquisition.
Ces preuves se doivent faire devant un che-
valier et un chanoine de cet ordre ; et si el-
les sont approuvées par le conseil des or-
dres, le roi commet quelqu'un pour donner
l'habit à celui qui doit être reçu. Les novi-
ces sont obligés de servir sur les galères
pendant six mois, el de demeurer pendant
un mois dans un monastère pour y appren-
dre la règle ; mais on les dispense aisément
de ces obligations moyennant une somme
d'argent; le roi et le conseil des ordres ac-
cordent ces dispenses.
Ils étaient autrefois véritablement reli-
gieux el faisaient vœu de chasteté; mais le
pape Alexandre III leur ayant permis de se
marier, ils ne le peuvent faire sans la per-
mission du roi, qu ils doivent avoir par écrit.
On leur impose un an de pénitence s'ils sa
marient sans cette permission ; et si c'est un
des treize, il est privé de celte dignité. La
raison de cette défense, c'est que les femmes
des chevaliers doivent faire les mêmes preu-
ves que leurs maris, et que le conseil des or-
dres doit nommer des commissaires pour en
faire les informations. Ils étaient obligés de
s'abstenir «le leurs femmes à certaines fêles
de l'année, comme à celles de la Vierge, de
saint Jean-i?aptiste , des saints apôtres et
quelques autres, el les veilles de ces l'êtes,
comme aussi les jours de jeune prescrits par
la règle, qui étaient, oulre le carême de l'E-
glise universelle, depuis le huit novembre
jusqu'à la Nativité de Noire-Seigneur, et
lous les vendredis depuis le premier septem-
bre jusqu'à la Pentecôte. Le pape Inno-
cent IV dispensa du jeûne, depuis le huit no-
vembre jusqu'au premier dimanche de l'a-
venl, les chevaliers qui étaient à la guerre.
Martin V les dispensa entièrement de la
règle et de l'obligation de se retirer dans des
monastères aux jours qu ils devaient se sé-
parer de leurs femmes, laissant cela à leur
volonté. Innocent VIII, ayant élé consulté
pour savoir si les chevaliers qui n'étaient
pas à la guerre étaient obliges aux jeûnes
de la règle, déclara, l'an 1486, que les uns et
les autres n'y étaient pas obligés; et, sur ce
que l'ordre représenta encore à ce pontife
qu'il v avait plusieurs points de la règle qui
obligeaient à péché mortel, comme de s'abs-
173
EPE
tenir des femmes à cerlains temps, de réci-
ter certaines prières, cl autres choses sem-
blables , ce pape déclara encore la même
année que la transgression de la règle n'o-
bligeait point à péché mortel.
Ces chevaliers ne font plus présentement
que les vœux de pauvreté, d*obéissance et
de chasteté conjugale, auxquels ils en ajou-
tent un quatrième, de défendre et de soute-
nir l'immaculée conception de la sainte
vierge. Les trois ordres de Saint-Jacques,
de Calatrava et d'Alcantara prirent cette ré-
solution dans leurs chapitres généraux,
qu'ils tinrent l'an 1052. Ils consultèrent à ce
sujet le roi Philippe IV, comme administra-
teur perpétuel de leurs ordres ; et ce prince,
qui avait une grande dévotion à la sainte
Vierge approuva la résolution que ces or-
dres avaient prise. Ils voulurent s'engager
à ce dernier vœu publiquement et par une
cérémonie éclatante. Ils indiquèrent des neu-
vaines qui se tirent à Madrid, dans trois
églises différentes, qui étaient magnifique-
ment parées, et dans lesquelles il y eut tous
les jours prédication sur le mystère de la
conception, et uue messe célébrée pontifica-
lement par les prieurs de ces ordres et par
des abbés de ceux de Saint-Benoît et de Cî-
leaux ; ce qui se fit dans différents temps,
afin qu'une cérémonie n'empêchât pas l'au-
tre. L'ordre de Saint-Jacques commença le
premier dans l'église du collège de Saint-Au-
gustin appelée de Dona Maria de Aragon.
L'ordre de Calatrava fit la sienne dans l'é-
glise de Saint-Martin de l'ordre de Saint-Be-
noît ; et celui d'Alcantara dans l'église de
Saint-Bernard de l'ordre de Citeaux. Dans
chacune de ces églises, les chevaliers de
chaque ordre assistèrent en habit de céré-
monie. Après l'évangile de la messe, un che-
valier prononça, au nom de tout l'ordre à
haute voix, la formule du vœu, et ensuite
ciiacun, en présence du célébrant, lit la
même chose en mettant la main sur la croix
et sur les Evangiles, et l'on fit un règlement
daus les chapitres généraux, que tous ceux
que l'on recevrait à la profession feraient le
même vœu. C'est pourquoi, dans la formule
de la profession de ces ordres, aptes les trois
vœux de pauvreté, d'obéissance et de chas-
teté conjugale , celui qui fait profession
ajoute : y asimesmo hugo volo de tener, de-
fender, y guardar en publico y en secrelo que
la Yirgen Maria madré de Bios, y Seîiora
nuestra, fue concebida sin matlcha de pecado
original.
Il y a aussi plusieurs commanderies de
cet ordre en Portugal, et il y en avait aussi
une en France dans la ville d'Elampes. L'ha-
bit de cérémonie des chevaliers, tant d'Es-
pagne que de Portugal, consiste en un man-
teau blanc avec une croix rouge sur la poi-
trine, avec celte différence que les chevaliers
l'Espagne la portent en forme d'épée, fieur-
Ielisée par le pommeau et les croisons, et
1 ue celle des Portugais n'est pas en forme
l'épée, mais est aussi fleurdelisée par le
EPE m
bas (1). Lorsqu'un chevalier de cet ordre
meurt, le commandeur de la commanderio
la plus proche de la demeure du chevalier
est obligé, outre les prières ordinaires, de
nourrir un pauvre pendant quarante jours.
Voyez les auteurs cités au paragraphe
précédent.
ÉPÉES (Ordre des). Voyez Sérai-iiins.
EPERNAY (Saint-Martin d'). Voyez Jea^n
de Chartres (Saint-).
ÉPERON D'OR (Chevaliers de l'j.
Anciennement c'était la coutume de créer
des chevaliers avant le combat, afin qu'ils y
allassent avec plus d'ardeur, ou après le
combat pour récompenser sur-le-champ
ceux qui avaient eu plus de part à la vic-
toire. Les cérémonies que l'on a pratiquées
pour fa ire ces sortes de chevaliers ont été
différentes selon les temps ; car d'abord on
se contenta de les frapper légèrement d'une
épée nue sur le dos, et de leur mettre l'épée
dans le baudrier; on y ajouta ensuite l'acco-
lade, et enfin on leur permit de porter des
éperons dorés , qu'on leur attachait aux
pieds, ce qui leur fit prendre le nom de
Chevaliers Dorés.' C'est encore aujourd'hui
une coutume pratiquée par plusieurs prin-
ces d'honorer ainsi, le jour de leur couron-
nement, quelques seigneurs de leur cour en
les faisant chevaliers avec les mêmes céré-
monies. L'empereur Ferdinand I", fit le jour
de son couronnement, des chevaliers de l'E-
peron, qui furent ainsi nommés apparem-
ment à cause des éperons d'or qu'on leur
attacha aux pieds. Mais ce qui n'était autre-
fois que la récompense de la valeur est au-
jourd'hui fort commun en Angleterre, et se
donne indifféremment aux gens d épée et de
robe, et même à des marchands, qui sont
ainsi reçus en ce royaume : ils se metient à
genoux devant le roi, qui les touche avec
une epée nue sur l'épaule, en disant ces pa-
roles : Sois chevalier au nom de Lieu , et à
cause des éperons dorés qu'ils portent le
jour de leur réception, on les appelle Che-
valiers Dorés, équités aurati ; mais, comme
ces chevaliers ne forment point de société
particulière, ils ne portent aucune marque
qui les distingue, et sont compris dans ce
qu'on appelle eu général l'ordre de cheva-
lerie.
Il n'en est pas de même des chevaliers de
l'Eperon d'Or, dont nous allons parler et qui
portent pour marque de leur ordre une
croix d'or à huit pointes émaillée de rouge,
au bas de laquelle pend un éperon d'or (2) ;
on les doit regarder comme formant un or-
dre militaire distinct et séparé de cet ordre
général de chevalerie et de tous ces cheva-
liers qui prennent le litre de Chevaliers Do-
res et de l'Eperon, dont nous venons de par-
ler. L'on prétend que ce fui le pape Pie IV
qui institua cet ordre à Rome, l'an 1359.
Mais il ne paraît pas que ce pontife aildonné
à celui qu'il institua le nom de l'Eperon
d'or, au contraire il lui donna son noai ; et
(I) Voy., à la lin du vol., n" 53.
(-2) Voy., à la fin du vol., n° 51.
175
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
176
l'on trouve dans le Bullajre romain une bulle
de Pie V, de l'an 15(19, "où les chevaliers de
cet ordre sont appelés chevaliers Pies. 11 est
vrai que Pierre de Bclloy, dans son Traité de
l'Origine de chevalerie, dit que ces cheva-
liers Pies sont faits par même moyen cheva-
liers de l'Eperon d'or. Eavin dit aussi qu'ils
sont appelés Chevaliers Dorés à cause des
éperons dorés qu'ils ont pei mission de por-
ter; et dans les lettres que l'on donne aux
chevaliers de l'Eperon, ils sonl appelés Che-
valiers Oorés et comtes du sacré palais de
Lalran , sacri palutii et atilœ Laleranensis
comités, milites , ri équités Aweuti. Mais
celte croix avec cet éperon qu'ils portent
pour marque de leur ordre n'est point la
marque que le pape Pie IV donna aux che-
valiers qu'il fit, puisque ce fut une mé-
daille d'or, où d'un coté il y avait l'image de
saint Ambroise, et de l'autre ses armes,
qu'ils pouvaient changer sous chaque pon-
lilicat.pour mettre les armes du pape qui
gouvernait pour lors l'Eglise. L'ahbé Giusti-
niani rapporte à ce sujet les paroles, de ce
pontife dans la bulle de l'institution de l'or-
dre de ces chevaliers l'ies : Jnsiijniaque col-
legii dietorum militum Piorum esse volumus
imaginent beati Ambrosii episcopi ab una
•parte alicujus pendenlis aurei et ab altéra in-
signia vostra, velpro tempore existentis pon-
tificis, cum clavibus desuper et tiara poniifi-
cia. Ainsi il y a bien de l'apparence que le
pape Pie IV n'a point été l'instituteur des
chevaliers de l'Eperon, et que ceux aux-
quels il donna son nom ont eu le môme sort
que ceux de Sainl-Pierre, de Saint-Paul, du
Lis, et de Noire-Dame de Lorelle, qui ont
été supprimés, et sont devenus simples of.i-
ciers de la Chancellerie ; car parmi ces offi-
ciers il se trouve aussi cinq cent trente-cinq
chevaliers Pies , dont les charges coûtent
chacune mille écus.
L'abbé Giustiniani dit que Pie IV créa d'a-
bord trois cent soixante-quinze chevaliers,
auxquels il assigna un revenu de soixanle-
treize mille écris, cl que l'année suivante,
ayant augmenté le nombre de ces cheva-
liers jusqu'à quinze zenl trente-cinq, il aug-
menta aussi leurs revenus jusqu'à la somme
de cent quatre mille écus. Mais il peut y
avoir de l'erreur dans le calcul de cet au-
teur, ou bien il se peut faire que, comme il
a mis le nombre de ces chevaliers en chif-
fres, l'imprimeur aurait mis un mille de
trop, et qu'en le retranchant il ne se trou-
verait plus que cinq cent trente-cinq cheva-
liers, qui est justement le nombre de ces of-
ficiers de chancellerie qui prennent encore à
présent le titre de chevaliers Pies. Ce qui
prouve que c'est une faute qui s'est glissée
dans l'impression, c'est que, si le pape avait
affecté un revenu de soixante-treize mille
écus pour trois cent soixante-quinze cheva-
liers, il n'y aurait pas eu de proportion gar-
dée, si en augmentant le nombre des cheva-
liers jusqu'à quinze cent trente-cinq, il n'a-
vait augmenté leurs revenus que jusqu'à la
somme de cent quatre mille écus.
Le même auteur ajoute que ce pontife
accorda à ces chevaliers beaucoup de privi-
lèges, et qu'entre autres il voulut que tous
ceux qui seraient agrégés à cet ordre fussent
réputés nobles et leurs descendants. Il leur
donna le titre de comtes de Latran, avec
pouvoir de déléguer des juges ecclésiastiques
et séculiers, créer des docteurs cl des notai-
res, de légitimer des bâtards et les élever à
des dignités. Il ordonna de plus que les che-
valiers clercs seraient notaires apostoliques,
que les laïques seraient chevaliers dorés, et
que, cessant d'être participants, c'est-à-dire
de jouir du revenu affeclé à l'ordre, ils au-
raient toujours le litre de comtes de Latran,
de notaires apostoliques et de Chevaliers Do-
rés. Il leur permit aussi de posséder plu-
sieurs bénéfices, quoique mariés, el d'exercer
en même lemps plusieurs offices de cinquanle
écus d'or de revenu, les dispensant de ce qui
serait dû à la componende pour les pensions
ou pour les bénéfices qui leur seraient don-
nés. Il leur était permis, deux ans après leur
réception dans l'ordre, de céder à qui bon
leur semblait la pension qu'ils en recevaient,
et de tester de ce qu'ils avaient acquis do
biens ecclésiastiques, jusqu'à la somme de
mille ducats pour chaque office qu'ils au-
raient exercé. Ils furent déclarés commen-
saux du pape, scripleurs et camériers apos-
toliques. Le pape leur accorda encore la
préséance sur les autres chevaliers, et les
exempta de la juridiction des ordinaires, les
mettant sous la protection immédiate du
saint-siége. Leur obligation était d'exécuter
les ordres du pape dans les croisades et dans
les conciles généraux sans aucun émolu-
ment, eu égard aux pensions qu'ils rece-
vaient de l'ordre; et ils devaient aussi veiller
à la défense des côtes de la Marche d'Aneône,
el principalement de la ville de Lorette.
Mais, soit que l'on veuille attribuer ces
privilèges aux chevaliers Pies ou aux che-
valiers de l'Eperon, les chevaliers Pies n'en
jouissent plus, ayant été supprimés, comme
nous avons dit; et tout ce que les chevaliers
de l'Eperon en ont conservé soni les litres
de comtes du sacré palais de Latran et do
Chevaliers Dorés, qui leur sont donnés dans
leurs lettres de réception. Cet ordre même
s'avilit tous les jours ; car, quoique les pa-
I es le confèrent quelquefois à des ambassa-
deurs, comme fil le pape Innoecnt XI, l'an
1G77, à un ambassadeur de Venise, l'on
donne aisément à Rome la croix de cet ordre
à tous ceux qui ont cinquante ou soixante
livres pour payer leurs lettres de réception.
Le pape Paul III, par une bulle de l'an 1539,
acrorda à Charles, Mario, Alexandre, et Paul
Sforze des comtes de Sainte-Flore, ses ne-
veux, pour eux et leurs descendants de légi-
time mariage en ligne masculine, le droit de
créer des chevaliers de l'Eperon , comme
aussi de faire des docteurs en théologie, en
l'un et l'autre droit et en médecine, et des
abbés titulaires : ce qui fut confirmé par ses
successeurs Jules 111 , Grégoire XI 11 et
Sixte V. Le duc de Sforze jouit présentement
de ce droit, et accorde aisément des lettres
de chevalerie de l'Eperon, dont l'exoédition
177
e:e
, il
JTS
ne coule qu'une pislole : ce qui tait que l'on
regarde avec inépris ces sortes (ie chevaliers.
Les nonces, les auditeurs de rote et quelques
autres prélats de la cour romaine ont aussi
le privilège de créer chacun deux chevaliers
île l'Eperon d"or; c'est pourquoi l'on voit en
France quelques-uns de ces chevaliers qui
ont été reçus en cet ordre par des nonces, et
j'ai eu en main les lettres d'un de ces cheva-
liers, de l'an 1702, que M. Ficscbi, pour lors
nonce en ce royaume, accorda, et que nous
rapporterons ici.
Laurentius Fliscus, Dei et sanctœ sedis
aposiolicœ gratta archiepiscopus Avenionen-
jts, sanclissimi D. X. papœ prcelatus dome-
sCicus et assislens, ejusdem et sanctœ sedis
apud rcgem Christianissimum nuntius apo-
stolicus exlraordinarius. Dilecto nobis in
Christo domino Ludovico ftlio domini Vincen-
tii de Martenne, domini de Puvigné, ac sacri
palutii et aulw Latetanensit comitis, mililis,
et eqttestris Aureati, satutem in Domino. Sin-
gulares animi lui dotes eximiœque devotionis
affectus, quem ad sanctissimum dominum no-
strum pnpam sanctamque aposloticam sedem
et nos gerere comprobaris, vitœque ac mo~
rum lionestas, aliaque laudabilia probilalis et
virlutum mérita, quœ illarum largilor aliis-
simus inpersona lua exubérante gratia cumu-
lavit,merito nos inducunt ut personutn eam-
dem dignioris nominis tilulo extollamus et
lingulari prœrogalïva decoremus. llinc est
quod nos volentes te, prœmissorum tuorum
intuitu, specialis cxccllcntiic digniCate subli-
mare et cum dignis prosequi favoribus, te Lu-
dovicum de .Martenne, dominum de Puvigné,
lustrali adoplione filium altissimi potenlissi-
mique principis Ludovici Delphini Franciœ,
rimul et altùsimœ ac polentissimœ principis
Mariœ Theresiœ Austriacœ Galliarum reginœ,
sacri palalii et aulœ Lateranensis comitem,
militem et equitem Aurealum , auctoritale
aposlolica nobis uli prœsuli assistenti a san-
cta sede aposlolica concessa, qua fungimur in
hue parte, tenore prœsentium, fucimus, crea-
tnus, inslituimus, deputamus, ac aliorum co-
mitum, militum et equilum Aureatorum sacri
palatii et aulœ Lateranenris hujnsmodi, nu-
méro, ordini et consortio favorubtliter aggre-
gamiis : decernentes quod lu ex nunc deinceps
veslibtis, cingulo, ense et calcaribus aureatis,
torque et aliis insignibus inilitaribus,necnon et
omnibus et singulis privilcgiis, immunitati-
bus, exe<hptionibus, honoribus, prœcminenliis
et antelationibus, quibus alii sacri palatii et
aulœ Lateranensis comités, milites et équités
A ureati ab eadem sancta sede aposlolica creali,
de jure, usu, consueludine, privilegio, aut
alius , quomodolibet utuntur, poliuntur et
gaudent, uti, poliri et gaudere posais et va-
Iras, non obstantibus constitutionibus et or-
dinationibus aposlolicis cœterisque contrariis
tjuibuscanque. In quorum omnium et singu-
torum fidem et lestimonium , hoc nostrum
privilegium, manu propria firmatum et per
infra scriplum secretarium nostrum subscribi,
sigillique no s tri quo in lalibus uti mur, jussi-
mus impressione munir i. Dation Parisiis in
palatio nostro, die 28 mensii Novembris anno
1702. /.. arehiep. Avenionen.; et plus bas:/o-
seph. Ray m. Alcorambonus secret, et scellé.
Voyez, pour cet ordre, Favin , Théâtre
d'honneur et de chevalerie; Bernard Giusli-
niani, Ilist. di tutti gli Ord. militari; de
Bellay, Mennénius, Herraan et Schoonebeck,
dans leurs Ilist. des ordres militaires.
11 y a eu aussi à Naples un ordre de l'Eperon
institué par Charles d'Anjou, roi de Naples
et de Sicile. Ce prince, ayant été couronné à
Rome l'an 1266, en partit pour aller prendre
possession du royaume de Naples. Mainfroy,
qui le lui disputait, ayant succombé dans
une bataille, tout le royaume se soumit au
comte d'Anjou, qui, pour avoir plus de
moyen de récompenser la nob'esse qui s'était
déclarée pour lui, établit l'ordre de l'Eperon.
Voici de quelle manière on y était reçu. Le
chevalier se présentait au jour marqué dans-
l'église cathédrale de Naples, et là, sur un
théâtre élevé oùétaient le roi, la reine et toute
la cour, il prenait place dans une chaise
couverte de drap de soie verte. L'archevêque,
en habit de diacre, accompagné de ses suf-
fraçants, le faisait jurer sur les saints Evan-
giles qu'il ne porterait jamais les armes con-
tre le roi, s'il n'y était obligé par son légitime
seigneur, et qu'en ce cas il rendrait au roi
la marque de l'ordre, sous peine d'être ré-
puté infâme et mis à mort, s'il était pion-
nier de guerre; qu'il défendrait de toutes ses
forces, quand il serait requis, les dames laut
veuves que mariées et les orphelins aban-
donnés, si leur cause était juste. Deux che-
valiers des plus anciens le présentaient en-
suite au roi, qui de son épée lui louchait
l'épaule en lui disant : Dieu te fasse bon che-
valier; puis sept demoiselles de la reine, vê-
tues de blanc, venaient lui ceindre l'épée;
quatre chevaliers des plus considérables lui
attachaient les éperons dorés, et la reine le-
prena. l par la main droite et une autre
dame la plus considérable par la gauche,
elles le conduisaient sur un autre siège ri-
chement paré. Alors le roi, se plaçant à sa
droite, la reine à sa gauche, toute leur cour
dans des sièges au-dessous, on servait une
collation de sucreries, par où finissait la
cérémonie. On ne sait point quelle était la
marque de cet ordre.
Des Noulis, Histoire des rois de Sicile et
de Naples, dis maisons d'Anjou, pag. 138.
DOMINIQUE (Congrégations diverses de
Saint-). Voij. Lombaroie.
EPINAL, DE POUSSAY ET DE BoUXIftHE EN
Lorraine, de Saint-Pierre et de Sainte-
Marie a Metz (Chanoinesses d').
Les chanoinesses d'Epinal n'ont pas été
moins religieuses dans leur origine que cel-
les de llcmiremont leurs voisines, qu'elles
ont imitées en secouant le joug de la règle
de Saint-Benoît; et il en est de même de
toutes les autres dont nous parlerons dans la
suite. Elles eurent pour fondateur Thierri I",
évèque de Metz. Mûrisse, évéque de Ma-
daure, s"est trompé lorsqu'il a ilit que saint
Goë'ric, trentième évéque de Metz, qui uiou-
179 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
rut i'an 654, fonda un monastère à Epinal
en l'honneur de saint Maurice et en faveur
de ses deux filles, dont l'aînée, nommée Pré-
cie, fut la première supérieure; et que cette
abbaye, située sur le bord de la Moselle,
s'est rendue recommandablc par la multitude
des dames ou des religieuses qui s'y sont
retirées, par sa grandeur, son étendue et les
grands biens qu'elle possédait : ce qui y a
attiré tant de monde, qu'on y a bâti une ville
à l'entour qui se nomme Epinal, et que
quelques historiens tiennent que c'est de là
que celte ville appartenait auirefois aux évo-
ques de Metz. Il donne assez à connaître
qu'il reconnaît aussi ce saint pour le fonda-
teur de cette ville, puisque dans la table des
matières, parlant d'Epinal, il dit positive-
ment que cette ville fut bâtie par saint Goë-
ric. Cependant il est certain que non-seule-
ment la ville d'Epinal, mais même l'abbaye
qui porte présentement le nom de ce saint,
n'ont été fondées que plus de trois cents ans
après. Ce fut Déoderic ou Thierri I", évêque
de Metz, qui fonda l'une et l'autre vers l'an 983.
Cequc l'évêquedeMadaure reconnaîtenquel-
que façon : car, lorsqu'il dit qu'il y a des
mémoires qui portent que Thierri , outre
l'abbaye de Saint-Vincent, qu'il avait fondée
â Metz, en fonda encore une autre à Chau-
mont, cette fondation ne peut être autre
chose que celle de l'abbaye d'Epinal, puis-
qu'elle fut bâtie au territoire de Chaumout
dans le diocèse de Toul. Ce qui prouve que
saint Goëric n'a point été le fondateur ni de
la ville ni de l'abbaye d'Epinal, c'est que,
lorsque les bourgeois d'Epinal, las de la do-
mination des évêques de Metz, se donnèrent,
l'an 1444, à Charles VII, roi de France, et
lui prêtèrent serment de fidélité, Conrard
Bayer de Poppart, évêque de Metz, ayant
demandé au roi la restitution d'Epinal, et
voulant prouver qu'elle avait toujours ap-
partenu aux évêques de Metz, qui en avaient
été les fondateurs , ne remonta point au
temps de saint Goëric pour prouver son an-
tiquité, mais bien au temps de Thierri 1",
qui en était le premier fondateur, aussi bien
que de l'abbaye.
Thierri I" ayant donc fondé la ville et
l'abbaye d'Epinal vers l'an 983, comme nous
l'avons dit, fit transporter de Metz le corps
de saint Goëric, qui avait toujours reposé
dans l'église de Sainl-Symphorien, et le mit
dans le nouveau monastère d'Epinal, auquel
il donna le nom de ce saint. Ce prélat étant
mort avant d'avoir mis dans ce monastère
des personnes qui y chantassent les louanges
du Seigneur, saint Adalbéron II y assembla
d'abord des clercs, et donna ensuite ce mo-
nastère à des religieuses de l'ordre de Saint-
Benoît. C'est ce qui paraît par la Vie de ce
saint, écrite par Richer, abbé de Saint-Sym-
phorien de Metz, auteur contemporain, dont
l'original est chez les Pères Carmes Dé-
chaussés de Clermont en Auvergne, et dont
180
il y a une copie à la bibliothèque du Roi (1).
Primo quidam clericorum conventum ad om-
nipotentes l)ei honorem coadunavit ; post,
gloriam Divinilatis , quantum in homine est
tolis viribus omnique conamine g es tiens, an-
cillas Chrisli sub reguiari vita et sub instilu—
tione Palris nostri, beati scilicet Benedicti,
bene edoctas, Deo et sancto Goerico povtifici
servire destinavit , dans pradia et possessio-
nes, quibus sine inopia et sine indigenlia vl-
vere passent. Les papes Alexandre III, Ho-
norius III, Lucius III, et plusieurs autres
pontifes , prirent ce monastère sous leur
protection.
Charles VII, roi de France ayant pris pos-
session de la ville d'Epinal, en ikkk, con-
firma à ces religieuses tous leurs privilèges,
franchises, libertés, droits et prérogatives,
dont elles jouissaient, par ses lettres don-
nées à Epinal la même année; et p£,r d'au-
tres lettres il les prit sous sa protection et
sauvegarde, aussi bien que leurs chanoines,
chapelains , et autres personnes de leur
église, et tous leurs officiers, serviteurs et
vassaux, leur départant pour gardiens spé-
ciaux les baillis et prévôts de Sens, de Cliau-
mont et d'Epinal.
Leur église avait le litre de collégiale.
C'est ce qui se prouve par un acte (2) de la
prise de possession de la ville d Epinal et de
ses dépendances, par Nicolas, marquis de
Pont-à-Mousson, au nom de Jean, duc de
Calabre et de Lorraine, son père, et du ser-
ment de fidélité et d'obéissance prêté entre
ses mains par les bourgeois d'Epinal (3),
qui s'étaient donnés au duc de Lorraine,
après que le roi de France Louis XI eut
cédé leur ville à Thibaut, seigneur de Neuf-
châtel, deChâlel-sur-Moselle, et maréchal de
Bourgogne, qu'ils ne voulurent point re-
connaître pour souverain; lequel acte est
passé par-devant quatre notaires, qui pren-
nent la qualité de nolaires apostoliques et
impériaux en l'église collégiale de Saint-
Goëric d'Epinal. Mais quoique leur église eût
le tiire de collégiale, ces chanoinesses se di-
saient toujours religieuses, car l'an iklk,
René, duc de Lorraine, suivant le droit qu'il
avait à son joyeux avènement à son duché(4),
de pouvoir placer en chaque monastère de
ses Etats une religieuse, présenta à l'abbesse
d'Epinal, Alix, fille de Louis, seigneur de
Dommartin et d'Isabelle du Châtelet son
épouse, pour être reçue dame et religieuse
en ce monastère, en faisant par elle les droits
appartenant à cette église, et lui donner et
délivrer tous les bins, profits, honneurs et
émoluments que les dames présentées par ses
prédécesseurs y avaient pris et reçus. Mais
dans la suite elles ont pris le nom de cka-
noinesses. Elles sont au nombre de vingt.
Leur habillement de chœur esl semblable à
celui des chanoinesses de Remirimont; l'ab-
besse, la doyenne, et la secrelle, au lieu de
couvre-chef, ont une espèce de guimpe, et
(I) Manuscrits de du Cliène, à la bibliothèque du
Roi, vol. XII.
(i) Inventaire des litres de Lorraine ou Trésor des
Charles du roi. Layette, Epinal, n. 117.
(3UMd., n. 113.
(i) Ibid., lï. !52
m eii
l'abbesse, aussi bien que les autres chanoi-
nesses, portent en tout temps et en tout lieu
un ruban bleu de la largeur de quatre doigts,
par-dessus l'épaule droite jusqu'à la hanche
gauche, ;rvec un nœud au bout.
Joan. Mabill., Annal. Ord. S. Bened. tom.
W,pag. 21. Mûrisse, Histoire des évéques de
Metz; et Inventaire des titres de Lorraine,
au Trésor des chartes du roi.
Il y a encore en Lorraine deux autres
chapitres de ebanoinesses séculières, l'un
à Poussay, proche la ville de Mirecourt,
Taure à Bousières, à une lieue de Nancy.
Herman, évéque de Toul, avait jeté les fon-
dements du monastère de Poussay dans
un 1 eu appelé Port-Suave , qu'on a depuis
nommé Poussai/; mais ce prélat étant mort
en 102(3, son successeur, saint lïrunon, qui
fut depuis pape sous le nom de Léon IX,
le lit achever, et y mit des religieuses, qui
dans la suite ont vécu en séculières, sous le
nom de ebanoinesses. Celles de Bouxiùres
furent aussi fondées par un évéque de Toul,
nommé Gozelin, au commencement du dou-
zième siècle. Elles étaient autrefois reli-
gieuses de l'ordi e de Saint-Benoît ; mais elles
ont secoué le joug de celte règle pour se sé-
culariser sous le nom de ebanoinesses.
Les chanoinesses de Saint-Pierre et de
Sainte-Marie à Metz ne peuvent pas nier
qu'elles n'aient été filles de Saint-llenoîl,
puisque ce n'est que de nos jours qu'elles
ont pris le nom de ebanoinesses, et qu'elles
ont renoncé aux vœux solennels. L'abbaye
de Saint-Pierre est très-ancienne; l'on pré-
tend qu'elle fut fondée par Eleùthère, duc du
palais des Fiançais , sous les règnes de
Thierry et de Théodebert, enfants de Cbilde-
bert, et qu'il assigna à ce monastère des
fonds suffisants pour l'entretien de trois
cents religieuses, auxquelles il donna sainte
Waldrée pour abbesse. Ce monastère fut
d'abord appelé Uaul-Moutier ou Marmou-
licr, et les religieuses y vécurent avec beau-
coup de régularité; mais elles avaient déjà
quitté la lègle de Saint -Benoit dans le
dixième siècle, lorsqu'Adalbéron lr, évoque
de Metz, employa, l'an 960, l'autorité de l'em-
pereur Olhon pour obliger ces religieuses à
reprendre leur règle. Elles tombèrent en-
core dans le relâchement quelques années
après : ce qui obligea l'évèque Adalbéron 11,
vers l'an 1000, d'y apporter la réforme. Et
comme le grand nombre de religieuses qui
étaient dans ce monastère pouvait causer de
la confusion, il fil bâtir un autre monastère
à côté de celui de Saint-Pierre pour y mettre
une partie de ces religieuses, et servir de
noviciat à celles qui y voudraient faire pro-
fession de la vie monastique. 11 fit bâtir d'a-
bord un oraloire, qu'il dédia en l'honneur
de la sainte Vierge, et y fit mettre un cru-
cifix, devant lequel les novices faisaient leurs
vœux solennels : ce qui fit donner le nom
de Bénit-Vœu à la rue où ce monastère était
situé; et les gens simples appelèrent ce cru-
(1) Franc. Mod. de Ord. Eccles. Orig.
(2) Voy., à la fin du vel., h' S.j.
ESC
182
cifix saint Bénit- Vœu, ce nom lui élanl resté
jusqu'à présent. Lorsque l'on bâtit la cita-
delle de Metz, en 1560, ce monastère fut
ruiné, et les religieuses lurent transférées en
une maison qui appartenait aux chevaliers
de Malle, appelée le Petit-Saint-Jean. Jus-
que-là elles avaient été soumises au monas-
tère de Saint-lierre, qui fut aussi transféré
dans la ville; mais elles se sont soustraites
de son obéissance. Plusieurs évoques ont
tâché inutilement de rétablir la discipline ré-
gulière dans ces deux abbayes; mais les re-
ligieuses, bien loin d'observer la clôture, et
de reprendre les observances régulières, ont
voulu vivre en séculières el en porter l'habit.
Elles ont au chœur, comme les ebanoinesses
de Bemircmont , de Poussay et de Bouxiè-
res, un grand manteau doublé d'hermine :
celles de Saint-Pierre vont à certains jours
en procession avec, les chanoines de la ca-
thédrale.
Joan. Mabil'on, Annal. Bened. t. III et IV.
Antoine Yepez, Citron, génér. de l'Ord. de
Saint-Benoît, t. Il et V. Mûrisse, Histoire
des évéques de Metz.
EB.M1TFS. Voyez leurs noms spéciaux,
par exemple: Augustin (Ermites de Saint-);
Jean-Bapiistk (Ermites de Saint-) , etc.
Voyez aussi la Dissertation préliminaire, et
le Supplément.
ERMITES SERVITES. Voyez Servîtes.
ESCLAVES DE LA VERTU. Voyez Hache.
ESCLAVONS (Moines).
Quelques auteurs, comme Modius et Dam-
man (1), ont parlé d'un ordre de moines
Esclavons dont l'habillement, à ce qu'ils pré-
tendent, était rouge, mais ils n'ont rien dit
de son origine; et Abraham Bruin, Josse
Ammanus, Michel Colyn el Scboonebcck, onl
donné l'habillement d'un de ces moines tel
que nous l'avons fait aussi graver (2). Ce
qui est certain, e'esl qu'il y avait en Bohême
et en Pologne des moines qui célébraient
l'office divin en langue esclavone. Leur
monastère de Pologne était situé hors les
murs de Cracovie, au faubourg de Cléparz,
et fut fondé, sous le titre de Sainte-Croix, par
Ladislas IV, roi de Pologne, l'an 138i) ou
1390. Ces moines furent tirés d'un monastère
qu'ils avaient à Prague, et par leur fonda-
lion ils étaient obligés de célébrer les divins
offices en langue esclavone. C'est ce que
nous apprenons de Dugloz, de Miechovila et
deCromerius, historiens polonais.
Dugloz, qui écrivait vers le milieu du sei-
zième siècle, et qui met la fondation de ce
monastère de Cléparz en l'an 1289, dit (3) que
de son temps les moines qui y demeuraient
faisaient encore l'office divin en langue escla-
vone: Wladislaus secundus Polonia-rex eum
consorle sua Hedwigi excitati enmplari si-
mili quod in civitate Pragensi habelur mona-
sterium Slavorum ordinis S. Bcnedicli, et sub
ejus regùlari observanlia duraturum, sub ho-
nore et titulo Sanctœ Crucis extra muras
(5) Dugloz, ff'iif. Polo»., lib. x, png. 127.
*83
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
184
Cracovienses in oppido CUparz, non lange u
flumine Rudawrt sub pontificatu Pelri Vilz
episcopi Cracoviensis, fundant et coudant et
dotant, et pulcherrimo muro latericio, circui-
tum Fratresque ex monastcrio Pragensi
samptus ad illam intrvducunt n quibus us-
que ad mea tempora et sub oculis mois ecclesia
illa Sanclœ Cruels, et in re divina, et in ma-
tutinis, horisque canonicis, cœleris/ue cccle-
siasticis cœremoniis, sonoro cantu et leclione
idiomate slavonico per monachos fratresque
S. Benedicti officiabatur et administrabatur.
Miechovîta, qui écrivait plusieurs années
après Dugloz, dil (1) aussi que ces religieux
suivaient la règle de Saint-Benoîl, qu'il lurent
fondés l'an 13'JO, et que dans sa jeunesse il
n'y avait plus qu'un prêtre qui célébrait dans
ce monastère la messe en langue eselavone :
Anno Do mini 1390, feria quinta post festum
sancti Jacobi apostoli, rex WladUlaus eum
sua consorte Hedwiyi monasterium Slavorum
ord. S. Benedicti ex Praga sumptorum tituli
S. Crucis extra muros Cracovienses in oppido
Cleparz fuhdav'erunl Ut voce sonora tain
horas canonicas quant missas in idiomate Sla-
vonico celebrarml et expièrent tenon in
diebus pueritiœ meœ, presbyter Slavus idio-
mate Slavonico conlinuabat.
J'ai écrit en Pologne pour savoir s'il ne
serait point resté dans cette église de Sainte-
Croix du faubourg de Cléparz à Cracovie,
quelques amiens monuments qui pussent
donner une plus ample connaissance de ces
moines Esclavons ; et les mémoires qui m'ont
«té envoyés de ce pays en 1712 marquent
que celle église ayant été rebâtie nouvelle-
ment, i! ne s'y trouve plus aucun tableau ni
écrit esclavon qui fasse mention des moines
qui l'ont possédée. Il est encore marqué dans
ces mémoires qu'il y a à Cracovie des per-
sonnes Âgées qui dirent que devant la pre-
mière puerre des Suédois on faisait dans
cette église des prédications en langue esela-
vone, et qu'il y a des act< s qui portent
qu'elle a été desservie par des moines de
Saint-Basile qui suivaient le rite grec. Il se
peut faire que quelques moines Moscovites,
qui sont tous de l'ordre de Saint-Basile,
ayant embrassé la religion catholique, aient
quitté leur pays pour s'établir en Bohême ,
où ils ont eu la permission de suivre le rile
grec et de célébrer l'office divin en langue
eselavone selon l'usage de Moscovie , et
qu'il aient passé ensuite en Pologne, où ils
ont été appelés et établis à Cracovie par le
roi Ladislas IV, que quelques-uns disent
u'avoirété que le deuxième du nom.
Ce qui me fait croire que ces moines Escla-
vons, ainsi appelés apparemment à cause
qu'ils célébraient leur office et messe en lan-
gue eselavone , pouvaient être sortis de
Moscovie, est la couleur de leur habillement,
<jui était rouge ; car les moines Moscovites
eiaient ainsi habillés anciennement; c'est
pourquoi j'ai mis ces moines Esclavons au
rang des religieux de Saint-Basile, quoique
Dugloz, Miechovilaet quelques autres histo-
riens polonais disent qu'ils suivaient la règle
de S lint-Benoît. Le motif qui peut avoir porté
le roi I.adislas à établir ces moines en Polo-
gne, et à les obliger à célébrer leur office en
langue eselavone, est peut-être à cause que
la langue i olonaise, de même que la bohé-
mienne et la moscovite, tire son origine de
Pesclavone. Nous avons dit ci-devant à l'ar-
ticle Basile que les moines de Saint-Basile
dans la Uussie-BIanche ou petite Russie,
province de Pologne qui appartenait autre-
fois aux Moscovites, disent encore leur office
en langue eselavone, en suivant toujours
le rite grec, et qu'ils ne renoncèrent à leurs
erreurs que l'an 1 59'i-. C'est ce qui nous con-
firme dans l'opinion que nous avons que ces
moines Esclavons qui s'établirent en Bohênio
et en Pologne pouvaient avoir été des moi-
nes Moscovites ou llussicns qui avau nt aussi
renoncé à leurs erreurs.
ESPRIT (Chanoines réguliers Associés de
l'ordre du Saint-)
On sait qu'il y a eu des chanoines régu-
liers sous le nom d'Associés de l'ordre du
Saint-Esprit; mais on ignore, et l'année et
le lieu de leur établissement, et ce qu'ils sont
devenus. Il y a néanmoins bien de l'appa-
rence qu'ils ont subsislé, puisque l'on trouve
plusieurs éditions de leurs constitutions ,
dont deux se trou vent à la bibliothèque du Roi,
l'une de Paris, m-12°, de l'année 1583, et l'au-
tre aussi de Paris, in-k°, de l'année 1G30. Ces
constitutions furent approuvées par l'arche-
vêque de Rouen, les évêques de Bayeux et
de Coutance, et par plusieurs docteurs,
comme il paraît par l'épîlre dédicatoire de
ces constitutions.
C'est dans cette épître dédicatoire, adres-
sée le 4 novembre 1588 au pape Sixte V,
que le fondateur de ces chanoines se fait
connaître. 11 se nommai! Jean Herbel et était
Lorrain ; il dit au pape que sa mère, étant en-
ceinte de lui, le consacra à Dieu ; que dans
sa jeunesse Dieu lui inspira un grand zèle
pour son service, et qu'il eut toujours beau-
coup d'aversion pour tout ce qui élait con-
traire à ses commandements et à ceux de
l'Eglise ; que depuis vingt-six ans, ou envi-
ron, il avait fait serment de s'opposer forte-
ment jusqu'à la mort aux hérétiques, aux
méchants catholiques, aux ecclésiastiques
impudiques, ivrognes, avares, et qui négli-
geaient le service divin; que depuis vingt-
deux ans il avait tous les jours célébré la
sainte messe, excepté seulement trois jours
qu'il en avail été empêché par des personnes
qui s'opposaient à son institut, et qu'il aimait
mieux mourir que d'être privé pendant un
seul jour d'offrir le sacrifice adorable de nos
aulels ; qu'enfin il avait été inspiré de Dieu
d'instituer sa congrégation, qui est divisée
en une confraternité et en un ordre de cha-
noines du Saml-Esprit; que la confraternité
est pour tous les catholiques de l'un et de
l'autre sexe; qu'elle était déjà fort étendue
en Normandie, principalement dans le dio-
(,l)Matli, de Miecuovita, Chron. P-olon., lib. x, cap. 49.
183
ESP
ESP
180
cèse de Coutance, et que les statuts en
avaient été approuvés par le cardinal de
Iiouibon, archevêque de Kouen, par les évè-
ques de Coulance et de Bayeui et par plu-
sieurs docteurs en théologie des universités
de Paris et de Caen ; et il présente ces sta-
tuts au pape, avec ceux qu'il avait dressés
pour les chanoines, pour en avoir la confir-
mation de ce pontife; mais nous ne savons
pas s'il la lui donna.
Conformément à ces constitutions, ces
chanoines, s'ils étaient prêtres, devaient cé-
lébrer la messe tous les jours; et s'ils ne
l'étaient pas, ils devaient en entendre une
tous les jours, et plutôt deux les fêles et les
dimanches. Ils s'employaient à l'instruction
de la jeunesse ; c'est pourquoi ils avaient des
collèges, et dans ceux où ils n'avaient pas
beaucoup d'écoliers, ils pouvaient chanter
tous les jours l'office divin à l'église, si quel-
que fondateur le demandait, et seulement les
fêtes et dimanches dans les collèges où ils
avaient beaucoup d'occupation. Les reli-
gieux de la communauté, et même les do-
mestiques, devaient faire abslinence tous les
mercredis de l'année. Si l'on ne trouvait pis
de poisson, ils devaient se contenter de lé-
gumes. En mémoire de la passion de Notre-
Seigneur. ils jeûnaient tous les vendredis, à
moins qu'il ne se rencontrât un jeûne d'Eglise
dans la semaine, et il était libre à un chacun
de s'abstenirde vin le vendredi, par mortifica-
tion, et de jeûner pendant l'a vent : personne
n'était aussi obligé au jeûne depuis Pâques
jusqu'à la Pentecôte; et si, étant en voyage
nu pour quelque autre raison, ils ne pou-
vaient satisfaire au jeûne du vendredi et à
l'abstinence du mercredi, ils devaient dire
ou les sept psaumes avec les litanies, ou
trois fois le chapelet, ou donner cinq sols
aux pauvres de ce qu'on leur accordait pour
leur usage, et dans ce nombre étaient com-
pris les curés et les vicaires qui étaient oc-
cupés à administrer les sacrements aux fi-
dèles. Tous les dimanches ils se confessaient
è un prêtre de la congrégation, et, hors le
collège, à un aulre prétie approuvé par l'é-
vèque, et au moins tous les ans ils devaient
faire une confession générale à leur provin-
cial ou à son vicaire. Ceux qui n'étaient pas
dans les ordres sacrés communiaient seule-
ment une fois le mois ; ceux qui étaient dans
les ordres sacrés, toutes les semaines, prin-
cipalement les dimanches et les fêles, afin de
s'accoutumer à s'approcher de la sainte ta-
ble, où ils devaient, étant prêtres, tous les
jours célébier la messe. Tous les prêtres ,
diacres, sous-diacres et bénéficiers, étaient
obligés de réciter ou chanter les heures ca-
noniales ; et ceux qui n'avaient pas les or-
dres sacrés , seulement l'office du Saint-
Esprit, ou de la sainte Vierge, ou les sept
psaumes de la pénitence. 11 y avait des
heures destinées pour l'oraison mentale, et
l'examen de conscience se faisait soir et
matin. Leur habillement devait être honnête,
semblable à celui des chanoines, des doc-
teurs, ou des régents des universités, sans
aucune superflui è; ils avaient toujours le
bonnet carré dans la maison, et ne portaient
le chapeau que quand ils sortaient, et ils
mettaient à leur mu une croix d'or ou d'ar-
gent, selon la qualité des personnes, et ils
la pouvaient attacher sur leur habit exté-
rieur, avec la figure du Saint-Esprit en forme
de colombe descendant sur les apôtres. Voilà
tout ce que nous savons de ces chanoines ;
nous donnons seulement encore ici la for-
mule de leurs vœux.
Ego N., licel non tint dignus conspectu Dei
optimi marimi, tamen infini la ejus bonitate
et cletnentia, hodie professtonem fario in or-
dine Spirilus Sancti, eique in eo volum facio
sol inné ac prrpetuum obedientiœ et castitatis
et abdicationis proprietatis bonorum tempo-
ral ium coram cœlesti curia etmilitanti Eccle-
sia inter manus tuas (R. domine) eique et tibi
et toti associa'.ioni Spirilus Sancti, sancte
promitto et juro et vovea me perpetuo in ea
victui nm, serviens Deo et Ecclesia? Christianœ
et eathulicœ, apostolicœ et Itomanœ, usque ad
mortem, omnia intelligendo, fidemque,etpie-
tatem, et mores, et Studio mea dirigendo juxta
ejus associationis constitutions! n M. Joanns
Herbetio per gratiam Dei institutore prœscri-
ptas, et a summo pontifice probalas aut per-
missas. A tua ergo immensa bonitate et cle-
mentia Itumiliter pelo [optime et clementis-
sime Deus) ut qui mihi ile^listi hoc sanclum
desideriutn, sic eliam a'I id melius et saluta-
rius, inlegrius et prnmptius adimplendum,
gratia Sptritus sancti, ub riorcs mihi bénigne
largiaris ad majorent, sanctiorem et clariorem
Dà Patris,et F ilii, et Spirilus sancti gloriam,
et populi Cliristiani , potissimum associationis
Spirilus Sancti, sanctaminstitutionem, incre-
mentum acdignitntem et menm plurimorumque
salutem. Amen. On peut consulter les Constitu-
tions de celte congrégation, qui sont sous le
titre de Libri 1res de Legibus Crllegiorum
Qrdinis Canonicorum S. Spirilus, institua
tore Joanne Herbetio.
ESPRIT (Chevaliers de l'ordre du Saut-),
en France.
Henri III, roi de France et de Pologne, pas-
sant par Venise à son retour de Pologne
pour venir prendre possession de la cou-
ronne de France, la république de Venise
lui fit présent de l'original des slatuls de
l'ordre du Sainl-Esprit-au-Droil-Désir, ap-
pelé aussi du Nœud, dont Louis de Tarenle,
roi de Jérusalem et deSieile, époux de Jeanne
1", reine de Naples, avait élé l'instituteur,
et lui avait donné le nom du Saint-Esprit, à
cause que le jour de la Pentecôte il avait élé
couronné roi de Jérusalem et de Sicile. C'est
ce qui fit naître la pensée à Henri III d'insti-
tuer aussi un ordre militaire sous le nom du
Saint-Esprit, à eause que le jour de la Pente-
côte de l'année 1573 il avait été élu roi de Po-
logne, et qu'il avait succédé au royaume de
France à pareil jour de l'année suivante
157i, après la morlde Charles IX, son frère.
Le Laboureur, dans ses Additions aux Mé-
moires de Caslelnau, dit que ce. prince, ayant
reçu de la république de Venise les statuts
de l'ordre du Saint-Esprit au-Proit Désir, ius-
187
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
titué par Louis de Tarenle, résolut de s'ap-
proprier cet ordre, comme s'il avait été de
son invention, et qu'après avoir copié e'
commenté les statuts, il donna ordre au
chancelier de Chiverny de les brûler; mais
que ce ministre se fit une conscience de faire
périr un si rare manuscrit, lequel, outre le
mérite de son sujet et de son antiquité, était
encore fort estimable pour les belles minia-
tures en vélin où l'on voit ce qui est contenu
en chaque chapitre de ces statuts; que ce li-
vre échut ensuite en partage à Philippe Hu
raut, évêque de Chartres, fils du sieur dr
Chiverny, etqu'il tomba enfinenlre les mains
de M. le président de Maisons. Ainsi, selon
cet auteur, l'ordre du Saint-Esprit de Fiance
n'est autre chose que celui deNaples; ce
qui ne paraît pas vraisemblable : car si l'on
compare les statuts de l'un avec ceux de
l'autre, il est facile de juger, par la diffé-
rence qui s'y trouve, que ces deux ordres
ont été faits indépendamment l'un de l'autre,
la conformité qui s'y rencontre ne consis-
tant uniquement qu'en ce que Louis de Ta-
rente et Henri III curent !e même motif en
les instituant, le premier ne l'avant fait qu'à
cause qu'il avait été couronné roi de Jérusa-
lem et de Sicile le jour de la Pentecôte, et
que Henri III à pai cil jour avait été élu roi
de Pologne, et qu'il avaitsuccédé au royaume
de France, ce qui n'était pas une raison assez
forte pour l'obliger à supprimer les statuts
de l'ordre du Sainl-Esprit-au-Droit-Désir .
afin d'en abolir la mémoire, qui d'ailleurs
se serait conservée par les monuments qui
sont encore aujourd'hui dans Naples, et par
le témoignage de plusieurs écrivains.
Quoi qu'il en soit, ce ne fut que plus de
quatre ans après que Henri III eut reçu l'o-
riginal des statuts de l'ordre du Saint-Esprit-
au-Droit-Désir qu'il institua, au mois de
décembre de l'an 1578, un ordre militaire en
l'honneur et sous le nom du Saint-Esprit.
Son intention ne fut point d'abolir tacite-
ment celui de Saint-Michel, comme quelques
auteurs ont avancé, puisque, par ses lettres
patentes pour l'institution de l'ordre du Saint-
Esprit, il déclare qu'il veut et entend que
celui de Saint-Michel demeure en sa force et
vigueur et soit observé de la même manière
qu'il l'a été depuis son institution. Nous
avons avisé, dit ce prince, avec notre très-
honorée dame eC mire, à laquelle nous recon-
naissons avoir, après Dieu, noire principale et
entière obligation , les princes de notre sang,
et autres princes et officiers de notre cou-
ronne, et seigneurs de noire conseil, étant
près de nous , d'ériger un ordre militaire en
ccttmj notre dit royaume, outre celui de Mon-
sieur saint Michel, lequel nous voulons et en-
tendons demeurer en sa force et vigueur et
être observé tout ainsi qu'il a été pratiqué de-
puis sa première institution jusque* à présent.
Et il ajoule ensuite : Lequel ordre nous créons
et instituons en l'honneur et sous le nom et ti-
tre du bmiit Saint-Esprit, par l'inspiration
duquel, comme il a plu à Dieu ci-devant di-
riger nosmclleures et plus heureuses actions,
nous le supplions aussi qu'il nous fasse la
grâce que nous voyions bientôt tous nos su-
jets réunis en la foi et religion catholique et
vivre ù l'avenir en bonne amitié et concorde
les uns avec les autres, sous l'observation en-
tière de nos loix et l'obéissance de 7ious et de
nos successeurs rois, à son honneur et gloire,
à la louange des bons et confusion des mau~
vais, qui est le but auquel tendent nos pensées
et actions, connue au comble de notre plus
grand heur et félicité.
Cette prière et les désirs de ce prince té-
moignent assez quelle était sa piété, et qu'il
n'y a rien eu que de saint dans l'institution
de son ordre, ce qu'il avait plus expressé-
ment déclaré un peu auparavant dans ses
mêmes lettres patentes, où il dit encore
qu'ayant adressé ses vœux et mis toute sa
confiance dans la bonté de Dieu, dont il re-
connaît avoir et tenir tout le bonheur de
cette vie, il est raisonnable qu'il s'en res-
souvienne, qu'il s'efforce de lui en rendre
des grâces immortelles, et qu'il témoigne à
toute la postérité les grands bienfaits qu'il
en a reçus, particulièrement en ce qu'au
milieu de tant de différentes opinions au
sujet de la religion, qui avaient partagé la
France, il l'a conservée en la connaissance
de son saint nom dans la profession d'une
seule foi catholique et en l'union d'une seule
Eglise, apostolique, et romaine. De ce qu'il
lui a plu par l'inspiration du Saint-Esprit le
jour de la Pentecôte, réunir tous les cœurs
et les volontés de la noblesse polonaise, et
porter tous les Etats de ce royaume et du
duché de Liihuanie à l'élire pour roi, et de-
puis à pareil jour l'appeler au gouvernement
du royaume de France; au moyen de quoi,
ajoute-t-il, tant pour conserver la mémoire do
toutes ces choses que pour fortifier et main-
tenir davantage la foi et la religion catholi-
que, et pour décorer et honorer de plus en
plus la noblesse de son royaume, il institue
l'ordre militaire du Saint-Esprit.
Des expressions si pieuses ne sont que
trop suffisantes pour faire voir les bonnes
intentions de ce prince. Cependant, comme il
y a certains caractères d'esprit qui ne peu-
vent s'empêcher de donner un mauvais sens
aux aclions les plus saintes et les plus jus-
tes, l'institution de l'ordre du Saint-Esprit
n'a pas manqué d'interprétations autant in-
justes que chimériques, puisqu'on l'a plutôt
attribuée à des mystères d'amourettes que
de religion. Le vert naissant, dit le Labou-
reur, lejaunedoré, leùleuet te blanc, élaientles
couleurs de lu maîtresse d'Henri 111 ; les dou-
bles MM qu'il fit mettre au collier de l'ordre
désignaient son nom, et les deux lettres grec-
ques qu'on appelle delta entreleicées ensemble,
qui dans la rencontre du cercle formaient un
phi gré: pour signifier fulella, devaient ser-
vir d'assurance de cette fidélité qu'il lui avait
jurée, et qu'il ne continua pas longtemps. Les
II qui furent ajoutées aux chiffres des doubles
MM. marquaient le nom du roi, et les fleurs
de lis dans les flammes représentaient le feu
de son amour. Ce qui est donner ainsi une
mauvaise interprétation aux intentions de ce
prince. A la vérité il ne s'est point expliqué
18!)
ESP
sur la signification des chiffres qu'il fit met-
tre au collier ; mais ne peut-ou pas croire
que les douilles delta entrelacés ensemble
qui, par la rencontre du centre, comme dit
le Laboureur, formaient un phi grec pour
signifier fideltu, marquaient la fidélité que
les sujets doivent à leur prince? Les doubles
lambda, qui, selon Favin, désignaient le nom
de la reine, qui s'appelait Louise, ne pou-
vaient-ils pas plutôt signifier la loyauté et
l'hommage que les chevaliers doivent à leur
souverain? Les doubles MM, la magnanimité,
qui est la vertu des héros dont un chevalier
doit faire profession? Et les flammes, ces
langues de feu sous la figure desquelles le
Saint-Esprit descendit sur les apôtres dans
le saint cénacle le jour de la Pentecôte? Ce
qui semble une interprétation beaucoup plus
naturelle que celle des mystères d'amouret-
tes, et qui est entièrement conforme aux
termes de ces lettres patentes, par lesquelles
les chevaliers sont excités à demeurer fer-
mes dans la religion catholique, dans l'a-
mour de Dieu, dans la fidélité à leur roi et
dans la pratique de toutes les vertus, dont
les lettres et les flammes qui composaient le
collier de l'ordre étaient le symbole.
11 se Irouve plusieurs exemplaires des sta-
tuts de cet ordre, différents les uns des au-
tres, et qui ont été tous suivis chacun dans
leur temps. Les derniers qui ont été impri-
més en 1703 et qui sont les plus corrects,
contiennent quatre-vingt-quinze articles, qui
portent , entre autres choses, qu'il y aura
dans cet ordre un souverain chef et grand
maître qui aura toute autorité sur tous les
confrères, commandeurs et officiers, et à qui
seul il appartiendra de recevoir ceux qui en-
treront dans cet ordre. Henri III s'en déclara
chef et souverain grand maître, et unit la
grande maîtrise à la couronne de France,
sans qu'elle puisse en être séparée. Les rois
ses successeurs ne peuvent disposer en façon
quelconque de cet ordre, des deniers qui y
sont affectés, ni disposer d'aucune commen-
de, quoiqu'elle soit vacante, qu'après avoir
été sacres et couronnés; et le jour de leur
sacre et couronnement, ils doivent être re-
quis par l'archevêque de Reims, ou celui qui
fait la cérémonie du sacre, en présence des
douze pairs et officiers de la couronne, de
jurer l'observation des statuts de l'ordre, se-
lon la forme prescrite par les mêmes sta-
tuts, ce qu'ils sont tenus de faire sans en
pouvoir être dispensés pour quelque cause
que ce soit; et le lendemain du sacre, le roi
reçoit l'habit et le collier de l'ordre par les
mains de celui qui le sacre, en présence des
cardinaux, prélats, commandeurs et oftîciers
de l'ordre. C'est pourquoi Henri 111 ordonna
que la forme du serment serait insérée et
transcrite au livre du sacre, avec les autres
serments que les rois sont tenus de faire
avant que d'être couronnés; et comme ce
prince avait déjà été sacré et couronné, il se
réserva la liberté de prêter serment entre les
mains de l'archevêque de Reims ou d'un au-
tre évêque qu'il lui plairait en la première
assemblée de l'ordre qu'il tiendrait
ESP 190
Des mémoires portent que celle assem-
plée se tint pour la première fois le dernier
décembre de l'an 1578. dans l'église des Au-
gustins de Paris. Sa Majesté s'y rendit sur
les deux heures, tous les évêques et abbés
qui avaient été mandés s'y trouvèrent, et pa-
reillement les princes et seigneurs qui de-
vaient être reçus dans l'ordre, tous revêlus
de chausses et pourpoints de toile d'argeut
sous leurs habits ordinaires. Dans le chœur
de l'église, à main droite, on avait dressé un
trône pour le roi, couvert de drap d'or et
d'areent, semé de fleurs de lis, avec un dais
au-dessus de pareille étoffe ; au bas du trône
il y avait des bancs pour les officiers, en la
manière que l'on avait accoutumé d'obser-
ver aux eérémonies des fêtes de l'ordre de
Saint-Michel. A l'entrée du chœur, à main gau-
che de Sa Majesté, étaient placés les prin-
ces et seigneurs qui devaient être faits che-
valiers, selon leur rang; et il y avait d'autres
bancs pour les ambassadeurs et les sei-
gneurs de la cour. Après que les vêpres eu-
rent été chantées par la musique du roi, ce
prince se leva, descendit de son trône, et, ac-
compagné des officiers de l'ordre, alla de-
vant le grand autel, où s'étant mis à genoux,
le grand aumônier, assisté de cinq évêques
et abbés en habits pontificaux, l'un tenant la
vraie croix, et un autre le livre des Evangi-
les, présentèrent à Sa Majesté son vœu et
serment de chef et grand maître souverain
de l'ordre du Saint-Esprit, qu'il prononça
en celle manière : Nous Henri, par la grâce
de Dieu roi de France et de Pologne, jurons
et voilons solemnillement en vos mains à Dieu
le Créateur, de vivre et mourir en la sainte
foy et religion catholique apostolique et ro-
mine, comme à un roi 1res chrestien appar—
Huit, et plustost mourir que d'y faillir : de
maintenir à jamais l'ordre du Saint-Esprit,
fondé et institué par nous, sans jamais le lais-
ser declieoir, amoindrir, ne diminuer, tant
qu'il sera en nostre pouvoir : observer les sta-
tuts et ordonnances dudit ordre, entièrement
selon leur forme et teneur, et les faire exac-
tement observer pur tous ceux qui sont et se-
ront cy-aprés receus eiudit ordre, et par exprés
ne contrevenir jamais ni dispenser, ou essai/o-
de changer, ou innover les statuts irrévoca-
bles d'iceluy. Sçavoir est le statut parlant de
l'union de la grande-maistrise à la couronne
de France : celuy contenant le nombre des car-
dinaux, prélats , commandeurs et officiers :
celuy de ne pouvoir transférer la provision
des commandes , en tout ou en partie, à au-
cun autre sous couleur d'appana/e ou con-
cesson, qui puisse estre. Item celuy par le-
quel nous nous obligeons en tant qu'à nous est,
de ne pouvoir dispenser jamais les comman-
deurs et officiers receus en l'ordre, de com-
munier et recevoir le précieux corps de Nos-
tre-Seigneur Jesus-Christ, aux jours ordon-
nez, qui sont le premier jour de lan, et l«
jour de la Pentecoste. Comme semblablement
celuy par lequel il est dit , que nous et tous
commandeurs et officiers ne pourront estre au'
très que catholiques et gentilshommes '-
races paternelles, ceux qui le don'
IS1
DICTIONNAIRE DES
Item cetuy par lequel nous ostuns tout pou-
voir d'employer ailleurs les deniers affectez
au revenu et entretenemml desdits comman-
deurs et officiers, pour quelque cause et occa-
sion que ce soit, ni admettre audit ordre au-
cuns étrangers, s'ils ne sont naturalisez et re-
gnicoles ; et pareillement celuy auquel est con-
tenu la forme des vœux, et l'obligation de por-
ter toujours la croix aux habits ordinaires,
avec celle d'or au cou, pendante à un ruban
de soye couleur bleue céleste, et l'habit aux
jours destinez. Ainsi le jurons, vouons, et pro-
mettons sur la sainte vraye croix, et les saints
Evangiles touchez. Le roi, après avoir pro-
nonce te vœu, et l'avoir signé de sa main,
fut revêtu du manteau, qui lui fut donné
par celui qui servait de premier gentilhomme
de sa chambre, et le grand aumônier lui mit
le collier au cou, et récita quelques prières,
après lesquelles le roi se leva et descendit
un peu plus bas où était un siège, sur lequel .
il s'assit. Le chancelier de Chiverny se pré-
senta devant Sa Majesté pour être fait che-
valier de cet ordre; il se mit à genoux et
ayant les mains sur les saints Evangi'es, il
fil le serment, et après avoir été revêtu du
grand manteau, le roi lui mit au cou le collier,
cl ainsi des autres officiers et des cardinaux;
le chancelier de Chiverny reçut aussi les
sceaux de l'ordre, qui lui furent donnés par
Sa Majesté. Les officiers étant créés, le pré-
vôt maître des cérémonies, le héraut et
l'huissier, allèrent quérir le plus ancien des
princes et seigneurs qui devaient être faits
chevaliers, et après qu'il eut reçu l'ordre, ils
allèrent prendre les autres de même à leur
rang. Il y eut dans cette première promotion
vingt-huit chevaliers de reçus.
Les rois de France successeurs d'Henri III
ont fait après leur sacre le même serment que
ceprinrefit lorsqu'il reçu lie premier le collier
de l'ordre qu'il avait institué, ou à peu près
semblable, et ont tâchéde donner un nouveau
lustre à cet ordre, dans lequel il doit y avoir
quatre cardinaux et quatre archevêques ,
évêques ou prélats, outre le grand aumônier
de France, qui est commandeur de cet ordre
aussitôt qu'il est pourvu de la charge de
grand aumônier, sans être obligé de faire
preuves de noblesse comme les autres. Tous
ces prélats portent la croix pendante à leur
cou, avec un ruban bleu. Ils sont obligés
d'assister aux fêtes et cérémonies de l'ordre,
les cardinaux avec leurs grandes chapes rou-
ges, et les évêques et prélats vêtus de sou-
tanes de couleur violette, avec un maulclct
de même couleur, un rocliel et un camail, et
sur le mantelel il y a aussi une croix de
l'ordre en broderie. Au jour que l'office se
fait pour les chevaliers décédés, les cardi-
naux portent les chapes violettes, et les pré-
lats sont vêtus de noir. Chacun de ces cardi-
naux et prélats est obligé, le jour de sa ré-
ception, de faire entre les mains du roi ce
serment : Je jure à Dieu et vous promets, Sire,
que je vous sr.ray loyal et fidèle toute ma vie ,
vous reconnoilray, honorer ay et serviroy ,
ORDRES RELIGIEUX. 192
comme souverain de l'ordre des commandeurs
du Saint-Esprit, duqiel il vous plait pré-
sentement m'honorer : gnrderay et observeray
les loix, statuts et ordonnances dudit ordre,
sans en rien contrevenir : en porteruy les
morgues, et en tliray tous les jours le service,
autant qu'un homme ecclésiastique de ma qua-
lité peut et doit faire: que je camparoiimy
personnellement aux jours des solemnitez, s'il
ny a empeschement légitime q.tim'en garde;
comme je donnerai/ avis à Vostre Majesté, et
ne reveleray jamais chose qui soit traitée ni
conclue aux chapitres d'iceluy : que je ferny ,
conseilleray, et procureray tout ce gui me
semblera en ma conscience appartenir à la ma-
nutention, grandeur et augmentation dudit
ordre , prieray toujours Dieu pour le salut,
tant île Vostre Majesté que des commandeurs et
supports d'iceluy, vivons et trépassez. Ainsi
Dieu me soit en aide et ses saints Evangiles.
(Juant aux autres chevaliers et comman-
deurs, nul ne peut être admis dans l'ordre ,
s'il ne fait profession de la religion catholi-
que, apostolique et romaine, s'il n'est gentil-
homme de nom et d'armes de trois races pa-
ternelles pour le moins, et n'ait pour le re-
gard des princes vingt-cinq ans accomplis ,
et trente-cinq pour les autres. D'abord il
suffisait que tous les chevaliers eussent vingt
ans, et c'est un des changements qui ont été
faits aux statuts. Le roi, ayant fait choix des
sujets qu'il veut honorer de cet ordre, les
propose dans le chapitre aux prélats, com-
mandeurs et ofliciers, afin que chacun donne
son avis sur leur réception, et dise en con-
science à Sa Majesté les raisons qui pour-
raient empêcher que quelqu'un des préten-
dants ne fût reçu. S'ils sont trouvés dignes
d'entrer dans l'ordre, on les fait avertir qu'ils
sont reçus, et on leur envoie les commis-
sions nécessaires, tint pour faire faire les
preuves de leur religion, de leur vie et de
leurs moeurs, que de leur noblesse et extrac-
lion ; el les procès-verbaux en ayant été
remis entre les mains du chancelier, ils
doivent faire faire à leurs dépens les habits
de l'ordre, sans être obligés d'en emprunter
pour assister aux cérémonies. Le dernier
jour de décembre est marqué dans les sta-
tuts pour donner l'habit et le collier de l'or-
dre, et la cérémonie s'en doit l'aire après vê-
pres dans l'église des Augustins de Paris,
lorsque le rui est dans celte ville. Aucun
chevalier commandeur n'est admis à l'ordre
du Saint-Esprit, qu'il ne soit aussi chevalier
de celui de saint Michel: c'est pourquoi, la
veille qu'il doit recevoir l'habit et le collier
du Saint-Esprit, il est fait chevalier de l'or-
dre de Saint-Michel. Il se mel à genoux de-
vant le roi, qui le frappe légèrement sur les
épaules avec une épée nue, en lui disant : De
par saint Georges et de par saint Michel je
vous fais chevalier. Le lendemain il se trouve
à l'église avec les autres chevaliers, ayant
l'habit de novice, qui est un habit blanc do
toile d'argent, avec la cape et la loque noi-
re '11. 11 se met encore à genoux devant la
U) Voy.
à la lin du vol., n" 5(>.
ïos
ESP
roi, à qui le chancelier présente lu livre des
Evangiles, sur lesquels le novice tenant le9
mains fait son vœu et serinent en cette ma-
nière : Je jure et voue à Dieu en la face de son
Eglise, et vous promets, Sire, sur ma foi et
honneur, que je vivrai et mourrai en ta foi
et religion catholique, sans jamais m'en dépar-
tir, ni de l'union de notre mère sainte Eglise
apostolique et romaine ; que je vous porterai
entière et parfaite obéissance, sans jamais y
manquer, comme un bon et loyal sujet doit
faire; je garderai, de/fendrai et soutiendrai
de tout mon pouvoir l'honneur, les querelles,
et droits de Votre Majesté royale, envers et
contre tous: i/u'en temps de guerre je me ren-
drai à votre suite enl'équipa je tel qu'il appar-
tient à personne de ma qualité, et m paix,
quand il se présentera quelque occasion d'im-
portance, toutes et quantes fois qu'il vous plai-
ra nie mander pour vous servir contre quelque
personne qui puisse vivre et mourir, sans nul
excepter, et ce jusqu'à la mort: qu'en telles
occasions je n'abandonnerai jamais votre per-
sonne, ou le lieu où ions m'aurez ordonné de ser-
virions votre exprés congé et commandement,
signé de votre propre main, ou de celui auprès
duquel vous m'aurez ordonné d'estre , sinon
quand je lui curai fait apparoir d'une juste et
légitime occasion: que je ne sortirai jamais de
votre royaume spécialement pour aller au ser-
vice d'aucun prince étranger sans votre dit
commandement, et ne prendrai pension, ga-
ges, ou estât d'autre roi, prince, ou potentat
et seigneur que ce soit, ni m'obtigei ai au ser-
vice d'autre personne vivante que de Votre
Majesté seule, sans votre expresse permission :
que je vous révélerai fidellement tout ce que je
saurai ci-après importer à votre service, à l'é-
tat et conservation du présent ordre du Saint-
Esprit, duquel il vous plaît m honorer, et ne
consentirai ni permettrai jamais, en tant qu'à
moi sera, qu'il soit rien innové ou attenté con-
tre le service de Dieu, ni contre votre autorité
royale, et au préjudice dudit ordre, lequel je
mettraipeine d'entretenir et augmenter de tout
mon pouvoir. Je garderai et observerai très
religieusement tous les statuts et ordonnances
d'icelui : je porterai à jamais la croix cousue:
et celle d'or au cou* comme il m'est ordonné
par lesdits statuts ; et me trouverai à toutes
les assemblées des chapitres généraux, toutes
tes fois qu'il vous plaira me le commander, ou
bien vous ferai présenter mes excuses, lesquel-
les je ne tiendrai pour bonnes, si elles ne
sont approuvées et autorisées de Voslre Ma-
jesté, avec l'avis de la plus grande part des
commandeurs qui seront prés d'elle, signé de
votre main, et scellé du scel de l'ordre, dont je
serai tenu de retirer acte.
Après que le chevalier a prononce ce vœu
et sermcnl, le prévôt et maître des cérémo-
nies présente au roi le mantelet de l'ordre,
qui en le donnant au chevalier lui dit : L'or-
dre vous revêt et couvre du mantiau de son
amiable compagnie et union fraternelle , à
l'exaltation denolre foi et religion catholique:
au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Le
gra. d trésorier présente ensuite à Sa Majes-
té le collier, qu'elle met au cou du chevalier,
ESP 194
en lui disant : Recevez de notre main le cot-
liir de notre ordre du benoisl Saint-Esprit,
auquel nous, comme souverain grand maitre,
vous recevons, et ayez en perpétuelle souve-
nance ta mort et passion de Notre-Seigneur
et Rédempteur Jésus-Christ. En signe de quoi
nous vous ordonnons de porter à jamais cousue
en vos habits extérieurs la croix d'icelui, et la
croix d'or ou cou, avec un ruban de couleur
bleue céleste, et Dieu vous fasse lei grâce de ne
contrevenir jamais aux vœux et serment que
vous venez de faire, lesquels ayez perpétuelle-
ment en votre cœur, étant certain que si vous
y contrev nez en aucune sorte, vous serez pri-
vé de cette compagnie, et encourrez les peines
portées par les statuts de l'ordre. Au nom du
Père, du Fils, et du Saint-Esprit. A quoi le
chevalier répond : Sire, Dieu m'en donne la
grâce, et plutôt la mort que jouais y faillir ,
remerciant très humblement Voslre Majesté de
l'honneur et bien qu'il vous a plu me faire ; et
en achevant il haisc la main du roi.
Comme par le serment il est expressément
porté que les chevaliers commandeurs ne
s'obligeront au service d'aucun prince étran-
ger, ce qui ne pouvait être observé par ceux
qui n'étaient pas sujets du roi de France ,
c'est ce qui fil qu'Henri 111 déclara par lo
37" article des statuts qu'aucun étranger,
s'il n'était regnicole et naturalisé dans le
royaume, ne pourrait être reçu dans l'ordre,
ni pareillement les Français qui auraient
déjà quelque autre ordre, excepté celui do
Saint-Michel. Il excepta aussi les cardinaux ,
archevêques etévêques, et pareillement tous
ses sujets qui avec sa permission, ou des
rois ses prédécesseurs, auraient été ou pour*
raient être dans la suite reçus aux ordres do
la Toison d'Or el de la Jarretière.
Mais Henri IV, considérant combien il
était avantageux pour la réputation do
l'ordre du Saint-Esprit et pour le bien du
royaume de France, que les rois, les princes
souverains el les seigneurs étrangers, non
rcgnicojes , fussent agrégés à cet ordre ,
ordonna, par une déclaration du dernier dé-
cembre 16U7, dans l'assemblée générale de
l'ordre qui se tinta Paris, que les rois, les
princes souverains el les seigneurs étrangers
non regnicoles , étanl de la qualité prescrite
par les statuts , pourraient être à l'avenir
chevaliers de cel ordre; qu'à cet efTel on
enverrait un commandeur el chevalier vers
le roi ou prince souverain qui serait élu et
associé à l'ordre, pour lui donner le collier
et la croix el le revêtir du manteau en la
manière qui sérail prescrite par les mé-
moires el instructions qui lui seraient don-
nés; que le roi ou prince souverain ayant
accepte l'ordre, serait tenu d'en remercier le
souverain et grand maître par une personne
qu'il enverrait exprès dans l'année de sa ré-
ception, et qu'à l'égard des seigneurs étran-
gers non souverains, ils seraient obligés de
venir trouver en personne Sa Majesté dans
l'année de leur élection pour recevoir de sa
main le collier et la croix de l'ordre et prêter
lo serment ordonné par les statuts, à moins
qu'ils n'en fussent dispensés. L'an 1G08, ce
prince fit'chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit
don Jean-Antoine Ursin , duc de Sanso-Ge-
inini, prince de Scandriglia etcomte d'Ercole,
et don Alexandre Sforze-Conti, duc de Segni,
prince de Valmuntane. Louis XIV a honoré
de cet ordre plusieurs seigneurs espagnols
et italiens ; il l'envoya aussi en 1676 à Jean
Sobieski, roi de Pologne, et depuis aux deux
princes Alexandre et Constantin , ses Dis.
Pour entretenir cet ordre et donner moyen
aux cardinaux, prélats et commandeurs de
se maintenir honorablement selon leur état,
Henri 111 voulut qu'il y eût un fonds de six
vingt mille écus pour être partagés et payés
tous les ans en plein chapitre, selon l'état
qu'il en ferait. 11 voulut aussi que cet ordre
ne fût composé que de cent personnes outre
le souverain, auquel nombre seraient com-
pris les quatre cardinaux et les cinq prélats,
le chancelier, le prévôt maître des cérémo-
nies , le grand trésorier et le greffier, sans
que ce nombre pût être augmenté, ni qu'à
la mort de quelques-uns des prélats ou
officiers l'on pût remplir leurs places que
par d'autres de la même qualité. Outre ces
quatre officiers, qui sont chevaliers ou com-
mandeurs, et qui portent la croix cousue sur
leurs habits et une autre d'or attachée à un
ruban bleu comme les autres chevaliers , il
y en a encore quatre autres , qui sont un
intendant, un généalogiste, un héraut et uti
huissier , qui portent seulement la croix
attachée à un ruban bleu à la boutonnière
de leur justaucorps. Ces offices d intendant,
de héraut et d'huissier sont du temps de
l'institution de l'ordre, et il en est fait men-
tion dans les statuts; mais l'office de généa-
logiste pour dresser toutes les preuves et les
généalogies des chevaliers fut créé l'an 1595.
Clairambaut, qui fut pourvu de cette charge,
a fait un recueil de plus de cent cinquante
volumes in-folio manuscrits concernant
l'Histoire de l'ordre et les généalogies de
tous les chevaliers , depuis leur institution
jusqu'à présent, et plusieurs autres volumes
concernant les autres ordres militaires.
Outre ces officiers, il y a les trésoriers et
contrôleurs généraux du marc d'or, ciéés à
l'instar du héraut; ils en portent la croix et
jouissent des mêmes privilèges. Le droit du
marc d'or est une espèce d'hommage et de
reconnaissance que les officiers du royaume
rendent au roi lorsqu'ils sont pourvus de
leurs offices. Henri 111 fut le premier qui,
par une déclaration du 7 décembre 1582,
ordonna que les deniers qui proviendraient
de ce droit seraient affectes ei hypothéqués
au payement des frais de l'ordre, auquel, par
une autre déclaration du 7 décembre de
l'année précédente , il avait encore accordé
le cinquième des dons et aubaines , confisca-
tions, amendes, lots et ventes, rachats et
autres droits seigneuriaux. Ce prince avait
affecté ces deniers à l'ordre pour remplir en
partie les six vingt mille écus par an qu'il
lui avait assignés d'abord. Les trésoriers des
parties casuelles mettaient entre les mains
du grand trésorier de l'ordre ce qui pouvait
revenir du cinquième des dons et aubaines,
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 196
amendes et autres droits seigneuriaux, elle
commis du même trésorier de l'ordre fut
chargé de la recette du droit du marc d'or.
Mais Louis XIII , l'an 1628, créa trois rece-
veurs généraux du marc d'or, qui devaient
jouir des mêmes honneur-* , prééminences ,
privilèges, franchises et immunités, que le
héraut et l'huissier de l'ordre du Saint-Esprit.
Ce prince, par un arrêt du conseil du mois
d'octobre de la même année, augmenta en
faveur de l'ordre le droit du marc d'or, et
ordonna que tous ceux qui obtiendraient
des dons de Sa Majesté à l'avenir, seraient
tenus d'en payer le dixième denier entre les
mains des receveurs du marc d'or. Par une
déclaration du h- décembre 1634, il ordonna
que, sur la recette du mare d'or, les cardinaux,
prélats, chevaliers et officiers de l'ordre se-
raient payés de la somme de trois mille livres
de pension par chacun an sur leurs simples
quittances à la fin de l'année, nonobstant
que, par le 38" article des statuts , il fût dit
qu'ils devaient éire payés tous les ans en
auquel article Sa Majesté
plein chapitre.
dérogeait, attendu que les chapitres ne se
tenaient pas régulièrement sur la fin du mois
de décembre, comme il est porté par le 17'
article desdits slatuls, et même qu'il ne s'en
était point tenu depuis plusieurs années tant
sous le règne d'Henri IV, son prédécesseur,
que sous le sien, sinon pour les promotions
qu'on avait faites pour remplir les places
des chevaliers décédés. Louis XIV augmenta
du double le droit du marc d'or l'an 1656, et
le céda pour toujours et à perpétuité à
l'ordre du Saint-Esprit pour lui tenir lieu du
fonds qui lui avait été promis dès le temps de
sa fondation. 11 supprima les offices de rece-
veurs généraux du marc d'or, permit à
l'ordre d'établir pour la recette de ce droit
tels receveurs , contrôleurs et officiers qu'il
jugerait à propos, et ordonna que le môme
ordre loucherait par an, sur la recette de la
généralité de Paris, vingt mille livres, pour
les intérêts de deux cent mille livres d'une
part qu'il avait prêtées à Sa Majesté, et deux
cent mille livres d'autre qu'il avait fournies
à Louis XI II pour les besoins de l'Etat. Par
un autre édit de la même année, le roi, sui-
vant ce qui avait été résolu au chapitre tenu
au Louvre, ordonna l'aliénation de la moitié
du droit du marc d'or, avec faculté à l'ordre
de racheter cette moitié aliénée en rendant
le prix de l'aliénation, et qu'après le rachat
elle demeurerait réunie à l'ordre sans en
pouvoir être démembrée ni employée ailleurs
qu'à l'entretien de l'ordre; et par le même
édit Sa Majesté créa deux trésoriers généraux
et deux contrôleurs généraux du marc d'or,
auxquels il accorda les mêmes honneurs,
privilèges, franchises et immunités, dont
jouissait le héraut, et jusqu'à présent ils ont
clé maintenus dans leurs di oits par plusieurs
arrêts du conseil. Ils prêtent serment entre
les mains du chancelier de l'ordre et rendent
compte au grand trésorier.
Quant aux privilèges dont jouissent les
cardinaux, prélats, chevaliers et officiers de
cet ordre , Heuri 111 , par les statuts , les
!;J7 ESP ESP |S8
exempta i!e contribuerait ban et arrière-ban quelque lieu qu'ils se trouvassent, ils por-
du royaume, de payer aucun rachat , lot , tassent ie collier de l'ordre pendant la messe
vente, quint et rcquint, tant des terres qu'ils et la communion : ce qu'ils doivent faire
vendraient que de celles qu'ils pourraient aussi aux quatre fêles annuelles, quand Sa
acheter, et voulut qu'ils eussent leurs causes Majesté va à la messe, aux processions gé-
commises aux requêtes du palais à Paris ; et, nérales, et ;iux actes publics qui se font aux
par un édit du mois de décembre 1380, il églises.
ordonna qu'ils seraient francs et exempts de Celle des Augustiiis de Paris fut choisie
tous em prunts, s ubsiil es, impositions, péages, par ce prince pour y célébrer le premier jour
travers, passages, fortifications, gardes et de janvier la fête de l'ordre, à moins que le
guets de villes, châteaux et forteresses : ce roi ne soit absent de cette ville. Cette céré-
qui a été confirmé dans la suite par les décla- monie commence la veille de ce jour-là à
rations d'Henri IV l'an 1599, et de Louis XIV vêpres, où les cardinaux, prélats, chevaliers
l'an 165S, en vertu desquelles les chevaliers et officiers de l'ordre doivent accompagner le
ont été maintenus et conservés dans les souverain depuis son palais jusqu'à l'église,
mêmes privilèges, dont leurs veuves jouis- L'huissier marche devant, le héraut après;
sent pareillement. Un des privilèges dont les ensuite le prévôt, ayant à sa droite le grand
prélats, chevaliers et commandeurs jouissent trésorier, et à sa gauche le greffier, et le
aussi , est d'avoir l'honneur de manger avec chancelier seul après eux. Puis marchent
le roi à la même laide aux jours de cérémo- les chevaliers, deux à deux, selon le ran" de
nies de l'ordre. Henri III, par l'article 7 A* leur réception, et ensuite le souverain et
des statuts, avait ordonné que ces jours-là le grand maître, qui est suivi par les cardinaux
prévôt, le grand trésorier et le greffier dîne- et prélats de l'ordre. Les chevaliers sont
raient à une table à part; mais Henri IV, vêtus de longs manteaux de velours noir
considérant que ces trois officiers sont aussi semés de flammes d'or et bordés tout autour
chevaliers et qu'ils ont les mêmes marques du collier de l'ordre. Ce manteau est garni
d'honneur que les autres, ordonna l'an 1G03 d'un mautclct de toile d'argent verte, entouré
qu'ils mangeraient aussi à sa table et se- aussi du collier de l'ordre en broderie. Le
raient assis immédiatement après le chance- manteau et le mantelet sont doublés de satin
lier, ce qui fut exécuté à toutes les promo- jaune orangé. Les manteaux se portent re-
lions; mais à celle qui se fil l'an 1GG1 il y troussés du côlé gauche, et l'ouverture est
eut de la contestation sur ce sujet. Les che- du côté droit. Sous ces manteaux ils ont des
valiers se plaignirent au roi de ce que les chausses et pourpoints de salin blanc, et
officiers prétendaient mangera sa labié con- pour couvrir leur léte une loque de velours
tre les statuts, qui le défendent et qui ordon- noir avec une plume blanche (1); à l'égard
nenl qu'ils mangeront en un lieu à part avec des officiers, le chancelier esl velu comme
le héraut et l'huissier. Les officiers en de- les chevaliers. Le prévôt, le grand trésorier
meuraienl d'accord , mais ils prétendaient et le grelfier ont aussi des manteaux do
manger à la table du roi en conséquence de velours noir et le mantelet de toile d'argent
la déclaration d'Henri IV. Le roi ordonna verte; mais ils sont seulement bordés de
qu'avant la prochaine cérémonie les officiers flammes et d'une petite frange d'or, et por-
lui représenteraient l'original de la déclara- lent la croix cousue sur leurs manteaux et
tion d'Henri IV, faute de quoi il voulait que le une autre croix d'or pendue au cou. Le hé-
slalut fût observé. Et cel original n'ayant pu raut et l'huissier ont des manteaux: de satin
être représenté, il n'y eut que le chancelier noir et le mantelet de velours vert. Ils ont
qui dîna à la table du roi avec les chevaliers, la croix de l'ordre pendue au cou; mais
Henri III ne se contenta pas de distinguer celle de l'huissier esl olus petite que celle du
ainsi par ces marques d'honneur <t ces pri- héraut.
viléges les chevaliers de l'ordre du Saint Le lendemain de leur réception ils vont
Esprit, il voulut aussi qu'ils se distinguas- entendre la messe revêtus des mêmes habits,
sont par la piété. C'est pourquoi il les exhorta et le roi à l'offertoire offre un cierge où il y
d'assister tous les jours à la messe et les a autant d'écus d'or qu'il a d'années. Apres
jours de fête à la célébration de l'office la messe les chevaliers accompagnent Sa
divin. Il les obligea à dire chaque jour un Majesté dans le lieu où il doit dîner el man-
chapelet d'un dixain, qu'ils doivent porter gent avec lui. Ils retournent l'après-dinée à
sur eux ; l'office du Saint-Esprit avec les l'église pour assister aux vêpres des morts,
hymnes et oraisons comme il est marqué et pour lors ils ont des manteaux et mante-
dans le livre qu'on leur donne à leur récep- lets de drap noir, et le roi un manteau violet,
lion , ou bien les sept psaumes de la péni- Le troisième jour ils vont encore à l'église
lencej avec les oraisons qui sont dans le pour y assister au service que l'on y fiit
même livre; el, n'y satisfaisant pas, de don- pour les chevaliers dêcédés. A l'offertoire de
ner une aumône aux pauvres. Il leur or- la messe le roi et les chevaliers offrent chà-
donna de plus de se confesser au moins deux cun un cierge d'une livre. Maison n'a pas
fois l'an et de recevoir le précieux corps de vu de cérémonie complète depuis l'an 1G(J2.
Nutrc-Seigneur Jésus-Christ le premier jour II se fait tous les ans, le jour de la Purifica-
de janvier et à la fête de U Pentecôte, vou- lion et le jour de la Pentecôte, une procession
laut que les jours qu'ils communieraient, en où le roi assiste avec tous les prelals et
(1) Votj., a la fin du vol., n° 57.
mo
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
chevaliers, et la messe est ensuite célébrée
par un prélat de l'ordre. Henri III destina
les offrandes qui se font dans les grandes
cérémonies pour les religieux du couvent
des Augustins, et obligea chaque chevalier, à
sa réception , de donner dix écus d'or pour
eux au grand trésorier de l'ordre. Ce prince
leur donna aussi mille livres de rente pour
dire tous les jours deux messes, l'une pour
la prospérité et santé du souverain et des
prélals, chevaliers et officiers de l'ordre, et
l'autre pour les défunts; et, dans le chapi-
Ire qui se tint à Paris l'an 1580, il fut arrêté
que chaque chevalier qui serait trouvé sans
sa croix payerait pour chaque fois dis écus,
et, si c'était un jour de chapitre, cinquante
écus, qui seraient aussi donnés par aumône
aux Augustins.
Celle cérémonie de l'ordre, qui, selon les
statuts, se doit faire dans l'église des Augus-
tins, est peut-cire ce qui a donné lieu à
l'abbé Giustiniani de dire que cet ordre avait
é'ë soumis à la règle de S ii:it-Augustin par
le pape Grégoire XIII, qui, selon lui , l'ap-
prouva : en quoi il a été suivi par Schoone-
beck, qui ajoute qu'Henri IV obtint du pape
que toutes les rentes et les revenus de l'ordre
seraient convertis en commanderies, et qu'il
envoya même un ambassadeur à Rome pour
remontrer à Sa Sainteté que cet ordre avait
été institué pour la propagation de la foi
catholique et pour l'extirpation des hérésies,
et que les chevaliers s'y engageaient par
serment. Il est vrai que ce prince fit repré-
senter au pape Paul V, l'an 1608, que les
chevaliers et ofOciers de l'ordre s'engageant
par voeu et serment d'en observer les statuts,
et que ces statuts défendant d'y admettre les
étrangers non regnicoles et ordonnant à
tous les chevaliers de communier aux jours
de cérémonies et à la réception des cheva-
liers, il priait Sa Sainteté de dispenser en ces
deux points de ce vœu et serment, en ce que
l'ordre étant établi pour l'exaltation et la
propagation de la foi catholique, il était
avantageux de l'étendre dans les pays étran-
gers; et qu'à l'égard de la communion que
les chevaliers doivent faire les jours de cé-
rémonies et à la réception des autres che-
valiers, il était plus convenable de la remet-
tre à un autre jour, à cause que dans ces
jours de fête et de cérémonies l'embarras
et le tumulte leur rouvait causer plus de
distraction que de dévotion : c'esl pourquoi
ce pontife, par un bref du 16 février 1008,
dispensa les chevaliers de leur vœu et ser-
ment, pour ces deux articles seulement, en
permettant de recevoir des étrangers non
regnicoles, et en déclarant que les chevaliers
satisferaient aux statuts, pourvu qu'ils com-
muniassent un des jours de l'oct ive qui pré-
céderait les cérémonies de l'ordre ou la
réception des chevaliers; et, par un autre
bref, du 17 avril de la même année, il per-
mit à Henri IV de faite tel changement aux
statuts qu'il trouverait à propos pour le bien
et l'avantage de l'ordre : ce qui autorisa ce
prince dans quelques changements qu'il y
avait déjà faits : car dès l'année précédente
il avait donné la déclaration dont nous avons
parlé, pour admettre les rois, princes el sei-
gneurs étrangers, avait fait ôler, l'an 1597, les
chiffres qui étaient sur les grands colliers, et
y avait fait meltre à la place des trophées
d'armes; avait déclaré qu'aucun bâtard ne
pourrait être reçu dans l'ordre, sinon ceux
des rois reconnus et légitimés. L'an 1001, à
la naissance du dauphin de France, qui lui
succéda sous le nom de Louis Mil, il lui
avait donné la croix de l'ordre, et le cordon
bleu; el l'an 1607 il avait fait assembler les
prélals, chevaliers et ofGciers de l'ordre,
pour leur déclarer qu'il voulait donner la
croix et le cordon bleu à son Dis le duc
d'Orléans, comme il avail fait au dauphin,
et à l'avenir à tous ses enfants mâles qui
naîtraient en légitime mariage, étant en bas
âge, pour les faire connaître à tout le monde
par celte marque d'honneur ; ce qui a été
pratiqué jusqu'à présent par ses successeurs.
Quant à ce que Schoonebeck dit encore,
qu'Henri IV obtint du pape que toutes les
renies et les revenus de l'ordre seraient
convertis en commanderies, il y a plusieurs
écrivains qui disent au contraire que ce fut
Henri III qui voulut attribuer aux prélats,
chevaliers el of.iciers, des commanderies sur
les bénéfices; mais que le pape et le clergé
n'y ayanl pas voulu consentir, ce prince leur
assigna à chacun une pension, qui a été ré-
duite à mille écus, comme nous avons dit,
el le roi reçoit sa distribution sur l'évalua-
tion des anciens écus d'or, qui monte à six
mille livres.
On peut excuser le même Schoonebeck,
comme étranger, d'avoir avancé qu'au lieu
des H qu'Henri III fit meltre au collier, j
l'on voit aujourd'hui des L, qui signifient
Louis : mais Herman, qui dit la même chose,
ne pouvait pas ignorer qu'il n'y a point d'L
au collier, et que les H n'en ont point été
ôtées : au contraire, dans le chapitre qui se
tint le 31 décembre 1619, où Louis X1I1 était
présent, il fut arrêté que les H demeure-
raient à perpétuité sur les broderies des
manteaux et mantclets, et sur les colliers d'or
des chevaliers, en mémoire d'Henri 111, fon-
dateur de l'ordre, et du roi Henri IV, second
chef et souverain grand maître du même or^
dre. Ce collier doit être du poids de deux cents
écus ou environ, et ne peul être jamais orné
de pierreries. Lorsqu'un chevalier meurt,
ses héritiers le doivent renvoyer au roi. 11 n'y
a présentement que les cardinaux, les pré-
lals et les officiers qui sont de robe, qui
portent la croix pendue au cou, attachée à
un ruban bleu lar^e de quatre doigts; tous
les chevaliers la portent aussi attachée à un
ruban bleu en éi harpe, depuis l'épaule droite
jusqu'à la garde de l'épée. Celte croix est
d'or émailiée de blanc, chaque rayon pommelé
d'or; une fleur de lis d'or dans chacun des
angles de la croix, et dans le milieu d'un
côte une colombe, et de l'autre un saint Mi-
chel. Les cardinaux et prélats portent la
colombe des deux côtes de la croix, n'élaot
seulement que commandeurs de l'ordre du
Saint-Esprit. Toutes les expéditions el pro-
su
ESP
ESP
2(12
visionsconcernaïucct ordre sonl scellées par
le chancelier en cire blanche.
Le Laboureur, Additions aux mémoires de
Çaslelnau. Favin, Théâtre d'honneur et de
chevalerie. Bernard (iiustini mi , Sis t. di
iull. gli Ord. milit. Schoonebcck, llist. des
(Juins Militaires. Herman, Hist. des Ordres
de Chevalerie. Du Chêne et Haudicquer, lie-
durcîtes historiques de l'Ordre du S aini- Es-
prit. Les Statuts de cet ordre imprimés en
1703, et Manuscrits de Brienne à la biblio-
thèque du roi, vol. 274.
£p 1708, le roi Louis XV fil réwscr par un
des prélals de l'ordre du Saint-Kspril l'office
à l'usage des chevaliers, et soumit le travail
à tous les prélats dudil ordre, qui t'approu-
vèrent* el cet office fui réimprimé avec luxe.
Les chevaliers du Saint-Esprit le récitent
tous les jours, ou bien les sept psaumes de
la pénitence. Nous supposons, ea parlant
ainsi , que les membres vivant encore rem-
plissent une obligation qu'ils ont contractée
devant Dieu et leur roi, en recevant les insi-
gnes de cet ordre aujourd'hui supprimé par
le fait. A la restauration des Bourbons ,
Louis XVUI ne fil pas lout ce qu'il aurait
dû prudemment faire pour ramener les usa-
ges des temps d'honneur et de loyauté. Sous
ce rapport, les choses prirent une face exlé-
rieure plus consolante ou plus animée sous
Charles X.
Le lundi 30 mai 1825, lendemain du sa-
cre de ce monarque, il y eut dans la cathé-
drale de Reims une réception solennelle des
chevaliers et commandeurs des ordres du
roi, ce qui n'avait pas eu lieu depuis plus de
trente-cinq ans. Deux trônes étaient élevés,
l'un dans le sanctuaire , l'autre dans le
chœur. Avant la cérémonie, M. le dauphin
reçut d'abord chevaliers de l'ordre de S.iinl-
Michel , conformément aux statuts , tous les
chevaliers qui allaient être reçus membres
de l'ordre du Saint-Esprit. Cette réception
faite, le roi Charles X arriva processionnel-
lement à la cathédrale pour tenir chapitre
des ordres. S. M. portait la dalmatique , le
manteau et le grand collier de l'ordre du
Saint— lisprit. Les chevaliers qui devaient
être reçus marchaient sur deux rangs, pui;
les chevaliers reçus, les princes , le roi en-
touré des grands officiers de sa maison el
des commandeurs ecclésiastiques, MM, lei
cardinaux de la Fare, de Croï el de Cler-
mont-Tonnerre , l'archevêque de Reims et
l'abbé de Monlesquiou (l'archevêque de Bor-
deaux élail absent, mais il était néanmoins
eommand ur de l'ordre). Le roi assista aux
vêpres assis sur son trône du chœur. Après
les vêpres il se rendit à son Irone du sanc-
tuaire. Un fauteuil y avait élé aussi préparé
pour l'archevêque de lleims officiant, qui
entonna le Vent, Creator. Les commandeurs
ecclésiastiques furent reçus les premiers;
ils prêtèrent le serment, à geuoux devant le
roi , furent revêtus par lui du cordon bleu,
reçurent de ses mains le livre d'office et le
iixain ; ils baisèrent ensuite la maindeSa .Ma-
jesté. Les chevaliers laïques furent reçus en-
îuiteavec le même cérémonial. lis étaient au
DlCT.ONXAIiîE VJE5 ORDRES RELIGIEUX. II.
nombre de trente-six, dont deux étrangers,
le prince de Caslcl-Cicala et le «lue de San-
Carlos; ces deux-ci prèlèrent un serment
particulier. On chanta alors Compiles, pen-
dant lesquelles le roi el tous les membres de
l'ordre restèrent assis et couverts. Il n'y
avait eu jusqu'alors de reçus dans l'ordre du
Saint-Esprit que les trois princes existant à
celle époque, savoir : M. le dauphin, M. le
duc d'Orléans el M. le duc de Bourbon ; et
encore le duc de la Rochefouoault et le duc
de la Vauguyon. Le dimanche de la Pentecôte
de l'année suivante (1820), le roi fit une nou-
velle réception de serments et de chevaliers
dans la chapelle des Tuileries. Le duc de
Chartres (mort depuis si misérablement dans
la rue de la Révolte) élail le premier. Ce
jour-là il prêta solennellement le serment do
fidélité à Charles X, comme l'avait lait pré-
cédemment le duc d'Orléans, son père, à
Louis XVUI. En 1827, à pareil jour, il y eut
aussi chapitre de l'ordre et réceptions nou-
velles. Le roi, dans le cours de l'année, nom-
mail quelquefois aux dignités de l'ordre, et
les réceptions se faisaient le jour de la Pen-
tecôte. Ainsi eurent-elles lieu le dimanche
de la Pentecôte, 30 mai 1830. Comme celte
cérémonie a été la dernière, nous en parle-
rons ici avec quelques détails. Le roi Char-
les X , comme grand maître de l'ordre du
Saint-Esprit, tint , à 11 heures du malin,
dans son cabinet, un chapitre dudit ordic.
M. de Quélen , archevêque de Paris, qui, a
l'occasion du sacre, n'avait reçu aucune la-
veur, et M. l'archevêque de Bordeaux y fu-
rent nommés commandeurs ecclésiastiques.
S. M. soriit ensuite de ses appartements, et
la procession qui se fait ce jour-là eut lieu.
Le roi était précédé des chevaliers de ses
ordres el des chevaliers non reçus qui de-
vaient recevoir les insignes; ceux-ci étaient
MM. les princes de Polignac et de Broglie
(M. de Polignac est resté fidèle à son souve-
rain), les marquis d'Ecquevilly, de Vérac el
de Conllans, et les comtes de Durfort, Roy,
Reille, Rordesoulle et de Cossé. Tous accom-
pagnèrent le roi jusqu'au trône qui avait
élé érigé dans la chapelle. M. l'évêque de
Metz officia. Après la messe, le roi se plaça
sur un trône, à gauche de l'autel. Le chan-
celier de l'ordre lut la formule du serment.
Leduc de Nemours, fils du duc d'Orléans,
que la bonté de Charles X avait élevé au
rang d'altesse royale, et qui, quelques se-
maines plus lard, prenait, avec le litre de
roi des Français, la couronne des mains des
députés, le duc de Nemours, après s'être mis
à geuoux au pied du trône, prêta le serment
entre les mains du roi, qui le revêlit des in-
signes de l'ordre. Le même cérémonial fut
observé pour les chevaliers non reçus, et le
roi fut ensuile reconduit à ses appartements
avec le même cortège. On avaii fait pour
cette solennité, au château des Tuiler.es,
des préparatifs que nous avons vus nous-
môme. B-d-e
ESPRIT (Ordre du Saint).
§ f ". De l'ordre du Saint-Esprit, appelé de
DICTIONNAIRE DES Oi'.DKES KELIGIEUX.
20A
203
Monlpeuxer en France , et in Sassia en
Italie.
La plupart des anciens historiens qui nous
ont donné la vie de sainte Marthe l'ont ac-
compagnée de tant de fails apocryphes et
contraires à la vérté de l'histoire, qu ils se
sont rendus suspects el n'ont mérite aucune
créance. On peut dire la même chose d Oli-
vier de la Trau, sieur de la Terradc, qui se
qualifie archihospitàlier général et grand
maître de l'ordre, milice et religion du Saint-
Esprit, qu'il prétend avoir été fonde par
cette sainte, et qui , dans un discours tou-
chant la fondation de cet ordre, qu ''adressa
en 1629 à la reine de France Marie de Medi-
cis, qu'il appelle la restauratrice de cet or-
dre, y a inséré un abrégé de la vie de sainte
Marthe, où il a enchéri sur tout ce que 1 on
on avait avancé de fnbu'eux, en y ajoutant
des circonstances qui le sont encore davan-
tage.
Il a cru que ce n'était pas assez d avoir-
fait remonter l'antiquité de cet ordre jusqu a
sainte Marthe, mais qu'il fallait encore mon-
trer comme il avait toujours subsisté depuis
ce lomps-là. 11 cite pour cet effet une bu e
de Léon X du 10 janvier 1519, par laquelle
ce <ape reconnaît qu'il subsistait du temps
de Jean !1I , l'un de ses prédécesseurs. Il
suppose qu'un certain Guillaume de Fon-
taine-Claire, général et grand maître de cet
ordre, étant allé de Montpellier en Espagne
pour y faire sa visite, s'attira l'estime de
Ferdinand l ', roi de Caslille, qui, ayant ob-
tenu par ses prières et par celles des reli-
gieuses du Saint-Esprit de Salamanque, une
victoire complète sur les Maures, donna a
ces religieuses la commanderie d'Alalaia et
de Palomera, appartenant à l'ordre de Saint-
Jacques, suivant le voeu qu'il en avait fait,
et il rai porte tout au long en langue cas-
tillane la donation qui en fui faite par ce
prince en d.te du 15 novembre 1030.
11 fait ensuite lenir un chapitre général à
Montpellier au mois d'août 1032, indique
parce Guillaume de Fontaine-Glaire, a la
sollicitation d'Antoine Ferez, son vicaire gé-
néral et officiai, et de Jean de Hochelorl,
grand prieur d- la province d'Aquitaine, ou
l'on cita personnellement don Ferdinand de
Cordoue , grand prieur de la province de-
Galice, pour y venir rendre compte de ce qui
s'était passé au chapitre provincial de cet
ordre tenu à Salamanque au mois d'août
1031. Enfin il cite des lettres patentes accor-
dées par Henri 11, roi de France, a l'hôpital
de Montpellier, par lesquelles il parait que
cet hôpital est le premier de la chrétienté;
qu'il a été fondé par un de nos rois qui alla
à «orne, où, à la sollicitation du pape qui gou-
vernait pour lors l'Eglise , il fonda en telle
ville un autre hôpital sous le nom du saint-
Esprit.
Voilà les principales preuves que la Trau
de la Tcrrade apporte pour prouver l'anli
Huile el la continuation de son ordre. Mais
Mariana et Turqiret, dans leurs Histoires
«l'Espagne, prétendent que le privilège ac-
cordé aux religieuses du monaMère du Saint-
Esprit de Salamanque, l'an 103rt-, par le roi
Ferdinand , et non pas l'an 1030. comme le
dit la Terrade, est faux et contrefait, parce
qu'il est écrit en langue castillane moderne,
et que l'on y compte l'année depuis la nais-
sance de Notre-Seigneur , ce qui ne peut
être puisque tous les actes, tous les titres et
les lettres se faisaient en latin , et que l'on
comptait depuis l'ère de César ; outre qu'on
y donne à don Ferdinand le titre de grand
seigneur de Biscaye et de roi de Léon, ce qui
en montre plus évidemment la fausseté ,
parce qu'il n'a jamais été roi de Léon, et
par conséquent ne pouvait accorder aucun
privilège à ce monastère de Salamanque, qui
a été sous la juridiction de Léon, où en l'an
103k , qui est la véritable date de ce pré-
tendu privilège, régnait don Bermond M.
Les autres preuves que ceux qui prenaient
la qualité de chevaliers de cet ordre ont ap-
portées pour en faire voir l'antiquité, et que
dans son origine il était militaire (lorsqu'on
leur a disputé cette qualité) , ne sont pas
meilleures; car ils ont prétendu que saint
Lazare, frère de sainte Marthe et de sainte
Marie-Madeleine, en avait été le premier
général ou grand maître. Ils se som imagi-
né que sainte Marie-Madeleine avait aussi
fondé plusieurs maisons de cet ordre ; de
sorte que Lazare et ses sœurs, occupés aux
saints exercices de l'hospitalité, recevaient
gratuitement les pèlerins qui venaient à Jé-
rusalem pour y adorer les sacrés vestiges
du Sauveur du monde , il que celle société
s'étant augmentée par un grand nombre de
personnes qui en y entrant consacraient
leurs biens au service des hôpitaux, il
s'en forma un ordre militaire pour assurer
les chemins aux pèlerins qui venaient à Jé-
rusalem.
Mais sur quelle autorité appujaienl-ils
leuis prétentions? Sur celle d'un ancien
bréviaire de l'an 1553, où, dans l'une des le-
çons de la fête de sainte Marthe, il est dit
que pendant que Madeleine s'appliquait en-
tièrement à la dévotion et à la contempla-
tion, Lazare s'adonnait davantage à l'exer-
cice de la guerre, et que Marthe, qui élaitlort
prudente, prenait le soin des affaires de sou
frère et fournissait aux soldats et aux do-
mestiques ce qu'ils avaient besoin : Dum
autem Magdalena devolioni et contemplation
se totam exponeret, Lazarus r/uuque plus mi-
litice tacarel , Marlha prudens et sororis el
fratris partes slrenue gubernabiit el milit<0u<
ac famulis sedule minùtrabat. Ainsi ils
avaient cru trouver dans les mots de militiœ
et militibus l'origine de leur milice. Mais les
hisloires qui se trouvent dans les bréviaires,
principalement dans les anciens , ont-elles
toutes de la certitude? el les changements
qui ont été faits tant de fois dans les légen-
des contenues dans les bréviaires, ne sont-
cc pas des preuves que l'on y recevait an-
ciennement le vrai comme le faux , et que
ces légendes étai. ni pleines de quantité de
fables qui avaient comme étouffé la sincérité
de l'histoire?
205 ESP
M. de Blégny, qui prend la qualité de
commandeur el d'administrateur général de
cet ordre, dans un projet d'Histoire des re-
ligions militaires qu'il donna en 1G 14 et qui
n'est proprement que pour faire voir l'anti-
quité de l'ordre militaire du Saint-Esprit,
cite aussi pour preuve de son antiquité un
de ces anciens bréviaires de l'an 1514- où il
est parlé de Lazare comme chef d'une milice;
et , après avoir fixé la première époque de
l'établissement de cet ordre sur l'autorité de
ce bréviaire : Lazare, dit-il, étant arrivé en
France , se proposa de remettre sur pied le
corps de milice qu'il avait commandé à Jéru-
salem, et fit prendre les armes à ceux de sa
congrégation qui portaient sur leurs habits
une croix blanche de trois parties, dont ta
principale, qui était l'arbre ou le tronc, re-
présentait Lazare comme chef de leur compa-
gnie, et les deux autres , qui étaient les tra-
verses ou croisons, désignaient les deux sœurs
comme personnes subordonnées. Les pèleritis
exposés par de longs voyages devaient à leur
vigilance la sûreté qu'ils trouvaient sur tes
chemins et le secours qu'ils trouvaient dans
les hôpitaux. Cet ordre devint si célèbre, qu'il
s'étendit bientôt dans les pays étrangers. Il
vassa premièrement dans le royaume de Na-
ples, où ces hospitaliers s'établirent à Pouz-
toles, et ensuite à Rome.
Les titres de l'ordre n'ont pas apparem-
ment conservé à M. de Blégny tous les noms
des premiers généraux successeurs de La-
zare, car il passe tout d'un coup à l'année
493, en laquelle il dit que Luc de Brisquel
était général; qu'il eut pour successeur en
498 Cécile de Mondragon; qu'à celui-ci suc-
céda Lucale Feirat, el que-ce fut à Jérôme de
Trécis, qui fut établi général en 573, que le
pape Jean III adressa une bulle. L'on est
déjà assrz convaincu que toute l'antiquité
que prétendaient les chevaliers était imagi-
naire; mais cette bulle, adressée par Jean III
a ce prétendu grand maître en 573, en est
une preuve , puisque ce pape était mort en
572. Nous ne suivrons pas les chevaliers
dans toutes leurs autres prétentions sur celte
antiquité, qui nous conduiraient trop loin.
Elles étaient si peu raisonnables et les titres
dont ils se prévalaient élaienl si manifeste-
ment faux , qu'il y a lieu de s'étonner qu'ils
les aient même produits, lorsqu'en 1(393 les
Chanoines Réguliers de cet ordre leur dispu-
tèrent cette qualité de chevaliers, comme
nous dirons il ms la suite.
En effet ces Chanoines Réguliers ont tou-
jours considéré celle antiquité de leur ordre
comme imaginaire, et n'ont jamais reconnu
d'autre fondateur que Guy de Montpellier.
H était Dis de Guillaume, seigneur de Monl-
pellier et de Sibylle, el il bâtitdans celte ville,
sur la On du douzième siècle, un célèbre hô-
pital pour y recevoir les pauvres malades.
Son insigne charité le rendit très-recom-
mandable: il procura de grands biens à son
nouvel établissement; il associa avec lui
d'autres personnes pour en avoir soin et
assister les pauvres de leurs biens. Son
ordre s'étendit en peu de temps en plusieurs
ESP
206
endroits, comme il parait par la bulle i!u
pape Innocent 111 du 23 avril 1198, qui, en
confirmant cet ordre, fait le dénombrement
des maisons qu'il avait déjà, dont il y en
avait deux à Rome, l'une au delà du fibre,
et l'autre à l'entrée de la ville sous le nom
de Sainie-Agalhe ; une autre à Bergerac,
une à Troyes, et d'autres en différenls lieux.
Comme ils étaient tous laïques, et qu'il n'y
avait aucun ecclésiastique parmi eux , le
même pontife avait le jour précédent écrit a
tous les archevêques, évêques el prélats de
l'église, pour les prier que s'il se trouvait
quelques personnes pieuses de leurs diocèses
qui voulussent faire quelques donations à
ces Hospitaliers, ils ne les empêchasse: t
pas. Il exhortait aussi ces prélats d'accorder
à ces Hospitaliers la permission de bâtir des
églises et des cimetières, de faire la dédi-
cace de ces églises, de bénir les cimetières
lorsqu'ils seraient bâtis, et de souffrir que
le fondateur et les autres frères de cet ordre
choisissent des prêtres séculiers pour leur
administrer les sacrements et aux pauvres
dans leurs églises. Six ans après, l'an 1204,
ce pape fit venir à Rome le fondateur pour
lui donner le soin de l'hôpital de Sainte-
Marie in Sassia, ou en Saxe, qui s'appelle
présentement le Saint-Esprit ; et, comme il
est le chef de cet ordre et l'un des plus cé-
lèbres de l'Italie, nous rapporterons son ori-
gine et sa fondation.
L'église fut fondée par Ina, roi des Saxons
Orientaux, l'an 715, sous le titre de Sainte-
Marie in Sassia, ou de Saxe, et le même roi
étant venu à Rome l'an 718, ajouta à cette,
église un hôpital pour les pèlerins de sa na-
tion, qu'il donna à gouverner à quelques
personnes séculières, ayant assigné sur son
domaine un revenu annuel pour la sub-
sistance des pauvres et l'entretien de l'hô-
pital.
Offa, roi des Merciens, à son imitation,
amplifia le même hôpital et en augmenta les
revenus ; mais il fut brûlé en 817 par un in
cendie qui ne put être arrêté que par une
image de la sainte Vierge, que le pape
Pascal I y porta en procession. Un paie l
incendie acheva de le désoler en 847, auquel
le pape Léon IV remédia aussitôt le mie„x
qu'il put, ayant été aidé par les libéralités
des successeurs des rois fondateurs. Mus
les guerres des Guelfes et des Gibelins, du-
rant les onze et douzième siècles, ruinèrent
tellement le quartier de la ville où l'hôpital
est situé, qu'ils en abolirent même jusqu'à la
mémoire. Enfin Innocent III, étant monie
sur la chaire de saint Pierre, lit bâtir de fou i
en comble cet hôpital à ses dépens l'an 1198,
pour y recevoir les malades et les pauvres
de Rome, et en augmenta de beaucoup 1. s
bâtiments, les possessions, les revenus et les
privilèges , eu l'année 1204, après que des
pêcheurs eurent tiré du Tibre dans leurs
filets une grande quantité d'enfants nouvel-
lement nés qu'on y avait jetés ; car ce pape
ea fut tellement touché, qu'il destina princi-
palement cet hôpital pour recevoir les en-
fants exposés el abandonnés par leurs pa-
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
20S
renls. A la vérité il n'en est point fait men-
tion dans sa bulle, mais bien dans celles de
plusieurs de ses successeurs, comme de Ni-
colas IV, de Sixle IV el de quelques autres ;
it l'on voit encore dans cet hôpital une pein-
ture à fresque, qui représente des pêcheurs qui
portent à In noce n II 11 ces enfants qu'ils avaient
irouvés.et une inscription au bas, qui fait foi
que ce pontife fut averti par un ange d'y re-
médier; c'est pourquoi l'on prétend qu'il fit
en même lemps bâtir celle église, qu'il dédia
en l'honneur du Saint-Esprit, tant à cause
qu'il lui avait inspiré une si bonne œuvre,
qu'à cause des religieux du Saint-Esprit de
Montpellier, auxquels il donna le soin de cet
hôpital ; mais il y en a beaucoup qui regar-
dent cette histoire comme une fable.
Ce qui est vrai, c'est qu'il n'y avait pas
longtemps que le comte Guy avait fondé son
ordre, dont le principal soin des Hospitaliers
était d'exercer l'hospitalité envers les ma-
lades, comme nous avons dit ci-dessus. Ce
saint pape, étant bien informé de leur cha-
nté qui les rendait alors fort célèbres, en fil
venir six à Home avec leur fondateur pour
leur donner la direction de cet hôpital, que
les papes successeurs d'Innocent 111 ont en-
richi dans la suite par plusieurs donations
qu'ils lui ont faites, en quoi ils ont été imités
par plusieurs personnes pieuses et chari-
tables.
L'an 1471, Sixle IV, voyant que les bâti-
ments de cet hôpital tombaient en ruine, le
fil rebâtir avec la magnificence qu'on voit
encore aujourd'hui. Il contient plusieurs
corps de logis avec une salle fort longue et
élevée à proportion, capable de tenir mille
lits, et un grand coi ridor à côté de celte salle
qui en contient bien encore deux cents, les-
quels sont tout remplis en été. On esl même
.souvent contraint d'en dresser d'autres dans
les greniers de cet hôpital, qui sont au bas
de Saint-Onuphre, outre une grande salle
lie traverse où l'on met les blesses. Les prê-
tres el les nobles sont dans des chambres
particulières, où il y a quatre lits dans cha-
cune, et sont servis en vaisselle d'argent. Il
y a encore d'autres chambres pour les fré-
nétiques et pour ceux qui ont des maux con-
tagieux.
Dans un appartement qui est derrière
l'hôpital, on y entretient grand nombre de
nourrices pour allaiter les enfants exposés,
outre plus de deux mille de la ville et des
villages circonvoisins à qui on les donne à
nourrir. Tout proche est l'appartement des
garçons qu'on y met à l'âge de trois ou
quatre ans, api es qu'on les a retirés des
nourrices. Ils sont toujours au nombre de
cinq cents, el ils y demeurent jusqu'à ce
qu'ils soient en état de gagner leur vie à
quelque métier ou autre exercice qu'on leur
apprend.
Les filles, qui sont en pareil nombre, sont
élevées dans un autre appartement fermé
jusqu'à ce qu'elles soient en état d'être ma-
riées ou religieuses; el quand elles sont
pourvues, elles reçoivent de l'hôpital cin-
quante écus romains de dot. Elles sont sous
la direction des religieuses Oc cet ordre, dont
le monastère est renfermé dans l'hôpital. Il
fut bâti l'an 1GO0 par le pape Clément VIII,
qui dédia leur église sous lé nom de Sainte-
Thècle.
Enfin il y a le palais du précepteur ou com-
mandeur el chef de cet ordre, qui est très-
beau, entre lequel et cet hôpital il y a un
grand cloître où logent les médecins, les
chirurgiens et les serviteurs de l'hôpital, qui
sont toujours plus de cent, et à côté est l'ap-
partement des religieux. C'est toujours un
prélat distingué qui remplit celle charge de
commandeur, qui est présentement à la no-
mination du pape.
La dépense tant pour les enfants que pour
les malades monte par année, l'une portant
l'autre, à près de cinq cent mille livres, et
le revenu serait une fois aussi considérable
sans la fainéantise des Italiens, qui laissent
la plupart des terres sans être culli.vées,
principalement dans la campagne de Rome,
oùcethôpilal esl seigneurde plusieurs bourgs
el villages, comme la Tolfa, San-Severo, Po-
lidoro, Castelguido el plusieurs autres sur le
chemin de Civita-Vecchia, dont il y en a
quelques-uns qui sont principautés. Au de-
hors de cet hôpital, il y a un tour avec un
pelit matelas dedans pour recevoir les in-
iants exposés. L'on peut hardiment les mettre
en plein jour, car il est défendu sous de
très-grosses peines, et même de punition
corporelle, de s'informer qui sont ceux qui
les apporlent, ni de les suivre.
Voilà quel esl ce fameux hôpital du Saint-
Esprit de Rome, dont le pape Innocent III
donna la direction, comme nous avons dit,
au comte Guy et à ses Hospitaliers. Les prê-
tres qui administraient, les sacrements dans
les hôpitaux n'étaient pas du corps de l'or-
dre, puisqu'ils étaient amovibles ; ils n'étaient
pas sujets à la correction du maître, el dé-
pendaient seulement des évoques dans les
diocèses desquels les hôpitaux étaient situés.
Mais Innocent 111, par sa bulle de l'an 1204,
voulut que dans l'hôpital de Home il y eût au
moins quatre clercs qui en y entrant feraient
profession de la règle que suivaient les
Hospitaliers ; el, afin d'èlre moins à charge
à l'hôpital, ils devaient se contenter de la
simple nourriture et du vêtement. 11 leur
était défendu de se mêler des affaires tempo-
relles, et ils étaient soumis à la correction
du pape : ainsi il commença à y avoir paruii
les Hospitaliers du Saint-Esprit des per-
sonnes ecclésiastiques et de-, laïques, avec
cette différence que les ecclésiastiques s'en-
gageaient à une étroite pauvreté el au ser-
\icc des malades par des vœux solennels, et
que les laïques n'étaient engagés seulement
que par des vœux simples. Car, quoique le
pape obligeât ceux-ci a faire profession ré-
gulière, après avoir été éprouvés pendant un
an, et a ne point quitter l'ordre que pour
passer dans un aulrc plus austère, on ne
doit pas conclure tic là qu'ils fussent pour
cela religieux, puisqu'on appelait en ce
liinps-là religion cl ordre toute société dans
laquelle on s'engageait plus étroitement à
2U9 ESP ESP 2i0
servir Dieu sous l'obéissance d'un supérieur, a cet hôpital <Je Jérusalem. C'est appareni-
Enfin, p.:r la même bulle, le pape unit les ment pourquoi Bzovius, le P. Mendo, Cres-
ileux hôpitaux du Saint-Esprit de Montpel- cenze, l'abbé Ginsliniani et quelques autres
lier et de Rome, voulant qu'ils fussent guu- auteurs, parlant de l'ordre du Saint-Esprit,
vernés par ua même maître, et que cette l'ont qualifie ordre militaire.
union ne pût préjudicier aux droits de l'évé- .
que de Maguelone, à la juridiction duquel § 2; Continuation de l histoire de l ordre du
l'hôpital de Montpellier était soumis. Il or- Sainl-Lsprit de Montpellier, et suppres-
donna aussi entre autres choses que ceux* sion de la milice de cet ordre.
qi i seraient commis pour chercher les au- La première atteinte qui fut faite à l'aii-
mônes pour ces hôpitaux auraient chacun torité du grand maître ou commandeur de
leur département, que les quêteurs de celui l'hôpital du Saint-Esprit de Montpellier, qui,
île Romese conlenteraientdesaumônesqu'ils en celle qualité, était général de tout l'or-
recevraient en Italie, en Sicile, en Annie- dre, fut quand le pape Honorius 111 sépara
terre et en Hongrie, et que ceux de l'hôpital cet hôpital de celui de Home. H lui laissa
de Montpellier pourraient aller dans toutes néanmoins toute juridiction sur les hôpitaux
les autres provinces de la chrétienté. qui se trouvaient dans toutes les provinces
Plusieurs hôpitaux s'unirent ensuite à de la chrétienté, excepté en Italie et dans
celui de Montpellier, auquel l'on fit da les royaumes de Sicile, de Hongrie et d'An-
grandes donations. Celui de Rome se mit gleterre. Grégoire X lui ôta encore relie ju-
dans la même réputation, et plusieurs hôpi- ridiclion, qu'il donna au maître de l'Hôpital
taux s'unirent à lui; c'est pourquoi, l'an de Rome, voulant que celui de Montpellier
1217, Honorius III voyant que l'union de lui obéit comme à son supérieur. Nicolas IV
ces deux hôpitaux de Rome et de Montpel- dit néanmoins, dans une bulle de l'an 1291,
lier pouvait préjudicier à celui de Rouie en que ce fut du consentement du maître de
particulier, les démembra, ordonnant qu ils l'hôpital de Montpellier et de ses hospila-
n 'auraient rien de commun ensemble; que Mers, qui s'y soumirent volontairement ; et
les aumônes qui seraient reçues en Italie et il ordonna que le maître de Montpellier
dans les royaumes de Sicile, de Hongrie et payerait tous les ans à celui de Rome trois
d'Angleterre, seraient portées à l'hôpital de florins d'or. Il y en a qui prétendent que le
Rome, et que celles qui seraient reçues pape Grégoire XI remit les choses en l'état
dans toutes les autres provinces de la cliré- qu'elles étaient du temps d'Honorius III, en
tienté appartiendraient à celui de Mont- séparant de nouveau ces hôpitaux ; mais
pellier. le Saunier, religieux de l'ordre du Saint-
L'ordre du Saint-Esprit a donc d'abord été Esprit, et sous-pi ieur de l'hôpital de Rome,
mixte, composé de personnes ecclésiasti- fait voir que la bulle de ce pape, de l'an
ques faisant profession de la vie religieuse, 1372, qui se trouve dans le Bullaire de cet
engagées par des vœux solennels, et de per- ordre, est fausse et supposée, en ce qu'elle
sonnes laïques qui ne faisaient que des vœux est adressée à Bérenger Giron , général et
simples. On regarda dans la suite cet ordre grand maître de l'archihôpital et milice do
comme militaire ; le nom de maître que pre- l'ordre du Saint-Esprit, et que ce Bérenger
naient ceux qui gouvernaient les hôpitaux mourut l'an 1187 ou 1488, outre que celle
et qui en étaient supérieurs, fut changé en butte, qui est datée du trois des calendes de
celui de précepteur ou commandeur, et l'on septembre 1372, et de la troisième année du
se servit du terme de respon-ion pour mar- pontificat de Grégoire XI, ne peut pas être
quer les charges que les commanderies de- de cette année, puisqu'il ne fut élu que le
vaient au grand maître ou général, ce terme 3J décembre 1370. C'était peut-être au sujet
de responsion n'étant eu usage que dans les de ce Bérenger Giron que Sixte IV se plai-
ordres militaires. 11 n'y a néanmoins aucune gnit de ce qu'il y en avait au delà des monls
preuve que ces Hospitaliers aient porté les qui prenaient la qualité de généraux, et il
armes el aient été employés dans les croi- les soumit à celui de Rome, comme au seul
sades comme les autres hospitaliers, mais général de l'ordre. Le généralat fut néan-
l'on trouve que le nom de commandeur leur moins restitué au commandeur de Montpel-
est donné dans une bulle d'Alexandre IV de lier par les papes Paul V et Grégoire XV,
l'an 1256 : Ctim igilur magistri commenda- mais à condition qu'il dépendrait encore de
tores et omnes alii fratres nostri liospitalis. celui de Rome. Cette dignité lui fut enfin ac-
On trouve aussi la même chose dans d'au- cordée sans aucune dépendance par le pape
très bulles de différents pontifes. Le même Urbain VIII, et eue. ire conlestée, comme
Alexandre IV, dans celle dont nous venons nous dirons dans la suite,
de parler, et le pape Nicolas IV, par une Mais la milice de cet ordre reçut un plus
autre bulle de l'an 1291, après avoir dit que grand échec en 1459, car le pape Pie il la
le commandeur de Montpellier et les mai- supprima entièrement. On découvrait quel-
sons de sa dépendance se sont soumis à ques traces de chevaliers depuis la bulle
lï.ôpilal du Suint-Esprit de Rome, ajoute d'Alexandre IV de l'an 1256, dont nous avons
que c'est afin que l'hôpital de Montpellier parlé , jusqu'à ce temps-là. L'ordre était
soit soumis et sujet à celui de Rome de la compose de personnes ecclésiastiques véri-
même manière que les maisons qui dépen- lablement religieuses, et de laïques qui
dent de l'hôpital de Jérusalem, qui est une n'étaient point engagés à la profession reli-
luilice temporelle, sont soumises el sujettes gieuse, et on était en peine de ce qu'étaient
m
DlCTIO.NiXAlKE DES
devenus ces laïques depuis le milieu du
quinzième siècle jusqu'au commencement
du dix-septième, qu'on ne voit dans cet
ordre que de véritables religieux ; et ce
n'est que vers ce temps-là qu'on y voit re-
naître des laïques ou séculiers qui sont
même engagés dans le mariage. Mais M. de
Lribnilz nous a appris quel avait été leur
sort, en nous conservant dans son Codex
juris gentium la bulle de Pie II de l'an 1459,
par laquelle il érige l'ordre militaire de
Notre-Dame de Bethléem , et en supprime
quelques autres, du nombre desquels est la
milice du Saint-Esprit in Sassia à Rome,
dont il applique les revenus à son nouvel
ordre de Notre-Dame de Bethléem : Pro fun-
damento aulein ac substantiel dictœ religionis
novœ, alias religiones sive militias ac hospi-
lalia infra scripta, videticet S. Lazari, ubili-
bel consislentia, S. M. de Castello Britonum
de Bologna, ac S. Sepulcri, nec non S. Spi-
ritus in Saxia de Urbe, et omnia ab eo depen-
denlia aut illius habitum seu crucem duplicem
deferentia, et B. M. Cruciferorum, etc. On
pourrait dire que c'est tout l'ordre du Saint-
Esprit in Sassia que ce pape avait supprimé,
mais il n'a seulement entendu parler que de
la milice, religiones seu militias. Et, bien
loin d'avoir supprimé l'hôpital du Saint-
Esprit de Rome, c'est qu'il lui accorda beau-
coup de privilèges aussi bien que son suc-
cesseur Paul 11, comme il est marqué dans
une bulle de Sixte IV du 21 mars 1478.
Après la suppression de celle milice, il
n'y eut plus dans l'ordre du Saint-Esprit de
mélange de religieux et de laïques. Cet or-
dre tut purement régulier, et, s'il y eut des
laïques qui possédèrent encore des comman-
deries sous le titre de chevaliers de cet or-
dre, ce titre n'était point légitime. C'est ce
que nous apprenons d'une autre bulle de
Sixte IV de l'an 1476, qui ordonne que les
hôpitaux de cet ordre et les commanderies,
aussi bien que leurs dépendances, ne pour-
ront être données, soit en titre, soit en com-
mende , qu'à des religieux profès de cet
ordre, qui seront obligés de retourner dans
/eurs cloîtres toutes lois et quand il plaira au
grand maître de l'hôpital de Home de les faire
revenir : Statuentes ac etiam decernentes,
quod ipsius ordinis hospitalia, prœceptoriœ,
membra et loca, nnlli cujuscunque dignilatis,
status, gradus, vel conditionis fuerit, prœ-
tirqumn ipsius nostri hospitalis fr a tribus, et
ordinem ipsum expresse professis, eis tamen
pro solo nulu dicti prœceptoris existentis et
pro lempore ad claustrum quoties expédient
revocanais, in titulum vel commendam con-
ferri valeanl sive possint. Voilà qui est bien
fort contre les chevaliers qui ont paru au
commencement du dix-septième siècle, qui,
bien loin de vivre en commun dans un cloî-
tre sous l'obéissance d'un supérieur, ou du
n.oins d'y pouvoir être rappelés à la volonté
des supérieurs, lorsqu'ils auraient des com-
manileries, étaient au contraire la plupart
maries. Peut-être dira-l-on que les hôpitaux
do Rome et de Montpellier ayant été désunis
l>ar le pape Grégoire XI, l'an 137-2, le pape
ORDRES RELIGIEUX. W2
ne parlait qu'à ceux qui étaient soumis à
1 hôpital de Rome ; mais, outre que la bulle
de Grégoire XI est fausse et supposée, c'est
que Sixte IV s'adresse plus particulièrement
aux Français qui avaient usurpé des coin-
manderies et qui prenaient la qualité de gé-
néraux de l'ordre : Cum itaqiee, sicut aece-
pimus displicenter, nonnulli in ipsius hospi-
talis fratres etiam prœceptorias , hospitalia,
membra, et loca pia ab ipso hospitali in Saxia
dependentia, obtinentes, ambitione et cupidi-
tate cœca inducli, et sub terminis non contenti,
temeritate propria se générales prœceptores
dicti ordinis prœcipue in partibus idlramon-
lanis nominare, etc. Il déclare ensuite que
tous les hôpitaux, les cornmanderies et les
lieux pieux de l'ordre et qui portent le nom
du Saint-Esprit, dépendront de l'hôpital du
Saint-Esprit en Saxe, etiamsi longœva con-
suetudo aut submissio aliqua repugnarint; et
il défend à aucun religieux possédant une
commanderie de l'ordre de prendre la qua-
lité de général en deçà ou en delà les monts,
ni de prétendre aucune autorité sur les au-
tres religieux, qui doivent être tous soumis
au précepteur de l'hôpital de Rome : Quin-
imo , omnes et singuli dicti ordinis prœcep-
tores, hospilalarii et religiosi quos eidem prœ-
ceptori nostri hospitalis in Saxia pleno jure
subesse volumus et tanquam suo superiori
obedientiam et reverenttam congruam exhi-
bere, ac salva hujus sedis auctoritate, in om-
nibus sicuti unico corum prœceptori obiem-
perare teneantur et debeant.
En effet il n'y eut point de généraux en
France depuis ce temps-là jusqu'en l'an 1619,
que Paul V rendit celle qualité pour la Franre
et toutes les autres provinces delà chrétienté,
excepté l'Italie, la Sicile, la Hongrie et l'An-
gleterre, au commandeur de Montpellier : ce
que Ot aussi Grégoire XV l'an 1G21; mais
ce ne fut qu'à condition qu'ils dépendraient
encore de celui de l'hôpital de Rome; et La
Terrade, qui fut pourvu de cette comman-
derie, avait été fait par le grand maître de
Rome le k septembre 1617 vicaire et visiteur
général dans les royaumes de France et de
Navarre, à la charge de se faire religieux
profès de l'ordre dans l'année. Ce fut lui qui
fut fait premier général en France dépendant
de celui de Rome, et ce ne fut qu'à la prière
de Louis X11I que le pape Urbain VIII ren-
dit ce général de France indépendant de ce-
lui de Rome, l'an 1625. Ce fut donc au com-
mencement du dix-septième siècle que l'on
commença à songer au rétablissement de cet
ordre en France, qui y était presque anéanti ;
mais, au lieu de le remettre dans son ancien
lustre et dans sa splendeur, ce ne fut au cou
traire qu'une confusion et qu'un chaos de-
puis l'an 1602 jusqu'en 1700, que le roi dé-
brouilla ce chaos en déclarant cet ordre pu-
rement régulier et nullement militaire.
Antoine Pons, qui prenait la qualité de
commandeur de 1 hôpital de Saim-Germain
et de procureur général de l'ordre , voulut
commenc r ce rétablissement en 1602, mais
ce fut en falsifiant des huiles et des indulgen-
ces à ceux qui voulaieut contribuer à la v%-
213
ESP
E-P
2U
làu ration des commanderics ; et, son impos-
ture avant été découverte, il fut condamné
par arrêt du parlement de Toulouse du 21
janvier 1603 à faire amende honorable , nu
en chemise, et banni à perpétuité hors du
royaume. 11 ne laissa pas de surprendre en
la même qualité des lettres patenies d'Hen-
ri IV et de Louis XIII, des années 1608, 1009
et 1010, qui lui permettaient de faire ses di-
ligences pour rétablir cet ordre ; mais en 1012
on lui lit défense de faire négoce d'indulgen-
ces à peine d'amende arbitraire; le sénéchal
de Moissac décréta prise de corps contre lui,
et le parlement de Toulouse ordonna que ce
décret serait exécuté.
Olivier delà Trau, sieur de la Terrade, pa-
rut ensuite sur les rangs. 11 obtint des papes
Paul V et Grégoire XV la qualité de général
aux conditions que nous avons dit, et fut in-
dépendant de celui de Rome, par une bulle
d'Urbain VI il l'an 1025. En cette qualité il
créa des chevaliers parement laïques et
même engagés dans le mariage. On ne laissa
pas néanmoins de voir dans le même temps
un prétendant à la commanderie générale
de Montpellier, qui de son côté faisait des
chevaliers. C'était un apostat de Tordre des
Capucins, que la Terrade fit enfermer dans
les prisons de l'officialité. La Terrade y fut à
son lour, et, après sa mort, M. Désécures,
l'un des comtes de Lyon, qui prit la qualité
de vicaire général, fit aussi des chevaliers,
aussi bien que plusieurs autres qui se di-
saient officiers de l'ordre. Le roi , par un
arrêt du conseil d'Etat de l'an 1055, ordonna
que les pouvoirs, privilèges, possessions et
translations des prétendus ofGciers de l'ordre
du Saint-Esprit, seraient examinés par l'of-
Gcial de Paris assisté de quatre docteurs
nommés par l'arrêt. Par un autre de la même
année, Sa Majesté fit défense à qui que ce
fût de prendre la qualité de général de l'or-
dre du Saint-Esprit ; et au mois de janvier
1056, Désécures obtint un brevet de la com-
manderie ou' préceptoretie de Montpellier.
Au mois de mai, le roi nomma des commis-
saires pour examiner les titres, bulles et pro-
visions de ceux qui se prétendaient généraux,
commandeurs , officiers et religieux de cet
ordre. L'official de Paris, par une sentence
de la même année, fait défense à Désécures
de prendre la qualité de vicaire général,
coadjuteur, supérieur, commandeur ou reli-
gieux de l'ordre du Saint-Esprit, d'en porter
les marques ni d'en faire aucune fonction à
peine d'excommunication ipso facto. Nonob-
stant cette sentence, il lui est permis par un
arrêt du grand conseil du 3 septembre 1058
de prendre possession de la commanderie de
Montpellier, à condition d'obtenir des bulles
dans six mois. Il les obtint du pape Alexan-
dre VU et prit possession de cette comman-
derie en 1059 avec la qualité de grand maî-
tre de l'ordre. Par sentence du 10 octobre de
la même année, l'official le déclara excom-
munié pour avoir pris la qualité de supérieur
de cet ordre, et lui fit itératives défenses de
se qualifier à l'avenir grand vicaire ou reli-
gieux, de cet crdre; déclara les professions
fuites entre ses mains , nulles; le condamna
à 100 livres d'amende , a tenir prison pen-
dant six mois, et à dire les sept psaumes têtu
nue et à genoux. Par une autre sentence du
Chàlelet de Paris du 29 août 1067, il fui con-
damné d'èlre mandé, blâmé nu-tête et à ge-
noux, et défenses lui furent faites de prendre
la qualité de général ; et, par arrêt du parle-
ment du29mail6G8,ilfut banni pourneufan«.
Le roi, par son brevet du 21 septembre de
la même année, donna la commanderie de
Montpellier à M. Uousseau de Bazoche, évê-
que de Césarée , conseiller au parlement de
Paris. Un nommé Compan se prétendit pourvu
de celte commanderie; Désécures eut aussi
toujours les mêmes prétentions, mais, par
arrêt du conseil d'Etat du 9 septembre 1609,
l'évêque de Césarée fut maintenu dans la
possession de cette commanderie contre Com-
pan et Désécures. Par arrêt du grand conseil
du 27 avril 1671, il fut ordonné qu'on tien-
drait le chapitre général de cet ordre. Le roi,
par un autre arrêt de son conseil d'Etat du
mois de mai de la même année, confirma ce-
lui du grand conseil , et ordonna que, no-
nobstant le refus qu'on avait fait à Home de
donner des bulles à l'évêque de Césarée, ce
prélat serait reconnu pour général de l'ordre
par tous les religieux et religieuses, cheva-
liers, commandeurs et autres personnes de
l'ordre, et qu'on assemblerait le chapitre gé-
néral. L'évêque de Césarée mourut la même
année sans avoir obtenu de bulles, et après
sa mort M. Morin du Colombier, aumônier
du roi, se fit pourvoir par bref du pape Clé-
ment X du mois de février 1672, de la com-
manderie de Montpellier (vacante depuis
quarante ans, à ce qu'il avait exposé), à la
charge de prendre l'habit et de faire profes-
sion dans l'ordre régulier du Saint-Esprit.
Cette commanderie lui fut contestée, et il y
a de l'apparence que toutes ces divisions ar-
rivées parmi ceux qui se prétendaient supé-
rieurs, commandeurs et officiers de cet or-
dre, qui la plupart n'avaient aucun titre légi-
time, et qui, bien loin de rétablir cet ordre
en France dans son ancien lustre, le flétris-
saient au contraire par leur conduite et les
abus qu'ils commettaient dans la réception
des prétendus chevaliers, admettant indiffé-
remment tous ceux qui leur donnaient le
plus d'argent, portèrent le roi à mettre l'or-
dro du Saint-Esprit de Montpellier au nom-
bre de ceux que Sa Majesté déclara éteints
de fait et supprimés de droit par son édit du
mois de décembre de l'an 1672, et qu'il unit
à celui de Saint-Lazare. Nonobstant cet édit,
M. du Colombier obtint au mois de janvier
1673 des lettres de François-Marie Phiebus ,
archevêque de Tarse, commandeur de l'hô-
pital de Koinc et général de l'ordre du Saint-
Esprit, par lesquelles il l'établissait son vi-
caire général et visiteur en Fiance et dans
les provinces adjacentes , ce qui lui procura
un séjour de huit années à la Bastille.
Les aulres chevaliers du Saint-Esprit for-
mèrent opposition au grand conseil à l'enre-
gistrement de cet édit. Us continuèrent à
s'assembler et même à recevoir des cheva-
2!5 DICTIONNAIRE DES
liers. Le siour de la Cosle se disait grand
maître de cet ordre comme ay.'inl été canoni-
quement élu par 1rs chevaliers. Mais Sa Ma-
jesté, par deux arrêts du conseil d'Elat des
années 1(389 et 1G90, fit défense à ce grand
maître de prendre celle qualité à l'avenir, ni
de porter la croix et l'épée lui et les siens ; et
déclara toutes les réceptions et prétendues
lettres de provisions par eux expédiées de-
puis l'édit de 1672, nulles et de nul effet ; et,
sans avoir égard à leurs oppositions, or-
donna que son édit serait exécuté.
Les chevaliers de Saint-Lazare, qui jus-
qu'alors av.iient trouvé beaucoup de faci-
lité à obtenir ce qu'ils avaient souhaité,
trouvèrent néanmoins dans la suite de gran-
des difficultés pour l'exécution de cet édit;
car les religieux profès de l'ordre du Saint-
Esprit se joignirent aux chevaliers de cet or-
dre pour interrompre le cours des entrepri-
ses de ceux de Saint-Lazare. Les chevaliers
du Saint-Esprit offrirent à Sa Majesté de le-
ver et d'entreienir à leurs dépens un régi-
ment pour agir contre les ennemis de l'Etat ;
et les religieux profès, qui étaient en pos-
session de plusieurs maisons conventuelles
dans le royaume, où ils n'avaient point dis-
continué de recevoir les enfants exposés,
prétendirent que l'état de leur établissement
suffisait pour détruire ce qui avait été sup-
posé pour l'obtention de cet édit , alléguant
au surplus qu'ils n'avaient jamais dépendu
de l'hôpital de Montpellier , mais qu'ils
avaient été toujours soumis à la juridiction
du précepteur de celui de Home, et qu'ainsi
le roi n'avait pas eu dessein de donner at-
teinte à leurs droits, Sa Majesté n'ayant pro-
noncé par son édit que la suppression d'un
ordre qu'elle avait cru éteint de fait et qui
était sous le titre de Montpellier.
Ils furent favorablement écoutés. Le roi
leur donna des commissaires en 1G91 pour
l'examen de son édit, et accepta en 1(592 le
régiment offert par les chevaliers. M. du
Boulay, vicaire général de cet ordre au spi-
rituel, et M. Grandvoynet, commandeur de
la maison conventuelle de Stéphanfeld en Al-
sace, furent députés pour solliciter conjoin-
tement le rétablissement de cet ordre, le pre-
mier par le clergé séculier, le second par les
religieux proies, et M. de Blégny comman-
deur et administrateur général, par les che-
valiers. Leurs sollicitations eurent un heu-
reux succès , car le roi en 1G93 révoqua son
édit de 1672, rétablit cet ordre, lui rendit
tous les biens qui avaient é é unis à celui de
Saint-Lazare, et nomma pour gr :nd maître
M. l'abbé de Luxembourg, Pierre- Henri-Thi-
hault de Montmorency , abbé commenda-
taire des abbayes d'Orcamp et de Saint-
Michel.
11 semblait qu'après cela les chevaliers ne
devaient plus craindre qu'on les inquiéta!
louchant leur établissement; déjà leur nom-
bre grossissait tous les jours ; des personnes
qui n'avaient aucun dro:l légitime, sous pié-
texle des titres de vicaire général, de chan-
celier, de vice-chancelier et même de vicaire
généralissime, qu'ils s'attribuaient, créaient
ORDRES RELIGIEUX.
21G
de nouveaux cln valiers. Ils étaient divisés
en plusieurs bandes. Il y en avait qui pre-
naient le titre d'anciens chevaliers, et qui ne
regardaient les autres que comme des intrus
d.ms l'ordre. Parmi ces chevaliers anciens il
y en avait qui se disaient premiers officiers
d'épée. On y voyait des chevaliers de grâce,
des chevaliers d'obédience , des chevaliers
servants et de petits officiers.
Dès le 15 février 1092 ils avaient tenu un
chapitre aux Grands-Augustins à Paris, où
entre autres choses ils avaient délibéré qu'on
ne recevrait aucuns chevaliers qu'ils ne payas-
sent chacun à l'ordre pour le moins la somme
de 600 livres, les chevaliers de grâce celle de
1200 livres, les chevaliers d'obédience, ser-
vants et autres petits officiers 400 livres.
Mais les religieux rompirent toutes leurs me-
sures ; car, à peine le roi eut-il prononcé le
rétablissement de l'ordre en 1693, qu'ils ré-
clamèrent la maison magistrale de Montpel-
lier, qu'ils avaient auparavant désavouée.
Ils soutinrent que l'ordre du Saint-Esprit
était purement régulier, et que la milice était
une nouveauté du siècle qui ne s'était ingé-
rée que par usurpation dans l'administration
des biens de l'ordre. C'est pourquoi le roi
nomma encore des commissaires pour l'exé-
cution de son dernier édit. Les chevaliers ne
manquèrent pas de faire valoir leur antiquité
prétendue, qu'ils faisaient remonter jusqu'au
temps de sainte Marthe, et de rapporter le
prétendu chapitre général tenu à Montpellier
l'an 1032. Le roi, le 10 mai 1700, décida en
faveur des religieux. L'ordre du Saint-Esprit
fut déclaré purement régulier et hospitalier
par un arrêt du conseil d'Elat ; et Sa Majesté
fit défense à tous ceux qui avaient pris des
qualités de supérieurs, officiers et chevaliers
du prétendu ordre militaire du Saint-Esprit
de Montpellier, de prendre à l'avenir ces
qualités , ni de porler aucune marque de
cette prétendue chevalerie, et de donner des
lettres ou provisions de commandeurs, che-
valiers ou officiers de cet ordre. Sa Majesté
ordonna de plus que le brevet de grand maî-
tre accordé à M. l'abbé de Luxembourg se-
rait rapporté comme nul et de nul effet, et
qu'il serait sursis à faire droit sur les deman-
des des religieux pour être remis en posses-
sion des maisons de cet ordre et des biens
qui avaient été unis à celui de Saint-Lazare ,
jusqu'à ce que Sa Majesté eût pourvu au ré-
tablissement de cet ordre et de la grande
maîtrise régulière du Saint-Esprit de Mont-
pellier.
Après la mort de M. l'abbé de Luxem-
bourg, <iui, conformément à cet arrêt du corn
seil d'Elat, avait remis entre les mains du
roi son brevet de grand maître de l'ordre du
Saint-Esprit de Montpellier, on fit de nou-
velles tentatives auprès du mi pour le réta-
blissement de cet ordre, et Sa Majesté, par
un arrêt du conseil d'Elat du 16 janvier 1701 ,
nomma Mgr le cardinal de Noailles, arche-
vêque de Paris ; Mgr llossiict , évéque de
Meaux; le révérend Père de la Chaise, Mes-
sieurs l'abbé l!ignon,do Pommereu de la
Reynie, de Manllac et d'Aguesseau, pour
Î17
ESP
ESP
1213
examiner les bulles, lettres patentes, décla-
rations, arrêts et autres litres concernant
cet ordre ; et voir sur leurs avis s'il conve-
nait et s'il était possible de rétablir la rom-
manderie générale du Saint-Esprit de Mont-
pellier et ses dépendances, et quelles pré-
cautions l'on pourrait prendre en ce cas pour
le règlement tant du spirituel que du tem-
porel de cet ordre, ou s'il ne serait pas pli s
à propos d'en employer les biens et les reve-
nus à quelque autre usage pieux ; et , par
deux autres arrêts des 24 novembre 1704 et
Ie' juin 1707, Sa Majesté nomma pour rap-
porteur M. Laugeois d'imbercourt, maître
des refl uêtes .
En 1707, M. le duc de Châlillon, Paul-Si-
gismond de Montmorency, ayant demandé
au roi la grande maîlrise de cet ordre, et Sa
Majesté lui ayant permis d'en faire connaî-
tre le véritable caractère et la milice, il con-
sulta plusieurs docteurs de Sorbonne, neuf
célèbres avocats et quelques autres person-
nes, qui furent tous d'avis que l'ordre dans
son origine avait été laïque et séculier, et
que ce n'a été que dans la suite qu'il a été
mixte, composé de personnes laïques pour
l'administration du temporel, et de clercs
réguliers pour l'administration spirituelle;
et on ne trouvait point d'inconvénient qu'un
laïque fût grand maître de cet ordre , à
l'exemple de plusieurs ordres militaires,
qui, quoique composés de chevaliers laïques
et de religieux, ne laissaient pa> d'être gou-
vernés par des grands maîtres laïques.
Les religieux de l'ordre du ?aint-Esprit,
qui semblaient avoir intérêt que cette milice
ne se rétablît point, puisqu'ilsl'avaientdispu-
lée en 1693, et que ce ne fut que sur leurs
remontrances que le roi par son arrêt du
10 mai 1700 avait déclaré leur ordre pure-
ment ngulieret nullement militaire, se joi-
gnirent néanmoins à M. le duc de Châlillon,
et, dans une requèle qu'ils présentèrent au
roi, ils demandèrent acte à Sa Majesté de ce
qu'ils n'entendaient point se prévaloir ni se
servir de l'arrêt du 10 mai 1700, au chef qui
avait réputé l'ordre du Saint-Esprit de Mont-
pellier purement régulier, mais seulement
en ce qu'il avait exclu de cet ordre les pré-
leudus commandeurs, officiers et chevaliers,
qui paraissaient pour lors sans caractère et
sans litres légitimes, et dont la plupait
étaient plus propres à le déshonorer qu'à le
rétablir ; el de ce qu'ils conseillaient que cet
ordre fût, comme il avait été dans son insti-
tution, composé de religieux de deux sortes
de conditions, les uns laïques pour l'admi-
nistration du tempoiel seulement, engagés
à l'ordre par les vœux d'obéissance et d'hos-
pitalité à un chef ou grand maître de l'or-
dre laïque, et les autres, clercs, pour l'admi-
nistration du spirituel, engagés à l'ordre par
les vœux de pauvreté, de chaslelé, d'obéis-
sance et du service des pauvres ; et priaient
aussi Sa Majesté de conserver les comman-
deurs proies de cet ordre dans l'exercice de
la juridiction spirituelle sur les religieux
hospitaliers el les religieuses hospitalières
de l'ordre ; et qu'à cet effel le grand maître
serait chargé par le brevet de Sa Majesté
d'établir un grand prieur d'église el visiteur
général, qui ne pourrait être qu'un prêtre
religieux de l'ordre, qui serait confirmé par
le pape.
Il semblait qu'après ce consentement des
religieux qui demandaient le rétablissement
delà milice et d'un grand maître laïque, le
roi allait révoquer son arrêt du 10 mai 1700,
qui déclarait l'ordre purement régulier, et
qu'il allait aussi reconnaître la milice de cet
ordre; cependant, par un autre arrêt du
conseil d'Etat du 4 janvier 1708, Sa Majesté
confirma celui du 10 mai 17ii0 et ordonna
qu'il serait exécuté selon sa forme et teneur,
et en conséquence que l'hospitalité ser;iit
rétablie et observée dans la commanderie
générale, grande maîtrise régulière de l'or-
dre du Saint-Esprit de Montpellier, par le
commandeur général, grand maître régu-
lier, qui y serait incessamment établi. On ne
saurait en ce jugement trop admirer la jus-
lice et l'équité du roi, qui prononce et dé-
cide que l'ordre est régulier ; parce que
c'est le dernier état où l'on le Irouve, et que
c'est un principe de l'un et l'autre droit, que
dms ces matières le dernier état décide,
ultimus status altenditur.
L'ordre à la vérité avait été dans son ori-
gine laïque et séculier. Il était devenu en-
suite mixte, c'est-à-dire composé de clercs
ou prêtres religieux el de laïques. Les ter-
mes de commandeurs, de responsion el au-
tres dont on se servait dans cet ordre, et qui
ne sont en usage que dans les ordres mili-
taires, prouvent assez qu'on le reconnais-
sait comme une milice; mais celte milice
avait élé supprimée par Pie 11 l'an 1459, et
l'ordre était devenu purement régulier,
comme il paraît p.ir les termes de la bulle de
Sixte IV de l'an 1476, que nous avons ci-de-
vant rapportés, et par la règle de cet ordre
imprimée en 1564 par ordre du général Ber-
nardin Cyrilli, qui, en l'adressant à tous les
frères de l'ordre, fait assez connaître qu'ils
sont tous véritablement religieux, par ces
paroles : Sponte nos ipsos oblulimus et san-
cto Dei Spiritui, beatœ Virgini et dominis
injirmis, ut perpetui essemus eorum servi,
castitatem, paupertatem, obedieni am <t lui-
milem paiientiam, aclu libero nemine coqente,
jurejurando, solemni voto, sumus polliciti.
11 est néanmoins parlé dans cette règle de
religieux lais, c'est-à-dire de personnes vé-
ritablement religieuses, et qui ne sont pas
destinées aux fonctions ecclésiastiques : le
terme de lai étant en usage dans presque
tous les ordres pour désigner ces sortes de
personnes; et même ils peuvent être com-
mandeurs dans celui du Saint-Esprit, car il
est dit (Cap. 26 Reg. que lorsque le com-
mandeur sera lai, il ne pourra pas faire la
correction à un clerc ; mais qu'elle appar-
tiendra aux cardinaux qui seront nommés
pour cet effet par le pape : Correclio vero
clericorum et specialium udorum ad prœ-
ceptorem taicum non pertinent, sed ad cardi-
nales quibus a domino papa ipsa domus
cummendatu. Que si dans le coiutuenc
2:9
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
220
«lu dix-septième siècle les souverains pon-
tifes ont rendu à la maison de Montpellier le
général a t qu'on lui avait ôté, ils n'ont pas
prétendu que ces généraux rétablissent la
milice de cet ordre en créant des chevaliers
purement laïques et même engagés dans le
mariage. Ils ont toujours au contraire re-
gardé cet ordre comme régulier, puisqu'ils
ont obligé les commandeurs de Montpellier,
auxquels ils ont accordé des bulles, de pren-
dre l'habit religieux de cet ordre, et d'y faire
profession ; et de lous les commandeurs du
Saint-Esprit de Montpellier qui ont élé de-
puis l'an Kilt), que la Terrade prit le pre-
mier la qualité de général de cet ordre en
France, ni lui, ni aucun autre n'ont exécuté
en cela l'intention des papes, qui ont même
refusé des bulles à quelques-uns. Ainsi tout
ce que ces commandeurs ont fait en qualité
de généraux était nul, n'étant pas revêtus
de pouvoirs légitimes, et ayant même élé
contre la volonté des papes, en rétablissant
la milite qui avait été supprimée par Pie II.
C'est pourquoi, quoiqu'il y eût en 1700 des
chevaliers laïques et des prêtres religieux,
ce n'était point son véritable état, et le der-
nier auquel on devait avoir égard. Il avait
toujours élé purement religieux depuis la
suppression de la milice, c'était là son der-
nier état et auquel le roi eut égard : Ulli-
inus slatus attenditur.
Les prêtres de cet ordre sont qualifiés
chanoines réguliers dans plusieurs bulles
des souverains ponlifes. Le Saunier prétend
que ce fut le pape Eugène IV qui les soumit
à la règle de Saint-Augustin, outre celle de
Gui , leur fondateur. Le cardinal Pierre
Barbu, neveu de ce pape, fut le premier qui
n'étant point de Tordre fut fait commandeur
ou préccpieur de l'hôpital du Saint-Esprit
d ■ Rome, et en celle qualité général de tout
l'ordre, ce qui a continué jusqu'à présent,
que les commandeurs de cet hôpital ont été
des personnes distinguées par leur nais-
sance, à qui les papes ont accordé cette di-
gnité pour récompenser leur mérite. L'ordre
de Saint-Benoît en a fourni un, celui de
Saint-Augustin un, celui des Servites aussi
un, celui du Monl-Olivet deux, et celui des
Chartreux un. 11 y en a eu jusqu'à présent
environ soivante-dix, depuis lecomleGui de
Montpellier, fondateur de l'ordre, parmi les-
quels il y a eu un pape, sept ou huit cardi-
naux, deux archevêques et douze évêques.
Alexandre Néroni , qui était commandeur
général en 1515, fut le premier à qui le pape
accorda l'habit violet avec la mosette et le
manlelet à la manière des prélats de Rome,
ce qu'ils ont toujours porté, à moins qu'ils
n'aient élé tirés de quelques autres ordres,
auquel cas ils retiennent aussi, comme les
prélats religieux, la couleur de l'habit de
l'ordre dont ils sont sortis. Ces comman-
deurs ne font ordinairement profession de
cet ordre qu'au bout de l'an, à moins qu'ils
ne diffèrent à la faire pour quelques rai-
(1) loi/., a la lin du vol., u"s 58 et 59.
(2) Vvy., a la lui du vol.. uos 10 et 41
(3) Yvy., à la lin du vol., u° 42.
sons, ou que les papes ne les en dispensent.
Ils portent néanmoins sur leurs habits la
croix de l'ordre. Le prieur de la maison et
hôpital du Saint-Esprit de Rome tient la se-
conde place dans l'ordre, et en est vicaire
général.
Les religieux de cet ordre sont habillés
comme les ecclésiastiques, ils portent seu-
lement une croix de toile blanche à douze
pointes sur le côté gauche de leur soutane
et de leur manteau, et lorsqu'ils sont au
chœur, ils ont l'été un surplis avec une au-
inusse de drap noir doublée de drap bleu , et
sur le bleu une croix de l'ordre. L'hiver ils
ont un grand cumail avec la chape noire
doublée d'une étoffe bleue, et les boutons
du grand camail sont aussi bleus (1). En
France il mettent toujours l'aumusse sur le
bras. Cette aumusse est de drap noir dou-
blée et bordée d'une fuurrure noire (2). En
Italie ils la portent quelquefois sur les
épaules, et en Pologne (3) ils ne se servent
point d'aumusse, mais ils mettent sur leurs
surplis une espèce de moselte de couleur
violette, qui n'a point de capuce et n'est
point ronde comme le* autres, mais descend
en pointe par derrière. Les commandeurs
ont à la boutonnière de leur soutane une
croix d'or émaillée de blanc, et au chœur
une aumusse de moire violette, si c'est l'été,
ou un camail de même couleur l'hiver.
11 n'y a que les religieuses de Rome qui
gardent la clôture ; la plupart demeurent
dans les mêmes hôpitaux que les religieux,
comme à Besançon et en d'autres endroits.
Elles sont aussi quelquefois seules dans
d'autres maisons, comme à Bar-sur-Aube,
Neufchâteau et autres lieux. Elles disent le
grand office selon l'usage de l'Eglise ro-
maine. La plupart ont au chœur un grand
manteau noir où il y a une croix blanche
aussi bien que sur leur robe, avec un voile
noir ou espèce de cape; et dans la maison
elles ont un voile blanc ('*). Celles de Bar-
sur-Aube ont dans les cérémonies et au
chœur un voile noir d'élamine, sur lequel il
y a aussi la croix de l'ordre. 11 y a des mai-
sons de cet ordre à Home, à Tivoli, For-
melli, Tolentin, Viterbe, Ancone, Eugubio,
Florence, Ferrare, Alexandrie, Nureie et
plusieurs autres villes d'Italie. Les princi-
pales de France sont à Montpellier, à Di-
jon (5),: Besançon, Poligny, Bar-sur-Aube,
et Stéphanfeld en Alsace. 11 n'y en a que
trois en Pologne, dont la principale est à
Cracovie, qui tut fondée d'abord à Pradnik
par Yves, évêque de Cracovie, l'an 1221
(Duglosz, Hist. Polon. lib. vi, pag. G2ti);
mais, comme cette maison, qui était aussi
un hôpital, ne pouvait être souvent visitée
des personnes pieuses, que la compassion
pouvait porter à soulager les pauvres, à
cause qu'elle était trop éloignée de Cracovie,
il la transféra dans cette ville l'an 1244. Il y
a aussi un monastère Qc religieuses à côié
de cet hôpital, cl il s'en trouve quelqucs-
(i) Voij., à la (in du vol., n°* 43 et 4L
(5) Vvy., à la lia du vol., o."* 45 cl iti.
2:i
ESP
ETfl
222
unes en Allemagne, eu Espagno et môme
dans les Indes. Quoique la ville do Memmin-
genen Souabe ait reçu la confession d'Augs-
bourg, et que la plus grande partie de ses
habitants soient hérétiques, il y a néan-
moins un hôpital de l'ordre du Saint-Esprit
où les religieux ont une église ouverte; et
ils portent publiquement le saint sacrement
aux malades, même dans les maisons des
hérétiques, où il y a des catholiques. L'ad-
minislraiion des biens de cet hôpital est en-
tre les mains des magistrats de la ville, et
les religieux ont seulement soin des mala-
des. Cet hôpital fournit à l'entretien de ce-
lui de Wiiupffen du même ordre, qui est
aussi dans la Souabe, et au milieu de l'hé-
résie.
Cette croix à douze pointes, que ces cha-
noines hospitaliers portent sur leurs habits,
n'est qu'une nouveauté; ils la portaient an-
ciennement toute simple à peu près comme
la croix de Lorraine, et comme la portent
les religieux hospitaliers de l'Hôtel-Dieu de
Coutances, qui, à cause de cette croix, qui
est aussi de toile blanche, et que cet Hôtel-
Dieu est dédié au Saint-Esprit, ont fait des
tentatives pour être incorporés dans l'ordre
do Saint-Esprit de Montpellier, et par ce
moyen se soustraire de la juridiction de l'é-
véque de Coutances, auquel ils sont sou-
mis ; mais il y a eu plusieurs arrêts du con-
seil du roi et du parlement de Normandie
qui leur ont fait défense de prendre la qua-
lité de chanoines réguliers de l'ordre du
Saint-Esprit et de porter des aumusses. Ces
hospitaliers de Coutances furent institués
Bous le litre de clercs réguliers de l'ordre de
Saint-Augustin par Hugues de Morville ,
évéque de Coutances, l'an 1209, pour des-
servir l'Hôtel-Dieu de celte ville, et ce pré-
lal leur donna l'an 1221 des règlements qui
ont toujours été observés jusqu'à présent;
ces religieux sont toujours au nombre de
douze, dont il y en a six qui demeurent dans
l'hôpital ; les autres desservent des cures qui
en dépendent. L'ordre du Saint-Esprit a
pour armes de sable à une croix d'argent à
douze pointes, et en chef un Saint-Esprit
d'argent en champ d'or dans une nuée
d'azur.
Pierre le Saunier, de Cap. ord. S. Spirit.
Dissert. Barbosa, de Jur. Eccles. cap. 41,
num. 113. Tambur. de Jur. Abbat. lom. Il,
disp. 24, num. 35. La Terrade, Discours sur
l'ordre du Saint-Esprit. De Iilégny, Projet de
l'Histoire des Religions militaires. Sylvest.
Marul, Mar. Océan di tut. gl. Relig. Pietr.
Crescenze, Presid. Rom. Bernard Giust.
Citron, de gl. ord. miltt. Hermant, Hist. des
Ord. de chevalerie, et plusieurs faclums et
mémoires concernant cet ordre.
Ces religieux, chanoines et hospitaliers,
n'existaient peut-être plus qu'à Home, où
ils étaienl comptés les premiers dans le dé-
nombrement des réguliers. Ils avaient, il y
a peu, pour commandeur, MgrAntuine Cioja,
ci pour vicaire général, le H. P. dom Pierre
(lj Socrat., Mu. eccl., I:b. i. c. 20; Tucodoret,
X
Zeochini. Le pape Pie IX a supprime telle
corporation à Rome, en 1847.
lî-O-E.
ÉTHIOPIENS ou ABYSSINS ( Religieux).
§ 1". Des religieux et religieuses Ethio-
piens.
Comme l'Ethiopie est divisée en haute et
basse, nous entendons parler de la haute,
qui nous est connue sous le nom d'empire,
des Abyssins, et gouvernée par un prince
que la plupart des historiens nomment corn -
munément Prête-Jean, qui se qualifie quel-
quefois de Colonne de la foi. de la lignée de
Juda, fils de David, fils de Salomon, fils de
la Colonne de Sion, fils de la Colonne de Ja-
cob, fils de Marie, fils de Nahod selon la
chair, fils de saint Pierre et de saint Paul se-
lon la grâce, empereur de la haute et basse
Ethiopie, etc., qui sont les titres que prit
l'empereur David écrivant au pape Clément
VII en 1533. Mais la foi et la créance des
peuples de ce vaste empire ne correspon-
dent guère à ces beaux titres, puisqu'elles
sont corrompues par plusieurs erreurs; et si
les Abyssins ont quelquefois écouté les mis-
sionnaires qui leur ont élé envoyés pour les
faire rentrer dans le sein de l'Eglise catholi-
que, et qu'ils en aient reconnu le souverain
chef et pasteur, ce n'a été que pour un
temps, car ils n'ont pas persévéré dans la
foi orthodoxe.
Quelques-uns ont prétendu que le chris-
tianisme avait été introduit en Ethiopie par
l'eunuque de la reine de Candace ; ce que
d'autres révoquent en doute, parce que cette
reine ne régnait pas dans l'Abyssinie, mais
seulement dans l'île de Méroé. D'autres aussi
rapportent la conversion de l'Ethiopie à
saint Barthélemi ou à saint Matthieu ; mais
les Ethiopiens le nient et reconnaissent
qu'ils ont été convertis à la foi chrétienne
<lu temps de saint Athanasc, évêque d'A-
lexandrie, environ l'an 320. En effet nous
apprenons de l'Histoire ecclésiastique (1),
que Frumenlius ayant été emmené aux Indes
par un marchand de Tyr, fut conduit à la
cour du roi d'Ethiopie, qu'il y annonça la
foi de Jésus-Christ; et qu'ayant eu permis-
sion de retourner à Alexandrie pour rendre
compte de l'état de ces nouveaux chrétiens, il
y arriva peu de lems après l'ordination do
saint Athanase, qui l'ordonna évêque du
pays et l'y renvoya.
Le christianisme y fit un très-grand pro-
grès ; et, comme les Ethiopiens ou Abyssins
ont toujours eu un métropolitain, que l'on
nomme communément patriarche, qui est
envoyé par celui d'Alexandrie, les Egyp-
tiens étant tombés dans les erreurs de Dios-
core et d'autres hérésiarques, ils les ont com-
muniquées aux Abyssins par le moyeu de ce
patriarche, aussi bien que quelques obser-
vations judaïques que l'Eglise d'Alexandrie
avait retenues. Les Abyssins ont même ajouté
à leurs rites d'autres superstitions juda!"
283
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
224
ques, et ainsi ont l'ait un mélange de l'An-
cien et du Nouveau Testament, se servant
delà circoncision au huitième jour envers
les filles aussi bien qu'envers les garçons, ob-
servant le jour du sabbat et le dimanche,
s'abstenanl nussi de viandes immondes et
défendues dans l'ancienne loi. Je passe sous
silence leurs autres abus comme n'étant
point de mon sujet, n'ayant touché en pas-
sant la religion des peuples d'Ethiopie que
par rapport aux religieux, qui y sont en
très-grand nombre et qui entretiennent ces
peuples dans leurs erreurs.
La vie monastique y fut introduite presque
en même temps que le christianisme, et,
sous le règne du roi Amiamidas, fils de Sa-
ladobas, elle y fut portée par un grand nom-
bre de moines de l'Egypte et des autres pro-
vinces voisines de l'empire romain, cotre
lesquels les plus célèbres furent ceux qui
choisirent leur demeure dans le royaume de
Tigré, et qui y bâtirent. des cellules. Mais
les Abyssins ont changé les noms de ces ins-
lituteursdela viemonastiquedans cetempire,
à la réserve de celui de Pantaléon. Les neuf
principaux furent, selon eux, abba Arogavi,
ahba Pantaléon, abba Garima, abba Alef,
abba Saham, abba Afe, abba Likanos, abba
Adimala, et abba Oz, appelé aussi abba
Cuba, qu'ils reconnaissent pour saints, ayant
même bâti des églises en l'honneur de quel-
ques-uns de ces premiers solitaires de l'E-
thiopie.
Abba Arogavi, qui avait été disciple de
saint Pacôme, fut le premier supérieur de
ces moines. 11 eut pour successeur abba
Chrislos-Besana , abba Meskel-Moa, abba
Joanni, etc. Leur jiustérité était si grande,
qu'il s'en est trouvé qui se contentaient
pour un repas de trois dattes seulement,
d'autres d'un petit morceau de pain. Les
Abyssins leur attribuent beaucoup de mira-
cles, aussi bien qu'aux autres saints qu'ils
ont eu vénération : leur poêles, dans les vers
qu'ils ont faits à leur louange, leur font trans-
porter des montagnes d'un lieu; à un autre,
passer les rivières et les torrents sur leurs
habits, qui leur servaient de barques. Mais,
qui lui sont soumis, ou bien il envoie des
commissaires qui les visitent pour les cor-
riger et pour punir ceux qui ont commis
quelques fautes. Avant que les Galles se fus-
sent emparés du royaume de Shewa,que
quelques-uns appellent Xoa ou Xao.i, ce su-
périeur ou abbé général des moines (le ITns-
litut de Técla-Haïmanot faisait sa résidence
au monastère de Debra-Libanos , ou Mont-
Liban, qu'il a transférée ensuite à Bagendra ;
ce qui fai!,dilM. Ludolf, qu'un certain moine
nommé Tesfa-T'fion, qui a imprimé en lan-
gue éthiopienne le Nouveau Testament, par-
lant de lui et des autres moines, à la fin
d'un discours qu'il a fait sur saint Matthieu,
dit qu'ils sont tous enfants du P. Técla-Haï-
manot du monastère appelé le Mont-Liban ;
c'est pourquoi, continue M. Ludolf, quel-
ques savants ont mal à prop- s nommé ces
moines Maronites. Ce Técla-Haïmanot est
en très-grande vénération chez les Ethio-
piens, qui eu font la fête le 2i décembre. Ils
en font aussi mention dans leurs diptyques,
en disant : Souoenez-vous, Seigneur, de l'âme
de votre serviteur et notre Pcrel 'écla-ll aima-
not et de tous ses disciples.
Le second institut des moines d'Elhiopie
est celui de l'abbé Eustase, qui n'est pas
moins recommandable dans tout l'empire
que Técla-Haïmanot ; les Abyssins en font
aussi mention dans leurs diptyques en ces
termes : Souvenez-vous, Seigneur, de notre
l'ère Eustase et de tous ses enfants. S;i fête se
célèbre le 21 juillet. Il a eu beaucoup de dis-
ciples, à qui il a aussi prescrit des lois ; mais
il ne leur a pas donné de supérieur général
dont ils dépendent, et ils ne se mettent pas
beaucoup en peine d'en avoir un , sous pré-
texte, à ce qu'ils disent, qu'Eustasc étant
allé en Arménie sans avoir nommé un suc-
cesseur, il ne leur est pas permis d'en éta-
blir un : c'est pourquoi l'abbé de chaque
monastère de cet institut est le maître absolu
chez lui, et peut corriger ses inférieurs, sans
qu'ils puissent en appeler ; et lorsqu'il meurl ,
les religieux du mémo monastère en élisent
un autre.
L'on trouve parmi les Lettres édifiantes
entre ces premiers solitaires de l'Ethiopie, et curieuses écrites des missions étrangères.
celui qui, selon eux, a plus excelle en sain
télé, est Gabra-Menfes-Ked, dont ils font la
fêle tous les mois.
Tous les religieux d'Elhiopie se disent de
l'ordre de Saint-Antoine ; mais ils n'ont pas
tous les mêmes observances, étant divisés en
deux ou trois congrégations ou instituts par-
ticuliers. Le premier est celui de Técla-Haï-
manol, qui vers l'an C20 fut le restaurateur
de la vie monastique en Ethiopie : il pres-
crivit des lois particulières aux moines qui
par les missionnaires de la Compagnie de
Jésus (1), la relation d'un vovage lait en
ElhiopieenlC98,1099ell700, par M.Poncel,
médecin français, qui paraît avoir été mal in-
formé de ce qui concerne le clergé séculier
et régulier de cet empire ; car il dit qu'il n'y
a point de prêtre en Ethiopie qui ne soit re-
ligieux; que l'empereur Ati-Iiasili, aïeul du
prince qui régnait pour lors, en fit précipi-
ter sept mille du haut de la montagne de
Balbau, pour s'être révoltés contre lui ; et
se rangèrent sous sa conduite, et voulut en- que l'on peut juger de la multitude qu'il y
tre autres choses qu'ils fussent soumis à un en a par ce que lui dit le palriarche prédé-
supérieur général, appelé Icègue, qui, après cesseur de celui qui gouverne présenlemcnt
l'abuna ou patriarche d'Ethiopie, a toujours l'Eglise d'Ethiopie, qu'eu une seule ordina-
été celui de tout l'empire qui a été le plus lion il avait fait dix mille prêlres et six mille
considéré par rapport à sa dignité et à son di icrcs.
autorité. Il fait la visite de tous les religieux François Alvarez, aumônier de don Eui-
(I) Le Gobien, Lettres édifiantes, 1" recueil, pag. 2Î>1.
225
ET1I
ETII
22fi
manuel, roi de Portugal, qui accompagna
l'ambassadeur que ce prince envoya l'an
15:20 à l'empereur des Abyssins, et qui a
donné la relation de celte ambassade, nous
assure néanmoins qu'il y a des prêtres sé-
culiers en Ethiopie ; que depuis qu'ils ont
t'Ié ordonnés diacres jusqu'à ce qu'ils soient
prêtres, ils peuvent se marier une fois seu-
lement ; qu'ils ne peuvent pas entrer dans la
iléricalure s'ils ont été mariés ; et que si
étant prêtres ils se remarient, ils sont dégra-
des cl réduits à l'état laïcal, ne pouvant plus
entrer dans l'église, ce qui n'est permis
qu'aux prêtres et aux clercs. Sous la qua-
lité de clerc est renfermé aussi l'ordre de
Eous-diacre aussi bien que celui de diacre,
que ceux que l'on fait clercs reçoivent en
même temps et sans aucun examen ; car il
y a un grand nombre de ces ordinands q-ii
ne pourraient répondre aux demandes qu'on
leur ferait, puisque la plupart sont encore à
la mamelle. L'on peut ajouter foi à cet au-
teur, qui s'était trouvé à plusieurs de ces
ordinations. Dans la première qu'il vit, le
patriarche ordonna deux mille trois cent
cinquante-six prêtres , parmi lesquels il y
avait des religieux aveugles, d'autres qui
n'avaient qu'un bras, et d'autres qui n'a-
vaient qu'une jambe; et le patriarche lui dit
qu'il y avait eu peu de prêtres dans cette or-
dination, p;irce que tous ces prêtres n'é-
taient que des environs du lieu où il était
pour lors, qu'ordinairement il n'en ordon-
nait pas moins de cinq à six mille à la fois,
et que l'on ne faisait pas l'ordination des
clercs dans le même lemps. En effet le lende-
main celle des clercs se lit et dura depuis le
matin jusqu'au soir, non pas à cause de la
longueur des cérémonies qui se pratiquent
à l'égard de chaque ordinand , mais à cause
du grand nombre des personnes qui reçurent
la clericalure.
Comme il n'y a point d'autres évêques en
Ethiopie que le patriarche, il fait souvent de
ces sortes d'ordinations ; et jamais abus n'a
été porté plus loin que celui-là, recevant in-
différemment toutes sortes de personnes,
sans aucune attention aux qualités requi-
ses. Ainsi M. Poucet n'a peut-être point trop
avancé en disanl qu'il avait appris du pa-
triarche que son prédécesseur avait fait dans
une seule ordination dix mille prêtres et
si* mille diacres, ce qui a pu se faire en deux
il lîerents jours , car toute la cérémonie que
l'on observe dans l'ordination des prêtres
consiste en ce que le patriarche met la main
sur la tête de chaque prêtre en disant quel-
ques prières, et ensuite, après avoir lu quel-
que temps dans un livre, il leur donne à
tous plusieurs bénédictions avec une croix
de fer.
Quoiqu'il ne soit pas vrai qu'il n'y ait
point d'autres prêtres en Ethiopie que les
religieux, cela n'empêche pas qu'il n'y ait
un si grand nombre de ces derniers dans cet
empire, qu'Alvarez assure encore que tout
en est rempli ; qu'on ne voit que moines
daus les monastères, dans les églises, dans les
rues, daus les marchés; qu'il n'a vu aucune
église desservie par des prêlres séculiers où
il n'y eût aussi des religieux; et qu'il n'a
trouvé aucun monastère où il y eût des prê-
tres séculiers.
M. Ludolf confirme celte multitude de
moines en Ethiopie; mais il ne semble pas
être d'accord avec les rclalions de quelques
voyageurs touchant les monastères de ces
religieux, car il prétend qu'ils demeurent
ordinairement auprès des églises dans de
pauvres cabanes dispersées çà et là dans un
enclos; qu'ils ne portent point l'habit mona-
cal ; qu'on ne les distingue des séculiers que
par une croix qu'ils portent toujours à la
main; que leurs demeures ne peuvent pas
être appelées des cloîtres ; qu'ils ne méritent
pas le nom de mo: nés, et qu'on ne les doit regar-
der que comme des colonies de gens qui ne
sont point mariés.
Cependant Alvarez doit être cru, puisqu'il
a demeuré six ans en Ethiopie, qu'il allait
presque tous les jours au monastère de la
Vision de Jésus, dont il ne demeurait pas
loin, et qu'il assistait avec les moines à tou-
tes leurs principales fêles et cérémonies, aux-
quelles il était souvent invité. Cet auteur, fai-
sant la description de ce monastère, situé
dans la province de Tigré, sur une haute
montagne au milieu d'une forêt et dans une
affreuse solitude, dit qu'ordinairement il y a
cent religieux qui y demeurent el qui man-
gent ensemble dans un même réfectoire, ex-
cepté les vieillards, qui en sont dispensés, à
qui l'on porte à manger en particulier; que
les revenus de ce monastère sont très-consi-
dérables; que la montagne où il esl situé lui
appartient entièrement , et qu'elle a plus de
dix lieues d'étendue ; qu'au bas de celte
montagne il y a plusieurs fermes qui dépen-
dent du monastère, outre plusieurs autres
que l'on trou v;' jusqu'à trois journées au delà,
qui s'appellent Gnltus, c'est-à-dire les fran-
chises de la Vision; qu'il y a encore plus do
cent villages qui lui payent tous les (rois
ans chacun un cheval, mais quele procureur
du monastère prend des vaches à raison de
cinquante pour chaque cheval; de sorte qu'il
reçoit bien par an dix sept cents vaches,
dont les religieux tirent du beurre pour ré-
galer les étrangers qui les viennent voir, et
pour en mettre dans leurs lampes au lieu
d'huile.
Comme il y a des auteurs qui ont écrit que
dans ce monastère il y avait ordinairement
trois mille religieux, cl que l'on avait dit la
même chose à Alvarez, il y alla le jour de
l'Assompiion de la sainte Vierge, auquel
jour les religieux font une procession géné-
rale ; il n'y vit néanmoins que trois cents re-
ligieux ou environ ; et en ayant demandé la
raison, on lui dit que les autres étaient dis-
persés dans d'autres monastères ou églises
particulières et aux foires et marchés, pour
gagner leur vie pendant qu'ils étaient jeunes,
à cause que le monastère de la Vision n'était
pas en état d'en nourrir un si grand nombre,
et que qu.ind ils étaient hors d'étal de ga-
gner leur vie, ils venaient passer le reste de
leurs jours au couvent. Eu effet le même au-
227 DICTIONNAIKE DES ORDRES RELIGIEUX.
;teur assure encore que dans toutes les foires
2-2.8
et dans tous les marchés l'on ne voit que re-
ligieux et religieuses qui y trafiquent.
M. Poncet confirme ce que dit Alvarez do
l'austérité de ces religieux et de la beauté
de quelques monastères en ce pays, et dit
aussi qu'il y a plusieurs autres monastères
qui dépendent de celui de la Vision, nom-
mant entre autres celui d'Héléni, qui est
très-beau, et où il y a une magnifique
église. Il ajoute que les cellules de ces reli-
gieux sont si étroites, qu'un homme a de la
peine à s'y étendre, qu'ils ne mangent point
de viande non plus que les autres religieux
d'Ethiopie, qu'ils sont toujours appliqués à
Dieu et à la méditation des choses saintes,
et que c'est là toute leur occupation.
L'abbé du monastère de la Vision le reçut
avec beaucoup de charité aussi bien que
ceux de sa suite. Il leur lava les pieds et les
baisa pendant que les religieux récitaient
des prières. Après celte cérémonie, ils fu-
rent conduits processionnellement à l'église,
les religieux chantant toujours. Ils allèrent
ensuite dans une chambre où on leur ap-
porta à manger. Tout le régal consista en du
pain trempé dans du beurre ; et pour leur
boisson on leur donna de la bière, car l'on
ne boit ni vin ni hydromel dans ce monas-
tère; et labbé leur tint toujours compagnie,
mais il ne mangea point avec eux.
Le même voyageur a cru apparemment
embellir la relation de son voyage par le
récit d'un prodige qu'il a vu, à ce qu'il dit,
dans l'église de ce monastère de la Vision.
On l'avait assuré que dans l'église, du côté
de l'Epître, on voyait en l'air, sans aucun
appui ni soutien, une baguette d'or, ronde,
longue de quatre pieds, et aussi grosse qu'un
bâton. Croyant qu'il y avait quelque arti-
fice, il pria l'abbé de vouloir bien lui per-
mettre d'examiner s'il n'y avait point quel-
que appui qu'on ne vît point. Pour s'en
assurer d'une manière à n'en pouvoir pas
douter, il passa un bâton par-dessus, par-
dessous et de tous les côtés, et il trouva que
la baguetie était véritablement suspendue en
l'air. Les religieux lui dirent qu'il y avait
environ 330 ans qu'un solitaire nommé Abba
Philippos se retira dans ce désert, où il ne
se nourrissait que d'herbes et ne buvait que
de l'eau; et qu'un jour Jésus-Christ se Ut
voir à lui, et lui ordonna de bâtir un mo-
nastère dans l'endroit du bois où il irouve-
rait une b.iguelle d'or suspendue en l'air ; et
que l'ayant trouvée et vu ce prodige, il obéit,
et bâtit ce monastère qui se nomme Biltem
Jésus, Vision de Jésus. Cependant Alvarez,
qui a demeuré six ans eu Ethiopie et qui
allait presque tous les jours à ce monastère,
comme il le dit lui-même, ne parle point de
ce prétendu prodige, quoiqu'il ait eu soin de
marquer tout ce qu'il y avait de plus parti-
culier dans ce monastère. 11 n'ignorait pas
que cet abbe Philippe était non-seulement
révéré comme saint par les religieux de ce
monastère, mais encore par les habitants
(t) Vvy., à la fin du vol., n°47.
des environs, qui célèbrent tous les ans une
fête en son honneur; et il rapporte même le
sujet pour lequel ils l'ont toujours regardé
comme saint. Ce fut, dit cet auteur, à l'oc-
casion de ce qu'un roi d'Ethiopie ayant dé-
fendu qu'on observât le jour du sabbat danj
tous les lieux de son obéissance, l'abbé Phi-
lippe et ses religieux vinrent trouver ce
prince, et lui firent voir que Dieu avait or-
donné que l'on garderait le jour du sabbat,
et que ceux qui ne le garderaient pas se-
raient lapidés, il ajoute que les religieux de
ce monastère et les peuples des environs
sont les plus attachés à cette superstition
judaïque; que lui-même a vu plusieurs fois
que les religieux cuisaient le pain et prépa-
raient leur manger le vendredi pour le sa-
medi; qu'ils n'allumaient pas même du feu
le samedi ; et qu'ils n'étaient pas si scrupu-
leux le dimanche, puisqu'ils préparaient à
manger ce jour-là. Sur quoi il y a lieu de
s'étonner de ce que quelques personnes,
principalement M. Ludolf, aient regardé
comme une chose innocente l'observation du
sabbat parmi les Elhiopi. ns, après que le
concile de Laodicée a prononcé anathèmo
contre ceux qui s'abstiennent par supersti-
tion des viandes que Dieu a créées, et con-
tre ceux qui observent le sabbat à la manière
des Juifs.
Ce que disent plusieurs écrivains, que les
religieux d'Ethiopie sont habillés de peaux
jaunes, se confirme par la relation d'Alva-
rez, qui dit la même chose ; il ajoute qu'il y
a quelques monastères où ils sont aussi ha-
billés de toile de coton jaune, et que ces re-
ligieux habillés de jaune ont tous de»
chapes de la même couleur, failes comme
celles des Dominicains. Ainsi cela ne s'ac-
corde pas encore avec ce que dit M. Ludolf,
que tous les religieux d'Ethiopie sont ha-
billes comme les séculiers, et ne sont distin-
gués que par une croix qu'ils portent tou-
jours à la main (1). A la vérité M. Poncet,
qui demeure aussi d'accord avec Alvarez
que les religieux des monastères de la Vi-
sion et d'Héléni sont habillés de peaux jau-
nes, parlant aussi de quelques autres reli-
gieux qui sont en grand nombre dans la
ville de (londar (séjour ordinaire des empe-
reurs), puisque, outre quatre chapelles im-
périales qui sont dans l'enceinte du palais
de l'empereur, et qui sont desservies par
cent religieux qui ont aussi soin du collège,
où l'on enseigne à lire l'Ecriture sainte aux
officiers de ce prince, il y a environ cent
églises dans celte ville ; il dit que ces reli-
gieux sont habillés de même que les sécu-
liers, et n'en sont distingués que par une
calotte jaune ou violette, et que ces diver-
ses couleurs distinguent leur ordre. Mais il
y a bien de l'apparence que ceux qui ont
une calotte jaune, et qui pour habillement
portent, comme les séculiers, une veste ou
soutane noire, sont de l'institut de l'abbé
Eustase (2), et les autres qui ont une calotte
violette pourraient bien être ceux qu'Alvu-
(2) Yoy., à la (in du vol., n" iS.
229
Il II
ET II
2'0
rez, Marmol, M. Ludolf et quelques autres
appellent des chanoines. Ceux-ci peuvent
être mariés ; leurs enfants leur succèdent
dans leurs prébendes ; et quoique la plupart
vivent en leur particulier, Alvarez dit néan-
moins qu'il a vu quelques communautés de
ces sortes de chanoines. Ces moines, qui,
selon M. Ludolf, sont dispersés çà et là dans
lie pauvres cabanes, et dont il dit que la de-
meure ne peut pas être appelée monastère,
sont sans doute ceux que les couvents où ils
ont pris l'habit envoient pour gagner leur
vie : et ainsi M. Ludolf ne s'est peut-être pas
trompé lorsqu'il a dit que chacun de ces
moines cultive son hérilage, qu'il vit de ce
qu'il produit, en pouvant disposer à sa vo-
lonté ayant pouvoir d'aller où bon lui sem-
ble et de revenir quand il le juge à propos.
Il pouvait même ajouter que ces moines tra-
fiquaient, et que les marchés en étaient rem-
plis,comme nous avons dit.Cependantquai d
ils sont retournés dans leurs couvents, ils y
vivent en commun et très-ausièreinent, sous
la conduite d'un supérieur dont ils dépen-
dent entièrement.
Il y a de l'apparence que ce monastère de
la Vision et les autres qui y sont unis sont
de l'institut de Tecla-Haïmanot , puisque
l'abbé de ce monastère en est non-seulement
le supérieur, mais qu'il a aussi une juridic-
tion sur les autres qui en dépendent, dans
lesquels il n'y a point d'abbés, mais seule-
ment des supérieurs qu'il nomme; et cet
abbé de la Vision pourrait bien être le même
qui a eu autrefois sa résidence au monastère
de Debra-Libanos, et ensuite à Bagendra,
qu'il aurait encore transférée au monastère
de la Vision. A l'égard des monastères de
l'île de Saint-Claude, de Sainle-A«nne, de
Tzcmba et des autres dont parle M. Ponce!,
qui ont chacun un abbé, ils sont sans doute
de l'institut de l'abbé Eustase, pour les rai-
sons que nous avons dites ci-dessus en par-
lant de ces deux restaurateurs de la vie mo-
nastique en Ethiopie.
Tous ces moines, selon M. Ludolf, peu-
vent exercer des offices civils, et même avoir
des gouvernements de province, mais il n'est
permis à qui que ce soit d'entre eux de re-
noncer à la vie monastique ; et, s'ils se ma-
rient, ils sont regardes comme des infâmes,
et leurs enfants ne peuvent jamais parvenir
à la cléricature, n'y ayant rien tant que les
Ethiopiens souhaitent avec plus de passion
que d'être prêtres, afin d'avoir la vie assu-
rée, ce qui fait qu'il y en a un si grand
nombre; en effet, Alvarez s'élonnanl de l'a-
bus que le patriarche d'Ethiopie commettait
en ordonnant un si grand nombre de prê-
tres, quoique parmi ces prêtres il s'en trou-
vât plusieurs qui étaient aveugles, d'autres
qui n'avaient qu'un bras, et d'autres qui
n'avaient qu'une jambe; ce grand nombre
de prêtres paraissant d'ailleurs inutile, puis-
que l'on ne dit qu'une messe par jour dans
chaque égli>e, il en témoigna sa surprise à
celui qui faisait la fonction de grand vicaire
du patriarche. Cet homme lui répondit que
(t) Voy,, à la lin du vol., n" 40.
l'on ne les ordonnait prêtre9 qu atm qu'ils
pussent vivre des aumônes de l'Eglise, sans
quoi ils ne pourraient subsister.
On peut juger par la multitude des moines
de ce pays qu'il doit y avoir aussi beaucoup
de monastères, n'y ayant guère de ville où
il n'y en ait plusieurs, outre ceux qui sont a
la campagne et dans les bois. Les plus fa-
meux sont premièrement celui de h Vision
de Jésus, celui de Sainte-Anne, situe sur une.
montagne entre Gondar et Emfras, qui est
un lieu de dévotion où il vient de bien loin
un grand nombre de personnes en pèlerinage;
celui de Tzemba, sur la rivière de Kcb, à
une demi-lieue d • Gondar, qui est très-
beau et très-grand, aussi bien que celui
d'Héléni et celui d' Alléluia. Ce dernier fut
ainsi nommé, à ce que disent ces moines,
par celui qui en fut le premier abbé, sur le
rapport d'un ermite qui, étant en oraison,
vit en extase et entendit des anges qui chan-
taienl Alléluia dans ce lieu.
Il y a aussi un grand nombre île relig'eu-
ses en Ethiopie, qui sont pareillement ha-
billées de toile de coton ou de peaux jaunes,
et ne portent ni manteau ni capuce. Elles
ont la tête rasée, autour de laquelle elles
ont un bandeau de cuir large de deux doigts,
qui, passant par-dessous le menton, se lie
sur le front, et dont les deux bouts pendent
sur les épaules (1). Il y en a qui croient que
ce n'est que l'habillement des novices, et
que les professes peuvent mettre un voile
et un manteau. D'autres disent que cela n'est
permis qu'aux vieilles. Elles ne sont point
renfermées dans des monastères, mais elles
demeurent dans les fermes et les villages qui
dépendent et obéissent au monastère où
elles ont pris l'habit. Alvarez dit avoir vu
quelques communautés de religieuses qui
ont néanmoins la liberté de sortir de leurs
maisons pour aller où bon leur semble. 11 y
a de ces religieuses qui mènent une vie as-
sez réglée, mais il y en a beaucoup qui ne
croient pas que ce soit un déshonneur pour
elles d'avoir des enfants. Schoonebeck met
leur institution vers l'an 1325, par la véné-
rable mère Imata ; mais c'est apparemment
sur Ja relation du P. Louis d'Ureta de l'ordre
de Saint- Dominique, qui, dans l'histoire
qu'il a donnée d'une province supposée de
son ordre en Ethiopie, a prétendu que pres-
que tous les religieux de ce pays étaient de
l'ordre de Saint-Dominique, et que la mère
Imata fonda un monastère du même ordre
pour des religieuses à Bedenagli, où il n'y
en eut d'abord que cinquante, mais dont le
nombre augmenta jusqu'à cinq mille après
la mort de celte prétendue fondatrice : ce qui
n'est pas moins fabuleux que ce qu'il rap-
porte des couvents île Piurimanos et de !'AI-
ieluia, où il met neuf mille religieux de son
ordre dans le premier, et sept raille dans
l'autre, sans compter les domestiques qui
sont au nombre de plus de trois mille dans
celui de Piurimanos, comme nous l'avons dit
au long à l'article Dominicains.
Voyez Job Ludolf, Hist. Etkiop. el son
251
(Commentaire sur la même Ilistoire; Franc.
Alvarez, son Voyage en Ethiopie; Marinol,
Description de l'Àfriuue; Louis d'Ureta, Hist.
de la sagrada orden de Predic. en Ethiopia;
et le P. le Gobien, 4-' Recueil des Lettres Edi-
fiantes des ntissions étrangères.
§ 2. D;s jeûnes et abstinences des moines et
des religieuses en Ethiopie.
Les jeûnes et abstinences des moines ma-
ronites, arméniens, jacobites et coptes, sont
peu de chose en comparaison des jeûnes et
mortifications des moines éthiopiens, qui
commencent avec les séculiers le carême de
l'Eglise universelle à la Sexagésime, et qu'ils
observent très-rigoureusement , ne man-
geant, pendant tout le temps qu'il dure, que
du pain et ne buvant que de l'eau. 11 est
vrai qu'ils trempent leur pain dans une es-
pèce de sauce qu'ils font avec de la graine
decaulïa, qui est fort cuisante à la bouche.
Us se servent encore d'une autre graine
qu'ils nomment tebba, qu'ils accommodent
en manière de moutarde. 11 se trouve beau-
coup de ces religieux qui par dévotion ne
mangent point de pain pendant tout le ca-
rême ; quelques-uns même s'abstiennent
d'en manger toute leur vie, et mangent seu-
lement de l'agrinos, qui est une herbe qu'ils
font cuire dans de l'eau, sans sel ni beurre,
et sans autre assaisonnement. Quand ils
n'en peuvent pas trouver, ils usent de quel-
ques légumes, comme fèves, lentilles et au-
tres semblables, qu'ils font seulement amol-
lir dans de l'eau. Quelques-uns portent un
habit de cuir sans manches, ayant les bras
tout nus; plusieurs ont sur leur chair une
ceinture de fer large de quatre doigls, avec
des pointes qui entrent bien avant dans la
chair; d'autres ne s'asseyent point pendant
tout le temps du carême, mais demeurent
toujours debout. Il y en a aussi qui pendant
ce temps-là se vont renfermer dans des ca-
vernes, où ils vivent d'herbes et de lentilles
seulement. Il y a encore beaucoup de reli-
gieux et de religieuses qui tous les mercre-
dis et vendredis du carême passent la nuit
dans l'eau. François Alvarez dit qu'il avait
de la peine à le croire; mais qu'ayant été
avec plusieurs personnes sur le bord d'un
lac, ils virent qu'il y en avait une infinité
dans ce lac, et que quelques-uns étaient
dans de petites loges de pierres bâlies ex-
près. Il y a de l'apparence que les nuits sont
bien froides en ce pays-là ; autrement ce ne
.serait pas une mortification de rester dans
Veau pendant la nuit dans le temps du ca-
rême, dans un pays où le soleil eat très-ar-
(J eut en ce temps-là, et où même les fruits
d'aulomue de nos quartiers sont en matu-
rité, Enfin il y en a qui se relirent dans d s
solitudes les plus affreuses et des forêts les
plus épaisses, où ils ne voient aucun homme,
faisant pénitence dans ces lieux écartés.
Quoiqu'il y ail près de deux cents ans
qu'Alvarez ait écrit sa relation où il fait un
ilétail de ces pénitences et de ces mortifica-
tions des religieux d'Ethiopie, il semble
néanmoins qu'il; n'en aient rien diminué
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 252
jusqu'à présent; car M. Poncet, qui y était
en 1700, dit avoir vu dans le monastère-de
la Vision de Jésus un vieillard âgé d'environ
soixante-six ans, frère du gouverneur de
Tigré, qui n'avait vécu pendant sept ans que
de feuilles d'olivier sauvage , et que cette
mortification lui avait causé un crachement
de sang qui l'incommodait beaucoup ; c'est
pourquoi il lui ordonna quelques remèdes
et lui prescrivit un régime de vie.
La manière la plus ordinaire de jeûner
parmi ces religieux est de ne manger seu-
lement que de deux jours en deux jours, et
toujours le soir quand le soleil est couché ;
mais le samedi ni le dimanche ils ne jeûnent
point ; et comme dans chaque église H ne s'y
dit qu'une messe par jour, ils ne la célè-
brent que le soir les jours qu'ils jeûnent, et
tous y communient, après quoi ils vont man-
ger. La raison qu'ils en donnent, c'est qu'ils
disent que Notre-Seigneur Jésus-Christ fit la
cène le soir un jour de jeûne. Aux autres
jours qu'on ne jeûne point , ils la disent le
malin.
Ces religieux se lèvent deux heures avant
le jour pour dire leurs matines et ne man-
gent jamais de viande dans le couvent. Mais
Alvarez remarque que lorsqu'ils se trou-
vaient avec les Portugais, ils ne laissaient
pas d'en manger et de boire du vin, pourvu
qu'ils n'eussent point de compagnon, de peur
qu'il n'en avertit le supérieur, qui les au-
rait châtiés sévèrement pour cette transgres-
sion. M. Poncet dit qu'il en a vu qui se le-
vaient deux fois la nuit pour chanter des
psaumes ; peut-être que c'esl selon les diffé-
rents instituts qu'il y a en ce pays, soit de
l'abbé Técla-Haymanot, soit de l'abbé Eustase.
Outre le carême dont nous avons parlé,
qui dure cinquante jours, M. Poncet dit qu'i s
eu ont encore trois autres, de même que le
reste du peuple : savoir, celui de saint Pierre
et de saint Paul, qui dure quelquefois qua-
rante jours et quelquefois moins, selon que
la fête de Pâques est plus ou moins avancée ;
celui de l'Assomption de Notre-Dame, qui
est de quinze jours ; et celui de l'Avent, qui
est de trois semaines. François Alvarez mar-
que néanmoins ces carêmes d'une autre ma-
nière que M. Poncet. Outre le carême de la
Résurrection de Notre-Seigneur , qui Com-
mence à la Sexagésime, il dit qu'ils jeûnent
depuis le lundi de la Trinité jusqu'au jour
de la Nativité de Nolre-Seigueur ; que de-
puis ce jour-là jusqu'à la Purification de
Notre-Dame, ils ne jeûnent poinl, m lis que,
les trois jours qui suivent celte fête, ils ne
mangent qu'une fi is en ces trois jours, ce
qu'ils appellent la pénitence.de Ninive. Nous
aimons mieux ajouter foi à Alvarez, qui était
plus insiruil que M. Poncet de ce qui regar-
dai! la religion et les mœurs des Ethiopiens.
Dans tous ces carêmes on ne se sert ni d'oeufs,
ni de beurre, ni de fromage ; on jeûne avec
la même rigueur tous les vendredis de l'an-
née. On ne dispense personne du jeûne, les
jeunes gens, les vieillards et même les ma-
lades y sont obligés.
Mais, avec tant d'austérités et de morliG-
233
F.TI
ETI
23 1
calions, ces religieux son! si attachés à leurs
erreurs, qu'ils n'écoutent point les mission-
naires qui vont chez eux pour les faire ren-
tre! au sein de l'Eglise. Ils se sont toujours
opposés à leurs bons desseins en empêchant
que les peuples ne se convertissent. Ils leur
inspirent tant d'aversion pour les Europé-
ens, qui sont blancs par rapport à eux, qu'ils
leur font mépriser et même haïr tout ce qui
est blanc ; c'est pourquoi, s'ils représentent
saint Michel terrassant le diable, saint Mi-
chel est de couleur olivâtre, qui est celle des
Abyssins, et le diable est blanc.
Le pape Clément Vil, afin d'attirer ces
peuples à la foi orthodoxe et les ramener au
sein de l'Eglise, leur accorda en 1525 l'é-
glise de Saint-Etienne qu'on nomme des In-
diens ou des Maures (1), à côté de laquelle
il y a un hôpital où ceux qui viennent à Rome
sont logés et entretenus aux dépens du pape.
Grégoire XIII ordonna que lorsqu'il y aurait
des Ahysins à Rome, on leur fournirait du
palais lout ce qui leur serait nécessaire (2).
Innocent XII, imitant la piété de ses prédé-
cesseurs, a établi un fouds decinqu inte mille
écus romains de revenu pour envoyer des
missionnaires en Ethiopie et dans les autres
provinces de l'Afrique.'
Ils ont une chapelle à Jérusalem dans l'é-
glise du Saint-Sépulcre, où ils font l'office
suivant leur rite ; et , selon les relations de
plusieurs voyageurs, ils le font avec tant
il'indévolion et d'irrévérence, qu'ils s'attirent
le mépris de tous les étrangers. Mais, comme
il y a peu de voyageurs qui s'accordent en-
semble, M. Poncet, parlant de leurs céré-
monies de la messe, dit qu'elles sont majes-
tueuses. 11 y avait autrefois plusieurs moi-
nes Ethiopiens qui allaient tous les ans en
grand nombre en pèlerinage à Jérusalem, et
faisaient en sorte de s'y trouver la semaine
sainte. Alvarez dit qu'étant à Barua dans le
gouvernement du Bemagas , il y eut une ca-
ravane composée de trois cent trente-six
moines et «i-e quinze religieuses, qui partit
pour ce voyage, mais qu ils furent pris par
les Arabes ; que les vieux furent tués, les
jeunes vendus pour esclaves, et qu'il n'y en
eut pas plus de quinze qui se sauvèrent. De-
puis ce temps-là ils n'ont point été à Jérusa-
lem en caravane ; il y en a seulement qucl-
yues-uns qui y vont comme passagers. Nous
donnons riiibillementde ces religieuxet reli-
gieuses tel que ledécrivent AlvarezetM. Pon-
cet.
Voy. Fran. Alvarez, Voyage d'Ethiopie.
Le Gobien, Lettres édifiantes des missions
IV' vol. Le Monde de Davily ; et Morigia,
Hist. de toutes les religions, c. 70.
ETIENNE PAPE ET MARTYR (Ordre mi-
litaire de Saint-), en Toscane.
Pendant que l'on travaillait en Espagne et
en Portugal à la réforme des monastères de
l'ordre de Saint-Benoît, ce même ordre ac-
quit un nouveau lustre en Italie par l'insti-
tution de celui de Saint-Etienne, qui com-
prend des chevaliers et des chapelains, des
religieux et religieuses , qui sont tous sou-
mis à la règle de Saint- Henoît. Ce qui donna
lieu à l'institution dé cet ordre militaire, fut
la victoire que Corne de Médicis', qui fut pre-
mier grand-duc de Toscane, remporta pro-
che Marciano, l'an 155V, le deuxième joatf
d'août, fêle de saint Etienne pape et martyr,
sur le maréchal de Strozzi, qui commandait
les troupes de France. Ce prince, pour con-
server la mém lire de celle victoire, qui lui
assurait la souveraineté de la Toscane, ob-
tint du pape Pie IV, l'an 1561, une bulle qui
lui permettait de fonder cet ordre militaire
sous la règle de Saint-Benoît, dont la princi-
pale fin serait de défendre la foi calholiquee»
défaire la guerre aux cor^aiiesqui parleurs
pirateries empêchaient le commerce de la
Méditerranée. Côme de Médicis ayant ins-
titué cet ordre et dressé des statuts , que les
chevaliers devaient observer, le même pon-
tife l'approuva p ;r une autre bulle de l'an
1562, et déclara ce due de Toscane et ses
successeurs grands maîlreset chefs de cet or-
dre, auquel il accorda plusieurs privilèges,
affranchissant delà juridiction desordinaircs
non-seulement la personne des chevaliers,
mais même leurs biens , en ce qui regardait
le; commauderies et bénéfices les exemptant
de toutes sortes de décimes, leur permettant
de se marier et de pouvoir posséder des pen-
sions silr des bénéfices jusqu'à la somme de
deux cents écus (même ceux qui auraient élé
mariés deux fois), ce qui fut augmenté jus-
qu'à la somme de quatre cents écus d'or par
les papes Sixte et Parti V.
Comme le duc de Toscane fonda cet ordre
à Pise, il voulut que la résidence ordinaire
des chevaliers se fit en cette ville, où il leur
fit bâtir deux maisons conventuelles, aux-
quelles il joignit une magnifique église, que
ses successeurs ont eu soin d'embellir. Ces
deux maisons sont les principales de l'or-
dre; il y a toujours un grand nombre de
chevaliers qui y demeurent, avec des cha-
pelains pour f lire l'office divin, lesquels
chapelains sont aussi chevaliers et religieux
de cet ordre, et vivent en commun sous l'o-
béissance d'un grand prieur, qui est grand'-
croix de l'ordre, et qui se sert d'ornements
pontificaux dans les fonctions ecclésiastiques.
A peine cet ordre eut-il été établi, que les
chevaliers se mirent en mer l'an 1563 et con-
tinuèrent pendant plus d'un siècle à donner
des preuves d'une valeur peu commune;
car cette même année 1563 ils s'emparèrent,
avec 1 urs galères, de quelques vaisseaux
turcs, et donnèrent la chasse aux galères de
Rhodes. lis se joignirent, l'an 156ï, aux ga-
lères d'Espagne, qu'i's aidèrent à prendre la
forteresse de Pignon. Ils donnèrent secours
l'an 1565 aux chevaliers de Malte, lors-
que les Turcs assiégèrent leur île. Us atta-
quèrent en 1568 deux vaisseaux d'un fa-
meux corsaire nommé Carasccli, et s'en ren-
dirent maîtres. Ils armèrent en 1571 douze
galères, avec lesquelles ils se joignirent à
(I) Abb. Piazza, Oper. pie di.Roma, trait. 2, cap. S. (2) Itjid., Trait. 5, cup. 3.
Dictionnaire des Ordres religieux. II.
£35
DXTIONNAIISE DESORDRES IVELICIEIJX.
236
l'armée dos chrétiens qui remporta la fa-
rnouse vitloire de Lépanlc. Le corsaire Bar-
berousse éprouva leur valeur en 1572 lors-
qu'ils lui prirent sa capitaine; et, après
avoir remporté plusieurs avantages sur les
infidèles, ils obligèrent le Grand Seigneur à
demander la paix. Les articb s furent dres-
sés de part et d'autre ; mais le chevalier
Buongianni Gianfiliazzi ayant été envoyé à
Gonstanlinop'e pour la faire ratifier, il trou-
va que les Turcs avaient changé de senti-
ment , et retourna en Italie sans avoir exé-
cuté sa commission. Ainsi la guerre recom-
mença entre les infidèles et Côme de Méd cis,
ejui avait été fait grand-duc par le pape Pie
V, l'an 1569, malgré les oppositions do l'em-
pereur Maximilien et de Philippe II , roi
u Espagne.
François de Médicis ayant succédé à son
père Côme l", fll armer les galères, qui rem-
portèrent de nouveaux avantages. Les che-
valiers de Saint-Etienne s'emparèrent de
Cole en Barbarie, en 1582, de Monastero et
de quelques autres places en 1585, de Ch.io
en 1599, de Preveza, sur les frontières d'Al-
banie, en 160i. Ferdinand I", qui hérita des
Etats do son frère François, renforça l'esca-
dre des chevaliers de Saint-Etienne de huit
galères et six gallions. En 1607 ils saccagè-
rent la forteresse de Hone en Barbarie, et
voulurent s'emparer de Famagosle en Chy-
pre ; mais ils furent repoussés par les Turcs,
qui, croyant vaincre encore ces chevaliers,
mirent en mer l'an 1008 une armé;; de qua-
rante-cinq galères. Les chevaliers ne lais-
rèrenl pas de les attaquer, quoiqu'ils n'eus-
sent que six galères et onze gallions, et les
obligèrent de prendre la fuite. Côme II ayant
rejeté les propositions de paix que la Porte
lui avait faites, arma de nouveau ses cheva-
liers, qui prirent l'an 1610 Bischieri en Bar-
barie, Disto en Négrepont, l'an 1611, Chiei -
mon l'année suivante, et la forteresse d'Eli-
man, dans la Caramanie, l'an 1613, d'où 'ils
remportèrent de riches butins.
Après la mort de Côme II, Ferdinand II
lui ayant succédé, ii ne témoigna pas moins
d'ardeur à faire agir les chevaliers de Saint-
Etienne, qui, après s'être encore emparés de
Bischieri, prirent en 1624 vingt-cinq galères
turques et un grand nombre de petits bâti-
ments, dont on voit encore les dépouilles
dans les couvents de cet ordre à Pise et à
Livourne. Le long siège de Candie fut en-
core une occasion à ces chevaliers pour faire
preuve de leur valeur, et, quoique la paix se
lit l'an 1670 entre les Vénitiens et le Grand
Seigneur, ils ne laissèrent pas de poursui-
vre leurs avantages sur les tioupes ottoma-
nes. On compte plus de cinq mille six cents
chrétiens qu'ils ont délivrés des fers, et qua-
torze mille huit cent-soixante et onze escla-
ves qu'ils ont faits jusqu'en 1078. Depuis ce
temps-là on n'a guère parlé de leurs expé-
ditions, si ce n'est qu'en 168i, la république
de Venise étant entrée encore en guerre avec
les Turcs, les galères du grand-duc se joi-
(1) Voy., à la lin du vol., n" 10.
fS) Voy.. à la lin du vol., n"5l.
gniront à l'armée des Vénitiens comme trou-
pesauxiliaires.Lesfigures de. bronze dcCôm<2
P'etdo son fils Ferdinand l", qui sont à Flo-
rence dans la place Dm aie et dans celle do
l'Annonciadc, ont été faites des canons pris
sur les infidèles, comme il paraît par l'ins-
cription qui est sur le piédestal de la pre-
mière, où on lit ces paroles : Di métallo
rapito al pero Trace.
11 y a dans cet ordre des chevaliers de
justice, des chapelains et des frères ser-
vants. Parmi les chevaliers de justice, qui
sont obligés de faire preuves de noblesse de
quatre races, il y a aussi des ecclésiastiques
obligés aux mêmes preuves, et les uns et les
autres portent la croix rouge à huit angles
orlée d'or, tant sur le côté gauche de leur
habit que sur le manteau. Les chapelains ou
prêtres d'obédience sont véritablement reli-
gieux et portent du côté gauche la croix rou-
georlée seulement de soie jaune, et los frè-
res servants la portent de même, au cô'é droit.
Il y a aussi, comme dans l'ordre de Malle, des
demi-croix. L'habit de cérémonie des che-
valiers consiste en un grand manteau do ca-
melot blanc doublé de taffetas incarnat , avec
des cordons de même couleur pendant jus-
qu'à terre (1). Celui des chapelains consiste
en une soutane blanche doublée de rouge, un
camail aussi de camelot, sur lequel est la
croixdel'ordreetun rodiet (2). Leur habit or-
dinaire pour lechœur consiste enunesoulane
noire, un surplis et une aumusse noire sur
le bras, sur laquelle aumusse est la croix de
l'ordre (3). Et l'habit des frères servants n'est
que de serge ou rase blanche avec des man-
chesétroiles, doublées do taffetas rouge et la
croix du côtô droit.
Le conseil de l'ordre est composé do douze
chevaliers, qui s'assemblent à Pise dans
l'un des deux palais où sont la chancellerie
et les archives, pour y traiter de toutes les
affaires qui concernent l'ordre, tant pour le
Suirituel que pour le temporel. Les cheva-
liers graiiu'Croix et ceux qui sont obligés du
servir sur les galères pour faire leurs cara-*
Canes, doivent résider dans l'un des de'ux
palais, où ils sont nourris et entretenus aux
dépens de l'ordre, et les novices y sont ins-
truits de tous les exercices quiconviennentà
la noblesse.
Les principales dignités de l'ordre sont
les grands commandeurs, dont l'office dure
pendant la vie du grand maître; le grand
connétable , l'amiral, le grand prieur du
couvent, le grand chancelier, le trésorier gé-
néral, le conservateur général et le prieur
de l'église, qui s'élisent tous les trois ans
dans le chapitre général, où se trouve lo
prand-duc comme grand maître, et où on
élit aussi les chevaliers à la grand'eroix et
les douze qui doivent composer le conseil.
|]e chapitre se tient le dimanche in Albis :
!ous les chevaliers qui sont en Toscane
r.ont obligés de s'y trouver. 11 y eu a lou-
lours plus de trois cents. Les frais de leur
voyage leur sont payes, et ils s :nt nourris
("•) Voy., à la fin du vol., n°52.
£57
ETO
ETO
25g
fit logés avec leurs serviteurs pendant le
iempsdu chapitre. L'ordre possède vingt—
'.rois prieurés, trente-cinq bailliages, et un
très-grand nombre île commanderics. Lors-
que les chevaliers font profession, ils l'ont
vœu de pauvreté, do charité et d'obéissance;
el les chapelains, comme religieux, de pau-
vreté, de chaslelé el d'obéissance. Le grand
maître donne l'habit aux chevaliers, et leur
fait faire pofession ; et les chapelains ne la
font qu'entre les mains du grand prieur, qui
leur donne aussi l'habit.
Bernard Giusliniani, Bisl. Chronol. de gli
Ord. mil il. et retiy. caval., tom. II. Fran-
cise. Menncnius, de Ord. milit. Silvcslr.
Maur»1. Mar. Occan. di tut t. gl. Religion.
Ascag. Tamburin., de Jur. Ahbat. tom. Il,
disp. 24. quœst. 5, n. 85. Bullarium Roma-
nu»>,ei Siatuti et Constitutioni deW Ordine
di S. Stefano.
Après que Côme I", duc de Toscane, eut
Institué l'ordre militaire de Saint-Etienne,
l'an 1562, pour des chevaliers, des chape-
lains et des frères servants, comme nous
avons dit, il voulut encore y joindre des re-
ligieuses, pour imiter davantage l'ordre de
Malle, qui lui avait servi de modèle pour
former celui de Saint-Etienne. C'est pourquoi
les religieuses Bénédictines qui desseivaient
l'abbaye de Saint-Benoît de Pise, qui avait
été donnée à l'ordre de Saint-Etienne par le
pape Pie IV l'an 15G5, furent incorporées à
cet ordre, el en prirent l'hab't. Le second
monastère de ces religieuses fui fondé à Flo-
rence l'an 1588 sous le litre de l'Immaculée
Conception, et le pape Clément VIII approuva
cet établissement l'an 1592. Le P. Bonanni,
Jésuile, dit que ce fui Eléonore de Tolède,
femme de Côme Ier, qui fonda ce monastère;
mais cette princesse ne peut pas en avoir été
la fondalrice, puisque Côme 1er mourut en
1574 et qu'il n'avait épousé Eléonore de To-
lède qu'en premières noces.
Les religieuses de cet ordre doivent faire
preuve de noblesse; elles ont pour habille-
ment une tunique ou robe de laine blanche,
avec un scapulaire de même étoffe, el sur le
côié gauche une croix rouge comme celle
des chevaliers (1) : celles de Florence y ajou-
tent une iresse de soie jaune à l'enlour. Au
chœur et dans les cérémonies elles ont une
coule blanche avec de grandes manches dou-
blées de taffetas incarnat (2). Les abbesses
portent la croix plus grande, de velours rou-
ge ; les sœurs servantes ou converses la
portent de serge rouge, mais plus petite que
celle ries sœurs du chreur.
Philippe Bonanni, Catalogus Ordinum re-
liyio?. in Eccles. milit., pari. n.
ÉT1BNNE DE STRASBOURG (Saint-). Voyez
Cologne.
ETOILE DE MESSINE. Voyez Ampoule
(Sainte-).
ÉTOILE DE NOTRE-DAME (Chevaliers
de l'). Voyez Ampoule (Sainte-).
(t) Voy., à In fin du vol., n" 55.
(-1) Voy., à la fin du vul., n° 54.
ETOILE en France (Ordre de l').
Des chevaliers de l'ordre de Notre-Dame de
la Noble Maison, communément appelé
l'Ordre de l'Etoile, en France.
Favin attribue l'institution de l'ordre de
l'Etoile à Robert, roi de France, et prétend
que ce prince ayant pris la sainte Vierge
pour la protectrice de cet ordre, lui donna
le nom de l'Etoile, parce qu'il regardait cette
reine des anges connue l'étoile de la mer et
la guide de son royaume. Il ajoute que cet
ordre était composé de (renie chevaliers, y
compris le roi, qui était le chef et le souve-
rain grand maître; que les cérémonies de
l'institution en lurent faites le jour de la na-
tivité de la sainte Vierge au mois de septem-
bre de l'an 1022, dans la chapelle du Palais,
dite Notre-Dame de l'Etoile, qui est la basse
Sainte-Chapelle, et que les premiers qui fu-
rent honores de ecl ordre après le roi furent
ses trois iils, Hugues le Grand, Henri l" et
Robert, duc de Bourgogne; Richard 11, duc
de Normandie el de Bretagne, Guillaume III
dit Tcte d'Etoupes, duc d'Aquitaine, comte
d'Auvergne el de Poitou; Guillaume III,
comle de Toulouse; Baudouin à la Belle-
Barbe, comte de Flandre; Hébert le Vieux,
comte de Troyes; Odom, comte de Beau vais ;
Geoffroy Grise-Gonelle , comle d'Angers;
Amau ry, comle rie Noy on, et Baudouin de l'Ile,
comte de Hainaut, fils de Baudouin à la Belle-
Barbe. 11 fait même la description de l'habil-
lement que portaient ces chevaliers. Leur
manteau, à ce qu'il dit, élait de damas b'anc,
le manlelet el les doublures de damas incar-
nai, et la colle ou gonelle de même, sur
laquelle élait une étoile d'or en broderie; le
grand collier était aussi d'or à trois chaînes,
entrelacées de roses de même émaillées al-
ternativement da blanc et de rouge (3). Il
ajoute que ces chevaliers étaient obligés de
dire tous les jours en l'honneur de la Vierge
la couronne ou chapelet de cinq dizaines ,
avec quelques autres prières pour le roi et
l'Etal, et il rapporte une oraison qu'il pré-
tend que ce prince avait composée lui-
môme.
Si nous voulions encore ajouter foi à cet au-
teur, Philippe-Augusteavailreçude Louis VII,
son père, dans l'abbaye de Saint-Denis en
France, le collier de cet ordre l'an 1180, le
jour de son couronnement. Le même Phi-
lippe le donna en la ville de Gournay eu
Normandie, à Artur, en lui donnant l'inve-
stiture des comléi de Bretagne, d'Anjou et
de Poitou. Louis VIII fut fait aussi chevalier
de cet ordre le jour de son sacre, l'an 122i,
dans l'église de Reims. Saint Louis, son lils,
le fut aussi l'an 1220. Le même saint Louis
donna cel ordre à Roberi de France l'an
1227, à Corbeil, el l'an 12iG à d'autres; mais
tout ce discours de Favin n'est que fable et
fiction. Oulre que nous sommes persuadés
qu'il n'y a point eu d'ordres militaires et de
chevalerie avant le douzième siècle, el par
(5) Voy., à h fin du vol., n° £5.
Ï39
PJCTIONNAinE DES ORDRES P.ELIf.lEUX.
240
conséquent que le roi Robert n'a pas pu
avoir institué l'ordre île. l'Ktoilc, il est liés-
coustant que cet ordre a élé inslilué par le
roi Jean lLr l'an 133 1 : ce qui est facile à
prouver par la lettre circulaire que ce prince
écrivit aux seigneurs qu'il voulut honorer de
cet ordre, qui se trnuve dan* la chambre
des Comptes à Paris, Mémorial C, et quj
nous rapporterons ici.
Biau cousin, nous à l'honneur de Dieu et
en assaucemcnl de ch valerie cl accroissement
d'honneur, avons ordonné de faire une compa-
gnie de chevaliers, qui seront appeliez Che-
valiers de Noire-Dame de la Noble Maison,
</ui porteront la robe cy après divisiée ; c'est
ensemble se ils peuvent b nnement. Et pour-
ront lesd. chevaliers se il leur plait lever ban-
nière vermeil simê d'éloilles ordonnées et une
image de Noire Dame blanche, especiulement
sur les ennemys de la foi ou pour la guerre
de leur dro. tuner seigneur, et au jour de leur
trepassemènl, i's envoiront èi la Noble Maison
se ils peuvent bonnement leur annel et leur
fermait les meilleurs qu'ils auront faits pour
ladite compagnie, po <r m ordonner au, profit
de leurs urnes et en l'honneur de l'église de l'i
Noble Maison en laquelle sera fait leur ser-
vice solemnellement. Kl sera tenu chacun de
faire dire une messe pour le trépassé au plus-
tosl i/ue ih pourront bonnement depuis qu'i
assavoir une colle blanche , un serret et un l'auront sceu. Et est ordonné que tes armes et
chaperon vermeil quand ils seront sans mon- timbres de tous les seigneurs chevaliers ue la
tel ; et quand ils vesliront mantel, qui sera
fait à guise de chevalier nouvel à entrer et
demeurer en l'église de la Noble Maison, il
sera vermeil et fourré de vert non pas d'her-
mines, de cendail ou samist blanc, et faudra
qu'ils aient sous le dit mantel serret blanc ou
cotte hardie blanche, chausses noires et sou-
Noble Maison seront peints en lu salle d'icelle
au dessous d'un chacun la ou il sera. Et se il
y a aucun que honteusement que ( Diex ne
Notre Dame ne veullent) se parient de la ba-
taille ou besogne a donnée, il sera suspendu
de la compagnie, et ne pourra porter tel habit
et H tournera en la Noble Maison ses armes et
liez dorez, et porteront continuellement un son timbre sans dessus dessous, sans eff acier
annel en tour la verge duquel sera escript leur jusques à temps qu'il fut restitué par le prince
nom et surnom, auquel annel aura un csmail ou son conseil et tenus pour relevez par son
plus vermeil, en l'esmait une étoile blanche, bienfait . Et est encore ordonné qu'en la No-
(ii* milieu de l'étoile une rondeur l'azur, un ble Maison aura une table oppellée lu table
petit soleil d'or, et au muntelu sur l'épaule au d'honneur en laquelle seront assis la veille et
devant en leur chaperon un fermait auquel le jour de ta feste les trois plus suffisions ba-
aura une étoile toute belle comme en Formel, cltcliers qui seront de ladite feste, de ceux qui
est divisée, et tous les sabmedis quelque part seront receus en ladite compagnie et en chacune
ils seront ils porteront vermeil tt blanc en
colle et serret et chaperons comme dessus, se
faire se peut bonnement, et se ils veulent por-
ter mantel, il sera vermeil et fendu à l'un des
coslés et toujours blanc dessous ; et si tous tes
jours de la semaine ils veullent porter fermait
faire le pourront et sur quel robe il leur ptai
veille de feste de la mye aoust chacun an après
en suivant seront assis à ladite table d'hon-
neur les trois princes, trois baronnets et trois
bacheliers qui l'année auraient plus fait en
armes de guerre; car nuls faits d'armes du
pays ne sera mis en compte. Et est encore or-
donné que nul d'iceux de ladite compagnie ne
ra. En l'urmeure pour guerre ils porteront pourra entreprendre et aller en aucun volage
le dit fermait en leur camail ou en leur cotte
à armes, ou la ou leur plaira apparemment.
Et seront tenus de jeûner tous hs sabmedis
s'ils peuvent bonnement, et se bonnement ne
peuvent iceux ou ne veullent, ils donront ce
loinglain sans le dire ou faire scavoir au
prince. Lesquiex chevaliers seront au nombre
de cinq cens, et desquiex nous comme inven-
teur et fondateur d'icelle compagnie seront
prince, ainsi l'en devront eslre nos succes-
jo-.r quinze deniers pour Dieu en l'honneur seurs roys, et nous avons élu es re du nombre
des quinze joyes de Notre Dame. Jureront qu'à
Itur pouvoir ils donront loyal conseil au
prince de ce qu'il leur demandera soit d'armes
et d'autres choses. El se il y a aucun que avant
cette compagnie aient emprise aucun ordre ,
ils le devront laiss;r, se ils peuvent bonne-
ment, et se bonnement ne le peuvent laisser si
sira celle compagnie devant. Et si en avant
n'en pourront aucune autre entreprendre sans
le congé du prince. Et seront tenus venir tous
les ans en la Noble Maison assise entre Paris
de ladite compagnie et pensons à faire se Dieu
ptail la première feste et entrée de ladite com-
pagnie à S. Ouyn le jour et la veille l'appa-
rition prochaine. Si soyez aux d. jours et
lieux se le pouvez bonnement à tout vostre
habit annel et fermait, et udoneques sera vous
et aux autres plus à plain parlé sur cette ma-
tierre. Et est encore oi donné que chacun ap-
portera ses armes et son timbre pins en un
feuillet de papier ou de parchemin afin que
les piintres les puissent mettre ptastot et plus
et Saint-Denis en France à la veille de la feste proprement la ou ils devront eslre mis à la
de Noire Dame de la my aoust dedans primes
et y demeurer tout le jour et le lendemain ,
jour de la feste jusques après vespres. Et se
bonnement ils n'y peuvent venir ils en seront
crus par leur propre parole. Et en tous les
lieux ou ils se treverons, venir ensemble, au
plus, à la veille cl au jour de ladite mye aoust,
et que bonnement ils n'auront pâ venir à ce
jour au lieu de la Noble Maison; ils porteront
lesdilcs i obbes et orront vespres et la messe
\oble Maison. Donné à sains Chrislhophle en
Hulotte le G. jour de novembre l'an de grâce
1 ..51.
Il y a des auteurs qui prétendent que
Charles VII, voyant ses finances épuisées,
ne trouva point d'autres moyens pour ré-
compenser les capitaines de son armée que
de leur donner le collier de cet ordre, qui ne
se donnait auparavant qu'aux princes cl aux
grands seigneurs de France; que pour ce
»l
KTO
ETO
212
sujet ceux-ci firent leur remontrance au roi,
que c'était avilir l'ordre que de le donner
indifféremment à toutes sortes de personnes,
sans avoir égard à la noblesse; et que ce
prince, ayant assemblé le chapitre au palais
de Clichy, l'an 1554, ôta le collier qu'il por-
tait et lé mil au cou du capitaine du guet de
nuit, et l'appela chevalier du guet, ordon-
nant qu'à l'avenir il porterait cette marque
de l'ordre de l'Etoile, et que sur les hoque-
tons des archers du guet il y aurait devant
et derrière une étoile blanche en broderie :
ce qui donna lieu aux princes et aux sei-
gneurs de quitter aussi le collier de l'ordre.
Mais les chevaliers ne portaient point de
collier, comme on a pu voir dans les lettres
de Jean I", fondateur de cet ordre. Ainsi le
roi Charles Vil ne pouvait pas avoir ôté son
collier pour le mettre au cou du chevalier
du guet. Du temps de saint Louis, cet officier
avait déjà la qualité de chevalier du guet, et,
s'il était vrai que Charles VII lui eût donné
l'ordre de l'Etoile, il n'aurait pas pour cela
avili cet ordre, puisque le chevalier du guet
était toujours gentilhomme et avait même le
litre de chevalier, comme il paraît p;ir plu-
sieurs titres; nous nous contenterons seule-
ment de rapporter des lettres de Louis XI
données à Beynes en Hainaul le 3 août 14(>1,
par lesquelles il Ole l'office de chevalier du
guet à Philipi e de la Tour, chev. lier, pour
en revêtir Jean de Harlay, qui, était aussi
chevalier. Loys par la grâce de Dieu Roy de
Fiance, à t «s ceux qui ces présentes lettres
verront, salut. Comme par le. t'epas de. nuire
ti es cher seigneur et père à cui D.eu pardoint ,
la couronne et seigneurie de notre dit royau-
me nous soient par la dite grâce de Die i ad-
renuz et esclieuz, et par ce nous appartiengne
pourvoir aux offices d'icelni nostre royaume,
de personnes ydoines cl suf/ santés à notre
ion plaisir, sçacoir faisons que par la bonne
relation qui faite nous a esté de notre bien
amé Jehan de Harlay escuyer et de ses vail-
lances, pro esses, preudomic, et bonnes dili-
gences, à icelui pour ces causes et autres à ce
nous mouvons, avons donné et octroyé, don-
nons il octroyons de grâce especiale par ces
présentes l'office de chevalier du guet de nuit
de nosire bonne ville et cité de Paris, pour
icelui office avoir et tenir, et dorennavant
exercer aux droits, gaiges, honneurs, préro-
gatives, pmuffits et émoluments accoutumez,
et qui y appartiennent, tant comme il nous
plaira, s'il est il ce suffisant. Si donnons en
mandement au prevost de Paris qui pour nous
sera ou à son lieutenant, qie prins et receu
audit Jean de Harlay le serment en tel cas
accoutumé, icelui mette et institue ou face
mettre et instituer de par nous en possession
et. saisine dudit office, et d'iccluy ensemble des
droits, gaiges, honneurs, prérogatives, prouf-
fitz et emolumens dessusdits, le fare, souffre
et laisse jouir et user plaine merci et paisible-
ment, et e\ luy obéir et entendre de tous ceux
et eiinsi qu'il appartiendra, es choses touchant
et regardemt ledit office, osté et débouté d'i-
c.-lug nosire amé et féal l'Iiilippes de la Tour
ch'.vedier, et tout autre illicite détenteur, non
ayant sur ce nos lettres de don p ecedent en
date de ces présentes, etc. Pour preuve que
ce Jean de Harlay était chevalier avant que
d'être pourvu de l'office de chevalier du
guet, nous rapporterons encore les lettres
suivantes du comte de Clermont, fils du duc
de Bourbon. Nous Jehan, ainsné fils du duc
de Bourbonnois et d'Auvergne, comte de Cler-
mont, lieutenant générât et gouverneur pour
monseigneur le roy de ses pays et duché de
Guyenne, certifions à tous qu'il appartiendra
que au voyage dernièrement fait au pays de
Normandie pour la réduction d'iccluy ei l'o-
beissance de mondit seigneur le roy et an com-
mencement d'iceluy voyage, preismes et meis-
mes en nostre charge, retenue et compagnie
nosire amé et féal chevalier messire Jehan île
Harlay, lequel bien et honnorablemenl monté
et armé, servit mnniit seigneur durant ledit
voyage en nos redite compagnie sans départir,
tant en sièges, rencontres el courses, qu'en
autres affaires de guerre, esquelles il s'est
trouvé comme bon, vaillant et comme doit
faire. El nous tenant sege devant la ville de
Vire, audit pays de Normandie, durant iceluy
voyage, luy donnâmes l'ordre de chevalerie
oiec toute solcmnité deiies, et ce certifions
estre vray par ces nos lettres, lese/ueltcs en
lemoing de ce avons signé de nostre main, et
fait sceller du petit sii/nrt e\ nos armes en
l'absence de, nosire grand scel. Donné au Ho-
chet en Bourbonnois le 22. jour de janvier
1455. Il y a encore d'autres lettres de
Louis XI, données à Bordeaux le 20 mars
1462, par lesquelles il paraît que ce Jean de
Harlay avait une compagnie d'ordonnance
sous le titre de Crussol, chevalier el sénéchal
de Poitou : ce qui l'empêchant d'exercer son
office de chevalier du guet, le roi lui permit
de le faire exercer pendant un an. Ces let-
tres sont des preuves suffisantes que le che-
valier du guet était as?ez distingué pour ne
pas faire déshonneur à l'crùre de l'Etoile en
le portant; et c'est une erreur de dire qu'il
ne se donnait qu'aux princes el aux grands
seigneurs, puisque le roi Jean I", qui l'in-
stitua, voulut qu'il y eût cinq cents cheva-
liers, et que, l'an 1358, il le donna à Jac-
ques Bozzut, qui n'était que collatéral ou
conseiller de Louis, duc de Duras, comme il
paraît par l'épitaphe de ce Bozzut que l'on
voit dans l'église cathédrale de Naples. S'il
était vrai aussi que Charles Vil l'eût donné
par mépris au chevalier du guet, il n'y a pas
d'apparence que Louis XI l'eût donne, l'an
1458, à son gendre Gislon de Foix, prince
de Navarre; et il n'aurait pas mandé, en
14-70, aux prévôt des marchands et échevins
de Paris qu'il vouiail vrniren celte ville pour
célébrer la fête de l'ordre de l'Etoile, et qu'il
entendait que les princes et les grands sei-
gneurs qu il mènerait avi c lui fussent logés
par fourrière. Cet ordre subsista jusque sous
le règne de Charles VIH, qui l'abolit à cause
de l'ordre de Saint-Michel que Louis XI, son
père, avait institué.
Favin, Théeltre d'honneur et de ch vaierie.
Giusliniani, H'ist. di tutti gli ordini militari.
Archives de la chambre des comptes de Paris,
DICTIONNAIRE DESORDRES RELIGIEUX.
Mémorial C, fol. 108, el manuscrits de Du
Chêne, à la bibliothèque du Roi.
ETOLE. Voyez Bande (Ordre i>e la).
ETOLE D'OR ri Venise. Voyez Chausse.
ETROITE OBSERVANCE. Voyez les divers
titres spéciaux des observances strictes et
réformées.
ETROITE OBSERVANCE DE CITEAUX
^Religieux de l'). Voyez Cîteaux, § 3".
FUDISTES.
Des prêtres missionnaires communément ap-
pelés les Eudisles, avec la vie de M. Ewlts,
leur instituteur.
Les Endistes forment une compagnie de
prôlres séculiers établie en France sous le
nom et titre de Jésus et Marie; ils sont
employés à la direction des séminaires , et à
faire des missions. On les appelle Eudisles,
parce nue M. Eudes a été leur instituteur.
M. Eudes , connu sous le nom de l'ère
Ewles, vint au monde le 14 décembre de
l'année 1C01, dans la paroisse de Rie proebe
Argentan , diocèse de Séez , en Normandie.
Son père et sa mère furent trois ans sans
avoir de fruits de leur mariage; mais, ayant
fait un vœu à Dieu sous l'invocation de la
sainte Vierge , ils obtinrent un fils qui fut
nommé Jean sur les fonts de baptême , et
plusieurs autres, parmi lesquels se distingua
le célèbre M. deMézeray, bistoriographe de
France. Comme Jean Eudes , dont nous
parlons ici, était destiné à devenir l'instru-
ment des grands desseins que Dieu avait sur
lui, il fut prévenu de tant de bénédictions du
ciel, qu'il ne fit rien paraître de puéril dans
son enfance. Dès qu'il fut en étal de recevoir
des instructions, il les rechercha avec em-
pressement ; et, comme elles étaient négli-
gées dans sa paroisse, il fit tant auprès de
son père el de sa mère, qu'ils lui permirent
de les aller chercher chez les curés et les
pré'.res du voisinage. Ce fut par ce moyen
qu'il apporta de grandes dispositions à faire
sa première communion. Il en retira de si
grands fruils, et des instructions qu'il rece-
vait de ses maîtres, que sa piété croissait à
proportion qu'il avançait en âge. Le Saint-
Esprit alluma dès lors dans son cœur un si
grand amour pour Dieu et lui donna une
connaissance si parfaite des faux plaisirs du
monde, que pour y mieux renoncer il fit vœu
de chasteté à l'âge de 14 ans.
Dès qu'il se fut ainsi consacré à Dieu, il
alla taire ses études à Cacn , où, craignant
la conagion du liiier'inage ordinaire aux
écoliers, il n'y eut point de précautions qu'il
ne piît pour conserver son innocence; el,
comme les Pères Jésuites n'élèvent pas moins
la jeunesse dans la piété que dans les sciences
humaines, il se fit recevoir à la congrégation
établie dans leur collège, où il faisait ses
éludes, pour être sous la protection spéciale
de la sainte Vierge. Ayant été admis dans
celle congrégation, il devint le modèle des
autres écoliers , non-seulement par son as-
siduité aux assemblées et à fréquenter les
Sacrements, mais encore par son application
à l'élude, dans laquelle il fit un progrès mer-
veilleux.
Sur la fin de son cours de philosophie,
étant âgé de 18 ans , il pensa à choisir un
étal. Ses parents , qui le regardaient comme
l'appui de leur famille, ne manquèrent pas
de lui proposer un parti avantageux; mais
M. Eudes leur répondit qu'il les suppliait de
ne point penser à lui pour aucun établisse-
ment dans le monde, et qu'il avait fait un
choix plus noble. Il balança quelque temps
s'il se ferait religieux; mais, après de fer-
ventes prières et des jeûnes réitérés , il se
détermina au sacerdoce, seulement par le
conseil d'un sage directeur : et Dieu voulant
en faire un saint prêtre et un digne ministre
de l'Evangile, il lui donna dans la cérémonie
de la tonsure, qu'il recul alors, tout le dégoût
du monde qui dispose à la via apostolique,
dont il devait faire profession. Etant persuadé
qu'on ne consulte et qu'on n'écoule Dieu
parfaitement que dans la retraite, il regarda
la maison des prêtres de l'Oratoire comme
un lieu propre pour se préparer au sacerdoce,
auquel il aspirait. Néanmoins il ne voulut y
entrer qu'après en avoir obtenu la permission
de son père , qu'il ne lui accorda qu'au bout
de Irois ans , qu'il employa à l'élude de la
théologie scolastique, à laquelle il se donna
tout entier. Si l'humble serviteur de Dieu
avait suivi le conseil de ses amis, il aurait
pris ses degrés; mais son père lui ayant enfin
laissé la liberté d'exécuter son dessein, il
aima mieux entrer dans l'Oratoire. Ce fut le
25 mars de l'an 1623 qu'il y lut reçu, à l'âge
de 23 ans. Les instructions qu'il y reçut et
1rs pieux exercices auxquels il s'appliqua
augmentèrent encore son zèle et sa ferveur
pour son propre salut et celui du prochain.
M. le cardinal de Bertille remarqua en lui
de grands talents pour la prédication : c'est
pourquoi il lui fit faire quelques discours ,
avant même qu'il fût dans les ordres sacrés:
en quoi il réussit si avantageusement au
goût de ce digne supérieur, que pour en
tirer tout le fruit qu'on en devait attendre,
ayant dessein de l'engager au ministère de la
paro!e , il lui fit recevoir les saints ordres;
et enfin le P. Eudes céléhrasa première messa
le jour de Noël de l'année 1G2G.
Dès qu'il fut revêtu du caractère auguste
du sacerdoce, il n'épargna rien pour s'ac-
quitter dignement du ministère de la prédi-
cation; mais Dieu arrêta pendant quelque
temps les effets de son zèle, en lui envoyant
une maladie qui dura deux ans entiers, et
qui lui interdit l'exercice de ce ministère
pendant ce temps-là, qui ne laissa pas de lui
être utile pour l'élude de l'Ecriture sainte,
dont il faisait le sujet de ses méditation* , et
dans laquelle il trouva des sources inépui-
sables de science et de sainteté.
11 ne fut pas plutôt rétabli de cette maladie,
qu'il commença ses travaux aposloliques par
une aclion héroïque de charité : car étant
touché des ravages que la pesle faisait dans
le diocèse de Séez , plein de confiance en
Dieu, il y courut avec la permission de ses
supérieurs, afin de secourir ces pauvres al-
fcS
ELD
LUD
2iG
fligés, d'autant plus à plaindre, qu'ils étaient
abandonnés de leurs propres pasteurs. Quand
il y fut arrivé, il se retira chez un bon prêtre,
qui voulut être le compagnon de ses peines
et de ses fatigues, lesquelles étaient très-
gran les et trè^-dangereuses pour leurs pro-
pres personnes, puisque, durant quatre mois
que dura la peste, après avoir célébré la
sainte messe de grand matin, et consacré
plusieurs hosties qu'ils portaient dans une
boîle d'argent , ils allaient de maison en
maison pour instiuire, exhorter, confesser,
."tonner le saint viatique , et administrer
L'extrême-onction à ceux que la contagion
avait l'ait abandonner par les personnes
mêmes auxquelles ils devaient èlre le plus
chers. Les plus infectés élaient ceux que le
P. Eudes recherchait avec plus d'empresse-
ment et soulageait avec plus de lendresse.
La pesle ayant cessé au diocèse de Séez, il
retourna à Paris, d'où il fut envoyé à Caen.
11 y trouva encore une autre occasion ds
s'immoler pour ses frères : car le supérieur
de li maison de l'Oratoire de celte ville ayant
élé frappé de peste avec deux autres prêtres
de la même maison, il les assista tous trois
jusqu'au dernier soupir; mais avec tant de
charité , que ses vertus jointes aux autres
talents dont il élait doué ne permirent pas
qu'on jetât la vue sur d'autres que sur lui
pour remplir la place de ce supérieur. Ce fut
alors que se voyant chargé de ce nouvel
emploi , il redoubla son zèle pour s'en ac-
quitter dignement ; et, Rappliquant à la pré-
dication, non par le désir de plaire, mais de
convertir les pécheurs, il se mit peu en peine
de flatter les oreilles, pourvu qu'il louchât
leurs cœurs. Il reprenait hardiment le vice,
cl persuadait la vertu avec tant de force et
d'onction, que sa réputation se répandit dans
les plus grandes villes du royaume, et même
jusqu'à la cour, où la reine régente, Anne
d'Autriche, mère de Louis XIV, l'entendit
plusieurs fois avec beaucoup de satisfaction;
mais il n'était jamais plus content que quand
il annonçait la parole de Dieu aux pauvres
el aux gens de la campagne, comme il arriva
en plusieurs missions qu'il fit, étant encore
dans la congrégation de l'Oratoire. Dieu ré-
pandit de si grandes bénédictions sur celles
qu'il entreprit, que les plus grands pécheurs,
touchés par la force de ses discours, se con-
vertissaient et entreprenaient les plus au-
stères pratiques de la pénilcnee. De si heu-
reux succès attiraient un si grand nombre
de personnes à l'entendre, que dans une
mission qu'il fit dans l'église de l'abbaye de
Sainl-Etienne de Caen, elle se trouva trop pe-
tite pour contenir l'affluence extraordinaire
dn peuple qui y accourait de toutes parts,
quoique ce temple soit un des plus grands
vaisseaux du royaume.
Ce fut alors quele P. Eudes connut dansles
missions le grand besoin qu'on avait de bons
pasteurs et de prêtres zélés pour en conser-
ver les fruils et soutenir les peuples dans les
oons sentiments qu'ils y avaient conçus.
Dans cette vue il médita l'établissement des
séminaires oour eu former; mais comme il
se défiait de ses propres lumières, il ne crut
pas devoir se déterminer de soi-même à une
telle entreprise. Il en consulta donc les per-
sonnes les plus distinguées par leur science
et leur piété, qui approuvèrent le projet
qu'il en avait fait, el crurenl qu'il devait se
priver des douceurs qu'on trouve dans des
communautés formées, pour se livrer avec
confiance à toutes les peines qui sont insé-
parables des nouveaux établissements. Le
P. Eudes, qui n'envisageait que la gloire de
Dieu, déféra donc à leurs sentiments.
Après être sorlide l'Oratoire, il travailla à
l'érection d'un séminaire dans la ville de
Caen. Les premières lettres patentes ayant
élé obtenues du roi le 26 mars de l'année
1643, et s'élant associé huit prêtres, tous
remplis de l'esprit ecclésiastique, il jeta les
fondements de la première maison de sa
compagnie. Un de ses associés fut M. Blouet
de Than, connu par sa grande piété et par
le rang que sa famille occupe dans la ville,
et qui fut le fondateur de cette maison. Ce,
ne fut pas sans beaucoup de contradictions
que se fit cet établissement ; mais M. Eudes
et ses associés les surmontèrent par le si-
lence, la douceur et la patience. Plusieurs
évëques, instruits des grands fruils que fai-
saient ces hommes de Dieu dans le séminaire
de Caen, en voulurent avoir chacun dans
leur diocèse ; el leur compagnie augmentant
tous les jours en sujets distingués par leur
vertu et leur mérite, M. Eudes en envoya à
Coulanc.es, à Lisieux, à Rouen et à Evreux;
et les communautés qu'on érigea dans ces
quatre villes, avec celle de Caen, pour éle-
ver les jeunes clercs et faire aux peuples des
missions, furent autorisées sous le nom elle
litre de Jésus el Marie, par les lettres des
prélats, les patentes du roi et les arrêts d'en-
registrement du parlement, pour être unies
et agrégées ensemble, ne faire qu'on même
corps et une même congrégation, qui était
gouvernée par M. Eudes.
On vit en peu de temps un si grand chan-
gement dans le clergé de [Normandie, que
plusieurs prélats l'ayant fait connaître à
l'assemblée générale du clergé tenue en
l'année 16i6, elle approuva le zèle de M. Eu-
des, l'exhorta à continuer ses travaux apo-
stoliques, et à se tenir prêt d'aller dans les
autres diocèses où il pourrait être appelé
par les évêques.
(Juoique ce zélé instituteur et ses associés
s'employassent avec beaucoup de. ferveur à
l'éducation des clercs, ils ne négligeaient
pas pour cela l'autre fin de leur institut, qui
est de faire des missions. L'on en compte
jusqu'à cent dix où M. Eûtes a travaillé
lui-même, sans parler de plusieurs autres
qu'on fit sous ses ordres dans les principales
villes du royaume. Cel abrégé ne permet pas
d'en faire le détail, ni de rapporter lo nom-
bre infini de conversions, de restitutions et
de réconciliations que ces missions produisi-
rent, principalement à Paris, où ce grand
serviteur de Dieu fit en différents temps des
missions à Saint-Sulpice.auxQuiuze-Viugls,
à Saint Gcrmain-des-Prés, à Versailles et à
ii7
DICTIONNAIRE DES ORDRES RKLICILUX.
248
Sain'-Germain-en-Layc. Sotivenl ces heureux
succès furent traversés par des contradic-
tions ; mais c'était pour lors que le zèle et
Se courage de ces dignes ouvriers s'augmen-
tait et s'affermissait davantage, n'espérant
jamais plus de fruit d'une mission, d'une re-
traite, d'un avent ou d'un carême, que quand
Dieu permettait qu'ils fussent rebutés.
M. Eudes, croyant devoir laisser par écrit
ce que lui et ses compagnons avaient long-
temps pratiqué dans les missions, composa
deux livres ; l'un, auquel il a donné le nom
de Bon Confesseur, instruit les missionnaires
de tout ce qui concerne le ministère de la
confession ; l'autre, qui est intitulé le Prédi-
cateur apostolique , marque à tous ceux qui
ont l'honneur d'annoncer la parole de Dieu
les règ'es et les moyens de le faire utilement
pour le prochain, et d'éviter ce qui faisait le
sujet de la crainte de saint Paul, c'est-à-dire,
qu'après avoir précité les autres, ils ne soient
eux-mêmes réprouvés. Ces deux livres sont
très-utiles pour former des confesseurs fidè-
les, exacts et prudents, et des prédicateurs
érangéliques, qui doivent autant instruire
d'exemple que de paroles ; mais principale-
ment le premier, nui a été si universellement
estimé, qu'avant la mort de son auteur on en
avait fait plus de neuf éditions, et qu'un des
plus illustres archevêques de France en or-
donna la lecture à tous les préires de son
diocèse par un statut particulier. On passe
sous silence plusieurs au'res livres que le
même auteur a composés pour apprendre au
peup'e à bien prier, à s'approcher des sacre-
ments, elc, et ' eux qu'il a faits en l'honneur
du cœur de Jésus et de celui de Marie, aux-
quels il avait une singulière dévotion, qu'il
a si vivement exprimée dans les offices qu'il
a composés et qu'on chante le jour de leurs
têtes, dont il a obtenu l'établissement dans
quelques diocèses.
Non content d'édifier l'Eglise et les fidèles
en toutes ces manières, M. Eudes entreprit
encore un établissement dont le succès fut
une prouve d'une charité sans bornes et d'un
zèle qui l'avait rendu capable de poursuivre
les plus hautes entreprises. C'est l'ordre des
Filles de Notre-Dame de Chanté, qu'il com-
mença en l'an 1645 et qui fut approuvé du
saint-siége l'année 1666. Après ce grand ou-
vrage, ce digne fondateur n'attendait plus
que la mort précieuse qui devait terminer le
cours de sa vie, comme il le dit lui-même
dans un sermon qu'il fil à ses religieuses. Il
était pour lors âgé de soixante-dix-neuf ans
et usé de travaux. Ayant été obligé de se ser-
vir d'une voilure incommode dans un voyage,
et en ayant été blessé dangereusement, les
remèdes qu'il fil ne servirent qu'à aigrir son
mal: en sorte que sa mort en fut accélérée.
Il vécut néanmoins encore cinq à six mois
dans des douleurs aiguës et continuelles,
qu'il supporta avec une patience admirable,
en ranimant sa foi, sa constance, son espé-
rance et son amour pour Dieu. Il avait eu la
prévoyance de convoquer une assemblée
dans laquelle on établit en sa place au gou-
veruement de S2 congrégation, M. Bleuet de
Camilly, recommandable à tout le monde par
sa douceur, et cher aux siens par le grand
amour qu'il a toujours eu pour eux, et par
les services qu'il a rendus à sa congrégation.
Il était oncle de M. de Camillv, évéque de
Toul.
Enfin M. Eudes mourut à Caen, où il fut
regretté généralement de tout le monde. Ce
fut le 19 août 1680. Dès qu'on en eut appris
la nouvelle dans la ville, le concours du
peuple à venir voir ce fidèle serviteur de
Dieu fut si grand, qu'on eut beaucoup de
peine d'avoir la liberté de l'enterrer. L'em-
pressement de tout le monde à lui rendre les
derniers devoirs, les louanges qu'on lui don-
nait et qui retentissaient de toutes parts, fi-
rent assez voir que Dieu honore dans le
ciel celui à qui tant de monde rendait par
avance tant d'honneur sur la terre.
C'était un homme doué de toutes les ver-
tus chrétiennes et ecclésiastiques. Sa foi
était si pure, si vive et si ferme, qu'il de-
mandait souvent à Dieu la grâce de la sceU
1er de son sang. Il avait une telle expérience
de la providence de Dieu sur lui, qu'il espé-
rait dans les choses mêmes où il semblait
qu'il y eût moins à espérer. Son amour pour
Dieu était si ardent que son cœur poussait
des aspirations continuelles vers le ciel.
Deux vertus qui lui furent singulières le fai-
saient aimer de Dieu et des hommes, son hu-
milité et sa simplicité. Tout prêchait en lui ;
sa modestie dans le public, sou recueille-
ment à la prière et à l'autel lui attiraient une
vénération profonde de ceux qui le voyaient.
Quoiqu'il prêchât avec tant de force que les
plus grands libertins se sentaient portés à
quitter leurs vices par la crainte qu'il impri-
mait dans leurs cœurs , néanmoins, au tri-
bunal, il avait beaucoup de douceur, surtout
envers ceux qu'il îrouvait disposés à profi-
ter des grandes vérités qu'il leur avait an-
noncées. Il se conduisait en cela selon l'es-
prit de Dieu, qui sait mortifier et vivifier à
propos. Personne ne lui a jamais reproché
une douceur mondaine et complaisante. Il
conservait en toutes occasions la fermeté
évangélique ; et souvent, plein de charité
pour les pauvres péeheurs qui s'adressaient
à lui, il se punissait lui-même pour obtenir
de Dieu les grâces dont ils avai ni besoin.
Tous ceux qui l'ont connu ont été les témoins
de sa mortification et de ses austérités. En-
fin comme son principal soin avait été de
former les prêtres qui étaient de sa compa-
gnie, il y avait employé tous les moyens que
son zèle lui avait suggérés, et il y réussit si
bien, qu'il les laissa remplis de son esprit et
héritiers de ses vertus.
Voilà en peu de mots le caractère de M.
Eudes, instituteur des prêtres qui portent son
nome: qu'on appelle communément Eudistes.
M. Blouet de Camilly, grand vicaire de Cou-
tances, son successeur, a suivi son dessein
et ses exemples, jusqu'à ce que son grand
âge et ses infirmités l'obligèrent à convo-
quer une assemblée en l'année 1711, en la-
quelle fut élu en sa place, un p.eu avant sa
mort, M. de Fontaines de Neuilly, grand
519
El'D
ElD
250
vicaire de Baveux, qui est présentement su-
périeur de cette congrégation.
Les Eudistes ne font aucun vœu. La cha-
rité est le seul lien qui 1rs unit ensemb'e; et
presque tous ceux qui sont incorporés dans
la congrégation y restent toute leur vie,
quoique chacuo ait toujours la liberté d'en
sortir, et qu'on puisse aussi les renvoyer
s'ils tombaient dans quelque dérèglement.
Leur habit n'est point distingué de celui des
autres prêtres, el, comme ils sont membres
du clergé, ils font profession de suivre les
règles qui sont prescrites par les saints ca-
nons. Ils ont pour maxime d'employer le re-
venu de leurs patrimoines et des bénéGces
qu'ils peuvent avoir en œuvres pieuses, et
plusieurs ont beaucoup contribué à fonder
et bâtir leurs maisons et à y fournir les
choses nécessaires. Ils ont pour principe
que, lorsqu'ils demeurent dans la congréga-
tion, ils sont obligés d'obéir au supérieur,
et ils s'acquittent de ce devoir avec la même
fidélité que s'ils en avaient fait vœu. Ils en-
seignent ordinairement la théologie dans
chacune de leurs maisons rt la philosophie
en plusieurs; et on fait prendre à grand
nombre d'entre eux les degrés de docteurs
el de bacheliers. Les Gns de leur institut
sont de former les clercs aux fonctions de
la cléricalure, el de travailler à faire des
missions dans les villes et à la campagne. 1 s
en font partout où ils sont appelés, el Dieu
répand de si grandes bénédictions sur leurs
travaux, qu'il est aisé de juger combien ils
sont agréables à sa divine majeslé.
Le supérieur de cette congrégalion est
chargé de mettre de temps en temps un nou-
veau supérieur particulier dans chaque mai-
son, qui soit agréé par l'évêque diocésain,
et ils regardent ce changement comme une
règle fondamentale de leur société. Ils font
des assemblées pour y traiter des moyens de
perfectionner leur institut et retrancher tous
les abus qui pourraient s'y glisser.
M. Eudes avait encore établi sa congréga-
tion à Hennés avant sa mort, et depuis,
M. Blouet a aussi envoyé de ses associés en
d'autres diocèses, et toutes ces maisons et
communautés ont été unies et agrégées aux
premières sous le même nom i t le même
titre de Jésus et Marie par les lettres d'éta-
blissements des évêques des lieux, les pa-
tentes du roi et les arrêts d'enregistrement
des parlements de leur ressort: en sorte que
toutes ces maisons et communautés forment
une espèce de congrégation, par rapport à
l'Eglise et à l'Etat. Elle a un supérieur qui
la gouverne: il est élu dans une assemblée
générale à la pluralité des voix. Le gouver-
nement canonique en est fundé sur les pou-
voirs accordés par chaque évêque des dio-
cèses où elle esl établie, qui ont été autori-
sés et confirmés par les patentes du roi. C'est
pourquoi les évêques sont les protecteurs
de cette congrégation; el on s'y fait un de-
voir essentiel d'être entièrement sous leur
juridiction.
L'Histoire des Ordres religieux de M. Her-
niant parle des Eudistes.
En 1810, lors de la démolition du sémi-
naire de Caen, les corps du P. Eudes et de
ses successeurs dans le gouvernement de sa
congrégation furent transférés dans l'église
paroissiale de Notre-Dame, el le tombeau
du P. Eudes fut alors couvert d'une table do
marbre blanc. Les religieuses de la Charité
de Notre-Dame, de la même ville, obtinrent
alors le chef el un ossement du serviteur de
Dieu. Elles ont fait embaumer ce précieux
dépôt, l'ont placé sous la grille de leur chœur
et y ont mis une inscription.
Une autre œuvre liée à l'établissement des
Eudistes, que le P. Hélyot passe sous silence,
mais à laquelle nous consacrerons un ar-
ticle dans le Supplément, esl celle de la con-
grégation séculière du Sacré-Cœur de Marie,
connue surtout en quelques cantons de la
Bretagne. L'opposition que témoigna la con-
grégalion de l'Oratoire à celle des Eudistes
n'a point été non plus mentionnée par Hé-
lyot, mais elle n'en fut pas moins réelle, et
cette opposition, qu'on peut concevoir sans
peine, élait basée sur le regret d'avoir perdu
le P.Eudes, el un peu aussi sur une pelilo
jalousie de corps. La société de Jésus et Ma-
rie eut le bonheur, quand lant d'autres in-
stituts, et nommément l'Oratoire, se lais-
saient prendre à l'esprit d'innovation qui à
tant causé de ravages en l'Eglise depuis deux
siècles, de se garantir du jansénisme. Après
M. Cuy de Fontaines de Neuillv, supérieur
général, lorsque ie P. Hélyot composait
l'Histoire des Ordres monastiques, la con-
grégation des Eudistes fut gouvernée par M.
Pierre Cousin, prêtre du diocèse de Cou-
lances, qui mourut à Caen le 14- mars 1751,
à l'âge de 96 ans. Les suceesseurs de celui-ci
dans le généralat furent M. Jean-Prosprr Au-
vray de Saint-André, du diocèse de Bayeux,
mort à Caen le 20 janvier 1770; Michel Le-
fèvre, mort à Bennes, dans le cours de ses
visites, le 0 décembre 1773; Pierre Lecoq,
mort à Caen le 1er seplemlire 1777; Pierre
Dumont, supérieur du séminaire de Cou-
lanees et vicaire général de ce diocèse, mort
en 1793 ou 179i,dans la ville de Caen, où il
avait trouvé un asile après la dispersion do
son séminaire et durant les cruelles persé-
cutions de cette époque malheureuse. Une
paralysie l'avait mis depuis plusieurs années
dans la nécessité d'avoir un coadjuleur. On
avait choisi, pour cette fonction nouvelle de
coadjuleur du général, M. Héherl, supérieur
de la maison de Paris, où il continua de ré-
sider, et qui s'acquitta dignement de la nou-
velle fonction qui lui élait confiée. Ce saint
prêtre était né dans la paroisse de la Croupie,
diocèse de Lisieux, vers l'an 1738, el fut
massacré aux Carmes de Paris, le 2 sep-
lembre 1792.
Les EudKtes ont donné à l'Eglise et aur
fidèles plusieurs modèles de vertus, entre
lesquels nuus devons signaler M. Beurier,
prédicateur et missionnaire célèbre, vers la
lin du dern er siècle, et donl M. l'abbé Car-
ron a publié la vie dans le recueil intitulé,
Modèles du clergé. Nous devons aussi en in-
diquer quelques au'res, tels que M. Michel
251
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
9153
Lefèvre, mort à Rennes, ainsi que nous l'a-
vons <lil ci-dessus, en 1775. Il fut enterré
dans l'église du grand séminaire de retle
ville, et son corps y fut retrouvé en entier
en 1799; ses liabils sacerdotaux n'étaient
pas même endommagés. Le médecin qui l'a-
vait traité dans sa dernière maladie fut ap-
pelé pour examiner le cadavre et le recon-
nut. Nous ajouterons néanmoins ici que M.
Lefèvre avait cru devoir, pendant son ad-
ministration, écrire en faveur du prêt à in-
térêt. La congrégation, indignée de ce qu'il
eût publié un ouvrage si opposé aux prin-
cipes qu'elle avait toujours professés, lui fit
les plus vives remontrances clans une assem-
blée générale, et voulait même le déposer,
s'il ne se fût rélraclé. Ceux que nous vou-
lons encore nommer, sont MM. Lefranc,
Beaulieu, IUamin, Dardan, Duperron, Durvé,
Grasset de Saint-Sauveur et Le Ois, qui tous
furent massacrés aux Carmes; M. Potier,
qui avait si généreusement rétracté son ser-
inent, et fut immolé aux Carmes le 3 sep-
tembre 1792. La congrégation de Jésus-Ma-
rie a produit aussi plusieurs écrivains utiles,
tels que le P. Eudes lui-même, dont une
partie des ouvrages ont été mentionnés ci-
dessus par le P. Hélyot; M. Beurier, dont un
volume de Conférences jouit d'une certaine
vogue quand il parul ; M. Le Coq, général
après M. Lefèvre. dont il réfula le livre dans
une dissertation remarquable par la netteté
et la précision qui y régnent; il est égale-
ment auteur de plusieurs ouvrages de droit
qui ont élé fort estimés, surtout celui qui a
pour litre: De l'état des personnes et des biens.
M. Sevoy, mort à Rennes en 1705, et auteur
des Devoirs ecclésiastiques, ouvrage estimé
du clergé; M. Daon, auteur de la Conduite
des confesseurs et de la Conduite des âmes.
Un des plus célèbres et des plus remarqua-
bles de tous ces hommes modestes fut sans
contredit M. Hébert, sur lequel nous vou-
lons revenir en terminant cette nomencla-
ture. 11 habitait Pu; is lorsque la révolution
éclata. M. Poupart, curé de Sainl-Euslache,
ayant, par sa prestation du serment à la
constitution civile du clergé en 1791, perdu
la confiance de Louis XVI, dont il était le
confesseur, M. Héliert futelioisi pour le rem-
placer. Le sage supérieur prévit tout ce
qu'avait de périlleux pour lui cette charge
honorable, et il s'en expliqua devant des
personnes qui lui étaient chères; cependant
il ne balança pas à l'accepter. On dit qu'à
sa sollicitation, l'infortuné monarque lit un
vœu au Sacré Cœur de Jésus pour le réta-
blissement de la paix, mais ce fait ne paraît
pas bien prouvé. Néanmoins la formule de
ce vœu réel ou prétendu a été rendue pu-
blique, et nous la possédons nous-méme.
La fureur des impies conlre les prêtres
fidèles augmentant chaque jour davantage,
M. Hébert fut arrêté à l'époque du 10 août
1792 et renfermé avec quelques-uns de ses
confrères dans le couvent des Carmes Dé-
chaussés, rue de Vaugirard; cette maison,
comme on sait, avait été, ainsi que quelques
autres, transformée ch prison. C'est dans ce
lieu que ce digne ministre de Jésus-Christ
finit sa vie, dans les massacres qui y eurent
lieu le 2 septembre suivant. II fut frappé
l'un des premiers dans l'oratoire du jardin,
et renversé sur le marchepied de l'autel,
devant une statue de la sainte Vierge. « Prêle
le serment, » lui dit un des assassins, en
levant sur lui son sabre. « Non, lui répondit
le généreux confesseur; je ne veux pas renier
la foi. » Celte noble réponse lui valut la
mort , et le meurtrier lui donna quatorze
coups de sabre.
Aux villes citées par le P. Hélyot, il faut
ajouter les suivantes, où les Eudistes avaient
aussi un séminaire ou une communauté :
Avranches, où les Eudisles furent appelés en
1093 par le célèbre Huet; Blois, où ilsallèrent
en 1099, époque de l'érection du siège épi—
scopal de celte ville; Dol, où leur séminaire
fut établi en 1701; Senlis, où ils occupèrent
le séminaire en 170G; Domfront , au diocèse
de Séez actuellement, mais alors du diocèse
du Mans , où la congrégation de Jésus-
Marie entra en possession du séminaire en
1727, en s'associant les directeurs qui y
étaient alors et qui embrassèrent son régime;
enfin la ville de Séez , où ils furent chargés
du séminaire en 17G2, à la dispersion des
Jésuites , qui le dirigeaient auparavant.
Ajoutons aussi qu'à Rouen, à Lisieux et à
Rennes, ils avaient un second établissement,
car ils y dirigeaient le petit séminaire.
La maison de Paris n'était point un sémi-
naire, mais un hospice destiné surtout aux
jeunes sujets de la congrégation qui faisaient
leurs études à Paris. On y recevait aussi
d'autres ecclésiastiques en qualité de pen-
sionnaires. Cette maison, établie en 1703, ne
put voir enregistrer ses lettres patentes du
roi qu'en 1770, par le crédit de M. de Beau-
mont, archevêque de Paris , qui protégeait
les Eudisles. Elle était située rue des Postes,
et formait une partie de l'établissement ac-
tuel des Jésuites. La maison de la Garlière,
diocèse d' Avranches, était occupée seulement
par des missionnaires de l'institut.
Nous croyons pouvoir insinuer que les
Eudistes avaient commencé et même formé
un troisième établissement au diocèse de
Rennes, sur la route de cette ville à Fougères
et sur le territoire de la paroisse de Roma-
gne. Ils y occupèrent une petite maison at-
tenante à une chapelle sous l'invocation de
sainte Anne, pèlerinage célèbre dans ces
quartiers, et bâtie au village de la Rosserie.
Le supérieur s'appelait Fontaines, selon une
note qui nous nomme ainsi le supérieur des
Eudistes delà maison de Sainte-Anne. Ne
serait-ce pas le même que M. de Fontaines
de Neuilly, troisième supérieur général ,
mentionné ci-dessus ? L'établissement de
Sainte-Anne s'était fait précisément à l'é-
poque où celui-ci pouvait le diriger et fut
dissous, nous a dit le directeur de Romagné
(M. Delaunay), par M. île Breteuil, évéque
de Rennes , au commencement du dernier
siècle. Ce môme prélat, qui n'était pas ac-
commodant , à te qu'i-1 parait, et était peut-
être de ces hommes qui ne connais* ni pas
i 5 EXE
en quoi consisle le véritable avantage île
leurs diocèses, supprima aussi les formes île
collégiale qu'avaient prises les obil ers de
l'église paroissiale Saint-!. éonard à Fou-
gères. La tradition des anci us parle encore
îles séminaristes de Normandie , établis à
Sainte-Anne ; néanmoins col établissement*
situé à une demi-lieue de Fougères, n'a pas
dû avoir une longue durée ; car la maison
provisoire, qui se voit encore , était trop pe-
lilcpour une communau té, et celle qu'on vou-
lait bâtir n'avait été conduite que jusqu'aux
fenêtres du rez-de-ebaussée. Ces murs ainsi
élevés n'ont élédémolisquevers l'année 1S2.Ï.
Nous tenions à sauver par celle noie les
sou\ enirs de cet établissement qui, vraisem-
blablement n'est point mentionné dans les
mémoires des Eudistes. Hélyot dit que les
membres de la congrégation de Jésus-Marie,
ne portent pas de costume particulier et sont
habillés comme les ecclésiastiques séculiers.
Cel i n'est pas rigoureusement exact. Les
Eudistes ne portaient point le rabat noir
qu'ont aujourd'hui les prêtres en France;
le leur était tout banc, comme celui que
prennent les ecclésiastiques en deuil , dans
quelques pays , par exemple, au diocèse de
Rennes. Ils avaient, en outre, une sorte de
manchette en toile qui se relevait sur les
manches de leurs souîaues , à peu près ou
même absolument comme ces poignets ana-
logues que portent les femmes dans le deuil,
lesquels poignets ou manchettes étaient
autrefois appelés dans le monde des pieu*
reuses.
Plus heureuse que bien d'autres, dont les
membres, contents peut-être d'une liberté
jadis forcée, n'ont pas eu le courage de se
réunir, la congrégation de Jésus-Marie a été
rétablie en 1820, sous la direction de M. l'abbé
Blanchard , ancien supérieur du petit sémi-
naire de l'en nés, et prov iseur du collège royal
de celte ville. Elle est aujourd'hui gouver-
née par M. l'abbé Louis, et sa maison mère
est à Hennés. Celte résurrection ou organi-
sation nouvelle des Eudistes, mérite un ar-
ticle spécial que nous lui consacrerons.
Voyez Eudistes, au Supplément.
Notes recueillies passim. Vie du P. Jean
Eudes, missionnaire apostolique , instituteur
de li congrégation de Jésus-Marie et de l'or-
dre de .\ (ti e Dame de la Charité, ouvrage
posthume du P. de Montigny, de la compagnie
de Jésus, revu et publié par un prêtre du
ri rgé de Paris. (Ce prêtre est M. l'abbé
Très vaux, chanoine de la métropole.)
B-D-E.
EUGIPPK (Saint-). Yoy. Césaire (Saint-).
EVANGILE (Frères du Saint-). Yoy. Dé-
chaussés.
EXEMPTS (Bénédictins).
Des Bénédictins Exempts, tant en Flandre
qu'en France, où il est parlé en particulier
de l'abbaye de Sainl-Y aast d'Arras.
Après que le concile de Trente eut été
heureusement terminé, en 1563, à l'avantage
de la religion catholique et de la discipline
EXE
251
ecclésiastique, tant pour l'état régulier que
séculier ; après qu'il eut été publié et accepté
dans les provinces de Flandre et d'Artois en
loGi, par les ordres de Philippe H , roi d'Es-
pagne , qui en était pour lois souverain, il
se forma plusieurs congrégations en consé-
quence du décret de ce même concile qui
obligeait les monastères indépendants à s'u-
nir en congrégation, ou à subir la visite des
évèques. La première de ces congrégations
fut composée des monastères de Sainl-Vaast
d'Arras, de Saint-Pierre-les-Gands; de Saint-
Berlin, à Saint-Omer; de Saint-Pierre de
Lobhès, au pays de Liège, diocèse de Cam-
brai , et de celle du Saint-Sépulcre de Cam-
brai; mais celle dernière abbaye ayant été
obligée de se soumettre à l'archevêque de
Cambrai , cette congrégation se trouva ré-
duile aux quatre premières abbayes jusqu'en
l'année 1027, que celle de Saint-Amand au
diocèse de Tournai, et de Saint-Sauveur Dee-
name près d'Oudenarde, y furent agrégées
par ordre d'Albert , archiduc d'Autriche , et
d'Isabelle, princes des Pays-Bas.
Quoique les supérieurs des premiers mo-
nastères qui composèrent d'abord celle con-
grégation se fussent mis en devoir de se sou-
mettre au décret du concile aussitôt après sa
publication, cependant ils ne purent exécu-
ter la résolution qu'ils avaient prise de faire
à ce sujet une assemblée générale , que l'an
1509, qu'elle fut tenue dans l'abbaye royale
de Saint- Vaast d'Arras avec toute la solen
ni lé possible. Celte fameuse abbaye, qui est
comme le chef de cette congrégation, doit
son établissement à saint Vaast , dont elle
porte le nom, et elle est redevable de son ac-
croissement à saint Aubert, un de ses suc-
cesseurs. Elle eut pour fondateur, en 680,
Thierri, roi de France, qui la dota pour cent
vingt-deux religieux de l'ordre de Saint-Be-
noit, qui devaient être de famille noble et rc-
commandable dans le royaume, personne n'y
étant r<çu qu'il n'en ait fait les preuves.
Celle abbaye est exempte de La juridiction
de l'évéque eï jouit de plusieurs droits spiri-
tuels et temporels; ce qui lui fui accordé par
une assemblée d'archevêques et d'évêques,
qui se tint dans la ville de Compiègne, la
septième année du règne du même roi Thierri,
comme il se voit dans son épi ta phe , qui est
dans l'église de cette abbaye, où on lit ces
deux vers :
Régis larga nianus et prasul VinJiciauus
NoLis regale daot jus et pontilicale.
Les principaux de ces droits consistent,
1° en plusieurs cures de la ville d'Arras,
dont les curés, les vicaires et les autres prê-
tres ne reconnaissent point l'évéque, et sont
soumis immédiatement à l'abbé et à son of-
ficiai. 2° En ce qu'elle jouit de tous les droits
royaux, conformément au titre de sa fonda-
tion , enlre lesquels droits il y a celui de
main-morte, qui défend les mariages et la fa-
brique des églises, chapelles ou oratoires,
sans la permission de l'abbé, et sans payer
certains droits qui sont présentement éva-
lués. Ce droit pour la construction des égli-
ses , chapelles et oratoires , se voit par une
DICTIONNAIRE DES ( RDRES RELIGIEUX.
256
inscription qui est sur une pyramide élevée
dans le Petit-Marché d'Arras; on y lit ces
paroles : Anno Dominicœ Jncarnationis 1200,
hrvc pyramis erecta est in fundo Snncti Ve-
dasti per consensum abbatis et capituli , sine
quo assensu nec altare hic polest erigi, ntc
divina celebrari, nec atiud fieri. 3U Les douze
échevins de la ville sont obliges de jurer,
tous les ans , qu'ils garderont les droits du
roi et de l'abbaye, venant pour cet effet dans
l'église de la Madeleine, qui est une de celles
qui dépendent absolument de l'abbaye , tant
pour le spirituel que pour le temporel. 4-°
Celte abbaye jouit du droit de ton-lieu , qui
est ce qu'on appelle à Paris droit de grand
voyer. 5* L'abbé de Saint- Vaasl et ses reli-
gieux ont droit d'occuper toutes les hautes
stalles du côté gauche de la cathédrale, lors-
qu'ils y vont pour les processions et les as-
semblées, conformément au concordat passé
entre les parties en l'année 1508, par lequel
il est dit que les religieux de l'abbaye de
Saint-Vaast marcheront avec les chanoines,
en telle sorte qu'un chanoine aura la droite
et un religieux la gauche, et cela dans les
processions générales.
Cette abbaye était anciennement d'une
congrégation qui comprenait généralement
lous les monastères de l'ordre de Saint-Be-
noîl, qui se trouvaient dans les provinces de
Flandre , Sens et Reims, exempts et non
exempts, qui faisaient pour lors leurs assem-
blées, sans préjudice au droit des évéques,
comme il est facile de le voir dans le 12 cha-
pitre du concile de Latran sous Innocent III,
cap. In sinaulis de Statu monachorum, où on
lit ces paroles : Salvo jure diœcesanorumpon-
(ificum. Mais les guerres qui sont arrivées
entre les rois de France, les comtes de Flan-
dre et les ducs de Bourgogne, divisèrent tel-
lement ce grand corps, que chaque abbaye,
étant devenue indépendante , tomba dans le
relâchement : ce qui dura jusqu'à la conclu-
sion du concile de Trente , que ces monas-
tères, étant obligés à se remettre en congré-
gations, reprirent en même temps les obser-
vances régulières, mais particulièrement ce-
lui d'Arras, où la discipline monastique com-
mença à revivre par la piété et la vigilance
de dom Sarrasin, qui fut chargé du soin de
remédier aux abus qui s'étaient glissés dans
les monastères de celte nouvelle congréga-
tion, où il est regardé comme le restaura-
teur de l'observance régulière et comme un
sujet qui lui a fait plus d'honneur par son
grand génie, sa piété solide, son zèle pour
la religion catholique , les emplois dont il a
été honore, les charges et dignités auxquelles
il a été élevé par son grand mérite.
11 naquit à Arras le 20 juillet 1539. Ses pa-
rents, qui étaient rccommandables dans la
bourgeoisie de celle ville, lui firent apprendre
la langue latine, l'ayant mis pour cet effet
enlre les mains d'un bon maître qui, con-
naissant les grandes dispositions de son éco-
lier, le présenta à l'abbé de Saint-Vaast, qui
était pour lors Jérôme Buffaul. L'esprit el les
manières solides de Sarrasin lui attirèrent
l'estime de cet abbé, qui lui donna l'habit de
son ordre à 1 âge de dix-sept ans. Après son
année de probation, pendant laquelle il ga-
gna le cœur et l'estime de toute la commu-
nauté, dans laque'le il fut reçu avec tout
l'applaudissement possible, il fut envoyé à
l'Université de Paris pour y étudier la rhéto-
rique. Il y fit de si grands progrès, qu'en
l'absence de ses maîtres il donnait les leçons
aux écoliers. Ensuite il fut rappelé à son mo-
nastère, où il fit ses vœux, et peu de temps
après il y reçut les ordres mineurs el les or-
dres sacrés de sous-diaconat et de diaconat;
après quoi il fut envoyé à Louvain pour y
étudier en théologie. Il y fut ordonné prêtre
et il se fit recevoir bachelier dans cette Uni-
versité à la sollicitation de ses maîtres et
avec la permission de Boger de Momoranci ,
qui avait succédé à Jérôme Ruffaut à l'ab^
baye de Saint-Vaast.
A peine eut-il fini ses éludes que ce même
abbé, connaissant son mérite, le fit son cha-
pelain, lui donna le soin d'une partie des af-
faires de son monastère, et le fit enfin dans
la suite grand prévôt de son abbaye, dignité
vacante par la mort de dom Jacques Taffe.
Cet emploi, qui semble si opposé à la piété et
à l'observance régulière par l'obligation
presque continuelle où il met celui qui en
est pourvu de songer aux procès et de s'ap-
pliquer à la conservation des droits, des pri-
vilèges et immunités du monastère, ne l'ein-
pêcha poini de pratiquer ces deux verlus qui
sont le fondement de la vie religieuse. Aussi
cela parul si extraordinaire aux Pères qui
étaient dans celte première assemblée qui se
tint au sujet de l'établissement de la congré-
gation, que, dans le dessein qu'ils avaient de
réformer en même temps les mœurs et de ré-
tablir la discipline régulière, ils le deman-
dèrent à son abbé pour remplir la charge de
grand prieur, dont il fut revêtu parce même
abbé qui, ne pouvant assez lui témoigner
l'estime qu'il faisait de son mérite., le lit,
quelque temps après, son vicaire général
dans le spirituel, avec pouvoir de disposer
des béné ices".
La supériorité de son génie lui rendait
toutes choses si faciles, que, plus on lui
donnait d'emplois, plus il donnait de preuves
de son étendue par la manière dont il s'en
acquittait. Cela parut principalement dans lo
soulèvement de la ville d'Arras, qui était du
nombre de celles qui par la faction des héré.
tiques qui avaient à leur tête le prince d'O-
range, s'était révoltée contre son souverain,
et dans laquelle la religion catholique était
en si grand danger par le nombre des héré-
tiques, qui surpassait de beaucoup celui des
catholiques, que l'évèque de cette mémo
ville fut obligé d'abandonner ses ouailles et
d'en sortir avec toul ce qu'il y avait d'hon-
nêtes gens, afin d'éviter la persécution, lais-
sant ainsi le soin de son Iroupeau à dom
Sarrasin, qui , se trouvant en même temps
chargé de tout le gouvernement de son mo»-
nastère par la mort de Thomas Parcnsi, qui
en était abbé, remplit parfaitement les de-
voirs d'un supérieur vigilant el d'un zélé
pasteur, animant i ar sou exemple fa rel -
857
EXE
EXE
238
gieux à l'observance régulière, et exhortant
les peuples par ses fréquentes prédications
à défendre la véritable foi de Jésus-Christ au
prix de leur sang et à être fermes dans la fi-
délité à leur roi ; ce qui lui réussit heureuse-
ment. Mais ce nu fut pas sans peine et sans
beaucoup de souffrances :. car les hérétiques
et leurs adhérents, enragés de ce qu'il soute-
nait les intérêts de Dieu et de la religion
avec tant de zèle, le jetèrent dans une obs-
cure prison, où il souffrit la faim et la soif
pendant quinze jours, n'attendant que le
moment d'une mort ignominieuse selon le
monde, mais précieuse aux yeux de Dieu,
qui, en ayant déterminé autrement, suscita
des gens de probité qui les détournèrent de
leur mauvais dessein, dont ils ne se désistèrent
qu'à condition qu'on leur donnerait l'argen-
terie du monastère pour l'envoyer au prince
d'Orange.
Dans le temps que ce grand homme était
dans la persécution, les Etats généraux d'Ar-
tois, qui gouvernaient pour le roi, voulant
récompenser son mérite elles travaux qu'il
avait endurés pour le soutien de la foi catho-
lique et le service de son roi, le nommèrent
à l'abbaye de Sainl-Vaast, dont il obtint la
confirmation de Philippe II. Il sérail difficile
d'exprimer les grands talents elles verlus
héroïques qu'il fil paraître dans sa nouvelle
dignité : son zèle pour le bien de son monas-
tère tant pour l'observance régulière que
pour la défense de ses privilèges ; son ap-
plication et ses travaux pour la paix, qu'il
procura enfin aux Pays-Bas au grand con-
tentement de tous les bons catholiques; sa
charité envers les pauvres, auxquels il servit
de père dans une lamine qui fut presque gé-
nérale dans toute l'Europe en 1587, ayant fait
ouvrir pour cet effet les gieniers de son ab-
baye; son amour pour les gens savants, aux-
quels il taisait tous les biens qui étaient en
son pouvoir, fondant plusieurs collèges où
les étudiants pauvres étaient reçus, donnant
des pensions aux couvents des religieux
mendiants afin qu'ils pussent plus commo-
dément avancer leurs religieux dans les
sciences, et faisant de grandes aumônes aux
écoliers pauvres à proporlion des disposi-
tions qu'ils avaient pour les sciences; sa
piété envers le prochain en faisant cons-
truire un hôpital pour les pauvres et en fai-
sant bâtir un couvent aux capucins nouvel-
lement arrivés d'Italie dans la ville d'Arras;
enfin son adresse dans les négociations les plus
épineuses, desquelles il sortait toujours avec
honneur à l'avantage de ceux dont il prenait
les intérêts el avec la satisfaction des parties
intéressées, qui ne pouvaient assez louer ses
belles qualités el son bel esprit, tant dans
le maniement des affaires que dans les con-
versations particulières, qui lui firent aussi
mériter l'estime de Philippe II, roi U'Espa-
gne, qui pour récompenser son mérite le dé-
clara conseiller d'Etat avec tous les honneurs
ci prérogatives apparlenam à celte charge,
et quelque temps après lui donna l'archevê-
ché de Cambrai, vacant par le décès de M.
de Burlemoni, qui mourut le 15 février 1596,
et dont il obtint les bulles et prit possession
le 14 septembre de la même année.
Lorsqu'il se vit revêtu de cette nouvelle
dignité, il crut qu'il était de son devoir do
travailler à ramener au bercail de Jésus-
Christ les âmes qui s'en étaient écartées.
C'est pourquoi il s'appliqua à l'extirpation do
l'hérésie et à l'augmentation de la religion ca-
tholique. Sa vigilance et son zèle ne lui per-
mettaient pas de prendre aucun repos, récon-
ciliant lui-même a l'Eglise les hérétiques, ré-
parant les églises ruinées par les guerres, et
s'appliquant continuellement au soulage-
ment du public; ce qu'il continua jusqu'à la
mort : car, sentant diminuer ses forces et
prévoyant que sa fin approchait, il ne laissa
pas pour le bien du prochain, d'entrepren-
dre contre l'avis des médecins le voyage de
Bruxelles, où, étant arrivé il mourut lu
troisième jour de mars de l'année 1508,
après avoir reçu tous les sacrements de l'E-
glise.
Le bon ordre et la tranquillité que ce
grand h mime avait établie dans son monas-
tère ne dura que pendant la vie de son suc-
cesseur, qui fut dom Philippe de Caverel,
qui; pendant Irenle-six ans qu'il fut abbé
de Sainl-Vaast, fui presque toujours prési-
dent de la congrégation et y maintint l'ob-
servance régulière; mais depuis sa mort,
qui arriva le premier décembre 1636, elle
éprouva toutes sortes de disgrâces par la
guerre qui commença en 163j, entre la
France et l'Espagne. L'abbaye de Saim-
Vaast fut celle qui en souffrit le plus, puis-
qu'elle resta jusqu'en 16il sans gouverne-
ment ni spirituel ni temporel. Car les Fran-
çais s'étant emparés d'Arras, tout l'Artois
se trouva tellement divisé entre la France et
l'Espagne etsiruinépar les deuxarmées, que
les religieux de ce monastère ne pouvaient
recevoir le revenu de leurs biens, et furent
réduits à n'avoir pas même de pain pour se
nourrir.
Louis XIII, voulant se servir de son droit,
donna cette abbaye en 1641 à dom Maximi-
lien de Bourgogne, qui nomma dom Jean de
Nizar pour gouverner ce monastère quant
au spirituel. Mais ce fut une autre source
de désordres : car, Claude Haccart ayant
été élu pour supérieur de la congrégation
par les autres monastères qui étaient en-
core sous la domination d'Espagne, et ayant
été nommé ensuite à cette abbaye par Phi-
lippe IV, roi d'Espagne, l'an 1051, aucun de
ces deux abbés n'ayant pu obtenir ses bulles
du pape, cela causa un scliisma si grand,
que le monastère de Sainl-Vaast étant di-
visé, les revenus partagés, el les moines
désuais el disperses, tout lut renversé lant
pour le spirituel que pour le temporel jus-
qu'en l'année 1660, que la paix fut conclue
entre les deux couronnes, pur laquelle paix
l'a nomination appartenant au roi, et dom
Maximilien de Bourgogne étant mort , ce
prince la donna au cardinal Jules Mazarin,
qui, étant mort avant que d'en recevoir les
bu les , eut pour successeur le cardinal
Bené d'Est , qui ne se Gt jamais connaître à
259
DICTIONNMRE DES ORDRES RKLICIELX.
203
celte abbaye que par ie soin qu'il eut d'en
recevoir les revenus. Il eul pour successeur
le cardinal Emmanuel-Théoilose de Bouillon
delà Tour d'Auvergne, qui en oblint les
bulles de Clément X. au mois de février
1G73. Ce cardinal étant mort à Home le 2
mars 1715, le cardinal de llohan fut pourvu
de celte abbaye.
Il y a dans ce monastère quatre supé-
rieurs pour le spirituel, qui sont le grand
prieur, le sous-prieur, le liers-prieur et le
quart-prieur. Le grand prieur, qui passe
pour le premier officier de la maison, n'est
point sujet à la clôture du dortoir, ayant un
quarlier à part, d'où il peut veiller à la con-
duite des officiers, et en même temps au bon
ordre du monastère. Il se fait par scrutin, et
il est perpétuel ; il est aussi oflicial de l'abbé
dans la paroisse de la Madcleine; et d'au-
tres qui en dépendent, et il a un chapelain
religieux.
Le premier officier pour le tempere! est
le grand prévôt, qui est chef de la justice,
et préside au siège de la cour abbatiale pour
le civil, et est gardien des titres et autres pa-
piers de l'abbaye. Cet emploi est aussi an-
cien que l'abbaye. Le grand bailli; avec les
barons et hommes de fief, servent pour le
criminel.
Le grènelier reçoit les grains, et a soin
du bois et du charbon; il est aussi chape-
lain de l'abbé.
Le cellérier a soin de la cuisine conven-
tuelle et du réfectoire.
Le receveur général tient la caisse et re-
çoit la ûnance de l'abbaye des mains des fer-
miers et des aulres receveurs particuliers ;
son bureau s'appelle communément le buf-
fet.
Le trésorier a soin de la cire, du linge,
des ornements de l'église et de la sonnerie.
Le rentier est juge du ton-lieu, et reçoit
les rentes foncières de la ville et de la ban-
lieue.
L'hôtelier avait autrefois la direction de
l'hôpital; mais depuis l'érection de l'hôpital
général d'Arras, et même peut-être avant
ce temps-là, ce n'est plus qu'un office sans
exercice.
Le théologal fait sa leçon certains jours de
la semaine.
Le vinier a soin de la cave au vin et de
celle de la bière.
Le rèfectorier a l'inspection sur la bou-
langerie, et fait cuire le pain.
Le commis aux ouvrages est chargé de la
fabrique, tant au dedans qu'au dehors du
monastère.
Le bibliothécaire a la clef de la biblio-
thèque , qui est très - vaste et très - nom-
breuse.
L'aumônier distribue aux pauvres les au-
mônes accoutumées, et entre autres tout ce
qui vient du réfectoire commun.
Le sacristain a soin des reliques et de l'ar-
genterie de l'église.
Le maître de l'ordre est directeur des no-
vices, et il y en a un autre pour les jeunes
profès. .
Pour le chœur il y a chantre et sous-
chantre.
Le sous-prieur préside à l'infirmerie, et a
sous lui des infirmiers.
Il y a tleux ou trois receveurs forains,
qui reçoivent les rentes à la campagne.
Il y a dans le monastère des professeurs
de la théologie morale , et des langi^es
orientale , grecque, hébraïque, syrij.
que, etc.
Outre le sacristain, il y a deux prêtres
séculiers, qu'on appelle sénéchaux ou car-
des d'église, qui éveillent les religieux
pour aller à matines, préparent les autels et
les ornements, et servent de massiers les
jours solennels, auxquels jours, les prêtres
habitues des paroisses de la Madeleine, de
Sainte-Croix, de la Chapelle-au-Jardin, et
de la Basècle, et tous les officiers de justice
sont obligés d'assister à i'ofuVe.
Il y a quatre principales prévôtés forai-
nes, qui dépendent de cette abbaye; la plus
considérable est celle de Haspres, entre Cam-
brai et Valenciennes, où il y a ordinaire-
ment dix ou douze religieux, dont il y en a
un qui est prieur, et un autre trésorier. Le
prévôt est membre des Etats de Hainaut. La
seconde est celle de Berclau près la Bassée,
où il y a ordinairement trois religieux sous
le prévôt. La troisième, de Gorres près de
Bélhune, qui est semblable à la seconde. La
quatrième, de Bceurières, de l'autre côté de
Bélhune, qui est aussi de même. Il y en a
encore d'autres moins considérables que ces
quatre premières. La première est celle de
Saint-Michel près d'Arras, où il n'y a ordi-
nairement qu'un religieux. Cet endroit sert
pour les religieux convalescents. La prévôté
d'Angicourt dans le diocèse de Beauvais,
près de Chantilly , celle de Sailli sur la Lis,
dans le pays de Lalloëne, qui e-t entièrement
du domaine de l'abbaye, avec quatre gros
bourgs ou villages ; et enfin celle du Maisnié-
les-Arloises, entre Bapaume et Péronne. Les
prévôts de ces deux dernières sont ordinai-
rement seuls, et ne sont là que pour veiller
aux intérêts de l'abbaye dans les terres
qu'elle y possède.
Le grand collège de Saint-Vaast à Douai,
fondé par 1). Philippe de Caverel, dont nous
avons parlé ci-dessus, contient trois grands
quartiers, savoir : celui des bénédictins an-
glais, qui sont gouvernés par un prieur, et
qui font l'office dans l'église, comme on fait
à Arras dans le monastère; celui de la par-
lie convcnluelle des religieux de Samt-
Vaast, où il y a un président et un vice-pré-
sident pour veiller sur les religieux, tant
enseignants qu'étudiants; et enlin le quar-
tier des pensionnaires séculiers, qui sont
sous la conduite d'un principal ou régent,
d'un sous-régent et d'un préfet. Dans le
même quartier sont la grande salle des dis-
putes, et les classes de théologie, de philoso-
phie et de rhétorique. L'abbaye a aussi un
collège à Paris nommé le collège d'Arras,
proche Saint-Victor.
Ces emplois, olfices, prévôté, et principa-
utés, sont des administrations régulières,
201
EXE
EXE
Ki
pures (t simples, comptables el révocables,
à la volonté des supérieurs réguliers, el cela
de tout temps, n'ayant jamais pas-é pour
des vrais litres de bénéfices, comme il pa-
rait par plusieurs arrêts du parlement.
Cette abbaye a toujours été , comme les
autres de Flandre, régulière et élective,
comme il paraît par les titres de sa fomla-
lion et par une infinité de bulles des papes,
aussi bien que par la lettre de nomination de
Louis XIII en 1G41. L'abbé est comte de
Lalloéve, porte mitre et crosse , et, outre la
seigneurie qu'il a dans la ville et banlieue
d'Arras, il est haut justicier dans toutes les
terres dépendantes de son abbaye , qui sont
de fondation et amortissement royal.
Les principaux exercices de cette abbaye
consistent à se lever à onze heures du soir
pour aller à matines. On leur porte pour cet
effet de la lumière dans leurs chambres ,
d'où ils ne sortent qu'après en avoir reçu
ordre du supérieur, qui leur ouvre la porte
du dortoir , dont il garde la clef. Ils disent
tous les jours l'office de la Vierge avant que
de dire le grand office, et souvent ils disent
au-si l'office des. morts; ce qui étant fini ils
retournent à leurs chambres en disant le
psaume De profundis. Ils se lèvent à six
lieures et demie pour chanter utie messe de
la Vierge aux jouis qu'on doit selon les ru-
briques en chanter deux , ou bien du saint
sacrement ou des morts. Ils chaulent prime
à sept heures, puis l'office de la Vierge, en-
suite le martyrologe , lequel étant fini, ils
vont au chapitre reconnaître leurs fautes et
retournent au chœur pour dire tierce, sexle
el none , et l'olfice de la Vierge. Quand on
ne doit pas dire deux grandes messes , ils
disent prime à huit heures el demie. Après
prime, ils vont à leurs chambres, où ils de-
meurent jusqu'à dix heures, que l'on dil
tierce, après quoi on chante la grand'mes-
se , qui est suivie de sexle et de noue, ex-
cepté depuis l'Exaltation de la sainte Croix
jusqu'à Pâques , et lous les jours de jeune
d'Iglise ; mais aux autres temps, none ne se
dit qu'après les grâces, que l'on dit après le
dîner, qui suit immédiatement l'office. Après
le diner ils prennent une heure de récréa-
tion , et ils se retirent ensuite à leurs cham-
bres jusqu'à trois heures , que l'on chante
vêpres. Avant le souper, on l'ail une demi-
heure d'oraison mentale, et après le souper,
qui se fa l à sepl heures el demie, ou après
la collation pour les jours de jeûne, qui se
fait à six heures, on chante les compiles,
qui sont suivies d'une action de grâce qui
se fait devant le grand autel pour tous les
bicnfails qu'on a reçus de Dieu , et pour
lors chacun se relire à sa chambre en si-
lence.
Personne ne peut se dispenser des offices
divins ; ceux même qui ont des offices ou
des bénéfices claustraux sont obligés de se
trouver à vêpres, à matines et aux messes
que l'on chante. 11 ne leur est pas permis de
manger en particulier, el ils doivent servir à
table les uns après les autres sans aucune
(1) Voi/., à la fin du vol., nos 56 et 57.
distinction. Us observent l'avcnt de l'Eglise,
pendant lequel on ne mange point de vian-
de, non plus que tous les mercredis de l'an-
née , non pas même à la table de l'abbé. Ils
jeûnent en tous temps le vendredi, excepté
pendant le temps pascal , aussi bien que le
mercredi, depuis la fête de l'Exaltation de la
sainte Croix jusqu'au carême. Ils sont obli-
gés de rendre compte une fois l'an de tous
les meubles qu'ils possèdent, et toutes et
quantes fois que le supérieur le requiert. 11
leur est défendu d'avoir rien hors du cou-
vent. Ils doivent se servir de chemises de
serge , et ils ne doivent rien avoir d'affecté
ni d'immodeste dans leurs habits, qui con-
sistent, dans la maison et au chœur, en une
grande coule noire, eten un fort grand capuce
ou froc qui leur tombe presque jusqu'aux
talons; une aumusse noire qu'ils portent en
forme d'élole, et un bonnet carré à trois cor-
nes, avec un petit rabat ou collet large de
trois doigts, et qui est fendu par derrière,
comme on le voit dans la seconde figure.
Afin qu'on puisse voir la forrr 8 de l'habit ,
nous donnons deux estampeà du même ha-
billement : l'une le représente par devant et
l'autre par derrière (1). Hors du monastère
ils sont habillés comme les prêtres séculiers,
à l'exception d'un scapulaire large d'un bon
demi-pied, qu'ils portent par-dessus leur ha-
bit. Les habillements des autres monastères
de cette congrégation, aussi bien que les
pratique*, sont peu différents. Les religieux
des monastères de Sainl-Bcrliu , de Sainl-
Pierre-les-Gands el d'Ename ont des aumus-
ses de dr.ip et ont des bonnets à quatre cor-
nes, et ceux de Lobbes el de Saint-Arnaud
n'ont point d'aumusses. Cette congrégation a
été confirmée par Grégoire Xlll en 1575, et
Innocent XI accorda à l'abbaye de S.iint-
Vaast, par une bulle de 1670, la jouissance
de tous les privilèges dont jouit le Moul-
Cassin. Celle abbaye porte pour armes un
château d'or à fond de gueules, avec ces pa-
roles : Caslrum tiubiliacum , ce qui lui lut
donné par son fondateur.
11 se lorma aussi en France l'an 1580 une
congrégation de Bénédictins sous le nom
d'isjempfs, et cela en conséquence des dé-
crets du concile de Trenie et de l'ordonnance
de Blois, sous Henri 111. Les principaux mo-
nastères qui formèrent d'abord celte con-
grégation furent les abbayes de Marmoulier,
de Vendôme, de Khédon, Saint-Benoît-sur-
Loire, le Bourg-Dieu et quelques autres. Ces
monastères dressèrent des statuts, le k sep-
tembre 1581, qui furent confirmés au mois
de lévrier 1588 par le pape Sixte V, el au
mois de décembre 1590 par le pape Grégoire
XIV. Plusieurs autres abbayes tirent union
dans la suite avec ces premières et observè-
rent les mêmes statut*, entre autres celle de
Saint - Maur-sur-Loire y fut unie dans le
chapitre général qui se tint à Marmoutier
l'an lG-23, et Claude de Saiul-Offange, qui en
ct.iit abbé, y lut élu général de la congréga-
tion.
L'abbaye de Saint-Denis n'avait pas en-
865 DICTIONNAIRE DES 01
core obéi sur ce point au concile ni à l'or-
donnance de dois ; les religieux qui y de-
meuraient ne pouvant se résoudre à entrer
dans une des congrégations déjà établies, et
à se soumettre à leur chef, se déterminèrent
enfin, après beaucoup de délibérations, à
donner commencement à une nouvelle con-
grégation, afin de pouvoir s'exempter de la
visite des évoques d'une manière qui fût
honorable à celte fameuse abbaye : ils for-
mèrent celle de Saint-Denis, dont nous avons
parlé à l'article Dents (Saint-), et l'abbaye
dont elle prit le nom fut reconnue pour chef
de toute la congrégation. Le pape Paul V
l'approuva et permit aux monastères immé-
diatement soumis au saint-siège de s'unir à
elle; mais la réforme de la congrégalion de
Saint-Maur ayant élé introduite dans celte
célèbre abbaye en 1G33, les maisons qui
formaient la congrégation de Saint-Denis
ayant perdu leur chef en choisirent un au-
tre, qui fut l'abbaye de Saint-Oucn de Rouen,
et prirent le nom des Exempts, qu'ils étaient
bien aises de faire revivre, et qu'ils choisi-
rent préférablement à celui de Saint-Denis et
à celui de l'abbaye de Sainl-Ouen , quoi-
qu'elle fût leur chef. Ils y firent leurs diètes
et chapitres généraux , et dans celui qui se
célébra en 1643, où se trouvèrent les prieurs
et députés de chaque monastère, et où pré-
sida dom Claude de Baudri de Piencourt,
abbé de la Croix de Saint-Leufroi, général
de celte congrégation , on revit les statuts,
qui y furent augmentés de nouveau, et im-
primés ensuite a Rouen en 1645.
La réforme de la congrégation de Saint-
Maur faisant de jour en jour de nouveaux
progrès, et ayant été introduite dans les ab-
bayes de Sainl-Ouen de Rouen, de Corbie et
en quelques autres qui dépendaient de la
congrégalion des Exempts, celle-ci diminua
de jour en jour au lieu d'augmenter, et de-
vint peu de chose, principalement après la
mort du général dom Baudri, La plupart des
monastères reconnurent les évêques pour
supérieurs et se soumirent à leur visite.
D autres qui étaient immédiatement soumis
DUES RELIGIEUX. 264
au saint-siége lâchèrent à secouer le joug do
toute supériorité, et un petit nombre resta
toujours uni et élut un chef ou supérieur
général, des dcfiînileurs, des visiteurs, qui
tinrent des assemblées triennales et conser-
vèrent le litre de congrégalion des Exempts
en France sous l'obéissance d'un général,
qui , en 1707, était le R. P. dom Jean-IJaj)-
tiste du Verdier , religieux du Sauveur do
Rlayc.
L'abbaye de Cerisi dans le diocèse de
Bayrux , qui avait toujours élé soumise au
saint-siége , ne voulant point reconnaître
pour supérieur l'évêque, qui y voulait faire
la visite, s'unit à la congrégalion des Béné-
dictins Exempts, mais elle n'en est que plus
indépendante : car elle n'a jamais vu depuis
ce temps-là de supérieur général , qui se
contente d'y envoyer tous les trois ans une
commission en blanc pour y faire la visite,
et les religieux la remplissent du nom de tel
visiteur que bon leur semble. Le prieur de
celle abbaye reçoit aussi les lettres d'indic-
tion pour assister aux chapitres généraux :
mais il s'en excuse toujours, et l'on se con-
tente de mettre la lettre d'indiction dans les
archives. 11 y a de l'apparence que la même
chose se pratique dans d'autres maisons de
celle congrégation , où le général n'a pas
grande autorité sur ses religieux , qui ne
sont pour la plupart que des religieux sortis
des ordres réformés qui onl secoué le joug
de l'obéissance pour vivre avec plus de li-
berté, si on excepte néanmoins le prieuré do
Perreci en Bourgogne , qui est membre de
cette congrégation, et où on a introduit une
étroite observance, dont nous parlerons dans
la suite.
Le Pelletier, Histoire et description des
ordres religieux. Lettre écrite de Cerisi en
1707, par le R. P. de Metz, ancien prieur de
celle abbaye. Dom Michel Félibien, Mst. de
l abbaye de Sainl-Denys, et Mémoires com-
muniqués par te grand prévôt de l'abbaye dt
Saint-Vaast.
EXEMPTS. Voyez Molck*
F
FAILLE (Soeurs de L4). Voyez Grises
(SOEIRS).
FAISEURS DE PONTS, Voyez Pontifes.
FATE BEN FRATELLI, Voyez Jean de
Dieu (Ordre de Saint-).
FER D'OR ET DES ECUYERS DU FER
D'ARGENT (Ordre des chevaliers di), en
France.
Jean, duc de Bourbon, fils de Louis II in-
stituteur des ordres du Chardon et de i'Ecu
d'or, dont nous avons parié aux articles qui
portent ces noms , institua dans l'église de
Notre-Dame de Paris, l'an 1414, l'ordre des
Chevaliers du Fer d'or et des écuyers du Fer
d'argent, et lit savoir qu'il l'établissait, tant
pour éviter l'oisiveté et se signaler par des
faits d'armes, que pour acquérir la gloire et
les bonnes grâces d'une Irès-belle dame qu'il
servait. Seize gentilshommes seulement, par-
tie chevaliers et partie écuyers, y devaient
être reçus. Ces chevaliers aussi bien que
le duc de Bourbon , qui en était le chef ,
étaient obligés de porter tous les dimanches
à la jambe gauche un fer de prisonnier
pendant à une chaîne; et y manquant, i:s
devaient donner quatre sols parisis aux
pauvres. Le fer des chevaliers était d'or et
celui des écuyers d'argent. Les premiers
chevaliers qui reçurent cet ordre furent les
sieurs Barbazan, du Cbâlel, Gaucourt, de
la Huze, Gamaches , Saint-Rcmy, de Mous-
sures, Bataille, d'Asniercs, La Fayette et
Poulargues. Les premiers écuyers lurent les
sieurs Carmalcl, Cochel el du Pont.
203 FER
Ils faisaicot serment do s'entr'aimer
comme rrères, de se procurer du li n , de
ne point souffrir que l'on parlât mal d'eux,
et de défendre leur honneur à quelque pris
que ce lût. Louis armes surtout étant dé-
diées au service des dames qui imploreraient
leurs secours, ils étaient résolus de se battre
ensemble dans deux ans pour l'amour d'elle-,
soit à pied, ou à outrance, armés de haches,
de lances, d'épées, de dagues et même de
bâtons, le tout au choix d. s adversaires; ce
terme de deux ans n'élant pris pour lé com-
bat qu'à condition qu'ils ne pourraient pas
plus tôt trouver dis - sept chevaliers ou
écuyers sans repr che qui voulussent en
venir aux mains et s'éprouver contre eux;
que s'ils y étaient outrés (c'est le terme de
la Fondation ) , ils demeureraient entre les
mains des victorieux et deviendraient leurs
prisonniers, ou bien donneraient pour ran-
çon un fer avec sa chaîne semblable à celui
de leur ordre, les chevaliers un fer d'or, et
les écuyers un fer d'argent ; ou q;*e, s'ils se
rachetaient par quelque présent, les écuyers
leur donneraient un bracelet d'argent et
les chevaliers un bracelet d'or; que s'ils y
étaient assommés, ou bien que par maladie
ou autrement ils vinssent a mourir, en ce
cas leurs fers aussi bien que les chaînes
seraient envoyés à la chapelle de l'ordre
et là attachés devant l'image de la sainte
Vierge; qu'alors les confrères pour l'âme de
chaque défunt feraient dire un service ci dix-
sept, messes chacun, où ils assiéraient en
babil de deuil ; et qu'enfin quiconque tom-
berait dans quelque faule serait chassé de
la compagnie. Quoique le duc de bourbon
lût l'instituteur de l'ordre , il ne .-e réserva
pas néanmoins la nomination des chevaliers;
une place vacante, devait être remplie par
l'avis de la meilleure partie ou de tous les
chevaliers ensemble. II ne conserva d'autre
supériorité ni d'autre droit que celui de con-
tribuer plus largement qu'eux aux dépenses
qui se devaient faire à frais communs, de
leur fournir les lebresdu roi dont ils avaient
besoin, et de leur faire savoir le jour qu'il
partirait, quand il faudrait aller en Angle-
terre. .Mais il ordonna qu'aucun des cheva-
liers sans son congé ne pourrait entrepren-
dre de voyage ni faire autre chose qui pût
l'empêcher ee se trouver au rendez - vous
au temps du combat.
Il parait que cet ordre, à proprement par-
ler, n'était qu'un combat à outrance de dix-
sept conlre dix-sept, où les duellistes sa-
crifiaient leur vie et leur honneur pour des
femmes et peut-être pour des concubines ;
et néanmons il fut fondé dans l'église de
Notre-Dame de Paris, en une chapelle ap-
pelée Notre-Dame de Grâce, au nom de la
sainte Trinité et de saint Michel. Ils s'obli-
gèrent de pius de faire peindre dans celle
chapelle une image de Notre-Dame avec 1 s
armes de leurs maisons, et y mettre un 1er
d'or semblable à celui qu'Us portaient, mus
f;iil en chandelier, afin d'y placer un cierge
allumé qui brûlât continuellement jusqu'au
jour du combat. Ils s'obligèrent encore de
DICTIONNAIRE DES OlUHlES RELIGIEUX. II
l(|' <_"'•)
faire dire à neuf heures Ions 1rs dimanches
une messe haute de la sainte Vierge, et une
basse à pareille heure les autres jours, et
pour cela, de fournir de calices, chasubles
el autres ornements nécessaires; el que si
c'était le bon plaisir de Dieu qu'au combat
général ils battissent leurs adversaires, cha-
cun d'eux en par iculier, non-seulemenl y
fonderait sa mes.-e el un cierge à perpétuité
mais encore s'y ferait représenter avec sa
cotte d'armes et les autres armes qu'il avait
en combattant , et même y donnerait les
bracelets d.s vaincus que Dieu leur aura t
donnés ce jour-là, ou autres de pareille va-
leur. Cet ordre dura peu, et même les cheva-
liers ne se battirent point au jour fixé. A la
vérité le duc de Bourbon passa en Angleterre
au lemps porté, ou à peu près, par les let-
tres de la fondation , mais en qualité de pri-
sonnier de guerre, et non pas de chevalier
du Fer d'or, et il y mourut api es dix-neuf
ans de prison.
Mém 1res communiqués par M. de Clai-
rambaut.
FERÉOL (Saint-). Voyez Césaire (Saint-).
FERTÉ (La . Voyez Gîteaux, § 2.
FEUILLANTS, et en Halls les RÉFORMÉS DE
SAINT-BERNARD ( Religieux réformés
de l'ordre deGîtsaux appelés en France).
Des religieux réformés de l'ordre de Citeaux.
appelé* e: France Feuillants, et en Italie
les Réformés de Saint-Bernard, une la
rie de dom Jean de la Barrière, leur ré-
formateur et instituteur.
De toutes les réformes de l'ordre de Ci-
teaux , il n'y en a point de pJus considérable
que celle de Noire-Dame de Feuillans, puis-
qu'elle a formé un ordre distinct et séparé ,
qui c-t une branche de celui de Cîteaux, et
qui est présentement divisé en deux congré-
gations, gouvernées chacune par un général
particulier. Dom Ji au de la llarrière eh a été
l'instituteur. Il était d'une famille illustre
du vicomte de Tiirenne en Ouerci. Son père
s'appelait Barthélémy de la Barrière , et sa
mère Léonarde de Amadou , fille de M. de
Amadou , conseiller au grand conseil. Il
naquit à ^aint-Ceré, petite ville de cette
province, le 23 avril loii. 11 fut élevé avec
grand soin , et reçut de ses parents non-
seulement l'éducation qui était convenable
à sa condition, mais encore les premières
teintures d'une piété plus qu'ordinaire. Il
commença ses études à Cordeaux el à Tou-
louse, et les acheva à Paris, où il eut pour
maitre le savant Arnaud d'Ossal, qui de-
puis a été éyéque de Rennes et de L;ayeux ,
et ensuite cardinal.
A l'âge de dix-huit ans, Charles de Crus-
sol , Gis du comte de Crussol , grand pane-
tier «le France, ayant embrassé l'hérésie,
lui résigna l'abbaye de Feuillans en 1562 ,
el il en prit possession en 1563. Il la tint
onze ans en commende, sans prendre d'au
très soins pour les fruits qu'il en reee
que de dire son bréviaire, et d'en proct
les avantages temporels. Mais, en \
9
sa
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
SS3
après plusieurs combats intérieurs, il fui
si vivement touché de Dieu, qu'il aban-
donna entièrement le monde pour entrer
dans l'ordre des revenus duquel il jouis-
sait. Il en obtint à cet effet les permissions
nécessaires, et , après l'année de probalion
dans le monastère d'Aune, du même or-
dre, au diocèse de Toulouse, où il s'était
retiré à cet effet, il fil sa profession solen-
nelle avec beaucoup de piété et de ferveur.
Il alla ensuite résider à son abbaye , où
sa première occupation fut de réformer les
abus qui s'y étaient glissés par le relâ-
chement de la discipline régulière ; mais
il y trouva tant d'oppositions de la part
des religieux et de quelques personnes
séculières qui entraient dans leurs inté-
rêts , qu'il résolut de quitter son abbaye
pour se retirer dans une solitude , afin
d'y vivre seul et séparé ib's hommes, à
l'exemple des anciens anachorètes. Comme
il était sage cl prudent , il ne voulut pas
?e croire lui-même , ni entreprendre une
vie si difficile et exposée à tant de dangers
sans prendre conseil : c'est pourquoi il en
écrivit à M. d'Ossat , son ancien maître,
qui, étant à la suite de M. de Foix , ar-
chevêque de Toulouse, en qualité de se-
crétaire dans l'ambassade dont ce prélat
fut honoré à la cour de Rome , lui fil une
réponse très-judicieuse , que l'on trouve
dans ses lettres d'Etat, par laquelle louant
son zèle, il lui conseille de ne pas cher-
cher la solitude dans les bois et les ca-
vernes de la terre, où il ne pourrait ni
secourir le prochain, ni accomplir les com-
mandements de l'Eglise, ni s'acquitter des
devoirs du sacerdoce , où il avait été pro-
mu , mais qu'il pouvait être solitaire au
milieu de ses frères en gardant le silence
et observant exactement sa règle. Il reçut
cet avis comme venant de la pari de Dieu ,
et il s'arrêta à sa première resolution , qui
élait de réformer sou monastère.
Ce grand dessein fut d'abord combattu
par des obstacles qui paraissaient invinci-
bles : il fut abandonné de tous ses reli-
gieux ; il y en eut même qui alternèrent
a sa vie. Il demeura pendant quatre ans
sans trouver d'imitateurs de l'austérité qu'il
pratiquait, qui était si grande, que pen-
dant tout ce temps-là il ne vécut que de
fleurs de genêt et d'herbes sauvages, ou
de. quelques fruits, sans pain ni vin. Celle
vie parut si extraordinaire , qu'il fut dé-
féré au chapitre général de Cîleaux comme
un innovateur qui, par son nouveau génie
de vie qu'il voulait faire embrasser aux
aulres , troublait le repos et la tranquil-
lité de son abbaye. Il reçut celte mortifi-
cation avec tant de patience , et répondit
à ces accusations avec tant d'humilité, que
plusieurs religieux , concevant une haute
idée de ses vertus, vinrent se soumettre à
sa conduite. Le uombre en élait si grand
_en 1577, que l'on peut dire qu'il semblait
qu'il avait ai tiré la bénédiction du ciel sur
bjortv nouvel Institul ; ses religieux étaient
s» zty.éa , que non-seulement ils renouve-
lèrent l'ancienne ferveur des religieux de
Cîleaux, mais même la surpassèrent: car
telle élait leur manière de vie.
Dnm Jean de la Rarrière, outre l'usage des
ha ires, des disciplines et des autres mortifi-
cations ordinaires, a^ait encore établi cel-
les-ci. Les religieux allaient nu-pieds sans
sandales, avaient toujours la lêle nue, dor-
maient tout vêtus sur des planches, et pre-
naient leur réfection à genoux sur le plan-
cher. Il y en avait même qui, pour se mor-
tifier davantage, ne buvaient que dans des
crânes de morts, accommodés en forme de
tasses. Ils ne se servaient que de vaisselle de
terre, lis étaient si fervents, qu'ils ne vou-
laient manger ni œufs, ni poisson, ni beurre,
ni huile, ni même du sel, se contentant pour
toute nonrri'.ure de potage fait avec d s her-
bes cuiles seulement à l'eau, et avec du pain
d'orge pétri avec le son : encore était-il si
noir, que les bêles refusaient d'en manger.
Leur nombre augmentant leur ferveur de-
vint plus gramie : c'est pourquoi afin de se
morlifier davantage et dassujellir avec plus
de facilité la chair à l'esprit, ils retranchè-
rent l'usage du vin. Dom Jean de la Rarriè-
re introduisit aussi dans son abbaye un chant
tout particulier appelé de son nom le chant
de M. de Feuillans ; mais ayant appris que
plusieurs personnes le profanaient, princi-
palement les gens de métier, qui le chan-
(aient en leurs boutiques pour s'en divertir,
il le quitta deux ans après pour reprendre
celui de Cîleaux. Il employa aussi ses reli-
gieux à divers métiers, non-seulement pour
gagner leur vie du travail de leurs mains
(parce que leur nombre augmentant tous
les jours, il n'avait pas grand revenu pour
les entretenir), mais encore pour éviter l'oi-
siveté, qui est la mère de tous les vices et la
ruine des âmes religieuses. Les uns cardaient
de la laine, les autres la filaient, et d'autres
étaient occupés à faire du drap.
Telle était la vie de dom Jean de la Bar-
rière et de ses disciples dans les commence-
ments de cette réforme : ce qui leur attira
beaucoup de traverses, principalement de la
part des religieux de Citeaux, qui cherchè-
rent tous les moyens qu'ils purent pour em-
pêcher son progrès, la regardant comme
une singularité incommode, et qui condam-
nait le relâchement dans lequel presque lous
les monastères de l'ordre étaient tombés.
C'est pourquoi dom Jean de la Rarrière, vou-
lant prévenir les empêchements que l'on
pouvait apporter à la continuation de sa ré-
forme, eut recours au pape Sixle V, qui ap-
prouva leur manière de vie l'an 158G, défen-
dant aux religieux de Cîleaux de les troubler
dans leur observance, ordonnant néanmoins
que les Feuillants seraient soumis à leur vi-
site et correction dans les choses seulement
qui ne seraient pas contraires à l'étroite ob-
servance qu'ils avaient embrassée, et que,
s'il arrivait de la difficulté au sujet de ces
mêmes observances , pour savoir si elles
étaient contraires à la règle de Saint-Benoit,
la connaissance en appartiendrait aux sou-
verains ponlifes. L'année suivante 1587, le
21>9 FKU
moine pape approuva de nouveau celte ré-
forme, qui n'était pas encore sortie de i'.:i>-
baye de Feuillans, dans laquelle il y avait
pour lors, selon le témoignage de ce pontife,
cent quarante religieux proies et plusieurs
novices, comme il le déclare dans sa bulle, il
leur donna aussi permission de bâtir des
monastères de celle réforme, tant pour des
religieux que pour des religieuses. Il II
même rester à Rome deux religieux qui y
a\aicnt été envoyés par dom Jean de la Bar-
rière pour obtenir ces bulles, et il ordonna
à ce réformateur d'y en envoyer un plus
grand nombre, parce qu'il voulait leur don-
ner un établissement. 11 accepta cel ordre
de Sa Sainteté avec beaucoup de joie, et il y
en envoya un nombre sulfisant pour faire
communauté. On les logea d'abord dans une
petite maison de l'ordre appelée San-Yiio,
el le pape leur donna quelque temps après
celle de Sainte-Prudentienne, à laquelle ils
ont joint depuis un beau monastère.
Le roi Henri III en voulut aussi avoir à
Paris. 11 pria le saint abbé de lui en envoyer
soixante, auxquels il lit bâtir un magnifique
couvent dans la rue Sainl-Honoré. Boni Jean
de la Barrière les accompagna lui-même. Ils
entreprirent ce long voyage nu-pieds sans
sandales, nonobstant la faiblesse où les jeû-
nes et les veilles les avaient réduits. Ils fai-
saient tous leurs exercices par le chemin,
rumine s'ils eussent été dans leurs monastè-
res, sans que cinquante cuirassiers, qui les
accompagnaient de la part du roi, les dé-
tournassent de leur attention et de leur dé-
votion. Ce monarque, qui était au couvent
des Bons-Hommes dans le bois de Vincen-
nes, les envoya recevoir à Charenton, où ils
arrivèrent le 11 juillet 1588. Il alla lui-même
à leur rencontre pour leur témoigner sa
bienveillance. Ils se prosternèrent tous en
terre, et le roi, leur ayant l'ait donner la bé-
nédiction par le cardinal de Bourbon, qui
l'accompagnait , les releva et les conduisit
en ce couvent, où il les logea et les entretint
jusqu'à ce que leur couvent de la rue Sainl-
Honoré étant achevé, ils en prirent posses-
sion le 8 septembre de la même année.
Pendant les troubles dont le royaume fui
agité dans ce temps-là, doni Jean de la Bar-
rière demeura toujours fidèle au roi, malgré
les complots de la Ligue ; et s'étant trouve a
Bordeaux dans le temps de la morl funeste
de ce prince, il lui Ct de magnifiques funé-
railles, dans lesquelles il prononça son orai-
son funèbre. Ses religieux ne l'imitèrent pas
dans sa fidélité envers leur souverain : plu-
sieurs se laissèrent entraîner par la fureur de la
Ligue, où ils entrèrenl(l). Un des pi us séditieux
fut dom Bernard de Montgaillard, appelé le
Petit Feuillant, qui, après l'entrée triom-
phante d'Henri IV dans la ville de Paris, qui
s'était volontairement soumise à son obéis-
sance , ne croyant pas que les excès dans
lesquels il était tombé pussent lui être par-
donnés, sorlil de celte ville avec la garnison
fi:u
270
espagnole, et se relira en Flandre auprès de
l'arehiduc Albert, qui lui donna l'abbaye
d'Orval.dans la province de Luxembourg,
où, pour réparer ses fautes, il élablit la ré-
forme qui subsiste encore et qui approche
de celle de la Trappe et de Septfonds , dont
nous parlerons dans leur liiu.
Pendant que les religieux Feuillants
étaient ainsi malheureusement engagés dans
celle Ligue, ils devinrent les persécuteurs de
leur saint instituteur, qui condamnait leurs
fausses démarches par sa fidélité ct son at-
tachement à son prince; ils ne le regardè-
rent plus que comme un homme qui avait
des sentiments contraires aux intérêts de la
religion, et ils obtinrent du pape Sixte V la
convocation d'une congrégation générale en
Italie. Dom Jean de la Barrière, informé des
intentions de Sa Sainteté, se rendit à pied à
Turin, et après y avoir tenu une assemblée
composée seulement des supérieurs des
maisons d'Italie, il alla à Borne, tandis qu'on
tenait en France contre lui un chapitre gé-
néral à Cîteaux. Le P. Alexandre de Francis,
dominicain et depuis évoque de Forli, pré-
sidant à ce premier chapitre général des
Feuillants en Italie, qui ne se Unique l'an
1592, sous le pontificat de Ciément VIII, in-
terrogea l'abbé de Feuillans sur les crimes
dont il était accusé, auquel quoique innocent
il ne répondit qu'en disant qu'il était un
grand pécheur, ce qui étant regardé commo
un aveu de ces mêmes crimes, il fut suspendu
de l'administration de son abbaye avec dé-
fense de dire la messe, cl ordre de se présen-
ter une fois le mois au tribunal de l'inquisi-
tion.
Ce fut dans ce chapitre que dom Jean
Gualtéron, Français, né à Châlons en Cbam-
pague, lut élu pour premier vicaire général
de la congrégation. Les religieux y quittè-
rent leurs noms de famille pour prendre
ceux de quelques saints. Ainsi , dom Jean
Gualtéron ajouta à son nom de baptême ce-
lui de Sa:nt-Jérôme , el dom Jean de la Bar-
rière celui de Saint-Benoit. Un des premiers
soins du vicaire général lui de faire exempter
sa congrégation de la juridiction des supé-
rieurs de Citeaux. C'est te qu'il obtint la
même année du pape Clément VI11 , qui la
soumit immédiatement au saint-siége, et qui
accorda à ces religieux la permission de
dresser des constitutions particulières. Six
religieux furent nommés pour y travailler,
qui furent dom Jean de Saint-Jérôme, dom
Pierre de Saint-Bernard , dom Philbert de
Sainte- Prudenlienne , dom Pantaléon de
Saint-Placide , dom Jean de Sainl-Maur el
dom Alexandre de Saint-Michel ; le pape, de
son côté, nomma aussi le P. Alexandre de
Francis, dont nous avons parlé, qui lut ilans
la suite évêque de Forli, el Cômed'Ossone,
religieux barnabite, qui fut aussi évêque de
Tonone.
Ces constitutions ayant été dressées, elles
furent présentées au chapitre général, qui se
(1) Ils le firent par attachement à la.foi catholique, ne voulant pas se déclarer nmir i* prince huguenot
Ewr.
ItlCIION.NAUŒ DES OltOUKS RELIGIEUX
tint l'an 1593, où , ayant été reçues, le pape
les approuva , et elles furent imprimées à
Rome la même année. Ces constitutions mo-
dérèrent leur grande rigueur, le souverain
pontife l'ayant ainsi ordonné à cause que
quatorze religieux étaient morts dans l'ab-
baye de Feuillans en une semaine. 11 leur
fut permis de se couvrir la létc. de porter
des sandales de bois, de manger des œufs, du
poisson, de l'huile, du beurre et du sel, et
de boire du vin ; il y a seulement certains
jours marques auxquels il ne leur est pas
permis de manger des œufs et du poisson,
car ils doivent s'en abstenir les mercredis et
les vendredis, à moins que dans ces jours-là
il n'arrive une léte de première classe , et
pour lots l'abstinence des œufs el du poisson
est remise à un autre jour. Les jours de
jeûne d'Fglise, et pendant l'Avent et le ca-
rême , ils ne doivent manger ni œufs , ni
beurre, ni laitage. Le beurre est seulement
permis où l'huile n'est pas commune; mais
ils ne le doivent manger que d.<ns les sauces.
Outre les jeunes prescrits par l'Eglise, ils
jpûnent encore tous les mercredis el les ven-
dredis, et tous les jours, d. puis la lète de
l'Exaltation de la sainte croix jusqu'à Pâ-
ques. Ils se lèvent à drus heures après mi-
nuit pour dire matines , suivant l'usage
prescrit dans les congrégations réformées
qui suivent la règle de Saint-Benoît. Ils dor-
ment sur des paillasses , et il est permis à
ceux qui le veulent de prendre leur repos
sur des planches. Ceux qui, pareillement,
veulent s'abstenir de vin le peuvent, à moins
que le supérieur ne le défende expressément.
Les piètres et les clercs doivent tour à toi;r
servir à la cuisine, et ils ne se servent que
de vaisselle de terre. Ces observances sont
encore en pratique dans cet ordre, exce, lé
qu'ils se sont chaussés depuis peu, en vertu
d'un bref qu'ils ont obtenu du pape Clé-
ment XL
Quelque temps après la tenue de ce cha-
pitre général, ils obtinrent un autre établis-
sement dans Home, aux Thermes de Diuclé-
tien, où la comtesse de Santafiore, Catherine
Sforce, leur lit bâiir un beau monastère et
une église, sous le litre de Saint-Bernard,
qui fui finie l'an 15118. La même année, ils
tinrent un autre chapitre , où le l*. dom
Guillaume de Saint-Claude étant élu général,
on demanda le rétablissement de dom Jean
de la Barrière, ce que l'évéque de Forli ayant
empêché par ses intrigues , le cardinal de
Joyeuse eut envie d'enlever ce saint abbé et
de l'emmener à Paris ; mais il s'y opposa et
n'y voulut jamais consentir. Catherine de
Nobilis , dm liesse de Sforce , s'adressa au
cardinal Bellarmin, qui parla au p ipe en la-
veur de l'innocence opprimée par la cu-
1 iiniiie. Clément Ylll chargea ce cardinal de
revoir le procès. Il le revit , interrogea les
religieux séparément, s'entretint plusieurs
fois avec Jean de la Carrière sans lui parler
du pi ocès , lil rapport de tout au pape, et
l'assura que cet abbé était un saint qu'on
tenait dans l'oppression. Le pape, détrompé,
reprocha à l'évéque de Forli l'injustice de
sa sentence, et lui défendit de paraître ja-
mais devant lui. L'évéque , frappé de celte
disgrâce , alla faire satisfaction à l'abbé, et
mourut trois jours après , accablé de honte
el de douleur. Le pape , après que le procès
eut élé revu en sa présence et en celle de
plusieurs cardinaux , ordonna au cardinal
Bellarmin d aller prononcer la sentence d'ab-
solution, avec ordre de retenir dom Jean de
la Barrière à Rome ; mais ayant reçu son
absolution, il mourut dans son monastère de
Saint-Bernard, à Rome, le 25 avril 1600,
entre les bras du cardinal d'Ossat, étant dans
la cinquante-sixième année de son âge. La
comtesse de Santafiore, fondatrice de ce mo-
nastère, voulut que ses obsèques fussent des
plus magnifiques que l'on eût vues depuis
longtemps à Rome. Son cœur, ayant été cn-
f rmé dans une boîte en argent, fut envoyé
à l'abbaye de Feuillans; et l'an 1020, comme
on transportait ses ossements dans un sé-
pulcre de marbre, au milieu de la même
église de Saint-Bernard, on en donna la tête
cl les pieds à M. Sponde, évêque de Pamiers,
; ouf les porter aussi à Feuillans, où la têle
est seulement restée, les pieds ayant été
portés à Paris dans le premier îles deux mo-
nastères de son ordre qui sont eu celle ville.
Api es la mort de dom Jean de la Barrière,
le pape Clément Ylll, qui élait en droit, par
cette vacance en cour de Rome, de donner
l'abbaye de Feuillans', la conféra à Jean
Ballade , qui , deux ans après , l'an 1602 , la
remit à cette congrégation dans un chapitre
général. Le roi Henri IV céda pour toujours
;>oii droit de nomination à celte abbaye, et
consentit qu'un abbé triennal fût élu par les
chapitres généraux, ce qui lut confirmé par
le pape, et depuis ce temps-là cette abbaye
est devenue chef d'ordre. Le premier abbé
régulier triennal fut le P. dom Jean de Sainl-
Maur, qui était général de la congrégation,
et depuis ce temps-là les généraux en France
ont toujours pris le litre d'abbé de Feuil-
lans, et se servent pendant le triennal d'or-
nements pontificaux.
Cet ordre avait fait du progrès du vivant
de sou fondateur: c;r, outre l'abbaye de
Feuillans, qui en était le ch f, il avait cn-
co.e un célèbre monastère à Paris, deux à
Rome, un à Bordeaux et quelques-uns en
Piémont. Mais après sa mon il fit de plus
grands progrès; car les religieux Feuillants
firent des é ablissements à Lyon, à Saint-
Ouillem Normandie, à Soissons, à Rouen,
un second à Paris, au Plessis-Piquet, à Fon-
lanie, lieu de la naissance de saint Bernard,
el en plusieurs autres lieux do France, oi
iis eurent aussi les abbayes de Saint-Memrn
de Mici près d'Orléans, qui appartenait aux
Bénédictins, cl celle du Val au diocèse de
Beauvais, qui était de l'ordre de Cîteaux.
Celte dernière fut donnée à celte congréga-
tion, ou plutôt au monastère de Saint-Ber-
nard de Paris, par Henri III. H ne la possé-
da que deux ans, après lesquels elle retour-
na en comuiende. Mais Louis XIII et Alarie
de Médici-, son épouse, la rendirent à ce
monastère, qui eu prit possession l'an 1610 ,
273
Fi U
cl depuis ce temps-là le titre abbatial a éié
supprimé. Il se fit aussi des établissements
considérables eu Italie, de sorti- que le pape
Urbain VIII, voyant le grand nombre de mo-
nastères qu'ils avaieut tant ru France qu'en
Italie, et appréhendant que l'observance ré-
gulière ne souffrît quelque atteinte par la
longue absence des supérieurs, qui étaient
obligés de se trouver aux chapitres géné-
raux qui se tenaient quelquefois en France,
quelquefois en Italie, divisa, l'an 1030, les
Français et les Italiens en deux congréga-
tions différentes, celle de Franco sous le lilre
de Notre-Dame de Feuillans, et celle d'Italie
sous celui des réformés de Saint-Bernard.
Ces deux congrégations sont gouvernées
chacune par un général de leur nation. Ainsi
les deux maisons de Home, qui avaient été
fondées par les Français, restèrent aux Ita-
liens , et le pape accorda seulement aux
F' rinçais un hospice dans la même ville pour
leur procureur général, auquel les Italiens
sont obligés de. donner tous, les ans cinq
cents livres. Cet hospice a une petile cha-
pelle dédiée à sainte Marie Mère de Dieu, qui
n'est ouvcrie que lorsqu'on y dit la messe.
Cette séparation des Français d'avec les Ita-
liens n'a pas empêché que les Français ne
soient restés à Florence, où ils avaient été
établis dès l'an 1016 par le grand-duc Côme
Il et Catherine de Lorraine, son épouse, qui
leur firent bâtir un couvent, dont les fonde-
ments furent jetés le trente septembre de la
même année, et dont celte princesse posa la
première pierre.
Le premier général de la congrégation
de France fut le P. dom Charles de Saint-
Paul, qui fut ensuite évêque d'Avranches; et
celui de la congrégation d'Italie fut le P.
dom Philippe de Sainl-Jean-Bapliste. Les
Français dans leur chapitre général de l'an
1634 tarent quelques changements dans leurs
constitutions qui furent imprimées à Paris la
même année, et les Italiens en tirent aussi
quelques-uns dans les leurs, dans leur cha-
pitre général de l'an 1067, et firent impri-
mer ces constitutions à Home l'année sui-
vante. Les uns et les autres sont habillés de
même, excepté que les Italiens ont des habits
d'une serge fort fine, et beaucoup plus amples
que ceux de France, mais principalement le
capuce, qui est beaucoup pins large et plus
profond, et que la permission de se chausser
leur a été accordée dès l'an 1670. Leur habil-
lement consiste en une robe ou coule blanche
sans scapulaire, avec un grand capuce de la
même couleur, se terminant en rond par-
devant jusqu'à la ceinture, et en pointe par
derrière jusqu'au gras des jambes. Leur robe
est ceinte d'une ceinture faite de la même
étoffe que l'habit (1) : ils n'ont point d'habil-
lement particulier pour le chœur. Ils peuvent
porter des chapeaux quand ils sortent pour
aller en campagne. Les convers sont habil-
lés comme les prêtres, à l'exception que leur
reinture doit être de corde. Ils ont aussi des
d nues ou oblats qui n'ont point de capuce,
(1) l'oy.:à la fin du vol.. rtos5Scl 59.
FEU 27J
mats nn chapeau. Leur robe ne vient que
jusqu'à mi-jambe, et quand ils sortent, ils
portcnl un manteau (-2) : les uns et les autres
se servent pour le travail d'un scapulaire de
toile. Les oblats ne sont pas religieux , ils
promettent seulement de garder la chasteté,
la pauvreté et l'obéissance tant qu'ils demeu
reronl dans la congrégation.
Cet ordre a donné à l'Eglise des cardinaux
et plusieurs autres prélats ; les cardinaux
sont le P. lîona. qui lut fait cardinal par le.
pape Clément IX; et le P. Gabrieli, par le
pape Innocent XL Le P. Charles de Saint-
Paul fut évêque d'Avranches, comme nous
avons dit. 11 a donné au public la Géogra-
phie sacrée, qui fait connaître les diocèses
des patriarches, des métropolitains et des
évèques'de l'ancienne Eglise. Cet ouvrage
fut imprimé pour la première fois en IGil ,
à Paris ; mais celle édition étant devenue
rare, un en a fait une nouvelle en Hollande
l'an 1704. Le P. dom Côme Itoger, qui avait
été aussi général de la congrégation de
France, et l'un des plus célèbres prédicateurs
de son temps, fut fait évêque de Lombez l'an
1071, et est mort l'an 1711, âgé de quatre-
vingt-quinze ans. La congrégation d'Italie a
ilonné aussi à l'Eglise d'autres prélats. Clé»
ment VIII commit les religieux Feuillants des
monastères de Sainle-Prudenlienne et do
Saint-Bernard à Rome, pour jeter en moule
les Àgnus Dei, lorsque le pape en doit faire
la bénédiction; et ce privilège leur a été con-
firmé par Léon XI et Paul V, qui ont l'ail
défense à toute auire personne de s'ingérer
dans cet ouvrage. Nous ne parlons point des
personnes illustres par leur piété et des écri-
vains célèbres de cette réforme, parce qu'ils
sont en trop grand nombre; les ouvrages du
cardinal Boiia, l'un des plus célèbres écri-
vains de la congrégation d'Italie, sont assez
connus. Le P. Joseph Morolio de la même
congrégation a donné l'histoire de cette ré-
forme, sous le lilre deCistertii re/lorescenlis,
seu congregalionum Ci s tertio- M onasticarum
ii. M. Fuliensis in G allia, et reformatorum
S. Bernardi in llulia Chronologica Historia.
Il a aussi donné le Théâtre chronologique
de l'ordre des Chartreux, imprimé en 10SS.
Il promettait celui de la congrégation des
Clercs Réguliers de la Mère de Dieu, et celui
de l'ordre de Saint-Jérôme en Espagne; mais
ils n'ont pas encore été imprimés. Il y a
aussi plusieurs autres ouvrages de ce mêma
auteur.
Chrysoslome Henriquez, Menolog.Cistert.
et ejusd. fascicul. sanclor. ord. Cistert. Dom
Pierre de Saint-llomuald, IJist. Cltronolog.
Joseph. Morolius, Cistcrtii re/lorescenlis seu
Ctnu/.B. M. Fuliensis Chronolog.Uistor.com-
pend. privile/j. et constitue ejusd. Congreg.
La conduite de dom Jean de la Harrière, pre-
mier abbé it instituteur des Feuillants.
FEUILLANTES, dites incorrectement Feuil-
lantines.
Les religieuses Feuillanles ont aussi eu
(-2) Voy.., ibîd.,n° 60.
275
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
270
pour instituteur dom Jean de la Barrière. La
vertu de ce saint abbé commençant à être
connue, plusieurs personnes le voulurent
avoir pour le guide et le directeur de leur
conscience. Due pieuse dame, dont la demeure
n'était éloignée de l'abbaye de Feuillans
que de quatre lieues, fut des premières à
contracter une liaison spirituelle avec lui.
Mlle s'appelait Anne de Polastron de la Hil-
lière, et était femme de Jean de Grandmont ,
seigneur de Sauvons. Elle demeurait ordi-
nairement au châleau de Sauvens, près de la
pelile ville île Muret; et toutes les fois que
l'abbé de Feuillans allait prêcher à Tou-
louse, la piété de cette dame l'engageait à
passer par sa maison pour s'y entretenir
avec elle des choses de Dieu, l'animer à la
vertu, augmenter en elle le mépris des vani-
tés du monde, et l'amour de celui qui seul
peut faire le bonheur de l'homme en cette vie
et en l'autre.
D'autres dames qui, malgré les attache-
ments qu'elles avaient au monde, se plai-
saient à entendre parler de spiritualité ,
poussées par un secret mouvement de la
grâce de Dieu, s'y trouvaient aussi pour
avoir le plaisir d'entendre les discours spi-
rituels de Jean de la Barrière. Mais Dieu, qui,
par un effet de sa bonté et de sa miséricorde,
avait choisi ces âmes mondaines pour en
faire de saintes pénitentes, donna tant de
force aux paroles de cet instituteur, qu'ou-
vrant leurs cœurs à la grâce, elles changè-
rent l'estime qu'elles avaient eue jusqu'alors
pour le monde en un si grand mépris, que
leur devenant odieux, elles prirent la réso-
lution de le quitter, et pensèrent aux moyens
de se consacrer entièrement à Jésus-Christ.
Mais ne pouvant encore exécuter ce pieux
dessein, et profitant de la facilité que leur
donnait madame de Sauvens, elles se con-
tentèrent pour lors de rendre leurs entre-
tiens spirituels plus fréquents, et com-
mencèrent à imiter la solitude el les aus-
térités de» Feuillants autant qu'il leur étaii
possible. Madame de Sauvens animait et
soutenait de si beaux commencements par
ses pieuses exhortations et par les services
spirituels et corporels qu'elle rendait à celle
sainte troupe. Elle prévoyait fort bien que
tous ces services ne serviraient qu'à la pr -
ver plus tôt de leur compagnie, puisqu'elles
ne faisaient que solliciter leur entrée en reli-
gion, où elle ne pouvait les suivre à cause
de son engagement dans le mariage. Mais sa
charité pour ces nouvelles épouses de Jésus-
Christ, l'emportant sur le plaisir dont elle
jouissait dans leur sainte compagnie, elle ne
négligea rien pour mettre la dernière main à
ce pieux ouvrage, résolue pour lors de lais-
ser celle sainte troupe sous la conduite de
Marguerite de Polastron sa sœur, qui, se
trouvant veuve du seigneur de Margesland,
était en liberté de se consacrer en religion ;
ce qu'elle fil en effet, accompagnée d'une de
ses lilles, qui lui élail très-chère à cause de
ses grandes vertus.
Celte illustre; veuve entreprit d'obtenir de
dum Jean de la Barrière Je vivre sous sa di-
rection el dans les mêmes observances que
l'abbaye de Feuillans. Elle lui fit connaître
sou sentiment et celui de ses compagnes.
Une telle proposition étonna autant le saint
abbé qu'elle le réjouit. Après en avoir rendu
grâces à Dieu, il loua leur zèle; mais afin de
leur faire voir l'importance de ce qu'elles
demandaient, il leur fil une description de
toutes les austérités qu'on pratiquait à Feuil-
lans. Ce genre de vie, qui aurait été capable
de rebuter des cœurs moins animés de l'es-
prit de Dieu, ne servit qu'à encourager ces
amantes de la croix de Jésus-Christ et à leur
faire demander avec plus d'instance ce qu'el-
les souhaitaient avec tant d'ardeur. Dom
Jean de la Barrière voulut cependant les
éprouver, craignant que le temps ne ralen-
tit leur zèle. 11 les laissa dans celte volonté
pendant deux ou trois ans, les visitant quel-
quefois, les animant par ses dise urs, et les
exhortant à ne point abandonner leur en-
treprise; et comme ses prédications lui atti-
raient un grand nombre de personnes qui
se mettaient sous sa direction, entre les-
quelles il y en avait qui voulaient embrasser
Fétat religieux, il eut le moyen d'augmenter
le nombre de celles qui voulaient embrasser
la vie des Feuillants.
Ayant envoyé à Borne deux de ses reli-
gieux pour y faire approuver sa réforme, et
le pape Sixte V, comme nous avons dit dans
l'article précédent, ayant l'ail rester dans
celte ville ces religieux, et donné ordre à
l'abbé de Feuillans d'y en envoyer un plus
grand nombre, ils furent logés dans une pe-
tite maison de l'ordre de Cîleaux appelée
San-Vilo. Durant le séjour qu'ils y firent, ils
remarquèrent que sept ou huit filles vôIups
de blanc et portant sur la tète un voile de
même couleur, à la manière des religieuses
de Cîleaux, venaient tous les jours prier
dans l'église de ce monastère. Cette nou-
veauté les surprit, et s'en étant informés, on
leur dit que ces bonnes filles avaient la vo-
lonté d'être religieuses, mais que, faute d'ar-
gent [iour entrer en religion, elles vivaient
ensemble suis la protection de saint Ber-
nard.
Dom Jacques de la Bocliemouson, l'un de
ces religieux, voulut aider ces bonnes filles
dans leurs saints désirs, et, tout étranger
qu'il était, sans biens, sans appui et presque
sans aucune connaissance à Rome, dans le
temps même qu'il ne devait songer qu'à l'é-
tablissement de sa congrégation, il entreprit
de leur procurer une maison. Il était d'une
famille noble d'Auvergne, et il avait fait
profession dans l'abbaye de la Chaise-Dieu.
Sa naissance, son mérite et sa grande capa-
cité le firent connaître au roi Charles IX,
qui voulut qu'il exerçât la charge de vicaira
général au spirituel et au temporel de Char-
les de Valois, son fils naturel, grand prieur
de France et abbé do la Chaise-Dieu. Dom
Jacques s'acquitta de cet emploi avec hon-
neur; mais enfin ayant eu occasion d'aller
à l'abbaye de Feuillans, il fui si touché de
la vie austère des saints religieux qui y dé-
nie, raient sous la conduite de dom Jean de
277
FEE
FEU
278
la Barrière, qu'il le pria de le recevoir au
nom!>re de ses disciples. Le saint abbé le
reçut avec joie, et, après qu'il eut fait pro-
fession de cette réforme, il alla prêcher quel-
quefois à Sauvens. Il eut lieu par ce moyen
de connaître la ferveur de ces dames qui s'y
disposaient pour embrasser aussi la réforme
des Feuillants. Ayant été ensuite envoyé à
Rome, il entreprit de secourir les saintes
filles dont nous venons de parler, qui s'as-
semblaient dans l'église de San-Vito pour y
faire leurs prière?. El il s'en présenta peu de
temps après une occasion favorable; car le
cardinal Ruslicio, protecteur de l'ordre de
Cîteaux, faisant rebâtir l'église de Sainte-
Susanne, qui était son titre, sans autre des-
sein que de satisfaire à l'obligation que sa
piélé lui avait inspirée; dom Jacques, qui
visitait souvent ce prélat, comme protecteur
do l'ordre, lui persuada de joindre à celte
ég'ise un monastère de saintes vierges, et lui
parla de ces filles qui vivaient en commu-
nauté sous la protection de saint Bernard, et
qui faute d'argent ne pouvaient être reli-
gieuses. Le cardinal, ravi de trouver une si
belle occasion de signaler sa piété envers
Dieu et sa charité envers le prochain, écoula
avec plaisir la p'oposilion que lui fil dom
Jacques, et fil bâtir un mon stère où il mit
ces saintes filles, auxquelles il donna pour
supérieure une religieuse tirée du monastère
de Sainte-Cécile, et les mit sous la direction
des Feuillant*, qui leur firent embrasser
l'étroite observance de Cîleaux. Ainsi on
peut dire que les religieuses de Sainte-Su-
sanne de Homo, qui subsislent encore au-
jourd'hui, ont été les premières Fouillantes,
quoiqu'elles n'en aient pas porté le nom, cet
honneur étant réservé pour les autres qui
étaient à Sauvens. Dom Jean de la Barrière
les avait toujours entretenues dans leur des-
sein, jusqu'à ce qu'enfin, ayant reçu, l'an
15S6, la première bulle du pape Sixte V qui
érigeait la nouvelle congrégation des Feuil-
lants et leur permettait de bâtir des monas-
tères de l'un et de l'autre sexe, il travailla
pour établir celui dos Fouillantes; et , après
avoir obtenu les permissions nécessaires et
réglé touies choses pour les mettre à Mon-
lesquiou de Volvestre, diocèse de Rieux, il
en laissa l'exécution à un de ses religieux,
ayant été obligé, par ordre du roi Henri 111,
d'aller à Paris.
Tout étant disposé et en état de recevoir
celle nouvelle colonie, elles se rendirent à
Feuillans au nombre de quinze, d'où elles
partirent le 23 mai 1388 sous la conduite de
dom François Rabaudi, leur supérieur, pour
aller premièrement à Rieux, afin d'y rece-
voir 1-a bénédiction de l'évéque Jean du
Bourg, et ensuile à Montesquiou, où ce pé-
lat se transporta pour leur donner le voile
de religion, dont la cérémonie se fit le 19
juin de la même année; et l'année suivante
elles firent leurs vœux solennels. Dom Jean
de la Barrière ayant destiné pour leur supé-
rieure Marguerite de Polastron de la Fi il—
lière, âgée de 58 ans, veuve d'Anne d'Yzal-
quier de Glermont de Dieupautale, seigneur
de Margestand, cette dame ne voulut pas
iccevoir l'habit la première par humilité,
voulant que ce lût sa fille Jacqueline de
Dieupautale, à cause de sa virginité : elle
accepta néanmoins la supériorité.
La ferveur de ces saintes religieuses devint
l'admiration de lout le royaume. Comme il
y avait alors peu de monastères de filles où
l'observance régulière fût gardée exacte-
ment, on respectait d'autant plus le monas-
lère de Montesquiou , qu'on y voyait des
pratiques de vertu et de mortification qui
paraissaient presque inimitables. En effet,
ce genre de vie pratiqué par les Feuillants
et les Fouillantes se trouva si au-dessus des
forces humaines, que Clément VIII ayant
appris, comme nous l'avons dit dans l'arti-
cle précédent, que quatorze religieux étaient
moits dans une semaine, ordonna, au cha-
pitre général de l'an lo'fo, de modérer ces
grandes austérités : ce qui fut fait de la ma-
nière dont nous l'avons rapporté au même
endroit.
Le nombre des religieuses Feuillantes
augmentant de jour en jour, leur maison se
trouva trop petite; et, la ville deMonlesquiou
n'étant pas assez considérable, pour renfer-
mer une si nombreuse communauté, on ré-
solut de transférer ces religieuses à Tou-
louse. Le cardinal de Joyeuse, archevêque
de celte ville, ayant obtenu une bulle du
pape pour la suppression d'une maison reli-
gieuse où le dérèglement s'était g:issé, vou-
lut donner celle maison aux Fouillantes;
mais ces sainles filles, ne voulant nuire à
personne ni s'établir sur les ruines d'aucune
autre communauté, refusèrent les offres du
ce prélat, et trouvèrent moyen de s'établir
dans un aulre lieu, dont elles prirent pos-
session le 12 mai 1599, après avoir quille
avec beaucoup de peine Montesquiou, dont
les habitants, fâchés de perdre de si saintes
filles, prirent les armes pour s'opposer à
leur sortie.
Etant arrivées à Toulouse, on commença
les bâtiments d'un monastère et d'une égli-u
par les libéralités de plusieurs dames qui s'y
reiiièrenl, et principalement parcelles d'An-
toinette d'Orléans, fille de Marie de Bourbon
et d'Eléonore d'Orléans, duc de Longueville,
qui, se trouvant veuve de Charles de Gomli,
marquis de Belle-Ile, et n'ayant pu être ad-
mise au nombre des religieuses de l'Ave-
Maria a Paris, qui ne recevaient point de
veuves, alla à Toulouse, où elle fut reçue
par les Feuillantes, dont elle prit l'habit l'an
1599, n'étant âgée que de vingt-six ans.
Quoiqu'elle fût obligée, sept ans après, de
passer dans l'ordre do Fontevrault par ordre
du pape, pour y être coadjulrice de l'abbesse
Eléonore, sa tante, elle ne quitta pas pour
cela le souvenir de sa première profession,
car el.e fonda un monastère à Poitiers l'an
1(517, où, avecque'ques religieuses de l'ordre
de Fontevrault qui la voulurent suivre, elle
reprit l'habit des Feuillantes ; et étant morle
quelque temps après, elle voulut que sou
corps fût porté au monastère de Toulouse.
La retraite de celle priucesse dans le mo-
279
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
280
nastère des Feuillantes de Toulouse y attira
un grand nombre de personnes de distinc-
tion : de sorte que, l'un 1002, quatorze mis
après leur fondation, elles se trouvèrent cin-
quante professes, et il y avait eu plus de
deux cents novices qui en étaient sorties,
i:e pouvant supporter les grandes austérités
de cet ordre. La réputation de ces religieuses
s'augmcntanl de jour en jour, plusieurs per-
sonnes voulurent fonder d'aulros monastères
du même ordre pour communiquer aux au-
tres provinces les exemples d'une verlu si
sainte, et donner aux âmes pieuses des mai-
sons de retraite où elles pussent se consa-
crer à Jésus-Chris! et renoncer aux vanités
du siècle. Mais les Feuillants, qui étaient les
directeurs de ces religieuses et leurs supé-
rieurs, s'opposèrent à cette propagation, et
dans le chapitre général de l'an 1502, il fut
ordonné qu'on ne se chargerait plus de la
direction d'aucunes religieuses, à l'exception
du seul monastère des Feuillantes de Tou-
louse : ainsi, en verlu de ce règlement, on
quitta les religieuses de Sainte-Susanne de
lîome. 11 y a de l'apparence que dans ce
temps-là on présenta plusieurs établisse-
ments pour des Feuillantes, puisque dans le
chapitre général de l'an 1595 il fut de nou-
veau concl i qu'on s'en tiendrait au règle-
ment du chapitre précédent, et qu'on n'ac-
cepterait pas ies nouveaux établissements
que l'on offrait. On refusa encore en 1598
une fondation que M. Sublet des Noyers,
maître des comp'cs à Paris, voulait faire en
faveur de deux de ses filles, qu'il conduisit
lui-même depuis à Toulouse au monastère
des Feuillantes, où elles prirent l'habit et
tirent profession.
L'an 1G02, le comte de Saint-Fol, étant à
Rome, demanda aux pères Feuillants assem-
blés en leur chapitre général, au nom de
trois princesses ses sœurs, la permission de
fonder à Paris deux maisons de Feuillantes :
ce qu'elles voulaient faire en considération
de madame Antoinette d'Orléans, leur sœur,
religieuse à Toulouse; mais ils s'en excusè-
rent sur les règlements faits dans les cha-
pitres précédents, et n'accordèrent point
«elle permission. Le cardinal de Sourdis, ar-
chevêque de Bordeaux, reçut un semblable
refus en 1604 ; mais enfin, Dieu, dont les des-
seins sonl bien différents de ceux des hom-
mes, voulant faire connaître la sainteté de
ses nouvelles épouses et multiplier ces sanc-
tuaires où on chantait jour et nuit des can-
tiques de louanges à la gloire de son nom,
permit que la reine Anne d'Autriche, épouse
de Louis XIII , voulût avoir des Feuillantes
à Paris. Le respect qu'on devait à cette prin-
cesse fit cesser toutes les oppositions qui
s'étaient trouvées jusqu'alors de la part des
supérieurs, qui firent partir de Toulouse six
religieuses, le 30 juillet 1(322, pour aller â
Paris prendre possession d'une nouvelle de-
meure qu'on leur avait préparée au fau-
bourg Saint-Jacques. Les deux filles de
M. Desnoyers furent du nombre de ces six
religieuses.
Elles eurent pour supérieure doue Mar-
guerite de Sainte-Marie. Elle s'appelait dans
le monde Marguerite de Clausse de Marchau-
m ut, et était fille de Henri de Clausse de
Marcbaumont, seigneur deFIeury, conseiller
d'Etat, et de Denise de Neuville de Villeroi
Elle épousa en premières noces Henri, sei-
gneur de Foui, gouverneur du Vexin; mais
ce seigneur étant mort six mois après leur
mariage, elle épousa en secondes noces Sa-
lomon de Rélhune, seigneur de Rosny, gou-
verneur de Mantes et de Meulan, qui, après
deux ans et demi de mariage, la laissa en-
core veuve pour la seconde fois à l'âge de
vingt-deux ans.
Une si grande jeunesse accompagnée d'una
parfaite beauté, soutenue par sa noblesse et
par ses grandes richesses, lui attira les cœurs
de plusieurs seigneurs de la cour, qui, se
faisant gloire d'entrer dans son alliance, la
recherchèrent en mariage; mais ce fut inu-
tilement, car, écoutant les inspirations du
ciel et désabusée des vanités du siècle et des
grandeurs de la terre, elle forma le dessein
de se faire religieuse Feuillante et de ne plus
aimer que Jésus-Christ, auquel seul elle vou-
lait sacrifier son cœur, et, pour accoutumer
le monde à l'oublier, elle se retira peu à peu
de la cour, n'y paraissant que dans les occa-
sions de nécessité, négligeant celles qui n'é-
taient que de bienséance. Elle passa quatre
ans dans cette espèce de retraite, s'adonnant
à la pratique des vertus, et éloignant d'elle
tout ce qui pouvait s'opposer à ses desseins;
elle fit connaître celui qu'elle avait d'entrer
en religion, afin d'écarter ceux qui pour-
raient avoir quelque espérance sur la pos-
session de son cœur.
Entre ceux qui la recherchaient en ma-
riage , et qui se mirent en état d'empêcher
qu'elle ne se donnât à Jésus-Christ , il n'y
en eut point qui lit paraître plus d'ardeur
que le maréchal de Marillac. Son auiorilé
jointe aux mesures qu'il prenait lui faisant
craindre qu'il n'empêchai, ou tout au moins
qu'il ne retardât considérablement l'exécu-
tion de ses bons desseins, elle jugea qu'il
fallait encore dissimuler quelque temps ,
pour éviter ses oppositions ot les surmonter
par adresse , ce qui lui réussit parfaitement.
lui effet , lorsqu'elle vit qu'on la croyait bien
éloignée de ses premiers sentiments de re-
traite, feignant l'obligation d'accomplir un
vœu à Notre-Dame du Puy en Auvergne,
elle partit pour Toulouse avec M. de Cou-
rances, son cousin germain, qu'elle avait
engagé à raccompagner dans ce voyage.
Elle y arriva le 7 août 1002, et se relira aux
Feuillantes, où, à l'exemple de madame
Antoinette d'Orléans , qui s'y était consacrée
au Seigneur un an auparavant , elle reçut
l'habit le 15 septembre de la même année
11102 , étant pour lors dans la vingl-sixièmo
année de son âge. Elle fut accompagnée
jusqu'au pied des autels par M. de Cou-
rances, qui, élant encore resté six mois à
Toulouse pour voir si elle ne changerait point
de résolution, suivit enfin sou exemple, et,
méprisant tous les avantages qu'il pouvait
prétendre dans le monde, se relira dans l'ab-
FIT. FI. F 2S2
baye de Feuillans, où il reçut l'habit et y li re en prit le nom; et la seconde fut consaé
persévéra jusqu'à sa mort aussi bien que crée sous le litre de la Sainte-Vierge; mai-
madame de Rosny, qui iiiourui à Taris, où le rorps de saint Benoit ayant été transports
elle était venue pour être supérieure de la du mont Cassin dans cette dernière, elle de-
nouvelle maison qu'on y avait établie, vint dans la suite la principale église, et prit
comme nous l'avons dit ci-dessus, le nom de Saint-Benoît. Nous avons ci-de-
Les religieuses Feuillanles ont les mêmes vant parlé de cette translation, qui S" fit
observances mie les religieux de cet ordre, l'air 653 par fabbé Mommol, qui succéda à
et elles ont toujours été sous leur juridic- Rignmar ; et depuis ce temps-là, là France
tion , ce q'ù leur fui accordé par le pipe a toujours | ossé :é ces saintes reliques.
Clément VIII par sa bulle du 10 octobre 1606. L'observance régulière fut longtemps en
Ce pontife les exempta de la juridiction de \ ij;ut nr dans ce monastère. On y enseignait
Table de Cileaux et des autres Tères de Tor- les sciences divines et humaines ; on y for-
dre, elles soumit immédiatement à celle des mait les enfants à tous les exercices de la
Feuillants. Quant à leur habillement il est piété la plus exacte; et celte maison, qui
aussi semblable à celui des religieux (1). portait bien loin la bonne odeur de Jésus-
Mémoires communiqués par le R. P. dom Christ, était en grande vénération dans tou-
Mouchy , religieux de cet ordre. tes les provinces voisines; mais la fureur
FEUILLANTINES. Voyez Febillantes. îles Normands, qui désolaient toutes les rô-
FIDÉLITÉ (Ordre df. la). Voyez Dragon les de la Loire, obligea les religieux d'en
renversé. sortir pour échapper à leur cruauté, et d'em-
MLLES DE LA SAINTE-VIERGE. Voyez porter avec eux le corps de saint Benoît,
Purification. qui était l'objet le plus sensible de leur
FILLES-DIEU (diverses). Voyez Chanoi- piété et dont la présence animail un chacun
nesses nospiTALiÈuE-, FoNTKVR ai lt. à la pratique de tant de vertus qu'il avait
F1NIAN (Saint-). Voyez Irlande. pratiquées pendant sa vie. Ces barbares y
t nu " x inrent l'an b6o, et, le trouvant abandonné,
FL!-.IT.Y,oi DF.SAINT-BENOir-SlR-LOlh ', is ,le se contentèrent pas d'emporter ce
de SAIN I -I EN1GNE-DE-DIJON, lt de LA (jll>j|s purent , jls mirent encore le feu aux
CHAISE-DIEU ( Ascilnnes congrégations bâtiments ; presque tout fut renversé ; Té-
DE )■ glise fut réduite en cendres ; et les flammes
Si Ton regarde ics abbayes de Marmou- ayant seulement épargné une pailie du dor-
lir. de Saint-Bénigne de Dijon, de Saint- loir, les religieux y retournèrent, le firent
Denis et de la Chaise-Dieu en France; du servir d'oratoire, et y mirent les reliques du
mont Cassin , de Cave et de Cluze, en lia- saint en attendant que Ton eût rebâli una
lie; de Fulde, d'Hirsauge, de Bursfeld en autre église.
Allemagne, et plusieurs autres, comme au- Les Normands étant retournés à Fleury
tant de chefs d'ordre par rapport aux mo- Tan SIS, les religieux, qui eurent avis de
n istires qui en dépendaient et qui for- leur marche, s'enfuirent à Malrini dans le
maient avec leur chef comme une espèce de Câlinais, où ils crurent être en sûrelé, ayan',
congrégation, à plus file raison on a dû emporié avec eux tout ce qu'ils avaient de
regarder l'abbaye de Fleury ou deSaint-Be- plus précieux, dont ils chargèrent quantité
noit-sur-Loire comme un chef d'ordre ; no - dp chariots. Ces barbares n'ayant trouvé à
seulement par rapport aux monastères qui Fleury- que les quatre muraiHcs, suivirent
lui étaient soumis, mais encore à cause de les religieux à la piste des chariots, dans lu
la prééminence qui lui a été ace rdée par dessein de les massacrer et d'emporter tout
les souverains poulies au-dessus c'e lous ce qu'ils avaient sauvé de leur monastère.
les autres monastères ; Léon VII Tayaut ap- Mais l'abbé Hugues, qui avait été chercher
pelé le pn mier et le chef de tous les monas- quelques secours en Bourgogne , étant sur-
îères : Caput ac primas omnium eœnobiorwni vtnu comme ces barbares se disposaient
e; Alexandre 11 ayant donné la qualité de pour attaquer les religieux, les charge i si
premier des abbés de France à l'abbé de ce brusquement avi cGirbord, comte d'Auserre,
monastère, qui a en effet l'avantage de pos- qui s'était joint à lui avec ses troupes, que
séder les sacrées reliques de saint Benoit, les Normands furent tous taii'és en pièces,
patriarche des moitiés d'Occident. A peine en resla-t-il un pour porter aux
L'on ne peut pas marquer positivement a aires la nouvelle de leur défaite, et l'abbé
dans quelle année cette célèbre abbaye fut Hugues avoua qu'il avait vu dais le combat
bâtie ; il est néanmoins certain que ce lut au saint Benoît, qui U'une main tenait les rén s
commencement du règne du jeune Clovis, de ^n chi val, et de l'autre sun bâton paslo-
fils de Dagohert, qui U-mna par échange le rai, dont il avait tué un grand nombre d'en-
village de Fleury-sur-Loire pour la terre nemis. Diederic, moine d'Hersfeld en Alle-
d'Alligny à LéoUebold, évêque d'Orléans, magne, qui avait demeuré longtemps à
qui fit bâtir à Fleury deux églises et un mo- Fleury, rendant coin; te à Richard, abbé
naslère dont il donna le gouvernement à d'Amerbach, de ce qui avait donné lieu île
Rigomar, qui en fut premier abbe. La pre- célébrer, le k décembre, la fêle de Filiation
mière et la principale de «es églises Lit dé- ou du retour de saint Benoit, dit que ce fut
(liée à saint Pierre, te qui lit que ce monas- le retour solennel de ces reliques qui furent
(4) î'ojr., à U fin du vol., u° 61.
£;3 DICTIONNAIRE DES CKDRES RELIGIEUX. 2S1
apportées à Fleury, après avoir élé quelque (emps. Le comte Elisianl, ayant pris avec
temps dans l'église de Sainl-Aignan à Or- lui deux autres rouîtes et deux évêques, ac-
léans, pour les mettre à couvert de la fureur compagna saint Odon à Fleury ; mais 1rs
des Normands, dont il rapporte une sem- religieux à leur arrivée s'armèrent comme
Diable défaite proche d'Angers par le comle s'ils eussent eu encore à combattre les Nor-
Gistolfe, avoué de cette abbaye, après que mands ou des païen». Ils se barricadèrent et
ces barbares l'eurent encore pillée et tué montèrent sur les toits, d'où ils jetèrent une
soixante religieux: mais il y a lieu d'eu grêle de pierres sur ceux qui voulurent ap-
douter. procher; d'autres, armés d'épées et de bou-
Les mêmes Normands eurent plus de res- cliers, défendaient les avenues de l'abbaye
pect p'Ur ce lieu dans la .suite; car, sous en protestant qu'ils mourraient plutôt que
l'abbé Lambert, l'an 909, Ilaynaud, qui de recevoir un abbé d'un autre monastère,
commandait une flotte de res peuples, qui Trois jours se passèrent ainsi, lorsque saint
étaient encore infidèle», parcourant tous les Odon, inspiré de Dieu el contre le conseil
rivages de la Loire, où il mettait tout à feu des évêques et des seigneurs dont il était
et à sang,, étant arrivé à Fleury, trouva accompagné, qui lui persuadaient de ne pas
le monastère abandonné de tous les reli- s'exposer à la fureur de ces mutins, monta
gieux, qui s'étaient retirés, après avoir en- sur son âne et alla droit au monastère, où,
core emporté avec eux le corps de saint Be- par une espèce de miracle, ceux qui s'op-
noît. Comme ce général durmait dans le posaient le plus à son entrée \inrent au-
dorloir des frères, l'on prétend que saint devant de lui, el, plus doux que des agneaux,
Benoit s'apparut à lui, et que l'ayant frappé le reçurent avec beaucoup de soumission,
de son bâton, il le reprit sévèrement de ce Ma. s lorsque l'on proposa de retrancher
qu'il inquiétait ses religieux, et lui dit qu'en l'usage de la viande et de bannir la pro-
punilion de ses cruautés il mourrait bien- pri été, les murmures recommencèrent. Il y
tôt; ce qui arriva en effet peu de temps eut de nouvelles disputes beaucoup plus for-
après. Rainaud étant éveillé, fit au plus tôt tes el plus animées. Il n'y cul que la con-
sortir ses soldats du monastère; et Rollon, stance du saint abbé qui put mettre à la rai-
duc des Normands, ayant su ce qui était ar- sou ces desobéissants ; el Dieu par un mira-
ri\é a son général, non-seulement épargna cle fit connaître combien l'abstinence de la
ce monastère lorsque peu de temps après il viande lui était agréable; car un jour do
alla faire une incursion en Bourgogne, mais Saint-Benoit que le poisson manqua, les re-
encore, en considération de saint Benoît, il ligieux en trouvèrent abondamment dans un
empêcha que ses gens ne fissent aucun tort marais voisin, où il n'y avait jamais eu que
au pays d'alentour. des grenouilles. Enfin ils reprirent les ob-
II était impossible, au milieu de tant de servances régi Mères , qui furent observées
désordres que les religieux pratiquassent dans ce monastère avec tant d'exactitude,
les observances régulières. Ils tombèrent in- que l'on y vint de plusieurs endroits, et
sensiblement dans le relâchement, qui dans même d'Angleterre, chercher des religeux
la suite s'augmenta de telle sorte, que l'an pour les enseigner à d'autres monastères,
83J on ne trouvait plus à Fleury aucun comme à Saint-Pierre de Chartres, à Saint-
veslige de ces pratiques de religion si sain- Vincent de Laon, à Saumur, à Saint-Pierre
les et si sages qu'on venait autrefois admi- de Sens, à Saint Eure de Toul , et à quel-
rer dans ce monastère. Les religieux, que la ques autres, tant en France qu'en Angle-
crainte des Normands avait obliges de fuir cl terre. Mais, quoique cette abbaye eût été ré-
d'aller de côté et d'autre, étaient à la vérité formée par un abbé de Cluny, elle ne lui fut
retournés à Fleury; mais, quoiqu'ils fus- pis pourtant soumise, non plus que plusieurs
sent unis de corps, ils étaient bien divisés autres qui furent aussi réformées par des
li'esprit el n'avaient rien de commun que le religieux de C!uny. Le comte Elisianl ,
vice. Chacun était propriétaire, on ne savait voyant la discipline régulière bien établie à
plus ce que c'était que l'abstinence de la Fleury, se mit lui-même sous la conduite de
viande ; on ne connaissait plus le silence ; sa nt ÔJon l'an Cil, i t prit l'habit monasli-
ils voulaient tous commander, personne ne que dans ce monastère, auquel il donna une
voulait obéir, et on se mettait peu en peine terre considérable qu'il avait dans le Gâ-
de la règle de Saint-Benoît. tinais.
Tel était l'état déplorable de celle maison, Il paraît, par les anciennes coutumes nui
lorsque le comle Elisiard, animé du zèle de étaient en pratique dans celte abbaye, que
la maison de Dieu, obtint celte abbaye du le P. Jean Dubois nous a données dans sa
roi Rodolphe ou Baoul, dans l'intention de bibliothèque de Fleury, que l'on y faisait
la reformer et d'y rétablir la discipline ré- beaucoup d'aumône--. Le jeudi saint on
gulière, ne pouvant plus souffrir que des chantait une grand'messe à l'autel de
moines, qui ne portaient pas seulement l'ba- Sainte-Croix, à laquelle devaient assister
bit de l'ordre de Saint-Benoît vécussent plus cent pauvres, à chacun desquels on donna t
longtemps dans le dérèglement. Mais, ne une hostie non consacrée, el après la messe,
pouvant pas de lui-même corriger ces abus, on les faisait manger. Ils devaient avoir
il en commit le soin à saint Odon, abbé de deux pitances , l'une de fèves, l'autre de
Cluny, qui était pour lors au monastère millet. Après le dîner des religieux, l'abbé
d'Aurillac en Auvergne, que le bienheureux lavait les pieds et les mains à douze pau-
Gcrard avait fait bitir il n'y avait pas Io:-g- vrcs, cl leur donnait du pain, du vin, deux
SS3 FI. F,
harengs, el douze deniers ; et le même jour
on donnait encore du pain el du vin à tous
ceux qui se présentaient. On faisait aussi
une aumône générale le jour de la Pente-
côte ; on donnait encore à manger à cent
pauvres, qui devaient avoir du pain, du via
el de la viande; et, le jour de la Commé-
moraison des Morts, on taisait aussi une au-
mône générale de blé. La manière d'élire
l'abbé est prescrite dans ces anciennes cou-
tumes, où il est marqué que l'abbé élant
élu, pouvait se faire bénir par tel évèque
que bon lui semblait, excepté par l'évêque
d'Orléans et par l'archevêque de Sens. Il y a
de l'apparence qu'ils ne se taisaient pas bé-
nir par l'évêque d'Orléans, à cause des dif-
férends qu'ils avaient souvent avec ce pré-
lat, qui prétendait avoir juridiction sur ce
monastère; ni par l'archevêque de Sens, à
cause qu'il était le métropolitain. L'on
trome aussi après ci s anciennes couiumes
de Fleury une taxe faite par l'abbé Macaire
sur tous les prieurés et les prévoies de la
dépendance de celle abbaye, pour avoir des
livres pour la bibliothèque; et il parait que
cette abbaye avait pour lors Irenle prieurés
et prévôtés, du nombre desquels étaient les
prieurés de la Riole, du Saux en Limagne,
de Perrery en liourgogne, de Sancerre, de
Vailly-sur-fiien, de Sainl-Brisson, de Saint-
Aignan, d'Elampes, d'Anecourl, de la Chèze
en Sologne, de Lauris, el de la Cour de Ma-
rigny. Mais il y a erreur en la date de celte
taxe, que le P. Dubois marque être des ca-
lendes de mars 13VG, la dixième année de
Louis, roi de France et duc d'Aquitaine;
puisque Philippe de Valois régnait pour lors.
Il y avait aussi sans ('ouïe des abbayes qui
dépendaient de Fleury, puisque le moine Ai-
moin, dans la Vie de saint Abbon, abbé de ce
monastère, qui fut tué l'an 100i, dit que la
douleur qu'on eut de sa mort augmenta par
l'arrivée d'un grand nombre d'abbés, qui ve-
naient pour la fêle de saint Benoit, qui se
célébrait au mois de décembre, dont il y en
avait qui avaient été mandés pour pourvoir
au bon ordre de la congrégation, et d'autres
qui étaient venus pour consulter saint Ab-
bon, entre lesquels était saint Odilon, abbé
deCluny; et que le chagrin que ces abbés
firent paraître de ne plus trouver saint Ab-
bon, renom ela la douleur de ces religieux
il'étre privés d'un tel pasteur.
Les calvinistes, dans le seizième siècle,
n'eurent pas pour celle abbaye les mêmes
égards qu'avaient eus les Normands, quoi-
qu'infidèles it païens. Le cardinal Odel de
Châtillon, qui eu était abbé commendataire,
y envoya après son apostasie, arrivée l'an
loG2, son intendant avec des soldats, pour eu
emporter les vases sacrés el tout ce qui était
dans le trésor. Joubert, qui en était prieur,
«iblint seulement de l'intendant les reliques
de saint Benoit; mais la châsse d'or qui les
enfermait fut brisée et emportée, aussi bien
qu'un reliquaire d'argent où était un osse-
iiient de la cuisse de saint Sébastien, que le
chantre de celte abbaye sauva heureusement
des mains sacrilèges de ces hérétiques Les
FI. F
286
salelliies de ce cardinal apostat avaient
laissé les autres reliques, qui étaient d&nt
des châsses de bois doré; mai» la même année
le prince de- Onde, étant à Orléans, envoya
derechef des soldais à Fleury pour enlewr
c i que les gens du cardinal avaient épargné.
Les reliques furent profanées et foulées aux
pieds, tous les ornemenis de l'église furent
pillés, el les calvinistes firent le prêche et la
cène dans l'église. Le corps de saint Benoit
fut néanmoins à couvert de leurs insultes,
aussi bien que la relique de saint Sébastien;
mais la plus considérable perte que souffrit
ce monastère (où l'on enseignait autrefois
les sciences) fut celle des manuscrits, qui
furent brûlés, déchirés ou dispersés, dont le
nombre était très-grand : ce qui n'est pas
difficile à concevoir, puisque ses écoles
étaient en si grande recommandation, qu'il
s'y est trouvé jusqu'à cinq mille écoliers, et
que chacun d'eux donnait par reconnais-
sance deux volumes à la bibliothèque.
A l'abbaye de Fleurv ou de Saint-Benoît-
sur-Loire, nous joindrons celle de Saint-
Bénigne de Dijon, el de la Chaise-Dieu- L'on
ne peut guère refuser le litre de chef d'ordre
à celle de Saint-Bénigne, puisque outre les
prieurés qui en dépendaient, sainl Guillau-
me, l'un de ses abbés, présidait sur plus de
quarante abbayes qu'il réforma. Saint-Bé-
nigne de Dijon fut fondé au commencement
du sixième siècle par Grégoire, évoque de
Langres, qui, ayant trouvé les reliques de
ce saint martyr, en fit la translation, et bâtit
autour de son tombeau une église et un mo-
nastère, qu'il dota de son propre bien et de
quelques terres de son évêçhé. Gonlran, roi
de liourgogne, en augmenta consi '.érablement
les revenus. Ce priuce, ayant fondé l'abbaye
de Saint-Marcel près de Châlons, voulut que
celle abbaye et celle de Saini-P.énigne fussent
associées à celle de Saint-Maurice d'Agaune,
dont il voulut qu'elles gardassent les cou-
tumes, tant à l'égard de la psalmodie conti-
nuelle qu'à l'égard des autres observances.
Les moines de Saint-Bénigne tombèrent
dans la suite comme les autres dans le relâ-
chement. A peine dès le neuvième siècle y
restait-il enrore quelques traces des obser-
vances régulières qu'on y avait autrefois ad-
mirées. Ils avaient même honte de porter le
nom de moines, et se faisaient appeler clercs,
par un esprit de vanité. Herlogaud, qui en
était abbé, y rétablit pourtant avec beaucoup
de peine la discipline régulière l'an 819, et
fit reparer l'église ; mais sous le règne de
Charles le Chauve, roi de Franc.-, ce mo-
nastère se trouvait encore en si mauvais
ordre, que le grand nombre de religieux qui
y était autrefois était presque réduit à dix,
qui vivaient dans un étrange dérèglement.
Isaac, évèque de Langres, le répara une se-
conde fois, et y fit venir des religieux plus
réguliers cl plus exemplaires, auxquels il
permit d'élire un abbé, conformément à la
règle de Saint-Benoît. Le relâchement s'v
élTnt glissé encore dans la suite, Bruno,
évèque de Langres, n'oublia rien pou'- faire
rétourn r les religieux dans leur premier
237 DICTIONNAIRE DES OUDRES RELIGIEUX. 2,SS
Étal; mais ses efforls ayant clé inutiles, il Brioude, dont il fut clerc et ensuite clianoi-
s'adressa à saint Mayeul, abbé de Cluny, qui, ne; mais voulant renoncer entièrement au
étant en ce temps-là le restaurateur de la monde, il se mit en chemin pour aller au
vie monastique, lui arcorda douze religieux monastère de Cluny, dans le dessein d'y preu-
il'une éminenle piété pour remellre la régu- dre l'habit; mais ses amis et ses domestiques,
larilé cl le bon ordre dans celle maison. Ils ayant appris son départ, coururent après lui
arrivèrent à Saint-Bénigne le 25 novembre et le ramenèrent: ce qui lui donna tant de
de l'an 989, auquel comme on célébrait la chagrin, qu'il en tomba malade. Ayant re-
lète de la Translation de ce saint martyr, ils couvre sa santé, il alla à Rome, et à son re-
ussistèrent avec une piété édifiante à l'office tour, voulant exécuter le dessein qu'il avait
de matines. Les anciens religieux aimèrent toujours conservé de se retirer, s'étant asso-
uiicux abandonner le monastère que de se cié deux jeunes gentilshommes,, ils allèrent
soumettre aux observances régulières ; ceux dans une solitude, et s'arrêlèrent auprès
de Cluny s'y tirent admirer par la sainteté du d'une église à demi-ruinée. Ils obtinrent ce
leur vie; et cette abbaye, qui avait été désho- lieu de deux chanoines du Puy en Vélay ,
norée par la corruption des mœurs de ceux auxquels il appartenait, le défrichèrent et
qui y demeuraient, devint une école de vertu y bâtirent de petites cabanes. Robert encou-
par ia sage conduite de ceux qui y étaient rageait ses deux disciples, et, tandis qu'ils
nouvellement venus. travaillaient de leurs mains pour avoir de
Saint Mayeul y nomma pour abbé saint quoi subsister, il s'appliquait à la lecture cl
Guillaume, etjamais celte abbaye ne fut plus à la prière pour avoir de quoi les instruire,
florissante que sous son gouvernement. Sa Ils avaient néanmoins les heures marquées,
réputation se répandit de tous côtés. Henri, tant de jour que de nuit, pour faire leurs
roi de Bourgogne, lui donna la conduite de prières en commun dans un oratoire. Les
l'abbaye de Saint-Vincent de Vergi, où il ré- habitants desenvirons, s'opposant à kurdes-
lablit en peu de temps la vie régulière, aussi sein, les incommodaient beaucoup et les
bien qu'à Iièze, à Héomai, à Saint-Michel de chargeaient même d'injures el de menaces :
Tonnerre, à Molome et dans plusieurs au- mais la patience et la charité de Robert et
1res monastères qui le demandèrent pour de ses compagnons adoucirent tellement ces
supérieur; comme ceux de Fécamp, de Saint- esprits farouches, qu'il y en eut plusieurs
Gcrraain-des-Prés à Paris, de Saint-Arnoul qui se joignirent à eux. Leur nombre s'aug-
de Melz, de Saint-Eure de Toul, de Gorze, mentant, l'observance régulière se pratiquait
du Mant-Sainl-Michel, de Jumiége, de Saint- avec plus de ferveur : en sorte que ce lieu
Ouen, de Bernay, et plusieurs autres, qu'il acquit en peu de temps beaucoup de réputa-
réforma pareillement, se trouvant en même lion, et qu'il fallut y bâlir un monastère. Les
temps supérieur de plus de quarante mo- fondements en furent jetés l'an 10VG; il fut
nastères, entre lesquels fut aussi celui de promplemenl achevé par les libéralités de
Frùcluaro en Piémont, qui avait été bâti par plusieurs personnes qui y contribuèrent. L'an
ses p;.rrnts sur leur terre, ce saint étant 1052,1e bienheureux Robert le fit ériger en
originaire de ce pays. Il est même surpre- abbaye, et il en fut le premier abbé. Cette ab-
nant qu'il ail eu un si grand nombre de dis- baye devinl en peu de temps si recomman-
dées pour envoyer en tanl de monastères , dable, qu'il eut sous sa conduite jusqu'à Irois
voulant qu'il y en eût toujours dans celui cents religieux; et il répara environ cin-
dc Dijon plus de quatre-vingts. Cette abbaye quanle églises abandonnées depuis long-
eut encore besoin de réforme dans la suite ; temps. Ce monastère, qu'on nommait dès lors
mais à présent que les Bénédictins de la la Chaise-Dieu, en latin Casa Dei, c'est-à-dire
congrégation de Saint-Maur la possèdent la maison de JJieu, devint dans la suite chef
depuis l'an 1651, l'on y voit revivre le véri- d'ordre et une congrégation de plusieurs
table esprit de saint iienoît, aussi bien que monastères qui en dépendaient, d'où sorti-
da'us les autres maisons qu'ils ont réformées, renl plusieurs personnages illustres. Robert
du nombre desquelles sont celles de Fleury, mourut l'an 1007, et il est honoré comme
de Saint-Benoit-sur-Loire, dont nous avons saint. Entre les prieurés qui dépendaient de
ci-devant parlé, cl la Chaise-Dieu, dont nous ce monastère, il y en avait quelques-uns en
allons rapporter l'origine. Lspàgne, dont celui de Saint-Jean de Burgos,
Cette abbaye, qui a été encore regardée qui fut érigé en abbaye, est encore à présent
connue chef d'ordre, eut pour fondateur .e un ries plus considérables de la congrégation
bienheureux Robert, chanoine de Saint- Ju- de Valladolil, à laquelle il a été uni, comme
lien de Rrioude, qui se relira, l'an 10V3, dans nous le dirons en parlant de cette congréga-
un éi mitigé pour y vivre dans la retraite el lion. Le prieuré de Montaubandans le Querci
séparé du commerce des hommes. Il était éiait si riche, que le pape Jean XXII 1 érigea
originaire d'Auvergne, d'une famille noble, en évccbô, et fit le prieur premier évéque.
qui éiail la même dont était sorti le bienbeu- Clément VI avait élé religieux de la Cbaisc-
reux Géralde, comte d'Aurillac. Sa mère, Dieu; il avait toujours conservé beaucoup
étant grosse de lui, et se trouvant pressée d'affection pour celte maison, où il avait fait
des douleurs de l'enfantement, le mit au profession, el il voulut même y élre enterré,
monde dans une solitude, comme par un 11 fut inhumé au milieu du chœur de l'église,
présage que celui qu'elle venait de melire au dans un supeibe. mausolée ; mais les hèréli-
monile devait un jour aimer la solitude. Il ques, environ l'an 1SR3, étant entrés dans
lui élevé dans l'église de Saint-Julien de cette église, où ils commirent beaucoup d'un-
2PS FOI
piétés, la ruinèrent entièrement et pillèrent
le monastère, où tes Bénédictins Réformés
de la congrégation de Saiut-Maur l'arcnl in-
troduits l'an 1640.
Voyez Joaun. à Bosco, Biblioth. Floria-
cen. Bulteau, ilist. de l'Ordre- de Saint-Be-
noit. Joan. Manillon, Annal. Bênéd. f Act.
SS. Fleury, Hist. eccUs. lom. XII : et Yepez,
Chronique générale de Vordrede Saint-Benoit.
FLORE (Congrégation de). Voyez BER-
NARD (CONGRÉGATION Dt SAINT-).
FOI DE JESUS-CHRIST, de la PAIX, et
de la FOI, en France (Chevaliers de la).
Nous joindrons ensemble les chevaliers de
la Foi de Jésus-Christ en France et en Italie ,
dont on ne connaît point l'origine. Il y a
bien de l'apparence néanmoins que les uns
el les autres ont pris naissance dans le temps
des croisades que l'on entreprit contre les
Albigeois. Ceux de France nous auraient été
inconnus si nous n'avions trouvé dans le
neuvième volume des manuscrits de M. Du-
chêne le père, qui sont à la bibliothèque du
roi, des lettres du P. Savary , grand maître
de l'ordre de la Foi de Jésus-Christ, en date
du 5 février 1220, par lesquelles il s'engage
avec les chevaliers de cet ordre de défendre
la personne et les terres d'Amauri de .Mont-
fort, comte de Narbonne et de Toulouse, cou»
tre ses ennemis; de faire la guerre aux hé-
rétiques el à ceux qui se révolteraient contre
l'Eglise romaine; el au cas que quelques per-
sonnes, soit catholiques ou autres, fissent la
(.•lierre à ce comte , de lui donner retraite
dans leurs châteaux et sur leurs terres; de
ne favoriser en aucune manière ses ennemis,
et de ne recevoir aucune tene qui pourrait
relever de ce prince sans sa permission, ex-
cepté les aumônes que l'Eglise leur pourrait
accorder. Voici la teneur de ces lettres.
F. P. Salariais humilie et pauper magister
militiœ ordinis Fidei Jesu Christi universis
hominibus ad qttos pressentes littero? pervene-
rint, salutem in Domino. Noveril universitas
veslra quod concilia et assensu fratrum no-
strorum, nos et omnes fratres nostri roneessi-
mus domino Amalrico Dei providentiel duei
Xarbonœ, comili Tolosœ el L> i/ce<liiœ, Mon-
tisfortis domino, et omnibus heredibus suis,
euccursum et adjuvamen nosirnm ad defen 'en*
dum et observandum corpus suum et terram
siaim pro posse nosti o, bona fide, et ad gui-
rendum et destruendum rebelles; et si forte
aliquœ gentes, sive sint Christianœ vil aiiee,
contra dominuni comitem guerram aul bcl-
tum promoverint, nos ipsum in negotiis suis,
in castris,et villis nostris firmiier reciperemus,
et contra ipsum juvamen vel auxilium, aut
consilium alicui personœ nullo modo prœsta-
remus et de cœtero suam terrain vel feoda sua
non possumus sumere absque sui licentia,
exceptis helemosinis rationabilibus quas son-
da Ecclesia concedere et clonarc polcrit.
Quod ut firmum sit et stabile , sigilli vostri
munimine lias litteras corroboramus anno
M. CC. XX. incarnaliunis Domini, nonis Fe-
bruarii. M. Duchêne, qui a transcrit lui-
même ces lettres sur l'original, dit qu'elles
sont scellées d'un sceau de cire jaune où est
représenté un homme à cheval, tenant à
la main un écusson dans lequel il y a une
croix.
11 se peut faire que cet ordre fut uni quel-
ques années après à un antre ordre sous le
nom de la Paix, qui lui institué l'an 1229 par
Améneus , archevêque d'Auch , l'évêque de
Cominge, les autres prélats et seigneurs
de Gascogne, pour réprimer les violences des
brigands nommés routiers, les entreprises des
Albigeois, et ceux qui retenaient les biens
ecclésiastiques. Cel ordre fut aussi nommé
Vordre delà Foi et de la Poix, et fut confirme
par le pape Grégoire IX l'an 1230. Il subsista
jusqu'en l'an 1261, que Guillaume de Marra,
qui en élait grand maître, et un autre reli-
gieux de cet ordre, le voyant réduit à un pe-
tit nombre, et qu'il n'y avait pas d'apparence
de le réformer , passèrent à l'ordre de Ci-
teaux , firent les vœux dans l'abbaye de
Feuillans . et en vertu du pouvoir que le
grand maître avait reçu des autres cheva-
liers, ils consenlirent que la terre de Roque-
Roquette , qui appartenait à l'ordre de la
Paix, fût unie à l'abbaye de Feuillans.
FOI DR JESUS-CHRIST, et de la CROIX
DE SAINT PIERRE MARTYR (Chevaliers
de la).
Nous apprenons par le livre qui a pour ti-
tre : Scudo inespugnabile de Gavàglieri di santa
fede, délia Croce di son Pieti o Martyre, com-
posé par le P. Jean-Marie Cannepano de l'or-
dre de Saint-Dominique, et imprime à Milan
l'an 1579, qu'il y a eu dans les diocèses de
Milan, d'Ivrée et de Verceil, des personnes
qui prenaient la qualité de chevaliers de la
Foi et de la Croix de saint Pierre martyr.
Mais ce n'était apparemment qu une asso-
ciation de personnes dévoies de l'un et de
l'autre sexe, qui en recevant une croix fai-
saient vœu de porter cette croix en l'hon-
neur de Notre-Seigneur Jé-us-Christ pour
l'exaltation de la foi catholique el la destru-
ction des hérétiques, qui s'engageaient d'ex-
poser leur vie et leurs biens pour la défense
de la même foi, lorsqu'ils en étaient requis,
et d'obéir à l'inquisiteur el à ses vicaires en
loul ce qui concernait l'inquisition, comme
il est marqué dans la formule de ce vœu
qu'ils prononçaient en ces termes : Ego fa-
do votum lieo, B. Mariœ, et B. Petro mar-
tijri, accipiendi el portandi crucem ad hono-
remJesu (.hrisii Domini noslri, fidei catholicœ
e.caltationcm, et hœreticorum eor unique fau-
torum exierminiuin in tota diiecesi Âlediota-
nensi; el promitto exponere subslanliam meam
temporalem et vilain propriam pro fidei drfen-
sione, cum opus fuerit, et fucro requisitus ; el
quod ero obediens R. P. inquisitori et sueces-
s. tribus vel licariis suis in omnibus quœ per-
tinent ad officium inquisilionis. Ceux d'Ivrée
et de Verceil promenaient la même chose
pour ces diocèses.
Le P. Cannepano rapporte les statuts de
ces prétendus chevaliers avec les indulgences
et les privilèges qu'il dit leur avoir été ac-
cordés par les souverains pontifes. Mais ,
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
2î12
comme parmi les bulles qu'il cilc il y en a
quelques-unes qui ont élé accordées en (Vi-
veur de ceux qui se croisaient pour les guer-
res des Albigeois, et qui ne font nullement
mention de ces chevaliers, il y •a bien de l'ap-
parence que dans ce temps-là c< Ile préten-
due chevalerie était inconnue. C'est ce qui
m'a obligé d'écrire à Milan pour en avoir
une connaissance plus particulière; et la ré-
ponse que j'en ai reçue l'an 1"12 est qu'il y
a dans le Milanais une compagnie de gentils-
hommes qui sont officiers de .l'inquisition, et
qui faisaient autrefois le vœu que nous avons
rapporté ; mais présentement ils ne fout plus
qu'un serment de servir l'inquisiti in, et de l'a*
veMir de ce qu'ils sauront lui èire préjudicia-
ble. On n'a point de connaissance qu'ils aient
jamais porté de crois sur leurs habits. Pré-
sentement lorsqu'ils arrêtent ou conduisent
un prisonnier par oidre de l'inquisition, ils
en portent une écarlelée de noir et de blanc,
et selon le dessin que l'on m'en a envoyé,
elle est à huit pointes comme celle des che-
valiers de Malle, et non pas fleurdelisée,
comme est ordinairement la croix de l'in-
quisition. Ainsi ces prétendus chevaliers dont
il est parlé dans le livre du P. Cannepauo,
que l'on me marque avoir élé défendu p;ir
l'inquisition , quuiqu'écril en sa faveur , ne
sont que des officiers de cette même inquisi-
tion, semblables à ceux que l'on nomme en
Espagne familiers, parmi lesquels il se trouve
«les seigneurs des plus qualifiés du royaume,
qui se font honneur d'être du nombre de ces
officiers, et dont la fonction est aussi l'ar-
rêter 1. s prisonniers par ordre de l'inqui-
sition .
FOL1GNI ^Congrégation de). Voyez Ursu-
i.INES.
FONTAINE-JAILLISSANTE (Chanoines de
LA CONGRÉGATION DE LA).
Voici encore une congrégation de chanoi-
nes qui a pris son origine des clercs de la
Vie commune. , institués par Gérard Groot.
Nous avons dit que ces clercs avaient des
maisons à Munster, à Cologne et à Wesel.
Ces trois maisons s'unirent ensemble, et,
voulant vivre à la manière des chanoines,
ils formèrent une congrégation qui fut ap-
prouvée l'an 1 4-39 par le pape Eugène IV, et
à laquelle ce ponlile donna le nom de con-
grégation des chanoines de la Fontaine-Jail-
lissante. Ce. fut à la prière d'un saint prêtre
nommé Henri de Huys, qui avait non-seule-
ment fondé en 1W4- la maison des clercs de
la Vie commune dans la ville de Munster,
mais était encore entré parmi eux. Après sa
mort, qui arriva peu de temps après l'érec-
tion de celte congrégation , ces chanoines
assemblèrent leur premier chapitre général
à Munster, dans lequel ils dressèrent les
consiilulions pour l'observance régulière en
verlu du pouvoir que le pape Eugène leur
en avait donné par sa bulle.
Tous les ans ils devaient tenir ce chapitre
général dans la maison de Munster le diman-
che Jubilate. Les prévôts ou recteurs des
maisons de Munster, de Co'.og.ïe et de We-
sel, devaient s'y trouver avec quatre chanoi-
nes députés parleurs communautés, 1rs pré-
vôts ou recteurs des autres maisons unies à
ces trois, chacun seulement avec un cha-
noine ; les recteurs des autres maisons qui
n'éiaient pas de la congrégation (si ces rec-
teurs en avaient été tirés), et los confesseurs
des religieuses qui étaient aussi membres
de la même congrégation.
Ils recevaient irois sortes de personnes :
des frères perpétuels, des chanoines et des
domestiques. Ceux qui devaient être frères
perpétuels étaient reçus de celte manière.
Le supérieur les làisait venir en chapitre, et,
après les avoir instruits des observances de
la congrégation et des raisons qui pourraient
les obliger à être chassés, il leur disait qu'ils
ne devaient plus rien avoir en propre, et
qu'ainsi ils devaient faire cession par-devant
notaire ou donation entre-vifs à la maison,
de tous les biens qu'ils possédaient, soit par
héritage, soit de leur travail, ou par quel-
qu'aulre voie que ce fût; et que quand ils
sortiraient de leur bon gré, ou qu'il y aurait
des raisons de les renvoyer, ils ne pourraient
rien répéter de ce qu'ils auraient donné;
mais qu'ils seraient obligés d'entrer dans
une religion approuvée par l'Eglise, et c'est
ce qu'ils promettaient en ces termes : Ego
[rater N. promitto fidelitatem domui nostrœ
N. et auxilianle Deo, castam, concordent, et
communem vtlam secundum statuta capituli
gêner alis, deinceps observabo ; et, si contige-
rit quacunque occasione me de hac domo re-
eedere mit secundum preedicta expelli, pacifi.ee
recédant nihil rcpelendo, et ex tune obagaium
me facio ad intrandam religionem approbatam
ubi reguluriter vieillir, sic me Deus adjuiet
et liœc sancla Ei angclia. Ceux qui étaient re-
çus pour chanoines promettaient fidélité au
chapitre général d'obéir à toutes ses ordon-
nances tant qu'ils seraient membres de la
congrégation, et d'en garder le secret aussi
bien que du chapitre local. Voici la formule
de leur promesse. Ego (rater N. canonicus
ecclesiœ N. promitto bona fide, locojuramenli
et vigore ejus, fidelitatem gênerait capitula,
ejusrjtte ordinationibus, et stalutis factis et fit-
ciendis obedienliam quandiu ejus membrum
fuero, et sécréta ejusdem capituli generalis et
particularis celabo ad quemeunque, statum
pervenero, salva nihilominus promissione pri-
dem per me facla in suo robore et vigore. On
élisait dans le chapitre général deux chanoi-
nes pour visiteurs des maisons de la congré-
gation.
Voyez Aubert le Mire, Uegul. et Constilut.
clericor. in communi viventium.
FONTE-AVELLANE ou FONT-AVELLANE,
présentement unie à l'ordre des Camalduks
(Congrégation de).
Morigia etMaurolic, parlant de la congré-
gation de Foule-Avellane ou Font-Avellane,
disent que son fonda' eur fut le bienheureux
Ludolphe, homme furt adonné à la contem-
plation, qui, ayant souffert unegrande persé-
cution d'un seigneur d'Oui brie, se relira dans
les Apennins entre les monts Carrio et Cor-
203 FON FON 294
vo, où il mena une vie solitaire ; et qu'ayant l'es religieux de l'ordre de Font-Avellane,
eu en peu de temps des disciples qui voulu- qui ne peuvent plus défendre leur cause,
rent imiter sa manière de vie, il bâtit au ayant été supprimés depuis environ cent
même lieu un monastère qui l'ut dédié au Cinquante ans ; et il les a incorporés dans
Sauveur du monde, sous le litre de la Sainte- son ordre dès le commencement de leur in-
Groix ; mais qu'après sa mo'l ses disciples Stitution, quoique le monastère de Font-
élant lombes dans le relâchement , saint Avcllaiie et quelques autres de sa dépen-
Pierre Damien, qui était moine de l'abbaye dance n'aient été unis à l'ordre des Camal-
de Classe de l'ordre des Camaldules, vint à dules que fan 1569, comme nous dirons ci-
Font-Avellane cinquante ans après la fonda- après.
tiou de ce monastère ; que non-seulement il Nous reconnaissons donc l'ordre de Font-
le réforma et y rétablit les observantes qui y Avellane comme un ordre distinct et séparé
étaient pratiquées du temps du bienheureux de celui des Camaldules. Les fondements en
Ludolphe, mais qu il obligea ces ermites à furent jetés dans le monastère de Fonl-Avel-
embrasser la règle de Saint-Benoit. lane vers l'an 1000 par le bienheureux Lu-
Mais il paraîtque ces auteurs se sont trom- dolphe, qui fut dans ta suile évèque d'Eugu-
pés en cela aus>i bien qu'en beaucoup d'au- bio. 11 est situé dans un lieu solitaire de
1res choses; car saint Pierre Damien n'a l'Ombrie au diocèse de Faenza, entre les
point été religieux de l'abbaye de Classe, monts Catrio et CornO. Ludolphe y eut d'a-
puisqu'elie n'était point de l'ordre des Ca- bord plusieurs disciples, avec lesquels il vi-
maldules pour lors, et qu'elle ne fut unie à vail en anachorète. Ils demeuraient dans des
cet ordre que l'an 1138, comme nous avons cellules séparées les unes des autres, occu-
dil à l'article Camaldules. Ce fut dans le mo- pés continuellement à la psalmodie , à l'orai-
nastère même de Font-Avellane que saint son et à la lecture. Ils vivaient de pain et
Pierre Damien prit l'habit monastique, vers d'eau quatre jours de la semaine. Le mardi
l'an lOiO, où les religieux de ce monastère, et le jeudi ils mangeaient un peu de légu-
qui avait élé fondé il y avait environ qua- mes qu'ils faisaient cuire eux-mêmes dans
rante et un ans, étaient encore dans leur leurs cel ules, où ils avaient aussi des ba-
lerveur, comme nous allons le montrer. C'est lances pour peser leur pain, ne le prenant
pourquoi nous pouvons dire avec raison que que par mesure les jours de jeune. Ils n'a-
saint Pierre Damien n'a point été le rél'or- vaient du vin que pour le sacrifice de la
mateur de cet ordre, mais seulement le pio- n>essc ou pour les malades. Ils observaient
pagateur. trois carêmes, savoir de la Résurrection, de
Je ne suis pas surpris que le P. Grandi ait la Nativité de Noire-Seigneur et de saint
fait une dissertation pour prouver que le Jean-Baptiste. Pendant ce dernier, qui du-
bienheureux Pierre Damien a été Camaldule, rait depuis l'octave de la Pentecôte jusqu'à
puisque disputer ce saint à cet ordre, c'est la Saint-Jean, on leur donnait, le mardi
lui enlever un de ses plus beaux ornements, après noue, une portion de quelques lequ-
el lui dérober la gloire du monastère de mes. Ils mangeaient dtiux fois le jour le jeudi,
Font-Avellane d'où "est sorti Pierre Damien aus>i bien que le mardi après la fête de
avec les autres cardinaux, pus de quarante saint Jean-Baptiste. Depuis le 13 septembre
prélats et autant de saints et de bienheureux, jusqu'à Pâques ils jeûnaient tous les jours,
Mais il fallait que le P. Grandi donnât de excepté l'octave de Noël ; tous les dimanches
bonnesraisons pour convaincre ses lecteurs : de l'année on leur donnait deux portions,
car do dire que Font-Avellane a élé de l'or- excepté les dimanches des carêmes de Pâ-
dre des Camaldules à cause que son fonda- ques et de Noël, qu'on ne leur en donnait
leur Ludolphe a été disciple de saint Ko- qu'une ; et aux fêtes de saint André, de saint
muaid,cique l'on pratiquait à Fo-t-Avel- Benoit et de l'Annonciation de Notre-Dame,
lane à peu près les mêmes observances qu'à ils ne jeûnaient pas dans toute la perfection.
Camaldoli, celle raison n'est pas sufiisanie, (Ils appelaientjeûner parfaitement, lorsqu'ils
puisque saint Jean Gualberl établit aussi à ne prenaient que du pain, de l'eau et du sel.)
\ allombreuse les mêmes observances qu'il Ils marchaient toujours nu-pieds, prenaient
avait vues et qu'il avait pratiquées lui même la discipline, faisaient des génuflexions, so
dans le temps qu'il demeurait à Camaldoli; frappaient la poitrine, demeuraient les liras
qu'il forma le monastère de Vallombreuse étendus, chacun selon ses forces et sa dévo-
sur le plan de celui de Camaldoli; que les tion, et après l'office de la nuit ils disaient
cellules y étaient séparées les unes des au- tous le psautier avant le jour.
Ires, sans qu'on puisse dire cependant qu'il Telles étaient les observances régulières
lut de l'ordre des Camaldules. 11 semble que qui se pratiquaient dans ce monastère , lors-
le P. Grandi n'ait différé la mort de saint que saint Pierre Damien y prit l'habit mo-
llomuald jusqu'en l'an 1037 que pour donner nastiqtie. Il avait entendu parler de la fer-
à connaître que ce saint avait instruit lui- veur de ces ermites; et comme il songeait à
même saint Jean Guaibert des devoirs de la quitter le siècle, il en rencontra deux. S'é-
vie éréuiiiique lorsqu'il demeurait à Camal- tant ouvert à eux, ils le fortifièrent dans
doli ; cependant le P. Grandi ne dit point son dessein; et comme il témoigna vouloir se
que Vallombreuse ait été de l'ordre des Ca- retirer avec eux, ils lui promirent que leur
maldutes ; mais, comme les religieux de Val- abbé le recevrait; Il leur offrit un vase d'an
lombreusc auraient pu avec justice lui dis- gent pour por;er à leur abbé ; mais ils le
puler celte alliance, il a seulement attaqué remercièrent et ne voulurent pas le recevoir,
295
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
2'JO
sous pré! ex le qu'il les embarrasserait dans
leclioinin.il fut fort édifié de leur désinté-
ressement, et se rendit quelque temps aptes
à Fout-Avellane, <'ù on lui donna l'habit
monastique. Sou supérieur lui donna le soin
de faire lies exhortations aux frères, et sa
réputation venant à se répandre, Gui , abbé
de Pompose près de Ferrare, pria l'abbé de
Font-Avellane de !e lui envoyer pour ins-
truirequelque temps sa communauté qui élait
de cent moines. Pierre Damien y demeura
deux ans, et son alihé, l'ayant rappelé, l'en-
voya quelque temps après faire les mêmes
fonctions au monastère de Saint-Vincent
près de Pierre-Pertuse. Enfin l'abbe le dé-
clara son successeur, du consentement de ses
religieux. Ayant pris le gouvernement de
cette congrégation après la mort de l'abbé,
il l'augmenta de cinq autres monastères,
qu'il fonda, un au diocèse de Camerino, deux
au diocèse de Faenza, un au diocèse de Ri-
mini, et l'autre proche Pérouse, où il fit
pratiquer les mêmes observances qu'à Font-
Avellane. Nous avons dit qu'ils n'avaient du
vin que pour le sacrifice de la messe ; mais
Pierre Damien leur permit d'en boire un
peu hors les carêmes de Pâques, de la Nati-
vité et de saint Jean-Baptiste, où il n'était
pas permis aux moines, ni même aux laï-
ques, de boire du vin ni de manger du pois-
son. Mais il semble qu'il ne leur permit de
boire du vin que pour avoir plus de force
à soutenir les disciplines rigoureuses aux-
quelles il hs obligea, le plus souvent pour
acquitter les pénitences des autres. Car on
était alors persuadé que pour chaque péché
on était obligé d'accomplir la pénitence mar-
quée par les c;inons : eu sorte que s'il y avait
dix ans pour l'homicide, celui qui en avait
commis vingt, devait lieux cents ans de pé-
nitence; et, comme il était impossible de
l'acquitter, on avait trouvé des moyens de
la racheter en accomplissant, par exemple,
cent ans de pénitence par vingt psautiers ac-
compagnés de discipline. Trois mille coups
de discipline valaient un an de pénitence, et
mille coups se donnaient pendant dix psau-
mes : par conséquent les cent cinquante psau-
mes valaient cinq ans de pénitence. Saint
Pierre Damien leur faisait souvent faire de
ces pénitences pour les aulrcs, et même
quelquefois pour les péchés qu'ils avaient
commis étant laïques, ne croyant pas que
pour les péchés qu'ils avaient commis dans
le monde, ils en lussent quilles pour prati-
quer la commune observance delà règle;
mais qu'ils devaient y ajouter des pénitences
proportionnées à leurs péchés. Ils étaient ou-
tre cela obligés par la règle, lorsqu'un reli-
gieux était mort, de prendre sept disciplines
de mille coups chacune, de jeûner sept jours,
de dire trente psautiers, et de célébrer trente
messes ; et si un novice mourait sans avoir
accompli la pénitence, ils devaient partager
entre eux ce qui restait pour l'accomplir.
Ces sortes de disciplines étaient fort en
usage dans ce temps-là. Pierre Damien avait
(IJ Regino, lib. ii, cap. 412 et seqiient.
appris cette pratique de saint Dominique,
l'un de ses disciples, qui fut surnommé
l'Encuirassé, à cause d'une cuirasse qu'il
portail continuellement sur son corps. Cet
homme, ayant su que saint Pierre Damien
avait écrit de lui qu'il avait récité un jour
neuf psautiers avec la discipline, en fut
lui-même étonné, et voulut en faire encore
l'expérience. Il se dépouilla donc un mer-
credi, et ayanl pris des verges à ses deux
mains, il ne cessa toute la nuit d'en réciter
en se frappant : en sorte que le lendemain il
avait dit douze psautiers et plus. Quelques an-
nées avant sa mort, il redoubla encore ses
austérités, et ayant trouvé que les lanières
de cuir étaient plus rudes que les verges, il
s'accoutuma à s'en servir. Il portail toujours
avec lui, quand il sortait, un fouet de lanières
pour se donner la discipline, et se conten-
tait même de repasser dans son esprit les
paroles des psaumes sans les prononcer,
afin de se donner un plus grand nombre de
coups. Saint Dominique et saint Pierre Da-
mien ne furent pas néanmoins les auteurs
de ces sortes de flagellations volontaires.
Gui, abbé de Pomposie, mort en 10i6, et
saint Poppon, abbé de Stavels, mort en 10i8,
les avaient mises en pratique avant eux ; el
avant eux Réginon (1), ablié de Pruim, qui
vivait au commencement du dixième siècle,
avait ordonné de se frapper jusqu'à faire des
plaies sur son corps pour acquitter les péni-
tences.
Cette manière de déchirer son corps ne
plut pas à tout le monde, il y en eut qui
condamnèrent la discipline volontaire, com-
me une nouveauté contraire aux canons.
Pierre Cérébrose el le cardinal Etienne, qui
avait été religieux du mont Cassin, furent
en cela les plus grands adversaires de Pierre
Damien. Le premier ne condamnait pas lout
à fait l'usage de la discipline, mais il regar-
dait connue une folie ces longues flagella-
tions; il ne désapprouvait pas non plus que
l'on récital un psaume en se donnant la disci-
pline, mais il regardait comme quelque
chose d'excessif de la prendre pendant tout
un psautier. Pour le cardinal Etienne, il
croyait qu'il fallait plutôt macérer son corps
par le jeûne, et soutenait qu'il n'était pas
honnête de se dépouiller lout nu en pré-
sence d'une communauté. Pierre Damien
écrivit contre ceux qui blâmaient ces sortes
de flagellations; mais enfin convaincu, soit
par les objections de ses adversaires, soit
par sa propre expérience, qu'il y avait de
l'excès dans ces mortifications, il y apporta
un tempérament ; et, écrivant aux religieux
de sa congrégation, il leur dit que celle fla-
gellation, sur laquelle ils insistaient si vive-
ment, pouvait être utile, lorsqu'on s'en ser-
vait avec modération ; mais qu'en la pous-
sant si loin, elle peut être indiscrète, puis-
qu'elle affaiblit le corps, le réduiten langueur,
et le met souvent hors d'état de satisfaire
aux autres exercices de la religion, s'en
Irouvanl parmi eux qui prenaient la disci-
297
1U\
pline pendant un psautier entier, et même
pendant deux psautiers, jusqu'à s'incommo-
der considérablement, et se rendre effective-
ment malades, et que cela détournait même
ceux qui avaient envie de venir dans leurs
ermitages. C'est pourquoi il ordonne que
personne ne sera contraint à se donner soi-
même la discipline, mais que ceux qui au-
ront assez de ferveur pour se la donner, la
pourront prendre en récitant seulement qua-
rante psaumes pour chaque discipline, sans
qu'ils puissent passer ce nombre, sinon pen-
dant les deux carêmes de la Nativité et de la
Résurrection de Notre- Seigneur , auquel
temps il leur serait permis de prendre la dis-
cipline pendant soixante psaumes. Nous ne
retranchons pas, dit-il, par ce moyen ce
qui est bon, mais seulement ce qui paraît
excessif.
L'éclat de sa sainteté et de sa doctrine le
fit créer cardinal et évêque d'Oslie par le
pape Etienne IX., en 1057. On eut à la vérité
de la peine à lui faire accepter cette dignité,
et le pape fut obligé d'employer toute son
autorité pour l'y engager. Il s'y soumit ce-
pendant par une pure obéissance; mais,
entraîné toujours par l'amour de la solitude,
il se retira quelques temps après dans son
ermitage de Font-Avellane; où étant arrivé,
il alla premièrement au chapitre, où il s'ac-
cusa lui-même de ses fautes, et pour les ex-
pier il demanda qu'on le frappât de coups de
fouet. Il se renferma dans une cellule, où il
affligea cruellement son corps par des jeûnes
et des flagellations fréquentes, se contentant
d'eau et d'un peu de pain de sou pour sa
nourriture. Ses disciples l'ayant prié de cor-
riger ce qu'il y avait, de défectueux dans
leurs observances, il rétrancha 1rs bonnets
ou chapeaux dont ils se couvraient la tête,
comme peu conformes à la simplicité et à la
modestie religieuse, et leur ordonna de se
contenier de capuces, qui étaient en usage
parmi les religieux ; de quitter les étoffes qui
venaient des pays étrangers, et de ne se
servirque de celles queporlaientles paysans.
Il écrivit encore plusieurs ouvrages dans la
solitude, d'où il eut ordre de sortir une se-
conde fois pour terminer des affaires pres-
santes; et revenant d'un voyage qu'il avait
fait à Rome, il mourut à Faënza l'an 1072.
Nous ne savons point si les religieux de
l'ordre de Font-Avellane se maintinrent
longtemps dans la ferveur et l'observance de
leur institut; mais il est certain que dans le
xvi' siècle ils vivaient avec beaucoup de li-
cence, qu'ils ne faisaient plus même de pro-
fession religieuse, qu'ils vivaient plutôt en
séculiers qu'en religieux et en solitaires. Ils
avaient quitté l'habit monastique, qui était
tel que vous le voyez représenté dans la
première figure (1), et ne portaient plus
qu'une espèce de soulanelle blanche, qui ne
descendait qu'aux genoux, avec un manteau
bleu, un bonnet carré blanc au lieu de cap,
comme il est représenté dans la seconde li-
gure (2). Le pape Pie V ayant donné l'ab-
(i) Voy., à la fin du vol., n* 62.
Dictionnaire des Ordres reugseix.
FON 298
baye de Font-Avellane en commende au car-
dinal Jules de la Rovère, frère du duc d'Ur-
bin, ce cardinal voulut y rétablir la discipline
monastique. H y fit venir pour cela l'an 1570
des moines camaldules de la congrégation
de Saint-Michel de Mnrano. Dieu toucha
leurs cœurs, et la plupart des religieux do
Font-Avellane prirent l'habit de cet ordre,
et en firent profession entre les mains du
Père dom Pierre Balnenli de Bagnacavalli,
qui en fut élu abbé régulier; et depuis ce
temps les religieux camaldules ont toujours
possédé ce monastère.
Voyez la Vie de Pierre Damien, écrite par
Jean, son disciple; ejusdem Pétri Damian.
Opuscul. 14 et 15, et lib. vi, epist. 33; Joan.
Mabillon, Acta SS. ord. S. Bened. sœcul. vi ;
ejusd. Annal. Benedict. tom. IV; et Fleury,
Hist. eccl. tom. XII et XIII; Morigia, Hist.
di tutte le religioni, cap. 58 ; Silvestr. Mau-
rolic, Mar. Océan, di lutte le Relig., lib. Il,
pag. 158 ; Srhoonebeck, Hist. des Ordr. re-
lig.; Guido Grandis, Vissert. Camaldul., dis-
sert, k.
FONTEVRAULT (Ordre de).
§ l'r. De l'ordre de Fontevrault, avec la
vie du B. Robert d'Arbrissel, fondateur de
cet ordre.
L'on regarde l'ordre de Fontevrault comme
une singularité dans l'Eglise, et on est sur-
pris d'y voir une abbesse commander égale-
ment à des hommes et à des filles sur les-
quelsellea toute autorité; mais pour répon-
dre à ceux qui sont étonnés du procédé de
leur fondateur, d'avoir ainsi renversé en
apparence l'ordre de la nature en rendant
sujets ceux qui devraient commander, et
maîtresses cellesqui devraient obéir, il suffit
(sans vouloir approfondir dans les raisons
qu'il en a eues) de leur dire que s'ils veulent
chercherdans l'histoire, ils trouveront de quoi
faire cesser ou au moins diminuer de beau-
coup leur élonnement ; car (sans parler de
Judith, entre les mains de laquelleDieu avait
mis le salut de son peuple , et d'une pucelle
d'Orléans, à qui la France est redevable d'ê-
tre présentement l'Etat le plus florissant
qu'il y ait en Europe, et cela par la soumis-
sion aveugle tant de son prince que de tous
ses peuples, qui s'abandonnèrent entière-
mentà sa conduite)ilsy trouveront beaucoup
d'établissements semblables à celui deFonte-
vrault. Car, dans l'ordre de Sainte-Brigitte,
princesse de Suède, dont nous avons déjà
parlé, les hommes qui demeurent dans les
monastères doubles sont sous l'obéissance
des abbesses de ces mêmes monastères, ex
cepté qu'ils sont soumis également, comme
les religieuses, aux évèques dans les diocè-
ses desquels ils sont établis, comme je l'ai
déjà dit en parlant de cet ordre. Dans l'ab-
baye de Saint-Sulpice en Bretagne, le bien-
hcureuxBaoulyélablit un institut semblable
à celui de Fontevrault, imitant en cela plu-
sieurs autres instituteurs qui longtemps
(2) Voy., ibid., n° 65.
Il
10
299
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
300
avant lui avaient donné la même juridiction
à des monastères de filles. Les religieux de
Fonlevrault, pour justifier leur institut, rap-
. portent les exemples de plusieurs monastè-
res doubles dans lesquels ils disent que les
religieux étaient soumis aux religieuses, et
ils citent plus particulièrement celui deSim-
pegham. Mais je croirais leur faire tort si
j'établissais mes preu-.es de l'équité de leur
institut sur leur autorité ; puisque ni dans
le monastère de Simpeghatn, ni dans les au-
tres, les religieuses n'ont jamais eu aucune
juridiction sur les religieux,, excepté celui
de Saint-Sulpice, qu'ils citent avec justice,
puisque, comme je l'ai déjà dit, l'institut de
cette abbaye était semblable à celui de FonEe-
vrault. Le P. Lobineau n'a pas mieux ren-
contré lorsque, dans son Histoire de Bre-
tagne, parlant de l'abbaye de Loc Maria, qui
avait été fondée avant l'ordre deFonteyrault
fc>ar Alain Cagnard, comte de Cornouaille,
dont la fille Hodierne fut abbesse, et qui
était gouvernée au dehors par un abbé et des
moines, il dit qu'ils étaient soumis aux ab-
besses parce qu'ils leur rendaient compte du
revenu qui appartenait à l'abbaye, à laquelle
se faisaient Les donations, et qu'ainsi c'était
r.n institut semblable à celui de Fonlevrault.
Ce qui n'est pas une conséquence fort juste:
c :r p :r la même raison on pourrait dire—
qu« tes Hénédiclins de sa congrégation qui
à Ch. elles sont soumis à l'abbesse' de ce
uionas' ro, parce qu'ils lui rendent compte
des revenus de l'abbaye dont ils ont la di-
r .tion ; ce qui n'étant pas vrai dans ceux-
ci, peut aussi être faux dans les autres.
Ainsi cette preuve de la conformité de l'ins-
titnt de Loc Maria avec celui de Fonlevrault
et de Saiat-Sulpice, bien loin d'en convain-
cre, n'est pas même suffisante pour eu for-
mer le moindre doute. Ce qui serait le [dus
capable do la l'aire croire, c'est la réunion
qui fut faite quelques attirées après de cette
abbaye de Loc Maria avec celle de Saint-
Sulpice à cause de cette même conformité.
Ce qui est de plus particulier dans l'ordre
de Fonlevrault, c'est que ses monastères
sont exempts de Val juridiction des ordinaires,
et que toute l'autorité réside dans la personne
de l'abbesse du mauaslèrcde Fonlevrault, com-
me générale et chef del'ordre; maissi l'on veut
examiner les choses sans prévention, il n'y
plus d'iuconvénient qu'une abbesse
ail une égale autorité sur les religieuses et
les religieux de son ordre, que d'avoir une
juridiction presque épiscopalcdans plusieurs
lieux, comme l'abbesse de Motilivilliers en
Normandie, qui est dame et patronne de
quinze paroisses, qui ressortissent de sa ju-
ridiction, qu'elle fait exercer par son gn;::l
vicaire et officiai, qu'elle établit de son
autorité, et qu'elle révoque quand bon lui
semble, et dont les curés sont obligés de re-
cevoir les approbations et les mnndeuieiils,
aussi bien que les Capucins d'Hirlleur, qui
est un lieu de sa dépendance. L'abbesse de
Conversano en Italie a une pareille juridic-
tion dans la terre de Caslellaua. L'abbesse
de las Huelgas ea Espagne exerce une auto-
rité sur les Frères Hospitaliers de Burgos,
et il y a eu de pareils exemples en Angle-
terre. Ainsi l'étonnement doit cesser à l'é-
gard de l'ordre de Fonlevrault, qui ne doit
pas être regardé comme une singularité dans
l'Eglise , cette espèce de gouvernement ayant
élé d'ailleurs approuvée par un grand nom-
bre de souverains pontifes.
Cet ordre eut pour fondateur le bienheu-
reux Robert d'Arbrîssel, sur la fin du on-
zième siècle. 11 naquit de parents pauvres
vers l'an 10i5 ou 1047, dans un village de
Bretagne nommé alors Arbrissel, dont il
prit te nom, et qui s'appelle à présent Albre-
sec, au diocèse de Rennes, près delà Guier-
che. Son père, Damalioque, qui embrassa
dans la suite l'état ecclésiastique, et sa mère,
Orvende, qui étaient gens de bien et crai-
gnant Dieu, relevèrent dans la piété, jusqu'à
ce qu'étant en âge d'étudier, ils lui permi-
rent d'aller chercher des maîtres où il vou-
drait, d ins l'espérance que Dieu ne l'aban-
donnerait point. En effet, il trouva moyen
de vivre et d'étudier dans quelques villes de
Bretagne, sans être à charge à ses parents :
ce qui lui donna courage de venir à Paris,
où il fit tant de progrès dans les études,
qu'après s'être distingué en philosophie et
en théologie, de pauvre écolier, il fut un
célèbre docteur en l'université de cette capi-
tale de France, où il reçut le bonnet, après
avoir passé par tous les degrés et les char-
ges de cotte célèbre académie.
En ce temps-là, Silvestre de ta Guierche,
qui avait été marié, et était pour 1-ors chan-
celier de Conon II, duc de Bretagne, fut
placé sur le siège épiscopal de Rennes; et
voulant se décharger du soin de son évêehé
sur un ecclésiastique de grand mérite, il jeta
les yeux sur Robert, qu'il fit son grand vi-
caire, lui donnant un pouvoir absolu dans
son diocèse. 11 s'en servit pour y rétablir la
discipline ecclésiastique, y bannir les vices,
mettre la paix où il y avait des dissensions,
retirer les biens ecclésiastiques d'entre les
mains des personnes laïques, abolir l'infâme
commerce de simonie, qui était public, et
rompre les mariages incestueux qui se trou-
vaient entre les laïques, et les concubinages
scandaleux de la plupart des prêtres.
Son évoque t'appuyait dans de si pénibles
travaux, et, par son crédit et son autorité, il
le mettait à couvert des attaques des mé-
chants; mai:', ce prélat étant mort quatre ans
après, Robert, privé de son protecteur, se
vit à la merci des ennemis que son zèle lui
avait suscités : c'e-t pourquoi, afin d'em-
pêcher le si . and'ale qui pouvait arriver à
son occasion, il quitta la Bretagne, et vint
dans la ville d'Angers, où il cnsi igna quel-
que temps la théologie. Mais voulant se con-
sacrer euti.' .-o:u: nt à Dieu, ii prit là ré:- ; -
tion d'abandonner le monde pour se retirer
dans une solitude.
Il quitta donc l'a ville d'Angers, et alla se
cacher avec on compagnon dans la forêt de
Craon en Anjou , vers les fionlière* du
Maine. La vie qu'il mena dans cette solitude
fut tout à fait admirable : il ue vivait que
301
FON
FON
502
d'herbes et de rac:nes sauvages, et, pour
quelque nécessité que ce (Vit, il ne mangeait
jamais de viande et ne buvait jamais de vin.
Il ne portait pas, comme les autres solitai-
res, une tonique de peaux de chèvres et
d'agneaux, mais la sienne et lit (issue do
poil de porc, afin de tourmenter davantage
son corps. La terre nue lui servait de lit, et
il n'y prenait même du repos que lorsqu'il
était accablé de sommeil.
Une vie si extraordinaire fit du bruit dans
le voisinage. Quoiqu'il eût pris soin de se
cacher dans cette forêl, ou y accourut de
toutes parts pour voir ce nouveau prodige,
et la pénitence qu'il prêcha, eomv.ic un autre
Jean-Baptiste, à ceux qui étaient venus pour
le voir, fit une impression si forte sur leurs
esprits, que la plupart renoncèrent aux dés-
ordres de leur vie passée et se rangèrent
sous sa discipline, de sorte que la ferét <ie
Craon fut bientôt remplie d'anachorètes. Le
nombre même en devint si grand, que Ro-
bert fut obligé de les disperser dans les fo-
rets voisines, comme celles de Nid-de-Mer'e,
de Fougères, de Savigny, de Concize et de
Mayenne. Ne pouvant plus veiller seul sur un
si grand nombre de solitaires, il les sépara en
trois colonies, dont il en retint une pour lui,
cl donn :; les deux autres à deux de ses dis-
ciples, qu'il reconnut pour les plus parfait».
L'un lut le bienheureux Vital de Mortain,
qui fut depuis l'instituteur de l'ordre de Sa-
vigny,qui pritee nom de l'abbaye de Savigny
en Normandie, comme nous le dirons ci-
après, et l'autre fut le bienheureux Raoul de
(a Fulaye, fondateur de l'abbaye de Saint-
Sulpice de Rennes en lîretagne.
Le bienheureux Pierre de l'Etoile, et le
bienheureux Firmat voulurent aussi de-
meurer quelque temps dans la compagnie
de ces saints solitaires, et leur exemple fut
suivi de plusieurs autres personnes, dont les
plus célèbres furent les bienheureux A Heau-
me, fondateur de l'abbaye d'Fstival dans le
Mais», 2t le bienheureux Bernard d'Ahhe-
vilie, fondateur de la congrégation de Ty-
ron, dont nous parlerons dans la suite. Tous
les solitaires qui étaient sous la conduite des
bienheureux Robert, Vital et Raoul, ne vi-
vaient point d'abord en commun, ils demeu-
raient dans des cellules séparées ; m;iis Ro-
bert, reconnaissant que plusieurs d'entre
eux étaient portés pour la vie cénobitique,
fit bâtir, l'an 1094, un monastère dans la
même forêt de Craon, en un lieu appelé la
Rue, du côté de la Gui rehe, et leur donna la
règle de Saint-Augustin. 11 fut pendant un
teuips leur supérieur. Us n'y vécurent d'abord
que d'aumônes, et ne mangeaient que des
racines; mais après lui celte mais m, qui
passait pour la plus pauvre et la plus sainte
du royaume, quitta cet esprit de pauvreté et
de mortification, et se rendit entièrement
conforme à celles des Chanoines Réguliers,
dont elle suivait la régie.
11 fut obligé de les quitter pour aller prê-
cher la Croisade par ordre du pape Urbain
II, afin d exciter les peuples à prendre les
armes pour le recouvrement de la terre
sainte : ce qui fit qu'il se démit do sa nou-
velle abbaye de la Roë entre les mains de
l'évèque d'Angers , dans le diocèse duquel
elle se trouvait. 11 pourvut à ses ermitags
de la forêl de Craon, vl, ayant pris avec lui
quelques-uns de ses disciples, il commença
à prêcher non-seulement dans les villes, mais
encore dans les bourgs et les villages tas
plus petits, un nouveau baptême de péni-
tence, qui, en excitant les uns à sacrifier leur
vie pour la conquête des lieux arrosés du
sang de Jésos-Christ, engageait les autres,
oui n'étaient pas capables d'un si généreux
dessein, de tout abandonner pour le suivre
et servir Dieu sous sa conduite. Le nombre
de ces derniers fut si grand, que sa charité
ne lui permettant pas de les renvoyer, il
leur chercha un lieu de retraite où ils pus-
sent travailler à leur salut.
Sur les confins de l'Anjou et du Poitou, à
une petite lieno de la ville de Candes, cciï -
hr." par le décès de saint Martin.il y a de
vastes campagnes qui étaient alors toutes
(ouvertes d'épines et de baissons, et qu'un
vallon arrosé d'un petit ruisseau séparait eu
deux parties. Ce lieu, qui s'appelait Fonte-
vruult, lui parut propre à son dessein. Ce
fut l'an 1099 que Robe: t commença à y bâtir
quelques cellules on cabanes , seulement
pour mettre à couvert ses disciples des in-
jures du temps. Mais, pour éviter le scandale
qui pouvait arriver de la confusion des deux
seses, il les sépara dans des demeures dif-
férentes, ajoutant à celle des femmes une
espèce de clôture, qui n'était qu'un fossé
revêtu de haies. Il fit dresser deux oratoires,
l'un pour les hommes, l'autre pour les fem-
mes, où chacun allait à son tour faire ses
prières. L'occupation des femmes était de
chanter continuellement les louanges de
Dieu; celle des hommes, après leurs exer-
cice-, spirituels, était de défricher la terre,
de travailler de leurs mains à quelques mé-
tiers pour les besoins de ces espèce de com-
munautés. C'était une chose admirable de
voir l'ordre et le règlement qui étaient gar-
dés entre un si grand nombre de personnes.
La charité, l'union, la mode tic, et la dou-
ceur s'y observaient inviolableaient : ils ne
vivaient que de ce que la terre produisait,
ou des aumônes qu'un leur envoyait; ce qui
fit que le bienheureux Robert leur donna le
nom de Pauvres de Jésus-Christ.
L'exemple de ces nouveaux solitaires en
attira beaucoup d'autres. On voyait des fa-
milles entières venir demander à vivre sous
la conduite de ce saint fondateur; et il ne
refusait personne , lorsqu'il reconnaissait
dans ceux qui s'adressaient à lui qu'ils
étaient attirés par l'esprit de Dieu. Il y" ad-
mettait des gens de tout âge et de toute con-
dition, sans en exclure les inva ides, les ma-
lades, ni même les lépreux. Cette aflluence
de tout le monde augmentant de plus en
plus, l'obligea à faire bà.ir plusieurs mona-
stères renfermés dans une même clôture. 11
en ordonna trois pour les femmes, 1 un pour
les vierges et pour les veuves, qui fut nommé
le Grand-Moutier, et dédié en 1 honneur de
305
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
304
la sainte Vierge, où il renferma trois cents
religieuses; l'autre destiné pour les lépreu-
ses et les infirmes, au nombre de cent vingt,
qui fut appelé de Saint-Lazare ; et il mit les
femmes pécheresses dans le troisième, et lui
donna le nom de la Madeleine. Les hommes
curent aussi leur habitation séparée, leur
ayant fait bâtir un monastère auprès de ce-
lui des religieuses, qu'il dédia à saint Jean
l'evangélisle. On bâtit ensuite une grande
église commune pour les monastères, la-
quelle ne fut achevée que l'an 1119. Tels
furent les commencements de la célèbre ab-
baye de Fontevrault, dont les fondements
furent jetés peu de lemps après la célébra-
tion du concile de Poitiers qui se tint
Tan 1100.
Jusqu'alors le saint fondateur n'avait
prescrit à sa congrégation aucune forme de
vie qui lui fût particulière ; mais comme la
charité le pressait de sortir du désert pour
aller prêcher, il voulut, avant que de partir,
déclarer l'esprit de son Institut, qu'il avait
mis sous la protection particulière de la
sainte Vierge et de saint Jean l'evangélisle,
voulant que la recommandation que Jésus-
Christ mourant fit de l'un à l'autre fût le
modèle de la relation qu'il établissait entre
les hommes et les femmes de sa congréga-
tion, et que le respect que les hommes (re-
présentant saint Jean) porteraient à la supé-
rieure générale des femmes (qui représentait
la sainte Vierge) fût accompagné d'une sou-
mission réelle à son autorité, la déclarant
leur supérieure, tant pour le spirituel que
pour le temporel. La première à qui il confia
la conduite de ce nouveau peuple choisi fui
Heriande de Champagne, proche parente du
comte d'Anjou, veuve du seigneur de Monso-
reau. Il lui donna pour assistante et coadju-
Irice Pétronille de Craon, veuve du baron de
Chemillé. Il continua ensuite ses missions
évangèliques, y ayant associé ses anciens
disciples, Vital de Morlain, Raoul de la Fu-
taye, et Bernard d'Abbevillc, qu'il avait
laissés dans l'ermitage de la forêt de Craon ;
cl après que les uns et les autres curent ga-
gné beaucoup d'âmes à Dieu et rassemblé
plusieurs disciples, ils les menèrent dans ce
même désert de Craon. Comme ils avaient
également employé leurs soins pour leur con-
version, ils les partagèrent ensemble. Robert
d'Arbrissel, qui était reconnu comme le
mann- et le chef de lous, choisit une purlie
de celle sainle troupe qu'il emmena à Fon-
tevrault. Raoul de la F'utaye en prit une
autre, qu'il conduisit en la forêt de Nid-de-
Merle; le reste suivit Vital dans la forêt de
Savigny. Quant à Bernard, l'ordre qu'il reçut
de l'évéquede Poitiers d'aller au secours des
religieux de Sainl-Cyprien, pour une affaire
qu'ils avaient avec ceux de Cluny, lui fit re-
tarder l'établissement de sa congrégation de
Tyron.
Robert, après avoir fait quelque séjour
dans le monastère de Fontevrault, alla dans
le Poitou pour y continuer ses missions.
Pierre, évêque de Poitiers, qui connaissait
«ou mérite, le reçu' comme un apôlre : il lui
donna tout pouvoir dans son diocèse, cl
voyant les progrès qu'il faisait dans les lieux
où il passait, lant par ses prédications que
par d'autres œuvres de piété auxquelles il
s'appliquait sans relâche, il voulut par re-
connaissance employer ses sollicitations au-
près du pape Pascal II pour faire approuver
par ce pontife l'Institut de Fontevrault, ce
qu'il obtint l'an 1106. Robert retourna à ce
monastère pour porter à ses filles la bulle
de ce pape. Ce monastère, quoique d'une
grande étendue, ne se trouvant pas sufiisant
pour y recevoir loules les personnes qui se
présentaient pour prendre l'habit de l'ordre,
le saint fondateur songea à faire de nouveaux
établissements. Quelques personnes pieuses
lui ayant donné la forêt des Loges et quel-
ques héritages dans le diocèse d'Angers, il y
fit bâtir un petit couvent, auquel il donna le
nom de cette forêt ; et comme le revenu qui
avait été donné pour cet établissement ne
suffisait pas pour entretenir les filles qu'il y
renferma, il ordonna que le monastère de
Fontevrault donnerait lous les ans quelque
aumône à celte petite maison. Etant allé
prêcher dans laTouraine, on lui procura un
autre monastère dans un lieu appelé Cliau-
fournois, et présentement Chanstenois , et
on lui en offrit un autre à Relay dans la
même province. Etant retourné dans le Poi-
tou, Pierre, évêque de Poitiers, lui donna
un lieu désert nommé la Paye, où il bâtit un
monastère, qui devint si considérable par les
donations qu'on y fit, qu'il se trouva en état
d'y loger plus de cent religieuses. Cette
maison ne fut pas sitôt commencée, que le
bruit s'en étant répandu aux environs, l'on
convia le saint d'en venir établir deux autres
dans le même diocèse, l'une dans la forêt
de (iironde, qui s'appelle aujourd' hui l'/i'n-
cloître, et qui fut fondée par le vicomte de
Chàlelleraul, l'autre dans une solitude écar-
tée qu'on nomme Guisn/-, à deux lieues de
Loudun. Ayant quitté le Poitou, il passa dans
le Béni, où il reçut le monastère d'Orsan,
que lui procura l'archevêque de Bourges. 11
en fonda encore deux autres dans l'évéché
de Poitiers, l'un dans les Landes de la Gar-
nache, dont ce monastère a pris le nom de
la Lande, et l'aulre dans la forêt de Tuçon ;
et l'évêque d'Orléans Jean II l'ayanl fait ve-
nir daus son diocèse, lui procura le mo-
nastère de la Madeleine d'Orléans, qui fut
bâti dans une solitude agréable sur la rivière
de Loire.
Mais, pendant que Dieu répandait si abon-
damment ses bénédictions sur ses travaux,
il permit qu'il fût humilié par des calomnies
atroces que ses ennemis inventèrent, et aux-
quelles Marbodius , évêque de Rennes, el
deoffroi, abbé de Vendôme, ajoutèrent foi
trop aisément. Le premier lui écrivit une
lellre pleine d'aigreur et de reproches, dans
laquelle il lui disait qu'il avait quille l'ordr :
des Chanoiues Réguliers pour courir après
des femmes, lui reprochant comme une mar-
que de l'incontinence de ceux de sa suite, les
accouchements de quelques femmes, les cris
des enfants nouveau-nés, et le reprenant de
505
FON
FON
506
co qu'il donnait l'habit religieux à tous ceux
qui le demandaient, sans les éprouver, ne se
souciant pas qu'ils lussent bien convertis,
pourvu que le nombre de ses disciples
augmentât ; et qu'après qu'ils avaient donné
leur nom, il n'en avait point de soin, et les
laissait agir comme ils voulaient. GeoiTroi de
Vendôme lui écriv.t que l'on disait de lui une
chose dans le monde qui ne lui faisait pas
honneur, ei dont il devait promptement se
corriger si elle était vraie : savoir, qu'il avait
une si grande familiarité avec les femmes,
qu'il leur permettait de demeurer avec lui,
qu'il avait avec elles des entreliens secrets,
et qu'il n'avait pas même de honte de cou-
cher avec elles, sous prétexte de se morti-
fier en souffrant les aiguillons de la chair :
ce qui était un nouveau genre de martyre
inouï, très-dangereux et de mauvais exem-
ple. A la vérité ces lettres sont regardées par
quelques-uns comme des ouvrages supposés.
Le P. Mainferme, religieux de son ordre,
dans le Bouclier de l'ordre de Fontevrault,
les rejette toutes les deux. Un de ses con-
frères, dans une dissertation qu'il fit impri-
mer à Anvers en 1701, reconnait pour véri-
table celle de Geoffroi ; mais Bollandus la re-
jette. Le P. Sirmond l'admet, aussi bien que
le P. Alexandre, qui rejette celle de Marbo-
dius, Mais, quand elles seraient véritable-
ment de Marbodius et de Geoffroi, cela ne
détruit pas la sainteté du bienheureux Ro-
bert d'Arbri^sel; elles font seulement con-
naître que Marbodius et Geoffroi ont cru
trop aisément les ennemis de ce saint fon-
dateur; Geoffroi reconnut dans la suite la
fausseté de cette calomnie, et devint ami de
Robert et de l'abbaye de Fontevrault. Il y fit
de grandes fondations, el, afin de n'y être
pas à charge dans les fréquentes visites qu'il
y faisait, il y fit (à ce que l'on dit bâtir une
maison pour lui, que l'on a depuis appelée
l'Hôtel de Vendôme.
Après tous les établissements que ce ser-
viteur de Dieu avait faits, il crut qu'il était
nécessaire d'en demander la confirmation au
sainl-siége, el de faire exempter l'abbaye de
Fontevrault de la juridiction de l'évéque :
ce qu'il obtint par une bulle de l'an 1113
adressée aux religieuses de Fontevrault,
qu'il avait portées à en faire la demande au
pape. Continuant ses missions apostoliques
dans le Limousin, il y fit deux nouveaux
établissements, l'un nommé Boubou, l'autre
le Prieuré de la Gasconière. Ayant passé du
Limousin dans le Périgord, il fonda le cou-
vent de Cadouin, qu'il céda dans la suite au
bienheureux Giraud de Sales. Enfin le der-
nier établissement qu'il fit, el l'un des plus
célèbres de son ordre, fut celui de Haule-
Rruyère, à huit lieues de Paris, au diocèse
de Chartres, qui lui fut donné par Bertrade
de Montfort, femme de Foulques de Uechin,
comle d'Anjou. Le roi Philippe Ier ayant
scandaleusement épousé cette femme, du vi-
vant même de son mari, elle fui enfin con-
vertie par les exhortations de Robert, et, se
croyant obligée à réparer le scandale qu'elle
(1) Voy., à la lia du vol., n° 6i.
avait donné, elle se relira dans ce temple
qu'elle avait présenté au Seigneur, où ayant
non-seulement pris l'habit de Fontevrault,
mais encore toutes les austérités de cet or-
dre, qui pour lors était dans toute sa fer-
veur, elle édifia autant l'Kglise par sa vie
pénitente et mortifiée, qu'elle l'avait scanda-
lisée par sa vie molle et déréglée. Son pre-
mier soin fut de pourvoir ce nouveau mo-
nastère de tout ce qui était nécessaire pour
l'entretien des religieuses, afin que la pau-
vreté, qui est la ruine ordinaire de la régu-
larité, ne les empêchât pas d'offrir à leur
céleste époux des sacrifices de louange, ni
de méditer ses grandeurs pendant tout le
temps de leur vie : c'est pourquoi, craignant
que le revenu (]ui en dépendait ne fût pas
suffisant pour l'entretien des religieuses, elle
ajouta à ce don ce que le roi lui avait assi-
gné dans la Touraine pour partie de son
douaire; ce qu'elle fil agréer par ce prince,
qui y donna son consentement.
Robert, après avoir fait tous ces établis-
sements, prévoyant qu'il n'avait pas encore
beaucoup de temps à vivre, voulut achever
le dessein que Dieu lui avait inspiré pour
son institut, il fit établir pour chef et supé-
rieure de son ordre l'éli onille de Craon Che-
millé, qui est reconnue pour la première
abbesse de Fontevrault, el dressa les statuts
de cet ordre, qu'il mit sous la règle de Saint-
Benoît. 11 ordonna l'abstinence continuelle
de la viande , n'en permettant pas même
l'usage aux malades. Les religieuses, entre
autres choses, devaient garder le silence en
tout temps, aller toutes ensemble à l'église
et en revenir de même. Leurs voiles devaient
toujours être abaissés et cacher entièrement
leur visage. Elles ne devaient être vêtues
que de tuniques faites des plus viles étoffes
du pays, de la couleur naturelle de la laine,
sans être tondues (1). Les surplis blancs
leur étaient défendus aussi bien que les
gants. Une religieuse ne pouvait sortir hors
du cloître pour quelque ouvrage que ce fût
sans la permission de l'abbesse. Quand les
prieures allaient dehors, elles ne devaient
mener avec elles aucune religieuse, et elles
devaient être accompagnées pour le moins
d'un religieux et d'un sei ulicr ; nulle autre
que l'abbesse ou la prieure ne pouvait parler
dans le chemin, jusqu'à ce que l'on fût ar-
rivé dans l'hôtellerie. Le dortoir était tou-
jours gardé le jour par une converse, et la
nuit par deux ou qualre. Les malades ne
pouvaient recevoir le viatique ni l'extrêine-
ouclion que dans l'église; et, quand on les
portait en terre, elles devaient être couvertes
d'un cilice.
Quant aux religieux, ils devaient dire en
commun l'office canonial, vivre en commun
saus avoir rien en propre. Ils ne portaient
ni manteaux , ni chemisettes noires ; ils
avaient une ceinture de cuir, à laquelle
était attaché un couteau de la valeur de deux ;
deniers, et une gaîne de la valeur d'un
denier (-2). Ce que l'on desservait de leur
table devait être rendu aux religieuses, pour
(2) Vmj., ibid., n° G5,
507
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
508
être ensuite distribue aux pauvres. Tous les
dimanches el fêle, ils devaient aller à l'ha-
bil ; c'est ainsi qu'iwi nomme le monastère
des ' ri'liglt-ux) i oui- y e«l tendre la messe ci
assister au chapitre, d'où ils ne sortaient
qu'avec la peruiit-sion du prieur. Ils ne de-
vaient point recevoir d'églises paroissiales,
ni leurs dimes, ni donner leurs biens à ferme
à des séculiers ; il ne leur était p is permis
de recevoir des femmes dans leur monastère
pour y travaille:' ; il leur était défendu de
faire clés serments, de subir l'examen du feu,
de servir de cautions et d'être fermier . Les
provisions de vin, le poisson, l'argent et les
autres choses nécessaires à la vie étaient
entre les mains de la cellericre, cl dtsti
par l'avis et l'ordre de l'abbesse ou de ia
prieure. Les religieux 11c pouvaieir
recevoir persoui.e à la religion, ce droit ap-
partenant à l'ai: liesse.
Le bienheureux fondateur fut le premier
à se soumettre à l'abbesse, et, pour donner
l'exemple à ses religieux, il vécut sous son
i: i ;,.uc jus n'A sa mort, qui arriva le
2.'i février de l'an 1117. 11 était peur lors
dans son monastère d'Orsan, d'où son corps
fut porté à Fontevrault, avec une pompe
extraordinaire, par Léger, archevêque de
Bourges, qui lit son oraison funèbre, et qui
lut accompagné dans le convoi par l'arche-
vêque de Tours, l'cvèque d'Angers, le comte
d'Anjou et plusieurs seigneurs de considé-
raiiou ; sou cœur fut seulement laissé à ses
filles d'Orsan.
$ 2. Vu progrès de l'ordre de Fontevrault
après la mort du bienheureux Robert, et de
la reforme de cet ordre.
Le bienheureux Robert d'Arbrissel avait
vu de son vivant plus de trois mille reli-
gieuses dans le seul monastère de Fonle-
vrault ; mais après sa mort ce nombre aug-
menta ; car, au rapport de l'abbé Suger,
dans une de ses lettres au pape Eugène III,
au sujet de l'évêque de Poitiers qui inquié-
tait ce monastère, il y avait à Fontevrault
quatre à cinq mille religieuses. Quoique ce
grand nombre diminuât dans la suite, il ne
laissa pas d'être encore considérable l'an
1248, que le pape Innocent IV ayant imposé
un subside de dix livres tournois sur cette
maison, aussi bien que sur les bénéfices
d'Anjou cl de Poitou, pour l'entretien d'un
évêque de TiLériade, ce monnstère s'en ex-
cusa sur ce qu'il avait sept cents personnes
à nourrir. Ce nombre se trouva encore dimi-
nué en 12(J7 ; car, sur les plaintes que le
pape Bonifacc V11I avait reçues qu'où avait
dissipé les revenus de Fontevrault, le pon-
tife ayant donné commission à Gilles, évéque
de Nevers , de régler le nombre des reli-
gieuses de ce monastère, ce prélat en ayant
trouvé trois cent soixante, les réduisit à
trois cents, sans parler du nombre des reli-
gions, laul piètres que couvers. Mais celte
ordonnance de l'évêque de Nevcrs ne fut
pas apparemment exécutée, puisque l'an
13G0 ce monastère ayant encore été taxé
pour le même subside, l'abbesse allécua
pour cause de son refus qu'il y avait dans
son monastère cinq cents religieuses. Ce
n'était pas seulement dans le monastère île
Fontevrault qu'il y avait un si grand nom-
bre du religieuses de cel ordre, car, à Ries-
sac dans le diocèse de Limoges, on y en a
vu jusqu'à neuf cents.
Cet ordre acquit une si grande repu:
que des monastères entiers de dil
prdres embrassaient celui de Fontevrault,
i sle prieuré de Bragerac, pour lors
du diocèse de Toulouse, à présent appelé de
SaiflJ-Aignan et du diocèse de Monlaujian,
qui étail de la «ingrégation du bienheureux
Giraud de Sales, dont le prieur elles religieux
se soumirent l'an 1122, avec tous leurs
biens, à l'obéissance de l'abbesse Pélronilic
de Chemillé. On demanda de ces religieuses
en Espagne, où on en mit dans Irois mai-
sons. La première se nommait S linle-Marie
de la Véga au diocèse d'Oviédo, la seconde
Notre-Dame de la Véga de la Céraaa, au
diocèse de Léon, el la troisième le Paramen
au diocèse de Saragosse. et sous le gouver-
nement d'Auueburge, troisième abbesse de
Fontevrault. Henri II, roi d'Angleterre , fit
venir en son royaume des religieuses de cet
ordre, l'an 1177, pour rétablir la discipline
régulière dans l'abbaye d'Ambresbéri, qu'il
leur donna après en avoir ôlé les religieuses
qui y étaient. Elles eurent encore deux mai-
sons dans le même royaume, l'une à Etonne,
el l'autre à Westuod. Cet ordre lit aussi un
grand progrès ea France ; car, outre les
maisons fondées du vivant du saint fonda-
teur, il y en eut encore quatie en Norman-
die, l'une au diocèse d'Evreux, et les trois
autres dans celui de Rouen ; deux en Picar-
die, le Charme et Maureaucourt; Irois dans
la Brie el le pays de Valois, le Long-Pré,
Fontaine ci Colinance ; Foicy, au diocèse de
Troyes , et Longucau, au diocèse de Reims ;
Cousanie, dans le pays du Maine; Rellomert
et les Epines, au diocèse de Chartres; Sau-
vement, dans celui de Besançon ; Cubes et
Fontaines, dans le Périgord ; Vanassel et
Pons-Choles, dans le Limousin; el Vair-
vilie, dans le Beauvoisis. Enfin il y en eut
un grand nombre dans la Bretagne, l'Anjou,
le Berri , l'Auvergne, la Gascogne, le Lan-
guedoc, la Guyenne et quelques autres pro-
vinces. La maison des Filles-Dieu à Paris ,
fondée par le roi saint Louis, et suffisamment
dotée pour l'entretien de deux cents filles,
étant extrêmement déchue, et le nombre de
ces filles réduit à deux ou trois seulement,
Charles VHI, l'an 1483, la donna à l'ordre
de Fontevrault, qui en prit possession sous
le gouvernement de l'abbesse Anne d'Or-
léans, sœur du roi Louis XII. Les ordres de
Cluny, de Saint François el un grand nom-
bre de maisons de chanoines réguliers, firent
aussi soeiélé avec l'ordre de Fontevrault pour
la participation des prières.
Un grand nombre de souverains pontifes
ont accordé des privilèges à cet ordre, el ont
témoigné l'estime qu'ils en faisaient. Cu-
lixte H, après avoir consacré la grande église
<Ju monastère de Fontevrault, confirma de-
369
FON
rechef cet ordre et toutes les donations qui
y avaient été (ailes par une bulle do l'an
1119. On voit par cette bulle combien e.'les
avaient déjà été augmentées depuis le pape
Pascal II. L'an 1115, Eugène III affranchit
1. s religieuses et les religieux de cet ordre
il.'st'MH'iiu's de l'eau bouillante et de l'eau
froide, du 1er chaud et des aulres qui étaient
alors en usage, ordonnant qu'ils ne seraient
plus obliges à justifier leurs prétentions que
par la voie des témoins. Honoré III les
exempt : de la juridiction des ordinaires ,
l 'an >2-2''.. clément VI, l'an 1344, constitua
les archevêques de Tours et les abbés de
Marmoulier et de Sainl-Cyprien de Poitiers,
pour juges et conservateurs des biens et des
iroils de Fonlevrault. Sixte IV, l'an 14.83,
donna pouvoir à Anne d'Orléans , vingt-
sept ème abbesse, et à celles qui lui «ucee-
deraieni, de dispenser ses religieux de l'of-
fice canonial et des jeûnes de i'Fglisc, a* ce
le conseil du médecin et du confesseur.
Quoique le bienheureux Robert eût mis
son ordre sous la règle de Saint-Benoît, les
religieux se qualifièrent néanmoins dans la
suite chanoines réguliers, et prirent la règle
de Saint-Augustin; mais ils furent derechef
soumis à la règle de Saint-Benoît par les sta-
tuts de la reforme qui fut faite en 1474 par
le zèle de Marie de Bretagne, vingt-sixième
ahbesse. Comme cet ordre était tombé dans
un grand relâchement, cette pieuse abbesse
s'adressa, l'an 1453, au pape Pie II, le priant
de remédier aux abus qui s'y étaient/glisses.
Ce pontife députa Guillaume Charlier, évè-
que de Paris, et les abbés de Cormerie et
d'Airvau, avec le doyen de Notre-Dame de
Paris , pour réforxner cet ordre , avec un
plein pouvoir de dresser des constitutions
selon qu'ils jugeraient être plus à propos.
Ces commissaires visitèrent la maison de
Fontevrault et celles de sa dépendance, et y
firent quelques ordonnances. Ils supprimè-
rent même quelques prieurés qui étaient
trop ruinés , où il n'y avait aucune espé-
rance d'y pouvoir rétablir la discipline ré-
gulière, et ils en appliquèrent les revenus à
la mense du grand monastère, à condition
qu'après la mort des religieuses qui y de-
meuraient, ou y enverrait quelques religieux
pour y célébrer l'office divin , lesquels reli-
gieux seraient révocables à la volonté de
l'abbesse de Fonlevrault. Mais, comme dans
la plupart des maisons les lieux et les per-
sonnes n'éiaient pas pour lors disposés à
recevoir une entière et parfaite réforme, ils
ne purent remettre l'ordre dans son pre-
mier esprit, et ils usèrent de grandes modé-
rations. Ils permirent même aux religieuses
de sortir de leur clôture avec la seule per-
mission de la prieure, attendu la pauvreté
où étaient réduits la plupart des monastères,
dont les religieuses ne subsistaient qu'au-
tant qu'elles se procuraient quelque soula-
gement par leurs sorties.
Quelques religieuses ne furent pas conten-
tes de celle réforme, et, voulanl vivre dans
une observance plus exacte, elles engagè-
rent Marie de Bretagne à se retirer au uio-
FOIS 310
n'islère de la Madeleine, près d'Orléans,
danc l'e-pérance d'y ]>ouvoir plus aisément
commence" une réforme ^)lus parfaite. Celle
sainte religieu-e, qui ne respirait que le zèle
de la maison de Dieu, accepta celle proposi-
tion. Elle se retira dans ce monastère, et y
prit toules les mesures nécessaires pour y
établir une réforme fixe et stable. Elle c
mença pour cet effet par faire faire un re-
cueil de divers staluts, tirés en partie de ce
que les visiteurs a; ostoli ;ues avaient fait,
et en partie des conslilulions du bienheu-
reux Robert , comme aussi des règles de
Saint-Augustin et de Saint-Benoit, et pria
des religieux des ordres de Saint-François,
des Chartreux et des Célestins de les mettre
en ordre, ce qui fut exécuté en fort peu de
temps; mais avant toutes choses elle fit re-
bâtir de nouveau le monastère de la Made-
leine, et le sépara en deux habitations sépa-
rées , l'une pour les filles, l'autre pour les
hummes. Elle y fit ensuite observer les nou-
veaux statuts . et elle s'adressa au pape
Sixte IV, l'an 1474, pour en obtenir la con-
firmation. Sa Sainteté députa les archevê-
ques de Lyon, de Bourges et de Tours, avec
les abbés de Cormerie et de Saint-Laumer,
pour les examiner, avec pouvoir d'y chan-
ger ce qu'ils jugeraient à propos. L'archevê-
que de Lyon subdélégua Jean Berthelot ,
chanoine et chantre de Saint-Martin de
Tours. Ces commissaires , après y avoir Fait
quelques changements , les publièrent, et ils
furent acceptés le 23 juillet 1475 par les re-
ligieuses et les religieux du monastère do
la Madeleine d'Orléans, qui fut le seul pour
lors qui reçut la réforme. Mais peu de temps
après, ceux de la Chaise-Dieu et de Fontaine
imitèrent celui de la Madeleine, et ces trois
maisons furent les seules qui furent réfor-
mées du vivant de Marie de Bretagne, qui
mourut l'an 1477 , sous le gouvernement
d'Anne d'Orléans , qui lui avait succède à
l'abbaye de Fonlevrault, lorsqu'elle la quitta
pour se retirer au monastère de la Made-
leine. Il y en eut encore quatre qui se sou-
mirent à la réforme , qui furent celles de
l'Encloître en Gironde, de Foicy en Cham-
pagne, des Filles-Dieu de Paris, et de Var-
ville en Bcauvoisis. Ce fut pour lors que l'ar-
chevêque de Bourges et quelques autres des
commissaires qui avaient été députés par le
pape Sixte IV pour examiner les statuts de
la réforme , avec pouvoir d'y retrancher ou
d'y ajouter, comme ils le jugeraient à pro-
pos, les rendirent communs pour tous les
couvents réformés, par un acte du mois de
janvier 1479.
Renée de Bourbon ayant succédé à Anne
d'Orléans l'an 1491 , un de ses principaux
soinsfut de travailler à faire recevoir la ré-
forme dans tout l'ordre, ce qu'elle fit avec
un si grand succès qu'elle introduisit la re-
forme dans vingt-huit maisons. Elle com-
mença par le monastère de Fonlevrault, qui
était le chef de l'ordre; mais elle y trouva de
si grands obstacles de la part des religieux.
et des religieuses qui ne voulaient point de
réforme , qu'elle fut obligée de recourir à
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
312
l'autorité de Louis XII, qui la favorisa dans
son pieux dessein ; et l'an 1504 elle y fit venir
par ordre de ce prince quarante-deux reli-
gieuses réformées qu'elle tira des monastè-
res delà Madeleine d'Orléans, de la Chaise-
Pieu , de Fontaine, de Foicy, de l'Encloître
en Gironde, de Varville et des Filles-Dieu de
Paris, tous couvents réformés par Marie de
Bretagne et Anne d'Orléans, et elle envoya
les religieuses qui avaient été les plus op-
posées à la réforme en d'autres monastères.
Comme selon les nouveaux statuts il fal-
lait faire vœu de clôture, elle fut la première
à en donner l'exemple, ce qu'elle til l'an 1505
entre les mains de Louis de Bourbon, évê-
que d'Avranches, son frère naturel, en pré-
sence de la reine de France Anne, duchesse
de Bretagne; de Jeanne d'Orléans, duchesse
de Valois ; de Charlotte de Bourbon , com-
tesse de Nevers, sa sœur, et de plusieurs au-
tres princes et princesses. Deux jours après,
les religieuses anciennes qui étaient restées
à Fontevrault firent le même vœu de clô-
ture, et le décret de la réforme lut univer-
sellement reçu dans ce monastère, l'an 1507,
par toutes les religieuses, au nombre de
quatre-vingt-deux professes et de dix novi-
ces, et par plusieurs religieux.
Mais ce ne fut pas sans peine qu'elle
réussit dans l'établissement de cette réforme
générale, car elle eut à surmonter des tra-
verses que lui suscitèrent les religieux qui
avaient déjà reçu la réforme, qui, pour leur
intérêt particulier ne souhaitaient point cette
réforme générale : car il éiait dit par les sta-
tuts de la réforme dressés par les commis-
saires de Sixte IV, que l'abbesse de Fonte-
vrault ne jouirait point de sa juridiction en
tout l'ordre , que lorsque la réforme aurait
été introduite dans le monastère de Fonte-
vrault ; c'est pourquoi les religieux réformés,
voyant que quand la réforme serait reçue à
Fontevrault, le pouvoir qui leur avait été ac-
cordé par provision de visiter les couvents
réformés cesserait , traversèrent l'abbesse
dans le dessein de la réforme générale, et
n'y consentirent qu'à condition qu'elle leur
continuerait la même autorité, la menaçant
de la faire déclarer triennale si elle ne leur
accordait leur demande. Ce fut pour le bien
de la paix et pour réussir plus aisément dans
son entreprise que celle princesse fit un con-
cordai avec eux , l'an 1504-, par lequel elle
leur accorda que les religieuses et les reli-
gieux des couvenls réformés vivraient selon
leur manière accoutumée, sans qu'elle eût
aucune puissance sur eux , à raison de la
réforme qu'elle venait d'établir à Fonte-
vrault, nonobstant ce qui élait contenu dans
ses statuts au sujel de la juridiction, dont
elle se démettait en leur faveur, et que quant
à la personne de l'abbesse, pour savoir par
qui, en quel temps et de quelle manière elle
sérail visitée , quelle serait son autorité et
celle des visiteurs, et si celles qui lui succé-
deraient seraient perpétuelles ou pour un
temps , on s'en rapporterait à des arbitres
qui seraient nommés de part et d'autre.
Cette princesse étant tombée malade en
1500, on exigea d'elle dans l'extrémité de sa
maladie une procuration pour terminer ces
différends; et, par un concordat qui fut
passé en vertu de cette procuration, elle
devint soumise à ses inférieurs, en ee qu'elle
devait être visitée par ses religieux , qui
avaient même le pouvoir de la suspendre et
de la déposer. Mais étant revenue en santé,
elle révoqua celte procuration, et poursuivit
avec zèle la réforme. Elle obtint une bulle
de Léon X,qui l'approuvait et la confirmait
dans son pouvoir, et des lettres patentes du
roi, qui l'aulorisait dans son pieux dessein.
Les religieux réformés voulant se préva-
loir du concordat qui avait été signé en verlu
de cette procuration qu'elle avait révoquée,
voulurent le faire homologuer au parlement
de Paris. Mais les anciens religieux s'y op-
posèrent, comme étant contraire aux coutu-
mes et à l'esprit de l'ordre. L'abbesse et le
procureur général se joignirent à eux ; le
procès fut pendant à la cour depuis l'an 1508
jusqu'en l'an 1518 , que le roi évoqua l'af-
faire au grand conseil, qui rendit le 18 mars
1520 un arrêt qui cassa le concordat, et or-
donna que l'abbesse serait perpétuelle et ne
serait visitée que d'autorité apostolique, par
un religieux d'un autre ordre réformé : ce
qui fut confirmé par le pape Clément VII,
l'an 1523.
Eléonore de Bourbon, qui avait été nom-
mée abbesse de Fontevrault en 1575, après
avoir gouverné cet ordre avec beaucoup de
conduite et de prudence pendant près de
trente ans, se voyant dans un âge fort avan-
cé, demanda une coadjutrice au roi Henri IV,
son neveu , pour soutenir avec elle le far-
deau du gouvernement de l'ordre et l'aider à
en déraciner quelques abus qui s'y étaient
glissés par le malheur des guerres civiles.
Elle jela pour cela les yeux sur la Mère An-
toinette d'Orléans, sa nièce, qui s'était re-
tirée au couvent des Fouillantes de Toulouse,
où elle avait pris l'habit, comme nous avons
dit ailleurs. Celle princesse lui fut accordée
pour coadjutrice, et les bulles en furent ex-
pédiées à Rome l'an IGOi. La Mère Antoi-
nette d'Orléans ne consentit à aller à Fonte-
vrault qu'à condition qu'elle n'y demeure-
rait qu'un an. et qu'elle ne quitterait point
l'habit de Feuillante , en sorte qu'il fallut
obtenir un second bref du pape Paul V pour
l'obliger à prendre l'habit de Fontevrault et
la charge de coadjutrice. Elle obéit, sans
perdre pourtant l'espérance de revoir son
couvent de Toulouse. Elle commença l'exer-
cice de sa charge par bannir de Fontevrault
la propriété de tout ce que possédaient les
religieuses, et les obligea , par son exemple
et par le pouvoir qui lui avait été donné par
l'abbesse , à vivre dans une observance
exacle de leur règle. Elle procura la même
chose dans les autres maisons ; mais, après
la mort de l'abbesse, sa tante, elle se démit
de sa coadjutorerie, et obtint du roi la per-
mission pour procéder à l'élection d'une
autre abbesse.
11 y eut encore de grandes contestations
dans l'ordre , sous le gouvernement de
rt*
FON
FON
SU
leanne-Baptiste de lîourbon , au 'sujei de
quelques maisons que 1rs religieux préten-
dirent avoir pour y demeurer seuls et y re-
cevoir les novices. Dès l'an 1G21 ils sollicitè-
rent l'abbesse Louise de Bourbon Lavedan
de faire revoir la règle. Celte princesse de-
manda pour ce sujet des commissaires ,iu
pape Grégoire XV, qui nomma pour cette
révision quelques prélats par sa bulle de l'an
1621; niais on inséra dans la règle qui fut
dressée de nouveau tant de choses qui (ten-
daient à la ruine et à la destruction de l'or-
dre, qu'elle ne fut reçue ni par les religieu-
ses , ni par les religieux. Ce qui fil que la
chose resta indécise jusqu'après la mort de
ce pontife, que, ceux-ci persistant toujours
dans leur même demande, l'abbesse Louise de
Bourbon Lavedan, et Jeanne-Baptiste de
Bourbon, sa coadjutrice, lassées de leur ra-
portunilé, supplièrent le pape Urbain \ 111,
qui avait succédé à Grégoire XV en 1623, de
vouloir permettre que les religieux de l'or-
dre s'établissent dans les trois monastères
de l'Encloîlre en Gironde, de la Pu\e et
d'Orsan, et que les religieuses de ces trois
monastères fussent transférées en d'aulres
prieurés de l'ordre. Le motif qu'elles suppo-
sèrent pour obtenir plus facilement leur de-
mande lut que les religieux, étant obligés par
leur profession de servir les religieuses pour
la direction de leurs consciences, dans la
naissance de l'ordre les monastères étaient
doubles, l'un pour les filles, l'autre pour 1 s
religieux, mais que le revenu des maisons
étant diminué , elles n'étaient plus en état
d'entretenir un si grand nombre de religieux,
quelques-unes même n'en pouvant entrete-
nir qu'un ou deux au plus: qu'il n'y avait
qu'un seul couvent de religieux, qui était à
Fontevrault, où ils vécussent en commun,
et que ce monastère ne pouvait pas non plus
entretenir le nombre de religieux qu'il fau-
drait pour plus de cinquante monastères de
filles dont l'ordre était composé : ce qui fai-
sait qu'on était obligé d'avoir recours à des
religieux de différents ordres pour suppléer
an défaut de ceux de Fontevrault; qu'ainsi,
pour remédier à cet inconvénient et pour
soulager leurs monastères, elles suppliaient
Sa Sainteté de vouloir bien permettre qu'el-
les abandonnassent aux religieux trois mai-
sons de celles qui étaient occupées par des
filles, pour en faire des séminaires d'où l'on
tirerait des personnes capables pour être en-
voyées dans les couvents de l'ordre ; et, afin
de rendre la demande plus aisée à obtenir,
on supposa que l'abbesse ne perdrait rien
de sa juridiction, et que ce serait toujours à
elle d'admettre au noviciat les postulants et
de recevoir les novices à la profession , du
consentement néanmoins du chapitre du
couvent où ils seraient admis. Le pape ac-
corda l'an 163G ce qu'on lui avait demandé.
Mais, comme ce dessein n'avait qu'une fausse
apparence d'utilité pour l'ordre, et que dans
le fond il lui était préjudiciable , soit que
l'abbesse ne crût pas que le pape accordât
celte demande, soit qu'elle se repentît après
de Favoir faile, ce projet ne fut pas exécuté,
et on n'eut aucun égard à la bulle d'Ur-
bain VIII.
Louise de Bourbon Lavedan étant morte,
et Jeanne-Baptiste de Bourbon ayant pris le
gouvernement de l'ordre, les religieux re-
nouvelèrent leurs prétentions l'an 1639.
Après bien des poursuites, le roi Louis XIII
voulut prendre connaissance de celle affaire.
Sa Majesté nomma des commissaires. On
écrivit de part et d'autre, et les religieux fi-
rent imprimer un Factum injurieux contre
Perdre, sous le litre de Factum pour les re-
ligieux de Fontevrault touchant les diffë-
rends dudit ordre, qui est encore conservé
dans quelques bibliothèques de Paris; et en-
fin, sur le rapport des commissaires, le roi,
par un arrêt du 8 octobre 1641, ordonna que
la rèiile de l'ordre de Fontevrault confirmée
parle pape Sixte IV, ensemble l'arrêtdu grand
conseil de 1320 et la bulle de Clément VII
confirmative de cet arrêt, seraient gardés et
observés dans tout l'ordre par les religieu-
ses et religieux selon leur forme et teneur,
sans que, sous prétexte des bulles des an-
nées 1621 et 1636, il pût être apporté aucun
changement à l'observance de cette règle et
aux pratiques et usages de l'ordre, ni que
les couvents de l'Encloîlre en Gironde, Or-
san et la Puye, ou autres, pussent être chan-
gés en d'autres usages que ceux de leur
fondation. Sa Majesié maintint l'abbesse,
les prieures et les religieuses dans tous leurs
privilèges, et l'abbesse en particulier dans
toute sa juridiction et aulorité sur tout l'or-
dre, tant au spirituel qu'au temporel, sans
<;ue les confesseurs el religieux se pussent
ingérer dans l'administration du temporel,
qu'en tant qu'ils y seraient employés par la
dame abbesse dans son abbaye et dans tout
l'ordre, ou par les prieures dans leurs mo-
nastères; et Sa Majesié ordonna de plus que
le libelle imprimé sous le titre de Factum
serait lacéré par le greffier de la commis-
sion; (pic les paroles injurieuses et scanda-
leuses contenues dans les mémoires qui
avaient été donnés seraient biffées en pré-
sence des procureurs des religieux, qui se-
raient tenus d'en demander pardon à l'ab-
besse, et en sa présence à toutes les prieures
et religieuses de l'ordre, en piésence des
commissaires ou trois d'entre eux, et ce à
la grande grille du couvent des Filles-Dieu
de Paris, où l'abbesse était pour lors : ce qui
fui exécuté. Ainsi la paix et la tranquilliié
lurent rétablies dans l'ordre, et l'abbesse lit
imprimer les statuts qui avaient été dresses
par les commissaires députés par le pape
Sixte IV pour la réforme de cet ordre, les-
quels statuts y sont encore en pratique. Ceux
qui concernent les religieuses contiennent
soixante-quatorze chapitres, et ceux des re-
ligieux seize.
Ceux des religieuses concernant l'office
divin renvoient, pour le nombre des psaumes
qu'elles doivent dire à matines et aux heures
canoniales, selon l'occurrence des fêles, et,
pour la manière de le célébrer, au bref de
l'ordre ; mais ils ordonnent que pendant l'a-
veut el le carême elles diront devant maliuci
515
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
310
quinze psaumes, et après matines les sept
psaumes pénitenliaux avec les litanies des
saints, et de plus en carême, après cliaquc
heure < -anomale, un psaume, étant proster-
nées contre terre. Dans les autres temps,
Tous les lundis, mercredis et venoredis,
elles s'assembleront au chapitre, tant pour
y dire leurs coulpes que pour les nécessités
du monastère. Le chapitre du vendredi est
principalement établi pour les coulpes en
excepté le temps pascal, tous les vendredis particulier, les religieuses disant leurs <■ i.-î-
et les jours de jeûnes ordonnés par l'Eglise, pes en général les lundis et mercredis. Le
(lies diront quinze psaumes, à moins qu'il
n'arrive ces jours-là une fê'.e de neuf leçons
ou quelque octave. Tous les jours l'office
des morts et celui de la Vierge, excepté les
fêles doubles majeures, et quelques autres
jours qui leur sont marqués, et une fois ia
semaine vêpres et laudes de l'office do Tous
les Saints.
Elles se lèveront à minuit pour dire mati-
nes, feront l'oraison mentale, garderont le
silence aux heures cl dans les lieux mar-
qués. Tous les vendredis, en tout temps, après
matines, s'il n'est pas fête double, et toutes
les vigiles des grands doubles, si ce n'est un
dimanche ou une fête double, comme aussi
les lundis et mercredis pendant l'avenl et le
carême, et tous les jours depuis le dimanche
des Hameaux jusqu'à Pâques, elles rece-
vront la discipline de la main de la prieure,
qui la recevra aussi des mains d'une autre
sœur.
Tous les lundis et mercredis, elles s'abs-
tiendront de manger de la viande , si ce
n'est dans les maladies, ou par raison d'une
grande vieillesse ou jeunesse. Eiles s'en abs-
liendront aussi depuis la Scptuagésime jus-
qu'à la Quinquagésime, et depuis l'Ascen-
sion jusqu'à la Pentecôte, aussi bien que
pendant l'avenl. Mais depuis la Quinquagé-
sime jusqu'à Pâques, elles s'abstiendront dis
toutes choses provenant de la chair. Tant
aux jours de jeûnes qu'à ceux qui ne le sont
pas, on leur donnera deux sortes de viandes
cuites, et quelques fruits et légumes pour
troisième portion. Une livre de pain leur
suffira pour chaque jour, dont elles en ré-
serveront le liers pour leur souper, s'il n'est
pas jeûne, et une chopine de vin, étant à la
liberté de la prieure d'augmenter ou dimi-
nuer, selon qu'elle le jugera à propos. Outre
les jeûnes prescrits par l'Eglise, elles jeû-
neront encore tous les vendredis depuis Pâ-
ques jusqu'à la Nativité de la sainte Vierge,
et depuis celte fêle jusqu'au premier novem-
bre tous les mercredis et vendredis; depuis
î • premier novembre jusqu'à Pâques, les
lundis et mercredis, et tous les jours pen-
dant l'avcnt.
Quant à leur habillement, on leur permet
deux robes blanches avec une coule noire,
un surplis sur leur habit blanc avec une
ceinture de laine noire ou de til ;1). Selon le
temps et les lieux elles peuvent quitter la
coule. On leur permet aussi des chemises de
chanvre ou de lin, dont elles ne doivent se
servir qu'avec la permission de la prieure,
mais ordinairement elles seront de blanchel
ou d'élainine. Elles coucheront vêtues avec
leurs robes blanches et leurs surplis dans
des draps de serge.
premier lundi de carême on lient un chapi-
tre pareil à ceux des vendredis, et chaque
ofïicière, en disant sa coulpe, renonce à son
office entre les mains de la prieure, qui peut
l'en décharger et le donner à une autre.
Quant à la manière de faire les visites
dans cet ordre, l'arrêt du grand conseil de
l'an 1520, dont nous avons parlé, et le bref
de Clément VT1 de l'an 1523, ordonnèrent
que le monastère de Fontevrault, les ab-
brsses (qui seraient perpétuelles et non pas
triennales), les religieuses et les religieux
qui demeurent seulement dans l'enclos de ce
monastère, seront visités d'autorité aposto-
lique une fois l'an par un religieux d'un au-
tre ordre, qui sera élu pour trois ans seule-
ment, laquelle élection se fera le mardi de la
Penlecôte, par chaque monastère, qui après
l'élection députera un religieux pour la por-
ter à Fontevrault, où l'abbesse, le samedi de
l'octave du Saint-Sacrement, sera obligée de
la publier à la grande grille du couvent, en
présence de tous les députés de ces mêmes
monastères, en choisissant pour visiteur ce-
lui qui aura plus de voix; qu'en cas d'éga-
lité de voix, il lui sera permis de nommer
celui des deux qu'elle voudra; que pour la
visite des autres couvents de l'ordre, elle
sera obligée de commettre un ou deux visi-
teurs du même ordre, qui seront aussi trien-
naux, et qu'elle constituera ses grands vi-
caires aux choses spirituelles. Telles sont
les principales observances de ces religieu-
ses, qui, après l'année de probatiou, pronon-
cent leurs vœux selon cette formule : Je N.
promets stabilité sous clôture, conversion de
mes mœurs, chasteté, pauvreté et obéissance,
selon les statuts de la ré formation de l'ordre
de Fontevrault, ordonnés en ce lieu par le
décret du pape Sixte I V, suivant la règle de
Saint-Benoît, en l'honneur du Sauveur, de sa
Mère et de saint Jean l'évangclislc, en votre
présence, Mire prieure de ce monastère. Les
religieuses du chœur prononcent leurs vo?ux
en latin et les sœurs converses en français.
Quant aux religieux de cet ordre, ils ne
peuvent recevoir personne et lui donner l'ha-
bit, ce droit appartenant à l'abbesse seule
et, à son refus, à la prieure et aux sœurs;
mais à la profession les religieux y donnent
leur consentement. Le confesseur leur donne
l'habit dans la grande église, en présence des
religieuses, et après l'année de probatiou ils
prononcentleurs vœux en ces termes : Je N.,
de telle condition, etc., du diocèse de, etc.,
proposant servir aux serrantes de Jésus-
Christ, jusqu'à la mort, avec la révérence de
soumission due, promets stabilité, conversion
de mes mœurs, chasteté pure, pauvreté nue et
obéissance selon les statuts de la ré formation
(I) Foi/., à la fin du vol.,n" 66 et 67.
517 FON
de l'ordre de Fontevrault ordonnés au pré-
sent monastère par le decret du pope Sixte l V,
en l'honneur de Notre-Sauceur, de sa très-
'ili'/n Mère cl de saint Jean l'évange liste, en
votre présence, Mère prieure de ce moncslère.
Le vœu des Jrèi es convers est sembla1, le,
sinon que ceux-ci le prononcent en frauçais
et les clercs en latin. Leur pauireîé consiste
en ce qu'ils ne peuvent accepter, en kur
propre nom ni en commun, aucun legs, ou
donation, ou autre chose quelconque; tout
ce qui leur pourrait être donné ou qu'ils
pourraient gagner par leur industrie et tra-
yail appartenant aux religieuses, qui leur
doivent fournir tous leurs besoins, ils ne
peuvent pus même distribuer aux pauvres
ce qui reste de leur table, ils le doivent ren-
dre aux religieuses, qui en font elles-mêmes
la distribution. Ils doivent réciter l'office
canonial à voix basse dans leur chapelle. Ils
sont exemptés des quinze psaumes, des vê-
pres et laudes de Tous les Saints, des psau-
mes qu'on dit étant prosternés, aussi bien
que des suffrages et commémoraisons , à
raison de leurs occupations pour le service
des religieuses. Ils doivent néanmoins dire
en carénie tous les jours les sept psaumes
avec les petites litanies, excepté les diman-
ches et les fêtes île douze leçons, et tous les
jours aussi l'office de la Vierge et celui des
Morts, excepté les jours spécifiés dans le
bref de l'ordre. Le silence leur est recom-
mandé au cloître, au dortoir et au réfec-
toire, ei depuis le commencement de com-
piles jusqu'à la fin de prime, dans toute la
maison. Ils reçoivent la discipline des mains
du confesseur aux jours qu'on la donne aux
sœurs. Ils sont obligés aux mêmes jeûnes et
aux mômes abstinences que les religieuses ;
mais lorsqu'ils sont envoyés par la prieure
hors du monastère, ils peuvent manger delà
viande aux jours défendus par la règle et
même souper, s'il n'est pas jeûne d'Eglise.
Leur habillement (1) consiste en une tunique
ou robe noire, une chape; et par-dessus un
chaperon ou grand capuce auquel sont atta-
chées deux pièces de drap, l'une par-devant,
l'autre par- derrière : ces pièces de drap,
qu'ils nomment des roberts, sont de la lon-
gueur et de la largeur d'un palme , avec des
ceintures de laine pour serrer leur robe.
Quaud ils servent la messe, en tout temps
ils portent des surplis; depuis Pâques jus-
qu'au premier novembre, aux jours des di-
manches et des fêtes, ils ont aussi des sur-
plis pendant la grand'messe, et depuis le
premier novembre jusqu'à Pâques leurs cha-
pes. Les frères convers sont habillés de gris
avec un chaperon et des roberts, comme
vous le voyez à la première figure, à l'ex-
ception que la têtière ne paraît pas comme
au chaperon des prêtres,, parce qu'elle est
cousue à leurs habits, sur lesquels il y a à
la poitrine ces lettres, M. et 1. L'on a con-
servé dans cet ordre l'ancien usage de dire
ténèbres à minuit.
Le P. Bonanni, dans son Catalogue des
FOU 318
ordres religieux, où il a été si exact à re-
présenter les habillements religieux tels que
Schoonebeek les avait donnés en 1088, a
néanmoins abandonné cet auteur à l'égard
i!es religieux de Fontevrault, pour suivre le
P. Heurier, Célestin, qui leur donne un sca-
j ul.iire par-dessus le capuchon ; niais en cet
endroit le P. Bonanni aurait mieux fait de
suivre Schoonebeek, qui a représenté l'h.:-
billeme. t de ces religieux tel qu'il doit être,
ce qu'il n'a pas fait à l'égard de celui îles re-
ligieuses, que le P. Bonanni a néanmoins
l'ait copier sur les figures qu'en avait dpi -
nées Schoonebeek. Nous ferons remarquer
à ce sujet que le P. Bonanni, parlant de.
la fondation de cet ordre , l'attribue vers
l'an 1110 à un nommé Evrault, qui, à ce
qu'il dit, était un fameux chef de voleurs qui
fut converti par Boberl Blésius, natif de Pa-
ris, et moine bénédictin, que quelques-uns
nomment Arbrisselle et d'autres Arbrucelle.
C'est ainsi que le P. Bonanni parlait en 1706,
lorsqu'il donna la première partie de son
Catalogue, qui traite seulement des reli-<
gieux. Mais il a parlé d'une autre manière
dans la seconde partie, qui parut en 1707,
et qui contient les religieuses; car il dit
que l'ordre de Fontevrault fut fondé vers
l'an 1088 par un nommé Boberl, chef de vo-
leurs, qui fut converti par un célèbre reli-
gieux bénédictin nommé Arbrisselle. Je ne
sais qui peut avoir fait tomber le P. Bonanni
dans cette erreur, puisque Baronius, du
Saussay et Gonon, qu'il cite, ont parlé au-
trement du fondateur de cet ordre, qu'ils re-
connaissent pour Boberl d'Ârbrissel.
Michaël Cosnier, Fonlis-Ebraldi Exord.
et Vit. B. Roberti; la Chronique de. Fonte-
vrault, par Baudri, évéquede Dol, et André,
moine de cet ordre ; Pavillon, Vie du B. Ro-
bert d'Arbrissel; Bollandus, 23 Februarii,
Acl. SS; Honoré Niquet, Jésuite, Hist. de
l'ordre de Fontevrault; Factum pour les re-
ligieux de Fontevrault touchant les différends
de cet ordre; Joann. a Manu-Firma, Cly-
peus nascentis ordinis Fontis-Ebraldi; Dis-
sertation sur la lettre de Geo ff roi de Ven-
dôme, par un anonyme de l'ordre de Fonte-
vrault ; Baillet, Vies des Saints, 23 février ;
et les Constitutions de cet ordre imprimées
à Paris en lGi3.
FOUS, AU DUCHÉ DE ClÈVES (CHEVALIERS DE
l'obdre des).
Comme on a donné à plusieurs ordres de
chevalerie le nom de société , l'on peut re-
garder comme un ordre de chevalerie la so-
ciété qui fut instituée à Clèves sous le nom
de société des Fous : ce qui n'est pas une
chose fort extraordinaire, puisqu'il y a plu-
sieurs académies de gens de lettres en Italie
qui ont pris des noms aussi bizarres, y en
ayant une à Pérouse sous le nom d'insensés,
une à Pise sous le nom d'Extravagants, et
une à Pésaro sous celui d'Hétéroclites. L'or-
dre ou la société des Fous à Clèves fut insti-
tué l'an 1380, le jour de Sainl-Rumbert, par
(1) Voy., à la fin du vol., nos G3 et 69.
319
DICTIONNAIRE! DES ORDRES RELIGIEUX.
320
Adolphe, comte de Clèves , conjointement
avec trente-cinq seigneurs, qui devaient por-
ter sur leurs manteaux un fou d'argent en
broderie, vêtu d'un petit justaucorps et d'un
capuchon tissu de pièces jaunes et rouges,
avec des sonnettes d'or, des chausses jaunes
et des souliers noirs, tenant en sa main une
petite coupe pleine de fruits (1). Ils s'assem-
blaient le premier dimanche après la fête de
saint Michel et devaient se trouver tous à
l'assemblée, à moins qu'ils ne fussent ma-
lades ou à plus de six journées de Clèves,
comme il est plus amplement porté par les
lettres de cet établissement , dont l'original
se trouve dans les archives de Clèves, au
rapport de Schoonebeck, et qui commence
ainsi : Nous tous qui avons apposé notre
sceau à ces présentes, savoir faisons à tous
ceux qu'il appartiendra et reconnaissons qu'a-
près une mûre délibération, et pour l'affec-
tion particulière que chacun de nous a pour
les autres et qu'il continuera d'avoir à l'ave-
nir, nous avons établi entre nous une société,
laquelle nous sommes convenus de nommer la
Société des Fous, dans la forme et manière qui
suit, savoir : que chacun de notre société por-
tera un fou brodé sur son habit, selon qu'il
lui plaira ; que s'il y a quelqu'un qui ne porte
pas tous les jours le fou , les antres confrères
qui s'en apercevront lui feront payer l'amende
de trois grandes livres tournois, lesquelles se-
ront données aux pauvres pour l'amour de
Dieu. Les confrères feront une assemblée gé-
nérale et tiendront leur cour une fois l'an, et
seront obligés de s'y trouver tous ; ce qui se
fera à Clèves tous les ans, le dimanche après la
fête de saint Michel. Ils ne pourront sortir de
la ville ni se séparer et quitter le lieu ot\ ils
seront assemblés, que chacun n'ait satisfait
pour les frais et payé sa part de la dépense.
Il n'y aura aucun de nous qui puisse se dis-
penser de s'y trouver, à moins qu'il n'y envoie
un bon certificat des affaires importantes qui
l'empêchent, ou d'une maladie, sans en excep-
ter ceux qui se trouveront être en voyage dans
le temps qu'on les ira avertir et citer au lieu
de leur domicile ordinaire ; que s'il arrive
que quelques-uns des confrères aient différend
ensemble, la société fera tous ses efforts pour
les réconcilier depuis le matin du vendredi au
lever du soleil, avant que la cour tienne, jus-
qu'au coucher du soleil du vendredi auquel
la cour aura tenu. Outre cela , tous les ans,
les confrères étant à la cour feront élection de
l'un d'entre eux pour roi et de ceux qui lui
serviront de conseil , lequel roi et son conseil
disposeront, ordonneront de toutes les affaires
de la société, et particulièrement de ce qui re-
gardera l'assemblée de l'année suivante, et les
affaires qui y seront mises sur le tapis ou qui
concerneront les frais et la dépense, de quoi
ils rendront compte exact et fidèle, lesquels
frais seront payés par égales portions par
chaque chevalier pour lui et pour son valet; un
comte payera un tiers plus qu'un baron. Le
mardi, les confrères, étant à l'hôtel de leur as-
semblée à Clèves, iront dès le matin à l'église
\l) Voy., à la fin du vol., u° 70.
de Notre-Dame, afin d'y faire leurs prières
pour ceux de la société qui seront décédés , et
chacun ira à l'offrande, etc. Donné et fait l'an
1380 de notre salut, le jour de saint Rumbert.
Ces lrttrcssont scellées de trente-six sceaux,
tous en cire verte, excepté celui du comte de
Clèves , qui est en cire rouge. Les armes de
ces seigneurs sont aussi au haut de la pre-
mière page, et Shoonebeck les a fait graver
dans son Histoire des Ordres militaires. Il
ajoute que l'on ne peut lire le reste de ce qui
est contenu dans ces lettres ; mais il y a de
l'apparence que ce n'est qu'une traduction
qu'il nous a donnée de l'original, puisque le
style ne se ressent point de l'antiquité.
Schoonebeck, Histoire des Ordres mili-
taires, tom. II, pag. 223.
FRANCE (Chanoines réguliers de la con-
grégation de). Voyez Génovefains.
FRANCE (Congrégation du tiers ordre
de Saint-François dit de). Voy. Pénitence.
FRANCE et de MARMOUTIER (anciennes
congrégations bénédictines de).
Comme il s'est Irouvé des critiques qui ont
combattu la vérité du martyre de saint Pla-
cide en Sicile, il s'en est trouvé aussi, sur la
tin du dernier siècle , qui ont combattu la
vérité de la mission de saint Maur en France.
M. fiaillet , dans son recueil de vies des
saints, dit, au sujet do celle mission de saint
Maur , qu'il ne veut point entrer en dispute
sur celle matière , et fait assez connaiire
dans la suite du discours que son sentiment
n'est pas que ce saint soit venu en France.
C'e^t ce qui a donné lieu à la savante disser-
tation que D. Thierry Ruinart, bénédictin de
la congrégation de Saint-Maur, a donnée au
public l'an 1702, où il prouve par des argu-
ments très-forts (dont M. Raillet n'a pas néan-
moins été convaincu), que saint Maur, fon-
dateur de l'abbaye de Glanfeuil en Anjou,
est le disciple de saint Renoit, et qu'il fut en-
voyé en France par ce saint patriarche des
moines d'Occident.
C'est donc ce disciple de saint Renoit que
nous reconnaissons pour le fondateur de
l'abbaye de Glanfeuil. Il élait parti du Mont-
Cassin avec trois religieux que saint Benoît
lui avait donnés, et il avait été accompagné
par Flodegard , archidiacre de saint Inno-
cent, évèque du Mans, et par Harderad, son
intendant, qui avaient été les demander à ce
saint palriarche de la part de ce prélat, qui
voulait les établir dans son diocèse. .Mais
étant arrivés à Orléans et y ayant appris la
mort de saint Innocent, et que celui qui avait
usurpé son siège n'était pas disposé à les re-
cevoir, ils allèrent en Anjou , sur les assu-
rances que leur donna Harderad qu'ils pour-
raient s'y établir par le crédit d'un seigneur
nommé Flore, qui était en faveur auprès de
Théodebert, roi d'Austrasie, à qui cette pro-
vince obéissait en partie. En effet Flore eut
tant de vénération poursainl Maur, que non
content d'avoir fondé pour lui un monastère
à Glanfeuil sur la rivière de Loire , dans le
321
FRA
IRA
522
diocèse d'Angers , il lui offrit encore son fils
Berlulfe , âgé de huit ans , pour être élevé
sous sa discipline ; et n'étant pas encore sa-
tisfait d'avoir fait bâtir ce monastère et d'y
avoir donné son fils, il s'y donna lui-même,
après avoir demandé la permission au roi de
se retirer de la cour : ce qu'il obtint de ce
prince, qui, s'y étant trouvé le jour qu'il de-
vait prendre l'habit pour honorer la céré-
monie de sa présence, lui coupa lui-même
les cheveux, donna au monastère une terre
considérable , et confirma les donations que
Flore y avait faites.
Huit ans après l'arrivée de saint Maur en
France, l'abbaye de Glanfeuil fut dédiée par
Eutrope, évèque diocésain , accompagné de
plusieurs autres évêques de la province. On
y avait liâli quatre églises, dont la première
fut consacrée en l'honneur de saint Pierre ;
la seconde, en l'honneur de saint Martin; la
troisième, qui était la plus petite, poria le
nom de saint Séverin , apôtre des Bavarois ,
cl la quatrième, qui était en forme de lour
carrée, à l'enirée du monastère, eut pour
titre Saint-Michel-Archange. Les religieux,
qui y étaient pour lors au nombre de qua-
rante, se multiplièrenl beaucoup dans la
suite, de sorte que, vingt-six ans après la
construction de ce monastère , il y en avait
cent quarante ; lequel nombre fut ti\é par
saint Maur, parce que le revenu de l'abbaye
n'eu pouvait pas nourrir davantage. Saint
Maur, ayant gouverné ce monastère pendant
plusieurs années, et sentant ses forces dimi-
nuer, résolut de ne plus sortir du monastère
et de se reposer, pour le gouvernement de sa
communauté, sur le prieur et sur les autres
officiers de sa maison. 11 se démit ensuite de
la charge d'abbé , et ayant l'ait élire en sa
place Berlulfe, fils de Flore, fondateur de ce
monastère , il se renferma dans une cellule
proche l'église de Saint-Martin , avec deux
religieux qui voulurent bien demeurer avec
lui et le soulager dans sa vieillesse. Ce fut
dans ce lieu qu il eut une révélation que Dieu
devait bientôt retirer du monde la plupart
de ses disciples. En effet , il en mourut , en
cinq mois, ccnl seize; en sorie que la com-
munauté fut réduite ci vingt-quaire person-
nes. Ce saint abbé ne survécut pas long-
temps à celle perte, étant mort le 15 jan-
vier 58i.
Ce que Bucelin et que.ques autres auteurs
ont avancé, que saint Maur avait bâti jus-
qu'à cent soixante monastères en France, et
réformé encore un plus grand nombre, est
sans aucun fondement : il n'y a pas non plus
d'apparence que le monastère de Glanfeuil
ait été le chel d'une congrégation à laquelle
plusieurs écrivains ont donné le nom de
Congrégation de France. 11 est bien plus
croyable que pendant que saint Maur vivait,
ce monastère dépendait de celui du Monl-
Cassin, puisqu'il lui a été encore soumis
dans la suite, jusqu'en l'an 755, que le roi
Pépin ayant donné ce monastère de Glan-
feuil avec tous les biens qui en dépendaient,
à Gaidulphc, originaire de Ravenne, homme
très-cruel, il le ruina entièrerrent, et persé-
cuta cruellement les religieux, qui y étaient
au nombre de cent quarante, comme il avait
été fixé par saint Maur. La plupart ne pou-
vant supporter les mauvais traitements de
ce tyran, qui leur refusait jusqu'aux choses
nécessaires pour la vie, abandonnèrent le
monastère. 11 y en eut seulement quatorze
qui y restèrent pour chanter l'office divin;
mais à la fin, étant abattus de faim et de mi-
sère, et ne pouvant observer la règle, ils
prirent l'habit de chanoines.
Gaidulphe se servit de cette occasion pour
les chasser du monastère, et mit en leur
place cinq chapelains. 11 ruina entièrement
les lieux réguliers, commençant par l'église,
qu'il renversa de fond en comble, afin que
les religieux n'y pussent pas revenir. 11 brûla
ou jeta dans la rivière de Loire les titres et
les actes de donations qui avaient été faites
à cette abbaye, à la réserve de quelques-uns
qu'il mit en dépôt dans Saint-Aubin d'An-
gers, où il furent aussi perdus pendant les
ravages des Normands. Mais il ne jouit pas
longtemps du fruit de ses crimes, car ayant
appelé ses amis pour se réjouir avec lui de
l'extinction de l'ordre monastique dans Glan-
feuil, il mourut au milieu du festin. Après
sa mort, tous les biens de cette abbaye furent
en proie à tous les seigneurs de la province :
le comte d'Anjou et plusieurs autres person-
nes s'emparèrent des terres et des revenus
de l'abbaye, qui demeura déserte et inhabi-
tée jusque sous le règne de l'empereur Louis
le Débonnaire, quoique dès l'an 781 elle eût
été restituée au Mont-Cassin, comme étant
de sa dépendance, par le pipe Adrien I" et
par l'empereur Charlemagne.
L'empereur avait donne celle abbaye au
comte Korignon, qui, touché de l'état pitoya-
ble où elle était réduite, en fit relever les
bâtiments, fit venir des religieux de Marmou-
tier pour rétablir les observances régulières
dans ce monastère, qu'il soumit quelques
années après à celui de Saint-Pierrc-des-
Fossés , appelé depuis Saint-Maur, et en
obtint la confirmation de l'empereur. Mais
Pépin 1", roi d'Aquitaine, ayant donné ce
monastère de Glanfeuil à Ebroïn, qui fut
ensuite évèque de Poitiers, du vivant même
du comte Rorignon , qui était proche parent
de ce prélat, y laissa les moines de Saint-
Pierre-des-Fossés tant que le comte vécut;
mais, après sa mort, leur ayant demandé
par quel titre Glanfeuil leur avait été soumis,
et n'ayant pu représenter les lettres de l'em-
pereur Louis le Débonnaire, qui avaient été
enlevées ou brûlées malicieusement, Ebroïn
les fil sortir de ce monastère. Ils y rentrè-
rent néanmoins quelque temps après, et il
leur était encore soumis, lorsque l'an 868
l'on porta chez eux le corps de saint Maur,
que l'on avait retiré de Glanfeuil pour le
sauver de la rage des Normands, ce qui lui
a fait donner dans la suite le nom de ce saint.
Mais, sous lepontiticat d'UrbainlI.les moines
du Mont-Cassin ayant encore réclamé Glan-
feuil, il leur fut restitué, et ils l'ont possédé
pendant près de deux siècles. A la vérité, si
Glanfeuil n'a pas été chef d'une congréga-
tf>3
Lion, étant le premier monastère de l'ordre
de Saint-Benoît en France, il doit être re-
gardé comme une source féconde qui en a
produit une infinité d'autres, par rapport a.
Ja règle de Saint-Benoît, qu'il leur a com-
muniquée, dont saint Maur avait reçu l'au-
tographe, écrit de la main de ce saint fonda-
teur, en partant du Mont-Cassin, avec un
poids et un vase pour mieux observer ce
qu'elle prescrit de la quantité du pain et du
vin dans le repas.
Le monastère de Marmouticr, qui fut l'un
de ceux qui reçurent cette règle, doit être
regardé comme le chef de la plus ancienne
congrégation de l'ordre de Saint-Benoît en
France, ayant eu plus de deux cents prieu-
rés de sa dépendance. Cette célèhre abbaye
eut pour fondateur le grand saiut Martin,
archevêque de Tours. Il exerça d'abord la
profession religieuse à Milan, d'où ayant été
chassé par les ariens, il passa dans l'île
d'Albcngue, qui est proche la côte de Gênes,
où il mena pendant quelque temps une vie
solitaire. Il quitta ensuite cette retraite, sur
l'avis qu'il eut que saint liilaire, qui avait
été banni par les hérétiques, retournait en
son diocèse; et, l'ayant suivi en France, il
bâtit le monastère de Ligugé proche Poitiers,
où après avoir demeuré environ quinze ans,
il eu lut tiré pour remplir lo siège de Tours.
Etant devenu évêque, il ne cessa pas pour
cela de vivre en religieux; et, pour prati-
quer toujours exactement les exercices mo-
nastiques, il fonda un monastère proche sa
ville épiscopale, dont la communauté fut en
peu de temps de quatre-vingts religieux,
qui menaient avec lui une vie austère et
pénitente. Personno n'avait tien en propre,
tout était en commun ; il n'était pas permis
de rien vendre, ni de rien acheter, quoique
ce fût la coutume des moines d-e ce temps-là.
L'unique art que l'on y exerçait était do
transcrire des livres ; encore n'y avait-il que
les jeunes qui y fussent employés , et les
anciens ne s'occupaient que de la prière. 11
était raie que l'on sortît de sa cellule, à
moins que ce ne fût pour se rendre au lieu
de la prière. Ils ne faisaient qu'un repas par
jour; l'usage du vin n'était permis qu'aux
malades, quoique le lieu où le monastère
était situé lût un grand vignoble. La plupart
n'elaient habillés que d'étoffes de poil de
chameau, et c'était un crime parmi eux d'a-
voir un habit qui ressentit un peu la mol-
lesse, quoiqu'il y eût dans cette communauté
un grand nombre de personnes de qualité.
Telle était la discipline qui s'observait dans
ce monastère, qui fut appelé Marmoulier,
après la mort de saint Martin, comme qui
dirait, le grand monastère, pour le distinguer
des autres que ce saint avait fait bâtir, prin-
cipalement lorsque l'on eu eut élevé un sur
sou tombeau, qui a porté son nom depuis,
et qui est présentement un chapitre de
chanoines séculiers.
Lorsque ce monastère d-o Marmouticr eut
dans la suite reçu la règle de Saint-Benoît,
plusieurs seigneurs l'enricliireiil pur les do-
nations qu'ils y liront, tant à cause de la
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 32i
grande dévotion que l'on portait en France
à saint Martin, son fondateur, qu'à cause de
saint Benoît, pour lequel on n'avait pas
moins de vénération, et dont la rè^le était
pratiquée avec beaucoup d'exactitude dans
ce monastère. Les rois de France le prirent
même sous leur protection. Mais peu de
temps après, les Normands en interrompirent
la régularité : car, y étant venus l'an tô !,
ils passèrent au fil de l'épée cent seize reli-
gieux, n'y en ayant eu que vingt-quatre qui
sauvèrent leur vie en se cachant dans des
cavernes. Leur abbé, Hébernc, s'était aussi
retiré dans un lieu secret; mais ces barba-
res l'y ayant découvert et s'élaul saisis de
lui, ils lut firent souffrir de cruels tourments
pour l'obliger à déclarer l'endroit où était lo
trésor de l'église et les grottes où s'étaient
réfugiés les religieux; mais ce fut inutile-
ment, il ne voulut rien avouer. Les ennemis
s'étant retirés, les chanoin.es de Saint-Mar-
tin et les bourgeois de Tours allèrent conso-
ler ces religieux, qu'ils reconduisirent avec
leur abbé dans leur église, et auxquels ils
procurèrent toutes sortes de secours. Six
mois après, comme on eut avis que les Nor-
mands retournaient vers la ville de Tours,
et qu'ils avaient dessein de l'assiéger, douze
chanoines de l'église de Saint-Martin, pour
soustraire son corps à la fureur de ces bar-
bares, prirent ces saintes reliques, et étant
accompagnés de l'abbé Héberne et des vingt-
quatre religieux de Marmoulier, ils les trans-
portèrent à Gormeri , à Orléans , à Saint-
Benoît du Goire, et enûn à Auxerre, où elles
ont été pendant trente et un ans; et, comme
si ce saint eût voulu procurer de l'honneur
à ceux qui avaient eu soin de ses saintes
reliques, tous les religieux de Marmoulier
furent élevés à l'épiscopat ou lurent élus
abbés dans des monastères de Bourgogne;
et l'abbé Héberne, qui ne quitta point le
corps de saint Martin, eut la joie, vers l'an
887, de le reporter à Tours, où, après la
mort de l'archevêque Adalaud, il fut mis à
sa place, et gouverna le diocèse pendant
vingt-sept ans.
Marmoulier fut comme désert et aban-
donné pendant tout ce temps-là, et pendant
presque tout le dixième siècle il u'y eut que
quelques chanoines réguliers qui y firent
l'office divin, et des laïques en furent abbés.
Hugues de France, dit le Grand, fils du roi Ro-
bert 111, posséda cette abbaye, aussi bien
que son fils Hugues Capet ; mais ayant été
donnée à saint Mayeul qui était aussi abbé
de Gluny, il la rendit aux moines bénédic-
tins , ce qui paraît être arrivé sur la fin du
règne du roi Lolhaire. On y mit d'abord
treize religieux d'une très-sainte vie, aux-
quels on donna pour abbé Guilibert ou Wili-
berl. Mais, quoique saint Mayeul eût été le
restaurateur de celte abbaye, elle ne fut pas
pour cela soumise à Gluny , non plus que
beaucoup d'autres qui furent réformées par
les religieux de cette congrégation ; car le
pape Grégoire V avant « onlirmé, à la prière
de l'empereur Othon 111, les monastères qui
dépendaient de Gluny, il n'est point fait meu-
-.25
FRA
FltA
32R
lion de Marmoutier dans les lettres qui en
furent expédiées.
L'exacte discipline que IYmi observait
dans ce monastère lni attira t'estime i!e plu-
sieurs personnes qui y firent des donations
considérables ; le nombre des religieux aug-
menta , ils retirèrent plusieurs monastères
des mains des séculiers qui s'en étaient em-
pares ; 1 1 sous le gouvernement de l'abbé Al-
bert, qui tut élu l'an 103'», il était devenu
très-illustre par le grand nombre de monas-
tères «fui lui étaient soumis; et il lu fut en-
core bien davantage dans la suite, puisqua
saint Odilnn, abbé de Cluny , étant mort à
Souvigny dans le Bourbonnais, les religieux
de ce monastère écrivirent à Al'iert, abbé de
îMarmoatier , pour lui en donner avis, et lui
donnèrent le titre A' abbé des abbés.
L'estime que l'oa avait pour les religieux
de Marmoutier s'augmenta de telle sorte,
que vers l'an 106-V il n'y avait aucune pro-
vince qui ne voulût en avoir : c'est pourquoi
quelque part que l'on allât, l'on trouvait des
monastères de la dépendance de celle ab-
baye; et même il y en eul jusqu'en Angle-
terre. Entre les exercices de pieté de ces re-
ligieux on loue surtout celle qu'ils faisaient
paraître à l'égard de leurs frères qui étaient
à l'agonie. Lu P. Mabillon, dans ses Annales,
parle avec éloge des jeûnes, des prières, des
macérations et des pénitences qu'ils prati-
quaient pour leur procurer une bonne mort ;
et, parlant à ce sujet de la mort d'un bon
frère du ce monastère, il fait remarquer qu'il
reçut deux jours de suite le saint viatique,
el communia sons les deux espèces, appa-
remment suivant l'usage qui subsistait pour
lors dans celle abbaye.
Deux archevêques de Tours, nommés Ro-
dolphe, inquiétèrent ces religieux sur leurs
privilèges, mais ils furent déboutés de leurs
prétentions dans plusieurs conciles provin-
ciaux, où les religieux furent maintenus
dauï leurs privilèges; el , comme ces reli-
gieux étaient toujours molestés sur le même
sujet, le pape Urbain il, dans le concile de
Cleniiont, après avoir fait la lecture du pri-
vilège qui les soumettait immédiatement au
saint-siége, ordonna qu'il serait observé, et
confirma le décret du pape Grégoire Vil qui
défendait à tous evèques d'indiquer aucune
station publique dans l'église de .Marmoutier,
afin que les religieux ne fussent point inter-
rompus dans leurs exercices, ni d'exigerau-
cui.e obéissance ou soumission des abbés,
ni de fulminer aucune excommunication con-
tre lu monastère ou ces religieux , quelque
part qu'ils demeurassent, ce qui était seule-
ment réservé au souverain pontife, sous la
protection duquel ils étaient.
Chopin dit que les rois de France se quali
Cent abbés de ce monastère, el que quand
ils y font leur entrée, ils jurent sur les saints
Evangiles, comme les autres abbés, qu'ils en
conserveront les privilèges et le^ franchises.
Les comtes d'Anjou se qualifiaient moines
de ce monastère; et un archevêque de Tours
ayant voulu excommunier Godt-froi, duc de
Normandie et comte d'Anjou, ce prince lui
répondit qu'il ne craignait point son excom-
munication, à cause qu'il était chanoine de
Saint-Martin et moine de Marmoutier. Des
deux cents prieurés qui , comme nous l'a-
vons dit ci-dessus, étaient de la dépendance
de ce célèbre monastère, il y en avait vingt-
six dans le seul diocèse de Chartres. Le mo-
nastère de Marmoutier fut un do ceux qui
composèrent la congrégation des Exempts,
dont nous avons parlé à l'article qui porte ce
nom; mais la réforme y ayant été introduite
par les religieux bénédictins de la congréga-
tion de Saint-Maur, il fut uni, l'an 1697, à
eette congrégation, qui a fait rebâtir ce mo-
nastère avec beaucoup de magnificence.
Voyez Joann. Mahill. Annnl. Bened. loin.
1, II, 111 et IV. Yepez, Chronique générale
de l'ordre de Saint-Benoit, tom. 1. Hutte iu,
Histoire de l'ordre de Saint-Benoît, tom. 1.
FRANCISCAINS (Ordre des).
§ 1". Origine de l'ordre des Frères Mineurs,
avec ta vie de Saint-François d'Assise, pa-
triarche et fondateur de cet ordre.
Après toutes les victoires que l'Eglise avait
remportées dans les premiers siècles de son
établissement sur le paganisme, il semblait
qu'elle n'avait plus rien à craindre; mais le
douzième et le treizième siècle lui lurent si
fatals, que si Jesus-Christ, qui avait promis
au prince des apôtres et à ses suc<esseurs
que les puissances de l'enfer n'auraient ja-
mais aucun avantage sur ele, ne lui eût en-
voyé un nouveau secours pour la défendre
contre les attaques de ses ennemis, elle eût
enfin succombé à tous les malheurs dont elle
fut affligée dans ce temps-là ; car, outre les
Vaudois, les Albigeois, les Humiliés et un
grand nombre d'autres hérétiques, qui la
combattaient par leur pernicieuse doctrine,
Icj empereurs chrétiens n'oublièrent rien
pour contribuer à son affliction, non -seule-
ment par le schisme qu'ils embrassèrent,
mais encore par la fureur de la guerre qu'ils
portèrent en Italie, où l'on vit les temples
dépouillés de leurs plus beaux ornements,
les cardinaux, les prélats de l'Eglise souffrir
dans des prisons les derniers outrages, et la
simonie régner impunément, au scandale do
la religion et au mépris delà pauvreté de Jé-
sus-Cnrist.
Ce fut au milieu de ces misères et de ces
ealamités que Dieu, touché de l'affliction de
son Eglise, suscita l'humble saint François,
pour opposer par son moyen la vérité de l'E-
vangile a l'erreur, la pauvreté au désir des
richesses, el l'humilité à l'ambition, qui
avait été la source do tous ces desordres. Il
naquit à Assise, ville d'Ombrie , l'an 118^.
Son père, qui était un riche marchand de
cette ville, se nommait Pierre Bernardon, et
sa mère Pique, femme d'une grande pieté, et
très-recommandabîe par ses vertus, qui, se
trouvant au terme de sa grossesse, souffrit
d'extrêmes douleurs; et plusieurs jours s e-
coulèrent sans aucune apparence qu'elle pût
accoucher heureusement : ce qui faisait ap-
préhender qu'elle n'en mourût, et qu'eu
3<>7
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX,
328
mourant elle n'ôlât la vie à l'enfant qu'elle
devait mettre au monde; mais un ange en
forme de pèlerin s'étanl présenté à la porte
de sa maison , sous prétexte de demander
l'aumôue, qu'on lui donna en recommandant
à ses prières la délivrance de la mère et de
l'enfant, il leur conseilla de la porter dans
une étable, les assurant qu'elle se trouverait
bientôt soulagée. Son conseil fut suivi, et
l'enfant vint au monde heureusement sur le
foin et parmi les bétes : ce que l'on a regardé
comme la première circonstance des confor-
mités que saint François a eues avec Jésus-
Christ dans son humanité. H reçut au bap-
tême le nom de Jean; mais la langue fran-
çaise, que son père, qui trafiquait en France,
lui fit apprendre, lui devint si familière,
qu'on l'appelait ordinairement le Français,
et ce nom lui est toujours demeuré. Son père
lui fit aussi apprendre la langue latine; et
quand il le vit en état de s'expliquer en cette
langue, il le retira des écoles pour le mettre
dans la marchandise. Le père elle fils a «aient
des inclinations bien différentes ; celui-là
était avare, et celui-ci libéral et généreux,
rien ne lui coûtant pour satisfaire son incli-
nation, qui le portait aux passe-temps et
aux divertissements, sans néanmoins que
l'amour des plaisirs l'entraînât à la débauche
et lui fit oublier la loi de Dieu. La miséri-
corde semblait être tellement née avec lui,
qu'il ne pouvait voir de malheureux sans
être vivement touché de leur misère, et il
s'était fait une habitude de ne point refuser
l'aumône à celui qui la lui demandait pour
l'amour de Dieu. 11 avait une douceur et une
honnêteté qui gagnaient le cœur de tout le
monde. 11 était si caressant, si officieux, si
poli et si sincère, que ces belles qualités fai-
saient espérer à ses compatriotes qu'il de-
viendrait un jour l'ornement de leur ville ;
et l'on voyait dans sa physionomie quelque
chose de si grand et de si extraordinaire,
qu'il y avait dans Assise un bon homme qui,
toutes les fois qu'il le rencontrait dans les
rues, étendait son manteau par terre, afin
qu'il passât dessus , disant qu'on ne pouvait
déjà faire trop d'honneur â une personne
qui était si visiblement destinée à de grandes
choses.
Cependant comme il était encore plein de
l'esprit du monde et distrait par les occupa-
tions du commerce où son père l'avait en-
gagé, il était fort éloigue de comprendre si-
tôt ce que Dieu voulait de lui, et il n'avait
du goût que pour les choses de la terre ; mais
le temps auquel Dieu avait déterminé l'exé-
cution des grands desseins qu'il avait sur lui
étant enfin venu, il permit que le cours de
ses plaisirs fût interrompu par des amertu-
mes et des afflictions, afin de le détacher du
monde et de l'attirer à son service par des
voies autant profitables à l'âme que contrai-
res à la nature et aux sens : ce qui com-
mença par un démêlé qui, étant survenu en-
tre les habitants d Assise et de Pérouse, ai-
gril de telle sorte l'esprit des uns et des au-
tres, qu'ils prirent les armes, et firent plu-
sieurs actes d'hostilité les u,us sur les autres,
dans l'un desquels F ançois fnt fait prison-
nier par ceux de Pérouse. Celte captivité dura
un an et n'ôta jamais rien à la liberté de son
esprit. Les soldats de son parti qui avaient
été pris avec lui ne souffraient qu'avec cha-
grin les peines de leur prison ; mais François
les encourageait par ses discours et par les
exemples de sa patience.
11 n'eut pas plutôt recouvré sa liberté,
qu'il tomba malade , d'une manière si vio-
lente, qu'il se disposa à mourir, croyant sa
maladie mortelle. Ces premières afflictions
commencèrent à disposer son cœur à écouter
la voix du Seigneur , à mettre à profit les
inspirations du ciel et à connaître l'inutilité
et l'abus de ses vanités passées : cependant
l'heure de son entière conversion n'était pas
encore venue; car, quoique l'on remarquât
quelque changement dans sa conduite, l'in^
clinalion qu'il avait pour la vanité n'était pas
entièrement éteinte dans son cœur; mais la
miséricorde qu'il avait toujours eue pour les
pauvres acheva ce que l'affliction avait com-
mencé ; car , ayant fait faire on habit fort
propre, et le premier jour qu'il le mit s'en
étant dépouillé en faveur d'un pauvre gen-
tilhomme fort mal vêtu, auquel il le donna
pour l'amour de Dieu, cette action de charité
mit la consommation à l'ouvrage de sa con-
version, par les nouvelles grâces qu'elle lui
attira, conformément à la promesse que Jé-
sus-Christ fait dans son Evangile à ceux qui
pratiqueront les actes de cette héroïque
vertu : ce que Dieu lui fit connaître la nuit
suivante par une vision, dans laquelle il lui
semblait voir an palais magnifique rempli
d'armes marquées du signe de la croix, qu'on
l'assura être pour lui et pour ses soldats.
Comme il n'était pas encore assez éclairé
pour pénétrer le vrai sens de cette vision, il
s'imagina qu'il ne s'agissait que d'une guerre
temporelle. C'est pourquoi ayant appris que
Gautier , comte de Brienne en Champagne,
gendre du feu roi de Sicile , Tancrède, et
frère de Jean, qui l'tit roi de Jérusalem quel-
ques années après, étant assiste parle pape
Innocent 111 et par Philippe-Auguste, roi de
France, élait entré avec une grosse armée
dans la Pouille, il alla pour lui offrir ses
services ; mais il ne fut pas plutôt arrivé à
Spolette, son premier gîte, qu'il fut rappelé
à Assise par une autre vision où Dieu l'aver-
tit de ne pas préférer le pauvre au riche, ni
le valet au maître, et de n'en point servir
d'autre que lui. 11 commença pour lors à
comprendre que la milice où il devait s'en-
gager était toute spirituelle. 11 revint donc
chez son père, mais tout autre qu'il en était
sorti ; car il ne trouva plus de délices que
dans la solitude, se tenant retiré dans sa
maison, et ne s'occupant qu'à la prière. Il
demandait à Dieu avec beaucoup d'instance
qu'il lui fît connaître sa volonté, et il lui
semblait que la réponse du ciel était qu'il
fallait qu il méprisât toutes les choses du
monde, et qu'il travaillât fortement à se com-
battre et se vaincre soi-même. Un jour que,
rempli de ces deux grandes maximes, il était
à cheval dans la plaine d'Assise, il eut à sa
529
FKA
FRA
350
( rencontre un lépreux dont la vue lui lit hor-
reur. 11 avait déjà détourné les yeux de des-
sus un objet si hideux et si dégoûtant, lors-
que, se souvenant qu'il devait travailler à se
vaincre lai-même s'il voulait être soldat de
Jesus-Clirist , il descendit de cheval et alla
embrasser ce lépreux, malgré toute sa répu-
gnance, et, après lui avoir fait une aumône
considérable, il remonla à cheval. Mais il fut
étonné, un moment après, lorsque, tournant
la tète pour voir ce que faisait ce pauvre mi-
sérable, il ne vit plus personne, quoique la
place fût découverte de tous côtés : ce qui,
au lieu de l'effrayer, lui donna une joie inté-
rieure qui l'encouragea à marcher dans la
voie de la perfection où il était entré, et
dans laquelle il commençait à jouir des con-
solations des âmes qui cherchent véritable-
ment Dieu.
L'amour qu'il conçut pour la pauvreté et
les humiliations lui faisait porter envie à
l'état des pauvres et des plus misérables. II
le fit paraître peu de temps après, dans un
voyage de dévotion qu'il fil à Home. Car
après avoir visite le tombeau des saints apô-
tres, ayant vu sortir de l'église une grande
quantité de pauvres qui attendaient les effets
de la miséricorde des passants, il leur distri-
bua tout l'argent qu'il avait, se dépouilla de
son habit pour le donner à celui qui parais-
sait le plus nu, prit ses haillons, dont il se
couvrit, et passa le reste de la journée au
milieu de ces pauvres, avec beaucoup de sa-
tisfaction de se voir revêtu d'un méchant
habillement plein d'ordure et de vermine,
qu'il avait pris en échange de celui qu'il avait
donné à ce misérable.
Peu de temps après son retour à Assise, se
trouvant dans l'église de Saint-Damien, et
priant avec beaucoup de ferveur devant l'i-
mage du Crucifix, il eu sortit une voix, qui
lui dit : Va, François, répare ma maison, qui
tombe en ruine. Notre saint ne comprenant
pas que celle voix céleste lui ordonnait qu'il
s'appliquât à l'édification et au salut des
âmes, qui sont la demeure de Dieu et les
temples de son Saint-Esprit , et croyant que
c'était cette église de Saint-Damien (qui vé-
ritablement tombait en ruine) que Dieu vou-
lait qu'il réparât, il retourna chez son père,
prit des étoffes, qu'.l alla vendre à Foiiguy
avec le cheval qui les avait portées, et en
porta l'argent au prêtre qui servait cette
église, le priant qu'il lui fil la charité de le
loger chez lui. Le prêtre, qui d'ailleurs
était fort pauvre , voulut bien le recevoir,
mais non pas son argent, craignant de se
faire des affaires avec son père. Ce refus ne
découragea pas François, qui jeta sa bourse
sur une fenêtre, et passa quelques jours av ec
ce bon prêtre dans la prière, les veilles et
les austérités. Son père, n'en ayant point de
nouvelles, s'informa de ce qu'il était devenu,
et ayant su qu'il était à Saint-Damien, il y
v inl tout eu co ère, accompagné de gens pour
prendre son fils, comme s'il eût été question
de poursuivre un voleur. Dieu, qui prenait
la protection de François, le cacha aux yeux
de ce pèie furieux, qui, n'ayant point trouvé
DicTiONNàinii des Ordres religieux. II.
ce qu'il cherchait, s'en retourna à Assise, et
François se relira dans une caverne, où il
demeura pendant quarante jours dans les
jeûnes et les larmes, exerçant sur son corps
les auslérités les plus rigoureuses. Mais ,
honteux de sa fuite, qu'il regardait comme
une lâcheté, il sortit de sa retraite déterminé
à supporter pour l'amour de Dieu tout ce
qu'on voudrait lui faire souffrir. 11 parut
dans les rues d'Assise, dans un équipage si
différent de son premier état, qu'on le re-
garda comme un fou. On lui jeta de la boue
et des pierres, et les enfants le poursuivaient
avec des grandes huées. Son père accourut
au bruit de ces clameurs , qui retentissaient
par toute la ville, et, voyant que son fils
était le jouet de toute la populace , il le fit
mener chez lui, où, après l'avoir chargé de
coups, il l'enferma dans une espèce de cachot
où il lui fit souffrir toutes sortes d'outrages
et de mauvais traitements. .Mais, étant obligé
d'aller à la campagne, il en laissa la garde â
sa femme, qui et a ni persuadée des grands des-
seins que Dieu avait sur son fils, lui donna
la liberté.
François se retira aussitôt à l'église do
Saint-Damien. Son père à son reloue l'y alla
encore trouver ; mais notre saint ne s'enfuit
pas comme la première fois, il se présenta
hardiment devant lui , et protesta qu'il était
prêta souffrir toute-, sortes de suppliées plu-
tôt que de changer de résolution. L'assu-
rance du fils donna de l'étoiinement au père,
qui, voyant ses remontrances inutiles , se
contenta de reprendre son argent qui était
encore sur la fenêtre où François l'avait jeté.
Mais, sachant que ce jeune homme était na-
turellement porté à faire des aumônes, et
qu'il avait dessein de réparer l'église de
Saint-Damien , craignant qu'il ne ruinât sa
famille par ces dépenses, il lui proposa ou
d'acquiescer à ses volontés ou de renoncer à
sa succession. François ne délibéra point à
choisir le dernier. Le père, indigné de ce
procédé, qui lui semblait trop injurieux, l'o-
bligea de lui rendre tout ce qui lui restait
d'argent ; et, pour lui ôter loule espérance
de retour dans la possession de ses biens et
de ses héritages , il voulut que ce renonce-
ment fût général et accompagné de forma-
lités solennelles. Il le mena pour ce sujet à
l'évèque d'Assise , qui voulut bien recevoir
leur concordat. François ne fut pas plutôt
en présence du prélat, qu'il se dépouilla île
tous ses habits jusqu'à la chemise, et les re-
mit entre les nains de son père, en lui di-
sant que jusque-là il l'avait appelé son père,
mais que dorénavant rien ne l'empêcherait
de rapporter celle qualité à Dieu seul, en qu,i
était tout son trésor et son espérance. On
découvrit pour lors qu'il parlait sur sa chair
nue un rude cilice, ce qui commença à dé-
couvrir que Dieu seul et l'amour de la péni-
tence étaient le véritable et le seul motif d'un
si grand détachement des biens de la forluue.
L'évèque, touche d'admiration, embrassant
François, le couvrit du mauteau qu'il avait
sur ses épaules, el lui fit donner l'habit d'un
paysau qui se trouvait là. François le reçut
11
ôôl
DîCTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
352
comme la première aumône qui lui était faile
en t'élal du mendiant, où il voulait demeurer
le resle de ses jours ; il y fit une grande croix
avec une pierre, et le disposa même en cette
forme, s'en revêtant avec satisfaction.
Il avait pour lors vingt-cinq ans, et, se
voyant dégagé de tous les biens qui l'avaient
retenu dans le siècle, il prit le chemin de la
sditude, afin de s'y appliquer uniquement à
l'acquisition des vertus qui sont les vérita-
bles richesses et consolations de l'âme. Mais,
slans le temps qu'il n'était occupé que de la
joie que lui inspirait l'espérance qu'il avait
d'y trouver son bien-aimé, dont il chantait
les louanges en français, il tomba entre les
mains de quelques voleurs, qai, ne lui ayant
rien trouvé et n'ayant pu tirer d'autre rai-
son de lui, sinon qu'il était le héraut du
grand Roi, le battirent cruellement et le je-
tèrent dans une fosse pleine de neige; d'où
étant sorti et iouant Dieu de ce qu'il le trou-
vait digne de souffrir quelque chose pour
son amour, il alla à Eugubio, où un de ses
anciens amis l'ayant reconnu lui donna un
habit d'ermite fort court, dont il se servit
l'espace de deux ans avec une ceinture de
cuir ; ce qui a fait croire aux ermites de
Saint-Augustin qu'il avait d'abord suivi leur
institut (ce que nous avons réfuté dans un
autre endroit). Le désir qu'il avait de réparer
l'église de Saint-Damicn le rappela à Assise
pour satisfaire à cet ordre , qu'il croyait
avoir reçudu ciel. 11 quêta suffisamment pour
y fournir, et travailla lui-même avec les
maçons. Il en répara encore une autre sous
le litre de Saint-Pierre, et entreprit la même
chose à l'égard d'une troisième dédiée sous
le nom de Notre-Dame-des-Anges. qui était
entièrement abandonnée. Le lieu où s? trou-
vait celte dernière s'appelait la Portioncule,
ainsi nommé à cause qu'il faisait une petite
partie du bien que les bénédictins du mont
Soubaze possédaient, et était éloigné d'Assise
d'environ unedemi-lieue. Ce lieu tut si agréa-
ble à saint François, qu'il résolut de s'y ar-
rêter et d'y fixer sa demeure, et il y jeta
dans la suite les fondements de son ordre. Il
vécut seul en ce lieu pendant deux ans. Un
jour, étant à la messe, il entendit cet endroit
de l'Evangile où Jésus-Christ recommandait
à ses disciples, qu'il envoyait prêcher, de ne
point avoir d'argent et de ne porter ni be-
sace ni deux habits, ni chaussure, ni bâton ;
il le prit pour sa règle et v oulul l'ohsen er à
la lettre. Il quitta pour lois sa ceinture de
cuir pour prendre une corde, et alla prêcher
la pénitence avec tant de ierveur, qu'il fit
des conversions admirables. Quelques-uns
de ceux que Dieu toucha par ses discours,
ne se contentant pas de ce qu'il prescrivait
pour bien vivre dans l'état ou l'on se trou-
vait, voulurent le suivre et s'attacher à lui,
afin de l'imiter plus parfaitement. Le pre-
mier fut le bienheureux Bernard de. Quinta-
valle. riche bourgeois d'Assise, qui, admirant
dans ce saint fondateur un si grand mépris
«lu inonde, assembla 'Ise de Saint-
Georges lous les pauvres , les veuves et les
orphelins, leur distribua lous ses biens, et,
s'élant révéla d'un habit pareil à celui do
saint Fran'ois, s'associa à lui le 16 mai 1209;
et c'est à ce temps-là que l'on rapporte l'o-
rigine de l'ordre des mineurs. Le même jour,
Pierre de Catane, chanoine d'Assise, animé
d'un zèle delà gloire de Dieu et d'un ardent
désir de la pénitence, imita Bernard de Quin-
tavalle. Gilles d'Assise, qui était un saint
homme et craignant Dieu, n'était point dans
celle ville lorsque Bernasd de Quintavalle et
Pierre de Catane renoncèrent ainsi généreu-
sement au monde ; mais à son retour, sept
jours après, ayant appris ce qui s'était passé
en son absence, i! en fut si vivement touché,
qu'il voulut aussi les suivre. SaintFrançois,
les ayant instruits , ne voulut pas les laisser
oisifs. Il envoya Bernard de Quintavalle et
Pierre de Catane dans l'Emilie pour ins-
truire les peuples de l'importance du salut
et de la nécessilé de la pénitence, et pour lui
il alla avec Gilles d'Assise dans la Marche
d'Ancône, où, manquant i!e toutes choses,
ils s'estimaient heureux d'avoir trouvé le
trésor évangélique. Quelques-uns les rece-
vaient néanmoins avec beaucoup de charité,
mais il y en avait d'autres qui se moquaient
de la nouveauté de leur habillement, et les
regardaient comme des fous, ce qu'ils souf-
fraient avec beaucoup de joie. Gilles d'As-
sise témoigna même son chagrin à saint
François de ce qu'il y en avait quelques-uns
qui leur faisaient des honneurs, ce qu'il re-
gardait comme un affront pour une âme
véritablement religieuse, qui ne devait met-
tre toute sa gloire que dans le mépris et les
opprobres. Saint François fut bien aise de
voir que ses disciples ne se glorifiaient point
des honneurs nu'on leur faisait, et que les
opprobres qu'ils < nduraient ne troublaient
point la tranqiiililé de leur âme et n'appor-
tai nt . '.icun obstacle à la persévérance dans
leur vocation.
Quoique ce saint fondateur ne suivît pas,
dans les vérités évangéliques qu'il prêchait
à ses peuples, la méthode et l'éloquence or-
dinaire des prédicateurs, il ne laissait pas de
faire de grands fruits par ses discours qui,
quoique simples, étaient si animés de l'esprit
divin, qu'il leur inspirait l'amour de Dieu
et un ardent désir de la pénitence. Enfin,
après avoir parcouru quelques villes et quel-
ques bourgs de ces provinces, ces quatre
hommes apostoliques se retirèrent daus leur
pauvre chaumine, où en peu de jours ils
eurent un cinquième compagnon, qui fut le
frère Sabattin, dont on ignore le pays, mais
qui était un homme d'une émiucnle vertu.
Frère Morique se joignit bientôt à eux ; et
frère Jean de la Capella ou du Chapeau fut
le septième disciple de saint François ; mais
il fut dans l'ordre comme un autre Judas
parmi les apôtres. C'était lui qui avait soin
de distribuer en commun aui frères ce qu'on
leur donnait par aumône pour leur subsis-
tance. Il fut souvent repris par saint Fran-
çois de ce qu'il amassait au delà de ce qui
était nécessaire, de ce qu'il avait trop d'at-
tache aux biens et aux affaires temporelles,
et une trop grande familiarité avec les sécu
335
FRA
FRA
534
lors; niais il ne voulut point s'en corriger.
il fui le premier qui introduisit le relâche-
ment dans l'ordre j quelques-uns suivirent
son exemple, et inlroiiuisirent l'usage des
chapeaux, ou ]>lutùt des bonnets ou aumusses
pour couvrir la tète, qu'on appelle capelle,
selon le langage du pays : ce qui fit donner
à ce religieux le nom de Jeun de la Capelta.
Saint François lui prédit qu'il aurait une
maladie honteuse et une fin malheureuse;
et il expérimenta l'une et l'autre : car il fut
tout couvert de lèpre, el, bien loin de souf-
frir ce mal patiemment, il entra dans le
désespoir el s'étrangla.
Le nombre des disciples de saint François
étant donc augmenté, il leur enseigna les
moyens d'acquérir toutes les vertus, mais
principalement celle de la pauvreté, dont il
s'efforçait de leur faire connaître le mérite
et de leur persuader la pratique. C'est pour-
quoi il les conduisit par la ville d'Assise,
afin de demander l'aumône à toutes les por-
tes , et qu'ils apprissent qu'ils n'auraient
point d'autre patrimoine que ce que la cha-
rité des pei sonnes pieuses el dévoles leur
procurerait. Outre la honte qu'ils avaient de
demander aiusi l'aumône, ils avaient encore
à souffrir des paroles piquantes et des rail-
leries, les reproches de leurs parents, les in-
stilles des enfants qui leur jetaient de la
boue, et les rebuts de plusieurs personnes;
unis Dieu, qui, outre la béatitude qu'il pro-
met à ceux qui souffriront les injures, les
mépris el les perséculions pour son amour,
prévient souvent celle récompense éternelle
par des bénédictions de douceur qu'il l'ait
éprouver à ses élus dans le temps de leurs
plus grandes amertumes, voulut, par un effet
de sa miséricorde, faire connaître à ces nou-
veaux disciples de la Croix quelle était son
attention à la patience et au plaisir avec
lesquels ils soullraient ces mépris, permet-
tant qu'ils trouvassent des gens de bien qui,
par les libéralités et les bons traitements
qu'ils leur firent, modérèrent la rigueur de
leur pauvreté, el adoucirent l'amertume des
mépris el des humiliations qu'ils avaient en-
durés.
Le saint fondateur voulant ensuite les
exercer parmi les é rangers et les inconnus,
les menu dans la vallée de Riéli, afin qu'ils
pussent demander l'aumône avec plus de
couGance de leur pari, et moins de repro-
ches el d'insultes de la part de ceux auxquels
ils s'adressaient. Pendant qu'il y demeura il
y eut plusieurs personnes qui, attirées par sa
réputation, qui commençait déjà à s'élendre,
le venaient trouver pour être instruites par
lui des voies de la perfection, et profiler de
ses exemples. 11 y eu eut un entre les autres
qui, ne se contentant pas de recevoir des in-
structions, voulut encore être reçu au nom-
bre de ses disciples. Le saint, après avoir
augmenté sa petite société jusqu'au nombre
de sept, retourna à Assise, où il instruisit ses
disciples de tous les exercices de la vie spi-
rituelle, leur faisant de fréquents discours
.2 de Dieu, le mépris du monde,
l'abnégation de leur volonté et les mortifica-
tions du corps, afin de les mieux disposer à
l'exécution du dessein qu'il avait de les en-
voyer dans les quatre parties dn monde, et
alin de les prévenir sur toutes les difficultés
et les persécutions qu'ils auraient à souffrir
de la part du monde et du démon. Les ex-
hortations de ce saint patriarche, animées
du feu de l'amour de Dieu, el soutenues par
un zèle ardent du salut des âmes, eurent sur
le cœur de ces disciples de la Croix tout
l'effet qu'il en avait espéré ; car un jour qu'il
leur parlait de ces missions, poussés d'une
sainte impatience, ils se prosternèrent à ses
pieds pour le prier de ne plus différer l'ac-
complissement de ses désirs, qu'ils regar-
daient comme les signes assures des victoires
qu'ils se flattaient de remporter sur les puis-
sances de l'enfer ; mais, comme il devait être
le premier à donner l'exemple, il prit un
compagnon, avec lequel il alla d'un côté,
après leur avoir accordé leur demande, en
leur assignant d'autres endroits où ils pus-
sent annoncer la pénitence.
Saint François, ayant employé quelque
temps à la mission qu'il s'était proposée, re-
tourna à Assise, où il lui vint encore quatre
nouveaux disciples, il souhaita revoir les
autres six , qui étaient allés eu différents
pays, et, ne pouvant leur faire savoir sa vo-
lonté, faute de savoir où ils étaient, il pria
Dieu de es réunir ensemble; et en peu de
temps il reconnut que sa prière était exau-
cée : car, sans avoir été avertis, ils se trou-
vèrent tous au même lieu et dans le même
temps, comme saint François l'avait sou-
haité. Ce ne fut pas sans un grand étonne-
ment de ces saints religieux, qui admiraient
en cela la providence divine; et le saint re-
çut beaucoup de satisfaction lorsqu'il lui
racontèrent les travaux qu'ils avaient en-
dures dans leur voyage, et le fruit qu ils
avaient fait dans le salut des âmes. Il com-
mença pour lors à leur prescrire un règle-
ment de vie, et leur ordonna de réciter pour
chaque heure de l'office trois Pater. Il leur
recommanda aussi d'entendre la messe tous
les jours, voulant que quand ils y assiste-
raient ils fussent plus appliqués à la con-
templation des divins mystères qu'à la prière
vocale. L'année suivante, 1210, ce saint fon-
* dateur ayant assemblé ces onzes disciples,
il leur dit qu'il voyait bien que Dieu voulait
augmenter leur congrégation , qu'ainsi il
était à propos qu'ils se prescrivissent une
manière de vie uniforme, et qu'ils la fissent
approuver par le souverain pontife, lis
agréèrent tous sa proposition, et lui dirent
qu'ils étaient prêts à se soumettre à la règle
qu'il leur prescrirait. Il n'y avait alors au-
cune obligation de demander celle confirma-
tion, et il n'y avait même aucun exemple
que l'on eût déjà contraint quelque ordre
religieux à la demander; mais saint Fran-
çois le voulut faire pour mieux affermir le
sien, de peur qu'il ne lui arrivât de même
qu'aux Vaudois, dont l'institut avait été re-
jeté par les papes Lucius et Innocent III. Il
écrivit donc la iiième aimée sa règle. E le
él ieen vingt-Lois chapitres, oui cou-
335
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
536
tenaient vingt-sept préceptes, que les souve-
rains pontifes ont déclaré obliger sous
peine de péché mortel; et c'est de ces vingt-
sept préceptes que les trois vœux ordinaires
de religion, qui sont communs à tous les
ordres, sont environnés comme de forts rem-
parts qui défendent les religieux, de cet or-
dre de toutes sortes de transgressions. Pre-
mièrement, pour la défense de la pauvreté,
saint François rejette comme une peste dans
son ordre tout maniement d'argent, soit par
soi-même, soit par quelque autre personne
interposée. 11 prescrit la qualité, la quantité
et la valeur des habits. Une tunique avec un
capucc, une autre sans capuce (si la néces-
sité le demande), avec une corde ou cein-
ture, et un caleçon. C'est tout ce qu'il ac-
corde pour vêtement à < haque religieux, et
il leur permet de rapiécer leurs robes avec
des sacs ou quelque autre étoffe vile. Il leur
défend d'aller à cheval et d'avoir des chaus-
sures; et afin que cela puisse être pratiqué
exactement, et que la propriété ne se puisse
introduire sous aucune apparence, il donne
le soin aux ministres et aux custodes de
pourvoir à la nécessité des infirmes, à l'ha-
billement des Frères, et généralement il leur
laisse le soin de pourvoir à tous leurs be-
soins, autant que la pauvreté et la charité
le pourront permettre.
Pour conserver le précieux trésor de la
chasteté, il défend très-rigoureusement les
conversations avec les femmes, l'entrée dans
les monastères des religieuses, la délicatesse
dans les habits et le manger, les commodités
dans leurs voyages, et leur ordonne la nu-
dité des pieds, les jeûnes de tous les vendre-
dis de l'année, ceux depuis la Toussaint
jusqu'à Noël et depuis l'Epiphanie jusqu'à
Pâques, sans parler desaulres mortifications
et pénitences capables de contribuer à l'ac-
quisition de cette vertu et de réprimer les
ardeurs de la concupiscence, leur recom-
mandant aussi la pratique de l'oraison (que
ce saint veut que l'on préfère à l'étude des
lettres humaines), principalement l'office di-
vin, dont il l'ait un précepte tant pour les
clercs que pour les frères laïques.
Ce qu'il ordonne pour servir de remparts
et de défenses à l'obéissance, c'est le renon-
cement à sa propre volonté pour suivre
aveuglément celle de ses supérieurs sans ap-
porter aucune raison, sans réserve et sans
aucune limitation dans toutes les choses qui
ne sont point contraires à la règle; et, afin
d'ôter tous les scrupules que les religieux
pourraient avoir au sujet de cette même rè-
gle, il les renvoie aux supérieurs pour lever
leurs doutes et mettre leur conscience en
repos. Il y ajoute encore dix-huit avis ou
instructions qui n'obligent point à péché
mortel, et qui regardent la manière avec la-
quelle les religieux se doivent comporter
dans toutes leurs conversations intérieures
et extérieures, soit par rapport à eux, soit à
l'égard du prochain, dans la maison ou dans
les voyages, avec les religieux ou avec les
séculiers. A ces préceptes et à ces avis il
joint encore douze conditions nécessaires
pour la réception des novices, et six que l'on
appelle les libertés de la règle, qui contient
en substance ce que nous venons de dire.
Les disciples de saint François l'ayant agréée,
il alla avec eux à Rome trouver le pape In-
nocent III, qui ne l'écouta pas d'abord et
qui le rejeta même avec indignation; mais
ï"rançois, sans se rebuter, se relira avec sa
troupe à l'hôpital de Saint-Antoine, et se con-
tenta de recommander son affaire à Dieu, en
qui il mettait toute sa confiance. Ce ne fut
pas en vain, car dès le lendemain le pape
l'envoya chercher et lui donna une audience
favorable sur un songe qu'il avait eu la nuit,
d'une palme qui était crue à ses pieds et qu'il
avait interprété eu sa faveur, et sur ce qu'il
lui avait semblé voir saint François soutenir
l'église de Latran, qui était prêle à tomber.
Le pape fit examiner sa règ-le dans la con-
grégation des cardinaux, et l'approuva de
vivevoixaprèsque l'on eut levéles difficultés
qu'on y avait trouvées touchant cette grande
pauvreté qu'il y prescrivait et qu'on croyait
presque impraticable. Il leur ordonna de prê-
cher partout la pénitence, d'étendre la foi
catholique de toutes parts, et fit faire de pe-
tites couronnes à tous les frères laïques qui
accompagnaient le saint fondateur, afin qu'ils
fussent distingués davantage des séculiers ,
et qu'ils pussent aider les prêtres dans les
fonctions de leurs ministères. Wadingue dit
qu'il y a encore de pays où les frères laïques
portent de ces sortes de couronnes; mais
elles ne sont pas en usage dans le reste de
l'ordre, parce que cette grâce que leur avait
accordée ce pontife servit d'occasion dans la
suite à quelques-uns de lomiier dans l'or-
gueil, et à leur enfler le cœur en voulant se
comparer aux prêtres, à qui ces couronnes
appartiennent de droit.
Ouoique saint François eût écrit sa règle
et l'eût fait approuver par le pape Inno-
cent 111 l'an 1210, il n'avait pas encore de
couvent formé et n'avait demeuré jusqu'alors
avec ses compagnons que dans une pauvre
chaumine proche d'Assise. Ayant quitté la
ville de Rome, et voulant obéir aux ordres
du pape, qui lui avait ordonné de prêcher la
pénitence, il alla du côté de Spo!ette;ct,
comme dans le chemin il s'entretenait avec
ses disciples des moyens de mettre en prati-
que leur règle, étant las et l'aligués cl tout
atténués par la faim, ils s'arrêtèrent dans
une solitude où ils ne trouvèrent rien à
manger; mais la providence divine, qui est
attentive à fournir la nourriture nécessaire
aux animaux même les plus vils et les plus
méprisables, n'abandonna pas ses serviteurs
dans leur besoin. Car un homme se présenta
à eux qui leur donna un pain et disparut
aussitôt, ce qui les confirma dans la résolu-
lion qu'ils avaient prise d'observer exacte-
ment la pauvreté.
Ils arrivèrent à Orli, petite ville de l'Etal
ecclésiastique, sur les frontières de Toscane,
du côté de Lombardie. Ils trouvèrent dans
une plaine proche de cette ville une église
abandonnée, dans laquelle ils entrèrent pour
faire leurs prières, et résolurent de deuieu-
337
FKA
FRA
338
rer quelques jours clans ce lieu, jusqu'à ce
que Dieu leur eût fait connaître celui où il
voulait qu'ils fixassent leur demeure. Ils ne
furent pas oisifs pendant ce temps-là, car
ils allaient continuellement à la ville pour y
instruire le peuple, et y firent beaucoup de
conversions. Le grand concours du monde
qui les venait trouver, troublant le repos de
ces bons religieux, obligea saint François
d'abandonner ce lieu, qui d'ailleurs lui pa-
raissait trop agréable. Il passa dans la vallée
de Spolelte, où, après avoir conféré avec ses
compagnons pour savoir s'il était plus à pro-
pos qu'ils restassent dans des lieux solitaires
que dans des villes, ils se mirent en prières
pour connaître la volonté de Dieu. Ils furent
exaucés, car Dieu manifesta à ce saint pa-
triarche qu'ils étaient destinés à la conver-
sion des âmes. Us retournèrent à leur pre-
mière chaumine proche d'Assise, qui était si
petile , qu'ils ne pouvaient pas même s'y
asseoir tous ni étendre leur corps étant cou-
chés ; mais, comme il y avait plusieurs per-
sonnes qui demandaient d'entrer dans leur
compagnie, et que d'ailleurs ils n'avaient
point d'église, saint François chercha un lieu
plus commode et plus ample pour y recevoir
ceux qui voulaient entrer dans son ordre. Il
s'adressa à l'évèque et aux chanoines d'As-
sise, pour les prier de lui donner une église ;
mais, comme ils n'en avaient point qu'ils
voulussent quitter, le saint en demanda une
aux bénédictins du mon! Soubaze, qui lui
accordèrent celle de Notre-Dame-des-Anges,
appelée de la Portioncule. H n'en pouvait pas
avoir une qui lui fût plus agréable, puisqu'il
avait toujours eu beaucoup de dévotion pour
cette église, qu'il avait autrefois réparée, et
où il avait conçu les premiers desseins d'éta-
blir son ordre. Saint François n'en voulut
avoir que l'usage, afin que lui et ses enfants
parussent étrangers sur la terre; et, pour
laire voir qu'elle ne lui appartenait pas et
qu'il ne la tenait que de la libéralité des re-
ligieux bénédictins de Soubaze, il leur en-
voyait tous les ans un panier plein de petits
poissons que les Italiens appellent laschi, et
qui se pèchent dans une rivière voisine, ce
que les bénédictins recevaient agréablement,
estimant plus ce présent que tous les aatres
revenus, et ils envoyaient aussi de leur côté
un vase plein d'huile à ces pauvres reli-
gieux.
Ce fut dans ce pauvre lieu que les fonde-
ments de l'ordre des Mineurs furent jetés.
C'est celle pauvre maison qui en a produit
tant de milliers d'autres, et de laquelle sont
sortis tant d'illustres martyrs qui ont com-
battu pour le nom de Jésus-Christ, et qui
l'ont fait connaître par toutes les parties du
monde, qui a douné tant de docteurs cl de
prélats à l'Eglise, qu'ils ont édifiée par la
sainteté de leur vie et soutenue par la pureté
de leur doctrine. Quoique saint François eût
dit plusieurs fois que cette petite maison lui
suffisait, qu'il ne voulût pas qu'on l'augmen-
tât, et qu'il en eût fait abattre les couvertu-
res, qui lui avaient paru trop somptueuses,
elle a néanmoins clé tellement augmentée,
qu'il y a ordinairement plus de deux cents
religieux qui y demeurent de famille. L'on y
voit encore la petite chapelle de Notre-Dame-
des-Anges, qui est comme la maison de Lu-
rette, au milieu d'une vaste et magnifique
église, qui est. un dos plus beaux édifiées de
toute l'Italie, et qui a été beaucoup embellie
par les libéralités des grands-ducs de Tos-
cane. Vis-à-vis de celte église le grand-duc
Côme de Medicis fil faire une belle romaine
pour la commodité des pèlerins qui y abor-
dent de toutes paris, pour gagner l'indul-
gence dont nous parlerons dans la suite, et
ce prince y lit conduire l'eau par un aque-
duc qui a plus d'une lieue et demie de lon-
gueur.
Saint François et sa petite troupe s'élant
établis dans cette maison, ils reçurent la
même année de nouveaux compagnons, dont
les principaux furent Léon, Etienne, Léo-
nard et Simon d'Assise, Massée, Junipôre,
Illuminé, et un autre Simon de Collozano.
L'année suivante, l'ordre commença à s'é-
tendre, tant par les couvents que l'on donna
à ce saint fondateur à Cortone, à Aagberel,
à Piscia, à Pise, à Saint-Geminièn et en d'au-
tres lieux, que par le grand nombre de dis-
ciples qui le venaient trouver de toutes
parts, attirés par ses prédications ou par
celles des autres religieux qu'il avait envoyés
en plusieurs endroits pour l'instruction des
peuples. Ce fut dans le couvent de Cortone
qu'il donna, la même année, l'habit à frère
Hélie, qui fut son successeur dans le gouver-
nement de l'ordre, mais qui n'imita pas la
sainteté de son maître, comme nous dirons
dans la suite. L'ordre fit encore de grands
progrès en Italie et dansd'aulres provinces.
Le saint entreprit le voyage d'Espagne, dans
le dessein d'aller ensuite en Afrique, où il
espérait trouver le martyre parmi les Mau-
res et répandre son sang pour la foi de Jésus-
Christ. Il fut reçu favorablement d'Alphonse,
père de Blanche, qui fui reine de France et
mère de saint Louis. Ce prince lui permit de
fonder un couvent de son ordre à Burgos; et,
étant allé par dévotion à Saint-Jacques de
Compostelle, il y fit un aulre établissement
et en obtint d'autres en plusieurs endroits de
ce royaume. D'Espagne il alla en Portugal,
d'où étant retourné dans le même royaume,
il y fit encore de nouveaux établissements.
Partout où il passait, il laissait des marques
du pouvoir que Dieu lui avait donné sur les
maladies, sur les dénions, sur les animaux,
et même sur le cœur de l'homme, par les
conversions extraordinaires qu'il faisait. Mais
il ne pul exécuter le dessein qu'il avait pris
d'aller annoncer la foi de Jésus-Christ aux
infidèles du royaume de Maroc, car il fui ar-
rêté par une autre maladie, qui lui fit juger
que Dieu réservait cette conquête à d'au!' es
et qu'il le rappelait en Italie. Il y revinl l'an
1215, dès que sa santé le lui permit, et toute
sa roule ne fut qu'une suite de prodiges.
Etant arrivé au couvent de Noire-Dame-des-
Angcs, il réprimanda Pierre de Calane, son
vicaire, de ce qu*il avait fait faire en son ab-
sence une nouvelle maison pour recevoir les
559
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
340
hôtes; et il la voulait faire abattre, disant
que ceux qui y venaient devaient aussi souf-
frir patiemment les incommodités delà pau-
vreté; maison lui Gt tant d'instances pour
la laisser comme elle était, qu'il y consentit.
Le comte Orlando de Catane lui ayant donné
pendant son absence le mont Alverne, et les
religieux qui y demeuraient et qui l'étaient
venus trouver pour le saluera son retour,
lui ayant fait la description de ce lieu soli-
taire, des douceurs et des consolations spi-
rituelles que l'on y goûtait par le repos et la
tranquillité avec lesquels on pouvait s'y ap-
pliquer à la méditation et à la prière, sans y
être distrait par le bruit et l'embarras du
monde, il voulut y aller et fut charmé de la
solitude de ce lieu et de la pauvreté que ses
frères y pratiquaient. Il passa de là dans la
vallée de Fabriauo, où il travailla à affermir
divers établissements, et en fit de nouveaux
pour ses religieux, qui se mullipliaient tous
les jours d'une manière prodigieuse.
Cette môme année 1215, dans laquelle s'as-
semblaleconcile généralde Latran,qui se tint
sous le pape Innocent 111, François alla en-
core à Rome pour faire approuver sa règle
dans ce concile. Elle y fut lue et approuvée,
mais il n'en reçut pas l'approbation par
écrit. 11 s'en retourna ensuite à Assise, où
l'année suivante il assembla un chapitre gé-
néral dans lequel il commença à distribuer
des missions à ses frères, pour la France,
l'Angleterre et l'Allemagne. Il en envoya
aussi d'autres en Lombardie, dans la Marche
d'Ancône, dans la Galabre, la Pouille, la
Terre de Labour et en Toscane II avait seu-
lement destiné ceux qu'il avait envoyés en
France, pour la Gaule narbonnaise, et il avait
réservé pour lui la capitale de ce royaume ;
mais il fut détourné de ce voyage par le car-
dinal Ilogolin, qui fut ensuite pape sous le
nom de Grégoire IX, et il demanda pour pre-
mier protecteur de son ordre ce cardinal, à
Honorius 1(1, qui avait succédé à innocent II!.
C'est une chose surprenante de voir le
grand progrès que cet ordre lit en si peu de
temps; car dans le chapitre général qui se
tint l'an 1219 au couvent de Nolre-Dame-des-
Anges près d'Assise (et qui fut nommé le
chapitre des Nattes, à cause que, pour loger
les religieux qui s'y rendirent, on fut obligé
de faire en pleine campagne des cellules de
joncs, de roseaux et de nattes) , on y en vit
plus de cinq mille, qui n'étaient que les dé-
putés d'un plus grand nombre qui étaient
restés dans les couvents. Le cardinal Hugo-
lin, protecteur de l'ordre, y présida ; saint
François ne s'était point mis en peine de faire
aucune provision pour tant de monde;
mais la divine providence y pourvut, car les
habitants d'Assise, de Spoletle, de Pérouse,
de Foligny et autres villes voisines, fourni-
rent à l'envi tout ce qui leur était nécessaire.
Le saint fondateur avait souhaité voir les
principaux de ses enfants ainsi assemblés
pour renouveler son esprit , c'est-à-dire les
sentiments de la pauvreté, de l'humilité et
n'eût produit le relâchement. Mais, loin d'y
trouver ce qu'il appréhendait, il ne fut pres-
que occupé qu'à modérer les austérités que
les particuliers avaient ajoutées à la règle. Il
n'y eut que le frère Hélie et Jean Sliachia,
ministre de Toscane et de Bologne , avec
quelques autres, qui allèrent trouver le car-
dinal protecteur, pour le prier de persuader
à saint François de prendre l'avis de ses frè-
res, dont la plupart étaient gens de lettres
et propres pour le gouvernement, n'étant
pas capable lui seul de gouverner un si
grand nombre de religieux ; d'autant plus
qu'il était simple et sans étude, et ils lui
proposèrent beaucoup de choses des règles
de Saint-Augustin et de Saint-Benoit, qu'il
aurait été plus à propos de suivre. Le
cardinal, pour les contenter, en parla à
saint François; mais le saint fondateur ne
voulut rien relâcher des rigueurs de l'ordre.
Il envoya de nouveaux missionnaires en
Grèce et en Afrique, et, pour lui, il choisit
la Syrie et l'Egypte, où il résolut d'aller
avec douze compagnons ; et, comme il ne
voulait pas que ses religieux prêchassent
sans en a\ oir eu la permission des ordinai -
res, il obtint du pape Honorius III des lettres
adressées à tous les archevêques, évéques et
abbés, par lesquelles il leur recommandait
saint François et ses religieux, qui, ayant
renoncé à toutes les vanités du monde,
avaient choisi une vie approuvée par le
saint-siége, et allaient en diverses provin-
ces pour y semer la parole de l'Evangile :
c'est pourquoi il les priait de les recevoir
comme de fidèles catholiques et de saints
missionnaires zélés pour la foi de Jésus-
Christ et le salut des âmes.
Le chapitre étant fini, saint François se
mit en chemin avec ses compagnons pour
aller en Syrie, et, après une navigation heu-
reuse qui le mit au port d'Acre en Palestine,
il passa à Daraiette, où était l'armée chré-
tienne des Croisés, contre le sultan d'Egyp-
te; ces derniers venaient de prendre la ville,
après un siège de vingt-deux jours, lorsqu'il
y arriva. 11 y laissa dit do ses compagnons, et
alla hardiment avec le frère Illuminé au
camp des infidèles, qui le battirent cruelle-
ment, et après mille outrages le conduisi-
rent devant le sultan , comme François le sou-
haitait. Ce prince parut disposé à écouler
favorablement cet homme apostolique et lui
demanda ce qui l'amenait en Egypte. Fran-
çois lui répondit que c'était le désir de lui
procurer le salut éternel et à tous ses sujets,
et que Dieu l'avait envoyé pour le tirer de
l'infidélité, et lui faire connaître la vérité de
l'Evangile. Tout ce qu'il put dire au sultan
fut inutile, et il voulut persister dans l'erreur.
Il conçut néanmoins une si grande estime de
la vertu de ce grand saint, qu'il voulut lui en
donner des marques par les présents qu'il lui
offrit. Le refus généreux qu'en Dt le saint
acheva de lui faire connaître le mérite d'un
homme si rare. Il insista à lui faire recevoir
au moins une somme d'argent pour les pau-
ues autres vertus évangéliques qu'il leur vres chrétiens ou pour leur église ; mais ses
Avait inspirés, craignant que la multitude instances furent inutiles. Enfin, ne pouvant
M
FRA
FRA
548
rien gainer sur ce cœur insensible à (oui
ce qui n'était pas du salut dis âmes, il lui
donna permission de prêcher l'Evangile dans
ses Etats, ce qui était la plus grande mar-
que d'estime qu'il pouvait lui donner, par
rapport à l'opposition que ces infidèles ont
non-seulement pour l'Evangile, mais même
pour le nom chrétien. Le saint, après y
a\oir demeuré quelque temps, voyant qu'il
perdait son temps, eut le déplaisir de s'en
revenir sans avoir pu gagner une âme à
Dieu ou répandre son sang pour Jésus-
Chri-t, ce qu'il souhaitait ardemment.
Une des raisons qui obligèrent encore saint
François de retourneren Italie, fut qu'il ap-
prit avec beaucoup de chagrin que le frère
Hélie, qu'il avait élabli vicaire général en
son absence, ai ait innové beaucoup de cho-
ses qui tendaient au relâchement, ayant at-
tiré dans son parti plusieurs provinciaux
qui blâmaient la simplicité du saint fonda-
teur et taxaient d'imprudence l'austérité à
laquelle les obligeait sa règle, dont ils re-
tranchèrent quelques points essentiels, et eu
modéraient d'autres. Saint François, étant de
retour en Italie l'an 1220, ne vit qu'avec
douleur le danger où son ordre élait exposé
par le relâchement qui y avait été introduit.
Il cassa l'étude que l'on avait établie à Bolo-
gne, il voulut que ses religieux abandonnas-
sent ou démolissent ce couvent, qui avait été
bâti avec trop de magnificence et qui ne se
ressentait point de la pauvreté : néanmoins,
à la sollicitation du cardinal protecteur, il
consentit qu'ils y demeurassent; et, comme
le provincial de cette province, Jean de Stria-
chia, qui avait ordonné ces bâtiments et qui
avait contribué au relâchement, persistait
toujours à soutenir ce qu'il avait fait, il lui
donna sa malédiction. A l'égard du P. Hé-
lie, i.l cassa tout ce qu'il avait introduit de
nouveautés dans l'ordre en son absence, à la
réserve d'un statut qu'il avait fait de ne point
manger de viande, quoique contre l'esprit
de la règle, qui, conformément à l'Evangile,
permet aux religieux de manger ce qu'on
leur présente; de peur qu'il ne semblât qu'il
voulait favoriser la gourmandise, ce qu'il
jugea plus à propos de tolérer pendant un
temps.
§ 2. Continuation de l'histoire de l'ordre des
Frères Mineurs, et de la vie de saint Fran-
çois d'Assise leur fondateur.
Toutes choses éiant pacifiées dans l'ordre,
et saint François ayant écouté ceux qui ap-
prouvaient le gouvernement du P. Hélie
et ceux qui le condamnaient, il assembla le
chapitre générai à Notre-Dame-des-Anges la
même année 1220. Le provincial de Bologne
y fut privé de son office, et le P. Hélie ayant
été aussi déchargé du vicariat général, le
saint fondateur nomma à sa place le P.
Pierre de Catane, qui avait été son second
disciple. Mais celui-ci étant mort l'année sui-
vante 1221, dans une grande réputation de
sainteté, saint François indiqua uu autre
chapitre pour les fêles de la Pentecôte, où,
par révélation divine et selon le comman-
dement qui lui en avait été fait dans une de
ses oraisons, il désigna encore une lois pour
vicaire général le '". Hélie.
Cet homme étail plein d'ambition ; il rece-
vait à la vérité fort bien les religieux qui
venaient voir saint François ; mais ayant
égard à la qualité, à la science et à la di-
gnité des personnes, il donnait les premiers
rangs à cens qui avaient pins de mérite, ne
donnant aux simple; que les dernières pla-
ces, et sou eut il négligeait ceux-ci pour
accorder toutes les commodités aux au rés.
Saint François ne pouvait souffrir celte ac-
ceptation et celte préférence dans des per-
sonnes d'un même ordre; c'est pourquoi, n
jour qu'il en vint de plusieurs conditions, de
doctes et d'ignor nts, le saint, après la bêné-
dic ■ion delà lable, en fit asseoir à ses côtés
deux qui paraissaient les plus simples, et af-
fecta de ne pas regarder les autres qui pa-
raissaientavoinlu mérite. Hélie en fut choqué
et ne put pas s'empêcher d'en murmurer, en
disant en lui-même : Hélas I frère François,
que la simplicité feia tort à l'ordre! Tu mets
à tes côtés des ignorants, et lu ne fais pas do
cas des personnes doctes et savantes. Mais
le aint, connaissant sa pensée par révéla-
tion divine, lui répondit qu'il faisait plus de
tort à l'ordre par son orgueil, son faste et sa
prudence humaine. « 0 que les jugements de
Dieu sont impénétrables 1 s'écria le saint; il
le connaît pour tel, et il a voulu cependant
que lu sois supérieur ; il a même déjà ordonné
que je te laisse te gouvernement de l'ordre ;
mais que j'appréhende que ce juste juge ne
porte un autre jugement de toi, et n'ait d'au-
tres sentiments que le peuple en a, et qu'il
ne donne un pasteur tel qu'il prévoit qu'il
aura un jour des brebis! Hélas! misérable
que tu es, ton sort est déjà décidé, lu ne
mourras pas dans la religion, lu as déjà été
pesé dans la balance, et tu as été trouvé trop
léger avec ton orgueil et la science mon-
daine. » Cette prophétie an s :int l'ut accom-
plie, car Hélie fut le second général de l'or-
dre après la mort du saint fondateur, et apos-
tasia dans la suite, comme nous lavons dit
à l'article Césarins [Frênes Mineurs).
S linl François obtint, l'an 1222, un privi-
lège du pape Honorius III , qui permettait
aux religieux de son orJre de célébrer les
offices ilivins les portes fermées dans un
temps d'interdit, et un an après il obtint
cette indulgence si fameuse pour l'église de
la Portioncule,où il vient de toutes parts une
infinité de pèlerins, le second jour du mois
d'août, qui est cTuiauquel est fixée cette in-
dulgence, à cause que l'on y célèbre ce même
jour la dédicace de celte première église et
berceau de l'ordre. Cette indulgence a été
confirmée par les papes Martin lVr, Alexan-
dre lV,Boniface\TII, Clément V, Jean XXII,
Benoît XI, et Sixte IV, qui, l'an 1481, reten-
dit à toutes les religieuses de l'ordre, vou-
lant qu'elles le pussent gagner dans leurs
monastères, ce qu'il communiqua aussi à
toutes les maisons d'hommes tant du pre-
mier que du troisième ordre. Léon X con-
firma ce que Sixte IV avait accordé, ce que
343
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
3-46
firent aussi Paul V et Grégoire XV ; et l'an
1C2-V, Urbain VIII ayant publié le jubilé uni-
versel, qui devait commencer le jour de Noél
de l'année suivante, et ayant suspendu, se-
lon la coutume, pendant le temps qu'il du-
rerait, toutes les autres indulgences, il
donna une bulle par laquelle il exceptait
celle deNotre-D;ime-des-Angrs ou de la Por-
tioncule. Innocent X déclara la même chose
dans le jubilé universel de l'an 1650, ce
qu'ont fait aussi ses successeurs, et Inno-
cent XII a étendu cette indulgence à perpé-
tuité pour tous les jours de l'année en faveur
de ceux qui, ne pouvant pas s'y trouver le
jour de la dédicace de cette église, choisis-
sent un autre jour dans l'année auquel ils
peuvent jouir de la même indulgence pour
une fois seulement. Le concours des pèle-
rins élait si grand, le jour de cette fête de
Nolre-Dame-des Anges, qu'il y allait jusqu'à
cent mille personnes, et, pour empêcher le
désordre, les officiers d'Assise et de Pérouse
se niellaient sous les armes; et, quoique la
ferveur des fidèles soit bien diminuée pour
toutes les aulres indulgences, ils ont pour
celle-ci une si grande vénération, qu'il est
dilficile de s'imaginer le nombre des pèlerins
qui s'y trouvent le deuxième du mois
d'août : en sorte qu'il est facile d'y voir l'ac-
complissement delà prophétie de saint Fran-
çois, lorsque, refusant les lettres patentes
que le pape lui offrait pour la publication
de celle indulgence, il répondit à Sa Sainteté
qu'étant l'ouvrage de Dieu, il prendrait lui-
même le soin de la divulguer.
Nous avons déjà dit que le pape Inno-
cent III avait seulement approuvé de vive
voit la règle de saint François, et qu'elle
avait été lue et approuvée aussi de vive voix
dans le concile général de Latran; mais le
saint fondateur, voulant avoir, la même an-
née 1223, la confirmation par écrit du pape
Honorius III(sur une vision qu'il eut), il alla
avec deux compagnons dans la vallée de
Riéli, et monta sur le mont de la Colombe,
éloigné de deux milles de la ville de Riéti,
pour retoucher sa règle, invoquant pour cet
effet les serours du ciel par un jeûne au pain
et à l'eau qu'il y pratiqua pendant quarante
jours, après lesquels, ayant fait écrire celle
même règle selon que le Saint-Esprit la lui
avait inspirée, il descendit de la montagne et
s'en retourna à Assise, où il la donna au
P. Ilélie, son vicaire, pour la lire et la gar-
der, filais celui-ci la trouva trop austère
pour lui et pour ceux qui étaient portés au
relâchement. Le saint alla ensuite à Rome
pour en demander la confirmation au pape,
qui la lui accorda par une bulle du 30 octo-
bre iie la même année. Cette règle est plus
courte et plus méthodique que celle qui avait
été approuvée de vive voix par Innocent III,
et, quoiqu'elle ne renferme que douze cha-
pitres, ils contiennent néanmoins en sub-
stance tout ce qui était marqué dans les
vingt-trois chapitres de la première.
Ce fut l'an 122i que ce saint fondateur
connut parfaitement qu'il devait travailler
à devenir un modèle accompli d'un Dieu cru-
cifié, Dieu le lui ayant fait connaître par
l'ouverture du livre des Evangiles , ce qui
arriva de la manière suivante. Ce saint s'é-
lant relire sur le mont Alverne pour y jeû-
ner quarante jours en l'honneur de saint
Michel, et y priant Dieu avec beaucoup d'in-
stances de lui faire connaître sa volonté,
afin de s'y conformer entièrement, il eut une
forte pensée que Dieu la lui révélerait à
l'ouverture du livre des Evangiles. C'est
pourquoi il dit à son compagnon de l'ouvrir
en l'honneur de la très-sainte Trinité. Ce
qu'ayant fait, et ayant trouvé par trois fois
différentes la Passion de Notre-Seigneur Jé-
sus-Christ, il comprit que, comme il avait
imité ce divin Rédempteur dans toutes les
actions de sa vie, il devait lui être aussi con-
forme dans les douleurs et les souffrances
avant qu'il mourût : ce qui ranima tellement
en lui !e feu de l'amour divin et l'ardent dé-
sir qu'il avait d'èlre crucifié avec Jésus-
Christ, qu'il mérita ce qu'il souhaitait avec
tant d'ardeur : car le jour de la fête de
l'Exaltation de la sainte Croix, qu'il priait
avec plus de ferveur et qu'il était tout péné-
tré de douleur de celui qui par un excès de
charité a voulu être crucifié pour nous, il
vit un séraphin descendant du haut des
cieux, qui, s'approchant de lui avec un vol
précipité, lui parut non-seulement ailé,
mais même crucifié, ayant les pieds et les
mains en forme de croix. Sa tête était cou-
verte de deux ailes, deux lui servaient pour
voler, et les deux autres lui couvraient les
pieds.
La vision disparut, et aussitôt ce saint
patriarche sentit son cœur enflammé d'une
ardeur séraphique, el les marques des plaies
du Sauveur parurent sur son corps, par la
représentation des clous dont les têtes pa-
raissaient Irès-distinctement au dedans des
mains et sur les pieds, et les pointes à l'op-
posé, la cicatrice du côté était rouge et ver-
meille, et le sang en coulait souvent en
aboudance. On ne peut douter de la vérité do
ces stigmates après le témoignage du pape
Alexandre IV, qui, dans un sermon qu'il fit
en présence de saint Ronaventure, dit les
avoir vues : ce qui est suffisamment confirmé
par les dépositions de plusieurs autres per-
sonnes, qui assurèrent aussi la même chose,
et qui ne firent point de difficulté d'en faire
leur serment, lorsque le saint fut canonisé,
aussi bien que par le bref du pape Gré-
goire IX, donné l'an 1237, par lequel, souhai-
tant qu'on le croie fermement, il exhorte
tous les fidèles à ne point écouter le con-
traire. Y erumtmnen grande ac singulare mi-
raculum quo ipsum sanctorum splendor et
gloria Dominus Jésus Cltristus mirabilittrde-
coravit, universitali vstrœ tenore prœsen-
tium non indigne duximus exprimendum, vi-
delicet quod idemsanclus cum adhuc spatium
prwsentis vitœ percurreret, et postquam illud
féliciter consummavit, manibus, latere ac
pedibus specie stigmalum divinitus exstitit
insignitus.... Igitur cum id ab unitersis fide-
lilms credi firmiler cupimus, devotionem ve—
stram rooamus et hortamur in Domino Jesu
545 FR.\
Christo, in remissionem vobis peccaijiinum in-
fungendo, qualenus ub assertione contrarii
uitrcs de c/Ttero penilus avertentes ronfessoiem
evmdem apud Deum pin rohis reddatis véné-
ration? pr ■ pitiiim. Ce pontife, qui voyait
souvent saint Français pendant qu'il rivait,
n'aurait pas parlé de la sorte, s'il n'avait été
assuré de la vérité de ces stigmates. Be-
noît XI permit d'en faire l'office publique-
ment. Sixte IV en fit insérer la mémoire dans
le Martyrologe romain; et Paul V, à la
prière de Philippe III, roi d'Espagne, sur ce
que dans quelques lieux on avait cessé de
dire l'office des Stigmates de saint François,
en fit une obligation à tous les ecclésia-
stiques.
Ce saint, après avoir demeuré encore
quinze jours sur le mont Alverne pour finir
son carême, en descendit portant l'image de
Jésus-Christ crucifié, gravée non sur des ta-
bles d'airain ou de bois taillées par la main
del'ou\rier, mais écrite sur sa chair avec le
doigt de Dieu, faveur dont il s'estimait si
indigne, qu'il faisait son possible pour la
cacher et dérober aux yeux des hommes;
mats inutilement, car Dieu manifesta ces
signes de son amour pour François en fai-
sant plusieurs miracles qui en firent con-
naître la verlu et la sainteté à tout le monde.
Malgré les douleurs qu'elles lui causaient,
et qui étaient quelquefois si violentes, qu'il
ne pouvait marcher, il ne laissait pas de
continuer ses fonctions apostoliques, se fai-
sant porter pour cet effet sur des charrettes
dans les villes et les bourgades, pour animer
tout le monde à porter la croix de Jésus-
Christ. C'était là toute sa science; il faisait
profession, comme l'Apôtre, de ne savoir
point d'autre chose que Jésus crucifié ,
n'ayant point fait d'autre étude depuis sa con-
version.
Depuis le jour qu'il reçut les stigmates
jusqu'à sa mort, sa vie fut toujours languis-
sante; et il eut tant d'occasions de souffrir
pour l'amour de Jésus-Christ, qu'il pouvait
dire avec ce divin Sauveur qu'il n'y avait
pas une partie dans son corps qui fût exempte
de souffrance : car, outre les douleurs dont
nous venons de parler, et qui étaient conti-
nuelles, il eut un mal aux yeux, pour lequel
on lui fit un cautère qu'il souffrit avec au-
tant de patience qu'il était cruel et extraor-
dinaire, puisqu'on lui brûla la peau et les
chairs jusqu'aux os, depuis l'oreille jusqu'au
sourcil; et il eut peu de temps après le corps
tout brisé par une chute violente qu'il fit par
l'inadvertance de l'infirmier, ce qu'il souffrit
avec tant de patience, que, bien loin de se
plaindre, il baisa plusieurs fois la terre qui
devait bientôt le recevoir dans son sein. En-
lin, Dieu l'ayant voulu éprouver par toutes
sortes de manières, le saint, sentant que sa
fin approchait, se fit transporter du couvent
de Font-Colombe à celui de Notre-Dame-des-
Anges proche Assise, pour mourir dans le
lieu où il avait reçu le premier esprit de dé-
votion, et qui avait servi de berceau à son
ordre. Y étant arrivé, il se fi! mettre nu sur
la terre, disant qu'il voulait combattre en
FRA
546
athlète. Le gardien, voyant sa pauvreté, prit
une méchante robe, avec une corde et un
capuce.et lui dit de les recevoir par aumône
comme un pauvre: ce qu'il lui commanda
en verlu de la sainte obéissance. Le serviteur
de Dieu, ravi de ce qu'on lui donnait par au-
mône un habit pour sa sépulture, le reçut
pour y être enseveli comme un Frère Mi-
neur, à condition qu'il mourrait nu et qu'il
demeurerait quelque temps en cet état après
sa mort. Ayant fait ensuite assembler tous
ses frères, qui se trouvaient pour lors dans
cette maison, il leur donna sa bénédiction,
etàj tous les absents, de la manière que le
patriarche Jaob l'avait donnée aux enfants
rie son fils Joseph, en se faisant croiser les
bras, et mourut tranquillement, le quatrième
jour d'octobre de l'an 1226, dans la qua-
rante-cinquième année de son âge, ayant vu
plus de quatre-vingts maisons de son ordre
établies, presque dans tous les royaumes de
la chrétienté. Il n'élait que diacre, son humi-
lité l'ayant empêché de recevoir la prêtrise.
A peine fut-il expiré, que l'on vit en son
corps un changement merveilleux : sa peau,
qui était noire et brûlée du soleil, devint
blanche comme la neige; les stigmates s'y
découvrirent avec plue d'évidence qu'aupa-
ravant : on eut alors toute la liberté pour
les examiner, et toute la ville d'Assise ac-
courut pour voir ces signes salutaires de no-
tre rédemption dont Jésus-Christ l'avait fa-
vorisé, et que son humilité lui avait fait ca-
ch r pendant sa vie. Le lendemain, de grand
malin, l'on porta dans la ville d'Assise ce sa-
cré dépôt, escorté d'une multitude incroya-
ble de peuples, qui avaient des rameaux ou
des cierges à la main. Il fut porté en passant
dans l'église de Saint-Damien, pour donnera
sainte Claire et à ses religieuses la satisfac-
tion de le voir et de baiser ses stigmates, et on
l'enterra ensuite dans l'église de Saint-Geor-
ges, où Dieu rendit son tombeau glorieux
par le grand nombre des miracles qui s'y fi-
rent.
Le P. Hélie, qui était vicaire général, écri
vit une lettre circulaire à tous les couvents
de l'ordre, pour leur donner avis de la mort
du saint fondateur. Grégoire IX, ayant fait
assembler le chapitre général l'an 1227, y
voulut assister, et le gouvernement de l'or-
dre fut mis entre les mains du P. Hélie, qui,
affectant beaucoup de piété et un grand zèle
pour maintenir la régularité, fit difficulté
d'accepter le généralat, sou» prétexte de ses
infirmités et de son peu de capacité; mais il
ne faisait cela que pour en venir à ses fins,
qui étaient de se procurer ses aises et ses com-
modités au préjudice de la régularité, en trom-
pant par ces belles apparences les religieux,
qui, le voyant si humble, l'en crurent plus
digne, et consentirent que, selon qu'il en au-
rait besoin, il pût se dispenser en quelques
choses des austérités de la règle, et se ser-
vir de montures dans ses voyages. A ces
conditions il accepta l'office de général, et
fut le premier après saint François. Ce qu'il
fit de mieux pendant tout le temps qu'il gou-
verna l'ordre, fut qu'il procura la canonisa-
DICTIONNAIRE DES ODRES RELIGIEUX.
348
lion ilo rc saint fondateur, que le pape Gré-
poire IX Qt avec beaucoup de solennité l'an
1228, et étendit son culte dans toute l'Eglise,
en lixani sa fête au k octobre, par une bulle
qu'il publia en 1230. On n'eut pas plutôt
achevé la cérémonie de la canonisation, que
l'on travailla aux fondements d'une église
magnifique, qui devait être dédiée en son
honneur près des murs d'Assise. Le pope
voulut mettre la première pierre, et donna
(le grosses sommes pour contribuer à cet ci-
lice, dont il donna le soin au général Héiir,
qui, par une transgression manifeste à la ré-
gie du saint patriarche, fit mettre des troncs
dans cette église, et faire une quête d'argent
dans toutes les provinces. Nous avons vu
dans l'article Césarins les troubles que cela
causa dans l'ordre, aussi bien que le relâ-
chement que quelques autres généraux intro-
duisirent dans la suite. Nous nous contente-
rons de rapporter ici en peu de mois l'état
présent de cet ordre, qui s'est étendu dans
toutes les parties du monde, où, nonobstant
les hérésies dont l'Angleterre, l'Ecosse, l'Ir-
lande, le Danemark, la Suède, la Hollande
et plusieurs autres provinces, tant en Alle-
magne que dans d'autres pays, ont été infec-
tées, et où l'ordre de Saint-François a perdu
une infinité de monastères de l'un et l'autre
sexe, il ne laisse pas d'avoir encore plus
de sept mille maisons d'hommes, tant de l'Ob-
servance, Déchaussés, Réformés, Récoliets,
Conventuels, Capucins, que du Tiers Ordre,
danslcsquellesilya plus de cent quinze mille
religieux; et plus de neuf cents monastères
de filles, tant Clarisses et Urbanistes, que du
Tiers Ordre, de la Conception et Annoncia-
des, toutes soumises aux supérieurs du pre-
mier etdu troisième ordre, dans lesquels il y a
plus de vingt-huit mille trois cents religieu-
ses : ce qui se connaît parles chapitres géné-
i aux de ces différentes congrégations, où l'on
fait toujours le calcul des maisons et des reli-
gieux et religieuses, sans compter les monas-
ières de filles, qui sont sous la juridiction des
ordinaires des lieux où ils sont situés, et qui
sont aussi en très-grand nombre.
Tout l'ordre de Saint-François est divisé
en plusieurs branches, qui sont les religieux
de l'Observance, les Déchaussés, Reformés
et Récollets, qui se disent de l'Etroite Obser-
vance, les Comentuels et les Capucins, qui
forment tous le premier ordre. Les Clarisses,
Urbanistes et Capucines, qui sont du second
ordre; et le troisième, qui n'avait été insti-
tué par sainlFrançois que pour des séculiers,
comprend aussi dès religieux et religieuses,
qui forment différentes congrégations. Les
religieux du premier ordre de l'une et l'au-
tre observance s uni divisés en Famille Cis-
montaineet UUramontaine. La Cismontaine
comprend les couvenls qui sont en Italie,
ceux d'Allemagne supérieure, la Hongrie, la
Pologne, et les autres qui sont en Syrie et
dans la Palestine. L'Ultramontaine est com-
posée de couvents de France, d'Espagne, de
l'Allemagne inférieure, de Saxe, jusqu'au
continent; les îles de la Méditerranée, l'A-
frique, l'Asie et les Indes. L'une et l'autre
famille est encore divisée en provinces, vi-
cairies et custodies. On entend par provin-
ces l'union do certains nombre de couvenls
sous un chef, qui dépend du général. On ap-
pelait au commencement de l'ordre vicairic
quelques couvenls unis ensemble qui, à
cause de leur petit nombre, ne pouvaient pas
jouir de la dignité et des prérogatives des
provinces. Sous le pape Eugène IV, les con-
grégations provinciales de l'Observauce ,
quoique considérables par le grand nombre
des couvents, n'avaient néanmoins que letitre
de vicairies , parce qu'elles étaient subor-
données au minisire provincial de la com-
munauté ou des Convenluels; et l'on appelait
vicaires provinciaux ceux qui étaient supé
rieurs de ces congrégations, parce qu'ils
étaient obligés de demander leur confirma-
tion au provincial; mais elles ne laissaient
pas de jouir des prérogatives des provinces :
ce qui dura jusqu'à la bulle d'union de Léon
X, dont nous parlerons dans la suite.
On appelait aussi custodies, au commen-
cement de l'ordre, quelques couvents qui
faisaient partie d'une province qui, à cause
de sa irop grande étendue, ne pouvant pas
élre gouvernée par les provinciaux, était
divisée en plusieurs custodies gouvernées
par des custodes, dépendant toujours néan-
moins du provincial de celle province, qui
était obligé d'y faire la visite lous les ans.
Présentement les custodies ont succédé aux
vicairies, et celles qui ne dépendent d'aucun
provincial sonl immédiatement sujettes au
général. Elles tiennent leurs chapitres en
particulier, ont un définitoirc cuslodial ci
se gouvernent d'elles-mêmes sous l'autorité
d'un cuslode; et les préfectures sonl II s mis-
sions parmi les infidèles.
La Famille Cismontaine a soixante-six
provinces, trois custodies et six préfectures ;
l'Ultramontaine a quatre-vingl-une provin-
ces et plusieurs custodies ; et toutes ces pro-
vinces et custodies sont soumises à un géné-
ra! qui prend la qualité de ministre général
de tout l'ordre de Saint-François. H a encore
sous sa juridiction les Clarisses et Urbanis-
tes, cl les religieux du Tiers Ordre de Saint-
François, qui ont une province en Portugal,
deux en Espagne, et quatre en France. Les
Conv ntuels ont un général qui prend le
litre de maître généra) des Frères Mineurs
Conventuels; et les Capucins en ont aussi un
qui se dit ministre général des Frères Mi-
neurs Capucins. Les religieux du Tiers Ordre
en Italie en ont aussi un particulier, que
ceux de Flandre reconnaissent pour supé-
rieur. Ceux d'Allemagne sont peu connus,
et font bande à part, la plupart étant soumis
aux évoques.
Le gt néral de tout l'ordre de Saint-Fran-
çois est à l'alternative de la Famille Cismon-
taine ou de l'Ultramontaine, et depuis un
temps considérable on choisit toujours un
sujet du roi d'Espagne. Comme la règle ni
les statuts de l'ordre ne marquent point le
temps que doit durer son office, les premiers
généraux l'exerçaient jusqu'à leur mort, à
moins qu'ils n'y renonçassent volontaire-
549
FliA
FHA
3K0
ment, comme firent les bienheureux Jean
Parent et Jean do Parme; ou 'malgré eus,
comme firenl Raimond Gaufredi , par ordre
de Roniface VJII, et Gilles Delphino. Il y en
a mémo qui oui clé déposés, comme Hélie
de Corlonue, Crescenz i Esius, Michel de
Gésène, Antoine de Massa. Raimond de Cot-
tignola el Paul Pisoti; mais en ôlanl à ce
dernier le gouvernement de l'ordre, on lui
laissa le litre de général. Le pape Jules II,
qui avait été pendant vingt-six ans protec-
teur de l'ordre avant que Je monter au sou-
verain pontificat, voyant que l'office dégé-
nérai, qui était à vie, apportai! un préjudice
considérai) e à l'ordre, ie réduisit à six ans
seulement, dans le sixième chapitre généra-
lissim ■ qui se tint à Rome l'an 1506, après la
renonciation forcée de Gilles Delphino. Rai-
mond de Cottignola fut élu pour le premier
général pour six ans, conformément à cette
réduction de Jules II. Pie Y, par une bulle
de l'an 1571, ordonna que les généraux
exerceraient leur office pendant huit ans;
mais Sixte V, l'an 1587, le remit à six ans,
comme il avait éié ordonné par Jules II. Si
le général mçurt avant que d'avoir fini ce
temps, ou qu'il soit élevé à quelque dignité
de l'Kglise, on lui substitue un vicaire, géné-
ral qui est élu par les pères discre's perpé-
tuels de l'ordre, qui sont ceux qui ont exercé
l'office de général ou qui ont été vicaires
généraux pendant deux ans, s'ils sont pré-
sents dans l'une et l'autre famille, c'est-à-
dire Cismonlaine ou Dllramontaine, ne de-
vant point être appelés s'il ^ sont absents.
Dans la Famille Cismonlaine, on doit appeler
à l'élection le procureur général, le commis-
saire général en cour de Rome, le procureur
général des Réformés, tous les définiteurs
généraux cismontains et les ultramonlains
qui se trouvent au lieu de l'élection, aussi
bien que le provincial, le vicaire ou com-
missaire de la province dans laquelle se fait
l'élection ; et, dans la Famille Ullramonlaine,
le vicaire général est élu par le commissaire
général des Indes, les définiteurs généraux
de la nation seulement où se fait l'élection,
et les autres, s'ils sont présents, avec six des
provinciaux les plus proches. Si le général,
avant que de mourir, n'a pas fini son pre-
mier triennal, ou qu'il donne sa renoncia-
tion, ou qu'il soit déposé, ou qu'il soit élevé
à quelque dignité de l'î'glise, le vicaire gé-
néral qui lui succède ne peut pas gouverner
l'ordre jusqu'au premier chapitre général,
mais il doit assembler les vocaux de sa fa-
mille et procéder à l'élection non d'un vi-
caire, mais d'un ministre général. Ouc si le
général meurt avant que d'avoir fini son
second triennal, le vicaire généra! qui lui
est substitué doit finir ce qui restait de ce
triennal, et il ne peut être de nouveau élu
général qu'après seize ans de vacance. Ce
qui a toujours été observé jusqu'en l'an 1700,
que le révérendissime P. Jean de Las Torres
fut élu général dans le chapitre qui se tint à
Rome. Ce général étant mort l'an 1701, on
lui substitua le révérendissime P. Alphonse
de Biezma, pour lors commissaire général
des Indes, qui fut confirmé en qualité de gé-
néral par le pape Clément XI. Mais à la lin
du second triennal, n'ayant pu faire tenir le
chapitre général à cause de la guerre dont
l'Europe a été affligée depuis l'an 1700, il
fut d'abord continué dans son office pour
deux ans par le îs.êmc Clément XI, par un
bref de l'an 1706, el enfin jusqu'à la conclu-
sion de la paix par un autre bref de l'an
1707. Mais, étant mort en 1710, et les mêmes
raisons qui ont empêché l'assemblée d'un
chapitre général depuis 1700 subsistant en-
core par les prétentions de l'empereur Char-
les VI sur les royaumes d'Espagne, nonob-
stant la juste possession de Philippe V, le
révérendissime P. Joseph de Garcia lui fut
substitué par l'élection qui en fut faite selon
la pratique de l'ordre en semblables cas : ce
qui a été confirmé par un bref de Clément XI,
en vertu duquel il jouit de tous les droits et
de la qualité de général.
On élit aussi dans les chapitres généraux
un commissaire général pour la famille dont
le général n'a point élê lire. Pour conserver
la paix entre les religieux de l'une et l'autre
observance, on décréta, dans le chapitre gé-
néral tenu à Rome en 1664, que le commis-
saire général sera pris à l'alternative d'entre
les Observants et les Réformés, et qu'ils au-
raient également des définiteurs généraux :
ce qui fut approuvé par le pape Alexan-
dre VII. 11 a le même pouvoir dans sa famille
que le général dans tout l'ordre, excepté
qu'il ne peut nommer aux offices dont la
nomination appartient de droit au général.
Il peut même faire valoir s n autorité en
présence du général, excepté dans les pro-
vinces que le général s'est réservées. Son
office ne dure que pendant un triennal. Le
général pouvait autrefois, quand bon lui
semblait, ne pas assembler de chapitre pour
en élire un autre, et il lui était permis de
faire élire un vice-commissaire jusqu'au
premier chapitre général par les pères dis-
crets de la famille dont le commissaire gé-
néral était tiré. Dans le chapitre général de
Rome de l'an 1676 on fit un décret par lequel
le commissaire général, aussi bien que les
définiteurs généraux de la même famille,
exercerait son office depuis un chapitre gé-
néral jusqu'à l'autre; mais Innocent XI ne
voulut pas approuver ce décret, et même le
révoqua par une bulle, ayant donné ordre
au général de tenir un chapitre pour l'élec-
tion d'un commissaire général. Ainsi, en
vertu de la bulle de ce pontife, après que le
commissaire général a fini son triennal, les
vocaux de sa famille en élisent un autre, à
moins que la tenue du chapitre ne soit em-
pêchée par la guerre, auquel cas le général
peut continuer le commissaire jusqu'à ce
que le chapitre se puisse tenir, ou bien il
peut de sou autorité en nommer un autre
de la même famille. Ce commissaire, après
son triennal, est discret perpétuel dans la
même famille, et ne peut être de nouveau
élu commissaire général ou ministre général
qu'après avoir vaqué seize ans, à moins qu'il
n'en soit dispensé par le saiut-siége.
351
Les principaux offices de l'ordre à la no-
mination du général sont ceux de commis-
saire des Indes résidant à la cour du roi d'Es-
pagne, le commissaire en cour île Home et
le procureur général de la régulière obser-
vance, qui était autrefois commun pour lous
les religieux de l'une et l'aulre observance;
mais les Réformés d'Italie en obtinrent un
du pape Clément VIII, l'an 1G03. Il fut d'a-
bord institué par les généraux; mais, par un
bref d'Urbain VIII de l'an 1G32, il est présen-
tement à la nomination du cardinal protec-
teur. L'an 1633, on accorda aux Français
un agent en cour de Rome ; mais ils ont aussi
obtenu un procureur général l'an 1704. Il
n'y a néanmoins que le procureur général
de l'observance qui ait place dans les cha-
pelles papales. Le général nomme aussi le
gardien du couvent du Mont-de-Sion à Jéru-
salem, ou du Saint-Sépulcre, lequel est com-
missaire et nonce apostolique dans la terre
sainte, et a droit de se servir d'ornements
pontificaux. Le couvent d'Aracœli à Rome,
et le grand couvent des Ordeliers de Paris
sont aussi soumis immédiatement au géné-
ral, aussi bien que l'hospice des Pénitenciers
de la basilique de Saint-Jean-de-Latran à
Rome, qui sont des religieux Réformés le
couvent de Saint-Pierre In-Monte-Orio de la
même ville, où l'on enseigne les langues
orientales; le gardieu de Conslanlinople,
qui est commissaire sur les couvents de Chio
de Smyrne et quelques autres du Levant;
les pauvres Clarisses de Madrid et de Vienne
en Autriche, les Urbanistes du célèbre mo-
nastère du Saint-Sacrement de Naples, et
celles de Sainte-Marie-Egyptienne de la
même ville.
L'ordre de Saint-François a donné à l'E-
glise quatre papes, qui sont Nicolas IV,
Alexandre V, Sixte IV, et Sixte V; quarante-
cinq cardinaux, un nombre infini de pa-
triarches, d'archevêques et d'évêques , et
deux électeurs du Saint-Empire ; tant de per-
sonnes illustres par leur science et par la
sainteté de leur vie, qu'il est presque im-
possible d'en faire le détail; non plus que
des missionnaires que cet ordre a produits
dans les siècles passés, qui se sont étendus
dans tant de pays différents, que l'on peut
dire qu'ils ont fait entendre leur voix par
toute la terre, et qu'ils ont porté la parole
de Dieu jusqu'à ses extrémités les plus re-
culées, sans parler de ceux qui sont encore
présentement occupés dans les quatre par-
ties du monde à la conversion des infidèles,
hérétiques et schismatiques. Il se glorifie
d'avoir quarante-six martyrs qui ont été mis
au catalogue des saints et dont on fait l'of-
fice dans tout l'ordre. Il y en a dix-sept qui
ont été canonisés sous le titre de confesseurs ;
plusieurs autres à qui l'Eglise a donné le
nom de bienheureux et dont elle a permis
de faire l'office. L'an 1C28, dans le chapitre
général qui se tinta Home, l'on en comptait
quatre-vingts dont on poursuivait la canoni-
sation, et ce nombre est augmenté depuis ce
temps là jusqu'à cent quaire, auxquels on
pourrait encore ajouter plus de deux mille
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 352
autres personnes de l'un et l'autre sexe qui
ont répandu leur sang pour le nom de Jésus-
Christ, ou qui ont mérité d'être regardés
comme saints par la pureté de leur vie, la
rigueur de leur pénitence et le don des mi-
racles. Sans parler de saint Ronaventure,
qui a mérité le titre de Docteur Séraphique;
de saint Antoine de Padoue. de saint Ber-
nardin de Sienne, de saint Jean Capistran,
et de saint Louis, évéque de Toulouse, qui
ont fait un des plus beaux ornements de ce
même ordre, qui se glorifie d'avoir eu aussi
Alexandre de Halès, maître de saint Rona-
venture. et Jean Duns, surnommé Scol à
cause qu'il était Ecossais, auquel on a donné
le nom de Docteur Subtil, pour avoir défendu
avec autant de force que d'érudition la vé-
rité de l'immaculée conception de la sainte
Vierge, que l'ordre prit pour patronne sous
ce titre, dans le chapitre général qui se tint
à Tolède l'an 1645. Nous irions trop loin si
nous voulions parler de tous les célèbres
écrivains qui en sont sortis. Wadingue en a
donné un catalogue qui contient un volume
in-folio, et dont le nombre a été bien aug-
menté depuis l'an 1650, qu'il fut imprimé à
Rome. Les personnes qui ont été employées
par les souverains pontifes et les princes de
l'Europe dans les légations et les affaires im-
portantes sont aussi en trop grand nombre
pour en faire un détail. Le pape Grégoire IX
donna ordre à Haimon, général de l'ordre,
de réformer le Bréviaire et le Missel romain,
et les corrections qu'il y fit ne furent pas seu.
Iement reçues dans l'ordre de Saint François,
mais elles le furent aussi dans toute l'Eglise.
Clément VII donna ordre aussi au cardinal
Quignonez, qui avait été général du même
ordie, de composer un Bréviaire particulier
pour les personnes de sa cour, qui fut ap-
prouvé par son successeur Paul III et impri-
mé pour la première fois à Rome en 1535. La
commodité de ce Bréviaire, qui était fort
court, et disposé de telle sorte qu'on lisait
l'Ecriture sainte pendant toute l'année et le
Psautier entier chaque semaine, fit que plu-
sieurs personnes voulurent s'en servir; il
n'y avait que les prêtres et les clercs sécu-
liers qui le pussent réciter, et encore avec
une permission particulière du saint-siége,
ce qui dura jusqu'à la réformation du Bré-
viaire romain, faite l'an 1568 par ordre de
Pie V, qui supprima lous les autres Bréviai-
res, spécialement celui du cardinal Quigno-
nez, dont il y avait eu un très-grand nombre
d'éditions, mais toutes falsifiées, à la réserve
des trois premières, qui sont très-rares.
Outre la Bible d'Alcala en langue latine,
grecque, hébraïque et chaldaïque, que le
cardinal Ximenès fit faire à ses dépens, on
lui est aussi obligé de nous avoir conservé
l'ancien office mozarabique, dont les exem-
plaires sont devenus très-rares, principale-
ment le Missel, quoiqu'il en eût fait tirer un
très-grand nombre d'exemplaires.
Le véritable habillement de saint Fran-
çois consistait en une robe de méchant drap
de couleur de cendre, avec un capuce pointu
attaché à la même robe faite en forme de sac.
353 FIU
comme on le peut voir dans l'estampe qui est
au commencement île ce lome (1). Ses premiers
disciples étaient aussi habillés de la même
manière. De toutes les congrégations qui
subsistent encore sous le nom de Frètes
Mineurs, comme Observants, Déchaussés,
Reformés, Kécollels, Conventuels et Capu-
cins, il n'y a que l'habit de ces derniers qui
approche le plus de celui de saint François;
ils ont seulement élargi et allongé le capuce,
par la l'orme pyramidale qu'ils lui ont don-
née. La pauvreté de cet habillement ne tarda
pas longtemps à être altérée par la vanité
du P. Hélie, qui, ajant pris un habit plus
ample, en fut repris par saint François d'une
manière aussi sévère qu'elle était humilian-
te ; car ce saint fondateur le lui ayant de-
mandé, s'en revêtit, et, après s'être promené
avec ostentation en présence de ses frères,
du nombre desquels était ce premier infrac-
teur de la pauvreté, il le dépouilla et le jeta
par terre avec indignation, en disant que les
bâtards de l'ordre étaient ainsi habillés.
Saint lionaventure, dans le chapitre général
de Narbonne, l'an 12oS, lit du changement
dans (habillement, premièrement afin que
les religieux fussent distingues des bergers,
et secondement pour ôter un abus que quel-
ques-uns avaient introduit , qui était de
porter des capuces amples qui , ne pou-
vant pas bien couvrir leur lêtc, les obligeaient
à y ajouter des aumusses ; c'est pourquoi il
ordonna que les capuces seraient ronds,
attachés à une espèce de musette aussi ronde
par devant, qui se terminait eu pointe par
derrière. La différence qu'il pouvait y avoir
entre ces sortes de capuces et ceux que por-
taient les bergers de ce temps-là , c'est que
les capuces des bergers étaient pointus et
loiijj;s, et ceux que saint Ronavenlure ût
prendre à ses religieux étaient ronds et courts;
mais les uns et les autres avaient des uiosel-
tes, et il y a bien de l'apparence que les ber-
gers les portaient encore de celte forme sur
la lin du quatorzième siècle et le commen-
cement du quinzième, car j'ai vu des Heu-
res en velin qui étaient à l'usage du cardi-
nal Jean d'Armagnac, mort l'an 14-09, où ,
entre les miniatures qui y sont, il y a un
berger représente a*ec un capuce pointu et
une musette, comme on peut voir dans la
Egure que nous avons lait graver (2). 11 y a
bien de l'apparence que celle l'orme d'habil-
lement, qui fut ordonnée dans le chapitre de
Narbonne, ne fut pas introduite tout d'un
Cuup dans l'ordre, puisque dans la mosaïque
que le pape Nicolas IV lit faire dans la basi-
lique de Saint- Jean-de-Latran, saint Fran-
çois y est représenté avec un capuce long et
pointu assrz semblable à celui des capucins,
qui ont toujours lait lant d'estime de la dé-
couverte qu'ils avaient faite de ce capuce
long et pointu, qu'ils ont souvent intenté
procès aux autres congrégations de l'ordre
au sujet de l'habillement, particulièrement
aux religieux du troisième ordre de Saiut-
François en Sicile, sur la couleur de leur
fui:
3.VI
habit; aux Conventuels Réformés, sur la
forme de l'habit et les sandales de cuir; aux
Récollets sur leur capuce pomtu, et aux re-
ligieux Pénitents du tiers ordre de saint Fran-
çois en France, sur ce qu'ils laissaient croî-
tre leur barbe, et qu'ils portaient comme eux
une corde blanche.
Luc Wading, Annal. Minorum. Francise.
Gonzaga, de origine Seraphicœ Religionis.
Rodulpii. Tussinian. Wstoria Seraphica.
Dominic. de Gubernatis, Orbis Sernphicus.
Marc de Lishoa, Cronica de los Menores.
luanetin Ninno, Cronicas de lus Menores.
Francisco de Itoyas, Annal, de la Orden de
los Menores. Michel de la Purification, Vida
Evanijelica de lus Frayles Menores. Sanctus
Ronaventura, Vit. S. Francisci. Rartholom.
de Pisis, Liber Conformilatum vit. S. Fran-
cisa cum vita J. C. Henricus Sedulius, Hi-
storia Seraphica. Pelrus de Alva , JS'aturœ
prodigiwn, gratiœ purtentum, hoc est Seraphi-
ci Francisci silœ acta ad Christi vitam et
murlem regulata. Arturius à Monaslerio ,
Martyrologium Franciscanum. Spéculum Mi-
norum. Monumenta Ordinis Minorum, et Fir~
mainenia trium Ordinum S. Francisci.
FRANÇOIS (Tiers ordre de Saint-). Voy.
Pénitence et les divers noms qui différen-
cient les congrégations du Tiers Ordre.
FRANÇOIS d'ASSISE (Ordre de SaIKT-).
Voyez Franciscains.
FRANÇOIS de PAULE (Ordre de Saint-).
Voyez Minimes.
FRANÇOIS de SALES (Ordre de Saint-).
Voi/ez Visitandines.
FRERES JOYEUX (Chevaliers de l'or-
dre de la Glorieuse Vierge Marie, appelés
aussi les).
Après avoir rapporté l'histoire des ordres
et congrégations religieuses qui ont suivi la
règle de saint Augustin, aussi bien que quel-
ques ordres militaires dont les chevaliers
sont véritablement religieux ou l'ont été
dans leur origine, ce qui fait que nous ne
les avons pas séparés des congrégations
religieuses, il nous reste encore à parler de
quelques ordres militaires dont les cheva-
liers, à ce que l'on preleud, oui été soumis
à la règle de saint Augustin, quoiqu'ils ne
fussent pas religieux. Les premiers sont les
chevaliers de l'ordre de la Glorieuse Vierge
Marie, Mère de Jésus-Christ, qui fuient éta-
blis par le P. Rarlhéleoiy de Vicence, reli-
gieux de l'ordre de Saint-Uomiuique, qui fut
ensuite évéque de cette ville. Ce père, voyant
l'Italie en trouble et en confusion par la fac-
tion des Guelfes et des Gibelins, institua
cet ordre l'au 123-i. Le principal institut et
l'Obligation des chevaliers étaient de prendre
les armes contre les perturbateurs du repus
public, et contre ceux qui violaient impu-
nément la justice. Ils faisaient aussi vœu de
chasieie conjugale, d'obéissance et de proté-
ger les veuves et les orphelins. Les premiers
qui lurent faits chevaliers furent Pélegriu
Castelli, Caslellau Malcuolo, Hugoim L iui-
berlini, Lodérin Andalo, Girauiou, Caccia-
(1) Voy., à la fin du vol., u*71.
(2) Voy., à la fin du vol., n° 72.
zm
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
356
némici, tous gonti.siîommes bolonais Séla-
nia, Liazarii de Reggio, et Rainier Adelardo
do Mantose, et il y en a qui leur donnent
pour premier grand maitre Lodérin Andalo.
Dans la suite ils firent confirmer leur ordre
par le pape Urbain IV, l'an 1262, ce qui a
l'ait dire à quelques-uns que ret ordre n'a-
vait été institué que cette année-là. Ces che-
valiers portaient un habit blanc et un man-
teau gris cendré sur lequel ils mettaient une
croix rouge. 11 y en a qui prétendent qu'ils
en portaient aussi uneorlée ti'or sur la poi-
Irine. Nul ne pouvait être reçu dans cet
ordre s'il n'était gentilhomme. Il leur était
néanmoins défendu de porter des éperons
dorés, et d'avoir les harnais d> leurs che-
vaux dorés. Comme il leur était permis de
se marier, qu'ils avaient des commanderies,
qu'ils jouissaient de plusieurs privilèges et
commodilés qui leur donnaient moyen de
subsister honorablement et avec éclat, et que
même dans la suite ils songèrent plutôt à
passer le temps dans les plaisirs, qu'à s'ac-
quitter des obligations de leur ordre, le peu-
pl , par une espèce de raillerie et de mépris,
les appela Frèr s Joyeux.
Les sentiments sont différents touchant ia
croix qu'ils portaient; les uns leur donnent
une croix, de gueules à huit angles, orlée
d'or et cantonnée de quatre étoiles; d'au-
tres ajoutent à cette croix l'image de la
sainte Vierge ; quelques-uns prèle dent
qu'elle était plus longue que large et qu'elle
avait seulement deux étoiles d'or aux deux
angles au-dessus du travers (1). L'abLé
Giusliniani, passant à Bologne en 1677, vou-
lant s'informer de la vérité, trouva dans la
maison d'un des successeurs du comte Jé-
rôme Benlivoylio une croix en peinture sem-
blable à cette dernière , quoique le peu de
chevaliers de cet ordre qui restent à pré-
sent portent la croix à huit pointes canton-
née de quatre étoiles. Il y en a encore qui
font mention d'une autre croix fleurdelisée
par les bouts, au milieu de laquelle est le
nom de Marie en chiffre, avec un cercle de
rayons sous les fleurs de lis. Cet ordre avait
des commanderies à Bologne, à Modène, à
Manloue, à Trévise et en divers endroits
d'Italie. Le dernier commandeur de Bologne,
nommé Camille Volta, mourut en 1 58Ù , et
les biens de cet ordre furent donnés par le
pape Sixte V au collège de Montalte. Les
églises de Saint-Matthieu, de Saint-Pierre et
de Saint -Paul, à Cas irate hors de Bologne,
et lient autrefois des commanderies de cet
ordre. Lorsqu'il fut éteint, les chevaliers
qui demeuraient à Trévise conservèrent une
commanderie sous le nom de Sainte-Marie
de la Tour; et lorsque le chevalier qui en
est prieur meurt, les chevaliers nomment un
d'entre eux pour lui succéder. Peut être
qu'au temps de l'extinction de l'ordre, ces
tbeva'iers s'y opposèrent, et que par accom-
modemi ht on leur laissa celte commanderie
avec pouvoir de porter la croix.
Voyez Mennénius, de Belloy, l'abbé Gius-
li) Voy., à la tin du vol., n° 75.
tiniani, Schoonebeck et Hermnnt, dans leurs
Histoires des Ordres militaires et de cheva-
lerie. Tamburin, de Jur. Abbutum disput.
24, tjttii'stion. 5, n. 96 ; et Carol. Sigonius,
lib. xvn et xix de Rei/no llaliœ.
FRERES MINEURS. Voyez Franciscains
et les litres de leurs diverses branches; par
exc'i.ple : Récollels , Capucins, Observant
tins, Conventuels, Colletants, etc.
FRÈRES PRÊCHEURS. Voyez Domini-
cains.
FRÈRES UNIS. Voyez Arméniens de Gê-
nes.
FR1GD1EN DE LUCQUES ( Congréga-
tion de). Voyez Latran (Saint-Sauveur de),
FRISE ou de la COURONNE DE FER (Che-
valiers de).
Quoique Schoonebeck, dans son Histoire
des Ordres militaires, dise qu'avant l'éta-
blissement de celui de Saint-Jacques de l'E-
pée eu Espagne, il n'y avait eu encore au-
cune société militaire qui consacrât s- s
biens et sa vie à combattre contre les infi-
dèles pour le bien de la chrétienté, il ne
laisse pas néanmoins de nous en donner
d'autres qu'il prétend avoir été institués plu-
sieurs centaines d'années avant celui de
Saint-Jacques de l'Epée : tel est entre autres
l'ordre de Frise ou de la Couronne, dont il
fait remonter l'origine jusqu'en l'an 802 ,
après Mennens, Michieli, Giustiniani et quel-
ques autres, qui disent que ce fut Charle»
magne qui en fut le fondateur, et que ce
prince donna aux chevaliers, pour marque
de cet ordre, une couronne qu'ils devaient
porter sur un habit blanc avec celle de-
vise (2) : C or onabitur légitime certans. Quel-
ques-uns disent que ce fut pour récompen-
ser les Frisons , qui lui avaient été d'un
grand secours dans la guerre qu'il eut con-
tre les Saxons. D'autres prétendent que ce
fut quand il eut défait les Lombards et qu'il
eut fait prisonnier leur roi Didier. Giusli-
niani rapporte, après Hanconius, historien
de Frise, un prétendu privilège que ce prince
accorda à Rome à ces nouveaux chevaliers
l'an 802, et il ajoute avec d'autres qu'il leur
dodna la règlede Saint-Basile. Mais, nuire
que nous ne reconnaissons point d'ordre mi-
litaire avant le douzième siècle, quelle ap-
parence y a-t-il que Charlemagne eûl donné
à ces chevaliers la règle de Saint-iiasile, lui
qui était si zélé pour l'aire observer celle de
Saint-Benoit, et qui n'en reconnaissait
point d'autre dans ses Etats? Ainsi je re-
garde cet ordre comme supposé. Ces auteurs
ajoutent que les chevaliers de Frise faisaient
vœu d'obéir à leur prince, et de défendre la
religion chrétienne aux dépens de leur sang.
La principale cérémonie qu'on observait à
leur réception, selon ces écrivains, était de
leur attacher le baudrier et de leur mettre
l'épée au côté; on leur donnait un soufflet,
qui fut changé depuis en un baiser et l'ac-
eolado; et on ne recevait personne qu'il
(„) Voy., à la in du vol., n" 74.
SS7
FUL
FUI.
358
n'eût servi cinq ans l'empereur à ses frais.
Mais cet ordre, comme nous avons dit, est
supposé; el je ne sais sur quoi Fondé Schoo-
neberk dit que les rois de France s'en alîri-
bnent toujours la dignité de grands maîtres,
quuiquo le pouvoir d« faire des chevaliers
appartienne, dit-il, aux empereurs, comme
étai t attaché à l,i couronne impériale; car
iiiiiis ne voyons pas que les rois de France
ni les empereurs aient créé de ces sortes de
ihe\aliers ; et ainsi l'abbé Giusliniani pou-
vait se dispenser de donner une suite chro-
nologique des grands m;iîlres de cet ordre
prétendu, depuis Charlemagne jusqu'au roi
de France Louis XIV et l'empereur Léo-
pold i«r.
iMcnnénius, Deluïœ Equcsl. Ord. L'abbé
Giusliniani, Hist. di luit fit. Ord. milriiri.
And. Mendo , De Ord. viilit, Hrru.an et
Si . ii .oiiebeck dans leurs But. des Ord.
uulii.; el Joseph Michieli Tcroso, M Mit. di
Car al.
FULDE en Allemagne (ANCIENNE CONGRÉ-
GATION DE).
L'abbaye de Fulde est sans contredit la
plus noble et la plus illustre d'Allemagne,
non-seulement à cause de ses grandes ri-
chesses et du grand nombre d'abbiyes et de
prieurés q i en dépendaient, mais encore à
cause des prérogatives accordées à l'abbé de
ce monastère , qui estprince de IL;.!, ire,
primat et chef de tous les abbés d'Allema-
gne, et chancelier perpétuel de l'impé a-
tiSce. S int Boniface, archevêque de Mayeace
et apôtre d'Allemagne, fut le principal fon-
dateur de celte fameuse abbaye. Le saint,
qui s'était servi de religieux pour être ses
coadjuleuis dans la conversion d'une inli-
nile de peuples en Allemagne, et qui se ser-
vait au.-si d'eux dans d'autres affaires, s n-
haitait y bâtir un célè'ire monastère pour
les y établir. Il avait déjà fondé ceux d r-
do!l et de Frisiar, mais ils ne suffisaient pas
jour le grand nombre d'ouvriers apostoli-
ques qui le soulageaient dans ses travaux;
fàcbé de voir que saint Sturme, l'un de ses
disciples, s'était retiré avec qui iques coni-
pa imns dans le désert d'Hersfeld, où ils
étaient tous les jours exposés aux insultes
des Saxons, il leur ordonna de s'établir
dans un autre lieu. Ils en trouvèrent un
plus commode proche la rivière de Fulde
dans le pays de Buchuw, qu'on appelait au-
trefois Grapleld, entre ;a Messe, la Frauco-
uie el la Tliuringe.
Ce lieu, qui s'appelait Eiioha, appartenait
à Carlomau, duc et prince des Français, que
. saint Boni face alla trouver pour le prier de
le lui donner afin d'y établir une commu-
nauté de religieux; ce que personne n'a-
vait encore fait en ce pays. Non-seulement
( arloman le lui accorda avec une étendue
de quatre mille pas aux environs, mais il
exhorta encore les seigneurs de sa cour de
contribuer à l'établissement de ce monas-
tère, ce que la plupart ayant fait, saint
Sturme y conduisit sept religieux i
el deux mois après saint Bouii'ace y lit bâtir
une église avec le monastère, qui prit le nom
de la rivière de Fui. le qui y passait. Saint
Sturme en fut 'e preci ier abbé. En peu de
temps le nombre ib's religieux augmenta de
telle sorte, el les biens que l'un lit à ce mo-
nastère furent si consi lérables, qu'il y eu'
plus de cinq cents religieux qui y demeu-
rèrent du vivant même de saint Sturme.
Saint lioniface, pendant qu'on travaillait
aux édifiées de ce monastère, se relira sur
une montagne voisine depuis appelée pour
ce sujet le Mont de l'Evêque, et y passa tout
le temps qu il y demeura, dans l'oraison et
dans la lecture des saints Pères. Etant re-
tourné à Fulde, il exhorta les religieux à
bien pratiquer leur règle, leur ordonna de
ne prendre, aucune boisson qui pût enivrer,
et de se conten'er d'un peu de petit" bière;
mais la communauté s'étant augmentée no-
tablement , cette rigueur fut modérée du
temps ou roi Pépin le Bref; et dans un con-
cile il leur fut permis de boire du vin, à
cause de ceux qui étaient faibles et infir mes.
Il se troma néanmoins un grand nombre de
religieux qui, ne voulant point se servir de
cette permission, ne burent point de vin
ioul le temps de leur vie.
Les bâtiments de Fulde étant achevés,
l'extrême désir que les religieux avaient de
bien observer la règle de Saint-Benoît, les
fit résoudre d'envoyer quelques-uns d'entre
eux aux grands monastères pour y remar-
quer la discipline régulière, el la pratiquer
ensuite dans toute son exactitude. Ils en
parlèrent à saint Boniface, qui, approuvant
leur dessein, choisit pour ce voyage saint
Sturme, qui alla au mont Cassin, où il de-
meura quelque temps pour s'instruire par-
faitement de toutes ieurs pratiques réguliè-
res. Saint Boniface, remarquant que ces re-
ligieux étaient pauvres et avaient peine à
subsi.s.er, leur donna quelques terres pour
à ieu s besoins; et ce fut à sa prière
que Carloman augmenta encore le territoire
de Fulde de (rois mille pas, de sorte qu il
contenait sept milles de tour. Ce prélat,
I ermir davantage cet établissement,
oli.i t un privilège du pape Zacbarie qui
sou uett lit ce monastère immédiatement au
sainl-siége; et, pour marque de son affec-
tion, ii y voulut être enterré. Ce sain! fut
martyrisé par les Frisons l'an 755. Son
corj.s lui d'abord enterré à Ulrecht ; mais les
religieux de Fulde l'allèrent chercher pour
le transporter dans leur abbaye, comme ce
saint l'avait souhaité.
Après la mort de saint Boniface, saint
Stu nie ne put éviter la malignité de la ca-
lomnie. Saint Lulle avait succédé à sa nt
Boniface dans l'archevêché de Mayence. On
prévint ce prélat contre ce saint abbé; il sa
trouva de faux frères dans sa communauté
qui l'accusèrent de n'être pas affectionné au
service du rai , qui était alors Pépin le Bref,
ce qui le fit reléguer dans le monastère
d'Unnedice, ou plutôt Jumiege, au diéeèse
de Houen. Saint Lulle en son absence obtint
du roi que le monastère de Fulde lui sérail
soumis, et y nomma pour abbé uu de sei
559
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
160
domestiques, appelé Marc. Mais les reli-
gieux, refusant de se soumettre à ce pas-
teur, qui était étranger et qui ignorait leurs
usages et leurs lois, sortirent du monastère
pour en aller porter leurs plaintes au roi,
qui leur permit de choisir un abbé. Celui
qu'ils élurent fut le vénérable l'reszoldc,
qui, ayant été disciple de saint Slurme dès
sa plus tendre jeunesse, chercha aussitôt
les moyens de procurer le retour de son
maître, qui fut rappelé d'exil deux ans après
par Pépin. Ce prince ne se contenta pas
même de le renvoyer avec honneur à Fulde,
il voulut encore qu'il fût rétabli dans sa di-
gnité d'abbé; il retira aussi ce monastère de
la juridiction de l'évêque de Mayence, et
confirma le privilège que le pape Zacharie
lui avait accordé, en le soumettant immé-
diatement au saint-siége. II le prit de plus
sous sa protection, et lui donna Omslat avec
ses dépendances.
Le P. Mabillon (1) rapporte tout au long
ce privilège du pape Zacharie, afin que per-
sonne n'en puisse douter, et fait observer
ensuite, après le P. 'J'homassin , qu'avant ce
pape il n'y avait aucune abbaye qui fût sou-
mise immédiatement au saint-siége. Elles
étaient pour lors réputées ou exemptes de la
juridiction de l'évêque diocésain, ou soumi-
ses au métropolitain ou aux assemblées des
évéques, qui étaient fréquentes en ce temps-
là ; ou au patriarche par une condition ta-
cite, quoique cela ne fût pas marqué préci-
sément par le privilège. Nous en rapporte-
rons quelques exemples. Saint Théodore Si-
ceote,évêque d'Anastasiopole, ayant renoncé
à l'épiscopat, reprit la conduite des monas-
tères qu'il avait fondés, et dont il avait été
tiré quelque temps après sa retraite. Vers
l'an 597, étant venu à Constantinople, il ob-
tint de grands privilèges pour ses monas-
tères, qui lurent exemptés de la juridiction de
tout autre évéque , et soumis seulement à
l'Eglise de Constantinople. Le pape saint
Grégoire accorda, l'an 598, un privilège à
l'abbaye de Classe dans le diocèse de Ra-
venne, par lequel, enire autres choses, il dé-
fendit à l'évêque de prendre connaissance
des revenus de ce monastère et d'en rien di-
minuer, de soustraire aucun titre, d'ordon-
ner aucun clerc sans le consentement de
l'abbé, et d'eu tirer aucun religieux malgré
lui pour gouverner d'autres monastères.
Trois ans après, le même pape, dans le con-
cile de Rome, où souscrivirent vingt et un
évéques et treize prêtres, fit une constitution
en faveur de tous les moines , qui n'est
qu'une confirmation et une extension du
privilège accordé à l'abbaye de Classe; car
il défendit de plus aux évéques de célébrer
des messes publiques dan» les monastères,
d'y mettre leurs chaires, ou d'y l'aire le moin-
dre règlement, à moins que ce ne fût à la
prière de l'abbé, qui devait toujours avoir les
moines en sa puissance.
(1) Mabillon, Annal. Bcnedict., tom. Il, p. 150.
Thomass. Discipl. Ecoles., part. î, lib. ni, cap. 50,
il- 8.
(*2) Mabillon, Annal. Benedkt., loin. 111, p. 152.
Les monastères fondés par les empereur»
tant d'Orienl que d'Occident étaient entière-
ment exempts de la juridiction des évéques
et des archevêques. Nous avons un exemple
de cette exemption en Occident dans le mo-
nastère de Pescara , au royaume de Naples,
qui a été autrefois le plus célèbre en Italie,
qui fut même appelé la Maison d'Or, tant à
cause de la magnificence de ses bâtiments
que de ses revenus immenses (2). Il fut fondé
par l'empereur Louis 11 l'an 806, et lui fut
entièrement soumis , et les évéques de la
Penna n'y prétendirent jamais aucune juri-
diction spirituelle avant l'an 951, que Jean,
évéque de la Penna, (enta, mais inutilement,
de le soumettre à son autorité ; et même les
religieux de ce monastère, avant le pontificat
de Léon IX, ne s'étaient point adressés à
Rome pour avoir des privilèges, croyant que
l'autorité de l'empereur suffisait pour main-
tenir leurs immunités. Une des prérogatives
dont jouissait l'abbé de ce monastère, c'est
qu'il se servait du sceptre de l'empereur
Louis au lieu de bâlon pastoral , comme on
le peut voir dans la figure (3) que nous don-
nons d'un de ses anciens abbés , que nous
avons fait graver d'après celle que le P. Ma-
billon a donnée dans le cinquième tome de
ses Annales Bénédictines. Les rois de France
ont prétendu aussi avoir le même pouvoir
sur les monastères de leurs fondations , et le
doge de Venise est encore aujourd'hui pro-
tecteur du monastère des religieuses dites
Délie Vergini (4), qui n'ont point d'autre juge
que lui, non pas même le ^patriarche ; en
sorte que s'il arrive quelque désordre parmi
ces dames, c'est au doge seul d'y pourvoir,
comme s'il était leur évéque , le patriarche
de Venise n'ayant aucune juridiction sur
elles. Le lecteur nous pardonnera celte di-
gression, à laquelle le privilège d'exemption
accordé à l'abbaye de Fulde a donné lieu.
Saint Slurme ayant reçu ordre du roi Pé-
pin de reprendre le gouvernement de son
abbaye, les religieux allèrent au-devant de
lui avec leur croix d'or et leurs reliques , et
le reçurent avec beaucoup de joie. Sa pre-
mière application fut de bien régler sa com-
munauté et de corriger ce qu'il y avait de
défectueux dans la vie et les mœurs de ses
disciples. 11 embellit ensuite l'église ; il chan-
gea le cours de la rivière de Fulde et la fit
entrer dans le monastère, afin que l'on y pût
avoir plus abondamment de l'eau pour exer-
cer les arts nécessaiies à la vie, et que les
religieux qui y seraient occupés ne fussent
pas obligés de sortir hors du monastère.
C'est une chose surprenante de voir com-
bien les richesses de celte abbaye augmen-
tèrent sous le gouvernement de ce saint abbé,
aussi bien que le nombre des religieux, qui
était de plus de cinq cents. Les quatre évé-
ches de Bavière, qui avaient été fondés par
saint Boniface, en reconnaissance et pour
mémoire de leur fondateur, offrirent, immé-
(5) Voy., à la fin du vol., n' 75.
(i) Aid. de la Hous^aye, Uittoire du youvern. de
Venise.
net
Fil.
FIL
582
diatcmenl après la mort de ce sainl , à l'ab-
baye de Fulde, comme à leur mère, chacun
un don. Premièrement , celui de Salzbourg
lui donna une saline qui lui appartenait dans
le bourg d'Hall , qui pouvait produire tous
les ans douze latents. L'église de Hatisbonue
lui donna quatre vignes et quatre métairies
royales avec tous les serfs qui y étaient, qui
devaient envoyer, tous les ans, à Fulde un
esturgeon cl la ebarge de deux chevaux
d'huile. L'église de Passaw s'obliyea de don-
ner tous les ans de l'huile et du poisson.
Celle de Freisingue promit de donner tous
les ans de grands inimages, cl il n'y avait
presque point de fidèle qui ne donnât quel-
ques métairies à cette abbaye. Kl e en avait
trois mille dans la Thuringe, autant dans la
provini e de liesse et de Weslphalie , autant
dans celle du Rhin et le pays de Worms , et
un pareil nombre en lîavière et dans la
Souabe, qui faisaient en tout quinze mille
méiailies. Les Français imitèrent aussi les
Allemands et augmentèrent considérable-
ment par leurs libéralités les revenus de
cette abbaye ; car, outre que le prince Car-
1 man donna le lieu où les fondements en fu-
rent jelés avec :epi mille pas de tour, le- roi
Pepiu lui donna Omslal , et Charlemagne
Amelembure avec leurs dépendances, ce qui
servit à la subsistance non-seulement do
celle abbaye, mais encore des monastères de
Holtzkircben et de Solnhofen, qui furent bâ-
tis par la permission de cet empereur. Enfin
saint Sturme, après avoir gouverné celte ab-
baye pendant près de trente-six ans, mourut
le 1" décembre 779.
Après sa mort, Baugulfe, que d'aulres ap-
pellent Gangulle ou Laudulpbe, lui succéda.
L'empereur Charlemagne lui écrivit , aussi
bien qu'à tous les évèques et les abbés, pour
les exciter à faire fleurir les sciences dans
leurs communautés, afin que les religieux
pussent plus aisément pénétrer les mystères
de l'Ecriture sainte. Bandulfe Gl bâtir le mo-
nastère de Wolfmuusler, où, après s'être
démis l'an 802, de sa dignité d'abbé de Fulde
entre les mains de Ralgar, il se retira pour
mener une vie privée le reste de ses jours.
Le P. Mabillon appelle ce monastère de
Wolfmunsler, qui ne subsMe plus, Baugolf-
munslr, comme ayant pris le nom de son
fondateur, qui avait aussi jeté les fondements
d'un autre monastère sur le mont Saint-
Pierre, pioche Fulde.
Halgar avait été aussi disciple de saint
Sturme; mais c'était un homme dur et in-
flexible, qui ne savait pas allier la charité et
la douceur avec, une jusie fermeté. Pour une
petite parole que lui disait un religieux,
même par nécessité, il le maltraitait, et, sans
avoir égard ni à l'â^e ni à la qualité , il le
reléguait dans quelque prieuré de la dépen-
dance de l'abbaye, sous prélexie d'en i'aiie
valoir le bien. Celle grande sévérité causa
beaucoup de Iroubles dans ce monastère: ce
qui fit que, sur les plaintes des religieux,
l'empereur Louis le Débonnaire le fit déposer
de sa charge et l'envoya en exil. Il fonua un
autre monastère proche Fulde, au Mont de
Dictionnaire di;s Ordkls relh.iei \
l'Evèque, qui dans la suite fut appelé le
Mont de Noire-Dame, à cause de l'église qui
fut dédiée à la sainte Vierge.
Evgil , successeur de Ralgar, fit aussi bâtir
sur une haute montagne un monastère dédié
à saint Michel. Le célèbre I aban-Maur, qui
succéda à Eygil, en fit aussi bâtir un sur le ,
mont Sain! -Jean. Ainsi Fulde se trouvait
entre quatre monastères, sur autant do
montagnes qui environnaient celle abbaye.
Raban-Maur y fit lleurir les belles-lettres ;
l'école de Fulde devint très-fameuse : on y
venait de toutes parts; on y voyait non- seu-
lement des moines de divers monastères,
mais encore dos chanoines de plusieurs f
cathédrales. Raban y avait enseigné n'étant
que simple religieux; mais, élant devenu1
abi é , il eut un grand soin d'y entretenir'
d'excellents maîtres : l'on y en comptait
même douze des plus docles et des plus
habiles de ce temps-là. H fil encore bâtir le
monastère de Saint-Sol ou Solenbost. Ces
nouveaux monasièies , qui étaient de la
dépendance de Fulde et dans lesquels il fal-
lait envoyer des religieux, avaient diminué
ce grand nombre qui y était du temps de saint
Slurme, car il n'y avait pas plus de cent
soixante ou soixante et dix religieux à Fulde
du temps de Raban-Maur. Il en envoya encore
quinze pour peupler le monaslèred'Hirsauge,
et leur donna pour abbé Luilberl, l'un de ces
savants maîtres de Fulde, lequel établit aussi
une école à Hirsauge qui devint très-célèbre
dans la suite. Raban-Maur, ayant gouverne
Fulde pendant vingt ans , se démit de sa
charge l'an 8i2. Il y en a qui ont prétendu
que c'était à cause du peu d'union qui était
parmi les religieux , les uns tenant le parti
de l'empereur Lothaire, les autres celui de
Louis, roi de Germanie, ces deux frères élant
pour lors en guerre, parce que Lothaire,
après la mort de son père, Louis le Débon-
naire, ne s'était pas voulu contenter du par-
tage que ce prince avait fait entre lui et ses
deux fi ères, Louis, roideGermanie.el Charles,
roi de France. Quoique Raban eût tenu le
parti de Lothaire, cela n'empêcha pas le roi
Louis d'agréer son élection lorsqu'il lut choisi
pour être archevêque de Ma) ente : ce prince
assista même à son sacre.
Raban-Maur eut des successeurs qui eu-
rent soin d'entretenir à Fulde la régularité ,
et d'y faire fleurir les belles-lettres et les
beaux arts , entre autres furent Sigheard ,
qui, comme il était fort habile architecte ,
selon Bruschius, fil faire de trè-heaux bâti-
ments et un pont de pierre à Fulde de six-
vingls coulées de long; Helmfride , qui par
son exemple excitait les religieux à observer
exactement leur règle, et llildebrand , que
l'on prétend avoir eu le d n de prophétie ,
et qui fut aussi archevêque de Maymco.
Mais sous Hademar, successeur d'Helmfrile
dans le gouvernement de l'abbaye de Fulde,
il y eut une très-grande division et un désoi-
dre excessif et scandaleux , dont on attribue
la cause à Frideric, archevêque de Mayence,
qui lut obligé de s'y rciinr par l'incident
qui suit.
11. 12
5U3
DICTIONNAIRE DES ORbRES RELIGIEUX.
561
L'an 939, Henri, frère puîné de l'empereur
Olhon I", croyant qu'il avait plus de droit à
la couronne que son frère, parce qu'il était
né depuis l'élévation de leur père Henri à
l'empire, voulut maintenir sa prétention par
les armes. Everard, frère du défunt empe-
reur Conrad, et Gislebert, duc de Lorraine ,
se liguèrent avec lui contre Olhon , qui , les
ayant défaits , obligea son frère à venir im-
plorer sa clémence. Ce prince, croyant que
Fridcric, archevêque de Mayence, avait fa-
vorisé les rebelles , le relégua dans l'abbaje
de Fuldc, quoiqu'il se fût purgé de ce soup-
çon par la réception du corps et du sang de
Jésus-Christ. liruschius s'est trompé lorsqu'il
a dit que ce prélat était fils du roi de France,
et qu'on le fit revêtir de l'habit monacal pour
l'enfermer dans cette abbaye : car, outre
qu'il n'était point du sang royal de France,
c'est qu'il avait été religieux à Fulde avant
que d'être élevé sur le siège archiépiscopal
de Mayencc, cl par consiquent il devait avoir
toujours conservé l'habit religieux, confor-
mément au huitième concile général dcGon-
slanlinople tenu l'an 869, qui défendait aux
évèques de quitter l'habit religieux , sur
peine d'être déposés , lorsqu'ils avaient été
tirés du cloîlre pour monter à l'épiscopat.
Frideric, ayant été relégué à Fulde, comme
nous venons de le dire, suscita , à ce que
l'on croit, une cruelle persécution dans tous
les monastères qui étaient de sa dépendance
contre les religieux , sous prétexte de les
réformer. Ils avaient à la vérité grand besoin
de l'être , et plusieurs évêques témoignaient
qu'il valait mieuxqu'il n'y eûlqu'un petit nom-
bre de religieux sans tache, que d'en voir un
très-grand nombre mener une vie mondaine
et relâchée : ce qui fit que plusieurs, se sen-
tant coupables et ne voulant pas arriver à
une si grande perfection que celle à laquelle
on les voulait obliger, aimèrent mieux quit-
ter l'habit et sortir du monastère; quelques-
unsmèmesemarièrent, comme ditliruschius.
Hademar é ait pour lors abbé de Fulde; il
traita d'abord avec assez d'honnêteté l'ar-
chevêque de Mayence; mais, ayant intercepté
des lettres qu'il écrivait secrètement, il usa
de rigueur envers lui : ce qui fut cau^e que
ce prélat, pour s'en venger, lorsqu'il fut en
liberté, persécuta les petits monastères avec
violence; cependant il ne put rien faire à
Fulde, à cause d'Hadcmar, qui avait les
bonnes grâces de l'empereur.
Hatlon surnommé Bonose, qui succéda
dans le gouvernement de Fulde à Hademar,
fut aussi archevêque de Mayence. Bru^chius
dit que dans une famine il fit assembler une
grande quantité de pauvres dans un grenier,
sous prétexte de leur l'aire donner du blé;
mais qu'il y fit metire le feu, et qu'en puni-
tion il fui mangé des rats, quoiqu'il se fût
sauvé dans une ile au milieu du Rhin pour
éviter ces animaux , qui passèrent ce fleuve
à la nage pour l'y aller trouver. Quelques
auteurs prétendent que c'est une calomnie
inventée contre ce prélat par les cenluria-
lenrs de Magdebourg : néanmoins Bruscliius,
«lui apparemment l'avait appris de quelque
autre, en avait déjà parlé flans s?. Chrono-
logie des monastères d'Allemagne , qu'il
donna en 1559, cinq ans avant que ceux de
Magdebourg eussent commencé leurs centu-
ries. Au reste, aucun auteur contemporain
de ce prélat n'a parlé de ce fait.
La discipline régulière était encore beau-
coup relâchée lorsque Richard prit le gou-
vernement de l'abbaye de Fulde ru 1021;
mais, par le moyen des religieux hibernois,
il réforma ce monastère, et, selon Rruschius,
il obligea les religieux à prendre lhahit
monastique et la Lonsuré , qu'ils avaient
quittés pour en prendre d'autres qui n'a-
vaient jamais été en usage. Il fit bâtir le mo-
nastère d'Amerbak dans le diocèse de Willz-
bourg, et celui de Sainl-André sur la rivière
de Fulde, et eut un grand soin d'entretenir
les éludes dans son abbaye , où il y eut ce-
pendant de grands désordres sous le gouver-
nement de l'abbé Widerad l'an 1003. Le
différend qui suit fut ce qui y donna lieu.
C'était la coutume depuis un long temps que
les abbés de Fu'.de, dans les assemblées d'évê-
ques, avaient place iminé ialement après l'ar-
chevêque de Mayence. L'empereur Henri IV
étant à Goslar l'an 10G2, et devant assister
à l'ollice du jour de Noël , comme on plaçait
dans l'égl;se pour les premières vêpres les
sièges des évêques , il y eut querelle entre
les officiers de l'évêque de Hildcsheim et
ceux de l'abbé de Fulde, l'évêque prétendant
avoir le pas au-dessus de l'abbé, à cause que
Goslar était de son diocèse. Des paroles on
en vint aux mains , et on courait déjà aux
armes, lorsque Olhon, du • de Bavière, qui
soutenait l'abbé, fit cesser la querc.Ie.
L'année suivante, l'empereur voulant as-
sister à l'office du jour de la Pentecôte , il y
eut une nouvelle dispute lorsqu'il fallut en-
core placer les siéaes. L'évêqued'Hildesheim,
se ressouvenant de l'affront qu'il avait reçu
l'année précédente, Gt cacher derrière l'autel
des gens armés qui se jetèrent sur les offi-
ciers de l'abbé de Fulde lorsqu'ils voulurent
placer le siège de leur maître. Ceux-ci ayant
été secourus par dis soldais de l'abbé qui
entrèrent dans l'église , il se fit de part et
d'autre un grand carnage, dont on jeta toute
la faute sur l'abbé, qui, quoique innocent de
ce désordre, fut obligé , pour se rédimer de
la vexation, de donner de grosses sommes à
l'empereur, à 1 évoque, et à leurs officiers :
de sorte qu'il fallut pour cela engager une
grande partie des biens de l'abbaye : ce qui
irrita tellement les religieux, que, lorsque
l'abbé retourna à Fulde, la plupart, princi-
palement les jeunes, se soulevèrent contre
lui, et les plaintes qu'ils lui firent de ce qu'il
avait ruiné leur mouaslè.e dégénérèrent en
une sédition ouverte. L'abbé avant eu ordre
d'ailer trouver l'empereur , son absence
échauffa encore de plus eu plus ces esprits
mutins, dont seize prirent la résolution d'al-
ler trouver ce prince pour se plai.idre de
leur abbé. Pour cet effet ils sortirent. du mo-
nastère en procession, portant la croix éle-
vée, et, afin de prévenir l'empereur sur leur
démarche] ils envoyèrent l'un d'eus à chc-
3GS FUL
▼al avRG une lettre pour ce prince. Mais
l'empereur fut si indigné de ce procédé, que,
sans attendre leur arrivée, par le conseil do
l'archevêque de Cologne et du duc de Bavière,
il lit arrêter le porteur de la letlre avec trois
autres qui étaient les auteurs de la sédition,
qu'il envoya en divers monastères pour y
être enfermés dans des prisons, et ordonna
à l'abbé d'user de main-forte pour contrain-
dre les autres de se soumettre à l'obéissance.
Widerail envoya des soldats qui obligèrent
les religieux mutins de retourner à Fulde; il
fit mettre des gardes aux environs du mo-
nastère, et, ayant fait assembler les séditieux,
il en lit fustiger deux , dont l'un était prêtre
et l'autre diacre, el les chassa tous deux du
monastère. A l'égard des autres , il usa de
plus grande sévérité ou de plus grande dou-
ceur, selon leur naissance et leurs fautes.
Le gouvernement de Gottard ou Gollfrid,
successeur de Widerad, ne fui pas plus
tranquille. La guerre qui survint entre l'em-
pereur Henri IV cl son lils Henri V, l'an 1105,
causa de nouveaux troubles à Fulde. L'abbé
avait pris le parti d'Henri IV, après la mort
duquel on porta des plaintes contre lui à
Henri V de ce qu'il avait dissipé les biens de
l'abbaye. Ce prince les écoula et priva Got-
tard de son abbaye. La f rtune de son suc-
cesseur Wolffliem ne fut | as meilleure; il
assiégea le châteaude Haselsleim; el, comme
il faisait le siège de Warlemburg avec l'abbé
d'Hersfeld, il fut pris et retenu prisonnier
pendant trois ans dans le château de Mul-
semburg,et, ayant élé encore accusé d'avoir
dissipé les biens dont il n'avait que l'écono-
mat, il fut aussi déposé l'an 1114.
Les abbés de Fulde ne s'étaient pas mis en
peine jusqu'alors de pouvoir se servir d'or-
uemenls pontificaux; mais fîerlh Schliz, qui
fut élu l'an 1133, les obtint du pape Hono-
rius IL Cet abbé eut un grand différend avec
l'archevêque de Magdebourg au sujet de la.
préséance. La cause fut plaidée devant l'em-
pereur, qui ordonna que l'abbé de Fulde
prendrait sa place au-dessus de l'archevêque
de Magdebourg. L'abbé Marquard fit entou-
rer de murailles le bourg de Fulde, et en fit
une ville l'an 1150 ; mais l'an 1331 , les bour-
geois, oubliant que les abbés étaient les fon-
dateurs de celle ville, se révoltèrent, démo-
lirent la citadelle qui joignait l'abbaye, rui-
nèrent les lieux réguliers, pillèrent tous les
meubles, et enlevèrent ce qu'il y avait de
plus précieux. Henri de Horabourg, qui ea
était pour lors abbé, ayant porlé ses plain-
tes àl'empereui Henri V'H, ce princeordonna
à l'archevêque de Trêves de réduire les re-
belles à la raison et de les soumetlre à l'o-
béissance de leur seigneur. 11 ramena l'abbé
el les religieux à Fulde, et obligea les bour-
geois de recevoir avec soumission l'abbé,
qui en fil mourir douze, et en envoya autant
en exil. Les paysans de la dépendance de
Fulde se révoltèrent aussi vers l'an 1525 et
ruinèrent tous les monastères, lorsque Jean,
comte d'Hemerberg, de la maison de Bran-
debourg, en était abbé.
Ce n'était pas seulement contre leurs su-
Ftff,
555
jets que les abbés de Fulde avaient à com-
battre, ils avaient encore à soutenir par la
force des armes leurs droits contre leurs voi-
sins, et à défendre leurs terres contre des
troupes de bandits et de voleurs qui s'étaient
forliliés dans plusieurs châteaux. Conrad de
Malk, ayant élé abbé en 1220, fit entourer de
murs Hamelburg cl y fil faire des fortifica-
tions: tuais Herman de Lodembourg, évêqu •)
de Wilzbourg, ayant voulu l'empêcher et
s'étant avancé pour ce sujet avec des trou-
pes, fut mis en fuite par celles de l'abbé, qui
lit prisonniers plusieurs seigneurs du parti de
l'évéque, qui fut obligé de payer leur ran-
çon. Henri de Estel, successeur de Conrad
de Malks, l'an 1248, ajouta de nouvelles for-
tifications à Hameburg , et fortifia aussi
Mackhenzell, Bruckneau, Neugenhoffen, et
Sloltzherg, et rasa les châteaux de Witlers-
perg, Trunberg, Kralak et plusieurs autres,
qui servaient de retraite aux voleurs et aux
bandits qui ravageaient lepays. Berthold.qui
futahbéen 1261, acheta le château d'Haseltein,
fit bâtir Lutterbak et Bridenbalk, changea lo
château de Blankual, qui était une retraite
de voleurs, en un monastère de saintes vier-
ges, et ruina plusieurs châteaux qui ser-
vaient de retraites à ces bandits. Mais, pen-
dant qu'il travaillait ainsi pour le bien pu-
blic et à assurer le pays, des personnes aux-
quelles il avait fait le plus de bien conspirè-
rent contre lui el l'assassinèrent l'an 1270.
Berthold de Mackcncell , son successeur,
vengea sa mort, fit mourir trente des com-
plices, el brûler la citadelle de Sleinaw, ou
ils s'étaient réfugiés.
Les limites que nous nous sommes pres-
crites ne nous permettent pas de nous élen
dre davantage sur les événements différents
arrivés en celle abbaye, dont nous croyons
avoir rapporté les plus singuliers. Nous
ajouterons seulement que l'abbaye d'Hirs-
feld, qui était aussi chef d'une congrégation
en Allemagne, fut unie à celle de Fulde sous
le pontificat de Léon X. Nous avons déjà dit
en parlant de la fondation de Fulde, que
saiul Slurine , son fondateur, s'était d'abord
retiré à Hirsfeld, qu'il abandonna à la persua-
sion de saint Bonilace a relie véque de May ence,
à cause que ce feu était trop désert; mais,
après la mort de saint Boniface, saint Lulle,
son successeur dans cet archevêché, fit
achever, l'an 755, le monastère que saiul
Slurme avait commencé à Hirsfeld. Le corps
de saint Wirgbert, abbé de Fntzlar, qu'on
y transporta l'an 780, rendit ce lieu si célè-
bre, qu'on y bâtit une ville. 11 y avait ordi-
nairement cent cinquante religieux dans le
monastère. Pépin et Charlemagne lui don-
nèrent de grands biens, et Louis le Débon-
naire y ajouta de grands privilèges. Mais ses
richesses furent la cause de sa perte, par la
cupidité el l ambition de ses abbés, qui, ayant
eu le litre de princes de l'empire, la ruinè-
rent presque entièrement par des dépenses
superllues. File était aussi bien que Fulde
immédiatement soumise au saint-siégo. Vol-
pert en étant abbé, voyant lapauvreiéoù
elle était réduite, el voulant punir les liahi-
307 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 558
fanls de la ville dont il avait reçu du inécon- Nedersula, Hartcnbach, Wergfurl et Nodcr-
lentement, s'en démit entre les munis d.i Josse.
pape Léon X l'an 1313. Harmanl de Kirc- Quant à l'abbaye d .! Fulde, elle est soa-
berg, qui était pour lors abbé de Fulde, mise, comme nous avons dit, ircmédiatc-
l'oblinl à la prière de l'empereur M iximi- ment au saint-siége, auquel l'abbé paye une
lien, pour l'unir à son abbaye, cl le pape redevance de quatre cents florins aussitôt
supprima ce titre pour celle d'Hirsfeld. llar- qu'il est élu. Elle a été longtemps un sémi-
maul y envoya, la même année, son chance- naire d 'évoques; et, entre ses privilèges,
i lier avec le prieur du mont Saint-Jean et elle avait celui de fournira l'alternative un
' quelques religieux, accompagnés de plu- archevêque* à l'Eglise de Mayence; en sorte
sieurs gens à cheval. Us déposèrent le que de trois il devait y en avoir un tiré de
doyen, et en mirent un autre du monastère l'abbaye de Fulde. On n'y reço t que. des
de Fulde, qui reçut l'obéissance des reli- personnes nobles, aussi bien que dans plu-
gieux. sieurs autres monastères d'Allemagne, dont
Peu de jours après, l'abbé y alla lui-même, les abbés sont pareillement princes de l'em-
accompagnô d'un grand nombre de. person- pire, et ont aussi voix et séance dans les
nés, et se mit en pos>ession d'un château où diètes de l'empire et dans le collège des
l'abbé d'Hirsfeld faisait ordinairement sa ré- princes, tels que sont les abbés de Kemp-
sidenic, et (il piètcr serment de fidélité à ten, de Prume, de Stavelo et de Corwey, tous
quelques paysans; mais, ayant voulu exi- de l'ordre de Saint-B noit. Les abbayes de
ger la même chose des habitants d'Hirsfeld, Murbach et de Lure en Alsace avaient aussi
ils fermèrent leurs portes et se mirent eu le même droit avant que le roi fût maître
état de défense, ayant renvoyé sans aucune de cetie province. 11 y en a encore plusieurs
réponse à l'abbé de Fulde la personne qu'il autres dont les abbés sont aussi princes do
leur avait envoyée pour savoir leur volonté, l'empire. Outre les monastères d'hommes
Anne de Meclulbourg, veuve de Guillaume, qui dépendaient de l'abbaye de Fulde, il y
surnommé le Puîné, landgrave de Hessc- en avait aussi plusieurs de filles. Les reli -
Cassel, et tutrice de Philippe 1" ditle Magna- gieux ont toujours conservé le droit d'élire
iiime, son fils, prit les intérêts des habiian.s leur abbé. Nous donnons ici l'ancien habil-
d'ilirsfeld, et fit mettre un autre abbé dans lement des religieux de celle abbaye. La prè-
le monastère, ayant obligé l'abbé de Fulde mière figure représente un religieux en ha-
de retourn r dans le sien. Mais le landgrave hit ordinaire , la seconde un religieux en
Philippe ayant introduit dans lasuite la reli- habit de chucur (1). Quant à l'habillement
gion prolestante dans ses Ktals, l'abbaye moderne, il est conforme à celui des autres
d'Hirsfeld fut ruinée par les hérétiques; et, étant Bénédictins.
devenue principauté séculière par les trai- Bruvenus, Antiquit. Fuldem. Bruscbius,
tés de Westphalie, elle a été cédée au land- Chronolog. Monnsier. Germaniœ. Slangel,
grave de Hcssc-Cassel. Les principaux vil- Monasleriolog. Monust. S. Uened. in Germa-
iagesel chàteauxqui dépendaient de celte ab- nia. Trilhème, Annal. Hirsaug. Bulteau,
baye, et qui font présentement partie de la Hist. de l'ordre de Saint-Benoit, Joan. Ma-
principauté, sont Friling, hauie et ba^se, billot), Annul. Uened. lieiss, Hist. de l'em-
Geila, Ulersdorf, Kerpeshauss, Mengshauss, pire.
G
GABRIEL (Congrégation de Saint-) très personnes vivaient dans une si parfaite
Dî la congrégation de Saint-Gabriel, avec la y"10"' 1ue Ieu,r bonheur eût éié parfait sans
Vie du vénérable serviteur de Dieu César e chagum qu ils avaient de voir qu aucun de
Bianchetli, sénateur de Bologne, fondateur leurs enlanis maies ne pouvait parvenir au
de celle congrégation. neuvième mois, m survivre a l enfantement,
J J malgreloutes les précautions humaines qu ils
La congrégation de Saint-Gabriel recon- prenaient pourempéclier celte disgrâce. Oans
n.iil pour fondateur César Rianchetti, issu cette peine, ils eurent recours à l'interces-
de la famille de ce nom, qui prétend tir r sion de sainte Catherine de Bologne, pour
.•on origine de Robert Blanchit, neveu du obtenir par son moyen un héritier qui em-
gr-anil Théodoric, dit le Saxon, duc de Bour- péchât l'extinction d'une famille si ancienne.
;;ogne, lequel, étant venu s'établir à Bologne Leurs prières eurent un plus heureux succès
vi rs l'an 80k, y eut pour fils Cuniberl Bian- que tous les antres moyens dont ils s'étaient
chetli, et y donna ainsi commencement à servis jusqu'alors : car , ayant élé exaucées,
celte illustre et ancienne famille, de laquelle ils eurent, le 8 mai 1583, cet enfuit de béné-
sunt sortis de grands hommes qui, par leurs diction qui fut nommé César sur les fonts de
écri s et la force des armes, ont pris la de- baptême. 11 fit paraître dès sa jeunesse de
feue de l'Eglise romaine. César Biancbetti grandes dispositions à la piété et aux scien-
cut pour père Marc-Antoine Biancbetti , se- ces, et apprit en très-peu de temps, outre la
nateur de Bologne et chevalier de Calatrava, langue latine, les langues espagnole, alle-
»t pour mère Alessandra de Carminati, d'une mande et esclavone. Le cardinal Laurent
famille distinguée de Milan. Ces deux illus- Bianchetli, son oncle, charmé du récit qu'où
(I) Yoij., à la lin du vol., n"s 76 et 77.
369
CM!
c.\n
• ; -i
ïui avait fait Je ses bennes qualités, ri sur-
tout de sa piélé, voulut l'avoir auprès de lui,
elle lit unira Home, où il connut par lai-
mênic la justice qu'on avait rendue à son
neveu, ne pouvant assez admirer sa sagesse
et sa conduite ; car ilans un âge nu on ne
respire que les plaisirs, il faisait parilre
tant d'éloignement pour les divertissements
de la jeunesse et une si grande aversion pour
le jeu, qu'il fit vœu de ne jamais jouer, ce
qu il a inviolableincnl observé jusqu'à la fin
de ses jouis.
De justes raisons l'ayant obligé de retour-
ner chez son père après avoir passé quelques
années dans Home auprès du cardinal, son
oncle, ii lui donna, en le quittant, une nou-
velle preuve de cet esprit de piété et de re-
ligion qui animait toutes ses actions, car
celle Eminence .'ayant fait entrer dans une
galerie pleine de raretés et de pièces cu-
rieuses de très-grand prix, le pressa avec de
grandes instances de choisir ce qui lui agréait
le pins; mais le jeune Bianchelti, regardant
toutes ecs raretés et ces bijoux comme des
bagatelles, les méprisa toutes, à la réserve
d'un crucifix de simple stuc, qu'il prit, quoi-
qu'il regar.ler la matière et le travail, il
n'eût rien de considérable. Un choix si peu
attendu surprit et édifia extrêmement tous
ceux qui étaient présents, et le cardinal en
particulier, à qui le jeune César dit qu'il le
voulait garder pour l'amour de lui. Il tint sa
promesse et le conserva toujours précieuse-
ment, ne s'en étant défait qu'en faveur de la
congrégation de Saint-Gabriel, où on le
garde encore aujourd'bui en mémoire de cet
illustre fondateur.
11 n'avait pas encore vingt ans lor-que ses
parents songèrent à le marier. Ce ne fut que
par une soumission aveugle à leurs volontés
qu'il consentit à prendre cet état, tout à fait
opposé à son inclination, qui l'avait porté à
recevoir la tonsure et les quatre mineurs,
après ses études, afin de se consacrer au ser-
vice de Dieu dans l'état ecclésiastique. Il
épousa donc en 1(502 Erméline de Gamba-
lunga, d'une ancienne famille de Himini,
dont il eut neuf enfants, trois garçons et six
lilles, cinq desquelles embrassèrent l'état
religieux, et la dernière fut mariée à Scipion
Hutrigeri, d'une famille illustre do Bologne.
L'aîné des garçons fut le comte Georges-
Louis, en faveur de qui son père se démit do
sa dignité de sénateur, et qui épousa Anne-
Marie de Loreozo Hatla. Le second fut le
comte Jules, colonel d'un régiment du pape,
qui fut marié trois fois, et eut de sa dernière
femme, Marine Diplovatasi, le comte César,
sénateur de Bologne, qui a bérité des biens
de la maison de Gambalunga, qui est éteinte.
Le troisième, nommé Jean, prit le parti de
l'Eglise, et fut abbé de Monte-Armalo et de
Saint-Gaudonne de Himini , protonolaire
apostolique et prélat de la sacrée consulte.
Outre les biens de la fortune et de la nais-
sance que ces trois enfants (dont les deux
premiers eurent une nombreuse postérité)
reçurent de leur père, ils eurent l'avantage
de recevoir celui d'une sainte éducation, les
faisant souvent ressouvenir de ce que dit
saint Jérôme, qu'il faut s'appliquer ici-bas
à des sciences qui poissent passer avec noua
dans le ciel, et ne les laissant jamais sertir
de la maison sans leur dire auparavant quel-
que mol d'instruction qui pût leur inspire,-
la haine et 1 éloignement du péché, ce qu'il
faisait avec tant de zèle et tant de tendresse!
qu'ils en sortaient toujours extrêmement
touchés, etavec une résolution vive d'é-vil r
louie occasion d'offenser Dieu.
Il y avait dix ans qu'il était marié, lors-
qu'il apprit la mort du cardinal Bianchell',
son oncle, que son mérite encore plus que
sa naissance avait fait parvenir à cette émi-
nenfc dignité, et qui se vil deux fuis sur le
point d'être élu pape. Ce grand personnage
avait pris les degrés de docteur en l'un et
l'autre droit dans l'université de Paris. A
son retour à Home. Grégoire XIII le fit pré-
lat de la sacrée Consulte et auditeur de Hôte.
Pendant cinq ans qu'il exerça cette ebarge.
il composa trois grands volumes sous le
titre de Décisions de la Hôte, qu'on a gardés
longtemps dans la bibliothèque de Himini,
et qui sont à présent entre les mains du
comte sénateur Bianchelti Gambalunga, son
arrière-petil-neveu, qui doit les donner au
public. Sous le pontificat de Sixte V , il fut
envoyé en France avec le cardinal Gaétan,
et depuis en Pologne avec le cardinal Hippo-
1 \ le Aldobrandin, qui, ayant été élevé au
souverain pontificat après la mort d'Inno-
cent IX, l'honora de la pourpre à la promo-
tion qu'il fit le 5 juin 15JG; le mit en même
temps des congrégations de la Signatuie du-
Concile et du Saint-Office, et le fit protecteur
de l'église de Laurette à Home, où, après
s'être distingué dans tous ces différents em-
plois, il mourut l'an 1012 et fut enterré dans
l'église du Jesu de celle même ville.
César Bianchelti fut très-sensible à la
perte d'un oncle de ce mérite, qu'il aimait
irès-tendremenl; et, la regardant comme un
de cei contre-temps qui, prouvant l'incons-
tance des grandeurs de la terre, en doivent
détacher le cœur du véritable chrétien, il
s'en lit un nouveau motif de se consacrer au
service de Dieu. C'est pourquoi, voyant sa
maison assurée par la nombreuse famille
dont il avait plu à la divine Providence do
bénir son mariage, il fit, du consentement de
sa femme, voeu de chasteté pour le resle tfe
S'S jours, quoiqu'il n'eût encore que trente-
cinq ans. Depuis ce temps-là il vécut plus
retiré qu'il n'avait encore fait, et, lorsqu'il
se fut démis en faveur du comte Georges
Louis, son (ils, de la dignité de sénateur de |
Bologne, il forma le dessein de se retirer uno I
partie de l'année dans une chartreuse. Ses i
directeurs, qui le jugeaient nécessaire au
gouvernement de sa famille, l'empêchèrent
de l'exécuter; mais il se réserva la liberté de
s'y retirer en certains temps, principalement
durant la semaine sainte, qu'il passait avec
ces saints religieux dans un oubli général
de toutes les choses du monde. Lorsqu'il était
à sa terre d'Ozano. il y passait la plus grand. :
partie du iour à la prière, et faisait presque
371
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
la même rhos» à Pologne dans un apparte-
ment éloigné du bruit, qu'il sciait pratiqué
pour vaquer plus librement à ses exercices
de piété et de dévotion, eu sorte qu'il portait
partout l'esprit de recueillement et de soli-
tude.
La mort de sa femme, qu'il perdit l'an 1638,
lui causa une sensible alfliclion. C'était une
dame d'une piété exemplaire, avec laquelle
il avait toujours vécu dans une parfaite
union. 11 aurait bien voulu pouvoir se reti-
rer à la campagne dans une si (risle con-
joncture, mais cela était incompatible avec
les dignités qu'il possédait encore, dont une
des principales était celle d'être un des gar-
diens des clefs du palais public, charge d'une
grande distinction, qui ne se confère qu'à des
sénateurs, cl qui s'est conservée longtemps
dans la famille des Bianchetti, sans parler
de celle de gonfalonier de la justice, dignité
à laquelle il était élevé pour la troisième
fois, et dont l'autorité était si grande, que
l'on crut devoir la limiter en quelque sorte,
en bornant à deux mois l'exercice et la pos-
session de cette charge, dans laquelle il se
comporta, aussi bien que dans tous les au-
tres emplois dont il fut honoré, d'une ma-
nière qui mérita l'approbation universelle de
tous ses concitoyens, qui l'honoraient comme
le père de la patrie.
Le zèle dont ce saint homme était animé
pour le salut des âmes ne lui permellait pas
de voir avec indifférence le peu de soin que
l'on avait d'instruire la jeunesse et les igno-
rants, en sorte qu'il se trouvait non-seule-
ment des enfants, mais même des prrsonnes
d'âge et de toutes sortes de conditions, qui
ne savaient pas les principaux mystères de
la foi ni les obligations du chrétien les plus
nécessaires au salut. Il y avait eu autrefois
des écoles de la Doctrine Chrétienne insti-
tuées à cet effet ; mais elles étaient tombées,
à la négligence de ceux qui devaient y avoir
l'œil. On avait réglé que les écoles seraient
gouvernées par un sénateur, qui, sous le
titre de recteur ou de préfet, en aurait la
surintendance; cependant il ne sp trouvait
plus personne de ce rang qui voulût s'en
charger. Les n blés , à qui on avait attribué
cette charge pour donner plus d'autorité aux
écoles, l'ayant dédaignée, comme étant au-
dessous d'eux, César entreprit de les rétablir,
et, ayant communiqué son dessein aux puis-
sances ecclésiastiques, il fit nommer pour
présider à cette sainte entreprise le père Cé-
sar Maruffi de la compagnie de Jésus, fer-
rarois, homme également distingué par la
sainteté de sa vie et par sa capacité. Il ob-
tint en même temps du sulïragant du cardi-
nal Borghèse, archevêque de liologne, l'insti-
lution d'une confrérie de gentilshommes dans
l'église de Sainte-Lucie, pour travailler au
rétablissement des écoles, dont il fut fait sur-
intendant général, nonobstant toutes les dif-
ficultés qu'il lit pour accepter cet emploi de
charité, duquel il se croyait incapable. 11
commença par donner l'exemple d'une piété
et d'uue humilité véritablement chrétiennes,
allant lui-même le crucifix à la main cher-
cher les enfants dans les rues de Bologne
pour les conduire à ces écoles saintes, où on
les instruisait ; et, quand on lui représentait
que par ces actions basses et humiliées il
déshonorait en quelque façon sa dignité ■
Enseignez-moi , disait-il , un emploi plus
noble et plus important que celui d'instruire
les ignorants des choses nécessaires à leur
salut, et je laisserai celui-ci pour prendre
l'autre, II ne se contenta pas de les instruire
lui-même de vive voix, il le rit encore par
écrit en composant un polit livre intitulé :
Manière d'instruire les ignorant», auquel il
joignit un dialogue qu'il traduisit de l'espa-
gnol, où l'on enseignait la manière de faire
des actes de contrition.
Pour rendre les effets de son zèle plus du-
rables, il entreprit d'établir une congréga-
tion de gentilshommes qui s'engageassent à
procurer l'avancement de la doctrine chré-
tienne, et qui, sans demeurer en commu-
nauté, s'assemblassent à certains jours dans
un lieu marqué, pour y vaquer aux exer-
cices de piété et prendre des mesures clfica-
ces louchant l'exécution de leur dessein. Celte
compagnie fut d'abord établie dans l'église
paroissiale de Saint-Donat, sous le nom de
Jésus et Marie, et ensuite transférée dans un
autre lieu où les confrères firent bâtir une
chapelle sous l'invocation de saint Gabriel,
dont le nom est demeuré depuis à cette con-
grégation. Outre cette première institution,
il en fit dans la suite une seconde, composée
de personnes zélées, qui, vivant en commu-
nauté, concouraient au pieux dessein des
premiers d'autant plus efficacement, que,
débarrassées de tout autre soin, elles en fai-
saient leur unique affaire. Ces associés furent
appelés Convivenii, comme vivant ensemble,
à la différence des premiers, qu'on appela
Confluenti, comme personnes qui se ren-
daient à certains jours dans un même lieu
deslinépour leurs assemblées. Les Conviventi
furent d'abord établis dans la maison de
Saint-Gabriel ; ensuite, pour laisser entière-
ment cette maison libre aux Confluenti, ils
furent transférés dans un autre quartier, où
ils acquirent une maison et firent bâtir une
église sous le nom de l'ous-lcs-Saiuts. Cette
institution, qui lut approuvée par un bref
exprès du cardinal François Barbcrin, légat
a latere et vicaire général d'Urbain Vlli, son
oncle, tant au spirituel qu'au temporel, dans
tout l'Etat ecclésiastique, a ceci de particulier,
qu'elle ne doit être composée que de per-
sonnes laïques qui aient un bien honnête et
suffisant pour leur entretien, sans autre con-
formité pour l'habit que la couleur noire,
étant permis à ceux dont la qualité le de-
mande, de porter des étoffes de soie. Ils
peuvent entretenir un ou deux valets pour
les suivre quand ils vont en ville; mais dans
l'intérieur de la maison ils ne sont pas plus
à eux qu'au reste de la communauté. L'âge
pour y être reçu est depuis 18 ans jusqu'à 50.
Le noviciat est de trois ans partagés en deux
probalions, dont la crémière dure un an et
575
CAN-
CAN
374
la seconde les deux autres suivants, an bout
desquels, s'ils ont les deux liers des voix de
ceux qui ont droit de voler, ils sont incor-
porés à I.i congrégation. Ils sont encore trois
ans sans y avoir rois délibéralive, c'esl-à-
d.re qu'ils ne l'ont que si* ans après leur
entrée. Cette congrégation doit être gouver-
née par un chef sous le lilre de supérieur,
assisté de quatre conseillers, qui. aussi bien
que le supérieur, sont élus par la commu-
nauté à la pluralité t^ voix, dont ils doivent
avoir plus de la moitié, 'ions les ans on pro-
cède à une nouvelle élection ou confirmation
tan! du supérieur que des autres, qui dispo-
sent de concert des emplois cl des offices de
1 1 maison, lesquels ceux qui y sont nommés
sont tenus d'accepter. Telle est la congréga-
tion de Saint-Gabriel, où, sans être astreint
à aucun vœu, chacun s'emploie, sous l'obéis-
sance du supérieur, à procurer le salut du
prochain par tous les moyens ronronnes à
sou état. EU.- fut fondée l'an 1644 et établie
à Bologne l'an 1646, dans le lieu où elle est
encore aujourd'hui. Ce fut après ces deux
établissements, qui produisirent dès lors et
qui produisent encore aujourd'hui de grands
biens, el après une infinité d'autres bonnes
ceuvres, que le saint fondateur fat appelé au
ciel pour y recevoir la récompense de son
rèleetdeses travaux, l'an 16 jj, et le soixante •
dixième de son âge; laissant après lui une
grande réputation de sainteté, autorisée de-
puis par des mirai les. Sa vie a été donnée au
public par M. Delfrate, docteur en l'un et
l'autre droit, et chanoine de l'égli>e cathé-
drale de Saint-Pétronne de Bologne, et im-
primée en celle même ville l'an 170V.
Carlo Antonio Delfrate, Ytti del Venereb.
servo di Dio Cesc.re Biancliclti fondator. délia
eongreg. di S. Gabriele. Herman, Ilist. des
Ordre» religieux, tom. IV; et les mémoires de
Trévoux, juillet 1703.
GALLICANE (Dominicains de la congré-
gation). Voy. Lombaruie.
GANDERSHEIM (Chanoinesses protestan-
tes de).
Des chanoinesses de Gandersheim , Quedlim-
bourj, llcrf'fd et autres cltunoiiwsses pro-
testantes, en Allemag ,r.
Au milieu de l'hérésie dont une partie- de
l'Allemagne et les provinces du Nord ont été
infectées, les monastères de lilics ont eu des
- iris différents. Les uns ont été tellement dé-
truits , qu'il n'en reste plus que la mémoire;
•'.lulrcs ont été changes en des usages pro-
i mes. Il y en a qui ont conservé la pureté
île la foi , et se sont maintenus dans les ob-
servances régulières, et d'autres enfin où les
religieuses, qui avaient déjà renoncé aux
vœux solennels, pour vivre.en chanoinesses
séculières, ont dans ce dernier état embrassé
l'hérésie de Luther. Telles sont les chanoi-
nesses de Gandersheim, de Oucdlimbourg,
1! Herford, et que'ques autres en Allemagne,
dont nous allons rapporter l'origine, n'ayant
dessein de parler que de celles qui prennent
la qualité de chanoinesses : c'ist pourquoi
je ne dirai rien de quelques antres monastè»
res qui se trouvent d;ins le royaume de Da-
nemark, où les religieuses, ayant renoncé à
la foi catholique, ont toujours vécu en com-
munauté sous l'obéissance d'une supérieure,
et gardé une uniformité dans l'habillement,
comme onl fait les religieuses de l'ordre de
Saint-Dominique à Copenhague, qui, après
avoir embrassé l'hérésie, Mit toujours gardé
la vie commune, et sonl habillées de même
que 'es filles de la communauté de Sainlc-
Gcne\ iè» e à Paris qu'on appelle les Hliramio-
lies, dont nous donnerons une estampe à
l'article de ce nom.
L'abbaye de Gandersheim, dans la princi-
pauté de Wolferobulel, à trois lieues d'Èym-
bek, et à six de Goslar, dans l'évêché d'Kil-
desheim, a été l'une des plus considérables
d'Allemagne , cl Vepez la met au nombre
des quatre abbayes princières, où l'on ne
recevait que des filles de princes. Elle fut
fondée vers l'an S52 par Lutolph le Grand,
duc de Saxe, et Ode sa femme, dont trois de
leurs Clles foren! successivement abbesses.
La première fut Hatmode, li seconda Ger-
berge et la troisième Christine. La princesse
Sophie, fille de l'empereur Olhon II, en en-
trant dans ce monastère pour y être reli-
gieuse, y causa de gra >ds troubles. Elle fit
bien paraître qu'elle n'y entrait pas dans un
esprit d'humilité : car, croyant que ce serait
un deshonneur pour elle, comme fi le d'em-
pereur, de recevoir le voile des mains d'un
prélat qui n'eût pas le pallium, elle ne vou-
lut pas le recevoir de l'évéquc d'Hildesheim,
auquel ce monastère avait toujours été sou-
mis depuis sa fondation, el elle voulut que
ce fui l'arche» êque de Maycnce qui le lui don-
nât. OsJage, qui était évoque d'Hildesheim,
s'y opposa, elles évéques, qui étaient venus
pour assistera cette cérémonie avec l'empe-
reur Olhon , favorisant l'évêque d'Hildes-
heim, on convint que ce prélat et l'archevê-
que de Mayence lui donneraient ensemble le
voile, après que, selon la coutume, elle aurait
promis l'obéissance el la soumission à l'évê-
que d'Hildesheim. Les choses demeurèrent
en cet étal sous le reste du p m ificat d'Os-
dage et de Gerdage, el sous les premières
années de celui de Bernard, qui monta sur
le siège épiscopal d'Hildesheim, l'an 992.
Pour lors le relâchement, qui s'eiail déjà in-
troduit dans l'abbaye de Gandersheim, alla
jusqu'à un tel excès, que les religieuses y
vivaient sans aucune subordination. Le luxe
et la vanité y régnaient, et l'on n'y recon-
naissait plus l'auturité de l'évêque. La prin-
cesse Sophie, malgré l'abbesse, qui s'y op-
posa fortement, se rendit auprès de l'.nche-
U'que de Mayence, e! demeura plus d'un an
dans son palais. L'évêque d'Hildesheim l'a-
v rtit plusieurs fois de retourner dans son
monastère, mais ses remontrances furent
inutiles. Elle anima l'archevêque de .\ïayence
contre lui, et, oubliant ce qu'elle lui avait
promis le jour de sa consécration, elle publia
qu'elle n'avait pont reçu le voile de ses
niains, mais bien de cilles de l'archevêque
d- Mayence; que Gandersheim n'était point
575
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
de sa juridiction, el quVUe ne devait pas lui
obéir ; cl, étant retournée en son monastère,
cl'e excita aussi les antres religieuses à ne
point reconnaître l'évéque d'Hildeshcim.
En effet, le temps approchant qu'on devait
faire la délicace de la nouvelle église de ce
monastère, la princcsseSophie, àquil'abbesse
«vait donné le soin de pourvoir à tout ce qui
•"erait nécessaire pour la cérémonie, invita
l'archevêque de Mayence, et le jour fut fixé
à la fêle de l'Exaltation île la sainte croix.
L'évéque d'Hildeshcim, qui de son côté avait
été prié par l'abbesse de faire ce jour-là la
cérémonie, promit de s'y trouver. Mais l'ar-
chevêque de Mayence voulut différer jusqu'à
la fêle de saint Matthieu, et le fit signifier à
l'évéque d'Hildeshcim , qui , ne pouvant s'y
trouver ce jour-là, vint à Gandcrsheiin le
jour de l'Exaltation de la sainte croix, pour
consacrer l'église, comme il en avait été prié
par l'abbesse ; mais au lieu d'y trouver ce qu'il
fallait pour la cérémonie, il y trouva au con-
traire des personnes aposiées pour l'insulter.
Il dit néanmoins la messe eu présence des
religieuses, qui étaient fort animées contre
lui, et les obligea à poiter leurs offrandes et
recevoir la bénédiction. Le prélat, au milieu
de la messe, fil une exhortation pour conso-
ler le peuple, qui murmurait hautement de
ce qu'on traitait son évêque si indignement,
et à la fin du discours il défendit que l'on fit
la consécration de l'église sans son consen-
tement, ce qui irrita si fort les religieuses,
que lorsqu'elles présentèrent leurs offrandes,
«Iles les jetèrent par terre avec indignation,
on disant des injures à leur évêque. L'arche-
vêque de Mayence vint à Gandershcim le
jour de saint Matthieu pour faire la dédi-
cace. L'évéque d'Hildeshcim ne s'y trouva
pas, et envoya à sa place Ekkéh.nd, évêque
île Sehleswig, que les guerres avaient obligé
d'abandonner son diocèse. Il s'opposa, au
nom de l'évéque d'Hildeshcim, à toutes les
entreprises de l'archevêque, el la consécra-
tion de l'énli'e fut suspendue. Bernard eut
recours à Rome; l'on y tint un synode l'an
10J1 pour terminer ce différend, et l'on y
donna gain de cause à c? prélat ; mais à son
retour de Rome, étant allé à Gandershcim, il
y trouva des gens en armes, tant de la part
de la princesse Sophie que de l'archevêque
de Mayence, qui l'obligèrent de te retirer.
L'on tint encore plusieurs assemblées d'évé-
ques en Allemagne pour le même sujet, et
cette affaire ne fut terminée que l'an 10)7.
La juridiction de ce monastère fut entière-
ment adjugée à l'évéque d'Hildeshcim , qui
lit enfin la dédicace de l'église; et l'arche-
vêque de Mayence, ayant reconnu sa faute
dans le concile de Francfort, renonça à tou-
tes les prélcntions qu'il pouvait avoir sur
Ganilersheim, et pour témoignage il donna
à l'évéque d'Hildeshcim une crosse ou bâlou
pastoral. Aribe , archevêque de Mayence,
voulant renouveler celte querelle en 1024,
l'empereur Conrad 11 l'en empêcha ; mais la
princesse Sophie, qui avait été faite abbesse
de Ganilersheim après la mort de Gerburge,
ne cessji noi»i d'i"">ii i..r i..« „<.•.... me ■< ";|.
de>h im au sujet de la juridiction. Elle re-
connut sa faule avant que de mourir, et elle
alla trouver l'évéque saint Godard, qui te-
nait pour lors le siège d'Hildesheim. Elle lui
promit toute sorte de satisfactions ; et ce pré-
lat, qui était malade, lui ayant répondu
qu'il examinerait cette affaire, il lui donna
terme jusqu'à la fête delà Purification de la
sainte Vierge. Sophie , qui appréhendait la
mort, lui dit : Plût à Dieu que et jour-là nous
tro :ive en bonne santé l'un et l'autre ! L'évé-
que à ces paroles lui répliqua : Notre vie est
entre les ma ns de Dieu ; mais quelque chose
qui arrive , nous discuterons certainement
cette a D'aire devant le véritable Juqe au jour
de la fâle delà Purification de la sainte Vierge.
La chose arriva comme le saint l'avait prédit,
car il mourut huit jours après, el l'abbesse
Sophie, le jour de la Purification de la sainlo
Vierge, de l'an 1038.
L'on ne pul réparer les désordres que
cette abbesse avait causés à Gandersheim.
Les religieuses qui à son exemple vivaient
en séculières , s'accoulumèrent à cette ma-
nière de vie, et, ayant renoncé à la règle de
saint Benoît, aux observances régulières et
aux vœux solennels dès le xie siècle, elles
embrassèrent facilement l'hérésie de Luther
lorsque toute la Saxe en fut infectée, ce qui
arriva sous le gouvernement de l'abbesse
Glaire, fille d'Henri III dit le Jeune, duc de
Brunswick, qui épousa dans la suite Phi-
lippe de Brunswick, duc de Gubenbagen,
son cousin, et mourut en 1593.11 y a eu
aussi plusieurs autres princesses de la même
maison qui ont été abbesses de Ganders-
heim : comme Dorothée-Auguste, morte en
1(511 ; Christine-Sophie de Brunswick, qui
épousa en 1681 Auguste Guillaume, son cou-
sin germain. La princesse Hcnrietie-Chris-
line de Brunswick Wolfenbulel lui succéda ;
mais, l'an 1712, cette princesse, après avoir
renoncé à la qualité d'abbesse de Ganders-
heim, abjura le luthéranisme entre les mains
de l'abbé de Corvey, et reçut le sacrement
de confirmation à Ruremonde par les mains
de l'évéque de la même ville. Ce monastère
a été si considérable, que Bruschius, qui écri-
vait en 1550, dit que dans ce temps-là il
avait encore pour vassaux non-seulement
des princes de la maison de Brunswick, mais
aussi de celle de Saxe et de Brandebourg et
plusieurs barons el seigneurs d'Allemagne.
L'abbesse est princesse de l'empire, mais
non pas immédiate, cl elle n'envoie pas des
députés aux diètes. La religieuse Roswid,
qui s'est rendue célèbre par les ouvrages
qu'elle a composés en vers et en prose,
était professe de ce monastère. Elle parlait
le grec et ;e latin avec facilité. Elle écrivit
en vers, à la prière de l'empereur Olhon II et
par ordre de Gerberge, son abbesse, un
Eloge historique de la vie d'Olhon premier,
et, depuis, le Martyre de saint Denis et de
saint Pelage, avec d'autres ouvrages. Elle
mourut l'an 907.
Joan. Mabill., Annal. Bcned., tom. III et
IV; et Gaspar Bruschius, Cltronolo/j. Mu~
nasler. Gcrm.
577 GAN
L'abbaye d'Hcrford, située clans la ville
île c- non», sur la rivière de Yehra, dans le
i omlé de Ravensbourg, a en le même sort,
<)ne celle de Gandcrsheim. Elle fut fondée
par Louis, roi de Germanie, l'an 822. Ce
prince, ayant fait bâ ir pour des hommes
l'abbaye de Corbie- la-Neuve sur le modèle
de celle de Corbie en France, voulut aussi
avoir un monastère de filles en Allemagne
semblable à celui de Notre-Dame deSoissons,
d'où il fil venir Telte, qu'il fit première ab-
besse de l'abbaye d'Herford, dont l'église fut
dédiée à sainte Pusiue, après que l'on eut
apporté de France en Allemagne le corps de
celle sainte. Ces deux monastères en produi-
sirent beaucoup d'antres non -seulement en
Allemagne, mais encore en d'autres provin-
ces. Celui d Herford fut premièrement ruiné
par les Huns ou Hongrois, l'an 933, et, après
qu'il eut élé établi , il fut pillé par l'avarice
de Thiedmart, frère de Bernard , duc de
Saxe, et de Godesle, qui en était abbesse : il
en emporta les trésors; mais Mainwerc,
évéque de Paderborn, l'ayant fait comparai-
Ire dans un syno le, le condamna à restituer
à ce monastère trente talents , et Thiedmart,
ne pouvant payer une si grosse somme, cé-
da à ce monastère des terres qui lui appar-
tenaient. Cette abbaye fut rétablie dans sa
première splendeur, et l'abbesse Godeste y
renouvelâtes observances régulières, que les
religieuses abandonnèrent an commence-
ment du xir siècle, et elles ont eu enfin le
malheur de tomber dans l'hérésie, qu'elles
embrassèrent l'an 1(313, n'ayant pas imité
l'abbaye de Corbie-la-Neuve, qui a toujours
conservé la pureté de la foi avec les obser-
vances régulières sous la règle de saint Be-
noît. L'abbesse d'Herford est princesse de
l'empire et a rang parmi les prélats du cercle
de Weslphalie, envoyant des députés aux
dièles de l'empire. Elle fournil pour son
contingent, en temps de guerre, six fantas-
sins. Elle était autrefois dame d'Herford,
mais l'électeur de Brandebourg s'en empara
en 1647, comme étant de la dépendance du
comté de Bavensbourg.
Joan. Mabill. , Annal. Ord. S. Benedict.,
tom. 111 et IV. Annal, et Monument. Pa-
derborn. cl Annal. Westplud.
L'.ibbaje de Quedlimbourg , située dans
la v lie du même nom, qui confine les prin-
cipautés d'Anhalt et d'Halberstad avec le
comté de Biakemhourg, a imité celles d'Her-
ford et de Gandersbeim. Elle fut fondée l'an
930 par Henri l'Oiseleur, roi de Germanie .
et sa femme Mathiide, e i l'honneur de saint
Servais. Ils y donnèrent de grands biens et
y choisirent leur sépulture. Ce te abbaye,
dont l'abbesse est princesse immédiate de
l'empire et du cercle de la haule Saxe, en-
voie des députés aux dièt s el fournil pour
son contingent, en temps de guerre, un cava-
lier et dix fantassins. La ville de Quedlim-
bourg a élé longtemps libre et impériale ;
mais l'abbesse, avec qui le magistral se
brouilla, ayant appelé à son secours Er-
nest, électeur de Saxe, son frère, ce prime
s'en rendit maître eu 1477, cl prit l'abbaye
GEN
373
sous sa protection. Les électeurs de Saxe en
ont élé les prolecteurs depuis ce temps-là et
jouissent de la supériorité lerriloria e dans
la v Ile et dans son territoire, où l'abbesse
n'a que la basse justice. Il v a eu plusieurs
princesses de In maison de Saxe qui onl é'é
abbesses de Quedlimbourg , comme Hed-
wige, fille de Frédéric II, dit le Pacifique,
électeur de Sixe, morte en 1512; Marie,
fiile de Jean Guillaume , duc de Saxc-Wei-
mar, morte en 1G10 ; Dorothée , fille de
Christian I , aussi électeur de Saxe, moi le
en I6t7 ; Dorothée-Sophie, fille de Frédéric-
Guillaume, duc de Saxe-AUembourg, morte
en 1645; et Anne-Dorothée, fille de Jean
Ernest de Saxe-Weimar. La princesse Anne-
Marguerite de Brunswick en a élé aussi ab-
besse , et ce fut la romlesse Anne de Sloï-
berg qui, en 1539, y fit recevoir la confession
d'Augsbourg.
L'abbaye de Cérenrode, dans la princi-
pauté d'Anhalt , à trois lieues de Quedlim-
bourg, fut fondée aussi pour des religieuses
de l'ordre de Saint-Benoit par le duc Céron,
mort l'an 905. L'abbesse est prin esse im-
médiate de l'empire et du cercle de la hauts
Saxe, fonruissa t pour son contingent, en
temps de guerre, un cavalier et six fantas-
sins. Elisabeth, comtesse de Wied, qui en
était abbesse, y fit recevoir la confession
d'Augsbouig en 1521. Les princes d'Anhalt
ont depuis longtemps l'avouerie de cette
abbaye , dont ils payent les charges qu'elle
do t à l'empire.
Joui. MabiL, Annal. Bened., tom. III ; et
Audifrel . Geograph., tom. 111.
GÈNES (Augustins de la congrégation
de). Yoy. Augustin (Eryiite, de Saint-),
§ 1H .
GENETTE (Ordre de la). Yoy. Ampoule
(Sainte-).
GENEVIÈVE ( Congrégation des cha-
noines réguliers de Sainte-). Yoy. Géno-
GENEVIÈVE (Filles de Sainte-). Voy.
MlRAUIONES.
GÉNOVÉFAINS (Chanoines réguliers).
Des Génovéfains chanoines réguliers th la
congrégation de France, vulgairement ap-
pelée ite Sainte-Geneviève , arec la vie du
révérend père Charles Faute, instituteur de
celte congrégation.
Nous étant proposé de donner dans celte
Histoire des Ordres religieux un abrégé des
vies de leurs principaux fondateurs et réfor-
mateurs, il est juste que nous parlions du
B. P. Charles Faure, à qui la Franc:- est
redevable de lui avoir procuré la congré-
gation des chanoines réguliers qu'on ap-
pelle de France et plus communément de
Sainte-Geneviève . qui fait l'un des plus
beaux ornements de l'état régulier dans ce
royaume.
Il naquit l'an 1.59V, à quatre lieues dn
Paris, dans le village de Lucienne
ses parents avaient une maison
Son père se nommait Jean/
se'gueur dcMarsinval, comuiissafcèYoï'di-»^ \s\
373 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 580
naire des guerres ; et sa mère, Madeleine Reims et de Sens. Mais, peu de temps après,
le lîossn. Il fut nommé Charles sur les fonts les guerres que causèrent les Anglais dans
île baptême , et dès sa plus tendre jeunesse ce royaume, et qui empêchèrent la tenue des
il mollira beaucoup d'inclination pour la chapitres provinciaux ordonnés par Be-
verlu et une grande aversion pour le vice ; noît XII, furent cause que le relâchement
car à peine avait-il cinq ans, qu'ayant su s'introduisit dans la plupart des maisons,
que sa nourrice avait élé reprise de quel- Le partage des biens et la propriété en ban-
ques désordres, il ne voulut plus souffrir nirent la pauvreté ; les offices, qui devinrent
ses caresses , et fuyait même sa présence.' perpétuels, anéantirent l'obéissance; et les
Il aimait passionnément toutes les choses religieux se plongèrent dans l'oisiveté, ne
qui regardent le culte des autels , et il était songeant plus aux études et ne s'adonnant
si porté à lare l'aumône, que souvent il qu'à la bonne chère et au dérèglement.
se levait exprés de grand malin pour pren- Le malheur des commendes fut une suite
dre les fruits qui étaient soi:s les arbres, et une punition de ces désordres, cl l'abbaye
afin de les cacher et de les donner ensuite de Saint-Vincent y fut assujettie des pré-
aux pauvres. Son humeur était extrême- mières; le dérèglement dans lequel on y vi-
ment douce, son cœur tendre et généreux; vait en li02 fut si grand, que le parlement
et, quoiqu'il fût vif et plein de feu , il était de Paris fut obligé d'en prendre connaissan-
néahmoins judicieux et modéré , patient et ce. Il était plus grand eu 1535. 11 y eut des
persévérant dans le travail ; enfin il sem- commissaires nommés pour y faire une vi-
l.lail que Dieu avait mis en lui tous les site dans les formes; et tous ces désordres
caractères qui sont propres à former les n'approchaient pas encore de ceux qui y
grands hommes. régnaient lorsque le R. P. Faure y prit l'ha-
Son père l'envoya à l'âge de dix ans à hil en !Glfi. Ge jour si saint et si heureux
Bourges pour y faire ses études au collège pour lui ne fut pour ainsi dire qu'un jour
des R. P. Jésuites , mais l'air du pays lui de débauche et de profanation pour les au-
ayant été contraire, il le rappela auprès de très qui assistèrent à ce t • cérémonie. On vit
lui ; et à peine ful-il de retour, qu'il le laissa dans ce saint lieu des festins, des danses, et
orphelin, étant décédé et ayant laissé à ses d'autres divertissements. Les femmes mangè-
enfants plus d'honneur que de biens ; ce qui rent avec les religieux dans le réfecloire ;
fil que la mère de n tre Charles le destina elles entrèrent partout, jouèrent dans les
pour l'Eglise ; et, comme l'abbé de Saint- cloîtres et dans le chapitre; et ce ne fut
Vincent de Senlis était de ses amis , on lui qu'un jour de licence et de désordre.
conseilla de le lui donner pour êlre reli- Le jeune novice était pendant tout ce
gieux dans son abbaye, ce qui étaii alors temps-là enfermé dans sa cellule. On ne le
considéré comme une espèce de bénéfice. vit paraître que lorsqu'il f.illut aller à l'of-
II entra dans cette abbaye, suivant en ap- fice, et il ne parla à ses parents sur le soir
parence les impressions de sa mère, mais que pour leur dire adieu. Comme ce n'est ici
conduit en effet par la divine providence, qui qu'un petit abrégé de sa vie, je ne rappor-
!e choisissait pour y rétablir la discipline lerai point loules les mortifications qu'il
régulière; et, comme cette abbaye est regar- exerça sur son corps, et celles qu'il eut à
dée comme le berceau où la congrégation souffrir de la part des religieux, qui, vivant
(les chanoines réguliers de ?ain!e-Gene\iève dans le libertinage, ne pouvaient voir sans
a pris naissance , nous rapporterons son rougir de honte la vie exemplaire qu'il me-
origine. nait et les austéri'és qu'il pratiquait; et,
Elle fut fondée l'an 1060 par Anne de sans l'autorité de l'évêque de llieui, abbé
Russie, fille de Georges l'Esclavon, roi des de celte maison, et dont les religieux dèpen-
liussiens et des Moscovites, femme de Hen- daienl à cause de certains avantages tempo-
ri I" et mère de Philippe l", rois de France, rels qu'ils espéraient pouvoir obtenir de lui,
El'e y mit des chanoines vivant en commun, le jeune novice eût été renvoyé chez ses
qui par la sainteté de leur vie se rendirent parents.
si célèbres et si recommandantes, qu'en 118G Enfin, l'année de probalion étant finie, il
Guillaume de Garlande, sénéchal et grand prononça ses voeux le premier jour de mars
maître de France, ayant fondé l'abbaye de 1GÎ5. Tout s'y passa à l'égard des religieux
Notre-Dame de Livry à trois lieues de Paris, comme à la prise d'habit ; mais, à l'égard du
s'adressa à Hugues , abbé de Saint-Vincent, nouveau profès, il redoubla son zèle et sa
pour y envoyer de ses religieux. Ils persis- ferveur. Il ne songea plus qu'à s'acquitter
Seront dans ceite ferveur jusque sous le pon- de ses obligations, et quelque temps après
liiical de Benoît XII, qui, ayant formé le il vint à l'aiis pour y finir ses éludes. H fit
dessein de réunir tous les chanoines régu- son cours de philosophie sous François Abra
l.ers sous une même règle, et les ramener à de Raconis, qui fut depuis évéque de La-
a même observance et aux mêmes prati- vaur; et, après avoir reçu à. la fin le bonnet
ques, voulut que les constitutions qu'il avait de mailre-ès-arls, il étudia en théologie sous
dressées à ce sujet fussent universellement Pbilippe de Gamaches et André du \ al. Il fit
observées. un merveilleux progrès sous de si habiles
La première assemblée qui se tint en maîtres; de sorte qu'au bout de deux ans
Erànce pour les recevoir fut à Saint-Vincent j|s |e contraignirent de prendre le degré de
•le Senlis, où il se trouva soixante et un ab- bachelier. H fut fortement sollicité de conli-
/ I.és et dix prieurs des seules provinces de nuer ses éludes, afin <!• passer jusqu'au doc*
5si <;i.x
torat. Mais le désir de la réforme de son
monastère de Saint-Vincent et les sollicita-
lions continuelles de deux de ses confrères,
dont Dieu avait touché les cœurs, qui le pres-
saient de retourner au plus tôt, l'emportè-
rent sur toutes les raisons qu'on lui put
donner pour continuer ses études. Ces saints
religieux curent d'abord beaucoup à souffrir
de la part de leurs confrères, qui ne vou-
laient point entendre parler de réforme; et
la protection que le cardinal de la Roche-
foucaut, pour lors évoque de Senlis, voulut
bien leur donner, servit à les mettre à cou-
vert des mauvais traitements que le prieur
de cette maison leur faisait. Leurs discours
et leurs bons exemples en attirèrent quel-
ques-uns; mais les morts funestes et tragi-
ques de cinq religieux, qui s'opposaient for-
tement à leurs bonnes intentions avec le
prieur, et qui furent suivies par celles de ce
même prieur en moins d'un an, furent ce qui
donna entièrement naissance à la réforme.
On chercha dès lors des mesures pour y par-
venir; et, quoique le P. Faure n'eût encore
aucune charge ni aucun caractère, parce
que son âge ne le lui permettait pas, c'était
néanmoins par ses avis que furent dressés la
plupart des règlements nécessaires et des
pratiques qui ont depuis servi au grand ou-
vrage de la réforme; et un des principaux
articles fut qu'à l'avenir les prieurs seraient
triennaux, au lieu qu'auparavant ils étaient
perpétuels.
Lorsque ces règlements eurent été dres-
sés, les religieux sollicitèrent si fort le P.
Faure pour prendre l'ordre de préirise, qu'il
ne put s'en défendre. Ce fut le 22 septembre
de l'année 1618 qu'il le reçut, des mains du
cardinal de la Rochefoucauld. On lui donna
ensuite le gouvernement de cette maison, et
Dieu versa une si grande abondance de bé-
nédictions sur ses travaux, quetette abbaye
tépandit partout une odeur de sainteté qui
lui acquit autant d'estime qu'elle s'était at-
tiré de blâme.
Il vint de toutes parts des personnes de
tout âge et de toutes conditions pour em-
brasser la vie religieuse dans une si sainte
compagnie. On y voyait souvent venir des
religieux de plusieurs maisons pour y ob-
server la régularité, s'msiruire des véritables
devoirs des chanoines réguliers, et appren-
dre sous la conduite du P. Faure les règles
de la vie spirituelle. Le R. P. Pierre Founer,
curé de Mataincuurl, travaillant pour lors à
la réforme des chanoines réguliers de Lor-
raine, y envoya exprès un religieux, qui fut
depuis général de sa congrégation, pour s'in-
struire des règlements de cette nouvelle ré-
forme, et pour consulter ceux qui l'entre-
prenaient. L'abbaye de Noire-Dame d'Eu y
envoya aussi quatre novices pour y être
élevés dans la régularité. Enfin, le cardinal
de la Rochefoucauld ayant é'é fait abbé de
Sainte-Geneviève-du-Mont à Paris, en 1C19,
et ayant résolu de la réformer et de la met-
tre sur le même pied qu'était celle de Saint-
Vincent de Senlis, il crut qu'un des moyens
dont il pouvait se servir pour cela était d'o-
GEN
53'i
bliger quelques religieux de celle abbaye
l'aller à Saint- Vincent pour voir ce qui s'y
h
d'aller a Saint- Vincent pr._.
passait, et pour y prendre l'idée d'une vie
régulière.
Nous dirons, en parlant des chanoines ré-
guliers de Saint-Victor, comment ce cardinal
avait lâché de relever les anciennes congré-
gations; mais, n'ayant pas réussi dans son
dessein, c'est ce qui lui fil naître la pensée
d'en ériger une nouvelle, dont son abbaye
de Sainte-Geneviève a toujours été le chef,
quoiqu'elle ne soit que la troisième qui re-
çut la réforme, qui avait été auparavant in-
troduite dans celle de Saint-Jean de Char-
tres ; et nous rapporterons en peu de mots
l'origine de celte célèbre abbaye.
Elle fut fondée par le roi Clovis au com-
mencement du vi" siècle, vers l'an 511, à 'a
prière de la reine Clotilde, son épouse, qui
avait procuré la conversion de ce prince, et
à qui toute la France est redevable de la foi
catholique. L'église fui consacrée par saint
Rémi en l'honneur des apAtres saint Pierre
et saint Paul, dont elle retint les noms jus-
qu'à ce que sainte Geneviève y ayant été
enterrée, on ajouta celui de cette sainte à
ceux dos saints apôtres. Mais la ville de Pa-
ris ayant reconnu cette petite bergère pour
sa patronne, et le royaume de France ayant
expérimenté, dans plusieurs occasions par
des miracles visibles, la protection de cette
sainte vierge, cette église n'est plus connue
présentement que sous le nom de cette il-
lustre patronne de la capitale du royaume de
France.
Clovis y ayant mis d'abord des chanoines
séculiers, ils s'acquittèrent de leurs obliga-
tions pendant un temps considérable, jusqu'à
ce que les Normands, n'ayant pu prendre
Paris en 84-5 et 846, se contentèrent de sac-
cager les faubourgs. Leur cruauté n'ayant
pas épargné ce saint lieu, ils le pillèrent par
deux fois : de sorte que les chanoines ayant
été obligés de prendre la fuite, le service di-
vin ne s'y fil plus avec tant d'exactitude. Ils,
tombèrent insensiblement dans le relâche-
ment, qui s'augmenta beaucoup dans la
suite, principalement dans le xn* siècle,
qu'ils en furent chassés, et l'on mit en leur
place des chanoines réguliers : y ayant
donné lieu par le scandale qu'ils causèrent
lorsque le'pape Eugène 111 alla dans leur
église l'an 11-18. Ce pontife, qui était reli-
gieux de l'ordre de Cîleaux et disciple de
saint Bernard, avait été élu pour chef de
l'Eglise universelle après la mort de Luciuj II,
l'an 1145. Une sédiiion, qui s'éleva aussitôt à
Rome, l'obligea d'en sortir avec les cardi-
naux, qui le couronnèrent au monastère de
Farfe, le 4 mars de la même année. Il revint
à Rome après que la révolte eut été apaisée;
mais la paix et la tranquillité n'y durèrent
pas longtemps. Le pape, fatigué par les sédi-
tions des Romains, vint en France l'an 1148,
et fut reçu à Paris par le roi Louis VII, dit
le Jeune, cl l'évcque Thibaut, auparavant
prieur de Sainl-Marlin-dcs-Champs. Ils allè-
rent au-devant de ce pontife, et remmenè-
rent en grande solennité à l'église de Nolra-
585 DICTIONNAIRE Uj.S ORDRES RELIGIEUX. 5Çt
Dame. Quelques jours après , Eugène voulut président, et Charles de Dormans, conseiller,
«lier dire la messe à Sainte-Geneviève, à s'y transportèrent pour tâcher d'y rétablir
cause que celle église était immédiatement la paix. Leurs bonnes intentions ne furent
soirtnise au saiot-siége. Quafld il y fut arrivé, point secondées, au contraire le désordre
les officiers de l'église étendirent drvant augmenta dans la suite par une circonstance
l'autel un tapis de soie, où il se proslerna qui ne devait pas naturellement produire
pour faire son oraison. Ensuite il entra dans cet effet.
la sacristie et se revêtit pour la messe. Ce- Joseph Foulon, qui gouvernait cette ab-
pendant les officiers du pape prirent le ta- bave depuis l'an 1357, voulant empêcher
pis, prétendant qu'il leur appartenait selon qu'elle ne tombât en commande, crut que le
la coutume; les chanoines, au contraire, meilleur expédient était de résigner son titre
prétendirent qu'il devait rester à leur église, à quelque personne de qualité qu'il pût
et prirent querelle avec eux. Des paroles ils faire agréer au roi et à ses religieux, par la
en vinrent aux mains : les oficiers du pape considération de sa naissance. Pour cet effet
furent si maltraités par les chanoines, qu'il il jeta les yeux sur Benjamin de Brichantea'u,
y en eut plusieurs de blessés, et le roi même fils du marquis de Nangis, qu'il' reçut à la
pensa l'être aussi, voulant apaiser te désor— profession, et qu'il fil ensuite élire abbé
dre. Le pape et le roi, pour punir ces cha- coadjuleur peu de temps avant sa mort, qui
noines de leur insolence, résolurent de met- arriva l'an 1007, après avoir possédé celte
Ire des Bénédictins en leur place et de leur abbaye pendant cinquante ans.
rtler cette églse. Néanmoins , comme il y Quelque temps après, ce nouvel abbé fut
avait parmi eux des personnes distinguées fait évèqne de Laon, de sorte qu'il ne résida
par leur noblesse et leur science, on ue vou- point à Sainte-Geneviève, quoiqu'il y soit
lut pas d'abord les priver de leurs prében- mort et enteré. Ainsi, les religieux, se
(fcs, mais seulement leur en laisser le revenu voyant sans chef pour les gouverner, se lais-
pendant leur vie, pour être réuni après leur sèrent aller à toutes sortes de dérèglements,
mort à la mense conventuelle. L abbé de et ne gardèrent plus aucune observance.
Saint-Victor et ses religieux, en ayant eu Cela dura jusqu'en l'an 1019, que l'évcque do
avis, firent tant d'instances auprès de ces Laon étant mort, le roi lui donna pour suc-
princes pour leur accorder cette église, allé- cesseur en cette abbaye le cardinal de la Ro-
guant pour raisons que les chanoines sécu- chefoucauld, et Sa Majesté lui témoigna qu'il
liers s'accoutumeraient mieux à leur ma- ne l'avait nommé que parce que , con-
nière de vivre qu'à celle des Bénédictins, naissant son zèle, il ne doutait point qu'il
qu'ils 'obtinrent leur demande. On tira de ne travaillât de toutes ses forces pour rendre
I abbaye de Saint-Victor douze chanoines, à celle abbaye son premier lustre, et que
qui furent conduits à Sainte-Geneviève; et son intention était que les choses fussent
l'un d'eux, nommé Odon, en fut élu premier remises en leur premier état, quant à l'é-
abbé. Ainsi , d'un chapitre séculier cet'.e leclion libre d'un abbé régulier, sitôt que le
église fut érigée en abbaye l'an 1148. bon ordre y aurait été rétabli.
C'est ainsi que l'histoire de ce différend est Le cardinal de la Rochefoucauld recul celte
rapportée dans la vie de saint Guillaume (1). abbaye à ces conditions, et, pour seconder
qui, ayant été du nombre des anciens cha- bs pieuses intentions du roi, il commença à
noines séculiers, se joignit aux réguliers, et travailler au rétablissement de la discipline
fui dans la suite abbé de Roschildein en Da- régulière. Il fil assembler en l'année 1G21 ce
nemark. Néanmoins, Suger, abbé de Saint- qu'il y avait de religieux réformés à Paris,
Denis, qui avait eu commission du pape de pour l'assister de leurs conseils sur les
faire ce changement e i cette église, rendant moyens qu'il devait prendre pour exécuter
compte à ce pontife de ce qu'il avait fait, dit son entreprise, et l'on y convint de certains
que ce fut pour le bien de la paix qu'il n'y articles de réforme qui furent mis par écrit,
mil pas des Bénédictins, comme Sa Sainteté On les communiqua aux religieux de l'ab-
l'avait ordonné, et que ce fut à la prière des baye ; quelques-uns témoignèrent vouloir
chanoines séculiers qu'il y mil des religieux s'y soumettre. Il y eut même d'abord quel-
de Saint-Viclor. que apparence de régularité; mais cela n'eut
Ils y vécurent conformément à leur état aucune suite. Il fallut employer l'autorité du
jusqu'aux guerres des Anglais; mais les dés- roi pour faire recevoir la reforme. De dix-
ordres qu'elles causèrent donnèrent occa- neuf anciens, il n'y en eut que cinq qui s'y
sion au relâchement, qui s'introduisit encore soumirent; et Son Eminence fil venir de
en celle maison aussi bien que dans plu- Sentis douze religieux en 1624, qu'il condui-
sieurs autres, comme nous avons dit ail- sil lui-même à l'église, au cloître, au ebapi-
leurs; et il s'augmenta de telle sorle, que Ire et aux doroirs, pour en prendre posses-
sous le règne de François 1 '-, le parlement sion. H établit le P. Faurc supérieur de celle
fut obligé de donner commission à Pierre maison en particulier pour avoir la dire-
Brulard, cous illcr, pour informer des désor- rlion de tout le spirituel, non-seulement à
dres qui y éiaient. Mais, bien loin que cela l'égard de ses religieux, mais même à l'égard
servit à rétablir le bon ordre, le relâchement de ceux de l'ancienne observance qui n'é-
alla jusqu'à un ici point, que, quelques an- (aient pas encore prêtres, qu'il obligea de S3
nées après, Chrislophe de Thou, premier soumettre à lui, et de lui obéir en toutes
(IJApud Bellaiu! , lom. !, April., Ad. SS., pag. 0.0.
585 GEN
choses. On vil en peu de temps la réforme
mire un merveilleux progrès, ayant été in-
troduite dans plusieurs maisons, ce qui lit
que la congrégation commençant à s'aug-
menter, on jugea à propos de lui donner un
général.
Ouelqucs années après, on poursuivit en
cour de Rome, pour rendre cette abbaye éle-
ctive de trois en trois ans, sur ce que le roi
s'était démis de tout dioit de nomination à
celte abbaye, cl avait consenti que non-seu-
lement elle fût élective comme auparavant,
mais que l'élection d'un ;i bbé se lit tous les
trois ans. Le pape l'accorda au mois do
février 1534, confirmant aussi cille nom elle
congrégation. L'on assembla ensuiie le cha-
pitre général composé des supérieurs de
quinze maisons qui avaient déjà embrassé la
réforme, cl le I!. 1'. Faure fui élu eanonique-
nienl pour abbé coadjulcurde Sainte-Gene-
viève et général de lou'e la congrégation.
Autant que les religieux avaient de joie de
son élection, autant lui causa-l-clle de cha-
grin. Il commença par un acte d'humilité ;
car i! voulut senir la communauté ;<u réfe-
Cloire jusqu'à la fin du repas, quelque chose
que l'on pût l'aire pour l'empêcher; et il con-
serva loujouis celle pratique toutes les fois
qu'il ofliciail pontificalem.ent.Ce n'était poiul
eu lui une vaine cérémonie, mais un effet sin-
cère et une véritable marque de la disposition
de son cœur; car il était humble et modeste, et
on ne s'.ipercevait du rang qu'il tenait parmi
ses frères que par les marques extérieures
attachées à sa dignité.
Il s',.cquitta si dignement de cet emploi ,
qu'il fui élu plusieurs fois dans la suite pour
la même dignité, et il était général pour la
troisième (ois, lorsqu'il mourut dans le teni| s
qu'il travaillait le plus pour l'agrandissement
de sa congrégation; car sa pénitence et son
application continuelles ayant épuisé ses for-
ces, la fièvre le prit dans le cours de ses vi-
sites à Sentis. Il le dissimula d'abord et vint
coucher à Nanlerre sans rien dire de son
mal, qui, augmentant de plus en plus, l'obli-
gea de s'arrêter dans une ferme dépendante
de l'abbaye de Sainte-Geneviève, proche de
Versailles, où le cardinal de la Rochefoucauld
lui envoya son carrose avec des religieux.
pour le ramener à Paris. Mais il les avait déjà
prévenus, et il était parti pour Chartres lors-
qu'ils arrivèrent, voulant s'y rendre le même
jour et même prêcher le lendemain à cause
de la letc de saint Augustin. Accable de son
mal, il n'eut pas seulement assez de force
pour célébrer la sainte messe ce jour-là. On
le transporla à Paris avec assez d'incommo-
dité, où, étant arrivé, il voulut saluer et em-
brasser loule la communauté avant de se
mettre au lit.
Jl acheva néanmoins pendant sa maladie
les constitutions qu'il avait déjà commen-
cées. 11 dressa des mémoires et des instru-
ctions sur quantité de points particuliers qui
ont beaucoup servi pour le bon gouverne-
ment de cette congrégation ; après quoi il ne
songea plus qu'a la mort; et, bien loin que
ce.te pensée lui causal de la frayeur, elle lui
C.EN
380
donnait au contraire de la jo'e el de la con-
solation. On le voyait souvent prosterné au
pied d'un rrucilix. îl était presque toujours
dans des méditations continuelles. Il n'ou-
vi ait la bouche que pour exprimer des sen-
timcnis admirables; et, quoique son mal fût
pour lui une a.-sez grande pénitence, il ne se
croyait pas pour cela exempt de pouvoir
mortifier son corps, lui refusant tous les
soulagements superflus. Enfin, dans le temps
qu'on commençait d'avoir quelque espérance
de sa guérison, il lit une confession générale
el demanda le saint viatique.
Comme il semblait se mieux porter, les re-
ligieux qui étaient présents en furent extrê-
mement surpris, ils n'en pouvaient compren-
dre la raison; ils le supplièrent de vouloir
épargner celle douleur à ses enfants, qui
seraient alarmés quand i!s entendraient celle
nouvelle ; niais il répondit qu'il n'y avait
pointa ditîéier, et que, pour éviter ce qu'on
appréhendait on pouvait faire la cérémonie
pendant la nuit. L'on fit ce qu'il souhaitait;
cinq ou six anciens y assistèrent, et, sitôt
qu'il vit le Sauveur du monde entrer dans sa
chambre, il se jeta à genoux pour l'adorer
elle recul avec des transports d'amour qui ne
se peuvent exprimer.
Le matin, les religieux, qui ignoraient ce
qui s'était passé la nuit, le vinrent saluer,
parce que c'était le jour de sa fête. Jamais il
ne parut plus joyeux, il les entretint fami-
lièrement, il leur fil à son ordinaire quelques
exhortations, donna même l'habit à un po-
stulant, et traiui de plusieurs affaires; mais
sur le soir la fièvre s'élaul augmentée, il
tomba en faiblesse, il pei dit tout sentiment,
el on n'eut que le temps de lui donner l'ex-
tréme-onction ; après quoi il rendit son âme
au Seigneur le k novembre ItiiV, étant âgé
de cinquante ans, ayant eu la satisfaction de
voir sa congrégation augmentée de pius de
cinquante maisons, où par ses soins el ses
travaux la réforme avait été introduite. Son
corps fut ouvert et enterré à Sainte-Gene-
viève, après qu'on en eut lire le cœur, qui
fut porte à Saint-Vincent de Senlis, où la ré-
forme avait commencé, et ses entrailles fu-
rent aussi portées à Sainte-Catherine du Val
des Ecoliers à Paris.
Après sa mort, cette congrégation s'est
tellement augmentée , qu'elle est présente-
ment la plus ample el la plus nombreuse do
toutes celles qui composent l'ordre des cha-
noines réguliers, puisqu'elle a plus de cenl
monastères, dans une partie desquels les re-
ligieux sont employés à l'administration des
paroisses et des hôpitaux, et en l'autre à la
célébration de 'l'office divin el a l'instruction
des ecclésiastiques el de la jeunesse dans les
séminaires. Elle a en France soixante-sept
abbayes, vingt-huit prieurés convenlucis,
deux prévôtés et trois hôpitaux ; et , aux
Pays-lias, trois abbayes el trois prieures,
outre un très-grand nombre de cures. La
même reforme a subsisté pendant un temps
dans la cathédrale d'Uzès. Ces chanoines ré-
guliers disent matines le soir à huit heures,
immédiatement après l'examen de conscieu-
587
DICTIONNAIRE BES ORDRES RELIGIEUX.
ce, cl les litanies de la sainte Vierge; et se
lèvent le matin à cinq heures. Ils jeûnent
tous les vendredis, pourvu qu'en ces jours-là
il ne se rencontre point de fête solennelle, ou
qu'il n'y «il point de jeûne d'Eglise le jeudi
ou le samedi. Ils jeûnent encore toules l.s
veilles des fêtes de la sainte Vierge et de
celles de saint Augustin, pendant l'Àvenl, et
les deux jours qui précèdent le carême
universel.
Depuis un temps immémorial, l'un des
chanceliers de l'université de Paris est tiré
de l'abbaye de Sainte-Geneviève. Entre ceux
qui ont rempli cette charge depuis la réfor-
me, le P. Jean Fronteau est celui qui a acquis
plus de réputation. II était d'Angers, et lut
reçu en 1G30 parmi les religieux de cello
congrégation. Il enseigna pendant plusieurs
années la philosophie et la théologie, il avait
appris les langues grecque, latine, hébraï-
que, syriaque et chaldéenne, et il n'y a point
d'ouvrages en ces cinq sortes de langues qu'il
n'ait lus. Il parlait aussi les langues vivantes
de l'Europe, et dressa celle belle bibliothèque
de Sainte-Geneviève qui a été augmentée de
plus de la moitié, l'an 1711, par celle de feu
M. l'archevêque de Reims Michel le Tellier,
qui la laissa à celte abbaye par soa testa-
ment, ce qui la rend une des plus considé-
rables de l'Europe, étant présentement com-
posée de plus do soixante mille volumes et
d'un cabinet très-curieux.
Le P. Fronteau avait élé fail chancelier
de l'université en ICiH, et, ayant eu depuis
le prieuré de Benetz en Anjou et ensuite la
cure deMôntargïs, il en lut prendre pos-
session sur la fin du carême de l'an 1662, et
se donna tant de peine durant les lèles de
Pâques en l'adminislration des sacrements
et en la visite des malades, qu'il en tomba
malade lui-même le 12 avril de la même an-
née, et mourut le 17 suivant, n'étant qu'en
la quarante-huitième année de son âye.
Le P. Lallemand, qui a fait un abrégé de
sa vie, lui succéda dans l'office de chancelier
de l'université, et a élé un des plus illustres
ornements de celle célèbre académie. Avant
d'élre religieux, il en avait élé plusieurs fois
reeleur, et après la mort du P. Fronteau,
elle le demanda pour chancelier à l'abbé de
Sainte-Geneviève, qui a droit d'y nommer,
et qui ne pouvait refuser celte dignité au P.
Lallemand sans quelque sorte d'injustice. II
mourut le 18 lévrier 1073, âgé de cinquante
ans, après avoir pendant un long temps mé-
dite la mort et s'y êlre préparé. 11 nous en a
laissé des preuves par les livres qu'il a co im-
posés sur se sujet.
Le P. du Moulinet s'est aussi rendu très-
recommandable dans cette congrégation par
sa profonde érudition, surtout par la con-
naissance qu'il avait de l'antiquité et des
médailles. Entre les différents ouvrages qu'il
a donnés, il y en a un qui traite des cha-
noines réguliers avec la description de leurs
différents habillements. Celui do sa congréga-
tion consiste en une soutane de serge blan-
che avec un collet fort large et un rochel de
toile. Lorsqu'ils sont a la maison, ils ont,
(I) Voy., à la fin du vol., u<" 78, 79.
3C3
l'été, un bonnet carré, et pendant l'hiver un
camail noir, et hors le monastère ils portent
un manteau noir à la manière des ecclésias-
tiques, l'our habit de chœur, ils oui, l'été, un
surplis et une aumusse noire sur le bras, l'hi-
ver un grand camail et une chape noire (1).
Il y a encore eu beaucoup de célèbres
écrivains parmi eux, et entre les autres les
Pères Chaponelle et le Large, qui ont fait
des recherches et des dissertations savantes
et curieuses sur l'histoire des chanoines ré-
guliers. Les armes de cette congrégation
sont d'azur à une main tenant un cœur en-
flammé, avec ce' le devise : Superemineat Cha-
rtlas. Entre les privilèges dont jouit l'abbayè
de Sainte-Geneviève, le plus considérable
est que l'abbé et les religieux, à la descente
de la châsse de celte sainte, patronne de Pa-
ns, dans les calamités publiques, el lorsqu'on
la porte en procession, ont la droite sur l'ar-
chevêque de Paris et les chanoines de la ca-
thédrale, et que l'abbé donne la bénédiction
dans les rues aussi bien que l'archevêque.
Celle abbaye, suivant les privilèges des pa-
pes et des rois de France, n'est jamais va-
ctnle, et, suivant l'usage ordinaire, le mort
saisit le vif. L'abbé étant mort, le premier
et le second assistant lui succèdent, eu vertu
d'une bulle d'Alexandre VII, du 2 août 1055,
et lettres patentes du roi, le tout confirmé et
enregistré aux cours souveraines. Un des
privilèges dont jouit cet abbé est de donner
des monitoires comme les évêques, et il a
été maintenu dans ce droit par un arrêt du
conseil d'Elat.
Voyez la Vie du P. Faure imprimée d Pa-
ris en 1G!)S. Du Moulinet, Hist. des diffé-
rents habits des chan. régul. Hermant, Etablis-
sement des Ord. relig. Malingre, Antiquités
de Paris; el Sammarlh. Gall. Christ., loin.
IV, pag. 1001.
GEORGES (Chevaliers de Saint-). Voy.
Bethléem.
GEORGES (Chevaliers de Saint-). Foy.
Constantin.
GEORGES (Ordres divers de chevaliers
de Saint-)
L'abbé Giustiniani, Schoonebeck, M. Her-
mant et quelques autres auleurs, parlant
dans leurs Histoires des Ordres militaires,
de celui de Saint-Georges dans l'Autriche
et la Carinthie, disent qu'il y ea a qui en attri-
buent l'institution à Rodolphe d'Hap'sbourg,
premier empereur de la maison d'Autriche,
qui, pour rendre cet ordre plus illustre, ac-
corda au premier grand maître, entre au-
tres privilèges, le litre de prince, et lui
donna pour lui et pour ses chevaliers la
ville de Millestad dans la Carinthie, où il
fonda aussi un chapitre de chanoines régu-
liers de l'ordre de Saint-Augustin, sous la di-
rection de l'évêque, quidevaii êlre choisi de
leur corps, et porter aussi bienqu'euxl'habit
de l'ordre, llest aisé de détruirecetleopinion,
puisque l'empereur Rodolphe mourut l'an
1291, et que le duché de Carinthie n'appar-
tenait pas encore à la maison d'Autriche,
qui ne le posséda qu'après la mort d'Henri,
5*i GEO
roi de Bohême cl dernier due de Carinlhiè,
oui, s'étant rendu odieux aux peuples de
Bohême par ses tyrannies, lui déposé l an
1309 par les Eials de ce royaume, cl ne mou-
rut (,ue l'an 1331.
Quanta lavilledèMilIeslad, elle n'a jamais
été évéché; mais il se peut l'aire que 1 empe-
reur Frédéric III, qui est le véritable fonda-
teur de cet ordre, ayant donne une nclie ab-
baye de l'ordre de Sainl-Benoit dans celte
ville pour servir de demeure aux nouveaux
chevaliers et chapelains de l'ordre de >aint-
Geor«es,on ait donné le nom de chanoines
à ces'chapelains, et que l'on ait pis la ville
de Neuslad pour Millestad, car cet empereur
fit aussi ériger en évéché, dans le même
temps, la ville de Neuslad, dont l'évèque ne
fui point soumis pour le temporel au grand
maître de l'ordre de Saint-lîeoi «es, comme
prétendent Mennéus, de Belloy et quelques
autres, qui appellent cette ville de Neuslad,
Cité Neuve, à cause de son nom latin cw .-
lus nova.
Celle abbaye de Millestad. autrefois chel
d'ordre des chevaliers de Saint-Georges ,
étant présentement en la possc ssion de- Pè-
res de la compagnie de Jésus, le 1'. Bollan-
dus a parlé de l'origine de cet ordre mili-
taire dans un traité particulier qu'il a laissé,
et qu'il avait dessein de faire servir de sup-
plément à la vie de saint Domilien, fonda-
teur et titulaire de cette abbaye ; mais le P.
Papebroch a trouvé plus à propos de le join-
dre à la vie de saint Georges martyr au 23
avril, où il parle aussi de plusieurs autr, s
ordres militaires qui ont pri3 ce saint pour
palron et prolecteur. Ainsi nous ne croyons
lias pouvoir nous égarer en suivant les PP.
Bollandus et Papebroch, d'autant plus que
ce que le P. Bollandus a avancé n'est fonde
que sur les balles des souverains pontifes et
les lettres de l'empereur Maximilien I*r.
Ce fut donc l'empereur Frédéric 111 qui
fonda l'ordre militaire de Saint-Gcoiges en
Aulriche, vers l'an liC8. 11 voulut qu'il fût
érigé et institué par le sainl-siége aposto-
lique en l'honneur de Dieu et de la sainic
Vierge, pour l'exaltation de la foi catholi-
que, pour le salut de sou âme, et pour don-
ner du lustre à la maison d'Autriche, dont
il sortait. Ce prince, ayant élé à Borne la
même année pour accomplir un vœu qu'il
avait fait, obtint du pape Paul II l'érection
de tel ordre , ce qui se prouve par la bulle
de ce pontife qui commence ainsi : Satie
charissimus in Christo filius noster Frideri-
cus Rumanorum iinperatur semper August.is,
qui, fervore devotionis accemus, nuper ad vi-
sitandum s cratiseima BB. Pétri et Pauli
apnstolorum et alia Ueo dicata loca, ad Al-
mam urbem ex voto personaliter se contulit,
nobishumiliier explicavit, quod ipse ad lau-
dem et gloriam Omnipolentis ac gloriosœ
virginis Mariœ, pro exallaiionc quoqtie ca-
tholicœ fidei, auimœ suœ salute, ac domus
Auslriœ ( a qua originem traiit ) commemu-
ratione et décore, unum mililarem ordinem
C.F.0
0
fuh invocatione sanrti Georgii marlyris, per
nos erigi atque inslitui tola mente desidernt.
Quoique le pape Léon X 'lise aussi la
même chose, on ne doit pas néanmoins infé-
rer de là que cet empereur ne soil pas le-
fondateur de cet ordre; car Jules 11 lui
donne celle qualité dans une autre bulle, où
il dit positivement qu'il érigea cet ordre et
en fut le premier fondateur : Ordinem Divi
Georifii marlyris errxit et auctoritale sanctœ
sedis apostolicœ primas fundavit. Celles du
pape Paul II et de Léon X. nous apprennent
ce que ce prince lit après avoir fondé son
ordre. 11 prit le monastère de Mil!e>lad, du
diocèse de Salzbourg, pour en faire le chef
de cet ordre, et pour senir de demeure tant
aux chevaliers qu'aux chapelains. Il fit re-
bâtir l'ég'ise à ses dépens, accommoder les
cloîtres, les doi loirs et les autres lieux ré-
guliers de celte abbaye, qu'il fournit abon-
damment de meubles et d'autres choses né-
cessaires pour l'usage des chevaliers, dont
pour la première lois il nomma un pour grand
maître, voulant qu'à l'avenir il fût élu par
les chevaliers, toutefois de s ;ii consente-
ment ou du chef de la maison d'Autriche;
que les chapelains ou ecclésiastiques se-
raient gouvernés par un prévôt qui serait
leur chef; que les chevaliers, le prévôt et
les prêtres seraient soumis au grand mai-
Ire ; que la première chambre serait desti-
née pour son logement, la seconde pour lo
prévôt des prêtres, la troisième pour le plus
ancien chevalier, la qualrièmc pour le plus
ancien prêtre, el ainsi des autres ; de telle
sorte qu'entre deux chevaliers il y aurait
un prêtre, et entre deux piêlres un cheva-
lier, et qu'au chœur le grand maître seule-
ment aurait la première place: mais que les
prêtres précéderaient tous les chevaliers.
Le grand maître et les chevaliers, aussi
bien que le prévôt et les prêtres, devaient
faire vœu de chasteté et d'obéissance; unis
personne n'était obligé à celui de pauvreté.
Ils retenaient seulement la propriété de
leurs biens, tant du patrimoine que d'ac-
quêts, avec la permission de leur supérieur,
et en recevaient les revenus, qu'ils conver-
tissaient à leur propre usage, sans qu'il leur
fût permis de rien vendre de leurs biens
tant meubles qu'immeubles , qui apparte-
naient entièrement après leur mort à la mai-
son où ils avaient fait profession, ou à quel-
que autre qui en dépendait. L'habillement
des uns et des autres consistait en une robe
ou soutane de quelque couleur que ce fût,
pourvu que ce ne fûl point de rouge, de vert
ou de bleu; et, les vUi.es, toutes les fêtes de
la sainte Vierge, et tous les samedis, ils de-
vaient mettre par-dessus cette soutane, ou
robe, une autre robe blanche de la même
longueur sur laquelle il y avait nue croix
rouge (!)• . ,
Le pape, après avoir marqué les prières
que les chevaliers devaient dire tous les
jours, parle ensuite de toutes les posses-
s ons que l'empereur leur avait données,
(l) Voy., à la fin du vol., n° 80.
591
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
savoir : l'abbaye Je Millcsfad de l'ordre de
Saint-Benoît, la commanderie de Morlieg de
l'ordre des clievalicrs de Saint-Jean de Jé-
rusalem, siluée dans le diocèse de Passai] ;
l'hôpital et '° monastère de Saint-Martin au
même diorèse , et à présent de ceUii de
Vienne; la chapelle de Notre-Dame de nou-
velle fondation , et l'église paroissiale du
Mont-Siraden au diocèse de Salzbourg, dont
le droit de patronage appartenait à l'empe-
reur; et ce pontife supprima, dans le mo-
nastère de Millestad et dans la commanderie
de Morbeg, les ordres de Saint-Benoit et de
Saint-Jean de Jérusalem. 11 y a des auteurs
qui ajoutent que l'empereur donna encore à
ces chevaliers tous les biens des seigneurs
de Cranicberg, dont la maison était nouvel-
lement éteinte, et qu'ils possédaient aussi
Traulmandorf, Scharfenek et plusieurs au-
tres biens.
Paul 11 permit à l'abbé et aux moines de
Millestad de passer, s'ils voulaient , dans
d'autres monastères de l'ordre de Suint-Be-
noît où ils trouveraient des récepteurs bé-
névoles, à condition que les chevaliers, sur
les revenus de Millestad, leur donneraient
de quoi s'entretenir pendant leur vie, et que
ce monastère aussi bien que les autres égli-
ses dont nous avons parlé ne seraient ja-
mais changés en usages profanes ; mais que
l'on y célébrerait les offices accoutumés, que
l'on acquitterait les fondations, et que l'on
exercerait toujours l'hospitalité dans l'hôpi-
tal de Saint-Martin. Enlin il approuva et
confirma l'ordre de Saint-Georges ad instar
de l'ordre Teutonique ; et Sixte IV, qui suc-
céda à Paul II, le 1G juillet 1471, approuva
aussi cet ordre.
Jean Sibenhirter. qui en était grand maî-
tre en 1493, voyant qu'il avait souffert beau-
coup de perles, tant par les incursions fré-
quentes des Turcs que par les guerres que
l'empereur avait eues à soutenir contre Ma-
thias V, roi de Hongrie; que la plupart des
villes et des villages étaient abandonnés,
qu'un grand nombre d'églises avait été
brûlé, les monastères d'hommes et de filles
détruits, qu'à peine restait-il du monde pour
cultiver les terres, et que les chevaliers ne
pouvaient pas résister aux farces et à la
puissance des Turcs; il institua une confré-
rie ou société sous le nom de Saint-Geor-
ges, dans laquelle pouvaient entrer des per-
sonnes de l'un et de l'autre sexe, sans être
obligées à aucune observance régulière. Les
uns devaient pendant un an combattre con-
tre les Turcs, à leurs dépens ou à la solde
de l'empereur, et les autres contribuer par
leurs aumônes et leurs libéralités à la con-
struction d'un fort, et à le pourvoir de mu-
nitions pour servir de rempart contre les in-
cursions de ces infidèles. L'empereur Maxi-
milien iLr approuva cette société par ses let-
tres patentes données à Inspruck la 18 sep-
tembre 1V.)J, et le pape Alexandre VI la
confirma l'an 1494, ordonnant qu'il y aurait
deux vicaires généraux, savoir : le grand
maître de l'ordre de Saint-Georges et l'évc-
i!) (<y , h li lin du vol., n* 81.
que de Gurck, qui y présideraient, et aux-
quels on s'en rapporterait pour tout ce qui
regardait le spirituel; et que l'empereur
Maximilien et ses successeurs dans les du-
chés d'Autriche, de Sljrie, de Carinlhie et
de Carniole, députeraient deux ou plusieurs
capitaines généraux auxquels on ihéirail
pour les choses qui concernaient la guerre,
et qu'ils recevraient le serment de fidélité et
d'obéissance (1).
L'empereur ordonna que ceux qui seraient
de cette confrérie auraient, pour les distin-
guer, une croix d'or avec une couronne et un
cercle d'or, que chaque chevalier pourrait
enrichir de pierreries ou autres pierres pré-
cieuses à sa volonté, et qu'ils la pourraient
porter publiquement, en présence des rois
et des princes, à leur chapeau ou à leur
bonnet, ou en tel autre lieu que bon leur
semblerait. Le même Maximilien leur ac-
corda beaucoup de privilèges par ses lettres
données à Anvers le jour des saints apôtres
Simon et Jude, de l'an 1494; entre autres il
voulut qu'ils précédassent tous les autres
chevaliers, qu'on les appelât Chevaliers
Couronnés, et que leurs enfants portassent
(k2) couronne sur leurs armes. L'évéque,
en les recevant chevaliers, leur attachait la
croix au bras, leur mettait en main un
cierge , et des gentilshommes leur atta-
chaient les éperons. Enfin le pape Alexan-
dre VI déclare par sa bulle qu'il a voulu se
faire inscrire dans celte confrérie aussi bien
que plusieurs cardinaux, et il adressa un
bref à tous les évêques d'Allemagne, dans
lequel il leur recommanda celle milice, à
laquelle il accorda beaucoup d'indulgence- ;
c'est pourquoi il se trouve encore une or-
donnance de Jean Sibenhirter, grand maitre
de l'ordre de Saint-Georges, où il traite ce
pape de confrère : Or émus pro sanclissimo
nostro Alexandro VI confratre noslro.
L'empereur Maximilien dit aussi dans
ses lettres qu'il a voulu être inscrit au
nombre des confrères, et, dans celles qu'il
écrivit à Jean , roi de Navarre, le IG octo-
bre 1511 , il dit que son père , l'empereur
Frideric, à cause de la grande dévotion qu'il
portait à saint Georges , avait voulu entrer
dans cet ordre; et que, pour lui, suivant les
traces de son père, il a dessein de le conser-
ver et d'augmenter ses revenus. Le pape Ju-
les Il , parlant de cet empereur, dit qu'il
avait résolu d'entrer dans l'ordre de Saint-
Georges, de s'y consacrer pour le reste do
fes jours, de s opposer aux infidèles qui vou-
laient ravager la vigne du Seigneur, et,
avec les Frères de cet ordre, répandre jus-
qu'à la dernière goutte de son sang pour la
défense et l'augmentation de l'Eglise et de
l'Empire, et de recouvrer, a»ec le secours
du ciel, la ville de Jérusalem, cet e de Cons-
tanlinople et les autres lieux qui étaient oc-
cupés par les infidèles. Le même pape , en
confirmant cet ordre, lui accorda beaucoup
d'indulgences; et Léon X, en le confirmant
de nouveau aussi bien que la confrérie ou
société qui y avait été annexée, lui accorda
encore des indulgences et les mêmes privi-
(2) Voy., i la Un du \ol. u° 62.
583 GEO GEO T,'J4
léges donl jouissaient les autres ordres mili- une balle de Sixle V qui institua les cheva-
taires. liers de Lurcue.
Mais l'ordre de Saint-Georges, nonobstant L'abbé Giusliniani, Menneus, Hermant,
toul ce que l'empereur Maximilicti lit pour Schoonebeeck et le P. Bonanni, dans leurs
son agrandissement, et les précautions qu'il Histoires des Ordre* mil taira.
prît pour qu'il pût se conserver dans sa Ces auteurs parlent aussi d'un ordre mili-
splcudeur, a eu le même sort que plusieurs (aire à Gènes, dont ils rapportent l'institution
autres dont il ne reste plus que la mémoire ; à l'empereur Frédéric III. L'abbé Giusli-
et tes guerres civiles, principalement celles nia ni, te P. Bonanni et Schoonebeeck, di-
qui s'élevèrent en Allemagne au sujet île la sent que ce prince , revenant de Rome
religion, ont causé sa ruine. Les ducs d'Au- l'an \'±~i, passa par Gènes où il fut reçu
triche et les princes s'emparèrent des biens avec beaucoup .le magnifleence, et que, pour
qui lui appartenaient et se trouvaient sur marquer sa reconnaissance envers cette ré-
leurs terre>; et enfin l'archiduc Ferdinand, publique, il institua un ordre sous le nom et
qui fut ensuite empereur sous le nom de la prolecl on de saint Georges, et donna pour
FYnlinan III. donna, avec le consentement du marque aux chevaliers une crois rouge (3) ;
pape , l'an 1398, aux Pères de la compagnie mais que, comme il avait Lit le doge de cette,
de Jésus, le couvent de Millestad pour la l'on- république chef ou grand maître de cet or-
dation de leur collège de Gratz en Slyr.ie. dre, et que ce doge change tous les deux
Ceux qui ont dit que l'empereur Frédéric IV ans, l'ordre n'avait pu se maintenir et était
avait institué 1 ordre militaire de Saint-.ffeor- entièrement éteint. Il est vrai que l'empe-
ges, mettent sans doute au nombre des em- reur Frédéric 111 alla à Home en Hori pour
pereurs Frédéric d'Autriche, qui fut le com- s'y faire couronner avec l'impératrice Fléo-
pcliteur de l'empereur LuuisV, et qui lui dis- nore son épouse ; mais, comme il y retourna
pula l'empire pendant neuf années; mais, eu liCS (comme nous avons dit) et qu'il pria
comme la plupart des écrivains ne le mettent le pape Paul II d'ériger et approuver l'ordre
point au nombre des empereurs, non plus de Saint-Georges, auquel il ût unir par co
que Frédéric de Bruns vick, qui fut élu après pontife l'abbaye de Millestad pour la princi-
la mort de Venceslas, et qui fui lue lorsqu'il pale demeure des chevaliers, il se peut faire
venait pour prendre la couronne impériale que cet empereur, passant à son retour par
à Francfort, nous avons donné à l'insti» Gênes, créa quelques nobles Génois cheva-
tuiiur de l'oidre militaire de Saint-Georges liers de ce nouvel ordre, et que l'on a tiré
le nom de Frédéric 111, et ce que nous avons de là une conséquence qu'il avait institué uu
dit de cet ordre la t assez connaître que ces ordre à Gènes sous le nom de saint Georges,
chevaliers étaient véritablement religieux. Comme ces auteurs n'apportent point de
L'abbé Giusliniani, de lielloy, Schoone- preuves solides pour l'existence de celordre,
beeck, Menneus, Hermant, Bonanni et Fa- je ne fais point de difficulté de le mettre au
vin, dans leurs Histoires des Ordres militai- nombre de ceux qui sont supposés, aussi
rw; et Botland., ium. III ApriL, p*g. 133. bien que celui de Saint-Georges à Rome
11 y a plusieurs auteurs, comme Menneus, donl nous avons parlé ci-dessus.
Tambourin, Schoonebeeck, M. Hermant et r,.,,,,,,,™ , «
quelques autres, qui ont parlé d'un ordre de GEORGES au comte de Bourgogne (Che-
Saint Georges institué par Alexandre VI valiers de Saint-).
pour la défense de l'Eglise contre les enne- Quoique Gollut, dans ses Mémoires de
mis de la foi (1). quelques-uns disent que ce Bourgogne, parlant des chevaliers de Saint-
ful l'an li92 que ce pape [institua. M. Her- Georges dans le comté de Bourgogne, ne
inanl prétend que ce ne fut qu'en 1V98 ; donne à leur société que le litre de confrérie,
ma. s te pape n'a point institué d'ordre mili- elle n'en doit pas être moins regardée comme
taiie, et celui que ces historiens luialtii- Un ordre de chevalerie, puisque, pour y élre
bueuf est le même que celte confrérie ou ,vcu, j| [aut faire preuve de Irente-deux
société que l'empereur Maxim. lien joignit il quartiers de noblesse du coté paternel, et
l'ordre de Saint-Georges dans la Carinlhie, autant du côté maternel; de même que l'or-
et qui fut confirmé par le pape Alexan- dre de la Jarretière en Angleterre ne doit pas
dre \1, l'an 149*. eire regardé comme Une simple confrérie,
L'abbé Giusliniani, Menneus, Schoone- parce que Froissard ne lui donne que ce ti-
beeck, Hermant et le P. Bonanni, Hist. des lri., qUj était donné à presque tous les or-
Ord.milit.;t\. ïambur., de Jur.Abb.disp.-2h. dres de chevalerie dans leur origine. La so-
On attribue encore l'institution d'un ordre ciété des chevaliers de Saint-Georges, dont
militaire sous le nom de Saint-Georges, au n0Us parlons dans cet article, peut avoir
pape Paul 111, qui assigna la ville de Ra- été instituée, selon le même Gollut, vers
vennes aux chevaliers pour leur demeure (2). pan 1390 ou liOO, parce qu'il y avait, dit-il,
Ils devaient veiller à la déiense de cet.e en ce lemps-là quelques gentilshommes qui
ville, et donner lâchasse aux co.saires qui furent du nombre des premiers confrères,
venaient sur les côles de la Marche d'Au- comme Hombert de Rougemont, sieur d'Ut-
cône. Cet ordre lui aboli dans la suile par le sie; Jean deltye, sieur de Til-Caslel ; Flienne
pape Grégoire XIII, a ce que dit l'abbé Giu- de Monstret, sieur de Villeroy-le-Bois.et Phil-
stiniani, qui prétend que cela se justifie par bert de Miolaus, fondateur de la confrère
il) l'q/., à la lin du vol., n° S3. iô) \'0ij., à la fin du vol., n° 85.
(■) Vuy., a la l:ii du vol., n" SI.
Dictionnaire des Ohores beligieux. II. 13
395
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
3'JG
Nous avons un recueil des armoiries de tous
ers chevaliers, depuis leur institut ion jusqu'en
l'an 1663) qu'elles furent gravées et données
au public sous le titre A' Etat de la confrérie
de Saint-Georges, autrement dite de Routjc-
mont en Franche-Comté. Ces chevaliers por-
tent pour marque de leur ordre un saint
Georges d'or massif, et à leur réception ils
font serment de maintenir dans la province
la pureté de la religion catholique et l'obéis-
sance au souverain.
C'est à la dévotion de Philberl de Miolans,
gentilhomme du comté de Bourgogne, que
l'on doit cet établissement, qu'il fil à son
retour d'un voyage d'Orient, d'où, ayant ap-
porté quelques reliques de saint Georges, il
lit bâtir une chapelle proche l'église parois-
siale de Rougemonl, dont il était seigneur en
partie; et, les ayant fat mettre dans une ri-
che châsse, il convoqua, l'an 13i>9, un grand
nombre de gentilshommes de ce comté pour
assister à la translation de ces reliques, qui
fut faite avec beaucoup de magnificence.
Ces gentilshommes, voulant témoigner la
dévotion particulière qu'ils avaient pour ce
saint martyr , s'unirent dès lois ensemble,
s'engageant d'assister à tous les services et
offices que Phîlbert de Miolans avait fondés
dans cette chapelle. Ils firent quelques rè-
glements, et donnèrent à leur chef le titre de
bâtonnier, qu'on a changé depuis en celui
de gouverneur; et ils élurent pour premier
bâtonnier ce Philbcrt de Miolans, qui donna
sa maison de Rougemonl à celte confrérie.
L'an 1485, l'on fit des statuts qui portaient
entre autres choses que chacun aurait son
rang selon l'ordie de sa réception dans la
confrérie, sans avoir égard à aucune dignité,
richesses, chevalerie, ni autre chose donnant
prééminence; que tous les ans ils s'assem-
bleraient la veille de la iéle de saint Geor-
ges , audit lieu de Rougemonl, pour faire le
service divin, accompagner le bâtonnier, et
traiter des affaires qui concerneraient la
confrérie; que celui qui ne pourrait s'y trou-
ver enverrait au bâtonnier les droits dus à
la confrérie et les excuses de son absence ;
qu'ils iraient en la maison du bâtonnier, de-
vant lequel ils marcheraient deux à deux, te-
nant un cierge à la main; qu'ils demeure-
raient à l'église pendant le service sans en
pouvoir sortir; que les ecclésiastiques se-
raient revêtus de surplis et précéderaient les
confrères , que le jour de saint Georges l'on
chanterait les vêpres , et qu'ensuite l'on di-
rait les vigiles des morts, et que le lendemain
l'on dirait trois messes hautes, Tune du
Saint-Esprit, une autre de la Vierge , et la
troisième des morts pour les confrères décé-
dés ; que le bâtonnier y offrirait du pain , du
vin et l'épée du dernier confrère qui serait
décédé, dont 1rs confrères, ses pareil1 s, pré-
senteraient aussi l'écu de ses armes , et que,
s'il y en avait plusieurs qui fussent décédés,
les autres confrères feraient la même chose;
que si quelques confrères se trouvaient dans
le lieu auquel l'un des confrères décéderait,
ils porteraient son corps à l'église , et que ,
n'étant pas en nombre suffisant, ils l'accom-
pagneraient au moins, et demeureraient dans
l'église jusqu'à ce que son corps fût mis en
terre ; que tous les ans ils payeraient au bâ-
tonnier un franc pour tes frais de l'office di-
vin ;quc le bâtonnier donnerait à la collation
du pain et du vin seulement , et le jour de
s;iint Georges, à dîner, du bouilli seule-
ment , et à souper du rôti avec deux sortes
de vin pur et net, sans excès ; autrement ,
que le procureur de la confrérie prendrait le
surplus et le distribuerait aux pauvres : que
le jour de saint Georges on donnerait la col-
lation comme le jour précédent, elque, pour
supporter les frais, on donnerait au bâton-
nier six gros vieux ; que chaque confrère
payerait aussi au procureur deux gros pour
la rétribution des chapelains; que le bâton
serait donné par i rdre de réception , et que,
si celui qui devait être bâtonnier refusait
cet emploi , il payerait dix livres ; que son
nom serait rayé de la liste des confrères , cl
l'écu de ses armes ôlé de sa place; que celui
qui serait reçu dans la confrérie enverrait
dans l'année l'écu de ses armes blasonnées
pour être mis en sa place, dans la chapelle ;
que s'il arrivait différend entre les confrères,
et que. quelqu'un ne voulût pas acquiescer
au jugement qui en serait donné p ir les au-
tres , il serait exclu de la confrérie; qu'ils
ne pourraient soutenir plus d'un an une sen-
tence d'excommunication, et ne feraient rien
contre leur honneur, sous peine d'être aussi
exclus ; qu'ils poi teraient toujours l'image
de saint Georges, et que, s'ils manquaient
de se trouver deux ans de suite à Bouge-
mont , leur nom serait biffé de la liste des
confrères : enfin que les héritiers des con-
frères décédés seraient tenus dedonner trente
sous à la confrérie, qui ne pourrait être
composée que de cinquante gentilshommes.
L'an 1487, on ajouta à ces statuts que le
bâtonnier serait obligé de donner à souper,
outre la collation, la veille de la fête de saint
Georges ; et, sur ce que quelques bâtonniers
manquèrent d'y satisfaire, il fut ordonné,
l'an 1494., que chaque bâtonnier manquant à
celte obligation payerait quarante livres. Le
nombre des confrères était augmenté l'an
1504 jusqu'à cent sept ; et en 1518 ils ordon-
nèrent que les héritiers du bâtonnier feraient
les repas qu'il n'aurait pu faire, sur peine de
50 livres. L'an 1552 , l'on ajouta encore aux
statuts que dans ces sortes de repas il n'y
aurait point d'autre viande que du bœuf, du
mouton, du veau, du cabris, du cochon, des
chapons, des poules et des poulets, sans au-
cune pâtisserie pour le dessert , et que les
confrères seraient tenus de faire preuve de
noblesse. Mais ces repas ont été retranchés
depuis. Les assemblées se tiennent présente-
ment dans l'église des Carmes de Besançon.
Le baron de Champlilc , gouverneur de la
Franche-Comté, s'élant fait inscrire au nom-
bre des confrères l'an 1569, l'on lit un nou-
veau statut par lequel l'on recommanda l'ob-
servance des anciens ; et l'on ajouta que les
confrères feraient serment de vivre et mou-
rir dans la religion catholique, apostolique
et romaine, et d'obéir à Philippe 11, roi d'Ks-
507 CEO
pagne, et à ses successeurs au comté de
Bourgogne ; sur quoi le duc de Tolède, gou-
verneur des Pays-Bas, leur témoigna la re-
connaissance qu'il en avait par une lettre
qu'il leur écrivit . et on élut un gouverneur
de la confrérie. 11 parait que l'on y recevait
aussi quelquefois des femmes; car, dans une
liste de ces confrères, l'on trouve Henriette
de Vienne, dame de Rouçemoat, cl Jeanne
de Chauvirey, dame de Bevouges. Ces con-
frères prennent présentement la qualité de
chevaliers de l'ordre de Saint-Georges, et
portent pour marque de cet ordre un saint
Geoigesà cheval, tenant un dragon sous ses
pieds, le tout d'or massif du poids d'une pis—
lole ou plus, à leur volonté, attaché à un ru-
ban hleu.
Gollut, Mémoires de Bourgogne; et VElat
de la confrérie de Saint-Georges dite de R<:U~
gemont, imprimé en U>G3.
GEORGI.S d'ALFAMA (Chevaliers ce
Saint-). Voy. Monticsa.
GI'OllGES eh Sicile (Congrégation de
Saint-). Voij. Georges in Algha.
GEORGES IN ALGÎÏA (Chanoines séculiers
de Saint-).
Des chanoines séculiers de la congrégation de
Soini-Georges in Algha ci Venise, avec lu
rie de saint Laurent Justinien, patriarche
de Venise et l'un des fondateurs de cette
congrégation.
L'on accordera aisément les différentes
opinions louchant les fondateurs de la con-
grégation de Saint-Georges in Algha, si l'on
considère que ce fut par la force des prédi-
calions du V. P. Barthélémy Colomne, dont
nous avons déjà parié , et par son conseil ,
qu'Antoine Corrario et Gahriel Gondelmaire,
lous deux neveux de Grégoire XII, et le der-
nier l'un de ses successeurs sous le nom
d'Eugène IV, résolurent de se donner entiè-
rement à Dieu en établissant une commu-
nauté où ils menaient une vie apostolique,
vivant en commun , et où plusieurs nobles
Vénitiens se joignirent à eux , du nombre
desquels fut saint Laurent Justinien , qui
dans la suite lut patriarche de Venise. Car
il y en a qui ont prétendu que Barthélémy
Colomne a été le fondateur de cette congré-
gation : d'autres ont attribué cet honneur à
Gabriel Gondelmaire, d'autres à Antoine
Corrario et Gabriel Gondelmaire; d'autres
enfin , et qui ont été les plus suivis , disent
que c'est saint Laurent Jusiinien , apparem-
ment parce qu'il a été le premier général de
cette congrégation , et qu'il en a dressé les
statuts et règlements. Nous n'avons gai de
de lui refuser ce tiire de fondateur , que les
papes Clément VIU et Paul V lui ont donné,
lorsqu'ils ont accordé, en 1598 el 1605, aux
chanoines de cet ordre de célébrer sa féle et
de réciter son ofûce ; mais on ne peut en
même temps ôler celte qualité de fondateur
à Antoine Corrario, puisque, sur son tom-
beau, qui est dans l'église de Saint-Georges
in Algha, à Venise, on lit cette inscription :
Sepulcrum piissimi Patris Dom Antonii
Corrarii beatœ memoriœ episcopi Osliensis,
GEO
:-i:
Cardinalis Bononiensis, fundatoris hujus
Congregationis, qui obiit nnno a Nativitatc
Domini M. CD. XL V. die 19 jan. Oratepro eo
semper.
Ce que l'on voit aussi sur celui d'Eugène IV,
qui est à Rome, dans l'église de Saint-Sau-
veur in Lauro, nui appartenait à celte con-
grégalion lorsqu'elle fut supprimée, comme
no:is le "lirons dans la suite.
Ce fut sous le pontificat de Bonifare IX,
l'an liOi , qu'Antoine Corrario et Gabriel
Gondelmaire, nobles vénitiens, désirant ser-
vir Dieu plus parfaitement en méprisant les
pompes el les vanités de ce monde, aban-
donnèrent leurs maisons et leurs biens, et
choisirent d'abord pour leur retraite une
église proche Vicence,sous le tiire de Saint-
Augustin. Leur vie exemplaire leur ayant en
peu de lemps attiré plusieurs compagnons,
i't le lieu se trouvant trop polit, ils allèrent à
Venise, où ils résolurent d'établir leur de-
meure au monastère de Saint-Nicolas nu
Liera, regardant ce lieu comme relire et éloi-
gné du bruit du monde , où ils pourraient
plus tranquillement vaquer à la prière et à
l'oraison; mais Louis Barbo, prieur du mo-
nastère de Saint-Georges in Algha, de l'ordre
d.e Saint-Augustin, qui y était resté seul avec,
deux frères lais , désirant d'y rétablir la
régularité, et étant persuadé de la vertu et do
la sainteté de Corrario et de ses compagnons,
les fut trouver, leur offrit son égiise et son
monastère, et les sollicita si fortement, qu'ils
acquiescèrent à sa demande. Ils vinrent de-
meurer avec lui, et il sollicita ensuite le
pape Bonif;ice IX à les faire chanoines de
celte Eglise.
Ce pape, par une bulle du mois de mars
1404 , donna commission à Pévéque de
Kishame de réformer ce monaslère , d'en
changer tout le gouvernement, et de faire ce
qu'il jugerait à propos pour y établir l'ob-
serva uce régulière. Celévèque, n'y ayant trou-
vé que Louis Barho el deux frères lais,
qui professaient tacitement la règle de Saint-
Augustin, el ne voyant aucune apparence de
reforme, jugea à propos d'ériger ce monas-
tère en collégiale, qui serait desservie par
des chanoines séculiers qui vivraient en
commun , suivant le premier dessein de
Corrario el de son compagnon , qu'il mit en
possession de celle église, du consentement
de Louis Barbo, a qui il laissa le litre de
prieur sa vie durant.
Ils étaient dix-huit, tous dans les ordres
sacrés, savoir : dom Antoine Corrario, doai
Gabriel Gondelmaire, dom Etienne Mauro-
cini, dom François Barbo, nobles vénitiens;
dom .Malhieu de Slrada, de Pavie; dom Ro-
main de Rodvilio, milanais, et dom Luc Phi-
lippi d'Esle, prêtres; dom Martin Quirino,
dom Michel Gondelmaire, dom Laurent Jus-
tinien, nobles vénitiens" ; dom Jean de Pizzc-
nado, dom Simon de Persico, crémonois, dom
Jérôme de Mussis, de Pavie, diacres; dom
Augustin Gastaliii, de Pavie ; dom Jean Sar-
donati, de Coltri ; dom Marc Gondelmaire et
Dominique Maurocini, nobles vénitiens, sous-
diacres, qui, étant tous à geuoux aux pieds
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
4M)
de l'évéque, furent établis chanoines de celle
Église, eux et leurs successeurs. Ce prélat
leur donna loule la juridiction spirituelle ei
temporelle qui en dépendait, et leur pres-
crivit des règlements tant pour leur manière
de vivre que pour leur habillement, laissant
la liberté au prieur d'en f.iire d'antres, selon
qu'il le jugerait expédient pour le bon ordre
et le maintien de la régularité, lui donnant
aussi pouvoir de recevoir des frères lais
ou convers, qui vivraient aussi en commun,
et dont le nombre ne serait point limité, non
plus que celui des chanoines.
Ange Corrario, ayant été élu pape, Pan
1400, sous le nom de Giégoire XII, confirma
cet établissement par un bref du 27 juin
1407, par lequel il approuvait aussi les con-
stitutions qui avaient élé dressées par l 'évo-
que de Kish.ime. Il fit aussi cardinaux An-
toine Corrario et Gabriel Gondelmaire, et
donna l'abbaye de Sainte-Justine de Padoue
à Louis Barbo, qui réfoima ce monastère,
lequel devint chef d'une congrégation fa-
meuse dont nous parlerons dans la suite,
ayant pris pour l'aider dans cette réforme
dom Etienne Maurocini et dom François
. arbo, chanoines de Saint-Georges in Alt/ha.
Il y a bien de l'apparence que dans le com-
mencement ces chanoines vivaient dans une
très-grande pauvreté et même d'aumônes,
puisque nous lisons dans la Vie de saint
Laurent Justinien , qu'il la demandait de
porte en porte par la ville de Venise, s'esti-
manl heureux de se voir méprisé où il avait
élé honoré, et que sa mère, ayant ordonné,
à ses serviteurs de lui emplir sa besace afin
qu'il n'eût pas la peine et la confusion de
courir ainsi toute la ville, il la remercia, se
contentant de recevoir de sa main deux pe-
tits pains, pour avoir sujet d'en demander
à d'autres.
Ces chanoines se rendirent si recomman-
dâmes en peu de temps, et vivaient dans une
si grande réputation de sainteté, qu'ils lu-
rent introduits dans plusieurs collégiales,
qui toutes ensemble formèrent la congréga-
tion de Saint-Georges in Âlgha, à cause de ce
lieu, où se lit le premier établissement, et qui
lut reconnu pour chef de celte congrégation,
qui nans la suite ftit composée de treize mai-
sons, dont celle de Saint-Sauveur in Lauro
à Home était du nombre.
Le premier chapitre général se tint l'an
HSft, dans lequel saint Laurent Justinien
fut élu premier général. 11 augmenta les
constitutions et fil plusieurs règlements, qui
fui ent toujours observés dans la suite, ce qui
sans doute lui aura fat donner par les sou-
verains pontifes le litre de fondaieur de celle
congrégation, quoique à la vérité il n'ait pas
élé le premier qui eu ait jeté les fondements,
comme nous avons montré ci-dessus, puis-
que Antoine Corrario et Gabriel Gondelmaire
lurent les premiers qui conçurent ce dessein.
Le même Gondelmaire, ayant élé élevé au
souverain pontificat sous le nom d'Eugène IV,
accorda plusieurs privilèges à celle congré-
gation, qui furent confirmés et même ampli-
fiés par ses successeurs. Sixte IV, Nicolas V,
(I) Toi;., à 'a fin du vol., n° NG.
Pie II, Paul II, Innocent Vlil, Alexandre VI
et Paul III. Le pape Pie V, l'an 1570, obligea
ces chanoines à faire des vœux solennels en
retenant toujours le nom de chanoines sé-
culiers, afin d'avoir la préséance sur les au-
tres réguliers.
Ils se sont bien éloignés dans la suite do
la pauvreté et de l'humilité dont leurs fon-
dateurs avaient fail profession et donl ils
leur avaient laissé l'exemple. Les grands
biens qu'ils possédaient en plusieurs endroits
leur firent bannir la régularité de leurs mo-
nastères. La plupart, étant nobles Vénitiens,
se prétendaient indépendants les uns des
autres; ils ne marchaient par la ville qu'ac-
compagnés de plusieurs bandits et coupe-
jarrets, nui étaient les ministres île leurs dé-
bauches (comme on m'assura étant à Venise),
de sorte que c'est avec raison que Clé-
ment IX les supprima en 16(i8 et donna tous
leurs biens à la république de Venise pour
s'en servir dans la guerre qu'elle avait con-
Ire les Turcs , qui assiégeaient pour lors
Candie el donl ces infidèles se sont emparés.
Ils poilaient une soutane blanche, et par-
dessus, une robe à la vénitienne de couleur
bleue, et un chaperon sur l'épaule , qu'ils
prirent à la place d'un capuce qu'ils por-
taient autrcfois(l). La couleur bleue leur fui
ordonnée par Clément VIII comme étant celle
de l'habit que portait saint Laurent Justinien,
leur instituteur, ainsi qu'il est marqué dans
le bref de ce pape de l'an 1G02, et ils avaient
pour armes un saint Georges à cheval tuant
un dragon, avec ces mots pour devise: Super
aspidem il basiliscum umbulabis.
Il parait assez par leurs illustres fondateurs
qu'il y a eu parmi eux des personnes distin-
guées, puisque Gabriel Gondelmaire a élé
pape; qu'Antoine Corrario, Marc et François
Gondelmaire ont été cardinaux; que saint
Laurent Justinien a élé patriarche de Ve-
nise, et qu'il a eu pour successeur dom Ma-
phée Conlarini, de la même congrégation.
Philippe Monticelli fut confesseur des papes
Alexandre VI, Pie III, et Jules IL Ceux qui
se sont rendus célèbres parmi leurs écri-
vains oui été Jean Baptiste Salici, professeur
de l'université de Padoue; Jacques-Philippe
Tbomasini, évèque de Cilla-Nova d'Istrie;
Eusèbe Bonfanti , Alexandre Consedenli,
mais surtout saint Laurent Justinien, dont
les ouvrages ont élé imprimés en un vo-
lume in-folio à Lyon, en 13G8,avecsa vie,
écrite en douze chapitres par son neveu
Bernard Justinien, Chartreux, donl voici un
abrégé.
(I était de l'illustre famille des Justinien
à Venise, qui prétendent descendre de l'em-
pereur Justinien. Son père s'appelaitlSernard,
el sa mère était de la famille des Quiriui,
laquelle demeura veuveà l'âge de vingl-qua-
Ire ans et chargée de cinq enfants, dont le
plus illuslre fut noire saint, qui naquit le
premier jour de juillet 1381, lorsque toute la
ville faisait des feux de joie pour la victoire
obtenue en la journée de Cliioza; ce qui
donna sujet à sa mère de demander à Dieu,
au moment de ta naissance, qu'il fût un jour
4M CE!)
la terreur de ses ennemis et le saint de ses
citoyens : ce qui c-l arrivé dans la suite; car
la ville de Venise l'a choisi pour un de ses pro-
tecteurs et lutéla ires, aussi bien que la ville de
Palerme, depuis qu'elle cul recours à son in-
tercession, l'an 1625, pour être délivrée de
la peste, dont elle élail pour lors affligée.
On reconnut dès son bas âge la forte in-
clination qu'il aurait à s'occuper aux choses
saintes, et ce fui ce qui le poria, à l'exem-
ple de dom Martin Quirino, son oncle maicr-
nel, qui s'élail associé à Antoine Corrario
et Gabriel Gondelmaire, d'entrer aussi dans
leur compagnie, ayant été du nombre des
dix-huit qui furent les premiers chanoines
de Saint-Georges inAlgha, comme nous avons
dit ci-dessus en parlant de celle congréga-
tion, à l'augmentation de laquelle il travailla
avec tant de zèle, que c'est ce qui lui en a
fait donner le litre de fondaleur. Il se pres-
crivit d'abord une rigueur de vivre qu'il a
toujouis observée jusqu'à la fin; et, un jour
que Iroisdes plus anciens l'ères lui comman-
dèrent, de la part du chapitre, de modérer les
rigueurs excessives qu'il pratiquait, il leur
répondit fort humblement : Je fera1, mes
Pères, ce que vous me commandez, mais
sachez que celui qui a résolu de souffrir
pour Dieu ne manquera pas d'en trouver les
moyens.
Il n'y avait rien de plus humble que lui,
et, quoiqu'avec le temps il fut fait supérieur,
il ne s'en éleva pas davantage, et ne laissa
pas de s'appliquer toujours aux plus vils mi-
nislères. Ses entreliens ordinaires étaient de
ses défauts ou bien de l'humilité de Noire-
Seigneur Jésus-Chrisl. On l'accusa deux fois
en plein chapitre d'avoir commis quelques
fautes dont il était innocent. La première fois
il reconnut celte fauie, mais la seconde fois,
pour ne pas favoriser la malice de ceux qui
l'avaient accusé faussement, il ne répondit
rien et se tint dans le silence.
Toutes ses vertus éclatantes ne purent pas
demeurer cachées; c'est ce qui fil que le pape
Eugène IV, qui le connaissait plus que les
autres, puisqu'il était aussi l'un des fonda-
teurs de la même congrégation, le nomma à
l'évêché de Venise, et, bien qu'il refusât con-
stamment cet honneur par deux fois, néan-
moins le pape lui ayant commandé une troi-
sième fois de l'accepter, il fut contraint de
se soumettre à l'obéissance. Il était pour lors
«âgé de cinquante-un ans; et, durant les vingt-
trois qu'il vécut depuis, il ne changea jamais
sa façon de vivre qu'il avait pratiquée dans
son monastère. Il porta toujours l'habit de
sa congrégation, qui était de couleur bleu
céleste, comme nous avons dit. Il ne voulut
point de tapisseries en sa maison, ni d'autres
ornements qui se ressentissent de la vanité
du siècle. Tout son train consistait eu deux
chanoines qu'il prcn,iil du monastère | our
l'aider, l'un à réciter son office, l'autre pour
partager avec lui les fonctions pénibles de sa
charge; et en cinq officiers domestiques:
eneoic se plaignait-il quelquefois, quoiqu'on
souriant, qu'il avait une trop grande fa-
mille à uourrir; mais il entendait parler de
GEO
m
lous les pauvres de la ville, dont il prenait
un soin particulier, s'informanl de leur nom-
bre cl de leurs nécessités les plus pressantes,
afin de les soulager. Un de ses parents l'ayant
prié de le vouloir aider de quelque argent
afin de pouvoir marier sa fi le, il s'en excusa,
lui disanl que s'il lui donnait une petite
somme, cela luiservirait peu ; et ques'il lui en
donnait une plus grosse, il ferait tort à p'u-
sicurs pauvres pour qui les biens de l'Eglise
sont destinés.
Le p ipe Eugène fit ce qu'il put pour l'atti-
rer à Rome afin qu'il pût l'assister de son
conseil. Il s'en excusa toujours tant sur la
longueur du chemin que sur sa faiblesse;
mais ces excuses n'ayant plus de lieu lorsque
le pape, étant contraint de sortir de Home, se
réfugia à Florence et ensuite à Bologne, il
vint trouver ce ponlife, qui en l'embrassant
lui dit: Soyez le bien venu,, l'ornement et la
gloire des prêtais Mais le saint, qui ne respi-
rait que son diocèse, obtint bientôt la per-
missi >n d'y retourner; et ce fut sous le pon-
tificat de Nicolas V, successeur d'Eugène, que
le patriarcat de Grade et l'évêché de Venise
furent réunis en sa personne pour terminer
les différends qui étaient entre les prélals de
ces deux sièges, car il avait été ordonné que
le survivant de l'un d'eux serait patriarche
et évêquede Venise.
Enfin, étant âgé de lh ans sans avoir rien
relâché de ses ferveurs ni de ses rigueurs
ordinaii es, l.i fièvre le saisit, causée par lu
grand froid qu'il avait endure pendant l'office
divin, et en peu temps il fut réduit à l'extré-
mité. Il ne voyait qu'à regret les empresse-
ments qu'on témoignait pour le secourir dans
son mal, parce qu'il ne croyait pas qu'on se
dût mettre si fort en peine de lui ; il ne put
se résoudre à se seivir de viandes délicates
pendant sa maladie, et, voyant sa dernière
heure approcher, il leva les veux au ciel et
dit amoureusement ces paroles : Je vie?is a
vous, ô bon Jé.-us ! et, pour consoler ses do-
mestiques qui versaient des larmes, il leur
dit : Arrêtez ces larmes, c'est ici un jour de
joie et non pas de pleurs. 11 se fil ensuite por-
ter à la chapelle, où il rendit paisiblement
son âme à Noire-Seigneur le 8 janvier 1455.
Il avait ordonné que son corps serait porté
sans aucune pompe à son monastère de
Saint-Georges m Atgha; mais les chanoines
de sa cathédrale ne le voulurent jamais per-
mettre, et c'est dans leur église qu'il a tou-
jours reposé depuis ce temps-là, où il a opé-
lé un grand nombre de miracles qui ont
obligé le pape Clément VU à le déclarer
bienheureux, l'an 152'r,et Alexandre VIII à
le canoniser, l'an 1690.
Il y a uus>i une congrégation du même
institut en Sicile, fondée p ir Henri de Siméon
de Palerme, qui, ayant suivi Alphonse, roi
d'Aragon, à Home l'an 1W3, obtint de vive-
voix du pape Eugène IV la permission de
porter l'habit des chanoines de Saint-Geor-
ges in Atgha, et, étant retourné en son pays
et ayant assemblé quelques prêlres avec lui,
donna commencement à ce te congrégation.
Le même pape, par un bref de l'an 1W7,
403 DïCTIOMMRE DES ORDRES RELIGIEUX. 404
confirma la donation qui leur fut la te rie (îERÉON (Chevaliers de l'oudue de
l'hôpital de Saini-Jacques de Mazzara à Pa- Saint-).
ierme, et la même année il approuva leurs Quoique nous ayons mis sous la règle de
constitutions. Ils avaient encore quelques saint Rasile les ordres militaires dont nous
autres monastères, et vivaient dans une avons parlé dans quelques articles, nous n'o-
grande pauvreté. Leur habit consistait en sons pas néanmoins assurer qu'ils aient vé-
unc soutane de drap blanc et un manteau ou rilablcment suivi celle règle, ou qu'ils y
chape de drap bleu fort grossier, avec un aient élé soumis, exceplé celui de Constan-
petit capuce, et ils allaieet nu-pieds avec des tin. Il y a si longtemps qu'ils ne subsistent
sandales de bois, comme on peut voir dans plus, et il en est resté si peu de mémoire, que
la figure que nous joignons ici (1). C'était nous nous en sommes rapporté à la bonne
sans doute le véritable habillement des rha - foi des écrivains qui ont parlé de ces ordres,
itoines séculiers de Saint-Georges in Algh-i Nous n'avons pas même voulu les suivre en
dans leur origine, et la robe à la vénitienne mettant quantité d'autres ordres sous la
qu'ils ont portée depuis, aussi bien que cens même règle. Si nous avons cru devoir donner
de Portugal, est apparemment l'effet de quel- place dans cet ouvrage à ceux dont nous
que relâchement ; car Morigia, de l'ordre avons déjà parlé, c'est qu'ils ont été institués
des Jésuatés, dans son Histoire dus hommes en Orient, ou établis pour la défense des
illustres de son ordre, parlant du cardinal saints lieux de la Palestine; et c'est pour la
Anloine Corrario, l'un des fondateurs de celle même raison que nous y joignons aussi les
congrégation, qu'il prétend néanmoins avoir chevaliers de Saint-Géreon dont on ne con-
été de l'ordredes Jésuatés, apparemment pour, naît point l'origine. Mennénius parle de cet
faire honneur à son ordre, dit qu'il fit p. irier ordre sur le témoignage d'un voyageur,
aux chanoines de Saint-Georges in Alijha Jean de Hoevel, qui dit avoir vu, dans la Pa-
des sandales de bois, et qu'il les obligea à lesline, des chevaliers de Saint-Gèréon qui
faire la <|uêle par la ville comme il se prali- portaient une croix patriarcale, de la même
quai! dans l'ordre des Jésuatés ; et que lors- manière que celle qui est dans les armes du
qu'il écrivait (c'élait en 1G04-), il n'y avait royaume de Hongrie. 11 y a des auteurs qui
pas longtemps que ces chanoines faisaient attribuent l'institution de cet ordre à Pèm-
encore porter des sandales de boisa leurs percurFrédéric ISarberousse, d'aulres à Fré-
novices. déric II. Les uns leur donnent pour marque
Maurol'ic et Cicscenze font aussi mention d(> c<'1 ordra une c,0;x patriarcale d'argent,
de quelques chanoines de Saint-Georges qui P,°see sur Irols montagnes de sinople en
formaient une autre petite congrégation, champ de gueules, d autres prétendent qu'ils
dont le principal monastère et le chef était avaient sur un habit blanc une croix no re
proche Gênes, ils avaient encore des monas- ''n broderie sur trois montagnes de sinople,
lères à Lodi le vieux et le nouveau, ei deux el d au(':c.s 'eur donnent encore une autre
autres dans le Parmesan et le Plaisantin, croix différente ('2).. Ainsi on ne peut rien
dire de certain touchant cet orilre, que l'a-
Jean Thomassini, évoque de Cilla-Nova, vin, sans aucun fondement, prétend avoir
et qui a fait les annales de la congrégation été soumis à la règle de saint Augustin.
de Saint-Georges de Venise, dit que les eba- Il y a bien de l'apparence que ces chevaliers
noines dû mont Sainl-Eloy près d'Arras, de de Sain t-Géréon étaient les mêmes que ceux.
Saint-Aubert de Cambrai, et quelques autres de Hongrie, que le P. Melchior Inchoiïer de
aux Pays-Bas, étaient aussi du même insli- la compagnie de Jésus, dans les annales ce-
lui. Il se fonde peut-être sur ce que la cou- clésiastiqùes de ce royaume, dit que l'on ap-
leur de leur habit était bleue ou violette ; pelait Porte-Croix, à cause qu'ils portaient
mais il était différent qujnt à la forme. pour marque de leur ordre une croix seui-
FoDujKq'.PbiUpp. Annal. Canonicorum «jlablç à cellequc l'on voit dans les armes
tœcul. S. Georgii in Algha. Francisco Maria, du, mêmf loya<J™e. qui est une croix palriar-
Historia dos sagrades Congrecaoes clos Cône- Pale P',see sur Irois montagnes. Cet auteur
go scculares de S. Jeorge em Alq.a de Venesa leur don,ie. P°"r fondateur saint Etienne,
et de S. Juao. Evangeltsta cm Portugal. Sil- Premier ">' <•<-' Hongrie, qui, a ce qu il pre-
vesl. Maurol, Mur. océan, di lut. g fi Relia, tend, institua ces chevaliers en mémoire de
lib. v. Morigia., Origine de toute" les relt- ,a cr01* ^° 'e .',aPe ,ul e»v°ya, avec permis-
sions, liv. i, chap. ki. Penot, Hist. tripart. S10n de ,a Iaire P?,rt.er de.vant lul> a ca"f
Canonià. Rtgul. M. il, cap. 70. Tambur., de 1u.e ce. P''',nce av.ul travaille avec tant de
Jur. abbat., tom. Il, disput. 24, quml. k, *é'e,a e:ab,ilr la religion chrétienne dans ses
nwm.32. Bernard Justin Vit. S. Laurent. ^ats, M" ,1a eie considère comme I apôtre
Justin. Vies des SS.ilu P. Giry. Henri., Etn- de Hongrie. Mais, comme les ordres mil.tai-
blisscment des ordres religieux, chap. 51. Gio r,'s n onl c°mmencé que dans le xn- siècle
l'ietr. Cresccnzio, Presidio Rom. lib. n , '.' se P fa'r, 1ue sain Etienne ayant
,>s ' reçu du pape Silveslrc II, lan 1000, la cou-
^W^A^,r,>-o ,.. > ,, «, ronn'e de Hongrie, avec une croix qu il
GEORGIENS (MomEs).Foy. Meixhites. pouvait faire porter devant lui, il établit des
GERENRODE(Cuanoinesses protestantes officiers pour porter cette croix, auxquels,
de). V oy. Gandeiisheim. pour ce sujet, l'on donna le nom de Porte-
(!) Voy., à la fin du vol., n* 87. (2) Yvy., à la lin du vol., n" 88.
<05 CIL
Croix, et que dans la suite I on en ait formé
uu ordre militaire qui ne subsiste plus.
Mennénius, deliciœ Equest. Ord. Favin,
Théâtre d'honneur et de cheval., tom. 11.
Scho niebeck, Hist. des Ord. Milii., et Mel-
chior Inchoffer, Annal. Ecoles, regni Hwng.,
tom. I.
Gérondins. Voy. Césaire (Saint)
GILBEBT DE SIMPRINGHAM en Angle-
terre ( Religieux et Religieuses de
Saint ).
Les chanoines réguliers et les Bénédictins
ont raison de mettre au rang des congréga-
tions des ordres de Sain'-Auguslin et de
Saint-Benoît celle de Saint-Gilbert de i?i:n-
pringbam, puisqu'il lit observer la règle de
saint Augustin à ses religieux, qu'il ap elle
des chanoines, et qu'il donna à ses religieu-
ses celle de saint Benoit ; et c'est à lorl que
les religieux de Cîleaux prétendent que cet
ordre doit appartenir à eux seuls, comme
leur ayant élé soumis; car Saint-Gilbert dit
lui-même le contraire dans ses constitu-
tions (Capital, de inilio monast., art. 2),
où après avoir rapporté de quelle manière
se fit l'établissement de ses religieuses, il
ajoute que leur nombre se multipliant et que
n'a\ant point de religieux lettrés pour en
avoir soin aussi bien que des converses, il
avait élé au chapitre général do Cileaux, où
le pape Eugène était en personne, afln de re-
mettre sous la juridiction des religieux de
cet ordre, ses maisons, les servantes de Jésus-
Christ et les frères lais ; mais qu'on ne
lui accorda pas sa demande ; c'est pourquoi
i^avait été contraint par nécessité de s'asso-
cier des clercs pour avoir soin des religieu-
ses et des frères lais, et qu'il leur avait
donné la règle de saint Augustin.
L'on pourrait néanmoins leur accorder les
frères lais, parce que saint Gilbert dit, dans
un autre endroit des mêmes constitutions
[Scripta de fratribus, art. 1), que dans
le temps que l'ordre des moinesses de
Simpringham fut commencé , il vint des
religieux de Cîleaux accompagnés de quel-
ques frères lais de cet ordre qui étaient
propres pour le travail, pauvres dans leurs
habillements , se contentant de la nour-
riiure des pauvres, préférant les herbes et
les légumes aux plus grandes richesses, qui
ne buvaient que ue l'eau, qui avaient soin
des fermes et qui n'avaient point d'autres
emplois dans l'ordre. Ce que quelques-nus
des siens du nombre de ceux qui étaient des-
tinés au travail ayant appris, ils désirèrent
vivre de la même manière, et avoir les mêmes
observances; c'est pourquoi, voulant satis-
faire à leur désir, et pour le salut de leur
âme, il ordonna que les frères lais de son
ordre, tant en l'habillement qu'en la nour-
riture, suivraient la manière et l'observance
des frères de Cileaux.
Ainsi il y avait du mélange dans l'ordre
de Saint-Gilberl, et l'on peut dire que les re-
ligieux, les religieuses, les converses et les
fitres lais formaient quatre ordres aif-
férents, puisqu'ils faisaient quatre commu-
CÏL
■iCG
nautés différentes qui avaient chacune un
réfectoire à part où présidait un supérieur
on supérieure t i i es de leur corps, et qu'ils
étaient aussi distingués par la forme cl la
couleur de leurs habillements, comme nous
ferons voir. Nous mettons néanmoins cet
ordre au rang des chanoines réguliers, puis-
qu'on ne peut pas disputer aux religieux
prêtres celle qualité, que saint Gilbert, leur
fondateur, leur a donnée.
Ce saint naquit en Angleterre vers l'an
1083, du temps de Guillaume le Conquérant.
Son ] ère était no gentilhomme de Norman-
die nommé Jocelin.seigneurde Simpringham
et de Tyrington, dans le comté de Lincoln ;
et samère était anglaise, qui, étant grosse de
lui, eut un présage de ce qu'il devait être un
j iot, dans un songe qu'elle eut, où il lui
sembla que la lune tombait dans son sein.
Il fut envoyé en France pour y l'aire ses-
études ; lesquelles étant achevées, il retourna
chez lui, où il s'appliqua à instruire gratui-
tement la jeunesse. .Mais en enseignant aux
enfants les lettres humaines, il les formait
en même temps à la vertu, leur prescrivant
une manière de vie qui approchait de celle
qu'on praliquail dans les monastères les
plus réglés.
H demeura quelque temps dans le sémi-
naire de Robert Liloës, évéque de Lincoln, et
fut promu à la préirise par son successeur-
Alexandre, qui eut bien de la peine à obte-
nir son consentement; car il résista long-
temps au désir de son prélat, se croyant in-
digne du sacerdoce. Depuis ce temps-là, il
augmenta ses exercices de piété, son zèle et
sa ferveur. 11 fit paraître un généreux mé-
pris des richesses et des honneurs dans le
refus qu'il fit de l'archidiaconé de l'église de
Lincoln, qui avait de gros revenus et beau-
coup de droits honorifiques, disant qu'il ne
connaissait poinl de plus prompte voie pour
se perdre. Quoiqu'il eût de gros biens de pa-
trim ioe,il nese regarda plus commeen étant
le propriétaire, mais seulement l'économe et
le dispensateur, qui devait les répandre sur
les pauvres et les indigents, pour qui il avait
beaucoup de lendresse et de compassion,
principalement pour les filles qui étaient
dans la pauvreté et qui n'osaient la faire
connaître.
11 en choisit sept entre les autres, qu'il
trouva plus porlées à la piété. Il en eut un
soin particulier, cl elles se consacrèrent en-
suite à Dieu par le vœu de virginité. Ce fut
ce qui donna commencement à son onlre ;
car, par le conseil el sous l'autorité de l'évê-
que Alexandre, il les renferma dans un mo-
nastère qu'il leur fit bâlir dans sa maison
paternelle de Simpringham, l'an 11^6. i! leur
ordonna sur toutes choses un étroit silence,
et, afin qu'elles ne fussent point distraites
dans leurs exercices spirituels, il prit de pair-
vres femmes qui avaient soin de leur pré-
parer à manger hors le monastère, et on leur
passait par une fenêtre tous leurs besoins.
Celles-ci demandèrent aussi d'être admi-
ses à la profession religieuse eu qualité de
sœurs converses. Salut Gilbert les instruisit
<07 DICTIONNAIRE DES ORDKES RELIGIEUX. 408
«le tous les devoirs de la vie religieuse. Il regarder. Si les religieux étaient obliges
voulut les éprouver pendant un an, après d'entrer flans l'habitation des filles pour qnel-
quoi il leur accorda leur demande, cl e les ques nécessités spirituelles, ils ne pouvaient
s'engagèrent à i et état par des vœux solen- voirie visage découvert de ces vierges, qui
nels, ayant été renfermées dans le même mo- devaient toujours avoir le voile baissé en
naslère avec les religieuses. Il choisit aussi leur présence. *Cc saint exigeait l'âge de
des hommes pour avoir soin des affaires du quinze ans pour admettre les frères clercs
monastère et faire va'oirles terres qui en dé- au noviciat, et vingt ans pour la profession :
pendaient, et ils furent reçus comme frères les frères convers n'y pouvaient être reçus
convers. avant vingt-quatre ans. Les filles, qui demân-
Cel établissement eut l'agrément du roi daienl d'entrer en cet ordre, devaient avoir
saint Etienne, des princes et des grands sei- douze ans pour être admises dans le monas-
gneurs, qui firenl de grands dons à ce mo- 1ère, et quinze pour avoir la qualité de no-
nastère. Saint Gilbert fut contraint par né- vice; et il fallait qu'elles susseni le psautier,
cessité de les accepter en partie; mais il en les hymnes et les antiennes, avant que de
refusa aussi beaucoup, de peur que les grands faire profession.
biens, comme de méchantes herbes, n'étouf- Lorsque ce saint visitait ses monastères,
lassent le bon grain qu'il avait semé dans ce il allait toujours accompagné de deux clercs
champ, qui devint si fertile, que des poison- et d'un frère lai. Il ne s'entretenait pas de
nés de l'un et de l'autre sexe se rendaient de discours inutiles, mais il psalmodiait. conli-
toutes parts à ce monastère pour embrasser nuellement ou priait mentalement, et por-
cet institut, ce qui l'obligea de faire de non- tait toujours de quoi donner suffisamment
veaux établissements. aux pauvres qu'il rencontrait dans les che-
Cesaint fondateur, plein d'humilité, voyant mius. Il ne mangeait point de viande, si ce
un si grand nombre de disciples, crut qu'il n'éiaildans les grandes infirmités, et même
n'avait pas assez de capacité pour les cou- s'abstenait de manger du poisson pendant
duire ; c'est pourquoi il vint en France l'an l'Aventet le Carême. Il ne se servait que de
1148, trouver les religieux de Cîteaux as- vaisselle de bois ; ses austérités et ses mor-
semblés dans leur chapitre général, où le lificalions étaient très-grandes, et il n'était
pape Eugène III assistait, pour leur mettre pas plus vêtu en hiver qu'en été, quoiqu'il
entre les mains le soin de ses maisons. Mais paraisse par ses constitutions qu'il voulait
ils ne les voulurent pas accepter, disant que ses disciples fussent bien vêtus : car, tou-
qu'il ne leur était pas permis d'avoir la chant les habits, il ordonne que les chanoi-
conduiic des moines d'un autre ordre que. le nés aient trois tuniques, une pelisse de peaux
leur et encore moins des religieuses. Le pape, d'agneau, un manteau blanc et un capueo
informé de ses vertus, loin de consentir à si fourrés aussi de peaux d'agneau. Les reli-
prière, l'exhorta à ne point abandonner son gieuses devaient avoir cinq tuniques, sa-
troupeau, et lui témoigna le regret qu'il voir : trois pour le travail et deux fort
avait de ne l'avoir pas connu plus tôt, parce amples, c'est-à-dire, deux coules blan-
qu'il l'aurait encore chargé de l'archevêché ches qu'e.les portaient au cloître, à l'é-
d'York, auquel il avait pourvu depuis peu. glise, au chapitre, au réfectoiie et au dor-
II consulta ensuite saint Bernard et reçut loir; une pel sse de peaux d'agneau, une
de lui des avis louchant la conduite qu'il de- chemise ou tunique de gros drap, et leurs
vail tenir dans le gouvernement de son or- \oiles étaient aussi fourrés de peaux d'a-
dre : ei, étant retourne en Angleterre, il mit gueau. Les sœurs converses étaient habillées
la dernière main pour le rendre parfait. Sur de noir, el, au lieu de coules, elles avaient
le refus que les religieux de Citeaux avaient des manteaux aussi fourrés de peaux d'a-
fail de prendre la conduite de ses religieuses, gneau. Enfin les frères lais avaient trois
il établit des chanoines à qui il en confia la tuniques blanches, un manteau de couleur
direction. Il leur donna la règle de saint Au- tannée, doublé de grosses peaux, une chape
guslin, et aux religieuses celle de saint Be,- aussi tannée et un capuce. Ou. leur permel-
noit. Il dressa ensuite des constitutions pour lait encore pour le travail une pelisse faite
le gouvernement des uns et des autres, el les de quatre peaux de bélier,
envoya au pape Eugène III pour y reIran- Quant à leur minière de vivre, elle était
cher ou augmenter ce qu'il jugerait à propos, aussi très-austère : ils ne mangeaient point
Mais ce pontife n'y trouva rien à redire, el y de viande et n'en donnaient pas même aux
donna son approbation, ce que ses succès- étrangers, sinon aux prélats, aux archidia-
seurs Adrien IV et Alexandre 111 confirmé- cres el aux malades ; el si ces personnes en
rent dans la suite. voulaient, ils les devaient faire apprêter par
H semble que dans l'établissement de son leurs domestiques cl non pas parles reli-
ordre il ait voulu imiter saint Norbert, dont gieux. Les réfectoires des chano nés et des
les monastères étaient communs pour les frères convers étaient disposés île telle ma-
Lommes el les filles, séparés néanmoins nière, qu'il y avait des ienôtres ou lours
d'habitation. Car ceux de saint Gilbertélaieul qui répondaient à l'habitation des sieurs, par
aussi doubles, et, de même que dans l'ordre où elles leur passaient à manger. Les convers
de Prémontré , ses re igieuses ne pouvaient gardaient un exact silence pendant le ira-
parler à la grille qu'accompagnées en dedans vail, comme tailleurs, tisserands, cordon-
par deux anciennes, et au dehors par deux niers, peaussiers : les fjrgerous pouvaient
religieux. Les uns et les autres n'osaient se parler. Ils dc\uicnt tous faire profession
409
GiL
r.oN
410
d.-ins le chapitre des religieuses.il ne leur
était pas permis d'avoir aucun livre. Ils
ne devaient savoir que le Pater, le Credo,
le Miserere mei, Deus , et quelques autres
prières ; el ils disaient certain nombre de
Pater et d'Ave , pour matines , laudes et les
autres heures, qu'ils rérilaent dans un ora-
toire particulier. La même chose était obser-
vée à l'égard des sœurs converses.
Saint Gilbert ne prit pas d'abord l'habit
de sun ordre ; mais, appréhendant que cela
ne tirât à conséquence dans la suite pour
ceux qui en auraient la conduite, il le prit ;
mais il ne voulut plu* commander et se sou-
mit entièrement à l'obéissance sous la con-
duite de Roger, aussi de Simpringham, entre
les mains duquel il se démit de la supério-
rité, après avoir reçu l'habit de son ordre à
Bulington.
La sainteté de sa vie et la pureté de ses
mœurs ne purent pas le mettre à couvert de
la calomnie, dont on lâcha de le noircir et
son institut. La première persécution qu'il
souffrit fut à l'occasion de saint Thomas de
Canlorbéry. On l'accusa faussement d'avoir
envoyé de l'argent à ce saint, qui en passant
par les couvents de cet ordre, lorsqu'il sor-
tit d'Angleterre pour passer en France, y fut
reçu avec beaucoup de charité. Comme ou
connaissait Gilbert pour un homme d'une
grande vertu, les juges devant lesquels il fut
cité voulurent qu'il affirmât par serment si
ce qu'on lui imputait était véritable ; mais il
ne le voulut jamais faire, quoiqu'on le mena-
çât de renvoyer ses religieux et ses religieu-
ses hors de leurs monastères, et de détruire
sononire, et que lui-même en souffrît consi-
dérablement pendant unassez longtemps, jus-
qu'à ce que le roi Henri 11 eût ordonné qu'il
retournât avec ses religieux dan* leurs mo-
nastères. Pour lors, il avoua aux juges, sans
prêter serment, que ce qu'on lui avait im-
puté était faux, et qu'il n'avait jamais envoyé
d'argent à saint Thomas.
La seconde persécution lui fut d'autant
plus sensible, qu'elle lui fut suscitée par les
frères convers, qui avaient à leur lètc un
pauuc tisserand demandant l'aumône, qu'il
avait admis par charité dans son ordre, aussi
bien que quel |ues autres misérables à qui il
avait fait apprendre des métiers. Ces frères
convers, qu'il avait établis en plusieurs lieux
pour l'administration du bien de ses monas-
tères, non-seulement s'élevèrent contre lui
et voulurent le contraindre par force de les
décharger d'une partie de l'observance de
leur règle, comme trop sévère , mais ils le
diffamèrent encore auprès du pape Alexan-
dre ili par des calomnies atroces, auxquel-
les il ajouta foi trop facilement. 11 décréta
contre G Ibert et ses chanoines ; mais le roi
Henri II el les évéques de son royaume ayant
écrit à ce pontife pour lui faire connaître
l'innocence du saint fondateur, il reconnut
la venté, écrivit à Gilbert en lui donnant
beaucoup de louanges, et ordonna que ses
constitutions ne seraient point changées en
aucune manière, si ce n'était de l'avis de la
[dus grande et de la plus saine partie de tous
les religieux de l'ordre, auquel il accorda
beaucoup de grâces el de' privilèges.
Enfin ce saint homme, accahléde vieillesse,
tomba malade dans un de ses monastères qui
était dans l'île de Kadenc.ia. 11 y reçut ses sa-
crements ; mais ses religieux le firent trans-
porter à Simpringham. où il mourut le six fé-
vrier de l'an 1 181). âu'é de renl six ans, ayant
vu sept cents religieux dans treize couveu s
de son ordre, dont il y en avait neuf qui
étaient doubles de religieux et relig euses, el
quatre seulement de religieux ; et il y avait
près de douze cents religieuses. Il s'est Fait
beaucoup de miracles à son tombeau, qui
obligèrent le pape Innocent III, après plu-
sieurs informations, de le canoniser. Lorsque
les monastères furent ruinés au temps que
la religion catholique l'ut bannie de l'Angle-
terre, il y avait vingt-un monastères de cet
ordre dans ce royaume. Simpringham en
éta l le chef, on y tenait les chapitres géné-
raux, auxquels deux religieuses, supérieu-
res de chaque maison, l'une des filles du
chœur, el l'autre des converses, devaient as-
sister; mais les frères convers n'y avaient
aucune voix. M. Alleman, dans son Histoire
monastique d'Irlande , marque encore une
maison de cet ordre à Ballimore, dans la Mé-
die occidentale, au comté de Westhméalh ;
mais il se trompe lorsqu'il dit que retordre
dépendait de celui de Prémontré. Dodworlh
et Dugdalie, dans l'Histoire monastique
d'Angleterre, ont représenté un chanoine et
une sœur converse de cet ordre dans leur
habillement, el tels que nous les donnons ici,
auxquels nous avons ajouté une religieuse du
chœur, selon leur habillement prescrit par
les constitution^ (1).
V oi/. Roger. Dodworlh elGuillel. Dugdalie,
Monasticum Anglicauum , tum. II. Nicol.
Harspsfeld, Hist. Ang1. srcul. xn, cap. 18.
Rolland., Ad. SS., h- Feb. Ilaillel, Vies des
SS., k février. Tamb., De Jur. abb., loin. II,
disp. -24-, quœst. 5, num. 3ï. Hermant, Hist.
des Ofd. relig., tom. II, cap. 3o ; et le P. Bo-
nanni, Catatog. omn. Ord. relig., part, i et n.
GLORIEUSE VIERGE MARIE [Ciusvaliers
de la). Voy. Frères joïelx.
GONZaGUE (Ermites de Notre-Daue de).
Des Ermites de Notre-Dame de Gonzague et
des Ermites de Saint-J ean-Buptiste de la
Pénitence.
Morigia, parlant des Ermites de Notre-Dame
de Gonzague, dit que François de Gonza-
gue, dernier marquis de Mantoue, allant un
jour se promener à une maison de plaisance
aux environs de Mantoue, appelée la Gon-
zague, son cheval se cabra et le jeta par
terre, où il fut quelques temp, tenu pour
mort; mais qu'un nommé Jérôme Raigni de
Caslelgioffre, s'étant prosterné devant une
image de la Vierge qui se trouva en ce lieu,
il lit vœu à Dieu que, s'il rendait la santé
(1) Yoij., à la lia du vol., nos î>9, 90 et 91.
Dictionnaire des ordres religieux,
41-2
à ce prince il quitterait le monde pour se
consacrer à son service, cl pria avec tanl de
ferveur la sainle Vierge d'intercéder pour
lui auprès de Dieu, que ses prières furent
exaucées, cl le marquis de Mantoue se re-
leva sans sentir aucune douleur.
Ce prince, ayant su le vœu que Jérôme
llaigni as ait fait, il lui ût bâtir un monastère
au même lieu, où il mena une vie si sainte et
si exemplaire, que plusieurs personnes se
joignirent en peu tic temps à lui. L'évêquc
de Reggio leur prescrivit une manière de vie,
qu'ils observèrent exactement ci qui fut con-
firmée par le pape Alexandre V) ; mais dans
la suite ils prirent celle de saint Augustin.
Morigia ne dit point quel était leur habille-
ment. Leur principal monastère était celui
de Gonzague, où demeurait ordinairement
leur général, et ils avaient encore cinq ou
six couvents en Italie; mais l'on ne connaît
plus présentement ces ermites.
Paolo Morigia. Ilitt. detl. origin. di tutt.
gli llelig. lib. i, cap. 59.
Silvestrc Maurolic parle aussi d'un ordre
de religieux Ermites de Saint-Jean-Baplisto
de la Pénitence , qui subsistait de son temps
dans le royaume de Navarre , et dont le
principal couvent ou ermitage était éloigné
de sept lieues de la ville de Pampclunc. Ils
vivaient sous l'obéissance de l'évêquc de
cette ville; mais leur supérieurou prévôt vint
à Rome, sous le pontificat de (îrégoircXlll,
dont il obtint la confirmation de son ordre,
et ce pontife approuva aussi leurs constitu-
tions, leur permettant de faire des vœux so-
lennels. Ils avaient cinq ermitages, dans
chacun desquels il n'y avaii pas plus de huit
ou dix religieux. Le premier de ces cou-
vents, qui était chef de la congrégation, s'ap-
pelait Saint-Clément le Vieux, le second,
S. int-Macaire de Monlserrat, le troisième,
Saint- Barthélémy, le quatrième, Saint-Mar-
tin, et le cinquième, Sainl-Fulgencc.
Ces ermites étaient très-ausièies. Ils mar-
chaient nu-pieds sans sandales, ils étaient
velus de bure ( l ) , ils ne portaient point de
linge, ils couchaient sur des planches, ayant
pour chevet une pierre, et ils portaient jour
et nuit une grande croix de bois sur la poi-
trine. Ils demeuraient seuls dans des cellu-
les séparées les unes des autres, au milieu
d'un buis, et ils gardaient un étroit silence.
Ils mangeaient aussi seuls, vivant de légu-
mes, ne buvaient du vin que rarement, et ne
mangeaient de la viande que dans les mala-
dies, avec la permission de leur supérieur.
Ils récitaient l'office divin en commun, dans
une église qui était au milieu de leur ermi-
tage, prenaient là discipline trois foi* la se-
maine, et tous les jours en carême, pendant
lequel temps ils jeûnaient trois fois la se-
maine au | ain cl à l'eau. Il y avait quelques
prêtres parmi eux; mais ils ne s'adonnaient
ni à la prédication, ni à la confession. Mau-
rolic ajoute que ce qu'il dit de cet ordre
n'est que sur le rapport d'un certain frère
Jérôme Henriqucz du môme ordre, qu'il vit
à Napîes au commencement du dernier siè-
cle, et qui ne put lui dire qui avait été le
fondateur de celle congrégation, ni dans
quel temps elle fut fondée. Leur habillement
consistait en une robe de gros drap de
couleur tannée, serrée d'une ceinture de
cuir, avec un manteau et un scapulairc de
la même couleur. Us avaient aussi toujours
sur la poitrine une grande croix de bois,
comme nous l'avons dit.
Silvestrc Maurolic, Mur. Océan, di tutt.
gl.Relig., lib. iu, p. 206.
I! y a eu aussi en France un ordre sous le
litre d'Ermites de Saint-Jean, comme il pa-
raît par les lettres d'un prieur général do
l'ordre des Ermites de Saint-Jean, par les-
quelles, il s'oblige de faire dire tous les jours
trois messes pour Alphonse, comte de Poi-
tiers et de Toulouse, la comtesse Jeanne sa
femme, et pour le père et la mère de ce
prince. Ces lettres sont sans da'e; mais
comme Alphonse, comte de Poitiers et do
Toulouse, mourut l'an 1270, il y a de l'appa-
rence que cet ordre subsistait dans le xin*
siècle.
Au Trésor des Chartres du Roi. Toulouse,
sac. k, n. 49.
GllANDFLUIL. Voy. Makmoutiers.
GRANDMONT (Ordre de).
§ I. Des religieux de. l'Ordre de Grand-
mont, arec la Vie de saint Etienne de Muret,
leur fondateur.
Ce n'est pas seulement dans le dernier
siècle que l'on a été en dispute pour savoir
de quel institut était l'ordre de (iraudmont.
et s'il devait être censé membre de celui :1e
Saint-Augustin ou de Saint-Benoît; car, du
temps même de saint Etienne de Muret, fon-
dateur de cet ordre, on était dans la même
incertitude ; c'est pourquoi on s'adressa à lui
pour en être éclairci, en lui demandant s'il
était moine, chanoine ou ermite. Mais la
curiosité de ceux qui lui firent cette demande
n'en fat pas plus satisfaite, car il leur ré-
pondit que non, et, comme on le pressait de
dire ce qu'il était, puisque tous les religieux
se rapportaient à ces trois espèces, il répon-
dit que ni lui ni ses religieux ne portaient
point l'habit do moines ni de chanoines, et
qu'ils ne s'attribuaient pas de si saints noms;
que les chanoines, par leur institution, ont
le pouvoir de lier et do délier à l'exemple des
apôtres; que les vrais moines n'ont soin que
d'eux-mêmes et ne s'occupent que de Dieu,
cl que les ermites doivent demeurer dans
leurs cellules et na vaquer qu'à l'oraison et
au silence. Nonobstant celie réponse de saint
Elicnnc, les ermites de l'ordre de Sainl-Au-
guslin n'ont pas laissé de mellrc l'ordre de
Grandmonl au nombre des congrégations qui
ont suivi la règle de saint Augustin. Quel-
ques-uns d'entre eux, comme Crusénius, ont
prétendu qu'il avait seulement commencé
sous cette règle l'an 1076, qu'il avait élé ap-
prouvé par le pape Alexandre 11, et qu'eu-
t<) Voy., à la fin du vol., u° 92.
4H GRA GHA 41*
suite il avait quitté la règle de saint Augus- de l'ordre de Saint- Augustin; que ce suint
tin pour prendre relie de saint Benoit; mais avait été pendant un temps disciple de Gan-
comment cet ordre, qui n'a commencé dur, qui était, à ce qu'il prétend, aussi
qu'en 1070, aurait-il pu être approuvé par chanoine régulier; que les Grandniontains
le pape Alexandre II, qui était mort dès sont appelés clercs et non pas moines ;
l'an 1073. Ainsi, le témoignage de Crusénius que depuis le pape Jean XXII ils se sont
n'est pas recevable, non plus que celui de qualifiés Chanoines Réguliers, Convntuels,
son confrère Elsius, qui, en disant abso- Collégiales et Stables; que dans l'assemblée
lument que saint Etienne prescrivit à ses des grands jours qui se tint à Tours, l'on
disciples la règle de saint Augustin, qu'il donna un de leurs monastères, où le relâché-
avait pour lors trente ans, et qu'il était abbé ment s'était introduit, à des religieux retor-
de Muret, se trompe considérablement, prin- mes de l'ordre de Saint-Augustin ; et enfin
cipalement dans le dernier article, puisque que depuis l'an 1245 jusqu'à présent, les
cet ordre n'a eu pour supérieurs que des (irandniontains se servent au chœur de sur-
prieurs jusqu'au temps du pape Jean XXII, plis et de bonnets carrés, et môme que pen-
qui le premier donna la qualité d'abbé au dant un temps ils ont porté dis aumusses.
prieur de Grandmonl. Mais, après avoir examiné toutes choses avec
Le cardinal Jacques de Vitri semble agré- plus de réflexion, il se rétracte dans ses An-
ger cet ordre à celui de Cîteaux plutôt qu'à nales, en disant que l'ordre de Grandmonl
celui des ermites de Saint-Augustin, lorsqu'il doit être regardé comme un ordre particulier,
dit qu'il observait la règle et les coutumes de qui, ayant été autrefois érémilique, est de-
cet ordre; ce qui a fait que Chrysoslorcie venu cénobi tique, et est maintenant mixte,
Heniiquez a mis saint E'ienne au nombre ayant une règle qui lui est particulière.
des saints. Mais saint Etienne ayant institué Quoi qu'il en soit, l'ordre de Grandmonl
son ordre vingt-deux ans avant que celui de eut pour fondateur saint Etienne, que plu-
Cîteaux commençât, on ne doit avoir aucun sieurs nomment de Muret à cause du lieu de
égard ni au témoignage, du cardinal de Vitri, sa retraite. Il vint au monde l'an 10i6, dans
ni à celui d Henriquez. le château de Thiers, ville de la Limagne eu
Eniin, plusieurs écrivains de l'ordre de Auvergne, appartenant à sa famille eu litre
Saint-Benoit n'ont point fait difficulté de dire de vicomte. Son père se nommait aussi
que saint Etienne avait prescrit la règle de Etienne, et sa mère Candide, tous deux au-
sainl Benoit à ses religieux, entre les au- tant illustres par leur noblesse que recom-
tres, Yépez, qui dit qu'il leur donna celte mandables par leur insigne piélé. Après avoir
règle avec des constitutions particulières. Le élé longtemps sans avoir d'enfants, ils firent
P. Mabillon a été aussi de même sentiment, des prières, des jeûnes et des aumônes, pour
et dit que le pape Grégoire VU lui permit en obtenir de Dieu, et promirent de lui con-
d'établir un ordre monastique suivant la sacrer le premier qu'il leur donnerait. Leur
règle de saint Benoît, qu'il avait déjà long- vœu fut exaucé, car Candide, quelque temps
temps pratiquée avec des moines de Calabre, après, accoucha d'un dis auquel on donna le
lorsqu'il alla en Italie. C'est ainsi qu'il en nom de son père. Ses parents, le considérant
parle dans sa préface du Second Siècle des comme le fruit de leurs prières, prirent un
sainls de son ordre; et dans ses Annales du soin tout particulier de l'élever dans la piété,
même ordre il dit que celui de Grandmonl Ce qui leur réussit d'autant plus facilement,
u'élait pas tout à fait assujetti à la règle de qu'il s'y portait de lui-même, car il coin-
saint Benoît, non pîusqueceluides Chartreux: mença dès ses plus faibles années à s'adon-
Alius ordo Carthusiensîum atque Grandimon- ncr à la prière et à la retraite. Son père,
tensiuin, quorum Instituions Bruno et Ste- ayant eu dévotion d'aller visiter quelques
pkanus Jleneilictinœ regulœ non omnino ml- reliques des sainls en Italie, y mena avec
clicti fuere. Cependant la règle qui esl actuel- lui son fils, qui n'avait que douze aifs ; niais,
lement en pratique dans l'ordre de Grand- commeil revenait en France, le jeune Etienne
mont, et qui fut écrite après la mort de saint étant lombé malade à Bénévent, il fut obligé
Etienne, son fondateur, sur ce qu'on lui ayaii de l'y laisser sous la conduite de l'archevê-
entendu dire ou vu faire, est si différente de que de celle ville, appelé Milon, qui était
celle de saint Benoît, qu'il n'y a aucune ap- originaire d'Auvergne. Ce prélat en eut beau-
parence de vérité dans le sentiment de ces coup de soin, le fit instruire dans les se en-
auteurs, ces, lui avant donné pour cet effet d'excel-
On ne doit pas être surpris si les Augus- lents maîtres, sans parler du soin qu'il vou-
lons et les Bénédictins ont agrégé à leurs'or- lait bien prendre lui-même de lui donner
dres celui de Grandmonl, puisqu'il s'esl quelquefois des leçons. Elienne lit (le si
trouvé aussi des écrivains de cet orlre donl grands progrès dans la vertu, dans l'inielli-
les uns ont cru qu'il appartenait aux Béné- gence des saintes Ecritures et dans lout ce
diclins, et les autres aux Augustins. Entre qui regarde la vie spirituelle, que ce saint
autres le P. Jean Lévêque, religieux Grand- prélat, qui s'appliquait à le former parlicu-
uioulain, avait l'ail une apologie pour prou- lièrement pour le ministère de l'Eglise, lo
ver que son ordre était sous la règle de saint jugeant digne de recevoir les ordres sacrés,
Augustin; et les raisons qu'il en donnait lui donna l<> sous-diaconat et enfin le diaco-
étaient que saint Etienne., en fondant son nat, le faisant en même temps, selon quel-
ordre, en avait eu un pour modèle qu'il av,.it ques-nns, son oliicial et archidiacre.
yu en Calabre, et qui était, selon ce! auteur, Après la mort du bienheureux Milon,
415 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 416
Elienne, étant âgé de vingt-qualre nus, alla qui était la seule chose qu'il s'était réservée
à Rome, où il s'arrêta chez un cardinal peu- de loul le bien di> son père, et en prononçant
danl quatre ans, s'instruisanl fort soigneu- ces mots : Moi Etienne, je renonce mi diable
semeut de la conduite de divers religieux et et à toutes ses pompes, et je m'offre et me
du gouternemenl de toute l'iîglise. Mais, donne à Dieu le Père, le Fils et le Saint-Es-
sentanl augmenter en lui de plus en plus le prit, seul Dieu vrai et virant en trois person-
désir qu'il avait eu à nénévent de se retirer nés. Puis, mettant cet écrit sur sa tête, il
tout à fait du monde, il prit la résolution ajouta :0 Dieu tout-puissant, qui vivez éter-
d'imiter certains moines de Calabre qui vi- nellement et régnez seul en trois personnes, je
vaient dans une très-grande observance, promets de rous servir en cet ermitage en la foi
dont il avait ouï souvent parler avec calhol 'que ; en signe de quoi je pose celle écri-
grando estime à l'archevêque M. Ion , et lure sur ma tête, et me's cet anneau à mon
qu'il avait fréquentés lui-même. Il s'adressa doigt, afin qu'à l'heure de ma mort cette pro-
pour cet effet au pape Grégoire VII, qui le messe me scrv ■ de défense contre mes ennemi*.
connaissait dans le temps qu'il était archi- Ensuite de cela il s'adressa à la sainte Vierge
diacre de l'Eglise romaine, et lui demanda la par ces paroles : Sainte Marie, Mère de Dieu,
permission de \ivre quelque part dans la je recommande à votre Fils et à vous-même ,
pénitence, conformément aux coutumes de mon âme, mon corps et mes sens.
celte communauté de moines de Calabre. I.e Ce vœu étant fait, il résolut de ne plus re-
pape différa quelque temps île lui accorder tourner ;iu monde pour quelque nécessité
ce qu'il désirait, se défiant de la délicatesse que ce fût; et, s'en ferma ni dans sa cellule,
de son tempérameni ; mais enfin, pressé il y supportait également les chaleurs de l'été
par ses continuelles instances, il lui permit et les rigueurs de l'hiver, n'étant pasplus velu
de se joindre avec quelques autres saints en une saison qu'en une autre, et se servant
personnages qui auraient le même dessein de en tout temps d'une cotte de mailles pour
vivre selon les observances de ces moines ca- chemise (1). Sa lre nourriture fut d'herbes
labrais, défendant à loutes personnes laïques et de racines lel'es qu'il les trouvait dans
ou ecclésiastiques d> le troubler, lui et ses son désert ; mais quelques bergers l'ayant
compagnons, dans le lieu qu'il choisit ait pour découvert au bout d'un temps, et s'etantac-
faire pénitence, comme élant sous la pro- coutume à lui apporter du pain, depuis ce
leclion du saint-siége : ce que Sa Sainteté temps-là sa nourriture ordinaire fut de pain
lui accorda par une bulle qui fut donnée, à et d'eau, y joignant quelquefois un bouillon
Rome, en présence de. l'impératrice Agnès et de farine très-insipide. Son lit ressemblait
de six cardinaux, le 1" mai de l'année 1073, plutôt au sépulcre d'un mort qu'au lit d'un
et la première de son pontificat. homme vivant, ne consistant qu'en deux ais
Etienne, bien conleut de ce que le pape lui enfoncés dans la terre, sans matelas ni
avait accordé sa demande, revint en France paillasse, ni même de couverture. Outre le
et demeura quelque temps à Thiers pioche grand olfice. de l'Eglise, il récitait chaque
de ses parents, qui n'oublièrent rien pour jour celui de la Vierge et celui des Morts,
le retenir dans le monde. Mais, dans le temps aussi bien que celui de la Trinité, à neuf le-
qu'ils se dallaient le plus de réussir dans çons ; et si, pour entretenir ceux qui le ve-
ceile entreprise, Etienne disparut et, se liaient voir.il avait manqué à quelques-uns de
laissant conduire par l'Esprit de Dieu, il alla ces offices, il le disait ensuite avant que de
d'abord à Aureil ou Soviat, à quelques lieues manger: ce qui était cause qu'il passait
île Limoges, où il demeura quelque temps quelquefois les journées entières sans man-
sous la conduite de saint Gaucher, qui y avait ger, n'y ayant rien qui le pûl détourner d'en-
bâli un monastère, occupé présentement par (retenir ceux qui venaient à lui pourentendre
des chanoines réguliers, et que l'on appelle la paroi ■ de Dieu. Sa ferveur était si grande,
Saint-Jean- d'Aureille. Mais saint Gaucher qu'il priait toujours à genoux et la tête nue;
ayant fait bâtir aussi aux environs un autre et il se prosternait si souvent le visage con-
monaslère pour des femmes qui avaient été lre terre, qu'il en était devenu tout livide, et
touchées par ses instructions, et auxquelles que les calas paraissaient à ses genoux,
il prescrivit une règle et une discipline pour à ses coudes, et même à son front el a
mener une vie spirituelle el retirée du mon- so i nez.
de, Etienne appréhendant que le voisinage 11 demeura seul dans celte solitude pen-
de ce monastère ne lui lui nuisible, quitta danl la première année, après laquelle il eut
saint Gaucher et se relira a Minci l'an 1070. deux disciples : mais ils ne furent de long-
C'élait une montagne assez près de Limoges, temps suivis de personne à cause de ses aus-
où, dans le milieu île quelques rochers qui tentés, qui épouvantaient tout le monde,
étaient couverts de grands bois, il se lit une Cependant L'odeur de ses vertus y attira en-
pélile loge avec des branches d'arbres entre- fin un grand nombre de personnes qui se
lacées les unes d;ins les autres. Ce fut là que soumirent à sa conduite, persuadées qu'il les
notresdinl, âgéd'environ lrenteans,coiiiiueii- mettrait dans le chemin assuré du salul. Le
ça une nouvelle vie par un sacrifice de soi- sainl les reçut avec toute la tendresse et
même, en se vouant à Jésus-Christ d'une toute la charité d'un vérilahle père, mais a
manière toute particulière, el en lui cotisa- condition qu'elles ne lui donneraient jamais
craut la pureté de son corps el de son àmc , le nom de maitre ni d'abbé, mais seulement
qu'il lui avait gardée inviolablemeut jus- l'humble lilre de correcteur. Il adoucissait
qu'alors : ce qu'il lit en prenant un anneau toujours en leur faveur Ses austérités, afin
(I) t>/ ,à la tin du vol., n° 03.
417 GRA GRA 418
de ne ics point obliger à passer par un clie- saint viatique, et mourut un vendredi S de
min qu'il ne frayait que pour lui. H prenait février de l'an 112i, étant âgé de près de
garde sur toutes choses de ne leur point im- quatre-vingts ans.
poser un joug trop pesant, qu'elles ne pus- Sou corps fut enterré secrèlement dans
sent point porter. Il était avec elles comme l'église de Muret, de peur que les peuples
le dernier de tous, «'exerçant aux offices les n'accourussent à son tombeau et ne trou-
plus vils; et lorsqu'elles étaient assises pour niassent le repos des religieux ; mais les mi-
manger, il se mettait à terre, an lieu de racles que Dieu fit pour manifester la sain-
s'asseoir avec ell< s, et leur faisait une lecture tcté de son serviteur annoncèrent sa mort
spirituelle pendant le repas. de tous côtés. On lui donna pour successeur
Quoique ce saint fondaieur voulût être ca- Pierre de Limoges, qui était déjà piètre
ché aux hommes, sa réputation ne laissa pas avant que d'entrer dans l'ordre; mais à peine
de le faire connaître fort loin; elle lui attira quatre mois furent-ils écoulés, que les re-
la visite de deux des premiers cardinaux de ligieux d'Ambazac (qui, selon quelques ail-
la cour de Rome, envoyés en France en qua- teurs, étaient des chanoines réguliers de
lité de légats, dont l'un était Grégoire de Pa- l'ordre de Saint-Augustin, contre le senli-
perescis, qui fut depuis pape sous le nom meut de M. l'abbé Châtelain, qui, dans le
d'Innocent II, et l'autre Pierre de Léon, qui, premier tome de son .Martyrologe, prétend
après l'élection de ce pontife, élu légitime- que c'étaient des Bénédictins qui dépendaient
ment, fil schisme dans L'Eglise, et se mit sur de l'abbaye de Saint-Augustin de Limoges,
la chairede saint Pierre, l'an 1130, en prenant cl qui desservaient la prévôté d'Ambazac)
le nom d'Anaclet II. Ce furent ces deux car- inquiétèrent ceux de .Muret sur la possession
dinaux qui lui demandèrent, comme nous de ce lieu, quoiqu'il y eut près de cinquante
l'avons dit ci-dessus, s'il était moine, cha- ans qu'ils y fussent établis, prétendant sans
noine ou ermite, le pressant de leur dire ce fondement que Muret leur apparlena l, les
qu'il était. Son humilité, qui l'empêchait de menaçant de les en chasser, s'ils n'eu sor-
s'ailribuer aucune de ces qualités, cédant taient de bon gré. Les disciples de saint
pour lors à l'obéissance qu'il devait à ces E ienne, voulant uietli e en pratique les ver.
princes ecclésiastiques, il leur fit la réponse tus que leur maître leur avait enseignées, ré-
suivante. « Un mouvement de la grâce nous solurent d'abandonner celte montagne, et
a fait chercher dans ces déserts un asile cherchèrent effectivement un autre lieu où
contre les pièges et les périls de ce monde , ils pussent servir Dieu en paix et sans trou-
etla profession de la pauvreté et de l'abais- ble. Ils en visitèrent beaucoup ; mais, n'en
sèment que nous avons embrassée nous a éié trouvant pas de propre, ils jugèrent qu'ils
imposée par le souverain pontife romain en le devaient demander à Dieu, qui avait dé-
penitence de nos péchés, selon la prière que signé à Abraham relui où il -voulait qu'il le
nous lui en avons faite. Notre faiblesse ne servit. Le prieur fut chargé d'offrir pour cela
nous permit pas d'atteindre à la perfection le saint sacrifice de la messe, et les prières
de ces sainls ermiles qui passaient autrefois des religieux furent si ferventes et si agréa-
les semaines entières dans la contemplation blés à Dieu, qu'immédiatement après qu'on
sans manger; mais, en lâchant de suivre eut entonné trois fois i'Agnus De, une voix
l'exemple de nos frères qui servent Dieu si se fit entendre qui dit aussi par trois fois, A
purement dans la Calabre, nous attendons Grandmonl. Plusieurs ayant ealendu dislin-
ia miséricorde de Jésus-Christ au jour de son clément celte voix, l'assemblée se persuada
dernier jugement. Vous voyez aussi que nous aisément que c'était là le lieu que le ciel leur
n'avons ni l'habit des chanoines ni celui des indiquait. Les religieux y coururent sans
moines. Nous n'avons pas la témérité de nous perdre de temps ; ils bâtirent à peu de frais
attribuer la puissance des chanoines, qui une chapelle et de petites cellules, après quoi
par leur institut ont le pouvoir de lier et de ils retournèrent à Muret, où ils avaient
délier, à l'exemple des apôtres, ni la sainte- laissé quelques-uns des leurs pour garder le
lé des moines, dont la profession fait voir corps de leur bienheureux père, dont s'étant
l'excellence de leur étal. » chargés, ils revinrent dans le désert de
Huit jours après le départ des cardinaux , Grandmont, et l'enterrèrent sous le marche-
saint Etienne connut par inspiration di- pied de l'autel de leur nouvelle chapelle.
vine que sa fin était proche : c'est pourquoi il Celle translation du corps de saint Etienne et
s'app iqua tout entier à la prière et à lin- la transmigration de cette sainte famille se
slruction de ses disciples, qui lui demandant, firent le 25 juin de la même année 112k
quelque temps avant qu'il mourût, de quelle Après la mort de Pierre de Limoges, qui
manière ils pourraient subsister après sa arma l'an 1139, on élut à sa place Pierre
mort, vu qu'ils n'avaient aucuns biens tem- de Saint-Christophe , qui ne gouverna ce
porels, il leur répondit : « Je ne vous laisse monastère que jusqu'en l'un llil, qu'il mou-
que Dieu, àqui toutappartient, el pour lequel rut. On lui donna pour successeur Etienne
vous avez renoncé à tout et à vous-mêmes, de Lisiac, qui réduisit par écrit la règle de
Si vous aimez la pauvreté et vous attachez l'ordre, sur ce que l'on avait entendu dire
à lui constamment, il vous donnera par sa ou vu faire au saint fondateur. Jusque-là on
providence tout ce qui vous sera expédient.» n'avait presque connu que par conjecture
Cinq jours après il se trouva mal; on le les austérités extraordinaires de la pénitence
porta à la chapelle, où, après avoir entendu et de la pauvreté- de ces saints solitaires et
la messe, il reçut l'extrême onction et le de leur chef; mais , lorsque l'on vit cïlte
i!9
MCTIONNAH.K DES ORDRES RELIGIEUX.
règle écrite, on cessa de s'étonner pourquoi
le nombre de ces religieux péniienls était si
petit. Sous le gouvernement de cet Etienne
île Lisiar, Dieu répandit tant de bénédictions
sur cet ordre, qu'en moins de trente ans l'on
fonda plus de soixante maisons en divers
lieux, principalement dans l'Aquitaine, qui
comprenait le Limousin ; dans l'Anjou et dans
la Normandie, qui appartenaient pour lors
à l'Angleterre, dont les rois firent de grands
biens à cet ordre, qui prit le surnom de
Grandmont , k cause qu'on soumettait à ce
monastère, qui avail litre de prieuré, tous
ceux que l'on bâtissait, auxquels on donnait
le nom de Cellrs; de même qu'on donnait
celui de Bons- H ouïmes aux religieux de cet
ordre, comme il paraît par les actes des do-
nations de ce temps-là , dans lesquels les
bienfaiteurs déclarent qu'ils donm ni à Dieu,
à la sainte Vierge, au prieur et aux frères ou
lions-Hommes de Grandmont.
Le premier monastère de cet ordre, qui fut
bâti en France, fut celui de Vincenncs près
Paris, fondé par le roi Louis Vil l'an UOr. Il
a toujours été l'une des principales maisons
de l'ordre, tant qu'il en a été en possession.
Jean XX11 l'érigea en prieuré. Le correcteur
était le premier visiteur de l'abbaye de
Grandmont, chef d'ordre, et confirmait aussi
l'élection de l'abbé, avec les prieurs de Bois-
rayer, du Pui-Chévrier et DclTeuds; et, lors-
que le roi Louis XI eut institué l'ordre de
Saint-Michel, il voulut que le prieur de ce
monastère de Vinccnnes fût chancelier-né de
cet ordre militaire; ce qui fit qu'il fut bientôt
en commende. Le cardinal de Lorraine fut le
premier commendalaire ; Gabriel le Veneur,
aussi cardinal, lui surcéda, et après lui Michel
de Chiverni, chamelier tle France, qui fut
aussi le premier chancelier de l'ordre du
Saint-Esprit et en même temps chancelier de
celui de Saint-Michel. Enfin, l'an lo8i,le roi
Henri 111 donna ce couvent à des religieux
de l'ordre de Saint-Jérôme, qui le cédèrent
l'année suivante aux Minimes, qui en sont
encore en possession ; et le roi, pour dédom-
mager les religieux de Grandmont, leur
donna eu échange le collège de Mignon à
Paris, qui porte présentement le nom de col-
lège de Grandmont.
Dans les commencements de cet ordre, le
nombre des frères convers était plus grand
que celui des prêtres el des clercs, ce qui
causa souvent de la division entre eux. Les
convers poussèrent même suivant leur inso-
lence, qu'ils retinrent en prison Guillaume
de Treynac, sixième prieur de Grandmont, et
voulurent le déposer. Ce différend dura pi es
de trois ans, et ne fut terminé que par le pape
Innocent 111. Son prédécesseur, Luciuslll,
avait déjà commis celte affaire aux soins de
l'évèque de Chartres et de l'abbé de Saint-
Victor a Paris, qui rétablirent Guillaume de
Treynac. Ce prieur mourut l'an 1188, et eut
pour successeur Gérard lthier, qui poursui-
vit la canonisation de saint Etienne, fonda-
teur de cet ordre. Urbain 111 en avait déjà
instruit le procès, à la sollicitation du roi
d'Angleterre et de quelques seigneurs fran-
çais; mais ce fut Clément III qui publia la
bulle de sa canonisation, l'an 1189; et la cé-
rémonie s'en fit à Grandmont, la môme année,
par le cardinal de Saint-Mare, légat du pape,
accompagné de vingt-huit prélats du royau-
me. Le même pape confirma, en 1188, la règle
de cet ordre, qui avait déjà été approuvée
par ses prédécesseurs, Adrien IV en 1156,
AlexandrellI en 117k, Lucius III en 1 182, et
Urbain 111 en 1186. Célestin III y fit quelque
changement en 1191, aussi bien que ses suc-
cesseurs, Innocent III en 1202, Honorius 111
en 1218, et Grégoire IX en 1234. Mais Inno-
cent IV, en 12i5, y fit plus de changements
que les autres; car il en retrancha plusieurs
chapitres. Clément V y fit encore quelques
additions et des changements vers l'an 1309,
aussi bien que Jean XXII.
Nous avons dit que sous Guillaume de
Treynac les frères convers avaient commen-
cé à mettre la division dans l'ordre, 9'etanl
soulevés contre les clercs, et que même ils
mirent en prison ce prieur, à cause qu'il
prenait leur parti. Casurem, qui fui élu en
1210, souffrit aussi de leur pari une autre
persécution, parce qu'il prenait encore le
parti des clercs; mais il réduisit si bien les
convers, qui exerçaient l'office de correcteur
aussi bien que les clercs, qu'il leur donna
l'exclusion pour toutes les supériorités des
maisons de l'ordre. Ce prieur, après avoir
gouverné l'ordre pendant douze ans, re-
nonça à son office, et Hélie Arnaudi fut mis
en sa place en 1228. Sous son gouvernement,
le pape Grégoire IX ordonna que deux reli-
gieux de l'ordre des Chartreux, et autant do
celui de Cîleaux, se trouveraient pendant trois
ans conséculifsaux chapitres généraux qui sa
tiendraient à Grandmont, et qu'ils feraient
dans cel ordre telle réforme qu'ils jugeraient
à propos, sans que l'on pût appeler de leurs
ordonnances. Les religieux ayanl dénoncé
leur prieur au saint-siège comme coupable do
plusieurs crimes qu'on lui imputait, le pape
nomma l'évèque de Poitiers, les abbés de
Savigni et un autre de l'ordre de Cîleaux, e|
les prieurs de Ligetz et de Clandière de l'or-
die des Chartreux, pour commissaires apo-
stoliques. Ceux-ci, ayant examiné celte af-
laire, prononcèrent contre lui une sentence
de déposition, sous peine d'excommunication
s'il s'ingérait dans le gouvernement de l'or-
dre; mais, le jour qu'on devait lui signifier
la sentence, n fit enfermer l'évèque et les
autres commissaires, et alla à Home trouver
le pape, qui l'envoya à l'abbé de Saint-Lau-
rent eaira muros pour être absous de l'cx-
communicalion qu'il avait encourue pour
être venu à Home sans sa permission ; cl ,
comme il poursuivait son rétablissement, il
mourut dans la même ville eu 12<-!S.
Après sa déposition, Jean de Laigle fut
mis à sa place, ayant éié élu dans un chapi-
tre général qui se tint à Vincennes, dans
lequel on publia les statuis et les règlements
qui avaient été faits par les commissaires
apostoliques pour la réforme de l'ordre. Ce
prieur renonça aussi à son office pour mener
une vie privée, n'ayant gouverné l'ordre que
121 GRA
pendant (rois ans et demi. Iiiers de Merle,
quinzième prieur, se démit aussi de celle su-
périorité en 1200. Ce lui de son temps que
les religieux français voulurent avoir un gé-
néral et transférer le chef d'ordre au nio-
nastère de Vincennes. Le roi de Fiance les
protégea d'abord, mais il les obligea ensuito
d'obéir au prieur de Grandmont, après que
lliers de Merle lui eut fait connaître le tort
que cela causerait à l'ordre, s'il était divisé
el soumis à deux généraux. Pierre de Caussac
lut aussi un de ceux qui, pour mener une
vie plus tranquille, se démit de la supériorité
de cet ordre, à laquelle il avait été élu en
1282. Son gouvernement ne fut pas paisible,
car, deux ans après son élection, les visi-
teurs de l'ordre le déposèrent el firent élire
à sa place Bernard Risse. Pierre de Caussac
en appela au pape, qui nomma pour juges
de celle affaire et réformateurs de l'ordre,
Bernard de Montaigu, abbé de Moissiac; Gé-
raud, provincial des Dominicains ; et Radul-
plie, doyen de l'église de Poitiers, qui, ayant
fait attention à tout ce qui leur fut dit de part
et d'autre, prononcèrent en faveur de Pierre
de Caussac, qui fut rétabli dans son office,
dont il se démit en 1290. Gui de Foucbères
(il aussi la même chose après avoir gouverné
l'ordre pendant quinze ans. Ce lut de son
temps que le pape Clément V alla en 1306 à
Grandmont avec sept cardinaux et loute la
cour romaine. Il y demeura pendant cinq
jours, el Cl venir devant lui le prieur et les
religieux, auxquels il dit qu'il y avait envi-
ron vingt ans qu'il avait appris les divisions
qui étaient dans l'ordre; qu'il était venu ex-
près pour cela de Lyon à Grandmont, et que,
aprèj avoir examiné leur règle et les privi-
lèges des visiteurs de ce chef d'ordre, le pou-
voir qu'ils avaient après la mort ou la dé-
mission du prieur de nommer douze électeurs
tant clercs que convers, et d'ehre tous les
ans avec le prieur neuf définiteurs clercs,
selon le privilège qu'ils avaient obtenu d In-
nocent IV, il révoquait tout cela , à cause
que les visiteurs, du temps du prieur Pierre
de Caussac (qu'il avait connu dès l'enfance
lorsqu'il était correcteur de la maison de
Deffends, dans laquelle il avait été élevé)
l'avaient déposé injustement en lui imputant
des crimes dont il elail innocent.
Guillaume de Pré Morelle, après la démis-
sion de Gui de Foucbères, fut élu dans le
chapitre général pour lui succéder. Le même
Clément V accorda, à la prière de ci- prieur,
des dispenses à l'ordre louchant l'abstinence
de la viande, et cita le même prieur pour se
trouver au concile général de Vienne; mas,
étant mort en 1312, Jordan de Bapistang lui
succéda et fut le dernier prieur de Grand-
mont. Son gouvernement ne fut pas tran-
quille; car en 1314 il y eut encore de gran-
des divisions dans l'ordre. La plupart des
religieux, ne voulant plus reconnaître ce
prieur, qu'ils accusaient d'avoir dissipé les
biens du monastère, le déposèrent et mirent
à sa place Hélie Adeniart : ce qui causa un
schisme; car il y en cul d'autres qui obéi-
rent toujours à Jordan de Rapislang. Celte
r.nx H*
division dura jusqu'en 1 3 1 G , que Jean XXII,
ayant été mis sur la chaire de saint Pierre,
et avant pris connaissance de ces différends,
reforma encore l'ordre, et changea, comme
nous avons dit, beaucoup de choses à la rè-
gle. De cent quarante cèdes ou environ qui
dépendaient de Grandmont , il en érigea
trente-neuf en prieurés conventuels, à cha-
cun desquels il unit quelques-unes des au-
tres celles, et divisa ces prieurés en neuf
provinces, savoir: France, Bourgogne, Nor-
mandie, Anjou, Poitou, Sainlonge, Gasco-
gne, Provence et Auvergne. Il permit aux re-
ligieux de ces prieurés d'élire leurs prieurs,
et les obligea d'en demander la confirmation
à celui de Grandmont. Il ajouta un qua'rième
visiteur aux trois qui avaient toujours été
dans l'ordre, et quant aux deux prieurs qui
disputaient ensemble pour le gouvernement
de l'ordre, il les mit d'accord en ne recevant
ni l'un ni l'autre. Il érigea le monastère de
Grandmont en abbaye, en 1317, et nomma
pour premier abbé Guillaume Pellicier, qui,
selon la coutume, reçut le bâton pastoral des
mains du cardinal d'Ostie l'an 1318v el gou-
verna l'ordre jusqu'en 1337. Pierre d'Albert
fut son successeur et fut confirmé par le
pape Benoit XII. Clément VI lui accorda lé
droit de nommer aux quatre premiers prieu-
rés de l'ordre qui viendraient à vaquer lors-
qu'il aurait reçu la bénédiction abbatiale; et
les abbés de Grandmont ont joui jusqu'à
présent de ce droit. Guillaume de Fumel, qui
fut patriar>be d'Anlioche, s'élant démis de
cette abbaye entre les mains du pape Paul II
en 1471, ce pontife la donna au cardinal de
Bourbon, archevêque de Lyon, qui en lut lo
premier abbé commendataire. Antoine Alle-
mand, évéque de Cahors, lui succéda. Il y
eut après lui quatre cardinaux de suite qui
la possédèrent, qui furent Guillaume Bnçon-
nct, Sigismond de Gonzague, Charles de Ca-
relto et Nicolas de Fiesque, après la mort
duquel on redonna cette abbaye au cardinal
de Gonzague, qui s'en était demis en faveur
du cardinal Caretto. Le dernier aBbé com-
mendataire fut François de Neuville, qui ré-
signa cette abbaye, à son neveu François do
Neuville, religieux de celte maison, et depuis
ce temps-là les abbés ont toujours été régu-
liers jusqu'à présent.
Il y avait plus de cent trente ans que l'on
n'avait point tenu de chapitres généraux
dans cet ordre, lorsque dorn Georges Barny,
abbé de Grandmont, et quarante-deuxième
général, en convoqua un dans ci Ue abbaye
eu 1643, pour rétablir dans l'ordre l'obser-
vance régulière. A cet effet on dressa des
statuts qui contiennent douze chapitres, dont
le premier, qui regarde l'office divin, or-
donne que tous les jours les prêtres célébre-
ront la sainte messe, selon la coutume de
l'ordie, et que tous les religieux assisteront
à la messe conventuelle, pendant laquelle
on n'en pourra point dire d'autres, ni chan-
ter aucun office canonial; que dans tous les
I Heures conventuels on chantera aussi tous
les jours une messe haute, pourvu qu'il y
ait un nombre de religieux suffisant, el que
4I3
DICTI0NNA1RK HKS ORDIIRS RELIGIEUX.
424
dans l'abbaye de Grandmoni on en chantera
deux; que tous les dimanches, les fêles de
première classe, et celles delà sainte Vierge,
excepté le jour de Notre-Dame des Neig s,
l'on fera la procession autour du cloître. Le
père l'Evêque, dans les Annales de cet or-
dre, imprimées en 1GG3, dit néanmoins que
l'on fait tous les jours trois processions, la
première après prime dans le cimetière, et,
où il n'y en a point, à l'entrée du cloître; la
seconde après vêpres, de la même manière;
et que la troisième, que l'on faisait aussi
autrefois dans le cimetière avant complies,
se fait présentement hors de l'église. Il ajoute
que, dans le commencement de l'ordre, les
religieux allaient si souvent prier dans le
cimetière, qu'on ne permettait ci aucun ve-
nant de dehors de parler à personne qu'il
n'y eût été prier. Selon ces mêmes staluts,
tous les lundis, hors le temps de l'Avent et
du Carême, l'on doit dire une messe pour
les religieux décèdes dans l'ordre ; l'on en
doit dire aussi une de la Vierge tous les jours,
dans l'abbaye de Grandmoni, et une fois la
semaine dans les prieurés, pour la conserva-
lion du même ordre, pourvu que ce ne soient
point des jours de la première et seconde
classe. Us réciteront l'office selon l'usage de
l'Eglise romaine; personne ne pourra s'ab-
senter des offices, tant de jour que de nuit,
sans la permission du supérieur ; et les
clercs, outre le grand office, réciteront en-
core tous les jours au chœur l'office de la
Vierge et celui des morts, sous un nocturne,
excepté les dimanches el les fêtes doubles,
pendant les octaves et pendant la semaine
sainte; mais pour lors ils seront obligés de
les réciter en leur particulier. Les convers,
pour matines, diront treize Pater, trois pour
chacune des autres heures, el cinq pour vê-
pres. Personne ne peut rien avoir en propre,
en sorte que quand quelqu'un par obéis-
sance sort d'un couvent pour aller demeu-
rer dans un autre, il ne pourra emporter ni
livres, ni ses propres écrits, ni chose aucune,
sans le consentement du supérieur, qui est
maître de l'en priver s'il le veut. Les supé-
rieurs exerceront l'hospitalité et distribue-
ront les aumônes selon ce qui aura été pres-
crit par les visiteurs. Il est défendu de man-
ger de la viande tous les mercredis et les
samedis d'après Noél, jusqu'à la Purification
de la sainte Vierge, quoiqu'ils se trouvent
dans les lieux où il est permis d'en manger :
ce qu'ils doivent même observer dans les
voyages, comme aussi depuis la fête de l'As-
cension jusqu'à la Pentecôle. Ils jeûnent
depuis la fête de tous les Saints jusqu'à la
Nativité de Noire-Seigneur, depuis la Sep-
tuagésime jusqu'à Pâques, et tous les ven-
dredi de l'année hors le temps pascal, ils
jeûnent aussi le jour de saint Marc, les veil-
les de la fête du saint sacrement, celles de
la sainte Vierge, excepté celles de la Vi-
sitation et de Notre-Dame des Neiges; les
veilles ('es Apôtres, excepté celle de saint
,'ean l'Evangéliste; les trois jours des Koga-
(t) Voy., à Ij lia du vol., n"» 95,95 et 06.
lions, et les jours ordonnés par l'Eglise, et
depuis le premier dimanche de l'Avent jus-
qu'à Noël, les quatre-temps et tous les ven-
dredis, quand il n'y a point d'office double.
Toutes les veilles des fêtes de la Vierge et
les autres jeûnes de l'Eglise, ils ne doivent
mangerquedes viandes quadragésimales, au-
tant que cela se peut. Le silence, selon ces
mêmes constitutions, doit être observé exac-
tement dans l'église, le cloître, le dortoir et
le réfectoire.
Telles sont les principales observances
prescrites par ces statuts, bien différentes
de celles qui se pratiquaient avant les miii-
galions de celle règle par les souverains
pontifes : car Us ne mangeaient jamais de
viande, même dans les maladies, et ils jeû-
naient depuis la fête de l'Exaltation de la
sainte croix jusqu'à Pâques. Le silence était
égal à celui des Chartreux. Us avaient seu-
lement une conférence une fois le jour, et,
si quelqu'un y avait parlé d'affaires du
monde ou de choses inutiles, il était sévère-
ment puni. Il y avait un porche ou portique
hors le couvent, proche l'église, pour parler
aux séculiers, qui n'entraient jamais ou que
fort rarement dans le couvent. L'on exerçait
l'hospitalité envers les étrangers, pour les-
quels il y avait une maison bois le couvent.
Quant à l'habillement, il consistait en une
robe et un scapulairc auquel était attaché
un capuce pointu. Clément V ordonna que
les habits seraient noirs. Quelques auteurs
disent que dans ce temps-là ils devaient être
de laine naturellement noire; et le P. l'Evê-
que dit qu'il a vu dans l'abbaye de Mache-
rels un tilre par lequel Henri, comlc da
Champagne, donna cent aunes de bureau
pour babiller les religieux. Présentement,
leur habillement consiste en une robe de
serge noire avec un scapulaire fort large de
même étoffe, auquel e t attaché un capuce
ou chaperon assez ample. Ils ont un petit
collet de toile large de deux doigts ; au
chœur ils mettent un surplis avec un bonnet
carré (1).
Il y a aussi trois monastères de religieu-
ses de cet ordre, mais l'on ne sait point par
qui ils ont été fondés ni en quel temps. Le
P. Lévèque dit que l'an iSkO il y cul une
convention entre l'évêiiue de Limoges et
l'abbé de Grand mont au sujet du monastère
de Drouille-la-Blanche, par laquelle toute
la juridiction sur ce monastère fut laissée à
l'abbé de Grandmoni , qui en a toujours
joui, aussi bien que sur le monastère de
Drouille-la-Noire, qui est un autre monas-
tère de religieuses de cet ordre. François de
Neuville , abbé de Grandmoni , fonda le
prieuré de Castenelle, qui est du nombre
des quatre auxquels les abbés de Grand-
moni ont droit de nommer, après avoir reçu
la bénédiction abbatiale, lorsqu'ils viennent
à vaquer. Les religieuses oui les mêmes
observances que les religieux, et sont aussi
habillées de noir.
Joan. Lévèque, Anna!. Ord. Grandmoni.
423 GRA GRA 428
BoDnncius, -Act. SS., lom. II Febr. Sainte- put fiire surmonter les obstacles qu'il se
Marthe, Gu'lia Chris!., lom. IV. Henri de la douait bien qu'il (: ouver il à l'exé nli
Marche, Vie de saint Etienne de Muret. Bail- so.i de sein, et principalement le refus «le
let et Giry, Vies des Suints. Régula S. Sle- son abbé, dont il était près ;ue certai i, s'a-
phani edit. ann. 1671, et capital. General, dressa au cardinal de Richelieu, qui lui lit
ejustl. ord. eelebr. ann. 16Ï3. obtenir ce qu'il souhaitai! : en sorte qu'il
„ ,, n ... ., , „ , , commença sa réforme le i août 16+2. no-
§ 11. Des religieux reformes de l ordre de nohstanl l'oppos lion de ce même abbé, qui
Grandmont appelés de I Etroite Obser- ,ui donna enfin un(1 obé()io,iro pour ;_
vance.arec lu vie du révérend Père Charles rer dans |e jeilré .rEpoissc près de DiJ
Irémont, leur reformateur. avec dom Joseph Eohoait nl gfeux du J^
L'ordre de Grandmont s'étant beaucoup ordre, qui lui le premier qui embra-sa la
relâché de son ancienne observance, comme réforme. Cette maison, qui avait été fondée
on a vu dans le paragraphe précédent, dom l'an 1189 par Odon, duc de Bourgogne, était
Charles F rémont, religieux de cet ordre, fut presque ruinée; mais ces religieux y menè-
inspiré de Dieu pour la rétablir. Il naquit rent une % ie si sainte et si péniienie, que
à Tours l'an 1610, de parents distingués leur réputation s'étant étendue par tonte la
parmi les bourgeois de cette ville, et prit Bourgogne, cette maison changea en peu de
l'habit de cet ordre à l'âge de dix-huit ans. temps de face par la libéralité de ceux qui
11 lit son noviciat avec une exactitude qui étaient les témoins de leurs vertus et de
allait au delà de ce qu'on pouvait désirer de leurs austérités. Il serait diiflcile d'exprimer
lui; et, étant sur le point de faire profes- ce que ces religieux eurent à souffrir de la
sion, il s'y prépara par un renouvellement de part de ceux de l'observance mitigée, et p ir-
ferveur, bien résolu d'observer, après la pro- ticulièrement le P. Charles Frémont; mais
îioncialion de ses vœux, la règle primitive, ce saint religieux ne ût paraître qu'une pa-
dont l'inobservance lui était tout à fait sen- lience et une douceur ad mira M s, pardon-
sible. Ce qu'il exécuta en effet comme il 1'.;- nant de bon cœur les entreprise de quel-
vait résolu : car, à peine fut-il engagé dans ques religieux malintentionnés contre sa
cet état de pénitence, qu'il s'étudia à en pra- personne.
tiquer secrètement toutes 1rs auslériiés , Mais, dans le temps que les hommes s'ef-
principalement l'abstinence de la viande, forçaient de le persécuter et de renverser
Quelque soin qu'il eût de se cacher aux yeux ses desseins, Dieu bénissait son travail : car
des hommes, l'ennemi du genre humain, ja- sa réforme fut augmentée en 1650 par une
loux de sa sainteté, fit en sorle qu'on les nouvelle maison, dont les fondements furent
découvrit et que l'on mît d- s empêchements jetés le 2i mars dans la ville de Thiers en
à son zèle; mais Frémont n'en avança pas Auvergne, où saint Etienne, fondateur de
moins dans le chemin de la perfection, par cet ordre, avait pris naissance. Celte maison
sa paifaite soumission aux ordres de ses fut bâtie par les libéralités des habitants, à
supérieurs et par la pratique de plusieurs cause de la dévotion qu'ils portaient à ce
autres vertus et mortifications, qu'il subsli- saint fondateur, dont les parents étaient
tua à la place de cette inobservance, éludant vicomtes de ce lieu. Le roi Louis XIV, par
ainsi tous les efforts de l'ennemi de son sa- les lettres patentes qu'il accorda poir cet
lut. Tous les jours il servait cinq ou six mes- établissement, permit à ces religieux réfor-
ses avec une modestie angélique; et, après mes de rece\oirdes novices dans celte mai-
qu'il eut reçu la prêtrise, dom Georges Barni, son. Celte même réforme fut introduite eu
qui fut élu général en 1635, le fil prieur de 1668 dans le couvent de Chavanon, au dio-
i'abhaye de Grandmont. 11 s'acquitta de cet cèse de Clermont ; danscelui de Saint-Miche!
emploi au contentement de tous les reli- deGrandmont.audiocèse deLodè\e, en 1679;
gieux; mais, voyant qu'il ne pouvait en ce dans celui de Louyes, au diocèse de Chartres,
poste entreprendre la réforme, qui occupait en 1681 : dans celui de Vieux-Pont, au dio-
sou esprit nuit et jour, il demanda permis- cèse de Sens, en 1683. et dans l'abbaye de
sion au gênerai de venir à Paris, sous pré- Macherels, au diocèse de Troyes, en 1687.
texte d'y étudier en théologie, espérant qu'il Ce fut dans la maison de Thiers, qui est la
lrou\erait dans cette grande ville quelque plus considérable de celle étroite obser-
inoyen de réussir dans son entreprise. 11 ob- vance, quoiqu'elle ne soit pas la plus riche,
Uni celte permission, et le général le Gt que dom Charles Frémont dressa les statuts
prieur du collège de Grandmont, où en effet propres à celte réforme et à l'observance de
il étudia en théologie , jusqu'à ce qu'enfin, la règle, qu'il voulait rétablir dans sa pureté,
se croyant suffisamment versé dans cette Les points principaux et auxquels tous les
science pour remplir son ministère, il de- autres se réduisent, sont l'assiduité à l'office
manda au général la permission de se reti- et à l'oraison, auxqoels on emploie plus de
rer en quelque maison de l'ordre pour y ob- huit heures par jour; l'abstinence delà viande
server à la lettre la règle que le pape lnno- tant au dedans qu'au dehors de la maison,
c ni IV avait mitigée, et qui est regardée excepté dans les maladies, selon la règle
dans l'ordre comme la règle primitive. Ce gé- modifiée par Innocent IV; les jeûnes de près
ueral, bien loin de lui accorder sa deman te, de huit mois de l'année, l'usage des viandes
s'y opposa fortement; mais Charles, qui n'a- quadragésimales, depuis la fêle de tous Ie9
'ail souhaité aller à Paris que dans l'espé- saints jusqu'à Noél, et depuis la Septuagé-
jance d'y trouver quelque protection qui lui sime jusqu'à Pâques ; et la solitude, les reli-
Djctionnairf. nss Ordres religieux, il. li
i:n
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
gietix ne sortant que Irès-rarement, et jamais
pour vir leurs parents et leur rendre visile.
La communauté dé la maison deThiers,
où le Pi Frémont faisait sa résidence ordi-
naire, était si liien réglée, que (ouïe la pro-
vince, édifiée de la sainleté de ces religieux,
ne pouvait s'empêcher de donner des louan-
ges et des bénédictions à ce saint réforma-
teur, qui y exerça pendant trente ans l'of-
fice de supérieur, animant ses inférieurs cl
les autres religieux de la réforme, par ses
exemples et ses exhortations, à maintenir
celle réforme. Enfin, dans ses dernières an-
nées, il était si rempli de la pensée de sa der-
' nière fin, que, pour s'y disposer plus parti-
culièrement, quoique toute sa vie eût été une
préparation presque continuelle à la mort,
on le vit plus assidu à l'oraison et à ses au-
tres exercices de piété et de mortification. Ne
se contentant pas des instructions qu'il avait
faites à ses religieux, il voulut encore leur
en donner par écrit, en composant un livre
de piété qu il leur adressa, dans lequel entre
antres avis qu'il leur donne pour bien rem-
plir les devoirs de leur solitude, il les ex-
horte à être dans une continuelle méditation
des mystères de la Trinité et de Jésus-Christ
en sa vie cachée à Nazareth : mystère qui le
ravissait, ci qu'il disait souvent devoir être
un objet particulier aux religieux de la ré-
fo: me de Grandmont, qui, par leur état pau-
vre, caché, humble, pénilent, el uniquement
attaché à Dieu, devaient représenter celui
de Jésus-Christ à N.i/arelh, souhaitant qu'ils
y fussent sans cesse unis. Enfin il inspire
dans ce livre une dévotion singulière à la
sainte famille de Jésus, Marie et Joseph, pour
laquelle il avait une si grande dévotion et
un amour si parfait, qu'il eu faisait les dé-
lices de son âme : ce qu'il conserva jusqu'à
la fin de sa vie, qu'il termina dans la prière
cl l'oraison, et avec une parfaite soumission à
la volonté de Dieu, en 1089, étant âgé de près
de 79 ans. Sa mort ayant été divulguée dans
la ville de Thiers, il y eut une si grande loule
de peuple qui accourut au monastère, que
l'on rompait tout pour le voir et pour en ap-
procher.
Celle réforme s'est maintenue jusqu'à pré-
sent dans les maisons où elle fut introduite
du vivant du réformateur; mais depuis sa
mort elle n'a fait aucun progrès. Avant que
toutes ces maisons fussent réformées, elles
étaient en désordre: il n'y avait dans cha-
cune qu'un ou deux religieux, qui y vivaient
a leur liberté, sans aucune régularité, et
sans célébrer l'office divin. Présentement il
y a au moins dans chacune de ces maisons
huit ou dix religieux, el même dans quel-
ques-unes il y en a jusqu'à vingt. Les reli-
gieux de cette élioite observance dépendent
du général, reçoivent de lui leurs obédiences,
et ne font point de corps séparé.
lis ont été longtemps en possession de
toutes les maisons dont nous venons de par-
ler, sans qu'on les inquiétât; mais l'abbé de
Macherets, qui les avait appelés dans son
abbaye en 1087, se repentant de les avoir
fait venir, voulut les en chasser, sous pré-
423
texte qu'ils y avaient été introduits sans
leltres patentes du roi, contre l'édit de Sa
Majesté, du mois de juin if>7i,qui défend aux
réformés de s'introduire dans des monastères
sans letlres patentes ; mais, par un arrêt du
conseil d'Etat du 27 juin 1700, le roi con-
firma et autorisa cet établissement , permet-
tant aux réformés d'y vivre en communauté
religieuse sous la juridiction de leur général,
suivant leur institution, Sa Majesté ayant re-
connu que celle réforme n'était en aucune
manière contraire à son édit de l'an 1071,
dont les motifs ne regardeat que les monas-
tères indépendants, et qu'on assujeltit à un
nouveau chef; et que l'inconvénient auquel
elle avait voulu remédier par le même édit
regarde seulement les nouvelles congréga-
tions exemptes, et les établissements nou-
veaux des maisons religieuses. L'abbaye de
Macherets était autrefois prieuré, et fut éri-
gée en abbaye par le pape Innocent X en
1650. Ces religieux réformés ont pris l'ancien
babillemenl de l'ordre, qui consistait en une
robe de drap noir, avec un scapulaire auquel
est attaché un capuce qui se termine en
pointe, aussi de couleur noire, avec une
ceinture de cuir.
Mémoires manuscrits.
GRANDMONTAINS. Voy. Guandmont.
GRIGNANS (Règle des). Voy. Césaire
(Saint-) ad calcem.
GRISES (Soeurs).
Des religieuses hospitalières du Tiers Ordrt
de Saint-François dites les Sœurs Grises.
Peu après la naissance du Tiers Ordre de
Saint-François, l'on confia aux frères et aux
sœurs qui en faisaient profession la conduite
des hôpitaux et des maisons les plus célè-
bres, pour les exercices de charité : ce qui a
été cause que dans la suite ou a formé des
congrégations particulières d'hospitaliers et
d'hospitalières de cet ordre. Gui de Joinvillo
ayant fondé sur la fin du xin" siècle l'ordre
des Hospitaliers delà Charité de Notre-Dame,
ils prirent de leur propre autorité la règle
du Tiers Ordre, qu'ils ont suivie jusque sous
le pontificat de Clément VI, qui leur ordonna
de la quitter pour prendre celle de saint Au-
gustin ; et ils commencèrent pour lors à
faire des vœux solennels. Sur la fin du xvic
siècle, les Obregons lurent institués aussi
bien que les Rons-Fieux, qui commencèrent
vers l'an 1015, et qui, sans laire de vœux
solennels, non plus que ces anciens hospita-
liers du même ordre, observent la troisième
règle de saint François avec beaucoup de
fidélité. Il n'en a pas élé de même des Hospi-
talières, qui sous différents noms sont répan-
dues en grand nombre en différentes pro-
vinces de France, d'Allemagne et de Flandre,
puisque dès leur institution elles ont tait des
vœux solennels. Celles qui n'avaient point
de rentes et vivaient des aumônes qu'elles
allaieut chercher, furent appelées Us Sœurs
de ta Celle, et elles allaient servir les malades
hors leurs mouastères ; les autres furent ap-
pelées les Sœurs de la Faille, à cause qu'elles
4-29
G RI
GïU
430
portaient sur leurs habile, quand elles sor-
taient de grands manteaux ou chapes qui
avaient au haut une espèce de chaperon,
ilont elles se couvraient le visage pour c'étre
point vues aisément, comme on a pu remar-
quer dans la ligure que nous en avons ci-
ilevanl donnée. Celles qui exerçaient dans
leurs hôpitaux la charité envers les malades
ou le^ pèlerin*! forint appelées simplement
Hospitalières; elles vivaient de leurs renies
et ne mendiaient point. Enfin il y en a eu
d'autres qu'on a appelées les Sceitrs Grises, à
cause qu'elles étaient habillées de gris blanc.
Celles-ci sont encore en grand nombre, Dl ont
toujours retenu le nom de Sieurs Grises,
quoique la plupart soient présentement ha-
billées de blanc, quelques-unes de noir, et
d'autres de bleu obscur.
Les Sœurs Grises de Flandre et de France
avaient toujours été sous ia juridielion et
l'obéissance du provincial des Frères-Mi-
neurs de a province de France parisienne;
mais depuis que la réforme des Recollets a
été introduite eu ces quartiers, quelques-
unes de ces Sœurs Grises se sont soumises
à leur obéissance. L'an 1483, le P. Jean
Ch r. ehin, v. taire provincial de la province
de France parisienne, et le P. Jacques Stoe-
llin, visiteur de ces hospitalières, ayant
dressé des statuts pour elles, les supérieures
et quelques religieuses députées des couvents
de Saint-Om r, Dunkcrquc, Boulogne, Bour-
bourg, l'Fcluse, Wissebecq, Viannc, Nieu-
port, Ostende, Mous, Douai, Ave-ms, Pro-
pingues, Berge Saint -Vinoe, Bcaumont,
Ardre, Bray-sur-Somme, Nivelle, Amiens,
Bruges, Tournai et autres, se trouvèrent à
Wissebecq, où ces statuts furent reçus par
Ces icligieuses. Ils contiennent sept chapitres,
dont le premier traite de la réception des
sœurs ; le second, du service divin ; le troi-
sième, de ce que les sœurs doivent faire étant
à la maison ; le quatrième, de ce qu'elles
doivi ni observer étant auprès des malades ;
le cinquième, de la manière qu'elles se doi-
vent comporter hors le couvent; le sixième,
de la correction des sœurs quand elles font
quelques fautes ; et le septième, des prières et
suffrages pour celles qui seraient décidées.
Elles doivent se lever à minuit pour dire les
matines du petit office de la sainte Vierge,
et demeurer ensuite en récolleclion et à
l'oraison jusqu'à deux heures, qu'elles re-
tournent au dortoir pour repos; r jusqu'à cinq
heures du malin en élé, et à six en hi\er,
qu'elles disent primes, tierce et sexte, qui
sont suivies de la messe conventuelle, après
laquelle elle? vont travailler en commun en
gardant le silence, jusqu'à diner. Depuis le
diner jusqu'à trois heures, elles retournent
au travail, et disent ensuite vêpres, après
lesquelles elles vont encore travailler jusqu'au
souper. Quand elles sont envoyées dehors
pour le service des malades, elles vont tou-
jours deux ensemble ; elles ne doivent point
se séparer, mais aller directement où elles
sont envoyées, et, afin d'éviter la familiarité
avec les séculiers, elles ne doivent pas veil-
ler plus de trois jours dans uue même mai-
son. Quand elles sont envoyées par la supé-
rieure pour d'autres affaires, elles ne doi-
vent ni boire ni manger hors le couvent
qu'avec une permission expresse. Toutes les
semaines on lient le ehapitre au moins une
fois, et deux ou trois fois s'il est nécessaire,
pour reconnaître leurs fautes devant la su-
périeure. Les jeûnes et abstinences sont les
mêmes que ceux qui sont ordonnés bar la
règle. Voici la formule de leurs vœux : Je
t\. voue et promets à Dieu, à la glorieuse
vierge Marie, à saint François, à tous les
suints, et à vous, ma révérende Mère, </' tre
tous les jours de ma vie obéissante à notre
saint père le pipe et à ses successeurs cunod-
quement élus, et vivre en obéissance et p u-
vreté sans propre et en chasteté, et garder ta
troisième règle de saint Français confirmée
par le pape Nicolas IV, à la discrétion de
mes supérieurs.
Elles tenaient autrefois des assemblées
générales de toutes les supérieures des mo-
nastères de leur ordre, mais cela ne se pra-
tique plus à présent. Plusieurs de ces Hos-
pitalières ont même embrassé la clôture,
comme celles d'Amiens, de Montreuil, de
Douriens, d » Rue. de Saint-Qui nlin, de Mon-
didier, de Neufcliâlel, de Grandv illiers , de
Gournai, de Bernai, de Mons, et d'antres dont
quelques-unes n'ont pas pour cela abandon-
né l'hospitalité, qu'elles exercent chez elle-;,
soit à l'égard des pèlerins, soit à l'égard des
mal, ides; et celles-ci ont des constitutions
particulières. Il y a aussi des Sœurs de la
Celle qui ont pris la clôture. Les maires et
échevins de Beauvais, voyant que celles qui
étaient établies dans leur ville, où elles s'emi
ployaient au service des malades, voulaient
prendre la clôture, s'y opposèrent l'an 1627,
et eurent recours à l'autorité du parlement
de Paris pour les en empêcher; mais le par-
lement, par un arrêt du 4- août 1629, accor-
da la demande des religieuses, à condition
qu'elles abandonneraient la maison qui leur
avait élé donnée par la ville et qui était au-
trefois un béguinage. Cependant, ces reli-
gieuses ayant fait voir qu'elles avaient ac-
quis la plus grande partie du lieu où elles
demeuraient, elles lurent confirmées dans la
possession de ce béguinage, et la réforme fut
introduite dans leur maison avec la clôture,
l'an 1630. L'évêquc de Toul, Henri de Thiard
de Bissi, depuis évëque de Meaux et cardi-
nal de la sainte Eglise romaine, voulut obli-
ger les Sœurs Grises de Nancy à recevoir
aussi la clôture: ce prélat donna pour cet
effet une ordonnance le 31 octobre 1096;
mais ces religieuses en appelèrent comme
d'abus au parlement de Metz, et elles sont
demeurées dans leur premier état.
Quoique ces Hospitalières soient appelées
Sœurs Grises, à cause de leurs habits gris,
qu'elles portaient autrefois avec un voile
blanc, il y en a néanmoins plusieurs qui sont
habillées de blanc avec un scapulaire de
même et un voile noir, principalement celles
de Lorraine, et il y en a d'autres qui sont ha-
billées de noir, et d'autres de bleu obscur.
Nous donnons seulement ici l'habillement
4"1
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
432
<]c celles oc Lorraine el de ces anciennes
Hospilalièresqui étaient habillées de gris(l).
Luc Wading, Annal. Minor. Factums im-
primés pour les Sœurs Grises de Nancy. Leurs
constitutions manuscrites ; et Louvet, Anti-
quité de Henuvnis.
Dès l'an 1300, un saint prêtre ayant fondé
un hôpital dans la ville de Mons pour de
pauvres femmes, il en donna le soin à des
séculières, et l'administration aux magistrats
de la ville, qui, l'an 1470, peu contents de
ces séculières, y firent venir des religieuses
du Tiers Ordre de Saint-François, 'lu mo-
nastère de Brugelelle, à trois lieues de celle
ville, afin que, comme elles ne gardaient
point de clôture, elles pussent soigner les
malades dans leurs propres maisons. La mère
Claire Hambray, en étant supérieure l'an
1048, fit son possible pour réformer ce mo-
nastère, où les religieuses, quoique sous
l'habit de Saint-François, ne laissaient pas
d'avoir un air assez mondain, comme on
peut voir dans la ligure que nous donnons
d'une de ces anciennes religieuses (2). Elle
voulut pour cet effet les obliger à la clôture ;
mais, les magistrats et les principaux bour-
geois de la ville s'y étant opposés, elle se
contenta d'introduire peu à peu la réforme
par ses bons exemples et par le retranche-
ment des sorties fréquentes, ne permettant
à ses religieuses de sortir du monastère que
rarement el pour des affaires urgentes el ab-
solument nécessaires. Elle obtint la permis-
sion de faire dire le grand office de l'Eglise
selon l'usage de l'Eglise romaine et de l'or-
dre de Saint-François, et, outre les Irois
vœux ordinaires, ses religieuses en ajoutè-
rent un quatrième, de garder la règle du
Tiers Ordre de Saint-François réformée par
Léon X. La même année, le P. Marchant,
commissaire général de l'ordre, leur permit
de porter un habit brun au lieu de celui
qu'elles avaient, qui était gris blanc; et cet
habit consiste en une robe, un scapulaire sur
lequel il y a l'image de la sainte Vierge, et
un manteau descendant jusqu'aux talons. 11
leur permit aussi de porter le voile noir en
ayant toujours eu un blanc jusqu'alors,
Enfin, l'an 1089, la mère Jésus-Marie de
Sainte-Hélène, de l'illustre famille de, iiryas,
étant supérieure et désirant voir ses reli-
gieuses cloîtrées, sollicita son frère Jacques
de Bryas.pour lors archevêque de Cambrai,
d'obtenir cette permission des magistrats de
Mons, qui ne purent refuser à ce prélat une
demande si juste; et ces religieuses embras-
sèrent la clôture et prirent !e nom de Sœurs
Grises Réformées. Cette digne supérieure
avait été chanoinesse dans l'illustre chapitre
de Sainte-Vaudru de la même ville, et était
entrée ensuite dans ce monastère, où peu de
temps après sa profession elle fut élue su-
périeure; et, pendant \ingl-neuf ans qu'elle
a exercé celte charge, elle a leçu quarante-
sept filles à la profession, sans avoir jamais
eu en vue aucun intérêt temporel. Elle était
infatigable aux offices divins et en tout ce
(t) Voi/., i la fin du vol., n<" 07 et 98.
qui regardait le service de Dieu et la disci-
pline régulière. Elle était douce aux autres,
très-sévère à elle-même; el, après avoir ser-
vi à ses filles de modèle de charité, de pa-
tience, d'humilité et de toutes les autres ver-
tus chrétiennes, elle mourut l'an 1G99. Voici
les instructions qu'elle laissa à ses filles en
mourant, selon le témoignage du P. Fran-
çois Mosens, son confesseur. Elle les exhor-
ta d'être toujours fidèles à Dieu, d'observer
inviolablement ce qu'elles lui avaient pro-
mis le jour de leur profession, et d'avoir un
grand zèle pour tout ce qui regarde son ser-
vice et leur institut. Elle leur recommanda
la pauvreté, qui a toujours été le caractère
particulier de cette maison depuis que la ré-
forme y a été établie, et de ne pas se servir
de la moindre chose sans la permission de
la supérieure. Elle leur recommanda aussi
la charité et l'union, sans laquelle Dieu ne
pouvait pas demeurer parmi elles ni régner
dans leurs cœurs, les avertissant que par
celte vertu divine elles seraient toutes en
Dieu et pour Dieu, et qu'elles devaient dissi-
muler et supporter les unes et les autres
leurs faiblesses. Elle les conjura de n'avoir
jamais d'autres désirs ni d'autre ambition
que de plaire à Dieu, et de faire toutes leurs
actions avec autant de perfection qu'elles
voudraient les avoir faites à l'heure de la
mort. Enfin elle les pria de ne jamais s'oc-
cuper (iue de Dieu el d'elles-mêmes, sans
s'arrêter ni aux actions ni à la conduite des
autres. Tels furent les derniers sentiments
de cette sainte supérieure, qui mourut âgée
de soixante-cinq ans.
Mémoires envoyés de Mons en 1711.
GROTTE. Voy. Mont-Cassin.
GUASTALINÉS. Voy. Angéliques.
GUILLAUME (Province de Saint-). Voy.
Adglstins (Ermites de Saixt-).
GUILLELM1TES (Moines).
Des moines Guillelmitet, avec la vie de saint
Guillaume le Grand, ermite de Malaval, leur
fondateur.
De tous les auteurs qui ont écrit de l'ordre
des Guillelmites et de leur fondateur, il y en
a très-peu qui l'aient fait conformément à la
vérité, faute apparemment de s'être donné la
peine de la chercher dans l'histoire, ou de
faire une juste combinaison des lieux, des
temps et des personnes qui faisaient la ma-
tière du sujet qu'ils traitaient. Mais, entre
ces auteurs, M. Herman, curé de Maltot, est
celui quia le plus erré dans ce qu'il dit de
cet ordre (dans son livre de l'Etablissement
des ordres religieux) tant au sujet du nom de
lUuncs-Manleaux (qu'il préleud leur avoir
été donné par rapport aux manteaux qu'ils
portaient de cete couleur; qu'au sujet de
leur fondateur. Sa première erreur au sujet
du nom est facile à détruire, puisqu'il n'est
pas vrai que ces religieux aient jamais porté
de manteaux blancs, et qu'il est très-sûr qu'il
n'y eut que ceux qui demeuraient dans le
(2) Voy., à la fin du vol., »<" U9 el 100.
455
GUI
'
GUI
431
monastère de Paris qui portassent ce nom,
par rapport aux religieux qui l'avaient oc-
cupé avant eux, qui, étant servîtes ou serfs,
portaient des manteaux blancs, et laissèrent
le nom de Bttmcs-Manleaux au monastère,
et non pas à la congrégation qui vint s'y
établir après eux, dont le véritable nom était
celui de Saint-Guillaume du Désert, comme
il est facile de le voir par l'acte de la consé-
cration de l'église des Billeltes à Paris, faite
l'an 1-V08 par un évêque de Nassau, qui de-
meurait pour lors à ce monastère de Saint-
Guillaume : Jouîmes miseratione divina epi-
scopus Nassoriensis P. resiilens in domo
religiosorum Snncti Guillelmi de Desertis ,
alias de Albis Muntellis. La seconde erreur
de cet écrivain n'est pas moins grande, lors-
qu'il dit que les auteurs ont confondu leur
fondateur avec celui du Mont-Vierge. Il ne
cite aucun de ces auteurs ; et il a raison en
cela, car il aurait bien de la peine à en
nommer aucun. Il confond lui-même, puis-
qu'il n'est pas vrai que les auteurs aient
confondu saint Guillaume de Malaval avec
saint Guillaume, fondateur du Mont-Vierge,
mais bien avec un autre saint du même nom,
fondateur du Val-des-Ecoliers, comme le re-
marque Fort bien le P. Henschenhs dans la
dissertation qu'il a fait ajouter à la vie de
saint Guillaume ermite, qui se trouve dans
le second tome de février des Acles des Saints
de Bollandus, au 10 do ce mois.
Ce n'est pas seulement avec saint Guil-
laume fondateur du Val-des-Ecoliers, que
l'on a confondu saint Guillaume fondateur
des Guillelmiles, puisque Krantius, dans son
Histoire de Sa\e, liv. v, dit qu'il croit qu'il
était Guillaume IV, surnommé le Fier à bras.
Quelques-uns l'ont pris pour Guillaume VIII,
duc de Guyenne; quelques autres pour son
fils Guillaume IX, et plusieurs pour Guil-
laume le Débonnaire, fondateur de Cluny :
en sorte qu'il n'y a presque aucun duc de
Guyenne, à commencer depuis Guillaume II,
dit Tête d'Etoupe, qui n'ait é:é pris pour le
fondateur des Guillelmiles. Enfin, si l'on
veut croire les religieux de cet ordre, ils
n'ont point eu d'autre fondateur que saint
Guillaume IX, duc de Guyenne, converti par
saint Bernard ; mais ils ne sont pas mieux
instruits que les autres : car ils n'en ont
point eu d'autre que celui du désert de Ma-
laval, surnommé le Grand, comme il parait
par cet acte de l'évéque de Nassau, que nous
avons rapporté ci-dessus.
Il est vrai qu'il est fort difficile de dé-
brouiller la vérité du grand nombre de fa-
bles dans lesquelles elle se trouve envelop-
pée par la faute de plusieurs auteurs qui,
attribuant les actions de saint Guillaume I",
duc d'Aquitaine, et de saint Guillaume IX,
duc de Gu\enne, à saint Guillaume de Ma-
laval, et appropriant réciproquement les ac-
tions de celui-ci à ces deux saints ducs, les
ont tellement confondus, que des trois ils
n'eu ont Fuit qu'un, aussi bien que l'auteur
des leçons de l'office de saint Guillaume, qui
se trouve dans le Bréviaire des Ermites de
Saint-Augustin, qui, ne pouvant souffrir les
contrariétés qui s'y trouvent, ont cru être
obligés de les corriger; mais, dans l'idée
qu'ils ont que c'est s <int Guillaume IX qui
est de leur ordre, ils ont corrigé une erreur
par une autre erreur.
Il faudrait une trop grande dissertation
pour f ire voir ces erreurs, aussi bien que
celle des auteurs qui ont écrit sur ces saints.
Bollandus, dans l'endroit que j'ai cité précé-
demment, traite cette matière si amplement,
que le lecteur y trouvera de quoi s'y satis-
faire. Pour moi, il me suffit de croire avec
cet auteur que le fondateur des Guillelmiles
est différent de ces deux saints ducs : ce qui
n'est pas difficile à concevoir, -i on examine
attentivement quelques traits de l'histoire
qui sont particuliers à chacun de ces sai ts,
principalement pour ce qui regarde leur
conversion et le temps et le lieu de leur
mort. Je les rapporte ici eu deux mots, pour
la satisfaction de ceux qui ne voudroni pas
se donner la peine de lire tout ce que dit
Bollandus à ce sujet.
Le premier de ces saints est saint Guil-
laume 1 \ duc d'Aquitaine, contemporain de
Charlemagne, qui mourut dans l'abbaye de
Gellone en Languedoc , où , désabusé des
grandeurs de la terre, il s'était fait moine
avec l'agrément de ce prince, qui crut devoir
son consentement à l'amitié qu'il avait lou-
jours eue pour le duc, aussi bien qu'à la re-
connaissance des grands services qu'il lui
avait rendus et à son Etat par les victoires
qu'il avait remportées sur les Sarrasins, dont
il avait délivré la France en les obligeant de
repasser les Pyrénées.
Le second était Guillaume IX , duc de
Guvenue et d'Aquitaine, qui, étant converti
par saint Bernard, fut si repentant d'avoir
persécuté l'Eglise, et de la vie scandaleuse
qu'il avait menée pendant sa jeunesse, que,
renonçant à toutes choses, il entreprit le
voyage de Saint-Jacques en Galice, où il
mourut en 1137. après avoir fait son testa-
ment, par lequel il laissait ses Etals à Louis
le Jeune, roi de France, surnommé le Dé-
bonnaire, à coudition qu'il épouserait sa fille
Alionore.
Enfin, le troisième est celui qui se retira
dans la vallée de Malaval, où il eut pour
disciple et pour compagnon Albert, entre les
bras duquel il mourut l'an 1157, après avoir
vécu quatre ans dans ce désert, où il donna
le commencement à l'ordre des Guillelmites,
comme il est facile de le voir par sa vie, que
je rapporte telle que nous l'avons reçue d'Al-
bert, qui, en ayant été témoin, doit nous
convaincre de la différence qu'il y a entre
saint Guillaume de Malaval et tous les au-j
Ires de ce nom, et que cet ordre n'a point eu
d'autre fondateur que lui.
Nous ne dirons rien de sa naissance; le
peu de connaissance qu'on en a eu aussi
bien que de sa famille, des occupations de
sa jeunesse et de tout ce qu'il a fait dans le
monde jusqu'à sa conversion, esl cause qu'on
lui a attribué une partie des dérèglements de
Guillaume IX, duc de Guyenne. On croit,
mais sans aucune certitude, que ce saint
ISS
DICTIONNAIHE DES ORDRES RELIGIEUX.
436
était un gentilhomme français qui, après
avoir vécu avec beaucoup de licence dan-;
la profession des aimes, fut louché de Dieu
cl se consacra à son service par le conseil
de quelques solitaires. Il entrepr.t quelques
pèlerinages, soil à Saint-Jacques en Galice,
soit dans la terre sainte : ce qui est encore
traité confusément par les historiens de sa
Vie, les uns prétendant que ce fut à Saint-
Jacques qu'il alla, et d'autres que ce fut le
voyage de Jérusalem qu'il entreprit par les
ordres du pape Eugène III, auquel il s'a-
dre-sa étant à Rome, où il alla d'abord pour
■visiter les tombeaux des saints apôtres. Quoi
qu'il en soit, ce fut au retour de son pèleri-
nage, vers l'an 1153, qu'il vint en Toscane
pour y chercher quelque désert où il pût
Içryir Dieu dans la solitude, éloigné du com-
merce des hommes. L'île de Lupocavio dans
les terres de Pise lui parut favorable à son
dessein ; i! y fixa sa demeure, et y commença
lin genre de vie si édifiant et si saint, qu'en
peu de temps plusieurs personnes se joigni-
rent à lui pour vivre sous sa conduite. Mais
leur ferveur se r.ilenlit peu de temps après,
et leur piété se changea en un si grand dc-
gi ût pour les choses spirituelles, que, ne
voulant plus écouler ses exhortations pu
suivie ses avis, ils l'obligèrent par leur in-
dévotion et leurs mauvaises manières à
quitter celte première solitude et à les aban-
donner.
Il se relira sur le mont Pruno, où il bâtit
Une petite cellule au milieu d'un bois fort
épais. La sainteté de sa vie lui attira encore
quelques nouveaux disciples , qui , après
avoir demeuré quelque temps avec lui, ne se
gouvernèrent pas mieux que les autres à
son égard : car , ayant conçu de l'envie
contre lui, ils le chassèrent honteusement de
ce lieu, et l'outragèrent de paroles, ce qu'il
souffrit avec une modération véritablement
chrétienne et religieuse. Il retourna dans
l'ile de Lupocavio, où n'ayant pas trouvé ses
premiers disciples disposés à le recevoir, il
fixa enfin sa demeure dans une vallée dé-
serte, et dont le seul
aux hommes. El
aspect faisait horreur
s'appelait alors l'Ehible
de Rhodes, et on lui a donné depuis le nom
de Mo.lavul ou Maleval. Cette vallée est si-
tuée dans le territoire de Sienne au diocè-e
de (îrosseto, à une lieue et demie ou environ
de distance presque égale, entre les villes
de Chàlillon, Pescaire, de Iîuriano et de
Scarino.
| Ce fut l'an 1155 qu'il se renferma dans
cette solitude, n'ayant d'abord qu'un trou
^dans la terre pour se mettre à couvert des
injures de l'air, jusqu'à ce que le seigneur
jde Ruriano, ayant pjiié de lui, lui fil faire
une cellule. 11 ne vécut pendant quatre mois
que d'herbes et de racines, n'ayant point
d'autre compagnie que celle des bêles; mais,
au commencement de l'année 1156, il reçut
un diseiple nommé Ail ert, qui vint se ren-
fermer avec lui et qui écrivit les dernières
circonstances de ^a vie, dont il fut le témoin.
Ce saint pratiquait des austérités surpre-
nantes, il jeûnait tous les jours, même les
fêtes ; trois fois la semaine il ne prenait qu'un
peu de nourriture et buvait un peu de vin,
mais si Ireaipé d'eau, qu'il n'y restait que la
couleur de vin ; et les autres jours il jeûnait
au pain et à l'eau, y ajoutant quelquefois
des herbes crues. 11 avait un petit plat qui
lui servait à mesurer son manger, el un petit
vase de bois pour mesurer sa boisson, et
quelque appétit ou quelque soif qu'il eût, il
ne passait jamais ces mesures : encore en
retranchait-il le plus souvent. Il portail con-
tinuellement un ci lice , el n'avait point d'autre
lit qui- la terre nue. Il fut doué sur la fin de
sa \ ie du don de prophétie. Son compagnon
Albert en eut une preuve en sa personne :
car, le voyant près de mourir et se plaignant
à lui-même de ce qu'il le laissait seul, il lui
dit de se consoler, el qu'avant qu'il lui rendit
les derniers devoirs, Dieu lui enverrait une
personne pour remplir sa place et lui îenir
compagnie dans cette solitude. Albert avait
de la peine à ajouter foi aux paroles du saint;
niais il ne larda guère à en voir l'accomplis-
sement : car, sortant de sa cellule, il vil ar-
river un nommé Hcnaud, médecin de pro-
fession, qui apprenant d'Albert l'extrémité
de la maladie de sainl Guillaume, lui té-
moigna le chagrin qu'il en avait, parce que,
voulant renoncer au monde, il était venu
dans le dessein de vivre sous sa conduite.
Albert, craignant que celle circonstance do
la mort du saint ne fit quelque changement
dans son cœur, se jeta à ses pieds, le priant
de ne point changer de dessein; et, afin de
le mieux engager à persévérer dans son bon
désir, il lui dit qu'il se soumettrait à lui, et
lui conseilla de se donner au saint avant
qu'il rendit l'âme. Guillaume le reçut avec
beaucoup de joie, et lui dit de retourner chez
lui pour mettre ordre à ses affaires, el de re-
venir au plus tôt; m lis, pendant que Renaud
y était allé, saint Guillaume mourut entre
les bras d'Alix ri, le 10 février 1157, après
avoir reçu les sacrements de l'Eglise, que
lui apporta un prêlrc de Châtillon qui avait
été averti de sa maladie.
Renaud revint à l'Etahlc de Rhodes ,
comme il avait promis, et aida à enterrer ie
ciips du saint dans son petit jardin. Après
la mort de ce saint homme, dont ils conser-
vèrent l'esprit de pénitence et de mortifica-
tion qu'il leur avait inspiré pendant sa vie,
ils lâchèrent de suivre ses maximes et ses
exemples, et donnèrent ainsi l'origine à l'or-
dre des Guillelmiles. Ils bâtirent un p lit
ermitage avec une chapelle sur le tombeau
de saint Guillaume, el ils commencèrent en
ce saint lieu une vie si exemplaire el si sainte,
qu'ils y attirèrent plusieurs personnes, qui
abandonnant le monde venaient s'y consa-
crer à Dieu et à la pénitence. La bénédic-
tion que Dieu versa sur celte congrégation
paissante fut si grande, qu'elle se trouva
répandue presque par loute l'Italie, la France,
les Pays- Ras cl l'Allemagne, dès le siè le.
suivant. Ils ne vécurent d'abord que selon
les instituts de saint Guillaume, qui étaient
les exemples de ce sainl dont Albert avait
été le fi !èle dépositaire. Leurs jeunes étaient
437
GUI
GUI
431
presque continuels, et ils allaient nu-pieds.
Mais le pape Grégoire IX modéra leurs
grandes austérités leur permit do se chaus-
ser, el leur donna la règle de saint Benoit.
Innocent IV', l'an 1218, leur accorda beau-
coup de privilèges par sa bulle adressée au
prieur général et aux antres prieurs des frè-
res Ermites de l'ordre de Saint-Guillaume,
et il ordonna qu'après le décès du général
ou de ses successeurs on n'en élût aucun que
|par le commun consentement des frères,
{conformément à la règle de saint Benoit,
dont ils faisaient profession, aussi bien que
de l'institut de saint Guillaume.
Alexandre lVr, l'an 1236, ayant fait l'u-
nion de plusieurs ermites de différents or-
dres, dont la plupart suivaient la règle de
saint Augustin, pour n'en faire qu'un seul
sous le nom des Ermites de Saint-Augustin,
les religieux Guillelmites furent compris
dans cette union; mais, ayant représenté au
pape qu'ils avaient toujours suivi les insti-
tuts de saint Guillaume avec la règle de
saint Benoît, qui leur avait été donnée par
Grégoire IX, ce qui avait été confirmé par
Innocent IV, ils prièrent ce pontife de les
laisser toujours dciis le même état. Le pape
eut égard à leur demande, et leur permit,
l'an 1236, de vivre toujours sous la même rè-
gle de saint Benoît et selon l'institut de saint
Guillaume. Cela n'empêcha pas nue plusieurs
couvents de l'ordre des Guillelmites ne se
soumissent aux Augustins; mais Alexandre
IV, sur les remontrances des supérieurs de
l'ordre des Guillelmites, détendit aux reli-
gieux du même ordre de passer dans un au-
tre sans le consentement du chapitre géné-
ral. Nonobstant c/s défenses, les Augustins
ne laissèrent pas d'usurper des couvents de
Guillelmites. sous le même prétexte de l'u-
nion générale qui avait été faite par l'auto-
rité de ce pontife. M 'lis Urbain IV, par une
huile de l'an 1203, défendit aux religieux
qui avaient fait profession dans l'ordre des
Guillelmites de passer dans celui des Augu-
stins sans la permission du sainl-siége.Ceite
dernière bulle donna du scrupule à quelques
Guillelmites qui avec leurs couvents entiers
avaient abandonné les instituts de saint Guil-
laume et la règle de saint Benoît pour em-
brasser celle de saint Augustin, il y avait
entre les autres les monastères de Semans-
liauscm el de Si honlall dans le diocèse de
R.ttisbonnp, qui étaient dans ce cas-là.
Les religieux qui y étaient allèrent pour ce
sujet trouver l'cvêque de cette ville pour le
consulter sur ce qu'ils avaient à faire. Ce
prélat, par ses lettres de la même année
1203, leva leur scrupule et prétendit qu ils
étaient obligés de s'unir aux Augustins. Le
général et le prieur des Guillelmites s'en
plaignirent au pape et de ce que quelques
autres monastères dans les diocèses de Ma-
yeuce, de Constance., de Prague et plu-
sieurs autres d'Allemagne, avaient fait la
môme chose. Ces contestations durèrent
quelques années, el ne furent terminées que
l'an 1206 par sentence du cardinal Etienne
de Hongrie, évoque de Palestrin, protecteur
des Guillelmites, qui, comme commissaire
apostolique du pape Clément IV, ordonna
eue les monastères d'Ibiseliornc du diocèse
de Mayenco, de Puvisen au diocèse de Cons-
tance, et de quelques autres endroits qui
avaient pris la règle de sain! Augustin, re-
tourneraient à l'ordre de Saint-Guillaume,
et que les religieux seraient obligés de re-
prendre les instituts de ce saint et la règle
de sainl Benoit, avec l'habit qu'ils portaient
avant que d'avoir passé à celui des Augu-
stins, el que les autres maisons qui étaient
en contestation, aussi bien que celles qui
étaient en Allemagne et en Hongrie, qui
s'étaient unies aux Augustins, leur reste-
raient : ce qui fut confirmé par le pape.
Les Guillelmites obtinrent du concile de
Bâle l'an 1V35 la confirmation de leurs privi-
lèges. L'ordre était pqur lors divisé en trois
provinces. La première de Toscane, la se-
conde d'Allemagne, et la troisième de Flan-
dre et de France, quoiqu'il n'y eût qu'une
maison de cet ordre dans ce royaume, toutes
les autres étant situées dans les Pays-Bas.
Le P. Henschenius a donné le catalogue des
maisons de ces trois provinces, et entre cel-
les d'Allemagne il ne s'en trouve pas une
de religieuses Guillelmites. Cependant ii y a
encore à présent un monastère de ces reli-
gieuses à Montpellier , dans le Languedoc.
Ces religieux vinrent s'établir au village de
Monlrougc près Paris, l'an 1250, dans le mo-
nastère desMachabèes, d'où ils furent trans-
férés à Paris l'an 1208, le roi Philippe le Bel
leur ayant donné le monastère des religieux
Blancs-Manteaux, ainsi appelés à cause des
manteaux blancs qu'ils portaient, mais dont
le véritable nom était celui de Serviteurs ou
Serfs de la sainte Vierge. Comme cet ordre
était un de ceux qui lurent abolis dans le
concile de Lyon, le pape Boniface VLI obli-
gea les religieux de cet ordre, ou d'entrer
dans celui des Guillelmites, on de leur céder
le monastère qu'ils avaient à Paris. Ces Guil-
lelmites y restèrent jusque vers l'an 1018,
que le prieur de ce monastère y introduisit
les Bénédictins de la congrégation de Saint-
Maur, sous prétexte de le reformer. Ceux-ci
obligèrent une partie des religieux Guillelmi-
tes qei y étaient d'embrasser leur ordre, et
renvoyèrent ceux qui s'y opposèrent. Les
Guillelmites plaidèrent contre les Bénédic-
tins pour rentrer dans la possession de cetto
maison. Les recteurs et suppôts de l'univer-
sité de Paris intervinrent pour eux dans la
cause contre les Bénédictins, sur ce que les
Guillelmites étaient membres de leur corps.
Le plai-ioyer de l'université est rapporté
tout au longdans le second tome de la liiblio-
thèque canonique, aussi bien qu'une longue,
requête que le provincial des Guillelmites
présenta au roi à ce sujet : mais toutes ces
procédures furent inutiles. Le monastère
des Blancs-Manteaux fui adjugé aux Béné-
dictins de la congrégation do Saiut-Maur,
qui étaient encore en quelque façon unis en
ce temps-là avec ceux de la congrég
Saint-Vanne. C'est pourquoi M.
dans la vie de sainl Guillaume, au 1/
(39
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
dit qu'il fui cédé aux religieux de Saint-
Vanne; ceux des Guillelmites qui ne voulu-
rent point embrasser la réforme des Bé-
nédictins se retirèrent à Monlrouge, où
le dernier mourut en 1680. Le Pi-llotior,
dans son Histoire des Ordres religieux, dit
que dès l'an 1615 six religieux Guillelmites
avaient passé contrat le 29 janvier avec le
provincial des Feuillants pour lui remettre
entre les mains le monastère des Blancs-
Manteaux, à condition de leur payer une
pension, mais que les autres religieux s'y
opposèrent, el que l'an 1C18 sept autres reli-
gieux Guillelmites y introduisirent les Béné-
dictins. Chopin dit qu'ils ont encore eu une
maison en France dans la ville de Reims :
ainsi ce serait au plus deux maisons qu'ils
auraient eues dans ce royaume, ce qui est
bien différent de ce qu'a avancé Sylvestre
Maurolic, lorsqu'il a dit que saintGuillaume,
duc de Guyenne, voyant que l'ordre de saint
Augustin était presque aboli en France, fil
en sorte par ses prédications que cet ordre
fût rétabli dans ce royaume, qu'il y fit plu-
sieurs établissements, et qu'il fut le premier
qui par privilège des papes Anastase IV et
Adrien IV abandonna la solilude pour se re-
tirer avec ses religieux dans les villes, el
qu'il fit bâtir un magnifique monastère à Pa-
ris, qui fut le premier de sa congrégation et
de la réforme bâti dans une ville, leur de-
meure étant auparavant dans des ermitages.
Mais cet auteur se trompe dans tous ces ar-
ticles : car, premièrement, saint Guillaume,
duc de Guyenne, n'a jamais été ni fondateur
ui réformateur d'aucune religion, puisqu'il
est mort dans son voyage de Saint-Jacques,
qu'il entreprit aussitôt qu'il fut converti,
c'est-à-dire en 1130 (ce qui fait voir une au-
tre erreur de ce même auteur, qui dit qu'il
vivait encore en 1178). Secondement, le mo-
nastère des Blancs-Manteaux, qui est le
seul que les Guillelmites ont ocrupé à Paris,
ne fut bâli pour ces premiers religieux que
plus de 129 ans après la mort de ce saint,
c'est-à-dire l'an 1258, outre que les reli-
gieux Guillelmites n'y sont entrés que l'an
1298.
Cet ordre n'a présentement qu'environ
douze maisons en Flandre, ayant perdu
tous les monastères qu'il avait en Allemagne
et en Italie. L'Etahle de Rhodes ou Malaval,
qui en était le chef et où résidait le général,
fut détruit durant les guerres des Siennois
et des Florentins. On a rétabli dans la suile
ce monastère, auquel on a donné le nom de
Saint-Guilhimne. Il a été érigé en abbaye et
donné aux ermites de l'ordre de Saiul-Augu-
stin, et le pape Pie IV la donna en coin-
mende l'an 1564 à Barthélémy Conchivi <îe la
famille des comtes de la Penna.Les religieux
de ce monastère, par leur travail et leur in-
dustrie, ont rendu très-commode et Irès-
agréable cet affreux désert qui n'inspirait
auparavant que de la tristesse. Les Guillel-
mites sont présentement gouvernés par un
supérieur qui ne prend que le titre de pro-
vincial et qui s'élit tous les quatre ans. Leur
habillement est semblable à celui des reli-
gieux de Citeaux, dont nous avons donné le
dessin à l'article de ce nom. Ils en ont pris
aussi le bréviaire. Le couvent de Grevem-
brok au pays de Juliers se soumit même en-
tièrement aux lois de Citeaux vers le milieu
du dernier siècle.
Bolland., Act. SS-, tom. II, Febv.,pag. 453
el seq. Ang. Manriq., Annal. Ord, Cister.,
tom. I. Chrysoslom. Henriquez , Fascicul.
Sanct. Cister t., et regul. et eonstitut. ejuëd.
ont. Dubouchet, Biblioth. canonique, tom. II.
Silvest. Maurol., Mur. Océan, di tutti <jl.
relig., png. 272. lîaillel. Vies des SS., 10 fé-
vrier. Herman, Hisl. des Ord. relig.; et Châ-
telain, Martyrologe Romain, tom. I, p. 602.
H
HACHE (ClIEVALlÈRES DE LA), DE l'ÉcIIARPE,
de là Cordelière , des Esclaves de la
Vertu, et de la Vraie-Croix.
Outre les ordres militaires et de chevale-
rie dans lesquels plusieurs dames ont été
agrégées, comme dans ceux de Malle, de
Saint-Jacques , de l'Enée de Calalrava , de
Saint-Etienne, de l'Hermine, du Camail et
quelques autres ; il y a eu aussi des ordres
de chevalerie institués en particulier pour
1rs femmes. Le premier est celui de ta Hache
ou du Passetemps, qui fut institué à Torlose
par Raimond Bèrengér, comte de Barcelone,
vers l'an 1H9. Les Maures, ayant perdu celte
place, la voulurent reprendre quelque temps
après, et l'attaquèrent si vivement, que, la
!> upart des chrétiens qui la défendaient ayant
été tués , ellr était sur le point de retourner
sous la domination des barbares, lorsque les
femmes , prenant les armes, combattirent si
rigoureusement pour la défense de leur pa-
\~(i) yoy., à la fuidu vol.,n* fOU
trie, qu'elles obligèrent les infidèles de se re-
tirer. Le comte de Barcelone, ayant été in-
formé de celte action généreuse, institua en
leur faveur un ordre de chevalerie sous la
nom des dames du Passetemps, qu'on a aussi
appelé de la Hache, à cause qu'elles portaient
sur leurs habits une hache rouge. Le P.
Mendo, dans son Traité des Ordres militaires,
dil qu'elles portaient un flambeau; mais l'ab-
bé Giustiniani, sur le témoignage de Rodri-
gue Mendez Silv-i, historien espagnol, pré-
tend que c'était une hache, et que te qui a
trompé le P. Mendo est le mot espagnol ha-
cha, qui signifie également un flambeau el
une hache (1).
Les femmes de la ville de Placentia en Es-
pagne ne firent pas paraître moins de cou-
rage que celle de Tortose , lorsque les An-
glais, qui l'an 1338 avaient donné secours à
Jean l", roi de Portugal, qui était en guerre
avec Jean 1", roi deCastille, assiégèrent Pla-
441 MAC MAC 44ii
centia. (.es généreuses femmes, ayant pris au bras au-dessus du coude. Elles devaient
les armes pour la défense de leur pays, mi- avoir celle médaille avec la chaîne dans les
rent en fuite les Anglais dans une sortie jours «le cérémonies; et les autres jours elles
qu'elles Orent , et, les ayant obligés de lever portaient seulement une médaille plus petite
le siéu'e, elles procurèrent la paix à leur pa- attachée à un ruban noir (3). Files promet-
tre. Le roi deCastille, pour les récompenser taient d'observer les règles et les statuts de
de leur valeur, leur permil de porter sur cet ordre, >iui furent dressés par l'impcralii-
leurs habits une éebarpe d'or (1), et leur ac- ce, qui en était chef; et, en cas de mort d'une
corda les mêmes privilèges dont jouissaient de ces chevalières, ses héritiers devaient ren-
ies chevaliers de la Bande, qui avaient été dre à celle princesse la grande médaille, et
institués par le roi Alphonse, son aïeul. pouvaient conserver la petite en mémoire de
Anne de Bretagne, reine de France, épou- l'honneur que leur famille avait reçu d'avoir
se de Charles VIII, qui commença à régner eu une chevalière de cet ordre,
l'an 1483, puis de Louis XII, qui lui succéda L'ordre de la Vraie-Croix fut institué par
l'an li98, institua une espèce d'ordre en la même impératrice l'an 1068. Le mol if
l'honneur des cordes dont Noire-Seigneur fut qu'elle eul fui à cause qu'au milieu de l'em-
lié en sa Passion ; et, pour la dévotion qu'elle brasement du palais impérial, qui arriva la
avait à saint François d'Assise, dont elle por- même année, une croix qu'elle avait et qui
tait le cordon, elle donna à cet ordre le nom était faite de deux morceaux de la vraiecroix,
de la Cordelière, et pour marque ou devise un se trouva miraculeusement préservée des
collier fait d'une corde à plusieurs nœuds en- llammes; et, pour en marquer sa reconnais-
tre'acés de lacs d'amour {-2), dont elle honora sance à liieu , elle voulut établir une com-
les principales dames de sa cour pour le met- pagnie de dames sous le lilre de dames de la
tre autour de leurs armes. M. Herman, dans Vraie-Croix, dont les obligations étaient d'ho-
son Hisloire des Ordres militaires, dit que norer particulièrement la croix où Jésus-
celte princesse institua cet ordre après la Christ avait été attaché pour nos péchés , de
mort de Charles Vlil, et qu'elle prit ces pa- procurer sa gloire et son service, et de tra-
roles pour devise : J'ai le corps délie, faisant vailler principalement au salut de leur âme.
allusion au mot cordelière, parce que la mort Pour les distinguer, elle leur donna une croix
de son mari l'avait affranchie des lois el du d'or au milieu de laquelle il y avait deux li-
joug du mariage; mais celle cordelière, corn- gnes, qui régnaient dars le long et le travers,
posée de plusieurs nœuds, et qui des ail en- qui étaient de couleur de bois pour marquer
tourer les armes , signifiait plutôt un enga- la vraie croix ; aux extrémités de celte cioix
gemenl qu'un affranchissement de lois; et il il y avait quatre cloiles, et aux quatre angles
y a bien de l'apparent que cet auteur s'est des aigles no:res qui tenaient chacune un rou-
Irompé, el qu'il a pris Anne de Br< Lagne, leau, sur lequel il y avait en écrit ces paio-
reine de France, pour Louise de la Tour- les : Salus et gloria. Files la devaient porter
d'Auvergne, veuve de Claude de Montagu, sur l'estomac au côté gauche , attachée à un
de la maison des anciens ducs de Bourgogne, ruban noir (i). La sainle Vierge et saint Jo-
qui, comme dit le P. Ménestrier, prii pour sept» furent choisis pour patrons et protec-
devise, après la mort de son mari, une corde- leurs de cet ordre , qui fut approuvé par le
lière à nœuds déliés el rompus a»ec ces mots : pape Clément X. Ce pontife lui accorda beau»
J'ai le corps délié. Anne de Bretagne avait coup d'indulgences, el les règles et les slaluts
plutôt voulu imiter ie duc de Bretagne Fran- furent dressés par le P. Jean-Baptiste Mani,
çois II. qui, pour la dévotion qu'il avait à de la compagnie de Jésus. L'impératrice Eléo-
sainl François d'Assise, mit un semblable nore, Madeleine-Thérèse de Neubourg, veu-
cordon autour de ses armes vers l'an lii-0, et ve de Léopold , est présentement chef de cet
01 sa devise de deux cordelières à nœuds ser- ordre ; et le troisième jour de mai , fêle de
rés comme les cordoes qu'on nomme de saint l'Invention delà sainte croix de l'an 1709 ,
François. Aujourd'hui toutes les veuves de elle le donna à l'archiduchesse Marie-Joseph,
qualité mettent autour de leurs armes une fille aînée de l'empereur Joseph, et à trente-
cordelière semblable à telle d'Anne de Bre- deux dames , dans l'église de !a maison pro-
tagne. fesse des Jésuites de Vienne.
L impératrice Eléonore de Gonzague, veuve Bernard Giuslin a ni, Hist.di tut t. gli.Ord.
de Ferdinand 111, institua deux ordres à militari. L'on peut voir aussi, pour les or-
Vienne en Autriche, l'un sous le nom des Es- dres de la Vraie-Croix et de la Cordelière,
claves de la vertu, et l'a u ire de la Vraie- M. Herman ; et, pour ceux de la Hache et de
Croix. Le premier fut établi l'an 1662. Il ne l'Écharpe , le P. Mendo, dans son Traité des
devait être composéquede trente dames d'une Ordrts militaires.
noblesse distinguée, outre les princesses, Outre ces ordres particulièrement institués
dont le nombre n'était point limité. L'impé- pour des femmes, il y en a aus-i d'autres qui
ratrice leur donna pour marque de leur or- se donnent indifféremment aux hommes et
dre une médaille d'or représentant un soleil aux femmes , comme celui de l'Amarante,
dans une couronne de laurier, avec celte lé- institué par la reine de Suède, dont nous par-
gende tout autour: Sola ubiuue triumphat. lerons à l'article Séraphin, et celui de la
Cette médaille était attachée à une chaîne Mouche à miel, que Louise-Bénédictine de
d'or en forme de bracelet qu'elles porlaieut Bourbon, épouse de Louis-Augusle de Bour-
(1) Yoy., à la lin du vol., n" 1U2. (•") Voy., ibid., n° 101.
{•!) Yvy., ibid., n° 105. (4) Vuy., ibid., u* 105.
U5 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
bon, duc du Maine et souverain de Dombes,
institua à Sceaux le k juin 1703. La marque
de cet ordre est une médaille d'or que donne
celte princesse, où d'un côté il y a son por-
trait, et de l'autre une mouche à miel avec
cette devise : Je suis petite; mais mes piqûres
sont profondes.
HALL dans le Tyiiol et de CASTIGLIONE
DE STIVIERA dans le Mantouan (société
DES VIERGES DE).
Trois princesses de la maison d'Autriche,
filles de l'empereur Ferdinand I", savoir
Madeleine, Marguerite et Hélène, ne vou-
lant point avoir d'autre époux que Jésus-
Christ, prirent la résolution de vivre dans la
retraite, éloignées du tumulte el de l'em-
barras de la cour; mais, comme elles ne
voulaient point quitter les Pères de la
compagnie de Jésus, sous la direction des-
quels elles s'étaient mises, et qu'elles appré-
hendaient qu'elles n'eussent pas celte liberté
en se renfermant dans un monastère, elles
établirent une communauté de filles dans
Hall, ville du Tyrol, pour s'y retirer et y
vivre sous la direction et la discipline de ces
Pères, auxquels elles fondèrent aussi un col-
«4
Conrad Janning, apud Bolland. Act. SS.
t»m. IV ,Junii; et Philippe Bonanni, Catalog.
Ord. Religios. part, m, paq. 32.
Trente-cinq ans ou environ après cet éta-
blissement, trois autres soeurs princesses i!e
la maison de Gonzague, soit à l'exemple de
ces princesses de la maison d'Autriche, ou
par quelque autre motif, établirent une pa^-
peille communauté de filles dans la ville do
Castiglione de Stiviera. Ces trois princesses
fuient Cynthie, Olympie et Guidonie, filles
de Rodolphe, prince de Castiglione, et nièces
du bienheureux Louis de Gonzague , de la
Compagnie de Jésus. Leur père étant mort,
l'an 1592, sans laisser aucun enfant mâle, el
le prince François de Gonzague, son frère,
lui ayant succédé dans la principauté de
Castiglione, elles furent envoyées à Mantoue
pour y être élevées dans la maison du mar-
quis Aliprandi, sous la conduite de la mar-
quise son épouse, leur aïeule maternelle, et
elles y demeurèrent jusqu'à ce que le prince
François, leur oncle, qui était à la cour de
l'empereur Rodolphe II lorsque son frère
mourut, étant retourné à Castiglione, prit
leur tutelle, et les fit venir auprès de lui.
Déjà Cynthie el Olympie, quoique enfants,
lége dans la même ville. Files écrivirent avaient pris la résolution de vivre dans la
d'Inspruck, où elles demeuraient, à saint retraite, el n'attendaient que l'âge nécessaire
François de Borgia, pour lors général de la
compagnie de Jésus, afin d'avoir son consen-
tement, qu'il accorda volontiers; et, l'ayant
reçu, elles achetèrent à Hall deux maisons,
l'une pour elles et l'autre pour les Jésuites.
Mais, pendant que l'on disposait leur maison
cl que l'on bâtissait les lieux réguliers, la
princesse Marguerite mourut; ainsi il n'y
eut que ses deux sœurs Madeleine et Hé-
lène qui, avec quelques autres demoiselles
de qualité, entrèrent dans cette communauté,
le second dimanche de Pavent de l'an 1569,
et quelques jours après les Pères de la Com-
pagnie de Jésus prirent possession du col-
lège que ces princesses leur avaient fondé.
Ces filles fonl un vœu solennel de chasteté
perpétuelle, el promettent à leur supérieure
pauvreté et obéissance, ne pouvant disposer
d'aucune chose sans sa permission. Files
emploient la matinée à la prière et à l'o-
raison, el l'après-dînée elles s'occupent au
travail et aux exercices corporels. Files ne
gardent point de clôture, et sortent pour
aller entendre la messe, se confesser et com-
munier dans l'église des Jésuiles ; quelquefois
il leur est permis de sortir de la ville pour
aller se promener, ou pour visiter les terres
qui leur appartiennent : elles vont toujours
deux à deux. Leur habillement (1) dans la
maison consiste en une robe ou tunique de
laine noire traînante par derrière : elles
ont un petit collet ; et, pour couvrir leur lête,
pour exécuter ce pieux dessein, lorsqu'elles
apprirent avec beaucoup de chigrin la réso-
lution que leur oncle (qui ne pensait qu'à
les établir dans le inonde) avait prise de les
envoyer à la cour d'Espagne el à celle de
Savoie : ce qu'elles résolurent d'empêcher
autant qu'il leur serait possible, principale-
ment par là prière et l'oraison, qui leur pa-
rurent les moyens les plus puissants pour
détourner ce coup , qu'elles regardaient
comme un obstacle que le démon niellait à
l'exécution de leur projet, qu'elles recom-
mandèrent à la sainte Vierge en implorant
sa protection.
La confiance que ces saintes princesses
eurent dans le secours du ciel ne fut pas sans
effet; car nonobstant toutes les mesures que
le prince avait prises pour envoyer les deux
aînées à la cour de Savoie, et de mener la
plus jeune à Rome, où il était envoyé par le
roi d'Espagne en qualité d'ambassadeur
auprès de Paul V, pour ensuite la conduire
en Espagne, tous ces projets n'eurent aucun
effet, par la sollicitation de Marguerite de
Gonzague, sœur de Vincent de Gonzague
duc de Mantoue, el veuve du duc de Fer-
rare, qui, ayant fondé à Mantoue un monas-
tère de religieuses de Sainte-Claire, où elle
se retira, voulut avoir la princesse Olympie
pour être élevée auprès d'elle. Gridonie lui
mise dans le monastère de Saint-Jean de la
même ville, et Cynthie, qui élaiU'aînée, suivit
elles mettent un petit voile blanc, avec un le prince à Rome, où, d'abord qu'elle lut a
bonnet par-dessus en forme de loque. Lors- rivée, elle lit vœu de virginité, el prit la réso-
qu'elles sortent, elles ôtent ce bonnet, el lution de fonder un institut conforme à celui
portent un chapeau pointu, à la manière du de la Compagnie de Jésus, et de vivre sous
pays, avec un petit manteau qui ne vient la direction de ces Pères. Cette sainte prin-
que jusqu'à la ceinture, ou un peu plus bas, cesse étant retournée à Castiglione au coui-
(1) Vmj., a la lin du vol., n°<> 1 0G et HI7.
4«
I1À1.
II AL
416
inenrcmcnt de l'année 1007, et y ayant trouvé
sa sœur Olympie, âgée pour lors do seize
ftns, elle lui découvrit la résolution qu'elle
avait prise. Olympie, qui avait voulu em-
brasser l'ordre de Sainte-Claire dans le mo-
nastère qui avait éié fondé à Mantoue par la
duchesse de Ferrare, mais que ses infirmités
avaient obligée de quitter avant qu'elle y
eût prononcé ses vœux, approuva la réso-
lution de sa sœur, et voulut lui servir de
compagne. Leur autre sœur Gridonie, qui
riait la plus jeune, voulut aussi les suivre,
nonobstant le des-ein qu'elle avait formé
o'acro npagner son onrle, qui était sur sou
départ pour aller à la cour d'Espagne. Ainsi
C( s trois princesses, d'un commun consen-
tement, cédèrent au prince de Casliglione
tous les biens qui leur pouvaient appartenir,
tant du côté de leur père que de leur mère, à
eoodiii m qu'il Fonderait deux maisons, l'une
pour elles, et l'autre pour les Pères de la
compagnie de Jésus : ce q i ayant été ac-
cepté de part et d'antre, elles sortirent le
premier juin de l'an 1607 du palais du prince,
où elles avaient pris naissance, et allèrent
demeurer dans celui du marquis et de la
marquise Aliprandi, leurs aïeuls maternels,
qui. après avoir marié leur fille au prince
Rodolphe, étaient venus demeurer à Casli-
glione, où ils avaient fait bâtir ce palais avec
beaucoup de magnificence. Ce fut là qu'elles
commencèrent leur communauté, qui fut d'a-
bord composée de treize filles. Klles y de-
meurèrent | codant quatre mois sans changer
leur habillement , s'occupant pendant ce
temps-là à divers exercices de pieté pour se
disposer à l'institut qu'elles voulaient em-
brasser sous la direction du P. Cépaire de la
Compagnie de Jésus, qui était venu pour cet
effet de Rome à Castiglione. Elles quittèrent
ensuite leurs habits mondains pour en
prendre un noir, tel qu'il est représenté dans
la figure que nous en donnons (1). Le P. Cé-
paire dressa leurs constitutions, qu'elles ob-
servèrent exactement ; et cet institut, qui prit
le nom de Vierges de Jésus, fut approuvé de
vive voix par le pape Paul V. Cynthie fut la
première supérieure de celle communauté,
jusqu'en l'an i62i, que ses grandes infirmités
l'obligèrent à se démettre de cette charge en
faveur de sa so'ur Olympie, qui néanmoins
mourut devant elle l'an 1645. Cynihie vécut
encore quatre ans, et mourut l'an 1649. Elle
fut suivie environ dix-huit mois après par sa
sœur Gridonie, qui quiila ce monde l'an 1050.
Dieu, pour manifester la sainteté de ces trois
sœurs, a voulu préserver leurs corps de cor-
ruption : car ils furent trouvés environ trente
ans après tout entiers, quoique leurs cer-
cueils fus:. eut pourris, et que les babils dans
lesquels elles avai> nt été ensevelies fussent
mangés des vers. Celle communauté a pro-
duit aussi plusieurs saintes filles d'une èmi-
nenle vertu : comme Olympie Berlonacei de
Castiglione, Hippolyte Giugini de .Milan, qui
furent les premières compagnes des fonda-
trices ; Isabelle Fracassani, \ ictoire deGuidi-
t'e-Bagno, et plusieurs autres. Marie de Gou-
zague, fille du marquis Louis-François do
Gonzagueel de Catherine de Gonzagoe, prit
aussi l'habit de eei instHutl'an 104-5.
Ces Vierges de Jésus ne gardent point de
clôture. Elles l'ont vœu de chasteté perpé-
tuelle , et promettent par serment qu'elles
vivront et mourront dans celte société de
Vierges. Elles promettent encore à l'abbesse,
et à celles qui lui succéderont , obéissance
perpétuelle : ce qu'elles font pendant la
messe qui se dit dans leur chapelle domes-
tique, en présence deloute la communauté;
et elles renouvellent ce vœu et ces promes-
ses deux fois l'année; la première le jour
de la Circoncision, et la seconde le jour de
la fête du bienheureux Louis de Gonzagoe ,
après avoir fait auparavant une retraite de
trois jours. Elles se confessent et commu-
nient trois fois la semaine . le dimanche, le
mercredi et le vendredi. Elles jeûnent tous
les samedis et la veille de la léle du bien-
heureux Louis de Gonzague. Le vendredi
elles ne soupenl point et prennent la disci-
pline. Le mercredi elles ne mangent puint de
viande, et ne font le soir qu'un léger souper.
L'élé elles se lèvent à quatre heures du ma-
tin, et l'hiver à cinq, et font dans leurs cham-
bres une heure d'oraison mentale. Elles vont
ensuite à leur chapelle pour dire l'office de
la Vierge; et, après qu'on a lu un chapitre
de l'Imitation de Jésus-Christ, elles vont
travailler en commun. Vers le midi elles font
un quart d'heure d'examen de conscience, et
vont ensuite au réfectoire ; el le dîner étant
fini, elles ont une heure de récréation, après
laquelle elles récitent les litanies de la sainte
Vierge dans leur chapelle, d'où elles sortent
pour aller chacune dans leur chambre, faire
la méridienne pendant une heure: ensuite
elles disent vêpres et complies, el vont au
travail comme le malin. Après le travail elles
disent .Matines et Laudes pour le lendemain,
en faisant, aussi bien qu'a vêpres, mémoire
du bienheureux Louis de Gonzayue. Après
les matines, elles vont souper, el ont ensuite
encore une heure de récréation, laquelle
étant finie, elles disent les litanies des saints
et d'autres prières; et après un quart d'heure
d'examen de conscience, elles se retirent
dans leur chambre pour se reposer. Ces til-
les vont se confesser et communier à l'église
des Jésuites, dans laquelle elles ont leur sé-
pulture qui est couverte d'une tombe de mar-
bre, où sont écrits ces mois: Ossa Virginum
Jesu. Celles qui veulent être reçues dans
cette société doivent être nobles, ou au
moins de famille honorable, et apporter une
dot suffisante. La supérieure a le litre d'ab!
besse ; celle qui gouverne sous elle, le nom
de ministre, el a soin du temporel de la mai-
son. Il y a une mailresse des novices et quel-
ques autres oi'ficières.
Poinp. Savazin , Vit. Olympiœ Gonzag.
Bollaml. Ad. SS. (om. lV,junii, pag. 1155;
el Phiiip. Bonanni. Cataloq. Ont. lieligios.,
part. m.
(tj Voy.,\ la fin du vol., n° I08.
W7
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
418
HAUDRIFTTES (Religieuses), présentement
appelées les Filles de l'Assomption de No-
tre-Dame.
Il y a eu à Paris des religieuses hospita-
lières sous le nom d'Haudrïettes, qui lurent
fondées du temps du roi saint Louis par
Etienne Haudry, l'un des secrétaires de ce
prince. Il le suivit dans la terre sainte ; et ,
a son retour en France, il eut la dévotion de
faire encore le voyage de Saint- Jacques en
Gaiice. Sa femme, qui se nommait Jeanne la
Dalone, ayant été un temps considérable sans
recevoir de ses nouvelles, se consacra au ser-
vice de Dieu, s'enfermanl dans une maison
qui lui appartenait dans la rue de la Mor-
telle! ie, avec quelques autres femmes, et elle
y vécut dans les exercices de piélé, d'orai-
son et de mortification'. Elles ne laissaient
entrer personne dans celte maison, qui élait
bâtie en forme de monastère, et elles n'en
sortaient que les dimanches et les fêles pour
aller entendre la parole de Dieu et assister
aux offices divins.
Ayant ainsi passé quelque temps dans cette
maison, Etienne Haudry, élant de retour,
voulut reprendre sa femme ; mais il y trouva
de la difficulté de sa part, sur ce qu'elle avait
fait vœu de chasteté, ce qui obligea Haudry
d'aller à Rome pour en obtenir dispense du
pape, qui la lui accorda à condition qu'en
reprenant sa femme il laisserait un fonds à
cetie maison pour entretenir et nourrir douze
pauvres femmes ; à quoi il satisfit ; et depuis
ce temps-la on appela ces femmes Haudrieltis,
du nom de leur fondateur.
Leur nombre s'augmenta dans la suite;
car les anciens statuts de ces religieuses, qui
furent confirmés par le cardinal de Pise,
monastères, fut de faire revivre l'observance
régulière chez les Haudrietlcs, où il Irouva
un assez bon nombre de femmes et de filles,
dont il en fil élire une pour supérieure.
L'on vit en peu de temps un notable chan-
gement dans cette maison, et l'observance
régulière y fui parfailement rétablie par les
soins de ce cardinal et de l'abbé de la Pose ,
son grand vicaire, qui fut dans la suite évê-
que de Lodève. Celle éminence obtint du
pape Grégoire XV le pouvoir d'agréger cette
communauté à l'ordre de Saint-Augustin, et
de confirmer les nouveaux statuts qui avaient
étédressés.ei qu'on avait ajoutés aux anciens.
Les religieuses commencèrent à chauler l'offi-
ce delaVierge. Elles joignirenlle vœu de pau-
vreté à ceux de chastelé et d'obéissance qu'el-
les faisaient déjà, et pratiquèrent les autres
exercices des monastères réglés. Leur com-
munauté s'augmenta de telle sorte, que, se
trouvant trop étroitement logées et en un lieu
malsain à cause du voisinage delà rivière,
elles obtinrent les permissions nécessaires
pour changer de demeure. Elles furentlrans-
férées dans la rue Saint-Honoré et prirent
possession de leur nouvelle maison le
7 septembre 1622, y ayant été conduites
par plusieurs dames de qualité. Elles ont
depuis bâti un très-beau monastère avec une
belle église sous le litre de l'Assomption de
Notre-Dame, dont elles ont retenu le nom,
ayant quitté celui d'Haudriettes , qu'elles
avaient conservé jusqu'alors. Elles sont pré-
sentement au nombre de quatre-vingts filles.
Elles sont habillées de noir avec de grandes
manches et une c inlure de laine, et portent
un crucifix sur le cœur (1).
Quant à leurs observances, par la bulle du
légat du pape Jean XXIII, l'an 14-14-, sont pape Grégoire XV, octroyée pour leur appro-
adresscs, aux bonites femmes veuves étant au
nombre de trente-deux, de la Maison-Dieu ou
hôpital et chapelle fondée par feu Etienne
Haudry ou ses successeurs emprès Grève à
Paris. Ces statuts commencent ainsi : Au
nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Ci-après s'ensuivent les ordonnances et con-
stitutions de l'hôpital des bonnes femmes de la
chapelle fondée par feu Etienne Haudry, jadis
bourgeois de i aris, et Jianne sa femme ; les-
quelles ordonnances feu maître d'Ailly, en son
vivant docteur en théologie et aumônier du
roi notre sire, a voulu et mandé être gardées
par lesdites bonnes femmes, et écrites en un
tableau du dortoir d'icelles, afin que nulle
ne s'en puisse excuser par ignorance.
Cet établissement lut continué par plu-
sieurs souverains pontifes, et ces bonnes
femmes pendant plusieurs années vécurent
avec beaucoup d'édification ; mais dans la
soi e du temps leur ferveur se ralentit, et
peu à peu elles abandonnèrent leurs obser-
vances; en sorte que le cardinal du Perron
étant mort, et le cardinal de la Rochel'ou-
cauli lui ayant succédé dans ia charge de
grand aumônier, qui est supérieur-né de
Celle mais n, l'un des prem ers soins de ce
prélat, qui était si zélé pour la réforme des
balion et confirmation, il leur élait ordonné
de dire l'office de la sainte Vierge tout entier
les jours de fêles seulement, et elles n'étaient
tenues, les jours ouvrables, qu'à dire prime,
tierce, vêpres et compiles. Mais le cardinal
de la Rochefoucault, par les constitutions
qu'il leur donna, les obligea à dire tous les
jours cet office loul entier, et le grand
office de l'Eglise selon le bréviaire romain
pendant les trois derniers jours de la semai-
ne sainte. Elles doivent dire outre cela loua
les jours vingt-qualre Pater et aulant A' Ave
pour leurs bienfaiteurs, et par une louable
coutume elles en disent trente-trois pour
parfaire la couronnede Noire-Seigneur. Elles
ont une demi-heure d'oraison mentale le ma-
lin , et autant après vêpres , l'examen de
conscience avant le diner, et celui du soir
après avoir dit en commun les litanies des
saints.
Outre les jeûnes ordonnés par l'Eglise et
les abstinences, elles font encore abstinence
de viande pendant tout l'Avenl, tous lesmer
credis de l'année, les veilles des fêtes de la
sainte Vierge, le lundi et le mardi de la
Quinquagésime ; et le vendredi saint elles nu
mangent rien de cuit avec apprêt. Voici la
formule de leurs vœux : Aunomde Notre-Sei-
(1) Votj., à la fin du vol., n,s 100 et 1 10.
iiï
nr:r.
gneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère;
le srrur :V. dite de Saint N., voue et promets
à Dieu stubilité sous clôture, pauvreté', chas-
teté' et obéissance, selon la règle du bien-
heureux Père saint Augustin et les constitu-
ât TU dressées pour te règlement de c lie mai-
son dite de l'Assomption de Notre-Dame, en
présente de monseigneur N., grand aumônier
de France, notre supérieur. El si c'est son
grand vicaire, en présence de N-, grand vi-
caire de monseigneur N., grand aumônier de
France.
Sur la fin du dernier siècle, la Mère Pelil,
dite de Sainte-Thérèse, religieuse de ce mo-
nastère, fil un second établissement de cet
ordre dans la même ville de Paris, au fau-
bourg Saint-Germain, proche le couvent des
Carmes Déchaussés. L'on appela ce nouveau
monastère la peti'e Assomption, et l'on y
gardait les mêmes observances que dans ce-
lui de la rue Sainl-Honoré ; mais comme il
ne se trouva point de fonds suffisants pour
l'entretien des religieuses, ce monastère a été
supprimé.
Dubreuil el Malingre, Antiquités de Paris,
et les constitutions manuscrites de cet ordre.
Il y a aussi à ltécanati en Italie, proche
Laurelle , des religieuses sous le titre de
l'Assomption delà saisie Vierge, dont le mo-
nastère fui fondé l'an 1626 par le cardinal
Jules Rouia, évéque de celle \ille. Ce qui
donna lieu à cet établissement fut qu'une
femme de la ville nommée Barbe Marlille
ordonna par son testament, de l'an 1595, que
si soi fils momait sans enfant, l'on fonde-
rail dans sa propre maison un monastère de
veuves qui y seraientenlrelenuesdes revenus
des biens qu'elle laissa pour cet effeljmais le lils
étant mort sans enfants, et ayant laissé beau-
coup de dettes, le cardinal Roma, voyant que
l'on ne pouvait exécuter entièrement la fon-
dation, se détermina à mettre dans cette mai-
son quelques pauvres filles orphelines, dont
six prirent l'habit religieux ; d'autres filles y
élani aussi entié s dans la suite, et y ajant
portédesdols, ony établit la clôture l'anlo32,
el l'an 1634 on leur donna des constitutions
particulières qui furent dressées par le P.
Oratio Patiani de la Compagnie de Jésus, et
approuvées par le cardinal Roma. Comme
leur é.lise fut dédiée en l'honneur de l'As-
somption du Notre-Dame, elles en prirent
aussi le nom. Elles disent tous les jours au
chœur l'office de la Vierge, observent une
exacte | auvrelé, et ont leurs heures d'orai-
son, de silence, de travail, et autres exerci-
ces. Leur habillement consiste en une robe
bleue ceinte d'une ceinture de laine blanche,
avec un scapulaire blanc; leur voile est blanc
aussi, et leur guimpe est un peu plissée sous
la gorge ; au chœur el dans les cérémonies,
dles ont un manteau bleu traînant jusqu'à
lerre.
Philip. Bonanni. Catalog. ord. Relig. ,
part, in ; et Didace Calcagni. Hisi. di
Recunati.
HELVETIQUE (Congrégation Bénédictine),
où il est parlé de l'ordre militaire de l'Ours.
Quoique la congrégation Bénédicline-Hei-
I1EL 45w
vétiquo ou de Sni.sc ne comprenne que
neuf monastères, elle Délaisse pas d'être une
des plus illustres de l'ordre de Saint Benoit
par les prérogatives dont jouissent es mê-
mes monastères qui s.mi uès-cunsidérables,
y en a^anl cinq dont les abbés sont princes
de l'Empire, savo r Saim-Gal, Einsidlen ou
Notre-Dame <>es Ermites, Mûri, Pfers et
Diseniis. Si les quatre autres, qui sont Kui-
naw, Frischincheu, Engelberg, et lUiwnwil,
ou Notre-Dame-de-la-Pierre, sont obligés de
le céder en dignité aux cinq premiers, ils
onl au moins l'avantage de leur être égaux
par rapport à la sainteté de leurs premiers
abbés, aux personnes illustres qui en sont
sorties et à la magnificence de leurs bâti-
ments. Le relâchement détail inlroduit dans
la plupart de ces monastères, et il y avait
lieu d'appréhender qu'il n'augmentât encore
dans la suile par le voisinage des provinces
d'Allemagne infectées d'hérésies dont la
Suisse même n'avait pu se garantir. Mais
Bernard, abbé de Sainl-Gal; Augustin d'Ein-
sidlen, Jossede Mûri, el Benoi. de Fischin-
gen, afin de prévenir le ir.al qui les menaçait,
s'unirent ensemble pour laire revivre d.ms
leurs monastères cette ferveur don! les pre-
miers religieux qui les avaient habites
avaient été animés sous la conduiie de leurs
saints fondateurs, el prirent les mesures né-
cessaires pour y rélablir la discipline monas-
tique et l'économie du temporel, l'une et
l'autre fort délabrées. Pour cet eiîel ils
firent des règlements qui y sont encore obser-
vés avec beaucoup d'exac itude, aussi bien
que dans les autres, qui se joignirent à eux
dans la suite. L'union de ces quatre premiers
monaslères se fit l'an 1602, el elle lut approu-
vée par le pape Clément \ 111 sous le titre de
Congrégation Bénédictine-HeUélique ; elle
fui augmentée après la mort de ce pontife
pari union qui y fut faite, l'an 1006, des ab-
bayes de i fers et de Rhainaw. Celle d'Eu-
gelberg et de Disentis suivirent leur exem-
ple, el Rhunwil ou Notre-Dame-de-la Pierre
y fut uni l'an 1633 sous l'abbe Fintan, qui,
y étant venu avec quelques religieux de
celte abbaye et de celle d'Einsidlen, répara
entièrementee monastère, qui avait é é ruiné
par les guerres eloù il ne resta t plus qu'un
seul religieux. La congrégation Beuédicliue-
Helvétique fut pour lo.s composée de neuf
monastères auxquels les souverains pontifes
el leurs nonces en Suisse accordèreni beau-
coup de grâces el de privilèges. Celle congré-
gation n'a point de supérieur général, les
abbés s'assemblent seulement tous les dix
ans ou lorsque la nécessité le demande. Ils
élisent dans leurs assemblées des visiteurs
généraux pour faire la visite des monastères;
cet honneur est ordinairement déféré aux
premiers abbés: on nomme aussi des visi-
teurs particuliers pour les monastères, des
Visiteurs généraux; le secrétaire est choisi
indifféremment de tous les monastères. Ces
abbés s'assemblèrent l'an 1702 à Saint-Gai,
pour y célébrer la centième année de l'insti-
tution de leur congrégation. Ce monastère
est le plus considérable de la Suisse, l'abbé
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
ai prince souverain et peut mettre dis à
douze mille hommes sur pied. Celte abbaye,
qui est située dans le Turgow.à un mille du
lac de Constance, a eu de très-faibles com-
mencements : le nom de Saint-Cal lui a été
donné à cause que ce saint, qui était irlan-
dais et disciple de saint Colomban, se retira
au commencement du vir siècle dans ce lieu,
qui était pour lors une solitude affreuse, et
y bâtit un polit monastère, où quelques per-
sonnes, attirées par la vertu de ce saint, vé-
curent sous sa conduite. Après sa mort, qui
arriva l'an 04(3, ce lieu fut appelé la Celle
de Saint-Cal. Les Français s'élant rendus
maîtres de ce pays l'an 710, un certain YVal-
tramn, à qui appartenait cette solitude, pria
le comte Victor, qui était gouverneur du
pays, de donner cette celle et ses dépendan-
ces à saint Othmar : ce que ce comte accorda
l'an 720, et en demanda lui-même la confir-
mation a Charles Martel maire du palais, qui
l'accorda, à condition que saint Othmar y
établirait les observances régulières ; et ce
prince érigea pour cet effet celte celle en
abbaye, dont saint Othmar fut premier abbé.
Le prince Carloman, fils de Charles .Mar-
tel, allant en Italie l'an 747 pour se retirer
dans l'abbaye du Mont-Càssirt, où il prit
l'habit monastique, passa par Saint-Cal, y
étant attiré par les miracles continuels qui
s'y faisaient par l'intercession de ce sainr.
Il y avait alors peu de religieux, à cause de
la petitesse du monastère. Ce prince fut si
touche de voir un lieu si célèbre réduit e.i
cet étal, qu'il écrivit à Pépin, son frère, roi
de France, pour lui rec onam .mderec monas-
tère et le prier de. lui faire quelques dons.
Saint Othmar, sur cette recommandation,
alla trouver Pépin, qui assigna au mona-
stère de Saint-Cal des revenus considérables
pour en augmenter les bâtiments et pour
l'entretien des religieux.
Crosbert, qui fut élu abbé l'an 81(5, fit
exempter par l'empereur Louis le Débonnaire
son abbaye de la juridiction des évêques
de Constance, qui l'avaient exercée surellc
avec une grande autorité, et depuis ce temps-
là ce monastère devint puissant. Le même
abliè l'embellit par des bâtiments nouveaux
qu'il fit faire avec beaucoup de magnificence
et auxquels les ouvriers furent employés pen-
dant sept ans. Mais ce beau monastère l'ut
ruiné par les Hongrois l'an 925 sous le gou-
vernement de l'abbé Engelbertll; et, l'an
937, ce qui en restait fut réduit en cendres
par le l'eu, qui s'y attacha par accident.
Ulric d'Aitsax, que l'empereur Philippe
éleva à la dignité de prince de l'Empire,
étendit considérablement son domaine, et
les abbés de Saint-Cal devinrent dans la suite
si puissants, que Berthold de Falkenstin as-
sista au sacre de Gautier, évoque de Stras-
bourg, avec une suite de plus de mille gen-
tilshommes , la plupart ses vassaux. Les
terres soumises à l'obéissance de cet abbé
étaient pour lors plus considérables e! en
plus grand nombre qu'elles ne. le sont présen-
i52
temenî. Car depuis ce temps-là il a perdu
Appenzel, qui a donné son nom à l'un des
treize cantons ; Schvendy, Brusilow, Contés,
Niuck.ilbach, et Haslem, qui se sont sous-
liails de son obéissance, ayant fait une
union pour se détendre mutuellement contre
cet abbe, qu'ils ne voulaient plus reconnaître
pour souverain. Cune, qui fut élu abbé l'an
1378, fit armer les autres sujets de l'abbaye
pour soumettre les habitants d'Appenzel ; t
les autres qui .s'étaient révoltés ; mais ce fut
inutilement: car, après plusieurs tentatives
qu'il fit pour réussir dans son entreprise, il fit
enfin obligé de l'aire avec euxun traité depaix
par lequel il consentit qu'ils se rachetassent
de la souveraineté des abbés de Saint-Cal
pour une somme d'argent.
Pour mieux affermir leur liberté, ils se
lignèrent avec les cantons d'Uri, de Schwitz,
u'Underval et de Lucerne. Les abbés de Saint-
Gai ayant protesté contre cette alliance,
Henri de Mandrolï renouvela ses préten-
tions l'an 1423 à la cour de l'empereur Si-
gismond, el fit mettre au ban de l'Empire
ceux d'Appenzel et les autres. Mais loin de
s'en étonner, ils entrèrent dans les Etats de
cet abbé, démolirent quelques châteaux et
le forcèrent à faire la paix. Quelque temps
après, l'abbé de Saint-Cal s'unit contre eux
avec la noblesse de Constance, mais ses
troupes lurent encore défaites. Enfin l'abbé
Gaspard de Landerberg, ayant reconnu que
ses prétentions sur Appenzel et les autres
lieux qui avaient été autrefois de son do-
maine seraient le sujet d'une guerre perpé-
tuelle, y renonça par l'alliance qu il lit l'an
1454 avec les cantons de Zurich, de Schwitz,
de Lucerne et de Claris.
Les terres que possède présentement l'abbé
de Saint-Gai en souveraineté, outre la \ illede
Saint-Gai et son territoire, sont Vil, Goltzhu-
fulzt elle comté de Tokembourg, qui renfer-
ment plusieurs villages, dont les habitants
sont partie catholiques et partie protestants.
L'église de Tokembourg est coin mu ne aux uns
et au\ autres ; les protestants y faisaient
l'exercice de leur religion après que les catho-
liques avaient fini le leur; mais le jour de
Pâques de l'an 1708, les protestants voulu-
rent commencer de prêcher avant que le
service des catholiques lût achevé: ce qui
excita de grands truubles en Suisse, où les
deux partis en vinrent à une rupture ou-
verte. L'abbe de Saint-Cal, avec le secours
des cantons catholiques, voulant maintenir
ses sujets catholiques dans leurs droits par la
force des armes, les cantons de Zurich et de
Uerne firent la même chose pour soutenir
les protestants. Cette guerre fui funeste aux
catholiques par les avantages que les proies»
tanls, qui étaient eu plus grand nombre,
remportèrent sur eux. Les deux partis sa
réunirent néanmoins l'an 1712 el firent en-
semble un traité de paix, par la médiation
de M. le comle du Luc, ambassadeur de
France en Suisse (1). Mais l'abbé de Saint-
Cal n'ayant pas voulu entrer daus ce traité,
(1) Journal hist. sur tes matières du temps, loin. XVII.
ISÎ IIF.Il
les c :n(ons do Berne et de Zuric'i firent un
grand lierai d.ms son monastère, da il ils en-
levèreut toutes les cloches, an nombre de
vingt-quatre, de différentes grosseurs ; pri-
rent les riches meubles qui y étaient, un
grand nombre de tableaux et une bibliothè-
que de livres rares et curieux. L'abbé, se
dallant du secours qu'il attendait des cours
de Home et de Vienne, fut trompé dans ses
espérances; car le pape et l'empereur ne
jugeant pas à propos de s'engager dans une
guerre dont les suites auraient tiré à con-
séquence, il se vil contraint d'aller chercher
un asile dans le duché de Milan, n'ayant plus
ni abbaye ni souveraineté.
i Les abbayes d'Iîinsidlen et de Rhunwil, plus
connues, la première sous le nom de INotie-
Damc-des-Ermites, et l'autre sous celui de
Notre-Dame-de-la-Pierre, qui sont aussi de
la congrégation Bénédictine-Helvétique, sont
très-célèbres par les mirai les qui s'y font
tous les jours, et il y vient de toules parts
un grand nombre de pèlerins.
Idœa Congreg. llelvet. Bcnedictinœ- Yso
Pfaw., Collect. sive summar. privileg. ejusd.
Congreg. Christoph. Hartman., Annal. Erctni
Deiparœ in Helretiis; et Mémoires envoyés
de Suisse en 1710.
L'on peutconsulter pourl'abbaye de Saint-
Gai en particulier, Joan. Mabill. Annal. Bene-
dict., tom. I, II et III. Dom Antoine Yepez,
Chroniques générales de l'ordre de Saint-lie-
noîl. Gaspar. Brusch, Annal, pra'cipitorum
monasteriorum Gcrmaniœ ; et Audilïret,
Géogruph. anc. et mod., lom. II.
LesabbésdeSaint-Gal conféraient autrefois
l'ordre militaire de l'Ours, institué par l'empe-
reur Frédéric II, l'an 1213, en laveur de
l'abbé de Saint-Gai et de la noblesse du
pays, en reconnaiss ince de ce qu'ils l'avaient
aiJé à chasser de l'Empire Othon IV. Le col-
lier de cet ordre était composé de chaînes
d'or entrelacées de feuilles de chêne aussi
d'or, au bout desquelles pendait un ours
d'or émailléde sable (1); mais cet ordre
nesubsiste plus.
Favin, Théâtre d'honneur et de chevale-
rie; et Bernard Giustiniani, Hist. Chronot.de
gli Ord. milit.
HEKFORD Voy. Gandersheiu.
HEKMINE ET DIL L'ÉPI (Ordres militai-
res de l') en Bretagne.
L'ordre de l'Epi institué en Bretagne, et
que quelques auteurs ont mis sous la règle
de saint Augustin, quoique peut-être sans
aucunfondement.nousdonnera lieude parler
en même temps de celui de l'Hermine, qui
fut aussi institué dans la même province. Ce
dernier eut pour fondateur Jean IV, duc de
Bretagne , surnommé le Vaillant ou le Con-
quérant, vers l'an 1381, et non pas l'an 13133,
comme quelques-uns ont avancé. Le collier
de cet ordre était composé de deux chaînes
dont les deux extrémités étaient attachées à
deux couronnes ducales, chacune desquelles
renfermait une hermine passante (2). Une
MER
434
des couronnes pendait sur la poitrine, et
l'autre était sur le cou. Les chaînes étaient
composées chacune de quatre fermoirs, et
ces fermoirs n'étaient qu'une hermine avec
un rouleau entortillé autour du corps sur
lequel était écrit : ri ma vie. Les rouleaux
étaient alternativement éirfaillés de blanc
avec des lettres noires, et de noir avec des
lettres blanches. Autour du cou de chacune
des dix hermines il y avait un collier où
pendait un chaînon de quatre ou cinq an-
neaux : les colliers, selon la qualité des
personnes à qui les ducs en faisaient présent,
étaient d'or ou d'argent doré, ou d'argent
tout pur. Ce qu'il y avait de particulier dans
cet ordre, c'est que l'on y recevait des fem-
mes qui prenaient le nom de chevaleresses.
Le P. Lobineau, dans son Histoire de Bre-
tagne, rapporte une liste de ces chevaliers,
parmi lesquels on trouve une duchesse de
Bretagne qui reçut le collier en 1441; une
Pélronille Sv Maillé, deux demoiselles de
Penhoet et du Plessis Augieren 1453, cl une
Jeanne de Laval en 1455. Le même auteur
rapporte aussi une histoire du même duc
Jean IV en vieilles rimes, composée par M"
Guillaume de Saint-André, licencié en décret
scolaslique de Dôle, notaire apostolique et
impérial, conseiller et ambassadeur du même
duc, où il est parlé de cet ordre en ces
termes :
A Nantes ses gens envoya,
Mais de ta rendre or, deloia
Tusi/u'à la Nativité
De saint Jean, c'est vérité.
Veux jours avant ne plus ne moins
Entra à Nantes, j'en suis certains,
Et fui reçu à grand honneur
Comme leur Prince et vrai Seigneur;
Ne sembla pas être exil
Quand l'en lit rendit Piremil;
, 1 ou/ fou assis en la forêt
Se rendit l'en et sans arrêt,
Lors fit mander tous ses prélats
Abbés, et clercs du tous Etats,
Barons, chevaliers escuiers,
Qui lors portoisnt nouveaux; colliers
De moult bel port, de belyuise;
Et éloit nouvelle devise
De deux Bolets brunis et beaux
Couples ensemble île deux fermeaux,
Et au dessous êtoit l'Ermine
En fijure et en couleur fine
En deux cedules avait escript
A ma vie, comme j'ai dit
L'un mot est blane l'autre noir
Il est certain; tien le pour voir.
Pour ce qui est des raisons qu'eut le duc
de Bretagne d'instituer cil ordre et de choi-
sir là devise à fr«l *?e ; c'est une chose, dit
le P. Lobineau, sur quoi chacun peut donner
carrière à ses conjectures, les auteurs n'en
ayant rien dit. 11 croit que le duc voulut
marquer par ces deux couronnes et p ir celle
devise qu'il avait conquis deux fois la Bre-
tagne, et qu'il avait exposé sa vie pour cou-
(1) Voy., à la On du vol., n* 111.
(2) Vey.,àla fin du vol., n* 112.
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
server sn dignité, et que par les hermines
cl le collier à chiiln.es pendantes, il aurait
pu taire allusion parla au lévrier banc de
Gitanes de Blois qui abandonna son maître
avant la bataille d'Auray.
Ce Père ajoute que les ducs de Bretagne
ajoutèrent dan» la suite au collier de 1 Her-
mine un autre collier de moindre prix, qu'ils
appelèrent le collier de l'Epi, et qui était
composé d'épis de blé et terminé par une
hermine pendante attachée au collier avec
deux chaînes, lequel collier était ordinaire-
ment d'argent. Ceux qui ont Irailé des or-
dres militaires ont rapporté l'institution de
cet ordre de l'Epi au duc François I", qui
l'institua vers l'an 1450, selon quelques-uns ;
et, selon d'autres, l'an 1448; mais le P. Lo-
bineau, parlant de ce prince, dit que les An-
glais ayant menacé la Bretagne, il en vint
quelques-uns trouver ce duc l'an 1447 pour
s'éclaircir apparemment avec lui, et que ce
prince leur fît ne riches présents alin de les
gagner ou de les apaiser, et donna même à
quelques-uns le collier de son ordre de
l'Epi, et que c'est la première fois qu'il est
parié de cet ordre. Ainsi il était institué
avant l'an 1448.
Mais ce que le P. Lobineau ajoute que ce
qui donne lieu de croire que le collier tissu
d'épis de blé peut avoir été inventé par le
duc François 1" pour être distribué aux
gentilshommes moins distingues que ceux
à qui l'on donnait des colliers d'or et d'ar-
gent composés d'hermines, de couronnes
et de chaînettes, ne me parait pas juste,
puLqu'Isabeau d'Ecosse, femme de ce prince,
est représentée dans l'église cathédrale de
Vannes avec le collier de l'Epi, quoiqu'elle
eût ri eu aussi en 1447 le collier de l'ordre
de l'Hermine, et que le duc François 11 por-
tait aussi toujours le collier de Tordre de
l'Epi, au lieu de celui de l'Hermine. Les au-
teurs qui ont irailé des ordres de chevalerie
ont eu d'autres sentiments que le P. Lobi-
neau, et même leurs sentiments ont été par-
tagés. Les uns oui cru que le duc François 1er
avait institué cet ordre et pris la même de-
vise que celui de l'Hermine pour faire con-
naître sa vertu, sa grandeur et son courage,
et qu'il se serait plutôt laissé tuer que de
commettre une méchante action qui pût ter-
nir sa vertu, désignée par la blancheur de
l'hermine, qui, se voyant poursuivie et ren-
contrant de la boue, se laisse plutôt prendre
que se souiller. D'autres ont cru qu'il avait
établi cet ordre pour marquer le soin que
lui et ses prédécesseurs avaient pris pour
rendre leur pays fertile en toutes sortes de
grains. D'autres enfin ont prétendu qu'il
institua cet ordre pour montrer la dévotion
qu'il portait au saint sacrement, que ces épis
de blé représentent les espèces du pain sous
lesquelles nous l'adorons , et qu'il joignit à
ces épis une hermine (1), pour faire souve-
nir les chevaliers qu'ils devaient plutôt mou-
rir que de se souiller et se plonger dans les
ordures du péché. Ainsi chacun a donne car-
rière à ses conjectures, et c'est sans aucun
fondement que l'i n a ois cet ordre sous la
règle de saint Augustin.
Yoy. Favin, Théâtre d'honneur et de che-
valerie. Mennémus, du Belloy, Giusliniani,
Schoonebek et Hermani, dans leurs llist.
des Ordres militaires; et le P. Lohineau dans
son Histoire de ttr<:t<iqne.
HEUMITES. Voy. Ermites.
HIÉKONYMITES, Yoy. Jérôme ( Ermites
DE SaINI-).
H1PPOLYÏE (Ordre de la Chahito: de
Saint-).
Environ l'an 1585, sous le pontifical de
Grégoire XIII , un saint homme nommé
Bernardin Alvarez , bourgeois de la ville
de Mexique aux Indes occidentales , animé
du même esprit cl de la même compassion
envers les pauvres malades que saint Jean
de Dieu , s'associa quelques personnes pieu-
ses et dévotes pour en avoir soin. Il fonda
un hôpital hors des murs et à quelque
dislance de celle ville, avec la permission
de l'archevêque, et le dédia en l'honneur de
saint Hippolyle martyr, patron de la ville de
Mexique, en mémoire de ce que le culte des
idoles y fut aboli et qu'elle iomba enire les
mains des chrétiens le 13 août, jour auquel
l'Eglise célèbre la fête de ce saint. Bernardin
dressa des règlements pour ceux qui s'étaient
consacrés avec lui au service des pauvres
malades , et il en demanda la confirmation
au pape Grégoire XIII, après qu'ils eurent
été examinés par l'archevêque. Le pape les
approuva aussi bien que la fondation et l'é-
rection de cet hôpital ; mais avant que les
lettres en fussenl expédiées, ce punlile mou-
rut, et elles ne furent signées que par son
successeur Sixte V , qui approuva tout ce
qu'il avait fait en faveur de cet hôpital- L'on
bâtit ensuite deux autres hôpitaux dans la
même ville, dont l'un fut dédié au Saint-Es-
prit, et l'autre fut appelé l'hôpital royal, à
cause qu'il fut bâti par les libéralités du roi
d'Espagne, il yen eut aussi un autre dans
la ville de Puebles de Los Angelos, sous le ti-
tre de Saint-Roch, et le nombre de ces hôpi-
taux augmentant, ils s'unirent ensemble et
formèrent une congrégation sous le titre de
la Charité de Sainl-Hippolyle, à cause du
premier hôpital qui avait été bâti sous l'invo-
cation de ce saint martyr, qu'ils reconnurent
pour leur chef. Le pape Clément VIII, ayant
appris le progiès que faisaient ces hospita-
liers, et la charilé qu'ils exerçaient envers
les malades, leur accorda par un bref du 2
avril 1594 tous les privilèges, grâces et pré-
rogatives dont jouissaient les Frères de la
Charité de Saint-Jean de Dieu, qui étaient
pour lors inconnus aux Indes occidentales,
où ils n'avaient pas encore passé, lesquels
privilèges leur avaient été accordés par
ses prédécesseurs Pie V, Grégoire XIII, et
Sixte V.
Ces hospitaliers de la charilé de Sainl-Hip-
polyle ne faisaient que deux vœux simples,
(1) Yoy., à la fin du vol., n° lia.
457
Mil
111(1
«H
l'un de chasteté et l'autre Je pauvreté ; mais,
comme ils ne se croyaient pas pourcela enga-
gés à la congrégation, ils en sortaient quand
bon leur semblait. C'est ce qui obligea leur
général (qui prenait la qualité de frère ma-
jeur) et les hospitaliers tant de l'hôpital de
Sainl-Hippolyte que de sept autres qui en
dépendaient, d'avoir encore recours au pape
Clément VIII pour aviser aux moyens d'em-
pêcher les hospitaliers de quitter l'institut.
Le pape crut pouvoir l'empêcher en les obli-
geant par une bulle du premier octobre lofJi
de faire à l'avenir les vœux de perpétuelle
hospitalité et d'obéissance, au lieu de ceux
de chasteté et de pauvreté qu'ils faisaient
auparavant, et ordonna que ceux qui les
avaient faits et qui étaient actuellement dans
la congrégation recommenceraient ainsi leurs
vœux.
Mais il est aTivé dans la suite un aulre
inconvénient de cette sorte de manière de
s'engager dans cette congrégation ; car il y
en eut qui transgressaient et la chasteté et
la pauvreté , sous prétexte qu'ils n'étaient
obligés qu'à la perpétuelle hospitalité et à
l'obéissance; et ils prétendaient même, com-
me n'étant pas religieux, qu'ils pouvaient
sortir de la congrégation quand bon leur sem-
blait. C'est ce que le frère Jean Cabrera, pro-
cureur général de cet Ordre, exposa au pape
Innocent XII l'an 1700, et il supplia aussi ce
pontife de changer la manière d élire le gé-
néral. Clément VIII avait ordonné que l'élec-
tion s'en ferait par vingt des plus anciens de
la congrégation , et que l'on aurait égard à
leur ancienneté du jour qu'ilsauraient fait les
deux vœux de perpétuelle hospitalité et d'o-
béissance ; mais, comme parmi ces anciens
il y en avait sans expérience, qui ne con-
naissaient point l'état de la congrégation, et
que souvent ils élisaient des personnes peu
capables de la gouverner, ce procureur gé-
néral demanda, au nom de ses confrères, la
permission de faire des vœux solennels sous la
règle de saint Augustin, afin d'engager par
des liens indissolubles les hospitaliers dans
la congrégation, et qu'au lieu des vingt plus
anciens qui devaient élire le général ou ma-
jeur, on en choisirait vingt autres des plus
expérimentés et plus capables. Le pape eut
seulement égard à la première demande, et
par une bulle du 20 mai 1700 il permit à ces
hospitaliers de la Charité de Sainl-Hippolyte
de faire les vœux solennels de chasteté, pau-
vreté, obéissanceeld'hospilalité, sous larègle
de saint Augustin, et érigea leur congréga-
tion eu ordre religieux. Il les mit sousla pro-
tection du sainl-siége, et confirma tous les
privilèges qui leur avaient été accordés par
ses prédécesseurs, et, pour ce qui regardait
l'élection du majeur, le pape n'y voulut rien
changer, laissant les choses comme elles
étaient auparavant.
Le frere Cabrera fit ensuite sa profession
solennelle entre les mains du vice-regent,eu
ayant obtenu la permission de la congréga-
tion des réguliers, et présenta quelques jours
après une supplique au pape, par laquelle il
lui exposait qu'il était sur le point de retour-
ner aux Indes, et qu'il priait Sa Sainteté de
lui permettre de recevoir la profession du gé-
néral et des autres hospitaliers de sa congré-
gation, à cause que l'on devait dans peu pro-
céder à l'élection d'un général. Le pape ne
lui accorda pas encore entièrement sa de-
mande, car il lui permit de recevoir seule-
ment la profession du général ou du vicaire
général ; mais il ordonna que les autres frères
la feraient entre les mains du général ou du
vicaire général, ou deceux qui seraient com-
mis par eux pour cet effet, etque l'élection du
général se ferait au lieu et en la manière ac-
coutumés par ceux qui avaient droit de la
faire selon leurs constitutions et statuts, qui
seraient observés, comme il est plus au long
porté parle bref de ce pontife du 3 juillet de
la même année ; et sa bulle fut reçue en Es-
pagne, le 27 novembre aussi de la même an-
née, par le conseil des Indes, qui enordonna
l'exécution. Clément XI accorda, l'an 1701, la
communication des privilèges des ordres
mendiants et de la congrégation des Clercs
Ministres des infirmes, à ces hospitaliers de
la Charité de Sainl-Hippolyte. Leur habit est
semblable à celui des frères de la Charité de
Saint-Jean de Dieu, et ne diffère que parla
couleur qui est tannée (1).
Philipp. Bonanni, Catulog. Ord. religiu:-.
part. i. Bull. Innocent XII et Clément XI, cl
Mémoires envoyés de Rome en 1709.
HIRSAOGE (Congrégation d') en Allemagne.
L'abbaye d'Hirsaugc en Allemagne a été
autrefois chef d'une florissante congréga-
tion , qui commença vers l'an 1080 par le
zèle de saint Guillaume, qui fut le restaura-
teur de la discipline monastique en ce pays.
Celte abbaye, située dans le diocèse de Spire,
reconnaît pour fondateur le comte Erlal'ride.
11 était père de Noling, évêque de Vercel ,
qui, ayant apporté dans sa cathédrale le
corps de sainl Aurélius, évêque de Rediciane
en Arménie , en voulut ensuite enrichir sa
patrie en le portant secrètement en Alle-
magne.!! y avait, pas loin du château de son
père, un oratoire dédié à saint Nazaire : c'é-
tait dans ce lieu que Norting voulait faire
reposer ces saintes reliques ; mais, dans le
chemin , un aveugle ayant recouvré la vue
par l'intercession de saint Aurélius, le comte
Erlafride, louché de ce miracle, fit bâtir un
monastère au lieu même où le miracle était
arrivé , et en jeta les fondements avec son
fils Ermenfride l'an 830. Mais, comme il
voulait le rendre un des plus superbes et
des plus magnifiques de l'Allemagne . il ne
fut achevé que sept ans après, l'an 837 ou
838. Ou y mit douze religieux qui furent
tirés de l'abbaye de Fulde, auxquels on
donna pour abbe Luitperd.Pour lors l'église
fui consacrée par Otgar, archevêque de
Mayence, en présence d'un grand nombre de
prélats et de seigneurs qui avaient été iu-
vités à cette cérémouie par le comte Erla-
(l) Yoy., à la fin du vol., n" 1 1 ;.
Dictionnaire des Ordres rf.ugieux. IL
15
450
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
4G0
fri.de, et l'on Iransféra dans l'église, qui fut
do siée à saint Pierre et à saint Aurélius, le
corps d;> ce saint évèque, qui avait été con-
servé jusqu'alors dans l'oratoire de Saint-
Nazaiic. Le comte Erlafride lit en même
temps donation solennelle de ce monastère
entre les mains de l'abbé Luitperd, à condi-
tion que la règle de saint Benoit y serait
observée, et laissa la liberté aux religieux
de pouvoir élire leur abbé cl de choisir un
avoué ou défenseur de ce monastère.
La discipline régalière y fut maintenue
dans toute sa \igueur jusqu en l'an 983, que
l'Allemagne, après avoir été affligée d'une
grande famine, se trouva dans Ene plus
grande désolation par une maladie conta-
gieuse qui suivit celte famine et qui enleva
un grand nombre de personnes dans toutes
les provinces. Soixante religieux de l'abbaye
d'Hirsaugeen ayant été attaqués, moururent
avec leur abbé, et il n'en resta que douze,
qui ne purent s'accorder sur le choix de son
successeur. Les plus fervents et les plus
zélés pour la régularité élurent Conrad, qui
fut conûrmé dans celte dignité par l'évèque
de Spire. Les autres, plus portés au relâche-
ment, élurent Eberhard, cellérier de ce mo-
nastère. Mais trois religieux <le son parti
l'ayant abandonné pour reconnaître leur lé-
gitime supérieur , il se retira avec deux au-
tres vers le comte de Calve, ennemi de ce
m nastère, qui, profitant de cet e occasion,
y vint à main armée et en enleva tout ce
qu'il put, qu'il distribua à ses soldats sous
prétexte de conserver les biens du monas-
tère pour ensuite les remettre entre les
mains d'Eberhard, leur légitime abbé, pré-
tendant que Conrad était un usurpateur.
Conrad cependant demeurait à Hirsauge
avec huit religieux, et y vivait dans des in-
quiétudes continuelles, appréhendant à tout
moment quelque chose de funes'ede la part
de son persécuteur. Ses craintes n'étaient
pas mal fondées; car Eberhard, ne pouvant
souffrir de se voir plus longtemps pnvé de
l'abbaye d'Hirsauge, y vint de nuit la se-
conde année de son élection, avec des sol-
dats, dans le dessein d'enlever l'abbé Conrad,
qui, en ayant été averti, s était retiré. Eber-
liard, fâché d'avoir manqué son coup, se
contenta de piller le monastère sans faire
aucun mal aux religieux, et se re>:
Shargé de crimes que de dépouilles. Conrad
fut deux ans errant de coté et d'autre, jus-
qu'à ce que, son compétiteur étant mort, il
retourna à son monastère, où, avec le peu
de religieux qu'il y avan, il vécut dans une
grande régularité, nonobstant les persécu-
tions que lui suscita le comte de Calve, qui,
après sa mort, autant par haine que par
avidité, s'empara entièrement du monastère,
qu'il réduisit dans une si grande désolation,
qu'il fut abandonné des religieux et qu'il
resta ainsi jusqu'en l'an 1065.
Dès l'an 10V9, Je pape Léon IX, étant en
Allemagne et allant à Mayencc, logea, à ce
que l'on prétend, chez Adélbert, son neveu,
comte de Calve; et ayant été avec lui à Hir-
sauge, il ne put voir sans douleur les ruines
de ce m inastère, que les ancêtres de ce comte
avaient réduit en cet étal. Ce prince s'ap-
pliqua à chercher le corps de saint Aurélius,
que l'on avait caché du temps des irruptions
des Normands, qui, entre tous les crimes
qu'ils commettaient dans toutes sortes dj
genre, s'attachaient particulièrement à pro-
faner tout ce qu'il y avait de plus saint et de
plus sacré, les crimes ordinaires n'étant pas
suffisants pour contenter les passions bru-
tales d'une nation si féroce et si barbare. Ce
précieux dépôt, qui, par la précaution des
religieux de ce temps-là, avait échappé à leur
fureur, fut enfin trouvé par la diligence de
ce pape, qui ordonna à Adélbert de réparer
ce monastère et son église, tant pour honorer
les reliques de ce grand saint que pour expier
le crime que ses ancêtres avaient commis en
détruisant le temple de Dieu et en persécu-
tant ses ministres. Le comte obéit au pape
ei rebâtit ce monastère, mais non pas avec
toute la diligeuce qu'il devait : car il ue fut
en état d'être habité que l'an 10G5. Il y fit
venir douze religieux de l'abbaye de Eiiisi-
dlen en Suisse, plus connue sous le nom de
Notre-Dame des Ermites, auxquels on donna
pour abbé Fridéric. Us furent reçus avec
beaucoup d'humanité par le comte et sa
femme, Villrude, qui leur fourniront tout ce
qui était nécessaire pour leur entretien; et
en peu de temps ils achevèrent l'église, qui
n'était pas encore finie. L'abbé Fridéric eut
beaucoup à souffrir de ses rel iieux, qui,
après lui avoir l'ait mille indignités, h dépo-
sèrent et élurent en sa place saint Guillaume,
pour lors religieux du monastère de Sainl-
Emmeran à'tlatisb une.
Il était originaire de Bavière, et fut offert
par ses parents, étant encore jeune, au mo-
nastère de Saint-Emmeran, où les religieux
vivaient avec beaucoup de liberté. Mois ,
malgré ces mauvais exemples, il avançait
néanmoins tons les jours dans la perfection :
ce qui faisait que les méchants religieux,
qui étaient portes au relâchement, le crai-
gnaient, et qu'au contraire les bons et les
plus parfaits le chérissaient extrêmement. 11
apprenait avee beaucoup de facilité ton, les
arts libéraux, et il excella entre autres dans
le chant et l'art de compter, comme en font
foi les ouvrages qu'il a lahse sur ces scien-
ces. Ce fut l'an 10(59 qu'il fut élu abbé d'Hir-
sauge. Il ne refusa pas l'honneur qu'on lui
faisait, parre qu'il ignorait la déposition de
Fridéric et les différends qu'il avait eus avec
ses religieux ; mais, les ayant appris lorsqu'il
fut arrivé à Hirsauge, il alla trouver le comte
Adélbert pour l'exhorter à faire rétablir
Fridéric, lui représentant que personne ne
pouvait occuper sa place tant qu'il vivrait.
Il se disposait déjà à retourner dans son mo-
nastère pour ne pas être complice de ce
crime ; mais les religieux firent tant par
leurs prières, qu'ils l'obligèrent à rester. II y
consentit,, mais à condition qu'il ne serait
pas béni, et ne prendrait pas la plac," de
Fridéric de son vivant : -ce qui dura jusqu'à
_ l'année suivante, que, Fridéric étant mort,
m
HIR
Guillaume reçut publiquement la bénédic-
tion dos mains d'Henri, évoque de Spire.
Lorsqu'il arriva à Hirsauge, l'état de ce
monastère n'était pas encore certain, tant à
cause des brouille fi es qui étaient survenues
entre Fridéric et ses icligi ux qu'A cause
de l'inconstance du comte Ad. lbert, qui n'a-
vait pas encore restitué les Mens de ce m >-
n stère, qu'il retenait depuis un si long
temps ; mais Guillaume sut par sa prudence
apporter remède à ces maux 11 fit paraître
tant de grandeur d'âme dans 'es adversités
qui lui arrivèrent, sa piété et sa dévotion
furent si grandes, et son zèle si ardent pour
défendre et maintenir la discipline mo-
nastique, que c'est avec raison qu'on le met
au nombre des plus grands hommes du
xie siècle.
Aussitôt qu'il eut été béni abbé, il com-
mença à songer aux moyens de pouvoir ré-
tablir la régularité et l'observance dans sou
monastère et remédier aux abus qui s'y
étaient glissés ; il commença par examiner
les revenus dont il jouissait, afin que, s'ils
n'étaient pas suffisants pour l'entretien des
religieux (comme effectivement ils ne l'é-
taient pas, puisqu'à peine pouvaient-ils suf-
fire pour en entretenir quinze ou seize), il
pût chercher les moyens d'y suppléer et de
leur fournir leur nécessaire, étant (rès-per-
cuadé que la cause ordinaire du relâchement
est le manque des choses nécessaires à la
vie. L'autorité que le comte Adelbert s'était
acquise sur les religieux était si grande,
qu'ils n'osaient rien faire sans sa permission,
en sorte qu'il semblait qu'il fût leur supé-
rieur et qu'ils fussent obligés de lui obéir. Le
saint abbé, ne pouvant souffrir cet abus, fit
si bien, qu'il persuada au comte de se dé-
sister de cette prétendue supériorité, et de
donner une entière liberté à son monastère,
h lin qu'étant indépendant des puissances
séculières, on y pût observer avec plus de
facilite la discipline régulière et monastique.
El, afin que celle indépendance lût plus
stable, il la fit confirmer par le pape et l'em-
pereur. L'église que ce comte avait com-
mencée depuis dix ans étant achevée, elle
futeonsacrée, l'an 1071,parl'évéquede Spire,
à la sollicitation de ce seigneur. Les richesses
de ce monastère augmentèrent avec le nom-
bre des religieux, et du temps de saint Guil-
laume il n'y en eut jamais moins de cent
cinquante, quoiqu'il fût souvent obligé d'en
envoyer pour fonder ou pour réformer d'au-
tres monastères; car le nombre était aussitôt
rempli par d'autres, qui prenaient l'habit à
Hirsauge pour être ses disciples, entre les-
quels il y eut plusieurs comtes, marquis,
barons et autres grands seigneurs.
Ces religieux s'occupaient jour et nuit à
chanter les louanges de Dieu, à prier, à mé-
diter, et à l'étude des saintes Écritures. Ceux
qui n'étaient pas propres pour la contempla-
lion des choses célestes travaillaient des
mains afin d'éviter l'oisiveté. Ce saint abbé,
étant persuadé que la lecture de la sainte
Ecriture est la nourriture de l'âme, établit
douze habiles écrivains pour transcrire les
mrt 402
saintes Ecritures et les ouvrages des saints
Pères. Il y en avait aussi d'autres en plus
grand nombre qui étaient occupés à trans-
crire d'autres ouvrages, et il y avait un re-
ligieux habile en toutes sortes de sciences
qui avait l'inspection sur les uns et les au-
tres, qui présidait à leurs ouvrages et corri-
geait les fautes qu'il y trouvait. Mais, quoique
ces religieux aient transcrit un nombre in-
fini de volumes, il en est néanmoins resté
peu dans ce momstère, à cause que saint
Guillaume, en reformant ou fondant d'au-
tres monastères, y envoyait beaucoup de ces
livres. Outre les cent cinquante religieux
qui étaient dans ce monastère sous la con-
duite de ce saint abbé, il y avait aussi des
frères barbus ou convers qui étaient des-
tinés pour le travail et pourvoyaient aux
besoins de ceux qui ne s'occupaient qu'à la
contemplation. II y avait entre eux d'habiles
ouvriers en toutes sortes d'arts et de pro-
fessions, comme architectes, maçons, char-
pentiers, menuisiers, sculpteurs, forgerons,
tailleurs, corroyeurs, cordonniers et plu-
sieurs autres. Saint Guillaume fut le premier
qui établit ces sortes de convers en Alle-
magne. Ils lui furent d'une grande utilité,
car ce furent eux seuls qui firent tous les
bâtiments du nouveau monastère d'Ilirsauge
et des autres qu'il fonda. Il fit des règlements
particuliers pour eux et proportionnés à
leur occupation. Toutes les nuits ils se trou-
vaient à l'église pour chanter matines, mais
elles étaient courtes, à cause de la fatigue
qu'ils avaient eue pendant le jour. Il était
libre ensuite à ces convers de retourner
dormir, mais plusieurs des plus fervents
restaient à l'église jusqu'à ce que les reli-
gieux du chœur eussent achevé leurs mati-
nes. Le lendemain de grand matin, ils en-
tendaient la messe et allaient ensuite au
chapitre pour y dire leurs coulpes. Tous les
dimanches il y en avait qui communiaient,
en sorte que la moitié communiait un di-
manche, et l'autre moilié le dimanche sui-
vant; mais aux fêtes solennelles ils commu-
niaient tous, et si quelques-uns allaient en
campagne et qu'ils ne dussent pas revenir
le dimanche suivant, ils communiaient le
jour qu'ils parlaient. II établit aussi des
oblats à l'exemple de ceux de Cluny ; ils
étaient différents des frères convers, en ce
que ceux-ci étaient religieux et en portaient
l'habit, et que les oblats étaient vêtus en
séculiers. Il fit aussi des règlements pour eux.
Ce saint abbé, n'omettant rien pour main-
tenir l'observance régulière, voulut faire re-
cevoir dans son monastère les coutumes de
Cluny : c'est pourquoi Ulric, qui était proies
de Cluny, ayant été envoyé en Allemagne par
saint Hugues, et étaut revenu voir saint
Guillaume, qui était son ami ; ce saiut, pro-
fitant d'une occasion si favorable, le pria de
vouloir mettre par écrit ces coutumes , ca
qu'il fit volontiers. Il y a à la tête de cet ou-
vrage, qui est divisé en trois livres, une
épître dédicatoire adressée àsaint Guillaume,
où Ulric se plaint d'alord d'un abus qu'il
dit éire la principale cause de la ruine des
403
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
-i04
monastères, qui est de recevoir les enfants
don. les pères et les mères qui en avaient
grand nombre cherchaient à se défaire en
les offrant aux monastères, avant même
qu'ils eussent l'usage de raison, principale-
ment s'ils en avaient quelques-uns de man-
chots, de boiteux, ou qui eussent quelque
aulre incommodité. La raison qu'il apporte
pour prouver que c'est un abus, est que les
maisons remplies de ces invalides ne peuvent
garder aucune régularité, et que l'obser-
vance n'est exacte que dans celle où le plus
grand nombre de religieux est de ceux qui
y sont entrés en âge mûr, de leur propre
mouvement, et exempts de ces sortes d'in-
firmités ou défauts de nature.
Mais, comme saint Guillaume trouvait des
difficultés dans ces coutumes de Cluny, qui
ne pouvaient être bien expliquées par écrit,
il jugea à propos d'envoyer à Cluny des re-
ligieux qui les visse,,! pratiquer, ou pour
mieux dire qui les pratiquassent eux-mêmes.
11 en envoya premièrement deux, et ensuite
deux autres, afin qu'ils en pussent être par-
faitement instruits, et qu'étant plusieurs ils
pussent mieux les retenir et lui en faire un
fidèle rapport. A leur retour, il fit assembler
les anciens, et, après avoir examiné avec
eux les coutumes de Cluny et entendu les re-
ligieux qu'il y avait envoyée, il en retrancha
ce qui ne convenait point aux pratiques du
pays, au climat et à la situation îles lieux, et
garda celles qui lui conveoaient, sur les-
quelles il en dressa d'autres qu'il divisa en
deux livres, qu'il appela les Coutumes d' H ir-
sauge.
Le zèle de saint Guillaume ne se renferma
pas dans le seul monastère d'flirsauge : il
en fonda et réforma plusieurs autres, dont
les plus considérables sont Ricliembaieh,
Saint-Georges dans la Forêt-Noire, Saint-
Martin dans la Bavière, Erphord dans la
Tlmringe, Zuvifalten dans la Souabe, Wil-
heim et Laven dans la Carinlhie, qui furent
fondés; Schafuse, t'eter-.hausem et Camperg,
qui furent rétablis; Allof au diocèse de
Strasbourg, Isnen au diocèse de Constance,
et Hasung dans la Thuringe, qui furent ré-
formés. Trilhème, dans ses Chroniques de
l'abbaye d'Hirsauge, nomme vingt-trois mo-
nastères que ce saint fonda de nouveau, et
soixante-neuf qu'il réforma, dans lesquels il
fil observer les coutumes d'Hirsauge. Il fit
aussi société avec plusieurs monastères de
différents ordres, comme l'église cathédrale
de Cantorbery, desservie par les Bénédictins,
les abbajes de Cluny, de Marmoutier, de
Saint-Bénigne de Dijon, de Saint-Victor de
, Marseille, de Sain t-Maxi min, et de Sainl-
Malhias à Trêves, de Sainl-Panlaléon à Co-
logne, de Saiul-Emeran de Ralisbonne, et
avec les chanoines réguliers de Marbac et de
Franckental, etc. Enfin, après avoir été abbé
d'Hirsauge pendant vingt-deux ans et s'être
acquis le titre de Restaurateur de la disci-
pline monastique en Allemagne, il mourut
le 5 juillet 1091. Les plus illustres de ses
disciples lurent saint Thiémon, archevêque
{Je SaUbourg ; Gebéhard, évêque de Cons-
tance et légat du saint-siége; saint Théoger,
évêque de Metz, et Gebéhard, évêque de
Spire.
Ce dernier fut d'abord son successeur dans
le gouvernement d'Hirsauge, avant que de
mouler sur le siège épiscopal de Spire. Il y
maintint l'observance régulière que saint
Guillaumey avait établie, aussi bien que dans
les autres monastères de sa dépendance : ce
que firent aussi les abbés Brunon, Volmar et
Hartwige. Mais, sous le gouvernement de
Manegolde, dix-septième abbé d'Hirsauge,
qui fut élu l'an 1157, il y eut quelque divi-
sion enlre lui et ses religieux. Ceux-ci se
plaiguaient de ce qu'il usait envers eux d'une
trop grande autorité, qu'il méprisait leurs
conseils pour suivie ceux de ses domesti-
ques, qu il soutenait dans tout ce qu'ils fai-
saient au préjudice même du monastère, ap-
prouvant jusqu'aux insolences excessives
qu'ils commettaient tous les jours contre la
communauté ou contre les particuliers, et
qu'au lieu d'y mettre ordre, il maltraitait
encore les religieux que ces mêmes domes-
tiques avaient insultés. Leurs plaintes n'é-
taient pas sans fondement : car, un jour que
cet abbé était absent, un de ses domestiques
ayant fait quelque chose qui était contraire
au bien du monastère, un religieux l'en re-
prit; mais le domestique reçut cette correc-
tion avec tant d'insolence et de mépris ,
que, se jetant sur ce religieux, il lui donna
quelques coups el le jeta à ses pieds; ce qui
fit que le prieur fil mettre en prison cet
homme, qui y resta jusqu'au retour de
l'abbé, qui, au lieu de corriger un tel excès,
lui donna la liberté el fit mettre en sa place
le religieux qui avait été frappé ; ce qui ir-
rita davantage les religieux contre leur abbé.
Un procédé si indigne el si injuste aurait eu
sans doule de fâcheuses suites; mais par
l'entremise de saint Hildegarde ils se réuni-
rent el vécurent dans la suite en bonne in-
telligence. Cette division, qui avait altéré la
charité, avait aussi donné quelque entrée au
relâchement ; mais par les soins de l'abbé,
qui, malgré cet amour déréglé qu'il avait
pour ses domestiques, élail fort zélé pour les
observances régulières, les religieux repri-
rent leur première ferveur, et s'attachèrent
plus que jamais à la pratique de leur règle.
Rupert et Conrad, qui lui succédèrent de
suite, y maintinrent aussi la régularité;
mais Henri, leur successeur, qui fui élu
l'an 1188 après la mort de Conrad, se mit plus
en peine du temporel que du spirituel, en
sorte que pendant huit années qu'il fut abbé,
l'observance régulière lui presque bannie
de ce monastère. 11 reconnut à la Un la faute
qu'il avait faite, et, voulant en faire péni-
tence, il se démil de son abbaye en 1196, se
contentant du prieuré de Rotb, que les reli-
gieux d'Hirsauge lui laissèrent pour son en-
tretien,du consentement de l'abbé Marquard,
qui lui son successeur.
Celui-ci était assez porté pour la régula-
rite, mais il ne put exécuter le dessein qu'il
avait de la rétablir dans son monastère, en
étant empêché par les affaires qu'il eut à
166
HOT
IlOT
466
soutenir contre le comte Adclbcrt, qui en
élait avoué, et qui, au lieu d'en être le pro-
tecteur, s'érigea en tyran et voulut lui ôter
tous les privilèges et immunités dont il jouis-
sait. Il usa de violence envers les religieux.
en plusieurs rencontres; et, comme il tenait
le parti de Philippe de Souabe, qui avait été
élu pour empereur par quelques-uns de son
parti, et que les religieux ne voulaient point
reconnaître à cause des censures que le pape
Innocent 111 avaient fulminées contre lui, il
les chassa tous du monastère, et les réduisit
dans une si grande nécessité, qu'ils avaient
à peine du pain et de l'eau.
Il y eut dans la suite quelques abbés qui
tâchèrent d'apporter quelque réforme dans
ce monastère; mais ce fut inutilement. 11 y
eut d'autres abbés et en plus grand nombre,
qui, par le mauvais exemple qu'ils donnaient
eux-mêmes aux religieux, les entretenaient
dans le relâchement : en sorte que les Cou-
tumes de saint Guillaume, si connues sous
le nomàcCoiitumcsd'Hirsaïuje. et qui avaient
servi de règle à tant d'autres monastères, y
étaient entièrement abolies et même incon-
nues, lorsque Wolfram, trente-huitième abbé,
introduisit dans ce monastère d'Hirsauge la
réforme, qui avait commencé dans celui de
Melek au temps du concile; et, l'an lio7, ce
même abbé voyant que cette congrégation
de Melek ne pourrait pas subsister, il y lit
recevoir la réforme de Bursleld, dont nous
parlerons tiaiiS la suite.
Joan Trith., Chronic. llirsnutj. Joaon. Ma-
billon, Acta. SS. ord. S. liened. sœeul. vl,
tom. 11, et Annal, ejusd. ord. tum. 111 et IV.
Bucelin, Menolog. liened. et Aquil. Benedkt.
HOMBOURG. Voy. Cologne.
HONORAT (Saint-). Voy. Tarascox.
HOPITAL DE LA SAINTE-TRINITÉ (Pbê-
TUES-OUVRIERS DE l'). YoiJ. CLOU (SaCRÉ-).
HOSPITALIERS DE CLERMONT. Voy.
Loches.
HOSPITALIÈRES, etc. Voy. leur désigna-
tion particulière, comme le nom de lieu, de
corporation, etc.
HOSPITALITE. Voy. Jean de Dieu.
HOTEL-DIEU DE PARIS (Religieuses hos-
pitalières de l'), et autres du même ins-
titut.
Nous avons vu ailleurs, en parlant de
quelques hôpitaux, qu'ils étaient desservis
conjointement par des religieux et des reli-
gieuses qui avaient leurs habitations sépa-
rées. C'était la pratique dans tout l'Occident,
du temps du cardinal Jacques de Vitry, qui
mourut vers le milieu du xin0 siècle, et qui,
parlant des ordres hospitaliers, dit qu'il y
avait un grand nombre de congrégations
d'hommes et de femmes qui, renonçant au
siècle, demeuraient dans les léproseries et
les hôpitaux pour servir les malades et
les pauvres, vivant sous la règle de saint
Augustin , sans propre et en commun ,
obéissant à un supérieur , et promettant
à Dieu une continence perpétuelle. Les hom-
mes demeuraient séparés des femmes , ne
mangeant pas même ensemble, et vivant
dans une grande retenue et une grande
pureté. Les uns et les autres assistaient
aux heures canoniales , tant de nuit que
de jour , autant que l'hospitalité et le
soin des pauvres le pouvaient permettre.
Dans les grandes maisons, où le nombre des
frères et des sœurs élait plus grand, ils s'as-
semblaient fréquemment en chapitre pour
reconnaître publiquement leurs fautes et en
recevoir la correction. Ils se faisaient faire
la lecture pendant qu'ils mangeaient, gar-
daient le silence dans le réfectoire, et dans
d'autres lieux à des heures prescrites, et
avaient plusieurs autres observances.
Tels étaient autrefois une infinité d'hôpi-
taux qui étaient desservis par des religieux
et des religieuses, et le cardinal de Vitry a
voulu sans doute parler des religieuses do
l'Hôtel-Dieu de Paris, lorsqu'il a dit qu'il y
en avait qui, se faisant violence, souffraient
avec joie et sans répugnance les puanteurs,
les ordures et les infections des malades, si
insupportables, qu'il lui semblait qu'aucun
genre de pénitence ne pouvait être comparé à
cette espèce de martyre. Car il n'y a personne
qui, en voyant les religieuses de l'Hôtel-Dieu
non-seulement panser, nettoyer les malades,
faire leurs lits, mais encore au plus fort de
l'hiver, casser la glace de la rivière qui passe
au milieu de cet hôpital, et y entrer jusqu'à
la moitié du corps pour laver leurs linges
pleins d'ordures et de vilenie, ne les regarde
comme autant de saintes victimes, qui, par
un excès d'amour et de charité pour secou-
rir leur prochain, courent volontiers à la
mort qu'elles affrontent, pour ainsi dire, au
milieu de tant de puanteurs et d'infections
causées par le grand nombre des malades
qui sont quelquefois flu nombre de plus de
six mille dans cet hôpital, OÙ l'on reçoit in-
différemment tous les pauvres de quelque
pays qu'ils soient et quelques maladies
qu'ils aient, pourvu qu'elles ne soient pas
contagieuses.
Saint Lnndry, vingt-huitième évêque de
Paris, fit bâtir cet hôpital joignant l'église
Saint-Christophe, et il appartint toujours aux
évêques de Paris jusqu'au temps de Raynaud,
qui était évêque sous le roi Robert. Ce pré-
lat donira la moitié de cet hôpital aux cha-
noines de sa cathédrale; mais l'évêque Guil-
laume le donna entièrement à ces chanoines
avec l'église de Saint-Christophe, l'an 1097,
et leur céda tous les droits que les évêques
de Paris pouvaient y prétendre. Depuis ce
temps-là l'Hôtel-Dieu et l'église de Saint-
Christophe furent gouvernés par le chapitre
de Notre-Dame. Il y envoyait deux prêtres
qui avaient soin de l'hôpital, et prêtaient
serment de fidélité au chapitre. Ils desser-
vaient aussi alternativement pendant une
semaine l'église de Sainl-Christophe ; et
lorsque cette église fut érigée en paroisse ,
l'hôpital lut transfère apparemment au lieu
où il est présentement situé ; ce que le P.
du Bois, dans son Histoire de l'Eglise de
Paris croit être arrivé sous le règne de Phi-
lippe-Auguste, lorsque l'on augmenta la ville
de Paris.
w
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
46»
Celte ville s'élant agrandie dans la suite
et étant devenue plus peuplée, le nombre des
pauvres malades étant p;ir ce moyen aug-
menté, l'on agrandit l'hôpital, et le nombre
de ceux qui étaient destinés pour leur servi-
ce fut aussi augmenlé. Etienm', doyen de la
cathédrale, qui posséda cette dignité depuis
l'an 1217 jusqu'en l'an 1223, dressa des sta-
tuts pour cet hôpital qui contiennent soixan-
te-douze ai tieles, et il parait par le premier
qu'il y avait deux chanoines sous le titre de
proviseurs, préposés par le chapitre pour y
maintenir le bon ordre. Il y avait des reli-
gieux et des religieuses, savoir : trente huit
religieux et vi-ngt-oraq religieuses. Parmi les
religieux, il n'y avait que quatre prétie>,
quatre clercs qui pou. aient être promus aux
ordres sacrés, cl trente laïques ; et entre ces
religieux on en élisait un pour avoir soin de
l'hôpital comme supérieur sous le nom de
uiaîlre, qui avec les proviseurs nommait une
maîtresse pour les sœurs. Il prêtait serment
au chapitre de Notre-Dame, qui pouvait le
révoquer quand bon lui semblait. Les frères
et les sœurs devaient faire vœu de chasteté,
de pauvreté et d'obéissance, tant au chapi-
tre de Notre-Dame qu'aux proviseurs et
au maître.
Ils devaient assister à la messe, à vêpres et
à malincs, à moins qu'ils ne fussent occu-
pés au service des malades, lis disaient pour
matines sept Pater, pour vêpres cinq1, et
pour les autres heures trois ; et, lorsqu'ils
élaient absents pour quelques affaires qui ne
regardaient pas le service de l'hôpital, ils
disaient pour matines vingt-cinq Pater, neuf
pour vêpres et epl pour les autres heures.
Ils pouvaient manger de la viande le diman-
che, le mardi et le jeudi ; mais ils étaient
obligés de faire abstinence les autres jours ,
à moins qu'il n'arrivât quelque fête solen-
nelle daas ces jours-là. Il ne leur était pas
permis de soi tir seuls pour aller à la ville, et
sans avoir pris la bénédiction du maîtie. Ih
n'y pouvaient pas manger, et on leur accor-
dait srulementlapermision de boire de l'eau.
On lestnvoyail demeurer dans les fermes
qui dépendaient de l'hôpiial quand on le ju-
geait nécessaire. Une fois la semaine, pour le
moins, ils se trouvaient ensemble au chapi-
tre pour y reconnaître leurs fautes, et si quel-
qu'un ou quelqu'une avait fait une faute con-
sidérable qui méritât la discipline, le maître
la faisait donner séparément aux frères en
présence des autres frères, et séparément aux
sœurs en présence des autres sœurs. Quant
a leur habillement, les uns et les autres
a'. aient des robes noires et d;s bas blancs.
Les frères étant au chœur portaient par-
dessus leurs robes des chapes noires, des sur-
plis 1 1 des peaux d'agneau (1).
Le roi saint Louis, qui allait souvent vi-
siter les malades de cet hôpital, le prit sous
sa protection et il est appelé dans ses lettres
paternes, l'hôpital de Notre-Dame de Paris.
Autrefois les frères el les swurs étaient obli-
ges de porteries reliques de la chapelle du
(1) Vov.,à la fin du vol., n09 US, 116 et 117.
roi aux quatre fêtes annuelles, jusqu'à
trente-quatre lieues de Paris (Tom. VII
SpicUeg., p. 24-1), où le roi pouvait être,
comme il paraît par un accord passé l'an
1322 entre Charles IV, roi de France, d'une
part, et le maître, les frères et les sœurs de
l'Hôlel-Dieu de Paris de l'autre, par lequel
ce prince leur donna à cause de cela cent
charretées de bois de moulage à prendre
t< us Ifs ans dans ses bois.
Le roi saint Louis augmenta les bâtiments
de cet hôpital Fan 1-58. Antoine du Prat,
chancelier el depuis ca.diual et légat en
France, fit bâtir, l'an 1538, la salle qu'on ap-
pelle encore auj uid'hui la salle du légat,
et y donna de gros revenus ; et le roi Henri
IV Ot faire la grande et la petite salle de
Saint-Thomas, qui furent commencées l'an
1602 et ne furent finies que l'an 160(5, avec
les trois gros piliers < ni .ont dans la rivière.
La chapelle de cet hôpital fut fondée par un
nommé Oudart de .Vorreux, maître chan-
geur et bourgeois de Paris, l'an 13-^5, qui
laissa une rente de quarante-quatre livres
pour le vêtement de ceux qui y feraient l'of-
fice , comme il paraît par une ancienne épi-
taphe en vieille rime, attachée contre le mur
de celte chapelle, où il est parlé de celle
fondation, laquelle épilaphe est rapportée
par du Breuil dans les Antiquités de P.iris.
et que nous joindrons aussi ici pour la cu-
riosité du lecteur.
Oudart du Mocreux en surnom.
Changeur, homme de bon renom,
El bourgeois de Paris jadis,
Que Dieu mette dans son paradis,
À fait faire cette chapelle,
En cette Hôtel-Dieu, bonne et belle,
Bien aomé île verrières,
Et est aomé de chyaires,
Et plusieurs autres biens notables,
Lesquels Dieu ait pour agréables :
Et avec ce quarante quatre
Livres, treize soults, et quatre
Deniers purisis île annuelle
Rente à toujours perpétuelle,
A lessié en Paris assise
A emp hier par bonne guise,
Pur te cheiecier de ce Leu
Pour vestir pour l'amour de Dieu
Preslres et clercs faisant l'office
En l'hôtel et divin service.
l.e cheiecier recevra
La i ente, et c» acheptera
Drap* pour eux faire vestement
Et être plus honnêtement.
Chacun an aujour de Toussnints.
Or doint Dieux qu'Us soient tous saints
Car ils sont as ramis et tenus,
Tant les grands comme 1rs menus.
De chanter, célébrer et dire,
Au vendredi, sans escon tutre
Messe des de ff unis trépassez,
Avec ce ne soient lassez
Chacun jeudi de rendre grâces,
Et vigiles et commendaces,
Chacun en chacune semaine,
400
IIOT
HOT
470
Par voix de dévotion plaine,
Humblement et solemnellernent
A (i * etueltemeni
Pour l'ame île defj'unt Oudir t,
Que l'ieuxle recuire à s ■ t,
Et pour l s âmes de son père
El de sa fi maie et de sa mère
Parois, bienfaicleurs et omis.
Pour ce ledit Oudari a mis
Ses deniers à celte œuvre faire
Qui est à tous bon exemptait e
De foire prier peur les morts,
Que Die x leur <-,jrs-
Ceux de l'hôtel y sorti , s
El par Iclires bien obligiez,
Du consentement, ci au tiltre
Des seinneurs bian et chapitre
î e l'ejl -c de Notre-Dame
De Paris. Priez ; our son ame
En i an de l'mtarnalion
Mil trois cent q. ntrc-vinijt-cinquiéme
De décembre le vinyt-se itiéme,
Lors s'en alla de ce monde
En Dieu, e) qu tout bien habonde.
Il csl parlé dans ceite épiiat lie du chapitre
do Noire-Dame, à cause qu'il en est seigneur,
comme nous avons dit ci-devant, et qu'il y
a toute juridiction tempo elle et spiriluelle ;
et, lorsqu'un chanoine meurt, toute la gar-
niture de son lit appartient à cet hôpital, à
moins que les héritiers n'aiment mieux don-
ner une certaine somme d'argent qui a été
Osée par le chapitre.
Il y a longtemps qu'il n'y a plus que des
religieuses dans cet hôpital. Elles suivent la
règle desaiiit Augustin, et elles ne pouvaient
êire autrefois admises à faire profession
qu'après un noviciat de douze années; mais
ce terme a été réduit à sept ans depuis en-
v ion l'an 1036. Cent ans auparavant, l'an
1535, en vertu d'un arrêt du parlement du
10 septembre de la même année, celte maison
fut réfoituée par des commissaires députés
par le chapitre de Notre-Dame, qui Axèrent
le nombre des religieuses pour servir les
pauvres à quarante sœurs professes, et qua-
rante sœurs blanches, qui étaient les novi-
ces, ayant égard apparemment au nombre des
naïades qui y étaient en ce temps-là ; mais,
comme les malades ont toujours été depuis
en plus grand nombre, et que l'on a bâli
plusieurs salles nouvelles, le nombre des
religieuses a été aussi augmenté, et l'on y
voit quelquefois jusqu'à cinquante nouces.
Elles eurent encore besoin de réforme au
commencement du xvnesiècle : mais la Mère
Geneviève Bouquet, dite du Saint-Nom de
Jésus, sut si bien par ses bons exemples et
ses exhortations les ramènera la pralique
des observances régulières, qu'elle peut être
regardée comme leur réformatrice. Elle était
fille d'un orfèvre de Paris, qui la mit dès son
bas âge chez la reine Marguerite. Mais l'a-
mour qu'elle avait dès lors pour Dieu ne lui
permettant pas de demeurer longtemps dans
le grand monde, elle retourna peu lie temps
après chez ses parenis, où elle prit la réso-
lution de se faire religieuse. Son premier
dessein était d'entrer chez les religieuses de
Sainte-Claire de YAve Maria; mV~ :
el l'affection qu'elle conçut [pour l'Holcl-Dieu
et peur les pauvres m rla ;; s l'j attira à l'âge
de vingt-deux ans, av.. ..I pris l'habit à cet
âge; mais elle ne lit profession qoe treize
ans après, la coului.e étant pour lors,
e nous avons du, que les religieuses
de l'Hôtel-Dieu fissent douze ans de noviciat,
ou au moins dix. La mère Bouquet voulut
néanmoins encore prolonger ce temps-là,
ne croyant pas qu'une novice dut jamais se
presser à l'Hôtel-Dieu de faire profession.
Eh se f i ait d'ailleurs un scrupule de pro-
noncer ses vœux, à cuse qu'il n'y avait
point alors de noviciat établi; c'e.-'l pour-
quoi elle eo.'.sulla quelques docteurs rie Sor-
hoî.ne, si elle pouvait faire ses va? tx en cet
étal, el elle ne voulut poiil s'eug;;ger que
les supérieurs ne lui euss'nt donné espé-
rance qu'on établirai* le noviciat el la vie
commune entre les sœus.
Enfin étant professe, el voyant ce défaut
de noviciat, chaque Mère ancienne élevant
alors un certain nomb-ede filltsqui vivaient
avec elle, elle prit la résolution, après avoir
passé par quelques ofGces de la maison, do
composer elle-même une espèce de noviciat,
el de mettre ensemble les filles qu'on vou-
drait lui donner pour les instruire, qu'elle
gouverna dès lors el encore depuis, ayant
été deux fois maîtresse des novices. Son ap-
plication était de faire pierdre à ses novi-
ces de bonnes résolutions, pour bien panser
et servir les pawvTes. Elle ne pouvait souf-
frir qu'une sœur dit, je .mis lusse, alléguant
aux sœurs que le travail qu'elles faisaient
pour les pauvres et l'assistance qu'elles leur
donnaient, étaient loute leur austérité; et
qu'au contraire elles devaient être bien
joyeuses le soir de s'être lassées pendant le
jour pour Dieu: ainsi elle appelait un jour
bien rempli un jour où I'oh avait bien tra-
vaillé.
La peste étant survenu-' à Paris, elle fut
tirée de son office de maftresse des novices
pour aller à l'hôpital de Saint-Louis, où elle
pansa les pestiférés avec une telle charité,
qu'on l'a quelquefois trouvée baisant leurs
plaies. Elle procura qu'il y eût un autel dans
les salles des malades de cet hôpital, elle
procura aussi un réservoir d'eau et une
étuve pour sécher les linges. La peste étant
finie, et élan! de relour à l'Hôtel-Dieu, elle
fut mise à l'apothicairerie, où elle commença
de faire faire les compositions qui ne s'y
faisaient point auparavant. Elle eu! soin en-
suite des femmes en couche, et quelque
temps après elle fut élue prieure. Elle refusa
celte charge avec beaucoup d'instance, el ne
l'accepta que par obéissance, y ayant été
contrainte par ses supérieurs. Elle 1 exerça
pendant neuf ans, ayant un soin te.ut parti-
culier des malades, et faisant auprès d'eux
les aciions les plus viles et les plu- basses.
Ce fut elle qui procura les tours de lits qui
sont présentement au noviciat el en la salle
du Légat, où auparavant il n'y avait que des
coueli lies à bas piliers. Elle fit donner des
sandales do bois aux. malades, qui aupara-
47»
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
472
vaut étaient contraints de se lever et de mar-
cher nu-pieds, et elle préposa une sœur
pour en avoir soin, ce qui s'observe encore
à présent. Elle fit établir par les supérieurs
la rénovation des vœux en commun. Elle
abolit les plissures des robes et ce qui pou-
vait ressentir la vanité ; elle prenait pour
elle les plus usées et les plus méchantes.
Elle établit la communauté du noviciat, et le
vivre en commun des domestiques. Ce fut
aussi à sa sollicitation que les religieuses
quittèrent leur nom de famille pour en pren-
dre un de quelque saint. Elle fit elle-même,
ou fit faire par les supérieurs, plusieurs au-
tres règlements , tant pour les religieuses
que pour les malades, qui la peuvent laire
regarder avec justice comme réformatrice de
celte maison. Enfin elle mourut subitement
la veille de Saint-Jean de l'an J665, allant à
l'oraison avec la communauté, étant âgée de
soixante-quatorze ans.
Outre l'Hôlel-Dieu, les religieuses ont en-
core soin des malades qui sont à l'hôpital de
Saint-Louis, fondé par le roi Henri IV pour
ceux qui sont attaqués de la peste. Cet hô-
pital est très-beau; il est composé de quatre
grands pavillons aux quatre coins, avec au-
iant de portes pour y entrer. Ces pavillons
sont accompagnés d'offices, et dans leur sé-
paration il y a quatre salles et d'autres lieux
pour la commodité des malades. Dans la
seconde cour est une fontaine avec un grand
bassin de pierre, d'où l'eau coule dans la
cour de derrière et va se rendre dans deux
lavoirs faits de pierres fort larges pour y la-
ver la lessive. Du côté de la ville sont les
offices, les cuisines, les appartements des
olficiers de la maison, et les logements des
religieuses. Du côté du septentrion, hors de
l'hôpital, est un cimetière fermé de murailles,
où l'on enterre les corps de ceux qui y meu-
rent. La première pierre fut posée à l'église
le 13 juillet 1607, et l'édifice lut continué
jusqu'en l'an 1010. On envoie aujourd'hui
les convalescents de l'Hôlel-Dieu dans cet
hôpital, pour y prendre l'air pendant quel-
que temps , ou bien ceux qui sont attaqués
du scorbut, lorsqu'il y en a un grand nom-
bre. Pour ce qui est des bâtiments de l'Hô-
tel-Dieu, ils sont très-spacieux ; on les a
étendus sur la rivière de Seine sur une voûte
fort longue, sous laquelle coule l'eau ; il y
a aussi d'autres salles de l'autre côté de
l'eau, auxquelles on va par un pont de
pierre, en sorte que l'un des bras delà ri-
vière passe au milieu de cet hôpital.
Le temporel est gouverné par des admi-
nistrateurs, et les dépenses se montent tous
les ans à plus de six cent mille livres. Les
religieuses professes sont au nombre de
cent, et il y a ordinairement près de cin-
quante novices. Oulre les religieuses, il y a
encore des filles et des femmes au nombre de
cinquante ou soixante, qui se donnent à
l'hôpital pour servir les malades, outre un
grand nombre de servantes et plus de cent
serviti ors. L'habillement des religieuses con-
siste en une lobe noire, sur laquelle elles
mettent , lorsqu'elles serrent les malades,
on sarrau de toile blanche fait en forme
d'aube descendant jusqu'aux talons : dans
les cérémonies, et lorsqu'elles vont en pro-
cession à certains jours dans les salles, elles
n'ont que des robes noires avec un grand
manteau : leur guimpe est carrée et fort
grande, descendant jusque sur l'estomac, et
leur voile est fort ample, étant soutenu par
un carton. Les sœurs données sont habillées
de gris, avec un mouchoir en pointe sur le
cou, aussi bien que les servantes , et les
données ne sont distinguées que par une
coiffe noire. Les religieuses de l'Hôtel-Dieu
ont fait d'autres établissements en France
comme à Moulins en Rourbonnais, et en
d'autres lieux. L'on voit souvent dans l'Hô-
tel-Dieu de Paris des princesses et des per-
sonnes de qualité exercer leur charité envers
les malades, en s'abaissant jusqu'aux em-
plois les plus vils; et ce fut dans ce même
hôpital que la baronne d'Allemagne Marthe
d'Oraison , fille du marquis d'Oraison, des
plus illustres maisons de Provence, mou-
rut l'an 1627, s'étant donnée au service des
malades. Voici la formule des iceux de ces
religieuses.
Je sœur N. voue et promets à Dieu, à In
benoiste Vierge Qlarie , au glorieux saint
Jean- Baptiste , à notre bienheureux l'ère
saint Augustin, nos patron*, et généralement
à tous les saints et saintes de paradis, et à
vous mes très-révérends Pères, pauvreté,
chasteté, obédience, et servir aux pauvres
malades tous les jours de ma vie en l'Hôtel-
l)ieu de Paris ou ailleurs, si par vous il m'est
enjoint, gardant la règle de saint Augustin,
accommodée à notre saint état par les statuts
et constitutions faites de l'autorité de vous
messieurs les révérends doien et chapitre de
l'Eglise de Paris, supérieurs de cette maison.
Témoin mon seing manuel, etc.
Comme il n'y a point de bornes à la cha-
rité qu'on exerce dans cet hôpital, toutes
sortes de personnes y étant reçues sans dis-
tinction d'âge, de sexe, de nation et de reli-
gion, et que le nombre des malades, qui s'est
monté quelquefois jusqu'à plus de six mille,
obligeait de temps en temps de les mettre
jusqu'à six ou huit dans un même lit; c'est
ce qui a porté les administrateurs à augmen-
ter les bâtiments auxquels on travaille pré-
sentement. Les bourgeois de Paris et plu-
sieurs personnes de considération y ont con-
tribué par leurs aumônes, y ayant été exci-
tés tant par leur piété et leur compassion
envers les pauvres que par un mandement
que Mgr le cardinal Louis-Antoine de
Noailles, archevêque de Paris, a donné à cet
effet le 20 mars de la présente année 1715.
Gérard du Bois, Uist. eccles. Paris, tom. Il,
lib. xvi, cap. 7. Du Breuil et Malingre, Anti-
quités de Paris , et Avis aux religieuses de
l'Hôtel-Dieu.
En annonçant qu'il va traiter des religieu-
ses hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Paris, le
P. Hélyot promettait d'en mentionner d'au-
ties du même institut; néanmoins il n'en
parle point et se borne à dire que ces reli-
gieuses ont fait d'autres établissements en
tV> HOT
France, et à ajouter : comme à Moulins et
en d'autres lieux. Il aurait dû les nommer,
s'il les connaissait; il aurait dû aussi nom-
mer les dames de l'Hôtel-Dieu de Meaux. 11
est probable qu'il manquait de renseigne-
! ments. On ne peut donc savoir, et vraisem-
blablement on ne saura jamais, quelles sont
les maisons bospilalières de la filiation de
l'Hôtel-Dieu de Paris. Quoi qu'il en soit, ces
maisons demeurèrent indépendantes et vrai-
semblablement modifièrent leurs constitu-
tions et leur costume suivant les localités.
Ainsi, à Meaux, la colonie garde toujours
l'habit noir, et ne porte point ce sarrau de
toile blanche, dont parle Hélyot, et qu'ont
en effet leurs Mères de Paris, pour le travail
des jours ouvriers. Vers l'année 184-5, un
hôpital général ayant été établi à Meaux, les
religieuses dont nous pai Ions ont quitté leur
maison (détruite) et ont fondé une maison
particulière qui estappelée.de la rue qu'elles
habitent, la maison des religieuses de la
Paix.
Depuis longtemps et jusqu'à la révolu-
tion, il y avait douze prêtres chapelains à
l'Hôtel-Dieu. Ces ecclésiastiques y chantaient
tous les jours les heures canoniales, aux-
quelles les religieuses devaient assister au-
tant que possible. Aujourd'hui ces dames
récitent elles-mêmes l'office canonial du rite
parisien, mais en français.
Grâces à Dieu, toutes ne quittèrent pas
l'Hôtel-Dieu lors des troubles de la révo-
lution. Plusieurs partirent volontairement,
niais le corps de la communauté resta tou-
jours dans la maison, au service des mala-
des. Mais elles furent longues années rédui-
tes à porter l'habit séculier et à souffrir les
duretés et la grossièreté des hommes de ces
circonstances.
Malheur à ces citoyennes si, par distrac-
tion, par crainte ou par habitude, elles qua-
lifiaient du nom de monsieur les hommes du
temps qui savaient bien leur parler suivant
les habitudes de l'époque. Aucunenéanmoins
n'a été guillotinée. 11 ne reste plus, au mo-
ment où nous écrivons ceci, qu'une seule des
religieuses qiii avaient survécu à ces malheu-
reuses et cruelles épreuves. Celte Mère a été
menacée alors de la prison et sur le point
d'être renfermée. — Apn's le concordai, les
choses reprirent peu à peu les formes régu-
lières dans la direction de la communauté;
mais on conçoit qu'il y eut des usages qu'on
ne put reprendre, et qu'il resta, même dans
ce qu'on fit, beaucoup à désirer. Nous avons
vu dans Hélyot comment la communauté
avait été réformée, il y a deux siècles, par le
zèle d'une pieuse religieuse. Le même zèle,
peu après la révolution de 1830, porta aussi
quelques religieuses à essayer d'introduire
plus de régularité dans le régime de l'insti-
tut. Elles n'eurent pas tout le succès désira-
ble, peut-être n'y mirent-elles pas toute la
prudence nécessaire.
Par suite peut-être des projets déjà nour-
ris pour la réforme , les élections avaient
mis à la place de prieure la R. M. des An-
ges, et à la place importante de maîtresse
HOT /i7*
des novices, la IL M. Sainte-Cécile. Ces deux
dames, avec quelques autres religieuses, fu-
rent l'âme du pieux complot qu'elles nour-
rissaient dans l'esprit de toutes les novices,
et qui était partagé par plusieurs filles de
l'institut de Saint-Vincent-de-Paul, par l'au-
mônier, M. l'abbé le Clère, etc. Les réunions,
qu'on ne put tenir assez secrètement, pi-
quaient la curiosité, et excitèrent peut-être
aussi l'émulation de celles qui n'étaient
point dans le projet. Nous prenons ici l'ex
pression la plus douce. Une des religieuses
entrées dans les assemblées provisoires (la
M. Saint-Landry, morte depuis ce temps-là)
trahit les autres et alla découvrir ce qu'elle
avait entendu à l'ex-prieur, qui aussitôt fit
appeler le supérieur ecclésiastique de la
maison. (C'était alors M. l'abbé Salandre,
vicaire général de Paris.) Celui-ci, au lieu
de réfléchir et de mûrir l'affaire, alla promp-
tement demander compte de celle intrigue à
la Mère des Anges, qui eut la faiblesse de
manquer de franchise. Le plus grand nom-
bre des religieuses fut donc contre le projet
nouveau, qui n'a jamais été bien connu, et
vit l'autorité ecclésiastique de son bord. Les
choses en vinrent au point que le promo-
teur du diocèse fit une enquête, et inter-
rogea toutes les Mères. Ce promoteur était
alors M. l'abbé Quanlin. Le récit que nous
avions à faire était nécessaire ici. Nous n'o-
sons dire tout ce que nous savons.
H est difficile de ne pas blesser l'amour-
propre en nommant quelques personnes qui
vivent encore, ou la susceptibilité de quel-
ques autres en parlant de celles qui ne sont
plus aujourd'hui, telles que le respectable
abbé Salandre et l'abbé Quantin. Nous n'a-
vons pourtant l'envie de blesser personne,
et notre unique désir comme notre but est
de servir la vérité de l'histoire. Nous nous
bornerons donc à dire que les religieuses de
l'Hôtel-Dieu, même les plus capables, et nous
parlons de celles qui n'étaient pas dans le
projet de réforme, ont blâmé et condamné
la manière d'agir du promoteur, qui, au lieu
de les interroger simplement, excitait leurs
réponses contre les religieuses en cause. La
révérende Mère'** osa lui faire remarquer ce
procédé. Les choses se terminèrent par la
sortie et peut-être l'expulsion des religieuses
qui avaient nourri et fomenté le projet de
reforme. Ces religieuses étaient la révereude
Mère des Anges, prieure ; la révérende Mère
Sainte-Cécile, maîtresse des novices; la révé-
rende Mère de la Trinité; la révérende Mère
Saint-Lazare, et une ou deux autres avec
toutes les novices qui se trouvaient alors à
l'Hôtel-Dieu, au nombre de douze, n'en lais-
sant qu'une dont les moyens bornés ne pou-
vaient leur convenir et que les autres en
effet n'ont point gardée. Grâces à Dieu, cette
affaire n'eut point d'éclat dans le public et ne
fut appréciée, que par les personnes qui com-
prennent combien il est difficile de s'enten-
dre à la supériorité et au gouvernement
d'une maison religieuse. Les Mères qui sor-
tirent se retirèrent momentanément à Ver-
sailles. Ceci se passait au milieu de l'annéa
475 DICTIONNAIRE DES
1833. La Mère La Triuilé et la Mère des
Anges sont restées à la maison de Grand-
Gliainp à Versailles. Les autres sont allées,
avec leurs novices et le pieux aumônier de
la communauté de l'Hôtel-Dieu, .Aï. l'abbé
Le Clère, diriger un hôpital à Anvers, eu
Belgique, d'où elles ont déjà envoyé une co-
lonie à un hôpital de Liège. Ainsi la religion
a trouvé son profita ces divisions apparen-
tes, où avec de bons desseins de part cl d'au-
tre on sert ceux de Dieu sans e;> connaître
les voies. Les novices restées dans les deux
autres maisons de Paris, celles qu'on reçut
bientôt à l'Hôtel-Dieu, firent que ie dép rt
des anciennes fui presque insensible. Il exis-
tait autrefois des préventions contre le ja sé-
nismedes religieuses de l'Hôtel-Dieu de Paris.
Ces pré veillions étaient peu l-être trop générali-
sées, mais elles étaient fondées", nous eu pour-
rions fournir des preuves. Aujourd hui celte
prévention existe encore en quelques per-
sonnes. Elle est une injustice d'autant plus
coupable, que ceux qui produisent à i et
égard leurs pensées, parlent sans avoir ap-
profondi les choses, et blessent les intérêts
d'une communauté respectable qui se ver-
rait privée quelquefois de sujets aptes à
l'augmenter, par l'imprudence de quelques
hommes irréfléchis.
On ne voit plus à l'Hôtel-Dieu de ces
sœurs donnée*, dont parle Hélyot. Les reli-
gieuses de cette maison ont toujours eu la
direction de l'hôpital Saint-Louis, et elles
n'avaient autrefois que ces deux maisons-là.
Depuis la révolution, elles ont desservi pen-
dant quelque temps l'hôpital de la Pitié,
qu'elles quittèrent en 1818, el celui de la Char
rite, qu'elles quittèrent en 1816. Depuis une
douzaine d'années, elles sont rentrées au ser-
vice de ce dernier et desservent également
V annexe de l'Hôtel-Dieu, située au faubou g
Saint-Antoine. Ces quatre maisons de Paris
ont bien chacune une supérieure locale,
mais elles ne font néanmoins qu'une seule
famille. Les religieuses ont obédience d'une
maison à l'autre, et les novices doivent être
envoyées à toutes avant d'être admises à la
profession, qui n'est accordée que sur le
suffrage des Mères de toutes les maisons.
Dans ces quatre établissements , il y a
en totalité, au moment où nous écrivons,
soixante. cinq professes et vingt-six novices.
Siens ignemenls fournis par la révérende
Mère 2V\, religieuse de cet institut depuis
Vannée 1816. B-d-e.
HUBERT (Chev ali kks de l'ordre de Saint-).
Raynaud 111, duc de Juliers et de Guel-
dres, étant mort l'an 1423, Adolphe 11, duc
de Mons, lui succéda, et reçut l'investiture
des duchés de Juliers et de Gueldres de l'em-
pereur Sigismond, l'an 1425. Mais Arn uld
îl'Egmond, qui avait des prétentions sur ces
provinces, s'empara du duché de Gueldres, et
entra avec des troupes dans le pays de Ju-
liers : ce qui obligea Adolphe de faire un ac-
cord aiec lui, par lequel il lui céda pour
toujours le duché de Gueldres, lui donna dis
mille tlorius pour ses autres prétentions, et
ORDRES RELIGIEUX.
473
fil une trêve avec lui pour dix ans. Adolphe
étant mort sans enfants, et Gérard V, son
neveu, ayant succédé au dnebé de Juliers
l'an 1=37. Arnould d'Egmond, renouvelant
ses prélentions sur ce duché, y rentra avec
une armée l'an 1444 ; mais ii fui de ait par
Gérard, qui remporta sur lui une célèbre
victoire le jour de Saint-Hubert de la même
année. C'est en mémoire de cette victoire <;ue
quelques historiens, comme Schoonebeck et
le P. Bonanni, disent que ce | rince insilua,
l'an 1445, un ordrede chevalerie sous le nom
et la protection de sainl Hubert; d'autres,
comme Auberl le Mire et l'abbé îiiusliniani,
ne mettent l'institution de cet ordre que
l'an 147 ou 1477. Mais il ne peut pas av. ir
élé institué l'an 1477, puisque Gérard mou-
rut l'an 1475 ; el il y a plus d'apparence que
ce prince, qui avait vaincu le duc de Cm I-
dresFan li44, le jour de Saint-Huberl, in-
stitua son ordre la même année ou l'année
suivante.
Ces ailleurs ne s'accordent point non plus
sur la forme du collier de cet ordre. Schoo-
nebeck dit qu'il était composé de plusieurs
cors de chasse où pendait une médaille avec
l'image de saint Hubert. Le P. Bonanni dit
seulement que ce collier était d'or, où pen-
dait celle médaille. L'abbé Giustniani pré-
tend qu'on ne sait point quelle était la mar-
que de cet ordre, et Aubert ie Mire assure
que les statuts de cet ordre sont écrits en
langue allemande et qu'on les trouve ma-
nuscrits dans la maison des Corlembachs et
chez d'aulres, avec le catalogue des cheva-
liers jusqu'en l'an 1487, parmi lesquels l'on
voit les comtes de Limbourg, de Teklem-
bourg el de Nassaw, les barons de Merod,
de Patience, de Sombeff, de Birgel, de Wla-
ten, de lïlungart et d'autres; mais il ne
marque point ce qui distinguait ces che-
valiers.
Quoi qu'il en soit, après 1 1 mort de Jean-
Guillaume, duc de Juliers, sur les différends
qui survinrent au sujet de sa succession
entre l'électeur de Brandebourg et Wolfang-
Guillaume, duc de Neubourg, ces priuces
firent un accord entre eux, par lequel le du-
ché de Juliers échut au duc de Neubourg.
Ch irles, comle palatin du Rhin, et huitième
électeur de l'Empire, étant mort sans enfants
l'an 1685, Philippe-Guiliaume, duc de Neu-
bourg et de Juliers, par la faveur de l'em-
pereur Léop ild-Ignace, qui avait épon<é une
de ses filles succéda au paialinat du Rhin et
à la dignité d'électeur. Cet électoral ai ait été
créé en faveur de Charles-Louis, comte pa-
latin du Rhin, conformément au traité de
Munster de l'an 1648, quoique par la Bulle
d'Or il ne doive y avoir que sept électeurs de
l'Empire ; mais ce fut l'expédient que l'on
trouva pour pacifier les deux branches pala-
tines, l'une que l'on appelie Rod lphine, qui
esl celie des comtes palati s,etl'aulre qu'on
nomme Guillelminc, qui est celle des ducs
de Ba> ière, qui avait été mise en possession
de la dignité d'électeur, dont Ferdinand V,
comle palatin du Rhin, avait été privé par
l'empereur Ferdinand II, l'an 1623, pour
477
HUM
HUM
478
avoir accepté la couronne de Bohême, qui
lui avait été offerte par les rebelles de ce
royaume.
En créant ce huitième électorat, on avait
au*si en même temps créé la charge de
'.grand trésorier de l'Empire pour y être at-
tachée, afin de dédommager cet électeur de
la charge d'archimaître d'hôtel attachée à
l'électoral, possédée par le duc de Bavière.
Mais Maximilien-Marie , due de Bavière,
ayant été privé de son électorat contre les
lois de l'Empire, par l'empereur Joseph, à
cause que ce prince avait soutenu les droits
et les libertés du même Empire et qu'il avait
reconnu pour roi d'Espagne Philippe V
(petit-fils de Louis XIV, roi de France}, que
Charles 11 avait appelé à la succession de la
monarchie d'Espagne par un testament qu'il
fit quelque temps avant sa mort, la charge
d'archimaître d'hôtel de l'Empire, attachée
à l'électorat du duc de Bavière, fut rendue
par le même empereur à l'électeur palatin
Jean-Guillaume, ducdeNeubourg, qui, pour
en conserver la mémoire, voulut, comme
duc de Julicrs, rétablir l'ordre de Saint-
Hubert, qui était depuis longtemps aboli. Ce
prince conféra cet ordre à plusieurs seigneurs
de sa cour, auxquels il assigna des pensions
considérables, à condition que de ces pensions
ils seraient obligés d'en donner la dixième
partie pour l'entretien des pauvres de l'hô-
pital, ei qu'ils donneraient aussi le jour de
leur réception dans l'ordre cent hongres
d'or. Ces chevaliers aux jours solennels sont
habillés de noir à l'espagnole, excepté qu'ils
n'ont point de go&ile. Ils ont sur cet habit
une chaîne d'or pendue au cou à laquelle est
attachée une croix d'or large de quatre doigts
et ornée de diamants, au milieu de laquelle
est l'image de saint Hubert à genoux, priant
devant un crucifix qui est entre le bois d'un
cerf; et au côté gauche de leur pourpoint ils
ont en brod rie d'or un ceicle entouré de
rayons, au milieu duquel, sur un fond rouge,
sont ces paroles en langue allemande : Dé-
mettiez ferme dans la foi (1). Hors les céré-
monies et les fêtes solennelles, ils ne portent
point le collier et ont sur leurs habits ordi-
naires un ruban rouge en échaipe, passant
depuis l'épaule gauche jusqu'à la hanche
droite, auquel ruban est attachée la croix,
et au côté gauche de leurs justaucorps,
l'ovale don! nous avons parlé.
Wernher Teschen Mâcher, Annal. Cliviœ,
Juhanœ, etc., pag. 41)3 et 515. Schoonebeck,
Histoire des Ordres militaires, tom. II. Bo-
nanni, Catalog. Ord. militar. Aubert le Mire,
Origo equest. Ord. Bernard Giusliniani, Bist.
Chronol. de gli 0>d. militari.
HUMILIÉS (Ordre des).
§ I. Des religieux de l'ordre des Humiliés et
de leur suppression.
Les différents sentiments que les écrivains
qui ont parlé de l'ordre des Humiliés ont eus
touchant son origine, les uns la mettant
(1) Voy., à la fia du vol., n° 118.
en H90, sous l'empire de Frédéric Barbc-
rousse, d'autres en 1180, quelques-uns va
119C, et plusieurs enfin la faisant remonter
jusqu'en l'an 1017, sous l'empire d'Henri II
surnommé le Saint, m'ont obligé d'avoir re-
cours aux religieuses de cet ordre pour sa-
voir si elles n'auraient point d'anciens litres
qui pussent lever ces difficultés. Si je n'en ai
point été tout à faitéclairci par les mémoires
qui m'ont été envoyés en 1709 par l'abbessc
du monastère de Saint-Erasme je Milan, j'ai
au moins appris beaucoup de particularités
concernant cet ordre qui ont été inconnues
jusqu'à présent. Et, comme dans ces mémoi-
res on cite souvent une chronique de cet
ordre composée en latin, l'an 1419, par le
P. Jérôme Torecchio (prévôt du couvent que
les Humiliés avaient à la Porte-Neuve à Mi-
lan), et que l'on me marque qu'elle se trouve
dans la fameuse bibliothèque Ainbrosienne
de la même ville, dans le désir que j'avais
de découvrir la vérité, je me soi* adressé à
d'autres personnes desquelles j'espérais de
plus grands éclaircissements; mais je n'ai
pas eu un succès plus heureux dans cette se-
conde tentative, puisque les mémoires que
j'en ai reçus en 1710 ne diffèrent des pre-
miers qu'en ce qu'ils m'ont appris de plus
qu'il y avait dans la même bibliothèque une
autre chronique de cet ordre composée aussi
en latin, en 149J, par le P. Marc Bosto, avec
des ordonnances des chapitres généraux de
celte congrégation, la règle de saint Benoît
adaptée pour les religieux Humiliés, leurs
constitutions, un catalogue de leurs saints et
de leurs bienheureux, avec un abrégé de
leur vie, et quantité d'aulres pièces qui font
quatre volumes in-folio , et que Pierre Puri-
ce li (qui donna eu 1633 les monuments de
l'Eglise ambrosienne) avait traduit en italien
ces deux chroniques et toules ces autres piè-
ces, qu'il avait ramassées et écrites de sa
main, dans le dessein de donner au public
une histoire de cet ordre, que le P. Pape-
broeh dit avoir vue entre les mains de ses
héritiers.
Ce qui flattait le plus mes espérances, e'est
que je m'attendais que cette chronique du
P. Torecchio, qui est le plus ancien original
que l'on m'indiquait dans ces mémoires, me
donnerait quelque connaissance de ce que
je cherchais ; mais ce que cet auteur mel sur
l'établissement de cet ordre est si peu proba-
ble et s'accorde si mal avec la chronologie,
que nous ne pouvons pas adhérer à son sen-
timent. Voici ce qu'il en dit.
Les villes de Pavie, de Lodi, de Crémone,
et quelques autres de Lomhardie, principa-
lement celle de Milan, s'étant révoltées con-
tre l'empereur Henri, ce prince, étant passé
en Italie, remit ces villes sous son obéis-
sance, el, pour châtier les chefs des rebelles,
qui étaient les personnes les plus considéra-
bles d'entre la noblesse, il les mena prison-
niers en Allemagne. Ces gentilshommes se
lassant de leur captivité, le bienheureux
Gui, qui s'était acquis beaucoup de crédit
479
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
430
parmi eux, les exhorta à profiter de leur
malheur el de faire un véritable retour vers
Dieu, en méprisant toutes les vanités de ce
momie, dont l'inconstance leur était connue
par leur propre expérience, et en s'exerçant
dans la pratique des vertus. Ces gentilshom-
mes, ayant suivi son avis, se revêtirent, l'an
1017 , d'habits de couleur cendrée, qui con-
sistaient en une robe de gros drap , ceinte
d'une ceinture de même étoffe , avec un
grand manteau qui descendait jusqu'à terre,
et des bonnets de même étoffe pour couvrir
leur tête (1). Les exercices de piété, de cha-
rité et de mortification qu'ils pratiquaient,
étant venus à la connaissance de l'empereur,
il les fit venir eu ,sa présence , où s'étant
prosternés à ses pieds les larmes aux yeux,
les premières paroles que ce prii.ee leur dit
furent celles qui suivent : tous voilà donc
à la fin humilies; et, après avoir continué à
leur dire quelque chose de leur rébellion
passée, sur les assurances qu'ils lui donnè-
rent de. leur fidélité à son service et de la ré-
solution où ils étaient de continuer le genre
de vie qu'ils avaient entrepris, il leur accorda
la liberté, leur permettant de retourner en
leur pays.
Etant arrivés en Lombardie, leurs femmes
les voulurent imiter dans leurs exercices de
piété et dans la praiique des vertus ; elles se
revêtirent aussi d'habits de même couleur,
et, comme leurs maris introduisirent la fa-
brique des étoffes de laine, auxquelles ils
travaillaient eux-mêmes, elles s'employaient
aussi à filer la laine. Mais, dans le séjour que
saint lîernard fit à Milan, les Humiliés (que
l'on nommait les Ber retins de la Pénitence, à
cause qu'ils portaient un gros bonnet que les
Italiens appellent barettino, outre qu'ils se
servent quelquefois de ce terme pour signi-
fier le gris brun qui était la couleur de leur
habit) prièrent ce saint de leur prescrire
quelques règlements pour leur conduite. Il
leur conseilla de se séparer de leurs femmes
et de vivre en commun. 11 les exhorta aussi
de se mettre sous la protection de la sainte
Vierge, el pour cet effet de changer leurs
habits cendrés en habits blancs, pour mar-
quer la pureté de leur âme.
Tels furent les commencements de l'ordre
des Humiliés selon le P. Torecchio, le plus
ancien historien de cet ordre : mais, si l'on
considère que saint Bernard n'alla à Milan
que l'an 1134, el qu'il y aurait déjà eu près
de six-vingts années d'écoulées depuis le re-
tour de ces gentilshommes en Lombardie, on
trouvera que cela ne peut pas être arrivé
sous l'empereur Henri II, n'y ayant pas d'ap-
parence qu'ils eussent été sans règlements
pour leur conduite depuis l'an 1017 jusqu'en
113'*, d'autant pli s que le P. Torecchio parle
comme s'il n'y avait que quelques années
qu'ils eussent embrassé ce nouveau genre de
vie lorsque saint Bernard alla à Milan. Ainsi
il paraît plus vraisemblable que cet ordre n'a
commencé que l'an 1117, sous l'empereur
Henri V, qui, après avoir soumis par la force
(1) Vtfiy., à la lin du vol., n* 119.
de ses armes plusieurs villes de Lombardie
qui ne voulaient pas le reconnaître pour
souverain après la mort de la comtesse Ma-
Ihilde, dont il était héritier, aurait pu avoir
envoyé en Allemagne, ou comme prisonniers
de guerre, ou comme rebelles, des gentils-
hommes de Lombardie, qui, enfin lassés de
leur captivité, se seraient revêtus d'habits de
pénitence pour implorer la miséricorde de
l'empereur et en obtenir la permission de re-
tourner en leur pays.
Quoi qu'il en soit, l'ordre des Humiliés doit
être regardé en trois états différents, qui ont
élé appelés dans cet ordre même, premier,
second et troisième ordre. Le premier est
celui des Berrelins de la Pénitence, qui a pris
son origine en Allemagne, lorsque ces gen-
tilshommes lombards, qui avaient été con-
duits prisouniers embrassèrent sous un ha-
bit de couleur de cendre une vie pénitente, et
formèrent entre eux une société pour prati-
quer les mêmes exercices de piété, d'orai-
sons et de mortification, et rétablirent à leur
retour en Italie les manufactures de laine,
donnant à travailler à une infinité de pau-
vres artisans, s'occupant eux-mêmes à faire
des draps, vivant du travail de leurs mains,
et distribuant aux pauvres ce qui leur res-
tait de leur gain, après en avoir pris ce qui
était nécessaire pour la vie.
Le second commença lorsque, l'an 1134,
par le conseil de saint Bernard , ils se sépa-
rèrent de leurs femmes pour vivre dans la
continence, prirent des habits blancs pour
marquer la pureté de leur âme, s'engagèrent
à un nouveau genre de vie et jetèrent les
fondements de leur premier monastère à Mi-
lan au quartier de Brera. Ils ne changèrent
rien à la forme de leur habillement : il con-
sistait en une robe el un manteau tle drap
blanc, avec de gros bonnets blancs pour cou-
vrir leur tète au lieu de ceux de drap gris
qu'ils portaient auparavant. Ils récitaient
toutes les semaines le Psautier, s'exerçaient
à beaucoup d'autres œuvres pieuses, et tant à
cause de l'humilité de la sainte Vierge, à
laquelle ils avaient beaucoup de dévotion et
qu'ils prirent pour leur prolectrice , qu'à
cause que l'empereur, lorsqu'ils se proster-
nèrent à ses pieds, leur avait dit qu'ils
étaient enfin humiliés, ils prirent le nom
d'Humiliés et quittèrent celui de Berrelin<.
Enfin le troisième ordre , et celui qui a
subsisté jusqu'à leur suppression, commença
lorsqu'ils embrassèrent la règle de saint lie-
noît el qu'ils apportèrent encore du change-
mentdans leur habillement: car ils prirent un
scapulaire auquel était attaché un petit ca-
puce, et portaient par-dessus le manteau
long, ou chape, une inosette blanche (2). Ce
fut à la persuasion de saint Jean de Meda
qu'ils suivirent la règle de saint Benoît. H
était de la famille des Oldrali do Milan, qui,
selon Morigia, a donné à l'Eglise deux car-
dinaux, quatre archevêques de Milan, deux
évêques de Novare, el un général à l'ordre de
Saint-Dominique. Le suruoin de Meda lui fut
(2) Voy., à la lin du vol., n° 1"20.
4SI IIUM
donne, parce qu'il naquit dans ce lieu, qni
est éloigné de dix milles de la ville de Corne
en Italie, dont même il était seigneur ; mais
il renonça à toutes les richesses de la terre,
et se relira dans la solitude de Hondenario,
sur la rivière de Coscia, à quelque dislance
de la ville de Corne, où l'on prétend qu'étant
un jour en oraison, la sainie Vierge s'appa-
rut à lui, et que lui montrant un habit blanc,
elle lui ordonna d'aller se joindre aux Hu-
miliés à Milan. Il fut reçu dans le couvent
de Brera, et comme il était déjà prêtre, et le
seul de cet ordre, qui n'était pour lors com-
posé que de frères lais, la dignité de son
caractère, jointe à ses grandes vertus et à la
sainteté de sa vie, lui attira tellement l'amour
et le respect de tous les religieux, qu'ils se
soumirent à sa conduite.
Ce fut pour lors qu'il leur fit prendre la
règle de saint Benoît, avec l'habillement
dont nous avons parlé. Il leur dressa un bré-
viaire particulier sous le titre d'office des
chanoines. En effet ils prirent ce nom, et,
dausla règle de saint Benoit qu'ils suivaient,
et qui leur était adaptée, les noms de moines
et de frères sont changés en celui de chanoi-
nes. Il les obligea aussi à dire tous les jours
l'office de la Vierge (ce que quelques monas-
tères de religieuses du même ordre obser-
vent encore à présent], et il fit prendre les
ordres sacrés à ceux qu'il jugea avoir assez
de piété et de science pour s'en rendre capa-
bles. Pour lui, il s'adonna à la prédication,
et fit tant de conversions, qu'un grand nom-
bre de personnes, autant touchées de ses pa-
roles qu'édifiées par sa conduite, entrèrent
dans cet ordre. 11 y en eut plusieurs qui y
douuèrent leurs biens , ce qui donna le
moyen à saint Jean de Meda de faire plu-
sieurs établissements dans la Lombardie;
de sorte qu'en peu de temps cet ordre fit
beaucoup de progrès sous sa conduite : ce
qui lui a acquis le titre de Propagateur de
l'ordre des Humiliés. Il acheta Hondenario,
qui était le lieu de sa première retraite. Il y
fit bâtir une église, qui fut déifiée en l'hon-
neur de la sainte Vierge et de tous les saints,
et il y joignit plusieurs cellules. Dieu fil pa-
raître par plusieurs miracles combien les
charités que ce saint faisait aux pauvres lui
étaient agréables : car, dans une cherté
d'huile, avant ordonné à ses religieux de
n'en point refuser aux pauvres qui en de-
manderaient, le vaisseau où on la conservait
se trouva toujours plein, nonobstant la
grande distribution que l'on en faisait. En-
fin, après avoir gouverné cet ordre pendant
plusieurs années, il mourut le 26 septembre
1159. Les miracles qu'il avait faits pendant
sa vie, et qui continuèrent après sa mort, le
firent mettre au catalogue des saints par le
pape Alexandre III. On voit son tombeau
dans l'église de Rondenario,où il fut enterré.
Cette église est présentement occupée par les
clercs réguliers Somasques.
Alexandre III avait succédé à Adrien IV,
qui était mort aussi au mois de septembre
1159. 11 avait été élu parla plus grande par-
tie des cardinaux; mais les autres lui don-
11LM 482
nèrent un compétiteur, qui fut l'antipape
Victor IV, que l'empereur Frédéric Barbe-
rousse reconnut comme légitime, ce qui
causa un schisme dans l'Eglise. D'abord les
Milanais et le reste de la Lombardie recon-
nurent aussiVictor; mais, la cause d'Alexan-
dre ayant été examinée et trouvée bonne par
les rois de France et d'Angleterre, qui le pri-
rent sous leur protection, les Milanais se
rangèrent de leur côté, et chassèrent les
partisans de l'empereur et de Victor : ce qui
obligea Frédéric de venir encore assiéger
celte ville, qu'il avait déjà soumise une fois
à son obéissance. Ce dernier siège fut si opi-
niâtre, que l'empereur après s'être rendu
maître de cette ville l'an 1162, la fit entière-
ment démolir, hors les églises. Il la fit même
labourer avec une charrue, y fit semer du
sel, en mémoire de sa rébellion , et envoya
prisonniers en Allemagne ceux qi i en
avaient été les principaux auteurs. Ces pri-
sonniers, qui se ressouvinrent de ce qui
était autrefois arrivé aux Humiliés dans une
pareille captivité, fireut vœu d'entrer parmi
eux, et de faire bâtir une église à Milan, s'ils
pouvaient obtenir leur liberté. Ils se revêti-
rent d'habits blancs comme les Humiliés, et
allèrent se prosterner aux pieds de l'empe-
reur, dont ils implorèrent la miséricorde, et
lui demandèrent la permission de retourner
en leur pays ; ce qu'il leur accorda. A leur
retour, ils accomplirent leur vœu, et firent
bâtir une église magnifique à Milan, au
quartier de Brera, qui subsiste encore au-
jourd'hui, et qui a été donnée aux Jésuites
après la suppression des Humiliés.
La paiv ayantété rendue à l'Italie, leur or-
dre se multiplia beaucoup. Il fut approuvé
l'an 120D par le pape Innocent III, et con-
firmé par ses successeurs, Honorius 111, l'an
1226; Grégoire IX, l'an 1227; Nicolas IV,
l'an 1289, et par plusieurs autres souverains
pontifes, qui lui accordèrent beaucoup de
privilèges. Le supérieur de cet ordre ne prit
le titre de général que l'an 12i6. Le premier
fut Bertrand de Brescia. 11 y en a eu trente-
quatre de suiie jusqu'en l'an 1570, que l'or-
dre fut supprime par le pape Pie V.
Tandis qu'il se conserva dans la ferveur
et dans l'esprit de son fondateur, et que la
règle de saint Benoit y fut fidèlement obser-
vée, sa réputation se répandit de toutes
parts. Il en sortit un grand nombre d'excel-
lents religieux, dont quelques-uns ont mé-
rité le litre de saints et de bienheureux, et
d'autres ont été élevés aux premières digni-
tés de l'Eglise : ses biens et ses revenus
augmentèrent de jour en jour par la pieté
des fidèles; mais le temps et les richesses y
produisirent le relâchement, et la propriété
s'y éleva sur les ruines de la discipline ré-
gulière. Les supérieurs, qu'on appelait pré-
vôts, se rendirent mailres du re- ;-nn des
monastères, et s'en aitribuèren. niia la
jouissance, de même que s'ils en avaient été
les titulaires; et les pre\ôls, devenus perpé-
tuels, ne donnaient que ce qu'ils voulaient
à leurs religieux, qui avaient à peine dequoi
vivre. Ils résignèrent ensuite ces places
m
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
m
comme de véritables bénéfices dont ils au-
raient eu le pouvoir de dispos, r; ce qui était
la source d'une infinité d'abus : car on rece-
vait très-peu de religieux dans les maisons
de l'ordre ; les prévois, par avarice, en re-
tranchaient le nombre aulant qu'ils pou-
v . i i e : 1 1 , afin d'avoirplusd'occasions de grossir
leurs revenus, enlevant ainsi à Die; des reve-
nus que leurs fondateurs avaient consacrés à
l'entretien du temple de sa majesté divine et de
ceux qui devaienly chanter ses louanges jour
et nuit. Mais c'est ce qui ne les embarrassait
guère : au contraire on n'y recevait ordinaire-
ment que des sujets indignes et ignorants, et
pour la plupart adonnés à toutes sortes de vi-
ces, afin qu'ils ne fussent pas en état par leur
bonne conduite et leur capacité de dépossé-
der ceux qui s'étaient emparés des supério-
rités, qui, enrichis de tant d'injustes dépouil-
les, menaient une vie si licencieuse, qu'ils
ne refusaient rien à leur sensualité : ils ne
marchaient qu'avec de grands équipages ;
ils allaient à la chasse, et étaient continuel-
lement dans les jeux et dans les plaisirs, se
souciant fort peu de ce qui regardait la con-
duite de leurs monastères, où les religieux, à
leur exemple, faisaient honte aux séculiers
les plus débauchés, qu'ils surpassaient dans
leurs excès.
Telélaitl'état déplorable de cet ordre, lors-
que saint Cli ries, qui en était protecteur,
furma le dessein d'y faire revivre les observan-
ces régulières qui en étaient bannies. Il avait
déjà ébauché cette entreprise par un com-
missaire qui y fu! envoyé sous le pontificat
de Pie IV, avec ordre d'y travailler, -aussi
bien que par divers règlements qu'il fit faire
dans un chapitre général qui so tint à Mi-
lan ; mais le peu d'effet qu'eurent les remon-
trances du commissaire et les règlements de
ce chapitre, lui ayant fait connaître qu'il
était nécessaire d'employer l'autorité du
pape, il en parla à Pie V, qui ordonna qu'à
l'avenir les prévôts ne seraient plus perpé-
tuels, mais pour un temps, et qu'on établi-
rait un noviciat pour y élever les jeunes-gens
dans l'esprit de l'institut et la véritable ob-
servance de la discipline régulière. Sa Sain-
teté accorda pour cet effet au saint cardinal
deux brefs : l'un par lequel il lui donnait
pouvoir de lever la dixième partie des reve-
nus de toutes les prévôtés pour contribuer à
l'elablissemeut et à l'entretien du noviciat,
et l'autre par lequel il le déléguait coin me com-
missaire apuslolique, pour faire tout ce qu'il
jugerait à propos pour la reforme de cri or-
dre. En vertu de ces brefs, il convoqua le
chapitre général, qui se tint à Crémone l'an
15D8, où il ôta aux religieux tout ce. qu'ils
avaient en propre, et les obligea de mettre
en coiumun tous les biens de chaque mona-
stère, dans lesquels il établit pour cela un
trésorier. 11 ordonna qu'on changerait tous
les trois ans les prévôts dans le chapitre gê-
ner,.1, ou ils seraient élus à la pluralité des
voix, et que nul d'eux ne pourrait jamais
porter cette qualité en titre et pour tou-
jours ; et eu même temps il fit élire le géné-
ral, qui fu' le P. Louis de la Basilicate, pré-
vôt de Sainte-Catherine de Crémone.
La plupart des religieux particuliers re-
çurent avec beaucoup de joie les ordonnan-
ces de saint Charles, et témoignèrent d'abord
de s'y vouloir soumet! re; mais les prévôts au
contraire ne pensèrent qu'à s'opposer à leur
exécution et à se maintenir dans la supério-
rité. Ils lâchèrent par toutes sortes de voies
de faire condescendre le pape à les appuyer
dans leurs pi éleiiiions , mais ce fut inutile-
ment ; car ce pontite ayant renvoyé celle
affaire à saint Charles, ce cardinal demeura
ferme dans ce qu'il avait ordonné, et voulut
que ses ordonna ices fussent ponctuellement
exéc lées.
La grande autorité de se saint, jointe à sa
fermeté inébranlable, leur fit tellement per-
dre l'espérance de réussir dans leur entre-
prise, qu'ils ne s'attendaient à rien motos
que de se voir obligés à embrasser la ref r-
me : ce qui leur étant la chose du monde la
plus sensible et la plus opposée à leurs plai-
sirs, les mettait dans des transports exces-
sifs de colère contre le saint cardinal, à qui
ils souhaitaient tous les maux imaginables:
mais Irois d'entre eux, qui furent les prévôts
de Vcrceil, de Caravage et de Vérone, plus
passionnés que les aulres, non c ntents de
lui souhaiter mille morts, convinrent par
une entreprise la plus impie et la plu; bar-
bare qu'où ait jamais pu concevoir, de le
faire tuer. Ils communiquèrent leur dessein
à quelques autres compagnons de leurs dé-
règlements, qui élaientdu mèmeordie. Ceux-
ci approuvèrent cet attentat comme le moyen
le plus sûr et le plus court pour s'exempter
de recevoir la réforme, mais principalement
un certain Jérôme Donat, surnomme Farina.
Ce malheureux, tout prêtre qu'il était, s'y
offrit de lui-même, saus qu'on lui en parlât,
pourvu qu'on voulût lui donner quelque
somme d'argent pour récompense. Les pré-
vôts étant convenus avec lui pour quarante
écus, songèrent où ils prendraient cet ar-
gent ; et ne trouvant point d'autres moyens
pour en avoir sans s'incommoder, ou plu-
tôt sans le tirer de leurs bourses, ils vendirent
pour cet effet l'argenterie et les ornements
de l'église de Brera, qui était la principale
maison de l'ordre à Milan. Farina, après
avoir dépensé son argent dans les cabarets,
voulant exécuter l'assassinat dont il était
convenu, trouva le moyen un mercredi 26
octobre de l'an 13(39, de s'introduire secrète-
ment dans la chapelle du saint cardinal,
et lui tira un coup d'arquebuse pendant
qu'il faisait la prière du soir avec ses domes-
tiques. Mais que peut la malice des hommes
contre la puissance de Dieu? Par un effet
de celle protection divine, qui veille tou-
joursà la conservation de ses saints, la balle
ayant frappé le cardinal à l'épine du dos, ne
lii que noircir son rocket et tomba à ses
pieds. Il n'y eut qu'un carreau qui perça ses
habits jusqu'à la chair saus faire autre chose
qu'une petite tumeur.
Quelques diligences que les officiers de
la justice lissent pour découvrir les auteurs
485
HUM
HUM
486
de cet attentat, elles furent inutiles; mais le
pape, peu satisfait qu'un crime de celle im-
portance restât impuni, crut ne devoir pis
s'en rapporter entièrement aux poursuites
que la justice en avait faites, et qu'il était
do son devoird'employer toule l'autorité que
Dieu lui avait confiée pour venger l'injure
faiie au sacerdoce et à la dignité du cardina-
lat. C'est pourquoi il envoya exprès à Milan
un délégué apostolique pour en informer.
Ce fut Antoine Scarampa, évèque de Lodi,
qui fut chargé de cette commission. Sitôt
qu'il y Tut arrivé, il fit publier une ordon-
nance pariant de très-grandes censures con-
tre ceux qui , ayant eu connaissance de l'at-
tentat commis contre la personne de saint
Charles, ne viendraient ; as le révéler.
Deux prévôts des Humiliés, dont l'un était
complice de l'assassinat et l'autre en avait
été seulement averti, autant pur la crainte
des censures que par les remords de le r
conscience criminelle, qui leur reprochait
l'enormite d'un attentat si sacrilège, vinrent
trouver le délégué apostolique, et lui eu dé-
couvrirent quelque chose. 11 les fil arrêter ,
et dans leurs interrogatoires ils m' pu eut
s'empêcher d'avou r le crime détestable
qu'ils avaient voulu commettre. Les autres
complices furent aussi arrêtés, et Farina,
auteur de l'assassinai, fut pris dans les trou-
pes du duc de Savoie, où il s'était fait soldat,
le pape ayant écrit à ce prince pour le faire
saisir sur ses terres. Les plus COô-paWes fu-
rent exécutés à mort le 28 Juillet 1570. Il
s'en trouva parmi i ux qui étaient gen'.iis-
hommes, parmi lesquels étaient les prévôts
de Verceil et de Caravage, qui eurent la
tête tranchée, et les autres turent pendus
avec Farina.
Le pape voyant h dilficultéqu'il y avait de
réformer l'ordre des Humiliés, prit la réso-
lution de le supprimer. Cette nouvelle ayant
été portée à Milan, ce fut une affliction très-
grande non-seulement pour ! s religieux de
cet ordre, mais encore pour les habitants de
celle ville. Ils s'adressèrent à saint Charles
pour prendre son conseil, et savoir de lui
par quelle voieon pouvait empêcher ce coup.
Il fut d'avis que le général allât à Rome se
jeter aux pieds du : ape ; qu'il promît à Sa
Sainteté de recevoir telle reforme qu'elle
voudrait lui presciire ; que la ville de Milan
écrivît au pape en laveur de cet ordre, et
qu'il écrirait aussi de son côté, pour porter
le pape à accorder la grâce qu'on lui deman-
dait, et l'assurer qu'il avait conçu de gran-
des espérances que ces religieux accepte-
raient sans aucune difficulté la réforme,
pour vivre à l'avenir avec pius de régularité.
Le général, selon l'avis du saint cardinal,
alla à Rome se jeter aux pieds du pape, et
le supplia les larmes aux veux de conserver
son ordre ; mais ni ses prières ni les sollici-
tations de saint Charles et de la ville de Mi-
lan ne purent fléchir l'esprit de Pie V, tant
il avait horreur du crime qu'on avait com-
»iis; en sorte que par une bulle du 8 lévrier
157i , a cet ordre, qui était com-
jvosé pour lors Je quatre-vingt-quatorze mo-
nastères, dans lesquels il n'y avait eu tout
que cent soixante et dix religieux.
Le même jour, le pape par une autre bulle
réunit ensemble plusieurs prévôtés, et en
donna quelques-unes à saint Charles, pour
les appliquer à tels usages pieux qu'il juge-
rait a propos. lien donna d'autres à dille-
renls ordres, comme aux Chartreux, aux
religieux de Saint-Frauçois et de Saint-Do-
minique, et à d'autres communautés. Quant
au* religieux Humiliés, il voulut qu'il res-
tât vingt-huit prêtres et sept frères convers
dans la prévôté de Brera à Milan, seize pré-
Ires et quatre convers à Sainte-Abonde de
Crémone ; huit prêtres et quatre convers
dans la prévôté de Sainte-Catherine de la
même ville ; dans la prévôté de Vérone, huit
prêtres et deux convers, et ainsi de quelques
autres prévotés, où il les distribua pour cé-
lébrer l'office divin, voulant qu'ils vécussent
en commun dans les prévôtés, où ilsdemeure-
raient plusieurs ensemble, leur ayant assi-
gné j our cet effet des revenus suffisants, qui
devaient diminuer à mesure que quelques-uns
d'eux décéderaient.
Le P. Torecchio dit que ces religieux
étaient les receveurs des en'rées et des péa-
ges, qu'ils étaient commissaires du peuple,
qu ils exerçaient quelques Offices dans la
justice, et qu'à cause du grand crédit qu'ils
avaient, ils exerçaient encore l'office de la
ttmévaria dans toute la Lonsbadie, et quo
chaque supérieur des monastères de cet
ordre, dans les villes où il y avait un maga-
sin de munitions, en avait une clef. Peut-être
le:T avait-on accordé quelquesdroiîs sur les
marchandises, à cause que c'étaient eux qui,
comme nous avons dit, avaient non-seule-
ment introduit dans la Lombatdie les manu-
factures de laine . mais aussi les fabriques
d'étoffes d'or et d'argent, lorsqu'ils n'avaient
encore que le nom de liemtins.
Nous avons dit ci-devant quels étaient
leurs habillements, tant dans le premier et
le second ordre que dans le troisième. Celui
du premier, dont nous avons donné ci-dessus
la représentation, se trouve encore représenté
dans un ancien tableau qui se conserve
chez les religieuses du même ordre Je ?ainle-
Cathcrine de Brera à Milan, où l'on voit
quelles étaient aussi les armes de cet ordre ,
Sa» 'ir : un agneau couche sur une terrasse
avec un roUleao de pa, ier sortant de sa
gueule, sur lequel sont écrits ces mots:
Omnia vincit kitmilitas. Siheslre Maurolic
a pris apparemment cet agneau pour un
chien , et il donne pour devise à cet ordre,
Tuta fides ; mai? nous aimons mieux nous
en rapporter" à cet ancien tableau.
L'habit du sec nd ordre n'étant différent
de celui du premier que dans la couleur,
nous n'en donnons point d'estampe ; mais
bien de celui du troisième , que nous avons
représente conformément à des mémoires
qui nous sont venus d'Italie.
Nous ne pouvons rien dire de la vie du
bienheureux Gui , que le P. Toreci hio re-
connaît pour fondateur de cet ordre, etaprès
lui saint Antoniti , Silyestre Maurolic, Ar-
4S7
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
488
nould Wion et quelques autres; nous avons
reçu à la vérité de Milan un extrait d'un
Abrégé des Vies des saints de l'ordre des Hu-
miliés , que Puricelli a composé, et qui se
trouve dans la bibliothèque Ambrosienne
parmi les manuscrits dont nous avons parlé.
Cet extrait contient le troisième chapitre de
cet Abrégé des Vies des saints de l'ordre,
lequel chapitre ne regarde que le bienheu-
reux Gui, et a pour titre Capilulo 3° del B.
Guidoda Milano , fondaiore dell'ordine delti
Humiliali ; mais on ne trouve rien dans ce
chapitre ni de sa naissance, ni de ses ac-
tions, ni de sa mort : tout ce qui y est con-
tenu ne tend qu'à faire connaître qu'il a été
reconnu pour fondateur de cet ordre, et cela
fondé sur un vieux missel du même ordre
qui lui donne ce titre; parce que, selon Pu-
ricelli, Gui s'étant acquis beaucoup de cré-
dit sur l'esprit de ces gentilshommes lom-
bards que l'empereur Conrad III envoya
prisonniers en Allemagne , il leur persuada
de renoncer au monde et de mener une vie
pénitente. A la marge de ce chapitre il y a
une petite apostille par laquelle l'auteur dit
qu'il s'est trompé, et que ce qui a fait don-
ner le litre de fondateur au bienheureux Gui,
c'est que, l'an 1134-, il reçut de saint Bernard
quelques règles pour cet ordre, et qu'il les
Dt confirmer par le pape Innocent III l'an
1199. Voici ses paroles : M'ingannavo, queslo
B. Gutdo neW anno 1134- ricevelte da S. Ber-
nardo Alcune Begole per D. Ordine le quali
fece confermare du Innocenzo PP. 111 neW
anno 1199, et percio ne fa addimentato fon-
daiore.
Pour moi , je crois que Puricelli s'est
trompé et dans le corps du chapitre et dans
l'apostille ; car l'empereur Conrad doul il
parle ne doit pas être le troisième du nom,
qui ne parvint à l'empire que l'an 1139,
quatre ou cinq ans après que suint Bernard
fut retourné en France, et qui d'ailleurs
n'eut point de guerres à soutenir en Lom-
bardie pendant son règne. Il est plus pro-
bable qu'il veut parler de Conrad 11, puisque
ce prince fut en Italie en 1027 pour réduire
les Lombards , qui s'étaient révoltés contre
lui; mais il n'y a pas moins de difficulté à
accorder cela avec l'arrivée de saint Bernard
eu Italie. Car, si Conrad III ne régna qu'a-
près que saint Bernard fut retourné en Fran-
ce, et qu'il eut par conséquent donné ces
règlements à Gui, qui était déjà revenu
d'Allemagne en Lombardie, Conrad II ré-
gna si longtemps avant l'arrivée de saint
Bernard à JMilau, qu'il serait impossible que
Gui eût reçu de lui ces mêmes règlements
eu 1134 , et qu'il les eût lait approuver par
Innocent III en 1199 , comme le dit cet au-
teur, à moins qu'il ne donne 172 ans de vie
à ce fondateur : ainsi il est plus probable,
comme nous l'avons déjà dit ci-dessus , que
cet établissement est arrivé sous l'empereur
Henri V, puisque pour lurs, s'il est difficile
d'accorder que Gui ait fait approuver ces
règlements en 1199, au moins cela n'est pas
impossible. Outre qu'il sera très-facile de
coucevoir que saint Deruard lui a pu donner
ces mêmes règlements en 1134, d'autant
plus que cet empereur vivait en ce temps-là
et avait eu guerre avec les Lombards
S. Antonin, part, n Hist., tit. 15, cap. 23.
Sihestre Maurolic, Mar. Océan, di tutt. li
Relig. Philippe Bonanni, Calalog Ord. relig.,
p. i. Herman, Hist. des Ord. reliij., loin. IL
Gio Bapt. Jussiuno, Vit. di. S. Carolo Bor-
rumeo, 155, lib. n, cap, 14; et Mémoires en-
voyés de Milan en 1709 et 1710.
§ IL Des religieuses de Vordre des Hu-
miliés.
Les religieuses de l'ordre des Humiliés ne
furent point comprises dans la suppression
des religieux de cet ordre, et il en reste en-
core à présent treize ou quatorze monastè-
res en Italie. Nous avons dit dans le para-
graphe précédent que ces gentilshommes de
Lombardie qui avaient été menés prisonniers
en Allemagne, élant de retour en leur pays,
s'étaient occupés à divers exercices de pié-
té, vivant du travail de leurs mains; qu'ils
avaient formé entre eux une société sous le
nom des Berretins de la Pénitence, que leurs
femmes avaient embrassé le même genre
de vie; et enfin que saint Bernard , étant à
Milan l'an 1134 , leur avait prescrit des rè-
glements, et leur avait conseillé de se sépa-
rer de leurs femmes et de vivre dans la con-
tinence. Il y en eut plusieurs qui consenti-
rent à cette séparation avec l'agrément de
leurs femmes, qui se retirèrent à Milan dans
une maison appelée les Prisons, au quarlier
de Brera , et y jetèrent les fondements du
monastère qui subsiste aujourd'hui sous le
titre de Sainte-Catherine de Brera; et, com-
me les premières fondatrices de ce mona-
stère étaient de la famille des Blassoni , on
appela d'abord ces religieuses les religieuses
de Blassoni.
Comme la plupart de ces nouvelles ser-
vantes de Jésus-Christ étaient des plus dis-
tinguées de la ville, il y eut un grand nom-
bre de demoiselles qui, renonçant à la vanité
et aux faux plaisirs du monde , suivirent
leur exemple ; mais cette maison ne se trou-
vant pas assez grande pour y recevoir tou-
tes celles qui se présentaient pour embrasser
ce nouvel institut, elles achetèrent une autre
maison dans le quartier appelé Borgo Novo,
et donnèrent encore le nom de Sainte-Ca-
therine à ce nouveau monastère. Elles quit-
tèrent néanmoins quelque temps après ce
nom, parce qu'ayant fondé à côté de ce cou-
vent un hôpital pour les pauvres teigneux,
afin d'avoir lieu d'exercer la charité et de
pratiquer l'humilité, on les appela les reli-
gieuses de 1'Hôpilal de l'Observance. Mais
présentement ce monastère n'est connu que
sous le nom de Saint-Erasme, qui en est ti-
tulaire; et il n'y a que la rue qui est à côté
du monastère qui a retenu le nom de Tegno-
si, à cause de cet ancien hôpital.
Plusieurs villes d'Italie leur offrirent des
établissements, qu'elles acceptèrent : ce qui
fit que le nombre de leurs monastères deviut
très considérable; mais présentement il n'eu
reste plus que treize ou quatorze, qui sou'
*89 HLM
ceux de Sainte-Catherine de Brera, de Saint-
Erasme de Borgo Novo et de Sainte-Made-
leine al Cerchio, à Milan; de Sainl-lîenoit a
Lodi , de Sainte-Ursule à Côme, de Sainte-
Agathe à Novarre, de Sainte-Marthe de Mon-
te^Ugo à Florence , de Sainte-Agathe à \ er-
ceil, de Sainte-Marguerite, et de Sainte-Ma-
deleine à Mouza, diocèse de Milan; de Saint-
Martin à Varèse, an même diocèse; de Saint<-
Calherine à Granedona , au diocèse de Cô-
me; de Sainle-Marie-Madeleine à Lugano,
ville appartenant aux Suisses et aussi du
diocèse de Côme; et de Sainte-Cécile à Ho-
me. Mais quoique les religieuses de ce der-
nier monastère soient de l'ordre des Humi-
liées, comme elles le reconnaissent par les
mémoiresqu'elles m'ont envoyés, elles n ont
pas néanmoins tontes les observances des
autres Humiliées. Ce monastère appartenait
autrefois aux religieux de cet ordre , qui
l'abandonnèrent , et le pipe Clément Ml y
mit, l'an 1527, quelques Biles dévotes, aux-
quelles il donna la règle de saint Benoit et
1 habit des Humiliés. Maure Magalotu , qui
était religieuse de l'ordre de Saint-Benoit
au couvent de Campo-Marzo , en fut tirée
pour gouverner celte communauté et for-
mer ces filles à la vie religieuse : et il pa-
rait par l'inscription qui est au-dessus de
leur porte , et que nous rapporterons ici,
qu'elles étaient véritablement de l'ordre des
Humiliés, comme elles le prétendent encore.
Maura Magalotta abbalissa a Clémente sep-
timo et Franciotta cardinali Ursino prœposi-
to hue accita, œdem hanc , divœ Cœciltœ sa-
cram. quam monachi Humiliât or um Sancti
Benedicli anlea obtmtbant , in prœscntis mo-
na.-terii ejusdem ordinis monialium formata
redegit, eamque pêne collabcntem restituit ,
adjectis insuper hortis, quorum ctiam ut ho-
nestior usus esset, clauitrali eos muro cinxit,
anno a partu Virg. MDXXXX.
Il semble cependant que celles de Milan
ne veulent pas les reconnaître pour leurs
sœurs : car, par les mémoires que j'ai reçus
de l'abbesse de Saint-Erasme de la même
ville, et qui sont écrits de sa main, elle
avoue que le monastère de Sainte-Cécile de
Rome était aussi de religieuses de son ordre,
mais que depuis quelques années, à la solli-
citation de quelques personnes, elles ont
abandonné l'ordre des Humiliés pour se faire
Bénédictines. Il est pourtant certain que les
religieuses de Sainte-Cécile de Rime portent
encore l'habit des Humiliées, et qu'elles se
reconnaissent toujours pour religieuses de
cet ordre. Une différence qu'il y a entre les
observances de celles de Rome et celles des
autres Humiliées, c'est que celles de Borne
ne mangent de la viande que trois fois la se-
maine, et que les autres en mangent quatre
fois, en quoi celles de Rome paraissent plus
austères. Tous les monastères de cet ordre,
à la réserve de celui de Rome, étaient sou-
mis à la juridiction des religieux Humiliés,
qui avaient soin aussi de leurs affaires tem-
porelles : c ■ qui causa la ruine de quelques-
uns de ces monastères, qui, dans la suppres-
sion qui fut faite de l'ordre des Humiliés
Dictionnaire des Ordres religieux. Il
HLM
490
(ayant perdu tous leurs titres, qui étaient
en'tie les mains de ces religieux1, lurent ré-
duits dans une si grande pauvreté, que, se
trouvant hors d'étal de fournir a la subsis-
tance des religieuses , elles se trouvèrent
obligées de se procurer des pensions, dont
elles ont toujours joui en particulier jusqu'à
présent, et sur lesquelles elles donnent une
certaine somme à leur monastère. Mais d'ail-
leurs, quoique la vie commune n'y soit pas
observée, les religieuses ne laissent pas d'y
vivre avec beaucoup d'édilicaiion.
Elles se lèvent la nuit pour dire matines.
Laudes et primes, qu'elles disent le matin,
sont suivies d'une demi-heure d'oraison
meniale; elles en font encore une autre de-
mi-heure après compiles. Quatre fois la se-
maine, il leur est permis de manger de la
viande; mais l'abstinence du mercredi est
inviolable. Elles jeûnent tous les vendredis
de l'année, toutes les veilles des fêtes de la
Vierge, de plusieurs saints, et encore l'avent,
outre les jeûnes ordonnés par l'Eglise, aux-
quels elles ne mangent aucun laitage. Elles
prennent la discipline trois fois la semaine
en carême. Elles ont beaucoup de dévotion
à la sainte Vierge, leur protectrice, et il y a
quelques monastères où les religieuses di-
sent tous les jours son office, le chapelet et
ses litanies. Quelques-unes ont retenu l'an-
cien bréviaire de l'ordre, comme dans les
deux monastères de Sainte-Catherine de
Brera et de Sainte-Madeleine al Cerchio à
Milan; les autres l'ont quitte pour prendre
le bi év iaire romain, mais apparemment avec
répugnance, car il y a eu plusieurs écrits
qui ont été faits à ce sujet; et de ces recueils
de manuscrits concernant l'ordre des Humi-
liés, qui se trouvent dans la bibliothèque
Ambrosienne, dont nous avons parlé dans le
paragraphe précédent, il y en a deux qui ne
regardent presque que ce bréviaire, dont
l'un a 'pour litre : Jocmnis Pétri Puricelli
Mediolani eollegiatœ S. Thomas theologi doc-
toris, responsio ad Italieum quoddam scri-
ptum sub hoc titulo, nuper editum, Ragioni
per le quali le monache dtW Online de gli
Humiliati lasciato l'antico breviario deW
anno loi8, devono pigliare d liomano; et au
commencement de l'autre l'on trouve écrit
de la main de feu M. Bosca. bibliothécaire :
In hoc libro continentur : Joannis Pétri Pu-
ricelli Laurentianœ Mediolmi basilicœ archi-
presbiteri argumenta quœ cogunt moniales
ordinis thimiliatorum psallere more liomano.
Il y a encore dans un autre recueil une con-
sultation du même Puricelli au sujet de ce
bréviaire, qui est sons ce titre : Consulta
del Puricelli per le monache intorno ail' uf/i-
cio , avec un traité particulier de l'office
divin.
L'habillement de ces religieuses consiste
en une robe et un scapulaire de drap blanc;
et, pour conserver quelque chose de l'ancien
habillement, elles portent par-dessous une
petite tunique de couleur de cendre. Il y a
même un des trois monastères de Milan où
elles mettent, l'hiver, par-dessus l'habit blanc
une tunique de couleur cendrée. Leurs voi-
10
m
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
492
les sont blancs dans la plupart des monastè-
res, et ils doivent l'être, selon l'esprit de
l'ordre; mais dans quelques monastères,
comme dans ceux de Rome et de Verceil, ils
sont noirs. On leur en donne pour la profes-
sion un de soie, qu'elles portent aussi à la
communion et d;ins les grandes cérémonies.
Leurs pantoufles sont blanches aussi, et elles
ne portent point de manteau; il n'y a que le
seul monastère de Sainte-Marlhe, à Florence,
où les religieuses en portent. Les sœurs con-
verses ont retenu le nom de Berretines, et
elles sont encore habillées de couleur cen-
drée, ayant, comme les religieuses, une tu-
nique, un scapulaire et un voile de toile
blanche (1). Elles disent pour leur office cer-
tain nombre de Pater et d'Ave-.
Il y a encore dans le Milanais d'autres re-
ligieuses du même ordre qui observent la
même règle; mais leur habillement, leurs
constitutions et leurs pratiques sont diffé-
rents, principalement dans le bourg de Va-
rèse, situé sur les confins de l'Etat de Milan,
où il se trouve un monastère fort ancien
appelé Saint-Martin, parce que apparem-
ment l'église est consacrée à l'honneur de ce
saint. Leur habillement consiste en une
robe, une ceinture et un scapulaire fort lar-
ge, qui tombe depuis les épaules presque
jusqu'au bord de la robe. Elles ont deux
voiles pour couvrir leur tête. Tout cet habil-
lement est blanc, aussi bien que les deux
voiles. Nous en donnons ici un dessin (2) tel
que nous l'avons trouvé dans le P. Bonannij
Jésuite. Ce monastère de Saint-Martin a été
soumis au général de l'ordre; mais dans la
suite les religieuses en furent soustraites, et
se gouvernèrent par elles-mêmes.
Mémoires envoyés de Milan par Vabhesst
du monastère de Saint-Erasme en 1709, et
par d'autres personnes en 1710, tant de Rome
que de Milan. Phil. lîonanni , Calai, de yli
Ordini religiosi, parte a.
INDIENS. Voy. Carmes de l'Etroite Ob-
servance.
INFIRMIERS MINIMES. Voy. Obregons.
IRLANDE (Anciens ordres d') utils à celui
des Chanoines Réguliers.
La vie monastique est aussi ancienne en
Irlande que la religion chrétienne, puisque
ceux qui ont travaillé à y planter la foi
étaient engagés dans la vie monastique, et
qu'ils bâtirent un grand nombre de monas-
tères qui furent remplis d'un si grand nom-
bre de religieux qui se sont rendus recom-
mandâmes par la sainteté de leur vie, que
l'on a donné par excellence à l'Irlande le
nom d'Ile des Saints. Les Chanoines Régu-
liers prétendent avoir fourni les premiers
Pères de la vie monastique; mais c'est sans
aucun fondement qu'ils oi.t mis au nombre
des saints de leur ordre saint Patrice, patron
et apôtre de l'Irlande, puisque ce sainl avait
appris les observances régulières dans les
monastères de Marmoutier et de Lérins
avant que de passer eu Irlande, et que ces
monastères n'ont jamais appartenu aux
Chanoines Réguliers, qu'on ne connaissait
pas même du temps de saint Patrice. 11 en
est de même des autres fondateurs de la vie
monastique en celte île, dont il y a quelques-
uns que les Bénédictins réclament ; mais ils
n'ont jamais été ni Bénédictins ni Chanoines
Réguliers; et, si nous en parlons ici, ce
n'est qu'à cause que ces ordres différents
d'Irlande, au moins la plus grande partie,
ont été confondus dans la suite dans celui
des Chanoines Réguliers, et que ces anoiens
inouaslères>au temps du malheureux schisme
dont nous avons parlé à l'article Angle-
terre, ét.-'^nt | )ssédés par des Chanoines
Réguliers.
TJssérius, archevêque d'Armach, dans son
Histoire de l'Antiquité des Eglises de la
Grande-Bretagne, fait mention d'un ancien
manuscrit où l'on voit que les anciens saints
d'Irlande étaient partagés dès le commence-
ment en trois ordres réguliers; que le pre-
mier était appelé très-saint et était du temps
de saint Patrice, qui en était reconnu emme
chef; que cet ordre était composé de trois
cent cinquante évêques de différentes na-
tions, tous saints, qui n'avaient tous qu'une
même tonsure et une même liturgie; qu'ils
convenaient dans le temps de la célébration
delà pâque; qu'il parlaient aux femmes, et
que cet ordre dura sous le règne de quatre
rois d'Irlande.
Le second ordre n'était pas si saint que
le premier. Les moines qui en dépen-
daient étaient presque tous prêtres, au
i ombre d'environ trois cents. 11 y avait peu
d'évêques dans cet ordre, où il y ai ail dif-
férentes liturgies; ainsi ils célébraient la
messe et l'olfice divin différemment les uns
des autres; c'est-à-dire (selon le sentiment
de M. Allenian) qu ils suivaient diffère nies
règles ou qu'ils formaient plusieurs congré-
gations. Il les compare aux différentes con-
grégations de l'ordre de Saint-Augustin ou
de Saint-Benoît, qui, par la diversité de
leurs habits ei la différence de leurs maniè-
res de vivre, semblent être des ordres sépa-
res, quoiqu'il soit vrai de dire qu'ils sont de
l'ordre de Saint-Benoît ou de Sainl-Au-
guslin.
Ce second ordre avail cela de commun
qu'il célébrait la pâque comme le premier.
1! y avait une même tonsure, on n'j parlait
jamais aux femmes, et il dura encore pen-
dant quatre règnes.
Enfin le troisième ordre était saint aussi,
(1) Voy., à la fin du vol., n* 121,
(2) Voy., à la lin du vol., n" 122.
493
iRL
IRL
■404
mais il l'était moins que les deux autres. Il
comprenait encore plusieurs sainls moines,
au nombre de cenl, qui étaient presque tous
pi èlres, dont il y en avait aussi quelques-uns
d'évéqnes. Leurs couvents étaient bâtis dans
des bois et dans des déserts. Ils ne buvaient
que de l'eau cl ne mangaienl que des herba-
ges qu'ils cultivaient eux-mêmes. Ils sui-
vaient encore des règles différentes qui
avaient chacune leur liturgie et leur ton-
sure; caries uns avaient des couronnes, et
les autres laissaient croître leurs cheveux.
Ils différaient encore dans la pàque; car les
uns la célébraient le quatorzième jour de la
lune, les autres le treizième, et les autres
le seizième. Les uns la célébraient en tris-
tesse et les autres en joie. Cet ordre dura en-
core sous le règne de quatre rois.
La différence qu'il y avait donc entre ces
trois ordres est ainsi rapportée par Ussérius :
Primus ordo erat sanctissitnus , secundus
sanctior, tertius sanctus : primus sicut sol
oriens , secundus sicut luna, tertius siciit
stellœ; et le temps de ces douze règnes a été
depuis 433 jusqu'en 06i.
Les sainls dont nous allons parler sont
reconnus pour les fondateurs de ces ordres
particuliers, qui avaient des règles, et nous
.suivrons le rang que M. Alternas leur a
donné, à l'exception de saint Patrice, qui
doit passer le premier pour avoir été l'apô-
tre d'Irlande, n'étant pas certain que saint
Ailbe, saint Moctée, saint Kieran et quel-
ques autres y aient prêché l'Evangile avant
lui, comme onl prétendu quelques histo-
riens irlandais.
Tous les auteurs ne reconnaissent pas
saint Patrice pour être le fondateur d'un or-
dre particulier, quoiqu'il le soit de plusieurs
monastères; mais ce qui a fait peut-être que
quelques-uns lui ont donné cette qualité,
c'est à cause de ce manuscrit rapporté par
Ussérius, où il est qualifie chef de cet or re
très-sainl dont nous avons parlé. M. Alle-
man prétend qu'il est l'instituteur d'un or-
dre particulier dont la principale abbaye
était à Sabal. Ml Bnlteau semble être aussi
de cet avis, lorsqu'il dit qu'outre Sabal, il
fonda plusieurs autres monastères et y éta-
blit une sainle observance; que les novices
faisaient leurs vœux à l'âge de vingt ans;
qu'il introduisit parmi eux la tonsure ro-
maine en forme de cercle; qu'il portait un
scapulaire blanc, et qu'à son imitation les
autres religieux irlandais se revêtaient de
robe de laine de couleur naturelle et sans
teinture, et qu'enfin il mourut dans son ino-
naslère de Sabal vers l'an 460.
L'ordre de Saint-Colomb, que Bède appelle
aus-i Colouiban, était un des plus étendus,
car il avait plus de cent abbayes ou monas-
tères qui m ùépandaient dans toutes les lies
Britanniques. La principale maison ou chef
de l'ordre était, selon quelques-uns, à Dair-
mag; selon d'autres, à Derry, aujourd'hui
Londondéry; et, selon la plus commune opi-
nion, dans l'île de Hu, Hi, ou de Jona, qui
depuis a été appelée du nom de ce saint
Ycolrnkil, et est située au nord de l'Irlande.
et peu distante d'Ecosse. Ce saint, ayant été
prêcher la foi aux Pietés, en convertit un
grand nombre et bâtit des églises. Il fut eu
si grande vénération comme apôtre de ce
pays, que, du temps de. Bède, c'e^t-à-dire
vers l'an 731, par une discipline tout extra-
ordinaire, tous les évêques de la province
des Pietés étaient sous la juridiction et la
dépendance du prêlre qui était abbé du mo-
nastère d'Ycolmkil, à cause que saint Co-
lomb, apôtre de la nation, avait été seule-
ment prêtre et religieux. Sa mort arriva
vers l'an 598. Il se trouve une règle en vers
hibernois qu'il avait dictée, et qui fut en
usage non-seulement dans l'île de Hi, mais
dans les autres monastères d'Ecosse qu'il
fonda ou qui furent bâtis par ses disciples.
Saint Colomb portait une tunique blanche
et uni1 tonsure l'aile en demi-cercle. Cet ordre
était compris dans celui qu'on appelait Sanc-
tior, dont nous avons parlé ci-dessus; mais
le nombre des moines de Saint-Colomb de-
vait excéder celui du second ordre en géné-
ral, puisqu'il est marqué dans ce manuscrit
que le nombre des moines de ce second or«
dre n'était que de trois cents, presque tous
prêtres. Il y avait plus de cent monastères
de celui de Sainl-Colomb, et nous verrons
dans la suite plus de trois mille moines sous
la conduite de saini Congall. C'est une diffi-
culté qu'Ussérius, Colgan et les autres his-
toriens d'Irlande n'ont point expliquée lors-
qu'ils en ont parlé. L'on pourrait dire que
ce manuscril n'a seulement entendu parler,
par ce nombre de trois cents, que des abbés
ou supérieurs des monastères qui compo-
saient ce second ordre, qu'il appelle Sanc-
tior.
Après l'ordre particulier de Saint-Colomb
suit celui de Saint- Al bée ou Ailbe, au moins
selon le rang que lui donnent Ussérius et
M. Alleman, lorsqu'ils ont parlé de ces or-
dres, quoique saint Albée soit compris dans
le premier ring des sainls d'Irlande, c'est-
à-dire dans le premier ordre appelé Sanclis-
simus; aussi bien que saint Declan, saint
Moctée et saint Kieran, dont nous parlerons
ci-après. Quoi qu'il en soit, l'ordre de Saint-
Albêe, quoique des plus anciens, était le
moins étendu. Sa principale abbaye était
celle d'Emely dans le comté de Triperari
en Momonie, et celle abbaye a été depuis
érigée en évèché qui est uni à l'archevêché
de Casshel. Ussérius fait mention d'une rè-
gle en vers irlandais qu'il composa pour ses
disciples.
Saint Declan , selon Golgan , avait aussi
fondé un ordre particulier dont la principale
abbaye était à Ardimore, sur les côtes de
Momonie, et il était peu étendu.
L'ordre de Saint-Congall était plus consi-
dérable. Ce saint menait une vie si austère
avec ses disciples, qu'il y en eut sept qui
moururent de faim et de froid. Ou lui con-
seilla de modérer cette austérité; il suivit
cet avis, permettant à ses disciples de vivro
comme le commun des religieux; mais pour lai
il ne diminua rien de sa pénitence. Il bâtit'
le célèbre monastère de Benchor daus le
495
comté de Doune, et on dit qu'il eut sous sa
conduite jusqu'à trois mille religieux. 11
mourut dans cette abbaye l'an 601. Il com-
posa aussi une règle pour ses disciples, qui
se trouve en vers hibernois.
Saint Mochude, qui a été appelé Cartage,
excella en sainteté et bâtit le monastère de
Rathen dans la Médie occidentale ou West-
meaih, où il eut plus de huit cents religieux
qui vivaient fort auslèrement. Il fonda aussi
l'église de Lismor en Monionie, dont il fut
le premier évéque. Sa règle se trouve encore
écrite en très-ancien langage hibernois,
Une des pratiques de ses religieux était
que ceux qui avaient été envoyés hors le
monastère allaient à leur retour se mettre
à genoux devant l'abbé, et lui marquaient
qu'ils avaient tâché d'exécuter ses ordres.
Saint Luan, ou, comme quelques autres
l'appellent, saint Molua, avait été disciple
de saint Congall. Il était si exact à obser-
ver les devoirs de l'obéissance, qu'elle fut
souvent honorée de plusieurs miracles pour
relever le mérite de ce saint religieux; car
pour exécuter plus promptement les ordres
de saint Congall, il mania un fer ardent
sans se brûler, et s'étanl prosterné le long
de la mer, parce qu'on 1 avait repris d'une
faute, l'eau, montant dans le temps du re-
flux, n'inonda point la place où il était. 11
fonda un grand nombre de monastères, et
même jusqu'à cent, selon le témoignage des
Irlandais rapporté par saint Bernard (Vil.
S- Mulach. cap. 6). Le principal fut celui de
Cltiainferl dans la Lagenie, ou, selon d'au-
tres, Clonfestdans le comté de Galway en
Connacie, qui est aujourd'hui un évêché.
On dit que l'abbé Dagan, allant à Rome,
préseuta à saint Grégoire la règle qu'il avait
donnée à ses disciples, et que ce saint pape,
rayantlue,ditenpiésencedetontlemondeque
lesaint abbéqui l'avait composéeavait envi-
ronné sa communauté d'une haie qui s'éle-
vait jusqu'au ciel. Il ne laissait point entrer
de femmes dans son monastère ; et, se voyant
près ne mourir, il exhorta ses disciples à la
persévérance dans le service de Dieu, leur
recommandant entre autres choses la stabi-
lité et le silence; et, après avoir reçu la
sainte communion des mains de saint Cro-
nan, qui l'était venu voir, il mourut proche
de la cellule de saint Stellan, son d.sciplc,
l'an 62-2.
L'oid redeSai n l-Moclée n'était pas des moins
considérables, au rapport de Colgan.Ce saint
fonda plusieurs abbayes, dont la principale
était celle de ternes, où il résidait, et dont
il fut ensuite évéque, lorsque Férues fut
érigée en évêché.
Saint Finian ou Finnen naquit dans la La-
génie et fut baptisé par saint Alban. Etant
en âge d'étudier, il se retira auprès de saint
Forcliène, abbé de Roscur, qui lui apprit
les devoirs de l'état religieux. A l'âge de
trente ans, il passa en France et alla à Tours
pour y continuer sr-, études. Liant de retour
en Irlande, il enseigna les lettres saintes
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 496
dans une des maisons dont il fut le fonda-
teur, et ensuite dans l'abbaye de Clonard,
qui est reconnue pour avoir été le chef de
cet oidre. Il eut plusieurs disciples qui fu-
rent depuis illustres par leurs vertus et par
leurs emplois. Sa nourriture ordinaire n'é-
tait que du pain, des légumes et de l'eau.
Aux jours de fêles, il mangeait un peu de
poisson et buvait du petit lait ou de la bière.
La terre lui servait de lit, et une pierre de
chevet. EnGn une maladie contagieuse qui
affligea le pays l'an 548 l'emporta avec plu-
sieurs autres, et le Gt passer dans la gloire
des bienheureux.
Saint Kiaran ou Keran avait eu pour maî-
tre dans l'élude des lettres saint Finiau.
Ussérius dit que son ordre reçut l'approba-
lion des papes. Les deux principales mai-
sous de cet ordre étaient Seir-Keiran en Est-
mealh ou Médie orientale, et CluanMicnois,
Clunes ou Kiloom eu Westmeath ou Médie
occidentale, qui a été érigé en évêché et est
présentement uni à celui de Médie. Colgan
dit que cette abbaye fol comblée de bienfaits
par les princes d'Irlande, et qu'elle eut
quantité d'autres églises ou prieurés sous sa
dépendance. Ce saint mourut l'an 549, étant
âge seulement de trente-trois ans. 11 est dif-
férent d'un autre saint Keirau, évéque de Sa-
gir, qui mourut vers l'an 520.
Enfin l'ordre de Sainl-Brendan avait pour
sa principale maison l'abbaye de Port-Pur
dans la ville de Clonferl, au comté de Gal-
way en Connacie, qui depuis a été érigée en
cathédrale. On dit qu'un ange iui dicta la
règle qu'il prescrivit à ses disciples el qu'il
en eut deux ou trois mille sous sa conduite.
Il mourut fort âgé, selon quelques-uns vers
l'an 577; d'autres mettent sa mort dix ans
après.
Les historiens irlandais mettent encore
l'ordre ds Saint-Colomban et celui de Sainte-
Birgitte; mais, comme le premier regarde
l'ordre de Saint-Benoit, dans lequel il a été
incorporé, nous n'eu dirons rien ici, en ayant
parlé à l'article Colomban, outre qu'il n'a
point fondé de maison- en Irlande. L\>rdro
de Sainte-Birgilte a eu aussi son article spé-
cial.
Voyez Ussérius, de Antiquil. EccUs. Bri-
tanicar. Colgan, Vit. SS. Hibernur. Bulleau,
Hist. de l'ordre de Suint-Benoît. Alleman,
Hist. monastique d' Irlande; et Joau. Mabill.
Annal. Ord. S. Bened. tom. I.
ISAIE (Des Règles de saint), de saint Ma-
CAinE et de quelques autres Pères de la vie
monastique en Orient.
Après avoir parlé des ordres de Saint-An-
toine et de Saint-Basile, et avant que de dé-
crire l'origine el le progrès de celui deSaint-
Pa chôme, nous dirons un mol de quelques
autres Pères de la vie monastique d'Orient,
dont quelques-uns ont été disciples de saint
Antoine et de saint l'achome, et dont les rè-
gles ont été recueilles par saint Benoit d'A-
niane (11. Il s'en trouve une sous le nom de
(1) Cad. Regnl. ; et Guhean, Hist. Monasl. d'Orient.
497
ISA
ISA
49S
l'abbé Isaïe qui est propre pour les Ermites,
principalement pour les novices, mais on ne
tait quel était son monastère; l'on conjec-
ture que cet abbé pourrait bien avoir vécu
daus l'Egypte ou la Thébaïde. Il y en a en-
core une dans le Code des Règles composée
par deux saints Macaire, par saint Sérapion,
par saint Paphnuce et par trente-quatre au-
tres abbés. Cet abbé Sérapion est Sérapion
de Nitrie, ou Sérapion d'Arsinoé. Saint
Paphnuce était celui qui gouvernait un mo-
nastère situé près d'Héraclée , ville de la
basse Thébaïde, ou plutôt Paphnuce Bubale,
prêtre du désert de Scétis. Les deux Macaire
sont sans doute lus disciples de saint An-
toine, et l'Ancien ou l'Egyptien, el sont dif-
férents d'un autre Macaire l 'Alexandrin ou
le Jeune, dont on voit aussi une règle. Celui-
ci était d'Alexandrie, lequel, ayant quitté
l'emploi qu'il exerçait, embrassa la vie reli-
gieuse, el fut un prodige de mortification et
d'abstinence. Pour repousser les attaques de
la volupté, il s'exposa nu dans un lieu plein
de mouches, et y demeura pendant six mois,
de sorte qu'il eu sortit tout défiguré comme
un lépreux. 11 alla une fois à Tabenue vêtu
comme un artisan ; et, sans se faire connaî-
tre, il fut admis dans la communauté. Mais
ensuite saint Pachome le reconnut par ré-
vélation, et fut surpris de la rigueur de sa
pénitence; car il se tint debout pendant le
carême, mangea seulement, ou plutôt il fit
semblant de manger un peu de légumes
chaque dimanche. Il retourna en Egypte et
continua d'y servir Dieu. 11 avait diverses
cellules et demeurait tantôt dans le désert d ■
Nitrie, tantôt dans celui de Scétis et encore
ailleurs. EnGn sa mort arriva vers le com-
mencement du V siècle, et l'on prétend qu'il
avait sous sa conduite cinq mille moines.
Quelques-uns croient que la règle qui est
sous son nom n'a point été écrite ni dictée
par lui , mais que c'est seulement un recueil
de ses maximes et de l'observance régulière
qui se pratiquait dans ses monastères, et
que l'auteur de cette règle n'a vécu qu'après
saint Jérôme. Ou attribue encore une règle
mouasliqueà saint Posthume, abbé dePisper,
qui succéda à saint Macaire daus le gouver-
nement des moines dont saint Antoine lui
avait laisse la conduite; et le diacre Vigile
fil une collection des maximes et des coutu-
mes des anciens moines sous le nom de Règle
Orientale.
il y a eu sans doute d'autres règles dont
on n'a point de connaissance; car eu Orient
aussi bien qu'en Occident, il y avait presque
amant de règles que de monastères, selon ce
que dit Cassien [lib. n Institut., c. 2j. La plu-
pari eu avaient d'écrites, quelques-uns obser-
vaieui seulement ce qu'ils avaient appris de
leurs anciens el qu'une suite de temps sans
interruption y avait fait recevoir comme loi;
d'autres n'avaient pour règles que la volon-
té de leurs supérieurs (1). Comme toutes
ces règles, soit écrites ou verbales, tendaient
toutes à une même fiu, qui était de ne songer
uniquement qu'à Dieu et de ne s occuper
qu'aux choses spirituelles en se débarrassant
de loul ce qui pouvait y apporter quelque ob-
stacle, c'est ce qui faisait que chaque mo-
nastère n'était pas si attaché à une règle,
qu'il n'en observât encore quelques atitres,
selon que l'abbé le jugeait à propos : de sorte
que dans un même monastère l'on observait
plusieurs règles écrites, auxquelles on re-
tranchait ou l'on ajoutait ce qui semblait
plus convenable à ce monastère, eu égard
au lieu où il était situé et au temps auquel ,
on introduisait celle règle. Cependant, parmi h
une si grande diversité de règles, il y avait
une si grande union entre les moines, qu'ils
semblaient ne former qu'une même congré-
gation par rapport aux observances et aux
vêlements, qui étaient uniformes; c'est pour-
quoi on passait aisément d'un monastère
en un autre, non-seulement des Lalins aux
Latins, des Grecs aux Grecs, mais encore
des Latins aux Grecs, et des Grecs aux
Latins.
De ces règles orientales dont nous avons
parlé ci-dessus, celle de saint Macaire fut
introduite dans le monastère de Lérins en
Provence, et daus celui de lléomay ou
Monstier-Saint-Jean en Bourgogne, aussi
bien que dans celui de Saint-Seine. Le mo-
nastère de Sainl-Mémin, proche d'Orléans,
reçut celle de saint Antoine, ou du moins
celle qui se trouve sous son nom, qui fut
observée aussi avec celle de saint Pachome
et celle de saint Benoit, dans un monastère
de filles fondé sous le titre de Sainte-Colombe
et de Sainte-Agathe (Ibid., lib.xm, et wup-
pendice), comme il paraît par les lettres
apostoliques du pape Jean IV, qui confirment
celle foudation à la recommandation de Clo-
vis 11, roi de France. Celle du diacre Vigile
sous le titre de Règle Orientale (Cod. Regnl.),
fut reçue dans quelques monastères du dio-
cèse de Trêves. Enôn celle de saint Basile
dont nous avons parlé à l'article de ce nom,
fut reçue dans presque tous les monastères
d'Italie, après qu'elle eut été traduite en la-
lin par Rufin (Annal. Benedict. lib. î et vi).
Elle fut aussi introduite en France dans quel-
ques monastères, entre les autres dans l'ab-
baye bâtie par saint Yrier, proche de Limo-
ges, qu'on appelle présentement de son nom
Saiut-Yrier-la-Perche. Ce saint y fit obser-
ver cette règle, conjointement avec les Insti-
tutions de Cassien et les règles de tous les
abbés qui avaient été les fondateurs de lu
vie monastique, selon le témoignage de Gré-
goire de Tours [lib. x, c. 29).
L'on doit mettre au nombre des régies
d'Orient les Institutions de Cassien, puisqu'il
ne les rédigea par écril qu'à la prière de
Castor, évéque d'Apt, qui avait fondé un
monastère dans le diocèse de Nîmes, dans
lequel il souhaitait faire observer les mêmes
manières de vivre que celles que Cassien
avait vu pratiquer aux moines d'Orient, et
qu'il avait établies dans les deux maisons
qu'il avait fondées à Marseille. Ce ne fut pas
(l)Joanu. Mmill., Annal. Uenedicf., tom.l.Ub, I.
490
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
MX)
seulement en France que ces Institutions ,
auxquelles plusieurs écrivains ont donné le
nom tle règle, lurent observées, mais elles
le furent encore en plusieurs monastères
d'Espagne (1), où, dans l'abbaye de Saint-
Pierre d'Arlanee, il se trouve un manuscrit
sous le titre de Iiegulœ Patrum, qui renferme
les règles de saint Macaire, de saint Pachome,
de saint Basile, de saint Cassien, de saint
Benoît, de saint Isidore et desainl Fructueux,
qui se trouvent encore avec celle de saint
Posthume dans un autre manuscrit sous le
même lilre de R<anlœ Patrum, dans le mo-
nastère de Saint-Pierre de Cardagne au dio-
cèse de Burgos. D'où l'on doit conclure qu'a-
vant que la règle de saint Benoît lût reçue
eu Espagne, on y observait les règles de saint
Basile ou de Cassien, et peut-être les deux
ensemble.
A la vérité les écrits de Cassien, et surtout
ses Conférences, qui contiennent les maxi-
mes et les instructions qu'il avait apprises
de la bouche di'S plus célèbres d'entre les
Pères ou abbés des déserts d'Egypte, ne fu-
rent pas exempts d'erreurs. Il y avait quel-
ques sentiments qui ne s'accordaient pas avec
la foi touchant le libre arbitre et la grâce.
Saint Prospcr écrivit contre lui, et ne laisse
pas de reconnaître sa sainteté, quoiqu'il com-
batte ses erreurs, qu'il ne défendit pas avec
opiniâtreté. Victor, évéque de Martyrit en
Afrique, et quelques autres, ont purgé ces
ouvrages de Cassien deserreurs qu'il y avait;
c'est pourquoi le célèbre Cassiodre , ayant
bâli le monastère de Vivieïs dans la Calabre,
près deSqnilare, ordonna à ses religieux de
garder la règle des Pères et de s'appliquer
avec grand soin à la lecture des irailés de
Cassien pour l'instruction des moines; mais
il les avertit de les lire avec précaution et
d'y joindre les corrections qu'y avait faites
Victor, évéque de Martyrit.
C'est dans la règle de Cassien ou ses Insti-
tutions monastiques qu'on apprend quel
él;.il l'habillement des anciens moines d'O-
rient. Ils avaient de petites tuniques de lin
dont les manches ne venaient que jusqu'aux
coudes. Ils portaient un capuchon ou froc
qui leur descendait de la tète sur le haut des
épaules. Ils avaient deux bandes de laine
qui, descendant du haut des épaules, se sé-
paraient el venaient se joindre sur l'estomac
en serrant l'habit et le pressant sur le corps,
fffin qu'ils eussent les bras libres pour s'a-
donner plus facilement à toute sorte de tra-
vail. Leur manteau était d'une matière fort
grossière qui leur couvrait le cou et les
épaules. Ils portaient une robe de peau de
chèvre ou de brebis et marchaient toujours
nu-pieds ; maisdans le besoin ilsse servaient
de sandales, qu'ils quittaient lorsqu'ils s'ap-
prochaient des S. S. mystères (-2). La célèbre
abbaye de Saint-Victor à Marseille nous
donnera encore occasion de parler deCassien
à l'article Victor.
ISIDORE (Saint-). Voy. Césaire (Saint-).
ISTRIE (Congrégation du Tiers-Ordrk
de Saint-François en). Voy. Sicile (Congré-
gation de).
JACOBINS. Voy. Dominicains.
JACOBITES (Moines).
Les Jacobites, que l'on devrait plutôt ap-
peler Monophysites, puisque ce nom convient
particulièrement à ceux qui croient qu'il n'y
a qu'une nature en Jésus-Christ, font pro-
fession de suivre la doctrine de Dioscore,
patriarche d'Alexandrie, de Sévère d'Antio-
che, et de Jacques surnommé Zanzale (3). Ils
disent anathème à saint Léon et au concile
de Chalcédoine, el ne reconnaissent qu'une
nature en Jésus-Christ , comme une seule
personne et une seule volonté. Ils ont pris
leur nom de ce Jacques dont nous venons de
parler, parce qu'il a le plus contribué à
maintenir celte hérésie et à l'étendre en
Orient. Le surnom de Zanzale, ou de Bardai,
selon les Arabes, et que les Grecs expriment
par celui de Daradat , lui fui donné à cause
qu'il n'était ordinairement habillé que de
haillons ou de pi ces de ces grosses étoffes
dont on couvre les chameaux. 11 fut secrè-
tement ordonné archevêque par les évéques
de sa secte, qui étaient en prison en exécu-
tion des édils des empereurs contre les hé-
rétiques; ci, après avoir reçu d'eux une en-
tière autorité, il alla dans toute la Syrie, la
(1) Rufy.ffîs/. de Marseille. Joatui. Mabillon.. An-
tifli,Beneà.kt.l lib. in.
Mésopotamie et d'autres provinces. Partout où
il ne trouvait point d'évéque, il en ordonnait
ainsi que des préires et des diacres, et il en or-
donna un si grand nombre , que le nom de
Jacobites demeura à ceux de sa communion,
qui l'onl toujours en en si grande vénération,
qu'ils l'ont même inséré dans leur calendrier.
Mais, comme il y a quelques auteurs qui
disent qu'il était disciple et conlemporain de
Sévère, patriarche d'Anlioche, qui vivait à
la On du ve siècle, et qui soutenait, à ce qu'ils
prétendent , les erreurs d'Eulychès et de
l)ioscore, le P. Du Solier, de la compagnie do
Jésus, dans son Traité historique des Pa-
triarches d'Alexandrie , prétend que ce ne
fut que dans le vu* siècle que ce Jacques
Zanzale employa tous ses soins a rassembler
et à réunir les restes dispersés des sectateurs
d'Eulychès et de Dioscore, divisés en plu-
sieurs branches connues sous les noms de
Sévériens , de Théodosiens , de Gaïnaites et
de Julianisles, et fort affaiblis par les persé-
cutions qu'avaient excitées contre eux les
Melchites ou orthodoxes , sous l'empire de
Justinien, de Justin dit le Jeune, de Tibère
et de Maurice, et que des débris de ces héré-
tiques il forma un nouveau parti sous son
nom. 11 avoue que ce Jacques Zanzale peu!
(2) Voi) , à la fin du vol., ir I2ô.
(5) Rcuaudoi, l'erpéluité de la foi, t. IV, HV. i, c. 7.
501
JAC
JAC
C«2
être appelé disciple de Sévère , patriarche
d'Antioche , qui certainement viviit à la fin
du V siècle, niais seulement en ce sens, qu'il
étaii un des plus zélés défenseurs des dogmes
soutenus parce patriarche, et qu'il ne s'en-
suit nullement de là qu'ils aienl été con tem-
po rai > s.
Comme il y en a qui prétendent encore
que Sévère et Jacques Zanzale eommerieè-
renl à brouiller en Oiient sous l'empire
d'Anaslase, et que ce sentiment es! appuyé
sur l'aulor lé d'Anaslase le Sinaïle, qui, dans
le livre intitulé Le Guide ou te Conducteur,
en spécifiant les divers sectateur- d'Eulychès
et de Dioscore , n'oublie pas Jacques et ses
Jacobites , le P. Du Solicr répond que c'est
à tort qu'on a fixé l'époque, de ce livre à
l'année 550, auquel temps viva:t à la vérité
un Anaslase, patriarche d'Antioche ; mais
qu'il y a eu trois Anaslase qu'on a conl'on-
dus ensemble pour n'en faire qu'un seul ;
qu'il y en a eu deux patriarches d'Antioche,
et que le dernier et le plus jeune des trois
était moine du mont Sinaï et auteur de ce
livre, où il raconte des faits arrivés depuis
l'an 60fc et vers l'an 630, après les commen-
cements du mahométisme ; d'où le P. Du Sorier
conclut que ce moine, n'ayant parlé de Jac-
ques et des Jacobites que dans un livre éent
vers le milieu du vu* siècle, on ne peut pas
tirer de là un avantage pour prouver que les
Jacobites aient été avant le vu" siècle.
Quoique le P. Du Solier prétende que Jac-
ques Zanzale ait rassemblé les restes disper-
sés des sectateurs d'Eutychès et de Dioscore,
divises en plusieurs branches connues sous
les noms de Sévériens, de Tbéodosiens , de
Gaïnailes et de Julianisles, ce sentiment n'est
pas approuvé par M. l'abbé Kenaudot, puisque,
selon cet illustre écrivain, les Jacobites di-
sent aualhème à Eutychès; qu'ils regardent
comme hérétiques les disciples de Julien
d'Halicarnasso, qui disait que le corps dans
lequel Jésus-Christ avait pris chair était in-
corruptible; et que clans leurs prières, ils
louent Sévère d'Antioche d'avoir détruit les
imaginations de Julien.
La principale erreur des Jacobites est
donc de n'admettre qu'une, nature en Jésus-
Christ. On leur en a imputé d'autres dont ils
résout nullement coupables, comme de nier
la Trinité, et, parcelle raison, de ne faire le
signe de la croix qu'avec un doigt. Le peu
d'erreurs où ils sont présentement engagés a
beaucoup contribué à la réunion de plusieurs
personnes decellesecteàl'Eglise romaine(l).
L'an 16C2, André, archevêque d'Alep, qui
était déjà catholique, et avait envoyé sa
profession de foi au pape Alexandre VII,
après avoir abjuré ses erreurs, fut élevé au
patriarcat d'Antioche pour la nation iaco-
bile. 11 n'accepta cette dignité que pour tra-
vailler plus efficacement à reunir les Jaco-
bi;es à l'Eglise romaine, et y réussit en par-
lie, malgré les persécutions que lui suscitè-
rent les hérétiques. Mais, après la mort de
(I) Lettre du P. Verseau au P. Fleuriau, dans le
IV1 Recueil des Lettres édiliames des Missions de la
ce patriarche, qui arriva le 28 juillet 1G77,
un nommé Abd-Elmésich se mit en possession
du patriarcat à fane d'argent, et persécuta
fort les catholiques ; ce qui fil que les plus
fervents et lespluszélésfnent si bien par leur
adresse, qu'ils trouvèrent moyen de le faire
déposer et de mettre en sa place l'évêque de
Jérusalem, Ignace-Pierre, zélé catholique. On
employa le crédit de l'ambassadeur de France
à la Poile pour avoir un commandement du
Grand-Seigneur, qui confirma son élection,
avec ordre à tous ceux de sa nation de lui
obéir. Il fut installé dans son siège patriar-
cal par huit archevêques et évêques, savoir:
un Maronite, trois Jacobites catholiques,
deux Grecs et deux Arméniens. Il envoya
ensuite sa profession de foi au pape Inno-
cent XI, qui lui envoya le paltium. Cepen-
dant les hérétiques jacobites ayant employé
beaucoup d ■■ fourberies pour l'aire confirmer
par le grand visir et le mufti d'Alep l'élec-
tion qu'ils firent en 1687 d'un patriarche de
leur cabale, leur faisant accroire que le pa-
triarche Ignace-Pierre était mort, ils réussi-
rent dans leur entreprise. Mais, en 1693, le
patriarche catholique fut rétabli dans son
siège à la sollicitation du roi de France, et le
patriarche Ignace-Pierre choisit pour coad-
juleur un ai chevèque jacobite catholique, qui
fut reconnu en cette qualité par les catholi-
ques de cette nation.
Cependant une furieuse persécution s'éleva
en 1701 conlre le patriarche Ignace-Pierre
(2). Le Grand-Seigneur Mustapha II, prei se
par le mufti, grand ennemi des catholiques,
qui en était sollicité par les hérétiques, en-
voya un commandement pour obliger les
Jacobites, qui fai-aient profession de la reli-
gion catholique, de retourner à l'hérésie de
leurs ancêtres. Le patriarche, l'archevêque
d'Alep et les principaux du clergé de la na-
tion surienne ou jacobite, n'ayant pas obéi
à cet ordre, après avoir reçu plusieurs mau-
vais Irai emenls et une rude bastonnade,
furent condamnés à être renfermés, le reste
de leurs jours, dans le château de la ville
d'Adané. Le patriarche el l'archevêque d'Alep
eurent le bonheur d'y mourir pour la défense
delà foi. Mais les révolutions arrivées dans
l'empire ottoman, en 1703, le Grand-Seigneur
Mustapha ayant été déposé, et le mufti ayant
subi une mort honteuse, ramenèrent pour un
temps la paix dans les Eglises jacobites ca-
tholiques, ou plutôt dans les Eglises su Tien-
nes, car les Jacobites , après avoir abjuré
leurs erreurs, prennent le nom de Suri eu s,
et quittent celui de Jacobites comme un nom
infâme. Celui qui succéda au mufti se mon-
tra plus favorable à leur égard ; mais les per-
sécutions ont été renouvelées quelque temps
après, ce qui est cause que la religion catho-
lique ne fait pas parmi les Jacobites schisma-
tiques tout le progrès qu'on pourrait atten-
dre du zèle des prélats qui sont toujours de-
meurés fermes dans la loi catholique malgré
les persécutions.
Comp. de JésiK, ei l'epître dédie, du même Recueil.
("2) lbid. Lettre du P, Verze.au au I'. do la Chaise.
«05
DICTIONNAIRE t)ES ORDRES RELIGIEUX.
504.
Quoique parmi les séculiers il y ait grand
nombre de catholiques, la plus grande partie
des religieux sont néanmoins toujours dans
l'erreur. Leur principal monastère est à Der-
zapharam, proche la ville de Mardin en Mé-
sopotamie, dans lequel le patriarche fait sa
résidence lorsqu'il est schismatique. 11 y en
a encore un autre proche de la même ville;
deux à une journée de la ville de Damas ;
deux à une journée de la ville de Ninive ; un
à Tauris, sur le chemin de Mardin; un autre
àEdesse, et quelques aulres en différents
lieux; mais presque tous abandonnés, et où
il y a peu de religieux. Ils ne mangent ja-
mais de viande, non pas même à l'extrémité
de maladie, aussi bien que le patriarche et
les évèques, et ils observent les mêmes ca-
rêmes et les mêmes jeûnes que les Maroni-
tes, excepté la veille de saint Maron, qu'ils
ne reconnaissent point, et auquel ils sub-
stituent Jacques Zanzale, qui les a perver-
tis. Je parle seulement des schismatiques;
car il y a de l'apparence que les catholiques
jeûnent la veille de saint Ephrem, qu'ils ont
pris pour patron de leur Eglise de Home.
Conformément au rite que suit cette na-
tion, ils chaulent l'office en langue syriaque,
ont les mêmes instruments de musique que
les Arméniens, et consacrent avec du pain
levé, de même que les Grecs, contre la pra-
tique des Maronites et des Arméniens; uuais
ils ont ceci de particulier qu'ils niellent de
l'huile et du sel dans leur hostie, qui est si
grande et si épaisse, qu'on en peut facile-
ment communier plus de cent personnes.
L'habillement (1) des religieuxest assez sem-
blable à celui des Maronites. Il n'y a point
de monastères de religieuses de cette nation,
et celles qui se consacrent à Dieu par la pro-
fession religieuse demeurent chez leurs pa-
rents.
M.Saphar, évêque de Mardin, qui demeure
depuis quelques années à Rome, où il était
venu reconnaître le souverain pontife comme
chef de l'Eglise universelle de la part des
Eglises catholiques suriennes, a acheté un
hospice dans celte capitale de l'univers pour
les evèques et les aulres personnes de sa na-
tion. Il en prit possession le 18décembre 1690,
ayant aussi obtenu la permission de célébrer
à certains jours de l'année dans l'église de
cet hospice, conformément à leur rite; ce
qu'il fit pour la première fois le 9 février 1697,
jour de saint Ephrem de Syrie, dont la fête
avait été transférée à ce jour.
Frances. Quaresm. Etuci'l. Terr. Sanclœ.
Joann. Bapl. Du Solier, T raclât, hist. de pa-
triarch. Alexand. Le Fèvre, Théâtre de la
Turquie. Le AJ onde de Davity. Eugène Roger,
Voyage de la Terre Sainte; et Mémoires ma-
nuscrits.
JACQUES DE SALOMON a Venise (Domi-
nicains DE LA CONGRÉGATION DE ). V Otj . LûM-
1IA11LME.
JACQUES DU HAUT-PAS ou de LUQUES
(Chanoines hospitaliers de Saint-).
Le P du Breuil, dans ses Antiquités de Pa-
(1) Voy., à la fui du vol., i»° 124.
ris, donne le nom de chevaliers aux cha-
noines hospitaliers dont nous allons parler.
De tous les ailleurs néanmoins qui ont traité
des ordres militaires, il n'y en a aucun qui
ait fait meniion de celui de Saint-Jacques du
Haut- Pas; peut-être aussi ont-ils cru qu'il
élait le même que celui de Saint-Jacques de
l'Epée. Il y en a d'autres qui leur donnent
le nom de chanoines réguliers; mais aucun
ne rapporte l'origine de cet ordre. Il est cer-
tain cependant qu'il y a eu un ordre de Saint-
Jacques du Haut-Pas, dont il y a une pa-
roisse à Paris, qui en a retenu le nom à cause
que Guillaume Violle, évêque de Paris, du
consentement du commandeur d'un hôpital
dépendant de cet ordre, et qui était silué au
faubourg Saint-Jacques, érigea la chapelle
de cet hôpital en église succursale pour le
secours des paroisses de Saint-Benoit, de
Saint-Hippolyte et deSaint-Médard, l'an 1506 ;
ce qui dura jusqu'en l'an 15*72, que les reli-
gieux bénédictins de Saint-Magloire, qui
demeuraient où sont présentement les filles
Pénitenles en la rue Saint-Denis, furent trans-
férés par ordre du roi Charles IX en cet hô«
pilai. Ils se trouvèrent incommodés d'avoir
une paroisse dans leur église, et les parois-
siens, d'un autre côté, étant bien aises d'a-
voir une église dont ils fussent les maîtres,
en firent bâtir une à côté de cet hôpital, la-
quelle fut achevée l'an 1574. et a toujours
retenu le nom de Saint-Jacques du Haut-Pas,
que l'hôpital quitta pour prendre celui de
Saint-Magloire, à cause du corps de ce saint
que les Bénédictins y apportèrent avec eux.
Le P. du Breuil, faisant mention de cet
hôpital qui fut fondé par le roi Philippe la
Bel, qui commença à régner l'an 1286, dit
qu'il fut nommé du Haut-Pas, non pas à
cause de la situation du lieu, ni parce qu'il
faille monter des degrés pour y entrer, mais
parce qu'il était membre et dépendant du
grand hôpital de Saint-Jacques du Haut-Pas
de Luques en Italie, aux dépens duquel on
entretenait un passage sur la rivière d'Ar-
gue-le-Blanc dans l'Etat de Florence, sur le
, grand chemin de Home, où l'on avait accou-
tumé de payer de grands tributs et exactions,
qui furent affranchis par ceux de cet hôpi-
tal et des aulres qui y étaient unis, de sorte
que les pèlerins y passaient librement sans
rien payer. Il a voulu sans doute parler de
l'Arno, n'y ayant point de rivière qui porte
le nom d'Argue-le-Blanc.
Outre le grand maître général de cet or-
dre, qui résidait en Italie, il y avait un com-
mandeur général pour le royaume de France,
comme il paraît par l'épitaphe d'un com-
mandeur qui était contre le mur de l'église
de l'hôpital de ce nom à Paris, avant que
les Pères de l'Oratoire, qui le possèdent pré-
sentement sous le nom de Saint-Magloire,
et qui ont succédé aux Bénédictins, eussent
fait embellir le chœur. Nous la rapporte-
rons ici.
L'an mil cinq cens vingt-six davantage
Par mort certaine an dernier héritage,
S05
JAC
JAC
506
Fut mis et clos en ce dévot séjour
D'octobre prins le quinzième jour,
Religieuse ethonneste personne
Dont renommée rn plusieurs places sonne,
Publiquement, frère Antoine Canu
Qui par bon droit lui vivant advenu,
Fut commandeur de ce ne doute pas
En gênerai, Saint-Jacques du Haut-Pas,
Et par mérite exempt de maléfices
H posséda autres trois bénéfices,
Sens naturel montra en tout endroit
Par sens acquis il fut en chacun droit
Licentié, et après tous ses titres
Vertu en lui déclara par registres,
Que l'hospital en très-belle devise
Fit faire neuf, et grand part de l'église,
Semblablement comme on a évidence
Le corps d'hostel estant en décadence
De charité fut le vrai exemplaire
Pauvre, repeut pour à Jésus complaire,
Et sans cesser prenoit la cure et soin
De les panser quand il estoit besoin,
Priez pourluf, dites dessus sa lame
Ci gist le corps, en paradis suit lame. Amen.
Au bas de ce mur il y a une lombe sur
laquelle il y a cel autre épitaphe du même
commandeur:
Ci gist vénérable religieux et discrète per-
sonne F. Antoine Canu en son vivant licentié
en chacun droit et commandeur gênerai de
l'hospital de Saint-Jacques du Haut-pas en
roïaume de France, qui trépassa le 15 jour d'oc-
tobre l'an 152G. Priez Dieu pour son ame.
L'on voit encore celle-ci sur une autre lombe.
Ci gist noble homme Révérend Père en Dieu,
F. Jean Dimanche de Lucques autrement De-
pesse, jadis grand maistre gênerai de l'ordre
de Suint-Jacqties du Haut-pas qui trépassa
l'an de grâce li03, le quatrième jour du mois
de janvier. Dieu en ait l'ame.
Il paraît par l'épitapbc de ce grand maî-
tre Dimanche, qui y est qualiGé de Révérend
Père en Dieu, et par celle du commandeur
Canu licencié en l'un et l'autre droit et qui
possédait trois bénéfices, aussi bien que par
les figures qui sont représentées sur les
lombes que l'on voit encore dans cite église,
et qui out toutes la lête rasée en forme de
couronne comme la portent les ecclésiasti-
ques, que ces hospitaliers se firent ordonner
prêtres dans la suite, quoique dans leur
origine ils ne fussent que des frères lais qui
faisaient eux-mêmes les bacsoùils passaient
les pèlerins sur les rivières, selon leur pre-
mier institut, au moins ceux qui avaient des
établissements sur les bords des rivières où
il n'y avait point de ponts. Car, pour ceux
quidemeuraientàParis, ils élaient bien éloi-
gnés de la rivière, et n'avaient été établis
dans celle ville que pour exercer l'hospita-
lité envers les pèlerins. Mais, comme les au-
tres religieux de cet ordre, ils portaient sur
leurs manteaux des marteaux qui avaient le
manche pointu par le bas, comme' pour faire
des trous, afin de faireenlrerplusaisémeni les
clous dans le bois. Ces religieux portaient
ces marteaux de différentes formes, comme
(1) Voy.} à la fin du vol., u° 125
l'on remarque aussi sur les tombes qui sont
restées dans l'église de Saint-Magloire, où
l'on voit de ces hospitaliers, dont les uns ont
le marteau en forme de maillet de tonnelier,
d'autres dont les marteaux ont deux pointes
à chaque côté, d'autres qui ont des marteaux
dont les travers sont en forme de haches,
tous ces marteaux ayant le manche pointu.
Quant à la couleur de leur habillement (1),
elle était blanche, et non pas noire, comme
dit le P. Athanase de Saint-Agnès dans son
Chandelier d'Or, qui prétend que cet haldl-
lement consistait en une tunique et un man-
teau noirs, avec un capuce rouge. Le P. du
Breuil donne la qua'ité de chevaliers à ces
hospitaliers ; il y en a d'autres qui leur
donnent celle de chanoines réguliers. Il se
peut faire qu'ils étaient chanoines hospita-
liers comme ceux du Saint-Esprit de Mon-
pellier ou in sassia, et ceux de Saint-An-
toine de Viennois, qui, quoique chanoines,
sont aussi hospitaliers, et à qui quelques-
uns donnent aussi sans aucun fondement le
titre de chevaliers.
L'ordre de Saint-Jacques du Haut-Pas fut
du nombre de ceux que le pape Pie II suppri-
ma, et dont il appliqua les revenus à l'ordre
deNolre-Damedr Bethléem, qu'il institua par
sa bulle de l'an 1459, dont nous avons parlé
à l'article Bethléem. Il subsista néanmoins
longtemps en France depuis cette suppres-
sion, comme fait foi l'épitaphe du comman-
deur Canu mort en 15*26 ; et il y avait même
encore quelques-uns de ces religieux dans
le même hôpilil de Paris lorsque les Béné-
dictins de Saint-Magloire y furent transférés,
l'an 1572, par ordre du roi Charles IX. Cet
ordre est aussi énoncé dans l'édit de Louis
XIV de l'an 1672, par lequel Sa Majesté
avait uni à l'ordre de Saint-Lazare les biens
de plusieurs ordres militaires et hospitaliers,
que l'on regarda comme supprimés, du
nombre desquels était celui de Saint-Jacques
du Haut -Pas.
Voyez Du Breuil, Théâtre des Antiquités de
Paris, liv. n, pag. 579, et les mêmes par
Malingre, liv. n, pag. W7.
JACQUES DE L'ÉPÉE (Moines de Saint-).
Voy. Épée.
JACQUES en Hollande et de SAINT-
ANTOINE en Hainaut (Chevaliers de
Saint-).
Aubert le Mire, dans ses Origines des Or-
dres militaires, dit que Florent V, comte de
Hollande, Zélande et Frise, institua à la
Haye, l'an 1290, un ordre militaire sous le
nom de l'apôtre saint Jacques. Schoonebeck,
qui, étant hollandais, devrait avoir mieux
élé instruit de cet ordre que les écrivains
étrangers, s'en rapporte néanmoins au té-
moignage d'Aubert le Mire et à celui de M.
Ashinole, qui disent que l'on trouve dans les
archives de Hollande un manuscrit authen-
tique de l'institution de cet ordre. Il y a bien
de l'apparence gue M. Ashinole et l'abbé
Giustiniani, qui ilit encore la même chose, ne
parlent aussi qu'après Aubert le Mire, qui
£>07
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
508
assure avoir tiré Gdèlement ce qu'il dit de
cet ordre d'un ancien registre en langue alle-
mande, nommé Reqister der Ridderscnp, et
l'avoir traduit en latin. Quoi qu'il en soit, ce
comte île Hollande, selon Aubert le Mire, fit
chevaliers de cet ordre douze seigneurs, en-
tre lesquels furent Lancelol, comte d'Hamil-
ton, ambassadeur du roi d'Ecosse; Godard
deBotsi hols, envoyé de Westplialie, et Hen-
ri, comte d'Henneherg, envoyé de Cologne,
et leur donna pour marque de leur ordre une
chaîne d'or sur laquelle il y avait six coquil-
les, avec une médaille pendante au bas du
collier, où était l'image de l'apôtre saint Jac-
ques (1), le tout pesant un marc et demi; et
chaque chevalier, après avoir fait serment
sur les saints Evangiles entre les mains de
l'évéque d'IUrecht. donna à Jean Payporl,
héraut de Hollande, son écu, où étaient les
armes de sa maison, que l'on attacha dans la
salle du pilais de la Haye pour eu conserver
la mémoire.
Florent V, instituteur de cet ordre, ayant
corrompu la femme d'un gentilhomme nommé
Gérard de Velsen, ce gentilhomme et sou
beau-père conspirèrent contre lui l'an 1936,
le prirent et le menèrent au château de
Mude. Ayant appris qu'on levait contre eux
une armée en Hollande, ils mirent ce comte
sur un cheval, croyant l'emmener en Angle-
terre ; mais Gérard, se voyant pressé de trop
près, lui donna vingt coups d'épée et le laissa
mort dans un fossé. Ce qu'il paya bien chè-
rement peu de temps après, car quelques
auteurs rapportent qu'il fut exécuté à Ley-
den, ayant été mis dans un tonneau plein
de clous, dans lequel on le roula par toute I a
ville.
L'ordre militaire de Saint-Antoine fut in-
stitué en 1382 par Albert de Bavière, qui, par
la mort de Guillaume dit l'Insensé, son frère,
hérita des comtés du Hainaut, de Hollande,
Zélande et Frise, qu'il avait gouvernés en
qualité de tuteur pendant la détention de ce
même Guillaume, que ses su;ets avaient été
obligés d'enfermer à cause de ses frénésies ,
qui éla enl quelquefois si excessives, qu'il
tua de sang froid un gentilhomme d'un mai-
son très-illustre.
Vinchent, qui a fait les annales du Hai-
naut, et le P. Ruleau de l'ordre des Minimes,
«lui les a augmentées, disent (chap. 23) que
le motif qui porta ce prince à instituer cet
ordre fut que le Hainaut étant affligé de la
maladie que l'on appelait feu sacré ou feu de
Saint-Antoine, et eeux qui en étaient atta-
qués ne trouvant point de meilleur remède
et plus assuré que de visiter une chapelle
dédiée à ce saint, située dans le bois d'Hauré,
proche Mons, Albert de Bavière institua un
ordre de chevalerie en l'honneur de ce saint
pour témoigner la dévotion qu'il lui portail,
et fil cette Institution de chavaliers confor-
mément à celle qui en avait été faite par le
pape Boni face \ III, dès l'an 1298, par une
huile qui poilail enlre autres choses que
l'on ne recevrait daus cette chevaleiie que
(I) Yoy., à la lia du vol.,u° 12G.
des personnes de la première noblesse qui en
auraient fait preuves, et Ie9 docteurs qui se
seraient rendus nobles p sr leur science; et
que les chevaliers porteraient un collier d'or
auquel devait pendre un T d'or ou d'argent, ■
selon leur noblesse, avec une clochette d'ar-j
gent (2).
Ces auteurs ajoutent que le duc Albert, in-
stituteur de ces chevaliers d • Saint-Antoine'
dans le Hainaut, ayant résolu d'envoyer une
armée en Prusse au secours des chevaliers
Teuloniques, établit dans l'ordre des cheva-
liers de Saint-Antoine un connétable et un
maréchal de camp; que les seigneurs d'An-
toin, de Ligne, d Hauré, dcLougueval et de
Bossu, s'engagèrent dans celte milice; que
Gérardd'Enghien, seigneur d'Hauré, et Jean,
seigneur de Ligne, chevaliers de cet ordre,
étant allés, l'an 1390, à la guerre d'Afrique
avecplusieurs seigneurs ducomlédu Hainaut,
et se trouvant la même année à Rhodes avec
quelques seigneurs français qui étaient aussi
chevaliers de l'ordre de Saint-Antoine, ils
leur firent un récit si avantageux des miracles
que ce saint faisait dans la chapelle dédiée
en son honneur dans le bois d'Hauré, que
ces seigneurs français leur conseillèrent de
faire venir en ce lieu des religieux de l'ordre
de Saint-Antoine ; ce qu'ils exécutèrent dans
la suite, lecornte d'Ostrevaut enayant obtenu
sept de l'abbaye de Saint-Antoine en Dau-
pliiné, qui furent établis, l'an l'i-15, dans cette
chapelle, et auxquels on fit bâtir un monas-
tère et un hôpital pour y loger les pauvres
pèlerins ; qu'enfin les chevaliers de Saint-
Antoine e:i Hainaut choiirent ce monastère
pour le lieu de leur assemblée, qu'ils y met-
taient leurs portraits avec leurs armes en-
tourées d'un collier d'or fait de corde à nœuds
avecleTetuneclochetle.commePonen voyait
encore de leur temps. Aubert le Mire, parlant
de cet ordre [Orig. ord. etju. cap. 12), dit
aussi que le collier était fait en forme de
corde d'ermite, auquel pendait un bâton à
s'appuyer et une clochette. Tous les auteurs
qui ont traitédes ordres militait es disent aussi
que le collier de l'ordredeSaint-Antoinc était
composé d'une ceinture d'ermite, qu'ils ont
représentée comme uneceinture de cuir avec
une boucle; mais nous aimons mieux nous
en rapporter aux auteurs des annales du
Haiuaulet à Aubert le Mire, qui ontété mieux
instruits de ce qui concernait cet ordre.
(Juaul à sou institution, dont ces annalistes
du Hainaut font auteur le pape Bonifacc VIII
en citant sa bulle de l'an 1298, je n'ai trouvé
aucun autre historien qui en ait parlé.
JARRETIÈRE (Chevaliers de la) en Angle-
terre.
Presque tous les historiens conviennent
qu'Edouard 111, roi d'Angleterre, n'institua
l'ordre de la Jarretière qu'à l'occasion de
celle que la comtesse de Salisbury , qu'il
aimait, laissa tomber dans un bal, et que ce
prince releva ; ce qui ayant donné occasion
de rire aux courtisans et causé duckagriu à
12} Voij., à la lin du vol., n° 127.
5C9 JAR
la comtesse, le roi, pour témoigner qu'il n'a-
vait point eu de mauvais dessein, dit, en lan-
gage de ce temps-là, Honnij soit qui mal y
prime, le mol lioiiny signifiant maudit ; et Dt
un serment que tel qui s'était moqué de celte
jarretière s'estimerait heureux d'en porlcr
une semblable. Cet ordre lut institué dans le
cbâteau de Windsor et fut mis sous la pro-
tection de saint Georges. Mais ces historiens
ne s'accordent point sur le temps de cette
institution. Les uns prétendent que ce fut
l'an 1344, et les autres l'an 1350.
Froissant donne à connaître qu'il fut in-
stitué l'an 1347, en disant qu'après qu'E-
douard 111 eu' choisi quarante chevaliers de
cet ordre, dont la l'été se devait célébrer tous
les ans, et auquel il donna le nom du bleu
jarretière, et qu'ils se furent engagés par ser-
ment d'observer les statuts qui en avaient
élé dressés, ce prince envoya publier une
fête par ses héraut;', en France, en Ecosse,
en Bourgogne, en Hainaut, en Flandre, en
lîrabanl et en Allemagne, pour le jour de Saint-
Georges suivant de l'an 1348. Mais, quoique
cet auteur parle de l'amour qu'il avait pour
la comtesse de Salisbury et qu'il fasse la des-
cripiion d'un tournois qu'il fit faire à Lon-
dres à sa considération et où elle se trouva,
il ne dit point qu'elle laissa tomber sa jar-
retière ni que ce fut le motif qui porta Ce
prince à instituer cet ordre.
Huker, dans sa description du royaume
d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande, attribue
l'institution de cet ordre au rétablissement
de Pierre le Cruel sur le trône de Caslille par
les troupes auxiliaires d'Angleterre, com-
mandées par le prince de Galles ; mais il s'est
trompe, puisque cela n'arriva que l'an 13C6,
seize ans après l'instii ulion de l'ordre. Cet
auteur ne laisse pas de dire que la marque
de cet ordre fut une jarretière bleue, à cause
de celle que la reine avait perdue; sur quoi
le roi l'ayant raillée et lui ayant dit qu'il l'avait
donnée aux chevaliers, cl'e lui répondit,
Honny soit qui mal y penne, ce que ce prince
6t ajouter en lettres d'or sur la jarretière.
Le peu d'intelligence que Joseph Michieli
avait apparemment de la langue latine lui a
fait croire que quelques auteurs avaient
trouve un autre motif de l'institution de
l'ordre de la jarretière, car il dit que quel-
ques-uns prétendent qu'Edouard institua cet
ordre en considération de Périsselide , reine
de la Jarretière : Algunos dizen haver insti-
tuido esta ordena contemplacionde Periselicle
reyna de la Guarliera, ayant pris le mot pe-
riscelis, qui signifie jarretière pour le nom
d'une reine, et la jarretière pour le nom d'un
royaume. Enfin il y en a qui ont fait remon-
ter l'oiigine de cet ordre jusqu'au temps de
Richard 1", roi d'Angleterre, et qui prétendent
qu'Edouard n'ena éléque le restaurateur. Tels
ont été les différents senlimenls des écrivains
sur l'origine et l'institution de l'Ordre de la
Jarretière.
M. Ashmole, héraut de cet ordre, qui en a
donné une ample histoire, en attribue l'insti-
tution àEdouard 111; mais, regardant comme
fable l'histoire de la. jarretière de la com-
,l\R
.MO
(esse de Salisbury, relevée par ce prince, il
prétend qu'il l'institua par un autre motif,
et que ce fut la vingt-troisième année de son
règne : ce qui revient à l'an 1349, puisqu'E-
douard monta sur le trône d'Angleterre l'an
1326. En effet, au commencement des statuts
de cet ordre , qui furent dressés par ce
prince, et même dans ceux qui furent réfor-
més par ses successeurs, il est marqué qu'il
avait institué un ordre militaire en l'honneur
de Dieu, de la sainte Vierge et de saint Geor-
ges, martyr, la vingt-troisième année de son
règne:.4</ honotem omnipotenlis Dei, sanetœ
Mariœ Vïrginis gluriosœ et >ancti Georqii
tnartyris, Dominus nbster supremus EdunnJus
ter tins rex Angliœ anno règni sui post con-
questum xxm, ordinavit, slabilivit, et funda-
vit quamdaiii socielatem sive ordinem mili-
tai em.
Le roi, avant que d'instituer cet ordre,
avait fait achever l'église de Windsor, com-
mencée par ses prédécesseurs, comme il
paraît par ses lettres du 6 août de la vingt-
deuxième année de son règne, c'est-à-dire de
l'an 1348, par lesquelles il déclare que ses pré-
décesseurs ayant commencé à Windsor une
églisesous le titre de Saint-Eilouard, dans la-
quelle il avait été régénéré par les e iux du
baptême, et où ils avaient établi huit cha-
noines, il avait fait achever celle église en
l'honneur de Dieu, de la sainte Vierge, do
saint Georges, martyr, et de saint Edouard,
confesseur; et que, voulant augmenter le
nombre des chanoines et des autres ministres
de cette église, il ordonnait qu'on ajouterait
encore aux huit chanoines qui y étaient déjà,
un custode pour être leur chef, quinzcaulres
chanoines et vingt-quatre pauvres chevaliers
qui n'avaient pas de quoi vivre, avec des
chapelains qui obéiraient au custode et qui
seraient entretenus sur les revenus qu'il
assigna à celte église.
Le pipe Clément VI, par une bulle du 30
novembre de la même année, donna pouvoir
aox évêques de Salisbury et de Winchester
d'ériger l'église de Windsor en une collé-
giale de chanoines, de prêtres, de clercs, de
pauvres chevaliers du royaume, et d'autres
minisires qui devaient y faire le service di-
vin, et d'en fixer le nombre conformément
aux revenus qui leur avaient été assignés;
et, par une autre bulle du 12 février de l'an-
née suivante, il exempta cette collégiatc de
toute juridiction de l'ordinaire, la mellant
sous la protection du sainl-siige, voulant
que le custode eût tout juridiction sur les
chanoines, les prêlres, les clercs, les pauvres
chevaliers, et les autres ministres de l'église;
et que, pour ce qui regardait lacondui:edes
âmes, il reconnût l'autoriiéde l'évéque de
Salisbury, dont il recevrait le pouvoir. Ce
custode et cette collégiale étaient obligés, en
verlu de celte même bulle, à payer tous les
ans au sainl-siége un marc de sterling, le
jour de la fêle de saint Georges, en l'hon-
neur duquel cette église avaii été fondée.
Il païaît par le quatrième article des sta-
tuts de cet ordre qu'il ne devait y avoir que
treize chauoio.es daus celle église, cl autant
511
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
512
de vicaires, faisant en tout le nombre de
vingl-six, auquel fut aussi fixé le nombre des
chevaliers de la Jarrelière, et non pas à celui
de quarante, comme Froissard a avancé;
lesquels vingt-six chevaliers, y compris le
roi, qui était chef et souverain de l'ordre,
devaient présenter chacun, pour la première
fois seulement, un de ces treize chanoines
et un de ces treize vicaires, dont la nomina-
tion devait appartenir dans la suite au chei
de l'ordre, aussi bien que celle des pauvies
chevaliers, qui, par les mêmes statuts, ayant
été augmentés jusqu'au nombre de vingl-six,
devaient aussi être présentés par chaque
chevalier de l'ordre, pour la première fois
seulement. Les treize chanoines devaient
porter un manleande pourpre, avec un rond
sur le côlé gauche, dans lequel élaient les
armes de saint Georges, savoir, une croix de
gueules en champ d'argent; et les vingt-six
pauvres chevaliers devaient aussi porter un
manteau rouge, et sur le côté gauche un
écusson aux armes de saint Georges, sans
jarretière autour. Chaque chevalier de la
Jarretière, à sa réception dans l'ordre, devait
donner en aumône pour l'entretien des cha-
noines et des pauvres chevaliers, savoir : le
roi, quarante marcs d'argent, un roi étranger
vingt livres, le prince de Galles vingt marcs,
chaque duc dix livres, chaque comie dix
marcs, chaque banneret cent sous, et chaque
bachelier cinq marcs.
Quant à l'habillement des chevaliers de
l'ofdre, il consistait en un manteau bleu, sur
lequel il y avait du côté gauche une croix
rouge entourée d'une jarretière : ils devaient
aussi porter toujours à la jambe gauche une
jarretière bleue, où ces mots étaient en bro-
derie d'or : Honny soil qui mal y pense, et
ceux qui étaient trouvés sans celte jarretière
devaient payer un demi-marc. Il y a des sta-
tuts en français qui portent qu'un chevalier
était dispensé de la porter, quand il estoit
housé pour chevauchier, et que pour lors il
était obligé de porter sous son houzeau en si-
gnifiance du jarretier, un fil bleu de soye. Les
chevaliers devaient avoir ce manteau bleu
depuis les premières vêpres de la fêle de saint
Georges jusqu'après le souper; le jour de la
fêle en entrant dans la chapelle jusqu'au dî-
uer, et depuis les secondes vêpres jusqu'au
souper, et cela en quelque lieu qu'ils fus-
sent, comme s'ils avaient été présents à la
fêle. Ils n'avaient point pour lors de colliers,
n'ayant commencé à en porter que sous le
règne d'Henri VIII, n'y ayant que les statuts,
qui lurent réformés par ce prince en 1522,
qui en fassent mention ; et cela dans le troi-
sième article, où il est marqué que depuis les
premières vêpres de la lêle de saint Georges
jusqu'après les secondes, et même jusqu'au
souper, tous les chevaliers porteront le
manteau, la robe, l'huméral et le collier; et
daus le trente-huit et dernier article de ces
statuts, ce prince déclare que du consente-
ment des chevaliers il a ordonné qu'à l'ave-
nir tous les chevaliers porteront un collier
d'or du poids de trente onces, qui sera com-
posé de jarretières, dans lesquelles il y aura.
deux roses ; que dans une jarrelière la rusa
de dessus sera blanche, et celle de dessous
rouge, et que dans une autre jarrelière la
rose de dessus sera rouge, et celle de dessous
blanehe ; qu'au bas du collier il y aura une
image de saint Georges; que ce collier sera
porté dans les grandes solennités ; mais
qu'aux autres jours on portera seulement
l'image de saint Georges attachée à une pe-
tite chaîne d'or, à moins qu'on ne soil obligé
d'aller à la guerre, que I on soit malade, ou
que l'on entreprenne un grand voyage, aux-
quels cas il suffira de porter l'image de saint
Georges attachée à un petit cordon de soie.
Par les mêmes statuts, le roi Henri VIII ré-
duisit à treize le nombre des pauvres cheva-
liers de l'église de Windsor, dont il augmen-
ta le nombre des ecclésiastiques, ordonnant
qu'il y aurait à perpétuité un doyen et douze
chanoines, treize autres prêtres, d>ut une
parlie serait appelée petits chanoines, et l'au»
Ire vicaires, et que s'ils n'étaient pas prêtres
en entrant, ils fussent au moins en âge de
l'être dans l'année ; qu'il y aurait outre cela
treize clercs et autant de choristes, qui, avec
les petits chanoines et le-* vicaires, chante-
raient au chœur et feraient l'office divin. Le
nombre des pauvres chevaliers a élé aug-
menté dans la suite jusqu'à dix-huii.
Ce prince par ses statuts n'avait rien
changé touchant les prières auxquelles les
chevaliers de l'ordre étaient obligés envers
ceux qui étaient décédés. Il y est encore
marqué, aussi bien que dans les anciens, que
le roi d'Angleterre devait faire dire pour
chaque chevalier défunt mille messes, un roi
étranger huit cents, le prince de Galles sept
cents, un duc six cent s, un marquis quatre cent
cinquante, un comte trois cents, un vicomte
deux cent cinquante, un baron deux cents,
et un écuyer cent. Mais, après que ce prince
eut introduit l'hérésie dans son royaume, il
changea cet article des statuts, et ordonna
que lorsqu'un chevalier décéderait, tous les
autres donneraient de l'argent pour être
employé en œuvres pieuses : savoir, le roi
d'Angleterre 8 liv. 6 sous 8 den., un roi
étranger 6 liv. 13 s. 4 d., un prince 5 1. 16 s.
8 d., un duc 5 1., un marquis 3 I. 15 s., un
comte 2 1. 10 s., un vicomte 2 1. 1 s. 8 d.,
un baron 1 1. 13 s. k d., el un écuyer 16 s. 8 d.
11 y a eu daus la suite du changement à
l'habit et au collier. Présentement, le man-
teau, qui d'abord n'était que de drap bleu,
est de velours; l'on a changé la robe en un
justaucorps de velours cramoisi ; el les che-
valiers portent un bonnet de velours noir
autour duquel il y a un cercle d'or garni de
pierreries, avec des plumes blanches el une
aigrelte noire. Sur le côté gauche du man-
teau, il y a une croix rouge entourée d'une
jarretière au milieu d'une étoile, dont les
rayons sorlent (oui autour de la jarretière.
L'abbé Giusliniani dit que les chevaliers ne
portent celte étoile que depuis l'an 1626, par
une ordonnance de Charles II ; mais il y a
bien de l'apparence qu'ils la portaient déjà
auparavant, comme il parait par le tombeau
de Guillaume llallon, chancelier d'Angle-
515
JAR
JAR
514
terre et chevalier de cet ordre, décédé l'an
1591, qui est dans l'église de Saint-Paul de
Londres, où il est représenté avec le man-
teau de cérémonie, ayant sur le côté gauche
la croix entourée de la jarretière au milieu
de cette étoile : ce que l'on peut voir dans la
description de cette église que Dugdale a
donnée en 1658.
Les chevaliers portent encore sur l'épaule
droite un chaperon d'écarlate comme les
présidents et les conseillers de nos parle-
ments de France. Le collier est présentement
composé de jarretières au milieu desquelles
il y a une rose, et ces jarretières sont entre-
lacées de nœuds faits de cordons d'or avec
des houppes, quequelques-uns prennent pour
des chardons, et au bas du collier il y a l'i-
mage de saint tîeorges, armé de toutes
pièces, sur un cheval émaillé de blanc. Cette
image est ordinairement garnie de diamants.
La jarretière est de velours bleu garnie de
perles qui forment les paroles qui sont des-
sus. La boucle et le fermail sont garnis de
diamants (1). Tel est l'habit de cérémonie
qu'ils portent dans les solennités ; mais, aux
autres jours, outre la jarretière, ils portent
un cordon bleu en forme d'écharpe, depuis
l'épaule gauche jusqu'à la hanebe droite, et
au bas de ce ruban il y a une médaille d'or
où d'un côté est l'image de saint Georges
dans un cercle d'or garni de diamants, et de
l'autre quelques ornements au milieu d'un
cercle d'or garni aussi de diamants : c'est ce
qu'on appelle le Georges. Cette médaille est
néanmoins comme une petite boîte qui s'ou-
vre et où quelques chevaliers conservent le
portrait de leurs maîtresses, selon la repré-
sentation de cette médaille que nous a don-
née M. Ashmole, et qu'il a l'ait graver avec
les habits et les ornements de cet ordre.
Lorsque les rois d'Angleterre donnent cet
ordre à quelque prince étranger, ils lui en-
voient tous ces ornements, selon qu'il est
ordonné par les statuts et qu'il paraît par
cette lettre du roi Charles II à Fridéric-Guil-
laume, marquis de Brandebourg, lorsqu'il
lui envoya l'ordre de la Jarretière l'an 165i :
Mon Frire, l'assurance que j'ai de votre ami-
tié par plusieurs témoignages que vous m'a-
vez donnez, m'oblige à rechercher tous les
tnoîens qui seront capables de l'entretenir et
de la conserver. Pour ce sujet fay trouvé à
propos comme souverain du très ancien et du
très noble ordre de la Jarretière, de vous élire
l'un des chevaliers, pairs et compagnons dudit
ordre, estimant par là de faire une plus étroite
amitié avec vou<, et d'augmenter le bien et la
prospérité de cette très noble société, laquelle
par plusieurs siéiles a eu non seulement les
rois d'Angleterre nos prédécesseurs pour sou-
verains, mais aussi l'honneur d'avoir plu-
sieurs empereurs, rois et princes étrangers
pour compagnons ; comme aussi de vous don-
ner par là une marque évidente de mon affec-
tion et de la hante estime que j'ay de vos mé-
rites et de votre personne ; et, pour confirma-
tion de ladite élection, je vous envoyé par le
sieur chevalier de Walher jarretière roi d'ar-
mes, la médaille dite le Georges, la jarretière
et l'étoile, pour les porter à la manière accou-
tumée, à sçaioir ta médaille autour du corps,
la jarretière èi la jambe gauche, et l'étoile sur
le côté gauche de la casaque ou du manteau.
Ledit sieur de Walker vous assurera de ma
part que je désire aiec passion de vous témoi-
gner que je suis, mon frère, votre bien affec-
tionné frère et cousin C. R. Cette lettre fut
écrite de Paris l'an 1654. Mais les habits de
l'ordre ne furent envoyés au marquis de
Brandebourg que l'an 1663, comme il paraît
parla lettre suivante du chevalier Walker,
écrite de Londres au prince d'Orange : Mon-
seigneur, j'ay reçu avec les lettres de Sa Ma -
jesté le roi mon maître, tout l'habit du très
noble ordre de ta Jarretière pour Son Altesse
le prince électeur de Brandebourg, avec ordre
de les envoier à Votre Altesse, que par vos
tnoîens soient adressez à Son Altesse Electo-
rale. C<la contient un juste-au-corps de ve-
lours cramoisi, un manteau de velours bleu,
le grand collier du très noble ordre, d'or, avec
l'image de saint Georges émaillé poisunt 30
onces, et un bonnet de velours noir. Comme
on se doit porter, le papier donra plus de sa-
tisfaction à Son Altesse Electorale, quoique
l'habit n'est jamais porté sinon qu'à la fête de
saint Georijes ; mais te grand collier est porté
par le souverain et compagnons pendant les
prières du matin, sur tous les jours mentionez
dans te papier. Pour te livre des statuts de
l'ordre, quand ils seront reformez, je tâcherai
avec tout soin de les envoier, en attendant
j'ai envoie tout l'habit à mon cher ami te che-
valier Guillaume Uavison , de les encoier à
Votre Altesse, de qui vous recevrez cela et la
lettre de Sa Majesté ; et je n'en doubte point
bien-tôt tout le reste, et puis je prie humble-
ment Votre Altesse de les adresser à Son Al-
tesse électorale avec les très humbles et obéis-
sons services de celui qui sera toute sa vie de
Sa Sercnissime Altesse électorale, et de votre,
Monseiqneur, le très humble et obéissant ser-
viteur Éd. Walker. Garter. Chaque prince
étranger, après avoir reçu ces marques et
ornements de l'ordre, est obligé d'envoyer
un procureur au château de Windsor pour
être reçu et installé à sa place avec les so-
lennités requises, et doit donner un manteau
de l'ordre, son heaume, timbre et épée, pour
demeurer toujours dans l'église de Windsor.
Lorsque ce procureur est installé, le souve-
rain de l'ordre ou celui à qui il en a donné
commission, lui attache le manteau sur le
bras droit, et après celte installation il ne le
doit plus porter en aucun temps pour celui
qui l'a envoyé. Henri IV, roi de France,
ayant reçu l'ordre de la Jarretière de la reine
Elisabeth, l'an 1596,envoja,l an 600, à Wind-
sor le sieur de Chastres, chevalier de l'ordre
de Saint-Jean de Jérusalem, gouverneur de
Dieppe et l'un de ses lieulenanls généraux
en Normandie, comme son procureur pour
être installé à sa place, ce qui fut fait après
que le dit sieur de Chastres eut promis au
(1) Voy., à la fin du vol., n* 128.
515
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
516
nom du roi de France d'observer les statuts
de l'ordre, selon la forme et teneur que Sa
Majesté l'avait déjà juré l'an 1596, lorsqu'il
recul l'ordre, el dont voici la leneur : Nous
Henri, pur la grâce de Dieu roi de France et
de Navarre, jurons, vouons et promettons so-
lennellement sur notre honneur en parole de
roi, que nous observerons et miiinlimdrons les
statuts et ordonnances, du très-noble ordre de
Monsieur saint Georges, nommé la Jarretière,
en ce qu'ils ne se trouveront contraires à no-
tre religion catholique, grandeur el majesté
roiale, ni aux statuts et ordonnances de nos
dnioc ordres du benoît Saint-Esprit et Mon-
sieur suint Michel. Eh témoin de quoi nous
avons signé la présente de notre main et icelle
fait sceller de notre scel secret. A Rouen, le 2
octobre 1506. François 1er, Henri II, Char-
les IX el Henri 111, aussi rois de France, ont
reçu pareillement cet ordre, qui a clé encore
donné à cinq empereurs, à plusieurs rois
d'Espagne, de Portugal, de Pologne, de Na-
ples, de Danemark, et de Suède, à des ducs
île Bourgogne de Savoie, de Milan, de Fer-
rare, d'Urbin el à plusieurs princes souve-
rains d'Allemagne, donl il y en a cinq ou six
de la maison Palatine.
Le nombre des chevaliers n'a point été
augmenté depuis l'institution de l'ordre ,
ayant toujours été fixé â vingt-six, y com-
pris le souverain et chef de l'ordre. La reine
Elisabeth fit sous son règne vingl-trois che-
valiers, parmi lesquels ils y eut trois rois de
France, deux empereurs et un roi de Dane-
mark. M. Asbuiole a fait graver l'ordre de la
marche d'une procession de ces chevaliers
qui se fit à une fête de saint Georges, sous
le règne de celle princesse, au commence-
ment du dernier siècle, où elle est représen-
tée avec l'habit et le grand collier de l'ordre.
11 y a cinq officiers de cet ordre , savoir : le
prélat , le chancelier, le greffier, le héraut
appelé Jarretière roi d'armes d'Angleterre,
et l'huissier appelé de la Verge noire, à cause
qu'il en lient toujours une a. la main. L'évê-
<;ue de Wiucester est prélat-né de l'ordre.
L'office de chancelier lut créé par le roi
Edouard IV en faveur de Richard de Bcau-
chauip, évêque de Salisbury, et ce prince
ordonna que les successeurs de ce prélat
exerceraient toujours cet office. Cependant
il n'y en eut que six de suite qui l'exercè-
rent, ayant été donné après cela à d'autres.
Les évéques de Salisbury firent de temps en
temps des tentatives pour rentrer dans la
possession de cet office , mais ce fut inuti-
lement : cependant Selhward , évêque de
Salisbury, fil de nouvelles poursuites auprès
du roi Charles II et obtint sa demande. Ces
deux officiers, c'est-à-dire le prélat et le
chancelier, ont un manteau de satin bleu
doublé de taffetas blanc, sur le côté droil du-
quel il y a la croix de l'ordre entourée d'une
jarretière; et le chancelier porte outre cela
sur l'estomac une médaille d'or entourée
d'une jarretière au milieu de laquelle il y a
une rose. Le greffier, le héraut et l'huissier
oui aussi chacun un manteau de même que
ceux du prélat et du chancelier, à la diffé-
rence qu'ils portent sur le côlé gauche l'é-
cusson de l'ordre sans jarretière. Le héraut
porte sur L'estomac une médaille entourée
d'une jarretière, sur laquelle médaille est un
écusson parli aux armes de l'ordre et aux ar-
mes d'Angleterre, surmonté d'une couronne
royale d'or, el il tient un bâlon d'argenldoré
aux extrémités el au haut duquel il y a les
armes de l'ordre et d'Angleterre. L'huissier
à la verge noire a une médaille aussi entourée
d'une jarretière au milieu de laquelle il y a un
nœud pareil a ceux du collier de l'ordre, et
lient à la main une verge noire garnie d'ivoi-
re, au milieu el aux extrémités de laquelle
il y a un lion. L'office de greffier est annexé
depuis longtemps à la dignité de dojen de
Windsor, et Marc- Antoine de Dominis, ar-
chevêque de Spalalro, si connu par son apo-
stasie, ses écrits et sa fin Iragiijue , a clé
greffier de cet ordro, en celle qualité de
doyen de Windsor.
Elias Ashmole, The institution Laws et
cérémonies of The Most noble Order of the
Garler. Bollaud , Act. SS. tom. III Aprilis,
pag. 158. Mondon Belvalel, Catechism. Ord.
l'eriscelidis. Froissard , Chronique de Fraw
ce, d'Angleterre et d'Ecosse. Bernard Giusti-
niani, tlist. di tuât. gli. Ord. milit. Joseph
Michieli, Tesoro milit. di Cavaleria.
JEAN -BAPTISTE en France (Ermites de
Saint-) de la Porte Angélique a Rome,
ET DE MuNT-LucO.
La congrégation des Ermiles de Saint-
Jean-Bapiiste eu France reconnaît pour fon-
dateur le frère Michel de Sainte-Sabine,
qui en jeta les fondements vers l'an 1630.
C'était un prêtre d'une grande piélé et d'une
vie fort austère , à qui Dieu avait donné un
zèle tout particulier pour la vie solitaire.
Il s'y consacra tout entier dès son bas âge,
cl s'y rendit si parlait, que, voyanl les
grands abus qui s'y étaient glissés et le peu
de rapport qui était enlre les Ermiles des
premiers siècles el ceux de son temps, il
entreprit de les réformer. H fit pour cela
pendant quinze ou seize ans plusieurs voya-
ges, consulta les plus habiles maîtres eu la
vie éréniitique, et, après avoir surmonté par
sa patience tous les obstacles qui s opposè-
rent à l'exécution de son dessein , il dressa
des statuts pour celle réforme à laquelle il
donna le nom de Saiut-Jean-Baptisie. Ces
statuts contiennent vingt-deux articles, aux-
quels il ajouta des annotations également
doctes el judicieuses, qu'il avait Urées des
conciles, des Pères et des plus savants auteurs,
et ils furenl approuvés du vivant de ce ré-
formateur par l'évéque de Madaure, Martin
Mûrisse , suffragaut d'Henri de Bourbon,
évêque de Metz, l'an 1633, et par l'archevê-
que de Cambrai, François de Wanderburch,
l'an 163'i , qui en ordonnèrent la pratique à
lous les Ermites des diocèses de Cambrai et
de Melz; et après sa mort ils furent encore
approuvés par l'évéque du Puy en Velay
Henri de Maupeas du Tour, l'an 1653, et par
plusieurs docteurs.
Ce réformateur les obligea cuirs aulres
517 JEA
choses de s'assembler tous les ans en cha-
que diocèse pour conférer ensemble des
choses qui regardent l'institut et procéder à
l'élection d'un visiteur.de quatre majeurs
et d'un secrétaire, auxquels il appartient
d'examiner ceux qui se présentent pour en-
tier dans la congrégation. Ceux qui ont été
examinés et trouvés capables doivent rece-
voir l'habit de l'évé-iue diocésain sous la
juridiction duquel sont ces Ermites, ou de
celui qu'il ;iura commis ; et après avoir reçu
I iiabit ils doivent être sous la conduite d'un
maître qui les instruise des observances de
l'institut. L'office du visiteur est de faire
les \isites des Ermites, les corriger, leur
donner des avis salutaires , et lui seul peut
leur donner la permission de faire des voya-
ges et de changer de demeure. Les majeurs
sont les assesseurs du visiteur, qui lui ser-
vent de conseillers dans toutes les affaires
qui concernent l'institut; et ce qu'ils ont dé-
terminé doit être inviolabiement observé.
Ces visiteurs et majeurs peuvent aussi chas-
sée les incorrigibles, vagabonds et désobéis-
sants. Si quelqu'un quille l'habit de l'institut
ou sort du diocèse pour aller dans un autre
et y demeurer, il ne peut retourner ni être
de nouveau reçu dans celui d'où il est sorti,
sans le consentement du visiteur et des ma-
jeurs. Quand ils ont atteint la quarante-
cinquième année de leur âge, et qu'ils ont
demeuré vingt-cinq ans dans l'institut , ils
doivent l'aire profession entre les mains des
évéques et en présence des visiteurs, du
secrétaire et de deux témoins, en ces termes :
Je N. en présence de toute la cour céleste et
de tous, Messieurs , voue et promets à Dieu,
à la bienheureuse Vierge, à saint J°an-Bapti-
ste notre patron, à tous les saints, et à vous,
Monseigneur, perpétuelle chasteté , pauvreté,
obéissance et stabilité en l'institut des Ermi-
tes, restauré sous l'invocation de Saint-Jean-
Bap liste.
L'habillement que le F. Michel de Sainle-
Siibine prescrivit à ces ermites consistait en
une tunique, une cuculle ou chaperon et un
manteau de couleur tannée avec un scapu-
laire noir et une ceinture de cuir (1).
Le F. Jean-Jacques, qui | > ri l dans la suite
le nom de Jean-Baptisle, et dont on a donné
la vie au public eu 1699 sous le nom d'un
solitaire inconnu mort en Anjou, a été le
propagateur de cette réforme, qu'il embrassa
l'an 1632. l'eu après qu'il eut pris l'habit, il
se retira dans l'ermitage de Saint-Bodille au
diocèse de Vienne en Dauphiné, d'où il fut
tiré pour aller établir un ermitage dans le
diocèse du Puy; où ayant demeure un an, il
retourna dans celui de Saint-Bodille, qu'il
quitta encore vers l'an 1653 pour aller à
Annecy, où il fut appelé par l'évëque de Ge-
nève, Charles-Auguste de Sales, qui le char-
gea du soin de réformer les Ermites de son
diocèse. Il reçut ensuite commission, l'an
1657, des archevêques de Lyon et de Vienne,
et de l'évéque du l'uy, pour visiter les ermi-
tages de leurs diocèses, et dans le cours de
(i) Voy., à la (in du vol., n° 129.
JEA
513
ses visites il donna l'habit à plusieurs no-
vices et établit de nouveaux ermitages. Les
Ermites de ces trois diocèses, voyant que la
régularité commençait à fleurir parmi eux,
furent tentés de se soustraire à la juridiction
de ces prélats; mais frère Jean-Baptiste, qui
en prévoyait les conséquences, s'y étant op-
posé inutilement, se ùemit de sa charge de
visiteur.
11 fit ensuite un voyage en Italie, et à son
retour il alla en Lorraine, où, après avoir
demeuré quelque temps, il bâtit un nouvel
ermitage à Oisilly dans le diocèse de Lan-
gres. 11 en établit encore d'autres en Bour-'
gogne et dans le même diocèse, et fit quitter!
a ses Ermites leur habit tanné, qu'il changea
en un blanc, pour les distinguer de certains
ermites vagabonds qui, vivant d'une manièro
scandaleuse, faisaient la quèledans les vil-
lages du diocèse de Langres, sous le nom et
l'habit des Ermites réformés de Saint-Jean-
Baptiste, qu'ils savaient être en grande
estime dans le monde. Il fut élu visiteur ou
vicaire général de tous les Ermites du dio-
cèse de Langres l'an 1673, et son élection fut
confirmée par l'évéque du même diocèse
Loui -Armand de Simiane de Gcrdes, qui
l'obligea d'accepter cet emploi, dont il s'ac-
quitta si dignement, qu'il allait tous les ans
visiter les ermitages de son district, qui
étaient au nombre de quatre-vingts. Ce
même prélat fit, l'an 16S0, des règlements
pour tous les solitaires de son diocèse, qui
sont à peu près les mêmes que ceux qui
avaient été dressés par le P. Michel de
Sainte-Sabine, ordonnant de plus qu'ils au-
raient un visiteur ou vicaire général trien-
nal, qui aurait la direction de tous les Er-
mil s de cet institut, et qui visiterait tous les
ans les ermitages; qu'il y aurait encore
quatre visiteurs particuliers qui auraient
soin de veiller sur les quatre détroits ou
cantons du diocèse, savoir le Langrois, Di-
jonnais, Tonnerrois et Chaumonois, lesquels
visiteurs seraient élus par les Ermites dans
leurs synodes généraux , qu'ils tiendraient
tous les trois ans, et que le visiteur géné-
ral, conjointement avec le visiteur du canton,
nommerait un surveillant dans chaque er-
mitage, dont il aurait la conduite et le gou-
vernement, sans avoir égard à l'âge, aux an-
nées de réception, ni même à la prêtrise,
mais seulement à la prudence, à l'expérience
et à la bonne conduite; et l'an 1687 le même
prélat approuva le changement d'habit qui
avait ete l'ait, de tanné en blanc.
Dès l'an 1676, le frère Jean -Baptiste avait
quitté le diocèse de Langres pour deux rai-
sons : la première fut le bruit qui se répan-
dit qu'il était le comte de Moret, fils naturel
d'Henry IV, roi de France, que l'on avait
cru tué à la bataille de Castelnaudary ; ce
qui était appuyé sur ce qu'il ressemblait
parfaitement à Henri IV et sur ce qu'il avait
avoué qu'il s'était trouvé à la bataille de
Castelnaudary, et qu'il avait été élevé dès sa
jeunesse au château de Pau, en JJéaru; la
519
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
SU)
seconde raison furent les guerres du comté
de Bourgogne, qui, troublant la tranquillité
de sa solitude, l'obligèrent de se retirer en
Anjou, où il bâtit l'ermitage de Gardelles,
proche l'abbaye d'Anières, où il donna en
peu de temps l'habit à sis novices. Son âge
et ses infirmités ne lui permettant plus d'as-
sister à tous les exercices de sa commu-
nauté, il se démit de sa charge de supérieur,
et pria l'évéque d'Angers d'en mettre un au-
tre en sa place. Enfin, au commencement de
l'avent de l'année 1691, étant allé avec ses
novices à la paroisse, il en revint avec une
fluxion sur la poitrine. Averti par celte ma-
ladie de se préparer à la mort, il recul les
sacrements avec de grands sentiments de
piété, et le 24. décembre, veille de la fête de
Noël, il rendit son âme à Dieu avec une
grande tranquillité d'esprit et une parfaite
soumission à la volonté de Dieu. Après sa
mort, cet ermitage des Gardelles lut presque
abandonné, jusqu'en 1093 , que l'évéque
d'Angers y fit venir deux saints solitaires de
Bourgogne, auxquels Dieu envoya, en 1698,
un troisième compagnon natil' de Sens. Les
Ermites qui demeurent en ce lieu mènent
Une vie très-édifiaute et très-austère.
Grandet, Vie d'un solitaire inconnu mort
en Anjou.
A ces Ermites de la congrégation de Saint-
Jean-Baplisle, en France, nous enjoindrons
quelques-uns qui sont aussi en grande estime
en Italie. Les premiers sont ceux qui de-
meurent à Rome à la porte Angélique (1). Ils
ont ou pour fondateur un certain Albenze,
Calabrois, qui, ayant servi longtemps de
quêteur au monastère de Sainte-Catherine
de la Rose ou des Cordiers, et à l'archicon-
fraternité des Courtisans, et ne croyant pas
faire son salut dans cet état, se relira, vers
l'a n 1588, dans ce lieu, proche la Porte An-
gélique à Rome, où, avec les aumônes qu'il
reçut de plusieurs personnes charitables, il
jeta les fondements d'un hôpital pour y loger
les Ermites qui venaient à Rome visiter les
tombeaux des saints apôtres, el y faire trai-
ter ceux qui tombaient malades. I! eut en
peu de temps plusieurs compagnons qui se
joignirent à lui, et qui vivaient des aumônes
qu'ils allaient chercher parla ville, en criant
tout haut : Fuites du bien présentement que
vous en avez le temps. Ils étaient velus d'une
toile blanche, n'avaient rien pour couvrir
leur tête et marchaient les pieds nus sans
sandales. Leur vie était si exemplaire, que
plusieurs personnes, touchées de l'esprit de
Dieu, ayant embrassé leur institut, accru-
rent leur communauté, qui devint fort con-
sidérable. Ils bâtirent dans la suite une pe-
tite église sous le litre de l'Ascension de
Noire-Seigneur, où ils faisaient célébrer tous
les jours un grand nombre de messes ; mais,
en 1618, une image de la sainto Vierge que
le fondateur de ces Ermites avait apportée
de la terre sainte et qu'il avait mise dans
leur chapelle, ayant commencé à faire des
miracles, y attira -un si grand concours de
(1) Voy., à la tin du vol., n° 130.
peuple, que, par le moyen des grandes au-
mônes qu'on leur fit, ils firent bâtir une
belle église et augmentèrent considérable-
ment les bâtiments de leur maison et de
l'hôpital, où ils vivent sous la prolecliou
d'un cardinal qu'ils élisent.
Celte maison a servi de retraite aux nou-
veaux convertis à la foi, jusqu'à ce qu'ayanl
été transférés en un autre lieu sous le pon-
tificat de Clément X, on laissa aux Ermites
leur maison libre. Ils sont présentement ha-
billés de drap blanc sans capuce, ayant pour
couvrir leur tête un chapeau blanc. Leur
robe est ceinte d'une ceinture de cuir sans
scapulaire , et ils vont nu-pieds avec des
sandales de cuir.
Proche la ville de Spolelte en Ombrie, il
y a une congrégation d'Ermites sur le mont
Luco, qui prétendent faire remonter leur
origine jusqu'au commencement du ivc siè-
cle, et avoir été établis par saint Jean d'An-
tioche, évéque de Spolelte, qui fut martyrisé
sous l'empire de Maximien. Ces Ermites
vivent dans des cellules séparées les unes des
autres, comme celles des Camaldules. Us
font un an de noviciat, après lequel ils sont
reçus dans la congrégation, sans néanmoins
faire de vœux. Us font leurs exercices spiri-
tuels en commun, après lesquels chacun
travaille en son particulier selon son talent.
Ils peuvent posséder des fonds et des reve-
nus, el sont libres de sortir de la congréga-
tion quand bon leur semble. Ils élisent tous
les ans un supérieur. Leur habit est presque
semblable à celui des Minimes, et la plupart
portent des sandales.
Pliilipp. Bonanni , Cataloo. Ord. relig.
part. ni.
JEAN -BAPTISTE DE COVENTRY hn An-
gleterre (Chanoines hospitaliers db
Saint-), et de quelques autres Uospitaliers
dans ce royaume.
Les religieux Porte-Croix des Pays-Bas et
de Fiance ne reconnaissent point ceux d'Jr-
lande pour avoir élé de leur ordre , ce qui a
fait que M. Allemau les a attribués à ceux
d'Italie ; mais, comme la plupart des maisons
que les religieux Porte - Croix d'Irlande
avaient étaient aussi des hôpitaux dédiés
à saint Jean-Baptiste, je crois qu'ils pour-
raient avoir été semblables aux chanoines
hospitaliers de Saint-Jean-Baplisle deCoven-
try, en Angleterre, dont Dodsworlh et Dug-
dale ont fait mention dans leur Histoire mo-
nastique d'Angleterre, et que la croix noire
qu'ils portent sur leurs robes et leurs man-
teaux leur a fait peut-être donner le nom de
Porle-Croix.
Quoi qu'il en soit, Dodsworlh et Dugdale
nous onl donné l'habillement d'un de ces
chanoines hospitaliers deSainl-Jean-Baptiste
de Covenlry, telque nous le donnons aussi (2j.
Ils n'ont point marqué le temps de leur éta-
blissement ; mais cet hôpital était desservi
par des religieux et des religieuses, et avait
été fondé par le prieur el les moines de la ca-
(-2) Voy., à h fin du vol., n* 131.
521 , JEA
tbédrale de Coveulry Je l'ordre de Saint-
JEA
52t
H ) il uni iriiiiv u ll'invi il»j -i ut i "i ■ 1
adressée au recieur el aux frères de cet hô-
pital, par laquelle ce pape les reçoit sous sa
protection, leur accorde des privilèges et con-
firme toutes les donations nui leur avaient
été faites. Une semblable protection leur fut
aussi accordée par le roi Henri III; mais il
y a bien de l'apparence que cette bulle causa
un procès entre les moines de Coveniry et
les hospitaliers, qui dura près de deux cents
ans, puisque ce ne fut que le 29 mars de l'an
1425 qu'il fut terminé par des arbitres qu'ils
avaient choisis, et qui ordonnèrent que cette
bulle d'ilonorius II! n'aurait aucun effet et
serait de nulle valeur, à cause des divisions
qu'elle avait causées ; que le prieur et le cha-
pitre de Coveutry étaient les véritables fon-
dateurs de cet hôpital, et seraient reconnus
à l'avenir pour tels; que pour ce sujet le
maître ou recieur, sitôt qu'il serait élu et
installé, leur prêterait obéissance et fidélité,
et leur payerait les dîmes des champs seule-
ment, et non de leurs jardinsel des animaux,
dont ils étaient exempts comme religieux ;
que le prieur accompagné de huit personnes
visiterait tous les ans, s'il le trouvait à pro-
pos, le recieur, les frères et les sœurs de
l'hôpital, qui seraient tenus de faire profes-
sion entre ses mains, selon la formule énon-
cée par cet acte, qui conlieui plusieurs rè-
gle i ents el statuts pour ce- hospitaliers,
comme aussi la manière dont ils doivent être
habilles : savoir, tant les frères que les
sœurs, d'une robe, d'un scapulaire par-des-
sous la robe, et d'un manteau de couleur
brune, sur lesquels devait être attachée une
croix noire. Les religieuses avaient un voile
blanc. Apparemment qu'elles assistaient au
chapitre avec les frères, puisqu'il y est aussi
marqué que le maître ou recteur tiendrait
tous les vendredis le chapitre, pour punir les
fautes des frères et des sœurs, qui se de-
vaient aussi trouver aux processions géné-
rales et aux entenements des prieurs et des
moines de la cathédrale.
H y avait grand nombre de ces sortes
d'hospitaliers en Angleterre; et, quoique
Dodsworlh et Dugiiale les aient mis au nom-
bre de ceux qui suivaient la règle de saint
Augustin, il parait néanmoins qu'ils avaient
des règles particulières, et qu'ils dépendaient
des évéques des lieux où leurs hôpitaux
étaient situes, comme on peut voir dans les
règlements de quelques-uns de ces hôpitaux
qui sont rapportes par ces auteurs, el qui
font assez connaître que ces hospitaliers
étaient véritablement religieux; car les frè-
res et les sœurs de l'hôpital de Sainl-Léonard
d'Vork, s'ils avaient commis quelque péché
«outre la chasteté et la pauvreté, ne pouvaient
être absous que par le maître de l'hôpital, si
i'.e n'était à l'article de la mort; auquel cas
ils pouvaient recevoir l'absolution de quel-
que prêtre que ce fût ; niais, s'ils retournaient
en sauté, ils devaient se présenter au maître
Actions «ire oes Ordres religieux. 11.
pour la recevoir, et si quelqu'un d'eux mou-
rail propriétaire, il était privé de sépulture.
Vautier de Grey , archevêque d'York ,
dressa aussi une règle, l'an 1241, pour les
frères et les sœurs de l'hôpital de Sainl-Jean-
liaplisle de Dolingham, adressée à Alwin.qui
en était maître ou recteur. Il ordonna entre
autres choses que la propriété serait bannie
entre eux, el que si, sept jours après la pu-
blication de son ordonnance, il se trouvait
quelqu'un qui fùl propriétaire, il serait ex-
communié, et mourant en cet état, qu'on ne
lui donnerait pas la sépulture en terre sainte.
Les frères et les sœurs de cet hôpital
avaient des tuniques grises tirant sur le
roux, avec, des manteaux noirs, ne man-
geaient delà viande que trois fois la semaine,
gardaient un étroit silence au réfectoire, s'as-
semblaient toutes les semaines au chapitre
pour s'accuser de leurs failles el en recevoir
la collection ; ils y devaient lire uae fuis le
mois le règlement de cet archevêque en lan-
gue anglaise ou française , et les frères
laïques el les sœurs récitaient un certain
nombre de Pater, pour chaque heure de leur
office.
Il y avaiten Angleterre plusieurs hôpitaux
destines pourles lépreux, et qui s'engageaient
par vœu à la pauvreté, à l'obéissance et à la
chasteté. L'on trouve à la lin des œuvres de
Matthieu Paris les statuts de l'hôpital de
Saint-Julien, où il est dit que. les frères
qu'on recevra dans cet hôpital ne seront
poin: mariés, et que, s'il s'en présente quel-
qu'un qui le so:t, il fera vœu solennel de
chasteté enlre les mains de l'archidiacre de
l'abbaye de Saint-Alban, dont cet hôpital dé-
pendait ; que, si, après sa réception et après
avoir fait ce \œu, il le transgresse, il sera
chassé de l'hôpital, selon l'ancienne pratique
de cette maison, el renvoyé à sa femme, 'i elle
est encore en vie, comme étant pour lors li-
bres tous les deux ; et que si elle est morte, il
sera puni sévèrement.
Ils ne s'engageaient pas à une pauvreté
fort exacte, car, par un des articles des mê-
mes statuts, il est dit que, comme ce qu'on
leur donnait dans l'hôpital ne suftisait pas
pour leur entrelien, il leur était permis d'a-
voir des effets mobiliers qui se pouvaient
acquérir honnêtement, à condition que, ve-
nant a mourir ou à sortir, les biens appar-
tiendraient à l'hôpital pour être distribués en
commun. Ils pouvaient néanmoins disposer
par testament de ia troisième paitiedeces
effets, pourvu que ce fût avec la permission
du maître ou recteur, autrement le testa-
ment était nul.
On éprouvait pendant un temps celui qui
devait faire profession, et, s'il avait lait pa-
raître une conduite réglée et qu'il eût été de
bon exemple, on le recevait eu chapitre;
après quoi il faisait profession entre les
mains de l'archidiacre de Saint-Alban. Par
cette profession il promettait et jurait sur
les sainis Evangiles d'obéir en loules choses,
pendant tout le temps de sa vie, à l'abbé de
Saint-Alban, pourvu qu'il ne lui commandât
rien contre la loi de Dieu; de ne commettre
17
*sw
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
VU
point de vol, do ne batlre point aucun frère,
de ne point violer le vœu de chasteté, de ne
point s'approprier et de ne laisser par tes-
tament que des choses dont les frères pou-
vaient disposer, d'éviter tonte sorle d'usure,
de ne procurer par aucune voie qu'aucun
autre que celui qui aurait été nommé par
l'alibé de SainUAlban fût maître ou recteur
de l'hôpital; de se contenter de ce i|iie ce
maître lui donnerait, sans murmurer, et de
ne point sortir des In; nies qui étaient pres-
crites. Que, s'il transgressait aucune de ces
choses, il consentait qu'on le punit sévère-
nu ni selon la qualité ou la grandeur du
crime, et même qu'on le chassât de la con-
grégation comme ..postal, sans aucune espé-
rance de retour, à moins que ce ne lut par
une grâce spéciale de l'abbé.
Leur habillement cons slail en une robe
et capuce de couleur tannée, et lorsqu'ils
allaient au chœur ou parla ville, ils avaient
une chape en forme de manteau et un ca-
pucr de drap noir. Leurs robes et capuces
pouvaient être fourrés de peau d'agneau.
L'habillement des prêtres était noir et sem-
blable, quant à la forme, à celui des lépreux.
Cet hôpital de Saint-.! ulien lut fondé vers
l'an 1140, sous le règne d'Henri 1", par
Geoffroi, seizième abbe de Sainl-Alban, qui
était Français et avait pris naissance dans le
pays du Maine ; et les statuts et règlements
dont nous venons de parler avaient été dres-
sés par l'abbé Michel l'an 1344.
Dodsworlh et Dugdale ont aussi inséré,
dans leur Histoire monastique d'Angleterre,
les règlements de l'hôpital des lépreux d'EI-
leford dans le comté d'Essex, qui avait ai -
trefois été fondé par l'abbes> • elles religieu-
ses du monastère de Berkyog. Ces règlements
furent dressés l'an 1340 par Radulphe de
Bahlok, évéque de Londres, du ronscnlement
de Malhildede Montaigu, pour lors abbesse
de [Jerkyng, et on j leniarque que ces lé-
preux promettaient et juraient sur les saints
Évangiles de garder la fhstelé. de n'avoir
rien en propre, et d'obéir à l'abbesse du mo-
nastère de Bei kyng.
Comme il j avait d'autres hôpitaux de ces
lépreux, sous 'e litre de Sainle-Marie-Made-
leineel de ï-ainl- Laza<e, c'est ce qui a pvut-
êlre douné lieu à Adrien i annian et à quel-
ques autresd'avoir supposéun ordrede samle
Madeleine el de saint Lazare.
Voyez Roger Dodsworlh, et Guillelm.
Dugdale, Moncslicon Anglicanum, tom. II.
JEAN-BAPJTSTE DE LA PÉNITENCE (Eu-
mites de Saint-). Voy. Gonzague.
JEAN DE BICLARE. Yotj. Césaire {Suint-}.
JEAN DE CHARTRES (Chvnoines réguliers
de Saint-), des Del x Amants, de Saint-Lo
de Rouen, et de Saint-Martin d'Eper-
nay, présentement unis à lu Congrégation
de France ou de Sainte-Génevièpe.
Après que la réfoi me eut étéintroduitedans
l'abbaye de Saint-Vincent de Seulis par les
soiusdu R.P. Faute, celle de Saiut-Jean de
(1) Voy., à la fin du vol., n° 152.
Chartres suivit bienlôlson exemple et s'unità
elle, ayant été la première à embrasser la
réforme parles soins de Léonore d'Étampes,
évèque de Chartres, qui y fit venir des reli-
gieux de Saint-Vincent, l'an 1024. Ce mo-
nastère de Saint-Jean eut pour fondateur le
bienheureux Yves, prévôt de Saint-Quentin
de Beauvais, qui, ayant été élu évéque de
Chartres, lit venir en sa ville épiscopale des
chanoines de son monastère de Saint-Ouen-
tin, l'an 1097 , qu'il établit en l'église da
Saint-Jean en Vallée,. Il leur donna des re-
venus considérables pour leur subsistance,
entre autres le pr euré de SainlE-tienne, qui
étai( dans l'enceinte de la ville, et les anna-
les des prébendes des chanoines qui vien-
draient à décéder, qui est un droit dont les
chanoine? régulier* (selon le P. Du Moulinet)
jouissent eu plusieurs cathédrales de France.
Celle abbaye aya;;l été minée l'an 15(32 par
les éiétiques, elle fut depuis transportée au
prieuré de Saint-Etienne dan-; l'enceinte de
la ville, où elle a été rebâtie par les chanoi-
nes réguliers de la Congrégation de France,
lorsqu'ils ) furent établis. L'habillement de
ces chanoines consistait en une soutane de
serge blanche avec un rocliel et un chaperon
noir sur l'épauleau lieud aumusse(l),ce qui
leur é, la.il commun avec les chanoines régu-
liers ds Saint-Acheul d'Amiens, de Sainte-
Barbe en Auge el quelques autres qui ont
été aussi unis dans la suite à la Congréga-
ti n de Fiance.
L'abbaye de Saint-Denis de Reims, à la
réquisition d'Henri de Maupas, évèque de
Lavaur, qui en était abbé, reçut aussi la ré-
forme et fui unie à la même congrégation le
13 août lb33. Cette abbaye avait été fondée
par le grand Hincmar, archevêque de Reims,
sous le règne de Charles le Chauve ; mais ce
monastère, qui était hors l enceinte de la
ville, ayant été ruine par les gu ries, Ger-
vaise, qui était arehevéque en 1007, voulut
le rétablir en sa première splendeur, et le
transférer dans la ville, où il y mit des cha-
noines réguliers sous la règle de saint Au-
gustin, qui ont retenu les derniers l'ancien
habit des chanoines, savoir le grand surplis
descendant jusqu'à terre, et l'hiver la chape
par-dessus sans aucune ouverture pour pas-
ser les mains (2), ce qui était incommode ;
aussi les anciens qui s'en servaient ont-ils
quille ces babils pour se conformer aux cha-
noines de la Congrégation de Fiance lors-
qu'ils furent, introduits dans cette abbaye.
L'an 103'o, le parieine.it de Rouen obligea
les chanoines réguliers du prieuré de Sainl-
Lô de Rouen d'embrasser aussi la réforme
de la Congrégation de France; el, a)ant fait
venir à.cei effet des religieux de Paris, il les
mil en possession de ce prieuré, qui avait
été autrefois bâti par saint Melon, archevê-
que de celte ville , sous l'invocation de la
sainte Trinité. Mais, les Normands s'élant
établis dans ia Neuslrie, à laquelle1 ils don-
nèrent leur nom, faisant de grands rav
dans celte province, principalement dans la
(2) Voy., à la fin du vol., n° 155.
885 JF.A
basse Normandie, les reliques de saint Lu el
de saint Romphard, ê^èqoe de Coutances,
furent apportées à Rouen et déposées dans
cette église delà Trini é, qui depui- ce temps
a retenu le nom de Sainl-Lô. Rollo, duc des
Normands, s'étant l'ait chrétien, accorda en
leur considération l'église où ces saints re-
posaient, à Thierry, évèquede Coutances, et
à ses chanoines pour leur servir de cathé-
drale et y faire le service divin jusqu'à ce
qu'ils fussent rétablis dans leur propre ville.
Quatre é\èques de Coutances consécuti s y
tinrent leur siège pendant plus de cent vingt
ans, et ils y laissèrent, en se retirant en basse
Normandie, un collège de chanoines, les-
quels, étant tombés dans le dérèglement, lu-
rent remplacés par des chanoines réguliers
qu'Algare, évèque de Coutances fit venir de
Sainte-Barbe en Auge en llik; qui, ayant
aussi abandonné la vie régulière, furent unis
à la Congrégation de France, l'an 1G39,
comme noua avons dit ci- dessus. Ils étaient
en possession de porter, I hiver à l'église, la
cliape violette, el en été l'aunlusse d'étoffe de
même couleur doublée et bordée de lourrure
blanche (1).
Le prieuré des Deux Amants, au même
diocèse de Rouen, embrassa aussi la même
réforme le 2k niai Ki48. Il y a eu plusieurs
opinons louchant l'u-ig ne de ce nom. La
tradition du pays est qu'un jeune genli -
homme ayant recherche en mariage une de-
moiselle des environs de ré lieu, ses parents
ne crurent pas ce parti avantageux pour elle
cl refusèrent son alliance. Ce gentilhomme
ne se rebuta point de ce refus, au contraire
il ledoubla ses poursuite; jusqu'à se rendre
importun, de soi te que le père de la fille,
croyant se défaire de lui en lui demandant
quelque chose d'impossible, lui promit si
fille s'il la p uva't porter jusqu'au haut de
la montagne où le monastère est présente-
ment si né, laquelle est fort roide el de diffi-
cile accès. Il accepta la condition et la porta
heureusement jusqu'au l?â\il de celle mon-
tagne, mais si las it si épuisé, qu'il expira
sur-le-champ. Cet accident toucha si sensi-
blement la fuie, qu'elle mourut aussi de dé-
plaisir, de sorte que les parents de l'un et de
l'autre les firent inhumer ensemble au même
lieu , qui a gardé depuis le nom des Deux
Amants.
Comme cetle hisloire approche du roman,
c'est pour cela que d'autres ont cru que ce
nom avait élé donné à ce monastère en con-
sidéraiion d'un mari et d'une femme d'Au-
vergne dont parle Grégoire de Tours au li-
vre xxxii De Gloria Confessorum. Lesquels
ayant gardé loule leur vie la virginité da'is le
mariage, etayant étéinlerrés aprèsleur mort
l'un après l'autre dans deux sépulcres diffé-
rents de pierre, on trouva le lendemain qu'ils
étaient si bien joinlsensemble, qu'il n'en pa-
raissait qu'un : c'est pourquoi ils furent hono-
rés dans tout le pays sous le nom des Deux
Amans. Mais il y en a d'autres qui ont estimé
qu'il ne fallait point chercher d'autre ori-
(1) Voy., à la lin du vol., n* Vii.
(i) Voy., à la lin du vol., il* l?ïï.
IEA
sa
ginc que l'amour saint et réciproque de
tre-Seigneur envers la Madeleine, qui est la
patronne de cetle église. Les chanoines ré-
gul.ers de ce lieu avant la réforme portaient
l'aumusse ur la télé et avaieut un rochel
par-dessus leur robe (2).
L'abbaye de Saint-Mariin d'Epcrnay en
Champagne fut du nombre de celles qui,
étant tombées dans le relâchement, voulu-
rent embrasser la vie régulière en s'utïissant
à la Congrégation de France ou de Sainte-
Geneviève. Elle avait élé fondée dès le c >m-
mencement du xn* siècle par les comtes de
Champagne, et fut toujours des-er ie pardes
chanoines séculiers jusqu'en l'an lli8, que
Gallerand ou Vallerand, quatrième aUtiè,
ayant élé louché par les prédications de
saint Bernard, résolut de quitter le monde
pour se faire religieux à Clairvnùx ; mais
avant d'exécu'er son dessein, il fit venir, par
le conseil de ce saint) et du consentement de
Thibaut, comte de Champagne, des chanoi-
nes réguliers à Saint-Marlin d'Ep rnay.
Foulques, religieux de Saint-Léon de Toul,
fut élu abbé et fut béni par Renaud, arche-
vêque de Reims, en présence de saint ïler-
nard, du comte de Champagne, et de Josse-
lin , évèque de Soissons. Ces chanoines,
avant leur union avec la Congrégation de
France, portaient une robe blanche à l'an-
tique, et, par-dessus, une espèce de petit
rochel que quelques-uns appelle- 1 (selon Je
P. Du Moulinet) sarrocium ou scorliiium (3).
Les chanoines réguliers de la prévôté de
Beaumont, au diocèse de Vabres, en ont un
qui consiste en une pièce ou bande de linge
à l'entour du cou, qui descend en poinle sur
l'estomac.
L' s chanoines réguliers de la Congréga-
tion de France onl aussi réformé ceux de la
cathédrale 'l'Usez, q' i est un • des plus- an-
cienne' de France, puisque le catalogue de
ses évéques remonte jusqu'au V siècle. 11 y
a de l'apparence que le clergé ou chapitre de
celte église fut d'abord comme celui île tou-
tes les autres églises épiscopales de France,
où les chanoines pratiquaient la vie com-
mune selon les règles des canons. Depuis il
devint régulier et suivit la règle de saint
Augustin, lorsque la plupart des chanoines
qui vivaient en commun prirent le nom de
réguliers, et se glorifièrent d'avoir eu saint
Augustin pour Père. Les églises épiscopales
de Languedoc el de Provence qui firent la
même chose, formèrent avec celle d'Usezune
espèce de congrégation. Elle avait des sta-
tuts communs. On y tenait des chapitres gé-
néraux, et on y élisait des visiteurs; m lis
l'on ne peut dire le temps que cette congré-
gation lui délruite, et que toutes ces églises
lurent sécularisées. Il n'y a eu que celles
d'Uzès et de Pamiers qui jusqu'à présent
oni été égulières, et les désordres des guer-
res, joints à l'hérésie qui a dominé si long-
temps en ce pays, ayant fait souvent aban-
donner aux chanoines les'observances régu-
lières, elles ont eu besoin de temps en temps
(.") Voy., à la lin du vol., n" 136.
5*7
DICTIONNAIRE DLS OKuKES RELIGIEUX.
!>28
de réforme. Nicolas Grillet, évèque d'Uzès,
fit venir, l'an 1640, les chanoines réguliers de
la Congrégation de France pour renouveler
dans son Eglise le premier esprit de l'ordre
canonique. Ils y ont demeuré pendant quel-
ques années, et vivaient selon les observan-
ces delà Congrégation de France, dépendant
du général de cette congrégation, <iui y en-
voyait des religieux et les rappelait lorsqu'il
lu jugeait à propos; mais le concordat qui
ava.t été passé entre l'évêque d'Uzès et les
chanoines réguliers de la Congrégation de
France a été cassé, il y a environ quarante
ans, par un arrêt contradictoire du conseil
d'Etat du roi, qui a remis celte Eglisc.dans
l'état où elle est aujourd'hui. M.Michel ion-
cet de la Rivière, qui est présentement évè-
que d'Uzès, donna des constitutions parti-
culières à ses chanoines ; mais il n'a pu les
obliger à vivre en commun, ce que prati-
quent ceux de Pamiers. L'habillement des
chanoines d'Uzès consiste en une soutane
blanche avee un rabat comme les ecclésias-
tiques, et lorsqu'ils sortent, ils ont un man-
teau noir (1). Ceux de i'amiers sont habillés
de noir, et ont une banderole de lin qu'ils
portent eu écharpe, et les uns et les autres
ont au chœur un surplis avec une aumusse
grise sur le bras. Anciennement, ceux
d'Uzès portaient un surplis tout fermé sans
manches, à la manière des anciennes cha-
subles, et qui était commun aux chanoines
de Saint-Laon de Touars, et ils avaient sur
l'épaule une espèce de chaperon noir.
Le P. Du Moulinet, entre les différents ha-
billements du chanoines réguliers qu'il a
donnés, a mis celui d'un chanoine régulier
de Closterneuburg en Allemagne , qui a
aussi un surplis à la manière des anciennes
chasubles, et une aumusse sur la tête, mais
carrée par le haut, comme on peut voir dans
la figure d'un de ces chanoines que nous
avons fait graver (2). Le monastère de Clos-
terneuburg fut fondé à huit lieues de Vienne
en Autriche, et bâti avec beaucoup de ma-
gnificence en -l'honneur de la sainte Vierge,
par Léopold, marquis d'Autriche, qui y mit
des chanoines réguliers du temps d'Inno-
cent 11, environ l'an 1140. Ordinairement ils
portent la chape à l'église, mais aux jours
des grandes fêtes ils la quittent et mettent
sur la tête une aumusse grise pour se con-
former à la cathédrale.
Cette façon de quitter la chape aux jours
des grandes fêles n'est pas nouvelle (selon
ce que dit le P. Du Moulinet), puisque dans
l'ordre romain, qu'on ti«nt avoir été fait il
y a pus ue huit cents ans, il est dit, par-
lant du service qui se fait par Pevéque aux
jours solennels, et de la manière que les
chanoines y doivent assister, que ceux-ci
viendront au chœur à l'heure de tierce, re-
vêtus d'aubes et d'aumusses : Ciun tintinna-
bulant ad tertiam sonuerit, omiies simul in
chorum ordinatim convenire debent, humera -
libus et albu induti; le P. Du Moulinet pré-
tendant que par le mot i' humer alia l'on en-
tend l'aumusse ou camail, à cause qu'il cou-
vrait non-seulement la tète, mais aussi les
épaules.
11 ajoute que la raison qu'on peut donner
pour laquelle les chanoines otent leurs cha-
pes aux jours des grandes fêtes, c'est que la
chape noire étant un habit de deuil et de pé-
nitence, il est convenable qu'ils la quittent
aux jours que l'Eglise destine aux solennités
et aux réjouissances.
Voyez Du Moulinet, Figures des différents
habits des chanoines réyul.; Sammarlh, Gall.
christiana; Schoonebek, llist. des Outres re-
lig., et Philipp. Bonanui, Catulog. omn. Ord.
relig.
JEAN DE DIEU (Hospitaliers de Saint-).
Des religieux hospitaliers de l'ordre de Saint-
Jean de Dieu, appelés en France les Frères
de la Charité, en Espagne de l'Hospitalité,
et en Italie Faie ben Fratelli; avec la vie
de saint Jean de Dieu, leur fondateur.
Les religieux dont nous allons parler ont
différents noms selon les différents pays où
ils sont établis; car en Espagne, où ils ont
pris leur origine, on ne les connaît que sous
le nom de Frères de l'Hospitalité, à cause
de l'hospitalité qu'ils exercent envers les
malades, et qui est le propre de leur institut ;
en Italie ils ne sont connus que sous celui
des Frères Fate, ben Fratelli, ou par abré-
viation Ben Fratelli, à cause qu'autrefois ils
avaient coutume de demander ainsi l'aumône,
comme ils l'avaient appris de leur fondateur,
et qu'eu traitant de frères ceux à qui ils de-
mandaient l'aumône, ils les exhortaient à
bien faire et à avoir compassion pour les
pauvres malades; et enfin ils sont appelés
en France les Frères de la Charité, à cause
que le roi Henri IV, voyant que les malades
étaient traités avec un soin extraordinaire
dans leur hôpital du faubourg Saint-Ger-
main, donna à cette maison le nom de Cha-
rité de Jean de Dieu, et ce nom est demeuré
en France à tous les religieux de cet ordre
et à tous leurs hôpitaux, quoique le véri-
table nom de celle congrégation soit celui de
la congrégation de Saint-Jean de Dieu, ainsi
qu'il a été déterminé par le pape Sixte V.
Saint Jean surnommé de Dieu, fondateur
de cet ordre, naquit â Monte-Major-el-N'ovo,
petite ville du royaume de Portugal, de l'ar-
chevêché d'Evora, le 8 mars 14-93, de parents
d'une médiocre fortune et peu distingués
parmi le peuple. Son père, André Ciudad, et
sa mère dont on ne sait point le nom, l'été—
vèreut d'abord dans tous les exercices de
piété dont son enfance était suscept.ble.
Leurs soins ne furent point inutiles, car leur
fils profita de jour en jour de leurs instruc-
tions, et reçut sans peine les sentiments de
piété qu'ils voulurent lui inspirer.
A peine eut-il atteint l'âge de neuf ans,
qu'ils le perdirent par un accident imprévu.
Comme ils étaient portés l'un et l'autre à
l'hospitalité, ils reçurent et logèrent chez
(1) Voy., à la lin du vol., n°t">7.
(2) Voy., ii la li 1 1 du vol., h" 158.
s»
Jl A
JKA
530
eux un prêtre oui voyageai! et allait du côté
de Madrid. !l parla dans la conversation île
la piélé qui régnait dans cette \ilie capitale
de l'Espagne, et des églises célèbres qu'on y
voyait, ce qui fit une si forle impression sur
l'esprit du jeune Jran. qu'il voulut suivre ce
prêtre. 11 se déroba à son père et à sa mère,
et, étant sorli à leur insu de leur louis, il se
mit aussitôt en chemin ; our aller droit à
Madrid. Sa mère, après beaucoup de perqui-
sitions inutiles, ne l'ayant pu trouver, en
mourut de regret au bout de \ i n iri jouis, et
son père, n'ayant pas moins è é louché de
son absence, se retira à Lisbonne, où il se
fit religieux rie l'ordre de Saint-François.
Le prêtre qui s'était chargé de Jean ne le
conduisit pas jusqu'à Madrid, car, étant ar-
rivé à Oropesa, ville de Castiile, il se sépara
de lui et l'abandonna entièrement. Jean, se
voyant seul dans un pays étranger, fut se-
couru par quelques personnes de piété qui,
ayant compassion de sa misère, lui donnè-
rent retraite. Il s'adressa à un berger nommé
François, que l'on appelait simplement le
mayoral, c'est-à-dire le maître berger,
mayoral tl° ganado en espagnol signifiant
un berger qui a intendance sur les autres
bergers. Jean passa une partie de sa jeu-
nesse à son service. Il lut d'abord employé à
la garde des troupeaux, et il avait le soin de
porter à manger aux autres bergers. Le
mayoral, ayant quitté sa profession pour se
faire geôlier de la prison d'Oropesa, ne
voulut pas se défaire de Jean, dont il avait
éprouvé la fidélité. Il l'envoya à une maison
de campagne pour avoir le soin des trou-
peaux, et au bout de quelque temps il lui
donna la charge de veiller sur les domesti-
ques de cette maison, et l'établi! l'économe
de ses biens.
Dieu bénit les soins et le travail d : Jean, car
les biens de sou ma.it re s'augmentèrent entre
ses mains, les troupeaux se multiplièrent, et
la prospérité régna dans la maison; ce qui lit
que son maître, ppnr l'attacher davantage
dans ses intérêts et lui ôter la pensée de se
retirer eldes'i ngager ailleurs, lui offrit sa fille
en mariage ; mais il n'y voulut point cou sentir,
el, comme son maître le pressait d'accepter
ce parti, il se relira de chez lui et s'engagea
parmi les troupes que l'empereur Charles-
Quint levait. 11 s'enrôla dans une compagnie
d'infanterie que faisait don Jean Feruz, qui
était un gentilhomme dont son maître avait
été le mayoral avant qu'il fût geôlier, et qui
avait eu ordre du comte d'Oropesa Ferdi-
nand Alvarès de Tolède, de marcher au siège
de Fontarabie, ville de Biscaye, sur les con-
fins de France. Elle avait été prise en dix
jours sur les Espagnols l'année précédente,
par le roi Frauçois I,r ; et l'empereur Charles-
Quint, ayant entrepris de la reprendre, y
faisait venir des troupes de tou-- côtés pour
en couvrir le siège et pour empêcher le se-
cours que les Français y envoyaient.
Le tumulte des armes, les mauvais exem-
ples des soldats et la \ie licencieuse que l'on
mène ordinairement à la guerre, firent ou-
blier à Jean ses exercices de piété, il s'ac-
coutuma insensiblement à faire comme U *
antr>s; et, perdant peu à peu la crainte qu'il
eue d'offenser Dieu, il eut honte de
par litre meilleur que les autres soldats. Mais
Dieu, qui veille sans cesse sur ses élus, et
qui ne permet qu'ils tombent dans quelques
! éebés qu'afin que la manière dont ils se re-
lèvent serve à édifier les fidèle et à leur ap-
prendre à faire pénitence , ne laissa pas
longtemps Jean dans le désordre, et lui fit
bientôt connaître sa f ute. 11 arriva un jour
que lui et ses compagnons manquant de
vivres et n'étant pas éloignés d'un village
où ils espéraient en trouver, Jean, comme
le plus jeune de la bande, fut destiné pour
y aller. Il monta sur une jumeni qui avait
été nouvellement prise sur les Français, et
s'avança du côté où ils étaient occupés à
tenter le secours des assiégés. La jument se
reconnut dans les lieux où les Français l'ar
vaient souvent menée, elle courut à toute
bride comme pour retourner à leur camp.
Jean la voulut retenir, elle se cabra et le
précipita avec violence sur des pierres et des
roches, et lui froissa tellement le corps, qu'il
demeura longtemps sans mouvement et sans
paroles. Mais enfin, étant un peu revenu à
lui et voyant le danger où il était de perdre
la vie, parce qu'il était sur le point de tomber
entre les mains des ennemis, qui étaient
proches, il se releva avec beaucoup de peine
et se jeta à genoux, implorant le secours de
la sainte Vierge et la priant de le délivrer de
ce péril et de ne pas permettre qu'il tombât
entre les mains des ennemis. Sa prière étant
Unie, il sentit revenir ses force*, rentra en
lui-même et regarda cet aceident comme
une punition de ses péchés. Il se traîna le
mieux qu'il put vers le camp des Espagnols,
où il 'pleura ses désordres et promit à Dieu
d'être plus fidèle à son service. De cet acci-
dent il tomba dans un autre malheur. Son
capitaine lui ayant confié la garde de quel-
que butin qu'il avait fait sur l'ennemi, des
voleurs l'enlevèrent, et le capitaine l'accu-
sant d'infidélité et d'avoir eu part au larcin,
le voulut mettre entre les mains de la justice,
après l'avoir maliraité extraordinairement.
Plusieurs personnes s'intéressèrent pour lui,
et obtinrent sa grâce, à condition qu'il re-
noncerait à la profession des armes.
Il retourna à Oropesa, où il alla trouver
son ancien maître, qui le reçut avec beau-
coup de tendresse. 11 lui rendit son premier
emploi, lui confiant de nouveau le soin de
tous ses biens. 11 s'acquitta de celte commis-
sion avec encore plus d'exaclilude, et se
comporta de telle sorle. que son maître,
ayant toujours dessein de le choisir pour son
gendre, lui en fit encore la proposition. Il
n'y voulut point consentir, et, pour se déli-
vrer de ses poursuites, il prit une seconde
fois, en se retirant , le parti des armes ,
croyant que la guerre que l'empereurCharles-
Quint soutenait alors contre le Turc était
sainte et qu'il y pouvait souffrir quelque
chose pour Jésus-Christ. 11 évita tous les
désordres où il était tombé dans la première
guerre, il s'y comporta avec toute sorte de
55Î
DICTIONNAIRE DF.S ORDRt S RELIGIEUX.
retenue et de modestie, et, bien loin d'inter-
rompre ses'exercices de piété, il les augmenta.
La guerre étant finie et les troupes ayant
été licenciées, Jean vint en Portugal et vou-
lu! aller revoir ses parenis à Vonlc-Mayor.
11 y apprit d'un de ses oncles que son père
cl sa mère étaient morts, et, avant ;u que
sa fuite avait été la cau-e des malheurs de
sa famille, il voulut entièrement abandonner
son pays pour aller servir Dieu dans un au-
tre endroit. 1! passa pour cet effet dans l'An-
dalousie, où il se mit au service d'une dame
riche du terri oire de S< ville, et entra chez
elle en qualité de lier: er. I! commença à
passer les jours et les nuits dans les exerci-
ces de la pénitence et à pleurer sa vie pas-
sée, à prier et à implorer la miséricorde de
Dieu. Croyant faire quelque chose qui lui
sérail plus agréable, il passa en Afrique afin
d'y irouver l'occasion d'y souffrir le martyre.
Ii fut pour ce sjjii I à Ceula; mais, par l'avis
de , son confesseur, il repassa en Espagne, et
ayant délai que à Gibraltar, il s'occupa à
vendre îles images et des petits livres de dé-
vot on.
De Gibraltar il passa à Grenade, où il éta-
blit d'abord une p> !ite boutique sous la porte
d'Eivire, et, sachant qu'on avait coutume de
célébrer la fête de saint Sébastien à Grenade,
dans l'ermitage de son nom, qui était au
quartier le plus élevé de 1 ■•: ville, il y fut et
y entendit prêcher le docteur Jean Avila, le
plus célèbre prédicateur d'Espagne et sur-
nommé l'apôtre de l'Andalousie. I! en fut si
touché, que, fondant en larmes, il remplit
l'église de cris et de lamentations qui le
firent prendre pour un homme forcené : il se
frappait la poitrine, se déchirait le visage,
s'arrachait la barbe et les cheveux, se rou-
lait dans la boue, courait d'.une manière ex-
travagante par les rues, ne faisant autre
chose que crjer à Dieu de toute sa force :
Miséricorde. Chacun jugea ■ u'il avait l'esprit
troublé. La populace s'attroupa autour de
lui, les enfants, la canaille le poursuivirent
à coups de pieires. 11 arriva chez lui tout en
sang, et ayant continué le lendemain à faire
la même chose, on le conduisit au docteur
Avila afin de voir s'il ne pourrait pas guérir
cet esprit que son sermon avait si étrange-
ment blessé. Ce saint prêtre, après avoir
écouté Jean dans la confession, reconnut
l'esprit de Dieu dans les mouvements du
cœur de ce pénitent qui ne contrefaisait l'in-
sensé que pour se procurer des humiliations ;
il l'encouragea dans ses sainte^ résolutions,
et lui promitde l'assister dans toutes les ren-
contres.
Jean, consolé par un si saint homme,
crut qu'il ne pouvait pas assez s'humiiier.
Il recommença ses extravagances et ses fo-
lies apparentes. On l'enferma dans l'hôpital
des insensé , où, après les remèdes qa'on
lui fit prendre et qui furent inutiles, on crut
que le plus efficace pour le guérir était de le
fouetter tous les jours jusqu'au sang, jus-
qu'à ce que son esprit lût revenu. Ce sup-
plice, qu'il avait soin d'augmenter en irri-
tant continuellement ceux qui en étaient
les exécuteurs, le mit à deux doigts du tom-
beau. Avila en fut averti, e!, l'étant venuvoir,
il lui dit qu'il était temps de mettre fin à ses
foies volontaires et de s'appliquer désormais
âdesjphoses plus utiles poûrluî et pour lé pro-
chain. Jean obéit, les administrateurs furent
surpris d'un changement si soudain; ils le
firent traiter avec beaucoup d' soin, et
en peu de teni; s il recouvra la santé et les
forces. Il demeura quelque temps à servir
les malades du même hôpital; il en sortit au
mois d'octobre de l'an 1539, qu'il voulut
exécuter le vœu t; u'il avait fait de servir
Dieu dans es pauvres. 'Il forma le plan du
de sein qu'il avait de leur procurer des ali-
ments, des habits, et des ielr ites assurées,
à son retour d'un pèlerinage qu'il fit à No-
tre-Dame de Guadaloupe pour remercier la
sainte Vierge de sa protection et lui recom-
mander le succès de ses entreprises. Il com-
inenç par nourrir quelques pauvres du tra-
vail de ses main ; il allait pour cet effet cou-
per du bois dans la forêt, et le vendait à la
ville pour les faire subsister; et son exem-
ple oint à ses exhortations anima tellement
les personnes chariiables de la ville de Gre-
nade, que. par le moyen de quelques quêtes
qu'il fit, il se vit en étal, l'an 15*0, de louer
une maison pour y retirer les pauvres ma-
laiies et de les y assister.
Voilà quels furent les commencements de
l'hôpital de Grenade, et proprement les pre-
miers fondements de son ordre. Son premier
soin, après avoir loué cette maison, fut de la
fourn r des meubles qu'il crut être absolu-
ment nécessaires ; et, sans perdre de temps,
il alla dans toute la ville chercher des mala-
des, des estropiés, des impotents, pour rem-
plir son hôpital. La plupart de ceux qui le
virent agir ainsi le blâmèrent, l'accusant
d'indiscrétion , le régardant comme un
homme entreprenant et qui s'engageait à
une chose qui lui était absolument impossi-
ble; mais sa fermeté les étonna, sa foi les
cli rgea de confusion, et l'ardeur de sa cha-
rité les fit rentrer en eux-mêmes. Ils voulu-
rent avoir part à l'établissement qu'il faisait,
ils lui mirent quelques aumônes eulre. les
mains pour fournir aux besoins les plus pres-
sants de ses pauvres, et leur exemple en attira
d'autres à lui faire aussi quelques libérali-
tés. Les pauvres ne manquaient de rien;
après que Jean de Dieu les avait assistés
pendant le jour et leur avait procuré tous
les biens spirituels dont ils pouvaient avoir
besoin, leur faisant venir des confesseurs et
autres personnes pieuses qui leur faisaient
souvent des instructions familières, il allait
le soir vers les huit à neuf heures quêter
pour eux : il marchait dans les rues avec
une hotte sur son dos et deux marmites à
ses bras. La pluie, le vent et les autres in-
jures du temps ue l'arrêtaient point, et, lors-
qu'il voulait demander l'aumône pour les
malades, il criait à haute voix : Mes ckers
frères, faites-vous du bien pour l'amour de
Dieu. Celte manière extraordinaire de de-
mander l'aumône attirait tout le monde aux
533 JEA
fenêtres, et on lui donnait abondamment de
quoi nourrir ses pain re .
Le siège épiscopal de Grenade était oc-
cupé pour lors p;ir dom Pierre Guerrero.
Ce prélat crut qu'il était de sa charge pas-
torale de prendre connaissance de ce nou-
vel établissement el d'examiner comme tou-
tes choses s'y passaient. Il en fut si satisfait,
que, non content de lui donner sa protec-
tion, il donna des sommes considérables
pour fournir aux frais de cet hôpital, ce que
plusieurs |n r ointes de la ville tirent à l'exem-
ple de leur pasteur. L'approbation que l'ar-
chevêque de Grenade venait de donner à
tel -hôpital le mil en gratte crédit, les pau-
vres y accouraient de toutes parts, de sorle
que la maison qu'il avail d'abord prise se
trouvant trop petite , il l'ut obligé d'en
louer one pius grande et plus com-
uiod«, afin d'y pouvoir admettre tous ceux
qui se présenteraient. Tout \ élail admiré,
la propreté des lieux, l'ordre du service, Vr-
bondance des vivres et des meubles, la cha-
rité, la modestie, la p .lience des minisires
qui travail! ie.it ^ous notre saint ; et on s'é-
tonnait comnicn an homme sans crédit et
sans autorité, n'a ant ni biens ni revenus,
avait pu établir un si bel hôpital.
Comme notre saint élail entièrement mort
au monde, 1 ne désirait point de lui pi ire.
et paraissait toujours avec des habits très-
inéehants cl tout déchirés; car, s'il rencon-
trait un pau i rcda-sla rue qui lût plus mal velu
que lui, il prenait son habit et lui donnait
le sien. Ma s l'extérieur méprisable et
dégoûtant que les gen; du monde trou-
vaient dans sa mine el dans ses habits n'em-
péchait pas quelques personnes de considé-
ration de marquer toujours beaucoup d'em-
pressement pour l'avoir chez elles dans le
cours de ses quêtes. L'évèque de Tuy, pré-
sident de la chambre royale de Gré ade,
l'ayant un jour retenu à dîner, el lui ayant
demandé son nom, notre saint lui répondit
qu'il s'appelait Jean : Vous vous appellerez
à l'avenir Jean de Dieu (dit le prélat) ; et de-
puis ce temps-là ce surnom lui demeura.
François de Castro, administrateur de son
hôpital de (irenale, qui rapporte ainsi la
cause de ce surnom, et qui le premier écri-
vit la vie de saint Jean de Dieu, environ
vingt-cinq ans après si mort, doit être plu-
tôt cru qu'Antoine Goëva, évéque de Cyr,
qui n'écrivit la même vie que quatre-vingts
ans après, et qui dit que ce fut Notre-Sei-
gneur qui, s'etant appai u à lui sous la forme
d'un enfant, comme il se reposait sous un
arbre, lui montra une grenade ouverte, du
milieu de laquelle formait une croix, et qui
lui dit : Jean de Dieu, grenade sera ta croix,
ce qui serait arrivé, selon cet auteur, dans
le temps que notre saint demeurait à Gibral-
tar, et qu'il s'était mis en chemin pour al-
ler dans les lieux des environs de cette
ville pour y vendre ses images et ses livres.
L'évèque de Tuy lui dit encore que, puis-
qu'il lui avait donné son surnom, il voulait
aussi lui donner uu habit, lui représentant
que l'humilité et la simplicité dont il faisait
JEA
K34
profession ne le dispensaient pas de garder
une bienséance honnête, et <\u ■• celui qu'il
portait était dégoûtant et empêchait que
plusieurs honnêtes gens ne le fréquentas-
sent : c'est pourquoi il envoya sur l'heure
acheter de l'étoffe pour lui faire un habit
dont il prescrivit iui-mêine la forme, et il
l'eu revêtit lui-même de sa main, lui ordon-
nant d'en donner un semblable à ceux qui
s'uniraient avec lui.
Le saint ni le prélat n'avaient aucune in-
tention d'é'ablir uu nouvel ordre religieux
dans l'Eglise; mais il y a bien de l'apparence
qu'ils avaient dessein de former une société
ou congrégation de personnes séculières
pour avoir soin de l'hôpital de Grenade,- et
que ces personnes devaient être distinguées
des autres séculiers par des habillements dif-
férents.
Jean ne fut pas plutôt revêtu de cet habit,
que plusieurs personnes s'offrirent à lui pour
éire de ses disciples. Les premiers furent
Antoine Martin et Pierre Yelasco, qui se
portaient une haine mortelle. Le premier
accusait l'autre d'av 'ir tué son frère, et était
venu exprès à Grenade pour le poursuivre
en justice-, mais Jean de Dieu les réconcilia
si bien ensemble que, pour vivre dans une
plus grande union, ils voulurent être disci-
ples de noire sair.t, et furent les premiers à
qui il donna l'habit de sa congrégation, selon
la forme qui lui avait élé prescrite par l'évè-
que de Tuy.
Son hôpital se trouva encore trop petit ,
et il fallut le (ransfrer pour la troisième
fois. L'archevêque de Grenade, dom Pierre
Guerrero, sollicita les principaux île la ville
à contribuer à l'achat d'un" maison fort
vaste, qui avait été autrefois occupée par
des religieux, et, pour donner l'exemple,
il fournit pour sa part quinze cents ducats.
Ce fut encore à la sollicitation de ce prélat
que notre saint entreprit un voyage à Val-
ladolid, où la cour d'Espagne était pour lors,
afin d'obtenir un secours pour ses pauvres.
Il y fut favorablement reçu de Philippe II,
qui n'avait pas encore le litre de roi , el
qu'on nommait le prince des Espagnes ,
parce que l'empereur Charles V ne lui avait
pas encore cédé ses Etats, ce qu'il ne fit que
l'an 1555. Jean de Dieu reçut de grandes
libéralités de ce prince et des seigneurs de
sa cour
Sa charité ne se bornait pas seulement aux
malades et aux pauvres de son hôpital, il se-
courait encore les pauvres honteuxde la ville,
retirait une infinité de femmes et de filles de
la débauche, et non-seulement pourvoyait à
leur subsistance, mais en mariait encore
quelques-unes. Enfin ses forceg se trouvè-
rent entièrement épuisées par sa charité et
sa pénitence; et, dans le temps que l'on se
promettait qu'il travaillerait plus que jamais
pour les pauvres, il se trouva presque hors
d'état d'agir. 11 ne laissait pas néanmoins
de continuer ses exercices ordinaires, de
laire ses quêtes, de veiller el de s'occuper
au dedans de la maison ; mais enfin un acci-
dent imprévu lui causa, l'an 1550, la umla-
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
53C
ilie dont il mourut. Les eaux du Xénil
élaient exlraordinairement grosses celte an-
née-là, el entraînaient avec elles quantité
de bois. Noire saint fondateur, voulant en
retirer pour l'usage de son hôpital, et étant
entré dans ce torrent, le froid le saisit telle-
ment, qu'il fut d'abord allaqué d'une vio-
lente maladie qui s'augmenta lorsque, par
un excès de sa charilé, il se jeta encore dans
le fleuve pour secourir un jeune homme
qui y était entré trop avant, et que la rapi-
dité des eaux entraînait. Il se mit au lit, où
il fut visilé par l'archevêque et les plus
qualifiés de la ville, du nombre desquels fut
la dame Anne Osoria, épouse de do m Gar-
das de Pise , qui fit tant d'instances pour
qu'on l'amenât à son logis, afin qu'il fût
mieux assisté dans sa maladie, que l'on ne
put lui refuser cette grâce ; et ce fut dans la
maison de cette dame qu'il mourut , le 8
mars 1550, âgé de 55 ans.
Comme il n'y avait qu'une petite cha-
pelle dans son hôpital, on ne put pas l'en-
terrer dans ce lieu. Il fut inhumé dans l'é-
glise des Minimes, et enseveli dans i'iiabit
des religieux de cet ordre avec une pompe
funèbre où la magnificence se trouva jointe
à la piété publique ; l'archevêque même y
officia pontificalement. Ces religieux pos-
sédèrent les précieuses reliques de ce saint
jusqu'en l'an 1664-, qu'ils les rendirent à ses
enfants pour les transférer à l'hôpital de
Grenade. Les grands miracles qui se firent
à son tombeau portèrent le pape Urbain VIII
à le béatifier par une bulle du 21 septembre
1630. Innocent XI, par un décret du 13 juin
1679, déclara qu'on pouvait procédera sa
canonisation ; mais il se passa encore quel-
ques années sans qu'on en fît la cérémonie;
ce ne fut que sous le pontificat d'Alexan-
dre Vil, l'an 1690, le 16 octobre, qu'on lui
rendit < et honneur.
Saint Jean île Dieu ne donna point de son
vivant d'autre règle à ses disciples que
l'exemple de ses vertus avec l'ordre qu'il
leur prescrivit pour l'assistance corporelle
et spirituelle des malades. Après sa mort,
ils obéirent à un supérieur qu'ils nommaient
majeur; ce fut en cette qualité qu'ils re-
connurent le frère Antoine Martin, à qui
saint Jean de Dieu av;iit donné en mourant
l'administration de son hôpital. Comme ce
saint fondateur avait reçu de grandes au-
mônes de Philippe II lorsqu'il était à Valla-
dolid, le frère Antoine fut trouver, pour le
même sujet, ce prince, qui était pour lors à
Madrid, à qui il persuada aussi de faire bâ-
tir dans celle capitale d'Espagne un hôpital
sur le modèle de celui qui avait été bâti à
Grenade par saint Jean de Dieu ; ce que ce
prince exécuta , et cet hôpital a été appelé
pendant un long temps l'hôpital d'Antoine
Martin, à cause de ce frère, qui en avait
procuré l'établissement, et qui, après avoir
reçu des aumônes considérables de ce prince
pour l'hôpital de Grenade, y retourna pour
rendre compte à l'archevêque de ce qu'il
avait fait à Madrid, où il alla encore quel-
que temps après, avec la permission de ce
prélat, pour prendre l'administration de ce
nouvel hôpital, dans lequel il mourut le 24
décembre de l'année 1553, n'ayant survécu
que trois ans au saint fondateur.
A l'exemple de ces deux hôpitaux, on en
établit d'autres en Espagne, comme à Cor-
doue, à Lucène et en d'autres endroits. Celui
de Grenade était le plus fameux, il était
gouverné par le frère Rodrigue de Siguença,
qui s'acquit une si grande réputation, que
les communautés de ces autres hôpitaux
voulurent être unies à la sienne el le recon-
naître pour supérieur. Siguença les reçut et
les incorpora à sa société, qui se trouva par
ce moyen assez nombreuse, il crut qu'avant
toutes choses il fallait faire approuver par
le saint-siége leur institut ; il en conféra avec
dom Pierre Guerrero, qui loua son dessein ;
c'est pourquoi il choisit le frère Sébastien
Arias pour aller à Rome avec une supplique
adressée au pape, qui contenait ce qui s'était
passé dans la société depuis son établisse-
ment. Sébastien Arias, étant à Naples, y ren-
contra dom Juan d'Autriche , qui allait à
Rome comme eu triomphe , après la vic-
toire de Lépante, qu'il avait remportée sur
les Turcs. Ce prince s engagea de l'intro-
duire auprès de Sa Sainteté, de présenter
lui-même la supplique, et d'eu solliciter
l'expédition. Pie V, qui était | our lors assis
sur la chaire de saint Pierre, approuva cet
ordre par une bulle du premier janvier 1572,
et donna à ces religieux la règle de saint
Augustin. Il leur prescrivit <ie plus la forme
de fur habillement, leur donna pouvoir
d'élire un supérieur, sous le nom de ma-
jeur, dans chaque hôpital, et leur permit de
faire promouvoir aux ordres sacrés un
d'entre eux aussi dans chaque hôpital, pour
leur administrer les sacrements aussi bien
qu'aux malades , les soumettant à la juri-
diction des évêques des lieux où leurs mai-
sons seraient situées.
Le frère Sébastien Arias, qui avait logé,
pendant son séjour à Rome, dans le palais de
dom Juan d'Autriche, reçut en partant de
nouvelles faveurs de ce prince, qui lui mil
entre les mains cinq mille ducats, afin qu'en
passant à Naples il y fondât un hôpital sous
le nom de Notre-Dame de la Victoire. Pen-
dant qu'il était occupé à la construction de
cet hôpital, les bourgeois de Milan le priè-
rent de venir faire aussi un établissement
dans leur ville. Il ne put alors satisfaire à
leur demande, parce qu'il était pressé de
retourner en Espagne pour y rendre compte
de ce qu'il avait fait; mais, étant retourné
une seconde fois à Rome, il fonda à Milan
un grand hôpital, qui est aujourd'hui très-
célèbre et très-magnifique.
Grégoire XIII ayant succédé à Pie V, le
frère Sébastien Arias lit un troisième voyage
à Rome par le commandement de ses supé-
rieurs, afin d'obtenir du pape la confirma-
tion de leur ordre ; non-seulement il le con-
firma et lui donna plusieurs privilèges, mais
il choisit Sébastien Arias pour aller secou-
rir les Flamands qui étaient affligés de ma-
ladie contagieuse. Il voulut même fonder à
S57
JKA
JEA
558
Rome une maison pour y établir des reli-
gieux de ret ordre : c'est pourquoi il lit
écrire au frère Rodrigue de Siguença afin
de lui en envoyer. Il leur donna, l'an 1582,
l'église de Saint-Jean Galibite, et fit con-
struire à ses frais l'hôpital joignant, où il y
a ordinairement soixante lits.
Le nombre des hôpitaux s'étant augmenté
jusqu'au n bre de dix-huit, tant en Espagne
qu'en lialie, le pape Sixte V, l'an 1386, leur
permit de tenir un chapitre général à Rouie
et de dresser des constitutions, érigeant leur
ordre sous le litre de Congrégation de Jean
de Dieu. El Grégoire XIV, en confirmant
leurs privilèges, leur donna poux prolecteur,
l'an 1591, le cardinal Rusticucei, du titre de
Sainte-Susanne et vicaire de Kome. Jusque-
là toutes choses avaient heureusement pros-
péré dans cet ordre ; mais, comme le pape
Grégoire XIV leur avait accordé la commu-
nication des privilèges de l'hôpital du Saint-
Esprit en Saxe, qui avait été exempt de la
ju: Million des ordinaires par le pape Nico-
las V , l'an 14-36, et que ces religieux de la
congrégation de Saint Jean de Dieu préten-
daient jouir du même privilège : le pape
Clément VIII, sous prétexte qu ils s'étaient
relâchés de leurs observances, et que, ne
songeant qu'à parvenir aux ordres sacrés,
ils s'occupaient à l'élude et négligeaient le
soin des malades, soumit entièrement , ette.
congrégation à l'autorité et juridiction des
évèques , ordonna qu'ils ne seraient plus
gouvernes à l'avenir par un majeur, leur
défendit de prendre les ordres sacrés ei de
faire profession solennelle , voulant qu'à
l'avenir ils ne fissent qu'un seul vœu de
pauvreté et d'hospitalité, ainsi qu'il est porté
par le bref de ce pape du 13 février 1392.
Cependant ce pontife, à la prière du cardinal
Rusticucei , leur protecteur, qui lui repré-
senta que les hôpitaux d'Italie, ainsi séparés
et sans <hef, souffraient considérablement
de celte désuni n, remit ces religieux dans
le droit qu'ils avaient d'élire un général, par
son bref de l'an 1596. Il y en a qui ont cru
qu'il leur avait permis aussi de taire pro-
mouvoir aux ordres sacrés un de leurs frères
dans chaque hôpital, pour administrer aux
malades les secours spirituels dont ils avaient
besoin.
Le P. Henschenius (Apud Boll. tom. 1,
Aprilis, p. 812, n. 12), qui est de ce nombre,
n'avait pas vu sans doute la bulle de Clé-
ment VIII, puisqu'il s'étonne que le pape
Paul V ait été prié par ces religieux de leur
permettre de faire promouvoir quelques-uns
de leurs frères aux ordres sacrés, pour ad-
ministrer dans chaque hôpital les besoins
spirituels tant aux religieux qu'aux mala-
des, comme si, dit ce savant homme, le pape
Clément VIII ne s'était pas expliqué assez
formellement en leur faveur en leur accor-
dant cette permission, et pour cet effet il
rapporte l'endroit de la bulle où il veut que
cette permission leur est accordée, et qui est,
à ce qu'il prétend, énoncée en ces termes:
Ut confrulres ad sacerdotium sacris ordini-
bvs initiari possint, modo juxta primum eo-
rum institution in simplicitale pauperibus in-
firmis insermant. On lit néanmoins tout le
contraire dans cette bulle, où il est expressé-
ment défendu à ces religieux de prendre les
ordres sacrés. Voici en quels termes ce pape
s'est expliqué -.Quodre confralres kujus con-
gregalionis, sacerdotes, oui suivis ordimbus
constituti esse non possint, nrc ad liujusmndi
sarros nrdines promoveri vnleant, sed juxta
primœrum eorum institutum m timpticitate
pauperibus infirmis, ut prœfertur, inservire
ilebeant ( Bull. Roman., tom. III. Const.
Clem. VIII, kk, g 10 ).
Les religieux de cet ordre eurent donc rai-
son de s'adresser l'an 1609 au pape l'aul V ,
et de lui représenter que le pape Clément VIII
leur avait défendu de faire promouvoir aux
ordres sacrés aucun de leurs frères, et de le
prier de leur accorder celte grâce, puisque
les prêtres séculiers dont ils se servaient s?
contentaient le plus souvent dédire la messe,
ne paraissaient plus le reste du jour dans les
hôpitaux, et qu'ils n'y demeuraient pas aussi
le plus souvent la nuit; ce qui faisait que
les pauvres manquaient de secours spirituels.
Paul V leur permit donc de faire prendre les
ordres sacrés à quelques-uns de leurs frères,
qui ne pourraient exercer aucune charge
afin d'être plus en état de vaqueraux besoins
spirituels des malades. Le même pape, par
un autre bref du 7 juillet 1611, sur la repré-
sentation que lui firent les religieux de cet
ordreenEspagne, que le bref de Clément VIII
du 13 février 1592, qui défendait aux reli-
gieux de cel ordre de faire à l'avenir la pro-
fession solennelle des trois vœux de pauvre-
té, de chasteté et d'obéissance, n'avait eu
aucun lieu dans leurs hôpitaux d'Espigue,
et qu'ils y avaient toujours fait ces trois
vœux, en y ajoutant un quatrième, de servir
les malades, leur permit de faire ainsi leur
profession après l'année de probation ; il leur
permit de plus d'avoir deux prèlres de leur
ordre dans chaque hôpital, et déclara qu'ils
étaient véritablement religieux. Il accorda la
même grâc • à ceux de France, d'Allemagne,
de Pologne et d'Italie par un autre bref du
13 lévrier 1617, et il les déclara encore
exempts de la juridiction des évoques par
un aulre bref du 16 mars 1619 ; niais le pape
Urbain VIII modéra cette exemption l'an
1638, et déclara que les évêques auraient
droit de visite dans les hôpitaux où il n'y
aurait pas douze religieux, et qu'ils exami-
neraient les recettes et les dépenses conjoin-
tement avec les provinciaux et les autres
supérieurs de cet ordre. Cela n'empêcha pas
l'archevêque de Cagliari, en 1659, de préten-
dre ledroitde visitedans tous les hôpitaux qui
étaient dans son diocèse, quoiqu'il v eût plus
de douze religieux ; mais le pape Alexandre
Vil, par un brel du 3 novembre de la même
année, ordonna que celui d'Urbain VIII serait
exécuté, et que l'on s'en tiendrait à ce que ce
pontife avait décidé.
Depuis le bref de Clément VIII de 1'au.la'jA
dont nous avons parlé ci-dessus, les religieux
d'Espagne ont toujours été sépa
gieux des autres hôpitaux siiu
l\.V
SfrN
&\A
539 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
royaume; de sorte qu'il y a eu depuis ce temps
deu x généraux, l'un pour l'Es pagneet les Indes
occidentales, et d'autre pourla France, l'Alle-
magne, la Pologne et l'Italie, qri faiiordinair, -
meut sa résidence à Rome. Les hôpitaux d'Es-
pagne sont divisés en deux provinces, l'une
sous le nom d'Andalousie, l'autre sous .clui
de Caslille ; et comme l'ordre a "ail de plus
grands progrès dans les Indes, il y est divisé
en quatre grandes provinces, qui sont celle
do Pérou, deda Nouvelle-Espagne, delà Terre-
Fcriuc, fll «les Philippines.
Les autres hôpitaux qui reconnaissent le
gênerai de Rouie so I avisés en six provin-
ces. Ce ne .fut que i'an iCOl que ces religieux
passèrent en France par le moyen de la reine
Marie de Médicis, qui y mena avec elle le
fr.èie Jean Bonelli et quelques autres reli-
gieux d'une piété exemplaire , à qui elle
donna uue maison au faubourg Saint-Ger-
main , où ils ont bâti un hôpital qui s'e-l
rendu célèbre dans la suite par la magnifi-
cence lie ses bâtiments. Au mois de mars ito
l'année 1602, Henri IV leur accorda des let-
tres patentes pour leur établissement, avec
permission de faire bâtir et construire des
hôpitaux dans toutes les villes et les lieux de
sou royaume où ils seraient appelés. Lous
XIII, l'an 1617, leur en accorda d'autres qui
confirment l'étahlisseiiieot de leur ordre en
France, érigé en vraie religion par le pape
Pie V, et qui veut que ces religieux soient
reconnus pour tels. Lis oui un vicaire géné-
ral résidant à Paris, Iequei a droit de visiter
tous les hôpitaux du royaume, qui sont au
nombre de vingt-quatre. Ces religieux fran-
çais ont aussi traversé les mers, et ont éta-
bli trois liô| i:aux considérables, un dans
l'Amérique, un dans J'ile de la Guadeloupe,
et le trisième dans celle de Saint-Christophe.
Les religieux de Pologne ontaussi un vicaire
général.
Leurs constitutions furent approuvées par
le pape Paul V l'an 1617. Ils se lèvent deux
heures avant le jour depuis la fête de tous
les suints jusqu'à Pâques, pour aller à l'ora-
toire ou à l'église, où, après leur office, qui
consiste pour ceux qui ne sont pas prêtres
en un certain nombre de Pâte)- el d'Ave, iis
font oraison mentale deux fois par jour, l'une
le matin et l'autre avant le souper; mais
depuis Pâques jusqu'à la Toussaint , l'o-
raison du malin est remise à une heure après
dîner. Le matin au sortir de l'oraison, et le
soir à l'issue du réfectoire, ils vont à l'hôpital
pour y visiter les pauvres et les consoler, et
ils y restent le malin jusqu'à la messe, et le
soir jusqu'à l'heure du silence. Ouire les
jeûnes prescrits par l'Eglise, ils jeûnent en-
core Pavent, les vendredis, la veille de la
Nativité de la sainte Vierge, de Saint-Augus-
tin, et du patron de leur église. Ils prennent
la discipline tous les vendredis ( excepté le
temps pascal ) et pendant l'avenl el le carê-
me, les lundis, mercredis et vendredis. Tous
les six ans ils tiennent le chapitre général,
dans lequel ou élit le majeur général, el tous
les trois ans le chapitre provincial, dans le-
quel chaque province élit soli provincial,
dont l'office ne dure que trois ans, el celui
du général six aits. Quant à leur habille-
ment, il consiste en une robe de drap brun
avec un scapulaire de même et un capuce
rond, la (unique ou robe élant serrée d'une
ceinture de cuir noir (1). Ils n'ont que
des ( liemiscs de serge, et ne couchent aussi
que dans des linceuls de serge. Les rm 5
de cel ordre sont d'azur à une grenade d'or
surmontée d'une croix de même, l'écu tim 1 1 é
d'une couronne.
Je m'étonne, que M. Hermant, dans son
Hisloire de l'Etablissement des ordres reli-
gieux, parlant de saint Jean de Dieu, ait dit
que c'fisl le pape Innocent XII qui l'a mis au
catalogue des saii>ls, puisque sa canonisa-
lion s'est faite de nos jours, et que personne
n'ignore qu'elle a été faite par le pape
Alexandre VIS! ; et qu';! ail encore mis que
ce fut Léon X qui approuva son ordre comme
une société, l'an 1520, et qui donna la règle
de saint Augustin pour les sœurs converses,
puisque, l'an 1520, saint Jean de Dieu n'a-
vait pas encore songé à prendre soin des pau-
vres malades ; qu'il s'enrôla dans l'armée de
l'empereur l'an 1522, qu'il retourna peu de
temps après au service de son premier maî-
tre, où ayant encore demeuré environ dix
ans, il alla pour la seconde fois à la guerre
l'an 1532 ; qu'il ne commença à se convertir
qu'en 1536, que sou parfait renoncement
au monde n'arriva qu'en 1539, et qu'enfin il
ne commença son premier hôpital qu'en
1540. Quant aux religieuses converses, à qui
U même pape donna la règle de saint Au-
gustin (selon M. Hermant), elles n'étaient
pas sans doute de l'ordre de Saiul-.!ean de
Dieu, puisqu'il n'y a jamais eu de religieu-
ses de cet ordre. Il a suivi apparemment
Schoonebck, qui dit la même chose ; mais on
s'égare souvent e.i le prenant pour guide.
François de Castro, Antoine Gœva, de
Loyac, de Ville-Thlery, Bailletet Giry,dans
la Vie de saint Jean de /Heu. Henschen.,
npnd Boiland, tom. III, Aprilis. Silveslr.
Maurol. Mar. océan di tutt. gl. Rclig., lib.
v, pag. 430. Barbosa, de Jur. eccies. Ascng.
Tain ,.ur., de Jur. abbnt. Bonanni, Calulog.
Ord. relig. Hermant, Etaldiss.des Ord. relig.
Schoonebek, Hist. des Ord. relig. ; et les
Constitutions de cet ordre.
A l'époque où le P. Hélyol écrivait l'his-
toire de l'ordre de la Cbarité, cet institut
pouvait se glorifier d'un avantage que notre
auteur n'aurait pas manqué de signaler sans
doute, s'il l'avait connu. Les PP. Norbert,
Hippolyte, Anselme et Eustache, avec dix-
huit confrères, tous religieux de l'ordre de
Saint-Jean de Dieu, souffrirent le martyre
en 1656, les uns à Varsovie, les aulres à
Lublin, et les autres à LoviU. Un artiste bo-
lonais, J. Fabbri, a consacré son burin à r, -
présenter cette -cène louchante et pfrécreusé
à Tordre de la Charité dans une gravure qui
porte celle inscription : Yenerabilet servi Dei
(i) Voy., à la lin du vol., n° 159.
■,il
.1EA
IEA
S42
Norbertus, Hippolytus, ânsehnus et Husta-
chius ordinis S. Joannis de Iho, qui nna cum
octoit fini soilalibus ut Clnisfi p.hm lueren-
tttr, annu 1656, ab hmretieit partim Ungaris,
par tint Sutds, purlim Mosets, qui Yarsoviœ,
qui l.itblini, qui Lot icii diverso tormcntorum
génère ad moptem acti, ultimam in :Kmino
< bierunt dirai. Nous ignorons si l'ordre a fait
des démarches pour amener la constat lion
de leur martyre et l'autorisation de leur
culte.
Au dernier siècle, l'institut des FF. de
Saint-Jean de Dieu continua de se rendre
utile et de s'étendre. Les souverains pontifes,
depuis saint P:e V jusqu'à Léon Xll (peut-
rire jusqu'à ses deux successeurs), l'ont en-
richi par des bulle*, lirefs et décrets nom-
bn ux de plusieurs privilèges et des trésors
de l'Eglise.
Le P. Bernard, si connu par ses œuvres
de charité, fut inhumé (et après lui MM. Le-
gnuffre et Lejuifs, très-dignes prêtres, ses
d sciples) dans l'église de l'hôpital de la Cha-
rité de la rue des Saints-Pères, à Paris. Celle
maison, si importante par le nombre de s s
religieux et de ses malades, le fût devenue
bien davantage si elle eût vu réaliser tous
les projets qu'.:vait formés sur elle le cardi-
nal de Richelieu, qui la protégeait tout par-
ticulièrement. C'est lui qui fit construire la
salle dite de la Vierge, ou étaient les bles-
sés, du lemps des Frères. Il voulait eu con-
struire d'autres pour y contenir jusqu'à cinq
cents lits. La mort arrêta ses projets.
Au milieu du dernier siècle, il y tvait deux
cents lits pour les pauvres malades, qui y
étaient parfaitement soignés, sans compter
les secours qu'ils recevaient dans la maison
des convalescents, rue du Bac.
Cette maison des convalescents, où l'on
consolidait la sanlé d'un certain nombre de
malades sortant de l'hôpital de la Charité
(on en recevait douze chaque semaine), était
due aux bienfails de dame Angélique de
Faure, veuve de Claude de Bullion, mar-
quis de Gallardon, et garde des sceaux. Elle
datait de l'année 1652 et élait desservie par
quatre religieux.
L'église de l'hôpital de la Charité, que l'on
voit encore rue des Saints-Pères, et qui sert
aujourd'hui de vestibule, fut entièrement
terminée en 1733, et on y mit la dernière
main en y faisant construire le port.iil
d'assez bon goût qu'on y \oit encore, et qui
fut élevé sur les dessins de Cotte, architecte.
Eu 17o8, les religieux acquirent une portion
de terrain aliénée peu de temps auparavant
par l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et
sur cet emplacement ils firent bâtir des salles
plus vastes pour y recevoir un plus grand
n nibre lie malades. M. Antoine, architecte
de l'hôtel des monnaies, donna le dessin et
dirigea la construction d'une de ces salles,
disposa la cour sur un nouveau plan ci dé-
cora l'entrée de l'hôpital d'un petit porche à
colonne sans bases, d'un très-bon style. Ce
porche a été gravé, et préservera ainsi de
tomber, au bout de quelques années, dans
l'erreur qui confondn.il ce portique avec
celui qu'on vient de terminer récemment à
l'entrée du même établissement, rue J.icob.
Au portail de M. Antoine, cet architecte vou-
lut faire un essai de l'ordre dorique grec, et
donner une légère idée de ces propylées cé-
lèbres qu'alors les professeurs d'architec-
ture commençaient à faire connaître dans
les leçons académiques. Les connaisseurs
trouvèrent qu'il avait trop francisé son genre
grec. Au reste ces propylées sont mis de nos
jours presque à tous les établissements pu-
blies.
La maison de Paris élait le chef-lieu de
toutes celles du même orde établies dans lé
royaume et dans les colonies. C'était aussi le
seul noviciat et la retraite des religieux hors
de service. Cet hô; -ital r.-yal élait administré
non comme les autres hôpitaux de malades ,
par des séculiers, mais par l'ordre même des
relui; ux qui s'y consacraient. Le bien n'y
souffrait donc point les entraves apportées
trop souvent au zèle des aumôniers et des
religieuses dans les établissements du même
genre. On avait mal à propos répandu dans
le monde, par une erreur populaire qui s'é-
tait introduite jusque chez les personnes do
condition, qu'il y avait dans cette maison des
chambres particulières dans lesquelles on
élait reçu en payant. La chose n'était pas
vraie, mais les fondateurs et les bienfaiteurs
avaient, par rappori à ceux pour qui sis «in-
téressaient, des préférences et des ficililés
.que leurs libéralités leur avaient acquises.
.Lors lie l'expulsion des frères de Saint-Jean
de Dieu, l'hôpital pouvait recevoir environ
deux cent trente malades (1), « qui y étaient
soignes, dit un historien distingué, avec un
soin, un zèle et une charité qu'on ne pouvait
trop admirer. » Les infirmeries, tenues par
les religieux de France, passaient pour des
modèles dans l'ordre. Quand on voulut bâtir
l'hôpital de Milan, c'est eu France qu'on vint
eu effet se modeler. Les religieux de l'hôpi-
tal de la Charité de Paris possédaient une
pharmacie, un jardin botanique et un cabi-
net d'histoire naturelle. On remarquait dans
Durs salles et dans leur église plusieurs ta-
bleaux et monuments bien exécutés. Nous
citerons seulemenl la statue du Pauvre Prê-
tre (le P. Bernard), en terre cuite, qui avait
été faite par un sculpteur nommé Benoît. Ils
avaient chez eux un religieux fort habile, le
P. Corne, qui était surtout très adroit dans
l'art d'extraire la pierre, avant que la litho-
trilie moderne fût connue. Ailleurs, quelques
confrères se faisaient remarquer par leurs
connaissances chirurgicales, et nous pou-
(1) L'hospice des convalescents avait aussi pris de que cette maison avait eu pour propriétaire l'ami de
l'extension, et, vers les derniers temps, on comptait S. François de Sales, Le Camus, évoque de Belley,
dans cette maison vingt-un dis pour les convale-cents, qui la vendit au gérant de la fondatrice. Elle esi dfe-
qui pouvaient y rester huit jours. Nous dirons ici venue depuis une fabrique d'ouvrages en cuivre,
pour ceux que ce génie de renseignements intéresse,
545
DICTIONNAIRE DES ORDRES REI.ICIEI'X.
SM
vous citer surtout un religieux île la maison
Je Senlis, qui a survécu à la tourmente ré-
volutionnaire.
Lorsque le P. Hélyot écrivait , ou peu
d'années après, l'ordre de Saint-Jean de Dieu
comptait en France et dans nos colonies
trenle-qnalre établissements, dont voici la
liste alphabétique : Avon près de Fontaine-
bleau, Brest, Cadillac, Celles, Charenton,
Château-Thierry, Clermont, Condom, la mai-
son des Convalescents (à Paris), Effiat, Fon-
tainebleau ou Avon, Fort-Royal à la Marti-
nique, Fort-Saint-Pierre à la Martinique,
Gayette, Grainville-la-Teinturière (diocèse
de Rouen), Grenoble, la Guadeloupe, le Cap-
Français j île Saint-Domingue) , La Rochelle,
Lester (quartier do Léogané,île Saint-Domin-
gue), Louis-Bourg (île Royale, au Canada),
Metz, Moulins, Niort, Paris, Poitiers, Pontor-
son , Romans, Roye, Saint-Martin, Saintes,
Senlis, Vesins, Vitry-le-Français, Vizilles.
Mais dans le cours du dernier siècle le nom-
bre en était augmenté; car, suivant un cal-
cul que nous croyons basé sur des rensei-
gnements exacts, l'institut de Saint-.lean de
Dieu desservait, dans le royaume et ses co-
lonies, environ quarante hôpitaux contenant
trois cents religieux et quatre mille lits. Le
dernier établissement qu'il eût formé était
sans doute l'hospice qui se voit encore près
de la barrière d'Enter, à Paris. Le duc de la
Rochefoucault , désireux d'acquérir deux
maisons que les religieux de la Chanté pos-
sédaient dans la rue de Varennes, obtint
cette acquisition de leur comp'aisance. Par
reconnaissance et par un effet de la bienfai-
sance habituelle de cette généreuse famille,
il contribua aux frais de la fondation que
firent, en conséquence de la vente île leurs
maisons, et de leurs propres deniers, les re-
ligieux de la Charité, d'un hospice destiné
aux malades d'une classe élevée. Par grati-
tude, ces religieux donnèrent au nouvel éta-
blissement le nom d'hospice de la Rochefou-
rault, qui lui est resté. Cet hospice, fondé
quelques années seulement avant la révolu-
tion française, était destiné à recevoir, en
payant, des malades à qui le séjour de Paris
était nécessaire et qui ne pouvaient décem-
ment loger dans les hôpitaux, car c'étaient îles
prélats, des militaires en grade, etc., etc. Un
établissement analogue, tenu par les mêmes
religieux, existe aujourd'hui, m;:;s sur de
moindres proportions peut-être, dans la rue
Plumet , à Paris. Notis en parlerons dans no-
tre quatrième volume.
L'ordre avait au dernier s:ècle deux mai-
sons à Rome : l'hôpital de Saint-Jean-Cali-
bile et l'hospice de Spagnuoli ou des Espa-
gnols. Et, en 178!), le supérieur général, ou,
plus régulièrement parlant, le vicaire géné-
ral, en France, était le P. Romuald Vincent,
résidant à Paris.
Comme cet ordre vénérable a eu une sorte
de création nouvelle en se rétablissant en
France, où d'ailleurs un bref de Léon XII
lui a donné une légère modification adaplée
à la législation de notre pays, nous consa-
crerons un article spécial à l'histoire de sa
renaissance en France. Voy. Jean ve !)iec
(Ordre de Sain(-), au Supplément.
Recueil des Indien et des brefs qui concer-
nent l'ordre de la Charité en Franc , vol.
in-4", 1723. Suite du Recueil des bulles et des
brefs qui concernent l'ordre de la Charité en
France, 1 7aV7. Tableau historique et pittores-
que de Paris, 8 vol. in-8°. par J.-B. de Saint-
Victor. Etat ou Tableau de la ville de Paria,
pnr de Beaumont, in-8°, 1702. Notes fournies
par les religieux de la maison de Paris Notes
recueillies passim. B-n-E.
JEAN DE LA PÉNITENCE ( Religieuses
de Saint-L Von. Noli.
JEAN DE JÉRUSALEM ( Saint- 1. Voy.
Malte.
JEAN DE LA PUÉBLA (Réforme des Fran-
ciscains nu bienheureux).
Le bienheureux Jean de la Puébla est re-
connu pour le premier auteur de ceUe étroite
observance, que tant de religieux de l'ordre
de Saint-François ont emhrasséo à son exem-
ple. Il était comte de Bellocazar, iils d'Al-
phonse de Soio-Major et d'Elvire de Zuniga,
l'un cl l'antre des plus nobles maisons d'Es-
pagne et alliés à la maison royale. Jean de
la Puébla, méprisant tous ces avantages, se
fit religieux de l'ordre des Ermites de Saint-
Jérôme, vers l'an 1476, dans le couvent de
Notre-Dame de Guadaloupe ; mais, quatre
ans après, voulant embrasser une vie plus
austère, il alla a Rome, où ayant été reçu
favorablement du pape Sixte IV, il lui de-
manda permission de passer dans l'ordre des
Frères Mineurs de l'Observance, ce que ce
pontife non-seulement lui accorda, mais il
voulut lui donner lui-même l'habit de cet
ordre, et après lui avoir fait faire profession,
il l'envoya proche Assise, au couvent des
prisons, au mont Subaze , de la province de
Saint-François, ayant à cet effet adressé un
bref au vicaire de cette province, daté du 24
janvier 1480, par lequel il lui ordonnait de
le recevoir.
Jean de la Puébla y demeura pendant sept
ans, après lesquels il fut obligé de le quitter
par ordre du pape Innocent VIII, qui, à la
sollicitation de ses parents, lui ordonna de
retourner en Espagne pour prendre la con-
duite et la tutelle de son neveu, le jeune
comte de Bellacazar, devenu orphelin par la
mort de son père, qui avait été tué dans la
bataille de Grenade. Il obéit aux ordres du
pontife, et arriva en Espagne l'an 1487;
mais l'obéissance qui lui avait fait laisser la
province de Saint-François ne lui ôta pas
l'estime et l'amour qu'il avait pour les ob-
servances qu'il y avait pratiquées; car, à
peine fut-il arrivé en Espagne, qu'il songea
à y établir une pareille réforme et même
plus austère au sujet de la pauvreté, ayant
obtenu pour cet effet quatre religieux de la
même province de Saint-François, qui lui
furent envoyés par le pape en 1488, afin qu'ils
lui aillassent dans l'établissement de sa ré-
forme , qu'il commença l'année suivante,
sous la protection de la reine Isabelle, avec
autant d'édification pour le public que de .
Îii5
iE.\
JEA
546
jalousie pour les Conventuels et les Obser-
vants d'Espagne, qui no manquèrent pas de
le traverser dans ses pieux desseius. Mais,
ayant eu recours au chapitre général de
l'Observance, qui se tenait l'an HS9 à La
Rochelle, il obtint du vicaire général Jean
Croïii et des Pères du • hapitre la permission
de fondei deux couvents sons le titre de cus-
todie,au mont de Muréna, communément
appelé Sierra de Muréna. Muni de cetie per-
mission, il se relira dans cette solitude, où il
jeia les Fondements de sa réforme sous le
titre de l'Etroite Observance, et y bâlii un
pauvre couvent l'ait de branches d'arbres et
de joncs, dont les murailles étaient revêtues
de boue et de paille mêlées ensemble.
Nonobstant celle grande pauvreté, tant dans
ce bâtiment que dans les autres choses de la
vie, les religieux qui y demeuraient étaient
très-contents.; mais le démon, jaloux de leur
repos et envieux du bonheur do l ils jouis-
saient dans celte solitude, ayant excité un
cinbiasement dans un bois voisin du mona-
stère, y poussa les flammes avec tant de
violence, que ces saints religieux eurent
bien de la peine à en retirer le saint sacre-
ment, toul le reste ayant élé réduit en cen-
dres en un moment. .Mais ils ne perdirent pas
courage pour cet accident, et en peu de temps
ils rebàtiienl un autre couvent au>si pauvre,
qui fut dédié en l'honneur de Notre-Dame
des Anges, comme le premier l'avait été.
Jean de la Puebla eut eu li93 un second
couvent à Bellacazar, dont Alphonse , son
pupille, le mil en possession , afin qu'il fût
plus près de lui, ayant obligé d'autres reli-
gieux de l'ordre, qui y avaient été établis
dès l'an 1474, de le leur céder. La vie que ce
saint réformateur menait était si austère,
qu'il allait toujours nu-pieds sans sandales.
Il n'était velu que de pauvres habits tout ra-
pièces : sa nourriture n'était que de viandes
insipides, el quoique -on c rps fut tout atté-
nué par les mortifications , il en inventait
tous les jours de nouvelles. Enfin, tout atté-
nué par la pénitence , il mourut dans son
couvent de Bellacazar, l'an 1W3. Soixante
ans après sa mort , on ouvrit son tombeau,
dans lequel on trouva son corps encore tout
entier, qui rendait une odeur agréable. L'on
porta sa tète à son premier couvent de Notre-
Dame des Anges; les religieuses Clarisses de
Bellacazar, où ses deux sœurs Elisabeth et
Eléonore de Soto-Major avaient pris l'habit,
eurent pour partage de ses sainte- dépouilles
sa pauvre tunique el son cilice. Sou neveu,
le comle Alphonse, après avoir perdu sa
femme, Philippe de Portugal, se fil religieux
de celle réforme, et mourut en odeur de sain-
teté dans ce couvent, qui fut agrandi l'an
1510, et bâti de pierres par les soins du Père
François des Auges , qui a élé dans la suite
général; et à quelque distance du couvent,
il fit faire quatre ermitages, où les religieux
se retirent tour à lour. Ils n'y peuvent pas
demeurer plus d'une semaine. Le samedi, on
nomme les quatre religieux qui doivent aller
dans ces solitudes. Le dimanche matin, après
avoir entendu la messe au couvent, ils de-
mandent la bénédiction au supérieur, et vont
en silence à l'ermitage qui leur a été destine.
Ceux qui en reviennent après avoir entendu
la messe à l'ermitage, entendent encore au
couvent la conventuelle , et lorsque l'on a
sonné le dîner, ils se prosternent à la porte du
réfectoire pour baiser les pieds à tous les reli-
gieux qui y entrent. Ils gardent toujours un
étroit silence dans leurs solitudes. Jamais ils
n'y mangent rien de cuit ni qui ait eu vie, et
ils se contentent de racines, d'herbes , de
fruits, de pain et d'eau, s'abslenanl même de
laitage. Ils peuvent néanmoins, s'ils veulent,
assaisonner leurs herbes d'huile et de vinai-
gre. Ils prennent trois fois la discipline en
vingt-quatre heures, tant de jour que de
nuit. Ils ne sont point obliges au travail ma-
nuel , alin de vaquer plus longtemps à la
médilation, et, hors le temps de l'oraison et
de i'oiiice divin, ils doivent s'appliquer à la
lecture spirituelle.
Ce couvent fut encore brûlé en 1543; il
n'y resta pas pierre sur pierre; les arbres
mêmes qui étaient aux environs furent aussi
consumés, en soi te que ce lieu fut réduit en
un désert. Mais les religieux ne voulant point
pour cela l'abandonner, un novice, frère du
duc de Véjar, qui n'avait pas encore renon-
cé à son patrimoine, le fil rebâtir plus soli-
dement qu'il n'était auparavant. Philippe li,
roi d'Espagne, augmenta la dévotion et la
beauté de ce lieu lorsqu'il y passa en allant
faiie la guerre contre les Maures. Il y laissa
une grosse aumône pour faire un dortoir et
embellir l'église, et donna à ces religieux un
bois qui était dans leur voisinage, avec un
grand pâturage do deux milles de tour.
Quatorze couvents s'étant joints à ceiui-ci,
on en a formé une province sous le litre des
Anges, qui fut érigée l'an 1518 el qui fut in-
corporée dans la suite avec la Régulière Ob-
seivance. Leur habillement est semblable à
celui que nous avons donné à cet article.
Francise. Gonzag., de Ortg. Seinph. relu].,
Luc Wading. , Annal. Minor. , tom. Vil ;
Dominic. de Gubernatis, Orb. Seraph. lib. v ;
Marian., (la on. Observ. strtclior. etrefonn.,
lib. î, cap. 1 ; el And. de Guadaloupe, Hist.
de la Provinc. de los Angelos.
JEAN DKS VALLÉES ET DK GENTIL DE
fcPOLETTE f Réforme des Franciscains
de).
Sous le généralal de Géraud de Odonis, qui
fut élu dans le chapitre général qui se tint à
Paris l'an 1329, les religieux de l'ordre de
Saint-François, qui étaient portés au relâ-
chement , trouvèrent un protecteur en la
personne de ce général, qui, loin de i eformer
les abus qui s étaient glissés dans l'ordre
cl de maintenir les règlements qui avaient
été faits par ses prédécesseurs pour l'obser-
vance de la règle, porta au contraire le pape
Benoît XII à laire, l'an 1336, d'autres règle-
ments, qui tendaient, selon son inclination,
au relâchement de la pauvreté et des autres
austériiôs de l'ordre, les Gt recevoir l'année
suivante dans le chapitre général qui se tint
547
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
548
à Cahors, et les envoya ensuite dans foules
'les provinces; et c'est ce qui donna lieu à
l'établissement de la reforme de Jean des
Vallées, car Géraud de Odonis, dès l'an £33S,
avant d'entreprendre le dessein qu'il avait
d'affranchir l'ordre de toutes ses austérités',
jng^atit, par une politique mondaine et une
prudence de la chair, qu'il était nécessaire
de se défaire de ceux qui pourraient apporter
quel ; ne obstacle à l'exécution de son projet,
donna permission à ce réformateur, dont' il
craignait le zèle et la piété, de se retirer dans
quelque lieu solitaire avec quelques autres
religieux qui dési"aienl comme lui d'obser-
ver la règle dans toute sa pureté. Le frère
Jean des Vallées, muni de cette permission,
se retira à Bruliauo, proche le mont Floride,
entre Camérino et Fnligni , o'û il bâtit un
petit couvent qui avait plus l'air d'une pau-
vre chaumine que d'une maison religieuse1,
et là, avec ces religieux zélés, il vécut dans
une grande pauvreté e( dans la pratique des
austérité s de sa rfe'glè et de toutes les vertus
évangéliques , ce qu'il continua jusqu'à sa
mort, qui arriva l'an 1351.
Fortanier Vassal, qui, dans le chapitre
général tenu à Marseille l'an 1343 , avait
succédé à Géraud de Odonis (que le pape
Clément VrI avait l'ail patriarche d'Anlioehe
l'année précédente), se montra favorable à
ces réformés, leur accordant toute, les grâ-
ces qui dépendaient de lui ; mais l'envie et la
jalousie ne lardèrent guère à s'y opposer, en
excitant les murmures des non réformés, ou
pour mieux dire d s relâchés , qui se plai-
gnirent ouverlement de la conduite l du
gouvernement du général , sous prétexteque,
favorisant ces s inls religieux et leur accor-
dant tant de grâces et de privilèges, il leur
donnait les moyens de se séparer de l'ordre.
Le pape, craignant que ce ne fût une occa-
sion de faire renaître la division dans l'ordre,
défendit au général de leur accorder aucune
exemption ou grâce parlicu iére jusqu'à ce
que lé saint-siège fût mieux informé de leur
manière de vie, el qu'il eût ordonné ce qu'il
jugerait à propos sur ce sujet.
Celle défense ayant été publiée, ces s inls
religieux ne perdirenl pas pour cela l'esprit
de leur vocation, et, s'abandonnait entière-
ment aux dispositions de la divine providence
sur eux, ils n'en furent pas um: s M les
à l'observance de leur règle el à la pratique
des vertus capables de les rendre ag
à Dieu, qui, voulant réCompehsèf-céUê con-
fiance et cette conformité à sa sainte volonté,
leur donna la consolation de voir croître leur
petite congrégation , non-seulement par l'ar-
rivée de plusieurs i cligieux qui , quittant les
non réformés, où le désordre augmentait de
jour'en jour, venaient se joindre à eux dans
leur solitude pour y observer la règle dans
toute sa pureté, mais encore par l'augmen
tation de quelques couvents qui leur furcn
donnés par les soins du frère Gentil de Spo
lette, qui, après la mort de Jean des Vallées,
étant regardé comme chef de cette même con-
grégation, quoiqu'il ne fûl que frère laïque ,
obtint, l'an looJ, dn pape Clément VI, à la
sollicitation de quelque? seigneurs, quaîre
petits couvents de la province de Saint-Fran-
çois , qui furent ceux dès Prisons , de Monl-
Luci , de l'Ermitage et de Jani , où il demeura
avec ses religieux, et où il eut permission de
recevoir des novices et les autres religieux
qui seraient portés à l'observance exacte de
la règle, et ce ponlife fit défense aux supè
rieurs de l'orde de les troubler en aucune
manière.
Les supérieurs ne purent néanmoins souf-
frir cette séparation. Ils appréhendèrent que
celte congrégation naissante n'augmentât et
qu'elle ne causal une plus grande' division
que celles qui avaient été pacifiées sous les
papes Clément V el Jean XXII ; c'est pour-
quoi ils pensèrent aux nioyens.de la détruire
avant qu'elle fît un plus grand progrès. Ce
qui les y excita encore davantage fut que
ces religieux prenaient des habits différents
des autres et semblable- à ceux des premiers
réformateurs deNarbonne, qu'ils ne vou-
laient avoir rien de commun avee le resle
de l'ordre, et qu'ils s'étaient presque enliè-
remenl soustraits de son obéissante. L'affaire
fut proposée dans le chapitre général qui se
tint l'an 13oi à Assise: la plupart des vocaux
furent d'avis qu'on exposât au pape, en plein
consistoire, que la cunduite de ces solitaires
menaçait l'ordre d'un nouveau schisme, et
qu'on suppliai Sa Sainteté d'ordonner qu'on
les traitât comme ou avait fait des sectaleurs
de Pierre-Jean Olive; mais le général Guil-
laume Farinier. qui dès l'an 1245 avait suc-
cédé à Fortanier Vassal (que le pape avait
fait archevêque de Hàvenne), s'opposa à ce
dessein, leur faisant connaître que si l'on
faisait éclater cette affaire, le peuple en pour-
rail être scandalisé, et que cela exciterait
plus de bruit parmi ies religieux. L'on défé-
r à son avis et l'on remit à sa prudence le
soin de dissiper celle nouvelle congrégation.
11 était de son honneur, après une déférénc'é
si soumise, de réussir dans celte affaire ; ainsi
il commença à en rechercher les moyens,
mais le frère Gentil lui en fournit l'occasion
peu de temps après par son imprudence ; car
ce général ayant voulu coin a auder quelque
chose à un de ses religieux, le frère Gentil
fit retirer le religieux et dit hardiment au
général qu'il n'avait 'aucune juridiction sur
ceux qui élaienl sous sa conduite. Les reli-
gieux qui accompagnaient le général le por-
taient à punir ce léméraire qui1 méprisait
ainsi son autorité; mais il aima mieux tem-
poriser eue >re quelque temps pendant lequel
il fit examiner secrètement la conduite que te-
naient Gentil et ses religieux. 11 trouva qu'ils
avaient retenu chezeuxduranlquelque temps
des hérétiques ; et, quoique ce lui dans le des-
sein de les convertir, néanmoins comme ils
n'y avaient pas réussi, il se servit' de cela
pour lès rendre odieux aU pape en les accu-
sant d avoir communiqnéavec ces hérétiques
dans leurs propres maisons en mangeant en-
semble et en leur donnant retraite, comme
aussi de les avoir laissééchapper sans correc-
tion ni châtiment, faute d'en avoirdonné avis
aux inquisiteurs. Il n'en fallut pas davaii-
54!)
JEA
tage que dttc accusation, qui, tonte fausse
qu'elle était', eut tout le succès qu'il pouvait
eu attendre : car le pape, qui était pour lors
Innocent VI, sans aulre ex.men de cause,
révoqua par une bulle de la même année
1353 ce.le que Clément VI leur avait accor-
dée ; les quatre couvents qui leur avaient été
donnés turent remis sou*, l'obéissance des
supérieurs de l'ordre, avec un commande-
ment exprès à l'rère Gentil et ses religieux
de se conformer aux autres pour l'habille-
ment (1). Le cardinal Albornoz, légat du
saint-siège en Italie, pressé par les sollicita-
lions du général, fil mettre en prison l'rère
Gentil dans Orviéto, avec deux de ses com-
pagnons qu'il menait à Rome. Ainsi le chef
é'anl arrêté, el le frère Martin, aussi l'rère
laïque, son principal coadjuleur et religieux
d'une éminenle verlu, reconnue même par
des miracles, élanl mort l'année suivante, la
congrégation fut aisément dissipée.
LucWading, Anval. Minor. lom. III et IV.
Dominic. de Gubernalis, Orb. Serapltic. ,
tom. II.
JEAN DES VIGNES (Chanoines réguliers
de Saint-), à Soissons.
L'abbaye de-'Sai .il-Jean des Vignes à Sois-
sons fut fondée pr Hugues, seigneur de Châ-
teau-Thierry, l'an 1076, sous le règne de
Philippe I", roi de France. Ce Hugues,
ayant usurp;- p.u«ienrs églises avec les biens
qui en dépendaient, louché de repentir, alla
trouver Thibaud, e\èq«e de Soissons, pour
les lui remettre entre les mains, à condilio i
que l'église de Saint-Jean, qu'on appelait
pour lors du Mont, située dans la ville de
Soissons, et qui était celle qu'il avait injus-
tement retenue, serait desservie par des cha-
noines vivant en commun, et que les autres
églises avec les biens qui en dépondai ni. et
dont il avait aussi eu la jouissance, y seraient
unis. Le roi approuva celle fondation la
même année; et, l'an 1088, Hugues, croyant
n'avoir pas assez satisfait à sa conscience
touchant son usurpation sitnoiiiaquc, fit don
au monastère de Siinl-Jeai de trente ar-
pents de, vignes qui étaient aux environs,
d'où est venu le nom de Saint-Jean des Vi-
gnes que ce monastère a porté jusqu'à pré-
sent. Celte fondation fat approuvée par l'é-
véque Henri, qui, voulant encore favoriser
ces chanoines réguliers, leur donna une pré-
bende dans l'église cathédrale, du --consente-
ment de ses I lirti.oines.
Odon fut le premier abbé; après avoir
gouverné ce m )iias ère pendant treize ans, il
mourut l'an 1088, el eut pour successeur Ko-
ger, auquel Urbain II adressa l'année sui-
vante un bref par lequel il le reçut lui et ses
chanoines sous la protection du saint-siège,
et approuva les constitutions qui avaient été
dressées p>'Ur cette abbaye, ordonnant
qu'elles y seraient inviolaiilemcnt observées.
H confirma ternies les donations qui leur
avaient été fanes, el on leur en fit plusieurs
dans la suile. Hugues, seigneur de !a Ferlé-
Milon, et Hclmide, sa femme, leur donnèrent
(1) Vu;/., à la ûu du vol., n° 140.
JLA 550
la chapelle de Sainl-Vulgis dans leur châ-
teau, à condition qu'il y aurait toujours pour
le moins trois chanoines pour la desservir.
Thibaut, comte de Champagne, leur fil don
aussi, l'an 1122, du prieuré d'Ouehv, après
en avoir fait soitir les chanoines se uliers.
Buchard, évoque de Meaux, (il aussi sortir
des chanoines séculiers du prieure de la Fer-
té-Gaucber pour le donner à l'abbaye de
Saint-Jean des Vignes. Ils ont encore deux
autres prieurés, savoir Monlmirel et la Fer-
lé-sous-Jouarre, et plus de trente paroisses;
et, quoique les ben fiées qui sout possédé;
par les chanoines réguliers soient appelés
prieurés, il n'en est pas de même parmi les
chanoines de Saint-Jean des Vignes, qui, se-
lon l'ancienne tradition de l'abbaye, n'ont
que cinq prieurés qui lui soient annexés, et
auxquels ils donnent ce nom à cause qu'an-
ciennement ils étaient possédés par des cha-
noines séculiers. On ne laisse pas néanmoins
de donner le titre de prieurs aux curés qui
de .servent les paroisses.
Le pape Lucius III, par un bref adressé à
l'abbé Hugues, leur permit de mettre dans
chacune ue ces paroisses trois ou quatre
chanoines pour le moins; le même abbé Hu-
gues ayant voulu révoquer à sa volonté les
chanoines qui étaient pourvus de cures, et
en ayant fait revenir quelques-uns dans le
cloître, l'évéque de Soissons, Nivellon, s'y
opposa, à cause qu'en qualité d'évèque dio-
césain, il leur avait confié le soin des âmes
dont ils devaient lui rendre compte. Ils re-
in ren! leurdiiïérend -entre les mains du pape,
el firent tous deux à cet effet le voyage de
Home. Urbain III, qui gouvernait pour lois
1 K;lise universelle, leur donna des commis-
saires qui décrièrent en faveur de l'abbé:
mais les chanoines de Saint-Jean des Vignes
appelèrent de leur jugement au pape, disant
que leur abbé n'avait pu sans leur consen-
tement l'aire cette innovation, qui elait con-
traire aux privilèges qui leur avaient été ac-
cordés par plusieurs souverains ponlifes qui
leur avaient permis de resler trois ou quatre
religieux dans ces cures, dont l'un serait
seulement présenté à l'évéque pour avoir la
conduite des âmes, et lui en rendrait compte,
et qu'à l'égard de la discipline régulière, ils
devaient l'obéissance à l'abbé. Hugues était
ami d'Etienne de Tournai, qui, étant de
même sentiment, écrivit en sa faveurà Rome.
.Mais la recommandation de ce savant homme
n'eut aucun effet, et les chanoines furent
maintenus dans leurs droits, el on ne peut
les (aire sortir de leurs bénéfices, ni les rap-
peler dans le cloitre, que pour de grands
crimes. Ce qui est de singulier dans celte
congrégation, c'est que ces mêmes béuéli-
ciers assistent à l'éleelion du grand prieur
de l'abbaye de Sainl-.lean des Vignes, n'y
ayant plus présentement qu'un abbe commeii-
dalaire, et qu'ils pérorent même être élus;
mais celle supériorité ne dure que trois ans,
après lesquels ils retournent à leurs béné-
fices.
Les peines qu'on imposait aux apostat»;
5àl
DICTIUNNAili;: DLS ORDRES RELIGIEUX.
552
qui sont rapportées dans les chroniques de
cette abbaye, font bien connaître quelle était
l'observance étroite que l'on gardait dans
cette congrégation. Sous le gouvernement
de l'-ibbé Matthieu de Cuizy, un religieux
apostat s'étant présenté pour subir la peine
vie son crime, il vint à la porte de l'église
dans l'habit qu'il avait porté dans le inonde ;
l'ayant dépouillé jusqu'à la chemise, il mar-
cha nu-pieds, la lèic découverte, et tenant
une baguelte a la main , traversa toute la
cour, et, étant arrivé au chapitre, il se mit
â genoux, demandait!, les larmes aux yeux,
pardon à l'abbé en présence des religieux,
et suppliant qu'on lui donnât la discipline.
Ce qui ayant été fait par le prieur, on lui en-
joignit pour pénitence qu'il recevrait lous
les jours la discipline, et qu'il se présente-
rait à cet effet,; que pour toujours il serait
privé de voix dans le chapitre ; qu'il n'aurait
place, soil au chœur ou ailleurs, qu'après
les novices, et au dernier lieu; qu'il ne cé-
lébrerait point ia messe; qu'il mangerait à
genoux sur un petit banc au réfectoire;
qu'on ne lui présenterait que du pain noir
et du viniouge, avec un potage, à moins
que le prieur ne voulût bien lui envoyer
quelque chose de ce qu'on lui aurait présen-
té. Il fut dispensé au bout de six mois de
manger à lerre; mais, tant qu'il vécut, il ne
mangea qu'à ia troisième table, qui était
celle des corners. Au bout de deu* ans, on
lui permit de dire la messe en particulier,
mais jamais eu public, et les autres peines
lui fuient imposées pour toujours.
Cette abbaye souffrit beaucoup de domma-
ges par les hérétiques calvinistes, l'an 1368,
lorsqu'ils prirent la ville deSoissons: ils rui-
nèrent entièrement le monastère et l'église,
emportèrent les vases sacrés et lous les
meubles, et contraignirent les religieux de
sauver leur vie par la fuite. Ces c lanoines
vendirent ensuite beaucoup de biens pour
rebâtir l'église. Le parlement de Paris or-
donna que la quatrième partie du revenu de
l'abbé serait employée à cet effet ; elle fut
achevée l'an 1586. Durant cette guerre, un
des chanoines nommé Savreux s'etanl retiré
de celte abbaye, ayant été chercher un asile
en Espagne , lut dans la suite chapelain du
roi, qui le pourvut d'une abbaye en Sicile.
Cet abbé lit bâtir un hôpital à Madrid pour
les Français, dont il donna le gouvernement
aux chanoines de Saint-Jean des Vignes, qui,
à sa réquisition, envoyèrent deux chanoines.
Ils ont été longtemps en possession de cet
hôpital.
Dans les tilres de la fondation de Saint-
Jean des Vignes, et dans les lettres du roi
Philippe l" et de l'évêque de Soissons Thi-
baut, qui confirment celle fondation, il esl
marqué que le prêtre cardinal du lieu est
tenu de rendre raison du soin qu'il aura eu
de ses paroissiens à l'évêque de Soissous et
à son archidiacre, comme il faisait aupara-
vant. L'origine de ces cardinaux , selou
Pierre le Cris, chanoine de celle abbaye,
vient de ce qu'un pape étant venu en celle
(i) Dut. Iliblur. dernière édil., lom. Il, pug. 91*2.
ville, choisit douze curés, tant de la ville
que des environs pour lui servir d'assist.inis,
et que dès ce temps-là ils commencèrent à
s'appeler cardinaux. Ils s'assemblaient le
jour de Saint-Tliomas pour choisir un d'en-
tre eux pour supérieur, et l'installaient dans
cette (ligniié le jour île Saint-Etienne, a fui
que pendant celte année-là i! présidât à leurs
assemblées, qui se faisaient pour le moins
aux qualre-temps de l'année dans quelque
église, où l'on chantait l'office des défunts,
y ayant des revenus annexés à cet effet,
dont ces douze curés ou cardinaux jouis-
saient. Berlin, qui a fait les Antiquités de
Soissons, dit que ces cardinaux avaient été
ainsi crées alin d'assister l'évêque de Sois-
sons aux fêles solennelles, ce qui est bien
vraisemblable. Dans l'ancien pontifical écrit
a la main, qui servait aux évéques de
Troyes (1), il y a plus de quatre cent cin-
quante ans, il est aussi fait mention de prê-
tre* cardinaux, qui ne sont autres que les
treize curés dénommés au Rituel manuscrit
de la iiiéuie église, lesquels doivent encore
aujourd'hui assister l'évêque qu.md il con-
sacre le chrême et les sainles huiles le jeudi
saint, et à la bénédiction solennelle des
fonts, les veilles de Pâques et de Pentecôte.
Paquier rapporte sur ce sujet qu'eu un con-
cile tenu à Metz sous Clnrlem;igne, il est
ordonné que les évoques déposeront cano-
niqueoient des tilres de cardinaux établis
dans les villes et dans les faubourgs, c'est-à-
dire des cures ; et, dans l'abbaye de Sainl-
Remi de Reims, il y a eu de tout temps quatre
religieux cardinaux appelés principaux,
parce que ce sont ceux qui officient au grand
autel dans les lëtes solennelles.
Les chanoines de Saint-Jean desAigius
avaient autrefois la direction d'un collège à
Soissons, qui avait été fondé par Auberl,
doyen de la caihedrale ; mais cette maison
fut cédée aux Minimes l'an 1583. Le collège
de Reauvais à Paris a été tonde parle cardi-
nal Jean de Dormait, à condition que l'abbé
de Saint-Jean des Vignes auiait soin de ce
collège et aurait droit d'y nommer les bour-
siers, de les corriger, de les ôter, d'avoir
soin que la fondation fût exécutée ; et parmi
les vingt-quatre boursiers il peut y avoir un
chanoine. Il y a eu trente et un abbés régu-
liers. Après la mort de Pierre Bazin, qui fut
le dernier, le cardinal Charles de Bourbon
fut nommé par le roi; depuis ce temps-là il
y a toujours eu des abbés commendataires.
L'an 1566, la mense abbatiale fit séparée de
la conventuelle ; l'abbe est premier chanoine
de l'église cathédrale de Saint-Cervais de
Soissons. Celle maison a toujours regardé
les évoques de Soissous comme supérieurs ;
elle n'a jamais été unie à aucune congréga-
tion, et n'a point souffert de réforme étran-
gère; elle fut enfermée daus la ville en 1551,
sous le règne d'Henri II; elle a donné un
sulfragant à l'évéché de Soissons et treize
abites réguliers à d'autres abbayes, tant en
France qu'en Flandre eieu Sicile.
Le conseil de la maison esl composa de
555
JEA
JEA
5Si
quatre anciens ou semeurs, qui sont élus
dans les chapitres généraux; ils sont pris
tant du corps des hénéficiers que de ceux
qui composent la communauté. Tous les ans
à la Saint-Martin d hiver, ils se trouvent à
Saint-Jean des Vignes pour y recevoir les
comptes du procureur, tant des receltes que
des mises de tous les revenus de la maison,
comme aussi ceux du trésorier des recettes
cl mises du revenu de l'église, et dans cette
assemblée ils remédient aux abus qui peu-
vent s'être glissés dans les observances ré-
gulières.
Matines se disent toujours à minuit dans
cette abbaye , et l'office canonial s'y fait
pendant tout le jour avec beaucoup d'édifi-
cation ; on n'y mange de la viande que trois
fois la semaine, le dimanche, le mardi et le
jeudi; l'abstinence ) est observée depuis le
jour de Saint-Martin, 11 novembre, jusqu'à
l'Avent, et depuis l'Avent jusqu'à Nuél on
jeune ; l'abstinence recommence à la Sepiua-
gésime, et le jeûne le lundi d'après la Quin-
quagésime jusqu'à Pâques. Les jours de
jeûne, lant de l'Eglise que de la règle sont
égaux pour la collation. Autrefois on ne
prenait rien le soir, à présent on va au ré-
fectoire, après avoir entendu lire aux pupi-
tres qui sont dans le cloître un chapitre de
l'Imitation de Jésus-Christ; on y enlre en
habit de chœur ; chacun se met selon son
rang, et le dernier novice, après avoir fait
une profonde inclination au grand prieur,
lui demande en latin la permission, au nom
tle toute la communauté, de manger du pain ;
on en sert à chacun, et on boit un peu devin
une fois seulement ; on ne sert ni nappes
ni serviettes, ni portion de vin à ces colla-
lions, et en quelque temps que ce soit il n'y
h jamais de récréation.
On lient tous les tiois ans le chapitre gé-
néral vers la fête de la Pentecôte. Quand le
temps approche, le grand prieur de Saint-Jean
envoie un mandement à tous les bénéfieicrset
vicaires de la campagne pour se trouver au
chapitre. Ils s'y rendent !a veille du jour indi-
qué pour les premières vêpres ; ils se trouvent
tous à matines à minuit. Le lendemain ils
assistent à la procession en chapes; la messe
du Saint-Esprit est ensuite chaulée solen-
nellement, àlafin de laquelle on se trouve au
chapitre où, après les prières accoutumées,
un chanoine fait un discours en latin sur un
point de la règle. Le grand prieur parle en-
suite sur le sujet du chapitre, après quoi
l'on procède à l'élection d'un nouveau grand
prieur, qui est ensuite conduit au palais
épiscopal pour avoir la conGrmalion de l'é-
voque de Soissous. Ce grand prieur est
triennal, et fait régul.èrement la visite, pen-
dant ces trois ans, dans tou^ les bénéfices
réguliers qui dépendent de l'abbaye. 11 y en
a (rente-trois dans l'évéché de Soissons, et
deux dans celui de Meaux, qui ne peuvent
Être possèdes que par des chanoines régu-
liers profès de cette maison , et qui ne sont
point sujets aux induits et aux grades,
comme il a été jugé par arrêt du grand con-
seil du dernier décembre 1683.
Dictionnaire des Ordres religieux. II.
Quant à l'habillement de ces chanoiues,
l'on verra les changements qui ont été faits
de temps en temps dans cet habillement et
celui qu'ils portent présentement, dans la
lettre qui suit, qui m'est tombée entre les
mains, et que j'ai insérée tout au loug dans
cette histoire, puisque cette lettre est une
espèce de dissertation sur l'habillement de
tous les chanoiues réguliers en général: elle
est de M. de Louen, chanoine de cette abbaye,
et prieur curé de Latilly, de qui j'ai reçu
des mémoires touchant les obseryances ré-
gulières qui se pratiquent à Saint-Jean
des Vignes, dont j'ai parlé ci-dessus.
Lettre de m. de loden, chanoine régulier
de Saint-Jean des Vignes et prieur curé de
Latilly, sur l'habitdes chanoines réguliers
de cette abbaye, écrite en 1708.
Monsieur,
Pour m acquitter de la parole que je vous
ai donnée de vous faire voir, 1° quel est l'ha-
bit que nous devons porter dans la maison de
Saint-Jean; 2° dans nos bénéfices ; 3° lorsque
nous sommes en voyage, et résoudre en peu
de mots les scrupules que vous avez pu avoir
sur celte matière, je vous dirai que l'habit que
nous portons dans la maison et partout
ailleurs est par-dessous un habit noir, c'est-
à-dire des bas noirs ou bruns, une culotte et
une veste de même couleur , et par-dessus
nous portons une soutane blanche. Celle sou-
tane n'était point fermée autrefois par-devant,
et c'est pour celte raison que quelques-uns de
nos confrères hénéficiers la portent encore
fei mée avec des boutons ; mais l'usage d'aujour-
d'hui le plus régulier, c'est de la porter fermée
sans boutons.
Cette soutane a toujours été de couleur
blanche, car nous n'avons aucune preuve du
contraire. Il est vrai que les chanoines régu-
liers ont droit de porter des soutanes rouges,
comme la portent ceux de Saint- Maurice en
Suisse, et comme en portaient autrefois ceux
de l'abbaye de Saint-Y incenl de Senlis, fondée
en 1061 par Anne, reine de France, femme
d'Henri I" qui y mit des chanoines, et ordonna
qu'à la différence des autres ils portassent des
robes et capuchons rouges de couleur de s mg,
en mémoire de saint Vincent martyr; d'autres
portent la soutane violette, comme ceux de
^aint-Auberl de Cambray et de Sainl-Eloy
d'Arras, et comme la portaient les frères con-
vers dans notre maison de Saint-Jean, lorsque
l'usage était d'y en recevoir. Vautres la por-
tent noire cou. me les chanoines réguliers de
Cantipré en Flandre, et, en Lorraine, ceux de
la congrégation de Suint-Sauveur, instituée
par le B. Pierre Fourrier, curé de Matin-
court, et confirmée par une bulle du pape Ur-
bain VI II de l'an 1628. Mais, dès qu'une com-
munauté a pris une couleur d'habit, il ne lai
est pas permis de changer une couleur en une
autre, à moins que de prendre la blanche, que
les anciens chanoines réguliers ont portée
plus qu'aucune autre. Cet te vérité est incontes-
table, puisque Benoit XII, qui, après avoir
été moine de Citeaux, fut élu à la dignité de
18
m
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
85f.
cardinal. ■:'. ensuite à elle de souverain pon-
tife en 133i, dans les constitutions qu'il fit en
1339 pour la réforme des chanoines réguliers
de Saint Jean de Latran, qui avait commencé
à s'établir en Italie en 10IJ3, sous Alexandre
II, dit ces paroles : Quilibel coD r seuiel as-
smnplus non potest mutari nisi in album.
Par- dessus celte soutane blanche nous
portons un rochel. Le rocket est un surplis à
manches étroites comme celles d'une aube ; il
est plus court aujourd'hui qu'il ne l'était au-
trefois; car le rochel est ce qu'on appelait
tunica talari > linea; il tombait jusqu'aux ta-
lons, comme les aubes que nous portons à
l'autel. Ce rocket ou citte aube était l'orne-
ment que portaient autrefois les prêtres par-
dessus leurs soutanes, comme l'on voit encore
dans beaucoup de cathédrales, et particuliè-
rement dans celle de Soissons, où les chanoi-
nes mineurs et les enfants de chaur en por-
tent une.
Nous voyons dans la conciles de France
qu'un évéque de Soissons nommé Ricuiphe or-
donna dans ses statuts synodaux de l'an 880,
A tous les prêtres de son diocèse, d'avoir deux
aubes, une qu'ils ne devaient jamais quitter,
et une autre de toile plus fine qu'ils mettaient
par-dessus quand ils célébraient les divins
mystères: Prohibemuspresb;. teris nostris uli
eadem alba in sacris mysteriis qua utunhir
foris in quolidiano et exteriori cuilu ; et c'est
apparemment pour garder et observer cet an-
cien statut du diocèse qu'il est ordonné aux
doyens ruraux de se trouver au synode de l'é-
véque revêtus d'une aube, comme il est mar-
qué dans un ancien cérémonial imprimé en
1532 par ordre de Symphorien de Bullion,
évéque de Soissons.
Cette aube dont nous parlons a été dimi-
nuée de sa longueur, et on l'appelle rochel,
que les évéques portent encore dans toutes les
fonctions épiscopales, aussi bien quelesabbés,
les aumôniers du roi et les doyens des cathé-
drales de Noyon et d'Auxerre, qui le portent
par-dessus le surplis quand ils vont à l'église,
comme aussi tous les chanoines des cathédra-
les de France dessous leurs chapes pendant
l'hiver.
La plupart des chanoines ont retenu l'u-
sage de ce rochet, et on s'en est toujours servi
dans notre maison. En effet le rochet est le
propre et véritable habit des chanoines régu-
liers, comme le montre fort bien M. de Sainte-
Beuve dans ses Résolutions morales, cas kk,
1. 1 ; et Benoît XII était tellement persuadé
que le rochet était l'habit essentiel des cha-
noines réguliers, qu'au chapitre M) des cons-
titutions qu'il a faites pour la réforme des
chanoines de Saint-Jean de Latran, il or-
donne que si quelqu'un d'eux est assez hardi
de paraître en public sans cet habit de lin, ou
s'il est assez téméraire de le cacher ; si après
avoir été averti il ne se corrige pas, qu'il soit
suspendu de son bénéfice pendant quatre mois,
s'il est bénéficier, et s'il ne l'est pas, qu'il soit
déclaré inhabile pendant le même temps d'en
posséder aucun : Qui aulem se exbibens in
publico, habitum (superindumenta scilicet
linea) temere occultaveril, si monilus emen-
dare noluerit, juxta prœmissam persunaruin
dislinctiotieai, dictas suspensionis et inbabi-
litatis pœnas per idem (emplis incurrat.
Après vous avoir parlé des habits que
nous portons pour couvrir le corps, il faut
vous parler. Monsieur, de celui que nous por-
tons sur la tête. Nous n'avions point autre-
fois d'autre couverture de tête que notre au-
musse. Cette aumusse, comme celle que por-
tent encore aujourd'hui nos novices improfès,
nous servait de couverture de tête pendant
l'hiver dans la maison, et pendant l'été au
chœur et ailleurs.
Nous portons aujourd'hui dans la maison
un camail pendant l'hiver, c'est-à-dire depuis
la veille de la. Toussaint après vêpres, jusqu'à
la veille de Pâques à compiles exclusivement.
Ce camail ou mozette est un ornement fait d é-
toff'e noire, qui sert pour couvrir la tête et
les épaules. Les évéques s'en servent encore
aujourd'hui, à la réserve que ce camail ne
leur couvre plus la tête, depuis que l'on a
trouvé l usage des bonnets carrés. On ne. pre-
nait autrefois le camail à Saint-Jean depuis la
Toussaint jusqu'à Pâques, qu'après les secon-
des vêpres de la Toussaint ; on le quittait le
matin tous lei autres jours, et on portait le
bonnet carré jusqu'à vêpres.
Voilà quel est l'habit que nous portons
dans la maison ; nous allons montrer à pré-
sent quel est celui que nous portons au chœur
pendant l'été et pendant l'hiver. Pendant l'été,
c'est-à-dire depuis la veille de Pâques d com-
piles, jusqu'aux premières vêpres de la Tous-
saint exclusivement, nous portons au ciiœ.ir
sur 1 1 soutane blanche et le rochet, un su* plis
à manches longues, une aumusse noire sur le
bras gauche, et un bonnet carré sur la tête (1).
Le surplis avait autrefois les manches rondes,
comme les portent encore aujourd'hui les cha-
noines de Notre-Dame de Reims. Nous n'a-
vons changé cette forme de surplis qu'en 1693,
pour nous conformer aux chanoines delà callié-
drule de Soissons, comme nous avions fait
pour nos chapes d'hiver en 1676.
Le surplis s'appelle en latin supcrpelli-
ceum, à cause que les chanoines le portaient
par -dessus des robes fourrées appelées
pellicium, pour se garantir du froid pendant
l'hiver, particulièrement dans les pays septen-
trionaux. On voit encore un reste de cette an-
cienne coutume dans l'abbaye de Saint-Eloi
d'Arras , où les novices portent des robes
fourrées pendant leur noviciat . On en portait
aussi dans notre maison de Saint-Jean, puis-
qu'il est dit dans nos constitutions que nous
aurons des habits fourrés pour aller à mati-
nes à minuit.
Les surplis dont nous parlons avaient la
même forme que tes aubes, puisqu'ils étaient
de pareille longueur , et descendaient jusqu'aux
talons. Ils ont été raccourcis par Benoît XII
dans les constitutions qu'il fit pour lu réforme
des chanoines de Saint-Jean de Latran en 133!),
dans lesquelles il ordonne que le surplis ne
(I) Voi/.,àla lin du vol., n* iil.
557 JEA
passera pas par su ongueur la mut:.
jambe : ulira mediam Ubiam vol circa.
Le surplis aussi bien que le rochet ouïes
aubes qui serraient pour l'autel, n'étaient
point plissés aufour du cou. On a retenu ce!
usage à Notre- Dame de Paris, i u les minis-
tres de l'autel portent des aubes q ■<■ ne sont
point plissées autour du U, uni plus que
celles des enfants de chœur île celle métrop te.
Dans notre maison de Saint-Jean, nos novi-
ces portent encore des rochets qui ne sont
p in! plissés autour du c u.
Pendant l'été', nous portons au chceur une
aumusst noire sur le !>< as gauche. Mous dernns
regardtr cet habit, dans notre maison de Saint -
Jean, comme un habit que l'on y portait en
été et en hiver, puis iu'avant l'usage des bon-
nets carrés on le portait loujo irs sur la télé ,
et, quand on le mettait sur le brus, l'extré-
mité d'en haut, qui servait à couvrir la télé,
se mettait toujours en dehors, comme le por-
taient les chanoines réguliers de Saint-Il mi de
Reims, ainsi qu'on le jieut voir dans lafîg re
qu'en adonnée au public le R. P. du Mouli-
net, chanoine régulier de Sainte-Geneviève de
Paris, en 1C6G.
Nous avons gardé longtemps à Saint-
Jean l'usage de porter tournasse sur l bras
dans la maison, même pendant l'hiver ;
ne prenait le camail que le s ir après repris ,
comme nous avons dit ci-dessus. Le change-
ment du coi traire ne s'est fait qu'en l(>7(j.
Auj urd'hui. //en tant l'été, nous portons l'au-
musse sur lé bras gauche, non-seulement au
chœur, mais encore partout dans la maison ,
tant la nuit que le jour.
L'aumusse que nous portons est noire au
dehois et blanche en dedans, c'est-à-dire
qu'elle est faite de patte* d'agneau de Lom-
bard e de couleur noire au dehors et fourrée
de peaux d'agneau blanc en dedans. Nos no-
vices la portent encore noire, mais d'éto/Je
fourrée de peaux d'agneau blanc en dedans,
et ils la mettent sur la tête ù l'église et ailleurs,
Il semble que les aumusses noires soient celles
qui aie ut été le plus i n vogue dans l'antiquité,
et dont l'usage a été plus universellement eçu,
même dans les cathédrales, c'est ce que nous
apprenons d'un concile tenu a Paris , où
il est dit : Staluimus, ce sont les Pères du con-
cile qui parlent, et provisione concilii clixi-
m(is statuenduni, quod canonici calhedra-
liuui et colkgiatarum ecclesiarum maniai'
almutàs nigris.
Aujourd'hui que l'aumusse n'est plus en
usage pour couvrir la tête, mais que les ch i-
noiues la portent, les uns sur le bras gauche,
qui est l'usage le plus universellement reçu, et
les autres sur les épaules, l'on se sert du bon-
net carrépour couvrir la tête pendant l'été.
Le bonnet était fait d'abord en forme de ca-
lotte, à la réserve qu'il était plus large en haut
qu'en bas. La coutume est venue ensuite de les
faire encore plus amples, mais ronds et plus
petits, presque semblables à ceux que portent
encore aujourd'hui les novices des RR. PP.
Jésuites. On appelait autrefois ces bonn, ts du
mot latin i>irretum, et c'est encore aujourd'hui
l'usage en France de dire que le pape a en-
JEA
vugé la barrett. ù quelqu'un de ses nonces ou
autre-, lorsqu'il lui enrôle le bonnet de car-
dinal. Enfin or ■ donné, il g a plus de deux
cents uns, à ces bonnet* I figure curée. < tant
tous tiss\ts de laine, et ayant quatre espèces
de cornes qui paraissaient fort peu au-dessus.
Pour ce qui est de ceux qui sont faits de
carte, couverts d'étoffe, et qui sont tout car-
rés, l'invention en est assez moderne.
Voilà, Monsieur, quel est l'habit que nous
portons au chœur pendant l'été; voyons pré-
sentement celui dont nous sommes revêtus au
chœur pendant l'hiver. Nous portons au cloi.
tre en hiver, par-dessus la soutane blanche et
le rochet , une chape d'étoffe noire. Cette
chape dont nous allons parler est aussi un
habit essentiel aux chanoines comme le rochet.
La chape est un vêlement qui prend à la tête
et va jusqu'aux pieds. Ce vêtement a toujours
été en usage parmi les chanoines, et nous ap-
prenons d'un ancien ordinaire ou cérémonial
de N vire-Dame de Paris que l'on ne recevait
aucun chanoine au chapitre qui ne fût revêtu
d'un habit canonique, c'es -à-dire d'une
chipe, ainsi qu'il est marqué dans ce c rémo-
nial , où il est dit que. quand un chanoine se
présentera en chapitre pour être reçu, il sera
revêtu d'une aub sur la soutane, et aura itte
chape d'étoffe noire par-dessus avec le capu-
chon. Le même 01 dinaire porte qu'on n'enter-
rera pas un chanoine sans chape. Nous
Voyons même encore aujourd'hui que le doyen
des enfants de chœur de cette métropole porte
une aube sans plis autour du cou sur sa sou-
tane, et une chape noire en été et en hiver à
tous les offices du jour et de la nuit.
On commençait autrefois à prendre cette
chape dans notre maison de Saint-Jean le
premier jour d'oclobie, comme il est marqué
dans un ancien ordinaire écrit du temps ite
nos abbés réguliers. Elle était différent' pour
la figure de celle que nous portons aujourd'hui;
car le chaperon e! le manteau tenaient m ta-
ble, et elle était semblable à celle que portent
les chauvines de Notre-Dame de Reims , à la
réserve que le manteau descendait plus bas et
n'était point fourré. Nous avons changé la fi-
gure de cette chape en 1670, et nous en avons
pris de semblables à celles que p r enl les
chanoines de la cathédrale de Soissons.
Après vous avoir fait voir, Monsieur, quel
est l'habit que nous portons dans la mais ni et
au chœur en été et en hiver, il faut vous par-
ler de celui que nous devons por er à la cam-
pagne lorsque nous sommes en voyage. On a
vu dans les siècles passés plusieurs chanoines
réguliers d'ailleurs très-réglés dans leur con-
duite, porter ihabit noir tout simple, c'est-à-
dire sans aucune marque de chanoine régulier,
lorsqu'ils étaient hors de leur maison. Il est
vrai que les chanoines réguliers qui S'>nt élevés
à l'épiscopat peuvent quitter l'ha'dt de leur
profession qu'ils portaient dans le cloître, et
prendre l'h bit noir ou violet, comme le por-
tent nos seigneurs les ivéques, à la différence,
des moines, qui, quoiqu'élevés à cette haute et
sublime dignité de l'Eglise, même à lapourpre,
ne peuvent quitter l'habit de leur profession,
ainsi qu'Innocent III l'a défini dans le con-
5.VJ
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
560
eile de Latran Van 1215. Voici comme parle
ce concile : Monachos ad episcopatum evec-
tos gerere debere suum habituai uionacha-
Iem. Mais le même pape n'a pas pigé de même
à l'égard des chanoines réguliers, quia régu-
lai inserviunt laxiori, ut pronunliavit Inno-
cent. III, cap. Quod Dei limorem in causa
Zacharia; Silii. Cette décision du concile de
Latran, auquel présidait Innocent III, ne. se
pratique plus en France à l'égard des moines
élevés à l'épiscopat , depuis que le clergé de
France, en 1665, les en a dispensés, comme
remarque M. Godeau dans son Histoire de l'E-
glise, en exposant le règlement du huitième
concile œcuménique.
La difficulté est de savoir si les chanoines
réguliers pourvus de bénéfices, ou les cloîtriers
mêmes, lorsqu'ils sont envoyés par leurs supé-
rieurs dans les universités pour y étudier, ou
en campagne pour se promener, peuvent quit-
ter tout à fait l'habit de cloître, et s'habiller
tout de noir comme font les séculiers. Nous
ne voyons point non plus de stotxit dans notre
maison qui l'autorise, ni de décision d'aucun
docteur qui l'approuve. Il est vrai que l'on
garde, dans le cartulaire de l'abbaye des cha-
noines réguliers de Saint-Barthélémy de
Noyon, un privilège de Martin IV, qui vivait
en 1296, par lequel, sur la requête de l'abbé
et de su communauté , il leur accorde la per-
mission de porter l'habit noir hors de la mai-
son, et même aux bénéflciers qui en dépendent.
Voici ce privilège :
Martinus episcopus, servus servorum Dei,
dilectis ûliis abbali et canonicis monasterii
Sancli Barlholomœi prope Noviodunum, or-
dinis Sancti Augustini, salulem et aposloli-
cain benedictionem. Sincerœ devotionis af-
fectus, quem ad nos et Romanam geritis
Ecclesiam, prorneretur ut petilionibus ve-
slris, quantum cum Deo possumus, favora-
bililer annuamus. Hinc est quod nos ve-
stris supplicationibus inclinati, ut abbas et
reliiiiosi monasterii veslri, eliam parrochia-
lium ecclesiarum rectores, qui ex dicti ordi-
nis institutis, vestem superiorem albam
gestare consueverant, quoties ipsos pro trac-
i. imlis, procurandis et peragendis monaste-
rii et parochialium ecclesiarum negoliis,
aliisque ralionabilibus ethomstiscausis mo-
naslerium praifatum exire contigerit, veste
superiori nigri coloris, donec in prœfalum
j monasterium sinl reversi, libère et li ci te uti
• valeant, conslitutionibus et ordinationibus
i aposlolicis, nec non sialutis et consuetudi-
nibus monasterii et ordinis pr^dicii, cœteris-
que contrariis nequ.iquam obslintibus, au-
ctorilale apostolica tenore prœsentiuui in-
dulgemus. Datum (îcnesiani Pr;eneslinensis
Diœces. iv id. Augusti, pontificatus nostri
an no secundo.
Erusme , qui était chanoine régulier de
l'abbaye de Sion, et qui n'ignorait pas le pri-
vilège accordé aux chanoines réguliers de
Sainl-Uarthélcmy de Noyon, se fit néanmoins
un scrupule de s'en servir. En effet, comme il
Huit obligé d'être souvent à la cour des prin-
ces et parmi les personnes de distinction de
son temps, qui cherchaient sa compagnie avec
empressement , et que son habit blanc l'in-
commodait, il écrivit au supérieur de son mo-
nastère, qui trouvait mauvais de ce qu'il por-
tait un habit noir, et lui manda qu'il en avait
obtenu la permission de Jules II, qui la lui
avait accordée à condition qu'il garderait
toujours dans ses habits quelque marque de
celui de sa profession : Ul pro aibitrio
quodeunqué signum instituli verc gesla-
rem. En effet il n'est pas permis à un cha-
noine régulier de cacher de telle manière son
habit, qu'il ne paraisse point du tout : c'est
pour cette raison cl dans cette vue que nos
Pères assemblés dans un chapitre général au
mois de juin de l'an 1623, parlant de l'habit
que nous devons porter quand nous allons en
campagne, ordonnent que nous aurons des bas
noirs ou bruns, une culotte, une veste noire,
et par-dessus un petit rochet de toile avec une
soutanelle noire par-dessus. Ce statut et cHic
ordonnance, faits pendant que le siège épisco-
pal de Soissons était vacant par la mort de
Mgr Charles de Hacqueville, furent ensuite
confirmés par Mgr Simon le Gras, son succes-
seur, en 1626, dans une visite qu'il fit pour
exercer les droits que les évéques de Soissons
ont sur notre maison. On dira peut-être qu'un
prêtre ni un clerc ne doivent jamais quitter
ta soutane, et que quand ils vont en campagne
ils la doivent trousser , mais jamais la
quitter.
Il est vrai que les souverains pontifes et les
conciles obligent tous les clercs à porter tou-
jours l'habit clérical; mais il est aussi ci re-
marquer que les clercs doivent avoir trois
sortes d'habits, l'un pour le ministère, l'autre
pour l'usage ordinaire, et le troisième pour la
campagne. Celui-ci peut être porté plus court
que les autres , selon que saint Charles Bor-
romée l'a décidé dans un de ses conciles de
Milan, dont il était archevêque, en 1568, où
il est dit : Clericis iter babentibus quovis
vestilu contraction uti lii ebit, et decentem
tamen illum atquc hujusnmdi esse oporlel,
ex quo eos esse ecclesiaslici ordinis homincs
facile possint agnosci. Cum vero eo venerint
quo pervenire contendunt , talarem logaui
induant.
Cette soutanelle est aussi approuvée par
Son Eminence Mgr le cardinal le Camus,
évéque de Grenoble, dans ses statuts syno-
daux, à la page 3k, article k. D'où l'on peut
conclure, 1° que ce n'est que dans les voyages
qu'il est permis de porter un habit court, et
en second lieu que cette soutanelle ne doit rien
avoir que de modeste. Il est aisé de conclure
de tout ce que nous venons de dire, que n -ws
devons dans nos voyages nous tenir à l'ordon-
nance de notre chapitre de l'an 1623, oit, il est
dit que nous aurons toujours un rochet, qui
est notre habit essentiel, avec une soutanelle
noire par-dessus.
Je suis, elc.
Celle décision en faveur du rochet seul,
que M. de Louen regarde comme la seule
marque essentielle de l'habit des chanoines
réguliers, n'a pas plu à tous ses confrères ;
car j'ai une lellre d'un chanoine de Saiut-
Jean des Vignes, qui, ayant lu celle disserta-
S64
JEA
JEA
si»
(ion, marque, qu'il n'iipprouyc nullement
cette décision, et que la soutane est encore
l'habit essentiel des chanoines réguliers ; en
effet ils ne doivent pas se conformer aux ec-
clésiastiques en toutes choses, et si ceux-ci
portent des soulanelles, ce n'est pas une
conséquence que les chanoines réguliers en
doivent porter, ou du moins en porter par-
dessus le rochet sans avoir encore leur sou-
tane sous le même rochet : c'est ce que pra-
t'quent les religieux de la Congrégation de
France et les plus réformés d'entre les cha-
noines réguliers. Nous ajouterons encore que
M. de Louen s'est trompé lorsqu'il dit que la
réforme que fit le pape Benoît XII ne regar-
dait que les chanoines réguliers de Latran,
puisqu'il n'y avait point de congrégation de
Latran en 1339, et qu'elle n'a commencé
que plus de cent ans après, ou plutôt que
celle de Sainte-Marie de Frisonaire fut éta-
blie à Saint-Jean de Latran, dont elle prit
pour lors le nom, qui lui fut donné pur Eu-
gène IV l'an 1445. Cette réforme de Benoît
XII regardait tout l'ordre canonique, puis-
que ce pape ordonna à tous les chanoines,
en quelque lieu qu'ils fussent, de tenir des
chapitres provinciaux tous les quatre ans.
Voyez le P. le Gris, Chronic. abb.S. Jounn.
ud Vineas. Sammarlh. Gall. Christian.
JEAN ET DE SAINT-THOMAS ( Ordre mi-
litaire de Saint-).
M. Hermant, curé de Maltol, parlant de
cet ordre, dit que la noble ville d'Ancône,
ville épiscoi aie et port de mer en Italie, si-
tuée dans l'Etat ecclésiastique, vante parmi
ses antiquités d'avoir donné naissance à un
ordre militaire qui portait le nom de Saint-
Jean-Bapliste et de Saint-Thomas, et que le
zèle et la piété de quelques gentilshommes
de celte ville en commencèrent l'établisse-
ment par le secours qu'ils donnèrent aux
pauvres malades, qu'ils reçurent charita-
blement, et auxquels on bâtit des hôpitaux
qui se changèrent bientôt en commanderies
par les biens qu'on y fit et les privilèges que
leur accordèrent les souverains pontifes,
qui, les ayant élevés à la dignité d'ordre
militaire dans l'Eglise, sous les heureux
auspices de saint Jean-Baptiste et de saint
Thomas, les oblgèrent de faire la guerre
aux bandits, pour faciliter le passage aux
pèlerins que la dévotion portait à visiter les
saints lieux.
D'un autre côté, l'abbé Giusliniani et
Schoonebek, parlant aussi de cet ordre, di-
sent qu'entre les monuments d'antiquité dont
la ville d'Acre en Syrie, anciennement Pto-
lémaïde, se glorifie, on compte l'institution
des chevaliers de Saint-Jean et de Saint-
Thomas. 11 s'agit de voir qui de ces auteurs
a raison. 11 est certain que M. H< rmanl s'est
trompé, puisque les papes Alexandre IV et
Jean XXII, qui ont approuvé cet ordre,
comme il en convient, ont adressé leurs
bulles au grand maître de l'ordre de Saint-
(\) Tostst, in Josue, cap. xv, et in lib. IV Reg.,
cap. i.
Thomas d'Acre et non pas d'Ancône, Magi-
stro et fratribus militiœ liospitalis S. Thomœ
martyr. Canluarien. Accon. C'est ainsi que
parle celle d'Alexandre, et celle de Jean est
courue aussi en ces termes : S. Thomœ ma-
gistru et frulribus liospitalis S. Thomœ mar-
tyris Acconen.; et c'est ce qui fait croire à
Mennénius que l'ordre de Saint -Thomas
pourrait être séparé d'un autre sous le nom
de Saint-Jean d'Acre, puisque ces papes ne
parlent que de l'ordre de Saint-Thomas ; il
ne laisse pas néanmoins de les joindre en-
semble sous le nom de Saint-Jean d'Acre et
de Saint-Thomas : Ordo equeslris S. Joan-
nis Acronensis et S. Thomœ.
Toslat, dans ses commentaires sur Josué, I
parlant de la ville d'Accaron, où le roi Ocho-
sias envoya consulter Beelsébub, dit que l'on
appelle présentement cette ville Acre , et
qu'elle a donné son nom à un ordre de che-
valiers appelés de Saint-Jean d'Acre : Ista
civitas vocatur nnne vulgariter Acre
rt ub hoc loco nominatur quidam ordo mili-
tum qui fuit in Ecclesia, cum obtinucrunt
Terrain Sanclam, scilicet ordo Beati Joann.
de Acre, vel de Acharon. 11 dit encore la
même chose dans ses Commentaires sur le
quatrième livre dis Bois : Est autem Acca-
ron famosa civitas in terra Philistinorum
circa mare Méditer raneum, in qua postea fuit
ordo quorumdam militum qui vocantur de S.
Joanne, et illa civitas vocatur vulgariter de
Acre, .lccnron(l).
Ce n'est point ici le lieu d'examiner si
Toslat a eu raison de croire que la ville
d'Acre ou Ptolémaïde fût l'ancienne ville
d'Accaron, que plusieurs auteurs prétendent
n'être qu'un méchant village ruiné; mais au
moins Tostat et tous les écrivains qui ont
parlé de cet ordre militaire, à l'exception de
M. Hermant, disent qu'il a pris son origine
dans la ville d'Acre. L'on ne sait point l'an-
née de sou institution, mais plusieurs au-
teurs conviennent qu'il fut approuvé par le
pape Alexandre IV, qu'il lui donna la règle
de saint Augustin, et qu'il fut dans la suite
confirmé par le pape Jean XXII. Alphonse
le Sage, roi de Castille, ayant fait venir de
ces chevaliers dans ses Etats pour les dé-
fendre contre les incursions des Maures, les
combla de bienfaits, et leur laissa encore
par son testament de grandes richesses;
mais cet ordre ayant été beaucoup affaibli
par les pertes qu'il fit dans la Syrie, il fut
uni à celui de Malte. Ceux qui s'opposèrent
à cette union prirent toujours le nom de
chevaliers de Saint-Thomas, et conservèrent
la croix rouge au milieu de laquelle était uç
ovale où était l'image seule de saint Thomas
au lieu qu'auparavant ils yjoignaienl celle
de saint Jean Baptiste (2).
Voyez Mennénius, Giusliniani , Schoone-
bek et Hermant, dans leur Hist. des Ordres
militaires; et Ascag. Tanibur. DeJur. Abbat.
disp.
(i) Voy., à la fin du vol., n° 142.
563
ACTIONNAIRE DES ORURES RELIGIEUX.
564
JEAN L'ÉVANGÉLISTK (Chanoines .sécu-
liers df. Saint-).
Des chanoines séculiers de la congrégation de
Saint-Jean VEvangêlistè en Portugal, avec
la vie de dorn Jean de Yicenz-, évêque de
Lamego el ensuite de Yiseu, lur fonda-
teur.
Connue la congrégation des chanoines sé-
culiers do Saint-Jean l'Evangéliste en Portu-
gal subsisie encore avec éclat dans ce royau-
me, n'ayant pas eu le même soit que celle
de S ■inl-Georges ïi? Algha. quoiqu'elle suive
le Biêmi institut, et que ces chanoines re-
connaissent aussi saint Laurent Justinien
pour leur patriarche et leur Père, ;:insi qu'il
est porté parle bref de Clément VIII, du 27
septembre 1598, dont nous avons déjà parlé
à l'article Georges in Algha, par lequel il
leur ne met d'en rénier l'office, c'est ce qui
fait que nous traiterons d[ leur origine en
particulier.
Sous le règne de Jean Ier, roi de Portugal,
il y avait à Lisbonne un fameux médecin et
professeur de belle .lettres . nommé Jean
Vicenze, notif de cette ville, qui, dégoûte d'^s
vanités d'i :;r nd' et désirant se do ni r à
Dieu, s'associa avec Martin Laurent, .'■ e
prédicateur, et Alphonse Nogùeyra, gentil—
homme et fi's du grand prévôT d • Lisbonne,
qui avaient conçu le même dessein. Ils réso-
lurent de vivre ensemble nn commun , et
pour cet effet ils se retirèrent pour faire
leurs exercices spirituels et leurs prières
dans l'église de Sainle-Marie des Olh es
che Lisbonne, avec le consentement du curé
de ce lieu, qui approuva leur sain'c résolu-
ti n. Mais dom Vaquez, évoque de Porto, et
qui était ami de Jean Vice ze, ayant appris
sa retraite, l'engagea d> venir ave;- ses com-
pagnons dans son diocèse, et leur offrit l'é-
glise de Sainte-Marie de Comp anhaan (éloi-
gnée de cette ville d'environ -eux lieues),
comme un endroit retiré du monde, où ils
pourraient tranquillement vaquer à h urs
exercices et songer à l'éternité bienheu-
reuse. Ce prélat, à quelque temps de là,
ayant été transféré à l'évèché d'Evora, ils
ne trouvèrent pas dans son successeur des
inclinations aussi favorabies à leur égard,
et ils lurent même obligés d'abandonner ce
lieu. Alphonse alla à Rome, et les autres
retournèrent dans leur pays.
Jean ne se rebuta point pour cela; il souf-
frit patiemment cette disgrâ e, et persévé-
rant toujours dan-- le de-sein de ne servir
uniquement que Dieu, il distribua tout son
bien auxpauvres, et, ayant pris avec luiJean
Rodriguez et Pierre Alvarez, ils se revêti-
rent d'habits noirs fort simples, et parcou-
rurent comme pèlerins tout le Portugal. Ils
arrivèrent à Brague, où dom Ferdinand de
Guerra, qui en était archevêque, les reçut
très-humainement; el , y ayant demeuré
quelques jours, il fut si charmé de leurs
entretiens, qu'il résolut de ne les point lais-
ser sortir de son diocèse. Jean, qui avait
renoncé volontairement à tous les biens du
(1) Voy., à la lin du vol., ne 143.
inonde, et qui se souciait peu où il demeurât,
pourvu qu'il y pût servir Dieu, accepta avec
ses compagnons l'offre de l'archevêque de
Brague. L'abbé du monastère de Saint-Sau-
vetir de Villa de F rades, de l'ordre de Saint-
Benoît, étant mort, et la régularité étant
entièrement bannie de ce monastère, il était
tombé en commende. C'est pourquoi cet ar-
chevêque, de son autorité, leur donna ce
monastère, el ils en prirent possession l'an
l'i25. Martin Laurent revint joindre Jean
Vicenze, et leur société se multiplia en peu
de temps.
Pendant ce temps-là, Alphonse, qui était
allé à Borne, y entendit parler de la vie
exemplaire des chanoines séculiers de Saint-
Georges in Algha, dont la réputation se
répandait par toute l'Italie, et qui augmen-
tait davantage par les vertus écl itantes qu'on
voyait briller dans les personnes des cardi-
naux Corrario et (ïondeluiaire, qui étaient
des principaux fondateurs de cette congré-
gation. Il alla exprés à Venise pour voir ces
hommes apostoliques, et fut si louché de leur
conversation et de la vie qu'ils menaient,
qu'il résolut d'embrasser leur institut. C'est
pourquoi, ayant appris que l'archevêque de
Brague avait donné un monastère à Jean
Vicenze et à ses compagnons, il transcrivit
la règle et les constitutions de ces chanoines
de Saint-Georges, qu'il porta avec lui en
Portugal. S'étant rendu au monastère de
Saint-Sauveur de Villar de Frades, il fit
récit à Jean et à ses compagnons de la ma-
nière de vivre de- chanoines séculiers de
Saint- Georges in Algha, el les persuada
d'embrasser cet institut; ce qu'ils firent et
changèrent leurs habits, qui étaient noirs,
en d'autres de couleur céleste et conformes à
ceux des chanoines de Saint-Georges, ex-
cepté qu'ils ont un camail (1).
Leur réputation se répandit bientôt par
tout le royaume, et ils furent en si grande
estime auprès du roi. que ce prince confia à
Jean Vicenze et à Martin Laurent l'infante
Isabelle, sa fille, pour la remettre entre les
mains de Philippe, duc de Bourgogne, à qui
elle avait été promise en mariage, et ils par-
ti eut avec cette princesse l'an 1430, ayant
laissé pour supérieur au monastère de Saint-
Sauveur Rodrigue Arnaud.
Après avoir exécuté leur commission, ils
allèrent à Borne pour obtenir la confirma-
tion de leur congrégation. Le cardinal Gon-
delmaire se trouvant pour lors fort malade
et abandonné des médecins, Jean, qui, com-
me nous avons dit, avait exercé cetle pro-
fession et s'y était rendu très-habile, rendit
la santé au cardinal, ce qui augmenta beau-
coup l'estime qu'on avait conçue de lui ; et le
pape Martin V confirma leur congrégation
sous le litre des Bons-Hommes de Villar de
Frades, et la donation qui leur avait été faite
du mon istère de Saint-Sauveur, ayant com-
mis cette affaire à l'évéque de Visou et à
Loup d'Olmedo, général de l'ordre de Saint-
Jérôme.
Leur congrégation ayant pris le non de
S6K
JEA
JRA
50d
ce monastère., on les appela les Bons-Hom-
mes de Saint-Sauveur "de Villar de Frades.
Mais la reine Isabelle, femme d'Alphonse V,
leur ayant fait bâtir un monastère hors les
murs de Lisbonne, sous le titre de Sain'-
Jeao l'Evangéliste, celle princesse, qui avait
grande dévotion à ce saint apôire, obtint du
pape Eugène IV que cette congrégation ne
s'appellerait plus à l'avenir de Saint-Sau-
veur de Villar de F rades, mais de Saint Jean
l'Evangéliste.
Ils oui quatorze monastères en Portugal,
dont l'un des plus considérables est celui de
Saàit-Eloi à Lisbonne, qui a été autrefois un
hôpital et oratoire fondé par Isnrd , évêque
de celte \ ille, sous l'invocation de saint Paul,
de saint Clément et de saint Eloi , ayant re-
tenu le nom de ce dernier. Ce prélat avait in-
séré une clause dans la fondation , qui por-
tait qu'en cas qu'il s'établît une congrégation
de personnes pieuses qui vécussent en com-
mun, on leur pourrait donner cet hôpital
pour avoir soin des malades et leur adminis-
trer les sacrements. C'est pourquoi l'infant
dom Pierre, qui gouverner! le royaume pen-
dant la minorité d'Alphonse V, son neveu,
obtint une bulle d'I'ugène IV, i'an 1440, qui
accorda cet hôpital à ces chanoines, et, à
cause qu'il porte le titre de Saint-Eloi, le
peuple appelle aussi ces chanoines, en ce
royaume, Loyos, quoique leur véritable nom
soit celui de Saint-Jean l'Evangéliste.
Jean Vicenze , qu'on a toujours reconnu
pour fondateur de cette congrégation, fut
évéque de Lamego, et, en faisant la visite de
ce diocèse, voyant qu'il n'y a\ ait plus de ré-
gularité dans le monastère de Saint-Georges
de Récia, à cause du peu de religieux qui y
étaient, il les dispersa dans d'autres monas-
tères, et donna celui-ci aux chanoines de sa
congrégation. Il fut ensuite transfé.é à 1 évê-
cbé de Viseu , où il mourut l'an 14... Al-
phonse Noguera fut aussi évéque de Conim-
bre et ensuite de Lisbonne. Ces chanoines
avaient autrefois le soin de tons les hôpitaux
du royaume de Portugal ; mais Thomassini
dit qu'ils ont quitté cet emploi pour se don-
ner à l'étude et à la prédication.
Il y a aussi des chanoinesses de cet insti-
tut, comme à Redoc.deila, dans le royaume
de Galice ; mais elles ne sont point soumises
aux chanoines, parce qu'il leur est défendu
par leurs constitutions de prendre ia direc-
tion des religieuses. 0u°'(iue Pie V ait obligé
ceux d'Italie à faire des vœux solennels,
ceux de Portugal ne s'y sont point soumis.
Après deux ans de noviciat, ils font seule-
ment entre les mains du supérieur une sim-
ple promesse d'observer la règle et les cons-
titutions de la congrégation, et vœu de chas-
teté, de pauvreté cl d'obéissance, tant qu'ils
demeureront dans la congrégation , dont ils
peuvent sortir quand bon leur semble , et on
les renvoie aussi s'ils font quelques fautes,
mais cela est arrivé rarement. Ils sont fort
riches et ont plus de soixante mille écus de
revenu.
Leur vie est très-austère. Ils se lèvent à
une heure après minuit pour dire matines,
ne portent que des chemises de laine , fout
l'oral son mentale pendant certaines heures
du jour, et personne n'en est exempt. Ils
commencent le carême au lundi de la (Juin-
quagésime, et, outre les jeûnes commandés
par l'Eglise , ils jeûnent encore l'avent Irès-
élroileinent, et tc-us les mercredis et vendre-
dis de l'année, excepté depuis Pâques jusqu'à
la l'culecôle, qu'ils ne jeûnent que lu ven-
dredi. Tous les mercredis et vendredis de l'an-
née et les lundis pendant le carême, ils pren-
nent la discipline, comme aussi tous les jours
de la semaine sainte, et ils jeûnent au'painetà
l'eau le jour du vendredi saint. Les novices ne
sont point reçus avant l'âge de dix-huit ans,
et sont habillés de noir en mémoire de l'ha-
bit que portaient les premiers fondateurs.
Le roi Jean III leur donna le soin de tous
les hôpitaux de Portugal qui étaient de fon-
dation royale. Le premier fut celui de Tous-
les-Sainls à Lisbonne, qui est très-considé-
rable, et dans lequel il y a une vingtaine de
salles qui peuvent contenir six mille malades;
le second, celui de Jésus-Chri-t de Sanlarem;
le troisième, de Moote-Mor-o-Novo, et le qua-
trième, du Sar t-Espril d'Evora.
Le roi D. Emmanuel se servit d'eux pour
aller prêcher aux Indes et en Ethiopie. L'é-
vêque de Viseu , leur fondateur , réforma
l'ordre de Christ. Didace Gonzalve , confes-
seur de la reine Eléonore, femme de Jean il,
réforma l'ordre de Saint-Paul, premier er-
mite, en Portugal, et les chanoines de Saint-
Georges in Algha en Italie , dont ils avaient
appris les observances régulières , les ayant
eux-mêmes abandonnées, le pape Pie V or-
donna , l'an 1 J68 , au général des chanoines
de Saint-Jean l'Evangéliste , d'en envoyer
sept ou huit pour réformer ceux de Saint-
Georges. Toutes les grâces et privilèges que
ces deux congrégations ont obtenus des sou-
verains pontifes ont été imprimés à Lisbonne
en 1594, et les papes Innocent XI et Alexan-
dre VIII en ont encore accordé en particulier
à la congrégation de Portugal , depuis que
celle d'Italie a été supprimée.
Ceux de Portugal ont aussi eu parmi eux
des personnes qui se sont distinguées par
leur science, comme François de Sainte-Ma-
rie, évéque suffragant de Brague ; Vincent de
la Hésurreetion, qui mourut étant général eu
1636 ; Michel du Saint-Esprit, morl en 1644,
après avoir été aussi général ; Emmanuel de
Saint-Paul, mort en 1643 ; Emmanuel de la
Résurrection, et plusieurs autres.
Le nom de Bons-Hommes de Saint-Sau-
veur de Villar de Frades qu'on donna à ces
chanoines est peut-être ce qui a donné lieu
à Crcscenze de dir que Richard, comte de
Cornouaille, frère d'Henri III , roi d'Angle-
terre, avait fondé certains religieux sous le
nom de Bons-Hommes, et qu'ils avaient été
de cette congrégation ; mais M. Huet, évêque
d'Avranches, dans ses Origines de la ville de
Caen, dit que c'étaient des religieux Sachets,
dont nous parlerons à l'article de ce nom, et
qui étaient aussi habillés de bleu.
Voyez Franci co de S. Maria, Ifist. das sa-
g rodas Congregacon-s dos conegos secularcs
567 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIÇIEUX,
île S. Jeorge em Alga de Veneta, et de S. Joao
Evangclisia em Portugal. Jacques-Philippe
Thomasini, Annal. Congreg. Canonic. Secul.
S. Georg. in Algha. D. Nicoln. de S. Maria de
Lisboa , Chronic da Orden dos Conrgos Re-
tirantes, lib. i. Gio Pieii-o Crescenzi, Presidio
Romano hb. il, pag. 28. Emmanuel Rodrig.,
Quœst. Rrgul., tom. I, guœst. 3, art. 1.
JEAN PASCHASE ET DE JÉRÔME DE
LANZA (Frères M.neurs de).
Jean Pasf hase , surnommé A'Aouila , qui
avait élé disciple du bienheureux Jean de
Guadaloupe, et l'avait beaucoup aidé dans
rétablissement de sa réforme , voyant après
sa mort toutes les oppositions que l'on con-
tinuait à faire contre la province do Saint-
Gabriel, que l'on voulait supprimer dans sa
naissance, entreprit le voyage de Rome pour
les faire lever dans le chapitre généralissime
qui s'y tint l'an 1517. Mais , y ayant trouvé
plus de difficulté qu'il ne croyait , et crai-
gnant que l'autorité de ses adversaires ne
l'emportât enfin sur la justice, il résolut
d'entreprendre une nouvelle réforme avec
le consentement du général des conventuels,
qui lui accorda la permission d'ériger des
couvents , de recevoir des novices , et même
les conventuels qui voudraient se mettre sous
sa conduite. Ce fut en vertu de cette permis-
sion , qui fut confirmée par le pape Léon X,
qu'il commença la custodie qui fut appelée,
de son nom , des Pascliasites. Son premier
couvent , qui était situé dans une île proche
Redondella , fut dédié aux apôtres saint Si-
mon et saint Jude. La réputation de Jean
Paschase commençant à se répandre, le
nombre de ses disciples augmenta : ce qui
lui donnant bonne espérance pour l'agran-
dissement de sa réforme , il alla à Rome en
153+, pour demander au pape Paul III la per-
mission de recevoir des Frères de l'Obser-
vance, afin que, multipliant le nombre de ses
disciples, il eût le moyen d'étendre davan-
tage cette même réforme. Mais il ne trouva
pas le pape disposé en sa faveur : ce qui
n'empêcha pas, malgré le refus qu'il en re-
çut , de persister dans son dessein pendant
sept ans, au bout desquels il obtint enfin un
bref du même pape, le 10 niai 1541 , par le-
quel il lui fut permis de recevoir tous ceux
qui voudraient embrasser sa réforme, soit
qu'ils fussent de l'Observance ou de quelque
autre ordre, quand même ils n'auraient pas
la permission de leurs supérieurs , pourvu
qu'ils l'eussent demandée ; mais, comme cela
tirait à conséquence, et qu'il en arrivait tous
les jours des inconvénients, sur ce que ceux
des Observants qui étaient tombés en faute
passaient dans la réforme de Paschase pour
éviter la correction que leurs supérieurs leur
pouvaient faire , le pape , en étant informé ,
révoqua son bref et défendit aux Observants
de passer chez les Pascliasites, à moins qu'ils
n'en eussent obtenu la permission de leurs
supérieurs ou du saint-siége.
Ce zélé réformateur fit un second établis-
sement à Rayonne, bourg de Castille, et un
autre à Vigo l'an 1551. Dans ce temps-là Al-
568
phonsede Mazanette, qui faisait aussi une ré-
forme particulière au couvent de Mazanette,
lieu de sa naissnnce,etqui en avait aussi ob-
tenu la permission du général des conven-
tuels, ayant entendu parler du P. Paschase, le
fut voir, et Irouva sa manière de vivre si con-
forme à telle qu'il faisait pratiquer à ses re-
ligieux, qu'il unit le couvent de Mazanette
à ceux du P. Paschase, etle reconnut pour su-
périeur. Paschase étant mort quelque temps
après, les conventuels firent ce qu'ils purent
pour s'emparer de ses couvents, et s'opp ■-
sèrent à ce que cette réforme s'augmentât;
mais, nonobstant leurs oppositions , on en
fit une custodie sous le nom de Saint-Joseph,
et ils furent ensuite unis avec les pauvres
couvents de la réforme de Saint-Pierre d'Al-
cautara, comme nous le dirons à l'article de
ce nom.
Dominic.de Gubernatis, Orb. Seraphic,
tom. I, lib. v, cap. 5, § 9. Francise. Gonzag.,
De Orig. Seraph. Relig.
A celle réforme des Paschasites nous join-
drons celle du P. Jérôme Lanza , qui, vou-
lant imiter les Pères des déserts, se retira
dans une solitude, où ayant assemblé, l'an
1545, quelques personnes qui voulurent vi-
vre avec lui, ils le reconnurent pour maître
et supérieur. Ayant lenu conseil entre eux
sur le genre de vie qu'ils embrasseraient, ils
prirent la résolution de former une congré-
gation particulière, dans laquelle on obser-
verait à la lettre et sans glose ni interpré-
tation la règle de saint François, dans de
pauvres ermitages séparés les uns des au-
tres, au milieu desquels ils bâtirent une
église. Ils s'engagèrent à observer conti-
nuellement la vie quadragésimale, à jeûner
tous les mercredis et jeudis de l'année , et
convinrent entre eux qu'ils recevraient tous
les frères et les religieux de l'ordre de Saint-
Dominique qui voudraient entrer dans leur
congrégation , et que ceux qui y seraient
reçus seraient obligés de reconnaître Jé-
rôme Lanza pour supérieur. Ils obtinrent à
ce sujet une bulle du pape Jules III l'an
1550. Le bienheureux Renoît de Païenne,
surnommé le Noir, dont on poursuit la ca-
nonisation en cour de Rome, fut un des pre-
miers qui entra dans cette congrégation :
elle fut supprimée l'an 15G2 par le pape
Pie IV.
Dominic. de Gubernatis , Orb. Serapkic,
tom.l, lib.\, § 9 et 10.
JÉRÔME (Ordre de Saint-).
SECTION PREMIÈRE.
ERMITES DE SAINT-JEROME.
§ Ier. Des religieux Ermites de Sainl-Jérômeen
Espagne, appelés communément Jéronymi-
tes, avec la vie du vénérable Père Pierre
Ferdinand de Guadalajura, leur fondateur.
Outre les Jésuates de Saint-Jérôme dont
nous parlerons à l'article de ce nom, il y a
encore quatre ordres religieux, ou différen-
tes congrégations, qui se sont mis sous la
protection de ce Père de l'Eglise et qui out
pris les noms d'Ermites de Saint-Jérôme de
SR9 JEP.
l'Observance ou de Lonibardic, d'Ermites de
Saint-Jérôme de la congrégation du H. Pierre
de Pise, et d'Ermites de Saint-Jérôme de la
congrégation de Fiésoly; et quoique ces
quatre ordres soient entièrement différents
les uns des autres, ceux d Espagne, de Lom-
bardie et du li. Pierre de Pise, ont été néan-
moins confondus ensemble par M. Hermant,
qui n'en fait qu'une seule congrégation.
/Jette congrégation, dit- il (llist. des Ont. re-
litj. tom. 11, pag. 3J2) est assez célèbre en Ita-
lie et en Espagne. Le II. Pierre de Pise, dit
Ganibacurta, y travailla avec un zèle extrême
en Italie, et un certain Thomas en Espagne,
où il était passé arec quelques-uns de ses com-
pagnons vers l'an 1380. Quelques historiens
les appellent les Ermites de Suint-Jérôme :
ils portent une tunique, un scapulairc et un
capuce minime, avec une ceinture de cuir.
Dans leur premier établissement, ils ne fai-
saient point de vœux, et, vivant du travail de
leurs main*, leur but principal était de s'em-
ployer au soulagement des pauvres. Le pape
Grégoire XL confirma cet institut en 1373 ou
1374, sous la règle de saint Augustin. Le
chef de l'ordre est ù Lupiana, dans le diocèse
de Tolède. La congrégation de Saint-Isidore,
dont le monastère ist à Séville,lui appartient,
avec celui de Saint-Laurent â Lescurial, bâti
par les libéralités de Philippe II; et celui de
Saint- J us t, où Charles-Quint se relira sur la
fin de ses jours. Il y en a plusieurs en Italie
suas divers noms. Lupo d'Olmedo , religieux
espagnol, avait composé une règle tirée des
cents de saint-Jérôme qu'il voulut faire re-
cevoir à son ordre, mais cela n'eut point de
suite. Il fonda la congrégation de Saint-Isi-
dore, qui se sépara du reste de l'ordre; mais
enfin, par les soins de Philippe 11, ils se réu-
nirent pour ne faire qu'un seul corps. Lupo
d'Olmedo mourut à Roms en li33. Pic V
obligea ces religieux de faire des vœux solen-
nets, et, s'élant adonnés à l'élude, ils ont tra-
vaillé comme les autres congrégations de l'E-
glise à 1'inslruclion des fidèles, et ci la prédi-
cation de l'Evangile.
il. Hermant se trompe, premièrement en
ce que ces trois différentes congrégations
n'out jamais été unies ensemble, et ont tou-
jours eu des observances différentes et des
habillements différents dès le commencement
de leur institution. Ce que cet auteur dit
qu'un certain Thomas travailla beaucoup
à la fondation de cet ordre en Espagne, où
il était passé avec quelques-uns de ses com-
pagnons vers l'an 1380, ne peut pas avoir
été, puisque ce même Thomas, qui par la
sainteté de sa vie a acquis le litre de bien-
heureux, mourut à Foligny l'an 1377, selon
Juste Hoseo, le premier écrivain de sa vie;
Jacques Jacobilli, qui l'a insérée dans ses
Vies des Saints de Foligny ; Wadingh, dans
ses Annales des Mineurs ; le P. Jean-Marie
deVernon, dans ses Annales du Tiers Ordre
de Saint-François; le P. Arthus du Mous-
tiêr, dans lu Martyrologe des Saints des trois
ordres de Saint-François, au 15 septembre,
et généralement tous ceux qui ont fait men-
tion de ce bienheureux Thomas, outre que
JI<R
:;7n
M. Hermant reconnaît que . ordre de Saint-
Jérôme en Espagne, auquel à la vérité les
disciples du bienheureux Thomas donnè-
rent commencement, fut confirmé en 1373
ou 1374.
Ce qu'il ajoute, que Loup d'Olmedo com-
posa une règle iirée des écrits de saint Jé-
rôme qu'il voulait faire recevoir à son or-
dre, mais que cela n'eut point de suite, n'est
pas conforme à l'histoire; car, comme nous
le prouverons dans la suile, Loup d'Olmedo
ne composa cette règle tirée des écrils de
saint Jérôme que pour les religieux de sa
congrégation, qui était celle des Moines Fr-
mites de l'Observance ou de Lombardie; et
il ne pouvait pas obliger ceux d'Espagne à
la recevoir, puisqu'il n'avait plus pour lors
aucune juridiction sur eux. 11 est vrai que
celte congrégation de Lombardie a été ap-
pelée par quelques-uns la congrégation de
Saint-Isidore, et que, par les ordres de Phi-
lippe II, les couvents que les religieux de
cette congrégation avaient en Espagne ont
été unis à celle des Ermites de Saint-Jérôme,
plus connus sous le nom de Jéronymites ;
mais cette congrégation des Moines Ermites
de 1 Observance a toujours subsisté en Ita-
lie, où elle a encore à présent dix -sept cou-
vents. Fnfin ce que dit M. Hermant, que tous
les religieux de Saint-Jérôme ne faisaient
point de vœux, et que ce fut le pape Pie V
qui les obligea à faire des vœux solennels,
ne doit regarder que ceux delà congrégation
du bienheureux Pierre de Pise, qui, à la vé-
rité, n'ont commencé à en faire qu'en 1569,
quoiqu'ils eussent été établis dès l'an 1380.
Mais les autres congrégations d'Espagne et
de Lombardie en ont toujours l'ait dès leur
origine. Peut-être que cet établissement des
Ermites de Saint-Jérôme de la congrégation
du bienheureux Pierre de Pise, fait en 1380,
a fait croire â M. Hermant que le P. Thomas
était passé cette année en Espagne pour faire
l'établissementdesJéronymilesdece royaume.
M. Hermant, parlant de ces Jéronymites,
n'a rapporté presque que ce qu'en avait déjà
dit Muréri dans son Dictionnaire. Ceux qui
l'ont augmenté ont ajouté que les Jéronymi-
tes suivirent d'abord la règle de saint Augus-
tin; mais que Loup d'Olmedo, leur général,
dressa une règle composée des sentiments de
saint Jérôme, laquelle fut approuvée par le
pape Martin V, qui dispensa les Jéronymites
de garder celle de saint Augustin; et qu'on
doit observer que les Ermites de la congré-
gation de Saint-Jérôme en Italie suivent au-
jourd'hui la règle de saint Augustin. Comme
il y a eu encore deux différentes congréga-
tions de Saint-Jérôme en Italie, ces conti-
nuateurs de Muréri devaient faire observer
eux-mêmes que ce sont les Moines de Saiut-
Jérôme en Italie qui ont autrelois suivi la
règle que Loup d'Olmedo avait dressée, et
qu'ils suivent présentement celle de saint
Augustin. AL Buiteau(//<s<. de l'ord. de Suint-
Benoît, liv. i, cli. 6, p. 72) s'est aussi trom-
pé lorsqu'il prétend que ce sont les Ermites
de Saint-Jérôme en Espagne qui prirent
celte règle que Loup d'Olmedo avait compo-
571
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
872
sée, puisque, comme nous avons dil ( i-tie—
vaut, il ne pouvait obliger les Ermites d'Es-
pagne à la recevoir, et qu'au contraire ils
s'y opposèrent fortement. Enfin nous donne-
rons des preuves convaincantes dans la suite,
comme il y a eu plusieurs congrégations de
l'ordre de Saint-Jérôme qui n'ont eu aucune
relation les unes avec les autres, et qui ont
toujours été différentes, et nous allons com-
mencer par la congrégation des Jéronymiles
d'Espagne.
Le troisième ordre de Sainl-Francois se
glorifie avec raison d'avoir donné naissance
à celui des Ermites de Saint-Jérôme en Es-
pagne, puisque ce furent quelques disciples
du bienheureux Thomas de Sienne ou Tlio-
masuccio, proies du Tiers Ordre de Saint-
François, qui passèrent en Espagne et s'y
retirèrent d'abord dans divers ermitages qui
lurent en peu de temps peuplés d'un grand
nombre de personnes qui les voulurent imi-
ter, et qui tous ensemble formèrent quelque
temps après un ordre religieux qui fut ap-
prouvé par le pape Grégoire XI sous le nom
de saint Jérôme, qu'ils avaient choisi pour
leur prolecteur et leur modèle, ayant voulu
imiter la vie pénitente et retirée que ce saint
docteur pratiqua dans le monastère de Beth-
léem.
On ne peut pas disconvenir que ces pre-
miers ermites qui passèrent en Espagne ne
fussent du troisième ordre de Saint-François,
puisque le bienheureux Thomas de Sienne,
leur maître, en était, selon ce que disent non-
seulement tous le. historiens de l'ordre de
Saint-François, mais encore saint Anlonin,
archevêque de Florence, Jacobilli, et plu-
sieurs autres. Jos pli Siguença, qui a fait
l'hisUme de l'ordre de Saint-Jérôme, en de-
meure même il'ac ord, s'en rapportant au
témoignage de saint Antonin, lorsqu'il dit:
Aqnien llatna S. Antonio de Florencia en su
Bistoria Thomas Succio, y dize que ara de la
tercera régla de S. Francisco, y que tenian
espiritu prophetico. Mais Cresceaze, qui,
comme nous avons dil dans la préface, se
qualifie de patricien de Plaisance, et se fait
néanmoins assez connaître pour religieux
de l'ordre de Saint-Jérôme, n'est pas de ce
sentiment. Il prétend au contraire que ce
bienheureux Thomas et ses disciples étaient
de l'ordre même de ^amt-Jéroine, qui, selon
lui, a pris son origine au temps des prophè-
tes, a été établi pur saint Antoine, dilaté par
saint Jérôme, étendu par tout l'univers, tan-
tôt se maintenant île lui-même, tantôt chan-
geant de nom, el s'unissant à d'autres sans
cesser d'être toujours l'ordre de Saint-Jé-
rôme. Ecco i 'ordine Gieronimiauo , dit-il dans
un endroit (Présid. romano, part, i, pag.
363 ), original o da propheti, ristorato daS.
Anionio, dilatatu da S- Gironamo, dijj'uso
nell unii erso, hur de se slesso matiensi, hor
muta nome et ad altri si unisce senza mularji
d'essere. On peut bien s'imaginer qu'il dis-
pute aux Carmes l'antiquité et la préséance :
en effet, il met non-seulement au nombre dés
religieux de l'ordre de Saint-Jérôme le bien-
heureux. Albert, législateur des Carmes, et
tous ceux qui ont habité le mont Carme! ;
mais il y met aussi saint Paul premier ermite,
saint Antoine, saint Pacôme, les premiers
Pères de la vie solitaire, et les antres fonda-
teurs des ordres religieux qui les ont suivis,
comme saint Basile, saint Augustin, saint
Benoît, et par Conséquent leurs disciples. Cet
auteur, ne croyant pas que le grand nombre
de religieux qui sont sortis de ces ordres fût
suffisant pour former l'ordre de Saint-Jé-
rôme, y a encore fait entrer une infinité do
saints qui n'ont jamais été disciples de ces
saints fondateurs d'ordres, et qui la plupart
même n'ont jamais été religieux. Il en a été
chercher dans lous les pays, et il a cru trou-
ver en France (sans parler des autres royau-
mes) saint Mai tin, évêque de Tours; saint
Bemi , archevêque de Beims; saint Eloi,
évêque de Noyon; saint Loup, évêque de
Troyes ; saint Fiacre et plusieurs autres.
Ainsi il ne faut pas s'étonner s'il dit que le
bienheureux Thomas de Sienne était de
l'ordre de Saint-Jérôme, avant même qu'il
fut établi.
Siguença se trompe lorsqu'il donne à ce
saint le surnom de Suclio ou Succo, et qu'il
dit que saint Anlonin lui a donné celui de
Succio. Ce saint archevêque à la vérité l'a
appelé Thoniasuccius, comme tous les histo-
riens qui en ont parlé; mais ce n'est qu'un
seul mot, (jui veut dire en italien Thomasuc-
cio ou le petil Thomas, parce qu'il voulut
prendre ce nom par humilité. 11 eut un grand
nomure de discipl s, qui demeuraient en
divers ermitages sur un ■ montagne des Al-
pes ; et, si on en veut croire les historiens
de l'ordie de Saint-Jérôme, ce bienheureux
Thomas, qui avait le don de prophétie, dis-
courant plusieurs fois avec ses disciples des
choses qui devaient arriver, leur disait tou-
jours qu'il voyait descendre le Saint-Esprit
sur l'Espagne ; c'est ce qui donna lieu à
quelques-uns d'entre eux de quitter l'Ilalie
pour passer en Espagne. Siguença dit qu'ils
étaient sept ou huit, et n'en nomme qu'un,
qui était un frère Vasco de Portugal, qui
avait demeuré près de trente ans avec le
bienheureux Thomas. Ils arrivèrent en Es-
pagne sous le règne d'Alphonse XI, père de
Pierre dil le Cruel. Ils se retirèrent d'abord
en deux différents ermitages, les uns à Notre-
Dame de Villacscua, proche d'un lieu appelé
Orusco. sur la rivière de Taxunna, et les
autre, à Notre-Dame de Castunnal, dans les
montagnes de Tolède. Leur nombre augmen-
tant, ils multiplièrent leurs ermitages: il y
en eut qui allèrent dans le royaume de Va-
lence, proche de la ville de (îandia, et d'au-
tres passèrent en Portugal , n'ayant tous
qu'un même dessein, d'imiter saint Jérôme ,
qu'ils prirent dès lors pour leur protecteur.
Entre les personnes qui se joignirent à
eux, il y en eut quelques-unes de distinction,
dont les principales furent Pierre-Ferdinand
Pécha, chambellan du roi dom Pierre; son
frère Alphonse Pécha, évêque de Jaen, qui
renonça à celle dignité pour le suivre dans
la solilude, el dom Ferdinand Yanez de Fi-
guera, chanoine de Tolède et chapelain ma-
57»
im
JRR
574
jeur de la chapelle des anciens rois. G'esi ce
Pierre-Ferdinand Pécha qui est reconnu
puur le fondateur des Ermites de Saint-Jé-
rôme, tant pour avoir obtenu la confirmation
de cet onlre et y avoir prescrit des règle-
ments, que pour avoir fait le premier les
vœux solennels enlre les mains du pape. Il
était fils de Ferdinand liodriguez Pécha,
chambellan du roi Alphonse XI, et d'Elvire
.Martine/. 11 succéda à son père dans la
charge de chambellan du roi, et, après la
mort de ce prince, il eut le même emploi
auprès du roi dom Pierre, qui, à cause de
son esprit farouche, qui n'aimait que le sang
el le désordre, fut surnommé le Cruel. Les
cruautés que ce prince exerçait tous les
jours sut les personnes mêmes qui le lou-
chaient i.e plus près, obligèrent Pierre-Ferdi-
nand à quitter la cour et à renoncer à toutes
les vanités du monde», pour se retirer dans
l'ermitage de Notre-Dame, de Villaescua.
Ferdinand Yanez, qui n'eut pas moins d'hor-
reur que lui des eruautés du roi, dont son
propre frère le prince Frédéric et deux in-
fants d'Aragon n'avaient pu être à l'abri,
suit il bientôt Ferdinand Pécha dans sa soli-
tude ; el, peu de temps après, le frère de Fer-
dinand Pécha, dTm Alphonse Pécha, évêque
de Jaen, s'élant démis de son évéché, se vint
joindre à eux.
Il y avait proche de cet ermitage une
église sous le nom de Saint-Barthélémy, qui
avait été bâtie depuis environ quarante ans
par dorn Pidace Martinez, qui était aussi
chambellan du roi Alphonse XI et oncle des
deux Pécha. Ils y allaient souvent faire leurs
prières, et même entendre la messe, à cause
qu'ils n'avaient pas de chapelle à Villaescua.
La situation de celte église, qui était dans
un lieu relire, et où l'on pouvait bâtir des
ermitages aux environs, leur lit concevoir le
dessein d'y demeurer. Comme c'était un de
leurs oncles qui en avait été le fondateur, ils
crurent qu'ils pourraient en obtenir facile-
ment la permission. En effet, les consuls et
le conseil de Lupiana, à qui le fondateur
avait donné le droit de nommer aux chapel-
lenies, y consentirent, aussi bien que l'ar-
che» éque de Tolède, qui était pour lors dom
Gomez Menrique. Non-seulement ils leur
donnèrent cette église, mais encore les cha-
pellenies et les revenus qui en dépendaient,
et ils en prirent possession l'an 1370. Ils bâ-
liivnl plusieurs cellules aux environs de
cette église, où ils demeuraient séparés les
uns des autres ; el ce fut pour lors qu'ils tâ-
chèrent d'imiter la vie solitaire et retirée que
saint Jérôme, qu'ils prirent pour modèle ,
avait pratiquée dans la Palestine. Mais quel-
ques personnes malintentionnées, jalouses
de ce que les sainls Ermites commençaient à
êlre en réputation, et que le peuple des en-
virons avait de l'estime pour eux, les décriè-
rent, en publiant qu'ils étaient infectés des
erreurs des Béghards, et que leur manière
de vie n'était pas approuvée par le saint-
siége. C'est pourquoi ces Ermites convinrent
entre eux que, pour se mettre à couvert de
ces calomnies, il fallait aller trouver le pape
et obtenir la confirmation de leur nouvel
ordre, en approuvant aussi le résolution
qu'ils prirent pour lors de changer la \ ie so-
litaire et érémitique en cénobitique, nomme
étant la plus assurée el celle où on est moins
exposé aux périls et aux tentations, se re-
mettant à la volonté du pape pour leur pre-
scrire telle règle qu'il voudrait leur donner.
Ils jetèrent pour ce sujet les yeux sur Pierre-
Eerdinand Pécha, à qui ils donnèrent pour
compagnon Pierre de Rome, qui était un
des premiers Ermites qui avaient passé d'I-
lalie en Espagne. Ils allèrent à Avignon, où
le pape faisait pour lors sa résidence. C'était
Grégoire XI , qui leur accorda ce qu'ils sou-
haitaient par une bulle du 18 oclobre 1373,
ayant confirmé leur ordre sous le titre de
Saint-Jérôme, et, outre la règle de saint Au-
gustin, qu'il leur prescrivit, il leur donna
encore les constitutions que l'on observait
dans le monastère de Sainte-Marie du Sépul-
cre, hors des murs de Florence, qui était de
l'ordre de Saint-Augustin.
Le !'. Hermenegilde de Saint- Paul, reli-
gieux de l'ordre de Saint-Jérôme, fâché de
ce que Siguença n'avait pas sagement donné
dans les opinions peu raisonnables de ceux
qui prétendent que tous les ordres de Suint-
Basile, de Saint-Benoît el de Saint-Augustin,
ne sont que des branches de celui de Saint-
Jérôme, a fait un volume entier pour prou-
ver que l'ordre de Saint-Jérôme, fondé, à
ce qu il prétend, par ce Père de l'Eglise à
Bethléem , a toujours subsisté jusqu'à pré-
sent. Ainsi, parlant de ce monastère de
Sainte-Marie du Sépulcre, près de Florence,
dont les religieux de Saint-Jérôme prirent
les constitutions par les ordres du pape
Grégoire XI, il avance hardiment qu'il ap-
partenait à des religieux de l'ordre de Saint-
Jérôme, et que, comme le B. Thomas de
Sienne, dont nous avons déjà parlé, avait
beaucoup de disciples, c'était sans doute l'un
des couvents où ils demeuraient. Pour prou-
ve;' ce qu'il avance, il dit que c'est à tort
que l'on préleud que ce bienheureux Tho-
iuas a été du Tiers Ordre de Saint-François,
et que si Jacobilli en a parlé, ce n'a été qu'à
cause qu'il a dédié la vie de ce i>. à l'évéque
de Foligny, qui était religieux de l'ordre de
Saint-François, et que, du temps du bien-
heureux Thomas , les religieux du Tiers
Ordre de Saint-François ne pouvaient pas
avoir des couvents, puisqu'ils n'ont com-
mencé à en avoir que l'an 14-21. Ceci se dé-
truit par ce que nous avons dit en parlant
de l'ordre des Hospitaliers de la Charilé de
Notre-Dame, où nous avons rapporté une
bulle de Clément VI de l'an 1346, qui, eu
leur permettant de quitter la règle du Tiers
Ordre de Saint-François, qu'ils avaient sui-
vie jusqu'alors, pour prendre celle de saint
Augustin, lait menlion de plusieurs de leurs
monastères et hôpitaux, el entre autres de
ceux de la Charité sur la rivière de Roignou,
des Billelles à Paris, et de Saint-Louis à
Senlis. Avant l'an 1323; il y avait des reli-
gieux du Tiers Ordre dans le diocèse de
Liège, puisque l'on trouve des lettres de
575
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
57C
l'évoque Adolphe, qui leur ordonnent d'élire
eulre eux un supérieur qui les corrige de
leurs fautes, seulement des légères, les plus
grièvos étant réservées au visiteur, et qui
leur défendent de sortir sans sa permission
et sans avoir un compagnon, de manger hors
du réfecloire, de coucher hors du dorloir, de
parler à des femmes en particulier et à des
heures indues, etc. Nous pourrions en citer
encore de plus anciens au P. Hermenegilde
de Saint-Paul, si nous roulions parcourir les
provinces ; mais, bien loin que ce monastère
de Sainte-Marie du Sépulcre ait élé de l'or-
dre de Saint-Jérôme, et qu'il ait appartenu
au bienheureux Thomas et à ses disciples, le
pape dit positivement qu'il était de l'ordre de
Saint-Augustin, ne pouvant pas faire men-
tion d; celui de Saint-Jérôme, qui était en-
core inconnu ; d'ailleurs le bienheureux
Thomas n'a jamais demeuré avec ses disci-
ples dans aucun monastère, ces Ermites ayant
toujours vécu dispersés dans différents ermi-
tages, comme firent ceux qui passèrent en
Espagne, où ils allèrent d'abord dans ceux
de Notre-Dame de Villaescua et de Notre-
Dame de Castannal, que les religieux de
Saint-Jérôme ne regardent pas sans doute
comme des couvents, puisqu'ils conviennent
que le premier fut celui de Saint-Barthélémy
de Lupiana, qui est encore aujourd'hui le
chef de cet ordre, et où le général l'ail sa ré-
sidence.
Le pape Grégoire XI, ayant donc donné à
ces religieux île Saint-Jérôme les constitu-
tions du couvent de Sainte-Marie du Sépul-
cre, avec la règle de saint Augustin, leur
prescrivit encore quelle serait la forme el la
couleur de leur habillement, qui consistait
en une tunique de drap blanc, un scapulaire
couleur tannée, un petit capuce et un man-
teau de même couleur, le tout de couleur na-
turelle et non teinte, et d'un prix \il et
médiocre. Ce pontife ne se contenta pas d'a-
voir ainsi prescrit l'habillement de ces nou-
veaux Ermites de Saint-Jérôme, il le voulut
encore donner de ses propres mains à
Pierre-Ferdinand Pécha et à Pierre de Rome;
et, comme ils furent les premiers revêtus de
l'habit de la religion, ils firent aussi les pre-
miers les vœux solennels entre les mains du
pape, qui ordonna de plus que l'église de
Saint-Barthélémy de Lupiana avec les ermi-
tages qui étaient aux environs serait érigée
en monastère de cet ordre, dont il fil premier
prieur Ferdinand Pécha, que nous appelle-
rons dorénavant Ferdinand de Guadalajara,
ayant quitté le nom de sa famille pour pren-
dre celui du lieu de sa naissance, ce qui
s'est toujours pratiqué dans cet ordre, où les
religieux, aussi bien que dans plusieurs con-
grégations, quillent leurs noms pour pren-
dre celui de quelque saint, ou du lieu où ils
sont nés. Le pape voulut encore que l'on re-
çût dans ce monastère autant de re igieux
que les re\enus seraient suffisants pour les
entretenir, et que les prieurs seraient trien-
naux. 11 accorda encore à Ferdinand de Gua-
dalajara la permission de fonder quatre au-
tres monastères du même ordre de Saint-
Jérôme, de les unir à celui de Saint-Bar-
thélemy de Lupiana , et de recevoir à la
profession solennelle les autres ermites de
sa congrégation qui étaient restés en Es-
pagne.
Ferdinand de Guadalajara, numide toutes
ces permissions, s'en retourna en Espagne
avec son compagnon Pierre de Rome, et ar-
riva à Saint-Barthélémy de Lupiana le pre-
mier février 137V. Il reçut à la profession
les autres Ermites, lit travailler à la con-
siruclion d'un monastère, et proscrivit des
règlements pour le maintien de l'observance
régulière, tels qu'ils ont toujours élé obser-
vés dans la suite. En moins d'un an, les bâ-
timents furent achevés, à quoi contribuèrent
beaucoup les parents de Ferdinand, qui,
pour les grands biens qu'ils y firent, en ont
toujours été reconnus comme principaux
bienfaiteurs. Après ce^i Ferdinand de Gua-
dalajara, qui n'avait accepté l'office de prieur
que pour obéir au pape, qui lui avait en
même temps permis de s'en démettre quand
il le jugerait à propos, renonça à cette di-
gniié, et fit élire en sa place Ferdinand Ya-
nez de Caceres, qui était pour lors le seul
prêtre qui fût dans l'ordre : car, avant la
confirmation du pape Grégoire XI, Alphonse
Pécha, évêque de Jaen, avait quitté l'Espa-
gne pour aller en pèlerinage à Rome, où il
fit une cession de tous ses biens en faveur
du monastère de Sain l-Barthélemy de Lupiana.
Après cette élection, Ferdinand de Guada-
lajara alla fonder d'autres monastères. Le
premier fut celui de Notre-Dame de la Syssa.
proche de la ville de Tolède ; et, pendant
qu'il faisait travailler aux bâtiments, il se
fit encore deux ou trois établissements à
Guilando, Corral, Ruccio et Sainte-Anne de
la Oliva; e(, ne pouvant y aller en personne,
il envoya les pouvoirs nécessaires pour les
incorporer à l'ordre en vertu de la bulle de
Grégoire XI qui lui permettait de fonder
cinq monastères de cet ordre.
Ces premiers Ermites venus d'Italie, qui,
comme nous avons dit, avaient passé dans
le royaume deValence, voyant que ceux qui
étaient restés en Castille avaient pris la vie
commune et qu'ils avaient fondé l'ordre de
Saini-Jérôme, voulurent aussi les imiter en
quittant la vie solitaire pour prendre la vie
cénobitique selon leurs mêmes observances.
Ils en obtinrent aussi la permission du pape
Grégoire XI, qu'ils furent trouver à Avi-
gnon l'an 137 'i ; et, après avoir fait les vœux
solennels, ils songèrent de leur côlé à fon-
der des monastères dans le royaume de Va-
lence. Le premier fut à Gandia ; mais, ayant
été obligés peu de temps après de l'aban-
donner, ils firent une autre fondation à Ca-
talua. Ferdinand Yanez, prieur de Saiut-
Rarlhélemy de Lupiana, obtint, l'an 1389, le
célèbre monastère de Notre-Dame de Guada-
loupe dans l'Estramadure , qui, à cause de
la sainteté de ce lieu, où les pèlerins abor-
dent de tous côlés pour y révérer une image
miraculeuse de la sainle Vierge, tient le se-
cond rang dans cet ordre, quoiqu'il v en ait
d'uulres déplus ancienne fondaliou.
577
JiK
JER
576
§ II. Continuation de l'origine et progrès
de l'ordre des Ermites de Saint-Jérôme.
Nous ayons parlé dans ie paragraphe pré-
cédent d'un frère Vasco, ie seul que Si-
guença nomme des Ermites venus d'Ilalie en
Espagne. A peine y fut-il arrivé, qu'il passa
en Portugal, où il avait pris naissance, et il
fit sa demeure avec quelques autres dans un
ermitage nommé Penalonga; mais, voyant
que ses compagnons avaient embrasse en
Espagne la vie cénobitique, il en voulut faire
de même avec! ceux qui s'étaient jointe à lui
en Portugal. Il s'adressa pour cet effet à Bo-
nifiée IX, qui était reconnu pour pape légi-
time eu ce royaume dans le temps du
schisme, cl il en obtint la permission d'éri-
ger son ermitage de Penalonga en monastère
de l'ordre de Saint-Jérôme sous la règle de
saint Augustin, et de jouir des mêmes pri-
vilèges qui avaient été accordés par le pape
Grégoire XI à ceux de Castille et de Valence.
Dans le même temps, d'autres Ermites qui
demeuraient en Catalogne firent la même
chose en 1393, avec la permission de l'anti-
pape Clément VII, qui y était reconnu pour
souverain pontife, et qui en avait été solli-
cité par la reine Yolande d'Aragon, qui fil
bâtir à ces religieux le monastère de Valhe-
bron. L'an 139b, cet ordre fut augmente par
le don qui lui fut fait du monastère de Sainl-
Blaise de Villaviciosa, qui appartenait à des
chanoines réguliers qui , ne portant que
le nom de réguliers et vivant dans un
grand désordre, en furent chassés par l'ar-
chevêque de Tolède dom Pierre Tenorio.
Comme le Tiers Ordre de Saint-François
avait donné commencement à l'ordre de
Saint-Jérôme, il lui donna aussi un nouvel
accroissement, les religieux du monastère de
la Mejorada, qui étaient du Tiers Ordre de
Saint-François , ayant embrassé celui de
Saint-Jérôme. Leur supérieur Ferdinand de
Villalobos avec deux autres religieux furent
trouver Ferdinand de Guadalajara, qui était
regardé comme premier fondateur de l'ordre
de Saint-Jérôme, pour recevoir de ses mains
l'habit de son ordre ; et, après l'avoir reçu,
ils retournèrent à la Mejorada, où ils donnè-
rent le même habit à ceux qui le voulurent
recevoir, et obi gèrent d'en sortir ceux qui
s'opposaient à ce changement; ce qui arriva,
selon Siguença, vers l'an 1397, ayant obtenu
la confirmation de cette translation d'ordre
de l'antipape Benoît XIII, qui était reconnu
pour lors comme légitime en Espagne. Ainsi
les religieux du Tiers Ordre de Saint-Fran-
çois avaient des couvents longtemps avant
l'an 1441, contre ie sentiment du P. Hermene-
gilde de Saint-Paul, de l'aveu même des his-
lorieus de son ordre. Ferdinand de Guada-
lajara eut encore part à l'établissement d'un
autre monastère qui se fit la même année à
Talavera, qui est le dernier qui se fit de son
vivant.
Il avait éléfait prieur du couvent de Notre-
Dame de la Sysla après sa fondation, et il
exerça cet emploi pendant ving't-deux ans.
Sou humilité était si grande que, quoiqu'il
fût très-versé dans la langue latine et dans
la science de l'Ecriture sainte, il ne voulut
jamais prendre les ordres sacrés, quelques
instances qu'on lui en fil. Ses austéiités
étaient très-grandes, il ne dormait jamais
qu'à terre sur un peu de paille, il portait
continuellement la haire et le cilice, et ses
abstinences et ses jeûnes étaient presque
continuels. Sa sœur Mayor Ferdinande Pé-
cha, qui avait épousé Arias Gonsalve de
Voldes, seigneur de Velcna, étant veuve,
prit la résolution d'exécuter le dessein
qu'elle avait pris depuis longtemps de se
consacrer entièrement au service de Dieu.
Elle avait une singulière dévotion à Notre-
Dame de Guadaloupe ; c'est pourquoi elle
voulut se retirer dans cette sainle maison,
pour y servir Dieu en qualité d'oblate, et y
finir ses jours. Elle vint pour cet effet trou-
ver son frère à Notre-Dame de la Svsla, qui
non-seulement la fortifia dans son dessein,
mais voulut encore l'imiter. Ce fut pour lors
qu'il se démit de son office de prieur de ce
monastère pour aller finir aussi ses jours
dans celui de Notre-Dame de Guadaloupe,
dans la compagnie de Fer linand Yanez, son
ancien ami, qui en était prieur. 11 y fut reçu
avec sa sœur, et y demeura encore quelques
années. Nonobstant ses grandes infirmités et
sou grand âge, il était toujours le premier à
tous les exercices réguliers, tant de jour que
de nuit ; et ce fut dans ces saints exercices
qu'il termina sa vie par une mort glorieuse
l'an 1402. Sa sœur le suivit peu de temps
après, et fut enterrée avec lui revêtue de
l'habit de l'ordre de Saint-Jérôme, comme
oblale et comme principale bienfaitrice,
ayant beaucoup contribué à l'édifice du cou-
vent de Saint-iJarthélemy de Lupiana.
Après la mort de Ferdinand de Guadala-
jara , l'ordre fit encore de nouveaux établis-
sements; de sorte que, l'an 1415, lorsque l'on
tint le premier chapitre général, il y avait
vingt-cinq monastères tant en Espagnequ'en
Portugal. Jusque-là ils avaient toujours été
soumis à la juridiction des évêques des
lieux où les monastères étaient situés; et
s'ils avaienleu recours quelquefois au prieur
de Saint-Barthélémy de Lupiana, ce n'était
pas pour lui obéir en qualité de supérieur,
mais seulement pour le consulter et prendre
ses avis, reconnaissant ce monastère comme
le premier de l'ordre, lis n'avaient poiut en-
core tenu d'assemblées générales , les cou-
vents avaient élu leurs supérieurs, et les
coutumes et les observances commençaient
déjà à être différentes en quelques-uns de
ces monastères : c'est pourquoi, pour main-
tenir une uniformité et une même obser-
vance partout , ils prirent la résolution de
s'unir tous ensemble sous un seul chef, et
de faire des assemblées générales, où l'on
ferait des règlements pour le maintien de la
discipline régulière à l'exemple des autres
congrégations régulières. Le schisme divi-
sait encore l'Eglise, on y voyait trois papes,
deux faux et un véritable : les deux faux
étaient Grégoire XII et Benoît XIII, et le vé-
ritable était Jean XXIII ; mais les royaume»
879
DICTlONNAlKli DES OKDHES RELIGIEUX.
586
de Caslille et d'Aragon obéissant a Benoit,
les religieux de Sainl-Jérônïe eurent recours
à lui pour obtenir l'union qu'ils souh litaient,
et la permission d'élire un général. Cet an-
tipape, par sa bulle du 18 octobre 1414, don-
née à Saint-Mathieu au diocèse de Torlose,
ordonna que tous les prieurs et les procu-
reurs des monastères s'assembleraient à l'a-
venir dans un lieu convenable pour tenir le
chapitre général; mais que pour la première
fois ils le tiendraient au monastère de Notre-
Dame de Guadaloupe , donnant p lùvoir au
prieur de ce monastère d'envoyer des lettres
circulaires aux autres prieurs pour leur in-
diquer le jour que se tiendrait celle assem-
blée générale, à laquelle deux religieux de
l'ordre des Chartreux devaient présider pour
cette fois-là seulement. 11 exempta en même
temps tous les prieurs et les monastères de
cet ordre de la juridiction des évèques.
En vertu de celle buile, ils tinrent leur
chapitre à Notre-Dame de Guadaloupe le
26 juillet 1415, où se trouvèrent les prieurs
et les procureurs de vingt-cinq monastères,
qui élurent pour premier général le P. Di-
dace de Alearon, prieur de Saint-Barthélémy
de Lupiana, et depuis ce temps-là les prieurs
de ce monastère ont toujours élé généraux.
Ils y font leur résidence, et, s'ils en sortent
quelquefois, ils ne peuvent pas s'en éloigner
plu de cinq lieues. Ils tinrent le second cha-
pitre général eu 1416, le troisième en 1418 :
dans la suite ils les ont tenus lous les trois
ans. Comme en 1417 l'antipape Benoît Xilï
avait été déposé pour la seconde fois dans le
concile de Constance, et que Martin V y fut
élu et reconnu pour souverain ponlife par
toute la chrétienté, ils firent approuver par
ce moyen tout ce que l'antipape Benoit avait
fait; ce qui fut confirmé quelques années
après par le pape Innocent VIII.
Le pape Nicolas V eut quelque dessein,
l'an 1447 de réunir en un seul corps tous les
différents ordres religieux qui portaient le
nom de Saint-Jérôme, tant celui des Jésua-
tes de Saint-Jérôme (Voyez Jésuates), que
ceux dont nous parlerons dans la suite. Il lit
pour ce sujet défense aux religieux de Saint-
Jérôme d'Espagne d'y tenir leur chapitre gé-
néral, et leur ordonna de venir à Rome, où
il convoqua ce chipitre pour le jour de la
Pentecôte de l'an 1448. Mais tous les monas-
tères d'Espagne ne députèrent que douze re-
ligieux pour laire en leur nom tout ce qu'ils
trouveraient de plus à propos , leur recom-
mandant sur toutes choses d'empêcher cette
union. En effet, ils firent si bien parleurs
remontrances, que le pape laissa les choses
dans l'étal où elles étaient. Sous le règne de
dom Emmanuel, roi de Portugal, les reli-
gieux de ce royaume se séparèrent des Es-
pagnols, et formèrent une congrégation qui
était gouvernée par un provincial; mais Phi-
lippe 11, roi d'Espagne et de Portugal, solli-
cita auprès du pape Clément VIII la réunion
i,e Co,s..)|!rux ui»(ions; ce que le pape accorda
1 an lo95, ordonnant qu'il n'y aurait qu'un
même général pour les Espagnols et les Por- \
tugais. Ils soin très-puissants dans l'un et i
l'autre de ces royaumes, où ils ont de riches
et superbes monastères. Celui qui est ie plus
fréquenté pour la dévolion et qui lient le
premier rang dans l'ordre après celui de
Saint-Barthélémy de Lupiana, est Notre-
Dame, de Guadaloupe, qui ne le cède en rien
aux autres pour les richesses. La maison
est si grande et si spacieuse, que Philippe il,
y passant l'an 1560 pour .i lier à la guerre de
Grenade avec l'archiduc Rodolphe, qui fut
ensuite empereur, et l'archiduc Ernest, ces
princes y demeurèrent avec toute leur cour
pendant vingt jours, sans que les religieux,
qui sonl au nombre de six vingts, en lussent
incommodés. Le même roi fil don à l'autel
de la sainte Vierge d'une lampe d'or. La sa-
cristie de ce monastère est une des plus ri-
ches de l'Europe. Les aumônes qu'on y re-
çoit sont très-considérables, et c'esl en par-
lie ce qui sert à l'entretien de ce grand nom-
bre de religieux, d'un séminaire de quarante
jeunes clercs, à qui l'on apprend les huma-
nités el les exercices de la vie cléricale; de
deux hôpitaux joignant le monastère, l'un
pour les hommes, l'autre pour les femmes,
et d'un grand nombre de domestiques et
d'ouvriers de toutes sortes de métiers. L'hô-
pital des hommes est servi par plus de qua-
rante serviteurs, et. celui des femmes par
des Oblates qui sont en pareil nombre; el,
sans compter le grand nombre de pèlerins,
qui y arrivent quelquefois par jour jusqu'au
nombre de deux mille, et qui sont reçus
pendant trois jours dans ce couvent, il nour-
rit tous les jours plus de sept cenls person-
nes. Les aumônes qu'on distribue aux pau-
vres à la porte sonl considérables. On y dis-
tribue par an plus de deux cents moulons ,
outre le pam que l'on y donne tous les jours,
et un grand nombre de souliers : l'on dit que
le 8 septembre, fête de la Nativité de la
sainle Vierge, on en distribue ordinairement
jusqu'à huit cents paires. On y fait des le-
çons publiques de médecine et de chirurgie.
Ce monastère a été quelquefois d'un grand
secours aux rois d'Espagne, auxquels il a
souvent donné de grosses sommes pour sub-
venir aux besoins de l'Etat.
Saint-Laurent de l'Escurial, célèbre pour
être la sépulture des rois d'Espagne, n'a pas
tant de revenu que celui de Notre-Dame de
Guadaloupe, mais il le surpasse par la ma-
gnificence de ses bâtiments, qui furent com-
mencés l'an 1557 par Philippe II, et qui, jus-
qu'à sa mort, qui arriva l'an 1598, y em-
ploya cinq raillions deux cent soixanle-dix
milie ducats, tant en bâtiments qu'eu pein-
tures et sculptures, et plus d'un million en
ornements d'Eglise. Philippe IV fit faire la
chapelle des tombeaux, nommée le Pan-
théon, à cause que sa structure est prise sur
le dessein du Panthéon de Rome, appelé au-
trement Noire-Dame de la Rotonde. Tout le
dedans de cette chapelle est de marbre noir,
à la réserve de quelque» ornements de jaspe,
de marbre rouge et de bronze doré. L'église
est d'une belle structure, ornée de quantité
de figures de bronze doré d'un travail admi-
rable; l'autel, qui fait l'un des plus beaux
5«1
JER
JF.R
?>82
ornements de cette église, est estimé un
million ; il est élevé de seize degrés au-des-
sus du pavé de l'église ; ces degrés sont de
porphyre, et l'autel est embelli de quatre
rangs de colonnes de jaspe; l'on voit dans le
tabernacle, qui est estimé plus de deux mil-
lions, briller l'or de U.utes parts aussi bien
que les pierreries, qui sont si transparentes,
qu'on voit au travers le saint sacrement
qui repose dans un vase d'agate. Le dessus
de la custode où l'on lient le saint sacrement
est enrichi d'une émeraude de la grosseur
d'un œuf et d'un prix inestimable. La cus-
tode est de la hauteur d'un homme, et de
l'épaisseur de deux brasses : elle est faite
d'une pierre plus riche que le porphyre, es-
timée cinq cent mille écus. La sacristie est
l'une des plus riches de l'Europe; l'on y
voit une infinité d'ornements en broderie
d'oret deperles dont la plupart uni été donnés
par le roi l'hilippe IV, aussi bien que des cali-
ces d'un grand prix, des vases etdes chande-
liers d'or et d'argent. À côté de cet le sacristie il
y a une chambre oùl'on voit deux vases: l'un
esl d'un seul saphir enrichi d • perles et de
pierres précieuses , au milieu desquelles
brille un gros rubis ; l'autre est de fonte en-
richi aussi de pierreries, qu'on dit avoir été
fait de la propre main de l'empereur Maxi-
milien IL Ces deux vases servent à porter le
saint sacrement. Généralement tout ce qui
sert à la décoration et au service de l'église
a coulé de grosses sommes ; car les formes ou
stalles du choeur où s'asseyent les religieux
sont d'un bois venu des Indes, et ont coûté
|>lus de vingi-qualre mille écus, et l'archi-
tecture des orgues, vingt-sept mille ducats.
11 y a dans le chœur deux cent seize livres
pour l'usage des religieux, qui ont coûté
quarante-cinq mille écus, et l'armoire où ou
les enferme sept mille écus. Ce monastère, y
compris le quartier du roi et celui des éco-
liers, contient dix-sept cloîtres, vingt-deux
cours, onze mille fenêtres, huit cents co-
lonnes, et plus de cent vingt religieux, qui
ont plus de quarante mille écus de revenu.
Il y a toujours jour et nuit deux religieux
devant le saint sacrement ; ils entretiennent
uu séminaire de cent quatre-vingts jeunes
ecclésiastiques, auxquels ils apprennent les
humanités et la philosophie, et ces clercs
assistent avec eux au chœur en surplis. Ou
voit .aussi dans ce monastère une riche bi-
bliothèque qui contenait plus de cent mille
volumes, tant manuscrits qu'imprimés, mais
une partie de celle bibliothèque fut consu-
mée par un incendie l'an 1671.
Le couvent de Saint-Jérôme de Juste, que
plusieurs de nos écrivains français appellent
Saint-Just, a été célèbre à cause que l'empe-
reur Charles-Quint le choisit pour le lieu de
sa retraite, lorsqu'il eut céilé ses Etats d'Alle-
magne à Ferdinand, son frère, et qu'il eut
remis les autres à Philippe 11, sou fils, le 25
octobre 1555, à Bruxelles. L'on peut juger de
ses grands revenus par les aumônes qu'il fait
aux pauvres des environs ; car on distribue
par an à la porle du couvent six cents mesu-
res de froment, chaque mesure valant, selon
quelques-uns, six boisseaux de Paris, et
selon d'autres, un boisseau et demi, ce qui
est plus vraisemblable. Lorsque c'est dans
des années de cherté, on en donne mille, et on
en a vu donner jusqu'à quinze cents. Le jour
de Noël on en donne cinquante mesures à des
pauvres honteux ; le jour de Pâques-, quatre
moutons; le prieur peut donner à qui bon
lui semble, pourvu que ce soit à des person-
nes qui sont dans la nécessité, trente mesu-
res de blé, six mesures d'huile, et douze
ducats en argent; et, lorsqu' il y a quelque
pauvre malade, on lui envoie chaque jour
ce dont il a besoin.
Le couvent de Madrid distribue aux pau-
vres par mois douze mille maravédis, et une
grande quantité de pain tous les jours, outre
ce qui sort de la table des religieux ; ildonne
«u prieur vingt ducats pour distribuer aux
pauvres, comme il le juge à propos, et ce
prieur jouit de quantité de beaux droits. Il
est maître avec son couvent de l'hôpital de
Sainte-Catherine de los Dunados. II fait dis-
tribuer par an, à six pauvres delà paroisse
de Saint André, douze mesures de froment
et quatre mille maravédis. Il nomme con-
jointement avec un gouverneur de police
quelques filles qui doivent recevoir des dots
pour se marier, selon l'intention de quelques
fondateurs qui lui en ont donné la nomi-
nation.
Le prieur deSéville jouit aussi de plusieurs
droits : il est maître conjointement avec le
prieur de la Chartreuse, de l'hôpital du car-
dinal dom Jam Cervantes, et de celui des
blessés, fondé par la marquise de Tarifa et
la duchesse de Alcala. Il esl prolecteur de
l'université de cette ville; il donne de qua-
tre ans en quatre ans une dot de treize cents
ducats pour une pauvre demoiselle qui veut
se faire religieuse dans le monastère de
Saint-Clément ou de Sainle-Paule. Il distri-
bue lous les ans d'autres dots de quatre
cents réaies chacune , et cinquante mille
maravédis pour les pauvres, les captifs et
les prisonniers; douze mille maravédis à de
pauvres orphelins qui sont dans la néces-
sité ; et le jeudi saint il lave les pieds à
dix-neuf pauvres, auxquels il donne des ha-
bits et à dîner. Le couvent, outre les au-
mônes qu'il l'ait à toute heure, donne aussi à
manger à dix-neuf pauvres dans un réfec-
toire destiné pour ce sujet. 11 donne encore
lous les ans au même prieur cinquante me-
sures de froment, douze mesures d'huile,
chaque mesure d'huile pesant vingt-cinq
livres, et douze mille maravédis pour dis-
tribuer aux pauvres selon qu'il le juge à pro-
pos. Les autres couvents de cet ordre en
Espagne font aussi de grandes aumônes.
Ceux de Portugal ne sont pas moi us considé-
rables. Celui de Belem, sépulture ordinaire
des rois de ce royaume, esl le plus célèbre.
Il fut fondé par le roi dom Emmanuel, (au
1497. L'église esl bâtie en forme de croix
sur une longueur et largeur très-considéra-
bles. Elle reçoit la clarté du soleil par beau-
coup de fenêtres, ce qui est contraire aux
autres églises qu'où bâtit en Portugal , ou
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
581
l'on en fait fort peu, afin d'être moins ex-
posé à la chaleur. Cette église reçoit une
offrande bien singulière, car à chaque jour
qui se passe sans que le soleil paraisse dans
la ville de Lisbonne, la ville de Tomar est
obligée d'envoyer une brebis à la reine, qui,
par un pieux sacrilice, l'envoie à l'église de
Belem (1). Le maître autel est au bout de
l'enfoncement de l'église, dans une grande
chapelle qui lient lien de chœur. A chaque
côté de l'autel il y a dans le gros mur trois
enfoncements ou petites retraites dont le des-
sus est tourné en cintre, et sous chaque
cintre il y a un tombeau de marbre blanc et
noir attaché contre la muraille. Les tom-
beaux sont soutenus par des éléphants de
marbre noir, et sont séparés les uns des au-
tres par de petites colonnes. A chaque ex-
trémité de la traverse ou croisée de l'église,
il y a aussi une représentation de tombeaux
faite de menuiserie et couverted'un dais noir
et blanc, que l'on ne change que lorsqu'on
enterre un roi ou quelqu'un de la maison
royale. Le tour du c!oître de ce monastère est
composé d'un double portique l'un au-des-
sus de l'autre ; ce portique environne, un
parterre coupé par des canaux d'eau vive,
où l'on nuurrit quantité de poissons
II, en Espagne, les Jéronymites furent aussj
députés par le nonce apostolique pourlaré-
formedes Prémontrés, et le premier hôpital que
fonda saint Jean de Dieu fut des aumônes des
religieux jéronymites, qui ont eu aussi parmi
eux plusieurs personnes distinguées par leur
science et par les dignités qu'elles ont oc-
cupées ; et, sans remonter aux temps les plus
reculés, Antoine Augustin était évêque d'Al-
barazin en 1665; Baltazar de los Reyes,
évêque d'Orence en 1668; Manuel de Naci-
miento, évêque de S. Thomé aux Indes orien-
tales en 1678 ; et, l'an 1705, Jean de Saint-
Istevan, prieur de l'Escurial, fut nommé à
l'évêché de Mondonendo par le roi d'Espagne
Philippe V. Les religieux de Saint-Jérôme
étaient gouverneurs de l'île de Saint-Do-
mingue, lorsque Corlez fit la conquête du
Mexique (Hist. du Mexique, liv. ni, ch. 1).
Ces religieux, comme nous avons dit,
étaient autrefois habillés de blanc avec un
scapulaireet une chape de couleur tannée. Ils
ont conservé la robe blanche, mais ils ont
pris un scapulaire noir fort étroit avec un
capuce,dont la mozelteest ronde par-devant
et en pointe par derrière. Lorsqu'ils sortent
ils mettent une chape aussi noire, traînant
jusqu'à terre et lort plissée, et leur robe est
Les religieux jéronymites, tanlenEspagne ceinte d'une ceinture de cuirai). Quant à
qu'en Portugal, ont toujours été en si grande
estime, que l'on s'est servi d'eux pour la ré-
forme de plusieurs congrégations religieu-
se.-, et de plusieurs ordres militaires. Le P.
Loup d'Olmédo, fondateur des Moines de
Saint-Jérôme, dont nous parlerons dans la
suite, et qui a été troisième général des Er-
mites de Saint-Jérôme en Espagne, dressa les
premiers règlements de la congrégation des
chanoines séculiers de Saint-Jean l'Evangé-
liste en Portugal; c'est pourquoi le pape
Pie II, l'an l'iGl, leur communiqua les privi-
lèges dont jouissaient les religieux de Saint-
Jérôme dans le xvi* siècle. Le P. Hector
Pinto,qui était aussi religieux de Saint-Jé-
rôme, fut lait visiteur de celte congrégation,
et y apporta quelque réforme. Sous le règne
des rois catholiques Ferdinand, et Isabelle
en Espagne, les chevaliers et les chanoines
de Saint-Jacques de l'Epée furent réformés
par le P. Jean de Soria. Jean H , roi de
Portugal, et les députés apostoliques pour la
réforme des chanoines réguliers en ce royau-
me, se servirent pour cela du P. Alphonse
de Léon, qui était pour lors frère convers
dans l'ordre de Saint-Jérôme, mais qui dans
le monde était docteur, et avait rempli plu-
sieurs emplois distingués. Sousle roiJean lli,
en Portugal, les chevaliers de l'ordre de
Christ reçurent pour réformateur au monas-
tère de Tomar le P. Antoine Monniz, pro-
vincial des Jéronymitesde Portugal. Sous le
même roi, Biaise de Barros réforma les cha-
noines réguliers de la congrégation de Co-
nimbre, et s'acquitta si bien de cet emploi, que
ce prince lui fit encore donner la commission
pour réformer les Trinitaires. Sous Philippe
(1) Manness. Malet. Descript. de l'univers, lom.IV,
pag. 324.
leurs observances, ils se lèvent a minuitpour
dire matines, et ont tous les jours une heure
d'oraison, demi-heure avant vêpres et autant
après les compiles. Outre les jeûnes ordon-
nés par l'Eglise, ils jeûnent pendant Pavent
entier, le lundi et le mardi d'après la Quin-
quagésime, tous les vendredis de l'année, et
même le jour de Noël , s'il arrive à pareil
jour; les trois joursdes Rogations, avec cette
différence que le lundi ils peuvent manger
des œufs, du lait, du fromage, et le mardi ils
doivent s'en abstenir. Ils jeûnent aussi les
veilles des fêtes de la Nativité et de la Puri-
fication de la sainte Vierge et de saint Jé-
rôme. Le vendredi saint ils jeûnent au pain
et à l'eau, et ils ne mangent jamaisde viande
le mercredi, même hors le monastère. Tous
les (rois ans ils tiennent leur chapitre géné-
ral le troisième dimanche d'après Pâques.
Tous les prieurs s'y trouvent avec un député
de chaque maison, et le général et les autres
supérieurs demandent d'être absous de leurs
olfices. Ils ont des donnés et desdonnées, dont
l'habit consiste en une robe blanche, avec
un manteau tanné sans scapulaire.
Voyz Joseph de Siguença et Francisco de
los Sanios, Hist. de la orden de S. Geronimo.
Hermenegildo de S. Pablo, Origen y Conti-
nuation de cl Instilulo y relig. Gerunimiana.
Conslituliones y extravagantes de la orden
del glorioso Padr. S. Geronymu. Silvest.
Maurol. Mar. Océan, di tutt.gl. relig., lib. ni.
Piet. Crescenz. Presid Roman o. lib. i. Ascag.
Tambur., de Jur. Abbat. tom. Il, Disp. 2Ï,
guœst. k, num. 39. Hermant, Hist. des ordres
religieux; et le P. Bonanui , Catalog. Ord.
religios. pari. î.
(2) Voy., à la fin du vol., n03 144 et 145.
Sfco
ji;r
JER
580
§ III. Des Religieuses de l'ordre de Suint-
Jérôme, avec la vie de Marie Gardas, leur
fondatrice.
Les religieuses de l'ordre de Saint-Jérôme
étant soumises aux religieux Ermites de
Saint-Jérôme en Espagne , où elles ont pris
naissance, et n'élant point sorties de ce
royaume, nous parlerons d'elles dans ce pa-
ragraphe avant que de passer en Italie, où il
y a eu Irois différents ordres qui ont porté
le nom de Saini -Jérôme, el dont il en reste
encore deux. Ces religieuses reconnaissent
pour leur fondatrice une sainte fille nommée
Marie Garcias, qui eut pour père dom Dida-
cc Garcias de Tolède, et pour mère Constance
de Tolède. N'étant encore qu'enfant, elle fai-
sait déjà paraître tant d'amour pour Dieu,
que ses parents d'un commun consentement
la lui offrirent, en faisant vœu de la consa-
crer à son service. Ils eurent un si grand
soin de l'entretenir dans cette dévotion, qui
lui était comme naturelle, qu'ayant atteint
l'âge de raison, et sachant le vœu que ses
parents avaient fait, et qui aurait été nul
sans son consentement, elle le renouvela et
prit la résolution de demeurer toujours vier-
ge, et de n'avoir jamais d'autre époux que
Jésus-Christ. Elle n'avait que du mépris pour
le monde. Les honneurs, les richesses, les
pompes, les vanités, les divertissements et
tout ce que les personnes de son sexe recher-
chent avec tant d'empressement, n'étaient
pour elle que de vains objets qui lui faisaient
au contraire désirer avec plus d'empresse-
ment la retraite el la solitude. Et, pour évi-
ter ces objets fatals qui causent la perte de
tant de filles mondaines, elle se retira dans
un monastère appelé Saint-Paul de las Duen-
nas, où sa sœur était prieure, et où il y avait
beaucoup de religieuses d'une éminente ver-
tu. Sa sœur crut qu'elle n'y venait que pour
en augmenter le nombre ; mais Dieu, qui
avait d'autres desseins sur cette sainte fille,
ne permit pas qu'elle prît l'habit dans ce
monastère, elle y apprit seulement toutes les
observances régulières qu'elle fit pratiquer
dans la suite à d'autres saintes vierges, et
elle les pratiqua dans ce monastère avec tant
d'exactitude et tant d'édification, que sa ré-
putation ne se répandit pas seulement dans
la ville de Tolède, mais qu'elle pénétra en-
core dans le monastère de Sainte-Claire de
Tonlesillas, d'où les religieuses lui écrivirent
pour la prier de vouloir embrasser leur règle,
et les venir gouverner en qualité de supé-
rieure. Mais c'était assez de lui proposer la
supériorité pour qu'elle ne consentît pas au
désir de ces religieuses.
Après avoir demeuré quelques, années à
Saint-Paul de las Duennas , elle retourna,
dans la maison de ses parents, où à peine
fut-elle arrivée, qu'une sainie veuve nom-
mée MayorGomez se joignit à elle pour pra-
tiquer ensemble plusieurs œuvres de piété.
Pour montrer le mépris qu'elles faisaient du
monde, elles sortaient tous les jours ayant
chacune une besace sur l'épaule, pour aller
de porte en porte par la ville demander l'au-
DlCTIONNAIRE DES ORDRES HELIGIEUX.
mône pour les pauvres prisonniers et les
pauvres honteux ; et lorsque leurs besaces
étaient pleines de pain, elles allaient le dis-
tribuer aux pauvres prisonniers et à ceux
qu'elles savaient être dans la nécessité. Cette
manière de vivre déplut fort à ses parents, ce
qui lui attira quelques reproches. Mais cela
ne l'empêcha pas de continuer: elle allait
même les dimanches et les fêtes dans l'église
cathédrale, et y demeurait pendant tout le
jour, en demandant l'aumône pourlesmêmes
pauvres, el comme ses parents virent que
leurs remontrances étaient inutiles, touchés
de l'esprit de Dieu, ils laissèrent leur fille
dans la liberté de continuer cette œuvre cha-
ritable, et ils tirèrent dans la suite une gloire
de ce qu'ils avaient d'abord regardé comme
un affront.
Dans le même temps, le roi dom Pierre vint
à Tolède, et comme ce prince n'était pas
moins impudique que cruel, Marie Garcias ',
qui était aussi belle qu'elle était vertueuse
et chaste, voulant éviter les amours déshon-
nêtes du roi, qui avait jeté les yeux sur elle
pour contenter ses désirs, se retira secrète-
ment avec sa compagne à Talavera dans un
bien qui appartenait à ses parents. Elles y
demeurèrent quelques jours, mais elles n'y
furent pas si bien cachées que le roi n'en eût
avis, lly envoya desgens pour les enlever,el
elles évitèrent ses poursuites, étant sorties de
Talavera par un chemin détourné qui les con-
duisit dans l'ermitage de la Sysla, où elles de-
meurèrent encore cachées jusqu'à ce que le
roi eût quitté la ville de Tolède; et ainsi elles
s'échappèrent de ses mains. Elles trouvèrent
cette solitude si agréable, qu'elles y firent un
plus long séjour; elles lâchèrent d'imiter dans
ce lieu les anciens solitaires de l'Egypte, et
elles y reslèrent jusqu'à la mort du roi dom
Pierre, qai rassura une infinité d'âmes chas-
tes qui fuyaient ses impudicités.
Ces deux saintes compagnes ayant su que
pendant leur absence il s'était formé à Tolède
une congrégation de filles pieuses qui étaient
en grande réputation, et qui étaient gouver-
nées par une supérieure qui menait une très-
sainte vie, elles prirent la résolution d'eu-
Irer dans celte communauté, elles y furent
reçues, et y vécurent quelque temps dans
les exercices de l'humilité el de l'obéissance;
mais la supérieure, qui était l'unique appui
et le soutien de cette communauté naissante,
et les père et mère de Marie Garcias élant
morts en même temps, cette sainte fille, qui
avait hérité des biens considérables, acheta
une grande maison dans Tolède, où elle alla
demeurer avec sa compagne Mayor Gomez
et quelques autres filles de cette première
communauté, qui avail été dissipée par la
morl de la supérieure, et elles prirent la réso-
lution de n'en point sortir de leur vie. Une
dame de la même ville, qui depuis quelques
jours avait aussi assemblé dans sa maison
sept ou huit personnes de son sexe, avec
lesquelles elle vivait dans une grande ré-
colleclion, ayant appris le nouvel établisse-
ment de Marie Garcias, entra dans sa com-
munauté avec ses compagnes : ainsi celle
II. 19
587 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
communauté devint d'abord assez considéra-
ble, et elles pratiquèrent les observances ré-
gulières. Pour élre entièrement distinguées
des séculières, elles prirent un habit reli-
gieux tel que le portaient les religieux de
Saint-Jérôme, savoir : une robe blanche et un
seapalaire de couleur tannée (1), après quoi
elles élurent d'un commun consentement
pour supérieure Marie Garcias qui n'accepta
celte charge qu'avec beaucoup de dil'li-
tiilté. Tel fut le commencemenldu célèbre
monastère de Saint-Paul de Tolède, qui est
le premier des religieuses jéronymites, et où
elles ont pris naissance.
Pierre-Ferdinand Pécha ou deGuadalajara
élant venu presque dans le môme temps pour
fonder le second monastère de son ordre à
Nol
588
pompe dans leur église proche le grand au-
tel. Us lui firent élever un tombeau de mar-
bre, où ell ■ était représentée en relief avec
ses habits de religieuse.
Quoique les religieuses de ce monastère
eussent été d'abord sous la juridiction de
Ferdinand de Guadalajara, auquel elles s'é-
taient soumises, il y a de l'apparence qu'elles
n'obéirent pas aux autres prieurs de la
Sysla , puisque ce ne fut que l'an 1510
qu'elles furent incorporées à l'ordre de
Saint-Jérôme dans le chapitre général où
le P. Michel d'Ocanna fut élu général, et
qu'elles demandèrent à quitter le nom de
béates pour prendre celui de religieuses, en
embrassant la clôture et faisant les vœux
solennels. On reçut aus-.i dans le même cha-
pitre un autre monastère de ûlles du même
iotre-Dame de la Sysla, où Marie Gardas et pitre
.a compagne, MayorGomez, avaientdemeuré ordre qui avait été fondé à Madrid sous le
quelque "temps, elles se soumirent à lui nom de la Conception jéronyme par Beatrix
comme à leur supérieur, et elles ne faisaient Galindo, en 1501. Le second monastère de
ces religieuses avait été fondé dès l'an 1173
par une certaine femme de la ville de Sé-
ville nommée Anne de Santilla, veuve de
rien que par ses avis et ses conseils, et dès
lors elles tâchèrent d'imiter les religieux de
Notre-Dame de la Syslà dans toutes leurs ob-
servances. Files ne furent néanmoins vérita-
blement religieuses et ne firent des vœux
solennels que longtemps après. Fn effet, ce
monasièic a été appelé pendant un temps
considérable Saint-Paul des Béates de Marie
Garcias, S. Pablo de las Beatas de Maria
Garcia , le nom de béate signifiant une fem-
me ou fille dévote qui porte un habit de re-
ligieuse.
Cette communauté s'augmenta de jour en
jour et devint considérable, plusieurs per-
sonnes y étant entrées, attirées par la sain-
teté de vie de la fondatrice, qui était la pre-
mière dans toutes les occasions qui se pré-
sentaient pour pratiquer quelque vertu , et
surtout celle de l'humilité. Elles récitèrent le
grand office par ordre de Ferdinand de Gua-
dalajara, prieur de la Sysla. Files se levaient
Pierre de Ortiz, l'un des consuls de cette
ville, et avait été dédié à sainte Paule. Le
pape Sixte IV, qui en avait permis la fonda-
tion, avait mis les religieuses sou9 la juri-
diction des religieux de Saint-Jérôme , et
leur avait donné les constitutions d'un mo-
nastère de Sainte-Marthe à Cordoue ; mais le
pape Léon X les en dispensa en 1514., et
leur ordonna de prendre celles de l'ordre de
Saint-Jérôme. L'an 1521, il y eut encore
une autre fondation de religieuses de cet
ordre à Grenade sous le nom de Sainle-
Paule. On fit sortir des religieuses de Madrid
pour faire ce nouvel établissement; il s'en
est encore lait quelques autres dans la suite ;
et il y a plusieurs religieuses de cet ordre
qui sont mortes en odeur de sainteté. Anne
de Zuuiga, religieuse du monastère de To-
à minuit pour dire matines, après lesquelles lède, a donné les vies de soixante-quatorze
Marie de Garcias ne retournait point à sa
chambre, employant le reste de la nuit en
oraison, coutume qu'elle a même pratiquée
dans de grandes iuûrmités où l'avaient ré-
duite sur la fin de ses jours ses grandes aus-
térités et ses mortifications ; et lorsqu'elle
prenait un peu de repos, ce n'était que sur la
terre nue. File ue laissa pas malgré ses aus-
térités de parvenir à un âge fort avancé ; et,
voyant sa fin approcher, elle fit un excellent
discours à ses sœurs pour les exhorter à la
persévérance. Elle prédit à plusieurs ce qui
devait leur arriver, et, après avoir reçu les
s,acremep,ls de l'Eglise, elle rendit son âme
à Dieu le 10 février 1420. Elle avait ordonné
que son corps fût porté au monastère de
Noire-Dame de la Sysla, parce qu'elles n'a-
vaient pas encore d'église ; ses parents vou-
laient néanmoins qu'elle lût enterrée dans
la grande église; mais les religieuses, voulant pauvres Brèrts pour l'amour de Jésus-Christ,
exécuter les dernières volontés de leur Mère, ensuite, Les poutres Ermites de Saint Jé-
donnèrent son corps aux religieux de Saint- rôm<;e\.ce n'a été qu'après il mort du bien-
Jérôme, qui le reçurent avec beaucoup de heureux Pierre de Fisc, leur fondateur, que
respect, et l'euterrèrent avec beaucoup de l'on a donné son nom aux religieux de sa
(1) Voy., à la fin du vol., n" li6.
religieuses de ce même monastère, où le
corps delà bienheureuse Marie d'Ajofin est
eu grande vénération. Les religieuses de
Saint-Jérôme ont , comme les religieux ,
quitté le scapulaire et la chape de couleur
tannée pour en prendre de noirs.
Voyez Joseph Siguença et Francisco de
los Santos, llistor. de VOrden de S. Gero-
nimo ; et Fier. Crescenz., Presid. Rom.
SECTION DEUXIÈME.
DIVERSES CONGRÉGATIONS DES ERMITES
DE L'ORDRE DE SAINT-JEROME.
§ I«. Des Ermites de Saint-Jérôme de la con-
grégation du bienheureux Pierre de Pise,
avec la vie de ce saint fondateur.
Les religieux dont nous allons parler ont
été appelés dans le commencement , Les
580
JER
JER
590
congrégation, pour les distinguer dos autres,
nïii prennent aussi le uired'Hrmiies de Sainl-
Jérôme. Ce saint fondateur naquit à l'ise le
!ti février de l'an l'iJ'i, dans le temps que
son père , i ierre Gambacorti, avait la sou-
veraine autorité à Pie et à Lucques ; et sa
mère se nommait Niève Gualandi. A peine,
eut— il en naissant lait connaître par ses lar-
mes que nous ne sommes ici-bas que dans
une yajlée de misères , qu'il expérimenta
aussi presque en même temps que nous n'y
a\ us aucune ville permanente ; car ses pa-
renls, ayant été obligés de eé 1er à la for-
lune qui leur était contraire, se retirèrent
de Pi>e, y ayant élé contraints par la vio-
lence de leurs ennemis , et emmenèrent
avec eux le petit Pierre, qui n'avait encore
que trois mois, Di u l'accouiumant de bonne
h me à la croix et aux souffrances.
il fut élevé dans tous les exercices de la
noblesse. Il s'en acquittait à la satisfaction
de ses parents; maison même temps il pra-
tiquait ceux qui conviennent à un véritable
chrétien, et ne résista po nt aux mouv< ments
intérieurs que lui dict.;it le Saint-Esprit, et
gai lui faisaient concevoir du dégoût et du
mépris pour les vanités de la Ierre. Comme
un navire prêt à mettre à la voile, il n'atten-
dait qu'un vent favorable pour sortir du tu-
multe et de l'embarras du monde, et pour
abandonner sa patrie et ses parents. Dieu
ne l'appela point à la suli:ude dès l'enfance,
comme saint Jean-Baptiste, ni au commen-
cement de l'adolescence, comme saint Paul,
le père des solitaires ; mais il attendit qu'il
fût dans un âge mûr et avancé. Ce fut la
mort de sn mère qui le détermina à dire un
dernier adieu au monde : à l'âge de vingt-
cinq ans, il renonça aux grandes espérâmes
qu'il pouvait avoir pour suiv re Jésus-Christ :
et, dans le temps que son père avait plus de
pouvoir dans Pise, où il était retourné pour
reprendre le gouvernement de la république,
il le quiita et se revêtit d'un habit pauvre et
méprisable pour aller chercher quelque soli-
tude où il pût, inconnu aux. hommes, me-
ner une vie austère et pénitente.
C'est ainsi qu'un religieux de la congréga-
tion du bienheureux Pierre de Pise déci il les
premières années de la vie de ce saint fonda-
teur, dans l'histoire qu'il en a donnée en
1695 ; mais le P. Papebroch ne prétend pas
qu'il se donna sitôt à la piété, il dit au con-
traire que, l'an 1377, avec le secours de son
frère aine André Gambacorti, il enleva par
force sa sœur, la bienheureuse Claire, d'un
monastère où elle s'était retirée pour y ser-
vir Dieu ; et qu'après l'avoir retenue dans
une espèce de prison pendant cinq mois, ce
fut peut-être la persévérance de cette sainte
fille qui le loucha vivement et lui fit conce-
voir le dessein de se donner aussi à Dieu.
Quoi qu'il en soit, ce fut vers l'an 1375 ou
1377 que, s'etant revêtu d'un habit de péni-
tent, et ayant abandonné sa patrie. Dieu la
conduisit dans l'Oi.bcie, où il trouva sur
les confins de Cessana une montagne nom-
mée Montébello, belle à la vérité, tant pour
ïou agréable situation, qui fait découvrir une
grande étendue de pays et toute la mer Adria-
tique, que pour un vallon qu'on y trouve
environné d'une multitude de chênes cl de
sapins qui forment un- charmante solitude.
Ce lut ce lieu que notre bienheureut choisit
pour sa demeure. Il était obligé .le descen-
dre tous les jours de celle montagne pour
aller dans les villages cireonvoisins deman-
der l'aumône pour si subsistance : non-seu-
lement on lui donnait du pain, mais encore
de l'argent, de sorte qu'il amassa une somme
assi'z considérable pour bâtir dans sa soli-
tude une église qui fut achevée l'an 1380 et
dediee en l'honneur de la Sainte-Trinité ; et,
joignant cette ég!ise, il (it faire des bâtiments
pour contenir plusieurs ermites, prévoyant
bien qu'il devaii être fondateur d'une nou-
vel e congrégation. En effet, peu de temps
après il eut douze compagnons, que l'ou
prétend avoir été aulantde voleurs qui étaient
venus dans sa solitude dans le dessein de lui
prendre tout ce qu'il avait et pour le mal-
traiter; mais il sut les gagner à Jésus-Christ
par ses discours et par ses remontrances , et
ils suivirent si bien l'exemple de leur maître,
et profilèrent de ses instructions avec tant de
fruii. que quelques-uns ont eu le do i des mi-
racles, et ont élé honores comme bienheu-
reux après leur mort, tels que les bienheu-
reux Pierre Gualcerano el Barthélémy Xla-
ierba de Césène , qui étaient de ce nombre.
Notre saint fondateur, qui avait un grand
mépris de lui-même, et qui, pour éviter tout
ce qui pouvait lui donne r quelque vaine u loi re
et le faire ressouvenir de la grand ur de sa
famille, avait voulu être appe'é seulement
Pierre de Pise, et non pas Gambacorti, ne
voulut pas aussi que sa congrégation portât
son nom ; mais il donna à s-s ermites celui
de saint Jérôme, qu'il prit pour patron et
pro'ecteur, parce que ce saint, ayant visité
tous les saints ermiles et anachorètes île la
Syrie, de l'Egypte et de la Thebaïde, avait
pratiqué l'austérité des uns, le silence des
autres, avait appris de ceux-ci à être doux
et humble, de ceùx-lààétre patient el chaste;
et, comme Pierre tendait au plus haut degré
de la perfection, il le choisit pour son maître
et son guide ; el surtout il imita tellement son
humilité e! sa pauvreté, que, se confiant en
la seule Providence, il ne possédait rien et
ne souhaitait rien, et mérita parce moyeu
que souvent, lorsque les charités des fidèles
manquaient, des anges lui apporiassout ce
qui était nécessaire pour faire vivre sa com-
munauté, qui devint dans la suite fort nom-
breuse. 11 fuyail pareillement les honneurs,
et en avait un si grand mépris, que ce fut ce
qui lui fil choisir saint Jérôme pour patron,
dont il voulut que ses ermites portassent le
nom, afin qu'ils ne prissent pas le sien; mais
ce qu'il a \oulu empêcher pendant sa vie est
arrivé après sa mort, puisque sa congréga-
tion n'est connue que sous le nom du B.
Pierre de P se.
Après avoir ainsi donné commencement à
sa congrégation, le démon lui livra ur. furieux
combat, lî avait déjà été vaincu car ce saint
homme, lorsqu'il lui avait représenté les
591
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
!M
honneurs, les biens et les rtenesses qu'il
avait quittés , et lorsqu'il l'avait solli-
cité d'abandonner sa solitude pour les re-
prendre. Il fit un nouvel effort en sollicitant
derechef notre saint ermite d'aller venger la
mort de son père et de deux de ses frères,
qui furent assassinés le 21 octobre 1393 par
Jacques Appiani, secrétaire de son père;
mais il fut inébranlable contre cette nouvelle
secousse, il se contenta de prier Dieu et d'a-
dorer les ordres de sa providence, et, pour
braver le démon, il affligea son corps par de
rudes pénitences et de grandes austérités. Il
mil en usage les haires, lescilices, les dis-
ciplines, il redoubla ses jeûnes et ses veilles,
et, lorsqu'il était accablé de sommeil, il se
jetait sur un peu de paille, le plus souvent
sur la terre nue. Outre quatre carêmes qu'il
observait dans l'année, savoir depuis le jour
des Cendres jusqu'à Pâques, depuis le lundi
des Rogations jusqu'à la fêle de la Pentecôte,
depuis le premier jour d'août jusqu'à l'As-
somption de la sainte Vierge, et depuis le
premier novembre jusqu'à Noël, il jeûnait
tous les lundis, mercredis et vendredis de
l'année, et il observa toujours cette pratique
jusqu'à la mort. C'était aussi une partie des
observances qu'il ordonna à ses enniles,
auxquels il prescrivit encore de prendre la
discipline tous les jours pendant le carême,
et pendant le reste de l'année seulement les
lundis, mercredis et vendredis, afin, disait-
il, d'imiter Jésus-Chrisl, qui avait élé fia
gellé pour leurs péchés. Il défendit par les
constitutions de recevoir ceux qui se présen-
teraient pour prendre l'habit, s'ils avaient
moins de dix-huit ans et plus de cinquante,
de peur qu'ils ne fussent pas en état de sup-
porter les austérités et les rigueurs de la pé-
nitence qui sont prescrites par ces constitu-
tions. Ils se levaient à minuit pour réciter
matines, après lesquelles ils restaient deux
heures au chœur pour faire oraison l'été, et.
l'hiver ils y employaient trois heures. Ils
faisaient encore une heure d'oraison pen-
dant l'été, et deux heures pendant l'hiver
après compiles. C'était la règle générale pour
tous ses ermites; mais l'on pouvait dire que
le bienheureux fondateur était continuelle-
ment en oraison, car il y employait très-
souvent le temps qui restait depuis les deux
ou trois heures d'oraison commune d'après
matines jusqu'au jour, et une bonne partie
de la journée. Leur nourriture ordinaire
était un peu de pain avec des fruits ou des
herbes cuites en petite quantité, à la volonté
du supérieur. Ils devaient reconnaître tous
les jours leurs fautes dans le réfectoire
avant que de se mettre à table, et accomplir
fidèlement les pénitences qui leur étaient en-
jointes. Si au milieu du repas quelqu'un
commettait quelque faute, il devait se lever
pour s'en accuser, et devait demeurer tou-
jours debout jusqu'à ce qu'on lui eût fait si-
gne de s'asseoir. Quant à la pauvreté, elle
était exactement observée : loul était en
commun, et le supérieur avait soin de distri-
buer à un chacun ce dont il avait besoin (1).
(1) Voy., à la fin du vol., n° Ul.
Une vie si austère leur attira l'estime des
personnes vertueuses ; mais les libertins
s'en scandalisèrent. Ils répandirent de faux
bruits contre la réputation de ces saints Er-
mites , et publièrent que ce qu'ils faisaient
n'était que pour abuser de la simplicité du
peuple; que c'étaient des loups couverts de
peaux d'agneaux; qu'ils faisaient à l'exté-
rieur profession d'être austères cl de mé-
priser les honneurs et les richesses , mais
que ce n'étaient que des ruses et des stratagè-
mes dont ils se servaient pour s'attirer de
l'estime et de la gloire. Ces libertins, croyant
que de si grandes austérités étaient au-des-
sus des forces humaines, accusèrentaussi ces
saints Ermites de sortilège, attribuant à l'art
magique celte grâce surnaturelle de Dieu
qui les soutenait et leur donnait la force et
le courage pour supporter ce genre de vie ,
qu'ils avaient embrassé pour sa gloire. Sur
ces faux rapports , les inquisiteurs firent
des informations. Les Ermites furent con-
traints de sortir de temps en temps de leur
solitude : c'est pourquoi le bienheureux
Pierre de Pise , pour faire cesser celle per-
sécution, eut recours au pape Martin V, qui,
persuadé de la sainteté de ce fondateur et
de la vie exemplaire de ses disciples , leur
accorda une bulle le 21 juin 1421 qui les
exemptait de la juridiction des inquisiteurs,
déclarant nulles les sentences d'excommuni-
cation qui pouvaient avoir été données , et
toutes les procédures qui pouvaient avoir été
faites contre eux. De cette manière la persé-
cution cessa, ce saint et ses disciples furent
en plus grande estime, et on leur offrit des
établissements en plusieurs endroits.
Ils avaient déjà des couvents à Venise , à
Pesaro,à Talachio, Fano, Trévise, Crispano
et l'adoue; mais l'an 1422 ils furent reçus à
UrLin, et firent un nouvel établissement à
Venise. Comme le lieu qu'ils avaient déjà
dans cette ville était trop petit pour conte-
nir le grand nombre d'Ermites qui y demeu-
raient , Luce Contarini , femme du noble
Henri Delphiuo, accorda au bienheureux
Pierre de Pise el à ses compagnons l'hôpital
de Saint-Job, qu'elle avait fait bâtir, ce qui
se fil du consentement d'Henri DelpLiino, qui
se rendit lui-même disciple du bienheureux
Pierre de Pise, à qui cet établissement servit
de nouveau motif pour exercer sa charilé ,
servant les malades et leur donnant lous les
secours spirituels et corporels donl ils
avaient besoin. On lui donna en 142V l'église
de Sainl-Marc de Barocio. L'an 1425 , il alla
à Rome, où il fit amitié avec le bienheureux
Nicolas de Fourque-Palène , qui était chef
d'une congrégation d'Ermites qui fut unie à
la sienne, comme nous dirons dans la suile ,
aussi bien que celle du frère Ange de Corse,
qui donna à notre saint fondateur quatre ou
cinq couvents qu'il avait. Enfin ce saint fon-
dateur , ayant été appelé à Venise pour les
affaires de sa congrégation , y mourut âgé
de quatre-vingts ans , le 1" juin de l'an
1433.
Le P. Pierre Bonnacioli, général de cet
595
JER
JEU
894
ordre , dans un petit livre intitulé Pisana
Eretnus , etc., imprimé à Venise en 1692 , et
qui roniient les vies en abrégé des princi-
paux saints de celte congrégation , parlant
du bienheureux Pierre de Pise , dit qu'il fut
enterré dans le même hôpital de Saint-Job ,
qui fut depuis cédé à des religieuses de l'or-
dre de Saint-Augustin. Cela semble contraire
à ce que dit le P. Papebroch , que le bien-
heureux Pierre de Pise , étant retourné de
Rome à Venise, abandonna ce lieu, les amé-
liorations qu'il y avait faites ayant été esti-
mées afin que le prix lui lût rendu pour
l'employer aux bâtiments qu'il faisait faire
au premier couvent qu'il avait eu à Venise
dans la paroisse de Saint-Raphaël , lequel
couvent s'appelle aujourd'hui Saint-Sébas-
tien. Peut-être aussi que, quoique les Er-
mites de Saint-Jérôme aient eu des raisons
pour abandonner cet hôpital , notre saint
fondateur ne laissait pas d'y aller pour y
continuer ses services charitables envers les
malades, et qu'étant tombé lui-même mala-
de , il voulut y mourir et y être enterré ,
parce que les religieux de cette congrégation
n'avaient pas encore d'église ouverte à Ve-
nise en 1435 , s'il est vrai, comme le dit l'a-
nonyme qui a écrit la vie de ce bienheureux
en 1695 , que ce fut le pape Calixle III qui
leur accorda la permission d'en avoir une
publique, sur l'appel qu'ils avaient interjeté
à ce pontife d'une sentence rendue par saint
Laurent Justinien, pour lors patriarche de
Venise , qui leur défendait d'en avoir. Cet
auteur s'est néanmoins trompé en citant
cette sentence de saint Laurent Justinien de
l'an 14-14, puisqu'il ne fut évêque de Venise
que l'an 1433, et premier patriarche de la
même ville que l'an 1451; mais il se peut
faire que ce fut sur la fin de l'année 1454
qu'il donna cette sentence, puisqu'il mourut
le 7 janvier 1455 ; ces religieux ont pu avoir
appelé de sa sentence, non pas à Calixte 111,
mais au pape Nicolas V, qui vivait au com-
mencement de la même année 1455; et,
comme il mourut aussi au mois de mars, et
qu'au mois d'avril de la même année Ca-
lixte III lui succéda, rien n'empêche de croire
que ce fut ce pape qui leur accorda cette
permission d'avoir une église publique, que
Nicolas V, auquel ils avaient appelé d'abord
de la sentence de saint Laurent Justinien ,
n'avait pu leur accorder, ayant été prévenu
par la mort.
Le P. Papebroch dit qu'il peut avoir été
enterré dans le monastère de ces religieuses,
l'ayant ainsi désiré , ou peut-être par ordre
du sénat, et qu'il y en a aussi qui préten-
dent qu'il est enterré dans l'église de Saint-
Marc ; mais qu'il croit qu'on y fit plutôt la
cérémonie de ses obsèques. Ce qui est cer-
tain, c'est que les religieux de son ordre
n'ont pu jusqu'à présent découvrir l'endroit
où il a été enterré , soit à S linl-Marc , soit
dans ce monastère des religieuses de l'ordre
de Saint-Augustin, qui demeurent dans cet
ancien hôpital de Saint-Job , et, quelques di-
ligences que le cardinal Delei , qui était
uonce du pape auprès de la républ que de
Venise en 1550, y apportât pour le décou-
vrir, elles lurent inutiles. Comme plusieurs
papes, principalement Pie V et Clément VIII,
ont donné à eu fondateur le litre de bienheu-
reux, les religieux de son ordre poursuivirent
auprès du pape Alexandre VIII la permis-
sion d'en faire l'office ou d'en célébrer la
messe dans tout l'ordre. Le pape souscrivit
la commission pour sa béatification et sa ca-
nonisation, et nomma pour ponent le cardi-
nal Casanalc, protecteur de cet ordre; mais,
comme les affaires vont fort lentement en
cour de Rome, ils n'ont pu encore obtenir co
qu'ils souhaitaient.
Après la mort du bienheureux Pierre de
Pise.jle bienheureux Barthélémy Malerba de
Césène fut le premier général qui prit le gou-
vernement de sa congrégation, comme il pa-
rait par une bulle d'Eugène IV du 22 février
1437. Il avait été du nombre des douze pre-
miers disciples de ce saint fondateur , et ,
pendant près de quinze ans qu'il fut général,
il fit plusieurs établissements, dont les prin-
cipaux furent ceux de Vicence et de Man-
lone. De son temps , la congrégation des Er-
mites du bienheureux Nicolas de Fourque-
Palène fut unie à celle du bienheureux Pierre
de Pise , et , outre les privilèges qu'il obtint
du pape Eugène IV pour cet ordre, ils eurent
permission de pouvoir prendre les ordres
sacrés, et de tenir tous les ans le chapitre
général. Nicolas V ordonna l'an 1453 qu'il
se tiendrait à l'avenir tous les trois ans , et
leur permit d'y élire un général, des provin-
ciaux et quatre définiteurs. L'an 1476 ,
Sixte IV confirma ce qui avait été ordonné
par Eugène IV et Nicolas V touchant la te-
nue des chapitres généraux; mais , comme
par les constitutions de l'ordre on élit pre-
mièrement un vicaire général , entre les
mains duquel le général elles prieurs se dé-
mettent de leurs offices, et qu'ensuite tout le
chapitre élit quatre Pères qui doivent faire
seuls tous les prieurs , et que ces prieurs
nouvellement élus par ces quatre députés du
chapitre doivent élire ensuite le général ,
Sixte IV approuva cette manière d'élection ,
ordonnant seulement que le chapitre élirait
six députés pour élire les prieurs; mais ce
nombre n'a pas toujours é^éfi^e, car par un
autre bref d'Alexandre VI du 14 avril 1496 ,
il est permis au chapitre d'en élire six ,
quatre ou cinq , comme il le jugera à pro-
pos.
L'an 1444, soifs le généralat du même Bar-
thélémy de Césène, on y dressa les premières
constitutions de l'ordre, qui furent impri-
mées à Venise en latin et en italien l'an l'i88,
et on commença déjà à y retrancher quel-
que chose des grandes austérités que le bien-
heureux Pierre de Pise avait prescrites. El-
les furent corrigées et mises en meilleure
forme, l'an 1540, par le P. Bernard de Vé-
rone, qui était pour lors général, et reçues
dans le chapitre général qui se tint à Bimini
l'an 1549, après que tous ceux qui formaient
cette congrégation eurent protesté qu'ils ne
prétendaient pas qu'elles les obligeassent à
aucun péché mortel, ui qu'on les nût cou«
69S DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX
traindre à faire des vœux solennels. Dans le
chapitre général de l'an 1629, on approuva
de nouvelles conslilulions qui furent reçues
dans celui de l'an 1638 et derechef publiées
diins le chapitre général de l'an 1041 -, elles
lui eut imprimées en latin à Pesaro, et on fit
encore quelques déclarations et quelques
éclaircissements sur ces constituions dans
le chapitre de l'an 1644 : ce sont ces derniè-
res conslilu ions qui sonl présentement ob-
servées dae.s cet ordre, où entre autres cho-
ses on a retranché l'abstinente perpétuelle.
Ces religieux ne faisaient que des vœux
simples et pouvaient disposer de leurs biens,
jusqu'en l'an 1508, que le pape Pie V.par un
bref du 15 novembre de la même année, leur
ordonna de faire des voux solennels. En
vertu de ce bref, le cardinal Louis Cornelr,
qui était protecteur de cet ordre t se trans-
porta au couvent de Sainl-Onuphre à Rome,
qui appartient à cet ordre, et j reçut la pro-
fession des religieux qui y étaient, ce qui se
fit aussi dans les autres couvents, laquelle
profession ils firent selon la règle de saint
Augustin, que le pape leur donna aussi. Le
même l'ie V confirma leur congrégation, et
leur accorda l'an 1507 tous les privilèges des
ordres mendiants. Il confirma derechef leurs
privilèges l'an 15~1 et leur accorda indul-
gence plénière en forme de jubilé le qua-
trième dimanche de carême, laquelle indul-
gente le pape Grégoire XIII étendit l'an
1583 pour toutes les personnes qui visite-
raient leurs églises ce jour-là, ayant aussi
Confirmé par un autre bref de l'an 1581 tous
les privilèges qui leur avaient été accordés
par ses prédécesseurs. Mais Paul V leur 6la
celui que leur avait accordé Martin V qui
les exemptait de la jmidiction des inquisi-
teurs, Paul V ayant voulu qu'ils y fussent
soumis. Innocent X ne leur fut pas favora-
ble, caril leur défendit, l'an 1650, de recevoir
des novices et d'admettre à la profession
ceux qui étaient déjà reçus, ce qui dura
jusqu'en l'an 1659, que le pape Alexan-
dre VII, à la prière du cardinal Fagnani, pro-
tecteur de l'ordre, leur permit de recevoir
des novices et de les admettre à la pro-
fession.
Le pape Alexandre VII ayant supprimé,
l'an 1056, l'ordre des chanoines réguliers du
Saint-Esprit à Venise, qui était réduit à n'a-
voir qu'un seul monastère, et celui des Croi-
siés ou Porte-Croix, qui de vingt-cinq mai-
sons n'en avaient plus que quatre, les Ermi-
tes de Saint-Jérôme de la congrégation du
bienheureux Pierre de Pise appréhendèrent
pour leur ordre : c'est pourquoi, afin de faire
connaître que, quoiqu'ils n'eussent que deux
provinces, ils avaient néanmoins plus de
quarante maisons, et que l'observance régu-
lière y était exactement observée, le P. Eu-
sèbe Jordau de Vicence, religieux de cet or-
dre , docteur en l'université de l'adoue et
cousulteur du Saint-Office dans la même
ville, fil une espèce de chronologie de ce
même ordre sous le nom de Spicilége hiato-
51)0
rique, elc. laquelle fui imprimée à Venise en
1050, qui est l'année où finit celte chronolo-
gie. Le P. Papebroch croil que ce fut la rai-
son pour laquelle cet ordre ne fut pas seu-
lement compris dans la liull° de Clément IX
de l'an 1608, qui supprimait les congréga-
tions dos chanoines séculiers de Saint-Geor-
ges Jn Alga à Venise, des Jésuates de Saint-
Jérôme ef des Ermites de Saint-Jêfônic de
Fiesoly ; mais qu'il a été encore augmente
dans la suite, et qu'il a reçu dé nouvelles grâ-
ces et de nouveaux privilèges, comme il pa-
raît par un autre spicilége corrigé et aug-
menté en lo'Ji par le P. Pierre Bonnacioli,
général de cet ordre, que le P. Papebroch
n'a pas voulu joindre à celui du P. Eusèhc
Jordan, qu'il a inséré dans le troisième tome
du mois de juin de la continuation des Actes
des Saints de Bollandus, afin , dit-il , de ne
pas prévenir l'histoire générale de cet ordre,
qu'il espère qu'on donnera un jour au pu-
blic. Il est vrai que l'an 1026 on résolut dans
le chapitre général qui se tint à Hyspida au
territoire de Padoue , de travailler à celte
histoire, et pour cet effet on nomma deux
cuslodes auxquels on donna le soin de l'aire
un recueil de ce qui s'était passé dans l'or-
dre; mais depuis ce temps-là l'histoire n'a
point paru, et ces offices de custodes ont été
supprimés dans la suite comme inutiles. C'est
pourquoi je me suis servi de ce dernier spi-
cilége, qui m'a élé envoyé par les religieux
de cet ordre qui sont à Rome, avec la vie de
leur fondateur imprimée à Venise en 1695,
qui est plus ample que celle que le P. Ber-
nardin Pucei avait donnée et que le P. Pape-
broch a insérée dans la continuation de Bol-
landus au Iir juin.
Cet ordre est divisé en deux provinces,
qui sont celles d'Ancône et de ïrévise, qui
comprennent environ quarante maisons,
sans compter celle du Tyrol et de Bavière,
qui appartenaient à certains Ermites qui se
joignirent en 1095 à ceux du bienheureux
Pierre de Pise, et donl nous parlerons dans
le paragraphe suivant. L'habillement d r* ceux
d'Italie consiste en une robe et un capuc • de
couleur tannée, avec une ceinture de cuir, la
niozetle du capuce étant en pointe par der-
rière et descendant jusqu'à la ceinture; mais
ils ne mettent point le capuce sur la tête,
ayant toujours un bonnet carré dans la mai-
son, et , lorsqu'ils sortent, ils mettent une
chape plissée par le haut et qui a un coilel
assez élevé, el portent un chapeau noir (i).
Leurs armes sont d'azur à six petites mon-
tagnes surmontées d'une croix, le tout d'or
et accompagné de quatre étoiles aussi d'or,
l'écu timbré d'une couronne.
Quant à leurs observances, ils se lèvent à
minuit pour dire matines. Ils font abstinence
les lundis et mercredis à la volonté du supé-
rieur, et outre les jeûnes rie l'Kglise, ils jeû-
nent depuis le premier dimanche de l'avent
jusqu'à Noël. Ils prennent 'la discipline tous
les jours pendant le carême, excepté les sa-
medis el les dimanches ; el en a veut le lundi,
(1) Voy., à la fin du vol., n° 148 et 140.
597
JER
JER
508
mercredi et vendredi, lorsqu'il n'arrive poinl
de fêle double ces jours-là. Depiis Pâques
jusqu'à la fêle de l'Exaltation de la sainte
croix, ils font l'oraison après noue, qui se
dit à midi , cl dans un autre temps ils la font
;iprès complies. Tous les trois ans, le troi-
sième dimanche d'après Pâques, il> tiennent
leur chapitre général où ils élisent leurs su-
périeurs qui peuvent être continués pour
trois autre* années dans un autre chapitre.
Si le générai meurt, le provincial de la pro-
vince où il demeurait gouverne l'ordre jus-
qu'à l'élection d'un nouveau général , qui se
fait pour lors seulement par les prieurs de
Rome , de Pesaro , de Venise et de Padotie
avec l'autre provincial. Le chef de cet ordre
est à Montebcllo. Ils ont une maison consi-
dérable à Naples, et une autre à Rome sous
le nom de Saint-: 'nuphre au Mont-.îanus,
dont l'église fut érigée par Léon X en une
diaconie cardinale, et que Sixte V changea
en titre d^ cardinal prêtre. C'est dans celte
église que le fameux Torquato Tasso est en-
terré, aussi bien que Guillaume Rarclai, gen-
tilhomme anglais auteur de l'Argenis. On
voit dans la même église une épitaphe assez
particulière, et qui f lit allusion à celui qui
est enterré dessous.
D. 0. M.
Jacel hic jactus, ictus ariele fali , Barlho-
lomœus Arietes de S<tbaudia, ab ejus filio Pâ-
tre César e, huj as cœnobii ricari >, hoc lapide
rectos, suique tegendi quos fatum sic arietabit.
\ i.tit annos lxxii, obiil die cxlix, ante a; ic-
Cis rignum mdcxxii.
11 y a eu dans cet ordre plusieurs person-
nes d'une éminente sainteté, comme les bien-
heureux Pierre Qualcérano, Nicolas de Four-
que-Palène, Rarlhélemi de Césène, Laurent
l'espagnol, Paul Quirino, Philippe de Sainte-
Agathe, Marc de Manloue, Bertrand de Fer-
rare el plusieurs autres , dont les vies se
trouvent dans le livre dont nous avons déjà
parlé , intitulé Pisana Eremus , etc. Le P.
François Coccalini , qui fut élu général de
cet ordre en 16i", lui ensuite évêque de
Trau en Dalmalie et mourut à Venise l'an
1661.
Rernardin Pucci , Vit. B. Pétri de Pisis.
Eusèbe Jordan , Spicilegium histiricum Be-
/(/. Pctr. de Pitis. Pelr. Ronnacioli, Pisnna
Eremus etSpicileg. historié. Polyd >r. Virg. ,
De Berum inventoribus. lib. \n, cap. 5. Paul
Morigia, Orig. de Belig., lib. i. chap. 43. Sil-
veslr. Maurol., Mar. Océan, di luit. gl. Be-
lig., lib. vu. Thadaeus Bongiantinus, de Bea-
tis Pisanis; et Bollandus, tom. III , Junii 17.
Philip. Bonanni. Catalog. Ord. reUg., tom I,
png. 121 et 122; et les Constitutions de ce
ordre.
§ II. Des Ermites des congrégations des bien-
heureux Ange de Corse et Nicolas de Four-
gue-Palène, de Pierre Malerba, du Tyrol,
de Bavière, et autres unies présentement
à celle du bienheureux Pierre de Pise.
Je ne suis pas du sentiment du P. François
Htturdon, religieux du Tiers Ordre de Saint-
François , qui prétend que la congrégation
des Ermites de Saint-Jérôme du bienheureux
Pierre de Pise a pris son commencement el
reçu les premières instructions des obser-
vances régulières du frère Ange de Corse,
proIVs du Tiers Ordre de Sainl-Franç is. ni
que le bienheureux Pierre de I'i>e U< fut
trouver dans l'ermitage de la Seolca, pi
Rimini, pour ce sujet, puisqu'il est ce l in
que le bienheureux Pierre de Pise comn
sa congrégation à Montebcllo dès l'an 1389,
et que le frère Ange de C'>rse ne vint demeu-
rer à la Scolea, comme le P. Bourdon en de-
meure d'accord, que l'an 1393, où il bâtit un
ermitage dans un lieu qui lui fut donné par
Charles de Malatesta, seigneur de Rimini.
Mais si ce frère Ange de Corse n'a pas donné
c mmencement à "l'ordre des Ermites de
Saint-Jérôme du bienheureux Pierre de Pise,
il a ;;u moins procuré ('accroissement de
cette cong égation , ayant remis entre les
mains du seigneur de Rimini l'ermitage de
la Scolea pour le donner au bienheureux
Pierre de Pise et à ses disciples, et ayant
aussi cédé, tant en son nom qu'en celui de
ses disciples (tous du Tiers Ordre de Saint-
François , qui formaient une congrégation
qui portait le nom du frère Ange de Corse )
les autres couvents qu'ils avaient au nombre
de quatre, outre celui de la Scolea, savoir, un
à Venise dans le quai" ici- de Saint-Raphaël,
un sous le nom de Saint-Jérôme proche Ur-
bin, un au're appelé Notre-Dame des Anges
à Novillara, au diocè.-e de Pêsa'ro, el le qua-
trième sous le nom de Notre-Dame de Misé-
ricorde dans le diocèse de Ferrare.
L'on ne sait rien de la vie de ce frère Ange
de Corse ; il parait par une bulle d'Eugène IV
de l'an li32 qu'il était déjà mort, et qu'il ne
restait plus aucun de ses disciples qui sunis-
sent la troisième règle de saint François. Se-
lon toutes les apparences, ils avaient ton.
embrassé l'instilul du bienheureux Pierre
de Pise, qui, appréhendant qu'on ne l'inquié-
tât à l'avenir dans la possession des cinq
couvents qui avaient appartenu à la congré-
gation du frère Ange de Corse , à cause que
par les contrats d'acquisition il était dit que
le frère Ange les acquérait pour lui et ses
compagnons, qui étaient du Tiers Ordre de
Saint-François, il eut recours au pape Eu-
gène IV pour approuver la cession qui lui
avait été faite, tant par le comte de Rimini
de celui de la Scolea, que des quatre autres
par le frère Ange de Corse , ce que le pape
lui accorda par cette bulle de l'an li32, at-
tendu qu'il ne restait plus aucun des disci-
ples du frère Ange de Corse qui fissent pro-
fession du Tiers Ordre de Saint-François,
déclarant que ces maisons appartenaient au
bienheureux Pierre de Pise et à ses disciples,
et que les religieux du Tiers Ordre de Saint-
François n'y pouvaient rien prétendre.
La congrégation du bienheureux Nicolas
de Fourque-Palène, qui était aussi du Tiers
Ordre de Saint-François, fut encore unie à
celle des Ermites du bienheureux Pierre de
Pise l'an Jii6. Ce bienheureux Nicolas do
Fourque-Palène fut ainsi nommé du lieu do
599
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
fiOO
sa naissance, qui esl un bourg de l'Abruzze
du diocèse de Sulmone, au royaume de Na-
ples. Il était prêtre et vécut plusieurs années
dans son pays, dans une grande estime;mais,
voulant se donner à Dieu plus parfaitement
et passer le reste de ses jours dans la péni-
tence, il prit l'habit du troisième ordre de
Saint-François, et, étant fort âgé, il vint à
Rome, où il demeura d'abord dans une pe-
tite maison avec un compagnon nommé Re-
naud de Pièdmont. Le pape Eugène IV, in-
formé de ses vertus, lui donna le soin d'une
petite église sous le nom du Sauveur, qui
était pour lors fort fréquentée par la dévo-
tion des fidèles. Il y eut encore cinq person-
nes de différentes nations qui se joignirent à
lui dans ce lieu avec lesquelles il s'adonna à
diverses œuvres de piété, jusqu'à ce que
Dominique Zurlo de la noble famille des Ca-
pèce de Naples, s'étanl joint à lui, il fut dans
ce royaume pour y visiter certains ermites
qui demeuraient dans une solitude de la pro-
vince de Labour ; mais, ne les y ayant pas
trouvés, parce qu'ils étaient allés à ISaples, il
s'y rendit aussi, où, avec le secours de ces
ermites et de ses autres compagnons, qui
vinrent aussi à Naples, il fonda un monas-
tère sous le nom de Notre-Dame des Grâces,
qu'il fit bâtir des aumônes qui furent don-
nées au frère Dominique Zurlo, son compa-
gnon, par les personnes les plus illustres de
la ville, qui lui étaient alliées. Le bienheu-
reux Nicolas en fut le premier supérieur, et,
comme il venait souvent à Rome, il y rencon-
tra le bienheureux Pierre de Pise, avec le-
quel il fit amitié. Ce que le P. Pierre Ronna-
ciolj dit dans la vie de ce bienheureux, que
l'an 1425 il se fit avec ses compagnons dis-
ciple du bienheureux Pierre de Pise, ne s'ac-
corde pas avec ce qu'il dit dans son Spicilége,
que ce ne fut que l'an 1446 que sa congréga-
tion fut unie à celle des Ermites du bienheu-
reux Pierre de Pise ; ni pareillement avec ce
qu'il dit aussi, que le bienheureux Nicolas
ne fut à Naples qu'après avoir quitté l'église
de Saint-Sauveur, que le pape Eugène IV lui
avait donnée ; qu'il ne retourna à Rome qu'a-
près avoir fondé le couvent de Notre-Dame
des Grâces, et que c'est dans ce temps-là
qu'il se fit disciple du bienheureux Pierre de
Pise, puisque le pape Eugène IV ne succéda
à Martin V que l'an 1431.
Il n'y avait donc seulement qu'une amitié
réciproque entre les bienheureux Nicolas de
Fourque-Palène et Pierre de Pise, qui étaient
tous deux chefs de deux congrégations dif-
férentes, celle du bienheureux Nicolas fai-
sant profession de la troisième règle de saint
Eraoçois, et celle du bienheureux Pierre de
Pise ayant seulement quelques constitutions
ou règlements particuliers que ce saint fon-
dateur lui avait prescrits. Après que le bien-
heureux Nicolas eut vécu quelques années à
Rome dans une grande réputation de sain-
teté, le pape Eugène IV lui donna le couvent
et l'église de Notre-Dame, proche Florence ;
mais, sur ce qu'on lui en contesta la posses-
sion , il aima mieux l'abandonner que d'être
exposé à l'envie de ceux qui la lui dispu-
taient, quoique l'évêque de Recanati, que le
pape avait nommé pour juge de ce différend,
eût prononcé en sa faveur par une sentence
du premier mai 1435. Le pape trouva bon
qu'il retournât à Rome, où on lui donna, l'an
1439, l'église de Saint-Onuphrc, sur le mont
Janus, qu'il céda aux Ermites de la congré-
gation du bienheureux Pierre de Pise, l'an
1446, avec le monastère de Notre-Dame des
Grâces de Naples et les autres ermitages j
qu'il avait ailleurs. 11 y. a de l'apparence que J
ce couvent de Notre-Dame des Grâces n'était ^
pas grand'chose pour lors; il y aurait même '
à douter si véritablement les Ermites de la
congrégation du bienheureux Pierre de Pise
le possédèrent dès ce temps-là ; car Pompeio
Sarnelli , évêque de Riseglia , dit (Guid. de
forest.di Napol.p. 153) que c'était ancienne-
ment une petite église qui appartenait à la
famille des Grassa, et que l'an ISOOelle fut
accordée au bienheureux Jérôme de Rrindisi,
qui fut le premier qui amena de Naples des
religieux de la congrégation du bienheureux
Pierre de Pise, et que dans ce lieu il fit bâ-
tir un monastère et amplifier l'église qui est
fort belle ; mais l'on peut croire qu'il a aug-
menté le monastère avec plus de magnifi-
cence qu'il ne l'était du temps du bienheureux
Nicolas de Fourque-Palène, comme il l'a été
aussi dans la suite par les religieux de cet
ordre, ainsi que le rapporte pareillement le
P. Ronnacioli dans son Spicilége, où il mar-
que que, l'an 1447, ce fut le bienheureux
Benoît de Sicile, prieur de ce monastère, qui
commença à faire bâtir l'église. Le P. Pape-
broch rapporte dans toute sa teneur le brel
que le pape Eugène IV fit expédier pour l'u-
nion de ces deux congrégations; mais il y a
à corriger dans la date de ce bref, qui est des
calendes de janvier 1440, dans la vingt-uniè-
me année de son pontificat, puisqu'il fut fait
pape le 3 mars 1431, et qu'il ne gouverna
l'Eglise que quinze ans; ainsi ce ne pour-
rait être que la quinzième année.
Quant au bienheureuxNicolas de Fourque-
Palène, deux ans après l'union de sa con-
grégation avec telle du bienheureux Pierre
de Pise, il mourut à Rome le 29 septembre
1448, étant âgé de cent ans. Il se fit plusieurs
miracles à son tombeau qui obligèrent les
religieux de sou ordre de le transférer dans
un lieu plus décent avec la permission de la
congrégation des Rites, l'an 1606; et, l'an
1647, les habitants de Fourque-Palène, lieu
de sa naissance, ayant souhaité avoir de ses
reliques, le P. Rémi Landau, qui était pour
lors général, leur donna une côte, pour
l'exposera la vénération des fidèles, à con-
dition que si un jour on faisait un établisse-
ment de religieux à Fourque-Palène, leur
ordre serait préféré aux autres, et que la re-
lique du bienheureux Nicolas serait déposée
dans leur église.
L'an 1531, les ermites de Saint-Jérôme de
la congrégation du frère Pierre de Malerba,
qui demeuraient dans les couvents de Sainte-
Félicité de Romano du diocèse de Padoue,
et de Saint-Fauslin de la Tour du diocèse de
Vérone, exposèrent au pape Clément VU
COi
JER
JEP
602
que leurs couvents et les lieux qu'ils habi-
taient, qui étaient gouvernés par un vicaire
général, dépérissaient tous les jours plutôt
que d'augmenter ; c'est pourquoi ils dési-
raient embrasser l'institut du bienheureux
Pierre de Pise et être unis à sa congrégation,
s'il voulait y consentir. Le pape accorda leur
demande par un bref du -2C> janvier 1531;
ainsi ils prirent l'habit des Ermites du bien-
heureux Pierre de Pise, et le bienheureux
Bertrand de Ferrare fut envoyé par les supé-
rieurs pour leur apprendre les observances
de cette congrégation. On ne sait rien de la
vie de ce Pierre Malerba. Il est fait mention
dans un aclepassé l'an 1465, qui concerne les
religieux de la congrégation de Fiesoli, d'un
Pierre Malerba de Venise, qui y servit de té-
moin et qui y est qualifié prêtre. Il pourrait
peul-élre avoir été le fondateur de cette con-
grégation.
Une autre congrégation, sous le nom des
Ermites du Mont-Ségestre, fut aussi unie à
celle du bienheureux Pierre de Pise, l'an
1579. Ces Ermites reconnaissaient pour fon-
dateur le bienheureux Laurent, espagnol de
naissance, qui, voulant imiter les anciens
ermites, s'était retiré en Italie sur le mont
Ségestre, proche Gènes, où il avait bâti plu-
sieurs cellules séparées les unes des aulres
pour plusieurs personnes qui voulurent vivre
sous sa conduite et qui y menaient une vie
très-austère; il les gouverna jusqu'à sa
mort, dont on ignore l'année. Il y a de l'ap-
parence qu'elle arriva avant l'an 1351, car
ce fut celle année que les frères Jacques,
aussi espagnols, Itapbael d'Orgio et Jacques
Galesio, qui étaient du nombre de ses disci-
ples, firent bâtir au même lieu une église
sous le nom de Notre-Dame de l'Annoncia-
tion de la Côte de Ségestre de Ponent, avec
un monastère qui fut amplifié l'an 1450 par
un frère Nicolas , qui en était pour lors
prieur. Quoique les religieux de ce monas-
tère et les autres de la congrégation du bien-
heureux Laurent eussent été agrégés l'an
1579 à celle du bienheureux Pierre de Pise,
ce ne fut néanmoins que l'an 1581 que le
P. Jean-Baptiste de Monte-Silice, qui en était
général, prit possession de ce monastère au
nom de l'ordre. L'on ne sait autre chose de
la vie du fondateur de cette congrégation du
Mont-Ségestre, sinon qu'il paraît par des
actes publics de l'an 1520 qu'on lui donnait
le litre de bienheureux. Le martyrologe ro-
main fait mémoire d'un saint Albert de Gê-
nes, que les religieux de la congrégation du
bienheureux Pierre de Pise prétendent avoir
été de celle du Mont-Ségestre, et qui mourut
l'an 1450.
Enfin, l'an 1695, plusieurs ermites du Tyrol
et de Bavière, qui vivaient dans différents
endroits et en commun, demandèrent aux.
religieux du bienheureux Pierre de Pise as-
semblés le 2 avril de la même année dans
leur chapitre général à Borne, dans le cou-
vent de Saint-Onuphre, d'être unis à leur
congrégation, de porter le même babille—
(1) Voy., à la Ou du vol., u° 130,
ment, quant à la forme, de professer la même
règle, et de jouir de leurs privilèges, pro-
mettant obéissance aux supérieurs de cet
ordre; ce qui leur fut accordé, à la prière de
l'empereur Léopold I", qui avait écrit en
leur faveur au cardinal Casanate, protecteur
de l'ordre, ce qui fut confirmé par le pape
Innocent XII. Ils se sont depuis multipliés
dans ces provinces, où ils ont fait de nou-
veaux établissements. Ils observent les an-
ciennes constitutions de l'ordre dans toute la
vigueur, ne mangent jamais de viande, vont
nu-pieds, sont vêtus de gros drap et portent
la barbe, mais non pas longue (1). Quant à
la forme de l'habillement et à la règle, ils se
conforment à ceux d'Italie.
Voyez Vila del Bealo Pielro Gambacorti,
pag. 48. Pelr. Bonnacioli, Pisun. Erem. Eu-
seb. Jordan., Spicileq. hist.; et Bolland. tum.
III Junii.
§ [III. Des ermites de Saint-Jérôme de Fie-
soli, avec la vie du bienheureux Charles de
Monlegrancli, leur fondateur.
^ Nous avons dit, en parlant des Jéronymites
d'Espagne, qu'ils avaient tiré leur origine
des disciples du bienheureux Thomas de
Sienne, ou ïhomasuccio du Tiers Ordre de
Saint-François; nous avons aussi montré
dans le paragraphe précédent que la congré-
gation des Ermites du bienheureux Pierre de
Pise avait reçu son accroissement par l'union
des congrégations du frère Ange de Corse et
du bienheureux Nicolas de Fourque-Palèue,
qui étaient pareillement du Tiers Ordre de
Saint-François. Voici encore un ordre qui a
porté le nom de Saint-Jérôme, qui a toujours
été distingué de ceux d'Espagne et d'Italie,
et dont le fondateur était aussi du troisième
ordre de Saint-François. Il y en a qui ont
cru que, lorsque les disciples du bienheureux
Thomasuccio passèrent en Espagne, l'ordre
de Saint-Jérôme de Fiesoli, qui est celui dont
nous allons parler, était déjà établi, et le
P. Papebroch a suivi ce sentiment {ApudBol-
land., loin. IlIJun., p...), mais cela ne peut
pas être, puisque les disciples du bienheu-
reux Thomasuccio passèrent en Espagne
sous le règne d'Alphonse XI, roi de Caslille,
selon le témoignage des historiens de l'ordre
de Saint-Jérôme, lequel Alphonse mourut
Tan 1350, et que l'ordre des Ermites de Saint-
Jérôme de Fiesoli ne fut commencé, ou plu-
tôt que le bienheureux Charles de Monte-
graneli, son fondateur, ne:se retira dans la
solitude que l'an 13C0.
Quelques-uns ont prétendu que le bien-
heureux Charles de Montegraneli était gen-
tilhomme florentin-; il est sûr au moins qu'il
était de la famille des comtes de Montegra-
neli, qui est une terre dont il ne reste plus
que les vestiges entre Sainte-Sophie de la
Romagne et Saint-Pierre de Bagno, dans les
Etals du grand-duc de Toscane; et il se peut
faire que celte famille ait été agrégée parmi
les citoyens de Florence, comme plusieurs
autres familles nobles de cet Etat. Il s'adonna
003
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
m
à la piété dès ses plus tendres années, car il
fréquentait souvent les églises et s'appliquait
à la prière et à l'oraison; il avait henucoup
de compassion pour les pauvres e! les mi-é-
raliles, et autant qu'il le pouvait il les secou-
rut et leur donnait libéralement l'aumône.
Quand il fut en âge de choisir l'état où il
(levait passer sa vie, il prit le parti de l'E-
glise et reçut les ordres sacrés de- mains de
l'évêque; mais, tendant toujours de plus en
plus à la perfection, il quitta ses parents, ses
amis, et tout ce qu'il avait de plus cher au
monde pour embrasser le Tiers Ordre de
Saint-François, et, s'élant associé le bien-
heureux Gautier de Marzo, qui était aussi
du môme ordre, il se relira dans la solitude.
Fiesoli, autrefois l'une des douze premières
villes de la Toscane et le séjour des augures
et des devins toscans, était si puissante,
qu'avec le secours de ses habitants Stilicon
défit Radag*aise, roi des Golhs, et l'on pré-
tend qu'il resta plus de cent mille de ces bar-
bares sur le champ de bataille; mais d;ms la
suite des temps, les Florentins étant devenus
plus puissants que les Fiesolans, ils détrui-
sirent Fiesoli, l'an 10G0, p'mr accroître Flo-
rence, et il n'en reste plus que les ruines.
Ce fut dans ce lieu que le bienheureux Charles
se retira l'an 13G0. Il y en a qui lui donnent
d'abord un troisième compagnon, qu'ils ap-
pellent Redon de Mim'.egraneli; mais d'.iutrps
croyent que ce Redon it notre saint fonda-
teur ne sont que le même, et que Redon pou-
vait être son surnom. Quoi qu'il en soit, à
peine fut-il arrivé à Fiesoli, qu'il commença
par bâtir une petite église sous le nom de
Notre-Dame du Saint-Sépulcre, que quel-
ques-uns prétendent lui avoir été donnée
par l'évêque de Fiesoli. Là il commença à
mener une vie très-austère et pénitente avec
son compagnon; ils employaient presque
tout le jour et une partie de la nuit à la
prière et à l'oraison; leurs jeûnes et leurs
abstinences étaient presque continuels, un
peu d'herbes ou de racines avec un peu de
pain faisait toute leur nourriture, et ils ne
buvaient que de l'eau. Ils ne crurent pas ces
austérités suffisantes pour châtier leur corps,
ils y ajoutèrent encore la haire, le cilice, les
disciplines, et ils inventaient tous les jours
de nouvelles mortifications. Cela n'empêcha
pas qu'il n'y eût en peu de temps plusieurs
personnes qui se joignirent à eux pour les
imiter dans ce genre de vie; de sorte que le
grand Côme de Médicis, qui fut honoré du
nom de Père du peuple, et de Libérateur de
la patrie, leur fit bâtir dans un lieu, un peu
au-dessns de celui où ils demeuraient, un
monastère suffisant pour les loger, avec une
église qui fut dédiée sous le nom de Saint-
Jérôme ; et, charmé de la beauté de ce lieu,
d'où l'on découvre toute la ville de Florence
et^une grande étendue de pays, il fit encore
bâtir pour lui un palais au pied de ce mo-
nastère.
Le premier établissement que fit notre
saint fondateur après celui de Fiesoli fut à
Vérone, où ayant été appelé, on lui donna
l'église de Saint-Jean du Mont. 11 y demeura
quelque temps, et, après l'avoir pourvu d'un
nombre suffisant de religieux, il alla à Ve-
nise, où il bâtit un couvent sous le nom de
Notre-Dame des Grâces, et quelque temps
après il en eut un autre à Padone sous le
nom rie Saiot-.lérômc. Voulant affermir sa
congrégation, il en demanda la confirmation
au pape Innocent VII, l'an 14-06, qui la lui
accorda; mais la mort l'ayant prévenu, il ne
put signer les lettres qui en furent dressées:
c'est ce qu'on apprend par un bref de son
sucre-seur, Grégoire XII, daté de Monle-
Fiore , au diocèse de Rimini, le 8 juillet
1415, qui déclare que la confirmaiiou de cet
ordre aura lieu du jour que son prédéces-
seur l'avait accordée , quoique les lettres
n'en eussent pas été expédiées à cause de là
mort qui l'avait prévenu ; Ipsoque praedecés^
sore nostro, sicut Domino plaçait, super i>u-
jusmodi concessionis gratia litteris non con-
feclis sublato de medio, dit le pape Grégoire
XII dans sa bulle, nos divina favenle démen-
tiel ad apicem summi apostolatns assumpli,
ne ipsi Carolus et socii hujusmodi conces-
sionis frustreuentur c/fectu, roluimus et apo-
stoliea auctoritate decrevinnis quod concessio
ipsa perinde a die datée ipsius concessionis
valeret et plenam obtineret roboris firmita-
tem, ac si super en eiusdem prœdecessoris
lilterœ sub ipsius diei data confectœ fuissent.
C'est en vertu de ce bref, qui se trouve
dans le bifilaire de LaerlioChcrubini, qu'As-
cagne Tamburin, qui l'a rapporté dans louto
sa teneur, met rétablissement de l'ordre de
Saint-Jérôme de Fiesoïi l'an 1406, sous le
pontificat d'Innocent VU, ce qu'ont fait aussi
Paul Morigia et Loelius Zecchius. Mais le P.
Gonon, dans ses Vies des Pères d'Occitenl,
n'attaque que ce dernier, et prétend qu'il
s'est évidemment trompé, par le témoignage
de Casarubios, Philippe de Rergame et d'une
infinité d'auteurs qui ont mis ce! étah'issc-
menl l'an 1405. Ce sont plutôt ces auteurs
et le P. Gonon qui se sont trompés, puisque
le pape Grégoire XII déclare que son prédé-
cesseur Innocent VII avait accordé la con-
firmation de cet ordre, qu'il en avait fait ex-
pédier les lettres; niais que la mort, qui le
prévint, l'empêcha de les signer. Or, il est
certain qu'Innocent VII est mort en 1406,
et qu'il ne fut pas même longtemps malade,
puisqu'il fut attaqué d'apoplexie dont il
mourut le 6 novembre de la même année. H
y a bien de l'apparence que cet ordre, ayant
obtenu ce bref de Grégoire XII, le reconnais-
sait encore pour souverain ponlile, quoiqu'il
eût été déposé dans le concile de Pise le 5
juin 1409; mais, comme nous l'avons dit
ailleurs, l'on voyait pour lors trois papes
dans l'Eglise. Il ne faut pas s'étonner si Ché-
rubin a inséré celte bulle dans le bullaire
romain, quoique ce pipe ait été déposé;
puisque le concile de Constance approuva
et autorisa tout ce qu'il avail fait, non-seu-
lement jusqu'au jour de sa renonciation au
pontificat, qui fut faite dans la quatorzième
session de ce concile, qui se tint le quatre
juille; de l'an 1415, par Charles de Alala-
tesla, seigneur de Rimini, au nom de ce pim-
605
JEU
m\
Ce6
tife, en verdi du pouvoir qu'il en avait re-
çu , mais encore jusqu'à ce que celle renon-
cialion eut élé noliliée à tout le inonde, le
concile avant pour ce sujet donné ternie d'un
mois.
Après que le bienheureux Charles de Mon-
icgrnneli eut obtenu celle bulle de Grégoire
XII, il travailla à augmenter sa congréga-
tion, à laquelle il donna le nom de Société
de Saint-Jérôme. 11 eut enfin envie d'aller à
Jérusalem pour y visiter le saint sépulcre et
les autres lieux de la terre sainte; mais,
pendant qu'il était à Venise et attendait une
occasion favorable pour faire ce voyage, il
tomba malade, et mourut le 5 septembre
1417, après avoir recommandé sa société au
P. Pierre de Gênes, qui en fut le premier gé-
néral après lui, et au P. Jacques Filibcrli
d'Alexandrie. Il fut enterré dans son couvent
de Venise, et son chef fut transporté plu-
sieurs années après dans celui de Fiesoli,
où il a élé en grande vénération.
Innocent VII avait approuvé cet ordre
sous une règle et des conslitutions de saint
Jérôme tirées apparemment des écrits de ce
Père, et leur avait permis de faire des vœux
solennels, ce que Grégoire XII avait con-
firmé ; mais Eugène IV, l'an 144-1, leur don-
na la règle de saint Augustin, leur permet-
tant de retenir toujours le nom de Saint-Jé-
rôme et l'habit qu'ils avaient accoutumé de
porler dans leur société, qu'il voulut qu'on
appelât à l'avenir la Congrégation de Saint-
Jérôme de Fiesoli, établissant le couvent de
Fiesoli pour chef de celte congrégation. II
ordonna aussi qu'ils y tiendraient leurs cha-
pitres généraux tous les ans, où ils éliraient
leurs généraux et les supérieurs des mai-
sons, qui pourraient être continués tant et
si longtemps qu'ils jugeraient à propos; et
que dans ces chapitres généraux ils pour-
raient faire des constitutions pour le bon
gouvernement de cet ordre. 11 les obligea à
faire les vœux solennels d'obéissance, de
chasteté et de pauvreté. Il les soumit à la
règle de saint Augustin, et déclara que le
P. Jacques Filibcrli d'Alexandrie, pour lors
général de cet ordre, serait tenu de renouve-
ler ainsi sa profession entre les mains de
l'évêque d'Ostie, et les autres religieux de
l'ordre entre les mains de ce général.
L'habit qu'ils portaient dans cet ordre, et
que le pape Eugène IV leur avait permis de
retenir, était celui du Tiers Ordre de Saint-
François que le bienheureux Charles de
Moutegraneli et la plupart de ses premiers
disciples, qui étaient de ce Tiers Ordre,
avaient voulu toujours porler pour se res-
souvenir de leur premier élat; mais le géné-
ral et quelques religieux de cet ordre s'a-
dressèrent l'an 1160 au pape Pie II pour leur
permettre de quitter cet habit, afin d'être
distingués des religieux du Tiers Ordre de
Saint-François, ce que le pape leur accorda
par un bref du 20 mars de la même année,
comme il parait par un autre bref du 20août
suivant, où ce pape fail mention de ce pre-
mier bref: Dudum siquidem, videlicet sub
(fatum xm calend. Apr., pontificalus nostri
anno seeundo, dileelis filiis'Jacobo de Alexan-
drin tune priori generali et nniversis fratri-
bus Socie'atis Saneti Hieronymi, ordinis ejui-
diin saneti, et eorum suceesuribns ejusdem
Suiieiatis prwsrnlibus et ftttitris, tune ah eo-
rum primœvu institution? talem habit um qua-
lem Fratres Tertii Ordinis Saneti Francisci
de Pœniientia nuncupati et nunnulli Ëremitee
gerunt deferentibus, et ab ipsis Fremitis et
Fralribus Tertii Ordinis hujusmodi in habita
differentiam habere cupientibus ili/ferentem
habit um ad cautelam duntaxat nb eisdem
Eremitis et Fratribus Tertii Ordinis ejusdem
coluris reeipiendi et reeeptum perpétua ge-
slandi per alias noslras concessimus, etc.
Mais il y en eut plusieurs qui ne voulurent
point quitter cet babil, que quelques-uns
d'entre eux portaient depuis plus de quarante
ans : c'est pourquoi ce même pape permit
à ceux-là de retenir toujours cet ancien ha-
bit, et leur accorda deux maisons qui appar-
tenaient à cet ordre pour y demeurer, savoir
Saint-Jérôme de Padoue et Saint-Pierre de
Vicencc, les ayant absous de l'obéissance
qu'ils devaient au général de cet ordre, et
les soumettant aux ordinaires des lieux où
ils auraient des maisons. Il ordonna que les
religieux qui demeureraient avec l'ancien
habit s'appelleraient les Frères de Sainl-
Jè, -à me de la congrétjalion de Frère Charles
de Montegraneli, leur fondateur, qu'ils joui-
raient des mêmes privilèges de tout l'ordre,
et qu'ils pourraient faire la quèle dans les
lieux où ils demeuraient, accordant six mois
de temps à tous les religieux de cet ordre
pour faire choix de cet habit et de la con-
grégation. Ainsi ayant divisé cet ordre en
deux congrégations, il ordonna qu'en cas
que l'une dis deux vînt à manquer, soit du
nouveau, ou de l'ancien hatiit, les couvents
et les biens qu'elle posséderait appartien-
draient à celle qui resterait; ce qui fui con-
firmé par le pape Paul II l'an 1465; et pour
lors les religieux du nouvel habit cédèrent
ces deux couvents de Padoue el de Vicencc
à ceux qui retinrent l'habit du Tiers Ordre
de sj.iiiit-Fiaiiçois, comme il paraît par l'ado
qui en fut passé par-devant Ange de I'asa-
lo, évê |ue de Feltri, lequel acte est rap-
porté tout au long dans le bref dePaul II, du
20 juin de la même année 1405. Mais, soit
que la congrégation de ceux de l'ancien ha-
bit à qui le pape Pie 11 avait donné le nom
de leur fondateur eût été éteinle, et que les
autres du nouvel babil fussent entrés dans
la possession de leurs biens el de leurs cou-
vents, cet ordre n'était point divisé en deux
congrégations différentes, lorsqu'il fut sup-
primé l'an 1068 par le pape Clément IX, qui
accorda aux prêtres, pendant leur vie, qua-
rante écus romains par an, et aux frères
laïques vingt écus. Ils avaienl autrefois plus
de quarante maisons ; mais ce nombre était
bien diminué lorsqu'ils furent supprimes
Ils en avaienl une à Kome, sous le litre de
Saint-Vincent el de Saint-Anastase, paroisse
papale que Paul V leur avait donnée en 1612,
el qui depuis leur suppression a été donnée
aux Clercs Réguliers Mineurs. Le cardinal
007
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
60»
Jules Mazarin, qui avait été baptisé dans
celle église, l'avait fait rebâtir avec un très-
beau portail. Si on en veut croire M. Hcr-
mant dans son Histoire des Ordres religieux,
ces Ermites de Fiesoli subsistent toujours,
et ont encore trente ou quarante maisons ;
mais, s'il avait lu la bulle de suppression
de r' ordre des Jésuates, qu il reconnaît avoir
été supprimé par le pape Clément IX, il au-
rait vu que ce pontife supprima aussi par la
même bulle les Ermiles de Saint-Jérôme de
la congrégation de Fiesoli, et les chanoines
de la congrégation de Saint - Georges in
Algha.
Leur habillement consistait en une tuni-
que grise serrée d'une ceinture de cuir, un
capuce attaché à une grande mosette et une
chape plissée par le cou aussi de la même
couleur. Ils avaient aussi autrefois des san-
dales de bois (1), mais ils les quittèrent vers
la fin du xvr' siècle.
Voyez Silvano Razzi, Vite de Santi du
Toscana, pag. G23. Francesco Cattani da Dia-
cetto, Vite di SS. di Fiesoli. Gonon, Vit.
PP. Occident., lib. vi, pag 386. Wading.,
Annal. Minor., tom. V, ann. 1405, num. 18 ;
tum. VI, ann. 1460, ri. 43; et ann. 14-05, m.
7. Francise. Bordon., Chronolog. Fratrum
Tertii Ord. S. Fruncisci. Joan. Max. Vern.,
Annal, cjusd. Ord. Silvestr. Maurol., Mar.
Océan, di tut. gl. Relig. Paul Morigia, Tlist.
de toutes les Relig. Ascag. Tambur., De Jur.
Abbat., tom. II, disp. 24, guœst. 4, n. 72 ;
Bullar. Rom. Polydor. Virgil.,/>e Rerum In-
ventoribus, lib. vu, cap. 3. Philipp. Bergom.,
Supplem. Chronic. lib. siv, pag. 345. Bo-
nanni, Catalog. Ord. relig. part. i.
SECTION TROISIÈME.
MOINES ERMITES DE SAINT -JEROME DE
L'OBSERVANCE, OU DE LOMBARD1E,
Avec la vie de Loup d'Olmédo, leur fondateur.
Siguença, parlant de Loup d'Olmédo, in-
stituteur des moines Ermiles de Saint-Jé-
rôme, dit que ce sont des ignorants qui ont
écrit qu'il avait réformé l'ordre de Saint-Jé-
rôme, et qu'ils devaient savoir ce que veut
dire le mot de réformer, qui ne signifie ,
selon lui, que remettre en son premier état
ce qui avait élé perdu ou corrompu par né-
gligence : Los ignorantes gue dizen en sus
cscritns gue fray Lope reformo la orden de
San-Geronimo, no deven de saper de guiere
dezir reformar. Reformar es reduzir una cosa
à la primera forma gue se ha perdilo. o estra-
gndo par negligencia (llist. de la Orden. de
San-Geràn.). Je veux croire que l'ordre de
Saint-Jérôme était pour lors dans toute sa
ferveur, et que les religieux étaient de fidè-
les observateurs de leur règle ; mais, comme
le mot de réformer signifie aussi donner une
meilleure forme, on aurait pu donner en ce
sens à Loup d'Olmédo le nom de Réforma-
teur, puisqu'il prétendait changer quelques
anciennes observances des Ermites de Saint-
croynit plus convenables à leur état, et qu'eu
effet il donna aux religieux de sa congréga-
tion une règle tirée des écrits de saint Jé-
rôme, parce qu'il nécrosait pas que celle de
saint Augustin fût propre pour des moines
tels qu'il prétendait que les religieux de
Saint-Jérôme devaient être. Peut êirc que le
titre de Resuscitator ordinis S. Hiéronymi
qu'on a joint à celui de Reformator dans l'é-
pitaphe de Loup d'Olmédo est ce qui a cho-
qué Siguença, el qui lui a fait dire que cette
épitaphe n'était pas assez modeste, non muy
modesto. Mais je ne veux point entrer dans
leur dispute, et, si quelquefois le mot de ré-
forme m'échappe en parlant dans la suite
des moines de l'observance de Loup d'Ol-
médo, c'est que je suivrai les historiens de sa
vie et les mémoires qui m'ont été donnés
par le R. P. Antoine Bonacina, moine de la
même congrégation., ancien lecteur en théo-
logie, et très-versé dans l'histoire de son
ordre.
Loup d'Olmédo naquit l'an 1370 au bourg
d'Olmédo, au diocèse d'Avila en Espagne,
d'où il a pris son nom. Les historiens de sa
vie ne sont point d'accord touchant ses pa-
rents; les uns le font sortir de la famille des
Gonzalez, les autres des Ferrari de Valence,
et d'autres disent qu'il était frère de saint
Vincent Ferrier, qui s'appelait Ferreri. Dès
ses plus tendres années, il méprisa les petits
plaisirs qui sont permis aux jeunes gens ; il
s'appliqua à former sa vie sur le modèle des
plus excellentes vertus; il s'adonna entière-
ment à l'étude des sciences, et, comme Pé-
rouse était pour lors le lieu où florissaient
les belles-lettres en Italie, il y fut et lia une
étroite amitié avec dom Odou Colomne, qui
fut élevé dans la suite au souverain pontifi-
cat sous le nom de Martin V, et qui y étu-
diait aussi.
Ayant fini ses études, il retourna en son
pays, où il s'acquit bientôt l'estime de Fer-
dinand, roi d'Aragon, qui, le jugeant capable
d'affaires importantes, l'envoya auprès de
l'antipape Benoît XI11, que l'Aragon recon-
naissait pour légitime successeur de saint
Pierre, et auprès de la république de Cènes
et de quelques princes d'Italie. A son retour,
il voulut l'élever à de hautes dignités, mais
il les refusa courageusement pour se retirer
dans le monastère de Notre-Dame de Gua-
daloupe de l'ordre de Saint-Jérôme, dans la
province d'Estramadure, où il prit l'habit
religieux. Il n'abandonna pas pour cela le
soin de ses éludes, il les associa de telle
sorte avec la prière et l'oraison, que l'un
succédait à l'autre, et ces exercices n'étaient
interrompus que par le peu de temps qui
lui étail nécessaire pour prendre un peu de
repos el de nourriture.
Ses vertus le firent en peu de temps pas-
ser par toutes les dignités de l'ordre jusqu'à
celle de général, où il fut élevé l'an 1422,
quoique son humilité y apportât beaucoup
d'opposition. Ce fut dans cet emploi qu'il lé-
Jérôme, el leur en donner de nouvelles qu'il moigua son grand zèle oour l'observance
fifi»
JER
JER
CîU
régulière. Selon les historiens de sa congré-
gation, quoique ceux des Ermites d'Espa-
gne disent le contraire, il apporta tous ses
soins pour corriger des abus qu'il préten-
dait être dans l'ordre. Il exhortait les ab-
sents par lettres, il sollicitait les présents par
ses discours à la pratique des vertus et à
l'observance de leur règle; et, afin que son
exemple les animât davantage, il se retirait
de temps en temps dans la solitude, où il
gardait une perpétuelle abstinence. 11 voulut
bannir du réfectoire l'usage de la viande, et
inspirer aux religieux l'esprit de retraite et
de solitude qu'ils s'étaient proposé, et où ils
vivaient dans les commencements, comme
nous avons vu dans les paragraphes précé-
dents; mais, voyant les oppositions qu'ils y
apportaient, et qu'ils voulaient toujours per-
sister dans leur manière de vie, il se démit
de son office, et se retira pour quelque lemps
chez les Chartreux, afin de former sur les
exercices de ces saints religieux la réforme
de son ordre qu'il méditait toujours.
Etant assuré de quelques religieux qui
voulaient seconder ses pieuses intentions, il
vint à Rome l'an lk2k, sous le pontilical de
Martin V, qui, à cause de leur ancienne ami-
tié, comme nous avons dit, lui fit un accueil
d'autant plus favorable, qu'il ne venait pas
aux pieds de Sa Sainteté pour rechercher sa
propre gloire, mais celle de Dieu, qu'il sou-
haitait être mieux servi dans son ordre. 11
lui exposa donc le dessein qu'il avait de ra-
mener les religieux à l'état monacal et à la
solitude, ou d'établir un ordre nouveau de
moines sous le litre de Saint-Jérôme et la
protection de ce Père de l'Eglse, si les reli-
gieux d'Espagne persistaient à s'opposer à
ses bons desseins. Le pape Ut venir d'Espa-
gne les définiteurs de l'ordre pour écouler
leurs raisons, et ils lui firent de si humbles
remontrances pour qu'il ne changâl rien de
leur manière de vie, que ce pontife le.i ren-
voya dans leur monastère en leur accordant
leur demande.
. Mais, ne voulant pas que les desseins de
Loup d'Olmédo fussent sans effet, il lui ac-
corda une bulle datée de la même an-
née 1 4-24, par laquelle il lui permit de fon-
der une congrégation sous le titre de moines
Ermites de Saint-Jérôme, dans les monta-
gnes de Cazalla, au diocèse de Sévill , en
Espagne, l'établissant gênerai perpétuel de
celte nouvelle congrégation, avec un pou-
voir absolu sur ses religieux ; il lui accorda
d'autres bulles qui contiennent plusieurs
privilèges, et la communication de ceux dont
jouissaient les autres Ermites de Saint-Jé-
rôme, a^ec la confirmation de ce nouvel or-
dre sous la règle de saint Augustin.
Il retourna donc en Espagne muni de ces
bulles, et jeta les fondements de sa congré-
gation dans le monastère de Saint-Jérôme
de l'Acella au mont Cazalla ; et. alin que ce
nouvel édifice, étant bâti sur des fondements
fermes et solides, pût être élevé plus haut,
il ajouta à la règle de saint Augustin des
constitutions très-austères et très-rigoureu-
ses tirées en partie de celles des Chartreux.
Elles portaient entre autres choses que les
religieux ne pourraient étudier dans le cou-
vent, et ne pourraient en sortir pour aller
étudier dans les universités, selon la prati-
que des Chartreux, alléguant ce passage de
l'Apôtre, que la science enfle, et que la charité
édifie; que les femmes ne pourraient pas en-
trer dans leurs églises, et encore moins dans
l'enclos du monastère : qu'on ne mangerait
jamais de viande; qu'on ne porterait du
linge que dans les maladies, et qu'ils jeûne-
raient depuis la fêle de saint Jérôme jusqu'à
Pâques. Loup d'Olmédo changea encore quel-
que chose de l'habillement des religieux de
Saint-Jérôme ; car, comme il fit porter aux
religieux de sa congrégation le nom de moi-
nes, il voulut qu'ils en portassent l'habit,
leur ayant fait prendre une coule à la ma-
nière des moines bénédictins, qu'ils portent
au chœur et lorsqu'ils sortent (1).
l'eu de temps après qu'il eut fondé son
premier monastère de Saint-Jérôme de l'A-
cella, l'on en bâtit encore cinq autres dans
ces mêmes montagnes, et ces solitudes se
changèrent en des colonies de moines. Le
pape l'ayant fait venir à Rome, lui donna,
l'an 1420, le monastère de Saint-Alexis au
mont Avenlin, qui avait été occupé jusque-
là par des Premontrés. Ce souverain pon-
tife, voulant entretenir la paix et l'union
entre celle congrégation et celle des Ermi-
tes, donna une buile, l'an 1428, par laquelle
il ordonnait que Loup d'Olmédo pourrait ti-
rer de l'ordre des Ermites d'Espagne les re-
ligieux qui voudraient passer dans le sien,
et que les biens qu'ils avaient apportés en
entrant dans celui des Ermites retourne-
raient à celui des moines de Loup d'Olmédo ;
que tous les couvents d'Espagne qui vou-
dra.eut recevoir les constitutions de Loup
d'Olmédo le pourraient faire après en avoir
demandé et obtenu la permission des supé-
rieurs ; que quand les Ermites d'Espagne
iraient dans les cou\ents des moines de
Sainl-Jerôme, et réciproquement les moines
dans ceux des Ermites de Saint-Jérôme, ils
y seraient reçus et traités, tant en santé
qu'en maladie, comme s'ils n'étaient tous
que d'un même ordre et d'une même cou-
giegution; et qu'enfin dans les deux ordres,
l'on dirait réciproquement des suffrages
pour les religieux qui y décéderaient. Mais
celte bulle n'apporta pas la paix dans ces
deux ordres, qui n'entretinrent pas une
trop bonne correspondance entre eux.
Les couvents de Loup d'Olmédo se mul-
tiplièrent cependant en Italie. Le second
qu'ils eurent lui a Casleliacio, à un mille
de la ville de Milan, qui avait été fondé par
Jean Galéas, duc de Milan, pour les Ermites
de Saint-Jérôme d'Espagne, et qui deman-
dèrent d'être unis aux moines de l'Obser-
vance: c'est ainsi qu'ils sont nommés dans
les bulles de plusieurs papes. L'on ne doit
pas passer sous silence que Philippe-Marie,
(1) Foi/., à la fin du vol., n03 15-2 et 155.
Cil
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
612
duc deMilan.fils de Jean Galéas, ayant offert
à Loup d'Olmédo de gros revenus pour ta sub-
sistance de.-, religieux de ce monastère, il les
refusa, disant que la pauvreté ne pouvait pas
s'accorder avec le superflu. Après avoir ré-
glé toutes choses dans ce monastère, et
après avoir fait renouveler à ces religieux
le vœu. de vivre dans l'observance, il alla à
Gènes pour prendre possession d'un autre
monastère, d'où il retourna à Home, où il
forma le dessein de composer une régie tirée
des éciils de saint Jérôme, ne trouvant pas
celle de saint Augustin propre pour des
moines. H y travailla, et, après l'avoir ache-
vée, il la présenta au pape pour y donner
son approbation, ce qu'il lui accorda, l'an
1429, avec la permission de la faire observer
à ses religieux, au lieu de celle de saint Au
gustin, dont il les dispensait. Ainsi ce ne
fut point parce que Loup d'Olmédo voulut
faire recevoir celle règle tirée des écrits de
saint Jérôme, que les Ermites d'Espagne ne
voulurent point embrasser la réforme,
comme quelques-uns ont écrit, puisque
le pape .Martin approuva d'abord la congré-
gation de Loup d'Olmédo sous la règle de
saint Augustin, et que ce ne fut que l'an
1429 qu'il permit aux religieux do cette con-
grégation île prendre la règle qui avait été
tirée des écrits de saint Jérôme par leur fon-
dateur.
Siguença, qui en quelqe.es occasions pa-
raît peu favorable à Loup d'Olmédo, ne
peut pas néanmoins s'empêcher de louer
celle règle. Il dit qu'elle est écrite avec es-
prit el fidèlement recueillie, que ce sont les
plus beaux ce nions qu'il ait vus, et qu'ils
méritent plus de louanges que ceux que
Proba Falconia composa, tués d'Homère et
de Virgile, et qui sont si estimés dans le
monde : Estuta ordencula con buen ingénia,
diligeiiciu, y fielmenle eugida, y los mas bien
atados centimes que yo vislo, dignos de mas
estima que los que hizo de las obrai de Virgi-
lio y d'Homero Prvba Falconia, tan ulaba-
dos en el mondo.
Loup d'Olmédo, pour s'acquitter de son
office de général, résolut après cela de re-
tourner en Espagne pour y faire la visite de
ses monastères. 11 y avait pour lors quel-
ques divisions entre les évèques de Caslille,
et l'Eglise de Se ville élait aussi sans pasteur.
Après la mort de dom Alphonse de Exéca,
qui en élait archevêque, qui arriva l'an
1417, dom Didace Maldunat de Annaya lui
avail succédé; il gouverna son diocèse pen-
dant quinze ans; mais ayant eu différend
avec sou chapilre au sujet de quelque ré-
forme qu'il voulait introduire parmi ses cha-
noines, ceux-ci recherchèrent sa vie, et en
firent des informations peu favorables qu'ils
envoyèrent au pape Martin V. Ils lui repro-
chaient entre autres choses qu'etanl au con-
cile de Constance en qualité d'envoyé des
rois de Caslille el de Léon, il y avait favorisé
l'antipape Benoit XIII. Le pape en élait con-
vaincu, et avail.loujours conservé contre ce
prélat quelque ressentiment; de sorte que
ceci joint à d'autres faits importants dont
on l'avait informé, fit que ce pontife le
priva de son archevêché, et lui donna seule-
ment le titre d'archevêque de Tarse. Comme
Loup d'Olmédo se disposait à retourner en
Espagne, lé pape, qui le connaissait pour un
homme expérimenté dans les affaires, lui
donna l'administration de cet archevêché, et
un pouvoir pour accommoder les différends
qui étaient entre les évêijues de Caslille. Il
arriva à Séville l'an 1429 ; il prit d'abord le
gouvernement de cetle Eglise, et, après y
avait (ail quelques règlements, il alla en
Cas ille pour s'acquitter de sa commission. Il
réussit si bien par sa sagesse et par sa pru-
dence, que tous les évêques se réunirent en
peu de t mps, et vécurent dans la suite en
parfaite intelligence. Etant retourné à Sé-
ville, il lit un autre établissement pour sa
congrégation. H y avait prêche de la ville
une abbaye sous le nom de Saint-Isidore del
Campo, qui était extrêmement riche et de la
fondation des comtes de Gusman. Elle avait
été possédée par les moines de Cîteaux ; mais
l'observance régulière en ayant élé bannie,
elle fut offerte à notre fondateur, qui l'ac-
cepta : ce qui a fait donner à cette congré-
gation, par quelques-uns, le nom de Saint-
Isidore. Il y lit un plus long séjour que dans
le palais archiépiscopal; et, après avoir fait
la visite de ses autres monastères, il s'adonna
entièrement au gouvernement de cette
Eglise, qu'il quitta pour un temps, ayant élé
encore envoyé par le pape pour aller l'aire
la visite de la nouvelle congrégation des
chanoines séculiers de Saint-Jean l'Evangé-
lisle en Portugal, dont nous avons parlé.
Etant de retour à Sév ille, il continua à gou-
verner celle Eglise ; mais le désir qu'il avait
de relouruer dans sa solitude fit qu'il remit
entre les mains d'Eugène IV , qui avait suc-
cédé à Martin V, l'administration de l'Eglise
de Séville. il vint quelque temps après à
Rome, ou en ayant rendu compte à Sa Sain-
teté, il se relira dans le monastère de Saint-
Alexis, dont il ne sortit plus. 11 y mena une
vie très-austère jusqu'à la mort. 11 jeûnait
six ou sept mois de l'année, et le plus sou-
vent au pain et à l'eau. 11 portait continuel-
lement le cilice, et prenait de sanglantes
disciplines. Sou lit était une planche, quel-
quefois un peu de paille. Il ne vivait plus
que pour Dieu, il souhaitait d'être uni avec
lui, il soupirail sans cesse après celte union;
el enfin, accable par ses austérités, il tomba
malade el fui attaqué d une fièvre violente
qui peu de jours après le réduisit à la der-
nière extrémité; c'est pourquoi, voyant la
mort approcher, il demanda avec beaucoup
d'humilité les sacrements de l'Eglise, et,
après en avoir été muni, il rendit son âme à
son Créateur le 13 avril 1433, en présence
de lous ses frères, qui fondaient en larmes,
étant âgé de soixante-trois ans. S n corps
fut euterré dans l'église de ce monastère, où
on lit celte épitaphe sur sou tombeau.
llic jiiceC R. in Chrislo P. F. Lupus dt
Oliii'do nations Hispanus, Resusciintor el
Reformafor, ac primus Ueneralis Prœposilus
ordmis Motitichuruin Sancti Jlieronymi,
613
Priarquehujus monasterii, qui obiit die XIII
Aprilis, nnn. M CCCCXXX1JI, Ponti/icatus
Domini Eugenii Papœ IV ann. III.
Philippe 11, roi d'Espagne, ûl réunir les
monastères que cel ordre avail eu Espagne
au nombre de sept, à celui des Ermites ou
Jérony miles, l'an 1305. Il leur en reste en Ita-
lie encore dix-sept, dont le principal, et qui
est chef d'ordre, est celui de Sainl-Pierro de
l'Ospilali tlo, au diocèse de Lodi ; les autres
sont ceux de Saint-Alexis à Home, où réside
ordinairement le procureur général; Saint-
Paul à Albano, Saiul-Jérômc de Caslellacio,
Sainl-Cônie et Saint-Damicn à Milan. Sainl-
Carpofore proche de Côine, Saint-Jérôme
proche de Novare, S ;inl-Jérôme de Biella,
Sainte-Marie de Caramagna, Saint- B;.r-
bacien à Bologne, Saint-Savin à Plai-
sance, Siiinl-.M ictiel à Bremliio, Sainl-Sigis-
mond à Crémone, Sainte-Marie à Hiadena,
Saint-Jérôme proche de Mantoue, Saint-Mar-
tin à Pavie, et Saiuls-Oervais et Protai, à
Montébello,, Le général, qui prend le litre
de comte de l'Ospilaletlo, l'ait ordinairement
sa résidence dans ce lieu ; il porle le man-
telel et le camail comme les prélats de Rome,
et se sert d'ornements pontificaux par une
concession du pape Paul V; et Urbain VIII lui
permit de donner les ordres mineurs à ses
religieux.
Ils suivirent d'abord la règle de saint Au-
gustin, comme nous avons dit ; ils prirent
ensuite celle qui leur avail été prescrite par
leur fondateur Loup d'Olmédo, qu'il avait
tirée des écrits de saint J.rôm,'; mais, ap: es
sa mort, ils quittèrent cette règle pour pi ca-
dre celle de saint Augustin, qu'ils suivent
encore aujourd'hui. Il y a cependant des au-
teurs qui ont avancé qu'ils suivent celle que
Loup d'Olmédo leur a donnée: mais lec/ii-
traire se prouve par l'ordinaire ou rituel de
cette congrégation, qui a éle réformé dans
le chapitre général tenu l'an 1014, où, en
pailanldans le chapitre deuxième des saints
dont ils doivent l'aire l'office, il est marqué
que le 28 février ils feront l'olfi e double de
la Translation de saint Augustin, dont ils
suivent la règle: Die 28 Februarii Translq-
tionis sancti Augustini episcopi ac EccLsiœ
doctoris, duplex, sub cujus régula nos quoque
mililamus. 11 en est aussi fait mention dans
la formuledes vœux, ta ut des moines que des
frères c invers, qui est conçue en ces termes:
Moi F. N-, d'un tel lieu, promets obéissance
à Dieu tout-puissant, à lu glorieuse Vierge
Marie, à notre Pire S. Jérôme, et à vous
dom N., prieur de ce monastère du diocèse de
N., et à vos successeurs [sauf l'obéissance due
au général et au chapitre général), de vivre
sans propre en chasteté, selon la règle, de saint
Augustin, et de conformer mes mœurs selon
les statuts apostoliques de l'ordre jusqu'à ma
mort. Donné, elc.
Il y a aussi d ans cet ordre, outre les frères
convers, des frères commis et des donnés
qui l'ont des vœux en celte manière : Moi
F* N , natif de .Y., pour l'amour de Dieu et le
êulut de mon âme, j'abandonne et donne ma
propre personne et tous mes biens présents et
JFR
i;u
à venir, droits et actions qui peuvent m'uppar-
tenir présentement ou qiti pourront m'appar-
tenir à l'avenir, à Dieu totit-pnissant, <1 la
bonne vierge Marie, à notre Père saint Jérô-
me, et à vous, don S., qui êtes ici présent
pour recevoir mon abandon et ma donation,
et promets obéis» ince à vous et à vos succes-
seurs (sauf celle que je dois au chapitre géné-
ral et au général) ; et , s'il arrive (ce qu'il Dieu
ne plaise) que je sorte d ici sans permission,
il sera permis aux serviteurs de Dieu du même
ordre, de leur pleine autotité, de me pour-
suivre et de me contraindre par force de re-
tourner à leur service. Il n'y a p int de reli-
gieuses de cet ordre, les statuts défendant
expressément d'en recevoir. La règle de Loup
d'Olmédo défendait aussi aux religieux d'é-
tudier, afin d'être plus en état de remplir les
devoirs de leur étal, dont un des principaux
était d'élre toujours dans la retraite et dans
la solitude; mais les statuts qui ont été dres-
sés après la mort de Loup d'Olmédo ont ré-
tabli les études. Ils tiennent leurs chapitres
généraux tous les trois ans. On y élit le gé-
néral, les définiteurs, les visiteurs et les su-
périeurs particuliers des maisons. Us se lè-
vent à minuit pour dire matines, et ils ne
mangent point de viande dans leurs maisons,
si ce n'est dans celle de Saint-Alexis à Home,
à cause qu'elle est située en mauvais air.
Outre les jeûnes prescrits par l'Eglise, il y
eu a encore plusiem s qui leur sont ordonnés
par les statuts, et depuis le premier octobre
jusqu'à Pâques on ne leur donne aucune
pitaii' e ie soir, les lundis, les mercredis et
le> samedis. Leurs constituions furent ap-
prouvées par le pap; Paul V l'an 1611.
Quant à l'habillement, les moines ont une
tu-mque blanche serrée d'un ceinture de cuir,
un scapulaire de couleur tannée auquel est
attaché un petit capuce, dont ils ne se ser-
vent point pour se couvrir la tête; car, lors-
qu'ils n'ont que la rolœ et le scapulaire, ils
portent un bonnet carré; mais, lorsqu'ils
sont au chœur, excepté pendant sexte,
noue et compiles, ils metlent par-dessus la
robe une coule de couleur tannée, qu'ils
portent aussi allant par la ville. Ils n'ont
point les pieds nus, et ne portent point de
sabols, comme dit M. Hermantdans son His-
toire des Ordres religieux ; ils n'en ont même
jamais porté. Les frères convers ont pareil-
lement une tunique blanche et un scapulaire
de couleur tannée, et au lieu de coule un
manteau. Les frères commis ont une tunique
de couleur tannée et un manteau de même,
et les frères donnés ou oblals qui demeurent
dans les monastères ont une petite tunique
aussi de couleur tannée qui ne descend que
jusqu'aux genoux; mais ceux qui sont hors
le monastère sont vêtus comme les séculiers.
Cette congrégation a pour armes d'azur à
des nues en chef, un bras issant du côté
gauche de l'écu en partie nu et en partie re-
vêtu d'une m nche de couleur tannée, tenant
à la main une pierre, une croix de bois bro-
chant sur ie tout, et un lion couché au pied
de la croix sur une terrasse de sinople, l'écu
timbré d'un chapeau de cardinal.
613
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
f.lG
Siguença, Hist. de la Ord. de S. Geron.
Herménégilde de S. Pablo, Origen et Con-
tinuation de rinst. y relig. Geronim. Silvest.
Maurol., Mar. Océan, dilut. gl. Relig. Pietr.
Cresçenz., Prœsid. Rom. Pielro Uossi, Vil.di
Lup. d'Ohr.cdo. Ascagn. Tambur., De Jur.
Abbat., tom. 11. Philip. Rergam. Supplem.
Cluoni., lib. xiv, et Statut, et Ord. Mona-
clior. Erem. Cong. S. Jeronymi.
JÉRÔME DE LANZA. Voy. Jean Paschase.
JÉRONYMITES. Voy. Jérôme (Ordre de
Saint-).
JÉSUATES (Ordre des).
§ lPr. De l'ordre des Clercs apostotigues ou
Jésuates de Saint-Jérôme, avec la vie de
saint Jean Colombin, leur fondateur.
Si les provinces se glorifient d'avoir donné
naissance à des hommes illustres qui se sont
fait admirer par leur science ou qui ont ex-
cellé dans quelque art, à plus forte raison se
doivent-elles estimer heureuses quand elles
produisent des personnes qui se rendent re-
commandables par la sainteté de leur vie,
accompagnée d'une grande innocence de
mœurs, qui leur font mériter le culte et la
vénération des fidèles. La Toscane a fourni
des personnes illustres de toutes les façons,
et elle a l'avantage qu'entre les saints qu'elle
a donnés à l'Eglise on y compte plus de fon-
dateurs d'ordres que dans les autres provin-
ces. Car, outre le bienheureux Etienne Cioni
de Sienne, fondateur des chanoines réguliers
de la Congrégation de Bologne, et les sept
fondateurs de l'ordre des Servites, dont nous
donnerons les vies à l'article de ce nom,
nous parlerons dans la suite de saint Jean
Gualbert de Florence, instituteur de l'ordre
de Vallombreuse; du bienheureux Charles
Granelli de Florence, qui a donné commen-
cement à la congrégation des Ermites de
Saint-Jérôme de Fiesoli ; du bienheureux
Pierre Gambacurti de Pise, père des Ermites
de Saint-Jérôme, présentement surnommés
du bienheureux Pierre de Pise, leur fonda-
teur ; du bienheureux Bernard Ptolomei de
Sienne, fondateur dos moines du Mont-Oli-
vet; de saint François d'Assise, patriarche
des Frères Mineurs, né dans l'Ombrie, que
les géographes regardent comme une partie
de la Toscane; de saint Bernardin de Sienne,
propagateur de l'observauce du même or-
dre; et enfin, en rapportant l'origine des
Clercs apostoliques ou Jésuates de Saint-
Jérôme, nous allons donner la vie de saint
Jean Colombin de Sienne, leur fondateur.
Ce saint tirait son origine, du côté de son
père, de la maison des Colombini, et du côté
de sa mère, des Tommasi, toutes deux des
plus nobles et des principales de la ville de
Sienne, qui était alors une république. 11 fut
d'abord engagé dans le mariage, et épousa
une demoiselle de qualité nommée Biaise
Bandinelli, qui sortait aussi d'une famille
encore plus illustre que celle des Colombini,
pour avoir donné à l'Eglise un pape, qui fut
Alexandre III, et plusieurs rardinaux, et
q.u'on nommait encore de Cerrélani, à cause
de la terre de Cerréto, qui appartenait à
cette famille.
La naissance distinguée de Jean , jointe à
ses grands biens, le fit passer par toutes les
charges de la république , dont il devint
même gonfalonier ; mais il n'en était pas
plus libéral : au contraire, son cœur était si
attaché aux richesses, qu'il était uniquement
occupé des moyens de les augmenter par
toutes sortes de voies justes et injustes. Un
jour, étant venu chez lui avec un grand ap-
pétit, et ne trouvant point le diner prêt à
l'heure ordinaire, il se mit dans une colère
étrange contre son cuisinier, et s'emporta
même contre sa femme, comme si c'eût été
sa faute. Celle dame, qui était fort vertueuse,
lâcha de l'adoucir; et, afin qu'il eût de quoi
s'occuper pendant qu'on apprêterait le dî-
ner, elle lui mit entre les mains la Vie des
Saints; mais Jean la rebuta el jeta brusque-
ment le livre par terre. Sa femme se retira
sans lui répondre, et Jean, se trouvant seul,
ramassa le livre. Dieu permit qu'en l'ou-
vrant il tombât sur la vie de sainte Marie
Egyptienne; elle plaisir qu'il prit à la lire lui
fil oublier le repas pour lequel il avait eu
tant d'impatience. Il fut si louché de cette
lecture, qu'il commença à mépriser ce qu'il
avait le plus airné jusqu'alors. D'avare qu'il
était, il devint fort libéral envers les pau-
vres. Il jeûnait presque lous les jours, fré-
quentait les églises, châtiait son corps par
des austérités et des mortifications surpre-
nantes ; et son zèle croissant de jour en jour,
il fit la proposition à sa femme de garder la
continence et de vivre à l'avenir comme frère
et sœur. Cette dame était encore jeune ; mais,
comme elle s'était déjà exercée dans toutes les
vertus, elle n'eut pas de peine à consentir à
une séparation de corps, et elle n'eut plus
avec lui d'autre liaison que celle du cœur.
Jean quitta pour lors ses riches habits et
se revêtit de l'étoffe la plus vile qu'il put
trouver, se souciant peu de ce que le monde
eu dirait. Il fit de sa maison un hôpital pour
y recevoir les pauvres, les étrangers et les
malades. Il leur lavait les pieds, leur donnait
de bons lits et des nourritures en abondance,
les servait lui-même, et n'oubliait rien de ce
que sa charité lui pouvait suggérer. Il s'as-
socia dans ses saints exercices un gentil-
homme siennois de ses amis, nommé Fran-
çois de Mino Vincenti , qu'il disposa à faire
avec lui un généreux mépris du monde.
Jean, étant tombé malade, et voyant que
sa femme et son compagnon le traitaient
avec trop de délicatesse, se leva de son lit
lorsqu'ils étaient absents, et alla au plus
pauvre hôpital de la ville pour s'y faire trai-
ter avec les pauvres. Sa femme et François
le cherchèrent inutilement pendant deux
jours chez leurs parents et leurs amis; el
ayant été ensuite dans tous les hôpitaux, ils
furent fort surpris de le trouver dans le plus
pauvre de tous. Ils le firent consentir à re-
tourner chez lui, mais ce fut à condition
qu'ils ne le traiteraient plus avec tant de dé-
licatesse et qu'ils ne lui donneraient que de?
aliments grossiers,
017
IES
JES
018
Etant retourné en santé, et continuant ses
exercices île charité avec son compagnon, ils
trouvèrent à la porte de la grande église, où
ils allaient pour entendre la messe, un pau-
vre lépreux toul couvert de plaies. Jean le
chargea sur ses épaules et ne rougit point
de le porter chez lui à travers la. place et les
rues, devant tout le momie. Sa femme en eut
horreur et ne put souffrir l'infection de ses
ulcères; elle fit même ce qu'elle put pour
obliger son mari à le faire sortir de la mai-
son, mais il persista à le vouloir garder. Il
lui lava ses plaies, et but même de l'eau
dans laquelle il les avait lavées. Il retourna
avec son compagnon à l'église poury entendre
la messe, priant sa femme de rendre quel-
ques visites à ce pauvre pour voir s'il n'au-
rait point besoin de quelque chose pendant
leur absence; mais elle lui déclara qu'elle ne
pouvait pas lui promettre ce qu'il souhaitait,
à cause de la grande répugnance qu'elle res-
sentait pour ce pauvre. Cependant elle eut
honte île sa faiblesse, et, voulant avoir part
au mérite de cette sainte action, elle voulut
entrer dans la chambre du malade; mais elle
sentit à la porte une odeur agréable au lieu
de l'infection et de la puanteur dont elle
avait eu d'abord de l'horreur, et elle fut sai-
sie d'un si grand respect, qu'elle n'osa passer
outre. Peu de temps après, Jean et François
revinrent de l'église avec quelques douceurs
qu'on leur avait données pour leur malade.
Cette dame leur dit ce qu'elle avait senti. Ils
respirèrent eux-mêmes cette odeur, et fu-
rent encore plus surpris lorsque, étant en-
trés dans la chambre, ils n'y trouvèrent pus
le malade, qni était Jésus-Christ lui-même
qui avait pris la forme du lépreux : ce que
Nolre-ScigiKur confirma à Jean dans une
vision qu'il eut quelque temps après.
Cet événement surprenant fortifia nos
deux saints dans la résolution qu'ils avaient
prise de tout abandonner pour suivre Jésus-
Christ pauvre. 11 leur restait à chacun une
fille de leur mariage. Celle de Jean était
âgée de treize ans, et celle de François seu-
lement de cinq ans. Us les mirent dans un
monastère de l'ordre de Saint-Benoit dédié à
saint Abundius, et que le vulgaire a toujours
appelé par corruption Sainte- Bonde. Jean,
ayant déjà distribué une grande partie do
son bien aux pauvres, fit trois parts de ce
qui lui restait. 11 en donna une au grand
hôpital de Sienne, une autre au monastère
de Sainte-Bonde, et l'autre à l'hôpital de
Notre-Dame de la Croix, a condition qu'ils
donneraient une certaine somme à sa femme
tant qu'elle vivrait. Pour François, il donna
tous ses biens au même monastère, à condi-
tion que l'abbesse serait obligée de recevoir
six pauvres filles qui voudraient embrasser
la vii' religieuse, sans qu'elles fussent obli-
gées de donner aucune dot. H mit ensuite sa
tille sur l'autel pour l'offrir à Dieu, et, s'of-
frant encore lui-même, il fit vœu de chasteté,
de pauvreté et d'obéissance en présence de
tout le monde, en disant qu'il ne prétendait
point que le monastère fût obligé en aucune
façon à lui rien donner, et qu'il ne voulait
Dictionnaire des Ordres religieux. II.
recevoir de lui que quelques morceaux de
pain dans la distribution qu'il avait accou-
tumé d'en faire aux pauvres, dont il voulut
passer un acte par-devant notaire.
Ces deux serviteurs de Dieu commencè-
rent pour lors à ne plus vivre que d'aumô-
ne-, allant de porte en porte demander du
pain. Ils se revêtireiil d'un habit de bure et
encore tout rapiécé, cl tant l'hiver que l'été,
et quelque temps fâcheux qu'il fit, ils allè-
rent toujours nu-pieds et ne couvraient point
leurs (êtes. Outre les cilices et les disciplines
dont ils déchiraient leur corps, ils inven-
taient tous les jours de nouvelles mortifica-
tions. Pour être les parfaits imitateurs de
Jésus-Christ , ils voulurent être méprisés
dans le lieu même où ils avaient reçu le
plus d'honneur. Us avaient tous les deux
exercé les principales charges de la républi-
que; et, comme pendant les deux mois qu'ils
avaient été du nombre des neuf prieurs de
la ville, ils avaient été considérés et traités
avec beaucoup de respect et de déféienco
dans le palais, aussi voulurent-ils pendant
deux mois exercer dans le même lieu les of-
fices les plus vils et les plus méprisables. Il
n'y avait pas pour lors de fontaine dan* le
palais; ils allaient tous les jours à celle de la
place puiser de l'eau pour y en porter, et
chargeaient encore sur leurs épaules le bois
et les autres choses nécessaires; ils aidaient
le cuisinier dans son office , lavaient les
écuelles, balayaient les salles et la place qui
est devant le palais ; et , pendant toul le
temps qu'ils s'employèrent à ces actions
d'humilité, ils n'y voulurent jamais manger,
mais ils allaient demander l'aumône dans la
ville pour vivre.
Une manière de vie si surprenante leur at-
tira beaucoup de railleries. Quelques-uns les
regardèrent connue des fous; mais il y en
eut aussi plusieurs qui en furent vivement
touchés, et qui, voyant le nierais qu'ils fai-
saient des honneurs et des richesses, voulu-
rent les imiter. Les uns entrèrent dan- des
ordres religieux ; d'autres , eu demeurant
dans leurs propres maisons, se contentaient
d'y mener une vie chrétienne et reiirée;
d'autres enfin se joignirent à eux. Ce ne fut
néanmoins quedeux ans après leur entier re-
noncement au monde, c'est-à-dire l'an 1365,
qu'ils commencèrent à avoir des compa-
gnons, et on les voyait souvent tous en-
semble aller par les rues chantant des canti-
ques, ayant sans cesse le nom de Jésus à la
bouche et exhortant les pécheurs à faire pé-
nitence.
Us ne recevaient ceux qui voulaient en-
trer dans leur société qu'après de rudes
épreuves. Le plus souvent, au rapport de
Alorigia, qui a été général de cet ordre, ils
conduisaient le novice par les ru s, ayant
une couronne d'oliviersur la tête, le faisaient
monter sur un âne, quelquefois le visage
tourné vers la queue; et ceux qui l'accom-
pagnaient avaient aussi des couronnes d'o-
livier en tète et des rameaux en main, et
criaient sans cesse , Vive Jésus-Clirisl, et
loué soit à jamais Jésus-Christ. D'autres fois
20
6id
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
C20
ils le conduisaient nu jusqu'à la ceinture, les
mains liées derrière le dos, en lui disant des
injures, et exhortant le peuple à prier Dieu
pour ce misérable pécheur; mais la plupart
du temps et la manière la plus ordinaire
parmi eux, c'était de conduire le novice de-
vant une image de la Vierge qui était dans
la grande place de la ville, et là ils le dé-
pouillaient de ses habits pour le revêtir de
méchants haillons, et lous avec des couron-
nes d'olivier en tète et des rameaux en main
chaulaient des cantiques spirituels. Celte
pratique de porter des couronnes et des ra-
meaux d'olivkr était particulière à ce saint
fondateur, et il s'en servait dans toutes les
cérémonies d'éclat, comme nous verrons dans
la suite.
Tant de mortifications et de si rudes épreu-
ves que saint Jean Colombin exerçait envers
ceux qui voulaient être ses disciples, n'em-
pêchèrent pas qu'en moins de deux ans il
n'en eût plus de soixante et dix, parmi les-
quels il y en avait qui étaient des principa-
les noblesses de la province. Son zèle pour
le salut des âmes ne se bornait pas seule-
ment à la ville de Sienne, il parcourut en-
core les bourgs et les villages de la Toscane
pour porter les pécheurs à la pénitence, et
fit beaucoup de fruits dans tous les lieux où
il passa. Comme il allait un jour avec trois
ou quatre de ses disciples à Monlichellio,
dans le territoire de Sienne, et qu'il était
obligé de passer dans une terre qui lui avait
appartenu et où il avait commis beaucoup
de vexations, il se dépouilla tout nu jusqu'à
la ceinture, se fit lier avec des cordes, et
pria ses compagnons de le tirer avec vio-
lence, en disant tout haut aux habitants de
ce lieu : Vroilà celui qui voulait vous faire
mourir de faim, et qui n'avait point de com-
passion des pauvres, qui vous prêtait de
mauvais grain dans 1 1 nécessité pour en ti-
rer de bon au temps de la récolle, et au dou-
ble de ce qu'il avait prêté, et qui souhaitait
que le blé lût bien cher aiin de s'enrichir.
Le nombre des disciples de ce saint fon-
dateur augmentant de jour en jour, il vou-
lut faire approuver son ordre par le pape
Urbain V, qui venait d'Avignon à Rome; il
alla au-devant de ce pontife avec un grand
nombre de ses disciples. Ils s'arrosèrent
quelque temps à Vilerbe, en attendant sou
arrivée; et, sachant qu'il devait débarquer
à Cornéto, ils s'y rendirent et se trouvèrent
au port avec des couronnes d'olivier sur
leurs têtes et des rameaux en main; et lors-
que le pape mit pied à terre, ils s'écrièrent :
Lodaio siâ Gicsu CKrîsto et viva il sanciis-
urno Pculie. Ce poiitifé, les voyant habftléi
d'une manière extraordinaire, et ayant su
ce qu'ils demandaient, admira leur simpli-
cité et les reçut favorablement. 11 interrogea
Jean Colombin sur leur manière de vie; et,
comme ils avaient de méchantes robes toutes
rapiécées, et que parmi eux il y avait plu-
sieurs gentilshommes el personnes lettrées,
il leur dit qu'il leur donnerait des habits,
qu'ils devaient avoir de quoi couvrir leurs
têtes, et qu'il consentait qu'ils allassent nu-
pieds, mais qu'il voulait qu'ils portassent
des sandales de bob. Lç pape alla ensuite à
Viterbe, où ces bons religieux l'accompagnè-
rent. Mais à peine y furent-ils arrivés, que
des personnes malintentionnées les calom-
nièrent auprès de Sa Sainteté, les accusant
d'être infectés des erreurs des fratricelies ;
de sorte qu'Urbain V donna commission au
cardinal Guillaume Sudre, évoque de Mar-
seille, d'examiner leur doctrine. Leur inno-
cence ayant élé reconnue, le pape approuva
leur institut l'an 1367, et donna de sa pro-
pre main, à ceux qui étaient présents, 1 ha-
bit qu'il voulait que l'on portât à l'avenir
dans cet ordre, savoir : une tunique blanche
serrée d'une ceinture de cuir, avec une
chausse ou chaperon blanc pour couvrir leur
tète, qu'ils avaient accoutumé de porter sur
l'épaule lorsqu'ils avaient la lêle découverte,
ordonnant de plus qu'ils porteraient des san-
dales de bois (1) ; et le cardinal Anglic Gri-
moard, frère du pape et non pas neveu,
comme quelques auteurs ont avancé, et qui
était aussi évêque d'Avignon, leur fil faire des
manteaux de couleur tannée qu'ils ont aussi
toujours portés depuis. Il n'est pas vrai que
ce pape leur donna la règle de saint Augus-
tin, comme plusieurs historiens ont ilit :
Morigia, qui a élé général de cet ordre, doit
ê're cru lorsqu'il dit que ces religieux fai-
saient les trois vœux essentiels de religion
sous la protection de saint Augustin , et
qu'ils avaient une règle que leur écrivit un
religieux de leur ordre qui fut fait évêque
de Ferrare ; el le même auteur, parlant des
ordres qui suivent la règle de saint Augus-
tin, dit encore que les Jésuates observaient
la profession de saint Augustin, mais non
pas sa règle, parce qu'ils en avaient une
qui leur avait élé donnée par un de leurs
fri res qui fut fait évêque, laque'le fut con-
firmée par le saint-siége. Ce lut le bienheu-
reux Jean de Tossignan qui dressa cette rè-
gle. Il fui fait évêque de Ferrare l'an 1431,
et mourut l'an 143'J. Us ont néanmoins vé-
ritablement suivi la règle de saint Augustin
dans la suite, el elle est à la tête de leurs
dernières constitutions qui furent imprimées
à Ferrare l'an 1641, après avoir été approu-
vées l'année précédente par le pape Urbain
YJ1I, qui par sa bulle appelle leur congré-
gation la congrégation des Jésuates de Saint—
Jérôme sous la règle de saint Augustin, et
ces constitutions lurent tirées de la règle de
saial Augustin, de celle du bienheureux Jean
de Tossignan, et des règlements qui avaient
clé faits dans leurs chapitres généraux.
Le nom de Jésuates fut donné à ces reli-
gieux, parce qu'iis avaient toujours le nom
de Jésus à la bouche; et, comme dans le
commencement ils eurent une grande dévo-
tion à saint Jérôme, ils résolurent de le
prendre pour leur protecteur et avocat, et
dédièrent en son honneur la plus grande
partie des églises et des oratoires qu'ils pos-
(1) Voy., à la fin du vol., u* IS4.
02!
JES
sellaient. Ce ne fut néanmoins que longtemps
après, l'an 1V92, que le pipe Alexandre VI
ordonna que les religieux de cet ordre ne
s'appelleraient plus simplement Jésuates,
niais les Jésuates de Saint-Jérôme, ctdéfen-
dil à toutes les congrégations qui bâtiraient
dorénavant des églises de les dédier à l'hon-
neur de saint Jérôme, dans les lieux où il y
en avait déjà de ce nom appartenant aux Jé-
suates, et que dans les processions publiques
où ils avaient droit d'assister, aucune église
ne pût porter une bannière avec l'image de
saint Jérôme. Depuis ce leinps-là, cet ordre
a toujours été appelé les Jésuates de Saiul-
Jérôme par les papes successeurs d'Alexau-
dreVl; le nom de Clercs apostoliques leur
fut aussi donné à cause de la vie apostolique
qu'ils menaient.
Saint Jean Colombinne survécut pas long-
temps à la confirmation de son ordre. Comme
il retournait à Sienne avec ses compagnons,
il fut attaqué d'une grosse fièvre à Bolscnne.
On le mena à Aquapendcnte, eu l'on espé-
rait trouver plus de secours qu'à Bolsenne;
il y reçut le saiut viatique; et, comme ses
disciples souhaitaient qu'il pût mourir dans
l'abbaye de Sainte-Bonde, ils le conduisirent
encore plus loin. Ils furent cependant con-
traints, la maladie augmentant, de s'arrêter
au bourg de l'abbaye Sainl-Sauveur,où saint
Jean Colombin, aprèsuvoir reçu le sacrement
de l'extrème-onction, mourut un samedi, der-
nier jour de juillet de l'an 13G7. Les reli-
gieux n'exécutèrent pas ses dernières vo-
lontés, car il avait ordonne qu'un le portât
après sa morldansl'abb aye de Sainte-Bonde,
pour y être enterré au pied de la muraille
du monastère, et qu'on l'y conduisit les
mains liées derrière le dos, enseveli dans
un linicul et porté sur un âne; mais ils le
portèrent sur leurs épaules dans une caisse
de buis avec un grand nombre de flambeaux,
et les peuples des lieux où ils passaient ac-
couraient en foule puur révérer ce saint
corps; plusieurs même par dévotion voulu-
rent l'aecompagner jusqu à l'abbaye de
Sainte-Bonde, où il fui enterré avec beau-
coup de pompe. Il fit plusieurs miracles
qui obligèrent dans la suite le pape Gré-
goire X1ÎI à insérer son nom dans le Marty-
rologe romain , et le pape Sixte V a ac-
cordé indulgence plénière à ceux qui le
jour de sa fêle, laquelle est de précepte à
Sienne, visiteraient l'église de son ordre.
Ce saint avait nomme pour son successeur
dans le gouvernement de >on ordre le bien-
heureux François Mino Viucenli, son pre-
mier compagnon; mais la mort ne put désu-
nir que pour un peu de temps ces deux ser-
viteurs de Dieu, qui avaient été si unis sur la
terre du lien de la charité. Le bienheureux
François ne survécut que de quinze jours
à saint Jean Colombin, et alla être dans le
ciel le compagnon de sa gb.ire, comme il
avait été ici-baslccompagnon de seslravaux.
Iltombamuladeles! ptième jour après la mort
de ce saint fondateur ; cl, étant décédé dans
l'abbaye de Sainle-Boinle le l.'i a oui de la
même année, il fut enterre à côte de saint
JES 62lJ
Jean Colombin dans l'église de celte abbaye.
Ainsi il ne prit point le gouvernement de
l'ordre, puisqu'il fallut bien employer six
jours à porter le corps de saint J< an Colom-
bin du lieu où il était mort à Sainte-Bonde,
et à lui rendre les derniers devoirs : ainsi
ceux qui ont dit que cet ordre avait fait de
grands progrès sous le gouvernement du B.
François Mino Vincenti se sont visiblement
trompés.
Ce fut le P. Jérôme Dasciano qui, après la
mort de ces deux serviteurs de Dieu, fut le
chef de ce nouvel ordre, qu'il étendit en plu-
sieurs lieux pendant trente et un ans qu'il
le gouverna. 11 lit des établissements à San-
Léonardo,à CasUldurante, à Cilta di Cas-
lello, à Arezzo, à Florence, à Pisloie, à Luc-
ques, à Pise, à Sambuca et à Bologne. Cet
ordre fit de nouveaux progrès sous le P. Spi-
nello de Sienne, qui succéda au bienheureux
Jérôme l'an 1398, et qui fui général pendant
trente-quatre ans, aussi bien que sous le
P. Antoine de Venise, qui exerça cette
charge pendant vingt-cinq ans. Ce fut sous
le généralat du P. Spinello que, l'an 1426,
l'on tint le premier chapitre général de cet
ordre dans le couvent de Bologne, où il fut
résolu que toute l'autorilé pour le gouver-
nement de l'ordre serait dans la personne du
P. Spinello, qui était déjà chef de tout l'or-
dre, el dans celle de deux autres Pères qu'on
élut pour définitcurs. Ce fut aussi dans ch
même chapitre qu'on reçut la règle qui avait
élé dressée par le bienheureux Jean de Tos-
signan,qui était pour lors prieur du cou-
vent de l'errare, et qui fut dans la suite évé-
que de la même ville, comme nous avons dit.
Le second chapitre général ne se tint que
i'an liV2. Dans la suite, on en tint un loua
les quatre ans ; et dans celui qui se tint l'an
1458. où le P. Nicolas de Monlépulciano fut
é'u général, il fut ordonné que le général
ne serait plus à vie, et qu'à chaque chapitre
on en élirait un, ce qui a élé observé dans la
suite.
Plusieurs papes ont accordé des privilèges
à cet ordre, et le bienheureux Pie V, en le
confirmant derechef, le mil au nombre des
mendiants, et lui accorda les mêmes privU
léges dont jouissaient ces ordres. Pendant
plus de deux siècles, les religieux jésualct
n'étaient que des frères lais qui n'étaient
ob'i^és qu'à réciter par jour cent soixante-
cinq Paler et autant d'.lte. Ils se trouvaient
trois fois le jour à l'oratoire pour en di; e 3
chaque fois un certain nombre. Ils avaient
cinq à six heures d'oraison par jour. Après
la prière du matin, le supérieur leur faisait
une exhortation. Tous les jours, le malin et U
£oir, ils prenaient la discipline; ils récitaient
aussi l'office de la sainle Vierge, mais sans
aucune obligation; el, après avoir satisfait à
leurs exercices de religion, ils allaient aux
hôpitaux senir les malades, ou ils travail-
laient manuellement. Mais dans la suite le
pape Paul V, par un bref de l'an 1G00, leur
permit de recevoir les ordres sacrés, et de re-
nier le grand office dj l'Eglise, selon l'usage
de l'Eglise romaine. Le pape Urbain VÎ1I,
C2Ô
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
l'an 1624, leur Al a ce te chausse ou chaperon
dont ils se (ouvraient la lêle , et leur or-
donna de porter un polit c.ipure de la cou-
leur de leurs manteaux. Ce fut ce même pon-
tife qui, comme nous avons dit, approuva
l'an 1610 leurs nouvelles constitutions, qui
ne diminuaient rien de leurs anciennes aus-
térités, car elles les obligeaient à prendre en-
core deux fois le jour la discipline pendant
l'espace d'un Miserere, d'un iJe profundis et
d'un Pater, avec quelques oraisons. Depuis
la fêle de l'Ascension jusqu'à celle de la Pen-
tecôte, ils ne devaient avoir que des viandes
quadragésitnales. Depuis ia fêle de lous les
saints jusqu'à celle de saint Grégoire Thau-
maturge, ils faisaient le soir une plus grande
abstinence; mais pendant l'aveut ils s'abste-
naient de viandes permises aux jours ordi-
naires de la règle, et n'usaient que de vian-
des quadragésimales. Ils jeûnaient aussi de
même tous les vendredis de l'année et les
veilles de quelques fêles, et tous les lundis
et mercredis ils faisaient abstinence, ne man-
geant ces jours-là à diner qu'un potage et du
fromage, et le soir une salade et du fromage ;
quant aux collations des jours déjeunes, ils
pouvaient seulement boire un coup et man-
ger un peu de fruit sans pain.
Ces religieux s'occupaient, dans la plupart
de leurs maisons, à la pharmacie, et dis! ri—
buaieut gratuitement aux paovres des médi-
caments. II y en avaitd autres où ils faisaient
le métier de distillateurs et faisaient trafic
d'eau-de-vie, ce qui faisait que dans quelques
lieux on les appelait les Pères de I eau-dc-
vie, gli Padri dtli uqua vita ; mais dans l'Etat
de Venise ils étaient assez riches, ce qui fit
que la république demanda leur suppression
à Clément IX, afin de profiter de leurs biens,
qui furent employés à soutenir la guerre que
cette république avait contre les Turcs qui
assiégeaient pour lors Candie; ce que le pape
accorda l'an 1668, ayant fait subir le même
sort à l'ordre de Saint-Georges in Alglia,
dont nous avons parlé à l'article qui porte
ce nom, et à celui des Ermites de Sait) (-Jé-
rôme de Fiesoli, qui furent aussi supprimés
par la même bulle. Ce pontife accorda aux
piètres de ces ordres pendant leur vie qua-
rante écus romains , et aux frères lais
vingt écus. Le général des Jésuates, qui
était pour lors le P. Urbain d'Aviano, fut
fait curé de la paroisse de Saint-Jean de
Malva, à Ruine, qui était une des églises que
cet ordre possédait dans cette ville. L'autre,
dédiée aux saints Jean et Paul, qui est un
litre de cardinal, a été donnée dans la suite
aux prêlres de la Mission de la congréga-
tion de Al. Vincent de Paul par le pape In-
nocent XII, ayant été occupée auparavant
pendant quelque temps par des Jacobins
anglais que le cardinal de Norfolck, Anglais,
y avait fait venir, et qu il entretenait. Les
Jésuates l'avaient possédée depuis l'an I'i48,
que le pape Nicolas V, à la prière du cardi-
nal latin des Ursius, la leur avait accordée,
(1) Cari. Barlhol.Piazza, Opcr. pie. di Romu, tract.
0, tip. 5.
021
ce cardinal leur ayant aussi donné une par-
tie de son palais, qui était joignant cite
église, et dont ils firent leur monastère.
Cet ordre a produit beaucoup de person-
nes illustres tant par leur sainteté que par
leur science; car, quoiqu'ils ne fussent pen-
dant les premiers siècles de leur établisse"
ment que des frères lais, il y avait ce-
pendant parmi eux plusieurs personnes sa-
vantes et que leur mérite éleva dans la suite
aux dignités de l'Eglise, comme le bienheu-
reux Jean de Tossignan, qui fut évoque de
Ferrare, et le bienheureux Antoine de
Sienne, évêque de Foligny, qui fut employé
en plusieurs négociations par le pape Pie 11.
Les bienheureux Jérôme de Venise elJan-
nette de Vérone étaient en si grande estime,
que le doge de Venise Nicolas Marcelle vou-
lut être couronné par eux. La cérémonie de
ce couronnement se voit encore peinte à
fresque dans le réfectoire du couvent de
Saint-Barthélémy de Vérone, qui appartenait
autrefois à cet ordre, et qui est présente-
ment occupé par les religieux du Tiers Or-
dre de Saint-François. On lit au-dessous de
cette peiniure : Serenissimus V enetiarum
prineeps Nicolaus Marcellus a B. P. Hicro-
nymo Venetoela.il. P.Janelo 1 erone.nse,coro-
nari voluit, anno DominiMCCCC LXXII I (1).
Avant leur abolition, l'archiconfraternilé
du Sauveur au Sancla Sanctorum de l'Ëchelle-
S.iinle, à Home, donnait le jeudisaiutà dînera
six religieux de cet ordre du couvent des
saints Jean et Paul, et à six autres de l'ordre
de Saint-Ambroise ad Nennis du couvent de
Saint-Clément, et après le dîner on leur
donnait à chacun une paire de souliers, un
jule (2) et un pain. Paul Morigia, qui a été
général de cet ordre avant que le pape Paul V
eût permis à ces religieux de prendre les
ordres sacrés, a donne les vies de soixante
religieux du même ordre, morts en odeur de
sainteté. Il a fait encore une histoire des or-
dres religieux, celle de Milan, et soixante et
un traités sur différents sujets, dont il est fait
mention dans l'épitapheque George Trivulce,
comte de Melfe, lui fil élever après sa mort,
qui arriva l'an 1604-, et qui est dans l'église
de Saint-Jérôme de Milan, qui appartenait à
son ordre.
Ces religieux avaient pour armes un nom
de Jésus, avec des rayons d'or en champ d'a-
zur, et au-dessous une colombe blanche par
allusion à leur fondateur saint Jean Colom-
bin. M. de la Faille dang ses Annales de Tou-
louse (I, pag 187), dit qu'au mois d'avril de
l'an 1425 il y en eut cinq qui vinrent dans
cette ville, et s'adressèrenlauxcapiloulspour
avoir la permission de s'y établir, ce qu'ils
leur accordèrent de leur autorité et sans
assembler les bourgeois, qui s'y opposèrent ;
mais que deux capilouls s 'étant présentés
au parlement pour lui demander qu'il lui
plût autoriser leur délibération, cela leur
fut accordé par un arrêt du 18 du même
mois. Cet auteur ajoute que les cellules de
(i) Petite pièce d'argent valant sept sous et demi
d« France.
62a
JES
JES
626
ces religieux étaient polîtes et basses, ri
devaient élre à rez-de-chaussée, à certaines
distances le* mies des autres, COUltne celles
des Camaldulcs Cet établissement de Tou-
louse est le seul que je sache qu'ils aient
fait hors de l'Italie.
Voy. Morigia, Hisl. des Ord. relit/., !iv.
I, chni>. 38, 39, kO ; et llist. de (jl. Huomini
Mus t. Giesuati. Jo. B. Hossi, Triumphus di-
vinœ-gratiœ per R. Joann. Colwnbinum.
Anto. Cortelli, De Paup. Jesual. confirmât.
Leurs Constitutions imprimées à Ferrnre en
lii'il. Silvest. Maurol., Mar. Océan, di hit t.
yl. Relig. Crescenz., Prend. Rom. Philip.
Rnnanni, Catulog. omn. relig. Ord. Giri et
Baillet, Vies des Saints, 31 juillet.
§ 11. Des religieuses Je suai es de Saint-Jérô-
me, aree la vie delà bienheareuse Catherine
Cclombin de Sienne, première religieuse de
cet ordre.
Les religieuses Jésuates de Sainl-Jérômc
n'ont pas eu le même sort que les religieux
du même ordre, rar elles ne furent pas com-
prise* dans la bulle de Clément IX de l'an
1668, qui supprimait seulement les religieux
de cet ordre, sans faire mention des religieu-
ses ; c'est pourquoi il en reste encore quel-
ques monastères en Italie. Elles ont été aussi
instituées par saint Jean Colombin, ce qui
ne peut pas élre arrivé l'an 1357, comme
quelques auteurs ont avancé, puisque Mo-
rigia dit que ce ne fut qu'après que ce saint
fut de retour des missions qu'il fit dans la
Toscane, où il convertit une infinité de per-
sonnes par la force de ses prédications, dont
il y en eut plusieurs qui voulurent être de
ses disciples : ainsi, comme ce saint ne se
dépouilla de tous ses biens et qu'il ne com-
mença sa vie apostolique que l'an 13(33, et
qu'il ne reçut des disciples que deux ans
après, on peut mettre le commencement des
religieuses Jésuates un peu avant la confir-
mation de l'ordre que saint Jean Colombin
obtint du pape Urbain V, l'an 1367.
Comme le zèle de ce saint fondateur pour
le salut des âmes s'étendait indifféremment
sur toutes sortes de personnes, voyant que
le nombre de ses disciples augmentait, il
voulut aussi établir une congrégation de
filles qui servissent Dieu dans une pauvreté
aussi grande que celle qu'il faisait pratiquer
à ses disciples. Il jeta les yeux sur une de
ses cousines pour donner commencement à
celle congrégation. Elle s'appelait Cathe-
rine Colombin, et était fille du seigneur
Thomas Colombin, chevalier de l'ordre de
la Sainte-Vierge mère de Dieu, que le vul-
gaire appelait les Frères Joyeux, à cause
que ces chevaliers étaient mariés et vivaient
a\ec beaucoup de splendeur. Cette sainte
fil e était résolue de garder sa virginité, et
n'avait jamais voulu entendre à toutes les
proposilionsqu'on lui avait faitesdu mariage.
Elle voulait bien se consacrer au service de
Dieu, mais la vie pauvre et austère que me-
nait saint Jean Colombin l'épouvanta d'a-
bord à la première proposition que le saint
lui fit de l'embrasser ; et, riche qu'elle était,
elle ne pou ail s< baodon-
ner piiui a >ei ■''■>',■,,. . ,;..'.!.-
demander s n i aio île p >r e eô ; <>. te, comme
faisaient les ilisei les de s i rit Jean Colom-
bin. Cependant ce saint demanda si forte-
ment a Dieu qu'il lui plût loucher le rieur
de sa parente, que ses prières lurent exau-
cées, et Catherine se soumit à toul ce qu'il
voulut lui ordonner. Elle commença d'a-
bord par distribuer ses biens aux pauvres
sans se réserver aucune chose, mettant
toute sa confiance dans la divine providence.
Elle se fit ensuite un gros habit de bure,
dont elle voulut être revêtue par notre saint
fondateur ; et, comme il y avait déjà plu-
sieurs tilles et femmes veuv< s qui, touchées
par ses prédications, menaient en leur par-
ticulier une vie retirée, il n'eut pas de peine
à leur persuader de suivre l'exemple de la
bienheureuse Catherine, et elles voulurent
aussi recevoir le même habit de ses mains.
Ce saint leur accorda leur demande, et, après
les avoir revêtues de cet habit pauvre et mé-
prisable aux yeux des hommes, il leur donna
encore un voile blanc pour couvrir leur léte.
Elles choisirent la maison de la bienheureuse
Catherine pour y faire en commun leurs
exercices, et elles élurent pour supérieure
celte sainte fille, qui quelque temps après
fil bâtir le premier monastère de cette con-
grégation à Valpiatla, ce qui n'arriva ap-
paremment qu'après la mort de saint Jean
Colombin.
Il est difficile d'exprimer avec quel zèle et
quelle ardeur ces saintes religieuses servi-
rent Dieu dans celle communauté naissante.
Elles avaient leurs heures marquées pour la
prière, l'oraison et les lectures spirituelles,
auxquelles elles employaient même une
bonne partie de la nuit. Apres leurs exer-
cices spirituels, elles s'occupaient au tra-
vail des mains ; et pendant ce temps-là il y
en avait toujours une qui faisait la lecture
ou bien toutes ensemble chantaient quelques
cantiques spirituels, ou s'entretenaient de
saints discours qui pouvaient les porter à
l'amour de Dieu et à l'avancement de leur
salut, et de celle manière leur vie était une
continuelle oraison. Celait une chose ad-
mirable de voir leur modestie et leur rete-
nue. On n'entendait jamais chez eles le
moindre bruit, tant était grande leur union.
Tout y était en commun, r,en ne fermait à
clef, et personne n'avait rien en propre, puis-
qu'elles n'admettaient aucune fuie parmi
elles qui ne se fût auparavant dépouillée de
tout ce qu'elle avait en faveur des pauvres.
Ainsi elles ne vivaient que du travail de
leurs mains; et, si le gain qu'elles en reli-
raient n'était pas suffisant pour leur en-
tretien, elles allaient par la ville demander
l'aumône le visage couvert, ne s'arrélant
avec personne pour parler ; et à leur retour
il ne leur était pas permis de s'entretenir
de ce qu'elles avaient vu dans la ville.
Non-seulement ces saintes religieuses, qui
étaient la plupart filles ou veuves d
tilshommes et des plus qualifiés de"
cauc, étaient revêtues de gro* b
627
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
C3Ô
luire, niais ollt-s marchaient encore nu-pieds
sans sandales, elles prenaient deux fois la
discipline pendant la nuit, dormaient sur
des paillasses, et la plupart portaient des
liaires, des cilices, des ceintures de fer. La
bienheureuse Catherine surpassait touti s les
autres en vertu et en austérités, car elle
leur servait d'exemple d'humilité, de pa-
tience et de charité, et elle était vêtue plus
pauvrement que les autres. Elle couvrait sa
paillasse d'un rude cilice, elle faisait de plus
grandes abstinences, el toutes les fois qu'elle
communiait, elle ne mangeait rien du toute
la journée. Elle jeûnait la veille de ces
jours-là au pain et à l'eau, le plus souvent
elle passait la nuit en prière et en oraison.
Elle avait encore le don de toucher les
cœurs par ses discours, et elle persuada à
plusieurs personnes de son sexe de vouer à
Dieu leur virginité , et de finir leurs jours
dans la retraite et la pénitence.
Un jour que le démon la tenta, et qu'il
voulut salir son imagination par quelques
pensées d'impureté, elle arma son bras d'une
discipline de fer, et, s 'étant recommandé* à
Dieu, elle se déchira le corps pendant toutle
temps qu'elle récita les sept psaumes de la
pénitence, el de celle manière elle résista à
la tentation. Le démon l'attaqua encore en
plusieurs rencontres, mais il se déclara tou-
jours vaincu par notre sainte, qui, le mépri-
sant, le défiait quelquefois au combat, où elle
n'employait pour armes que la prière et l'o-
raison.
Après avoir ainsi persévéré dans le service
de Dieu pendant vingt-deux ans, sans s'èlre
jamais relâchée en aucune chose, elle tomba
malade, et sainte Catherine vierge et mar-
tyre, sa patronne, s'étant apparue à elle
pour l'avertir que sa fin était proche, eUe se
prépara à la mort par la réception d»s sacre-
ments de l'Eglise. Elle fit un excellent dis-
cours à ses religieuses pour les exhorter à
la persévérance, et, en prononçant ces paro-
les : Domine, dilexi decorem domus tuw et
locum Itabilalionis gloriœ txiœ, elle rendit
«on âme au Seigneur le 20 octobre 1387. L'on
fut surpris en la dépouillant de lui trouver
sur le corps un rude cilice et une ceinture
de fer qui était entrée si profondément dans
sa chair, qu'on eut de la peine à la re-
tirer.
Après sa mort , la Mère Simone Galléroni
prit le gouvernement du monastère, et par
son nmypii les religieuses se multiplièrent
en plusieurs endroits. Elles firent d'abord un
nouvel établissement à Florence, et ensuite
à Pisloie, à Lacques, à Pise, à Bologne el en
d'autres lieux. Elles ont le même habille-
ment qu'avaient les Jésuates, savoir, une tu-
nique de drap blanc, avec une ceinture de
cuir, un manicau de couleur tannée et un
voile blanc (1). Il y a de l'apparence qu'elles
prirent cet habillement après que l'ordre eut
été confirmé par le pape Urbain V, l'an
1367.
Voyez Morig. Hist. rffe $1. Huom'tni illust.
(1) Voij., ;i la fui du vol., n' 155.
BicsWHÏi; in vit S. Giovan. Colomb., cap. 34,
et Ilist. de toute* les lielig. Philip. Bonanni,
Catalog. Ord. rclig.
JÉSD1TES (Ordke des).
§ 1". Des clercs réguliers de la Société ou
Compagnie de Jésus, avec la vie de saint
Ignace, leur fondateur.
H s'est élevé de temps en temps des héré-
sies dans l'Eglise, et Dieu a toujours suscité
de saints personnages remplis de son esprit
pour les combattre et en arrêter le progrès,
par leurs écrits, leurs prédications et autres
travaux évangéliques, et pour maintenir la
foi catholique dans sa pureté. Ainsi il a op-
posé saint Alhanase aux ariens, saint Au-
gustin aux pélagiens et aux manichéens,
saint Cyrille aux nestoriens, saint François
et saint Dominique aux albigeois, et enfin
saint Ignace de Loyola et ses compagnons
aux luthériens et aux calvinistes. Un cé-
lèbre écrivain de la vie de ce saint a remar-
qué que dans le temps que Luther sou-
tint publiquement son apostasie dans la
diète de Worms, et que, s'étant retiré dans
la solitude d'Alstat, il composa un livre
contre les vœux monastiques, qui fit une in-
finité d'apostats, saint Ignace se consacrait
à Dieu dans l'église de Mont-Serrat, et écri-
vait dans sa retraite de Manrèze les Exerci-
ces spirituels, qui servirent à former sou
ordre et à repeupler tous les autres ; que
lorsque Calvin commença à dogmatiser et à
se faire des disciples à Paris, saint Ignace,
qui y était venu étudier, assembla de son
côté des compagnons pour déclarer la guerre
aux ennemis de la foi ; et qu'enfin dans le
temps qu'Henri Vlll se fit nommer chef de
l'Eglise anglicane et qu'il ordonna sous
peine de mort à ses sujets d'effacer le nom
du pape de tous les papiers et de tous les li-
vres qu'ils avaient entre les mains, saint
Ignace jeta les fondements de son ordre, qui
fait profession particulière d'obéissance aux
souverains pontifes par rapport aux mis-
sions dans les pays étrangers.
Ce saint naquit l'an 1491, au château de
Loyola, dans une partie de la Biscaye espa-
gnole qui porte aujourd'hui le nom de 11 li i—
puscoa , et fut le dernier d'onze enfants
qu'eurent dom Bertrand, son père, seigneur
d Ognez et de Loyola , el Martini! Saez de
Bable. Us rélevèrent dans les sentiments que
pouvait leur inspirer l'amour du siècle. Son
père, le jugeant propre pour la cour, l'y en-
voya de bonne heure, et le lit page du roi
catholique Ferdinand V. Mais Ignare, qui
avait une passion ardenle pour la gloire, se
dégoûta bientôt de la cour, et, suivant l'exem-
ple de ses frères, qui se signalaient dans
l'année de Naples, il voulut prendre le parti
des armes. Il s'en déclara au duc de Najare
dom Antonio Manrique, son parent et ami
particulier de sa maison, qui approuva son
dess in. Il lui fit apprendre ses exercices,
_ s'appliqua lui-même à le former, et le rendit
649
JES
JES
C30
en peu de temps capable de servir son prince
dans ses armées. 11 se signala dans sa pre-
mière campîignc au siège de Naj ire même,
petile \ille située sur la frontière de Biscaye,
dont la prise fut alliibuée en parlie à sa
bravoure. Quoique celle ville eût élé aban-
donnée au pillage, il ne voulut point y avoir
de part, et se contenta, pour toute récom-
pense, de la gloire d'avoir fait une belle ac-
tion, jugeant qu'il était indigne d'un grand
cœur de profiler de la disgrâce des m allie u-
reux. Sa conduite alors n'était pas fort lé-
gulièrc : plus occupé de la galanterie et de
la vanité que de toute autre chose, il ne sui-
v.it guère dans toutes ses actions que les
fausses maximes du monde, et il vécut de
la sorte jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans, que
Dieu lui ouvrit les yeux.
Le moyen dont la Providence se servit
pour lui toucher le cœur fut l'accident qui
lui arriva lorsque, défendant en 1521 le châ-
teau de Pampcîune, capitale de la Navarre,
contre les Français qui l'assiégeaient, il
fui blessé d'un éclat de pierrj à la jambe
droile et d'un boulet de canon à la gauche,
dont elle fut cassée. Les Navarrois, le voyant
blessé, perdirent courage, et se rendirent à
discrétion ; mais les Français, usant bien de
la victoire, transportèrent Ignace au quar-
tier du général, où ils prirent soin dé le faire
panser; et, quand sa jambe eut élé remise
et que l'étal de sa plaie lui permit de chan-
ger de lieu, ils le firent porter en litière au
château de Loyola, qui n'est pas éloigné de
Paihpeldne.
A peine y ful-il arrivé, qu'il >enlit de
grandes douleurs. Les chirurgiens qu'on ap-
pela jugèrent que les os de sa jambe n'étaient
pas remis dans leur situation naturelle, et
lui dirent que pour les remettre, il lui fallait
casser la jambe de nouveau. Ignace les crut,
et, s'étant mis pour cet effet entré leurs
mains, il ne fit paraître aucune faiblesse
dans une si cruelle opération. Li douleur
qu'il en ressentit lui causa une fièvre si vio-
lente, qu'elle le réduisit à l'extrémité. 11 re-
çut ses sacrements la veille de la fêle des
apôtres saint Pierre et sainl Paul, mais avec
tant de faiblesse et d'abattement, qu'on ne
crut pas qu'il pût passer la nuit. Saint Pierre
la même nuit lui apparut en songe, et le
touchant de la main le guérit de la fièvre ;
en sorte qu'à son réveil on trouva ses dou-
leurs cessées, ses forces revenues, et qu'il
était hors de danger. Celle guérison mira-
culeuse ne lui fit pas perdre l'esprit du
monde. Sa jambe, qu'on avait cassée une
seconde fois ne fut pas si bien rétablie, qu'il
n'y restât une dilïormilé. Celait un os qui
avançait trop au-dessous du genou, et qui
empêchait que sa botte ne fût bien tirée.
Comme il aimait la bonne grâce et la pro-
preté, la vanité le porta à se faire seier cet
os, opération qui ne se fit pas sans d'exlrê-
mes douleurs. Cela ne l'empèiha pas de su-
bir volontairement une nouvelle torture ,
plutôt que d'avoir rien de difforme en sa
personne ; car une de ses cuisses s'étant re-
tirée depuis sa blessure, et craignant étran-
gement de paraître boiteux, il se fit tirer
très-violemment la jambe durant plusieurs
jours avec une machiné de fer; mais sa
jambe droite demeura toujours plus court;;
que l'autre.
Durant celte longue cure, Ignace, qui était
obligé de garder le lit ou la chambre, avait
tout le temps de s'ennuyer. Il demanda un
roman pour se divertir ; mais, ne s'en trou-
vant point dans la mai-on, on lui apporta la
Vie de Jésus-Christ el celle des saints. Il les
lui, précisément pour s'amuser, et n'y trouva
d'abord aucun plaisir; mais la grâce de Dieu
agissant sur ce cœur mondain, il su laissa
loucher par la douceur de ses attraits, prjl
ge.ût insensiblement à celle lecture, et fut si
charmé et si édifié des exemples de vertu
qu'il y trouva, qu'il forma au même temps le
dessein de les imiter. Il se proposa pour cela
de visiter les saints lieux et de s'enfermer
dans un ermitage ; mais ces bons mouve-
ments duraient peu, étant combattus parla
passion qu'il avait pour la gloire et par l'a-
n.our qu'il portail à une dame de la cour de
Caslilleetdes premières maisons du royaume.
Ainsi oubliant en un moment les projets
qu'il venait de faire, il n'avait l'esprit oc-
cupé que de la guerre el de l'amour, se for-
mant des chimères de vanité et de plaisir,
dont les folles idées l'enchantaient à un Ici
point, qu'il ne comprenait pas qu'on pût
vivre sans une grande ambition, ni élre heu-
reux sans un grand attachement.
Lorsqu'il élaii las de rêver, il se remettait
à la lecture, qui enfin, pairie secours de la
grâce, l'éclaira si bien, que, n'estimant plus
que les véritables honneurs et les plaisirs
du ciel, il commença à connaître la vanité
de la gloire du momie à laquelle il aspirait,
el le danger où il s'exposait en suivant ses
maximes; c'est pourquoi prenant la résolu-
tion de le quitler entièrement et de se con-
sacrer à Jésus-Christ, il se proposa d'entre-
prendre le pèlerinage de la terre sainte ,
pieds nus et revêtu d'un sac , résolu à son
retour de se cacher dans quelque solitude,
où, inconnu aux hommes, i.l put penser uni-
quement à son salut, et passer le reste da
ses jours dans les exercices de la pénitence.
Mais, comme sa jambe n'était pas encore
tout à fait guérie, il ne put pas exécuter si-
tôt ces projets ; et il se contentait pour lors
de se lever toutes les nuits, et d'en passer
une parlie la face prosternée contre terre,
pleurant amèrement ses péchés. Lorsqu'il
lut en élat de marcher, ne songeant plus
qu'à suivre la voix qui l'appelait à la per^ j
lection, il sortit de Loyola, résolu d'aller en. I
pèlerinage au monaslèrc de Mont-Senat, fa- ;
ineux par la dévotion des pèlerins qui du
tous les endroils du monde y viennent im-
plorer le secours et honorer l'image mira-
culeuse de la sainte Vierge, dont nous avons
déjà parlé ailleurs. Mais, pour mieux ca-
cher son dessein, il alla à Navarcl, sous pré-
texte de rendre visite au duc de Najare, qui
avait souicnl envoyé demander des .nouvel-
les de sa santé. Sa visite étant faite, il ren--
voya les deux valets qui l'avaient accompa-
Col DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. C:>2
gné jusqu'alors, et prit seul le chemin de. stère de l'ordre do Saint-Dominique et un
Mont-Serrat! En sortart de Navarel, il fit hôpital pour les pèlerins et les malades. Le
vœu de chasteté perpétuelle, pour se rendie saint enlra dans cet hôpital, qu'on appelait
plus agréable à la s.iinle Vierge, sous la pour lors l'hôpital de Sainte-Luce, fort con-
protection de laquelle il allait se mettre, et lent de se voir au nombre des pauvres, et en
se disposa à se réconcilier avec Dieu par une état de faire pénitence satis être connu. Il
sincère confession de tous ses péchés. Dom commença par jeûner toute la semaine au
Jean Chavonnes , Français de nation, qui pain et à l'eau, excepté le dimanche, qu'il
avant sa retraite à Mont-Serrat avait été mangeait un peu d'herbes cuites, encore y
grand vicaire de l'évoque de Mirepoix, fut mettait-il de la cendre. Il ceignit ses rein)
le religieux auquel Ignace s'adressa pour d'une chaîne de fer et prit un ciliée sous l'ha-
fairç une confession générale de ses péi liés, billement de toile dont il était revelu, il pre-
q* 'il é: rivit avec, toute L'exactitude possible. liait la discipline trois fois le jour, dormait
Il la fi avec Une douleur si vive et une telle peu et couchait à terre. Outre le servi e di-
abondance de larmes, qu il fut obligé de vin, qu'il entendait tous les jours av< c une
l'i lerromprc souvent; ce qui la fit durer pié é et une dévotion toute singulière, il
trois jours II lui découvrit toutes ses peu- faisait sept heures de prières; il visitait sou-
sres, et surtout il lui fit le plan de la vie vent l'église de Notre-Dame de Villadordis,
aus ère qu'il vou'ait mener. Ce saint homme, qui n'e-t qu'à une demi-lieue de Manrèze, et
qui vivait lui-même très-auslèrement, le dans ces petits pèlerinages il ajoutait d'or-
confirma dans son dessein, en lui prescri- dinaire au cilice et à la chaîne de fer qu'il
Tant néanmoins dos règles de prudence pour portait, une ceinture de certaines herbes
sa conduite, et pour éviter les pièges que le très-piquantes.
malin esprit pouvait lui tendre dans ses pre- Le démon, ne pouvant supporter celte fer-
mières ferveurs. veur, employa tous ses efforts pour l'en dé-
Ignace fit présent de son cheval au 1110- tourner, en lui représentant la dureté de sa
nastère, pendit son épée à un pilier proche pénitence et la difficulté qu'il y avait d'y
l'autel , pour marque qu'il renonçait à la persévérer, le désagrément d'être dans un
milice séculière, et n'emporta avec lui que hôpital, la honte qu'il y avait pour un homme
les instruments de pénitence qu'il avait de- de sa qualité d'être toujours avec des pau-
mandés à son confesseur. Puis, revêtu de vres, et le grand profil qu'il ferait à la cour,
l'habit d'un pauvre, auquel il avait donné le où , par la régularité de sa conduite et
sien, jusqu'à si chemise, il sortit de Mont- l'exemple de ses vertus, servant de modèle
Serrai le bourdon à la main, la calebasse au aux courtisans, il les allirerait insensible-
côté, la tête et un pied nus (car pour l'autre, ment au service do Jésus-Christ et à la pra-
qui se sentait de i-a blessure, et qui s'enflait tique des verlus chrétiennes. C'était prendre
toutes les nuits, il jupea à propos de le le nouveau soldat de Jésus-Christ par des eu-
chausser), et il marchait avec une vigueur droits bien sensibles; mais, ayant reconnu
qui, surpassant la force d'un homme élevé la malice de l'esprit tentateur, il repoussa
aussi délicatement qu'il l'avait été, ne puu- ses suggestions par la pratique des venu?;
vait ven r que d'eu haut, fort consolé de ne qui leur étaient opposées. Bien loin de fuir
plus porter les livrées du monde et tout glo- les pauvres, il se familiarisa avec eux plus
rieux d'être revêtu de celles de Jésus-Christ, que jamais. Non content do demeurer dans
A peine eut-il fait une lieue, qu'il entendit cet hôpital, il s'attacha aux malades les plus
derrière lui un cavalier qui courait à bride dégoûtants; et.au lieu de retourner à la
abattue; c'était un officier de la justice de cour, il résolut de se cacher encore plus aux
Mont -Serrât qui venait lui demander s'il yeux des hommes. Cependant, nonobstant
était vrai qu'il eût donné de riches habits à toutes les diligences qu'il prit pour réussir
un gueux; parce qu'étant soupçonné de les dans celte dernière résolution, le bruit courut
avoir volés, on l'avait mis en prison, jusqu'à dans Manrèze que ce pèlerin qu'on ne con-
ce qu'on en connût la vérité. Ignace à ces naissait point était un homme de qualité qui
paroles fut pénétré de douleur, et, se repro- faisait pénitence. Ce que l'on conjectura par
chant à lui-même d'avoir été cause de la la nouvelle qui s'y répandit de l'aventure
disgrâce de ce pauvre homme, il le déchar- du pauvre de Mont-Serrat, auquel il avait
gea du crime dont on l'accusait, sans néan- donné ses babils : c'est pourquoi on com-
moins vouloir dire qui il était. Après cette mença à le regarder avec d'autres yeux dans
aventure il poursuivit son chemin vers Man- l'hôpital et dans la ville. On le venait voir
rèze, où il avait résolu de se cacher, en at- par curiosité, et on l'admirait d'autant plus,
tend:, nt que la peste cessât à Barcelone, et qu'on l'avait traité avec mépris. Le saint
que le port lût ouvert, espérant y trouver s'en aperçut, et, prenant ce changement pour
quelque bâtiment sur lequel il pût monter un nouveau piège que le démon lui tendait,
pour commencer son \ orage de la terre et qu'il devait éviier, il se retira pour cet
s-ainte. eiïel dans une caverne qui était au pied d'une
Manrèze est une petile ville à trois lieues montagne éloignée de six cents pas de la
de Mont-: errai, laineuse aujourd'hui par la ville. Peu degensconnaissaienl celle caverne,
pénitence de s.iint Ignace et par la j ielé des et personne n'avait osé y entrer, tant elle
peuplés qui y viennent de tous côtés en pè- paraissait affreuse; mais Ignace, jugeant que
lerinage, mais alors de peu de conséquence, ce lieu en était d'autant plus propre à se ea-
ji'ayanl rien de considérable qu'un mona- cher aux yeux des hommes, perçu les brous-
G.-,-
JES
sailles qui en fermaient les avenues el, s'y
étant coulé au travers des ronces, il y éta-
blit sa demeure. L'horreur de ce lieu lui
in-pira un nouvel esprit de pénitence, à la-
quelle il s'adonna avec lanl de rigueur,
qu'on le trouva un jour évanoui à l'entrée
de sa caverne : ce qui ayant découvert le
lieu de sa retraite, on le ramena malgré lui
à l'hôpital de Manrèze, où il fut attaqué de
nouveau par la tentation de changer le
genre de vie austère qu'il avait embrassé;
mais une lièvre maligne dont il fut attaqué
si violemment que l'on désespérait de sa vie,
le délivra de colle tentation, qui fut immé-
diatement suivie d'une autre de présomption.
qui le port il à se regarder comme un grand
saint. Il se délivra de celle-ci en rappelant
dans sa mémoire les péchés de sa vie passée;
mais il en conçut tant d'horreur, qu'il tomba
dans un étal beaucoup plus funeste que celui
dont il sortait. A peine eut-il recouvré la
sanlé du corps, qu'il perd.l la tranquillité
dont son âme avait joui depuis qu il s'était
donné à Dieu. Toutes les joies spirituelles
qu'il avait goûtées jusqu'alors el les conso-
lations dont Dieu l'avait favorisé se changè-
rent en amertume et en tristesse par les
scrupules dont il se sentit accablé. On eut
beau lui défendre de s'arrêter à ses doutes
el d'écouler ses scrupules, tout cela ne ser-
vait de rien. Plus il s'efforçait de s'en débar-
rasser, plus il était accable d'inquiétudes; et,
s'imaginant qu'il ne recevait plus aucun se-
cours du cii 1, il crut que Dieu l'avait dé-
laissé et que sa damnation était certaine.
Dans cetle pensée, il se trouva agité de plu-
sieurs mouvements de désespoir, auxquels il
aurait infailliblement succombé, si Dieu par
un effet de sa miséricorde ne l'eût soutenu
contre ces attaques de l'esprit tentateur, qui,
ne pouvant réussir de ce côté-là, le tenta
avec plus de succès du côté de la présomp-
tion. Il lui persuada de ne prendre aucune
nourriture jusqu'à ce qu'il eût recouvré la
paix de son âme. Il jeûna effectivement sept
jours entiers, sans boire ni manger : il au-
rait même poussé ce jeûne plus loin, si son
confesseur, qui était un religieux de l'ordre
de Saint-Dominique, ne lui eût ordonné de
l'interrompre. Enfin ses troubles se calmè-
rent, et il ne fut pas seulement délivré de
loas ses scrupules, mais il obtint encore le
don de guérir les consciences scrupuleuses,
et r< çul diverses faveurs du ciel, qui le dé-
dommagèrent du passé.
Jusque-là il ne s'était proposé dans toutes
ses pratiques de piété que sa perfection par-
ticulière; mais la Providence, qui le desti-
nait au ministère évangélique, et qui l'y
avait d'abord préparé sans qu'il le sût, par
le mépris du monde qu'elle lui avait inspiré,
par la retraite et la mortification, lui donna
d'autres vues et d'autres desseins : elle lui
inspira de s'appliquer à la conversion et à
la sanctification des âmes : dans ce dessein,
quelque chère que lui fût sa solitude, ii en
sortit. 11 corrigea ce que son extérieur avait
d'affreux el de rebutant, afin de ne pas éloi-
guer ceux qu'il voulait attirer à Dieu. 11
JES G5*
modéra ses austérités, et prit un habillement
de eros drap, mo teste et propre. Il parlait
publiquement des choses du ciel ; cl, pour
se mieux faire entendre du peuple qui l'en-
vironnait, il montai: sur une pierre qu'on
montre encore aujourd'hui dans l'ancien
hôpital de Sainte-Luce. Quelques personnes
furent si touchées de ses exhortations ,
qu'elles renoncèrent hu siècle pour em-
brasser une vie pénitente. Les réflexions
fréquentes qu'il fit sur la force des maximes
évangéiiques qu'il enseignait le portèrent à
composer >on livre des Exercices spirituels,
pour le profil des âmes mondaines. Le pape
Paul 111 l'a approuvé depuis comme un livre
auquel on ne saurait donner trop d'éloges,
el qui renferme une méthode admirable pour
retirer les âmes du désordre el pour les
conduire à la perfection du christianisme.
Après ce travail, se sentant a^sez fort pour
entreprendre son voyage de la terre sainte,
et sachant que la pesle était cessée à Barce-
lone et le commerce rétabli, il quitta Man-
rèze, où il était depuis plus de dix mois. 11
s'embarqua à Barcelone, sans autre provi-
sion qu'un peu de pain qu'il avail mendie,
et il arriva en cinq jours au port de llaïrlte.
d'où il prit la roule de Borne, seul, à pied,
jeûnant tous les jours, et mendiant à son
ordinaire. Il y arriva la veille du dimanche
des Hameaux, l'an 1323, et en parlii huit
jours après Pâques pour aller à Venise. 11
était fort tard lorsqu'il entra dans celle ville;
el, ne sachant où se retirer, il alla se meltro
sous un portique de ta place de Saint-Marc,
pour y prendre un peu de repos ; mais Dieu
ne voulut pas que son serviteur y passât la
nu;t. Il y avait parmi les sénateurs de la ré-
publique un homme d'un mérite extraordi-
naire, nommé Marc-Anlome Trévisani, que
sa vertu éleva depuis à la dignité de doge.
Ce sénateur, qui logeait da is la place de
Saint-Marc, s'étant couché et endormi, il lui
sembla entendre une ^ix qui lui disait que
tandis qu'il était à son aise, dans son iit, le
serviteur de Dieu était sous un portique de
la place. Un songe si extraordinaire l'éveilla
aussitôt, et, ne pouvant s'imaginer que le
hasard en fût la cause, il se lewi el alla lui-
même chercher celui que la voix du ciel lui
indiquait, le conduisit à son logis avec hon-
neur, el, après lui avoir rendu tous les de-
voirs de charilé, il lui procura uue audience
du doge André Gritli, dout il obtint une place
dans laCapilane de la république, qui allait
dans 1 iledeChypre. lls'y embarqua, el, après
quarante huit jours de navigation, il arma
enfin le dernier jour d'août de la même an-
née au port de Jaffa, d'où il prit le chemin
de Jérusalem par terre, et s'y rendit le '*
septembre. Son dessein était de s'arrêter en
Palestine pour travailler à la conversion des
peuples de l'Orient; mais le provincial des re-
ligieux de Sainl-François, qui avait un pou-
voir du saint-siége de renvoyer les pèlerins
ou de les relenir, selon qu'il jugerait à pro-
pos, ne le lui permit pas, ce qui l'obligea de
revenir en Europe. 11 arriva heureusement à
Venise sur la iîu de janvier 152+, après uue
635
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
636
navigation de plus do deux mois, pendant
laquelle il oui tout le temps de faire des ré-
flexions Il conçut que, pour travailler à la
conversion des âmes, il fallait avoir des
connaissances qui lui manquaient ; et, ju-
geant qu'il ne pourrait jamais rien faire de
solide sans le fondement des lettres humai-
nes, il prit la résolution de retourner à Bar-
celone pour s'y appliquer à l'élude. 11 n'eut
point de honte, quoiqu'âgé de trente-trois
ans, d'étudier les premiers principes de la
langue latine, et de se trouver tous les jours
en classe avec des enfants, sous la conduite
de Jérôme Ardebale, qui y enseignait pu-
bliquement la grammaire. Il fit un si gran I
progrès dans l'étude de la langue latine
pendant doux ans, que son maître lui con-
seilla d'aller faire son cours de philosophie
dans l'université d'Alcala, qui avait été fon-
dée depuis peu parle cardinal Ximenès. Il sui-
vit ce conseil, cl y mena avec lui trois disci-
ples qu'ilavait failsdurantsonséjour à Barce-
lone. Y étant arrivé, il y commença ses élu-
des, et y fil un quatrième disciple d'un jeune
Français qui avait été page de dbm Martin
de Cordoue, vice-roi de Navarre. Quoiqu'ils
ne demeurassent pas ensemble (Ferdinand
de Para et André d'Àrze en logeaient deux
par charité, et Ignare avait une chambre à
l'iiôpital d'Antezena), ils étaient néanmoins
tous cinq habillés de même façon, portant
un habit long de drap gris, avec un chapeau
de même couleur, et ne vivaient que d'aumô-
nes. L'impatience qu'il avait de se donner à
la conversion des âmes lui fit embrasser
l'élude avec une extrême ardeur; et, croyant
avancer beaucoup en abrégeant les matières,
à peine cut-il commencé son cours, qu'il se
jeta dans la physique et la théologie scolas-
lique. On expliquait aux écoles la Logi-
que de Solo, la Physique d'Albert le Grand
et la Théologie du Maître des Sentences; il
prenait ces trois leçons l'une après l'autre,
et étudiait sans relâche jour et nuit ; mais
ces différentes, éludes lui mirent tant de con-
fusion dans l'esprit, que lout son travail ne
produisit pas ce qu'il en espérait. Uebulé du
peu de progrès qu'il faisait dans les sciences,
il s'appliqua entièrement avec ses quatre
disciples aux bonnes œuvres et à l'explica-
tion de la doctrine chrétienne, à servir les
malades de l'hôpital, à soulager les pauvres
honteux, et particulièrement à réformer les
mœurs des écoliers débauchés.
La conversion surprenante qu'il fit d'un
prélat qui corrompait les jeunes gens de
l'université par ses mauvais exemples, ses
libertés et ses caresses, lit du bruit par lout
le pays, surtout lorsqu'on vit qu'elle lut
suivie de celle d'un grand nombre d'écoliers,
que le prélat lui-même entreprit de retirer
du libertinage où il les avail jetés. Le peuple
eut d'étranges idées d'Ignace; quelques-uns
le prenaient pour un enchanteur, et disaient
que sans magie on ne pouvait faire ce qu'il
faisait; et d'autres, que c'était un hérétique
qui, sous prelexte de porter les jeunes gens
à la vertu, leur inspirait des erreurs. Les
inquisiteurs do Tolède en voulurent pren-
dre connaissance ; mais, voyant qu'il n'était
ni hérétique ni visionnaire, ils remirent le
reste de l'information au grand vicaire, qui
traita saint Ignace très-favorablement, et lui
permit de continuer ses fonctions pour le
service du prochain; il l'avertit que lui et
ses compagnons n'étant pas religieux, on
n'approuvait pas qu'ils fussenl lous habillés
de la même sorte; ce qui était une distinc-
tion dans laquelle il y avait, selon le senti-
ment de plusieurs personnes, beaucoup d'af-
feitalion. Le saint, qui ne le faisait que par
un bon motif, ne voulant point donner aucun
sujet de plainte, s'habilla de noir avec un
autre, laissa un habilgris au Français, et en
lit prendre un de couleur minime aux deux
autres Espagnols, et prit des souliers, pour
obéir au même grand vicaire, qui le lui or-
donna. L'indiscrétion de deux dévotes riches
et de qualité qui suivaient ses conseils, et
qui entreprirent alors sans sa participation
quelques pèlerinages, vêtues en pèlerines, à
pied et demandant l'aumône, donna lieu à de
nouvelles plaintes contre lui, comme étant
l'auteur d'un zèle si outré et si peu conforme
à leur sexe; on le mit en prison avec ses
compagnons, d'où il ne sortit qu'au retour
de ces dévotes, au bout desix semaines, après
qu'elles curent avoué que saint Ignace n'a-
vait point eu de part à leur pèlerinage,
qu'au contraire il les en avait détournées.
On les crut, cl le saint fut élargi par une
sentence du premier juin 1527. Ce jugement,
lui rendant sa liberté, ne laissa pas de lui
donner du chagrin. 11 fut ordonné en même
temps que lui et ses compagnons prendraient
l'habillement ordinaire des écoliers, et que,
n'élant pas théologiens, ils s'absliendraient
d'expliquer au peuple les mystères de la
religion , jusqu'à ce qu'ils eussent étudié
quatre ans en théologie.
Ignace, peu satisfait de ce jugement, rendu
par le grand vicaire d'Alcala, alla trouver
l'archevêque de Tolède, qui lui conseilla de
quitter celte université el d'aller étudier à
Salamanque; et, l'exhortant fortement à
continuer ses fonctions de piété envers le
prochain, il lui promit sa protection. Noire
saint y alla, cl, en attendant qu'il pût rc-
picndrc le cours de ses éludes , il commença
par travailler au salut des âmes avec d'autant
plus de ferveur et de liberté, que sa mission
semblait être autorisée par l'archevêque.
Mais on y trouva encore à redire : il fut mis
derechef en prison avec ses compagnons,
et, aptes y avoir été retenus pendant trois
semaines, ils lurent renvoyés absous par
une sentence qui permettait à Ignace d'in-
struire le peuple, a condition que, dans ses
catéchismes et dans ses entretiens , il ne se
mêlerait point de vouloir marquer la diffé-
rence qu il y a entre le péché mortel et le
péché véniel. Ignace, surpris de ce dernier
article de la sentence, vit bien que c'était un
piège qu'on lui tendait, d'autant plus qu'il
sut que ses ennemis l'avaient fait mettre
afin d'avoir lieu de le chicaner et de lui faire
une querelle quand ils voudraient : c'est
pourquoi, persuadé de leur malice, qui lui
C57
JES
JES
r.5R
Ataii les moyens de satisfaire son zèle, il prit
la résolution de quitter Salamanque , et
même de sortir de l'Espagne. Il forma le
dessein d'aller en France, pour continuer ou
plutôt pour recommencer ses études dans
l'université de Paris, qui était depuis long-
temps la plus célèbre de l'Europe.
Ses compagnons n'étant pas disposés à le
suivre, il partit seul sur la lin de décembre,
arriva à Paris au commencement de février
de l'an 1528, et se logea au quartier de 1T-
niversité avec des écoliers espagnols. Pour
mieux posséder la langue latine, il reprit ses
humanités au collège de Montaigu ; mais,
ayant été volé par un de ses compagnons,
auquel il avait confie une somme d'argent
que ses amis lui avaient donnée en parlant
d'Espagne pourla continuation de ses études,
il fut contraint de se retirer à Saint-Jacques
de l'Hôpital, où les Espagnols étaient reçus.
H n'y avait que le couvert, et il fallait que
pour vivre il mendiât son pain de porte en
porte. Comme il demeurait loin du collège
de .Montaigu, perdant du temps à chercher
des aumônes, il aurait bien voulu servir un
des professeurs ;mais, quelque diligence qu'il
fit, ii ne put jamais l'obtenir. Quoique sa mi-
sère fût grande, il ne laissait pas d'exc, tô-
les gens de sa connaissance à faire la charité
aux pauvres, auxquels il faisait donner ce
qu'il aurait pu demander pour lui. Ses paio-
les firent tant d'impression sur l'esprit de
trois Espagnols, qu'ils vendirent d'eux-mê-
mes leurs meubles et en donnèrent l'argent
aux pauvres, après quoi ils se retirèrent
aussi a Saint-Jacques du l'Hôpital, où ils vi-
vaient d'aumônes comme lui.
Cette nouvelle société rendit encore notre
saint suspect. Il fut déféré à l'inquisiteur
Matthieu Ory, religieux de l'ordre tie Saint-
Dominique et prieur du grand couvent de la
rue Saint-Jacques. (Quoique le tribunal de
l'inquisition n'ait jamais été établi en France
de la manière qu'il l'est en Espagne el en
Italie, il y a eu néanmoins dans de certains
temps des inquisiteurs délégués du pape
pour y conserver la pureté de la foi et tenir
les peuples dans l'obéissante de l'Eglise; el
cette qualité avait été déférée à Matthieu
Ory par le pape Clément Vil, à l'occasion
des hérésies d'Allemagne.) Cet inquisiteur,
ayant donc pris connaissance de celle affaire;
el ayant reconnu l'innocence d'Ignace par
les perquisitions qu'il lit, le renvoya absous.
Ayant étudié les humanités près de dix-huit
mois au collège de Monlaigu, il commença
son cours de philosophie au collège de
Saiute-Barbe. Le docteur Govea, Espagnol,
principal de ce collège, prévenu contre
Ignace par les faux rapports qu'on lui en
avait faits, voulul d'abord l'enchâsser ; mais,
ayant examiné avec diligence la conduite de
noire saint, et n'y ayant rien trouvé qui lût
digue de répréhension et qui ne méritai au
contraire l'estime et l'approbation de tout le
monde, lui fit Satisfaction publique devant
tous les écoliers, et rendit justice a sa vertu
par l'éloge qu'il en fit. Le professeur l'egna,
qui avait été la cause de celte préyenli' n,
voulant aussi réparer l'injure qu'on lui avait
faite, lui donna pour répétiteur un garçon
fort capable, nommé Pierre Lefèvre , sa-
voyard, qui demeurait au même collège avec
François Xavier, gentilhomme navarrois ,
peu accommodé , el presque aussi pauvre
que Lefèvre. lunace se mit avec eux pour
la commodité de ses études, el avança telle-
ment par le soin que Lefèvre prit' de lui,
qu'à la fin de son cours, qui fut de trois ans
et demi, selon l'usage de ce temps-là, il lui
reçu maître ès-arts, et continua ensuite sa
théologie aux Jacobins. Ce fut alors que,
sentant croître en lui le zèle pour le salut
des âmes à proportion qu'il avançait dans la
connaissance des mystères de la foi et des
vériles evangéliques, il forma le dessein d'é-
lablir une compagnie d'hommes apostoliques
qui pussent l'aider à porter et étendre ce
même zèle jusqu'aux extrémités de la terre.
Ne doutant point que le penchant qu'il se
sentait pour l'instruction des peuples et la
conversion des infidèles ne fût un secret
mouvement de la grâce de Dieu, qui le desti-
nait à un si noble emploi et si digne do
l'ambition d'un véritable chrétien , et ne
comptant plus sur ses anciens compagnons
qu'il avait laissés à Barcelone, où ils avaient
pris différents partis, il s en associa quel-
ques autres qui étaient de l'université. Le
premier qui se joignit à lui fut ce Pierre Le-
fèvre, qui avait é:é son répétiteur; il gagna
ensuite François Xavier, et peu de temps
après il eut quatre nouveaux compagnons,
qui furent Jacques Lainez , d'Almazau, au
diocèse de Siguença; Alphonse Salmeron,
d'auprès île Tolède; Niculas Alphonse, sur-
nommé Bobadilla, du lieu de sa naissance,
village proche de Palenze, au royaume do
Léon; et Simon Bodriguez d'Azendo, gentil-
homme portugais.
Quoique le choix de ces six personnes
parût venir de la main de Dieu, et qu'I-
gnace, persuadé de leur zèle pour l'agran-
dissement du royaume de Jesus-Christ, n'eût
aucun lieu de douier de leur fidélité et per-
sévérance dans le dessein qu'ils se propo-
saient ; cependant , se ressouvenant de l'in-
constance de ceux qui s'étaient joints à lui
en Espagne, el faisant réflexion sur la lé-
gèiete de l'esprit humain, il se persuada
que, quelque bonne que lût la volonté de
ses nouveaux disciples, ii étail nécessaire de
les fixer par des engagements indispensa-
bles. Le jour de l'Assomption de Notre-
Dame de l'an 153i, après les avoir pré-
parés sur son dessein , il les mena dans
l'église de l'abbaye de Montmartre près Pa-
ris, où Pierre Lefèvre, qui avait été l'ait
prêtre depuis peu , leur ayant dit la messe
et les ayant communies dans la chapelle
souterraine, ils firent tous sept ensemble,
d'une voix haute el distincte, vœu d'entre-
prendre le voyage de Jérusalem pour la
conversion des infidèles du Levant ; de quit-
ter tout ce qu'ils avaient au motf.de, hors ce
qu'il leur faudrait pour aller en terre sainte;
et, en cas qu'ils ne pussent y entrer ou y
.:•. er, de s'aller jeter aux pieds du pape,
639 DICTIONNAIRE DES ORDRFiS RrLIGIEUX. 640
pour lui offrir leurs services, et aller sous Le nonce examina l'affaire avec son asses-
ses ordres parlerai où il voudra t les envoyer, seur, et, ne trouvant. rien qui pût donner
Connue il y en avail parmi eux qui n'a- lieu aux bruils qui couraient, il porta en
vaient pas fini leur théologie, il leur laissa f;iveur du saint une sentence juridique,
continuer celte élude jusqu'au 25 janvier qui le disculpait de ces fau-ses accusations;
1537, cl en les attendant il travailla à ar- Pierre Car.ffe, qui fut élevé au souverain
rêler le coûts et les désordres que eau- pontifical sous le nom de Paul IV, et qui
s ient en France les nouvelles hérésies, il auparavant d'archevêque de Théa'e, s'étaut
avait coutume de se retirer, ou à Notre- fait compagnon de saint Gaëlan de Tyenne ,
Dame des Champs, qui était le lieu où avait été l'un des fondateurs de l'ordre
l'on a bâti depuis le couvent des Carme- des Théalins, du nom de l'archevêché qu'il
liles du faubourg Saint-Jacques, ou dans quitta, ne contribua pas peu à confondre
les carrières de Montmartre, qui, lui re- ces calomnies, par l'estime et les liaisons
présentant .'a caverne de Manrèze, l'ex- qu'il eut avec Ignace dans le séjour qu'il fit
citèrent à reprendre des exercices de pé- à Venise, où enlin il eut La consolation de
nitence ; mais ses nouvelles austérités ayant voir ses compagnons plus tôt qu'il ne l'es-
ruiné ses forces, le réduisirent dans une pérait et qu'ils n'en étaient convenus. La
langueur, qui ne lui permettait pas même de guerre se rallumant plu; que jamais entre
s'appliquer aux exercices de piété. Comme François I*r, roi de France, et l'empereur
les remèdes ne le soulageaient pas, les Charles V, par la mort de François Sforze,
médecins lui persuadèrent d'aller repren- duc de Milan, sur l'Etat duquel ces deux
dre l'air de son pays. Il se détermina à princes avaient des prétentions , au premier
ce voyage; mais, avant son départ, qui bruit que ces fi. lèles dis iples en eurent, ils
fut au commencement de janvier fie l'an se résolurent d'avancer icur voyage et de
1535, il convint avec ses disciples qu'il sortir du royaume avant que les passages
irait les attendre à Venise , et qu'ils par- fussent fermés. Ils partirent de Paris le 15
tiraient le 25 janvier 1537 pour l'y venir novembre de l'année 1536, trois mois plus tôt
trouver. Sa faiblesse ne lui permit pas de qu'ils n'étaient convenus avec leur saint fon-
faiic le voyage à pied; il le lit sur un dateur, sans autre équipage qu'un bâton à
cheval que ses compagnons lui achetèrent; la main et une petite valise sur le dos, où
et à peine eut-il passé les Pyrénées et res- chacun avait ses écrits. Ils prirent leur che-
piré l'air de Guipuscoa , qu'il recouvra sa min par la Lorraine pour éviter la Provence,
santé et sentit revenir ses forces. et arrivèrent à Venise le 8 janvier de l'an
Pendant le séjour qu'il fil en Espagne, 1537. Ignace les reçut avec beaucoup de
ses compagnons, qu'il avait laissés à P.i- jivie, et leur donna un autre, compagnon,
ris, poursuivirent leurs éludes. Lefèvre nommé Jacques Hozez, qui fut le onzième de
les gouvernait en son absence et augmenta la Compagnie. En attendant qu'ils pussent
leur nombre de trois autres théologiens, aller ensemble recevoir la bénédiction du
dont le premier fut Claude le Jay d'An- pape pour le voyage de Jérusalem , le saint
necy , Jean Codure et Paquier Brouet , fondateur les occupa dans les hôpitaux à
tous deux Français, l'un du diocèse d'Em- instruire les ignorants, à servir les malades,
brun et l'autre du dioc^e d'Amiens. Ces à assister les mourants et à ensevelir les
trois derniers firent à Montmartre le même morts. Ils s'occupèrent de la sorte jusque
vœu que les autres y avaient fait et qu'ils vers la mi-cârème, que tous partirent pour
firent encore pour la seconde fois. Ces neuf Rome, hors Ignace, qui ne jugea pas à pro-
disciples d'Ignace, qui avec lui firent les fou- po> de parailie dans un lieu où sa présence
déments de la Compagnie de Jésus, étaient eût pu faire tort à ses compagnons : car Ca-
lellement unis ensemble, que, quoique dif- ralïe, que Paul 111 avail fait cardinal, sem-
féienls et de nation et d'humeur, ils sem- blait alors loti contraire aux desseins du
Liaient néanmoins n'avoir qu'un cœur et saint, soit par ressentiment de ce que lui et
qu'une âme; ce qui était d'une grande conso- Hozez n'avaient pas voulu entrer parmi les
lalion pour ce saint fondateur. Ignace, après Théalins, ou soit qu'il eût ajoute foi aux
avoir demeuré quasi un an en Espagne, en bruits qu'on avait semés à Venise. Les com-
parai pour aller à Venise, où il arriva sur pagnons de notre saint étant arrivés à Ko-
la fin de l'année 15;i5. Son zèle ne lui donna me, furent reçus si favorablement du pape,
pas de relâche dans celle \ille, où il ne fut que, sur le lé'cil qu'on lui avail fait de leur
pas plutôt entré, qu'il s'y occupa à gagner savoir et de leur piété, non-seulement il
des âmes â Dieu. Mais ce qui lui devait atli- leur accorda ce qu'ils lui demandèrent ,
rer de l'estime fut le sujel d'une nouvelle per- mais même , après leur avoir donné sa bé-
séculion. Llle lui fut suscitée par les liber- nédiclion, il leur donna de l'argent pour
lins, qui, ne pouvant souffrir la censure leur voyage, et permit à ceux qui n'étaient
qu'il faisait de leur vie, firent courir le bruit pas prêtres, du nombre desquels était Igna-
qu'lgnace était un hérétique déguisé, qui , ce, qui quoique absent fut compris dans celle
après avoir infecté la France et l'Espagne, permission, de recevoir les ordres sacrés
venait gâter l'Italie. Dès que le saint sut ce de quelque évèque que ce fût , el accorda
que l'on disait lubliquemeni de lui, il alla une dispense d'âge pour Alphonse Salme-
Irouver Jérôme Veralli , nome du pape ron , afin qu'il reçût l'ordre de la préirise
Paul 111 vers la république, pour le prier avec les autres de-, qu'il entrer. lit dans sa
de lui faire son procès, s'il était coupable. vingtième année. Etant retournés à Venise,
m JES JES C42
ils firent vœu de pauvre'é et de chasteté la fin dû carême de l'an 1538 , i's logèrent
perpétuelle entre les mains du nonce Va- tous ensemble chez un gentilhomme romain
relli, et le jour de la Nativité de saint Jean- nommé Qtiirino Garzonio, qu'Ignace avait
B;ipliste, ceux qui n'étaient pas prêtres fu- gagné à Dieu. Le saint leur ayant déclaré le
rent ordonnés par Vincent Nigulali, évèque motif pour lequel il les avaii fait venir , ils
d'Arbe. La ligue qui fut conclue dans ce l'approuvèrent et convinrent qu'il fallait éri-
t mps-là entre l'Empereur et la républi- ger leur société en religion, et que pour cela
(|ue contre le Turc, ayant rompu le coin- il falla t préparer l'esprit du pape , qui sem-
merce du Levant, les empêcha de faire leur blait fort éloigné des nouveaux établisse-
voyage île Jérusalem : c'est pourquoi, après menls ; mais, comme le pape arlait de Rome
être restés un an entier sur les terres île la pour aller à Nice, celle affaire fut retardée,
république, comme ils s'y étaient obligés , Eu attendant le retour de Si Sainteté , saint
et n'y ayant nulle apparence que la navi- Ignace et ses compagnons > traitant souvent
galion fût libre de longtemps, Ignace les du projet de l'institut , résolurent dans une
rassembla tous à Vicenze , où il leur fit de leurs assemblées, suivant les propositions
entendre que, puisque la porte de la l'aies- dn saint fondateur, qu'outre les vœux de
tine leur était fermée, ils ne devaient pas pauvreté et de chasteté qu'ils avaient faits à
différer d'accomplir l'autre partie de leur Venise, ils eu feraient un d'obéissance per-
vœu, qui était n'aller offrir leur service au pétuelle à leurs supérieurs, et delerminè-
pape. Il fut résolu que le saint fondateur, rent dans une autre que ceux qui feraient
Lefèvre et Lainez iraient les premiers à profession dans leur Compagnie ajouteraient
Rome, pour exposer à Sa Sainteté les in- aux trois vœux de pauvreté, de chastelé et
tentions de toute la Compagnie. Avant que d'obéissance, un \œu exprès d'aller partout
de se séparer, ils se prescrivirent une ma- où le vicaire de Jésus-Christ les enverrait,
nière de vie uniforme et des règles qu'ils pour travailler au salut des âmes , et d'y al-
s'obliïèrent de suivre. Comme on leur de- 1er sans viatique et en demandant l'aumône,
mandait souvent qui ils étaient et quel était s'il le jugeait à propos. Ils eurent encore
leur institut, saint Ignace leur dit qu'ils d'autres conférences, et ils déterminèrent
devaient répondre qu'ils étaient de la Com- que les proies ne posséderaient rien ni en
pagnie de Jésus, puisqu'ils étaient unis en- particulier ni en commun ; mais que dans
semble pour combattre les hérésies et les les universités on pourrait avoir des collèges
vices sous la bannière de Jésus-Christ. Le avec des revenus et des rentes pour la sub-
saint fondateur, Lefèvre et Lainez arrivé- sistance de ceux qui y étudieraient,
renl à Home sur la tin de l'année 1537. Us Au milieu de ces projets, il s'éleva contre
eurent dès les premiers jours audience du eux une tempête qui pensa renverser leur
pape, qui, recevant avec joie leurs offres, plan et leurs espérances , pour avoir aila-
employa aussitôt Lefèvre et Lainez à en- que un prédicateur célèbre accusé de luthé-
scigner la théologie dans le collège de la ranisme. Celui-ci eut l'adresse de rejeter sur
Sapience à Rome, et Ignace à la réforma- saint Ignace le soupçon d'hérésie, et gagna
lion des mœurs par la voie des exercices trois Espagnols qui avaient un air de sagesse
spirituels et des exhortations, qu'il faisait et de probité tout propre à autoriser une ca-
d'une manière si pathétique et si édifiante, lomnie.ll corrompit encore .Michel Navarre,
qu'il y eut plusieurs personnes de grand qui avait été à Paris compagnon de François
uiérite qui se mirent sous sa conduite. Xavier, et qui haïssait saint Ignace à cause
Pendant que ces trois hommes apostoli- qu'ayant voulu être de ses disciples , il ne
ques travaillaient si utilement dans Rome , l'en avait pas jugé digue. Sainl Ignace fut
Xavier et Bobadilla s'employaient dans Bo- dénoncé devant le gouverneur de Rome
logne au salut des âmes, le Jay et Rodnguez comme un hérétique et un sorcier , qui avait
faisaient de même dans Ferrare . Rrouet et été brûlé en effigie à Alcaia, à Pat is et à Ve-
Saimeron dans Sienne, Codure et Hozez dans nise. Sur celte accusation, le peuple se sou»
Padoue ; mais ce dernier étant mort quelque leva contre lui et ses compagnons ; mais leui
temps après , saint Ignace retrouva presque innocence fui reconnue et leurs accusateurs
aussilôl un autre compagnon, qui fut Fran- furent contraints de se dédire et d'avouer
çois Strada. Jusqu'alors Ignace n'avait point leurs impostures. Le gouverneur, par ordre
eu d'autre vue que ceile île travailler au sa- du pape , rendit une sentence qui contenait
'ut des âmes de concert avec ses conipa- l'éloge des accusés et les justifiait entière-
gnons, et cela sans aucun engagement parti- ment. Us parurent de nouveau en public , et
culier ; mais Dieu , qui l'avait destine à être recommencèrent leurs exercices de charité ,
le chef d'un corps qui devait être si utile à tant en soulageant les pauvres dans une l'a-
son Eglise , lui donna des notions plus dis- mine qui alfligea dans ce temps-là la ville de
tincles de l'institut dont il devait être le fou- Rome, qu'en les instruisant des devoirs du
dateur, et une forte pensée de l'établir au christianisme : ce qui leur attira l'estime du
plus tôt. 11 en communiqua avec Lefèvre et peuple, qui leur donna autant de bénédic-
Lainez , et manda les autres qui étaient dis- lions qu'il leur av il souhaité de mal au su-
perses en Italie , afin que convenant avec jet des accusations susdites.
eux ils pussent faire un établissement solide. Sainl Ignace crut qu'il devait profiter d'uuo
A peine ces ouvriers évangéliques eurent-ils si heureuse conjoncture pour l'exécution do
reçu l'ordre du saint , qu'ils quittèrent tout sou dessein. Ayant fait un abrégé de l'insli-
pour se rendre à Rome, où étant arrives sur lui, que. lui et ses compagnons avaient cou-
G5Ô
cerlé ensemble , il le présenta au pape Paul
111 par l'entremise du cardinal Gaspard Con-
larini. Le s .int-père reçut cet écrit, et le
donna aussitôt à examiner au maître du sa-
cré palais , Thomas Badia , qui fut depuis
cardinal. Badia le retint deux mois , après
lesquels il le rendit à Sa Sainteté, lui protes-
tant qu'il n'y trouvait rien que de Irès-luua-
ble , et le pape l'ayant lu lui-même , ap-
prouva de vive voix cet institut. Ignare le
pria de le confirmer aulhentiquement; mais,
quoique ce souverain pontife s'y sentît por-
té , il ne voulut rien faire que par l'avis de
trois cardinaux , dont le piemier, qui fut
chargé de l'affaire , se nommait Barthélémy
Guidiccioni. Cela n'empêcha pas , en atten-
dant, que Sa Sainteté ne demandât à Ignace
quelques-uns de ses disciples pour réformer
un monastère de religieuses qui était dans
un grand désordre , et qu'elle n'en destinât
d'autres à d'autres emplois qui ne leur
étaient pas moins honorables. Le Jay alla à
Brcscia pour extirper l'hérésie que des pré-
dicateurs peu catholiques y avaient semée.
Bohadilta fut envoyé à l'île d'Ischia, vers les
côles de Naples , pour accorder les princi-
paux du pays , qui se haïssaient mortelle-
ment. Lninez et Lcfèvre accompagnèrent le
cardinal de Saint-Ange dans sa légation de
Parme. Lainez resta à Plaisance, et Lelè-
vre demeura à Parme , d'où il fut retiré en-
suite pour aller à Worms assister à un col-
loque qui se devait tenir entre les catholi-
ques et les protestants. Enfin Uodriguez et
Xavier partirent pour les Indes , sur la de-
mande que Jean III , roi de Portugal , avait
faite de ces nouveaux missionnaires.
Il est difGcile d'exprimer la joie que saint
Ignace eut de voir ses compagnons engagés
dans les emplois de l'apostolat; mais elle fut
un peu troublée par les oppositions que fi-
rent les trois cardinaux à son grand dessein.
Il continua ses poursuites auprès du pape
avec plus de chaleur que jamais , et redou-
bla ses prières auprès de Dieu avec d'autant
plus de confiance , que , ne doutant point du
succès de son entreprise , il lui promit trois
mille messes en reconnaissance et en action
de grâces de cette faveur qu'il espérait ob-
tenir de sa divine majesté. Son espérance ne
fut pas trompée , Dieu permit que les héré-
sies qui se multipliaient en France, en Alle-
magne ei en Angleterre, et qui avaient mê-
me pénétre jusqu'en Italie, laisant juger aux
Ci ois cardinaux que cette nouvelle religion
serait nécessaire pour en arrêter le cours ,
les firent changer de sentiments. Le pape,
approuvant les conversions merveilleuses
que faisaient les disciples d'Ignace dans les
lieux où ils étaient employés hors de Rome,
se détermina enfin à confirmer le nouvel in-
stitut: ce qu'il fit par une bulie du 27 sep-
tembre de l'an 1540 , donnant à ce nouvel
ordre le nom de Compagnie de Jésus, et per-
mettant à saint Ignace et à ses compagnons ,
qu'il fixa au nombre de soixante proies , de
Presser des constitutions telles qu'ils le juge-
raient à propos.
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 644
§ IL Continuation de Vllistoire de la Com-
pagnie de Jésus et de la vie de saint Ignace
de Loyola.
Dès que le saint-siége eut approuvé la
Compagnie de Jésus, saint Ignace jugea qu'il
fallait commencer par lui donner un chef.
Pour cet effet , il rappela à Borne , avec la
permission du pape, ceux de ses compagnons
qui se pouvaient trouver à l'élection. Il ne
s'y en trouva que six ; car Xavier et Uodri-
guez étaient en Portugal , en attendant l'oc-
casion de passer aux Indes; mais ils avaient
laissé en parlant de Borne leurs suffrages
par écrit. Lcfèvre envoya le sien de Worms,
où il assistait à la diète qui s'y tenait, il
n'y eut que Bobadilla qui ne concourut
pas à l'élection, étant resté à Naples par or-
dre du pape et n'ayant point envoyé son suf-
frage ; mais il confirma à son retour le choix
que firent l s aulres , et qui tomba sur saint
Ignace. Le saint, quoiqu'il eût toutes les
ne pouvant consentir à accepter cette
voix ,
charge, les obligea à recommencer l'élection;
mais, ayant encore eu toutes les voix dans cette
seconde élection, et après avoir fait de nou-
veaux elîorts pour ne point accepter cet em-
ploi, il y fut enfin déterminé par l'avis du P.
Tnéodore , religieux de Saint-François , qui
était son confesseur.
Il prit donc le gouvernement de la com-
pagnie de Jésus le jour de Pâques de l'an
loil, et le vendredi suivant, 27 avril, tous
ceux de ses disciples qui étaient à Rome ti-
rent dans la basilique de Saint-Paul, hors
les murs de la ville, leur profession solen-
nelle, par laquelle ils s'engagèrent tous à
garder une pauvreté, une chasteté et une
obéissance perpétuelles, selon la forme de
vie contenue dans la bulle de leur institu-
tion. Ils firent pareillement le vœu d'une
obéissance spéciale au souverain pontife, à
l'égard des missions, marqué dans la même
bulle, et s'obligèrent d'enseigner aux enfants
la doctrine chrétienne. La différence qu'il y
eut entre la profession du saint fondateur et
celle des autres, c'est qu'il fit sa promesse
immédiatement au pape, et que ses compa-
gnons lui firent la leur à lui-même, comme
à leur général et à leur chef.
Ce nouveau général commença sa charge
par faire le catéchisme ^aus l'église de Sain-
te-Marie de Si rata, qui fut ensuite donnée;!
sa Compagnie. 11 continua cet exercice peu-
dant quarante-six jours; et c'est à son exem-
pb' que les supérieurs de son institut l'on!
quarante jours le catéchisme quand ils en-
trent en charge. Il dressa ensuite quelqiei
règlements pour le gouvernement de cet!»
société naissante, dans laquelle , outre lei
six proies qui avaient concouru à son élec-
lion, douze autres personnes étaient entrées,
et furent suivies peu de temps après d'un
plus grand nombre, entre autres de deux
Espagnols, dont l'un, parent d'Ignace, se
nommait Emilien de Loyola. Nous avons dit
que Xavieret Rodriguez étaient en Portugal.
Le roi procura au premier, sans qu'il le sût,
un bief de légat apostolique aux Indes. 11
m
JES
ms
(MO
partit de Lisbonne la même année, y ayant •
laissé tlodriguez. Bohadilla cl le Jay allèrent
prendre à Vienne et à Ratisbonne la place de
LefèTre, qui fut envoyé à Madrid. Le pape
envoya au^si en Irlande Salmcron cl Brouet,
avec "le caractère de nonces, pour maintenir
la foi catholique parmi ces peuples, qui,
nonobstant les éclits d'Henri VIII, étaient
demeurés fidèles au saint-siége , et l'année
suivante 1542, la république demanda Lai-
nez. Saint Ignace envoya étudier à Paris
quelques-uns de ses nouveaux disciples, qu'il
joignit à d'autres qui y étaient dès l'année
précédente, et qui demeuraient au collège
des Lombards, au nombre de seize. Ce fut
celle même année que le premier collège de
la Compagnie de Jésus fut fondé à C mimbre
par Jean III, roi de Portugal, pour être le sé-
fninaire des apôtres du nouveau monde, (le
collège se trouvacomposé de vingt-cinq sujets
dès l'année suivante loi3, el le 1'. Rodriguez
écrivit à saint Ignace que l'intention du roi
était d'y en entretenir cent.
La nouvelle compagnie était déjà compo-
sée de quatre-vingts, répandus en divers
pays ; el, comme ce nombre surpassait celui
qui avait été limité par la buflc du pape, le
saint fondateur alla trouver Sa Sainteté pour
lui représenter la nécessité qu'il y avait
d'augmenter leur nombre! Paul 111. convain-
cu du grand profil que ces hommes apostoli-
ques avaient fait pour le salut des âmes, ôla
la restriction qu'il avait mise dans sa pre-
mière bulle, permit à cet ordre de s' Ire
sans limitation de personnes et Je temps, el
le confirma de nouveau par une autre bulle
le 15 mars de l'an 1543. Ce pontife donna
aussi la même année à ces religieux l'église
de Sainl-André de Phraeta, qui n'était pas
éloignée de celle de Sainte-Marie de Slrata,
donl nous avons parlé, où ils jetèrent dès la
même année les fondements de leur maison
professe, qui fui en état d'être habitée Pan-
, née suivante. C'est celle même maison qui a
été tellement agrandie dans la suite, qu'elle
est entourée de quatre rues. L'église, s >us le
nom de Jésus, a été bâtie avec beaucoup de
magnificence, par les libéralités du cardinal
Alexandre Farnèse, qui en fit jeler les fon-
dements l'an 1568.
Dans le temps qu'on travaillait aux bâti—
menls de celte maison, Ignace, dont le zèle
était sans relâche pour le salut des âmes,
songea aux moyens de procurer une retraite
pour des filles el des femmes que la nécessité
avait jetées dans le désordre. Il y avait déjà
un monastère de filles et femmes repen-
ties, sous le titre de Sainte-Madeleine ; mais
on n'y recevait que celles qui voulaient être
religieuses. Notre saint, considérant que la
grade qui excite les pécheresses à quitter le
vice ne les porte pas toujours à quitter le
monde, et que l'élat du mariage ne s'accorde
pas avec, celui de la religion, forma le des-
sein de fonder une autre maison où des per-
sonnes séculières tant femmes que filles fus-
sent admises indifféremment. Il s'en ouvrit à
plusieurs seigneurs romains, qui approuvè-
rent sou dessein, el fournirent de grosses
sommes pour cet établissement : de sorte
qu'en peu de temps on bàlil une maison pour
ces pécheresses , sous le lilre de Sainte-
Marthe. 11 eut encore soin des jeunes filles
qui sont exposées à de grands périls, ou
faute d'éducation ou faute de biens : il fit
fonder pour elles un autre monastère sous le
nom de Sainte-Catherine dclli Funari, où il
y a ordinairement cent filles qui y sont en-
tretenues sous la conduite de quelques reli-
gieuses qui suivent la règle de saint Augus-
tin, dont nous avons déjà parlé en un autre
lieu.
Pendant que le saint fondateur s'employait
ainsi dans Home à de bonnes œuvres, et qu'il
travaillait aux constitutions de son ordre,
plusieurs villes d'Cspagne, d'Italie, d'Alle-
magne et des Pays-Bas, lui demandèrent de
ses disciples, et lui offrirent des collèges ;
suivant en cela l'exemple de Jean 111, roi de
Portugal, qui avait fondé le premier collège
de la Compagnie à Conimbre, cl un séminaire
à Goa. Alcala, Valence, Candie, Cologne ,
Louvain et Padouc furent les premières vil-
les qui voulurent en avoir, el dont l'exem-
ple lui bientôt suivi de plusieurs autres villes
de différents Liais et royaumes ; en sorte que
cette compagnie s'étendit en fort peu de
temps dans tous les pays catholiques, à l'ex-
ception de la France, où, quoiqu'elle y eût
pris naissance, elle ne fut pas reçue, dans ses
Commencements, soit parce que les béréti-
ques qui commençaient à s'établir dans ce
royaume, la rendaient odieuse, soit par o
que la guerre s'étant renouvelée entre Char-
les-Quinl et François 1 ', on n'aimât pas une
société dont le chef el les principaux mem-
bres étaient espagnols : de sorie que, bien
loin d'être recherchés des villes de France,
ceux de celle compagnie , qui étudiaient à
Paris et qui n'étaient pas Français, furent
contraints de sortir du royaume, pour obéir
à l'édit qui bannissait les sujets de l'Empe-
reur.
De si heureux commencements annon-
çaient les progrès de cette société. Plusieurs
savants personnages de toutes sortes de na-
tions, el même des Français, vinrent à Home
pour se mettre sous la conduite du saint fon-
dateur, et pour embrasser son institut. Il les
reçut avec d'autant plis de joie, qu'il recon-
nut qu'ils étaient d'un mérite distingué et
d'un caractère à remplir dignement I esprit
de leur vocation ; en quoi il ne se tro pa
pas, excepté en la personne de Guillaume
Poslel. Ce dernier, né à Barenton en Nor-
mandie, sur le bruit que faisait la Compagnie
de Jésus dans toute l'Furope, lut exprès à
Rome en loi5 pour voir le fondateur de ce
nouvel ordre : et, charmé de ses manières et
de la beauté de son institut, fit vœu d'y en-
trer. 11 sollicita si fortement le saint de l'y re-
cevoir, qu'il ne put le lui refuser ; mais ce fut
pour fort peu de temps ; car le saint, recon-
naissant dans son novice un fond d'impiété et
d'erreur, le renvoya, nonobstant les grands
talents dont il était doué, puisque, sans par-
ler de la connaissance qu'il avait de tous les
secrets des rabbins et des oabalistes (ce qui
647
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
G*S
aurait été tm grand avantage pour les con-
fondre, s'il eût voulu en faire un bon usage) :
il savait les langues latine, grecque, hébraï-
que, chaldaïq e et syriaque , el il parlait et
entendait si bien celles qui sont vivantes,
qu'il se vantail de pouvoir faire le lour du
momie sans truchements. Il était bon mathé-
maticien, el il possédait quasi toutes les
sciences. Ii s'étaii tellement acquis l'estime
de François 1", qui aimait les belles-lettres,
que ce prince l'envoya ea Orient pour y re-
chercher des manuscrits, et lui donna une
chaire de professeur dans le collège royal
qu'il avait fondé ci Paris. Postel s'y distingua
[dus que jamais. La reine de Navar e, sœur
du roi, l'estimait singulièrement. Les plus
grands seigneurs de la cour, el surtout les
cardinaux de Tournon, de Lorraine et d'Ar-
magnac, recherchèrent son entretien. Postel
enfin faisait l'admiration des plus savants.
Heureux si, doué de tant de science, il se fût
attaché à celle des saints; mais la lecture des
ouvrages des rahb.ns lui ayant mis des chi-
mères el des illusions dans la tète, il ne put
si bien cacher ses sentiments au aujet d'un
nouvel avènement de Jésus-Christ, qui devait
être, selon lui, dans peu de temps, que le
saint fondateur ne s'en aperçût; ce qui l'o-
bligea à le chasser de la Compagnie, après
avoir tenté toutes sortes de voies pour le i c-
tiier de ses erreurs ; mais ce fut toujours si
inutilement, que, dès qu'il fut sorti, il se mit
à dogmatiser dans Rome. Il se relira ensuite à
Venise, où il se crut pi us en sûreté. Il s'y in fa tua
tellement d'une certaine re igieuse appelée la
Mire Jeanne, qu'il osadire que dans le nouvel
avènement de Jésus-Christ elle serait la ré-
demptrice des femmes, de même que Jésus-
Christ avait été le rédempteur des hommes,
et composa sur ce sujet un livre intitule
Vii go Veneta. On lui attribue aussi d'autres
erreurs grossières, qui l'ont fait mettre au
nombre "es hérétiques, et, entre autres, d'a-
voir publie que l'ange Raziel lui avait révélé
les secrets divins ; qu'il n'y avait que six sa-
crements, et que ses écrits étaient les écrits de
Jésus-Christ même. Il se reconnut néanmoins
sur la On de ses jours, et mourut dans la
communion de l'Eglise, au monastère de
Saint-Martin des Champs à Paris, l'an 1581,
dans un â^e fort avancé.
La fermeté que le saint fondateur fit pa-
raître en chassant Guillaume Postel de sa
Compagnie lut une preuve si convaincante de
son attachement à la foi catholique , que le
pape lui demanda deux de ses théologiens
pour assister en son nom avec ses légats au
concile général qui deyait se célélirar à
Trente. Le saint choisit Lainez etSaltneron,
et leur donna des instructions pour remplir
dignement leur ministère dans une si célè-
bre assemblée. Le P. le Jay y vint aussi
d'Allemagne, comme théologien de l'évêque
d'Ausbourg, et le P. Lefôvre y fui aussi
envoyé dans la suite. La première session
du concile commença le 13 décembre de l'an
1345, et la dernière ne finit que dix-huit
ans après. Le P. le Jay y arriva le premier,
cl gaçna d'abord la bienveillance el t'estime
du cardinal de Trente , qui le constipa sur
des affaires épineuses. Le P. Salmeron pro-
nonça un discours lalin devant les PP. du
concile , qui mérita l'applaudissement de
rassemblée. Le P. Lainez se fit admirer dès
la première fois qu'il parla , et tous trois
firent paraître une érudition si profonde ,
que les légats du pape les chargèrent de re-
cueillir toutes les erreurs des hérétiques an-
ciens et modernes, avec les autorités de l'Ecri-
ture el des Pères capables de les confondre.
Quoique le, Jésuites eussent déjà plusieurs
collèges , ils ne s'employaient pas encore à
l'instruction de la jeunesse, excepte dans le
séminaire de Goa , où le P. Nicolas Lenci-
loti, italien, avait commencé à enseigner aux
enfants les principes de la langue latine;
mais l'an 1546 ils eurent des écoles publi-
ques pour enseigner toutes sortes de scien-
ces. Le premier collège où ils commencèrent
cet exercice si utile lut celui de Gandie , ijue
saint François de Uorgia, duc de Can-
die , leur fonda avanl que d'entrer dans
cette Compagnie, dont il fut le troisième gé-
néral. Son dessein étant que ce collège de-
v î til célèbre, li obtint du pap a et de l'Empe-
reur qu'on ('érigerait eu université , et que
les écoliers qui y prendraient les degrés au-
raient tous les privilèges dont jouissaient les
gradués d'Alcala et de Salamanquc. Ce duc
avait fait vœu à Grenade d'embrasser L'état
religieux, sans se déterminer à aucune reli-
gion en particulier; mais enûa, s'étanl résolu
a exécuter son vœu, il choisit la Compagnie
de Jésus el écrivit à saint Ignace pour lui
demander la grâce d'y être reçu. Le saint
fondateur ia lui accorda avec joie, mais à
condition qu'avant son entrée il pren-
drait du temps pour mettre ses enfants eu
étal de n'avoir plus besoin de sa conduite ni
de ses soins paternels. Le duc, qui avait une
sainte impatience d'entrer dans la Compa-
gnie avant l'exécution des choses qui lui
avaient été prescrites , écrivit une seconde
lettre au saint fondateur, dans laquelle il e-
mandait cette grâce avec tant d'ardeur, qu'il
lui obtint du pape l'an 1547 la permission o
faire les vœux des proies , sans quitter le
monde, avec le puuvoir de garder ses biens
pendant trois années : en sorte que ce ne
lui que l'an iooi, après avoir cède sou du-
ché de Gandie à son fils aîné, qu'il pi il l'ha-
bit de la Compagnie dans le collège d'Ognale,
à quatre lieues de Loyola.
LaCompagnieavaildejà l'ail pour lors beau-
coup de progrès ; elle était divisée en quatre
provinces, qui étaient celles d'Italie, d'Espa-
gne, de Portugal el des Indes. Celled'Espagne
lut même divisée en deux l'année suivante,
et en trois l'an 1554 II n'y availque la France
où les Jésuites n'avaient point encore d'éta-
blissements, quoique leur ordre y eût pris
naissance. Ils avaient toujours été renfermés
dans le collège des Lombards où ils étaient
au nombre de treize , soit en qualité de
pensionnaires, soit en qualité de boursiers :
encore ne se vantaient-ils pas d'être mem-
bres de la Société ; mais ils se déclarèrent
enfin l'an 154'J. Le P. Viole , qui était leur
649
JES
JES
630
supérieur, voyant que dans ce collège ils ne
pouvaient pas s'acquilter des exercices qui
conviennent à des religieux, obtint de Guil-
laume Duprat, évéque de Clermont, son hô-
tel pour les loger. Ils y allèrent tous à l'ex-
ception de trois, qui ri slèrent au collège des
Lombards jusqu'à l'année suivante , que
saint Ignace leur ordonna d'aller demeurer
avec ceux qui étaient à l'hôtel de Clermont.
Ce saint fondateur fit une sévère réprimande
au P. Viole de ce qu'il avait accepté la
charge de proviseur du collège des Lom-
bards, rt voulut qu'il la quittât incessam-
ment, quoique cet emploi ne l'obligeât po.nt
d'aller à ce collège. Comme il n'y avait point
de proies en France, il lui ordonna quelque
temps après de faire ses vœux, selon la for-
mule qu'il lui envoya de Rome, et pria
l'évèque de Clermont de vouloir les rece-
voir.
A peine les Jésuites firent-ils entrés dans
l'hôtel de Clermont, qu'ils trouvèrent beau-
coup d'oppositions à leur établissement;
mais ils ne manquèrent pas de protecteurs.
Le cardinal de Guise , qu'on nomma le car-
dinal de Lorraine après la mort de son on-
cle, fut un des principaux. Ce prince fit
connaître au roi Henri H saint Ignace et ses
enfants, et leur fit obtenir des lettres de ré-
ception, qu'on leur avait refusées. Elles fu-
rent expédiées l'an 1550. Le roi leur permet-
tait par ces lettre- d'avoir un collège à Paris,
et de s'établir dans son royaume. Le parle-
ment refusa d'enregistrer ces lettres; mais
le roi, persuadé par le cardinal de Lorraine
et par les commissaires qu'il avait lui-même
nommés pour examiner l'institut des Jésui-
tes, qu'il ne contenait rien de contraire au
bien de l'Etat et de l'Eglise, donna de secon-
des lettres avec ordre au parlement de les
enregistrer , sans avoir égard aux remon-
trances de son procureur général. Le parle-
ment , pressé par des ordres réitérés de la
cour, donna un arrêt le 3 août looi portant
que, comme l'affaire des Jésuites regardait
principalement la religion , les bulles qu'ils
avaient obtenues du saint-siége seraient
communiquées à l'évèque de Paris et au
doyen de la faculté de théologie, et que
l'un et l'autre en rendraient compte à la
cour.
L'évèque de Paris , par son rapport , fut
entièrement opposé à leur établissement, et
entre autres choses fit entendre que leur in-
stitut blessait les droits des évèques et les
concordats faits entre les papes et les rois
de France. Le doyen de la faculté de théo-
logie poussa l'affaire plus loin; il assembla
les docteurs, qui firent le décret suivant : •
Que la nouvelle Société , qui s'attribue le
nom de Jé.-us, reçoit sans nul choix toutes
sortes de gens, quelque crime qu'ils aient com-
mis et quelque infâmes qu'ils soient; quelle
ne diffère en rien des prêtres séculiers, n'ayant
ni i 'habit , »i" le chœur, ni le silence , ni les
jeûnes , ni les autres observances qui distin-
guent et qui maintiennent l'état religieux;
quelle semble violer la modestie de la profes-
sion monastique par tant d'immunités et de
Dictionnaire des Ordres religieux.
libertés qu'elle a dans ses fonctions , surtout
dans l'administration des sacrements de péni-
tence et d'eucharistie , sans nulle distinction
des lieux ni des personnes , dans le ministère
de la parole de Dieu et dans l'instruction de
la jeunesse, au préjudice de l'ordre hiérarchi-
que, des autres religieux et même des princes
ou des seigneurs temporels, i outre les privilè-
ges des universités et à la charge du peuple ;
qu'elle énerve le saint usage des vertus , des
pénitences et des cérémonies de l'Eglise ;
qu'ell '■■■ donne occasion d'apostasier librement
des autres sociétés religieuses; qu'elle refuse
aux ordinaires l'obéissance qui leur est due ;
qu'elle prive injustement de leurs droits les
seigneurs ecclésiastiques et les seigneurs tem-
porels : qu'elle introduit partout des divisions,
des jalousies, des querelles et des schismes;
enfin que , pour toutes ces raisons , cette So-
ciété semble être périlleuse en matière de foi ,
ennemie de la paix de l'Eglise, fatale à la re-
ligion monastique, et plutôt née pour la ruine
que pour l'édification des fidèles.
Les Pères de Home, à qui le général com-
muniqua cet écrit, furent tous d'avis qu'on
y répondit dans les formes pour désabuser
la France et pour instruire les docteurs de
Paris, qui semblaient n'avoir nulle connais-
sance de l'institut des Jésuites ; mais le saint
fut d'un autre sentiment. Outre qu'il hono-
rait la Sorbonne, qu'il regardait comme une
des plus fortes colonnes de l'Eglise, il crut
que ce qu'on leur imposait dans ce décret
était trop outré pour faire aucun mal, et
qu'une réponse publique, quelque modeste
qu'elle pût être, ne servirait qu'à irriter da-
vantage les esprits, les assurant que malgré
tous les obstacles qui semblaient faire déses-
pérer de leur réception en France, la Com-
pagnie s'y établirait, et que le collège de Pa-
ris serait un jour très-célèbre. Il eut soin
néanmoins de faire venir de tous les lieux
où sa Compagnie était établie des témoigna-
ges authentiques de la bonne conduite qu'y
tenaient ses enfants et des fruits qu'ils y fai-
saient. De plus il permit au P. Martin Otave,
qui enseignait la théologie dans le collège
Romain et qui était docteur de Sorbonne,
d'envoyer à ses confrères une réponse mo-
deste et solide à tous les articles de leur dé-
cret. La publication de ce décret ne laissa pas
d'émouvoir tout Paris contre les Jésuites. Les
professeurs, les prédicateurs et les curés at-
taquèrent publiquement leur institut et en
donnèrent d'horribles idées. On afficha aux
carrefours de la ville des papiers très-inju-
rieux pour décrier leur doctrine et leur con-
duite, et le peuple leur fit diverses insultes.
Il semblait alors que le meilleur parti qu'ils
eussent à prendre était celui de se retirer
de celte grande ville; mais, dans le temps
qu'il paraissait y avoir le moins à espérer,
l'orage se dissipa, et la Compagnie, restant
tranquille, eut un libre exercice de ses fonc-
tions. Elle commença à enseigner dans la
ville de Rillom, où le même Guillaume Du-
prat, évéque de Clermont, fonda un collège
en attendant qu'on ouvrit celui de Paris.
Ce n'était pas seulement en France que la
11. 21
651 DICTIONNAIRE DES
Compagnie était maltraitée : Jean Silic, ar-
chevêque de Tolède, se déclara contre elle,
sous prétexte que les Jésuites entreprenaient
sur les droits de l'épiscopat, par la liberté
qu'ils se donnaient d'administrer les sacre-
ments en tous lieux sous ombre de leurs
privilèges. 11 n'y avait dans son diocèse qu'un
collège de ces Pères, qui était celui d'Alcala;
ils les interdit tous en un jour et fulmina une.
sentence d'excommunication contre toutes
les personnes qui se confesseraient à eux:
ordonnant aux religieux et aux curés de son
diocèse de ne laisser ni prêcher ni dire la
messe dans leurs églises à aucun de la
Compagnie, défendant même la confession à
tous les prêtres qui auraient fait sous leur
conduite les exercices spirituels. Ce n'élait
qu'une suite des oppositions qu'ils avaient
déjà trouvées dans le royaume d'Espagne,
où dès l'an 1548 on avait employé plusieurs
moyens pour les détruire dans l'esprit du
peuple. Entre les autres, Melchior Canus, de
l'ordre de Saint-Dominique et docteur de Sa-
lamanque, y avait publié tant de choses à
leur désavantage, que le peuple, qui comp-
tait beaucoup sur les paroles de ce docteur,
traita d'imposleurs ceux qui lui avaient
paru auparavant des hommes descendus du
ciel. On croyait peut-être en cela faire plai-
sir à l'empereur Charles-Quint, qui a\ait
chassé de l'Empire le P. Bobadilla, parce
qu'il s'était opposé à la formule de foi que
l'on appela Vlnterim, que ce prince, par
condescendance pour les hérétiques d'Alle-
magne, avait fait puhlier dans la diète
d'Augsbourg. Ce qui consolait les Jésuites
dans leurs peines, était que leur fondateur
n'en avait pas été exempt : car dès l'an 1553
il en avait souffert beaucoup au sujet de son
\ï\ re des Exercices spirituels, que l'on taxait
d'hérétique, nonobstant l'approbation qu'il
avait eue de Paul III en 1546; en sorte qu'il
y aurait peut-être succombé, si plusieurs
théologiens , et entre autres Barthélemi
Tories, qui fut dans la suite évéque des
Canaries, n'eussent pris sa défense et celle
du saint-siège, que l'on attaquait indirecte-
ment, cl si les inquisiteurs, entre les mains
desquels on avait mis ce livre, n'en fussent
devenus les apologistes, après avoir fait con-
naître la mauvaise loi de l'accusaleur.
Tant d'oppositions n'étaient que trop ca-
pables de dégoûter ces nouveaux hommes
apostoliques; mais Dieu les soutint toujours
dans leurs peines. Tandis qu'on s'opposait à
eux en France et dans une partie de l'Es-
pagne, ils avaient la consolation de se voir
faire un grand progrès dans l'Italie. Outre la
nouvelle confirmation que le saint fondateur
obtint de son institut en 1550, on lui fonda
des collèges et des maisons à Home, à Lo-
rette, à Naples, à Florence, à Bologne, à
Venise, à Pérouse, à Modène et en d'autres
endroits : sans parler de l'établissement du
collège Germanique, qu'il procura en 1552
pour l'éducation des enfants de la pauvre no-
blesse étrangère. Ignace fit des statuts pour
cette maison, et les Pères de laCompagnie en
eurent la conduite.
ORDRES RELIGIEUX. n"i2
La piix dont celle société jouissait en Ita-
lie et principalement à Home fut troublée
par le pape même, qui en 1553 s'irrita con-
tre les Jésuites. I! crut que ceux d'Espagne,
qui étaient à la cour de Castille, s'étaient
rangés du côté de Charles-Quint contre les
intérêts du saint-siège; mais ces soupçons
se dissipèrent par les bons offices de Ferdi-
nand, roi des Romains, et le pape donna do
nouvelles marques de son affection à la
Compagnie. Son successeur Marcel II n'eut
pas moins de bienveillance pour elle; mais
son pontificat n'ayant duré que trois semai-
nes, les Jésuites tombèrent dans de nouvel-
les appréhensions lorsqu'ils virent en sa
place le cardinal Caralïe, qui prit le nom de
Paul IV. Ils le croyaient irrité contre eux,
tant à cause que saint Ignace avait refusé
d'unir son ordre à celui des Théatins, dont
•Carafl'e était l'un des fondateurs, que parce
qu'il avait fait casser par le pape Paul III
une sentence que le même Caraffe, étant ar-
chevêque do Naples, avait donnée contre lui
pour l'obliger de rendre un jeune Napolitain
qui avait été reçu dans sa Compagnie, et
que ses parents redemandèrent; mais ils re-
connurent bientôt qu'ils s'étaient trompés.
Paul IV leur fut si favorable, que dès les
premiers jours de son pontificat il voulut
faire le P. Lainez cardinal, si saint Ignace
ne s'y fût opposé fortement, comme il avait
déjà faii lorsque P.,ul 111 voulut revêtir
saint François de BorgL: de la même dignité,
et lorsque Ferdinand, roi des Romains,
nomma le P. Le Jay à l'évèché de Triesle.
Le saint fondateur ne consentit jamais quo
S.és enfants reçussent aucune prélalure, si
ce n'est dans les pays étrangers, où il man-
que de pasteurs capables de retirer les peu-
ples des ténèbres de l'erreurel de l'idolâtrie;
comme les PP. Nugnez, Carnero . t Oviédo,
qui furent envoyés en Ethiopie, le premier
en qualité de patriarche, le second comme
évêque de Nicée, et le troisième comme évé-
que de Hiérapolis; auxquels on donna dix
c impagnons pour les aider dans leurs mis-
sions. Enfin saint Ignace, après tant de Ira-
vaux pour la gloire de Jésus-Christ et pour
le salut des âmes, mourut à Rome le 31 juil-
let de l'an 1556, âgé de 65 ans, trente cinq
ans après sa conversion, et seize ans après
la fondation de sa Compagnie. H eut la con-
solation de la voir avant sa mort répandue
par tout le monde et divisée eu douze pro-
vinces, qui toutes ensemble avaient au
moins cent collèges ; il la vil même honorée
du martyre en la personne du P. Antoine
Criminal et en celles des frères Pierre Cor-
rea et Jean de Fosa, qui furent mis à mort
par les barbares, le premier dans les Indes,
et les deux autres au Brésil. Le corps du
suint fondateur fut enterré à Rome dans l'é-
glise de la maison professe, au pied du grand
autel, du côté de l'évangile, où il demeura
jusqu'en l'année 1508, qu'on l'en relira pour
jeter les fondements de la nouvelle église
que le cardinal Farnèse (il bâtir, et ce sacré
dépôt fut porté en un autre endroit de l'au-
eiennc gli-e. Lorsque la nouvelle fut enliè-
6~
JES
JES
654
renient bâtie, le P. Aquaviva, l'an LJ87, pour
lors général, je lran9téra 'Sans celle église;
cl après que le pape Grégoire XV l'eu! cano-
ni é en 16±s, on érigea en son honneur une
chapelle, qui a élé embellie sur la (in du
dernier siècle avec beaucoup de magnificence.
Après la mort de saint Ignace, on fut deux
ans sans lui donner de successeur. La guerre
qui survint entre le pape Paul IV et Phi-
lippe II, roi d'Espagne, ayant ferme les pas-
sâmes aux Espagnols, on ne tint point la con-
grégation générale. Les Italiens pendant ce
temps-là élurent pour vicaire général le P.
jaques Lainez : elles Espagnols, qui igno-
raient ce que les Italiens avai ni fait, élurent
de leur côté le P. Nalal ; mais celui-ci par
huini ité céda à Lainez la supériorité. 11
n'eu fui pas de même du P. Uobadilla, qui,
comme un des premiers compagnons de
saint Ignace, prétendit avoir paît au gou-
vernement de l'ordre, mais il lut oblige de
céder à Lainez, qui indiqua la i ■ongrégalion
générale. Elle se lin} l'an looo\ et il y fut élu
général. Après son éleclioi , le cardinal de
Trana lui déclara de la part du pape que Sa
Sainteté trouvait deux choses à redire dans
l'institut de la Compagnie : la première, de
ce que l'on n'y récitait point l'office canonial
au chœur; la seconde, de ce que le général
n'était point triennal, mais perpétuel. La
congrégation ayaut délibéré sur les difficul-
tés que le pape proposait, chargea le ï'. L i
liez d'aller trouver Sa Sainteté et de iui pré-
senter une lettre signée de toute l'assemblée,
par laquelle on lui faisait connaître la né-
cessiié qu'il y avait que le général fût per-
pétuel, sans parler des heures canoniales.
Le pape les reçut très-mal, et leur déclara
avec des expressions très-fortes qu'il voulait
que le général fût triennal, et qu'ils chantas-
sent au chœur les heures canoniales, n'en
exceptant que le général eleeux quiseraient
occupes. Le P. Lainez apaisa le pape par un
discours qu'il luilil; mais le pontife persista
à vouloir que le général lût triennal el que
l'on récitât au chœur les heures canoniales.
Il fil faire un décret par lequel il fut ordonné
que dans les collèges ou chanterait la messe
el les vêpres, les dimanches et les fêtes, et
que daus les maisons professes on y d.rait
toutes les heures canoniales. Les Jésuites
souffrirent avec peine qu'on les assujettit à
ces obligations, si contraires aux missions,
confusions et prédications auxquelles ils
étaient conliuuellenienl occupés ; mais ils se
consolèrent lorsque le cardinal del Pozzo ou
du Puis, qui elail un savant in erprè e, les
a sura que le décret du pape, n'elanl qu un
simple commandement, n'aurait de val ur
que pendant la vie de ce ponlife. Pie V les
obligea encore l'an 1561 de réciter l'office
au chœur, et leur défendit de faire promou-
voir au sacerdoce aucun de leurs Pères qui
ne fût profès et n'eût prononcé ses vœux so-
lennels; mais Grégoire Xlll, par une bulle
de l'an 1573, rétablit la Compagnie dans son
premier élat, dispensant ies Jésuites de réci-
ter leur office au chœur et en commun; et
permit à ceux qui n'auraient fait que les
vœux simples de recevoir la prêtrise. La
Compagnie fil de nouveaux progrès sous le
gouvernement du P. Lainez. principalement
en Europe. Il se trouva en 1561 au colloque
de Poissy, où son ordre obtint enfin la per-
mission de s'établir en France dans le col-
lège de Clermont. Ce collège s'est beaucoup
augmenté dans la suite par les libéralités des
rois de France Henri IV, Louis Xlll, et
principalement de Louis XlV, qui déclara
l'an 1683 ce collège de fondation royale; et
en reconnaissance des grands bienfaits de ce
prince, on lui a donné son nom, étant pré-
sentement connu sous le titre de Collège de
L uis-le-Grand. Après que le P. Lainez eut
gouverné cet ordre pendant huit ans, il mou-
rut l'an 1564, et eut pour successeur saint
François de Borgia. La Compagnie avait
pour lors cent treille maisons ou collèges,
divisés en dix-huit provinces, qui furent en-
core beaucoup augmentées par les soir.s de
ce saint, qui fil plusieurs établissements tant
en Europe que dans l'Amérique. Les Jésuites
avaient déjà cinq maisons à Rome, savoir la
maison professe, le noviciat, le collège Ro-
main, le collège Germanique et le séminaire
Romain, lorsque saint François de Borgia
obtint du pape Pie Vr, l'an 1570, le collège
des Pénitenciers de Saint-Pierre. Les collè-
ges des Grecs, des Maronites, des Anglais,
des Ecossais et des Irlandais, leur ont été
donnés depuis: ce qui marque 1 estime que
les souverains pontifes ont eue pour cette
Compagnie.
Après la mort de saint François de Borgia,
qui arriva l'an 1572, le P. Mercurien, Fla-
mand, fut élu général de cet ordre. 11 eut
pour successeur l'an 1581 le P. Aquaviva,
de la maison des ducs d'Atri , au royaume
de Naples, qui occupa celte place jusqu'en
l'an 1615, qu'on lui donna pour successeur
après sa mort le P. Vitelleschi, qui mourut
l'an 1645. Ce fut sous ce général qu'on so-
lennisa avec beaucoup île pompe et de ma-
guilicence à Rome, en Allemagne et en plu-
sieurs provinces, l'année séculaire île l'ordre.
Cette cérémonie fui d'abord connu niée à
Rome dans le collège Romain, l'an 161'.), le
25 septembre, fête des saints martyrs Côme
et Damien; auquel jour, cent ans aupara-
vant, l'ordre avait reçu de vive voix sa pre-
mière approbation du pape Paul III. Hélait
pour Sors si multiplié par toutes les parties
du monde, que, suivant le catalogue des
maisons, qui avait élé publié l'an LI26, il
s'en trouvait plus de huit cents, tant collèges,
maisons professes et de prubation, que lési-
dences; le tout divisé en trente-six provin-
ces , dans lesquelles il y avait plus de
quinze mille Jésuites. La Compagnie a lait
depuis ce temps-là de nouveaux progrès
sous les généraux qui ont succédé au P. Vi-
telleschi qui sont les PP. Nickel, Oliva, Gon-
zalès et Tamburin.
Les constitutions que saint Ignace dressa
pour sa Compagnie sont divisées en dix par-
lies, qui sont précédées de l'examen qu'on
doit faire de ceux qui se présentent pour y
être reçus, auxquels on doit faire plusieurs
655
demandes, dont il fait un grand détail. Après
leur réception, il veut qu'on les éprouve
pendant un mois dans la maison, en leur
faisant faire le; exercices spirituels el une
confession générale, après laquelle ils doi-
vent prendre l'habit ordinaire de la Compa-
gnie ; que le noviciat soit de deux ans,
et qu'ils apprennent tous les jours quelque
chose par cœur pour cultiver la mémoire,
sans néanmoins leur permettre l'étude. Il or-
donne de plus qu'ils serviront les malades
l'espace d'un mois dans un hôpital, et que
pendant un autre mois ils feront un pèleri-
nage de dévotion à pied, sans viatique, en
demandant l'aumône. Après les deux années
de noviciat, il veut que les jeunes gens de la
Compagnie soient appliqués aux études, et
détermine les sciences qu'ils étudieront; et
dans la crainte qu'il avait que l'amour de là
science n'affaiblit peu à peu l'esprit de piété,
il a prescrit les pratiques qui peuvent l'en-
tretenir pendant le temps des études ; après
lesquelles il ordonne un second noviciatd'un
an, où l'on ne s'applique qu'aux exercices
de la vie spirituelle, pour apprendre à pra-
tiquer ce que l'on doit enseigner aux autres.
Le saint fondateur mitdans son ordre trois
différents degrés, l'un de profès, l'autre de
coadjuteurs formés, et l'autre d'écoliers ap-
prouvés, outre les novices. Parmi les proies
il y en a de deux sortes, les uns de quatre
vœux, les autres de trois seulement. Il y a
aussi de deux sortes de coadjuteurs, les uns
spirituels et les autres temporels. Les vœux
des profès sont solennels, ceux des coadju-
leurs sont publics, mais simples. Ceux des
écoliers sont seulement simples , ils ne se
font qu'en présence des domestiques, et per-
sonne n'est député du général pour les rece-
voir; au lieu que ceux des profès et des coad-
juteurs formés se font entre ses mains, ou de
personnes qu'i.l a députées pour cet effet.
Voici la formule des vœux des profès.
Moi N. fais profession el promets à Dieu
tout-puissant, en présence de la très-sainte
Vierge, de toute la cour céleste, et de tous les
assistants, et à vous, Révérend Piregénéral de
la compagnie de Jésus, tenant la place de
Dieu, et à vos successeurs, pauvreté, chasteté
et obéissance, et, selon cette obéissance, d'avoir
un soin particulier pour ce qui regarde ce que
l'on doit enseigner aux jeunes gens, selon la
forme de vivre contenue dans les lettres apo-
stoliques de la Compagn e de Jésus et dans ses
constitutions. Fait, elc. Ceux qui font les
quatre vœux ajoutent : Et en outre je pro-
mets spécialement obéissance au souverain
pontife pour ce qui regarde les missions,
comme il est porté par les mêmes lettres apo-
stoliques et les constitutions. Les coadjuteurs
ne disent point, je fais profession, mus seu-
lement, je promets à Dieu; et les coadjuteurs
temporels retranchent ce qui regarde l'in-
struction de la jeunesse. Les écoliers approu-
vés, qui font seulement des vœux simples
et non publics, s'engagent à la Compagnie,
promettant d'y uvre el mourir dans l'obser-
vation des vœux de pauvreté, de chasteté et
d obéissance ; et s'obligent par vœux exprès
WCTIOINNAIKK HLS OUDItES RELIGIEUX.
650
d'accepter le degré qu'on trouvera dans la
suite leur être plus convenable. Comme ce9
vœux ne sont que simples, sous le bon plai-
sir du pape, saint Ignace laissa à la Com-
pagnie le droit d'en dispenser pour de justes
causes, laissant par là aux écoliers le do-
maine et la propriéléde leurs biens, quoiqu'il
leur ô(e le pouvoir d'en jouir et d'en disposer
indépendamment des supérieurs; et c'est un
usage reçu en Italie, en Espagne, en Flandre
et en tous les autres pays, excepté en France
où ces écoliers et ces coadjuteurs ne peuvent
disposer de leurs biens, tant qu'ils sont dans
la Compagnie ; mais, s'ils en sortenl, ils peu-
vent redemander partage des biens dans leurs
familles. Les profès, avant que de faire pro-
fession, et les coadjuteurs formés, avant que
de prononcer leurs vœux, doivent faire la
quête et mendier de porte en porte pendant
trois jours; et il est à la volonté des supé-
rieurs d'y obliger les écoliers avant qu'ils
soient réputés approuvés. Quoique les coad-
juteurs ne soient pas profès, ils ne laissent
pas d'être recteurs des collèges et régenls;
ils peuvent être quelquefois élus pour as-
sister à la congrégation générale; mais ils
n'ont point voix dans l'élection du général
et ne peuvent précéder les profès de quatre
vœux.
Saint Ignace veut que le général soit per-
pétuel et maitre absolu dans toute la Com-
pagnie ; il veut même que ce soit lui qui fasse
les provinciaux, les supérieurs de maisons
professes et de probalion et les recteurs des
collèges; et, afin qu'il connaisse tous les su-
jets quisont propres pour remplir les postes,
les provinciaux de loule l'Europe lui écri-
vent une fois tous les mois ; les recteurs, les
supérieurs des maisons et les maîtres des
novices tous les trois mois; et ceux des Indes,
lorsque la commodité de la navigation se
présente, lui rendent compte en général de
leurs inférieurs. On lui envoie de trois en
trois ans les catalogues de chaque province,
dans lesquels on marque l'âge de chaque re-
ligieux, ses forces, ses talents naturels, son
avancement dans les lettres et dans la vertu,
et toutes ses qualités bonnes ou mauvaises.
Saint Ignace donne au général quatre assi-
stants, qui sont comme ses ministres; mais
on en a ajouté depuis un cinquième pour la
France : ainsi les cinq assistants du général
sont présentement d'Italie, de France, d'Es-
pagne, d'Allemagne et de Portugal, et sont
élus par la congrégation générale , comme
tous les autres supérieurs. Outre ces as-
sistants, il a encore auprès de lui un admo-
niteur, aussi élu parla congrégaiion géné-
rale , qui est en droit de représenter au
général ce que lui ou les assistants auraient
remarque d'irrégulier dans son gouverne-
ment ou en sa personne.
Comme saint Ignace aimait fort la pau-
vreté, il la recommande en plusieurs endroits
de ses constitutions. Il ne veut pas que les
maisons professes aient aucun revenu, il n'y
a que les collèges et les maisons de proba-
lion qui en peuvent avoir. Il défend de rece-
voir des fondations pour des messes à perpé-
657
JES
JES
658
tuité, ni aucune rétribution, soit pour les
messes, les confessions, les prédications, les
visites des malades, pour enseigner, ou pour
quelque autre emploi de ceux que la compa-
gnie est obligée d'exercer selon son institut.
11 ne donne point d'autre habillement à ses
religieux que celui des ecclésiastiques. 11
ordonne qu'il sera honnête selon l'usage du
pays, sans avoir néanmoins rien de contrai-
re à la pauvreté religieuse. Cet habit con-
siste en une soutane et un manteau long,
comme celui des ecclésiastiques ; niais ils
n'ont point de rabat, parce qu'au temps de
leur établissement les ecclésiastiques n'en
portaient pas (1). Les écoliers approuvés
portent aussi en France le manteau long; et
en Italie, au lieu de manteau, ils ont une
robe à peu près semblable à celle qui est re-
présentée à l'article Jérôme ( en Italie ). Le
dessein que le saint fondateur avait de con-
vertir tous les hommes, s'il était possible,
lui fit juger que la Compagnie ayant à traiter
souvent avec les hérétiques et tes libertins,
qui se moquent de l'habit des religieux, elle
n'en dev.iii point prendre de singulier, pour
avoir plus d'accès partout. On voit ici (2)
l'habit qu'ils ont été obligés de prendre dans
les pays infidèles, où ils annoncent la foi.
Enfin le saint fondateur règle le logement,
la nourriture et le reste, conformément à
l'habit, selon les lois de la bienséance et de
la pauvreté, et il ne prescrit aucuneaustérité
d'obligation.
Cette Compagnie a eu une infinité d'illus-
tres écrivains en toutes sortes de genres de
science. Le P. Alegambe en a donné le cata-
logue, qui a été augmenté depuis par le P.
Bonanni. Elle aurait fourni un grand nom-
bre de prélats à l'Eglise, si saint Ignace n'eût
point oblige ses religieux par vœu à renon-
cer aux prélatures et à les refuser quand on
les leur offrirait : c'est encore un vœu sim-
ple que les profès font après leur profession.
11 y a eu néanmoins quelques cardinaux de
cet ordre, qui sont les cardinaux Tolet, Bel-
larmin, de Lugo , Palavicin, Pasmanni , qui
fut aussi archevêque de Strigonie; Nitard et
Ptoloméi, nommé par Clément XI, auxquels
il a fallu un précepte de Sa Sainteté pour ac-
cepter le chapeau. Les Jésuites mettent en-
core au nombre des cardinaux de leur ordre
Alexandre des Ursins , qui fit seulement les
vœux simples de la Compagnie, étant cardi-
nal, sans quitter pour cela sa dignité. Enfin
cet ordre a eu trois saints canonisés, qui sont
saint Ignace, fondateur, saint François Xa-
vier, surnommé l'Apôtre des Indes, et saint
François de Borgia. Trois autres béatifiés, sa-
voir : les bienheureux Stanislas Koske, Louis
de Gonzague, et Jean-François Régis. Trois
martyrs reconnus pour tels par l'Eglise, sa-
voir, les saints Paul Michi, Jean de Golho, et
Jacques Chisaï, sans parler d'un grand nom-
bre d'autres qui ont répandu leur sang dans
les différents p.iys où ils ont porté la foi.
Cet ordre a piiur armes un nom de Jésus d'or
entouré de rayons de même en champ d'azur,
avec cette devise : Ad majorent Dei gloriam.
(i) Vu!/., à la fin du vol., nos 156, 157 et 158.
Orlandin. Sachin. et Possevin. Hist. So-
ciet. Jesu. Imago primi sœcuii Societ. Jesu.
Jacob Dauiian. Synops. primi sœculi Societ.
Jes. Mathias Tanner, Societ. Europ. Barthe-
lem. t'elez, Chronic. de la Companhia de Jesu
na Provinc. de Portugal. P. de Hybadeneira,
Vide de S. Ignazio. Bouhours , Vie de saint
Ignace. Euseb. Nieremberg, Cl iros Varones
de la compannia di Jésus. Philip. Alegambe,
Mortes illustres Societ. Jes- Herman , Uist.
des (Ird. religieux, tom. III. Baillel et Giri ,
Vie des saints. Regul. Cornm. Constitut. Litter.
Aposlol. et privi'lrg. Soc Jesu.
Le P. Hélyot s'est borné à raconter l'his-
toire de l'origine, de l'extension prodigieuse,
de la Compagnie de Jésus; il a donné un ex-
posé succinct de son régime et des services
immenses qu'elle a rendus à l'Eglise, mais il
s'est très-peu étendu sur les luttes auxquel-
les elle a été exposée, sur les combats qu'elle
a dû soutenir contre les novateurs. Nous de-
vons, eu continuant son travail, suivre son
plan; il l'avait d'ailleurs suivi lui-même
dans tout ce qu'il a écrit sur les autres or-
dres religieux. Néanmoins elle s'est trouvée,
après ia mort de notre auteur, mêlée de tant
de façons aux maux qu'asoufferisla religion,
elle a été elle-même en butte à tant d'injus-
tes attaques, l'objet de tant de calomnies,
que le peu que nous en allons dire sera sous
certains rapports le récit des combats livrés à
l'Eglise même.
Quand le P. Hélyot mourut, la bulle Uni-*
genitus venait de paraître. Sollicitée par l'E-
glise de France, elle devait être le remède
aux maux que cette Eglise ressentait depuis
l'apparition du jansénisme. L'hérésie sut pa-
ralyser longtemps les effets de ce remède sa-
lutaire. La philosophie profita des troubles
qu'elle fomentait pour jeter du ridicule sur
tout ce que la religion et la morale avaient
de plus sérieux. Les parlements se mirent
au service de la philosophie et du jansénis-
me, et tous fii eut de la Compagnie de Jésus
leur point de mire, cachai:: sous son nom
celui de la religion catholique, à laquelle ils
en voulaient réellement. Les Jésuites de-
vaient succomber sous le poids de coups si
nombreux et si puissants, car les rois, dans
leur aveuglement, se firent l'écho des cla-
meurs de leurs ennemis, et hâtèrent leur pro-
pre chute en sollicitant et extorquant celle
des religieux les plus utiles à l'Eglise dans
les dures circonstances où elle se trouvait
alors.
Les Jésuites, zélés pour la doctrine catho-
lique, se soumirent aux décisions du saint-
siége, et propagèrent autant qu'ils purent
l'adhésion aux décrets venus de Home. Nous
devons avouer ici que quelques membres de
leur Compagnie, alors missionnaires dans les
contrées d'Orient, ne montraient pas une obéis-
sance aussi ponctuelle aux prescriptions du
souverain pontife. On sait toutes les difficul-
tés élevées, toutes les disputes occasionnées
par les cérémonies religieuses de la Chine.
Depuis plus d'un demi-siècle, les religieux
de divers instituts , missionnaires dans ces
(2) Voy., à la fin du vol., n09 150, 100, 1(11 et 162.
659
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
(.560
contrées lointaines, étaientdivisés sur le sens
qu'on attachait à certains mots, sur l'objet
de certaines cérémonies. La plupart con-
damnaient l'expression par laquelle les indi-
gènes nommaient le ciel, n'y voyant que le
ciel matériel ; le plus grand nombre des Jé-
suites, et même quelques prélats y recon-
naissaient l'invocation do Seigneur du ciel.
La même division exislait sur le sens moral
des cérémonies dont nous avons parlé. Ro-
me, consultée, envoya tin légat, M. de Totir-
non, patriarche d'Antioche, qui ne fut pas
reçu de tous tes catholiques avec le respect
que lui méritaient son caractère et son titre.
Il est juste de ne pas laisser peser sur les Jé-
suites seuls le tort de ce manque de respect
et de soumission. Nous donnons sur eux un
aperçu historique ; notre impartialité nous
oblige à dire que le plus grand nombre d'en-
tre eux se montra récalcitrant aux ordres du
pape. Le légat condamna les cérémonies chi-
noises ; les Jésuites, s'appuyant trop sur leurs
connaissances étendues et plus approfondies
de la langue et des usages du pays, sur le
maintien des intérêts du christianisme dans
ces contrées, ajournèrent leur soumission et
appelèrent au pape mieux informé. (Nous
voulons appuyer sur la différence de cet ap-
pel d'avec celui des appelants français.) Ils
euret tort ; mais si le légat eut à se plain-
dre de leur conduite, il eut bien plus à se
plaindre des vexations des Portugais, de l'ar-
chevêque de Goa, de l'évéque de Macao. Les
fautes de ceux-ci n'excusent pas celles des
autres, sans doute, mais elles les explique-
raient peut-être un peu, et devraient obli-
ger les ennemis des Jé-uites à plus de discré-
tion dans leurs attaques fondées sur ce
point. Au reste, le 11 juillet llhl et le 12 sep-
tembre 174ï, Benoît XIV, par ses bulles
Ex quo tingulari et Omnium sollicitudinum,
trancha toutes les difficultés en parlant dans
le sens de ses prédécesseurs. Les Jésuiies
cessèrent leurs résistances, qui dans un
grand nombre, et peut-être dans tous, n'a-
vaient été que conditionnelles. Dès avant ce
temps, en 1735, les Jésuites duMaduré; en
1741, les Jésuites de la Chine et des Indes
avaient fait leur soumission, et la distance
des lieux avait retardé l'arrivée de leurs let-
tres à Rome. Au milieu rie ces malheureuses
divisions, les Jésuites de ces contrées loin-
taines faisaient honneur à leur Compagnie
et à la religion, si on peut parler ainsi, par
l'éclat dont ils brillaient dans les sciences ,
dans des missions diplomatiques et délicates,
et les noms des PP. Parrenin, Gaubil, etc.,
sont restés chers aux lettres, suivant le té-
moignage même de ceux qui ne semblent pas
faits pour comprendre et pour dire combien
aussi ils sont demeurés chers à la mémoire
des hommes de foi.
A la même époque, et pendant tout le reste
de son existence, la Société de Jésus rendait
àl'aulre extrémité du monde des services, si-
non aussi éclatants , du moins plus étendus
et peut-être plus solides et plus utiles. Nous
ne faisons point ici un panégyrique, mais
seulement de l'histoire, et dans l'impossibi-
lité où nous laisse l'espace rétréci destiné à
raconter ses travaux, de les montrer en dé-
tail, nous nous bornerons à dire que si le
christianisme a fait des progrès si surpre-
nants dans l'Amérique du Nord depuis un
siècle, ces progrès sont dus en grande partie
aux travaux des Jésuites. Ces évêchés nom-
breux qui semblent, surgir comme par en-
chantement dans les Etats-Unis, nous ne
craignons pas de le dire, ont leurs basrs et
leurs racines dans cette terre que les Jésui-
tes plus que tous les autres missionnaires
avaient défrichée et arrosée de leurs sueurs.
Les Puraxis, les Manacica-i, les Quiriquicas,
les Lutles, les Puizocas, les Alocabis, les
Abipones, les Mataguyos et vingt autres
peuplades ou tribus sauvages, dans l'autre
partiedu nouveau monde sont amenés par les
Jésuites à la connaissance de la vérité et aux
usages de la vie civile. Toutes ces nations, dont
les noms étranges ne nous seraient peut-être
pas connus si elles n'avaient été l'objet du
zèle des Jésuites, furent amenées à l'état de
Réduction, c'est-à-dire à ce genre de gouver-
nement moitié monarchique, moitié théo-
cratique, où les établissaient leurs apôtres
pour les soustraire aux horreurs de la vie
sauvage. De toutes ces Réductions, celles du
Paraguay ont été les plus célèbres : tout le
monde connaît jusqu'à quel point les Jésui-
tes parvinrent dans cette république chré-
tienne à rendre agréable à des êtres abrutis
le joug de l'obéissance, du travail et de la
famille. Comme si les difficultés sans nom-
bre qu'avaient demandées ces conquêtes mé-
ritoires avaient surexcité le zèle des Jésui-
tes, l'Amérique méridionale vit de nouveaux
Pères de l'institut marcher à la découverte
de nouvelles peuplades. On leur disait qu'elles
étaient encore plus sanguinaires, plus disso-
lues que celles dont ils avaient comprimé les
instincts. Ces récits furent pour eux un sti-
mulant. On ne peut dissimuler que toutes
ces conquêtes faites aux lumières de la foi,
ne fussent aussi à l'avantage de l'Espagne et
du Portugal, qui favorisaient les missionnai-
res; il faut en même temps rappeler com-
bien ces services nombreux et importants
rendus à la mère patrie étaient souvent
payés d'ingratitude, de calomnies et de per-
sécutions. La France n'était pas moins in-
téressée aux conquêtes spirituelles des Jésui-
tes dans l'Amérique du Nord. Les Hurons,
les Esquimaux, les Algonkins, les Abenakis,
les Illinois et les Mi ami s acceptèrent avec
joie l'Evangile. De l'état sauvage ils étaient
p u :'t peu arrivés à une condition heureuse.
Ils apprenaient à confondre dans leur amour
Jésus-Christ et la France. Après leur avoir
donné un culle, des mœurs, une famille, on
leur offrait une patrie qui les protégeait, et
si le nom de robes noi/es réveille encore de
nos jours les sentiments de la reconnaissance
chez les sauvages et chez les Canadiens,
n'oublions pas que ce nom, devenu commun
à tous les missionnaires catholiques, fut pri-
mitivement donné aux seuls Jésuites. Une
partie des œuvres dont DOUS ra pelons ici
l'effet miraculeux avait commencé sans
664
JES
JES
062
doute à une époque antérieure à celle qui
nous sert de date dans ces additions, mais
elles se continuèrent et quelques-unes com-
mencèrent au xvnr siècle. Il en est de même
dis œuvres plus difficiles et peut-être plus
méritoires que la charité des Jésuites leur
faisait suivre alors, en Guinée, à la Séné-
gambie, au Congo, à Angola et sur d'autres
poinls meurtriers des côtes et des habitations
île l'Afrique ; et si jamais l'institut écrit un
martyrologe do famille, il trouvera dans les
missions que nous avons indiquées, pour en-
richir sa nomenclature, le* noms de Soli. os,
Rnnu ro, de Arcé , de Blende, Baraze , Ri-
chltT, Gravier* Dupoisson, Sénat, douze Pè-
res massacrés sur les bords du Xingu, et
cinquante autres, dont la mort date à peu
pr s de l'époque sur laquelle nous écrivons;
et tous ne périrent pas sous les flèches ou la
hache des sauvages, plus d'un mourut sous
le fer des protestants anglais.
Nous abandonnons à regret les missionnai-
res jésuites dans leurs travaux du nouveau
monde et des autres contrées lointaines, pour
reprendre leur histoire en Europe, où nous
les voyons en proie à la calomnie et aux per-
sécutions de l'hérésie et de l'impiété. En
France comme da s le reste du continent,
partout où ils étaient établis, les Jésuitessou
tenaient avec honneur, continuaient avec zèle
le bien qu'avaient fait leurs devanciers dans
la prédication, la direction des consciences,
des congrégations pieuses, etc. ; ils soute-
naient aussi la réputation littéraire et scien-
tifique de leur ordre, soit en formant toujours
des élèves dislin ués, soit par des ouvrages
remarquables dans tous les genres. Couime,
au milieu de tant de richesses intellectuelles,
nous ne pouvons rien citer dans notre abré-
gé, nous nommons à peine ici le Journal de
Trévoux et son immense action; nous omet-
tons aussi à regret tant de noms que !a
France même seule pourrait ici nous four-
nir. Encore une fois, nous n'avons envie de
faire ni dans le fond ni dans la forme un
é!oge des Jésuites; notre tâche serait pour-
tant alorsd'autant plus facile, si l'espace nous
était laissé, que nous n'aurions qu'à prendre
les paroles arrachées par la force de la vérité
delà bouche de leurs plus célèbres ennemis,
pour les justifier des principaux reproches
qu'on leur a faits. S'agit-il du régicide, par
exemple, dont on n'oserait plus parler au-
jourd'hui, mais qui a servi de thème à tant
d'hypocrites amis du 21 janvier 1793, on se
rappelle cette lettre de Voltaire à Damila-
vi Ile : «.... Vous devez voir que je n'ai pas
ménagé les Jésuites ; mais je soulèverais la
postérité en leur faveur, si je les accusais
d'un crime dont l'Europe et Damiens les ont
justifiés. » Un homme dont le nom, la posi-
tion, la patrie (il était de la religieuse pro-
vince de Bretagne), auraientdû arrélerlapiu-
me, quand il eût été capable d'écrire de lui-
même, LaCba!otais,quis'était fait par orgueil
le méprisable copiste ou le vil écho de d'AIem-
bert, avait porté l'expression de l'ignorance
jusqu'à dire que les Jésuites n'avaient pas
produit de mathématiciens. El h cette occa-
sion l'astronome Lalande, qui écrivait dans
le Bulletin de l'Europe : « Le nom de Jésuite
intéresse mon cœur, mon esprit et ma recon-
naissance. On a beaucoup parlé Je leurré-
tablissemeni dans le Nord; ce n'est qu'une
chimère; mais elle m'a rappelé tous mes re-
grets sur l'aveuglement des gens en place en
1762... Carvalho et Choiseul ont détruit
sans retour le plus bel ouvr âge des hommes,
dont aucun établissement sublunaire n'ap-
prochera jamais..,» l'astronome Lalande ,
qui malheureusement n'était pas incité par
le sentiment :eligieux, disait aussi : « L'es-
pèce humaine a perdu pour loujours cette
réunion précieuse et étonnante de vingt mille
sujets occupés sans relâche et sans intérêt,
de l'instruction, de la prédication , des mis-
sions , des conciliations , des secours aux
mourants, c'est-à-dire des fonctions les plus
chères et les plus utiles à l'humanité... Par-
m;. les calomnies absurdes que la rage dés
protestants et des jansénistes exhala contre
eux, je remarquai La Chalotais, qui porta
l'ignorance et l'aveuglement jusqu'à dire que
les Jésuites n'avaient pas produit de mathé-
maticiens. Je faisais alors la table de mon
Astronomie; j'y mis un article sur les Jésui-
tes astronomes ; le nombre m'étonna; j'eus
occasion de voir La Chalotais à Saintes en
1773, je lui reprochai son injustice, et il en
convint. »
Et ce La Chalot ai s lui-même n'était-il pas
obligé de convenir de bien d'autres avanta-
ges dans la Compagnie de Jésus ? « Si les Jé-
suites, dit-il, n'avaient enseigné que les
maximes d'une morale corrompue et relâ-
chée, loin de se soutenir, ils eussent été chas-
sés de tous les royaumes ; mais ils joignaient
les arts aux mœurs régulières; il se trouvait
chez eux du bien et du mal. Leur institut n'a
point eu de modèle, et vraisemblablement il
n'en servira jamais à aucun ordre. » (LaCha
lolais se trompe en cela, connue quand il dit
que les constitutions et les mœurs des Jé-
suites ne peuvent s'accorder avec les lois et
les mœurs des Etals républicains. La règle
des Jésuites, comme toutes les règles monas-
tiques, s'accorde avec tons les régimes poli-
tiques possibles , puisqu'elle n'est que l'ex-
pression de la perfection évangélique, possi-
ble partout.) Les évéques réclamèrent pres-
que tous en faveur de la Compagnie de Jésus.
De Filz-James, évê ;ue de Soissons, jansé-
niste connu, fut le seul à s'élever ouverte-
ment contre eux, et néanmoins il déclara
que leurs mœurs étaient pures : « On rend
volontiers aux Jésuites (écrivit-il) la justiee
de reconnaître qu'il n'y a peut-être point
d'ordre dans l'Eglise dont les religieux soient
plus réguliers et plus au tères dans leurs
mœurs. » Sur le même sujet, Voltaire a dit
aussi : « Pendant sept années que j'ai vécu dans
la maison des Jésuites, qu'ai-je vu chez eux?
La vie la plus laborieuse et la plus frugale;
toutes les heures partagées entre les soins
qu'ils nous donnaient et les exercices de leur
profession austère : j'en atteste des milliers
d'hommes élevés.comme moi. »
Après avoir lu de tels témoignages, on est
cor»
FUCTlONN'AlliKUES ORDRES KEL1GIEUX.
6G4
peu surpris de voir les évêques de France dé-
clarer à Louis XV que « la suppression des
Jésuites porterait un notable préjudice à
leurs diocèses et à l'inslruction de la jeunes-
se, et qu'il serait très-difficile de les rempla-
cer avec la même utilité. »
Cependant celte suppression eut lieu; il
nous reste à racnter comment elle fut défi-
nitivement amenée.
L'orage éclata d'abord contre elle en Por-
tugal, ou elle eut pour ennemi déclaré un
homme qu'elle s'é'ait pourtant attaché par
les liens de la reconnaissance. Cet homme
est le fameux Pombal, comte d'OEyras, né
d'une famille noble mais pauvre. Deux ma-
riages avantageux l'avaient mis sur la voie
de la fortune, et la protection du P. Morcira,
confesseur du roi Joseph Ier, plus que tout
autre soutien peut-être, l'avait fait nommer
ministre secrétaire d'Etat des affaires étran-
gères. Ce P. Moreira était un Jésuite qui fut,
ainsi que quelques-uns de ses confrères,
trompé par l'hypocrisie de Pombal. Pour les
remercier de leur intervention bienveillante
en sa faveur, le ministre trouva des prétex-
tes de vexations contre la Compagnie de Jé-
sus, fit exiler quelques-uns de ses membres,
fil expulser les autres des missions du Para-
guay, etc. C'est surtout à partir de l'attentat
contre la vie du roi que Pombal se montra
sans relenue contre les Jésuites, dont la pré-
sence, le zèle et les succès l'auraient empê-
ché de parvenir à ses fins. Le 3 septembre
1758, le roi Joseph I" revenait d'un rendez-
vous coupable avec la jeune marquise de Ta-
vora, on attenta à ses jours. Plusieurs per-
sonnes delà cour. le duc d'Aveiro, le mar-
quis et la marquise de Tavora, le comle
d'Antognia furent accusés d'avoir pris part à
ce crime et subirent la peine capitale. On a
dit que cet assassinat était une fiction inven-
tée par Pombal; cela est possible, néanmoins
la conjuration, ou supposée ou plus proba-
blement véritable, a été depuis considérée en
Porlugal comme un fait incontestable. Au
milieu des lortures qu'on lui fit souffrir, le
duc d'Aveiro compromit quelques Jésuites
comme instigateurs, et se rétracta dès qu'il
ne fut plus violenté par les tourments. Néan-
moins trois Jésuites lurent impliqués dans
le procès; mais Pombal, quoique tout-puis-
sant, n'osa pas les faire juger en même temps
que les ;<utres prévenus , et l'un d'eux, le P.
Malagrida, fut déféré trois ans plus tard,
pour hérésie, au tribunal de l'inquisition,
présidé par le frère de Pombal, sur le refus
île l'inquisiteur général, et, condamné à
morl comme sorcier, fut brûlé vif dans un
auto-da-fé, le 21 septembre 17(>l.Un éditdu
19 janvier 1759 avait déclaré tous les Jésui-
tes portugais complices de l'attentat; en
conséquence, ils furent enfermés, puis dé-
portés par mer en Italie, et leurs biens fu-
rent séquestrés. 11 est inutile que nous cher-
chions à établir ici leur innocence en ce
complot; elle est reconnue et avouée par
tous les écrivains sérieux, à quelque commu-
nion qu'ils appartiennent. Les Jésuites ne
doutaient plus depuis très-longtemps des
dispositions du ministre à leur égard, et au
milieu des persécutions nombreuses dont il
les avait déjà rendus victimes, ils avaient dû
plus vivement sentir le bref étonnant arra-
ché à la faiblesse de Benoît XIV mourant,
lequel bref ordonnait visite et réforme de
leur institut en Portugal, et confiait celte
mission étrange cl inutile au cardinal Sal-
danha, protégé de Pombal. Cette Eminence,
qui s'élait entourée des plus violenis enne-
mis de l'institut, exécuta sa singulière mis-
sion en 1758. L'année suivante le nouveau
pape, Cément XIII, mû par des sentiments
de justice, avait en janvier donné un bref
d'approbation et de confirmation des Jésui-
tes. Pombal, qui venait de les chasser du
Portugal, irrité de ce bref, renvoya le nonce
du souverain pontife. D'où venait donc,
dans Pombal, celte haine des Jésuites , qui
allait non-seulement à la cruauté mais au
fanatisme et au ridicule? Imprégné des idées
jansénistes qui régnaient alors en France,
il étail en oulre le serviteur caché des An-
glais; il voulait chasser le catholicisme du
Portugal, y établir une Eglise nationale et
changer l'ordre de succession au trône. Ici
nous ne devons pas omettre un fait à la louan-
ge d'une corporation religieuse qui se distin-
gua par ses procédés envers les Jésuites,
expulsés du Portugal. Embarqués sur le
Tage en 1759 , ils furent contraints de faire
relâche en plusieurs villes où on les reçut
avec respect. Le 24- octobre 1759, ils débar-
quèrent à Civita Vecchia, au nombre de cent
trente-trois. Magistrats, corps religieux,
tout dans celte ville tint une conduite
digne d'éloge envers ces nobles exilés ;
mais les Dominicains surpassèrent loul
le monde en cordialité et en générosité.
Ils voulurent consacre!', par une inscription
dans leur église, le souvenir du passage de
ces premières victimes d'une attaque qui al-
lait bientôt devenir générale contre les or-
dres monastiques. Celte conduite est belle
dans une société qui, par sentiment du ta-
lent el du zèle plutôt que par jalousie peut-
être, s'élait souvent montrée l'émule des Jé-
suites. D'autres navires chargés des Pères de
la Compagnie partirent à différentes époques
pour les Etals ecclésiastiques. Celte expédi-
tion plaisait infiniment aux jansénistes fran-
çais, et, ce qui n'a peut-être été remarqué
par aucun historien, ajoutant l'ironie à la
cruauté et à l'insulte, ils consacrèrent par le
burin la mémoire de cette expulsion et de !
cette translation en Italie. Nous avons vu
nous-mème des gravures secrètes faites par
le parti pour s'amuser de cette catastrophe
des Jésuites. Le cardinal Saldanha, il faut le
dire à sa honle, s'arrogeait le pouvoir de
dispenser de leurs vœux les jeunes Jésuites.
Il y eut quelques défections; mais les huées
du peuple et des soldais en firent justice, l.e
plus grand nombre résista aux flatteries et à
l'intimidation. On fit dans les missions les
mêmes expulsions qu'au sein de la métro-
pole. Bornons ici le récit de la persécution
île Pombal, qui fut la plus calculée et la plus
cruelle peul-être contre les Jésuites. Nous
6G5
JES
JES
00 C
lui avons donné une certaine étendue. On
sait qu'avant sa mort, Pombal, disgracié et
traduit en justice, vit réhabiliter toutes les
victimes qu'il avait chargées du crime de
lèse-majcslé. A part ses procédés contre les
Jésuites, il n'est aucun historien qui ait pu
dissimuler l'exécration ou si l'on veut la
haine dont le poursuit déjà la postérité. Il
était un de ces hommes que le crime ne re-
tient pas quand ils veulent parvenir aux
honneurs et à la fortune. La franchise nous
oblige à ajouter qu'il trouva grand nombre
d'ecclési;isliques et d'évèques qui le servi-
rent avec bassesse.
En France, les choses se passèrent autre-
ment. On blâmait, sans en excepter Choiseul,
les cruelles préventions, les procédés de
Pombal ; mais tout le monde sait qu'on ten-
dait au même but et qu'on y parvint par la
calomnie et le sarcasme. Il nous suffit donc
de le rappeler ici, en rappelant aussi la cir-
constance malheureuse qui porta un coup
si terrible à l'ordre des Jésuites. Nous par-
lons du fuit du P. Lavaleltc, que tant de
gens allèguent sans le connaître. On a quel-
quefois reproché aux Jésuites leur immix-
tion dans le commerce, contre les disposi-
tions des saints canons qui Tinter lisent aux
clercs et aux religieux ; or, ce n'étaient pas
ceux qui étaient chargés de veiller sur l'ob-
servation des règles ecclésiastiques qui for-
mulaient ce reproche. Chargés des intérêts
de leurs néophytes, les missionnaires jésui-
tes ont quelquefois, comme l'ont pu faire
d'autres corporations, dirigé l'exploitation
de leurs possessions et l'exportation de leurs
produits : c'était là un acte de charité, et non
une profession ni une pratique de commerce
qui consiste à acheter pour revendre. Le P.
de Lavalelte, doué de zèle pour le prochain
et d'habileté pour le maniement des affaires,
étant devenu supérieur des missions de l'A-
mérique du Sud, loin de ses supérieurs ma-
jeurs, alla peu à peu trop loin, contracta des
emprunts auxquels la guerre et des événe-
ments imprévus l'empêchèrent de satisfaire.
A une autre époque que celle où éclata ce
désastre, dans une autre France que la
France du xvnr siècle, les Jésuites, secon-
dés même de quelques créanciers, auraient
réussi à faire agréer leurs offres ou à-comp-
tes généreux ( ils ai aient même déjà soldé
près de 800,000 fr. ) ; mais la disposition des
esprits, les animosités de madame de Pom-
padour, les persécutions hypocrites du duc
de Choiseul secondant alors si favorablement
la haine des jansénistes, des philosophes et
des parlements, tout salut était impossible,
parce que l'on pouvait employer avec vérité
ces paroles du livre des Juges : 11 n'y avait
point en ce temps-là de roi en Israël. On sait
que les Jésuites furent condamnés à solder
les dettes du P. La Valette. Mais ce qu'on ignore
généralement, c'est le désaveu de la conduite
du Jésuite coupable, par ses supérieurs, et
sou expulsion de la Compagnie de Jésus. Cet
épisode malheureux de l'histoire de sa destruc-
tion se trouve rapporté d'une manière plus
lucide et plus véridique que partout ailleurs
dans le LXX* volume de la Biographie um-
verselle. Le procès intenté aux Jésuites à l'oc-
casion de la faillite du P. de Lavalette ame-
na devant les parlements la révision etl'exa-
men de leurs constitutions. On blâma l'es-
prit de leur institut et on les accusa eux-
mêmes d'y être trop attachés et trop fidèles.
En Portugal, Pombal, dans son hypocrisie, les
accusait de s'en être écartés et prétextait vou-
loir les ramener à leur régularité primitive'.
Mentit a est iniquitas >ibi. La commission du
conseil que le roi avait chargé de la révision
des constitutions des Jésui!es, convoqua une
réunion du clergé, et lui adressa quatre
questions. Le 30 novembre 1701, cinquante-
un cardinaux, archevêques et é\éques, s'as-
semblèrent sous la présidence du cardinal de
Lu y nés, et, a près un mûr examen, tous, moins
six voix, prononcèrent en faveur des Jésui-
tes sur les quatre questions ; et même il n'y
eut que l'évèque de Soissons qui demanda
l'entière expulsion de la Compagnie de Jésus.
Le premier coup que frappa le parlement
fut un arrêt d'interdiction et de suppression
lancé en 17G0 contre les congrégations, dans
lesquelles depuis deux siècles les Jésuites
faisaient un bien inappréciable. La faillite du
V. de Lavalette n'avait été qu'un prétexte
heureux pour saisiiToccasion, depuis si long-
temps désirée, de sévir contre la Compagnie
de Jésus tout entière. On examina les consti-
tulions ; l'un des commissaires chargés de
ce soin, l'abbé de Chauvelin, janséniste systé-
matique, se montra plus forcené que les au-
tres peut-ê re. Les Jésuites demeurèrent fer-
mes devant les coucessions qu'on leur de-
mandait relativement à leurs relies, mais ils
en accordèrent d'autres qui ne devaient pas
plus les sauver, et entre celles-ci il ne faut
pas omettre de remarquer l'acceptation des
quatre articles de 1682. Aux évéques qui
avaient donné des déclarations si favorables
à la Compagnie de Jésus, soixante-dix au-
tres se joignirent bientôt en écrivant dans le
sens de cette manifestation, et le 23 mai 1T62,
le clergé, par l'organe du cardinal de la
Roche-Aymon , archevêque de Narbonne ,
demanda au roi, en termes pressants et élo-
gieux, la conservation des Jésuites au nom
des intérêts de la religion. Tout fut inutile 1
Nous n'avons qu'à constater l'arrêt définitif,
puisque les détails n'entrent ni dans notre
but ni dans noire plan. Mais, si nous avons
omis à dessein de rappeler ces noms, ces
mots alors si calomnieusement sonores, î).a-
miens, régicides ; extrait des assertions, etc.,
nous ne pouvons nous empêcher de signaler
avec douleur, entre les parlements qui s'as-
socièrent aux injustes violences du parle-
ment de Paris, celui de Uennes ! L'arrêt du
parlement de Bretagne renchérit sur l'exa-
gération des autres. Il déclara privés de tou-
tes fonctions civiles et municipales les pa-
rents qui enverraient leurs enfants étudier
chez les Jésuites à l'étranger ; ces enfants, à
leur retour, se trouvaient dans la même
exception 1 1 Ne croirait-on pas lire par
anticipation l'arrêt porté par quelques ra-
dicaux frénétiques de France ou de Suiaseï M
667
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
milieu du xix' siècle? A qui était due une telle
exagération ou une (elle folie, si ce n'est sans
doute à l'influence qu'avait obtenue un hom-
me dont le nom est resté hideux en face de
l'équité de l'histoire, et qui cause sans doute
autant de regrets qu'il a causé de malheurs à
son honorable famille. Ah 1 si du moins cette
récrimination innocente, arrachée par l'indi-
gnation à la plume d'un compatriote, pouvait
être un désaveu suffisant ! Il esl bon cepen-
dant d'ajouter qu'il n'y eutdans la décision du
parlement breton que majorité de trente-deux
voix contre ringt-neuf. La sentence inique
du parlement, contre laquelle réclamèrent la
conscience des honnêtes gens, l'instruction
pas I orale de M. l 'archevêque de P. tris, le cri de
la religion, amena Ledit du mois de novembre
176i, portant suppression de la Société des
Jésuites en France. Cet édit laissait du moins
aux religieux supprimés la faculté de rester
en France ^ous la juridiction des évéques.
Le 1er décembre, le parlement mit au bien-
fait de cette disposition les restriclions les
plus lyranniques contre ce qu'il appelait, par
une expression aussi inconséquente qu'elle
est sotte et ridicule, les ci-devant soi-disant
Jésif tes. Deux serments déshonorants avaient
été imposés aux religieux ( le G août 17G2 et
le 22 février 1764 ) ; en 1767, un arrêt de la
même cour expulsa du royaume ceux qui ne
l'auraient pas prêté! Cinq tout au plus jurè-
rent, et quaire mille religieux furent réduits
au sort le plus cruel. On leur avait accordé
une pension ridicule par son exiguïté; et,
contradiction singulière , si elle n'était pas
dans la nature des procédés libéraux! le par-
lement refusait cette pension aux Jésuies qui
n'étaient que scolustiques , c'est-à-dire qui
n'avaient pas fait les quatre vœux, ne les re-
gardant pas comme véritablement religieux
apparemment, et néanmoins on leur enlevait
le droit de rentier dans leur patrimoine et la
faculté d'hériter 1 Dans un grand nombre de
diocèses, sinon dans tous, les Jésuites conti-
nuèrent néanmoins pendant longtemps , et
quelquefois sous des noms déguisés, à faire
le bien que les véritables Qdèles avaient tou-
jours désiré et reçu d'eux. Terminons ce qui
concerne les Jésuites de France par ce pas-
sage d'une lettre adressée à Voltaire pard'A-
lembert , qui, sans être prophète ni fils de
prophète, prédisait par ses veux ce qu'il ne
vit pas , mais ce qui se fil trente ans après
l'arrêt du parli ment : Pour moi,\qui vois tout
en ce moment couleur de > ose, je vois d'ici les
jansénistes mourant l'année prochaine de leur
belle mort, après avoir fait périr cette année-
ci las Jésuites de mort violente; la tolérance
s'établir, les prolestants rappelés, les prêtres
mariés , la confession abolie et le fanatisme
écrasé sans qu'on s'en aperçoive. On sait quel
est ici le synonyme de fanatisme.
En 1765, la Compagnie de Jésus recevait
une consolation bien touchante. Le pieux
pape Clément XIII, élevant la voix en sa fa-
veur, disait à l'univers catholique: que l'in-
stitul de la Compagnie île Jésus respire Air
plus haut dëghé la piété et la sainteté
Dans le uiémc temps , la catholique Espagne
se disposait pourtant à lui porter aussi le
dernier coup. «Choiseul, dit le protestant
Sismondi dans son Histoire des Français,
tome XXIX, faisait pour lui-même une af-
faire personnelle de la persécution contre les
Jésuites. Il s'attachait surtout à les faire
chasser de tous les Etats de la maison de
Bourbon, et il profita , dans ce but , de l'in-
fluence qu'il avait acquise sur Charles III. »
Ce prince était pourtant vertueux et habile,
dévoué, à la Compagnie de Jésus, au point
qu'il fut le premier à flétrir les calomnies of-
ficielles de la cour de Lisbonne. Néanmoins ,
par la perfidie de son indigne ministre d'A-
randa, il fut amené, en 17G6 , à les regarder
avec suspicion et jalousie dans une circons-
tam e où i! ne devait les voir qu'avec recon-
naissance ; ils avaient apaisé une émeute, on
lui fit conclure qu'ils l'avaient donc exci-
tée. On acheva de l'indisposer contre eux,
en fabriquant et mettant sous ses yeux une
lettre qu'on disait venir du général des Jé-
suites , et où l'honneur de sa propre mère
était attaqué. Avec des circonstances qui
tiennent plutôt de la folie que de la ven-
geance d'un homme ordinaire, le 2 avril
1767, à la même heure, par suite des dispo-
sitions prises par d'Aranda , les Jésuites,
dans les possessions espagnoles des deux
mondes , furent embarqués. « Si après l'em-
barquement, ajoutait l'ordre du monarque
aveuglé , il existait encore un seul Jésuite ,
même malade ou moribond, dans voire dépar-
tement, vous serez puni de mort. » Six mille
religieux furent victimes : on les entassa sur
des vaisseaux, on les transporta vers l'Italie,
où une sage politique de Clément XIII récla-
mait en vain pour eux auprès de Charles III;
on les débarqua enfin , à la prière du pape ,
dans Tile de Corse, d'où Choiseul les fil bien-
tôi chasser. Par suite d'une fascination dont
l'aveugle maison de Bourbon a été et sera en-
core providentiellement punie, les auteurs de
tant d'injustices réussirent à les faire parta-
ger par les deux princes de cette famille dont
les Etals él lient en Italie. Tanucci, ministre
de Ferdinand IV, roi de Naples , Tanucci ,
créature de Charles 111, dans la nuit du 3 no-
vembre 1767, chassa les Jésuites de la ma-
nière la plus barbare. Le jeune duc de Parme,
pclit-fils de France et infant d'Espagne, fut
sollicité par Choiseul et d'Aranda d'entrer
dans la coalition contre les Jésuites. Us réus-
sirent, et, au commencement de 1768, ces re-
ligieux furent renvoyés de Parme. Pinto,
grand maître de Malte, était feudataire du
royaume de Naples ; par suite des mêmes in-
trigues, il fut amené, en 17G8, à bannir les
Jésuites de son île. L'année suivante, la Com-
pagnie de Jésus perdit son dernier et son plus
ferme appui; le pieux pape Clément XIII
mourut. On sait que Clément XIV lui suc-
céda, et l'histoire commence à éclaircir l'in-
trigue qui l'amena à abolir les Jésuites. Le
21 juillet 1773 , il se rendit aux instances et
peut-èire aux promesses qui l'obligeaient à
lancer le décret de dissolution de la Compa-
gnie de Jésus. Ce décret est étendu, et com-
mence par rappeler l'extinction de plusieurs
669 JES
ordres religieux dans les siècles précédents ,
tels que les Franciscains de la réforme dos
Convenltiels , les Humiliés , les religieux de
Saint-Ambroise ad Nnnus ; les Rasiliens Ar-
méniens, les Jésuates, les chanoines de Saint-
Georges in Alt/ha, etc. Il finit par prononcer
l'extinction de l'ordre de la Compagnie de
Jésus , dont il rend les membres à Total sé-
culer, les remettant sous la juridiction des
ordinaires des licu\.
L'institut avait été gonrerné nu dernier
siècle paries Pères Michel-Ange Tambnrini,
François Rfelz, Ignace Visconti, Louis Cenlu-
rioni* Le 8 mai 1758, la dix-neuvième et der-
nière enngrégn lion générale se rénuit auGésu,
et élut, le 21. pour général do la Compagnie,
le P. Lanrenl Ricci , hé à Florence et alors
âgé de 55 ans. C'élait un homme d'esprit,
rempli de piété, mais qui n'avait point, dit-
on , ce qu'il eût fallu d'énergie de caractère
dans le cruel com!>at où se trouvait engagée
sa Compagnie. Il la gouvernait quand elle
fut éteinte. Dans le bref de dissolution, Clé-
ment XIV, rappelant les extinctions des ins-
tituts dans les siècles précède ls, disait: On
leur assigna un<- pensinn honnête; mais il ne
pouvait citer romme précédent ce qu'il crut
devoir faire. Par son brdrfe , le général Lau-
rent Rirri fut enfermé au château Saint-Ange,
où il resta jusqu'à la mort du pape. Pie VI
succéda a Clément XIV ; il aimait et estimait
les Jésuites, et pourtant il ne rendit point la
liberté à Ricci, qui mourut dans sa prison, le
23 novembre 1775 , dans les sentiments de
piété et de résignation dont il n'avait jamais
cessé de donner l'exemple. Tout l'intérêt de
Pie VI se borna donc à accorder des funé-
railles honorables au malheureux général !
Pourquoi ?
Quand la Compagnie de Jésus fut éteinte,
elle comptait, dit-on, dans l'Assistance d'Ita-
lie : la province Romaine ayant 848 religieux,
dont 425 prêtres ; la province de Sicile, où il
y avait 775 personnes, dont 317 étaient prê-
tres ; la province de Naphs, où sur 607 reli-
gieux, 296 étaient prêtres: la province de
Milan, ayant 625 sujets, dont 298 prêtres ; la
province de Venise , riche de 707 religieux ,
dont 357 prêtres. Dans V Assistance de Por-
ta ni : la province de Portugal ayant 861 Jé-
suites, dont 38V prêtres ; la province de Goa,
150 Jésuites, 103 prêtres ; la province de Ma-
labar, 47 religieux, dont 4-6 prêtres ; la pro-
vince du Japon, 57 religieux , dont 41 prê-
tres ; la vice-province de la Chine , avec 54
Jésuites, dont 37 prêtres ; la province du
Brésil, 445 Jésuites, dont 228 prêtres ; la vice-
province du Maragnon, 145 Jésuites, dont 88
prêtres. On a remarqué que, lors de l'expul-
sion, en 1759, l'A-sManec du Portugal comp-
tait précisément 1759 Jésuites, autant qu'on
comptait d'années depuis la naissance du
Sauveur. Dans l'Assistance d'Espagne : la
pro\incede Tolède, où il y avait 059 J. suites.
dont 288 prêtres : la province de C istille, 718
Jésuites, dont 360 prêtres ; la province d'Ara-
gon, 604 Jésuites , dont 272 p. êtres ; la pro-
vince d'Andalousie , 662 religieux , dont 308
prèlres ; la province de Sardaigne, 300 reli-
JES
fi70
gieuv. dont 114 prêtres ; la province du Pé-
rou, 526 religieux, dont 306 prêtres ; la pro-
vince du Chili, 24-2 religieux, dont 130 prê-
tres; la province du Nouveau-Roy; unie, 193
Jésuites, dont 100 piètres ; la province du
Mexique, 572 Jésuites, dont 330 prêtres ; la
province des Philippines, 126 Jésuites, 97
prêtres : la province du Paraguay, où il y
avait 303 religieux, dont 20s prêtres ; la pro-
vince de Quito , 209 Jésuites, dont 107 prê-
tres. Dans ['Assistance de Franc', on voyait
la province de Franco , où il y avait 918 Jé-
suites, dont 495 prêtres : la province de Bor-
deaux, 437 religieux, dont 240 prêtres; la
province de Lyon, 773 Jésuites, dont 405
prêtres ; la province de Toulouse , 655 Jé-
suites , donl 344 prêtres ; la province de
Champagne, 594 Jésuites, donl 292 prêtres ;
la province d'Outre-Mer 'ou vice-province),
en l'Amérique méridionale, 54 Jésuites ; en
l'Amérique septentrionale, 50 Jésuites. Dans
les missions d'Orient : 25 Jésuites en Grèce,
17 en Syrie, 7 en Perse ; aux Indes orien-
tales, 23 Jésuites. Dans {'Assistance d'Alle-
magne, on voyait la provint e d'Allemagne
supérieure, où il y av.:it 1060 religieux, dont
496 prêtres ; la province du Bas-Rhin, 772
Jésuites, dont 398 prêtres ; la province du
Haut-Rhin, 497 Jésuites, dont 240 prêtres : la
province d'Autriche, 1772 Jésuites, dont 751
piètres; la province de Bohême , dont nous
ignorons le chiffre ; la province de 1^ Bel-
gique flamande, 542 Jésuites , dont 232 prê-
tres ; la province de Belgique Walonne, 471
Jésuites, dont 266 prèlres ; la province de
Pologne, 1050 Jésuites, dont 553 prêtres ; la
province de Lilhuanic, 1047 religieux, dont
475 prêtres ; la province d'Angleterre (dont
plusieurs maisons en France, en Flandre, en
Amérique), 299 religieux, dont 208 prêtres.
Il faut plutôt reporter cet état à l'époque des
diverses suppressions locales, où l'abolition
de tant de noviciats, les suites de tant de per-
sécutons, avaient bien décimé le chiffre que
nous venons de donner d'après Dénisart, qui
résume ainsi son énumération : 39 provinces;
22,589 Jésuites, dont 11,293 prêtres. Nous
croyons que l'Assistance d'Allemagne avait
élé, sur la fin, subdivisée, et qu'on avait for-
mé une province de Pologne.
Par une disposition toute particulière de
la Providence , deux souverains séparés de
l'Eglise, le roi de Prusse et l'impératrice de
Russie , voulurent garder les Jésuites dans
leurs Etats, et préparèrent ainsi les voies à
l'exécution des desseins de Dieu sur le réta-
blissement de la Compagnie de Jésus. Des
autorisations secrètes furent données; les
Jésuites trouvèrent moyen d'accorder les de-
voirs de l'obéissance aux décisions du pape
et les désirs de Frederick et de Catherine , si
conformes aux leurs! Dans l'article consacré
à l'histoire de la Compagnie de Jésus dans
notre volume supplémentaire, nous aurons à
la montrer cachée , mais agissante et fruc-
tueuse dans les contrées du Nord, passant
en Sicile, désirée à Parme (car un mouve-
ment favorable aux Jésuites s'était établi,
même daus l'esprit du peuple , jusqu'en
France), et enfin rendue, par l'Eglise déso-
lée aux demandes des princes délrompés et
à tout l'univers, en 1814. Voyez Jésuites au
Supplément.
Histoire religieuse, politique et littéraire
de la Compagnie de Jé<us, 5 vol., par J. Cré-
lineau-Joly. Noies fournies par le R. P. De
Monlezon, S.J. Dictionnaire de Droit cano-
nique, par Durand de Maillanc, tom. III.
Histoire des Ordres religieux , par M. Jlen-
rion, tom. II. Biographie universelle. Mé-
moires ecclésiastiques , par Picot. Notes re-
cueillies passim. B-d-e.
JÉSUITESSES (Religieuses).
Des Jésuilesses, et de leur suppression.
Pendant le séjour que saint Ignace fit à Bar-
celone, il fui entretenu paries aumônes d'une
dame très-vertueuse qui se nommait Isabelle
Rozel, et qui lui en procurait aussi d'autres.
Celte dame ayant appris, quelques années
après, que le saint avait fondé sa Compa-
gnie, elle alla le trouver à Rome l'an 1545, et,
étant pour lors veuve, elle forma le dessein
de se retirer du monde et de vivre selon les
conseils évangéliques sous l'obéissance de la
Compagnie. Elle se joignit à deux dames ro-
maines et obtint du ;>ape Paul III la permis-
sion d'embrasser ce genre de vie. Quoique
saint Ignace vît bien que ces sortes de direc-
tions ne convenaient guère à son institut, la
reconnaissance qu'il avait pour sa bienfai-
trice et le petit nombre de ces nouvelles reli-
gieuses le déterminèrent néanmoins à pren-
dre soin d'elles; mais il s'en repentit bientôt,
avouant que le gouvernement de trois dévo-
tes lui donnait plus de peine que toute la
Compagnie; car ce n'était jamais fait avec
elles, et il fallait à toute beure résoudre
leurs questions, guérir leurs scrupules,
écouler leurs plaintes et même terminer
leurs différends. C'est ce qui l'obligea de re-
présenter au pape combien une telle charge
nuirait à la Compagnie et de quelle impor-
tance il était que Sa Sainteté l'en délivrât, ju-
geant bien que si celle petite communauté
de filles, qui n'était que de trois personnes,
devenait plus nombreuse dans la suite et se
multipliait dans les autres villes, il n'en se-
rait que plus embarrassé. Le pape lui ac-
corda sa demande et délivra en 1547 la Com-
pagnie du gouvernement des religieuses.
Ainsi celle communauté, qui voulait vivre
selon les lois prescrites par saint Ignace, fut
détruite en peu de temps.
Mais, sous le pontificat d'Urbain VIII ou
sur la lin de celui de Grégoire XV, son pré-
décesseur, certaines femmes ou filles en quel-
ques endroits d'Iialie et en d'autres provin-
ces prirent le nom de Jésuilesses, et s'assem-
blèrent en communauté , sous prétexte de
mener une vie religieuse, quoiqu'elles n'en
eussent pas eu la permission du saint-siège.
Elles prirent un habit particulier, avaient
des édifices accommodés en forme de collèges
et des maisons de probatiou, et élurent une
supérieure générale à qui elles donnaient le
nom de préposée. Elles faisaient entre ses
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. G74
mains les vœux de pauvreté, de chasteté et
d'obéissance à la manière des vœux solen-
nels de religion, sans être astreintes à au-
cune loi de la clôture. Elles allaient de côté
el d'autre sous prétexte de procurer le salut
des âmes et de faire plusieurs autres choses
qui ne convenaient point à la faiblesse de
leur sexe et de leur esprit, entreprenant des
choses que des hommes d'une grande expé-
rience, savants dans les letires saintes et re-
commandables par l'innocence de leur vie,
n'entreprennent que difficilement et avec
beaucoup de circonspection. Outre la géné-
rale elles avaient encore des visitatrices, des
rectrices et d'autres noms de dignités selon
les différents offices qu'elles exerçaient.
Urbain VIII les fit avertir par son nonce
dans la basse Allemagne et par quelques
évêques des autres lieux où elles s'élaient
établies, de se désister de leur entreprise.
Mais ces Jésuilesses n'ayant eu aucun égard
à toutes les remontrances qu'on leur lit, et
ayant même osé enseigner des choses con-
traires à la saine doctrine, le pape, par un
bref du 21 mai 1631, supprima celte préten-
due congrégation, priva de leurs offices la gé-
nérale, les visitatrices, les rectrices et les au-
tres officières, les absout de tous vœux et pro-
messes auxquels les femmes et filles de celle
congrégation s'élaient engagées, leur or-
donna en vertu de sainte obédience et sous
peine d'excommunication encourue ipso fac-
to, de sortir incessamment des collèges et
des maisons où elles avaient demeuré jus-
qu'alors, et de vivre séparément les unes
des autres. 11 leur commanda aussi de ne
s'assembler jamais pour délibérer ensemble
sur quoi que ce soit, et de quitter leur habit
de Jésuitesses sans pouvoir le reprendre et
encore moins de le donner ni admettre au-
cune femme et fille à le recevoir.
Ce pontife déclara encore lous les vœux
qu'elles avaient faits nuls, comme si elles ne
les avaient jamais faits, permit à celles qui
en avaient fait de vivre dans le monde, sé-
parément toutefois des aulres de la même
congrégation, sous l'obéissance de leur évo-
que, avec l'usufruit mais non pas le domaine
de leurs biens, leur accordant la permission
d'en pouvoir disposer pendant leur vie et à
leur mort en œuvres pieuses, ordonnant que
ces biens retourneraient à leurs parents ou à
ceux qui devaient naturellement leur succé-
der, si «lies n'en avaient pas disposé par testa-
ment. Il leur permit aussi de se marier en
cas qu'elles le voulussent; mais il les ex-
horta d'entrer plutôt dans quelque ordre ap-
prouvé et de s'y consacrer à Dieu par des
vœux solennels, se ressouvenant toujours du
désir sincère qu'elles avaient eu de se faire
religieuses.
Je m'étonne que M. Richard Simon dans
sa Bibliothèque critique (tom. I, pag. 298)
ait avancé que c'est inutilement que l'on
cherche dans le bullaire romain la suppres-
sion de cet ordre, et qu'il dise qu'on ne peut
pas l'y trouver, parce que le pape Urbain VIII
n'a point donné de bulle sur ce sujet, mais un
simule bref. Serait-il possible que ce savant
073
JF.S
JES
674
critique n'eût jamais lu le bullaire romain,
et pouvait-il ignorer que la plus grande par-
tie des constitutions apostoliques qu'il con-
tient ne sont point des bulles, mais des brefs?
Quiconque voudra se donner la peine de lire
le bullaire, il y trouvera certainement la
suppression de ces Jésuitesses au tome qua-
trième de l'édition de llome de l'an 1638,
pag. 115.
JÉSUS (Chevaliers de la société de). Yoy.
Bethléem.
JESUS (Clercs réguliers de la compagnie
de). Voy. Jésuites.
JÉSUS (Clercs Régtjliehs du Bo\-).
Des clercs réguliers du Bon-Jésus, avec les
vies des BB. Marguerite et Gentille de
Ruvenne , leurs fondatrices, et du V. P.
dom Jérôme Mal.iselli de. Alensa , aussi
fondateur et premier religieux du même
ordre.
Nous avons fait voir, en parlant des clercs
réguliers Barnabites , que c'est à tort que
quelques-uns leur ont donné pour fondateur
dom Séraphim de Ferme, chanoine régulier
de la congrégation de Lalran. Voici encore
un ordre sous le nom du Bon-Jésus, dont on
a prétendu qu'il était aussi londateur, quoi-
que cet honneur soit attribué aux BU. Mar-
guerite et Gentille de Ruvenne, et au P. Jé-
rôme Maluselli. Si c'est à cause que le P. Sé-
raphim a dressé les règles de l'ordre du Bon-
Jésus que l'on a cru qu'il en était fondateur,
on s'est trompé, puisque, parle liire de ces
règles, il reconnaît lui-même qu'il n'a fait
que rédiger par écrit ce que Marguerite de
Ravenne avait prescrit de vive vois à ceux
qui avaient embrassé l'ordre du Bon-Jésus,
qu'elle avait institué : Régulée uliquot e do-
cuments Margaritœ Ravennatis virginis, gui-
bus illa ordinem suum titulo Boni Jesu in-
signitum instituit. Et à la fin de ces règles il
dit encore qu'il ne les a recueillies que sur
les paroles de cette vierge : Has régulas e
verbis divince hujus virginis collegi. De
croire aussi que ces règles n'eussent été
dressées par le P. Séraphim que pour les
seuls prêtres de la congrégation du Bon-Jé-
sus, il n'y a nulle apparence, puisque par le
quinzième article il est marque que ceux de
cet ordre se doivent contenter de leur étal ;
que, s'ils sont mariés, ils doivent observer
ce qui convient à ce genre de vie, et que,
s'ils sont prêtres, ils ne doivent désirer au-
cune dignité ni aucun bénéfice, mais se con-
tenter seulement de leurs revenus, sans
chercher les moyens de les augmenter. Le
seizième article ne convient nullement aux
prêtres, car il porte que les filles seront hum-
bles et chastes, non-seulement de corps, mais
encore d'esprit ; que les veuves demeureront
dans l'etal de viduilé, et que les femmes ma-
riées conserveront la paix dans leurs famil-
les et obéiront à leurs maris.
Il est vrai aussi que Marguerite de Ra-
venne n'a pas directement institué la con-
grégation desClercs Réguliers du Bon -Jésus,
■•. m u'aélé établie que vingt ans après sa mort ;
mais il est au moins certain qu'elle a institué
une société séculière sous le nom du Bon-
Jésus, et que quelques prêtres qui en étaient
embrassèrent la vie commune l'an 1538 ,
sous la conduite du V. P. Jérôme Maluselli,
qui dressa des constitutions pour ces prêtres,
tirées des règles de la B. Marguerite, dont il
retrancha ce qui n'était propre que pour
ceux qui vivaient dans le siècl ,-. C'est de
cette manière qu'elle a été la fondatrice des
clercs réguliers du Bon-Jésus; ce qui sem-
ble être eu n firme par le même Séraphim de
Ferme, qui, en parlant de celle sainte vierge
et de la B. Gentille, dont il a écrit le-. \ies,
dit que le pape Paul 111 nomma des commis-
saires l'an 1537 pour examiner les miracles
qui se faisaient à leurs tombeaux , et qu'il
approuva la société que la B. Marguerite
avait instituée. Jérôme de Rubéis, dans son
Histoire de Ravenne, parle aussi des infor-
mations qui furent faites par ordre de ce
pape, et ajoute qu il approuva aussi la con-
grégation des Prêtres du Bon Jésus, que le
P. Séraphim de Ferme a sans doute confon-
due avec celte société séculière. Mais, comme
ce n'est pas seulement la B. Mai guérite de
Ravenne que les Clercs Réguliers du Bon-
Jésus ont reconnue pour fondatrice, et qu'ils
ont aussi regardé en la même qualité la B.
Gentille de Ravenne et le P. Jérôme Malu-
selli , dont le P. Simon Marini , général de
cet ordre , donna pour cette raison les vies
en 1017, c'est ce qui fait que nous en donne-
rons aussi un abrégé.
Marguerite, à qui Ferrarius, dans son Ca-
talogue des saints d'Italie, donne le nom de
bienheureuse, fut surnommée de Russi à
cause du lieu de sa naissance, qui est un pe-
tit village entre Faënza et Ravenne, et lut
encore appelée de Ravenne à cause du long
séjour qu'elle Gt en celle ville, et qu'tlle y
mourut, lïlle perdit la vue à l'âge de trois
mois, Dieu ayant permis que celle qui n'é-
tait née que pour contempler les choses cé-
lestes fût privée de la vue des choses terres-
Ires. A peine eut-elle atteint l'âge de 5 ans,
que, voulant de bonne heure châlier son
corps, elle s'accoutuma à marcher nu pieds,
ce qu'elle a toujours continué de faire dans
quelque saison fâcheuse que ce fût et quel-
que rigoureux que fût le froid. A sept ans
elle augmenta sa vie pénitente par des jeû-
nes et des abstinences; elle ne prenait son
repos que sur la terre nue ou quelquefois
sur un peu de sarment; et, voulant imiter
la pauvreté de celui qu'elle avait choisi pour
époux, elle reuonça à tout ce qu'elle pou-
vait posséder et prétendre , et ne reçut que
sous le litre d'aumône tout ce qui était né-
cessaire pour l'entretien de la vie.
Après avoir demeuré quelques années à
la campagne, elle vint à Ravenne, où Dieu
voulant éprouver sa patience comme il avait
fait celle du saint homme Job, il l'affligea
l'espace de quatorze ans par diverses mala-
dies, pendant lesquels elle ne reçut aucune
consolation des hommes ; et , comme les
amis de Job , le voyant couvert d'ulcères et
couché sur un fumier, venaient insulter à
675
DICTIONNAIRE DE? ORDRES RELIGIEUX.
G" 6
ses maux, il yeut aussi un grand nombre de
personnes qui ne venaient visiter celte sainte
fille dans ses maladies que pour s'en mo-
quer et lui reprocher que ses maux ne lui
élaient arrivés que pour ses péchés, et parce
que sous une fausse apparence de sainteté
elle trompait les peuples, n'étant dans le
fond qu'une hypocrite; mais, au milieu de
ces persécutions, son esprit ne perdit point
le calme et la tranquillité : plus on l'offen-
sait, plus elle témoignait de joie, croyant
qu'on la traitait encore doucement et qu'elle
méritait de plus grands opprobres. Cependant
Dieu, qui avait permis qu'elle fût ainsi mé-
prisée, permit aussi que ceux mêmes qui en
élaient les auteurs fussent les premiers à pu-
blier ses louanges. Les discours qu'elle leur
tenait de temps en temps étaient si vifs et si
touchants, qu'ils rentrèrent en eux-mêmes
et se convertirent entièrement, et il y eut
plus de trois cents personnes de l'un et de
l'autre sexe qui, étant persuadées de la sain-
teté de sa vie, la voulurent avoir pour maî-
tresse et pour guide dans les voies de leur
salut. C'est ce qui lui donna occasion d'éta-
blir la sociélé du Bon-Jésus , à laquelle elle
prescrivit des règlements qu'elle ne put ré-
diger par écrit, ayant été privé;' delà vue
dès l'âge de trois mois , mais qui le furent,
comme nous avons dit, par le P. dom Séra-
phin! de Ferme , chanoine régulier de la
congrégation de Latran.
Ils sont compris dans vingt-quatre arti-
cles qui font connaître quel et;:it l'esprit de
celle bienheureuse, puisque les enseigne-
ments qu'elle y donne à ses disciples el à
quoi elle les oblige consistent principalement
à avoir sur toutes choses un grand amour
pour Dieu ; qu'elle leur recommande la sim-
plicité de cœur, l'humilité, le mépris de soi-
même ; qu'elle les exhorte à conserver la
paix, l'union, la concorde entre eux, à fuir
les jugements téméraires, à fréquenter sou-
vent les sacrements el à châtier leur corps
par les jeûnes et les abstinences qui sont
marqués dans le vingt-quatrième article :
savoir, de jeûner, outre les jours prescrits et
ordonnés par l'Église, pendant tout l'avent,
tous les mercredis, vendredis et samedis de
l'année, et au pain et à l'eau les veilles des
fêles de l'Annonciation de la sainte Vierge et
le vendredi saint (1). Elle survécut encore
quelques années à l'établissement de cette
sociélé, et mourut le 23 janvier 1305, étant
âgée de G3 ans.
Enlre les disciples de celle sainte vierge,
il y eut une veuve nommée Gentille, qui a
acquis aussi, par la sainteté de sa vie, le li-
tre de bienheureuse. Elle naquit à Ravenne
l'an 1471. Son père, qui était un orfèvre, se
nommait Thomas Giusti, ou Jusle, et éla.t
véritablement un homme jusle et craignant
Dieu , aussi bien que sa femme Dominique.
Ils eurent un grand soin de l'éducation de
leur fille Gentille a et elle profita si bien des
bonnes instructions qu'ils lui donnèrent
que, dès sa plus tendre jeunesse, elle fit pa-
raître de grandes marques de sainteté. C'est
ce qui l'attira de bonne heure dans la so-
ciété de la bienheureuse Marguerite de Ra-
venne, dont elle fut une des premières disci-
ples, et elle fit sous sa conduite de si grands
progrès dans la vertu, qu'après la mort de
cette sainte fille, elle devint la maîtresse des
autres.
Ses parents l'ayant eng?gée dans le ma-
riage , elle épousa un Vénitien nommé Jac-
ques Pianella, tailleur d'habils, homme cruel
et farouche, qui , non-seulement la traitait
comme une esclave, la frappant souvent et
la maltraitant cruellement, mais la dénonça
même un jour à l'archevêque de Ravenne
comme une sorcière et une magicienne. Son
innocence ayant été reconnue et son mari
ne pouvant plus supporter l'éclat de sa sain-
teté, il l'abandon na dans un temps de famine,
ne lui laissant rien pour sa subsistance;
mais cette sainte femme, ayant mis toute sa
confiance en la divine providence, en res-
sentit souvent les effets merveilleux. Elle
demeura plusieurs années ainsi abandonnée
de son mari, qui retourna enfin à sa maison
tout changé, et qui, d'homme cruel et bar-
bare qu'il était auparavant , devint doux
comme un agneau et n'eut plus que. de l'es-
time et de la vénération pour -sa femme,
avec laquelle il vécut encore quelque temps
et mourut ensuite de la mort des justes,
ayant réparé par les bons exemples qu'il
donna les scandales qu'il avait causés par
ses brutalités.
C'est aux prières de cette sainte femme
que l'on peut allribuer la conversion de son
mari ; mais ce ne fut pas la seule qu'elle pro-
cura. 11 y avait dans Ravenue un jeune
homme âgé de vingt-cinq ans qui, après la
mort de ses père el mère, s'était abandonné
à toutes sortes de licences et étail Le scandale
de la ville : il y avait même plusieurs années
qu'il n'avait approché des sacrements; mais
ayant été sollicité par sa sœur d'aller voir
la bienheureuse Gentille, il lui si touché par
ses discours et par les avis qu'elle lui donna,
qu'il se convertit entièrement. Ce fut le V.
P. Jérôme Maluselli, principal fondateur des
Prêtres de l'ordre du Bon-Jésus, nalif de
Mensa au territoire de Céséna, qui, après
avoir été ainsi converti par la bienheureuse
Gentille, devint l'un de ses disciples et mena
dans la suite une vie si sainte et si exem-
plaire, qu'ayant pris les ordres sacrés et
étant parvenu au sacerdoce, celle sainte
veuve le prit pour son directeur. Comme il
lui était resté de son mariage un fils nommé
Léon, qui étail aussi prêtre el qui demeurait
chez elle avec une de ses cousines, elle en-
gagea Jérôme Maluselli à venir aussi de-
meurer avec eux, el ils pratiquèrent ensem-
ble les règles qui avaient été laissées par la
bienheureuse Marguerite, observant exacte-
ment les jeûnes, les abstinences el les autres
exercices de piélé qu'elle avait prescrits à
ses disciples.
Le démon, voyant le progrès qae celle
(I) Yoy;, à In tin du vol., n* 103.
677
JES
JES
r.78
sainte compagnie faisait dans la vertu, et
combien leur exemple lui enlevait tous les
jours de pécheurs qui se convertissaient à
Dieu, suscita des personnes dans la ville qui
les accusèrent auprès de l'archevêque de
mener une vie pleine de superstitions sous
une fausse apparence de sainteté. Mais la
vérité ayant été reconnue, et le démon
trempé dans ses artifices, il leur suscita une
nouvelle persécution et réussit enfin à les
faire chasser de Kavenne. La peste ayant af-
fligé cette ville l'an 1512, la bienheureuse
(lentille, Léon son fils, sa parente ei Malu-
selli, furent envoyés hors de la ville, quoi-
qu'ils n'eussent aucun mal et qu'ils eussent
été préservés de la contagion, et ils ne r< tour-
né: enta Ravenne que lorsque celle ville fut
entièrement délivrée de ce fléau. La sainteté
de la bienheureuse Gentille augmentait tous
les jours, et l'estime que l'on en faisait était si
grande, que le pape lui permit de faire célébrer
la messe dans sa chambre, ne pouvant aller
l'entendre à l'église à cause de ses infirmités
continuelles. Elle perdit sou iils l'an 1528,
mais Jérôme Maluselli lui tint lieu de fils, et
elle le fit même héritier de ses biens à sa
mon, qui arriva l'an 1530, le 28 janvier.
Elle lui laissa entre autres choses une mai-
son qu'elle lui ordonna de changer en une
église, l'assurant que D.eu susciterait plu-
sieurs personnes pieuses qui par leurs au-
mônes contribueraient à cet ouvrage.
Jérôme Maluselli exécuta la même année
les dernières volontés de la bienheureuse
Gentille, et, avec la permission de l'arche-
vêque de Kavenne Pierre Ferretti, il jeta les
fondements de celle église le 23 septembre
153), quoiqu'il n'eut en main qu'une somme
foi l médiocre; mais ce que Gentille avait
prédit arriva, les aumônes de ceux qui con-
tribuèrent à cet édifice se trouvèrent suffi-
santes pour le conduire à sa perfection, et il
fut consacré l'an 1531, le premier jour d'août,
par le même archevêque.
Mais une nouvelle persécution s'éleva
aussitôt contre le saint fondateur : quelques
prêtres, ay nt conçu de la jalousie contre
lui, cherchèrent les moyens de lui ôter celle
église. 11 y en eut quelques-uns qui, pour
soulever le peuple contre lui, prêchèrent
publiquement que c'était un hérétique, un
trompeur et un sup rslili us, et l'on voyait
déjà accourir le peuple pour raser celle
église, mais il ne s'en trouva aucun assez
hardi pour l'entreprendre; et le pape Clé-
ment VU, en ayant eu avis, envoya es
commissaires à Kavenne pour prendre con-
naissance de cette affaire, qui fut décidée à
l'avantage de Maluselli et à la confusion de
Ses ennemis.
Ce saint fondateur, se voyant paisible
dans la jouissance de son église, dressa les
règlements de la eOngrég lion de prêtres
qu'il projetait d'établir, et il les tira, comme
nous avons dit, de ceux qui avaient été dic-
tés par la bienheureuse Marguerite, dont il
retrancha ce qui n'était propre que pour
les personnes qui vivaient dans lu monde. Ce
fut. dans ce même temps que le duc de Man-
toue Frédéric de Gonzague II et la duchesse
Marguerite Paléologue, son épouse, qui
avaient beaucoup de dévotion pour les 15B.
Marguerite et Gentille, dont ils avaient fait
écrire les vies par dom Séraphin) de Ferme,
demandèrent des cammissaires au pape
Paul 111 pour inform t des miracles qui se
faisaient à leurs tombeaux, afin de travail-
ler à leur canonisation. Le pape accorda leur
demande et envoya commission au gouver-
neur de ltavcnne, l'an 1537, pour faire ces
informations,, et l'année suivante 1538 il ap-
prouva aussi, à la prière du même duc de
Mantoue, les règles qui avaient été dressées
par le P. Jérôme Maluselli, auquel il permit
de donner l'habit de son ordre à ceux qui se
présenteraient pour le recevoir. Les premiers
qui le reçurent furent dom Simon Crespoli
de Kavenne, dom Philippe Solavolo, et dom
Zacharie Perduecini, qui avait été l'un des
disciples de la bienheureuse Gentille. MaLi-
selli fut 1 ■ premier supérieur de cet ordre,
qu il gouverna jusqu'en l'an 1541, qu'il
mourût le 20 août.
Le nombre des Prêtres du Bon-Jésus, qui
s'éiaitdéjà augmenlédeson vivant, au un nia
encore après s;; mort, cl les princes de la
maison de Gonzague continuant à protéger
cet ordre à cause des Bii. Marguerile et Gen-
tille, pour lesquelles ils conservèrent tou-
jours beaucoup de vénération, Guillaume,
duc de Mantoue, demanda au pape Jules III
la confirmation de cet ordre, ce que ce pon-
tife accorda l'an 1551. Il fut derechef ap-
prouvé par le pape Paul IV, qui permit à ces
Prêtres du Bon-Jésus de faire des vœux so-
lennels. Cetordre ne fitpas de grands progrès,
et il fut supprimé par le pape Innocent X l'an
1051. L'on prétend qu'il n'y avait pas pour
lors plus de dix religieux de cet ordre. Mau-
rolic dit qu'oulre leur maison de Kavenne,
ils en avaient encore une à Rome et une au-
tre en Toscane.
Ils suivaient la règle de sainl Augustin
avec les règlements qui avaient clé dressés
par le fondateur. Ils se levaient à minuit
pour dire matines, officiaient selon l'us ge
de l'Eglise romaine. Us étaient assidus au
confessionnal, assistaient les malades à la
mort, et s'adonnaient à la prédication et aux
autres exercices qui concernent le salut du
prochain. Outre l'avent 1 1 le i jeûnes ordon-
nés par l'Eglise, ils jeûnaient encore toutes
les semaines le mercredi, le ve.dredi et le
samedi et plusieurs autres jours ordonnés
par leur règle. C'est ainsi que le P. Simon
AJarini qui a été général de cet ordre, décrit
les observances qui y éla eut en pratique, et
il doit être plutôt cru que Morigia, qui dit
qu'ils ne confessaient et ne prêchaient point.
Ce qu'il ajoute encore, qu'ils ne possédaient
aucune chose, n'est pas conforme à ce que
dit aussi le P. Marini, que le duc de Man-
toue leur donna un palais dans Ravenne;
que Julie Sfondrate leur donna aussi des
maisons, des teires et des renies ; et qu'An-
gèle Louatelli fut leur principale bienfaitrice,
par les biens considérables qu'elle leu'f
donna. Quanta leur habillement, il était as-
079
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
(580
sez semblable à celui des ecclésiastiques, et
au lieu de bonnet carré, ils en portaient un
qui avait une forme ronde (1): tous les trois
ans ils tenaient leur cbapilre, dans lequel
ils élisaient leur supérieur général.
Augustin Barbota parlant de ce Prêtres
du Bon-Jésus, leur donne pour fondatrice la
bienheureuse Marguerite de Ravenne: mais
il se trompe lorsqu'il dit que les premiers
qui reçurent ses règles l'an 1501 ou 1508, et
qui les donnèrent aux autres, furent Léon
et Jérôme; car elle ne pouvait pas avoir
donné ses règles en 1501 à Léon qui n'était
pas encore prêtre, puisque sa mère Gentille
n'avait pas pour lors plus de Irente-trois ans;
et .Marguerite ne pouvait pas non plus avoir
donné ses règles à Jérôme en 1508, puis-
qu'elle mourut en 1505.
Schoonebek parlant aussi de ces Prêtres,
dit que ce fut le P. Séraphim de Ferme qui
les fonda environ l'an 1326 ; nous croirions
volontiers que c'est une faute d'impression,
s'il ne l'avait copiée de Maurolic où elle se
trouve aussi: ainsi nous excusons Maurolic,
mais Schoonebek ne peut être excusé, et il
devait prendre garde que c'était une faute
d'impression qui s'était sans doute glissée
dans Mauiolic, puisque dom Séraphim de
Ferme vivait en 1526, et non pas en 1326.
Lorsqu'il donne a ces mêmes Prêtres la bien-
heureuse Marguerite pour fondatrice l'an
1506 il devait faire attention à sa mort qui
ariiva l'an 1505, et elle n'a point fonde de
religieuses comme il prétend. Cet auteur dit
néanmoins dans la préface de sa dernière
édition que l'on y a réformé plusieurs dates
qui n'étaient paj dans l'ordre et qu'on les
a corrigées; c'est de quoi on ne s'aperçoit
pas beaucoup, et on a sans doute corrigé des
fautes par d'autres fautes (2).
BoWaod., Act.SS.,et23et 28 Jan. Simon Ma-
rini, Vit. dell. BB Margarit. et Gentil., et
det P. Gieronimo fundatori délia relig. de Pa-
dri del Buon Giesu.lacob. Morand., tom. VII
Add. adSurium 23 Jan. Jéronim. de Rubéis,
Hist.Raienn.lib.ii. Silvcstr. Maurol., Mar.
océan, di lut t. gli Retig., lit), v, pag. 398.
Bail)., DeJur. ecctes. ïambur., De Jur. abb.
Morigia, Hist.dell. Relig. Schoonebek, Hist.
des Ord. relig. Philipp. Bonanni, Catalog.
Ord. religios., part, m ; et Hermant, His-
toire des Ordres relig., tom 11.
JESUS-CHRIST ET DE SA PASSION. Voy.
DR kGON RENVERSÉ.
JESUS ET MARIE (Chevaliers de). Voy.
Bethléem.
JESUS ET MARIE (Congrégation de).
Voy. Eudistes.
JOSKPH (Congrégation de Saint-) à Rome.
Voy. Clou (Sacré-).
JOSEPH (Congrégation des missionnaires
de Saint-).
Des prêtres missionnaires de la congrégation
de Soint'Joseph avec la vie de M. Crétenet,
leur fondateur.
Il n'est pas extraordinaire que Dieu, qui
dit dans ses saintes Ecritures qu'il perdra
la sagesse des sages et qu'il réprouvera la
prudence des prudents, se serve quelquefois
de ce qu'il y a de plus faible pour enseigner
ses voies à ceux qui se croient les plus spi-
rituels et les plus éclairés. Mais que sa di-
vine majesté confie à des laïques le soin de
conduire dans le chemin de la perfection
les ministres de ses autels, c'est ce qui serait
sans exemple si elle ne s'était servie dans le
dernier siècle de M. Crétenet, laïque et chi-
rurgien de profession, pour établir une con-
grégation de missionnaires et diriger des
préires dans tout ce que la vie spirituelle a
de plus saint et de plus relevé. Ce serviteur
de Dieu naquit au hourg de Chamlite, dans
le comté de Bourgogne, l'an 1603, et reçut
le nom de Jacques sur les fonts du baptême.
Ses parents étaient d'une condition médiocre,
mais recommandables par leur vertu. Ils
eurent de leur mariage six garçons et trois
filles. Jacques, de qui nous parlons , était le
sixième et le dernier de ces garçons. Ils né-
gligèrent assez son éducation dans le com-
mencement, mais , l'ayant reconnu dans la
suite d'un bon naturel et porté à la vertu,
ils prirent le dessein de le faire étudier, dans
la pensée que Dieu le destinait au sacerdoce.
Il apprit d'un de ses oncles les rudiments
de la grammaire en très-peu de temps et
avec une facilité qui fit bien voir qu'il n'au-
rait pas été moins éminent par sa doctrine
qu'il l'a été par sa piété , si ses parents ne
l'avaient empêché de poursuivre ses études
pour substituer un de ses frères en sa place:
ce qui ne réussit pas néanmoins comme ils
s'en étaient flattés, Dieu \oulant par là don-
ner à connaître le tort qu'ils avaient de
changer les dispositions de sa divine provi-
dence, qui réservait l'auguste dignité du
sacerdoce à celui pour qui elle leur en avait
inspiré la première pensée, et qu'elle retira
pour cet effet comme un autre Abraham du
sein de ses parents et du lieu de sa naissance
pour le conduire peu à peu à l'exécution de
ses desseins. Il sortit donc de son pays à
lâge de quinze ans, sans argent et sans sa-
voir où il irait s'établir, mais avec l'espé-
rance que Dieu ne l'abandonnerait pas. 11
s'arrêta à Langres, où il apprit la chirurgie,
et s'y comporta toujours avec tant de sa-
gesse et de piété, que la sainte Vierge, pour
laquelle il avait une singulière dévotion, le
préserva de plusieurs dangers où il se trouva
engagé, et pour l'àme et pour le corps, lant
dans le temps de son apprentissage que
pendant la course qu'il lit après, selon la
coutume de ceux qui veulent se rendre par-
faits dans cette profession. Ayant achevé ses
courses , et étant arrivé à Lyon, il se trouva
sans argent et sans emploi; mais Dieu, qui
(1) Voy., à la fin du vol., n* 164.
(2) M. Hermant, curé de Maltoi, a copié aussi
Schoonebek en attribuant la fondation de cet ordre à
dom Sérapliim de Ferme, l'an 152G; et il parle de
ces clercs réguliers comme s'ils subsistaient encore,
quoiqu'ils aient été supprimés par le pape Innocent X
l'an 1651.
C81
JOS
JOS
082
veillait sur lui, ne l'abandonna pas , car,
s'élant mis en chemin pour aller de Lyon à
Grenoble, il rencontra le baron de la Hoche,
qui, d'abord qu'il le vit, se sentit touché de
tant d'affection pour lui, qu'ayant su dans
la conversation qu'ils eurent ensemble qu'il
était chirurgien, il lui offrit sa maison et de
l'emploi sur ses terres. M. Crélenet admira
la bonté de Dieu sur lui, et, après l'en avoir
remercié intérieurement, il accepta les offres
de ce seigneur, qui dans la suite fut si salis-
fait de ses services , qu'il le mena peu de
temps après au château d'Amnistie, qui est
entre Nîmes et Uzès , où il était envoyé par
le roi pour réprimer les huguenots révoltés.
Ce fut là que ladouceur et les autres bonnes
qualités de M. Crélenel le firent aimer de
tous ceux qui le conversaient, cl qu'il acheva
de gagner le cœur de son mailrc, qui le fit
manger à sa table, sans que cela donnât la
moiudre jalousie à ses compagnons, parce
qu'ils l'aimaient tous tendrement, et qu'ils
admiraient l'humilité et la charité qu'il avait
pour supporter les faiblesses de son prochain.
Pendant quelques années qu'il fut dans ce
château, il traitait les malades du voisinage ;
et, comme il avait pour le moins autant de
soin et d'empressement de la santé de leurs
âmes, il ne les quittait jamais sans leur avoir
parlé de Dieu et lâché de leur insinuer quel-
ques maximes de piété.
Ce zèle si rare dans les jeunes gens de sa
profession, non-seulement lui acquit l'estime
de tous ceux qui avaient quelque disposition
à la vertu, mais même le fil aimer d'une jeune
fille de la meilleure famille d'Amnistie. Il ne fut
pasabsolument insensibleaux amitiés qu'elle
lui témoigna. 11 y répondit, et ils s'aimèrent
tous deux, mais d'une amitié si réglée, qu'il ne
se passa rien ni dans leurs entretiens ni dans
leur fréquentai ion qui ne lût de la dernière
retenue, et d'une modestie toute chrétienne,
quoiqu'ils s'aimassent dans le dessein de se
marier ensemble. Mais, comme il n'entre-
prenait nen sans avoir auparavant recours
à Dieu, il Ut dire plusieurs messes afin qu'il
lu» fil la grâce de lui déclarer sa sainte vo-
lonté. Ce qui ne fut pas sans effet; car,
priant un jour avec ferveur pour ce sujet, il
entendit intérieurement une voix qui lui dit:
Ce n'est pas ici le lieu où je le veux, je te
montrerai où tu iras pour ma gloire.
C'en fui assez pour obliger ce serviteur
de Dieu à suspendre la poursuite de ce ma-
i iage, quelque avantage qu'il y trouvât, et à
renoncer à l'inclination qu'il avait pour celte
personne, dont il estimait encore plus la
vertu que la beauté et les autres qualités
naturelles dont elle était douée. Néanmoins,
comme ses amis, qui ne savaient encore rien
de ce qui se passait dans son cœur, avaient
pris jour avec les parents de la fille pour
passer le contrat et convenir du jour du
mariage, il se rendit au château d'Amnistie
à l'heure assignée; mais à peine y fut-il en-
tré, que, se sentant plus pressé que jamais
de suivre la voix de Dieu qui l'appelait
ailleurs, il remercia la compagnie de t'hon-
ueur qu'on voulait lui faire, sous prétexte
Dictionnaire: des Ordres religieux.
qu'il avait un frère à Paris, et qu'il serait
bien aise de le consulter sur cette affaire
avant que de la conclure. 11 demanda ensuite
son congé au baron de la Roche, qui n'ou-
blia rien pour le retenir et ne consentit qu'à
regret à son éloignement.
11 arriva à Lyon l'an 1G28, dans le temps
que Dieu y faisait sen'ir la pesanteur de son
bras par la peste, qui y causait des ravages
si funestes, que cette grande ville, autant
célèbre par son commerce que par le grand
nombre de ses habitai. Is , se vit en peu de
jours changée en un désert, tant par la fuite
de ceux qui l'abandonnèrent que par la mort
d'un grand nombre de personnes, il ne fut
pas plutôt arrivé dans cette ville, qu'il se
mit chez un maître chirurgien , où le démon
lendit des pièges à sa pureté par le moyen
d'un de ses compagnons , qui lui découvrit
que leur maître entretenait une fille dont il
pourrait aussi jouir quand il voudrait, lui
conseillant de profiter de l'occasion. Mais lo
saint jeune homme, s'élant aperçu de lu ma-
lice de l'esprit tentateur, sortit de celle mai-
son pour s'exposer au service des pestiférés,
ce qui lui procura un établissement de la
manière suivante.
La peste était si enflammée à Lyon, que
presque tous les garçons chirurgiens i,ui
pansaient les pestiférés étaient morts, et la
plupart des maîtres s'étaient retirés à la
campagne pour se mettre à couvert de ce
lléau terrible. Les magistrats , pour obliger
les garçons chirurgiens qui étaient encore
dans la ville à s'exposer au danger, firent
publier partout que ceux qui serviraient les
pestiférés gagneraient 1. ur maîtrise. M. Cré-
tenet, qui avait quitté s u maître pour évi-
ter le péché, embrassa le parti que Dieu lui
présentait, et se donna de bon cœur au ser-
vice des pauvres malades abandonnés. Ce
fut au mois d'avril de l'année 1029 qu'il
commença cet exercice charitable. La pre-
mière personne qu'il traita de la peste fut
une jeune veuve, qu'il servit avec tant d'hon-
nêteté et d'affection, que sa mère la lui pro-
m t en mariage s'il pouvait la guérir et se
faire recevoir maître chirurgien. Dieu, qui
lui avait destiné cette veuve, bénit tellement
le soin qu'il prit d'elle, qu'ayant élé guérie
en peu de temps, on ne pensait plus qu'à
l'exécution de la promesse qu'on lui avail
faite. Lorsque la peste cessa, les maîtres
chirurgiens revinrent de la campagne , et
s'opposèrent à l'eulérinement des lettres que
leurs garçons avaient obtenues des magis-
trats : ce qui étant un obstacle au projet du
mariage de M. Crélenet, lui lui un nouveau
sujet d'adorer les dispositions de Dieu sur
lui et de redoubler ses prières pour obtenir
la grâce de connaî re sa volonté et de s'y
conformer en toutes choses, mais principa-
lement dans ce mariage , qu'il ne souhaitait
qu'autant qu'il serait agréable à sa divine
m jcslé et utile au salut de son âme : ce
qu'il dem inda avec une si parfaite soumis-
sion aux ordres du ciel, que, nonobstant cet
obstacle, qui paraissait invincible, il eu ob->
II, 22
083
DICTIONNAIRE DCS ORDRES it i l.ir.lEUX.
G84
lint la conclusion de son mariage, cl reçut
la bénédiction nuptiale le 20 novembre.
Ayant obtenu des lettres de maîtrise quel-
que temps après, il régla tellement sa mai-
son, que, l'on y vivait comme dans un mo-
nastère le plus régulier, prenant lui-même le
soin de conduire ses dom stiques dans le
chemin du salut et de les former à la \ ie
chrétienne par les saintes maximes de l'Evan-
gile, qu'il leur enseignait. Souvent il leur
faisait des entreliens particuliers pour leur
inspirer l'horreur du péché et l'amour de la
venu. La prière se faisait en commun le soir
et le malin, et il voulait qu'ils y assistassent,
qu'ils allassent tous les jours à la messe,
qu'ils fissent des lectures spirituelles et qu'ils
fréquentassent souvent les sacrements. Non
content de bannir de sa maison toutes sortes
de jeux, de débauches, de jurements et de
paroles libres, il tilde sages règlements, el
les y fit observer indispcnsablement.
Pour ce qui est de ses enfants, il n'épar-
gna ni son bien ni ses peines pour les élever
dans la piété. Outre les instructions qu'il
leur donnait lui-même, il leur choisit des
maîtres pour veiller de plus près à leur con-
duite : ce qui leur réussit si heureusement,
que les deux enfants qui lui restèrent, dont
l'un était gnrçon et l'autre fi i le, se consa-
crèrent au service de Dieu : le garçon entra
dans la congrégation des missionnaires dont
son père fut dans la suite l'instituteur, et la
fille se fit religieuse du Tiers Ordre de Saint-
François de la plus étroite observance dans
le monastère de Rouane, où elle vécut avec
tant de sainteté, qu'elle fut choisie pour faite
rétablissement du troisième monastère de
cet ordre à Lyon.
Une londuite si sainte et si utile au pro-
chain ne pouvait être que fort agréable à
Dieu, qui, prévenant son serviteur de ses
bénédictions, lui donna un si ardent désir
d'arriver à la perfection, qu'il rechercha
avec empressement la conversation des per-
sonnes capables de lui en enseigner les voies.
Il demanda à la divine majesté par de ter-
ventes et continuelles prières qu'elle voulût
bien lui procurer cette grâce par le moyen
de quelques-unes de ces âmes choisies qui,
quoique dans un corps mortel, vivaient dans
le monde comme si elles n'y étaient pas, et
dont toute la conversation était dans le ciel.
La Mère Madeleine de Saint-François ,
première supérieure du premier monastère
du Troisième Ordre de Saint-François dans
la ville de Lyon, à laquelle plusieuis per-
sonnes s'adressaient pour apprendre à faire
l'oraison el à pratiquer les autres exercices
de la vie spirituelle, fut celle donl Dieu se
servit pour l'accomplissement du désir de
M. Crétenet, qui, par les soins de celle sainte
fille, fit un si grand progrès dans la pratique
de toutes Us verlus qui conduisent a la per-
fection évangélique, que, se trouvant en état
de marcher seul dans les voies les plus
étroites du salut, il se résolut d'y servir de
guide au prochain en enseignant aux igno-
rants les obligations de la vie chrétienne et
en conduisant ceux qui en étaient instruits
à une vie plus parfaite, selon les règles qu'il
en avait reçues de cette charitable maîtresse,
que Dieu récompensa enfin, la faisant pas-
serdecette vie à une meilleorele 23 juin 1GV2.
Apre, la mort de ce'le sainte fille., dix ou
douze de ses disciples dans la vie spirituelle,
se joignant à M. Crétenet, se mirent sous la
conduite du R. P. dora Arnaud, pour lors
prieur des Feuillants de Lyon, donl Dieu se
servit pour faire connaître le mérite de son
serviteur. Car ce zélé directeur, étant foi t
occupé, soil dans son couvent el dans les
autres de son ordre, dont il ét;iit toujours
ou prieur ou provincial, soil à prêcher des
avepts et des carêmes dans la ville de Lyon
el ailleurs, renvoyait à AI. Crétenei les per-
sonnes qui venaient à lui pour le consulter
dans leurs besoins spirituels, comme à celui
qu il connaissait le plus capable de les sou-
lager dans leurs peines : ce qui élablil si
bien sa réputation, que tous ceux qui lui
étaient ainsi envoyés, non contents de la
consolation qu'ils trouvaient dans ses dis-
cours 1 1 ses entretiens particuliers, ne man-
quaient pas dans la soile aux conférences
spirituelles qu'il faisait une fois la semaine
dans sa maison ou dans quelque autre, afin
d'allumer dans le cœur de ses auditeurs le
feu de l'amour divin el un ardent désir d'ar-
river à la perfection. Mais dans le temps
qu'il ne songeait qu'à continuer ces saints
exercices d'une charité véritablement chré-
tienne, Dieu les interrompit en lui fournis-
sant de nouvelles occasions d'exercer son
zèle et son amour pour le prochain : car la
ville de Lyon ayant été affligée une seconde
fois de la pesle en 1613, sa divine majesté
lui donna de si fortes inspirations de ne
point abandonner les pauvres malheureux
qui étaient attaqués de ce mal, qu'il se ren-
ferma avec eux pour leur administrer les re-
mèdes nécessaires. Il les consolait par des
paroles de piété et d'édification, les encou-
rageant à souffrir patiemment pour l'amour
de Jésus-Christ ; et, parce que celle maladie
esl presque toujours suivie île la mort, il les
disposait par des instructions chrétiennes à
recevoir les sacrements, el n'oubliait rien
de lout ce qui pouvait les préparer à bien
mourir. Lorsqu'ils approchaient de ce der-
nier moment, il redoublait .son zèle pour
leur salut, les exhortant à se confier en la
miséricorde de Dieu et à faire un sacrifice
de leur vie à sa justice. Il leur enseignait à
faire des actes de conlrilion, d'amour de
Dieu et de résignation à sa volonté. Il fai-
sait des prières en particulier et en public
pour eux, et engageait ceux qui étaient pié-
senls à leur donner le même secours.
En s'appliquanl de la sorte au salut des
moribonds, il ne négligeai! pas le soin des
autres malades, qu'il catéchisait tous les
jours, leur enseignant à se bien confesser et
à manger dignement le pain des anges : ce
qui produisit un tel effet dans le cœur des
malheureux qui étaient renfermés dans ce
lieu de misère, que, changeant de vie, ils
retournaient à Dieu par une véritable et sin-
cère pénitence.
C»5
JOS
JUS
08a
Le P. dom Arnaud, qui, comme nous
l'avons dit, dirigeait M. Crélenet cl ceux des
disciples de la Mère Madeleine de Saint-
François qui avaient fait avec lui une sainte
société, ayant été choisi dans un chapitre de
son ordre tenu à Paris pour aller l'aire un
établissement à Marseille, les en avertit, afin
qu'ils fissent choix d'un autre directeur ou
supérieur qui continuât à 'es conduire dans
la voie de la perfection, M. Crélenet, qui
é ait le plus zélé de telle petite troupe, pria
ce Père de recommander relie affaire à Dieu
et de dire à celte intention la messe pendant
DCtaf jours, afin que sa majesté divine leur
fil connaître fa sainte volonté, qui leur fut
enfin manifestée par la bo che de ce mr'me
religieux, qui, après avoir fini celle neu-
vaine, leur conseilla de rester unis ensemble
et de choisir entre eux quelqu'un capable de
les gounrncr. lis reéurenl cette réponse
comme venant de Dieu même , et, ayant
augmenté leurs prières , leurs j unes et leurs
mortifications, i'.s se senlire t inspires de
choisir M. Crélenet, qui dès lors fut regardé
comme leur maire et leur supérieur.
Ce choix d'uu laïque et même engagé dans
le mariage pour conduire celle nouvelle
compagnie de serviteurs de Dieu, dans la-
quelle il y avait trois ecclésiastiques, parut
si extraordinaire, que 1 on traita d'illusion,
d'ambition et de icmérilé l'acceptation que
M. Crél-cnet fit de cet emploi. Mais, non-
obsiant toules ces < onlradictions, le nombre
de ses disciples augmenta par un grand
nombre d'écoliers, qui, s'élaut mis sous sa
conduite, devinrent la bonne odeur de Je-
sus-Chrisl et portèrent pariout les fruits de
sainteté et de grâces que Ce saint m.iilie
avait semés dans leur cœur par ses instruc-
tions el ses bons exemples.
Le zèle qu'il avait pour la gloire de Dieu
et le salut des âmes était trop vasle pour
être borné au seul avancement spinlui 1 de
ceux dont il avait la conduite. Comme il
poi tait ioul le monde dans son cœur , el que
sa charité s'étendait sur tous les hommes,
non-seulement il priait avec fervi ur pour la
conversion des infidèles, hérétiques et mau-
vais chrétiens; mais, dans l'impossibilité où
il était, à raison de son état, d'ail r lui-même
chercher ces brebis égarées, il tâchait d'en-
gager ceux qui avaient choisi Jésus-Christ
pour leurpaitage d'enircprendre un si saint
exercice : ce qui lui réussit enfin selon ses
désirs. Car, un jour qu'il donnait à manger
à quelques-uns de ses disciples, la conver-
sation tomba insensiblement sur l'ignorance
des peuples de la campagne, et particulière-
ment du grand besoin d'instruction qu'avait
le village de Marlignat dans le Bugey, dont
un prêtre de la compagnie qui avait dit sa
premièie messe le même jour était natif.
Ce saint homme profita de cette occasion
pour leur découvrir le dessein qu'il avait
depuis plus eurs années de les engager à se
dévouer au service du prochain, el les y ex-
horta d une manière si efficace, que, ne
pouvant résister à la force de ses discours,
ils prirent la résolution d'aller instruire les
pauvres gens de ce lieu silôt que les vacan-
ces seraient arrivées, la plupart élu liant
pour lors en théologie. Ce temps étant ar-
rivé, ils allèrent recevoir leur mission du
grand vicaire du cardinal de Richelieu, ar-
chevêque de Lyon, qui, louant leur zèle et
les encourageant à souffrir généreusement
toutes les peines el les faligues qu'ils au-
raient à soutenir, leur donna tout le pouvoir
qui leur était nécessaire. M. Crélenet four-
nil aux frais de leur voyage et de la mission,
à laquelle ils se disposèrent par le pèleri-
nage de Saint-Claude, qu'ils entreprirent à
pied, jeûnant au pain el à l'eau, afin d'obte-
nir par l'intercession de ce saint archevêque
les lumières et les grâces dont ils avaient
besoin dans leur ministère apostolique. Ils
l'exercèrent enfin dans le village de Marli-
gnat avec tant de satisfaction par rapport aux.
grands fruits qu'ils y firent , qu'ils réso-.
lurent de consacrer à la mission lout le
temps des vacances qu'ils auraient à la fin
de chaque année de théologie, et de s'y em-
ployer entièrement lorsqu'ils auraient achevé
leurs études.
M. Crélenet, ayant connu par les fruits
des premières missions que ses disciples
avaient fa les combien il était important pour
le salut des âmes de les continuer, s'appliqua
avec beaucoup de soin à former les ecclé-
siastiques qu'il croyait cire appelés de Dieu
à ecl emploi; dont le nombre s'augmenlant
tous les jours, il leur conseilla d'entrepren-
dre toules les misions qui se présenteraient
el d'aller dans tous les lieux où on les de-
manderait. Le Bugey, la Bresse el le Dau-
pbiné, furent les premiers champs qui eu-
rent le bonheur d'èlre défrichés par ces bons
missionnaires, qui, dans une mission qu'ils
firent à V'erjon, au mois d'octobre 161-8, tou-
chèrent si vivement par leurs prédications
le marquis de Coligni et sa femme, qu'ils ré-
solurent dès lors de se donner entièrement à
Dieu par un généreux renoncement à toutes
les choses de la terre. Depuis ce temps-là, ce
seigneur s'élant mis sous la conduite de ces
missionaires et ayant réglé sa maison par
leurs avis, il commença de mener une vie si
chrétienne, qu'après avoir l'ail l'admiration
de tout le monde, il mourut très-saintement
en luGi. Ce qui ne fut pas le premier ni le
seul fruit de leurs tiavaux évangéliques :
car, sans parler d'une infinité de personnes
de lous âges, sexes et conditions qui leur
étaient redevables de leur conversion, ils
avaient eu le bonheur, dès l'an 16V7, de ga-
gner à Jésus-Christ le baron d'Altiguat. qui
mourut en 1650 dans sa quarante-deuxième
année, après avoir donné des preuves d'une
véritable conversion el d'une singulière
piété.
De si heureux progrès semblaient devoir
mettre ces zélés missionnaires à couvert
de la persécution ; mais Dieu, qui veut
éprouver les justes, permit qu'il s'élevât con-
tre eux trois bourrasques en trois différen-
tes années, non- culement par la malice des
méchants, dont ils combattaient les vices,
mais même par la trop grande facilité de
G87
DICTIONNAIRE DES OP.DKES RELIGIEUX.
088
quelques personnes de pieté, qui, mnl infor-
mées de leur conduite et prévenues contre
M. Crétcnet, sur qui, comme sur leur chef,
tombait le plus gros de la tempête, crurent
qu'ils feraient un grand service à Dieu et à
l'Eglije, s'ils pouvaient contribuer à détruire
cette société naissante avant qu'elle augmen-
tât. Dans l'une de ces persécutions, l'arche-
vêque de Lyon publia un mandement par le-
quel il déclarait excommunié un certain chi-
rurgien qui se mêlait de gouverner des prê-
tres, et défendait à ces mêmes prêtres de se
conduire à l'avenir par bs conseils de ce
laïque, leur ordonnant de comparaître au
plus tôt devant lui pour être interrogés sur
ce fait. Mais ce prélat, après les informa-
tions qu'il fit, ayant été désabusé des mau-
vaises impressions qu'on lui avait données,
révoqua tout ce qu'il avait fait contre les
missionnaires, leur permit de consulter M.
Crétcnet comme auparavant, et leur donna
même des pouvoirs beaucoup plus amples
que ceux qu'ils avaient reçus de son grand
vicaire, afin qu'ils pussent sans aucun obs-
tacle continuer leurs missions dans son dio-
cèse.
Dans une autre persécution qui s'éleva
contre eux au même diocèse et dans celui
du Puy en Vel y, on prêcha pub.iquement
contre leur doctrine; on les traita de caba-
listes et de sectaires, qu'il fallait éviter
comme hérétiques. L'on distribua partout
des libelles diffamatoires; l'on fit même gra-
ver à Lyon une estampe qui représentait les
hérétiques vaudois, qui avaient eu pour chef
un marchand de celte ville, et au-dessous
de l'estampe on avait mis des discours inju-
rieux contre M. Crétenct et contre ses mis-
sionnaires pour les rendre odieux : ce qui fil
qu'on les insultait partout et qu'on les char-
geait d'injures, principalement M. Crétenet,
contre lequel on fit des vers satiriques , qui
furent imprimés et affichés au coin des rues,
et qu'on venait insulter jusque dans sa mai-
son. Mais enfin cet orage cessa l'an 1G56 :
la vérité prévalut sur le mensonge, et lama-
lire des ennemis de M. Crétenet et des mis-
sionnaires fut confondue par le témoignage
authenliquequ'unc infinité de gens de bien
rendirent en leur faveur : en sorte que l'on
commença à honorer ceux qu'on avait mé-
prisés ; et Dieu, pour récompenser la patience
de ses serviteurs, leur procura d'illustres
protecteurs et de puissants amis. Monsieur
le prince de Couti lut de ce nombre, et les
employa aux missions qu'il fit faire dans
son gouvernement de Languedoc.
Quelques années après, l'archevêque de
Lyon, persuadé du bien qu'ils faisaient dans
son diocèse pour l'instruction des peuples,
consentit qu'ils fissent un établissement à
Lyon. Pour cet effet, M. le prince de Conli
leur obtint des lettres patentes du roi qui
leur permettaient de s'établir dans cette
ville, à l'Ile-Adam dans le diocèse de Beau-
vais, et à Bagnols en Languedoc; et le mar-
quis de Coligni, dont nous avons parlé, et sa
femme, fournirent aux frais de la fondation
deL>on avec tant de générosité et d'humi-
lité, qu'ils ne voulurent pas même pren-
dre le nom ni la qualité de fondateurs, quoi-
qu'ils en fissent toutes les dépenses. Un si
heureux succès donna bien de la joie à M.
Crétenet, il en remercia Dieu et le pria de
protéger celte communauté naissante, de bé-
nir les sujets qui la devaient composer et de
verser abondamment ses grâces sur tous
leurs travaux. Cette nouvelle maison étant
achevée, ce zélé fondateur proposa aux mis-
sionnaires de l'aire une retraite spirituelle
avant que d'y aller demeurer, ce qu'ils ac-
ceptèrent avec joie, et voulurent même la
faire l'un après l'autre dans sa maison. Lors-
qu'elle fut finie, ils allèrent dans leur mai-
son, où ils commencèrent leur établisse-
ment et continuèrent à suivre les règlements
qu'ils avaient observés depuis si longtemps
par les conseils de M. Crétenet, qu'ils ont
toujours reconnu comme leur père et le
véritable instituteur de leur congrégation,
à laquelle ils donnèrent le nom de Saint-Jo-
seph, quoique dans quelques lieux on les
appelât les Crétenistes.
Quelque temps après, ces missionnaires
prièrent leur instituteur de prendre un ap-
partement dans leur maison, mais il ne se
prévalut point de cet avantage, et voulut
payer le loyer des chambres qu'il occupait,
comme s'il eût été un étranger; et son hu-
milité fut si grande, q.u'il ne discontinua
point l'exercice de sa profession, quelqu'ins-
tanceet quelque sollicitation qu'on lui en fît,
afin qu'il eût plus de facilité et de temps pour
continuer à conduire ces missionnaires et
toutes les personnes qui allaient à lui, dont
le concours fut plus grand qu'il n'avait en-
core été.
Sa femme, avec laquelle il y avait plus de
vin"! ans qu'il vivait en continence, étant
morte l'an 1605, il se sentit inspiré de se
consacrer à Dieu dans l'état du sacerdoce.
Il redoubla ses prières, ses jeûnes et ses
mortifications, il fit dire plusieurs messes
pour connaîtie la volonté de Dieu, et con-
sulta ce qu'il y avait de plus habiles gens
dans Lyon, qui tous lui conseillèrent de se
faire prêtre, l'assurant queDieul'appelait in-
failliblement à cet état. Il commença d'espé-
rer que Dieu lui ferait la grâce d'y arriver,
et cela avec tant d'assurance que toutes les
contrariétés du monde ne furent pas capables
de lui faire changer de sentiment. Un jour,
étant en prières dans l'église de Saint-Ro-
main, où le saint sacrement était exposé
pour la fête de ce saint, qu'on y solennisait
le 18 novembre 1605 , il fût si fortement
pressé par des mouvements intérieurs de se
faire prêtre, qu'il ne puls'empêcher d'en faire
le vœu, à condition que l'archevêque de
Lyon le trouverait bon. Ce prélat, qui con-
naissait la sainteté de ce serviteur de Dieu,
y consentit, nonobstant son peu d'étude; il le
dispensa même du séminaire, et lui accorda
un dimissoire pour aller prendre les ordres
où il voudrait, ne pouvant les lui donner lui-
même, parce qu'il était pour lors à Paris. M.
Crétenet, pourvu de ce dimissoire et d'une
permission de Rome pour recevoir tous le»
689 JOS
ordres hors les (enips prescrits par les saints
canons, partit pour les aller recevoir à liel-
ley, où il .irriva le 6 août 1666. L'évéque,
qui connaissait aussi sa vertu, lui donna la
tonsure et les quatre mineurs dès le lende-
main , qui était un samedi; le dimanche il
lui donna le sous-diaconat; le mardi, fête
de saint Laurent, le diaconat ; et le jour de
l'Assomption de Notre-Dame, la prêtrise.
M. Crélenet la reçut avec de si saintes et de
si humbles dispositions, que, quoiqu'il lût
venu à l'église dès cinq heures du matin, il
y resta jusqu'à une heure après midi pour
remercier Pieu de la faveur qu'il lui avait
faite. Etant sorti deBelley, il prit la roule de
Lyon pour y retourner; mais , en passant à
Montluet, où il arriva le 19 du même mois,
il tomba le lendemain en défaillance après
avoir eulenJu la messe, à laquelle il com-
munia; el cette défaillance fut suivie d'une
grosse fièvre, qui, augmentant tous les jours,
l'enli va de ce momie, le premier jour de
septembre de la même année. Son corps fui
intiumé dans une chapelle de l'église collé-
giale de iMontluet, dont une partit- des cha-
noines avaient été ses disciples. Son cœur,
une partie de son foie et ses poumons furent
embaumes et portés au troisième monastère
des religieuses du Tiers Ordre de Saint-Fran-
çois à Lyon, où il avait mis sa fille ; et dit
ans après, l'an 1677, les enanomes de Mont-
luet accordèrent encore une partie de ses os-
sements à ces religieuses.
Ce saint homme avail prédit sa mort six
ans auparavant, et il semble que c'était pour
cela qu'il souhaitait de recevoir si prompte-
ment les ordres, n'ignorant pas que pour
peu qu'il eût différé, il serait mort sans celte
consolation , après laquelle il soupirait
comme éant la consommation de toutes les
grâces qu'il avait reçues de Dieu dans cette
vie.
Ces missionnaires sont habillés comme les
autres ecclésiastiques el sont gouvernés par
un général.
N. Orame, Vie de M. Crétenet, instituteur
de la congrégation des Prêtres Missionnaires
de Saint-Joseph.
joseph (congrégatiok des soeurs de
Saint-).
La congrégation des sœurs ou filles de
Saint-Joseph a pris son origine dans la ville
du Puy en Velay, où elle fut érigée par Henri
de Maupas du Tour, évêque et comte de
celte ville, l'an 1650, à la sollicitation du
P. Jean-Pierre Médaille de la Compagnie do
Jésus. Ce saint homme, qui a employé sa vie
à faire la mission non-seulement dans le dio-
cèse du Puy, mais encore dans ceux de Sainl-
Flour, de Hodez et de Vienne, ayant trouvé
dans le cours de ses missious plusieurs veu-
ves et filles qui, ne voulant point se marier,
avaient dessein de quitter le monde pour va-
quer plus librement au service de Dieu el du
prochain, et ne pouvaient pas entrer dans
des monastères pour n'avoir pas de quoi
fournir leur dot. proposa à l'évéque du Puy
d'établir uue congiégaùon dans laquelle ces
JOS
690
filles et veuves pourraient se retirer pour y
travailler à leur salut et vaquer à tous les
exercices dont eles seraient capables pour
le service du prochain. Ce prélat, qui avait
beaucoup de zèle pour la gloire de Dieu et
l'avancement du salut du prochain, approuva
ce dessein du P. Médaille, et fit venir auPuy
les filles qu'il avait disposées à la retraite.
Elles logèrent toutes ensemble pendant quel-
ques mois chez une demoiselle fort vertueuse
nommée Lucrèce de la Planche, femme de
M. de Joux, gentilhomme de Taner, laquelle
demeurait pour lors au Puy, et qui ne con-
tribua pas seulement de tout son pouvoir à
l'établissement de ces filles, mais travailla en-
core jusqu'à sa mort avec un zèle et une cha-
riié extraordinaires à l'avancement de leur
congrégation. Enfin toutes choses ayant été
disposées par l'évéque du Puy pour l'exécu-
tion d'un si pieux dessein, ce zélé prélat as-
sembla toutes ces tilles dans l'hôpital des
orphelines, dont il leur donna la conduite,
et, le 15 octobre, fêle de sainte Thérèse, de
l'an 1G50, après leur avoir fait une exhorta-
lion pour les animer à l'amour de Dieu et à
la plus parfaite charité du prochain, il les
mil sous la protection de saint Joseph, et or-
donna que leur congrégation, qu'il confirma
par ses lettres du 10 mars 1631, porterait le
nom de ce saint patriarche. 11 leur prescrivit
des règles pour leur conduite et une forma
d'habillement, et eut pendant toute sa vie un
soin si particulier de l'avancement de cette
congrégation, qu'il en fit plusieurs établisse-
ments dans son diocèse, dont le premier fut
à Monlferrand. Après sa mort, M. de Bé-
Ihune, qui lui succéda sur le siège épisco-
pal de celle ville, ayant été convaincu par
expérience et par plusieurs témoignages di-
gnes de foi des services que les sœurs de
celte congrégation rendaient dans son dio-
cèse, la confirma de nouveau et approuva
leurs conslitutions et règlements le -23 sep-
tembre 1665. Le roi, par ses lettres patentes
de l'an 1666, autorisa lous leurs établisse-
ments ; et Dieu a répandu tant de bénédi-
ctions sur celte congrégation, qu'elle s'est
étendue dans les diocèses de Clermont, de
Vienne, de Lyon , de Grenoble , d'Embrun,
de Cap, de Sisleron, de Viviers, d'Uzès, et
plusieurs autres. Henri de Villars, archevê-
que de Vienne, avait établi ces filles dans le
grand hôpital de celle ville l'an 1668, et ce
fut par ses ordres que leurs constitutions
furent imprimées à Vienne l'an 169Ï-.
Ces servantes de Jésus-Christ embrassent
lous les exercices de charité et de miséri-
corde ; car elles prennent la conduite et le
soin des pauvres dans les hôpitaux, la direc-
tion des maisons de refuge, pour ramener à
la pénitence les filles égarées, et le soin des
maisons des pauvres orphelines pour les
élever à la pieté el leur apprendre à travaiU
1er. Elles tiennent des écoles pour l'instruc-
tion des petites filles dans les lieux où les
religieuses qui y sont établies n'en prennent
pas le soin. Elles visitent tous les jours les
malades et les prisonniers une fois ou deux,
plus ou moins, selon qu'il est nécessaire .
cyi
DICTIONNAIHt DES OKDKES RELIGIEUX.
692
les exhortant à la pénitence et à la patience;
elles prient pour eux, leur procurent des au-
mônes, les assistent corporellemenl en fai-
sant leurs bouillons et les remèdes que les
médecins ordonnent, selon leur pouvoir, en-
treienant pour cet effet dans la plupart de
leurs maisons une pharmacie où elles tien-
nent les drogues les plus communes et les
plus nécessaires. Elles veillent soigneuse-
ment au salut des pauvres filles qui, pour
n'avoir personne qui les gouverne, ou pour
Joseph, el ce entre vos mains. Monsieur, qui
tenez la place de Monseigneur noire évéque et
li ès-honoré supérieur; et je promets, si>lon
les règles de ladite congrégation, de professer
moyennant votre grâce ta plus profonde hu-
milité en toutes choses ri la pins cordiale cha-
rité envers le prochain, que je désire servir
par l'exercice de toutes les ccvvres de miséri-
corde, tant spirituelles que corporelles por-
tées par notre institut. Mon Dieu, recevez
celte offrande en odeur de suavité. Ainsi
être dans la nécessité, courent risque de per- soit-il. Lorsque les sœurs sortent de la con-
dre leur honneur, lâchant de les loger ou de grégation ou qu'elles en sont chassées pour
leur procurer du travail pour gagner leur leur incorrigibililé, l'évêque du lieu d'où
vie. Elles ont aussi un soin particulier d'at- elles sorienl les dispense de leurs vœux;
tirer les jeunes filles qui commencent à fré- mais, conformément aux constitutions, il ne
quenter le monde et les compagnies où les doit accorder celte dispense qu'après avoir
hommes se trouvent, afin de leur inspirer pendant un long temps employé les voies de
la crainte de Dieu et leur enseigner la mo- douceur, et ensuite de rigueur, pour rame-
destie et les autres vertus qu'elles doivent ner l'e-prit faible ou incorrigible de ces
pratiquer. Pour cet effet elles leur permet- sœurs, qui s'exposent au malheur de quitter
tentde venir travailler chez elles et leur ap- leur vocation ; et, s'il arrive que quelqu'une
prennent toutes sortes d'ouvrages propres sorte furtivement de la congrégation, il la
aux personnes de leur sexe. Elles doivent
établir îles congrégations de la Miséricorde
dans les lieux où il n'y en a point, et y rece-
voir les femmes, les veuves et les filles. Ou-
I s o l'assemblée des dames qui se l'ait une fois
le mois, pour pourvoir à la visite et au se-
cours des pauvre- malades de leurs paroisses,
il y a encore tous les dimanches et les fêtes
des assemblées particulières, de veuves, de
femmes mariées et de filles, séparées les
unes des autres, pour y traiter non-seulement
des œuvres de miséricorde, mais aussi de
leur direction particulière et de la manière
dont elles doivent vivre en qualité de chré-
tiennes.
Chaque maison est gouvernée par une su-
périeure qui a le litre de prieure, par une
intendante et une coadjutrice. Il y a encore
une économe, une admonilrice, une inten-
dante des pauvres, une directrice de l'assem-
blée de la Miséricorde, et quelques autres
olficières. Tous les dimanches et fêles, elles
disent en commun le petit olfice de la Vierge
dans leur chapelle, et tous les jours le petit
office du Saint-Esprit, les litanies du saint
nom de Jésus, de la sainte Vierge, de saint
Joseph, et le chapelet. Elles fuit deux fois
le jour l'oraison mentale, une lois le malin
et une fois le soir. Elles jeûnent tous les sa-
med s et prennent ce jour-là la discipline.
Elles assistent au chapitre le vendredi, et les
dimanches à la conférence spirituelle. Elles
l'ont deux ans de noviciat, après lesquels
elles prononcent leurs vu ux simples et leurs
promesses eu celte manière: Mon Dieu tout
puissant et éternel, Je N., voire indigne fille
et striante, désirant de vivre toute pour vous
il dëpi ivjre absolument de la conduite de vo-
tre ijrdce, en présence de Jésus-Christ votre
Fils et de lu glorieuse Vierge Marie, de notre
patriarche sa, ni Joseph et de toute la cour
céleste, fais vœu à votre divine majesté, de
pauvreté, de chasteté et d'obéissance perpé-
tuelle en la congrégation des Sœurs de Suint-
doit faire reconduire à la maison d'où elle
est sortie, ou à une autre où elle doit être
enfermée durant quelqucsjnurs, pendant les-
quels on fera tout ce que l'on pourra pour
la Lire rentrer dans son devoir, soit par des
remontrances charitables, soit par des cor-
rections sévères ; et si après cela elle persé-
vère dans son obsiinalion, l'évêque doit ac-
corder la dispense de sesvœux et la renvoyer
dans le monde.
Leur habillement est honnête et modeste,
d'une étoffe commune de laine noire, qui ne
doit point avoir é:é pressée ni lustrée ; le
corps de l'habit doit êtres ms taille, les man-
ches simples et d'une largeur médiocre, dont
la longueur, quand elles sont étendues, va
jusqu'au bout delà main; la longueur des
jupes ne doit point toucher à terre, et leurs
souliers doivent être noirs el sans faç'n.
Elles portent un bandeau de toile blanche
sur le front, une coiffe toile simple aussi de
toile blanche qui se joint avec une épingle
sous le menton, une autre petite coiffe de
taffetas noir qu'elles ont toujours dans la
maison, en l'orme de pelil voile-) et quand
elles sortent, elles incitent une grande coiffe
de taffetas noir comme les dames du monde.
Elles ont sur les épaules un mouchoir sim-
ple de toile blanche, et portent sur la poi-
trine une croix de bois noir avec un christ
de cuivre jaune, el à la ceinture un chapelet
noir. Les sœurs servantes sont habillées de
même façon, excepté que leurs habits sont
d'une étoffe plus grossière el qu'elles ne per-
lent ni coiffes de taffetas, ni bandeaux, ni
crucifix (1).
Gomme il y a d,;ns plusieurs villages
quantité de p. ;. livres lî lies qui sont appelées
de Dieu à une vie pure et retirée du monde,
les sœurs de Saint-Joseph, avec la permis-
sion de l'évêque el de lavis du Père spirituel,
peuvent agréger à leur congrégation ces
sortes de pauvres filles, et en établir dans ces
mêmes villages de petites communautés de
(I) Voy., à la fin du vol., n" 163.
693
JOS
JOS
«94
trois ou quatre seulement. On 1rs appelle les
sœurs abrégées, et dépendent de la supé-
rieure de la plus prochaine maison des sœurs
de Saint-Joseph, laquelle doit veiller sur elles
cl sur leur conduite, les corriger et donner
avis, s'il est nécessaire, des choses qui se
passent entre elles, au l'ère spirituel qui les
doit visiter au moins une fois l'année, aussi
bien que les sœurs. Ces agrégées sont habil-
lées de la méffli' façon que les sœurs de la
congrégation, à la réserve que tant dedans
que dehors la maison elles ne portent qu'une
simple coiffe de toile blanche et jamais de
noires, et leur crucifix doit être un peu plus
petit que celui des sœurs de la congrégation.
Avant que de prendre l'habit, elles demeu-
rent au moins trois mois dans la maison des
sœurs agrégées, après lesquels la supérieure
de celte maison les fait examiner par la su-
périeure des sœurs de la congrégation, et, si
elles sont reçues , on leur donne l'habit de
sœur agrégée sans aucune cérémonie. Elles
font aussi deux ans de noviciat, après les-
quels elles font seulement trois vœux sim-
ples de pauvreté, de chasteté et d'obéissance
perpétuelle, tant qu'elles demeureront parmi
les sœurs agrégées, en soite que soit
qu'elles en veuillent sortir, ou qu'elles
en soient expulsées pour quelque faute con-
sidérable, elles sont absolument libres de
leurs vœux sans autre dispense. Elles doi-
vent observer autant qu'il leur est possible
les règles prescrites par les constitutions des
sœurs de la congrégation ; mais elles ne sont
point obligées comme elles à dire l'ofGce du
Saint-Esprit ni celui de la Vierge , non plus
que les litanies de Jésus, de la sainte Vierge
el de saint Joseph. Néanmoins si elles savent
lire, et qu'elles aient le temps, on leur per-
met de dire en commun ou en pàrliculii r
l'office de la Vierge. Il n'y a point dans leurs
communautés d'assistanles ; mais en l'ab-
sence des supérieures, les plus anciennes de
profession tiennent le premier rang et gou-
vernent les maisons.
Constitutions pour la Congrégation des
Sœurs de Saint-Joseph.
JOSEPH (Filles séculières hospitalières
de Saint-).
Des fdles séculières Hospitalières de la so-
ciétéde Saint-Joseph pour le gouvernement
des filles orphelines, comme aussi des reli-
gieuses de la même société, dites les Filles de
la Triniié-Créée.
Le cardinal François d'Escouhleau de Sour-
dis, archevêque de Bordeaux, qui non-seu-
lement avait procuré à son diocèse l'établis-
sement des Uisulines dans sa ville métropo-
lilaine, mais avait encore contribué à la
fondation de l'ordre des filles de Notre-Dame,
qui avait pris naissance dans la même ville,
d'otit l'inslilul, aussi bien que celui des Ur-
sulincs, est d'instruire les jeunes ûlles.,
comme nous dirons à l'article qui porte ce
nom ; voyant que ces religieuses ne pou-
vaient étendre leurs exercices et leur tra-
vail jusqu'aux pauvres orphelines de père et
de mère, abandonnées cl délaissées sans
aucun appui pour être élevées chrétienne-
ment, approuva le zèle de quelques filles et
veuves qui, s'étant unies ensemble, s'em-
ployaient à l'instruction de ces filles orphe-
lines, et conçut dès lois la pensée de former
une société de ces filles et de ces veuves,
qui vivraient en commun et recevraient
charitablement les filles orphelines pour les
élever dans la piété chrétienne et dans la
pratique de toute sorte de vertus; mais ce
pieux cardinal étant mort l'an 1628, son
dessein ne put être entièrement exécuté de
son vivant.
Ce fut son frère et son successeur dans
l'archevêché de Bordeaux, Henri d'Escou-
bleau de Sourdis, qui acheva ce qu il avait
commencé. Une sainte fille nommée Marie
Delpech de l'Estang était celle qui avait reçu
dans une maison ces filles orphelines, dont
elle prenait soin, avec quelques filles et
quelques veuves qui s'étaient jointes à elle
pour cette œuvre charilable ; mais cette
maison n'étant pas suffisante pour contenir
le grand nombre d'orphelins qui se présen-
taient elle acheta trois autres maisons joi-
gnantes pour l'agrandir, et elle en fit dona-
tion aux orphelines le 17 avril 1(333, par un
contrat qui fut accepté en leur nom par les
grands vicaires de l'archevêque. Ce prélat,
par un acte du 16 juin de la même année,
approuva cetle donation, el érigea cette
maison en société ou congrégation de filles
et de veuves sous le litre de Société des sœurs
de Saint-Joseph pour le gouvernement des or-
phelines, voulant qu'elles s'employassent
non-seulement à l'instruction de ces pau-
vres filles, mais qu'elles pourvussent à leur
entretien et à leur nourriture. Il voulut aussi
que ces sœurs vécussent en commun sous
son autorité et sa direction en faisant un
vœu simple d'obéissance, et il leur prescrivit
des règles et des constitutions qu'elles sui-
virent jusqu'en l'an 1632 , que, pour l'avan-
cement de cette société, on en dressa de
nouvelles, qui furent ei;eore approuvées
par le même prélat el confirmées par l'un de
ses successeurs, Louis d'Anglure de Bourle-
mont, l'an 1694.
Cet établissement fut autorisé par lettres
patentes du roi Louis XIII du mois de mai
1639, par lesquelles Sa Majesté permit aux
sœurs de cette sociéié de recevoir loutes
sortes de donations, legs et aumônes, tant en
meubles qu'en immeubles, pour être, les
deniers ou revenus en provenant, employés
à l'instruction, nourriture et entretien des
filles orphelines, comme les autres hôpitaux
el communautés pourraient faire; ce qui fut
confirmé par le roi Louis XIV par d'aulres
lettres patentes du mois de mai 1673, qui fu-
rent enregistrées en l'hôtel de ville de Bor-
deaux par un arrêt du parlement de la même
ville du 27 avril 1674.
D'abord il ne pouvait y avoir dans cette
maison plus de sepl sœurs pour l'instruction
des orphelines ; mais le nombre de ces pau-
vres filles étant augmenté, on a aussi aug-
menté celui des sœurs ; et présentement il y
cas
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
C9G
ru a douze du chœur et sept sœurs domesti-
ques. Los unes sont destinées à apprendre à
lire et à écrire aux orphelines, les autres à
leur apprendre tous les ouvrages qui con-
viennent aux personnes de leur sexe, et le
profit que la maison retire de ce travail est
son revenu le plus liquide, n'ayant que très-
peu de rentes fixes, la plupart même prove-
nant des dots que les sœurs ont apportées
en entrant dans celte maison : c'est ce qui
les a aussi obligées à recevoir de jeunes fil-
les pensionnaires, qui sont élevées chez elles
dans toutes sortes de vertus.
Présentement ces sœurs de Saint-Joseph
ne reçoivent plus de veuves, et elles ont
ajouté le vœude chasteté àcelui d'obéissance,
auquel elles étaient seulement obligées dans
le commencement de leur établissement;
mais, quoiqu'elles ne fassent pas celui de
pauvreté, aucune sœur néanmoins ne peut
rien avoir en particulier, et ne peut rien
donnera l'insu de la supérieure, qui doit
pourvoira toutes leurs nécessités. Elles di-
sent en commun tous les jours le petit office
de la Vierge. Elles ont demi-heure d'oraison,
le malin avant prime etautanl l'après-dîuée ;
avant le souper, après la récréation du diner,
clle> vont devant le saint sacrement, où elles
récitent les litanies des s;tinls; elles travail-
lent ensuite en commun jusqu'à trois heu-
res, et elles gardent toutes ensemble le si-
lence pendant une heure. A sept heures
trois quarts du soir, elles disent matines et
laudes pour le jour suivant, et ensuite elles
f ■ml l'examen de conscience, et disent les
litanies de saint Joseph. Outre les jeûnes
ordonnés par l'Kglise, elles jeûnent encore
tous les samedis et les veilles des l'êtes so-
lennelles de la sainte Vierge. Tous les ans
elles font une retraite de huit ou dix jours,
et elles renouvellent aussi une fois i'an
leurs vœux, dont voici la formule : Je N.
donne d dédie ma personne ù la Société de
Saint-Joseph, pour l'instruction et pour l'é-
ducation des filles orphelines, pour y vitre et
mourir; et fais vœu à Dieu de chasteté et d'o-
béissance en icelle, conformément à notre
institut ; lesquels vœux je garderai moyen-
nant sa sainte grâce, suppliant la divine
bonté que ce soit à sa plu* grande gloire et à
mon salut. Ainsi soil-Û. Quant à leur ha»
billement, il est noir en la forme que l'on
peut voirdans la figure qui représente une
de ces sœurs de Bordeaux (1), qui a été gra-
vée sur un dessin qui m'a été envoyé par
la sœur Jean Berland, supérieure de celle
maison. Les sœurs domestiques sont habil-
lées de même que les sœurs du chœur : ce
qui les dislingue seulement, c'est que le
mouchoir de cou des sœurs du chœur est
rond par-devant et par derrière, et que ce-
lui des sœurs domestiques esl en pointe par
derrière.
Quoique cette maison de Bordeaux ait
produit celles de l'aris, de Rouen, de Tou-
louse, d'Agen, de Limoges cl de la Rochelle,
qui reconnaissent aussi pour fondatrice
(') Voji., ù la linilti vol., ii" 166.
mademoiselle Delpech de l'Estang, néan-
moins, comme ces maisons sont situées dans
différents diocèses, elles ont toutes des cons-
titutions différentes qui leur ont été données
par les prélats de ces diocèses. Les sœurs
de cet institut dans ces différents diocèses
sont distinguées aussi les unes des autres
par des habillements différents. Celles de la
Bochelle et de Limoges ont même embrassé
l'état régulier sous la règle de sainl Augus-
tin, et celles de Rouen se sont contentées
d'en prendre l'habit, sans s'engager par des
vœux solennels. Nous ne parlerons ici que
de celles de Paris et de la Rochelle, de qui
nous a\ons reçu des mémoires.
Après que la maison de Bordeaux eut été
érigée en société, et que cet inslitul eut été
autorisé par lettres patentes du roi Louis XIII,
comme nous avons dit ci-devant, mademoi-
selle Delpech fut appelée à Paris pour y
faire un pareil établissement au faubourg
Saint— Germain, près de Bellechasse ; et,
comme elle avait éprouvé les effets de la di-
vine providence dans l'établissement de la
maison de Bordeaux, elle donna à la maison
de Paris le titre de Divine Providence, et les
sœurs de cette maison ont toujours été ap-
pelées, depuis ce lemps-là jusqu'à présent,
les filles de Saint-Joseph, dites de la Provi-
dence. La duchesse de Mortemart, Diane de
Grandseigne, contribua beaucoup par ses
aumônes et par ses libéralités à cet établis-
sement, el la marquise de Montespan sa fille,
ayant choisi celte maison pour retraite, y a
fait faire de beaux bâtiments. Ce fui dans ce
lieu que mademoiselle Delpech de l'Estang
mourut le 21 décembre 1671, dans un âge
très-avancé, après avoir eu la consolation
de voir toutes les maisons de son institut
solidement établies,
Les sœurs de celle maison suivent pré-
sentement les constitutions qui ont clé ap-
prouvées par l'archevêque de Paris Fran-
çois de Harlay de Çh lUipvaloa, l'an 1691.
Conformément à ces constitutions, elles
doivent avoir soin des filles nobles ou d'hon-
nele famille qui, étant pauvres ou orphe-
lines, n'ont pas le moyeu de se donner une
bonne éducation et de se former dans le
travail ; c'est pourquoi en leur apprenant
les principes du christianisme, à lire, à
écrire, et en les élevant uans la pratique de
toutes sortes de vertus, on leur apprend
aussi tous les ouvrages qui conviennent à
leur sexe, afin d'avoir par leur travail une
ressource contre la pauvrelé el une honnête
occupation pendant leur vie. Les sœurs s'en-
gagent à celte instruction par des vœux sim-
ples après deux ans de noviciat. La commu -
nauté peut renvoyer néanmoins une sœur
après sa profession pour certaines fautes
marquées dans les constitutions; mais cel-
les qu'on est obligé de congédier ne peuvent
rien prétendre par forme de récompense ou
de salaire pour les services qu'elles ont ren-
dus pendant le temps qu'elles ont élé dans
la maison. On leur lit cet article des consti-
m
JOS
JOS
898
tutions devant leur profession, auquel elles
iiromeltent de se soumettre, et on l'insère
lans l'acte qui est dressé par-devant notai-
res pour leur association à la maison.
Tous les jours elles disent en commun, au
chœur, le petit ofOce de la Vierge ; elles ont
demi-heure d'oraison mentale le matin et au-
tant l'après-dînée. Avant la messe de com-
munauté, qui sedit tous les jours à six heu-
res , elles chantent le Veni Creator avec
quelque antienne du saint sacrement à l'élé-
vation et au temps de la communion. Après
la messe, elles chantent VExaudiat pour le
roi, et elles disent les litauies de saint Jo-
seph. Tous les jours uue des sœurs de la
communauté communie pour madame de
Montespan, leur bienfaitrice ; et tous les ans
elles doivent faire une retraite de six jours ,
pour le moins. Voici la formule de leurs
vœux : Au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit, Je N., de la ville et du diocèse de N.,
promet* à Dieu mon créateur et mon sauveur,
de garder la chasteté , la pauvreté et l'obéis-
sance, tant que je demeurerai dans cette com-
munauté des Sœurs de Saint-Joseph, établies
dans le faubourg de Saint-Germain des Prés,
d laquelle je m'engage selon les constitutions
de celte communauté approuvées par monsei-
gneur notre archevêque, entre les mains de
N. supérieur , et en la présence de ma sœur
N., supérieure, et de toute la communauté. Ce
que j'ai signé de ma main ce N. du mois de N.
de l'an N.
Les sœurs de cette communauté ont voulu
faire approuver leur institut par autorité
apostolique; elles ont même obtenu à cet
effet une bulle du pape Innocent XII. Mais ,
soit que la bulle ne fût pas confirme à la
supplique qu'elles avaient présentée, ou pour
quelque autre raison , elles n'ont pas reçu
cette bulle, qui jusqu'à présent n'a eu aucun
lieu (i;.
Vers l'an 1661 , les sœurs du même insti-
tut de la maison de La Rochelle, qui avaient
été établies dans cette ville dès l'an 1659 ,
voulurent embrasser l'état régulier; et ap-
paremment que ceux qui eu avaient la
conduite, en leur inspirant de faire des
vœux solennels, voulurent qu'elles jetassent
les fondements d'un ordre tout particulier
dans l'Eglise dont ils formèrent le projet, et
dressèrentdes règles et des constitutions, qui
furent imprimées à Paris la même année
1664, sous le titre d'Institut, Règle ou Cons-
titutions des Filles de la Trinité-Créée, dites
Religieuses de la Congrégation de Saint-Jo-
seph, instituées pour l'éducation des filles or-
phelines dans la ville de La Rochelle.
Ce qui regarde l'institut est compris dans
cinquante paragraphes. Dans le premier, il
est parlé de la Gn de cet institut, qui est
d'avoir soin de l'éducation des pauvres
orphelines et de les élever dans la perfection
et la pratique de toutes sortes de vertus, de-
puis l'âge de huit à neuf ans jusqu'à quinze
et seize , qu'elles sont placées en service.
Dans le second, il est dit que les filles de
cette congrégation seront sous la protection
de Jésus, de Marie, et de Joseph ; que pour
cette raison elles seront nommées les Filles
de la Trinite-Créée; qu'elles en porteront les
marques dans leurs babils; que la robe re-
présentera celle de saint Joseph , et qu'elle
sera violette pour marque de son humilité ;
que le scapulaire sera de pourpre pour si-
gnifier la robe de pourpre de Noire-Sei-
gneur, et que le manteau et le voile seront
de couleur céleste , à cause de la sainte
Vierge, qui est reine du ciel.
Le nombre de trente-trois filles est fixé
pour chaque maison , en l'honneur des
Irente-trois ans que Jésus-Christ a vécu sur
la terre. 11 ne leur était permis d'avoir que
deux cents livres de rente chacune pour leur
nourriture et pou# leur entrelien , et sur le
total des pensions, cinq sœurs converses de-
vaient passer pour les offices pénibles de la
maison. On devait faire un fonds solide qui
ne pouvait être employé à autre chose que
pour leur subsistance, quelque besoin et
quelque nécessité qu'il y eûl.
Le nombre des trente-trois filles étant
rempli, elles pouvaient recevoir d'autres fil-
les ou veuves sur le pied de quatre cents li-
vres de pension , dont deux cents pour leur
nourriture et leur entretien , et les autres
deux cents pour les orphelines , auxquelles
elles devaient en laisser le fonds par donation
simple trois jours avant de prononcer leurs
vœux, et on les recevait ainsi comme bien-
faitrices. Il leur était permis aussi de rece-
voir des séculières associées à l'ordre, enga-
gées aux mêmes obligations que les religieu-
ses, à l'exception des vœux solennels et Me la
clôture , et elles devaient faire donation de
la moitié de leurs biens aux orphelines trois
jours avant que de faire leurs vœux simples.
Quoique ces associées ne fissent pas vœu de
clôture, elles ne devaient pas néanmoins
sortir sans la permission de la supérieure ,
elles devaient pratiquer la pauvreté aussi
exactement que les sœurs de la communauté,
elles devaient avoir soin de placer en condi-
tion ou en service les orphelines qui avaient
été élevées dans la maison , elles devaient
rendre visite aux bienfaiteurs et aux amis ,
et elles ne devaient sortir qu'avec une com-
pagne. Leur habillement devait être sembla-
ble à celui des séculières, elles devaient être
reçues comme les sœurs de la communaulé
à trois mois de probation et deux ans de no-
viciat, et à l'âge de vingt ans , elles pou-
vaient faire les vœux simples de chasteté, de
pauvreté et d'obéissance.
Toutes les maisons de cet ordre ne de-
vaient faire qu'un même corps, et s'enlr'ai-
der les unes les autres dans les besoins tem-
porels ; et, afin de conserver le même esprit
partout, elles devaient être gouvernées pour
le spirituel (sous la dépendance néanmoins
des ordinaires) par des prêtres qui devaient
aussi former une congrégation du même in-
stitut, qui s'y devaient donner par vœu et s'y
consacrer en y donnant leurs biens et leurs
(') Voy-t à la fin du vol., n° 167.
699
DICTIONNAIRE DES GRDKES RELIGIEUX.
70O
possessions trois jours avant leur engage-
ment. Ils ne pouvaient pas aussi être plus
de trente-trois dans chaque maison ; mais
ils pouvaient associer et recevoir à leur con-
grégation des bienfaiteurs autant et de même
que les filles , et aux mêmes conditions.
Etant formés dans une solide vertu , on de-
vait les envoyer dans les maisons de filles
pour en prendre la conduite en qualité de
supérieurs et de confesseurs , et ils ne pou-
vaient p;is cire continués plus de six ans
dans la même maison, après lesquels ils de-
vaient retourner à leur communauté où ils
demeuraient au moins trois ans sous l'obéis-
sance, et on pouvait ensuite les renvoyer
dans la même maison de filles dont ils étaient
sortis. Enfin ces prêtres devaient avoir un
général et les filles une générale dont l'office
aurait été à vie, et ce général et cette géné-
rale pouvaient nommer celui ou celle qui
devait leur succéder. L'un et l'autre devaient
demeurer dans la même ville pour agir tou-
jours de concert dans les affaires de l'ordre ,
et ils devaient faire la visite des maisons.
Tels étaient les principaux articles qui re-
gardaient l'institut en général.
Les constitutions sont divisées en six par-
lies. 11 est encore parlé dans la première de
la fin de l'institut , de la Mère générale et
des .Mères supérieure , adjulrice, directrice,
assistantes ou conseillères ; de la maîtresse
et sous-maîlresse des noviees et des sœurs
bienfaitrices. Dans la seconde, on parle des
vœux en général et en particulier, de la pau-
vreté, de la chasteté , de l'obéissance , de la
clôture , du noviciat , de la profession , des
novices et des jeunes professes. Voici la for-
mule des vœux : Cinix, écoutez ce que je dis,
que la terre entende le propos de ma bouche ;
c'est à vous , ô mon aimable Sauveur, à qui
mon cœur parle, bien que je ne sois que pou-
dre et cendres. Je Sœu< N. donne et dédie ma
personne à la Congrégation des Sœurs de
Saint-Joseph établie pour l'instruction et
éducation des filles orphelines , pour y vive
et mourir, et fais vœu de pauvreté , de chas-
teté, obéissance, et d'instruire et cliver les
pauvres filles orphelines en gardant la clô-
ture, conformément à notre institut. Lesquels
vœux je promets à mon Dieu et à vous iV. de
garder tout le tem/is de ma vie moyennant sa
sainte grâce, suppliant sa divine bonté que ce
soit à sa plus grande gloire il à mon salut.
Ainsi soit-il.
Dans la troisième partie de ces constitu-
tions, il est parlé des sœurs en général, de la
charité mutuelle , des ji unes, des abstinen-
ces, de la discipline, de l'oraison , de l'of-
fice divin, des prières vocales, de l'usage des
sacrements, des confesseurs extraordinaires,
de la retraite , de la rénovation des vœux ,
du silence et des autres pra iques. Les jeû-
nes et les abstinences à quoi ces constitu-
tions les obligeaient n'élaient pas considéra-
bles : outre les jeûnes ordonnés par l'Eglise,
elles devaient encore jeûner les \ cilles des
fêles de Notre-Seigneur , de la Vierge , de
(1) Voy., à la lin du vol., n* 1GS.
saint José, h, de saint Augustin. Quoiqu'elles
ne fussent pas obligées de jeûner les ven-
dredis , elles ne pouvaient pas néanmoins
avoir de pitance le soir, et ne devaient faire
que collation. Tous les samedis elles devaient
prendre la discipline en communauté, et tous
les vendredis , les veilles des fêles de la sainte
Trinilé, de sainl Joseph, et le vendredi saint,
elles devaient recevoir des mains de la supé-
rieure en esprit de pénilence cinq coups de
discipline , pour honorer en ces jours la fla-
gellation de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Ces constitutions ne les obligeaient qu'au
petit office de la Vierge, et les sœurs conver-
ses devaient réciter seulement certain nom-
bre de Pater et d'Ave. Les dimanches et les
fêtes, elles devaient chanter la messe et l'offi-
ce, et aux autres jours seulement psalmodier.
Dans la quatrième partie, il est parlé des
lieux réguliers, du chapitre, de la coulpe, de
la distribulion des ouvrages, des cellules, do
l'habillement ; dans la cinquième , des offi-
cières en particulier; et dans la sixième, de
l'ordre et de l'emploi de la journée, tant
pour les sœurs que pour les orphelines et
les pensionnaires. Telles furent les constitu-
tions de cet ordre, qui n'a fait aucun pro-
grès, n'y ayant que les religieuses de la Ro-
chelle qui suivent présentement ces consti-
tutions, et qui obtinrent, le 21 juillet 1664-,
un déciet du cardinal Eabio Chi^i, légat en
France , pour avoir permission de faire des
vœux solennels. Mais, comme il fallut que
ce décret fût autorisé par lettres patentes du
roi , enregistrées au parlement de Paris et
dans les jusiiees de la Rochelle, et que ces
religieuses eurent encore besoin du consen-
tement de l'évêque, ce qui ne se fit pas sans
oppositions , elles ne firent leurs vœux so«
lennels que l'an 1672.
Elles avaient pris d'abord l'habit prescrit
par les constitutions , savoir une robe vio-
lette avec un scapulaire de pourpre, un man-
teau bleu traînant jusqu'à terre, une guimpe
et un voile blanc, sur lequel elles en niel-
laient un bleu de toile claire (S); mais, en
faisant leurs vœux solennels, elles oui quitté
cet habillement pour eu prendre un noir,
qui consiste en une robe, un scapulaire et un
manteau noir, avec un grand voiie qui est
noir aussi (2). Le projet d'établir une géné-
rale s'est évanoui, aussi bien que I établisse-
ment de la Congrégation de prêtres et de
leur général. Les filles de Limoges font aussi
des vœux solennels, et sont habillées comme
les religieuses de la Visitation ; mais elles
n'ont puint de croix.
(elles de Rouen ont seulement pris l'habit
religieux, mais elles ne font que des vœux
simples. Elles reconnaissent aussi pour fon-
datrice mademoiselle Delpech de l'Eslang.
Madame de liiébion , sœur de M. Hanivelle
de Mènevillette, receveur général du clergé
de France, et femme de M. de Brébion, mai-
Ire en la chambre des comptes à Houen,
donna de grands biens à cette maison, et,
non contente de cela , elle s'y consacra au
(2) Voy., à la On du vol., uos 169 et 170.
701
JOS
JOS
702
service des pauvres orphelines du vivant et
du consentement de son mari. M. de Mène-
villelte, président à mortier au parlement de
Rouen, en a été aussi un des principaux bien-
faiteurs, et lui adonné la terre et seigneurie
de Néauville, à une lieue de celte ville, qui
a près de 2,000 livres île revenu. L'an 1654,
le mi accorda à cette maison d'orphelines des
lettres palenies où il est parlé des autres
établissements du même institut faits à Bor-
deaux, à Paris et à Agen.
Les sœurs de Saint-Joseph de Rouen sui-
vent présentement les constituions qui leur
ont été données l'an 1695 par l'archevêque
de celte ville Jacques-Nicolas Colbert, et,
conformément à ces constitutions, outre les
jeûnes ordonnés par l'Eglise, elles jeûnent
encore tous les samedis de l'année et tous
les vendredis de l'avent, les veilles des fêles
solennelles de Notre-Seigneur, de la sainte
Vierge, des apôtres et de saint Michel; mais
quand ces fêles arrivent un vendredi de l'a-
vent ou un samedi de l'année, elles sont dis-
pensées de jeûner ces jours-'à, s'il est jeûne
d'Eglise les veilles de ces fêles. Elles disent
au chœur le petit office de la Vierge. Elles
ne vont poii, l aux parloirs pendant l'avent
ni pendant le carême; et, dans un autre
temps, elles n'y vonl qu'iiccompagnées d'une
écoule. Le nombre des sœurs est limité à
seize, et ne peut être augmenté, à moins que
le nombre des orphelines n'augmente. Elles
font, comme nous avons dit, lt> vœux sim-
ples de pauvreté, de chasteté, d'obéissance
en cette ma n ère : Je N. sœur, me confiant
enta grâce de Notre-Seigneur Jésus -Christ,
de lu très-sainte Vierge, de saint Joseph, pa-
tron et protecteur de cette maison; de tous les
anges et des saints de paradis, fais vœu à Dieu
de pauvreté , de chus été et d'obéissance, pour
m' employer au service des pauvres orphelines,
suivant les constitutions de la Congrégation
de Saint-Joseph, dont je déclare avoir eu une
particulière et parfaite connaissance, en pré-
sence de notre supérieur. En foi de i/uoi j'ai
écrit et signé le présent acte, elc. Quant à leur
habillement , il cons sle en une robe de gris
obscur, ouverte seulement jusqu'à la cein-
ture, el fermée par des agrafes; elles ont pour
coiffure un petit voile blanc, el par-dessus
un autre voile noir d'eiamine. Elles ont aussi
un bandeau el une guimpe carrée, el au bas
de celle guimpe une médaille d'argent où
d'un colé esl l'image de saint Joseph tenant
l'enfant Jésus par la main, et de l'autre, l'i-
mage de la sainte Vierge tenant le même en-
fani entre ses bras (1).
Voyez l'Institution de la Société des Sœurs
de Saiiit^Joseph pour le gouvernement des fil-
les orphelines de la ville de Bordeaux, impri-
mée en 1708. Constitutions des Filles de Saint-
Joseph dites de la Providence., imprimées à
Parts en 1691. Institut, Règles et Constitu-
tions îles Filles de la Trini. é-Créée, imprimées
à Paris en lOOi. Constitutions des Filles Hos-
pitalières de la Congrégation de Saint-Joseph
pour l'instruction des orphelines, imprimées à
Rouen en 1690; et Mémoires envoyés parles
religieuses de la Rochelle en 1709.
JOSEPH (Hospitalières de Saint-).
L'ordre des Hospitalières de Saint-Joseph
a commencé par une communauté de filles
séculières établie par les soins de mademoi-
selle de la Ferre, fille d'une grande piété et
d'une famille distinguée de la ville de la Flè-
che en Anjou. Comme elle avait un attrait
singulier pour l'oraison, et que Dieu lui com-
muniquait beaucoup de grâces, ses directeurs
lui conseillèrent de se relirer dans un mo-
nastère pour y faire profession de la vie re-
ligieuse; mais, étant tombée malade jusqu'à
qu.it ie Pis lorsqu'elle avail voulu exécuter
ce dessein, elle connut que Dieu l'appelait
ailleurs. La charité la porta l'an 16i2à pren-
dre le soin des pauvres de l'hôpital de la
Flèche. Dans le même temps, mademoiselle
de Hi Itère, fille d'honneur de madame la prin-
cesse de Coudé, étant tombée dangereuse-
ment malade à Paris, le P. Bernard, dit le
Pauvre Prêtre . en qui elle avait beaucoup
de confiance, lui dit que si elle faisiit vœu
de quitter le monde, elle recouvrerait la
santé. Elle le fil et elle fut guérie. Pour exé-
cuter son vœu, elle vint dans un monastère
assez proche de la Flèche pour s'y consacrer
à Dieu; mais, ne se sentant point d'inclina-
tion pour y demeurer, on lui proposa de se
joindre à mademoiselle de la Ferre, dont la
vertu el les emplois lui étaient connus. Elle
ne crut pas pouvoir mieux accomplir son
vœu qu'en suivant son exemple. Une troi-
sième fille s'associa à elles, et elles allèrent
toutes trois, le jour de la Sainte-Trinité, de-
meurer à l'hôpital pour prendre soin des
pauvres. La même année, elles eurent dix
autres compagnes , et leur communauté
s'augmentant a.nsi tons les jours, l'évéque
d'Angers, Claude de Ruiil, leur donna des
constitutions qu'il approuva le 25 octobre
16i3. Leur nombre devait être fixé par ces
constitutions à trente filles hospitalières et
six sœurs domestiques. Tous les trois ans,
elles devaient élire une supérieure le 22 jan-
vier, fêle des Epousaille- de la sainte Vierge.
Après avoir demeuré huit ans dans la con-
grégation, elles faisaient des vœux simples
de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, et
de s'employer au service des pauvres; mais
elles ne s'engageaient que pour trois ans,
pour un an, ou pour quelque autre espace
de temps, après lequel elles renouvelaient
leurs vœux pour un autre temps. Leurs ha-
bits étaient simples et modestes, el consis-
taient en une. robe fermée par-devant avec
des crochets el des porles, en forme de sou-
tane un peu ample, serrée sur les reins avec
une ceinture de laine, un corsel el une jupe
par-dessous, le loul de serge noire. Les tilles
hospitalières portaient une coiffe noire avec
un mouchoir de cou, cl les sœurs domesti-
ques, un capot d'eiamine avec un mouchoir
de cou, dout la toile était plus grosse que
ceux des filles, et l'on donnait aux unes et
-II) Yoy., à lu lin du vol-, n° 1"
703
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
704
aux autres, lorsqu'elles avaient prononcé
leurs vœux, une bague d'argent, où il y avait
en écrit autour : Jésus, Marie, Joseph, qu'el-
les portaient au petit doigt de la main gau-
che (1).
A peine celte congrégation fut-elle établie,
qu'elle reçut un grand avantage par la pré-
sence de la princesse d'Epinoy, Anne de Me-
lon* fille de Guillaume de Melun. Celte prin-
cesse avait été pendant plus de vingt ans
chanoines^e de Mons. Elle se relira après la
mort de son père et à l'insu de ses parents,
chez les filles de la Visilalion de Saumur,
sous un nom déguisé; mais elle y fut bientôt
découverte, et, comme on parlait de faire un
établissement du même institut en Flandre,
et que l'on proposa à mademoiselle de Melun
d'en aller jeter les fondements, elle regarda
l'honneur qu'on lui faisait comme une ten-
tation du démon, qui, jaloux de son bonheur,
voulait déjà lui faire perdre le fruit de sa
solitude en la retirant de sa vie cachée, dont
elle commençait à goûter les douceurs ; c'est
pourquoi elle pensa aux moyens de sortir de
ce monastère sans que l'on sût où elle devait
aller. Elle communiqua son dessein au P. du
deuil, de la compagnie de Jésus, qui lui
ayant proposé les Hospitalières de la Flèche,
dont la congrégation ne faisait que de naî-
tre, et dont les religieux de cette compagnie
avaient la direction, elle se sentit intérieure-
ment portée à embrasser cet institut, et,
pour n'être point connue, elle entra dans
cette congrégation sous le nom de mademoi-
selle de la Haye. Mais ces Hospitalières, qui
étaient prévenues d'estime- et de considéra-
tion pour elle sur le récit que le P. du
Breuil leur avait fait de son mérite, furent
extrem. ment surprises de la voir entrer
chez elles en équipage de servante; car elle
avait un gros habit de bure, un bonnet de
laine sur sa tête et des clous sous ses sou-
liers ; et quelqu'une lui ayant demandé son
nom, elle répondit qu'elle s'appelait Anne de
la Terre. Tout cela n'empêchait pas qu'on
n'aperçût à travers cet extérieur si pauvre
un air de grandeur et des manières aisées ,
qui la faisaient distinguer du commun ; et,
quoiqu'elle s'étudiât à se cacher avec beau-
coup de soin, elle ne put si bien faire, qu'on
ne vit dans sa valise quantité de linge de
toile de Hollande très-fine, qu'elle donna
ensuite à l'église pour faire des nappes d'au-
tel et des aubes, priant la supérieure de lui
faire donner du linge et des chemises de la
communauté , comme on faisait chaque
semaine à toutes les sœurs , et , lors-
qu'elle pouvait choisir sans qu'on la vit, elle
prenait toujours les plus grossières et aux-
quelles il y avait le plus de pièces.
Mademoiselle de Melun ayant été reçue
dans cette congrégation d'hospitalières, on en
demanda quelques années après pour aller
faire de pareils établissements. La ville de
Laval fut la première qui en demanda, l'an
1052, et la même année elles furent appelées
à Baugé. Mademoiselle de Melun fut du
(1) Voy., à la Un du vol., n"3 17-2 cl 173.
nombre de celles qui furent destinées pour
ce dernier établissement ; elles y furent con-
duites par la Mère Marie de la Ferre, pre-
mière supérieure et fondatrice de celle con-
grégation, et dans l'obédience qu'elles reçu-
rent de l'évêque d'Angers, Henri Arnaud ,
mademoiselle de Melun est appelée sœur
Anne de la Haye. Mais, quoiqu elle fût re-
connue pour la princesse d'Epinoy quelques
années après, lorsque son frère le vicomte
de Gand, sachant qu'elle était à Baugé, l'y
vint trouver, elle retint toujours le nom de
la Haye jusqu'à sa mort.
Après avoir été découverte, et ne pouvant
plus cacher sa qualité, le désir qu'elle avait
de faire du bien à son hôpital l'emporta sur
celui qu'elle avait de passer le reste de ses
jours dans la solitude. Trois de ses frères
la vinrent prendre à Baugé pour la conduire
à Paris, afin d'assister au partage des biens
du prince d'Epinoy leur père. Elle ne demeura
que deux mois dans cette ville, et les biens
qui lui échurent en partage servirent non-
seulement à faire faire des bâtiments à son
hôpital de Baugé et à lui assigner des rentes
pour son entrelien ; mais elle fonda encore
dans la suite celui de Beaufort. Nous ne nous
étendrons pas davantage sur les vertus et les
actions de celle princesse, qui n'est pas la
fondatrice de la congrégation des hospitaliè-
res dont nous parlons, et qui ne peut être
regardée que comme fondatrice et bienfaitri-
ce des hôpitaux de Baugé et de Beaufort du
même institut ; l'on peut voir sa Vie qui fut
donnée au public l'an 1C87 ; et nous pas-
sons à ce qui regarde cette congrégation.
Les hôpitaux de Baugé et de Laval ayanl
été fondés, comme nous venons de dire, ces
hospitalières firent encore d'autres établisse-
ments. Elles furent appelées à Moulins en
Bourbonnais, l'an 1651. Cet établissement se
fit encore par la Mère de la Ferre, qui y mou-
rut ; et en 1659 ellespassèrent les mers pour
aller dans le Canada, où elles s'établirent
dans la ville de Montréal. Jusque-là elles n'a-
vaient fait que des vœux simples, et, comme
elles pouvaient sorlirde la congrégation avec
dispense de l'évêque, plusieurs l'avaient de-
mandé et l'avaient obtenu. Ce qui avait cau-
sé des procès dans leurs familles, lorsqu'elles
avaient voulu entrer en paitage des biens :
c'est pourquoi la plupart de ces hospitaliè-
res se déterminèrent à prendre la stabilité e(
à s'y engager par des vœux solennels. La
maison de Laval commença l'an 1663, et fut
la première à prendre la stabilité ; et dans le
même temps elles furent demandées pour
aller faire un établissement à Nîmes, où elles
furent fondées par l'évêque de ce lieu N...
Cochon. Les maisons de Moulins, Baugé et
Montréal dans le Canada prirent ensuite la
stabilité, et le pape Alexandre VII, par un
bref du 19 janvier 1666, vérifié au parlement
de l'aris le 30 août 1667, approuva cet insti-
tut, et déclara que les hospitalières sorties
de l'hôtel-dieu de la Flèche pour aller à La-
•val, à Nîmes, à Baugé, à Moulins et à Mont-
703
I.AT
réal dans le Canada, étaient véritablement
religieuses, ayant fait les trois vœux solen-
nels et embrassé la clôture sous la règle de
saint Augustin. Leurs consiituiions furent
dressées l'an 1685, par l'évéque d'Angers
Henri Arnaud.
Celte congrégation fit ensuite de nouveaux
progrès. La ville d'Avignon fil venir de ces
religieuses l'an 1670, pour leur donner le
soin du grand hôpital. Celui de Beauforl fut
fondé par mademoiselle de Melon en 1671.
Elles furent appelées en 1683 dans la ville de
l'Isle au comté Venaissin, et en 161)3, la
Mère des Essarts, première religieuse de la
maison de Laval, et qui avait fait l'établisse-
mentde Beaufort, fut rappelée par un arrêt du
conseil à la Flèche, comme y ayant fait ses
premiers vœux, l'arrêt portant que les pre-
mières filles qui en étaient sorties y revien-
draient pour y mettre la stabilité. Mais ,
comme les autres étaient mortes, elle mena
avec elle quatre religieuses de Beaufort, qui
établirent la stabilité à la Flèche, et celle
maison, qui avait donné naissance à la con-
grégation, élant la première de l'institut, fut
la dernière à prendre l'état régulier. Les
hospitalières de Nîmes ont fait encore un
autre établissement à Bivire dans le Lan-
guedoc, en 1700.
Les religieuses de cette congrégation ont
toutes les mêmes observances, elles n'ont
changé que fort peu de choses à leurs pre-
mières constitutions ; elles ont aussi conservé
le même habillement, sinon qu'au lieu de
coiffe, elles ont pris le voile noir, et, au lieu
de mouchoir de cou, la guimpe comme les
autres religieuses. L'essentiel de leur insti-
tut, c'est le service des pauvres ; à quoi elles
s'obligent par un quatrième vœu, et quel-
ques monastères donnent à la mort de cha-
que religieuse professe trois cents livres.
Elles ne sont obligées qu'aux jeûnes ordon-
nés par l'Eglise et à réciter lous les jours le
petit office de la sainte Vierge. Les diman-
ches et les fêtes, elles chantent seulement les
vêpres. Voici la formule de leurs vœux :
Dieu tout-puissant, mon créateur et souverain
Seigneur, Je, /V., quoique indigne de me pré-
senter devant vous , toutefois me confiant en
votre miséricordieuse bonté, et poussée du dé-
sir de vous servir de ma pure, franche cl dé-
libérée volonté, en présence de toute la cour
céleste et de cette communauté, fais vœu pour
toute ma vie à votre divine majesté, de pau-
LAT 70r»
vreté, de chasteté et d'obéissance , et de m' em-
ployer au service des pauvrrs en uvinn de
charité, selon la règle de saint Augustin et let
constitutions de cette congrégation,; vous sup'
pliant très-humblement, 6 mon Dieu, par let
mérites de Jésus-Christ votre Fils, de sa sainte
mère , de saint Joseph et de saint Augustin,
que, comme il vous plaît me faire la grâce de
me consacrer à vous pur ces vœux, il vous
plaise me la continuer abondante pour m'en
acquitter fidèlement. Ainsi soil-il.
Tous les ans, le 22 février, fête du Maria-
ge de la sainte Vierge avec saint Joseph,
elles renouvellent leurs vieux en cet'e ma-
nière : Je, N., confirme et renouvelé à mon
Dieu tes vœux que je lui ai faits pour toute
ma vie, de pauvreté, de chasteté et d'obéissan-
ce , et de servir les pauvres en union de cha-
rité en cette congrégation, au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
Si quelque maison de l'institut devient
pauvre et en nécessité, les autres doivent
l'assister, préférablement à toute autre cha-
rité, selon leur pouvoir, plutôt que de faire
un établissement nouveau ; et, pour empê-
cher que cette union entre les maisons de la
congrégation ne diminue par succession de
temps, toutes les maisons doivent s'écrire de
temps en temps pour s'exciter à agir dans un
même esprit et pour la même fin. Outre les
sœurs destinées pour le chœur et les sœurs
domestiques ou converses, chaque maison
peut encore recevoir des sœurs associées , qui
sont des filles ou des veuves qui, par infirmité
ou autrement, ne pouvant ê;re reçues à la
profession religieuse , désirent néanmoins
passer le reste de leurs jours dans celle mai-
son, pour y vivre avec les religieuses, sans
être obligées à leurs observances. Ces asso-
ciées doivent faire des vœux simples et porter
un habit simple et modeste.
Règle et Constitutions pour les religieuses
Hospitalières de Saint-J < seph Mémoires en-
voyés par les religieuses de la Flèche ; et l'on
peut consulter la Vie de mademoiselle de Me-
lun, imprimée à Paris en 1687. Cette prin-
cesse ne fut point religieuse, et, après avoir
demeuré trente ans dans l'hôpital de Baugé,
elle y mourut le 13 août 1679.
JOYEUX. Yoy. Frères Joyeux.
JULIEN DU P01B1EB. Yoy. Alcantara.
JUSTINE DE PADOUE (Sainte-). Yoy.
Mont-Cassin.
K
KIARAN (Saint-). Yoy. Irlande.
LANFRANC (Saint-). Yoy. Augustin(Con-
OBÉGAT10N DE SAINT-).
LANGRES ( Hospitalières de ). Yoy.
Dijon.
LATBAN (Chanoines de Saint-Sauveur de).
§ 1". Origine des Chanoines Réguliers de Saint-
Sauveur de Latran, avec la vie du Y. P.
Barthélémy Colomne, leur réformateur.
Lorsque le grand Constantin eut donné la
paix à l'Eglise et qu'elle commença à jouir
de la liberté, après laquelle elle soupirait de-
puis trois cents ans, il fit bâtir plusieurs
707
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
708
églises en divers lieux , principalement à
Rome, où les églises de Sainl-Jean, de Saint-
Pierre, de Saini-Paul, de Sainte-Croix et de
Sainte-Agnès hors des murs, sont encore à
présent des marques de la piété de cet em-
pereur.
Entre ces églises, celle qui lient le premier
rang non-seulement dans cette ville, mais
qui est encore reconnue pour la mère de
loules les églises du monde, est celle qu'il fit
bâtir dans le palais de l'impératrice Fansta,
sa femme, auparavant nommé la maison de
Latran, du nom de Plautius Laleranus , sé-
naieur romain, à qui elle appartenait lors-
que l'empereur Néron le fit mourir comme
un des chefs de la conjuration qui s'était for-
mée contre lui l'an 65. Ses biens ayant été
confisques, cet empereur et ses successeurs
l'ont toujours possédée jusqu'au temps de
Constantin, qui la donna à saint Sylvestre.
Ce prince y ayant fait bâtir une église, elle
lut appelée de son nom Constanlinienne, au-
trement l'église du Sauveur, à cause que
pendant que saint Sylvestre en faisait la dé-
dicace, l'image du Sauveur du monde appa-
rut sur la muraille ; et, comme cet empereur
fil faire proche de celle église un baptistère,
et que les baptistères avaient l'image de
saint Jean-Bapt ste, on lui donna aussi le
nom de Sainl-Jean de Latran, qui lui est
resté, quoique son véritable nom soit celui
de Saint-Sauveur, puisque c'est sous ce nom
que l'Eglise solennise,le 9 novembre, la dédi-
cace de cette église.
Les papes l'ont toujours reconnue pour
leur cathédrale, el depuis saintSylvestre ils y
ont toujours fait leur demeure, à l'exception
dedeux ou trois, jusqu'au temps que le saint-
siège fut transféré à Avignon. Grégoire XI
l'ayant transporté à Rome après soixante et
dix ans d'absence, comme le palais de La-
tran, coutigu à cette église, était tombé pres-
que en ru; ne, les souverains pontifes ont
fait depuis ce temps leur résidence au Vati-
can ou à Monte-Cavallo.
Doin Gabriel Penot, Chanoine Régulier de
la congrégation de Lalran, qui en a fait
l'histoire, prétendant qu'il y a eu une con-
tinuation sans interruption de clercs qui ont
Técu en commun depuis les apôlres jusqu'au
temps de saint Sylvestre, ditque ce lut ceux-
là que ce pape établit dans cette église; mais,
comme celle prétention est disputée et que
la véritable origine des communautés de
clercs n'est attribuée qu'à saint Augustin,
nous croyons plus aisément ce qu'ajoute cet
auteur, que saint Léon I" se servit vers l'an
4'*0 île Gé.ase, qui lut dans la suite un de ses
successeurs, et qui était disciplede saint Au-
gustin, pour réformer les eleresde cette église
el les faire vivre selon les règles que ce grand
docteur de l'Eglise avait prescrites à ceux de
son Eglise d'H ppone, qui ne contenaient que
ce que les apôtres et les premiers fidèles de
l'Eglise de Jérusalem avaient pratiqué.
En efiel le clergé de Rome avait besoin
de réforme, puisque saint Jérôme se plaignait
dès l'an 383 des dérèglements des clercs de
celte ville, qui, n'ayant pu supporter les re-
proches de ce grand homme, déchirèrent sa
réputation par lant de calomnies et de médi-
sances , que, pour céder à leur envie,
il fut obligé de quitter Rome pour retourner
dans la Palestine.
Ce fut donc sous le pontificat de saint
Léon 1er que les clercs de l'église de Saint-
Jean de Latran vécurent en commun. Ils de-
meurèrent pendant plusieurs années dans
l'observance des canons apostoliques; mais
le relâchement s'étant introduit peu à peu
parmi eux, Alexandre M, qui avait été Cha-
noine de la congrégation de Saint-Frigdien
de Lucques, fit venir des Chanoines de celte
congrégation l'an 1061, pour réformerl'Eglise
de Latran, et, ayant fait assembler un con-
cile à Rome l'an 1063, où l'on traita de la
réforme des Chanoines, il assujettit ceux de
Lalran à l'ohservance de ce qui avait été
ordonné dans ce concile. Il déclara aussi cette
Eglise chef de plusieurs maisons de Chanoi-
nes qui en dépendaient, et qui tous ensem-
ble formèrent une congrégation qui dès ce
(emps-là prit le nom de Lalran, et était sépa-
rée de celle de Sainl-Frigdien de Lucques.
Ils possédèrent celle église pendant plus
de huit cenls ans, depuis saint Léon I" jus-
qu'à Boniface VIII, qui, ayant été élevé sur
la chaire de saint Pierre l'an 1294, les obli-
gea d'en sortir pour mettre des séculiers à
leur place. Pour lors la congrégation de La-
tran commença à diminuer, et s'éteignit peu
de temps après, ayant perdu tous les monas-
tères qu'elle possédait, les uns ayant été
sécularisés, les autres ayant été donnés à
d'autres ordres, comme celui de Grotta-Fer-
rala aux moines de Saint-liasile.
Penot dil que les autres actions de Boni-
face VIII rapportées par Platine et les autres
historiens de sa vie, font assez connaître les
raisons qui le portèrent à leur ôler l'église
de Lalran. Il semble qu'il veuille accuser
s^n avarice, qui le voulait faire profiter des
grands biens qu'ils possédaient, et qui peut-
être servirent à augmenter ces trésors im-
menses qu'on lui trouva lorsque Nogaret ,
gentilhomme français, avec quelques che-
vaux du duc de Valois, accompagné des Co-
lomnes et de quelques autres gentilshommes
de la faction des Gibelins, se saisit de sa per-
sonne à Anagnie. Nous verrons dans un au-
tre endroit l'adresse dont il se servit pour
parvenir à la papauté, et la manière dont il
agit envers son prédécesseur, qui s'était dé-
mis de cette dignité, et que l'Eglise honore
comme un saint; mais il ne faut pas nous éloi-
gner des Chanoines Réguliers, qui furent réta-
blis cent cinquante ans après dans cette mémo
église de Lalran par Eugène IV ; et, comme
la congrégation Frigdionienne ou de Sainte-
Marie de 1- risonaire fut celle sur laquelle ce
pape jeta les yeux pour en tirer ces Chanoi-
nes, et qu'il voulut qu'elle fût appelée dans la
suite de Saint-Sauveur ^le Lalran, il est à
propos de rapporter son origine.
La congrégation Fiigilionienne ou de
Sainte-Mari'' de Frisonaire est différente de
celle de Sainl-Frigdien de Lucques , dont
nous parlerons au § IIP, quoique ce ne soit
7(1!»
LÀÎ
LAT
710
qu'à cause de ce saiut qu'elle ait élé appelée
Frigdionienne ; car l'on prétend qu'étant
évêqne de Lucques, il lit bâtir à trois milles
de cette ville une église sous le nom de Notre-
Dame, qui par succession de temps a élé ap-
pelée, à cause de son fondateur, Sainte-Marie
Frigdionienne, et par corruption l'risonaire.
Celte égli-e avait toujours ele desservie par
des clercs vivant en commun, qui devinrent
Chanoines Réguliers, lorsqu'on eut obligé les
clercs qui vivaient en commun à la désappio-
prialion. Ils se rendirent recommanda blés
par la sainteté de leur vie ; mais leurs succes-
seurs au xiv° siècle s'étaient bien éloignés
de leur esprit. A peine trouvait-on cbez eux
des traces de la discipline régulière, le tem-
porel était aussi mal administre que le spiri-
tuel, <t cequi restait des revenus, qui avaient
été autrefois considérables, ne suffisait pas
pour l'entretien de trois religieux, qui s'y
trouvaient en 1382.
L'évêque de Lucques, y ayant fait la visite
celle même année, aval tâché d'y apporter
quelque réforme. Les religieux y ava;ent
consenti et avaient même tenté plusieurs fois
d'exécuter un si bon dessein ; mais, bien loin
d'y pouvoir réussir, les fréquents | assages
des armées et plusieurs partis qui étaient
souvent venus pillei' le monastère les avaient
contraints de l'abandonner pour se réfugier
dans la ville.
Comme ils persistaient ton jours dans leur ré-
solution, Dieu envoya à leur secoursun saint
homme qui a élé le réformateur des Chanoi-
nes Réguliers en Italie, et à qui l'on a donné
le litre de fondateur de la congrégation de
Sainte-Marie de Frisonaire. Il s'appe'ait
Barthéle.nv Colomne.de celle ancienne famille
des Colomnes en Italie si connue par sa no-
blesse, par les grands hommes qu'elle a
donnés à l'Eglise et dans les armées, et par
la charge de grand connétable du royaume
de Naples, qui lui est héréditaire. Parmi ceux
qui en sont sortis, il s'en est tromé beau-
coup qui ont préféré l'humilité et une vie
pauvre et retirée à tous ces avantages que les
gens du inonde estiment tant. L'ordre de
Saint-François se glorifie d'en avoir eu trois,
qui s'y sont rendus célèbres par la sainteté de
leur vie, qui sont les bienheureuses Catheri-
ne, Marguerite et Séraphine Colomne ; et,
sans parler des autres ordres, celui des Cha-
noines Réguliers a eu dom Barthélémy Colom-
ne, qui, étant né de parents si illustres, ne
manqua pas d'être élevé dans tous les exer-
cices qui regardent la noblesse ; mais il ne
s'appliqua qu'à ceux qui conviennent vérita-
blement à un chrétien. La grandeur de sa
maison ne l'éblouit pas. 11 ne se flatta pas de
l'espérance de pouvoir posséder un jour ces
premières dignités dont ses ancêtres avaient
élé revêtus ; et, s'il embrassa l'état ecclé-
siastique, ce ne lut que pour servir Dieu
plus parfaitement. II se contenta à cet effet
d'un simple canonicat, dont il reui] lit les de-
voirs avec une fidélité irréprochable.
Quoique Dieu lui eût donné île grands ta-
lents pour la prédication, il fut néanmoins
un assez long temps sans les faire valoir,
pendant lequel il s'appliqua à l'étude de l'o-
raison et de la méditation. Mais, considé-
rant l'état déplorable où l'Eglise était réduite
par le schisme qui la désolait depuis plu-
sieurs années, et qui était continué par l'an-
tipape Benoît XIII contre le véritable suc-
cesseur de saint Pierre, RoniTace IX; et, pour
me servir des mêmes termes de Nicolas de
Clamengis dans la remontrance qu'il fit au
r h Ch ries VI au nom de l'université de
Pi ris louchant ce schisme, voyant que l'E-
glise était toute défigurée, que les choses sa-
crées étaient foulées aux pieds, que les vices
se multipliaient, que les crimes demeuraient
impunis par la tolérance de cc\ix qui, pour
se maintenir dans la ppaulé, appréhen-
daient qu'en les punissant leur parti ne di-
minuât ; et enfin que la barque de saint
Pierre au milieu de la tempête était près de
périr, il quitta son pays, ses parents, ses
amis , et, s'armant du zèle de l'amour de
Dieu et du salut des âmes, il entreprit de
combattre les vices qui régnaient si forl, en
prêchant la parole de Dieu, faisant partout
des conversions merveilleuses, et exhortant
tous les fidèles à s'unir ensemble sous un
même chef.
11 vint premièrement en Toscane; delà
passant par l'Emilie, il s'arrêla longtemps
dans la Marche trévisnne , où il fit un assez
long séjour, aussi bien qu'à Padoue et à \"i—
cenze. Non-seulement plusieurs pécheurs,
touchés vivement par la force de ses prédi-
cations, changeaient entièrement dévie et se
convertissaient à Dieu par une sincère pé-<
nilence; mais même plusieurs ecclésiasti-
ques, désirant embrasser un état de vie plus
parfait, entrèrent d.ms des ordres religieux
ou en établirent de nouveaux.
Entre les autres, dom Gabriel Gondel-
maire, dont nous avons déjà parlé sous le
nom d'Eugène IV, qu'il prit lorsqu'il fut élevé
au souverain pontificat, et dom Antoine Cor-
raire, nobles Vénitiens, tous deux neveux
de Grégoire XII, furent du nombre des fon-
dateurs de la congrégation des Chanoines de
Saint-Georges iaAlgha ; et Louis Barbo, aussi
noble Vénitien, qui fut dans la suite évêque
de T révise, entra dans l'ordre de Sainl-Be-
noît, où ayant rétabli la discipline monasti-
que, qui avait souffert beaucoup de relâche-
ment en Italie, il fonda la célèbre congréga-
tion de Sainte-Justine de Padoue. Nous ne
devons pas oublier le fameux jurisconsulte
Albéric Avogadri, gentilhomme deBergame,
qui, renonçant à toutes les vanités du siècle,
se fit religieux dans l'ordre de Saint-Domi-
nique, et, n'osant pas espérer de pouvoir
parvenir aux ordres sacrés à cause qu'il
élait bigame, il se contenta de l'humble con-
dition de frère lai ; mais, comme il était rede-
vable de sa conversion à Barthélémy Co-
lomne, il recul peu d'années après par ses
mains l'habit de Chanoine Bégulierdans le
monastère de Sainte-Marie de Frisonaire,
aussitôt qu'il y vit la réforme établie par les
soins du P. Barthélémy, qui dans le cours de
sa mission élaut venu à Lucques, où il ap-
7U
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
in
prit \es bonnes intentions de ces Chanoines,
qui, comme nous avons dit, souhaitaient em-
brasser une vie plus régulière, visita leur
monastère, dont la situation, qui se trouvait
au milieu d'un bois, lui parut si favorable
au dessein qu'ils avaient de vivre dans la re-
traite et dans la solilude, qu'il les exhorta à
la persévérance, tandis que de son côté il
irait leur chercher des compagnons pour les
aider dans leur entreprise.
C'est pourquoi il retourna dans la Marche
trévisane, et passa ensuite dans la Lombar-
die, ne cessant point de prêcher partout la
pénitence. H tilde si grands fruits, que parmi
ceux qui se convertirent à Dieu, il y eut plu-
sieurs personnes religieuses qui résolurent
d'embrasser la réforme qu'il s'était proposée.
De ce nombre furent Léon de Carat, Mila-
nais, et Thadée de Bonasco, tous deux Cha-
noines Réguliers de Saint-Pierre au Ciel-d'Or
de Pavie, qu'il envoya à Sainte-Marie de Fri-
sonaire pour y commencer cette réforme,
ce qui a fait dire à quelques auteurs qu'ils
étaient les fondateurs de cette congrégation.
Etant arrivés à Lucques, ils trouvèrent
d'abord de grandes difficultés , tant à cause
que ce monastère était dépourvu de tout ce
qui était nécessaire pour l'entretien des re-
ligieux, que parce qu'étant depuis quelques
années suus la juridiction de l'évêque, ils ne
pouvaient y entrer ni rien entreprendre sans
sa permission; mais, l'ayant à la fin obtenue,
ils jetèrent les premiers fondements de celte
réforme sous le pouliGcal de Bonil'ace IX,
l'an 1401.
L'année suivante, Barthélémy vint dans ce
monastère de Frisonaire avec un compa-
gnon, et y ayant reçu l'habit, il fut aussitôt
élu prieur. 11 y eut ensuite plusieurs person-
nes qui reçurent l'habit par ses mains, entre les-
quelles fut le frère Jacques Avogadri.nommé
auparavant Albéric, dont nous avons parlé;
qui non-seulement en avait obtenu la per-
mission de son général, mais avait encore
été dispensé de son irrégularité par le pape
jusqu'au diaconat. Barthélémy n'eut pas plu-
tôt lini le temps de sa supériorité, qu'il le prit
avec lui pour être son compagnon dans le
cours de ses prédications.
Pendant son absence, les religieux se
trouvèrent dans une si grande pauvreté,
que, manquant de tout ce qui était nécessaire
à la vie, ils avaient résolu d'abandonner ce
monastère ; mais les Jésuales, qui avaient un
couvent à Lucques, en ayant eu connais-
sance, les exhortèrent à la persévérance,
s'offrant d'aller chercher l'aumône pour eux
par la ville et les lieux circonvoisins; ce
qu'ils firent avec tant de succès en donnant
à connaître à tout le monde la sainteté de
ces bons religieux, que non-seulement ils
eurent abondamment pour leur subsistance,
mais que par le moyeu de ces aumônes ils
rétablirent entièrement le monastère, dont
les bâtiments tombaient en ruine, et en très-
peu de temps les revenus, qui n'étaient pas
a peine suffisants pour l'entretien de trois
religieux, s'augmentèrent de telle sorte,
qu'il y en avait assez pour trente,
La réputation qu'ils s'acquirent par la
sainteté île leur vie fil qu'on les souhaita dans
plusieurs endroits, tant pour y faire de nou-
veaux établissements que pour réformer
d'anciens monastères. L'an 1403, un bour-
geois de Milan ayant dessein d'en fonder au
dans une maison qu'il avait proche de cette
ville, en un lieu appelé Caroselle, il y fit ve-
nir de ces Chanoines. Le pape Grégoire XII,
l'an 1407, leur donna l'abbaye de Saint-Léo-
nard proche de Vérone ; ils eurent en 1409
celle de Notre-Dame de la Charité à Venise,
et en 1412 celle de Sainte-Marie de Tremiti
avec toutes ses dépendances, dont les îles qui
lui ont donné le nom font partie, et qui ap-
partiennent à ces Chanoines, qui y ont toute
juridiction spirituelle et temporelle. Le nom-
bre des monastères s'augmenta dans la
suite, et il y en avait déjà quinze qui étaient
unis à cette congrégation lorsque D. Barthé-
lémy mourut.
Quoique ses fatigues jointes à ses austéri-
tés l'eussent tellement affaibli qu'il en était
devenu aveugle, il ne discontinua pas pour
cela ses prédications. 11 allait toujours à pied
dans ses voyages, son compagnon le condui-
sant par la main. Enfin, Tan 1430, étant
parti de Venise pour aller dans le Monlfer-
rat, il tomba malade dans le fameux mona-
stère de Saint-Benoit pioche de Mantoue, où
il avait demandé l'hospitalité, et la fièvre
dont il avait été attaqué l'ayant emporté en
peu de jours, il alla dans le ciel recevoir la
récompense de ses travaux.
11 parak par l'épitaphe qu'on a mise sur
son tombeau qu'il n'était que prêtre séculier
et qu'il n'avait pas été religieux, mais il y a
bien de l'apparence qu'il a été Chauoine Ké*
gulier, puisqu'il a été prieur du monastère
de Sainte-Marie de Frisonaire, qu'il a assisté
à des chapitres généraux et qu'il y a donné
sa voix, ainsi qu'il parait par les actes au»
thentiques qui sont cités par Penol.
§ IIe. Continuation de l'histoire des Chanoines
Réguliers de la congréaation de Sainte-Sau-
veur de Latran.
Entre les monastères que la congrégation
de Sainte-Marie de Frisonaire a possédés, le
plus recommandable a été sans doute celui
qui était attaché à l'église de Saint-Sauveur,
que l'on appelleplus communémentde Saint-
Jean de Latran, puisque cette église est la
mère et le chef de toutes les églises du monde,
comme nous avons dit dans le parag>aphe
précédent; laquelle leur fut accordée par le
pape Eugène IV l'au 1442.
Soit que ce pape eût naturellement de l'in-
clination pour les Chanoines Réguliers à
caiiie qu'il était lui-même l'un des fonda*-
leurs de la congrégation des Chanoines de
Saint-Georges in Ali/ha, ou que, comme dit
Penot, cette église fût dépouillée de tous ses
ornements, abandonnée par ses minisires,
et que le service divin y fût entièrement né~
gligé, à peine eut-il succédé à Martin V,
qui! fit venir des Chanoines Réguliers de la
congrégation de Frisonaire pour réformer
cette Eglise j mais il ne put exécuter pour
713
LAT
LAT
714
lors son dessein, à cause de la sédition qne
les Coiomne parents de son prédécesseur
excitèrent contre lui, et des différends qu'il
eut avec le concile de Bâle , qui durèrent
quelques années et qui lui donnèrent d'au-
tres occupations.
Une autre sédition des Romains, qui, sol-
licites par le duc de Milan, voulaient se sai-
sir de sa personne, l'obligea de songer plutôt
à sa sûreté qu'à la réforme de l'Eglise de
Latran. Il eut même de la peine à gagner
l'embouchure du Tibre pour s'embarquer à
Ostie sur une galère, d'où il vint première-
ment à Pise, el ensuite à Florence, où il fut
honorablement reçu , lorsque les Romains
pillaient ses biens et emprisonnaient son
neveu le cardinal Gondelmaire.
Enfin, l'an 14i2, après qu'il eut heureu-
sement terminé le concile de Florence, où
assistèrent Jean Paléologue , empereur de
Conslaiiliuople, son frère Démétrius et le
patriarche de la même ville, avec plusieurs
é^êques grecs, qui se réunirent à l'Eglise
romaine, aussi bien que les Arméniens et
plusieurs autres schismaliques ; étani encore
à Florence, il ordonna aux Chanoines Fri-
sonaires, qui tenaient pour lors leur chapitre
général à Ferrare, d'envoyer à Rome trente-
deux de leurs religieux pour réformer l'E-
glise de Latran. Us n'en envoyèrent que
cinq, qui logèrent d'abord dans le palais
conligu à l'église même; et, lorsqu'ils se
disposaient à bâtir un monastère, ils tom-
bèrent tous malades ; il y en eut même qui
moururent, ce qui fit abandonner aux autres
celte entreprise pour retourner dans les cou-
vents de leur congrégation.
Le pape cependant , persistant dans son
dessein, envoya l'année suivante des lettres
adressées à leur chapitre général, datées de
Sienne, où il était pour lors, par lesquelles
il commandait aux supérieurs d'envoyer à
Rome trente Chanoines avec un prieur. Ils
obéirent à cet ordre, el furent encore reçus
dans le même palais de Latran, jusqu'à ce
que le monastère fût achevé. Mais les cha-
noines séculiers qui desservaient cette église
el qui n'étaient qu'au nombre de douze, pro-
filant de l'absence du pape el de la fête du
saint sacrement , auquel jour on fait une
procession solennelle qui attire à Rome tous
les pajsans des environs, prirent avec eux
une troupe de ces paysans , et quelques-uns
des plus malintentionnés d'entre le peuple
attaquèrent les religieux dans le palais de
Latran, lorsqu'ils y pensaient le moins et
qu'ils rendaient grâces à Dieu à l'issue de
leur dîner; et, ayant rompu les portes, ils
en contraignirent quelques-uns de se jeter
en bas par les fenêtres; ils en prirent d'au-
tres, à qui ils firent mille outrages, donnè-
rent lous leurs meubles à cette canaille pour
les emporter, et il y en aurait eu même
quelques-uns de tués, sans les conservateurs
du peuple romain, qui, étant accourus à leur
secours, les tirèrent de leurs mains el les
conduisirent au Vatican, où ils restèrent
jusqu'à ce que le tumulte fût apaisé et qu'ils
Dictionnaire des Ordres religieux, il.
pussent en sûreté retourner dans leurs cou-
vents.
Celle nouvelle ayant été portée au pape,
qui était encore à Sienne, il en l'ut fort ir-
rité. Il attendit à son retour pour punir les
coupables, il avança même son voyage pour
ce sujet; et, élanl arrivé à Home sur la fin
de septembre 1443, il ordonna pour la troi-
sième l'ois à ces religieux de renvoyer à Rome
trente Chanoines avec un prieur. Us furent
fâchés de cet ordre; ils s'imaginaient que le
pape, après tant de difficultés, se désisterait
peut-être de son dessein. Néanmoins, pour
obéir à Sa Sainteté, l'année suivante, dans
leur chapitre général qu'ils avaient accou-
tumé de tenir lous les ans, ils composèrent
une famille de trente religieux qu'ils desti-
nèrent pour Saint-Jean de Latran, auxquels
ils donnèrent pour prieur D. Nicolas de Bo-
logne, et qui devaient se mettre en chemin
au premier ordre qu'ils recevraient du pape,
auquel cependant ils envoyèrent le prieur
seulement avec deux religieux pour lui faire
d'humbles remontrances sur l'impuissance
où ils étaient de pouvoir surmonter toules
les difficultés qui se rencontreraient dans
l'exécution du dessein qu'il avait pris, et
dont ils le suppliaient de vouloir bien se dé-
sister.
Le pape reçut très-mal ces remontrances,
et fut plus d'un mois sans les vouloir admet-
tre à son audience. Cependant ayant été
fléchi par le moyen de leurs amis, qui avaient
parlé en leur faveur, il les fit venir, et leur
témoigna beaucoup de tendresse lorsqu'il
apprit que la famille de Latran avait été dé-
signée dans leur chapitre, et qu'il n'y avait
que le danger où ils avaient élé exposés
l'année précédente, qui, les ayant intimidés,
les avait empêchés de venir.
Dans cet intervalle, les chanoines séculiers
lâchaient sous main de soulever le peuple en
lui faisant accroire que ce pontife voulait
chasser les Romains île Saint-Jean de Latran
pour introduire en leur place des étrangers
qui n'avaient autre dessein que d'emporter
les têtes des saints apôtres qu'on conserve
dans celte église. Le pape, en ayant eu con-
naissance, les fit venir en sa présence, em-
ploya toutes les voies de douceur pour paci-
fier ces esprits qui étaient si fort animés
contre, les Chanoines Réguliers; el, voyant
que les caresses et les promesses qu'il leur
faisait étaient inutiles, il assembla les cardi-
naux dans un consistoire, auxquels il pro-
posa le dessein qu'il avail de réformer l'E-
glise de Saint-Jean de Latran en y mettant
des Chanoines Réguliers à la place des sé-
culiers, qui s'acquittaient mal de leur de.\ oir.
Il y en eut quelques-uns qui ne furent pas
de cet avis; mais la plus grande partie ap-
prouva le zèle du pape et consentit qu'il
nommât deux cardinaux pour faire la visite
de celte Eglise, qui furent Thomas, évéque
de Bologne, qui lui succéda sous le nom de
Nicolas V, et Pierre Barbo, Vénitien, qui
succéda à Pie II sous le nom de Paul 11.
Ces cardinaux, ayanl trouvé parmi ces
chanoines séculiers plus de désordre qu'on
23
?15 DICTIONNAIRE DES
ne s'était imaginé, les crurent tout à fait indi-
gnes d'occuper cette église, qui est la mère
de toutes les autres; et ces chanoines ne
pouvant rien avancer pour leur 'justification
lorsqu'ils furent en présence du pape, ils se
démirent volontairement entre ses mains de
tous leurs bénéfices. Sa Sainte^ fit eu même
temps expédier une bulle par laquelle elle
accordait aux Chanoines Réguliers la basi-
1 que de Saint-Jean de Latran avec tous les
canonicats, les bénéfices , les chapelles, les
biens et les droits temporels et spirituels qui
en dépendaient. Il créa par la môme bulle,
qui est du mois de janvier lii-5, tous les
Chanoines de la congrégation Frigdio-
nienne ou de Sainte-Marie de Frisbnairè,
Chanoines de Saint-Sauveur de Latran, vou-
lant que dans la suite ils en prissent le nom.
L'année suivante il leur en accorda une
autre, par laquelle, en leur confirmant le
litre de Clianoines de Saint-Sauveur de La-
tran, il les déclarait originaires de cette
église, en conséquence de leurs anciens
titres et privilèges, qu'il avait fait exami-
ner.
Les Chanoines Réguliers ne furent pas
longtemps paisibles possesseurs de celle
église, car, deux ans après, le pape Eugène
étant décédé, les chanoines séculiers, \ oulant
profiler de ia vacance du saint-siége, se li-
guèrent ensemble pour les en chasser. Les
cardinaux , qui craignaient les suites que
pouvait avoir cette affaire pendant le con-
clave , les apaisèrent en leur promettant
qu'ils y seraient rétablis immédiatement
après qu'ils auraient donné un chef à l'E-
glise. Ce fut Nicolas V sur qui tomba l'élec-
tion, l'an \kk~t : qui, à la sollicitation des
cardinaux, les remit en possession de cette
église conjointement avec les Réguliers, à
condition néanmoins qu'ils ne se mêleraient
point dans les affairés de ceux-ci et n'assis-
teraient point au chœur avec eux. Mais il était
impossible que des e-piils qui étaient si fort
aigris les uns contre les autres pussent vivre
longtemps en bonne intelligence et dans une
parfaite union. Les différends qu ils avaient
toujours ensemble obligèrent ce pape à don-
ner d'autres bénéfices aux chanoines sécu-
liers, il y en cul même quelques-uns qui
furent faits éVéqtfes., et il n'en resta qu'un
avec quatre bénéficiées pour la garde des
reliques, auxquels on assigna un revenu
annuel.
Les choses ne demeurèrent pas longtemps
en cet état, car Nicolas V étant mort en libo,
et Alphonse lîorgia , Espagnol de nation, lui
ayant succédé sous le nom de Calixle III :
comme il était étranger, il voulut d'abord
s'attirer l'amitié des Romains en renvoyant
les Chanoines Réguliers dans leurs monas-
tères, il rétablit les chanoines séculiers et
cassa tout ce qu'Eugène IV avait fait.
Il semblait après tant de révolutions
qui étaient arrivées à ces Chanoines Régu-
liers, qu'ils ue devaient plus penser à rentrer
dans la possession de cette église : néanmoins,
l'an 146k, leurs espérances se renouvelèrent
lorsqu'ils virent qu'après la mort de ï ie il,
ORDRES RELIGIEUX. 710
qui avait succédé à Calixle III, les cardi-
naux avaient choisi lierre Barb'o pour sou-
verain pontife, qui pril le nom de Paul II. En
eiïel, comme il avait été l'un des commissai-
res nommés par Eugène IV pour faire la
visite de l'église de Latran, et qu'il avait été
témoin de la négligence des chanoines sécu-
liers pour le service divin, il rendit au com-
mencement de son pontifical cette église aux
Chanoines Réguliers, ordonnant à leur gé-
néral d'envoyer trente relig eux à Rome;
qui, y étant arrivés et croyant apparemment
qu'ils ne devaient plus sortir de l'église de
L ilran, voulurent que tout Rome fût témoin
de leur prise de possession; car ils y furent
en procession, accompagnés des principaux
officiers du pape et suivis d'une grande foule
de peuple, qui fut aussi témoin de leur sor-
tie sept ans après, lorsqu'ils y lurent con-
traints par la violence des chanoines sécu-
liers, qui, l'an 1471, immédiatement après
le décès de Paui 11, étant entrés par force
dans leur monastère avec un grand nombre
de gens armés, les en chassèrent pour la
dernière fois, pillèrent tous leurs nu utiles
et s'emparèrent de tous leurs papiers.
Ils présentèrent plusieurs requêtes à
Sixte IV, successeur de Paul II, pour avoir
justice de ces violences et être rétablis dans
Saint-Jean de Latran. Mais ce fut inutile-
ment, car le pape appréhendait lui-même
pour sa personne, après ce qui lui était ar-
rivé en allant prendre possession de cette
même église, qui esl le siège des papes
comme evêques de Rome, lorsqu'il fui en
danger de sa vie par les pierres dont il pensa
êire accablé par quelques Romains qui
claienl poursuivis par ses gardes achevai,
avec lesquels ils avaient pris querelle. Il se
contenta seulement de leur donner une bulle
au mois de mai 1V72 par laquelle il leur con-
firmait le titre de Chanoines Réguliers de
Saint-Sauveur de Latran, avec les privilè-
ges qui leur avaient été accordés par ses pré-
décesseurs lorsqu'ils é:aient en possession
de cette église, prétendant qu'ils en joui-
raient comme s'ils étaient encore du corps
de ce chapitre. Il leur en accorda une autre
en 1480 par laquelle il érigeait en abbaye
plusieurs monastères qui avaient perdu ce
litre lorsqu'ils embrassèrent ia réforme dont
nous avons parlé; et enlin, l'an 14-83, voyant
toute l'Iialie en paix, il lit bâtir au milieu de
Rome une église sous le nom de Notre-Dame
dé la Paix, suivant le vœu qu'il en avait fait.
Il y fit mettre une image de la sainte Vierge
qui avait rendu beaucoup de sang, ayant été
Ir ppéé de plusieurs coups de poignard par
un soldat impie qui avait perdu son argent
au jeu, el donna celle église à ces Chanoines
Réguliers, qui y sonl resiés jusqu'à présent;
Le cardinal Olivier Caralïe leur fit bâlir un
monastère el leur laissa par son testament
sa bibliothèque avec une maison de plaisance
hors de Rome.
Cette église de la Paix est présentement un
titre de cardinal, et Alexandre VII, l'ayant
fait réparer sous son poiviûcal, fit mettre sur
un des côtés de la laçade son portrait avec
747
I.AT
re verset du psaume 71 : Orielur in diebus
ejtts jiiKlitiaetabundiintia Pacis. Mais, comme
ce pape ne manquait pas d'ennemis, on lit
parler Pusquin, on ajout. i un M au commen-
cement et on changea le c de Paris en n :
de sorte qu'on lisait : Morietur in diebus ej us
justifia et abundantia partis.
A l'égard des chanoines séculiers, ils ont
toujours élédepuis ce temps-là paisibles pos-
sesseurs de la basilique de Saint-Jean de La-
tian, qui est depuis plusieurs siècles sous la
protection de nos rois, qui l'ont enrichie de
'plusieurs présenls ; et Henri IV, surpassant
' ses prédécesseurs, a donné l'ahhave de Clé-
rac en Languedoc à ces chanoines, qui, pour
témoigner leur reconnaissait e envers leur
bienfaiteur, lui ont érigé une magnifique
statue de bronze qui est sous le portique de
cette église, et tous le-,, ans le 13 décembre,
fête de sainte Luce, ils font chanter une messe
avec une superbe musique pour te roi et le
royaume de Fiance, à laquelle l'ambassa-
deur, les cardinaux et les prélats de cette
faction assistent.
Les Chanoines Réguliers n'ont pas laissé
néanmoins de faire encore quelques tenta-
tives pi'iir y rentrer, l'enol prétend que Pie IV
les voulait rétablir dans cette église, que
les bulles en avaient été dressées, mais que
la mort l'empêcha d'exécuter son dessein.
11 avait aussi érigé seiz*' de leurs prieurés
en abbayes, dont les lettres ne purent pas
être aussi expédiées avant sa mort, el elles
ne le furent que sous le pontifie it de Pie V,
son successeur. Ce fut aussi sous celui de
Pie IV, l'an 1964-, qu'ils gagnèrent le procès
qu'ils avaient avec les moines du Mont-Cas-
sin, dont nuis parlerons à l'article de ce
nom ; et en reconnaissance des bienfailj
qu'ils avaient reçus de ce pape, ils ordonnè-
rent dans un chapitre général que l'on fe-
rait tous les ans son anniversaire dans tous
les monastères de la congrégation.
Ces Chanoines Réguliers avaient autrefois
quarante-cinq abbayes, cinquante-six prieu-
rés, vingt-une prévôtés et deux archiprê-
trises, outre les monastères des Ch'ânoines-
ses qui leur élaient soumis. Ils sont sei-
gneurs des îles d • Tremili dans la mer Adriati-
que, et de- dépendances du royaume de Naples.
lis ont un beau monastère avec une église
dédiée à Notre-Dame, dans la principale de
ces îles, appelée Santa-Marii dt Tremili.
Plusieurs personnes y vont en dévotion à
cause des miracles fréquents qui s'y fonl. Il
n'y a aucun capitaine de vaisseau qui ose
passer devant sans saluer la Vierge de trois
coups de canon. Celte église et le monas-
tère ont de fort bonnes murailles et une
forme de forteresse. La seconde de ces îles
se nomme San-Domino, et la troisième Ca-
prara.
11 est sorti de cette congrégation quelques
cardinaux, el elle a fourni à l'Eglise des ar-
chevêques et des évèques. Barthélémy Co-
lomne, qui est reconnu pour lé Père et le
réformateur de cette congrégation, a acquis
par sa sainteté le titre de bienheureux, aussi
bien que Léon de Caralte et Marliu de Ber-
LAT 7ic
game, qui ont été du nombre des Chanoines
de cette reforme. Peuot fait encore mention
des bienheureux Théodore ne Plaisance,
Franciscain de Casai, Biaise de Vicenze ot
André de Novarre: il a fait le catalogue des
écrivains de cette congrégation, dont ou
pourrait retrancher sainlLéon l"pape, saint
Prosper d'Aquitaine, et quelques-autres qu'il
y a insérés comme ayant été. Chanoines Ué-
guliers de cette congrégation, à ce qu'il
prétend.
Mais si elle a eu l'avantage d'avoir pro-
duit un grand nombre de personnes illustres
par leur science et par leur piété, elle a eu
aussi le chagrin d'avoir nourri dans son sein
un des plus grands ennemis de l'Eglise,
Pierre Yermili, plus connu sous le nom de
Martyr, qu'il avait pris. Il excellait en esprit
et en science, et avait une éloquence natu-
relle qui le lit considérer comme le plus grand
prédicateur de son temps en Ilalie. Il fut fait
visiteur général de son ordre en 1554, et en-
suite prieùrde Lucques. Queiqu.' tempsaprès,
la lecture des livres de Zuin^le el de Bucer
commença à le pervertir, et, s'étant tout à
fait jeté dans le sentiment des protestants,
il pervertit aussi quatre religieux de su con-
grégation, savoir, Emman lel Tre nel, Fer-
rarais; Celse Mariiugot elPaul Lascio, tous
trois professeurs, le premier en langue hé-
braïque le second en langue grecque, le
troisième en langue latine; et le quatrième
fut Jérôme Lancius de Berganv- , qui le sui-
virent dans son apostasie, aussi bien que
Bernard Ochin, vicaire général des Capucins,
qui fut aussi perverti par cet impie.
FerrantePalaviciniélaitdela même congré-
gation et est recommand.ible dans l'histoire
par ses écrits et par sa fin tragique. Il publia
diverses pièces contre le saint-siège ei la mai-
son des Barbet ins, en faveur d'Odoart Far-
nèse, duc de Panne, son souverain, qui était
en guerre avec le pape Urbain VIII: ce qui
fit que ce pontife mil sa tété à trois mille
ducats. Il fut trahi par le fils d'un libraire de
Paris, qui se disait de ses amis, et qui, au lieu
de le conduire à Orange, où il voulait se re-
tirer, le fit passer sur le Pont de Sorgues
dans le Comté Venaissin, pour le faire tom-
ber entre les mains des ofiiciers de justice du
pipe, qui le conduisirent à Avignon, où ou
lui Ira icha la tête après quatorze mois de
prison, l'an 1644, n'étant que dans la viugt-
neuvième année de son âge. Celui qui l'avait
trahi reçut quelque temps après la récom-
pense de sa perfidie, ay int été tué par un des
amis de Palavicini, loisqu'il se croyait en sû-
reté dans P. iris.
Les Chanoines de celte congrégation de La-
Iran jeûnent pendant l'avent et tous les ven-
dredis de l'année, excepté dans le temps pas-
cal. Ils font abstinence tous les mercredis ;
et, depuis la fêté de l'Exaltation de la sainte
croix jusqu'à Pâques, ils jeûnent encore les
lundis, les mercredis et les samedis ; niais il
est permis au supérieur de donner quelque
chose le soiravec le pain et le viri. Us fonl un
quatrième vœu deue recevoiraucun bénéfice
sans la permission du chapitre général. Voici
m
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
7rï0
la formule deleursvœux : dn.no Domini N.,(Ue
N.,mensisN., EgodownusN.. in sœculo rnca-
tus N., (ilius Ar., voveo, confiteor il promilto
Deo.B. Maria- Virgini et R.Augustino, et tibi
Pairi domno N., abbati ( seu priori ) ejus mo-
tiasterii Sancli N., ordinis Canonicoritm R<-
gularium S. Augustin), congregationis Sal-
vatoris Lateranerrsis, recipienti nomme et vice
rei erevdissimi l'alris N. ejusdem cougrcga-
tionis abbtiiis generalis, or succcssorum (jus
canonice intrantium, obedientiam, castilalem,
et vivere in communi sine proprio, usque ad
mortem, secunditm régulant suncti Augustini,
el quod nunquam absque licentia capituli ge-
neralis dicta' congregationis, vel ejus aucto-
ritate fungrntis, aliquod cum cuva vel sine
cura beneficium acceptubo,intus vel extra or-
dinem nostrum,renuntiando omnibus juribus,
privilegiis et consuètudïnibus , vel quomodo-
libet competituris. Ego domnus N. sapradi-
C tus manu p< opria scripsi, et ore proprio pro-
nuntiavi. Leur habillement consiste en une
soutane de serge blanche, avec un rochet
fiar-dessus fort plissé, el un bonnet carré
orsqu'ils sont dans la maison ; ils ajoutent
un surplis par-dessus le rochet sans aumus-
ses lorsqu'ils vont au chreur tant l'éié que
l'hiver; et quand ils sortent, ils portent un
manteau noir à la manière des ecclésias-
tiques (1).
Ils ont pour a' mes d'azur à l'image de la
sainte Vierge tenant l'enfant Jésus entre ses
bias, ayantà sa droite saint Jean Pévarigé-
lisle, el à sa gauche saint Augustin, à ses
pieds un aigle de sable, et au-dessus de sa
télé la sainte face de Noire-Seigneur, l'écu
orné d'une milre il d'une crosse, dont se ser-
venl les abbés de celte congrégation, qui dans
les jours de cérémonie se revêlent d'habits
pontificaux.
Quelques auteurs ont avancé que les Cha-
noines Réguliers de l'abbaye de Saint-Michel
proche Pise, qui sont au<si de la congréga-
tion de La Ira u, étaient déchaussés depuis
l'an 1590, qu'ils inlroduisirenl une réforme
particulière dans celle abbaye; mais ils ont
été mal informés. 11 est vrai que dans une
calamité publique ces Chanoines firent une
procession où ils allèrent nu-pieds, et que
depuis re temps-là on les a appelés Sctilzi,
les Déchaussés; mais ils n'ont point pour
cela introduit d'aulre réforme dans celle
abbaye que celle des Chanoines de Lalran,
auxquels ils furent unis l'an 1463, et ils ont
les mêmes observances que les autres de la
congrégation de Latran.
Penot , Ilist. Tripart. Canonic. Regul.
lndulla et privileg. pontif. Canonicot
ejusdem Congreg. Ordinatiques el Constitut.
ejusd. Le Paige, Bibliofh. Prœmonsi. lib. i,
sea. 15. Tambur., Dejur. abu lom. 11, disp.
24, quœsl. 4. Emmanuel Hodrig., quœst. 3,
art. 13. Nicolao de S. Maria, Chronic. de
Ord. dos Conegos Regrantes. Joann. Baptist.
Sign. de Ord. ac statti canonico. Morigja,
Hist. de toutes les Relig. Sylvesl. MaruL,
Mar. Océan, di tutt. gl. Relig. Pietro Cre-
scenzi, Presidio Romano ; et Philipp. Rouan-
ni, Calalog. omnium Ordinum, part. i.
§ III. Des rnngregations de Sainte-Marie du
Port Adriatique, de Celle-Volane, de Mor-
taré, de Crescenzago et de Saint-Frigdien
de Lucques, unies à celle de Saint-Sauveur
de Latran,
Nous avons dit dans le paragraphe Ier que
les Chanoines de Sainte-Marie de Frisonaire
ayant été réformés, s'acquirent une si grande
eslime, que non-seulemenl on les appela en
plusieurs endroits pour y faire de nouveaux
établissements, mais que plusieurs anciens
monastères voulurent embrasser leur ré-
forme. Celui de Sainte-Marie au Port Adria-
tique fut de ce nombre ; il avait élé ainsi ap-
pelé à cause qu'il avait élé bâti sur le bord
de la mer Adriatique auprès de Ravcnne, et
que l'église avait été consacrée en l'honneur
de la sainte Vierge. Jérôme de Rubeis, dans
son Histoire de Ravenne (Lib. v, p. 263), dit
que Pierre de Honestis surnommé de Ra-
venne, lieu de sa naissance, en fut le fonda-
teur; que, se trouvant dans un naufrage et
près de périr, il fit voeu de faire bâtir une
église en l'honneur de la sainte Vierge, s'il
échappait de ce péril; et que ce fut pour
exécuter son vœu qu'il fit jeter les fonde-
ments de ce monastère, qui esl devenu dans
la suite chef d'une congrégation de Cha-
noines réguliers; car Pierre de Honeslis
ayant assemblé plusieurs clercs, avec les-
quels il vécut en commun dans ce monastère,
il leur prescrivit des règles ou constitutions
qui furent approuvées par le pape Pascal II.
Elles fuient trouvées si bonnes, que plu-
sieurs monastères qui s'établirent dans la
suite les voulurent observer, et quelques-
uns se soumirent à celui du Port Adriatique,
qu'ils reconnurent pour leur chef.
Quelques aulcurs ont voulu attribuer ces
constitutions au cardinal Pierre Dauiien;
mais Penot et d'aulres écrivains prouvent
que cet abbé du Porl était différent de Pierre
Damien cardinal, qui mourul en 1072 el s'ap-
pelait aussi de Honeslis. Ainsi il ne faut pas
ôter la gloire à Pierre de Honestis d'en
avoir été l'auteur, ce qui lui a fait donner le
litre de réformateur des ChanoinesRéguliers.
Ce saint homme, après avoir gouverné le
monastère du Porl pendant quelques années,
y mourut le 29 juillet 1119. Ce monastère fut
donné dans la suite en commende à Ange,
cardinal du litre rie Sainle-Polentienne, que
Cregoire XII priva de celle dignité pour ses
mauvaises mœurs. Il fut presque détruit et
ruiné, el ses biens vendus el dissipés, ce qui
fil que la congrégation de Sainte-Marie du
Port, qui consistait en huit couvents, se
voyant sans chef, se désunit.
Cependant Obizon Polentanr, seigneur de
Ravcnne, obligea ce cardinal de rtmellrc ce
monastère entre les mains du pape, qui ne
peut pas avoir élé Innocent VIII , comme
l'enoi a avancé, puisque ce pontife ne fut
élu une l'an 1484 ; mais ce fut ou le même
(1) Voy., à la fin du vol., n°» 174 el 175.
72J
LAT
Grégoire XM , ou Alexandre V, on Jean
XXIII, qui, sur la démission de ce cardinal,
donna le monastère du Porl à Pierre Mini de
Bagna-Cavallo, Chanoine ftégulb r, a lin qu'il
y i établit l'observance régulière, en conser-
vât les droits et pût rentrer dans les biens
qui avaient été usurpés. Mais il n'exécuta
pas ce qu'il avait promis au pape, et le nom-
bre des religieux de ce monastère ne consis-
tait que dans le seul prieur et son compa-
gnon, lorsque le même Opizon Polen'ani et
les bourgeois de Ravenne lui persuadèrent
de faire venir les Chanoines de Sainte-Marié
de Frisonaire , auxquels il céda ce monas-
tère l'an 1Ï20 ; ce qui fut confirmé la même
année par le pape Martin V, qui leur rendit
les monastères de Saint-Barthélémy près de
Mauloue , de Sainte Marguerite de Ferrare ,
de Sainte-Marie de la Slrndella proche de
Faenza, et de Saint-Auguslin de Forly, qui
avaient appartenu à la congrégation du Port.
Mais , l'an 14-32, la guerre que le p ipe Eu-
gène IV eut avec les Vénitiens, qui assié-
gèrent Ravenne, ayant obligé les Chanoines
Réguliers d'abandonner le monastère de
Sainle-Marie du Port, ce pontife le donna en
commende à son neveu Laurent, patriarche
d'Antioche, et les Chanoines Réguliers n'y
retournèrent qu'après la mort de ce prélat,
qui ne le posséda que pendant deux ans.
Comme ce monastère éiail seul en pleine
campagne, à trois milles deRavenne,et qu'il
avait été ruiné plusieurs fois par les guerres,
les Chanoines Réguliers le transférèrent dans
la ville l'an 1503. Le P. Syl\ain Moroceni,
qui en était prieur, fit jeter cette année les
fondements d'une magnifique église et d'un
monastère, qui ont été beaucoup enrichis
p;ir les libéralités et les aumônes des ci-
toyens de Ravenne. Le P. Philippe Bonamii,
dans son Catalogue des Ordres religieux, a
donné l'habil émeut d'un ancien Chanoine
de la congrégation du Port Adriatique, tel
qu'il est représenié dans quelques tableaux
à Ravenne, et que nous avons fait graver
aussi. Cet habillement consistait en une robe
blanche, un roche t, un manteau noir, et ils
avaient pour couvrir la lèteune aumusse de
serge grise (1).
La seconde congrégation qui fut unie à
celle de Sainle-Marie de Frisonaire était peu
considérable par rapport au petit nombre
i des monastères qu'elle a possédés, et on
I ignore même l'année de sa fondation. Elle
fut appelée de Saint-Jacques de Celle-Vo-
lane, à. cause de son premier monastère, qui
fut bâti sous le titre de Saint-Jacques dans
Un lieu appelé Celle-Volane, dont la situa-
tion , se trouvant au milieu d'un bois et en-
toure d'un marais qui rendait l'air trop mau-
vais, causait des maladies fréquentes aux
religieux, qui les obligèrent à l'abandonner.
Un saint homme nommé Biaise de Novelli y
était néanmoins resté en qualité de prieur ;
et, désirant y établir les observances régu-
lières, il ne trouva point d'auiie moyen que
de le céder aux Chanoines Réguliers de
(1) Voy., il la fin du vol., n* 176.
LAT 72Ss
Sainte-Marie de Frisonaire, ce qui se fil l'an
1424 ci fut confirme par le cardinal Gabriel
Gondelmarre, légal de Bologne.
Les Chanoines Frisonaires, ne pouvant
pas non plus y demeurer à cause du mau-
vais air, le transférèrent dans un des fau-
bourgs de Ferrare, avec ses revenus, dans
une maladrerie que Nicolas, due de Fer are,
leur donna, du consentement de Martin V. 11
fut ruiné l'an 1505 lorsqu'on voulut agran-
dir la ville et la fortifier, et on le transféra
encore dans la vil!e, où l'on bâtit une église
en l'honneur de saint Jean-Baptiste, qui fut
érigée en abbaye par Pie V l'an 1566. Eugène
IV, l'an ikkk ou 14V7, leur accorda aussi le
monastère de Sainl-Laurent à Bavenne, qui
avaitété aussi membre de cette congrégation,
et qui eut le même sort que son chef, ayant
été aussi abattu lorsqu'on fortifia celte ville.
Ces Chanoines de Celle-Volane avaient des
habillements différents pour la forme et la
couleur de ceux que portaient les Chanoines
de Frisonaire, comme il paraît par les lettres
d'union ; mais on ne trouve point quelle était
la couleur de cet habillement. 11 est sorti de
celle congrégation quelques evéques, comme
Biaise et l'ite Novelli, qui l'ont été d'Agria,
et Daniel d'Arnuli de Forli. Thomas et Bar-
thélémy Garzoni, frères, qui ont donné des
écrits au public, étaient de la même congré-
gation.
Les Chanoines de Sainte-Marie de Friso-
naire , ayant pris en 14i5 le titre de Cha-
noines Beguliers de Saint-Sauveur de La-
fran, c mine nous avons dit ailleurs, leur
congrégation se vit augmentée quelques an-
nées api es de celle de Morlare, qui y fut
unie. Elle avait pris le nom de son premier
monastère situé à Morlare, qui est un bourg
proche de Pavie. Ce lieu était autrefois très-
agréable à cause des bois et des forêts qui
l'environnaient el qui lui avaient fait donner
le nom de Belle-Forêt ; mais après que l'em-
pereur Charlemagne eut vaincu Didier, roi
des Lombards, qui perdit en ce. lieu et son
royaume et sa liberté, le nom de Morlare lui
est resté.
Un saint homme natif de ce lieu, qui était
fort riche, nommé Adam, à qui les histo-
riens donnent le litre de clerc, fit bâiir sur
ses terres, l'an 1180, une église magnifique
sous le nom de Sainte-Croix, qu'il donna d'a-
bord à des moines qui ne la possédèrent que
trois ans ; après lesquels les Chanoines Ré-
guliers l'occupèrent. Us furent gouvernés par
D. Gandulphede Garlasco, qui mourut quel-
que temps après et eut pour successeur dom
Ayralde, qui fut dans la suite archevêque de
Gènes. Ce fut sous son gouvernement que
celte congrégation s'augmenta, el elle devint
même si considérable qu'elle a possédé qua-
rante-deux monastères et plusieurs cures.
Les Rénédiclins avaient possédé l'église de
Saint-Pierre au Ciel d'Or de Pavie depuis le
commencement du viue siècle, que Luit-
prand, roi des Lombards, y avait fait mettre
le corps de saint Augustin, docteur de l'E-
713
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
721
glise. Mais, ayant eu besoin de réforme au
commencement du xnr siècle, le pape Ho-
norius III leur ôta celle église l'an 1222. Il
la donna aux Chanoines Réguliers de la con-
grégation de Morlare; et, à cause que le
corps de saint Augustin y reposait, il voulut
qu'à l'avenir ce monastère fût chef de leur
congrégation et qu'on y lînt les chapitres
généraux. Les Chanoines Réguliers qui
étaient restés à Mortare eurent de la pein;' à
consentir que le chef de leur congrégaiion
fût transféré au monastère de Saint-Pierre
au Ciel d'Or; ils prétendirent retenir ce droit
de supériorité après la mort du pape Hono-
rine. Mais Grégoire IX, l'an 1228, leur or-
donna d'obéir à l'abbé de Saint-Pierre au
Cie! d'Or comme à leur chef: et, sur les
plaintes que formaient toujours ceux de
Mortare, il ordonna, l'an 1238, que les cha-
pitres générant se tiendraient à l'alternative
à Morta:e <t à Pavie. Il y a cependant de
l'apparence que ceux de Mortare ne furent
pas encore satisfaits, et que dans la suite les
couvents qui dépendaient de la congrégation
de Mortare ne furent plus soumis à la juri-
diction de l'abbé de Saint-Pierre au Ciel
d'Or de Pavie, et reconnurent le monastère
de Mortare pour leur chef; car, quand les
Chanoines de Lalran en prirent possession
et qu'on leur eut accordé en 1451 tous les
monastères qui en dépendaient , celui de
Saint-Pierre au Ciel d'Or n'y fut point com-
pris, et ils n'en furent les maîtres que l'an
1583. y ayant été appelés pour le réformer
par le cardinal Itaphaê'l Riairc.
Le monastère de Mortare avait eu le même
sort que plusieurs autres qui étaient tombés
dans le relâchement, et les guerres qui trou-
blèrent le Milanais pendant plusieurs années
lui c. usèrent beaucoup de dommage, tant
dans le spirituel que dans le temporel. Vers
l'an 1Vi8, le P. Raphaël Salviali de Calabre,
de l'ordre de Saint-Dominique, par le moyen
de son frère, qui était secrétaire de Louis do
Saint-Séverin, seigneur de Morlare , obtint
du pape, à la recommandation de ce seigneur,
la prévôté de Morlare ; il prit l'habit de Cha-
noine Régulier, et, profitant du crédit de son
fière, il rentra dans la jouissance de plu-
sieurs blette rtûi avaient appartenu à ce
rftonastére e! qui avaient été usurpés par des
séculieis. Il fit ensuite assembler le chapitre
général à Torlone le 10 avril de la même an-
née, p >ur introduire quelque réforme dans
les monastères qui en dépendaient. Mais
Louis de Saint-Séverin étant mort sur ces
entrefaites, et François Sforzc s'élant em-
paré de Mortare par la force des armes, le P.
Salviati appréhenda pour sa propre per-
sonne ; voyanl que les habitants avaient
chassé son frère de leur ville, il se relira à
Gênes , dans le monastère de Saint-Théo-
dore, qui dépendait de celte congrégaiion.
Le désir qu'il avait de retourner dans son
pays et dans son premier ordre, joint à l'ap-
préhens'on qu'il avait que la prévôté de
Mortare ne tombât en commende, comme
c'était la coutume de ce lemps-là, fit qu'il
transigea avec les Chanoines Réguliers de
Latran, pour l'union du monastère de Mor-
tare à leur congrégation , moyennant une
pension annuelle de cent ducats, ce qui fut
approuvé par le pape Nicolas V, par ses let-
tres du 13 février H'i9. Ce pontife en donna
d'autres le 23 juillet 1451, par lesquelles il
leur accordait tous les monaslères qui dépen-
daient de celte congrégation, ce qui n'a pas
empêché qu'il n'y en ait eu quelques-uns
qui aient passé à quelques autres ordres.
Cette congrégation a fourni plusieurs per-
sonnes illustres par leur sainteté, leur nais-
sance et les dignités qu'elles ont occupées,
comme Guarin, évêque de Palestrine et car-
dinal ; Ayrald et Jacques, archevêques de
Gènes ; Rernard, évêque de Pavie; Obert de
Tortone , Radole de Plaisance, un autre
Obert de Bobio, et Albert, patriarche de
Jérusalem , législateur des Carmes. Penot
met encore un autre Albert, évêque de Ver-
ceil ; mais il peut s'être trompé : cet Albert
est sans doute le même que le patriarche de
Jérusalem, qui a été aussi évêque de Ver-
ceil après avoir été nommé à î'évêché de
JJobio, dont il ne prit pas possession, n'ayant
pas encore été sacré lorsqu'il fut élu pour
celui de Yerceil.
La congrégation de Crescenzago, ainsi ap-
pelée à cause de son premier monastère, situé
dans le beurg de ce nom, à trois milles de
Milan, a été autrefois < onsidérable. Ce mona-
stère fut bâti l'an 11V0, et l'église fut dédiée
sous le nom de la sainte Vierge. Le premier
prieur fut un noble Milanais nommé Otton
de Morbi, sous le gou\ernement duquel et de
ses successeurs la discipline régulière fut si
bien observée, que ce monastère devint chef
de plusieurs autres, qui se joignirent à lui
et formèrent une congrégation qui avait des
statuts qui lui étaient particuliers : les supé-
rieurs s'assemblaient tous les ans dans un
chapitre général qui se tenait au monastère
de Crescenzago, dont les revenus se mon-
taient à plus de quinze mille écus. Ce mona-
stère n'avait que le titre de prévôté, et le
cardinal de San Sévérino le possédait en
commende, lorsque l'an 1502 il transigea
avec les Chanoines de Lalran pour y intro-
duire leur réforme, n'y ayant pour lors qu'un
seul chanoine dans ce monastère. Mais il ne
leur abandonna pas les revenus, qu'il retint
pour lui et pour les prieurs cominenilataires
qui lui succéderaient, ce qu'avait fait aussi
trois ans auparavant Antoine de Slangi,
proionolaire apostolique , en leur celant
aussi lu monastère de Saint-Georges de Rri-
mate, qui avait élé membre de celte congré-
gation, dont il est sorti deux cardinaux, qui
sont Thomas et Albin de Milan, comme aussi
plusieurs évoques.
Enfin la congrégation de Saint-Frigdien de
Lucques, qui avait autrefois servi , sous le
pontificat d'Alexandre II, à réformer l'Iîglise
de Saint-Sauveur de Latran, eut besoin elle-
même de réforme dans le xvif siècle, et se
soumit à celle de Lalran. Elle avait pris le
nom de saint Frigdien, évoque de Lucques,
qui fitbâliren celle ville, l'an 5G6, une église
en l'honneur des saints diacres Etienne, Lau.
725
LAT
rent etVincent.il y mit des clercs avec lesquels
on prétend qu'il vécut en commun jusqu'à sa
mort; el ayant été enterré dans cett
les miracles continuels qui se firent à Bon
tombeau furent cause qu'un donna à cette
église le nom de son fondateur', qu'elle a re-
tenu jusqu'à présent. Mais la congrégation
dont elle a aussi porte le nom n'a commencé
que sous ie p niilicat d'Alexandre II ; car ce
pape, qui avait aussi élé évéqtie de Lacques,
cl qui e ijinaissait la piéle des Chanoines de
celte Eglise, en lit venir à Rome pour réfor-
mer l'Église de Latran et celle de Sainte-
Croix de Jérusalem. Celle de La Ira ta ne fut
p s un îles membres de celte congrégation ;
ce pontife voulut qu'elle fut immédiatement
soumise au saint— àege. Elle devint chef d'une
autre congrégation, qui fut éteinte lorsqu'on
les obligea à abandonner cette église, comme
nous avons dit dans le paragraphe 1". Ainsi
l'église de Sainte-Croix de Jérusalem à Rome
fut la première qi i fut unie à la congréga-
tion de Saint-Frigdien de Lucques, avec Iq
monastère de Sainte-Mari -la-Neuve , situé
aussi dans l'enceinte de Rome, et douze au-
tres monastères conventuels', sans compter
un très-grand nombre de prieurés e de cures.
Mais, l'an loOT, le prieur de Saint-Frigdien
de Lucques et ses religieux, voyant que leur
congrégation diminuait tous les j >urs cl que
la plupart de leurs monastères avaient é!é
donnés en commende, ils firent union avec
ceux de Saint-Sauveur de Lalran. et cédèrent
à celle congrégation le monastère de Saint--
Frigdien de Lucques avec les prieurés qui
en dépendaient, qui étaient au nombre de
dix , à condition que ceux de Latran qui
viendraient demeurer dans le monastère de
Lucques se conformeraient à eux pour l'ha-
billement, qui consistait en une chape noiro
avec le capuce par-dessus le surplis; que
l'ancien prieur de Saint-Frigdien conserve-
rail cette dignité pendant sa vie, et que celui
qui lui succéderait jouirait de ses mêmes
privilèges , qui consistaient enlre autres
choses à se servir d'ornements pontificaux
les fêtes solennelles et à quelques autres
conditions exprimées dans la bulle du pape
Léon X, qui confirma celte uni. m.
Le pape Lucius II avait été de cette con-
grégation. Ce fut lui qui ordonna qu'aucun
cardinal ne pourrait prétendre au titre de
l'église de Sa nie-Croix de Jérusalem , s'il
n'était du corps des Chanoines Réguliers de
la congrégation de Saint-Frigdien. Le pape
Innocent II avait aussi ordonné la même
chose à l'égard du titre de Sainte-Marie-la-
Neuve, ce qui lut confirmé par les papes Cé-
leslin 11, Eugène 111, Adrien IV et Alexan-
dre III ; et c'est peut-être ce qui a obligé les
papes qui leur ont succédé dans la suite
d'ôler ces deux églises aux Chanoines Régu-
liers. Elles sont présentement possédées par
les moines de Citeaux et du Munt-Oiivet.
Penot , Hist. Triparti Canonicor. Regul.;
Silvestr. Maurol., Mar. Océan, di tutt. gl.
Relig.; le Pai,;e, Biblioth. Prœmomt. lib.
i, sect. 15; Tanibur. , De Jur. Abbal. , tom.
Il, disput. i.
LAT «G
Not-i. Ici nous voyons les Chanoines do
Lalran appelés par le P. Hélyot Chanoines
de Saînl ! an eur de Lalran. Néanmoins,
dans le Ci a nai h officiel de Rom j
dn dernier s ècle. on trouve désignes d'abord :
les Chanoines Réguliers de Latran, à Sainte-
Marie de la Paix ; puis les Chanoines Régu-
liers de Saint-Sauveur, aux trois établisse-
ments suivants : Sainl-hcrre-ès-Eieps ;
s i ile-Agnès-nors-dr-s-Murs; Saint-Laurent?
hors-des-Murs. Dans le Ciara< actuel, ou ne
M'roqve point cette distinction, m is seulement
l'indication des Chanoines Réguliers. dcSaint-
Squveur de Latran, ayant , our ,ibbé gé-
néral le R. P. Alexandre Gozzi, et pour vice-
procureur général le P. Vincent Tizzani.
R-d-b.
LATUaN (Chanoines Régulikrs de) en Po-
logne et en Moravie.
Penot, parlant des Chanoines Réguliers de
Pologne, dit qu'il semble que du temps d6
Benoît X!l cet ordre était peu considéra-
ble en ce royaume , puisque par la bulle de
ce pape de l'an 1339 pour la réforraafion gé-
nérale des Chanoines Réguliers il s psi parlé
de toutes les provinces où il y avail des Cna-
noines Réguliers, et qu'il n'y csl fait men-
tion d'aucune province en Pologne. Le P. du
M ulinet dit au contraire , sur la relation du
P. Hyacinthe Libéri, prévôt di monastère du
Sainl-Sacremen! de Cracovie , que la pre-
mière abbaye fui fondée l'an ÏI70 au bourg
deTremesse, au diocèse de Gnesue, par Mie-
cislàs , roi de Pologne. Ainsi cet ordre y
serait au^si ancien que la religion chrétienne,
puisque Miecislàs fut le premier prince polo-
nais qui fut éclairé des lumières de la foi. Le
P. du Moulinet dit encore qu'il fit venir des
Chanoines Réguliers de Vérone en Italie;
mais il devait retrancher le mot de régulier
et ajouter seulement que ces chanoines vi-
vaient en commun , puisque l'on ne com-
mença à parler de- Chanoines Réguliers que
dans le xr siècle, etles Chanoines que le roi
Miecislàs fit venir de Vérone vivaient appa-
remment selon les règles qui avaient été
prescrites au concile d'Aix-la-Chapelle.
Ce qui est vrai, c'est qu'on ne sait pas le
temps que l'ordre canonique lut introduit en
Pologne ; mais il y est présentement floris-
sant. Il y a cinq sortes de Chanoines Régu-
lier-, sa^ir : de Latran, du Saint-Sépulcre,
des Prémonlrés, du Sainl-Fsprii in Sajcia et
de la Pénitence des Martyrs. Nous parlerons
des quatre derniers selon leur ordre alpha-
bétique, el nous traiterons dans cet anicle
des Chanoines de Lalran apiès avoir pyrié de
ceux d'Italie , suivant ce que nous nous
sommes proposé, de mettre de suite toutes
les congrégations qui portent le même nom
et qui suivent la même règle, ou qui out
rapport les unes avec les autres.
Les Chanoines de Lalran en Pologne sont
divisés en trois congrégations ou provinces.
La première et la plus ancienne est ceile de
Trzemeszno ou Tremesse au diocèse de
Gnesue. L'abbaye dont nous avons parlé ci-
dessus , et qui lui a donné son uom , en est
T27
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
728
chef. Elle csl très-noble et très-riche, mais
elle est en commende et a quelques monas-
tères qui en dépendent , aussi bien que quel-
ques cures. C'est dans cite abbaye que re-
pose le corps de saint Adalbert martyr, ar-
chevêque de Gnesne.
La seconde congrégation se nomme Czer-
kénène, au diocèse de Posnan , et non pas
Plozko, comme dit le P. du Moulinet; l'ab-
baye qui lui donne aussi son nom est pareil-
lement en commende, et élail possédée l'an
1704. par D. Nicolas Nyzyki , évéque de
Chi'lmno, Chanoine Régulier de la congréga-
tion deCracovie dont nous allons parler. Ce
prélat fut nommé à cet évêché et à celle ab-
baye par le roi de Pologne Jean Sobieski , et
celle abbaye a aussi quelques monastères
qui en dépendent.
La troisième congrégation est celle de Cra-
covie , qui reconnaît pour fondateur D. Mar-
tin Kloezynski, docteur en l'un et l'autre
droit , qui a élé prévôt de Cracovie et qui a
donné de gros biens à cette congrégation.
Elle est gouvernée par un prévôt claustral
qui prend la qualité de général des Chanoines
Réguliers dans le royaume de Pologne cl
dans le grand duché de Lilhuanie. Cette pré-
vôté ne cède point en dignité aux deux ab-
ri! t pendant ce temps à ses concitoyens au
milieu des nues. Les BB. Nicolas de Biecz,
Jean de Lesblin, Jean de Nissa, Kiienne Smo-
lenski et plusieurs autres , se sont aussi ren-
dus célèbres par leur sainteté. Enfin D. Jac-
ques Mrovinski , sous-diacre, et Jcan-Bip-
tisle Malonouski , prévôt de Kranistaw , ont
répanda leur sang pour la défende des biens
de ce monastère , le premier ayant été tué par
les Suédois , et l'autre par les Cosaques.
Il y a aussi eu dans cette congrég '.lion
plusieurs personnes qui se sont rendues re-
commandâmes par leur science, cl que leur
mérite a fait choisir par d'aulres monastères
qui n'étaient pas de la même congrégation ,
pour les gouverner , comme D. Nicolas Ny-
zyki , dont nous avons parlé ci-dessus, qui,
avant que d'avoir été nommé à l'évéché de
Chelmno, fut demandé pour prévôt par les Cha-
noines Réguliers de Mstiono, aussi bien que
D. André Strembosk. Ceux de la prévoie de
Slemberg en Moravie , dont le prévôt a droit
de se servir d'ornements pontificaux, appe-
lèrent D. Mathias Gaszynski pour remplir
celle dignilé; les Chanoines Réguliers de
Clodaviensko choisirent D. Martin Ciecierski
pour leur prévôt , et ceux de Louxbranic ,
D. Paul Nolenski. Enfin il y en a plusieurs
autres qui ont été considérés par leur insigne
bayes dont nous avons parlé , elle a même
plus de prérogatives , puisqu'elle conserve le piété jointe à leur noblesse, comme D. Jac-
droit d'élection que les autres ont perdu, qu< s Bleniski, D. Jean Chrysostome Korsale,
Cettecongrégalioii devrait plulôts'appeler de D. Derslas de Borznisko, chanoine et archi
Cazimir , puisque son principal monastère
est situé à Cazimir, qui est une des quatre
■villes qui divisent Cracovie , dont Cazimir
n'est séparée que par la Vislule. Ce monas-
tère fut fondé par le roi Ladislas II l'an 1402,
sous le titre du Saint-Sacrement. C'est pour-
quoi ces Chanoines ont pour armes un calice
surmonté d'une hostie. Il y a cinq autres
monastères en Pologne qui en dépendent , et
plusieurs dans la Lilhuanie, dont les princi-
paux sont celui de Vilna, qui est trèsmagni-
fique , et fut bâti par le grand général de
Lithuanie Michel Palz, et celui de Bichou par
Charles Kolievicz , qui était aussi grand gé-
néral du même duché.
Cette congrégation a produit beaucoup de
saints personnages. Celui qui tient le premier
rang est le B. Stanislas surnommé de Cazi-
mir, à cause du lieu de sa naissance. Il avait
été religieux du mona 1ère du Saint-Sacre-
ment de celte ville , où il mourut l'an 1489 ,
le 3 mai ; et depuis ce -temps-là , il y a tou-
jours eu une grande affluence de peuple à son
tombeau, où il se fait encore tous les jours
plusieurs miracles. Le corps du B. Adam
Sibonius , qui a élé autrefois prieur du
même monastère , repose aussi dans cette
église , où Oieu a fait connaître sa sainteté
par la vertu qu'il a accordée à ses saintes
reliques de chasser les démons des corps des
possédés. Les corps des BB. Nicolas Siekierki
et Gelasc Zoratiski se sont conservés jusqu'à
présent sans corruption. Le bienheureux
Nicolas de Radomsco délivra sa palne d'un
diacre de l'église cathédrale de Cracovie;
Martin Kloezynski, fondateur de celte con-
grégation, et 1). Hyacinthe Librorius, docteur
en l'un et l'autre droit , censeur des livres du
diocèse de Cracovie et prévôt du monastère
de la même ville.
L'habit de ces chanoines consiste en une
soutane blanche avec une espèce de rochet
sans manches , en forme de scapulaire des-
cendant jusque sur les reins , où il s'élargit
et entoure le corps. Par-dessus ce rochet ,
qu'on nomme sarracium , ils mettent un
mantelet noir descendant jusqu'aux genoux,
à la manière des prélats de Rome ; et dans
les fonctions publiques , à Cracovie , ils se
servent du surplis, qu'ils mettent par-dessus
le sarracium , avec une moselle ou camail
noir : en d'autres lieux, au lieu du surplis
ils mettent un rochet (1). Il se peut faire qu'ils
portaientauirefois une aumussesur les épau-
les , comme il paraît par la figure de l'h bil-
lement d'un de ces Chanoines qu'a donnée le
P. du Moulinet sur la relation , à ce qu'il
dit, des personnes qui ont voyagé en ce pays,
d'autant plus que Peuot dit que ceux du mo-
nastère du Saint-Sacrement à Cracovie por-
taient des surplis et des aumussus violelt' s ;
mais ils ont sans doule quitté cet hubil'.emeut
pour prendre celui dont nous avons donné la
description , conformément aux mémoires
qui nous ont été envoyés de Pologne datés du
17 août 1704 et attestés par le II. P. D. Agui-
liu Michel Gorezynski , docleur en théologie
et en droit canon , commi saire général des
iucendie qui la menaçait de ruine, et appa- Cbanoiues Réguliers dans la petite Pologne
(1) Voy., à la fui du vol., n° 177.
7i!)
LAT
L\T
730
el legrand-duché de Lilhuanie. On peut con-
sulter Penot , Hst. Tripart. Canonicor. lîr-
gu!., lib. ii , et du Moulinet, Habillement des
Chanoines Réguliers.
La congrégation de Tous les Saints d'Ol-
mulz en Moravie fut fondée au commence-
ment du xvi' siècle, el le monastère d'Ol-
mutz sous le tilrc de Tous les Saints, qui en
est le chef, fut fondé par les Chanoines Ré-
guliers sur les ruines de celui de Langstron,
qui avait été ravagé par les hérétiques peu
de temps avant nue le pape Alexandre VI
parvînt au souverain pontificat, l'an 1W-2.
Jean Sliakoka, quien fut le premier prévôt,
et les autres Chanoines, le firent bâtir à leurs
propres frais. Ce monastère étant t)âti, la pré-
vôté de Steinherg et quelques autres monas-
tères firent union ensemble el reconnurent
celui d'Olmulz pour leur chef, ce qui fut ap-
prou\é par le pape, qui accorda à ces Cha-
noines le litre de Chanoines Réguliers de La-
tran et l-^s privilèges dont jouissaient ceux
d'Italie. 11 les exempta de la juridiction des
ordinaires el les reçut sous la protection im-
médiate du saint-siège. Le roi Uladislas leur
accorda beaucoup de privilèges , el les mit
aussi sous sa protection l'an iolO. Le pré-
vôt d'Olmulz se s. rt d'habits pontificaux el a
voix el séance dans les Etats de Moravie.
Le prévôt de Slemberg a aussi l'usage de la
mitre el de la crosse. Mais il y a apparence
que celte congrégation ne subsiste plus,
puisque les Chanoines Réguliers de Slemberg
et de quelques autres monastères de la con-
grégation d'Olmulz ont eu recours plusieurs
lois aux Chanoines Réguliers de Pologne
pour les gouverner, et que l'évéque de
Chemno , qui vit ait encore l'an tTOi, a été
prévôt de Slemberg , quoiqu'il fût Chanoine
Régulier de la congrégation de Cracovic : le
prévôt du monastère d'Olmulz était autre-
lois général de la congrégation de ce nom
lorsqu'elle subsis ait.
Penot, Uist. Tripart. Canonic. llegul. lib.
Il, cap. kO el 06.
LATRAN (Chanoinesses Régulières , et en
PARTICULIER CELLES DE).
Avant que de parler des Chanoinesses Ré-
gulières de Latran, il e.4 à propos de rappor-
ter l'origine de toutes les Chanoinesses Ré-
gulières en général. Nous reconnaissons bien
que saint Augustin a élô l'instituteur des
Chanoines Réguliers , puisqu'il est le pre-
mier qui ail fait vivre les clercs en commun
selon la règle des canons et l'exemple des
apôtres; mais nous ne pouvons pas dire
qu'il ait établi des Chanoinesses telles que
nous en voyons à présent. Il est vrai que les
religieuses qu'il établit à Hippone peuvent
avoir été appelées Chanoinesses aussi bien
que celés qui étaient avant lui répandues
dans plusieurs provinces, tantehez les Grecs
que chez les Lutins ; mais les noms de Cha-
noines et de Chanoinesses , comme nous
avons dit en parlant de l'origine des Chanoi-
nes, étaient donnés indifféremment autrefois
aux ecclésius iques , aux moines , aux reli-
gieuses et aux vierges , aux plus bas officiers
de l'Eglise, aux domestiques des monastères,
el généra! menl à Ions ceux qui é aient cm-
pioyés dans la malr cule ou Catalogne, in ca-
ittitir. Le P. le Large , Chanoine Régulier de
la cqngrégalio de France, avoue que c'était
l'usage parmi les (ir^cs ; mais il soutient que
depuis le vi' s ècle il y a eu en Occident des
Chanoinesses qui ont été différentes des rnoi-
nesses, et il apporte pour preuve la fonda-
tion d'un monastère faite par saint Fri loin
dans 1 île de Seking surle Rhin, près de Itâle,
où il mit des Chanoinesses. Comme il ne
parle que sur le témoignage deBailer, moine
de Seking, qui n'a écrit que dans le %' siècle,
en partie sur ce qu'il se souvenait d'avoir
lu dans une Vie de ce saint, el eu p irlie sur
ce que l'on en savait à Seking par tradition,
celle preuve n'est pas suffisante.
Les Chanoinesses n'étaient point connues
au commencement du vin' siècle, puisque le
concile assemblé en Allemagne l'an 742 or-
donna que les religieux et les religieuses se
conformeraient à la règle de saint Benoît
pour la conduite de leurs mœurs et le gou-
vernement des monastères el des hôpitaux :
car dans ce temps-là il n'y avait aucun mo-
nastère, soit d'hommes, soit de filles, qui
n'eût un hôpital, ou pour y recevoir les pè-
lerins , ou pour y avoir soin des pauvres ma-
lades. Les décrets de ce concile furent confir-
més dans celui qui se tint à Lesliue l'année,
suivante 7i0. Le cinquième canon de celui
de Yerneuil , selon le P. Manillon il'om. 111
Annal. Bened., p. 117), et que d'autres nom-
ment de Vernon, tenu sous le roi Pépin l'an
753, ordonne que dans les monastères de l'un
et de l'autre sexe on vivra régulièrement se-
lon l'ordre, c'est-à-dire selon la règle de saint
Benoît, et je ne crois pas que les Chanoines-
ses voulussent appliquer pour elles ce que
dit le sixième canon du même concile, lors-
qu'il défend à une abbesse d'avoir deux mo-
nastères , et de sortir du sien à moins que ce
ne soit pour cause d'hostilité ou étant man-
dée par le roi , et que la môme défense do
sortir est pour les autres religieuses qu'il
appelle moinesses: Monachœ vero extra »io>
nasterium non exeant, puisque ce serait faire
une grosse injure aux Chanoiuesses Réguliè-
res de les appeler moinesses.
Elles ne trouveront pas qu'il soit parlé
d'elles dans le capitulaire que fit l'empereur
Charlemagne à Héristal l'an 779. Il y est seu-
lement ordonné (Capitul., tum. I, p. 193) que
les moines y vivront selon la règle, et les
religieuses selon le saint ordre , c'est-à-dire
la règle et l'ordre de Saint-Benoit ; qui' cha-
que abbesse demeurera dans son monastère,
et qu'elle n'en pourra avoir deux. A la fin du
capitulaire il y a une ordonnance p mr des
prières publiques et des aumônes à cause
de la sécheresse et de la famine de celle an-
née 779. Chaque évéque devaii chanter trois
messes et Mois psautiers , pour le roi , pnur
l'armée de France et pour la calamité p bli-
que ; les prêtres, trois messes; les moines,
les moinesses et les Chanoines, trois psau-
tiers ; et tous devaient jeûner trois jours d
suite. Chaque évêque, abbé ou abbesse, "
731
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
Vait aussi nourrir jusqu'au temps de la mois-
son quatre pauvres, ou au moins trois,
deux on un, selon ses facultés; et dans ce
capitulairc il n'est fait aucune mention des
Chanoinesses , parce qu'il n'y en avait point
dans ce temps-là.
Ce n'est qu'à la fin du même siècle
que l'on commence à découvrir quelques
vestiges de Chanoinesses ; car dans le canon
47 du concile de Francfort, tenu sous le
règne de Charlemagne, l'an 79i, il est porté
qu'à l'égard des abbesses qui ne vivraient
pas cariôniq'uement ou régulièrement, on en
donnerait avis au roi, afin qu'elles fussent
déposées. On trouve encore quelque trace
de Chanoinesses au commencement du ix*
siècle. Le môme empereur ayant convo jué
une assemblée de tous les ordres à Aix-la-
Chapelle l'an 802, les évêques et les abbés
s'y trouvèrent, et on les sépara en deux ban-
des, chacune dans un lieu différent. Les évê-
ques examinèrent en particulier si les clercs
vivaient selon tes canons, et, afin de les ra-
ment r à leur devoir, ils firent lire les dé-
crets des souverains pontifes. Les abbés de
leur côté se proposèrent la règle de saint
Benoît pour modèle, et examinèrent s'il y
a\ ail des abl;és, qui s'en éloignassent et vé-
cussent en Chanoines, et si dans les monastè-
res où on avait promis de la garder, elle
était obsenée; car il y avait déjà des mo-
nastères qui avaient secoué le joug de celte
sainte règle, et où l'on ne connaissait plus
ni cette règle, ni même les canons. Enfin on
examina aussi si dans les monastères de fil-
les on y observait la règle de saint Benoît,
ou si on y vi\ ail canoniquement, c'est-à-dire
à la manière des Chanoines, dont la plupart,
comme nous venons de dire, avaient quitté
la règle de saint Benoît, qui n'avaient que
le nom de Chanoines, et qui apparemment
avaient été imites par des religieuses, qui de
Bénédictines élaient devenues tout d'un coup
Chanoinesses , sans savoir à quoi elles
étaient engagées ni quelles étaient leurs ob-
servances. C'est pourquoi le concile de Clià-
lons-sur-Saône, l'an 81'i, se crut obligé de
prescrire des règlements à ces filles qui se
disaient Chanoinesses : iis sàriclimvnialibus
quœ se Canonicas vacant, ce qui l'ait voir que
le concile, en se servant de ces termes, re-
gardait eel institut comme une nouveauté,
qui ne s'était pas introduit dans les formes,
et que ces filles prenaient le nom de Chanoi-
nesses sans un pouvoir légitime. Ces règle-
ments regardent principalement la clôture,
le sibnee, la récitaiiou de l'office divin, et
la régularilé des abbesses , mais il r'ordonna
rien pour les autres religieuses, parce qu'el-
les trouvaient dans la règle de saint Benoît
toutes les pratiques saintes de la vie mo-
nastique. Ce concile avait été encore assem-
blé par les ordres de Charlemagne, qui dans
le même temps en fil tenir quatre autres, à
Mayence, à Reims, à Tours et à Arles, mais
il n'y a que ceiui de Mayence où il soit aussi
parlé de Chanoinesses ; car daus le canon
(1) Mabill., Annal. Bened., lom. II, pag. 450.
732
13e il ordonne que les religieuses qui fai-
saient profession de la règle de saint Benoit
vivraient régulièrement, el que celles qui n'en
faisaient pas profession vivraient canonique-
ment : Qua? vero professinnem sanctœ regulœ
J'enedicti fecerunt, régulai iter vivant; sin
autem, canonice vivnm pleniter.
Ce n'étaient pas les Chanoines qui pou-
vaient les instruire de leurs obligations,
eux qui n'avaient que le nom de Chanoines
et ne connaissaient nullement les canons; c'est
pourquoi l'empereur Louis le Débonnaire
ayant l'ait assembler le comité d'Aix-la-Cha-
pelle, l'an 81G, il y fit dresser par le diacre
Amalarius des règles pour ces Chanoines ot
Chanoinesses, afin de les ramènera une vie
réglée. On ne les connaissait point pour
enfants de saint Augustin ; car dans l'une
el l'autre de ces règles on ne fait point men-
tion de re sainl doeleur, au contraire celle'
des Chanoinesses est tirée des écrits de saint
Jérôme, de saint Cyprien, de saint Alhanase
et de saint Césaire, el il n'y est point parlé
de la règle que saint Augustin avait donnée
aux religieuses d'Hippoue, et qu'on ne pro-
posa point aux Chanoinesses. Comme par
celle que leur prescrivit ce concile d'Aix-la-
Chapelle on leur permettait de garder leur
bien, à la charge de passer procuration par
acte public à un parent ou à un ami pour
l'administrer et défendre leurs droits en ju-
stice, et qu'on leur permettait aussi d'avoir
des servantes, cet abus fut condamné dans le
concile de Rome où présidait le pape Nico-
las II, l'an 10G0, ce qui n'avait jamais élé
permis à aucune religieuse depuis le temps
de> apôtres jusqu'à Louis leDéhônnaire, qui
avait l'ait assembler ce concile d'Aix-1 i-Cha-
pelle.
Le concile de Rome (1) reconnaît que jus-
qu'à celte année 1000 l'institut de ces sor-
tes de Chanoinesses n'avait été reçu dans
aucun endroit de l'Asie, de l'Afrique et de
l'Europe, sinon dans un petit coin de l'Alle-
magne, et dit qu'il était certain qu'avant cet
empereur toutes les religieuses, en quelque
endroit qu'elles fussent, n'avaient point eu
d'autre règle que celle de saint Benoit. Il y
a eu toujours cependant des religieuses en
Asie qui ont suivi la règle de saint Basile. Il y
en avait même enOccident du temps de ce con-
cile, il y en a eu aussi qui ont suivi d'autres
règles; mais il est vrai que les monastères
qui faisaient profession de la règle de saint
Benoit étaient en plus grand nombre, et ap-
paremment que le concile prit la plus grande
partie des monastères pour le tout, parce
qu'en eiïet dans quelques provinces d'Italie
il n'y avait que des religieuses bénédictines,
et le concile qui s'était tenu à Pavie l'an 855,
sous l'empereur Louis, fils deLothaire, n'ad-
mit (tue deux règles, l'une de saint Benoit
pour les moines et moinesses , et l'autre des
canons pour les Chanoines , et ne parla
point des Chanoinesses, quoiqu'il y en eût
pour lors.
Penol prétend faire remonter l'antiquité
733
LAT
LAT
734
de ces Chanoinesses jusqu'au temps de la
primitive Eglise aussi bien que celle des
Chanoines Réguliers, et dil <|ue dès ce temps-
là, ou au moins du temps de sain Augustin,
les uns et les au res étaient distingués des
moines par leurs habits blancs, et apporte
pour garant de ce qu il avance la règle de ce
saint, qui ordonne à ses religieuses de faire
laver leurs habits par des foulons, ou de les
laver elles-mêmes. Mais celte preuve n'est pas
convaincante: car, outre que l'on porte aux
foulons toutes sortes de draps de quelque cou-
leur qu'ils soient, pour les laver et les rendre
plus fermes et plus unis, et que nous voyons
encore aijourd'hui des Chanoines Réguliers
et des Chanoinesses Régulières habillés de
différentes couleurs; c'est que les actes du
même conei e d'Aix-la-Chapelle de l'an 816
marquent précisément (Ca)i. 10) que les ha-
bits lies Chanoinesses étaient noirs. Les Bé-
nédictines des abbayes de Saint- Pierre de
Re ms, de Montmartre près de Paris, de
Xaintes, de la limité de Caen et quelques
autres, auraient pu à plus juste tilre se qua-
lifier Chanoinesses, si on avait égard à la
couleur et à la forme des habits, car elles
ont porté des habits blancs avec des surplis
jusqu'à ce qu'elles aient été réformées vers
le commencement du dernier siècle. Celtes
de Reims assistaient même aux processions
avec les Chanoines de la cathédrale, les Cha-
noines formant un rang et les r< ligieuses nu
autre; et sans rapporter un grand nombre
de religieuses bénédictines qui ont porté des
habits blancs, et même des habits noirs avec
des surplis, il y a encore l'ordre, de FonU-
vraull, où les religieuses sont habillées de
blanc avec des surplis ou des rochets, et
dans les congrégations du Monl-Olivet, du
Moul-Viei g.- ei dis Camaldules,quoiqu'aus<-i
sous la règle de saint Benoit les religieux
sont néanmoins habillés de blanc.
H parait donc par ce que nous avons dit
qu'on ne doit mettre rétablissement des Cha-
noinesses qu'à la lin du vin" siècle ou au
commenceme il du i\', et quoique les Cha-
noines aient pris le nom de Réguliers et la
qualité d'entants de saint Augustin vers la
tin du xr siècle, lorsqu'on les eut obligés à
la ilesap, roprialiun, il parait néanmoins que
ce n'. -I que vers le milieu du xir siècle que
les Chanoinesses furent so nuises à la règle,
de ce saint docteur de l'Eglise, puisque le
deuxième concile de Latran tenu sous le
pape Innocent 11, l'an 1139, défend (Caii.lti )
aux religieuses de demeurer dans des mai-
sons séparées, sous prétexte d'hospitalité,
cornue étan; contraire aux règles de saint
Basile, de saint Benoit et de saint Augustin ;
et le concile de Reims sous le pape Eu-
gène 111, l'an 1148, oblige les Chauoinesses
qui vivent sous la règle de saint Augustin
de renoncer a toute propriété. C'est à l'occa-
sion de ces deux conciles que le P.Thomas-
sin dit qu'il se peut faire que c'étaient les
mêmes Chauoinesses du concile d'Aix-la-
Chapelle, dont les dérèglements scandaleux
(1) loi/., à la fin du vol., nos 178 et 179.
obligèrent enfin les papes et les conciles de
leur prescrire une information qui en fil des-
Chanoinesses Régulières, elles obligeât à la
désappropriation.
Comme dans le même temps il se forma
des congrégations de Chanoines Réguliers
qui, pour se maintenir dans l'observance,
dressèrent des règlements et des constitu-
tions, il y a de l'apparence que quelques
Chanoinesses se soumirent à leur dire I ori
et embrassèrent les mêmes règlements. Les
Chanoines de la congrégation e Latran s'é-
taient imposé une loi de ne se point irtgi rer
dans le gouvernement des religieux s il de
n'en point prendre la conduite : ils ne pu-
rent néanmoins résister aux sollicitations
des souverains pontifes et des seigneurs qui
fondèrent des monastères de Chanoinesses.
11 y en a environ trente qui sont soumis à
des abbés de cette congrégation, dont la plu-
part sont considérables. Dans celui deSainte-
Mario de l'Etoile à Spoletle, il y a ordinaire-
ment cent religieuses. Le corps de la R.
Marine s'est conservé sans corruption dans
le monastère de Saint-Matthieu de la même
ville. Le corps de la bienheureu c Euphro-
sine est en vénération à Vicenze dans un
monastère de Chanoinesses. La Mère Bap-
tiste Venace, religieuse professe de celui de
Sainte-Marie des Grâces, a donné au public
plusieurs ouvrages de piété qui sont renfer-
més en quatre volumes imprimés à Venise
et à Vérone. Il y avait autrefois un plus
g and nombre de ces monastères qui dépen-
daient de cette congrégation, et que les Cha-
noines Réguliers ont abandonnés , tomme
celui du Saint-Esprit à Rome, qui est main-
tenant sous la protection des rois de France,
Il était soumis à l'abbé de Notre-Dame de la
Paix de la même ville, qui en remit la direc-
tion au cardinal vicaire l'an 1606. C. s Cha-
noinesses de Latran sont habillées de serge
blanche avec un rochet de tuile par-dessus
leur robe, et elles mettent encore un surplis
par-dessus le rochet quand elles assistent au
chœur (1). La congrégation de Wimleseim
en Flandre a aussi plusieurs monastères de
Chanoii. esses qui sont habillées de même. 11
v en a au*si en France qui ne sonl d'aucune
congrega'.ion, comme celles de Saint-Etienne
de Reims, de Notre-Dame de la Victoire à
Picpus près Paris, de Sainte-Périne de la
Villette et en plusieurs autres lieux, qui ont
le même habillement que celui des Chanoi-
nesses de Latran, aussi bien que celles
d'Espagne, et, s'il y a quelque différence, ce
n'est que dans les manches de la robe et du
rochet, qui sont ou plus larges ou plus
étroites, et la plupart de ces Chanoinesses
portent aussi dans les cérémonies et au
choeur pendant l'hiver un grand manteau
noir (-2). Eu Languedoc et en Guienne, il y a
des Chanoinesses qui sont habillées de noir
avec une bande ou banderole de toile blan-
che lar.-e de quatre doigts qu'el es niellent
en écharpe ou bandoulière, ce qui leli'f sert
aussi d'Iiabilleuieul de chœur; mais il v en a
(2) Voy., à la fin du vol., n' 180.
Ï55
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
730
quelques-unes qui mettent encore des sur-
plis par-dessus lorsqu'elles y vont. Enfin il
y en a beaucoup d'autres qui ont des habil-
lements différents, nous parlerons d'elles en
traitant des congrégations auxquelles elles
sont soumises ou auxquelles elles ont quel-
que rap' orl.
On n'est pas surpris de voir ces Chanoi-
nesses en roc h et et en surplis, et même avec
une bande ou banderole de toi!e, puisque,
comme nous avons dit en parlant des Cha-
noines Réguliers, ces rochcls, surplis et ban-
des étaient dans leur origine, et avant qu'on
les eût accourcis et élrécis , une aube qui
était commune à tout s sortes de personnes
de l'un et de l'autre sexe, même aux laï-
ques; mais on esi surpris de voir que quel-
ques Chanoinesses aient pris des aumusses,
puisqu'il n'y avait autrefois que les hommes
qui s'en servaient pour couvrir leurs têtes,
et que les religieuses ont eu toujours des
voiles pour cet usage. A la vérité ces sortes
de Chanoinesses avec des aumusses sont ra-
res. Les religieuses prémonlrées en portent
en quelques provinces, et on ne trouve que
lesChanoinesscs deChaillot près Paris (parmi
celles qui se disent purement et simplement
Chanoinesses) qui les aient imitées, à la dif-
férence que les aumusses des religieuses pré-
monlrées sont blanches, et que celles des
Chanoinesses de Chaillot sont noires, mou-
chetées de blanc (1). Elles s'établirent d'a-
bord à Nanterre en 104-7. Ce furent de.s reli-
gieuses de Saim-Etienne de Reims, d'où sont
aussi sorties celles de Picpus, qui firent cet
établissement ; mais les guerres civiles émnt
survenues peu de temps après, cette commu-
nauté naissanie fut obligée de s'approcher
plus près de Paris, et vint demeurer à Chail-
lot, qui est regardé comme un des faubourgs
de celle grande ville, et qu'on appelle en
effet le faubourg de la Conférence.
Nota. Au dernier siècle les Chanoinesses
de Latran avaient à Rome la Communauté
du Saint-Esprit. Elles existent encore, et
sont aujourd'hui, comme autrefois, sous la
direction d'ecclésiastiques séculiers.
B-D-E.
LAURENT D'OULX (Chanoines Réguliers
DE LA CONGRÉGATION DK SaINT-).
Le monastère de Saint-Laurent situé pro-
che d'Oulx, qui est un bourg du Dauphiné
dans le Briançonnais, et du diocèse de Turin,
a donné le nom à cette congrégation. Selon
l'ancienne tradition, on prétend qu'il a été
bâti avilit la naissance de saint Benoit et
qu'il fui habité dès ce temps-là par de saints
moines. Sa situation, qui se trouve au milieu
de plus eurs montagnes escarpées qui pa-
raissent inaccessibles , avait donné lieu à
pli si. urs fidèles de s'y réfugier pour éviter
la lureur des Vandales. Mais ces barbares,
après avoir ravagé I Italie, ne laissèrent pas
d'y passer et de faire mourir tous ceux qui
se trouvèrent sous 'leurs mains ; et, à cause
du grand nombre qui souffrirent le uiur-
(l) Foi/., à la fin du vol., n* 181.
tyre en cette occasion, l'église de. Saint-
Laurent lut surnommée, de la Populace des
Martyrs.
Depuis la retraite des Vandales, ce lieu
demeura inhabile pendant plusieurs siècles,
jusqu'à ee que Dieu inspira à un saint hom-
me nommé Gérard Charbn rius, natifd'Oulx,
de s'y retirer. Il bâtit, l'an 1050, une petite
cellule proche de cette église , et quelques-
uns l'ayant voulu suivre dans sa retraite, ils
résolurent d'embrasser l'ordre canonique.
Gérard fut à cet ellel trouver Cunibert, évé-
que de Turin, de qui il obtint la permission,
tant pour lui que pour ceux qu'il recevrait
dans sa communauté, de vivre selon cet ins-
titut.
Il paraît par un cartulaire de l'an 1057,
qui est dans les archives de Turin, et rap-
porté par Guichenon dans son Histoire de la
Généalogie de la maison de Savoie, qu'Odon,
comte de Savoie et de Maurienne, la com-
tesse Adélaïde sa femme et leurs enfants, fi-
rent donaiion à Gérard et à ses Chanoines
de ladite église de Saint-Laurent, de celle de
Saint-Just de Suze (que la comtesse Berlhe,
mère d'Adélaïde, avait commencé à faire bâ-
tir) ; de celle de Sézanne d'Oulx et de Selle-
bertrand, avec les décimes, les prémices et
les oblalions. Voici les termes de la fonda-
tion, qui prouvent que dans ces commence-
ments ils ne suivirent pas la règle de saint
Augustin, non plus que ceux de la cathé-
drale de Turin, de qui ils avaient pris la
manière de vivre. Hanc donationem jacimus
ad clericos qui in eodem loco vivunl régula-
riter, quorum nomina scripta videntur adesse :
nomina autemhœc sunt : Girardus et Uldari~
eus, Aicardus et Martinus et Lantelmus, e!c,
qui modo ibi sunt et fuluri erunt in eodem
loco , ut isti et tlli habeant potestalem le-
nendifhubendi et possidendi , secundum regu-
lam ceinonicam. Et celte règle était sans
doule celle qui avait été ordonnée dans le
concile d'Aix-la-Chapelle.
Cunibert, évèque de Turin , non-seule-
ment confirma celle donaiion l'an 1065, mais
il donna encore à ces Chanoines près de qua-
rante autres églises, dont la plus considéra-
ble fut celle de Sainte-Marie de Suze, dont la
juridiction comme épiscopale s'étendait dans
tout le marquisat de Suze. Cet évéque, pour
témoigner l'estime qu'il faisait de celle con-
grégation , lui donna encore un canonicat
dans sa cathédrale de Turin, voulut que le
prévôt d'Oulx en fût toujours pourvu, et en-
fin que l'église de Saint-Laurent de la Popu~
lace des Martyrs, chefde celle congrégation,
fût exemple de la juridiction des évêques
de Turin tant qu'il y aurait des Chanoines
qui y demeureraient et v vivraient régulière-
ment.
La comtesse Adélaïde de Suze et la com-
tesse Agnès sa bru donnèrent aussi à ces
Chanoines, l'an 1083, une aulre église avec
tous les revenus qui en dépendaient ; le
comte Ame ou Améilée imita la piéle de son
«ère; l'an 1107, Humberl 111 prit l'église de
an
LAU
Saint-Laurent snus sa protection , et donna
encore à ces Chanoines en 1170 un hôpital
et une église avec les revenus qui y él;iient
annexés. Les souverains pontifes n'ont pas
moins favorisé celle congrégation, qui a
reçu beaucoup de privilèges des papes
Alexandre 11 el III, Urbain 11, Eugène III,
Adrien IV el Lucins III. Il y avait environ
trente prieurés qui en dépendaient , dont
quelques-uns sont possèdes présentement
par les Chanoines Réguliers de la congréga-
tion de Latran ; et celui de Saint-Laurent,
qui en était le chef, sul>si>te encore sous le
titre de prévôté. Le prévôt exerce une juri-
diction spirituelle dans l'étendue de sa pré-
vôté. Il ne reconnait que le pape, dont il re-
lève immédiatement. Il confère les bénéfices
et fait toutes les fonctions qui ne sont point
attachées au caractère épiscopal. L'habille-
ment de ces Chanoines ne diffère de celui
des ecclésiastiques que par un petit sca-
pulaire de lin de la largeur de deux doigts,
qu'ils mettent sur leur soutane. Au chœur
ils portent pendant l'été un surplis, el l'hi-
ver un rocbel avec un camail noir par-des-
sus (1).
Quanl à Gérard Charbrérius, fondateur de
celle congrégation, il fut peu de temps après
élu évéque de Sisleron dans un synode de
plusieurs évèques assemblé- à Avignon par
Hugues, légal du pape Nicolas IL 11 y avait
près de dix-sept ans que ce siège élail va-
cant. Rambaud, qui était un seigneur très-
riche et parent des comies de Forcalquier,
ayant acheté cet évéché pour son fils, qui
élait encore jeune, en avait dissipé les n ve-
nus, et même avait vendu tout ce qu'il avait
pu; de sorte qu'il ne restait pas seulement
un lieu qui appartînt à l'é\êque et où il pût
demeurer une nuit, selon ce que diienl les
anciennes chartes de celle église : ce qui
fit que le fils de Rambaud, élant devenu
grand, trouva encore des simoniaques qui
lui vendirent l'évèché de Vaison, dont il prit
possession l'an 10C0. C'est ce qui donna aussi
lieu à l'assemblée de ces évèques à Avignon,
où Gérard fut élu évéque de Sisteron. Son
humilité l'empêcha d'abord d'accepter celle
dignité; mais le légat l'ayant envoyé au pape
avec des temoignagnes de sa probité, il en
reçut un accueil favorable, el ce pontife,
l'ayant obligé de consentir à son élection, il
le sacra lui-même.
Etant de retour en France , il trouva son
église tellement ruinée, qu'il n'y avait pas
un hospice où il pût se retirer ; et, outre les
maux que Rambaud lui avait causes, Pierre
Roslan el Pouce, frères et seigneurs de Sisie-
ron, avaient usurpé la plus grande partie des
biens de celle église; mais il sut si bien leur
représenter le crime qu'ils commettaient eu
retenant ainsi les biens d'église, qu'ils re-
connurent leur faute el restituèrent tout ce
qu'ils avaient pris. L'église de Forcalquier
avait élé réunie à celle de Sisleron; niais
Gérard les sépara, transféra son siège à For-
LAZ 738
calquicr avec tous 1rs honneurs dont ce!lo
de Sisleron avait toujours joui, el autant
qu'il fit de bien à celle de Forcalquier, au-
tant fit-il de mal à celle de Sisteron , disent
aussi ces anciennes chartes. Après sa mort,
ses successeurs rapponèrenl le siège épisco-
pal à Sisteron. et depuis ce temps-là l'église
colégialede Forcalquier a élé concathédralc
avec celle de Sisteron.
Penot , llist. triparl. Canonicor. Regul.
lib. il, cap. 33. Sammarth., Gall. Christ,
tom. 11. Guicbenon, Hist. Généalng. de la
maison de Savoie ad calcem , pag. 2 , 20
et i2. Le Large, de Ord. Canonic. disqu.,
pag. 340;
LAZARE (Chf.valiers de Saint-). Voy.
MONSr-C ARMEL.
LAZARE DE JÉRUSALEM (chevaliers
HOSPITALIERS DE SaINT-).
Quoique l'ordre militaire de Saint-Lazare
ait été soumis à la règle de saint Augustin et
qu'il soil encore soumis en Savoie à celle de
saint Benoît, néanmoins, comme il y a plu-
sieurs historiens qui rapportent son origine
à sainl Basile, dont les chevaliers de cet or-
dre (à ce qu'ils prétendent) onl suivi la règle
pendant plusieurs siècles , nous ne pouvons
pas nous empêcher d'en pirleren cet en-
droit, en attendant que nous en parlions ena
core en traitant de l'origine des oidres mili-
taires de Notre-Dame du Mont-Carmel et de
Saint-Maurice, auxquels il a été uni dans la
suite. Mais, si nous en parlons présente-
ment, ce ne sera pas pour lui accorder une
origine si éloignée, que de Belloy a rendue
encore pins chimérique a\ la faisant remon-
ter jusqu'à l'an 72 île Jésus-Chrisl , ajou-
tant que ret ordre avait d'abord été insti-
tué pour la défense des ch : étions persécu-
tés après la mort de Jésus-Christ, par les
scribes, les pharisiens, les saducéens et les
Romains (2).
Il est certain que saint Basile fit bâtir un
hôpital magnifique dans l'un des faubourgs
de Césarée, qui peut avoir été commencé
vers l'an 370 ou 371 , et que saint Grégoire
de Nazianze, après en avoir fait la descrip-
tion [Orat. 20), compare à une ville. Quoi-
qu'on y reçût indifféremment toutes sortes
de personnes à qui la faiblesse el les incom-
modités rendaient nécessaire le secours des
autres, et qu'il servit même pour recevoir
les étrangers qui passaient par Cèsarée, il
n'y a pas de doute néanmoins qu'il ne fut
spécialement établi pour y recevoir les lé-
preux, puisque le même sa.nl Grégoire do
Nazianze dii aussi que l'on ne voyait plus
dans Césarée ce triste et misérable spectacle
des lépreux, qui avaient été interdits de la
conversation de leurs proches et du com-
merce de tous les hommes , et dont l'abord
causait auparavant plus d'horreur que de
pitié.
C'est ce qui est confirmé par Théodoret
(Lib. iv, cap. 16), qui remarque que sainl
(1) Voy., à la lin du vol., n* 182.
(2) De Belloy, de l'origine de Chevalerie, eliap. 9, pag. 126.
730
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
740
liasile prenait d'eux un soin tout particulier,
et que l'empereur Valens , tout arien qu'il
était, donna aux pauvres lépreux dont ce
saint avait soin les plus belles terres qu'il
eût en ces quartiers. Ceux qui prétendent
que l'ordre de Saint-Lazare tire son origine
(le cet hôpital disent que le zélé de saint Ba-
sile fut imité par plusieurs villes, qui à son
exemple i âtirent aussi des hôpitaux; et que,
comme les lépreux étaient fort communs eu
ce l'emps-Jà el pouvaient communiquer leur
mala 'ie par la fréquentation, les hôpitaux
qu'on leur deslina furent nommés léprose-
ries et maladreries sous le litre de Saint-
Lazare , et que ceux qui eurent soin de
ces hôpitaux embrassèrent la règle de
sainl liasile et formèrent un institut diffé-
rent de sou ordre sous le nom de Saint-La-
zare , qui fut approuve par le pape saint
Damase.
M. Maimbnurg, dans son Histoire des Croi-
sades (Liv. nt, pag. 254), confond les che-
valiers de Saiut-Lazare avec ceux de Saint-
Jean de Jérusalem appelés communément de
Malte; ou du moins il semble insinuer que
Ci ux-ci ont pris leur origine des chevaliers
de Saint-Lazare, car il dit que les chevaliers
de Saint-Lazare sont les plus anciens hospi-
taliers qui s'établirent à Jérusalem ; que
lorsque les princes chrétiens conquirent la
terre sainte, il y avait à Jérusalem des hos-
pitaliers dont les uns recevaient les pèlerins,
et les autres avaient soin des malades, et par-
ticulièrement des lépreux ; que ceux qui re-
cevaient les pèlerins n'ont commencé que
longtemps après les hospitaliers île Saint-.Lâr
2are; que ce qui y donna lieu Eut qui; Certains
marchands d'Amalphi, au royaume de Na-
ples, qui trafiquaient dans la Syrie, ayant ob-
tenu d'un calife d'Egypte la permission de bâ-
tir un monastère proche le saint sépulcre, ils
y ajoutèrent un hôpital avec un oratoire dé-
dié en l'honneur ue saint Jean l'Aumônier
pour y recevoir les pèlerins et les pauvres
malades, et qu'alors i! s'y fit une commu-
nauté qui, outre ceux qui s'employaient au-
paravant à traiter les malades el les lépreux,
comprenait aussi ceux qui étaient destinés
parlicul èiemenl au service des pèlerins, et
que les uns i ( les autres s'appelaient indiffé-
remment hospitaliers. Il ajoute qu'ils vé-
curen! lougt mps dans cet exercice de cha-
rité sous un supérieur que l'on appelait
maître de I hôpital, jusqu'à ce qu'après la
conqué'e de la Palestine par les princes
croises, ils prirent les armes, non-seulement
pour la défense des pauvres pèlerins, mais
aussi pour servir les rois de Jérusalem, aux-
quels ils fuient d'un grand secours dans tou-
tes les guerres. Pour lors, dit-il, ils partagè-
rent leur communauté en trois étals diffé-
rents, dont le premier fut celui des cheva-
liers, qui allaient à la guerre; le second des
frères servants, qui avaient soin des malades
et des pèlerins, el le troisième était celui des
ecclésiastiques' et des chapelains, qui leur
administraient les sacrements; el celle com-
pagnie fut érigée eu ordre utilitaire, que ie
pape Pascal 11 continua.
Il parle ensuite de l'institution des autres
ordres militaires du Saint-Sépulcre, des Tem-
pliers et de Notre-Dame des Allemands ouTeu-
lonique; el, revenant à celui deSaii.t-Lazare,
il dit : Mais, pendant que ces ordre» militaires
commençaient ainsi presquen même temps à
s'établir peu ù peu dans Jérusalem , celai des
hospitaliers. nci(ns el modernes, que l'on peut
direaioir été le modèle des autres, luisait île
grands progrès dans la Palestine et s'aHirait
beaucoup de considération par les grands ser-
vices qu'il rendait en paix et en guerre. C'est
pourquoi le nombre des pèlerins aussi bien que
erlui des soldats et des gentilshommes qui en-
trèrent dans cet ordre, croissant tous les jours,
le B. Géiard Tung, Provençal de l'île de Mar-
tigues, qui était maître des hospitaliers lors-
que Jérusalem fut prise sur tes Sarrasins, bâ-
tit, environ l'an 1112, un troisième héritai
sous le nom de Suint-Jenn-Baptiste, et y lo-
gea ses nouveaux chevaliers , qui commencè-
rent peu de temps après à former le dessein de
suivre une conduite et une forme de vie plus
sévères encore et plus parfaites que celles de
leurs anciens confrères. En effet, comme après
la mort de Gérard on élut à la pluralité des
voix frère Boyant Roger pour grand maître
dis hospitaliers, les nouveaux chevaliers de ce
troisième hôpital de Suint-Jean- Baptiste, per-
sistant dans leur première résolution de me-
n r une lie plus parfaite et d'ajouter, comme
les chevaliers du Temple, à leurs autres vœux
celui de chasteté, se séparèrent de* anciens
hospitaliers et choisirent pour leur chef frère
Raymond du Puy, gentilhomme de Dauphiné...
Quant aux anciens chevaliers qui furent ainsi
séparés des nouveaux, avec lesquels ils ne fai-
saient auparavant qu'un seul ordre sous un
même grand maître, ils retinrent leur ancien
nom de Saint- Lazeire.
Il parait par ce discours de M. Maimbourg
que l'hôpital de Saint-Jean-Ba;;tiste était dif-
férent de celui de Saint-Jcan-PAumônier, qui
avait été bâti proche le monastère que ces
marchands d'Amalphi avaient fait construire
aux environs du sainl sépulcre , et que l'on
nommait de Sainte-Marie de la Latine. Ce-
pendant Guillaume de Tyr, auquel on doit
ajouter foi, témoigne que de son temps et
lorsqu'il écrivait son Histoire ( Lib. xvuï,
c. 5 et G), en 1183, ce monastère s'appelait
encore de la Latine: Et quoniam viri Lulini
erant quilocum fundaverant el qui religionem
conservabanl, ideirco ab ca die usque in pres-
sens locus ille monasterium de Latin i dicitar.
H ne distingue point l'hôpital de Saint-Jeau-
l'Aumônier d'avec celui de Saiul-Jean-Bap -
tiste, que M. Maimbourg dit que le B. Gérard
fil bâtir ; il ne parle que d'un seul, dont l'é-
glise avait été dédiée à saint Jean l'Aumô-
nier: Ercxerunl eliatn in eodem loco altare
in honore B. Joannis Eleemos. C'est dans cet
hôpital qu'il dit que le B. Gérard mourut
après y avoir servi les pauvres pendant un
temps considérable sous les' ordres de .'abba
et des religieux du monastère de la Latine,
et que Raymond lui succéda : El in xenodo-
cliio similtlcr reperlus est quidam Gerardus,
vir probatœ conversationis, qui pauperibus in
741
LAZ
LA 2
7*2
eodcin loco tempnre hostilitalis de mandat o
aiibatis <t ntonaoAvTunii multo t empore devotp
tttmebat s nit postea successit Haymundus
iste de (juo no bis urtno in prœsenti. Il se
plaint ensuite que ce Raymond el ses hovpi-
laliers, qui n'avaient eu que de faibles com-
mencements, se voyant extrêmement riches,
s'étaient d'abord soustraits à la juridiction
de l'abbé du monastère de la Lat ne, et avaient
obtenu des bulles du pape , qui les exemp-
taient aussi de celle du patriarche de Jéru-
salem : Sic erijo de tam modico incrcinen/iim
Itabentes prœ iicl/r domas fratres, pria? a ju-
risdiclione se subtraaerunt abhatis ; deinde
muliijilicalis in iinmensttm divitiis. per Ecclc-
siam Romanama manu et poteslaie domini pa-
triarchœ sunt émancipait. Ce n'est unique-
ment que des chevaliers de Saint- Jean de Jé-
r:ia ilem dont cet auteur parle ; d'où l'on doit
conclure que c'est sans aucun iondement que
M. Maimbourg, qui cite même Guillaume de
Tyr, a avancé que les chevaliers de Saint-
Jean de Jérusalem et ceux de Sainl-Lazare
avaient été unis et n'avaient fait pendant un
temps qu'un même orJre.
il est vrai que le grand maître Raymond
du Puy, de l'ordre dé Saint-Jean de Jérusa-
lem, changea le tiire de son hôpital qui avait
été dédié a saint Jean l'Aumônier , ta celui
de saint Jea:. -Baptiste, qu'il prit pour protec-
teur de son ordre, ayant voulu imiter la pé-
nitence de ce précurseur du Sauveur du
monde, et l'ayant proposé pour modèle à ces
chevaliers. C'est peut-être ce qui a donné
lieu à M. Maimbourg de croire qu'il avait
bâti à Jérusalem un troisième hôpital sous ce
nom, comptant apparemment pour le pre-
mier de ceux qui étaient en celle ville celui
de S lint-Jean-l'Aumônier proche le monas-
tère de Sainte- Marie de la Latine, et pour le
second celui que les Allemands avaient fait
bâtir sous le litre de Notre-Dame des Alle-
mands ou des Tentons,,
Quant à ce frère Boyant Roger, que le
même auteur dit qu'on élut à la pluralité
des voix pour grand maître des hospitaliers
après la mon du IL Gérard, je ne sais si les
chevaliers de Saint-Lazare le mettent au
nombre de leurs grands maîtres ; mais, quoi-
que Bosio, dans son Histoire de l'Ordre des
Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ait
dit que ce frère Boyant Roger fut élu pour
grand maître de cet ordre après la mort du
B. Géiard, il ne se trouve pas néanmoins au
nombre des grands maîtres dont le comman-
deur Naberat nous a donné un abrégé des
Vies dans les privilèges de cet ordre qu'il a
recueillis. Le commandeur Maruli , dans ies
Aies des mêmes grands maîtres (1), mais
plus amples que celles que Naberat avait
données, n'y met point aussi ce Boyant Ro-
ger. Il avoue bien qu'il en est fait mention
dans une donation de l'an 1120, que lit à
l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem Otlon,
comte d'Abruzze , où il déclare avoir fait ce
Roger gouverneur de l'hôpital de Saint-Jean
de Jérusalem ; mais le commandeur Maruli
prétend que l'on ne doit pas conclure de là
que ce Roger hit été recteur où préfet de l'hô-
pital, qui sont des titres qui ne conviennent
qu'à un supérieur, et non pas celui de g u-
V . rneur, et qu'il se peut faire qu'il ait été
établi gouverneur du l'hôpital en l'absence
de Itayinond du Puy, qui succéda a Gérard,
il 'aula.it plus qu'il n'y a aucun lilre dans la
chancellerie de l'ordre où il soit parlé de ce
Roger en qualité de supérieur ou de maître.
D'ailleurs, s'il é ait vrai qui; \es cb valers
de Saint-Jean de Jérus ileiu et de Sainl-La-
zare ne se L.s^ent séparés qu'après l'élection
de ce frère Boyant Roger, il s 'ensuivrai, que
cette séparation n'aurait clé fa te qu'après
l'an 1120, puisqu'il es! fait mention de ce Ro-
ger en qualité de gouve: neur de l'hôpital de
Saint-Jean de Jérusalem dans la donation
du comte d'Abruzze dont non? avons parlé,
ce qui est contraire aux prétentions de M. de
Guéuég ud , ci-devant chancelier de l'ordre
de Saint-Lazare, qui, dans un de ses fac ums
contre M. le marquis de Dangeau, grand
maître de cet ordre, s'est déjà déclaré en fa-
veur de l'union des deux ordres de Saint-Jean
et de Saint-Lazare de Jérusalem, et ilit qu'ils
fuient séparés dans le xr siècle. Peut-être
que AL de Guénégaud, dans l'Histoire de son
ordre, et qui n'a rien épargné pour recou-
vrer les titres de cet ordre, a apporté des té-
moignages plus convaincants que eus que
M. Ai a im bourg a donnés, pour prouver l'uni >n
de ces deux ordres de Saint-Jean et de Sainl-
Lazare de Jérusalem.
Ce que l'on peut dire de plus certain tou-
chant les chevaliers de Saint-Lazare, c'est
qu'ils ont commencé d'abord par exercer la
charité envers ies pauvres lépreux dans des
hôpitaux destinés pour les recevoir ; qu'ils
prenaient le nom d'hospitaliers , et que dans
la suite, à l'exemple des autres hospitaliers,
il y en eut une partie qui pri t les arme pour
le service des princes chrétiens qui conqui-
rent la terre sainte , sans abandonner pour
cela l'hospitalité ; ce qui ne peut être arrivé
que dans le xn siècle.
Ils recevaient même dans leur ordre des
lépreux, apparemment pour avoir soin des
autres lépreux, qui se reliraient volontaire-
ment dans leurs hôpitaux, ou que l'on obli-
geait par force d'y entrer; et ce qui est re-
marquable, c'est qu'ils ne pouvaient élire
pour grand maître qu'un chevalier lépreux
de l'hôpital de Jérusalem, ce quia duré jus-
que sous le pontificat d'Innocent IV, c'est-à-
dire vers l'an 1233, qu'ayant élé obligés d'a-
bandonner la Syrie, ils s'adressèrent à ce
pontife et lui remontrèrent qu'ayant toujours
élu pour leur grand maître depuis leur insti-
tution un chevalier lépreux, ils se trou-
vaient dans l'impossibilité d'en élire un,
parce que les inhdôles avaient tué tous les
chevaliers lépreux de leur hôpital de Jérusa-
lem. C'est pourquoi ils prièrent ce pontife
de leur permettre d'élire à l'avenir pour
grand maître un chevalier qui ne fût pas at-
taqué du mal de lèpre et qui fût en bonne
(1) Geroniru. Maruli. Vil. He Grand. Maett. di Mattu.
745
DICTIONNAIUK DES ORDRES RELIGIEUX.
7U
santé, et le pape les renvoya à l'évêque de
Frascali, pour qu'il leur accordai celle per-
mission après avoir examiné si cela se pou-
vait faire selon Dieu. C'est ce qui est rap-
porié par le pape Pie IV dans sa bulle de
l'an 15(55, si étendue et si favorable à l'ordre
de Saint-Lazare, par laquelle il renouvelle
lous les privilèges et toutes les grâces que
ses prédécesseurs lui ont accordés et lui en
donne de nouveaux. Voici comme il parle
de l'élection que les cbevaliers de cet ordre
devaient faire d'un grand maître lépreux (1) :
Et Jnnucentius IV, per eum accepto quoi! li-
cet de anliqua, «pprobata et eatenui pacifiée
observatn consueludine obtentum esset ut tui-
les leprosus douais Sancti Lazari llierosohj-
mitani in ejus magistium assumeretur : ve-
rum quia (ère ownes milites leprosi dictœ do-
rmis ab inimicis fidei miserabiliter inte> fecti
fueranl, et hujusmodi cnnsueludo nequibat
commode obserrari , idcirco tune episcopo
Tusculnno per qwisdam commis rat , ut, si
sibi secundum Ueum visum foret expedire,
fratribus ipsis lieentiam ali juem militem sa-
num, et fratribus prœdictœ dotnus Sancti La-
zari in ejus magislrum (non obviante consue
tudine hujusmodi) de cwtero eligendi auclori-
tate aposlolica concederet.
Les chevaliers qui n'étaient point lépreux
et qui étaient en étal de porter les armes
rendirent de signalés services aux princes
chrétiens dans la Palestine, ce qui obligea
les rois Baudouin II. Fouques, Amauri 111 et
IV et les reines Mélisinde et Théodore, à
prendre leur ordre sous leur protection et à
faire beaucoup de bien aux maisons qu'ils
avaii'iit dans la Syrie. Ils reçurent aussi plu-
sieurs privilèges des souverains pontifes;
et, étant passés en Europ •, les princes leur
donnèrent de riches possessions. Clément IV
ordonna sous peine d'excommunication à
tous les prélats de l'Eglise, que, lorsque les
chevaliers de Saint-Lazare s'adresseraient à
eux pour obliger les lépreux de se retirer
dans leurs hôpitaux, ils eussent à donner
main forte à ces chevaliers el à contraindre
les lépreux de se retirer chez eux avec leurs
biens meubles et immeubles. Alexandre IV,
par une bulle de l'an 1255, leur permit de
suivre la règle de saint Augustin, qu'ils as-
suraient avoir suivie jusqu'alors, connue il
est marqué dans la bulle de ce pontife, où il
n'est point fait mention de la règle de saint
Basile, ce qui fait voir que c'est sans raison
que quelques-ans disent qu'ils ont autrefois
suivi la règle de saint Basile. Le même pape
les mit sous la protection du saint-siège l'an
1257, el confirma les donations que l'empe-
reur Fridéric 11 leur avait faites dans la Si-
cile, la Pouille, la Calabre el quelques au-
tres provinces. Henri, roi d'Angleterre, duc
d'Anjou et de Normandie; Thibaut, comte de
Blois , et plusieurs autres , augmentèrent
leurs revenus.
Mais de. tous les princes chrétiens il n'y
en a point dont ces chevaliers aient reçu de
plus grands bienfaits que des rois de Frauce;
(ï)Bull. Rom., loin. Il, const. 95 Pii IV, § 4.
car, ayant été chassés de la (erre sainte l'an
1253, ils suivirent le roi saint Louis, qui, en
reconnaissance des services qu'ils lui avaient
rendus en Orient, confirma les donations
que ses prédécesseurs leur avaient faites,
les mit en possession de plusieurs maisons,
commanderies et hôpitaux que ce prince
fonda, cl leur accorda plusieurs priv.léges.
Pour lors ils établirent le chef de leur ordre
à Boigny près d'Orléans, qui leur avait été
donné dès l'an 1154 par Louis VU dit la
Jeune, el le grand maître pril le titre do
grand maitre de l'ordre de Saint-Lazare,
tant deçà que delà les mers, sa juridiction
s'étendant non-seulement sur les cheva iers
qui étaient en France, mais même sur tous
les étrangers. C'est pourquoi Jean de Cou-
ras, qui avait été pourvu de cette charge l'an
1342 par Philippe de Valois, donna pouvoir
l'an 135V à frère Jean Hallidei, Ecossais, de
gouverner en son nom, tant au spirituel
qu'au temporel, tout ce qui appartenait à
l'ordre en Angleterre el en Ecosse, à la
charge de faire tenir par chacun an à la
grande commanderie de Boigny irenle marcs
sterling d'argenl.Le roi Charles V, surnommé
le Sage, ayant pourvu de la grande maîtrise,
l'an 1377, Jacquesde Beynes.cc gr;ind maitre
donna à frère Dominique de Saint-Boy la
commanderie de Seringon en Hongrie, et
l'établit son vicaire général dans tout ce
royaume, avec obligation de se trouver aux
chapitres généraux à Boigny, el d'y appor-
ter quatre marcs d'argent fin. L'on trouve
un F. P. Potier dit Conflans, prêtre de cet
ordre, commandeur de la Lande- Daron,
mort en 1450, qui prenait la qualité de vi-
caire général du grand maître C. Desmares,
La grande maîtrise fut encore donnée par
Charles VII à Pierre Buaux l'an 1441, et
par Louis XI à Jean Cornu l'an 1481.
Mais, comme les lépreux étaient rares et
que l'on voyait peu de personnes attaquées
de celte maladie, il semble que ces cheva-
liers hospitaliers, qui d'ailleurs s'étaient
beaucoup relâchés de leur premier institut,
principalement ceux d'Italie, étaient deve-
nus inutiles : c'est ce qui obligea le pape Iu-
nocent VIII de supprimer leur ordre el de
l'unir avec tous les biens qui lui apparte-
naient à l'ordre de Saini-Jean de Jérusalem,
par une bulle de l'an 1490. Mais cette bulle
ne fut poinl reçue en Fiance, où il y a tou-
jours eu des grands maîtres de l'ordre de
Saint -Lazare de Jérusalem, qui ont reçu
des chevaliers auxquels ils ont conféré les
commanderies qui en dépendent, et ont tou-
jours été maintenus dans ce droit. Le grand
prieur d'Aquitaine de l'ordre de Saint-Jean
de Jérusalem ayant pourvu un de ses cheva-
liers de la commanderie de Saint-Thomas de
Fonlenay, appartenant à l'ordre de Saint-
Lazare, le grand maître de cet ordre et ses
chevaliers s'y opposèrent, il y eut à ce sujet
procès au parlement de Paris, qui fui décidé
l'an 1547 en faveur du grand maître de l'or-
dre de Saint-Lazare, qui fut maintenu dans
745 LAZ
lo droit de conférer loutcs les commanderies
de son ordre à ses chevaliers, et les cheva-
liers de Saint-Jean de Jérusalem furent dé-
boutés de leurs prétentions. Le roi Louis
XII donna la grande maîtrise à Aignan de
Mareuil. Son frère, Claude de Mareuil, en fut
aussi ponnu par François I",ct Henri II y
nomma Jean de Conty, qui assembla un cha-
pitre général à Boigny, où il donna à bail
emphytéotique pour drux cent vingt florins
par an, tous les biens appartenant à l'or-
dre au territoire de Sussano, dans la pro-
vince de la Fouille, à un chevalier de Cala-
hre qui était présent. Le même roi pourvut
de la grande maîtrise, après la mort de Jean
de Conly, Jean de Lévi, qui assembla aussi le
chapitre général à lioigny l'an 155S, où il
se trouva un grand nombre de chevaliers
de toutes les parties de l'Europe. Michel
de Seurre fut encore fait grand maître par
le roi François II, et François Salviati par
Charles IX.'
S'il est vrai ce que dit le P. Toussaint de
Sainl-Lue dans son Abrégé historique de
l'Institution de l'ordre de Saint-Lazare, que
le grand maître Salviati fit chevalier de cet
ordre Jeannot de Casli'lon cl Octave Frégose,
à la recommandation du pape Pie IV et de la
reine de France Catherine de Médicis, ce
pontife aurait reconnu le grand maître de
l'ordre de Saint-Lazare en France , quoi-
que cet ordre eût été supprimé par Innocent
VIII. Mais ce que le P. Toussaint ajoute en-
suite me rend cette réception à l'ordre de
Jeannot de Caslillon, à la recommandation
du pape Pie IV, forl suspecte; car il dit en-
core que le grand maître Salviati donna à ce
Jeannot de Caslillon l'administration du
grand hôpital de Saint-Lazare de Capoue,
rétablissant son vicaire général et grand
maître de l'ordre en Italie. Le titre de grand
maître donné par un grand m litre à son vi-
caire généra), commissaire ou délégué, n'a
jamais été en pratique dans aucun ordre. Les
grands maîtres ou généraux qui sont chefs
d'ordre peuvent bien donner à leurs vicaires
ou commissaires leur autorité et leur pou-
voir, mais ils ne leur donnent jamais les li-
tres qui ne conviennent qu'à leurs propres
personnes comme chefs. L'intention du P,
Toussaint a été d'insinuer par ce moyen que
Jeannot de Caslillon, nommé grand maître
de l'ordre de Saint-Lazare dans la bulle de
Pie IV de l'an I5G5, dont nous avons parlé,
n'était que le vicaire général du grand maî-
tre de cet ordre en France; mais, s'il n'a-
vait été que vicaire général du grand maître
de France, comment ce pontife, dans celle
bulle si ample et si étendue, aurait-il pu ou-
blier le grand maître de France, dont il ne
fait aucune menlio i, voulant au contraire
qu'après la mort du grand maître Jeannot
de Castillan cl de ses successeurs, ou sur
leur démission volontaire, les chevaliers
procédassent à l'élection d'un autre grand
maitre en tel lieu que bon leur semblerait?
Jeannot de Caslillon ne se prétendait pas
seulement grand maitre île l'ordre de Saint-
Lazare en Italie, mais il se disait grand mai-
DlCTIOSNAIRE DES OkDI>ES UËLIG1EUX. il
LAZ
74«
(re de cet ordre par toul le monde. C'est co
qu'on lit à la un des privilèges de cet ordre
qui furent imprimés à Home l'an 1566, chez
Antoine Iliade, imprimeur de la chambre
apostolique, où il y a: Auspiriis illiutriititni
et reverendissimi jeannotti CastHlionei Me-
diolannsis, religionis et mililiœ Sancti La-
zari Hierosolymilàni per tolum orbem qene-
ralis magisiri, Vincentius Merenda in lucem
edidit. Ainsi il est plus vrai de dire que ce
Jeannot de Caslillon qui était commandeur
de l'hôpital de Capoue avait usurpé le t. ire
de grand maître, qui n'appartenait qu'au
commandeur de la maison de Boigny en
France, dont François Salviati était pour
lors pourvu, celle commanderie étant an-
nexée à la dignité de grand maître.
Mais il n'était pas le premier qui avait
usurpé ce titre, il y avait en avant lui Mulio
de-Azzia, qui se disait aussi grand maître
général de l'hôpital de Saint-Lazare de Jéru-
salem, comme il paraît par une autre bulle
du même Pie IV de l'an 1561, où ce pontife
lui donne ce titre : Dilecto filio Mutio de
Azzia, magistro gênerait hôspitalis Sancti
Laziri Hiérosolymitani ordinis s neli Au-
gustini (Privileg. Ord. S. Lazari, png. 28).
L'on trouve encore en 1530 un Pyrrhus-
Louis Caraffa, qui prenait le litre de maître
ou commandeur général de Saint-Lazare de
Jérusalem, dans l'une et l'autre Sicile deçà
et delà le Phare, ce qui fait voir que ceux-
là se sont trompés qui ont écrit que Pie IV
avait rélabli l'ordre de Saint-Lazare, qui
avait été supprimé par Innocent VIII. et qu'il
eu avait accordé la grande maîtrise à Jean-
not de Caslillon par sa bulle de l'an 1565,
puisque outre les grands maîtres Caraffa et
d'Azzia, qui avaient précédé de Caslillon,
celui-ci était déjà grand maître lorsque
Pie IV lui accorda celte bulle si ample et si
favorable à cei ordre, l'an 1365. Pour s'en
convaincre, il n'y a qu'à lire celte bulle, où,
parlant de Jeannol de Caslillon, il dit : Nos
igitur vôlentes dilectum filium Jeannottum
CastiUioneum modernum hôspitalis <t militiœ
prwdictum magnum magistrum, ejusque snc-
cessores magnos ipsius hospilalis magistrat
p: o tempore exis tente*, ac hospitale et mi-
litiam hujusmodi eorwnque convention
etinm amplioribus quam quispiam nôstro-
ritm prœdecessorum prœdictorum eos pro-
seculi '■ fuerint , favoribus cl gruliis prosequi.
Cet hôpital et couvent dont parle ce
pape était l'hôpital et couvent de Saint-La-
zare de Jérusalem, qui était chef de l'ordre
avant que les chevaliers eussent été obligés
d'abandonner la terre sainie, el ce n'est point
ce pape qui transféra ce chef d'ordre à l'hô
pital de Capoue, comme ont écrit aussi plu-
sieurs ailleurs. Voici comme ce pontife s'en
explique dans la même bulle : Muta proprio
non ad Jeannot li nul priorum, prœceptorum,
mititum, fratrum, vel personarum seu alio-
rum, pro eis nobis super hoc oblatœ petilionis
insimiliam, sedmera liberalitate, et ex certa
scieruia nostra, ac de apostolica / otestatis
pleniludine, inslilulionem et erectionem hôspi-
talis et militiœ hujusmodi, ejusque trunslatio^
24
m
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
item olim ad prœceptoriam, vel domum Cu-
piianam prœdictam faclam approbamus,
confirmamus.
C'élail le pape Léon X qui avait reconnu
l'hôpital do Capoue pour chef de l'or. Ire,
l/uisqu'à la prière de l'empereur Charles V
il avait rendu à l'ordre de Saint-Lazare les
hôpitaux de Saint-Jean de Païenne et de
Sainte-Agathe de Messine, et les avait sou-
mis, comme au chef, au commandeur de
l'hôpital de Capoue, à qui il donne le litre
de grand maître, comme il est encore mar-
qué dans la bulle de Pie IV. Il paraît donc
par cette bulle que ce fut Léon X qui réta-
blit l'ordre de Saint-Lazare, et que i'ie IV le
remit dans tous ses droits et lui accorda de
uouveaux privilèges.
Pie V, par une autre bulle de l'an 1567,
révoqua quelques-uns des privilèges que sun
prédécesseur avait accordés, et en modéra
quelques autres. Mais, après la mort de
Jeannot de Caslillon, qui arriva à Yerccil
l'an 1572, Grégoire XIII unit l'ordre de Saint-
Lazare à celui de Saint-Maurice et en ac-
corda la grande maîtrise à Emmanuel Pluli-
bei t, duc de Savoie, sous prêt xle que celle
grande maîtrise était yacanle : Ac pratereu
cernei tes miliiiam hospitalis S- Lazuri Ilie-
rosolymitani sub régula sancti Auijualini j<un-
pridem mugistri regimine desiitutam...,. C'est
ain i que le pape parle dans la bulle d'union
de ce-» deux ordres. Cependant François Sal-
viali était grand maître en France de l'ordie
de Saint-Lazare; ainsi l'on peut dire que le
pape ne fil cette union que sur un faux ex-
posé. En effet le grand maître Salviati fit des
protestations et des oppositions à la qualité
que le duc de Savoie prenait de grand maître
de l'ordre de Saint-Lazare, et aux bulles du
pape Grégoire Xlll ; il lit assembler le cha-
pitre général à Boigny l'an 1578, et les che-
valiers de Fiance se maintinrent toujours
dans la possession des commanderies qu'ils
avaient en ce royaume. Après la mort de ce
grand maitre, le roi Henri 111 donna la
grande maîtrise à Aimar de Chattes. Jean de
(iajan lui succéda, et, sur la démission vo-
lontaire qu'il donna de cette charge à Henri
IV l'an 1G04, ce prince en pourvut Pliillicrt
de Nerestaug, qui fut aussi premier grand
maître de l'ordre de Notre-Dame de Mont-
Carmel, auquel l'ordre de Saint-Lazare fut
aussi uni en France, comme nous dirons à
l'article Mont-Caiuiel.
Celle succession de grands maîtres de l'or-
dre de Saint-Lazare en Franc depuis que le
pape Innocent Ylll supprima cet ordre en
Italie l'an 1490, fait voir que c'est à tort que
le P. Bonanni de la compagnie de Jésus, dans
son Catalogue des Ordres militaires qu'il
donna au public l'an 1712, dit, qu'après la
suppression de cet ordre, sa mémoire fut
obscurcie peu à peu en France : Sic puulatim
ejus sodalitii memoria tum apud Callos tum
npud Jtalos est obscurata; puisqu'il a tou-
jours subsisté en France, où il n'a rien di-
minué de son ancienne splendeur, qui, bien
loin de s'obscurcir, a même augmenté.
(I) Voy., à la lin du vol., n" 185.
Ces chevaliers faisaient autrefois des vœux
solennels. Il y avait même des religieuses de
cel ordre, et il en reste encore un monastère
en Suisse. Le P. Bonanni a donné l'habille-
ment d'un de ces chevaliers tel que nous
l'avons fait graver (I); mais cel habillement
est supposé, et n'a été dessiné apparemment
que sur une simple idée. Les chevaliers de
Saint-Lazare n'ont commencé à porter la
croix à huit pointes qu'à la fin du xv siècle
ou au commencement du svr, et celte croix
a toujours été verte, à la différence de celle
des chevaliers de Saint-Jean de Jerusal m,
qui est blanche. Le plus ancien monument
qui puisse faire connaître quel é ail le véri-
table habillement de ces anciens chevaliers
se trouve dans la commandeiie de H rate-
mont, nù, au pied d'une image de saint An-
toine en relief, posée sur une espèce de co_-
lonne, l'on voit cinq chevaliers de Saint-
Lazare à genoux, ara. es de curasse, el un
chapelain du même ordre, ayant tous un
manteau long, sur lequel il y a une croix
simple, seulement un peu palée aux extré-
mités. Celle qu'ils ont sur la poitrine est
néanmoins différente en ce qu'elle est un
peu plus longue par le pied, qui se termine
en pointe. L'on y lit que ce fut Pierre Poli r,
commandeur de cet ordre, qui fil faire celle
image; et, comme elle a quelque chose do
singulier, c'est peut-être ce qui a obligé des
curieux de la faire graver : car saint An-
toine est au milieu des flammes, ayani à ses
pieds plusieurs pourceaux dans le mémo
feu, qui font des sauts en l'air: et ce saint
n'a point un Tau sur son habit comme les
peintres le représentent ordinairement, nuis,
au lieu du Tau on lui a mis une couronne.
J'ai vu deux différentes estampes de celte
image, et une autre où est gravé le tombeau
de ce F. Pierre Potier avec son épi la plie,
qui fait voir que celte image a pu être faite
vers le milieu du xv* siècle, puisque ce com-
mandeur mourut l'an 1450. Voici cette épi—
laplie :
Ci-devant ce grand autel gît noble homme
el religieuse personne F. Pic re Potier dit
Confluas, frère prestre en l'Ordre el Chevale-
rie Saint Ladre de Jérustdcm, commandeur de
céans et de la Lande Dur an, en son vivant
pieguaire gênerai de noble et puissant Sei-
gneur F . G. Desmares chevalier grand maitre
gcnmal de toute la susdite Ordre et Chevalerie
deçà et delà la mer, commandeur de la maison
conventuelle de Boigni près Orléans, qui tré-
passa l'an mil quatre cent L.
Il y a bien de l'apparence que ce ne fut
qu'à la fin de ce siècle ou au commencement
du xvi°, après que Léon X eut rétabli l'ordre
de Saint-Lazare en Italie, que les chevaliers
de cel ordre prirent la croix à huit pointes
comme la portaient les chevaliers de Malle;
car, dans les privilèges de l'ordre de Saint-
Lazare, iinprimésàBome, comme nous avons
dit, en louO, il y a une vignette où l'on voit
plusieurs chevaliers ayant tous la barbe lon-
gue el recevant la croix de l'ordre avec une
épee, des inams d'un pape (peut-être a-t-ou
-tt
LAU
I.Ali
7K0
voulu repré<enter Léon X, qui rétabli! cet
ordre), et ces chevaliers ont une robe noire
à grandes manches avec la croix à huit
pointes sur la poitrine. Il y a aussi à la bi-
hliathèquedn roi une estampe de l'an 1525,
qui représente les différents ordres qui sui-
vent la règle de saint Augustin, où l'on
trouve un chevalier de Saint-Lazare avec
une pareille robe ; c'est pourquoi nous avons
fait graver cet habillement et celui que por-
taient les mêmes chevaliers dans le xv siè-
cle (1), tel qu'il est représenté au bas de
l'image de saint Antoine dont nous avons
parlé.
Vey. le P. Toussaint de Saint-Luc, Mé-
moires en forme d'abrégé historique de l'Or-
dre de Noire-Dame de Mont-Carmel el de
S int-Lnz-are de Jérusalem. Plusieurs Vac-
tums el Mémoires concernant cet ordre.
Bullar. Rom. loin. Il et 111. Maimbourg,
IJist. des Croisades. Bernard Giustiniani,
lîi&t. Chronolog. de gli Ordini militari. De
Belloy, de l'Origine de Chevalerie. Philippe
Bonanni, Calalog. Ord. milit. num. 6o : et
Schoonebcck. Histoire des Ordres militaires,
loin, premier. Yoy. Mont-Carmel ci-dessous,
col. lOiO.
LAURES DE LA PALESTINE (Anciennes).
L'on peut regarder encore comme des in-
stituts particuliers ces anciennes laures qui
ont été si célèbres en Orient. L'on entend
par le mol de laure une demeure de solitaires
qui logeaient dans des cellules éloignées les
unes des autres par une distance raisonna-
ble, et vivaient en société sous l'obéissance
d'un supérieur. La première de ces laures
fut fondée par saint Charilon. Ceux qui ont
donné la vie de ce saint disent qu'il était d'I-
cogne, capitale de Lycaonie ; qu'ayant em-
brassé le christianisme, il en accomplit si
bien les devoirs, que sa piété le distingua du
commun des fidèles et l'exposa davant ago
aux violences des païens, qui se saisirent de
lui pendant la persécution excitée sous l'em-
pire d'Aurélien; qu'il souffrit de cruels
tourments avec beaucoup de constance ; et
qu'ayant été jeté en prison, il en sortit après
la mort d'Aurélien, qui fut tué l'an 275;
qu'étant en liberté il alla à Jérusalem, où il
fonda à six miiles de cette \ î I le la laure de
Pharan,donl l'église fut dédiée par saint
Macaire, évèque dé Jérusalem; qu'il fonda
ensuite deux autres laures, l'une vers Jéri-
cho, et l'autre dans le désert de Theuca, dans
lesquelles il eut plusieurs disciples ; et qu'en-
fin il mourut vers l'an 340.
Mais, quoique le cardinal Baronius (2) ,
dans ses Annales ecclésiastiques, dise que
les actes de ce saint soient fidèles, néanmoins
M. de Tillemont (•'!) ne les croit pas d'une
grande autorité, se persuadant que Méla-
phraste, qui est le premier auteur de celte
vie, et qui déclare que, n'ayant point eu de
mémoires pour l'écrire, il ne l'avait corn-
(I) Voy.. à la fin du vol., n"s 181 et 185.
(2| Baronius, ad unit. 275, § !».
(5) De TiUein., llisi.des Emp., loin. 111, p. 718, et
Hist. Eccles., toni.'lV, pag. 68-2.
posée que sur la simple tradition, avait con-
fondu, aussi bien que les autres (îrecs, deux
Charilon , l'un confesseur ou martyr du
temps des persécuteurs, l'autre fondateur de
plusieurs monastères.
Une des principales raisons sur lesquelles
ce savant critique s'appuie, c'est que, s'il
était vrai que saint Chariton eût fondé ses
laures dans la Palestine après la mort d'Au-
rélien , qui arriva, comme nous avons dit,
l'an 273, cela ne pourrait s'accorder avec ce
que dit saint Jérôme, que saint Hilarion a
été le premier instituteur des moines de la
Palestine, où l'on n'en avait aucune connais-
sance avant lui, c'est-à-dire après la mort
de Dioclétien, qui arriva l'an 313. L'église de
la première laure de saint Chariton, dédiée
par saint Macaire de Jérusalem, qui ne fut
évèque qu'en 314, quarante ans après la
mort d'Aurélien, fournit une autre difficulté
à cet auteur, ce temps lui paraissant trop
considérable pour croire que saint Chariton
eût vécu assez pour fonder encore deux au-
tres laures et passer ensuite quelque temps
dans une entière solitude. Ainsi il aime
mieux distinguer deux Charilon, l'un qui a
souff.' rt la persécution du temps de l'empe-
reur Aurélien, et l'autre fondateur des pre-
mières laures de la Palestine, après que
saint Hilarion y eut introduit la vie monas-
tique.
Quoi qu'il en soit de ces deux Chariton,
celui qni fonda les premières laures de la
Palestine fut imité dans le vc siècle par saint
Eulhyme le Grand, qui bâtit aussi une laure.
Elle fut foi t renommée, et était éloignée de
quatre ou cinq lieues de la ville de Jérusa-
lem ; mais le saint abbé n'y voulait point re-
cevoir de jeunes gens qui n'eussent point
encore de barbe, c'est pourquoi saint Sabas
et saint (Juiriace s'etant présenté; pour être
du nombre de ses disciples, il envoya saint
Sabas au monastère de saint Théoclisle, et
saint Ouiriace à celui desaintGérasime, parce
qu'ils n'avaient point encore de barbe (4) ;
et, à son imitation, saint Sabas ayant bâti la
cél bre laure quia porté son nom, il n'y re-
cevait point non plus de jeunes gens et les
envoyait d'abord dans d'autres monastères.
Saint Sabas (5) naquit au bourg de Muta-
lasque en Cappadpce, dons le diocèse de Ce-
ntrée, vers Tan 'riO. Dès l'âge de huit ans il
se retira dans le monastère de Flaviane, à
une petite lieue de Mutalasquc. 11 y demeura
dix ans, alla ensuite à Jérusalem avec la
permission de son abbé, et passa l'hiver
dans le monastère de Saint-Passarion, alors
gouverné par Elpide. Ensuite il se rendit
auprès desant Euthyme pour vivre sous sa
conduite; niais le saint abbé, le jugeant trop
jeune pour demeurer parmi les ermites de sa
laure, l'envoya au monastère d'en bas, dont
était abbé saint Théoclisle.
Le relâchement s'étant glissé dans ce mo-
nastère, saint Sabas le quitta et s'établit dans
(4). Cyrill. Vit. S. Euih. apud Bolland. 20 janv.,
pag. 303.
(5) Cyrill. l'ii. S. Sub. apud Corlel. monum. Eccl.
Crac. ton). 111.
7M DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 7S*
la solitude du désert de saint Gérasime, assez rieur, ne voulut pis seulement qu'ils s'y rc-
près du Jourdain. !1 avait pour lors trente- posassent en qualité d'hôtes. Quelques col-
cinq ai:s; et, après en avoir demeuré quatre Iules abandonnées qui étaient près du lor-
dans ce désert, il quitta le séjour de celte so- rent de Thécoé leur servirent de retraite. Us
litede po r aller habiter une caverne dans en firent encore d'autres au même lieu, et
les roches d'une montagne, au pied de la- commencèrent ainsi ce qu'on appela depuis
quelle passait le torrent de Cédron, à trois la nouvelle laure.
lieues de Bethléem et à cinq de Jérusalem. Le zèle que le saint abbé avait pour ces
Il y vécut seul pendant cinq an-, occupé moines révoltés le tenait dans une sainte in-
uuique.ment du soin de sou salut, lorsque quiétude. Sachant qu'ils étaient dans la né-
JJicu lui inspira le désir de travailler au-si à cessilé, il leur lit tenir une somme d'argent,
procurer celui des autres. Il y bâtit une fa- obtint pour eux la propriété des cellules
meuse laure, et y assembla soixante -dix so- qu'ils occupaient, entreprit un voyage cx-
litaircs qui se mirent sous sa conduite; le près pour leur porter lui-même diverses eho-
nombre s'augmenta jusqu'à cent cinquante, ses dont ils avaient besoin, et leur bâtit une
Mais, quelque grandes que fussent l'union, église. Par ce moyen il sut les vaincre et ils
la charité et la bonne intelligence qu'il en- se soumirent à son obéissance. Il l ur donna
trelenait parmi eux, il ne put empêcher que pour abbé Jean, le premier de tous ses dis-
quelques-uns n'y apportassent du trouble, et ciples.II bâlitencore d'autres monastères, où
ils furent même assez hardis pour entre- il mit des supérieurs d'une grande sainteté ;
prendre de le priver de sa charge d'abbé. Ils et, comme il n'avait pas moins de zèle pour
allèrent pour cet effet trouver Sallusle.pa- la pureté de la foi que pour l'exacte obser-
triarche de Jérusalem, et lui représentèrent vance de la discipline régulière, il veillait
que saint Sabas était un homme d'un' sim- sans cesse pour empêcher que le venin de
p licite grossière, imprudent, incapable de l'hérésie ne se gli-sâl dans tous ses monas-
gouveruer un si grand nombre de solitaires, lères. Il convertit même quelques solitai es
et scrupuleux jusqu'au point de ne vouloir nestoriens et travailla depuis avec le même
pas être prêtre ni permettre que l'on con- succès à faire revenir ceux qui suivaient les
féràt cet ordre aux religieux. Salluste, in- erreurs d'Kutychès et de Dioscore. Enfin ce
formé du mérite de saint Sabas, feignit d'é- saint abbé, étant âgéde plusde quatre-vingt-
couier leurs plaintes, mais il ordonna prêtre douze ans, mourut dans sa principale laure
le saint, et dit à ces faux frères : Voila votre le 5 décembre de l'an 5J1.
supérieur ; ce n'est point par le choix des L'on prétend que la liturgie qui est au-
hommes, m .is par l'élection de Dieu même jourd'hui en usage parmi les Grecs est celle
qu'il est établi dans cette charge. Il les ra- que l'on observait dans les monastères do
mena tous à la laure, où il consacra, l'église saint Sabas, qui l'avait reçue de ses maîtres
que saint Sabas y avait construite. saint Eulhymc et saint Thcoclisle (1). A son
Ce saint fonda aussi un monastère sur la exemple, il y eut plusieurs de ses disciples
colline de Cartel, à une petite lieue de sa qui fondèrent aussi des laures, dont les plus
laure. Il bàlit encore un cloitre à une demi- remarquables furent Jacques (2) , qui fonda
lieue de cette laure. où il faisait instruire auprès du Jourdain la laure des Pyrges, ou
les novices ; et si c'étaient des jeunes gens, des Tours; le 15. Firmin, qui bàiit la laure
il les envoyait à une lieue et demie de là, de Malische, connue depuis pir son nom ;
dans le monastère de l'abbé saint Théodose, Sévérien qui en fonda aussi une dans un lieu
son ami, pour les former et les mettre un nommé Mariche, et Julien qui bâtit près du
jour en état d'entrer dans sa laure , qui Jourdain la laure d'Elcérabe.
était le séjour des parfaits. Ayant été fait Nous avons ci-devant parlé du monastère
exarque ou supérieur général de tous les so- de saint Gérasime, où saint Quiriace fut en-
litaires qui étaient dans les déserts, les er- voyé par saint Eulhyme. Il était au milieu
mitages et les laures, il veillait toute l'année d'une laure que saint Gérasime avait bâtie à
pai sa présence avec beaucoup d'application an quart de lieue du Jourdain, à peu près
sur ces solitaires qui avaient été commis à dans le même temps que saint Sabas vint au
ses soins; mais depuis l'épiphanie jusqu'au monde. Elle était composée de soixante-dix
dimanche des Rameaux, il se relirait dans le cellules. Les novices et les jeunes gens de-
fond du désert, accompagné d'un seul disci- mouraient dans le monastère, et y prati-
ple, et s'y préparait à solenniser la fêle de quaient les exercices ordinaires des commu-
niques, naulés, et la laure n'était que pour ceux
Les religieux rebelles de sa laure lui ten- qui, étant avancés et bien affermis dans la
dirent tant de pièges, que, pour céder à leur vertu, pouvaient supporter une plus exacte
malice, il résolut de les quitter et se retira solitude et une plus austère pénitence (3).
dans différentes solitudes ; mais le patriarche lis se tenaient seuls dans leurs celluies cinq
de Jérusalem ayant oblige les religieux se- jours de la semaine, n'ayant pour toute- nour-
ditieux de la laure de l'y recevoir, ils aimé- riture que du pain, de l'e iu et quelques
rent mieux s.' retirer eux-mêmes. Ils étaient dattes. Le samedi et le dimanche, ils venaient
au nombre de quarante qui allèrent à la au monastère, où, après avoir participé aux
laure de Suça dans l'espérance qu'on les y sacrés mystères , ils mangeaient quelque
recevrait ; mais Aquilin, qui en était, supé- .- chose de cuit et buvaient un peu de vin.
(1 ) Bulleau, llhl. Mon. d'Orient, p. CU8. (5) VU. S. Euth. apud Rolland. 20 jan., p. 516.
(2) Ibi<L, piig. 649.
ÎS5 LAZ
Après les vêprcn du dimanche, ils retour-
naient dans leurs cellules, emportant avec
eu\ du pain, de l'eau el des dalles, pour se
nourrir pendant ies cinq jours qu'ils y devaient
rester seuls. Ils s'y occupaient au travail et
à la prière. Ils n'y po vaient pas allumer
lie feu, non pas même de lampe pour faire
la lecture; el c'élaii une loi parmi eux que
lorsqu'ils sortaient de leurs cellules, ils en
devaient laisser la porte ouverle pour mar-
quer par là qu'ils n'avaient rien eu propre
el que les autres pouvaient disposer de leurs
pelils meubles (1). Saint Gérasime mourut
l'an 4-75. Il y eut encore d'autres laures aux
environs du Jourdain , el celle qui lut bâlie
par un saint solitaire nommé Antoine fut
nommée la laure des Elioles. Nous donnons
ici l'habillement d'un moine deSainl-Charilon
et celui d'un moine de Saint-Sabas tels que
le P. Bonanni, Odoarl Fi ilelti et Sehoonc-
beck les ont l'ail graver (2). Il y a bien île
l'apparence que du temps des fondateurs de
ces laures, ils n'étaient pas ainsi habillés ;
mais, comme les laures de ces deux saints
ont subsisté pendant plusieurs siècles, ceux
qui ont habité ces laures ont pu prendre
dans la suite de pareils habillements. Quant
à la couleur, il parait que la robe des moines
de Saint-Chariton était blanche, la chape et
le capuce noirs, et que lhabillemenl des
moines de Saint-Sabas elait entièrement noir.
On voit encore aujourd'hui des vestiges de
la laure de ce saint dans un monastère de
moines grecs, qui a toujours reienu le nom
de laure de Saint-Sabas.
LAURÉTANS PARTICIPANTS. Voy. Be-
thléem.
LAZARISTES.
Des Lazaristes ou de la congrégation des Prê-
tres de la Mission , avec la vie de saint
Vincent de Paul, leur instituteur.
Les désordres causés par l'hérésie et la li-
cence des armes durant les guerres civiles
dont la France fut affligée sur la lin du xvr
siècle et au commencement du xvn', étaient
trop grands pour que les Prêtres de l'Ora-
toire pussent seuls y remédier, soit en fai-
sant refleurir dans l'étal ecclésiastique les
vertus cléricales el sacerdotales, soit en ai-
llant les pasteurs à ramener au bercail les
brebis que l'hérésie ou le libertinage en
avait fuit sortir. C'est pourquoi Dieu, qui,
connaissant les besoins de son Eglise, ne
manque jamais de lui donner les secours
qui lui sont nécessaires, suscita encore dans
ce royaume d'autres samls personnages, qui,
animés de; son esprit et fortifiés par sa grâce,
fondèrent, à l'exemple au cardinal de Bérulle,
des congrégations dont le principal but est
de travailler aux missions et d'inspirer aux
jeunes clercs i'esprit de piété et de dévotion
«I ui leur est nécessaire pour s'acquitter di-
gnement des fonctions de leur ministère. Tel-
les sont les congrégations <ies Piètres de la
Mission, des Eudisles du Saint-Sacrement,
des .Missionnaires do Lyoa, el quelques au-
(1) Bulleau, Him. Monml. d'Orient, pag, 796.
LAZ
754
très dont il est parlé aux articles de ces dif-
férents noms.
La congrégation des Prêtres de la Mission
a eu pour fondateur M. Vincent de Paul. Il
naquit au village de Poui près de Dax, petite
ville épiscopale située aux contins des Lan-
desde Bordeaux, vers les monts Pyrénées. Ses
parents vhaienl de leur travail. Son père se
nommait Jean de Paul, et sa mère B rlrande
de Moras. Ils avaient une maison el quel-
ques pelils héritages, qu'ils la s ,ient valoir
par leurs mains, étant aidés par leurs enfants,
qui furent six, savoir: quatre garçons et deux
filles. Vincent, qui était le troisième, fut dès t
son enfance employé comme les autres à
travailler, et particulièrement à mener paî-
tre et garder les troupeaux de son père, qui,
jugeant par la vivacité d'esprit que Vincent
faisait paraître dans toutes ses paroles et ses
actions, qu'il pourrait faire quelque chose
de meilleur que de mener paître des bes-
tiaux, prit li résolution de le faire étudier,
dans l'espérance «.'en tirer un jour quelque
avantage poursa famille. Pour cet effet il Içmit
eu pension, vers l'an 1588, chez les Pères Coi-
deliersdeDax, moyennant soixante livres p r
an. Il y fit un tel progrès dans la langue latine,
que, quatre ans après, le sieur Commet, avo-
cat de Dax et juge de Poui, l'ayant retiré du
couvent des Cordeliers, le reçut en sa mai-
son pour être précepteur de ses enfants, afin
que, prenant soin de leur instruction et da
leur conduite, il pût continuer ses éludes
sans être à charge à son père : ce qui lui
donna le moyen de se perfectionner dans la
connaissance des belles-lettres, auxquelles
il employa neuf ans, au bout desquels le
sieur Commet, qui était une personne de
piété, satisfait du service qu'il lui avait rendu
en la personne de ses enfants el jugeant qu'il
sérail un jour utile à l'Eglise, lui fit prendre
la tonsure et les quatre mineurs le 19 sep-
tembre 15'JG, étant alors âgé de vingt ans.
Se voyant ainsi engagé au ministère da
l'Eglise, et ayant pris Dieu pour son partage,
il quitta son pays du consentement de son
père, qui lui donna quelque petit seeours
pour aller étudier en théologie à Toulouse,
où il prit les ordres de diacre et de sous-
diacre en 1598, el la préirise en 1G00. Peu de
temps après on lui donna la cure de Tilh au
diocèse de Dax ; mais, lui ayant été contestée
par un compétiteur, il ne voulut point avoir
de procès et lui en laissa la possession, Dieu
le permettant ainsi afin qu'il ne fût point
oblige d'abandonner ses éludes. 11 employa
sept ans à celle de la théologie, après les-
quels ayant été reçu bachelier dans l'uni-
versité de Toulouse, il lui fut permis d'ensei-
gner publiquement dans la même université.
Jusque-là tout avait réus-i selon les souhaits
de M. Vincent; mais une personne l'ayant
institué son héritier l'an 1005, et ayant élé
obligé d'aller à Marseille pour se faire payer
une dette de cinq cents écus qui était de la
succession, il tomba dans une disgrâce dans
laquelle il ne put pas douter de la protection
(2) Voy., à la lia du vol., u«» 186 et 187,
755
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
750
de Dieu sur lui par la manière dont il s'en
relira. Car, comme après avoir terminé son
affaire à Marseille il se disposait à retourner
par terre à Toulouse, un gentilhomme du
{Languedoc l'ayant engagé de s'embarquer
avec lui jusqu'à Narbonne , ils rencontrer
rent trois brigantins turcs qui les prirent et
les menèrent en Barbarie , où Vincent de
Paul fut vendu à un pêcheur, qui n'ayant
pu se servir de lui à cause qu'il ne pouvait
souffrir la mer, le revendit à un médecin;
et, celui-ci étant mort, il devint esclave d'uu
renégat de Nice en Savoie, qui, bien loin d'i-
miter ses semblables, qui ordinairement per-
sécutent le plus Jésus-Christ dans ses mem-
bres qui ont le malheur de tomber dans l'es-
clavage, fut au contraire l'instrument dont
Dieu se servit pour rendre la liberté à son
serviteur en lui rendant à lui-même celle de
l'âme; car, se repentant de son apostasie, il
se sauva avec lui d'une manière d'autant
plus admirable et miraculeuse, qu'ils passè-
rent toute la mer Méditerranée dans un es-
quif que la moindre vague était capable d'a-
bîmer; mais Dieu , qui les conduisait , leur
ayant fait éviter {es dangers auxquels les
plus gros vaisseaux, sont exposés, ils arrivè-
rent à Aiguesmortes le 28 juin 1607, d'où ils
furent à Avignon, où le vice-légal reçut l'ab-
juration du renégat. M. de Paul, étant allé à
Paris l'année suivante, y lia amitié avec M.
de Bérulle, qui, songeant pour lors à établir
sa congrégation, le sollicita de se charger de
la cure de Clichi, dont M. Bourgoin voulait
se défaire pour entrer dans la congrégation
des Prêtres de l'Oratoire, et de prendre le
soin des enfants du corne de Joigny, Emma-
nuel de Gondy, général îles galères de Fiance,
et cela en qualité de précepteur, dont il s'ac-
quitia si bien, que Françoise de Silly, épouse
de ce comte et mère de ces enfants, damo
d'une piété singulière, édifiée de sa modes-
tie, de sa discrétion et de sa charité, jugea
ù propos de lui confier la conduite de son
âme.
Le séjour qu'il fit dans la maison du comte
de Joigny fut cause de l'établissement de la
congrégation de la Mission. Car, environ l'an
1G10, étant allé avec la comtesse dans une de
ses terres, qu'on nomme Folleville.au diocèse
d'Amiens, où il s'occupait pendant son séjour
àdcsœuviesde miséricorde, on ie vint un jour
prier d'aller au village de Canne, éloigne de
Fulleviilc de deux lieues, pour confesser un
paysan qui était dangereusement malade.
Cet homme avait toujours vécu en réputa-
tion d'un homme de bien; néanmoins M. de
Paul, L'étl>nt allé voir, et lui ayant fait faire
une confession générale, trouva sa cons-
cience chargée de plusieurs péchés mortels
qu'il avait toujours retenus par honte, et
dont il ne s'était jamais accusé en confession,
comme il le déclara lui-même en présence de
plusi. urs personnes, et même de la comtesse
deJoigny, qui, épouvaniée de tant de confes-
sions sacrilèges et des péchés énormes de sa
vie passée, et appréhendant qu'il n'en fût de
même de la plupart de ses vassaux, exhorta
M. de Paul à prêcher dans l'église de Folle-
j ville le jour de la conversion de saint Paul
de l'an 1G17, pour exhorter 1rs habitants à
faire une confession générale. Il le fil, et leur
en représenta l'importance et l'utilité avec
des paroles si efficaces, que ces bonnes gens
vinrent tous à lui pour leur confession géné-
rale; et la presse fut si grande, qu'il fut obligé
d'appeler à son secours les Jésuites d'Amiens,
qui conjointement avec lui firent un si granit
profit dans celte première mission, que cezélî
fondateur l'a toujours regardée comme la se»
mence de toutes les autres qu'il a faites de-
puis, et par conséquent comme l'origine de
sa congrégation; et tous les ans, le même joue
2a janvier, i! en rcmlait grâces à Dieu et rc«
commandait à ses disciples de faire la même
chose : c'est pourquoi les prêtres de cet ins-
titut célèbrent avec une dévotion particu-
lière la fête de la Conversion de saint Paul,
en mémoire de ce que leur fondateur com-
mença heureusement en ce jour sa première
mission qui a été suivie de tant d'autres, qui
ont causé la conversion d'un très-grand nom-
bre de personnes.
Madame la comtesse de Joigny, ayant re-
connu par ce premier essai qui réussit avec
tant de succès, la nécessité des missions, par-
ticulièrement pour le peuple de la campagne,
conçut dès lors le dessein de donne, un fonds
de seize mille livres à quelque communauté
qui voudrait se charger J'en faire de cinq
ans en cinq ans dans toutes ses terres. Elle
en fit parler aux Jésuites et aux Prêtres de
l'Oratoire, qui, ne voulant pas s'en charger,
lui firent prendre la résolution d'insérer dans
son testament un article par lequel après sa
mort die donnait ces seize mille livres pour
fonder celte mission, au lieu et en la manière
que M. de Paul lé jugerait à propos.
Quoique ce servileur de Dieu fût dans la
maison de M. de Gondy comme dans un sé-
minaire, tant par rapport à la liberté qu'il y
avait de pratiquer les exercices de la plus
grande piélé, que par rapport à la régula-
rité avec laquelle on y vivait par les soins cl
l'exactitude de madame de Gondy, néan-
moins le grand désir qu'il avait de se donner
plus parfaitement au service de Dieu et à
l'instruction du prochain lui ayant fait pren-
dre la résolution d'en sortir, il prit le pré-
texte d'un peiil voyage qu'il avait à faire, et
sortit de Paris au mois de juillet 1G17, sans
avoir déterminé aucun lieu où il dût s'arrê-
ter. Mais M. de Bérulle, qui le voyait résolu
de sortir, lui ayant proposé d'aller travailler
en quelque lieu de la Bresse où il y avait
disette d'ouvriers évangéliques, cl particu-
lièrement dans la paroisse de Chàlillon-les-
Dombes, il suivit cet avis et alla cri ce lieu ,
où étant arrivé, une des premières choses
qu'il fil fui de porter cinq ou six ecclésiasti-
ques qu'il y trouva à se mettre ensemble et
former une espèce de communauté pour se
donner plus parfaitement à Dieu et au ser-
vice de sou Eglise : ce qu'ils firent à sa per-
suasion, s'estimant trop heureux d'être as-
sociés à un si saint prêtre pour un sujet
aussi louable et aussi utile. Mais la joie
qu'ils avaient de le posséder ne dura que forJ
■;:,- LAZ LAZ 75h
peu île temps ; car madame de Gondy, qui, cinal de ce Collège eh f tveur de M. de Paul,
comme nous l'avons déjà dit, avait mis la auquel M. ri madame de Gondy donnèrent
conduite de sa conscience entre les mains de quarante mil I >> livres en argent comptant pour
M. de Paul, souffrant avec peine son éloi- commencer la londalio i, avec pouvoir d •
gnement, lit tout ce qu'elle put pour !e faire choisir tel nombre d'ec lésiastiqtlds que le
revenir, employant l'autorité du cardinal de revenu de la fon Inllon p lurrait entretenir, et
Kelz, pour lots evèquc de Paris, qui, étant qui se: aient sous sa direction sa vie durant :
son beau-frère, voulut bien écrire pour ce à condition néanmoins que nonobstant celle
sujet. M. de itérulle s'intéressa aussi pour direction il resterait dans leur maison pour
cela ; ou lui envoya même exprès un de ses leur continuer cl à leur f imille l'assistance
plus intimes amis, qui, appuyant les lellres spirituelle rju'il leur avait rendue jusqu'a-
par lesquelles on le priait de donner cette lors. Après celte fondation, comme s',1 ne
consolation à madame de Gondy, le déler- restait plus rien à madame de Gondy que
mina à revenir à Paris, où il arriva au mois d';il'er ;:u ciel recevoir la couronne qui lui
d décembre de la même année 1617, et la était préparée pour ions les services Qu'elle
veille de Noël il rentra dans la maison de avait lâché de rendre à D.c-u, élan! tout at-
Gondy. Il y fut reçu comme un ange venu ténuée parles maladies, les peines et les l'i-
du ciel, particulièrement de madame de ligues que son zèle et sa charité lui avaient
Gondy. qui, dans la crainte qu'il ne la qu'il- fait entreprendre, elle mourut la veille de
lâl une seconde fois, lui fit promettre qu'il Saint-Jean-Baplistc de 1 1 même année. Après
l'assisterait jusqu'à la mort, comme il le lit, que son corps eut élé porté aux Carmélites
Dieu l'ayant voulu ainsi pour donner corn- de la rue Chapon, dû elle avait choisi sa sé-
mcncemenl à la congrégation do la mission, pulture, M. de Paul sortit de Paris pour al-
par le moyen de celle sainte dame, qui, per- 1er porter cette tr.ste nouvelle à son mari,
gistant toujours dans la résolution qu'elle qui était en Provence, et afin de lui dem in-
avait prise de faire une fondation p uir l'en- der son agrément pour qu'il se retirât au
trelien et la subsistance de quelques bons collège des Bons-Smfauts : ce qui lui ayant
prêtres ou religieux qui allassent de temps éié accordé, il revint à Paris, où il mit la
en lemps faire des missions dans Ses terres, dernière main à l'établissement de la cott-
et ayant cherché par le moyen de H. de Paul grégilion de la Mission, qui fut approuvée
tous les moyens pour exécuter son dessein par l'arch-'vêque de Paris le -2ï avril 1G2G.
sans avoir pu réussir, par le refus qu'en fi- M. Portail, qui avait déjà demeuré quinze
renl pp sieurs supérieurs de communautés ans avec lui, ne le voulut point quitter eu
auxquels on en parla, fit enfin réll xion que une si belle occasion. Deux bons prêtres de
plusieurs docteurs el autres vertueux ecclé- Picardie, nommés l'un du Coudrey et l'autre
siastiques qui se joignaient ordinairement à de la Salle, s'offrirent ensuite à ce saint fon-*
M. de Paul pour ira» ailler aux missions qu'il daleur, qui les associa lois trois à lui, eu
n'avait pas discontinue de faire depuis son exécution de la fondation par un ace passé
retour, n'auraient peut-être point de difficulté par-devant notaires le V septembre de la
de faire une congrégation particulière dont même année. Quatre autres prêtres les sui-
l'obligalion principale serait de faire les mis- virent peu de temps après, el leur cotnmu-
sions, si elle leur fondait une maison à Pa- naulé s'élant augmentée considérablement
ris dans laquelle ils pussent se reiirer et vi- dans la suite, le pape Urbain VIII, par une
vie en communauté : ce qui serait justement bulle du mois de janvier de l'an 1(3)2, érigea
l'exécution de son pnux dessein. Elle en celte compagnie en Congrégation sous le ti-
pa? la au comte de Joigny, son mari, qui non- Ire de la Mission, et permit au fondateur de
seulement approuva son dessein, mais aussi dresser des règlements pour le bon ordre de
voulût s'en rendre fondateur conjointement elle même congrégation. Pour autoriser da-
avec elle. Ils en communiquèrent tous deut vautage cet institut, le roi Louis XIII fit
avec Jean-François de Gondy, leur frère, expéher des lellres patentes au mois de
premier archevêque de Taris, q ii non-seule- mai 1642, et elles furent vérifiées au parle-
ment approuva leur zèle, mais, considérant nient de Paris au mois de septembre de la
que son diocèse eu pourrait recevoir de même année.
grands biens, voulut aussi c mlribuer à celle Dans le lemps que l'on poursuivait la bulle
fondation eu destinant le collège des Bons- d nt nous venons de parler, les prêtres de
Enfants, qui était à sa disposition, pour le cette congrégation cnlr rent dans le prieuré
logement de ces prêtres. Us en parlèrent à de Saint-Lazare à Paris, qui appartenait
M. de Paul, qui consentit à la proposition pour lors aux Chanoines Réguliers de la
qu'on lui fit, premièrement, de recevoir ce congrégation de Saint-Victor, qui voulurent
collège avec la direction des piètres qui s'y bien consentir à la cession qui en fut faite
retireraient avec lui, et des missions aux- par leur prieur aux conditions portées par
quelles ils s'appliqueraient; secondement, le concordat fait entre eux le 7 janvier 1632.
d'accepter la fondation au nom de ces pré- En suite de ce concordat et de la démission
très; el en troisièuiclieu, de choisir lui-même du prieur, l'archevêque de Paris fit l'union
ceux qu'il trouverait .propres et disposés de ce prieuré comme d'un bénéfice qui était
pour ce | ieux dessein. La chose ainsi reso- à sa collation, à la congrégation de la Mis-
lue fut exécutée le 1" mars 162b, et l'arche- sion, ainsi qu'il parait par ses lellres du der-
véque de Puis fit expédier, le 17 avril de nier décembre 1633, et elle fut confirmée par
l'année suivante 1623, les provisions de prin- le pape Urbain V1I1 par une bulle du mois
759
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELiGIEUX.
7fi0
de mars de l'an 1635. Celte maison, par sa
vaste étendue, la grandeur de ses bâtiments,
le nombre des prêtres et dis séminaristes qui
y demeurent et la résidence que le général y
fait, est de\ enue chef de cette congrégation,
qui, se rendant de plus en plus nécessaire à
l'Eglise, a fuit dans la suite de fort grands
progrès tant dans celte même ville de Paris,
où elle a obtenu le séminaire de Saint-Char-
les, que dans le reste du royaume aussi bien
que dans les pays étrangers. Le premier de
ces établissements fut à Toul en 1635. On
leur donna en 1637 la maison de Notre-Dame
de la Rose en Guienne. Le cardinal de Riche-
lieu les établit l'an 1638 à Richelieu el à Lu-
çon. Ils obtinrent un autre établissement à
Annecy en Savoie l'année suivante. Ils pas-
sèrent l'an 1642 en Italie, où la duchesse
d'Aiguillon Marie de Vignerod leur fonda
une maison à Rorne; elle en fonda aussi
dans son duché d'Aiguillon et dans son comté
d'Age nais aussi bien qu'à Marseille. Ils fu-
rent appelés à Gènes l'an Kj45 par le cardi-
nal Durazzo, qui leur fonda une maison
en celle ville. Ils furent reçus en Pologne
l'an 1631, où la reine Marie de Gonzague les
établit à Varsovie ; enfin elle fit un si grand
progrès el en si peu de temps, que M. de Paul
eut la satisfaction pendant son généralat de
voir établir vingt-cinq maisons de son insti-
tut, dont la dirnière fut fondée à Turin
l'an 1654.
Outre le bien que ce saint instituteur a
procuré à l'Eglise en lui donnant tant d'ou-
vriers évangéliques par rétablissement de
sa congrégation, il s'est encore di-tingué par
plusieurs autres saintes inslilutions tant pour
le soulagemeï.i corporel des pauvres que
pour le salut de leurs âmes. Car, on L e les
confréries de lâchante dans chaque paroisse,
qui lui sont redevables de leur commence-
ment, il a encore établi les filles de la Cha-
rité, servantes des pauvres malades, et' con-
tribué à l'établissement de celles de la Croix,
dont nous avons parlé à leurs articles. C'est
lui qui a donné origine aux compagnies
des dames pour le service de l'Hôlel-Dieu de
Paris, aux exercices de ceux qui doivent re-
cevoir les ordres, aux retraites spirituelles
de toutes sorles de personnes qui veulent,
ou choisir un état de vie ou faire des confes-
sions générales ; aux conférences, ecclésias-
tiques, à plusieurs séminaires, et enfin à
quantité d'hôpitaux, comme à ceux des en-
fants trouvés, des pauvres vieillards de Paris,
cl des galériens de Marseille.
Il assista Louis Xlll à la mort, et fut en-
suile nommé par la reine régente pour un
de ceux qui composèrent le conseil royal des
affaires ecclésiastiques et bénéficiales, dont il
eut lui seul presque toul le poids pendant dix
ans. Au milieu de ces emplois et des fonctions
indispensables de sa charge de général, il
sut se conserver dans une égalité peu com-
mune ; toujours uni à Dieu, il marcha en sa
présence plein d'un esprit de zèle pour sa
gloire et de charité pour le prochain auquel
il voulut assurer les secours qu'il lui avait
toujours donnés, eu mettant la dernière
main à se; règles et constitutions, paF les-
quelles il obligea ses disciples à continuer
pour le salut des âmes ce qu'il leur avait en-
seigné par son exemple : c'est pourquoi il fit
assembler en 1658 la communauté de Saint-
Lazare, el, après avoir fait à tous ceux qui
la composaient un discours fort affectif et
paternel, sur le sujet des observances de ces
règles, il les fil approcher tous, et leur don-
na à chacun un petit livre imprimé, conte-
nant ces règles, qu'ils reçurent avec beau-
coup de respect et une dévotion sincère.
Quoique ses grands travaux l'eussent ré-
duit dans un grand allaitement et lui eussent
causé une longue maladie, il ne laissait pas
toujours de s'occuper non-seulement au bien
et à l'avancement de sa congrégation, mais
encore au salut du prochain, sans oublier le
sien propre, dans la crainte qu'après avoir
prêché et enseigné les autres, il ne fût lui-
même réprouvé. C'est pourquoi, afin d'é-
viter ce malheur dont il avait retiré tant d'â-
mes, plus il avançait en âge, plus il se ren-
dait exact à l'observance de ses règles, et
particulièrement à satisfaire à l'obligation de
son office : ce qui obligea le pape Alexan-
dre Vil, qui connaissait combien la conser-
vation de ce grand serviteur de Dieu était
importante à toute l'Eglise, à lui faire expé-
dier un bref à son insu pour le dispenser
de l'office Mivin ; et en même temps les car-
dinaux Durazzo, archevêque de Gênes;
Ludovisio, grand pénitencier, et Bagni, qui
avait été nonce en France, lui écrivirent
pour l'exhorter à se soulager et à se conser-
ver. Mais le temps auquel Dieu avait déter-
miné de lui donner la récompense de tous
ses travaux étant venu, il mourut le 27 sep-
tembre de l'année 16l>0, âgé de 85 ans, après
s'être disposé à ce dernier passage par un
renouvellement de ferveur et de piété. Il fut
enterré au milieu du clueur de Saint-Lazare,
où ses obsèques se firent avec un grand
concours de plusieurs seigneurs et dames,
mais particulièrement du prince de Conti ,
du nonce du pape M. Picolomini, et de la du-
chesse d'Aiguillon. Quelques jours après l'on
fit pour lui un service solennel dans l'église
de Saint-Germain-l'Auxerrois , où l'évéque
du Puy prononça son oraison funèbre. On a
depuis fait les informations juridiques de sa
vie, de ses vertus et de ses miracles, pour
poursuivre à Home le procès de sa béati-
fication.
Cette congrégation a été beaucoup aug-
mentée après la mort de ce saint fondateur ,
étant présentement composée d'environ qua-
tre-vingt-quatre maisons, divisées en neuf
provinces, qui sont celles de France, Cham-
pagne, Aquitaine, Poitou, Lyon, Picardie,
de Rome, Lombardie et Pologne. Outre ces
maisons, madame la duchesse d'Aiguillon
leur fit une fondation pour l'entretien de
quelques missionnaires en Afrique, pour
l'assistance spirituelle el corporelle des pau-
vres esclaves île Barbarie, ou ils sont établis
depuis l'an 1645, et le pape Innocent XII en
enyoya l'an io'J7 à la Chine pour travailler à
la conversion de cette nation.
761
LAZ
LAZ
762
L'on peut juger de l'exactitude de M. Her-
nianl dans le dénombrement qu'il fait, dans
son Histoire des Ordres religieux, des mai-
sons régulières et des communautés séculiè-
res, par ce qu'il y dit des Pères de la Mission,
auxquels il retranche non-seulement deux
de leurs provinces, qui sont celles de Picar-
die et de Lnmbardie, mais encore plusieurs
maisons considérables, comme Notre-Dame
de Buglosse, dans la paroisse de Poui, lieu
de la naissance de M. Vincent de Paul, qui
fui donnée aux missionnaires de la province
d'Aquitaine, l'an 170(5, par M. Bertrand d'A-
badie d'Arborave, évéque de Dax, et par M.
l'abbé deBelbedcr, curé de Poui, qui unirent
cette cure à la congrégation ; le petit sémi-
naire de Saint-Charles dans la ville de Poi-
tiers, où il a été établi l'an 1710, par M. Jean-
Claude de la Poype de Vertrieu ; la maison
de Florence, fondée l'an 1703 par le pape
Clément XI et le grand-duc de Toscane; celle
de Fermi), fondée la même aînée par le car-
dinal Cinei ; celle de Barcelone, fondée en
170+ par deux chano nés de la cathédrale ;
et celle de Forli, fondée par le cardinal Pau-
lucci l'an 1709, toutes quatre de la province
de Rome; celle de Ferrare, fondée par la
marquise de Villa-Camille Bcrilaqua, l'an
16%; celle de Crémone, fondée l'an 1702
par M. Malossi, chanoine de la cathédrale et
grand vicaire de l'évéque de celle même
ville; et celle de Casai, fondée par plusieurs
personnes de piéié l'an 1710, toutes trois de
la province de Lombardie ; et enfin dans la
province de Pologne, la maison de Xowicz ,
au diocèse de Gnesne, fondée l'an 1089 par
le cardinal Radziewouski.
Le roi Louis XIV les a établis aussi en
1001 à Fontainebleau p ur avoir soin de sa
paroisse; à Versailles l'an 107'r p ur desser-
vir pareillement la paroisse et avoir soin de
la chapelle du château ; à l'hôtel royal des
Invalides à Paris, l'an 107a, pour y desser-
vir aussi la cure, qui comme les deux précé-
dentes est unie à la congrégation ; el enfin Sa
Majesté les a établis à Saini-Cyr l'an 1090, à
la sollicitation de madame la marquise de
Mainienon, pour être directeurs des dames
el demoiselles de Saint-Louis et faire des mis-
sions dans les terres de la mense abbatiale
de Saint-Denis en France, unie a la commu-
nauté de ces dames. Ils furent aussi appelés
à Saint-Cloud l'an 1688, par M. le duc d'Or-
léans, frère unique du roi, pour y avoir soin
de la chapelle de son château et de l'hôpital
de ce bourg.
Ils fireni un second établissement dans
Home l'an 1697, qui est encore un de ceux
omis dans le Catalogue de M. Uermanl,
quoique la seconde édition de son Histoire
n'ait paru qu'en 1710. Le pape Innocent XII
leur accorda le monastère de Sainl-Jeao et
Saint-Paul, sur le mont Célio , qui avait
autrefois appartenu aux religieux jésuites
avant leur suppression. Les religieuses Phi-
lippines (Voy. ce mot) l'avaient ensuite oc-
cupé ; el ces religieuses ayant été transférées
en uu autre lieu, Clément X l'avait donné à
des religieux anglais de l'ordre de Saint-Do-
minique. Alexandre VIII l'érigea en abbaye
l'an 1689, et la conféra à son neveu le cardi-
nal Otlohoni, en y conservant ces religieux
anglais, qui, ayant été obligés de l'abandon-
ner, furent cause que le cardinal Otlohoni se
détermina à remettre cette abbaye entre les
mains du pape Innocent XII, qui supprima
le titre abbatial et donna ce monastère aux
Prèlres de la Mission, qui y ont établi le sé-
minaire interne et les études de la province
romaine.
Oulre l'approbation que celle congréga-
tion a reçue du pape Urbain VIII, elle a
été encore confirmée par les papes Alexan-
dre VII et Clément X. Les prêtres qui la
composent ont pour lin principale de tra-
vailler à leur propre perfection, de s'em-
ployer au salut des pauvres gens de la
campagne par le moyen des missions, et
de s'appliquer à procurer l'avancement spi-
rituel des personnes ecclésiastiques.
Pour parvenir à la première fin, la con-
grégation a un règlement qui prescrit entre
autres choses une heure d'oraison menla'e
le matin , trois examens de conscience cha-
que j >ur, la lecture spirituelle aussi chaque
jour, quelques conférences spirituelles cli i-
que semaine, la reiraite annuelle de huit
jours, et l'observance du silence hors le
temps de la conversation.
Pour la seconde fin , elle vaque huit mois
de l'année aux missions de la campagne.
Les missionnaires demeurent quinze jours,
trois semaines ou un mois, et quelquefois
(dus en chaque lieu, selon qu'il est à pro-
pos, pendant lequel lemps ils instruisent
tous les jours le peuple par des catéchismes
el des prédications familières, entendent les
confessions générales, accommodent les pro-
cès ou autres différends, reconc. lient les en-
nemis, et procurent aux nécessiteux , parti-
culièrement à ceux qui sont malades, tous
les soulagements possibles, s'efforçant d'éia-
blir où cela se pcul les confréries de la Cha-
rité, et terminent enfin toutes ces bonnes
œuvres par la communion générale, à la-
quelle ils invitent tout le monde.
Pour la troisième tii\ , celle congrégation
s'applique à la direction des séminaires, dans
lesquels ceux qui se disposent aux saints or-
dres ou qui les ont déjà reçus demeurent re-
tirés pend. ml un temps notable pour éire for-
més dans les vertus et les fonctions de leur
vocation par les exercices suivants. Ils font
chaque jour en ce lien l'oraison mentale en
commun, récitent ensemble l'office divin ,
entendent la sainte messe, ou la célèbrent
s'ils sont prêlres, font l'examen particulier
sur chaque vertu avant le repas, el en fout
un aulre général le soir. O.i leur fait des le-
çons de théologie deux fois le jour, et une
lois l'exercice du plaiu-chaut. lis font à leur
lour la lecture durant le repas, el à la sortie
de l ible ils ont environ une heure de conver-
sation sur divers sujets utiles, comme de cas
di? conscience, de quelques passages de l'Ecri-
ture sainte, etc., mais d'une manière a dé-
lasser honnêtement l'esprit. Chaque seiuaiua
ils exercent à certains jours les cerémouies
7G3
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
704
ils l'église, tant de la messe liasse que de la
inesse haule, el des autres offices divins,
comme aussi la manière d'administrer les
sacrements. On les exerce pareillement de
temps en temps à la prédication , au prône,
au catéchisme , etc. Les dimanches et les
fêtes ils chantent la messe el les vêpres , ou
ils sont employés tour à tour en quelque of-
fice , selon leurs ordres: ils se confessent el
communient les même- jours.
La même congrégation s'applique à dis-
poser dans ses maisons les nrdiuands à re-
cevoir dignement les saints ordres, par une
retraite de huit, de dix ou de douze jours,
avant l'ordination générale. Pendant ce
temps-là, outre la plupait des exercices
communs aux séminaristes , on leur fait
deux entretiens chaque jour, l'un de la théo-
logie morale, qu'on leur explique toute en
abrégé durant leur retraite, et l'autre en
forme d'exhortation sur les sujets les plus
importants à leur état . Elle fait encore pour
la même fin des conférences spirituelles avec
les ecclésiastiques, qui s'assemblent chaque
semaine dans ses maisons, pour y traiter des
vertus et des fonctions propres à leur étal.
Enfin celte congrégation employé encore un
autre moyen tant pour la sanctification el la
perfection des personnes ecclésiastiques que
des laïques : savoir, les retraites spirituelles
de cinq , six ou huit jours qu'elle accorde a
tous ceux qui, sous la conduite d'un direc-
teur) veulent s'appliquer à l'oraison men-
tale et vocale , à la lecture spirituelle, à une
confession générale ou annuelle, et à dres-
ser un règlement de vie, etc. Alexandre VU
ordonna par un hrel do l'an 1662 que tous
ceux qui recevraient les ordres à Rome
et dans les six évéchés suffraganls seraient
missionnaires est semblable à celui des
ecclésiastiques, n'étant distingués que par
un collet de loile large de quatre doigts
et par un petit toupet de barbe qu'iis
portent (1). Ils ont pour armes Noire-Sei-
gneur prêchant.
Louis Abelly, évêque de Rodez, Vie de
M. Vincent de Paul. Giry, Vies des Saints,
tnm. Il, aux additions El septemb. Herinan,
Hist. des Ord. relig., totn. IV. Carlo Bar-
tliol. Piazza , Eusevolog. Roman, part, i,
trait. 5, cap. 29, et part, u , Trait. 11,
cap. 13. Régule Communes ejusd. coin/- ct/a-
tionis ; et Mémoires manuscrits donnés par
les prêtres de celle congrégation.
Le P. Helyot dit ci-dessus que depuis la
mort du saint fondateur des Prêtres de la
Mission, on a fait les informations juridiques
de sa \ie, de ses vertus et de ses miracles,
pour poursuivre à Rome le procès de sa béa-
tification. On sait aujourd'hui quelle a été
l'issue de ces poursuites. Tout ayani été exa-
miné rigoureusement à Rome, Vincent fut
béatifié, en 1729, par Benoit XIII. D.eu conti-
nua de manifester la gloire, de son serviteur
par les miracles qu'il accordait à son inter-
cession, et, en 1737, Clément XII mit Vin-
cent au rang des saints. La Pête de la cano-
nisation de saint Vincent de Paul fut célébrée
partout avec pompe et solennité. Sans entier
dans 1rs détails, nous devons du moins rap-
peler ici le dépit que manifesta le jansénisme
en celte occasion. Un gran I nombre de curés
de Pans mettaient opposition à la vérifica-
tion de toutes lettres patentes surprises ou
à surprendre en faveur de la bulle de cano-
nisation, cl parmi eux nous voulons nommer
l'abbé Goy, curé de Saitile-Marguerite, qui
mourut avant d'avoir la satisfaction de se
obligés de faire les exercices spirituels de joindre à ces zélés confrères , mais qui dé-
clara s'unir à leurs efforts. Suivant les jan-
sénistes, en un mot, monsieur Vincent avait
élé canonisé à force de calomnies. Leurs
diatribes furent inutiles, et ils eurent surtout
le dépit de voir installer avec grandes céré-
monies les reliques de saint Vincent dans
l'église de Saint-Hédard, où elles lurent ex-
posées à l'une des chapelles de cette enlise
qui donnaient sur le petit cimetière du diacre
Paris (2). La fête de saint Vincent de Paul a
élé fixée au 19 de juillet, et son culte est au-
jourd'hui [dus répandu que jamais.
Oui le croirait aujourd'hui, si l'histoire ne
l'attestait, et qui l'aurait cru alors, si de;
faits nombreux ne l'avaient prouvé! La cri-
tique et la persécution qu'éprouvèrent la
bulle de la canonisation el même la béatifi-
cation de saint Vincent de la part des jansé-
nistes n'empêchèrent pas l'esprit de nou-
veauté de s'immiscer dans cette congrégation
cl de gagner un grand nombre de ses mem-
bres aux erreurs d'une secte qui était son
ennemie acharnée. Grâces à Dieu, la société
des Lazaristes fut pendant le x\ uie siècle gou-
vernée par des supérieurs qui ne négligèrent
dix jours chez les Prêtres île celle con-
grégation , sur peine de suspension , dont
ils ne pourraient être relevés que par lui
ou ses successeurs; el Clément IX, en
considération de ces exercices que cette
congrégation fait faire, lui accorda plu-
sieurs grâces et privilèges.
11 est à remarquer que celle congréga-
tion est du corps du clergé séculier, quoi-
que les particuliers qui y entrent, y fassent
après deux ans de probalion quatre \œux
simples, de pauvreté, de ( hasleté , d'obéis-
sance et de stabilité, dont ils ne peuvent
être dispensés que par le pape ou par le
supérieur général. Elle fait toutes ses fonc-
tions à l'égard du prochain , avec l'ap-
probation el la permission des ordinaires
des lieux, et ne l'ail rien dans les mis-
sions sans l'agrément des curé-. Enfin elle
exerce ces mômes fonctions gratuitement;
c'est pourquoi elle n'accepte aucun établis-
sement s'il n'y a une fondation suffisante
pour l'entretien des ouvriers qu'elle en-
voyé. Elle esl gouvernée par un général
qui est perpétuel. L'habillement de ces
(I) Voy., à la fin du vol., n° 188.
(-2) Aujourd'hui le petit eimatière existe en partie;
il est éliangé eu parterfej el l'autel de la suinte;
Vierge couvre une portion du terrai
tombe du dincre.
où était la
765
LAZ
LAZ
7CG
rien pour maintenir dans son soin la doc-
trine catholique. En 171V, M. Je;in Bonn et
fut élu général. Quoique d'une santé délicate
el frêle, il déploya le plus grand zèle dans
son administration-, qui dura vingt-quatre
ans. C'est un «les successeurs de saint Vin-
cent de Paul qui ait le plus travaille à con-
solider et développer les œuvres du pie \
fondateur. Il eut surtout à cœur de préserver
la compagnie dont il était le chef et l'organe,
îles atteintes funestes de l'hérésie qui s'insi-
nuait alors partout et qui y fit pourtant plu-
sieurs conquêtes. Le zèle, quand il est véri-
table, donne à la charité des conseils de
rigueur, et M. Bonnet, en homme charitable
et prudent, ne recula pas devant des mesures
extrêmes* quand il les crut nécessaires ou
avantageuses au corps tout entier. Il retran-
cha plusieurs membres, très-capables d'ail-
leurs par leurs talents et leur instruction do
rendre des services sensibles. Entre ceux qui
durent céder à la vigilance et à la fermeté
de leur supérieur, nous nommerons un abbé
Levmt, sous-diaere, et l'abbé Gloris, assis-
tant du séminaire des Bons-Enfants , tous
deux opposés forrtieHement à la bulle L'ni-
genitus. Le séminaire de Bayeux fut deux
ans fermé, el M. Bonnet y lit introduire un
autre enseignement en y faisant suivre la
Théologie de Poitiers. A l'autre extrémité du
royaume, il se voyait dans le même temps
(1730) obligé à destituer et placer dans une
autre maison l'abbé Hcruiont, supérieur du
séminaire de T< ulouse. Dans les peines qu'il
éprouvait, M. Bonnet trouvait des consola-
tions, non-seulement dans le témoignage de
sa conseil nce. mais aussi dans la coopération
de ses vénérables confrères, et nous citerons
les abbés Plaguart, Jacquemart et Orlau,
entre autres, qui attestèrent de leur zèle
pour la saine doctrine dans une mission quï!s
donnaient à Eselaron, au diocèse de Chàlons-
suc- Marne. A M. Bonnet, qui mourut en
1735, succéda M. Jean Gonty, élu en 1736,
lequel gouverna jusqu'à l'année 17V6;son
administration ne fut pas non plus à l'abri
des orages que lui occasionnèrent les nova-
teurs cache- dans le sein de l'institut. Il lui
lallui bientôt, el dès l'année dS son élection,
expulser l'abbé Bary, qui, entré dans la con-
grégation en 1707, ayant élé professeur du
théologie, successivement à Sarlat el a An-
goulème, missionnaire, curé de Bichelieu, ne
fut reconnu pour janséniste dangereux que
par l'abbé Bourrel, excellent calhuliqtic et
curé de Fontainebleau, on Barry était alors.
11 faut se rappeler que presque (ous les or-
dr. s religieux étaient à la même époq au
exposés aux mêmes désagréments. La con-
grégation de la Mission en senlail plus vive-
ineul les coups depuis l'année 172V , à la
suite d'une assemblée générale dans laquelle
M. Bonnet avait donné des preu.es de ce
zèle dont nous avons parlé, el employé ses
soins pour faire accepter la bulle el préparer
la canonisation de saint Vincent. L'opposi-
tion qu'il avait éprouvée l'avait .porté dès ce
temps à faire des expulsions dont lurent
frappés les abbéi Lcfèvre, Himbert, Philo-
pold, etc. La relation de celle assemblée fut
publiée dans le temps. M. Conly mourut en
1746, el eut pour successeur, l'année suù anle,
M. Louis Debras , qui mourut en 1761.
M. Debras fut lui-même amené à des mesu-
res de rigueur et forcé d'expulser l'abbé
Charmet et peut-être d'autres confrères ;
mais hâtons-nous de dire que la r. mgréga-
tion de Saint-Lazare se distinguait alors par
son zèle pour la doctrine orthodoxe et par
les épreuves qu'elle subissait en consé-
quence, par exemple à Auxerre, où tous les
directeurs do séminaire furent interdits par
le fougueux cvêque de Caylus, et rétablis
par M. de Coridorcet, son successeur. Dans
les missions qu'ils donnaient sur d vers
points de la France, les Lazaristes s'appli-
quaient aussi à dissiper les erreurs jansé-
niennes et à faire disparaître les livres du
parti.
M. Antoine Jacquier fut élu général en
1762, et mourut en 1787. Ce fut durant son
administration que le souverain pontife, de
concert avec le gouvernement français, con-
fia à sa congrégation les missions de la
Chine et du Levant, que la suppression dès
Jésuites rendait vacantes. A M. Jacquier
succéda M. Jean-Félix-Joseph Cayla de la
Garde, élu en 1788.
Dès celte année, les élections pour les étais
généraux ayant eu lieu, il ne s'en fallu' que
de quelques suffrages pour que M. de Cayla
fût nomme un des dépulés du clergé ne Pa-
ris: il fut du moins nommé premier sup-
pléant.
Eu 1789, la maison de Saint-Lazare fut
une pie uière fois pillée par la populace, que
les factieux avaienl excitée. La perte el les
dommages s'élevèrent à plus d'un million.
M. de Cayla, qui se trouvait à la maison en
ce moment critique, fut admirable de sang-
froid, de calme et de dignité.
Lorsque les états généraux furent conver-
tis en assemblée nationale, tin député du
cler.é de Paris s'étant retiré, M. Cayla n'hé-
sita pas, malgré les alarmes et les représen-
tations de ses .-mis, à prendre sa place et à
assister aux séances de l'assemblée, où il
défendit courageusement les droits de la re-
ligion. Il voulut aussi être présent au jour
fixé pour prêter serment à la constitution
civile du clergé, et on sait qu'il se rangea
du côté des prêtres fidèles qui refusèrent ce
serment impie. Cet exemple du chef dé la
congrégation fut généralement suivi par les
confrères de Paris cl de la province. Sur
plusieurs mille prêtres de la Missi n qui
étaient alors en France, il n'y eut qu'un pelil
nombre à trahir leur conscience. Il y eut
donc en effet quelques défections, et ce corps
vénérable eut la douleur de voir deux évo-
ques constitutionnels sortis de son sein: l'Un
était Jean-BapliStc-Gûillaùme Gralien, Pié-
inonlais supérieur du sém naire deChiirtres,
qui fut sacré en 1792 pour le siège métropo-
litain de la Seine-lnferieure (Kouen), el
mourut en 1799; l'autre lut Adrien Lamou-
rctt*', supérieur du séminaire de Tours, et
directeur de retraite à Saint-Lazare, sacré
•707
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
768
en 1791 évoque métropolitain de Rhône et
Loire- (Lyon), et guillotiné à Paiis en 1794-,
après avoir rétracté son serment et ses er-
reurs. En compensation, la congrégation vil
plusieurs de ses membres sceller de leur
sang leur attachement à la foi de l'Fglise.
En 1792, le 2 septembre, eut lieu en même
temps qu'aux Carmes le fameux massacre
au séminaire de Saint-Firmin , rue Saint-
Victor, dans lequel saint Vincent de Paul
avait jeté les premiers fondements de sa con-
grégation. M. François, supérieur de celte
maison, périt dans cette journée.
Dans la même année eut lieu la seconde
spoliation de Saint-Lazare. Tous les mem-
bres de la congrégation qui se trouvaient
dans celle maison Furent dispersés. M. Cayla
fut forcé de fuir; il passa d'abord en Alle-
magne et de là à Rome, où le pape Pie VI
lui offrit un asile. C'est là qu'il mourut au
mois de lévrier 1800, pleurant sur la disper-
sion des membres de sa congrégation, et
n'osant espérer sans doute l'état prospère
que la Providence lui a rendu.
L'institut de la Mission a de tout temps
compté des hommes distingués par leur sa-
voir Ihéologique. Nous indiquerons, à l'épo-
que fixée pour ces additions historiques ,
M. Victor-Amédée Soardi, né à Turin, mais
professeur au séminaire Saint-Firmin, à
Paris. Il publia quelques ouvrages tr.ès-
eslimés, entre autres celui qui est intitulé :
De romani pontifias auctorilale, im; rimé à
Avignon en 1747. L'auteur y veut prouver
que le clergé de France reconnaissait l'in-
faillibilité du pai e. Son livre lut supprimé
par arrêt du parlement de Paris en date du
25 juin 1748 (lj. Il y a eu une seconde édition
de cet ouvrage à Heidelberg eu 1793.
Nous citerons aussi M. François, supé-
rieur de Saint-Firmin, auteur d'un ouvrage
de discussion philosophique remarquable,
dit- on, par sa logique et sa clarté. Nous
rappellerons surtout Pierre Collet, continua-
teur de Tournely. Les ouvrages de ce célèbre
théologien sont connus et estimés de tout le
monde: mais on !e connaît peu lui-même, et
nous recueillons sur sa vie des renseigne-
ments qui puissent suppléer au laconisme
des dictionnaires historiques à l'article de
cei homme si laborieux et si instruit. A la
nomenclature des établissements de Laza-
ristes, donnée par Héljol, nous joignons
ici la liste alphabétique des séminaires diri-
gés par celle congrégation: Agen , Albi,
Amiens, Angoiilémc, Arles, Arras, Avignon,
Anxerre, Bayeux, Beauvais, Helley, Béziers,
Bordeaux, Boulogne, Saiot-Brieuc , Cabors,
Cambrai, Châlons -sur- Marne , Chartres
(grand cl petit séminaire), Sainl-Flour, Saint-
Pol-de-Léon, Pau (pour le diocèse de Lescar),
Luçon, Saint-Malo (deux séminaires dans ce
diocèse, l'un à Sainl-Meen, l'autre à Sainl-
Servan); le Mans, Marseille, Metz (deux sé-
minaires, celui de Sainte-Anne el celui de
Saint-Simon), Monlauban, Nancy, Narbonne,
Noyon, Pamiers, la Rochelle, Rodez, Saintes,
Sarlal, Sens, Sisleron (deux séminaires dans
ce diocèse, à Manosque et à Lurs) ; Soissons
(grand et petit séminaire), Toul, Tours, Tré-
guier, Troyes et Vannes; en toul quarante-
sept grands séminaires et deux petit s. Aucune
autre congrégation, pas même celle de Saint-
Sulpicc, ne dirigeai alors aillant de maisons
de ce geure. Le»Lazarisles devaient cette con-
liance au respect porté à leur saint fonda-
teur, qui a le premier établi les séminaires
sur le pied où ils sont aujourd'hui.
La maison de Saint-Lazare, dont la nation
s'est emparée, est actuellement une prison
de femmes. Ce fut Edme Joly, troisième gé-
néral de la congrégation, qui fil construire la
pluparldes vastes édifices qui composent celle
maison el qu'on voil encore de nos jours.
L'enclos de cette communauté était le plus
grand qu'il y eûl à Paris et dans les fau-
bourgs. On y a bâti l'église de Saint- Vincent
de Paul, qui a été placée sous ce vocable, à
cause de l'ancien ne destin a lion de ces lieux; on
y a constroit aussi l'embarcadère du chemin
de fer du Nord, et on y bâtit en ce moment un
vaste hôpital ou hospice. Nous croyons de-
voir consacrer ces souvenirs, qui s'efface-
raient bientôt, lorsque ces lieux, encore si
solitaires de nos jours, deviendront, ce qui
sera en peu d'années, couverts d'édifices
comme les autres quartiers de Paris. On
voyait dans l'égiise plusieurs beaux tableaux,
représentant quelques traits de la vie de
saint Vincent de Paul. Nous croyons que
plusieurs de ces tableaux sont ceux qu'on
voil aujourd'hui dans les deux chapelles la-
térales de l'église Sainte-Marguerite, au fau-
bourg Saint-Antoine, où M. Dubois, ancien
Lazariste, a élé curé. Au fond du réfectoire,
où le général de la congrégation mangeait
toujours au milieu de deux pauvres, qui par-
tageaient les mets qu'on lui servait, était un
grand tableau représentant le déluge univer-
sel. Ce réfectoire pou i ail contenir plus de
deux cents personnes.
A Saint-Lazare on gardait des personnes
ecclésiastiques ou laïques qui y étaient ren-
fermées par lettres de cachet ou condamnées
à un temps de retraite. Ou y renfermait aussi,
croyons-nous, quelques aliénés.
Lorsque les rois voulaient faire autrefois
leur entrée dans Paris avec solennité, ils se
rendaient à Saint-Lazare, où ils recevaient
le serment de fidélité et d'obéissance de lous
les ordres de la ville. L'usage était aussi de
déposer dans celle maison les corps des rois
el des reines de France lorsqu'on les condui-
sait à Saint-Denis pour être inhumés. L'ar-
chevêque de Paris recevait le convoi entre
les deux portes du prieuré, et, après les cé-
rémonies accoutumées, le corps élait porté
à Saint-Denis par les Hannouars ou vingt—
quatre porteurs de sel jurés de la ville.
D'après le cracas du dernier siècle, les
Prêtres de la Mission avaient à Rome, et Hé-
lyol le rapporlc, deux établissements, celui
(1) En date du 20 juin 1749, suivant les renseignements qui nous ont élé fournis par M. l'abbé Salvaire,
Lazariste.
7(>9
LER
L\ÙR
770
do Sainte-Trinité à Monte-Citorio, et relui de
Saint-Jean et Saint-Paul.
Pour entrer à Saint-Lazare, il fallait, au
dernier siècle, accéder aux conditions sui-
vantes : la postulance durait autant qu'on le
jugeait convenable pour le sujet. On prenait
pour le noviciat et l'habillement cinq à six
cents li\n's. On faisait, dit de lîeaumonl, en
cela différent, de Hélyot, doux ans de sémi-
naire avant d'être admis aux vœux, et on de-
vait être, pour l'admission aux ordres, pourvu
d'un litre clérical de la valeur prescrite dans
le diocè-e où l'on était né.
A l'extrémité de l'enclos de Saint-Lazare
et sur la rue du faubourg, était une grande
maison appelée le séminaire de Saint-Char-
les ; c'était une dépendance de celle des Prê-
tres de la Mission destinée pour les mi mbres
convalescents et pour \a retraites de quel-
ques ecclésiastiques.
La dénomination de Lazaristes n'a point
éié employée par Hélyot, qui ne l'a peut-
être pas connue, et qui a donné à l'Institut
dont nous parlons son nom réel de congre-
galion des Prêtres de la Mission. Néanmoins
l'autre avait prévalu; et il est tellement at-
taché aujonrd bui à la société de Sainl-Vin-
cent de Paul, que c'est sous ce nom seul
qu'elle est connue, et c'est aussi sous ce nom
que dans notre dernier volume nous pla-
cerons l'histoire du rétablissement et des
progrès de celte société vénérable, dont nous
ferons connaître l'état actuel, voyez Laza-
ristes, au Supplément.
Etat ou Tableau de la Ville de Paris, par
de Beaumont, m-8°, 1762. Tubleni historique
et pittoresque de Paris, par J.-B. de Saint-
Victor, 2e édition, tome II, première parti i*.
Nouvelles ecclésiastiques, in-h\ passim. L'Ami
de la Religion, tome XVIII. Mémoires pour
servir à l'histoire ecclésiastique, par Picot,
tome IV. Notes manuscrites dues à l'exquise
obligeance de M. l'abbé Sali aire, prêtre, se-
crétaire général de la congrégation des La-
zaristes. B-D-E.
LÉANDRE (Saint-). Voy. Césaire (Saint-).
LÉRINS ( Congrégation de).
De la congrégation de Lérins , où il est parlé
des religieuses de Saint-Ilonorat de Taras'-
con et de celles de Marmunster ou Moise-
vaux.
L'abbaye de Lérins , l'une des plus célè-
bres et des plus anciennes de France, qui a
été un séminaire de saints prélats et d'abbes,
qui ont gouverné la plupart des églises et
des monastères de ce royaume , lie reçut la
règle de saint Benoit que dans le ur siècle :
encore y fut-elle observée d'abord conjointe-
ment avec celle de saint Colomban. Celle
fameuse abbaye, autrefois chef de congréga-
tion , fut fondée , non pas l'an 373 , connue
quelques-uns l'ont avancé, mais l'an 4-10,
par saint Honorai, qui lui dans la suite évê-
que d'Arles. On ignore le lieu de la nais-
sance de ce saint fondateur; on croit qu'il
était d'une famille noble et qu'il avait même
eu l'honneur du consulat. Quoique son père
s'opposât à sa conversion , il reçut le bap-
lènie aussi bi' n que son frère Venant, qui
se joignit à lui; et , ayant résolu tous deux
de ne vivre que pour Dieu, ils embrassèrent
la profession monastique sous la conduite
de saint Capraise , qui était ermite dans une
île proche de Marseille. Ils al èrenl ensuite
dans l'Achaïe; mais Venant étant mort à
Moudon, saint Honorât revint en Provence,
où étant attiré par Léonce , êvéquc de l-'ré-
jus , il s'établit dans son di cèse et choisit
pour sa retraite l'île de Lérins, qui était dé-
serte et où personne n'abordait à cause de
la quantité de serpents dont elle était rem-
plie. Mais Honorât , ayant chassé ces ani-
maux , y bâtit un monastère qui fui bientôt
habité p, r un grand nombre de religieux de
toutes sortes de nations. Il était d'abord
composé de cénobites ei d'anachorètes, sem-
b'able à une laure où l'on voyait une infi-
nité de cellules séparées les unes des autres.
L'île de Léro , qu'i.n appelle présentement
Sainte-Marguerite, qui louche presque à
celle de Lérins , était aus--i habitée par de
saints solitaires qui ne faisaient avec ceux
de Lérins qu'une même congrégation, gar-
dant les mêmes observances. Il ne faut point,
dit le P. .Malii Ion. recourir aux Institutions
de Cassien et dire qu'elles servaient de rè-
gle à ces solitaires , puisqu'elles n'étaient
pas encore écrites, il est vrai qu'on ne peut
parler que par conjecture , mais il e>l plus
probable qu'i s observaient la règle de saint
Macaire.
Saint Honorai ayant été élevé sur le siège
épiseppai d'Arles, Maxime lui succéda ilans
le gouvernement de Lérins , et Fausle à
Maxime, qui furent Ions deux étéques de
Riez. Fausle, étant encore abbé, eui un dif-
férend avec Théodore , évéque de Fréjus,
au sujet de la juridiction que ce prélat pré-
tendait avoir sur cet e abbaye, qui était
encore pour lors du diocèse de Fréjus, et
qui n'a elè que dans la suile de. celui de
Grasse. Saint Honorai, en jetant les fonde-
ments de ce monastère , était convenu avec
l'évêque Léonce que les clercs et ceux qui
approchaient des autels ne seraient ordon-
nés que par l'évêque ou par celui à qui il
en aurait donné la permission , et que lui
seul donnerait le saint chrême; mais que
tout le corps des autres moines laïques serait
sous la dépendance de l'abbé qu'ils auraient
élu. Théodore cependant prétendait avoir
une juridiction absolue sur tout le monas-
tère. Pour remédier au scandale que ce dif-
férend causait, Ravennius , évéque d'Arles ,
convoqua un concile de treize évêjues, dans
lequel il fui résolu que Théodore serait prié
de recevoir la satisfaction de Fausle, qu'il
oublierait le p issé , qu'il lui rendrait son
amiiié, qu'il continuerait à lui donner les se-
cours qu'il avait promis, et qu'il ne pourrait
s'attribuer sur ce monastère que ce que
Léon son prédécesseur s'était attribué, c'est-
à-dire que 'es clercs et les minisires de l'au-
tel ne seraient ordonnés que par lui ou par
celui auquel il eu aurait donné commission;
que lui seul donnerait le saint chrême et
771 DICTIONNAIRE DES
confirmerait les néophytes, s'il y en avait •
que les clercs étrangers ou passants ne se-
raient point admis sans son consentement
ni à la communion ni au ministère, mais
que la multitude- des laïques (c'est-à-dire le
Teste des moines) serait sous la Conduite de
labbe, sans que l'évéqué s'y attribuât
aucun droit , ni qu'il pût en ordonner au-
cun pour clerc , si ce n'était à la prière de
labbe.
C'est au sujet de ce concile, qui se lint
1 an 450, selon quelques-uns, ou, selon d'au-
tres, l'an 453, et qui , selon M. Fleury, ne
peut pas avoir été tenu plus tard que l'an
461 , que le P. Mabillon fait remarquer que
pour lors les clercs n'étaient pas ainsi appe-
lés à cause de leur lons.ure , mais à cause
des ofiiee, ecclésiastiques qu'ils exerçaient
comme île chantre, de sacristain, d'économe'
de notaire ou de défenseur } et qu'ils étaient
appelés ministres de l'autel lorsqu'ils avaient
reçu les ordres majeurs ou mineurs; qu'à
I égard des simples moines, qui n'avaient ni
ordres ni offices, ils étaient appelés laïques ,
et que pour les distinguer des séculiers on les
appelait quelquefois laie* majorù proposili.
II ajoute que ce concile d'Arles, parlant de
ces moines , les avait appelés une multitude
de laïques, parce que leur nombre était
beaucoup plus grand à Lérins que celui des
clercs ; mais que dans la suite le nombre des
clercs engagés dans les ordres majeurs sur-
passa celui des simples moines , comme il
parait par la lettre que saint Grégoire le
Grand écrivit à l'abbé Etienne , où il le con-
gratule de ce que les prêtres , les diacres et
toute la communauté vivaient dans une tirande
union. Saint Fructueux , évêque de Prague ,
distingue dans le dernier chapitre de sa rè-
gle les moines de son monastère d'avec les
laïques; mais ces sortes de laïques n'étaient
pas des séculiers , ils étaient de véritables
moines tels que ceux que l'on nomme pré-
sentement convers. Ainsi, conclut ce savant
homme, lorsque le concile d'Arles parle de
celle multitude de laïques qui étaient à Lé-
rins , il n entendait pas parler de séculiers
mais de moines qui n'étaient pas clercs,
puisque celait à eux que l'élection de l'abbé
appartenait. Ouanl aux néophytes ( dont il
est aussi parlé dans ce concile) qui étaient à
Leims, il faut remarquer qu'autrefois les ca-
téchumènes élaient instruits dans les monas-
tères avant que de recevoir le baptême
Après que Fauste eut été fait évéque de
liiez, Nazare fut ai bé de Lérins. Ce fut lui
qui ht balir pour des tilles le monastère d'Ar-
lue, 1 an kl± Les autres abbés qui succédè-
rent a tNazare eurent soin de maintenir l'ob-
servance régulière; mais il y a bien de l'ap-
parence qu'elle s'aiïaiblit dans la suite sur
la hn du vi siècle, du temps même de l'abbé
Etienne, que saint Grégoire avait félicité par
une lettre de la grande union qui était dans
son monastère , puisque , .par une autre let-
tre de ce pape écrite à Conon , successeur
a Mienne, il !e*horle de corriger les mœurs
ue bes religieux.
Le relâchement augmenta dans la suite et
ORDRES RELIGIEUX.
m
produisit une grande division entre les reli-
gieux, qui, ne pouvant s'accorder sur l'élec-
tion d'un abbé, demandèrent, l'an CGI, Ai-
gulfe, moine de Saint-Benoît-sur-Loire' qui
y avait apporté du Monl-Cassin le corps de
saint Benoît, et l'élurent pour abbé. Aigulfe
ayant accepté celle dignilé, travailla aussitôt
a rétablir dans ce monastère la paix et l'ob-
servance. Les exhortations jointes au boa
exemple qu'il donna furent si efficaces , que
les esprits se réunirent enfin , et ceux qui
élaient sortis du monastère v revinrent et
reprirent les observances régulières. Il s'en
trouva néanmoins deux , Arcade et Colomb ,
qui conçurent une si grande aversion contre
le saint abbé et contre ceux qui suivaient
ses maximes , qu'ils cherchèrent les moyens
de leur Citer la vie. Quelques-uns s'élant
aperçus de leur mauvaise volonté, voulurent
échappera leur fureur en se retirant dans
1 église de Saint-Jean; mais les autres ne
voulurent point abandonner leur abbé , qui
représenta aux rebelles l'énormité de leur
crime, dont ils se repentirent et demandè-
rent pardon. Mais un an après, craignant
que le bruit de leur conspiration n'allât jus-
qu'aux oreilles du roi et qu'il ne les fît pu-
nir, Arcade sorlil du monastère pour aller
chercher de la proleclion au dehors , et Co-
lomb resta pour cabalcr au dedans. Arcade
voulut ensuite rentrer, feignant de se repen-
tir, mats Aigulfe lui fil fermer la porte. Ce
méchant homme eut pour lors recours à un
seigneur voisin nommé Mommol, et lui per-
suada d'aller à Lérins , l'assurant qu'il y
trouverait de grands trésors. Il y vint, con-
duit par cet Arcade, qui prit l'abbé, le'char-
gea de coups de bâton , et le mit en prison
avec les religieux qui lui élaient le plus sou-
mis. Le lendemain Arcade les alla voir , et ,
feignant qu'il n'était point l'auteur de cette
violence , leur fil apporter à manger. Mais,
quoique dans les liens, ils ne crurent pas
pouvoir transgresser la règle; et, comme c'é-
tait uti jour déjeune et qu'il n'était encore
que I heure de tierce, ils différèrent à man-
ger jusqu'à none.
Apiès que Mommol ent emporté ce qu'il
put du monastère, Arcade fit sortir les pri-
sonniers au bout de dix jours et les mit sur
un vaisseau. Colomb les voulut accompagner
après leur avoir fait couper la langue et
crevé les yeux , de peur qu'ils ne fissent
connaître les auteurs d'une telle cruauté , et
leur donna de méchants babils afin qu'ils ne
fussent pas reconnus pour religieux Ils
abordèrent à l'île Capraria,où il y avait une
grande multitude de moines, avec lesquels
ils célébrèrent la cène du Seigneur , y étant
arrivés le jeudi saint: le jour de Pâques
Colomb eut la hardiesse de faire l'office dé
diacre à la messe, et avant la communion, de
donner le baiser de paix à ses frères qui por-
taient des marques de sa cruauté, et donl les
plaies étaient encore toutes saignantes. Il
sortit ensuite de ce monastère, y laissant
sainl Aigulfe avec ses compagnons, et s'en
alla à Ephèse pour quelques affaires sécu-
lières qu'il y avait. Il retourna à Capraria
116
LLR
deux ans après, où il lit rembarquer les saints
mailtrs Aigulfe et ses frères; et, les ayant
conduits dans une ile qui est entre celles de
Corse et de Sardaigne, il les y lit massacrer
l'an G"Ï5. L*on ilit i|ue le roi Thierri lit porter
à ce malheureux la peine que méritait un si
grand cri i s<
La réforme qui1 saint Aigulfe avait établie
à Lérins ayant été comme arrosée, de son
sang , refleurit et porta une abondance de
fruits eu piété et en vertus. Ce monastère
fut si célèbre et l'observance y était gardée
si exactement, que l'on y venait de toutes
paris s'y consacrer à Dieu : l'on dit même
que le bienheureux Amand , qui pouvait
gouverner cette abbaye vers le commence-
ment du fin* siècle, eut sous sa conduite
jusqu'à trois mille sept cents religieux. Sil-
vainj i succéda, et saint Poreaire à Silvain.
Ce fût du temps de saint Poreaire que les
Sarrasins attaquèrent celte île. Ce saint,
ayant connu par révélation qu'ils devaient
venir, cacha dans un lieu secret les reliques
des saints qui étaient dans son église, et per-
suada à trente-six religieux qui étaient à la
Heur de leur âge et à seize enfants qu'on éle-
vait dans ce monastère de sauver leur vie
par la fuile en se réfugiant en Italie.
Il parla ensuite à sa commun 1 1» té, compo-
sée d'eutiron cinq cents religieux, et les ex-
horta à mourir généreusement pour Jésus-
Chrisl. Mais ses exhortations ne pouvant
rassurer deux religieux : l'un nunimé Co-
lomb, l'au're Eleuîhère , il leur commanda
de saler cacher dans une grotte voisine.
Les barbares élant descendus dans f ,1e l'an
730 ou 731 , renversèrent les églises et tous
les bâtiments, tuèrent tous les religieux, du
nombre desquels fui Colomb , qui , condam-
nant sa timidité , sortit de sa grotte , et, se
rejoignant à ses frères , eut le bonheur de
mourir avec eux. Ces barbares épargnèrent
néanmoins quatre jeunes religieux qu'ils se
contentèrent de faire prisonniers. lis les ti-
rent monter sur un de leurs vaisseaux qui
aborda au port d'Agat en Provence , où on
leur permit de descendre à terre pour un
peu de temps : mais , voyant qu'on ne les
obsertail pas et qu'ils liaient proche d'une
forêt, ils s'y cachèrent jusqu'à ce que les
barbares eussent mis à la toile. Alors ces
religieux vinrent à Arlue, où, ayant trouvé
une petite barque , ils s'en sertirent pour
repasser à Lérins, c ù ils aidèrent Elcuthère
à donner la sépulture aux corps des saints
martyrs. Ils allèrent ensuite trouver en Ita-
lie ies jeunes religieux que saint Poreaire y
avait envoyés ,• et , lorsqu'on n'eut plus rien
à craindre de la part des sarrasins , ils re-
tournèrent à Lérins sous la conduite d'Eleu-
tbère , qui répara l'abbaye dont il fut fait
abbé.
Il y a de l'apparence qu'elle eut encore be-
soin de réforme lorsque saint Odilon , abbé
de Cluui, qui réforma tant de monastères en
France , en fut abbé, en 997. Mais celte ab-
baye ne fut jamais plus florissante que sous
(1) Voy., à la lia du vol., n° 189.
LEIt 77 1
le gouvernement de l'abbé Adelbert, qui fut
élu l'an 1066 et qui gouverna celte abbaye
pendant trente-six ans; car l'auteur do Cata-
logue des abbés, rapporté par Vincent Iiarale,
dit qu du temps de cet abbé il n'y avait pas
un seul jour que l'on n'enrichit cette maison
par quelques donations. Ce fut de sou temps
que Raymond, comte de Barcelone, et sa
lemme, donnèrent à celle abbaye le monastère
de Saint-Barlhélcmi en Catalogne. Elle en
avaitaussi d'autres, non-seulement en France,
mais encore en Italie dans l'evè he de Keg-
gio, dans l'Etat de Gènes et dans l'île de Cor-
se , qui tous étaient soumis à la correelion
de l'abbé de Lérins; cardans ce Catalogue
des abbes l'on voit que l'abbé Tournefort, qui
fut élu l'an 136!}, ordonna au prieur de Saint-
Antoine de Gènes, qui était de sa dépendan-
ce , de défendre par sainte obédience à ses
religieux de sortir hors du monastère sans
sa permission et sans être revêtus de leur
coule ou flocs (1); et que si quelqu'un ne
voulait pas obéir, que l'on en donnât aussi-
tôt avis à l'abbé de Lérins. Il semble que ce
prieuré ait étéchange dans la suite, enabbaye;
car dans un chapitre général qu'André de
Fonlana tint l'an liai, tous les moines de
Lérins y assistèrent avec les prieurs des
prieurés de la dépendance de l'abbaye ; et
Benoit Négroni, abbé de Saint-Antoine de
Gènes, n'ayant pas pu y venir, y envoya un
procureur pour tenir sa place. C'était la cou-
tume de celte abbaye de tenir ainsi des cha-
pitres généraux , où l'on faisait des ordon-
nances pour maintenir la discipline régulière.
Il y avait encore des monastères de filles qui
en dépendaient , comme ceux d'Arlue, do
Saint-Honorat, de Taraseon, etc.
Ce monasière de Taraseon fut fondé l'an
1358 par Jean Gantelmi, originaire de Naplcs,
grand sénéchal de Provence. 11 fixa le nom-
bre des filles à trente, toutes demoiselles, sous
l'autorité d'une abbesse. Il doM richement ce
monastère, lui ayant donné beaucoup de re-
venus, tant dan-; la ville de Taraseon el aux
eut irons, que dans celle d'Arles, outre trois
terres seigneuriales, avec toute juridiction et
plusieurs droits et privilèges, dont l'abbesse
jouit encore présentement. Ce monastère est
sous la juridiction de l'.ibbé de Lérins et ne
dépend point de l'ordinaire. L'abbesse est do
nomination royale, et Sa .Majesté choisit or-
dinairement des filles de grande qualité. Celle
qui est abbesse aujourd'hui est de l'illustre
maison de la Baume de Suze en Dauphinc.
Nous donnons ici l'habillement de ces reli-
gieuses, que nous avons fait graver sur le
dessin qui nous a été envoyé en 171+ ;2).
Outre ces monastères de l'ordre, il y en
avait encore un de Chanoines Réguliers qui
lui élait soumis. Giraud, étant abbé en 12ii<>,
donna, du consentement de sa communauté,
à des Chanoines Réguliers thaulsous la rè-
gle de saint Augustin , les églises de Samt-
Mamert et de Sainte-Marie de Fontaine-Vi-
neuse, avec leurs dépendances, à condiliou
qu'ils reconnaîtraient Lérins pour leur chef;
{i) V pu-, ibid., n° 190.
775
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
770
et que pour marque qu'ils lui étaient soumis,
ils porteraient des ca puces nuits sur leurs sur-
plis; q l'outre cela ils payeraient à l'abbé de
Lérins et à ses successeurs deux besans d'or,
M que le prieur assisterait tous les deux ans
au chapitre général de l'abbaye de Lérins.
Enfin Augustin Grimaldi, évêque de Gras-
se, étant abbé de Lérins eu 1505, voyant que
la discipline monastique n'était plus en vi-
gueur dans ce monastère, le soumit à la con-
grégation des Bénédictins de la réforme du
Mont-Cassin et de Sainte-Justine de l'adoue.
Elle en prit possession l'an 1515, et depuis
ce temps-là les abbés n'ont plus été perpé-
tuels. Le pape Léon X approuva celt.- union
la même année; le roi François I'r y consen-
tit par ses let rcs du li avril aussi de la mê-
me année, qui furent vérifiées au parlement
d'Aix. Celle union fut dans la suite confir-
mée par la reine Louise, mère de François I",
régente du royaume en son absence, le 7 août
1525; par le roi Henri H l'an 15V7, par le
pape Clément VIII l'an 1501 , et par le roi
Henri IV l'an 1597. Quoique dans le Catalo-
gue des abbés dont nous avons parlé il
soit marqué que la congrégation du Mont-
Cassin a depuis celle union établi les abbés
dans ce monastère , il paraît néanmoins que
les religieux se sont toujours conservé le
droit de les élire et de les choisir du corps de
la communaulé. Chopin rapporte à ce sujet
un procès qu'il y eut au conseil privé entre
dom Hilaire d'Antibes, religieux de celle ab-
baye (qui avait été élu abbé d'un commun
consentement de la communauté, et pour le-
quel le même Chopin plaidait), et un Italien
qui en avait été pourvu par le roi, qui avait
interjeté appel comme d'abus de celle union
de Lérins avec la congrégation du Mont-Cas-
sin. Par l'arrêt qui fui rendu le 8 novembre
1599, celle abbaye fut adjugée au religieux
qui avait elé élu par la communaulé, et ce
en conséquence de l'union faite avec la con-
grégation du Mont-Cassin.
Nous avons dit ci-devant que cette abbaye
était un séminaire d'évéques. Elle a donné à
l'Eglise douze archevêques, autant d'évéques,
dix abbés , quatre moines , mis au nombre
des saints confesseurs , et une infinité de
martyrs, sans parler d'un très-grand nombre
d'hommes illustres qui en sont sortis. Toute
l'île est de la dépendance du monastère. Les
Espagnols la surprirent au mois de septem-
bre 1635 et en furent chassés en 1637. Ce sont
eux qui désolèrent ce lieu, coupant des forêts
de pins , qui y fournissaient une ombre
agréable contre les ardeurs du soleil, que la
nature avait disposés en allées, au bout des-
quelleson Irouvaildes oratoires bâtisen l'hon-
neur des saints abbés ou religieux de celte
ile. Celte forêt si agréable lui avait fail don-
ner le nom d'Aigrette de la mer.
Les mémoires que nous avons du monas-
tère de Masmuuster sont si succincts, que,
ne suffisant pas pour en faire -un artiele
particulier, nous l'avons inséré à la fin de
celui-ci, suivant le temps et l'année de sa
fondalion, qui fut en "720. Ce monastère est
situé à Moisevaux, dans leSuntgaw, à cinq
lieues de Malhanson. 11 fut fondé par Mason,
duc de Suève , qui, ayant perdu son fils uni-
que , qui s'était noyé dans la rivière de Tol-
der, qui passe à Moisevaux, y fit bâtir celte
abbaye , dans laquelle il mit des religieuses
de l'ordre de Saint- Benoît, qui, quoique dé-
chues de leur premier institut et de la pure-
té de la règle de ce saint fondateur, n'ont
pas laissé de le conserver jusqu'à présent.
Ce sont présenlement toutes filles nobles,
cl pour y êlre reçue il faut faire preuve de
seize quartiers de noblesse tant du côté pa-
ternel que du côté maternel. Leur église est
dédiée en l'honneur de saint Léger, martyr,
évêqued'Autun. Elles sont sous la juridiction
de l'évêque de Bâle, et sont collalrices d'en-
viron quinze cures, dont elles tirent de gros-
ses décimes, lanl en grain qu'en vin. Leur
habillement, qui est noir, est semblable à
celui des séculières. Files ont au chœur un
manteau traînant à terre, et leur coiffure est
particulière, comme on le peut voir dans la
figure que nous en avons fait graver sur le
dessin qu'elles nous ont envoyé avec les mé-
moires concernant leur abbaye (1). Il y a en-
core quelques autres monastères de Bénédic-
tines, fondés environ dans le même temps et
dans le même pays; mais, comme elles ont
secoué le joug de la règle de saint Benoit
pour se séculariser , nous en parlerons aux
articles qui portent les différents noms sous
lesquels elles sont présenlement désignées ,
tant de celles qui ont conservé la foi que de
celles qui ont embrassé l'hérésie.
Voyez Vincent Baral, Chronol. insul. Lfri-
nensis. Sainte Marthe, Gall. Christ., tom. IV.
Bulleau, llist. de l'ord. de Saint- Reno'il. Ma-
billon. Annal. Bened. Fleury, Hist. eccles.,
tom. V et VI ; et le Dict. hist. de Moréry.
Nota. Il y a quelques années, il fui ques-
tion de racheter l'île célèbre de Lérins, qui
fut mise en vente. L'évêque de Fréjus, no-
nobslanlla modicité du prix demandé (30,000
francs,dil-on) et ses bons désirs, ne pul faire
l'acquisition de ce lieu dont le souvenir est
si cher à la religion et aux lettres, et qu'il
eût probablement enrichi de quelque établis-
sement pieux. B-d-e.
LÉVRIER (Chevaliers nu) au duché de Bar.
L'an 1116, plusieurs seigneurs du duché de
Bar s'unirent ensemble et formèrent une so-
ciété dont la marque était un lévrier ayant à
son cou un collier où étaient écrits ces mot9
tout un, qu'ils devaient porter. Ils promirent
de s'aimer les uns les autres , de garder leur
parole, de défendre celui d'entre eux dont ils
entendraient dire du mal, et de l'en avertir.
Tous les ans ils élisaient entre eux un roi, et
s'assemblaient au mo s de novembre, le jour
de saint Martin, et au mois d'avril, le jour de
saint Georges; et, si quelqu'un avait fait
quelque faute , il en était repris par le roi et
par cinq ou six autres de la société. Ils de-
vaient se trouver à ces assemblées sous peine
(i) Voy.,à la fin du vol., n° l'JG
777
LEV
I.F.V
77!?
d'un marc d'argent, à moins qu'ils n'eussent
une excuse légitime. Personne ne pouvait
être reçu dans la compagnie que par le roi et
huit ou dix des plus distingués, et avec l'agré-
ment du duc de Bar, qui promit de protéger
et d'aider ces chevaliers de toutes ses forces.
Si quelqu'un faisait tort ou causait quelque
dommage à l'un de ces chevaliers , celui qui
avait éié offensé devait en demander justice
au duc de Bar, s'il était sou sujet, et, s'il ne
l'était pas, il devait la demander à son sei-
gneur naturel, avant que de venir aux voies
de. fait; et, eu cas de refus, ils étaient obligés
de prendre la défense de celui qui avait reçu
du dommage, comme il est plus amplement
spécifié dans les Lettres de l'établissement de
celte société, dont voici la teneur :
A tous ceux qui ces présentes lettres ver-
ront. Nous Thibaut de Bl amont, Philbert, sei-
gneur de Bejfroymtnl, Eustache de Conflans,
Richard de Hermoises, Pierre de Beffroi/mont,
seigneur de Ru f fin, Regnaut du Chastelel ,
Evrard du Chaslelet son fils, Mansart de
Sus, Jean, seigneur d'Orne, Philippes de No-
veroy, Ovy de Lendes, Jean de Luire, Jean de
Seroncourt, Erlart d'Oultenger, Jean de Bef-
froymont , seigneur de Sontois, Jean de Ma-
teetz, et Joffrog de Bassompière, chevaliers,
Jean, seigneur de Rodemars, Robert de Sar-
rebruche, seigneur de Commercy, Edouard de
Grandprey, Henry de Breul, Mery de la Vaux,
Jeoffruy d'Aspremont , Jean des Hermoises ,
Robert des Hermoises, Simon des Hermoises,
Franque de Leuze, Aubry de Boulanges, Hen-
ry Despeneaut, François de Xorbcy, Jean de
Lou, Hugues de Mandres, Bttart de Man-
dres, Philibert de Doncourt, Jean de Sampi-
gny, Colin de Sampigny, Arnoul de Sampi-
gny, Alardin de Monsey, Hanse de, Neuelin,
le Grand Richard d'Aspremont, Thierry d'An-
nols, Thomas d'Oulanges, Jaquenin de Niccy,
et JaquenindeVillars, escuyers, salut. Sçavoir
faisons que, nous regardons et désirons vivre en
honneur et en paix, avons avisé que nous fe-
rons ensemble une compagnie durant l'espace
de cinq ans entiers, commençons à la datte des
présentes : c'est à sçavoir que nous tous dessus
nommez avons juré aux saints Evangiles de
Dieu, et sur nos honneurs, que yious nous ai-
merons et porterons foy et loyauté les uns en-
vers les autres, et se nous sçavons le mal ou
domage l'un de l'autre, que nous le détourbe-
rons à nos pouvoirs, et le feront sçavoir les
uns aux autres, ledit tems durant, et cette
présente alliance et compagnie avons juré en-
vers tous et contre tous, excepté nos seigneurs
naturels et nos amis charnels, et durera cinq
ans entiers, comme dit est, et se nul vou-
toit quelque chose demander et requérir, nous
en venrions à jour et à droit par devant notre
très R. P. en Dieu, notre 1res redouté seiqneur
le cardinal duc de Bar, marquis du Pont, sei-
gneur de Cassel, lequel notredit seigneur nous
a promis loyaumenl en parole de principie de
noas ailler et conforter de toute sa puissance
et de son pays et de toutes les choses dessus,
envers et contre tous ceux qui à jour et à droit
ne voulronl venir là où il appartientdroit
par raison, et ferons un roi de cette compa-
DlCTWNAlRË DES ORDRES RELIGIEUX. II,
gnie, qui. durera un an entier, et nous tous
qui serons de cette compagnie, porterons au
Lévrier qui aura en son col un collet, auquel
sera escript, Tout ung, et tous les ans tien-
rons deux journées, la première à la Saint-
Martin d'yver, et l'autre à ta Saint-George*
en avril, pour sçavoir s'il y auroit aucune
faute en ladite compagnie ; et se aucune faute
il y acoit, elle seroit amande e par le roy et par
six des autres alliez, et, convema que chacun
soit auxditcs journées, sous puinc de payer un
marc d'argent, auxquelles journées on devroii
envoyer se on avait excusalion , soy excuser
et payer sa part des dépens, et se tenra la pre-
mière journée à Saint-Michel , et ne peut on
mettre aucun en cette compagnie que ce ne. soit
par V ordonnance de mondit seigneur, et par
le roi d'icelle, ensemble, huit ou dix des ]>las
grands d'icelle, lesquels seront nommez es let-
tres de celuy qui sera commis pour sçavoir
ceux qu'ils auroient élu. Et se aucun faisait
tort ou domage à l'un de cette compagnie , il
devroit requérir notredit seiqneur qu'il l'eut
à jour et à droit s'il estoit son sujet, et s'il
n'estoit son sujet , devra requérir le seigneur
de qu'il seroit sujet qu'il l'eut à jour et à droit
devant que on fit œuvre de fait, et en cas de
refus, notredit seigneur devroit aider la com-
pagnie jusijues à droit. Et nous tous serons
tenus de servir à nos dépens celui à qui on fe-
rait domage, qui ainsi auroit requis tant que
le pays du duché de Bar et marquisat du Pont
durant et pour le tems avenir: car se para-
vent la datte des présentes, ou paravent ce que
aucun fut mis de celte compagnie aucune
guerre estoit commencée, nous ne serons point
tenus d'en aider l'un l'autre, comme dit est
par la manière qui s'ensuit : c'est à sçavoir un
bannerel à truis hommes d'armes , un simple
chevalier à deux , cl un escuger à ung , huit
jours après que celui à qui on feroit domage.
Tauroit fait sçavoir au roy de cette compa-
gnie, et que ledit roi en aurait requis; et se
plus grand force y convenoit ou se devroit
renforcer au regard du roy et de six de ladite
compagnie, et toutes ces dites alliances, nous
tous avons faites et passées par le consente-
ment dudit seigneur et en sa présence , et ice-
luy notredit seigneur nous a promis que se
nous avions débat les uns aux autres de nous
oir et garder le droit de chacune partie sans
longs procès, comme bon seigneur doit faire,
à ses sujets, et nous lui devons garder son
bien, état et honneur et proffît de toutes nos
puissances, comme bons vassuux doivent faire
à leurs bons seigneurs , sans fein.tise ne entre-
pos aucun, et ne pourra aucun de cette com-
pagnie prendre ne accepter aucune autre com-
pagnie ou alliance au préjudice de cette com-
pagnie icelle durant, sinon par la volonté et
consentement de notredit seigneur. En tc-
moing de, ce nous tous avons mis nos scels à
ces présentes, et avons supplié et requis notre
dit seigneur que pour plus grande approba-
tion de cette luy plut mettre son scel à ces
présentes. Et nous Loys par la grâce de Dieu
cardinal duc de Bar, marquis de Pont , sei*
gneur de Cassel, ci la requeste des dessus nom-
mes, avons fait mettre notre scel à ces pre-
25
770
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
780
sentes. Donné à Bar le derrain jour de may
l'an lfelG.
Communiqué par M. de Clérambaut.
LINDAW. Voy. Cologne.
LION (Chevaliers du),
Des chevaliers des ordres du Lion et de la
Couronne en France.
Enguerrand l,r, seigneur de Coucy, qui
vivait en 10SO, ayant lue un lion dans la fo-
ret de Coucy qui faisait beaucoup de ravages
aux environs , pour en conserver la mémoire
l'on fit faire en pierre la figure de ce lion,
que l'on plaça dans la cour du chûteau de
Coucy, et l'on instiiua des féleset des réjouis-
sances qui se renouvelaient tous les ans; cl
les fondateurs de l'ab'b'aye de Nogent , qui
étaient de la maison de Coucy , obligèrent
l'abbé de ce monastère d'offrir du pain et des
rissoles an seigneur de Coury dans la cour
où ce lion était placé ; ce qui se faisait de la
manière suivante. Avant quede présent) r ce
pain et ces rissoles, l'abbé était obligé, rê-
vé r.d'un habit de laboureur, avec un semoir,
et monté sur un cheval harnaché comme
po r aller au labour, de faire plusieurs (ours
dans la cour, en faisant cïaçjùer un fouet
qu'il tenait à la main. On visitait ensuite son
éqiïipàgè pour voir s'il était en bon étal, et
si l'on trouvait qu'il manquât seulement un
clou aux fers du cheval, il était confisqué ,
après quoi l'abbé éiait reçu à faire ses pré-
sents : ce qui se réitérait trois lois l'an, aux
fêles de Noël , de Pâques, et de la Saim-Jean-
Baptiste. Lalouète, qui a fait en 1576 l'his-
toire généalogique de la maison de Coucy ,
dit avoir vu celle cérémonie, qui s'observe
encore à présent avec d'ai'tres circonstances,
que cet auteur a omises, et qui consistent
en ce que ce n'est plus l'abbé qui rend cet
hommage en personne , se contentant d'y
envoyer un des officiers de l'abbaye , qui a
dans son semoir une certaine quantité de blé,
et qui mène avec lui un chien qui a deux ris-
soles à son cou. S'il les gâte ou les mange,
qu'il fasse ses ordures dans la place et le
eheval aussi, l'abbé est condamné à une
amende. Celui qui rend l'hommage embrasse
aussi deux lions de pierre qui sonl à la porte
de l'hôîel de ville , où l'on a transporté celui
qui étaitdans la cour du château. Cethommage
se rend présentement dans la place de la
Ville.
Lalouète ajoute que ce fut à l'occasion de
celte action d'Enguerrand 1" que fut institué
l'ordre du Lion, qu'Enguerrand II renouvela
au commencement du règne de saint Louis,
comme Belleforêt l'a remarqué dans son His-
toire de France ; ce qu'il fil avec une magni-
ficence royale, mais il y a plus d'apparence
que ce seigueur a été l'insliluleur de cet
ordre. L'on donnait pour marque à ceux qui
y entraient une médaille d'or où élait repré-
senté un lion.
Il y a eu encore un autre ordre sous le
nom de la Couronne, qui a été institué par
Enguerrand VII, seigneur de Coucy et comte
de. Soissons., dont il est fait mention dans des
lettres de confirmation que Louis, duc d'Or-
léans, accorda aux Pères Célcslins de Ville-
neuve, après qu'il eut acheté la terre de
Coucy et le comté de Soissons. (les lettres,
qui sont insérées dans un cartulaire de la
Chambre des Comptes de Blois de l'an 139'],
fol. 3V v, commencent ainsi :
Loys fils de roi de France, duc d'Orlédrtè,
comte ds Blois, de Beaumont et de Soissons
et seigneur de Coucy, sçab'oir faisons à tous
présents et avenir. Nous avons vu les tel tri s
de notre cher amé cousin messire E r.guerrund,
jadis seig eur de Coucy et comte de Soissons,
contenant la forme uni s'ensuit. Énguerrain.
sire de Coucy, comte de Soissons cl haro- de
Marie, sçavoir faisons à toits presens et ave-
nir, qu nous torisiderans que le pèlerinage et
les biens tempore's et mondaine de cette vie
transit ire, sont ordonnes à un cfiaçitin qui
bien en vent et sc<t user, à édifier et /t. ire
trésor envers Dieu qui tous biens âpprestez
meus par vraye dévotion ci honneur de Dieu
le Père, le Fils et le Saint-Esprit, un Dieu
vraye et Sainte Trinité, del glorieuse Vierge
Marie, de Ions les s int's e! saintes de paradis,
et pour or >ir prières pérpettielfes pour nous,
nos devanciers ci successeurs de notre très
chère ci ainée compagne Isabel de Lonaiue à
présent notre ferhmè, pour tous les chevaliers
et dànïes les eculers et dumoiseltes qui ont
esté, sont et seront de noire ordre de la Cou-
ronné, pour la sin <ur et affection
que nous àvoiis envers la dévote et sainte ordre
des Cele.lins et l'de rois : et augmenta-
tion du service divin, pour consacrer te corps
r Seigneur en saint sacrement de l'au-
tel. que il par sa grâce ordonna à faire en la
rèfnenibrance et commémoration de lui, de sa
sainte digne mort et passion qu'il voult so f-
frir pour tous les chrétiens, et pour eslre ac-
compagnez à tous les bienfaits de charité , de
prière, et de dévotion qui ont esté, sonl et se-
ront finis par les lits religieux de ladite ordre
des Celestins, eslre fait et construit, édifié et
èslabli au lieu et en la place de notre maison
de Villeneuve auprez Soissons, etc. Celte lou-
dalion est du 2b' avril 1390, et les lettres du
duc d'Orléans sont données à Beaulé-sur-
Marne, au mois de novembre iW*. Il se
trouve un sceau de ce prince à la Cha nbre
des Comptes de Blois, où il est représenté à
cheval ayant une couronne renversée atta-
chée au bras droit à une courroie passée dans
une boucle. L'on voit aussi ses armes au
château de Blois et à l'hôtel de ville, au
bas desquelles il y a aussi une couronne ren-
icrsée. Celle couronne pourrait être la mar-
que de l'ordre de la Couronne insliiué par
Enguerrand de Coucy, que le duc d'Orléans
aurait conservé étant devenu seigneur de
Coucy et de Soissons.
Mémoires communiqués par M. de Clai-
rambaud.
LIONNE ( Chevaliers de la). Voy. Crois-
sant.
LIS (CnEVAUKRS du), dans les royaumes de
Navarre et d'Aragon.
Si nous voulons ajouter foi à Faviii, à
781
LIO
LIO
782
L'abbé Giustiniani et à quelques autres ail-
lent*, Garcias VI, ri'i de Na arre, institua
i 01 ■ !r>- du Us. Ce prince, selon c • que (li-
sent ees auteurs, étant tombé dangereus -
meut malade l'an 1048, envoya à Sainl-Sau-,
\eur d • Leira el à quelques autres lieux, de
dévotion faire des prières el des vœux pour
le recouvrement de sa saule. En effet, il la
recouvra, et ce qu'il crut y avoir le plus con-
tribué fut la dévotion qu'il eut à une image
miraculeu e de la sainte Vierge, sortant d'un
lis et tenant son Fils entre ses bras, qui fut
trouvée dans le même temps à Nagera, où
il tenait ordinairement sa cour et où il avait
toujours demeuré dès sa jeunesse : ce qui
lui fit donner le surnom de nagera. Ce t
pourquoi, la même année 104S, il fit bâtir en
action de «races une église magnifique que
l'on appelle aujourd'hui Sainte-Marie- la-
Ho y nie de tfagera, qu'il accompagna d'un su-
perbe monastère, où il mit des moines de
de Saint-Ben it. Non content de cela,
et pour témoigner davantage la dévotion qu'il
portait à la sainte Vierge, il institua en son
honneur un ordre militaire sous le nom de
Sainte-Marie du L:s, dont il retint pour lui
et pour ses successeurs la qualité de chef et
de grand maître. Cet ordre était composé de
trente-huit chevaliers, tous genlilhommes ti-
rés de l'ancienne nobl ss ■ de Biscaye, de la
Vieille-Castille et e la Navarre, qui en le re-
cevant faisaient vœu et serment solennel en-
tre les mains du roi d'exposer leurs vies et
leurs personnes pour la conservation de la
couronne de Navarre et l'expulsion des
Maures. Chaque chevalier portail sur l'es-
tomac un lis d'argent en broderie, el aux
jours solennels une Chaîne d'or entrelacée
de lettres AI gothiques, au bas de laquelle
pendait une médaille d'or en ovale où était
un lis ém lillé de blanc sort. au d'une terrasse
et surmonté d'une AI gothique couronnée.
Ils ei,n nt l nus dédire tous les jours cer-
taines prières qui leur furent prescrites,
a.ec une règle, parles moines du monas-
lère de Sainie-Alarie-la-Royale de Nagera.
Selon le même Favin, cet ordre a été floris-
sant sous les successeurs de (iarcias VI, et on
voit encore leurseffigies.aussibien que celles
de plusieurs chevaliers de cet ordre, tant au-
dit Nagera qu'à Saint-Sauveur de Leira, à
Saint Je in-Baptiste de la Roche, au monas-
tère de Roncvaux, en l'église cathédrale de
Pampelune, et en d'autres lieux, avec le col-
lier de l'ordre.
Il est vrai qu'Yépèz, dans sa Chronique de
l'Ordre de. Saint-Benoît, parlant du monas-
tère de Sainte-Marie-la-Royaïe de Nagera,
dit aussi que Garcias VI, après avoir fait bâ-
tir ce mon is ère, in titua un ordre militaire;
mais il di: que ce fut l'ordre de la Terraça
ou du Vase du I>>, et en met la fondation,
aussi bien que celle du monastère, l'an 1052.
Le motif qui poria ce prince à faire ces deuv
fondations, selon ce: a iteur, f ' fa décou-
I u'ii fit dans ce temps-1 :
de la Vierge; mais ce fut étanl
qu'il trouva cotte image, ci'
Peut po.ut à ce que dit Favin, que
Garcias était malade lorsque celte image fut
trouvée. 11 y a d'autres auteurs qui disent
en ore que ce ne fut point ce prince qui in-
stitua cet ordre, mais son père, Sanche le
Grand, l'an 1023. Ils ne conviennent point
non plus sur la marque qui distinguait ces
chevaliers. Favin, comme nous avons dit,
prétend qu'ils portaient un lis d'argent en
broderie, etquele collier était c mposé d'une
double chaîne entrelacée d'Aï gothiques, au
bout duquel pendait une médaille dans la-
quelle il y avait un lis surmonté dune AI go-
thique couronnée. Yépèz dit que ce collier
était composé de chaînes d'or et d'argent, au
bout duquel il y avait un vase plein de lis,
cl que l'on nomma cet ordre de la Terraça
ou ou Vase de Lis, à cause que le roi de Na-
varre trouva aussi un vase plein de lis à côté
de 1 image de la sainte Vierge. Alichieli et le
P. Alendo, qui sont deux autres auteurs es-
pagnols, disent que ces chevaliers portaient
sur un habit blanc l'image de l'Annonciation
de la sainte Vierge entre deux lis. Yépèz
ajoute que cet ordre fut éteint après la mort
de Garcias VI, son inslituteur, et Favin pré-
tend qu'il fut beaucoup florissant sous s^es
successeurs. Ces contrariétés qui se trouveitf
entre ces auteurs, qui n'apportent aucun ti-
tre ni aucun témoignage pour appuyer leurs
sentiments, nousportentà ne rien croire de ce
qu'ils disent, étant persuadés d'ailleurs qu'il
n'y a eu aucun ordre militaire avant le xir
siècle. Ainsi, ni Sanche le Grand ni Garcias VI
n'ont point été les insliiuteurs de cet ordre ;
et, s'il a subsisté, il ne peut avoir élé fondé
que par quelques-uns de leurs successeurs,
sans qu'on sache en quel temps il a com-
mencé. Il a eu le même sort de plusieurs
autres qui ont été abolis: ce qui n'a pas em-
pêché l'abbé Giustiniani et Shoonebeck de
dire que les rois de France et d'Espagne s'at-
tribuent chacun la qualité de grand maître
de cet ordre ; el Giustiniani a même donné
une chronologie de ses grands maîtres, qui
commence à Garcias VI, roi de Navarre, et
finit à Louis XIV, roi de France, conjointe-
ment avec Charles II, roi d'Espagne.
11 y a bien de l'apparence que cet ordre du
Lis, qu ' l'on prétend avoir été institué dans
le royaume de Navarre, est le même que ce-
lui du Vase de Lis de la sainte Vierge insti-
tué par Ferdinand, infant de Castille sur-
nommé d'Autiguera, pour avoir conquis celte
place sur les Maures l'an 1410. Il y a des
écrivains espagnols qui prétendent que ce
prince ne fil que renouveler celui du Lis, qui,
selon eux, avait été institué par Garcias VI
et qui fui éteint par sa mort. Jérôme Roman,
cité par Yépèz, est de ce nombre, et met l'in-
stitution de celui du Vase de Lis par l'infant
de Castille l'an 14-03, préten ianl que le mo-
Lf qui porta ce prince à i'insliiuer fut la dé-
vo on qu'il parlait à la sai :te Vierge, et que
ce fut le jour de son ass mplion qu'il fit des
el ordre dans 1 : ville de Mé-
dina del Cumpo. Mais i' liire de roi que cet
auteur atlribuê à ce prince donne lieu da
croire que cet ôi'drc ae peut pas avoir été
institué l'an 1403, puisqu'il ne fut élu roi
785
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
784
d'Aragon qu'en 1410. Ceux qui ont dit que
ce fui l'an 1413 se son! aussi trompés, puis-
que Médina del Campo, où se fil celle insti-
tution, est de la Vieille-Castillc, qui appar-
tenait à Henri Iil , roi de Castille, frère de
Ferdinand. Ainsi, il y a bien de l'apparence
que ce dernier, ayant été élu roi d'Aragon
en 1410, fit la cérémonie de l'institution de
cet ordre dans la ville de Médina del Campo,
où il avait pris naissance et faisait son séjour
ordinaire, lorsqu'il fut fail roi d'Aragon. (Jnoi
qu'il en soit, l'on prétend que le collier de cet
ordre était composé de vases remplis de lis
enlrelacé de griffons, au bout duquel pen-
dait une médaille où était l'image de la sainte
Vierge (i).
Yépèz, Chronica de la Orden de San-Benito.
Favin, Histoire de Navarre, et Théâtre d'hon-
neur et de chevalerie. Le P. Anselme, Le Pa-
lais de V honneur. Mennenius, Deliriœ eyuest.
Ord. Andr. Mendo, De Ord. milit. Joseph Mi-
cbielli, Thesor. milit. de cavaler. Bernard
Giustiniani, Oist. di tutt. gl. Ord. milit. et
Schoonebeck, Hist. des Ord. militaires.
L1VONIE / Chevaliers de). Voy. Tecto-
nique.
LOCHES (Religieuses Hospitalières de)
et autres du même institut.
La ville de Loches en Touraine, située sur
l'Indre , à sept lieues d'Amboise et dix de
Tours, a donné naissance à des religieuses
hospitalières qui ont f;iit plusieurs établisse-
ments en France. L'hôpital ou hôtel-Dieu
de Loches doit en quelque manière son éla-
blisscmcnt à la sœur Susanne Dubois, reli-
gieuse de l'hôtel-Dieu de Senlis. Nous ne
savons point les raisons qui l'obligèrent d'al-
ler à Loches ; mais, y élaut arrivée, elle se
retira dans un hospice proche les Cordeliers,
où elle recevait les pauvres, qu'elle faisait
coucher sur la paille et auxquels elle don-
nait seulement le couvert, ne vivant elle-
même qu'avec beaucoup de peine des aumô-
nes que les personnes dévotes lui envoyaient
chaque semaine.
le maire et les éehevins de la ville, édifiés
de la charité que celle bonne sœur exerçait
envers les pauvres, prièrent le cardinal de
la Rochefoucault , évéque de Senlis, de per-
mettre à la sœur Susanne de s'établir à Lo-
ches. Ce prélat y conseil til, à coud il ion qu'elle
viviait en communauté avec d'autres filles
qui feraient comme elle profession de la rè-
gle de saint Augustin, ainsi qu'il est porlé
par l'obédience que cette Eminence lui en-
voya le 14 juillet 1021.
La sœur Susanne étant morte l'an 1626,
le duc d'Epernon, gouverneur et seigneur
engagiste de Loches, se joignit au maire et
aux éehevins de cette ville pour demander â
Bertrand Deschaud, archevêque de Tours,
l'établissement d'un monastère de religieu-
ses hospitalières dans l'hospice où la sœur
Susanne avait demeuré. Ce prélat accorda
leur demande, il consentit que le saint sa-
crement fût gardé dans la chapelle de l'hos-
(1) Voy., à la fin du vol., n* 192.
pice, et commit M. Paquier Bourré, prêtre,
natif de Saint-Germain-sur-Indre proche
Loches , pour administrateur spirituel et
temporel de cet hôpital naissant. Ce bon prê-
tre y donna cent sols de rente , et, pour le
surplus de l'entretien des religieuses et des
pauvres, il se donnait lui-même la peine
d'aller quêter de maison en maison.
L'on fit venir l'an 1629 une religieuse de
l'Hôtel-Dieu de Paris pour établir la régula-
rité dans cet hôpital. Elle y donna l'habit à
trois filles ; mais étant morte avant qu'elles
eussent fini leur année de probalion, l'ar-
chevêque de Tours y envoya de l'hôtel-Dieu
de cette ville une autre religieuse qui reçut
leur profession, et s'en retourna ensuite à
Tours.
Le zèle de ces nouvelles professes à servir
les pauvres attirant une infinité de malades
dans cet hôpital , et leur petit nombre n'é-
tant pas sulfisant pour résister au travail et
à la fatigue, l'archevêque de Tours, qui
avait permis cet établissement, consentit
aussi que ces religieuses reçussent un plus
grand nombre de filles. Il s'en présentait
beaucoup, mais le terrain trop resserré qu'el-
les occupaient était un obstacle à la récep-
tion des filles qui se présentaient ; c'est
pourquoi le roi accorda deux arpents de pré
dans la prairie qu'on nomme eneore aujour-
d'hui la prairie du Roi , afin de pouvoir
agrandir les bâtiments ; et parce moyen cette
maison ayant été augmentée est devenue
plus commode, ayant une église, un chœur
et tous les lieux réguliers qui conviennent aux
maisons religieuses, principalement à celles
où l'on exerce l'hospitalité.
L'exactitude avec laquelle elles observè-
rent la règle de saint Augustin et les consti-
tutions qui leur furent prescrites leur ac-
quirent beaucoup de réputation, ce qui les
fit souhaiter dans plusieurs villes du royau-
me. Les premières qui en demandèrent fu-
rent celles de Clermont et de Riom en Au-
vergne, où M. Bourré mena des religieuses
pour y faire des établissements. Il sortit en-
suite d'autres religieuses de l'hôpital de
Clermont pour fonder ceux d'Arles vl de
Guéret. L'hôpital de Riom fonda aussi celui
de la Palisse, et l'hôpital de la Palisse celui de
Grenoble. 11 se fil enore d'aulres établisse-
ments à Amboise, à Cbinon, à Poitiers, à
Niort, à Vierzon,à Aubigny,àlieaucaire et on
d'autres lieux, jusqu'au nombre de dix-huit.
Ces religieuses, outre les vœux de pau-
vreté, de chasteté et d'obéissance, en font
un quatrième de servir les pauvres sous clô-
ture. Elles disent tous les jours au chœur le
polit office de la Vierge, et font mémoire des
têtes qui arrivent selon l'Ordre du bréviaire
romain. Aux fêles annuelles, à celles de No-
tre-Seigneur, de 1 1 sainte Vierge, et de plu-
sieurs autres de l'ordre de Saint-Augustin,
comme aussi à celles des patrons particu-
liers de leurs hôpitaux, elles disent le grand
offire du bréviaire romain.
Elles font abstinence lous les mercredis et
785
LOM
LOM
78«
pemlant I avcnt, qu'elles commencent .tu 25
novembre. Elles jeûnent tous les vendredis de
l'année, les veilles des fêles de Noire-Sei-
gneur et de leurs patrons. Elles prennent la
discipline une fois la semaine, font oraison
mentale soir et malin, et tous les ans elles
renouvellent leurs vœux le jour de la Pré-
sentation de la sainte Vierge au temple,
après s'y être préparées par une retraite de
trois jours, qu'elles font aussi pendant la se-
maine sainte, trois jours avant les fêtes de
la Pentecôte et quelques autres jours de
l'année.
Leur habillement ordinaire consiste en
une robe de serge blanche serrée d'une cein-
ture de cuir, et un scapulaire blanc. Les
jours des grandes fêtes, auxquels on dit le
bréviaire romain, elles portent une robe
noire, et encore les jours de cérémonies,
comme de véturcs et de professions, avec la
ceinture de cuir sans scapulaire et un crucifix
au côté gauche passé dans la ceinture de
cuir (1). Elles sont enterrées avec une robe
noire, et on leur met la couronne d'épines
qu'elles ont portée le jour de leurprofession.
Leur coiiïure est à peu près semblable à
celle des au'res religieuses, si ce n'est qu'el-
les ont un double bandeau et une guimpo
carrée, et que les jours de communion, de
chapitre des coulpes, de l'élection de la su-
périeure et autres cérémonies, elles portent
des voiles de deux aunes et demie de long
qui traînent jusqu'à terre (2). La vêture et
la profession se font avec l'habit noir , et le
lendemain elles prennent le blanc. Les sœurs
converses portent des voiles de toile noire,
des rochels pendant l'été, et pendant l'hiver
la robe blanche' (3). Elles ne portent jamais
l'habit noir qu'à leur vêture et à leur pro-
fession, et elles sont enterrées aussi avec
l'habit noir et la couronne d'épines, comme
les religieuses du chœur.
11 y a néanmoins des hôpitaux, comme
dans ceux de Clermont, de Riom, et les au-
tres du diocèse de Clermont, où les religieu-
ses portent des rochets sur leurs habits blancs
pendant l'été, et où les su-urs converses
sont habillées comme les religieuses du
chœur, n'étant distinguées que par uu
voile blanc qu'elles portent toujours. Les
religieuses de ce diocèse ont des constitu-
tions particulières, qui ont été approuvées
l'an 1(391, par M. François Boc hait, évêque
de Clermont, et imprimées à Paris la même
année.
Mémoires envoyés de Loches en 1712, et
les constitutions de la congrégation des reli-
gieuses Hospitalières de l'ordre de Sahil-Au-
gustin.
LOMBARDIE. Voy. Augustins.
LOMBARDIE. Voy. Jérôme {Ermites de
Saint-).
LOMBARDIE (Dominicains de la congréga-
tion de ) et de plusieurs réformes faites
dans l'ordre des Frères Prêcheurs, sous le
(1) Voy., à la un du vol., n°« l!Jô et 194.
(S) Voy., ibid., a' 195.
nom de congrégations, gouvernées par des
vicaires généraux.
L'ordre de Saint-Dominique, non plus que
la plupart des autres ordres, n'a pas pu se
garantir du relâchement. Quelques couvents
s'étant éloignés de l'observance régulière, les
généraux ont employé leur autorité pour la
rétablir et la faire observer. Mais le premier
de ces généraux à qui l'on peut donner le ti-
tre de réformateur de cet ordre est le bien-
heureux Conrad de Prusse ,qui vers l'an 1389
fut le réparateur de l'observance régulière
dans tous les couvents d'Allemagne, d'où elle
avait été bannie dès l'an 1349, lorsque la
peste fit de si grands ravages dans la plupart
des provinces, que presque toutes les villes
étaient désertes et inhabitées. A son imitation,
le bienheureux Barthélémy de Saint-Domi-
nique de Sienne, qui fut dans la suite évê-
que de Coronne, fut le réformateur des cou-
vents d'Italie vers l'an 1402. Le P. Barthélé-
my Texier, Français, général de cet ordre,
animé du même zèle, employa son autorité
pour maintenir l'observance régulière dans
tous les couvents, et y portait les religieux
par son exemple; ce fut lui qui institua la
congrégation d'Aragon, qui a subsisté pen-
dant 91 ans.
Une des plus considérables réformes fut
celle de la congrégation de Lombardie, qui
fut commencée vers l'an 1418 par le P.
Matthieu Boniparti de Navare, qui pour la
sainteté de sa vie fut choisi par le pape pour
remplir le siège épiscopal de Mantoue. Le
P. Joachim Turriani, trente-cinquième géné-
ral, lui accorda beaucoup de privilèges; elle
fut néanmoins démembrée sous son gouver-
nement, et on lui ôta les couvents de Rome,
de Pise, de Saint-Gémiuien , de Viterbe, da
Sienne et Saint-Marc de Florence, pour les
unir à une nouvelle réforme sous le nom de
congrégation de Toscane , commencée l'an
1493 par les soins de Jérôme Savonarolle,
dont la fin a été si malheureuse. Il naquit à
Ferrare sur la fin du xve siècle; il avait beau-
coup d'éloquence et de piété, et fut l'un des
plus habiles prédicateurs de son temps. 11 prê-
cha avec trop de véhémence contre la con-
duite du pape Alexandre VI, la chaire lui fut
interdite, mais il ne laissa pas de parler avec
la même liberté; de sorte qu'ayant été pris à
l'âge de quarante-six ans, il fut pendu et brûlé
avec deux de ses compagnons à Florence,
dans une sédition suscitée par ses ennemis
le 23 mai 1498. Cette congrégation ne dura
que cinq ans séparée de celle de Lombardie ;
car après la mort de Savonarolle elle se réu-
nit à celle de Lombardie, qui subsista jus-
qu'en l'an 1531, que , sous le généralal de
Paul Bottigella de Pavie, qui en avait été
deux fois vicaire général, elle fut éteinte e'.
érigée en province par autorité du pape Clé-
ment VU, qui abolit aussi la congrégation
de Calabre et l'érigea pareillement en pro-
vince.
Une autre réforme avait commencé eu
(3) Voy., ibid., n° llJC.
787
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
788
Hollande sous le premier généralat de Mar-
tial Auribelle de Provence, et comprenait
vingt- huit maisons, dont quelques-unes
avaient été soustraites de la c ngregation de
Lombardie, qui avaient formé une congréga-
tion qu'on appel. ;it de Hollande, à qui les pa-
pes avaient acordé beaucoup de privilège*.
Mais, l'an 151A, le pape Léon X, sur les in-
stances du roi de France L >uis XH, ordonna
au général Thomas Cajelan de séparer les
couvents réformés en France de la congré-
gation de Hollande, de laquelle ils dépen-
daient, et d'en faire une congrégation nou-
velle qui s'appellerait la congrégation Galli-
cane, voulant qu'elle jouît des mêmes privi-
lèges, grâces et exemption-:, que celle de Hol-
lande ; et, par un autre bref de l'an 1518, en
renouvelant et en augmentant les mêmes pri-
vilèges à la congrégation de Hollande, il dé-
clare qu'il les octroie de nouveau à la con-
grégation Gallicane, et approuve l'autorité
du vicaire général. Les religieux de France
avaient néanmoins des statuts plus austères
que ceux de Hollande.
Vers la fin du même siècle, le P. Paulin
Bernardini de Lucqnes commença une autre
réforme dans le royaume de Naples, sous le
litre de congrégation de l'Abruzze de Sainte-
Catherine de Sienne, qui a produit plusieurs
religieux d'une émiuenle vertu, et qui sont
morts en odeur de sainteté, comme le P. Pau?
lin Bernardini, auie r de cette réforme, dont
la vie a été écrite par un religieux de cet or-
dre. 11 mourut en 1585, après avoir beau-
coup étendu sa congrégation. Le P. Nicolas
Masio de Pérouse lui aida beaucoup dans ré-
tablissement de cette réforme, et, lui ayant
survécu de plusieurs années, il travailla aussi
beaucoup à l'étendre et à la maintenir dans
l'observance régulière. 1! mourut vers l'an
1611, en répulatiou de sainteté, dans le cou-
vent de Saint-Dominique de Ciiiesi, et fut vi-
caire général de cette congrégation.
Le P. Sébastien Miehaélis introduisit pres-
que dans le même temps une seconde ré-
forme en France sous le nom >!e congréga-
tion Occitaine, dont il fut le premier vicaire
général. 11 avait pris l'habit de l'ordre de
Saint-Dominique au couvent de Marseille,
où., après avoir mené une vi exemplaire-, il
fit un tel progrès dans l'étude de la tbeol
qu'il recul avec beaucoup de réputation et
d'applaudissement le deg.c de docteur. Il
commença sa reforme à Toulouse l'an 1596,
qui fut approuvée par le pape Pau! V, l'an
1608; do la il vint à Paris, où, sous l'autorité
du roi Henri IV, il bâtit ie couvent de i An-
nonciation de la sainte Vierge dans la rue
Saint-Honoré, où il mourut le 5 mai 1618,
âgé de 74 ans. Ce le congrégation ne sub-
siste plus, ayant été érigée en province l'an
1669 par le pape Clément IX. -ous le litre de
Saint-Louis, qui est la quarante-cinquième
et dernière de l'ordre. Les congrégations do
Raguze, de l'Abruzze et quelques autres, ont
aussi été érigées en provinces; il ne reste
plus que les suivantes qui subsistent, et qui
ont des vicaires généraux, savoir:
La congrégation de Saint-Vin -eut Ferrier
ou de Bretagne, dans la province de Paris,
qui a quatorze couvents; la congrégation
des Anges en Provence, qui a six couvents;
régatioo d'Alsace, qui a quatre cou-
vents d'hommes et huit monastères de filles;
la congrégation du Saint-Nom de Jésus aux
îles Antilles de l'Amérique, qui a un cou-
vent et vingt cures ; la congrégation de Saint-
Dominique dans File de Saint-Domingue, qui
; deux couvents et dix cures; la congréga-
tion de Sainte-Sabine à Home, qui a huit
couvents ; la congrégation de Saint-Marc de
Florence, qtli a six couvents; la congréga-
tion de Saint-Jacques de Salomon à Venise,
qui a sept cou. en s; la congrégation de No-
tre-Dame de la santé à Naples, qui a treize
couvents; la congrégation de Saint-Domini-
que de Soriano en Sardaigne, qui a dix cou-
vents et un monastère de fuies , et la congré-
gation de Saint-Marc de Gavoli au royaume
de Naples, qui a treize couvents.
Dans les congrégations d ■ France, de Bre-
tagne, des Anges et de Saint-Marc de Gavoti,
les prieurs des couvents qui en dépendent
ont voix aux chapitres provinciaux des pro-
vinces dont ils portent le nom , et, après
qu'ils ont donné leurs suffrages pour l'élec-
tion d'un provincial , ils s'assemblent le len-
demain et élisent entre eux leur vicaire gé-
néral. La congrégation de Suinte-Sabine ne
va point au chapitre de la province de Lom-
bardie, dont elle dépendait autrefois, et le
provincial de cette province n'a aucun droit
de visite dans cette congrégation. Le vicaire
général d'Alsace ne dépend d'aucune pro-
vince, non plus que celui de Sardaigne ; ils
sont institués tous dans par le général, qui
nomme aussi ceux de l'Amérique. La congré-
gation de Venise ne va point au chapitre pro-
viicial, mais lç provincial delà province de
Venise a droit de visite honoraire dans cette
congrégation. Tous ces vicaires généraux
n'ont aucune autorité qu'après qu'ils ont
clé confirmés par le général de tout l'ordre.
Les réformes de ces congrégations ne con-
sistent guère que dans l'abstinence de la
viande, qu'ils observent fort régulièrement
dans leurs couvents, mais elles n'oul poin!
renoncé aux renies et aux possessions.
LOMBARDIE (Tertiaires de ShntFrançois,
U.TS DE LA OONSttÉGATiaH DE)
§ 1". Oiigine de la congrégation.
Si le tiers ordre de Saint-François, institué
d'abord pour des séculiers, fit tant de pro-
grès, qu'il n'y eut presque point de provin-
ces où il ne s'étendit et <<ù on ne vil des
personnes engagées dans le mariage se sou-
mettre aux lois que le saint instituteur avait
prescrites à ceux qui voudraient pratiquer
la pénitence, ilnefilpasmoinsde progrès lors-
qu'il se trouva de ces pénitents qui, aspirant
à une plus haute perfection, s'engagèrent à
cet étal par des vœux solennels. Les différen-
tes congrégations religieuses qu'il y a eu de
cet ordre, en France, en Allemagne, en Es-
pagne, eu Flandre, en Italie et dans les
autres provinces, el qui avaient chacune leur
789
LO.M
LOM
790
général , en sont une preuve incontestable ;
et il y a lieu de s'étonner qu'après 1rs ; er-
sécutions qui lui ont été suscitées, tant de
la part de quelques catholiques jaloux de son
-, que par les hérétiques, qui ont
renversé et ruine entièrement un grand nom-
bre de ses monastères, il suit encore aussi
florissant qu'il l'est. L'on ne voit plus à la
vérité toutes ces congrégations q,ui étaient
gouvern es chacune par un gênerai, dont
quelques-unes ont été entièrement éteintes
dans le sang de leurs religieux, que la fu-
reur des hérétiques sacrifiait à l'erreur et au
mensonge; d'autres réunies à ce, le de Lom-
bardie, qui a conserve le droit d'avoir un
gênerai , et les autres i afin soumises au
général de tout l'ordre de Saint-François;
mais cela n'empêche pas qu'il ne soit encore
fort étendu et Ion recommandante u r la
science et par la piété de ses sectateurs.
La piovince de Loiakardie, dont nous trai-
tons dans cet article préféra blement à toutes
les autres, tant à raison de son antiquité que
du généralal qu'elle a conservé jusqu'à pré-
sent, commença de la m n ère suivante. Les
premiers religieux d'ilali < demeurant dans
le désert , a.va eut plusieurs maisons éloi-
gnées du commerce du monde, qui, bien que
régulières, Déformaient point de congréga-
tion et n'étaient point unies ensemble; elles
avaient seulement quelquefois des visiieurs,
selon le conseil de Nicolas IV, et elles avaient
chacune un supérieur local. Ce manquement
de chef pour les unir venait de leurs adver-
saires, qui, n'ayant pu empêcher la profes-
sion soleonelie de i et ordre, s '.efforçaient d'eu
arrêter le progrès par .a désunion des m ca-
bres. Mais le | ape Nicolas V, par une bulle
de l'an 1447, le voulant affermir et amplifier,
accorda à ces religieux d'Italie la permis-
sion de conserver les. ornent qui étaient
déjà bâtis, d'en fonder de nouveaux, d'y ad-
ministrer les sacrements, ce céÛ .
chapitres généraux, et d'y élire 4Je le»». corps
un vicaire généra! et quatre aciiuiteurs pour
dresser des sla u'.- , avec pouvoir de
leur habit éréroi tique et d'en prendre an au-
tre tel qu'ils jugeraient à , ropos, afin qu'ils
pussent éire distingues des Ermites; et Sa
Sainteté nomma, pour faire exécuter celte
bu. le, les eveques d'Ëuguiùo et de Crémone,
avec l'abbe de Saint-Paul hors des murs de
llome. L'évéque d'Eugubio, en conséquence
de sa commission, fit assembler le premier
chapitre général à Monlefalco l'an 144-8, où
le P. Barthélémy de Booamatis fut élu pour
premier vicaire général. Celle congrégation
n'avait pas eu encore le pouvoir d'élire ua
général, ce qui ne se til que dans le chapitre
qui se tint à Caiisbulano, au diocèse de Cré-
mone, l'an 14-58. où on élut pour premier
général le P. Ugoliu de Plaisance : ce qui
continua jusqu'en l'an 15G8, que le pape Pie
V, sous prétexte de réforna r le tiers ordre de
Saint-François, soumit tous les religieux et
religieuses de cet ordre à la juridiction du
ministre général des Frères -Mineurs de l'Ob-
servance et de ses commissaires généraux.
Eu 1585, le cardinal Ferdinand de Médicis,
qui était protecteur du troisième ordre, ayant
assemblé un chapitre général . Home dans
Le couvent de Sain t-Cômi etde aiol-Damien,
afin que les religieux tertiaires | ivceda-sent
à l'élection d'an supérieur général liréde le. r
corps, suivant la permission qu'il en avait
obtenue du pape, ils ne purent s'accorder
entre eu-., ce qui lit que Grégoire XIII li ur
donna j o.,r commissaire ou visiteur aposlp-
1 que un religieux du même ordre. Enfin, P in
158(3, Sixte V les rétablit dans le même élat
qu'ils étaient avant la suppression de leur
général, faite par autorité de Pie V, et leur
permit d'en élire un : ce qu'ils ont l.oujo rs
fait jusqu'à présent. D'abord ce général
n'exerçait son oliice que pendant trois ans;
mais dans le chapitre général qui se tint à
Bologne l'an 1047, il l'ut ordonné qu'à l'a-
venir les généraux exerceraient leur .
peu a ; six ans ; ce qui fut approuvé par le
unuc.nl X.
i.es religieux de celle congrégation sui-
vaient d'abord la règle que Nicolas IV avait
confirmée, y ajo t al les statuts et règlements
que Jean XXU avait accordés aux religieux
du même ordre en Fland e, cl qui furei t
confirmés dans la suite par Martin V. Ils en
tirent ensuite de particuliers pour leur con-
grégation, qui furent dresses dans le chapi-
tre général qui se tint à Florence l'an 1409,
et ils les confirmèrent dans celui qui se tint
l'an 14-75 dans ie couvent de la Forêt du Ma-
lin, au diocèse de Spolette ; mais l'a., 184-9,
le P. Bonavcnturc de V:c . nze étant général,
en dressa de nouveaux, qu; conlienn nt en
snbstance la ré. le confirmée p tr Nicolas IV,
dont il retrancha ce qui ne convenait qu'aux
séculiers et aux personnes engagées dans le
monde. Ces statuls fur ni d'abord approuvés
par ;e cardinal del Carpio, protecteur de
l'ordre; elle pape Pie V ordonna ensuite, l'an
. que cette règle ou statuts ainsi approu-
ves par ce cardinal seraient observes dans
l'ordre : ce qui a toujours été exécuté par
celle congrégation, qui dans la suite y a fait
quelques additions, qui n'ont pas été moins
fidèlement observées ; et c'est conformément
à ces statuls et à la règle de Nicolas IV, qui
y est insérée en substance, qu'ils prononcent
leurs vœux en celle manière :
Moi ;Y. voue et promets à Dieu tout-puis-
sant, à ta bienheureuse Vierge Marie, à saint
François, à tous les saints, et à vous, mon
R. P. A'., de garder tout le temps de ma vie
les commandements de Dieu et de satisfaire
selon la volonté de mes supérieurs, comme il
convient, aux transgressions et aux fautes
que je commettrai contre les constitutions et
les ttaluis du troisième ordre de Saint-Fran-
çois dit de la Pénitence et de la Régulière
Observance, et contre la règle de Nicolas IV,
de li manière qu'elle se trouve insérée dans ces
statuts et constitutions , vivunt en obédience,
sans propre et en chasteté conformément aux
privilèges apostoliques de cet ordre.
Cette congrégation était autrefois divisée
en vingt provinces, mais les guerres surve-
nues en Italie ayant ruiné entièrement plu-
sieurs monastères, et quelques-uns où il y
791
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
m
avait peu de religieux ayant été supprimés,
elle n'a plus présentement que quatorze pro-
vinces, y compris celle de Flandre, qui for-
mai! autrefois la congrégation de Zepperen ,
dont nous parlerons dans la suite, et qui y
fut unie par autorité du pape Innocent X.
. Ces religieux ont deux maisons à Rome, l'une
h de la province de Kome sous le litre île Saint-
Côme et de Saint-Damien, et l'autre de la
province de Sicile sous le litre de Saint Paul
au quartier de la Regola. L'Eglise de Saint-
Côme et de Saint-Damien était autrefois un
temple dédié à Rémus et à Ilomulus, d'autres
disent à Castor et à Pollux. Le pape Félix II
consacra ce temple en l'honneur des sainls
martyrs Corne et Damien. Saint Grégoire le
Grand, voyant qu'il tombait en ruine, le fit
réparer. Le pape Adrien l" y fit apporter
de Pérouse les portes d'airain qu'on y voit. 11
y a deux églises, l'une esl souterraine et très-
ancienne; celle qui est supérieure a été
mise, l'an 1GS3, en l'étal où on la voit, i<ar
la magnificence du pape Urb;iin VIII. Elle
est titre de cardinal ei une des plus grandes
dévolions de Home, à cause du grand nombre
de corps saints qui s'y trouvent. Les reli-
gieux de ce couvent portent par privilège le
dais sur la crèche de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, lorsque les chanoines de Sainte-Ma-
rie-Majeure la transfèrent tous les ans la
nuit de Noël, de la sacristie où elle est gar-
dée, sur le maître autel de cette même église,
où elle reste exposée à la dévotion des
fidèles ce jour-là et les deux fêles qui le
suivent.
Celte congrégation a produit plusieurs per-
sonnes recommandables par la sainteté de
leur vie, dont quelques-uns ont mérité le
titre de bienheureux, comme le bienheureux
Jérémie de Cerme, dont le corps s'est con-
servé jusqu'à présent sans aucune corrup-
tion dans le couvent de Forli , et le bienheu-
reux Mire de Canzo. 11 en est sorti aussi de
célèbres écrivains, dont les principaux sont,
le P. Antoine Colton de Nicosia en Sicile,
professeur dans l'université de Padouc ; le
P. François Bordon de Parme, qui a donné
au public plus de vingt volumes, la plupart
de droit canon, et une chronologie du tiers
ordre de Saint-François ; Jean Alberghin de
Palerrne ; Jean Antoine Brandi de Salemi en
Sicile, cl plusieurs autres.
L'habillement de ces religieux consiste en
une robe de serge grise serrée d'une corde
blanche, avec un capuce attaché à une
grande mozelte ou camail, se terminant en
pointe par devant et par derrière (1). Lors-
qu'ils sortent du monastère par un mauvais
temps, ou qu'ils vont en campagne, ils ont
un manteau de même couleur, à la manière
des ecclésiastiques, avec un chapeau noir.
Ils portent pour armes fascé de trois pièces,
la première aux armes de l'ordre de Saint-
François, qui est d'azur à une croix de bois
et deux bras croisant sur la croix, l'un nu,
l'autre vêtu d'une manche grise ; la seconde
d'or à une couronne d'épines ; la troisième
(1) Voi/., à la lin du vol., n° L)7.
d'argent à ces trois lettres d'azur 0. P. C,
qui veulent dire Opus Passionis Christi, et
les trois clous de la passion en pointe , l'écu
timbré d'une couronne ducale, entrelacés
d'une couronne d'épines, avec celte devise r
POENITENTIâ COU0NAT.
Anton.de Sillis, Studio, origin. provectum
et complément, tôt. ord. S. Francisci con-
cernentia. Francise. Bordon, Chronolog. Frut.
et Soror. ter t. ord. S. Francise. Joaii. Maria
Vernon, Annal, ejusd. ordinis ; et Elzeart de
Dombes, Académie de perfection.
§ II. Des religieux pénitents du tiers ordre
de Saint-François de la Régulière Obser-
vance des congrégations de Sicile, de Dal-
matie et d'Istrie, présentement unies à celle
de Lombardie.
Les monastères des Religieux Pénitents du
tiers ordre de Saint-François en Sicile, qui
présentement ne forment qu'une province
unie à la congrégation de Lombardie , ont
formé aussi une congrégation séparée avant
celle union. Dès l'an 1520, ces religieux, qui
lui donnèient commencement, eurent deux
couvents en Sicile, l'un au bourg de Siclo,
l'autre dans la ville de Salémi. Ils en obtin-
rent encore un à Gergenti, l'an 1523, où, se
conlentanl de pratiquer exactement la règle
de Nicolas IV sans y ajouter d'autres austé-
rités , ils demeurèrent dans cet état sans
s'agrandir davantage, jusqu'à ce que, quel-
ques années après, ces trois couvents s'uni-
rent à ceux qui furent fondés par le P. Jac-
ques d'Eugubio, religieux du premier ordre,
qui établit en ce royaume une réforme très-
austère du tiers ordre de Saint-François.
Ce P. Jacques d'Eugubio avait fait profes-
sion parmi les Pères de l'Observance; mais,
dans le désir d'une plus grande perfection
et d'une plus exacte pralique de la règle de
saint François, il se joignit aux premiers
fondateurs de la congrégation des Capucins.
Les persécutions qui furent suscitées à ces
derniers par le provincial des Frères Mineurs
de la province de la Marche d'Ancône, pour
empêcher le progrès de cette réforme, obligè-
rent plusieurs religieux de l'Observance qui y
étaient entrés de l'abandonner, du nombre
desquels fut le P. Jacques d'Eugubio, qui ren-
tra parmi les Pères de l'Observance. Leur vie
ne lui paraissant pas assez austère, et peu
conforme au grand désir qu'il avait de la
pénitence et des mortifications, il obtint peu
de temps après du pape Paul III et du cardi-
nal François Quignonez, pour lors prolec-
teur de l'ordre de Saint-François et qui en
avait été. général, la permission d'aller prè^
cher parmi les infidèles, où il espérait rem-
porter la couronne du martyre; mais Dieu
en ayant disposé autrement, il s'arrêta en
Sicile, où il prêcha dans la ville de Trepani
avec tant de ferveur et de zèle, que plusieurs
personnes , touchées de ses discours, vou-
lant renoncer aux vanités du siècle, le
prièrent de leur marquer l'institut qu'ils
devaient embrasser, pour y servir Dieu loin
793 LOM
de tout commerce avec le monde. Ce zélé
prédicateur de la pénitence leur proposa
celui du tiers ordre de Saint-François, dont
il n'y a^ ait que trois couvents en Sicile, et,
pour leur servir d'exemple , il fit lui-même
profession de cet ordre , auquel il ajouta
plusieurs austérités, après en avoir obtenu
la permission de ses supérieurs.
Après cette profession, que ce nouveau
propagateur du troisième ordre ne voulut
pas faire sans l'agrément de ses supérieurs,
il jeta les fondements de sa réforme dans
une solitude appelée la Trope, sur une mon-
tagne escarpée proche de l'ancienne ville
d'Eyrix, dans la vallée de Mazara, où entre
antres il fit prendre à ses disciples un liabit
rude et grossier, dont il se revêtit aussi, et
el les lit aller nu-pieds, ce qui lui cause qu'on
les appela gli Scalzi ou les Déchaussés du
tiers ordre de saint-François. Après que
celte reforme eût été approuvée par le pape
Paul 111, l'an loiO, ils demeurèrent encore
cinq ou six ans dans <e lieu champêtre; mais
ayaul été obligés de l'abandonner, tant à
cause du mauvais air qu'à cause que le cou-
vent était trop petit pour recevoir tous ceux
qui se présentaient pour embrasser ce genre
de vie et faire des fruits de pénitence dans
la compagnie de ces saints religieux, qui
étaient la bonne odeur de Jésus-Christ , ils
obtinrent la permission du même pontife,
eu 15i6, de se retirer au pied du mont Saint-
Julien, proche la ville de Trapani, dans un
lieu appelé Martogua, où le chevalier André
deFradelle, de la même ville, leur fit bâtir
un couvent dont les bâtiments ont été depuis
augmentés avec beaucoup de magnificence.
La beauté de ses jardins, sa vue, qui s'élend
sur la mer, le voisinage d'une forêt et l'eloi-
gnemenl de la ville, rendent cette solituile si
agréable el m commode pour ceux qui veu-
lent s'adonner à la contemplation, que le
pape Clément Vill ordonna, l'an 1600, que
l'on y établirait le noviciat.
Le P. Jacques d'Eugubio, après avoir soli-
dement fondé ce monastère, alla continuer
ses predicaiious dans la ville de Trapani ,
où, avec les aumônes qui lui furent données
par les bourgeois de celte ville, il fonda,
sous le nom de la Sainte-Trinité, un mo-
nastère de religieuses du même ordre. Ce
même monastère est devenu si considérable,
qu'on l'appelle présentement la Grande-
Abbaye. Quoiqu'il n'y eût rien que de tres-
sailli dans la conduite de ce zélé fondaleur,
el que le seul motif de la gloire de Dieu l'eût
porté à fonder ce monastère et à entre-
prendre la direction des filles qui s'y étaient
consacrées au service de Dieu, cependant il
ne fut pas à l'abri de la calomnie et des per-
sécutions que les ennemis de la reforme lui
suscitèrent; mais le cardinal dcl Carpio,
protecteur de l'ordre, qui connaissait son
merile el la pureté de ses intentions, prit
toujours sa défense. Ce cardinal ctant mort
l'an 1561, le cardinal saint Charies Borro-
înèe lui ayant suceedé dans cette protection,
le P. Jacques d'Fugubio alla à Rome, où il
obtint du pape Pie IV" que tous les moaa-
LO.M
704
stères de sa congrégation, tant d'hommes
que de filles, seraient toujours soumis au
cardinal protecteur, et qu'ils ne pourraient
être visilés que par le provincial des con-
ventuels. Pie IV étant mort l'an 1563, et son
successeur saint Pie V ayant ordonné que
tous les religieux et religieuses du tiers
ordre de Saint-François par tout le monde
seraient soumis aux religieux de l'Obser-
vance, le provincial de Sicile voulut, en ve; ta
de la bulle de ce pontife, réduire les reli-
gieux du tiers ordre de Saint-François de ce
royaume sous son obéissance ; mais le
P. Jacques d'Eugubio s'y étant opposé, pré-
tendant que celle bulle ne dérogeait point
à celle que Pie IV lui avait accordée, pai
laquelle ce pontife les mettait immédiate-
ment sous la juridiction du cardinal protec-
teur, ce provincial, irrité, fit mettre le ré-
formateur en prison et excommunia les reli-
gieux et les religieuses de cet ordre qui ne
voudraient pas se soumettre à son obéis-
sance. Mais ceux-ci ayant eu recours au tri-
bunal de la justice, l'excommunication fut
déclarée nulle : on leur envoya néanmoins
pour visiteur un religieux de l'Observance,
qui fut délégué comme commissaire aposto-
lique, en vertu de 1 1 bulle de Pie V ; mais
ce visiteur, n'ayant rien trouvé de ré-
préhensible dans la conduite des religieux
et des religieuses de cet ordre, fit délivrer de
prison le P. Jacques d'Eugubio. il fut seule-
ment ordonné dans cette visite que, pour
oter tout sujet de soupçon, les religieux du
troisième ordre qui demeuraient dans l'hos-
pice pour administrer les sacrements et
rendre les servues spirituels dont les reli-
gieuses avaient besoin, ne pourraient pas y
coucher, quoiqu'il fût assez éloigné du mo-
nastère , et iraient coucher tous les jours
dans leur couvent, qui était hors des murs
de la ville. Mais Dieu, dont les jugements,
sont bien différents de ceux des hommes,
confondit la malice de leurs- ennemis, se
servant pour cet effet des bourgeois de cette
ville, qui, convaincus de la sainteté de ces
bons religieux, leur donnèrent, en io'tk, un
couvent dans celte même ville, où ils no
furent pas plutôt établis qu'ils y donnèrent
une preuve signalée de leur détachement
pour les biens de la terre ; car, voulant imi-
ter la pauvreté de saint François en renon-
çant à loules leurs possessions, ils firent à
ces religieuses une donation de tous les
biens et revenus qu'ils avaient. Mais saint
Charles llorromée , leur protecteur, cassa
cette donation el modéra leur zèle, les obli-
geant à reprendre leurs biens, donl ils pi u-
vaient jouir en sûreté de conscience, puisque
le tiers ordre de Saint-François peut possé-
der en commun.
Le cardinal de la Uouvère, qui fut protec-
teur de l'ordre après sainl Charles Borro-
mée, étant persuadé de la vie exemplaire
que ces religieux menaient sous la conduite
du P. Jacques d'Eugubio, et voyant qu'il y
en avait plusieurs qui étaient venus à Bouie
pour fuir la persécution des religieux de
l'Observance et implorer la prolecliou du
793
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
796
saint-siége contre ceux qui les inquiétaient
louihaut leur institut, les renvoya en leur
pays et leur accorda la permission de tenir
un chapitre à Marlogna i our y élire un
provincial : ce qu'ils firent en élisant pour
premier provincial le P. Jérôme Ricci, des
premières et des plus nobles familles de la
ville de ïrapani, et qui était un religieux
d'une éminente vertu.
Nonobstant toutes ces traverses, le troi-
sième ordre ne laissa pas de faire beaucoup
de progrès dans ce royaume, tant par la vie
édifiante de ses religieux, qui détruisait la
malice et l'envie de ses adversaires, que par
le zèle et la piété du P. Jacques d'iiugubio,
qui, a; iès y avoir demeuré plus de trente-
trois ans, pendant lesquels il travailla non-
scuieuienl à maintenir l'observance régu-
lière dans sa congrégation, mais encore à
procurer aux habitants de ïrapani et des
lieux circonvoisins loules sortes de secours
spirituels, reçut enfiu ordre du pape Pie V
de quitter l'habit du tiers ordre de Saint-
François pour reprendre celui des Capucins,
dont il avait d'abord embrassé la réforme, et
parmi lesquels il mourut à Home.
Après que les religieux du tiers ordre eu-
rent perdu leur saint fondateur, ils ne lais-
sèrent pas de fonder de nouveaux monas-
tères en plusieurs endroits, comme à Pa-
lerme, où ils en ont trois; à Catane, à Ter-
mni, à Itaguse, à Marsala, à Calalagirone,
à Trapano del monte et en d'autres lieux,
dont il en reste encore à présent trente-cinq,
y compris celui de Rome au quartier de ta
Regola, qu'ils obtinrent l'an 1(519, où ils s'é-
tablirent avec la permission du pape Paul V.
Quoique le pape. Clément VIII eût réuni tous
leurs monastères à la congrégation de Lom-
baidie, ils ietinrenl néanmoins l'habit de
leur réforme après cette union ; mais le car-
dinal protecteur ordonna premièrement à
ceux qui demeuraient à Rome au quartier
de la Régula, de se conformer pour l'habille-
ment aux religieux de la province de Rome,
qui avaient aussi un couvent eu celte ville,
ce qu'ils firent ; et les autres couvents suivi-
rent dans la suite leur exemple. Leur habit
n'est pas néanmoins si ample que celui des
religieux des autres provinces. La discipline
régulière ne s'est point relâchée parmi eux,
et ils sont en grande estime parmi le peuple.
Le pape Clément VIII, qui avait uni les
monastères de Sicile à la congrégation de
Lombardie et les avait soumis à la juridic-
tion du général de cet ordre en Italie, y unit
aussi ceux de Dalmatie et d'istrie l'an 1002.
Ces monastères étaient au nombre de qua-
torze, et dépendaient immédiatement du
saint-siége. Wading, parlant de celui de
Zara, qui fut donné aux religieux du tiers
ordre l'an lk'6k, les appela les premiers Er-
mites de l'ordre de Saint-François de la Pé-
nitence.
Francise. Bordon. Chronolog. FF. et So-
ror. terl. ord. S. Francise. Joann. Maria
Vernoncns., Annal, cjusd. ord; et Elzcarl.de
Dombes, Académie de perfection.
(1) Foi;., à la lin du vol., u» 108.
§ III. Congrégation des Begqhards unieà
celle de Lombardie. Voy. Beguuards.
LORETTE (Chevaliers de Notri:-Damk
de). Voy. Bethléem.
LOUIS (Chevaliers de l'ordre de Saint-)
en France.
Le roi de France Louis XIV, qui par ses
actions glorieuses et éclatantes s'est acquis
avec jm lice le surnom de Grand, ne ( royant
pas que les récompenses ordinaires lussent
suffisantes pour témoigner sa reconnaissance
envers les officiers de ses armées qui s'é-
taient signalés dans les victoires et les con-
quêtes, chercha de nouveaux moyens pour
récompenser leur zèle et leur fidélité ; et,
dam celte vue, ce qui lui parutje plus con-
veuable pour cela fut L'institution qu'il fit en
lC93duu ordre militaire s us le nom de
Saint-Louis ; auquel, outre les marques
d'honneur extérieures qui y sont attachées,
il assura en faveur de ceux qui y feraient
admis des revenus et des pensions qui aug-
menteraient à' proportion qu'ils s'en ren-
draient dignes | ar leur conduite, voul nt
qu'on ne reçût dans cet ordre que des offi-
ciers de ses troupes, et que la vertu, le mé-
rite et les services rendus avec distinction
dans ses armées, fussent les seuls titres pour
y entrer.
Par l'édit de l'institution de cet ordre, le
roi s'en déclara chef, souverain et grand
maitre, voulant que la grande maîtrise fût
pour toujours unie et incorporée à la cou-
ronne. Il doit être composé de la personne
de Sa Majesté el de ses successeurs en qua-
lité de grands maîtres, du dauphin deFrance,
ou du prince héritier présomptif de la cou-
ronne ; de huit grands croix, de vingt-quatre
commandeurs, du nombre de chevaliers qu'il
plaira au roi et à ses successeurs d'y ad-
mettre, et de trois officiers qui sont le tré-
sorier, le greffier et l'huissier. Tous ceux
qui composent cet ordre portent une croix
d'or sur laquelle il y a l'image d ! saint
Louis; les grands croix la portent attachée
à un ruban large de quatre doigts, de cou-
leur de feu, qu'ils niellent en éebarpe, et
onl encore une croix en broderie d'or sur le
justaucorps et sur le manteau (i). Les com-
mandeurs portent seulement le ruban en
échappe avec la croix qui y est attachée, et
les simples chevaliers ne peuvent port r le
ruban en écharpe, mais seulement la croix
d'or a4iacb.ee surl'estomac avec un pelil ru-
ban couleur de feu.
Le roi, voulant honorer cet ordre le plus
qu'il lui serait possible , déclara que lui,
M. le dauphin, les rois ses successeurs, les dau-
phins ou héritiers présomptifs de la cou-
ron ne, porteraient la croix de cet ordre avec
celle de tordre du Saint-Esprit; el qu'il en-
tendait aussi deconr de l'ordre de Saint-
Louis les maréchaux de France, comme
principaux officiers de ses armées de terre ;
l'amiral de France, comme principal officier
de la marine ; le général des galères, comme
7 7 LOU
principal officier des galères, et ceux qui
leur succéderaient dans ces charges : et Sa
Majesté déclara aussi les ordres de Saint-
Michel, du Saint-Espril et de Saint-Louis
ci mpatihles dans une même p r son ne, sans
que l'un pûl servir d'exclusion à L'autre, ni
les deux au troisième.
Les grands-croix ne peinent être tirés
que du nombre des commandeurs, et les
commandeurs du nombre des chevaliers : et
tant les grands-croix que les cominand ni s
et chevaliers, liiés du pwmbre des offi-
ciers des Iroupes de terre el de mer. Il y a
toujours u:i des huit grands-croix , lr ris des
vingt-quatre commandeurs, e.t le huitième
du nombre des chevaliers, employés dans
les élats des r« venui et pensions affectés à
l'ordre et lires du nombre des officiers de la
marine et des galères.
Per«o: ne ne peut être reçu dans pet ordre
s'il ne l'ait profession di> la religion rtiholi-
que, a])ostoluiue et rom iine, el s 1 a' servi
sur terre ou sur mer en qualité d'officier
pendant dix années. Le chevalier pourvu
doit se présenior devant le roi pour prêter
serment. Pour cet effet , il se met à genoux,
jure et promit de vivre el mourir dans La re-
ligion catholique . apostolique et romaine ;
d'être fidèle au roi ; de ne se déparer jamais
de l'obéissance qui lui est due et à ceux qui
commandent sous ses ordres ; de garder, dé-
fendre et soutenir de tout son pouvoir l'hon-
neur de Sa Majesté , son autorité, ses droits
et ceux de la couronne envers et contre tous ;
de ne jamais quitter son service ni passer à
celui d'aucun prince étranger sans sa per-
mission; de révéler tout ce qui viendra à sa
ruinais ance contre, la personne sacrée de
Sa Majesté et de l'Etat, de garder exacte-
ment les statuts et ordonnances de l'ordre, et
de s'y comporter en tout comme un bon,
sage et \ertueux chevalier doit faire.
Après que le chevalier a prêté serment
en cette forme, le roi lui donne l'accolade et
la croix; après quoi il est obligé de faire
présenter à l'assemblée qui se lient le jour
de s int Louis roi de France, en l'honneur
duquel cet ordre a été institué, ses provi-
sions, pour y en être fait lecture, è re enre-
gistrées dans les registres de l'ordre, et ren-
dues ensuite au roi par le greffier. Les che-
valiers qui ont obtenu des lettres pour mon-
ter aux places de commandeurs, et les com-
mandeurs qui eu ont obtenu pour monter à
celles de grands-croix, d ivent aussi les pré-
senter à l'assemblée. L'on procède dans la
même assemblée à l'élection, qui se l'ail à la
pluralité des voix de deux grands-croix ,
quatre commandeurs et six chevaliers, pour
avoir la couduite et prendre soin des affaires
concernant l'ordre pendant l'année. Cette
assemblée, où se trouvent les grands-croix,
les commandeurs et les chevaliers qui ont
assisté le malin avec le roi à la messe qui;
l'on dit p iur demander à Dieu qu'il lui
plaise répandre ses bénédictions sur la p r-
sonne sacrée de Sa .Majesté, sur la maison
royale el sur le royaume, se tient le jour de
lu fêle de saint Louis, après diuer.
LOU
7()8
Cet ordre jouit de trois cent mille livres de
rente, dont il y a quarante- huit mille livres
affectées aux finit grands-croix, à raison de
six mille livres chacun ; trente-deux mille li-
vres à huit commandeurs, à raison de qua-
tre mille livres chacun ; quarante-huit mille
livres aux seize autres c ininan leurs, à rai-
son de trois mille livre- chacun ; pareille
somme de quarante-huit mille livres.: vin^t-
quatre chevaliers, à raison de deux mille li-
vres chacun ; tr nlc-si\ miile livres à vingt-
quatre autres < hevaliers, à raison de quinze
cents livres chacun; quaranle-huil mille li-
vres à quarante-huit autres chevaliers, à
raison de mille livres chacun ; et vingl-cinq
mille six cents livres à trente-deux cheva-
liers, à raison de huit cents livres chacun.
Quatre mille livres au liésorier, trois mille
livres au greffier, quatorze cents livres à
l'huissier pour leurs gages, frais de comptes, .
registres et autres, le tout par chacun an ;
el les autres six mille livres restantes sont
destinées pour les croix et autres dépenses
impré) h 's.
Le dixième jour de mai, le roi nomme les
grands-croix, les commandeurs et les che-
valiers de ce nouvel ordre. Les grands-croix
tirés des officiers des armées de terre furent
le marquis de la Rablière, le marquis de Ri-
I, le comte de Montchevreuil, les sieurs
de Vauban et de Rosen , qui ont été depuis
maréchaux de France; le marquis de la
Feu liée , le sieur Polastron, et le sieur de
Château-Renaud , lieutenant général et de-
puis maréchal de France, qui lut tiré des
officiers de marine. Les commandeurs lires
des officiers tant de terre que de mer furent
les sieurs de Valtcville , de Saint-Sylveslre ,
d'Avejan, Mas sot, de la Grange, de Louba-
ni.\ de Chamlay Panelié , Coslellas, Pres-
ch -, d'Arbon, a Bouch .rdière, Casleja, du
Lue, Bellegarde, Guillcrville, i-'ourille , Da-
lou, Laumont, De&alleurs, des Bordes, Dam-
blim ..ni et Bezons.
La croix de cei ordre est d'or à huit pointes
comme celle de Tordre du Saint-Esprit ,
av< ■ des fleurs de lis aux quatre angles: au
milieu ii y a un cercle dans lequel est d'un
côté l'image de saint Louis arme de cuirasse,
ayant par-dessus le manteau royal , tenant
dans sa maia droite une couronne de laurier
el dans la gauche une couronne d'épines et
les clous de la passion, avec cette légende
tout autour: Licdovicus Magnus insliiuit
lùJ't ; et de l'autre côté du cercle il y a une
épée dont la pointe perce une couronne de
laurier, et qui est attachée avec un ruban
blanc, avec celte légende tout autour : Bel-
Ucœ virtulis prœm'um.
Voyez l'Edit du roi pour la création de cet
ordre. Herman et Schoonebeek, dans leurs
Histoires des Ordres militaires.
jusqu'aux premières années du xvnr siècle,
Pondre militaire de Saint-Louis ne jouissait
en effet que d'un reienu de 300,000 livres,
ainsi que l'a dit Hélyot ci-dessus; mais, par
un e lit du mois d'avril 1719, le roi Louis XV
attribua à cet ordre p.ar#supplément, 150,000
livres de rente, pour compléter un revenu de
799
DICTIONNAIRE DES OKDKES RELIGIEUX.
800
4.r>0,000 livres. Le nombre des grands-croix,
qui était lise à huit par l'édit du mois d'avril
1693 , fui augmenté de deux , avec jouis-
sance de 6,000 livres de rente chacun. Celui
des commandeurs à 4,000 livres, qui élait
pareillement de huit, lut augmenté jusqu'à
dix; celui des commandeurs à 3,000 livres,
fut de dix-neuf au lieu de seize. A l'égard des
pensions des chevaliers à 2,000 livres, le roi
en créa trente au lieu de vingt-quatre. Les
pensions de 1 ,000 livres, dont le nombre était
de quarante-huit, fut arrêté à soixante-cinq,
et les pensions de 800 livres, fixées pour
trente-deux chevaliers, lurent augmentées
jusqu'au nombre de cinquante-quatre. Le
roi se réserva à lui seul et à ses successeurs
la nomination des grands-croix , des coui-
mandeurs et des chevaliers, pour être admis à
l'avenir en chacun de ses rangs, et ordonna
que les grands-croix, les commandeurs et les
chevalieis seraient à perpétuité tirés du
nombre des officiers servant actuellement
dans les troupes de terre ou de mer. Il érigea
en litre d'offices héréditaires un grand-croix
chancelier et garde des sceaux dudit ordre,
un grand-croix grand prévôt et maître des
cérémonies, un grand-croix, secrétaire et
greffier, un intendant de l'ordre , trois tré-
soriers généraux pour exercer par année ,
trois contrôleurs desdits trésoriers , un au-
mônier, un receveur particulier et agent des
affaires de l'ordre, un garde des archives et
deux hérauts d'armes. 11 ordonna que le
chancelier, le grand prévôt et le secrétaire
greffier jouiraient des mêmes privilèges que
les grands officiers de l'ordre du Saint-Esprit,
et que l'intendant et les trésoriers auraient,
sans aucune exception, tous les privilèges
dont jouissent les commensaux de la maison
de Sa Majesté, qui ordonna que les titulaires
ne pourraient disposer de leurs offices, qu'en
faveur de ceux qui sont agréés par Sa Ma-
jesté. Le roi ordonna aussi que la somme de
8,400 livres serait distribuée outre par-dessus
les gages ci-dessus, partie à l'intendant, au
trésorier en exercice, au contrôleur en exer-
cice, à l'aumônier, au receveur particulier
agent, au garde des archives et aux deux he-
rauls; que l'ordre de Saint-Louis serait com-
posé du roi, de l'héritier, présomptif de la
couronne, de dix grands-croix , de vingt-neuf
commandeurs, du nombre de chevaliers qui
y étaient, et qui y seraient admis dans la
suite, et des officiers créés par cet édit; que
les grands-croix porteraient, outre le ruban,
une croix en broderie d'or sur le justaucorps
et sur le manteau; que les commandeurs
porteraient le ruban sans broderie; que les
simples chevaliers porteraient seulement la
croix d'or attachée avec un petit ruban; que
le chancelier garde des sceaux de l'ordre, le
grand prévôt et le secrétaire greffier auraient
la broderie et le cordon rouge; que l'inten-
dant et les trois trésoriers porteraient la
croix pendante à leur cou et n'apuraient point
de broderie; que les autres officiers porte-
raient la croix sur l'estomac, et que , pour
les ornements des armoiries, lesdils officiers
se conformeraient à l'edil du mois de mars
1694; que le roi et ses successeurs porte-
raient la croix dudit orilre de Saint-Louis
avec la croix du Saint-Esprit; que Sa Majesté
entend décorer dudit ordre de Siint-Louis les
maréchaux de France, l'amiral de France, le
général des galères et ceux qui leur succéde-
ront auxdites charges ; que les ordres de
Saint-Michel, du Saint-Espiit et de Saint-
Louis seront compatibles dans une même
personne; que dans les cérémonies, ceux qui
seront honorés de l'ordre du Saint-Esprit et
de celui de Saint -Louis précéderont les
grands-croix , commandeurs et chevaliers
qui n'auraient que ce dernier ordre; qu'on
ne recevra aucun chevalier dans l'ordre de
Saint-Louis, qu'il n'ait servi sur terre ou sur
nier en qualité d'officier pendant dix années,
et qu'il ne soit encore actuellement en acti-
vité de service , qu'il ne professe la religion
catholique, apostolique et romaine, et ne
prouve son service de dix années actuelles
par les brevets et certificats des comman-
dants des troupes de terre et de mer; que les
gr. inds-croix, commandeurs ctchevaliers, qui
auraient commis quelque acte indigne de
leur profession et de leur devoir, ou un crime
emportant peine afflictive ou infamante, éga-
lement ceux qui sortiraient du royaume sans
permission pir écrit, signée de l'un des secré-
taires d'Etat, seraient privés et dégradés du-
dit ordre; et que tous les grands-croix , etc.,
qui ne >.eraient pas retenus par maladie ou
autrement, seraient tenus à se rendre tous
les ans au jour de saint Louis auprès de la
personne du roi, pour accompagner Sa Ma-
jesté à la messe dans le palais où elle sera
célébrée, et pour se trouver à l'assemblée
générale dudit ordre, qui se tiendra l'après-
midi.
Le 20 juin 1790, l'assemblée constituante
supprima les ordres de chevalerie, titres, li-
vrées et armoiries. L'ordre de Saint-Louis
fut donc aboli. Il faut remarquer que cet
ordre, ainsi que plusieurs autres, était sim-
plement militaire et honorifique, n'ayant pas
reçu, comme quelques ordres dont nous par-
lerons et dont nous avons déjà parlé, d'ap-
probation du souverain pontife.
Les choses restèrent sur ce pied jusqu'à la
restauration des Uourhons, en 1814; alors
l'ordre des chevaliers de Saint-Louis reprit
ses décorations , son rang et ses honneurs.
Pendant le temps de l'émigration, on avait
fait des promotions; il n'y eut pas, croyons-
nous , de solennités pour l'ordre de Saint-
Louis comme il y en eut pour les ordres de
Saint-Michel et do Saint-Esprit; tout se borna
à des nominations privées. Plusieurs furent
faites avec justice, en faveur de quelques ser-
viteurs fidèles de la royauté dans les temps
d'épreuves. Nous avons vu nous-mèaie la
croix de Saint-Louis sur la poitrine de ceux
qui avaient servi dans les rangs de la chouan-
nerie , lorsque les déparlements de l'ouest
étaient livrés aux malheurs de la guerre
civile. Ainsi en fut-il pour les Vendéens
distingués, les hommes qui s'étaient fait re-
marquer dans les rangs de l'armée de Con-
801
MAP
M.\n
«02
dé, etc., et plusieurs de ces décorations furent
accordées dans l'émigration.
Les conseils de Tordra se tenaient, avant in
révolution , à l'hôtel des Invalides, dans la
salle des archives de l'ordre. Le garde des
sceaux île France avait aussi les sceaux de
l'ordre ; il en a été de même après la restau-
ration. Une ordonnance du roi , du ;it) mai
1816, étahlissail cette disposition; l'admini-
stration de l'ordre fut confiée au minisire île
la guerre, qui en dirigeaiiel surveillai! toutes
les parties, la perception des revenus , les
payements et les dépenses. Dans les cérémo-
nies publiques, les grands-croix . comman-
deurs et chevaliers prenaient rang concur-
remment avec les membres de la Légion-
U'Honneur , par ancienneté de nomination,
savoir : les grands-croix avec les grands-
croix de la Légion: les commandeurs avec
les grands officiers de la Légion; les cheva-
liers après les commandeurs de la Légion ,
mais avec les officiers et avant les chevaliers
de la Légion. Le roi éiait chef souverain et
grand mailre de l'ordre.
A la révolution de juillet 1830, l'ordre mi-
litaire de Saint-Louis a de nouveau cessé
d'exister en France.
Dictionnaire historique de M oréri, VI* tome,
17o9; Dictionnaire portatif des Ordres reli-
gieux et militaires, par !/. C. M. D. P. D. S.
J. D. M. E. G.; l'Art de vérifier les dates de
la révolution ; Almanach royal, tn-8°.
B-D-E.
LUAN (Saint-). Voy. Irlande.
M
MACA1RE (Règle de Saint-). Voy. Isaïe
(Saint-).
MADELEINE (Chevaliers de la). Foy. Pas-
sion de Jéscs-Christ.
MADELEINE (Religieux et religieuses de
l'ordre de la Pénitence delà), tant en
France qu'en Allemagne.
Vers l'an 127:2, un bourgeois de .Marseille
nommé Bertrand , qui vivait dans une grande
réputation de sainieté , étant animé du zèle
de la gloire de Dieu et voyant que les mœurs
de son temps étaient fort corrompues, que
le libertinage était arrivé ci un tel excès,
que la plupart des femmes prostituaient leur
honneur, et que relies qui avaient conservé
quelque resle de pudeur ne faisaient que de
faibles efforts pour la défendre, entreprit la
conversion de ces pécheresses ; et ses exhor-
tations, tout embrasées du feu de la cha-
rité, eurent i>n succès si heureux, qu'il ra-
mena dans le chemin de la vertu un grand
nombre de brebis égarées , qu'il renferma
dans des monastères. Plusieurs personnes,
voyant le fruit que faisait le bienheureux
Bertrand , se joignirent à lui pour une œu-
vre si sainte ; leur nombre s'augmenta con-
sidérablement , et ils formèrent ensemble
une société qui fut érigée en ordre régulier
sous la règle de saint Augustin par le pipe
Nicolas III. Leur habillement (1) était sem-
blable à celui que les Augustins Déchaussés
ont depuis porté en France, sinon que ces
religieux de la Madeleine avaient des san-
dales de bois. Ils avaient aussi pour armes
un vase plein de charbons ardents, pour
^montrer le désir qu'ils avaient d'imiter la pé-
f'Jnitence de la Madeleine et de couvertir les
,.■ femmes pécheresses. Le P. Gesnay, qui rap-
' porte ainsi l'établissement de cet ordre, dit
que ces religieux donnèrent à ces Pénitentes
I; leurs mêmes observances , et que les reli-
1 1 gieuses Pénitentes de Marseille sont du même
institut. Et, comme il ajoute que le bien-
heureux Bertrand envoya plusieurs de ses
religieux-en France et en Allemagne qui y
firent des établissements en différents lieux,
c'est peut-être ce qui a donné lieu à quel-
ques écrivains de croire que les monastères
de l'ordre de la Madeleine en Allemagne,
dont quelques-uns ont même subsisté an mi-
lieu de l'hérésie, étaient de l'institut du bien-
heureux Bertrand. Il y en a d'autres aussi
qui se sont persuadé que ces monastères
d'Allemagne ont tiré leur origine de celui
des filles Pénitentes de la Madeleine à Pa-
ris , dont nous parlerons dans la suite ,
peut être à cause que. ces religieuses d'Al-
lemagne sont habillées de blanc et que
celles de Paris ont aussi porté un habit
blanc avant leur réforme.
Mais les religieuses Pénitentes de la Ma-
deleine en Allemagne étaient établies plus
de cent cinquante ans avant que le bien-
heureux Bertrand eût commencé son ins-
titut, et plus de deux cent soixante-dix ans
avant la naissance des filles Pénitentes de
Paris. Nous ne savons pas positivement en
quel temps cet ordre a commencé en Al-
lemagne, ni qui en a été l'instituteur ; mais
il est au moins certain qu'il y subsistait dès
le commencement du xnr siècle, comme il
parait par les lettres d'Otton, cardinal du
titre de Saint-Nicolas in carcere Tulliano
et légat apostolique en Allemagne, de l'an
1229, par lesquelles il accorde des indul-
gences plénières à ceux qui voudront con-
tribuer de leurs aumônes à la subsistance
des sœurs Pénitentes de la Madeleine en
Allemagne, qui étaient dans une grande
pauvreté et qui n'avaient pas pour lor^
des revenus pour leur entretien. Ces let-
tres se trouvent dans la Chronique du mo-
nastère de Frankenberg à Goslar, du même
ordre , et nous les rapporterons ici telles
qu'elles sont dans cette chronique.
Otto miseratione divina Sancti Nicolai in
carcere Tulliano diaconus cardinalis, aposto-
licœ sedis égalas, universis Cliisti fiit-libus
présentes has litteras inspecturis snlutem in
Doviitto. Quoniam, ut ait Apostolus, omnes
stabimus unie tribunal C/iristi, recepturi ,
(1) Voy., à la lin du vol., n° 1U9.
8«3
prout in corpore gessimus, sive fuerit
sien malum, oportel nos diem messiunis ex-
trême misericordie aperibtts prermire, et eler- ,
norum intu'tu srminare in terri*, qnod red-
dente Domino cum mitltiplicato frurtu recol-
ligere debcamus in Celis , firmam spem ftdu-
ciamque lenenles, i/uod qui pure -séminal,
parce et nftet, et qui semiihU tn ben diclio-
rtibus, de benedictt^nibus mêle' ri: -ni eter-
' nam. Cum igitur dilecte in Christo pauperes
sorores Pénitentes S. Mar. Magdal. in Alc-
maçfn i proptias non habeant facilitâtes unde
vdleant sustenlari, unirersitnlem rriram ro-
gamus, mmemtis et hortamur in Donvn > , et
in remissionem vobis injungimus peceami-
num, quittants de bonis a Deo vobis collalis
pias elemosinSs e gratu eis caritatis subsidia
erogatis, ut per suboencionem vestram earum
inopie consulatur, ut vos per hec cl alia bo-
na, que Deo inspirante feceritis, ad eterna
possitis gaudia pervenire. Nos enim de omni-
potentis bei mhericordia et BB. Pétri et
!'i:,l ujitist'ilortnii merilis et intercessione
confiai, omnibus qui ad lora ipsaritm accese-
rint xl dies de ut'uncta sibi peniteneia legar-
cionis auctoritute qua fungimur, misericor-
diter relaxa/nus, Datum Conslcncie anno Do-
mini MCCMXIX. Ind. ii, xiv k'dend. Januar.
Il y a bien de l'apparence que l'ordre de
la Madeleine en Allemagne était déjà institué
avant le concile général de Lalran qui se
tint l'an 1215-, puisque le pape Grégoire IX,
par une bulle qu'il accorda aux religieuses
de cet ordre en Allemagne, les exe
payer les dîmes de ce qu'elles faisaient va-
loir par leurs mains, et qu'elles possédaient
déjà avant le concile général. Le même
pontife le ir accorda beaucoup de privilèges
qui furent confirmés l'an 1-248 par le pape
Innocent IV, et la plupart des monastères se
sont tellement enrichis dans la suite, qu'ils
n'ont plus eu besoin de recourir aix chari-
tés des fidèles pour avoir de quoi subsister.
il y avait aussi des religieux du même
ordre qui avaient un général et des pro-
vinciaux, auxquels les religieuses étaient
soumises ; et outre cela elles avaient un
prévôt qu'elles élisaient, mais qui devait
être confirmé par le provincial : quelque-
fois ce prévôt était un religieux , et quel-
quefois c'était un séculier, comme il pa-
raît par la confirmation du prévôt du mo-
nastère de Frankenberg de l'an 1303, que
nous rapporterons aussi : Nos [rater Çon-
radus, prior provinciales monastertorum B.
Mur. Magdal. ordinis S. Augustini , pre-
positus in Stateim dilectis suis ni Christo
filiabu: M.priorisse totique conventui san-
climonialtum duli ordinis Frankenberqen-
sis ecclesie in Goslar cum prima dile-
ctione orucioncs in Domino. Dominum Alcx-
andrum , exhibitorem presencium , que.n
vos rua cum parocluulibtts vestris unanimi
ciitix.iisi ci ennonica ekelione, ac nostro
nie censensu in pr situm et pro-
visorem eoneorditer elegis vobi
miniums , preeipiendo qu s .
dienciam ut fralri nostri
(!) Voit., ù lu lia du vol., u
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 804
nerimini et reverenciam, débitant in omnibus
faciatis, in nomine Domini auforiiate n<>-
si a eumdem Alexundrttm in seeulari habita,
quamdiu ipsi placueril , manentem presen-
tibus confirmatnts. Duntcs sibi pleitarium
potestatem confessioncs a diendi, exroru-
municandi et absolrendi, intra et extra ex-
cessus spvritualium et (emporalium débile
corrigendi , omnia et singnla faciendi, que
per fratrim nostri ordinis electum ante-
cessorem siium rite fiiri consuet runt. Ni-
hilomitius ratas hnbere volumus et fermas om-
îtes sentencias et processus" et penas , quas
idem Un. Alexande.r juxlaconstilut iones et re-
gutam nostri ordinis rite tulcrit in r bel-
les. Insuper noltimus ipsuni per nos mit per
nostros successores gneralem sive provin-
ciales, seu per alignas frivolas occasiones
tel accusuliones indebitas , t/ue aliquando
fiunt , qnod absit , aliqualitet destitu
inreniretar manifeslis aliquibus delictis re-
ctums, et quibus esset ipso jure seeunctum
sacros canones desli tutus. Noll mus elinm
pretaclum Dn. Alexandrum et restruni mo-
nasterium oncrare per nos sire per nostros
successores aligna persona seu personis no-
stri ordinis apud vos locandis, nisi de bona
ipsius A exaitdri et veslri conventus unanimi
voluntale. Dut. anno Domini MGCCIII, in
i A sumptionis B. Mariœ Yirginis.
Nosquoquefrater Geroldus B. Mar. Magdal.
riorum generalis prepositus, omnia et
singuta pnscripla rata s rvannu et sigilli
nostri '-!' nine confinnamus. Anno Do-
mini MCCCXI , m die undecim mille Vir-
gin 'in sigillum est appensum.
Il es! lait mention de ces généraux dès
l'an 1-2VS; car le pape Innocent IV, ayant
confirmé tous les privilèges que ses pré-
décesseurs avaient accordés aux monastères
de l'ordre de la Madeleine en Allemagne,
Hilmar, pour lors général de cet onlie en
Allemagne, envoya des copies collalionnées
de la bulle de ce pontife à tous ces mo-
nastères, lesquelles copies étaient datées
de Cologne du jour de l'Exaltation de sainte
Croix de la même année.
Tous ces litres que nous avons rapportés
prouvent assez l'antiquité de cet ordre en
Allemagne, et qu'il était différent de celui
que le 1>. Bertrand institua à Marseille, puis-
qu'il subsistait plusieurs années avant la
naissance de ce dernier, et ces monastères
ont encjre moins tiré leur origine de celui
des Pénitentes de la Madeleine à Paris, qui
ne parut que plus de deux cents ans après
que le B. Bertrand eut institué son ordre. Il
y a encore beaucoup de monastères de reli-
gieuses de l'ordre de la Madeleine en Alle-
magne. Celui de Strasbourg est un de e as
qui ont subsisté au milieu de l'hérésie, avant
que celte \ille fût venue sous la domina-
tion do France. Abraham Bruin, Michel Go-
lyn et .iosse Ammanus nous ont donné l'ha-
billem nt d'un religieux de cet ordre qui est
eniièrem nt tel que imus l'avons
: s eiait
: s - i avec un scapulaire el un inan-
8*8
MAD
M AD
Ru'i
tenu, comme on peut voir ilnns la figure qui
représente une religieuse madelonnette île
Metz à la lête de l'articlarfe ce nom. Plu-
sieurs monastères de cet ordre, qui étaient
en Saxe et en d'autres pays hérétiques; ont
été supprimés. I 'n appelait ces religieuses
en plusieurs lieux, les Blanches Dames, ap-
paremment à cause de leurs habits blancs.
Mais, quoique leur ordre ait été établi pour
servir de refuge aux pécheresses publiques,
il y ,; longtemps que dans la plupart de leurs
monastères l'on ne reçoit que des Glles
d'honneur.
Ce que dit aussi le P. Gesnay, que les re-
ligieuses de la Pénitence de la Ma 'eleine à
Paris, communément appelées les Filles l'é-
nilentes. embrassèrent l'insiilut du bu
re il Bertrand, n'est pas eonforme à la fon-
dation de <e iiio a le: e r, selon le P. du
Brésil dans s ■ t! ris, ce fut
par les prédicat* ns du P. Jean Tisserand,
religieux de l'ordr de Saint-François, que,
l'an 1492, plu aes et filles
ques se convertirent, e', voulant faire péni-
tence de leurs d règlements, Lotris, duc d'Or-
léans, leur donna son hôtel pour U conver-
tir en monastère sous le titre de Filles '. étii-
tente-, où elles furent enfermé* s el où elles
ont demeuré pendant quatre-vingts ans, jus-
qu'en l'an Iô12, qu'elles lur. ni transférées
dans la chapelle de Saint-Gè< rgeft, en la rue
Saint-Uenis, que possédaient les Bénédictins
deS linl-Magloive. qui forent demeurer à l'hô-
pital de Saim-Jacques du Haut-Pas, comme
nous avons di; en un autre lieu.
Ce fut l'an 1497 que Jean-Simon, cin-
qul me de ce. nom, évêque de Paris, en
vertu d'un 'refdu pape Alexandre VI, leur
prescrivit dis statuts el leur donna la règle
de saint ABgustin, qu'elles suivent encore à
préseut. Le P. du Ereuil ajouté que, lorsque
ces statuts furent faits, elles étaient déjà
deux cent vingt religieuses, m is qu'il n'ose
pa^ dire t utes pénitentes ou converlieâ; En
effet , il y en avait peut-être quel jues-unes
qui y Étaient renfermées contre leur volonté,
à la sollicitation de leurs parents, ou par au-
torité de j:.s:ic • ; mais elles ne pouvaient pas
être admises à la profession religieuse, puis-
que, selon les constitutions de l'éYêqne de
Paris, qui furent dressées pour maintenir
l'observance régulière dans ce monastère,
l'on n'en devait recevoir aucune malgré
elle, el qu'il fallait pour être religieuses
qu'elles eussent pioslilue leur honneur et
qu'elles ne fussent pas vierges; car, par un
d s articles de ces statuts, ce prélat ordonne
qu'un ne recevra aucune fille dans ce mo-
nastère qu'elle n'ait commis le péché de
la « hair, el qu'elle sera visitée pour voir
si elle a perdu sa virginité; que celles qui
seront nommées pour eu f ire la visite feront
serinent sur les saints Kvangilcs, entre les
mains des Mère et sous-Mère, et en la pré-
sence des discrètes; de Faire vrai et loyal
rapport, et dire si < nues et
ii ordonne q ■ iolaBlë-
m eut observé; car vous sçavez (leur dit-il)
qu'aucunes sont tenues à nous qui étaient
vierges, et telles ont clé par vous trouvées ■
combien qu'à la suggestion de leurs mere< et
parens qui ne demandaient qu'à s'<n défaire,
e'Ies eussent a/fermé être corrumpucs. Ml dans
un autre article il ajoute : Item en outre or^
donnons que si aucune roulait entrer en votre
congrégation, qu'elle s''it intérr'egttée p r les
Mère et sous-Mere, présent r Ure confesseur,
et en la présence de cinq oit six, si elle se dit
corrumpuc, et que telle soit trouvée, si aupq-
racant qu'elle fût corrumpaë, elle avait en
désir d'ru(nr en tôtre religion; et si afin d'y
eut er elle ne s'est point fdt corrumj re. et
sera tenue faire, serment sur les saintes Eran-,
ailes en la mu'n de t&tre l'ère confes eur. en,
la présence de Ctitq ou i<ke de dam-'
nation étemelle, si elle ne t'est point fuit cor-
r te en intention d'entrer en vôtre reH-
leqUél u: dec! r ra q te p se que le fût
prof s-e ou n> n, et que l'on fâl averti u'elle
' fait corrumpre en celle int-ntioit. qu'elle
Hgieusé de vôtre monastère,
■■e vœu qu'fl'e al fait. Puis donc qu'il
I il prêter ces serments pour être reli-
• dans ce monastère, il y a bien de
l'apparence que des personnes que l'on y
av i' renfermées malgré (lies n'auraient ja-
mais \ rété le serment que l'on exigeait.
Il paraît encore p ;r le préambule de ces
cTmstitalions que c'est le roi Charles VIII
qui leur donna l'hôtel appelé de Bee baigne
h. '"■ n e), et non pas le duc d'Orléans :
J, l:an ; cr la ; omission divine évéque de Pa-
ris, à nos bien aimées et à Dieu données les
religieuses et courent des filles Pénitente" , di-
tes les Repenties de Paris à nous sujettes sans
mo'ien, salut. Comme par la grâce de Dieu et
par v.cûe in p ration , du tems que avons
eu le ic/jime, administration et jouissance de
n tm dit évéchê, et par '-e moîen de gens de de-
VO i n , i : I ci: l'œil sur vous plus que vous-
mêmes, vous êtes assemblées tellement q t'êtes
t a and n mire, et aujourd'hui environ onze
viilgt et plus, et pourrait être chose ffustra-
I tre as mblée el bon propos, sinon
qu'elle fût pureiurable et perpétuellement ob-
servée et gardée, qui ne se peut faire sans sta-
tu:*, ordonnances et constitutions. A cette
eau-!' en ensuivant l'obligation ci laquelle de
nôtre office pastoral sommes tenus et obligés,
t:u conseil de plusieurs koiables personnages,
gens de religion et du consentement de vous
toutes, tant pour vous que vos succisseresses
religieuses qui sont autlit monastère en l'hôtel
q ii fui appelle de Bothu'gne que le roi nôtre
sire vous a donné, étant en noire censive, jus-
tice el seigneurie e] cause de nôtre dit évéché,
avons stalué el ordonné , statuons et ordon-
nons les choses que ci-après setg'rit déclarées
être inviolablemcnt gardées et observées audit
monastère.
Nous avons dit ci-devant quelles étaient
les conditions requises pour entrer dans ce
monastère; il y a encore un article de ces
constitutions, qui ordonne que l'on n'en re-
ce\ ra aùcdnè'qui aura passé trente-cinq ans,
Pari-) que SÔfts"
bre d'êlfè' reçues en cet ordre, et ce. quelque
temps que ce soit, il n'y en eût qui voulussent
C07
DICTIONN.MRE DES ORDRES RELIGIEUX.
808
conlinuer dans leur péché. Ces religieuses
suivaient la règle de saint Augustin ; elles
étaient obligées de dire l'office de la sainte
Vierge au chœur ; elles se levaient à minuit
pour dire matines; et il y avait toujours deux
sœurs qui veillaient dans le dortoir. Outre
les jeûnes ordonnés par l'Eglise, elles jeû-
naient encore tuus les vendredis de l'année,
et les mercredis et vendredis de l'aven! ; elles
ne mangeaient de la viande que quatre fois
la semaine ; elles tenaient le chapitre les lun-
dis, mercredis et vendredis, et elles prenaient
la discipline tous les vendredis de l'année,
et en carême les mercredis et vendredis, et
tous les jours de la semaine sainte. Comme
elles ne vivaientque d'aumônes dans le com-
mencement, elles allaient deux à deux par
ta ville pour les chercher. Celles qui étaient
destinées pour cet emploi ne pouvaient boire
ni manger en ville. 11 n'était permis qu'aux
quêteuses de sortir, car elles faisaient vœu
de perpétuelle clôture, comme il est encore
ordonne par leurs constitutions et comme il
e3t porté par la formule de leurs vœux,
quelles prononçaient en celte manière : Je,
À., voue et promets à Dieu et à la Vierge Ma-
rie, et à monseigneur l'évéque de Pan*, mon
prélat et père spirituel, et à vous mère , sous-
mère, et tout te couvent, slabitilé et fermeté
sous clôture perpétuelle en ce lieu ici, la con-
version de mes mœurs, chasteté, pauvreté et
obéissance, selonla règle de monseigneur saint
Augustin et selon les statuts, réformation et
modification faits et à faire par i». P. en Dieu,
monseigneur Jehan, évêque de Paris, l'an
1497. Quant à leur habillement, il était blanc,
aussi bien que leur voile.
11 y avait aussi des religieux qui avaient
été pareillement institués dans ce monastère
par le même évêque, desquels le P. du Breuil
n'a point parlé. Ce prélat, par ses constitu-
tions, ordonne qu'il y aura dans ce monas-
tère des religieux qui suivront aussi la règle
de saint Augustin, qui auront des chaperons
et des robes grises, et une autre robe de
laine blanche par-dessous. Ils devaient faire
un an de noviciat, après lequel ils faisaient
leur profession à la grande grille de ce cou-
vent, entre les mains de la supérieure et du
Père confesseur en ces termes : Je, N. , pro-
mets et voue à Dieu et ci monseigneur l'évé-
que de Paris, mon prélat , à vous mère, à tout
le couvent, et à vous, beau-père confesseur,
chasteté, pauvreté et obédience, principale-
ment à mon prélat monseigneur l'évéque de
Paris et au couvent des sœurs de ce monastère,
ce qui fait voir que le P. Gesnay s'est trompe
lorsqu'il a dit que les religieuses Filles-Péni-
tentes à Paris avaient embrassé l'institut du
bienheureux Bertrand, puisque les religieux
d.' son ordre étaient habillés de noir, et que
ceux qui étaient au monastère de» Filles— i e-
nitentes étaient habillés de gris, et avaient
été institués par l'évéque de Paris. Les reli-
gieuses devaient pourvoir à toutes les néces-
sités des religieux, tant pour le vivre que
pour l'habillement et les études. Files en
élisaient un pour confesseur, et il en devait
choisir d'autres pour le soulager. Ces reli-
gieux étaient obligés de dire l'office selon
l'usage de l'Eglise romaine ; ils le récilaient
à voix basse, et se levaient aussi à minuit
pour dire Matines.
Voilà quelle a été la véritable origine du
monastère des filles Pénitentes de la rue
Saint-Denis à Paris, où l'on recevait encore
des filles Repenties vers le milieu du dernier
siècle, comme il paraît par la Vie de la Mère
Marie Alvéquin, réformatrice de ce monas-
tère, donnée par M. Biesse en 1649, et par
la relation de la naissance et du progrès de
celui des Madelonnettes, qui fut aussi impri-
mée en 1649 ; mais depuis plus de cinquante
ans l'on n'y reçoit plus que des filles d'hon-
neur, et nous ne croyons pas faire tort à ces
chastes épouses de Jésus-Christ si nous ne
nous conformons pas à ce qu'en a écrit de-
puis quelques années M. de Marivaux dans
une nouvelle Vie de la même réformatrice,
puisque nous aurions cru aller contre la vé-
rité de l'histoire.
Cet auteur, parlant de l'origine de ce mo-
nastère des filles Pénitentes, dit que, le P.
Tisserand prêchant avec succès, un grand
nombre de différentes personnes et de diffé-
rent sexe, distinguées par leur vertu, vinrent
le trouver, lui protestant qu'elles voulaient
servir Dieu toute leur vie; qu'elles s'aban-
donnèrent sous sa conduite, qu'il se trouva
plus d,' deux cents demoiselles qui prirent
cette résolution, et qu'il les renferma dans
un monastère. Pour lever l'illusion populaire
(à ce qu'il prétend] sur le nom de Pénitentes,
qu'elles ont toujours eu, il ajoute que ce nom
leur fut imposé parce Père en considération
des changements qu'elles firent d'une vie
douce et délicieuse, telle qu'est celle des fil-
les de qualité dans le monde, quelque ver-
tueuses qu'elles soient, à la vie austère qu'el-
les embrassèrent si généreusement dans sa
nouvelle religion. M. de Marivaux convient
que l'évéque de Paris Jean-Simon leurdonna
des constitutions qui furent observées de
toutes les religieuses avec une exactitude et
une fidélité inviolables. Mais ce prélat n'au-
rait-il pas été digne de blâme, si, voyant plus
de deux cents lilles chastes et vertueuses qui
se mettaient en congrégation pour y vivre
séparées du monde et se donner pour épouses
à Jésus-Christ, il les avait obligées dans le
commencement de leur retraite de ne rece-
voir parmi elles que des lilles prostituées qui
devaient faire serment sur les saints Evangi-
les qu'elles ne s'étaient point fait corrompre
en intention d'entrer dans cet ordre, où l'on
ne pouvait être reçu qu'après avoir commis
lepechéde la chair? Peut-on croire M. de
Marivaux, lorsqu'il dit qu'il n'a rien avancé
que de vrai, et que ce n'est qu'après avoir
examiné les litres originaux de la fondation?
ei a-t-il pu s'imaginer que, quoique les rcli
gieuses Pénitentes aient peut-être supprimé
leurs anciennes constitutions, il ne s'en trou-
vât encore des exemplaires dans quelques
bibliothèques, comme en effet il s'en trouve
dans celles du roi et dans celle du collège
des 11. P. de la compagnie de Jésus à Paris
et dans linéiques autres, où l'on peut les cou-
80'J
MAD
MAD
810
sultor. Elles sont toutes en lettres gothiques,
re qui fait voir qu'elles sont des premières
éilitions qui furent laites du temps de l'évê-
quo Simon.
Ces daines de Saint-Magloire, comme elles
Teulent êire appeléesà présent, suivant l'ins-
cription qu'elles ont fait mettre depuis peu
au-dessus de leur porte, ne doivent point
roujirde porterie nom de Pénitentes, puis-
qu'elles se sont consacrées à Dieu p r la pé-
nitence en entrant en religion. Elles doivent
imiter tant d'hommes et de filles qui ont pris
ce nom, et ont formé un ordre re igieux,
où, pour me servir des termes de M. de Ma-
rivaux, ces enfants innocents se sont con-
sacrés pour imiter Jésus-Christ, qui, tout
innocent qu'il était, a voulu être le premier
et le plus illustre des pénitents, établissant
son royaume dans les douleurs, faisant son
sceptre et son trône de la croix, comme son
diadème d'épines. Quoique le public donne
encore le nom de Pénitentes à ces dames de
Saint-Magloire, et quoiqu'ellrsaient toujours
conservé beaucoup de dévotion pour Made-
leine pénitente, on ne tire pas de là une con-
séquence qu'elles aient auparavant suivi
Madeleine pécheresse, puisqu'elles ne sont
pas les seules dont les monastères, ayant été
bâtis d'abord pour servir de refuge à des
pécheresses publiques, sont devenus dans la
suite des sanctuaires de saintes vierges,
comme on en voit un exemple dans l'article
suivant.
La Mère Marie Alvéquin, ayant été tirée
du monastère de Montmartre avec sept reli-
gieuses pour réformer celui des filles Péni-
tentes de Paris, y entra le 2 juillet 1016, et
mourut, le 23 janvier 1648, dans une grande
réputation de sainteté, étant âgée de quatre-
vingt-deux ans. Li s désordres de la guerre
avaient causé dans ce monastère beaucoup
de relâchement; mais elle y rétablit en peu
de temps les observances régulières, et leur
fit prendre un habillement différent de celui
qu'elles portaient, leur ayant donné un ha-
bit de couleur minime, avec un scapulaire
de même, et leur ayant au>si donné un voile
noir. Je ne sais si l'on doit compter au nom-
bre des réformes qu'elle Gt en ce monastère
l'adoucissement qu'elle apporta dans les aus-
térités, si l'on doit ajouter foi à M. de Mari-
vaux ; car, selon cet auteur, elle leur fit dire
matines à huit heures du soir, au lieu qu'el-
les se levaient à minuit ; elle leur lit quitter
les chemises de serge pour en prendre de
toile, et leur fit mangerde la viande le lundi,
au lieu qu'elles n'eu mangeaient pas. Nous
voyons de pareilles réformes s'ériger tous les
jours dans les monastères, contre I intention
des fondateurs.
Voyez, pour les Filles Pénitentes de Paris :
du Breui!, Antiquités de Paris ; les anciennes
Constitutions de ces religieuses imprimées à
Par. s en LjOO; Biesse, Vie de la Mère Marie
Alvéquin, leur réformatrice ; et de Marivaux,
Vie de la même réformatrice. Pour les reli-
gieux de la Pénitence de la Madeleine à Mar-
seille : Gesnay, Hist. M assit.; et, pour Tor-
dre de la Madeleine en Allemagne : Chroni-
DlCTlOXNAlRE DES OkîHIES REUUICUX. il.
con cœnahii Montis Francorum Goslnriœ, et
Joann. Buschius , De Reformât. Monast.,
apud Leibnitz; Hist. Brunsvic, loin. 11.
M A DELONNETTF.S(RELiGiErsES de la Ma-
deleine, oc) à Metz et à Naples.
Les religieuses du monastère de Saint-Ma-
gloire à Paris, et que le peuple api elle com-
munément filles Pénitentes, ne sont pas les
seules à qui le nom de Pénitentes semble en
quelque façon odieux. Celles de la Made-
leine à Metz étaient aussi appelées sœurs
Pénitentes, comme il parait par une sentence
de l'évèque Conrad Bayer de Boppart, rendue
l'an 1432 en faveur des chanoines de l'ég! se
colîégiale de Saint-Thibaut de la même ville,
par laquelle ce prélat, pour satisfaire à un
bref du pape Nicolas V, érigea le monastère
de Sainte-Madeleine de Meiz des soeurs Péni-
tentes, en une église col.égiale sons le litre
de la sainte Vierge et de saint Thibaut, et la
chapelle de Sainte-Elisabeth en un monas-
tère de ces religieuses : Ecclesiam ri mo'nas-
terium II. Marim Magdalenœ Metensis soro-
ruin Pœnitentium, in collerjititam sub nom ne
et vocabilo B. et glurios:r Virginis Mariœ et
sancti Theobaldi, et capellcm Sanctœ Elisa-
beth (alias Vetris fermeteri ) in monasterium
sororum Pœnitentium ereximus et erigimus per
prœsentis, etc. Cet acte esl rapporté par Mû-
risse , évêquede Madaure, dans son Histoire
des Evrques de Met/. Il tire de là une consé-
quence que ces religieuses de la Madeleine,
à qui le peuple a donné le nom de Madelou-
notles, étaient déjà établies à .Metz, et dit qu'il
n'a pu trouver précisément le teirps de leur
établissement. Mais ces religieuses prétendent
avoirété établies plusde quatre cent cinquante
aïs auparavant, et fout remonter leur origine
à l'an 1003, ce qu'elles auraient sans doute
bien de la peine à prouver, il se peut faire
que cette chapelle dédiée à sainte Elisabeth,
mère de saint Jean-Baptiste, dans son origine,
et où ces relideuses ont été transférées en
1432, ait été bâtie en 1005 ; mais le nom de
sœurs Penilen e*, qui leur est donné dans la
sentence de l'évèque de Metz, les religieuses
d'Huys du même ordre selon les Mémoires
qui m'ont été envoyés) cl qui vinrent pour
rétablir cette maison, quiavail été abandon-
née pendant les guerres, et où il n'était
resté qu'une sœur converse ; les monastères
de l'ordre de la Madeleine qui sont encore ca
Allemagne, et où les religieuses sout habil-
lées de même qu'à Metz, me font roi e que
celles-ci, à qui le p uple a donné le nom do
Madelonnetles, sont du même orure que les
r. ligieuses de la Madeleine en Allemagne, et
cettesentence, rendue l'an 1452 par l'évèque
Conrad, fait connaître qu'elles ne peuvent pas
avoir tiré leur origine du monastère des
Filles-Pénitentes à Paris, qui ne lurent éta-
blies que l'an 1492, comme nous avons déjà
dit.
Cependant les Madelonnetles de Metz se
disent présentement chanoinesses , ce qui
parait, disent-elles, par les anciens mon'j-
ments qui sont dans leur monastère et par
les figures des anciennes religieuses; et que
2G
m
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
s;2
si 11 is portent présentement une robe blan-
che et un scapulaire de même, ce n'est qu'à
cause de la dévotion que leurs anciennes
portaient à saint. Do inique, ayant voulu
prendre l'habit des religieuses de son ordre,
lorsque, vers l'an 1221, il établit le couvent
de ses religieux à. Metz ; et que dans la suite,
pour se distinguer des religieuses de cet or-
dre, elles quittèrent le scapulaire et la chape
noirs pour en prendre de blanc?, le scapu-
laire et la chipe noirs étant restés à leurs
scears converses. Mais je n'ajoute pas beau-
coup de foi à ces mémoires, d'autant plus
que ces religieuses Madelonnettes sont mal
informées de l'habillement des religieuses de
l'ordre de Saint-Dominique, qui ne portent
point de scapulaire noir, si ce n'est les sœurs
converses; d'ailleurs, dans le temps que ce
saint fonda son ordre, ou plutôt avant qu'il
l'eût fondé, il avait établi les religieuses du
monaslère de Prouille, auxquelles il donna
pour habillement une robe blanche et un
manteau de couleur laanée. Nous donnons
l'habillement des re igieuses Madelonnettes
de Metz tel qu'elles le portent présent-
aient (1). 11 est vrai qu'il y a quelque union
entre l'od e de Saint-Dominique et celui de
la Madeleine, puisque l'ordre de la Madeleine
suit les constitutions de l'ordre de Saint-Do-
minique : au moins il y avait en Allemagne
plusieurs mona tères qui suiva'ent ces consti-
tutions, ce qu'ont pu faire aussi les Madelon-
nclles de Melz.
Mémoires manuscrits envoyés eu 1T0S ; et
l'on peut consulterMurisse dans son Histoire
des Evêques de Metz.
Les monastères des religieuses de la Ma-
deleine et de Sainle-Marîe-Ègyptienrie à Na-
ples sont du nombre de ceux qui, ayant été
destinés d'abord pour servir de retraite aux
pécheresses publiques, sont devenus dans la
suite des sanctuaires de saintes vierges pa-
reils à ceux don! nous avons déjà parle. Celui
de la Madeleine fut fondé l'an 132V, et doté
par la r ine Sanche d'Aragon, femme de Ro-
bert, roi de Naples, pour des pécheresses
publiques q ai, touchées de repentir, avaient
de -cin de faire pénitence. Celte pieuse reine
avait un si grand zèle pour le salut de .es
pauvres créatures, qu'elle allait tous les
joursdans ce monastère avec son confesseur,
le P. Philippe Agueiro, de l'o dre de Saint-
François, pour leur faire faire des exhorta-
tions' <;ui furent si efficaces, que dix ans
apr s la fond tion de ce monastère, de cent
qu tre-vingt-deux de ces pécheresses, qui, à
la sollicitation de celte princesse, étaient en-
trées dans cette maison, il y en eut cent
soixante-six qui ûrent les vœux solennels
entre les mains de l'archevêque de Naples,
doui plusieurs moururent en odeur de sain-
teté.Celle princesse voulut aussi que ce mo-
nastère lût soumis aux religieux de l'ordre
de Saint-François , ce que l'archevêque ac-
corda, l'ao l.'JÙ, à condition que les religieu-
ses seraient obligées de donnerions les ans à
l'église métropolitaine un cierge d'une livre.
If y avait déjà pour lors trois cents religieu-
ses dans ce monastère; mais dans la suite
on n'y a plus reçu que des filles d'honneur
et vertueuses, qui sont présentement au nom-
bre de quatre-vingts. Elles ont la règle de
saint Augustin et un habit noir, et pour
ceinture une corde bl mche, comme les re: i—
gieuses de l'ordre de Saint-François. Les re-
ligieux conventuels de cet ordre en ont eu la
direction jusqu'en l'an 1368, que, par ordre
du pape Pie V, les religieux de l'Observance
prirent leur place et eurent aussi la direction
des religieuses du monastère deSainte-Maric-
Egyptienne, que les conventuels leur aban-
donnèrent aussi.
• Ce monastère fut aussi fondé par la reine
Sanche d'Aragon pour des filles et des fem-
mes repenties, à cause que celui de la Ma-
deleine ne se trouvait pas assez grand pour
contenir le nombre de elles qui quittaient
leur mauvaise vie. L'archevêque de Naples,
qui avait consenti que les religieuses de la
Madeleine fussent sous la direction des reli-
gieux de l'ordre de Saint-François, accorda
la même grâce à celles deSainte-Marie-Egyp-
tienne, l'an 1342, à condition qu'elles donne-
raient aussi tous les ans un cierge d'une
livre à la cathédrale. Elles furent soumises
pareillement aux religieux conventuels ;
mais par ordre du p >pe Pie V elles furent
mises sous la direction des Pères de l'Obser-
vance de Saint-François. Elles ont, comme
les religieuses du monastère de La Madeleine,
la régie de saint Augustin et l'habit de son
ordre avec la cord blanche de celui de
Sa nl-François.
Voyez, pour c s deux monastères : Franc.
Gonzag. De Oricjine Scraph. rclig.; Wading.
Anna'. Minor.
MADELONNETTES (Relig ibdshs oe l'ororh
DE LA MaDELEITE , APPELÉES COMMUNÉ-
MENT) à Pans, à Ko uen et à Bordeaux.
Les religieuses de l'ordre de la Madeleine
ou Mad'lon nettes, dont noiis allons parler,
sont différentes de celles dont nous avons
parlé, dans l'article précédent; elles ont
pris leur origine à Paris au commencement
du dernier siècle. Celle ville est si grande
et si peuplée , qu'il ne faut pas s'éton-
ner s'il y a un si grand nombre de filles et
de femmes qui, s'oub'.iant de leur devoir,
prostituent leur honneur, et s'il y a tant do
maisons pour les recevoir lorsqu'elles veu-
lent se convertir, ou pour les enfermer de
force lorsquelles ne veulent point quitter le
vice, telles que sont le monastère des Made-
lonnetles et les communautés du Bon-Pasteur,
du Sauveur, de Sainte-Pélagie, de Saiule-
ïl.éodore et quelques autres. Mais, comme
la plupart de ces communautés ne sont que
séculière'-, nous ue parlerons ici que des
Madclonneltes, dont la plus grande partie
de la communauté est composée de religieu-
ses qui forment un ordre particulier, puis-
qu'il y a encore des maisons du même iusti-
tut à Rouen et à Bordeaux; et que ces trois
(1) Voy., à la fin du vul.,n» 201.
813
MAD
monastères suivent les mêmes constitutions,
qui ont été dressées par l'ordre du pape Ur-
bain VIII.
Ce fut l'an 1G1S que ce! ordre prit nais-
sance à Paris, par le moyen du R. P. Alha-
naseMulé, capucin, frère de M. Mole, pro-
cureur général du parlement; d'un riche
marchand de vin de celle ville nommé de
Monlry, et de M. du Fresne, officier dans
les gardes du corps du roi, qui tous trois,
animés du zèle de la gloire de Dieu et du sa-
lut du prochain, s'employaient conlinuelle-
menl à la conversion des pécheurs et des hé-
rétiques, et au soulageaient des pauvre , cl
des malades. Ce fut donc l'an 1018 que ces
personnes charitables ayant relire quelques
filles du vice ou elles s'éla <>nt plongées par
leur prostitution, on leur loua d'abord des
chambres au faubourg Saiat-Uonoré ; niais
ce lieu ne se trouvant pas propre p > n r la re-
traite qu'elles», embrassaient, le sieur de
Monlry leur céda sa propre mais m situé;; à
Fa Croix-Rouge, au faubourg Saint-Germain,
et en loua une autre pour lui à côté, pre^
nanl soin de ces pauvres créatures, tant
pour la nourriture que pour les secours spi-
rituels qu'il leur procurait; et en peu de
temps elles se trouvèrent jusqu'au nombre
de vingt. Les Bénédictins de l'abbaye de
Saint-Germain des Prés leur permirent d'a-
voir une chapelle chez elles. La première
messe y fut célébrée le 25 août de la même
année 1618, et peu de temps après elles em-
brassèrent la clôture, ne parlant aux per-
sonnes du dehors qu'à Iravers une grille à
la manière des religieuses, et ne sortant
point de leur maison. Deux ans après, saint
Franco s de S îles, évéque de Genève, ayant
pu lie dans leur chapelle le jour de sainte
Madeleine, donna à quelques-unes de ces
Diles un ha il religieux; et, comme le nom-
bre de ces GUes augmentait considérablement,
on les transféra dans une maison plus ample
proche le Le m pie. La marquise de Maigne-
lay se déclara fondatrice de cette nouvelle
maison, et cette communauté ayant été so-
lidement établie, comme les personnes qu'on
y recevait avaient plus besoin d'è re con-
duites elles-mêmes que de conduire les au-
tres, n'ayant ni l'expérience ni les qualilés
requise s ,on leur donna, pour avoir soin d'el-
les, des religieuses de l'ordre de la Visitation
de Notre-Dame. Il y en eut quatre da pre-
mier :i onasfère de Paris, qui furent desti-
nées pour cela. Elles entrèrent l'an 1629
dans celui de la Madeleine, el remplirent les
premières charges, comme de prieure, sous-
prieure, portière, tourière; et de temps en
temps on les changeait pour les soulager du
grand travail qui se rencontrait dans la
conduite de ces Repenties, dont quelques-
unes y étaient malgré elles et par auto-
rité de. justice. La conduite de ces religieu-
ses de la Visitation a été accompagnée
de laul de bénédiction, qu'elles ont éta-
bli un très-bon ordre dans celte commu-
nauté, qui est ordinaireme.it de cent ou
cent vingt personnes. Mais enfin elles se
Sont lacées de ces o à upalions, el elles ont
MAD 81 ï
mieux aimé rester dans leurs monastères.
Les religieuses Ursuliues leur ont succédé,
et n'ont pas fait moins de fruil pendant en-
viron trente ans qu'elles ont eu la direction
el la conduite de ce monastère; et enfin de-
puis quelques années M. le cardinal de No ail-
les, archevêque de Paris, a mis à la place
des Ursulines des religieuses hospitalières
de l'ordre de la Miséricorde de Jésus. Les
constitutions que l'on observe dans ce mo-
nastère furent dressées l'an 1637 et approu-
vées par Jean-François de Gondy, archevê-
que de Paris, le 7 juillet 16i0, suivant le
pouvoir qu'il eu avait reçu du pape Ur-
bain VIII, qui érigea cette maison en mo-
nastère, el elle en a produit deux autres,
l'une à Bordeaux, l'autre à Rouen.
Conformément à ces constitutions, l'on ne
doit recevoir dans les maisons de cet institut
que des filles ou femmes qui ont mené une
vie déréglée; el il est défendu sur peine
d'excommunication d'en admettre d'autres.
Si néanmoins quelque tille se trouvait en
danger de se perdre, on ne laisse pas de la
recevoir, étant présenté' par s "s pareuis,
quoiqu'elle n'ait pas encore fait faute, mais
elle ne peut demeurer que pour un temps
da s le monastère parmi les religieuses pro-
fesses.
Trois sortes de congrégations se trouvent
dans ces sortes de monasières. La première,
sous le titre de la congrégation de. la Made-
leine, est destinée pour celles qui sont ad-
mises à faire les vœux solennels, après qu'el-
les s'en sont rendues dignes par leur bonne
conduite. La seconde congrégation, sous le
titre de Sainte-Marthe, e4 de celles que l'on
ne juge pas encore capabes d'être religieu-
ses, ou qui, pour quelques considérations,
comme de mariage , ne peuvent préten-
dre à faire les vœux solennels. Enfin la troii
sième congrégation, sous le titre de Saint-
Lazare, est destinée pour celles qui ne sont
nullement disposées au bien : et lotîtes ces
différentes congrégations ont leur quartier
sépiré; nous a Ions voir maintenant quels
sont leurs exercices el observances.
La clôture esi étroitement g idée, et les
sorties interdites aux professes de la pre-
mière el de la seconde : ongrégation ( sinon
au cas permis), sur peine d'excommunica-
tion; mais aux autres du troisième rang, sur
peine de châtiment exemplaire. Elles ne
parlent point seules aux personnes du de-
hors, et jamais à personnes suspectes ou
qu'elles auraient connues dans ta pratique
du mal; elles ne vont point aussi au parloir
pendant i'avenl, le carême et certains au-
tres jours marqués dans les constitutions.
Celles du premier rang se lèvent en tout
temps à cinq heures, font uni! heure d'o-
raison mentale chaque jour, demi-heure le
matin et autant après complies ; elles récitent
tous les jours le petit office de la Vierge, et
le grand office de l'Eglise à certains jours de
l'année. Elles font trois jours de retraite spi-
ritu Ile avant la fête de la Madeleine, autant
avant celles de Pâques, de la Pentecôte et de
Noél, et un jour avant celles de l'Assomptiou
M5
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX
816
et de In Purification de Notre-Dame, «Je saint
Augustin et de sainte Marthe. Outre les
jeûnes commandés par l'Eglise, elles jeûnent
encore l'avent et tous les vendredis de l'an-
née, exceplé depuis Pâques jusqu'à la Pen-
tecôte. Elles font abstinence tous les mer-
credis, à moins qu'il n'arrive un jeûne dans
la semaine, hors le vendredi et le samedi.
Tous les vendredis elles prennent la disci-
pline, et tous les mercredis pendant l'avent
et le carême, et les veilles des fêtes de sainte
Madeleine et de saint Augustin, et ces deux
jours, aussi bien que celui du vendredi saint,
elles n'ont qu'un mets d'herbes ou de légu-
mes au dîner; on ne leur donne aussi ces
jours-là à la collation que du pain, et elles
mangent à terre ces trois jours-là. Après
avoir quille la congrégation de Sainte-Mar-
the, elles font deux années de noviciat dans
celle-ci, après lesquelles elles font leur pro-
fession solennelle en prononçant leurs vœux
selon celle formule.
Au nom de la très-sainte Trinité, Père,
Fils et Saint-Esprit, et en l'honneur de la
glorieuse Vierge Marie et de sainte Madeleine,
moi, sœur N., devant toute la cour céleste et
à la face de notre mère sainte Eglise, épouse
de Jésus-Christ, voue et promets à Dieu obéis-
sance, pauvreté et chasteté entre vos mains,
mon R P. commis et député supérieur de cette
maison, par Monseigneur l'illustrissime et
révérendissime N.; en présence de vous, ma
révérende Mère prieure, selon la règle de saint
Augustin et les constitutions de celte maison
et monastère de Sainte-Marie-Madeleine,
données et approuvées par H. P. en Dieu
M. Jean Franc is de Gondij, premier arche-
vrque de Paris, et de l'autorité du Saint-Père
le pape Urbain Y 111, suivant lesquelles je
m'oblige d'aider, recevoir et retenir en cette
maison, les filles et femmes de la qualité et
condition pariée par lesdites constitutions, ce
i)ue je garderai moyennant la grâce de i\otre-
Seigneur jusqu'à la mort.
Après qu'elles ont prononcé leurs voeux et
reçu le voile noir, elles se prosternent par
terre, on les couvre d'un drap mortuaire;
l'on récite les prières des morts avec l'orai-
son, Absolve, guœsumus; laquelle étant finie,
les sœurs jettent de l'eau bénite sur les pro-
fesses; et, lorsqu'elles sont relevées, on leur
met une couronne d'épin; ssnr la tète. Je passe
sous siience tous les autres exercices qui
leur sont communs avec les religieuses des
autres orores, et plusieurs autres qui leur
sont particuliers et de peu de conséquence.
L'on remarquera seulement que leur pau-
vreté est très-rigoureuse il leur obéissance
très-exacte. Leur habillement consiste en
une robe et seapulaire de couleur minime ,
serrée d'une corde blanche, et leur guimpe
est pareille à celle des religieuses de la Visi-
tation ; au chœur et dans les cérémonies elles
ne se servent point de manteau (1).
Quant aux sœurs de la congrégation de
Sainte Marthe , elles se lèvent en tout temps
à cinq heures et demie. A six heures elles
vont au lieu destine pour faire leurs prières,
où elles demeurent environ trois quarts
d'heure , tant pour faire les exercices du
malin que pour l'oraison mentale ei réciter
leurs prières accoutumées, étant obligées de
dite sur peine de péché le petit office de la
Vierge, et celles qui ne savent lire, certain
nombre de Pater et d'Ave; et les jours que
celles du premier rang disent le grand of-
fice, outre l'office de la Vierge, celles-ci sont
obligées de réciter encore un tiers du rosai-
re, comme aussi, lorsque les autres disent le
grand ollice des morts , el lorsqu'on ne dit
qu'un Nocturne , elles ne disent que trois
dizaines. Au sortir des prières elles vont re-
cevoir l'obéissance Oe leur Mère maîtresse ,
qui leur ordonne ce à quoi elles doivent
s'occuper tout le jour. Elles dînent à la même
heure que celles du premier rang, mais dans
un réfectoire séparé , demeurant aussi dans
un quartier séparé, comme nous avons dit.
Elles font les mêmes abstinences de viande,
mais elles ne jeûnent que trois fois la se-
maine pendant l'avent, et les autres trois
jours elles n'ont qu'un mets au souper ,
comme aussi les vendredis depuis Pâques
jusqu'à la saint Michel. Quant aux vendredis
depuis la fête de saint Michel jusqu'à Pâques,
elles jeûnent, mais la supérieure leur doit
accorder aisément la dispense des jeûnes et
des abstinences. A cinq heures un qua telles
quittent leurs ouvrages pour aller faire l'o-
raison mentale pendant une demi-heure ,
après laquelle elles vont au réfectoire pour
souper; la recréation dure jusqu'au premier
coup de matines, que commence le grand si-
lence qui dure jusqu'au lendemain. Pendant
les matines des sœurs du premier rang ,
celles-ci se tiennent dans la chambre du tra-
vail, où leur maîtresse lit ou l'ail lire quelque
bon livre, et elles travaillent jusqu'au Te
Ueum, qu'elles vont au chœur pour dire leur
office et taire leur examen, aptes lequel elles
se retirent pour élre aussitôt couchées que
les sœurs du premier rang.
Elles ne lont que des vœux simples, et si,
avant que de les avoir fails, elles sont bien
affermies dans la vertu el se trouvent re-
chen liées en mariage par quelque personne
exempte de tout soupçon, le supérieur el la
Mère prieure y peuvent consentir, et même
fournir quelque chose pour la dot, si la
maison a reçu quelque chose pour cet effet.
b'il se trouve aussi quelque d.ime qui en
veuille prendre à son service et s'en charger,
on la lui peutdoiiinr, poun u qu'elle ail quitté
ses mauvaises habitudes au mal. Leur ha-
billement est semblable à celui des religieu-
ses du premier rang, sinon qu'elles n'ont
point de seapulaire, et qu'elles ne portent
qu'un voile blanc.
Il y a aussi des règlements pour celles de
la congrégation de Saint-Lazare , destinée
pour les filles et femmes que l'on renferme
malgré elles , et où l'on met pour un temps
celles du second rang qui ont fait des fautes
considérables ou donné quelque mauvais
(t) Vey., à la lin du vol., n" 202.
817
MAD
MAD
SI8
exemple , afin d'y faire la pénitence qui leur
est enjointe, soit pour y être renfermées
durant certain temps, soil pour y faire quel-
ques autres mortifications proportionnées à
leurs faules. Comme celles qui sont dans
cette congrégation ne sont pas portées au
bien, aussi ces règlements ne sont pas exac-
tement observés; on leur fait faire néanmoins,
aulant qu'il est possible, les mêmes exercices
qu'à celles du second rang qui n'ont point
fait de vœux , comme sont les femmes ma-
riées et autres, soit pour les prières, soit
pour les ouvrages. Si elles ne sont point
soumises, on les renferme plus étroitement,
on les prive de vin, on leur retranche leur
pitance et on leur ordonne quelque antre
modification; ce qui se doit entendre de celles
qui sont mises dans ce monastère contre
leur gré; car, pour celles que l'on y envoiedu
second rang, ellesont pour règlement la forme
de la pénitence qui leur est imposée; et, au
cas que p;ir obstination elles témoignent d'y
vouloir toujours demeurer et de ne plus re-
tourner à leur congrégation, après s'être
servi de tous autres moyens , on les traite
en sorte qu'elles reconnaissent leur aveu-
glement et qu'elles demandent d'en sortir.
Sitôt que celles que L'on a menées de de-
hors contre leur gre témoignent véritablement
vouloir embrasser le bien, on leur donne
pour un temps plus de liberté pour les éprou-
ver et les reconnaître, et, voyant qu'elles
n'en abusent pas et qu'elles témoignent par
leur conduite vouloir persévérer dans le
bien, on les l'ait passer au second rang; mais
généralement on les tient toutes renfermées,
plus ou moins, selon les dispositions qu'elles
font paraître, et selon qu'elles se rendent
plus ou miins dignes de quelque grâce , et
celles qui s'en rendent dignes mangent au
petit réfectoire avec les sœurs qui les gou-
vernent. Elles se lèvent et se couchent à pa-
reille heure que celles du second rang, et
elles ont les mêmes prières et les mêmes
exercices.
Voyez les Constitutions de cet ordre; la
Vie de M. Vincent de Paul par M. Abelly, et
la relation de la naissance et progrès du ino-
naslèrr des Madelonnettes , imprimée à Paris
en ÎGW.
11 est surprenant que le P. Hélyol n'ait pas
donné dans son admirable ouvrage un cha-
pitre sur les religieuses de la Miséricorde de
Jésus, car ces hospitalières ne lui étaient pas
inconnues, puisqu'il les mentionne ci-dessus
comme ayant dirigé pendant quelque temps
la maison des Madelonnettes. Cet oubli ne.
peut être que l'effet d'une erreur de rédac-
tion, ou une suite des influencés qu'aua su-
bies cette rédaction après la mort d'Hélyot.
Quoi qu'il en soil, nous donnerons dans le
Supplément un artule très-étendu sur cette
congrégation importante.
Les hospitalières de la Miséricorde de Jésus
ne conduisirent pas longtemps la maison des
Madelonnettes de Paris. Il était d ffici e qu'une
communauté composée comme l'ttail celle de
la Madeleine souffrît en paix l'administration
d'un institut étranger, et laissât quelque agré-
ment humain aux religieuses chargées de la
conduire.
En l'année 1720, le cardinal de Noailles,
archevêque de Paris, devant changer les su-
périeures qui gouvernaient les 111 les péniten-
tes de la Madeleine, s'adressa aux supérieu-
res de plusieurs maisons de Paris, pour ob-
tenir cinq des meilleurs sujets pour répondre
à ses vues. Le cardinal reçut partout un re-
lus ; et comme il s'en entretenait avec l'abbé
Vivant, chancelier de Notre-Dame et supé-
rieur de la Madeleine, en présence de l'abbé
de Hobieu el 'le l'abbé de Caumartin, qui
était alors évêque nommé de Mois, ces ecc. é.
siasliques apprirent au cardinal qu'il y avait
dans l'Rglise des religieuses destinées, par
un quatrième vœu, à travailler à l'instruc-
tion et à la conversion des filles et femmes
pénitentes, et qu'ils en connaissaient un à
Vannes, en Bretagne, qui faisait de grands
fruits. Le cardinal les pria de lui procurer
cinq ou six religieuses de celte communauté
pour gouverner la maison de la Madeleine,
qui avait été jusqu'al rs conduite par des
reiigieuses de différents ordres. Les monas-
tères de Vannes, de Hennés, de Tours, refu-
sèrent successivement. Ce derniei indiqua le
monastère de (itiingamp, au diocèse de Tré-
guier. Le cardinal, am: de l'évéque île Tré-
guier, ne douta plus qu'il obtii ndr.iit là i'ef-
t'et de ses désirs. Il l'obtint; mais les reli-
gieuses, répugnant à cette obédience, ne
l'acceptèrent qu'à la condition qu'elles fe-
raient un établissement à Paris, établisse-
ment qui fut la maison de Saint-Michel. d>nt
nous parlerons dans un article prochain.
Les religieuses destinées à diriger les Made-
lonnettes arrivèrent au nombre de cinq cho-
ristes et une converse, le 30 avril 1720 au
soir, et furent aussitôt installées à la Made-
leine, où le souper qu'on leur servit leur fit
pressentir tout ce qu'elles auraient à souf-
frir dans cette maison. Leurs prévisions ne
furent pas trompées; mais elles y mirent du
zèle et y firent beaucoup de bien. Un grand
avantage qu'elles en retirèrent fut leur éta-
blissement à Paris, où une communauté se
forma, rue des Postes. Celles qui étaient à la
Madeleine y persévérèrent pendant quatorze
années. Au bout de ce temps, victimes des
persécutions et des calomnies dont elles
étaient l'objet, elles se virent noircies près de
Mgr de Vintimille, archevêque de Paris, qui
reconnut bientôt pourtant ce qu'il y avait de
faux dans les dénonciations du grand vicaire
supérieur de cette maison (l'abbé Robinet) et
du confesseur des Pénitentes, et surtout de
celles-ci. Mais les amies des religieuses de
Notre-Dame de Charité (car c'était cet ordre,
fondé par le P. Eudes, à Caeo, dans le xvn°
siècle, qui avait été appelé de Guinganip)
firent connaître la chose au procureur géné-
ral, qui manda l'abbé Robinet et lui reprocha
l'injustice des procédés dont on avait usé en-
vers les religieuses. Celles-ci profitèrent de
cette occasion pour di mander leur sortie de
celte maison; elles l'obtinrent, el elles allè-
rent rejoindre leurs sœurs au monastère de
Saint-Michel, rue dts Postes. Une de; causes
819
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
820
qui amenaient tant de désagréments aux re-
ligieuses gouvernant les religieuses Pénitcn-
tenles était la négligence qu'avaient appor-
tée les Visitandines à garder une renie im-
portante destinée aux religieuses gardien-
nes, et qu'elles avaient laissé confondre avec
le bien des religieuses Pénitentes.
Au bout de neuf ans, Mgr de Vintimille
manda chez lui deux religieuses de Saint-
Michel, les pria de l'aider à réparer un pé-
ché morlel qu'il avait, disait-il eu souriant,
commis il y avait neuf ans, en étant trop
crédule (il est bien à désir, r que les supé-
rieurs ne le soient ni trop, ni trop tôt) et en
les laissant partir de la Madeleine, où il vou-
lait qu'elles rentrassent. 11 .jouta que depuis
qu'elles en étaient sorties, il avait donné aux
religieuses Pénitentes deux gouvernements;
que le premier n'avait pu durer que trois
ans, cl qu'il y en avait six que M. Chauvelin
y était, et qu'il en était fort mécontent. Lui-
même reconduisit , en compagnie de plu-
sieurs ecclésiastiques, les dames de Saint-
Michel aux Marionnettes, le 23 juin 1743,
et le cortège arriva à la rue des Fontaines à
quatre heures après midi. Les filles de la mai-
son, qui s'étaient flattées que Mgr venait
pour les mettre en possession de leur propre
gouvernement, n'ayant point ouï dire qu'on
leur en donnerait d'autre , s'empressèrent
d'ouvrir la porte. Mais qu' Ile surprise quand
elles \irent les daines de Saint-Michel ! Elles
se révoltèrent toutes et avec un ton qui en-
gagea l'archevêque à te fâcher et à les me-
nacer de les envoyer en des maisons de pé-
nitence. 11 se rendit au chœur, où il les fit
appeler toutes. Quelques-unes des plus vio-
lentes élevèrent la voix et s'écrièrent qu'el-
les protestaient contre Alonseigneur. Le pré-
lat, reprenant son air de douceur, leur dit :
Mais que voulez-vous que je vous fasse? Ell< s
répondirent avec arrogance qu'elles ne vou-
laient pas les Mers blanches (les dames de.
Saint-Michel >ont vêtues de blanc et suivent
la règle de saint Augustin). Mais, leur dil-i!,
je vous en ai donné de noires : qu'en avez-
vous fait? Aujourd'hui je veux jouer au
blanc avec vous. .Mais, ajoutèrent-elles, n us
ne voulons pas les religieuses de Saint-Mi-
chel. Eh bien! reprit le prélat, je vous don-
nerai des sœur.-, grises. Ah! Monseigneur, di-
rent-elles, nous sommes religieuses. Oue
voulez-vous donc, dit-il? Nous aimerions
mieux, reprirenl-eiles, perdre quatre mille
cinq cents livres de fente en faveur de l'Hôlel-
Diu, et nous gouverner nous-mêmes. Le.
prélat répondit qu'il n'aimait point à perdre,
mais à gagner. Voyant leur révolte conti-
nuer, il partit, plaignant les religieuses qu'il
amenait, et priant la supérieure de lui faire
avoir le lendemain les suites de cette
• > uruée.
L'abbé Renault, I< ur supérieur, resta, et
*a supérieure l'obligea à faire l'installation
prescrite par la règle, cérémonie qu'il vou-
lait différer de deux ou trois jours, et le Te
Deum fut chanté au chapitre. Les religieuses
Pénitentes ne voulurent ; oint faire le f u de
SaLt-Jean, selon l'habitude du temps, ni al-
ler à matines. La supérieure obtint ce point
de la règle et même l'exécution de l'autre ré-
création d'usage, à laquelle on chanta comme
à l'ordinaire.
On dit aux religieuses arrivantes qu'on no
les attendait pas; qu'il n'y avait rien de prêt
pour elles, pas même des lits. Celles-ci ré-
pondirent qu'elles allaient volontiers coucher
sur des ebai-es. Mais tout se calma, el les
principales vinrent trouver les religieuses et
leur dire que tout était arrangé et qu'elles
n'auraient pas d'autre gouvernement que
cilui des religieuses de Saint -Mi hel ; qu'el-
les voyaient bien que c'était la volonté de
Dieu, puisqu'elles s'étaient épuisées à faire
dire des messes et à faire prier Dieu dans
toutes les communautés de Paris pour qu'el-
les n'eussent pas les Mères blanches. Ces lits
se trouvèrent tout neufs. Les religieuses bran-
ches y sont en effet restées jusqu'à la disso-
lution de la communauté.
A ce qu'a dit le P. Hélyol, oous ajouterons
quelques mots. Apre-; les Visitandines , en
1671 la direction de la Madeleine fut confiée
à des Bénédictines de l'abbaye de Bi>al, en
Normandie, qui ne la gardèrent que cinq
ans, et la quittèrent le 31 mars 1C77. Les
Ursulines, qui gouvernèrent après elles, fu-
rent celles de la maison de Sainte-Avoie
(pendant trente ans), jusqu'au 18 juillet 1707,
puis celles de Saint-Denis en France, qui
s'en allèrent au bout de trois ans. Les reli-
gicuse" de la Miséricorde de Jésus dem nrè-
rent dix ans, et s'en allèrent le 2 mai 17:20,
pour faire place aux religieuses de Notre-
Dame de Charité, dont nous venons de parler.
L'église du couvent était sous l'invocation
de la sainte Vierge el aval! été dédiée le 2
septembre 1685. En 1647, on avait construit
dans cette maison une chapelle semblable à
celle de Notre-Dame de Loretle, et sous le
même titre. Ce monastère était dans la cen-
sive du prieuré de Saint-Mai tin des Champs,
et payait, outre la redevance a'iiueile, cent
souo à chaque mutation de prieur de Saint-
Martin des Champs , que les religieuses
avaient choisi pour leur homme vivant et
mourant. La maison des Madelonnettes sert
aujourd'hui de prison.
Anm les manuscrites de la maison de Saint-
Michel de Puris, communiquées par Madame
la supérieure de ce monastère. Tableau... de
Paris, pur M. de Saint-Victor, tome 11, in-8*.
6-D-E.
MAITRE (Règle do). Voy. Césaire (S.ust-)
MALERBA. Voyez Jérôme ( Ermites de
Saint-), § IL
MALTE (Ordre de).
§ 1. Oriyine des Hospitaliers de l'ordre de
Saint-Jean de Jérusalem, appelés dans la
suite chevaliers de Rhodes, it présentement
chevaliers de Malte.
L'ordre des Hospitaliers de Sainl-Jean de
Jérusalem a été très-faible dans ses com-
mencements. Environ l'an 1048, des mar-
chands de la ville d'Amalfi au royaume de
Naples qui trafiquaient e n Sy;ie et Visitaient
ordinairement les saints lieux de Jérusalem,
m
.11 AL
snuhailèn ni .]',,voir une église où l'on put
célébrer l'office divin selon le rile rie 1 Eglise
romaine , parce que les églises des autres
chrétiens y étaient desservies tant par les
Grecs que p r les différentes sectes qui sont
encore dans le Levant. Ils acquirent parleur
adresse et leurs présents la faveur de Bo-
niensor de Mouslesaph , qui était |iour lors
calife d'Egvple.qui leur permit de bâtir une
église dans la v die de Jérusalem, au quartier
des chrétiens, devant le temple de la Résur-
rection. Ils la dédièrent en l'honneur de la
sainte Vierge, et y fondèrent un monastère
de religieux de l'ordre de Saint-Benoit, qui
eurent soin de recevoir les pèlerins. Cette
église fut appelée Sainte-Marie de la Latine,
pour la distinguer de; autres églises où l'on
ne suivait uas le rite latin.
Comme le nombre des pèlerins augmenta
dans la suite, et que le i lus souvent ils n'ar-
rivaient à Jémisalem qu'accablés de misères
et de maladies, tant pour es mauvais trai-
tements qu'ils avaient ieçus d. s infidèles
que par les fatigues d'un long et pénible
voyage, on bâtit encore près de l'église de
Sainte-Marie de h Latine un hôpital pour
y recevoir les hommes , tant sains que ma-
lades , sous la direction d'un mailre ou rec-
teur qui «'evail être à la nomination de
l'abbé de Sainte-Marie, et on y fonda une
chapelle en l'honneur de saint Jean-Baptiste.
Un certain Cérard, surnommé Tom, natif de
l'ile de Martigues en Provence, fut le pre-
mier qui en eut la direction; et, quelques
années après , Godefroi de Bouillon, ayant
pris a ville de Jérusalem e 15 juillet 1099 ,
tut si édifié de la charité que l'on exerçait
dans i'bôj.i al de Sainte-Marie de la Latine,
qu'il lui donna qu Iques domaines qu'il avait
en Franee. D'autres personnes ayant imité
ce prince dans ses libéralités, et les reve-
nus de l'hôpital augmentant, Gérard, qui en
avait l'administration, jugea à propos, con-
jointement avec les frères hospitaliers, de se
séparer de l'abbé et des religieux du monas-
tère de Sainte-Marie de la Latine, et de faire
une congrégation à p;>rt sous la protection
et en l'honneur de saint Jean-Baptiste : ce
qui fut cause qu'on le* appela depuis Hospi-
taliers ou Frères de l'hôpital de Saint-Jean de
Jérusalem. Gérard obtint du pape Pascal II
la confirmation des donations qui avaient été
faites à cet hôpital, par une bulle de l'an
1113, par laquelle ce pontife mit aussi sous
la protection du saint-siége le même hôpital,
et ordonna qu'après la mort de Gérard les
recteurs seraient élus par les frères hospi-
Gérard décéda l'an 1118. Son corps fut
transporté dans la suite en Provence, et mis
dans la chapelle du bourg de Mouosque, qui
est une commandeiie de l'ordre. Il y a des
auteurs qui ont dit qu'il eut pour successeur
un nommé Boyanl Roger, à cause qu'il en
est fait mention dans une donation de 1 au
1120 que fit à cet ordre Otton, comte de
lAbruzze.oùil déclare avoir fait ce Roger
gouverneur de l'hôpital de Sa. ni- Jean de
Jérusalem. Mais le commandeur Maruli,
mal m
dans les Vies des grands maîtres de cet or-
dre, prétend que l'on ne doit pas conclure de
là que ce Roger ail été recteur ou préfet de
l'hôpital, qui sont 'les litr. s qui appartien-
nent à un supérieur plutôt que celui d • gou-
verneur , et qu'il se peut faire qu'il ail été
établi gouverneur de l'hôpital en l'absence
de Raymond du Puy. qui succéda à Gérard ,
d'autant plus qu'il n'y a aucun titre dans la
chancellerie de l'ordre où il soit parlé de ce
frère Roger en qualité de supérieur ou de
mailre.
Ce fut donc Raymond du Pu v, natif de Dau-
phi é, qui succéda à Gérard et qui prit le
premier la qualité de maître. Ju-que-la les
Hospitaliers n'avaient eu aucune règl > par
écrit ; Gérard s'était contenté d'inspirer a ses
frères des senti. nenls d'iium. lit - et e cha-
rité; mais Ravmnnd du Puy leur donna une
règle par laqïi lie il les obligea de faire les
trois vieux, solennels, de pauvreté, de chas-
teté et d'obéissance. Il leur défendit d'aller
seuls par les villes et bourgades, mais ils
devaient é:re deux ou Irois ensemble. Les
prêtres et les laïques , allant chercher les
aum5u.es pour les pauvres, devaient deman-
der l'hospitalité, se contenter de ce qu'on
leur donnai et ne rien acheter. S'ils ne
trouvaient personne qui les reçut par cha-
rité, ils pouvaient pour lors acheter quelque
chose po ir vivre, mais ils devaient se con-
tenter d'un seul mets. Si quelque Irère avait
commis le péché de la chair, si la faute avait
été cachée, il devait recevoir la pénitence en
secret: mais si la faute avait été publique ,
le dimanche après la messe, lorsque le peu-
ple était sorti de l'église, l'on dépouillait e
coupable en présence de tous les Ir res, le
mailre le fouettait rudement avec des verges
ou avec des courroies, et on le chassait de
l'oidre. Ils ne devaient point manger de
viande les mercredis et les samedis , et de-
puis la Sepluagésime jusqu'à Pâques. Si un
des frères, étant en danger de mort, était
trouve propriétaire et avoir de l'argent, s il
revenait en santé on lui attachait son argent
au cou. il devait être fouetté rudement par
un des frères, faire pénitence pendant qua-
rante jours, et jeûner au pain et à l'eau les
mercredis et les vendredis. Si un frère avait
eu différend avec un autre, et que les plaintes
en eussent été portées au procureur de la
maison , le coupable devait jeûner pendant
<ept jours, et manger à terre au pain et a
l'eau, sans nappe ni serviette, le mercredi et
le vendredi. S'il avait frappé, il devait taire
la même pénitence pendant quarante jours.
S'il était sorti sans permission du mailre, il
devait manger à terre pendant quarante jours.
Le mercredi et le vendredi il jeùnaïf au pain
et à l'eau, et devait être dans un lieu séparé
autant de temps qu'il avait été dehors , a
moins que le chapitre ne diminuai le temps
de sa pénitence. Après la mort de quelque
frère les autres,;! la première messe que 1 on
disait pourledéfunt, devaient offrir un cierge
avec un écu, qui était distribué aux pauvres
avec les babils du défunt. Chaque prêtre
devait dire une messe, les clercs le Psautier,
fcS
DICTIONNAIRE DES OI'.DRES RELIGIEUX.
m
et les laïques 150 Paler. Voilà ce que con-
tient en substance la rèiile que Raymond du
Puy prescrivit, par laquelle il ordonna en-
core que tous les frères porteraient des
croix sur leurs habits et sur leurs manteaux.
Celte règlo fut premièrement approuvée
par le pape Calixte II, l'an 1120, et, si on en
veut croire quelques historiens, elle l'avait
déjà été par son prédécesseur, Gélase II, l'an
1118; elle fut confirmée par Honorius II,
Innocent II, Eugène III, Lucius III, Clé-
ment III, Innocent III, Boniface VIII et plu-
sieurs antres souveraine pontifes. Comme
Raymond du Puy avait mis dans telle règle
différentes choses iirées de celle de saint Au-
gustin, c'est ce qui fait que l'on a toujours
mis l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean
de Jérusalem au nombre de ceux qui sui-
vent la règle de saint Augustin.
Ce premier grand maître, voyant que les
revenus de l'hôpital de Jérusalem surpas-
saient de beaucoup ce qui était nécessaire
pour l'entretien des pauvres pèlerins et des
malades, crut qu il ne pouvait pas mieux
faire que d'employer ce sur-plus à la guerre
que l'on faisait en terre sainle contre les in-
fidèles. Il s'offrit avec ses Hospitaliers au
roi de Jérusalem pour combattre contre ces
infidèles. Il n'y avait eu parmi ces Hospita-
liers que dis clercs et des laïques ; mais il
les sépara en trois classes : la première fut
des nobles, qu'il destina à la profession des
armes pour la défense de la foi et pour la
protection des pèlerins ; la seconde fut des
prêtres ou chapelains pour faire le service
divin dans l'église conveutui Ile, et la troi-
sième des frères servants qui n'étaient pas
nobles, et qui furent aussi destinés à la pro-
fessiondes armes. L'on introduisit après dans
cet ordre la manière de recevoir les cheva-
liers avec les cérémonies qui s'observent
encore à présent, et que nous décrirons dans
le paragraphe suivant. Cela fut approuvé
l'an 1130 par le pape Innocent II, qui or-
donna que ces chevalier auraient pour éten-
dard à la guêtre une croix blanche pleine
en champ de gueules, qui sont présentement
les armes de cet ordre. Quoiqu'il eût été
ainsi érigé en ordre inililaiie et de chevale-
rie, les Hospitaliers néanmoins retinrent
toujours leur nom, et on ne leur donna ce-
lui de Chevaliers que lorsqu'ils eurent con-
quis l'île de Rhodes : pour lors on les appela
les Chevaliers de Rhodes, et enfin Cheva-
liers de Malle, après que cette dernière Ile
leur eu' été donnée par l'empereùrCharles V.
Cependant leur véritable nom est celui de
Chevaliers de l'ordre de Saint- Jean de Jéru-
salem, et leur grand maître dans ses litres
prend celui de mailre de l'hôpital de Saint-
Jean de Jérusalem et gardien des pauvres de
Noire-Seigneur Jésus-Christ.
La première preuve de valeur que ces
Hospitaliers donnèrent fut lorsque le calife
d'Egypte vintaltaquer.l'an 11 18, Baudouin II,
roi de Jérusalem. 1 s allèrent à son secours
ayant à leur lêle leur grand oiailre Raymond
du Puy, qui le garantit aussi des embûches
(1) Guillel.Tyr., Eut. Belli saai, lib. xvui, cap. 3 ei seq.
que lui avait dressées Gassi, prince turc,
dont les troupes furent taillées en pièces.
Le même Baudouin, par le moyen des Hos-
pitaliers, mit aussi en fuite, l'an 1122, Dol-
dell.win, roi de Damas. Les sièges de Tyr et
d'Assa iurent longtemps soutenus par leur
valeur; et, ayant encore été appelés par
Baudouin, qui était en guerre aveu le roi do
Damas, ils attaquèrent ce dernier à Magisfar,
le défirent et remportèrent une illustre vic-
toire l'an 1126.
Le granit maître reçut, l'an 1133, de Foul-
ques d'Anjou, la ville de Bersabée pour ré-
compense de ses services à la défense de
cette même place, et les revenus eu devaient
être appliques au profit de l'ordre. Alphon-
se Ier, roi d'Aragon, étant mort sans enfants,
laissa ses Etats aux Hospitaliers, aux Tem-
pliers et aux Chevaliers du Saint-Sépulcre;
c'est ce qui obligea Raymond du Puy de faire
un voyage en Espagne muni de procuration
de ses religieux et de ceux des Templiers et
du Saint-Sépulcre ; mais à son arrivée il
trouva que le comte de Barcelone s'était
emparé d'une partie des Etats d'Alphonse,
et le roi de Castille de l'autre ; c'est pour-
quoi, ne se voyant pas en étal de soutenir
une guerre contre ces princes, il fil un ac-
cord avec, le comte de Barcelone le 16 sep-
tembre 1H0, par lequel il céda à ce prince
toutes les prétentions que son ordre pouvait
avoir dans la succession d'Alphonse, à con-
dition que si le comte de Barcelone mourait
sans enfants, ses Etats appartiendraient à
l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem , et que
cet ordre aurait à Saragosse, à Huesca, à
Barliasle, à Daroga, à Cdlatayul, et dans
toutes les places que l'on pourrait conqué-
rir sur les Manies, deux vassaux exempt-, de
la juridiction royale, qui seraient seulement
obligés d'aller à la guerre contre les Mau-
res, avec le prieur de l'ordre, qui y ferait
pour lors sa résidence. Les Chevaliers du
Temple et du Saint-Sépulcre firent un pareil
accord du consentement île Foulques d'An-
jou, ce qui lut dans la suite confirmé par le
pape Adrien IV. Raymond du Puy retourna
ensuite à Jérusalem, où il aida Baudouin 111
à recouvrer la Vallée de Moïse, à délivrer
les chrétiens de Mésopotamie du joug de3
infidèles, et à faire le siège d'Ascalon. En
considération de ces services, le roi donna à
l'ordre plusieurs terres et possessions. Le
pape Anaslase lVr, imitant ses prédécesseurs,
lui accorda aussi beaucoup de privilèges par
une bulle du 21 octobre 115V.
Le patriarche de Jérusalem et les autres
évoques de la Palestine ne purent souffrir
que cet ordre fût soustrait de leur juridic-
tion ; qu'en un temps d'interdit, les Hospita-
liers lissent célébrer publiquement l'office
divin el sonner leurs cloches, el qu'il fussent
exempts de payer les dîmes. Ces prélat»
s'opposaient en toutes choses aux Hospita-
liers , et ces différendsallèrent si avant, qu'on
eut recours aux armes cl qu'on en vînt aux
voies de fait. Guillaume de Tyr (1) dit même
avoir vu plusieurs paquets de flèches qu'on
B-25 MAL
avait amassées de celles que les Hospilaliei s
avaient tirées sur les prélats, et que l'on
avait attachées devant le lieu où Jésus-Christ
avait été cruciGé : c'est ce qui fait que cet
historien, prenant le parti d. s évêques, dé-
clame fort contre les Hospitaliers. Le pape
Anastase étant mon l'an lloo, et Adrien IV
lui ayant succédé, le patriarche de Jérusa-
lem, accompagné de quelques évèques, vint
trouver ce pontife pour lui faire des plain-
tes des Hospitaliers et le prier de révoquer
les privilèges qui leur avaientété accordés ;
mais ils ne purent rien obtenir, et s'en re-
tournèrent en Orient fort méconienls de la
cour de Rome. C 'pendant les Hospitaliers
ne perdaient aucune occasion de combattre
contre les infidèles. Le sultan Nuradin ayant
assiégé la grotte de Seutie, cette plaie se
défendit vigoureusement, jusqu'à ce que les
chrétiens ayant assemblé leurs troupes, dont
le grand maître Haymond commandait i'a-
vant-garde, ils obligèrent les infidèles de le-
ver le siège, ce qui arriva l'an 1137. Ce fut la
dernière expédition où se trouva ce premier
grand maître de l'ordre de Saint-Jean de
Jérusalem, qui mourut l'an 1160 , après
avoir gouverné cet ordre pendant V2 ans.
Nous ne rapporterons point toutes les ac-
tions de ces braves Hospitaliers, sous cha-
que grand maître, dans les différentes guer-
res où ils se sont trouvés eu s' unissant aux.
autres puissances chrétiennes, tantôt à la
France, tantôt à l'Espagne et à la républi-
que de Venise, puisqu'elles sonti n trop grand
nombre, et que cela nous conduirait trop
Ion; mm. nous contenterons déparier de
ce qui r garde plus particulièrement cet or-
dre. Après que les chrétiens eurent perdu la
ville de Jé> usalem, qui lut prise l'an U87
par Saladin, calife d'Egypte, qui quelques
jours auparavant s'était aussi emparé de
Ptolémaïde ou Acre, belle et florissante ville,
Kmeugard Darps, dixième grand maître des
Hospitaliers, transfera son couvent et l'hôpi-
tal dans la forteresse de Margat en Phénicie,
qui leur appartenait, et qu'ils perdirent l'an
1285. Ils y demeurèrent quatre ans, jus-
qu'à ce que la ville de Ptolémaïde étant re-
tournée en la puissance des chrétiens l'an
1293, après un siège de trois ans, le grand
maître y transféra de nouveau son couvent
et l'hôpital.
Comme cette ville était presque la seule
qui restait aux chrétiens dans la Palestine,
elle devint commune à foutes les nations
différentes qui avaient eu part dans les croi-
sades, et qui y avaient chacune leur quar-
tier, oùelies étaient indépendantes les unes
des autres. Ainsi elle était habitée par le roi
de Jérusalem et de Chypre, le roi de Naples
et de Sicile, et le roi d'Arménie, le prince
d'Anlioche, le comte de Jaffa, le patriarche
de Jéi usalem, les Chevaliers du Saint-Sépul-
cre, le légat du pape, le comte de Tripoli, le
prince de Galilée, les Templiers, les Hospi-
taliers, les Chevaliers Teutoniques et de
Saiiu-Lazare, les Vénitiens, les Génois, les
Pisans, les Florentins, le prince de Tarente
et le duc d'Athènes. 11 était impossible que
MAL
8*26
tant de souverains dans une même ville,
indépendants les uns desautres, pussents'ac-
corder: aussi formaient-ils autant de partis
différents, qui la plupart du temps étaient
armés les uns contre les autres. Mais ce
qui augmenta la division furent les préten-
tions que Charles d'Anjou, roi de Naples et
de Sicile, et Hugues 111, roi de Chypre,
avaient sur le royaume de Jérusalem. Cha-
cun des princes qui demeuraient à Ptolé-
maïde ayant pris parli pour l'un des pré-
tendants, le soudan d'Egypte Elsis, surnommé
Melec-Messor, voulut profiter de ces divi-
sions, et, jugeant bien que celle qui était
aussi en Europe entre les princes chréiens
les empêcherait de passer en Orient, il ré-
solut de chasser les chrétiens de la Syrie. 11
mit sur pied une armée de soixanle mille
chevaux, et de cent soixante mille hommes
d'infanterie; mais, sortant d'Egypte, il fut
empoisonné par un de ses émirs : ce qui
n'empêcha pas l'exécution de son entreprise;
car ses troupes ayant proclamé après sa
mort pour soudan son fils Eli, sous le nom
de Meiec-Séraph, ce prince voulut poursui-
vre le dessein de son père, qui l'avait con-
juré en mourant de ne le point faire enter-
rer avant que d'avoir pris Ptolémaïde et en
avoir chassé fous les chrétiens. 11 assiégea
cette ville le o avril de l'an 1291, et la bat-
lit si vigoureusement, qu'elle fut emportée
d'assaut le 18 mai.
Après la perle de celle ville, les Hospita-
liers, avec leur grand maître, qui était pour
lors Jean de Villiers, se retirèrent dans l'île
de Chypre, où le roi Henri de Lusignan leur
donna pour retraite la ville de Limisson,
dans laquelle ils demeurèrent environ dix-
huit ans, jusqu'à ce qu'ils se fussent rendus
maîtres de l'île de i'«ho;ies. Foulques de Vil-
laret, ayant élé élu grand maître en 1308,
prit la résolution de transférer la demeura
des Hospitaliers hors du royaume de Chypre,
à cause que le roi avait quelque ombrage
d'eux ; et, afin d'être plus à portée de com-
battre contre les infidèles, il jeta les yeux
sur l'île de Rhodes, pour lors occupée par
les Sarrasins, qui y avaient élé appelés par
la noblesse du pays, qui s'était révoltée con-
tre Andronique, empereur d'Orient , son
souverain , à qui celte ville appartenait.
Foulques de Villaret alla trouver ce prince
à Couslantinople, qui lui accorda l'investi-
ture de l'île de Rhodes pour lui et pour son
ordre, en cas qu'il pût s'en rendre maître. II
passa ensuite en France, où il obtint du pape
Clément Y, qui était à Avignon, la confirma-
lion de la donation de celte île. Il lui donna
même les moyens et les forces pour l'aider à
exécuter celte enlreprise, et lui accorda pour
toujours le droit de nomination à l'archevê-
ché de Rhodes.
Ce grand maître exécuta si heureuse-
ment son dessein , qu'il se rendit maître
de cette île le 13 d'août 1309. 11 y en
a qui prétendent qu'il joignit le stratagè-
me à la bravoure, et que quelques Cheva-
liers, en marchant sur les pieds et les mains
couverts de peaux de moulons au milieu
827
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
d'un troupeau, étaient outrés dans la ville
de Rhodes à la faveur d'un brouillard, s'é-
taicni saisis d'une porte, dont ils avaient tué
les gardes , et avaient donné lieu par ce
moyen à l'armée chrétienne d'y entrer. Quoi
qu'il en soit, ces Hospitaliers prirent ie nom
de Chevaliers de Rhodes après la prise de
celle île, qui les rendit maîtres quelque temps
après de sepi autres îles voisines.
Les Turcs, indignés de cette perte et vou-
lant s'en venger, vinrent l'année suivante
pour reprendre Celte île ; et, comme les brè-
ches de la vile n'étaient pas encore lépa-
rées, ces infidèles, profilant de celle occa-
sion, l'assiégèrent avec une puissante armée
l'an 1310. Mais Amédée V, comte de Sa-
voie, surnommé le Grand, vint au secours
des Chevaliers avec une autre armée, et
obligea les Turcs de lever le siège el de faire
une retraite honteuse. Plusieurs écrivains
ont avancé qu'en mémoire de celte victoire ,
le comte de Savoie prit pour sa devise ces
quatre letiies F. E. U. T., auxquelles ils
ont donné celle explication, Fortitudo ejus
liltodum lenuil, et que dans ses armes il
changea l'aigle de Savoie en la croix de la
religion de Saint-Jean de Jérusalem, qui est
d'argent en champ de gueules Mais celte
histoire n'i st qu'une laide ; car Louis de
Savoie, baron de V;iU\, qui mourut l'an 1301,
portait celle devise dans sa monnaie ; et
l'on voit encore aujourd'hui en l'église ca-
lliédrale d'Aousle, sur la sépulture de Tho-
mas de Sa1. oie, IL du nom, comte de Mau-
rienne et de Piémont , père d'Amédée le
Grand, un chien aux pieds de ce prince, qui
a un collier où est ce mot FERT, en carac-
tères golh ques, sans ponctuation ni sépara-
tion. Pour la croix, les prédécesseurs d'A-
niédée le Grand l'ont portée aussi au lira de
l'aigle, ou en qualité ue coojtes de Pi. mont,
dont les armes sont une croix ; ou à l'imi-
tation d'Amédée 111, comte de Savoie, qui se
croisa l'an 1147, et qui garda la croix au
retour de la Paies ine pour marque de son
expédition d'oulre-mer. Amédée le Grand
la portait lui-même dès l'an 1304, ainsi qu'il
paraît dans un traite que fil ce prince avec
Etienne de Coligny, seigneur d'Andelol, dont
le P. Bouhours de la compagnie de Jésus ,
dans son Iîisloire du Grand Maître d'Aubus-
Bon, dit avoir sa l'original scellé du sceau
des armes de ce prince.
Ce l'ut aussi s us le gouvernement du mê-
me grand m titre de Viliarel que se fit l'union
de l'ordre de Sainl-SanasoB de Conslan'ico-
ple et de Corinlhe, et de tous les biens qui
lui appartenaient , à celui de Saint-Jeau de
Jérusalem, ce qui se fil du consentement du
grand maître et des frères de l'ordre de Saiut-
Samson , qui étaient aussi Hospitaliers, et
nraienl des maisons à Constant* uople et à
Cormthe. L'or ne sait point le temps de l'in-
slitulion de ces Hospitaliers, il y a néanmoins
de l'apparence que ce lut sous le pontificat
slaluts de ce! institut, qui avaient été dressés
par I> noîl, cardinal de Sain!e-Suzanne, lé-
gat à Constanlinople ; et l'an 1211 ce pape
confirma la donation qui leur avait été faite
par l'empereur Henri du château de Garelle,
et la possession de tous les autres biens qui
leur appartenaient. L'union de ces Hospita-
liers avec ceux de Saint-Jean de Jérusalem fut
aussi confirmée par une bulle de Clément V
du 8 août 1303, et, quatre ans après, le
même pape unit encore à l'ordre de Saint-
Jean de Jérusalem celui des Templiers, qui
fut aboli dans le concile général de Vienne ,
dont l'ouverture se fit l'an 131 1.
Ces avantages enflèrent le cœur du grand.
maître de Villaret, qui, ayant voulu gouver-
ner l'ordre d'une manière despotique, se ren-
dit odieux aux Chevaliers, qui voulurent se
saisir de sa personne ; mais il se relira dans
le château de Lindo, où ils l'assiégèrent, lis
tinrent ensuite un chapitre , ils y citèrent le
grand mai Ire pour y venir rendre compte de
sa conduite; mais il ne voulut pas s'y trou-
ver, et il en appela au pape : c' st pourquoi
on le déposa , et on élut à sa place Maurice
de Pagniic. Le pape envoya à Rhodes des
commissaires pour informer de ce différend,
et fit venir à Rome les deux grands maîtres,
après avoir nommé pour vicaire général de
l'ordre Gérard de Pins, chevalier d'une gran-
de expérience.
Les infidèles voulurent profiler de ces
brouilleries , el armèrent l'a a 1321 quai rc-
vingls vaisseaux de guerre pour assiéger
Rhodes; mais le vicaire général ne jugea pas
à propos d'attendre l'ennemi. !1 fil armer en
diligence quatre galères et quelques vais-
seaux, qu'il envoya avec six galères génoises
qui se trouvaient dans le port de Rho les au-
devant de l'armée ennemie. Les Chevaliers,
nonobstant leur petit nombre , a laquèrent
les infidèles-ci remportèrent la victoire, ayant
coulé à fond presque tous leurs vaisseaux.
Sur ces entrefaites, Maurice de Pagnac étant
mort, Foulques de Villaret fut rétabli d ns
sa dignité par le pape Clément V, et deux
ans après il s'en démit entre les mains de
Je:m XXII , qui avait succédé à Clément.
L'île de Rhodes ayant été de nouveau me-
nacée par les infidèles , le grand maître An-
toine Flavian fit lortiiier toutes les places, et
les enneuiis, en ayant été avertis, abandon-
nèrent leur dessein ; mais l'an Wi'i, sous le
grai.d maître Jan de L slie , le soud.-n d'E-
gypte assiégea Rhodes avec une armée do
dix-huit mille hommes, et, après plusieurs
assauts qui furi ni donnés par les imi èles et
généreusement soutenus par les Chevaliers
pendant cinq années de suite, ils furent con-
traints de lever le siège.
Mahomet 11, empereur des Turcs, crut
que la fortune lui serait plus favorab il
mit le siège devant Rhodes l'an 14-80 avec
une armée de cent mille combattants el cent
soixante voiles. La ville fui battue par seize
d'Innocent 111, qui, l'an 1208 (1), les mit sous canons d'une grosseur extraordinaire, qui li
la protection du saint-siège el approuva les rèrenl des boulets proportionnés a ceLc gros
(l)EpiH. Innocent, lib. xi, ep. 1-23; el lib. xiu, ep. 17.
829
MAL
MAL
850
seur, dont trois mille cinq cents portèrent
contre les murailles, sans compter un nom-
bre infini de pièces de batteries plus petites.
| Il y eu! en plusieurs assauts 9000 Turcs
situés et 15,000 blesses: et enfin, par la valeur
du grand maître d'Auhusson et de ses Che-
valiers, le^ Turcs turent aussi obliges de se
retirer.
Après I) mort de Mahomet II, ses deux en-
fants Bajazclet Zizime, ne se pouvant accor-
der sur ie partage de l'empire ottoman, se
firent la guene l'un à l'autre. Zizime. comme
le plus faible, cèd nt à la force, se mit sous
I ; protection du grand maître de Rhodes cl
1% son ordre, et arriva à Rhodes le 24 juil-
let 1182, où il fut reçu comme roi, ce qui
obligea Bajazet de f sire la paix avec l'ordre,
et de se rendre comme son tributaire , en lui
payant tous les ans Irenlc-cinq mille ducats
pour la nourriture et l'entretien de son frère,
et dix mille ducats en particulier au grand
maître pour le dédommager en quelque fa-
çon des dépenses excessives que la dernière
guerre l'avait obligé de faire.
Z zime s'imagina que son frère ne faisait
la paix que pour avoir une occasion favora-
ble de le perdre; que quand le commerce se-
rait libre entre les Rhoiiens et les Turcs , il
y aurait tous les jours à craindre pour sa per-
sonne, et que les Grecs renégats, accoutumés
aux trahisons et aux meurtres, ne ménage-
raient rien pour servir utilement Bajazet.
Dans ces pensées il demanda au grand maître
d'aller trouver le roi de France, comme ce-
lui qu'il connaissait le plus capa ; le de !e pro-
téger contre la tyrannie de sou frère. Sa de-
mande lui fut accordée; il partit de Rhodes
le 1er septembre, ac.ompagné de plusieurs
Chevaliers qui furent nommés par le grand
m ;itie pour lui servir d'escorte ; mais, étant
arrivé en France, il fut reçu assez fr< id -
ment du roi Charles VIII, ou parce que les
Français ne voulaient point se brouiller avec
la Porte, ou parce qu'ils craignaient qu'une
réception honorable ne fût une espèce d'en-
gagement pour l'entretien de ce prince. Ainsi
il demeura fort peu de temps à la cour, et les
Chevaliers le conduisirent dan< la comman-
derie de Bonrgneuf, sur les confins du Poitou
et de la Marche, où les grands prieurs d'Au-
vergne faisaient leur demeure.
Malhias, roi de Hongrie; Ferdinand, roi
de Castrfle et d'Aragon, qui l'était aussi de
Siciie ; et Ferdinand, roi de Naples, firent
tous trois dans la suite d'instantes prières au
grand maître pour avoir Zizime en leur dis-
position. Il ne leur accorda pas ce qu'ils de-
mandaient, mais il leur promît que , tandis
qu'il aurait le sultan entre ses mains , il em-
pêcherait le Grand-Seigneur de rien entre-
prendre sur leurs Etats. Bajazet compta ce
refus comme un service signalé, et se sentit
si obligé au grand maître, que par recon-
naissance il lui envoya, l'an Ti8i, la main
droite de saint Jean-Baptiste, qu'il lit mettre
dans une petite cassette de bois de cyprès,
revêtue au d dans d'u.i beau veiours cra-
moisi, et enrichie au dehors, d'une infinité de
pierreries. Il 1 envoya par .'un de ses favoris
avec une lettre dont l'inscription était en ces
termes : Bajazet, roi de l'Asie, empereur des
empereurs, au très-sage et très-illuslre grand
maître de Rhodes, l'i rrt d'Âubusson, prince
très-généreux et père d'un très-glorieux em-
pire.
Après la mort de Sixte IV, le cardinal Cybo,
Génois, originaire de Rhodes où même son
père était né, fut élevé au souverain ponti-
ficat sous le nom d'Innocent VIII. Ce pape
aceorda plusieurs grâces et privilèges aux
Chevaliers de Rhodes, et entre autres il re-
nonça au droit que ses prédécesseurs avaient
de pourvoir à plusieurs bénéfices de la re'.i-
g on de Rhodes. Il y renonça par une bulle
censisloriale , signée de tous les cardinaux
assemblés, ôtant au saint-siége le pouvoir de
conférer jamais aucune commanderie . de
l'ordre, quand même le bénéfice viendrait à
va nier en cour de Rome, et déclarant par la
même bulle que la disposition de toutes les
commanderies appartenait entièrement au
grand maître, sans qu'elle- pussent être com-
ptes sous les bénéfices que les papes s'é-
taient réservés ou pourraient se réserver
dans la suie, et il honora le grand maître
d'Aubusson du chapeau de cardinal, avec la
qualité de légat du saint-siége en Asie, en
considération des services signalés que les
Chevaliers de Rhodesavaient rendus à l'Eglise,
et de ce quel grand maître lui avait accordé
le prince Zizi ne.
11 y avait longtemps que ce pontife l'en
sollicitait. Ferdinand, roi de Naples, lui avait
idé de nouveau ce prince, et même le
Soudan d'Egypte le demandait aussi. Mais le
grand maître se crut ■ bligé de l'accorder plu-
toc au pape, auquel il devait obéir comme au
chef de son ordre, d'autant plus que ce pon-
tife avait commence à parier en maître. Il
envoya donc à Borne le bailli de la Morée et
le vice- chancelier de l'ordre, avec un ample,
pouvoir pour t rminer celle affaire. Les am-
bassadeurs étant arrivés, et ayant eu au-
dience du pape, ils consentirent a la transla-
tion de Zizime. pourvu que ie roi de France
ne s'y opposai point, et que les Chevalier» de
Rhodes demeurassent toujours aupiès du
suilan. Charles VIII. qui a. ail besoin du
pape pour la conquête du royaume de Na-
ples, donna les mains à tout ce que vou ut
Si Sainteté, el ie pape accorda sans peine
aux ambassadeurs ce qu'ils demandaient.
Le commandeur de Blancbeforl, auq.iel le
grand maître avait confié la personne de Zi-
zime, et qui en son absence avait été élu m -
récriai de l'ordre et grand prieur d'Aqui-
taine, Dt partir ce prince de la commanderie
de Bourgneuf suivant les lettres du grand
maître, et Zizime arriva à Rome au mois do
mars 1V89, où il fut reçu avec tous les hon-
neurs dus à une personne de son rang.
Dès l'an l';8o. Innocent V1I1 avait suppri-
mé les ordres militaires du Saint Sépulce
el de Saint-Lazare de Jérusalem . el il ava t
uni les biens qui en dépendaient à l'ordre d
Saint-Jean de Jérusalem, ce qui fut con"
d an- la suite par le pape Jules 11, l'an
m .is celte suppression et celte union
831 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 852
rent point de lieu en France, comme nous son fut déclaré chef et général, en plein eon-
avons remarqué ailleurs. Innocent mourut sistoire, par le pipe Alexandre VI. Mais les
l'an 1492, et eut pour successeur Rodrigue fausses démarches que firent quelques cupi-
Borgia, qui prit le nom d'Alexandre VI. Il laines des troupes liguées tirent bientôt éva-
avat été protecteur de l'ordre <!e Saint-Jean nouir les espérances des grands avantages
de Jérusalem é'ant cardinal. Après son élec- que l'on s'était proposés de celte ligue,
lion au souverain pontificat, il (émoi na , Louis XII, roi de France, et Ferdinand, roi
par un bref qu'il envoya an grand maître, deCastille, qui avaient fait alliance entre eux
avoir toujours de bons sentiments pour les contre Frédéric, roi de Naples, qu'ils avaient
Chevaliers de Rhodes ; mais les effets ne ré- dépouillé de ses Flats, et qui les avaient par-
pundirent pas aux paroles. Alexandre com- la^és entre eux, ne voulurriit plus avoir de
mença presque SUD ponificat par se rendre concurrent : chacun voulut posséder tout
maître de la personne du prince Zizime, entier le royaume de Naples , et ces [.rinces
contr" le traité qui avait éé fait enlre Inno- se firent une guerre sanglante qui remplit
cent VIII et les Chevaliers. Il fit enfermer le l'Italie de confusion et d'horreur. Le pape,
sultan dans le château Saint-Ange, et ôtant au lieu de travailler à l'accommodement de
d'auprès de lui les Chevaliers qui y avaient ces princes , favorisait ouvertement le parli
toujours été , il le confia à ses neveux, dont d'Espagne, et ne songeait qu'à l'agrandisse-
l'un était Chevalier de Rhodes, sous prétexte ment de César de Rorgia, duc de Valenlinois,
qu'une vie aussi précieuse que celle de ce son fils, qu'il aimait passionnément. C'est
prince serait moins exposée aux embûches pourquoi les Vénitiens, qui ne recevaient
de ses ennemis dans une place forte. Zizime point les secours qui leur avaient été promis
demeura ainsi enfermé jusqu'à ce que Char- de France et d'Espagne , firent la paix avec
les VIII, qui avait entrepris la conquête du les Turcs sans consulter les Chevaliers de
royaume de Naples , et qui voulait porter Rhodes, et Ladislas , roi de Hongrie, suivit
aussi ses armes jusque dans le Levant, de- bientôt leur exemple. Le grand maître d'Au-
manda en passant à Rome le sultan Zizime, busson fut pénétré de douleur en apprenant
que le pape lui accorda ; mais ce ne fut pas ces nouvelles; et, pour comble d'affliction, il
sans soupçon n'avoir livré à Charles Vlll ce apprit en même temps que le pape conférait
prince ottoman empoisonné, car. peu de jours les commanderies de l'ordre à des personnes
après, ce prince se sentit frappé d'un mal séculières, et qu'il avait promis le prieuré de
inconnu, qui l'emporta en fort peu de temps. Castille à don Henri de Tolède , sans avoir
C'est ainsi que ce prince malheureux finit sa égard ni au privilège accordé par Innocent
vie, l'an i'r'Jo. VIII, ni à la qualité de généralissime de la
Rajazel et ses sujets n'avaient osé rien en- ligue, qu'il lui avait lui-même donnée. La
(reprendre contre les chrétiens du vivant de rupture de la ligue et le procédé du pape je-
Zizîme; mais après sa mort plusieurs infl- lurent le grand inaitre dans une mélancolie
dèles qui habitaient les côtes de la Lycie les qui l'abattit peu à peu, et qui lui causa enfin
plus voisines de Rhodes pillèrent quelques une maladie dont il mourut au mois de juin
îles qui appartenaient aux Chevaliers de 1503, étant âgé de plus de quatre-vingts ans;
Rhodes. Ils tirent même des courses dans la il y en avait vingt-sept qu'il gouvernait
Cane et allèrent braver les Chevaliers jus- l'ordre.
qu'aux portes du château Saint-Pierre. Le Aiméric d'Amboise, grand prieur de Fran-
grand maître d'Aubusson fit armer contre ce, frère du grand cardinal Georges d'Ain-
ces pirates. On en prit quelques-uns qui fu- boise, archevêque de Rouen et minisire d'E-
rent punis du dernier supplice ; mais les dés- tat sous Louis XII, roi de France ; de Jean
ordres ne laissant pas de continuer, il eu lit d'Amboise, évêque de Limoges ; de Louis
ses plaintes à la Porie, < t il en reçu! salis- d'Amboise, évèque d'Albi ; de l'ierre d'Aui-
fac ion de Rajazet , qui ne voulait pas pour boise, évèque de Poitiers , et de Jacques
lors se brouiller ouvertement avec les Chc- d'Amboise, évèque de Clermont et abbé do
Valiers. Quelque temps après, sur les nou- Cluny , succéda au grand maître d'Aubus-
\elles que l'on eut à Rhodes que ce prince sou. H signala sou gouvernement par la ba-
levait une puissante armée, le grand maître taille qu'il gagna contre le Soudan d'Kgypte
se tint sur ses gardes et arma de son côté. Il p oche du port de Laiazzo dans la Carama-
demaud ; du secours à plusieurs princes, nie, sur les confins de la Syrie, vers Monte-
Louis XII, roi de France, lui emoya vingt- Négro. Les Egyptiens, dont l'armée était
deux gros navires, et l'on ne douta point que composée, furent presque tous défaits, et le
l'armée navale ottomane n'allai attaquer neveu du Soudan y fut tué. Le grand maître
Rhodes , lorsque, ayant passé le détroit de ordonna que tous les ans, lu veille de la na-
Gallipoli, elle prit sa route de ce côté-là ; tivité de saint Jean-Baptiste, en mémoire de
mais ce n'était qu'une feinte de la | art des cette bataille, on préparerait une collation
infidèles, qui en voulaient aux Vénitiens, et au grand maître et aux baillis sous la lente
dans le temps que leur armée navale passa qui couvrait la poupe du navire où avait
le détroit, le Grand-Seigneur entra avec une combattu le neveu du Soudan. 11 mourut le
puissante armée dans la Romanie, et une 13 novembre 1312, et eut pour successeur
partie de sa cavalerie alla ravager la Dalina- Guy de Blanchelbrt , grand prieur d'Aqui-
lie. C'est ce qui donna lieu à la ligue que fi- taine, neveu du grand maître d'Aubusson. 11
rent les princes chrétiens contre les Turcs fut élu quoique absent, étant pour lors ea
l'au 1501, et dont le grand maître d'Aubus- France, et mourut uu an après, le 13 novem-
813
MAL
MAL
831
brci513,en allant à Hhodes pour prendre
possession de sa .lignite. Il arriva dans cet
intervalle une ciiose assez remarquable : les
chefs des langues se plaignirent au conseil
de ce que le défunt grand m;u(re d'Amboise
avait fait mettre trois fleurs de lis de mai lue
sur la porte qu'il avait fait bâtir au boule-
vard proche son palais, ce qui semblait don-
ner à la couronne de France quelque supé-
riorité sur la religion, et ils demandèrent
qu'elles fussent ôlées. Les Français souie-
naicnl qu'elles y devaient demeurer. Enfin,
après plusieurs contestations , les (leurs de
lis furent portées par ordre du conseil sur
la muraille du quartier des Français, et il
fut permis aux autres langues d'en faire au-
tant des armes de leur prince.
Fabrice de Caretto, chef de la langue d'I-
talie et amiral de l'ordre , succéda à Guy de
Blanchelort. Il reçut l'an 1513 une ambas-
sade du sophi de Perse, avec lequel il lit li-
gue contre Sélim I", empereur des Turcs.
L'année suiva t<' il conclut la paiv avec le
Soudan d'Egypte, et filles préparatifs nécessai-
res pour résister au dessein du Grand-Sei-
gneur, qui semblait vouloir assiéger Rhodes.
Il demanda du secours aux princes chrétiens.
Le pape Léon X lui envoya trois galères
bien armées, et François I", toi de France,
dix-sepl vai-seaux. Selim étant mort, Gazelle,
gouverneur de Syrie, se révolta contre Soli-
man II, qui avait succédé à Selim. 11 assem-
bla une armée et demanda de l'artillerie au
grand mailre, qui lui en envoya; mais l'ar-
mée de Gazelle fut défaite, cl il mouruldans
le combat.
Le grand maître de Careito mourut aussi,
le 10 j.niv ier 1521, et on élut à sa place Phi-
lippe de Villiers de l'Ile-Adam, de la langue
de France, pour lors grand hospitalier et
ambassadeur de la religion auprès du roi de
France. Un des premiers soins de ce grand
mailre fut d'ajouter encore de nouvelles for-
tifications à Rhodes pour soulenir le siège
dont celle ville était menacée. Elle le fut en
effel quelque temps après; mais les Cheva-
liers ne furent pas si heureux dans ce siège
qu'ils l'avaient été dans les précédents. Soli-
man n'ignorait pas que le grand maître île
Caretto avait envoyé de l'artillerie à Gazelle,
lorsqu'il se révolla contre lui, cl, ne poui ant
soulïrirqu'après avoir subjugue la Syrie, nue
petite place tenue par une poignée de gens
lui résistât au milieu de ses Etats, ii résolut
de la forcer. 11 l'attaqua l'an 1522 avec une
armée composée de trois cent mille combat-
tants , deux cent quatre-vingts voiles et une
prodigieuse artillerie. Peut-être que les Turcs
auraient encore été contraints de lever le
siège, pour peu que les Chevaliers eussent
été secourus, et s'ils n'avaient point été tra-
his par André d'Amaral , Portugais , prieur
de Castille et chancelier de l'ordre , qui, ne
se pouvant consoler de n'avoir pas été grand
icailre à la dernière élection, jeta dans le
camp de Soliman une lettre attachée à une
flèche, par laquelle il l'avertissait qu'il ne
pouvait prendre la ville que par un certain
endroit faible qu'il lui indiquait; à quoi il lui
serait aisé de réussir en comblant les fossés
de ce côté là avec la terre d'une montagne
qui en était proche. La trahison d'Amaral
lut découverte, et il eut la léte tranchée le
30 octobre; mais les Turcs, sur divers ans
qu'ils avaient reçus de lui, pressèrent telle-
ment la place, qu'elle ne fut plus en elal de
se défendre. Le grand maître de Villiers de
l'Ile-Adam ia rendit à Soliman le 21 . ccem-
bre, après que l'ordre eut possédé cette ville
pendant 213 année-, depuis l'an 1309 jusqu'à
la fin de ce siège, où les Turcs perdirent cent
mille hommes.
Après celle perte, le grand mailre, avec
cinquante bâtiments qui portaient les Cheva-
liers et plusieurs habitants, partit de Hhodes
le 1 'janvier 1523, et alla du côté de Candie,
où il prit terre; et, ayant donné avis de son
arrivée au général de l'armée des Véni-
tiens, il fut invité d'aller à Castro, où il fut
reçu avec beaucoup d'honneur. Il passa de
là à .Messine, d'où il alla à Rome trouver le
pape Adrien VI, qui lui fit une réception ma-
gnifique, et ce pontife étant mort peu de
jours après, on donna au grand maître et à
ses Chevaliers ia garde du conclave. 11 prit
cependant c, nseil des ambassadeurs des pi in
ces el de ses Chevaliers sur Je lieu où l'ordre
pourrait établir sa résidence. Comme il ne
voulait point de place en terre ferme, l'île de
Malle, à cause de ses beaux ports et de sa si-
tuation sur les côles d'Afrique, lui parut à
sa bienséance. 11 envoya vers l'empereur
Charles V le prieur de Castille, le bailli de
Sainte-Euphémie et le commandeur Bosio,
pour lui en faire la demande el lui représen-
ter qu'il acquerrait par ce mojen l'honneur
d'avoir préservé l'ordre de sa perte et de sa
ruine entière, d'en être le principal protec-
teur, el de l'avoir comme fondé de nouveau.
Ils étaient aussi chargés de lui demander Sa-
ragouse en Sicile pour y demeurer pendant
les trois ou quatre ans que l'on bâtirait à
.Mal le des logements et les fortifications né-
cessaires.
Pendant que les députés du grand mailre
négociaient celle affaire, le cardinal Jules de
Médicis , Chevalier de Rhodes et grand
prieur de Capoue, fui élu pape sous le nom
de Clément VU. Il accorda aux Chevaliers
de Rhodes la ville de Viterbe pour leur de-
meure, et le grand mailre el son couvent y
allèrent faire leur résidence. Les Chevaliers
qui avaient été envoyés vers l'empereur rap-
portèrent que ce prince voulait bien accor-
der l'île de Malle à l'ordre , mais à certaines
conditions qui parurent trop onéreuses : c'est
pourquoi le grand mailre voulut temporiser
jusqu'en l'an 1530, qu'il accepta avec ses
Chevaliers la donation que l'empereur leur
fil de celte île, du Goze et de Tripoli, pour
ies posséder en toute propriété el souverai-
neté, et le tenir en tief, à la charge d'un fau-
con payable tous les ans, le jour de ! i Tons-
saint, au vice-roi de Naples, e. que l'évéché
de Malle serait à la nominal. on de Sa Ma-
jesté Impériale et de ses successeurs au
royaume de Naples. Le grand maître de l'Ile»
Adaui et ses Chevaliers arrivèrent à Malte
833
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
830
pour dernière retraite le 26 octobre 1330,
où les Chevaliers de Rhodes ont toujours
rc-ié jusqu'à présent, ayant élé appelés de-
puis ce teKij>s-là Chevaliers de Malte.
Cependant, l'an 154-7, sous le, gouverne-
ment du grand maître Jean de Homèdes, l'on
proposa dans un chapitre d'établir la rési-
dence de l'ordre à Tripoli, à cause que l'on
serait plus à portée de s'étendre en Barbarie,
suivant les intentions du grand maître du
nie-Adam : .Malte étant d'ailleurs un lieu
malsain, spécialement en été, et fort stérile,
au lieu que Tripoli était dans un lieu agréa-
ble et fertile. Mais l'on y trouva tant de dif-
ficultés, que l'on abandonna ce dessein, et
l'ordre ne posséda celle place que jusqu'en
l'an 1550, que, sous le gouvernement du
même grand maître de Homèdes, Soliman H
s'en rendit encore maître, y ayant envové
une armée commandée par Sinain bâcha.
Ce prince, ne se croyant pas assez dédom-
magé, par la prise de celle p ace el de l'île de
Riiodes, des perles que les galères el les
vaisseaux de l'ordre causaient tous les jours
à ses sujets en leur enlevant plusieurs bâti-
ments, el ayant pris même loul récemment
un gros galion qui appartenait au capigi ou
chef du sérail, sur lequel les sultanes avaient
des cffels dont elles faisaient de grosses
plaintes, il résolut d assiéger Malte, espérant
qu'il serait plus heureux dans celle ex; édi-
tion qu'il ne l'avait été douze ou treize ans
auparavant, lorsqu'il avait voulu tenter la
même chose, y ay. nt envoyé une armée sous
la conduite de Sinam bâcha, qui fut obligée
de se r< tirer. Ce fut donc l'an 1565, vers le
milieu du mois de mai, que loule l'armée
ottomane se trouva au Navarin composée de
cent cinquante-huit galères, onze grands na-
vires, el douze autres bâtiments, avec plus
de cent mille combattants. La ville de Malte
fut puissamment attaquée pendant quatre
mois, et encore plus vaillamment défendue
par le grand maître Jean de la Valette Pari-
sol et par ses Chevaliers. Les infidèles y per-
dirent pli. s de vingt mille hommes, et après
avoir lire inutilement plus de soixanle-dix-
huit mille coups de canons, ils furent enfin
contraints de se retirer.
Le pape Pië IV écrivit au grand maître un
bref pour le féli< iler sur la délivrance de
Malle, el lui offrit môme un chapeau de Car-
din I, qu'il relusa. L'empereur Charles V
lui envoya une épée et un poignard à gardes
d'or émailiées et enrichies de pierreries.
Tous les ans, en action de grâces de celle \ ic-
toire, on l'ail à Maile une procession solen-
nelle le jour de la nativité de la sainte Vierge,
qui lut le jour de la levée du siège. Le grand
maître s'y trouve à la lele de tous les Che-
valiers, ayant à sa droite un Chevalier qui
porte l'étendard de la religion, et à sa gau-
che un page qui porte celle épée nue. Lors-
qu'on commence l'évangile, le grand maître
la prend des niaïus du p ige el la lient toute
droite pendant le temps de l'évangile. C'est
la seule occasion ou l'on lient l'épée nue à
(1) Instructions sur les devoirs des Chevalieis de Malle, pag. 535.
l'église : il n'y a que le seul grand maître qui
le fait, et c'est une erreur populaire de
croire que quand les Chevaliers de Malle en-
tendent la m- sse en cérémonie dans une
église de leur ordre, ils tiennent l'épée nue
pendant l'évangile et à l'élévation du corps
de Jésus-Christ après la consécration, pour
faire voir la disposition où ils sont de com-
battre pour la défense de la foi (t).
Comme, après la levée du siège de Malte,
les Turcs menaçaient d'y retourner avec de
plus grandes forces, l'on fortifia la ville et
l'île ; e! l'an 1506 le grand maître de la Va-
lette posa la première pierre de la Cité, qui
porte encore son nom. Plus de huit mille
ouvriers y furent employés; el, afin d'avan-
cer plus aisément les travaux, le pape Pie V
commanda qu'on y travaillât sans disconti-
nuer, même les jours de fête. La ville fut
achevée l'an 1371, après la mort du grand
maître de la Valette, qui arriva le 21 août
1008, et le grand maître del Monte, de la
langue d'Italie, son successeur, y transporta
le couvenl et y fit son entrée avec toute la
religion le 18 mars de la même année 1571.
Ce fut du temps de ce grand n ailre que se
donna la fameuse bataille rie Lépanle, la plus
célèbre que les chrétiens aient jamais gagnée
sur mer, et où l< s Chevaliers de Malle eurent
part et acquirent beaucoup de gloire. Elle fut
donnée la même année 1571, dans le détroit
qui est entre les petites îles de Cursolan, au-
trefois les Echiuades, et la terre ferme, envi»
ron à soixante milles du promontoire Actium,
si renommé par la bataille qui décida de
l'empire romain entre Jules César et Marc-
Antoine. Les Turcs, ayanl mouillé à Lépanle,
apprirent que les chrétiens, en quittant Cor-
l'ou, venaient sur eux à pleines voiles. Ils
avaient si mauvaise opinion de la fiolte chré-
tienne, qu'ils ne crurent pas qu'elle eût as.-cz
de hardiesse pour leur présenter le coml al.
La flotte ollomane, commandée par Hali bâ-
cha, élail composée de deux cents galères et
de près de soixante-dix frégates el brigan-
tins. Celle des chrétiens, commandée par
don Juan d'Autriche, frère naturel de Phi-
lippe II, roi d'Espagne, n'avait que cent dix
galères et vingt-huit gros navires d'équipa-
ges, avec six galéasses garnies de grosse ar-
tillerie. Le 7 octobre, les deux armées étant
à la portée du canon, on fil un si grand feu
de partel d'autre, que l'air fut loul obscure.
On se batlit pendant trois heures avec un
avantage égal, mais la victoire se déclara
ensuite pour les chrétiens. Les Turcs perdi-
rent plus de trente mille hommes dans celte
bataille. Les chrétiens firent plus de cinq
mille prisonniers, entre lesquels se trouvè-
rent les lieux fils de Hali, et se rendirent
maîtres de cent trente galères ottomanes.
Puis de quatre-vingts, tant galères qu'autres
bâtiments, se brisèrent contre la terre ou fu-
rent couiés a fond ou consumés par le l'eu.
Près de vingt mille esclaves ciirétiens recou-
vrèrent la liberté, et le butin l'ut irès-consi-
derable, parce que ces infidèles venaient de
657 MAL
piller les îles et de prendre plusieurs vais-
seaux marchands.
L'an ée uivanle, le grand maître del Mon-
te « . ij ut mo:i, on lui donna pour successeur
TLvéque lie la Cassière, de la langue
rergne, qui quelques années ;;près fut
^ - endu (te sa dignité par le conseil de Tor-
il, e, qui nomma pour sun lieutenant Maurice
il l'Escu, surnomme ftomégas-. Cehii-ci mou-
rut l'an :")Si, et après sa mort le grand m i-
tre de l . Cassière fut rétabli par le pape Gré-
goire v 111. i e gouvernement d'Alof d « Vign i-
court, de la tangue de France, qui fui élu l'an
1601. fui heureux en ce que, pendant plus
il vingt ans qu'il tint la dignité magistrale,
les l'urcs n'eurent pas le moindre avantage
sur ies Chevaliers de Malte, e: que ceux-ei au
contraire prirent les forteresses de Lépante,
de Lango , de Châleauroux en Grèce, et
quelques autres qui fuient saccagées et pil-
lé s, et où ils Grmt un grand nombre d'es-
claves. Les iusutes contin. elles que ces Che-
val.ers faisa eut aux i nfi.sèles portèrent le
Grand-Seigneur à entreprenire encore la
conquête de Malte. 11 fit équiper une armée
navale de quatre-vingt-dix voiles, i t l'en-
voya secrètement à Malte, où elle aborda la
nuit proche de Marsa Sirocco. Dans ce dan-
ger, que la surprise augmentait, le grand
maître de Viguacourt ajant donne ses or-
dres avec une présence d'esprit et uneatli-
vité merveilleuse, tout se trouva bieuicV. en
état de défense, et après diverses escarmou-
ches, les ii. fidèles furent repousses et obligés
de se rembarquer. L'an 16U5, ce grand maî-
tre envoya à la faculté de théologie ù Paris la
relique du pied gauche de sainte Euphemie,
vierge et martyre, dont le corps fut apporté
de Chalcédoine à Rhodes, puis à Malte dans
l'église de Saint-Jean. Celle relique lui avait
élè demandée par l'université et par la fa-
culté de théologie de Paris, qui a choisi celle
sainte pour une île ses patronnes. La céré-
monie se fit le 28 décembre, jour des saints
Innocents, l'an 1606, en présence de tous
les commandeurs et des Chevaliers qui se
trouvèrent à Paris.
Le grand maître de Vignacourt étant mort
l'an 1622, Louis de Mendès Vasconcellos lui
succéda dans le gouvernement de l'ordre ,
qu'il ne tint pas longtemps, eiant mort au
mois de mars de l'année 1023. Antoine de
Paulo prit sa place, et comme sous son gou-
vernement les Chevaliers se trouvaient fort
incommodés par les vaisseaux des 'l'urcs de
Saiine-Aiaure, qui croisaient sans cesse, ils
attaquèrent celte place et s'en rendirent mai-
Ires. Mais ils ne la gardèrent pas longtemps,
car les corsaires de Barbarie, qui étaient
alliés de ceux de Saint-Maure, se liguèrent
ensemble. Ils armèrent six galères et plu-
sieurs vaisseaux el se mirent en mer pour
chercher les Maltais ; el, les ayant rencontrés,
ils leur livrèrent le combat, qui lut fort rude
et 0|inià;re : les Chevaliers, ayant perdu leur
amiral et deux vaisseaux, et en ayant eu
d'autres hors de combat , furent contraints de
prendre la fuite, el furent quelque temps
hors d'èiat de rien entreprendre. Mais leur
MAL
833
armée navale s'étanl rétablie, ils prirent, l'an
1029, le hacha Osaïm, qui fut fait esclave, et
l'an 1031 ils enlevèrent encore un gros na-
vire el firent d'autres prises c nsidérables du
vivant de ce grand maître.
Ils se rendirent .aussi redoutables aux in-
fidèles sous le gouvernement du urand maî-
tre Paul de Lascaris. Mais de toutes les prises
qu'ils firent sur eux, celle qui fil le plus de
bruit fut le vaisseau qui al ait à la Mecque
et qui portait une sultane avec son fils qu'elle
avait eu d'Ibrahim I'r, empereur des Turcs. Le
vaisseau était si richement chargé, qu'on l'es-
timait deux millions, et es richesses appar-
tenaient, selon !e bruit commun, à un eunu-
que qui avait été capi-ag à ou grand maître
du sérail. La sultane mourut quelques jours
après son arrivée à Malte, et son fils y fut
élevé com'me un des entants du Grand-Sei-
gneur. Mais, sur le bruit qui se répandit dans
la suite que eet enfunt n'était que le fils
adoptif de l'eunuque, Ton prétend que le
grand maître persuada à ce jeune homme,
qui avait renonc • à la religion de Mahomet,
de se taire religieux. Kn effe , il prit l'hai il
de Tordre de Saint-Dominique Tan 1658, et
fut nommé le P. Ottoman.
Mais qu'il eût été véritablement fils d'Ibra
him ou seulement fils adoptif de l'eunuque,
il est certain que le Grand-Seigneur avait
aimé cet entant evec beaucoup de tendresse.
11 résolut d'abord de s'en venger, et jura la
ruine de Malle. 11 fit aussi paraître beaucoup
d'emportement contre les Vénitiens, parce
que, sui\anl le traité fait avec eux. ils de-
\ ient garder la mer et en chasser ses enne-
mis, ou du moins remettre ses vaisseaux en
liberté. Le grand maître pourvut à la sûreté
de ce t' ile. Les Vénitiens se tinrent aussi
sur la défensive; mais l'orage tomba sur eux,
et Tannée suivante 1645, le Grand-Seigneur
commença la guerre de Candie, qui ne finit
que Tan 1669, lorsque les infidèles se furent
rendus maîtres de celte ile. Lès Chev aliers de
Malte n'abandonnèrent poinlles Vénitiens et
leur donnèrent secours. L'ordre entretint
même à >-es frais une compagnie .'e cavale-
rie dans la ville, et la défense du bastion de
Saint-André fut commise aux Chevaliers.
Après la prise de Candie, Nicolas Cottoner,
qui était pour lors grand maître, voyant qu'il
y avait toulà craindre pour Malle, fit réparer
et augmenter les ouvrages des forteresses,
afin qu'elles fassent plus en état de soutenir
un assaut, il fil même construire un nouveau
fort, qui fut appelé de son nom la Cotlonière,
el qui ne fui mis dans sa perfection qu'a-
près sa mort , qui arriva Tan 1680 , et
Grégoire Carulïa, Napolitain, fui élu à sa
place.
La ligue que firent ensemble l'Empereur,
le roi île Pologne et les Vénitiens contre les
Turcs, qui avaient porte la guerre en Hon-
grie Tan 1083, fut une nouvelle occasion aux
Chevaliers Ue donner des preuves de leur
valeur. L'an 1684, les Vénitiens firent la con-
quête de Sainte-Maure avec les secours d?s
Chevaliers, et prirent eusuite Piévésa. L'an-
née suivante, ils aidèrent à [-rendre Coron;
859
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
8)0
ils n'abandonnèrent point les Vénitiens pon-
dant toute la guerre, qui ne finit que l'an
1699 par In Iraité de paix de Carlowitz, et de-
puis ce temps-là les Chevaliers n'ont point
discontinué de faire des courses sur nier
pour donner la chasse aux corsaires infi-
dèles.
La profession des armes n'a point em-
pêché ces Chevaliers d'exercer l'hospita-
lité suivant leur première institution. Vers
l'an 1218, André, roi de Hongrie, leur en
donna un témoignage avantageux dans une
donation qu'il fila leur profit. Il dit qu'étant
logé chez eux à Acre, il avait vu nourrir
chaque jour une multitude innombrable de
pauvres, les malades couchés dans des Mis
et trailés avec soin, les morts enterrés avec
la décence convenable, en un mot, que les
Chevaliers étaient occupés, tantôt à la con-
templation comme Marie, tantôt à l'action
comme Marthe, et surtout à combattre con-
tre les ennemis de la croix. Ce prince donna
à l'ordre cinq cents marcs d'argent à pren-
dre tous les ans sur ses salines de Saloch en
Hongrie. Etant encore logé chez ces Cheva-
liers en passant à Margat, il donna aussi
cent marcs d'argent à l'ordre à prendre sur
les salines de Zolaslha, tous les ans, pour la
défense de la forteresse de Margat; cent au-
tres marcs d'argent pour la défense de celle
de Crac, et fit aussi plusieurs autres dona-
tions à l'ordre, qui furent confirmées par le
pape Honorius III. Enfin il voulut être asso-
cié à l'ordre, et il en portait publiquement
la croix.
C'est toujours un Chevalier grand-croix
qui est grand hospitalier, et il y a d'autres
Chevaliers prud'hommes pour voir si les ma-
lades sont bien soignés, qui font distribuer
les médicaments, qui arrêtent les comptes
de l'infirmier tous les mois ; et, atin d'éviter
la confusion et que les Chevaliers n'allas-
sent pas tous ensemble pour servir les ma-
lades, le chapitre général de l'an 1G31 or-
donna que chaque langue tour à tour, par
semaine, enverrait à l'infirmerie autant de
Chevaliers, de servants d'armes et de novi-
ces qu'il en faudrait pour le service des ma-
lades, et que tous les jours, malin et soir,
il ne pourrait pas y en avoir moins de sept.
Le grand hospitalier et les prud'hommes ont
aussi le soin des enfants exposés, qui sont
nourris et élevés aux dépens du commun
trésor, jusqu'à l'âge de huit ans.
§ IL Etat de l'ordre de Saint-Jean de Jérusa-
lem ou de Malte au dernier siècle, et lu ma-
nière de recevoir les Chevaliers.
L'ordre de Malle ne possède plus présen-
tement en toute souveraineté que l'île de
Malle et quelques autres petites aux envi-
rons. Ellea vingt milles de longueur et douze
de largeur. 11 y a deux villes considérables,
qui sont la Vieille-Ville ou Civila Vccchia, et
celle qui porte le nom de la Valette, qui est
présentement la capitale, et l'une des plus
lorles places de l'univers, avec environ cin-
quante bourgs ou villages. Le, plus considé-
rables des autres îles aux environs de Malle,
et qui dépendent du grand mailre, sont le
Goze et Comino, où il y a aussi des forts
avec quelques bourgs et villages.
Le gouvernement e->t monarchique el aris-
tocratique ; car, pour ce qui regarde la mo-
narchie, le grand maître est souverain sur
le peuple dans l'île de Malte et ses dépen-
dances ; il fait battre monnaie, il accorde des
grâces et des rémissions aux criminels, et il
donne les provisions des grands prieurés,
des bailliages et des commanderies. Tous h s
Chevaliers de l'ordre, quelque autorité qu'ils
aient, lui doivent obéir en tout ce qui n'est
point contraire à la règle et aux statuts de la
religion. Quant à l'aristocratie, c'est dans
les affaires importantes qui regardent les
Chevaliers et la religion, que le grand maître
et le conseil exercent ensemble une autorité
absolue, el le grand maître y a seulement
deux voix pour sa prééminence. Le conseil
est ordinaire ou complet. Au conseil ordi-
naire, assistent le grand maître, comme chef,
et les grands-croix, qui sont l'évêque de
Malte, le prieur de l'église, les baillis con-
ventuels, les grands prieurs el les baillis
capitulaires. Le conseil complet est composé
de grands-croix et des deux plus anciens
Chevaliers de chaque langue.
Les langues sont les différentes nations
dont l'ordre est composé. Il y en a huit, qui
sont : Provence, Auvergne, France, Italie,
Aragon, Allemagne, Castillc et Angleierre.
Ces huit langues ont leurs chefs à Malte, que
l'on nomme piliers et baillis conventuels.
Le chef ou pilier de la langue de Provcneo
à cause que Uaymon I du Puy, qui a dressé
les règlements de l'ordre, était Provençal, a
la charge de grand commandeur; le pilier
de la langue d'Auvergne est grand maréchal ;
celui de France est grand hospitalier. Le
chef de la langue d'Italie esl grand amiral ;
la langue d'Aragon a pour pilier le grand
conservateur qu'on nommait autrefois dra-
pier ; celle d'Allemagne a pour pilier ba
grand bailli ; celle de Caslillc le grand chan-
celier; et la langue d'Angleterre, qui ne
subsiste plus à cause de I hérésie dont co
rojaume a été infecté, avait [jour chef le lur-
copolier ou général d'infanterie.
Dans chaque langue, il y a plusieurs
grands prieurés et bailliages capitulaires,
savoir : dans la langue de Provence , 1 s
prieurés de Saint-Ciliés de Toulouse et lo
bailliage capitulaire de Manosquc ; dans la
langue d'Auvergne, les prieurés d'Auvergne
el le bailliage capitulaire de Lurol, appelé
dans la suite de Lyon, et enfin de Devessel ;
dans la langue de France, les prieurés do
Frae.ce, d'Aquitaine el de Champagne, avec
le bailliage capillaire de la Morée el la tré-
sorerie générale, auxquels sont annexés ,
savoir, au bailliage île la Morée, la com-
manderie de Saint-Jean de Latran à Paris,
el, à la grande trésorerie, la commanderie
de Saint-Jean en l'île de Corbeil ; dans la
langue d'Italie, les prieurés de Home, d«
Lonibardie, de Venise, de Pise, de Barlcttc,
de .Messine el de Capoue, et les bailliages
capitulaires de Saiulc-Euphémie et de Saint
•:.!
MAL
MAL
843
Etienne près de Monopoli, de la Sainle-Tri-
nité de \ enosa et de Saint-Jean de Naples :
dans la langue d'Aragon , qui comprend
aussi la Catalogne et la Navarre, la Châlel-
lenie d'Emposle, les prieurés de Catalogue
et de Navarre, et les bailliages capilulaires
de Majorque et de Caspe ; dans la langue
d'Allemagne, les prieurés d'Allemagne, de
Bohême, de Hongrie, el il y avait aussi celui
de Danemark el le bailliage capilulaire de
Brandebourg, avant que l'hérésie eût été
introduite dans ces provinces ; dans la lan-
gue de Castille, qui comprend aussi Léon
et Portugal, les prieurés, de Castille el de
Léon, et celui de Portugal avec les bail-
liages capilulaires de Lango ou de Leza et de
las Nneves- Villas ; et dans la langue d'An-
gleterre lorsqu'elle subsistait, il y avait les
prieurés d'Angleterre et d'Hibernie, el le
bailliage caj itulaire d'Aquila. Quant au
prieuré de l'église de l'ordre et à la com-
inanderie de Chypre, tous deux bailliages
capilulaires, ils sont communs à toutes les
langues, et le bailliage de Négrepont est
commun aux deux langues d'Aragon et de
Castille.
L'hôtel de chaque langue est appelé au-
berge, à cause que les Chevaliers qui dépen-
dent de ces langues y vont manger et s'y
assemblent d'ordinaire. Plusieurs chapitres
généraux ont fait des règlements qui con-
cernent la manière dont les Chevaliers >>e
doivent comporter dans ces auberges, et qui
font connaître combien esl grande l'obser-
vance régulière qui se pratique à Malle. Les
ordonnances du chapitre général tenu sous
le grand maître Antoine de Paulo, Toulou-
sain, l'an 1631, portent que les piliers don-
neront tous les jours à chaque Chevalier un
rotolo, c'est-à-dire environ trente-six onces
de bœuf, mouton et veau, qui doit être fourni
par le trésor commun, et lorsque l'on donne
du porc frais ou du salé, les deux tiers du
rololo; les jours maigres, du poisson, et, au
défaut de poisson, quatre œufs pour pi-
tance ; chaque jour six petits pains et un
quaTtucçio de vin sans eau, c'est-à-dire la
valeur de trois chopines. El, afin qu'on ne
fasse point de dégât et de consommation
inutile, il est défendu aux Chevaliers de me-
ner des chiens à l'auberge, et si les maîtres
auxquels ils appartiennent voulaient empê-
cher qu'on ne les chassât, ils seraient punis de
la septaine, qui leur serait aussi imposée, si
les jours qu'ils mangent à l'auberge ils em-
portaient du pain, du vin et autres choses à
manger.
Trois fois la semaine, el non davantage,
encore faut-il qu'il y ait de jusles raisons,
les piliers doivent fournir la pitance aux
Chevaliers hors de l'auberge, lorsqu'ils la
demandent ; mais ceux qui l'envoient cher-
cher ne doivent pas avoir déjeuné ce jour-là
à l'auberge, autrement la pitance leur peut
être refusée, et lorsque le maitre de la salle
a mangé, on ne peut plus la demander. Le
pilier doit donner à déjeuner tous les malins
entre les deu\ messes. Si les Cheval. ers ne
sont pas contents de la pitance, ils ne doi-
vent pas faire leurs plaintes au maitre de la
salle, ni au cuisinier, ni nu dépensier, mais
seulement au pilier; et, si les plaintes sont
injustes, ils sont punis de la septaine. Si un
Chevalier a frappé un serviteur du pilier
sans effusion de sang, il est condamné pour
la première fois à la quarantaine, la seconde
à six mois de prison dans la tour, et la troi-
sième à perdre deux ans d'anciennelé; et,
s'il y a du sang de répandu, il est puni plus
rigoureusemenl. Enfin, lorsque le pilier fait
quelqu-s plaintes de quelque Chevalier, il
esl cru sur sa parole, sans que l'on fasse des
informations, et le conseil procède contre le
Chevalier qui est accusé. La peine de la
septaine consiste en ce que celui qui est con-
damné doit jeûner sept jours de suite , et, la
quatrième et la sixième férié, manger seule-
ment du pain et boire de l'eau, se soumet-
tant ces jours-là à la discipline, c'est-à-dire
à recevoir des coups de houssine de la main
d'un prêtre de l'ordre pendant le psaume.
Dens misereattir no s tri, etc. La peine de la
quarantaine est de jeûner quarante jours de
suite, et la quatrième et la sixième lérie , au
pain et à l'eau ; ils reçoivent ces deux jours-
là la dbeipline pendant le psaume Miserere
mei, Deus, el pendant ces quarante jours ils
ne doivent point porter d'épée ni soi tir que
pour aller à l'Eglise.
Chaque grand prieuré a un nombre do
commanderies, dont les unes sont destinées
aux chevaliers de justice, et les autres indif-
féremment aux chapelains et aux servants
d'armes. Voici ce qu'un savant homme (1)
a écrit depuis peu touchant l'origine des
commanderies de cet ordre. L'origine des
commanderies, dit-il, vient de ce qu'ancienne-
ment les biens de l'ordre étaient en commun,
et que pour les faire valoir on commettait des
séculiers qui en étaient, ou les fermiers ou les
receveurs, et qui en rendaient compte. Mais
le grand éloignement faisant qu'on était sou-
vent trompé et que les comptes étaient peu
fidèles, on donna l'administration de tous ces
revenus aux grands prieurs à chacun dans
son département. Ceux-ci ne s'en ucqu Itèrent
pas mieux : de sorte que, quoique les revenus
de l'ordre fussent très-considérables, â peine
trouvait-on de quoi soutenir la dépense qu'on
était obligé de faire. On eut donc recours à
un autre expédient, qui fut de commettre et
députer un frère pour régir et administrer
chaque commanderie pour autant de temps
qu'on le jugerait el propos, à condilio.i que
tous tes ans il payerait entre les mains d'un
receveur de l'ordre établi pour cela une cer-
taine somme proportionnée au revenu de la
commanderie. Cette imposition fut nommé::
Kesponsion; c'est ce qui a été pratiqué jusqu'à
présent.
Au reste, on n'envoyait pas ces Chevaliers
seuls. On leur donnait pour aides quelques
autres Chevaliers, et tous ensemble avec quel-
que prêtre de l'ordre qu'ils avaient ordinaire-
(1) Instructions sur les devoirs des Chevaliers de Malte, chnp. 4, p. G3.
Dictionnaire des Ordres religieux, II,
21
813
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
844
ment avec eux, formaient mie communauté.
Celui gui était à la télé fut nommé comman-
deur, et la maison où était assemblée la com-
munauté Commanderie, nom qui signifie moins
un commandement qu'une administration, et
pour ainsi dire une commande. On voulut
faire comprendre aux Chevaliers par ce nom
même qu'ils n'étaient que les économes et les
administrateurs de cette portion des biens de
l'ordre, qui ne leur était confiée que pour au-
tant de temps gu'on le jugerait à propos, et
sur laquelle ils devaient prend' e une portion
pour être envoyée annuellement au receveur,
te reste devant être employé à nourrir et en-
tretenir la communauté de chaque comman-
derie et à soulager les pauvres du lieu. Ainsi
l'ordre était secouru, tous IcsChevaliers étaient
nourris et entretenus à ses dépens, et les pau-
vres étaient assistés. Mais la division s étant
mise dans la suite parmi ces Chevaliers qui
vivaient ensemble dans une même commande-
rie, on fut obligé de les séparer et de laisser
le soin de la commanderie à un seul, en le.
churgeant de payer clrs pensions à quelques-
uns de ses confrères, au lieu qu'il les entrete-
nait et nourrissait auparavant, et c'est de là
aussi qu'est venue l'origine des pensions que
plusieurs Chevaliers possèdent sur des com-
manderies ou sur d'autres biens de l'ordre.
Les commanderies sont appelées magis-
trales, de justice ou de grâce. Les magistrales
sont celles qui sont annexées à la dignilé de
grand maître, afin que celui qui en est revélu
la puisse soutenir avec plus d'éclat. 11 y en
a une dans chaque grand prieuré, savoir :
au prieuré de Saint-Gilles la commanderie
dePézénas, au prieuré de Toulouse la com-
manderie de Puy-Soubran, au prieuré d'Au-
vergne la commanderie de Salins, au prieuré
de France la commandeiie de Hainaut , au
prieuré d'Aquitaine la commanderie du temple
de la Rochelle, au prieuré de Champagne la
commanderie de Metz, au prieuré de Lom-
bardie la commanderie d'!nverno,au prieuré
de Rome la commanderie de Mugnano, au
prieuré de Venise la commanderie de Tré-
cuzo, au prieuré de Pise la commanderie de
Prato, au prieuré de Capouc la commanderie
de Siciano, au prieuré de Barlelte la com-
manderie de Brindizi, au prieuré de Messine
la commanderie de Polezzi, au prieuré de
Catalogne la commanderie de Masdeu, au
prieuré de Navarre la commanderie de Cal-
clielas, en la châtellenic d'Emposle la com-
manderie d'Aliaga, au prieuré de Castille
les commanderies d'Olmos et de Yiso, au
prieuré de Portugal la commanderie de Vil-
lacova, au prieuré d'Allemagne la comman-
derie de Buez, au prieuré de Bohème la com-
manderie de\Vadislau,etautrefois au prieuré
d'Angleterre la commanderie de Pescens, au
prieuré d'Hibernie les commanderies de Kel-
bary, de Killurye et de Crobe, et la comman-
derie de Sinica au royaume de Chypre.
Les commanderies de justice ou de grâce
sont ainsi appelées selon la manière de les
ubtenir. On les nomme commanderies de jus-
lire quand on les possède par droit d'ancien-
neté ou par a ni liorisscment. L'ancienneté
se compte du temps de la réception; mais il
faut que celui qui prétend une commanderie
ait fait cinq années de résidence à Malle, et
qualre caravanes ou voyages sur mer, et l'a-
méliorissement est lorsqu'après avoir fait
des réparations dans une commanderie dont
l'on jouit, on en prend une autre d'un plus
grand revenu. Karouenou caravanna est un
mot arabe qui signifie une assemblée d'hom-
mes qui s'unissent pour faire quelque trafic
ou quelque voyage (i). On se servait de ce
mot lorsque les Chevaliers de Saint-Jean de
Jérusalem, étant dans la Syrie, choisissaient
les frères qui étaient destinés pour la garde
des forteresses ou pour servir sur les galères;
el l'on s'est toujours depuis ce temps-là ser-
vi du même mot pour marquer les voyages
que les Chevaliers de Malte font sur les ga-
lères ou sur les vaisseaux au service de leur
ordre. 11 faut qu'ils fassenl ces quatre cara-
vanes par eux-mêmes, et il ne leur est pas
permis de les faire faire par d'autres. Mais,
quoiqu'ils soient obligés à cinq années de ré-
sidence et à quatre caravanes, néanmoins,
s'ils ont été employés au service du grand
maître ou de la religion, ils ont quelques
exemptions, et on leur compte pour une ca-
ravane deux années complètes de service en
personne. Les Chevaliers qui sont esclaves
des Turcs ont aussi des exemptions, et on
leur compte une caravane pour chaque an-
née de captivité, ainsi qu'il est ordonné par
les ordonnances du chapitre général de l'an
1031, qui prescrivent aussi l'âge de vingt
ans pour commencer les caravanes, excluant
de tous emplois, bénéfices et commanderies
de l'ordre ceux qui, ayant atteint l'âge de 50
ans, n'auraient pas fait les quatre caravanes
qui ne sont que de six mois chacune.
Les commanderies de grâce ont ce nom
quanti elles sont données par le grand maî-
tre ou par les grands prieurs par un droit
qui app irlient à leurs dignités, et ils en don-
nent une de cinq ans en cinq ans. On ne
prend point garde si la commanderie va-
cante est de celles qui sont affectées aux Che-
valieis ou de celles qui appartiennent aux
chapelains ou servants d'armes. Le grand
maître ou le grand prieur la peut donner à
Ici frère qu'ii lui plaît, de quelque rang qu'il
soil, cela étant indifférent, lorsque la pro-
motion est de grâce.
Quoiqu'à proprement parler il n'y ail que
ceux qui sont laïques et nobles d'extraction
qui puissent porter la qualité de Chevalier,
parce qu'il n'y a qu'eux à qui on donne
l'ordre de chevalerie, si ce n'est par quelque
grâce particulière, néanmoins, comme sous
le nom de Chevaliers de Malte on entend or-
dinairement tous ceux qui composent cet
ordre, on peut dire qu'il y en a de quatre
sortes. Les premiers sont ceux qu'on nomme
les Chevaliers de justice ; ils sont obligés do
faire preuve de noblesse, et il n'y a que ceux-
là qui peuvent parvenir aux dignités de bail-
li) Instructions des Chevaliers de Malte, pag. 50o.
845
MAL
lis, grands prieurs et grands maîtres. Les
seconds sont les Chevaliers de grâce, qui,
n'étant pas nobles d'extraction, ont mérité
par quelque action de valeur ou par quelque
service considérable rendu à l'ordre, d'être
mis au rang des nobles et de jouir des mêmes
: honneurs. Les troisièmes sont les frères ser-
vants ; il y en a de deux sortes, les frères ser-
vants d'armes qui sont employés dans les
mêmes fonctions que les Chevaliers, tant à
la guerre qu'au service de l'hôpital, et les
frères servants d'église, dont toute l'occupa-
tion est de chanter les louanges de Dieu daas
l'église conventuelle et d'aller chacun à son
tour servir d'aumôniers sur les vaisseaux ou
sur les galères de la religion. Les quatrièmes
enfin, qui sont nommés frères d'obédience,
sont les prêtres qui, sans être obligés d'aller
jamais à Malle, prennent l'habit de l'ordre,
en font les vœux, et s'attachent au service
de quelques-unes des églises de l'ordre sous
l'autorité de quelque grand prieur ou de quel-
que commandeur, auquel ils demeurent sou-
mis; et ils jouissent de plusieurs privilèges
qui leur ont été accordés. Il y a aussi des
donnés ou demi-croix qui ne peuvent por-
ter la croix d'or sans une permission ex-
presse ; et, quand on leur accorde cette per-
mission, ce ne doit être qu'une demi-croix
d'or à trois branches; mais ils peuvent por-
ter une demi-croix de toile blanche cousue
sur leurs habits, laquelle ne doit pas passer
les deux tiers d'un palme de Sicile.
Personne ne doit être présenté pour être
reçu dans cet ordre ni demander des commis-
saires pour faire se* preuves, qu'il n'ait au
moins seize ans accomplis, à l'exceplion des
pages du grand maître, qui peuvent être re-
çus depuis douze ans jusqu'à quinze, et à
l'exceplion aussi des ecclésiastiques, qui
peuvent être reçus depuis dix ans jusqu'à
seize. Cependant l'usage d'obtenir des dis-
penses du pape pour faire recevoir des en-
tants depuis qu'ils sont nés jusqu'à dix ou
douze ans , est devenu commun, et l'ancien-
neté de ces enfants commence du jour au-
quel le grand-maître a reçu et approuvé
cette dispense, pourvu qu'on' paye ponctuel-
lement dans l'année ce qu'on appelle droit
de passage. Cet usage de recevoir des Che-
valiers de minorité est récent. Ce qui y donna
lieu, c'est que dans le chapitre général tenu
l'an 1(531, on résolul d'exécuter ce que le
conseil avait ordonné par un décret du 7
janvier 1G29, qui était de faire un collachio
ou cloître pour y mettre un noviciat pour
les Chevaliers et servants d'armes , et un sé-
minaire pour les ecclésiastiques; et, comme
il fallait un fonds de cent mille écus pour
l'exécution de ce dessein, le Trésor ne se
trouva pas pour lors en état de faire ce fonds
à cause des grandes dépenses qui l'avaient
épuisé. C'est pourquoi on résolul pour y
pourvoir d'accorder cent dispenses pour re-
cevoir dans l'ordre cent enfants en minorité
qui donneraient chacun mille écus pour
être admis. Les cent dispenses fuient bientôt
remplies. Le Collachio pour le noviciat et
pour le séminaire ne se Ut pas néanmoins :
mai. «46
on crut alors devoir employer la somme à
d'autres besoins ; et, comme il n'y a point eu
de chapitre général pour accorder de pareil-
les dispenses, on a eu recours au pape pour
les obtenir par son autorité : ainsi l'usage
de ces dispenses s'est insensiblement intro-
duit, et est devenu très-commun. D'abord il
fallait avoir au moins huit ans, ensuite six ,
et la coutume est présentement que l'on peut
être reçu en quelque bas âge que ce puisse
être. Les derniers règlements faits à Malte
sur le droit de passage de ceux qui sont ainsi
reçus, portent qu'ils doivent payer trois cent
trente pistoles et un tiers au prix courant
des pistoles d'Espagne, sans y comprendre
quelques autres menus droits. L'origine et
le nom du droit de passnge viennent du droit
que payaient autrefois aux capitaines des ga-
lères ou des v aisseaux de la religion ceux
qui se mettaient dessus pour passera la terre
sainte, et dans la suite des temps à l'île de
Rhodes pour y être reçus Chevaliers. Ils
payaient une somme pour leur nourriture
et entretien pendant le voyage, et cela s'ap-
pelait droit de passage. Ce droit a continué
de se payer jusqu'à présent à l'Ordre ; il a
toujours retenu l'ancien nom, et est confir-
mé par des statuts. Quoique ce droit de pas-
sage doive être pajé dans l'année, néan-
moins le grand maître peut accorder deux
ans au lieu d'un pour payer ce droit , mais il
ne peut pas accorder un terme plus long.
Une des conditions de la grâce de minorité
est que dès le moment que le droit de passa-
ge est payé, cet argent est entièrement ac-
quis à l'ordre, sans que sous quelque pré-
texte que ce soit on puisse jamais en pré-
tendre la restitution.
L'on ne peut être reçu page du grand
maître que depuis douze ans jusqu'à quinze,
et on n'y peut demeurer que trois ans au
plus, et souvent moins, suivant l'âge qu'on
a quand on y entre. Mais comme le grand
maître ne peut avoir que seize pages, il faut
pour y entrer qu'il y ait une place vacante.
C'est pourquoi, avant qu'on ail l'âge pour y
entrer, on obtient du grand maître une let-
tre de page, et lorsqu'on a les onze ans com-
plets et qu'il y a une place vacante, le plus
ancien de ceux qui ont eu des lettres de pago
est reçu, après avoir fait ses preuves de no-
blesse et de légitimation. La différence qu'il
y a dans les formalités qui s'observent dans
la réception de ceux qui sont reçus de mino-
rité et de ceux qui sont reçus comme pages ,
c'est que les premiers ne sont pas obligés do
se présenter à l'assemblée de la province ni
d'aller à Malte qu'à vingt-cinq ans, au lieu
que les pages doivent se présenter à l'assem-
blée de la province et aller à Malte après
leur réception, et ne peuvent payer leur pas-
sage que lorsqu'ils présentent eux-mêmes
leu: s preuves à Malle. Le droit qu'ils payent
est de deux cent cinquanteécus d'or, chaque
écu d'or pris pour une demi-pistole, selon c«
qu'elle vaut, outre quelques autres menus
droits.
Les Chevaliers de majorité sont ceux qui
sont reçus à seize ans accomplis. Us payent
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
847
le même droit que les pages du grand maî-
tre, et ne sont pas obligés de porter eux-mê-
mes leurs preuves à Malle. Autrefois ils y
étaient obligés, et sans cela leur ancienneté
ne courait point, quoique ces preuves eus-
sent été rrçues pour bonnes au chapitre ou
à rassemblée de la province, et qu'ils eus-
sent payé leur passage. .Mais , par un décret
du conseil de lti88, confirmé par un bref du
pape Innocent XI, il a élé ordonné qu'il suf-
firait à l'avenir que celui qui a présenté ses
preuves au chapitre provincial ou à l'assem-
blée les envoyât au couvent à la vénérable
langue dans laquelle il e^ né, et qu'il serait
dispensé d'y venir en personne jusqu'à l'âge
de vingt ans, sans que cela puisse nuire à
son ancienneté , qui commencera à courir
du jour que ses preuves auront élé présen-
tées eu langue.
Pour ce qui esl des frères servants d'ar-
mes, le chapitre général de l'an 1631 avait
seulement défendu à la langue d'Italie d'en
recevoir, comme il esl porté par l'article
vingt-cinquième du titre de la Réception dis
frères. Depuis par un décret du conseil la
même défense a été faite aux autres lan-
gues, jusqu'à ce qu'il en eu l été autrement
ordonné; mais celte défense a élé levée de-
puis quelque temps. Les chapelains ne peu-
vent être reçus que depuis dix ans jusqu'à
quinze, après quoi il faudrait obtenir un
bref de Rome} mais, jusqu'à lo ans, il suffit
d'obtenir du grand maître une lettre de dia-
cot. En vertu de celle lettre le postulant se
présente au chapitre provincial ou à l'assem-
blée; on lui donne des commissaires pour
faire ses preuves, qu'il doit porter lui-même
au couvent, après quoi on le renvoie pour
continuer ses études. Ils sont seulement obli-
gés de faire voir qu'ils sont nés de gens
honnêtes, pratiquantes arts libéraux, qu'ils
n'ont jamais exeicé aucun art vil et mécani-
que, ni servi personne, et que ni eux ni
leurs pères et mères n'ont jamais travaillé à
aucune chose méprisable: et de plus qu'eux,
leurs pères et mères, leurs aïeuis et aïeules
paternelset maternels sontnésenlégilime ma-
riage. Ledroil de passage des jeunes diacots ou
ecclésiastiques depuis dix ans jusqu'à quinze
est de cent écus d'or, chaque ecu d'or valant
une demi-pislole d'Espagne en espèce, selon
la valeur courante, et autres menus droits.
Les autres diacots ou ecclésiastiques, reçus
par brefs dans un âge plus avancé, doivent
payer douze cent cinquante livres pour droit
de passage el quclqm s autres droits, à la ré-
serve néanmoins de ceux qui par leur capa-
cité et leur mérite auraient été honorés du
bonnet de docleur, lesquels par un privilège
particulier sont reçus à tout âge el sans
payer aucun droit de passage.
Quoique la couluuie dans l'ordre soil de
faire les preuves de noblesse par l'arbre de
consanguinité, en remontant seulement de-
puis les Chevaliers jusqu'à ses bisaïeuls pa-
ternels et maternels, néanmoins le prieuré
d'Allemagne exige davantage ; il faut p o:i-
ver seize quartiers des aïeuls. Ceux qui dé-
pendent de ce prieuré sont dispeusés d'alle«-
à Malte faire leur noviciat, il suffit seule-
ment qu'ils le fassent auprès du grand prieur
d'Allemagne; et ceux du prieuré de Bohême
ne sont obligés qu'à six mois de noviciat à
Malte, à compter du jour qu'ils y sont arri-
vés. Les Chevaliers du prieuré d'Allemagne
ont encore un autre privilège, qui est que
les deux tiers de l'argenterie d'un comman-
deur demeurent après sa mort au profit de
la commanderie, l'autre tiers seulement ap-
partenant à l'ordre; en sorte que le Cheva-
lier qui succède à la commanderie est obligé
de payer à l'ordre la valeur de cette troi-
sième partie à raison de huit florins par
marc, et de donner caution pour les deux
autres tiers. Quoique les Chevaliers des au-
tres prieurés de l'ordre ne fassent pas diffi-
culté d'admettre les enfants naturels des
rois et des princes souverains, néanmoins le
prieuré d'Allemagne n'en reçoit point, de
quelque naissance distinguée que soit le
présenté; il faut absolument qu'il soit né de
légitime mariage.
La profession se faisait autrefois dans cet
ordre aussitôt qu'on avait fini l'année de no-
viciat, comme on le fait dans tous les autres
ordres religieux ; mais cetle coutume n'est
plus en usage, et il n'y a que ceux qui sont
reçus en minorité qui aient un temps fixé
pour leur profession. Ils doivent se rendre
au couvent dans la vingt-cinquième an-
née pour faire leur année de noviciat ,
et ensuile leur profession dans la vingt-
sixième année , à faute de quoi ils per-
dent en faveur de leurs cadets l'ancien-
neté que leur minorité leur avait procurée.
Cependant il y a beaucoup de Chevaliers re-
çus en minorité qui ne font profession que
plusieurs années après les vingt-six ans,
sans que cela leur porte aucun préjudice;
mais il faut pour cela qu'ils aient un bref ou
une dispense, qu'où obtient aisément pour
des raisons particulières qu'on expose.
Voici les cérémonies qui s'observent en
donnant l'habit et faisant faire profession
aux Chevaliers. Le postulant ayant reçu du
grand maître et du conseil la permission de
prendre l'habit et de faire profession, et le
jour ayant élé choisi, il se trouve à l'église,
où étant à genoux devant l'autel, vêtu d'une
longue robe cl d'un manteau à bec, qui est
l'habit de l'ordre, et ayant à la main un flam-
beau allumé, il offre au prê're son épée nue
pour cire bénite. Le prêtre la lient toute nue
en disant quelques oraisons , et, après avoir
jeté de l'eau bénite sur l'épée el sur le Che-
valier, il lui met en main celle épée nue en
lui disant : Recevez celle sainte épée au nom
du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, ainsi
soit-il, et servez-vous-en pour vôtre défense,
et de la sainte Eglise de Dieu, à la confusion
des ennemis de la croix de Jesus-Clirist el de
la foi chrétienne; et prenez garde, autant quel
la fragilité humaine le permettra, de n'en ]'a-\
mais frapper personne injustement. Que la
grâce d'en user ainsi vous soit accordée par
celui qui vit et règne avec le Père et le Saint-
Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi
soil il. On remet ensuite l'épée dans le four-
ts49
MAL
MAL
8:;o
■reau, et le prêtre la met au < ou'' du Chevalier
'qui doit faire profession, en lui disant : Met-
tez vôtre épée à vôtre coté au nom de Nôtre-
Seigneur Jesus-Christ, et souvenez-vous que ce
n'est pus tant par les armes que les saints ont
conquis des roiaumes que par leur grande foi.
Cela étant fini, le prêtre donne un baiser au
! Chevalier qui doit faire profession, lequel
ainsi orné de son épée doit s'y préparer avec
dévotion, afin qu'il puisse recevoir la grâce
de cette sainte milice. Pour cet effet, ayant
eu soin de faire une bonne confession de tous
les péchés de sa vie passée , après avoir en-
tendu la messe el reçu la très-sainte commu-
nion, étant à genoux el tenant un flambeau
de cire blanche allumé, auquel on attache
ordinairement un écu d'or, lequel flambeau
marque la charité, qui est un amour tout de
feu, se tenant ainsi avec respect devant ce-
lui qui doit recevoir sa profession, il répond
humblement aux interrogations qu'il lui fait.
Cependant le prêtre peut avant cela, s'il le
juge à propos et si le temps le permet, don-
ner au profès des avis; et, après les lui avoir
donnés, il lui demande s'il est dans la dispo-
sition de promettre non-seulement de bou-
che, mais du fond du cœur, de suivre tous les
avertissements qui viennent de lui être don-
nés. Alors le Chevalier qui doit faire profes-
sion répond : Moi, N. , jure el promets à Je-
sus-Christ , qui est Dieu, à la bienheureuse
Vierge Marie, et à suint Jean-Baptiste, que je
ferai tous mes efforts pour observer ponctuel-
lement toutes ces choses.
Manière de donner l'ordre de Chevalerie.
Avant que le prêtre lise l'évangile, le Che-
valier qui doit recevoir les vœux du profès
lui dit : Que demandez-vous ? A quoi ayant
répondu qu'il demande l'ordre de Chevalerie,
le Chevalier lui dit : L'avez-vous jamais
reçu de prince catholique ou d'autre qui eût
puissance de le pouvoir donner? Le profès
ayant répondu ce que bon lui semble, le Che-
valier continue de lui dire : C'est chose noble
et salutaire, servir les pauvres de Jesus-Christ
et accomplir les œuvres de miséricorde , et de
se députer au service et défense de la foi. Tou-
tefois vous demandez une chose que beaucoup
d'autres ont demandée et recherchée d'avoir,
et n'ont pu. Pourquoi cet ordre de Chevalerie
que demandez a coutume se donner à ceux
qui par l'antique noblesse de leur lignage le
méritent, ou vei itablemcnt à ceux qui par leurs
propres vertus s'en sont faits dignes. A celte
cause vous connaissant être tel i/ue requiert
l'ordre de Chevalerie, consentons à vôtre de-
mande, vous mettant en mémoire que ceux qui
ont de recevoir tel ordre ont d'être défenseurs
de l'Eglise, des pauvres femmes veuves et en-
fans orphelins. Promettez-vous ainsi faire?
Le profès ayant répondu : Oui, Monsieur,
le Chevalier lui donne l'épée avec son four-
reau en la main , lui disant : A celle fui que
mainteniez tout ce qu'avez promis , prenez
cette épée au nom du Père , du Fils , et du
Sainl-Esvrit. Ainsi soit-il. Le Chevalier, ti-
rant ensuite ! épée du fourreau el la donnant
en la main du proies, lui dit : Prenez cette
épée. Par son lustre elle est enflammée de la
foi; par la pointe, d'espérance, el par ses
gardes, de charité : de laquelle userez vertueu-
sement pour la défense vôtre et de la foi ca-
tholique, et ne craindrez d'entrer aux périls
et dangers pour le nom de Dieu, pour le signe
de la croix et pour la liberté de l'Eglise;
maintenant la justice el la consolation des
femmes veuves et des pauvres orphelins , car
c'est la vraie foi el justification d'un Chevalier.
C'est la vocation , l'élection et sanctification
que d'offrir l'âme à Dieu, et le corps aux pé-
rils et dangers pour son service.
Le Chevalier fait nettoyer l'épée au profès
sur son bras, puis la met au fourreau, lui
disant : Tout ainsi que mettez celte épée nette
et polie dans son four eau , ne délibérez aussi
la tirer en volonté d'en frapper personne in-
justement , ni la maculer, mais l'emploier
comme dessus: dont Dieu vous en fasse la grâce,
Ainsi soit-il. Le profès étant toujours à ge-
noux, tenant l'épée dans son fourreau , le
Chevalier la prend et la lui met au côté, di-
sant : Je vous ceins de celte epée , la mettant
à vôtre côté, au nom de Dieu tout-puissant et
de la glorieuse vierge Marie , de monsieur
saint Jean-Baptiste, nôtre patron, et du glo-
rieux saint Georges , à l'honneur duquel rece-
vrez l'ordre de chevalerie. Tout ainsi qu'avec
patience et vraie foi il fut victorieux pour
nous impétrer telle grâce envers Dieu , aussi
n'avez-vous de la tirer sans autre espérance
que de vaincre. Le profès se lève ensuite ,
tenant à la main son épée nue, qu'il ébranle
trois fois , et le Chevalier lui dit : Ces trois
fois qu'avez ébranlé l'épée en votre main, si-
gnifient qu'au nom de la sainte Trinité , avez
de défier tous les ennemis de la foi catholique
avec espérance de victoire. Dieu vous en don-
ne la grâce. Ainsi soit-il. Le profès nettoie
après cela l'épée et la remet dans le fourreau;
le Chevalier lui fait une remontrance sur les
vertus cardinales, et, ayant tiré l'épée du
même profès, il lui en donne trois coups sur
l'épaule, et lui dit : Je vous fais Chevalier, au
nom de Die i, de la Vierge Marie, de monsieur
saint Jean-Baptiste, et de monsieur saint
Georges, vigilant et pacifique en l'honneur dé
chevalerie; puis remet l'épée dans le four-
reau, et, regardant le profès, il lui donne
doucement un petit soufflet en disant : Re-
veillez-vous, et ne dormez aux affaires, mais
veillez en la foi de Jesus-Christ, et faites que
ce vous soit le dernier affront et vergogne
qu'avez d'avoir pour la cause de Jesus-Christ,
aiant la paix de Nôtre-Seigneur en vous. Il
lui montre ensuite les éperons dorés , et lui
dit : Voïez-vous ces éperons ; ils vous signi-
fient, tout ainsi que le cheval les craint se met-
tant hors de son devoir, ainsi devez-vous
craindre de sortir de vôtre rang et vœux et ne
faire mal. On vous les met ainsi dorés aux
pieds, pour être l'or le plus riche métal qui
se trouve, el comparé à l'honneur. Un autre
Chevalier les lui attache aux pieds, et il re-
tourne à sa place continuer d'entendre lo
reste de lu messe.
S5t DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
Manière de donner la croix de l'ordre.
Après la demande que le profès a faite
d'être reçu et admis dans la compagnie dos
frères de la sacrée religion de Saint-Jean de
Jérusalem, celui qui le reçoit lui dit : La de-
mande que faites a été à plusieurs refusée
pour n'être dignes d'être reçus en telle Com-
pagnie ; mais , nous confiant de vôtre pru-
d'homie et suffisance, sommes délibérés la vous
octroïer, espérant qu'avec bon zcle et charité
vous vous exercerez aux œuvres de miséricor-
des , et totallement au service de l'hôpital de
cette religion , non-seulement enrichie et am-
plifiée de bien grands privilèges , libertés ,
franchises , et immunités par le saint-sicge
apostolique, ain s encore par tous les princes
chrétiens et autres saintes personnes, afin
que tous nous autres servons audit hôpital
suions enflammés de vraie foi , espérance et
charité envers Jesus-C'ltrist. El tout ainsi que
l'on vous baille un cierge ardent en la main ,
cela vous doit signifier que devez être ardent
en icelte charité , qui est la vraie perfection
de cette vie; vous assurant que si l'exercez
d'un ardent cœur pour la défense de la foi de
Jesus-Christ, contre les ennemis d'icelle, plus
facilement il vous appellera en son roïaume ;
et â celle fin que vous ne puissiez excuser d'i-
gnorance , je suis tenu vous signifier ici en
présence .des assistons , et demander si vous
avez parfaite volonté d'en suivre la reijle ;
c'est que dès celte heure soiez préparé d'entrer
aux peines et fâcheries qu'avez de pâlir au
service de nôtre religion , et totallement vous
dépouiller de vôtre propre volonté , lu remet-
tant aujourd'hui entre les mains de tous supé-
rieurs élus en icelle, quels qu'ils soient; vous
commandant qu'àicz à leur obéir en quelque
manière que ce soit.
Le profès ayant répondu qu'il est content,
le recevant continue : Et puisqu'étes con-
tent vous dépouiller de vôtre volonté propre
et liberté, et la remettre à vos supérieurs, tout
ainsi que l'on fait de cette cire , qui se laisse
manier à ce que l'on veut, ainsi fera-t-on de
vous , et vous advise que serez contraint de
jeûner, quand aurez envie de manger, et veiller
quand aurez envie de dormir , ensemble plu-
sieurs autres peines contraires aux plaisirs et
libertés; et p >ur cela advisez bien si avez la
volonté de vous en dépouiller pour la met-
tre es mains des supérieurs de nôtre religion.
Le profès ayant répondu qu'il se soumet en-
tièrement à la volonté des supérieur-; et qu'il
se dépouille de sa liberté, le recevant lui de-
mande : 1° s'il n'a point fuit vœu dans une
autre religion ; 2° s'il n'a point consommé
mariage ou s'il n'est point (iancé avec
aucune femme ; 3" s'il u'a point de dettes
considérables auxquelles il ne peut sa-
tisfaire ; h" s'il n'a point été homicide
ou causé la mort de quelqu'un ; 5" s'il
n'est point de condition servile. Le proies ré-
pond ce que bon lui semble, et le recevant
l'atcrlitque toutes et quanti s l'ois qu'il se
trouvera convaincudeces choses, on le chas-
sera de l'ordre avec confusion; et qu'il yfasse
bien réflexion. A quoi les profès ayanl encore
852
répondu, le recevant continue dédire : Don-
ques puisque vous nous dites et assurez être
tel, et qu'êtes prest et délibéré d'être défenseur
de l'Eglise de Jesus-Christ, et servir aux
pauvres de l'hôpital de nôtre religion, vous
recevons benignement selon les formes de nos
établissemens, et lo'uuble coxUumes et non au-
trement, et ne vous promettons que pain et
eau, simple vêtement, travail et peine. Pour
lors il commande au profès d'aller prendre
le missel sur l'autel et de le lui apporter ; et,
lui faisant mettre les mains sur le canon de
la messe, le profès prononce ses vœux en la
manière suivante : Moi N. jure et promets,
et fait vœu à Tout-Puissant [à la glorieuse
vierge Marie, et à monsieur saint Jean-Bap-
tiste nôtre patron) moyennant sa grâce, d'ob-
server et garder vraie obédience à celui qui
me sera commandé de par Dieu et ma religion,
de vivre sans propre, et de garder chasteté,
ainsi qu'il convient à tous bons religieux
catholiques. Le recevant lui dit ensuite : Or
à ce que commenciez par l'obéissance, je vous
commande de reporter ce messel sur l'autel, et
qu'après qu'aurez baisé ledit autel, retourniez
ici. Le proies obéit, et le recevant continue :
Maintenant nous vous connaissons être l'un
des défenseurs de l'Eglise catholique, et servi-
teur des pauvres de Jesus-Christ de l'hôpital
de saint Jean de Jérusalem.
Cela fait, le recevant prend le manteau à
bec, et montre la crois à huit pointes au
profès, lui disant : Cette croix nous a été or-
donnée blanche en si(/ne de pureté, laquelle
devez porter autant dans le cœur comme de-
hors, sans macule ni tache. Les huit pointes
que vous voiez en iceile, sont en signe des huit
béatitudes que devez toujours avoir en vous
qui sont : 1° avoir le contentement spirituel,
2° vivre sans malice, 3° pleurer ses péchés,
4° s'humilier aux injures, 5° aimer la justice,
G" être miséricordieux, 7° être sincère et net
de cœur, 8° endurer persécution. Lesquelles
sont autant de vertus que devez graver en vô-
tre cœur pour la consolation et conservation
de vôtre ame. El pour ce je vous commande
la porter apertement cousue au côté sencslre
au droit du cœur, et jamais ne l'abandonner.
Le recevant fait ensuite baiser la croix au
profès, et lui mettant le manteau sur les
épaules, lui dit : Prenez cette croix et habit
au nom de la sainte Trinité, auquel trouverez
repos et salut de vô're ame, en augmentation
de la foi catholique, et défense de tous bons
chrétiens, pour l'honneur de nôtre Sei-
gneur Jesus-Christ ; et pour ce je vous
mets cette croix au côté senestre près du cœur
pour la parfaitement aimer, et de vôtre muin
dextre la défendre, vous commandant de ja-
mais ne l'abandonner, à cause que c'est le vrai
étendart, lianniere de nôtre religion, ni moins
vous éloigner de la compagnie de nos frères
qui l'accompagnent. Autrement vous serez
dejctléel privé de nôtre compagnie avec grand
vitupère, cumme membre puanl et transgres-
seur de nos vœux, conformément â nos éta-
blissemens. Ce manteau duquel nous vous
avons velu, est la figure du vêlement fait de
poil de chameau, duquel étoit vêtu nôtre pa-
8 ■*
MAL
MU.
854
Iran suint Jean-Baptiste, étant aa désert. Et
partant prenant ce manteau, vous financez
aux pompes et vanité* de ce monde, et vous
commande le porter en teins requis, aussi pro-
curez que vôtre corps soit enseveli en icelui,
afin qu'il vous souvienne d'ensuivre nôtre pa-
tron saint Jean-Baptiste, et que vous mettiez
toute espérance pour laremission de vos péchés
à la passion de nôtre Seigneur Jésus-Christ,
laquelle est signifiée par ce cordon, duquel il
fut lié par les Juifs. Ceci est la figure de la
colomne où il fut lié. Ceci est lu couronne
d'épines. Ceci est la lance de laquelle il eut le
côte percé. Ceci sont les paniers pour donner
l'aumône aux pauvres, et dans lesquels Virez
chercher pour eux quand vôtre bien ne pour-
ra satisfaire. Ceci est l'éponge quand on l'a-
breuva de fiel et de vinaigre. Ceci sont les
fouets desquels il fut battu. Ceci est la croix
sur laquelle il fut crucifié. Je vous l'ai mise
sur l'épaule çn remembrance delà passion sous
laquelle trouverez le repos de votre ame. Ce
joug est fort doux et suave, et par ainsi je
vou< lie ce cordon au col en signe de servitude
par vous promise. Nous vous faisons, et tous vos
païens participons de tous les biens spii ituels
qui se font et se front en nôtre religion par
toute la chrétienté. Vous serez obligé de dire
et réciter chacun jour cent cinquante Pater
noster, ou bien les heures de ISôtre-Dame, ou
les vigiles des morts. Vous serez pareillement
obligé reciter une des trois formes de prières
ci-dessus pour chacun de nos frères trépassés.
Vous demeurerez la tête nue jusques à ce que
le maître vous commande de la couvrir, et
après l'oraison et bénédiction du prêtre vous
embrasserez lotis les frères avec vôtre habit.
Avant que de manger irez foire l'obédience à
l'auberge. Le prêtre de l'ordre qui a célébré
la messe dit ensuite plusieurs oraisons sur
le nouveau profès. qui est à genoux; après
lesquelles le proies va faire l'obédience à
l'auberge avec du pain, de l'eau el du
sel, etc.
Mais peut-être qu'il n'y a jamais eu dans
cet ordre de réception plus solennelle que
celle de César, duc de Vendôme , fils natu-
rel d'Henri IV, roi de France , qui le fit re-
cevoir Chevalier de cet ordre dans son bas
âge (1). La cérémonie se lit à Paris dans
l'église du Temple, qui était magnifiquement
ornée. Le roi , l.i reine , les princes et les
princesses , les prélats et les ambassadeurs
qui étaient à la cour s'y trouvèrent. L'évê-
que de Nevers célébra pontificale ment la
messe, et fil une exhortation au duc de Ven-
dôme sur l'ordre qu'il prenait. Il fut ensuite
présenté au grand prieur de France, qui lui
fit les demandes ordinaires; mais, ne pou-
vant répondre à cause de son bas âge, le
roi descend t de son trône , et s'approcha
pour l'aider à répondre. La messe étant
achevée, le nouveau Chevalier se présenta
pour faire sa profession. Le roi s'avança et
promit que lorsqu'il aurait atteint l'âge de
seize ans, il ferait les vœux ordinaires de pau-
vreté, de chastetéct d'obéissance ; mais comme
il avait apparemment une expectative du
grand prieuré de France, le grand prieur lui
attacha devant l'estomac la grande croix de
l'ordre. La cérémonie se termina par le son
d'un grand nombre de trompettes et de haut-
bois. Le duc de Vendôme donna à dîner au
grand prieur, aux commandeurs et aux
Chevaliers qui avaient assisté à sa réception,
et le roi alla dîner chez M. Zamct. Le duc
de Vendôme ne lit pas néanmoins sa profes-
sion, et épousa, l'an 1609, Françoise de Lor-
raine , duchesse de Mercœur. Charles de
Valois, qui fut dans la suite duc d'Angou-
lême, fils naturel de Charles IX , aussi roi
de France , avait d'abord pareillement été
destiné pour l'ordre de Malte. Henri III, qui
avait succédé à Charles IX , obtint pour ce
prince du grand maître une expectative pour
le grand prieuré de France, qu'il posséda
dans la suite, et qu'il quitta pour épouser
Charlotte de Montmorenci , fille d'Henri I",
duc, pair et connétable de France.
Tous les Chevaliers de quelque rang, qua-
lité, ou dignité qu'ils soient , sont obligés
après leur profession de porter sur le man-
teau ou sur le justaucorps, du côté gauche,
la croix de toile blanche à huit pointes, qui
est le véritable habit de l'ordre, la croix d'or
n'étant qu'un ornemenlextérieur, el lorsque
les Chevaliers vont combattre contre les in-
fidèles, ou qu'ils font leurs caravanes (2),
ils portent sur leur habit une S'pra-veste ou
casaque rouge en forme de dalmatique, ornée
par-devant et par derrière d'une grande croix
blanche pleine, qui est celle des armes de la
religion. L'habit ordinaire du grand maître
(3) est une soutane de labis ou de drap, ou-
verte par-devant, et scirée d'une ceinture
où pend une bourse , pour marquer la cha-
rité envers les pauvres; et par-dessus cette
soutane il porte une espèce de robe de ve-
lours sur laquelle il y a au côté gauche et
'sur l'épaule la croix de l'ordre, qu'il porte
aussi sur la poitrine. Le manteau à bec (4)
dont nous avons déjà parlé, qui est celui
qu'on donne à la profession, est noir, et
s'attache au cou avec le cordon de l'ordre,
qui est de soie blanche et noire, où sont re-
présentés les mystères de la passion de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, entrelacés de paniers
qui représentent, comme il a été dit, la cha-
rité qu'ils doivent exercer envers les pau-
vres. Il y a à ce manteau deux manches
longues de près d'une aune, larges au haut
d'environ demi-pied, qui se terminent en
pointes, lesquelles se rejetaient autrefois sur
les épaules el se nouaient ensemble sur les
reins. 11 parait par une monnaie d'or du
grand maître Déodat Gozon qui l'ut élu l'an
1346, el par le sceau du grand maître Phil-
berl de Naillac, qui succéda à Ferdinand de
Hérédia l'an 1306 , qu'il y avait ancienne-
ment à ce manteau à bec un capuce qui y
(1) .1/ss-, de Brienne, à la bibliothèque du roi, ("i) Voy., ibid., n°204.
v.l. CC1AXIV. (4) Vo'y., ibid., n £0*
(■2) Yoy., à la fin du vul., n* 2 ô.
855
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
856
était attaché) comme on peut voir dans la
figure qui représente un ancien Chevalier
avec ce manteau à bec (1).
L'habit des Chevaliers grand-croix (2),
quand ils sont à l'église , est une espèce de
robe noire appelée clociaoa cloche, ouverte
par-devant , ayant des grandes manches,
sur laquelle, dû côlé gauche, sur la poitrine
et sur l'épaule , est la croix de l'ordre avec
le grand cordon , et une épée à leur côté.
Quand ils vont au conseil (3), ils ont une
pareille robe noire, mais fermée par-devant,
n'ayant que la grande croix sur la poitrine,
et ils n'y portent point l'épée ni le cordon.
Les frères chapelains allant par la ville (h)
sont habillés comme les ecclésiastiques, ayant
seulement sur leur soutane et sur le man-
teau au côté gauche la croix de l'ordre ; à
l'église (5) ils ont un rochet de toile, et par-
dessus un camail noir, où est aussi la croix
de l'ordre. Clément XI, à la sollicitation du
grand maître Raymond de Perellos de Ro-
cafult , qui gouverne présentement l'ordre,
a accordé à soixante chapelains de cet ordre
la permission de porter le camail violet ;
mais il n'y a que ceux qui résident à Malle
qui se servent de ce privilège; quelques-uns
en France ayant voulu porter ce camail vio-
let, l'archevêque d'Aix fui le premier qui s'y
opposa. Nous donnons aussi l'ancien habil-
lement de ces chapelains , et celui que por-
tait Raymond du Puy, premier grand maître
de cet ordre , comme il est représenté dans
d'anciennes peintures à Malte (G).
11 y a eu jusqu'à présent soixante-trois
grands maîtres, parmi lesquels il y a eu
Pierre d'Aubusson et Hugues de Loubens de
Verdale qui ont élé cardinaux. Le pape Ur-
bain VIII, en donnant le titre d'Eminence
aux cardinaux le donna aussi aux grands
maîlresde l'ordre deSaint-Jean de Jérusalem.
Les résidents de cet ordre auprès des têtes
couronnées prennent la qualité d'ambassa-
deurs, et celui qui réside à Rome ajoute à
celle qualité celle de procureur général en
cour de Rome.
Quoique toutes les commanderies de l'or-
dre de Saint-Jean de Jérusalem soient, ou
de justice, lorsqu'on les obtient par droit
d'ancienneté de réception, ou de grâce, lors-
qu'elles sont accordées par le grand maître
ou par les grands prieurs en vertu du droit
attaché à leurs dignités , comme nou9 avons
dit ci-devant, néanmoins la commanderie
de l'Ile- Verte à Strasbourg, affectée à des
chapelains de l'ordre, est élective, et le com-
znandeur a droit de porter la mitre, la crosse
et les autr«=, ornements pontificaux. Dès
l'an S 150, Wernerus, maréchal de Hune-
bourg, qui était un puissant seigneur qui
avait causé plusieurs maux aux bourgeois
de Strasbourg, touché de repentir, et vou-
lant se convenir à Dieu, se réconcilia avec
ces bourgeois, et obtint d'eux un lieu ap-
pelé l'Ile-Verle, hors des murs de la ville,
où il fil bâtir une église sous le nom de la
(1) Voi/., à h lin du vol., n* 2CG.
(■J.) Voij., iliid., n" 207.
(.5} Voy., ibid., n" i s.
Sainte-Trinilé. Pendait près de deux siècles,
le service divin ne fut point interrompu dans
cette église; mais vers l'an 13G7, elle était
abandonnée et tombait en ruine , lorsque
Rusman Merswin, d'une famille noble de
Strasbourg, l'acheta, la fit rebâtir, y joignit
des bâtiments et des jardins , et y mit pour
la desservir quatre prêtres séculiers , avec
la permission du pape et de l'évêque de
Strasbourg. Quelque temps après il la donna
à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, à con-
dition que des frères chapelains de cet ordre
y feraient à perpétuité l'office divin. Cette
donation fut acceptée par Conrad de Bruns-
berg, grand prieur d'Allemagne, l'an 1371, et
confirmée dans la suite par le grand maître
Raymoud Bérenger, et par le chapitre géné-
ral. Ce grand pripur, par ordre du grand
maîlre, donna l'habit de l'ordre et la croix à
Rusman Merswin et à ses compagnons, qui
furent reçus au nombre des religieux de cet
ordre. Merswin, selon Bosio dans son His-
toire de l'Ordre de Malle, prit néanmoins
un habit différent de celui des chapelains de
l'ordre; car il dit que celui des novices élait
semblable, quant à la forme, à celui des
avocats consistoriaux et des cubiculaires
apostoliques à Rome, et qu'à leur profession
on leur en donnait un semblable à la clocia
ou robe que portent les chevaliers grands-
croix de l'ordre ; que sur cette robe ils met-
taient un manteau, et sur ce manteau une
mozelte. Rusman Merswin ajouta à l'église
de la Sainte-Trinité une autre église qu'il
fit bâtir, et qui fut dédiée en l'honneur de
saint Jean-Bapiiste. Il mourut l'an 1382, le
18 juillet, étant âgé de soixante-quatorze
ans. Le grand prieur Conrad de Brunsberg
choisit aussi sa demeure ordinaire à l'Ile—
Verte, dont il est reconnu le principal bien-
faiteur, les revenus les plus considérables
dont jouit encore celte commanderie prove-
nant de ses libéralités ; mais il mourut à
Cologne le 10 décembre 1390, et fut enterré
dans l'église de la commanderie de Saint-
Jean et de Sainte-Cordule.
La piété des fidèles augmenta les revenus
de la commanderie de l'Ile-Verle, qui de-
vaient être autrefois très-considérables, puis-
que, nonobstant les pertes qu'elle a souffer-
tes par les guerres et par l'hérésie que la
ville de Strasbourg avail embrassée, ils se
montent encore à présent à près de douze
mille livres. Quelques-uns ayant voulu dé-
membrer quelque chose de la fondalion ,
Hugues de Sari, grand prieur de France, qui
avait été nommé avec quelques chevaliers
par le grand maîlre Antoine Fluvian pour
faire la visite de l'ordre en Allemagne, as-
sembla à nie-Verte le chapitre de la pro-
vince l'an 1454, et ordonna que la fondalion
de celte commanderie, qui était du nombre
des maisons exemples, demeurerait en son
entier, de peur, dit ce grand prieur dans lo
décret qu'il fit, que cet unique signe de l'ob-
servance de la religion de Saint-Jean de Jé-
(i) Voi/., ibid., n«209.
( \ Vo'ij., iliid., n" 210.
(li) Voy.. ibid., ii°B ail ei2!2.
857 MAL
rusalem ne fût obscurci. Cet orage, étant
dissipé, la réputation des religieux de celle
comthanderie se répandit de tous cotes ; plu-
sieurs personnes ecclésiastiques et laïques,
et même des Chevaliers de l'ordre voulurent
demeurer avec eus, l'on augmenta les bâli-
;nients, qui étaient très-spacieux.
Plusieurs cardinaux légats , des nonces
apostoliques, des archiducs, des princes, et
même l'empereur Maximilicn Ier, qui, l'an
1501, et dans les années suivantes, vint plu-
sieurs fois à Strasbourg avec une suite nom-
breuse, y ont fait aussi leur séjour pendant
le temps qu'ils ont demeuré à Strasbourg.
L'empereur Maximilicn confirma la fonda-
tion de cette commanderie, ce qu'a fait aussi
l'empereur Charles V et quelques-uns de ses
successeurs.
Le sénat de Strasbourg, dans une lettre
qu'il écrivit au grand maître de l'ordre, l'an
1Ï78, lui parla avec éloge de l'observance
régulière que l'on pratiquait dans celle com-
manderie, et le pria de ne pas souffrir que
l'on en diminuât rien; mais les magistrats
qui composaient le même sénat, vers l'an
1523. furent d'un sentiment bien contraire à
celui de leurs prédécesseurs. La ville de
Strasbourg ayant embrassé l'hérésie de Lu-
ther et les opinions des nouveaux sectaires,
ils voulurent contraindre tous les ecclésias-
tiques et les religieux à suivre leur perni-
cieux exemple. Pour y obliger les chapelains
de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem de la
commanderie de l'Ile-Verte, ils les chargè-
rent de grosses impositions, ils leur défendi-
rent de recevoir des novices, ils voulurent
les empêcher de dire la messe et de prêcher;
et, afin que les catholiques ne pussent pas
entrer dans leur église, ils mirent des soldais
aux portes, obligeant les religieux de leur
payer leur solde, et de nourrir à leur table
les officiers. Nonobstant ces persécutions, ces
religieux ne laissèrent pas de faire l'office
divin dans leur église; ils établirent le no-
viciat à la commanderie de Schélestadl, qui
dépend de celle de l'Ile-Verte, et les anciens
furent réduits à deux seulement, n'y ayant
plus que le commandeur et le sacristain qui
restèrent à l'Ile-Verte. Cette persécution
fut modérée ; les catholiques de Strasbourg
et les étrangers eurent permission de faire
l'exercice de leur religion dans la comman-
derie de l'Ile-Verte, n'y ayant que cette seule
église qui leur fût accordée; mais on limita
le pouvoir des religieux, qui n'y purent ad-
ministrer les sacrements de baptême et de
mariage ; on leur défendit de faire le caté-
chisme, et ii ne leur était pas permis de
porter le saint viatique aux malades, même
secrètement , sans s'exposer à de grosses
peines et à être mis en prison.
Ils furent plus perséculés l'an 1633 : les
magistrats signifièrent le lu' janvier, vieux
sty le, un ordre au commandeur d'aller de-
meurer le même jour avec les religieux et
les domestiques dans la maison de la prévôté
de Sainl-l'ierre-le-Jeune , avec permission
ie faire l'exercice de la religion catholique
laus 1 église du monastère de la Madeleine
MAL 858
des sœurs Pénitentes, qui étaient les seules
religieuses que l'on avait tolérées dans la
ville de Strasbourg, et qui étaient fort éloi-
gnées de Saint-Pierre le-Jeune. On leur dé-
fendit de rien emporter de la commanderie
de l'Ile-Verte, et on leur promit que tout
ce qu'ils laisseraient leur serait fidèlement
gardé. L'ordre pour faire sortir ces religieux
le même jour, fut exécuté avec beaucoup de
rigueur. Ils furent conduits à SaintPierre-
le-Jeune au milieu d'une troupe de soldats
et insultés par la populace; mais la pro-
messe qu'on leur avait faite de garder fidè-
lement ce qu'ils laissaient à l'Ile- Verte ne
fut pas tenue; car, le 18 mars de la même
année, l'on commença à démolir la com-
manderie et le couvent, et la veille de la fêle
de saint Jean-Baptiste, l'église fut entière-
ment abattue, les meubles furent abandon-
nés au pillage, et les magistrats refusèrent
aux religieux quelques tuiles qu'ils deman-
daient pour réparer la couverture de quel-
ques maisons qu'ils avaient hors leur com-
manderie. On ordonna au commandeur de
remettre entre les mains des échevins les
clefs des archives, et on lui fil une nouvelle
défense de recevoir des novices. Le comman-
deur en porta ses plaintes à la cour impé-
riale et à la diète de l'Empire; mais ses
sollicitations et la recommandation même
du roi de France Louis XIV, qui demandait
pour eux quelque dédommagement aux ma-
gistrats, furent inutiles. Ce ne fut qu'après
la paix de Westphalie, qui fut conclue l'an
16i8, qu'on leur permit de retourner à l'Ile-
Verle, où ils firent réparer le peu de bâti-
ments qui y restait; mais, n'ayant point
d'église, ils furent toujours obligés d'aller
faire l'office divin dans celle du monastère
de la Madeleine, qui était éloignée d'une
demi-lieue.
Enfin, l'an 1681, la ville de Strasbourg
s'élant soumise à l'obéissance du roi de
France, le commandeur de l'Ile-Verte fil as-
signer les magistrats au conseil supérieur
d'Alsace pour être dédommagés des torts
qu'on leur avait faits, à quoi les magistrats
lurent condamnés par un arrêt du 11 juillet
1685. Mais ces magistrats ayant eu recours
au conseil d'état du roi, Sa Majesté porta les
uns et les autres à un accommodement qui
fut fait entre eux par l'entremise de M. de la
Grange, intendant d'Alsace; et, par la tran-
saction qui fut passée l'an 1687, les magis-
trats donnèrent au commandeur et aux reli-
gieux de l'Ile-Verte l'église et le monastère
de Saint-Marc, qui avaient autrefois appar-
tenu à des religieuses de l'ordre de Saint-
Dominique, situés dans un des faubourgs de
Strasbourg, et réciproquement le comman-
deur et les religieux cédèrent aux magistrats
l'Ile-Verle et le reste des bâtiments qui sub-
sistaient. Cette transaction fut confirmée par
le grand maître , et par ce moyen les reli-
gieux de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
sont en possession du monastère de Saint-
Marc, et on leur a donné le soin d'une euro
pour tout le faubourg de la Porte de Saint-
Pierre.
SS9
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
SGU
Nous avons dit que la commanderic de
Schélestadt dépendait de celle de f Ile-Verte.
C'était autrefois une commanderie qui devait
être possédée par un chevalier; mais elle se
trouva tellement endettée dans le xive siècle,
que le grand-prieur et le chapitre provincial
d'Allemagne qui se tinta Heimbach proche
Landau, l'an 1399, la donnèrent au comman-
deur et au couvent de File-Verte, à condi-
tion qu'ils y entretiendraient deux chapelains
pour y faire l'office divin ; ce qui fut confirmé
par le grand maître Philbert de Naillac l'an
lil7. Le commandeur et le couvent de l'Jle-
Verte, après en avoir acquitté les dettes, la
firent rebâtir. Elle souiïnt beaucoup lors-
que la ville fut assiégée par les Suédois , et
les religieux en ont cédé depuis une partie
pour faire les nouvelles fortifications.
Le commandeur de l'Ile-Verle est élu par
les religieux de la commanderie. 11 se sert
d'ornements pontificaux par un privilège
qui lui a été accordé par le Pape Clément
VIII l'an 1596, et il donne la tonsure et les
quatre mineurs à ses religieux. II a séance
dans les chnpilres provinciaux d'Allemagne
immédiatement après le grand-prieur ; et,
lorsqu'il n'y peut aller en personne, le pro-
cureur qu'il y députe prend son rang après
le dernier chevalier au-dessus des autres
chapelains de la province. II y a ordinaire-
ment neuf chapelains dans la commanderie
de l'Ile- Verte av< c le commandeur , et deux
dans celle de Schélesladt. Ils sont présente-
ment habilles comme les autres chapelains
de l'ordre. Le grand prieur d'Allemagne a
droit de visite tous les dix ans dans ces deux
commanderies : M. Kebel en est présente-
ment commandeur, et c'est lui qui nous a
envoyé les mémoires dont nous nous sommes
servis, et qui nous ont été procures par M.
de Corberon, premier président du conseil
d'Alsace.
Voyez Giacomo Bosio. Hist. ciel Orcl. di
S. Giovanni Gierosolimitano, secuncl. eclit.
Là même traduite par. Baudouin. Juan Au-
gust. De Runes, Cltronica de la Religion de
Saint-Juan de Jérusalem. Henric. l'enlaleo,
Hist. Milit. Ord. jp'annitarttm. Rltod. et
Melit. Equit. Girolarno Maruli. Vit. de
Grand-Maestri di M alla. Francisco Abela,
Descrittion di Mal ta. Jacob Fonlaiius, De
Bello Rliodio. Matthieu de Goussancourl,
Martyrologe de Malte. Naberaî, Privilèges
octroyés à l'ordre de Malle. Le chevalier
Lambert , Recueil des mêmes privilèges. Le
commandeur Descluseaux, Recueil des mânes
Privilèges. Gaspar de Montoya, Stabilimenta
Miiilum saeri ord. de Sancio Joanne Jeroso-
lijm. De Pougé , Instructions sur les devoirs
des Chevaliers de Malte. Fav in , Théâtre d'hon-
neur et de chevalerie. Bernard Giusliniani ,
Hist. Chronolog. de gli Ord. milit. Scliooue-
beck, llist. des Orcl. militaires.
Dans le cours du xvnr siècle, l'ordre de
Malte figura de plusieurs façons, soit dans les
choses religieuses, soit en politique, etc. Nous
citerons quelques traits que nous allons indi-
quer, plutôt que détailler: nous commençons
oar les démêles de l'ordre avec l'iiuiuisition.
Ces troubles arrivèrent sous le grand maître
Baimond Pérellos, en 1711.
Le tribunal de l'inquisition, introduit dans
l'île de Malle par le pape Grégoire X1I1, y
fut d'abord souffert en paix, et la commis-
sion fut, en premier lieu, conGée à l'évêque.
Quelque temps après , l'inquisiteur fut un
officier de la cour de Borne, auquel on avait
prescrit de ne procéder que conjointement
avec le grand maître, l'évêque, le prieur de
l'église et le vice-chancelier. On ne prévit
pas que les inquisiteurs pourraient dans la
suite se rendre, pour nous servir des termes
du Mémoire présenté à Louis XIV, se rendre
non-seulement indépendants, mais insuppor-
tables à une milice formée du sang le plus no-
ble du monde chrétien, et dont l'ordre est re-
vêtu du caractère de souverain sur ses sujets.
L'inquisiteur Delci, qui avait porté ses pré-
tentions jusqu'à demander que le carrosse du
grand maître s'arrêtât à la rencontre du sien,
ne crut pas devoir souffrir que Vinfirmerie de
la religion fût plus longtemps exempte de sa
juridiction. Il faut que nous rappelions ou
que nous apprenions au lecteur que l'inûr-
merie de la religion était le lieu le plus pri-
vilégié de l'ordre; le maréchal de l'ordre lui-
même n'y pouvait entrer sans laisser à la
porte son bâton de commandant. Ce lieu pri-
vilégié et confié à la garde des Chevaliers
français les plus zélés pour leur liberté, na
reconnaissait d'autre autorité que celle du
grand hospitalier. Tout autre, de quelque
qualité qu'il soit, ne peut y entrer sans lais-
ser à la porte les marques de sa dignité. Les
officiers de l'inquisition y entrèrent par sur-
prise, le 7 décembre 1711, et commencèrent
à y faire des actes de visite. Le commandeur
d'Avernes de Bocage, infirmier, averti de
celte entreprise, vint promptement s'y op-
poser, les lit sortir sur-le-champ, et protesta
de nullité contre tout ce qu'ils avaient pu
faire en son absence.
Le grand maître envoya le grand prieur
Zondondari en qualité d'ambassadeur de la
religion pour représenter au pape les pré-
tentions de l'inquisiteur qu'ils qualiûentd'in-
justes. L'infirmier lui-même vint en Franco
pour instruire le roi, qui en écrivit vivement
au pape pour l'engager à désavouer les en-
treprises du député romain. L'inquisiteur in-
culpé ne parut pas très-affecté de ces ru-
meurs et de ces plaintes , car dès l'année
suivante, Zondondari, ambassadeur extraor-
dinaire à Borne, renouvela l'expression de
ses griefs contre cet inquisiteur, qui par des
patentes accordées à un grand nombre de
Mallais, prétendait les exempter de l'obéis-
sance due à leur souverain, chose en quoi
nous ne pouvons l'excuser comme dans la
première.
Pendant le cours de ce siècle, la religion,
expression consacrée pour designer l'ordre
de Malle, montra son zèle accoutumé poul-
ie service de la chrétienté et la libération des
esclaves. Elle en rendit, à diverses reprises,
un gr.md nombre à leurs familles, eut plu-
sieurs avantages sur les vaisseaux ou les
corsaires algériens, et conclut avec Coustun-
S61
MAL
MAL
S02
tinople une trêve de vingt ans, basée sur six
articles fort avantageux aux Maltais, aux
esclaves et à l'Eglise.
ïn 1725, Benoit XIII voulut donner au
grand maître et à tout l'ordre de .Malte une
preuve éclatante de son affection. Il dépêcha
•à Malte un de ses camériers d'honneur pour
'présenter au chef de la religion l'estoc et le
casque bénits solennellement à la fête de
Noël. L'estoc est une épée d'argent doré,
longue d'environ cinq pieds. Le casque est
une espèce de bonnet de velours-pourpre,
brodé d'or, garni d'une figure du Saint-Es-
prit, en perles. Ce noble présent fut reçu
comme il le méritait, et le grand maître y vit
un encouragement à la vertu et à l'esprit de
son ordre.
Quoique les chevaliers de Malte eussent
gardé en général l'esprit de leur institut, on
peut facilement soupçonner qu'il avait été
néanmoins un peu altéré par l'esprit du
temps au dernier siècle. On en put voir la
preuve dans une circonstance que nous allons
mentionner ici. On sait combien l'archevêque
de Paris, M. de Beaumont, eut à souffrir des
entreprises de la philosophie, de l'irréligion
et du jansénisme L'ordre de Malte lui donna
un sujet de peine, en secondant, d'une ma-
nière indirecte du moins, une momerie ou
singerie des cérémonies religieuses. Crébillon
mourut en 1762. Les comédiens français, en
dépit de l'archevêque, qui n'eût point donné
l'autorisation qu'ils auraient voulue, Grentcé-
lébrer, le 6 juillet, un service solennel pour
le défunt, dans l'église de Saint-Jean de La-
tran, à Paris, dont le curé n'était point sujet
de l'archevêque, mais sous la juridiction de
l'ordre de Malte. Tout Paris s'amusa de celte
farce indécente. L'archevêque fil îles repro-
ches à l'ordre de Malle de ce scandale donné
dans une église de l'ordre. Il se tint, le jeudi
15 juillet, un consistoire chez l'ambassadeur
de l'ordre; on y dévida que, pour éviter de
perdreundroiidontM.de Beaumont faisait
des plaintes amères, le curé de Saint-Jean de
Latran, quoique soustrait à l'ordinaire, par
les privilèges de l'ordre, recevrait une puni-
tion du scandale donné à l'Eglise de Paris, en
communiquant avec des histrions, foudroyés
tous les huit jours au prône sous le bras ec-
clésiastique. En conséquence ce curé fut con-
damné à trois mois de séminaire et à deux
cents francs d'amende envers les pauvres.
Nous avons dit à l'article des religieux de
Saint-Antoine de Viennois [Voy. Antonins,
tome 1", 205), que cet institut, pour éviter la
ruine dont il était menacé au dernier siècle,
s'était réuni canoniquemenl à l'ordre de
Malte, en 1775. Cette réunion fut fort blâmée
dans l'assemblée du clergé de France, avant
qu'elle fût effectuée.
Les chevaliers de Malte abusèrent de leur
puissance après celte réunion, en dépouillant
l'abbaye chef-lieu de Saint-Antoine. Les An-
tonins virent l'imprudence qu'ils avaient
commise, s'en repentirent et se plaignirent,
(1) Lacroix des frères servants d'armes différait
ile celle îles Chevaliers; nous eu donnerons la ligure,
lians l'article que notre volume de supplément cou-
le 20 juillet 1780, au clergé de France alors
réuni et qui signa une réclamation contre la
réunion des deux ordres. Plaintes et récla-
mations, tout fut inutile. L'ordre de Malto
resta pauvrement enrichi des quarante-deux
maisons données par les Antonins; la révo-
lution vint bientôt tout engloutir.
Dès le commencement du dernier siècle,
le nombre des servants d'armes était bien di-
minué; il intervint même un décrel qui, jus-
qu'à nouvel ordre, en suspendait la réception.
Nous ignorons si ce nouvel ordre fut jamais
donné (i).
Au commencement de 17G8, les Jésuites
furent chassés de Parme. Pinto, grand maî-
tre de Malle, était feudataire du royaume de
Naples. Les cours d'Espagne et de France
obligèrent celle des Deux-Sicilcs à poursui-
vre l'institut proscrit jusque sur le rocher qui
servait de boulevard aux plus célèbres che-
valiers de la chrétienté. Le lâche et miséra-
ble ministre napolitain, Tanucci, s'empressa
d'obtempérer. Le 22 avril 17(58, le grand
maître, sous l'influence de la peur, rendit un
décret par lequel, cédant aux sollicitations
du ministre napolitain, il bannissait de l'île
la Compagnie de Jésus. Les Chevaliers en fu-
rent, hélas I bientôt bannis eux-mêmes et
peut-être pour toujours. Voici en abrégé
l'histoire de leur expulsion due aux mesures
iniques de Buonaparte et à la trahison du
dernier grand maître qui ait régné à Malte.
Ce grand maître, Ferdinand de Hompesch,
naquit à Dusseldorf, le 9 novembre 17i'i-,
vint à Malte à l'âge de douze ans, et fui suc-
cessivement page du grand maître, grand-
croix, minisire de la cour de Vienne auprès
de son ordre, et succéda, en 1797, au su«
périeur général de son ordre. Il fut le pre-
mier All/mand qu'on eût vu à la tète de
l'ordre de Malte. Les idées révolutionnaires
avaient fait irruption jusque dans celte île.
Hompesch était loin de les approuver, mais
la faiblesse de son caractère l'empêcha de les
éloigner des emplois que la nullité de son
prédécesseur leur avait abandonnés. Aussi,
lorsque Buonaparte, en juin 1798, se pré-
senta devant l'île, ce boulevard de la chré-
tienté était dans les mains de Chevaliers par-
jures, gouvernant au nom du souverain le
plus faible qui eût encore, porté le barre to ne.
Des complots de trahison, que partageai nt
les Chevaliers, et surtout le commandeur lios-
redon, secrétaire du trésor, amenèrent celui-
ci à se rendre auprès du général Buonaparte
et à signer pour son ordre une honteuse ca-
pitulation. Le grand maître, qui avait tout
laissé faire, n'eut plus qu'à se soumettre.
Quelques jours après celle capitulation, Buo-
naparte, se promeuant autour des remparts
de la Valette , en admirait la construction
et la force. « Il faut convenir, lui dit un de
ses aides de camp, que nous avons ôle bien
heureux qu'il se soil trouvé du monde dans
cette ville pour nous en ouvrir les portes. »
On ne peut se figurer quelie bassesse le grand
saciera aux Chevaliers île Malte dans leur étal actuel,
ainsi que la ligme de. la bannière de l'ordre.
803
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
maître destitué mit à écrire et à témoigner
sa soumission et même sa reconnaissance au
citoyen Ruonaparle. Tout fut inutile, le vain-
queur fit disparaître tous les insignes de l'or-
dre; le grand maître partit et mourut mal-
heureux en 1803. Malte, aujourd'hui soumise
aux Anglais, doit sa chute à Buonaparte.
L'ordre ne fut pas éteint par cette défection.
Voici la liste chronologique de ses grands
maîtres.
1. Gérard (le bienheureux), natif de Mar-
tigues, en Provence, directeur de l'hôpital
établi a Jérusalem, après la conquête de celte
ville par Godefroi de Bouillon, en 1099, est
regardé communément comme le premier
grand maître de l'ordre des Hospitaliers au-
jourd'hui nommé ordre de Malle; il meurt
en 1118.
2. Brocard-Roger, omis dans l'histoire de
Malle, meurt en H31.
3. Raymond-dù-Puy, ou Dclpuech, cru du
Dauphiné, meurt en 1160.
4. Auger de Balben, aussi du Dauphiné,
meurt en 1103.
5. Arnault de Comps, compatriote, meurt
en 1167.
6. Gilbert de Sailly, ou selon d'autres de
Sully, d'une maison de Picardie, a abdiqué
en 1169.
7. Gaston ( inconnu ) n'a rien fait de re-
marquable, meurt à la même année, 1169.
8. Joubert, né en Syrie, meurt en 1179.
9. Roger do Moulins ou des Moulins,
meurt en 1187.
10. Gantier de Napoli, en Syrie, meurt en
1188. J
H. Ermengard d'Apt ou de Daps, meurt
en 1192. l
12. Geoffroy de Duison, meurt en 1194.
13. Alphonse de Portugal a abdiqué la
même année, 1194.
1'*. Geoffroy le Rai, Français, meurt en
1206.
15. Guérin de Montaigu, de l'Auvergne,
meurt en 1250.
16. Bertrand de Texis , -ou peut-être Le
Texier, décédé en 1240.
17. Guérin ouGuarin (inconnu), meurt en
1213. '
18. Berlrand de Comps , du Dauphiné ,
meurt en 1244.
19. Pierre de Willebride, meurt en 1251.
20. Guillaume de Châteauneuf, Français
d'origine, meurt en 1260.
21. Hugues deRevel, du Dauphiné, meurt
en 1279, ou selon d'aulres en 1278.
22. IVïcolas de l'Orgue, meurt en 1288.
23. JeandeVilliers ou de Villers, Français,
meurt en 1294.
24. Odon, ou Hugues, ou Eude de Pins, Pro-
vençal, meurt en 1298.
25. Guillaume de Yillaret, anciennement
'de Villeroc, de la Provence, meurt en 1308.
A Rhodes, après la conquête de l'île.
26. Fouques de Villaret, sous qui se fait la
conquête de l'île de Rhodes, le 15 août 1310,
abdique en 1323.
27. Maurice de P ignac, 1323 à 1326.
8C4
28. Hélion de Villeneuve, Provençal, meurt
en 1348.
29. Adeodad Gozon, meurt en décembre
1353.
30. Pierre de Cornillon, Provençal, meurt
en 1355.
31. Roger de Pins, de la province de Lan-
guedoc, meurt en 1365.
32. Raymond Béranger, du Dauphiné,
meurt en 1373.
33. Robert de Juliac, Français d'origiue,
meurt en 1376.
34. Jean-Ferdinand de Heredia , Arago-
nais, meurt en 1379.
35. Richard Cararcioli, Napolitain, 1383.
36. Philibert de Nuillar, Gascon, meurt en
1421.
37. Antoine Flurian, ou de la Rivière, Ca-
talan, meurt en 1431.
38. Jean de Lassie, Auvergnat, meurt en
mai 1454.
39. Jacques de Milly, compatriote, meurt
en 1457.
40. Pierre Raymond Zacosta, Castillan,
meurt en 1476.
41. Jean-Baptiste Orsini, Romain, meurt
le 8 juin 1486.
42. Pierre d'Aubusson de la maison de la
Feuillade, et depuis C....d, meurt le 30 juil-
let 1503.
43. Emery d'Amboise, frère du cardinal,
meurt le 3 novembre 1512.
44. Guy de Blanchefort, Limousin, meurt
le 24 novembre 1513.
45. Fabrice Caretlo, Italien, meurt enl521.
A Malte.
46. Philippe de Villiers de l'Ile-Adam,
Parisien, sous qui l'ordre perd Bhodes en
1522, et s'établit à Malle en 1530, meurt la
21 aoûl de l'an 1534.
47. Perrin du Pont, Piémonlais, meurt en
1535.
48. Didier de Saint-Taille, Toulousain ,
meurt en 153G.
49. Jean de Homèdes, Aragonais, meurt l«
6 septembre 1553.
50. Claudedela Sangle, neFrançais, meurt
en 1557.
51. Jean Vallet de Parisot, appelé à tort do
la Valette, Languedocien, meurt le 21 aoûl
1568.
52. Pierre Guidalotti de Monté, Italien,
meurt en 1572.
53. Jean L'Evèque de la Cossière, Auver-
gnat, meurt le 20 décembre 1581.
54. Hugues de Loubens de Verdale, Pro-
vençal, et depuis C..., meurt le 12 mai 1595.
55. Martin de Garzez, Aragonais, meurt
en 1601.
56. Alphonse de Wignacourl, Champenois»
meurt le 14 septembre 1622.
57. Louis .Mandes de Wasconcellos, Por-
tugais, meurt le 6 mars 1623.
58. Antoine de Paule, Provençal, meurt le
10 juin 1636.
59. Paul de Viniimille-Lascaris, Caslilla»,
meurt le 14 août 1657.
SCS
MAL
MAL
.son
! GO. Martin de Reling, Navarais, meurt le
6 février I GGO.
61. Annet de Clermont-Chaltes de Gcssan,
Dauphinois, mort le 2 juin 16G0.
G2. Raphaël Cotoner (de l'île Mayorque ),
meurt en octobre 1063.
G3. Nicolas C. Cotoner, frère du précédent,
meurt en 1G80.
64. Grégoire CaralTe, Napolitain, meurt le
21 juillet 1690.
65. Adrien de Wignacourt, neveu d'Al-
phonse, meurt le 4 février 1G97.
66. Remond Percllos de Hocafull, Arago-
nais, meurt en 1720.
67. Marc-Antoine Zondondari, Siennois,
meurt le 16 juin 1722.
68. Antoine-Manuel de Vilhena, Portugais,
meurt le 12 décembre 1736.
69. Remond d'Espuig, de l'île Mayorque,
meurt le 18 lévrier 1741.
70. Emmanuel Piuso , Portugais , né en
1681, élu en 1741, meurt en 1774.
71. François-Emmanuel de Rohan, de la
vénérable langue de France, né le 19 avril
1725, élu grand maître le 12 novembre 1775.
72. Hompesh, sous qui Malte capitule en
1798, abdique en 1799.
Ce dernier, arrivé à Trieste, fit d'inutiles
protestations contre une capitulation qu'il
n'avait ni stipulée ni ratiliée, mais à laquelle
il n'avait pas eu le courage de s'opposer.
Quelques mois plus lard, cédant aux instan-
ces de la cour de Vienne, pressée elle-même
par la Russie, il abdiqua en faveur de Paul Pr,
empereur schismatique, comme si la politique
pouvait disposer ainsi d'un ordre religieux.
L'ordre ne fut pas aboli par la mort obs-
cure de Hompesch ou Hompesh, il eut un
successeur en Sicile. Après la restauration
des divers Etals en Europe, à la paix conti-
nentale de 1814, des vues, des plans, furent
formés sur l'ordre de Malle. Nous lui consa-
crerons un article dans notre supplément et
nous ferons connaître son état de régénéra-
tion, ou, si l'on veut, d'humiliation actuelle.
VuyezMA.LiK au Supplément.
Mémoires secrets pour servir à l'histoire de
la république des lettres..., tom. 1"; Mémoire
sur l'état religieux et sur la commission éta-
blie pour les Réguliers. — Histoire des cheva-
liers Hospitaliers... de Malte, par M. l'abbé
deVertot. — Histoire des Chevaliers.. .de M aile,
tome Vlll, par Lefèvre, avocat, 1832. B-d-e.
MALTE (Des Religieuses Hospitalières
de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem,
dites de).
§ Ier Leur origine.
L'institution des Religieuses Hospitalières
de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem est
aussi ancienne que celle des Hospitaliers du
même ordre dont nous avons parlé dans les
articles précédents ; car dans le même
temps que l'on bâtit à Jérusalem l'hôpital
proche l'église de Sainte-Marié la Latine,
qui était destiné pour les hommes, et dont
Gérard eut la conduite, on en bâlit aussi un
nuire pour les femmes à côté de la même
église, et on le dédia eu l'honneur de saiule
Marie-Madeleine. La bienheureuse Agnès,
dame romaine, en était supérieure, lorsque
la ville de Jérusalem fut prise par les chré-
tiens sur les infidèles, l'an 1099, et on y ob-
servait les mêmes règlements que dans celui
des hommes. Les historiens de cet ordre
n'ont point marqué ce que devinrent ces re-
ligieuses après que la ville de Jérusalem eu,
été reprise par Saladin, soudan d'Egypte,
l'an 1187. Mais l'année suivante la reine
Sanche, fille d'Alphonse, roi do Caslille , qui
se disait empereur des Espagnes, et femme
d'Alphonse 11, roi d'Aragon, surnommé le
Chaste, fonda à Sixène un monastère de cet
ordre pour de pauvres demoiselles qui y
devaient être reçues sans dot. Ce lieu, qui est
situé entre Saragosse et Lérida, appartenait
à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et dé-
pendait de la châtellenie d'Emposte. Cette
princesse l'obtint de dom Garcias de Lisa
pour lors châtelain d'Emposte, à qui elle
donna en échange des terres dans le terri-
toire de Tarragone. Elle fil faire de superbes
bâtiments qui furent achevés l'an 1190, et
les religieuses y ayant été établies, elle leur
donna la règle des Hospitaliers de cet ordre,
à laquelle elle ajouta beaucoup de choses
tuées de celle de saint Augustin ; ce qui fut
approuvé, non sans beaucoup de difficulté,
à cause des additions qui avaient été faites à
la règle par Raymond Bérenger , proviseur
de l'ordre, et confirmé, l'an 1193, parle
pape Célestin III, par une bulle dans laquelle
il semble insinuer que ces religieuses suivent
la règle de saint Augustin ; car on y lit ces
paroles : lmprimis siquidem statuenles, ut
ordo Canonicus, qui secundum Deum et beati
Augustini régulant in eodem loco noscitur in-
stituais, perpetuis ibi ttmporibus inviolabili-
ter observetur.
Ce monastère est comme une forteresse où
il y a un très-beau palais pour la prieure. II
y a au fond de la salle où elle donne ses au-
diences une eslrade élevée sur plusieurs de-
grés et couverte de lapis, avec vingt-cinq ou
(rente carreaux de velours cramoisi pour
asseoir ses dames assistantes. Il y a près de
soixante religieuses dans ce monastère, qui
ont chacune leur apparlement séparé pen-
dant le jour, mais elles mangent en com-
mun, et dorment dans un même dortoir. 11 y
a aussi un grand nombre de servantes d'of-
fice qui ne font point de vœux, et quinze
données qui portent la demi-croix, à cause
des services qu'elles ont rendus.
La reine Sanche, après la mort du roi son
mari, se retira dans ce monastère avec la
princesse Douce, sa fille, et elles y prirent
toutes deux l'habit, avec quelques autres
princesses du sang royal. La princesse Blan-
che, fille de Jacques II, roi d'Aragon, y prit
aussi l'habit , et en fut prieure; et comme
elle était encore fort jeune , on lui donna
sept religieuses pour être toujours avec elle :
l'une était la custode, qui recevait les étran-
gers , et faisait les honneurs et les affaires
particulières de la prieure ; une autre était
la camérière, qui la servait dans sa chambre;
Une était coupière, qui lui servait à boire;
SG7
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
8GB
une aulrc avait la qualité de repotteria ou
sommelière, el les attires la servaient à lable
et aux autres t.fiïces de la maison : ce qui a
depuis passé eu coutume, les prieures de
Sizène ayant toujours eu les mêmes offi-
cières.
La sous-prieure gouverne le chœur, le
dorloir, et a soin des revenus et des distri-
butions. L'égard ou conseil est composé de
religieuses que l'on appelle las senoras del
Esguartt, et qui portent la croix un peu plus
grande que les autres, l'une desquelles est la
sous-prieure ; mais la plus ancienne y pré-
side. Lorsque la prieure meurt, on lui fait
des obsèques fort solennelles pendant sept
jours , après lesquels on rompt le sceau de
ses armes, et les religieuses élisent une autre
prieure. Le châtelain d'Lmposte, ou un com-
mandeur de l'ordre se trouve au temps de
l'élection: Il mène la nouvelle prieure dans
son siège, et la met en possession de l'église
et de son palais. Les filles qui sont reçues
sont obligées de faire preuves de noblesse
comme les Chevaliers, ce qui se pratique
aussi parmi les religieuses de quelques au-
tres monastères de l'ordre; mais il faut que
celles d'Aragon et de Catalogne soient de
maisons si notoirement nobles et illustres ,
qu'elles n'aient pas besoin de faire de preu-
ves. Elles sont reçues par l'égard sans dot,
el la prieure, à son avènement, en reçoit une
qui s'appellede grâce. Les jeunes ont le nom
d'écolières, et les anciennes celui de maî-
tresses. Elles ont dix prêtres et un prieur,
auxquels elles donnent l'habit de l'ordre.
Ejles font le service divin avec beaucoup de
pompe et de majesté, particulièrement les
jours de fêtes doubles; ces jours-là elles
portent des rochets de toile fine, et tiennent
a la main un sceptre d'argent : elles ont un
bréviaire particulier, et se lèvent à minuit
pour dire matines. La prieure pourvoit aux
bénéfices vacants, et donne l'habit d'obé-
dience aux prêtres qui les desservent. Elle
visite ses terres avec ses dames assistantes ,
et se trouve aux chapitres provinciaux de
l'ordre en Aragon, et y a voix et séance après
le châtelain d'Emposte, et lors-que le chapi-
tre se lient à Saragosse, la cathédrale lui
envoie sa portion canoniale , comme pré-
bendière de celte église.
Vers l'an 1+70, ces religieuses s'étant sous-
traites à l'obéissance du grand maître, elles
reconnurent immédiatement le saint-siège.
Mais cent ans après , l'an 1509, l'évêque de
Lérida les voulant soumettre à sa juridiction,
parce qu'elles n'avaient pas de supérieur,
Jéronime d'Oliuo, qui était pour lors prieure,
donna procuration au P. Alphonse de Stu-
dilto de l'ordre de la Rédemption des captifs
etminislre du couvent de saint-Sauveur en
Aragon , pour prêter en son nom, en celui
de l'égard, et en celui du couvent de Sixène,
le serment de fidélité et d'obéissance au
grand maître , et sur quelques demandes
qu'elle fit , et qui lui furent accordées, elle
s'engagea par reconnaissance de donner à
chaque changement de grand tuaitre un vase
ù'argcnl au commun tré or.
Comme l'air de Sixène est fort mauvais,
le pape Grégoire XIII permit, l'an 1575, aux
religieuses qui seraient malades , de sortir
du monastère pour aller chez leurs parents
se faire traiter , et y demeurer jusqu'à ce
qu'elles eussent recouvré leur santé ; et
comme il est porté par leurs règles qu'elles
doivent être enterrées dans le cimetière du
monastère , si une religieuse meurt chez ses
parents , on apporte son corps au monas-
tère pour y être enterré : pour lors toutes les
religieuses sortent processionncllemenl hors
de la clôture jusqu'à un lieu fixé pour le re-
cevoir; et là on découvre le visage de la
morte, et l'on fait jurer ceuxqui l'ont portée,
que c'est le corps de la religieuse décédée. A
l'exemple de ce monastère de Sixène il se fit
d'autres établissements en différents pays.
Celui de Saint-Jean de Carraria eu la villede
Pise fut fondé environ l'an 1200, celui de
Notre-Dame d'Algaira en Catalogne l'an 1212,
par Saurine de Jorba et Eisa de Sagardia,
dames catalanes; celui de Gênes l'an 1230 ;
celui de Florence sous le nom de Saint-Joan-
nin l'an 1392, par le grand prieur Caraccioli;
celui de Notre-Dame de Caspe en Espagne,
par le grand maître Ferdinand d'Hérédia ;
celui de Séville l'an 1490, par Isabelle de
Léon qui y prit l'habit et en lut prieure ; ce-
lui d'Evora en Portugal par Isabelle Fernan-
dez l'an 1509 ; celui de Civita de Penna par
Julien Ilidolphi l'an 1523. L'an 15i0, l'infant
de Portugal, doin Louis, administrateur du
grand prieuré de Portugal, après avoir fondé
un collège de trente chapelains de cet ordre
à Fior-de-lloses , fit aussi bâtir un autre
monastère du même ordre pour des demoi-
selles en la ville d'EsIremos, et il y a aussi à
Malte un monastère de religieuses de cet or-
dre, qui no font point preuves de noblesse.
Les religieuses de cet ordre avaient autre-
fois cinq ou six maisons en Angleterre ; mais
des chanoines réguliers qui demeuraient à
Rukland, vivant dans le relâchement, et ayant
même assassiné un parent de leur fondateur,
le roi Henri II les chassa de leur monastère,
et le donna, l'an 1180, à Garnier de Naples
pour lors prieur de l'hôpital de Saint-Jean à
Londres, pour y réunir toutes les religieu-
ses de cet ordre, à condition qu'elles ne
pourraient point s'établir dans d'autres mai-
sons, et qu'elles ne pourraient avoir que celle
de Bukland qu'elles ont aussi perdue, lorsque
le schisme et l'hérésie ont été introduits dans
ce royaume. La France possède aussi de ces
religieuses ; mais comme elles sont réfor-
mées, nous en parlerons en particulier dans
le paragraphe suivant.
Voici les cérémonies qui s'observent à la
véture el à la profession des religieuses de
cet ordre. Après que le prêtre a dit l'offer-
toire de la messe, cl qu'il a béni les habits de
celle qui doit faire profession, celui qui a
droit de la recevoir, lui dit : Sœur, que de-
mandez-vous? Elle répond : Je demande d'être
reçue en la compagnie des sœurs religieuses de
l'hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Il lui
demande encore si elle a reçu déjà cet ordre
de quelque aulrc personne, et ayaut répondu
30'J
MAL
MAL
870
(jue non, il continue de lui dire : Rien que ce
que vous demandez soit chose de grande im-
portance, et qui ne s'accorde pas à tous; peut-
être que cette votre demande viendra en effet,
lorsque vous nous promettrez observer tout ce
que par nous vous sera ordonne', et première-
ment nous désirons que vous soyez diligente
au service de Dieu et de la religion. Me pro-
mettez-vous cela ? La postulanle , Oui, Mon-
sieur. Le recevant : Puisque vous nous pro-
mettez cela, prenez ce rosaire au nom de Dieu,
Père, Fils et Saint-Esprit, avec lequel vous
prierez pour l'augmentation de celte sacrée
religion, pour la prospérité de Monseigneur
l'éminenttssime grand maître, et de tous les
frères chevaliers et autres religieux de celte sa-
crée religion, pour la victoire contre lesTtircs
et infidèles, persécuteurs de l'Eglise de Dieu,
offrirez l'âme à Dieu, et le corps aux fatigues
de ce monde pour le service de Notre-Seigneur
Jésus-Christ ; et Dieu vous en fasse la grâce.
La pureté de ce rosaire signifie que la bonne
religieuse doit être pure et nette de tous vices,
et principalement être honnête, car l'honnê-
teté est toujours accompagnée de quatre ver-
tus. La première est la prudence, par laquelle
vous vous souvenez du passé, ordonnez le pré-
sent, et pourvoyez nu futur. La seconde est la
justice, aiec laquelle vous conservez les choses
publiques. La troisième est la force, avec 'laquelle
vous supporterez les travaux de ce monde,
comme a fait saint Jean-Baptiste, sous le nom
et enseigne duquel vous ornerez et décorerez
votre vie, afin que comme il a vaincu le monde,
le diable et la chair, ne craignant point de prê-
cher la vérité , de même à son imitation devez
suivre la volonté divine, avec laquelle au be-
soin témoignerez et démontrerez votre cou-
rage et magnanimité. La quatrième est la tem-
pérance, avec laquelle vous modérerez toutes
choses, afin que loin puissiez être appelée par-
faite religieuse, si bien que vous vous munirez
et ornerez de ces vertus, les prisant et les te-
nant toujoiws en la mémoire. Réveillez-vous,
ma sœur, et ne dormez point aux vices ; mais
soyez vigilante à la foi de Jésus-Christ, en la
bonne et louable renommée, et attentive aux
bonnes prières et oraisons. 11 lui donne ensuiie
un flambeau allumé, en lui disant : Prenez
ce flambeau, et avec la grâce du, Saint-Esprit,
allez ouïr le reste de la messe.
Le prêtre ajant fini la messe où celle qui
doit faire profession a communié, elle re-
tourne vers celui qui la doit recevoir, et qui
lui dit encore : Sœur, que demandez-vous?
Elle répond : Je demande la société et compa-
gnie des sœurs de la sacrée religion de l'hôpi-
tal de Saint-Jean de Jérusalem. Le recevant
lui dil : Votre demande est de grande impor-
tance, et qui ne s'octroie pas à tous, et qui
peut-être ne vous sera pas refusée, nous con-
fiant qu'avec amour et charité, vous voiis exer-
cerez aux œuvres de miséricorde, au service de
l'hôpital et de votre religion, à laquelle te
saint-siége apostolique et les prijices chré-
tiens ont donné de très-grandes libertés, pri-
[viléges et revenus, afin que les serviteurs de
)Dieu et de la religion, enflammés de vraie cha-
rité, mère de toutes les vertus, s'efforcent avec
double service de servir l'hospitalité et milice
pour la défense de la sainte foi catholique con-
tre ses ennemis, afin que la servant avec affe-
ction et fidélité, elle donne la récompense de
la vie éternelle, ainsi comme en observant les
commandements de Dieu, de l'Eglise et de no-
tre religion, vous sera appareillé et préparé
le paradis. Il serait long à vous raconter les
travaux qu'endurent les sœurs de notre reli-
gion; mais seulement en une chose on conclut
le tout : c'est que vous avez à vous dépouiller
de votre liberté, et la donner et mettre es mains
de celle qui vous sera députée pour super ieui e,
laquelle seru femme comme vous, et pourrait
bien être qu'elle fût différente à votre condi-
tion, à laquelle vous avez d'obéir ; >n étes-
vous contente? La novice répond : Oui, Mon-
sieur, j'en suis contente. Le rece\anl conti-
nue : Puisque vous vous dépouillez de voire
liberté, nous voulons savoir si vous l'avez, et
prenez bien garde à répondre avec vérité à tout
ce que par nous vous sera requis et demandé.
Il lui demande si elle n'est point obligée par
quelque vœu à d'autre religion, si elle n'a
point contracté mariage, si elle n'est point
obligée à de grandes sommes, et si elle n'a
point commis d'iiomicide, à quoi ayant ré-
pondu négativement, il lui dit : Ma sœur, pre-
nez bien garde ; car trouvant le contra re
en quelque temps que ce soit de ce qu'avez
nié, avec très-grande infamie et déshon-
neur vous sera levé l'habit, et comme meml re
pourri serez chassée de notre compagnie. De
façon, qu'étant comme vous dites, vous rece-
vons bénignement, et selon la forme de nos
statuts ne vous promettons autre que pain et
eau, et humble vêtement.
Les religieuses chantent ensuite l'antienne
Yeni, sponsa Christi, et font la procession
autour du cloitre, conduisant la novice qui
lient une palme à la main, et est à côté de la
prieure. Au retour de la procession et en la
présence des assistants, on la dépouille &t
ses riches habits qui sont ordinairement or^
nés de pierreries et autres bijoux qu'elle lient
enlre ses mains lorsqu'on lui a ôté ses beaux
habits ; et se tenant debout, e!!e dit à haule
vois par deux différentes fois : Yanitas vani-
tatum, ei à la troisième fois, haussant encore
sa voix, et disant : Vanilas vunitatum et om-
nia tanitas, elle les jelle dans un bassin à ses
pieds. La prieure assistée de la sous-prieure
lui coupe ensuite les cheveux, on lui donne
l'habit de religion, et la novice en étant ré-
volue prononce ses vœux en la manière sui-
vante, ayant les mains sur le crucifix du
canon de la messe qui est dans le missel. Je
N. promets et fais vœu à Dieu tout-puissant,
el à la Yierge Marie, sa mère immaculée, et à
saint Jean-Baptiste notre patron, d'observer
perpétuellement obédience a quelque religieuse
de l'ordre, qui par la religion me sera donnée
pour supérieure, vivre sans propre, et être
chaste, selon la règle de ladite religion.
Le recevant lui dit ensuite : A cette heure
je vous connais vraiment reçue au nombre de
nos sœurs religieuses. Elle répond : Je m'es-
lime et répute telle. Le recevant contenue de
dire: Dorénavant nous vous faisons et vos
871
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
872
parents participants de toutes tes indulgences
et grâces concédées à notre religion par le
saint-siége apostolique, et par prciw ère obé-
dience, je tous commande de porter ce missel
sur l'autel, puis me le reportez. Elle obéit, et
le recevant lui dit après qu'elle a reporté
le missel : Nous voulons encore que soyez at-
tentive à l'oraison, et pour ce, direz chaque
jour le grand office selon l'ordre de la sainte
Eglise, du concile de Trente, usage et coutume
de ce couvent, et cent cinquante Pater noster,
oit le petit office de Notre-Dame, ou des morts
pour chaque sœur ou frère qui viendra à mou-
rir. En lui montrant le manteau : C'est votre
propre habit, c'est la forme de votre pénitence.
Ceci vous représente la très-dure et âpre vie
de notre patron saint Jean-Baptiste. Ceci re-
présente son habit, lequel était de peau de
chameau, signifiant que nous devons laisser le
temps de péché, et sans empêchement suivie la
vertu. En lui monlrant les bras du manteau :
Ce sont les bras qui vous restreindront et lie-
ront, signifiant que vous serez restreinte et liée
de la vraie obédience de votre supérieure, et à
l'observance des œuvres de l'hospitalité, et au-
tres, comme vous a été dit. En lui montrant
la crois du manteau : C'est le signe et l'habit
de la vraie croix, lequel je vous commande de
porter continuellement sur vos habits toute
votre vie : cette croix blanche signifie que
toutes nos œuvres doivent être pures, nettes et
blanches. Ces huit pointes signifient les huit
béatitudes qui nous sont promises, si nous
portons ce signe au cœur avec ardeur et fer-
veur, à cet effet la vous mettons sur le côté
gauche, afin que l'ayez toujours dans votre
cœur, et avec icelui vous (lever, être ensevelie.
En lui montrant le cordon : Ce cordon repré-
sente que souvent nous nous devons souvenir
de la très-âpre mort et passion de notre Sau-
veur Jésus-Chris t. Ce qui serre le manteau
pulaire ; dans d'autres elles n'ont que la robe
sans scapulaire avec une petite croix blan-
che à huit pointes sur le côté gauche. Dans
les cérémonies et au chœur quelques-unes
portent le manteau à bec avec les cordons,
où sont représentés les mystères de la pas-
sion de Notre-Seigneur (1). Elles ont eu quel-
ques saintes de leur ordre, comme sainte
Flore décédée au monastère de Beaulieu en
France, sainte Ubaldesque décédée dans le
monastère de Pise en Italie, et sainte Toscane
morte à Vérone.
Giacomo Bosio, llist.di S. Giovanni Gie-
rosolomit. tom. III, edit. de l'an 168i. Anne
de Naberat, Privilèges de l'ordre de Malte.
Matthieu de Goussancourt , Marlyrolog. des
Chevaliers de Malle, et Philip. Bonanni;
Catalog. Ordin. religios. part. u.
§ II. Des Religieuses Hospitalières et Cheva-
lières Réformées de l'ordre de Saint-Jean de
Jérusalem en France, avec la vie de la véné-
rable Mère Galliotle de G ourdon-G enouil-
lacet Vaitlac dite de Sainte-Anne, leur
réformatrice.
Dès le troisième siècle il y avait en France
des religieuses Hospitalières de l'ordre de
Saint-Jean de Jérusalem , qui turent établies
dans l'hôpital de Beaulieu en Quercy au dio-
cèse de Cahors. Cet hôpital ne lut pas d'abord
bâti pour ces religieuses: ce n'était qu'un
petit hospice que Guibert de Thémines, che-
valier, du consentement de Ponce d'Antaiac,
évèque de Cahors, fonda vers l'an 1235 pour
y recevoir les pauvres pèlerins. Guibert de
Thémines, sou fils, augmenta les revenus de
cet hôpital , où il exerça lui-même l'hospita-
lité avec son épouse Angline de Baras. 11
lui donna, l'an 1245, du consentement de
Géraud de Baras, évèque de Cahors, la dîme
de l'église d'issendolus dont il était seigneur;
signifie la corde avec laquelle Jésus-Christ fut cette paroisse étant située dans la terre de
lié. Ce sont les fouets, ceci est la colonne, ceci Thémines, qui a depuis été érigée en mar-
est l'éponge, et ceci est la croix, en laquelle quisat par le roi Louis XIII en faveur de
pour l'amour de vous il prit mort et passion. Ponce de Lauzières de Thémines, maréchal
En lui liant le cordon au cou : Prenez donc, de France , qui descendait par les femmes
ma sœur, le joug de Notre-Seigneur Jésus- de ces pieux fondateurs. Emeric de Goudour,
Christ, lequel est beaucoup léger eldoux, et qui Chevalier, donna aussi à cet hôpital, l'an
vous conduira à la vie éternelle au siècle des 1259, les dîmes de la paroisse de Diéges , et
siècles. Ainsi soit-il. En lui mettant le voile la même année Guibert de Thémines céda
noir sur la tête : Recevez, ma sœur, le suint
voile de la virginité qui vous conduise à la vie
éternelle dans tous les siècles des siècles. Ainsi
soit-il. La professe retourne ensuite à l'autel
pour recevoir la bénédiction tlu prêtre qui
dit sur elle quelques oraisons, après les-
quelles elle embrasse les religieuses, et avant
que de manger, elle va faire obédience au
réfectoire avec du pain, de l'eau et du sel.
Anciennement ces religieuses avaient pour
habillement une robe rouge avec un man-
teau à bec qui était noir, et sur lequel était
la croix blanche à huit pointes ; mais depuis
la prise de Bhodes elles ont pris l'habillement
entièrement noir en signe de deuil. Dans
quelques monastères les religieuses de cet
ordre portent une robe noire, avec un sca-
cet hôpital avec toutes les dépendances aux
Hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jé-
rusalem, qui y mirent des religieuses de cet
ordre , dont Angline de Baras , épouse de ce
Guibert de Thémines , fut première prieure,
ayant pris l'habit de cet ordre du consente-
ment de son mari. Ce ne fut pas la seule
marque d'estime qu'il fit paraître envers
l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ; car il
fonda aussi un autre hôpital à Fieux dans le
même diocèse de Cahors , où l'on mit encore
des religieuses du même ordre, auquel par
reconnaissance ce Guibert fut associé l'arj
1298. Il mourut peu de temps après, et fui
enterré dans l'église de l'hôpital de Beaulieu ,
comme il l'avait ordonné par son testament
de l'an 1287 , par lequel il fonda une messe
(1) Voy., » la fin du vol., les n<" 213 à 218.
873
MAL
MAL
871
à perpétuité dans celte église pour le repos
de son âme.
Telle a été l'origine du célèbre hôpital de
Beaulieu, de l'ordre de Saint-Jean de Jérusa-
lem , dont Angline de Baras, épouse de Gui—
berl de Tliémines, fut la première prieure.
Elle le gouverna jusqu'en l'an 1296 , qu' An-
gline de Tliémines , sa fille , lui succéda, File
se trouva au chapitre provincial de l'ordre
qui se tint, l'an 1298, dans la commanderie
de la Tronquière , où le grand maître Guil-
laume de Yillaret , qui était grand prieur de
Saint-Gilles, lorsqu'il fut élu l'an 1296, fut
présent. Il soumit les deux hôpitaux de
Beaulieu et de Fieux à la visite et correction
du grand prieur de Saint-Gilles et de ses suc-
cesseurs. Il accorda plusieurs privilèges à
celui de Beaulieu, ordonnant entre autres
que la prieure de ce monastère serait grande
prieurede tous les autres monastères de filles
de cet ordre en France , et qu'ils lui payeraient
chacun un écu de redevance. Il fixa le nom-
bre des religieuses de cet hôpital à quarante,
y compris la prieure, et à douze celles de
Fieux. Il ordonna que lorsque la prieure
serait décédée , les religieuses procéderaient
à l'élection d'une autre prieure dans le terme
de quarante jours, et que l'élection serait
confirmée par le grand prieur de Saint-Gilles,
ce qui fut autorisé dans la suite par une dé-
claration du roi Louis X1U, du 6 juin 1625,
homologuée au grand conseil la même année.
Ce grand maître étant à Limisson dans l'île
de Chypre, où l'ordre faisait pour lors sa ré-
sidence, tint un chapitre général l'an 1301 ,
dans lequel il confirma tout ce qu'il avait
fait dans le chapitre provincial de lu Tron-
quière de l'an 1298, touchant ces deux hôpi-
taux de Beaulieu et de Fieux. Plusieurs per-
sonnes ont dans la suite enrichi par leurs
libéralités celui de Beaulieu. Les prieurés
de Sainl-Médard, de Fonlènes, de Martel et
de Barbaroux, y furent unis, et même l'hô-
pital de Fieux y fut aussi uni au commence-
ment du dernier siècle, avec tous les biens
qu'il possédait. D'abord ce ne fui plus qu'une
annexe de celui de Beaulieu, mais il fut
quelques années après entièrement suppri-
mé , et ses biens unis à l'hôpital de Beaulieu.
Ce fut dans cet hôpital de Beaulieu que la
vénérable mère Galliolte de Gourdon-Ge-
nouillac et Vaillac prit l'habit de l'ordre de
Sainl-Jean de Jérusalem. Elle était fille de
Louis de Gourdon-Genouillac, comte de Vail-
lac.elde sa première femme, Aune deMonbe-
ron, qui, étant enceinte d'elle, en fit une of-
frande à Dieu, et aussitôt qu'elle l'eut mise
au monde, qui fut le 5 novembre 1589, elle
renouvela le don qu'elle en avait fait. Etant
âgée de cinq mois elle fui portée dans l'hô-
pital de Beaulieu pour y être nourrie; et à
l'âge de sept ans elle y prit l'habit de novice.
Elle a tait déjà pratique dans un âge si ten-
dre les vertus les plus excellentes et les plus
relevées, et entre autres l'humilité en ren-
dant des services et des respects aux reli-
gieuses, comme si elle eût été leur servante;
mais, se voyant revêtue de l'habit de religion,
elle s'adonna entièrement à la pratique des
Dictionnaire des Ordres religieux. II.
vertus convenables à l'état qu'elle avait em-
brassé. Quatre ou cinq ans après qu'elle eut
pris l'habit, son père voulut qu'elle fit pro-
fession, quoiqu'elle n'eût pas encore douze
ans accomplis. Elle ne savait pas que le con-
cile de Trente avait déterminé que les pro-
fessions faites avant l'âge de seize ans se-
raient nulles, et n'auraient point de force
pour obliger; mais comme si elle en eût eu
connaissance par un mouvement secret du
Saint-Esprit, elle s'y opposa. Cependant, com-
me on lui reprochait que ce n'était que pour
quitter la religion afin de se marier, elle fit
profession dans ce bas âge, pour montrer
qu'elle ne voulait point d'autre époux que
Jésus— Christ.
Le monastère de l'hôpital de Beaulieu n'é-
tant pas réformé, comme il l'a été depuis par
son moyen, on n'avait pas voulu lui couper
les cheveux à cause de leur beauté; mais
c'était un coup de la Providence, qui voulait
qu'elle eût elle-même le mérite de cette ac-
tion généreuse, car elle se les coupa elle-
même quelque temps après sa profession, et
les jeta au feu pour en laire un sacrifice à
Dieu.Yoyantquela règle de l'ordre de Saint-
Jean de Jérusalem n'était point observée dans
son monastère, elle prit la résolution de le
quitter pour entrer dans celui des Feuillan-
tines nouvellement établies à Toulouse; mais
n'ayant pu exécuter son dessein, à cause que
le comte de Vaillac son père s'y opposa, elle
s'adonna aux pratiques de l'oraison et de la
mortification. Elle employait ordinairement
quatre heures par jour à la méditation, les
genoux en terre, et demeurait une demi-
heure en prières, le visage prosterné contre
terre. Elle récitait tous les jours le chapelet
de la sainte Vierge, et n'avait point déplus
grande passion que de rendre quelque nota-
ble service à cette reine des anges. Tout ce
qu'elle pouvait faire pour son honneur lui
semblait peu de chose, par rapport à l'amour
qu'elle lui portait, et le plus souvent elle al-
lait nu-pieds visiter l'église de Rocmadour,
dédiée eu son honneur, et éloignée de Beau-
lieu de deux lieues.
Avant la réforme de son monastère, la
coutume était que les hommes qui rendaient
visite aux religieuses les baisaient en les sa-
luant; mais elle ne voulut jamais permettre
à aucun homme de la saluer de cette ma-
nière; et sa plus grande peine, après qu'elle
eut établi sa réforme, était de se voir obligée,
en qualité de supérieure, d'entretenir des
hommes au parloir. Elle jeûnait tous les ven-
dredis et les jeudis de l'année, ce qu'elle ob-
servait avec une abstinence si sévère et une
austérité si grande, que l'on s'étonnait com-
ment elle pouvait vivre. Si avant la réforme
elle traitait son corps si rudement, l'on peut
s'imaginer qu'elle l'affligea encore davan-
tage lorsqu'elle voulut 1 introduire, afin de
donner exemple aux autres religieuses.
A l'âge de quinze ans elle fut faite contre
son gré coadjutricc de la prieure de Beaulieu.
Ei:e prit à cette occasion la grande croix île
l'ordre que les prieures portent pour marque
de leur diguité ; mais elle ic fit avec tant de
28
875
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
87C
confusion de se voir supérieure, qu'elle ne
voulut jamais prendre aucun avantage sur
les autres. Un an après elle fut faite prieure
du monastère de Fieux, charge qu'elle ac-
cepta volontiers et avec joie, puisqu'elle lui
procurait le moyen de vivre en solitude ; car
ce monastère était fort retiré et peu fréquen-
té. Elle eut tout lieu d'y pratiquer aisément
ses grandes pénitences, et ce fut dans celle
maison qu'elle commença à jeûner les carê-
mes entiers au pain et à l eau, encore ne
mangeait-elle qu'une fois le jour quelques
morceaux de pain d'orge cuit sous la
eendre.
A peine eut-elle demeuré quatre ans dans
cette solitude, qu'elle fut obligée de retour-
ner à Beaulieu pour faire cesser les murmu-
res de plusieurs personnes qui s'étonnaient
qu'une jeune fille, qui avait tant de beauté,
accompagnée de jeunes religieuses comme
elle, se hasardât de demeurer dans une mai-
son si peu assurée que celle de Fieux, située
au milieu d'un bois. C'est ce qui lui lit pren-
dre la résolution d'abandonner celte maison,
et d'unir ses revenus à ceux de la maison de
Beaulieu. Elle eut pour lors le dessein d'eu-
"i'er dans l'ordre de Sainte-Claire; mais ses
directeurs et le visiteur de son ordre l'en
détournèrent et lui conseillèrent de travail-
ler plu'ôt à la réforme de son monastère. ï.lla
y consentit; mais comme elle n'était que
coadjulrice de la pri ure qui vivait encore,
et qui s'opposait à ses bons desseins, elle eut
beaucoup de peine à réussir dans sou entre-
prise, et de quarante religieuses, il n'y en
eut que six qui se joignirent à elle, telles
prirent ensemble le vo;le noir, renouvelèrent
leurs vœuV et le serment de clôture perpé-
tuelle entre les mains du visiteur de l'ordre,
qui leur donna la règle que les aulns mo-
nastères du même ordre pratiquaient et
qu'elles suivirent exactement; elles voulurent
même renoncer au nom de leur fa;i:ille, et la
mère de Vaillac prit celui de Sainte-Anne.
Comme il y avait longteuij s que la régula-
rité était bannie de son monastère, elle alla
avec la permission de ses supérieurs dans
celui des religieuses de Sainte-Claire de Tul-
le, pour y apprendre les observances régu-
lières. Elle y séjourna quelque temps, après
quoi elle revint à Beaulieu, où elle établit de
beaux règlements pour celles qui voulurent
pratiquer la régularité. Elle donna des ins-
tructions salutaires aux religieuses qui s'é-
taient jetées un peu trop dans la liberté, et
lâcha par sa conduite et par son exemple
d'attirer à ce changement celles qui s'y op-
posaient le plus. Mais eile ne vécut pas assez
longtemps pour donner la perfection à sa
reforme et pour ia rendre solide ; car ies pé-
nitences excessives qu'elle avait pratiquées
sur son corps dès son bas âge l'avaient ren-
due fort infirme, sans qu'elle interrompît
pour cela ses mortifications continuelles. Elle
fui attaquée à l'âge de vingt-neuf ans d'une
violenlemaladie.aontelle futaflligée pendant
dix mois, et à laquelle eile succomba enfin,
étant morte l'an 1618, le 2i juin, jour que
l'on solennisa.il la fête de saint Jean-Baptiste,
patron et protecteur de son ordre, ayant à
peine atteint l'âge de trente ans.
Comme la plupart des religieuses de ce mo-
nastère n'avaient pas voulu embrasser la ré-
forme de la mère de Vaillac, et qu'elles étaient
autorisées par l'ancienne prieure qui s'y
était toujours opposée, celles qui s'étaient
soumises à la régularité se virent persécutées
par celles qui voulurent vivre dans le relâ-
chement. Elles furent contraintes, pour se
mettre à l'abri de la persécution, de se disper-
ser de côté et d'autre chez leurs parents,
croyant y trouver un asile et de la protec-
tion; mais il semblait que tout le monde les
abandonnait : leurs propres parents, de con-
cert avec les religieuses relâchées , em-
ployèrent toutes sortes de mauvais traite—
me. ils pour leur faire quilter la résolution
qu'elles avaient prises de mourir dans la ré-
forme, et ils leur refusèrent tous les secours
dont elles avaient besoin : il y en eut même
quelques-unes qui furent enfermées dans des
prisons.
Ces persécutions durèrent pendant près de
quatre aus, jusqu'en l'an 1623, qu'elles trou-
vèrent le moyen d'écrire toutes ensemble au
grand maître Antoine de Paulo, pour lui de-
mander sa protection, cl leur permettre do
persévérer dans la réforme. Nou-seuiemenl
il approuva leur résolution; mais il les as-
sura qu'il contribuerait à leur établisse eut
en quelque lieu qu'elles voulussent aller,
mais qu'elles lui feraient plaisir de cb à ir
la ville de Toulouse. Elles y vinrent toutes
six l'an 162k, et choisirent pour supérieure
la mère de Mirandol, religieuse qui avait
beaucoup de capacité et beaucoup >"e zèle
pour ies observances régulières. Elle avait
cl faite prieure de Fieux après la mort de la
mère de Vaillac. On ne sait si celle réforma-
trice lui avait résigné ce prieuré; ce qui est
certain, ('est q >e la mère de Mirandol en
était prieure depuis la mort de la Mère du
Vaillac, et qu'elle espérait, par le moyen des
revenus de ee prieuré, venir plus facilement
à bout de leur établissement dans Toulouse.
A peine y furent-elles arrivées, que lo
commandeur de Montugu de Fromigières
leur donna un jaidin, une grange cl loule
l'étendue d'une place que l'on appelait la
Cavalerie de Saint-Cyprien. La donation fut
faite ie 7 septembre 1(327, et fut approuvée
par ie grand maître de Paulo le 1er juil-
let 1625. Non-seulement il voulut se char-
ger de leur établissement, en faisant bâtira
ses frais leur monastère; mais il leur assigna
à chacune cent écus de rente pour leur en-
tretien, à prendre sur le trésor commun do
l'ordre, dont la Religion s'est depuis reùi-
mée en payant le fonds de cette rente. Ainsi
le grand maître de Paulo est reconnu pour
fondateur de ce monastère, dont la mère de
Mirandol, avec sa petite communauté de cinq
religieuses, fut mise en possession par le
chevalier de Tourelle le 13 septembre 162S.
Le grand maiire de Paulo, pour témoigner
davantage son affection à celle communauté
naissante, voulut être leur supérieur, et que
pa.r u.; privilège particulier elles dépendis-
877
MAL
MAL
878
sent à l'avenir des grands maîtres ses succes-
seurs, au lieu que les aulrrs monastères de
cet ordre dépendent des grands prieurs du
rassort dis lieux où ils sont établis, et à cau-
se de lYloignement c|u*il y a de Toulouse à
Malle, il leur nomma pour protecteur le
commandeur de la Hillière-l'olalron, afin
q : r les pussent s'adressera lui dans les af-
faires qui ne pourraient souffrir de délai; < e
qui a élé continué jusqu'à présent, qu'elles
ont toujours eu un protecteur nomme par le
grand mailre.
Ces religieuses pleines de ferveur, sachant
que l'hospitalité est l'esprit de l'ordre de
Saint-Jean de Jérusalem aussi bien que la
défense de la foi contre les ennemis de l'E-
glise, voulurent établir un hôpi'.al pour y re-
etoir les malades; mais le conseil de la Reli-
gion s'y opposa, et on leur répondit qu'il
suffisait qu'elles participassent à la charité
que les Chevaliers pratiquaient avec tant d'é-
dification dans l'hôpital de .Malte. Mais com-
me elle- n'avaient point de constitutions, elles
jugèrent que les règles qu'elle-; s'étaient
prescrites conformément aux instructif s
qu'elles avaient re.ues de la Mère de Vaillac
p miraient à l'avenir cire facilement altérées;
c'est [jourqtioi i lies demandèrent au grand
maître des constitution- , et le prière, t en
même temps coordonner que les supérieures,
qui étaient perpétuelles , seraient à i'av< nir
triennales, ce qui lenr fut accordé; mais ce
ne fut que sous le grand maître Jean-Paul
de Lascaris, qui succéda l'an l€ 6 à Antoine
de Paulo , que leurs constitutions furent
achevées, et ce nouveau grand maître les ap-
prouva par une bul e du li juin 16H.
Ces cou>ti(utions conlienncntdix chapitres.
Le quatrièm , où il est parlé de l'élection des
prieures, ordonne qu'elles ne seront plus per-
pétuelles, mais triennal 9, et qu'elles seront
confirmées par le grand maître de l'ordre. Le
si \jl m , qui traite de la réception des novi-
ic?, parle de tr is sortes de personnes que
l'on doit recevoir dar.s cet ordre, et de condi-
tions différentes. Les unes, destinées pour le
chœur, et qu'on appelle sœurs de justice, doi-
vent faire leurs preuves de noblesse comme
les CheK.lieis, et ont seules voix active et
passive; d'autres, sous le nom de sœurs ser-
vantes d'office, doivent faire les mêmes preu-
ves que les irères servants d'armes , et les
troisièmes sont les sœurs converses, qui sont
destinées pour les pins bas offices.
Avant que de faire la relation des pieu, es,
il laui avoir assurance de ia dot ou passage
de la prétendante, qu. doi; être de mille écus
pour les sœurs de justice, et de cinq cents
écus pour les sœurs servantes d'office, dans
lesquelles sommes ne sont point compris l'a-
meublement de la chambre, les linges ordi-
naires, les habits de noviciat, et le premier
habit de profession que chacune doit appor-
ter aussi. Les sœurs eonverses, en Considé-
ration du service qu'elfes rendent au monas-
tère, -ont dispensées de la doi ; mais el.es
doivent se fou ;i .• e ha
l'ameublement , el elles ne sont point obli-
gées a. d'autres preuves qu'à donner une
bonne attestation de leurs vie et mœurs, et
qu'elles sont nées de légitime mariage. La
prieure et le conseil peuvent néanmoins dis-
penser les sœurs servantes d'office de la
somme de cinq cents écus pour leur doi ou
passage, lorsque l'on connaît qu'elles ont de
bonnes qualités et qu'elles peuvent rendre
de b ms services à la communauté , et en ce
cas on peut se contenter de trois cents écus
pour le passage.
Les sœurs de justice sont obligées de réci-
ter en leur particulier le grand office selon
le bréviaire romain , lorsqu'elles ne peuvent
assister au chœur, et les autres, soit servan-
tes d'office ou converses, doivent dire au lieu
des heures canoniales , en une ou plusieurs
fois , trente Pater et autant d'.tre. Pour ce
qui regarde les jeûnes et mortifications, elles
prennent toutes ensemble la discipline tous
les vendredis de l'année, s'il n'arrive une fête
solennelle ces jours-là. Elles jeûnent aussi
tous les vendredis, excepté dans le temps
s al, les trois jours des Rogations, les veil-
les des fêtes de la sainte Vierge, du très-saint
■meut lie la Décollation de saint Jean-
Baptiste , de l'Exaltation de la sainte croix,
et le jour de saint Marc. Pendant l'avent o(
tous les mercredis de i'année, hor- le temps
pascal, elles font seulement abstinence. Elles
ont 1 trrs heures marquées pour le silence et
le trav.il en commun. Eiies ne vont au par-
loi" qu'accompagnées d'une écoule et le voile
baissé, el elles doivent s'abstenir d'y aller
pendant l'avent et le carême et aux fêtes so-
lennelles.
Quant à l'habillement, les constitutions
ordonnent que leurs robes ou soutanes se-
ront de lougueur couvrant les piads sans
(rainer à terre, que les manches seront assez
1 irgés pour que les mains y puissent entrer
commodément, que la matière en sera lé"ère
pour l'été, et plus pesante pour l'hiver, pen-
da t lequel elle pourront porter par-dessous
un habit plus fort d'étoffe blanche, mais que
la soutane sera nuire, si les chapitres géné-
raux n'en disposent autrement à l'avenir, et
que la ceinture sera de laine noire. La prieu-
re porte ia grande prpjx de toile fine sur
IV i miac par-dessus la robe, les autres n'en
ont qu'une petite au coté gauche sur le cœur.
Mais pour distinguer les sœurs de justice des
sœurs servantes d'office, les premières, à
l'exemple des Chevaliers, portent une croix
d'or émaillée de blanc de la valeur de quinze
é' us , sans qu'il soit permis, de les enrichir
d'aucunes pierreries; et il est permis aux
sœurs servantes d'office de porter au doigt,
aussi bien que les saurs de justice, un petit
anneau d'or de la valeur d'une deuii-pistole,
où au lieu de pierreries il y a une croix
éma'llée de blanc, et afi i que les sœurs ne
soient jamais sans leur habit, elles doivent
cucher avec un petit scapulaire, sur lequel
est çou.sqe une peljlc croix. Les manteaux à
bec son; en la forme ordinaire avec I ., gran e
croix de tuile blanche sur le coté gauche, et
le cordon où sont les instruments de la pa -
sion de Noire-Seigneur. Les sa> ..s d j isji e
portent ce manteau à là communion, a l'pl
879
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
580
divin, et quand la prieure officie, mais seu-
lemeul à la messe et à vêpre9, et la prieure
porte ces jours-là dans les cérémonies , et
lorsqu'elle donne l'habit, ou fait faire profes-
sion à quelque novice, la cloche, qui est une
espère de robe à grandes manches, ouverte
par-devant avec la grande croix sur la poi-
trine, et le cordon de l'ordre. Les sœurs de
justice peuvent aussi porter leurs manteaux
à bec au chœur pendant l'hiver, pour se ga-
rantir du froid, et celle qui est hebdomadière
le porte en tout temps ; les sœurs converses
ont un habit plus grossier, mais de la même
forme que celui des autres, et sont distin-
guées par le voile blanc.
Il est permis à la prieure et au chapitre
ou conseil , de donner la demi-croix à des
donnés qui soient âgés de près de trente ans.
Ils doivent faire le même serment que les au-
tres donnés de l'ordre, mais ils sont dispensés
de donner actuellement quelque chose , en
considération des services qu'ils doivent ren-
dre à la communauté, qui est oblige de les
nourrir et de les entretenir. Enfin le grand
maître de Lascaris dans ces constitutions re-
commande à ces religieuses de se souvenir
de la Mère Galliotle de Sainte-Anne de l'illus-
tre maison de Vaillac, leur réformatrice; ce
qui fait voir que le P. Bonanni, dans son Ca-
talogue des Ordres religieux, s'est trompé,
lorsqu'il dit qu'elle établit en France une
congrégation particulière de pieuses filles,
auxquelles clic donna le nom d'hospitalières
de Saint-Jean de Jérusalem, puisqu'elle n'a
été que la réformatrice de cet ordre en Fran-
ce , qui y était déjà établi dès le treizième
siècle.
Les religieuses de l'hôpital de Beaulieu,qui
n'ont pas voulu recevoir la réforme de la
Mère de Vaillac, se sont soumises dans la
suite aux observances régulières, et ne dé-
pendent plus du grand prieur de Saint-Gil-
les, étant présentement sous la juridiction de
l'évéque de Cuhors. Ce qui donna lieu à ce
changement , lurent quelques désordres qui
arrivèrent dans cette maison pendant la visite
d'un Chevalier de l'ordre envoyé par le grand
prieur de Saint-Gilles. M. Sévin , pour lors
évéque de Cahors, en porta ses plaintes au
roi, qui nomma de9 commissaires pour in-
former de cette affaire, et, sur leur rapport,
le grand prieur de Saint-Gilles et la prieure
de Beaulieu furent assignés au conseil de Sa
Majesté. Il n'y eut que la prieure qui y com-
parut, et, par un arrêt du même conseil du 3
septembre 1678, contradictoiremenl rendu
entre la prieure et | ar défaut contre le grand
prieur, l'on ôta la juridiction ordinaire dans
cette maison au grand prieur de Saint-Gilles,
et elle fut attribuée à l'évéque de Cahors; on
laissa seulement au grand prieur de Saint-
Gilles un droit honorifique qui consiste à
oouvoir visiter cette maison une fois seule-
ment à chaque mutation de grand prieur, ou
par lui-même , ou par commission donnée à
quelque Chevalier, mais qui ne peut faire la
visite qu'accompagné d'un ecclésiastique
(1) Voy., à la fin du vol., les n»» 219 à 224,
nommé par l'évéque de Cahors. Le grand
prieur de Saint-Gilles, nonobstant cet arrêt,
ayant donné commission à un Chevalier pour
visiter cette maison suivant les anciens usa-
ges, sous prétexte qu'il n'avait point de con-
naissance de ces arrêts , M. de Briqueville
de la Luzerne, qui fut depuis évéque de Ca-
hors, obtint un autre arrêt le 30 avril 1703,
qui fit défense au grand prieur de Saint-Gil-
les d'user à l'avenir de pareilles entreprises,
et qui attribua de nouveau toute juridiction
à l'évéque de Cahors sur celte maison
Ces religieuses ont des prieures perpé-
tuelles ; elles suivent les constitutions qui
leur lurent données par le grand maître
Guillaume de Villaret. Elles portent sur leur
soutane une croix d'or sur celle de tuile
blanche, comme les religieuses de Toulouse,
mais elles ne portent point le cordon de l'or-
dre sur leur manteau à bec : il n'y a que la
prieure seule qui ait droit de le porter : leur
habillement est d'ailleurs presque semblable
à celui des religieuses de Toulouse. C'est
dans ce monastère de Beaulieu que mourut
sainte Flore, religieuse de cet ordre, l'an
1299. Les anciennes peintures la représen-
tent avec une soutane rouge, sur laquelle il
y a une grande croix blanche, avec un man-
teau noir, sur lequel il y a au côté gauche
une croix blanche à huit pointes. C'était là
l'ancien habillement des religieuses de ce
monastère, et de celui de Fieux avant la
prise de Rhodes; mais dans la suite il y a eu
du changement dans cet habillement, que
la vanité avait sans doute introduit, puisque
le manteau était aussi rouge doublé d'her-
mine, comme on peut voir dans la figure que
nous avons fait graver d'après le portrait de
Gabrielle de Turenne d'Aynac, commanda-
trice ou prieure du monastère de Fieux, dé-
cédée l'an 1524 (1). Cet habillement fut en-
core changé après la prise de Rhodes quant
à la couleur et à la forme, comme on peut
voir dans la figure que nous avons aussi fait
graver d'après le portrait de la Mère de
Vaillac (2).
Il s'est fait encore depuis quelques années
un autre établissement de religieuses du
même ordre, à Martel dans le Quercy. Les
Mères de Mirandol, religieuses du monastère
de Toulouse et nièces de la Mère de Miran-
dol, dont nous avons ci-devant parlé, ont
commencé cet établissement. Ces religieuses
dépendent immédiatement du grand maître,
de même que celles de Toulouse dont elles
ont pris aussi les constitutions et l'habille-
ment. Toute la différence qu'il y a entre el-
les, c'est que la supérieure de Martel est
perpétuelle, et que celle de Toulouse est
triennale.
Matthieu de Goussancourl, Martyrolog.
des cheval, de Malte. Le Père Thomas d'A-
quin, Vie de la Mère Galttolte de Sainte-
Anne. Hilarion de Coste, Eloge des femmes
illustres, loin. I. Constitutions des religieuses
de Toulouse, Mémoires communigués par
M. l'abbé de Turenne d'Aynac, et Mémoires
(2) Voy. i'bid,
8Si mai;
envoyés par les religieuses de Toulouse en
1713.
MANTOUE (Congrégation de). Yoy. Car-
u i s de l'Etroite Observance.
MARBACH ET D'AROUAISE (Des Chanoi-
nes RÉGULIERS DES CONGRÉGATIONS DE).
Les différends que l'empereur Henri IV eut
avec le pape Grégoire VU, el auxquels la
conduite tyrannique et scandaleuse de ce
prince donna lieu, eurent des suites égale-
ment funestes pour l'Eglise et pour l'Empire.
Ce prince, mécontent du pape qui avait mal-
traité ses ambassadeurs, et qui lui avait en-
voyé uu nonce qui lui avait parlé avec me-
naces, se laissa aisément persuader par le
cardinal Hugues et par des é\éques ennemis
de Grégoire, de le faire déposer dans une as-
semblée qu'il fit à Worms l'an 1070, où se
trouvèrent un grand nombre d'évéques avec
ce cardinal, qui peu de jours auparavant
avait été déposé lui-même et excommunié
par le pape. Ce fut lui qui, conjointement
avec Guibert, évêque de Ravenne, avança
plusieurs choses contre la vie, la conduite,
l'élection et les constitutions de ce pontife;
sur cette accusation l'assemblée déclara qu'il
ne pouvait être reconnu pour pape légitime,
et tous les évoques souscrivirent à sa con-
damnation. Le pape, de son côté, après avoir
excommunié Sigel'roy, archevêque deMayen-
ce, et suspendu les autres évéques d'Allemagne
qui avaient eu part à cette entreprise , dé-
clara Henri déchu des royaumes d'Allemagne
et d'Italie, et ses sujets quittes du serment
de fidélité, et prononça anathème contre ce
prince. Ce fut là l'origine du schisme qui ne
finit que par la mort de cet empereur, qui
arriva l'an 1106, aprèsavoir été dépouillé de
l'empire par son propre fils.
Quoique cette excommunication eût fait
impression sur quelques esprits, et que la
plupart des évèques d'Allemagne eussent re-
connu leur faute, et se fussent réconcilies
avec Grégoire, néanmoins Olhon, évêque
deStrasbourg, n'entra pas d'abord dans leurs
sentiments ; il persista dans le schisme jus-
que sous le pontificat d'Urbain 11, et les peu-
ples deson diocèse, suivant le mauvais exem-
ple de leur bon pasteur, ne reconnaissaient
point non plus Grégoire pour chef de l'E-
glise. La religion en souffrait, et elle était
presque éteinte dans l'Alsace, lorsque Dieu
suscita un saint homme, nommé Manegolde
de Lutembach, pour la faire revivre en ces
quartiers. Ce fut environ l'an 1093 qu'il
commença à prêcher publiquement conire
le schisme, exhortant le peuple à rentrer
dans la bonne voie et à se soumettre au chef
de l'Eglise. Quoique ses discours, qui étaient
animés d'un grand zèle, fissent impression
sur les cœurs des scliismaliques, une mor-
talité qui arriva dans ce temps-là, et qui
enleva en peu de temps une infinité de
monde, les toucha plus sensiblement; la
plupart changèrent véritablement, ils accou-
raient eu foule pour rece\oir l'absolution
{!) Voy., à lu fin du vol.. n° 225,
MArt
882
de l'excommunication, et Manegolde, suivant
le pouvoir qu'il en avait reçu d'Urbain II, la
leur donnait et leur enjoignait une péni-
tence ; ainsi on vit en peu de temps de grands
changements, et presque toute la province
se soumit à l'obéissance du pape.
Comme le clergé était tombé dans un grand
relâchement pendant le schisme, il se trouva
plusieurs prêtres qui après leur conversion
se retirèrent dans les bois et les solitudes,
tant pour y mener une vie pénitente el reti-
rée, que pour ne point communiquer avec
ceux qui persistaient d'obéir à l'empereur.
Mais Manegolde en rassembla quelques-uns
avec lesquels il voulut vivre en commun,
suivant l'exemple des apôtres et des chré-
tiens de la primitive Eglise ; il fit à ce sujet
bâtir un monastère à Marbach, qui est une
ville d'Alsace, ayant été aidé dans celte
sainte entreprise par un gentilhomme du
pays, nommé Burchard de Gebeloisler, qui
contribua beaucoup par ses libéralités à l'é-
difice de ce monastère, dont Manegolde fut
premier prévôt.
Ils renoncèrent à toute propriété, ne man-
geaient point de viande, ne portaient point
de linge, gardaient un étroit silence et pra-
tiquaient beaucoup de mortifications : ce qui
les rendit si recommandables, que plusieurs
autres monastères s'étant joints à celui de
Marbach, il devint chef d'une congrégation
très-considérable, qui commença à suivie la
règle de saint Augustin dans le douzième
siècle, à l'exemple des autres communautés
de chanoines qui avaient embrassé la désap-
proprialion ; mais je doute fort qu'il y ait eu
près de trois cents monastères qui en dépen-
daient, comme Mauburne el quelques autres
l'ont avancé ; et supposé que cette congréga-
tion ait été si florissante, il ne reste plus de
mémoire d'aucun de ses monastères ; elle est
présentement sur le pied de celle de Saint-
Victor à Paris et de quelques autres qui
sont désunies el dont il ne reste plus que
l'abbaye qui en était le chef, qui ait consen é
les anciennes pratiques et constitutions de
l'ordre, et d'où dépendent quelques prieurés
qui ne sont que de simples cures. L'abbaye
de Marbach en a plusieurs, et est en posses-
sion, conjointement avec les Chanoines Ré-
guliers de la congrégation de Lorraiue, de.
la cure de Saint-Louis à Strasbourg. Ils sont
habillés de noir avec une banderole de lin
lorsqu'ils ne sont point dans l'abbaye; mais
dans l'abbaye ils ont une soutane blancha
avec un rochet par-dessus. Us portent l'été
au chœur une aumusse noire sur les épau-
les, qui pend en pointe derrière le dos et
descend un peu plus bas que la ceinture,
s'altachanl par-devanl avec un ruban bleu,
el ils ont pour armes d'azur à un cœur de
gueules couronné d'or (1).
Quant à Manegolde de Ltiltembacli, après
avoir fondé celle congrégation, il ne discon-
tinua pas ses prédications pour ramener les
schématiques au sein de l'Eglise : ce qui
lui attira beaucoup do persécution, priuci-
883
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
..;
paiement de la part de l'empereur, qui le fit
mettre en prison l'an 1098. C'est tout ce que
nous savons de la vie de ce saint homme qui,
au rapport d'Yves de Chartres, passait pour
lin des plus savants hommes du onzième
siècle.
Voyez Francise. Guilliman. Hist. de Epi-
scopis Argentincnlibus in Vita Othonis, epi-
svop. xliii. Yv. Carnot. episi. 40, apud Du
Chesne, Vêler. Hist. Franc. tom.\V,png.89.
Disquisit. de nrd. Canonicor. Rcgid. pag.
863 H 30(>.Penot, Hist. Iripart. Canon. Regul.
lib. n, cap. 60. Tambur. de Jur. abb. disp.
24, quœst. 4, art. 9.
Si la congrégation de Marbach eut pour
fondateur un homme zélé pour la gloire du
sainl-siége et qui s'opposa fortement au
schisme causé par l'empereur Henri IV, la
congrégation d'Arouaise eut aussi pour un
de Ses fondateurs un saint homme qui ne
fut pas animé d'un moindre zèle, et qui,
ayant été élevé au cardinalat par le pape
Pascal II et fait évêque de Palestrine, fut
employé par ce pontife en plusieurs léga-
tions pour soutenir l'intérêt de l'Eglise con-
tre le même empereur.
Arouaise, situé proche Bapaume en Ar-
tois, était un lieu qui servait de retraite aux
voleurs ; mais environ l'an 1090 il fut sancti-
fié par la demeure de trois saints ermites,
savoir : Heldemar de Tournay, Conon ou.
Conrad, qui fut depuis cardinal, et Roger
d'Arras, qui bâtirent en ce lieu une cellule
ou oratoire qu'ils dédièrent en l'honneur de
la sainteTrinité et de saint Nicolas. Lambert,
évêque d'Arras, confirma cet établi sèment
par ses lettres du 21 octobre 1097, adressées
à Conon. C'est ce qui fait que plusieurs ne
mettent le commencement de cette congréga-
tion qu'en celte année ; mais il parait par
ces mêmes lettres qu'Hebiemar était déjà
mort, et il est marqué comme premier pré-
vôt établi par Conon en 1090 dans le catalo-
gue des abbés de cette ab'naye, donné par
MM. de Sainte-Marthe, qui ont aussi rap-
porté sonépitaphe, où il est qualifié de fon-
dateur de cette abbaye, qui fut gouvernée
par des prévôts jusqu'au temps de saint Ber-
nard, que Gervais, qui était le troisième pré-
vôt, et qui avait succédé en 1124 à Richer,
prit la qualité d'abbé, qui a été aussi don-
née à ses successeurs.
Ce Gervais est qualifié instituteur de la
congrégation, peut-être à cause que sous
son gouvernement cette abbaye devint chef
de vingt-huit monastères ; mais il y a long-
temps qu'elle ne subsiste plus, et le dernier
chapitre général se tint l'an 1470. Les mo-
nastères de Hennein Leïlard à trois lieues
de Douai, de Suint-Nicolas à Tournay, de
Choques et de Marcles en Artois, en dépen-
daient, aussi bien que ceux de Werneslon,
Zunebeck et Seelendal en Flandre, de Saint-
Jean à Valenciennes, de Saint-Crépin et de
Saint-Léger àSoissons. Elle avait aussi qua-
tre prieurés en Irlande, deux à Dublin, un
àRalhoy dans le comté deKéri.el à Kalhkèie
dans le couilé de Limôrik, et quelques au-
tres en Auulclerrc.
Ils étaient habillés de blanc, et .lu rapport
du cardinal de Vitry ils étaient austères, ne
mangeaient point de viande, ne portaient
point de linge et gardaient nn étroit silence.
Voyez Sammarth. Gril. Christian, tom. IV,
7x1.7.95. Penot, Hist. triiiart.Canonic. Regul.
lib. il, cap. 62. Lemiré, Origine et institution
de direrses congrén. sous la règle de saint
August. Tambur. de Jure abb. tom. Il, tlisput.
24, quœst. 4, art. 7. Cardinalis de Vilriaco,
Hist. Occident, cap. 23.
Quand la congrégation d'Arrouniro s'éta-
blit, elle eut frne particularité qui nous pai aîl,
semblable au droit que les quatre premières
Glles de Cîteaux gardaient sur le général de
leur ordre ( Voy. Cîteaux). /Vin=i l'abbé d'ïïé-
nin-Liétard, qu'on qualifiait de prieur de
l'ordre, l'abbé de Rnisseauville, qu'on appe-
lait le sous-prieur, avaient, conjointement
avec l'abbé de Sainte-Marie de Boulogne, à
qui on aurait pu donner le litre de tiers-
prieur, une sorte de juridiction sur !e géné-
ral de toute la congrégation. Hélyot a nommé
neuf des monastères ou ehanoinics qui s'agré-
gèrent à cel institut. Voici la nomenclature
des principales maisons qui entrèrent dans
celte congrégation, suivant le rang de leur
agrégation : 1° Arrouaise; 2° Hénin-Lié-
tard, diocèse d'Arras; 2° Snin'e-Marie-au-
Bois, ou Rnisseauville, diocèse de Boulogne;
3° Saint-Marie de Boulogne; V° S untCrépiii-
en-Chail , sous les murs de Soissons; 5°
Chatiny, dit plus lard Sairit-Ëioi-Fôotainé,
diocèse do Noyon; 6° Saint-Volmer de Bou-
logne; 7° Cysoing, diocèse de Tom nay; 8° Saint-
Léger, à Soissons; 9°Saint-Mard de Tournay ;
10° Mazoul, diorèse d'Arras; il' Beaulicu,
diocèse de Boulogne; 12° ClaiiTai, diocèse
d'Amiens; 13J Choques, diocèse de Saint-
Omer; 14" de Warneton , diocèse d'Ypres;
15° Sombcck, diocèse u" Yprcs; 10° Châtillon,
diocèse de Langres; 17 Chatrices, diocèse de
Châlons; 18° Do,;deauville, diocèse de Bou-
logne; 19° Saint-Jean de Valenciennes,
diocèse de Cambrai; 20° Phalempin, diocèse
de Tournay ; 2I„ Saint-Barthélémy de Bruges,
ou d'Eckiul; 22' Aùlrey, diocèse de Toul;
23° Soetendacl, diocèse de Bruges.
En peu de temps, non-seulement la Flan-
dre, mais l'Angleterre, l'Ecosse, la Bour-
gogne et les pays les plus éloignés, comme la
Pologne, reçurent de l'institut d'Air uaise
des colonies <le religieux, les prélats de ces
nouvelles maisons s'ohligeant à se rendre
chaque année dans celle d'Arrouaise, et d'y
assister au chapitre général de l'ordre.
Par une bulle datée de Lalran, le 15 d'a-
vril 1139, et adressée à tout l'ordre d'Ar-
rouaise, le pape Innocent II approuve les
constitutions de cet institut et rétablissement
de la règle de saint Augustin dans les mai-
sons qui le composent. Gervais, fondateur de
la congrégation, reçut de saint Bernard le
plan de sa réforme ; c'est une preuve de plus
de l'influence de saint Bernard, que les his-
toriens de sa vie ne devraient pas oublier.
(ii vais avait puisé les principes de son gou-
vern iment dans l'ordre de Cîteaux. 11 avait
des frères convers qu'il faisait travailler. Il
MAK
M AH
88C
avail aussi on nombre égal do converses
répondues dans les habitations dépendantes
du monastère; car, comme le dit Gantier, qui
a écrit l'histoire des commenc. m nts de
l'ordre, il recevait à la conversion presque
toutes les personnes des deux sexes qui se
présentaient pour vivre sous ses loi-. C'était
l'esprit du temps, dit Gosse, qui nous four-
nit res détails, et nous y trouvons, nous, un
exemple de plus a ajouter à ceux de Fonte-
vranll, de Saint-Sulpiee, etc., <ù il y a^ ait
les deux sexes. Sans faire comme Robert
d'Arbrissel, Gervais, ainsi que saint " orbert,
reçut toutes les femmes qui se donnèrent à
lui; il les plaçait dans un cloitre séparé,
quoique dans un même monastère. Ce mé-
lange singulier orcasionn:i dans la congré-
gation d'Arrouaise les mémos abus que < ans
l'ordre te Prémontré. On fut o lige dans
celui-ci, vingt ans a; rè- sa fondation, de b:;lir
pour les religieuses des maisons Séparé s :
les Arrousicunes ne furent supprimées que
dais le siècle suivant. Un chapitre général
et un concile provincial en ordonnèrent suc-
cesspvMneirl l'extinction. Au reste, Hélyot
n'ayant \ as connu ces religieuses, no is leur
consacrerons un article dans le Supplément.
Les chapitres nombreux des constitutions
d'Arrouaise contiennent plusieurs belles
prescriptions qui ont beaucoup de rapport
aux usages monastiques. Les psaumes se
chantaient parcrenr, cl cet usage dura jus-
qu'au xvir siècle. Tous les chanoines tant
lettrée que non ieltrés devaient assister au
choeur, exre té les infirmes, qui se tenaient
dans l'arrière-chœur in reiro choro. Le ré-
loimatcur, qui s'attacha spécialement à ré-
gler ce qui concerne l'office divin, établit
une liturgie pariiculière. qui devint célèbre,
mais qui n'i st plus connue aujourd'hui. Le
genre de ne fut tel à Arrouaise, que Cara-
i.uel. abbé de l'ordre de Cileaux, appelant les
religieux de cette congrégation Geri-tisi n*,
du nom du réformateur, prétendait que ces
religieux n'étaient ni moi. .es ni chanoines,
mais quelque chose entre les doux, qu'il ex-
primait par le mot Canonïc-J-Cislcrci' ns, ex-
pression singulièie et peut-être ridicule.
Avant et après la ré'ormc de Servals, les
bulles des papes, ies dé rets des évoques, ele ,
concernant les religieux d'Arrouaise, leur
ont toujours donné le litre de Chanoines.
G '.vais, qui n'avait pas été élu en li2V,
comme le dit Hélyot, nuis en 1121, donna,
malgré la réclamation de tout l'ordre, sa dé-
mis-ion de son abbaye et du généra'al, sur
la :.n de l'année lliT. II vécut encore dans
l'exercice de toutes les vertus jusqu'au 18
septembre 1171. Pour maintenir l'esprit re-
ligieux dans les chanoines qu'il chargeait
des cures, il y mettait plusieurs confrères
I ensemble, avec l'obligation d'y \ivre com ,e
dans la maison mère. Gervais vit ;ainl Ma-
li'hie d'Armach et sa:nt Laurent de Du-
blin, embrasser sa réforme, qui a produit
plusieurs hommes remarquables, tels que
Baudouin, évéque deNoyon ; Milon, deuxième
du nom, évéque de Térouanue, etc. Dans le
xuc siècle, sous Fulbert, troisième abuo, il
s'éleva un peu de trouble et un schisme dans
l'ordre. Le général abdiqua l'an 11C1 , et
m urut cinq ans après, le 2 octobre. C'était
un homme de mérite. Lambert, son succes-
seur, homme savant r1 de mœurs honnêtes,
n'avait point la vigilance nécessaire à sa
position et il laissa dépérir la discipline. Ce
fut dans la première année de son adminis-
tration que les reliques de sainte Monique
furent transférées d'Ostie à l'abba e d'Ar-
rouaise. Ce supérieur laissa, après treize ans
de gouvernement, le temporel de son abbaye
dans un état déplorable. Sous l'abbé Pierre I",
élu en l'an 1227, il y eut une réforme de
l'o die.
Les religieux d'Arrouaise , sous l'abbé
Gervais, portaient un scapulaire semblable à
relui îles Cisterciens pour le travail, mais
ni le travail des mains, ni le scapulaire ne
f ir e.- èw Bsage dans tontes ies maisons dé
l'oidre. Au reste, dans l'institut d'Arrouaise,
oh ne fil usage du scapulaire qu'autant que
dura la loi du travail des mains, et que le
[dus grand nombre des religieux fut composé
de frèr. s lais. Les chanoines arrouaisiens ne
portaient le surplis qu'à certains jours, à
certaines fêtes, et même à certaines h mes.
Ainsi ils ne portaient pas le surplis à mati-
nes ni aux jours de travail. Au xv° siècle,
l'abbaye d'Arrouaise fut léduiie eu Cendrés
par une armée (probablement celle de Louis
XI, qui ravagea l'Artois en li75). Les reli-
gieux firent une quête pour la réparer, et
portèrent, suivant l'usage c nnu , leurs re-
liques de localités en localités, pour se pro-
curer des aumônes, en excitant la piéle des
fidèles; mais les filèles eux-mêmes étaient
dans la misère, la quête produisit peu. Dans
ce siècle les chapitres généraux n'avaient
[lus lieu, mais la congrégation subsistait
encore, et l'abbé d'Arrouaise conservait sa
juridiction, du moins sur quelques membres
de son institut. Au xvr siè le. il en coûtait
beaucoup pour être reli gie x à Arrouaise,
cl pour donner la preuve des exigences,
nous citerons ni ou deux articles des obéis
demandés. Ainsi le novice devait fournir:
« à ung chacun religieux, ung couteau ar-
genté de la valeur de vin s. — A M. l'abbé
une paire de couteaux de la valeur d'ung
noble. --.Vu prieur (t an maître des enfants,
à chacun une paire de xvi s. — Au page de
M. l'abbé, vin s. — Au i alefrenierdeMonsieur,
vi s. Tous les valets, jusqu'au dernier, étaient
coucliés n:r ['état de ces dons à faire, et cet
{t : se terminait par cette phrasé d'un sérieux
ridicule : «Avec tout cela il faut que le nô-
vi . ^oit bon enfant.» il y avait encore d'au-
tres impôts de cette espèce, un par exemple
pour être assis sur le banc de pierre, au
cloi're et en chapitre. Ces usages, condam-
nables en quelques choses, et surtout dans
les monastères rentes, restèrent pouiiant
dans quelques maisons jusqu'à la révolution
de 1789.
Dans le même siècle;'en 15G0 , les religieux
d'Arrouaise furent, pour la première fois,
gênés dans l'élection de leur abbé, parle
gouvernement espagnol, maître alors des
S.S7
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
888
Pays-Bas et de la Flandre, et qui imposèrent
le nom de celui qu'ils voulaient voir abbé.
Celle élection influencée eut lieu en effet.
Bientôt l'abbaye d'Arrouaise elle-même re-
tourna sous la juridiction de l'évéque d'Ar-
ras. et peu à peu s'en allait cette belle et
édifiante congrégation 1 Les malheurs de la
guerre avaient réduit les Chanoines à un
petit nombre dans la maison; les autres
étaient, les uns çà et là ou chez leurs pa-
renls, les autres entrés dans quelque aulre
institut, ou autre maison d'Arrouaisiens.
Vers la fin du xvir siècle et au commence-
ment du xvnr, il y eut une sorte de réforme
et de résurrection de la congrégation avec
un certain succès. Ces tentatives édifiantes
étaient dues à l'abbé Halle, qui expira dans
les sentiments de la plus vive piété le 27
juillet 1710. Il eut pour successeur un nommé
Dambrinnes, nommé par le roi, et qui se fit
pourvoir à Rome, car les religieux refusaient
de le nommer. Après la mort de Dambrinnes,
le roi donna l'abbaye en commende au car-
dinal de Gesvres, archevêque de Bourges;
mais on refusa à Rome d'accorder des bulles
de commendalaire pour une abbaye chef
d'ordre, et en 1725 on fit à Arrouaise l'élec-
tion (influencée par la nomination du roi)
de Philippe Lescourchent, sévère, économe,
régulier, mais imprudent. Sous lui finit la
juridiction d'Arrouaise sur la maison de
Clairfai, la dernière qu'elle eût conservée.
Cet abbé vaniteux Gt faire lui-même l'épilaphe
pompeuse que l'on voyait sur sa tombe et
que nous avons lue. Les autres abbés, nom-
més par le roi, furent tous des abbés régu-
liers et bénits. Sous l'abbé Tabary, l'église
d'Arrouaise, en reconstruction depuis plus
d'un siècle, fut enfin terminée. La première
pierre de la nef et de la tour fut posée en
17S0. Tabary était encore abbé en 1788, et
vraisemblablement fut le dernier supérieur
de celte congrégation, ne desservant plus
alors que trois cures régulières, et qui avait
pour prieur F. Gosse, religieux instruit et
laborieux, qui a donné une Histoire intéres-
sante de son abbaye et de son institut. Telle
fut la congrégation d'Arrouaise, qui a élé
gouvernée par cinquante supérieurs, dont
les trois premiers portèrent le litre de prévôt,
el dont le second, Conon, devint évéque et
cardinal ; congrégation qu'Hélyot avait peu
connue, qui méritait de l'être davantage el à
laquelle nous aurions dû réserver un article
étendu dans noire Supplément, article que
nous lui consacrerons peut-être, sans nous
borner à faire connaître seulement les reli-
gieuses Arrouaisiennes, dont aucune histoire
des ordres monastiques n'avait parlé avant
nous.
Histoire de l'abbaye et de l'ancienne con-
grégation des Ch moines Réguliers d'Arrouaise,
avec des notes critiques, lus toriques et diplo-
matiques; par M. Gosse, prieur d'Arrouaise,
de 1 académie d'Arras, 1 vol. in-4\ Lille,
Danel, 1780. B-d-e.
MARC (Chevaliers de Saint-). Voyet
Chausse.
MARC DE FLORENCE (Dominicains de
I.A CONGRÉGATION DE SaINT-J. VoXJ. LOMBAR-
D1E, III.
MARC DE GAVOT1 ( Dominicains du la
CONGRÉGATION DE). Voy. LOMBARDIE, III.
MARC DE MANTOUE ET DU SAINT-ES-
PRIT (Chanoines Réguliers de Saint-)
à Venise.
La congrégation des Chanoines Réguliers
de Saint-Marc de Manloue a eu pour fonda-
teur un saint prêtre nommé Albert Spinola,
qui, ayant conçu le dessein de fonder un mo-
nastère de Chanoines Réguliers, obtint pour
cet effet de l'abbé de Saint-André de Man-
toue une vigne proche de laquelle était une
chapelle dont quelques bourgeois de cette
ville étaient patrons. Non-seulement ils cé-
dèrent leur droit de patronage en faveur de
cet établissement, mais ils firent don à ces
nouveaux Chanoines de quelques terres
tant pour la construction de leur église et du
monastère que pour leur entretien, ce qui
fut confirmé par le pape Célestin III, l'au
1)94. La même année, Henri, évéque de Man-
loue, posa la première pierre de l'église, qui
fut dédiée sous le nom de Saint-Marc; et
une des principales conditions qui fut stipu-
lée par l'acte de donation qui fut faite par
les bourgeois de Mantoue des fonds et des
terres pour la fabrique de cette église fut
qu'elle ne relèverait d'aucune autre église,
et serait chef d'un ordre sous le nom de
Saint-Marc.
Quelques clercs s'y étant assemblés eu-
rent pour supérieur le même Spinola, et il
leur prescrivit une règle qui fut approuvée
par le pape Innocent 111 , l'an 1204. Elle fut
confirmée par Honorius III après avoir élé
corrigée, ce que fit aussi Grégoire IX par sa
bulle de l'an 1228, où cette règle est insérée
dans toute sa teneur. GrégoireX, Jean XXII,
Calixte III, Nicolas IV et plusieurs autres
souverains pontifes ont accordé des privilè-
ges à ces Chanoines, qui, selon Penot, ayant
été réformés vers l'an 14-52, n'embrassèrent
qu'alors la règle de saint Augustin.
Dans le commencement de leur institution
ils menaient une vie austère. Us ne cou-
chaient que sur des paillasses avec des lin-
ceuls de laine. Ils jeûnaient depuis le diman-
che in Albis jusqu'au mois de septembre,
outre Parent, les vendredis de l'année, et
les jeûnes prescrits par l'Eglise. Ils obser-
vaient un élroil silence, avaient deux heu-
res de travail dans la journée, et n'admet-
taient aucun à la profession qu'il n'eût
dix-sept ans accomplis. Leur habillement
consistait en une soutane de serge blanche
et un rochet. Lorsqu'ils allaient au chœur
ils avaient une mosette ou petit camail et un
bonnet carré blanc avec une aumusse blan-
che qu'ils mettaient sur le bras (1).
Cette congrégation étailcomposéed'envirou
[\j Voy., à 1» lin du vol., ii° ïî£<.
889
MAR
MAR
890
dix-huit ou vingt maisons d'hommes et quel-
ques-noes de filles, qui étaient situées dans la
Lombardie et dans l'Etat de Venise, et après
avoir fleuri pendant près de quatre cents
ans, elle diminua peu à peu et se vit réduile
à deux couvents où la régularité n'était pas
même observée. Lemonastère de Saint-Marc,
qui en était le chef, fut donné par Guillau-
me, duc de Mantoue, aux moines Camaldu-
Ies, l'an 1584, du consentement du pape Gré-
goire XIII.
Quelques-uns ont prétendu que cet ordre
des Chanoines Réguliers de Saint-Marc de
Mantoue n'avail jamais eu plus de deux
maisons ; mais Scipion Agnelle Maffei, évé-
que de Casai, dans ses Annales de Mantoue,
prouve le contraire par une bulle du pape
Grégoire X, où tous les prieurs des cou-
vents qu'ils avaient, sont nommés, et par
cette huile le pape reconnaît que la règle de
ces Chanoines avait été reçue et corrigée
par les papes Honorius et Grégoire, ses pré-
décesseurs, et confirmée par Innocent IV
avant le concile général de Lyon. Un ancien
registre qui est conservé encore dans celle ab-
baye de Saint-Marc qui était de l'ordre des
Chanoines Réguliers de Saint-Marc de Man-
toue, et qui contient les chapitres qui ont été
tenus dans cet ordre depuis l'anl24l.)jusqu'en
l'an 13i0, montre encore évidemment qu'ils
avaient plusieurs maisons, puisque dans le
chapitre de l'an 1249 il y eut seize prieurs qui
y assistèrent, et que dès le temps que le pape
Honorius 111 confirma cet ordre en 1220, il y
avait pour lors déjà cinq monastères. Celle
bulle étant adressée aux prieurs et couvents
des églises de Saint-Marc de Manloue, du
Saint-Esprit de Vérone, de la maison de la
religion de Parme, de Saint-Eusèbe de Sara-
lico au diocèse de licence, de Sainle-Perpé-
tue à Faenza et a tous ceux qui à l'avenir
voudraient s'unir à cet ordre.
Voyez Scipion Agnell. Maffei. Annal, di
Muntoua. Penot, Hist. tripart. Canonic. Re-
gul. Paul Morigia, Hist. de toutes les relig.
Silvestr. Maurolic. Mar Océan, di tut. gli
Relig., et Philipp. Bonanni, Calalog. omn.
relig. ord.
Nous joindrons aux Chanoines Réguliers
de Mantoue une autre congrégation qui prit
son origine à Venise sous le nom du Saint-
Esprit, et qui fut supprimée par le pape
Alexandre Vil l'an 1050. Elle avait eu pour
fondateurs quatre nobles Vénitiens, D. André
Bondiméro, D. Michel Maurocini, D. Phi-
lippe Parula el I). François Contarini, qui
tous quatre, animés du même zèle et ayant
résolu d'abandonner le monde, se transpor-
tèrent au couvent de Nazareth situé dans les
lagunes de Venise, qui était occupé par des
Ermites de l'ordre de jsaint-Augusiin, et s'é-
lant mis sous la conduite de Gabriel de Spo-
letle, qui en était prieur, ils reçurent l'habit
de cet ordre et en firent profession ; mais
quelque temps après, ayant obtenu le mo-
nastère de Saint-Daniel dans le padouan, qui
leur avait été donné par l'abbé cominenda-
taire, ils y allèrent demeurer et l'abandon-
nèrent presque aussitôt, y ayant été con-
traints par celui qui succéda â cet abbé qui
les y avait introduits: c'est pourquoi ils re-
tournèrent à Venise, où on leur donna la
monastère du Saint—Esprit, à trois milles de
celte ville. Ce fut là qu'ayant quitté leurs
habilsd'Ermiles de l'ordre de Saint-Augustin,
ils prirent celui de Chanoines Réguliers avec
la permission de Marlin V qui occupait pour
lors la chaire de saint Pierre, et ils firent de
nouveau profession l'an 14-84. Lorqu'Alexan
dre VII les supprima, ils n'avaient qu'un
couvent et quelques hospices où il y avai*
peu de religieux el où ils vivaient dans un
grand relâchement. Morigia dit qu'ils élaient
fort riches, et qu'ils étaient habillés comme
les Chanoines Réguliers de Latran. D. An-
dré Bondiméro, l'un des fondateurs de cette
congrégation, a été patriarche de Venise, et
Philippe Paruta, qui en élait aussi fondateur,
a été archevêque de Crète, appelé présente-
ment Candie. C'est dans celle abbaye du
Saint-Esprit, qui forme une île proche do
Venise, que les ambassadeurs des princes
souverains reçoivent les compliments de la
République, avant que de faire leur entrée,
un noble accompagné de soixante sénateurs
allant trouver ces ministres dans l'église de
celle abbaye pour les conduire daus leurs
hôtels.
Voyez Penot, Hist. tripart. Canonic. Re-
gul. lib. n; Morigia, Hist. de toutes les relig.
ïtb. i.
MARIE DE METZ (Sainte). Yoy. Epinal.
MARIE DD PORT-ADRIATIQUE (Sainte).
Yoy. Latran.
MARMOUTIEBS ET DE FRANCE ( An-
ciennes CONGRÉGâTIONS BÉNÉDICTINES DE).
Yoy. France (Congrégation de).
MARMUNSTER. Yoy. Lérins.
MARONITES (Moines [1])
Quoiqu'il y ait une règle sous le nom
de Saint-Antoine, nous avons déjà dit que
tous les religieux qui se disent de l'ordre de
ce saint ne la suivent point. La plupart des
voyageurs nous ont voulu persuader dans
leurs relations que les religieux coptes sont
de l'ordre de Saint-Macaire ; que tous les
Arméniens suivent la règle de saint Basile,
el qu'il se trouve aussi des religieux en
Orient qui suivent celle de saint l'acôme.
Schoonebeck, dans son Histoire des Ordres
religieux, en met même quelques-uns des
ordres de Sainl-Sabas el de Saint-Carithon.
Mais plusieurs Levantins dignes de loi
m'ont assuré qu'il n'y avait parmi les diffé-
rentes sectes de chrétiens en Orient, que
des religieux de l'ordre de Saint-Anloine et
de celui de Saint-Basile ; ce qui m'a été con-
firmé par M. Saphar, évéque de Mardin en
Mésopolamie, que je vis élant à Rome en
1098, et qui me dit que les religieux maroni-
tes, suriens, copies et quelques Arméniens
étaient de l'ordre de Saint-Antoine, et que
les Grecs suivaient la règle de saint Basile,
(I) Voy., à la fin du vol., n° 227,
891
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
802
aussi bien que les Melchitos, les Géorgiens
el la plus grande partie des Arméniens.
C'esl donc au témoignage de ce prélat, qui
e l lui-même jacobile ou sorien, que je m'en
rapporte; et je commencerai par les Maro-
nites, à qui l'on doit donner le premier r ng ;
puisqu'il n'y a aucun schismatiquc parmi
eux, et que de tous ceux qui se sont séparés
lie l'Eglise romaine, il n'y en a point qui se
soient réunis à elle de meilleure foi el plus
sincèrement que les Maronites.
C'est un peuple de Pliénicie qui habite le
mont Liban, entre Biblis el Tripoli, et qui
est encore répandu dans la Syrie, la Syro-
roni rapportent souvent pour des choses an-
ci imcsce qui se passait dclcur lempà elqu'fls
ont même tiré des livres des Maronites de-
pu s leur réconciliation avec Rome, c'esl ce
qui fait que ce que Naironi a donné pour
preuves Convaincantes n'a pu encore per-
suader plusieurs savants, que les Maronites
aient toujours persévéré dans la foi catholi-
que, et n'aient pas tiré leur origine de l'hé-
rétique Maron, qui était monothélUe. 11 est
néanmoins bien difficile de croire qu'ils
aient eu une telle origine; el s'il était vrai
qu'ils eussent pris le nom de Maronites à
cause de cet hérétique, ils l'auraient sans
phénicie, à Seyde, Barul, Tripoli, Alep et doute quitté comme un nom infâme depuis
dans l'île de Chypre. Leur principale habita- . leur réconciliation avec l'iig ise romaine; de
lion est néanmoins au mont Liban, où ils ne
permettent à qui que ce soit de demeurer,
s'il n'est catholique. Plusieurs auteurs oui
prétendu que le nom de Maronites leur a été
donné à cause d'un certain hérétique mono-
thélite nommé Maron, qui les pervertit et
dont iis ont suivi les erreurs pendant près
do cinq cents ans. Mais ils n'en demeurent
pas d'accord, cl ils soutiennent qu'ils oi
pris le nom de Maronites à cause de saint
Maron, abbé. Fauste Naironi, qui a fait une
dissertation sur leur origine, dit ( De orig. et
reliq. Mnronit.) qu'avant que l'hérésie eût
même que les nesloriens qui, après avoir ab-
juré leurs erreur.;, prennent le norà de chal-
déens, et les jâcobiles ceiui de suriens, ci ni-
me dit encore Fauste Naironi, qui, pour
répondre à ceux qui prétendent que les Ma-
ronites ont pris le nom d'un village nommé
Maroiiia, dit qu'il se peut faire que saint
M mu soit né dans ce lieu, et qu'il en ait
pris le nom, mais que pour eux ils ont pris
leur nom de saiul Maron. Quoi qu'il en soit,
ils cél brciit la fêle de ce saint le neuvième
janvier, àùqUél jour il est permis à ceux qui
ont à Borne d'officier selon leur rite, dans
infecté la Syrie, il n'y a point de doute que le collège que Grégoire &1I1 y a fondé pour
ceux qui y demeuraient ne s'appelassent
Syriens , Hfiiïs que la plu; art àa Syriens
ayant suivi les erreurs de plusieurs héré-
siarques, ils oui pris les noms des sectes
que ces hérésiarques ont formées ; qu'ainsi
ceux qui ont suivi les erreurs de Macédonius
ont été appelés macédoniens; ceux qui ettt
suivi Apollinaire, apollinaristes; que de Nes-
lorius sont venus les ne-loriens, d'Eulychès
les eutychiens el de J;:cob les jacobites. Ce-
ccux de celle nati In, laquelle n'a pas imité
lés au' ies Orientaux, qui pour la plupart
retombent aisément dans les mêmes erreurs
qu'ils ont abjurées. Ma s pour les Maronites,
depuis leur réunion avec l'Eglise romaine,
ils sont toujours demeurés fermes dans la
foi catholique, dont ils firent profession (li-
tre les mains d'ÀTméric, patriarche latin
d'Antioche, vers l'an 1183.
Il y a parïïiî ces Maronites des religieux
pi niant, lorsqu'il semblait que tou;c la Sy- qui avaient autrefois sur le mont Liban en
rie allait être pervertie, qu'elle allait entiè-
rement embrasser l'erreur el se diviser de
l'Eglise romaine, Dieu, dil-il, apporta le re-
mède à un si grand mal, par le moyen de
sainlMaron, abbé, qui non-seulement fortifia
plusieurs Syriens dans la foi qu'ils avaient
reçue des apôtres , mais persuada à un
grand nombre d'embrasser la vie monasti-
que. Ce saint, ajoutc-t-il, vivait vers l'an 4-00,
et ses disciples ayant bâti plusieurs monastè-
res dans la Syrie, dont le principal, auquel
ils donnèrent le nom de Saint-Maron , était
cotre Apaniée et Emesse sur I'Orontc,
viron quarante monastères, dont la plupart
sont abandonnés el ruinés, et qui étaient
bâtis sur des croupes de rochers si escarpés,
qio' ces lieux paraîtrai! ni n'avoir jamais élé
habités, si l'on n'y voyait encore les vestiges
des anciens monastères, et si ceux qui sont
présentement habités n'étaient aussi situes
dans des lieux déserts, entre des rochers af-
freux qui inspirent la pénitence, et où l'on
ne peut aller qu'on ne soil sensiblement
louché 3e dévol'i >h.
Les uns sont comme suspendus, spéciale-
ment celui q -'on appelle Marsalita, el pour
unirent les traces de leur maître, c'es(-à- y entrer il faut monter avec une échelle de
dire qu'ils fortifièrent de plus en plus quel-
ques Syriens dans la foi catholique; c'est
pourquoi ceux d'entre les Syriens qui n'é-
taient pas infectés du venin de l'hérésie, et
qui suivaient avec tes moines les dogmes de
ri''glise catholique, furent appelés Maroni-
tes, comme ayant persévéré dans la foi par
leur moyen et par celui de saint Maron.
Mais comme Fauste Naironi prétend ap-
vingl-rinq pieds de hauteur. Les aulres ont
leur entrée comme celle des cavernes. Celui
que saint Hilarion fit édifier en l'honneur de
saint Antoine esl de difficile abord, mais on
y trouve de beaux jardinages et des vignes.
C'esl l'endroit où les religieux font leur no-
viciat, el lorsqu'ils sont profès, ils vont de-
meurer dans les aulres couvents, qui sont
présentement au nombre de dix, où dans
payer ce qu'il avance par l'aveu même des quelques-uns ils ont plus la compagnie des
jacobites et des momuhcli c , p; incipalement ligres, des ours i t aulres bêtes féroces, que
d unThomas, arcuevéquedekl'artab, que cet celle des hommes, cultivant là terré ci les
évéque n'a vécu que vers le onzième siècle, el vignes, nourrissant des vers à soie, s'occu-
pe d'ailleurs, les auteurs que cilo encore Nai- panl à faire des Battes, principalement les
«93 MAR
vieillards qui ne peuvent plus faire tle gros
travail.
Le plus affreux de tous ces couvent; est
celui qu'on appelle Marsaqvin. Il est situé
dans les plus hautes montagnes du Liban,
sur un rocher fait en précipice, dans un dé-
sert où il n'y a que des bêles féroces. Avant
que d'y entrer, il faut monter à une échelle
fort haute, et passer pai-d ssus un échafaud
de branchages d'arbres, qui conduit dans un
trou (tue la nature a fait à ce rocher, et qui
sert de porte etde fenêtre pour donner quel-
que clarté à une caverne au tond de laquelle
il y a quelques degrés taillé» dans le roc pour
monter daus une autre caserne qui sert d'é-
glise, et qui ne recuit point d'au Ire lumière
que celle que rend une lampe qui brûle de-
vant l'autel.
Le P. Eugène Roger, llérollet , qui a fait
la des riplion de ce- couvents dans son Voya-
ge de la terre sainte, dit qu'il fut en celui-
ci, où il trouva un religieux âgé de quatre-
vingts ans, dunl il en avait passe plus de cin-
quante eue lieu, et qui était devenu si faible
et si caduc, qu'il ne pouvait se remuer d'un
lieu à un autre. C'é' ail jour c; lie raison que
le patriarche, son parent, \oniul le taire
venir au monastère où il (ai ait ordinaire-
ment sa demeure, afin qu'il j fût soulagé
dans sa vieillesse : niais ce bon anachorète le
pria de lui laisser finir ses jours dans ce lieu,
ce que le patriarche lui accorda ; cependant,
comme il ne pou\ait pas aller chercher de
l'eau au torrent qui passe au bas de la nion-
tague , cl qu'il faut descendre plus de oéux
cents degrés pour en aller puiser, il lu: d u-
na p;r,;r l'assister une religieuse, âgée d'en-
viron vingt-cinq ans, qui avai déjà passe
quelques années dans ce désert, où elle avait
mené tinè vie exemplaire, vivant en véritable
anachorète. Celle religieuse, pour ré
P. l.o.er et son compagnon, lira d'une peau
de chèvre du bornage un p"u moins sec que
du plâtre, qu'elle émielta sur un morceau de
cuir qui seivail de nappe et d'assiette; elle
ajouta à ce mets deux poignées d'olives salées
et séciiées au soleil ; et ayant fait chauffer de
l'eau dans un pôï, elle y délaya dé la farine
de froment qui avai: trempé dan» du verjus ,
et fit cuire un peu de pain sous la cendre ;
ensuite elle leur donna du vin dans une ca-
lebasse tjûî tenait de verre.
Les autres religieux n aronites ne vivent
pas partout avec tant d'austérité ; mais ils ne
mangent jamais de viande sans une dispense
particulière de Home. Ils usent d'oeufs, de
laitage et de diverse- herbes sauvages, com-
me lenouii, h.sope, côlôcasê, malà insanna,
et quelques e»; èce de chardons, faisant con-
fire tontes c> s e ose; aï ce du lait aiizre dans
des peaux de bon -, pour s'en servir hors le
temps de leurs carêmes, pendant lesquels i^s
n'usen point de laitage, mais bien de puis-
son, de : gl mes, de Fruits, de salades, d'oli-
ves et de raisiné, : n'iis assaisonnent avec du
verjus, du miei o ; s r de sumac.
Ils obseneni e nq carême' , savoir : celui
de la résurrection de No Ife-Scîghcur, qu'ils
cotnuieucent le lundi de la QUînquagcsime,,
MAR 804
pendant lequel ils ne mangent qu'une fois le
j i>;.r, deux heures avant le courber du soleil,
el s'abstiennent aussi de manger des oeufs,
du fromage et du laitage. Le second com-
mence quinze jours avant la fêle de saint
Pierre, à laquelle il finit : el celui de l'As-
somption de la sainte Vierge cnmnicn o aussi
quinze jours avant celle fêle. Le quatrième?
(j i n'es! que de huit jours. I : en 1 o ■.::: ur
de l'Exaltation de la sainte crois : e' I ■ cin-
quième es! de vingl-cinq jours aVaat la
livité de Notre-Seteneur, pendant ie-îtruls
carêmes ils s'abstiennent aussi de lait et
(i\ nfs, mais ils peuvent manger du froma-
ge. Ils jeûnent aussi la veille de saint Mar n,
el se conforment pour les autres jeûnes à
l'Eglise romaine.
Us récitent leur office en langue sjrrinqoe;
malines et laudes la nuit , prime . tierce el
sexte, à la poinledujour : la messe se dit
ensuite, se servait comme les Latins de pain
sans levain pour la consécration. Après la
messe ils vont travailler, oheeùfl sélrm son
latent, jusqu'au diner ; après quoi ils relour-
neul au travail. Avant souper ils disent nono,
vè| res et compiles : ils vont ensui:e au ré-
fectoire ; et après le souper ils se relire; t
lous pour prendre leur repos.
i es novices sont en il.: bit séculier pendant
trois ou quatre mois, selon la volonté du su-
périeur, qui leur fait faire profession quand
bon lui semble; c'est ordinairement le pa-
triarche qui < n fait la cérémonie, et en son
absence un évêqne ou le supérieur du mo-
î ère. On s'assemble à l'égli-e. où l'on ré-
c te un grand nombre de prière; : on deman-
de au novice s'il veut faire profession et
s'engager dans la religion, et s'il répond qu'il
y c-u.senl , il est dès ce moment véritable-
ment religieux, les .Maronites élanl persuadés
que le consentement da novice renferme les
trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'o-
béissance. On lui donne le petit capuce qui
le distingue des séculi rs, et la cérémonie se
termine par quelques prières. Ils ne p uvent
quitter l'habit de religion sans éirc décia; es
apostate» «t ils sont" punis très-sévèrement
par la prison ou p r d'autres peines, s'ils
quittent l'hait, ils observent encore quel-
que» règlements, qui leur ont été donnés par
le patriarche Etienne Aldoën , natif d'Aden,
dont les religieux maronites poursuivaient
la confirmation en cour de Rome, lorsque le
P. Bonanni donna son Catalogue des Ordres
religieux , en 1T0G. 11 dit qu'il y avait pour
lors à Rome le P. Gabriel Hœva, Maronite,
qui y était venu pour obtenir cette confirma-
tion du pape Clément XI.
Il y a aussi des religieuses maronites au
mont Liban , où elles ont deux couvenls, et
gardent la clôture: et i! y eu a d'autres qui
tivent seules daus des solitudes et en ana-
chorètes. Il s'en trouve pareillement à Alep,
mais (lies ne gardent pas la clôture à cause
qu'elles sont parmi les Turcs; néanmoius
elles demeurent deux ou trois ensemble chez
leurs parents, ne permettant à aucun homme
d'entrer dans leurs chambres, d'où elles ne
sortent que pour aller à l'église les fêle» et
895
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
89b
les dimanches. Elles observent très-rigou-
reusement et à la lettre la règle de saint
François, sous la juridiction des RR. PP. Ca-
pucins, dont elles portent l'habit. Mais les
religieuses du mont Liban sont de l'ordre de
Saint-Antoine, disent leur office en langue
syriaque, aussi bien que les religieux, et
sont habillées comme eux, portant une tuni-
que de serge brune, avec une teinture de
cuir noir et une robe par-dessus, qui est de
gros camelot de poil de chèvre de couleur de
fumée et ayant les jambes nues (1). Toute
la différence qu'il y a entre ces religieux et
ces religieuses de Saint-Antoine, c'est que
les religieux ont un capuce de drap noir et
ne portent point de chemises, et que les re-
ligieuses en ont et mettent sur leur tète un
voile noir qui les cou\re depuis la tête jus-
qu'aux pieds. Elles sont presque toutes filles
des plus qualifiées et des plus nobles de leur
nation : ainsi elles ne manquent de rien, leurs
parents fournissant abondamment a leurs be-
soins. Elles s'occupent néanmoins au travail
des mains, employant le profit qu'elles en reti-
rent à l'ornement de leur église; et elles ont
les mômes jeûnes cl les mêmes observances
des religieux.
M.Simon, auteur du Dictionnaire de la
Bible (Tom. I, pag. 312, au mol Canobin ),
imprimé pour la seconde fois à Lyon en 170.J,
dit qu'on fait passer pour une chose sur-
prenante et (oui à fait admirable, que depuis
peu de temps il se soit établi un couvent de
filles au mont Liban ; ce qui ne s'était jamais
vu en Orient. Il ajoute que la fondatrice ou
institutrice de ce nouveau monastère était
une pauvre fille qui s'occupait à l'éducation
de la jeunesse de son sexe, leur apprenait à
lire, à écrire et toutes les autres choses qu'el-
les sont obligées de savoir. « Elle fut, dit-il,
inspirée de Dieu d'assembler les plus gran-
des et celles qui seraient les plus propres à
la seconder daus sa sainte entreprise; elle n'eut
pas beaucoup de peine à les faire entrer
dans sa pensée; et quoiqu'elles n'eussent
jamais ouï parler de communauté, elles en
composèrent une d'environ trente filles qui
sont non-seulement l'édification des chré-
tiens de ce pays-là, mais encore des Sarra-
sins. Leur pauvreté est extrême; leurs cellu-
les, qui ne sont que de chaume, sont bâties
autour de leur chapelle ; et quoiqu'elles
n'aient rien que le travail de leurs mains, el-
les tiennent pourtant leur autel très-propre-
ment orné, et on ne peut rien voir de plus
décent que leur chapelle. Elles éprouvent la
vocation de celles qui veulent entrer dans
leur compagnie par un noviciat de trois ans ;
elles emploient la nuit à la prière et à chan-
ter les louanges de Dieu, et le jour à tra-
vailler îles mains, pour faire valoir le peu de
bien qu'elles possèdent aux environs de leur
monastère. Une autre fille, à l'imitation de
(1) Voy., à la fin du vol., n* 228
('2) Tous les voyageurs donnent à ce mouaslère le
nom île Canobin parce qu'ils l'enlendeni ainsi nom-
mer; mais il y a de l'apparence que les Maron'ueS'
ne le nomment ainsi quepar excellence, comme étant'
cette première, a entrepris le même dessein
à un autre quartier du mont Liban ; et d'au-
tres filles se sont retirées dans des ermita-
ges, où elles prétendent passer le reste de
leurs jours dans la pénitence.»
Cet auteur paraît peu informé de ce qui
regarde l'histoire monastique d'Orient, puis-
qu'il dit que l'on fait passer pour une chose
admirable, et tout à fait surprenante, que
depuis peu de temps il se soit établi au mont
Liban un monastère de filles, ce qui ne s'é-
tait jamais vu en Orient, à ce qu'il prétend.
Les savants ne demeureront pas sans doute
d'accord avec lui, que ce n'est que depuis
peu que l'on voit des communautés de filles
en Orient ; puisque l'histoire ecclésiastique
nous fournit une infinité d'exemples du con-
traire, et qu'il y a encore plusieurs monastè-
res de filles, tant grecques qu'arméniennes,
nestoriennes et melchites en Orient, qui sont
sous la domination des Turcs, comme nous
dirons dans la suile. M. Simon a encore été
mal informé de la règle que suivent les Ma-
ronites, lorsqu'il dit qu'ils sont de l'ordre de
Saint-Basile, car il est certain qu'ils se di-
sent de l'ordre de Sainl-Anloine.
Les religieux et les religieuses qui y de-
meurent dépendent entièrement du patriar-
che, qui est aussi religieux et qui fait sa de-
meure au monastère de Canobin (2), situé
dans un affreux désert, dans lequel il y a
environ vingt-cinq ou trente religieux. Son
revenu peut monter à vingt mille livres par
an, et consiste en vin, froment, huile, foie et
bétail ; il paye environ mille livres au pacha
de Tripoli, et a sous lui six ou sept évêques,
avec un abbé mitre qui demeure au monas-
tère de Mar-Antonois. 11 prend le litre de
patriarche d'Antioche, que plusieurs papes
lui ont accordé, et est vêtu d'une longue
veste ou soulane de bleu turquin. 11 porte un
gros turban de toile de même couleur, aussi
bien que les évêques; mais quand ces pré-
lats vont à l'église ou ailleurs, ils ont sur la
soutane une robe noire sans collet, avec un
capuce de même couleur, comme on peut
voir dans la figure du patriarche que nous
avons fait graver (3). M. Richard Simon (au-
Ire que celui dont nous avons parlé), faisant
mention de l'élection de ce patriarche, dit
que le peuple y a beaucoup de part, car elle
dépend du corps de leur république, qui doit
reconnaître celui qui a été élu; mais que,
comme les ecclésiastiques tiennent le pre-
mier rang dans l'Etat, aussi contribuent-ils
le plus à l'élection. Douze des principaux
prêtres s'assemblent dans le monastère de
Canobin, où ils procèdent à l'élection du pa-
triarche par la voie du scrutin; et quand ils
sont tous d'accord, la république qui est as-
semblée, c'est-à-dire les ecclésiastiques et le
peuple, donnent leur consentement à celte
Meclion. Comme il est néanmoins difficile que
le principal monastère et le plus considérable du
mont Liban ; car Canobin en arabe veut dire mo-
nastère on couvent. C'est ce qui a été remarqué par
M. l'abbé RenauJol.
(3) Voi/., à la fin du vol., n" 229,
897 MAI*
toutes les voix concourent ensemble dans le
scrutin, il y a une seconde manière de pro-
céder, qui est une espèce de compromis;
c'est-à-dire que de ces douze prèlres l'on en
choisit trois au sort, et ces trois font le pa-
triarche, qui est même élu à deux voix ; en-
suite le peuple confirme celte élection par
son consentement, et le patriarche reçoit du
pape les bulles de confirmation.
Dans ce monastère de Cauobin, aussi bien
que dans celui de Saint-Antoine et dans un
autre qui est au désert de Saint-Elisée, où
demeure ordinairement un évêque, il y a des
cloches; mais dans les autres couvents, et
même dans les paroisses, ils n'ont pour appe-
ler le peuple qu'une planche de bois suspen-
due avec des cordes à quelques arbres, con-
tre laquelle ils frappent avec des massues de
bois.
Ce fut sur le mont Liban que M. Galaup
de Chasteuil, gentilhomme de Provence, se
retira, vers l'an 1631, pour y mener une vie
solitaire et pénitente. Les Turcs troublèrent
souvent le repos de sa solitude durant les
guerres contre l'émir Fecke-Edin; mais son
mérite faisait impression sur l'esprit même
des barbares. 11 était si connu des Maronites,
et ils en faisaient une si grande estime,
qu'après la mort de leur patriarche Georges
Amira,ils le prièrent d'accepter cette dignité.
Il refusa cet honneur, et se relira ensuite à
Mar-Elicha , dans un monastère de Carmes
Déchaussés, où il redoubla ses austérités,
qui lui causèrent une maladie dont il mou-
rut le 15 mai de l'an 16ii. Il avait composé
dans sa solitude quelques ouvrages sur la
Bible, qui restèrent avec ses autres livres
aux Carmes Déchaussés. Sa vie a été donnée
au public en 1666.
Francise. Quaresm. Elucidât. Terr. Sanct.
Davity, Deseript. de l'Asie et de l'Afrique.
Le Fèvre, Théâtre de la Turquie. La Croix,
Turquie chrétienne. Eugène Roger, Voyage
de terre sainte. Maimbourg, Schisme des
Grecs. Jérôm. Dandini, Voyage au mont Li-
ban, avec les remarques de M. Richard Simon;
et Philipp. Bonanni, Culalog. Ord. reliyios.,
part. i.
Les moines maronites sont encore aujour-
d'hui au mont Liban. On voit actuellement à
Rome trois monastères sous les désignations
suivantes : 1" Maroniti Alepini di S. Antonio
abaie. R. P. abbé D. Genaliu Zucchi, général,
résidant au mont Liban. R. P. D. Basile Cia-
babi, abbé et vicaire général. 2* Maroniti
Libanesi di S. Antonio auate. R. P. D. Emma-
nuel Ciababi. générai, résidant au mont Li-
ban. R. P. D. Libeo Mutaiui, procureur géné-
ral, résidant a Rome. 3* Armeni (moines ar-
méniens) </t S. Antonio abate. R. P. D. Tiruo-
thée Tellal, abbé général, résidant au mont
Liban. R. P. abbé D. Arsène Angiarakian ,
procureur général, résidant à Rome, près du
Vatican. Voyez Arméniens, tome Ie* de ce
Dictionnaire, page 266. B-d-e.
MARTHE ' Aogustines db Saintk-) Voy.
ACGUSTINES.
MARTHE (Des Filles Hospitalières de
MAR
808
Sainte-) en Bourgogne, tant dans le duché
que dans le comté.
Il y a un grand nombre d'hôpitaux, tant
dans le duché que dans le comté de Bour-
gogne, desservis par des Hospitalières, qui
tirent leur origine des Béguines de Malines,
dont nous avons parlé précédemment. Le
plus ancien et le plus considérable de ces
hôpitaux est celui de Beaune, dans le duché
de Bourgogne, fondé l'an 1W3 par Nicolas
Bolin, chancelier de Philippe le Bon, duc de
Bourgogne, qui fit venir de Malines six Bé-
guines pour en avoir soin. Plusieurs person-
nes, à l'exemple du fondateur, y donuèrent
des sommes considérables, et le pape Nico-
las V confirma toutes les donations qui y
avaient été faites. Cet hôpital fut bâti avec
beaucoup de magnificence. 11 y a une salle
fort longue, commune pour tous les pauvres
malades, de quelque nation qu'ils soient,
qui y sont reçus avec beaucoup de charité.
Au bout de cette salle, du côté de l'orient, il
y a une chapelle disposée de telle sorte que
tous les malades peuvent commodément en-
tendre la messe et voir le saint sacrement
lorsqu'il est exposé. Derrière l'autel il y a
une autre salle pour ceux qui sont dange-
reusement malades, laquelle a ses olfices
particuliers qui y sont contigus. Derrière
cette salle est un autre lieu destiné pour les
corps morts, avec plusieurs lavoirs et gran-
des tables de pierre. Le long de la grande
salle , du côté du midi , l'on trouve une
grande cour carrée, bordée de galeries hau-
tes et basses. Le long des galeries hautes, il
y a plusieurs appartements pour recevoir
les personnes de condition, les gentilshom-
mes de quatre ou cinq lituesàla ronde ne
faisant point difficulté de se faire porter à
cet hôpital, où ils sont aussi bien traités et
soignes qu'ils le pourraient être dans leurs
châteaux. Chaque appartement est composé
de chambre, antichambre, cabinet et garde-
robe. Ils sont richement meublés, et dans
chaque chambre il y a trois lits, pour chan-
ger le malade selon les besoins. Chaque ap-
partement u son linge particulier, ses usten-
siles, ses meubles, et n'emprunte rien d'un
autre. Chaque chambre a aussi son nom,
comme celle du roi, celle des ducs de Bour-
gogne, et ainsi des autres. Non-seulement on
y reçoit le^ gentilshommes , mais encore les
bouigeois les plus considérables de la ville.
Ils l'ont apporter de chez eux la viande, le
pain elle vin, et payent les remèdes qu'on
leur donne : il n'y a que les meubles et le
service des sœurs dont on ne demande rien ;
mais il n'y en a point qui en sortant ne laisse
quelque aumône par reconnaissance. Il y a
aussi des chambres le long des galeries bas-
ses, où l'on reçoit ceux qui sont de moindre
condition, et qui y sont traités et médica-
mentés aux dépens de l'hôpital, de la même
manière que les malades de la salle com-
mune; mais s'ils veulent quelque chose de
plus, comme bois, viande et le service par-
ticulier de quelques femmes, c'est à leurs
dépens. L'apothieairerie est fort belle, et la
Bourgeoise, petite rivière qui a sa source à
899
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX;
900
cinq cents pas de la ville, passe au milieu de
la cour, d'où elle se répand par plusieurs ca-
naux dans tous les ol'Qces : ce qui contribue
à :a pi :.,!i'U' (Je cet Itôplal , où l'on ne sent
point de mauvaise odeur connue dans les au-
tres.
Le plus célèbre bôpilal du même institut,
ai !iè. colui de Beaune, est l'hôpital de Châ-
lons-sur-Saônc. -I y en avait eu un de tout
ii cette vil e ; mais ayant été démoli
par ordre du duc de la Trétuoille, gouver-
neur àe Bourgogne, sous prétexte de quel-
qi es [or:iiicalîous que l'on lii au è.ue en-
droit, les bourgeois présentèrent une requête
au roi François 1", i'au 152ei, pour parier S i
Majesté de leur accorder une place dans
la ulle pour y làlir un autre hôpital. Gc
prime leur en accorda une dans le Éuthausg
Saint-André; mais comme elle joignait à un
closde vigneappaileiiasil àl'c-\ e,f.;e, qu.se. -
hlailvouloii apporte r quelque opposition à. et
établissement, on leur en accoida uncaul.o
au faubourg : ai l-Laui eut, où les Bonde-
nji nis de cet bôpilai lurent jetés la même
année, et la première pierre posée, p.tr ies
écii vins L- 19 auùt. Le ici aecotëa 1
suivant des le. 1res d'amortissement, vou-
lant que tel hùp tal fût Iqujq us. sous la j ri-
d.ciioii des bourgeois de :a v.lle, e! ! | a. e
Puai lilaccotv a, l'an ioo8, des indu'. -
étui qui le visiteraient et qui conlnbue-
iie I: urs biens pour l'entretenir. Il est
al magnifique : ii y a plusieurs salles
pour 1. s eh ad. .-s, et on n'y est point inom-
ujode de la mauvaise odeur qui a coutume
d'iufec er les autres hôpitaux. Il y a touj urs
pendaul I hiver un grand nombre de casso-
lettes et de réchauds parfumés, et pendant
l'été ou attache aux voûtes des vases qui
sont toujours remplis de toutes sorte; de
llcurs. L'on admire dans cette maison quatre
grandes chambres hautes, tapissées d • hau-
tes lisses et richement meublées, comme dans
l'hôpital de Leaune, où des personnes de
qualiie se font porter, étant traitées dans
leurs maladies par les Saurs Hospitalières
avec toute l'adresse, la propreté et la dou-
ceur que 1 on pourrait attendre de ceux que
le devoir et non pas la eharilé obligerait à
ces exercices. Ces chambres ont la vue d'un
côté sur la rivière et de l'autre sur la prairie.
11 y a une cuisine particulière pour ces
chambres. Le dortoir ces Sœurs est à côté,
et lous les olû es de l'hôpital sont dessous,
yussi bien que la cuisine, le réfectoire et
i'iniirmerie des Sœurs. 11 y a aussi une belle
iiuolli.cairerie. Ou y voit un jardin où il y a
toutes sortes de simples, et un puits placé au
milieu d'u 1e cour ombragée de quantité d'ar-
bres, qui fournit par des canaux suffisam-
ment u eau à loute la maison.
News ne parlerons point en particulier des
aul es hôpitaux que desservant ces Hospita-
lières dans le duché et comlé de Bourgogne,
où ils sont en grand nombre, et qui semul-
tiplient tcus les jours ; nous nous contente-
rons de dire que ces Hospitalières y prati-
quent partout également la charité à l'égard
des personnes le l'un et l'amie sexe, Files
ne f.mt q:;c des vœux simples d'obéissance
et de chasteté, pour le Icmp-seulemenlqu'el-
Ies sont employées au service des pauvres,
leur étant libre de sortir et de quitte* l'habit
quand bon leur semble.
La différence qu il y a entre celles du du-
ché et celles du comlé, c'est que celles du
duché sont exemptes do la juridiction des
ordinaires, par plusieurs bulles des souve-
rains pontifes; et que celles du comte sont
soumises à l'ordinaire, à la réserve des Hos-
pitalières de Dole, qui se sont maintenues
ur exemption, par un procès qu'elles
ont gagné contre l'archevêque de Besançon.
Les supérieures des exemples sont perpé-
tuelles, el celles des touinises à l'ordi..aire
ue sont que triennales. Les exemples sont
habillées l'été de blanc et l'hiver de gris, et
les autres sont en tout temps habillées de
gris, il n'y a pas longtemps que l'on aobli é
celles-ri à porter en tout temps le gris ; c r
eiles portaient le blanc pendant l'été comme
I . mptes. Les unes el les autres ont un
g:- nd voile blanc, qui avance par-d ewiut de
la 'longueur de quatre à cinq pouces, ei est
soutenu par du carton. Elles ont aussi un
bandeau sur le front et une guimpe qui des-
cend jusqu'à la c< in.ure en diminuant et
faisant deux plis de chaque côté. La forme
de l'un et l'autre habillement est toujours la
même ; et tant la jupe blanche de dessus que
la grise, qui est doublée de noir, sont tou-
jours retroussées, s'attachant par derrièro
avec un crochet d'argent de la longueur de
cinq à six pouces, qui entre dans deux agra-
fes aussi d'argent (1).
Jacques Foderé , Hist. des couvents de
Saint-François el de Sainte-Claire, de la pro-
vince de Swint-Bonaveitture, pay. 43d. His~
loire i cclésiaslique de Clidlons, pag. \88; et
M àiioues manuscrits.
MARTIN (Chanoines de Saïnt-) WBper*
nay. Voy. Jean de Chartres (Saint).
MARTYRS DANS LA PALESTINE. Voy.
Cô.miî et Damien (Saints).
MATHURINES. Voy. Trinité ( Tiers or-
dre de la Sainte-)
M ATHURINS. Voy. Tributaires.
MATTHIASDET1VOLI(Réiokmede).Ko(/.
Antoine de Castel-Saint-Jean.
MAOBEtJGE. Voy. Nivelle.
MAUil (Des Bkkédictins Réformés de la
congrégation de Saint-) en France.
De toutes les congrégations de l'ordre da
Saint-Benoît, il n'y en a point de plus illus-
tre, plus féconde en personnes savantes, et
qui rende plus de service à l'Eglise, que
celle de Saint-Maur en France. Elle doit ses
commencements à la congrégation de Saint-
Vanne, l'ont la réputation, se répandant de
tous côiés, invita plusieurs abbayes de
France à embrasser le même genre de vie.
La première qui demandai) se soumettre à
l'étroite observance fut celle de Sainl-Augus-
(1) Voy., à la tin du vol., a I
901 MAI)
tin do Limoges. Elle avait clé fondée envi-
ron l'an 512 par saint Rurice le Jeune, évo-
que de Limoges, qui y avait établi des cha-
noines; mais les Dano;s ayant entièrement
détruit ce monastère, il l'ut rétabli l'an 90'*
par Turpion, aussi évèque de Limoges, qui
au lieu de chanoines y mit des religieux de
l'ordre de Saint-Benoît. L'observante régu-
lière s'y maintint jusqu'à ce que celle ab-
baye étant t o : 1 1 : ée en commendc, et les re-
venus en ayant été dissipés par le peu d'éco-
nomie, ils abbés, le relâchement s'y intro-
duisit, cl elle était dans un élat déplorable,
lorsque Jean Regnault, dernier abbé com-
m ndataire, la soumit, l'an 1013, à la con-
grégation de Sainl-Vanne. Plusieurs autres
abbayes s'y soumirent aussi ; comme celles
de S;nvut-Faron de Meaux, de Sainl-Juiien de
Noaillé, de Saint-Pierre de Jumièges et de
Bernav. Doin Didier de la Cour el lesaut:es
supérieurs de la Reforme de Saint-Vanne y
envoyèrent dos religieux, qui travaillèrent
avec succès à y établir la relu me. Mais les
ililficuliés qu'ils trouvèrent à réunir sous une
même congrégation ces abbayes el d'autres
ph.s éloignée -, qui demandèrent aussi la ré-
forme, leur fit prendre la résolulb n d'en
faire deux différentes, dont l'une serait éri-
gée en Fiance et à laquelle les monastères
déjà réformes serviraient comme de fonde-
ment. Ce projet fut approuvé dans le chapi-
tré général ;ui se tint à Saint-Mansuy de
Toùl au mois de mai 1018. Ils permirent d s
lors aux religieux qu'ils avaient envoyés en
France de faire un nouveau corps de con-
grégation composé des monastères où ils
avaient porté la réforme et de ceux qui
voudraient l'embrasser dans la suite ; et aîiu
d'entretenir dans les deux congrégations
une union et une auiitié inviolable, ijs dres-
sèrent un acte, par lequel ils se promirent
les uns aux autres la participation aux priè-
res ei aux autres bonnes œuvres, ce qui s'est
toujours pratiqué depuis.
iJum Laurent liénaid, prieur du collège
de Ciu. y, et qui avait été à Saint- Vanne
dans l'intention, ou d'unir son collège à celle
congrégation , ou de s'y faire religieux,
ayaul renouvelé sa profession en présence
de tout le chapitre, conformément à celle qui
se pratiquait deià dans telle congrégation,
et s'élanl soumis à l'obéissance des supé-
rieurs qui la gouvernaient , retourna par
leur ordre à Paris, afin d"y travailler de tout
son pouvoir à l'exécution du dessein qu'on
avait formé dans ce chapitre tenu à Sainl-
Mansuy. L était secondé par les PP. dom
Anselme Rolle, dom Coiomban Régnier, dom
Adrien Langlois , dom Maur Tassin, dom
Martin Taisuière et dom Albauase de Mou-
gin, tous religieux de Saint-Vanne et d'un
mérite distingué, lis obtinrent au mois d'août
de la même année 1618 des lettres patentes
du roi Louis XUI pour l'érection de la nou-
vel e congrégation, à laquelle ils donnèrent
depuis, clans leur première assemblée géné-
r..ie, le nom de Sainl-Maur, aimant mien:.
prendre pour pair on ce bienheureux disci-
yiu de saint Benoît que tout aiiire saint lilu-
MAU
1)02
laire de quelque abbaye particulière, de peur
de donner de la jalousie surtout aux plus
grands monastères qui auraient voulu peut-
elre voir la préférence.
Sitôt que les letires patentes du roi eurent
été expédiées, plusieurs personnes du pre-
mii r i ans s'oiïrircnl d'elles-mêmes à dom
Laurent Renard pnuraccélérerle suceèsd'uue
affaire qu'elles prévoyaient bien (levoir tour-
ner à l'ulililé de l'F.glise et à l'honneur du
royaume. Les principales de ces personnes
furent les cardinaux de Retz et de Sourdis,
les présidents Nieolaï et Hcnnequin et !e
procureur général Mole, qui fut dans la suid>
premier président et garde des sceaux, t e
premier fruit de cette proteetion fut l'intro-1
d action de la reforme dans fe monastère des
Blancs-Manteaux qui appartenait aux Guil-
lelmites. Le cardinal de Retz le lit agréer au
roi, et les Bénédictins en prirent possession le
5 septembre i61S. Comme dom Laurent Be-
nard, prieur du collège de Cluny, se mêlait
de cette affaire c'est peut-être la raison pour
laquelle ces Bénédictins Réformés, qu'on no
connaissait pas encore pour être de la con-
grégation de Saint-Maur qui n'était pas for-
mée, sont appelés de l'ordre de Cluny, dans
la requête que le provincial des Guillelmiles
présen a au roi pour rentrer dans la posses-
sion de ce monastère, aussi bien que dans
le plaidoyer de du Bouchel pour l'université
de Paris, qui prit la défense des Guillelmiles.
M. Baillel, dans la Vie de saint Guillaume,
dit que ce furent les religieux de Sainl-Vau-
ne qui établirent la réforme dans le monas-
tère des Blancs-Manteaux. Il est vrai que ca
furent les religieux de celte congrégation
qui y furent introduits ; mais c'était au nom
de ta nouvelle congrégation de Saint-Maur,
qui n'était pas encore tout à fait formée,
le nous avons dit, et ainsi ni les reli-
gieux de Cluny ni ceux de Saint-Vanne n'ont
point été en possession de ce monastère,
mais bien ceux de la congrégation de SainU
Maur, qui y ont toujours demeuré depuis
qu'on obligea les Guillelmiles à L quitter.
La reforme étant établie dans un monas-
tère de la capitale du royaume, s'étenoit
bie ilôt par toules ses provinces ; on pour-
sur, il à Rome les bulles de confirmation de
la non . elle congrégation. Le roi même vou-
lut bien employer sa recommandation au-
près du pape Grégoire XV, qui, à la prière
de Sa .Majesté, érigea la congrégation de
Saint- aur, lui accordant les mêmes privi-
lèges dont ses prédécesseurs avaient gratifié
la congrégation du Monl-Cassin, el la fai-
sa l aussi participante des grâces octroyées
par Clément VIII à celle de Saint- Vanne.
Ce même pontife nomma le cardinal de Retz
pour protecteur de la nouvelle congrégation,
et supprima les anciens offices claustraux à
mesure e.u'iis viendraient à vaquer, afin
qu'iis fussent désormais unis à la meuse con-
ventuelle. Comme celle union des ofices
claustraux était un point essentiel pour affer-
mir 1 : re:orme, elle fut encore confirmée à
la | rière de Sa Majesté par le. pape Pi bain
VI. i, qui accorda de nouvelles giàees à celtu
903
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
904
congrégation, comme il paraît par sa bulle
du 21 janvier 1627. Les bulles d'érection et
de coutirmalion de la congrégation de Saint-
Maur lurent fulminées par l'official de l'ar-
chevêque de Paris le 1(5 mai 1629. Sa Majesté
accorda des lettres patentes des 15 juin 1631
et 15 mars 1632 pour l'exécution de ces bul-
les, et ces lettres patentes furent vériflées au
parlement de Paris le 21 mars de la même
année.
Pendant qu'on travaillait ainsi à l'affer-
missement de la nouvelle congrégation, elle
faisait de jour en jour du progrès : en sorte
qu'il y avait déjà plus de quarante mo-
nastères qui avaient reçu la réforme, lors-
qu'elle fut introduite dans la célèbre ab-
baye de Saint-Denis en 1633. Elle augmenta
encore en 1636 , par l'union qui y fut
faite de celle de Chezal-Benoîl; et elle est à
présent composée de plus de cent quatre-
vingts tant abbayes que prieurés conven-
tuels, qui sont divisés en six provinces : sa-
voir de France, Normandie, Bourgogne,
Toulouse , Bretagne et Chezal-lienoil. En
parlant de la congrégation du Gluny, nous
avons déjà dit que celle de Saint -Maur
y fut unie en 1634-, pour n'en faire qu'une
sous le litre de congrégation de Saint-Benoît,
autrefois de Cluny et de Saint-.Muur, et que
cette union fut cassée en 164-4 par le pape
Urbain VIII, qui remit ces deux congréga-
tions au même état où elles étaient aupara-
vant. Celle de Sainl-Maur a été gouvernée
depuis ce temps-là par un général, deux as-
sistants et six visiteurs, qui sont élus tous
les trois ans dans un chapitre général, où
sont aussi nommés les supérieurs de chaque
monastère; mais le général peut être tou-
jours continué. Le P. D. Jean-Grégoire Ta-
risse fut le premier général de celte congré-
gation ; il fut élu en 1630 et mourut en 1648.
Présentement la congrégation est gouvernée
pardom Charles de l'Hostallerie.
Comme l'esprit de cette congrégation dès
son origine a été de faire revivre celui de
saint Benoît par la pratique de sa règle, on
s'est appliqué surtout à y former les jeunes
religieux, et pour ce sujet on a établi dans
chaque province un ou deux noviciats, d'où
ceux qu'on admet à la profession sont trans-
férés immédiatement après dans un autre
monastère, où l'on continue de les former à
la piété et aux cérémonies pendant deux
ans. On les applique ensuite, pendant l'espace
de cinq autres années, à l'étude de la philo-
sophie et de la théologie, pour leur faciliter
l'intelligence de l'Ecriture sainte et des saints
Pères. Après leurs éludes on leur fait faire
une année que l'on nomme de récollcclion,
parce que ce temps-là est destiné à les pré-
parer a la réception du sacerdoce, par un
recueillement plus grand et par une applica-
tion plus entière aux seuls exercices spiri-
tuels dans ces différents monastères, par
lesquels ils sont obligés de passer comme
dans tous les autres où ils sont ensuite en-
voyés par ordre des supérieurs. On garde
une exacte uniformité dans tous les exerci-
ces : mêmes offices divins, tant de jour que
de nuit, même oraison mentale, mêmes
veilles, mêmes jeûnes et abstinences, et enfin
même obéissance.
Ceux qui ont été les auteurs de celte ré-
forme n'ont pas prétendu tellement renfer-
mer son utilité au dedans, qu'ils aient abso-
lument refusé de la faire passer au dehors
pour le service de l'Eglise, puisque sans
parler des religieux de cette congrégation,
qui s'appliquent à la prédication et aux au-
tres fonctions du sacerdoce, dans l'adminis-
tration des cures et autres juridictions ecclé-
siastiques, dont jouissent les églises de plu-
sieurs de leurs abbayes, il y en a qui sont
destinés à l'instruction de la jeunesse, mais
principalement de la noblesse de campagne,
ne pouvant leur refuser cette assistance que
saint Benoît accorda de son temps à divers
seigneurs, par une charité si universellement
pratiquée depuis dans l'ordre , qu'elle a
passé en quelque façon pour une loi; et de
là se sont formés ( à l'exemple des ancien-
nes accadémies ouvertes autrefois dans les
monastères) quelques séminaires remplis de
jeunes enfants de condition que l'on y envoie
de toutes les provinces, même des pays étran-
gers, comme sont ceux qui sont établis dans
les abbayes de Tyron, de Pont-le-Roi, de
Saint-Germer de Floix, au diocèse de Beau-
vais et de Sorèze en Bourgogne. Dans ces
deux derniers on y élève et entretient un
nombre de gentilshommes gratis, et dans la
diète tenue l'année 1708 on en a encore éta-
bli un troisième à Verlou en Bretagne, par
la libéralité de M. le cardinal d'Eslrées, abbé
de Saint- Germain des Prés. Outre la piété
qu'on inspire à ceux qui y étudient, on les
instruit encore dans les belles-lettres , et
comme ces séminaires ou collèges sont situés
dans des lieux fort retirés, les jeunes gens y
sont d'ordinaire plus assidus à l'élude et
moins distraits que dans les villes.
Outre ces séminaires ou collèges, il yaen-
core plusieurs monastères de la congréga-
tion où il y a grand nombre de jeunes en-
fants que l'on y instruit dans les petites
classes, qui servent à l'Eglise et y assistent
eu surplis toutes les lêtes et dimanches,
sans parler des autres où l'on reçoit avec les
religieux les jeunes gens de la ville dans les
cours de philosophie et de théologie.
La charité des premiers réformateurs ne
s'est pas bornée à l'instruction de la jeunesse,
car en rappelant de plus en plus les religieux
aux exercices intérieurs du cloître, comme
à leur véritable centre, ils ont trouvé le
moyen d'en occuper un grand nombre très-
utilement pour le public, en ordonnant dans
leurs constitutions imprimées en 1646 que,
outre les études de philosophie et de théolo-
gie, on établira encore dans quelques mo-
nastères des écoles de posilive, de droit ca-
non, de cas de conscience et des langues
grecque et hébraïque ; et c'est dans ces savan-
tes écoles que se sont formés tant de célèbres
écrivains que cette congrégation a produits,
qui ont donné au public plus de trente volu-
mes renfermant une infinité de pièces ma-
nuscrites demeurées jusqu'alors ensevelies
90:s H AU M\U 90C
iliins les bibliothèques, cl qui, par un travail Fui attaqué d'une paralysie, dont il mourut
qu'on ne saurait trop louer, en s'appliqua nt le 19 janvier 1710. Do m Teissier a été chargé
à la révision des ouvrages entiers des PP. de la continuation de cet ouvrage. Nous no
grecs et latins et de plusieurs écrivains ecclé- parlerons point en particulier de tous les ou-
siasliques, ont déjà donne de nouvelles édi- vrages que nous avons îles PP. dom Hugues
lions de saint Irénée, de saint Alhanase, Ménard, dom Luc d'Achéry, don» Jean Garet,
d'Eusèbe de (lésarèe, de saint Augustin, de doinNicolas le Nourri, dom Jean Marlianay,
saint Ambroise, d' saint Jérôme, de s :iut dom Denis de Sainte-Marthe, dom Edmond
Hilaire, de saint Grégoire le Grand, de saint Martène.dom François Lami, et de plusieurs
Bernard, de Grégoire de Tours, de Viclor de autres écrivains de cette congrégation ; ce
Vile, d'Hildeberl et de Marbodius. L'on verra que nous pouvons dire en gênerai, c'est que
encore paraître incessamment de nouvelles les religieux de la congrégation de Saint-
éditions de saint Jean Chrysoslome, de saint Maur ont toujours su allier avec la science
Basile, de saint Grégoire <ie Nazianze, de la beaucoup de piélé, de modestie, d'Humilité,
France chrétienne et de plusieurs autres ou- de douceur et de simplicité, et c'est là la
vrages, prêts à mettre sous la presse, qui marque qui distingue les véritables enfants
sont encore les fruits des éludes des savants de cette congrégation. Nous croirions néan-
icligieux de cette congrégation , aussi bien moins manquer de reconnaissance si nous
que la paléographie grecque, ou Traité de passions sous silence le P. dom Michel Féli-
l'Origine et du Progrès des lettres grecques, bien, qui a fait l'Histoire de l'abbaye de
<itie nous a donné en 1708 le P. dom iiernard Saint-Denis en France, puisqoe nous nous
de Monlfaui on, qui a aussi travaillé à l'édi- sommes servi si utilement de cet auteur
lion du saint Alhanasj et f.iit d'autres e\c I- dans ce que nous avons dit de l'ancienne
lents ouviages. Cette congrégation fit une congrégation de Suint-Denis et de la plus
perle considérable, le 27 décembre 1707, par grande partie de celle de Sïint-Maur.
la mort de dom Jean Mabillon, académi- 11 ne nous reste plus qu'à parler de quel-
rien honoraire de l'académie royale des ques célèbres monastères de cette illustre
Inscriptions et .Médailles. Cet auteur a donné congrégation. L'abbaye de Saint-Germain
au public, pendant 75 ans qu'il a vécu, plus des Prés qui y est agrégée est une des plus
de trente volume», dont les plus considéra- considérables du royaume. Elle fut fondée
blés sont deux volumes in-folio de la nou- par Childebert, fils du grand Clovis, sous le
velle édition de saint Bernard, un \olume nom de saint Vincent, et n'a pris le nom de
in-folio de la Diplomatique , le Supplément saint Germain , éveque de Paris, qu'après la
de celte Diplomatique, neuf volumes in-folio mort de ce saint, qui y fut enterré. Quoi-
des Vies des saints de l'ordre de Sainl-Be- qu'elle fût autrefois hors de la ville, l'abbé
noil, et quatre aussi in-folio des Annales de ne laissait pas d'y avoir quelque juridiction
cet ordre. Tous les savants de France et des spirituelle, qui s'étendit bien davantage
pays étrangers ont regretté avec justice la lorsqu'on eut agrandi le faubourg où elle est
perte d'un si grand homme. située, et qu'il fut devenu un des plus grands
Après sa mort, D. Thierry Ruinart, le fidèle quartiers de Paris, pouvant élie comparé
compagnon de ses éludes, de qui nous avons aux plus belles villes de France. Non -seule-
une nouvelle édition de Grégoire de Tours, ment l'abbé de Saint-Germain avait toute-
les Actes sincères des martyrs, la Persécution juridiction spirituelle et presque épiscopale
des Vandales, composée par Victor de Vite, dans toute l'étendue de ce faubourg, mais il
et plusieurs autres ouvrages, fut chargé par y avait encore haute, moyenne et basse jus-
ses supérieurs de continuer les ouvrages im- lice, et y pouvait donner des lettres de mai-
pirfaiis de cet auteur; en effet, personne Irisé à toute» sortes d'ouvriers. "Présentement
n'était plus capable que ce savant religieux les droits de celle abbaye sont bien diminués.
de les continuer, puisqu'il avait eu la prin- el.par un concordai passé avec l'archevêque
cipale par! à l'édition des deux derniers vu- de Paris, on en a cédé à ce prélat toule la
lûmes des Vies des saints de l'ordre de Saint- juridiction spirituelle, à condition que le
Benoit, qu'il ét;iit auletir des noies et des prieur de l'abbaye serait grand vicaire né de
observations qui sont dans le corps de Fou- l'archevêque de Paris, ei que l'abbe conser-
v rage, qu'il avait aussi eu part aux quatre verait sa juridiction spirituelle dans l'enclos
volumes des Annales bénédictines, dont il de l'abbaye, qui contient quelques cours où
avait fait les tables des principales matières, il y a des ouvriers qui y peuvent travailler
Mais la mort l'ayant aussi enlevé aux savants librement sans être maîtres. L'abbé est sei-
au mois de septembre 1709, dans la cinquante- gneurde Villeneuve-Sainl-tieorges, Aiitouy,
troisième année de son âge, dix-neuf mois lierny, et de plusieurs autres villages aux en-
après la mort du P. Mabillon, auquel il sera- virons de Paris. Celle abbaye a plus de 103,000
ble qu'il n'ait survécu que pour publier ses livres de revenu. Casimir, roi de Pologne,
vertus dans la Vie qu'il en donna deux mois mort en France en 1672, en a été abbé et y
avant sa mort; le P. dom René Massuet, à est enterré: elle est présentement possédée
qui le public est redevable de la nouvelle par M. le cardinal de Bissi.
édition de saint Irénée, fut chargé par ses Celle de Fecamp, qui fulaussi unie à la cou-
supérieurs de travailler à la continuation grégalion de S.iinl-M tur.csi une des plus bel
des ouvrages de ces deux savants reli- les, des plus nobles el des plus riches du
gieux, et il élail sur le point de donner royaume. lCchard 11, duc de Normandie, la
un nouveau volume des Annales, lorsqu'il fit élever sur un ancien édifice qui était bas
DiCTiONSAïaa des Ordres religieux. 11. 29
DOT DICTIONNAIRE DKS ORDRES RELIGIEUX. 908
et obscur ; clic esl bâtie dans l'enceinte du grégation. Celle de Saint-Augustin de Limo-
château, qui a ses fossés et pouts-levis. Ce ges jouit de ce privilège à cause que la ré-
prince y mit des Chanoines Réguliers en la l'orme de France y a pris naissance. 11 lui fut
place des religieuses qu'il y trouva et qu'on accordé par le roi Louis XIII. Chezal- Benoit
transféra à Montivilliers : il y fil faire un cer- et les quatre aulres jouissaient de ce droit du
cueitde pierre où il voulut être inhumé après temps que la congrégation de Cliezal-Benoit
sa mort, et, afin de mériter la grâce d'en faire subsistait, et il a été conservé à la congré-
nne qui fût agréable aux yeux de Dieu en galion de Saint-Maur, qui a encore quelques
rachetant ses péchés par les aumônes, il ne ahbayes où les abbés sont réguliers, mais
manquait pas, tous les vendredis de l'année, perpétuels et à la nomination du roi.
de le faire emplir de froment que l'on dislri- Les religieux de celte congrégation sont
liuait aux pauvres avec vingt sols d'argent , habiles comme les réformés de Cluny. Ils
ce qu'il continua jusqu'à la fin de sa vie. Ro- ont une robe et un scapulaire noir, et par-
tiert 111, son successeur, augmenta les biens dessus, quand ils sont au chœur ou qu'ils
de cette abbaye, et lit venir des religieux de vont par la ville, ils mettent une coule qui
Saint-Bénigne de Dijon, auxquels il donna n*esl pas si ample que celle des moines du
droit de haute, moyenne et basse justice, il Mont-Cassin, ni de ceux de Saint-Vanne. Ils
obtint même du pape Je. m XVI qu'ils fussent reçoivent parmi eux des frères convers qui
indépendants de l'archevêque de Rouen, Celle sont habillés de même, et ils ont encore
abbaye possède dix haronnies, dix hautes des frères commis qui retiennent leur habit
justices et dix sergenleries, entre lesquelles séculi r. M. liuileau, auteur de l'Histoire
la baronnic de Fécamp et celle de Virfleur, monastique d'Orient et de l'Histoire de l'or-
qui l'ont la mense abbatiale, produi eut plus dre de Saint-Benoît, était frère commis dans
de soixante mille livres de renie à l'abbé, cette congrégation. Elle a pour armes une
Non-seulement elle est exempte de la juii- couronne d'épines au milieu de laquelle il y
diction épiscopale, mais encore elle exerce a le mot Pax, surmonté d'une fleur de lis, et
une juridiction presque épiscopale sur les trois clous de la passion en pointe.
dix paroisses de la ville, et sur seize autres Chronic. générales cteiord. deSaint-Benoît ,
situées dans le diocèse de Rouen, suivant la loin. IV, cent. k, chapitre 12. Dom Michel Fe-
concession faite à Henri, abbé de Fécamp, libien, Hist. de l'abbaye de Saint- Denis.
par Hugues, archevêque de Rouen. L'ofiici. 1 Sainte-Marthe, Gall. Christ., tom. IV. Her-
de Fécamp a droit de visile sur toutes ces mant, Etablissement des ord. religieux, pag.
paroisses, y peut tenir synode et assemblée 409.
Je curés et y faire des règlements. La congrégation de Sainl-Maur, qui con-
L'abbaye de la Trinité de Vendôme fut serve encore aujourd'hui, dans l'Eglise el
bndée l'an 10i2 par Ceoiïroi ou Godefroi, dans le monde littéraire, la réputation du
comte d'Anjou, en mémoire d'une vision d • corps le plus laborieux que la famille béné-
Irois étoiles qui lui avaient paru tomber dictiue ait produit, continua sous ce rapport,
dans une fontaine voisine, il y mit des reli- dans le xvm* siècle, l'éloge qu'en a fait ci-
gieux de l'ordre de Saint-Benoît, qu'il fit ve- dessus le P. Hélyot. Néanmoins, considéréu
nir de Marmouticrs , et non-si ulemcnl il la sous le rapport religieux, cette congrégation
gra'ifîa de plusieurs prérogatives, mais aussi était déjà, lorsque notre auteur mourut, bien
il l'enrichit de la précieuse larme qi;e Noire- Ion de ces temps de ferveur et de simplicité
Seigneur répandit sur le Lazare. Il l'avait qui l'avaient distinguée dans les premières
apportée d'outre-mer dans un petit vase qui années de son existence, et dans ces addi-
n'avait ni soudure ni ouverture, et qui était lions nous n'aurons guère à dire d'elle que
blanc par dehors comme du cristal. Cette ah- l'histoire de ses luttes contre l'autorité de
baye est illustre par le privilège que le pape 1 Eglise et de son relâchement.
Innocent 111 lui a accordé, que quiconque La bulle Unigenitus trouva un nombre in-
en serait pourvu se pourrait qualifier cardi- fini d'opposants dans ses monastères sur les
nal, du litre de Sainte-l'risce. Nous avons divers poinis de la France. Hâtons-nous
parlé assez amplement des abbayes de Saint- pourtant de (Sire qu'aussitôt après l'apparition
Denis en France, de Marmouticrs, de Saint- de ce te constitution, dom Lhotallerie, géné-
Bénigne de Dijon, de la Chaize-Dhu, de rai de la congrégation, quoiqu'il eût lui-
Sauve-M.ijuur, du Thon, toutes abbayes même étudié sous le fameux P. Gerberon, en
unies à la congrégation de Saint-Maur, et envoya des exemplaires dans toutes les mai-
qui étaient chefs autrefois de congrégations sons de la réforme (en 1 714-}, avec ordre do
auxquelles elles avaient donné leurs noms ; la faire recevoir au chapitre. Si tous les su-
nous nous étendrions trop si nous voulions périeurs généraux qui lui succédèrent ne
rapporter l'origine el les prérogatives des furent pas aussi zélés que lui pour la vérilé
autres monastères qui composent celte con- el l'obéissance au pape (tel dom Aaydon,
grégalion de Saint-Maur. Parmi ces mit- par exemple), tous néanmoins, et quelques-
nastères il y en a quelques-uns qui ne sont uns avec grand dévouement (tels dom Thi-
point en commende, comme les abbayes de baud et autres}, 'se montrèrent soumis el tra-
Saint-Augustin de Limoges, de Cbezal-Be- v allèrent à propager parmi leurs religieux;
noîi, de Saini-Sulpice de Bourges, de Sainl- l'acceptation de la bulle; et coopérèrent,
Vincent du Macs el de Saint-Martin de Séez, plus ou moins, aux mesures prises par l'au-
qui sont gouvernés par des abbés triennaux, torité ecclésiastique et civile pour maintenir
nommés par le chapitre général de la cou- la paix dans la congrégation, réprimer el
' MAU
punir ceux qui portaient 10 scandale en pro-
pageant la résistance.
il y eut, en effet, des scènes do scandale,
et nombreuses et inconcevables :à la célèbre
abbaye de Saint-Denis en France, Irente-
deux religieux, gagnés par dom Louvard,
janséniste des plus fanatiques, et mort depuis
réfugié en Hollande, signèrent une requête
au chapitre général, pour obtenir la permis-
sion d'adhérer incessamment à l'appel des
quatreévêques.Dom Louvard appela, en effet,
avec la communauté, peu de jours après, el
cet exemple fui suh i par la plus grande par: ic
de la communauté de Saint-Germain des
Prés. Près de quinze cents Bénédictins, et
toute la communauté de Saint-Denis, adhé-
rèrent à l'a ppel du cardinal de Noailles.
quelques-uns poussèrent le fanatisme jus-
qu'à écrire à l'archevêque schismatique d'U-
Irechl, ce qui était alors une preuve de zèle
à la moile dans le pani jansêuien. Dans plu-
sieurs lieux, et en divers temps, plusieurs
des jeunes moines furent rejetes de l'admis-
sion aux ordres sacrés par refus d'accepta-
tion de la bulle. On peut même citer des
communautés comme ayant été tout entières
dans un esprit de révolte : telles celles de
Sa nl-Hiquier, au diocèse d'Amiens; de
Sainte-Colombe, à S'iis, etc. Il faudrait des
volumes pour renfermer tout ce que le jan-
sénisme lit faire de démarches, de rés. stan-
ces, de proclamations ou déclarations cou-
pables dans ces temps malheureux. Nous ne
pouvons, dans cet article, qu'indiquer rapi-
dement quelques-uns des faits au milieu de
faits sans nombre. Ainsi le chapitre général,
tenu en 1733 à Marmouticrs, fut une preuve
des plus tristes du mauvais esprit régnant
alors dans la congrégation de Saint-Maur ;
car, les religieux soumis aux décisions de
l'Eglise ayant été seuls admis aux opérations
du chapitre, le- nombre des votants fut réduit
extrêmement, et les choses slatuées dans
celte assemblée furent loin de trouver dans
les volontés la soumission qu'elles méritaient.
11 y eut mène dans ces temps, et depuis,
des religieux prêtres de l'institut qui donnè-
rent dans les folies et les scènes ridicules
des convulsions, el y prirent une part aciive.
Cependant il ne faut pas omettre de rappeler
ici qu'il y eut toujours dans celte famille dé-
solée des hommes qui cherchaient à y ra-
mener la paix et y maintenir la soumission
par leur exemple et leur autorité. C'est avec
bonheur que nous citons des noms qui se
distinguèrent par leur conduite, leurs senti-
ments catholiques, dom Thibault, dom Thuii-
- lier, dom Conrade, dom Laprade, dom Val-
lelal.dom la'i'asle, etc., etc. En 1734 ou 1735,
quarante el un religieux, tous de Saint-Ger-
main des Près, croyun^-nous, écrivirent au
pape pour assurer à la constitution de Clé-
ment XI omnimo ïam obedienliam.
Néanmoins, si les chefs et la plus saine
partie de la congrégation étaient restés sou-
mis aux décisions de l'Eglise, l'esprit philo-
(1) Cette requête parut peu de jours après impii-
uiée en G pages in-i".
(-) ' 8 pages in-i".
M AU <)'"
sophique, qui domina le xvnr ti'cle, secon-
dant l'esprii de révolte né du jansénisme,
altéra profondément l'éspi itreligieux de celle
reforme, qui ava I si fort édifié l'Eglise au
siècle précédent. On a peine à croire, même
aujourd'hui, que des Bénédictins de la célébra
maison de Saint-Germain des Prés en soient
venus an point de faire la démarche que
nous allons faire connaître.
Le 15 juin 17C5, fut signée une requête (1)
par vingl-huit Bénédictins de l'abbaye de
Saint-Germain des Prés, demandant les choses
les plus étranges sous des prétextes spé-
cieux; peu de jours après, cette requête fut
présentée au roi. Les religieux qui l'avaient
signée demandaient donc à changer d'habit,
à ne plus dire matines pendant la nui:, à
n'être plus astreints à l'usage du maigre. Ces
moines relâches couvraient avec art l'indé-
cence de leurs propositions. A entendre les
auteurs de la requête, ils ne désirent que
rappeler l'ordre à la règle primitive. L'ha-
billement est, selon eux, singulier et avili
aux yeux du public; il leur en faut un qui
soit religieux et ecclésiastique, modeste et
décent. L'esprit profane et mondain qui a
dicté la requête se trahit ici un peu trop ou-
vertement : il se cache mieux dans les deux,
autres articles. La nourriture est trop re-
cherchée, ils veulent qu'elle soit simple et
commune. Quint aux matines, qu'elles soient
remises à une heure qui ne laisse à persqnne
aucun prétexte pour s'en dispenser. D'ailleurs
des austérités aussi étrangères à l'esprit qu'à
la lettre de la règle ferment la porte à quantité
de sujets, et empêchent les Bénédictins de
vaquer, comme autrefois, à l'éducalion de la
jeune noblesse, etc. Le public, les évéques,
les bons religieux furent scandalisés d'une
telle audace dans le relâchement. Louis XV
chargea un de ses minisires de témoigner
aux supérieurs de la c mgrégalion son ex-
trême mécontentement et son indignation
de la démarche des religieux de Saint-Ger-
main, et de prendre des mesures pour pré-
venir ou arrêter les troubles qu'elle com-
mençait à causer dans les provinces. Les
Bénédictins de la maison des Blancs-AIan-
leaux firenl une vigoureuse réclamation,
consistant dans une requête au roi el une
dissertation où la discipline monastique est
vengée des outrrges de la requête des religieux
de Saint-Germain. Pour transmettre ce mo-
nument de zèle à la postérité, les rel gieux
des Blancs-.Manteaux le firent imprimer (2).
Quelque lemps après, il parut une autre ré-
clamation au nom du supérieur général, du
régime et de la plus nombreuse partie delà
congrégation (3). Les audacieux ne se tinrent
pas pour battus : ils voulurent, au premier
chapitre général qui suivit leur requête,
poursuivre leurs projets et les faire préva-
loir. Le roi les déconcerta, en défendant au
chapitre de délibérer sur aucun des points
qui étaient l'objet de la requête.
Une innovation parut dans ce temps à
(":) o3 pages in-4a, donl près de la moitié est rem-
plie par les signatures.
911
Saint-Germain des Prés. Elle pouvait avoir
son uiililé réelle, comme elle avait un côté
brillant ou spécieux. On établit un bureau
littéraire, qui quelquefois ne s'harmonisait
pas avec la \olonlé des supérieurs. Hélas I
ces signataires de la requête, qui étaient
nombreux, suivaient déjà, sauf l'habille-
ment, les dispositions de leur scandaleuse
requête; ils allaient tout au plus les diman-
ches et fêtes à la messe et à vêpres. Ouant
aux matines, on ne les y voyait que la nuit
de Noël. Ils étaient habituellement à l'infir-
merie, pour y faire bonne chère. Le relâche-
ment se répandit dans les couvents des pro-
vinces. Là on abolissait sans formalité l'u-
sage du maigre; ici on retranchait l'ofiice de
la nuit ; ailleurs des repas, des concerts pro-
fanaient un séjour destiné à la pénitence et
à la prière. On peut citer comme ayant donne
les premiers le scandale d'un grand relâche-
ment, les monastères de Dijon, d'Auxerre,
de Saint-Lomer, au diocèse de Blois, etc.
Dans cette dernière maison les choses allè-
rent au point que le roi y envoya des com-
missaires et donna des ordres pour disperser
les religieux et leur en substituer d'autres.
Nous donnerons au reste une idée suffisante
de l'état auquel était réduite une. partie de la
congrégation de Saint- Maur, en disant qu'une
loge de francs-maçons fut, en 1775, établie à
Glanfeuil, lieu du diocèse d'Angers, où la
règle de saint lienoît s'établit d'abord en
France. Le vénérable de la loge fut le prieur
des Bénédictins de Saint-Maur, et vraisem-
blablement cette loge était dans l'abbaye.
Le secrétaire des francs-maçons de cette
réunion était le P. prieur des Auguslins de
la communauté d'Angers; leur correspon-
dant à Paris était un nommé Théolon, qui
était en même temps correspondant de la
loge de la ville de Fougères et autres. 0 tem-
poral o mores!
La commission des réguliers établie en
17G.3, composée de cinq évêques et de cinq
laïques, commission dont nous ferons con-
naître, dans notre Supplément, l'occasion, le
but et les ravages, cette commission dont
nous ne pouvons parler ici que sommaire-
ment, fut funeste à la congrégation de Saint-
Maur comme à la plupart des sociétés reli-
gieuses. Presque tous les corps en France,
après les premières opérations de cette com-
mission hypocrite, tinrent des assemblées et
se donnèrent des constitutions nouvelles ou
modifiées. Dans leurs préfaces, ces constitu-
tions paraissent quelquefois avoir été rédi-
gées par des religieux qui croyaient bonne-
ment alors à une palingénésie de la vie du
cloître. Les Bénédictins de la congrégation
de Saint-Maur nommèrent, en 17Gi), une
commission pour rédiger leurs conslitutions
sur un nouveau plan. Ces constitutions pa-
rurent en effet l'année suivante en un vo-
lum - in-8", sous ce titre : Régula S. P. Ilcne-
dicti et ennstitutiones congregatianis Sancli
Mauri. Ces constitutions sont divisées en
deux parties générales, dont la première est
consacrée à régler ce qui concerne le régime
ou la conduite générale des monastères, Elle
DICTIONNMRE DUS ÔUDRES RELIGIEUX. 012
est partagée en trois seclions, dont les titres
rappellent dans leurs termes la marche qu'on
suit ordinairement en traitant des matières
canoniques. Ainsi, la première section parle
des exercices réguliers, et par conséquent
de l'Eglise, de l'office divin, des vœux, de la
réception des sujets et des étrangers, des
études, du travail, etc. Le 22° et dernier
chapitre, qui traite des t oulpes et des peines,
est composé de cinq articles. Par les nou-
velles prescriptions tout l'office est chaulé
dans les monastères où il y a vingt-quatre
religieux, excepté compiles aux jours ordi-
naires. Dans les maisons de quinze religieux
au moins, on chan'ait tout aux grandes fêtes,
et parliedes heures auxjours ordinaires ; dans
les couvents où il y avait moins de quinze
choristes , on chaulait encore moins que
dans l'es derniers, etc. On continuait de réci-
ter l'office de la sainte Vierge, aux fériés et
fêtes simples. Les matines sont maintenues à
ilt'iix heures api es minuit. — On peut encore,
d'après ces constitutions, recevoir les jeunes
postulants de quinze ans, mais on ne leur
fera prononcer des va'ux qu'à vingt et un
ans. Dans chaque province, des monastères
sont assignés par les définileurs du chapitre
général, les uns pour servir de premier ou
second noviciat, d'autres pour maisons d'é-
tudes, etc. La seconde section traite des per-
sonnes, par conséquent de tout ce qui regarde
les religieux choristes ou convers; la troi-
sième section, des choses temporelles , des
monastères, c'est-à-dire du chapitre et de ce
qu'on y agite, des édifices, des habits, etc.
La seconde partie des conslitutions pres-
crit ce qui regarde le régime général de ia
congrégation , et est divisée en deux sections.
Quarante-deux chapitres forment la première
section, traitant de l'assemblée générale, des
élections, elc. La seconde section est destinée
à régler le régime de la congrégation hors
le temps du chapitre général. Le supérieur
général doit élre nécessairement profès de la
congrégation de Saint-Maur, Français, et il
reste soumis au chapitre général. Il ne peut,
sous aucun prétexte, user des insignes ponti-
ficaux, ni accepter un bénéfice dans le sein
de la congrégation. S'il en accepte un hors
de sa corporation, par là même sa démission
est donnée. Il doit consigner dans un registre
les choses remarquables qui se passent dans
l'année : disposition fort utile et qui aurait
bien dû élre pri~e dans les monasières dès leur
origine. Il est élu pour Irois années, etc., etc.
Une disposition sage de ces constituions,
propre à maintenir la discipline, c'est que
les sujets ne sont point attachés à telle ou
telle maison; ils restent à la discrétion du
supérieur, qui peut les envoyer d'un monas-
tère à l'autre, elc. La rédaction de ces consti-
tutions avait été confiée à dom Pernely, à
dum Jamin, l'auteur des Pemées théologi-
ques, à dom la Rivière et à dom Clémence!.
On sait combien ce dernier était janséniste.
Dom la Rivière et lui avaient été imposés
aux capitulants par les commissaires du roi
qui présidaient au chapitre. Quant à dom
Pernely, après avoir terminé son travail, il
915 MM! MAU 9H
alla à Berlin et y devint bibliothécaire du académie bien plus précieuse que le pré-
roi île Prusse. Les constitutions furenl ap- tendu bureau littéraire. Celte académie ,
prouvées au chapitre général tenu à Mar- toute composée de sujets distingués par leurs
mouliers en 17(i9, puis autorisées civilement talents, et dirigée par un théologien habile
par lettres patentes et enregistrement. dans la science ecclésiastique, avait pour
Quoique les nouveaux statuts n'eussent objet l'étude de la théologie, mais sans s'as-
r.:en. décidé sur la composition d'un nouveau sujeltir à la méthode de l'école. Les textes
bréviaire, la congrégation ne laissa pas de originaux de l'Ecriture, les conciles, les Pè-
céder au goût ou à la manie du siècle, et lit res, les historiens de l'Eglise , étaient les
un bréviaire nouveau pour son usage. On en sources où ils puisaient le goût véritable.
confia la rédaction à dom Foulon, janséniste Là brillèrent dom Rivet et un grand nombre
ardent, qui y mit des preuves nombreuses de d'autres. Avec la science ecclésiastique qui
ses principes. Le psautier y a souffert quel- régnait réellement dans la congrégation des
que altération ; les prières les plus autorisées Mauristes, nous croyons pouvoir insinuer
et les plus anciennes y sent changées. La que ne se trouvait point la .science Ihéo'ogi-
nomenclalure des saints du calendrier est en que proprement dite, telle qu'on la trouvait
conséquence des idées du rédacteur. Ce bré- dans plusieurs membres de la congrégation
viaire parut en 1787 , en i vol. in-12, sans de Saint-Sulpice, de celle des Lazaristes, de
approbation du général, et sans mandement l'institut des Jésuites , de la sociélé des Eu-
qui le prescrive dans la congrégation. Oui distes, e!c.
l'avait donc commande? ce n'était pas le lu- En 1770, on a publié l'Histoire littéraire
reau littéraire, supprimé depuis longtemps de la congrégation de Snint-Maur, par dom
par l'autorité civile. Ce bréviaire ne fut point Prosper Tassin, qui a mis dans ce livre des
régulièrement adopté. Un ancien prieur de preuves de ses préventions jansénistes, mais
l'abbaye du Bec, lequel en faisait usage, après qui fait bien connaître les travaux de sa cor-
la révolution, nous a dit qu'on ne le récitait poralion, à dater de lGISjusqu'à l'époqueoù
pas encore dans son monastère. Il parait ce- il livre son ouvrage au public. On peut con-
pendanl qu'on commençait à s'en servir dans sulter aussi la Bibliographie de la congréga-
quelqucs maisons quand la révolution fran- lion de Saint-Maur qui se trouve à la fin
çaise éclata. d'une Histoire de dom Mabillon, publiée par
Les six provinces dont parle ci-dessus le P, M. Chavin en 184-3. Cette nomenclature,
Hélyot étaient toujours les mêmes. Entre les toute défectueuse et incomplète qu'elle e-t,
180 abbayes ou prieurés qui les composaient, peut néanmoins donner une idée juste des
on voyait presque tous les célèbres monastè- travaux de la célèbre congrégation. Nous
res bénédictins de France. Ainsi, dans la pro- croyons devoir dire ici que presque tous ces
vince de Normandie, on comptait Jumiéges travaux étaient composés sous l'influence de
Fécamp, Saint-Waudrille, qu'on eût pu jadis l'esprit janséniste. Quand la révolution dis-
appeler l'asile des saints ; le Bec, jadis habité pers i les teligieux , plusieurs entreprises
parLaufranc et saint Anselme, Saint-Etienne d'un grand prix demeurèrent inachevées:
de Caen, le Monl-Sainl-Michel, eic. Dans la telles l'Histoire Littéraire de la France, l'é-
province de Bretagne, on voyait les abbayes dilion des OKuvres de saint Grégoire de
de Saint-Melaine, à Hennés, de Redon, du Nazianze, etc. — Nous allons donner ici
prieuré de Lehon, à Dinan , chef-lieu d'une quelques détails sur l'intérieur de la maison
réforme particulière, avant son union , etc. des Blancs-Manteaux, la pins importante de
Dans la province de France, on trouvait la la congrégation sous le lappurt littéraire,
fameuse abbaye de Saint-Denis, maison d'é- après l'abbaye Saint-Germain des Près. C'est
tudes pour les religieux, Marmoulicrs, Saint- des Blancs-Manteaux que pariit celle ri—
Germain des F'rés , Sainl Faron, etc. Les Bé- quête contre la demande scandaleuse des
nédictins de la congrégation avaient la di- vingt-huit Bénédictins dont nousavons parlé,
rection de presque toutes les écoles militaires ; Aux Blancs-Manteaux les constitutions île la
ils avaient en nuire plusieurs collèges pour réforme étaient régulièrement gardées. Le
l'instruction et l'éducation de la jeunesse, par maigre était continuel, et on couchait sur
exemple dans l'abbaye de Tiron, au Perche, une paillasse piquée. Dom Haudiquct était,
où fut élevé l'abbé de Viliefr.oy, savant orien- lors de la suppression, prieur de cette mai-
lalisle; dans l'abbaye de l'ont-Lcvoy, diocèse son, qui n'était pas abbaye. Là se trouvaient
de Blois ; dans celles de S.iinl-Germer , au plusieurs religieux dont le nom est connu :
pays de Bray ; de Beauinont-en-Auge ; île tels dom Foui n, l'auteur du bréviaire que
Sorèze, dansleLangue.ini ;dcSaint-Jean-d'An- nous avons mentionne plus liant ; dom Clé-
gely, en Sainlonge ; de Hebais , en Brie; de ment, auteur de l'Art de vérifier les dates.
Thoissy, dans la principauté de Dumbes ; Ce religieux, qui ne manquait jamais d'as-
d'Auxerre.... sans parler de plusieurs mo- sister aux matines quoiqu'il fut âgé de 80
naslères, surtout dans les campagnes, où les ans et qu'il eût une sonde, jouissait d'une
religieux instruisaient les enfants. grande réputation; il était lié avec Bailly ,
Dans tout le courant du siècle, les Béne- depuis maire de Paris, reçut la visite du
diclins a vaicnlconservé, malgré leurs disscu- prince Henri, frère du roi de Prusse, etc. ;
lions intestines, l'habitude de leurs travaux 'i<mi Def ris, qui avait commencé l'édition
et de leurs publications précieuses. 1 savaient d. s œuvres de Bossue t ; dom de Cognac
au commencement du siècle établi, dans (notre compatriote), qui travaillait au Gaflia
l'abbaye de Saint-Florent dcSaumur, une CitrtSliana ; dom Labat, qui a donne une
!>!N DICTIONNAIRE DES OIÎD11ES RELIGIEUX. 016
histoire de l'abbaye de Saint-Polycarpe ; dom tulanls. La commission dos réguliers lui
Malherbe, qui travaillait à une histoire du avait nui, ainsi qu'auv autres instituts. Les
bas Languedoc ; dom Caffieri , frère du seul- querelles intestines delà congrégation de
pleur, à qui sont ducs les statues des quatre Saint-Maur auraient peut-être amené sa rui-
Pères qui étaient aux Invalides ; dom .Merle, ne, si la révolution n'était venue hâter sa
généalogiste savant, consulté par les grandes dissolution. Des troubles avaient encore eu
familles; dom Ouinquet, qui cultivait un pe- lieu peu d'années auparavant. Un chapitre
lit jardin dans le quartier, s'occupait des tenu à Saint-Denis avait été orageux, et les
fleurs et connaissait moins les livres que les dissentiments, les plaintes en étaient venus
tulipes et surlout les jacinthes. Dom Uris. , au point que le parlement lui-même Gt trois
procureur, n'égalait aussi les autres, ni eu Remontrances au roi sur ces malheureuses
science ni en ferveur. On en peut dire autant affaires. La dernière est datée du 1" février
de dom Malvaux, religieux minoré, qui vi- 1785. Toutes gémissent et crient sur les fu-
vait pourtant avec les savants dont nous nestes opérations de la commission des ré-
avons parlé et qui nous a fourni ces détails guliers, qui en 1780 avait été dissoute, mais
curieux. Tous ces religieux laborieux et en créée de nouveau le même jour, sous un au-
apparence si réguliers étaient malheureu- Ire nom. Cette fatale commission était alors
sèment imbus des erreurs jansénistes. Celait composée de cinq évêques , qui ne comp-
d'àns leur maison que se faisaient les abon- taient plus avec eux que l'un des cinq laï-
nements aux fameuses Nouvelles ecclés'asti- ques qui leur étaient jadis adjoints.
i/ufs , auxquelles travaillait dom Déforis. Les Bénédictins de Saint-Maur quittèrent
fresque tous donnèrent aussi dans les er- leurs monastères en 1792.
reurs de la Constitution civile du clergé, et Dès l'année 1813, après la première ren-
quelques-uns dans des scandales inconce- trée des Bourbons, quelques anciens reli-
vables, comme dom Foulon, l'auteur du bré- gieux de cette congrégation adressèrent une
viaire, qui se relira à Montmorency, près de requête à Louis X.VÏ1I; ils représentaient
Paris, et s'y maria avec une femme qu'il que si on avait à reprocher à quelques
avait séduite depuis longtemps, ainsi qu'il le membres de leur corps l'oubli de leur règle,
déclara à la municipalité. Là vint aboutir il y en avait d'autres qui n'en avaient jamais
l'austérité qui avait sa base dans lejansé- perdu l'esprit et les sentiments, et qui, au
nisme. La maison des Rlancs-Mantcaux était milieu des orages, s'étaient conservés purs
habitée par des religieux envoyés de toutes et fidèles. Ils demandaient à ressusciter une
les provinces de la congrégation; les reli- corporation non abolie par l'Eglise, qui pou-
gieux portaient le titre de conventuels ou vail être encore si utile à la société, aux let-
modérateurs. très, à l'instruction publique. Dom Groult
La célèbre abbaye de Saint-Germain des d'Arcy avait, nous a-t-il dit, prié M. de
Prés est assez connue; elle était comme le Montesquieu d'obtenir du roi uni; ordon-
chef-lieu de la congrégation de Saint-Mau^. nance qui rétablît la congrégation. M. de
Le revenu de la mense abbatiale et de la Montesquieu y consentit, mais il répondit sa-
maison valait environ 300,000 livres, dont gênent qu'il fallait que les Bénédictins fus-
les deux tiers allaient à l'abbé, qui était sent réunis avant que le roi accordât l'or-
commendalaire. On avait reconstruit, dans dounance, laquelle certainement ne serait
le cours du dernier siècle, une partie du pas refusée. A la seconde rentrée des Bour-
cloître de ce monastère et deux grands corps bons, le projet ayant pris plus de consistance,
de logis. La b.bliothèque de celte abbaye, ou rechercha par la voie des journaux
qui était la plus nombreuse après celle du l'adhésion des religieux dispersés qui vou-
roi, avait été commencée par le P. Dubreul et draienl contribuer à le mettre à exécution.
augmentée successivement. Dans le xvi i" Il le fui en effet en 1SIG. L'association des
siècle, elle fut enrichie des bibliothèques de chevaliers de Saicl-Louis faisait élever à ses
l'abbé Jean d'Estrées (1718), de l'abbé Ile- frais des enfants. Les Bénédictins furent au-
naudot (1720), du chancelier Séguier, ma- torisés par le roi à répondre à l'invitation
nuscrits (en 1732), du cardinal de Gesvres des chevaliers de Saint-Louis qui leur pre-
1744), de M. de Harlay, conseiller d'tëtal (en posaient de se charger de leur œuvre ; ils se
1702). Le tout donnait un chiffre de 100,000 réunirent à Senlis, dans l'ancien monastère do
volumes imprimés et quinze à vingt m:lle la Présentation, quiavail éléacquis à cet effet,
, uscrits, dans tontes les langues. On y et reçurent aussi d'autres enfants avec ceux
trouvait lé manuscrit des Pensées de Pascal, de l'association. Une partie des religieux re-
qu'on a édité et dont on a tact parlé depuis prit les exercices monastiques et l'autre se
peu. Les abbés avaient autrefois toute juri- livra à l'instruction. Mais malheureusement
diction tant spirituelle que temporelle sur le ils ne repèrent point leur babil.
faubourg Saint-Germain ; le prieur de l'ali- Dom Marquet, ancien prieur de l'abbaye
baye était vicaire général né el perpétuel de et directeur du collège royal de Pout-Levoy,
l'archevêque de Paris, et ce, jusqu'à la dis- fut le premier directeur de cette maison,
persion. Le dernier général fui le B. P. dom qu'il n'eut pas le temps de former au gré de
Chevreux. Les sujets n'affluaient pas dans ses désirs. Il mourut le 2 otobre 1817, âgé
les noviciats ; depuis longtemps la congre- de 73 ans, el fut inhumé dans le cimetière do
galion était dans l'usage de secourir les pa- Senlis, où l'on voit son épitaphe. Nous ne sa-
rcnls nécessiteux de ses membres. Sans celle vous s'il était propre à son œuvre; il n'avait
œuvre de charité, elle eût eu fort peu de nos- réuni autour de lui nue quelques vieillards*
HIT \\\V MAI] I *
qui n'avaient point celle ferveur d'action <\ui Toulouse, où étaient les Ir.ésors d'AIaric. Il
ne se trouve guère que dans des jeunes gens, vint ensuite assiéger Angouléme. De là il
Do m Groult succéda à doni Marquet, et di- alla à Tours, où, ayant reçu la robe consu-
rigea rétablissement; il n'avait rien de ce laire et les ornementa impériaux que lui
qu'il fallait pour celte restauration, si ce n'est avait envoyés l'empereur Anaslase, il s'en
du goût pour les établissements religieux, revêtit dans l'église de Saint-Martin. A peine
goût édifiant qu'il garda jusqu'à sa mort, fut-il de reloue à Paris, qu'ayant appris la
L'établissement de Senlis ne lit point de su- mort de Sigebert, roi de Cologne, il alla
jets ; le collège) fort mal tenu, se soutint pour s'emparer de ce royaume. Il songea
pendant dix ou douze ans. Le bâliment, de- ensuite à se rendre maître de celui de Cam-
venu la propriété de dom Groult, a élé laissé brai, dont P.agnaraire était en possession.
par lui à la respectable congrégation de Pic- Toutes ces actions ne conviennent point à
pus, qu'il a faite sa légataire et qui l'a vendu une personne qui est retenue au lit à Paris
à un habitant de Senlis. Celui-ci en loue ac- pir une fièvre qui le mine et le consume,
luellement une partie au pensionnat de dit le savant bénédictin, qui ajoute que ce
Saint-Vincent de Senlis. C'est tout ce que saint Scverin ne peut pa« non plus avoir
cette maison, témoin de si belles espérances, guéri en allant à Paris, Eulalius ou Eula-
gardeaujourd'huidesonanciennedestination. ilius, évêque de Nevers, comme il est mai-
La congrégaiion de Saint-Maur avait pris que dans quelques manuscrits de la vie de
jadis le nom de Congrégation Gallicane ou ce saint, puisque cet Eulalius n'occupait
de France. C'est aussi sous ce nom que s'est point pour lois le sié^e épiscopal de Nevers :
formée la nouvelle société de Bénédictins éla- ;iinsi ce n'est point sur la vie de saint Seve-
blie à Solesmcs, que nous ferons connaître rin, écrite par Fausle, que l'on doit s'ap-
dans le volume de Supplément. puyer pour prouver l'antiquité du monastère
Régula S. P. Benedicti el constitutiones d'Agaune, et l'on n'a aucune preuve que là
rongregationis Saticli Mauri, in-8n, Paris, règle de saint Basile y ait été observée dan9
Desprez. 1770. Nouvelles ecclésiastiques. — le vc siècle, comme quelques auteurs ont
Ami de la religion. — Tableau de Paris, avancé. 11 faudrait auparavant prouver qu'il
par M. de Saint-Victor. — Etat de Paris, y eût eu un monastère dès ce temps-là à
par de Beaumont. — Notes prises passi m. Agaune; mais il y a bien plus d'apparence
B-d-e. oue la première fondation de ce monastère
u.lmlnr n>.n.™n ,r^ „ «• tu t f,t 1 1 e p . ir le To i S i s i s nu) ii(l , et qu'il joisnit
MAUI.ICE 0 AGAUNE (Des Chanoines Re- ce monas.ère à régljge ae Saint-Maurice,
GUL1ERS DE SAINT-) [t]. qu',! fil reparei.
L'abbaye de Saint-Maurice en Valais, au Ce prince, après la mort de Gondebaud,
diocèse de Sion, en Suisse, est très-illustre et son [ère, succéda au royaume de Bourgogne
très-ancienne. Le corps de saint Maurice, l'au 515, et après avoir abjuré l'hérésie <i'A-
qui y repose avec ses compagnons, lui a fan rius, dont les Fourguignons avaient été jus-
donner le nom <!e ce saint martyr, et on la qu'ai, rs infectés, il crut qu'il ne pouvait pas
nomme aussi d Agaune, à cause qu'elle est donner des marques plus signalées de son
si uée dans un bourg qui porie ce nom. Si- attachement à la religion calh dique, que de
gismond, roi de liourgogne, fut le fondateur réparer avez beaucoup de magnificence l'é-
de cette abbaye, ou pluiôt il n'en fut que le glise où reposaient les corps de saint Mau-
restauraleur; car il y avait déjà une église rice et île ses compagnons, el d'en confier la
dédiée en l'honneur de saint Maurice, qui garde à des moines qui y chantassent les
avait été bâtie vers la Gn du y siècle, et même louanges de l>ieu. Quelques-uns prétendent
il y aurait eu un monastère, si l'on pouvait qu'il lit cette fondation par un autre motif,
ajouter foi à la vie de saint Severin, qui en et que ce fut pour expier le crime qu'il avait
a élé abbé, laquelle a été écrite par Fausle, commis en faisant mourir son fils Sigeric.
où il est remarqué que le grand Ciovis ayant Ce prince avait épousé en premières noces
élé malade pendant deux ans, el sa maladie Oslrogothe, l'une des filles de'l'héodoric, roi
ayant commencé dès la vingt-cinquième an- d'italie; dont il eut, entre autres enfants, un
née de son règne, il ne fut guéri que par les lils nommé S geric. Après la mort de celle
prières de saint Severin, que l'on fit venir reine, il épousa une de ses servantes, qui,
d'Agaune à Paris. Mais le docte P. dotn Ma- ayant conçu une haine contre Sigeric, per-
bilfui fait remarquer que cela ne peut être, suada à Sigismond qu'il avait conspiré co.n-
puisque, selon le témoignage de Grégoire de inc lui pour se mettre la couronne sur la
Tours, ce prince régna trente ans, el mou- tète. Sigismond, trop crédule, fil étrangler
rut la cinquième année d'après la bataille de son fils avec une serviette, comme il était
Vouillé (l'an 514), qui n'arriva que dans la endormi; mais aussitôt, touché de repentir (a
vingt-cinquième de son règne. Après celle ce que disent ces historiens) et pénétré de
bataille, où les troupes de Ciovis rempor- douleur, il fil bâtir le monastère d'Agaune,
tèrent la vicloire sur celles d'AIaric, roi des l'an 'î>±2. Mais ce m&uaslère et l'église de
Visigoths, qui y fut tué par Ciovis (l'an 507), Saint-Maurice étaient bâtis dès l'an 515, et
ce prince, profitant de sa victoire, lit plu- il t si vrai que Sigismond, après le meurtre
si -s actions qui n'étaient point d'un homme de son fils, se retira l'an 5i2 à Agaune, où
malade. Il passa l'hiver suivant à Bordeaux, j| passa plusieurs jours en jeûnes et en lar-
donl il s'était emparé. Au printemps, il prit mes, au tombeau de .saint Maurice, deman-
(!* Voij., à la lin du vol., n°251.
S19 ACTIONNAIRE DES OllDRES RELIGIEUX. 929
danl à Dieu d'élre puni en cette vie plutôt dans ce dernier près de trois cents filles, qui
qu'en l'autre. Sa prière fut exaucée; car étaient aussi partagées par bandes, à l'exem-
l'année suivante 523, il fut attaqué par Clo- pie des moines de Sainl-Maurice d'Àgaune et
doinir, roi d'Orléans, et vaincu. Il se retira des religieuses de Remiremont. Les moines
secrètement sur le haut d'une montagne in- de Sainl-Maurice étaient divisés, comme
accessible, et de peur que ses sens ne le li- nous avons dit, en neuf bandes; les reli-
vrassent entre les mains des Français, il se gieuses de Remiremont en sept. Les autres
coupa lui-même les cheveux et se revêtit de en avaient plus ou moins; mais ils ne for-
l'babit monastique, dans l'intention de pas- niaient tous qu'un chœur, qui était relevé
ser le reste de ses jours dans le monastère par un aulre. Ce qu'il y avait de plus singu-
d'Agaune, comme ceux qu'il croyait ses plus lier dans l'abbaye de Saint-Riquîer, c'est que
fidèles serviteurs lui avaient conseillé. Mais la communauté était composée de trois cents
à peine fut-il arrivé à la porte de ce monas- religieux. Il y avait outre cela cent enfants
1ère, qu'ils le livrèrent entre les mains des qu'on y enseignait, et qui portaient aussi
Français. Clodomir l'emmena revêtu de son l'habil monastique. Ces trois cents religieux
habit monastique avec sa femme et ses en- et ces enfants étaient partagés en trois
fanls, et les mit en prison près d'Orléans, chœurs qui psalmodiaient continuellement
Il les y garda jusqu'à l'année suivante 52i, jour et nuit dans l'église de celle abbaye:
qu'il résolut de les faire mourir. Saint A vit, cent à la chapelle de Saint-Sauveur avec
abbé de Micy près d'Orléans, dit à Clodomir Irente-quaire enfants, cent à la chapelle ce
que s'il épargnait ces princes dans la vue de Sainl-Riquier avec trente-trois enfants, et
Dieu, il sérail avec lui et remporterait des autant de religieux et d'enfanls à la cha-
vicloires; mais que s'il les faisait mourir, il pelle de la Passion. Ils se trouvaient tous à
périrait de même avec sa femme et ses en- toutes les heures canoniales; et lorsqu'elles
fanls. Clodomir se moqua de ce conseil, cl étaient finies, nn tiers de chaque chœur se
lit tuer Sigismond, avec sa femme et ses en- retirait pour aller à ses affaires et à ses be-
finis, les lit jeter dans un puits, et marcha soins, pendant que les deux autres tiers con-
en Bourgogne pour aller faire la guerre à Go- linuaient de psalmodier à voix basse. Ceux
domar, frère de Sigismond, où il fut tué lui- qui étaient sortis étant retournés à l'église,
mémedans un combat près d'Aûtun, l'an 525. il en sortait de chaque chœur autant qu'il
Il y en a qui ont aussi prétendu que c'é- en était entré, ce qui se pratiquait de même
tait dans le monastère d'Agaune qu'on sui- lorsqu'il fallait aller au réfectoire ou pren-
vait la règle deTarnat ; mais nous parlerons dre le repos.
en un autre lieu de cette règle et de celle L'abbaye d'Airaune , qui avait d'abord
qu'on suivait à Agaune, en rapportant les une règle particulière, et non pas la règle
différentes règles qui ont eu cours en Occi- de saint Rasile, comme quelques-uns préten-
dent : nous nous contenterons dédire à pré- dent , embrassa dans la suite celle de saint
sent que Tarnat et Agaune étaient deux mo- Benoit. Mais les Bénédictins en ayant été
nastères différents, et que c'est à tort qu'ils chassés par l'empereur Louis le Débonnaire
ont élé confondus par quelques historiens, l'an 82», on substitua à leur place des
puisque Tarnat é'ail situé dans le Lyonnais Chanoines séculiers. Trente ans après, ou
proche Vienne, et qu' Agaune était dans le environ, celte abbaye ayant é:é donnée à
Valais. Huberl , frère de rhielbe ge , femme de
Le premierahbé d'Agaune fut Himnemon- Lolhaire , roi de Lorraine, ses biens et
de, que le roi Sigismond avait fait venir du ses revenus furent dissipés par la mau-
monaslèro de Grave; ce prince voulut que vaise vie de cet abbé, l'office divin fut
les religieux chantassent continuellement interrompu ; ce qu'on avait accoutumé de
jour et nuit les louanges du Seigneur. Ils donner aux ministres des dutcls était dis-
étaient divisés en neuf bandes, pour se suc- tribué à des courtisanes, à des scélérats,
céder les uns aux autres, et chanter les heu- et employé pour la nourriture d'un grand
res canoniales ou nocturnes , matines , nombre de chiens ; il épousa même une
prime, tierce, sexle, none et vêpres; on ne femme déjà mariée, qui, étant séparée
parlait pas encore pour lors des compiles, de son mari , était entrée dans un monas-
dont on doit l'institution à saint Benoît. En- 1ère, d'où il l'enleva. Charles le Chauve,
viron cent ans auparavant celle sorte de après la mort de sa femme Hermiutrude ,
psalmodie continuelle avait été instituée en ayant épousé, aussitôt qu'il en eut reçu la
Orient par saint Alexandre, fondateur des nouvel e , Richihle, qu'il entretenait comme
Acéinètes (Voy. Acémètbs), mais le monas- concubine, donna l'abbaye de Sainl-Mau-
tère d'Agaune fut le premier en Occident où rire au comte Boson , frère de Richihle,
elle lut établie; c'est ce qu'on a appelé en lequel se lit couronner quelque temps après
latin, Unis perennis; plusieurs autres mo- roi de Provence ou d'Arles. Mais dans le
nastères non-seulement d'hommes mais aussi neuvième et le dixième siècle, on n'élail
île filles imitèrent celui d'Agaune. Entre les pas surpris de voir des abbayes entre les
hommes, les principaux lurent ceux de Saint- mains des séculiers et de personnes laïques
Bénigne de Dijon, de Saint-Denis en France1, et mariées. Souvent des hommes étaient
de Saint-Martin de Tours, de Sainl-Riquier, abbés de monastères de filles, et des filles
de Luxeuil, et quelques autres. Parmi les ou femmes avaient des monastères d'hom-
monastères de filles, il y eut ceux de Rémi- mes , avec le titre d'abbés , et même on
remonte! de Saint-Jean de Laon. Il y avait en donnait pour dot en mariage.
Kl
MAL1
MAL'
9îi
L'abbaye île Saint-Maurice avail été déjà
ravagée par les Lombards dès le vin siècle.
L'empereur Charlcmagnc l'avait fait répa-
rer, mais «'lie fut encore brûlée par les Sar-
rasins dans le \c siècle: et b s observances
n'y furent entièrement rétablies que lors-
qu'on y eut mis îles Chanoines Réguliers, ou
que les Chanoines Séculiers qui y étaient
se furent soumis à la désapproprialion el
eurent reçu la règle de saint Augustin ;
ce qui ne peut être arrivé qu'au commen-
cement du xii' siècle, ou sous le gouver-
nement de l'abbé Hugues, qui avail fait
rebâtir l'église, qui l'ut consacrée par le
pape Eugène II! l'an liiG. Ces Chanoines
f-rent en grand crédit; on en demanda en
plusieurs endroits , el ils formèrent une
congrégation dont l'abbaye de Saint-Mau-
rice fut chef. Ils portaient un camail rouge
sur le rochel ; c'e^t pourquoi Guillaume ,
comte de Ponthieu , l'an 1-210, leur assigna
tous les ans treize livres de rente sur
la balle d'Abbeville, pour acheter vingt-
aunes d'écarlale pour 1< urs capuces.
L'on trouve dans le trésor des Charles
du roi (Begist.'ii,tium.83), des le'tres d>;
Guillaume abbé el des religieux de celte
abbaye , de l'an 1261 , qui portent que
l'abbé, voulant satisfaire la dévotion que le
roi saint Louis avait de fonder des mai-
sons de retordre, et le désir que ce prince,
étant dans son abbaye, avait manifesté de
posséder quelques reliques des saints mar-
tyrs de la légion de saint Maurice . il en
avait à cet effel lire quelques-unes du trésor
de son église, el les avait envoyées à ce
prince , qui lis avait reçues solennelle-
ment en procession accompagné de plu-
sieurs piélats ecclésiastiques et séculiers, et
les avait fait porter dans la \ille de Senlis,
1 our les déposer dans l'église ou chapelle
qu'il voulait fonder proche de son château ,
prétendant les disperser en plusieurs églises
et monastères de son royaume, où il ins-
tituerait des Chanoines. Et, de crainte que
dans la suite il n'arrivât quelque différend
entre lui et l'évéque de Senlis touchant
l'institut on de ces Chanoines, il était de-
meuré d'accord avec Robert, évêque de Sen-
lis, que les Chanoines de son ordre que
le roi mettrait dans celte église ou cha-
pelle qui serait dédiée en l'honneur de la
sainte Vierge, de saint .Maurice et de ses
compagnons, observeraient l'usage et les
cérémonies de l'Eglise de Paris, en faisant
l'office divin comme faisaient les chape-
lains de la chapelle du roi ; que ces Cha-
noines pourraient, du consentement du ro>,
en recevoir d'autres sans eo demander per-
mission à l'évéque, qui ne pourrait les
oler pour quelque raison que ce fui sans
le congé du roi , si ce n'était pour cause
de scandale; que ces Chanoines, après la
mort de leur prieur, en pourraient éiire un
autre de leur maison , ou d'une autre de
leur ordre sans sa permission ; que l évê-
que de Senlis el ses successeurs y pour-
raient prêcher, confirmer, donner les or-
dres e; y l'are l'office divin, en donnant
acte au prieur comme ils n'entendent pas
par là préjudicier aux libertés et privi-
lèges de celte église; qu'il" n'y pourrait
laire la visite qu'une fois l'année, du con-
sentement du roi ; que s'il y a quoique
chose à corriger, il en avertira le prieur;
et si la correction regarde le prieur, il en
donnera avis à l'abbé.
Les reliques des compagnons de saint
Maurice furent déposées d'abord dans une
petite chapelle , et saint Louis ne fil bâtir
l'église de Saint-Maurice et le monastère
que l'an 12iï+, et y mil treize Chanoines.
Jl y avait aussi un prieuré de cet ordre
à Semur, en Bourgogne, sous le litre de
Saint-Jean l'Evangéliste. Il semble que cet
ordre n'avait que ces deux prieurés en
France ; car, selon le catalogue des abbés
de ce monastère que MM. de Sainte-Mar-
the ont donné, Barthélémy de Gorlion ,
soixante-huitième abbé, visita les prieu-
rés de Semur et de Scn'is qui étaient en
France , et les réforma. L'empereur Ar-
noul est marqué dans le nombre des ab-
bés au même catalogue ; mais il n'est pas
fidèle , et on n'y peut pas ajouter beau-
coup de foi.
MAURICE ET DE SAINT-LAZARE (Des Che-
valiers de l'ordre de Saint-) en Savoie.
La plupart des historiens qui ont parlé de
l'ordre de Saint-Maurice en Savoie en attri-
buent l'institution à Amédée, premier duc de
Savoie, qui fut ensuite antipape sous le nom
de Félix V, il disent que ce prince, ayant
abandonné ses Etats à ses enfants , se relira
dans la solitude de Ripaille avec quelques
seigneurs de sa cour, où il institua l'ordre des
chevaliers de Saint-Maurice , voulant qu'ils
fussent velus d'une soutane el d'un chaperon
gris avec un bonnet, et les manches d'un
camelot ronge et une ceinture d'or avec un
manteau sur lequel il y avait une croix pom-
melée de taffetas blanc. Mais il est certain
que. cet ordre n'a commencé que l'an 1572,
qu'il eut pour instituteur le duc Emmanuel-
Philberl, et que leur habit de cérémonie con-
siste aujourd'hui en une grande coule ou
manteau rouge cramoisi, doublé de taffetas
blanc , sur lequel il y a une croix aussi de
taffetas blanc pommelé et bordé de bandes
vertes aux quatre angles. Si l'abbé Giusli-
niani eûl lu la bulle de Crégoire XIII; 'tu 16
septembre de la même année, il n'aurait pas
dit, dans son Histoire des Ordres militaires,
qu'on ne voyait point sur quel rondement
Barbosa avait mis l'institution de cet ordre
en l'an 1372, sous Emmanuel-Pbilbert, et
qu'apparemment il s'était trompé, ayant pris
l'union de l'ordre deSaint-Lazare qui fut faite
la même année avec celui de Saint-Maurice
pour l'institution même de celui de Sain!-
Maurice, Il est vrai que le pape Grégoire XIII,
par une bulle du 13 novembre i372, unit
l'ordre de Saint-Lazare à celui de Saint-Mau-
rice; mais il n'y avait pas plus de deux mois
que l'ordre de Saint-Maurice avail été insti-
tué par le duc Emnianucl-Philbcrl, auquelle
pape en avait accordé la permission par une
f)«
nil'.TIONNAlIlK DliS ORDRES RELIGIEUX.
02't-
Outre bulle du 1G septembre de la même an-
née, où il n'est l'ait aucune mention qu'il y eût
déjà eu en Savoie un ordre de Saint-Maurice.
Le pape y déclare que ce qui porta ce
prime à instituer cet ordre, c'était pour s'op-
poser à l'hérésie qui s'introduisait eu <e
temps-là dans plusieurs provinces, et dont les
frontières de Savoie étaient menacées à cause
du voisinage de Genève, qui était le centre
de l'hérésie de Calvin, d'où elle s'é'ai t répan-
due aux environs, et par la bulle d'union que
ce pape fil de l'ordre de Saint Lazare à celui
de Saint-Maurice, le 13 novembre de la même
année, il y répète l'institution qui avait été
faite depuis peu de celui de Saint-Maurice
sous la règle de Cîteaux par le duc Emma-
miel— l'hilbert, et dit qu'il ne fait cette union
qu'après avoir considéré que ce sérail un
grand avantage d'unir l'ancien ordre de
Saint-Lazare, qui n'avait plus de grand maî-
tre et qui était beaucoup déchu de son au
cienne splendeur, à celui de Saint-Maurice
qui ne venait que de naître : Si liane reterem
(militiam) illi novœet nunc nascenli udjange-
remus.
On ne peut guère lire celte bulle qu'on ne
jette en même temps les yeu\ sur celle de
l'institution de l'ordre de Saint-Maurice ,
puisqu'elles se trouvent de suite toutes deux,
dans le Bullaire romain, et par conséquent
liarbosa , Tamburin et plusieurs autres écri-
vains ont raison de dire que l'ordre de Saint-
Maurice en Savoie ne fut institué que l'an
1572 par le duc Kmmanuel-Philbtrl. L'union
de celui de Saint-Lazare à cet ordre; ne fut
faite qu'après la mort de Jannot de Castillon,
qui en était grand maître, et qui mourut à
Verccil la même année 157-! , comme nous
avons dit ailleurs. Cet ordre a pris depuis ce
temps-là le nom de Saint-Maurice el de Saint-
Lazare.
Ces Chevaliers font vœu de pauvreté, d'o-
béissance et de chasteté conjugale. Ils sui-
vent la règle de Cîteaux , doivent combattre
pour la défense de la foi catholique, peuvent
se marier une fois seulement à une vierge,
et le pape Clément VIII leur accorda, en
lo!)G, de pouvoir posséder des bénéfices ou
des pensions sur des bénéfices jusqu'à la
somme de 'tOO éuus. L'ordre a beaucoup de
commanderies el a deux principales maisons,
lune à Turin et l'autre à Nice, où les Cheva-
liers vivent en commun. L'an 1619, le duc
Charles-Emmanuel ordonna que la croix de
l'ordre serait blanche et pommelée par les
bouts avec des bandes vertes aux quatre an-
gles pour marquer l'ordre de Sa ni Lazare.
Mais les Chevaliers ne s'élant pas mis eu pei-
ne d'exécuter les ordres de ce prince , la du-
chesse Christine de France, veuve de Victor-
Amédée el tutrice de son Gis, le duc Charles-
Emmanuel Il , Ot exécuter l'ordonnance du
duc Charles-Emmanuel l°r, et marqua la
grandeur des croix, défendant aux clercs et
aux icligieux chapelains de l'ordre d'en por-
ter d'or émaillée de blanc, comme les Lhe-
v »li( rs, devant la poitrine ; mais leur ordonna
d'i n porter une de laine blanche cousue sur
! l VotJ-, à la fin i!u vol., n" 2Û2.
le manteau, excepté les prélats de l'ordre qui
seraient chevaliers de justice, el auraient l'ait
preuve de noblesse (1).
Lorsqu'on reçoit ces Chevaliers à la pro-
fession, ils promettent d'être fidèles au duc
de Savoie el à ses successeurs, de porter
l'habit et la croix de l'ordre, de venir au
chapitre lorsqu'il se célébrera, de dire cha-
que jour le psautier abrégé en l'honneur de
J. sus-Christ, de la sainte Vierge et des saints
Maurice et Lazare, de jeûner les vendredis
ou samedis, de garder la chasteté conjugale,
la charité et l'hospitalité envers les lépreux,
d'observer les statuts de l'ordre, de ne point
aliéner les biens dépendants des commande-
ries, el de ne les point donner à ferme pour
un long temps, ni à bail emphytéotique sans
le consentement du duc de Savoie.
Bernard Giusliniani, Hist. Chronolog. de
gli Ord. mil. Silvest. MauroL, Mar. Océan,
dt lui. glit elig. Menuenius, Herman et Schoô-
nebecli , dans leurs Hist. dis Oïd. milil.,H
Bull. rom.
MAYEUL (Saint-). Voy. Somasqoes.
MELCHIIF.S GÉORGIENS et M1NGUÉL1ENS
(Des Moines).
On appelle Melchi'es, dans le Levant, les
Syi ièns ou Suriens, les Coptes ou Egyptiens,
et les autres nations de l'Eglise orientale,
qui, n'étant pas de véritables Grecs, ont
néanmoins embrassé le sentiment commun
des Giei's, et le nom de Melchites , c'est-à-
dire royalistes, leur a été donné parce qu'ils
ont obéi aux décisions du concile de Chalré-
d aine avec l'empereur Mareien. Ce furent les
sectaires du Levant qui donnèrent ce nom
aux orthodoxes qui suivaient la religion de
l'empereur, le mol de Mi débite venant du
mot hébreu Mclcclt, qui signifie roi ou prin-
ce. Mais les Melchites ne sont pas pour cela
présenlementorlhodoxes; carils onlembrassc
les erreurs des Grées , el il n'y a point de
chrétiens qui soienl si fort opposés à la pri-
mauté du pape. Il y a parmi eux des religieux
et îles reigieuses qui suivent aussi avec les
moines grecs la règle de saint Basile. Les re-
ligieux ont deux beaux monastères à Damas,
et les religieuses en ont aussi deux qui sont
fort riches cl éloignés d'une journée de la
même ville. Elles gardent la clôture et ne
sortent point. Les Melchites officient en lan-
gue arabe. C'est ce que j'ai appris de plu-
sieurs Levantins, entre autres de M. Mare-
Joscph, patriarche des nesloriens , cl de M.
Saphar, évèque de Mardin.
Les Géorgiens suivent en partie la secte
des Arméniens, et en partie celle des tirées.
Le prince , quoique mahométan de religion ,
nomme aux dignités ecclésiastiques , cl y
é ève ordinairement ses parents. Leur reli-
gion n'est guère différente de celle des Min-
u ri liens, et les uns cl le* autres n'ont seule-
ment que le nom de chrétiens, y en ayant une
grande partie qui ne son! pas baptisés, par
l'ignorance des évêques el des prêtres, qui,
la plupart, ne savent pas la forme du baptê-
me. C'est beaucoup lorsque le Catholtcos, qui
î>2 > MEL Mil. i i
est le chef du i lergé, sait lire, aussi bien que l'élection ilu primai, el tous é'isenl celui
les évoques qui n'ont aucun soin des âme<, qu'il lear recomn and:'. Ce prélat ne lient
qui ne visitent ni leurs églises, ni leurs dio- point le premier rang pour le spirituel: mais
cèses , et dont l'occupation ordinaire est d'ê- le prinre est le maître absolu pour le spi-
Ire dans des Festins continuels elile s'enivrer riiuel et pour le temporel, quoique maho-
presque tous les jours. Leur principal revenu métan ; car le roi de l'ei se l'olilige d'embras-
consiste en ce qu'ils retirent des femmes et ser la religion de Mahomet pour conserver
des enfants de leurs vassaux qu'ils vendent sa dignité dans sa famille, el les grands sei-
aux Turc*, gneurs du pays se servent des prêtres comme
Ces peuples reconnaissaient autrefois le pa- de valets, méprisent les é\èiiues et les ehâ-
triarchc d'.Vnlioehe; maintenant ils obéissent lient. Les Mingréliens ont plus de respect
à celui de Constantinople, et ont néanmoins pour les évoques, mais ils ont aussi un grand
chacun un primat de leur nation qu'ils appel- mépris pour les prêtres, à cause de leur immo-
lent Catholicos, et qui ont aussi chacun leur rance el île leur ivrognerie, et un prêtre n'est
juridiction particulière. Il y avait autrefois respecté que quand il dit la messe,
douze évéchés dans la Mingrélie, dont il n'en Les religieux mingréliens sont aussi igno-
resle plus que six. Les autres ont été chan- rants que le reste du clergé, et ne sont pas
jjés en abbayes, qui sont: Ckiaggi, Gippurias, mieux instruits des mystères de la religion.
Copis, Obburgi, Sébastôpol, qui a été ruinée On les appelle litres, el ils sont habillés comme
par les eaux, et Anarghia. les séculiers, avec celle différence que les
Les étê:(ues y sont fort riches , surioul le séculiers ont peu de barbe, et se rasent le
Catholicos, et la simonie est ordinaire parmi sommet ne la tête en forme de couronne,
eux ; car le Catholicos ne consacre point un coupant leurs cheveux en rond au-dessus des
évéqne. s'il ne lui donne cinq cents écus. Il oreilles, et que les religieux laissent croître
ne confesse que pour une bonne s "mine d'ar- leurs cheveux et Kur barbe. L'habillement
gent ; et il y en eut un qui, aj ant été mécon- d.'s uns el «les autres consiste en une chemise
lent de ce qu'un visir ne lui avait donné que qui descend jusqu'aux genoux et qu'ils ren-
cinquante écus pour s'être confessé -i lui, ne ferment dans un caleçon ou pantalon ; et
voulut pas le confesser une seconde fo s qu'il par- lesstis ils mettent une espèce de veate
i e lui eut payé auparavant la première con- fort courte, ou un feuue assez semblable à
fession. Il ne célèbre point de messe qu'il ne la chlamydc des anciens, en passant la tête
soit assuré d'aï o:r cent écus, el l'on double ded ms, et ils le tournent comme i's \ eulent,
ordinairement celle somme lorsque t'est une du côté que vient le vent ou la pluie; car il
inesse des morts. Comme parmi les, évêques ne couvre que la moitié du corps, et ne des-
i; y en a qui ne savenl pas lire, ils appren- cend que jusqu'aux genoux. Leurs souliers
r.ent une messe par cœur, qu'ils disent prin- ne sont que d'une semelle de peau de bulfle
eipalemrtil aux enterrements, après s'en être qui n'est point préparée, et cette semelle
bien fait payer, à l'exemple de leur Càtholi- s'attache aux pieds avec une courroie de
cos. Il y a quelques moines qui ont le lilre même peau qu'on lace par-dessus: quelques-
et le revenu d'un éveché, qui leur est accorde uns disent qu'il n'y a que les religieux qui
par le prince, sans être consacrés; mai-, portent celte espèce de veste (1).
consacrés ou non, ils ne laissent pas de faire L'on ne l'ail pas grande cérémonie pour la
des prêtres | our de l'argent. réception de ces religieux. Leur vocation
Ces prélats prétendent néanmoins être pins vient de leurs parents, qui les consacrent
saints que ceux de l'Eglise romaine, à dès leur enfance en leur niellant sur la tète
cause qu'ils ne mangent point de viande -, de une calotte noire qui leur couvre les oreilles,
même que les évêques grecs, et ils observent leur laissant croître les cheveux, leur recoin-
avec le peuple les mêmes carêmes des Grecs, mandant de s'abstenir de manger de la viande,
C'est dans la pratique de ces jeûnes, qu'ils el leur disant pour toute rais n qu'ils sont
observent très-mal, qu'ils font consister lîères. C'esl ce que les enfants observent,
tous les devciiis du christianisme. Les pré- sans savoir ce que c'est que d'èire Bères.
Ires ne sont pas plus éclairés que leurs évê- On les donne ensuile à d'autres Bères pour
ques; s'ils savent lire, qu'ils aient appris les eie>er, et ceux qui les donnent à des moi-
une messe par cœur, et qu'ils puissent don- nés gn es réussissent mieux.
ner à l'évêque la valeur d'un cheval, ils sont Les religieux géorgiens en savenl un peu
ordonnés prèlres, el se marient autant de plus que les Mingréliens, et la plupart des
fois que bon leur semble. L'on peul juger chrétiens de la Géoruio sont instruits des
si le peuple esl bien instruit, ayant des pas- mystères du christianisme dans les monaslè-
leUrs si ignorants et si vicieux : aussi n'a- res, où ils apprem eut aussi à lire el à écrive.
l-il pas la moindre idée de la foi et de la re- Ces religieux sont habillés comme les moines
ligion, traitant de fables et de rêveries la grecs, e> se disent, aussi bien que les reli-
vie éternelle, le jugement universel et la ré- jiieux mingréliens, de l'ordre de Saint-Basile.
s;irreciion des morts. L y a aussi dans la Géorgie et la Mingrélie
Les Géorgiens observent mieux le jeùe.e des religieuses. Comme les Géorgiennes sonl
que les Mingréliens et font de plus longues estimées les plus belles femmes de l'Asie, dès
oraisons. Le prince contraint les ecclésiasli- qu'une tille est un peu grande on tâche de la
ques, et même -les évêques, d'aller à la.guerrè. dérober, el d'ordinaire elle esl enlevée par
Il lionne son suffrage avec les évêques dans quelqu'un de ses parcnls qui lava \cudre en
v- -,!..., .>.. v l . n° 2-j5.
r.27
DICTIONNAIRE DES OIJHUF.S RELIGIEUX.
?2S
Turquie ou en Perse. C'est ce qui fait que
les pères elmères renferment de bonne heure
leurs filles dansdes monastères, où la plupart
s'appliquent à la lecture, et y demeurent toute
leur vie. L'on dit qu'après la profession, lors-
qu'elles sont parvenues à un certain âge,
elles ont permission de baptiser et même
d'appliquer les saintes huiles aussi bien
qu'un évêque. Leur habillement est sembla-
ble à celui des autres femmes géorgiennes,
qui sont toutes habillées à la persane. La
différence qu'il y a entre les religieuses et les
autres femmes, c'est que l'habillement des
religieuses est noir, ei qu'elles ont un voile
et un linge qui leur couvre presque tout le
visage, de sorte qu'on ne leur v oit que les
yeux, selon coque m'a dit un prêtre géorgien
à qui je m'en suis informé; ce voile est aussi
commun aux autres femmes persanes qui en
ont de différents pour la maison et lorsqu'elles
sortent, y en ayant même qui les couvrent
depuis la léle jusqu'aux pieds. Il y a l'eau-
coup plus de monastères de filles que d'hom-
mes, ce qui fait que les femmes et les filles
sont mieux instruites et savent mieux leur
religion que les hommes.
A l'égai d des religieuses mingréliennes,
il y en a de plusieurs sortes. Les unes sont des
tilles qui, ayant atteint l'âge nubile, ne se
soucient pas du mariage. Les autres sont des
servantes qi.i, après la mort de leurs maîtres,
se font Bères avec leurs maîtresses. D'autres
sont des veuves qui ne veulent point se ma-
rier. D'autres sont des femmes qui , après
avoir trop goûlé du monde, l'abandonnent
quand elles viennent sur l'âge et qu'elles se
voient méprisées. D'autres sont des femmes
répudiées, et d'autres enfin se font religieuses
par pauvreté. Celles-ci demandent l'aumône
dans les églises, et on leur donne plus libé-
ralement, en considération de leur habit.
Toutes ces religieuses sont vêtues de noir à
la persane, ont la tête couverte d'un voile de
la même couleur et ne mangent jamais de
viande. Elles ne gardent pas la clôture et ne
sont pas engagées pour toujours à la vie mo-
nastique, mais elles la peuvent quitter quand
il leur plaît.
Parmi les Mingréliens, il n'y a que les
égli-es cathédrales, celles des abbayes et cel-
les des Bères qui soient un peu propres, les
églises paroissiales étant plus sales que des
élables. Les ornements sacerdotaux des évo-
ques et des Itères sont aussi assez propres,
étant de soie cl brodés d'or; mais ceux des
pré:res séculiers, qu'on appelle papas, n'ont
aucune apparence, le plus souvent, d'habil-
lements sacerdotaux, leur pauvreté les obli-
geant à se servir de quelque guenille déchirée
en guise de pluvial. 11 y en a même plusieurs
qui disent la messe avec une simple chemise
de toile qu'ils mettent sur leurs habtts:aussi
le peuple n'a-l-il guère de dévotion à leurs
messes. On a plus de respect pour la messe
des Hères, qui ont dans leurs églises, en fort
bi>n état, les choses requises pour la célé-
brer. Les Géorgiens entretiennent assez
bi n leurs églises qui sont dans les villes ;
(I) Voy. t la lin du vol., les n0! -ôi à iâii.
mais celles qui sont à la campagne ne sont
pas plus propres que les églises paroissiales
des Mingréliens. Ceux qui demeurent en
terre sainte sont unis et obéissent au patriar-
che de Jérusalem. Ils ont abandonné les
saints lieux qu'ils possédaient, savoir une
des chapelles bâties sur le mont Calvaire,
dans l'endroit où fut plantée la croix de
ÎSolre-Seigneur Jésus-Christ, laquelle cha-
pelle ils avaient obtenue lorsque l'empereur
Soliman entra dans Jérusalem. Ils ont aussi
quitté le monastère de Sainte-Croix qui est à
demi-lieue de Jérusalem, dont l'église fut
bâtie à l'endroit où fut trouvée la vraie croix.
lis ont laissé ces églises en gage aux Grecs,
qui avaient payé pour eux aux Turcs et aux
Juifs des sommes considérables. Parmi les
monastères du mont Alhos, celui qui porte
le nom des Géorgiens est destiné pour re-
cevoir les religieux de cette nation, cl le
patriarche de Constanlinople envoie souvent
en Géorgie des caloyers pour entretenir le
peuple dans le schisme avec le pape.
Le chevalier Chardin et Tavcrnier, Voya-
gea fin Perse. Le P. Lamberli, dans le Recueil
de Thévenol, et dom Joseph Zanipy.Théatin,
Relation de Mingrélie.
Au dernier siècle, les moines Melchiies
orientaux avaient à Rome le monastère de
Sainte-Marie in Domnica. Aujourd'hui ils y
ont encore une maison gouvernée par le ré-
vérendissime P. Joseph Ziegeb, abbé géné-
ral et procureur. H-o-e.
MERCI (Religieuse de la). Voyez Merci
(Ordre i>e la).
MLRC1 (Ohdre de la) [1].
§ lfr. Origine de l'ordre de Notre-Dame delà
Merci pour la rédemption des captifs, arec
la Vie de saiiit Pierre iïolasque, fondateur
de cet ordre.
Il y a deux ordres dans l'Eglise dont la fin
principale est de délivrer des mains des infi-
dèles les chrétiens qui gémissent sous le
joug d'une dure captivité : l'un est celui des
Trinitaires, dont nous parlerons en son lieu,
et l'autre est celui de Notre-Dame de la
Merci , dont nous allons parler. Le premier
a l'avantage d'avoir eu Dieu même pour
fondateur, qui , par des visions et des signes
miraculeux, a fait connaître ses volontés
dans l'établissement de cet ordre , auquel
toutes les personnes de la sainte Trinité ont
eu part : c'est pourquoi il a pris le nom de
la sainte Trinité. Mais ce l'ère des miséri-
cordes a voulu aussi qu'il y en eût un sous
le nom de la Irès-sainie Vierge, qui appa-
rut à saint Pierre Nolasque, Français de
nation , pour lui faire exécuter cette entre-
prise. C'est pourquoi la France se do t glori-
fier d'avoir fourni à l'Eglise les saint» per-
sonnages dont Dieu s'esi servi pour exécuter
sur la terre ce qui avait été projeté dans le
ciel, en choisissant saint Jean de Matha, et
saint Félix de Valois pour l'établissement
de l'ordre des Trinitaires, et saint Pierre
Nolasque pour rétablissement de celui de
Noire-Daine de la Merci.
921) ME» MER 930
Saint Pierre y surnommé Nolasque du nom l'amour de la justice et de la vérité, et do
de son père, naquit au pays de Laur iguais, l'accoutumer à toutes les pratiques conve-
en Languedoc, vers l'an 1189, dans un bourg nables à un prince chrétien. Pour lui, ni les
■du diocèse de Sa i rit- Papou I , appelé le M<is divertissements de la cour, ni les faveurs de
des saintes Puellrs, à une lieue deCasielnuu- soi; prince, ne l'empêchèrent pas de s'appli-
dary. Il fut élevé dès sa jeunesse dans tous qiier aux pratiques de là mortification et de
les exercices de la noblesse, étant sorti la prière. 11 avait quatre heures d'oraison
d'une des plus illustres familles de lou'e la m irquées d'ans le jour, et deux la nuit. Il
province; et ayant perdu son père à l'âge de s'occupait aussi à la lecture de l'Ecriture
quinze ans, il demeura sous la lu elle de sa sainte, et donnait aux exercices de la péui-
mèrc , qui eut bien voulu rengager au ma- lence le temps qu'il n'était pas obligé d'em-
riage, en lui faisant prendre un parti couve- p oyer auprès du roi. Il se senlii dès lors si
nable à sa condition , afin de trouver du vivement louché de compassion pour les
support et de la consolation dans ce soutien pauvres chrétiens qui étaient captifs sous la
de sa famille. Mais Pierre, inspiré de Dieu, puissance des Maures et des barbares, qu'il
n'avait déjà que du mépris pour les choses résolut de sacrifier ses biens à leur déli-
de la terre , et avait pris la résolution de ne vrance.
s'attacher qu'à Dieu. 11 s'engagea néanmoins Mais quoi fut son élonm nient et sa sur-
à la suite de Sinon, comte de Monferl. , prise, lorsque, dans le temps qu'il prenait
dans le même temps que Pierre II, roi d'A- les mesures nécessaires pour exécuter celle
ragon , se voyant attaqué de tous les côtés œuvre' de miséricorde, la sainte Vierge lui
par ses ennemis, confia le prince Jacques, apparut, la nuit du premer jour d'août 1218,
son fils et héritier présomptif, à ce même pour lui dire que c'était la volonté de Dieu
comte, afin qu'il lui donnât asile pendant qu'il travaillât à rétablissement d'un ordre
les troubles de la guerre. Le comte, s'esli- dont les religieux s'obligeraient par vœu
niant honoré de la conduite du petit prince, particulier de s'employer au rachat des cap-
jeta les yeux sur Nolasque pour avoir soin tifs 1 Comme il ne faisait rien sans consulter
de son éducation et lui servir de gouverneur, saint Raymond de Pégnaforl, son confesseur,
Mais ce prince, qui avait été d'abord le gage qui n'était encore que chanoine de Barcelone,
de l'estime que le roi d'Aragon faisait de la il le fut trouver pour lui communiquer celte
personne du comte de Montlort, servit peu vision. Sa surprise augmenta lorsqu'il apprit
de temps après de sûreté à ce même comte , de ce saint qu'il avait eu la même vision, et
contre la perfidie du roi son père, qui, s'é- que la sainte Vierge lui avait ordonné de le
tant ligué avec les comtes de Toulouse, de fortifier dans ce dessein. Ainsi, ne doutant
Foix elde Cominge, chefs deshéréliquesalbi- point que ce ne lût la volonté de Dieu, il lui
geois, vint assiéger, l'an 1213, la petite ville ren. lit grâces de l'avoir choisi pour être l'ins-
de Muret sur la Garonne av. c une armée de trument de ce grand dessein, il le pria doter
cent mille hommes, et même de deux cent tous les obstacles qui pourraient en empè-
mille, selon quelques historiens. Ce grand cher l'exécution, et de d un p ter tout ce qui
nombre néanmoins n'étonna pas le brave pourrait y apporter de la résistance. Dès
comte de Montlort, qui, n'ayant au plus lors ces deux saints ne songèrent plus qu'aux
que douze cents hommes, ne craignit point moyens d'en procurer l'effet; mais comme il
d'attaquer ses ennemis, qu'il mit en déroule, fallait le consentement du toi et de l'évéque,
el gagna celte fameuse bataille de Muret où ils allèrent trouver d'abord le roi, qui les
le roi d'Aragon fut tué. Ainsi ce prince, qui écoula avec joie, et ne pouvant contenir la
quelques mois auparavant avait lui-même satisfaction qu'il ressentait de voir l'explica-
remporlé une victoire signalée sur les Sar- lion de la vision qu'il avait eue comme eux
rasins, dont cent mille étaient reslés couchés la même nuil, il offrit de contribuer à celte
sur le champ de bataille , et qui quelques sainte entreprise par son 'autorité et ses liber
jours après en avait encore battu plus de ralités : il se chargea môme de faire agréer
cinquante mille , ne put résister à une peti- ce nouvel établissement à l'évéque de Harce-
lé armée de mille à uou/e cents hommes qui loue, Berenger de la Palu, qu'il envoya en
combattaient pour la défense de. l'Eglise. même temps prier de se rendre au palais.
Le comte de Monlforl, qui d'ailleurs avait Ils conférèrent ensemble sur l'apparition de
toujours élé ami du roi d'Aragon , ne put la sainte Vierge et sur les ordres exprès
s'empêcher de verser des larmes sur le corps qu'elle leur avait donnés à tous trois sepa-
dece prince. Quelques historiens ont avancé i émeut. L'évéque trouva de la difficulté dans
que ce ne (ut qu'après la mort de cet in for- la fondation de cet ordre, à cause que le
tuné roi que le comte de Montlort , qui avait concile de Latrasi avait défendu, il n'y avait
compassion de la faiblesse et de la minorité pas longtemps, qu'on n'établit aucun ordre re-
du roi Jacques son lils, âgé de six à sept ans, ligieux sans l'approbation el le consente-
qu'il retenait prisonnier à Carcassonne, lui meut du saint-siège; mais, prévoyant d'ail-
donna Pierre Nolasque pour gouverneur. leurs la grande utilité qui en reviendrait à
Mai.» que ce soil avant ou après la mort de l'Eglise, il y consentit, el crut qu'en cette
ce prince, il est certain qu'il eut la conduite occasion on pourrait se servir d'un induit
de ce jeune roi, et qu'il le suivit à liarce- que les papes Grégoire VU et Urbain II
lone lorsque le comte de Monlforl lui eut avalent accordé au roi dom Sanche pour iui
rendu la liberté l'an 12J5. 11 lâcha de lui nis- el pour ses succ< sseurs, en considération des
piier la piété envers Dieu el sou Eglise, grands services que ce prince avait rendus a
931 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 952
l'Eglise, en vertu duquel ils pouvaient ériger Raymond de Montiolou, Raymond de Mon-
dans toute l'étendue de leurs Etats des pa- cada, Pierre Guillaume de Cervelon, Domi-
roisses, des confréries, des monastères et nique d'Osso, Raymond d'Ulrecht, Guillau-
mènie des ordres religieux, sans qu il fût me île Saint-Julien, Hugues de Matha, Ber-
besoin de consulter le saiul-siége. nard d'Essonne, Ponces S /lares, et Raymond
Dès l'an 1192, plusieurs gentilshommes Blancs, tous chevaliers ou confrères de lu
des premières familles de Catalogne, excites congrégation de Noire-Dame de .Miséricorde,
par l'exemple de quelques personnes pieuses qui, outre les trois vœux ordinaires, en firent
qui employaient leurs soins et leurs biens à aussi un quatrième, aussi hienque saint i'ierre
des œuvres de charité et à racheter des es- Nolasque. par lequel ils s'obligeaient den.'a-
clavës chrétiens , formèrent entre eus une gerleur propres personnes, et de demeurcren
congrégation que le roi Alphonse V appelait captivité, s'il était nécessaire, pour la déli-
ordiuairenient son ouvrage, non-seulem ni vrance des captifs.
pour en avo r permis l'établissement, mais Comme ils étaient six prêtres et sept chc-
pour y avoir donné des fonds considérables, viliers, leurs habits furent différents. Ce ui
pour contribuer avec eux au secoti s des des prêtres consistait en une tunique ou sou-
chrétiens qui cl lient cap ils riiez les Maures, lane blanche, avec un scipulaire et une
ou réduits à la nécessite. L'occupation de chape : celui des chevaliers était blanc aussi,
ces gentilshommes était de servir les malades mais purement séculier, à la réserve d'un
dans les hôpitaux, de visiter les prisonniers, petit scapulaire qu'ils met a eut sur leur ha-
de procurer des aumônes pour le rachat îles bil. Le roi, jour témoigner son amitié à ces
chrétiens, et de garder les ci.'tes de la Médi- nouveaux religieux, et leur donner des mar-
lerranée pour s'opposer aux. descentes des ques de sa pro.eciion, voulut qu'ils po las-
Maures et des Sarrasins. sent sur leur scapulaire l'écusson de ses
La plus grande partie de ces gentilhom- armes, qui étaient de gueules à Irois pales
mes embrassèrent d'autant plus volontiers d'or, auxquelles il ajouta en chef une croix
le nouvel ordre delà Merci avec saint I'ierre d'argent, p >ur marquer le lieu de la naissance
Nolasque, qu'ils se sentajent portés à-conli- de ces religieux, qui étaient presque lous
nuer ces œuvres de miséricorde qui en français, à cause qu'ils port ient auparavant
étaient la tin. Quelques prêtres qui éiaie.it cette croix dans leurs étendards, selon 1 1 n'-
agrégés à celle congrégation, dans laquelle marque de quelques historiens, qui assurent
ils s'étaient rendus recommandables parleurs que les Français qui combattaient en Espagne
exercices de charité, sollicitèrent aussi saint contre les * Maures portaient une croix
Pierre Nolasque de les recevoir, ce qu'il lit blanche dans leurs drapeaux, pour se dislin-
par le conseil de saint Raymond de Pégna- guer des Espagnols. Quelques-uns ont néan-
fort, qui lui représenta que la perfection de moins prétendu que cette croix leur lui don-
letat religieux consistait dans l'union insé- née par l'évêque Bérenger de la Pallu ,
parable des exercices île la vie aeiive et de comme étant les armes <!e son église qu'il
la contemplative, l'un regardant le service avait voulu joindre a celles du roi.
de Dieu, l'autre celui du prochain. Saint La messe etani acnevée, ce prince condui-
Pieire Nolasque admit avec joie ces vertueux, sil saint Pierre Nolasque avec ses reli-
prêtres, qui composèrent avec les Chevaliers gieux à son palais, dans le quartier qu'il
l'ordre de Notre-Dame de la .Merci, lequel leur avait fait préparer pour leur servir de
fut d'abord institué eu qualité d'ordre mili- monastère, quia été le premier de l'ordre, où
taire; car les laïques qui s'y engageaient ils gardèrent exactement la manière de vie
faisaient profession de détendre la toi les ai- que saint Raymo id leur presirivit, en allen-
mes à la main, et de s'opposer aux. courses danl que le saiul-siége leur eût déterminé
des Mauies. une règle particulière, et ils obéirent a saint
Le jour de saint Laurent fut destiné pour Pierre .Nolasque, que le bienheureux Ray-
faire la cérémonie de l'institution de cet or- moud éiabiit aussi grand commandeur. La
dre. Le roi, accompagné de toute sa cour et chapelle du roi d'Aragon, dédiée à sainte Eu-
des échevins de la ville de Barcelone, se reu- lalie, leur servit d'église, qu'ils possèdent en-
dit dans l'église cathédrale, appelée Sainte- core à présent, le supérieur de ce monastère
Croix de Jérusalem. L'évêque Uérenger ol'ii- ayant la qualité de vicaire de la cour, et les
cia ponliGcalemenl. Saint Raymond monta religieux celle de chapelains du roi.
en chaire, el après l'évangile il protesta de- Ces religieux .s'employèrent d'abord à ra-
vanttoul le peuple que Dieu avait révélé mi- cheter quelques captifs, et ne sortaient pas
rnculeu-emenl nu roi, à Pierre Nolasque et à pour cela des terres sujettes aux princes
lui-même sa volonté touchant l'institution de chrétiens. Mais saint Pierre Nolasque leur
l'ordre de Notre-Dame delà Merci pour la re- représenta que, pour la perfection de leur
demptiondes captifs. A l'issuede l'ollrande, le ordre, il fallait encore passer chez les inlidè-
roi et sainlRaymond présentèrent le nouveau les, et délivrer leurs frères «le la cruelle
londaleur à l'évêque, qui le revêtit de l'habit servitude de leurs ennemis, au danger même
de l'ordre. Saint i'ierre Nolasque, après l'a- d'y demeurer en esclavage en leur place,
voir reçu, le donna comme principal fonda- suivant le vœu qu'ils eu avaient fait au
leur à treize gentilshommes, qui furent Guil- pied des autels. Il ne s'agissait pas d'y aller
laume de Bas, seigneur de Montpellier, lous à la lois, mais de députer un d'entre
Arnaud de Carcassonne, (ils de la vicomtesse eux pour ces saintes négociations , qu'où
dcNarbonne.soncousii^RernarildcCorbare, appela dès lors, comme, un les appelle eu-
MUR MER 93i
ciire à présent, ré lempteurs. Il lut lui- qui étaient dispersés dans plusieurs provio-
inèine choisi avec un second pour frayer ces la confirmation authentique de L'ordre,
aux autres le chemin d'un voyage si pé- et qu'ils eussent à observer la règle de saint
rilleux. Le premier qu'il fit au rojau- Augustin qui leur avait été donnée par li-
me de Valence, occupé pour lors parles pape, avec les constitutions qui leur avaient
Sarrasins, fui fort heureux. Il en fil un se- été prescrites par saint Raymond de Pégna-
coud au royaume de Grenade, qui ne le fort. Mais deux ans après il jugea à propos
fut pas moins, de sorte qu'il retira quatre de rassembler tous les religieux à Barcelone
cents esclaves d'entre les mains des infidèles pour recevoir la profession de ceux qui no
en ces deux expéditions. l'avaient pas renouvelée. Ce fut donc dans
Ces heureux commencements donnèrent ce chapitre général, qui se tint l'an 1237,
quelque réputation à l'ordre de la Merci, qu'il fut ordonné qu'on recevrait plus de re-
Ônoique le pape Honorius III l'eût ap rouvé liijieux pour le chœur que de chevaliers,
de vive voix, saint Pierre Nolas îue jugea à Comme ces derniers étaient véritablement
propos d'en poursuivre la confirmation, et religieux et engagés par vœu, ils assistaient
pour l'obtenir il employa le crédit de saint à tout l'office divin, tant de jour que de nuit.
Raymond, qui allait à Rome où le pape Gré- Lorsqu'ils restaient au couvent, ils mettaient
goire IX l'avait appelé. Ce saint accepta vo- par-dessus leur habit, qui était semblable à
Ion tiers celte commission, et trouva le pape celui des séculiers, à la réserve du scapu-
à Perouse le 1" décembre 122i), auquel il laire, une chape comme les religieux prêtres.,
présenta les frères Arnaud d'Aymeri et Les historiens de cet ordre prétendent que
Rernard de Corbare, que saint Pierre No- cette ordonnance du chapitre donna lieu à
lasque avait envoyés pour solliciter cette saint Pierre Nolasque d'exécuter la résolu-
confirmation ; le premier représentait les lion qu'il avait prise depuis longtemps de se
chevaliers, et l'autre les prêtres de cet ordre, faire prêtre, et qu'il célébra sa première
Us obtinrent du souverain pontife, l'an 1230, messe à Murcie, après que le roi Jacques
ce qu'ils souhaitaient, après quoi ils se mi- d'Aragon en eut chassé les Maures. Ce sen-
tent en chemin pour retourner enCa'aiogne. liment a élé suivi par le P. Giry, Minime
L'ordre s'augmentant de jour en jour, et ( Vies des saint* ), pour les raisons qu'en a
les fréquentes rédemptions, jointes à la vie données le P. Marc Salmeron, général de cet
exemplaire des religieux, le rendant très- ordre, qu'il a trouvées convaincantes : c'est
célèbre, plusieurs gentilbommes de France, néanmoins ce qui a persuadé M. Baillet [Vies
d'Allemagne, d'Espagne, d'Angleterre et de des saints) que ce saint n'a pas été pièire,
Hongrie, embrassèrent cet institut. Leur parce que le roi d'Aragon nu pr t celte ville
nombre fut si grand, nue saint Pierre No- que l'an 12G6, c'esl-à-dirc dix ans au moins
lasque, qui souhaitait depuis longtemps sor- après la mort de notre saint, qu'il met en
tir du palais o i le roi lui avait lait l'honneur 1256. Mais ce n'est point celle raison de
de le loger avec ses religieux, prit occasion M. Baillet qui nie détermine aussi à croire
de leur proposer la nécessité où ils étaient que saint Pierre Nolas jue n'a pas élé prêtre,
de bâtir un couvent régulier où ils pussent parce que ce saint aurait pu célébrer la
vivre dans une plus grande récollection, et mess- dans Murcie dès l'an 1241, lorsque,
vaquer avec plus d'application à leur pro- don Ferdinand, roi de Caslille, par le traité
fession. C'est ce qui lit qu'ils bâtirent, l'an qu'il lit avec Alboaquis, ou, selon quelques-
12)2, un couvent magnifique par les libéra- uns, Aben-Hudiel, roi île Murcie, l'une des
lités du roi, par les aumô..es de quelques conditions fut que ce prince maure demeu-
seigneurs de la cour et par celles du peuple rerait vassal du roi de Caslille, que les re-*
de ïîarceloue; c'est ce couvent qui est le chef venus de ce royaume seraient partagés éga-
de leur ordre, et qui lut dédie à sainte lemenl, et que la forteresse de Murcie serait
Kulalie, vierge et martyre, patronne de la livrée à l'infant don Alphonse, ce qui fut
ville de Barcelone. exécuté. Ce qui me convainc donc que saint
Jusque-là ils n'avaient vécu que confor- Piene Pvolasque n'a puiul élé prêtre, c'est
méinent aux règlements et aux statuts qui que, comme l'oidre de la Merci a été un or-
leur avaient élé precrits par saint Raymond dre militaire dans le commencement, il a élé
de Pégnaforl, qui peut passer pour le second gouverné par dis commandeurs laïques, et
fondateur de cet ordre, ce qui dura jusqu'en Pau orité a loueurs été entre les mains des
l'an 1235, que, souhaitant joindre à ces règle- chevaliers jusqu'en l'an 1317, que le P. Ray-
ments une des règles approuvées par l'Eglise, moud Albert, huitième général, fut le pre-
saint Pierre Nolasque envoya saint Raymond mur générai prêtre : d'où je conclus que si
Nonat à Rome en qualité de procureur gêné- saint Pie ire Nolasque avait été piètre, et
rai de l'ordre, pour en obtenir une du pape étant prêtre avait gouverné l'ordre en qua-
Grégoire IX, que ce saint trouva encore à 1 : lé de générai, les chevaliers laïques n'au-
Pérouse, et qui leur accorda celle de saint raient pas regardé comme une nouveauté
Augustin par une bulle datée du S janvier l'élection que firent les prêtres, dès l'an 1308,
1235, en confirmant derechef cet ordre. . après la mort d'Arnaud d'Aymeri, sixième
Saint Pierre Nolasque, ayant reçu celle général, de la personne de ce Raymond
bulle, fil faire de nouveau profession nuv Alberl p ur lui succéder, et ils n'auraient
rehg eux qui se trouvaient au couvent, tu pas refusé de iui obéir en élisant de leur
faisant vœu de garder la règle de saint Au- cote Arnaud Rossignol, chevalier laïque;
çuslÎQ, se contentant de faire savoir à ceux et le | ap • Clément V, qui cassa l'élection
955
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
93C
de ce dernier, comme n'étant pas canoni-
que, ne l'eût pas rétabli commandeur gé-
néral de tout l'ordre par autorité aposto-
lique, s'il y avait eu jusque-là un exemple
de quelque prêtre qui eût été général, et il
n'aurait pas manqué d'approuver l'élection
de Raymond Albert, qui était faite selon les
formes par le plus grand nombre des capitu-
lants. Mais le défaut que ce pape y trouva
apparemment, c'est qu'on avait choisi un
prêtre contre la coutume de l'ordre, et sans
en avoir consulté le saiut-siége : c'est pour-
quoi il établit pour général un chevalier, et
il ordonna en même temps que, comme les
prêtres étaient en plus grand nombre, on
élirait à l'avenir un prêtre pour général,
après la mort d'Arnaud Rossignol.
Le chapitre général que saint Pierre No-
lasque avait convoqué à Rarcelone l'an 1237,
rumine nous avons dit, ayant été terminé,
il aurait bien voulu continuer ses charita-
bles fonctions de rédempteur; mais comme
le roi d'Aragon, après la conquête de Major-
que sur les inlidèles, porta ses armes dans
le royaume de Valence, l'interdiction du
commerce et les actes d'hostilités de part et
d'autre contraignirent saint Pierre iNoiasque
d'interrompre ces pieux exercices durant
quelque temps. Cependant cela ne laissa pas
d'être avantageux à la rédemption des cap-
tifs, tant par les victoires fréquentes et si-
gnalées que le roi d'Aragon remporta sur les
inlidèles, que par la fondation de plusieurs
monastères de l'ordre qu'il lit dans les pays
conquis. Uluidonnalecbàteaud'Unéza,en re-
connaissance de la victoire qu'il avait plu à
Dieu de lui faire remporter sur les infidèles,
et il y fit bâtir un beau monastère, qui est de-
venu célèbre dans la suite sous le nom de
Notre-Dame de Puch, pour la dévotion que
les peuples ont eue pour une image de la
sainte Vierge qu'on a trouvée dans la terre
en travaillant aux fondements de ce monas-
tère. Le même roi ayant pris ensuite la ville
de Valence, avec le secours de la noblesse
française, la première action de ce prince,
après son entrée dans la ville, fui de faire
consacrer la grande mosquée par l'archevê-
que de Narbonne, pour servir d'église cathé-
drale sous le litre de Saint-André; et il donna
aux religieux de la Merci une autre mosquée
avec les bâtiments joignants pour eu faire
un monastère.
Saint Pierre Nolasque, après avoir accom-
modé celle maison et l'avoir mise en bon état
entre les mains de quelques religieux, re-
tourna à Rarcelone ; mais il n'y fut pas long-
temps sans se disposer à se mettre en cam-
pagne pour s'acquitter de son olfice de
rédempteur. Jusque-là il avait racheté en
divers voyages plusieurs captifs qui élaient
entre les mains des Maures sur les côles
d'Espagne; mais comme il avait été traité
partout avec beaucoup d'honneur, et qu'il
ne cherchait que le inépris et l'humiliation,
il crut qu'il les trouverait en Afrique. Lu
effet les inlidèles de ce pays-là lurent moins
Iraitatiles que ceux d'Espagne, et comme on
l'accusa d'avoir facilité l'évasion de quelques
esclaves chrétiens, on le chargea de chaînes,
on le fit comparaître en justice , comme un
voleur, un séducteur et l'auteur de la fuite
des esclaves. Le caili ou juge, ne trouvant
néanmoins aucune preuve contre lui, n'osa
le condamner ; mais notre safnl fondateur,
désirant de souffrir et craignant qu'on ne lit
quelques mauvais traitements aux autres
captifs à cette occasion, s'offrit d'être esclave
à la place des fugitifs. Leur maître, égale-
ment avare et artificieux, voulant avoir de
l'argent et se venger, aima mieux retenir le
religieux qui accompagnait saint Pierre No-
lasque, témoignant vouloir envoyer le saint
en Espagne pour faire la somme qu'il exi-
geait. Il fil mettre deux tartanes en mer, dans
l'une desquelles qui faisait eau de tous côtés,
il le fit embarquer, avec ordre aux matelots
que, dès qu'ils seraient en pleine mer, ils
abandonnassent la tartane sans voile ni gou-
vernail, et qu'au retour ils feignissent que
la tempête avait perdu le bâtiment où Hait le
chrétien. Cet ordre fut exécuté, mais non
pas avec le même succès que prélendail le
barbare; car Dieu garantit saint Pierre No-
lasque du naufrage, et le fit heureusement
aborder à Valence, lui ayant servi de guide
dans le chemin.
Etant arrivé à Rarcelone, il se démit de l'of-
fice de rédempteur, qui, comme nous avons
dit, était le nom qu'on donnait à ceux qui
étaient députés pour aller chez les infidèles
racheter les captifs, et ayant assemblé les
principaux de l'ordre, on procéda à l'élection
d'un autre rédempteur. Le sort tomba sur
Guillaume de Ras, qui, l'an 1249, fut aussi
élu général de l'ordre, lorsque saint Pierre
Nolasque se démit pareillement de cet office
pour vivre dans la retraite et l'obéissance,
comme le dernier des religieux. Le saint
fondateur, se voyant libre, se réduisit aux of-
fices les plus bas et les plus humiliants de la
communauté. Use chargea volontiers de celui
de faire ladistribution des aumônes à la porte
du monastère, parce que cela lui donnait occa-
sionde s'entretenir avec les pauvres et de les
instruire. Il alla visiter le tombeau de saint
Raj mond Nonat, qui étaii mort il y avait déjà
quinze ans, et qui faisait beaucoup de mi-
racles. Les chanoines de Celsonne, à qui ap-
partenait la chapelle où les reliques de ce
saint reposaient, l'offrirent à saint Pierre
Nolasque pour y bâtir un couvent de sou or-
dre; il accepta leur offre, prit possession de
celle chapelle, et fit travaillera un nouveau
bâtiment pour y loger les religieux.
L'éclat des vertus de ces religieux et la bé-
nédiction que Dieu répandit sur l'ordre de la
Merci portèrent la réputation du saint lon-
dalciir dans les lieux éloignés. Il ne lui pas
seulement honoré des rois chrétiens d'Es-
pagne; saint Louis, roi de France, louché
de ce qu'il avait appris de ses actions mer-
veilleuses et de la sainteté de sa vie, lui lit
savoir qu'il souhaitait passionnément de le
voir. Le saint, de son côté, qui n'avait pas
moins d'empressement de voir ce prince si
vertueux, prit occasion de l'aller trouver,
lorsqu'il vint dans le Languedoc ; our mcltie
937
MER
MER
938
Raymond, comte do Toulouse, à la raison-, et
comme le roi tnédiiail son voyage de lerre
sainte, il convia sainlPierre Nolasque de vou-
loir l'accompagner. Il reçut celle proposition
avec d'autant plus de joie, qu'il crut que c'é-
tait une occasion favorable pour retirer des
mains des inOdèles un grand nombre de chré-
t.cns qu'ils retenaient dans les fers, et il se
disposa à ce voyage, malgré son grand âge et
ses infirmités corporelles. Mais son zèle fut
arrêté par une maladie fâcheuse qui le retint
au lit; de sorte que toute la communication
qu'il eut avec ce saint roi et qui continua
jusqu'à sa mort, ne consista plus qu'en priè-
res et en un commerce d'amitié toute pure et
toute spirituelle, que ce prince eut encore
soin d'entretenir par lettres avec notre saint,
après son retour de la Palestine. Enfin saint
Pierre Nolasque ne pouvant résister à ses
maux, il y succomba et mourut la nuit de
Noël de l'an 1256, étant âgé de soixante-sept
ans. Ceux qui ont mis sa mort l'an J 2i9 se
sont peut-être fondés sur ce que Guillaume
de Bas fut élu général de l'ordre la même
année, mais ce ne fut qu'après la démission
volontaire du saint fondateur. Son corps fut
mis dans la sépulture ordinaire des religieux;
mais il fut levé de terre quatre-vingts ans
après par ordre du pape Benoît XII et trans-
porté dans une chapelle où le peuple alla vi-
siter ses saintes reliques pour obtenir son
intercession. Le bruit de ses miracles et les
sollicitations des religieux de son ordre por-
tèrent le pape Urbain VIII à le canoniser
l'an 1628, et Alexandre VII fit mettre son
nom avec éloge dans le Martyrologe romain,
et ordonna que toute l'Eglise en ferait l'oN
Gce sous le litre de semi-double, office que
le p.:pe Clément X, à la sollicitation de la
reine de France Marie-Thérèse d'Autriche, a
rendu double comme celui des autres fonda-
teurs d'ordres.
Voyez Alphon. Bemon. Hist. général, délia
orcl. de Nost. Signora de la Merced. Bernard
de Vergas, Chron. sacr. et milit. ord. B. M.
de Mer cède. Hist. de l'ordre de Notre-Dame
de la Merci. Gio. Francesc. Olignano, Vit. di
S. Pietro Noltisco. Pedro de S. Cecilia, An-
nal, de N. S. de Cautivos. L'Atomy, Histoire
de l'ordre de Notre-Dame de la Merci. Filipp.
de Guimeian, Hist. de la ord. délia Merced.
Bullarium ord. S. M. de Merc. et Conslit.
ejusdem ord.
§ II. Du progrès de V ordre de Notre-Dame
de la Merci après la mort de saint Pierre
Nolasque, son fondateur.
La mort de saint Pierre Nolasque n'ap-
porta aucun changement dans l'ordre, puis-
que , comme nous avons dit, ce saint s'étant
démis du gouvernement de l'ordre, les reli-
gieux, qui s'étaient assemblés pour élire un
autre général , choisirent Guillaume de Bas,
Fiançais de nation , comme celui qu'ils
croyaient le plus propre pour exercer cet
emploi : ainsi Guillaume de Bas, selon les
Annales de cet ordre, en prit le gouverne-
ment l'an 12i9, en qualité de commandeur
général. Il commença les fonctions de sou
Dictionnaire des Ordres religieux. II.
généralal par les vigiles des couvents de Per-
pignan, de Montpellier, <\e Toulouse, de Va-
lence et de quelques autres, et il fit élire dans
un chapitre général, qu'il convoqua à Barce-
lone la même année, quatre définileurs géné-
raux, savoir : deux prêtres et deux cheva-
liers, afin que le général les pût consulter
dans les affaires importantes de l'ordre. Le
roi d'Aragon donna à ce général, tant pour
lui que pour ses successeurs, le litre de ba-
ron d'Algar, au royaume de Valence, avec
voix délibéralive dans l'assemblée des états
du royaume ; et après que les Maures eurent
été entièrement expulsés de tout ce royaume,
il lui fit don aussi du château de Galinara,
avec ses dépendances et ses revenus, qui
étaient considérables ; mais le roi ne ; ut dé-
cider Guillaume de Bas à l'accepter. Il repé-
senta à ce prince que cette place était de
trop grande importance pour être donnée à
des religieux qui ne la pourraient pas gar-
der. Il racheta pendant son généralal, lant
par lui que par ses religieux, quatorze cents
esclaves chrétiens; et se voyant âgé de plus
de quatre-vingts ans, il demanda qu'on reçût
sa démission , qu'on ne voulut pas accepter.
Il gouverna encore l'ordre pendant une an-
née, après quoi il mourut au mois de décem-
bre 1269. Il avait augmenté l'ordre de plu-
sieurs couvenls, dont les principaux furent
Vich et Xativa.
Le P. Bernard de Saint-Bomnin , comman-
deur du couvent d^ Xativa, succéda à Guil-
laume de Bas l'an 1270. Ce général ayant vu
dans les visites de son ordre que les cou-
venls avaient presque tous des observances
différentes, il fit faire un recueil de toutes 1rs
ordonnances qui avaient été faites dans les
chapitres généraux , et les réduisit en forme
de constitutions pour être observées dans
lous les couvents, afin d'y établir une unifor-
mité. Il mourut l'an 1272, et eut pour suc-
cesseur Pierre d'Aymeri. Alphonse Bemon et
quelques autres écrivains de cet ordre ont
cru que c'était ce général qui avait dressé
les constitutions de l'ordre, et que des an-
ciennes ordonnances il en avait fait un
corps; mais les Pères de Fiance, dans les
Annales du même ordre , prétendent qu'il fit
seulement recevoir et approuver celles qui
avaient été faites par les ordres de Guillaume
de Saint-Romain. L'ordre étant composé de
prêtres et de chevaliers, les uns pour vaquer
au service divin, et les autres pour travailler
au rachat des captifs, celte différence d'em-
ploi avait fait donner seulement par com-
mission une autorité absolue au prieur du
couvent de Barcelone sur les prêtres, cl pour
faire garder exactement ia clôture, le silence
et l'observance régulière dans les maisons.
Pierre d'Aymeri fit une entière séparation de
ces deux autorités, et, sacrifiant généreuse-
ment tous ses intérêts à la gloire de son or-
dre , il établit prieur général de tout l'ordre ,
pour le spirituel, le bienheureux Bernard
Corbarie, prieur de Barcelone. La différence
des états avait aussi introduit une manière
d'habils différents : les prêtres portaient l'é-
cusson sur leurs chapes, et les chevaliers sur
039
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
9*0
-leurs scapulaires. Ce fut sous ce général
qu'il fut ordonné que tant les prêlres que les
chevaliers porteraient l'écusson sur le scapu-
laire, tomme il avait été pratiqué dans le
commencement de l'ordre.
Après la mort de Pierre d'Aymeri, qui ar-
riva l'an 1301, il y eul schisme dans l'ordre :
car le commandeur du couvent de Barce-
lone, vicaire général établi par les constitu-
tions de l'ordre, envoya des lrlires d'indica-
tion aux vocaux pour se rendre à Barcelone,
afin de procéder à l'élection d'un nouveau
général, et le vicaire perpétuel de Notre-
Dame de Pu; h en envoya aussi pour convo-
quer le chapitre à Puch. Le P. Pierre du
Fourny fui élu dans le couvent de Barcelono,
et le P. Arnaud d'Aymeri à Notre-Dame de
Puch. Les religieux eurent recours au pape
Boniface VI 1 i p >ur terminer ce différend, le
priant de commettre à ce sujet l'archevêque
de Tolède ou l'évêque de Cordoue; mais la
mort de Pierre du Fourny, qui arriva quatre
mois après, les mit d'accord. Le P. Arnaud
d'Aymeri fut de nouveau élu dans le chapitre
tenu à Barcelone, et son élection fut confir-
mée par le pape. Ce général fit paraître
beaucoup de prudeiiee par sa conduite; il fil
de beaux règlements pour rétablir la disci-
pline régulière et l'étroite observance, qui
avait dé|à beaucoup perdu de sa première
vigueur; il dissipa les divisions qui avaient
partagé l'ordre à son élection ; mais après sa
mort, qui arriva l'an 1308, il y eut de nou-
veaux troubles dans l'ordre.
Comme le nombre des prêlres excédait ce-
lui des chevaliers, ils élurent pour général
de tout l'ordre le P. Raymond Albert. Les
chevalier-, surpris de celle élection, se reti-
rèrent du chapitre et allèrent à Valence, où
ils élurent de leur côté Arnaud Rossignol.
Le pape dément V cas a l'élection de ce der-
nier, comme n'étant pas canonique; néan-
moins , d'autorité apostolique , il l'établit
commandeur général de tout l'ordre par une
bulle du mois de l'éviier 1308, qui portait
qu'il n'aurait qu'une simple juridiction sur
le temporel de l'ordre, et qu'après sa mort
on n'élirait plus pour général qu'un pretie.
Par la même bulle, ce pape donna toute au-
torité spirituelle au P. Raymond Albert pour
gouverner l'ordre dans les choses qui regar-
daient le service divin , l'observance des
constitutions et la vie régulière.
Après la mort d Arnaud Rossignol, Albert
fut élu généial de loui l'ordre. Le pape Jean
XXII confirma sou élection ; et pour étouffer
toutes divisions dans l'ordre, il imposa si-
lence perpétuel aux chevaliers : ce qui dé-
plut tellement à ces derniers, que la plupart
quittèrent l'ordre de la Merci pour entrer
dans celui de Montésa, que le roi d'Aragon
venait d'établir nouvellement dans ses iiiais
p'«or occuper les grands biens des chevaliers
i'enrplîersv qui avaient été abolis dans le
i oncile de Vienne, et le pape approuva cette
translation. Peut-être que icux qui restèrent
dans l'ordre se séparèrent entièrement des
pretr. s et quittèrent la règle de saint Augus-
tin pour prendre celle de saisi Benoij; car
Arnaud Wion, qui vi»vait à la un du xvr siè-
cle et au commencement du xvir, assure que
ces chevaliers suivaient en ce temps-là la
règle de saint Benoit : ce qu'il dit avoir ap-
pris de ces mêmes chevaliers, Sont il rap-
porte la formule de la profession en ces
termes :
Ego N-, Miles S. Mariœde Mercedeel Rede.n-
ptione captiuorum, facto piofessionem elpro-
miltoobedieittiam,pauperiatem,raslilatem ter-
rare, Deo vivere, et comedere secundum i eju-
lam S.lienedicii, et in SaraçenorumjïôïestiUe,
si necesse fuerit, ad redem; tionem Cliris.'i /ide-
lium, deteuttis manebo (Wion, Lignum vilœ).
Ascagne Tambourin, de l'ordre deVailoni-
breuse, rapporte aussi ci Ue formule (De Jur.
Abbat., disp. 24, quasi. 5, n. KO), après Ar-
naud Wion, et ajoute que l'écusson qu'ils
portent est différent de celui des religieux
de la Merci; en ce que ceux-ci ont dans
l'écusson une petite face d'or au milieu, sé-
parant les pales d'Aragon d'avec la croix
d'argent, et que le même écu est bordé d'or,
ce qui n'est point dans celui des chevaliers :
mais si cet écusson que Tambourin a vu
était semblable à celui que j'ai vu aussi à
un de ces chevaliers prétendus, il fallait de
nécessité que dans cet écusson il y eût une
face d'or au milieu pour soutenir les pales
d'Aragon, et que l'ecu fût aussi bordé d'or,
puisque cet écu était de métal percé à jour.
Ceux qui prétendent que les prêlres et les
véritables chevaliers, lorsqu'ils étaient unis
ensemble, ont toujours eu des généraux dif-
férents, se sont trompés. Il est vrai qu .■ le
prieur de Barcelone avait autorité sur tout
ce qui r. gardait le spirituel dans l'ordre;
mais il y avait au-dessus de lui un chevalier
laïque qui était commandeur général de tout
l'ordre. Aussi toutes les Annales de cet or-
dre, dans le dénombrement des généraux,
ne mettent !e P. Raymond Albert, qui fut le
premier général prélre , qu'après Arnaud
Rossignol, qui était chevalier et septième gé-
néral de tout l'ordre. L'on ne sait ce que veut
dire Schoouebeck (liist. des Ord. miiit., tom.
Il, p. 139), lorsque, parlant de Berrrird de
Corharie, il lui donne le litre d'instituteur des
i.ioines de la Merci, puisque dès le commen-
cement de l'ordre il y a toujours eu des prê-
lres et des chevaliers, il ne |>arail pas mieux
instruit de ce qui regarde cet ordre, lorsqu'il
dit que le huitième grand maître, après avoir
gouverné l'ordre pendant six ans. passa dmis
l'état ecclésiastique sous le nom de général,
puisque le huitième grand maître ou com-
mandeur général fut le P. Raymond Alberi,
qui avait toujours été au rang des prêtres
avant son élection.
Cel ordre fut cinq ans sans chef sous le
pontiflcal de Pie V, qui, à la prière de Phi-
lippe 11, roi d'E>pagne, établit des visiteurs
pour réformer les couvents de l'ordre. Mais
pendant que ce pontife en fanait expédier
les brefs à Rome, le général de cet ordre
étant décédé, les religieux élurent, e;i 1508,
le P. Malhias Papiol, dans un chapitre qui se
tint à Barcelone. Ce général, n'ayant pu ob-
tenir du pape la confirmation de sou élec-
DU
MER
Î1IEU
942
lion, en mourut de chagrin deux mots après,
au commencement de l'année loG'.t. Le pajw
de fen il aux religieux de procéder à une nou-
velle élection, voulant qu'elle ne se fît qu'a-
près que la visite aurait été faite par des re-
I i;ieux de l'ordre de Sainl-Domi ique, qu'il
nomma pour commissaires apostoliques. Ils
employèrent cinq ans à faire la visite de
tous les couvents de l'ordre, après lesquels
ils convoquèrent le chapitre général à Gua-
dalaxara, l'an 157i, où le P. François de
oiresfutélu vingt-neuvième général. Les
commissaires apostoliques ordonnèrent que
les-g neraux, quiavaienl été jusqu'à ce temps-
là à vie, ne pourraient plus à l'avenir exer-
cer cet office que pendant six ans; et que
les commandeurs des couvents particuliers
ne pourraient exercer leur supériorité que
pendant trois ans ; ce qui a été observé jus-
qu'à présent.
Cet ordre s'est plus étendu dans l'Améri-
que qu'en Europe; il a huit provinces en
Amérique, qui sont gouvernées par deuv vi-
caires généraux sous l'obéissance du géné-
ral de tout l'ordre, Irois provinces en Espa-
gne, et une province en France, sous le nom
de Province de Goienne, de laquelle dépen-
daient autrefois le couvent et le < ollcge de
Paris, et le couvent de Ghenoisc en Brie,
que le cardinal de Vendôme , étant lé-
gat en France , sépara, en 1GG8, de cette
province de Guienne pour les ériger en
congrégation sous un vicaire général. Le
roi confirma l'érection de celte congrégation
par ses lettres patentes de la même année,
ce qui fut aussi confirmé par une bulle de
Clément X du 28 novembre 1 612. Il est sorti
de cet ordre trois cardinaux, savoir : saint
Raymond Nonat, Jean de Lato, et le cardi-
nal de Salazar, qui fui promu à cette dignité
par ie pape Innocent XI. H y a eu encore
dans cet ordre un très-grand nombre d'ar-
chevêques et d'évéques, ei il a fourni à l'E-
glise plusieurs saints canonisés et des bien-
heureux, dont quelques-uns sont restés en
otage entre les mains des infidèles pour ra-
cheter un plus grand nombre de captifs et
avoir lieu de travaillera la conyersion de
ces barbare:. De ce nombre fut saint Ray-
mond Nonat, qui demeura huit mois en capti-
vité, ayant enduré pendant loatce lemps des
tourments inouïs, jusque-là que les infidèles,
ne pouvant l'empêcher de prêcher la parole
de i leu, lui percèrent les deux lèvres avec
un fer chaud, et lui mirent ua cadenas à la
bouche pour l'empêcher de parler. Saint
Piem—iascul, évèque ^e Jaen, ayant em-
ployé tous ses revenus î» soulagement des
pauvres et au rachat des captifs, entreprît
aussi la conversion des mahométans , c-1 qui
le fit charger de fers et eudurer de rudes
traitements. Le cleigé et le peuple de son
Eglise lui ayant envoyé une somme d'argent
pour sa rançon, il la reçut avec beaucoup
de reconnaissance; mais au lieu de l'em-
ployer a se procurer la liberté, il en racheta
qua'n ilé de femmes et d'eufanls, dont la fai-
blesse lui Cuisait craindre qu'ils n'abandon-
nassent la religion chrétienne, et il demeura
toujours entre les mains de ces barbares, qui
lui procurèrent la couronne du martyre l'un
1300î
Cel ordre a aussi eu plusieurs écrivains,
entre lesqu ls il y a eu Alphonse Remon .
François Salazar, Noël Gravrrius et Bernard
de Vcrgas, qui ont donné h s Annales et les
Chroniques du même ordre. Les PP. Zumel,
Merino, Olignagrio et Salmeron ont donné
la Vie de saint Pierre No ;isque, leur fonda-
teur, et le P. d'Av ril a aussi donné celle de la
Mère Marie du Secours-, première tierciaire
de cet ordre , dont nous parlerons dans la
suite.
Nous avons déjà décrit l'hab'llement de
ces re igieux, qui ont pour armes les mêmes
que celles qui sont dans l'écusson qu'ils por-
tent sur leur scapulaire , ajoutant pour
devise : Redemplionem misil Dommus populo
sua.
Outre les auteurs que nous avons déjà ci-
lés, voyez ceux qui ont parlé des ordres mi-
litaires, comme Giuslinani , Schoohebeck ,
Mennenius, Sausunio, etc. Jerom. Curita ,
lib. i de Rébus Arag., et Mariana, de Rébus
Hispaniœ, lib. xii, cap. 8.
§ III. Des religieux Déchaussés de l'ordre de
Notre-Dame de la Merci, app lés uussi de
la Récollection; avec la Vie du vénérable
Père Jean-Baptiste du Sainl-Sacrament,
leur fondateur.
Le P. Alphonse de Monroy, étant général
de l'ordre de la .Merci, voulul y établir une
réforme sur la fin du xvi' siècle, et destina
sept couvents à ce sujet dans la province do
Castille, afin que les religieux qui souhai-
taient vivre da.is une plus étroite obser-
vante que celle qui se pratiquait dans tout
l'ordre, pussent la pratiquer dans ces cou-
vents; mais il ne leur accorda celle permis-
sion qu'à condition qu'ils ne changeraient
point l'habit de l'ordre, et qu'il:, resteraient
loujours soumis à l'obéissance des supérieurs.
Avec cette permission le P. Jean-Baptislo
Gonzalez, que le général avait choisi pour
le chef et le dire: leur de cette réforme, se
retira au couvent de Hueta, qui et lit le piiu-
cipal des sept qui avaient été déclinés pour
y pratiquer l'étroite observance. Mai* ou sa
lassa bientôt de la ferveur de ce religieux,
et comme il avait attiré à ce nouveau genre
de vie un fameux professeur de Salaman-
que, et qu'on appiéhenda que cet exemple
d'humilité n'eut des suites et n'en attirât en-
core d'autres, le général relégua le P. Jean-
Ba;)tiste au couvent de Raizcs dans l'Aslurie,
et cette réforme, qui av.it été commencée
par les ordres du général, ni presque dans
le même temps détruite aussi par ses ordres.
C'était au zèle seul et à la ferveur du P Jean-
Baptiste que Dieu avail réservé l'ouvrage
de cette réforme, ei pour la commencer et
l'étendre, il n'eul pas besoin lies anciens
couvents, mais il en fonda de nouveaux,
comme nous verrons dans la suite.
Il naquit à Huela 'lans le royaume île Cas-
tille, le 8 février 15b3, de parents nobles de
l'ancienne famille des Gonzalez. 11 fut élevç
D43
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX
dès ses plus tendres années dans la crainte
de Dieu, et ce fut sur ce fondement solide
qu'il établit la règle de sa conduite pour con-
server la grâce parmi les dangers fréquents
où les jeunes gens sont exposés à la perdre
avec l'innocence. 11 s'appliqua de bonne
heure aux études : on l'envoya pour cet ef-
fet à Madrid, où il apprit les premiers princi-
pes de la langue lutine. On ne vit jamais
d'écolier plus enclin à la vertu, et ses maî-
tres le proposaient à ses compagnons comme
le modèle qu'ils devaient suivre et imiter.
Ses humanités étant achevées, il obtint per-
mission de ses parents d'aller étudier en phi-
losophie sous le P. Christophe Gonzalez, son
frère aîné, religieux de la Merci, que les su-
périeurs de la province de C istille envoyaient
enseigner au couvent d'Olmédu. Comme il ne
se proposait d'autre fin dans ses éludes que de
s'en servir utilement pour son salut, il avan-
çait d'un pas égal dans la piélé et aux étu-
des; il fréquentait souvent les sacrements,
il assistait les fêtes et dimanches au service
divin, il se rendait assidu à entendre la pa-
role de Dieu, et après avoir satisfait à ces
obligations, il ne manquait pas d'aller ser-
vir les malades dans l'hôpital.
Ce fut dans ces saints exercices de piété et
de miséricorde qu'il se sentit fortement ap-
pelé de Dieu à l'état religieux. Il demanda
instamment l'habit de l'ordre de la Merci au
commandeur du couvent d'Olmédo, qui le lui
donna avec d'autant plus de joie qu'il con-
naissait ses excellentes qualités. Il le reçut
l'an 1572, et après l'année de noviciat il fil
sa profession. Huit jours après, on l'envoya
au couvent de Madrid, d'où il sortit l'an 1575
pour aller gagner le jubiié à Rome, avec la
permission de ses supérieurs. Il n'entreprit
ce voyage que par un esprit de pénitence;
il le fit à pied, en mendiant son pain de porte
en porte et dans un si grand recueillement
d'esprit, qu'il ne parla à personne dans tout
le chemin que de choses absolument néces-
saires. Etant de retour dans sa province, l'an
1576, on l'envoya étudier en théologie à To-
lède, où, malgré toutes ses résistances et Sun
humilité, les supérieurs lui ayant fait rece-
voir les ordres sacrés, il dit sa première
messe l'an 1578. Ce nouvel état lui fut un
nouveau motif de s'avancer plus que jamais
dans la perfection ; on l'engagea à prêcher
et à confesser, et il réussit si bien dans l'une
et dans l'autre de ces fonctions, qu'il gagna
un grand nombre d'âmes à Dieu.
Ayant appris que les religieux de son or-
dre avaient beaucoup souffert pour la foi
dans les Indes, principalement dans le Pé-
rou, et combien ils y avaient converti d infi-
dèles, animé d'une sainte émulation, il de-
manda à ses supérieurs la permission d'y
passer, pour participer aux travaux et aux
peines de ses frères. Il y fil un si grand pro-
grès dans le salut des âmes par la sainteté
de sa vie, par son exemple, par ses rares
vertus et par ses prédications tout embrasées
du feu de l'amour divin, qu'il retira un grand
nombre de païens du culte des idoles, et
qu'il les attira à la connaissance du vrai
944
Dieu; mais ce qui est digne d'admiration,
c'est que les richesses de ce pays-là ne le
tentèrent point, et il ne fit pas comme un
grand nombre de religieux de différents or-
dres qui en sont revenus chargés d'or et
d'argent. Après avoir employé le temps de
sa mission très-utilement au service de Dieu
et du prochain, il retourna en Espagne, ne
portant sous son bras que son bréviaire, et
tenant d'une main une télé de mort, sur la-
quelle il jetait continuellement les yeux
pour se faire ressouvenir de ce qu'il était et
de ce qu'il serait un jour.
Ce fut ce saint homme, si zélé pour la
gloire de Dieu et si amateur de la pauvreté,
que le P. Alphonse de Monroy, général de
l'ordre de la Merci, choisit pour être le chef
et le directeur de la réforme qu'il avait en-
trepris d'établir dans son ordre ; mais quni-
qu'elle eût été détruite dans son commence-
ment, comme nous avons dit ci-devant, le
P. Jean-Baptiste Gonzalez ne perdit point
l'espérance de la voir rétablie; il chercha
les moyens d'y parvenir, il en forma les
projets, et ayant été rappelé du couvent de
Raizes et mis de famille au couvent de Ma-
drid, il crut que Dieu lui présentait les
moyens d'exécuter son entreprise. Comme il
était sacristain de ce couvent, et que son
emploi l'obligeait de parler souvent à la
comtesse de Castellar, Béatrix Ramirez de
Mendoza, qui était une dame d'une grande
pieté, il prit la résolution de lui communi-
quer son dessein, dans l'espérance qu'elle
y contribuerait par ses libéralités. 11 ne se
trompa point: il recommanda cette affaire à
Dieu, il offrit â cette intention le saint sacri-
fice de la messe, il parla à celte dame de la
réforme étroite qu'il voulait établir dans
son ordre, et elle le fortifia dans cette résolu-
tion, s'offrant de fonder deux couven's de
cette réforme dans ses terres.
Le général n'ayant pas voulu donner sou
consentement à l'établissement de ces deux
couvents pour servir de fondement à cette
réforme, la comtesse de Castellar s'adressa,
à son refus, au pape Clément VIII, qui lui
accorda deux brefs. Parle premier, il la dis-
pensait du vœu qu'eue avait fait de fonder
un couvent de religieux de l'ordre de Saint-
Jérome, et lui permettait d'en bâtir deux
aux leligieux de l'ordre de la Merci ; et par
le second bref, il érigeait une congrégation
de religieux du même ordre, qui désire-
raient vivre dans l'étroite observance, de
laquelle il établit pour général le P. Bar-
thélémy d'Alcala, religieux de l'ordre de
Saint-Jérôme, à condition qu'il quitterait
l'habit de son ordre pour prendre celui de
la Merci, avec une autorité absolue d'y re-
cevoir les religieux de cet ordre, qui vou-
draient embrasser cette réforme, et les sé-
culiers qui se présenteraient pour recevoir
l'habit; qu'il gouvernerait cette congrégation
jusqu'à ce qu'elle eût huit couvents, il que
s'il voulait persévérer dans l'ordre de la Merci,
il exercerait encore l'office de général pen-
dant six ans.
Le P. Jean-Baptiste, à l'insu duquel la
915 MER
comtesse de Castellar avait oblcnu ces brefs,
fut fort surpris quand il eut appris ce qu'ils
contenaient. Il représenta à cetie dame qu'il
n'avait jamais eu (l'autre dessein que d'a-
voir quelques couvents, dans lesquels on
gardât la règle et les constitutions de l'or-
dre de la Merci à la lettre et sans aucune
dispense, sous l'obéissance du général de l'or-
dre, dont il ne se séparerait point, parce que
les re'igieux qui voudraient embrasser cette
observance ne voudraient pas se soumettre
à la conduite d'un étranger. La comtesse
approuva ses raisons; elle fit voir au géné-
ral les brefs qu'elleavnit obtenus sur le refus
qu'il avait fait de consentir à l'établissement
des couvents qu'elle voulait fonder pour
commencer la réforme que le P. Jean-Bap-
tiste méditait, et rattachement que. ce Père
avait à l'ordre. Le général en fut si touché,
qu'il promit à la comtesse de favoriser cet
établissement, et pour lui témoigner sa sin-
cérlé, il ilressa lui-même les constitutions
qui devaient être observées par les religieux
de cette réforme.
La comesse, de son rô'é, pour avancer ce
grand ouvrage, lui promit de leur faire bâ-
tir incessamment deux couvents, et de les
doter de revenus suffisants , l'un dans sa
terre de Viso, à quatre lieues de Sévilie, et
l'autre à Altnorayna, dans sa comté de Cas-
tellar, à trois lieues de Gibraltar et de l'évé-
ché de Cadix , s'engagennt encore de les four-
nir de meubles et d'ornements d'église. Elle
en passa contrat, qui fut ratifié dans le chapi-
tre provincial tenu à Guadalaxara le 20
avril 1603. où l'on approuva aussi l'établis -
sèment de celle étroite observance et les
constitutions que les religieux qui l'embras-
seraient devaient suivre. A celle nouvelle,
le P. Jean-Bapliste et cinq compagnons aux-
quels il avait inspiré l'esprit de la réforme,
en prirent publiquement l'habit le jour de
l'Ascension, dans la chapelle de Notre-Dame
du Remède, dans l'église des religieux de la
grande observance du même ordre, et quit-
tant en même temps le surnom de leurs fa-
milles , le ..P. Jean-Baptiste prit celui du
Saint-Sacrement au lieu de Gonzalez.
Comme dans l'établissement de l'ordre, le
roi d'Aragon, Jacques I", donna un apparte-
ment dans son palais à saint Pierre Nolasque
et à ses compagnons , de même la comtesse
de Castellar recul d'abord le P. Jean-Bap-
tiste et ses compagnons dans son hôtel de
Madrid, où ils firent leurs exercices de dé-
votion et pratiquèrent les observances régu-
lières, pendant qu'on bâtissait les deux pre-
miers couvents de cette étroite observance.
Mais comme ces saints religieux ne respi-
raient qu'après la retraite et la solitude, et
qu'ils étaient trop exposés au grand monde
dans la maison de celte dame, elle les envoya
dans son château de Ribas, bourg distant de
Madrid de trois lieues, et ils allaient tous les
jours célébrer la messe dans une chapelle
dédiée à sainte Cécile, qui était dans le même
bourg.
Quelques personnes trop attachées à leurs
propres intérêts, appréhendant que ces reli-
MER
915
gicux ne fissent un couvent d'un lieu qu'ils
n'avaient que par emprunt, leur tirent d'é-
tranges vexations ; ils détachèrent leur clo-
che, renversèrent l'autel qui avait été dressé
pour célébrer la messe: l'évéqoe même se
joignit à eux, et défendit aux religieux de la
célébrer, non-seulement dans cette chapelle
de Sainte-Cécile, mais même dans l'église de
la paroisse, |c qui obligea ces religieux de
retourner à Madrid. Mais les habitants de
Ribas furent si édifiés de leur vie exemplaire,
qu'ils firent ce qu'ils purent pour les retenir
dans leur bourg. Ils prièrent la comtesse de
Castellar de leur bâtir un monastère, et
celte pieuse dame leur accorda leur deman-
de, promettant que sitôt qu'elle aurait achevé
les deux couvents qu'elle faisait bâtir en
Andalousie pour ces religieux, elle ferait
aussi commencer un nouveau monastère à
Ribas.
Les bâtiments de ces deux premiers cou-
vents ayant été achevés avec le consenle-
in r n t de l'archevêque de Sév 1 1 le et de l'évêque
de Cadix, la comtesse de Castellar alla en An-
dalousie disposer toutes choses pour recevoir
les nouveaux réformés, qui, s'étant mis en
chemin pour aller prendre possession de ces
deux couvents, reçurent de nouveaux cha-
grins à Sévilie de la part des religieux de la
grande observance, qui, étant scandalisés' de
l'habillement de ces religieux réformés, leur
firent malicieusement entendre que le défini-
toire d'Aragon avait envoyé ordre de les ar-
rêter et de les obliger à retournera la grande
observance. Mais ces avis se trouvèrent
faux ; le P. Jean-Bapliste et quelques-uns de
ses compagnons se rendirent à Almorayna
pour prendre possession de ce nouveau cou-
vent, où ils entrèrent l'an 1603; et ce cou-
vent, qui fut dédié à Noire-Dame des Rois,
fut le premier de la réforme. Les autres com-
pagnons duP. Jean-Bapliste, auxquels le géné-
ral avait donné pour commandeur le P. Jean
de Saint-Joseph, entrèrent dans celui de Viso
le 25 janvier de l'année suivante, 160i. Ces
deux nouveaux couvents furent bientôt rem-
plis des principaux religieux de l'ordre, qui
s'y retirèrent pour y vivre dans l'étroite ob-
servance. Le nombre s'étant augmenté , la
comtesse de Castellar fonda un troisième
couvent dans sa terre de Hiba«, comme elle
l'avait promis aux habitants de ce lieu, et la
même année le P. Jean-Bapliste en fut pren-
dre possession. Il se fitencore d'autres fonda-
tions quelques mois après, l'une à Sévilie,
l'autre à Rota, et dans la suite ce saint réfor-
mateur eut la consolation de voir douze au-
tres fondations, dont les plus considérables
furent à Madrid, à Salamanque et à Alcala
de Hénarez. 11 s'en fit même jusque dans la
Sicile, où après sa mort le nombre des cou-
vents est devenu si considérable, qu'on en a
formé une province particulière sous le nom
de Saint-Raymond, et ceux d'Espagne ont été
divisés en deux provinces.
Dieu fil connaître par plusieurs miracles la
saintetédu P. Jean-Bapliste, qui, après avoir
vécu dans sa Réforme quinze ans, mourut à
Madrid dans le couvent de celle Réforme, au
947
DICTIONNAIRE DES
mois de mai 1618. On l'enterra dans !a sépul-
ture ordinaire des religieux ; mais l'année
suivante, les supérieurs, à la sollicitation de
plusieurs personnes qui avaieni une singu-
lière vénération pour ce serviteur de Dieu, le
levèrent de terre pour le nieilre dans un lieu
plus honorable. L'on trouva son corps aussi
entier et aussi flexible que s'il venait de mou-
rir ; sa langue était encore vernjeille, et Dieu
permit que ce saint corps restât plusieurs an-
nées en cet état.
L'habillement de ces religieux est oembla-
b!e à celui des Cirmes Déchaussés, excepté
que le manteau est plus long (1 . Ils portent
aus^i, comme ceux de la grande observance
de la Met ci, l'écusson des armes d'Aragon sur
leur sr a j >ii la ire, et leurs sandales sont comme
celles des capucins. Paul V approuva leur Ré-
forme l'an 1106. Grégoire XV, l'an 1621, les
sépara entièrement de ceux de la grande ob-
SPivance.ct Urbain VIII, la même année, leur
donna nn vicaire général de leur Réforme,
qui fut le I'. Je.,u Mar.otli, surnommé de Saint-
Joseph, qui a beaucoup étendu celte Réforme
par la fondation (le plusieurs couvents. Il y
a aus i des religieuses de cette Réforme dont
nous . ! 1 1 ns parler dans le paragraphe suivant.
Le P. Pierre de Sainte-Gécile a lait l'Histoire
de cette Reforme, imprimée à Barcelone i'an
1669.
Voyez {'•Histoire de l'ordre de Noire-Dame
de la Merci. Bernard de Vergas, Chron. •ncr.
et milït. ord. B M. de Mircede, lom. H, § 5
et 6. cdro de S. Cecilia, Annal, de l'ord. de
Descalcos de N- S. de la Merced. Redemtion
de capiivos.
§ IV. Des religieuses de l'ordre de Notre-
Dame de la Merci, tant de la grande obser-
vance gue Déchaussées.
Si on avaii égard au temps de l'établisse-
ment du tiers ordre de la Merci, il devrait élre
appelé le second, ordre, puisqu'il a é!é établi
avant les religieuses du même ordre, qui for-
ment néann (uns !:- second ordre; mais il est
juste que des personnes séculières, qui ne
sont engagées à un étal que par des vœux
simples, cèdent la ; ré-éance à ççlles qui
sont consacrées à Dieu par des vœux solen-
nels. Les prem ères religieuses de l'ordre de
la Merci furent établies à Séville l'an 1568.
L'iitvirumi nt dont Dieu se ser-.il pour ce su-
jet fut le P. Antoine Vt l.isco, religieux du
même ordre. Plusieurs, personnes des pre-
mières familles de la ville de Séville s'étant
mises sous sa conduite et sa direction, il y
eut entre les autres trois dames, dans les-
quelles il remarqua un si grand détachement
(les choses de la terre, une union si grande
avec Dieu et un si violent désir d'aspirer à
une vie plus parfaite, qu'il crut que Dieu les
avait choisies pour ê|re les pierres fonda-
mentales d'un nu nastèie de religieuses de
Notre-! >àme de la Merci, qu'il se sentait in-
térieurement inspiré de bâtir pour servir de
retraite à quint lé de tilles vertueuses qui
soupiraient depuis longtemps après celle oi>
(1) Yoy., à la fin du vol., g* 257,
ORDRES RELIGIEUX. 9 '8
casion. Il recotnmanda cette affaire à Dieu,
et après avoir longtemps jeûné, prié, et pra-
tiqué de rigoureuses pénitences, et dans le
temps qu'il prenait la résolution de commu-
niquer son dessein à ces dames, qui se nom-
maient Marie Çapata, Béatrix de las Roelas
et Françoise Martel, un jourde l'Assomption
de la sainte Vierge, elles le firent appeler à
l'église, et lui dirent que Dieu leur avait in-
spiré la pensée de fonder un monastère pour
des religieuses de l'ordre de Notre-Dame de
la Merci, et de le dédier sous le nom de l'As-
sompli >n de Notre-Dame.
Le l'ère connut pour lors que le dessein
qu'il a1, ail projeté venait de Dieu; il leur dé-
clara ce qu'il avait fait depuis longtemps
pour obtenir celte grâce du ciel, il les fortifia
dans leur résolution, et si; chargea de solli-
citer les permissions nécessaires. Los ayant
obtenues, tant du grand vicaire de l'archevê-
que de Séville, que du provincial de Castillc ,
il crut que, pour rendre cet établissement
plus solide, ii fallait le faire confirmer par le
saint-siège Ces dames dépêchèrent un gen-
tilhomme à Rome au bienheureux Pie V, qui
gouvernait pour lors f Eglise universelle,
pour le prier d'agréer la fondation de ce mo-
nastère. Le pape y consentit et fil expédier
une bul e au mois de mai 1568, par laquelle
il l'approuvait et y donnait son consente-
ment.
Sitôt qu'elles eurent reçu celle bulle, elles
achetèrent une grande place proche le cou-
vent des religieux de la Merci pour la com-
modité du confesseur, et elles y firent bâtir
une église avec le monastère. Pendant que les
ouvriers travaillaient au bâtiment, le P. Vé-
lasco dressa les constitutions que les reli-
gieuses devaient observer ; il les envoya au
chapitre général de Guadalaxara, qui se tint
l'année suivante, 1569. Lcchapitre donna une
commission à quelques religieux pour les
examiner; et le monastère étant achevé, les
trois dames fondatrices y entrèrent avec
quelques jeunes demoiselles. Le P. Vélasto
en fut établi vicaire perpétuel ; il leur donna
pudiquement l'habit de l'ordre, et deux ans
après le provincial, dans la visite qu'il fil de
ce cornent, ratifia et confirma les professions
de celles qi i avaient prononcé leurs vœns.
Il y a eu dans ce monastère plusieurs reli-
gieuses d'une vertu éminente, dont les prin-
cipales ont été, la B. Aune de la Croix, qui > n
a été première supérieure; la Mère Antoinette
de l'Assomption de la maison d'Aguilar, la
Mère Augiisliiie. Menriqucz, la Mère Anne
des Rois, et la B. sœur Marie de la Résurrec-
tion.
Comme, peu de temps après que le P. Jean-
Baptisle eut établi la Réforme des religieux
de la Merci, on établit aussi des mon slères
de religieuses de cette même Réforme, la
Mère Clémence de la Sainte Trinité fut tirée
du monastère de l'Assomption deSéville pour
aller fonder le premier monastère des re i-
gieuses Déchaussées ou de la ltcrulleciiun.il
fut établi à Lora, qui en a produit plusieurs
919 MER MIR g.W
nuire», comme à Séville, où il y en à encore dont on peut voir là description dnns le Ta-
un de celte Héfornie, deux à Madrid, dont l'un bleau d? Paris, de M. de Saint-Victor. Les
a été fondé en DS65, par le roi' d'Espagne religieux étaient au nombre de trente-, iinr,
I'Iiilippe IV, eu l'honneur de l'immaculée vers le milieu du dernier siècle, dans cette
Conception. Il y en a ni ore d'autres à Fuen- communauté, où se faisait le noviciat. Tour
tes, à Arrhos, à Marchène. à Ezicha eh An- ce noviciat et pour la prise d'habit, les reli-
dalousie, à Thoro et Sanjaéo en t'aslille, et gieux prenaient 500 livres. Il fallait, dans
en plusieurs anlres lieux. Ces religieuses celte maison, que chaque religieux fournit
sont habillées comme les religieux (1), et au moins 150 livres de pension viagère. Les
après avoir prononcé les trois \reux éssep- religieux avalent, en reconnaissance de leur
tiels rie religion, elles ajoutent : Jtproinets, établissement, l'honneur rie présentera la
en tant iÈue mon état le peut permettre, de va- reine un cierge la veille rie la Purification.
quer eux chose* qui regardent le rachat des La maison de la rue des Sept-Voies, qui ser-
captifs, et de donner ma vie pour eux, s'il est vait de collège destiné aux éludes de la Sor-
né'cesgiiire. Le P. Bonanni, parlant des reli- bonne, avait été fondée, en 1-250, par Àlïain
gieusés de la Merci de la grande observance, d'Albert, fait inconnu à M. rie Saint-Victor,
les a confondues avec les filles du tiers ordre, Le général de l'or Ire a toujours été à Ma-
dont nous allons parler dans l'article suivant, drid, mais probablement, depuis la suppres-
Voyez les auteurs ci-devant cités, et le P. sion faite cb Espagne, la supériorité a é:ô
Bonanni, Calahxj.Ord. retig., part. ir,nng.87. donnée au vicaire général, résidant à Borne,
L'ordre de la Merci avait pris une certaine qui était récemment le B. P. Thomas Miquel ;
extension, mais fait peu de sensation en le procureur général était le P. Michel
France : il y avail donc plusieurs provinces Xianco , vivant peut-être encore l'un et
où il était presque inconnu. M. Gilles de la l'autre aujourd'hui.
Baume le Blanc, évéque de Nantes, les ap- Nouvelles Ecclésiastiques, année 1738 33.
pela dans sa ville épiscopale, et leur donna, — Tableatt de Paris, pnr M. de Saint-Victor,
en 1672, une maison nommée l'Ermitage de tome IL — Etat de Paris, par M. de Benu-
Saint-Similien sur les Hauts-Pavés. Ce prélat mont. — Les Vies des sains de Bretagne,
n'avait fait que répondre au vœu manifesté tome VI, édition de M. l'abbé Tresvanx.
par la province, et .s'était assuré du consen- B-d-e.
lenient des étals assembles à Nantes, en MEBCI (Du Tiers Okdue de NoTUE-Dâ»H
1G03; mais cet établissement, n'ayant pas été de la).
autorisé par lettres patentes du roi, fut dis- Vers l'an 12(15, deux femmes illustres de
sous au bout de quelques années. la ville de Barcelone, veuves rie deux gen-
Lc jansénisme pénétrait partout, dans les tilshommes très-con-idérables de la pro-
lieux surtout où les é^êques protégeaient vince, se voyant sans enfants, résolurent do
cette erreur. Quoique les Pères de la Merci triompher du monde en menant une vie d:-
n'aient pas donné beaucoup de scandales rectement opposée à ses fausses maximes;
sous ce rapport, cependant ceux de la maison l'une s'appelait Isabelle Hcrti, et l'autre Eu-
de Montpellier, sous l'épisçopat de Colbcrt, lalie Pins. E les prirent avec, elles quelques
cédèrent à l'esprit de nouveauté et donné- filles qui aspiraient au môme genre de vie,
rent quelques preuves d'entêtement sous son et elles se logèrent dans une maison proche
suceesseur, M. de Charanci, qui chercha à le couvent desreligieux de la Merci, où, après
réparer les maux causés par Colbert. avoir vaqué aux exercices de la prière et de
L'ordre de la Merci jouissait, même dans l'oraison, elles employaient nu travail tout le
le xix' siècle, d'une grande considération en temps qui leur restait, pour distribuer aux
Espagne. Néanmoins il n'a point été conservé pauvres le profit qu'elles en pouvaient tirer,
dans les suppressions presque générales Pour marcher plus sûrement dats les
failes par les révolutions qui ont suivi la voies du ciel, elles choisirent pour lear père
mort de Ferdinand VU, si ce n'est dans les spirituel et leur confesseur, le bienheureux
couvents rie femmes. Bernard de Corbarie, religieux de l'ordre de
Au dernier siècle, il y avait à Borne trois la Merci, pour lors prieur de leur couvent
maisons de cet institut : l'une pour les reli- de Barcelone, et elles firent sous sa conduite
gieux Chaussés, nommée Saint-André in des progrès si admirables, que, embrasées du
campo Vaccino; les deux autres, nommées désir d'un état plus parfait, ces deux dames
Saint-Jean in campo Mcifzo et Sainte-Marie lui demandèrent, au nom de toutes leurs corn-
ai i\Ionterone, pour 'es rcl gieux Déchaussés, pagnes, la grâce de porter l'habit du Tiers
Les religieuses 'dé l'ordie n'y avaient point, Ordre de la Merci, à l'imitation des Tier-
croyons-nous, d'établissement, pas plus qu'à ciaires de l'ordre de Saint-François et de
Paris, où les religieux avaientrieux maisons, celui de Saint-Dominique. Le bienheureux
l'une rue des Sept-Voies, ainsi qu'un col- Bernard de Corbarie, après les avoir éprou-
léj;e, mais qu'ils furent obligés d'abandon- vées pendant quelque temps , et voyant
ner au ilernier siècle, pressés par la pau- qu'elles persévéraient dans lenrs saintes ré-
vreté. L'autre était située rues de SJrac solutions, regarda cela comme un moyen
et du Chaume, et l'on voit encore les ruines que Dieu lui fournissait d'établir un Tiers
de cet établissement, où l'on avait fait, sur Ordre de la Merci; il le proposa dans un
les dessins de Colard, un portrait curieux, chapitre général au bienheureux Guillaume
(I) Voij., à la fin du vol., n»' 238 ei 230.
951
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
de Bas, deuxième général de l'ordre, qui, du
consentement des définileurs.lui donna com-
mission pour faire cet établissement, et re-
cevoir publiquement à l'habit ces vertueuses
dames et leurs compagnes, et de leur pres-
crire une règle et une manière de vie, ce
qu'il exécuta l'an 1263, le jour que l'Eglise
célébrait la fêle de l'Annonciation de la
sainte Vierge, en présence d'une infinité de
personnes de la ville de Harcelone. A l'offer-
toire de la messe qu'il célébra, il fit un dis-
cours sur l'excellence de l'ordre de la Merci
et sur la persévérance que ces dames avaient
témoignée pour s'y consacrer au service de
Dieu, et après leur avoir donné l'habit de
l'ordre, il les exhorta d'en demander l'es-
prit à Dieu pour contribuer par leurs au-
mônes, leurs prières et leurs larmes, au sou-
lagement corporel et spirituel des pauvres
esclaves chrétiens, et de s'exercer sans ré-
serve aux œuvres de miséricorde pour se-
courir les pauvres, assister les malades, vi-
siter les prisonniers, et pour soulager géné-
ralement tous ceux qu'elles verraient dans
la misère et dans l'indigence. La cérémonie
étant achevée, toute la ville les reconduisit
de l'église chez elles, où elles menèrent dans
les exercices de ce nouveau Tiers Ordre une
vie si sainte, que plusieurs sont mortes ea
odeur de sainteté.
Entre les autres fut sainte Marie du Se-
cours, qui fut la supérieure de celte petite
communauté, et reçut la première l'habit du
Tiers Ordre, les autres lui ayant déféré cet
honneur à cause de son éminente sainteté.
Elle naquit à Barcelone, l'an 1231, de pa-
rents nobles et riches, et fut nommée Marie.
Elle commença dès son enfance à aimer
Dieu, à le prier avec ferveur, et à châtier
son corps par des macérations presque in-
croyables. Elle fil vœu de virginité de bonne
heure pour se dégager de toutes les pour-
suites du mariage, et par la protection de la
sacrée Vierge sa patronne, elle le garda jus-
qu'à la mort. Ses parents l'ayant laissée hé-
ritière de très-grands biens, elle n'en fut que
l'économe pour les distribuer aux pauvres,
aux prisonniers, aux malades, aux captifs et
à toutes sortes de nécessiteux. Et cette cha-
rité sans bornes lui acquit une si haute ré-
putation dans Barcelone, qu'on lui donna
communément le surnom de Secours au lieu
de celui de sa famille que les historiens ne
marquent point.
Elle fut la première, comme nous avons
dit, qui reçut l'habit du Tiers Ordre de la
Merci, et quoique les historiens de cet ordre
donnent à celte sainte la qualité de religieuse
du Tiers Ordre, aussi bien qu'à celles qui
reçurent l'habit avec elles, il y a bien de
l'apparence qu'ayant demandé cet habit à
l'imitation des Trerciaires des ordres de Saint-
François et de Saint-Dominique, elles ne
s'engagèrent comme elles qu'à des vœux
simples, et non pas à des ?œux solennels
q"i font le religieux, et qui sont un enga-
gement indissoluble qui le lie à l'ordre qu'il a
embrassé et l'empêche de retourner dans le
monde, au lieu que le véritable esprit des
052
Tiers Ordres établis dans l'Eglise n'a point
élé de lier ceux qui s'y engageaient, à moins
qu'ils n'y fussent engagés par des vœux so-
lennels, comme il est arrivé dans les Tiers
Ordres de Saint-François et de Saint-Domi-
nique, <ù il s'est trouvé des personnes qui
s'y sont consacrées a Dieu par des vœux so-
lennels ; ce que sainte Marie du Secours el
ses compagnes ne peuvent pas avoir fait,
puisqu'elles auraient été véritablement reli-
gieuses ; et en ce cas on n'aurait pas appelé
leur ordre le Tiers Ordre, et l'on n'aurait
pas donné le second rang dans l'ordre de la
Merci à celles qui furent établies dans le
monastère du l'Assomption, l'an 1568, près
de trois cents ans après l'établissement de ce
Tiers Ordre. Il ne faut pas croire que les re-
ligieuses du monastère de Séville, et celles
qui les ont imitées dans ce genre de vie,
aient eu la préséance au-dessus de celles du
Tiers Ordre, à cause qu'elles ont gardé la
clôture; car il y a un grand nombre de reli-
gieuses dans l'ordre de Saint-François et de
Saint-Dominique qui sont du second ordre,
sans néanmoins garder la clôture, se con-
formant aux usages des pays où elles sont
établies; el si sainte Marie du Secours et ses
compagnes ont vécu en communauté, elles
ne doivent pas pour cela élre appelées reli-
gieuses, puisque nous voyons tous les jours
des Tierciaires vivre en communauté, comme
les Bons-Fils, qui sont duTiersOrdredeSaint-
François.quiont des églises ouvertes, qui pra-
tiquent toutes lesobservances de la vie régu-
lière, et qui néanmoins ne sont pas religieux.
Au reste, ce Tiers Ordre de la Merci est peu
connu présentement; nous ne voyons pas
même que les historiens de la Merci en aient
beaucoup parlé. Ils se sont contentés de
donner la vie de sainte Marie du Secours, qui
en areçu la première l'habit, et à qui ils don-
nent sans fondement la qualité de religieuse.
Celle sainte mourut à Barcelone, l'an 1281,
et fut enterrée dans l'église des religic-ux de
la Merci, où il s'est fait plusieurs miracles à
son tombeau. Ce sacré corps est encore tout
entier, aussi bien que celui du bienheureux
Bernard de Corbarie, son directeur, il est
maintenant dans une châsse, enfermé sous
quatre clefs, dont l'une est entre les mains
de l'évêque, l'autre dans le dépôt du courent,
la troisième est gardée par les députés du
comté de Catalogne, et la quatrième à la
disposition des consuls de la ville.
Voyez la Vie de sainte Marie du secours
par le P. Auvri, les Annales et les Chroni-
que* de l'ordre de la Merci.
MÈRE DE DIEU (Clercs Réguliers de
la). Voy. Ecoles pieuses.
MESSINE. Votj. Bourbourg.
Voyez la Fie de sainte Marie du Secours,
par le P. Auvri, les Annales el les Chroni-
ques de l'ordre de la Merci.
MÉTRO DE LA PÉNITENCE DES MARTYRS
(Chanoines Réguliers de Notre-Dame dej.
Il y a drs auteurs qui ont confondu l'ordre
de Notre-Dame de Métro de la Pénitence des
Martyrs, avec un ordre supposé de Sainl-
Démetrjus ; el d'autres eu ont fait deux or-
955 MET MET 834
dres séparés. Le P. Louis Torelli, religieux de Prague, de Sainl-Barthélemi de Poderabi
de l'ordre de Saint-Augustin, dans l'Histoire et de Sainte-Mario d'Orlitz au diocèse de
générale de S"n ordre, qu'il commença à Prague, d.. Saint Marc à Crncovie, cl de
donner au public en 1675, parle de celui de Sainle-Marie au diocèse de Cracovie. Ils
Saint-Déniéirius, fondé, à ce qu'il dit, en n'ont néanmoins qu'une copie de cette bull:,
Pologne par quelques personnes pieuses, dont ils disent que l'original ;i été perdu ;
vers l'an 1200, confirmé par le pape Alexan- c'est ce qui obligea le général de cet ordre,
dre JV, et prélcnd que ces religieux porlent l'an 1507, d'avoir recours au pape Jules II.
des habils gris, sur lesquels il y a une croix duquel il obtint une bulle où celle de Boni-
snriin cœur. fice VIII est insérée, cl Jules II ordonna
Le P. Jérôme Roman, aussi religieux de qu'on y ajouterait autant de fui qu'à l'origi-
l'ordre des Ermites de Saint-Augustin, dit nal : il ;i voue néanmoins que l'on n'a nu-
qu'il y eu a un sous le nom de la Pénitence cune connaissance à Rome de celle église
des Martyrs, fondé en Italie sous le pontificat de Notre-Dame de Métro, ni du lieu où die
de Clément V, l'an 1232, dont l'institut est élait située, cl que ce que l'on en sait, ce
de loger les pèlerins, et -que cet ordre s'est n'est que par la copie de la bulle de. Boni-
lellement agrandi, qu'il a été il i visé en dix- face : Ucct de dicta ecclesia Beatœ Mariœde
huit provinces, ce qu'il a lu, dit-il, dans un Métro, prœlerquam per dictum Iransumptum,
livre qui lui fut envoyé en Espagne par un nulla penitus votitia hahentnr, et lotus ubi
religieux de cet ordre ; il ajoute qu'il y en dicta ecclesia fundala fuerat non reperiatur.
avait deux monastères dans le royaume de Cependant il confirme ces religieux dans la
Galice, l'un à Sarria et l'autre à Arzua, qui, possession des monastères ci des biens énon-
par ordre du pape Pie V et de Philippe II, ces dans celle prétendue bulle de Bonifnce
roi d'Espagne, furent incorporés, l'an 1567, VIII, et dans la possession de ceux qu'ils
à l'ordre des Ermites de Saint-Augustin. avaient acquis depuis, dunt il fait le dénoin-
Herrera, qui est encore un religieux du brement , qui n'est pas néanmoins bien
même ordre, dit aussi que celui de la Pén- grand, car il ne consiste que dans les me—
tence des Martyrs fui fondé en Italie, comme naslères de Sainte-Croix de Bistryka en Li-
il paraît par des litres qui sont conservés Ibuanie, de la Saine-Trinité de Miedniki, et
dans ces deux couvents; que ces religieux de la Sainte-Trinité de Twcrcc au diocèse de
portaient un habit blanc avec une croix Vilna.
rouge; et que d'Ilalie cet ordre avait passé Quoique ce monastère de Noire-Dame de
en Espagne, par le moyen de deux religieux Métro à Rome, qui était chef d'ordre de i es
qui y étaient venus visiter le corps de l'a- religieux , fût inconnu au pape Jules II, qui
pôlre saint Jacques, el y avaient fondé les avoue même qu'on ne sait pas le lieu où il
monastères de Sarria et d'Arzua; et Pierre était situé, le général qui s'adressa à lui ne
Crescenze dislingue aussi l'ordre de Saint- laissa pas de prendre le litre de prieur de ce
Démélrius d'avec celui de la Pénitence des couvent, comme il est porté par la bulle de
Martyrs. ce pontife : Sane pro parte dilecti filii Joan-
II est certain que ceux qui ont supposé nis prîùris ecclesiœ S. M. Demelri de Urbe,
qu'il y avait un ordre de Saint-Démélrius ordinis S. Augustini et ejusrtem ordinis pe-
sé sont trompés, et que celui qui a le pie- neralis, nobis nuper exhibita petitio covti-
mier erré en cela el fait tomber les aulres n^bat. On aura peine à comprendre comment
dans l'erreur, aura sans doute pris S. M. De ce couvent de Rome, chef d'un ordre si con-
Metro pour saint Démélrius. Car le vérita- sidérable, qui était divisé en dix-huit pro-
ble nom de l'ordre de la Pénitence des Mar- Vinces, selon quelques auteurs, ait tout d'un
lyrs est celui de Sainte-Marie de Métro de coup disparu, sans qu'il soit même resté au-
Romc, de la Pénitence des Martyrs. cune mémoire du lieu où il était situé, et
L'on ne peut ajouter foi au P. Roman, que Jules II ail Ci u si aisément ce que ce
lorsqu'il dit que cet ordre fut fondé l'an général lui avait exposé. C'est ce qui doit
1232, sous le pontifical de Clément V, puis- rendre suspecte celte bulle de Roniface VIII
que le pape Grégoire IX gouvernait pour el celle de Jules H où elle est insérée, et
lors l'Eglise, et que Clément V ne succéda à dont j'ai une copia qui m'a été envoyée de
Benoît que l'an 130i. On ne peut pas croire Pologne.
non plus que cet ordre ait élé si puissant en Quoique ce soit le seul litre que ces reli-
lialie et divisé en dix-huit provinces ; puis- gieux puissent produire, ils oui néanmoins
qu'il a toujours élé peu connu, et que les bien d'autres prétentions touchant leuranti-
iiisloriens en ont fait peu de mention, n'y quilé. Ils disent , aussi bien que les Croisiers
ayant même présentement aucun couvent ou Porte-Croix ( Yoy. Croisiers), que saint
de cet ordre en Italie. S'il y en avait eu tant Ciel, l'an 78, a été leur instituteur; que sa ni
de maisons et qu'elles eussent été divisées en Cyriaquc, évêque de Jérusalem, a été le r. s-
dix-huil provinces, elles auraient été énon- lauraleur de leur ordre; qu'ils ont eu pour
cées dans une prétendue bulle du pape Boni- législateur saint Augustin, dont la règle leur
face VIII de l'an 1295, qui est le plus ancien a été donnée par les souverains pontifes ré-
litre que les religieux de cet ordre puissent cents; que leur ancien habillement élait
produire; et dans celle bulle il n'y est parlé celui des Chanoines Réguliers : qu'ils por-
que du monastère de Métro de la ville de taienl une croix d'argent, et que i.iuelqucs uns
Rome, de Sainle-Elisabcth d'Ailesphet, de prétendent que celle croix leur avait élé don-
Saint-Pierre de l'île de , de Sainle-Croix née par saint Cyriaquc, en mémoire de la
955 D1CT10NNAIUE DLS I L'.DUtS RELIGIEUX. 956
vraie croix de Notre-Seigncur Jésus-Christ du B. Ladislas, de l'ordre de Saint-François,
qu'il avait trouvée : Institutor noster S. Cle- H dans le proeès-vèrbal de la translation du
lue papa, restaurator S. Cyriacus episcopiis corps du B. Michel Gedroc de leur ordre ,
Hierosolymitanus, et tandem legislator S. signé par tous les religieux de leur couvent
Auguslinus, cujus regulam a re.centioribus do Cracovie, dont nous parierons dans la
pontifeibus sust cpimics. Çrucis argentea et suite.
universi canonici habitus antiqùissimus nobis L'on ne peut donc rien dire de certain
usus : sunt etiam nonnulli qui crucem nobis a touchant l'origine de ces Chanoines que l'on
■S. Cyriaco, in memoriam inventa per eum appelle communément en Pologne , de S iin'«
erucis dominicœ, datam fuisse assever-ant. Marc, à cause que leur monastère de Cra*
C'est ainsi qu'un religieux de cet ordre décrit covie , qui est le principal de ceux qu'ils ont
leur origine dans un livre imprimé.) Yilna, et en ce royaume, est dédié en l'honneur de
qui a pour titre : Opu* miscremis Dei. saint Mare l'Evangêliste. C'est pourquoi l'au-
Nous ne nous arrêterons pointa réfuter leur de la Vie du B. Michel Gedroc dit qu'il
ces fables, et on peut voir ce que nous en entra dans l'ordre de Saint-Marc. Tous les
avons dit à l'art. Croisiers. Mais cet auteur historiens polonais'qui ont parlé de ces re-
en ajouie encore de plus grossières pou. jus- ligieux conviennent qu'ils furent reçus dans
tiiier le litre qu'on leur donne de Chanoines ce royaume l'an 1257 , et que ce fut Boleslas
Béguli rs de Sainte-Marie de Métro de Borne, le Chaste , duc de Cracovie et de Sandomir,
de la Pénitence des Martyrs. Il dit qu'ils sont qui les établit à Cracovie , leur ayant donné
appelés Chanoines Réguliers, à la différence l'église de Saim-Marc, qu'il avait fondée
des Moines, parce que leur ordre a paru le depuis peu ; et Dugloz ajoute que ces reli-
premier dans l'iïglise après les apôues, et gieux avaient été institués par le pipe Ale-
qu'on leur a donné la conduite des âmes ; xandre IV, qui succéda à Innocent IV l'an
que l'on ajoute de sainte Marie Demètri (il 125V. Mexanler papa IV nàvafn relig omm
ne met pas de Métro) à cause du scapu'aire Mindicantium de Pœnitentia Martyrum insti-
que la sainte Vierge donna à saint Dcmé- tuil , cujus ffatres et professores Cracoriam
trios, consul romain, qui, ayant été reçu advenientes, Boleslaus Pudicus Cracoviensis
dans l'ordre par saint Clet, l'amplifia dans et Sandomiriensik dux bénigne appellatns
sa propre maison; de Rome, parce que c t sus'eipit; et ecctesia in soncti Marci Évange-
ordre fut le premier confirmé pnr le sain!- lista honorent de novo fundata tllis locum
siège, et qu'il a été le premier qui a eu des Crucovia cotitultt anuoiï'iT.lly t\ néanmoins
monastères dans celte vile ; de la Pénitence, quelques autres auteurs qui disent que cet
tant à cause que dans le temps de la perse- ordre fui insl tué l'an 1250 , comme on lit
cation les religieux de cet ordre se cachaient dans la seconde continuation de la Chroni-
da s les boisel dans les cavernes, qu'à cause que de Thierry d Engelhusen, rapportée par
que jusqu'au temps de la persécution ils M. de Lciimitz dans le second tome de son
avaient été les Pénitenciers du pape ; et enfin Recueil des écrivains de Brunswick.
des BB. Martyrs, à cause du grand nombre de Outre le monastère de Saint-Marc de Cra-
ces religieux qui répandirent leur sang pour covie, ces religieux en ont encore quatre
la défense de la foi. Ces religieux avouent autres en l'o'ogne et un plus grand nombre
néanmoins que de ce grand nombre de m ar- en i.itliuanie , dont les plus considérables
lyrs ils n'ont seulement connaissance que S0l,t ceux de Miedniki, fondé par Jagellon
de six, qui sont saint Démétrius, consul ro- dans le palaiinat de Vjlna , Widzinieiszki ,
main, saint idde , saint Raynauld , saint Twcrc cl Mikaliski. Ils en ont aussi quel—
Li ère, saint Concesse, saint Ventura de Spo- ques-uns en Bohême, dont un à Prague. Le
leite.ei saint Cyriaque, évoque de Jérusalem, prévôt de celui de Widzinieiski adro.l de se
C est ce qui est aussi marqué dans ce livre servir d'ornements pontificaux,
qui a pour litre : Opas wiserentis Dei, que je Ces religieux ont aussi îles cures qu'ils
n'ai point vu, mais dont on m'a erivqye un desserrent. Leur habit consiste en une sou-
extmit fidèle, la personne qui me l'a envoyé la ne blanche et un scàpùlaire de même cou-
ayant eu soin de marquer les pages, et elle leur, sur lequel il y a uneceur surmonté d'une
ajoute : Ifœc retulisse sufficiat, super quibus croix rouge. Lorsqu'ils sortent ils mettent
vin pruilentis ac eruditi esto judicium, regar- une soutane ou veste noire qui cache leur ha-
dant aussi comme une chimère ces préten- bit blanc, et dans les fonctions ecclésiasti-
lions. ques ils ont un surplis cl une mjnzclle blan-
C'est apparemment à causo de ce saint che ou camail par-dessus. Le P. Athanase de
Démétrius, consul romain, qui n'a jamais Sainte-Agnès, le P. Torelli et Cresïenzè',
exisié, n'y ayant point eu de consul de ce disent que leur tunique ou robe est grise,
nom sous les empereurs Néron, lialba, Us peuvent en avoir porté autrefois de cette
Olhon et les autres, sous l'empire desquels couleur; mais, selon les mémoires qui m'ont
saint Clet a pu vivre, tant a\ant que pen- clé envoyés de Pologne en 1704 et 1710,
dant snn pontificat, que ces religieux pren- leur habit est tel que je le décris (1).
nenl dans leurs qualités celle de Chanoines H y en a qui doutent s'ils sont véritable—
Régulirs de Sainte-Marie Demetri, au lieu oient Chanoines Réguliers. Penot elle Paige
do de Métro, comme ils sont appelés par des leur donnent néanmoins ce titre , et c'est
historiens polonais, par 1 auteur de la Vie peut-être la qualité de mendiants qu'ils
(1) Vûi/., à la lui du vol.. nos 240 ei -il.
W MIC MIC 958
prennent, ou du moins qu'ils prenaient au- ses volontés, et d'ailleurs il aurait attendu
trefois, qui les aura l'ait exclure par quel- un peu tard à les suivre, puisque ce ne fut
ques-uns de l'ordre canonique. Celle qualité que l'an 1469,1e neuvième (lé son règne,
de Chanoines Réguliers, conjointement avec qu'il institua cet ordre dans le château d'Am-
ie nom de mendiants, leur est cependant boise. 11 ordonna qu'il n'y aurait que trente-
donnéedans le procès-verbal de la transla- six Chevaliers: il n'en créa d'abord que
lion du corps du B. Michel Gedroc, religieux quinze, s'étant réservé dé nommer les autres
île i et or. Ire , faite l'an H>2V par un éyêque au premier chapitre; mais le nombre des
île Laodicée suffrigant de Cracovie : Thomas trenle-si\ ne fut point rerpnli sous son règne.
Oborsik ipiscopus Laodicensis suffraganeus et Les quinze premiers qu'ii honora de c l or-
Canohieits Cracoriensis piw posteritati. Ad dre furent Charles , duc de doyenne ; Jean ,
l)ei omnipotent!* glonam m jorem et sancto- duc de Bourbonnais et d'Auvergne ; Louis
rum ejus honorent, nutum fucimus et lestmnur de Luxembourg, comte de Saint-Paul , con-
nos rogtitos fuisse are! igiosis Patribus ordinis nétahle de France; André de Laval , maré-
l'anonuorum ]{■ gnlariuni Mendicantium S. ch I de France ; Jean , comte de Sancerre ;
Alarite de Melio de Pœnitentin scinctorttm Louis de Reaumont , seigneur de la Forêl et
M art if rum, ut ossa et cine>es servi Dei li. du l'Iessis ; Jean d'Kstouleville , seigneur de
Miclutelis Gedroc ordinis prœdicti , in templo ïoicy ; Louis de Laval , seigneur de Chùlil-
eorumdem religiosorum Craroviœ S. Mai co Ion ; Louis , bâtard de Bourbon , comte de
dicato sepulli , e scpulero veteri ob majus Roussillon, amiral de France ; Antoine de
fidelium commodttnt leraremus, etc. (Apud Cbabannes, comte de Dammartin, grand maî-
Bolland., lom. I Maii , in Vila B. Micltaclis tre de France; Jean, bâtard d'Armagnac,
Gedroc.) Ce B. Michel Gedroc descen lait des comle de Cornlnges, maréchal de France et
anciens ducs de Lithuanie, et mourut l'an gouverneur du Dauphiué ; Georges de la Tri-
li85. H se fait tous les jours plusieurs mira- mouille, seigneur de Craon ; Gilbert de Cha-
cles a son tombeau. Lorsqu'on fil la transla- bannes, seigneur de Curion et sénéchal de
lion de son corps, le P. Jean-Baplisie, Italien, Guyenne ; Charles, sire de Crussol , sénéchal
religieux de l'ordre de Saint-François, était de Poitou , et Tanneguy du Châtel , gouver-
commissaire général de l'ordre de la Péni- neur de RonsMllon et de Sardaigne. Il leur
lence des Martyrs, comme il est porté par le donna un collier d'or fait de coquilles enlre-
mème procès-verbal de celle translation. Us lacé s d'un double lacs, posées sur une chaîne
ont eu aussi le P. Jacques Przir.>usoiechi, d'or, ou pendait une nié laille représentant
qui est mort en odeur de sainteté, l'an 105). l'archange saint Michel terrassant le diable.
Voyez Peno', Hist. tripart. Canonic. lîegul. Ils étaient obligés de porter tous les jours ce
Le l'aige , B blinth. Prœmonst. Pietrô Cres- collier à découvert , sous peine de l'aire dire
cenzi, Presid.rom m. lib.ui, jiag. 'io.Crusscn. une messe et de donner une aumône de sept
Monasticon. August. pari, m, cap. 1. Luigi sols six deniers tournois , excepté lorsqu'ils
Torelli, Secot. Agostinian., tom. IV. Botland. étaient à l'armée , en voyage, dans leurs mai.
lom. I Maii, in 1/7. B. Michuclis Gedroc. sons ou à la chasse. Ils portaient pour lors
Tambur., de jure Abbttum. disput. 2'i, qûœst. seulement une nié laille attachée à une chaîne
k. Athanase de Mainte-Agnès, le Chandelier d'or ouàun cordonnet de soie noire, et ils ne
d' or, et mémoires enragés de Pologne en 170V, pouvaient là quitter dans les plus grands
et 1710. dangers , même pour c nserver leur vie.
,,.„..,,, ,r, r , Brantôme dit avoir été présent lorsque le roi
MICHEL (Des Che. vliehs de l oudrk de i,„. ..,.,;, i» <:• ... • > » i -
v c i a' rranenis rr lit une sévère réprimande a un
saint- j en t tance. chevalier qui , après avoir été pris dans un
Il y a des auteurs qui prétendent que combat . avait ôte la marque de son ordre,
Charles VU, ayant aboli l'ordre de l'Elu. le atin de n'être pas reconnu pour chevalier de
par le mépris qui en fit en met ant le col- cet ordre et ne pas payer une grande rançon,
lier decet ordre au cou du cheval ier du guet, Conformément aiix statuts de cet ordre, la
el en ordonnant que ses archers porteraient grand collier d ut être du poids de deux cents
sur leurs hoquetons des étoiles , eui dessein ecus d'or et ne peut être enrichi de pierre-
d'en instituer un autre sous le nom de i'ar- ries. Les chevaliers ne le peuvent ven ire ni
change saint Michel , protecteur du royaume engager : il ap artienl à l'ordre , et après la
de France, auquel il avai: beaucoup de dé- m.ri d'un chevalier, ses héritiers sontobli-
volion : eê que n'ayant pu exécuter, à cause gés de le renvoyer dans l'espace de trois
qu'il mourut quelque temps après. Louis XI, mois et le mettre entre les mains du tréso-
son fils, suivant les volontés de son père , rier de l'ordre. Ils ne peuvent entreprendre
avait institué cet ordre. Mais nous avons aucune guerre, ni s'engager dans une action
fait remarquer, en parlant de l'or. Ire d \'E- dangereuse , sans en avoir donné avis à lu
toile, que Chai les Vil n'avait point aboli cet plus grande partie des autres chevaliers et
ordre, qu'il avait subsisté sous le règne en- les avoir consultes. Ceux qui sont Efraiie os
tier de Louis XI, et qu'il n'av lit été supprimé ne peuvent s'engager au serv ce d aucun
que sous Charles Vlll. Brantôme remarque prince étranger , ni faire de longs voyages
que Louis XI n'avait pas eu tant d'amitié sans la permission du roi ; mais les étran-
pour Charles VII , son père, pour qu'il i ût gers le peuvent en le faisant seulement a-
voulu en garder le souvenir après sa mort , voir. Si le roi fait la guerre à quelque prince,
par l'établissement de l'ordre de Saint Mi- un chevalier de l'ordre , sujet de ce prince,
chel, qu'il n'aurait fait que pour exécuter peut prendre les armes pour sa délense;
959
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
9C0
mais si c'est ce prince qui déclare la guerre
à la France, le chevalier son sujet doit s'excu-
ser de servir contre la France, el si son prince
ne veut pas recevoir sou excuse et le con-
Iraint de servir, pour lors il peut prendre les
armes contre la France, mais ilen doit donner
avis au chef de l'ordre et averlirson souverain
que s'il fait prisonnier de guerre un chevalier
de cet ordre, son confrère, il lui donnera la li -
berlé et fera son possible pour lui sauver la
vie ; que si son prince n'y veut pas consen-
tir, il doit quitter son service. Le roi, de son
côté, s'engage envers les chevaliers de les
protéger et les mainienir dans tous leurs
droits et privilèges, de n'enireprendre au-
cune guerre ni aucune affaire de conséquence
sans les avoir auparavant consuliés et pris
leur avis, excepté dans les cas où les affaires
demandent beaucoupde secret et une prompte
exécution ; el les chevaliers promettent et
jurent de ne point révéler les entreprises du
souverain qui auraient été mises en délibé-
ration devant eux. Selon les mêmes statuts,
les chevaliers doivent être privés de l'ordre
pour cause d'hérésie, de trahison et de lâ-
cheté , pour avoir pris la fuite dans le com-
bat. Ils doivent à leur réceplion quitter les
autres ordres qu'ils peuvent avoir reçus
d'autres princes, excepté les empereurs, rois
et ducs. Chaque chevalier est aussi obligé ,
à sa réceplion, de payer au trésorier qua-
rante écus d'or ou la valeur, pour être em-
ployés en ornements pour le service de l'é-
glise , et à la mort d'un confrère il doit faire
dire vingt messes et donner six écus d'or en
aumônes. Les statuts portent encore que,
pour remplir la place du chevalier décédé ,
ils doivent s'assembler avec le souverain et
donner leurs suffrages par écrit, mais cela
ne se pratique plus présentement.
L'église du Moal-Saint-Michel en Nor-
mandie fut destinée par Louis XI pour y cé-
lébrer les divins offices et recevoir les bien-
faits et fondations qui seraient faites en fa-
veur de l'ordre. Il semble cependant que ce
prince changea de dessein el qu'il destina
pour les cérémonies et les fêles de l'ordre la
chapelle de Sainl-Michel dans la cour du Pa-
lais à Paris : car par ses additions aux sta-
tuts faites aux Plessis-lès-Tours le 22 dé-
cembre 1476, il déclare qu'il a fail vœu d'é-
tablir une collégiale en l'honneur de Dieu ,
de la sainte Vierge et de saint Michel , et
ayant créé par les mêmes additions aux sta-
tuts un office de prévôt et maître des céré-
monies de l'ordre, il ordonne qu'il aura soin,
entre autres choses, de poursuivre l'exécu-
tion de la fondation de cette collégiale ; qu'il
eii obtiendra les permissions nécessaires ,
tant des souverains pontifes que de l'ordi-
naire ; qu'il aura l'inspection sur les bâti-
ments qu'il prétend laire faire au lieu où
sera fondée cette collégiale ; qu'il aura soin
des réparations el veillera à ce que l'office
divin soit fait par les chanoines, tant de nuit
que de jour; et par ses lettres patentes du
2'i du même mois, il fil la fondation de celle
collégiale pour dix chanoines , un doyen et
nn chanire, huit cbaoelains, six enfants de
chœur, un maître , deux clercs , trois huis-
siers ou bedeaux, un receveur et un con-
trôleur, pour faire l'oflice divin dans la cha-
pelle de Sainl-Michel du Palais à Paris. Ce
chapitre devait être immédiatement soumis
au saint-siége et de nomination royale. Les
prébendes étaient de dix sols parisis par
jour. Le doyen devait avoir deux parts , le
chanire une part et demie, et les chapelains
demi-pari chacun. Pour ce sujet le roi leur
donna et céda dix deniers tournois sur le
droil ordinaire des gabelles qui se lèverait
sur chaque minot de sel. Le receveur devait
avoir quatre cents livres parisis de gages, et
le contrôleur deux cents livres. Le receveur
devait payer aussi au chancelier de l'ordre
huit cents livres parisis, au prévôt six cents
livres, au trésorier six cents livres, au gref-
fier quatre cents livres, et au héraut deux
cent cinquante livres. Sa Majesté voulut
que ces chanoines , chapelains et officiers
eussent leurs causes commises par-devant les
maîtres des requêtes, qu'ils fussent exempts
de loutes charges quelconques et impositions
de la part du roi, de la ville, el de lous autres
privilégiés et non privilégiés, dont ils seraient
exceptés et déchargés. Mais celle fondation
ne fut point exécutée, el il ne se trouve point
que les assemblées et les fêles de l'ordre se
soient faites dans celle église , ni même dans
l'église du Mont-Saint-Michel.
La veille de la fêle de ce saint, tous les
chevaliers de l'ordre étant au lieu de l'assem.
blée devaient se présenter devant le souve-
rain en son palais, avant les vêpres, et aller
ensemble à l'église, revêtus de manteaux de
damas blanc traînant à terre, bordés d'or
avec des coquilles et lacs d'amour en brode-
rie, et fourrés d'hermine, la tête couverte
d'un chaperon de velours cramoisi. Le len-
demain , ils retournaient à l'église pour en-
tendre la messe; à l'offertoire, ils offraient
une pièce d'or, chacun selon sa dévotion; et
après l'office ils allaient dîner avec le roi.
Le même jour, ils allaient encore à l'égliso
pour les vêpres; mais ils étaient vêtus de
manteaux noirs, avec des chaperons de même
couleur, excepté le roi, qui avait un man-
teau violet. Ils assistaient aux vigiles des
morts, el le lendemain à la messe, à l'offer-
toire de laquelle chaque chevalier offrait un
cierge d'une livre, où ses armes étaient atta-
chées. Le jour suivant, ils retournaient en-
core à l'église pour entendre la messe que
l'on chantait en l'honneur de la sainte
Vierge; mais ils étaient habillés comme bon
leur semblait.
Il n'y eut d'abord que quatre officiers de
l'ordre, savoir : le chancelier, le greffier, le
trésorier et le héraut, appelé Mont-Samt-
Michel. Ils avaient des robes longues de ca-
melot blanc, fourrées de menu vair, avec des
chaperons d'écarlale; et le chancelier devait
êlre toujours ecclésiastique. Le prieuré de
(jrandmont, dans le parc de Vincennes,a été
pendant un temps considérable annexé à la
dignité de chancelier de l'ordre de Saint-
Michel. Le cardinal de Lorraine, le cardinal
Gabriel le Veneur, évêque d'Evreux , et Pni-
961
MIC
MIC
962
lippe Hurnut, comte de Chiverni, chancelier
de France, l'ont possédé en celle qualité. Ce
dernier en était prieur lorsque le roi Henri III
fit, l'an 1584, un concordat avec François de
Neuville, général de l'ordre d<- Grandmont,
par lequel ce prieuré fut distrait de cet ordre
pour être transféré à tel autre qu'il plairait
à Sa Majesté, qui donna en échange à l'ordre
de Grandmom le collège de Mignon, à Paris ;
ce qui (ut confirmé par le pape Grégoire Xill.
Le roi introduisit d'abord , dans ce couvent ,
des Cordeliers qui l'abandonnèrent la même
année, et il mit en leur place des Minimes
qui y sont restés jusqu'à présent. Ainsi le
liire de prieur l'ut supprime, et l'office de
chancelier de l'ordre de Saint-Michel uni à
celui de chancelier de l'ordre du Saint-
Esprit, que ce prince avait institué en 1578.
Louis XI étant au Plessis-lès-Tours, l'an
1476, avait ajouté à ces quatre offices un
prévôt raailre des cérémonies, comme nous
avons dit ci-devant. Louis XI!, ayant con-
quis le royaume de Naples avec Ferdinand V,
roi d'Aragon, qui devait se contenter pour
sa part de la Pouille et de la C alabre, le
reste étant demeuré aux Français, fil cheva-
liers de l'ordre de Saint-Michel : Troiano
Caraccioni, prince de Melphi et duc d'Ali i,
grand sénéchal de Naples ; Bernardin de
Sansevcrino, prince de Bisignano ; André-
Matthieu Aquaviva, duc d'Alri et prince de
Terra ne ; et Jean-Antoine Caraffa , duc de
Madaloni. Mais les Espagnols ayant ensuite
chassé les Français de tout le royaume, dont
ils se rendirent maîtres, ces seigneurs napo-
litains renvoyèrent le collier de l'ordre à
Louis XII, l'an 1511.
François l" fil du changement à ce collier :
il lit ôlcr les doubles lacs pour mettre une
cordelière, tant à cause qu'il s'appelait Fran-
çois, que pour conserver la mémoire d'Anne
de Bretagne, sa mère, qui l'en avait prié, se-
lon ce que dit Favin. Le même roi ayant en-
voyé Tordre de Saint-Michel à Henri V11I,
roi d'Angleterre, ce prince lui envoya aussi
l'ordre de la Jarretière; it François l'r,
l'ayant reçu, tint un chapitre des chevaliers
de l'ordre de Saint-Michel, devant lesquels il
fit lire les lettres d'Henri VIII, par lesquelles
ce prince déclarait avoir accepté l'ordre de
Saint-Michel et avoir associé à celui de la
Jarretière François 1" : c'est ie qui paraît
par les lettres de ce dernier que M. Ashmole
a mises à la fin de son Histoire de l'ordre de
la Jarretière, et que nous rapporterons ici.
François par la grâce de Dieu roi de
France, .seigneur de Gennes, souverain du
très-noble ordre de Monseigneur saint Michel,
à tous ceux qui ces présenlis lettres verront,
Salut, comme messire Artus Plantaginet, vi-
comte de l'Isle, chevalier du très-digne ordre
de Monseigneur suint Genge*, messire Jean
Taillour, docteur ez loix, archidiacre de Bou-
hingam, vice-chancelier a? Angleterre^ messire
Nicolas Carew, grand esc ier d'Angleterre,
messire Antoine Browne, chevalier, et messire
Thomas Wriothcs Jarretière, chevalier pre-
mier roi d'armes dudit ordre, ambassadeurs
commis et déléguez de la vart de très-haut et
très-puissant prince Henri par la même grâce
de Dieu roi d'Angleterre, seigneur d'Uij'ier-
nic de/fenseur de la foi, notre très-cher et
très-amé frère, cousin, perpétuel allie , confé-
déré, et bon compère, nous aient exhibé et re-
présente certaines lettres patentes, duttées du
vingt-deuxième jour d'octobre L;27, signées
Sampson, et scellées en cire rouge du sceau
du collège et d'icelni très-digne ordre de saint
Georges, dit la Jarretière par la teneur des-
quelles qu'avons fait tire par/levant nous, et les
chevaliers de notre ordre de saint Michel, nous
apparoissoit le* susd.amb issadeurs avoir plein
pouvoir, faculté et puissance de nous signifier
et présenter de la part de notre dit très-cher
f' ère et cousin souverain d'icetui très digne
ordre de saint Ge rges, et au>si de l'amiable
association d'icelui , l'élection uniquement
faite de nous, par iccux souverain et cheva-
liers d'icelui très-digne ordre, et de nous prier
et requérir icelle il clion accepter et prendre
le manteau et collier et autres insignes de che-
valier dudit très-digne ordre, et fui e le ser-
ment selon les articles contenus au livre des
statuts dudit ordre, et que ont accoutumé de
jurer et promettre les chevaliers d'icelui, et si
lu forme desdils serments ne nous étoit pas
agréable, leur étoit donné pouvoir de nous
dispenser de faire lesd. sermens ou partie d'i-
ceux tels qu'il appartiendrait ; soi contentant
de notre simple foi et parole, sçavoir faisons
que nous aïant egnid et considération à ta
très-cordiale el très-entière amour, alliance et
indissoluble et confédération perpétuelle, gui
est entre notre dit très-cher et très-amé frère,
cousin, allié peipetucl , et' bon compère et
nous, et que de sa part il a accepté l élection
par nous et nos frères faite de sa personne au
très-digne ordre de saint Michel duquel nous
sommes souverains , avons pour ces causes et
autres à ce nous mouveans, accepté et accep-
tons icelui très-digne ordre de saint Georges
dit la Jarretière, et ce fait nous sommes revê-
tus et affublés du manteau et autres insignes
dudit ordre à nous présentez et livrez par les
susd. ambassadeurs , et après les remercimens
en tels cas requis, avons fait le serment en la
forme et manière qui s'en suit: Nous François
par la grâce de Dieu roi de France, seigneur
de Gennes et souverain de l'ordre de saint
Michel, promelions en parole de roi de gar-
der et observer et à notre pouvoir entretenir
les statuts et ordonnances du très-digne
ordre S. Georges nommé la Jarretière en ce
qu'ils sont compatibles, non contraires, ne
derogeans à ceux de notre dit ordre de S.
Michel, cl pareillement des ordres que par ci
devant pouvions avoir pris des autres prin-
ces. En témoing de ce nous avons fait mettre
le sceau dudit ordre aux présentes signées de
notre main. Donné à Paris le 10" jour de no-
vembre l'an de grâce mille cinq cens vingt-sep!
et de notre règne te treizième.
Henri II, étant parvenu à la couronne de
France, ordonna, dans le premier chapiire
de l'ordre de Saint-Michel, qu'il tint à Lyon,
où il fit son entrée l'an 1548, que les cheva-
liers de cet ordre porteraient à l'avenir lo
manteau de toile d'argent, brodé à l'enlour
9G3 DICTIONNAIHK DES OKDP.ES RELIGIEUX.
de sa devise, savoir : trois croissants d'ar-
gent entrelacés de trophées, semés de lan-
gues el flammes de feu, avec le chaperon de
velours rouge cramoisi couvert de 1 1 même
broderie; que le chancelier porterait le man-
teau de velours blane et le chaperon de ve-
lours cramoisi; que le prévôt et maître des
cérémonies, le trésorier, le greffier et le hé-
raut, auraient un manteau de satin blanc et
le chaperon de salin cramoisi, el qu'ils por-
teraient une chaîne d'or au bout de laquelle
pendrait sur l'estomac une coquille d'or seu-
lement. Tous les chevaliers qui élaienl pré-
sents assistèrent avec le roi, pour la solen-
nité de l'ordre, daus l'égli-e cathédrale lie
Saint-Jean de Lyon, aux premières vêpres de
la fête de saint Michel, el le lendemain à la
granil'messe et aux secondes vêpres.
Sous le règne des enfants de ce prince l'or-
dre commença à s'avilir par le grand nom-
bre de chevaliers que l'on lit au delà de celui
porté par les statuts, qui n'était que de trente-
six. François il en fil dix-huit dans une seule
création à Poissy l'an 1560, dont on murmura
fort. L'année suivante Chai les IX en fit quinze
dans une promotion à Saint-Germain cnLayc.
On ajouta àcegrand nombre trente-trois cheva-
liers dans une autre promotion, el, en 1562
el 1567, on en fit encore vingt-deux. Les
troubles de la France obligèrent depuis le
roi d'en faire d'autres, dont il y eu avait
quelques-uns qui n'étaient pas de naissance ;
car Brantôme dit que le marquis de Trannes
fit donner cet ordre à son malice d'hôtel. Ces
fréquentes promotions tirent interrompre la
pompe des chapitres et des cérémonies où le
roi assistait avec les chevaliers. Il se fit plu-
sieurs réceptions dans les provinces, avec
peu d'appareil, par les chevaliers de l'ordre
à qui la commission était adressée. Le der-
nier chapitre où se trouva Charles IX fut ce-
lui qui se lint dans l'église de Notre-Dame à
Paris, la veille de saint Michel de l'an 1572:
le roi prit sa place à main droite sous un
dais de drap d'or, et à la gauche il y avait un
pareil dais sous lequel étaient les armes des
rois d'lispagne,de Danemark et de Sué le, qui
étaient aussi chevaliers de ce tordre. M. le La-
boureur dit qu'Henri Ni le supprima taeile-
menl en instituant celui du Saint-Espr.it, au-
quel il le réunit, Cependant ce prince, par la
création de l'ordre du Saint-Esprit, déclara
qu'il voulait et entendait que l'ordre de Saiul-
Miehcl demeurât en sa force et vigueur, et
qu'il fut observé comme il avait été pratiqué
depuis sa première institution. Lu effet tous
les chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit
prennent l'ordre de Saint-Michel la veille du
jour qu'ils doivent recevoir celui du Sainl-
Espi.it; c'est pourquoi leurs armes sont en-
tourées des deux co liers, el ils sont appelés
chevaliers de l'ordre du roi.
Le roi Louis XIV, ayant reconnu qu'il
s'é ail introduit une infinité d'abus et de con-
traventions aux anciens statuts el règle-
ments de I or re de Saint-Michel, qu'il était
avili en la personne de plusieurs paiticu-
liers qui se qualifiaient chevaliers de cet or-
dre sans avoir fait preuves de noblesse
9C1
el de services, el que plusieurs étrangers
avaient surpris des certificats de réception
sans ses ordres particu iers, ordonna, le ik
juillet 1661, à lous ceux qui avaient été reçus
dans cet ordre, de porter ou d'envoyer aux
commissaires que Sa Majesté nomma, les li-
tres el preuves de leur noblesse et de leurs
services. Plusieurs ayant obéi, et les autres
ayant négligé d'y satisfaire par la crainte ne
faire connaître leur naissance et l'impossi-
bilité où ils se trouvaient de donner des i e<-
tificals oe leurs services, le roi fit, l'an 1605,
un nouveau règlement portant que lous les
slatui., ordonnances el règlements faits lors
de l'établissement de Tordre de Saint-Michel
par le ro! Louis XI etdepuis, seraient invio-
lablement observés ; que le nombre de ceux
qui seraient admis à l'avenir dans cet ordre
serait réduit à cent, oulre les chevaliers du
Saint-Esprit, parmi lesquels il y aurait six
ecclésiastiques prêtres âges de trente ans et
constitués en dignités d'abbés ou de ciiar;:es
principales des églises cathédrales et collé-
giales, et six officiers des compagnies souve-
raines ; à condition loutelois qu'ils feraient
les mêmes preuves de leur naissance et de
leurs services que les chevaliers militaires,
lesquels auraient seuls le droit oc porter l'or-
dre, de s'en qualifier chevaliers, et de jouir
des droits, privilèges el avantages y attachés;
faisant défenses très-expresses à tous les au-
tres, de quelque condition qu'ils fussent, de
plus porter la qualité de chevalier ni ledit
ordre, nonobstant lous les brevets, lettres de
cachet et certificats de réception qu'ils au-
raient obtenus, lesquels Sa Majesté déclara
nuls et de nul effet: qu'à l'avenir nul ne
pourrait être admis à l'honn ur de rece-
voir tel ordre qu'il ne fût de la religion
catholique, apostolique, et romaine, de
bonnes mœurs, âge de trente ans, noble de
deux races, et ayant servi Sa Majesté et i'E-
lal en des emplois considérables dans les ar-
mées, au moins i'espace de dix ans, et ceux
de. justice pendant le même temps, et à
celte fin celui que Sa Majesté trouverait ca-
pable de recevoir cet honneur, obtiendrait
une commission signée de sa main, contre-
signée du secrétaire des ordres et scellée du
grand sceau de l'ordre de Saint -Michel,
adressée au chevalier de l'ordre du Saint-
Esprit que Sa Majesté commettrait pour in-
former des faits ci-dessus et examiner les
preuves tant de la noblesse que des services:
lesquelles étant faites seraient mises dans
un sac cacheté et scelle nu cachet des armes
du commissaire avec son avis, et délivrées
entre les mains du chancelier des deux ordres,
pour en faire-rapport à Sa Majesté, laquelle,
par l'avis des confrères qu'elle appellerait,
ordonnerait ce qui lui plairai! sur la récep-
tion ou exclusion de celui qui aurait été pi é-
senlé , et qu'à l'égard de ceux que Sa Ma-
jesté jugerait digues de cet honneur, elle
écrirait au commissaire de leur donner le
collier en la forme ordinaire et accoutumée :
qu'atin de maintenir cet ordre dans la ri g e
et dignité convenable, lous les ans, au jour
et fêle de saint Michel, tous les chevaliers
s«
.MIC
MIC
C66
s'assembleraient en chapitre dans la salle de9
Cordvliers de la ville île Paris, à laquelle as-
semblée présiderait le commissaire nommé
par Sa Majesté, et en son absente le plus
ancien des chevaliers, où, après a\oirassislé
en corps à la messe solennelle qui serait cé-
lébrée, l'on proposerait et l'on examinerait
tous les règjem nts nécessaires pour y réus-
sir; que des délibérations il serait tenu re-
gistre par celui qui serait commis par le se-
crétaire des deux ordres ; et que les frais qui
géraient nécessaires pour la célébration des
messes et des assemblées seraient payés sur
les deniers du marc d'or, par les ordomn ih-
ces du chancelier des deux ordres ; qu'aucun
des confrères île pourrait se dispenser d'as-
sister au chapitre général, s'il n'avait une
excuse légitime, auquel cas il enverrait pro-
curation à tel des confrères qu'il aviserait
pour consentir et signer les propositions et
délibérations qui seraient prises au chapitre,
à la pluralité des voix ; que si, après avoir
été reçu dans cet ordre, aucun des confrères
changeait de religion, il serait obligé de re-
mettre son ordre entre les mains du doyen
des chevaliers sans qu'il pût continuer a le
ftorler tant qu'il ne ferait pas profession de
à religion catholique, apostolique et ro-
maine, sous peine d'être dégradé de noblesse;
comme aussi s'il arrivait qu'aucun des con-
frères fît quelque acte dérogeant à la no-
blesse et à la dignité de l'ordre de chevalerie,
il serait déchu de tous les honneurs et avan-
tages qui y sont attachés et serait puni selon
l.i rigueur des ordonnances; qu'aucun des
confrères ne pourrait se dispenser de porter
la croix de l'ordre, qui serait de la même
forme et figure et plus petite de moitié q:e
celle du Saint-Esprit, à l'exception de la co-
lombe qui est au milieu, au lieu de laquelle
serait représentée en émail l'image de saint
.Michel, laquelle serait portée enécharpe avec
in ruban noir; qu'aux assemblées des céré-
monies et autres occasions où Sa Majesté
voudrait appeler des confrères de cet ordre,
ils seraient tenus de se rendre auprès d • sa
personne pourl i servir où il leur serait com-
mandé; que lous les chevaliers et confrères
seraient obligés de porter l'épée, excepté les
six ecclésiastiques et les six qui sera. eut de
compagnies souveraines. Enfin Sa Majesté or-
donna a ses ambas-adeurs dans les royaumes
et pays étranges, de s'informer soigneuse-
ment du nom, des qualités et des services de
ceux qui prétendaient avoir droi! de porter
les marques de cet ordre, pour, sur les mé-
moires qui lui en seraient envoyé-, confir-
mer ceux qu'elle jugerait en être dignes ; et
cependant elle déclara nulles et de nu! effet
et \aleur les expédiions que les étrangers
en avaient obtenues, et les dispensa de l'ob-
servation du serment qu'ils pouvaient avoir
fait lorsqu'ils étaient entrés dans cet ordre.
Sa Majesté chargea ses mêmes ambassadeurs
de l'ii ire les instances convenaliles auprès de
l'empereur, des rois, des souverains, répu-
bliques et potentats, dont ceux qui avaient
(1) Voy., à la tin du vol., u' Ai'2.
surpris de pareils certificats de réception se
trouvaient sujets, pour leur défendre de se
qualitier à l'avenir chevaliers de cet ordre,
jusqu'il ce qu'avec connaissance de cause
Sa Majesté le ir eût conféré celle qualité,
comme supernuméraires et non compris dans
le nombre réglé de cent pour ses sujets, Sa
Majesté se reservant d'accorder ces grâces
honoraires sans limitation aux étrangers
qui les auraient méritées par leur naissance
et par les services qu'ils auraient rendus à
la couronne. Quoique par ce nouveau règle-
ment il soit porté que les chevaliers de iW-
dre de Saint-Michel doivent s'assembler tous
les ans en chapitre aux Cordeliers de Paris,
et que leur croix doive être ait ichée à un ru-
ban noir en écharpe , ii y a néanmoins long-
temps que les chapitres ne se sont tenus, et ils
portent présentement par tolérance la croix
attachée à un ruban bleu, à la boutonnière
du juslaucorps. Nous donnons ici l'habille-
ment des chevaliers de cet ordre, tel qu'il est
représenté à la S linte-Chapelle de Y incen-
nes (1).
l'aviii, Théâtre d'honneur et de chevalerie.
Le Laboureur , Addition» aux Mémoires de
CnstetnâH. Bernard Giusliniani, Hisi. di luit.
gliOrd. mitit. Menncnius, De Belloy, Heruiau
et Schoonebeek, dans leurs rlisl. des Ordres
militaires. Mezerav. Ilit. de France sous
Louis XI. Elie A s h mole, sou Traité de l'ordre
de la Jarretière. Francesco Caràccioli, /Vo-
poli sucra ; Us statuts de l'ordre de Saint-
Michel ; et lés Retherclies historiques de l'or-
dre du Saint-Esprit, loin. III.
Outré ce que fit Louis XIV en faveur de
cet o.dre, Lo lis XV lui donna aussi un nou-
veau Inslfè, en exigeant que tous ceux qui
seraient nommés chevaliers du Saint-Esprit,
seraient préalablement chevaliers de Sainl-
Michei ; voi.a ée qui explique celte quai. tie.i-
tion qu'on rencontre de temps à autre : c'ne-
valier de* ordres du roi, et 1« statuts de cet
ordrefurenliéimprimésà l'imprimerie royale
en 1723.
Louis XIV, en 1665, av ait limité le nom-
bre des chevaliers à cen , outre ceux du
Saint-Esprit; Louis XV1I1 fixa aussi ce nom-
bre par une ordonnance du 16 novembre
1816.
Par cetie ordonnance, qui relève cette di-
gnité, abolie comme les aaires chevaleries en
juin 1790, il est rappelé ou établi que l'on// s
de Saint-Michel est spécialement destiné à
servir de récoaipense et d'encouragement
aux Franc lis qui se distinguent dans les let-
tres, les sciences et les arts, ou par des dé-
couvertes, des ouvrages ou des entreprises
utiles à i'Eiat. Il est également statue que
toute demande d'admission dans l'ordre est
adressée au ministre de la maison du roi, qui
en fera son rapport à Sa Majesté, et propose
celles susceptibles d'être accueillies.
Le grand collier de l'ordre était en or, et
se composait de coquilles d'argent entrelacées
l'une dans l'autre par des aiguillettes d'or.
On suspeudait au milieu uue médaille repre-
367
sentant saint Michel foulant aux pieds le
dragon. La décoration consistait en une croix
d'or à Imii pointes entaillées de blanc can-
tonnées de quatre fleurs de lis d'or, chargées
en cœur d'un saint Michel foulant aux pieds
le dragon, le tout de couleur naturelle. Les
chevaliers portaient sur leur veste un grand
ruban de soie noire, moiré, passé de l'épaule
droite au côté gauche , auquel était attachée
la croix de l'ordre.
L'ordre de Sainl-Michel tenait comme le
milieu entre les ordres religieux et militai-
res, comme celui de Notre-Dame du Monl-
Carmel et de Saint-Lazare, et les ordres de
chevalerie qui étaient simplement militaires,
comme l'était, par exemple, celui des cheva-
liers de Saint-Louis. On distinguait, dans
l'ordre de Saint-Michel, les chevaliers admis
des chevaliers reçus ; il y avait aussi à la fin
des chevaliers honoraires, lin 1789, l'année
qui précéda la suppression, il y avait soixan-
te-dix-huit chevaliers reçus, dont le dernier
(en 1788) était M. Mathieu, maître de musi-
que de la chapelle, à Versailles, et le plus
ancien (en 1742) élait le marquis de Roux ,
conseiller d'Etal, doyen de l'ordre, et de-
meurant à Marseille. Il y avait aussi alors
douze chevaliers simplement admis. On re-
cul, en 178), deux autres chevaliers , et on
avait admis, en 1788, le baron Chaptal, que
nous ne voyons point au rang des douze in-
diqués ici. 11 y eutdeux nominations en 1790,
cinq en 1797, une l'année suivante et une
en 1800, faites par les Bourbons en l'exil. En
1815, au retour du roi, il y eut une seule
nomination, cl on en compta trente-trois en
1816, qui fut l'année de la restauration de
l'ordre, par l'ordonnance dont nous avons
parlé. Il y eut des nominations les années
suivantes, surtout en 1819 et 1821, miis sous
le roi Louis XYT1I il n'y eut point d'admis-
sions; ce prince nomma aussi dès 181G et de-
puis des chevaliers honoraires résidant en
pays étrangers. Après une interruption de
plus de trente-cinq ans, il y eut à Reims ,
après le sacre de Charles X, une réception
solennelle des chevaliers et commandeurs
des ordres du roi. Elle se fit le lundi 30 mai
182a, dans la cathédrale. Avant lacérémonie,
M. le dauphin reçut, suivant la règle et l'u-
sage, chevaliers de l'ordre de Sainl-Michel,
tous les chevalieis qui allaient être reçus
chevaliers du Saint-Esprit. En 1820, il y eut,
le 29 septembre, jour de sainl Michel, anni-
versaire de la naissance d» duc de Bordeaux,
convocation du chapitre de l'ordre de Saint-
Michel, en la fêle patronale de l'ordre. Le
baron de Ballainvilliers reçut, en qualité de
commissaire du roi, le serment des chevaliers
nommés depuis la resiauralion. On comptait,
au commencement de l'année 1830, 95 che-
valiers reçus et dix chevaliers honoraires.
A la Pentecôte, le roi Charles X, ayant tenu
chapitre de l'ordre du Saint-Esprit et reçu
des chevaliers, admit aussi préalablement ,
conformément auxstatuls, des candidalsdans
l'ordre de Saint-Michel. Cet ordre a été aboli
de fait par la révolution de juillet 1830.
Dictionnaire des Sciences ecclésiastiques de
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 9l>8
Richard. — Ami de la religion. Almanahs
royaux. B-d-e.
MICHEL (Chevaliers de Saint-). Voy. Am-
poile (Sainte).
MICHEL DE MURANO (Congrégation de
Saint-). Voy. Camaldules, § II.
MILICE DE JÉSUS-CHRIST (Chevaliers
de la). Voy. Passion de Jésus-Christ.
MILICE DE JÉSUS-CHRIST OU DE LA
PÉNITENCE (Ordre de la), Tiers Ordre
de Saint-Dominique.
L'on ne sait point l'année de l'établisse-
ment du Tiers Orlre des Frères Prêcheurs,
qui est connu sous le nom de la Pénitence de
Saint-Dominique. Tous les historiens con-
viennent que ce saint patriarche de l'ordre
des Frères Prêcheurs établit un ordre mili-
taire sous le nom de Milice de Jésus-Christ,
pour combattre les ennemis de la foi; mais
les écrivains de son ordre ne sont pas d'ac-
cord entre eux si ce fut du vivant de ce
sainl ou après sa mort que cette milice mit
les armes bas, et que ceux qui y étaient en-
gagés, voulant se conserver en société, pri-
rent le nom de pénitents de Saint-Dominique
pour honorer la mémoire de leur saint inslii
lu leur. C'est ce qui a formé le Tiers Ordre
des Frères Prêcheurs, qui apparemment a
été si peu considérable pendant les deux
premiers siècles de son établissement, quo
l'an 14*22 on ignorait même quelle élait la
règle que suivaient ceux et celles qui y
étaient engagés, cl qu'on ne savait peut-être
pas quelle était l'origine de ce Tiers Ordre;
c'est pourquoi deux religieux du premier
ordre, soit qu'ils en eussent commission de
leurs supérieurs, ou qu'ils voulussent réta-
blir et faire connaître ce Tiers Ordre, firent
une recherche exacte, en 1422, de la règle
que suivaient les Frères et Sœurs de la Péni-
tence de Saint-Dominique, et après avoir
apporlé loutes les diligences nécessaires pour
cela, ils ne purent rien Irouver qui ne lût
conforme à ce qu'en avait déjà écrit le bien-
heureux Raymond deCapoue, vingt-deuxième
général de cet ordre, dans le huitième cha-
pitre do la Vie de sainte Catherine, qui avait
été deceTiers Ordre. /'a^eai,disenl-ils(r;'ac(.
de Reg.Tcrt. Ord.,in fine Consl. ord. Prœd.),
univeisis fidelilius, qualiter ego F. Thomas
de Senis utia cum M. F. Bartholomœo de Se-
nis, ambo de ordine Prœdicatorum, anno Do-
mini 1422 Venetiis existentes et quantum va-
luimus diligenliis inquirentes de régula seu
statu Fratrum et Soiràrum de Mi'itta Jesu
Christi, de Pœnitenlia B. Dominiei, invenimut
quantum ad inilium ejusdem régula? taliter si
hahere, sicut palet in legenda B. Catharinœ
de Senis supradicla, capitulo 8, ubi sic dici-
tur, elc.
Après un tel témoignage, je ne crois pas
que les religieux de Saint-Dominique trou-
vent mauvais que je me conforme, touchant
l'origine de leur Tiers Ordre, à ce qu'en a
écrit un de leurs généraux, le bienheureux
Raymond de Capoue; et si je préfère son
sentiment à celui d'un auteur moderne, je
9C9 MIL MIL 070
veux dire l'Anonyme, religieux prêtre do sain!, résolurent de changer le nom de Mi-
grand couvent et royal collège des FF. Pré- lice de Jésus-Christ en celui d • Pénit nc< lu
«heurs de la rue Saint-Jacques à Paris, quien Saint-Dominique. Ce qui les porlaà ce chan-
1G80 a donné les règles de et; Tiers Ordre, gemeut fut que leur milice ayanl été établie
accompagnées d'explications sur chaque pour combattre à main année contre les
chapitre et de quelques observations conte- hérétiques, et l'hérésie étant presque éteinte,
liant l'histoire de re Tiers Ordre. les armes matérielles leur devenaient inuli-
Le bienheureux Raymond de Capoue, par- les pour combattre à l'extérieur, et ils ne
lanl donc de l'origine de ce Tiers Ordre, dit devaient plus combattre qu'avec la pénitence
que saint Dominique, tant par lui que par ses et la mortification contre leurs propres pas-
religieux, triompha d'un grand nombre d'hé- sions ; ce fut donc la raison qui leur fit pren-
réliqucs, tant en France qu'en Lombardie, dre le nom de la Pénitence de Saint-Domiui-
et que dans la Lombardie seule il y en eut que. Leur no Ire s'élanl augmenté, et le
plus de cent mille qui lurent convertis par bienheureux Pierre Martyr, qui fui lue par
sa doctrine et par ses miracles, comme on le les hérétiques, étant entré dans Cette société,
prouva en présence du pape Grégoire IX, son sang, qu'il répandit pour la défense de la
dans le temps de sa canonisation. Cet au- foi, acheva de détruire entièrement l'héré-
teur attribue la cause de tant d'hérésies à la sie ; car ce saint martyr remporta plus de
pauvreté où étaient réduits la p up rt des signalées victoires sur les ennemis de l'Eglise
prélats de l'Eglise, dont les biens avaient élé .1 près sa mort par ses miracles, qu'il n'avait
usurpés par des laïques et rendus heréditai- fait pendant sa \ie; ainsi celie .Milice devint
res dans leurs familles, ce qui faisait que les entièrement inuii'e, la cause pour laquelle
hérétiques se souciaient peu des censures elle avait été établie ayant cessé,
ecclésiastiques qui n'étaient pas accompa- Les hommes qui étaient entrés dans celle
gnées de la force et de la puissance pour les Milice étant décèdes, leurs femmes n'osaient
faire exécuter plus se remarier, et voulurent persévérer
C'étailprincipalementen Italiequerégnaient jusqu'à la moi l dans l'état qu'elles avaient
ces désordres; c'est pourquoi saint Domini- embrassé. Quelques femmes veuves qui ne-
que, animé du zèle de la gloire de Dieu, vou- (aient pas de celte Milice, et qui avaient
lanl conserver les droits de l'Eglise et lui aussi résolu de persévérer dans leur vidui:é,
faire rendre les biens qui lui avaient été en- se joignirent à ces Sœurs de la Péni'ence de
levés par les hérétiques, assembla quelques Saint-Dominique, elles pratiquèrent les mê-
laïques pieux et dévols, et, étant persuadé de mes observances pour l'expiation de leurs
leur vertu et de leur courage, il en forma péchés, et se multiplièrent peu à peu en
une milice, dont le principal soin devait être plusieurs endroits d'ita'.ie. Files eurent re-
de recouvrer les droits ecclésiastiques qui cour- aux FF. Prêcheurs pour I ur appren-
avaient été usurpés, de les proléger, et d'ein- die la manière de vivre qui avait é!é pres-
ployer aussi leurs armes pour la deslruc- crile par saint Dominique; mais comme el e
lion de l'hérésie. H faisait prêter serment à n'avait pas été jusqu'alors rédigée par écrit,
ceux qui s'engageaient uans cette milice, de le P. Munio de Zamorra, Espagnol de nation,
s'employer de loules leurs forces à ces bon- septième général de l'ordre des Frères Prè-
nes œuvres, d'exposer leur vie pour ce sujet cheurs, mit par écrit la manière de vie que
et même leurs biens, el, afin que leurs fem- les Frères el Sœurs de la Pénitence de Saint-
mes ne les empêchassent pas d'exécuter leurs Dominique suivent à présent, et qu'ils appel
promesses, il les taisait aussi jurer qu'elles lent règle.
ne s'opposeraient pas aux bonnes intentions C'est de cette manière que le bienheureux
de leurs maris, el qu'au contraire elles les Raymond de C poue décrit l'origine et le
assisteraient de tout leur pouvoir. Il donna progrès de ce;te société de la Milice de Jésus-
le nom de Milice de Jésus-Christ à celte so- Christ, et de celle de la Pénitence de Saint-
ciété ; et, afin que ceux qui s'y engageaient Dominique à qui l'on a donné depuis le nom
fussent distingués des autres laïques par de Tiers Ordre de Saint-Dominique; et il me
quelques marques extérieures, il ordonna semble que l'on doil s'en rapporter plutôt à
lanl aux hommes qu'aux femmes de porter un général de cet ordre illustre des Frères
un habit noir et blanc, fait de telle sorte que Prêcheurs, qu'à un particulier du même or-
quelque forme qu'ils donnassent à leur ua- dre, qui, pour donner au Tiers ordre de Saint-
bill nient, ces ileux couleurs y parussent Dominique la préséance au-dessus de celui
toujours (i), et il leur prescrivit aussi certai- de Saint-François, dit que ce fut du vivant
nés prières pour les heures canoniales. Saint de saint Dominique même que les frères et
Dominique, ayanl ainsi établi cet ordrc'mili- sœurs de la Milice de Jésus-Christ quittèrent
taire, mourut quelque l mps après, el le ce nom pour prendre celui de ia Pénitence
grand nombre des miracles qu'il fit après sa de Saint-Dominique, et qui rejette, et le lé-
uiorl le fil mettre au catalogue des saints par moignage du bienheureux Raymond :e Ca-
le pape Grégoire IX, l'an 123'r. poue, et celui de ces deux religieux, qui,
Les Frères cl les Sœurs de la Milice de Je- après une exacte recherche qu'ils firent en
sus-Chris! , voulant aussi honorer d'une ma- 1*22 de l'origine de ce Tiers Ordre, certi-
nière particulière la mémoire de leur instilu- fient qu'ils n'ont rien trouvé qui ne fûteon-
leurque, l'Eglise venaildereconnailre comme forme a ce qu'en avait dit ce général d;ms la
(1) Voi/., à la tin du vol., n° 245.
Dictionnaire des Oumut» Rnur.iEix.. II. 31
r-7i
DICTIONNAIRE DES OU LU ES UELIC1EUX.
972
Vie de suinte Catherine de Sienne. Cepen-
dant ces témoignages semblent être aulori es
de tout l'ordre des FF. Prêcheurs, puisqu'ils
se trouvent imprimés à la lin dus constitu-
tions du premier ordre dans un p lit traité
qui a pour litre : Traclatus de initia et fun-
iliitione Regul. Fratrum et Sororum de MilU
lia Ghrinti, de Poeuitentia sancli Dominici,
sut Tertii Ordihis.
Ce religieux anonyme, parlant de plusieurs
personnes de ce Tiers Ordre qui ont souffert
le m arlyrc dans le Japon (La manière de sa
donner à Dieu, etc., p. 426), leur donne le
nom de Frères du premier Tiers Ordre de lu
.Milice de Jésus-Christ, el dit qu'il y a lieu
de croire tiu ils ont obtenu l'honneur du
que relui de Saint -François, parce que i a
règle que suivent les Frères et Sœurs de
celui de Saint-Dominique est plus obscure
que celle des Frères ei Sœurs d:i Tiers Ordre
île Saint François, comme le remarque en-
core l'Anonyme, qui, apr es avoir montré la
conformité de ces deux règles, lanl dans ! ha-
billement que dans les jeûnes cl les absti-
nences, ajoute : Considérant ensuit les gr n-
des obscurités de larègl-e de noue Tiers Ord e
en certain* endroit:-, qui se trouvent nette—
mr,,i expliquées en telle du Tiers Ordre de
Saint-Franc is, je ne doute point q te, ces
deux choses considérées, tout homme de bon
sens qui ne sera point prévenu ne court nue
arec moi que lu règle du Tiers Ordre de S <iM-
inarlyre de la foi, et la gloire d'élre Frères Français n'ait été faite par lui-même ou par
du premier Tiers Ordre de la .Milice de Je- d'autres surlè modelé de lu nôtre ahléri arc,
sus-Christ par le mérite de leurs mortifica- avec les éclaircissements de ce qu'on y <t
lions précédentes dans le second Tiers trouve d'obscur pour les paroles ou de difficile
Ordre de laPénilence de Saint-Dominique.
Il semble en cet endroit que cet auteur, con-
trainl parla force de la vérité, reconnaisse
l'ordre de la Milice de Jésus-Christ el celui
de la Pénitence de Stinl-Dominique comme
deux ordres différents, comme en effet ils le
sont, ; uisque le premier était un ordre mi-
litaire, die spcondun véritable Tiers Ordre,
nommé de la Pénitence, à l'imitation de celui
de Saint-François, qui était déjà établi. Ce-
pendant cet auteur témoigne en plusieurs
endroits que ce n'est pas son intention d'en
l'aire deux ordres différents, el c'est en quoi
pour l'usage et la pratique.
Mais où était-elle celte règle de Saint-D >-
minique, pour qu'elle Bût pu servir de mo-
dèle a saint François, lorsqu'il a composé
la sienne? Est-il possible que, dans l'ordre
des Frèrei Prêcheurs, on n'ait point con-
servé l'original de celle règle, ou du moins
qu'il ne se soit point trouvé un religieux qui
en ait fait une copie? .Mais on n'avait garde
d'en l'aire des copies, puisque, bien loin que
saint Dominique eût donné une règle par
écrit aux Frères et Sœurs de ce 'lier- Ordre,
c'est que ce même ordre ne fut établi qu'a-
ie trouve cette manière de s'expliquer assez pies sa mort, et que les règlements qu'il
particulière.; car on n'a jamais dit, en faisant avait faiis pour ceux qui s'engageaient dans
un compte, un premier troisième, un second
tr isièm:' ; et ce qu'il appelle second Tiers
Ordre devrait être appelé quatrième ordre;
car saint François ayant fondé son Tiers Or-
uie, cm BO lui* a dom é ce nom que parce
l'ordre de la Milice de Jésus-Christ n'avaient
été donnés que de vive voix, el ne consis-
taient, comme nous avons déjà dit, qu'en un
certain nombre de prières q l'ils devaient
dire, dans le serment qu'ils devaient faire,
qu'il était le troisième, qu'il . tait précédé de et dans la couleur de l'habillement qui devait
celui des Sœurs Clarisses, qui était le second,
el qui n'avait été élu li qu'après celui des
Frères Mmeurs, qui est te premi r; c'est
pourquoi l'Fglise chaule dans l'office de ce
saint: Très ordines hic ordinal, pritnurtfque
Fratr. m nominat Minorur., Pnaperumque
fi: Uoiui-iirum médius, sed Pœnileniiuai ter-
tius sexum cupil utrumque, et s'il en avait
institué un quatrième, on l'aurait sans doule
appel.' le quatrième ordre, et non pas Iç se-
cond lii rs ordre.
Ce n'est point la pratique de nommer des
ord: es militaires des tiers ordics; si cela
ci;..'. A y aurait bien des tiers ordres dans
les ordres de Saint-Basile, de Saint-Augustin
el do Saint-Benoît, puisqu'il y a plusieurs
ordre m lilaires qui ont suivi leurs règles,
et quo que l'ordre militaire de la Conception
de la sainte Vierge ail été sous la règle de
Saint- Français, on ne le qua i.fie pas pour
cela de second tiers ordre de Saint-François.
Ainsi le Tiers Ordre de la Pénitence de Saini-
Domiuique n'est appelé Tiers Ordre que
pour avoir élé établi après celui des Frères
Prêcheurs el celui des religieuses.
Je ne crois pas qu'aucun bonime de bon
sens convienne que le Tiers Orofre le la Pé-
nitence de Saint-Dominique soit plus ancien
être iiLir et blanc ; el lorsque le Tiers Ordre
se fut multiplié par le moyen des personnes
qui l'embrassèrent, ces personnes deman-
dèrent aux religieux du premier ordre qui
demeuraient eu Italie, quelle était lu ma-
nière de vivre que saint Dominique aaii.
prescrite pour ce Tiers Ordre. Mais ils ne
purent pas le leur dire, puisqu'il ne s'en
trouvait rien par écrit; c'est pourquoi Mu-
ni© de Zamorra, septième général de l'ordre,
leur écrivit une règle qui est la même que
c lie qu'ils observent aujourd'hui ; c'est ce
que dit le bienheureux Raymond de Capoue
en ces termes (Vit. S. Calhar. cap. 8) : Lude
•paaluiim creseentes in diversis Italie? parti-
bas, coegerunt Fratr, s Prœdieator es ibidem
(es ad infoimandum ias de modo Vi-
vendi qui a B. Domimco fueral institutus;
quia vero ille tuodus seriptus non eral, qui-
dam M. G. qui totius ordinis curam gerebat
septimu<, vocalus F. Munio-, naliorie fiispa-
nus, mudum illum Vivendi re Irait in sciipiis
quem hodie habent et vulgariter régula ■■ va-
cant, il est à remarquer que Raymond de
Capoue ne dit pas q e le général Mu io ré-
digea par ci rit la manière de vivre el les
règlements qui avaient élé observés jusque-
là daus ce Tiers Ordre, et que saint Doini-
0Ï3
MIL
'> IL
07 i
nique avait prescrits, mais qu'il leur donna
par écrit une manier* Ae vivre qu'elles ob-
servent à présent, mudum illum Vivendi re-
degil in scriptis quem liodie habent et vulga-
riter régulant appellanf.
Mais peut-être que c'est inutilement que
nous apportons le témoignage ilu bienheu-
reux Raymond de Capoue, puisque l'Ano-
nyme le rejette, aussi bien n'était— il pas re-
connu pour généra! par le> Français, puis-
que c'était durant le schisme ; c'est pourquoi
ii lui eu faut donner d'autres : c'est celui de
Michel l'io, qui, dans les Vies des hommes
illustres de l'ordre de Saint-Dominique, par-
lant du général Munio, dit qu'il composa ia
règle que le Tiers Ordre observe à présent,
compose la regola, chaano il présente guellî
del Terzo Oïdine. Et Vincent-Marie Fon-
tana, dans ses Monuments dominicains, par-
lant aussi du même général, dit qu'il pres-
crivit, l'an 1285, une règle aux. F. ères du
Tiers Ordre de Saint-Dominique : Frutribus
Tei tii Ordinis S. Dominici Munio regutam
preescripsit. Ainsi ce n'est point saint Domi-
nique qui a donné au Tiers Ordre qui porte
son nom la règle qu'il suit à présent, c'est le
général Munio de Zâmorra qui la composa
l'an 1285, et par conséquent elle n'a pas pu
servir de mo;ièle à saint François pour com-
poser la sienne, puisqu'il était mort en 122G.
Les historiens de l'ordre de Saint-Domi-
nique ont même bien de la peine à accorder
leurs propres sentiments touchant l'origine
de leur Tiers Ordre ; car Michel l'io (Hist.
délia nobile prog. di san Domenico), après
avoir rapporté l'opinion de Ca>lillo, qui pré-
tend que saint Dominique ne l'institua qu'a-
p,ès son retour d'Espagne à Rome, ce qui
ne peut être arrivé, dit-il, que l'an 1219 ou
1220, ajoute que c'est aussi son sentiment,
quoiqu'il ait parlé dans un autre endroit d'un
pri ilége accordé par le pape Honora III,
I'anl2l7, aux Frères du Tiers Ordre deSaint-
Dommique. 11 était donc inutile après cette
rétractation de rapporter dans toute sa te-
neur la bulle de Grégoire îX, du in des ca-
lendes d'avril 1228, qui confirme ce privilège
accordé par Honorius 111, non pus aux Frè-
res du Tiers Ordre de Saint- Dominique ,
comme plusieurs écrivains de cet ordre le
prétendent , mais aux Frères du Tiers Ordre
de Saint-François, qui ont toujours été appelés
absol u men t par les si un erain s pontifes, depuis
leur première institution jusqu'à présent, les
Frères de la Pénitence , et non pas les
frères de la Pénitence de Saint-François,
comme il est marqué ; ar cette bulle de Gré-
goire IX, qai est adressée Fratiibus de Pœ-
nitentia per Italiam constitutif. Et les reli-
gieux lie la Pénitence de Jésus-Christ, qui
avaient plusieurs maisons en Italie, auraient
eu plus de droit de s'allribuer celte bulle,
que n'en ont eu les Dominicains de l'ai tri-
bu, r aux Frères de leur Tiers Ordre, comme
a fait encore l'Anonyme du couvent de la
rue Saint-Jacques, qui la met au rang des
privilèges accordés à ce Tiers Ordre, et qui
dit que le pape Honorius 111 accorda par ce
privilège aux Frères et Sœurs de la l'êni-
tence de Saint •- Dominique l'exemption de
toutes charges publiques, comme tailles,
dîmes passages et logements de gens de
guerre, cjans toutes les terres de l'Etat ecclé-
siastique, tomme si l'Italie ne comprenait
que l'Etat ecclésiastique , ce qu il entend
par ces mots , per universam ltalium con-
stituas.
Ne faut-il pas avouer que les Frères et les
Sœurs de ce 1 iers Ordre de Saint-Dominique
jouiraient d'un beau privilège en Italie, s'il
était vrai que les papes ;:ouo, ius 111 et Gré-
goire IX les eussent exemples de payer les
tailles, les dîmes et toutes sortes d'imposi-
tions? Toutes les vtiles et les villages d'Italie
auraient sans doute voulu être Se ce Tiers
Ordre, pour jouir du même privilège et no
rien payer. Mais es souverains pontifes
n'avaient garde d'accorder un tel privilège
à ce Tiers Ordre eu 1217 et 1228. | uisqu'il
ne fui institué que l'an 123i, après la cano-
nisation de saint Dominique;
Les Frères du Tiers Ordre de Saint-Fran-
çois à qui c lie bulle était adressée, Fralri-
bus de Pœmtenlia p r Italiam constituais ,
n'étaient pas de même sentiment que ceux
du Tiers Ordre de Saini-Domini ;ue, ils au-
raient cru au contraire qu'il y aurait eu de
l'injustice de demander de telles exemptions,
puisqu'ils étaient tenus comme séculi
ce n'a. il pas dis iéguliers qui étaient déjà
établis qu'il s'agissait) de contribuer .aux
impositions et aux charges publiques; mais
comme on les chargeait plus que les aunes,
à cause du nouveau genre de vie qu'ils
avaient embrassé, ils demandèrent, en ce
qui regardât les impositions, de n'en pas
payer plus que les au^ies habitants des lieux
où ils demeuraient : c'est ce qui est marqué
dans la même bulle, que L'Anonyme n'a pas
lue sans ;a;ute : Unde nos humiliter supplica-
stis, ut vobis misericorditer dignaremur
ne plus quant vestri cives impositione onerum
aggravari possitis.
Il est donc inutile d'alléguer des privilèges
en faveur du Tiers Ordre de Saint Domini-
que avant l'an Î2'j'r, puisqu'il ne fut établi
qu'après la mort de saint Dominique, lors-
que le pape Grégoire IX le canonisa, et qu'il
a été fondé sur I s débris de celui de la
milice de Jésus-Christ qui était devenu inu-
t.le, comme le rapporte le bienheureux R ly-
niond de Capoue. La règle que le P. Munio
de Zamorra é rivii pour les Frères et S . urs
de ce Tiers Ordre ne fut approuvée par le
pape Innocent VU que l'an liOo, et fut con-
firmée par iiu+èm; IV l'an lkSô. I: y a dans
ce Tiers Ordre des filles qui fdnt'desvœux
solennels, et sont véritablement religieuses ;
elles ont plusieurs monastères, et leur ha-
billement est semblable à celui du s coud or-
dre; elles n'ont pas tant d'austérités, car elles
peuvent porter du linge et manger de la viande
trois fois la semaine. Selon la règle, elles ne
devraient perler que des voiles blancs, mas
il y-a plusieurs ;nonastères où elles en portent
de noirs, il y a aussi plusieurs villes d'haie
où il y a des personnes de ce Tiers Ordre
habillée- eu religieuses, quoiqu'elle; deuicu-
f>7j DICTIONNAIRE bES ORDRÈ-S RELIGIEUX. (r,Q
renl dans leurs maisons particulières. 11 y a des Y Y. PP. Augustin Adorno, François
eu dans ce Tiers Ordre deux saintes c.ino- el Augustin Caraeçioli, leurs fondaieu s.
nisées, savoir, sainte Catherine de Sienne K: ■„ n ,.„.«-, ..u »i-
• , i> i i • , i ■ si IC'- Clercs llegul ers Mineurs ne nenven*
etsainleRose de Lima, el plusieurs bien- ._:__ ,„--.„i.. i> p ■ , ' ..
. i -j 'i o - i ». laire remonter 1 or gtnn de eur congrégation
lieureuses, connue Ingride de Suéde, Mar- „,.„„_,.„ i„ c , . ° . ■■ . i " <;ë j "
-, j u c-u n j r> • «« Que ve,s 'a "n du xvi" sicc e, î s prétendent
guérite de Hongrie, Sibylle de Pavie, Mai- *., „,„•„. nri>«ii/. « ai/ r.\ i \ ; .
„ -, a m *i 1 V i i i i>- .■ d;l niouis quelle a ele pied te p us de trois
guerue du Château , ,obinbe de Rieti , „„,,, •,n„„t.n,a -.„„ „ , > \ ù-
Ozanne de Manloue, Marguerite de Savoie Jo r| i ré^ L r" cf^'ï""" .' "'' ' h"*
Luce la Chaste, etc. v?,',l n-,V !r qZ-n h r e q", "•"
voulu par er, lorsque, dans ses Commentai -
Le P. Bonanni, de la compagnie de Jésus, re\ sur l'Apocalypse, il a dit : Simjel enim
dans son Catalogue «les Ordres religieux , ordo H^indêtw noms et non est, mduli ni-
parle de certaines religieuses Tierciai.es de »ns ™*\)bus,et accmcli desuper zona. Mais
Tordre de Saint-Dominique, instituées par cPmme' on n ajoute pas beaucoup de foi aux
le P. Jérôme Plecini, Vénitien, religieux do- P™P!"««m de 1 abbe Joachim, nous passerons
minicain. Mais comme dans un endroit il dit sou.s sli$n.ce ' «PPiicalion que les Clerc» Rc-
quece lui l'an 1683, el dans un autre que ce fulier,s Mineurs font a leur ordre des paroles
fui l'an 1G78, nous ne pouvons rien dire de de ^.r'^' "us?' ^L'".1!'ue certaine autre
certain louchant le temps de celte inslilu- P^'Phelie d un saint Em.l.en, prêtre, qui vi-
tion, sinon qu'elle se lit à Conégliano dans la ,vai1 en.fspagne. a ce que I on prétend, vers
Marche Trévisane, et que la première reli- ,e " slècle' 1U1' splon les historiens de cet
pieuse fui la .Mère Hyacinthe Bossu, Véni- °.rdre> s,e recommandait en esprit aux sapé-
lienne. Elus eurent encore un monastère à 'ieurs de ,' ordre lul,1,r d,es Cl"cs Réguliers
Macérala, l'an 1C90, dont l'église lut dédiée Mlneurs- Ics j™ de le vouloir admettre
sous le titre du Saint-Sacrement, ce qui a Parm' 0UV ct c est Pour «Ht* raison qu'ils
fait donner aussi le même nom à ces reli- ^peignent ce sain- avec leur habillement,
gieuses, quoiqu'elles n'aient que la règle du A,M^ e" esl-il de plusieurs ordres qui pré-
Tiers Ordre de Saint-Dominiqu, . Leurs cou- lendenl av0lr de' anliquilM chimériques,
slilulions sont néanmoins très-auslèrcs, car Ce qui est certain, c'est que Jean-Augustin
elles ne portent que des chemises de serge , Adorne, de l'ancienne famille des Adorne
ne dorment que sur des paillasses, le plus de Gênes, fut le fondateur de la congrégation
souvent sur des planches ; elles ne mangent des Clercs Réguliers Mineurs. Les pailicula-
jamais de viande, sinon dans les maladies rites de la vie de ce saint fondateur de; uis sa
par ordre du médecin ; elles jeûnent sept naissance jusqu'à l établissement de son or-
mois de l'année, elles ont deux heures do- dre nous sont inconnues. C'est sans aucun
raison mentale. Chaque jour elles se lèvent fondement que M. Hermanl a dit, dans son
la nuit pour dire matines, et il y en a tou- Histoire de rétablissement des ordres reli-
jours quelques-unes en prières devant le gieux.queJean-Auguslin Adorne, élanlen âge
saint Sacrement. (Juoiqu'e les ne s'engagent .de se consacrer à Dieu dans la religion, choisit
p .s par vœu à la clôture, elles l'observent l'ordre des Frères Mineurs, dans lequel il en.
néanmoins fort rigoureusement, et elles ne lia l'( d'où " sortit depuis. Les mémoires qui
parlent jamais à la grille que le voile baissé, m'ont été mis entre les mains avec le livre
Leur habit est semblable à celui des autres intitulé: Délia venerabile religione de Chieriei
religieuses de l'ordre de Saint-Dominique, Minori, imprimé à Lecoe en 104-7, n'en font
iinou qu'elles ont des sandales de bois. Quel- P0'"1 mention, et nous apprennent seulement
ques-unes mettent des bas, et d'autres vont qu'Adorne retournant de la cour d'Espagne
les pieds nus. el pas;.ant par Valence, le bienheureux Louis-
_ , , „ ... , , Bertrand, de l'ordre de Saint-Dominique, se
Voyez Hernando de Caslillo, Juan Lopez, je|a à genoux devant lui, en disant à eux
Anton. Remesel, Ilist. île S. Dommg. y de su quj étaient présents qu'il devait être le fon-
orden. 1 bornas Maluend, Annal. Prœd. Gio dateur d'un ordre qui serait très-utile à l'K-
Michel Pio, Délia nobil. progen. de S. Dôme- g|ise, te oui pourrait être arrivé vers l'an
me. \ incent Mar. l<onl., Monument. Domi- 1583. Adorne ne songeait point pour lors à
n c. Tractai, de mit, 0 et fund. Reg. FF. et prendre l'habit ecclésiastique, mais peu h peu
.->or. de Miltti.i Clinsti de Pœmtentta a. Do- )a grace) rilisanl impression sur son cœur, le
inimci seu Tert. Ord. m fine. Const. ord. porta à renoncer aux vanilés du siècle pour
Prœd. La manière de se donner à Dieu dans s'employer au service de Dieu et au salut du
le siècle, ou les Règles du Tiers Ordre de la prochain : il prit les ordres sacrés et fut h>-
Pénitmce de Saint-Dominique, par un reli- noré du sacerdoce.
aïeux mètre du grand couvent et royal col- ne. , ■ . ...
lége des FF. Prêcheurs, etc. Philip. Bonanni, , Ce.f° rUr ''" -1Ue;, """i™,1 ren\p1"' leS
Catalog. omnium ord. religios. part. .1, m dev,,,rs de. s0!î ™««Wre, il travailla avec
el ly J j i beaucoup de zèle par ses exhortations au sa-
lut du prochain, et se sentant inspire de Dieu
Nous dirons au Supplément l'état du Tiers de fonder un nouvel ordre religieux, dont le
Ordre de Saint-Dominique actuellement en principal institut fût de mêler la vie active
France, où il a élé modifié par le R. P. La- avec la contemplative, il se relira vers le dé-
cordaîre. B-d-e. sert de Vallombreuse en Toscane, où pen-
dant quarante jouis il se disposa à exécuter
MINEURS (Cleiics RtocuEiis), avec In Yie celle entreprise par des jeûnes continuels,
f<"7 MIN MIN 973
des pénitences el îles mortifications surpre- jours; c.ir, n'ayant encore que quarante ans,
liantes. Etant allé ensuite à Naples, et priant il mourut à Naples, le -21 septembie de l'an
un jour avec ferveur dans l'église des Incii- 1591, après avoir vécu dans sa congrégation
râbles pour que Dieu lui Fit connaître plus deux ans et demi.
particulièrement sa volonté, il se sentit inlé- Après la mort de Jean-Augustin Adorne,
rieurcmenl pressé d'evéc.uter son dessein, et François Garaccioli prit le gouvernement de
il lui sembla même que Dieu lui commandait l'ordre, qui s'agrandit notablement par son
de le taire, et qu'il lui en prescrivait les moyen, ayant lait plusieurs fondations en
moyens. Il ne douta plus que ce ne lût la Italie et en Espagne. Il avait un zè'e inl'a'i-
voUmté de Dieu, lorsque deux personnes gable, il était toujours occupé à la prédira-
d'une des plus illustres maisons de Naples, lion ou à la confession, el il (il un grand
qui furent François et Augustin Garaccioli, nombre de convergions. Quoique élevé à la
se furent jointes a lui pour l'aider dans sou qualité de chef de son ordre, il se regardait
ci.ireprise. 11 alla à Home avec François Ga- comme le moindre de ses frères, el ce fut
raccioli pour obtenir du pape Sixte V la per- celle humilité qui le fit renoncer à la snpé-
mission de fonder sa congrégation. Plusieurs riorité, quoiqu'il eût été élu général perpé
prêtais cl quelques-uns de leurs parents, sa- tuel. Il s'ex rçait aux emplois les plus vils.
chant qu'ils étaient proche de Home, envoyé- Il aimait si fort la pauvreté que lorsqu'il
renl des carrosses au-devant d'eux; mais, voyait quelque religieux qui avait une mé-
pour éviter ces honneurs, ils se détournèrent chante robe, il la lui demandait aussitôt pour
et entrèrent dans celle ville par une autre s'en revêtir, et il lui en donnait une bonne,
porte; ils allèrent même demander l'aumône il inventait tous les jours de nouvelles ;;us-
aux Capucins, et furent fort contents de se léri'és pour mortifier son corps. Il demeura
trouver avec les pauvres à la porte de ce cou- plusieurs mois sous un escalier, où à peine
vent el de manger avec eux. il pouvait s'étendre. Il portail jour et nuit
Le crédit qu'ils avaient à Rome par le une ceinture de 1er, il dormait sur des plan-
moyen de leurs parents et de leurs amis fil ches, il jeûnait trois fois la semaine, etloutes
qu'ils obtinrent du papeeequ'ilsdemandaient, les veilles des fêles de la Vierge au pain et à
et ce pontife leur accorda, le 1" juillet 15-8, l'eau; et il prenait la discipline toutes les
un bref par lequ I il leur permettait d'ériger nuits. Enfin, après avoir été en pèlerinage à
une congrégation de Clercs Réguliers, défaire Notre-Dame de Loretîe, et retournant à Na-
des vœux solennels, d'élire un supérieur, et pies, il passa par Agnone dans l'Ahruzze, où
de prescrire des règlements pour le maintien on lui offrit un établissement. I! y tomba ma-
de celte congrégation. Il les reçut sous la lads chez les PP. de l'Oratoire et mourut le
protection du saint-siége, el comme ce pape ijuinltiOS.
avait été Frère Mineur, il donna à ces Clercs Le troisième fondateur, Augustin Carne-
Réguliers le nom de Mineurs, quoique lin- cioli, quiita une riche abbaye pour se join»
lenlion d'Adorne fûl de leur donner celui de dre aux deux autres fondateurs- U les imita
Mariant, à cause de la dévotion qu'il portait dans toutes les vertus, principalement d.-ins
à la saiuie Vierge. Ils retournèienl ensuite la pauvreté. Son humilité était si grande, qu'il
à Naples, où ils jetèrent la même année les ne voulut point accepter la charge de général
fondements de cet ordredans l'église de-Sainte- de l'ordre; et, sur la proposition que lui fit
Agnès. Grégoire XIV leur accorda, l'an 1591, un cardinal d'un évêché qu'il lui voulait
tous les privilèges d ni jouissaient les Théa- procurer, il se jeta aussitôt à genoux cl renou-
lins, Clément VIII les confirma dans la suite, vêla le quatrième vœu qui se fait dans cet
Paul V les fil participants de tous les privilé- ordre de ne prétendre à aucune dignité. H
ges qui avaient été accordés par ses prédé- voulait toujours dépendre d'Un supérieur.
cesseurs aux autres ordres religieux, et ils Ce fui l'obéissance qui lui fit accepter l'office
en oui encore reçu d'autres dans la suite. de préfet el les autres emplois dont les su-
Adornc, après l'établissement de sa congre- périeurs le chargèrent, el il mourut le 28
galion, pratiqua louies le* venus dans un mai 1G15, étant âgé de soixante ans.
degré éminen t. Ses austérités étaient grandes, Cet ordre a présentement plusieurs mai-
son humilité profonde, son oraison presque sons, qui sont divisées en quatre provinces,
continuelle, employant ordinairement sept dont il y en a deux en Espagne, sous le litre
ou huit heures à l'oraison mentale; mais où de provinces de Casiille el d'Andalousie, et
il faisait paraître plus de dévotion, c'était deux en lia ie, sous le titre de provinces de
lorsqu'il célébrait la sainte messe, employant Naples el de Rome. Le général était d'abord
aussi beaucoup de temps à s'y préparer el à perpétuel, ensuite il s'élisait tous les six ans,
faire son action de grâces. Il essuya beau- m lis le pape Alexandre Vil ordonna qu'il
coup de fat gués pour l'agrandissement de serait à l'avenir perpétuel comme il l'avait
son ordre. Il fui en Espagne pour y faire des été dans le commencement. Ces religieux ont
établissements, mais ce fut in utilement à cause dans plusieurs villes deux maisons, comme
des contradictions qui s'y trouvèrent pour à Rome, à Cènes et à Païenne ; el dans d'au-
lors, et cène fut qu'après sa mort que ses 1res trois, comme à Naplcs et dans quelques
religieux y sont entrés et y ont obtenu plu- villes d'Espagne.
sieurs maisons qui sont divisées en plusieurs Leur principal institut consiste dans les
provinces. Comme il ne faisait ses voyages exercices de la vie active et contemplative ;
qu'à pied cl en demandant l'aumône, ses fa- comme nous avons dit, ils font quatre vœux
ligues joint, s à ses austérités abrégèrent ses solennels, de pauvreté, de chasteté, d'obéi-;-
970
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
98n
sance et de ne prétendre à aucune dignité
hors île la religion. A ces quatre voeux ils
ajout en I un s ■:-:;; e h t de no prétendre à au-
cune dignité dans l'ordre, et tous les ans, la
veille de l'Epiphanie, ils renouvellent leurs
Tirus. Ils ont une heure d'oraison par jour,
le matin et le soir, e! tour à tour ils font une
heure d'or ion qu'ils appellent l'oraison cir-
culaire. Deux foi* le jour ils font l'examen
de conscience, ils s'emploient à la prédica-
ti„d et à la confession dans leurs propres
églises, et ils font encore des missions. Ils
visitent les prisons et les hôpitaux, et, tant de
jour que de nuit, il y en a toujours quelques-
uns qui sont destinés peur alier assister les
malades, lorsqu'ils y sont appelés. Ils ne
njangeul de la viande que trois fois la se-
mai e, et, outre les jeûnes commandés par
: ils jeûnent encore l'avent, les deux
derniers jour? du carnaval et tous les vendre-
disde l'année, et ilsprenneni encore cesjours-
là la discipline. Outre ces mortifications, ils ont
encore une manière de pénitence qu'ils ap-
pellent au si circulaire. Tous les jours, hors
les l'êtes de précepte, il y en a un qui porte
le i ilice, un autre qui prend la discipline, et
un qui jeûne au pain et à l'eau, lequel est
obligé de porter sa pitance du réfectoire à
un pauvre, auquel il doit faire quelque ins-
truction.
Ils ont des maisons de quatre sortes. I! y
en a qu'ils appellent maisons d'exercices, où
l'on s'occupe à procurer au prochain (ouïes
les assistances spirituelles dont il a besoin,
d'autres qui sont destinées pour l'éducation
des novices, d'autres sous le titre de collè-
ges, où l'on enseigne toutes sortes de scien-
ces, non-seulement à leurs propre- religieux,
mais encore aux personnes du dehors qui
veulent venir à leurs leçons. Enfin ils ont
des maisons qu'ils appellent ermitages, où
ils vivent dans une grande retraite et dans la
pratique de l'oraison et de la pénitence la
plu"- sévère, et, afin de n'être point troublés
dans leurs exercices, l'église de ces sortes
d'ermitages est d ins l'intérieur de ta mai-
son, et I entrée en est interdite aux séculiers.
Les supérieurs ne peuvent pas contraindre
aucun religieux à y aller demeurer, il n'y a
que le zè'e, la ferveur et le désir d'une plus
grande perfection qui porteut les religieux
à vivre dans ces solitudes, et ils doivent en
«bleuir la permission des supérieurs. Il y a
de ces sortes d'ermitages hors la ville de Na-
ples et hors la ville de Lisbonne, et il y a
peu de bonnes villes et d'universités en Es-
pagne où ils n'aient des collèges.
i Celle congrégation s'est augmentée encore
sous le gouvernement du P. Pax, qui en a
lélé général et qui a fait des établissements
nouveaux, deux en Italie, à Pistoie dans
la Toscane, et à Saiut-Genest dans la Marche
d'Ancône, et d'autres en Espagne, comme à
Valence et en d'autres villes de ce royaume
où ces religieux sont fort estimés. Le pape
Clément V 111 les recommanda à Philippe II
lorsqu'ils voulurent faire leur premier éta-
blissement dans ses IUals,et Philippe 111, sa-
chant qu'ils voulaient s'établir dans le duché
d'Urbin, les recommanda au duc d'Urbin, N.
de la Kovère , qui non-seulement les établit
à Casfel-Duranle et à Pesaro, mais leur donna
encore sa bibliothèque composée de plus de
trente mille volumes.
Il y a eu dans cet ordre plusieurs écrivains
célètires, comme le P.Raphaël Aversa de
Saint-Severin au royaume de Naples.qui,
sous le ponlilicat d'Innocent X et celui d'A-
lexandre VU, fut consulleur des Rites et de
Y Index, et qualificateur du Saint-Office; il
refusa les ééchés de Nocera et de Nardi. Le
P. Philippe Suadagnoli enseigna pendant
plusieurs années l'arabe dans le collège de
la Sa pi née A Rouie; il laissa quelques ou-
vrages en cette langue, qui furent imprimés
par ordre d'Urbain VIII. Le P. Laurent du
Pont, neveu du pape Léon XI, a fait des
commenta res sur le livre de la Sagesse et
l'Evangile de saint Matthieu. Le P. Antoine
Para a douné deux volumes de théologie
scolastique. Le P. Antoine Rosendea travaillé
sur la même matière. Les PP. Biaise Vaxen,
Jérôme Prado, Antoine Vasquez et Jérême
Salccdo ont donné quelques histoires ; le P.
Thomas Hurlado, Espagnol, a laissé treize
volumes de scolastique et de morale. Le P.
Emmanuel Peignera en a donné trois sur le
droit canon et la théologie morale, le P. Be-
noît Remy, neuf Volumes sur différentes ma-
tières, le P. Jean de Guevara a ausM laissé
plusieurs volumes sur différentes matières;
je passe sous silence les autres, qui sont en
trop grand nombre.
Ily eu a eu aussi plusieursqui se sont distin
gués par la sainteté de leur vie, comme le P.
Eugène Hurlado, Vincent Siribella, Joseph
Imperato, qui aida beaucoup le P. François
Caraccioli dans la fondation des couvents
d'Espagne et refusa l'archevêché de Manfre-
donia ; Barthélémy Simorili, Paul Masio,
Laurent du Pont, Benoît Cappello, Gonzale
Fernande/, Pierre Sousa et plusieurs autres.
Le P. Thomas Lolli, confesseur du pape
Innocent X, fut fait par ce pontife évêque
de Cérène inpnrtibus, prélat de la congréga-
tion des Réguliers, et vicaire de l'église de
Sainte-Mari • Majeure à Rome. Sous le pon-
tifical d'Innocent XI, le prince Ernest de
Grouy, voyageant en Italie et étant enlrô
d : ns l'église de Notre-Dame de Lorette, fut
si louché de la sainteté de ce lieu, qu'il re-
nonça aux erreurs de Luther, dont il faisait
profession. Etant venu à Rome, il fit abjura-
tion entre les mains du pape et entra dans
l'ordre des Clercs Réguliers Mineurs, où, peu
de temps après avoir été promu au sacer-
doce, il mourut dans de grands sentiments
de piété, ayant beaucoup édifié ces religieux
par son humilité et par la vie austère qu'il
avait menée.
Ces religieux, entre autres privilèges, ont
une chaire au collège de la Sapience à Rome,
où ils enseignent la philosophie, et il y en a
toujours un qui est consulteur de l'Index, ce
qui leur a été accordé par le pape Alexan-
dre VII et confirmé par le pape Alexandre
Vlli. Ily en a encore un qui est examina-
teur synodal , et cette charge fut conférée
981
MIN
MIN
1S2
par Innocent XI nu P. Philippe Gruthcr, fa-
meux théologien et procureur général de cel
ordre.
Ces Clercs Réguliers son! habillé- à peti
prèseotnn elesâu rès Clercs Réguliers(1 -
rèplé que leur rob' esl «erré ■ d'ui e ce nlnre
de cuir, e' que 'es manches de celte robe ne
sont point serrées au p ignel, mais qU'e les
v> i on peu larges. Ils ou' pour armes !a
résurrection de Notrè-Seigneur, ajvec ciit'
devise: ;,' nia orem Resu qt 'lis (floriatn.
Y ~\ ; le livre intitu é. Délia v. reli ione
de Pail. fliim'ri Rrg lari Minori. IgnaziO 3e
Vives, Vita dtl P. Franc Caraccioti. Auberl
le Mire, de Congreg. Clericorum in r mmuni
vireniium, et ttégufœ et çonstihitiones Cleri-
corum in congreg. vive»t%um, Pjelro Cresceri.
Prœsidio ftom. Silvest. Maurol. Mat. Océan,
di lut. le relig. Ascag. ïambur. do Jure abb.
August. Barbosa, de Jure. Eccl'es. Hermnnt,
Schoonebek etBonaniii. Bisl. des Ordres Re-
ligieux.
Au dernier siècle les Clercs Réguliers
Mineurs avaient à Rome deux maisons,
l'une à Saint-Laurent in Lucina, l'autre à
Saint-Vincent et Saint-Ahastas ■ a ■ ;
Aujourd'hui, ils existent encore et ils ont
pour procureur général le P. Joachim Sfclî.
On attendait l'élection du vicaire général.
B-D-E.
MINEURS FrerksI. Voij. Frasciscaiss.
M1NGRÉLIENS (Moïses). Vov. Melch<tes.
.MINIMES Religieuses. Yoy. Minimes (OR-
DRE DES), § II,
MINIMES [Ordre dés).
§ I '. Des reli ieux Minime*, avec, la Vie de
saint François de Poule, leur fondateur.
Les religieux Minimes prétendent avoir
quelques prérogatives au-dessus des au'res
religieux, et 1rs surpasser par l'austérité:
c'est pourquoi le P. Joseph-Marie Perimèzzi,
religieux Minime, d ins la "Nie qu'il fi donnée
de saint François de Paùle, fo idaléur de cet
ordre, entre plusieurs dissertations qu'il y
a jointes, tant sur Fâgede ce saint, Son pays,
sa famille, son érudition et s< n voyage eu
France, que sur d'autres sujets qui regar-
dait les ;:rtions de sa vie et l'ordre qu'il a
fondé, en fail une pour prouver que le vœu
de la vie quadragésimaTe, qui esl le dislinc-
lïfde cet ordre, lui donne u e supériorité de
mort i fier, i ion sur ceux des Chartreux et des
ordres Mend nuls. Mais je crois que, pour
en juger sainement, il aurait fallu que le P.
Périmezzi eût auparavant éprouvé l'absti-
nence de viande des Chartreux, dans les plus
grandes maladies, leur silence et l'usage
continuel du cil ce, la grande pauvreté des
autres, leurs voyages à l'apostolique et la
nudité des pied-;. On ne peut pas nier néan-
moins que ce vœu d' la vie quadragésimale
ne rende Iput ordre fort austère et ne les as-
su;eti se à une mortification continuelle ;
mais qu'ils surpassent en cela lous les reli-
gieux, c'est ce qu'on ne peut leur accorder
sans faire iorl à plusieurs saints Instituts et
r iformes, qui sont la bonne odeur de Jésos-
Chrisl, et auxquels on ne peut disputer une
pénitence beaucoup plus austère que n'esl
celle des Mini es.
Cel orire a eu pdur fondateur saint Ffan-
ç is de 1'. iule, ainsi appelé du lien de sa nais-
s t • dans la Calabré citérieure au royaume
dé Napl s. || vint au monde vers l'an 14-16,
■es parenl I ayant obtenu de Dieu parl'inter-
cession de saint François d'Assise, au juel ils
firent vœu et dont ils 1 i donnèrent le nom
par reconnaissance. Son père se nommait
Jacques Marlorillc et sa mère Vienne de
Fuse do, laquelle eul une sœur nommé Bri-
gitte, mariée à Antoine d'Alesso, son cousin
germain, dont dc.:\ enfants vinrent en France,
l'u desquels, Pierre d'Alesso, se lit reli-
gieux ('ans l'ordre des .Minimes, et l'autre,
Antoine d'Alesso. épofisa Jacquel ne ou Jue-
quettë Môiandrin. De ce mariage vint Jean
d'Alesso, qui de la sœurde l'évéque d'Orléans,
Mathurin de la Saussaye, mère de'l'évéque
Jean de Morvilliers, garde des sceaux de
France, eut Michclle, mariée à Nicolas le
Clerc de Courcelle; Anne, femme d'Olivier
le Febvre d'Ormesson ; François, qui épousa
Marie de Vigni ; André, qui épousa Marie de
Longueil ; Madeleine, femme de Pierre Chail-
lou. qui lous ont eu des descendants, qui,
quoique fort recommandai les par leur pro-
bité et les grandes charges auxquelles ils
ont été élevés en France, se sont tenus p'us
honores d'être petits neveux de saint Fran-
çois de P nie, que de la qualité de présidents,
de conseillers d'Etal, de maîtres des requê-
tes 1 1 autres semblables qu'ils ont portées :
c'est pourquoi le P. Claude du Vivier, reli-
gieux Minime, ayant écrit eu 1620 que saint
François de Paule était fils unique, ils en fi-
rent des plaintes au général de cet ordre,
qui ordonna au P. du Vivier de se rétracter;
et le 1'. Chapat écrivit ensuite pour prouver
que saint François de Paule avait eu une
sœur mariée à André d'Alesso.
Ce saint, qui avait été reçu du ciel par ses
parents, étant regardé par eux comme un
dépôt qui leur était confié, ils relevèrent
dans tous les exercices de dévotion capables
de le rendre agréable aux veux de Dieu,
auquel, en conséquence de leur vœu, ils se
croyaient obligés de le restituer. Comme il se
se trouva porté de lui-même à la piété, son
éducation leur coûta peu ; c;ir dès son en-
fance il aima la solitude, l'abstinence et la
prière ; il n'eut point d'autres maîtres qu'eux
jusqu'à l'âge delreizeans, qu'ils crurent qu'il
était temps d'accomplir ie vœu qu'ils avaient
fail pour sa naissance et qu'ils avaient re-
nouvelé depuis pour sa conservation : pour
lors ils le donnèrent aux religieux de Saint-
François, qui le reçurent dans leur couvent
de Saint-Marc, ville épi-copale de la mémo
province. Ce fut là que le jeune François,
animé par les bons exemples de ces saints
religieux, et prévenu des grâces du ciel, com-
mença celte vie austère qu'il pratiqua jusqu'à
(I) Voy., à la fin du vol , n* 214.
r,8S DICTIONNAIRE DES ORDKES RELIGIEUX. 984
la mort. Il surpassa on peu de temps les re- ers, et avant pris quelques autres religieux
ligicux les plus robustes < t les plus fervents avec lui, il vint établir sa seconde colonie à
dans l'exacte observance de la règle; il Palerne en 1444. Le nombre de ses di<ci-
s'interdit dès lors l'usage du linge, et s'abstint pies augmentant avec les charités des per-
de manger de la viande, quoiqu'on en man- sonnes de pirlé qui contribuaient au soutien
geâ,tdans celle maison, selon l'usage des Mi- de son nouvel institut, il prit la résolution
neurs, auxquels elle n'est pas défendue par en 1152 de bâtir à Paule, avec la permission
leur règle. Il y pissa un an sans faire pro- de Pyrrhus, son'évéque, un monastère d'une
fession, et ayant été rendu à se< parents, ils juste étendue et une Eglise plus r.pacieuse.
lemenèienlensuileen divers peler nages, àAs- En quoi il fut aidé par saint François d'As-
sise à Notrè-Dime des Anges, àLorettcelâ sise, qui lui apparut dans le temps qu'il com-
, Rome, visitant les p us célèbres monastères de mençail cet édifice, et lui fi! prendre de nou-
Jeurroue, elles lieux qui étaient les plus fré- veaux alignements. La même année 1453, il
I quëntés par la dévotion des fidèles. Etant fit un troisième établissement à Spezano-le-
| retournés à Paule, François se relira en un Grand, aussi du diocèse de Cozensa, et jeta
endroit solitaire, éloigné de la ville de cinq encore les fondements d'un nouveau cou-
cents pas, où ves parents, qui avaient con- vent à Cortone en 1460.
seni a sa retraite, procurèrent sa subsistance Le saint visitait ces couvenls, allant de
pendant quelque temps, afin qu'étant dis- l'un à l'autre tant pour l'avancement de
pensé delà peine d'en aller cher her, il pût leurs édifices que pour le gouvernement de
vaquer aux exercices de la retraite sans ses religieux, qui n'avaient pointencore d'au-
distraction. Mais ce lieu, qui appartenait à très règles qui; ce les qu'il leur donnait de
ses parents, ne lui semblant pas assez éloigné vive voix avec les exemples de sa vie ; mais
pour éviter la conversation des hommes, à il fut obligé de les quitter pour un temps. Le
cause des visites fréquentes qu'il y recevait, bruit de ses vertus et de se< miracles s'était
il ne s'y arrêta pas longtemps; et cherchant tellement répandu en Sicile, qu'il n'y avait
une solitude plus écartée, il alla se cacher point de ville dans toute celle ile qui ne sou-
dans ie coin d'un rocher, où il trouva moyeu liaitàt avec ardeur jouir de sa présence;
de se creuser une loge. Quoiqu'il cûl à peine surtout les habitants de Milazzo le deinan-
quinzo. ans lorsqu'il s'y renferma, il n'eut daient avec instance et lui envoyèrent des
pas besoin de la conduite d'aucun maître députés pour le prier de venir établir chez
paur régler sa vie dans la pénitence et les eux une communauté. Ainsi, après avoir
exercices spirituels. Il n'avait point d'autre donné ses ordres pour le gouvernement de
lit que la pierre même du roc, point d'autres ses maisons de Calabre, il partit en 1464
aliments que les herbes et les racines d'un avec deux de ses religieux pour aler en Si-
petil buis voisin, ou ce que lui fournissait la cile, où il arriv a heureusement à la faveur de
charité de ceux qui le visitaient en ce lieu, son manleauqu'il étenditsnr la mer etqui lui
Il portait un rude ciliée sous un habit fort servit de vaisseau età ses deux compagnons,
vil, et menait une vie semblable à celle des à la honte etaugrandétonnementdequelques
solitaires de la Thébaïde. mariniers qui, voyant sa grande pauvreté,
Sa réputation se répandit bientôt dans toute lui avaient refusé le passage dans leurs bar-
la Calabre ; plusieurs personnes voulurent ques. Etant donc abordé eu Sicile, il alla à
être les témoins et les imitateurs de ses vertus, Milazzo, où il fut reçu comme un ange des-
el il ne put résister aux instances qu'on lui fit cenlu du ciel, et ou on lui bâtit en peu de
d en recevoir quelques uns et d'en prendre la temps un couvent qui fut le premier de son
conduite, quoiqu'il ne fût âgé que de dix-neuf ordre en ce royaume, et qui donna bien-
ans. Ce fut l'an 1435 qu'il commença d'avoir tôt naissance à d'autres qu'on y fonda. Le
desdisciples, avec lesquels il sortitde cette so- saint fonda eur, après y avoir demeuré près
litude pour retourner auprès de Pau'e dans un de quatre ans, retourna en 1468 en Ca'ahro,
lieu qui appartenait à ses parents, où il jeta où il assista les pauvres dans une extrême
les fondements de son ordre. Ils y bâtirent famine qui affligeait toute cette province, cl
des cellules avec une chapelle où ils chan- peu de temps après il fut invité d'aller com-
taient ensemble les louanges de Dieu; et mencer un nouveau monastère de son ordre
comme celte chapelle était apparemment dé- à Carigliano dans le diocèse de Rossane.
diée à saint François d'Assise, on leur don- Cependant les actions prodigieuses qu'il
na le nom A' Ermites de Saint-François. Ils faisait de temps en temps faisant grand bruit
vécurent ensemble près de dix ans; mais les par loule l'Italie, le pape Paul II voulut en
'îabitanls de Paterne, ville située aussi dans avoir des nouvelles assurées, et envoya pour
ii Calabre proche Cariali et du diocèse de cela un de ses camériers à l'archevêque de
Cozensa , souhaitant avoir part à la béné- Cozensa, alin qu'il s'en informai pleinement,
diction que ces saints solidaires attiraient L'archevêque, qui connaissait la sainlelé du
sur les habitants de Paule, supplièrent le serviteur de Dieu, parla avantageusement de
saint de venir chez eux, et s'offrirent de lui lui à ce prélat, et lui conseilla d'aller à
donner un lieu pour y bâtir un couvent. Paule, afin de l'interroger lui-même, de l'exa-
Pau! de Itendac, gentilhomme de cette ville, miner, cl de ne rapporter au pape que ce
qu'il avait reçu au nombre de ses enfants, qu'il aurait vu. Le Camérier le crut, et sans
joignit ses prières à celles de ses compatrio- donner avis de son voyage, il se rendit au
tes pour le faire consentir à leur accorder plus lot à Paule. Dès qu'il vit s.aint François,
cette grâce. Il se rendit enfin à leurs inslan- il voulut lui baiser les mains par respect ;
985 MIN MIN 986
mais le saint s'en défendit avec beaucoup portants qu'il lui avait fait donner pour lu
d'humilité, lui disant qu'il était plus à pro- bien de sa personne et de son Etat, et qui
pos qu'il lui rendît lui-même ce devoir, plurent encorejmoins à ses enfants, qui abu-
comme à celui qui était honore depuis trente- suient de son autorité et profitaient de ses
trois ans de la dignité sacerdotale ; ce qui exactions. Ce prince, animé contre le sailli,
riant vrai surprit le caméner, qui, voulant sachant qu'il était dans son couvent de Pa-
fxécuter sa commission, l'entretint de sa vie terne, y envoya un capitaine de galère avec
<■! de celle de ses disciples, et commença à la des soldats pour se saisir de lui et l'emme-
Wxerde rigueur indiscrète el d'une singula- ner prisonnier à Naples. Celle nouvelle jeta
rilé dangereuse, sur quoi il s'étendit fort au la consternation dans le pays. Les habitants
long. Le saint l'écouta tranquillement, mais de paterne s'employèrent avec zèle auprès
Comme il s'agissait de soutenir rétablisse- du capitaine pour le détourner d'arrêter le
ment de la vie quadragésin.ale dont il avait saint, lui remontrant que ce sera l atli er
reçu l'ordre du ciel, il prit des charbons ar- sur lui el sur toute la maison royale la co-
denls entre ses mains, el les tenant long- 1ère de Dieu et le fléau de son indignation. Il
temps sans se brûler, il dit au prélal que, ne laissa pas de vouloir exécuter les ordres
puisqu'il voyait ce qu'il fii ait par la vertu qu'il avait reçus ; mais lorsqu'il eut vu saint
île Dieu, il ne devait pas douter aussi qu'é- François de Paule el qu'il lui eut signifié la
lant assis'é de cette vertu on ne pût supp >r- volonlé du roi, il fut si louché de son humi-
ter la vie la plus austère el les plus grandes lilé et de la d spositiun où il éiait de le sui-
rigueurs de la pénitence. Le camérier, ef- vre, et surtout des discous admirables qu'il
frayé de ce prodige, voulut se jeter à ses lui tint, qu'il s'en retourna à Naples sans
pieds pour lui demander excuse et recevoir rien faire. Il dii au roi ce qu'il avait vu et
sa bénédiction, mais il en fut empêché par enlcudn, et lui (il si bien comprendre le dan-
le saint, qui lui demanda au contraire la ger qu'il y aurait eu d'enlever le serviteur do
sienne avec tant d'humilité, que celui-ci le Dieu au milieu des peuples qui le regardaient
quitia autant édifié de la sainteté de ses dis- comme un saint, qu'il le fit résoudre à le
cours et de sa profonde humilité, qu'étonné laisser en liberté.
de ce qu'il lui avait vu faire. Il en informa Cependant le bruit de sa sainteté et de ses
le pape et toute la cour romaine: ce qui fut miracles s'élant répandu au delà de l'Italie,
une grande disposition aux grâces que le vin jusqu'à la cour de France, où le r >i
saiul-siége accorda depuis à l'ordre des Mi- Louis XI était dangereusement malade dam
nimes, mais principalement à celle de son le château du Plessis-lez-Tours. Ce prince,
approbation authentique qu'il reçut en 14-73, qui avait un grand attachement pour la vie,
sous le pontificat de Sixle IV qui avait suc- avait épuisé l'art des médecins et usé de tous
cédé à Paul U. Dès l'an 1471, Pyrrhus, arche- les remèdes imaginables pour rétablir sa
véque de Cozens i , avail ac ordé à saint santé ; ces secours ayant été inutiles, il avait
François de Paule beaucoup de privilèges eu recours à des moyens surnaturels pour
pour son ordre dans toute I étendue de son l'obten r du ciel par des vœux, des neuvai-
diocèse, avec permission d'y faire de nou- nés, des pèlerinages et autres dévolions;
veaux établissements. Geoffroi, évéque de mais comme cela avait été inutile jusqu'a-
Saint-Maur. examina ces privilèges par ordre lors, il crut que saint François de Paule, qui
du pape Sixte IV, l'an 1473, et sur le rap- était le thaumaturge de son temps, pourrait
porl qu'il en fit, ce ponlife approuva cet or- faine que'que miracle en sa faveur, et oble-
dre sous le nom ATErmiles de Saint- Fran- nir de Dieu sa guér son par ses prières. Il lui
çois. Le même Sixte, ayant examiné lui- lit d'abord écrire pour le convier de le venir
même ces privilèges, établit l'année suivante trouver en France, où il lui promit tous les
saint François de Paule supérieur général de avantages qu'il pourrait souhaiter pour l'é-
sa congrégation, qu'il exempta de la juri- lablissemenl de son ordre et pour lui-même,
diction des ordinaires. Le saint, qui était mortau monde, ne se laissa
La bénédiction sensible que Dieu répan- pas toucher par ses promes-.es, auxquelles
dait sur cel ordre, qui s'augmentait de jour il préféra les douceurs et les biens célestes
en jour par les nouveaux établissements dont il jouissait dans si solitude, dont il ne
qu'on offrait à ce saint fondateur, lui attirait voulut point sortir malgré les instances d'un
l'amour el la vénération des peuples, qui ve- si grand monarque ; c'est pourquoi Louis XI
naient à lui de toutes paris comme au dépo- en fit parler au roi de Naples par son ambas-
sitaire des grâces el des faveurs célestes. Le sadeur. Ce prince fit sou possible pour : er-
souverain ponlife et lous les prêtais de Cala- suader à saint François de Paule de donner
bre n'étaient pas moins persuadés de sa sain- celle satisfaction au roi de France, mais ce
télé qui le rendait digue de l'admiration de fut encore inutilement. Enfin Louis XI s'a-
ient le monde; mais cela n'empêcha pas dressa au pape Six e IV, qui envoya deux
qu'il ne fût persécuté par son propre prince brefs à ce saint homme, par lesquels M lui
Ferdinand 1". roi de Naples et par ses deux ordonnait de se rendre pi ompl ment à la
fils, le duc de Calabre et lecardinal d'Aragon, cour de France. Il n'en fallut pas davantage
sous prétexte de la liberté qu'il prenait de pour le déterminer, cl la voix du souverain
bâtir des monastères et de faire de nouveaux ponlife fut pour lui comme un ordre venu du
établissements dans le royaume sans permis- ciel. Après avoir réglé ce qui lui parai plus
sion. L'on prétend que le saint avait choqué important pour l'administrât on des couvents
aussi le roi FerJiuund par quelques avis im- de Calubre et de Sicile, il parlil le 2 février
M7 DICTIONNAIRE DLS ORDRES RELIGIEUX. 9S8
L'i82avcc le mnître d'hôte] du roi qui l'était entendre que la vie des rt is aussi bien que
V"nu quérir. Il fut reçu à Naples avec la celle des autres hommes étant enlre les
môme pompe que m c'eût été un légal apos- mains de Dieu, <] ui a compté tous nos jours,
toliqne ou le roi même. Ferdinand, a-vec ses il fallait s'adresser à lu' par la prière pour
enfants et ce qu'il y avait de grands sei- connaître sa volonté et s'y soumettre avu-
gneurs à sa tour, alla-an devant de lui, et la glément. Le roi le fit loger dans la Imsse-
foule du monde était si grande que, sans la co;;r de son château, en une petite maison
diligence du prince de Tare n te, fi's du roi, proche la chapelle de saint Malltiieu, afin de
qui l'avait été quérir jusqu'à Salcrne, il eût pouvoir -jouir plus facilement de son entretien
é:é impossible de le faire passer. par le moyen d'un Homme Ambroise Rom-
A Rome le pape lui lit rendre des honneurs haut, qui savait également le latin, le|frança s
que l'on n'y accordait pas même aux prin- cl l'italien, et donna charge à deux officiers
ces. Les cardinaux le v i s i ! è r ni en ccrémo- d'avoir soin de sa subsistance et d' celle de
nie. et en trois différentes audit nées particu- ses religieux qu'il avait amenés avec, lui. La
lières qu'il eut du pape, il Fut assis dans un vénération que le roi, les princes et les sei-
lauteuil égal à celui de Sa- Sainteté, qui l'en- gneurs de la cour les mieux sensés avaient
tretint chfiqu f is pend ni l'espace de trois pour ce grand serviteur de Dieu, n'empê-
ou quatre heures. Ce pontife voulut l'élever eha pas que plusieurs courtisans plus versés
aux dignités ecclésiastiques, mais le saint dans les manières du monde que dans celies
s'en défendit ave beaucoup d'humilité, et des saints ne se moquassent de lui et ne l'ap-
n'accep a , «le tous les pouvoirs que lui offrit pelassent par dérision le bon homme, le tour-
1 pape, que celui de bénir des cierges et des nant en ridicule sur ses habits, ses cheveux
chapelets pour faire ses présents en France, qu'il ne coupait point, et surtout sur sou exté-
ce qui fut la soune d'une infini é de miracles rieur négligé. Le médecin du roi, Jacques
qu'ii fit en ce roy :ume. Il parla à Sa Sain- Coclier, ne fut pas des derniers à le railler,
t té du vœu de la vie quadragesimale qu'il y et nt excité par sa jalousie ; mais l'année
voulait établir dans son ordre ; mais comme suivante il se reunit avec le saint pour dispo-
le pape faisait beaucoup de dilficul é pour le ser enfin le roi à la mort qu'il appréhendait
lui accorder, le saint, sans insister davanlage, tant. Saint François fit sa principale affaire
[ rit par la main le cardinal de la Rovère, et de ce dernier de» oir, et il obtint par se> priè-
dit au pape que celui-ci ferait ce que Sa S lin- res auprès de Pieu et par la force de se.; ex-
teté avait tant de peine à fuire, lui prédisant horlalions le changement du cœur du roi, qui
par là qu'il serait pape; ce qu'il confirma mourut entre ses mains \ek août de l'an H83,
encore à ce cardinal lorsqu'il -e réfugia en avec une soumission parfaite à la volonté de
France sous le pontificat d'Alexandre VI ; et Dieu, après lui avoir recommandé ses trois
en effet il le fut depuis 'ous le nom de .lu- enfants et le repos de son âme.
les H, et il approuva la règle des Minimes Charles V11I, ayant succédé à Louis X!,
avec le quatrième vœu de la vie quadragési- honora no're saint d'une manière encore
maie. plus particulière que n'avait fait le roi son
Peu de temps après, ce saint ambassadeur père, ne voulant rien faire que par ses avis
alla s'embarquer à Ostie po-r prendre la dans toutes les choses qui regardaient sa
route de France, et dans presque ions les conscience et même celles de l'Etal : il le vi-
endrons où il passa, il laissa d s marqu s du sitait souvent et le faisait venir dans son ca-
pouvoir qu'il avait reçu de Dieu, parles gué- hjuet; il lui fit tenir le dauphin son fils sur
risons miraculeuses qu il fil. Le roi Louis XI, les fonts de baptême, et voulut me aie qu'il le
apprenant son arrivée en France, en eut tant nommât: il lui Ot bâtir un beau couvent
de joie qu'il fit présent au porteur de celle dans le parc du Pies is, au lieu appelé les
nouvelle d'une bourse de dix mile écus, qui iVJonlils, avec une pension suffisante pour lui
était la somme qu'il f lisait donner tous les et ses religieux, el un autre à Amboise, sur
mois à son médecin depuis sa dernière mala- la place même où il l'avait reçu à son ani-
d e. Sachant que le saint approchait de la vée en France, lorsqu'il n'étail encore que
Touraine, il envoya or ire au dauphin de dauphin, el voulut que les religieux de ce
F auce, son fils, qui fui depuis roi sous le monastère fussent entretenus sur les revenus
nom de Charles VIII, de l'aller recevoir à annuels de ses finances. Son affection p;.ur
Amboise : ce qu'il fit avec tous les témoigna- ce saint homme ne se borna point à lui faire
ges possibles d'estime et de respect, et de- du bien dans ses Fiais. Etant à Romeen 1493,
puis ce temps-là ce jeune prince l'aima et où il avait fait une entrée triomphante, el où
l'honora comme son propre père. Le toi ne le pape Alexandre VI l'avait proclamé empa
s:1 contenta pas d'avoir envoyé son fils le re- reur de Cunslantmoplc; il y fonda un autre
revoir : sachant qu'il était proche de Tours, couvent de son ordre sous le nom de la
il voulut aller lui-même au-devant de lui Sainte-Trinité au Mont-I'incio, qui, selon les
avec toute sa cour et le reçut avec autant intentions de ce prince, approuvées par no-
d'honneur el de soumission que si c'eût élé le Ire saint et confirmées par les souverains
pape. Il se jela à genoux de\ant lui, le con- pontifes, n'a élé jusqu'à présent rempli que
jurant de faire en sorte que Dieu voulût lui de religieux français, sans qu'aucun autre,
prolonger la vie. Le saint lui répondit ce de quelque nation qu'il soit, y puisse seule-
qu'une ersonne aussi humble el autant pé- ment coucher une nuit, non pas inêine le gé-
nétrée de l'esprit de D'eu qu'il l'était devait nérnl, s'il n'est pas français,
rcpondie à une pareille demande, !ui Lisant feu de. temps après que ce saint fondateur
980
MIN
MIN
•ion
eut établi son ordre en France, il eut la con-
solation de le voir établie en Espagne, sous
les rois catholique* Ferdinand et Isabelle* y
envoyant pour cet effet des religieux du cou-
vent du Plessis - lez-Tours , auxquels on
donna un couvent à Mal aga, où ils furent
nommés les Frères de la Victoire, à cause
de la prise de cette ville sur les Maures, que
Ferdinand attribua aux prières de saint Fran-
çois, qui enfin composa sa première règle en
i'ii)3, et la lit approuver par le pape Alexan-
dre VI , à la recommandation du roi de
France, et ce pontife changea le nom d'Er-
mites de Saint François d'Assise, que por-
taient ces religieux, en celui de Minimes des
F'rères Ermites de François de Paule. Ce fut
aussi la même année qui; l'on jeta les f nde-
ments du cou vont de Nigeon près Paris, dont
la reine \nne de Bretagne se rendit fonda-
trice, et l'on donna à ce couvent le nom des
Bons Hommes, qui lui est resté jusqu'à pré-
sent, à cause du nom de Bon Homme, qu'on
avait donné à leur fondateur, comme nous
avons dit ci-dessus. Le même Alexandre VI
confirma en l'i93 toutes les grâces que ses
prédécesseurs avaient accordées à cet ordre,
et lui eommuniqu ) encore tous les privilèges
des religieux mendiants.
Deux ans après, c'est-à-dire en 1497, le
saint f indateur envoya de ses religieux en
Allemagne, à la prière de l'empereur Maximi-
lien. ils y établirent d'abord trois couvents
qui ont servi de pépinière aux autres que
l'on a depuis bâtis dans le même pays. L'an-
née suivante 1Ï98, Louis XII étant parvenu
à la couronne de France par la mort de
Charles VIII, qui arriva à Amboise, comme
le nouveau roi avait toujours été éloigné de
la cour, et qu'il ne connaissait pas saint
François de Paule, il lui laissa d'abord la li-
berté de s'en retourner en Italie ; mais ayanl
appris à cette occasion la valeur du trésor
qu'il allait perdre, il révoqua sa permission,
cl voulut encore enchérir sur ses prédéces-
seurs en affection et en bienfaits à l'égard du
saint, de ses religieux et de ses neveux; en
quoi les uns et les autres furent bien servis
par l'archevêque de Rouen, Georges d'Am-
boise, ministre d'Etat, qui avait été fait car-
dinal l'année de l'avènement de Louis XII à
la couronne.
(le prince non-seulement agréa comme
avait fait son prédécesseur les bulles de
Sixle IV et d'Innocent IV eu faveur de l'or-
dre des Minimes, et en ordonna la puhlica-
tion , mais l'un 1500, pour donner plus de
force à cette ordonnance, il la confirma en-
core par d'autres lettres patentes et donna
pouvoir au saint homme île bâtir des cou-
vents dans tous les lieux de son obéissance,
les exemptant de toutes sortes d'impositions,
de subventions et de subsides. L'an 1501,
saint François de Paule ayant perfectionné
sa première règle, et ayant réduit en dix cha-
pitres les treize dont elle était d'abord corn-
po éc, ayanl aussi établi la vie quadragési-
male en vœu, et ayant dressé une règle pour
les personnes de l'un et l'autre sexe qui vi-
vent dans le monde, il fil encore approuver
ces deu-i règles par le p ipe Alexandre VI, en
1302. Il retoucha ensuite ces deux règles,
auxquelles il lit quelques changements, et
les présenta au sacré collège des cardinaux,
qui les ayanl trouvées conformes aux sacrés
canons, elles lurent cou innées par une
bulle du mitwe Alexandre VI, qui, outre les
privilèges des quatre ordres mendiants dont
jouissait celui des Minimes, le fit encore par-
ticipant de ceux qui avaient été accordés aux
Ermites de Saint Jérôme de la congrégation
du bienheureux Pierre de Pise, et tous ces
privilèges furent confirmés en 1505 parle
p;ipe Jules II, qui y en ajouta encore de
nouveaux et nomma pour protecteur de cet
ordre le cardinal Bernardin deCarvajal, que
le saint fondateur lui avait demande. Enfin
l'an 1506 , saint François île Paule ayant
mis la dernière main à ses deux règles, et en
ayant fait-une troisième pour des religieuses,
le même pape les approuva et les confirma
par une bulle du 25 juillet de la même
année.
Le saint ajouta encore à ces trois règles
d'autres ouvrages, savoir un Correcloirc ,
dans lequel il marque les pénitences qu'il
faut imposer dans son ordre pour les trans-
gressions des commandements de Dieu et de
i'F]glise, et les prévarications de la règle ;
un Cérémonial, dans lequel il prescrit ce que
l'on doit observer dans la récitation des of-
fices divins et dans les fonctions ecclésias-
tiques. Le Correcloire l'ut aussi approuvé par
Jules II, qui donna encore une autre bulle
l'année suivante en faveur des religieux de
cet ordre contre ceux qui voulaient les em-
pêcher de j i u i r de leurs privilèges , et, pour
les y maintenir, Sa Sainteté leur donna des
con-ervateurs.
Peu de temps aprè;, Dieu fit connaître au
saint fondateur qu'il ne tarderait pas à le
retirer de ce monde, pour lui donner la ré-
compense promise à ceux qui l'aiment et
qui le servent fidèlement jusqu'à la fin. Quoi-
q i'il se fût toujours préparé à la mort pen-
dant tout le temps de sa vie, il voulut s'y dis-
poser d'une mamère encore plus parfaite,
car trois mois avant que de mourir, il de-
meura caché dans sa cellule du couven; du
Plessis-lez- Tours sans se communiquer aux
hommes. Ce fut le jour des Rameaux de l'an
1507, ou sur la fin de l'an 1506, comme l'on
comptait alors les années en France, qu'il
lui attaqué d'une fièvre qui devait terminer
sa vie mortelle. Il ne voulut pas néanmoins
qu'on eût aucun soin de lui, ni qu'on lui
donnât aucun soulagement. Le jeudi saint il
assembla, selon l'ordonnance de la règ e, le,
religieux dans la sacristie* qui tenait lieu de
chapitre, pour leur recommander l'amour d«
Dieu, et la charité en!re eux, la fidélité è.
leur règle, et principalement l'exactitude
dans l'observance de la vie quadragésimale,
qui les distingue.it d'avec les autres religieux,
De là il se fit conduire à l'Eglise, où, après
s'èire confessé, il reçut la sainte eucharistie
en la manière que ses religieux la reçoivent
ce jour-là, c'est-à-dire les pieds nus et le
cui'U in au cou. On le reconduisit ensuite à sa
991
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
002
cellule, appuyé sur les bras de ses religieux.
Un Frère lui demanda s'il voulait qu'on lui
lavât les pieds l'après-dinée, suivant la cou-
tume de l'Eglise, il répondit que non, niais
que le 1 ndeuiaia on ferait de son corps ce
que l'on voudrait. Eu effet, il m mrut le len-
dem iin, qui était le vendredi saint, deuxième
ji'ur d'avril. L'opinion commune esl que ce
saint avait pour lors près de quatre-vingt-
onze ans. Le P. (îiry. provincial de son ordre
en la province de France, a fait voir, dans
une disser alion qu'il donna en 1680, que ce
sentiment devait être suivi plutôt que celui
du P. Papebroch, qui dit qu'il n'avait que
soixante-neuf ans, l'ayant fait naître en 1Ï3S.
Ce savant Jésuite sVst ensuite rendu aux
raisons du 1*. Giry, et le P. Périmezzi, aussi
de l'ordre des Minimes, qui a donné, comme
nous avons dit. la Vie de ce saint, y a joint
la dissertalion du P. <iiry,etn'a pas manqué
de rapporter la rétractât ou du P. Papebroch.
Le co ps de saint François de Pauje fut
porté dans l'église de son couvent, où il de-
meura pendant trois jours sans que l'on > ût
l'enterrer, à cause de la grande affluence du
peuple qui venait pour le voir et l'honorer;
et il ne fut mis en terre que le lundi de Pâ-
ques. La duchesse de Bourhou, Tille de Louis
XI, et la comtesse d'Angnulême, mère du
roi Françoi-, I", ayant appris qu'on l'avait
mis en terre, n'en furent pas contentes, à
cause principalement que ce lieu était fort
humide et sujet aux inonda'ions de la rivière
du Cher; c'est pourquoi elles obligèrent, le
jeudi suivant, les religieux de le lever de
terre: il fut encore exposé plusieurs jours
sans se corrompre, et on le plaça ensuite
dans une grotte de maçonnerie, bien voûtée
et ornée, qui fut faite au fond de la chapelle
que l'on avait choisie d'abord pour le lieu
de sa sépulture. L'on commença dès lors à
rée amer son intercession el à lui faire des
vœux pour obtenir par son moyen les fa-
veurs du ciel. On travailla i en de temps
après, même du règne de Louis XII, et sous
le pontificat de Jules II, à faire des informa-
tions juridiques des actions saintes de sa vie
et de ses miracles. Q ielqiies-uns veulent
que sa béatification ait été faite le 7 juillet
1513, mais on ne laissa pas de poursuivre
depuis les mêmes procédures eu France, en
Calabre, et dans les aulres endroits où l'ou
savait que le saint avait été. Ce fut le p ipe
Léon X qui le canonisa en 1519. Son corps
fui conservé précieusement dans l'église de
son couvent du Plessis, jusqu'à ce que, l'an
15G2. 1rs huguenots qui mettaient la France
en combustion y étant entrés les armes à la
main pour le saccager, comme ils avaient
fait en divers endroits du royaume, tirèrent
son corps du tombeau où ils le trouvèrent
encore couvert de sa peau, quoiqu'il y eût
55 ans qu'il fui mort, le traînèrent, revêtu de
ses haliits comme il était, avec une corde
qu'ils lui mirent au cou, dans la chambre
destinée pour recevoir les hôtes et l'y iirû-
lèrenl avec le bois du grand crucifix de l'é-
glise qu'ils avaient arraché. Ses ossements
furent néanmoins pour la plupart retirés du
feu par des catholiques zélés, qui se mêlè-
rent parmi les soldats calvinistes dan< la
chambre où se commettait le sacrilège; et
dans la suite des temps ils furent distribués
à diverses églises.
Le saint fondateur ayant nommé, quelque
temps avant sa mort, pour vicaire général en
sa place jusqu'au premier chapitre, le P.
Bernardin de Cropulato, provincial de la
province de Touraine, celui-ci indiqua le
chapitre général pour le mois de décembre
de la même année 150". Il se tint à Rome,
el le P. François Minet, pour lors correcteur
du couvent de la Trinité à Borne, y fut élu
général le premier janvier 1503. L'ordre
était pour lors divisé en iinq provinces, qui
étaient celles d'Italie, de Tours, de France,
d'Espagne et d'Allemagne; mais co aune l'or-
dre s'est si fort multiplié dans la suile, qu'.I
a présentement environ quatre cent cin-
quante couvents, il est divisé en trente et
une provinces, dont il y en a douze en Ita-
lie, onze en France et en Flandre, sept en
Espagne et une en Allemagne. Ces religieux
ont même passé dans les Indes, où ils ont
quelques couvents qui ne composent pas de
provinces, et qui relèvent immédiatement
du général, aussi bien que les couvents de
la Trinité du mont Pincio, de Saint-François
de Paule, et de Saint-François délie Fratte
à Rome. Dans ce premier chapitre général,
auquel le cardinal de Senogalia, de l'ordre
des Mineurs présidait en l'absence du car-
dinal Carvajal, protecteur, il fut ordonné,
sur la difficulté que quelques-uns faisaient
de recevoir la règle de saint Françoi < de
Paule et de se soumettre au vœu de 1 1 vie
quadi agésimale, que ceux qui s'y oppose-
raient et ne voudraient point accomplir ce
vœu, seraient privés de tous droits de suf-
frages dans les élections : ce qui produisit
un bon effet, car tous les vocaux se jetèrent
aux pieds du cardinal et firent de nouveau
profession entre ses mains de la quatrième
règle de saint François de Paule et du vœu
de la vie quadragésimale. D'abord les géné-
raux ne furent que pour trois ans, et ils
commencèrent à l'être pour six ans en 1605,
par autorité du saint-siege. Le premier qui
exerça cet office pendant six ans fut le P.
Etienne Augier, Français, qui fut élu dans
le chapitre général qui se tint à Gênes, et qui
était le trente-troisième qui s'était tenu dans
l'ordre. Ceux qui ont droit d'assister à ces
chapitres généraux sont le général, les col-
lègues généraux, les provinciaux, le zéleur
ou procureur général, seulement quand le
chapitre se tient à Rome ou aux environs.!
Les vocaux des chapitres provinciaux qui se
tiennent tous les trois ans sont les provin- !
ciaux, les collègues, les correcteurs el un '
commis de chaque province. Il y avait autre-
fois quatre vigiles ou visiteurs généraux,
qui étaient élus dans les chapitres généraux
el qui'uvaienl droit d'y assister, aussi bien
que les collègues provinciaux et deux com-
mis de cli tque province, mais les vigiles ont
été supprimés, et les collègues provinciaux
0!i5 MIN MIN fi-n
n'y assistent plus, chaque province y en- cérémonies, selon l'usage de la même ligiisr.
voyant seulement un commis. Les Frères convers diront pour matines
Nous avons dit que la règle de saint Frau- trente fois l'oraison dominicale et la salu-
cois de l'aul contenait dix chapitres; el c talion angélique, dix pour laudes, douze
commence par l'observance des préceptes pour vêpres, ajoutant aux dernières saluia-
e( des vœux. Ainsi, tous les frères observe- lions le Gloria Palri; et, pour l'office des
ronl les commandements de Dieu et les pré- morts, ils diront tous les jours dix Puter et
ceptes de l'Eglise. Ils rendront obéissance au autant d'/U>«, ajoutant à la lin du dernier le
pape, et promettront de garder jusqu'à la On Requiem œternam. Quant aux ohlals, ils di-
de leur vie les vœux d'obéissance, de chas- ronl pour matines vingt Pater, el pour eha-
teté, de pauvreté et de la vie quadragésimale. cune des autres heures cm \ et autant d'Ave,
Ceux qui voudront entrer dans l'ordre ne ajoutant à la fin du dernier le Gloriu Patri,
pourront y être reçus qu'en qualité de frères et, pour l'office des morts, ils dironteinq nu-
clercs, de frères lais, ou de frères ohlals, 1res l'ater tous les jours et aulini à' Ave,
et demeureront tout le reste de leur vie dans ajoutant au de nier le Requiem.
I état de leur profession. L'habit des frères Tous les frères s'abstiendront enlièrenent
clercs et des frères lais sera long jus- de viandes grasses on pascales; el, pour faire
qu'aux talons, d'une étoile vile, de laine ni- de dignes fruits de pénitence, ils observeront
lurellemcnl noire et sans teinture. Le cha- la vie quadragésimale jusqu'à ce point de
peron sera aussi de la même couleur, et des- ne point manger de chair ni d'aucune chose
rendra devant et derrière jusqu'au milieu qui tire son origine de lachair; et ainsi non-
de la cuisse ou à peu près (11. ils auront en- seulement la etiair el la graisse, mais aussi
core une ceinture de laine de semblable cou- les œufs, le beurre, le fromage, et toutes sor-
leur, nouée de cinq nœuds, et ils ne pourront tes de laitages, el mèm i loul ce qui en est
jamais ni jour ni nuit quitter le cordon, ni composé ou formé, est absolument défendu,
l'habit, ni le chaperon. Ils se serviront à tant au dedans qu'au dehors du couvent à
leur choix de socques ou de sandales, faites tous les frères, lut clercs que lais et
de genêts ou de feuilles de palmier, ou de oblats, si ce n'est dans les grandes maladies:
paille, ou de corde, ou ce jonc, ou bien ils car si quelqu'un tombe malade, il doit être
pourront se servir de souliers ouverls par- eouduit par l'infirmier dans l'infirmerie claus-
dessus, si ce n'esl qu'une pressante néces- traie, où on doit le secourir avec beaucoup
site ou la dispense des supérieurs ne les de soin, le nourrissant des viandes de carême
exempte d'aller nu-pieds : il y a plus de cent qui seront les plus propres pour le soulager:
ans que celle dispense leur a été accordée, mais si la maladie augmente, il doit être
cl ils sont présentement chaussés. conduit dans l'infirmerie extérieure, bâtie
Quant aux oblats, ils auront un habit de dans la clôture du couvent, ou on lui donne-
la même couleur, qui n'ira que jusqu'au ra tous les aliments propres pour rétablir
gras de la jambe ou environ et ne descendra sa santé, qui seront" apportés par un autre
pas plu> bas. Ils auront aussi un cordon endr it que par le cloilre du couvent, qui
noué seulement de quatre nœuds. Ils seront doit être éloigné de l'iulii mei ie pour le
chaussés, el porteront un chapeion honnête moins de cinquante fias, el personne n'y
avec sa cornette, ou bien un bonn-t décent peut enirersans la permission du supérieur,
et commode, suivant que la qualité du pays Quint aux jeûnes, ils sont ainsi prescrits,
le requerra. Il sera permis à tous les frères Les Frères c ères et les lais jeûneront
de porter sous leur habit, selon leurs besoins, également depuis le lundi de la Quinquagc-
des tuniques de vile étoffe et de petites lu- sime jusqu'au samedi saint inclusivement ,
niques de serge, comme aussi des hauts-dc- el depu.s la fêle de tous les Sa nis jusqu'à
chausses et des bas-de-ch ausses raisonna- Noël exclusivement. Ils jeûneront aussi lous
blement étendus sur les genoux. Ils pourront les autres jours ordonnés par I Eglise, et
encore se servir à leur volonté d'un man- tous les mercredis et vendredis de l'année,
teau qui sera de la couleur de l'habit, au- excepié le jour de Noël , quand il arrivera
quel sera attachée une cuculle propre à cou- un vendredi. Pour le- oblats, il-, jeûueiont
vrîr la tète, laquelle cuculle sera cousue seulement lous les vendredis de l'année,
par derrière. Les oblats se serviro t à leur et depuis la fête de sainte Catherine jus-
discrétion, tant an dedans qu'au dehors du qu'à Noël exclusivement , et lous les jours
couvent, d'un pelil manteau fermé de la Ion- ordonnés par l'Eglise. Aucun des Frères
gueurde leur habit ou environ, sans capuce ni des ohlals étant en santé ne peut ère
ni cuculle. Ils pourront tous dans les voya- exempt du jeûne, sinon dans les voyages;
ges se servir, avec la permission du correc- néanmoins les supérieurs peuvent, |.our de
leur, d'un âne pour monture, el au défaut justes raisons, dispenser les uns et les autres
d'âne, le correctoire leur permet île se servir de chacun de ces jeûnes en particulier,
de mulets et même de chevaux, s'ils ne trou- L'exercice de l'oraison leur est recom-
venl point de mulets. mandé, et, afin qu'ils aient plus de faciiité
Les fi ères qui auront été reçus pour le pour s'y adonner, ils do vent garder le
chœur suivront en tout l'ordre et le calen- si ence en tout temps dans l'église, dans
drier de l'Eglise romaine, el s'acquitteront le cloilre, dans le dortoir, au réfectoire,
des offices dhius, en observant toutes Us durant la première et la seconde table, el
(1) Vuj/., à la fin duvoL, n0' 245 el 246.
■')',
DICTIONNAIRE DKS
eh tous lieux depuis l'heure de compiles
jusqu'à primes du jour suivant. Les su-
périeurs ont le nom de correcteurs, afin
qu'ils se corrigent premièrement eux-mê-
mes, et qu'ensuite ils corrigent les autres.
Tous les ans, le jouir de saint Michel, ces
correcteurs sont élus par les religieux de
iliaque couvent, et ne peuvent exercer cet
office que pendant un an , sans pouvoir
sortir du couvent pendant ce temps-là , si
ce n'est pour de justes causes, après en
avoir donné connaissance au chapitre et
demandé le consentement des anciens du
couvent. Voici la formule des vœux de cet
ordre.
Je Frère N. voue et promets à Dieu tout-
puissant , à la bienheureuse Vierge Marie , à
toute la cour céleste, et à vous, mon révé-
rend l'ère N. et à cet ordre sacré , de demeu-
rer ferme, et de persister tout le temps de
ma vie sous la manière de vivre et lu règle des
Frères Minimes de Saint-François de l'aule,
Inquelle est approuvée par notre très-saint
i'rre le pape Jules II , après Alexandre VI,
d'heureuse mémoire, aussi pontife de Rome,
en vivant avec persévérance sous les vœux
de pauvreté, de chasteté et d'obéissance , et
de la rie de carême , suivant les détermi-
nations et les circonstances marquée-: et pres-
crites dans la même rùjle. Les oblats ajou-
tent , Et de plus je promets garder la foi
à ce même ordre , et de représenter fidèle-
ment les aumônes qui lui seront faites.
Cet ordre a produit plusieurs personnes
qui se sont rendues recommandables par
leur piété et par leurs écrits; il y en a eu
aussi plusieurs qui ont été élevés aux di-
gnités de l'Eglise. Les Minimes de France
ont donné des évêques aux Eglises de Mar-
seille, de Mâcon et de Kiez. Louis d'Allichi,
évéque de Kiez, religieux du même ordre,
en a donné une Histoire en français; le
P. delà Noue, une Chronique eu lalin; et
le P. de Montoïa les Annales e:i espagnol.
Le P. Thuillier a donné une Histoire par-
ticulière de la province de France sous le
titre de Journal des religieux et religieu-
ses de l'ordre des Minimes de la province
de France et une tradueliou de la Règle ,
du Correeloire et du Cérémonial, avec des
remarques historiques sur ces trois ou-
vrages.
Cet ordre a pour armes le mot Chauitas
d'or entouré de rayons de même en ch imp
d'azur.
Francise. Lanovius, Chronieon générale
Ord. Minim. Louis Doni d'Allichi, Hisl.
générale île l'ordre des Minimes, Luc de
Montoïa, Chronic. générale de la orden de
lus Miniums. Ililarion de Coste, Hist. Ca-
tholique. Rolland. Act. Sanct., loin. 1 Api i-
lis. Giry et Baillet, Vies des saints, 2 Avril.
Baltazar d'Avila, Manipulas Minim. René
Thuillier, Tra ludion de la Règle, duCorrec-
toire et du Cérêmoni d des Minimes, avec des
remarques historiques.
Au dernier siècle, les Minimes avaient à
Rome cinq maisons, dont l'une, La Trinité
du Mont , appartenait aux Français. Ils
ORDRES RELIGIEUX. 996
comptaient six provinces en Espagne, deux
m lisons à Paris et celle du Bo'.s de Vincen-
nes (dont les bâtiments et l'enclos sont con-
servés jusqu'à ce jour). L'ordre des Minimes
a donne en France l'exemple de la soumis-
sion à la Huile Unigenitus et s'est attiré en
conséquence la critique des jansénistes dans
leur Gazette. Le réfectoire de la maison de la
Place-Royale, aujourd'hui servant de caser-
me , était immense, éclairé par neuf croi-
sées, décoré de belles peintures. La bi-
bliothèque de ce monastère était composée
d'environ 26,000 volumes, y compris plusieurs
manuscrits. Les Minimes ont donné aux let-
tres plusieurs célébrités, et nous comptons,
parmi les Français, les PP. Nicerou, Mar-
senne, Plumier, Aviïllon , Le Clerc , De
Gosle, Giry, Monteynard. Le noviciat se
faisait à Paris, dans la 28 maiso.i située
à Chaillot et nommée des lion* Hommes. La
dot était de 100) livres. Le général, à la
fin du dernier siècle, était le R. P. Séraphin
Défera. Aujourd'hui ces religieux ont sept
maisons dans les Etats soumis à l'empereur
d'Autriche, comprenant environ 3-VO indivi-
dus. L général e>t le P. Louis Conti , rési-
dant à Rome. Ce procureur général est le
P. Gaspard Montenero. Dans notre dernier
volume nous parlerons des efforts (entés par
le P. Monleynard , et du succès obtenu par
M. l'abbé lieuf pour le rétablissement des
Minimes français. Voyez Minimes au Sup-
plément. R-D-E.
§ IL Des Religieuses de l'ordre des Minimes.
Les historiens français de l'ordre des Mi-
nimes se plaignent des historiens espagnols
du même ordre, de ce qu'ils n'ont donné
que fort peu de connaissance de l'origine des
religieuses Minimes qui ont pris naissance
en Espagne. Tout ce que l'on en sait , c'est
que dou Pierre de Lucena Olit, ne s'étant
pas contenté d'avoir fondé un couvent de
Minimes dans l'a ville d'Andujar, donna en-
core sa propre maison pour y bâtir un mo-
nastère; de religieuses du même ordre, dont
deux de ses petites-filles furent les pre-
mières qui y prirent l'habit de cet ordre
en 1493. Files le reçurent des mains du
P. Germain Lionet, religieux français, que
saint François de Paule avait envoyé en
ce royaume avec quelques autres pour y
établir son ordre. Il est certain qu'il n'y
avait point pour lors de règles particuliè-
res pour ces religieuses, et que ce ne fut
qu'en 1506, c'est-à-dire au temps que le
saint fondateur changea quelque chose de
la première règle pour les religieux, qu'il
songea à en donner une aux religieuses.
En effet, par la le.tre qu'il écrivit au pape
Jules II la mémo année, il lui témoigna
qu'outre la règle de ses religieux qu'il a
beaucoup perfectionnée , et celle pour les
personnes de l'un et l'autre sexe qui vi-
vent dans le monde, il en a composé une
troisième pour des religieuses.
Le P. Jean du Bois, aussi Français, qui
fui le premier directeur de ce monastère,
m MN MIN 998
el les autres qui lui succédèrent , les gou- dujar, dont on ait connaissance, est celui
vernrcnt apparemment jusqu'à ce temps- de Xérès de la Froutéra , qui fui Fondé
là sur la première et la seconde règle, l'an 1524-. Il se fil incore d'autres élablis-
autant que leur sexe le. permettait. Saint jemenls en Espagne, cq unie à Archùlona
l'r nçois de Pa le, p.»ur marquer son af- Ba'ïza , Cordoue , Séville, Fuentes de Léon*
feelion envers telle nouv Ile colonie de Anlequera et autres lieux. Ces religieuses'
vierges, leur envoya à chacune en 1303 furent introduites en Sicile par Hector Pi-
on chapelet, qui était le présent ordinaire gnaleiji, qui en était vice-roi, et nui, ne
qu'il faisait à ses amis el aux bienfaiteurs se content, ml pas d'avoir fondé un cou-
de l'ordre; il n'y avait pas pour lors plus veut Je religieux de cel ordre à Paler-
de huit religieuses dans ce monastère. Le nie , yuulul être aussi fondateur d'un cou-
P. de la Noue, dans ses Chroniques de l'or- vent de r Ijgieuses Minimes qu'il lit là ir
dre, remarque que ces chapelets et, lient de en 1532 dans la même ville, et qui d.ms
gui de chêne qui, étant travaillé autour, la suile est devenu plus considérable par
représente dé tous Gelés une croix entourée la I béraljtê et la magnificence do Phi •
de rayons: ce que les écrivains espagnols lippe 111, roi d'Espagne. Enfin, en 1 21
de ce même ordre on! publié comme une il se fit un établissement de ces religieuses
merveille, quoiqu'il n'y ait ri n que de en France dans la ville d'Abbevilie; là Mère
naturel; il esl vrai qu'ils produisaient des Gabrielle Fouquarl en l'ut fondatrice- Elle
offeis admirables et miraculeux, principa- éi<iit (ille de François Fouquarl, receveur
lement dans la guérison des malades; mais des tailles de la même ville et de Marié
c'était en vertu de la bénédidiop que le Caisier ; elle ayait toujours eu dessein d'être
saint leur donnait en conséquence du pou- religieuse, mais après la mort de son père,
voir qu'il en avait reçu di pape. Ces reli- ayant éié obligée d'obéir à s.»n oncle, qui
gieuses avaient ete jusque-là sous l'obéis- avait conclu sou mariage avec un homme
sauce du correcteur des Minimes du cou- veuf qui était fort riche, ou la maria a
vent d'Andujar. mais le saint fondateur les l'âge de vingt-six. ans. Deux ans après, son
mit sous ce. le du provincial d'Espagne. m ; ri élaul mort, elle résolut de quitter
La règle qu'il leur donna esl peu diiïé- le monde. Elle fut la première qui reçut
rente de la quatrième qu'il donna aux reli- l'habit du Tiers Ordre de Sainl-Francoj e
gieux, ne s'y trouvant point d'autres eban- Pau le à Abbeville en 160J, et fui pendant
iiis que ceux que la diversité du sexe vingt ans correctrice de quelques filles et
a nécessairement obligé d'y faire: les më- femmes séculières de ce Tiers Ordre. Elle
mes vœux, les mêmes jeunes, les mêmes vécut .,u torze a;;s en communauté avec
observances du silence el de la modestie y quelques filles dévoles qui avaient fait aussi
seul ordonnes, et ce sont partout les nié- profession de ce Tiers Ordre, et e le em-
UKS (cimes, excepté lorsque ce sont des ploya ce temps-là à traiter de ï'élabiisse-
règlemenls propres pour des filles et qui ment de religieuses .Minimes; mais le-, re-
né peuvent pa> convenir aux hommes. On ligieux s'y opposaient toujours, et ce ne
ne voit point qu'on ail parlé de cette rè- fut que l'an 1621 qu'elle ob inl le con-
gle dans le p emier chapitre général qui seulement du P. Rivière, pour lors visi-
se tint à Home en 4597, elle y lut néan- leur général des Minimes , qui la recul
moins reçue avec clic des religieux , puis- pour être religieuse du second ordre, lui
que la même bulle approuve l'une et Pau- donna le voile el à treize autres fill s de.
lie. Tous les monastères des religieuses sa communauté, après en av ir obtenu
Minimes qui ont été fondés depuis ce temps- la perm ssion de i'eiéqne d'Amiens : quel-
là , tant en France qu'en Pâlie et en Espa- ques religieux du même ordre y formè-
gne , l'ont été sous l'obligation de cette reut encore de nouvelles oppositions , mais
règle, qu'on y a'toujonrs observée fort exac- elles furent enfin levées par le pape Gré-
lement : la différence qu'il y a entre les gpice XV, qui érigea cette maison en mo-
correelrices de ces religieuses el les cor- nastère par une bulle du 10 juin de l'an
recteurs des religieux , c'est que les cor- 1623. Elles firent profession en 162+ en-
recliices ne sont élues que tous les trois Ire les mains du P. Nicolas Lesguillier, qui
ans, et que les correcleurs doivent être avait été commis à cet effet par je par-
élus Lus les ans. dinal Hippolyie Aldoljrandin , protecteur
Le second monastère de religieuses Mi- de l'ordre, et par le P. Cyrille Camart ,
iîimes fut aussi fondé eu Espagne, à Gia , pour lus général. La Mère Fouquarl fut
au diocèse de Seville en 1309; mais les établie correctrice de ce nouveau mpnas-
Carmes s'élani opposés à cet établissement, 1ère , où, apiès avoir encore vécu plu-
à cause que ce iiid, aslère éiait trop proche sieurs années dans les exercices de pieté
de leur couvent, et que par un de leurs et de morliiieali n , elle mourut sainie-
privilèges on ne peut bàlir des maisons re- meut en 1639. ,1 s'est f.il depuis un autre
ligieus.es qu'à une distance de près de cent établissement de ces religieuses dans la
quarante toises de leurs couvents , ces reli- Y lie de Soissous.
gieuses .Minimes furent transférées ailleurs ; Comme, dans le temps que l'on faisait l'ela-
mais le. historiens espagnols ne font point bl.sse ncnt du monastère d'Abbevilie, le P.
m. .lion du lieu où elles furent lansie- Louis 1) ni d'Aliichi, depuis evéque de Hiezj
rées. Le plus ancien monastère de cel or- écrivait son Histoire générale de l'ordre des
dre au même royaume, après celui d'An- Minimes , il n'a pas parlé des religieuses dt
903 DICTIONNAIRE DF.S ORDRES RELIGIEUX, 1000
col ordre en France, mais il a donné l es Vii's l'usage cl»' rEglîss rom ine, et reux qui ne
de quelques religieuses espagnoles et ila- sont pas obliges de réciter le bréviaire doi-
lîennes qui sont mortes en réputation de sain- vent dire pour matines sept Pater el autant
trié. Il du qu'en l'année qu'il écrivait . qui d'.-li-e, sept pour laudes. < inq pour vêpres et
était en 1623 , il y a>ail trois cents religieu- trois pour couiplies el pour chacune des au-
ses de cet o;dre en onze couvenis: ainsi avec 1res heures, ajoutant au dernier le (Jloria
les deux d'AbbevïUe et celui de Soissons, il Patri, et lous les jours ils doivent dire en-
y aurait qualorze monastèr s de religieuses cote trois autres Pater et autant d'.-tie pour
Minimes. Leur babil esl semblable à celui les défunts, et à la fin du dernier le Requiem
îles religieux de cet ordre : nous en donnons œternam. Ils doivent s'arcuserde leurs péchés
deux e lampes, dont l'une représente uiie de aux. confesseur'; qui leur sont assignes par
i es religieuses suis manteau el l'autre en le correc enr général de l'ordre des Minimes,
uian eau et en habit de ihœnr (1). el communier le jeudi sami , le jour de Pà-
F rancisc. Lanovius, Chronie. gênerai, ord. ques , à Noë. , à la Peniec ite et à la fêle de
Minim. Lous Doni d'Attichi, Utst. générale l'Assomption de Notre-Dame. Ils assisteront
de t ordre des Minimes. Lucas de MontOïa , à la messe avec beaucoup de respect et paye-
Chronic gêner ni de lu brden (te lus Minimos. ront les dîmes qu'ils doivent a leurs euros.
Hilarion de Coste, Eloges des Dames illustres, Ils d ivent fuir le monde et les emplois d.s-
lom. 11. Ign ce de Jes s-Marie, Hisl. d' Ah- honnêtes, éviter les festins cl les vanités du
bevillc, et René ThuilILer, Traduction des rè- siècle. L'abstinence de viamie eux eslordon-
gle , eorrectoire et cérémonial des Minimes , née depuis la lèie de sainte Luce jusqu'à Noël
arec des remarques historiques. exclusivement, el tr is jours avant les qua-
r - r r\ Ire jours de communion prescrits par la règlp,
.MINIME» ( I iers Okdre des). aussi bien que lous les mercred s de l'année.
Le T ers Ordre des Minimes pour 1 s per- Les confesseurs peuvent néanmoins dispeu-
soniies de l'un el l'autre -exe qui vivent dans s< r du jeune et de l'abstinence ceux qu'ils
le monde avait é'.é établi par saint François jngenl à propos, et peuvent changer ces j û-
de Paule dans la Calabre, longtemps avant nés en d'amres œuvres de pieté. On accorde
qu'il vint en France, car, par les procès faits aux Frères el aux Sœurs la liberté d'ob-er-
en Italie pour -a canonisation, l'on voit qu'il ver la vie quadragésimale , s'ils ont assez de
recevait nés personnes séculières en celte ferveur pour la pratiquer. Les vêlements
congrégation, et qu'il leur donnait le petit exiérieurs seront, selon leur étal el !• urcon-
cordon , qui esl la marque de cet ordre. Le dilion , entièrement ou presque semblables
procès même qui fui fait à Allilie porte que, pour la couleur aux habits des religieux Mi-
lorsqu'il y passa pour aller en France, il y nimes. I.e^ Frères et les Sœurs recevront
laissa une communauté de Tierciaires, au avec dévolion d. s correcteur- de l'ordre, on
nombre de dix-sept, qui avaient pour correc- de quelqu'un commis par eux, un cordon
Iricc une Sœur nommée Perne, et pour con- noue seulement de deux nœuds, et après un
fesseur et directeur un prêtre qui s'appelait temps convenable, s'ils désirent persévérer
Serra, qui était aussi de ce Tiers Ordre. Mais dans l'observance de celle règle, ils feront
il ne parait pas que saint François de Paule aussi profession entre leurs mains. Ils peu-
ail dresse en Italie aucune règle pour le gou- veut dès le bas âge recevoir le cordon, mais
vernement et la direction de ce Tiers Ordre, la profession ne se doit faire qu'à l'âge de
Les h ns exemples de sa vie et les leçons quinze ans. Enfin, pour la conduite de celle
spirituelles que lui et ses religieux faisaient congrégation de fidèles de l'un et de l'antre
assidûment à ceux qui se rangeaient sous sa sexe, les proiinciaux de l'ordre des Minimes
conduite, leur tenant lieu de règle et de sla- ou les supérieurs majeurs lui assigneront en
tuls jusqu'à ce qu'enfin, en 1501 , lorsqu'il chaque lien un correcteur ou une correctrice
retoucha la règle qu'il avail l'ai e pour ses qu'ils pourront eux-mêmes changer toutes
religieux en 1 493 , il en fit en même temps les fois qu ils le jugeront à propos. Ces cor-
nue pour son Tiers Ordre dont il obtint l'ap- recteurs et correctrices doivent s'appliquer
probalion du pape Alexandre VI, l'année de toul leur pouvoir a assoupir les procès et
suivante 1302. Cette approbation l'ut rënou- les disputes qui peuvent naiire entre les Frè-
velée par le même pape, de l'avis et du con- res < t les Sœurs, et à les remelire par cha-
sentemenldes cardinaux en suilcde quelques rite dans la paix et dans l'union d'une ami-
changements que le saint fila ses règles, et, lié sincère. Ils doivent lous avoir un grand
l'année 1506, elle le fut plus solennellement a our les uns pour les autres et ne po nt
par le pape Jule- II, qui, joignant en emble rougir de s'appeler mutuellement Frères et
1 1 règle des religieux, celle des religieuse- et Sœurs, et comme tels ils don ent -e v siter et
celle du Tiers Ordre, el n'en faisant qu'un se consoler les uns les auties dans leurs af-
corps, les confirma toutes par une même dictions, leurs adversités et leurs maladies.
bulle. Voilà en abrégé la règle que saint François
Cette règle du Tiers Ordre des Minimes de Paule prescrivit aux Frères et aux Sœurs
contient sept chapitres. Elle ordonne aux de son Tiers Ordre. Nous avons dit que la
Frères et aux Sœurs l'observance des coin- marque «le ci;l ordre esl un cordon noué de
mandements de Dieu et de l'Eglise. Ceux qui deux nœuls. Quoique la ressemblance que
sont clercs doivent réciler l'olïice divin selon leurs habits doivent avoir avec ceux «tes reii-
(l) Voy., i. U (in un vol., n0' 247 el248.
1001
MIN
MIN
4002
gieux Minimes ne soit que par rapport à la
couleur et non pas à la forme, il y a néan-
moins des pays ou les Tierciaires de cet or-
dre s'habillent de même que les Frères et les
Sœurs de ce même ordre. Ils font profession
en ces termes :
Je, TV., promets à Dira tout-puissant et à
toute lu cour céleste et à vous, mon révérend
Père N.. d amenât r de plus < n plus mes mœurs
et ma vie et d'observer autant que je le pour-
rai 1rs préceptes salutaires de la règle des fidè-
les de l'un et l'autre sexe, de l'ordre des Mi-
nimes, confirmée par notre saint-père le pope
Jules 11, et d'obéir aux successeurs de saint
François de Poule, les correcteurs généraux
de cet ordre des Minimes, et de suivre les lions
conseils et les instructions de ladite règle , et
de procurer l'honnew et l'utilité dudit ordre.
En foi de quoi fui signé et marqué de ma
main ce présent écrit pour témoignage de ma
profession, en ce couvent des Frères Minimes
de N., etc.
L'an 1530, quelques filles de ce Tiers Ordre
qui vivaient en commun dans la ville de To-
lède en Espagne depuis environ cinq ans,
dans une maison particulière d'où elles ne
sortaient que jour aller à l'Eglise entendre
la messe et recevoir les sacrements, \oulu-
rent changer leur maison en un monastère
et faire des vœux solennels sons la troisième
règle des Minimes. Elles s'adressèrent pour
cela au cardinal Pucci, prolecteur de l'ordre,
qui, approuvant leur dessein, parla au pape
Paul III, qui érigea celte maison de Tierciai-
res en un monastère sous le tiire de Jésus-et-
Marie et l'observance de la troisième règle
des Minimes de Saint-François de Paule, leur
permettant de faire les vœux solennels de
chasteté, pauvreté et obéissance, et leur ac-
cordant tous les privilèges dont jouissaient
les religieux et religieuses du premier et du
second ordre. Ces religieuses, quoique ap-
prouvées parle pape, ne purent jamais obte-
nir le consentement des supérieurs de l'ordre
pour y être reçues sous leur juridiction. Elles
présentèrent d'abord pour ce sujet une re-
quê!e au chapitre général assemblé à Fréjus
en 1547; mais leur demande ne fut p > • i n t ac-
cordée non plus que dans les chapitres gé-
néraux qui se tinrent pneore à Fréjus en
1556, et à Valence en 1561; quoique la reine
d'Espagne, I->a belle de France, s'intéressât
pour elles, lout cela fut inutile. Cette prin-
cesse les faisait subsister par ses aumônes,
mais après sa mort la ville sevoyanl chaigée
de ce soin, demanda au cardinal de Quiroga,
archevêque de Tolède , d'en êlre déchargée.
Ce prélat transféra ces rel gieuse*, de leur
consentement, dans un autre monastère ap-
pelé Nolre-D:me de la Blanche, où elles de-
meurèrenl quelque temps avec l'habit de Mi-
nin es , et firent un si grand progiès dans la
vertu que quelques-unes d'entre elles sont
mortes en odeur de saititeté. Ce sont les seu-
les religieuses Tierciaires qu'il y ait jamais
eu dans cet ordre, qui ayant été abolies à
cause de leur grande pauvreté, n'ont jamais
été rétablies : ainsi le Tiers Ordre des Mini-
mes ne comprend que des personnes sécu-
DlCTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. II.
lières de l'un et l'autre sexe parmi lesquelles
il y a eu le bienheureux (iràce de Valence.
Les Minimes prétendent que Louis XI, Char-
les VIII et Louis XII, rois de France, étaient
de cet ordre aussi bien que saint François
de Sales, évèque de Genève.
Francise. Lanovius , Chronicon générale
Minimorum. Louis Doni d'Atlichi, Hist. Gê-
ner, de l'ordre des Minimes. Lucas de Mon-
toïa-, Chronic Gêner, de la orden de los Mini-
mos. René Thuillier, Traduction des règles,
correctoire et cérémonial des Minimes avec
des remarques historiques. François C-iry,
Préface de la règle du Tiers Ordre des Mini-
mes; et Ballazar d'Avila, Manipulas Mini-
morum.
MINISTRES DES INFIRMES (Clercs Régu-
liers), appelés aussi du bien-mourir, avec
la Vie du vénérable P. Camille de Lellis,
leur fondateur.
Voici un orJre dont la fin, selon l'inten-
tion du fondateur, était de rendre au pro-
chain toutes sortes d'offices de miséricorde ,
tant corporels que spirituels. Les religieux
de cet ordre ont même pendant quelque
temps eu le soin des hôpitaux, donnant aux
malades toute sorte d'assistances en leur
administrant leurs besoins, leur donnant à
manger, faisant leurs lits, les nettoyant et
faisante leur égard les fonctions de servi-
teurs. Mats les ilifférends qu'ils ont eus avec
les administrateurs des hôpitaux dont ils
avaient le soin, et dont le plus souvent ils
voyaient employer les revenus à d'autres
usages qu'aux besoins des malades, leur ont
fait abandonner le soin des hôpitaux pour
s'appliquer uniquement à la visite des ma-
lades, s'obligeant par un quatrième vœu de
leur donner toute sorte d'assistances spi-
rituelles et de les assister à la mort, même
dans le temps de peste, ce qui leur a fait
donner le nom de Ministres des infirmes eu
du bien-mourir , comme on les appelle en
Italie.
Camille de Lells fut l'instituteur de ce
saint ordre. Il naquit à Bucchianico , petit
bourg de la province de l'Abruzze dans le
royaume de Naples et du diocèse de Tbéate,
le -25 mai 15oJ. Son père qui était homme
d'armée négligea l'éducation de son !i s, dont
la naissance avait été en quelque faço.i mi-
raculeuse, pu squesa mère ne l'avait mis au
monde que dans une extrême vieillesse, et
lorsqu'il n'y at ail aucune apparence qu'elle
dût avoir d'enfants, plusieurs années s'était
même écoulées depuis qu'elle avait encore
mia au monde un autre garçon, qui mou-
rut en bas âge. A la \éiite Camille Eut en-
voyé aux écoles, mais tout le progiès qu'il
y lit fut d'apprendre à peine à lireel à écrire,
ne s'appliquaiii qu'à jouer continuellement
aux cartes et aux dés.
A l'âge de dix-huit ans, il suivit la profes-
sion des armes comme son père, qui voulut
lui faire faire sa première campagne au ser-
vice des Vénitiens, qui étaieut en guerre
pour lors avec les Turcs. Comme ils étaient
à Ancône sur le point de s'embarquer pour
32
4003
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1D04
passer à Venise, ils tombèrent tous doux
dangereusement malades, ce qui leur Dt
aband mtier ce dessein; et lorsqu'ils com-
mencèrent à se mieux porter, ils prirent la
résolution de retourner chez eux ; mais à
peine furent - ils arrivés à Saint-Lupidien
proche Lorelte, (que le père de Camille , se
sentant plus mal, ne put passer plus avant et
mourut quelques jours après, ne laissant
pour tout bien à Camille que l'épée et la
cape ( comme l'on dit ordinairement ). Sa
mère était morte aussi quelques années au-
paravant, ce qui augmentait son chagrin, et
pour comble de malheur, il lui vint un ulcè-
re à la jambe gauche, qui fui ci peine guéri,
qu'un auire plus grand et qu'il porta toute
sa vie parut à la jambe droite. 11 continua
néanmoins Son chemin et passa par Fermo,
où il fil quelque séjour à cause d'une petite
fièvre dont il tut travaillé pendant quelques
jours.
Ce fut dans cette ville que Dieu qui voulait
attirer Camille à lui, commença à lui faire
concevoir du dégoût pour le monde. La ren-
contre qu'il (il de quelques rel gieux de l'or-
dre de Saint-François fut ce qui y donna
lieu. Il fut si édifié de leur manière humble,
modeste et retenue, qui n'inspirait que de la
dévotion et de la piété, qu'il résolut d'entrer
dans leur ordre ei de renoncer entièrement
au siècle. Il fut pour ce sujet à Aquila, où un
de ses oncles était gardien du couvent de
Saint-Bonaventure ; il lui communiqua son
dessein et iui demanda l'habit de son ordre;
mais soit à cause de ses incommodités, soit
que ce Père ne lui trouvât pas une vocation
assez forte, il ne voulut pas lui accorder sa
demande ; en effet le temps de sa conversion
n'était pas encore arrivé.
Il demeura quelque temps à Aquila d'où
il alla à Rome, pour se faire guérir de son
ulcère, et ayant appris que dans l'hôpital de
Saint-Jacques des Incurables il y avait d'ha-
biles chirurgiens, il se présenta pour y être
reçu au nombre de ceux qui ont soin des
malades , dans l'espérance qu'en même
temps on aurait soin de sa plaie; mais après
y avoir demeuré quelques mois, il fut mis
dehors par l'économe, à cause de son humeur
querelleuse et de son inclination pour le
jeu, qui était si grande, que, quittant sou-
vent le service des malades , il sortait de
l'hôpital pour aller jouer. Il y resta néan-
moins sur les promesses qu'il (il de se rendre
plus assidu à son devoir ; mais le maître de
l'hôpital lui ayant trouvé des caries sous le
chevet de son lit, il lui renvoyé et on n'eut
plus d'égard aux promisses qu'il fil qu'Use-
rait plus exact à remplir ses devoirs.
Comme la guerre ((ne les Vénitiens avaient
avec les Turcs n'était pas encore terminée ,
et qu'ils faisaient de nouvelles troupes. Ca-
mille s'enrôla à leur service, l'an lob'J. .Mais
celle guerre étant linie et les troupes ayant
été licenciées, il eut le même sort que les
autres soldats qui s'en retournent les mains
vides. Comme c'était en hiver, que le froid
était rude, qu'il était presque nu et qu'il n'a-
vait point d'argent, il se vit réduit dans une
grande misère. Les capucins de la ville de -
Maofrédonia auxquels il demanda la charité,
en ayant eu compassion, lui donnèrent quel-
ques morceaux de drap de la couleur de
leurs h .bits pour le revêtir ; et comme ils
faisaient travailler à la construction de quel-
ques édifices, Camille s'engagea à y servir
de manœuvre, dans l'espérance de gagner
quelque argent pour se mettre un peu à l'a-
bri de- rigueurs de la saison et retourner
ensuite à la guerre au printemps, si l'occa-
sion s'en présentait, sans perdre l'inclination
du jeu, qui était si forte qu'il jaua un jour
jusqu'à sa chemise.
Le séjour que Camille fil chez les capu-
cins fut un e Ile t de la Providence divine qui
voulait le faire rentier en lui-même et l'at-
tirer à son service. L'hiver ne se passa pas
sans qu'il Cl réflexion sur sa vie déréglée, il
enfui vivement tou -hé, et lit vœu d'entrer dans
l'ordre rie Saint-François, pour y faire péni-
tence de ses fautes; il demanda avec tant
d'm -t in ces l'habit aux PP. Capucins qu'ils le
lui accordèrent, et ils le reçurent en qualité de
Frère lai; mais son ulcère s'élint rouveit,on
le renvoya. Comme il avait été guéri de cette
plaie a l'hôpital de Sainl-Jacques des Incura-
ble-; à Rome, il y retourna pour y servr en-
core les malades. Il s'y comporta d'une autre
manière qu'il n'avait fait la première fois ; il
avait entièrement changé de vie, il était de-
venu un autre homme, el il fut pendant le
séjour qu'il fit dans cet hôpital l'exemple de9
auir. s serviteurs.
Après y avoir demeuré quatre mois, et sa
plaie s 'étant refermée, il retourna à .Maiifré-
doiiia pour reprendre l'habit chez les PP.
Capucins qui le lui donnèrent pour la seconde
fois et le renvoyèrent aussi quelque temps
après, voyant que sa plaie s'était encore
rouverte. Camille voyant donc qu'il ne pou-
vait être reçu dans cet ordre, prit la résolu-
tion de se consacrer entièrement au service
des malades. 11 retourna pour cet effet à
Rome, il rentra dans l'Hôpital de Saint-Jac-
ques, el comme il n'y avait pas longtemps
que l'économe en était sorti, et que les ad-
ministrateurs avaient expérimenté quelle
était la vertu de Camille la seconde fois qu'il
était entré, ils lui donnèrent cet emploi.
Le vœu qu'il avait fait d'être de l'ordre de
Saint-François lui (tonnait du scrupule, sou
esprit n'était point en repos; c'est pourquoi
il se présenla pour la troisième fois aux Ca-
pucins afin d'être reçu parmi eux ; m us son
ulcère fut encore un obstacle à sa demande.
Un an après il postula chez les Cordeliers. au
couvent d'Aracœli à R nie, et la même rai-
son ayant aussi empêché sa réception, il ne
songea plus à l'ordre de Saint-François. H
lui vint en pensée de former une congréga-
tion de quelques; personnes séculières qui
s unissent ensemble pour s'employer au ser-
vice des malades. Ce fut l'an 1582 que cinq
personnes se joignirent à lui pour cet effet.
Ils s'assemblaient tous les jours dans un pe-
tit oratoire qu'ils avaient dressé dans un lieu
retiré de cet hôpital, où ils se rendaient tous
les jours pour faire ensemble leurs prières
il
MIN
MIN
1006
et leurs oraisons. Ils ne changèrent point
pour cela leurs habits séculiers ; mais le dé-
niun prévoyant le progrès que celle congré-
gation naissante ferait un jour, el de quelle
uiilité elle serait pour le salut des âmes ,
tâcha de la détruire dans son commencement.
Ceux qui présidaient au gouvernement de cet
hôp lai. n'ayant pas assez examine les inten-
tions de Camille de Lellis, et regardant ce
qu'il aval fait comme une nouveauté, firent
ôîer l'oraoire; mais la nuit suivante Dieu
consola ce saint fondateur, l'ayant exhorté
à persévérer dans son entreprise el lui pro-
mettant de l'aider en tout.
l'amil e ayant été consolé par cette, vision,
résolut de former sa congrégation hors de
l'hôp.lal ; i! prit conseil d'un de ses amis qui
lui dit que tant qu'il serait dans l'état sécu-
lier il n'aurait pas beaucoup de disciples, et
qu'il lui conseillait de se faire prêtre. Il
suivit cet avis, et Camille à l'âge de trente-
deux ans apprit les rudiments de ia langue
latine, et n'eut point de honte à cet à^e
d'aller au collège des Jésuiies pour y faire
ses études el de commencer par la même.
Il y fit tant de progrès qu'en peu de temps
on l'admit à la préirise, une personne de
pie'e qui fut informée des intentions qu'il
avait de fonder une congrégation lui ayant
fait une p'iision de trente-six écus romains
pour lui servir de titre.
Peu de temps après qu'il eut reçu les or-
dres sacrés, les administrateurs de l'hôoilal
de Saint-Jacques lui donnèrent la desserte de
l'église de Notre-Dame des Miracles proche
le Tibre. Camille croyant qu'il pouvait li-
brement en ce lieu donner commencement
à sa congrégation, se démit de son emploi
d'économe de l'hôpital, et au mois de sep-
tembre 1534 , sous le pontifical de Gré-
goire XIII, il prit possession de cette église
et du couvent qui y était contigu, et il ût
prendre ; our lors à ses c mpagno :s l'habit
long, tel que le portent les ecclésiastiques ;
mais ils ne demeurèrent pas longtemps en ce
lieu. Quelques-uns ont écrit qu'ils furent
contraints d'en sortir à cause qu ils n*en
avaient pas obtenu la permission da pape,
et d'autres disant, avec plus de vraisem-
blance, que Camille ne l'abandonna qu'à
cau-e qu'étant tombé ma'ade avec ses com-
pagnons, il cr t que le voisinage du Tibre y
av t pu contribuer. En effet les Religieux
pénitents du Tiers Ordre de Saint-François
de la c mgregal onde Franre appelés Picpus,
qui ont acheté depuis ce couvent, ont expé-
rimente que l'air y est très-mauvais, ce qui
leur a lait aussi quitter ce lieu sans en aban-
donner la propriété, et Camille de Leli; en
étant sorti, loua une maison dan.': le quar-
tier qu'on appelle des Boutii/ue ohseures.
S. congrégation s'augmentant de jour en
jour, il résolut d,- lui donner le litre de Mi-
nistres des Infirmes, au lieu que jusque-là
elle avait été appelée la congrégation du
P. Camille. Le pape Sixte V PapfM auva par
un bref du S i.ars 1586, et leur p rmil de
vivre eu communauté, de faire des vœux
simples de pauvreié, de chasteté el d'obéis-
sance, et nn quatrième d'assisler les ma-
lades à la mort, même au temps de péstc.
11 leur permit aussi d'élire un prêtre entre
eux pour supérieur (|iii ne pourrait exercer
son office que pour Iras ans, et de eh rCner
des aumônes par la ville. Ce fut en vertu de
ce bref que Camille, d'une c unmiine voix
fut élu pour supérieur le vingtième ai rit de'
la même année. Immédiatement après son
élection, ayant pris un compagnon, il fut
dans Rome pour y demander la charité-
mais comme ils n'étaient pas connus, on les
prit pour des vagabonds el ils ne rappor-
tèrent cette première fois qu'un pain et quel-
ques fruits.
Le cardinal de Mondovi, qui avait obtenu
du pape la confirmation de leur congréga-
tion, obtint encore un second bref du 26 juin
de la même année, qui leur permettait de
mettre sur leurs habits une croix tannée
pour les distinguer des aufres cires régu-
liers. Ils n'avaient pa> pour lors d'église ni
d'oratoire pour j pouvoir célébrer la mevse
el ils étaient obligés de sortir tous les jours!
tant les prêtres que ceux qui ne l'étaient pas!
pour aller dire ou entendre la messe aux
Jésuites, où il> avaient choisi leur eonfes
seur. C'est pourquoi ils résolurent de quitter
la maison qu'ils ne tenaient qu'à louage aux
Boutiques obscures, et ils obtinrent à cer-
taines conditions de la société du Gon/alon
l'église de la Madeleine proche la Rotonde,
avec quelques maisons contiguè's, où ils vin-
rent demeurer au nombre de douze ou
quinze. Sur la fin du dernier siècle, ces re-
ligieux ont fait rebâtir cette ég ise de fond en
comble, el elle est une des plus belles de
Rome, étant aussi accompagnée d'un très-
beau monastère qui esl regarde comme le
chef de cet ordre.
Leur nombre s'élant beaucoup augmenté
dans cette nouvelle demeure, Camille fit un
voyagea Naples pour) faire un établissement,
et y mena avec lui douze personnes de sa
congrégation. Le cardinal Palloile, voyant
de quelle utilité elle et ni, offrit à Camille
un autre établissement à Roiogne dont 11
était archevêque. Cam.lle refusa ses oîTres,
s'excusa ni sur le peu de préires qu'il avait,
la plupart de ceux qui composaient sa con-
grégation ne pouvant être promus aux or-
dres sacrés faute de titres patrimoniaux;
mais ce prélat lui répondit qu'on y pouvait
remédier en érigeant sa congregati m en
ordre religieux. Il en contera avec le car-
dinal de Mondovi qui en. était :e protecteur,
et tous deus en p fièrent au pipe Gré-
goire XIII, qui rt h v ya cette affaire a h
congrégation des nies. Ce pontife étant mort
s r ces enlr. faites, celte c agrégation ne lut
érigée en ordre religieux que par le pape
Grégoire XIV, par un bref d • l'an 15'Ji, qu'il
signa quelques heures avant que de n.ourir.
Le brei approuvait aussi leur manière de
vivr qui avait été dressée par Cainill ■ de
Lellis, et dont un des principaux arliclesétait
que leur pauvreté devait être semblable
celle des ordres mendiants qui ne possèdei
aucun fonds ni revenu, et vont de piitfte
1007
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1008
porte recevoir les aumônes des fidèles; que
l'on élirait un général dont l'office serait
perpétuel, et qu'il aurait quatre consulteurs
dont l'office serait aussi perpéluel : qu'aus-
sitôt qu'il y aurait un général, ils feraient
entre ses mains les vœux solennels de pau-
vreté, de chasteté, d'obéissance, et un qua-
trième d'assister les malades à la mort, qui
est le propre de cet institut ; que le nombre
des Frères laïques serait plus grand que
celui des prêtres : qu'ils demeureraient jour
et nuit dans les hôpitaux pour avoir soin des
malades et qu'ils n'en exigeraient aucune ré-
tribution, mais qu'ils recevraient seulement
ce que les administrateurs des hôpitaux vou-
draient leur donner; qu'afin d'être plus as-
sidus aux hôpitaux, ils seraient exempts
d'aller aux processions et d'assister aux au-
tres fonctions publiques où les religieux se-
raient appelés, et qu'il y aurait une maison
particulière destinée pour élever les novices.
Le pape les exempta par le même bref de la
juridiction des ordinaires, les soumit immé-
diatement au sainl-siége, et les fil partici-
pants des privilèges qui avaient été accordés
aux oidres de Saint-Benoît et îles Mendiants,
à ceux de la compagnie de Jésus, des Cha-
noines et des clercs réguliers, leur défendant
api es leur profession solennelle de passer
dans un autre ordre, excepté dans celui des
Chartreux. Innocent IX ayant succédé à
Grégoire XIV, confirma cette congrégation,
et commit l'archevêque d'E|idaure, Paul
Alberi, pour recevoir la profession de Ca-
mille, qui, ayant prononcé ses va;ux entre
les mains de ce prélat, prit sa place et reçut
celles de ses confrères le 8 décembre de la
même année.
Après celte profession solennelle, Camille
s'employa au service des malades avec plus
de zèle et de ferveur; et le feu de sa charité
s'alluma davantage, étant obligé de faire par
vœu ce qu'il ne faisait auparavant que par
charité. Clément VIII ayant succédé à Inno-
cent IX, Camille appn henda qu'il ne fût pas
favorable à sa congrégation , à cause qu'il
s'é ait opposé, n'étant que cardinal, à ce
qu'i s fissent des vœux solennels, l'our sonder
quelles étaient les dispositions de ce pontife,
il le supplia de vouloir confirmer de nou-
veau sa congrégation et les privilèges qui lui
.avaient été accordés par ses prédécesseurs.
(Mais il trouva le pape dans d'autres senti-
ments qu'il n'avait cru; non-seulement il
Confirma la congrégation des Ministres des
Infirmes au mois de mais 1392 et les privi-
lèges que ses prédécesseurs lui avaient ac-
cordés, mais il lui en donna encore de nou-
veaux.
Après que Camille de Lellis eut obtenu
cette confirmation, il retourna à Naples pour
y recevoir la profession de ceux qui y de-
meuraient, et il alla à son lour en pèlerinage
à Lorelte pour rendre grâces à la sainte
Vierge de la protection qu'elle avait donnée
à sa congrégation, et des faveurs qu'il en
avait reçues en son particulier. Etant de re-
tour à Rome, il était en peine de trouver les
moyens pour acquitter les dettes que leur
maison avait contractées el qui se montaient
à plus de neuf mille écus romains. Ce qui lui
laisail de la peine était de v<>ir que la société
du Gonfalon , à qui apparlenait la plus
grande partie des maisons qui étaient conti-
guës à l'église de la Madeleine, et dont ils
avaient fait leur demeure, ne se voyant point
payée des loyers qui lui étaient dus, avait
l'ait saisir ce qu'ils pouvaient avoir, princi-
palement une maison qu'un de leurs bienfai-
teurs leur avait achetée pour agrandir leur
demeure. Dieu y pourvut peu de temps
après; car le cardinal d ■ Mondovi étant mort
au mois de décembre 1592, il leur laissa tous
ses biens, les ayant faits ses légataires uni-
versels. Ce cardinal avait ordonné par son
testament qu'il serait enterré sans aucune
pompe: mais les religieux qui étaient obligés
de faire les frais funéraires, voulurent té-
moigner leur reconnaissance envers leur
bienfaiteur, et ils obtinrent percussion du
pape de lui faire dis obsèques dignes du
rang qu'il avait occupé dans l'Eglise.
La congrégation s'augmenta ensuite par
deux établissements qui se firent à Milan et
à Gênes l'an 1094. Ce fut à Milan que Camille
de Leilis, qui avait un désir ardent de se
dévouer eniièremeutau service des malades,
voulut se charger du soin de tout l'hôpital
et y remplir avec ses religieux tous les em-t
piois des serviteurs el autres personnes qui
étaient établies pour le service des malades;
mais il y trouva de la contradiction dans
quelques-uns de ses religieux qui ne pouvaient
approuver ce changement, comme contraire
à leur premier institut, qui ne les engageait
qu'à ia visite des malades et à les assister
spirituellement tant de jour que de nuit.
Cette contestation dura quelques années jus-
qu'en l'an 1600, qu'elle fui terminée par
Clément VIII, comme nous dirons ci-après.
Ce pontife ayant envoyé des troupes en Hon-
grie l'an 1595, pour le recouvrement de Stri-
gonie dont les Turcs s'étaient emparés, or-
donna à Camille de Lellis de donner huit de
ses religieux pour servir d'aumôniers dans
celte armée.
Camille, nonobstant l'opposition de sa con-
grégation, se chargea de l'hôpital de Milan,
et avait dessein de faire la même chose dans
les autres villes. On assembla, l'an 1598, un
chapitre général à Rome pour élire quatre
conseilleurs auxquels on donna le so:n de
dresser les constitutions qui devaient servir
à l'avenir de règlements à la congrégation.
Camille (il ce qu'il put pour y persuader à
ses religieux d'accepter le soin des hôpitaux,
mais il ne put rien gagner sur leurs esprits,
et le pape même lui imposa silence là-dessus,
lui ordonnant de vive voix de ne rien inno-
ver. Cette même année ce saint fondateur ne
put résister au cardinal l'alolte qui lui de-
mandait des religieux pour faire un établis-
sement à Bologne, et il lui eu envoya l'an
1597.
L'an 1599, le second chapitre général se
tint aussi à Rome. Le fondateur proposa de
nouveau que l'on reçût la manière d'assisler
les malades qu'il avait établie à Milan; il y
1009
MIN
MIN
4010
trouva de nouvelles difficultés, mais se con-
flant que Dieu approuvait son dessein, il
ne se rebuta point, et après avoir patienté
pendant cinq ans, les consulleurs lui accor-
dèrent enfin sa demande, on dressa de non-
veaux règlements par lesquels il était permis
de prendr.e le soin des hôpitaux: le pape
Clément VIII les approuva l'an 1600.
Il y eut celte année une autre fondation
à Mantoue,et suivant le pouvoir que les re-
ligieux en avaient reçu du pape, ils prirent
le soin de l'hôpital «Je Ferr'are l'an 1G03. Au
commencement de l'année suivante, ils se
chargèrent des hôpitaux de l'Annonciade des
Incurables et de Saint-Jacques des Espa-
gnols d;ins la ville de Naples ; mais ayant
quitté depuis cet emploi, ils ont fait dans la
même ville trois établissements considéra-
bles. Il se fit encore la même année plusieurs
autres fondations, et le pape Paul V étant
monté sur la chaire de saint Pierre au mois
de mai 1605, il divisa celte congrégation en
cinq provinces, savoir, de Rome, de Milan,
de Naples, de Bologne et de Sicile. Camille
de Lellis voyant sa congrégation établie so-
lidement, se démit de sa supériorité dans un
chapitre général qu'il convoqua à Rome au
mois d'octobre 1607, et le P. Biaise Opperti
fut élu en sa place en qualité de vicaire gé-
néral et ensuite de général dans le chapitre
qui se tint l'année suivante. En 16|3, on
tint le quatrième chapitre général où le P.
Antoine de Nigrellis prit le gouvernement de
cet ordre.
Camille de Lellis se voyant ainsi délivré
de tout embarras prit de nouvelles forces
pour marcher dans la voie de perfection. Il
disait dans ce renouvellement de vie qu'il
ne lui restait plus que de pleurer le temps
qu'il avait passé sans faire aucun profit, et
qu'il fallait qu'il se remplît de bonnes œu-
vres, afin d'être toujours prêt lorsque Dieu
l'appellerait de te monde. Eu eflVi il employa
les années qui lui restaient de vie à l'orai-
son, à la contemplation, aux exercices de
charité et de moriification, et mourut à Rome
plein de bonnes œuvres le 14 juillet 1614.
Son corps fut mis dans trois cercueils enfer-
més l'un dans l'autre, -deux de bois et l'autre
de plomb, et fit enterré dans l'église du tno-
nas ère de la Madeleine qui est la pv mière
maison de cet ordre.
A la mort du P. Camille de Lellis, sa con-
grégation était composée de seize maisons
en Italie et de quelques autres en différents
pays qui étaient divisés en cinq provinces,
comme nous avons dit ci-dessus. Il y avait
envi: on trois cents religieux, et il en était
mnrt plus de deux cenl vingt à cause des
malad es qu'ils avaient contractées dans les
hôpitaux. Urbain VIII, l'an 1637, sur ce qu'il
y eu avait dans la congrégation qui préten-
daient que le chapitre général devait se tenir
tous les trois ans, et que les autres au con-
traire soutenaient qu'il ne devait se tenir que
tous les six ans, jugea en faveur de ces der-
niers, ordonnant qu'il se tiendrait tous les
sixans. InnocentXréduisil lescinq province»
à deux, savoir, à la province de Naples, qui
devait aussi comprendre la Sicile; et la pro-
vince de Rome, qui devait renfermer toutes
les autres provinces ; mais l'an 1655 Alexan-
dre VII changea encore cet ordre, et divisa
leurs monastères en quatre provinces. Ces
Clercs Réguliers sont habillés comme les ec-
clésiastiques, et portent, pour se distinguer,
une grande croix tannée sur le côté gauche
de leur soutane et de leur manteau (1), et
dans la maison les Frères lais , qui en-
traient aussi autrefois dans les charges, por-
tent le bonnet carré comme les prêtres et les
clercs. Ces Frères lais prétendaient même
avoir le pas au-dessus des clercs; mais le
pape Alexandre Vil, par un bief de l'an 1662,
ordonna que, tant dans les fonctions publi-
ques que dans les particulières, les clercs
auraient toujours la préséance.
Outre les quatre vœux solennels, ils font
encore quatre vœux simples, le premier de
ne rien changer ni consentir que l'on change
rien dans la manière qu'ils gardent louchant
le service qu'ils rendent aux malades, à
moins que ce ne soit pour un plus grand
bien ; le second, de ne point consentir qu'ils
puissent jamais rien avoir appartenant aux
hôpitaux; le troisième, de ne se procurer au-
cune dignité hors ta religion, et de n'en ac-
cepter aucune sans dispense du pape ; le
quatrième, d'avertir les supérieurs s'ils sa-
vent que quelqu'un se procure ces dignités.
Us font deux ans île noviciat, ils ne sont
point obligés à réciter les heures canoniales
au chœur, à cause de leur occupation, ni
d'assister aux processions. Ils font une heure
d'oraison le jour, et ils ne jeûnent que les
vendredis de l'année, outre les jeûnes pres-
crits par l'Eglise. Le général et les quatre
consulleurs ou assistants élisent les provin-
ciaux, les préfets, les visiteurs et autres of-
ficiers. Le général et les consulleurs sont
élus dans un chapitre général qui se tient,
comme nous avons dit, lous les six ans. Ils
ont des maisons de profession, des noviciats
et des infirmeries. Les maisons de noviciat
et les infirmeries peuvent posséder des ren-
tes, ce qui n'est pas permis aux maisons
professes, qui ne peuvent avoir qu'une mai-
son de campagne, afin que les religieux puis-
sent y aller prendre l'air et se récréer. 11 y
a dans cet ordre des prêtres, des Frères
convers et des oblats ; les deux premiers
sont obligés par vœux solennels, les oblats
font seulement des vœux simples, et sont
employés aux offices de la maison.
Cet ordre a passé d'Italie en Espagne, où
ces religieux ont quelques maisons. 11 y a
quelques villes en Italie où ils en ont plu-
sieurs, comme Rome où ils en ont deux ,
Naples où ils en ont trois, etc. Ils ont aussi
eu plusieurs personnes parmi eux qui se
sont distinguées par leur sainteté et par
leurs écrits. Le P. Jean-Baptiste Novati, qui
a été général de cet ordre, a donné plusieurs
ouvrages de piété au public. Le P. François
(!• Voy., à la lin du vol., u" -249.
11)11
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
ICI
del Giudice, qui fut élu général en 1699, a
encore élendu celle congrégation par plu-
sieurs établissements qu'il lui a procurés :
elle porte pour armes d'azur à une croix
tannée <<aus un ovale rayonné d'or, l'écu
timbré d'une couronne.
Pet. Halloix, Vit. Cumilli de Lellis. La
même par le P. Jean Baplisle Rossi. Çosme
Lenzo, Annal. Rilig. Cleric. Regul. Ministr.
infirjn. Memnrie Isloriclie, de J. Chierici Re-
golari Ministri de gli infirmi. Ascag. Tam-
bur. de Jur. Abbal., disp, 24, <|ikpsI. ï, n. 87.
Bull. Rom. Phjlipp. Bonanni, Cotalog. Ord.
Reltg- cl Mémoires envoyée de Rome.
Le pape Benoît XI. béatifia Camille de
Lellis en 1742, et le canonisa en 1746. C 's
religieux avaient autrefois à Home les mai-
sons de Saint ^Marie-Madeleine, Sainte-Ma-
rie in Trevi, Sainl-.lean délia Malva. Ils ont
actuellement pour préfet général le R. P.
Antoine Scalabriui, cl pour procureur gé-
néral le P. Louis Rogn . Les prétendus Frè-
res et Sœurs de Saint-Camille, qu'on i ssa\ a
d'établir en Fr ne sous la restauration,
n'ont jamais été canoniquemenl institués,
et leurs maisons n'ont point eu l'approba-
tion ecclésiastique et sont tombées. Leur
fondateur était un homme marié, qui se fit
ordonner à Home par supercherie, el mourut
en Fiance dans une maison d'aliénés. R-d-e.
MIRAMIONES (Des filles de SaINTE-Ge-
NEVIEVE , COMMUNÉMENT APPELÉES Li:S ),
avec la Vie de madame de Miramion, leur
fondatrice.
Quoique la communauté des Filles de
Sainte-Geneviève à Paris ail été fondée dès
l'an 1636 par mademoiselle Blosset, néan-
moins l'union qui a élé faite de relie com-
munauté avec une autre qui fut fondée par
madame de Miramion, les grands biens qu:;
celte dame lui a procurés, et les règlements
qu'elle lui a prescrits, lui ont. fait donner
avec justice le titre de fondatrice des Filles
de Saiiile-Geiieviève. Elle naquil à Paris le
2 novembre 1629, et reçut le nom de Mare
sur les fonts de bai terne Elit' eut pour père
Jacques Bonne u, seigneur de Riihcllc, il
pour mère Marie d'Yvi i. Dès l'âge de neuf
ans qu'elle perdit sa mère, elle jugea du mal-
heur qu'il y a d'être séparé île Dieu éter-
nellement, par l'affliction qu'elle eut d'être
séparée de celle qu'elle aimait le plus ici-ba--.
C'est pourquoi, «fin de s'assurer la posses-
sion de ce bien infini, toute jeune qu'elle
était, elle fuyait les plaisirs et les divertisse-
ments autant qu'il lui était possible, per-
suadée qu'ils étaient très-préjudiciables à
l'âme.
A l'âge de douze ans elle prenait soin des
malades de la maison ; cl, un jour des Rois,
un palefrenier se mourant au moment que
tout étail en joie, elle se déroba pour aller le
voir expirer ; ce qui fil une telle impression
sur son espril el sur ses sens, qu'étant re-
tournée dans l'assemblée, elle se dispensa
de danser à un bal, sous prétexte qu'elle ne
se portait pas bien ; ce qui paraissait vérita-
blemenl sur son visage qui était tout changé
par les réflexions que ce Iriste spectacle lui
faisait faire, réflexions qui, suivies du cha-
grin qu'elle eut de la mort de son père qui
arriva pendant un voyage qu'elle fit aux
eaux de Forges avec une de ses tantes, ache-
vèrent de la déterminer à prendre le parti
de la pic é cl de la dévotion , dont elle com-
menta dès lors à faire ses principales occu-
pations.
Elle épousa en 1645 Jean-Jacques de Beau-
harnais, seigneur de Miramion, conseiller
au parlement de Paris, qui, touché des pieux
exemples de sa femme, voulut les imiter et
mourut dans celle heureuse disposition à
l'âge de vingt-sept ans, la laissant grosse de
quatre mois et demi, â}>ée seulement de seize
ans. Liant malade à l'extrémité dans ses
couches, elle fit un veau à la saiire Vierge,
afin que son enfant reçût le baptême; et elle
accoucha heureusement d'une lil e, qui fut
dans la suite mariée à M. de Nesmond, Maî-
tre des requêtes, et qui depuis a été prési-
dent à Mortier. La seconde année de son veu-
vage, on lui fil des propositions de mariage
auxquelles eJe ne voulut point entendre,
ce qui irrita si fort la passion de celui qui la
recherchait, que peu de temps après il la fit
enlever lorsqu'elle allait faire ses dévotions
au mont Valérien, avec m dame de Mira-
mion, sa belle-mère. Dès qu'elle se vit entre
les mains des ravisseurs, elle demanda à Dieu
de lui conserver tout son jugement, de lui
donner du courage el des f >rces pour se dé-
fendre, et surtout de lui faire la nrâce de ne
lepointoffenser. Eile fui plusdequaranlc heu-
re s sans manger, c'est-à-dire, depuis son en-
lèvement jusqu'à ce qu'elle fût arrivée à
Launoy, à trois lieues de Sens, au château
de M. de Fîussi-Rabulin, auteur de l'enlève-
ment, à qui on avait persuadé qu'el e écou-
lerait les propositions de mariage qu'il lui
ferait lorsqu'elle serait en son pouvoir :
mais voyant sa fermeté, et craignant les sui-
tes de son entreprise, il cessa de la sollicite;
et la rend t maîtresse de son sort et de sa li-
berté. On fit des poursuites contre M. de
Bussi, mais elle lui pardonna chrétienne-
ment, à la prière de M. le Piince, à condi-
tion qu'il ne se présenterait jamais devant
elle.
Au retour de cet enlèvement, elle fut ma-
lade à la mort, et reçut l'exlrême-onclion
avec lous les sentiments de piété que l'on
pouvait attendre d'une âme qui se disposait
à aller jouir de la présence de Jésus-Christ,
qu'i lie avail choisi pour son épouv : mais la
Providence qui voulait s'en servir pour le
bien spirituel et temporel du procha n, lui
ayant renvoyé la santé, elle songea plus que
jamais à servir Dieu. Un jour de l'iipipha-
nie, demandant à Dieu ce qu'elle pouvait lui
offrir, à l'exemple des rois qui eurent le
bonheur de l'adorer dans la crèche, elle se
sentit tout émue el crut entendre une voix
qui lui disait : C est ion cœur que je veux, el
qu'il soit à moi sans parlai/e; ce qui eut pour
elle tant d'attraits et du charmes, qu'elle rea-
ta en méditation quatre heures, pendant
lesquelles elle goûtait do si grandes consola-
1013
MIK
MIR
10U
lions, que son âme en était pénétrée d'une
joie toute sainte et salutaire. Elle fit à l'âge
de dix-neuf ans une relraite chez les Sœurs
de la Charité, pendant laquelle elle conçut le
dessein de se f.ire Carmélite, mais son con-
fesseur l'en ayant empêchée à cause de sa
fille qui avait tes» u de ses soins, elle se
contenta de faire vœu de chasteté dans une
autre retraite qu elle lit peu de temps après
celle dont nous vouons de arler.
Sa charité pour le prochain était si grande,
qta'elle nourrissait une vingtaine de petites
filles orphelines dans une maison proche
Sainl-Nicolas-des-Champs, et leur fournis-
sait des mailles es pour leur apprendre à
sernr Dieu et à travailler. Elle assistait sou-
vi ut les malades île l'Hôlel-Diru. afin de se
mortifier étant naturellement délicate. Son
directeur l'engagea à une retraite d'un an,
pour vaquer un quemei t à sa perfection ,
sans s'adonner aux œuvres de piété à d
d'i proch in. do:. ton ne lui péri -il l'exercice
qu'à la fin de l'année. On la lit trésorière des
pauvres de la pa oisse rie Saint-Nicolas-
des-Champs; et comme c'était d
des guerres civiles, et que le nombre 'les pau-
vres était fort grand dans Paris, son zèle
trouva de quoi s'exercer, leui faisant distri-
buer plus de d*ux mille r jour,
sans parier des autres charités secrètes
qu'elle faisait aux pauvres honteux avec
tant de générosité, que la misère augmentant
et ses revenus n'y pouvant pas suffire, elle
vendit son collier de perles vingt-quatre mille
livres, et un an après sa vaisselle d'argent,
dont le p? oduil lui servit à l'aire des missions,
à établir des écoles pour la jeunesse, et à des
charités pour les pauvres malad s de la cam-
pagne, dont elle voulut prendre elle-même
le soin, apprenant pour cet effet à saigner,
à médicamenler les plaies, et à co
des o guents et autres choses néce
dont elle a ail un cabinet bien garni, pour
tous ceux qui avaient recours à sa charité.
Après qu'elle eut marie madeuio selle de
Miramion à .M. de Nesmond, elle crui ne de-
voir p us songer qu'à sa propre | e; ci n;
c'est pourquoi elle rechercha avec empres-
sement tout ce qui pouvait y roc.
Elle retira chez elle eu 1630 vingt huit reli-
gieuses des Iro lier s de Picardie, dont les
couvents avaient été ruines par les guerres :
elle les nourrit à ses dépens penda t plus
de six mois, et ne cessa celte héroïque cha-
rité qu'après avoir trouvé moyen de les pla-
cer dans d'autres maisons, ou de les ren-
voyer chez elles lorsqu'elles purent y retour-
ner sans aucun danger.
Nous avons dé à rapporté à l'art. Laziris-
r; s de quelle manière elle contribua à l'éta-
ient des missions è rangères pour la
conversion des infidèles, niai' sa charité n'eu
demeura pas là, car les dé-ordres de la
guerr et la minorité du roi ayant occasionné
et fait triompher le vice, cette généreuse
servante de .îésus-Christ travailla a en dii i-
imer le progrès, en faisant enfermer d us
ia communauté des Filles de Sainte-Pélagie,
qui subsiste encore aujourd'hui, quelques
filles des plus scandaleuses, dans l'espérance
que les autres, intimidées, se contiendraient
davantage, et même pourraient changer
de vie.
Ce fut par :.n effet de celle môme charité
que, pour exécuter le projet qu'elle avait fait
depuis longlei ips l'établir une maison de
filles qui tiendraient des petites écoles à la
campagne, panseraient les blessés et assiste-
raient les mal ides, elle alla demeurer en
1GG1 dans ia rue Saint-Antoine, où avecquel-
qu ■■ ii les qu'elle trouva disposées à se sa-
crifier pour le prochain, elle vécu! en com-
munauté sous la protection et le titre de la
Sainte-Famille, et dans l'observance de quel-
ques règlements que M. de Festel, son direc-
teur, leur avait faits quelque temps avant sa
mort; ce qui dura jusqu'à ce que , étant al-
lée demeurer dans la paroisse de Saint-Ni-
colas du Chardonnet , Dieu, qui par ses
inspirations était l'auteur de ce pieux desr
sein, lui donna Ii s moyens de le perfection-
ner, ce qui arriva d • la manière suivante.
Dès l'an 1036 , une communauté de l'il'es
sous le litre de Sainte Geneviève avait été
établie par Mlle Blosset, comme nous l'avons
déjà ili'.Ces tilles s'occupaient an travail ,
récitaient le petit offi e d : la Vierge en com-
mun, fréquentaient les sacrements et étaient
assidues aux < filces divins de la paroisse
de Saint-Nicolas du Chardonnel , dans la-
quelle elles dénie1 raient. Elles visitaient les
malades, s'exerçaient dans la pratique de
toutes les vertus, et lâchaient d'inspirer le
même esprit aux autres personnes de leur
sexe, autant par les instructions charitables
qu'elles leur donnaient , que par leur bon
exemple. Pour ce sujet elles prenaient des
pensionnaires, tenaient les petites écoles,
faisaient des conférences entre elles et étaient
dans le dessein de recevoir aux exercices
spirituels celles qui désireraient seretirerchea
e.les lorsqu'elles auraient assez e logement
pour cela, comme aussi d'aider les pauvres
gens de la campagne, eu y .illanl enseigner
et établir des maitresses d'école. Elles avaient
pr s si inte Geneviève pour leur patronne, à
cause qu'elles demeuraient au pied de la
montagne sur laquelle reposent les sacrées
reliques de cette sainte bergère, et elles étaient
et bli s en corps de communauté séculière
sous l'autorité de l'archevêque de Paris et
par lettres patentes du roi. La conformité
qu'il y avait enlre cette communauté et celle
de la Sainte-Famille établie par madame de
Miramion porta cette sainte femme à vou-
loir unir sa communauté avec celle de sainte
Geneviève ; ei Dieu ayant inspiré à plusieurs
des filles de celle dernière communauté un
grand dé-ir de s'unir aussi à madame de Mi-
ramion et à ses filles , elles n •> purent s'em-
pêcher de lui en faire la proposition et à M.
Féret , supérieur des deux communautés ,
qui fit plusieurs assemblées pour conférer
sur l'utilité de celte union et sur les moyens
de la faire réussir; après plusieurs prières et
lionnes œuvres que l'on fil pour obtenir de
Dieu des lumières et la déclaration de sa vo-
lonté, elle fut enfin conclue le li août, veille
1015
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1016
de l'Assomption de la sainte Vierge, en pré-
sence et da consentement de M. Féret. Le
contrat fut fait avec l'agrément de l'arche-
vêque <îe Paris , Hardouin de Péréfixe , le
14 septembre 1GG5 , et cet institut fut ap-
prouvé et confirmé en 1668 p;ir le cardinal
de Vendôme, légal a latere en France.
Ces deux communautés ayant été ainsi
réunies, madame deMiramion donna soixante
mille livres pour fonder plusieurs places, et
M. Féret travailla à lies constitutions qui,
outre qu'elles renfermaient les règlements
de l'une et de l'autre de ces communautés
(excepté quelques-uns dans l'exécution des-
quels l'expérience avait fait connaître beau-
coup de difficulté), étaient remplies de sain-
tes pratiques capables d'entretenir le bon
ordre dans la maison et le bon exemple au
dehors. Ces constitutions furent approuvées
par \I. de Harl ;y de Chanvalon, archevêque
de P.-ris, au mois de février 1G74; on les
présenta ensuite au roi, qui, par de nou-
velles lettres patentes qui furent enregis-
trées au parlement la même année, autorisa
l'union qui avait été faite de ces deux com-
mu: .Mités, et les changements qui avaient
été faits aux premiers règlements. Madame
de Miramion, qui avait été élue supérieure
et qui encourageait les filles de Sainte-Gene-
viève par son exemple à la pratique exacte
de leurs règles, leur iit acheter, l'an 1670, la
maiso où elles sont présentemenl, sur le
quai de la Tournelie, et leur donna encore
dix mille livres. Jusque-là elle avait fait
toute la dépense de la maison; mais voyant
qu'- les filles, par leur économie et par la
réception de relies qui avaient < mbrassé
l'institut, étaient en état de subsister par
elles-mêmes, elle ne leur donna plus que
quinze cents livres par an pour sa pension,
qu'elle leur a toujours payée jusqu'à sa
mort, vivant comme les autres sœurs et ne
voulant point de distinction , quoique sa
santé fût fort faible et sujette à de grandes
infirmités; et elle leur déclara qu'elle voulait
exécuter les constitutions en se démettant
de la supériorité perpétuelle. Mais ces fi les,
persuadées qu'elle leur était encore néces-
saire, eurent recours à M. Féret, leur supé-
rieur, et enfin à l'archevêque de Paris, qui
lui ordonna de n'abandonner la supériorité
qu'avec I; vie.
La réputation de ces filles ayant passé
dans les provinces, une communauté éta lie
depuis longtemps à Amiens députa, l'an 1670,
deux filles à madame de Miramion pour lui
dema der ses conseils. Elle les retira chez
elle pendant un mois et les renvoya char-
mées de ce qu'elles avaient vu. Il en revint
d'autres qui lui demandèrent l'union de leur
communauté avec celle de ses filles, leur ha-
bit et leurs constitutions, ce qui étant appuyé
de la recommandation de M. l'évêque d'A-
miens et <le M. Chauvelin, intendant de Pi-
cardie, elles obtinrent ce qu'elles souhai-
taient; l'union fut faite dans les formes, et
madame de Miramion alla à Amiens, où elle
laissa dux illes de sa communauté, qui fi-
rent faire le noviciat, et reçurent à l'institut
celles qui avaient demandé l'union. Une au-
tre communauté établie à la Fetté-sous-
Jouare ayant aussi demandé en 1695 l'union
avec les filles de Sainte-Geneviève, madame
de Miramion les fil toutes venir à Paris l'une
après l'autre pour les instruire, et alla en-
suite à la Ferlé-sous-Joua e les établir en
présence de l'évêque de Meaux, M. Hénigne
Bossue) , qui prêcha sur ce sujet avec beau-
coup d'éloquence.
Les troupes qui passèrent ou séjournèrent
à Melun l'an 1073 y ayant causé des maladies
contagieuses, personne n'osait soulager les
mal, des qui y mouraient au nombre de plus
de cent par jour, ei la plupart dans les rues
abandonnes de t'Ut le monde et privés de
tout secours humain. Madame de Miramion
en fut si touchée qu'elle y alla elle-même ac-
compagnée de chirurgiens et des sœurs de la
Charilé , ranima par son exemple ceux qui,
par leur condition, devaient assister les ma-
lades, engagea les magistrats de donner un
lieu pour faire un hôpital dans lequel elle fit
porter les meubles de sa lerre de Rubelle qui
n'était pas éloignée de celte ville, y établit
des sœurs de la Charité, et y fil transporter
les malades qu'elle pansait elle-même, les
exhortant à souffrir patiemment leurs maux
et'à recevoir la mort avec soumission aux
ordres de la divine providence, qu'elle les
forçait en quelque façon d'adorer par les
charitables soins qu'elle avait d'eux et par
les secours qu'ils recevaient de ses libérali-
tés. L'hôpital général n'en ressentit pas
moins les effets dans quelques années de di-
sette, aussi bien que les pauvres pour les-
quels elle ranima son zèle dans le lemps de
la famine dont la France fut affligée en 169Ï-.
Car sans parler de ceux auxquels elle don-
nait l'aumône, elle s'appliqua avec une cha-
rité héroïque à soulager ceux qui étaient
malades à l'Hôiel-Dieu, dont le nombre se
montant à six mille avait obligé les religieu-
ses de cet hôpital à en mettre plusieurs dans
un même lit; attaqués de dillérenles mala-
dies qu'ils se communiquaient, ils étaient
dans un état si déplorable, que celle sainte
femme, pénétrée de compassion pour eus,
conseilla aux administrateurs de cette mai-
son des pauvres d'ouvrir l'hôpital Saint-
Louis ; ce qui ayant été approuvé, et le soin
lui ayant été donné de préparer lout ce qui
était nécessaire pour les y recevoir, on y en
transporta uni1 partie , qui , en laissant pus
de place à ceux qui restaient à l'Hôiel-Dieu,
s'en trouvèrent eux-mêmes beaucoup soula-
gés et moins en danger de perdre la vie,
comme l'expérience le fit connaître, par le
grand nombre de ceux qui en réchappaient.
Elle n'oubliait pas pour cela les pauvres
honteux de sa parois- e, et faisait faire chez
elle île deux jours l'un du potage pour eux,
employant utilement les charités du roi, dont
Sa Majesté l'avait chargée après la morl de
mademoiselle de Lamoignon qui avait eu
aussi le même emploi. L'année suivante ,
l'hôpital général ne pouvant soutenir ses dé-
penses, les directeurs voulurent renvoyer la
plus grande partie des pauvres, mais madame
1017
Mm
M Ut
1018
de Miramion trouva des ressources pour
l'empêcher aussi bien que pour maintenir
l'hôpital des enfants trouvés, qui était fort
embarrassé de pourvoir à la subsistance de
ces pauvres innocents.
Sa maison avait toujours été ouverte aux
personnes de son sexe qui s'y présentaient
pour s'y retirer à dessein d'y faire chacune
en particulier les exerrices spirituels, mais
ayant entendu parler du fruit que faisaient
en Bretagne les Maisons de retraite ( Voy.
cet article), et qui s'établissaient aussi pour
les hommes au noviciat des Jésuites de Pi-
ris, elle entreprit d'exercer la même < harité
pour les femmes ; elle en obtint l'agrément
du roi, quoique ce prince l'eu refusé quel-
ques années auparavant à des personnes de
piété qui avaient eu le même de-sein. Sa Ma-
jesté voulut même j contribuer en lui en-
voyant six mille livres. L'archevêque de Pa-
ris approuva aussi ce dessein, nomma des
confesseurs pour les relrailes, et voulut qu'à
l'avenir la maison de madame de Miramion
fût honorée de la présence perpétuelle du
saint sacrement, et qu'on l'exposât tous les
soirs pendant le salai, tant que dureraient
les retraites. Comme pour ces exercices pu-
blies il fallait agrandir la maison, on en
acheta une voisine qui coûta soixante-quinze
mille livres, dont madame de Miramion en
donna quinze, madame de Guise six, ma-
dame Voisin et madame Duhoussel autant,
et plusieurs personnes inconnues envoyè-
rent aussi des sommes considéiables. La
maison lu; réparée et divisée en cinquante
chambres ou cellules séparées. On y Gt un
réfectoire, une salle d'exercices et autres
lieux réguliers, et cela avec tant de propreté,
queces réparations montèrentencoreàplusde
vingt mille livres. Deuxanss'écoulèreutavant
que cette maison se trouvât prêle. Madame de
Miramion en régla le spirituel et le temporel,
et ordonna que les retraites des dames dure-
ra eut sept jours pendant lesquels elles cou-
cheraient toutes dans la maison où l'on po r-
rait en loger cinquante, et que le- retraites
des pauvres ou des lemmes et des filles de
médiocre condition ne dureraient que cinq
jours; qu'on en pourrait recevoir jusqu'à
six-vingts chaque fois, mais qu'on ne retien-
drait à coucher que celles qui viennent de la
campagne; qu'à l'égard de celles de Paris,
elles retournei aient tous les soirs chez elles
et reviendraient les matins, et qu'on les nour-
rirait toutes.
i Madame de Miramion paya toute seule les
premières retraites des pauvres, et quelques
personnes de piété y contribuèrent dans la
suite. Il n'y a emore qu'une des quatre qui
se font par an qui soit fondée, mais en atten-
dant qu'elles le soient, le roi y pourvoit par
ses libéralités. Le- PP. Jésuites et les prêtres
du séminaire des Missions Etrangères font à
l'alternative les retraites des dames deux
fois 1 année, et celles des pauvres quatre fois.
Le profond respect que madame de Miramion
eni toujours pour les j. relies lui fit f rmer
le dessein de travailler à rétablissement de
diverses maisons ecclésiastiques : l'une pour
renfermer ceux qui ne seraient pas réglés,
une autre pour ceux qui sont obligés de ve-
nir à Paris solliciter des affaires, et une troi-
sième pour servir de retraite à ceux que l'âge
et le travail ont mis hors d'état de servir l'E-
glise. Mais le teoips et les moyens lui ayant
manqué, M. le cardinal de Noailles, archevê-
que de Paris, y suppléa en établissant la
communauté de Saint-François de Sales, qui
pour cet effet jouit du prieuré de Saint-De-
i.i- de la Charte à Paris.
Enfin madame de Miramion, épuisée de
forces et succombant pour ainsi dire sous le
p >ids de ses mortifications, tomba malade le
19 mars 1G96. Ses vomissements continuels
l'empêchèrent d'abord de recevoir le saint
viatique, mais en ayant été délivrée par une
grâce spéciale de celui qu'elle avait aimé et
servi avec (ant de fidélité, elle le reçut enfin
et mourut le 2i mars, ayant ordonné par son
testament qu'on l'enterrerait comme une
simple fille de Sainte-Geneviève. Six pauvres
portèrent son corps à la paroisse, où il fut
enterré dans le cimetière, et son cœur fut mis
dans la chapelle de sa communauté, où tou-
tes les bonnes œuvres que l'on y faisait de
son vivant ont été depuis continuées et même
augmentées par le zèle et la ferveur de ses
filles, qui, faisant leur possible pour imit-r
son amour pour Dieu et sa charité pour le
prochain, se sont toujours conservé jusqu'à
présent l'estime de tout le monde et la bonfie
odeur de Jésus-Christ par la fidélité avec la-
quell (lies s'acquittent de toutes leurs obli-
gations et pratiques de piété, et par la charité
qu'elles exercent envers le prochain, ensei-
gnant à lire, écrire et travailler aux petites
filles, qu'elles élèvent en même temps à la
connaissance des mystères de notre sainte
religion et aux pratiques d'une véritable
h recevant dans leurs maisons les
maîtresses d école qui désirent éprouver
leur vocation et se former à cet emploi, en
allant en campagne, lorsque les évêques et
les curés le demandent pour établir et dres-
ser des maîtresses, en fusant da as leurs mai-
sons pour l'instruction des personnes de 1 ur
sexe une lecture ou conférence familière sur
les choses nécessaires au salut, sur les ver-
tus et sur les obligations de- leur état pour
passer la vie saintement, en admettant chez
elles celles qui désirent faire les exercices
spirituels, en assistant spiiiluellemenl et
corporellement les pauvres malades et les
blessés des paroisses où elles sont établies,
qu'elles saignent et pansent, et auxquels
el es fournissent , autant qu'elles en ont le
moyen , les onguents et autres remèdes
qu'elles jugent nécessaires pour leur gué-
rison.
Les sœurs ne sont reçues à la commu-
nauté qu'à vingi ans accomplis et après deux
ans d'épreuve. Elles ne font point de vœux,
mais soit que la prétendante apporte quel-
que chose en fonds ou en argent ou une
rent ■ viagère, soit qu'elle n'apporte rien, on
passe un contrat entre elle et la supérieure
avec ses conseillères, par le |uel il est porté
que, outre les autres ciauses dont on est
10t!>
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
convenu, la prétendante ayant lu et bien
entendu 1rs constitutions, elle s'y soumet et
s'oblige de les observer, et que la commu-
nauté s'oblige à la nourrir et entretenir, lant
en santé qu'en maladie, pendant tout le
temps qu'elle sera du même corps* et d'ob-
server réciproquement les constitutions ci son
égard, et po ir lors, au jour marqué, les sœurs
assemblées dans leur oratoire, lesupé ieur y
étant, la prétendante lui detuahded'éti <• eçue
au corps de communauté pour y vivre suivant
les constitutions. Le supérieur demande' si
elle a les voix de la communauté, et !•! su-
périenre l'en ayant assuré, itdé lare à haute
voix qu'elle est reçu'-. Tel est leur engage-
ment et la cérémonie de leur réception.
Ces filles disent lo ^s les jours en commun
le petit office de la Vierge et font une heure
d'or ai on mentale, demi-heure le matin et
demi-heure après compiles. Tous les ans
elles fonl une retraite de huit ou dix jours
au temps que la supérieure juge le plus com-
mode. Elle peut aussi accorder à quelques-
unes des sœurs un jour de retrait"
mois. Une 'ois I : semai e elles ion enl s'assem-
bler pour s'accuser de vanl la supérieui i ■
trois ou quatre fautes principales el exté-
rieures qu'elles pourraient avoir commises,
spécialement contre les constitutions. Leurs
habits, linge et ameublements sont en com-
mun. Leur habit de des us et la seconde
ji»pe sont d'étoffe de laine noire, et la jupe
de dessous de laine grise ou noire, le linge
de dessus simple et uni, celui de dessous de
toile commune forle et de durée. Tout le
reste doit être simple et d'un prix médio-
cre (1). Elles doivent avoir la gorge et les
bras si modestement couverts qu'on ne les
puisse voir. Leurs cheveux ne doivent point
être abattus, et elles gardent en tout l'uni-
formité. Les sœurs domestiques ou servant s
sont habillées de gris S'il y a quelques filles
ou veuves qui, ne pouvant pas s'assujettir à
tous les règlements de la communauté, ou
pour être trop faibles de corps ou pour quel-
que autre raison, souhaitent néanmoins de-
meurer dans la maison et s'unir à la co u-
munauté pour servir Dieu plus parfaitement
et aider à plusieurs bonnes œuvres que les
sœurs pratiquent à l'égard du prochain, elles
les peuvent recevoir en qualité d'associées.
Ces associées i.e sont obligées qu'à une an-
née d'épreuve, elles n'ont point de voix ac-
tive et passive, e: ne peuvent êlre mises dans
les charges qui sont électives.
L'abbé de Ghoisy, Vie de madame de Mi-
ramion, el les constitutions des filles de
Sainte-Geneviève. Il y avait dans la maison
des Miramiones cinquante cellules destinées
aux personnes du sexe qui désira:
quelques jours dans la retraite et iu péniten-
ce. Celte maison n'a point été rétablie, comme
le dit M. de Saint-Victor dans la 2" édition
de son Tableau historique et pittoresque de
Paris. Les religieuses de la Miséricorde ,
dont nous allons parler à l'article suivant,
l'ont tenue à loyer pendant quelques années.
(1) Voy., à la fin du v.d., n° 250.
1020
Les bâtiments sont aujourd'hui une pharma-
cie centrale. B — d— e.
MISÉRICORDE (Des rei.kîieuses de Notre
Dam: dé), avec 1rs Vies du vénérable Père
Antoine Yvan, leur fondateur, et de lu vé-
nérable Mère Marie-Madeleine de la Tri-
nité, aussi fondatrice et première reltgiïtn'i
de cet ordre.
Le P. Antoine Yvan, inslituteur de l'ordre
d s religieuses de Noire-Dame de Miséri-
corde, naquit à Rians, bourg de Provence,
du diocèse d'Aix, le 10 novembre 1570. Ses
père et mère ayant été mieux pourvus d "S
bénédictions de la grâce que des biens de la
fortune, son ortaient leur indigence avec
une granle résignation, mangeant leur pa n
à la sueur de leur visage, et ne vivant que
du travail de leurs mains. Antoine n'.iv it
que trois ans lorsque son | ère mourut, el le
Seigni ur témoigna dès iors qu'il l'avait pris
sous sa protection, le préservant de la ma-
ladie contagieuse qui av i t enlevé son père,
quoique sans aucune précaution il eût cou-
ché avec lui pendant tout e temps :e sa ma-
ladie, il ne contracta rien de la bassesse de
son extra: lion. Dès son enfance il ne fit pas
moins paraître d'inclination pour la vertu,
que d'aversion pour le vice. Prévenu des
bénédictions île la grâce, il luisait i éjà con-
naître ce qu'il serait un jour : o:i remar-
quait en lui un airde piété qui le faisait dis-
des autres, et un grand amour p-'ur
l'austérité de la vie, les pénitences du corps
el pour tout ce qui donne aux autres enfants
de l'horreur pour la religion.
On ne saurait exprimer les soins qu'il pri
el les divers moyens dont il se servit dès
l'àg i d • six à sept ans pour se port r de lui
même à l'élude. N'ayant pu être reçu dans
les écoles à cause qu'il n'avait pas de quo
payer ies maîtres, il allait trouver les éco-
liers dans leurs maisons el les priait d'un»
manière louchante de lui montrera lire; e
parce que l'enlrée des maisons lui élaii enron
souvent n fusée, à cause qu'il était mal vêtu
u arrê ,.it les mêmes écoliers dans les ruet
lorsqu'ils sortaient de l'ero e ou qu'ils y al
laient, et par le moyen de quelques fruits
que sa m re lui donnait pour son dîner e
dont il se privait, il les engageait à lui don-
ner quelque leçon. De cette manière il coin
mença à apprendre a lire; mais ayant été
reçu au nombre des entants de chœur dans
la paroisse du lieu de sa naissance, cet em-
ploi lui donna occasion d'augmenter sa piété,
et lui servit de motif pour se portera l'élude
avec plus de ferveur; car, s'acquillant de ses
fonctions avec :i mod siie el une e.xacli-
lu veilleuses, il travaillait san- re-
lâche a appn a !re à lire, avec d'autant plus
d'application qu il était aide par quelques
préires de la paroisse.
Après qu'il se fut appliqué pendant quel-
ques années aux fonctions ecclésiastiques en
qualité d'enfant de chœur, la divine Provi-
dence lui donna les moyens d'apprendre les
1021
MIS
MIS
I02b
pratiques des vertus religieuses, le faisant
recevoir au service des PP. Minimes du cou-
vent de Pourrières, éloigné de deux lieues
du bourg de Hians. On reconnut dans co
couvent qu'il était naturellement porté à
graver et à peindre, et sans aucun maître il
apprit de lui-même ces deux arts. Il se ca-
chait souvent pour s'y exercer, et y em-
ployait le temps qu'il pouvait dérober à ses
autres occupations. Mais il lit m eux paraî-
tre les aiiraits île son âme à la sol de pieté,
commençant dès lors à fréquenter lès sacre-
ments. 11 s'adonna à l'oraison mentale, qui
fut depuis l'exercice le plus ordinaire de sa
vie. Il se perfectionna dans la lecture et dans
l'écriture, et ces Pères lui donnèrent même
des commencements de la langue latine.
Dans ce temps-là la Provence ayant élé af-
fligée d'une grande famine, les persofmi -. s
plus riches furent contraintes de re voyer
fèurs domestiqués, et les PP. Minimes, ré-
duits à celle ex'rémité, renvoyèrent aussi
Antoine. Yvan, quoiqu'il leur fût très-utile
et qu'ils eussent beaucoup d'affection pour
lui. Il -e trouva dans une désolation extrê-
me, ne sachant à qui avoir recours pour
pouvoir subsister et continuer ses études,
car il n'avait ni parents ni amis qui pussent
l'assister, et sa mère qui était la seule per-
sonne à laquelle il eût pu recourir, avait
elle-même beaucoup de peine à gagner sa
vie.
Dépourvu de toutes les commodités de la
vie et abandonné de toutes les créatures, il
se relira dans un bois, où pendant dix ou
douze jours il ne vécut que d'herbes et de
racines, et il était expo-é tant de jour que
de nuit aux injures de l'air : mais eniin crai-
gnant de mourir de faim ou d'èUe- dévoré
par quelque bêle sauvage, il résolut de quit-
ter le bois et d'aller dans des lieux où il pût
trouver quelque retraite [dus favorable, et
comme il ne voulait être à charge à per->
sonne, ayant anras-é du bois, il en lit un fa-
got qu'.l mit sur ses épaules dans le dessein
de le vendre et d'employer l'argent à ache-
ter du pain. Enfin il descenditde la montagne,
tout exténué par la faim et les autres incom-
modités qu'il avail souffertes, il se trouva
même si faible, que, ne pouvant porter son
bui-, il eui de la peine à ronlin >er son che-
min. Pour lors, les larmes aux yeux, il se
p'ai.'nit amoureusement à Dieu de son ex-
trême m sère, le priant de ne le point aban-
donner. Il entendit en même temps une voix
dans e bois, qui lui dil qu'il ne s'attristât
pas, que Hieu aurait soin de lui. L'impres-
sion que celle voix fit dans son cœur lui ser-
vit comme de nourriture : il prit de nou-
velles forces, et ne doutant point |uc Dit n
n'en lui l'auteur, il se confia entièrement à
sa divine providence.
Il al:a dans la ville de Perluis, où pendant
quelques jours il gagna sa vie en faisant des
images qu'il vendait aux écoliers « l aidant le
clerc de la paroisse à sonner les cloches et
à faire les autres fonctions de son emploi ;
mais il ne larda pas d'éprouver ce que celte
voix qu'il avait entendue daus le bois lui
avait dit, car on lui donna la conduite de
quelques jeunes gentilshommes pour leurap-
prehdre à lire. Il eut le moyen dans celle
ville de fréquenter quelques peintres et il se
perfectionna dans la peinture. Il s'occupait à
l'étude avec tant d'application et de zèle ,
que , ses autres emplois ne lui permettant
pas d'y vaquer pendant le jour, il y passait
souvent les nuits entières. Outre la fréquen-
tation des sacrements, il récitait chaque jour
le petit office de la Vierge. 11 prenait souvent
la discipline , jeûnait lous les merci' dis , les
vendredis el les samedis, et continuait exac-
tement la pratique de ses oraisons mentales
qu'il avail commencée dans le couvent des
Minimes de Pourrières.
Comme l'on n'enseignait que le commen-
cement de la grammaire à Perluis , c'esl ce
qui l'obligea d'aller à Arles pour y appren-
dre la philosophie ; mais n'ayant as pu trou-
ver de quoi subsister, il fut contraint d'en
sortir pour venir à Avignon ou il s'adressa
au P. César de lîtts, fondateur de ia congré-
gation des PP. delà Doctrine ch étienne, qui
connaissant sa piété , le reçut au nombre de
ses disciple; qui vivaient pour lors sans au-
cune obligation de vœu, comme nous .avons
dit ailleurs. Mais il n'y resta pas longtemps,
parce qu'ayant été trouvé propre pour les
services domestiques , on ne lui permettait
pas d'aller au collège pour y étudier. Il en
s< rlit donc avec la permission du P. César de
Bus et vint a Carpenlras, où ii entra chez un
particulier en qualité de précepteur de sou
lils, sans aucun autre salaire que la nour-
riture. Il était si mal vêtu et ses habits étaient
si déchirés, qu'il n'osait presque sortir de sa
chambre ni aller au collège ; mais le père de
son écolier fut si content de la bonne édu-
cation qu'il lui donnait, qu'il le fil babiller et
le pourvut de linge el de toutes les autres
choses qui lui étaient nécessaires.
De Carpenlras il alla à Lon où il subsista
quelque temps enseignant à écrire ; mais ii
n'y resta pas longtemps , car outre que sou
occupation ne lui donnait pas assez de loisir
pour étudier , l'amour de la pureté qu'il ché-
rissait plus que loules les scienci s, le fit sor-
tir bien ôl de celle ville. Il s'y était loge sans
y penser dans une maison qui n'était pas en
bonne réputation. D'abord il ne s'en aperçut
pas, parce que, s'appliquanl sans relâche à
des choses sérieuses et bien contraires au
vice, il ne prenait pas garde à ce que l'on
faisait dans cette maison ; mais enfin il en
fui averti et il reconnut lui-même par quel-
ques réllexions qu'il fit , qu'en diverses ren-
contres on avait dresse des pièces à sa pu-
reté et qu'il y était en danger de la perdre.
Il résolul d'en sortir à l'heure même, el crai-
gnant de courir le même danger uans une
ville qu'il ne connaissait pas, il sorlit de
Lyon pour retourner en Provence.
Dieu enfin récompensa les peines du P.
Yvan, le faisant admettre à la dignité du sa-
cerdoce, comme il l'avait désiré dès les pie
mières anuées de sa vie, ce qui arriva l'an
1636 , daiiï le trentième de son âge. 11 avait
reçu les quatre mineurs , le sous-diaconai et
\ 23
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1024
le diaconat de différents évêques et il fut ad-
mis à la prêtrise par l'évêque de Senez. Dès
qu'il fui prêtre , il retourna à Rians dans le
dessein d'assister et de consoler sa mère, qui
dans les infirmités de son âge étant privée
des biens de la fortune souffrait de grandes
incommodités. Il prit soin des écoles de Rians,
afin d'être plus en élat de fournir à sa mère
les choses dont elle avait besoin , partageant
le resle en deux paris, dont l'une était pour
les pauvres et l'autre pour ses pressantes né-
cessités. Ses vertus étaient trop éclatantes
<3 pour demeurer longtemps cachées dans les
' classes, ce qui fit qu'il ne tarda pas à avoir
des emplois con ormes à son zèle. Ses supé-
rieurs lui i onnèrent la cure de la Verdirc
qu'il fut obligé de quitter peu de temps après
pour prendre celle de Couligtiac, et il s'ac-
quitta de cette charge avec la sainteté , le
zèle et la vigilance d'un bon pasteur.
Quoiqu'il fût très-circonspect dans tontes
ses actions et qu'il eût toujours de grandes
appréhensions d'être trompé , il succomba
néanmoins à une tentation de vaine gloire et
d'amour-propre que lui suggéra le démon au
sujet de ses prédications. 11 s'était contenté
de parler au peuple avec la simplicité du
cœur , et ses discours pleins de zèle et d'a-
mour pour Dieu lui avaient attiré une appro-
bation générale, ayant toujours eu un grand
nombre d'auditeurs à ses sermons. Il se
trouva néanmoins des personnes qui lui per-
suadèrentde s'appliquer à la composition de
ses sermons avec plus d'étude , d'y observer
les règles de la rhétorique et de ne pas né-
gliger la politesse du langage, lui persuadant
que p.-ir ce moyen il serait plus estimé, qu'il
pourrait subsister plus honorablement et ob-
tenir plus aisément quelque bon bénéfice qui
lui donnerait de quoi fournir à ses aumônes.
Il se laissa al er à leur avis : il se relâcha
dans ses exercices de charité et de dévotion,
parce que donnant trop de temps à l'étude de
1 . prédication , il n'en avait pas assez pour
les autres pratiques qui regatdaient sa per-
fection et la conduite de sa paroisse. Mais il
découvrit hieniôt le piège que lui avait ten-
du l'ennemi du genre humain, et pour lépa-
rer la faute qu'il avait faite d'avoir donné en-
trée en son cœur à la vaine gloire et à l'am-
bition, il se démit de sa cure et se relira dans
un ermitage où il demeura pendant neuf ou
dix ans, pratiquant les austérités des anciens
anachorète;. Il ne mangeait que des légu-
mes , drs racines , des herbes et des fruits ,
et jamais ni chair, ni poisson, pas même des
œufs ni du laitage; encore ne mangeait-il
qu'une fois le jour après les quatre heures
du soir. 11 faisait ordinairement quatre ca-
rêmes l'année , pendant lesquels il ne man-
geait que de deux en deux jours et quelque-
fois plus rarement. Enfin , les viandes ex-
traordinaires dont il se servait les dimanches,
et les fêtes solennelles n'étaient que le pain,
le vin, l'huile el le sel.
Lorsqu'il était curé de Coulignac, on l'ac-
cusa d'être sorcier et magicien, on fil la mê-
me chose lorsque dans sa solitude on lui vit
pratiquer des austérités qui semblaient sur-
passer les forces humaines. Mais les gens de
bien eurent toujours beaucoup d'estime pour
sa vertu. Le curé de Rrignoles, qui était per-
suadé du grand talent qu'il avait pour la
conduite des âmes , voulut l'avoir pour vi-
caire, et l'en pria avec tant d'instance, qu'il
y consentit: mais ce ne fut qu'à condition
qu'il continuerait le genre de vie qu'il menait
dans son ermitage , à l'exception des austé-
rilés qui étaient incompatibles avec sa pro-
fession. Le curé de Rrignoles fui si édifié de
sa conduite qu'il lui résigna son bénélice ;
mais comme il fut contesté au P. Yvan , il
aima mieux l'abandonner que de soutenir un
procès. Il prit ensuite la direction de la cha-
pelle de Notre-Dame de Beauvezet à Aix, et
il eut le soin de la confrérie de la Miséri-
corde. Ses pénitences et ses mortifications
lui ayant causé une grande maladie, il les
retrancha pour obéir à son prélat; mais il
redoubla ses soins el ses travaux envers le
prochain, el, la pesle ayant infecté la ville
d'Aix, il s'exposa au péril de la mort pour
le service du peuple. La maladie ayant cessé
el toutes choses se rétablissant dans leur pre-
mier état , l'église de la Madeleine , qui est
une paroisse de la ville, se trouva sans
pasteur et sans prêtre, la maladie ayant été
si violenle qu'elle avait enlevé la plus grande
partie des paroissiens el les quatre vicaires
que le chapitre de la cathédrale, qui en est
curé primitif, y avait établis : c'est pourquoi
il jeta les yeux sur le P. Yvan pour en rem-
plir la première place ; mais ayant été en-
core obligé de quitter cet emploi , il prit la
résolution de se retirer chez les PP. de l'O-
ratoire , où Dieu l'appelait pour un temps ,
afin de commencer son grand ouvrage de l'é-
tablissement de l'ordre de Notre Dame de
Miséricorde. Il n'y avait pas longtemps qu'il
était chez ces PP. , lorsque Dieu lui envoya
la première fille de cet ordre. Celle fille se
sentant appelée à une haute perfection de-
mandait depuis longtemps un confesseur fi-
dèle qui fût selon le cœur de Dieu et qui l'ai-
dât à accomplir sa volonté. D'un autre côté,
il y avait longtemps que le P. Yvan désirait
voir celte fille que Dieu lui avait fait con-
naître dans ses oraisons.
Elle se nommait .Madeleine Martin et naquit
à Aix en Provence l'an 1012. Jusqu'à cequ'elle
connût le P. Yvan , toute sa vie n'avaii été
qu'une mortification continuelle ; car étant
encore enfant, son plus grand plaisir était de
se faire attacher à une croix par ses com-
pagnes qu'elle défiait de se mortifier de la
manière qu'elle le ferait, et courait nu-pieds
sur des eh i dons qui lui mettaient les pieds
el les jambes tout en sang. Ses jeûnes el ses
oraisons étaient presque continuels , el elle
passait presque touies les nuits à prier Dieu.
Elle eut quelque amitié pour un jeune hom-
me qui la recherchait eu mariage avec em-
pressement, mais comme Dieu l'avait desti-
née pour être la mère d'un grand nombre de
vierges que son Fiis avait choisies pour être
ses épouses , un jour qu'elle priait avec fer-
veur dans la chapelle de Sainle-Marlhe à
Tarascon , il lui donna un si grand mépris
1025
MIS
MIS
1026
du monde, que celte sainte fille n'eut plus à
l'avenir aucune aiïeclion pour les créatures.
Elle persuada aussi le mépris du monde à ce-
lui qui la recherchait en mariage, et lui fit
sur ce sujet un discours si plein d'onclion ,
que le jeune homme prit 1 i résolution d'em-
brasser la vie religieuse et entra dans l'or-
dre de Saint-François. Celte sainte fille ne
doutant point que Dieu ne l'appelât à une
haute perfection , comme nous avons dit ,
chercha un confesseur zélé, et s'élant adres-
sée au P. Yvan , sans le connaître , elle fut
fort surprise lorsqu'il l'appela par son nom
et qu'il lui découvrit ce qu'elle avait dans
son intérieur, jusqu'à la moindre de ses pen-
sées et de ses affections. Elle connut par là
que c'était le confesseur que Dieu lui avait
destiné, et dès lors ces deux personnes furent
étroitement unies par le lien de la grâce et
de la charité.
Le P. Yvan prit un soin particulier de la
conduite de Madeleine Martin, et il n'oublia
ni peine ni travail pour la préparer à l'ac-
complissement ties desseins de la divine pro-
vidence. Quelques mois se passèrent pendant
lesquels il continua à exercer sa pénitente
dans toute? les pratiques de la vie spirituelle.
Madeleine étant tombée malade, tout le temps
de sa maladie ne fut presque qu'un conti-
nuel recueillement où Dieu l'attira pour l'in-
struire pleinement du dessein qu'il avait que
l'on fondât l'ordre de Notre-Dame de Misé-
ricorde, et des moyens qu'elle devait employer
avec le P. Yvan pour l'établir. Enfin le temps
arriva que le P. Yvan s'élant trouvé dans
une assemblée où l'on délibérait sur les
moyens d'établir une congrégation de filles
conforme à celle que Dieu lui avait inspirée,
et ce bon prêtre ayant dit qu'il y ai ail long-
temps qu'il avait conçu ce dessein et que
Dieu l'avait inspiré à quelques filles qu'il
dirigeait, chacun eu particulier l'encouragea
à travailler à cet établissement, et peu de
jours après il acheta une m ison pour y as-
sembler les premières filles de cette congré-
gation.
Ce fui donc vers l'an 1633, que la Mère
Madeleine Martin aiec une compagne entra
dans cette maison. Elles furent <n peu de
temps suivies de sept ou huit autres fi. les.
On ne saurait croire les austérités qu'elles
pratiquèrent dans ce commencement ; 'e
jeûne, le cilice, la retraite, l'oraison, le tra-
vail et les autres exercices que l'on pratique
dans les religions les plus reformées, étaient
continuels dans celle congrégation naissante.
Les vertus éminenles e,ue le P. Yvan voyait
pratiquer à ses filles lui faisaient espérer
que Dieu bénirait son entreprise et la ferait
heureusement réussir à sa gloire. 11 avait
sujet de s'en réjouir, mais peu de temps
après, sa joie fut changée en tristesse : touie
la ville d'Aix se souleva contre sa congréga-
tion, ce fut un murmure universel. On atta-
qua la réputation des filles, on ne parlait
d'elles qu'avec mépris, on les outn.gea même.
Les parents de ces filles venaient tous les
jouts 'es trouver pour leur faire quitter leur
vpcalio-i, ous prétexte qu'elles étaient la
fable de toute la ville. Elles ne furent pas
seulement atlaquées en leur honneur, elles
souffrirent aussi beaucoup d'incommodités,
en ce que la persécution fut cause que les
manquèrent de ce qui était nécessaire à la
vie. Les filles n'osaient s'adresser à leurs
parents, à cause qu'elle* étaient dans la con-
grégation contre leur volonté. Une grande
disette dans la ville d'Aix survint pour lors,
qui fui un nouveau surcroît de peine dus
leur indigence, tout ce qui était né essaire à
la vie étant hors de prix, et ne recevant au-
cun secours, parce que la calomnie faisait
qu'elles étaient abandonnées de tout le
monde.
Comme la Sœur Madeleine Martin était
reconnue pour la fondatrice e! la pierre fon-
damentale de celte société, c'était elle que
l'on attaquait plus particulièrement. Les uns
l'appelaient folle, n'auires une vagabonde,
ceux-ci une ambitieuse, ceux-là une possé-
dée, les enfants lui je aient des pierres quand
cile allait par la ville. On la chargeait d'in-
jures quand on la rencontrait dans les hôpi-
taux, on s'en prenait même à sa mère, en
lui disant qu'elle devait l'en retirer et ne lui
pas permettre de voir le P. Yvan ni de lui
parler. Enfin on la sollicita si fortement de
détourner sa fi le du dessein qu'elle témoi-
gnait avoir, et que tout le monde taxait de
folie et d'extravagance, qu'elle alla dans
celte maison dans le dessein l'en retirer sa
fille et de l'emmener ;,vec elle dans sa mai-
son, et par ce moyen de détruire la congré-
gation, puisque s"a fille en était le principal
appui. Mais, ô merveille surprenante! Dieu
donna au contraire des forces à la Sœur Ma-
deleine pour retenir sa mère avec elle. Dieu,
parlant par sa bouche, loucha si vivement
le cœur de cette femme, qu'elle prit la ré-
solution de rester dans la congrégation, où
elle apporta tout le bien qui lui restait, et
elle fui depuis appelée dans l'or re Marie de
la Charité, à cause de la charité qu'elle
avait exercée toute sa vie.
L'une des plus grandes peines du fonda-
teur fut de n'avoir pu obtenir la permission
de célébrer la messe dans la petite chapelle
que ses filles avaient préparée dans leur mai-
son, ce qui leur causait beaucoup d'incom-
modités; car elles ne pouvaient pas vivre en-
lièrement séparées du commerce du monde
el garder une espèie de clôture, étant con-
traintes de sortir lotis les jours pour a 1er
entendre la messe. Un an et demi s'était déjà
éi ule depuis l'établissement de cette con-
grégation qui s'était fait du consentement
du cardinal Alphonse-Louis de itichelieu,
archevêque d'Aix, qui s'était déclaré le pro-
tecteur du P. Yvan, mais ce | rélat ayant été
transféré à l'archevêché de Lyon, son suc-
cesseur Louis de Bretel ne fut pas d'abord si
favorable à notre fondateur, el se rendit
très-difficile à lui accorder les permissions
nécessaires pour l'affermissement de sa con-
grégation. Le P. Yvan lui ayant demandé
permission de célébrer la sainte messe dans
la chapelle de cette maison, et ce prélat ayant
été obligé de s'absenter pour les affaires de
*n$7
DICTIONNAIRE DES OlibRES RELIGIEUX.
son diocèse, remit la requête du P. Y» an
entre les mains de son grand vicaire, qui
ayant enfin accordé celte permission vint
bénir la chapelle le jour de- saint Thomas
apôtre, de l'an 1 634-, et y célébra le premier
la messe. L'archevêque à son retour vint
faire la visite de celle maison, et fut si édifié
de la conduite que l'on l nail dans la con-
grégation, qu'il l'approuva et ratifia les per-
missions que son grand viraire avait don-
nées; il en accorda même de nouvelles,
offrant sa protection au P. Yvan et à ses
filles. Quelque temps après, comme on cher-
chait dans la ville d'Ais des personnes d'une
solide vertu et d'une piété éprouvée pour
leur commettre le soin et la conduite des
filles Pénitentes que l'on avait nouvellement
renfermées dans une maison particulière,
l'archevêque d'Aix , à la sollicitation de
quelqii<S personnes qui ne pouvaient souf-
frir la congrégation du P. Yvan, fit la pro-
position aux Biles de la Miséricorde d'ac-
cep'er cet emploi, el sur le refus qu'elles en
firent à cause qu'il était contraire a l'esprit
de leur institut, toute la ville se souleva de
nouveau cojiire elles, et l'archevêque vou-
lait être obéi; mais par l'entremise d l'ar-
chevêque d'Arles el de l'évéqu- de Fréjus,
la persécution cessa, el l'archevêque d'Aix
permit mix filles i e la Mis.érico de i e vivre
dans la pratique <le leurs exercices ordinai-
res. Ce prélal les attaqua néanmoins de nou-
veau, il voulut savoir si elles avaient dessein
de rester dans l'étal séculier, ou si elles vou-
laient s'engager par des vœux solennels et
faire un no;.vel ordre :_ comme il eul appris
la résolution où «Iles élaieut de se faire reli-
gieuses, il les voulut obliger à faire choix
d'un ordre déjà appr uvé. Il ôta au P. Yvan
la conduite de ces filles, quelques Pères de la
compagnie de Jésus en furent chargés el en
rendirent un si bon témoignage à l'archevê-
que, que ce prélal leur rendit son estime et
son affection,
Le P. Yvan, pendant ce temps-là, voyant
que ses Filles étaient mal logées, acheta une
place pour y bâtir un monastère, et, pendant
que l'on travail il à l'édifice matériel, les
PP. Jésuites, qui avaient été chargés de la
conduite de ces filles, s'employaient à l'a-
vancement de l'édifice spirituel. La confiance
que ces tilles eurent en eux les encouragea,
par l'avis du P. Yvan, a leur déclarer le des-
sein principal de leur congrégation qu'elles
n'avaient encore osé découvrir aux supé-
rieurs, qu1 était que, si Dieu leur faisait la
grâce d'être religieuses, elles s'obligeraient
par vœu de recevoir dans leur ordre les
pauvres demoiselles et les attires filles d'une
condition honnête, avec la dot qu'elles au-
raient, si grande ou si petite qu'elle pût ê re,
pourvu qu'elles connussent qu'elles fussent
bien appelées. Ces Pères approuvèrent leur
résolution, quoiqu'ils prévissent bien les
obstacles et les dilfiiultès qu'il faillirai!
vaincre. En effet, lorsqu'ils l'eurent proposé
à l'archevêque de la part de ces filles, leurs
adversaires aigrissant de plus en plus l'es-
prit de ce prélat contre elles, l'empêchèrent
ut-: 8
ta
de consentir qu'elles fissent ce vœu. 11 j r
deux évèques de voir le P. Yvan et ses fi les,
pour les dissuader de le f ire. Mais ces pré-
lats, après avo.r écouté leurs raisons, en fu-
rent si louches, qu'au lieu de presser le P.
Yvan et les filles de sa congrégation, de ne
plus songer à ce vœu et de changer de sen-
timent, ils changèrent eux-mêmes de senti-
ment, is devinrent les protecteurs de la
congrégation, et agirent depuis si puissam-
ment sur l'esprit de l'arche* êque d'Aix ,
qu'encore bien qu'ils ne pussent pas lui per-
suader d'approuver le vmu donl il était ques-
tion, ils lui persuadèrent au moins de lasser
notre fondateur et ses tilles dans la pratique
de leurs exercices ordinaires, et de leur per-
mettre la continuation de leur entreprise,
jusqu'à ce que le temps eût mieux fait con-
naître la volonté du Seigneur
Cependant, le monastère étant achevé, les
filles de celle congrégation y entrèrent le
jour de la sainte Vierge de l'an 1638, y ayant
été conduites par les princ pales dames de la
vide. 11 ne restait plus au P. Yvan, pour l'ar-
co npiisst ment de son dessein, que d'obtenir
des supérieurs le pouvoir de lier ses fil es
par des vœux solennels et de changer leur
congrégation séculière en un institut régu-
lier. C était ce qui était le plus difficile et ce
qui demandait de pins grands soins, car l'ar-
chevêque s'elait assez déclaré qu'il ne souf-
frirait aurun nouvel ordre religieux dans
son diocèse. Elles passèrent un an dans leur
nouveau monastère en habit séculier, mais
menant une vie retirée el autant régulière
que les religieuses les plus réformées de
l'Eglise; et, lorsqu'elles s'y attendaient le
moins, elles obtinrent du vice-légat d'Avi-
one bulle par laquelle il leur donnait
pouvoir de clto sir une règle approuvée, de
foire les vœux de religion et de dresser des
cou'-i lotions.
L'archevêque d'Aix fut fortement sollicité
par les a; is de celte congrégation de rece-
voir cette huile; nais il ne voulut point en
entendre parler, et protesta qu'il ne permet-
trait j noais l'établissement de ce nouvel or-
dte. Cependant le comte d'Âlais, gouverneur
de Provence, btinl du oi des lelires paten-
tes du 13 novembre 1639, qui permettaient/
d'ériger cette communauté en mais n reli- '
gieuse. L'archevêque d'Aix, nonobstant ces
lettres patente», ne voula t point donner son
consentement pour cet établissement. Quel-
ques mois se passèrent e curé, et enfin il se
laissa lléchir et reçut la bulle. Il donna l'ha-
bit de religion aux six premières filles de la
congrégation; la sœur Madeleine Martin le
reçut la première, el changeant son nom, on
lui donna celui de Ma: ie-Madeleiue <Je la
Trinité. La cérémonie de celte prise d'habit
se lit la seconde fêle de la Penlecô e de l'an
1639 ; quelques mois après , l'archevêque
donna encore l'habit de novice à six autres
filles, et l'année suivante elles firent profes-
sion. Les constitutions furent dressées par le
P. Yvan et approuvées par l'archevêque
d'Aix, après que les difficultés touchant le
quatrième vœu eureni été levées. Le fonda-
1029
MIS
MIS
1050
leur ayant ensuite envoyé à Rome pour faire
confirmer p.ir le pape Urbain VIII ce que
l'arcbevèque avait réglé dans cil institut, il y
eul encore de nouvelles diflic liés louchant
li- quatrième vœu; mais enfin Sa Sainteté
l'approuva par un bref du -i juillet 16V2 : ce
qui fui confirmé par un au ce bref du pape
Innotent X du 2 avril lG'iS; et U tout fut
aulori é par lettres patentes du roi, enregis-
trées au parle nent d'Aix et ensuite à celui
de Paris.
Il y avait environ dix ans que cet ordre
était établi à Aix sans qu'il eût lait aucun,
progrès; mais le bruii des merveilles que
Dieu y avait opérées et la haute estime des
vertus du P. Y* an cl de ses religieuses exci-
lèreni plusieurs personnes à demander et à
procurer l'établissement du même ordre en
d'autres villes. La première qui demanda de
ces religieuses fut l'a !. esse île Saint-Georges
d'Avignon, qui voulut se servir d'elles pour
mettre la réforme dans son monastère et
embrasser son institut : ce qui ne réussit pas
par l'op osition des religieuses de ce mo-
nasière, qui ont pris dans la suite l'habit de
l'ordre de la Visitation de Notre-Dame. Les
religieuses de la Miséricorde furent deman-
dées par les bourgeois de .Marseille, qui leur
donnèrent un établi se ment dans leur ville
l'an 1643. Elles r tournèrent la même année
à Avignon, où elles firent une nouvelle fui
dation; et l'an 1648 elles furent appelées à
Paris, où elles s'établirent au faubourg Saint-
Germain, dans la rue du Colombier; mais
elles ne prirent possession (te leur monastère
que l'an 1651. Ce fut là que le fondateur,
après avoir travaillé si u ilement pour cet
ordre, mourut le 8 octobre 1653. 11 l'ut en-
terré dans l'épaisseur du mur qui sépare le
chœur de l'église, et le P. Léon, Carme des
Billettes, prononça s m oraison funèbre en
présence «le la reine Anne d'Autriche, qui a
toujours proiege ce ordre.
Après la mort du P. Y van, la Mère Marie-
Madeleine de la Trinité fil encore :ciiï fon-
da ion» : lune à Arles, l'as 1 64, et l'autre
à Salon, l'an 1662. 'Font le reste de sa vie se
pas a dans les souffrances et les persécutions
domest ques do. il DiïU voulut éprouver en-
core sa vertu. Liant de reloue à Paris, le
confesseur de son monastère lit soulever
contre elle une paitie de sa communauié, et
on la contraignit de retourner à Avignon.
On l'accusait entre autres choses d'avoir
charge sa maison d'un trop ^rand nombre de
pauvres tilles de qualité qui n'avaient pres-
que rien apporté pour fourn r ;i leur entre-
tien. Celle conduite si charitable lui suscita
aussi des persécuti ns dans quelques au res
de ses monasières. D'un autre côté, :'ieu lui
envoya plusieurs maladies où elle lit paraî-
tre une constance admirable et une parlai e
désignation à sa volonté; mais la dernière
d' ni il voulut encore l'éprouver fut l'an
1678. Etant en son mon islère .'Avignon, elle
fui attaquée le 20 janvier d'une hvdropisie
gangrenée intérieure et ex;erieure, et telle
que les chirurgiens qui l'ouvrirent après sa
mort, prolestaient qu'elle aurait dû mourird s
ce mal dix ans plus tôt. Sa patience fut néan-
moins si grande, et elle s'estimait si heu-
reuse de souffrir, qu'elle ne pouvait assez
parler du bonheur des âmes qui souffrent
avec amour; el si elle témoignait quelque-
fois de la joie dans le moment qu'on la
tournait ou qu'on lui faisait pren Ire une
auire posture, ce n'était que parce que ses
douleurs augmentaient extraordinairemeot:
et c'était dans le fort de ses douleurs qu'on
lui entendait dire nui; et jour qu'elle ne vou-
lait que l'accomplissement de la volonté de
Dieu.
L'archevêque d'Avignon la visita trois fois
pendant sa maladie; le vice-lég'l i'alia voir
aussi, connaissant sou mérite extraordinaire
et 1 cas tout particulier que le pape Inno—
c ni XI faisait d'elle. Enfin, après avoir reçu
pour la dernière fois le saint sacrement,
quelle avait déjà reçu plusieurs fois dans
celle maladie, elle donna la bénédiction à
ses filles et à ses monastères, el rendit son
âme à Dieu dans celui d Avignon, ic 20 fé-
vrier 1678. Son d rps fut \ ose pendant
deux jours dans l'église, pour satisfaire a la
dévotion du peu le, et le qualorzi me jour
après sou décès le P. provincial des Pères dô
rine Chrétienne prononça son oraison
funèbre en présence de l'archevêque, nu
vice-. égal et d'un grand concours du peuple.
Elle a laissé des avis el de» in li uctions pour
ses religieuses, qui ont é é ro i i es parmi ses
écrits, el qui om été insérés dans sa Vie,
écrite par le P. Piny, J;.c .bio.
La fin principale pour laquelle cet ordre
de Noire-Dame de .Miséricorde fut établi a été
pour servir d'asile aux pauvres demoiselles
el autres filles d'une coudilioo honnête, qui,
étant appelées a l'elal religieux, n'ont pas
de quoi se faire recevoir dans les autres
monastères, ni assez de bien pour se m i-
rier selon leur qualité : de sorte que les
.es de cet ordre foui une profe sion
expresse de les recevoir avec ce qu'elles
peuven apporter, pourvu qu'on reconnaisse
en elles le- qualités requises, el que le mo-
e ait de quoi suhsisler. [il alin que cet
esprit de recevoir les pauvres demoiselles
avec le p u qu'elles ont persévère dans cet
ordre, et qu'il ne soit pas permis aux reli-
gieuses de .-'en dispenser sans des causes
légitimes, outre les Lois vœux essentiels de
religion, elles en font un quatrième, par e-
quel e les s'obligent de ne refuser jamais
leur suffrage à une fille p ri aie insuffi-
sance de sa dot, selon leur hulie et leurs
constitutions, c'est-à-dire selon les modera-
lioas que les supérieurs y ont mises.
Le travail esl une des principales obliga-
tions des filles de cet ordre, pour suppléer,
par le gain qu'elles en reçoivent, à l'insuffi-
sance de la dot des pauvres filles , et el.es y
emploient toui le temps qui leur reste après
leurs exercic* ie religion. Celle obligation
du travail va même plus loin; car, encore
que les maisons soient suf.lsammenl reniées
pour pouvoir recevoir un certain nombre de
religieuses sans dol, elles ne sont pas moins
tenues de travailler., et pour lors le profil de
1051 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX
leur travail doit être distribué aux autres
1032
maisons de l'ordre qui en ont besoin, ou au
soulagement des pauvres monastères des
auires ordres, ou a des familles indigentes.
Pour encourager les filles à travailler avec
moins d'incommodité, le fondateur, avec le
C 'il enlemenl il e^ supérieurs, a choisi une
règle fort douce, qui est celle de saint Au-
gustin, cl a dressé des constitutions très-mo-
dérées louchant le vivre, le vêtir et le dor-
mir, et leur a même donné un office fort
court et facile à réciler, qui est le petit office
de la Vierge. A la vérité, la clôture y est
très-exactement gardée : elles vont rare-
mentaux grilles, et elles observent les pra-
tiques de l'oraison, du silence et des autres
vertus religieuses qui leur sont nécessaires
pour l'accomplissement de leur dessein, qui
est encore d imiter la vie que la mère, de
Dieu a menée sur la ierre après l'Asc n-i m
de son Fils, laquelle a été très retirée, éloi-
gnée de la fréquentation des hommes, et mê-
lée d'action et de conlemplatio i.
Leur habillement consiste en une robe de
gris maur et un scâpula re de serge blanche,
sur lequel elles portent un crucifix attaché
à un ruban noir. Dans les cérémonies et
lorsqu'elles approchent de la sainte lable,
elles mettent un manteau aussi de gris-maur
et portent un voile noir el la guimpe comme
les autres religieuses (I).
Voyez la Vie du P. Yvan par Gilles Gon -
dom; son Eloge par le P. Léon, Carme des
Billetles, le Recueil de ses lettres, la Vie de ta
Mère Marie-Madeleine de la Trinité, par le
P. Alexandre Piny, Jacobin, et celle qui a
été composée par le P. Grosez, de lu com-
pagnie de Jésus.
L'ordre ou congrégation de Notre-Dame
de la Miséricorde ne s'élablit point hors de
France , et quoique nous disions nous-
méme. dans l'article de la Biographie uni-
verselle consacré au I'. Yvan, tjue les reli-
geuses de cet institut s'étendirent principa-
lement dans le midi, elles n'eurent pourtant
que six maisons, qui étaient celles d'Aix,
d'Arles, d'Avignon, de Marseille, de Paris et
de Sancerre. Le xvnie siècle, qui suii it e. lui
de la fondation , n'était malheureusement
guère propensionné à propager des i laisous
de ce genre. L'esprit du jansénisme, qui s'in-
sinuait partout, aura peut-être fait quelques
ravages dans l'institut de la Miséricorde.
Nous n'en avons aucune preuve , seulement
nous savons que par précaution ou par re-
mède on lit pendant quelque temps signer
une déclaration de soumission el de foi par
les jeunes professes. Sans autre motif que
le désir du changement, cinq professes île
chœur el une converse obtinrent de Mgr de
Juigne, en llSi, des obédiences pour aller
de la maison de Paris à celle de Sancerre.
Ce fait , sans importance e;; lui-même, sera
jugé à sa valeur par le lectes , qui aurait
tort, peut-être, d'y trouver d'une manière
sensible une preuve de l'esprit qui commen-
çait à régner dans les communautés.
Ii ne reste plus aujourd'hui des mona-
stères de cet institut (jue la maison de Paris.
Cet établissement de Paris était, avant la
révolution de 1789, siiué rue du Vieux-Co-
lombier, sur la paroisse de Sainl-Sulpice.
Les religieuses qui le composai nt résisté—
renl t -nies aux innovations du temps, et
demeurèrent fidèles jusqu'au moment de
leur sortie de la maison, sortie qui eut lieu
le 3 s- plembre 1792. Il n'y avait, dans la
chapelle du mona-lère abandonné, qu'un
tableau de Noire-Dame des Sept-Douleurs
qui frappât l'allention des connaisseurs, et
l'on ignore le nom du peintre à qui il était
dû. Quand les religieuses quittèrent leur
cloître, elles éiaieut au nombre de quinze
choristes et cinq converses professes. Il y
a» ail le même nombre de religieuses vers le
milieu du dernier siècle, d'après VEtal ou
Tableau de Paris, de Beaumoul. Suivant cet
auteur, les postulantes fournissaient 800
livres pour les dix-huit mois que durait le
noviciat, etde plus oOOO livres pour la dol et
1000 livres pour les frais d'habillement et de
profession.
lin quittant la maison en 17S2, les reli-
gieuses se dispersèrent dans Paris ; mais
quoique vivant séparément, elles gardaient
la soumission à la supérieure, el, au bout
de l'année, versant en commun le fruit du
travail de toutes, on reversait égilement sur
la tête de chacune le profit de toutes. Elles
avaient quitté leur habit monastique, mais
elles portaient un uniforme noir et modeste.
Ce genre de vie esl, suivant nous, admi-
rable. Ces filles gardaient l'esprit religieux,
et doivent eu cel.i servir de modèle aux insti-
tuts qui commencent. Vers la fin du de nier
siècle, elles se réunirent dans une maison
tenue à loyer, rue .e la Chaise. Alors elles
se décidèrent, par mesure de prudence el
pour subvenir à leurs besoins, à prendre des
élèves, à instruire, ce qu'elles ont continué
jusqu'à ce jour, car elles ont un pensionnat,
ce qui n'entrait pas dans les premières dis-
positions de leurs statuts. Vraisemblable-
ment, elles continueront toujours cette œu-
vre fructueuse pour elles et pour le pro-
chain.
Eu quittant leur' loyer de la rue de la
Chaise, les Religieuses rie la Miséricorde
allèrent habit r sur le quai de la Tournelle,
paroisse Saint-Nicolas du Chardonnel, où
elles louère il la maison des anciennes Mira-
mioi.es ou fiile> de Sainte-tleneviève, qui est
aujourd nui la pharmacie centrale d s hôpi— *
taux, el qu'elles occupé. cul six ans. De à,
e les se transportèrent à la iue Neuve-Saint-
Elienne, et y prirent en location l'ancien
monastère des religieuses de la congrégation
de Notre-Dame, et y re-lérent pendant neuf
années. Enfin la restauration des Bourbons
en France donnant à la religion des espé-
rances qui, liélasl n'ont pas été entièrement
réalisées, elles se déterminèrent a acheter le
local où est leur monastère actuel, qui élait
une maison particulière, rue Neuve-Sainte-
(1) Voy., à la fin du vol., les il0» 231 et 252.
1053
AIOL
MOL
1334
Geneviève, paroisse Saint-Médanl, au fau-
bourg Saint-Marcel. En 1SV8, elles comptent
leur vingt-huitième année de séjour dans cel
établissement, qu'elles onl changé en mo-
nastère, et où elles ont bâti une chapelle; 11 y
a dans cet ordre, en conséquence d'une ap-
parition faite, dit-on, autrefois à la maison
d'Aix, une dévotion particulière au soulage-
ment des âaics du purgatoire. On célèbre
p ur elles un salut tous les lundis, et le
p'rcmi r lundi du mois \r. saint sacrement
est exposé pendant la journée ; on l'ail un
sermon au salut du soir. C'c>l la fêle de la
Compassion de la sainte Vierge qui est la
titulaire ou vocable de l'église de cette con-
grégation.
Les religieuses de la Miséricorde prirent
des aspirantes dès le temps de leur réunion
dans leur première mais. m, mais elles ne
reprirent l'habit de leur ordre que plusieurs
années après le concordat entre Pie VII et le
gouvernement français.
La maison est aujourd'hui gouvernée par
la révérende Mère Saint-Basile, qui remplit
la place de supérieure depuis trente ans ,
sauf les intervalles nécessités par les consti-
tutions. Madame Saint-Basile Hubert, native
de Dieppe en Normandie, est une des an-
ciennes religieuses de la rue du Viiux-Ço-
lomhier, et aujourd'hui octogénaire; elle est
la plus âgée des deux qui restent. L'ordre
lui doit en partie sa conservation et l'état où
il est actuellement. La communauté est com-
posée, au moment où nous écrivons ceci,
de seize professes choristes et onze con-
verses. Le régime est absolument le même
qu'autrefois, sinon qu'elles ont des élèves
pensionnaires, comme nous l'avons dit ci^
dessus.
Renseignements fourn's par la révérende
Mère Saint-Basile Hubert, supérieure de la
Miséricorde. —Etal de Paris, in-8% par
de Beaumont. B-d-e.
MISSION (Prêtres de la). Voy. Laza-
ristes.
MOCTÉE. Voy. Irlande.
MODESTES. Voy. Dimesses.
MOLUA. Voy. Irlande.
M01SEVAUX. Voy. Limas.
MOLCR ET D'AUTRICHE (Des anciennes
congrégations de), o» i est parlé des con-
grégations qui subsistent présentement en
Allemagne.
La célèbre abbaye de Molck, appelée vul-
gairement Milek. située en Autriche sur le
Danube, et du diocèse de Passa w, a donné
son nom à une congrégation de Bénédictins
en Al.emagne. Léopold 1er, marquis d'Au-
triche, fui le fondaieur de celte abbaye. Ce
prince, après avoir pris possession de l'Au-
triche qui lui avait été donnée par l'empe-
reur Henri Ier l'an 92S, selon quelques au-
teurs, et selon d'autres l'an 933, à condition
qu'il s'opposerait aux Hongrois qui faisaient
souvent des incursions dans l'empire, se ut
d'abord obligé de porter ses armes contre
ses nouveaux sujets, dont il y en avait quel-
ques-uns qui ne voulaient pas lo reconnaî-
Dictionn. des Ordres religieux, II,
Ire pour souverain. Lés habitants de Melek,
qu'on nommait pour lors Hisenburg, furent
de ce nombre ; mais le marquis d'Autriche
les ayant obliges par la force des armes à se
Soumettre à son obéissance, il établit dans
ce lieu la capitale de ses Etats et y (it sa de-
meure, aussi bien i|ue ses successeurs, jus-
quen l'an 1110, que la ville de Vienne fut
reconnue pour la capitale de l'Autriche.
Léopold fit bâtir à Melek une église qui lut
dédiée en l'honneur de saint Pierre et de
saint Paul. Il y mit douze chanoines sécu-
liers qui y demeurèrent jusqu'en l'an 1089
que Léopold II, surnommé le Bel, les en ota
et substitua en leur place des moines béné-
dictins, qu'il lit venir de l'abbaye de Sublac,
en Italie, auxquels on donna pour premier
abbé Sigibold. II y en a qui prétendent que
par les soins de cet abbé il se forma dès
lors une congrégation de quelques monas-
tères de i'ordre de Saint-Benoit en Allema-
gne, qui reconnurent pour chef l'abbaye de
Melek; mais on n'en apporte aucune preuve :
le P. Anselme Schramb, religieux de cette
abbaye.qui en a donné la chronique en 1702,
reconnaît qu'on ne trouve aucun titre qui
puisse le juslilier nidonner une connaissance
certaine de celle congrégation. Il est vrai
qu il dît qu'il croit qu'elle a subsisté; mais
il n est londe en cela que sur le témoignage
de quelques auteurs modernes, entre autres,
de .Nicolas Sezygliesçki, qui, dans sou Aquita
l'olono-lienedict,na, a avancé que cette con-
grégation avait été instituée par l'abbé Sigis-
hold l'an 1122, et qu'elle avait fleuri dans
plusieurs monastères d'Allemagne. Mais il
avoue en même temps que cet auteur s'est
trom, é en faisant Sigishold instituteur de
celle congrégation l'an 1122, puisqu'il était
mort dès l'an 1110. Ascagne Tambourin et
quelques autres ont dit aussi qu'elle fut ins-
inuée par Sigishold l'an 1122, et ils ont ajouté
que l'église de Melek fut consacrée par le
pape Calixle H. C'est encore une erreur que
le P. Schramb réfute, puisque, selon lui, ce
fui Uldaric, évoque de Passaw, qui la consa-
cra l'an 1093, et que dans l'année 1122, que
1 on .prétend que cette consécration se lit par
Calixte II, ce pontife continua à Home les
exemptions qui avaient été accordées à cetlo
abbaye. Toutes ces contrariétés l'ont bien
voir qu'on ne peut faire aucun Lin 1 sur l'au-
torité de ces écrivains, et que tout ce qu'ils
disent ne peut donner aucune cer'.iiude de
celle congrégation. Mais, supposé que l'abbé
Sigisbald en eût véritablement formé une qui
prit e nom de Melek, elle ne subsisia pas
longtemps ; celle dont nous parlons ici et qui
a porté ce nom, ne commença que plus de
trois cents ans aprè; la mort de cet abbé, au
temps du concile de Constance, qui fut ou-
vert l'an 141<V, et elle doit son commence-
ment au zèle et à la piété d'Albert V, archi-
duc d'Autriche, qui fut ensuite roi de Hon-
grie et de Bohême, et enfin empereur sous
le n im d'Albert 11. Ce prince, qui avait en-
vo\é des ambassadeurs au concile de Cons-
tance, après lélection qui y fut laite de Mar-
tin Y pour souverain ponlife, leur ordonna
33
1035
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
!0B6
de le féliciter de sa part et de lui demander
des commissaires apostoliques pour réfor-
mer les monastères des ordres de Sainl-Au-
guslin et de Saint-Benoît, silués dans ses
Etals. Ce pape lui accorda sa demande, et
nomma, l'an 1418,pourcommissaires aposto-
liques, Nicolas de Mazen, auquel il joignit
cinq religieux bénédictins, profùsdu monas-
tère de Sublac, en Italie. Comme l'abbaye
de Melek était la plus considérable de l'Au-
triche, ce fut par elle que l'on commença la
réforme, dans l'espérance que l'on eut que
les autres, à son exemple, la recevraient vo-
lontiers; et afin de mieux l'affermir, le même
Nicolas do Mazen fut élu abbé de Melek par
autorité apostolique, après la démission vo-
lontaire de l'abbé Jean de Flemming; les
cinq religieux qui étaient venus avec lui
pour établir celle réforme, furent incorporés
à ce monastère; et comme ils étaient proies
du monastère de Sublac, et que celui de Me-
lek avait d'abord été formé par des reli-
gieux que le marquis d'Autriche Leopold I«r
avait fait aussi venir de celle abbaye, le ré-
formateur jugea à propos de faire observer
à Melek les mêmes constitutions que l'on
gardait à Sublac, et elles furent reçues par
toute la communauté, composée de ces cinq
religieux envoyés par le pape, de huit an-
ciens religieux, el de quatre autres qui y
étaient entrés pour y vivre dans une obser-
vance plus régulière. Plusieurs monastères
d'Allemagne se soumirent aux mêmes lois,
et quelques-uns eurent pour abbés des reli-
gieux qui furent tirés de celui de Melek, en-
tre lesquels furent ceux d'Obemburg, de
Celle-Marie, des Ecossais de Vienne, et un
en Islrie. Ils se disaient tous de la congréga-
tion de Melek, quoiqu'ils ne dépendissent
point de celle abba}e, et qu'ils ne fussent
point unis ensemble sous un chef: ils se
conlentaicnl d'avoir les mêmes observances,
et s'ils avaient besoin <:'e visite, ils avaient
recours au pape pour avoir des visiteurs, ou
bien les princes dans les Etats desquels
étaient si'ués ces monastères en deman-
daient eux-mêmes, lorsque le relâchement
commençait à s'y introduire. Ceux de l'ab-
baye de Melek, pour- maintenir leur réforme,
demandèrent une visile apostolique , l'an
1450, au pape Nicolas V, qui leur donna
pour visileurs l'abbé de Celle-Marie, le pré-
vôt de Samle-Dorothée de Vienne el le prieur
de la Chartreuse de Maurbach. Ils firent de
nouvelles constitutions, mais peu différentes
des premières qu'ils avaient reçues au corn*
mène, ment de leur réforme. L'on ne chan-
gea rien de loul ce qui regardait le cérémo-
nial et la récitation de l'office divin, et les
unes et les autres ne tendaient qu'à faire ob-
server la règle de saint iîenoîl dans toute sa
purelé, l'usage de manger de la viande cer-
tains jours de la semaine n'ayant pas été en-
core introduit dans les monastères de l'Alle-
magne, qui n'obtinrent ce privilège qu'envi-
ron cent ans après. Cette visite de l'abbaye
de Melek fui cause que le cardinal de Cusa,
légat du même Nicolas V en Allemagne ,
voyant que l'observance régulière était fort
relâchée dans les monastères de l'ordre de
Sain t-lienoît du diocèse de Sallz bourg, nom ma
des commissaires l'an 1451 pour les réformer.
Les visiteurs dépulés par ce légat furent les
abbés de Celle-Marie et de Saint-Martin des
Ecossais de Vienne, avec un religieux de
l'abbaye de Melek. L'année suivante on fit
aussi une visile dans l'abbaye de Celle-Marie,
qui fut faite par l'abbé de Melek el de Saint-
Martin des Ecossais de Vienne.
L'abbaye de Melek se mainlenant toujours
dans la ferveur et dans l'observance exacte
de la réforme qu'elle avait embrassée, plu-
sieurs abbés d'Allemagne résolurent de for-
mer ensemble une congrégation sous un
chef, d'embrasser les observances de Melek,
et de se conformer entièrement, pour les cé-
rémonies et la célébration de l'olfiee divin, à
celles qui se pratiquaient en ce monastère.
Dès l'an 1460 ils avaient fait quelques tenta-
tives pour procurer cette union, et ils l nrent
encore pour ce sujet des chapitres provin-
ciaux en 1464, 1467 et 1470. Mais dans ce
dernier, qui fut tenu à Erphord, et où dix-
sept abbés des diocèses de Saltzbourg, de Fri-
singue, de Passaw, de Brixen, d'Augsbourg
et de Constance, se trouvèrent ou envoyèrent
leurs procureurs, il fut résolu que, comme la
réforme avait commencé dans le monastère
de Melek, tous les autres monastères s'y con-
formeraient pour le cérémonial ecclésiasti-
que et la récitation de l'office divin. Ils ne
s'arrêtèrent qu'à cet article, quoiqu'ils eus-
sent proposé d'abord les trois autres suivanls:
1* de tenir des chapitres provinciaux tous
les trois ans et non pas tous les ans, comme
il sepraliquait dans la province de Mayence;
2°queles Pères du chapitre pourraient dépo-
seras abbés pourdes fautes notables ; 8' enfin
que l'on établirait des visiteurs pour tous
les monastères qui entreraient dans l'union.
Ils indiquèrent un autre chapitre à Passaw
pour l'année suivante; mais le nombre des
abbés et des procureurs des absents ne fut
pas si grand que dans celui d'Erphord, et
ceux qui s'y trouvèrent résolurent encore de
se conformer pour les cérémonies de l'église
à l'abbaye de Melek ; mais il n'y eut point
de congrégation formée et soumise à un chef
ou supérieur général, cela n'ayant élé exé-
cuté que sous le ponlilicat du pape Ur-
bain Vill.
G-aspar,abbé de Melek, avait invité, dès l'an
1618, les abbés d'Autriche à venir à Melek,
alin de convenir ensemble des moyens né-
cessaires pour former une congrégation dans
cet arehiduebé. Les abbés de Krembs-Muns.
ter, Garsten, des Ecossais de Vienne, d'Aï-
tenibourg,Gottwekh el Celle-Marie, s'y trou-
vèrent el résolurent de s'unir ensemble et
de former une congrégation sous un chef.
Le prieur de Garsle.n avait déjà dressé des
constitutions pour être observée-, dans cette
nouvelle congrégation. Elles fuient exami-
nées dans l'assemblée, qui trouva qu'elles
étaient trop générales, el qu'elles ne pou-
vaient être également obsi rvées dans tes mo-
nastères. On chargea Reînér, prieur de Me-
lek, d'en faire d'autres qui convinssent '
iC-37
MOI-
MOL
U)7,è
tous ces monastères. Mais les Iroublos que
les protestants avaient excités presque dans
le même temps dans la Bohème et dans l'Au-
triche, obligèrent les abbés de différer réta-
blissement de Irur congrégation jusqu'à l'an
1623, qu'il fut lait. Gaspar, abbé de Melek,
était mort, et Rciner, sous-prieur, qui avait
été chargé de dresser les constitutions de la
congrégation, lui a» ait succédé. La première
cho^e qu'il fil après avoir reçu du souverain
poniife la confirmation de son élection, fut
«l'inviter les abbés d'Autriche de se trouver
à Melek pour conclure cél établissement,
dont le projet avait été dressé dès l'an 1GI8.
11 s'en trouva onze qui y donnèrent les mains,
et qui reçurent unanimement les constitu-
tions que l'abbé Reinér avait dressées. Ils
écrivirent à Constantin, abbé de Sainl-Ba-
vont, de ta congrégation du Mont-Cassin, et
le prièrent d'en demander la confirmation
r.u pape Urbain VIII, qui l'accorda par sou
bref de l'an 1625. Ces constitutions furent
imprimées l'année suivante. Celte congréga-
tion était pour lors composée des abbayes de
Melek.Goilweich,Krembs-Munstcr,L îmhach,
tles Ecossais de Vienue, de Garslen, d'Al-
lembouig, Monsée, Seittenstaden, Kleinck
cl Ce!lc-.\iarie. Elle devait être gouvernée
par un président ou supérieur général, qui
devait être élu tous les deux uns, et qui pen-
dant ce temps-là devait fa re une fois la vi-
site de tous le- monastères. Il devait aussi y
avoir un visiteur dans iliaque province, qui
devait laire tous les ans la visite des monas-
tères de cette province, à moins que le pré-
sident ne la fit lui-même.
Peu de temps après il se forma une autre
congrégation en Souabe ; mais, l'an 1030, l'on
proposa de réunir toutes les congrégations
d'Allemagne et de n'en faire qu'une, et même
d'y faire entrer tous les monastères qui n'é-
laienl d'aucune congrégation. L'abbé d • Ful-
des, qui était pour lors de la congrégation de
Bu rstcld, conçut le premier ce dessein. Il obtint
perm ssion du pape et de l'empereur de faire
une assemblée générale de tous les abbés
d'Allemagne. Elle se fit à Batisbonne au mois
de mars 1630. L'abbé de Fuldes y présida et
y assista au nom de la congrégation de Burs-
feld ; l'abbé de Iviembs-Munstcr, au nom de
la congrégation d'Autriche; les abbés d'An-
dechs et de Prufening, comme députés des
autres abbés de Bavière, et le P. Romain
Hay, comme procureur de la congrégation de
Souabe. On y dressa seulement les prélimi-
naires; de celle union, et l'on convoqua une
autre assemblée générale p iur l'année sui-
vante, qui devait se tenir encore à Ralis-
bonne. L'abbé de Fuldes s'y trouva aussi,
avec les abbé-> de Saint-Maurice et d'Hasla-
felJpourla congrégation de Bursfeld. L'abbé
d'Ochlenbusen, visiteur de la congrégation
de Souabe, s'y trouva pareillement au nom
de celte congrégation. Les abbés de Garslen
et le piieur de Goitweich furent députes
par la congrégation d'Autriche, et l'abbé de
Sainl-Piene ue Sallzbourg représentait les
abbés de ces diocèses. 11 y fut résolu que
chaque ruouastère garderait ses observances
particulières ou qu'ils feraient un on avec la
congrégation de Bursfeld, jusqu'à ce que l'on
eût pris d'autres mesures dans la première
assemblée qui se tiendrait et où deux abbés
de chaque province s? trouveraient. On en-
voya des procureurs à Borne cl à la cour im-
périale pour informer le pape et l'empereur
de ce qui s'était fait et avoir leur consente-
ment pour former celle congrégation géné-
rale de tous les mon a stères d'Allemagne. Mai»
dans le temps que l'abbé de Saint-Pierre de
Sallzbourg, qui a vaitéiédépu té de l'assemblée
pour aller dans tous les monastères solliciter
les abbés d'enirer dans celte union, se dis-
posait à exécuter sa commission, l'irruption
que les Suédois firent dans l'empire en rom-
pit tous les projets. Elle n'eut point lieu, et
tout ce que produisirent les assemblées qu'on
avait tenues fui l'érection de la congrégation
de Sallzbourg, composée des monastè. es de
ce diocèse, qui s'unirent ensemble, l'an 16+1,
dans un chapitre qui se lint à Saint- Pierre
de Sallzbourg, où se trouvèrent l'abbé Je ce
monastère a\ec ceux de Saint-Vit et de
Boum. Les abbés d'Ossiak et de Saint-Paul
y envoyèrent leurs procureurs. Celte con-
grégation subsiste encore, ayant présente-
ment neuf monastères. Celle d'Autriche se
maintenait encore l'an 10ii, comme il parait
par quelques bulles du pape Urbain VIII, qui
lui accorda celte année des indulgences :
mais il semble que par la mort de ce pape,
qui l'avait approuvée, et qui arriva presque
dans le même temps, elle ait été éteinte, car
il n'en est plus fait mention depuis ce temps-
là. Les congrégations qui subsistent en Al-
lemagne pré.-e nteme.it sont celles de liur^feld,
dont nous avons rapporté l'origine dans nolrè
premier volume; de Suissc.de Sallzbourg, qui
ont chacune neuf monaslèr. s ; de Souabe au
diocèse de Constance, qui a onze monastères-
de Souabe au diocèse d'Augsbourg, qui a sept
monastères ; d'Alsace Brisgaw, quia cinq mo-
nastères, et de Bavière, qui a dix-neuf mo-
nastères. Celte dernière fui érigée sous le
nom de l'Ange Gardien ou des Exempts, sous
le pontificat d'Innocent XI. Le président ou
supérieur général est élu tous les trois ans
et le premier chapitre se tint a la fiu d- Tau
1686.
Quoique les monastères d'Allemagne qui
suivaie.it les cérémonies et observances de
Melek, ue fissent point un corps de congré-
gation avant leur union, qui se fit en 1023
(comme nous l'avons dit ci-devant), ils se di-
saient cependant de la congrégation et de
l'union de Melek: car lorsqu'on voulut unir
ensemble les réformes de Melek, de Caslel
et de Bursfeld, comme nous avons dit en
parlaut de ces deux dernières congrégation»
les monastères qui suivaient les dittérenles
observances de ces réformes envoyèrent des
députés au chapitre provincial qui se tint,
l'an Ii90, à Salgenstad,où ceux de la réforme
de Jleiek prirent la qualité de députés de
l'union de Melek, aussi bien que ceux des
congrégations de Castel et de Bursfeld, qui se
dirent députés de l'union de ces congréga-
tions, comme il paraît par les actes de°ce
1039
DICTIONNAIRE DES OM)» '.S RF.LIGIEUX
1040
chapitre: Depulalivero Patreset commissarii
nostri hi sunt, ex uniane Mellicensium re-
verendissimi Patres in Elchingcn et H'iblin-
gen, ex unione Castellensium S. Mgidii in
Morimberga et S. Crucis in Weraen; ex
unione Burfeldennum in monte S. Jncobi ex-
tra mur osM or/un tinos et S. Martini Snanheim.
Anselmus Schramb. Çhronie. Mellicense,
seu Annales Monast. Mellicensis.
MONS. Voxj. Nivelle.
MONT-CARMEL. Yoy. Carmélites et
Carmes.
MONT-CARMEL (De l'archiconfraternité
de Notre-Dame du) à Eome.
Si nous avons parlé à l'art. Carmes de la
confrérie du Scapulaire de !a sainte Vierge
établie dans l'ordre des Carmes, où l'on donne
à ceux qui s'y font inscrire un petit scapu-
laire composé de deux rubans auxquels sont
attachés deux morceaux de d:ap de trois ou
quatre pouces en carré, ce n'a été que pour
faire \oir l'erreur où était tombé le P. Papc-
broch, en croyant que les religieux de Siiiul-
Franç.ois ne donnaient;'! leur lieruairrs qu'un
cordon, et le- Carmi s aussi à leurs t erciairçs
ces sortes de scapulaires, notre dessein n'é-
tant pas de parler des simples confréries
dans cette histoire. Mais comme nous y fai-
sons aussi entrer les congi égalions et s ciélés
séculières, il semble que l'on doit melire en
ce rang les confréries qui forment des espè-
ces de sociétés el qui sont distinguées par des
babils particuliers, qui ont des statuts cl des
règles, des églises, des cimetières, qui font
publiquement des processions sous leurs
croix particulières, qui la plupart n'admet-
tent les confrères qu'après avoir été éprou-
vés pendant un certain temps, sous la con-
duite d'un maître des novices, el qui sem-
blent former un corps dans l'Eglise.
Telle est l'arcbicoufraternilé de Notre-
Dame du Mont-Carmel à Home. 11 y en avait
autrefois une sous ce nom dans l'église de
Sainl-Chrysogone qui appartient aux Car-
mes de la congrégation, de Manloue; mais
ayant été presque abandonnée, on en érigea
une aulre dans la même église, l'an 1543,
sous le litre du Saint-Sacrement et de Sainte-
Marie mère de Dieu du Caimcl. La confrérie
de Notre Dame semblant avoir élé supprimée
par l'union qui en avait é'é faite avec celle
du Saint-Sacrement, le pape Clément VIII
permit que l'on en instituai une autre sous
le nom de Notre-Dame du Mont-Carmel dans
l'église de Sairite-Marie-dcs-Monls, qui ap-
partient aussi aux Carmes, mais qui ne dé-
pend d'aucune congrégation ni province,
étant immédiatement soumise au général,
comme nous avons dit ailleurs.
Les confrères qui furent associés à celle
confrérie curent d'abord une chapelle dans
celte église; mais aOn d'avoir plus de liberté
pour faire leurs exercices, ils ont depuis faii
bâtir un oratoire au mont Magnanopoli, où
ils s'assemblent pour y réciter en commun
l'ofQce de la Vierge, et et y faire célébrer les
(I) Vej/., à la fin du vol., Il" ToZi.
divins offices. Leur habillement consiste en
un sac de couleur tannée, auquel est attaché
un eapuce qui leur couvre le visage, descen-
dant en pointe jusqu'à la ceinture, n'y ayant
i4 ne deux petits trous à l'en 'roit des yeux,
afin qu'ils puissent voir el n'être poinl vus.
Leur sac esl lié d'une ceinture de cuir, et ils
onl sur les épaules un camail ou mozelte de
serge blanche , 1). Quoique celte confrérie ait
le litre d'archieonfraternité, eile ne jouit pas
néanmoins du privilège des autres archiron-
fraternilés qui sont ainsi appelées à cause
qu'elles sont chefs et supérieures générales
des confraternités qu'elles agrègent à leur
institut, qui doivent observer les mêmes rè-
gles el les mêmes statuts, el parler leur ha-
billement; mais le général «le l'ordre dis
Carmes, ou ceux à qui il en donne commis-
sion, onl seuls le dioi! d'ériger de- archicon-
fraternités ou confraternités de Notre-Dame
du Mont-Carmel.
Carol. Barlhol. l'iazza, Opère pie di Roma,
part. 11, trait. 6, cap. 13.
MONT-CARMEL ET DE SAINT-LAZARE
DE JERl'SALEM (Des chevaliers de l'or-
dre ROYAL, MILITAIRE ET HOSPITALIER DE
Notre-Dame du).
Nous avons dit, en parlant de l'ordre de
Saint-Lazare, qu'il avail toujours subsisté
en France, quoiqu'il eût été supprimé par
Innocent VIII, l'an 1M0 ; qu'après son ré-
tablissement par Léon X, il y avail eu des
grands maîtres de cet ordre en Italie, qui se
disaient grands maîtres de l'ordre de Saint-
Lazare de Jérusalem par tout le monde ,
quoiqu'il y eût de véritables et légitimes
grands maîtres en France qui avaient suc-
cédé les uns aux aulres sans interruption
depuis l'établissement de l'ordre ; cl qu'enfin
le pape Grégoire XII! avait uni cet ordre,
l'an 1372, à celui de Saint-Maurice en Sa-
voie, nouvellement institué par le duc Em-
manuel Philbert, sans que cette union ail
porté préjudice à l'ordre de Saint-Lazare en
France, dont le roi Henri IV donna la grande
maîtrise à Philbert de Nérestang , qui fut
aussi premier grand maître de l'ordre de
Notre- D une du Mon'-Carmel que ce prince
institua dans son royaume. Le P. Toussaint
de Saint-Luc. dit [Abrégé hist. de V ordre de
Suint-Lazare, p. 10) que le roi ne fil celle
institution de l'ordre de Notre-Dame du
Mont-Carmel, que pour faire fleurir davan-
tage celui de Saint-Lazare 1 1 lui faire resti-
tuer les biens qu'on lui avait usurpés en
unissant l'ordre du Mont-Carmel à celui de
Saint-Lazare. M. Herman pi étend qu'Aimar
de Chattes, qui était grand maître de ce der-
nier, conçut l'envie de le remettre dan? son
premier lustre, mais qu'ayant élé prévenu
par la mort, Philbert de Néiestang lui sui-
céda dins ce dessein, et employa si heureu-
sement son pouvoir auprès d'Henri IV, que
ce monarque ayant poursuivi à Home le ré-
tablissement de cet ordre, il obtint du pape
Paul V l'effet de sa demande, par une bulle
fort avant igeuse donnée l'au 1007; mais que,
10.11
MON
connue re priece voulut, à l'imitation du «Suc
de Savoie j. indre aussi un autre ordre à
celui de Saint-Lazare pour lui l'ouncr un
nouveau relief, il établit celui de Notre-Dame
du Monl-Carmel. Le P. Bonanni a avancé
(Catalcg. Ord. milit., n° b' >) qu'Aimar de
Chattes, étant grand maître de l'ordre île
Saint-Lazare en France, conçut le dessein de
le rétablir entièrement et de lui f.iire resti-
tuer tous les biens qui lui avaient été ôiés,
niais qu'étant mort avant que d'avoir exé-
cuté son dessein, Philbert de Nérest ing, qui
lui avait succédé dans la grande maîtri.-e,
alla à Home, où il obtint du pape Paul V
qu'à l'avenir son ordre serait appelé l'ordre
de Notre-Dame du Monl-Carmel.
Mais tous ces auteurs, sans parler de plu-
sieurs autres, ont été contre la véiiié de
l'histoire. Henri IV n'institua l'ordre île No-
ire-Dame du Mont-Carmel que pour donner
des marques de sa piété ei de. sa dévotion
envers la sainte Vierge. Il écrivit à son am-
bassadeur à Rome pour obtenir du pape
Paul V l'érection de cet ordre et sa confir-
mation par autorité apostolique: ce que ce
pontife accorda par une bulle du 10 février
1C07, par laquelle il donna pouvoir à ce
prince de nommer le grand maitre de cet or-
dre, lequel pourrait créer autant de cheva-
liers que bon lui semblerait. Il permit à ces
chevaliers de se marier, et, après la mort de
leur première femme, de passer à de secondes
noces, et d'épouser même une veuve. Il les
obligea à faire vœu d'obéissance et de garder
la chasteté conjugale, et leur accorda la per-
mission de pouvoir avoir des pensions sur
toutes sortes de bénéDces en France, quoi-
qu'ils fussent mariés et même bigames, sa-
voir, le grand maître, jusqu'à la somme de
quinze cents ducats d'or, et les chevaliers
jusqu'à cinq cents ducats d'or de la chambre
apostolique, ces deux sommes évaluées à six
mille livres, monnaie de France. Et dans
cette bulle il n'est nullement fait mention de
l'ordre de Saint-Lazare . non plus que
dans une seconde que le même pape donna
au mois de février de l'an 160S, par laquelle
il prescrit à ses chevaliers leurs obligations,
qui sont de faire leur profession de foi avant
leur réception à l'ordre, de se confesser et
communier le même jour qu'ils recevront
l'habit, de porier sur leurs manteaux une
croix de couleur tannée, nu milieu de laquelle
il y aura l'image de la sainte Vierge, de faire
vœu d'obéissance et de chasteté conjugale,
de porter les armes contre les ennemis de
l'Eglise, lorsqu'ils en seront requis par le
saint-siége et le roi très-chrétien-, de réciter
tous les jours l'office de la sainte Vierge ou
sa couronne, d'entendre la messe les jours
de fête et les samedis, de s'abstenir de viande
les mercredis, de se confessor et communier
le jour de la fête de Noire-Dan, e du .Mont-
Carmel que l'on célèbre le 10 juillet, de s'as-
sembler le même jour pour céléb er celle
fêle, et de payer au trésorier ie l'ordre les
resnonsions par rapport aux commanderies
qu'ils posséderont.
Le roi, au uuis de juillet 1C08, voulant
MON 1012
doter ce nouvel ordre de Notre-Dame du
Mont-Carmel et pourvoir à son établissement,
supprima par ses lettres patentes l'ofiicc de
grand maitre de l'ordre de Saint-Lazare, et
u.it toutes les commanderies, prieurés et bé-
néfices qui appartenaient à cet ordre et
étaient en la collation de ce grand maître,
à l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel:
a usi ce ne fut point ce nouvel ordre qui fut
uni à celui de Saint-Lazare, comme ont écrit
plusieurs auteurs, niais l'ordre de Saint-La-
zare qui fut uni à celui de Nuire-Dame du
Mont-Carmel. Voici les lettres de ce pri ce.
Henri, par la grâce de D eu roi de France
et de Navarre, à Cous ceux qui ces présente-:
lettres ce, ront. Noire saint-père le pape ayant,
à notre supplication faite par notre ambassa-
deur, résident près sa personne, par sa bulle
du xiv des kalendes du mois de mars dernier,
érigé et institué en notre royaume un ordre
à titre de la Vierge Marie ou Notre-Dame de
Mont-Carmel , ainsi que le contient la bu'le
dont copie est ci-alt tcht'e sous le contre-scel,
savoir faisons que nous ayai.t bien agréable le
contenu en icelle, et désirant en ce qu'il nous
sera possible piomouroir à {'établissement
d'icelui, orner et enrichir de mciites conve-
nablts àti splendeur d'icelui, pour l'aug-
menta.ion de la gloire de Dieu en celui notre
dit royaume, que nous espérons devoir réussir
à la ils institution,- avons, de notre certaine
science, puissance et autorité royale, éteint et
su primé, éteignons et supprimons par ces
présentes l'état de grand maitre de Saint-La-
zare,qui a eu ci-devant lieu en notre dit royau-
me, et en ce faisant avons toutes et chacuncs les
commanderies, prieurés et bénéfices, de quel-
que qualité et condition qu'ils soient, qui ont
été sous ledit litre et en la collation, provision
et autres dispositions du grand maître, unies
et annexées et attribuées, unissons et annexons
et attribuons audit ordre et milice de Notre-
Dame de Mont-Carmel, pour dorénavant être
tenus, possédés et desservis par le grand maître
qui sera par nous établi; et les commandeurs,
chevaliers et au' r es officiers, qui seront créés par
ledit grand maitre, en vertu du pouvoir qui lui
sera donné pour cet ejftl, nonobstant tots sta-
tuts et institutions èi ce contraires, et nonobs-
tant oppositions ou appellations quelcon-
ques, desquelles si aucunes interviennent nous
avons retenu et réservé, reienons et réservons
la connaissance et juridiction ànous et et notre
conseil d'Etat, et icelle interdite et dé fondue,
interdisons et défendons à toutes nos cours et
juges quelconques. Si donnons en mandement
à nos amés et féaux conseillers, les gens te-
nant notre grand conseil, que ladite bulle et
ccsililrs présentes ils fassent enregistrer, cl le
contenu d'icel es 'lise: ver inviolabiement,sans
permettre qu'il y soit contrevenu en aucune
sorte et manière, cor tel est notre plaisir, etc.
Et afin, etc. Donné à Fontainebleau au mois
dejiiill.il l'an de grâce 1G08, et de notre règne
le dix-neuvième.
I.e roi donna ensuite la charge de grai
maitre de cet ordre à Philbert de Nérestan
gentilhomme de la chambre et meslre
camp d'un rcgimcnl d infanterie, qui a\-
4043
DICTIONNAIRE DF.S ORDRES RELIGIEUX.
1044
possédé annaravanl celle do grand maître do
l'ordre de Saint-Lazare. Il en prêta sonnent
entre les mains de Sa Majesté, qui, par un
acte du dernier octobre de la même année,
déclara de nouveau que les commanderies,
prieurés et autres bénéfices de l'ordre de
Saint-Lazare, qui élaienl en France et dans
les lerres et pays soumis à l'obéissance de
Sa Majesté, seraient affectes et appartien-
draient aux grand maître, chevaliers et offi-
ciers de l'ordre du Mont-Carmel, et qu'ils
en jouiraient do mémo que s'ils étaient ou
avaient été faits chevaliers de l'ordre de
Saint-Lazare ; et Sa Majesté ordonna aussi
qu'en conformité de la bulle de Paul V ces
chevaliers jouiraient des pensions dont il
lui plairait les gratifier sur les évêchés, ab-
bayes ou autres bénéfices consistoriaux qui
étaient à sa collation, quoiqu'ils fussent ma-
riés. Sur quoi l'archevêque de Bourges, André
F remiot, porlan lia parole au nom du clergé de
France, dans la remontrance qu'il fit au roi la
même année, pria Sa Majesté de ne pas permet-
tre que les chevaliers de Notre-Dame du Mont-
Carmel (qu'il appelait chevaliers de l'Annon-
ciade), engagés dans le mariage, enveloppés
dans les affaires du monde, et de qui le bras
deslinéau ferdevaitêtreplutôtcouverl desang
que de la fumée des encens et des sacrifices, mis-
sent les mains surles tables sacrées, prissent
les pains de proposition, et entreprissent sur
les revenus qui n'étaient voués que pour les
lévites et pour ceux qui offraient à l'autel. Le
roi répondit aux prélats, pour ce qui regar-
dait les chevaliers de l'Annonciade dont ils
parlaient, qu'il en avait institué l'ordre sous
le nom de la Vierge Marie dite du Mont-Car-
mel, à cause de la particulière confiance que,
à l'exemple des ducs de Bourbon et VenJô-
me, ses aïeux, il avait toujours eue au se-
cours et aux prières de cette sainte Vierge;
qu'il leur avait assigné non pas les revenus
ecclésiastiques , mais seulement ceux des
hôpitaux et commanderies qui avaient autre-
fois appartenu en son royaume à l'ordre de
Saint-Lazare, et que s'ils avaient outre cela
quelques petites pensions, c'était le papa
qui les leur avait accordées.
Cl, aide, marquis de Nérestang, fils de Phil-
bert, fut reçu en survivance dans la charge
de grand inaître en 1611. Charles, marquis de
Nérestang, fils de Claude, la posséda en 1039,
après le décès de son père, sur les provisions
du roi Louis Xlll. Charles-Achille de Né-
restang, second fils de Claude, en fut aussi
pourvu, en Hïi5, par le roi Louis XIV. Ses
provisions lui donnaient la qualité de grand
maître de l'ordre do Nolrc-Dame du Mont-
Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, il
fut confirmé dans celle charge par une bulle
d'Innocent X, et depuis ce temps-là le grand
maître et les chevaliers prirent le nom de
chevaliers de Notre-Dame du Mont-Carmel
et de Saint-Lazare do Jérusalem.
Le roi confirma encore l'institution de cet
ordre, au mois d'avril lfiOY, et le cardinal de
Vendôme, étant légal a Ltitere en France du
pape Clément IX, donna une bulle l'an 1GG8
pour l'union de ces deux ordres, confirmant
tous les privilèges qui avaient élé accordés
à celui de Saint-Lazare par les papes Pie IV
et Pie V. La même année le roi pourvut lo
marquis de Nérestang, fils de Charles-Achille,
de la charge de grand maître, il en prêta
serment de fidéiilé entre les mains de Sa
.Majesté, qui lui donna la croix de cet ordre.
Il partit ensuite pour aller commander l'es-
cadre des vaisseaux destinés pour la sûreté
du commerce de l'Océan. Il obtint, en 1672,
un édil du roi qui rétablissait les chevaliers
du Mont-Carmel et de Saint-Lazare dans
tous les droits qui avaient appartenu à leur
ordre, et qu'ils pouvaient avoir perdus, qui
confirmait l'union de ces deux ordres, et
leur donnait l'administration perpétuelle des
maladreries, hôpilaux, maisons-Dieu et au-
tres lieux dans le royaume, où l'hospitalité
n'était pas observée, et qui unissait à l'ordre
de Noire-Dame du Mont-Carmel les biens
de quelques ordres militaires et hospitaliers,
qui par cet édit étaient réputés éteints et
supprimés en France, spécialement les or-
dres du Saint-Esprit de Montpellier, de Saint-
Jacques de l'Epée, du Sainl-Sépn cre, de
Sainte-Christine de Somporl, de Notre-Dame
dite Teutonique, de Saint-Jacques du Haut-
Pas ou de Lucques, et de Saint-Louis de
Boucheraumont; pour des b'ens et revenus
de ces ordres, maladreries, hôpilaux, mai-
sons-Dieu et autres lieux, ainsi réunis à
l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel et
de Saint-Lazare, en êire formé par le roi des
commanderies, desquelles Sa Majesté et les
rois ses successeurs auraient, eu qualité de
chefs souverains de cet ordre, l'entière et
pleine disposition en faveur des officiers do
leurs troupes qui se feraient admettre dans
cet ordre, et sur ces commanderies y affecter
telles pensions qu'elles pourraient et dé-
viaient porter. Sa Majesté voulut aussi que
sur ces commanderies l'on prît, par forme do
responsion et de contribution, les deniers
nécessaires pour aider cl subvenir à l'entre-
tien des hôpitaux de ses armées et places
frontières on seraient reçus les officiers et
soldats blessés et malados, ayant jugé Cftte
application plus conforme aux intentions
des fondateurs des lieux pieux, à présent
qu'il n'y a presque plus de lépreux dans le
royaume, voulant néanmoins que ceux qui
seraient attaqués do ce mal fussent tous lo-
gés dans un même lieu aux dépens do l'or-
dre, conformément à son institution. El pour
l'exécution de cet édit et connaître de tous
les procès et différends qui naîtraient pour
raison des choses y contenues, le roi réso-
lut d'établir une chambre composée d'offi-
ciers des plus considérables de son conseil,
en laquelle chambre les procès et différends
seraient jugés en dernier ressort, lui don-
nant pouvoir d'enregistrer toutes déclara-
tions et arrêts, faire des règlements tels
qu'elle jugerait à propos, cl subdéléguer, en
cas de besoin, tant en matière civile que cri-
minelle; laquelle chambre durerait tout le
temps que Sa Majesté jugerait nécessaire et
à propos pour le bien des affaires de l'ordre,
1015
MO*
MON
1046
se réservant de la révoquer et supprimer
lorsque bon lui semblerait.
Le grand maître de Nérestang, pour par-
venir a l'exécution de. cet édit, convoqua
un chapitre général à l'.oigny, qu'il indiqua
au 19 lévrier 1673. Mais avant qu'il se tint,
il se démit volontairement de sa charge du
grand maître entre les mains du roi. Les
chevaliers, en ayant eu avis, assemblèrent
leur chapitre général le 27 janvier 1673, et
présentèrent une requête au roi, par laquelle
ils suppliaient Sa Majesté d'unir la charge
de grand maître de leur ordre à sa couronno
et d'agréer la postulation qu'ils avaient faite
de M. le marquis de Louvois pour gouverner
l'ordre en qualité de vicaire général.
Le roi déclara qu'il ne pouvait alors unir
à sa couronne la grande maîtrise, niais qu'il
agréait l'élection qui avait été faite par pos-
tulation dans le chapitre, du marquis de
Louvois pour régir les affaires de l'ordre
sous son autorité. Sa Majesté fit expédier des
provisions de grand vicaire en faveur du
marquis du Louvois le 4 février 1(573. 11 fut
reçu dans le chapitre do l'ordre en cette qua-
lité et confirmé dans le chapitre général qui
se tint le 19 iiu mémo mois à Boigny. On
poursuivit en c.iur de Home les bullesde con-
firmation. M. Co ;uelin, docteur de Sorbonne,
y lut envoyé pour les solliciter, mais ce fut
inutilement; car le pape Clément X ne les
voulut point accorder, ce qui n'empêcha pas
le marquis de Louvois de gouverner toujours
l'ordre et de recevoir les chevaliers.
L'édit de 1672, nonobstant les oppositions
de Louis-Nicolas Parnajon, général des Cha-
noines Hospitaliers de l'ordre du Saint-Esprit
de Montpellier, et celles des prétendus che-
valiers du même ordre, fut enregistré au
grand conseil le 20 février 1673. Le roi, con-
formémenl à cet édit, ayant établi une cham-
bre royale à l'arsenal de Paris le 8 janvier
de la même année, ordonna, par ses lettres
patentes du 22 février, qu'il y serait aussi
enregistré; ce qui fui fait le 23 du même
mois. Cette chambre était composée d'un
conseiller d'Etat ordinaire, de huit conseillers
au grand conseil, et d'un procureur général.
Sa Majesté, par ses lettres du 24 mars 1674-,
déclara que dans l'administration des hôpi-
taux cl lieux pieux, accordée à l'ordre de
Notre-Dame du Mont-Carmcl et de Saint
Lazare par cet édit de 1072, elle avait en-
tendu comprendre les hôpitaux fondés pour
la réception des pèlerins et des pauvres pas-
sants, et par un autre édit du mois d'avril
1675, elle déclara que, conformément à celui
de 1672 et à sa déclaration de 1674, l'ordre
de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-
Lazare de Jérusalem serait mis en possession
et saisine de l'administration de tous les hô-
pitaux, maladreries, commanderies et autres
lieux pieux qui lui avaient été accordés,
même de ceux qui avaient été ci-devant con-
cédés et accordés par Sa Majesté ou autres,
à quelques communautés ecclésiastiques ou
laïques, régulières ou séculières, lors de leur
fondation, premier établissement ou dotation,
de quelque qualité et ordre qu'elles fussent.
Voulant néanmoins que les hôpitaux, mala-
dreries, commanderies et autres lieux pieux,
qui étaient actuellement possédés par des
communautés tant séculières que régulières,
et qui leur avaient été abandonnés et unis
lors de leur fondation, dotation, et pour
servir à leur premier établissement, conti-
nuassent de jouir comme par le passé de
leurs bâliments, églises, chapelles, lieux ré-
guliers, autres logements, jardins cl clôtures
y joignant, soit que lesdits bâtiments et clô-
tures fissent partie des bâtiments anciens de
ces hôpitaux, maladreries et lieux pieux, en-
semble de tous les autres fonds et revenus
que ces communautés pouvaient avoir ac-
quis depuis leur établissement, et que sur
tous les biens, droits cl revenus dépendant
desdits hôpitaux, maladreries, commanderies
et autres lieux pieux, distraction serait faite
au profil desdilcs communautés de la moitié
de ces fonds et revenus (les charges ordi-
naires préalablement détruites), pourvu tou-
tefois que lesdits revenus n'excédassent pas
la valeur de deux mille livres par an; et
qu'au cas quo lesdits revenus excédassent
cette somme, il sérail fait seulement distrac-
tion du tiers au profit de ces communautés
pourleurentrelienelsubsistance; elà l'égard
de l'hospitalité pour laquelle ces lieux pieux
avaient été spécialement fondés, Sa Majesté
voulut qu'elle fût dorénavant exercée par
l'ordro de Notre-Dame du Mont-Carmel et do
Saint-Lazare.
Il y eut, par le moyen de ces édits et dé-
claration , un grand nombre d'hôpitaux,
maladreries et lieux pieux qui furent unis à
l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel et
de Saint-Lazare, et dont l'on forma cinq
grands prieurés et cent quarante-cinq com-
manderies. Le roi, par ses lettres patentes
du -28 décembre 1680, fit l'érection de ces cinq
grands prieurés, et Sa Majesté dressa encore
des règlements touchant la manière de par-
venir aux commanderies, tant anciennes
que nouvelles. Les cinq grands prieurés qui
furent érigés, furent celui de Normandie,
dont la résidence était au Monl-aux-Mala-
des près de Rouen; celui de Bretagne, dont
le chef-lieu était à Auray, et avait pour an-
nexe la commanderie de Blois ; celui de Bour-
gogne, dont la résidence était à Dijon ; celui
de Flandre, dont le chef-lieu était à Lille;
et le cinquième était celui de Languedoc. On
établit aussi un conseil de l'ordre à l'Arsenal,
qui fut composé du vicaire général, du chan-
celier, du procureur général, du grand mai-
Ire des cérémonies, du trésorier, du secré-
taire et de cinq conseillers de l'ordre.
Mais après la mort du marquis de Louvois,
arrivée le ÎG juillet 169.1, les affaires de cet
ordre changèrent de face. Sur les remontran-
ces que firent au roi quelques ordres qui
avaient été déclarés éteints ou supprimés de
fait ou de droit, et dont les biens avaient
été unis à celui du Mont-Carmel el de Saint-
Lazare par ledit de 1672, Sa Majesté nomma
des commissaires pour l'examen de cet édit;
et après que les commissaires eurent écouté
les raisons des parties et en eurent fait rap-
1047 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 1048
porl au roi, Sa Majesté, par un autre édil du tanné amarante et de sinople, orlée d'or, et
mois de mars 1C!)3, révoqua celui de 1672, s'étendant par les extrémités jusqu'aux bords
désunissant de l'ordre de Notre-Dame du de la daîmalique. Dessus celle daîmalique il
Mont-Carmel et de Saint-Lazare, les maisons, porte un manteau long de velours amarante,
droits, biens et revenus, qui étaient possédés, doublé de satin vert, semé de fleurs de lis
avant le premier édil, par les ordres du d'or et de chiffres de doubles M pour l'ordre
Sàinl-Espritde Montpellier, de Saint Jacques du Mont-Carmel, et de doubles L entrelacés
de l'Epée de Lucqucs, du Saint-Sépulcre, de d'un S pour l'ordre de Saint-Lazare, avec
Sainte-Cliristine de Somporl, de Noire-Dame une bordure autour du manteau composée
dite Tcutonique, de Saint-Louis de Bouche- du même chiffre, posées entre trois couron-
raumonl, et autres ordres hospitaliers, mili- nés, et un cariouche où est le chiffre du
tair s, séculiers et réguliers; comme aussi grand maître , de fleurs de lis avec deux pâl-
ies maladrericset léproseries, hôpitaux, ho- mes en sautoir derrière, et de trophées, le
tels-Dieu, maisons-Dieu, aumônerics, con- lout en broderie d'or. Le collet de ce man-
fréries, chapel'es et autres lieux pieux du teau est de salin vert, sur lequel sont le»
royaume, même ceux destinés pour les pè- mêmes ornements en broderie qu'au bord du
lennsel les pauvies, unis à l'ordre de Notre- même manteau, et du côté gauche est la
Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare croix de l'ordre aussi en broderie,
par I édil de 1072 et déclarations intervenues T ,, .... , , ,. ,, ,,
en conséquence, soit que ces hôpitaux ou . L habillement des chevaliers est semblable
lieux [ieux fussent possédés en tilre de béné- a celul du Sra,nd maure, excepte que le man-
liccs ou de simples administrations, et quoi- \c,au cst seulement borde d'un petit galon
que l'hospitalité n'y fût pas gardée. Sa Ma- d or' sans, a"cun c,l,ffre ni aulres or,,l>-
majes:é voulut que les biens et revenus pos- m,e"tsau bol'd et au reste du manteau, qui
sédés avant cet édit de 1672 par les ordres '.' a, PonU DOn, Plus de coilet S et la cr(,,x de la
du Saint-Esprit de Montpellier el les autres «almatique n est point non plus orlée d'or,
leur fussent rendus el reslitués, et maintint C01lmie celle d" grand maître. Les chapelains
les chevaliers de Notre-Dame du Mont-Car- 0,"iun8 butane de moire amarante, avec un
melelde Sainl-Lazare dans la possession rochel par-dessus; el dessus ce rpchot un
des commanderies, prieurés, hôpitaux et c;" , aussi ,do ,no"'° amarai>le, au côté
aulres lieux qui leur appartenaient avant ga"che duquel il v a aussi la croix de l or-
cet édil. dre en broderie. L habillement des frères ser-
Au mois de décembre de la même année, ™nts consiste pareillement en une dalmati-
Sa Majesté nomma pour grand mailre de cet que de sal'" blanc' sur laquelle '• Y a ausf'
ordre M. le marquis de Dangeau, qui en une cro,x éçartelée de tanne amarante et de
celle qualité lui prêta serment de fidélité le s,'n."pU-' "ia's qul " esl qu alaisée- Sur ceUe
18 décembre 1695. Le 29 janvier de l'an- ««almatiiiue ils portent un manteau, seule-
née suivante, 10%, il se rendit dans l'église mÈnf,de draP amarante, borde d'un peut ga-
des Carmes des Billettes, où il jura sur les 0I1 d or; et au côté gauche de ce manteau est
saints Evangiles d'observer et de faire ob- k'ur '»edail|e en broderie. Le héraut porte
server par les chevaliers les statuts de cet u"e d;llll)at"iue de velours amarante, sur
ordre. Ensuite les ancien-, chevaliers lui pré- 1;,que le P.ar devan'. Par dernere Cl sur les
tèreut obéissance, et après la messe il en fit '"anches, il y a les armes de 1 ordre en bro-
trenle-cinq nouveaux, auxquels il donna i'é- dene d or' l e<?u su»nonle d une couronne a
pée, la croix elle livre des règles. anique ; sur la manche droite il y a écrit, en
•Jusque-là ces chevaliers n'avaient point T1™* d °r l'n brodcnc : 0ldre de Notre-Dame
eu d'habits de cérémonie, ils portaient seu- "" M-ont-Carmel; et sur la manche gauche :
lement à la boutonnière du justaucorps, com- (t ' nl-Lazare.
me ils portent encore à présent, une croix Les uns et les autres, à la réserve des cha-
d'or à huit raies, d'un côlé émaillée d'à ma- pelains, qui ont un bonnet cane, ont une lo-
rante avec l'image de la Vierge au milieu, et que de velours noir, >ur laquelle il y a une
de l'autre côté émaillée de sinople avec l'i- aigrette noire, accompagnée de deux plumes,
mage de saint Lazare aussi au milieu, chà- l'une amarante el l'autre verte. Ils ont tous
que rayon pommelé d'or, avec une fleur de des bas de soie amaranlc el des souliers de
lis aus-i d'or dans chacun des angles de la velours de même couleur, dont les oreilles
croix qu'ils attachent à un ruban de couleur sont de satin verl en broderie d'or. Les novi-
uinaranle; el les frères servants ne portaient, ces ont un petit manteau de salin verl, au-
romme ils font encore à présent, qu'une nié- 1UI' '' J a une espèce de ca puce attaché par
ilaille aux mêmes émaux, attachée à une derrière; l'huissier n'a qu'un justaucorps de
chaîne sans ruban. Mais M. le marquis de drap amarante, el précède dans les cérèmo-
Dangeau a ordonné des hab ts pour les céré- "ies les chevaliers, portant sur l'épaule une
monics, et qui sont différents selon la qua- masse de vermeil. Il y a encore l'huissier de
lilé des chevaliers. l'ordre, qui a seulement un justaucorps vio-
L'habillement du grand maître consis'een 'cl et porte une niasse de vermeil (1).
une daîmalique de salin blanc, sur laquelle Ils s'assemblent ordinairement aux Cir-
îl y a par devant et sur les manches u;:e mes des Billettes , mais ils solennisent la'féte
croix large de quatre pouces, écarlclée de de Noire- Dame du Mont-Carmel et celle de
(I) V»y. à la lin du vol. n<» 25i à -260.
1049
MON
MON
10«0
saint Lazare dans l'église de Saint-Germain
des Prés, où ils se trouvent tous en habit de
cérémonie.
Pour être reçu dans cet ordre, il faut faire
preuve de nolilesse de trois quartiers, tint
du côté paternel que maternel. Le grand
maître peut néanmoins dispenser de là ri-
gueur d 'S preuves de noblesse ceux qui ont
rendu des services considérables au roi ou à
l'ordre, et les recevoir cbevaliers de grâc?.
Les ecclésiastiques qui veulent faire preuve
de nob'esse tiennent rang parmi les cheva-
liers de justice, et il y a encore des chape-
lains et des frères servants qui ne sont pas
nobles. Les chevaliers, tant ecclésiastiques
que laïques, payent pour leur passage dans
l'ordre, mille livres, et les chapelains et les
frères servants, cinq cents livres.
Voici ce qui se pratique à leur réception
et à leur profession, conformément au nou-
veau cérémonial imprimé en 1703. La messe
étant finie et le grand maître ou son repré-
sentant étant assis dans un fiuteuil, l'offi-
ciant, revêtu d'une chape, fait les bénédictions
de la crois et de l'épée, après quoi le no-
vice, qui a toujours été à genoux pendant
ces bénédictions, se 1ère et va se présenter
devant le grand maître, qui lui dit : Que de-
mandez-vous? Le novice répond: Je vous
supplie très-humblement, Monseigneur, de me
donner l'ordre de chevalerie de Notre-Dame
de M ont-Car mel et de Saint-Lazare de Jéru-
salem. Le grand maître lui dit : Vous me de-
mandez une (jrdee qui ne doit être accordée
qu'à ceux que le mérite en rend dignes autant
que la noblesse de leur naissance, et qui sont
disposés à la pratique des œuvres de mis :ri-
eorde envers les pauvres de Jésus-Christ, et à
verser leur sang pour la défense de la religion
chrétienne et pour le service du roi. Nous
avons appris par des preutes certaines que
les conditions et dispositions nécessaires à la
grâce que vous nous demandez se trouvent en
rous, ce qui nous a mus à vous l'accorder.
Etes-i ous disposé à vous servir île votre épée
pour la défense de l'Eglise, le service du roi,
l'honneur de l'ordre et la protection des mi-
sérables? Le novice répond: Oui, Monsei-
gneur, avec l'aide de Dieu. Ensuite le grand
maîirc lui dit: Je vais vous recevoir dans
l'ordre royal, militaire et hospitalier de N i-
tre-lJame du Monl-Carmel et de Saint-Lazare
de Jérusalem, au nom du Père, el du Ftls, et
du Saint-Esprit. Il fait, en prononçant ces
paroles, le signe de la croix sur le novice.
Il se lève de son fauteuil, lire son épée du
fourreau et en donne deux coups, l'un sur
l'épaule droite, l'autre sur l'épaule gauche
du novice en lui disant : Par Notre-Dame du
Mont-Carmel et pur saint Lazare, je vous fuis
chevalier.
Le nouveau chevalier se met ensuite à
genoux devant le grand maître, et reçoit de
lui l'épée en baisant la main du grand maî-
tre, qui, en lui donnant l'épée, lui dit -.Servez-
vous de votre épée selon l'esprit de la religion,
el non pas selon le mouvement de vos pas-
sions, el souvenez-vous que vous n'en devez
jamais frapper personne injustement. Cheva-
lier, soyez désormais vigilant au service de
Dieu et de la religion, obéissant à vos sapé-
rieurs, soumis à leurs ordres et patienta leurs
corrections. Sachez que les lois de la religion
où vous êtes entré vous obligent à l'exercice
de toutes les vertus chrétiennes et momies, et
à les porter à un /dus huit point que ne fait
le commun des chrétiens.
Le grand maître, en donnant la croix au
nouveau chevalier, lui dit encore: Je vous
donn- la croix de notre ordre; vous ta porte-
rez toute votre vie au nom de la sainte Tri-
nité, Père, Fils et Saint-Esprit. Elle vous doit
faire souvenir de la passion de Noire-Sei-
gneur, etvous engage v) l'observance des suintes
règles et des statuts de la religion. Elle est
ornée de /leurs de lis, pour vous enseigner la
fidélité que vous devez avoir pour le service
du roi, dont la piété «t le zèle ont donné de
l'appui et de la gloire à notre ordre. 11 lui
doune ensuite le livre des prières et statuts
de l'ordre, en lui disant : Je vous donne
aussi le livre des prières et des statuts de no-
tre ordre ; tous y apprendrez quels sonl vos
devoirs.
Après ces cérémonies, le nouveau cheva-
lier, ayant les mains posées sur les saints
Evangiles que tient le grand maître, pro-
nonce à haute voix ses vœux en ces termes:
Moi N. promets et voue à Dieu tout-puissant,
à la glorieuse Vierge Marie, mère de Dieu, à
saint Lazare, et à Monseigneur le grand maî-
tre,d'observer toute ma vie les saints comman-
dements de Dieu et ceux de la sainte Eglise
catholique, apostolique et romaine ; de servir
d'un grand zèle à la défense de lu foi, lors-
qu'il me sera commandé p ir mes supérieurs,
d'exercer lu charité et les teuvres de miséri-
corde envers les pauvres, et particulièrement
les lépreux selon mon pouvoir, de garder au
roi une inviolable fidélité; et à Monseigneur
le grand maître, de lui rendre ime parfaite
obéissnice, et de garder to ite ma vie la chas-
teté libre el conjugale. Ainsi Dieu très-bon,
tris-grand et très-puissant me soit en aide, et
les saints Evangiles par moi touchés. Si l'on
reçoit un étranger qui n'est pas sujet du roi,
il dit seulement, de garder à Monseigneur
le grand maître une fidélité inviolable, de lui
rendre une parfaite ob issance, etc.
Après que le nouveau profès a prononcé
se< vœux, le grand maître lui dit: Venez
présentement gucje vous embrasse et que je
vous reconnaisse comme notre frère et cheva-
lier de notre ordre, et en cette qualité défen-
seur de la fui. fidèle serviteur du roi, protec-
teur des pauvres, et sujet et soumis à nos rè-
glements. Allez remercier Dieu delà grâce qui
vous est fuite et signer votre profession et
vos verux. Si c'e-l un étranger., on retranche
aussi ces trois mots : Fidèle serviteur du roi.
Quoique l'on voie des armes de la plupart
de ces chevaliers entourées d'un collier, ils
ne le portent pas néanmoins dans les céré-
monies, ce collier n'ayant pas été encore ap-
prou\é p.ir le roi, comme l'ont été les habits
que M. le marquis de Dangeau a ordonnés
pour les cérémonies aux fêles solenuel'es et
aux grandes assemblées do l'ordre depuis
1051
DICT10NNA1KE DES OKDRES RELIGIEUX.
lu.N*
qu'il en cil grand maître. Ce collier, qui est
d'or, est composé de chiffres qui désignent le
nom de la sainte Vierge par ces deux lettres
M et A, entrelacées l'une dans l'autre : entre
ces chiffres il y a trois giosses perles, et au
bas du collier pend la croix telle que nous
l'avons décrite. Peut-être que ce collier
pourra être autorisé par Sa Majesté lors-
qu'elle approuvera les nouveaux staluts de
l'ordre auxquels l'on travaille actuellement ;
car sur les différends survenus depuis quel-
ques années entre le grand maître et lechan-
celier de l'ordre, qui ont donné lieu à plu-
sieurs faclums de part et d'autre, le roi
ayant nommé des commissaires pour en con-
naître, il a été orJonné que l'on tiendrait
un chapitre général, où l'on dresserait de
nouveaux staluts pour servir à l'avenir de
règlements uniformes dans l'ordre, et ce cha-
pitre s'est tenu au mois de décembre de l'an-
née dernière.
Bernard Giustiniani, Hisl. chronuhg. di
tutti gli Ordini militari. P. a Sancto An-
dréa, Hist. gênerai. Fratrum Discalceulo-
rum ord. B. M. Virg. de Monte Carmelo.
Toussa nt de Saint-Luc, Abrégé hist. de
l'institution de l'ordre de Notre-Dame du
Mont-Carmel, Du même, Office à l'usage des
chevaliers de cet ordre, avec leurs règles et
statuts, cérémonial de la réception et profes-
sion des mêmes chevaliers, et plusieurs fac-
lums et mémoires concernant cet ordre.
11 semblerait qu'après les décisions ou ar-
rêts de deux souverains pontifes, l'ordre do
Saint-Lazare eût dû être regardé comme
éteint en France ; loin de là, il s'y est main-
tenu, et après sa renaissance, dans son union
avec l'ordre du Mont-Carmel, il est devenu
plus brillant qu'auparavant, et même, par,
une disposition toute contraire à ce qui s'est
vu dans les autres ordres, celui-ci a été plus
finissant à ses dernières années que dans
es siècles précédents. 11 est vr.ii qu'il n'é-
tait plus guère considéré que comme cheva-
lerie honorifique , au lieu d'être regardé
comme ordre religieux, ainsi qu'il l'avait
été à son origine.
Ce qu'il y a de plus surprenant, c'est qu'un
ordre entièrement el uniquement religieux,
l'ordre de Saint-Kuf, ail cherché, ait obtenu
son union canonique à l'ordre des chevaliers
de Saint-Lazare et du Mont-Carmel.
Les deux instituts travaillèrent à cette
réunion par des motifs convenables dans
les chevaliers du Mont-Carmel, mais peu
honorables dans les chanoines de Saint-Kuf,
car ils n'y cherchaient qu'une voie honnête
pour quitter leur règle et leur sainte profes-
sion. Nous parlerons plus longuement de
cette affaire à l'article Rcf (Saint-), mais
nous devons en donner ici une idée suffi-
sante; et cela se commença avant l'édil qui
créa, en 17G8, celle commission si funeste
aux ordres monastiques en France, el dont
nous ferons connaître l'esprit, surtout dans
notre Supplément.
Le projet avait été formé par l'abbé de
Saint-Kuf cl quelques membres de sa con-
grégation. Le 5 janvier 17G0, il* passèrent
un concordat avec les chevaliers de Saint-
Lazare; le 11 octobre, ils obtinrent de
Louis XV un brevet qui permit aux chanoi-
nes réguliers de Saint-Kuf de poursuivre en
cour de Rome leur sécularisation, etc., et
l'union de leurs biens à l'ordre de Notre-
Uarae du Mont-Carmel et de Saint Lazare.
L'assemblée du clergé de France, en 1762,
blâma et réprouva ce susdit concordat qui
lui avait été déféré, et se plaignit à Home.
Clément XIII ne voulut point accorder aux
deux ordres ce qu'ils demandaient. Clé-
ment XIV fut moins difficile, mais néan-
moins n'agit que parce que, dit-on, il se
laissa surprendre. 11 donna, le 1« juil-
let 1771, un bref qui sécularisait les mem-
bres de l'ordre de Saint-Kuf supprimé, et
les unissait à l'ordre de Saint-Lazurc. L'af-
faire était déplorable sans doute, mais de-
vait être finie, puisque le pape avait pro-
noncé. Il n'en fut point ainsi. Le clergé de
France, réuni en 1772, fit tous ses efforts
pour empêcher l'exécution du bref. Dans
son assemblée du 23 juin, il entendit un
rapport admirable sur ce malheureux inci-
dent, et, chose étonnante I cet excellent rap-
port était de Btienne, archevêque de Tou-
louse, qui devait bientôt contribuer si lar-
gement à la destruction de l'état religieux
dans noire pays. Le bref fut révoqué par une
bulle du 10 décembre 1772, confirmée par
lettres patentes du 18 janvier 1773, enregis-
trées le 27 février suivant. Cette bulle ras-
sura le clergé sur les projets d'envahisse-
ment de l'ordre de Saini-Lazare. Celui-ci,
au moyen d'un dédommagement accordé par
le clergé, renonça pour toujours non-seule-
ment à toute prétention sur les biens de
Saint-Kuf, des Céleslins ou de toute autre
congrégation, mais à toute espèce de répéti-
tion des biens qu'il pouvait croire lui avoir
appartenu et dont jouissaient les hôpitaux,
et généralement tous les établissements ec-
clésiastiques séculiers ou réguliers.
Ce n'était pas seulement auprès des cha-
noines de Sainl-Kuf que l'ordre de Saint-La-
zare avait l'ait des tentatives d'invasion,
mais il avait été autorisé par un brevet à
traiter avec les Célestins ; plusieurs ordres
avaient été tentés, et spécialement les Anlo-
nins, qui heureusement résistèrent, et qui,
par des motifs plus nobles, s'unirent aux
chevaliers de Malte, qui les firent bientôt se
repentir de cette union.
Grands maîtres de l'ordre de Saint-Lazare et
commandeurs de Boigny.
Frère Gérard (suivant le P. de Saint-Luc).
Thomas de Semville, maître et procureur
général de l'ordre et chevalerie de Saint-
Ladre de Jérusalem et chapitre de lioigny.
Frère Jean de Paris, mort en 1304. — La
P. de Saint-Luc, pag. L'i8, 149, cite celte
inscription de la Sainte-Chapelle de Boigny :
Ci-git frère Jean de Paris, chevalier, jadis
maître de l'ordre de Saint-Lazare de Jérusa-
lem, gui trépassa l'an de grâce 1304, le lundi
deuxième jour du mois de janvier. Priez Dieu
pour l'âme du défunt.
«053
MON
MON
105i
Frère Jean de Couras, chef maîlrc de
tout l'ordre de Sainl-Lazarc de Jérusalem.
Jean de Bévues, chef général et maître de
tout l'ordre de Sainl-Lazarc, tant deçà que
delà la mer. Il est enterré à Boigny, et on
lit ce qui suit sur sa tombe : De Beïnes,
chevalier, jadis maître de l'ordre de Saint-La-
dre de Jérusalem. (Tout le reste est effacé
jusqu'à ces mots :) Priez Dieu pour l'âme du
défunt.
Pierre des Buaulx, maître de tout l'ordre
de Saint-Lazare de Jérusalem.
Frère Pierre Le Cornu. — D;ins son ou-
vrage, Sainl-Luc dit que, dans un acte capi-
tulaire du mardi des fériés de la Pente-
cote 1481, il est fait mention que ledit Le
Cornu avait succédé au grand maître des
Ruaulx, et qu'il prenait dans cet acte la qua-
lité de chevalier, grand maître de tout l'ordre
et noble chevalerie de Saint-Lazare de Jéru-
salem, deçà et delà la mer.
1488. Frère François d'Amboise, maître
et chef général de tout l'ordre de Saint-La-
zare de Jérusalem.
1494, 1506, 1511. Frère Agnan de Mareuil.
1521. Frère François de Bourbon. —Sainl-
Luc cite un aveu du 18 juin 1521.
1547. Frère Claude de Mareuil. — Saint-
Luc cite l'arrêt du parlement du 16 fé-
vrier 1547, où ledit Claude de Mareuil est
établi commandeur de Hoigny et maître gé-
néral de l'ordre de Saint-Lazare de Jérusa-
lem. Cet arrêt est aux archives. H y en a
d'autres du dernier janvier 1544, du 20
août 1547, 18 août 1548, 15 juin 1549,
18 millet 1551.
Frère Jean de Conti. — Sainl-Luc cite un
acte capilulaire d'un chapitre général tenu à
Boigny aux fériés de la Pentecôte, dans le-
quel ledit frère Jean de Conti est étal) i maî-
tre général de tout l'ordre de chevalerie de
Saint-Lazare de Jérusalem deçà et delà la
mer, et donne à un chevalier natif de Cala-
it re l'administration des biens dépendant de
l'ordre du territoire de Suessano dans la
Pouille, à la charge de 220 florins.
Frère Jean de Lévi. — Sainl-Luc dit qu'il
fut pourvu de cette charge par Henri II,
qu'il obtint des bulles en cour de Home, et
qu'il se démit de sa charge entre les mains
du roi. 11 cité* un arrêt du grand conseil du
10 décembre 15(55, dans lequel ledit de Lévi
est nommé [trieur et commandeur du prieuré
et commanderie de Boigny, grand maître et
administrateur de l'ordre de Saint-Lazare.
1567. Frère Michel de Seure. — Aux ar-
chives , arrêts du parlement du 18 jan-
vier 1571 et 1574, où ledit de Seure e»l établi
chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusa-
lem, commandeur de la commanderie de
Boigny, grand maître et administrateur de
Saint-Lazare de Jérusalem.
1578. Frère François de Silviati. — Ar-
rêts du parlement de Paris, 31 août 1584,
29 janvier, 8 avril et 24 mai 1585, 8, 16,
22 mai, et 5 août 1586, 9 et 10 mars 1587,
et 4 juin 1597.
1604. Thilipert de Néreslang, grand maître
de l'ordre de Saitit-Lazare, sur la démission
de Charles de Gayanl, el grand maître de
l'ordre de Notre-Dame de Mont-Carmel.
1612. Claude de Néreslang, grand maître
de Saint-Lazare el de Notre-Dame de Mont-
Carmel.
1G39. Charles-Achille, marquis de Néres-
lang, reçu en survivance, le 16 août.
1645. Ledit Charles-Achille, marquis do
Néreslang.
1673. François Le Tellier, marquis de
Louvois, grand vicaire général de l'ordre de
Noire-Dame du Monl-Carmel et de Saint-
Lazare de Jérusalem, sur la démission vo-
lontaire de M. Charles-Achille, marquis de
Néreslang.
1693. Philippe de Courcillon, marquis do
Dangeau.
1721. Louis, duc de Chartres, puis duc
d'Orléans.
Après la mort de M. le duc d'Orléans, ar-
rivée en 1752, le roi fut quelques années
sans donner de grand maître aux ordres
royaux, militaires et hospitaliers de Notre-
Dame de Monl-Carmel et de Saint-Lazare de
Jérusalem. Déterminé enfin à en nommer
un, il fit choix, en 1757, de M. le duc de
Berri, fils de France, et le pape Benoît XIV,
mort en 1758, accorda à ce prince les bulles
nécessaires, qui lurent enregistrées la même
année au grand conseil. Et attendu la trop
grande jeunesse dudit prince, Sa Majesté
nomma, au mois de juin de l'année susdite,
M. Louis Phelypeaux, comte de Saint-Flo-
rentin, conseiller en tous ses conseils, mi-
nistre et secrétaire d'Etat, pour régir, admi-
nistrer et gouverner lesdils ordres, jusqu'à
ce que le nouveau grand maître fût en âge
d en prendre par lui-même l'administration.
Le roi, voulant aussi aviser aux moyens les
plus propres pour que lesdits ordres pus-
sent se soutenir avec splendeur , jugea à
propos d'expliquer par un nouveau règle-
ment ses intentions sur le nombre des che-
valiers dont il veut qu'ils soient à l'avenir
composés, et sur les qualités des personnes
qui y seront admises. Ce nouveau règlement,
dalé du 15 juin 1757, est compris en xv arti-
cles, dont les principaux sont : Que nulle
personne ne pourra être reçue et admise à
l'avenir par le grand maître desdits ordres,
qu'elle n'ait fait ses preuves de la religion
catholique, apostolique et romaine, et celle
de quatre degrés de noblesse paternelle seu-
lement, le novice compris ; que le nombre
des chevaliers sera fixé à l'avenir à cent, y
compris les ecclésiastiques, qui ne pourront
y occuper plus de huit places, et qui seront
obligés aux mêmes preuves que les cheva-
liers laïques ; qu'on recevra, par préférence
à toutes autres considérations, les person-
nes qui seront ou qui auront été employées
au service de Sa Majesté dans l'intérieur du
royaume, près de sa personne, dans les cours
étrangères ou dans les places ou emplois
de confiance; qu'il faudra avoir l'âge de
30 ans accomplis pour être reçu, ou au
moinsde25ans accomplis, au cas que quelque
raison particulière oblige à admettre quel-
qu'un au-dessous de l'âge de 30 aus; qu'il
1055
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
io:>6
ne sera plus reçu à l'avenir dans lesdils or-
dres, des chevaliers de grâce, commandeurs,
fondateurs ni servants ; que le droit de
passagt: et autres frais qui seront payés par
chacun des chevaliers qui seront à l'avenir
admis dans lesdits ordres, sera fixé à la
somme de 1,000 livres, et le droit des officiers
à celle de 120 livres, pour être distribuée
entre eux suivant l'usage jusqu'à présent
observé, indépendamment des honoraires du
généalogiste; que les chevaliers porteront
au cou la croix desdits ordres attachée à un
ruban de couleur amarante , et dans les
occasions de cérémonie ils porteront la
croix ainsi et de la manière dont il en a été
usé jusqu'à présent ; que ceux des gentils-
hommes qui auront été élevés dans l'école
royale militaire et que Sa Majesté jug'ra à
propos d'admettre dans lesdits ordres, y se-
ront reçus, en faisant également preuves de
la religion et de la noblesse, comme les au-
tres; mais qu'ils pourront y être admis quoi-
qu'ils n'aient pas l'âge présent, et que le
nombre de cent soil rempli, et aussi avec
exemption du droit de passage et de tous
autres droits. Ces règlements ont été laits
et arrêtés à Versailles, le roi y étant, le
15 juin 1757 , el imprimés à l'imprimerie
royale, in-4°.
Il y eut encore une confirmation des or-
dres du Monl-Carmel et de Saint-Lazare,
par Louis XV en 1770. Lorsque la révolu-
tion, en 1700, le 20 juin, abolit les ordres de
chevalerie, titres, etc., le grand maître et
chef général de celui-ci élail Monsieur, de-
puis Louis XV11I. Le comte d'Agoult était
prévôt et maître des cérémonies ; Gaultier de
Sibcrl était historiographe, el il a justifié
celte fonction en donnant en effet l'histoire
de l'ordre. 11 y eut un grand nombre de che-
valiers nommés en 1788; nous ignorons s'il
y a eu des promotions postérieures à cette
date. Dans un chapitre tenu eu avril 177i, il
fut ordonné à tous les chevaliers el com-
mandeurs de porter une croix verte à huit
pointes, cousue sur l'habit, el dans les cé-
rémonies sur le manteau, et depuis 177S
cette croix élail en paillons d'or verl.
A la restauration, cet ordre reprit son rang
et ses digni es. Le roi fut toujours désigné
comme prolecteur, mais il n'y eut pas de
grand maître nommé, ni de promotions fai-
tes, quoique nous croyions qu'une ordon-
nance royale ait été rendue, en novem-
bre 181G, en laveur de l'ordre de Saint-La-
zare. M. Silvestre reprit les fonctions de
héraut d'armes, qu'il avait avant la révolu-
tion. M. Dacier lut historiographe; les che-
valiers curent un chapelain en litre à Ver-
sailles, AI. l'abbé Picot. Ces trois derniers
vivaient encore en 1830, el l'ordre comptait
alors quatorzechevaliers. Louis XVIII, étant
à Mitiau, avait nommé le baron de Drcisen,
officier russe, à la dignité de chevalier d'hon-
neur de Tordre de Saint-Lazare.
Presque tous les historiens, les Indica-
teurs t etc., écrivent Ordres de Suint-Lazare
tl du Mont-Carmd réunis.... C'est une er-
reur ou un oubli. L'ordre de Saint-Lazare,
aboli, avait été absorbé par l'ordre du Mont-
Carmel, sous la lettre duquel nous les avons
placés ici. Il est vraisemblable que cet ordre
religieux et militaire est pour toujours aboli
en France, où il a disparu par le fait à la
révolution de juillet 1830. — Almanach
Royal. — Mémoire sur l'état religieux et sur
la commission établie pour les Réguliers, in-12
(par l'abbé iMey). — Dictionnaire de Mo-
réri, édition de 1759. — Histoire des ordres
royaux, hospitaliers et militaires de Saint-
Lazare de Jérusalem et de Notre- Dr.me du
Monl-Carmel; Liège el Bruxelles, 1775, iu-4%
par Gaullisr de Sibert, etc. I5-d-e.
MONT-CAHMEL (Tiers Ordre du).
De l'origine du Tiers Ordre des Carmes et des
Béates du même ordre.
Le P. Papebroch s'est trompé lorsqu'il dit
(Respons. ad P. Sebastianum a S. Paulo, art.
20, n. 16) que la marque que les religieux
de Saint-François donnent à leurs tierciaires
est un cordon, et que celle que les Carmes
donnent aussi à leurs tierciaires est un petit
scapulaire en forme de billeltes. C'est ainsi ,
dit-il , que les Français nomment de petits
morceaux de drap longs et carrés; et c'est
aussi pourquoi l'on a donné à Paris le nom
de Billeltes aux Carmes qui ne sont pas dé-
chaussés.
Premièrement il n'est pas vrai que les
Carmes de l'Observance de Rennes, qui sont
ceux qu'on nomme Billeltes à Paris, aient
été ainsi appelés à cause du scapulaire en
forme de billeties qu'ils donnent aux per-
sonnes qui ont dévotion de le recevoir, car
il y avait déjà plus de trois cents ans que ce
nom était donné aux religieux hospitaliers
de la Charité de Notre-Dame, qui cédèrent,
l'an 1632, à ces religieux Carmes le couvent
des Rillettes, qui fui bâti l'an 1291 en la rue
des Jardins, appelée dans la suite des Billet-
ies, à la place de la maison d'un juif qui avait
fait plusieursoutrages à la sainte hostie, qui
depuis ce temps-là a été conservée avec beau-
coup de vénération dans l'église de Saint-
Jean en Grève ; et quoique les Français
donnassent autrefois le nom de billeltes à des
pièces d'étoile d'or, d'argent, ou de couleur,
plus longues que larges, qui se cousaient
par intervalle sur les habits pour leur servir
d'ornement, et qu'on a depuis transportées
surlesécus, comme on peut voir dans les
armoiries des maisons de Choiseul , de Beau-
manoir el de plusieurs autres, néanmoins
ce mot a eu plusieurs significations, et se
prend encore pour une enseigne en forme de
barillet qu'on met aux lieux où l'on doit
péage (Dictionnaire universel de Trévoux, au
mut Billettk). Ainsi il y a bien de l'appa-
rence que le nom de Billette, qui a été donné
d'abord au monastère que les Carmes occu-
pent à préseul depuis l'an 1632, lequel leur
fut cédéel qui a été bâti , comme nous avons
dit , dès l'an 1294, vient de ce qu'à la maison
du juif qui fut démolie il y avait pour ensei-
gne trois ou quatre billeltes, comme remar-
que le P. du Breuil dans les An iquités de
«057 MON MON r>58
Paris (liv. u, pag. 977),sice n'c t ,dil ce Père, soupe seulement à parler de scapulaire parmi
que Tonne voulût dériver ce nom du mol latin les (larmes.
bilis ntrn, delà colère et fureur de ce juif. Mais pourquoi la confrérie du Scnpulaire
Il n'esl pas vrai non plus que les religieux n'aurait-elle pas été établie plus de quatre
de Sainl-François donnent à leurs tierciaires cents ans avant i|ue les ('.armes eussent porté
un cordon , et les Carmes un petit scapulaire le scapulaire , puisque leur troisième ordre a
composé de deux petits morceaux de drap été institué, selon quelques-uns de leurs
carrés. Le P. l'apebroch a sans doute con- écrivains, plus de deux mille ans avant que
fondu les confrères du cordon de Saint-Fran- l'on eût connu le premier? Entre les autres
cois et du scapulaire des Cannes avec I s Didace Marlinez Curia, dans un traité parli-
tierciaires de ces ordres. Il y a ce| endant une culierqu'ila fait de ces tierciaires, imprimé à
grande différence entre les uns et les autres; Séville en 15i>2, dit qu'ils descendent immé-
car quoique le mol deconfrériesoil fort hoiso- dialement du prophète Elie , aussi bien que
rable , et qu'on entende par là plusieurs les Garnies. En effet, entre les grands hommes
personnes unies ensemble par les liens de la qui ont fait profession,;! ce qu'il dit. de ce Tiers
charité pour s'employer à de bonnes œu- Ordre, il met le prophète Abdia*, qui vivait
vres, et que ces sortes de confréries aient été huit cents ans avant la naissance de Jésus-
approuvées par le saint-siége ou par les Christ , et il a cru que cet ordre serait aussi
évéques des lieux où elles sont établies, beaucoup honoré, si aux personnes de l'autre
néanmoins les règlements et ce qui serf à y sexe qui en ont aussi fait profession il joi-
maintenir une observance uniforme ne sont gnait la bisaïeule du Sauveur du monde, sous
que sous le nom de statuts, et il suffit pour le nom emprunté de sainte Eméreniicnne.
y entrer de se faire enregistrer dans la liste Pour prouver l'antiquité prétendue de ce
des confrères ; au lieu que ce qui sert à Tiers Ordre, il rappoiteles bulles Me Léon IV",
maintenir l'observance parmi les tierciaires d'Etienne V, d'Adrien 11 et des autres papes
est sous le nom de règle, et qu'il faut que dont nous venons de parler, qui ont aussi
ces tierciaires soient éprouvés par un noviciat accordé, à ce qu'il prétend, la rémission de la
d'un an, au boul duquel ils font profession troisième partie de leurs péchés à ceux de cet
avec des vœux simples. Quoiqu'on ne puisse ordre le jour qu ils prendraient l'habit: mais
pas dire qu'ils soient religieux, à moins nous avons assez réfuté ces prétendues hul es
qu'ils ne soient engagés par des vœux so- à l'article Carmes ; c'est pourquoi nous n'eu
lennels, comme les religieux Pénitents du parlerons pas davantage, et nous nous con-
Ti;rs Ordre de Saint-François elles religieu- tenterons seu.cnienl de faire remarquer deux
ses du Tiers Ordre de Saint-Dominique, ce- contradictions manifestes dans lesquelles
pendant leurs congrégations sont de vérita- Coria est tombé.
blés ordres, parce que, dans le cas dont il L,i première, c'est que cet auteur parlant
s'agit, le mol d'ordre signifie une manière de d'un Tiers Ordre du temps des prophètes, on
vivre ordonnée sous certaines règles et céré- doit présumer qu'il y en avait deux autres
nionies pratiquées par ceux qui s'y engagent, différents. Cependant il dit que lorsque les
et celte manière de vivre a été approuvée Cannes eurent reçu le baptême des mains des
sous le nom d'ordre par plusieurs souverains apôtres mêmes, ils se divisèrent pour lois en
pontifes, comme on peut \o r par les bulles trois classes avec des manières de vie dilïé-
deNicolasIVen faveurdes lierci ùresde Saint- rentes : que la première fut celle des re-
François, d'Innocent VU pour ceux de Saint- ligieux qui vécurent en congrégation;
Dominique, de Martin V | our ceux des que la deuxième fut celle des religieu es qui
Servîtes, d'Eugène IV et Martin V pour ceux vécurent aussi en congrégation a\ec vœu
des Àugustins, de Sixte IV pour ceux des de clôture, et qu'enfin la troisième fut celle
Carmes, et de Jules II pourceux des Mj ni mes; des tierciaires, qui vécurent avec leurs fem-
et lorsque les papes ont parlé du cordon de mes et leurs parents dans leurs maisons, les
Saint-François ou du scapulaire des Carmes, uns et les autres sous la règle et les préceptes
ce n'aétéqu3 sous le nom de confrérie. du sacré ordre du Mont-Carmel. Ainsi , s'ils
Ce fut le pape Sixte V qui institua à Assise n'ont commencé à se séparer et à former trois
celle du cordon de Saint-François l'an 1380. différentes classes qu'après avoir été baptisés
Mais il n'est pas si aisé de savoir le temps par les apôtres, il s'ensuivrait que le pro-
que la confrérie du Scapulaire a été établie, phèle Abdias et la bisaïeule de Jesus-Clirist
Lezanedil que les p<;pe-> Etienne V, Adrien 11, n -auraient pas été plutôt du Tiers Ordre des
Sergius III, Jean X, Jean XI et Sergius IV, Carmes que du premier ou second ordre,
ont remis la troisième partie de leurs péchés supposé qu'il y en eût un, puisqu'il n'y avait
à ceux qui entreraient dans celte confrérie : point encore de séparation,
île cette manière le bienheureux Simon Si .k, La seconde couiradiclion que je trouve
quidux ans avant sa mort recul des mains dans Coria, c'est qu'ayant dit qu'il n'esl pas
de la sainte Vierge le scapulaire qu'elle lui vrai que saint François soit le premier qui
ordonna de faiie porter aux religieux comme ail institué un troisième ordre, il convient
la marque de leur ordre, n'étani mort qu'en ensuite que le pape Sixte IV, l'an 1470, donna
1265, et Etienne V ayant été élu pape en 816, permission au prieur général, aux provin-
et ayant accordé, selon les Carmes, des in- ciaux, aux prieurs locaux de l'ordre des
dul^enccs aux confrères du Scapulaire, il Carmes et à ceux qui tiendraient leurs pla-
s'ensuivrait que la confrérie du Scapulaire ces , de pou.voir donner l'habit régulier et la
était établie plus de ioO ans avant qu'on eût règle de leur ordre aux personnes de l'un et
i!)59
DICTIONNAIRE DES ORDRES R^LICILUX.
10 ;o
de l'autre «exe qui se présenteraient pour le
recevoir, de même que les Mantelées et Pin-
zoches (1), ou les Frères de la Pénitence du
Tiers Ordre des Mineurs, el de ceux des Frè-
res Prêcheurs et des Ermites de Saint-Au-
guslin, et d'admettre aussi au même habit
les vierges, matrones, veuves el femmes ma-
riées ; d'où l'on doit conclure que si le pape
Sixte IV a permis à l'ordre des Carmes de
recevoir ces sortes de personnes comme ceux
qu'on recevait dans l'ordre de Saint-Fran-
çois, c'est qu'ils n'en recevaient pas aupara-
vant, el par conséquent que le Tiers Ordre
de Saint-François est plus ancien que celui
des Carmes.
Silvera, fameux écrivain de cet ordre, a
été, ce me semble, plus sincère queCoria, et
sans faire remonter leur Tiers Ordre au
temps du prophète Elie, il avoue de bonne
foi que non-seulement il n'a commencé que
sous le pontificat de Sixte IV, en vertu de la
bulle de ce pape de l'an 1W6, mais même
que saint François est le premier qui a ins-
titué un Tiers Ordre en 1221, pour des per-
sonnes de l'un et de l'autre sexe, auxquelles
le pape Nicolas IV prescrivit une règle;
qu'ensuite les autres ordres, à l'imitation de
ce séraphique Père, ont eu des Tiers Ordn s
qu'ils ont établis; et que lorsque l'Eglise
chante dans son office celte antienne :Tresor-
dineshic ordmaf, elle entend qu'il a été le pre-
niierqui ailélabli trois ordres différents; voici
ces paroles : liane facultatem reeipiendi ne
admit ttndi Tertiarios habent ordines Mendi-
cantes, et primo sanctiis Franciscus hujus
sacri ordinis patriarcha, instituât Fralres et
Sorores hujus ordinis de Pœnitentia anno
1221. Ejus régulant prœscripsit Nicolaus IV,
anno 2 sui pontificatus. Postca tero aliœ re-
liijionrs ad ejus imitationem eiiam Tertiarios
institueront ac habuerunt; et Ecclesia, diun
canit de S. Francisco : Très ordines hic ordi-
nal, intelligit quod ipse fuit primus qui lios
très ordinavit c\c instituil (Silvera, Opusc.
var. resol. 38). Lezana dit aussi la même
chose; il trouve seulement à redire que Ca-
sarubios ait avancé que saint François était
le seul qui eût établi un Tiers Ordre, puis-
que, dil Lezana, il y en a qui prétendent que
saint Dominique, à son imitation, en a aussi
institué un. Ht quamvis ipse Casarub. in com-
pend. verb. Terliarii, num. 24, § Sciendum
est ulterius, dicat quod solus S. P. Francis-
cus Fratres et Sorores Tertii Ordinis seu de
Pœnitentia instituent, ut propter ea de eo ca-
nat Ecclesia, Très ordines hic ordinal, etc.,
alii tamen etiam hoc tribuant S. Dominico,
et dicunl sulum Ma de B. Francisco did ab
Ecclesia, quia ipse primus omnium fuit, et
S. Dominicus ad ipsius imitationem (Lezana,
Summ. qu. Regul. t- I, cap. 14, de Terlianis,
num. 8). El après avoir dit en un autre en-
droit que la règle des tierciaires des Mineurs
n'oblige à aucun péché, il ajoute qu'il en est
de môme des lierciaires des Carmes, parce
qu'ils n'ont été approuvés qu'à l'imitation
(t) On appelle Manielées et Pinzoches en Italie, et
Béates en Espagne, certaines femmes li.iuillées en
religieuses, qui sunt do cpielque Tiers Ordre et de-
de ceux de Saint-François el de Sainl-Domi-
nique : Idem dico de Tertiariis nostri ordi-
nis, eo quod ad instar Tertiariorum Prœclica-
torum et Minorum approbantur aSixtoIV
{Ibid. num. 20).
Ce n'esl donc que l'an lft/7 que le Tiers
Ordre des Carme» a commencé en vertu de
la bulle de Sixle IV, qui est le Mare magnum
de l'ordre des Carmes. Les frères et sœurs
de ce troisième ordre n'avaient point autrefois
d'autre règle que celle que le patriarche Albert
avait donnée au premier ordre; mais ils en
eurent une dans la suite, qui fut dressée
par le P. Théodore Slralius , général des
Carmes, vers l'an 1635, et elle a été réformée
l'an 1678, par le P. Emile Jacomelli, vi-
caire général de cet ordre, et contient pré-
sentement dix-neuf chapitres. Conformément
à cette règle, on peut recevoir dans ce Tiers
Ordre toutes sortes de personnes de l'un et
de l'autre sexe, ecclésiastiques et laïques,
filles, veuves ou femmes mariées, pourvu
qu'ils soient tous d'une vie exemplaire,
qu'ils aient une grande dév-lion envers la
sainte Vierge, qu'ils ne soient point déjà re-
çus et proies dans un autre Tiers Ordre,
qu'ils ne soient point suspects d'hérésie ou
de désobéissance à la sainte Eglise romaine,
qu'ils n'aient point quelque notable diffor-
mité de corps, ni de maladie ou incommodité
qui puisse donner aux autres une aversion
naturelle poureux, qu'ils aient honnêtement
de quoi vivre, ou au moins qu'ils puissent
gagner leur vie dans une vacation honnête.
Ayant été reçus, ils font un an de noviciat,
après lequel ils font profession en la manière
suivante : Moi frère N. ou sœur N. fais ma
profession, et promets obédience el chasteté à
Dieu tout-puissant et à la B. Vierge Marie
du Mont-Carmel, et au récérendissnne Père
N., général dudit ordre, et à ses successeurs,
félon la règle du Tiers Ordre, jusqu'à la mort.
Ceux qui sont clercs doivent dire l'office di-
vin selon l'usage de l'iiglise de Rome ou de
leur propre diocèse; les laïquesleltrésledoi-
venl réci ter selon l'usage de l'ordre desCarmes,
ou bien le petit office de la Vierge, el ceux
et celles qui ne savent pas lire doivent dire
pour matines vingt fois Pater noster, et au-
tant de fois Ave M aria, excepté qu'aux di-
manches et fêtes solennelles ce nombre doit
être doublé. Ils en disent sept pour prime,
tierce, sexte, none et complies, et pour vê-
pres quinze. Outre les jeûnes qui sont insti-
tués et commandés par l'Eglise, ils doivent
s'abstenir de viande et jeûner durant l'avent
et tous les vendredis de l'année, excepté ce-
lui de l'octave de Pâques. Ils so ni encore obligés
a jeûner les fêtes de l'Ascension, de la Pente-
côte, du sa ini sacrement, delà Nativité, Présen-
tation, Visitation, Purification, Assomption cl
Commémoration de. la sainte Vierge ; el de
tous les mercredis et samedis, depuis la fêle
de la sainte croix inclusivement jusqu'à
l'avent, et depuis la Nalivilé de Notre Sei-
gneur jusqu'au carême. En lout temps et en
meurent dans leurs maisons particulières, soit seules
ou avec |eu;s parents.
I0G1
MON
MON
lOCi
tout lieu, ils gardent l'abstinence de viande
les mercredis et samedis, excepté le jour ite
la Nativtlé de Notre-Seignear. Quant à l'ha-
billement, les Frères el Sœurs doivent avoir
une robe ou tunique longue jusqu'aux talons,
lirant sur le noir, ou rousse sans teinture, et
pardessus une ceinture de cuir noir, large
de deux doigts. Ils doivent porter par-dessous
la (unique, selon la coutume du lieu, le sra-
polaire de six pouces de large el de telle lon-
gueur qu'il descende plus basque les ge-
noux, ils doivent avoir aussi une chipe
blanche à la façon d'un manteau descendant
jusqu'à mi-jambe, el its la peuvent même
porter en public où la coutume le permet.
Les Sœurs ont un voile blanc sans guimpe
ni linge au front et à la gorge ; néanmoins,
dans les pays où ces sortes d'habits ne sont
point en usage parmi les tierciaires, ils peu-
vent être habillés comme les séculiers en re-
tenant la couleur tannée (1).
Coria prétend que les chevaliers de Malte
dans leur origine ont été du Tiers Ordre des
Carmes. Il dit que le B. Gérard, leur fonda-
teur, était frère ron vers de l'ordre des Carmes,
et que sous l'autorité du général il institua
un nouvel ordre de religieux tierciaires sous
l'habit et la règle de celui du Mont-Carmel,
pour combattre contre les ennemis de la fui
el gar ier la terre sainte, et qu'on leur donna
un couvent qui appartenait aux Carmélites,
qui demeuraient dans le saint sépulcre et
qui fuient transférées dans un autre. Saraceni
Munoz sont aussi de ce sentiment ; mais ils
confondent ce B. Gérard, instituteur des che-
valiers de Malte, avec un autre saint Gérard,
évêque et martyr, el premier apôtre de Hon-
grie. Allègre, voyant que cette opinion n'était
pas soulenahle, puisque cet apôtre de Hongrie
est mort, selon le sentiment de presque tous
les écrivains, l'an 10i2, et que le B. Gérard n'a
institue l'ordre des chevaliers de Saint-Jean
de Jérusalem que l'an 1099, il en a fait deux
saints différents, et tous deux enfants du pro-
phète Elie. Mais je ne crois pas que les che-
valiers de Malte soient de ce sentiment, non
plus que les bénédictins qui reconnaissent
l'apôlre de Hongrie pour appartenir à leur
ordre, comme ayant été religieux delà célèbre
abbaye de Saint-Georges-le-Majeur à Venise.
MONT-CASS1N (Congrégation du), appelée
aussi de la Grotte et de Saint-Benoît.
Quoique, dès les premières années de l'é-
tablissement de l'ordre de Saint-Benoit , il
semble qu'il ait été divisé en plusieurs con-
grégations, elles ne formaient pas néanmoins
de corps distincts et séparés. La première
qui ait pour ainsi dire formé un ordre no i-
veac sorti de la tige de celui de Saint-Benoit,
est celle de Cluny, qui ne fut fondée que
1 an 910. La plus ancienne de ces congré-
gations est celle du Mont-Cassin , ainsi
appelée du nom de ce célèbre monastère,
chef de tout l'ordre de Saint-Benoit. On lui
a donné aussi le nom de la Sainte-Grotte, à
cause du monastère qui a été bâti où était la
il) Voy.,i la lin du vol., n"< £61 cl 2G2.
grotte ou carême qui servit de première
demeure à saint Benoît, lorsqu'il se relira à
Subiago; quelques-uns onl aussi donné a
celte congrégation le nom de saint Benoît,
patriarche de cet ordre. Il ne se passa rien
de considérable sous le gouvernement de
l'abbé Constantin, quisuccédaà saint Benoît.
Simplicius, qui pril la place de Constantin,
contribua beaucoup à la propagation de cet
ordre, ayant publié la règle du saint fonda-
teur, qui n'était guère connue que dans les
monastères qui avaient été fondés de sou
vivant, et il excita les autres communauté»
religieuses à la recevoir et à s'en servir
pour perfectionner leurs observances.
Vital et Bonit furent abbés du Monl-Cas-
sin après Simplicius ; mais le gouvernement
de Bonit ne fut pas tranquille. Ce fut de
son temps que la prédiction de saint Benoit
s'accomplit. Ce saint avait averti ses disci-
ples que lous les édilices du Monl-Cassin
seraient renversés par les Lombards. Il n'a-
vait pu détourner ce malheur, ni par ses
prières, ni par ses larmes; il avail seule-
ment obtenu de Dieu que tous les religieux
échapperaient des mains de ces barbares. La
chose arriva comme il l'avait prédite l'an
580; les Lombards, conduits par un de leurs
chefs, attaquèrent de nuit les monastères et
s'en rendirent les maîtres. L'abbé Bonit et
ses religieux ne laissèrent pas de se sauver ,
emportant avec eux quelques meubles et
quelques livres, entre lesquels était l'auto-
graphe de la règle et le poids du pain, avec
la mesure du vin qu elle prescr l pour le re-
pas. Ils vinrent à Hume, où ils fuient favora-
blement reçus du pape Pelage II, qui leur
permit de bâtir près le palais de Latran un
monastère sous le titre de S lint-Jean-Bap-
tisle, de Saint-Jean l'Evangéliste et de Sainl-
Pancrace.
U ,y avait près de cent quarante ans que
les Bénédictins demeuraient dans ce monas-
tère, ayant presque perdu l'espérance de re-
tourner à celui l!u Monl-Cassin, qui, selon
toutes les apparences, devait demeurer en-
seveli sous ses ruines. Il avait servi pendant
un temps de retraite aux bêles sauvages ;
mais quelques solitaires et anachorètes y
avaient établi leur demeure l'an 720, lors-
que le pape Grégoire II, qui appliquait tous
ses soins à fai:e lleuiir l'étal monastique,
après avoir non-seulement lait rétablir à
Borne plusieurs monastères ruinés, en avoir
fondé de nouveaux et changé même sa mai-
sou en un monastère, songea à relever les
bâtiments de celui du Mont-Cassin. Pétronax,
qui fut l'instrument dont il se servit pour
exécuter son dessein, étant venu à Borne
pour y visiter les saints heux, avait peu>
étre eu dessein de fonder quelque monastè-
re ; mais le pape Grégoire lui persuada d'al-
ler au Monl-Cassin, el l'engagea de travailler
au rétablissement de ce monastère. On ne
sait s'il élail déjà engagé dans la profession
monastique, il est sur au moins qu'il était
originaire de Bresse, et qu'il joignait à une
1003 DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX. 106*
noble extraction beaucoup de piété. Il alla régulières: Tasic el Relrude bâtirent, à qua-
donc au Mont-Cassin l'an 7^0 ; il commença Ire milles du Mont-Cassin, le monastère de
à le rebâtir, et forma une nouvelle commu- I'iombarolc, où elles se retirèrent et vécurent
niuléqui fut composée de quelques religieux dans l'observance d'une exacte discipline,
qu'il avait amenés de Rome et de la plus La réputation de l'abbé Pélronax s'était ré-
grande parlie de ces solitaires qu'il y trouva ; pandue dans les pays éloignés. Saint Boni-
il gouverna celle communauté en qualité lace, archevêque de Mayence, ayant lait bâ-
d'abbé : il y bâtit deux monastères, le prin- tir la célèbre abbaye de Fuldeen Allemagne,
cipal sur la montagne, à l'endroit même où dont le prince Carloman fut fondateur, puis-
il était du temps de saint Benoit, l'autre sous qu'il donna le lieu sur lequel elle fut I âtic,
le titre de Saint-Sauveur, proche le château désigna pour premier abbé de ce monastère
de Cassin, au pied de la montagne, aux en- saint Sturme. Mais voulant que la règle de
viions duquel l'on a bâti depuis la ville de saint Benoît y fût exactement observée, il
Saint-Germain. Il restait de l'ancien monas- envoya ce nouvel abbé au Mont-Cassin pour
1ère une tour que l'on voit encore aujour- y remarquer soigneusement et les observait-
d'hui, el où, selon un ancien manuscrit, à ces et les usages, afin de les faire pratiquer
certaine fêle de l'année ( peut-être était-ce ensuite à Fulde. Gisulphe, duc de Bénévent,
celle de saint Benoit ) les Grecs el les Latins édifié de l'exacte observance des religieux
faisaient l'office : ce qui fait douter si l'abbé du Mont-Cassin, leur donna le territoire d'a-
Pétronax institua des moines grecs dans le lentour. La duchesse Seauniperge, sa femme,
monastère de Saint-Sauveur, ou s'il avait voulant imiter sa piété, convertit en une
établi des moines grecs et des latins dans église, qui fut dédiée en l'honneur de l'apôlre
celui d'en haut, ou si les grecs ne venaient saint Pierre, un temple qui se trouvait dans
point d'un certain monastère voisin pour lu château de Cassin, et qui y avait été bâli
célébrer l'office dans celui du Mont-Cassin. par les païens pour y honorer leurs fausses
Mais comi-ie Léon d'Ostie dit que les moi- divinités. Un des sujets du duc de Bénévent
nés des deux monastères de Cassin se trou- ofirit aussi au mo.iastère de Saint-Benoît une
vaient le mardi de Pâques dans l'église pa- église de Saint-Cassien qu'il avait l'ail bâtir
roissiale de Saint-Pierre dans la ville de à Cingle, avec les terres qui en dépendaient,
Saint-Germain, que l'on appelait pour lors ce que ce prince confirma, el l'abbé Pélro-
de Saint-Pierre, où ils célébraient la messe nax, de son consentement, fil bâtir au même
avec un chant mêlé de giec et de latin jus- lieu un monastère pour des religieuses. Le
qu'à la fin de l'Evangile , et que cette solen- pape Zacharie, pour témoigner au-si l'estime
nité subsistait encore du temps de l'abbé qu'il faisait de cet abbé et de ces religieux,
Théodemare, comme il paraît par ses lettres les protégeait en toutes sortes de renconlres.
à l'empereur Cbarlemagne, il se peut faire II leur envoya la règle écrite de la main de
que celle solennité ait été instituée par l'abbé saint Benoît avec le poids du pain el la me-
l'étronax. sure du vin qu'elle prescrit, qui avaient élé
Dieu donna une grande bénédiction à ses autrefois portés à Home. 11 leur donna des
travaux, et sa communauté devint fort nom- livres de l'Ecriture sainte et des ornements
breuse en peu de temps : il y eut même des pour leur église. Il exempta leur monastère
princes qui voulurent èlre de ses disciples, et les autres qui en dépendaient de la juri-
Gomme Carloman, duc et prince des Français, dVtion des évêques, et entre autres privi-
fils du fameux Charles Martel, maire du pa- leges il leur accorda la permission de chau-
lais. Ce prince, qui avait eu en partage l'Ai- 1er à la messe les dimanches et les fêles le
lemagne el la Thuringe, après avoir soumis Uloriain excelsis, ce qui n'était pas pour lors
par la force de ses armes, avec le secours de permis à loutes sories de prêtres, comme on
Pépin son frère, ces peuples qui s'étaient ré- le peut voir par la bulle de ce pape du 18
voilés en plusieurs rencontres , renonça à février 7V1, qui est insérée dans le Bullairc
ses Etats et vint à Rome, où il reçut, l'an 7V7, de celte congrégation. Enfin l'abbé Pétro-
la tonsure ciéricale et l'habit monastique des nax, après avoir gouverné celte abbaye peu-
mains du pape Z icharie. Il se retira ensuite dant trenlc-deux ans, mourut le 30 avril 750.
sur le mont Soracte, où il joignit à une 11 eul pour successeur Oplat, qui crut que
église de Sainl-Silvestre qui y était déjà, un par le crédit du prince Carloman, religieux
monastère qu'il fit bâtir, et où il demeura de son abbaye, il pourrait recouvrer le corps
quelque temps ; mais s'y trouvant trop im- de saint Benoît, qui avait été porté eu France
portuné de visites, il alla au Mont-Cassin avec celui de sainte Scolastique près de cent
pou;- y vivre sous l'obéissance de l'abbé Pé- ans auparavant, par saint Aigulphe, queMon-
tronax. Trois ans après, l'an 750, Hachis, mol, abbé de Fleury, avait envoyé au Mont-
qui, élaul duc de Frioul, fut choisi par les Cassin pour chercher ce précieux trésur,
Lombards pour succéder à leur roi Luit- qu'il Irouva enseveli sous les ruines de l'é-
prand, courut tant de mépris des choses du glise du monastère. Optai envoya de ses re-
monde, que, su vant l'exemple de Carloman, i'gieux au pape Zacharie pour lui demander
il alla trouver à Rome le pape Zacharie, des lettres de recommandation auprès du roi
dont il reçut la tonsure cléricale et l'habit de France, et le prier d'employer son autorité
monastique. Tasie, sa femme, et sa lille Re- pour contraindre les religieux de Fleury à
trude, prirent aussi l'habit de religion, et le restituer le corps de leur saint fondateur,
pepe les envoya tous au monastère du Mont- Mais ceux qui furent envoyés en France ne
Cassin, où Rachis se soumit aux observances réussirent pas dans leur ambassade, quoi-
1005
MON
MON
106C
qu'ils eussent la protection du roi, qui en-
voya des personnes à Fleury pour enlever
de force le corps de saint Benoît ; car ceux-
ci, ayant élé couverts de ténèbres en entrant
dans l'église, en furent tellement troublés,
qu'ayant demandé pardon à l'abbé el aux re-
ligieux, ils retournèrent vers le roi ; et l'ar-
chevêque de Rouen, qui était porteur des or-
dres de ce prince, se contenta de demander
quelque peu des reliques du saint, pour les
envoyer au Mont-Cassin,afin que ce lieu, qui
avait été illustré par sa présence, ne fût pas
privé tout à fait d'un si grand trésor.
Les richesses de celte abbaye et les monas-
tères de sa dépendance augmentaient de
jour en jour par la libéralité de plusieurs
personnes qui y donnaient tous leurs biens.
Sous l'abbé Thomichis, qui succéda à Gra-
lian l'an 766, un gentilhomme de Bénévent,
nommé Léon, se donna avec tous ses biens
au monastère du Mont-Cassin : la donation
fut écrite de sa propre main el fut mise à
l'endroit où avait élé autrefois le corps de
saint Benoit. Elle contenait entre autres cho-
ses que tous ses serfs ou esclaves, auxquels
il venait de donner la liberté, seraient vas-
saux de l'abbaye; qu'eux et tous leurs biens
dépendraient d'elle, et que tous les mois il y
en aurait quatre qui ne s'occuperaient qu'au
service des religieux et leur obéiraient en
tout; qu'ils ne pourraient vendre qu'entre
eux leurs biens et s'en faire donation l'un à
l'autre, el que les biens de ceux qui mour-
raient sans enfants appartiendraient au mo-
nastère, mais que les moines ne pourraient
vendre leurs enfants comme esclaves, les de-
vant regarder comme personnes libres.
Charlemagne, étant en Italie l'an 787, alla
par dévotion au Moni-Cassin, et se recom-
manda aux prières des religieux : il leur ac-
corda des lettres pour les maintenir dans la
jouissance de leurs biens; il confirma leurs
privilèges, leur en accorda de nouveaux et
leur conserva le droit qu'ils avaient d'élire
leur abbé. Théodemar l'était pour lors : ce
fut dans ce voyage qu'il demanda à Charle-
magne le monastère de Glanfeuil, fondé en
France par saint Maur, se plaignant à ce
prince et au pape Adrien Ier de ce que ce mo-
nastère de Glanfeuil, qui dépendait dans son
origine de celui du Mont-Cassin, en avait été
distrait, et de ce qu'il avait été dépouillé de
ses biens par l'abbé Gaïdulfe, qui était un
Irès-méchanl homme Le pape el l'empereur
eurent égard aux remontrances de l'abbé
Théodemar; Glanfeuil fui restitué au Mont-
Cassin; et il fut ordonné que quand l'abbé
serait mort, celui du Mont-Cassin en nom-
merait un autre qui recevrait de lui la béné-
diction et irait tous les cinq ans au Mont-
Cassin, où il prendrait la place du prieur.
Les moines de Saint-Maur-des-Fossés près
Paris, chez lesquels on porta le corps de
saint Maur l'an 868, par les ordres du roi
Charles le Chauve, dans la crainte des Nor-
mands, qui ravageaient la Francedepuis plu-
sieurs années, assujettirent à leur monastère
celui de Glanfeuil ; mais ceux du Mont-Cas-
sin le réclamèrent une seconde fois et portè-
DlCTIONNAIBE DES ORDRES RELIGIEUX. IL
rent leurs plaintes au pape Urbain II, qui,
ayant vu la bulle d'Adrien 1", leur fit resti-
tuer ce monastère, qui a été de leur dépen-
dance pendant près de deux siècles.
Tandis que les Normands ravageaient la
France et réduisaient en cendres la plus
grande partie des monastères, les Sarrasins
en Italie ne causaient pas moins de maux.
Ils pillèrent le territoire de Rome, saccagè-
rent le bourg de Saint-Pierre, et l'église de
ce prince des apôtres ne fut pas à l'abri de
leurs insultes. Us allèrent au Mont-Cassin
pour mettre encore ce monastère dans le
même état de désolation où la fureur des
Lombards l'avait autrefois réduit, n'y ayant
pas laissé pierre sur pierre. Mais Dieu écoula
les prières des religieux, qui se couvrirent de
cendres et de cilices, et la nuit que les bar-
bares avaient choisie pour ravager le mo-
nastère ayant été employée à la prière et à
l'oraison, il fut pour cette fois préservé de
leurs insultes; car, par un miracle surpre-
nant, lorsque les Sarrasins se disposaient à
passer la rivière de Liris ou de Garillan, le
temps, qui était extrêmement serein , chan-
gea tout d'un coup : il tomba une pluie si
prodigieuse, que cette rivière déborda, et les
Sarrasins furent obligés de s'en retourner,
s'élant contentés d'avoir brûlé deux prieurés
des dépendances du Mont-Cassin. Bassace
était pour lors abbé de ce monastère. C'était
la coutume de tenir, le dernier jour d'août,
un chapitre général, où se trouvaient les re-
ligieux des monastères de la dépendance de
cette abbaye. L'abbé les entretenait des de-
voirs de l'observance, et les exhortait à s'en
bien acquitter. Le jour suivant on faisait le
choix de ceux qui devaient demeurer dans
chaque prieuré, où on les envoyait pour y
exercer les fonctions qui leur étaient com-
mises.
Bassace, qui avait gouverné cette abbaye
pendant dix-huit ans, étant mort l'an 836,
Berthaire, l'un de ses disciples, fut élu en sa
place; et comme il voulut mettre à couveit
son monastère de toutes insultes, il l'envi-
ronna de tours et de fortes murailles, et com-
mença à bâtir une ville aux environs de ce-
luide Saint-Sauveur, au pied de la montagne.
Il fit d'autant plus aisément cette dépense,
que son abbaye augmentait chaque jour en
richesses par les grandes donations que l'on
y faisait. Mais ces précautions furent inuti-
les; car les Sarrasins étant retournés au
Mont-Cassin l'an 866, ils y firent quelque
dégât et jetèrent des meubles et des orne-
ments d'église dans le fleuve, ou les brisè-
rent; mais ils épargnèrent pour lors les bâti-
ments, moyennant une somme d'argent qu'on
leur offrit. Attirés cependant par les grandes
richesses qui étaient dans ce monastère, ils y
retournèrentpourune troisième lois,l'an88i.
Ils attaquèrent le monastère d'en haut le i
septembre, et le réduisirent en cendres, et
six semaines après ils en firent autant à ce-
lui de Saint-Sauveur au bas de la montagne.
Ils tuèrent au pied de l'autel de saint Martin
l'abbé Berthaire, qui comme un bon pasteur
s'exposa à la mort pour conserver son irou-
34
1067
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1068
peau, car tous ses religieux échappèrent à
la rage de ces barbares, chacun emportant
ce qu'il pouvait du trésor de leur église et
des autres meubles. Ils se retirèrent à Téane,
dans le prieuré de Saint-Benoit, où ils élu-
rent pour abbé Angelar, qui était prieur
du Mont-Cassin, et que son mérite fit élever
sur le siège épiscopal de Téane. Deux ans
après, il entreprit de rétablir le monastère
de Saint-Sauveur; ce qui ne lui fut pas diffi-
cile à exécuter, parce que les biens du Mont-
Cassin s'accrurent beaucoup pendant son
administration. L'abbé Léon, l'an 904, lit rebâ-
tir celui du Mont-Cassin, vingt-sept ans après
sa destruction. Un accident imprévu réduisit
en cendres celui de Téane, où la plupart des
livres du Mont-Cassin furent brûles, avec
l'autographe de la règle de saint Benoît. Les
reli ieux n'abandonnèrent pas pour cela
Téane: ils y restèrent encore jusqu'en l'an
915, que l'abbé Léon étant mort, et ne se
trouvant personne parmi les religieux capa-
ble de lui succéder, Landulphe et Anténul-
phe, princes de Capoue, prièrent un saint
homme nommé Jean, qui était archidiacre
de l'Eglise de Capoue, de prendre le gouver-
nement de cette communauté de Téane. Il
l'accepta, prit l'habit monastique, et ayant
été élu abbé par les religieux, il les fit con-
sentir à venir demeurer à Capoue. Mais
comme il n'y avait point de monastère en
cette ville, cet abbé acquit, par échange de
celui de Saint-Vincent de Vol tome, une petite
église à la porte Saint-Ange, où trois moi-
nes fort vieux demeuraient, dans une petite
maison qui n'était bâtie que de bois. Il y fit
construire, par les libéralités de plusieurs
personnes, une église en l'honneur de saint
Benoît, avec un monastère où il assembla
plus de cinquante religieux.
Quoique le monastère du Mont-Cassin fût
inhabile, ilétaiteependant toujours reconnu
pour le chef de tout l'ordre. Le pape Ma-
rin II luiaccorda plusieurs prhiléges l an 9.44,
et le maintint dans la possession de tous ses
biens et de tous les monastères tant d'hom-
mes que de filles qui étaient de sa dépen-
dance, et confirma le droit que les religieux
avaient d'élire leur abbé. Le P. Mabillon dit
que ce pape accorda à cet abbé la permission
déchanter à la messe, les fêtes et dimanches,
le Gloria in excelsis; mais nous avons re-
marqué ci-dessus que le papeZacharie avait
accordé aux religieux de cette abbaye la
même grâce deux cents ans auparavant.
Peut-être ce savant bénédictin a-t-il trouvé
la bulle de Zacharie suspecte, ce qui l'a pu
empêcher de parler de ce privilège plus tôt
qu'en l'an 944, et il n'a pas apparemment
combattu cette bulle pour ne pas faire de
peine aux Bénédictins de la congrégation du
Mont-Cassin, qui comptent fort sur toutes les
bulles insérées dans leur Bullaire, quoique
cependant il y en ait plusieurs de douieuscs,
principalement celles du pape Zacharie.
Comme les princes de Capoue avaient as-
sujetti le monastère de Saint-Benoît de Ca-
poue à^eur domination, ce qui avait été
cause que les religieux avaient abandonné
les observances régulières ponr vivre à la
façon des séculiers, le pape Agapet II, l'an
946, à la sollicitation de l'abbé Baudouin,
obligea ces religieux de retourner au Mont-
Cassin, pour y vivre dans les observances
régulières. Ils n'y allèrent néanmoins que
sous l'abbé Aligcrne, qui fut élu l'an 940, et
ce monastère, qui était demeuré pendant
soixaute et dix-sept ans comme désert et
abandonné, depuis sa dernière destruction
par les Sarrasius, fui i'e nouveau habité par
une nombreuse coron miaulé qui se forma
dans la suite, où l'on vit en quelque façon
revivre l'esprit de leur fondateur sous le gou-
vernement d'Aligerne, qui, comme un autre
Pétronax, a été le restaurateur, non-seule-
ment des édifices malérieis de celte abbaye,
mais encore de l'observance régulière. Il fit
achever les bâtiments qui avaient été com-
mencés par les abbés Léon et Jean, el re-
couvra la plupart des biens qui avaient été
usurpés par b's comtes de Téane et d'Aquiuo,
ce qui lui attira beaucoup de persécutions,
principalement de la pa: t d'Adenulphe,
comle d'Aquiuo, qui, voyant qu'il lui rede-
mandait ce qu'il avait usurpé à son monas-
tère, et que, sur le refus qu'il en avait tait,
cet abbé en avait porté ses plaintes à Lan-
dulphe, prince de Capoue, il en fut si irrité
qu'il le lit enkver, et l'ayant fait couvrir
d'une peau d'ours, il l'exposa à des chiens
pour servir de spectacle au peuple. Mais le
prince de Capoue, voulant venger l'affront
fait à Aligerne, commanda à Adenulphe de
le venir trouver. Ce comte aima mieux se
révolter contre son prince que d'obéir, ce qui
obligea Landulphe de venir à Aquinn avec
des troupes. Adenulphe, s'y voyant assiégé,
et ne pouvant éviter de tomber entre les
mains de son seigneur, se mil une corde au
cou el se fit ensuite conduire par sa femme
en la présence du prince pour implorer sa
clémence; mais Landulphe le livra ainsi lié
entre les mains de l'abbé Aligerne, et lui fit
restituer tous les biens qu'il avait pris à son
abbaye.
Il y a de l'apparence que l'observance ré-
gulière, qui avait été rétablie au Mont-Cas-
sin par l'abbé Aligerne, souffrit quelque at-
teinte sous le gouvernement de Mansoi, qui
lui succéda l'an 986, el qui, bien loinde suivre
ses traces, mena au contraire une vie tout
opposée, qui ressentait plus celle d'un sécu-
lier adonné à ses plaisirs, que celle d'un suc-
cesseur de saint Benoît. Il se faisait suivre
ordinairement par un grand nombre de do-
mestiques vêtus de soie: il avait de grands
équipages et fréquentait souvent la cour de
l'empereur. L'envie de dominer lui fit com-
mencer une forteresse où saint Thomas d'A-
quin a pris naissance dans la suite; ce qui
donna de la jalousie aux princes de Capoue,
qui appréhendaient qu'il ne voulût se rendre
maître de loute la province. Alberic, évéque
de Marsico, qui avait envie de s'emparer de
l'abbaye du Mont-Cassin pour la donner à un
fils qu il avait eu d'une concubine, profilant
de la jalousie îles primées de Capoue, con-
vint d'une somme d'argent avec quelques
1069
MON
MON
1070
bourgeois de Capouc et quelques méchants
moines, pour se saisir de l'abbé et lui crever
les jeux: ceux-ci avant exécuté leur pro-
messe l'an 996, ils mirent les jeux de cet
abbé dans un linge pour les parler à cet in-
digno prélat, afin de recevoir de lui la ré-
compense de leur crime: mais, par un juste
jugement de Dieu, ce méchant évéque mou-
rut à la même heure que Mans ou avait été
privé de la vue.
Comme il est plus aisé de tomber dans le
relâchement que de s'en relever, il est à
croire que les religieux du Mont-Cassin ne
profilèrent point ni des avis ni de l'exemple
que leur donna leur abbé Jeau II, successeur
de Manson, qui élait un très-saint homme,
et que ce fut ce qui l'obligea à renoncera
celte dignité, pour se retirer dans une soli-
tude avec cinq ou s-ix religieux qui voulu-
rent apparemment éviter le relâchement.
Ceux qui restèrent au Mont-Cassin ne profi-
lèrent pas davantage des instiuclions que
leur donna Jean 111, qui fut élu après Ja dé-
mission volontaire de Jean II. Cet abbé fit
paraître beaucoup de constance et de gran-
deur d'àme dans toutes les adversités qui lui
arrivèrent pendant les douze années de son
gouvernement: car pendant qu'il ne son-
geait qu'à embellir l'église, à faire de nou-
veaux bâtiments et à augmenter le nombre
des monastères de sa dépendance, un grand
tremblement de terre, qui dura pendant
quiuze jours, endommagea notablement l'é-
glise. D'an autre côté, les princes voisins,
par les vexations qu'ils lui firent, l'obligè-
rent de se retirer à Capoue; et ses moines,
pendant son absence, lui ayant suscité une
persécution domestique, le déposèrent et
élurent eu sa place un aitre abbé. Mais le
schisme ne dura que sept mois, et les trou-
bles ayant été apaisés, l'abbé retourna au
Mont-Cassin, où il mourut l'in 1010. Ce que
l'on pourrait condamner dans la conduite
de cet abbé, c'est d'avoir de son vivant fait
reconnaître pour son successeur, par une
partie de ses religieux, un de ses parents, qui
n'était encore que novice ; ce qui causa un
nouveau schisme.
11 y eut un troisième schisme en 1126 et
un quatrième l'an 1138, et de temps en temps
le monastère se trouvait vexépar la tyrannie
des seigneurs voisins. L'an 1030, Paudulpbe,
prime de Capoue, s'empara de presque tous
les bourgs et villages qui lui appartenaient,
dont il mit en possession les Normands, qui
suivaient son parti et qui étaient pour lors
répandus dans l'Italie. Il enleva les vases
sacrés et les ornements, et donna le gouver-
nement de la Tille de Saint-Germain et du
monastère du Mont-Cassin a Todin, l'un des
serviteurs de celte abbaye, qui traita les
moines avec tant de dureté, qu'il fit manger
les serviteurs dans le réfectoire, où jusqu'a-
lors aucun laïque n'avait été a lmis. et qu'on
jour de l'Assomption de la Vierge ils ne [ u-
avoir de vin pour dire la rfi
Richer, qnî fut abbé en I0J7, fut obligé de
lever des troupes pour recouvrer les terres
qui avaient élé usurpées. 11 dispula te pas-
sage du Garillan aux comtes d'Aouino et
aux Normands qui étaicut avec eux; mais
ayant élé forcé, il fut fuit prisonnier, et p n-
danl quinze jours tout le territoire de Cassin
fut en proie à l'ennemi. L'abbé, avant ele mis
en liberté, alla en Allemagne, d'où il ramena
des troupes avec le secours disquelles il
contraignit les Normands qui occupaient
les terres de l'abbaye de lui prêter serment
de fidélité; mais ils le violèrent peu de temps
après, car se voyant en grand nombre, ils
bàlireul te ciiâteau de Saint-André pour leur
servir de place d'armes et de retraite, sans
avoir ég :rd aux défenses de l'abbé, qui eut
recours alors aux armes spirituelles de la
prière, et qui, par le secours de saint Benoît,
fil plus qu'il n'aurait fait avec des troupes
réglées: car les Normands étant venus au
Mont-Cassin sous la conduite de Rodolphe,
sous prétexte de traiter de paix, mais en effet
dans le dessein de faire prisonnier l'abbé ou
de le tuer, ils entrèrent dans l'église comme
pour faire leurs prières, ayant laissé leurs
armes à la porte, suivant la coutume de ce
temps-là, auquel il n'était pas permis d'en-
trer dans l'église avec des armes. Les ser-
viteurs de l'abbaye s'en étant aperçus, se
saisirent des armes et des chevaux des Nor-
mands, sonnèrent le tocsin pour faire prendre
les armes aux habitants des lieux circonvoi-
sins, et se jetèrent sur les ennemis, en tuè-
rent plusieurs et firent prisonnier Rodolphe,
leur chef, avec plusieurs autres ; de sorte
qu'eu un seul jour les moines du Mont-Cas-
sin recouvrèrent tous le^ lieux qui avaient
été usurpés, à la réserve des châteaux do
Saint-Victorel de Saint-André, dont ils chas-
sèrent aussi, quelques jours après, les Nor-
mands; après quoi l'abbé, ne se fiant plus à
leur serment, fit entourer de murs tous les
châteaux qui dépendaient de l'abbaye, et y
mit garnison.
Le monastère du Mont-Cassin prit un nou-
veau lustre sous le gouvernement de l'abbé
Didier, depuis pape sous le nom de Victor III,
qui est regardé comme un des restaurateurs
de cette célèbre abbaye. Il fit abaltie l'an-
cienne église l'an 1060, et en fit rebâtir une
autre avec toute la magnificence possible,
ayant fait venir de Rome, avec beaucoup de
dépense, des marbres, des colonnes, des ba-
ses et autres matériaux. Il envoya même jus-
qu'à Constanlinople pour faire venir d'ha-
biles architectes. L'église fut achevée au
bout de cinq ans, et la dédicace s'en fit avec
beaucoup de solennité et un grand concours
de prélats; car il y eut dix archevêques et
quarante-trois évêques qui y assistèrent avec
Richard, prince de Capoue, son fils et son
frère, Gisul| he, prince de Salerne, et Lan-
dulphe, prince de Bénévent, et plusieurs au-
tres seigneurs. L'abbé Didier ne se contenta
pas d'avoir fait rebâtir l'église, il ajouta en-
core plusieurs édifices au monastère, dont
les richesses augmentèrent dans la suite par
les grandes donaiions qui lui lurent faites.'
Le schisme qui arriva dans l'Eglise l'an
1130, après la mort du pape Honorius 11, pensa
causer encore la ruine de ce monastère. Le
1071
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1072
même jour qu'Innocent II fut élu canonique-
ment pour successeur d'Honorius, le cardi-
nal Pierre de Léon, ayant une puissante fac-
tion dans Home, se Ot aussi proclamer pape
sous le nom d'Anaclet II. La France, l'Alle-
magne et l'Angleterre reconnaissaient Inno-
cent. L'Italie suivit le parti d'Anaclet , qui,
pour y attirer Koger, duc de la Pouille, et se
le rendre plus favorable, érigea ses Etals en
royaume sous le nom de Sicile. L'empereur
Loihaire, étant venu en Italie pour rétablir le
pape Innocent sur son siège , se lit couron-
ner parce pontife dans le palais de Latran ,
et sa présence pacifia tous les troubles. Mais
à peine ce prince fut-il parti , que Roger, s'é-
tant mis en campagne avec une armée, s'em-
para de presque toutes les terres du saint-
siége. L'empereur, qui n'avait rien diminué
de son affection pour l'Eglise , retourna en
Italie avec une puissante armée. Pendant
qu'il était en chemin , Guarin , chancelier de
Koger , voulut contraindre les moines du
Mont-Cassin d'abandonner leur monastère en-
tre les mains de ses gens pour s'opposer à l'em-
pereur ; mais ils n'y voulurent pas consentir
et déclarèrent qu'ils combattraient jusqu'à la
mort , et qu'ils souffriraient plutôt d'être ré-
duits à manger la chair des chevaux , des
chiens et des rais , que de consentir que leur
monastère tombât entre les mains des sécu-
liers. Séniorect, qui était pour lors abbé,
croyant fléchir l'esprit du chancelier, lui en-
voya douze de ses plus anciens religieux nu-
pieds, pour le prier de leur accorder du
temps, afin de convoquer le chapitre géné-
ral pour prendre l'avis des religieux qui de-
meuraient dans les monastères de la dépen-
dance du Mont-Cassin. La communauté con-
duisit ces douze religieux à la porte du mo-
nastère, fondant tous en larmes ; ils renlrè-
rentensuile dans l'église en frappant leur tète
contre le pavé, ils imploraient la miséricorde
de Dieu et le secours de saint Benoît. Us fi-
rent des processions où ils portèrent, entre
autres reliques , du bois de la vraie croiv ,
un bras de l'apôtre saint Matthieu et un bras
de saint Maur : ce qui ayant irrité davantage
le chancelier, il menaça de faire couper le
nez et les lèvres à tous les religieux, et leurs
habits jusqu'à la moitié des cuisses.
L'abbé Séniorect, voyant qu'il n'y avait plus
d'espérance de le fléchir , mit son monastère
sous la protection de Landulphe de Saint-
Jean, qui tenait le parti de l'empereur. 11 y
envoya des soldais et y vint lui-même peu
de temps après. Mais dans le temps que le
chancelier de Roger menaçait de venir rui-
ner le monastère , il mourut subitement.
L'abbé Séniorect étant mort aussi l'an 1137,
il y eut quelque division entre les religieux
de cette abbaye au sujet de l'élection d'un
nouvel abbé. Raynaudde Toscane, selon ce
que dit M. Ange de la Noce, fut élu lumuliuai-
rcment, et reconnut d'abord l'antipape Ana-
clel. Il se soumil cependant à l'obéissance
d'Innocent II par l'entremise de l'empereur
Loihaire, et lut enfin déposé, après que le
pape eut fait examiner son élection, qui ne
se trouva, pas canonique.
Les événements les plus remarquables qui
arrivèrent dans la suite dans cette abbaye
regardent le gouvernement spirituel. Lors-
que saint Célestin fut élevé sur la chaire de
saint Pierre, l'an 1294, il vint au Mont-Cas-
sin, et voulant l'unir à la congrégation qu'il
avail fondée et qui a porté son nom, il per-
suada aux religieux de quitter leur habit
pour prendre celui de sa congrégation, qui
était gris et d'une étoffe irès-grossière. II y
envoya près de cinquante religieux de celte
congrégation nouvelle, et y nomma pour ab-
bé Angelar, qui était de la même congréga-
tion et qui ne gouverna que cinq mois ; car
le pape saint Céleslin ayant renoncé celte
même année au pontificat , Boniface VIII,
qui lui succéda , cassa tout ce qu'il avait
fait , excepté les cardinaux. Les Célestins
sortirent du Mont-Cassin, et il fut rendu aux
Bénédictins, qui le possédèrent et élurent leurs
abbés jusqu'en l'an 1318, qu'après la mort
de l'abbé Isuard, le pape Jean XXII en don-
na l'administration àOdon, patriarche d'A-
lexandrie; et après la mort de ce prélat, qui
arriva l'an 1323, le même pape érigea le
Mont-Cassin et tout son territoire en évêché,
et supprima la dignité d'abbé. Il y eut neuf
évêques de suite, et après la mort d'Ange
des Ursins, qui fut le dernier, et qui mourut
l'an 1367, Urbain V, considérant que, pendant
près de quarante-quatre ans que ce monas-
tère n'avait point eu d'abhés, l'observance
régulière en avait été presque bannie , lui
restitua le titre d'abbaye, et supprima la di-
gnité épiscopale ; il prit ce monastère sous
sa protection, en fut lui-même abbé, et le fil
gouverner par ses procureurs jusqu'en l'an
1370, qu'il mourut. Après sa mort, Barthé-
lémy de Sienne fut élu abbé l'an 1371. Mais
quoique le pape eût érigé le Mont-Cassin et
tout son territoire en évêché, l'on peut dire
qu'il ne fit pas un nouveau diocèse , puisque
les abbés du Mont-Cassin avaient toujours
eu une juridiction presque épiscopale, comme
ils l'ont encore. Ce pontife ne démembra rien
des autres diocèses pour former celui de Cas-
sin ; et lorsque le pape Urbain V supprima
la dignité épiscopale, il ne diminua rien de
la juridiction de l'abbé du Mont-Cassin, qui
assemble un synode, confère les ordres mi-
neurs, non-seulement à ses religieux, mais
aux séculiers qui sont de sa juridiction, leur
donne le sacrement de confirmation, et jouit
de plusieurs droits qui n'appartiennent
qu'aux évêques.
Après que le pape Urbain V eut rendu le
titre d'abbaye à ce monastère, il fut toujours
gouvernépardes abbés réguliersjusqu'en l'an
1454. Pyrrhus Tomacelli, ayant été élu en
1419, gouverna celte abbaye pendanl dix-huit
ans; mais ayaut voulu retenir le château de
Spolette contre la volonté du pape Eugène IV,
ce pontife le fit enfermer dans le château
Saint-Ange, où il mourut l'an 1437, après
avoir été privé de son abbaye peu de temps
auparavant. Elle demeura sans chef pendant
huit ans et demi, jusqu'en l'an 1440, qu'An-
toine Caraffa, dernier abbé régulier perpé-
tuel, fut élu pour la gouverner. Mais après
1073
MON
MON
1071
sa mort, qui arriva l'an i'tàk, ce monastère
fut donné en commende au cardinal Louis
Scarampi, patriarche d'Aquilée. Le second
abbé comtnendataire fut le pape Paul II, qui
le lit gouverner par ses légats depuis l'an
1VG5 jusqu'à sa mort. Jean d'Aragon, (ils de
Ferdinand, roi de Naples, l'obtint ensuite.
Enfin le cardinal Jean de Médicis, qui fut en-
suite pape sous le nom de Léon X, en avant
été pourvu, s'en démit entre les mains du
pape Jules II, qui l'unit, l'an 150i, à la con-
grégation de Sainle-Ju*line de Padoue, dont
nous parlerons dans la suite. Mais avant
cette union il y a de l'apparence que l'an-
cienne congrégation du Mont-Cassin ne sub-
sistait plus, et que les différentes révolutions
arrivées dans le gouvernement spirituel de
cette abbaye avaient empêcbé la tenue des
chapitres généraux.
Si l'on veut ajouter foi à ce que disent
Wion et quelques autres auteurs, l'abbé du
Mont-Cassin se qualifiait patriarche de la
sainte religion, duc et prince de tous les ab-
bés et religieux, vice-chancelier de l'empire,
chancelier des royaumes de l'une et l'autre
Sicile, de Jérusalem et de Hongrie, comte et
recteur de la Champagne, terre de Labour
et provinces maritimes, vice-empereur et
prince de la paix ; mais si cela était vrai,
M. Ange de la Noce n'aurait pas manqué
d'en parler. Il paraît seulement par la chro-
nique de Paul, diacre de cette abbaye, que
l'empereur Lothaire donna à l'abbé Gnibalde
le titre de chancelier et de grand chapelain
de l'empire et celui de prince de la paix, et
M. Ange de la Noce dit qu'il est le premier
baron du royaume de Naples. Ponce, abbé
de Cluny, s'élant rencontré à Rome avec
l'abbé du Mont-Cassin dans un concile, et
ayant voulu s'attribuer la qualité d'Abbé des
abbés, on lui demanda si Cluny avait com-
muniqué la règle de saint Benoit au Mont-
Cassin, ou le Mont-Cassin à Cluny ; et ayant
confessé ce qu'il ne pouvait nier, on inféra
que c'était avec justice que l'abbé du Mont-
Cassin prenait ce titre, quif lui avait été ac-
cordé par les souverains pontifes, parce que
c'était du Mont-Cassin que la règle de saint
Benoît s'était répandue par tout le monde.
C'est pour cetle raison que saint Odilon, qui
était aussi abbé de Cluny, s'étant trouvé au
Mont-Cassin et ayant été prié d'y célébrer la
messe solennelle avec la crosse en main, ne
voulut jamais paraître avec cette marque de-
vant le chef des abbés, c'est-à-dire devant
l'abbé du Mont-Cassin.
Voy. Léon d'Oslie, Chronic. mona'terii
Cassin. cum notis Angeli de Nuce. Anton.
Tornamira, Orig. e Prog. dtlla cong. Cussi-
nense. Arnold Wion, Lignum vitœ. Bulteau,
Hist. de l'or d. de Saint-Benoit. D. Jean Ma-
nillon, Annal. Dcnedict. Cornel. Margarin,
Bullar. Cassinense (1).
MONT-CASSIN (Congrégation i»u), autre-
fois de Sainte-Justine de Padoue.
Les Bénédictins de Clur.y. dans le temps de
leur ferveur, avaient rétabli l'ordre de Saiul-
(1) Voy., à la fin du vol., n°» 265-264.
Benoit en Italie dans son ancien lustre; on
les y avait appelés de loules parts pour ré-
former les plus célèbres monastères et y
faire revivre les observances régulières; mais
ils abandonnèrent dans la suite ces obser-
vances, et tombèrent dans un si grand relâ-
chement, que, sur la fin du xiv1' siècle et au
commencement du xv, à peine trouvait-on
en Italie un monastère, soit de la congréga-
tion de Cluny, soit des autres congrégations
de moines Noirs, où la règle de saint Benoit
fût suivie et où les religieux en connussent
même les principales obseï vances. Cette rè-
gle n'était plus connue que dans les congré-
gations réformées , où les religieux , qui
étaient dans leur ferveur, s'étudiaient à la
pratiquer fidèlement; et méine il est proba-
ble que le grand relâchement où étaient
tombés les moines Noirs en Italie obligea
les fondateurs de ces congrégations à pren-
dre dans leurs habillements des couleurs qui
les distinguassent de ces moines relâchés.
La célèbre abbaye de Sainte-Justine de
Padoue fut du nombre de celles que les reli-
gieux de Cluny possédaient. Dès l'an 1316,
elle avait é!é tellement ruinée par les guer-
res qui désolèrent l'Italie , qu'il n'y restait
que trois religieux en 1V07, lorsque le pape
Grégoire XII donna cetle abbaye en com-
mende au cardinal de Bologne. Ce prélat,
ayant compassion de l'état déplorable de ce
monastère, qui n'avait aucune clôture el où
des ménages entiers d'hommes et de femmes
demeuraient, y fit venir des religieux du
Mont-Olivet pour y rétablir les observances
régulières, ce qu'il fil approuver par le sou-
verain pontife, et les trois religieux de Cluny
furent contraints d'en sortir. Mais ceux-ci
eurent recours à l'autorité de la république
de Venise, qui les rétablit dans ce monastère
et renvoya les religieux du Mont-Olivet dans
ceux de leur congrégation. Le cardinal de
Bologne, en ayant eu avis, se démit de celle
abbaye entre les mains du pape, et sollicita
Sa Sainteté de la donner à un abbé régulier
qu'il jugerait propre pour réformer ce ino-
nnslèro. Le pape révoqua la bulle qui unis-
sait l'abbaye de Sainte-Justine à l'ordre du
Mont-Olivet, et la conféra à Louis rïarbo,
noble Vénitien, qui était pour lors prieur
des chanoines séculiers de Sainl-Georgel»
in Algha à Venise. Il avait refusé quelque
temps auparavant l'abbaye de Saint-Gypricn
de Murano, que ce même pontife lui avait of-
ferte, et cela par l'attachement qu'il avait
p;'ur sa congrégation qu'il ne voulait point
quitter ; mais ayant été de nouveau pourvu
de l'abbaye de Sainte-Justine de Padoue l'an
H08, et le pape lui ayant commandé de lac-
cepter, dans l'espérance qu'il avait qu'il y
rétabiirailles observances régulières, il obéit
aux ordres du souverain pontife, prit l'habit
de l'ordre de Saint-Benoît, et prononça ses
vœux entre les mains de l'evéque rie Triferno
ou de Castel.qui lui donna aussi la bénédic-
tion abbatiale, le 3 février ii-09, en ayant eu
commission du pape.
1075
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
5076
Louis Barbo, ayant pris possession du mo-
nastère de Sainte-Justine, commença par
faire rebâtir les lieux réguliers et remettre
la clôture ; mais comme il n'y trouva que
ces trois religieux de Cluny, et qu'il n'aurait
pu avec un si petit nombre pratiquer tout
ce qui est prescrit dans la règle de saint Be-
noît, tant pour ce qui regarde les offices di-
vins que les observances régulières , il de-
manda deux autres religieux à l'abbé de
Saint-Miche! de Muraim, de l'ordre des Ca-
maldules, et fit venir encore deux chanoines
de la congrégation de Saint-Georges in Al-
ghn : quoiqu'ils fussent tous de différentes
congrégations, et qu'ils eussent aussi des
habillements différents, ils convenaient néan-
moins ensemble dans les observances régu-
lières, qu'ils pratiquaient conformément à la
règle de saint Benoît et aux règlements qui
furent dressés par Louis Barbo, dont Dieu
bénit les lionnes intentions : car il reçut dans
la suite un si grand nombre de novices, que
le monastère de Saintc-Jusline ne fut pas
suffisant pour loger tous les religieux qui se
rangeaient sous sa conduite, de sorte qu'il
se vit obligé de faire de nouveaux établisse-
ments. Le premier fut à Bassano proche Pa-
doue, où il acheta une église dédiée aux
saints martyrs Herningore et Fortunat, à la-
quelle et lit attaché un ancien monastère qui
avait autrefois appartenu à des religieuses,
et après en avoir fait relever les bâtiments,
il destina ce lieu pour y élever les novices.
Les bourgeois de Vérone lui ayant offert
un établissement dans leur ville, il y fil aussi
réparer un ancien monastère appelé Notre-
Dame de Caretta.qui avait été ruiné parles
guerres et par les abbés commendataires;
mais l'ayant abandonné quelquetempsaprès,
et cédé aux religieux de Saint-François, il
fit bâtir un autre monastère sur le mont
Agitano, proche une église qu'on avait com-
mencé à bâtir en l'honneur des apôlres saint
Jacques et saint Philippe ; et ce fut pour lors
qu'il donna le nom de Sainte-Jusline de Pa-
doue à sa congrégation.
Les habitants de Milan, qui voulaient ré-
parer l'abbaye de Saint-Denis, qui était toute
ruinée, demandèrent de< religieux à Louis
Barbo pour y rétablir la discipline monasti-
que, ce qu'il leur accorda bien volontiers.
La réputation de ce réformateur se ré-
pandant par toute l'Italie, il fut invité par
plusieurs princes et plusieurs seigneurs
de leur envoyer des religieux pour réfor-
mer les monastères de moines Noirs silués
dans les terres de leurs dépendances ;
mais il ne voulut point accepter ceux qu'on
lui offrit, qu'à condition que les abbés com-
mendataires ne se mêleraient plus du spiri-
tuel, et qu'après leur morl la congrégation
aurait une entière autorité sur ces monas-
tères, où elle mettrait tel supérieur que bon
lui semblerait, et que les religieux qui y fe-
raient profession promettraient oliéissance à
la congrégation. Il en accepta quelques-uns
C'était un homme violent et emporté, qui
avait toujours les armes à la main et qui
était à la tète de plusieurs scélérats, compa-
gnons de ses crim s ; mais ayant été touché
par les discours de Barbu dans une conver-
sation qu'il eut avec lui , non-seulement il
lui donna son abbaye, mais il prit l'habit de
l'ordre de Saint-Benoît et mourut saintement
dans le monastère de Padoue.
La congrégation augmentanltous les jours,
Louis Barbo en demanda la confirmation au
pape Martin V, l'an 1417, lorsque ce pontife
passa par Milan, à son retour du concile de
Constance oô il avait élé élu ; ce qui lui fut
accordé sans difficulté. La congrégation fit
ensuite de nouveaux progrès, on lui donna
la célèbre abbaye de Saint-Benoit de Poli-
rone dans le duché de Manloue. Les reli-
gieux de Cluny la possédaient et n'y vivaient
pas avecplusdc régularitéque d insles antres
monastères. Gui de Gonzague en était abbé
commendataire ; il avait souvent exhorté ces
religieux à réformer leurs mœurs corrom-
pues, mais ses exhortations n'ayant eu au-
cun effet, il sollicita Martin V d'unir ce mo-
nastère à la congrégation de Sainte-Justine
de Padoue. L'union de cette fameuse abbaye
lai donna beaucoup de lustre, qui augmenta
encore davantage par l'union qui y fut faite
de la basilique de Saint-Paul à Rome et de
Saint-Georges le Majeur à Venise, de Saint-
Sixte à Plaisance et de plusieurs autres fa-
meux monastères. Le nombre en étant beau-
coup augmenté, on tint le premier chapitre
général, l'an 1424, dans l'abbaye de Saint-
Benoît de Polirone, où Louis Barbo fut élu
pour premier président général de la con-
grégation, et tous les ans on lint de pareils
chapitres généraux : ce qui fut encore ap-
prouvé par Marlin V, qui accorda beaucoup
de privilèges à cette congrégation et permit
de faire de nouvelles constitutions. Eugène IV
lui accorda d'autres privilèges et fit des rè-
glements pour les chapitres généraux. Enfin
Louis Barbo , appréhendant qu'après sa
mort l'abbaye de Sainte-Jusline ne retombât
encore en commende, se démit de cette ab-
baye en faveur de sa congrégation, dans le
chapitre général qui se lint à Venise l'an
1437. Après celte démission, Louis lîarbo
voulut mener une vie privée ; mais le pape,
qui connaissait son mérite, ne voulant pas
qu'une si grande lumière restât cachée dans
une solitude, lui donna l'évêché de Trévise.
Après avoir gouverné ce diocèse pendant
l'espace d'environ quatre ans, avec tout le
zèle et la vigilance d'un saint pasteur, il
mourut dans le monastère de Saint-Georges
le Majeur à Venise l'an 1443, et son corps
fut porté à Sainte-Justine de Padoue, comme
il l'avait ordonné.
Celte congrégation a porté le nom de
Sainte-Justine de Padoue jusqu'en l'an 1504,
que le monastère du Mont-Cassin y ayanl
élé uni après la démission qu'en fit le cardi-
nal de Médicis, qui en était abbé commenda-
à ces conditions ; le premier fut l'abbaye de ' taire, et qui fut pape dans la suite sous le
Sainte-Marie de Florence, dont un certain nom de Léon X, le pape Jules II voulut
Nicolas Vascon était abbé commendataire. qu'elle quittât le nom de Sainte-Justine pour
1077
MON
MON
407S
pren Ire celai du Mont-Cassin, qui était chef
de tout L'ordre, et qu'on l'appelât à l'avenir
la congrégation du Mout-Cassiu autrefois de
Sainte-Justine : elle a environ quatre-vingt-
quinze monastères célèbres et environ une
centaine de petits de la dépendance de ces
célèbres. Entre ces petits monastères il y en
a environ une Iront ; i ne où il n'y a que des
abbés titulaires qui n'y font pas même leur
résidence. Tous ces monastères sont divisés
en sept provinces, qui sont celles de Rome,
de Napks, de Sicile, de Toscane, de Venise,
de Lombardie et de Gènes. Le monastère de
Lérins en Provence est aussi de celle con-
grégation et de la provin e de Toscane. Il y
a aussi des monastères de filles qui dépeu-
dcnl d> celle congrégation. Tous les abbés
se sen • ut d'oruements pontificaux, même
les abbés titulaires, et donnent les quatre
mineurs à leurs religieux.
Le plus célèbre monastère de celte con-
grégation est celui du Mont-Cassin, dont
nous avons déjà amplement parlé dans l'ar-
ticle précédent, et qui surpasse par sa ma-
gnificence tous les autres monastères d'Ita-
lie. Celui de Sainte-Justine de Padoue peut
tenir le second rang. Il renferme six cloî-
tres, plusieurs cours et jardins. L'église, qui
est très-grande, est pavée de marbre noir,
blanc et rouge ; la couverture de l'église est
ebargée de neuf dômes. Il ne se peut rien
voir de pins beau que le maître-autel. Il y a
dans celle église vingt-quatre chapelles de
marbre dont tous les dessins sont différents,
et l'on prétend que cette abbaye a soixante
mille ducats de revenu. Celle de Saint-Be-
noît de Polirone, à douze milles de Manloue,
est d'une vaste étendue. Il y a un clos de
quatre milles de tour. Les religieux y sont
toujours au nombre de cent prêtres el qua-
rante frères. Us sont seigneurs spirituels et
temporels de plusieurs villages, et curés pri-
mitifs de trente-huit paroisses, qu'ils p u-
vent tenir eux-mêmes, aussi bien que celles
qui dépendent des autres mo.aslèies de
cette congrégation, en vertu des privilèges
qui lui ont été accordés par les souverains
pontifes. Celte même abbaye de Saint-Be-
noit possède autant de terres que trois mille
paires de bœufs en peuvent labourer. Cel .i
de Saint-Sévcriu de Naples est aussi très-
magnifique. Il y a trois beaux cloîtres, dont
l'un est orné de peintures exquises à fres-
que, el un autre est de marbre blanc de Car-
rare, à colonnes d'ordre dorique. Le dortoir
répond à cette magnificence. L'église esl
aussi très-belle Le maître -autel est isolé et
entouré d'une balustrade de marbre. Le
pavé du chœur est aussi de marbre; les
stalles des religieux, qui sont de b >is de
noyer à feuillages, el tournées chacune
d'une manière différente, ont coûté seize
mille écus. Nous avons déjà parlé du monas-
tère de Cave el de quelques autres qui ont
été unis à cette congrégation, aussi bien que
l'église de Montréal en Sicile, où les reli-
gieux de celle congrégation tiennent lieu de
chanoines.
Leurs constitutions furent de nouveau ap-
prouvées par le pape Urbain VH1 l'an 16i2.
Conformément à ces constitutions, ils ne doi-
vent point manger de viande au réfectoire;
mais les supérieurs en peuvent manger
avec les hôtes de la congrégation et les an-
ciens, el les prêtres de la maison dans la
chambre de l'abbé : ils en peuvent aussi man-
ger en voyage et hors le monastère avec per-
mission. Il y a néanmoins quelques monas-
tères où on en mang4 trois fois la semaine,
comme dans ceux de Saint-Paul à Home,
Sainte-Marie de Farfe, Saiul-Nicolus du Liilo
à Venise,' el dans celui d'Ast, à cause du
mauvais air : ce qui est aussi permis dans
tous les monastères de la congrégation où
il n'y a pas douze religieux de communauté.
Les supérieurs doivent aussi permettre d' :i
manger pendant quelques jours dans loute la
i lion , immédiatement avant l'avent
et le carême. Ils doivent jeûner tous les ven-
dredis de l'année, et ils ne doivent point
manger ces jours-là ni œufs ni laitage, non
plus qu'aux jeûnes d'Eglise; ce qui leur esl
néanmoins permis aux autres jeûnes de rè-
gle, qu'ils commencent à la fête de l'Exal-
tation de la sainte croix, et qu'ils finissent
au commencement du carême, qu'ils fixent
au lundi d'après lu Qninquagésime. Us sout
dispensés du jeûne au< fêles de saint Mat-
thieu, de la Dédicace, de saint Michel, de
saint Placide, de sainte Justine, le jour de
Noé'l, les trois fêtes qui suivent et quelques
autres; et les jours de jeûne dérègle ils ont
le soir à la collation du pain avec quelques
fruits.
Leur habillement consiste en une robe et
un scapulaire assez large, avec uni i
fort ample, el ils portent toujours un cha-
peau lorsqu'ils sortent. Quoique l'usage des
chemises de toile leur soit défendu, si ce
n'est dans les maladies, on leurpermet néan-
moins de porter un suaire de toile grossière
sous le.ur tunicelle de serge. Ils donnent ie
nom de pétition à ce qu'on appelle profes-
sion dans les autres ordres, et après leur an-
née de noviciat ils prononcent leurs vœiis
en ces termes : In nomine Domini N.J.C.
Amen. Anno Natitilntis cjusdem N., die /Y".,
Ego domnus N-, de tali loco, promit to i
latem imam, e! concersinicm morum meorum,
et obedientiam secundum regulam S. Bene-
dicti, coruiit Deo et omnibus sanciis au.jrum
reliquiœ habentur in hoc monasterio S. '\ .
de A*., in prœsenliaR. P. D. A*, ejuid.
tterii aboutis (vei prioris) et mo.tacliorum
ejusd. monasterii sub congregationc Cassi-
nensi. Ad cujus rei fidem liane petitionem
manu propria subscripsi die quo supra. Leurs
frères convers sont appelés Frères Commis.
Il leur est permis de sortir de la congréga-
tion; et, pendant qu'ils y demeurent, ils sont
obligés du garder la chasteté, la pauvreté et
l'obéissance. Us ont pour habillemeutuae tu-
nique et un manteau de bleu obscur, qui esl
fermé de tous côtés, à l'exceplion de deux
ouvertures pour passer les bras; el ils por-
tent sur l'épaule un capuce en manière de
chausse. Ce capuce ne leur sert qu'après la
mort pour les enterrer. Dans l'état ccclé-
1079
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1080
giaslique ils ont à cette grande robe ou man-
teau dont nous venons de parler deux man-
ches de la largeur de deux pieds de roi : ils
s'en servaient autrefois pour aller en ville ;
mais présentement ils seserventde manteaux
faits comme ceux des séculiers, n'ayant con-
servé du manteau monacal que la seule cou-
leur; ils n'y portent point le capuce sur
l'épaule comme les autres (1).
Le cbapiire général de cette congrégation
se tient tous les ans, le troisième dimanche
d'après Pâques, auquel les supérieurs et un
député de chaque maison sont obligés de se
trouver, excepté ceux des maisons éloignées,
qui n'y viennent que tous les deux ans. Tous
les supérieurs se démettent de leurs offices
dans ce chapitre, et après leur démission
bulle delà condamnation des Templiers, par
laquelle il unissait tous leurs biens à l'ordre
des Hospitaliers ; mais Sa Sainteté, faisant
attention à la demande de ce prince, en ex-
cepta tous les biens qu'ils possédaient dans
les royaumes d'Espagne , et aûn de ne rien
faire sans connaissance de cause, avant que
d'accorder au roi sa demande, elle écrivit à tous
les princes qui possédaient les royaumes
d'Espagne, qu'ils lui envoyassentdes per>on-
nes de probité, capables de lui bien expliquer
les raisons qu'ils avaient pour que ces biens
qui étaient dans leurs dépendances ne fus-
sent pas soumis à la loi générale.
Le roi d'Aragon, qui n'avait puint d'autre
motif que celui qu'il avait déjà fait alléguer
par ses ambassadeurs, fit représenter de nou-
on y élit neuf définiteurs, dont il y en a un veau au pape, et dans des termes plus près
qui est président du chapitre. Pendant qu'il sants, la nécessité qu'il y avait d'établir un
dure, toute l'autorité sur la congrégation ré-
side dans ces définiteurs, et toutes les af-
faires qui la concernent étant réglées, les
neuf définiteurs procèdent à l'élection d'un
président de la congrégation, qui doit être
ainsi élu tous les ans.
nouvel ordre militaire pour résister aux
maures de Grenade, et afin que Sa Sainteté
n'eût aucun soupçon sur la sincérité de ses
intentions, il ordonna à ces mêmes ambas-
sadeurs de lui dire que s'il voulait lui accor-
der sa demande, il donnerait à cet ordre
Cette congrégation a pour armes d'azur à Montésa, dans le royaume de Valence, qui
trois montagnes de sinople, surmontéesd'une
croix patriarcale, avec ce mot PAX.
Jacobus Cavacius, Ilisl. cœnobii S. Justi-
fiée Patavinœ. D. Pietro Antonio Tornamira,
Orirjine e Prog>essi délia eongregatione Cas-
sinense. Bullarium Cassinense et Constitutio-
nés ejusd. ordinis.
La congrégation du Mont-Cassin existe
toujours, et se livre à la culture des lettres
et à l'érudition ecclésiastique. Elle avait
deux maisons à Home au dernier siècle,
Saint-Calixte et Suint-Paul-hors-des-Murs.
Cette dernière maison est toujours habitée
(et peut-être l'autre aussi) par ces Bénédic-
tins qu'on appelle Cassinesi. Le président ac-
tuel est le R. P. abbé D. Maur Bioi, et le
procureur général de la congrégation est le
R. P. abbé dom Vincent Bini. B-d-e.
MONT DE LA COURONNE. Voy. Ca-
MALDULES.
MONTE-CORBULO. Voy. Écoliers de
Bologne.
MONTE-ORTONO. Voy. Augustins.
MONTESA ET DE SAINT - GEORGES
D'ALFAMA (Chevaliers des ordres de).
Le pape Clément V ayant résolu d'unir les
biens de l'ordre des Templiers à celui des
Hospitaliers île Saint-Jean de Jérusalem,
Jacques, roi d'Aragon, supplia ce pontife, par
le moyen de ses ambassadeurs qu'il avait
envoyés au concile de Vienne, que les biens
des Templiers en son royaume ne fussent
point unis à l'ordre des Hospitaliers, mais
qu'ils fussent assignés pour la fondation d'un
nouvel ordre militaire, dont le principal ins-
titut serait de faire la guerre aux maures;
et afin d'exciter le pape à lui accorder sa de-
mande, il l'informa de 1 état du rovaume de
Grenade, et du grand nombre d'infidèles qui
y étaient. Nonobstant celte demande du roi
d'Aragon, le pape ne laissa pas de donner la
, (I) Voy., à la lin du vol., losnos 265 et 200.
était une place forte et imprenable; mais
qu'en cas qu'ils vissent qu'il persistât dans
la résolution qu'il avait prise d'unir les biens
des Templiers situés dans son royaume ù
l'ordre des Hospitaliers, ils lui déclarassent
qu'il serait obligé, pour la sûreté de ses Etats,
de s'emparer de dix-sept places fortes qui
avaient appartenu aux Templiers, et de rete-
nir les revenus qui en dépendaient pour en-
tretenir les garnisons. Le pape mourut sans
avoir rien déterminé; mais son successeur
Jean XXII accorda à ce prince ce qu'il de-
mandait, et l'ordre de Monlésa fut institué l'an
1316, sous le nom de Notre-Dame de Montésa.
On donna à cet ordre tous les biens que les
Templiers possédaient dans le royaume de
Valence, et même ceux qui appartenaient à
l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jé-
rusalem, auxquels on donna pour les dédom-
mager les biens qui avaient aussi appartenu
aux Templiers dans l'Aragon. Ce furent dix
chevaliers de l'ordre de Calatrava qui pri-
rent les premiers l'hahitde l'ordrede Montésa:
Alvarez de Luria et Mcndosa, aussi cheva-
liers de Calatrava, en dressèrent les statuts,
à la prière du roi d'Aragon et du grand maître
de l'ordre de Calatrava, dom Gardas Lopez
de Padilla : ce qui fait qu'il a toujours été
de la dépendance de celui de Calatrava et
soumis à la juridiction, visite et correction
du grand maître de cet ordre, conjointement
avec l'abbé de Sainte-Croix, ou à son refus
avec celui de Valdégna, tous deux de l'ordre
de Cîteaux ; et ces deux abbés ne voulant pas
accompagner le grand maître de Calatrava
dans cette visite, il la peut faire seul ou nom-
mer des commissaires.
Le premier grand maître de Montésa fut
Guillaume Eriili. Il y en eut quatorze de
suite, et le dernier fut dom Pierre-Louis
GalcerandeBorga; car après sa mort Philip-
pe II, roi d'Espagne, fut déclaré par le pape
«081
MON
MON
1084
administrateur perpétuel de cet ordre; ce qui
fut aussi accordé pour ses successeurs.
Ces chevaliers portent une croix de gueu-
les pleine sur un habit hlanc (1). Ils obtinrent
do grands privilèges el immunités des papes
Alexandre IV, Sixie IV, Jules 11, Léon X,
Clément VII et Paul III, mais particulière-
ment de Léon X, qui leur accorda les mêmes
exemptions, privilèges et immunités dont
jouissaient ceux de Calatrava, et de Paul 111,
(|ui leur permit de se marier et de tester.
Ils reçurent la bulle de ce pape dans leur
chapitre général qui se tint l'an 1572.
L'ordre de Saint-Georges d'AUama fut ins-
titué l'an 1201, à Saint-Georges d'AUama,
dans le diocèse de Torlose, et fut approuvé
par le saint-siège l'an 1363 ; il fut uni à celui
de Montésa l'an 1399 par l'anlip;ipe Be-
noit XIII, qui était reconnu pour légitime
pontife en Espagne, el celte union fut confir-
mée dans le concile de Constance.
Silvest. Maurol. Mar. Océan, di tut t. gli
relig. , lib. u. Du Pui, Histoire de la condam.
des Templ. Mennenius, Bernard Giustiniani,
Herman et Schoonebeck, dans leurs llist. des
Ord. milit.
MONT-FRAC. Voyez Mont-Joie.
MONT-JOIE (Des chevaliers de l'orduk
de), appelés aussi de Montfrac el de Truxillo.
Après que Godefroy de Bouillon eut con-
quis la Terre-Sainte, on bâtit aux environs
de Jérusalem deux villes, dont la première,
qui n'en était pas fort éloignée, était située
sur le sommet d'une montagne, d'où les pè-
lerins qui venaient visiter les saints lieux
pouvaient découvrir cette sainte cité. L'autre
en élait éloignée d'environ deux lieues, et
était aussi située sur une montagne proche
de Bethléem et de la Tour d'Ader, ou du lieu
où l'ange annonça aux pasteurs la naissance
du Sauveur du monde, d'où les pèlerins qui
allaient à Bethléem pouvaient aussi décou-
vrir celte ville; et ces deux nouvelles villes
furent appelées Mont-Joie, peut-être à cause
de l'allégresse el de la joie que faisaient pa-
raître les pèlerins en découvrant de ces mon-
tagnes les saints lieux où Jésus-Christ avait
pris naissance et avait répandujson sang pré-
cieux pour notre rédemption.
Il se forma dans le même temps un ordre
militaire pour la défense de ces saints lieux
et des pèlerins qui les venaient visiter ; et
comme ces deux villes avaient le nom de
Mont-Joie, et que les chevaliers y établirent
leur première demeure, ils en prirent le nom.
Alexandre III approuva cet ordre l'an 1180,
à ce que l'on prétend, et donna aux cheva-
liers la règle de saint Basile. Ils portaient
sur un habit blanc une étoile rouge à cinq
rais, et il y a quelques écrivains qui leur
donnent une croix rouge semblable à celle
des Templiers. Schoonebeck, qui est de ce
nombre, se contredit lorsque, parlaut de ces
derniers, il dit qu'ils portaient une croix
rouge pour marque de leur ordre, el qu'en
parlant des chevaliers do Truxillo il dit aussi
que, tirant leur origine des chevaliers de
Mont-Joie, lorsqu'ils furent chassés de la Pa-
(1) Voy., à la fin du vol., u"207,
lestine, ils avaient la marque de cet ordre,
qui était une étoile à cinq rais (2).
Les infidèles s'élant enfin emparés de la
Terre-Sainte, les chevaliers de Mont-Joie,
aussi bien que les autres, furent contraints
de se retirer en Europe; et afin de trouver
un lieu qui leur fût commode pour y faire
leur demeure, ils parcoururent plusieurs pro-
vinces, et s'arrêtèreni enfin d;ms la Caslillo
etdans le royaume de Valence, où les princes,
qui avaient connu leur valeur, leur firent de
grands dons. Alphonse IX leur ayant donné
le château de Monlfrac, ils changèrent de
nom dans la Castille, en prenant celui de
Monlfrac; mais à Valence et dans les autres
lieux où ils s'étaient établis, ils furent tou-
jours appelés de Mont-Joie. Enfin, l'an 1221,
le roi Ferdinand, surnommé le Saint, voyant
que cet ordre était beaucoup déchu de sa
première splendeur, l'incorpora et l'unit à
celui de Calatrava.
H y a plusieurs auteurs qui parlent des
chevaliers de Truxillo comme d'un ordre
séparé de celui de Mont-Joie, et qui disent
la même chose de celui de Monlfrac; mais
comme il y en a d'autres qui n'en font qu'un,
nous les joignons aussi ensemble. Les che-
valiers de Truxillo liraient leur origine de
ceux de Monl-Joic, et ont été ainsi appelés
à cause que le roi Alphonse IX leur donna
aussi dans la Castille la ville el le pays de
Truxillo avecSanta-Croce, Albana, Cabagna
et Zaferello. Ces places avaient été conquises
sur les maures; mais ces infidèles les ayant
reprises peu de temps après, et les cheva-
liers de Truxillo n'ayant plus de retraite,
furent incorporés dans l'ordre d'Alcaniara.
Quoique nous ayons mis celui de Mont-Joie
sous la règle de saint Basile, en suivant l'o-
pinion la plus commune, il y en a néanmoins
quelques-uns qui le mettent sous celle do
saint Augustin, et d'autres qui prétendent
qu'il fut soumis à l'ordre de Cîleaux.
Mennenius, Deliciœ equest. Ordin. Chry-
sost. Henriquez, Menolog. Cislert. Francise.
Quarcsmo, ÀVuciV/. Terra sunctœ, t. I, lib. u,
c. 50. Mendo, De Ordinibus Milit. Franc.
Rades, Citron, de Calatrava, c. 18. Herman
et Schoonebeck, dans leurs llist. des Ord.
Milit.
MONT-LUCO (Ermites de). Voyez Jean-
Baptiste (Ermites de Saint-).
MONTMARTRE (Des Religieuses Bénédic-
tines Réformées ne.), avec la Vie delà rêvé-
rende mère Marie de Beauvilliers, leur
réformatrice.
Ce serait trop entreprendre de vouloir
parler de tous les monastères de filles do
l'ordre de Saint-Benoît qui ont été réfor-
més ; le nombre en est trop grand, et il y a si peu
de différence dans les observances el dans
l'habillement, que le récil en serait plus en-
nuyant qu'agréable: c'est pourquoi nous
nous contenterons seulement de parler des
réformes établies par les révérendes mères
Marie de Beauvilliers, al, liesse de Montmar-
tre; Madeleine d'Escoubleau de Sourdis, ab-
besse de Notre-Dame de Saint-Paul proche
(2) Voy., à la fin du vol., a" 268.
1085
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX,
4084
Be.iuvais; et Marguerite d'Arhouzze, nbbcsse
du Val-de-Grâce, comme les plus célèbres
réformatrices de cet ordre en France.
Sur la fin du xve siècle Jean Simon, évo-
que de Paris, avait commencé à travailler à
la réforme des monastères de Bénédictines
dans son diocèse ; l'abbaye de Chelles fut la
première à se soumettre à la réforme, et la
clôture y fut établie en 1V9!). Jeanne de la
l'.ivi ! '■, qui en était abbcsse, pour donner
exemple à ses religieuses, fut la première qui
fit vœudeclôture, etlesabbesses nefurent en-
suite que triennales: ce qui dura jusqu'en
l'an I5i3, qu'elles recommencèrent à être
perpétuelles. Etienne Poncber, qui fut évo-
que de Paris après la mort de Jean Simon,
son prédécesseur, voulant continuer ce que
celui-ci avait commencé, établit la réforme
dans les abbayes de Montmartre, Malnoue
et quelques autres, et dressa des constitu-
tions pour les religieuses bénédictines de son
diocèse. Mais cette réforme ne subsista pas
longtemps ; car l'abbaye de Montmartre
étant tombée dans le relâchement, aussi bien
que plusieurs autres, on n'y gardait plus au-
cune observance régulière, lorsque Marie
de Bcauvilliers en fut nommée abbesse
l'csn 1396.
Elle naquit, l'an 1574, au château de la
Ferlé-Hubert en Sologne, et elle eut pour
père Claude de Bcauvilliers, comte de Sainl-
Aignan, et pour mère Marie Babou de la
Bourdaisière. Elle fut mise dès l'âge de sept
ans dans l'abbaye de Perray auprès d'une de
ses tantes, sœur de sa mère, qui en était
abbesse. Elle n'y demeura que trois ans : car
sa tante étant morte, eile entra dans l'abbaye
de Beaumont, où une autre de ses tantes
était aussi abbesse. A peine eut-elle atteint
lâge de douze ans, qu'elle demanda l'habit
avec tant d'instance, qu'on lui accorda sa
demande; et étant arrivée à sa quinzième an-
née, elle commença s:mi noviciat, et prononça
ses vœux à l'âge de seize ans, l'an 1590, en
présence de plusieurs personnes de qualité,
qui admiraient sa ferveur et qui s'étonnaient
qu'une demoiselle si jeune, et qui était une
des plus belles personnes de son temps, mé-
prisât le monde si généreusement et avec
tant de joie et de satisfaction.
A peine eut-elle achevé son sacrifice qu'elle
prit une forte résolution de se rendre fidèle
à sa vocation.ee qu'elle exécuta toute sa vie;
y étant excitée d'un côté par les bons avis
de sa tante, qui l'exhortait tous les jours de
tendre à la perfection sans écouter les répu-
gnancesdela nature ; etde l'autre, par L'exem-
ple de la mère de Sourdis, sa cousine
germaine, qui par son grand mérite et ses
rares vertus fut depuis abbesse de Notre-
Dame de Saint-Paul, et réforma ce monas-
tère. C'était une religieuse exacte aux obser-
vances régulières, ei donl les discours étaient
si pieux et si fervents, que la mère de Beau-
villiers recherchait avec empressement ses
conversations, dans lesquelles elles s'exci-
taient mutuellement à la pratique des vertus.
L'abbesse de Beaumont exerçait sa nièce
dans les emplois les plus humbles et les plus
laborieux de la maison. Elle fut longtemps
sous-grènetière, travaillant avec les sœurs
converses à faire du pain, quoiqu'elle fût fort
délicate ; el ayant un jour voulu porter un
fardeau trop pesant, elle se rompit une côte,
qui, n'ayant pas été bien remise, lui causa
beaucoup de douleurs le reste de ses jours. Elle
vivait ainsi contente sous la conduite de sa
tante, lorsque M. du Fresne, conseiller d'Etat,
son beau-frère, obtint pour elle du roi l'ab-
baye de Montmarlreproche Paris, dont il lui
envoya le brevet pendant qu'il faisait sollici-
ter à Rome l'expédition de ses bulles, qui ne
furent données que deux ans après. Comme
elle souhaitait toujours vivre dans l'obéis-
sance, elle fut ravie du retardement qu'il y
eut dans l'expédition de ses bulles, et pen-
dant ce temps-là elle ne voulut point écrire
à son beau-frère, afin qu'étant scandalisé de
son silence et choqué du peu de reconnais-
sance qu'elle lui témoignait de l'attention
qu'il avait à lui faire plaisir, il négligeât la
poursuite de celte affaire et cessât de travail-
ler pour elle. Mais il ne se rebuta point de
ce procédé, étant persuadé que l'éloiguemenl
qu'elle faisait paraître pour accepter cette ab-
baye l'en rendait plus digne ; elle y consentit
à la fin, quoique sa tante eût fait son possi-
ble pour l'en détourner, à cause que l'abbaye
de Montmartre était fort décriée par le peu de
régularité des religieuses qui y demeuraient.
Les bulles ayant été expédiées l'an 1598,
deux religieuses de Montmartre allèrent à
lieaumont quérir leur nouvelle abbesse.
Etant arrivée à Paris, elle eut l'honneur de
saluer le roi, qui lui donna deux mille écus
pour commencer à réparer les ruines de son
monastère, où elle entra le 7 février de la
même année, et elle fut mise en possession
par le prieur de Saint-Victor, grand vicaire
du cardinal de Gondy, évéque de Paris. Celle
cérémonie fut le commencement de ses in-
quiétudes, se voyant chargée d'une maison
pauvre et déréglée. Elle y trouva trente-trois
religieuses résolues de vivre à leur mode ci
de s'opposer à tout le bien qu'elle voudrait
procurer, à l'exception de deux que Dieu
avait choisies pour être les pierres fonda-
mentales de la réforme qu'elle y établit.
Le mémoire qu'on lui donna du revenu de
l'.al'ha . e était de. deux mille livres, sur quoi il
faiblit payer dix mille livres de dettes. La
grange était saisie pour ce sujet, la crosse
engagée pour deux cents écus, les fermes
données à vil prix à cau^e des pots de vin
qu'on avait exigés, el la maison tellement
dépourvue de meubles, qu'on n'en trouva
pas assez pour lui garnir une chambre. Il
fallul que M. du Fresne meublât la nouvelle
abbesse depuis son lit jusqu'à la batterie; de
cuisine : entre ces meubles il fit tendre dans
sa chambre une belle tapisserie ; mais celle
vertueuse fille la fit ôler, parce que cela res-
sentait trop la vanité, pour laquelle elle avait
beaucoup d'horreur.
Cette grande misère temporelle n'était pas
ce qui inquiétait la jeune abbesse: sa grande
douleur procédait des dérèglements des an-
ciennes religieuses, et son unique soulage-
40S8
MON
MON
1080
ment était dans la conversation de cos deux
religieuses qu'elle voyait portées au bien et
qui étaient prêtes à donner les mains à la
réforme. Les désordres de eette maison al-
laient à l'excès. Il n'y avail ni clôture, ni
pauvreté observée; les entreliens de galan-
teries y étaient fort fréquents : s'il y en avait
quelques-unes qui jeûnaient conformément
à la règle, c'était malgré elles, parce qu'elles
n'avaient ni argent ni amis, et qu'elles ne
pouvaient pas faire bonne chère comme les
autres. M. du Fresne leur ayant donné douze
muids de vin, et leur envoyant toutes les se-
maines un veau et un mouton, la n uvclle
abbesse établit par ce moyen le souper en
commun, qui n'était point eu usage, p iree
que chaque religieuse prenait son repas à
l'heure qu'il lui plaisait, et que 1 urs amis
leur eu procuraient le moyen; mais celles
qui assistaient à ce souper ne voulaient point
écouler de lecture ni garder le silence.
Celles qui souhaitaient la réforme ne man-
geaient que du pain fort bis, cuit avec du
chaume faute de bois, et les jours d'absti-
nence on leur servait du potage sans beurre
avec des œufs crus qu'elles apprêtaient au
réfectoire. Entin la misère était si grande que
M. du Fresne, en ayant été averti, leur donna
quatre mille cinq cents livres pour acheter
du bois pour les chauffer et pour d'autres
provisions. Il leur envoya aussi beaucoup
de choses dont elles avaient besoin, et il ob-
tint encore du roi pour elles quelques som-
mes d'argent, qui étant assez considérables,
leur facilitèrent les moyens de réparer un
peu le mauvais ordre dans lequel était l'é-
tat du monastère, et l'on se servit de l'argent
que la dépositaire gardait aux particulières,
pour empêcher la vente du blequi était saKi.
Les religieuses en murmurèrent beaucoup,
il y en eut même quelques-unes qui atten-
tèrent à la vie de l'abbesse, à laquelle elles
donnèrent deux fois du poison, qui, par un
miracle de la puissance de Dieu, n'ayant pas
eu son effet, ne servit qu'à les aveugler da-
vantage, en sorle qu'elles résolurent d'y em-
ployer le fer en la faisant poignarder ; il y
eut pour cela des assassins apostes : ce qui
était fort facile, puisque c'était l'ordinaire de
voir le» amis des religieuses passer une par-
lie de la nuit avec elles. Mais un d.s com-
plices, doul Dieu toucha le creur, en ayant
averti une des confidentes de l'abbesse, elle
évita encore ce coup ; ce qui fit que ceux qui
avaient l'administration de l'abbaye l'obligè-
rent de sortir du dortoir commun et de se lo-
ger dans une chambre où il y avait double
porte, commandant à deux sœurs converses
de probité d'apprêter ee qui serait nécessaire
pour sa nourriture, avec défense aux autres
d'entrer dans la cuisine. Et la dépositaire,
qui était une de ces anciennes religieuses qui
souhaitaient la réforme, prit soin aussi qu'on
ne lui présentât rien qu'elle n'y eût goûté la
première.
Au milieu de tant de fâcheux accidents,
Dieu consola notre abbesse par la visite du
cardinaldeSourdis, archevêque de Bordeaux,
sou cousin germain, qui s'intéressa beau-
coup pour elle et lui servit à mettre la ré-
forme dans celte abbaye ; mais parce qu'il
ne pouvait pas être si souvent auprès d'elle
qu'il eût été nécessaire pour ce sujet, il lui
donna pour directeur le P. Benoit de Canfeld,
capucin, qui était un religieux d'une grande
vertu. Le cardinal de Sourdis informa cepen-
dant l'évèque de Paris des désordres de cette
maison, et ce fut à sa sollicitation que ce
prélatvintà Montmartre et commanda a l'ab-
besse et à toutes les religieuses de ce plus
SHilTiirquelaclôturi' fût si mal observée chez
elles, comme étant le moyen le pies c ihrl
pour retrancher les scandales et commen-
cer une vie conforme à leur étal. Ce discours
fut très-mal reçu des religieuses : elles se le-
vèrent toutes ensemble et parlèrent confusé-
ment, sans avoir aucun respect ni pour le
lieu où elles étaient, ni pour la dignité épi--
copale, et elles s'emportèrent en des injures
qui firent horreur à rassemblée. La conclu-
sion fut que l'évèque donnerait ordre à son
grand vicaire de prêter main forte à l'ab-
besse; ce qu'il n'exécuta pas néanmoins,
Dieu le permettant ainsi pour éprouver de
plus en plus la fidélité et la constance de l'ab-
besse.
Le P. Benoît Canfeld fut d'avis qu'elle
déposât la prieure et les autres officières qui
ne voulaient point de réforme. Elle tint le
ch < pitre pour cet effet , elle établit prieure
l'une des deux religieuses qui avaient désiré
la réforme, et fit l'autre cellerière et mai-
tresse des novices. Elle donna la clef de la
porte à la plus raisonnable des autres, mais
elle s'en réserva une, afin qu'elle ne pût être
ouverte sans sa permission. Toutes les an-
ciennes se levèrent avec grand bruit; elles
chai gèrent l'abbesse d'injures, protestant
qu'elles ne lui obéiraient jamais, et peu s'en
fallut qu'elles ne la frappassent.
Les choses étaient en cet état lorsque le
P. Benoît , s'en retournant en Angleterre ,
où le désir du martyre l'appelait , après
avoirprocuréle retourdu P.Ange de Joyeuse
dans son ordre, il l'obligea de servir de pro-
tecteur à l'abbesse de Montmartre ; ce qu'il
exécuta avec beaucoup de zèle. Il gagna la
jeunesse par sa douceur, de sorte qu'il ne
demeura que huild^s plus anciennes qui vé-
curent en leur particulier, sans vouloir se
soumettre aux observances régulières, étant
toujours opposées aux desseins de l'abbesse.
La clôture et le réfectoire commun furent
les deux premiers articles de la réforme;
peu à peu quelques-unes des anciennes se
joignirent à celles qui s'y étaient soumises
les premières, et l'on commença à voir
beaucoup de changement dans ce monas-
tère.
Au mois de juillet 1599, le roi accorda en-
core à M. du Fresne l'abbaye de Saint-Pierre
de Lyon pour une de ses sœurs. 11 l'offrit à
l'abbesse de Montmartre, croyant lui rendre
service, en la tirant d'une maison ruinée
pour l'établir dans une autre riche et magni-i
tique i mais après avoir consulté le Seigne
elle connut que sa volonté était qu'elle r|
formât le monastère do Montmartre : ai
4087
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1088
elle préféra l'exécution de la volonté de Dieu
à sa propre satisfaction. L'année suivanle,
qui était celle du grand jubilé, elle demanda
au pape Clément VIII la permission d'élire
un visiteur pour sa communauté, en rom-
pant l'association contractée avec six maisons
toutes ennemies de la réforme, sans le consen-
tement desquelles on ne pouvait rien faire.
M. de Silieri était pour lors ambassadeur à
Rome, où il aurait pu traverser cette affaire,
ayant une tante et deux cousines germaines
à Montmartre; mais elle fut conduite avec
tant de secret qu'il n'en eut aucune connais-
sance : l'abbesse obtint du pape un bref qui
lui donnait pouvoir de réformer sa maison et
d'élire son visiteur en particulier, indépen-
damment des autres monastères desquels il
lui permettait de se séparer. Elle n'envoya
exprès personne à l'élection du nouveau vi-
siteur des six maisons associées, afin de per-
dre son privilège, ce qui fut un nouveau su-
jet de murmure parmi ses filles ; mais elles
furent bien surprises lorsqu'on leur fit la
lecture du bref du pape : elles eurent pour
lors un peu plus de respect pour l'autorité
de leur supérieure, et l'on vit plus de dispo-
sition à la réforme qu'il n'y en avait eu jus-
qu'alors.
L'abbesse n'avait pas voulu se faire bénir
pendant lous les troubles et les inquiétudes
causés par la résistance et l'obstination de
ses religieuses; mais prévoyant qu'ils s'a-
paiseraient dans peu, elle s'y prépara par la
retraite, l'oraison et la confession générale
de tous les pécbés de sa vie. La cérémonie
se fil le dimanche dans l'octave des Rois :
elle fut bénite par le cardinal de Sourdis, et
le P. Ange de Joyeuse y prêcha. Depuis ce
jour-là elle redoubla son zèle , croyant
qu'elle était obligée plus que jamais de tra-
vailler à la réforme de son abbaye. Peu
après elle reçut trois filles à qui elle donna
l'habit, dont l'une était pour le chœur et les
deux autres converses.
Les religieuses de Montmartre portaient
pour lors des habits blancs comme les eba-
noinesses (t); mais l'abbesse prit le noir et
le donna à celles qui consentirent à ce chan-
gement ; ce qui fut contesté à l'ordinaire par
les anciennes, qui en firent leurs plaintes au
cardinal de Retz : ce qui obligea cette étni-
nence d'envoyer son grand vicaire pour
apaiser ces troubles, en ordonnant à l'ab-
besse de ne rien faire de nouveau contre l'u-
sage de la communauté, nesvoulant pas que
l'habit fût différent entre elles. Elle répondit
avecassez de fermeté qu'elleétail résolue d'o-
béirà ses ordres, pourvu qu'ils ne fussent pas
opposés aux vœux essentiels. En effet elle
reprit l'habit blanc, non pas de la manière
que ses religieuses prétendaient; car elle se
revêtit d'une grosse serge de laine blanche
naturelle sans avoir été blanchie au foulon,
avec un surplis de toile pareillement gros-
sière; de sorte que les autres qui cherchaient
la vanité dans leurs étoffes bien blanches et
dans leurs surplis de toile fine et empesée,
furent remplies de confusion et se virent con-
(I) Voy., à la fin du vol., n° 261).
trainles de rester à l'infirmerie, où elles se
paraient avec de longs manteaux de futaine
blanche attachés avec des rubans de couleur,
n'osant pas paraître en cet équipage en pré ■
sence de leur abbesse et des autres reli-
gieuses, dont la simplicité faisait honte à leur
ambition et à leur vanité.
Deux des anciennes qui étaient les plus
opposées à l'abbesse s'élant dans la suite ré-
conciliées parfaitement avec elle, les autres
suivirent bientôt leurexemple,de sortequ'en
deux années de temps la réforme fut presque
établie dans Montmartre. 11 se présenta un
si grand nombre de filles pour y être reçues,
que, pendant près de soixante ans que Ma-
rie de Rcauviiliers en a été abbesse, on pré-
tend qu'elle a donné l'habit à deux cent
vingt-sept filles : par ce moyen et par la
bonne conduite des abbesses qui lui ont suc-
cédé, dont il y a eu des princesses de' la mai-
son de Lorraine, celte abbaye est devenue
une des plus puissantes et des plus riches du
royaume. Enfin, celte pieuse abbesse eut la
consolation de voir toutes les anciennes qui
l'avaient tant fait souffrir, se prosterner à ses
pieds pour lui demander d'être traitées
comme les autres, en renonçant à toute pro-
priété, et voulant suivre la règle de saint
Benoit exactement : ainsi elle n'eut plus de
peine à poursuivre la réforme.
L'abbesse de Beaumonl sa tanle avait puis-
samment travaillé pour la faire nommer sa
coadjulrice ; elle en obtint enfin le brevet du
roi et la confirmation en cour de Rome. Il
était porté dans les bulles qu'elle ne serait
point obligée de quitter l'abbaye de Mont-
martre que six mois après la mort de l'ab-
besse de Beaumont ; de sorte qu'elle porta
cinq ans la qualité de coadjutrice avec celle
d'abbesse, et pendant ce temps-là elle fit tra-
vailler aux bâtiments de Montmartre; en
quoi elle fut aidée par M. de Fresne, son
beau-frère, qui donna encore deux mille écus
pour fermer un clos de vignes qui était entre
le Monastère et la chapelle des Martyrs ;
mais il n'eut pas la satisfaction de voir cet
ouvrage achevé, étant mort en l'année J610.
H ordonna par sou leslament que sou corps
serait porté à Montmartre, où il laissa en-
core trois cent trente-quatre livres de renie,
et deux mille livres en argent comptant,
pour faire prier Dieu pour le repos de son
âme. On trouva dans son cabinet le dessin
d'un bâtiment qu'il voulait faire à la chapelle
des Martyrs, et qu'il aurait exécuté, si la
mort ne lui en eûl pas ôté le pouvoir ; mais
madame de Fresne, sa veuve, suivit ses inten-
tions quelques années après, et contribua à
la fondation d'un nouveau monastère atte-
nant celte église des Martyrs, auquel elle
donna deux mille sept cents livres de renie
pour la nourriture de dix religieuses, à con-
dition que l'abbesse, sa sœur, fournirait le
même nombre, et que cette église serait
toujours desservie par vingt religieuses.
Jusqu'à ce temps-là on avait porté l'habit
blanc dans la maison avec un surplis, comme
nous avous dit; mats l'abbesse écrivit à
108!)
MON
MON
1H00
Homo et obtint du pape un bref pour pren-
dre l'habit noir, ce qui se fit sans aucune
contradiction, non-seulement parce que tou-
t tes les anciennes étaient décédées, mais en-
• core par la profonde soumission que la com-
) munauté avait pour ses ordres. Elle s'acquit
une si grande estime au dehors, que plusieurs
monastères de France , qui désiraient em-
brasser la réforme, lui demandaient ses avis
. et s'estimaient heureux d'avoir des filles éle-
vées de sa main , pour les conduire, et il est
sorti de Montmartre , du temps de cette ab-
besse, plus de cinquante religieuses pour al-
ler réformer, établir ou gouverner des mai-
sons de l'ordre. Le prieuré de la Ville-1'E-
vêque à Paris, sous le litre de Notre-Dame de
Grâces , fut un de ceux à la fondation des-
quels elle contribua ; elle y envoya , l'an
1013, huit religieuses du chœur et deux con-
verses sous la conduite d'une supérieure, et
ce prieuré a été, pendant plusieurs années ,
dépendant de l'abbaye de Montmartre; mais
à présent il n'y est plus soumis, ayant obtenu
de Rome des bulles de séparation.
Après la mort de l'abbesse de Beaumont,
Marie de Beauvilliers, qui était sa coadju-
Irice, fut obligée d'y aller: elle partit de Pa-
ris le 2 avril 1614, et y arriva le 18 du même
mois; mais elle n'y demeura que six mois,
et retourna à Montmartre, qu'elle ne put se
résoudre d'abandonner, se démettant de l'ab-
baye de Beaumont en faveur d'Anne Babou
de la Bourdaisière, sa nièce, qu'elle emmena
avec elle pour former son esprit sur les
exemples de ses filles, en attendant que ses
bulles fussent expédiées.
Ayant réglé toutes choses dans son mo-
nastère, elle fit imprimer ses constitutions
pour affermir la réforme, et afin que les filles
qui se présentaient tous les jours pour être
reçues fussent informées d'abord de leurs
obligations. Elle sépara ensuite sa commu-
nauté en deux, afin que l'office divin fût cé-
lébré dans l'église des Martyrs, comme il
l'était au monastère d'en haut, et elle fit
faire une belle galerie pour la communica-
tion des deux monastères; mais présente-
ment les religieuses demeurent toutes au
monastère d'en bas et ne vont chanter l'of-
fice à l'église d'en haut qu'à certains jours.
Enfin Marie de Beauvilliers Saint-Aignan,
après avoir gouverné l'abbaye de Montmar-
tre pendant près de soixante ans, et y avoir
rétabli les observances régulières, mourut
le 21 avril 1657, étant âgée de quatre-vingt-
trois ans. La princesse Françoise de Lor-
raine de Guise lui succéda et conserva dans
cette maison la régularité, ce qu'ont fait
aussi les autres abbesses jusqu'à présent.
Le village de Montmartre, où est située
l'abbaye à laquelle il a donné son nom, se
nomme en latin Mons Martyrum, à cause
que saint Denis et ses compagnons y souf-
frirent le martyre. On l'appelait aneienne-
<'ment le Mont de Mercure, à cause qu'il y
(1) Qui remplissait les fonctions de diacre, et pour
lous-diacre le 1$. Pierre de Cluny. L'église îles Bé-
nédictines esi aujourd'hui l'église unroissiale de Mont-
martre. Le iuona6tére est presque tout détruit; il
avait en ce lieu un temple dédié à celle fausse
divinité. On y a bâti depuis une chapelle sur
le penchant de la montagne du côté de Paris,
en mémoire du martyre de saint Denis. File
fui donnée avec ses dépendances, par Guil-
laume I", évêque de Paris, l'an 1098, aux
religieux du monastère de Saint-Martin des
Champs à Paris; mais, l'an 1133, ou 1134,
Louis VI dit le Gros, et sa femme Alix, leur
donnèrent, en échange de cette église et des
revenus qui y étaient affectés, le prieuré de
Saint-Denis de la Chartre, et non-seulement
fondèrent l'abbaye dont nous venons de par-
ler, mais firent aussi rétablir la chapelle des
Martyrs. Le pape Eugène 111 dédia l'église
des religieuses le 21 avril, et celle des Mar-
tyrs le l*r juin de l'année 1146, ayant pour
l'un de ses assistants dans cette cérémonie
saint Bernard, abbé de Clairvaux (1). L'ha-
billement de ces religieuses est semblable à
celui des autres Bénédictines réformées dont
nous avons donné le dessin au tome pre-
mier.
Jacqueline Bouette de Blemur, Eloges des
personnes illustres en piété de l'ordre de Saint-
Benoit. Thomas Corneille, Dictionnaire géo-
graphique, et Moreri, Dicl. historique, au
mot Montmartre.
MONT-OL1VET (De l'ordrk de Notre-
Dame di), avec la Vie du bienheureux Ber-
nard Ptolomée ou Tolomei, fondateur de
cet ordre.
La congrégation des moines bénédictins (2)
du Monl-Olivet en Italie reconnaît pour son
fondateur le bienheureux Bernard Ptolomée
ou Tolomei, gentilhomme de Sienne, qui re-
çut au baptême le nom de Jean. Il s'attacha
a l'étude de la philosophie, qu'il enseigna
publiquement, et il était estimé un des plus
savants hommes de son temps. Un jour qu'il
se préparait à expliquer une question diffi-
cile, dans le temps qu'il demandait l'atten-
tion à ses écoliers, il devint tout d'un coup
aveugle; mais ayant recouvré la vue par
l'intercession de la sainte Vierge, il fit vœu
de se consacrer à son service et de renoncer
au monde. En effet, pour s'acquitter de sa
promesse, la première fois qu'il remonta
dans sa chaire après avoir indiqué le jour
de la dispute, où il se trouva un grand nom-
bre d'auditeurs, au lieu de leur p irler des
sciences profanes, il ne les entretint que des
choses célestes, et leur fil un discours si pa-
thétique sur le mépris du monde et sur le
bonheur de l'éternilé, que plusieurs de ses
auditeurs en furent vivement touchés et ré-
solurent de changer de vie et de renoncer à
toutes les vanités du siècle. Il leur en donna
lui-même l'exemple l'an 1313; car, abandon-
nant ses parents et ses amis, il se retira dans
la solitude, accompagné d'Ambroise Picolo-
mini et de Palricio Patrici, tous deux séna-
teurs de Sienne, qui, ayant eu le bonheur
de se trouver dans celte assemblée où il avait
prouoncéce discours sur le mépris du monde,
n'en reste plus que quelques fragments, et une partie
de la place qu'il occupait est aujourd'hui le lieu où
sont les stations du Calvaire. B-d-e
(2) Voy., à la fin du vol., n" 270.
1091
DICTIONNAIRE DES ORDRES UEL1CIEUX.
1092
lui étaient redevables de leur conversion et
le voulurent suivre dans sa retraite.
Il y avait un lieu nommé Acona, éloigné
d'environ quinze milles de la ville de Sienne.
Ce lieu, qoi appartenait à Tolomei, était fort
propre à leur dessein : car il était désert et
inhabité ; une montagne s'y élevait au-des-
sus de quelques autres; des précipices qui
s'y trouvaient en quelques endroits le ren-
daient en quelque façon affreux; mais d'un
autre côté an feuillage épais d'une infinilé
d'arbres de toutes façons, qui en tout temps
conservaient leur verdure, joint au doux
murmure de plusieurs petits ruisseaux, qui,
en se précipitant avec impétuosité, arro-
saient ce lieu champêtre, lui donnaient des
attraits charmants pour des personnes qui
voulaient vivre dans la solitude.
Ce fut au milieu de ces rochers que Tolo-
mei se donna entièrement à la contempla-
lion des choses divines, macérant son corps
par des veilles et des jrûnes continuels, por-
tant le cilice et couchant sur la dure. lis de-
vinrent en peu (Je temps un modèle de per-
fection: ce qui lit que plusieurs personnes,
attirées par la sainteté de leur vie, renoncè-
rent aussi au monde pour se joindre à eux.
Quoique ces saints solitaires vécussent dans
une grande ri traite et s'occupassent unique-
ment de l'affaire de leur salut, il y eut néan-
moins des gens malintentionnés qui formè-
rent des accusations contre eux et les dénon-
cèrent au papo Jean XXII , comme des
novateurs et des personnes qui semaient des
hérésies. Le pape les fit venir devant lui
pour rendre compte de leur conduite. C'était
l'an 1319; ce pontife tenait pour lors son
siège à Avignon ; Tolomei y envoya deux de
ses religieux pour informer Sa Sainteté de
leurs sentiments touchant les dogmes de
l'Eglise ; et ce pontife, n'y ayant rien trouvé
que de très-orthodoxe, consentit qu'ils de-
meurassent ensemble dans leur solitude, et
les envoya à Gui de Pictramala, évéqwe
d'Arezzo, afin qu'il leur donnât une des rè-
gles déjà approuvées par l'Eglise. Ce prélat
eut dans le même temps une vision dans la-
quelle il lui sembla voir la sainte Vierge qui
lui mettait en main la règle de saint Benoît,
et lui ordonnait de la donner avec un habit
blanc à des personnes qui étaient devant lui.
11 connut peu de temps après ce que signi-
fiait celte vision, lorsque ces ermites qui
avaient été trouver le pape à Avignon lui
présentèrent les lettres de ce pontife, par
lesquelles il lui ordonnait de leur donner
une règle. Il ne douta point alors que la vo-
lonté de Dieu ne fût qu'ils suivissent celle de
saint Benoît, et quecenouvelordrcdevailèlre
sous la protection de la sainte Vierge. Mais
avant que d'ériger ce nouvel institut en ordre
régulier, conformément aux intentions du
pape, il voulut encore consulter le Seigneur,
et joignit à la prière un jeûne de trois jours,
après lesquels, ne doutant plus que ce ne fût
la volonté de Dieu, il alla, la même année
1319, au V.,1 d'Acona, où il revêtit d'habits
blancs Tolomei et ses compagnons , leur
{i)*Voy., à la fui du vol., n° 271.
ordonnant de suivre la règle de saint Be-
noît (1). 11 voulut que cette congrégation fût
sous la protection de la sainte Vierge, et
comme il donna le nom de Mont-OUvl à ce
Val d'Acona, peut-être à cause des oliviers
dont cette montagne était remplie, peut-être
aussi pourfaire ressouvenir les religieux que
par li mortification ils devaient être cruci-
fiés avec Jésus-Christ, qui la veille de sa
passion avait sué sang et eau dans le Jardin
des Olives , cette congrégation fut fondée
sous le titre de Notre-Dame de Monl-Olivet,
et Tolomei prit le nom de Bernard, au lieu
de celui de Jean, qu'il avait reçu au bap-
tême.
Il ne restait plus que de donner un supé-
rieur à cette nouvelle congrégation Tous
les religieux jetaient les. yeux sur leur digne
fondateur ; mais son humilité l'empêcha d'ac-
cepter cette charge, aimant mieux obéir que
de commander. A son refus, le premiersupé-
rieur et général de cet ordre fut le P. Pa-
trice Patrici, qui fut élu la même année.
Ambroise Picolomini lui succéda l'année sui-
vante 1320. Simon de Thure fut élu pour
troisième général en 1321 ; mais après son
année d'exercice, il fallut enfin que le bien-
heureux Bernard Tolomei cédât aux solli-
citations de ses frères, qui ne voulurent
point élire d'autre supérieur que lui en 13:i*2,
et il exerça cette charge pendant vingt-sept
ans, quoiqu'il fit tous les ans de nouvelles
tentatives pour être décharg'é de cet emploi,
afin de se remettre sous le joug de l'obéis-
sance.
Les historiens de cet ordre, parlant de la
ferveur de ces religieux dans le commence-
ment de leur établissement, disent qu'ils ne
pratiquaient pas seulement des mortifica-
tions en secret, mais qu'ils en faisaient plu-
sieurs en public. A peine donnaient-ils un
peu de repos à leurs corps ; ils se levaient
la nuit pour dire matines, et croyaient que
c'était une chose indigne de leur état et trop
sensuelle que de se reposer après avoir dit
leur office ; ils employaient à l'oraison le
temps qui leur restait jusqu'à prime. Ils
éiaienl extrêmement sobres dans leur man-
ger. Outre les jeûnes ordonnés par l'Eglise
et par la règle de saint Benoît, ils en obser-
vaient encore beaucoup d'autres, ne se con-
tentant ces jours-là que de pain et d'eau. Us
ont été même plusieurs années sans boire de
vin , et pour n'avoir pas occasion d'en
boire, ils arrachèrent leurs vignes et ôlèrent
de leurs monastères les tonneaux et les vases
destinés pour mettre le vin. Mais cette grande
rigueur leur ayant tellementépuiséles forces,
qu'ils tombèrent tous malades, ils pratiquè-
rent le conseil que l'apôtre saint Paul donnait
à son disciple Timolhée, qui était de pren-
dre un peu de vin pour soulager son esto-
mac : on leur en servit donc, mais si faible
et si gâté, qu'il ne pouvait pas beaucoup
contribuer à leur saule. Us ont ûéauw1 i is
changé de sentiment dans la suite ; car ils
ont inséré dans leurs constitutions que l'on
garderait le meilleur vin et que l'on veu-
1003
MON
MON
109 i
tirait le plus mauvais ; que l'abbé n'aurait
point de vin particulier; qu'il y mettrait de
l'eau aussi bien que ses religieux ; et que
quand on serait obligé d'acheter du vin, on
achèterait toujours le meilleur : Meîiora vi-
na pro monachorum usa setvetitur. pérora
vendantur. Abbas une) eodemque vinu bene
agita diluto utntur otm suis monachis, neque
titieeat seorsum aliquod vini duliwn pro se
lantum sérvare: Si vinum emendum erit, emàr
tur ilhtd quod eftusert'<(Louet, p;ig. 2, cap.
30). Leur silence les faisait admirer de tout
le monde. Ils ne couchaient que sur des
paillasses étendues sur le plancher et suis
couvertures : leurs habits n'étaient que d'é-
toffes grossières, et selon Morigia ils por-
taient des sandales de bois.
Une vie si extraordinaire excita la curio-
sité de plusieurs personnes qui y venaient
de toutes parts pour voir ces nouveaux soli-
taires, qui par leur modestie et douceur
sembaient plutôt des anges que des hommes
mortels ; les princes, les prélats et les gens
qui se trouvaient suffisamment pourvus des
biens de la fortune, s'eslimant heureux de
contribuer à l'agrandissement d'un ordre si
saint et si agréable à Dieu, offrirent à Ber-
nard de nouveaux établissements, dont il
en accepta quelques-uns. Le premier fut à
Sienne, où un bourgeois de cette ville fit
bâtir un monastère qu il dota de revenus
suffisants pour l'entretien de plusieurs reli-
gieux. Gai de Pielramala, évêque d'Arezzo,
en Gt bâtir un autre dans sa ville épiscopale.
Le troisième fut fondé à Florence l'an 13J4.
Le quatrième à Camprena, dans le territoire
de Sienne. Le cinquième à Volterre , par
Ramnuse, évêque de cette ville, l'an 1339.
Le sixième à Saint-Geminien. Le septième à
Eugubio, par Pierre Gabrieli, évêque de celte
vi.ie ; et le huitième à i'oligni. Ils en eurent
encore dans la suite à Home et en d'autres
endroits. Le saint fondateur, après avoir ac-
cepté la fondation de Sienne, avait fuit de
nouveau approuver son ordre par Jean XXII,
l'an 1324, et il fut confirmé dans la suite
par le pape Clément VI et par plusieurs
autres souverains pontifes.
La peste étant entrée en Italie, l'an 1 3 i S ,
y fit un grand ravage. Elle enlevait ton- les
jours un grand nombre de personnes, qui la
plupart mouraient sans assistance. Bernard,
animé du zèle tle la charité, exhorta ses re-
ligieux à secourir ceux qui en étaient atta-
qués; et pour leurdonner l'exemple, il alla à
Sienne, où ie danger était plus évident, et
sans craindre la mort, il exposa généreuse-
ment sa vie pour le salut d'une iulinilé d'â-
mes qui seraient péries faute d'assistance. Il
ne leur donnait pas seulement les secours
spirituels dont ils avaient besoin, il pansait
encore leurs plaies, les portait en terre, et
s'employait jour et nuit à ces actions de
chaiité. Ses religieux furent aussi frappés
de cette maladie, comme il l'avait prédit, et
plusieurs en moururent. Elle ne l'épargna
pas lui-même, et s'en voyant attaqué il se
coucha sur un pauvre lit, où il se disposa à
la mort par la réception des sacrements de
l'Eglise : et après avoir fait un discours à
ses religieux, pour les exhorter à la persé-
vérance, il éleva ses yeux au ciel, recom-
manda son ;'nne à l;ieu, et mourut comblé
de mérites le 20 août de la même année 1348,
étant dans la 76' de son âge et la 35' de sa
conversion. Sa fêle ne se fait néanmoins que
le 21 d'août, auquel jour son nom se trouve
dans le martyrologe romain, y ayant été in-
séré par ordre du pape Innocent XL Clé-
ment X avait permis d'en réciter l'office à
pareil jour, et Alexandre Vlllen a approuvé
uu office propre, pour être récité dans tout
l'ordre de Saint-Benoît.
Après la mort de ce saint fondateur, Fran-
ceschini Tracozzano d'Arezzo lui succéda la
même année, et gouverna l'ordre dix-huit
mois. Il eut pour successeur Ray nier de
Sienne, l'an 1330, qui fut derechef élu l'an
1369. Il paraît par le catalogue des géné-
raux qu'ils commencèrent pour lors à être
triennaux ; ce qui dura jusque sous le gou-
vernement de Jérôme Miraballi, qu'ils fu-
rent élus tous les deux ans, et continués
pour deux autres années : ce qui du; a encore
ju-iqu'en l'an 1+97, que l'on ordonna qu'ils
n'exerceraient leur office que pendant deux
ans seulement, et qu'ils ne pourraient être
continués pour deux autres années. Ils ob-
tinrent le généralat pour quatre ans, l'an
1570 , sous le gouvernement de Protais
Canturi , de Milan. 11 fut enfin réduit à
trois années, l'an 158V, sous le généralat de
Marc Cappilagerani, et on ordonna qu'il
serait choisi alternativement dans l'une des
provinces de l'ordre ; ce qui s'observe encore
à présent ; mais il y a eu des généraux qui
ont été continués par autorité du pape ,
comme il arriva à l'égard de Dominique
Pueroni de Crémone, qui fut continué pour
trois ans par Urbain VIII, l'an 1630.
Os religieux ont été appelés pendant un
long temps les frères ermites du Monl-Olivet;
ma. s sous ie généralat île Matthieu d'A versa,
le pape Paul III leur permit de prendre le
nom de Dom, conformément à la règle de
saint Benoît. Pie II, parlant de cet ordre dans
l'une de ses bulles, dit qu'il a eu de faibles
commencements, qu'il a été augmenté par
la dévotion des (idoles, qu'il a fait un heu-
reux progrès et qu'il était répandu dans
toute l'Italie. En effet, il se trouve encore,
tant en Italie qu'en Sicile, quatre-vingts
monastères de cet ordre , dans la plupart
desquels il y a grand nombre de religieux.
Ces monastères sont divisés en six provinces,
dont trois sont au delà et trois en deçà des
monts Apennins, par rapport à la ville de
Rome et au monastère chef d'ordre du Mout-
Olivel, qui était autrefois du diocèse d'Arezzo
et présentement de celui de Pienz.i. Ce mo-
nastère est si vaste et si spacieux, que l'em-
pereur Charles V y logea avec plus de deux,
mille personnes de sa suite. Les papes Pic II
et Paul 111 y ont aussi été reçus, ayant avec
-icurs cardinaux et prélats; et lors-
que Pic II y ait i, il défendit aux personnes
de sa suite U'y manger de la viande, quoique
ce fut un jeudi, par respect pour la sainteté
1095
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
10f)6'
de ce lieu et pour les observances des reli-
gieux, qui n'en mangeaient pas pour lors.
Les abbés généraux de cet ordre y font leur
résidence, et on y tient ordinairement les
chapitres généraux. L'on ne voit guère de
monastères plus magnifiques que ceux de
Sainte-Marie du Mont-Olivet de Naples, et de
Saint-Michel in Bosco à Bologne; celui de
Naples a plus de vingt mille écus romains de
revenu, et la communauté y est composée
ordinairement de quatre-vingts religieux.
Le roi de Naples Alphonse fit beaucoup de
bien à ce monastère. Il demeurait souvent
avec les religieux et les servait même quel-
quefois à table, par un esprit de dévotion et
de respect qu'il avait pour ces serviteurs de
Dieu. Il y a encore beaucoup d'autres mo-
nastères, qui approchent de ceux de Naples
et de Bologne pour la richesse et la magni-
ficence, comme ceux de Saint-Victor de Mi-
lan, de Sainte-Marie-aux-Bois en Sicile, de
Saint-Pierre d'Eugubio, de Sainte-Marie du
Mont-Olivet de Florence, de Sainl-Pontien
de Lucques, de Saint-Georges de Ferrare, de
Sainte-Marie in Organo de Vérone, de Saint-
Benoit de Padoue, de Saint-Nicolas de Botin-
go, du Saint-Sépulcre de Plaisance, et de
Saint-Laurent de Crémone. Ils avaient autre-
fois deux monastères en Hongrie, qui leur
avaient été donnés par l'empereur Sigis-
mond, et qu'ils ont abandonnés dans la suite
à cause de l'éloignement.
Ces religieux ont été en si grande estime,
qu'on les a souvent choisis pour réformer
des monastères. Le pape Grégoire XII ,
voyant que l'observance régulière avait été
entièrement bannie de celui de Sainte-Justine
de Padoue, leur donna ce monastère l'an
H08, où ils ont demeuré jusqu'à ce que la
république de Venise les obligea d'en sortir
pour le rendre aux Bénédictins, qui y ont
jeté les fondements de la célèbre réforme qui
a pris le nom de ce monastère. Les papes et
les princes ont accordé beaucoup de privilè-
ges à cet ordre. L'empereur Charles V, étant
à Vill'.franche de Nice, le mit sous la protec-
tion de l'empire, par ses lettres patentes du
17 juin 1538. Jean XXII et Jules 11 le mirent
sous celle du saint-siége. Grégoire XI
exempta ces religieux de la juridiction des
évêques, et voulut que les abbés supérieurs
des monastères exerçassent leur office et lis-
sent les fonctions d'abbés de même que s'ils
avaient reçu la bénédiction abbatiale. Les
mêmes Jules et Pie 11 permirent aux reli-
gieux des autres ordres, excepté aux Char-
treux, de passer dans celui du Mont-Olivet.
Pie IV approuva le privilège qui leur avait
été accordé d'élire un cardinal protecteur.
Pie 11 les fil encore participants de tous les
privilèges, exemptions et immunités dont
jouissaient les religieux de la congrégation
du Mout-Cassin , et il y a peu de souverains
pontifes dont ils n'aient reçu quelques grâces
et quelques privilèges.
Ces religieux sont habillés de blane.et leur
habillement consiste en une robe et un sca-
pulaire, auquel est attaché un capuce beau-
(1) Voy., à latin du vol., n°» 272 et 275.
coup plissé par derrière, et lorsqu'ils sont
au chœur ils mettent une coule à la manière
des Bénédictins, laquelle ils portent encore
quand ils vont en ville, avec un chapeau
blanc doublé de noir jusqu'aux bords; leur
habit est d'une serge très-fine. L'habit de
leurs convers (1) est tout différent de celui
des religieux du chœur : ils ont une petite
soutane qui leur tombe jusqu'aux genoux.
Ils portent dans le monastère un petit bon-
net fait comme celui des prêtres séculiers, à
la réserve qu'il n'est que de serge blanche
sans carton : ce qui fait qu'il n'a pas une
forme trop régulière. Lorsqu'ils sont dehors,
ils ont un grand manteau sans collet et qui
est tout froncé : il est vrai que, dans plu-
sieurs maisons, ils sortent avec un manteau
blanc fait comme celui des séculiers, mais
c'est un relâchement; car dans les monastè-
res où il y a soixante religieux, ils n'en ont
point d'aulres que les premiers; ils portent
dehors un chapeau blanc par-dessus et noir
par-dessous; ils ont un rabat de serge fait
comme celui des prêtres séculiers , qu'ils
porlent tant au dedans qu'au dehors du cou-
vent.
Les religieux de cet ordre font profession
de la règle de saint Benoit, mais mitigée par
leurs constitutions. Ils se lèvent la nuit pour
dire matines; après laudes ils vont au cha-
pitre, où chacun se prosterne devant le su-
périeur et ne se relève point qu'il ne leur ait
enjoint une pénitence ou qu'il ne leur ait or-
donné de se relever. Tous les dimanches,
après complies, ils se trouvent à une confé-
rence de cas de conscience ou de la sainte
Ecriture. Ils ont, dans quelques-uns de leurs
monastères, des lecteursd'humanités, de phi-
losophie, de théologie et d'Ecriture sainte,
qui, à raison de leurs emplois, aussi bien
que dans les autres ordres, sont dispensés
de l'office, mais ils doivent toujours assister
à l'oraison mentale. Quoiqu'ils enseignent
la doctrine de saint Thomas, ils ne sont pas
tellement attachés à ses sentiments qu'ils ne
s'en écartent quelquefois, et ils ne sont pas
d'accord en bien des choses avec les tho-
mistes.
Ils jeûnent, pendant l'automne, les lundis,
les mercredis et les vendredis, aussi bien que
les samedis pendant toute l'année, à cause
que leur ordre est sous la protection de la
sainte Vierge. Ils mangent de la viande trois
fois la semaine; mais les novices, pendant
leur année de probation , n'en mangent
point, et ils ne reçoivent parmi eux que des
personnes nobles : ce qui semble néanmoins
contraire à la règle de saint Benoit, qui ad-
met également les nobles et les roturiers.
L'ordre est gouverné par un général, qui
a pour assistants un vicaire général et six
visiteurs. 11 y en avait autrefois huit; mais
sous le généralat de Prolais Cauoluri , de
Milan, ce nombre fut réduit à six, pour ré-
pondre aux six provinces de cet ordre. Ils
s'assemblent tous les ans et forment le
définitoire, où on délibère des affaires de
la congrégation et où on élit les supé-
1087
MON
MON
109 >
rieurs des maisons et les autres officiers. Ces
assistants sont 61ns dans les chapitres géné-
raux par voix secrètes, et l'on observe dans
l'élection du général et du vicaire général
l'alternative pour les provinces , en sorte
que la province d'où est le général ne peut
en avoir un autre que dix-huit ans après, et
on n'élit jamais pour général celui qui quitte
la fonction de vicaire général, ni pour vicaire
général un religieux de la même province
que le général.
Les monastères sont gouvernés par des
supérieurs qui prennent le titre d'abbés ,
qu'ils conservent toute leur vie, quoiqu'ils
ne soient plus supérieurs. Etant supérieurs
ils peuvent se servir d'ornements pontifi-
caux, quoiqu'ils ne reçoivent pas la bénédic-
tion abbatiale. Ces abbés sont élus dans le
définitoire : l'abbé général en propose trois,
et lorsqu'ils ont été agréés, on les ballotte
avec des fèves, et celui qui a plus de voix
est censé élu. 11 faut qu'ils aient été aupara-
vant ou vicaires, ou maîtres des novices, ou
lecteurs, ou qu'ils aient exercé quelque em-
ploi. Ils ne sont que trois ans dans leur of-
fice, aussi bien que le général et les visi-
teurs, mais ils peuvent être continués dans
la môme maison ou envoyés pour supérieurs
dans d'autres. Clément X accorda à ces reli-
gieux douze abbés titulaires , c'est-à-lire
deux dans chaque province; mais ils n'en-
trent point dans le gouvernement de l'ordre
ni des monastères particuliers; ils n'ont que
voix passive dans les chapitres généraux
tant qu'ils sont titulaires.
Le général a toujours avec, lui un (han-
celier et un secrétaire qui lui sont donnés
par le diffinitoire , qui lui propose deux
sujets pour chacun de ces ofûces , aussi
bien que pour le procureur général en
cour de Rome , qui se fait aussi dans le
dil'finitoire , en gardant aussi l'alternative
pour les provinces. Le général a dans le
diffiniloire deux suffrages. 11 doit avoir,
pour être élu, au moins vingt ans de re-
ligion , le vicaire général et les visiteurs
dix-huit , et les abbés quinze. Le général
doit faire sa visite dans tout l'ordre une
fois pendant son triennal, et tous les ans
par deux commissaires du nombre des vi-
siteurs ou des abbés, A la fin de chaque
triennal, le troisième dimanche d'après Pâ-
ques; le chapitre général se lient au mo-
nastère du Mont-Olivet , chef d'ordre, où
tous les abbés onl droit d'assister, aussi
bien qu'un discret de chaque maison , qui
est élu sans avoir besoin du consentement
du supérieur, et, pendant tout le temps du
< hapilre, il n'est pas permis de manger de
la vi;mde.
Cet ordre a produit plusieurs personnes
recommandables par la sainteté de leur
vie, comme les bienheureux Bernard To-
lomei , foi, dateur, et ses deux compagnons,
Patrice Patrici et Ambroise Picolomini ; le
bienheureux Bernard de Yerceil , qui fut
en Hongrie pour y faire les deux établis-
sements que cet ordre y a eus ; le bien-
heureux Jérôme de Corsica , qui , après
Diction, des Ordres religieux. II.
avoir porté longtemps les armes , se fil
oblat de cet ordre, et mourut l'an 1479;
le bienheureux Jérôme de Manloue , qui
vivait aussi dans le quinzième siècle , et
dont !e corps fut trouvé sans aucune cor-
ruption cent ans après sa mort; le bien-
heureux Jérôme Mirabelli de Naples, que
ses grandes vertus firent élire pour géné-
ral, quoiqu'il n'eût pas trente ans; le
Père Jacques del Carpo, dont Bucelin fait
mention dans son ménologe de l'ordre de
Saint-Benoît ; les Pères Antoine de Bar-
gue, Grégoire Amatisci, l'abbé Maure de-
Pérouse , et deux frères oblats , dont l'un
est le frère François de Vérone, et l'au-
tre le frère Daniel de Foligni.
Ceux qui ont été élevés aux dignités de
l'Eglise sont en grand nombre : il y en a
eu qui onl rempli les sièges épiscopaux
de Todi , d'Imola, de Torlose, de Cluse,
de Marsicano, de Pouzzoles, d'Aqui et de
quelques autres. Nous nous contenterons
d'en rapporter les plus récents, comme dom
Romuald Tancredi de Sienne, qui fut fait
évêque de Montalcino en 1694; dom Jean-
François Rigamonli de Rome, fait évoque
de Cervia, en 1707, par Clément XI, qui
a encore donné les évêchés de Colle et de
Cluse, le premier à dom Dominique Bal-
lali de Sienne, et le second à don Caïe-
tan-Marie Bargali, aussi de Sienne. Ils
ont eu aussi autrefois deux précepteurs du
Saint-Esprit de Borne : le premier fut dora
Benoît de Sienne , nommé par Alexandre
VI, l'an 1503, et l'autre fut dom Evangé-
liste Tornioli de Pérouse, évêque de Citla
di Castello, nommé par le pape Paul V,
l'an 1620. Cet ordre prétend avoir aussi
eu deux cardinaux , savoir : Georges Mar-
linutius, archevêque de Strigonie, et Pierre
Tartaro; mais les Bénédictins du Mont-
Cassin leur disputent celui-ci, et l'autre
appartient à l'ordre de Saint-Paul Ermite,
comme nous avons fait voir en parlant de
cet ordre. Les religieux du Mont-OIivel
conviennent à la vérité que le cardinal
Tartaro a été abbé du Mont-Cassin, mais
ils prétendent que l'abbé André demanda,
l'an 1370, à Rainier, général du Mont-Oli-
vet, des religieux de cet ordre pour rétablir
la discipline régulière au Mont-Cassin, et
qu'entre les religieux qui y furent envoyés
André Faventini en fut abbé aussi bien que
le cardinal Tartaro, qui avait élé aupara-
vant prieur du monastère de Notre-Dame-
la-Neuve à Rome, de l'ordre du Mont-
Olivel. Ils prétendent aussi que le cardinal
Ardicin de Porte de Novarre quitta la pour-
pre pour prendre l'habit de leur ordre
l'an 1-V95. Nous ne rapporterons pas non
plus U,as les écrivains de cet ordre qui
sont en trop grand nombre. Dom Second
Lancelot de Pérouse a donné l'Histoire de
cet ordre qu'il a continuée jusqu'en 1618;
on a encore de lui quelques ouvrages. Il
était venu à Paris pour y en faire impri-
mer quelques-uns, et il y mourut le l'ù
janvier 1643. Il n'est pas vrai qu'il ait été
général de son ordre, comme quelques-uns
ic^y
hlCTIONNAME DES ORDRES RELIGIEUX.
1i(M
ont avancé; il n'a été qu'abbé. Dom Au-
gustin Lancelot, son frère, aussi religieux
du Mont-Olivet, a fait imprimer pareii-
Jement quelques ouvrages à Rome , l'an
1639. Cet ordre a pour armes (rois mon-
tagnes d'argent , surmontées d'une croix
dc^gueules en champ d'or, accompagnée de
deux rameaux d'oliviers sortant des mon-
tagnes.
Il y a aussi un monastère de filles de
cet ordre à Bitonto, au royaume de Na-
ples. Le Père Bonanni , dans son catalo-
gue des ordres religieux, avoue bien qu'il
y a des religieuses de cet ordre, mais il
dit qu'il n'a trouvé dans aucun auteur le
temps de leur institution. Il ajoute seule-
ment que Lancelot, dans l'Histoire de cet
ordre, rapporte que le bienheureux Jour-
dain, qui en était généra! , fonda, l'an 1359,
deux monastères à Padoue, l'un pour des
hommes, l'autre pour des Glles. On ne
trouve point cependant le nom de ce gé-
néral dans le Catalogue des généraux de
cet ordre, qui, en 1359, avait pour gé-
néral Silvius de Florence, qui le gouverna
pour la première fois pendant douze ans,
jusqu'en l'an 1369, et qui eut pour suc-
cesseur Rainier de Sienne, qui fut élu pour
la troisième fois. La première religieuse
de cet ordre fut la mère Françoise Lé-
chante de Palerme, qui avait d'abord élô
religieuse de l'ordre de Sainte-Claire, mais
qui, ayant fait bâtir un monastère, em-
brassa avec quelques compagnes l'ordre
du Mont-Olivet, l'an 1515, avec la per-
mission du pape Léon X, qui la nomma
abbessc perpétuelle de ce monastère, où
elle mourut en odeur de sainteté. L'ha-
billement de ces religieuses consiste en une
robe blanche, un scapulaire de même cou-
leur et un voile noir. Au chœur elles ont
une coule blanche (1).
Second Lancelot , Hist. Olivetana. Paul.
Carpentarius , Vit. B. Bernardi Ptolomœi ;
la même en italien par le P. Lombardelli ,
de l'ord. de Saint-Dominique. Constitutio-
nes Montis Oliveti. Silvest. Maurol., Mar.
Océan, di tutti (jli Relig. lib. îv. Paolo Mo-
rigia , Hist. di tut t. Relig. Herman , Hist.
des Onlres religieux. Phjlip. Bonanni, Ca-
talog. Ord. relig. l'art. î, et Mémoires com-
muniqués p ir les religieux de cet ordre du
monustère de Sainte-Marie-la-Neuvc à Rome.
Les religieux olivetains existent en-
core, et ils ont à Rome et en Italie pour
général le P. abbé dom Rcnoîl Bellini, et
pour procureur général le P. abbé dom
Bernard de Rossi. Il y a aussi à Rome ac-
tuellement les Bénédictines-Olivetaines, mais
que nous voyons , sans savoir pourquoi ,
rangées dans le Cracas au nombre des
Oblates sans clôture. B-d-b.
MONTPELLIER. Voyez Esprit (Saint-).
MONT SAINT-ELOI (Chanoines réguliers
de la congrégation du) d'Arras, et de Saint-
Aubert de Cambrai.
Le mont Saint-E!oi, qui est une fameuse
(i) Voy. à h fin du vcl., n" 274 e: 275.
abbaye située près d'Arras, a été ainsi ap-
pelé à cause que sainlEloi, suivantl'ancienne
tradition, s'y retirait quelquefois, lorsqu'il
se séparait du monde pour vaquer plus libre-
ment aux exercices del'orai-on et de la con-
templation, il y en a qui pré'cndent qu'il y
lit bâtir une chapelle. D'autres disent que ce
fut saint Vindicien, évoque de Cambrai, à
cause de la dévotion qu'il portail à saint
Eloi; mais Gazet, dans son Histoire ecclé-
siastique des Pays-Bas, rapporte ainsi celle
fondation. 11 dit que saint Eloi fit dresser un
oratoire sur une montagne à deux lieues
d'Arras, qui retient encore le nom de saint
Eloi, et qu'il y assembla dix ou douze per-
sonnes qui y vivaient comme des ermites.
Saint Vindicien, évoque de Cambrai, édifié
de leur conversation, s'y relirait souvent, et
voulut même être enterré dans cette église,
qui, ayant depuis été brûlée et ravagée avec
tout le pays par les Normands, environ l'an
880, fut abandonnée; en sorte que ce lieu
devint un désert plein d'épines et de ronces,
dont la sépulture de saint Vindicien fut cou-
verte. Elle demeura inconnue jusqu'à ce que
Dieu l'eût miraculeusement découverte du
temps de l'évêque Fulbert, l'un de ses suc-
cesseurs, qui y fit bâtir une nouvelle église
qu'il consacra en l'honneur des apôtres saint
Pierre et saint Paul, ayant été assisté par
les libéralités de l'empereur Othon, son pa-
rent. Et au lieu des ermites qui y étaient par
le passé, il y mit huit chanoines séculiers,
qui y demeurèrent jusqu'en l'an 1066, ou
environ, que saint Lietbert, aussi évêque de
Cambrai, voyant qu'ils s'acquittaient mal de
leur devoir, les en fil sortir, et substitua en
leur place des chanoines qui vivaient en
commun, auxquels il donna pour premier
abbé Jean Robert le Frison, comte de Flan-
dre, augmenta la fondation de cette église,
comme avaient fait l'évêque Fulbert et les
seigneurs de Coucy. L'abbé Jean gouverna
cette abbaye pendant quarante ans, et, l'an
1219, Richard de Sassy, l'un de ses succes-
seurs, fil bâtir l'église en l'état qu'on la voit
présentement.
Ce monastère devint comme un séminaire
de saints evéques et de grands hommes.
Hugues, troisième abbé, assista au concile
de Latran, tenu sous le pape Innocent H.
Raduiphe, son successeur, assista à celui de
Tours sous le pape Alexandre III. Jean II
obtint du pape Lucius 111 la permission de
pouvoir porter la mitre et les autres orne-
ments pontificaux, et fut pourvu par le pape
Urbain 111 d'uu évèché en Orient. Etienne
de Firmomont, seizième abbé, assista au
concile de Lyon et ne voulut point accepter
l'évéebé d'Arras qu'on lui offrit. Le pape
Adrien IV fut élevé pendant sa jeunesse dan9
cette abbaye, d'où sont sortis Jean, évêque
de Térouanne, Drsion de Verdun, Gérard de
Tournay, Guillaume de Viaison, et Pierre de
Colmicu, cardinal, de Rouen. Elle avait des
constitutions particulières qui furent reçues
par plusieurs autres communautés de cha-
•t 101
MON
MON
1103
noincs réguliers des Pays-Bas, cl en France
par ceux île Saint-Jean des Jumeaux, Us sont
habillés de, violet, el ont un rochet par-des-
sus leur soutane; au chœur ils mettent une
aumusse noire sur le bras pendant l'été, et
la chape noire pendant l'hiver avec un grand
camail .1 ;. Les novices de cette, abbaye portant
encore la robe de peaux, qui était autrefois
commune à tous les chanoines, et s'appelait
pellieeum, d'où vient le nom superpelliceum
ou surplis, comme remarque le Père du
Moulinet.
La même année 10G6, que saint Lietbert
mit des chanoines vivant en commun et dans
une entière désappropriation, au mont Saiul-
Eloi, il en mil aussi dans l'abbaye de Sainl-
Aubert, située à Cambrai, dont il ôta les
chanoines qui ne voulurent point renoncer
à la propriété et vivre en commun : il
donna à ces nouveaux chanoines Bernard
pour premier abbé, et ses successeurs de-
vaient être élus et tirés du corps du chapitre
auquel il donna pouvoir de conférer les pré-
bendes. Il y a de l'apparence que ces cha-
noines avaient les mêmes constitutions que
ceux de Saint Eloi, puisqu'ils étaient aussi
habillés de violet cl avaient le même fon-
dateur.
Sanmarlh. Gall. Christian. Du Moulinet,
Hab. des chanoin. Rc'gul.;ei Gazet, Hist. Ec-
oles, des Pays-Bas.
MONT-SEGESTBO. Voyez Jérôme (Ermi-
tes DE SAINT-).
MONT-V1EBGE (Bénédictins de l'ordre ne),
avec la I iede saint Guillaume de Verceil,
fondateur de cet ordre.
Saint Guillaume, fondateur de l'ordre du
Mont-Vierge, naquit à Verceil en Piémont,
de parenls nobles et recommandables par
leur vertu. Les ayant perdus presque au
sortir du berceau, il fut élevé par un de ses
proches parenls jusqu'à l'âge de quinze ans,
que, commençant à sentir dans son cœur
un grand amour pour Dieu et un penchant
pour la retraite, il résolut, dans un âge si
tendre, de soumettre sa chair à l'esprit,
avant qu'elle lui livrât des assauts pour en-
gager son cœur dans les liens d'un monde
corrompu, qu'il méprisait avant même que
d'en connaître bien la vanité, au moins par
expérience. C'est pourquoi, malgré les biens
que ses parents lui avaient laissés en mou-
rant, il prit le parti d'embrasser une vie pé-
nitente, de renoncera toutes choses, et d'a-
bandonner jusqu'à son pays pour l'amour
de Jésus-Christ qui faisait tout l'objet de ses
désirs ; il se revêtit pour cet effet d'un habit
d'errnite, et entreprit le voyage de Saint-
Jacques en Galice. La longueur cl la diffi-
culté d'un si grand pèlerinage, la grossièreté
de son habit, auquel il n'était pas accoutu-
mé, la pauvieté volontaire qu'il exerça pen-
dant toute la route, étaient sans doute une
pénitence bien rude pour un enfant qui avait
clé élevé jusqu'alors d'une manière fort dé-
licate. Cependant toutes ces peines ne furent
(I) Voy., à la fin du vol., n° 27ii
pas suffisantes pour contenter son cœur déjà
insatiable de mortifications; car il voulut
faire ce chemin nu-pieds, portant sur ;*a
chair dcuxcercles de ferqui ne lui donnaient
aucun relâche ni jour ni nait. Quand il fut
de retour à son pays, bien loin de songer à
se procurer quelque soulagement en quill mt
ces cercles, et en se dédommageant de toutes
les autres peines qu'il avait endurées par la
faim, la soif et les autres incommodités, il
se proposa un autre pèlerinage en Palestine
pour aller visiter le saint sépulcre à Jérusa-
lem ; mais Dieu, qui l'avait choisi pour lo
fondateur d'un ordre religieux, lui ôta la
pensée de faire ce voyage lorsqu'il s'y pré-
parait, et lui inspira celle de se retirer dans
une solitude.
Pour le (aire avec moins d'obstacles, il
passa au royaume de Naples, et y choisit
pour retraite le Mont-Laceno, dans la pro-
vince de la Pouille, où il trouva saint Jean
de Malera, dont on parlera à l'article Pcl-
sano. Ils demeurèrent quelque temps en-
semble, aussi bien que sur le Mont-de-Co-
gno, où ils firent encore quelque séjour.
Mais saint Jean de Malera l'ayant quitté
pour prêcher dans Barri, et s'étant retiré en-
suis au Mont-Gargan, où il fonda l'ordre de
Pulsano, saint Guillaume quitta aussi le
Mont-de-Cogno et vint dans la principauté
ultérieure, où il choisit pour sa demeure le
Mont-Virgi ien, qu'on appelait ainsi à cause
du séjour qu'on prétend que le poêle Vir-
gile y a fait; mais cette montagne changea
de nom après que notre saint y eut Tait bâ-
tir une église en l'honneur de la sainte Vierge,
et fut nommée pour cel effet le Mont-Vierge.
Il ne fut pas longtemps en ce lieu sans y
être visité d'une infinité de personnes qui y
accoururent au bruit de sa sainteté, les uns
pour lui demander des instructions salutai-
res, et d'aulres pour se recommander à ses
prières. Il se trouva parmi ce grand nombre
plusieurs prêlres séculiers des lieux voisins,
qui, touchés de ses entretiens, se jetèrent à
ses pieds pour le supplier de leur permettro
de demeurer avec lui, afin d'être les compa-
gnons de sa pénitence. Il ne put refuser leur
demande, et leur fil bâtir des cellules sur la
même montagne; et c'est ce qui commença
la congrégation du Monl-Vierge, dont il jeta
les fondements l'an 1119, sous le pontificat
de Calixle II.
Ces ermites ne vivaient d'abord que d'au-
mônes; ils pratiquaient une grande absti-
nence: l'oraison et l'union avec Dieu étaient
leur principale occupation. Ils macéraient
leur corps par de grandes austérités, le tra-
vail des mains élait en usage parmi eux;
mais quelques mois s'étant écoulés dans ces'
sortes de pratiques, ils murmurèrent contre
le saint fondateur sur ce qu'étant prêtres, il
les occupait à des exercices vils: ils voulu-
rent être employés aux fonctions de leur
ministère, et obligèrent le saint à bâtir une
église où ils pussent célébrer la messe et
assisler aux divins offices.
,V\«
9^
tf
^UNi>
11C3
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1104
Le saint les contenta, et Ot bâtir une
église qui fut consacrée en l'honneur de la
sainte Vierge par l'évêque d'Avellino. Ce fut
pour lors que le pape Calixte U approuva
celle congrégation, cl accorda beaucoup
d'indulgences à ceux qui visiteraient l'église
du Mont-Vierge. Les grandes aumônes qu'on
y faisait, et que saint Guillaume, après en
avoir pris le nécessaire, distribuait ensuite
aux pauvres, excitèrent de nouveaux mur-
mures parmi les religieux, dont le nombre
élait beaucoup augmenté. Ils trouvèrent
mauvais de ce qu'il était si libéral des au-
mônes qui étaient données pour ieur entre-
tien et leur subsistance ; ce qui pouvait cau-
ser la ruine de leur monastère: ils se plai-
gnirent aussi de ce que les règles qu'il leur
prescrivait étaient trop austères et imprati-
cables, lui demandant qu'il eût à se relâcher
de la sévérité de son institut. Ce taint fond i-
teur fit ce qu'il put pour arrêter leurs mur-
mures, sans vouloir pourtant rien changer
dans les pratiques de pénitence qu'il leur
avait prescrites; mais voyant que toules ses
remontrances étaient inutiles, il prit le parti
de les abandonner, et leur donna pour su-
périeur le bienheureux Albert, religieux
d'une sainte vie, et qui sut, tant par sa pié-
té que par ses belles manières, ramener à
leur devoir ces esprits inquiets, et les faire
vivre selon les règles qui leur avaient été
prescrites. Le saint fondateur, après être
soi li du Mont-Vierge avec cinq religieux qui
ne vc.ulurenl point le quitter, fonda de nou-
veaux monastères, dont le premier fut à Ser-
ra Cognata ; il en bâtit ensuite deux autres
à Guglieto, proche la viTe de Nusco, l'un
pour des ho. i, mes, l'autre pourdes filles, avec
une église commune pour les deux monas-
tères, laquelle fut dédiée en l'honneur du
Sauveur du monde. 11 rassembla un grand
nombre de vierges dans le monastère destiné
pour les personnes de leur sexe, qui y vi-
vaient dans une grande abstinence. Jamais
elles ne buvaient de vin, non pas même dans
les maladies, et elles s'abstenaient en tout
temps de l'usage de la viande et de t nies
sorles de laitages ; trois fois la semaine elles
mangeaient des herbes crues avec du pain,
et les atulres jours on ne leur servait qu'un
seul mets aceoiiaruodé à l'huile: depuis la
fête de tous les saints jusqu'à la Nativité de
Noire-Seigneur, et depuis l'a Septuagésime
jusqu'à Pâques, elles jeûnaient tous les jours
au pain et â l'eau. Les hommes ne vivaient
pas dans leur monastère d'une manière moins
austère; de sorte que ce monastère de Gu-
glieto devint très-considérable dans la suite,
tant par sa piété que par ses grands revenus
qui se montèrent à plus de vingt mille du-
cats.
La sainteté de Guillaume se répandant de
toutes paris, Roger, roi de Naples el de Sicile,
le lit venir auprès ce lui pour se servir de ses
conseils. Le saint profila de c< lie oecasion
pour porter ce prince à bannir de sa cour le
dérèglement et le scandale. Les courtisans de
Hoger, qui ne respiraient que les plaisirs et
le luxe, appréhendant que les discours de ce
saint homme ne fissent impression sur l'es-
prit de ce prince, traversèrent ses pieux des-
seins par la calomnie qu'ils suscitèrent con-
tre lui. tâchant de le faire passer pour un
hypocrite, qui cachait sous un extérieur de
pieté un cœur rempli de passions et de viees ;
et afin de mieux réussir dans leur mauvais
dessein, ils firent venir une courtisane qui
promit de le l'aire tomber dans les fil.ts
qu'elle lui tendrait pour corrompre sa chas-
teté: le roi y consentit, et celte femme im-
pudique alla Irouver le saint avec tous les
charmes qu'elle crut capables pour lui ins-
pirer de I amour, et, par des discours lascifs,
elle le pressa de consentir à ses désirs. 11 fei-
gnit d'y acquiescer, à condition qu'elle se
coucher :it dans le même lit qu'il préparerait
pour lui. Elle s'imagina sur cette réponse
avoir remporté la victoire : elle alla bien
joyeuse en porter la nouvelle au roi ; mais
elle fut bien surprise, lorsque l'heure du ren-
dez-vous étant arrivée et élant entrée dans
le lieu destiné à sa prétendue conquête, elle
n'y trouva qu'un lit de charbons ardents, sur
lesquels le saint se coucha, l'invitant à faire
la même chose; el elle fui encore plus étonnée
de voir que le feu ne faisait aucun mal au
serviteur de Dieu. Ce prodige la loucha si vi-
vement qu'elle résolut de changer de vie, et
ayant demandé pardon au saint, elle voulut
vivre sous sa conduite. Elle vendit tout ce
qu'elle avait, et du prix qu'elle en relira, le
saint fonda un monastère de filles à Yenosa,
qui fut achevé par les libéralilés du roi Ro-
ger. Cette couriisane y prit l'habit de l'ordre
du saint fondateur, et se sanctifia dans ce
monastère, dont elle fut ensuite supérieure.
Les pénitences et les austérités , jointes aux
actes des vertus les plus héroïques qu'elle
pratiqua depuis sa conversion, lui ont mé-
rité après sa mort le tilre de bienheureuse,
étant connue sous le nom de la bienheureuse
Aynès de Venosa.
Après ce miracle le roi Roger eut une si
grande estime pour saint Guillaume, qu'il
lit bâtir plusieurs monastères de son ordre,
non-seulement dans le royaume de Naples,
mais encore dans celui de Sicile. Le premier
qu'il fonda fut à Palerme sous le nom de
Suint-Jean îles Ermites, vis à vis san palais.
Il en fonda aussi un autre dans la même
ville pour des vierges, sous le nom de Saint-
Sauveur; et la première qui y prit l'habit fut
la princesse Constance, sa fille, laquelle fut
tirée dans la suite de ce monastère, dont elle
éiail supérieure, et relevée de ses vouix par
le pape Celeslin III, pour épouser Henri VI,
fils de, l'empereur Fridéric ISarbe-Rousse. Ce
prince lit encore bâtir un autre monastère
de religieuses à Messine, appelé le monas-
tère du M ont-Y ierije, et entre ceux qu'il fonda
dans le royaume de Naples, il y eut celui de
Venosa pourdes religieuses. Le nombre des
monastères de filles de l'institut de saint
Guillaume fut si grand, qu'il y en a qui pré-
tendent qu'il y en eut jusqu'à cinquante;
mais à peine à présent en irouve-l-on deux
ou Irois, dont les religieuses ont même
quille l'habit et l'institut du Mont-Vierge,
1105
MON
MON
ithG
quoique celui de Messine en reliennc encore
le nom.
Saint Guillaume, après avoir demeuré quel-
que temps dans son monastère de Palerme,
où il avait fait venir des religieux de son
propre monaslèro du Mont- Vierge, que le
bienheureux Albert lui avaii envoyés, quitta
fa Sicile pour retourner dans le royaume de
Naples. Il alla visiter les religieux du Itonl-
Vierge, qui avaient été longtemps privés de
sa présence: il y fil quelque séjour, et sen-
tant par l'épuisement de ses forces et l'ac-
croissement de ses infirmités qu'il ne pouvait
vivre longtemps, il se retira au monastère île
G-glieto, où il mourut le 2o juin lli2, lais-
sant une nombreuse postérité, dont il donna
la conduite au bienheureux Albert, qui ne
voulut pas néanmoins accepter cet emploi;
mais on ne voulut point en élire un autre
qu'après sa mort qui arriva l'an 11 W; ainsi
il est reconnu pour le second général de cet
ordre.
H eut pour successeur le bienheureux Ro-
bert qui retrancha quelque chose des gran-
des austérités auxquelles saint Guillaume
avait obligé ses religieux ; et comme ce saint
ne leur avait rien laissé par écrit, il mit son
ordre sous la règle de saint Benoît par auto-
rité du pape Alexandre III. Ce pontife l'ap-
prouva derechef, et prit sous la protection
du saint-siège le monastère du Mont-Vierge.
Jean, successeur de Robert, Qt rebâtir l'église
de ce chef d'ordre avec beaucoup de magni-
ficence, et elle fut consacrée par le papeLu-
cius 111, en présence de quinze évéques et de
cinq abbés, el lui accorda beaucoup de pri-
vilèges, dont le P. dom Gabriel, quatrième
abbé, obtint la confirmation du p;ipe Célcstin
111. Jean, deuxièmedu nom et huitième abbé,
amplifia l'ordre par la fondation de plusieurs
monastères, et il alla toujours en augmen-
tant, tant que les religieux vécurent en paix
< t en union, et qu'ils observèrent inviolable-
ment leur règle. Mais étant tombés dans le
relâchement, l'esprit de discorde se glissa
parmi eux, et après la mort du général Phi-
lippe, dix-huitième abbé du Mont-Vierge, ne
pouvant convenir pour l'élection d'un succes-
seur, chaque monastère fut gouverné par des
doyens et des prévôts, qui étaient absolus et
indépendants, l'ordre n'ayant poinldechef.
Mais dom Pierre, religieux du Mont-Vierge,
alla trouver le pape Clément VI à Avignon,
etoblint de ce pontife, l'an 1319, l'abbaye du
Mont-Vierge et le gouvernement de l'ordre,
qu'il tint pendant quarante ans : ainsi les re-
ligieux perdirent le droit qu'ils avaient d'é-
lire leurs généraux. Après la mort du géné-
ral dom Pierre, arrivée en 1381, Barthélémy
fut général jusqu'en l'an 13'JO, et eut pour
successeur Palamides, qui permuta l'abbaye
du Mont-Srierge pour celle de Sainl-Pierre <;d
Ara avec le cardinal Hugues , de Chypre, qui
fut le premier abbé commendataire du Mont-
Vierge, et mourut l'an 1433. Le second fut
le cardinal Guillaume, de Chypre ; le troi-
sième le cardinal Jean d'Aragon, fils du roi
Ferdinand ; le qualrièmele cardinal OlivierCa-
raffa, archevêque de Naples, qui ôla à ce
monastère le riche trésor qu'il conservait du
corps de saint Janvier, dont ce cardinal en-
richi! son église. Enfin le cinquième el der-
nier abbé commendataire fut le cardinal
Louis d'Aragon, neveu du roi de Naples, qui
remit celle abbaye entre les mains du pape
Léon X, à condition qu'elle serait unie pour
loujou: s ài'hôpilalde l'Annonciade deNaples ;
ce qui fut exécuté l'an lalo, et les gouver-
neurs de cet hôpital en prirent possession le
18 décembre de la même année. Ces gouver-
neurs, qui sont ordinairement cinq genlils-
hommes et quatre bourgeois, mirentau Mont-
Vierge un sacristain, qui y tenait lieu d'abbé,
et un de ces gentilshommes disposait de tou-
tes choses, el nommait même le supérieur,
qui n'avait que le titre de vicaire et peu d'au-
torité sur les religieux, n'ayant pas môme le
pouvoir de les envoyer aux ordres. Ce gen-
tilhomme donnait les prieurés de l'ordre à
ceux qui lui en offraient davantage, et tout
se faisait au nom du sacristain, que les gou-
verneurs changeaient quand bon leur sem-
blait : de sorte que le plus souvent c'était un
prêtre séculier, sans science et sans expé-
rience, et quelquefois l'évêque de Lésina,
qui est une ancienne ville ruinée qui appar-
tient présentement à l'hôpital de l'Annon-
ciade.
L'ordre du Mont-Vierge se vit par ce moyen
à deux doigts de sa perle; il ne fut pas seu-
lement dépouillé de ses revenus qui étaient
considérables, puisque le seul monastère du
Mont-Vierge possédait les baronies de Mer-
cugliano,Spedaletto,Mugnas;no et Quatre! le,
avec le fiel de Monle-Fuscoli, d'où dépen-
daient Li-Felici, San Jacomo, Ferlulario,
Terra Nova, San Martino el Pietradelli Fusi;
mais étant sans chef, el pour ainsi dire sans
supérieur, les religieux tombèrent dans un
grand relâchement, et les études en furent
entièrement bannies.
Les gouverneurs de l'hôpital de l'Annon-
ciade, pour faire consentir plus volontiers ie
pape LéonX à l'union qu'ils demandaient du
monastère du Mont-Vierge el de ses dépen-
dances à cet hôpital, représentèrent à Sa
Sainteté que tous ses revenus ne montaient
au plus qu'à trois cents ducats, et qu'aiusi le
nombre des religieux ni l'observance régu-
lière ne diminueraient pas dans ce monas-
tère ; c'est ce qui fit que ce pontife consentit
à cette union par son bref de l'an 1515, Mais
les religieux du Mont-Vierge appelèrent au
pape même de ce bref qu'ils supposèrent sub-
reptice et obreptice; puisque les revenus
du Mont-Vierge se montaient à des sommes
bien plus considérables qu'ils n'avaient ex-
posé au pape. Ce qui leur fut d'autant plus
facile à prouver, que, sans les revenus des
terres de Mercughano, Spedaletto, Mugnano
et les autres, on vendait tous les ans pour
Lois cents ducals de châtaignes qui se re-
cueillaient sur la montagne, et pour p'us de
quatre cents ducats de bois qu'on coupait au
même endroit, et que les religieuxavaient tou-
te juridiction spirituelle et temporelle dans les
terres qui avaient été unies à l'hôpital de
l'Annonciade, et dont neaumoius il n'était
Hjl DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX
fait aucune mention dans le bref. On n'eut
aucun égard à leurs remontrances, et ils se
virent dans la dépendance des laïques, ce
qui dura jusque sous le pontifical de Pie V.
Mais avant qu'ils fussent délivrés de celte
servitude, Alphonse Piscicello, l'un des gou-
verneurs de l'Annonciade, s'élant trouvé à
un chapitre des religieux de cet ordre, et
voyant l'ignorance où il était plongé, la plu-
part des religieux ne sachant même ni lire
ni écrire, il leur donna pour supérieur, en
qualité de vicaire général, le P. dom Barbato
Ferralo délia Candida, qui était le moins
ignorant de ces religieux et le plus zélé pour
les observances régulières. Ce vicaire géné-
ral, avec l'assistance de ce gouverneur, éta-
blit un séminaire et des éludes au Mont-
Vierge, d'où il est sorti dans la suite de très-
habiFes gens, qui se sont rendus recomman-
dabh s dans l'ordre par leur science et leur
piété.
Jean-Louis Piscicello, étant gouverneur de
l'Annonciade en 1565, les exhorta à repren-
dre les observances régulières et la règle de
saint Benoît, qu'ils avaient abandonnée. Ils
suivirent son avis ; mais ne pouvant exécu-
ter ce dessein, tant qu'ils seraient gouvernés
par des séculiers, ils eurent recours au pape
Pie IV pour être affranchis de cette servi-
tude, et députèrent vers ce pontife le vicaire
général dom Barbato, qu'ils élurent dans
leur chapitre comme procureur pour aller à
Rome avec quel lues autres religieux, et ils
prirent pour leur protecteur le cardinal
Sforze. Le pape Pie IV étant mort comme ils
sollicitaient la restitution du Mont-Vierge et
de leurs revenus, ils n'obtinrent ce qu'ils de-
mandaient que sous le pontificat de son suc-
cesseur Pie V, qui, nonobstant les opposi-
tions du procureur de l'Annonciade, délivra
l'ordre du Mont-Vierge du gouvernement des
séculiers , défendant aux gouverneurs de
l'Annonciade de s'en mêler à l'avenir, et
cassa l'union qui avait été faite de ce mo-
nastère avec l'hôpital de l'Annonciade ; il le
Boumit néanmoins au sacristain de cet hôpi-
tal, pourvu qu'il fût régulier et évéque,
comme il paraît par le bref de ce pontife du
7 mars 1507; mais il ne rendit pas les reve-
nus du Mont-Vierge aux religieux. Il ordonna
: eulement que les gouverneurs de l'Annon-
< iade donneraient tous les ans, à chaque re-
ligieux pour son entretien, vingt écus ro-
mains, et que de cinquante-trois prieurés
qu'il y avait alors dans l'ordre, on les rédui-
rait au nombre de dix-huit aux frais de l'hô-
pital, qui ferait toutes les dépenses pour
faire accommoder les lieux réguliers, afin
que les religieux y pussent vivre en commun
et y garder les observances régulières. Mais
les gouverneurs, appréhendant que la dé-
pense des réparations de ces monastères ne
se montât trop haut, Grent un concordat là
même année avec les religieux, par lequel
ceux-ci abandonnèrent à l'hôpital de l'An-
nonciade environ trois mille ducats de rente,
et l'hôpital leur céda tout le reste des reve-
nus qui dépendaient du monastère du Mont-
Vierge, lequel accord fui confirmé par une
1108
bulle de Pie V. Cependant, comme on n'y
avait pas compris les vassaux des ter-
res de Mercugliauo, Spedalello, Mugrano,
délie Quadrelle et les autres, sinon qu'on
les obligeait à servir en personne le Moiil-
Viergo, demeurant au surplus sous la juri-
diction temporelle de l'hôpital quidevaitnom-
mer les offleiers de justice; ces vassaux ap-
préhendant de perdre leurs privilèges, s'adres-
sèrent à ce même pontife pour le prier de leur
permettre de rester toujours vassaux du
Mont-Vierge; ce que le pape leur accorda,
ordonnant qu'ils ne pourraient jamais être
vendus ni échangés, et qu'ils seraient tou-
jours vassaux du Mont-Vierge qui en aurait
le domaine direct.
Le pouvoir que ce pape avait accordé au
sacristain de l'Annonciade sur les religieux
du Mont-Vierge était d'assister à leur cha-
pitre général pour l'élection d'un vicaire gé-
néral, el les religieux qui se trouvaient gre-
vés par leur supérieur, pouvaient appeler de
leurs ordonnances à ce sacristain, qui en
jugeait en dernier ressort. Mais Sixte V, qui
avait succédé à Pie V, croyant qu'il ne con-
venait pas que le sacristain de l'Annonciade,
quoique régulier et évéque conformément à
la bulle de son prédécesseur, se mêlât des
affaires des religieux du Mont-Vierge, et
voyant mêmequelesacristainqui y était pour
lors, n'était ni régulier ni évoque, exempta
tous les religieux de cet ordre de sa juridic-
tion, lui faisant défense, sous peine d'excom-
munication, par sa bulle de l'an 1588, de se
trouver à l'avenir à leurs chapitres, ni de se
p.ièier des affaires de l'ordre.
Tant de révolutions arrivées en cet ordre
en avaient banni les observances régulières,
et quoique le pape Pie V eût fait faire quel-
ques règlements pour les y rétablir, il n'y
avait qu'un petit nombre de couvents qui
les avaient reçus, et où la règle de saint Be-
noît était pratiquée. Mais, l'an 1596, le pape
Clément Vlll voulut introduire une reforme
générale dans tout l'ordre. Pour cet effet il
nomma commissaire apostolique le Père Jean
Léonardi, fondateur des clercs réguliers de
la Mère de Dieu de Lucques. Il lui donna
pouvoir de visiter tous les couvenls de cet
ordre.de supprimer ceux où on ne pouvait
pas pratiquer les observances régulières, et
de ne réserver que ceux qu'il trouverait les
plus commodes pour cela, et dans lesquels
on pourrait mettre pour le moins douze reli-
gieux. 11 lui recommanda sur toutes choses
d'en bannir la propriété et de rétablir la vie
commune dans les monastères où elle n'était
pas observée.
Ce Père exécuta les volontés du souverain
pontife, et malgré les oppositions de quel-
ques religieux, il établit la réforme dans tout
l'ordre, et dressa des constitutions qui furent
approuvées par Sa Sainteté, el qui y sont
encore eu pratique. Le même réformateur
assigna à ces religieux le Bréviaire des Er-
mites Camaldules de la congrégation du
Mont-de-la-Couronne, qu'il fit imprimer 1 an
1597, et leur ordonna que, dans six mois, ils
UÛ9
MON
MON
il 10
eussent à réciter l'office divin conformément
à ce Bréviaire.
Paul V, confirmant ce que le Père Léonardi
avait fait louchant la suppression des petits
monastères de cet ordre, fixa, par une bulle
de l'an 1611, le nombre des couvents qui de-
vaient rester, et celui des religieux qui y de-
vaient demeurer. 11 ordonna qu'il n'y aurait
que vingt-quatre monastères; que dans celui
du Mont-Vierge il y aurait toujours cent re-
ligieux, dont la moitié seraient prêtres ; dans
le monastère de Naples, seize religieux ; dans
celui de C isamaricana, quatorze, et dans
ceux de Capoue, de Terra-Pinta, de Terra-
Candida, de Mauriliani, d'Aversa, de Rome,
de Guglielo, de la l'ouille, de Montefalco et
d'Argeuso, douze religieux; et que ces mo-
nastères seraient gouvernés par des abbés.
Onze autres sont nommés dons la même bulle,
dans lesquels il ne pouvait y avoir que six
religieux, gouvernés seulement par des
prieurs, qui pourraient succéder aux abbés
des autres monastères en cas de décès : que
ces onze prieurs seraient amovibles, el qu'on
en élirait trois pour aller au chapitre général,
auquel le doyen, les définiteurs, les visiteurs,
le procureur général en cour de Home, tous
les abbés et le maître des novices, auraient
voix, et que tous ces abbés jouiraient des
mêmes droits, privilèges, immunités etexemp-
tions, que ceux de l'oidre des Camaldules.
Le même pontife ordonna encore que dans
vingt-quatre autres ma sons, nommées dans
son bref, on n'établirait aucune commu-
nauté, et qu'on y enverrait seulement deux
religieux, dont l'un serait prèire pour y dire
la messe, et l'autre convers, pour avoir soin
des revenus, lesquels religieux seraient ré-
putés de la famille du monastère, auquel la
maison où ils demeureraient serait annexée.
Il consentit aussi qu'on mit cinq religieux
dans les monastères situés dans les dépen-
dances du Mont-Vierge, et où ils faisaient
les fonctions de curés, et qu'il y en eût trois
dans celui de Pouzzoles, comme servant
d'hospice au monastère de N'aples : dans tou-
tes les autres maisons de l'ordre, on n'y de-
vait envoyer qu'un frère convers ou oblat,
pour avoir soin des ornements de l'église el
des revenus.
11 y a aussi dans ce bref des règlements
concernant le gouvernement de l'ordre : au-
cun abbé, prieur ou cellérier, ne peut exer-
cer ces offices dans son pays. Le monastère
du Mont-Vierge , chef d'orJre, et celui de
Sainte-Agathe à Rome, sont destinés pour y
recevoir des novices, et il ne peut y avoir
dans tout l'ordre plus de trois religieux du
même pays. On doit établir deux monastères
pour y élever les jeunes gens, jusqu'à co
qu'ils soient p rêlres, ou au moins sous-dia-
cres : la forme de l'habit des convers et des
oblals y est prescrite.
L'on voit par ce bref qu'il y avait encore
sous le pontificat de Paul V un grand nom-
bre de monastères de cet ordre, el quoiqu'il
y en eût eu plusieurs du vivant même du
fondateur dans le royaume de Sicile, il n'en
restait alors que deux ou trois qui étaient
du nombre de ceux où on ne devait envoyer
qu'un prêtre et un convers : tous les antres
en re royaume avaient déjà été supprimés
ou donnés en rommeude dès l'an 1410, et
entre 1< s autres, celui de Saint-Jean des Er-
mites à Païenne, qui était un des plus con-
sidérables de cet ordre en Sicile, où il n'en
reste aucun à présent. L'ordre du Mont-
Vierge ne subsiste plus à présent que dans
le royaume de Naples et dans quelques lieux
de l'Etat ecclésiastique, où il a au plus qua-
rante-sept maisons.
Le général de cet ordre est triennal et
abbé du Mont-Vierge; il se qualifie seigneur
spirituel el temporel de Mercugliano, Speda-
letto et de toutes les terres qui dépendent do
son abbaye. Il se sert d'ornements pontifi-
caux et donne les ordres mineurs, non-seu-
lement à ses religieux , mais encore aux
clercs séculiers qui demeurent dans les ter-
res de sa dépendance.
Le Mont-Vierge est fort élevé et couvert de
neiges en tout temps. Le monastère n'est pas
bâti au sommet de la montagne, mais dans
le milieu. Il est très-magnifique et contient
plusieurs corps de logis. Les religieux n'y
mangent jamais ni viande, ni œufs, ni lai-
tage, ni fromage, non pas qu'ils y soient
obligés par leurs constitutions, mais parce
que Dieu a consacré ce lieu à la pénitence :
ce qui est si manifeste, que si l'on y porte de
la viande, des œufs, du fromage, même du
suif de chandelle ou quelque autre graisse,
l'air s'obscurcit tout d'un coup; il s'élève
d^s tempêtes et des orages furieux, mêlés
d'éclairs et de tonnerre qui paraît prêt à
tomber; ce que les séculiers, qui ont voulu
porter de la viande ou de la graisse, soit par
curiosité, soit par ignorance, ont expéri-
menté plusieurs fois. C'est ce que rappor-
tent tous les historiens qui ont parlé du
Mont-Vierge, et dont le cardinal des Ursins,
arche* êque de Bénévent, rendit témoignage
l'an 170S, par un acte authentique, ou,
après avoir parlé de l'image de la sainte
Vierge, qui est révérée en ce lieu, et de la
manière qu'elle y a été portée, il finit par ces
paroles : Hoc prœ cœtcris memoriœ dignum
perltibetur, quod ad hoc asceterium nec caro,
nec cascum, nec ova , nec op.is quodeunque
laclerium, neque sebaceœ candelœ pir déco
milliaria undique ver'sum duci quzunt; stalim
enim cœlum fulgurat ac tonut frangore, i:n~
mensœ erumpunt pluviœ, œslitoquc (empare
vigere consuevit prœ fat i populi innumeri
con< ursus, mmmœque devotionis , vos ipsï
qui semel atque ilerum congrégation) s Mon-
tiS'Virginit visitatorem egimus apostolicum
et ad idem asceterium mit pro electionc abba-
tum generalium, summis ponlificibus deman-
dantibus, vel pro eorumdem solcmni benc-
ilictione plwies accessimus , oculati testes
fuimus : ac proinde, in horum omnium et s n-
gulorum fidem, prœsenies nosira manu sub-
scriptas, nostroque sigillo obprmatas expe-
diendas jussimus. Dalum Benevenli ex nostro
arckiepiscopio Itac die 9 mensis Janunrii
1708. Il fait un froid extrême sur celte mon-
tagne , el aux mois de juillet et d'août les
iiiî
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1112
religieux sont quelquefois obligés de se
chauffer. A quatre milles au-dessous du
monastère, il y a un lieu fort agréable, où
toutes choses nécessaires à la vie abondent.
Ce lieu s'appelle Laurela; on y a bâli une
belle infirmerie, qui pourrait passer pour
an très-beau monastère. On n'y peut pas
non plus porter ni viande-, ni œufs, ni lai-
tage. Ainsi les religieux et les personnes
séculières, même les étrangers, quand ils
sont à l'extrémité de maladie, n'en mangent
point. Ceux qui y meurent sont portés au
monastère d'en haut pour y être enterrés. 11
ne laisse pas d'y avoir beaucoup de fontaines
sur cette montagne, nonobstant sa hauteur.
Il s'y trouve aussi beaucoup de pâturages ;
il y a même un pré qui a trois milles de
tour, et on y recueille du blé et de l'avoine.
Les religieux de cet ordre sont habillés de
blanc. Leur habit ordinaire consiste en une
robe et un scapulaire, et ils portent au
chœur et dans les villes où sont situés leurs
monastères, une coule comme les Bénédic-
tins (1). Silvestre Maurolic dit que de son
temps ils ne portaient point de coules, mais
seulement un scapulaire avec un capuce et
un manteau blanc à la manière des ermites.
Quelquefois, quand ils vont seuls par la ville,
ils ont un manteau blanc à la manière de
celui des ecclésiastiques, avec un chapeau
blanc doublé par dessous d'une toile noire
jusqu'aux bords. Us ont pour armes d'or à
trois montagnes de sinoples , surmontées
d'une croix de gueules, entourée par le haut
d'un cercle de même couleur, et accostée de
ces deux lettres M et V. L'habillement des
religieuses consistait aussi en une robe
blanche, serrée d'une ceinture de cuir blanc,
avec un scapulaire; un linge entortillait
leur tête et descendait sur leur gorge eu
forme de guimpe, et elles portaient par-des-
sus un grand voile noir fort délié ; et dans
leurs cérémonies elles avaient un manteau
traînant jusqu'à terre (2). Le principal mo-
naslère de ces filles était à Goglieto, qui était
double, comme nous avons dit. La supérieure
y avait la qualité d'abbesse , et pouvait por-
ter la crosse, aussi bien que l'abbé du mo-
naslère des hommes, qui se servait d'orne-
ments pontificaux. Ce monastère avait plus
de vingt mille ducats de revenu, dont l'hô-
pital de l'Annonciade à Naples a dissipé une
grande partie, aussi bien que les abbés com-
mcndalaires : il n'y a plus présentement que
douze religieux. Ce monastère porte le nom
de saint Guillaume, à cause que ce saint
fondateur y a été enterré. Cet ordre a donné
quelques prélats à l'Eglise et quelques écri-
vains.
Silvestr. Maurol. Mare Océan, di tut. gl.
Belig. lib. n. Thomas a Costo , Istoria del
Sagraliss. luogo di Monte Vergine. Giacomo
Jordano, Chronic. di Monte Vergine. Félix
Renda, et Jacom. Jordano, Vit. S. Guillet.
Bullar. Rom. Baillet, Vies des SS. et Mémoi-
res envoyés par les religieux de cet ordre du
couvent de Sainte-Agathe à Rome en 1709.
Les religieux de cet ordre avaient , à
Rome , le monastère de Sainte-Agathe des
Golhs. Nous ne voyons pas qu'ils aient au-
jourd'hui de maisons dans celte ville.
B-D-E.
MORIMONT. Voyez Citeaux, § II.
MORT (Frères de la). Voyez Paul (Er-
mites de Saint-).
MORTARE. Voyez Latran, § III.
MUNSTER-BELISE. Voyez Nivelle.
N
NARBONNE (Des Frères Mineurs de la
congrégation de) et des Spirituels.
Dès l'an 1290, quelques religieux de Pro-
vence et de cette partie de la France que
l'on nommait anciennement France Narbon-
naise, voulant conserver l'esprit de pauvre-
té, déclamèrent fortement contre ceux qui
étaient tombés dans le relâchement; mais
lorsque la congrégation des Ermites Céles-
tins eut été supprimée, comme nous avons
dit, et qu'une partie de ceux qui eh étaient
eut cherché un asile chez ces religieux zélés
île France, non contents de blâmer et de
condamner une conduite si contraire à l'es-
prit de leur saint fondateur, se trouvant un
nombre suffisant pour composer une con-
grégation, ils en commencèrent une qui prit
le nom de Narbonne, à laquelle s'unirent
aussi certains autres religieux zélés de la
province de Toscane, qui prenaient le nom
de Frères Spirituels. Le reste de l'ordre, qui
formait la plus grande partie et que l'on ap-
pelait la communauté , se souleva contre
(1) Voy., à la Ou du vil., n« -277,278, 27? et 280.
celte congrégation naissante que l'on accusa
de suivre la doctrine et les erreurs de Pierre-
Jean Olive, afin de l'étouffer dans son
commencement en la rendant suspecte d'hé-
résie.
Ce Pierre-Jean Olive était un religieux de
l'ordre de la province de Provence et de
la custodie de Narbonne. 11 avait toujours
fait profession d'une grande pauvrelé,-pour
laquelle il était si zélé, que, non content do
la pratiquer, il reprenait librement ceux qui
la transgressaient, dont il se fit par cet en-
droit autant d'ennemis ; mais comme la ver-
tu ne peut s'attirer la haine des vicieux sans
en même temps se faire aimer et honorer
des vertueux, ce saint religieux eut de véri-
tables amis qui lui furent attachés par les
liens d'une piélé solide et sincère, et qui ne
servirent pas peu à le consoler dans les cha-
grins qu'il reçut dans la suite, dont le pre-
mier fut l'accusation qui fui faite contre lui
dans le chapitre général qui se tint à Stras-
bourg l'an 1282, de blâmer continuellement
(2) Voy., à la lia du vol., n"« 231 ei 282.
1M5
NAK
NvR
111*
la communauté, et d'avoir avancé plusieurs
hérésies dans ses écrits ; le chapitre ordonna
que le général, faisant sa visite en France,
informeraitjuridiquementconire la conduite
de ce religieux et examinerait ses écrits. En
effet, le général, étant en France, ordonna
qu'on lui mît en main tous les écrits de
Pierre-Jean d'Olive, qu'il donna à examiner
à quatre docteurs et à trois bacheliers de
l'université de Paris, ions religieux de l'or-
dre, qui jugèrent, soit par prévention ou par
complaisance , quelques-unes des proposi-
tions que d'Olive avait avancées, comme
dangereuses , et d'autres comme j ouvant
avoir un mauvais sens : ce qui fit qu'Olive,
dont les intentions étaient droites et soumi-
ses à l'Eglise, se rétracta et acquiesça à la
censure qui avait été faite de ses ouvrages ;
ce qui sans doute aurait apaisé toutes cho-
ses, si quelques religieux, soit par zèle in-
discret, soit par un attachement outré à sa
personne, n'avaient obligé par leurs plain-
tes réitérées et excessives contre les trans-
gresseurs delà pauvreté, le pape Nicolas IV
à donner ordre, en 1290, à Raymond Gau-
fredy, pour lors général, d'imposer silence
et même d'agir contre les sectateurs de
Pierre-Jean d'Olive, comme perturbateurs de
la paix par leur orgueil qui leur faisait mé-
priser et blâmer la conduite de leurs frères
qu'ils regardaient comme beaucoup au-des-
sous d'eux dans le chemin de la perfection.
En conséquence de cet ordre, il y en eut
plusieurs qui furent arrêtés et envoyés à
Herlrand de Cigotère, qui exerçait l'office
d'inquisiteur dans le comtat Vcnaissin : il
s'en trouva à la vérité quelques-uns qui,
soit par entêtement, soit pour se distinguer
des autres aux dépens de la foi et de l'hon-
neur, avaient des sentiments dangereux ;
mais aussi il faut avouer que le plus grand
nombre de ces prisonniers n'étaient coupa-
bles que par l'attachement qu'ils avaient
peut-être eu avec ceux qui, sous un extérieur
composé et zélés en apparence, cachaient
un venin dont ceux-ci ne s'apercevaient pas,
ne sachant pas même de quoi il s'agissait, et
ne se défiant aucunement de leur malice
qu'ils couvraient d'une piété feinte et d'un
zèle apparent pour la régularité.
Pierre-Jean Olive s'étant trouvé au chapi-
tre général qui se tint à Paris l'an 1292, on
lui demandaeequ'il pensaildel'usagedes cho-
ses qui étaient accordées aux frères, et s'ils
étaient tenus à l'étroit et pauvre usage de ces
choses : il reconnut qu'ils n'étaient pas
tenus à un plus pauvre usage ni à une autre
manière de vie qu'à celle qui était énoncée
dans la déclaration que le pape Nicolas III
avait faite sur la règle, et que la communauté
de l'ordre pratiquait ; qu'il n'avait rien dit ni
écrit qui y fût coutraire, et que s'il lui était
échappé quelque chose à ce sujet (ce qu'il ne
croyait pas ), il le révoquait. Le chapitre re-
çut sa protestation qui semblait devoir apai-
ser toutes choses. Mais il y eut de ses secta-
teurs qui, au lieu d'imiter sa soumission et
sa bonne foi, lui firent un tort considérable
par leur entêtement et leur imprudence ; car
quoiqu'il eût été renvoyé absous et déclaré
innocent par le chapitre général, ils conti-
nuèrent a causer tant de divisions et de schis-
mes dans sa province, que sa doctrine, ou
du moins celle qu'ils prétendaient avoir ap-
prise de lui, devint odieuse à toute la com-
munauté de l'ordre. Enfin, après avoir fait
encore une déclaration publique sur ce qu'il
pensait de la pauvreté et de l'usage des cho-
ses, qui était conforme à celle qu'il avait
faite dans le chapitre général de Paris, il mou-
rut dans le coûtent de Narbonne l'an 1297.
Dieu voulut faire connaître sa sainteté et
son innocence par les miracles qui se firent
à son tombeau ; mais cela n'empêcha pas
que les religieux de la communauté ne le
persécutassent encore après sa mort, l'accu-
sant d'hérésie et condamnant sa doctrine :
ils obtinrent même du général Jean de Muro
que l'on défendrait aux religieux la lecture
de ses ouvrages, et que ceux qui en auraient
seraient obligés de les mettre entre les mains
des supérieurs. C'est ce qui fut cause de la
persécution que l'on suscita contre Ponce
Carbonclle de Bottingat, personnage illus-
tre par sa science et par la sainteté de sa
vie, et qui avait été le maître de saint Louis,
évèquede Toulouse; carsur ce,qu'il ne voulut
pas donner quelques traités qu'il avait de
Pierre-Jean Olive, qu'on lui demandait pour
les mettre au feu, il fut mis en prison et
souffrit beaucoup de maux : il y en eut
aussi plusieurs autres qui furent chargés de
fers et enfermés Irès-élroitemenl pour le
même sujet; ce qui causa encore des divi-
sions etdesschismes dans d'autres provinces,
où les religieux, sous prétexte de réformer
l'ordre, se disaient «éclateurs et disciples de
Pierre-Jean Olive. C'est pourquoi dans le
chapitre général qui se tint l'an 1302, les
supérieurs, voulant remédier à ces troubles
et prévenir les suites fâcheuses qu'ils pour-
raient apporter dans la suite, défendirent
sous de grosses peines la lecture des ouvra-
ges de Pierre-Jean Olive , et celle défense
dura jusque sous le pontifical de Sixte IV,
qui, les ayant fait examiner, déclara qu'il
n'y avait rien dans ces écrits de contraire à
la foi ni aux bonnes mœurs.
Cependant, malgré toutes les précautions
et les diligences des supérieurs, la discorde,
qui s'était ainsi glissée dans l'ordre, éclata
plus ouvertement l'an 1310. Le nombre des
religieux delà communauté de l'ordre était
bien plus considérable que celui des Frères
Spirituels , ou sectateurs de Pierre-Jean
Olive, et ceux-ci, manquant de farce et d'au-
torité, se trouvaient tous les jours molestés
par les autres qui les voulaient détruire, ou
obliger de s'unir à eux ; mais les Spirituels
aimèrent mieux endurer des traverses et des
persécutions que de consentira cette réunion,
prétextant qu'il ne leur était pas permis de
s'agréger à des personnes qui ne voulaient
pas observer la règle, et péchaient tous les
jours contre la pauvreté. Comme c'était en
Provence qu'il y avait le plus de division ,
Raimond de Villeneuve, Provençal et méde-
cin de Charles le Boiteux, roi de Naples d
1115
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
im.
comte de Provence, poussé pur l'affection
qu'il portait à l'ordre, employa le crédit do
.son maître pour prier le pape Clément V de
faire assembler les principaux et les plus
zélés de chaque parti, afin de trouver quelque
remède à ces désordres. Le pape acquiesça
à la demande de ce prince, el l'assemblée fut
indiquée à Malausanne, dans le comtat d'A-
vignon, où se trouvèrent, du côté des Spiri-
tuels, Haimond Gaufredy, qui avait été géné-
ral ; Uhcrtin de Casai, Raimond de Giniac,
provincial d'Aragon ; Guillaume de Corné-
lion, custode d'Arles, et quelques autres ; et
pour la communauté de l'ordre, Gonzalve,
qui en était général ; Alexandre d'Alexan-
drie, qui l'a été depuis, el plusieurs autres.
L'on tint devant le pape plusieurs confé-
rences à ce sujet, dans lesquelles chacun
avait la liberté de défendre sa cause. Rai-
mond Gaufredy et libertin de Casai se plai-
gnaient des transgressions évidentes de la
pauvreté, qui étaient tolérées par les supé-
rieurs, qui n'en faisaient aucune'correclion.
Alexandre d'Alexandrie, qui parlait pour la
communauté de l'ordre, disait que ceux qui
prenaient le nom de Spirituels étuient des
novateurs, qui voulaient se distinguer des
autres, et qui suivaient la doctrine de Pierre-
Jean Olive, qu'il prétendait avoir donné lieu
à tous ces (roubles. Ils alléguèrent plusieurs
preuves pour appuyer ce qu'ils avaient
avancé ; mais ces conférences ne servirent de
rien, car les choses parurent si brouillées,
que le pape ordonna que les deux partis
mettraient leurs raisons par écrit, et nomma
six commissaires pour examiner les préten-
tions des uns et des autres ; et parce que
les frères qui se disaient de la communauté
avaient fort maltraité les Spirituels, cl qu'ils
les menaçaient encore , le pape les prit sous
sa protection, exempta de la juridiction des
supérieurs tous ceux qui avaient été appelés
pour défendre celte cause, tandis qu'elle du-
rerai!, et défendit sous peine d'excommuni-
cation de leur faire aucune peine, ni à au-
cun autre de leur parti.
Ces Frères Spirituels, après avoir consulté
ensemble, composèrent, conformément à
l'ordre du pape, une requête dans laquelle
ils citaient toutes les transgressions qui se
commettaient contre la règle, et la présentè-
rent à ce pontife, qui l'envoya au cardinal
protecteur et au général, afin qu'ils en pris-
sent une copie, libertin de Casai, qui était
plus piqué que les autres dans cette affaire,
parce qu'on lui avait objecté plusieurs cri-
mes, fil un traité sous le nom de Raimond
Gaufredy, où il expliquait plus clairement
vingt-cinq transgressions des préceptes delà
régie, et dix qui étaient contre la déclara-
tion de Nicolas III. Le général cl ses adhé-
rents répondirent à ces deux écrits, qu'ils
regardaient comme injurieux à l'ordre.
Uberiin de Casai fit bientôt après une répli-
que à celte réponse, sur laquelle les autres
ne demeurèrent pas dans le silence; en sorte
que deux ans s'écoulèrent dans ces contesta-
tions, sans que les affaires en fussent en
meilleur état.
Cependant Gonzalve, général de l'ordre,
ne voyant que trop la vérité des plaintes que
faisaient les Spirituels, et voulant prévenir
les suites que pourrait avoir la connaissance
qu'ils donnaient des désordres de la com-
muniiulé, indiqua, la même année 1310, un
chapitre général à Padoue, dans lequel on
fit plusieurs règlements contre les relâche-
ments qui s'étaient introduits, particulière-
ment pour la réception de l'argent, pour la
trop grande curiosité des bâtiments, et pour
l'usage de la viande, qu'on détermina au dî-
ner seulement. Mais pendant que le chapitre
se tenait à Padoue, et que les conférences
continuaient à Avignon, les Frères Spiri-
tuels, dont la plus grande partie étaient en
Provence et en Toscane, étaient fort mal-
traités. Les Provençaux se pouvaient plus
aisément défendre de cette persécution quo
les Toscans, parce qu'ils étaient près du
pape : ce qui fit que les Toscans, voyant que
l'ordonnance que ce pontife avait donnée en
leur faveur ne les mettait pas à couvert des
insultes de leurs adversaires, se séparèrent
de l'ordre et élurent un général, qu'ils vou-
lurent faire confirmer par le pape; mais leur
entreprise fut regardée comme un ailcn'at
qu'on ne devait poinl souffrir, el qui donnait
lieu par sa témérité de croire ou au moins
de douter que les crimes dont on les accu-
sait étaient véritables, ce qui fut cause que
ceux qui les proiégeaient les abandonnèrent.
Le général de l'ordre voulant profiler de
cette occasion pour maintenir la cau>e de la
communauté, fit la visite de la province de
Toscane, et employa toute son autorité pour
les réduire à l'obéissance et à l'exacte prati-
que de cette pnuvreté, dont les transgres-
sions leur étaient si sensibles et si insuppor-
tables dans les religieux de la communauté :
c'est pourquoi il écrivit une lettre au pro-
vincial, avec ordre de la faire lire dans lous
les couvents, par laquelle il lui commandait
de désapproprier les religieux de tou'.es les
renies, vignes, possessions, et autres choses
qui pouvaient av^ir élé introduites contre la
pauvreté, avec défense d'en recevoir à l'a-
venir.
Quoique les Pères Spirituels fussent beau-
coup déchus de l'estime que l'on avait pour
eux, et nonobstant l'avantage que le géné-
ral de l'ordre tirait de ce qu'ils étaient aban-
donnés de ceux qui les avaient protégés
avant l'élection inconsidérée qu'ils firent
d'un général de leur corps, cependant les af-
faires n'en étaient pas plus avancées , et
restèrent toujours indécises jusqu'à l'an-
née 1312, qu'étant rapportées et examinées
dans le concile général de Vienne, elles
commencèrent à changer de face par les dé-
cisions de ce concile, qui furent en faveur de
la communauté; car le pape ayant tenu un
consistoire secret le 5 mai, l'on y décréta
contre Ubertin de Casai et ses adhérents,
que la manière de vie de la communauté de
l'ordre était permise et suffisante pour la
vraie observance de la règle; et le lendemain
ce pontife fit publier dan. la troisième ses-
sion du concile une bulle par laquelle il dé-
1117 NAR
clara, entre autres choses, que les Frères Mi-
neurs par leur profession ne sont pas plus
obligés aux préceptes de l'Evangile que les
autres chrétiens : il y marqua les endroits de
la règle qui obligent ; il défendit de quêter
de l'argent, d'a\oir recours à des amis spi-
rituels pour en recevoir, hors les cas portés
parla règle ou la déclaration de Nicolas III,
do mettre des troncs dans les églises, et dé-
clara que les Frères Mineurs ne pouvaient
pas hériter. 11 défendit aussi les celliers et
greniers dans les couvents, où le-* aumônes
suffisaient pour l'entretien des religieux ; en-
fin il résolut et termina la principale difli-
cullé dont il s'agissait, eu déclarant que les
religieux, en vertu de la règle, sont obligés
à de pauvres usages qui sont contenus dans
ce'te règle, selon la manière qui y est pres-
crite.
Quant à la doctrine de Pierre-Jean 0:ivc,
sur laquelle il y avait de grandes disputes,
il fut résolu que le pape censurerait trois de
ses propositions : la première, que l'essence
divine engendre et est engendrée; la se-
conde, que l'âme de l'homme, comme rai-
sonnable, n'est pas la forme de son corps ;
et la troisième, que Jésus-Christ reçut le
coup de lance avant qu'il fût mort ; et pour
le reste, l'on en remit l'examen au chapitre
général, a\ec pouvoir d'en ordonner ce
qu'il jugerait à propos. Les défenseurs d'O-
live, qui par ces décisions se voyaient frus-
trés de leurs espérances, cherchant à cou-
vrir l'adhérence et rattachement qu'ils
avaient pour les sentiments de cet auteur
sous un spécieux prétexte de charité et de
justice, se plaignirent de ce qu'on traitait
avec trop de sévérité un homme qui s'était
toujours soumis à la correction de l'Eglise,
et disaient que si quelque point de sa doc-
trine méritait la censure, il n'était pas juste
d'en commettre le jugement des autres aux
supérieurs de l'ordre, qui s'étaient déclarés
ses parties, et qui l'avaient persécuté du-
rant sa vie et après sa mort, et que pour sept
ou huit articles que l'on n'approuvait pas,
il était bien dur et extraordinaire quêM'on
condamnât tous les autres, puisqu'il s'était
trouvé de célèbres auteurs qui , s'étant
trompés en quelques choses, n'avaient point
été condamnés dans tous leurs ouvrages.
Mais les adversaires d'Olive l'emportèrent
sur ses défenseurs, et empêchèrent qu'on ne
changeât rien de ce qui avait été résolu.
Bzovius attribue encore d'autres hérésies à
ce religieux, mais sans aucun fondement.
Le pape, qui ne cherchait que la paix et
l'union, ne se contenta pas de faire ces rè-
glements, et de recommander à tous les su-
périeurs de l'ordre de faire observer exacte-
ment la règle, selon la déclaration qu'il leur
avait donnée ; il leur ordonna de plus de trai-
ter avec un esprit de charité et sans aucune
distinction les religieux qui avaient été sous-
traits de leur juridiction pendant ces dispu-
tes, et même de les élever aux charge»
comme les autres, et à ceux-ci de se sou-
mettre à l'obéissance, et de s'unir à l'ordre
'Jans un esprit de paix. Ubertiu de Casai,
NAl\
1118
qui craignait qu'on ne lui fit de la peine,
parce qn il avait pris le parti des Spirituels
avec plus de chaleur que les autres, ayant
entendu celle décision du souverain pontife,
s'écria : Père stiint, sauvez-moi selon voire
parole; et afin de se le rendre favorable, et
qu'il lui accordât sa protection, il lui repré-
senta qu'il était venu par ses ordres, qu'il
avait beaucoup souffert de la part de ses en-
nemis, qu'il savait que la persécution aug-
menterait, s'il le livrait entre leurs mains;
et qu'ainsi il lui demandait la permission
pour lui et pour les religieux zélés pour
l'observance, de se séparer d'eux, afin d'ob-
server plus commodément et sans être in-
quiétés la règle, selon les déclarations qu'il
y venait de faire. Mais le pape lui refusa sa
demande : ce qui acheva de déconcerter les
Spirituels, dont quelques-uns retournèrent
à l'obéissance des supérieurs, et les autres
se retirèrent en différentes provinces pour y
vivre dans l'indépendance. Mais les censu-
res que le pape fulmina contre eux les firent
revenir à l'union de l'ordre, et ils reconnu-
rent leur faule. Ubertiu de Casai obtint
néanmoins dans la suite du pape Jean XXII,
l'an 1317, la permission de passer dans l'or-
dre de Saint-Benoit, dont il prit l'habit dans
l'abbaye de Gemblours en Brabant.
Après la mort de Clément V et du général
Alexandre d'Alexamlrie, la vacancedu sainl-
siége et du généralat de l'ordre donna lieu
aux Frères Spirituels de reprendre leur pre-
mier dessein de se séparer de la commu-
nauté de l'ordre. Pour l'exécuter, ils s'as-
semblèrent au nombre de six-\ingts dans la
Provence et le Languedoc, et avec le se-
cours de plusieurs séculiers, ils s'emparè-
rent par force des couvents de Narbonne et
de Bézicrs, établirent un custode et des gar-
diens, changèrent la forme de leurs habits,
et reçurent indifféremment ceux des autres
provinces qui se voulurent joindre à eux.
Les habitants de Narbonne et de Béziers les
appuyaient, les regardant comme les disci-
ples de Pierre-Jean Olive, qui avait été no-
vice à Béziers, et était mort à Narbonne, où
l'on dit qu'il faisait alors beaucoup de mi-
racles ; et ceux de la province de Toscane se
retirèrent en Sicile. Mais le général Michel
de Césène, qui ne fut élu que dans le chapi-
tre général nui se linl à Naples le dernier
jour de mai 131G, quoique son prédécesseur
Alexandre d'Alexandrie fût mort dès le mois
d'octobre 1314-, pria le pape Jean XXII de
faire rentrer dans l'union de l'ordre ces re-
ligieux qui s'en étaient ainsi séparés. Ce
pontife écrivit à Fridéric, roi de Sicile, pour
remettre entre les mains des supérieurs
ceux qui étaient dans ses Etals, qui n'a-
vaient pas voulu se soumettre à l'ordon-
nance de son prédécesseur Clément V ; et
pour ceux de Languedoc, il leur envoya
Bertrand de la Tour, provincial de Guienne,
afin qu'il lâchât de les ramener à leur de-
voir par les voies de la douceur; mais ce
moyen ayant été inutile, Bertrand leur si-
gnifia de la part du pape qu'ils eussent à
quitter leurs habits cour s cl étroits, avec
I! 19
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
11 '20
leurs petits capuces : ils répondirent que ce
qu'il demandait était une des choses aux-
quelles ils ne devaient pas obéir, puisque
l'habit qu'i's avaient pris était conforme à
IV s prit de saint François et à sa règle, et
qu'ils ne croyaient pas agir en cela contre
Ll déclaration de Clément V. Mais Bertrand
persistant à dire que le pape avait absolu-
ment désapprouvé cet habillement, el qu'il
avait ordonné qu'à l'égard de la qualité et la
forme d. s habits, les religieux devaient obéir
à leurs supérieurs, et leur ayant signifié le
commandement que leur faisait ce pontife de
se réunir à l'ordre et se soumettre à leurs
supérieurs , ils en appelèrent au pape
futur.
Jean XXII, en ayant été averti, ordonna
aux officiaux de Béziers et de Narbonne de
les citer juridiquement à comparaître en sa
présence dix jours après la signification qui
leur en aurait été faite. Il fallut obéir à un
ordre si précis. Quarante-six sortirent du
couvent de Narbonne, et seize de celui de
Béziers. Il y en eut encore d'autres qui sa
joisrnirenl à eux, et étant arrivés un peu
tard à Avignon, au lieu d'aller au couvent,
ils passèrent la nuit à la porte du palais du
pape. Le lendemain ils furent introduits à
1 audience, et écoutés fort patiemment parle
pontife, qui, ajant jugé leurs raisons frivo-
les, leur commanda de se soumettre à leurs
supérieurs ; el sur ce qu'ils refusèrent de le
faire, Sa Sainteté les fit arrêter, et donna
commission de vive voix seulement à Mi-
chel de Monaco, religieux de l'ordre et in-
quisiteur de la foi, de procéder contre eux,
comme étant suspects d'hérésie el rebelles
à l'Eglise. Quelques-uns reconnurent leur
faute ; mais il y en eut vingt-cinq qui persé-
vérèrent dans leur opiniâtreté, soutenant
que le pipe offensait ;Dieu par le comman-
dement qu'il leur faisait. Ils ajoutaient que
Clément Vr s'était trompé dans sa déclaration
au sujet de la forme des habits, des celliers
et des greniers qu'il avait permis dans quel-
ques couvents ; que ceux qui vivaient selon
celle déclaration se damnaient ; que la règle
de. saint François n'était pas différente de
l'Evangile, et que le pape ne pouvait dispen-
ser personne des obligations qu'elle conte-
nait. Le pape étant informé de ces extrava-
gances , fit expédier une commission en
Forme à l'inquisiteur, pour procéder contre
eux comme hérétiques.
Les deux grands points de ce différend
consistaient Jans la forme de l'habii, et dans
les provisions de blé et de vin; les Frères
Spirituels prétendaient que ceux qui se di-
saient de la communauté ne pouvaient pas
porter des habits amples et longs , et de
bonnes étoffes, avec de grands capui es, mais
«eulemenlde pauvres habits courts et étroits,
avec de petits capuces ; el blâmaient les pro-
visions de blé et de vin, que ceux de la
communauté faisaient aussi dans le temps
de la moisson el des vendanges, quoiqu'elles
ne provinssent que d'aumônes. C'est pour-
quoi le pape, afin de les humilier davantage,
et leur ôter tout sujet d'espérer de pouvoir
jamais réussir dans leurs prélentions, fit une
nouvelle déclaration qui se trouve parmi ses
Extravagantes, De verbarum significatione,
où, après avoir approuvé celles de Nico-
las III el de Clément V, il ordonna a tous les
religieux de se soumeilre pour ces deux ar-
ticles au jugement de leurs supérieurs.
Le pape ayant donc obligé les Frères Spi-
rituels de se réunir à l'ordre, et ordonne à
Michel de Monaco, inquisiteur, de faire le
procès à ceux qui refuseraient d'obéir, ceux
qui purent échapper à la recherche qu'on
en fit, s'enfuirent en Sicile, pour se joindre
à quelques-uns de leurs compagnons qui s'y
étaient retirés auparavant; et persistant à
ne vouloir point reconnaître les supérieurs
de l'ordre, ils élurent pour général Henri de
Ceva, de la province de Gênes, qu'ils cru-
rent le plus propre pour les soutenir dans
leur rébellion. Cette témérité irrita leurs
parties et les juges : on ne se contenta pas
de les poursuivre comme désobéissants, on
leur imputa encore des hérésies, et des vingt-
cinq Spirituels qui avaient été arrêtés à
Avignon, il y en eut quatre qui furent brû-
lés à Marseille comme hérétiques, pour
avoir toujours soutenu que les précrples de
la règle étaient indispensables. Un cin-
quième se reconnut et fut con lamné à une
prison perpétuelle, et les autres vingt désa-
vouèrent publiquement ce qu'ils avaient
avancé. Enlin, par une bulle, du 23 jan-
vier 1318, le pape condamna les Spirituels
comme scandaleux, apostats, schismaiiques
et hérétiques, el les supérieurs de l'ordre re-
prirent encore l'examen de la doctrine de
Pierre-Jean Olive, et la firent condamner en
plusieurs chefs.
Luc Wad\n%., Annal, filinor., tom.II et III.
Dominic. de Gubernatis, Orb. Seraphir. ,[om.
I, Iib, v, cap. 6. Marc de Lisbonne, Chroniq,
de l'ordre de Saint-François, tom. 11.
NAVIRE ou NEF. Voyez Croissant (Che-
valiers DC).
NESTORIENS (Des Moïses).
Les Nestoriens sont les peuples d'Orient
qui suivent encore aujourd'hui les erreurs
de Neslorius, évêque de Constantinople, qui
fut londatnné dans le concile d'F.phèse. De
toutes les hérésies, c'est celle qui s'est le
plus étendue; car non-seulement les chré-
tiens q i habitaient la Mésopotamie, et un
très-grand nombre de ceux qui demeuraient
au de. à de l'Euphrale, en fuient infectés,
mais elle si" répandit au delà du Tigre, et
même jusqu'aux Indes el aux extrémités
de l'Asie. Plusieurs auteurs ont écrit que les
Nestoriens sont gouvernés par deux patriar-
ches, dont l'un est le chef des Chaldéens as-
syriens orientaux, et l'autre de ceux que
l'on nomme absolument Nestoriens. Mais
M. Henaudot, dans son quatrième tome de
la Perpétuité de la foi, fait remarquer que
l'on ne doit point ajouter foi à ces auteurs,
et qu'il n'est pas vrai que le patriarcat ait
été divisé, parce que les p.ilriarchcs des
1121
NES
NES
112)
Nestoriens on! résidé tantôt à Mosul, tanlôl
à Diarbékir.
Mais quoiqu'ils aient demeuré quelqne-
fois à Diarbebir, leur séjour ordinaire est
néanmoins au monasière d'Hormoz, éloigné
de la ville de Mosul d'environ irois lieue-:
c'est ce que j'ai appris du patriarche Mar-
Joseph, que j'ai vu elant à Komc en 1098.
Ce prélat était autrefois le plus grand enne-
mi que les catholiques eussent en ces quar-
tiers. Mais Dieu l'ayant louché, il vint à
ltome pour se faire instruire et s'éclaircir
sur quelques difficultés qu'il avait. On lui
lit une mauvaise réception, sur ce que l'on
croyait sa conversion feinte et dissimulée,
et on le regarda comme un espion , ce qui
ne le rebuta point. 11 reconnut entièrement
ses erreurs, et étant retourné en son pays,
il témoigna plus de zèle pour la défense de
la religion catholique qu'il n'en avait fait
paraître pour la combattre. La cour de Home
en ayant été avertie par ses missionnaires,
lui fil faire excuse du mauvais accue.l qu'on
lui avait fait. Le pape lui envoya le pnlliuni,
et la propaganda fede lui assigna une pension
de cinq cents et us. Les ambassadeurs des
princes catholiques employèrent leur crédit
pour le faire confirmer patriarche par un
commandement esprès du Grand Seigneur;
mais dans la suite ses travaux et ses fatigues
lui ayant affaibli la vue, il fil élire en sa
place, pour patriarche, un jeune homme très-
catholique et très-savant, qui s'appelle aussi
Mar-Joseph, et qui s'employe tous les jours
avec beaucoup de sucrés à la conversion de
celle nation. L'ancien patriarche Mai-Jo-
seph revint à Rome, où il est mort depuis
quelque temps, après avoir demeuré plu-
sieurs années dans cette ville. 11 avait un
ne» eu piètre à Paris, qui y esl mort, après
y avoir demeuré pendant près de vingt an-
nées. Il se nommait M. Dominique ou Abde-
labad. C'est de lui que j'ai appris les parti-
cularités suivantes, pour ce qui concerne les
Moines Nestoriens.
Ces religieux se disent tous de l'ordre de
Sainl-Anloine, quoiqu'ils n'en suivent pas
la règle, non plus que les Maronites, les Ar-
méniens, les Coptes et les autres dont nous
avons déjà parlé, n'ayant pour règle que
certaines observances communes pour tous
les monastères, où elles sont fort mal gar-
dées, n'y ayant dans la plupart de ces mo-
nastères que fort peu de subordination, à
cause que les supérieurs n'osent reprendre
les religieux ni les châtier, dans l'appréhen-
sion qu'ils ont qu'ils ne se fassent mahomè-
tans.
Les monastères de ces religieux Nesto-
riens sont en assez grand nombre^ mais la
plupart abandonné*, principalement ceux
qui sont le long^u Tigre, et il y a fort peu
de religieux dans les autres, excepté dans
celui d'Hormoz, qui esl le plus considérable,
dans lequel il y a environ cinquante reli-
gieux. Ce monastère, qui, comme nous avons
dit, esl le séjour ordin-aire du patriarche,-
(1) Vot/.,àla fin du vol., nu 233.
lire son nom d'Horsmisdas, l'un des sainti
des NestOriens. Il y a quelques autres mo-
nastères en Perse, dont le plus considérable
esl proche de Tauris. Il y en a aussi dans le
pays de Karie, sous la domination des Turcs,
dai^ lesquels il n'y a qu'un ou deux reli-
gi.ux.
Parmi tous ces couvents il s'en trouve en-
viron une vingtaine qui sont doubles pour
les religieux et les religieuses, séparés néan-
moins d'habit.ilion, mais dont l'église est
commune pour les uns et les autres. Ce sont
les religieuses qui nourrissent les Moines.
Ils se lèvent à minuit pour réciter leur of-
fice, et font la prière le soir ci le matin. Pen-
dant le jour, ils vont travailler à la cam-
pagne, et les religieuses leur apprêtent à
manger pour leur retour. M. Abdelahad m'a
aussi assuré qu'il se trouve parmi les Nes-
toriens des religieux de l'ordre d'un saint
ermite qui éla.t natif de Mésopotamie, dont
les couvenls ont été ruinés par les Turcs;
c'est pourquoi ils demeurent avec ceux de
l'urdre de Saint-Antoine, qui oui presque
les mêmes observances, n'y ayant de la dif-
féreuee que dans leur olfice, ceux de l'ordre
de ce saint ermite, dont il ne m'a pu dire le
nom, récitant plus de ps lûmes que les au-
tres. Il y en a d'autres néanmoins qui m'ont
aussi assuré que parmi les Nestoriens il n'y
a que des religieux de l'ordre de Saint-An-
toine.
Quoi qu'il en soit, tant les religieux Nes-
toriens que les religieuses, ils ne mangent ja-
mais de viande, ni beurre, ni lai'age en tout
temps, et pendant leurs carêmes ils ne man-
gent point de poisson et ne boivent point do
vin ; ce qui leur est commun avec lous les
séculiers de cette secte, qui jeûnent aussi
tous les mercredis et les vendredis de l'an-
née. Ces carêmes sont au nombre de six, sa-
voir : le grand carême de l'Eglise universelle,
qu'ils commencent le lundi d'après le di-
manche de la (Juinquagésime, et pendant
lequel ils ne mangent qu'au soleil couchant,;
celui des Apôtres, qui commence quinze
jours avant la fête de sainl Pierre; celui de
l'Assomption de Notre-Dame, qui dure aussi
quinze jours, aussi bien que celui de l'Exal-
tation de la sainte croix; celui d'Elie ou des
Ninivites, qui n'est que de huit jours ; et ce-
lui de la Nativité de Noire-Seigneur, qui
dure vingt-cinq jours.
L'habillement de ces religieux consiste en
une soutane ou veste noire serrée d'une
ceinture de cuir, et une robe par-dessus,
comme celle des Arméniens, avec des man-
ches assez amples: ils ne portent point de
capucc, et ont seulement un turban bleu (1).
Les religieuses sont habillées de même; elles
mettent seulement des linges noirs autour
delà tête, qui leur couvrent le menton jus-
qu'à la bouche, et ont par-dessus ces linges
une espèce de voile noir fort petit, qui s'at-
tache sous le menton, comme on peut voir
dans la figure que nous en donnons (2). Il
'.faut que les religieuses aient plus de qua-
(2) Voy., à la fin du vol., n° 284.
MTo
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1124
raille ans pour recevoir l'habit monastique,
parce qu'on appréhende qu'elles ne sortent
pour se marier; ce qui n'empêche pas qu'il
n'y en ait très-souvent qui ne le fassent,
aussi bien que des Moines, qui quittent aussi
quelquefois leur habit pour se marier, et
même quoiqu'ils soient prêtres: ce que leurs
évêques tolèrent malgré eux; car s'il y en
a quelques-uns qui s'opposent à cet abus,
les religieux qui veulent se marier en de-
mandent permission au pacha ; et pour lors
l'évêque est obligé d'y consentir, decrain'e
que celui qui la demande ne se fasse turc.
Voilà ce que cause l'hérésie, le schisme et
le peu de discipline qu'il y a parmi la plu-
part des religieux d'Orient, qui se sont sous-
traits de l'Eglise romaine, et qui sont plu-
tôt religieux de nom que d'effet. Le peu qu'il
y a de religieux Nestoriens dans les monas-
tères, qui sont la plupart abandonnés, fait
qu'on ne leur fait point faire de noviciat.
Après qu'ils ont resté quelques jours en ha-
bit séculier, on leur donne l'habit monasti-
que, et ils déclarent en le prenant qu'ils pré-
tendent être de l'ordre de Saint-Antoine, ou
de ce saint ermite dont nous avons parlé.
C'est en quoi consiste toute leur profession,
celui qui leur donne l'habit mettant le nom
d'un de ces saints dans les oraisons qui se
disent en ces sortes de cérémonies, le tout
en langue syriaque ou chaldéenne, qui est
la langue dans laquelle les Nestoriens offi-
cient. C'est ce que j'ai appris de M. Abde-
lahad qui était lui-même Neslorien, ou plu-
tôt Chaldéen, nom que les Nestoriens con-
vertis à la foi prennent, en quittant celui de
Neslorien comme un nom infâme.
NEUTRES. Voyez Rerbegal.
NICOLAS (Saint-) d'Arennes. Voy. Sicile.
NICOLAS DE FOULQUE-PALÈNH. Voyez
Jérôme (Ermites de Saint.-).
NIDERMUNSTER. Voyez Cologne.
NIVELLE (Chanoinesses de), de Mons, de
Maubeuqe, de Denain et de quelques autres
lieux en Flandre.
11 en est de même des chanoinesses sécu-
lières de Flandre que de celles dont nous
avons parlé, ayant été aussi religieuses dans
leur origine. Celles de Nivelle furent fondées
par Itle ou Iduberge, femme de l'epin de
Landcn, prince de Brabant, maire du palais
et ministre des rois d'Auslrasie. Après la
mort de son mari, qui arriva l'an 64-0, étant
âgée de quarante-huit ans, elle se consacra
à Dieu et reçut le voile des mains de saint
Amand, évêque de Maestricht. Les enfants
qui lui restaient de son mariage é'.aient
Grimoald, qui fut aussi maire du palais en
Austrasie., à la place de son père; Beglie,
qui épousa Ansigilde, fils de saint A inouï, et
Gerlrude qui n'avait que quatorze ans : mais
appréhendant que celle jeune princesse ne se
laissât entraîner aux plaisirs du monde, elle
lui coupa les cheveux en forme de couronne,
pour lui faire recevoir après le voile; ce qui
(1) Voy., à la fin du vol., n°9 ISo el 280.
montre que c'était la coutume en ce temps-
là que l'on coupai les cheveu* en forme de
couronne aux religieuses et aux vierges qui
se consacraient à Dieu, comme remarque le
savant i'. Mabillon, qui ajoute que le concile
de Leplines ordonna, au contraire, que l'on
raserait entièrement les cheveux des reli-
gieuses qui seraient tombées dans quelques
crimes. Gerlrude eut autant de joie de voir
ses cheveux coupés, que les autres filles en
avaient de voir les leurs bien frisés et arrangés,
eï se glorifiait de porter une couronne pour
l'amour de Jésus-Christ. Saint Amand solli-
cita ensuiie ltle de bâtir un monastère pour
s'y retirer. Nivelle, petite ville de Bradant,
dans le diocèse de Namur, entre Mous et
Bruxelles, lui parut favorable à ce dessein.
Ilte y fit jeter les fondements d'un monastère,
el lorsqu'il fut achevé, elle s'y retira avec sa
fille qui en fut la première abbesse, ayant
pour lors vingt et un ans ; car elle ne reçut
le voile que sept ans après que sa mère lui
eut coupé les cheveux, et elle ne prit le gou-
vernement du monastère que l'an 047. La
conduite de celle jeune abbesse justifia fort
avantageusement le choix de sa mère, qui
mourut l'an Gb2, après avoir été sous la dis-
cipline de sa tille pendant cinq ans, et Ger-
trude se démit de sa charge d'abbesse trois
ans avant sa mort, qui arriva le 17 mars de
l'an C39.
Le chapitre de Nivelle est composé de
quarante - deux chanoinesses qui doivent
avoir fait preuves de noblesse de quatre ra-
ces, tant du côté paternel que du côté mater-
nel. Le jour de leur réception, qui se fait
avec beaucoup de pompe el de magnificence,
elles sont aussi reçues chevalières de Saint-
Georges. On leur présente un carreau de ve-
lours, sur lequel elles s'agenouillenl pen-
dani la messe. A l'Evangile elles tiennent à
la main une épée nue, et à la fin de la messe
un gentilhomme, après leur avoir donné
l'accolade, leur donne trois coups du plat de
l'épée sur le dos, et les reçoit ainsi cheva-
lières de Saint-Georges. Leur habillement
consiste en un corps de jupe blanc avec des
bandes de velours noir par-devant, des man-
ches de toile fort amples, un autre morceau
de loi le qu'elles melte ni depuis la ceinture jus-
qu'à mi-jambes, et fait en façon desurplis. Elles
ont par-dessus un manteau noir douhléd'hcr-
minc. Elles ont aussi une fourrure de petit-
gris au bas de leur jupe, une fraise autour du
cou, etlalête couverte d'un voile blanc, de
soie (1). L'abbesse est dame de Nivelle, tant
au spirituel qu'au temporel. Il y a dans le
même chapitre des chanoines qui font leur ser-
vice dans une église voisine, el en certains
jours de l'année ils viennent dans le chœur
des chanoinesses, où ils psalmodient avec
elles. Dans le chapitre l'abbesse préside aux
chanoines et aux chanoinesses, et ils pour-
v;iy eut tous ensembleaux bénéfices vacants par
la mort ou par le mariage des chanoinesses.
Joan. Mabill. Annal, ord. S. Bened., tom. 1.
Yepez, Chron. nénéral. de l'ordre de Saint-
1123
NIV
NIV
11 20
Benoit, (ou). II. Modeste do Saint-Amable,
Monarchie saintede France ; cl Bousaingaut,
Voyage des Pays-Bas.
Les chanoinesses de Mons reconnaissent
sainte Vaudru pour leur fondatrice. Elle
était fille du comte Walbert, prince du sang
royal de France, et de la princesse Bertille,
cl fut mariée au comte Madelgaire, plus
connu sous le nom de saint Vincent des Soi-
gnics, qui se sépara d'elle pour se faire re-
ligieux à Aumonl-sur-Sambre. La sainte,
après cette séparation, demeura, encore deux
ou trois ans dans le monde ; mais ayant pris
la résolution d'y renoncer, elle se retira, par
l'avis de saint Guilain, son directeur, en un
endroit solitaire de la montagne de Caslril-
loc. Elle fit acheter la place par un seigneur
nommé Hidulphe, qui est aussi honoré
comme saint, et qui avait épousé sainte Aïe,
sa parente. Llle le pria d'y faire préparer
une cabane où elle pût se renfermer pour
servir Dieu. Hidulphe fit plus qu'on ne lui
avait demandé; il bâtit sur la place qu'il
avait achetée un monastère magnifique, qui
ne convenait point à la pauvreté que sainio
Vaudru voulait embrasser. Elle ne voulut
point y loger, et le ciel favorisant son incli-
nation, il arriva peu de jours après qu'un
vent impétueux renversa ce bâtiment. Saint
Hidulphe, pour se conformer au désir de la
sainte, lui bâtit une petite cellule avec une
chapelle, où elle alla demeurer après avoir
reçu le voile sacré des mains de saint Au-
b:rl, évoque de Cambrai. Plusieurs femmes
noliles voulurent se mettre sous sa conduite.
Le lieu parut trop étroit à sainte Aldegonde,
sa sœur, pour y recevoir les personnes qui
se présentaient à sainte Vaudru; c'est pour-
quoi elle l'exhorta de venir avec ses reli-
gieuses dans le monastère qu'elle avait fait
bâtir à Maubeugc ; mais Vaudru, qui n'ai-
uwiit que la pauvreté, ne voulut pas quitter
sa solitude, qui devint en si grande réputa-
tion et si fréquentée, qu'on y bâtit une ville
considérable qui est aujourd'hui la capitale
du Hainaul, et ce pauvre monastère a été
changé eu un riche chapitre de chanoi-
nesses. Sainte Vaudru mourut l'an G58, et se
voyant proche de sa Gn.cn présence des re-
ligi ux et des religieuses (car ce monastère
était double] elle nomma, pour lui succéder,
Ulfetrude, sa nièce, qui n'avait que vingt
ans, mais qui avait toujours été élevée sous
ses yeux depuis le berceau.
Les comtes deHainaut prenaient autrefois
la qualité d'abbés séculiers, avoués, gardes,
juges, protecteurs et défenseurs tant de celte
église que des biens qui en dépendaient,
mettant en leur place pour gouverner les
filles une abbesse qui avait une si grande
autorité et prééminence, que c'était elle qui
recevait et mettait en possession du comté
de Hainaut et de la dignité abbatiale les nou-
veaux comtes. Ils faisaient serment de main-
tenir les privilèges, libertés, exemptions et
possessions de cette abbaye; mais elle a
perJu depuis plusieurs terres et juridictions
(I) Vos,, à la fin du vol., nos "287, 288 et 289.
qui lui ont éié olées. (le chapitre csl composé
dej trente chanoinesses. Il y a aussi eu des
chanoines dans cette église, mais les chanoi-
nesses les en ont chassés, et ils n'y font
point de service, si ce n'est quelques prières
qu'ils sont obligés d'y venir dire tous les ans.
Nous donnons ici trois différentes figures de
l'habillement de ces chanoinesses (1): la
première représente l'habillement qu'elles
portent pendant la première année de leur
réception; la seconde, l'habillement qu'e les
ont pendant la seconde année; et la troi-
sième, celui qu'elles portent toujours après
ces deux premières années, pendant les-
quelles elles sont appelées écolières. Elles
sont obligées de faire jurer la vérité des
preuves de leur noblesse par deux gentils-
hommes ayant l'epée nue à la main.
Sainte Aldegonde, sœur de sainte Vaudra,
voulant l'imiter dans le renoncement qu'elle
avait fait au monde, et éviter les poursuites
d'un seigneur qui la recherchait en mariage,
sortit secrètement du château de Gourlsore,
où sa mère, qui était veuve, demeurait, et
se relira dans un lieu solitaire appelé Mel-
boJe, et aujourd'hui Maubeugc, sur la Sam-
bre, où elle demeura quelque lemps cachée.
Elle alla trouver ensuite saint Arnaud, qui
était au monastère d'Aumont, et saint Au-
berl, de qui elle reçut le voile de religieuse
et l'haliil monastique. Etant retournée à
Maubeuge, elle vendit lout ce qu'elle avait
de pierreries et de joyaux, et en distribua le
prix à diverses églises el à d'autres lieux do
piété, auxquels elle donna les biens qu'elle
avait en fonds de terre. Elle lit bâtir un mo-
nastère à Maubeuge, el en fit consacrer l'é-
glise par saint Aubert, sous l'invocation de
la sainte Vierge. Elle y assembla un grand
nombre de vierges et y mit aussi des reli-
gieux pour leur administrer les sacrements.
Enfin, après avoir gouverné sa communauté
pendant plusieurs années, elle mourut l'an
083. Celles qui sont venues après elle ont
renoncé, vers le douzième siècle, aux vœux
solennels pour se séculariser aussi bien que
celles de Nivelle el de Mous, et ont formé le
chapitre de Maubeuge. Ces chanoinesses ont
le gouvernement de la ville et de son terri-
toire, et la juridiction soit au civil, soit au
criminel. Elles faisaient autrefois baltre tous
les ans certaines petites monnaies de plomb
appelées Mites, avec l'effigie de sainte Alde-
gonde. Douze de ces petites pièces reve-
naient à un denier ou gros de Flandre, et
avaient cours dans tout le Hainaul jusqu'à
Bruxelles. Il ne suffit pas, pour être reçue
chanoinesse de Maubeuge, de faire preuve
de noblesse de seize quartiers, il faut que la
noblesse soit si ancienne qu'on n'en con-
naisse pas l'origine : l'habillement que ces
chanoinesses portent présentement est peu
ou point différent de celui des autres chanoi-
nesses de Flandre. Ainsi nous nous conten-
terons de donner ici un dessin d'un habil-
lement que portaient autrefois les abbesses
de Maubeuge. tel qu'il se trouve dans un
1127
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
IMS
ancien manuscrildel'aîibaye dcSaint-Amand,
qui consis'ait en un voile blanc obscur, un
manteau violet parsemé de fleurs, une robe
rouge boidéede petit-gris, tombant jusqu'à
mi-jambe, sous laquelle il y en avait une
autre blanche, qui descendait jusqu'aux ta-
lons (1). l'our ce qui regarde le manteau, le
P. JMabillon croit que les fleurs dont il e-t
semé sont de l'invention du peintre; car il
dit que Ion trouve dans un autre manuscrit
du commencement du onzième siècle, une
autre abbessequi a le môme habit et le même
manteau, mais sans fleurs, et qu'elle est ac-
compagnée d'une religieuse qui n'a pour ha-
billement qu'un voile et une coule : ce qui
confirme que ces chanoinesses ont été origi-
nairement religieuses.
Voyez pour M on s et Maubeuge, Juan. Ma-
bill., Annal, ord. S. Bttied., loin. I. Yèpes,
Chroniij. général, de l'ord. de Saint-Benoît,
lom. 11. Modeste de Saint-Amable, Monar-
chie sainte de France. Bousingaul, Voyage
des Pays-Bas; et Guichardin, Iltst. des Pays-
Bas.
SainteBeghe, qui élait aussi sœurde sainte
Gerlrude.se voyant veuve du duc Ausigilde,
qui avait été assassiné, et duquel elle avait
eu Pépin Hérislal, qui fut père de Charles
Martel, ne voulut point écouler les proposi-
tions qu'on lui fil de passer à de secondes
noces. Elle alla à Rome et obtint du pape
Adéodat des reliques de quelques saints,
avec un morceau de la vraie croix, des pier-
res teintes du sang de saint Etienne, et une
partie des chaînes de saint Pierre. Elle fonda
à son relour, l'an 696, le monastère d'An-
denne, situé entre Namur et Hui, proche la
rivière de Meuse ; et en mémoire des sept
principales églises de Rome qu'elle avait vi-
sitées , elle en fit bâtir sept à Andenne, dont
la principale fut dédiée en l'honneur de la
sainte Vierge, et les six autres sous l'invo-
cation de saint Sauveur, de saint Pierre, de
saint Jean, de saint Etienne, de saint Michel
et de saint Lambert , et elle partagea à ces
églises les reliques qu'elle avait apportées
de Rome. Il ne lui restait plus qu'à peupler
ce monastère de religieuses d'une sainte vie.
11 ne lui en parut point de plus parfaites que
celles qui avaient été formées par sa sœur
sainte Gertrude. Elle fut à Nivelle pour ce
suje1, et Agnès, qui en élait pour lors ab-
besse, lui en accorda six, et pour comble de
laveur elle lui donna des livres et une partie
du lit de sainte Gertrude, qui attira une nou-
velle bénedietionsurces habilantsd'Andenne,
en faveur desquels Dieu fit plusieurs mira-
cles, tant pour manifester la sainteté de sa
servante que pour récompenser la dévotion
de ceux qui l'invoquaient dans leurs besoins.
Sainte Beghe en fut la première supérieure :
ses religieuses s'engagèrent au service de
Dieu pour toujours et par une stabilité per-
pétuelle,mais elle ne les gouverna pas long-
temps, étant morte deux ans après. Ce mo-
nasière a été changé en un chapitre de cha-
noiuesses qui sont au nombre de trente, et
(l) Voi/.,slafin d'j vol., n* 290.
il y a aussi dix chanoines qui leur servent
de chapelains. Ces chanoinesses n'ont jamais
eu d'abbesses ; les comtes de Flandre en ont
toujours éié les abbés, et en cette qualité ils
disposent des prébendes lorsqu'elles vaquent.
Les principales dignités de ce chapitre sont
celles de prévote , de doyenne, d'escolàtre
et de chantre. Elles ont la collation de plu-
sieurs bénéfices et cures. Ces chanoinesses
portent un surplis étant au chœur, a»ec un
long manteau noir doublé d'hermine.
Joan. Mabillon , Annal, ord. S. Benecl.,
tom. I. Pelr. Coëns, Disquisit. Historié, de
origine Beghinarum Betgii. Modeste de Sainl-
Amable, Monarchie sainte de France.
Le chapitre des chanoinesses de Munstcr-
Belise, au diocèse de Liège, a été aussi dans
son origine un mouasière de religieuses bâti
par sainte Laudradc. Elle était nièce ou pe-
tite-fille de saint Arnould de Metz, et, selon
quelques-uns, fille d'Ansigilde et de sainte
Beghe, et sœur de Pépin Héristal. Ayant
passé ses premières années avec beaucoup
de piété, ses parents la voulurent marier;
mais elle leur déclara qu'elle voulait rester
vierge. C'est pourquoi ils lui donnèrent toute
la liberté qu'elle souhaitait pour se consa-
crer plus parfaitement au service de Dieu.
Elle se fit accommoder une petite cellule, et
mena une vie pénitente et solitaire, sans
quitter encore sa famille ; elle se revêlit d'un
cilice, et par-dessus d'un habit fort simple
et semblable à celui des servantes. Son
amour pour la contemplation la pressait fort
de se retirer dans le désert; mais elle était
retenue par la considération de sa jeunesse
et par la crainle d'abandonner des pauvres
qu'elle assistait. Quand elle fut plus âgée,
elle se retira dans un bois qui était si affreux
par la multitude de bétes farouches dont il
était rempli, qu'on l'appelait Bellua, ou Be~
traite ds bétes. Après la vision d'une croix
éclatante qui lui apparut dans ce bois, elle
y fit bâtir une église qui fut dédiée par saint
Lambert, évéqure de Maëstricht. Plusieurs
filles et veuves se rendirent auprès de la
sainte pour imiter ses vertus, et travailler à
leur salut sous sa direction. Telle fut l'ori-
gine du monastère de Bélise,qui prit ce nom
après avoir quille celui de Bellua ou Belraile
des bétes, qu'il portait auparavant, et l'on a
bâti une petite ville du même nom à un quart
de lieue de ce monastère. La mort de cette
sainte fondatrice arriva vers l'an 690 ou 691,
et ce monastère a été changé en une commu-
nauté de filles nobles, qui ont renoncé aux
vœux solennels, pour se marier quand b<>n
leur semble, à l'exemple des autres chanoi-
nesses. L'on voit dans ceUe abbaye une li-
corne qui a six pieds cl demi de long : on
tient qu'elle y a élé apportée par une fille
d'un duc de Bretagne, qui se fil chanoinesse
en ce lieu, el qu'à cause d'elle celte abbaye
fut nommée i' Abbaye de Saint-Amour.
Modeste de Saint-Amable, Monarchie sainti
de France; el Thomas Corneille, Dicl. géo~
graph
1129
NOF.U
NOEU
U30
Le bourg de Duonening ou Duhcns, qu'on
nomme présentement Demain, et qui est sur
le chemin de Valenciennes à Douai, est re-
commandablc par une abbaye de chanoines-
ses séculières, que les Bénédictins mettent
encore au nombre de celles qui étaient au-
trefois de leur ordre avant qu'elles se fussent
sécularisées. Elle fut fondée par saint Adel-
bert, comte d'Estrevan. et sa femme sainte
Reine, nièce du roi Pépin, vers l'an 7G4-, se-
lon la plus commune opinion, et, selon d'au-
tres, l'an 750. Ils donnèrent tous leurs biens
à dix filles qu'ils avaient eues de leur ma-
riage; cl l'aînée, nommée Rainfrède, fut la
première abbesse de ce monastère, où ses
sœurs firent vœu avec elle de chasteté, et
ont toutes mérité, par leur vie exemplaire et
leurs grandes vertus, d'être révérées comme
saintes. Après la mort de saint Adelberl,
sainte Heine, n'ayant plus rien qui la retînt
dans le monde, se relira avec ses filles dans
le monastère de Denain, cl soit à cause qu'elle
en est la fondatrice, ou qu'elle en ait été vé-
ritablement abbesse, les peintres ont accou-
tumé de la représenter avec un voile blanc
sur la télé et une crosse à la main. Baudery,
évoque de Noyon, qui vivait au commence-
ment du douzième siècle, et qui a écrit la
chronique des évêques d'Arras et de Cam-
brai, parlant de celle abbaye, dit qu'elle fut
fondée par sainte Hainfrède, qui en fut ab-
besse ; que quelque temps après ce monas-
tère déchut beaucoup de sa splendeur, et
tomba entre les mains de certains chanoines;
mais que le comte Baudouin, par les sollici-
tations de l'évêque Gérard et de Leduin,
abbé de Saint-Waast, le rétablit dans son
premier étal, y faisant revivre la discipline
régulière sous la lègle de saint Benoît et la
conduite de l'abbesse Ermentrude.
Ces chanoinesses étaient autrefois dames
du comté d'Ostrevan ; mais la souveraineté
de ce comté étant venue au roi comme comte
de Hainaut, les chanoinesses ont seulement
conservé le litre de comtesses d'Ostrevan.
Ce chapitre est composé de dix-huit chanoi-
nesses, qui doivent faire preuves de noblesse
de huit quartiers. Leur habit est assez sem-
blable à celui des chanoinesses de Nivelle, à
l'exception qu'elles n'ont point de fraise, et
qu'elles ont seulement un mouchoir de cou
attaché avec trois rubans noirs (1) : elles ont
aussi à leurs corps de jupes quelques bandes
de velours noir de plus que celles de Nivelle;
et quand elles sont hors du chœur, elles
mettent par-dessus leurs habits un ruban noir
brodé d'or, auquel est attachée une médaille
d'or avec l'image de sainte Hainfrède, qui est
reconnue pour patronne de celle abbaye.
Joan. Mabill., Annal, ord. S. Bened. Mo-
deste de Saint-Amable, Monarchie sainte de
France ;el Thomas Corneille, Diction, géo-
graphique.
NOBLE-MAISON ( Chevaliers de la ).
Voyez Etoile.
NOEUD (Chevaliers du), ou du Saint-Es-
prit au droit-désir, au royaume de Naples.
Robert le Bon et le Sage, roi de Naples, qui
(t) Voy., à la fin du vol., n* 291.
Dictionnaire des Ordres religieux. Il,
était de la maison d'Anjou, ayant perdu
Charles de Sicile, son fils unique, voulut don-
ner un mari aussi de la maison d'Anjou à
Jeanne, tille aînée du même Charles. Dans
cette vue il lit venir à Naples, l'an 1333,
Charles II . roi de Hongrie, son neveu, et An-
dré, fils puîné de ce prince, qui fut fiancé,
le 18 septembre, avec Jeanne, sa cousine
issue de germain. Cette princesse était pour
lors dans la neuvième année de son âge;
André en avait sept. Mais ce mariage ne fut
point heureux, les inclinations de ces deux
époux ne s'accordant point. Le roi Robert
avait lâché de leur inspirer des sentiments
d'union, el il avait par sa prudence contre-
balancé les divers mouvements de ces deux
esprits. Mais après sa mort, qui arriva l'an
134-3, ils ne gardèrent plus de mesures ;
Jeanne ne voulait point qu'André prît la qua-
lité de roi ; et ces contestations durèrent jus-
qu'à ce qu'Elisabeth, reine de Hongrie, ayant
fait un voyagea Naples, persuada à Jeanne,
qui était sa belle-fille, de se faire couronner
avec André son mari. Cette cérémonie se fit
avec beaucoup de magnificence, en présence
de quatre cardinaux que le pape Clément VI
envoya à Naples. Cela ne réunit pas néan-
moins ces deux esprits; le malheureux An-
dré fut étranglé dans la ville d'Aversa l'an
1345, et la reine fut soupçonnée d'avoir don-
né son consentement à ce meurtre.
Cette princesse épousa, l'année suivante,
en secondes noces, Louis de Tarente, qui
était aussi son cousin; mais Louis, roi de
Hongrie, ayant passéen Italie avec une puis-
sante armée, pour venger la mort d'André,
etks'étant emparé de la ville de Naples, Louis
de Tarente el sa femme furent obligés de se
réfugier en Provence, qui appartenait aussi
à cetle princesse, et ils ne retournèrent à
Naples que l'an 1352, après avoir conclu la
paix avec le roi de Hongrie, par l'entremise
du pape. Ce fut pour lors que Louis de Ta-
rente, en mémoire de ce qu'il avait été cou-
ronné roi de Jérusalem el de Sicile le jour
de la Pentecôte, institua un ordre militaire
sous le nom du Siint-Esprit au droit-désir,
plus communément connu sous le nom de
l'ordre du Nœud, à cause que les chevaliers
portaient pour marque de leur ordre un
nœud en forme de lacs d'amour, ce prince
ayant voulu exprimer par ce nœud, comme
disent quelques auteurs, l'attachement que
les sujets devaient avoir pour leur prince, et
réciproquement le prince pour ses sujets.
Cependant le véritable nom de cet ordre était
celui du Saint-Esprit au droit-désir, comme
il paraît par les statuts qui furent dressés
par l'instituteur, et qui commencent ainsi:
Ce sont les chapitres faits el trouvés par le
très excellent prince monseigneur le royLoys,
par la grâce de Dieu, roy de Jérusalem et de
Sicile, aile onneur du Saint-Esprit, trou-
veur et fondeur de la très noble compagnie du
Saint-Esprit au droit-desir, commencée le
jour de la fenlhecoste l'an degraceM.CCCI.il .
Nous Loys par la grâce de Dieu roi de Jéru-
salem et de Sicile, aile onneur du Saint-Es-
m
iisi
DICTIONNAIRE DES OUVRES RELIGIEUX.
1132
prit, lequel jour par sa grâce nous (usines
couronnez de nos royaumes, en essoucement
et acroissement d'onneur, avons ordonné de
faire une Compagnie de Chevaliers qui seront
appeliez les Chevaliers du Saint-Esprit au
droit-desir, et les d. Chevaliers seront en
nombre de trois cent; desquels nous comme
trouveur et fondeur de cette compagnie, se-
ront princeps: et aussi doivent être tous nos
successeurs raiys de Jérusalem et de Sicile. Et
à tous ceux que nous avons es! us et esliront à
eslre de la dite compagnie, faisons <) scavoir,
que nous pensons à faire, se Oieu plaît, la
première (este au chaslél de V Eu f enchanté du
merveilleux péril, le jour de la Pcuthecoste
prochaine venant, et pour ce tous 1rs dessus
dits compagnons qui bonnement pourront,
soient audit jour, audit lieu, en telle manière
comme cy après sera devisé: et a doneques
sera plus a pluin à tous les compagnons parlé
de cette matierre.
Premièrement ils devaient jurer qu'ils don-
neraient aide et secours à ce prince de tout
leur pouvoir, soit à la guerre, soit en toutes
autres occasions. Tous les chevaliers de-
vaient porter un nœud de telle couleur qu'ils
voulaient sur leurs habits, en un endroit où
il pût être vu, et dessus ou dessous le nœû'l
ils devaient mettre ces paroles: se Dieu plaît.
Le vendredi ils devaient porter un chaperon
noir avec un nœud de soie blanche sans or,
argent ni perles. Si un chevalier, s'étanl
trouvé dans quelque action, avait été blessé
ou avait blessé son ennemi, et qu'il eût rem-
porté l'avantage, il devait porter dès ce jour-
là son nœud délié, jusqu'à ce qu'il eut été
au saïnt sépulcre. Son nom devait être écrit
sur le nœud, qu'il devait porter ensuite lié
comme auparavant avec ces paroles, il a
pieu à Dieu, et dessus le nœud un ray ardent
du Saint-Esprit; ce qui était apparemment
une de ces flammes eu forme de langue de
feu sous la Ggure desquelles le Saint-Esprit
descendit sur les apôtres dans le cénacle.
Ils devaient porter aussi une épée, sous le
pommeau de laquelle leurs nom et surnom
étaient écrits avec ces paroles : se Dieu plaist.
Ils jeûnaient tous les vendredis de l'année,
ou bien il leur était libre de donner ce jour-
là à manger à trois pauvres en l'honneur de
Dieu et du Saint-Esprit.
Tous les ans ils se trouvaient à Naples le
jour de la Pentecôte, au château de l'OEuf,
et comme les étrangers et ceux qui éiaient
de pays éloignés étaient obligés de faire des
dépenses pour leur voyage, le roi les rem-
boursait des frais qu'ils avaient faits. Ils
avaient dans cette assemblée des habits
blancs. Ils y devaient porter par écrit tous
les faits d'armes qu'ils nvaientaccomplis dans
l'année, et ceux que l'on trouvait les plus
considérables étaient écrits dans u:i livre
qu'on appelait le livre des menements aux
chevaliers de lu Compagnie du Saint-Esprit
au droit-desir. Si quelque chevalier avait
fait une action indigne, il devait se trouver à
pareil jour au château de l'OEuf, vêtu de noir
avec une flamme sur le cœur et ces mots en
gros caractères: J'ai espérance au Saint-Es-
prit de ma grande honte amender, il ne man-
geait point ce jour-là avec les chevaliers,
mais seul au milieu de la salle où le prince
et les aulres chevaliers mangeaient: ce qui
durait jusqu'à ce que le prince avec son con-
seil l'eût rétabli en son honneur. Il y av it
aussi dans le môme château une table que
l'on appelail la table désirée, où mangeaien!,
le jour de la Pentecôte, tous h s chevalins
qui pendant l'amiéc avaient délié ie ne m!.
Ceux qui avaient fait les plus belles actions
étaient assis à la place la plus honorable de
la table; et s'il y en avait quelqu'un qui por-
tât son nœud relié avec une flamme, on lui
mettait snr la tête une couronne de laurier.
La fêle étant finie, on tenait un chapitre
dans lequel il était permis de retrancher ou
d'ajouter aux statuts ce que l'on crov.it
plus convenable pour l'honneur et l'avance-
ment de l'ordre. Un chevalier qui avait dé-
jà reçu quelque ordre avant que d'être admis
dans celui du Saint-Esprit au droit-désir,
di vait le quitter, 0'i ne le pouvant pas faire
honnêtement, celui du Saint-Esprit devait
êlre le premier, et dans la suite il n'en de-
vait recevoir aucun sans la p'e'rtbis'sidn d:i
prince; mais on ne devait pas la lui deman-
der qu'on n'eût porté le nœud relié avec la
flamme. Après la mort d'un chevalier les pa-
rents étaient obligés de porter son épée au
piinee, qui, après l'avoir reçue, faisa-l dire,
huit jours après, un office solennel pour le
repos de l'âme du chevalier décédé. Tous les
aulres y assistaient. Le plus proche parent
ou un ami du défunt prenait son épée par la
pointe et l'offrait sur l'autel, étant suivi du
prince et des autres chevaliers qui accom-
pagnaient Celle épée jusqu'à l'autel, ils se
mettaient ensuite à genoux, priant Dieu pour
Pâme du chevalier décé.ié, et après le ser-
vice on attachait cette épée à la muraille de
la chapelle: on devait mettre dans l'espace
de trois mois une pierre de marbre où
éiaient marqués le nom du chevalier, le lieu
et le jour de sa mort. S'il avait porté la
flamme sur le nœud, on ajoutait sur cette
pierre de marbre une flamme d'où sortaient
ces paroles: Il acheva sa partie du droit-de-
sir, et chaque chevalier était encore obligé
de faire dire sept messes puur le repos de
son àme.
Telles étaient les principales obligations
des chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit
;.u droit-désir, prescrites par leurs statuts
qui contenaient vingt-trois chapitres, ai x-
quels on ajouta cet autre l'an 1353, qui
marquait aux chevaliers en quelles occa-
sions ils pouvaient délier le nœud : Item,
il est déclaré par ce dernier chapitre ajouté
en la première feste passée de tu Pentccosle
l'an de grâce 1353, que nul compagnon du-
dit ordre n'en peusse délier le neu , sinon
pour la manière qui s'ensuit: c'est à sca-
voir que se aucun des compagnons dell'ordre
se trouvera en aucun fait d'armes la oy, le
nombre de ses cr.nem's seront cinquante bar-
bus ou autres et la part du Chevalier dell-
ordre n'en s'estenilit plus que le nombre
de ses adverstrires, se ledit Chevalier se pou<-
H53
NOI
NOI
MU
voit pour son honneur tant avàncier qu'il
put entre le premier à ferir et envayr les
ennemis , ou se il pvutoiï jlrtûdr'e le ca-
pitaine do ses (nuemis , et la / n de la ba-
sera honorable pour la paît dudil
Cheviller ddi ordre ; il pue t deli r le ,-cu.
I m se aucuns desd. compagnon: dill'or-
<lre se troucoient en aucuns fait* d'à: mes la
ou te nombre de leu s ennemis fussent trois
cent barbus ou j lus. el ta part des Cheva-
liers deii'ontr- non s'eslcndit outre le nom-
bre des ennemis , et les Chevaliers ou Che-
r dlt'ordre fussent les pt'emiers fereous
en la bataille ou eschielle des ennemis, et
que la j n ''e la bataille sera honorable pour la
part desuils compagnons del, 'ordre : eux po-
veni ile-h r le neu en la tna, iere susdite si
notoirement que chacun soi! ler.u monsïrër
au prince, et à son c<nseil , de son 6i r
fait vmij s eus i n -.
Louis de Taré fi te n'ayant point eu d'en-
fants, cet ordre fut aboli après sa mort
par les désordres et les révolulio s qui
arrivèrent au royaume de Naples. L'on
aurait ignoré les s'alu's que re prince
av;iil pnsciit< aux chevaliers de cet cr-
o're , si l'original n'élait tombé au pou-
voir de la tépnbliquc de Venise , qui en
Gt présent à Henri III, r< i de France et
de Pologne, lorsqu'il passa à Venise à son
retour de Pologne. M. Le Laboureur les
a fait impiimer dans ses additions aux
Mémoires de M. de Castelnau. La mé-
ruoiie de cet ordre s'est I ujours conservée
à Naples par le moyen des armes et des
tombeaux de plusieurs de ces chevaliers,
que l'on voit en différents endroits de celte
ville, et pailiculièremeut dans l'église ca-
thédrale, où e>t le tombeau de Colluiio
ftozzulo, qui avait délié le nœud et l'avait
relie à Jérusalem , comme il paraît par
l'épi la phe de re chevalier, au bas de d Ile
de sou |'ère , qui éiait chevalier de l'or-
dre ce I Etoile. Hic jactt strenuus miles Col-
Huzztdus. ftlius ejus. qui fuit de soci -
la'.c Sodi, illuslris Lv.do- ici , régis Siciliœ ,
quer. ttffdltm in enn paît bello victoriose dis-
solvii , et diction nodrm rdigavl in Jéru-
salem; tjtii ubi t ann. Domini M. CCC. LXX,
die VI II Seplembris , IX i ulictione.
Cet o.dre était aussi sous la proleclion
de saint Nicolas, évèque de Mire; et snr
le tombeau de Robert de "urgenza, qui
est dans l'église de Sainte-Ciaire à Naples,
l'on voit les armes de ce chevalier du Nœud
entourées d'un ruban au haut duquel il
y a le nœud de l'ordre et au bas l'image
de saint Nicolas. Les d fférents habillements
de ces chevaliers (1) que nous donnons
ici, sont, tires de la bibliothèque du roi,
où iis sont représentés en miniature.
Bernard Gïusliniàni , Hist. di tutti gli
Ord. militari. Schoonebeck, Hist. des Or-
dres militaires; el Le Laboureur, Mémoires
de Caslelnau, tom. H, pag. 895.
NOIRES (Sozlrs). Voyez Ci:llites.
NOLI (Cuanoinesses de), dans l'Elut de 67e'-
•(i) Vûij., a la lin du vol , u - 2 -, -03 el
nés, et autres communaule's de filles sou-
mises à l'ordre de Saint- François.
Nicolas des Ursins , comte de Soleto, ne se
contenta pas de faire réparer, l'an t.'i.Y: . le
monastère de- religieuses de Sainte-Claire à
Noli , dans l'Ktat Ac Gênes, sous le titre de
S,.ml-Jac ;aes •. mais par une piété antant
particulière que sainte , il y fonda n i : s s i un
collège de chftD.oiifrèss'es, auxquelles il donna
le si in d'y él ver de je. nés Allés dans la
I été, jusqu'à ce qu'elles fussent en àse d'em-
r un état. Ce fondateur leur pescri-
\il ine manière de vie par des constitutions
qu'il dressa, el qui coi tenaient quarante et
dm chapitres, dont le cinquième fait mention
d'i ne bulle de Bonifac VIII , qui approuva
celte société, il divisa celte communauté en
Irois classes : la première fut rie chanoinrs-
ses (iesl nées au service divin ; la seconde fut
de filles séculières , et la troisième de sœurs
c i. verses, destinées au service des autres. Il
commit ; ux premières l'éducation des filles
séculières, jusqu'à ce qu'elles eussent fait le
choix, ou de tester dans celte maison en y
gardant la clôture, ou de se faire religieuses
Cla. issesdans le monastère de Saint-Jacques,
ou d se marier. Ces chanoinesses devaient
réciier l'office selon le bréviaire des Frères
Mineurs, solenniscr toutes les fè es dessaints
de cet ordre , dont elles devaient avoir tou-
jours un religieux pour confesseur. Leur ha-
bit était aussi en quelque façon semblable à
celui des religieuses de Sainte-Claire, n'eu
étant distinguées que | ar un surplis qu'elles
portaient sur une robe grise, liée d'une corde
blanche; et elles avaient pour chaussure des
socques ou sandalt s de bois. Les filles sécu-
lières et les sœurs converses destinées pour
le service de la maison , avaient aussi une
rohe grise avec un manteau de même (2);
lés sœurs converses devaient réciter pour
. e aulant de Pater et d'.-Irc que saint
François en a ordonné par sa règle pour
les frères lais de son ordre. Cette maison
el le monastère de Saint-Jacques ont été sou-
mis d ns la suile à la juridiction rie l'évêqué
de Noli ; mais les chanoinesses el h s reli-
gieu-es Clirisses ne quittèrent poinl le bré-
viaire, l'habit , ni la direction des religieux
de Saint-François.
Luc Wad.ng! Annal. Minor. lom. VIII, ad-
dit. ad ls m. IV, n. 3.
Entre les monuments de pic'é qui ont élé
érigés en Esp gne par les soins el les libé-
ralités du cardinal Ximenès, archevêque de
Tolède, et les religieux de l'crdre de Saint-
François , il y a di u\ monastères de reli-
gieuses du tiers ordre du même saint Fran-
çois, lous deux seus le titre de Saint-Jean de
la Pénitence. Le premier fui fondé à Alcà'Ia
par ce cardinal, l'an loOï, pour trente-trois
religieuses , dont le noml re ne peut être
augmenté , et il y joignit une communauté
de p.T.iv; es dem. iseiles , sous le nom de1
S.trtoè-EliSabclh, qui devaie- t être soumises
à la coYr'dml'é d' r 's religieuses; , jusqu'à ce
qu'elles fussent iii étal d'eue i.:; r é.s ou
(S) Vcj., ., n J '- o el -J .
H5B
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1150
d'être religieuses, avec ordre que si elles fai-
saient choix de la vie religieuse, le monas-
tère serait obligé de les recevoir ; et que si
elles voulaient se marier , il fournirait leur
dol, ayant laissé pour cet effet des fonds
suffisants.
Cette fondation ayant réussi, il en Gt une
semblable à Tolède , où il Ht bâtir, en 1511,
un monastère sous le même titre de Sainl-
Jean de la Pénitence, dans lequel il y a ordi-
nairement plus de quatre-vingts religieuses
qui font profession, comme celles d'Alcala, de
la troisième règle de saint François ; et pro-
che ce monastère il fonda aussi une commu-
nauté de deux cents jeunes demoiselles, qu'il
mit sous la conduite de quelques-unes de
ces religieuses. Le pape Léon X lui accorda
un bref pour cet effet en 1511, par lequel il
lui permit qu'outre les rentes ei les revenus
considérables qu'il affectait à cette maison ,
il y pût unir deux ou trois bénéfices et même
davantage, soit qu'ils fussent simples ou a
charge d'âmes ; et cela non-seulement pour
l'entretien des religieuses et des jeunes de-
moiselles, mais pour aider à marier ces der-
nières après qu'elles auraient demeuré six
ans dans la communauté, ou pour servir de
dot à celles qui voudraient être religieuses
dans le monastère. Philippe 11, roid'Espagne,
augmenta de quarante le nombre de ces de-
moiselles , voulant que ces quarante places
fussent remplies par les filles de ses officiers
du second rang, ayant assigné pour chacune
de ces demoiselles cinq cents écus d'or, soit
pour être religieuses, soit pour être mariées.
Cette communauté de jeunes filles subsiste
encore ; mais celle d'Alcala fut transférée
dans la suite à Madrid, et fut mise sous la di-
rection des Augustines Déchaussées du mo-
nastère de Sainle-Elisabeth , et soumise à la
juridiction du grand aumônier.
Luc Wading, Annal. Minor. tom. VIII, ad
ami. 1501, n, 58; et Mémoires manuscrits.
A l'imitation du cardinal Ximenès, Ferdi-
nand de Silva , comte de Cifuentes , fonda
dans sa ville de Cifuentes, l'an 1525, un cou-
vent de religieuses du tiers ordre de Saint-
François, sous le nom de Notre-Dame de
Bethléem, pour les demoiselles et suivantes
d-e sa femme, qui, étant demeurées sans maî-
tresse par la mort de cette dame, témoignè-
rent à ce comte qu'elles voulaient se consa-
crer à Dieu. H fit venir pour cet effet des re-
ligieuses du monastère de Saint-Jean de la
Pénitence de Tolède, qui demeurèrent avec
les nouvelles religieuses, jusqu'à ce que leur
monastère fût achevé , dont elles ne prirent
possession que l'an 1526. A côté de ce mo-
nastère (n'y ayant qu'un mur de séparation),
il fonda aussi une communauté de filles ,
semblable à celle de Tolède, qu'il soumit aussi
à la conduite des religieuses : leur église est
commune , mais leurs chœurs sont séparés,
aussi bien que leur demeure. Il y a ordinai-
rement dans ce monastère plus de quarante
religieuses, qui sont, aus.si bien que la com-
munauté de filles séculières, sous la juridic-
tion des religieux de l'ordre de Saint-Fran-
çois.
Après que Ferdinand Cotiez eut conquis
le Mexique pour le roi d'Espagne , Isabelle
de Portugal, femme de l'empereur Charles V,
y envoya des religieuses Clarisses et du tiers
ordre de Saint-François , qui y firent plu-
sieurs établissements, comme à Zuchimilci ,
Tetzeuci, Quausthitlani, Telmanaci, Tapea-
ca, Thevacana et autres lieux. L'on fonda
auprès de leurs monastères des communau-
tés de jeunes filles indiennes pour être éle-
vées sous leur conduite , et pour y être ins-
truites des mystères de la religion et de lous
les ouvrages qui conviennent aux personnes
de leur sexe. Ces communautés de filles in-
diennes sont si considérables , qu'elles sont
ordinairement de quatre ou cinq cents filles.
Luc VVading, Annal. Minor. lom. VIII, ad
ami. 1530, n. 2.
Le même Wading , de Gubernatis , le P.
Artus du Moustier et quelques autres histo-
riens , ont fait mention d'un ordre sous le
nom de l'Ascension de N«tre-Seigncur , qui
embrassa la règle des Frères Mineurs ; mais
comme ils n'ont point dit en quel lieu, pour
quelle fin , ni en quelle année cet ordre a été
institué, nous n'en pouvons rien dire non plus.
Luc Wading, tom. VIII, ad ann. 1523,
n. \k. Dominic. de Gubernatis, Orb. Seraphic.
tom. IL Artus du Moustier, Martyrolog.
Franciscanum. Manoel da Esperanca, Hist.
Serafica , part. i.
L'annaliste des Frères Mineurs prétend
qu'il y a eu des recluses de l'ordre de l'An-
nonciade dans l'église de Saint-Pierre du
Vatican , à Rome, se fondant , à ce qu'il dit,
sur une bulle du pape Léon X, de l'an 1515,
par laquelle ce pontife , en accordant aux re-
ligieuses Annonciades des dix Vertus les
mêmes grâces qu'il avait accordées aux re-
ligieuses Clarisses , déclare qu'il veut que
les quatre recluses de l'église de Saint-Pierre,
qui y demeuraient dans la chapelle de Saint-
André, jouissent des mêmes grâces pendant
le temps qu'elles y demeureraient, ou dans
quelques autres lieux où elles garderaient le
même genre de vie. Cet auteur n'ayant pu
trouver à quel dessein elles avaient été ren-
fermées dans celte chapelle, quelles étaient
leurs fonctions, ni quand elles en sont sor-
ties , se contente dédire qu'elles étaient de
l'ordre de l' A nnonciade; mais comme Léon X,
dans la même bulle, parle aussi des reli-
gieuses du lieis ordre de Saint-François , il
y a plus d'apparence que ces recluses étaient
plutôt de celui-ci que de celui des Annoncia-
des, puisque ces dernières n'ont pas passé
en Italie.
Luc Wading, Annal. Minor. tom. VIII, ad
ann 1515, n. il; et Dominic. de Gubernatis,
Orb. Seraphic. tom. 11.
NOM DE JÉSUS (Dominicains de la con-
grégation du Saint-). Voyez Lommardie.
NOTRE-DAME. Voyez Charité. — Com-
pagnie. — Congrégation , etc. — Voyez la
désignation particulière des Instituts consa-
crés à la sainte Vierge, sous le litre : Noire-
Dame.
1 1 "■" NOT
NOTRE-DAME DE CHARITÉ
NOT
1138
( RELI-
GIEUSES DE I. 'ORDRE DE;.
C'est avec justice que le R. P. Eudes ,
frère de M. Mézeray , historiographe de
France , doit être mis au nombre des fonda-
teurs d'ordres, puisque non-seulemenl il a
fondé la congrégation des Prêtres Mission-
naires de Jésus et Marie, communément ap-
pelés les Euilistes, mais que l'ordre de Notre-
Dame de Charité lui est aussi redevable de
son établissement. Nous avons donne la Vie
de ce grand serviteur de Dieu (l 'oy. Eudes),
et nous allons rapporter ici l'établissement
de l'ordre de Notre-Dame de Charité, comme
étant soumis à la règle de saint Augustin.
L'ordre de Notre-Dame de Charité porte
aveejustice ce nom, puisque la charilémème
en a été la fin principale, ayant été établi
pour travailler à la conversion des âmes pé-
cheresses; l'on peut dire que c'est un ou-
vrage de la grâce, et le fruit des prédications
du P. Eudes; et suivant le sentiment de cet
homme apostolique , il a pris son origine
dans les sacrés coeurs de Noire-Seigneur et
de la sainte Vierge, embrasés du zèle du sa-
lut des âmes. Ce fervent ministre du Seigneur
travaillant aux missions dans les années
1633, 1639 et 1610, avec un zèle infatigable,
plusieurs filles et femmes, d'une conduite
peu réglée, furent si vivement touchées de
ses discours, qu'elles le vinrent trouver, le
priant de leur donner un lieu de refuge pour
y faire pénitence de leur vie déréglée, et
quelques-unes lui avouèrent que la néces-
sité était la cause de leur desordre. Ce saint
homme les ayant aidées par ses aumônes ,
et n'ayant point de lieu de retraite , il les
commit aux soins de quelques personnes de
piété.
Entre autres personnes il y engagea une
femme fort simple appelée Madeleine l'Amy,
qui, quoique pauvre des biens temporels ,
était néanmoins riche en piété et remplie de
charité. I- l:e les reçut dans sa maison , les
instruisait, leur apprenait à travailler , cl
fournissait à tous leurs besoins parle moyen
des aumônes qu'on lui faisait. Un jour que
cette bonne femme était à sa porte, elle vit
passer le P. Eudes accompagné de M. de
IJernières , de M. et de madame de Camilly
et de quelques autres personnes d'une piété
dislinguee;elles'écriadansun transport plein
de zèle : Où allez-vous ? sans duule vous
allez dans les éylisesy manger Us images, après
quoi vous croyez être bien dévots; ce n'est pas
làoù gît le lièvre .mais bien à travailler à fon-
der une matson pour ces pauvres filies qui se
perdent faute de moyens ei de conduite. Ce
discours rustique, mais plein d'ardeur , qui
ne fut d'abord qu'un sujet de risée à la com-
pagnie, ne laissa pas de produire dans la
suite de bons effets , particulièrement dans
l'esprit du P. Eudes, qui voyait depuis long-
temps la nécessité qu'il y avait d'établir dans
la ville de Caen une pareille maison. Il se
détermina à y travailler tout de bon, après
que cette bonne femme l'eut encore une fois
exhorté à le faire, comme il passait encore
devant sa maison avec les mêmes personnes
dont nous avons parlé, et qui concertèrent
dès lors ensemble des moyens qu'il fallait
prendre pour ce nouvel établissement. L'on
conclut qu'il fallait prendre une maison à
louage : l'un promit de payer le loyer, l'au-
tre de la fournir de meubles. Il y en eut aussi
qui offrirent de donner du blé pour faire
subsister ces pauvres tilles. La maison fut
louée, et, le 2.ï novembre 16il , elles y fu-
rent renfermées sous la conduite de quelques
filles dévoles.
Le nombre des pénitentes s'augmenta en
peu de temps ; Le P. Kudes les visitait sou-
vent, les consolait, leur donnait de bonnes
instructions, et ne négl geait rien de ce qu'il
croyait nécessaire à leur avancement spiri-
tuel et temporel. Il leur fit observer la clô-
ture, et par la permission de Jean d'Angen-
ncs, pour lors évêque de Raycux.l'on érigea
dans cette maison une petite chapelle, où le
P. Eudes et quelques autres de ses mission-
naires disaient tous les jours la sainte messe
et administraient les sacrements aux person-
nes qui y demeuraient. Enfin les échevins de
la ville, voyant l'utilité de cet établissement,
y donnèrent leur consentement.
Le P. Eudes voyant que les filles dévotes
qui s'employaient à l'instruction de ces pé-
nitentes se désistaient facilement de celte
œuvre de charité, à la réserve d'une de ses
nièces, que ses parents, par inspiration divi-
ne, avaient associée dès l'âge de onze ans à
ces pieuses dames, il jugea à propos de don-
ner la direction de ces pénitentes à des per-
sonnes religieuses, soit que l'on en fît venir
de quelque monastère ou que l'on établit un
nouvel ordre, où les personnes qui y fe-
raient profession, oulre les trois vœux de
religion, en feraient encore un quatrième,
de s'employer à la conversion des péniten-
tes. Le dernier expédient fut trouvé le plus
avantageux, et l'on obtint du roi Louis XIII
des lettres patentes, au mois de novembre
1642, par lesquelles Sa Majeslé permettait
d'établir dans la ville de Caen une commu-
nauté religieuse où l'on ferait profession de
la règle de saint Augustin el un vœu parti-
culier de travailler à l'instruction des filles
el femmes pénitentes qui voudraient s'y reti-
rer pour un temps. 11 y a bien de l'apparence
que l'on mit d'abord ces filles pénitentes
sous la conduite des religieuses de Notre-
Dame du Refuge; el il semble que ce soit le
sentiment de M. Huet (1), évêque d'Avran-
ches. Voici ce qu'il en dit : « Cette commu-
nauté pril d'abord le litre de Notre-Dame du
Refuge. Après la fondation de M. de Lan-
grie, l'on reçut des religieuses d'un institut
particulier, c'mplojées à la conversion et à
la conduite des filles el femmes aspirant à
changer de mœurs el à faire pénitence de
leurs dérèglements passés. Au mois de no-
vembre 16i2, ces pènileules obtinrent des
lettres patentes qui leur permettaient de se
mettre sous la conduite de cette connu u-
(1) Huet, Antiquités de la ville de Caen<
1139
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1U0
naulé religieuse. » Ce n'étaient pns peut-être
les intentions du P. Eudes : c'est pourquoi
les mémoires que j'ai en main disent que les
lions desseins du P. Eudes lurent d'abord
traversés, que l'on fit naître un grand nom-
bre de difficultés qui paraissaient insurmon-
tables, m;iis que sa constance vainquit toutes
ces oppositions, et qu'ayant dessein que les
religieuses de cet institut lussent formées se-
lon l'esprit de saint François de Sales, il tra-
vailla avec M. et madame de Camilly à obte-
nir de l'évêque de Bayeux des religieuses de
la Visitation pour les gouverner d'abord. En
effet , la mère Françoise-Marguerite Patin
encore qu'en idée, qu'elle résolut de l'em-
brasser. Elle en fut la pierre fondamentale,
ayant re u la première l'habit de cet ordre
au mois de février Ki45, et la seconde qui le
reçut fut la nièce du P. ludes, de laquelle
nous avons déjà parlé. Elle prit le nom de
sœur Marie de la Nativité, et vécut toujours
dans une observance si exacte de ses règles
et de ses constitutions, qu'elle a été supé-
rieure pendant cinq triennaux.
Lorsque l'on délibéra sur la manière de
l'habillement (1) que les religieuses devaient
porter, l'on conviai qu'il serait blanc, pour
signiGer la pureté dont elles devaient faire
fut choisie pour être supérieure, et elle arriva profession, pour combattre et détruire dans
on celle maison le 16 août de l'année 16.44,
accompagnée de deux autres religieuses du
même ordre, et tirées du monastère qu'elles
ont à Caen.
Ce fut pour lors que l'on commença à
exercer dans les pratiques de la vie reli-
!e cœur des pénitentes la vice qui y est op-
posé. Cet habit consiste en une robe, un sea-
pulaire e! un manteau, le tout de même cou-
leur. Elles ent un voile noir pour couvrir
leur tète, et portent su;' le scapulaire un
cœur d'argent où est gravée en relief l'image
gieuse plusieurs personnes de piété et de de la sainte Vierge tenant l'enfant Jésus en-
vertu, qui devaient consacrer leur vie à Dieu Ire ses bras, le cœur environné de deux
dans cet institut. Le P. Eudes travailla à branches, l'une de roses et l'autre de lis, et
dresser les règles et les constitutions de ces elles ne quittent point ce cœur, tant le jour
nouvelles religieuses conformément à celles que la nuit, pour se souvenir qu'elles doi-
de la Visitation, y ajoutant seulement quel- venl avoir gravées dans leurs cœurs les irna-
que chose de propre à l'institut , suivant la ges de Jé=us et de Marie.
fin pour laquelle il était établi. 1! donna des La persévérance de la première novice fut
règles pour les filles et les femmes pénilen- éprouvée pendant plus de sept années, per-
tes, voulant qu'elles eussent un appartement sonne ne s'étant déclaré fondateur de ce
entièrement séparé, et qu'elles ne fussent ja- monastère pendant ce temps-là. Mais , l'an
mais reçues pour être religieuses, quoi- 1650, M. Leroux de Langrie, président au
qu'elles fussent parfaitement converties, et parlement de Rouen, s'en rendit fondateur,
quelque talent et capacité qu'elles eussent, et Edouard Mole, évêque de Bayeux, qui s'é-
II ordonna seulement que celles qui auraient tait toujours opposé à cet établissement de-
vocition pour la vie religieuse seraient en- puis qu'il était parvenu à cet évêché, donna
foyées en d'autres maisons, où l'on pourrait enfin son consentement l'an 1051, le 8 fé-
voyi
les recevoir si on les trouvait capables pour
cela, comme il est déjà arrivé à plusieurs, cl
que les autres seraient remises entre les
mains de leurs parents, ou qu'on leur cher-
cherait quelque honnête établissement.
Le bon ordre et la régularité que l'on ob-
servait en cette maison faisaient trouver à
celles qui s'y étaient retirées le joug du Sei-
gneur doux et agréable, et elles éprouvaient
le bonheur de leur état. Mais cette paix et
celte tranquillité furent troublées par l'élec-
tion que l'on fit, au couvent de la Visitât. on,
de la mère Marguerite Patin pour supé-
rii ure. Son départ causa beaucoup de dou-
leur, et pendant son absence les difficultés
de l'établis-oment augmentèrent : ce qui
obligea les deux religieuses de la Visitation
qui y étaient restées de retourner en leur
monastère. Elles laissèrent le gouvernement
de la maison à une demoiselle qui était pour
lors novice, nommée sœur Marie de l'As-
somption de Taillefer, qui avait eu la géné-
rosité de quitter son pays et ses parents en
l'année 1643, après avoir entendu prêcher le
P. Eudes et vu les merveilles que Dieu opé-
rait par le moyen de cet homme apostolique.
Elle lui découvrit le dessein qu'elle avait de
se consacrer au Seigneur; et il ne lui eut
pas plutôt parlé de cet institut, qui n'était
(I) Voy., a la Un du vol., n" 207 et 208.
vrier, jour dédié et consacré au sacré Cœur
do la sainte Vierge. C'est pourquoi le saint
instituteur a voulu que l'on célébrât tous les
ans, ce jour-là, avec beaucoup de solennité,
l'annivers:iire de l'établissement, et que celle
fêle fût aussi titulaire de la congrégation.
Se voyant assuré d'un fondateur et du
consentement de l'évêque , il soliieita de
nouveau pour avoir des religieuses de la
Visitation, qu'on eut beaucoup de peine à
onlenir; mais enfin la mère Marguerite Pa-
tin y retourna le 14 juin de la même année,
et, le 18 de ce mois, les cérémonies de l'éta-
blissemcnlfuree.t faites parlegrand vicaire de
l'évêque de Bayeux. Le pape Alexandre Vil
érigea relie congrégation en ordre reli-
gieux par une bulle du -2 janvier 1666, à la
sollicitation des abbés du Val-Richer et de la
Trappe, qui étaient pour lors à Rome pour
les affaires de leur ordre. L'évêque. de
Bayeux, François de Nesmond, ayant reçu
celte bulle, témoigna aux filles de celte con-
grégation qu'elles étaient libres de retourner
dans le monde, les vœux qu'elles avaient
faits jusqu'alors n'étant que simples. Il leur
ordonna même de sortir de la clôture pour
être examinées de nouveau sur leur voca-
tion. Elles obéirent à leur prélat, mais sans
donner aucune marque d'inconstance dans
ti ;i
NOT
NOl
1 1 12
le généreux dessein qu'elles avafertl entre-
pris : fidèles à celui qu'elles avaient choisi
pour leur époux, elles demandèrent avec
empressement de faire les vœux solennels.
Le jour de l'Ascension fui choisi pour en
faire la cérémonie, et ces innocentes victi-
mes s'esiiiiîèreii; heureuses de renoncer en-
tièrement à l,i lerre dans, un jour qui' Notrc-
Seigncur I avait quittée. L'évoque de Bayeax
ce ébra la me ;se en leur chiipellc; le P. Eu-
des y prêcha en présence de ce prélat, qui
reçut les vœux $$ ces nouvelles religieuses.
La mère Marguerite Patin couiinua de les
gouv< ruer jusqu'à sa mor.', qui arriva l'an
16G8, et depuis on a élu pour supérieures
des reli^inis s de cet iu-liust, qui s'est mul-
tiplié par 1 elablissemcii1. que l'on fit à Hen-
nés l'a., i 67 ; . il s'en e 1 luit un aulne à Guin-
gamp, dans l'évèch : ie '»'■ uiec, >n 1078, et
un autre à Vannes en l'.i. ■ ;.
Le P. Eudes, a voulu que dans et ordre la
dévolii n aux Cœurs de Jésus et de Marie fût
en pailiculière vénération. La fêle du Cœur
de la sainte Vierge se sol -nuise le 8 février.
Llle ;; commencé L'au 1GV3, et a clé approu-
vée par quinze tant archevêques qu'évéques
de France, et autorisée par les souverains
pontifes, qui ont acc.rde beaucoup d in !ul-
genres le jour de celle fêle, aussi bien que
pour celle du Cœur de Jésus, qui se célèbre
le 20 octobre, il y a des offices propres pour
ces deux fêles, qui ont été dcéssés par le P.
Ludes. li y a eu dans cet ordre plusieurs
personnes qui se sont rendues recommanda-
bles par la sainteté de leur vie, entre aulres
la mère Marie de l'Enfant Jé>us de Foule-
1) eu, qui, après la mort de son mari, Jean
Simon, chevalier seigneur d:' Bois-David, ca-
pitaine aux gardes françaises du roi, se con-
sacra au service des pénitentes dans le mo-
nastère de Caen, où elle est décédée en odeur
de sainteté le 30 jauvier 1GG0, avant qu'il < ût
éjé établi en ordre religieux par le souverain
pontife.
Ces religieuses ont pour armes un cœur,
sur lequel est l'image de la sainte Vierge
ten.inl entre ses bras l'enfant Jésus cl envi-
ronnée de deux branches, l'une de roses et
l'autre de lis.
.'.L Huet, évèque d'Avranches, Origines de
lu :ille de Cccn. Hermanl, Histoire des Or-
dres religieux, tome IV; et Mémoires envoyés
par la révérende mère Mai ie'-feid'oi e iicllouin,
si», érieure du monastère de Caen.
Le P. Helyot ne connaissait que quatre
établissements de l'ordre de Notre-Dame de
Charité, savoir: cet! ; de Caen, de Henné» ,
de Guingamp et de Vannes; mais cet ordre
s'est beaucoup étendu depuis, et il est au-
jourd'hui plus brilianl et plus répandu qu'il
lie l'a jamais été. Si l'on éprouvait quelque
élonnement le voirun inslitutdcccgeure éta-
bli aussitôt dans une ville (elle que Guingamp,
qui est au centre d?ùn pays moral et religieux
et tenant un rang peu important dans la pro-
vince de Bretagne, en devrait être encore
plus surpris de ne pas le voir appelé à Paris,
où l'exercice de son zèle paraîtrait si pré-
cieu\ et si facilement utilisé. Il y fut appelé
par le cardinal de Noailles, ainsi que nous
l'avons dit ci-dessus à l' article M un -lonnkt-
tes ; nous donnerons ici plus de détails, et
nous donnerons aussi un précis historique
de l'établissement de la capital depuis son
oi i in.- jusqu'à ce jour.
Eu 1720. le cardinal de Noailles se trou-
vant dans l'embarras de changer les reli-
gieus.es qui gouvernaient les filles pénitentes
de la Made'ei.ie, près du Temple, après
avoir essuyé le refus de plusieurs commu-
nautés de Paris, fut conseillé de dei
dos religieuses de tordre ck Notre-') me de
ÇkavUé, dévoué spécialement au salut des
femmes pénitentes, et d'eu faire venir àa la
ville de Guingamp, où elles avaient un mo-
nastère, celles des maisons de Vannes, de
lu-nues el de Tours ( fondation récente )
n'aya s! pu en accorder. Les liaisons parti—
ciili.' ; es qui existaient entre te cardinal de
Noailles et l'évéque de Tréguier firent espé-
rer au premier qu'il réussirait de ce côté-là,
Guingamp étant dam le diocèse de son
ami. En effet, sans même consulter la com-
munauté, l'évéque de Tréguier promit ce
qu'on lui deman iail, et eu Lit cn-uile à ses
religieuses, qui firent en vain, près de lui et
du cardinal, de nombreuses représentations
pour motiver un refus. L'évéque donna des
obédiences à cinq religieuses de chœur, sa-
voir : la mère de La Grève, dite Mariç du
Cœur de Jé-us, supérieure actuelle de Guin-
gamp, pour être également supérieure à
Paris ; la mère Lo: , sa propre nièce, dite
Marie de Sainie-Tluvèse, pour assistante; la
mère Chevalier, dite M. nie de l'Ascension ;
la mère Ledu-Uubnt, dite Marie de l'Enfant
Jésus; la uièrèBossinot, dite Marie de Sainle-
Célesle ; et à une converse, savoir la sœur
Le Guiader, dite Mari - de Sainl- François de
Sales. La supérieure , en acceptant , mit
pour condition qu'on ferait à Paris l'établis-
sement d'une maison de son ordre. Les six
religieuses partirent de Guingamp le 9 avril
1720, séjournèrent quelque temps chez leurs
sœurs de Tours et arrivèrent le dernier jour
du mois à Paris, où elles furent imn
ment conduites aux Madelonnelles. Il était
huit heures du soir, les deux communautés,
religieuses et agrégées, les reçurent à la
porte, les conduisirent proccs-ionnellement
au chœur et au chapitre, où l'on chanta le
Te Deum. Ccpen iant les religieuses pénit ri-
tes de c<lle maison, surprises de les voir au
nombre de six el ne s'allendant point à la
réforme qui allait être mise dans leur mai-
son pour le spirituel et le temporel, les I ris-
les mets qu'on leur servit au souper leur
firent deviner la dureté qu'elles devaient at-
tendre de leurs hôtesses. Pour mieux com-
prendre leur position, il faut se rappeler que
la maison des Madelonnelles, rue des Fon-
taines, àParis, était composée dedeux classes
de pénitentes, dont l'une était formée par de vé-
ritables religieuses professes, l'autre par des
filles agrégées, qui portaient un costume et
suivaientunerègle,et qu'il y avait ep outre les
pénitentes , qui n'étaient là que pour un
temps limité. Toutes ces femmes avaient eu
u;
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
11U
pour les diriger successivement, les Visilan-
dines, les Ursulines, etc., dont elles suppor-
taient le joug avec grande peine, désirant se
gouverner elles-mêmes.
La Providence ménagea aux religieuses
de Notre-Dame de Charité deux amies qui
méritent d'élre connues des lecteurs, car
elles devinrent leurs protectrices et l'instru-
ment dont Dieu se servit pour établir la mai-
son de Saint-Michel à Paris. L'une de ces
femmes vertueuses était la marquise de
Cray , restée veuve à l'âge de vingt-deux
ans, lorsque son mari, lieutenant général
d'artillerie, allait devenir maréchal de Fran-
ce. Celte femme d'un grand mérite, consa-
crant sa viduité à la retraite, était pension-
naire encltambre au couvent des Madelonnel-
tos. lUle se lia bientôt avec les religieuses arri-
vées de Bretagne et leur procura !a connais-
sance^ l'amitié de mademoiselle de Chausse-
rais. Celle-ci avait aussi au couvent des Made-
lonnelles un appartement avec issue hors la
clôture, mais elle demeurait ordinairement
à sa maison de Madrid, à une lieue et demie
t!e Paris. Fille du marquis de Chausserais ,
douée d'un esprit supérieur, édifiante par sa
conduite, mademoiselle de Chausserais s'était
concilié l'estime de la cour de Louis XIV
et du roi lui-même, qui lui fit bâtir, quand
elle se retira, une jolie maison dans la cour
du château de Madrid, et surtout de la du-
chesse douairière d'Orléans, dont elle avait
lettres patentes ; elles refusèrent de se ren-
dre à ce procédé indélicat et injuste. Made-
moiselle de Chausserais chargea son inten-
dant et M. Legrand, curé de la Sainte-Cha-
pelle, de lui chercher nne maison pour
faire l'établissement, tandis qu'elle-même
demanderait des lettres patentes. Tout réus-
sit, malgré de nombreuses difficultés. On i
acheta , des deitiers de mademoiselle de
Chausserais, une maison bourgeoise dans la
rue des Postes, près de la rue de l'Arbalète, à
gauche en quittant cette dernière rue et
dans la place occupée depuis par la commu-
nauté des dames de l'Immaculée Conception,
presque en face de la communauté ac-
tuelle des religieuses de la Miséricorde.
Deux des religieuses venaient chaque jour
de la maison des Madelonncltes faire tra-
vailler les ouvriers qui mettaient le local en
état de recevoir celles qu'on attendait de
(îuingamp. Le 2i juin 1724, elles arrivèrent
au nombre de dix. Dès le 20, l'abbé Dor-
sanne avait béni la maison et la petite cha-
pelle, qui fut dédiée sous l'invocation de
saint Michel. Le duc de Noailles voulut titrer
de ce nom le nouveau monastère, parco
qu'il avait de la dévotion à saint Michel, et
surtout parco que sous le titre de Reli-
gieuses de la Charité on aurait pu confon-
dre les Eudistes avec des communautés ou
des Dames de la Charité. Les mémoires ma-
nuscrits de la maison de Saint-Michel rap-
été dame d'honneur, et qui lui faisait Irois portent une prédiction faite, en 1685, à la
visites par semaine à Madrid. On regardait
comme un avantage d'être protégé par celte
femme remarquable , qui s'était donné le
droit de remontrance au régent. Trois mois
après leur arrivée, les religieuses de Notre-
Dame de Charité virent à la Madeleine celle
demoiselle prévenue en leur faveur par la
marquise de Cray. Le cardinal se trouvait
en même temps à la maison, mademoiselle
de Chausserais lui dit qu'il fallait garder
pour toujours les nouvelles religieuses à
Paris, et qu'elle contribuerait avec Son Emi-
nence à leur établissement. La chose eut
lieu bientôt, comme nous allons le voir;
mais il faut remarquer auparavant tout ce
qu'eurent à souffrir les mères qui gouver-
naient la Madeleine. Elles rétablirent l'ordre
dans le moral et le temporel de celle mai
jeune de La Grève, qui lui annonçait qu'elle
deviendrait une pierre fondamentale dans
l'institut, et fondatrice d'une maison de l'or-
dre à Paris.
La maison de la rue des Postes n'était que
provisoire dans la pensée de tout le monde,
et la communauté fit toujours des recher-
ches pour s'établir plus grandement. Elle fit
même successivement quelques acquisitions,
qui, résiliées plus lard, lui occasionnèrent
des délies, dunl le malaise se fit toujours sen-
tir. Nous signalerons surtout l'achat irréflé-
chi de l'abbaye de Sainle-Perrine, à la Vil—
lette, abandonnée par les chanoinesses qui
se retiraient à Chaillol.
L'établissement de Paris reçut plusieurs
sujets remarquables, entre .autres la nièce
de mademoiselle de Chausserais. L'intérêt
son ; mais elles suscitèrent contre elles leur que celte demoiselle avait porté à la fonda-
propre confesseur, que les religieuses et
agrégées pénitentes de la maison avaient fait
entrer dans leur complot; et même la reli-
gion de l'abbé Dorsanne, grand vicaire et
leur supérieur, fui surprise. L'affaire s'a-
paisa à leur justiûcalion et à leur avantage.
En 172.J, elles demandèrent leur retour à
tion des religieuses de Notre-Dame de Cha-
rité élait d'autant plus admirable qu'elle
avait une sorte d'aversion pour les religieux
et les religieuses, au point qu'on n'osail par-
ler de celles-ci devant elle. Cela venait sans
doute d'un mélange de jansénisme à sa piété
plus ou moins solide, cl nous le croirions
(iuingamp. Le cardinal les exhorta à la pa- d'autant plus volontiers que le testament
lience. Plus lard, voyant la bonne volonté de
mademoiselle de Chausserais refroidie, elles
demandèrent leur départ avec plus d'instan-
ce, pensant avec raison que ce serait le
moj en de hâter l'exécution de la promesse
pour rétablissement de Paris. Il en arriva
comme elles avaient désiré et prévu. On
leur offrit de les introduire dans une des
maisons de Pénitentes déjà élablies,u>aissans
avantageux dont elle avait flatté ses pro-
tégées fut changé à l'époque de sa mort, el
cela par l'influence du pi être janséniste qui
la confessait.
Quoique consolidée, lamaisonde Saint-Mi-
chel, qui avait des pénitentes el remplissait
son quatrième vœu, ne fut jamais bien nom-
breuse et éprouva jusqu'à lin la gêne causée
par les dettes dont nous avons parlé.
1U5
NOT
NOT
il4C
L'orage révolutionnaire vint frapper cet
ordre comme tous les autres instituts reli-
gieux. Les commissaires de l'assemblée na-
tionale, section de l'Observatoire, posèrent
les scellés dans la maison de Saint-Michel, et
signifièrent aux religieuses d'en sortir sous
huit jours. Celles-ci louèrent une maison sur
la chaussée du Maine, près de la barrière ,
et s'y réunirent au nombre de seize; cinq
prirent une autre détermination sous divers
prétextes. Les religieuses dans leur petit
établissement obseï vèrentleurièglele mieux
possible. Elles étaient si pauvres, qu'elles
manquaient de tout et travaillaient nuit et
jour pour avoir de quoi subvenir aux pre-
miers besoins de la vie. Celles qui ne pou-
vaient coudre, à cause de leur grand âge,
allaient dans la campagne ramasser du bois
et glaner dans la saiou. Un homme chari-
table, voyant que c'étaient des religieuses,
leur donna du blé, du pain et des légumes,
et leur dit de venir toutes les semaines en
chercher autant.
11 j avait alors dans la communauté une
des mères nommée Marie du Cœur de Jésus,
de La Grève, vraisemblablement de la même
famille que celle dont nous avons parlé au
commencement de la fondation. Comme elle
était de famille noble, l'autorité l'exila à
Montrouge, où d'ailleurs une grande latitu-
de lui lut laissée, et ses sœurs prirent soin
d'elle. Au reste la petite communauté no-
made avait a peu près tous les secours spiri-
tuels qu'elle recevait auparavant dans la
communauté. En 1799, ayant perdu leur
supérieur, M. l'abbé Lemoine, elles deman-
dèrent M. Duclaux du Puget, qui leur a con-
tinué ses soins jusqu'en 1818. La même
année elles élurent pour supérieure la
mère Duquesne, dite Marie de l'Enfant Jé-
sus, et cette élection lut confirmée au nom
de Mgr de Juigné. Dès le 21 juillet, trois
postulantes prirent l'habit dans la petite
communauté, qui portait, à ce qu'il paraît ,
son costume monastique. L'année suivante,
une autre postulante prit l'habit, et depuis
lors, des sujets turent reçus, mais les supé-
rieurs ne permettaient à la profession que des
vœux sintptes, peut-être veut-on dire par ces
mots des vœux temporaires.
Nous citerons encore un fait qui, apparle-
nautàiel ordreen particulier, apprend néan-
moins ce quisepassaitquelquefois alors dans
les autres congrégations, et fait épisode à I his-
toire du temps. La mère Marie de l'Enfant Jé-
sus allait à la halle, portant un panier. Les
marchandes de poissons lui donnaient par cha-
rité, l'une du merlan, l'autre des morceaux
d'anguille; d'autres marchandes lui donnaient
du beurre, des légumes, et en lui donnant ces
diverses choses, elles lui disaient tout bas :
« Priez pour nous, car nous voyons bien que
vous êtes religieuse. » Un jour la petite com-
munauté n'avait que trente sous, et la mai-
son ne possédait ni pain, ni beurre, ni ab-
solument rien pour le diner. La sœur Marie
de l'Enfant Jésus, se confiant, en la Provi-
dence, résolut d'aller à la halle, et quoi-
qu'elle dût à diverses marchandes et que ia
pauvreté de ses vêtements ne fût pas capa-
ble de lui obtenir un nouveau crédit, à peine
les femmes de la halle la virent-elles, qu'el-
les lui crièrent: « Viens, ma cocotte, il y
a longtemps que nous ne t'avons vue. C'est
parce que lu n'as pas d'argent pour nous
payer, n'esl-ce pas ? Viens tout de même,
tu ne nous dois plus rien. Depuis que nous
te donnons, nous vendons mieux.» En parlant
ainsi, ces bonnes femmes lui donnèrent
tant de marchandises, qu'elle fut obligée
d'en mettre la moitié chez une personne de
sa connaissance.
Pendant que cet acte de charité bruyante
avait lieu , une personne charitable avait
envoyé à la communauté du pain, de la
viande, du lait, de la farine, des œufs, du
beurre. Un marchand de vin, voisin de la
maison, leur donna du vin. Une dame leur
donna 500 fr. pour payer un semestre de
leur loyer. Ainsi Dieu console quelquefois
ses amis avec abondance de faveurs. Plus
souvent il prolonge leurs épreuves sur la
terre.
En 1802, le cardinal Caprara et l'archevê-
que de Paris permirent à une des religieu-
ses de porter l'habit séculier et de sorlir de
la clôture pour les affaires de la maison.
Quelques jours étaient exceptés de celte dis-
pense.
La mère Duquesne, après trois ans passés
dans les fondions de supérieure, fut élue de
nouveau et continua jusqu'à sa mort à jouir
d'une grande considération dans une mai-
son qu'elle avait, plus que toute autre peul-
être, contribué à rétablir et consolider. Elle
fut cependant impliquée dans une affaire
fâcheuse, qui devait amener nécessairement
des préventions funestes à son monastère.
Une conspiration contre Buonaparte avait
compromis quelques personnes, qui cher-
chèrent tous les moyens d'échapper au dan-
ger qui les menaçait. Un des principaux
conjurés connaissait une dame pensionnaire
de la maison provisoire de Saint-Michel, qui
ne pouvait encore être soumise à une clô-
ture absolue. Ce conjuré se cacha pendant
vingt-quatre heures peut-être dans cette
maison , et évidemment la complaisance
de la mère Duquesne se prêta à cet acte de
charité. La police fut instruite de tout. Plu-
sieurs des conspirateurs furent arrêtés, et la
mère Duquesne elle-même fut mise eu pri-
son. L'instruction et les débals du procès
prouvèrent qu'elle n'avait rien fait d'illégal,
l'homme caché dans sa maison n'y ayant
point demeuré le temps nécessaire pour
qu'on fil légalement la déclaration de son
séjour, etc. La mère Duquesne fut ac-
quittée. Le plaidoyer remarquable de son dé-
fenseur a été imprimé, ainsi que toutes les
pièces de ce procès qu'on peut consulter.
Dieu permit que la maison de Saint-Michel
n'en souffrit point. Buonaparte même accorda
son estime et une sorle d'attachement parti-
culier à la mère Duquesne, dont l'établisse-
ment eut part aux bienfaits que le gouver-
nement impérial accorda, en 1808, à un grand
nombre d'établissements de charité. Les rc-
1147
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
1I4S
ligieuses s'étaient établies dans l'ancien mo-
nastère des Visitnmlines de la rue Saint-
lacques, où elles sont aujourd'hui et auquel
elles ont porté le nom de monastère de Saint-
Michel, sous, lequel seul il est actuellement
connu. Elles étaient alors au nombre de
vingt-neuf et jouissaient déjà d'un secours
annuel de 8000 fr. donné par le gouverne-
ment impérial.
Après la révolution de juillet 1830, M. du
Quélen,en bulle à la h nue de l'esprit irré-
ligieux qui régnait alors, avait vu le palais
archiépiscopal détruit, et s'élail vu lui-même
réduit à chercher quelque part une demeure.
Ce prélat logea surtout en deux communau-
tés religieuses, celle du Sacré-Cœur, rue de
Vareunes, et celle de Saint-Michel. Dans
celte dernière maison, où il a séjourné d'a-
bord et longtemps (ce qui valut à l'établisse-
ment visite et vexation du commissaire de
police du quartier), i! était accompagné de
son vicaire général, l'abbé Desjardins, qui
y mourut, et auprès duquel nos affaires nous
ont souvent appelé nous-merne dans l'iu-
lérieur du couveut.
Aujourd'hui la maison de Saint- Michel;,
toujours dans un état prospère et édifiant, a
pour supérieure la révérende mère "*, ap-
pelée de retablisseme-.it de Sa ■nl-Brieuc.
C'est à cette dame pieuse et méritante que
nous avons obligation d'une partie des fats
historiques consignés dans c-t article addi-
tionnel.
La maison de Guingamp, d'où était venue
la colonie de Paris, était connue sous le nom
de Monlbareil, et elle continua ses œuvres
charitables jusqu'à l'époque de la première-
révolution française. Les religieuses qui
l'habitaient furent expulsées de cet établis-
sement le 2 octobre 1792, et reçurent dé-
fense de se réunir ailleurs. Cependant, après
quelques années, oa permit à quelques-unes
de se réunir à Quinlin. Elles conservaient
le désir et longtemps gardèrent l'espérance
de rentrer dans la maison de Monlbareil.
Vivant sans clôture, elles édifiai nt la ville
en convertissant quelques filles égarées et
donnant l'instruction aux petits enfants des
deux sexes dans un local spécial à chacun.
Les habitants de Qùinlia, ayant acquis par
souscription leur ancien couvcnld'Ursulines,
l'offrirent au? religieuses do Monlbareil, qui,
gardant leurs espérances, refusèrent et en-
gagèrent même les Ursulines à le reprendre,
promettant de les seconder et d'aller même
prendre leur demeure provisoire dans leur
couvent restauré, en y louant des cellules ;
ce que l'une fil immédiatement, ce que les
autres auraient fai!, si la Providence n'avait
conduit ailleurs leur existence et l'exercice
de leur zèle, de la manière que nous allons
f.iire connaître.
M. Cafarelli, évêque de Saint - Brieuc ,
voyant des commuuauiés se restaurer dans
son diocèse, était peiné de n'en point avoir
dans sa ville épiscopale, et fil, avec raison,
des efforts pour y en établir. Ces efforts se.
portèrent d'abord du côté des Ursulines, et
il traita avec la H. M. Mélanie de Ken . mi,
femme expérimentée, qui s'aperçut bientôt
que le prélat ne s'entendait guère aux éta-
blissements de religieuse^ et qui, pour ne
pas se compromettre avec lui et fuir la su-
périorité qu'il semblait lui destiner, s'abré-
gea, ainsi que sa sœur, à la communauté
de Quimperlé, déjà rétiblie. Néanmoins le
prélat, qui du moins n'était point impérieux
et conservait toujours le même désir, fit
tentatives du calé des dames de l'aneienne
maison de Monlbareil. La maison des sœurs
de la Croix de Saiut-Brieuc avait été vendu:-
comme propriété nationale. Un acquéreur
était disposé à en revendre un tiers, qui fai-
sait sa portion; les anriennes propriétaires
ne voulaient et ne pouvaient point se cou-
tenier de celte portion rétrécie. Sur le refus
des sœurs de la Croix et même sur leur invi-
tali m, les religieuses de Monlbareil, de con-
cert avec M. Cafarelli, rachetèrent celle p r-
lion de maison el s'y établirent, voyant
qu'elles n'avaient plus l'espérance de ren-
trer dans leur ancienne propriété , qui
pourl ial n'avait point été vendue. Celle
acquisition n'eut lieu qu'après des diffi-
cultés nombreuses et au bout de p'u-
sieurs années de tentatives. En atten-
dant l'achat de celte maison ou de toule
autre, les religieuses venues de Qui111'»
prirent à loyer une maison où elles pas-
sèrent deux ans et firent leurs premières
élections. Le Sftseptembre 1808, elles s'y
trouvèrent au nombre de douze, les premiè-
res étaient arrivées quelques jours aupara-
vant; le 11 octobre leur oratoire fut bénit
par M. Floyd, el oa y laissa le saint sacre-
ment. Les élections eurent lieu le dimanche
21 novembre suivant. Elles lurent précédées
di quelques difficultés élevées par l'évoque,
q-ii, croyant, po;;r ainsi dire, aveu affaire à
des demoiselles séculières pieuses, qu'il au-
rait à façonner à ia vie religieuse, voulait
leur donner un habit uniforme, noir, avec
une petite coiffure comme celle des veuves
du pays. Elles n'y voulurent point consentir
et rappelèrent qu'elles avaient un costume
de leur ordre, qu'elles prendraient quand
c les p luiraient garder la clôture; car elles
allaient aux offices des églises, el lecoslumc
mo. iastique blanc était trop saillant aux
yeux des habitants de Saint-Brieuc, qui n'a-
vaient jamais eu de rel gieuses vêtues ainsi.
L'évêquc éleva d'autres difficultés sur les rè-
gles et la rénovation des vieux, et leur de-
m ind.iit un abrégé ck leurs constitutions. Les
sœurs lui montrèrent le livre même des con-
stat ;ii;, us, disant qu'elles s'y conformeraient
en tout ce qui serait possible. Non, point cela,
disait l'évêque ; réduisez-les à un abrégé;
dites quel sera l'ordre el montrez-moi la
règle que vous vous prescrire/, et je l'ap-
prouverai. Les sœurs voyaient qu'il no con-
cevait pas ce que c'était que des religieu-
ses. Malgré la peine qu'elles en ressentaient,
elles firent un certain règlement des exerci-
ces selon les constituions, le montrèrent à
l'évêque, qui s'en conlentael y fit ajouter une
formule de renouvellement des vœux, qui le
reconnaissait comme supérieur •immédiat el
1149
NOT
NOT
um
lui faisait promesse d'obéissance ; car il vou-
lait cette obéissance des religieuses. Celles-
ci y consentirent, mais avec peine, craignant
avec raison que l'évéque, partant de celle
autorité excessive entre ses mains, ne les
oblgeât ou à quelques charges qui ne se-
raient point de leur profession, ou à demeu-
rer dans le petit local qu'elles occupaient
provisoirement.
Elles firent à leur tour des objections et
représentations fondées, nec^nsenlanl à faire
des vœux que pour un an, lesquels encore
n'auraient que le sens donné par leurs con-
stitutions. L'évéque, apaisé par la sœur
Sainte-Scolasliqne, consentit, malgré la peine
qu'il éprouvait. A la cérémonie des élections
le- religieuses priicnt leur costume monasti-
que et se tinrent dans la salle attenant à
l'oratoire. L'évèjue, entrant avec des ccclé-
siasliques, fut frappédece spectaeleinatlcndu
qui lui causa de la joie el une sorte du res-
pect pour les religieuses. Les suffrages se
réunirent en faveur d.' la mère Corbel, dite
Marie de Sainte-Scolaslique. Celait elle qui
avait eu le plus de part aux. soins, aux dé-
marches qu'il avait fallu faire peur l'établis-
sement de l'institut à Saint-Brieuc, el la re-
connaissance de ses sœurs lui donna, ainsi
qu'à l'autre triennal, cette marque de con-
fiance, quoiqu'elle n'eût ni l'instruction ni
l'expérience nécessaires pour cette haute
position, el elle s acquitta fort bien de ses
obligations. La maison que la petite com-
munauté tenait à loyer appartenait à l'esti-
mable famille Sebert, qui montra les meil-
leures dispositions en faveur des religieuses,
les secourut de ses services et de ses au-
mônes, leur donna une de ses filles pour pos-
tulante (la deuxième du nouvel établisse-
ment), el mérite d'être signalée ici à la re-
connaissance du diocèce île Saint-Brieuc.
Cependant les religieuses, logées étroite-
ment, soupirant toujours aprè^ Monibareil,
sollicitées par leurs s rurs des maisons de
Vannes (à la Chartreuse) et de Renne-, pen-
saient à se réunir aux premières et tramaient
seules leur petit complot, quand un jour un
jeune ecclésiastique du diocèse, M. l'abbé
Tresvaûx, devenu depuis grand vicaire el
officiai, el actuellement chanoine de Notre-
Dame de Paris, ayant eu communication de
leur projet, en prévint l'évéque, qui se hâla
d'ouvrir une souscription dans son chapitre,
el engagea immédiatement la communauté à
conclure l'achat de la maison des sœurs de
la Croix, où elles sont aujourd'hui, ainsi que
nous l'avons dit. Elles y entrèrent le lundi
des Rogations de l'année 1810. Le 29 décem-
bre 1812, elles donnèrent l'habit à leur pre-
mière postulante, et ce jour est celui qu'elles
prennent pour dale ce l installation dans
l'établissement. La veille, l'évéque avait dit
la première messe à l'église qu'oa venait de
racheter d'un au'.re acquéreur. Tout ce jour,
le zélé prélat n'avait cessé d'y travailler,
allant jusqu'à prendre le rabol pour faire
avancer l'ouvrier qui metta l (aux frais de
l'évéque Iui-mcme)«Jes bagucllcs dorées aux
deux tableaux Mu retable.
La maison de Rennes, comme on l'a vu
dans le texte d'Hélyot. était une des pre-
mières fondations de l'ordre. Elle sera la
dernière dont nous rapporterons la restau-
ration avec i] elques dél ils. Celle restaura-
tion esi due au zèle de la mère Helliani d'Au-
S.erteuil. dite Marie de Sainte^Eugénie, et
connue à Rennes sous le nom de la mère
Eugénie. Nous avons entendu dire dans
celte ville que la maison de Sainf-Cyr lui
avaitéléaccordccparBuonaparteà l'occa ion
d'un berceau riche el précieux, travaillé ar
les soins et les mains de la mère Eugénie, cl
envoyé par elle au roi de Rome. Mais il esl
impossible qu'il en ait été ainsi, car le pré-
tendu roi de Rome naquit en 1811, et la mère
Eugénie habitait dès lors, el depuis plusieurs
années, la maison de Sainl-Cyr. Cette mère
Eugénie, que nous avons vue nous-méme,
n'avait pas, dit-on, tout ce qu'il fallaitde pru-
dence et de tact pour le succès de l'œuvre à
laquelle son zèle l'avait portée, etqui a pour-
tant réussi. L'ancien établissement des reli-
gieuses de Notre-Dame de Charité, à Rennes,
était celtemaison ditede la'J'rnité, située près
de la cathédrale, rue de la Monnaie, dans la-
quelle des prélres fidèles furent incarcérés
pendant les orages de la première révolu-
tion, laquelle fut depuis, jusqu'en 1820, le
graud séminaire diocésain, où nous avons
pris nous-méme l'habit ecclésiastique. Celte
maison aujourd'hui esl entièrement détruite,
et ie lieu qu'elle occupait est une rue et une
place publique. La maison de Saint-Cyr, à
l'extrémité d'un faubourg , était l'un des
deux monastères que les Calvairiennes
avaient à Rennes. La mère Eugénie se pro-
cura donc cette maison; mais ses anciennes
compagnes, effrayées des dettes qu'elle avait
contractées et choquées du titre de fonda-
trice qu'elle avait pris ou obtenu, ne vou-
laient point se réunir à elle. M. Enoch, évé-
que de Rennes, pour consolider l'établisse-
ment, s'adressa et demanda une religieuse à
l'im/ératrice mère et au cardinal Fcsrh.
Ceux-ci voulurent que la religieuse qu'on
cm errait à Rennes lût tirée de la maison de
Paris, à laquelle en conséquence l'évéque eu
fil la demande.
M. l'abbé d'Astroa donna obédience pour
celte translation à la mère d'Epry, dile mère
deSaiule-Pelagie, qui reçut aussi une accep-
tation et permission de l'évéque de Rennes,
qui la nommait supérieure dans une céduic
do: t nous avons vu la teneur. La mère
Sai nie-Pélagie trouva la maison dans le plus
graud dénuement el endettée de 32,000 IV.
Elle ne perdit point courage, et s'adressa au
préfet du département, qui lui alloua un se-
cours. L'impératrice mère lui donna aussi
une aumône, el Bunnaparte, sur le vu d'une
requête, alloua sur le budget des cultes uu
secours annuel de 4,000 fr. , continué jus-
qu'à ce jour el doublé. Les sujels ne venaient
point augmenter la communauté; la restau-
ration des Bourbons, qui fut une occasion
d'élan à tant d'autres établissements, ne Dt
aucun mouvement sensible ou stable à celui
de Reuues, Cependant, nous voyons dans le
1151
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
115Î
tableau des associations de charité qui dépu-
tèrent au chapitre général convoqué par dé-
cret du 30 septembre 1817, que les Dames
du Refuge de Rennes sont au nombre de
douze; qu'elles demandent la ?naison de Saint-
Cyr pour leur établissement , vu qu'elles
payent le loyer de la maison qu'elles habi-
tent... Quoi qu'il en soit, les sujets man-
quaient à cet établissement. On enfit venir de
la maison de Caen, en 1818, et nous vîmes,
à Louvigné-du- Désert, la colonie de quatre
religieuses qu'on envoyait, et qui se retirè-
rent au bout de quoique temps. D'anciennes
religieuses de la maison de la Trinité con-
sentirent à se réunir à Saint-Cyr, et propo-
sèrent à la mère Sainte-Pélagie de faire une
élection. Celle-ci leur répondit qu'elle était
supérieure et qu'il n'était pas nécessaire de
faire une élection. L'évêque de Rennes, qui
était alors M. Charles Mannay.se mêla de
l'affaire, et la mère Sainte-Pélagie demanda
son retour à Paris, où elle revint le 20 jan-
vier 1821. On fit revenir à Saint-Cyr quel-
ques mères de la maison de Caen, quelques
anciennes de Rennes se réunirent à elles.
M. Mannay les installa solennellement, re-
çut la rénovation de leurs vœux, et M. l'abbé
Garnier, son grand vicaire, depuis évêque de
faunes, fil un beau discours à cette cérémo-
nie, dont nous fûmes témoin, et dans la-
quelle nous remarquâmes que la mère lui-
génie ne renou\ela point ses vœux. Les reli-
gieuses de Rennes élurent pour supérieure
la mère Vauquelin, dite de Saint -Am-
broise, et depuis lors leur maison, qui nous
avait paru si dénuée, a obtenu un étal pros-
père.
Enfin, la quatrième maison nommée par
le P. Hélyot est relie de Vannes. M. l'abbé
Deshayes , mort supérieur des Mission-
naires de Saint Laurent-sur- Sèvre , et si
connu par son zèle et ses bonnes œuvres,
les réunit, après la révolution, à la Char-
treuse près d'Auray, où il était alors curé.
En 1811, un décret impérial approuvant la
maison de Saint-Brieuc dont nous avons
parlé, fut refusé à celle de la Chartreuse,
qui se dispersèrent celte année-là, parce que
M. Deshayes, voulant que la maison prit
soinjdes sourds-muets, exigeait que les jeu-
nes religieuses missent tout leur temps à
l'étude des sciences qui les rendraient aptes
à cette bonne œuvre. Cinq des religieuses
se retirèrent à Saint-Brieuc. L'ordre de No-
tre-Dame de Charité est aujourd'hui bien
plus étendu qu'a:itrefois. Outre les maisons
de Caen, de Rennes et de Guingamp (à Saint-
Brieuc), de La Rochelle et de Tours, qui ont
été rétablies, 1'inslilul a aujourd'hui des
établissements à Toulouse , à Nantes , à
Lyon, à Versailles, à Marseille, à Valence,
à Besançon, à Blois , à Monlauban et au
Mans.
Nous croyons ces trois derniers plus nou-
veaux que ceux qui les précèdent. Le mo-
nastère de Tours a envoyé une colonie à
Angers ; mais cet établissement d'Angers,
connu sous le nom de Maison du Bon Pas-
leur d'Angers, s'est séparé des autres, s'est
constitué chef-lieu d'une nouvelle branche,
avec généralat dans la personne de la supé-
rieure d'Angers, et une légère modification
dans le costume. Le pape a approuvé cette
congrégation nouvelle, qui a eu une prompte
extension et dont nous dirons l'histoire dans
notre Supplément ; mais les anciennes mai-
sons tiennent à ce qu'on fasse bien la dis-
tinction qu'il y a entre elles et la famille
d'Angers. La nouvelle fondation du Mans
était de la filiation d'Angers; mais elle a
quille celte observance particulière pour ren-
trer dans la corporation des anciennes mai-
sons, avec lesquelles elle a établi la corres-
pondance commune.
Cette correspondance est un usage qui de-
vrait être établi entre les maisons des autres
ordres. Les maisonsdeNolre-Dame deChariié
s'écrivent les unes aux autres des lettres
dont nous avons vu un très-grand nombre,
et y consignent tout ce qui se passe d'inté-
ressant dans leurs maisons. Le recueil de
ces lettres, s'il était donné au public, forme-
rait un volume à la fois édifiant et épiso-
dique.
C'est un grand avantage pour l'ordre de
Notre-Dame de Charité que d'avoir, ainsi
que les Eudisies, propagé le premier la
dévotion au sacré Cœur de Jésus et aupara-
vant la dévotion au sacré Cœur de Marie,
aujourd'hui si répandue parmi les fidèles,
et qui fait l'espérance qu'ont les hommes
sensés et religieux de voir la foi se mainte-
nir en France au milieu «le tant d'or.iges.
Annales manuscrites de l'ancienne maison
de Paris. — Item de la nouvelle. — Rensei-
gnements fournis par la révérende Mère "*,
supérieure de la maison Saint-Michel, à Pa-
ris, professe de la maison de Saint-Brieuc.
— Mémoires de philosophie, d'histoire, dt
morale et de littérature, tome IV. — Corres-
pondance de plusieurs communautés de l'or-
dre. — Histoire manuscrite de la maison dt
Saint-Brieuc. B-d-e.
NOTRE-DAME DE SAINT-PAUL (Religieu-
ses Bénédictines Réformées de) , prés
Béarnais, avec la Vie de de la R. M. Made-
leine d' Escoubleau de Suurdis, leur réfor-
matrice.
L'abbaye de Notre-Dame, communément
appelée de Saint-Paul à cause qu'elle esl si-
tuée dans un village de ce nom à une lieue
de Beauvais, est une des plus anciennes et
des plus célèbres de France. Elle fut fondée
par Chilpéric, roi de France, vers l'an 580.
On ne sait rien des premières abbesses qui
l'ont gouvernée jusqu'en l'an 662, si ce n'est
que sainte Angadresme y fut envoyée par
saint Onen, archevêque de Rouen, pour en
être abbesse; et on n'esl pas mieux instruit
de ce qui est arrivé à cette abbaye depuis la
mort de cette sainle, qui arriva l'an 697,
jusqu'en l'an 860, qu'elle fut entièrement
détruite par les Normands, dont les reli-
gieuses évitèrent la fureur et la barbarie en
se réfugiant dans la ville de Beauvais avec
le corps de sainle Angadresme. Comme il n'y
avait point d'apparence de les yoir bientôt
1153
NOT
NOT
1154
rétablies, Eudes I", évoque de Beauvais,
voyant que les seigneurs voisins et autres
personnes séculières s'emparaient tous les
jours des biens de cette abbaye, demanda la
jouissance de ces biens au pape Nicolas l"'
et au roi Cbarles le Chauve, alin qu'ils fus-
sent unis et incorporés à la mense épisco-
pale; ce qu'il obtint l'an 863, à condition
néanmoins qu'il uourrirait et entretiendrait
les religieuses sorties de ce monastère, et les
rétablirait le plus tôt qu'il lui serait possible.
L'evèque de Beauvais , ayant accepté ces
conditions, se mil en possession du revenu
de cette abbaye, sans aucune opposition de
la part des religieuses. 11 en disposa comme
de son propre; ce que firent aussi ses suc-
cesseurs, sans songer à la réparation ni au
rétablissement de ce monastère, quoiqu'ils y
fussent obligés; mais Drogon étant monte,
dans le xc siècle, sur ce siège épiscopal, fit
travailler en diligence au rétablissement de
ce monastère, et lui rendit tous ses biens,
avec le village, de Saint-Paul. La première
abbesse de ce nouveau monastère fol une
sainte fille appelée lierlhe, qui y établit les
observances régulières. Elles, y furent main-
tenues par celles qui lui succédèrent, et il
s'y présenta un si grand nombre de filles
dans la suite, pour y prendre l'habit de
l'ordre de Saint-Benoit, que ce monastère de
Saint-l'aul n'étant pas suffisant pour les
contenir toules, on bâtit qua're prieurés, où
on envoyait des religieuses qui étaient tou-
jours soumises à l'abbesse de Saint-Paul. Le
premier fut fondé à Pummereux, le second à
Ezenuille près de Paris, le troisième à Sainte-
Bove-aux-Champs, et le quatrième à Eplu-
ques. La clôture fut établie à Saint-Paul par
Pernelle ou Petronille de Coudrène, qui avait
été élue abbesse l'an H69; elle dressa aussi
des constitutions qu'elle fit approuver et con-
firmer par Jean de Bar, évèque de Beauvais;
mais il y eut des abbesses dans la suite qui
négligèrent de les faire observer. La clôture
ne fut plus gardée, et si de temps en temps
il y avait quelques abbesses qui rétablis-
saient les choses, il en venait d'autres qui
les détruisaient. Cependant les desordres ne
furent pas si grands dans cette abbaye que
dans une infinité d'autres, où les religieuses
menaient une vie toute séculière. Mais sous
le gouvernement d- Charlotte dé Pellevé,
nièce du cardinal de ce nom, le monastère
ayant beaucoup souffert par la famine qui fut
presque universelle vers l'an 1580, et ayant
été brûlé deux fois par accident et une fois
par la fureur des soldats du comte de Bein-
grave, les religieuses furent obligées d'en
sortir pour aller chez leurs parents, où elles
ne s'embarrassèrent guère des observances
régulières. Mais Madeleine d'Escoubleau de
Sourdis, qui succéda à Charlotte de Pellevé
l'an 1596, rétablit dans ce monastère la par-
faite observance et remit cette abbaye pres-
que dans le premier état de sa fondation.
Madeleine d'Kscoubleaiïélait fille de Fran-
çois d'Escoubleau, marquis d'Alluis, gou-
verneur de Chartres, premier ecuyer de la
grande écurie et chevalier des ordres du roi,
et d'Isabelle Babou de la Bourdaisière. Elle
naquit comme par miracle, lorsqu'on la
croyait étouffée dans les entrailles de sa
mère, qui, accouchant au septième mois de
sa grossesse et épuisée de forces par ies
grands efforts qu'elle avait faits pour mettre
au monde une autre fille dont elle était
grosse en même temps, fit désespérer que
celle-ci pût venir à bon terme, d'autant plus
qu'il y avait déjà un jour que la première
était née sans qu'il y eût aucune apparence
favorable pour la seconde. Dès l'âge de sept
ans elle fut envoyée à l'abbaye de ISeaumont,
sous la conduite de sa tante qui en était
abbesse, et qui l'éleva jusqu'à l'âge de seize
ans, qu'elle fut nommé • pur le roi Henri IV
à l'abbaye de Notre-Dame de Saint-Paul près
de Beauvais. 11 y eut à ce sujet quelques di-
visions dans celte maison, où des religieuses
prétendaient maintenir le choix qu'elles
avaient fait d'une religieuse d'entre elles
pour abbesse; mais tout fut pacifié à l'arri-
vée de Madeleine d'Escoubleau de Sourdis,
qui prit possession de cette abbaye le 11
avril 1596; elle y fut reçue avec beaucoup
de joie par toutes les religieuses qui étaient
naturellement portées à la parfaiie obser-
vance et aux exercices de leur profession;
mais comme celte nouvelle abtiesse n'avait
encore que l'habit de novice, elle ne prit
l'administration du temporel qu'au mois de
septembre suivant, qu'elle fit sa profession.
Quoiqu'elle n'obtint ses bulles que cinq ans
après, à cause de son jeune âge, elle ne
laissa pas de conduire cette maison, lant pour
le spirituel que pour le temporel, sous la di-
rection de l'évéque de Beau.vais : sitôt qu'elle
eut ses bulles et qu'elle eut été bénie par
Henri d'Escoubleau de Sourdis, évéque de
Maillezais, son oncle, elle travailla, par le
conseil de ce prélat et du cardinal de Sour-
dis, son frère, à remettre en vigueur dans
celle maison la parfaite observance des rè-
gles; elle fut beaucoup aidée dans celte en-
treprise par les Pères Bénédictins réformés
de la congrégition de Saint-Vannes et par le
P. Ange de Joyeuse, capucin, aussi bien que
par le P. Honoré de Champigni, du même
ordre. La clôture y avait déjà été réiablio
par ses soins, malgré les oppositions tint du
dedans que du dehors; ainsi il ne restait plus
qu'à réiormer quelques abus qui s'étaient
glissés dans les observances régulières. Elle
commença par remettre l'usage des chemises
et des draps de serge aussi bien que celui
de dormir avec l'habit : elle rétablit le tra-
vail en commun, qui commença à se faire
dans sa chambre en silence, après lequel
elle ne manquait pas de leur faire une exhor-
tation pour les animer à la pratique de la
règle. Elle établit les matines après minuit,
suivant l'ancienne pratique de celte maison.
Elle s'étudia surtout à faire célébrer 1 office
divin avec l'honneur et la majesté convena-
bles ; et elle ôta certains privilèges d'exemp-
tion par lesquels les religieuses prétendaient
avoir droit Je se dispenser certains jours de
matines et des heures canoniales. Elle re-
trancha aussi les abus des conversations se-
Il: 55
DICTIONNAIRE DES ORDRES RELIGIEUX.
11S6
eulières dans les tours et dans les parloirs,
qu'elle fit fermer le jour et la nuit, afin que
personne ne parlât sans sa permi-si ■'•'■
Quant à l'abstinence perpétuelle île lu ViaiHÎe,
eîle avait dessein de l'introduire; mais elle
on fut dfe'WffadfcG par l'évéque de Beauvais et
par quelques autres personnes qui lui con-
seillèrent d'en permettre l'usage In is fois la
semaine, tant à cause de la éérictftcsse et de
l'm'Tmité de la plupart des religieuses de sa
c mmunauté, qui HvufFrMent beaucoup de
l'air incommode et malsain de leur monas-
tère, qu'à cause de la difficulié qu'il y avait
d'avoir du poisson pour le grand nombre
qu'elles étaient.
Il y avait encore à réformer l'habit que
l'-Oft y portait depuis cent ou -iv-viiigts ans,
qui consistait en un surplis d toile noire
pur-dessus la robe (1). Quelques religieuses
s'opposèrent fortement à ce changement;
•l'évéque île Beauvais ne l'approuvait pas
110:1 plus, mais elle suniio. ta encore toutes
ces difficultés et lit prendre à ses religieuses
l'habit quiest commun aux autres religieuses
de cet ordre, qui consiste dans la robe, le
.'capulairc et la coule. Enfin elle n'::utit rien
pour faire revivre l'esprit de saint Benoit
dans son abi aye, en en Retranchant les abus
({) Voy., à la fin du vol., n° 2'j9.
qui s'étaient glissés durant le malheur des
guerres. Elle fi! dresser un formulaire d' s
constitutions qu'elle fit observer à la lettre,
après les avoir fait recevoir par la commu-
naulé, qui s'engagea à ne faire jamais aucun
changement dans la pratique de tout ce qui
y était < ont< nu. Cette acceptation se fit le 10
février île l'année 1660. La saintelé de ces
religieuses se répandit de tous côtés; plu-
sieurs supérieures de différents monastères
prièrent l'abbesse de Sainl-Paul de leur en-
voyer de ses filles pour y rétablir la régula-
rité : ce qu'elle accorda à quelques-unes,
entre autres à celles de Sainte-Austreberte,
près de Montreuil, et de Saint-Amand de
Bouen. Elle envoya aussi les règlements qui
avaient é.é fails pour le bien de son monas-
tère aux âbbesses de Ville-Chasson, de Neu-
bourg, de Bcllefonds et de quelques autres
monastèr. s qui ies avaient demandés. Enfin
l'abbesse do Saint-Paul, après avoir gouverné
ce monastère pondant soixante-neuf ans, et
y avoir établi une parfaite obsenance, mou-
rut le 10 avril IC65, étant âgée de 83 ans.
Cironiq. générai, de Contre de Saint-Be-
noît, tom. VI.
: OTBE-^AL'VEUR. Voyez Sauveur.
NUYS. Viycz Y'al-Verd et Vindeseim.
ARTICLES ADDITIONNELS.
BERNARDINES (Religieuses).
Les religieuses Bernardines (^.suppri-
mées (Oniuie tous les au'res instituts , en
171)0, i .nt mis-, générait nient parlant, peu
do zèle à se rétablir en France. Nous
aurons à par er de la conservation do l'or-
dre parmi nous, puisque ies leligieuscs
de Port- Royal et celles do la Trappe en
font partie; mais de l'observance lotnmune
(\^ Cîteaux, il n'y a tout au plus que trois
eu quatre maisons, peut-être moins encore,
qui se soient reconstituées. Nous citerons
celle qui existe à Saim-Pail-aux-Bois , dio-
cèse de Soissons, et une autre au diocèse
de Cambrai. Celle-ci a été formée par 1rs
anciennes religieuses, de l'.ibbayeile Eliues.
En l'année 1824., elles tirent quelques tenta-
tives pour prendre la réforme de la Trappe.
L'évéque, quoique ancien constitutionnel ,
secondait leur désir. Une colonie de quel-
ques trappistes du monastère Sainte-Ca-
therine de Laval , s'y rendit sous la con-
duite de la mère Gerlrude, religieuse _ et
sœur de la supérieure de cette, dernière
maison. Des raisons particulières empê-
chèrent celle réforme, et les Dames Trap-
pistes revinrent à leur monastère de La-
val. Les Bernardines oui une maison à
Rome, dirigée par des prêtres séculiers;
elles en ont peu, croyons-nous, dans l'Ita-
lie; quelques-unes dans les autres con-
trées de l'Europe , et même en Angleterre,
puisque !e monastère des Dames Trap-
pistes appartient à cet institut. Il doit en
conserver quelques-unes dans les contrées
occidentales de la Russie , et même dans
les Etats autrichiens ; cependant nous n'en
trouvons aucune indiquée dans la statisti-
que des communautés de ce dernier pays,
que nous avons actuellement sous les yeux.
Nous terminerons ces additions par quel-
ques détails pailiiuliers sur là maison de
Saint-Paul-a x-Bo s. Cette maison fut for-
mée quelques années après le concordat,
par le zèle d'une ancienne Bernardine,
madame Pauline du Castel , qui s'associa
plusieurs de ses anciennes compagnes, et
qui gouverna sagement sa nouvelle com-
munauté jusqu'à sa mort, arrivée en l'an-
née 1835. Madame Stéphanie d'Alincourt
lui a succédé dans la place de supérieure.
Cette communauté était, en 1836, rom-|
posée de seize religieuses de chœur, huit
sœurs converses, et quatre postulantes. Elle
suit, avec la règle de saint Benoît, mitigée,
des constitutions approuvées par l'évéque
de Soissons, qui en est le supérieur.
(Notes recueillies passim, et d'un mémoire
fourni pur fa révérende iw're Stéphanie a" A.-
i \urt.) B-d-e.
(\) Voy. l'art. BenB*ftD«es, i >■> I '. çai. ii>3.
1157
A'RTiCU INNELS.
HSS
E COLES CHRÉTIENNES , et:. (1).
« En 1776, les Dames de Saïnt Maur
( e'o^t à-dire les sœurs de l'Enfanl-Jésus
dont ii est parié dans cet article ) furent
chargées du pensionnat (!e Lévknac , au
diocèse de Toulouse, établi sur le m'odèlb
de celui de Sàint-Cyr. L'institut comptait
environ cent maisons et six crnls sujets
en exercice à l'époque de 1789; la mai-
son chef-lieu jouissait alors de vingt mille
livres de renie. Mais nous ne devons pas
omettre que la congrégation primitive s'é-
tait parliigéc en deux, dont l'une, sous
ce nom de Dames de raint-Maur , s'élait
propagée principalement dans le Midi, et
nous en avons donné pour exemple leur
pensionnat de Lévignac ; l'autre, dite de
la Providence , avait formé plusieurs mai-
sons en Normandie et en Picardie. Mais ,
en 1791, les Dames de l'instruction chari-
table l'ure: t chassées de Ions lenrs établis-
sements, » {Histoire des Ordres religieux,
par M. Henrion , tom. II, p. 3j5.) Comme
celle mile congrégation a eu une existen e
nouvelle et p. irait être sur un nouveau
pied depuis l'année 1S35, nous lui con-
sacrerons un article spécial , dans le Sup-
plément, sous le titre de Dames de Saint-
M< ur, qui lui semble plus convenable
aujourd'hui, ou pins communément donné,
que le nom de Filles de l'Enfaht-Jésus.
Les sœurs de l' Enfuit-Jésus , qui s'élàîènl
fort répandues dans tous les quartiers de
Paris, étaient considérées comme une fonda-
tion de madame Bourdin , supérieure de tout
l'institut. Au milieu du dernier siècle, là
maison était composée de trente religieu-
ses, et elle senaitde noviciat à tous les
établissements des provinces. On n'exigeait
point de dot des sojels qui se présentaient ,
mais on leur demandait 1200 livres de
pension pour le noviciat, qui durait deux
ans , après six mois de postulat. B-d-e.
Fi; ANC! SC .UNS en général (2).
L'état où se trouvait le corps vénérable
de saint François d'Assise depuis sa mort
est resté longtemps inconnu. Une tradition
erronée faisait très-souvent écrire que le
saint fondateur était debout , les yeux fi-
xés vers le ciel , et dans l'altitude de con-
templation qu'il eût pu prendre pendant
sa vie. Voici ce qu'il y a de vrai sur son
inhumation et sur l'état de ses précieuses
reliques. Le corps de saint François avait
été mis duns une urne de pierre et in-
humé dans l'église Saint-George. En 1230,
deux ans après sa canonisation , il fut
transféré , par les soins du P. IUie , qui
n'éiait plus général alors , mais qui don-
nait à l'ordre toute fon intelligence et tout
son zèle; il fut transféré, disons-nous,
dans i'eglise i euve bâtie sous son invo-
cation. Dans la craitvte de voir so;i ins ilut
pri\ é par une spoliation quelconque de ce
I j toi/. Part. Ecoles chrétiennes, ci-dessus,
i , 1-2-2.
sacré dépôt , et de donner une occasion
d*> lonnem-nt aux esprits faibles, qui sa-
vaient que le corps de François était (le-
vé:, u flexible au moment de son décès,
mais qui ignoraient que depuis ce temps
il était entré en putréfaction , le P. Elie ,
par une précaution étrange , lit transférer
le corps dans l'urne, et le fil enleier, par
une violence simulée , par les bourgeois
d'Assise , qui expulsèrent tout le momie
de l'église et l'enterrèrent si secrètement,
qu'un" très-petit nombre connut la place
de cette sépulture dans l'église, et que,
ceux qui la connaissaient étant morts, per-
sonne ne sut vérit blemcnt où la cher-
cher. Le papei qu'on avait imprudemment
laissé dans l'ignorance de la précaution
dont nous venons de parler, fulmina con-
tre les prétendus coupables, mais on l'a-
paisa bientôt , en lui expliquant les faits
et leurs motifs. On doit en juger ainsi ,
puisque les Frères Mineurs ne quittèrent
pi efe église , quoique le souverain
peniife eût mis le couvent en in erd t ,
avec défense d'y tenir le chapitre général
de l'orde, jusqu'à ce qu'on lui eût fait
sa tsfaction.
Ces précautions tirent qu'après la mort
du petit nombre de témoins qui avaient
assisté à ces funérailles jusqu'à la fin ,
on perdit bientôt la connaissance exacte
du lieu où François avait été inhumé.
Aussi les anciens historiens de sa Vie se
contentent de dire en général qu'on con-
serve son corps dans l'église basse du cou-
vent d'Assise , sans rien désigner ni sur
l'état ni sur le lieu où il est.
Il faut convenir qui! est bien surpre-
nant qu'on ait attendu jusqu'à nos jours,
dans l'ordre poissant et fameux des Fran-
ciscains, à rechercher avec ardeur les reli-
ques du saint fondateur ! Paul V, en 1G07,
voyant les discussions qui régnaient entre
les religieux sur l'état de ces précieuses
reliques, défendit de faire aucune fouille
dans l'église et le couvent d'Assise pour
le^ tr. uver. En 1775, le P. Papinio , gé-
néral des Conventuels , Gt , avec la per-
mission du saint-siége , des fouilles qui
fuient sans résultat.
Après la chute de Buonaparte , en 1814,
les lidèles d'Italie reprirent l'habitude de
fréquenter le pèlerinage de Saint-François
à Assise, et on y en voit une foule considé-
rable à l'époque de la fêle de Notre-Dame
des Ailles, qui se célèbre le 2 août.
En 1818 , avec la permission du sou-
verain pont.fe Pie VII, le H. P. Joseph-
Marie de Bonis, supérieur général de son
ordre, fit fouiller de nouveau; el après un
travail opiniâtre , continué pendant cin-
quante-deux nuits , et ce en gardait le
plus grand secret, dans la nuit du 12 dé-
cembre 1818 , on découvrit , sous I autel
de l'église basse ( car il y en a deux su-
perposées, et non trois, comme plusieurs
^2) Votj. l'art. Franciscains , ci-dessus, col. 52G.
1159
DICTIONNAIRE DES
l'onl cru ) , le corps du saint fondateur. Il
fallait une reconnaissance authentique de
ces précieux restes. Le pape , qu'on in-
forma aussilôt de la découverte , nomma
une commission composée de l'évêquc d'As-
sise et de quatre évoques voisins de celte
ville , pour examiner et prononcer sur l'i-
dentité du corps de saint François. L'en-
quête eut le résultat désiré et prévu ; deux
miracles opérés par l'intercession de saint
François, dans ces circonstances, vinrent
encore ajouter à la certitude qu'on avait
constatée , et il ne put rester douteux
pour personne que les reliques qu'on avait
découvertes sous l'auiel d'Assise , où la
tradition plaçait celles de saint François ,
ne fussent les reliques de saint François.
On publia à Rome , aussitôt après la fin
de l'enquête, un mémoire, format in-4J,
d'environ deux à trois cents pages. M. l'abbé
Tresvaux , aujourd'hui chanoine de la mé-
tropole de Paris, ayant reçu du P. de Bonis
un exemplaire de ce Mémoire, en com-
posa, en l'année 1820, une traduction abré-
gée , qui est restée manuscrite. H est à
regretter qu'elle n'ait pas été donnée au
public ; il est vrai qu'une relation de la
découverte des reliques de saint François
se trouve dans la dernière édition de l'in-
téressante Vie de ce saint , composée par
le P. Chalippe.
L'ordre de Saint - François d'Assise est
peut-être celui qui a reçu dans l'Eglise le
plus d'extension même numérique ; il a
surpassé, croyons - nous , non - seulement
tous les autres instituts d'Occident , mais
même l'institut connu en Orient sous le nom
de Saini-Basile ; car eelui-ci est subdivisé en
plusieurs sociétés qui n'ont point le même
lien commun que les Frères Mineurs.
Ce genre spécial , connu sous le nom de
Mendiants , a amené une phase nouvelle
dans la vie monastique , et semble ne pou-
voir être strictement désigné que sous le
nom de vie religieuse, car il tient une sorte
de rang mitoyen entre les ordres tout à l'ait
monastiques et les sociétés régulières et
séculières qu'on vit surgir en Occident deux
ou trois siècles après lui. Celte phase nou-
velle est due au zèle des fondateurs, aux
besoins des diverses époques, au mouve-
ment particulier de l'Esprit-Saint, et non
pas uniquement à toutes les causes que
semble assigner , en parlant des Frères
Mineurs , un auteur estimable qui a écrit
dans ces derniers temps (1). Nous ne sa-
vons pourquoi cet écrivain instruit compte
au nombre des réformes des Franciscains
la congrégation des Silvcatrins , qui est
une réforme ou corporation dans Tordre
de Saint-Benoit.
Si l'ordre de Saint-François a subi les
conséquences naturelles à la faiblesse hu-
maine, en dégénérant de sa première fer-
veur, il est certain qu'il a dans tous les
temps, et même de nos jours, conservé
celte ferveur primitive en quelques unes
ORDRES RELIGIEUX. llf.O
de ses branches. Actuellement encore les
Clarisses, les Capucins, les religieux de
la reforme de Saint-Pierre d'Alcantara, etc.,
rappellent ce qu'était l'institut des Frères
Mineurs au treizième siècle ; et dans cha-
que province de l'ordre , on tient à con-
server, dit-on , au moins une maison de
récolleclion , où la règle est observée avec
plus de ponctualité. Ainsi, par exemple,
jusqu'à la suppression récente des ordres
religieux en Espagne , sous le règne d'Isa-
belle , des quarante-sept couvents que pos-
sédait la province des Observanlins de Mur-
cie ou Carthagène, il y avait sept ou huit
maisons de Kécollectins , c'est-à-dire de
religieux destinés à mener cette vie de ré-
colleclion.
Il y a encore dans la proiince de Gênes,
en Italie, cette subdivis:on de cette province
en custodies, comme on a vu dans le récit du
P. Hélyot que cela se pratiquait autrefois
dans les provinces trop étendues. Cette pro-
vince de Gênes est donc subdivisée en quatre
custodies; on assure que cette distinction
dans la même famille occasionne des intérêts
de parti dans les assemblées provinciales, ce
qui peul nuire à l'esprit de charité et à l'in-
térêt général. Il n'en faut être ni surpris ni
scandalisé; tel est le sort des choses que
traitent les hommes, et souvent cet inconvé-
nient est le fruit de bonnes intentions.
Aux détails donnés sur l'ordre entier par
le P. Hélyot, nous pouvons ajouter que les
Frères Mineurs eurent des établissements
considérables en Angleterre. Saint François
y envoya, en 12H), Ange de Pise avec huit
autres de ses religieux. Ils arrivèrent tous à
Douvres en 1220, et fondèrent un couvent à
Caulorbéri ; peu de temps après, ils en fon-
dèrent un autre à Norlhampton, qui devint
fort célèbre. Celui qu'ils avaient à Londres,
près de Newgale, fut fondé, en 1306, par la
reine Marguerite , seconde femme d'E-
douard I". 11 y avait une magnifique biblio-
thèque, qui avait été donnée aux religieux,
en 1429, par sir Richard Whillinglon, alors
maire de Londres. Lorsqu'on eut détruit les
monastères, on lit de celui dont nous par-
lons un hôpital où étaient élevés quatre
cents enfants , qu'on appelait les enfants
bleus. Nous ignorons si ce grand hospice
existe encore sur le même pied.
Les Franciscains avaient en Angleterre
environ quatre-vingts couvents , indépen-
damment de ceux des femmes de leur ordre,
qui, selon Tanner, n'étaient pas fort nom-
breux. La principale maison des Clarisses
était près d'Aldgale ; elle fui bâtie par Blan-
che, reine de Navarre, et par Edmond, son
mari, qui était fils de Henri III, frère d'E-
douard I", et comte de Lancasterde Leices-
ter et de Darby. Ces Clarisses étaient du
nombre de celles qu'on appelle Urbanistes.
Outre le nom de Clarisses, on leur donnait
encore le nom de Minoresses. On appelait
leurs couvents Minoriez. Lors de la destruc-
tion des monastères, celui des Clarisses dont
(1) Histoire des Ordres religieux, par M. Ilenrion, lom. 1er, liv. il.
Il RI
,\n u. t.ns .lOfiiTiONNELS.
11(12
il s'agit fut changé en un na^H-in d'armes.
Son nom est roslé à la partie île la ville où il
é>a t, et on l'a donné an\ nouveaux édifices
qui s'étendent usqu'à la campagne.
Pour connaître l'élal florissant dont jouis-
saient le- Franciscains en Angleterre, et le
nombre des grands hommes (]ify produisit
leur ordre, on peut consulter la bonne his-
toire de la province anglaise de ces religieux;
le P. Davenporl dans son Supplem. Historiée
provinciw Ani/licanœ , et Slévens, Monasd-
con Anijlicanuiii, loin. I. Cette ancienne pro-
vince fut rétablie par le P. Jean Jennings,
i;ui jeta les fondements du célèbre couvent
des Franciscains, à Douai, vers l'an 1617.
De tous les religieux de cet ordre qui ont
fait revivre en eux l'esprit de saint François
dans 'es derniers siècles, ou peut citer avec.
Godesrard le P. Paul de Sainle-Made eue
(Henri Hrarl), comme on peut le voir dans
sa Fie, qui a élé publiée, et dans ses écrits.
On a vu le chiffre auquel le P. Hélyot éle-
vait la totalité dis monastères de l'ordre des
Franciscains. Leur nombre était beaucoup
plus considérable avant la destruction des
monastères en Angleterre et dans les con-
trées du Nord. Sabellicus comptait en 13:-0,
quinze cents maisons de Franciscains, et
90,000 religiei x. il y a ici évidemment une
erreur i u moins dans le nombre des maisons
faite par le ciq >i«fC de Salellirus.
Aujourd'hui le nombre des maisons de
l'ordre esl lien réduit, et à dater des inno-
vations laites d n- le dernier siècle et sur-
tout des i évolutions dont l'Kurope a élé bou-
leversée dans ives derniers temps, l'institut de
Si-François a disparu de plusieurs contrées.
Il a peu de couvent-, même en Italie, compa-
rativement à ce qu'il yen possédait autrefois.
Fn France, il était fort répandu et y pos-
sédait les branches principales de l'ordre.
Leurs établissements étaient faciles à comp-
ter au moyen de diverses statistiques qui
avaient élé publiées, et M. Hermant, dans
son Htstoue des Ordres religieux, ni a fait,
comme pour les autres ordres qu'il a pu
connaître en délai! , rémunération cu-
rieuse, avec la date de leur fondation.
Le grand couvenl de Paris n'appartenait à
aucune province, il il dépendait immédiate-
ment du généial. G« couvenl avait élé fondé
vers l'année 1217. C'était, peur la France, le
collège général de l'ordre. Les nations étran-
gères y envoyaient autrefois des jeunes gens
pour les éludes. Depuis, il n'y avait plus que
les -culs Français d'admis, mais ils y ve-
ndent de toules les provinces du royaume.
On y faisait prendre le grade de docteur,
dans la faculté de théologie, à quatre sujets
par chaque licence, cl celle licence, comm:
nous l'avons dil nous-mêfne dans plusieurs
articles pub ies par les journaux , durait
deux années. Au milieu du dernier siècle, la
commun ailé était composée d'environ cent
vingt religieux ; ce nombre avait diminué a
l'approche de la révolution. Celle célèbre
maison esl aujourd'hui l'hôpital, dil de la Cli-
nique, rue et en face de Nicole de Médecine.
En conséqui nce des mesures que prit le
Dictionnaidu i>î;s Ordmcf rum&ieox. IL
g uvernemeul français sous I. ui< XV, me-
sures qu'avait amenées il que dnigea le,
trop fameux l'rienne, archevêque de Tou-
louse cl depuis cardinal, avec quelques au-
tres évoques presque aussi malintentionnés
et ausw méprisables que lui, plusi urs or-
dres religieux, menacés dans leur existence
(plusieurs périrent), tirent de nouvelles con-
stitutions, et les diverses branches de Fran-
ciscains subirent aus-i cette révolution, qui
amena le re àchement dans les ordres qui
ne fuient pis détruits. L'effet le plus remar-
quable de celle révolution funesl- fut. dans
l'ordre de Saint François , la réunion des
Conventuels el des Observantins en un seul
corps ; union que demandèrent les Obscr-
vanlins eux-mêmes, quoiqu'elle les portât
au relâchement. Nous raconterons celle
union des deux observances avec quelques
détails à l'article Observa xtins ; nous nous
bornerons ici à en consigner le résultat. Le<
Observantins avaient huit | ro vîmes eu
F'rance, et les Conventuels, trois seulement.
C'était aux Observantins qu'était donné le
nom de Cordeliers; il était général après l'u-
nion. Les Observantins se réunirent par dé-
putés, à Paris, en 1709, et les Conventuels a
Aix, l'année suivante. L'effet comme le but
de ces chapitres nationaux fut de faire inter-
venir, le 23juin 1770, un arrêt du conseil du
roi, ordonnant un chapitre national, com-
posé d'un député de chaque province des
Observantins, et de six députés pour les
trois provinces des Conventuels. Ce chapitre
se tint en effet, la même année, au grand
couvent de Paris, le 17 septembre et jours
suivants. On y adopta, sauf quelques chan-
gements, les conslitulions rédigées à Aix
par les Conventuels, et tirées des constitu-
tions urbaines. Deux députés lurent envoyés
à Home pour consommer l'union ; le P.
Pourret de la part des Convenfucis , le P.
Husson, de la part des Observantins. Ces
deux députés furent parfaitement reçus du
pape Clément XIV, ancien conventuel, et du
général des Conventuels, qui \ i l finir h
temps de son gouvernement précisément a
l'époque de leur séjour à Rome. Son succes-
seur, le P. Marzoni, auparavant p ocureur
général, fut élu le 18 mai 1771, cl le pape
présidi avec trois cardinaux l'assemblée où
se fit l'élection. Par une faveur qui doit pa-
raître singulière, le souverain pontife nomma
vocaux dans celle élection le P. Husson et
son secrétaire, qui suiïragèrent en effet,
quo:quïls lussent encore Observantins el
sous la dépendance du général de leur ob-
servance. L'union fui consommée dans les
séances subséquentes du chapitre général,
et le pape donna un bref confirmalif le "J
août suivant. Ainsi fut consommée cette
réunion des Observantins avec les Conven-
luels, el ce n'étaient pas ceux-ci qui l'avaient
recherchée. Celle affaire, qui montre a quel
point de relâchement étaient venus certains
instituts en France, surtout sous l'influence
de la commission des malheureux évoques.,
offrit plusieurs incidents et détails curieux;
nous en parlerons, disons-nous, plus Ion-
II6Ô
DICTiONNAIlUi OKS OllDRIiS RELIGIEUX.
IUU
Kiiuincnl à l'article Obsbrvawtins. Il no s
suffit de dire ici que l'habit cl les coutumes le
l'observance deSt-Françoisavaicnldisparu en
France avani la destruction des monastères.
Les conclusions de cette malheureuse com-
mission des réguliers dans l'édit porté en
1708, et confirmé dix ans plus lard, prest ri-
vant que tous 1-s monastères libres ne ren-
fermant pas seize religieux Ce chœur, et les
monastères liés à des congrégations n'en
renfermant pas huit ou neuf, seraient sup-
primés, ces conclusions disons-nous, ne fu-
ient pas rigoureusement suivies, caràl'o-
l'i>(|ue de la révolution plusieurs maisons,
dans tous les ordres, n'avaient que trois ou
lustre mij -Is. Les Franciscains, surtout
conventuels, et même des llccollcls, clc,
étaient dans ce cas.
Nous dirons tout de suito que l'assemblée
naiionale, Ayant détruit 1< s ordres religieux,
décréta, le 18 février 1790, que la pension
des .Mendiants serait différente cl au-dessous
de celle des rcii-iicux non Mendiants. Los
Cordeliers du grand couvent de Paris en-
voyèrent une ml. esse a l'assemblée natio-
nale. Dans celle adresse, qui a été impri-
mée, ils avouaient qu'ils se faisaient gloire,
il e.sl vrai, d'ê rc de cette classe de religieux
qui, établis pour prêcher l'Fvàngi'e et sans
autres fonds que la Providence, n'avaient
jamais eu défense, par leurs constitutions,
de posseiler des immeubles; qui au con-
traire en avaient , par la succession des
temps , suffisamment amassé pour donner
une honnête .subsistance aux religieux et
l'entretien des couvent-.. Mais, disaient-. Is, -i
rassemblée constituante appe lu Mendiants
uniquement les r ligieux qui vivent de quê-
tes, journalières, alors ils ne pouvaient, eux
Conventuels, su reconnaître dans cette caté-
gorie, puisque clic/ eux, comme chez I s
moines, chaque religieux, avant l'émission
de ses vœux, est affilié a une maison quel-
conque, et ce, sous peine de nullité des
vœux, chaque maison n'en prenant que ce
qu'el'c en peut nourrir. Leurs constitutions
anciennes el modernes, surtoul celles cme-
gislréesau parlement, en 1771, sont la preuve
de leur possession de biens immeubles, per-
mise ii'ailieurs au concile de Trente. Ils ajou-
taient que dans la déclaration de leurs bic s,
faite au mois dejanv or à la municipali é de
Paris, ils produisaient plus de trente mille
livres de rentes foncières, sans compter I i
partie de leur local occupée depuis le mois
do septembre par le bataillon soldé du dis-
trict qui p rie leur nom (District dis Vur<e-
tiers), cl dont le loyer pourra. t ère évalué
au moins à six in lie livres, el sans y com-
prendre d'autres rornus, éventuels a la vé-
rité, mais qui n'ont rien, disaient-ils, de
commun avec le produit de la quête cl de la
mon icité. C'est sur (0 qu ils sont reniés et
non Mendiants, qu'ils étaient compris au
nombre dvs contribuables dans les imposi-
tions du cl rgé, et que la ch imbre ecclésias-
tique du diocèse les a laxés, ajoulenl-ils. à
lu somme do 2M3 liv. 15 décimes. La maison
de Paris ne doit rien, son avoir surpassant
ses dettes de plusieurs mille livres, etc. Ce
raisonnement, bien que contestable au point
de vue canonique peul-êlre, avait pourtant
son poids devant l'assemblée, nationale.
Néanmoins nous croyons que l'assemblée at-
tachait au uo'ii de Mendiants le sens qu'on y
attache communément dans l'Eglise. L'a-
dresse dont nous parlons était signée du
lt. P. Claude-Agrèvo Lacombe, gardien, qui
a survécu à la révolution, et n'est mort qu'a-
près la restauration dos liourbous. Il avait
rétabli à Paris l'arehiconfréric du Saint-Sé-
pulcre, dont la légalité a souffert quelque
contestation. File était également signée du
secrétaire du chapitre, le P. Joseph Bour-
gade, que nous avons connu nous-méme, et
qui n'est mort qu'après la révolution de 1830,
élant aumônier de l'hospice de Uicêlrc.
A l'époque de la révolution, plusieurs
Franciscains cédèrent au mouvement du
jour, et l'histoire conservera le non scanda-
leux du P. Chabot, capucin. Eu revanche, on
trouve, à l'art, de ces religieux, un exemple
édifiant, qui empense largement ce fait isolé.
Au dernier siècle, les Franciscains oui
continué les servie s qu'ils rendaient à l'E-
glise dans le ministère de la prédication, de
la direction des consciences, ilt's missions à
l'intérieur et à l'étranger, et même de ren-
seignement. Ils ont fourni aussi à l'Eglise
des prélats, des cardinaux ; ils oui eu même
le triste honneur d'ajouler un cinquième
pape aux qualrc qui avaient clé jadis lire*
de leur corps, cl ce cinquième pape est le
P. tîangauelli, portant le nom de Clément XIV.
Il était de la famille des Conventuels, el il
eut la faiblesse de céder aux instaures qu •
la philosophie et l'impiété lui faisaient faire
par l'organe des primes, surtout de la fa-
mille des lt .m lion-, p mr l'abolition dos Jé-
suites. Depuis l'époque à laque le le P. He-
lyol s'est arrêté dans leur histoire, ils ont
conl nué de donner au ciel des saints et des
bienheureux, sortis des différentes branches
de leurs familles, cl à la tenu des cxeui] les
d'héroïsme et do perfection.
Ils avaient à Home, au dernier s ècle,
trois mai -uns d'Obscrvanlins, cinq ou peul-
êlre six maisons d'Oliservanlins réformés ;
une maison de Capucins ; quatre maison-,
plus un collège pour les missions d'Orient,
occupés par les Conventuels ; deux maisons
de religieux du tiers ordre; une maison de
réformé'' du tiers ordre; en somme dix-sepl
ou dix-huit maisons d'hommes : une d'Ur-
banistes ; deux de Capucines ; quatre de re-
ligieuses du tiers ordre; en lo'al, sept mai-
sons de fcmme3, sous la direction de prêtres
séi ulieis ; trois de Franciscaines de IV ser-
vancn, une de Capucines ; en tout, quatre de
fe mues, dirigées par les religieux de l'ordre.
Lu sqno le calme se rétablit en Fur.. p. ,
après les secousses révolutionnaires arri-
vées a la fin du dernier siècle et au comincn -
cernent de celui-ci, un grand nombre de mai-
sons de Franciscains, qui avaient disparu, se
rouvrirent el reçurent des sujets nouveaux.
L'ordre a des couvents actuellement, non-
sculemeut eu Italie, mais en différents Éla's
H05
sRTii :lks ajh):t:o'«>lls.
11C6
de l'Allemagne, du Nord, l.U que l'Angle-
terre, l'Irlande, la Hollande, la Belgique, etc.,
mais aussi en France et dans toutes les con-
trées méridionales. Il a des missionnaires
partout et aussi dans les pays protestants.
La Kossie, dans ses actes brutaux contre le
catholicisme, snas l'empereur actuel, a fait
ressentir ses injustices aux Franciscains
comme aux autres ordres religieux. Dans la
seule province do Moliilow deux cent vingt-
un monastères furent supprimés en 1832;
fur ce nomt're, il y en avait sept de Capu-
cins, cinq restèrent; trente-un d<* franciscains
de la commune observance, dix restèrent ;
deux de Franciscains réformés, un resta.
Il y a actuellement 7uG couvents dans
les Etats de l'empereur d'Autrirh", entre
lesquels on compte -2V7 maisons do Francis»
eains ; 98 de Capucin . Il y a aussi 157 cou-
vents de femmes, au nombre desquels sont
dix maisons d'Elisabéthines, cinq masons
de Franciscaines sis de Clarisses propre-
ment dites, deux de Capucines.
NuMe part l'ordre de Saint-François d'As-
sise n'avait été aussi florissant qu'en Espa-
gne, et, après les bouleversements dont nous
venons de parler, il s'élail rétabli au point
qu'on voyait dans ces derniers temps cent
reliuKux dans le couvent de Barcelone. Il y
avait dernièrement, si nous sommes bien in-
formé , quatre provinces d'Ob-.ervantins ,
distinguées chacune par la couleur de l'habit
des religieux. Ceux de Barcelone, que nous
venons de citer, étaient vêtus d'une tunique
bleue. Celte couleur parut nouvelle en
France, lorsque les religieux espagnols y fu-
rent transférés en qualité de prisonniers,
snus le règne de Baonaparte, car on ne con-
naissait point chez nous de Cordeliers bleus.
Les dispositions insensées prises par Fer-
dinand VII mourant ont amené en Espa-
gne le règne d'Isabelle et tous les malheurs
qui ont résulte de la régence lyrannique et
impie 'e la reine Christine. Un des coups les
plus sensibles portés à la religion a été la
destruction des ordres religieux, à l'eicep-
liufl des Ecoles Pies, conservées sans doute
paf le motif que nous avons indiqué ci-des-
sus à l'article de cet ins itul. Trois monastè-
res d'hommes on télé conservés pour pépinière
ou séminaire des missions étranger s ; or,
de ces Ircis monastères, deux apparl eonenl
à l'ordre de Saint- Augustin, un a l'mdre de
Saint-Do ninique. L'ordre de Saint-Fran-
çois n'a point été appiécié. Quand on chassa
les religieux de leurs asiles, il y a quelques
années , le syndic ou maire de la ville de
Zehegin conserva encore pendant six ou
huit mois les Franciscains de cette localité,
disant qu'il répondait du mal qu'ils pour-
raient faire. La ma. son qu'il maintenait
ainsi était de la province de Carthagène et
occupée par des Pères missionnaires; elle
était une de ces maisons de récollection que
nous a\oui mentionnées ci-dessus. Les M ur-
ciens vinrent brutalement la faire év..cuer.
L'ordre de Saint-François qui sert encore
1 Eglise d.m- les deux Amériques, dans les
missions orientales, dans le Levant, h tou-
jours l'insigne h >nneur de desservir l'égli-e.
du Sainl-Sepulcre, ou le gardien a les insi-
gnes pontificaux pour célébrer. Il a aussi
une maison à Bethléem.
On voit aujourd'hui à Borne le» supérieurs
des Observantins dont le corps est di>isé en
provinces u'tramontaines (aujourd'hui sans
supérieur, à moins qu'il n'ait été nommé de-
puis p'u) et provinces cisraoutaines, qui ont
pour ministre général le R. P. Joseph Ma-
rie d'Alexandrie de Sicile, et pour procureur
général, le P. Louis do Lorette. — Le supé-
rieur des Observantins réformés, qui est le
R. P. Ange de Locara, procureur général.
— Le P. N., procureur général des Réformés
de Saint-Pierre d'Alcantara. — Le supérieur
des Frères Mineurs conventuels, qui est le
R. P. Ange Rigoni; et leur procureur géné-
ra1, qui est le I'. Jean Ferrini. — Le ministre
général des Capucins, le P. Eugène de Ru-
melly ou doRumilli, et leur procureur gé-
néral le P. Louis de Baguaja. — Le général
des Franciscains du tiers ordre, le P. Ga-
briel Conlicel i , et leur procureur général,
le P. Sauveur (lucrri. L'ordro a aussi ac-
t el'cmenl à Borne quatre maisons de fem-
mes, dirigées par des prêtres séculiers; ce
sont les Clarisses Urbanistes; les Francis-
caines du tiers ordre; les Capucines; les
religieuses réformées du tiers ordre, a Sainl-
Ambroise ; et deux maisons, les Franci-rai-
i.es de l'observance et les Capucines, diri-
gées par les réguliers.
Eu France, dans les c mirées du midi,
quelques ermites portent le costume du tiers
ordre régulier de Saint-François; le tiers
ordre séculier eu conservé à Paris et en
plusieurs localités; il y a aussi en plusieurs
villes des maisons de Clarisses ou de reli-
gieuses du ti rs ordre ; nous avons vu à
l'article Capicins, que cette édifiante ré-
forme est aujourd'hui vivante parmi nous.
Ou a fait au si, depuis la restauration des
Bourbons, diverses tentatives pour rétablir
des maisons d'hommes des autres branches
de l'ordre. Vers 1S18, le P. Humberl, proje-
tant la résurre lion des Conventuels, publia
un petit prospeelus, qui excita la critique
des jansénistes dans le premier \olume
de la Chronique religieuse. Il n'avait pas,
croyons-nous, ce qu'il fallait pour ressusci-
ter l'institut, non plus qu'un laïque, M. Ti«-
sot, dit P. Ililarion, qui vécut, jusqu'en 1830,
avec quelques personnes auxquelles il fai-
sait porter l'habit des Bécollets. — Actuelle-
ment, sous li bienveillante protection do |
l'un des plus digues évéques de France, qui
comprend ce que vaut l'état religieux, Mgr
Parisi9, évéque de Langres, dont le nom es)
béni dans toute I Eglise, ou essaye de réta-
blir l'ordre de Si-François, à Montigny. A la
tête de cette entreprise méritoire esl notre
pieax ami, lcB.i'. Charles l'ouzzot, profès chei
les Conventuels de B me, en 1846. Si, comme
nous en avons l'espérance, Dieu bénit colle
palingénésiede l'ordre, nous lui consacrerons
un article dans le Supplément. B.-i>.-b
^^hjf^- -■— MMM— — ■■
I. — Ancien Ilé.ié.iitUn de l'aldi.iw
(!•■ -j.imï-1 : n >, ( it ; :; t! ni". :i ;ni
.C la ll.iliS'M..
V "•!. — Ancien Lîénédidin de l'aliliavt!
île Saiiil-Deilis, en lia; il de • hicur."
;Y j. — Uns ilahcrc il, D. u.i
M 5. — UeUgie^Hei « Mêler- «- o. _ 1 icirc de la Doclrine CJn
ii eo de la «.iigiççil ni. de la Divine tienne, en France.
I itu.cnce cl de bainl liemanl.
pi* 7. — Prêtre de la Doctrine Clire!-
li 'iin >, en lia! .
y s —Religieuse de l'ordre de hainl- N' 9. — Ucligieuse de l'ordre de Saîul-
l)mni'nii|iie, en habit orJ'maire dans Dominique, avec lu fihane.
ia ma son.
ï*i"lû. — Ancienne religieuse île Tordre N°ll. — Religieuse de l'ordre de Saint- • y \i, __ Ancien habillement «les Re-
lie Sàîïït l)oininii|!ie non réformée, Dominique du monitsière de Mont- ligieux île l'ordre de Saint- Douiini-
rfu monastère de S:iinl liai lliclemy, Il m y, en liabit d'hiver, ijiio, depnis leur établissement jui-
à Xw. en Provence. qu'en l'an 1 — 1 0 .
- \M\&.< m de r..rdreile Saint- h'U. — Itcligifui île l'ordre d<- Saint- V 1 =
iquo, en i itbil . rdinairc dais Dominique, av.c la chape noire.
— Kn'>r Convers de l'orJre de
S;ii i-l> miuiqw'.
K.— CheValter du Dragon Renversé. N* 17. — Chevalier de l'Aigle Blanche. N* 18. — Chevalier du Ttnin.
N* 19.— Religieux hospitalier il« N >ii
Dame de l'ivjlielle.
.' -0 — iY ie d - Kcoleg ( l.réli i nca iV il. — , Cl rc léfciuier [duvie «.u la
ei L:.a itab'es . fc .Vie <.c un u Uis Liu es l'.m^..
;-5sT
Sainl-
V '^ô. — Clicvalier c!e l'Ecu
.V 2t. — Chevalier de PElép''n!ii .-l 'e
Dar.cUpi; li en L'a.icuiark
!N* 2"». — An. innue
onlr.'Sclc fcaiiu V
CelU.
— Ilitspitiil ère du nién
dili- su ur de la Fallu
le l'Enfant Jésus.
In° 28. — Cliam.ii
t'e Saini-Jaupi
(le ville.
•".nu r
n.pn
'• r Ire l\* i9. — C anninc rfjMilier île I uni e
h i).i île Saiiil Jacqu s île IJKpée, en habit
N" 30. — lioligif u.~e chevalière île I'. r-
ilre île Sninl Jacques île |'K| é,-, eu
babil ordinaire'.
N" 31. — Religieuse chevalière de l'or- N" •>-■ — Chevalier île l'ordre de Saint- N" 33. — Chevalier de l'ordre de Saiot-
dre de Saml-Jacques de rEpée, en Jacques île l'Epée, eu Espagne. Jacques de l'Epée, en Portugal,
habit de iliœur.
h* 51. — Cheval er de l'Eperon.
N° 57. — Chevalier ,le l'ordre ilu S;ii»i- N" 58. — Ch m
Ks| rit en Fra-ice, en liabit de eéré lali
munie. ||
M. - C nu une régi. 1er çl liospi V 59. _ Chanoine régulier et hospl-
a i,;r .le ordre du Saint fcsprit, . n l:,1ier .1- l'ordre Jn Sai.n Esprit en
wi.it .le chœur, en liai c. habit .e ville, e.. II., | c
'- régulier et rmspi-
.1» S i. t-Ks .il ru
i ''e cœur l'Iuver.
N°'4i. IWligi ux du même or lie en N" 12. — Chanoine rog ilieret hospifa
France. I r .le l'ordre du S:iin!-F.s;iiil en
l'o ogne, m liahi| île i'1 inir, lait
I .. il' ijuu le < .
N* tt. — LleI}Oeuse h .spiiali. rc .1- V 41. — R.:ji.nVu«c ImspitaWre de N" 45. — Religieuse lin pilaliè.e do
l'ordre du Saiiu Espit ci n ail ai , l'ont e du Saw.l-'fe ril d ms le c itaWS l'nnlre du Sain -E;pr t, en ' al.u o. ■■
, e Ht» irgogne, en lia'j i o il iiaite dinaiiv.
J u, la niais ni
Esp:
dans le coliilè île !! ur
V ,0. — Religieuse du même ordre.
•17 — lU-ligieui éiliii.jiioii
V 18. — n -ligicui éthiopien, <!;• '"'"^'
lî i ii i Je l'abbé EuiiacUgcl
IV .9. — Religieuse étliïoj>leiitie.
N" 50 — Chevalier de lordre de Saint-
Etienne, en habit île cérémonie.
51. — i hiiprl.iin >iii même or. Ire,
en li.iiui ordùiaire.
N !jL - hère servant île .'ordre île LV 53.— Religieuse de Tour j de Saint- N*5£ — Religieuse de l'ordre de Saiii|
\ Saint- El e.ine. Etienne, en liabil ordinaire dans la Etienne, en lia! il d'' chœur
maison.
N" .'.8. — Religii u\ de Citraux de la N" M». — Krl'.gïrïix réfiirura de S;iin!- V (K). — Ke ig^oiix < on\ers, iki i. c:uc
rt lorme île Fcuillnns. Benii.nl, m H. lie. ir.Ij>
N° CI. — Religieuse Feuil'anie. N* 02. — .Moine de Foui-Avelano N° 05. — Moine de Foni- Avelane
avant le relâchement. âpre, le relùcii ment.
K* Gi. — H,
COU1
S. — Religieuse do FoM.ua, It, $' 65. — Religieux de Fontrvra II, N" 00.— Iteligi, u c de F nlcv-aull, e
JM.e flic.-, cDiinu Biftawjiii luenl. c .t.. me ils élaienl an, ie:i- crent. Iiut>it ordinaire dans- la maison.
V70.
-•Chevalier .!.• i'ordrà ics Fms. .V 71. - iîabillc.iicnl de ^aiui-Fraii- N° 72.:— Ancien liabjl
i,oi>, lire sur p!u«ieurs srijm-iu. ^ers, du temps ■ «
Br-
/
"75. — Chevalier 'tic l'ordre île (a i\ 7t. -*- Chevalier stii^iosc de ï'm\lr
glorieuse Vierge Marie. Je Frise
N" 76. — Ancien religi u\ de Fiililcs, N* 77. — Ancien religieux de Fiihles, V 78. — Chanoine régulier ilo la Con-
en lialùl ordinaire dans la maison, eu habitude chœur. grép^lion de Franco, en habit de
chœur 1,'élé.
V 79. — Chanoine régnlierde la ('on- N1 80. — Chevalier de l'ordre de Saint- N* 81.— Chevalier «le l'ordre de Saint
piégaiimi de France, en habit de Georges dans la Carinthie, en habit George», dans la Canulhie.
(lnnir l'hiver.
llCg'lSS.
N" 82. — Chevalier Couronné de l'ordre N" 83.— Chevalier supposé de i oiue N°
de Saint Georges, eu Allemagne. de Saint Georges, a Rome.
DlfT GHNA'.BK DF« DRDRtt M ï- fl VVX. 11.
. — Chevalier >le l'ordre de isalul-
Georges, à Ravejme.
38
iV 85. _ chevalier supposé de l'ordre IV 8b\ — Chanoine séculier Ue la Con- N 87. — Ancien chanoine séculier d«
de Saint-Georges, a Gènes. giégalion de Saint Georges inAlglta. l'ordre de Saint-Georges in Algha,
en Sicile.
h° 88. — Cheralier de l'ordre de Saint- N* 89. — Chanoine régulier de l'ordre IN" 90. — Religieuse de l'ordredeSainl-
Glréon. de Sainl-Gilhert de Simprlngham, Gilbert de Siinpringham, en Angle
en Ang'elrrre. terre.
N" Ul. — Sœur converse de l'ordre de N° 92,— Ermite (le Saint-Jean-Uaulisle N" 93. — Habillement de saint Etienne
Saint Gilbert de Simpringham, en de la Pénitence. de Grainmonl.
Anglel rre.
N" 9*. — tteligieux de l'i r.lre de Grand- fS"95 — Religieux de l'ordre 'le Grand- N* 98 — Religieux de Tordre de Grand-
mont, en habit ordinaire dans la mont, en habit de chœur. mont réformé,
maison.
.V f>7. — Hospitalière du tiers nrdia N° 98. — Hospilalieie du tiers m die N" 99. — Ancienne linsp'talière du
de Sa ii!-Franç"i-, <'.\'.e sœur Grise. de Saint-F; ai.çois, di:e sœcr Grise. tiers ordre ileSafnt François, à Mon?,
diie jceiir Gr se.
N. «00. — U(is|ii al ère lél'nrirée du ,V 101. — Chevali re de la H. die.
lieis (H-dreili- Saint l'i.nn, ,is,;t Mous,
d:Ceïfle<ir l'.ri-e.
V W8.-T!er« ,te lh.il. en iu.bU or- .V IW. - Y, rgc .le Hall, en h .bil<ta > "»- - Vi"'6« de &**■*»".
dîna re d;t is la .,;ai un. ville.
N" 109. — Religieuse de l'ordre de N° i 10.— Religieuse de l'ordre de l'As- N* 11 1.— Chevalier de 1 ordre del'Ours.
l'Assomption de INolre-Dame , en soniulioti de Nu ire- Dame, en Ualie.
France.
N" 112. — Colli.r de l'ordre de l'Her- N* 1 !">• — Collier de l'ordre d
mine.
e l'Epi. N" H4. — Religieux hospitalier de
l'ordre de la Charité de Saint-Hip-
nolyle.
h" H... — Ueugieuse hospitalière de lV 116. — Ancien religieux hospitalier N Iw. — Uelisicuao hospitalière de
1 Hôtel-Dieu de Paris, en habit de de l'Hôtel- Dieu de Paris: l'Ilôtel-Dieu de Paris, en habit ordi-
cérémonie. nair'e servant les malades.
N" 118. — Chevalier de Saiiil-Uubeil, iV tl'J. — K< Kgieux tiuiniiie.dit lier- N" 120. — H
ret n delà Pénitence du premier ordre.
N" 121.— nHi^irusr limi ilee. comme NM22..- Kcligi use lui ilide.
elles élaiii)' ancienne : enl.
î\° ii'o. — Ain ieu moine ili la i'alestiu ■.
a" »s*. — Mum.: J.icuIjuc on Swi n. V \i"> — Re'k-HMix |»iln'ier t|c i'oï- N ' i^.j. - Qie.uuer de &aîm-Jaci|ues.
tire île >a ni-J n cines i!u lla'll'.-Pas.
iV liï . — ulievalier ue baint-Aiilui.ie. ÎS" 1*8. — OUevalier de lu Jarn lé o. V lïil. — l,. ,..n ,i, S iiul Jean-B.i
IS« 150. — Kiinili- tie la V rit-Alig II- N" 1J!. — Ciian-...,.- régniier t-l lm--.pi
que, à 11 nie. lalier de Saini J-.in-lîa liste île Cou
veiilrv, en AnglekMie. '
M" 153. — Ancien Cli. moine régulier, N" 134. — Ancien Chanoine régulier N° 153. — Ancien Chanoine réguler
de l'alibayede Saint-Denis, à Reims. rie Saint- Lo, à Rouen, du piieuré des Deux-Amants.
M 'Ma T ■fi"K\'i',}jUa""'w r^u^r, iV 137. — Ancien Chanoine régulier N" 138. — Chanoine régulier de Clos.
de Sami-Mai Un-d Epernay. de la cathédrale dTscz. lerneubourg, en Allemagne.
N" 159. — Religieux lio>|>ualierde l'or- N° 14*). — Keiigicux uo 1.1 icionne ue f>° 141. — Cuauoiue régulier de Sainl-
ilie de Saint-Jean de Dieu. de Gentil de Spolèle. Jean des Vignes.
is 142. — chevalier ue i oruredeSailil-
Jean et de Saint-Thomas.
IN liô.— Clianoineséculier, iIp la Con- N° 144. — Religieux ermite de Sainl-
pégalion de Saiiil-Jean-l'Eiangé- Jérôme en Espagne, en liahit ordi-
liste, en rorlugnl. naire dan; la maison.
lY H... — li l.gieux e,lnile de Salit- V 1*«. — lielitfieuse de l'oivuv lies i\° 1 ',7. — Ancien li;imll.<siii<-iil îles re-
Jé ôme en Espagne , allant par la ermilesde?3ÏRi-?:-rt>rtv,Brir.spagiie. ligiciix er:îii'e< de SàiiiuJérd:no, de
Y He la t.oii^rci; 'tii'ii du bicnbeui eu x
Piorrp il i is.'.
« i .6. — Ueligieux ermite de S:iii t- N" 119. — Ueligieiix <ru ile de S;nnl- Nu li> . - Keiigie ix enni.e il- Si il-
Jerôim-, ri.. L, Congrégation du tien- J;rr,inc, nVIa Cohgriiga-.ioii du bien Jéi-ame, IS-l-n i..ô }de la Ongrégi-
li. iiivux Pu nedr Pin;, eii-habrtw- huicu IViru du lise. t"»'1 ,!l1 b'u'iibeuru;;* l'i.rre de Pi.e,
du aire. «•'« A11« iao,:e-
N loi - i eli ieux ermite «le Saii.l- N" 152. — Moine .le Sainl-Jérôme en y 155.— Moine iléSami-Jérôiiie en Ita-
J«romc,deluCoi.gr^galiondeFiesoli. Italie, e» babil ordinaire, dans a |.«.,..v c .a ,oule, allant ,.ar la v.l:e.
maison.
N" 154. — R-lisie ix Jésuatc de Saint- N* 155.— Religieuse J snaledc Saint- N" 156.— iésuile, en en babil ordinaire
Jérôme. Jérôme. dans la maison.
N" 157. — Jésuile, dans un aulre h.i- N" 158.
billemeiit de maison.
Jésuile eu habil de ville. N° 159. — Missionnaire Jésuile. en lia-
bit de mandarin, à a Cbine.
N° 1G0. — Missionnaire Jésuite, en ha- N* 161. — Missionnaire Jésuile, au N" 162. — Mssionnaire Jésuite, au
bit ordinaire, à la Chine. royaume de Tunqniii. royaume de Maduré.
N»j G3. —Sœur delà société du Bon- N" 16-i. — Clerc régulier du Bon- t»' 165. — Sœur de Saini Jose|>i
Jésus. Jésus.
i V 166 Sœur de la Congrégation de
Saint-Joseph pour le gouvernement
des orphelines, à Bordeaux.
f>i* 167. — Sœur «le la Conurégaliun
des filles de Saint-Jo-eph, dites de la
Providence, a Paris,
[>,• 168.— Ancien habillement des re-
ligieuses de la Congrégation de Saint-
Joseph, dites de la Trinité Créée.
V 16t). — lit-iiiii. use lie la t.i.ngié;a- N° 170. — Religieuse il* laCongréga- iV 171. — Sœnrue la Congrégation <la
tioii de Saint-Jo-îeph, diln de la- Tri- lioji.ileSainl-i. >seph, dite de la Tri- Saint Joseph, p»ur l'édiiciiion d"
itité Créée, en liabii ordinaire. ni te Créée, en lubitde chueur. lilles orphelines, à Rouen.
rV 172. — Ancien habillement des re- N° 173. — Religieuse de l'ordre des V )7i.— Chanoine régulier de la Con-
ligieuses. hospitalières de Saint Jo hospitalières de Saint-Joseph. gréguion de Lalran, en habit onli-
siph. tiaiiv.
IV 175— Ch: e régulier de la Cun- N* 176. — Chanoine réguler de l'an- V I 7. — Chanoine régulier de La-
grégalmnde {.;itran, en habit de ville. ' cienne congrégation de Siiu'e-Mati» Iran, en Pologne.
du p>il Adriatique.
N' 178. — Qianoihésse régulière de IN' H9. — ( linnoinesse régulière de N° 180. — Uiauo nesse régulière de
Latran, en habit ordinaire. Lairan, en hahit de chœur, I élé. Lairan, en habit de chœur, I hiver.
Dictionnaire des Ordres religieux. II. "9
M" .M. — ouutiutiiuue régulière de N^aSâ.— Chanoine régulier, Je la Con- N*J85.— Ancien habillement, supposé
l'abbaye de Chaillol, prés Paris. grégalinn de Saini-Laiimu d'Oui*, d'un chevalier de l'ordre de Saint -
Lacare.
K" \&i. — Ancien habiileiiieiu de- ché- N- ito, — Ancien habillement des N" 181J. — Moine de Sainl-Carilon.
valiers de l'ordre de Saint-Lazare, chevaliers de l'ordre de Sainl-Lazaie,
dan» le su' siècle. dans le xv siècle.
N' 187. — Munie de Sainl-Sabas. N° 188- — »'cUe de la Mission. N i*i» - Moiue ue l'al.baye de Uni.:
t\' 100. — Ueiigieuac ue Tarasctm.
IV lih. — llelinieuse de alasmuriiier,
ou Moisevaiu.
N' i'Ji. — Chevalier du Us.
" IV3. — Religieuse hospitalière
de Lorhes , ru liait. I ordinaire le*
jouis otivriers.
N" l'Ji. — Religieuse iio^!>ii:ilière «le
Loches, en habit île élu •, à cer-
tains jours et dans quelques céré-
monies.
N4 195. — Iteligieuse hospitalière rie
Loches avec un grand voile, dans le»
grandes cérémonies.
ti* r^"'. — S riir Converse hospitalière
de Leeh.es.
N° 197. — Religieux du troisième or- iV ly8. — Chevalier grand croix de
dre de Saint François, de la Congre- l'ordre de Saint-Loui-.
galion de Lombardie, eu habit ordi-
naire dan- la maison.
N' 199. — Rçfeieux de l'ordre de la N* 300 —Religieux de I ordra de la ,V-Ui.
l'éniience île la Madeleine. Madeleine, ei> Allemagne.
Religieuse Al.idrlunell»
à Moi*.
N° 202. — Madeloniif lie de la Congre- N" 205. — Chevalier de l'ordre de N' 204. — Grand maître de P ordre d«
galion de Sainte-Marie-Madcleiné. Saint-Jean dé Jérusalem, faisant ses Saint Jean de Jérusalem.
«ctravanes.
V 2V.ï. — Chevalier Ue l'ordre tle ft" 206. — iiiic.eii tiievuuei ue l'ordre N" 207. — Chevalier grand croix de
Saint-Jean de Jérusalem , avec le de Saint-Jean de Jérusalem, avec le l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
manteau à née, dans le xiv' siècle.
!n''îi'.":iii a lier
IN 20tf. — Che\auer grand croix de
; .pnlre de Sàinl-Jeaii de Jerusal m,
ail.. u. au conseil'.
i\ 2. y. — Chapelain de loi. ne ue
Saini-J a i de J rusai mi, eu liahil
de viile.
* i'O. — una|.i i.mi ue i ordre de
Sainl-Jean de Jérsusalem . en habit
d'eylibC, a Malle, avec le camaJI vin-
iViil. - Ancien liabilleiue.il ues N' 212. — Le B.kH..y....m 1 duruy, lN» ,213. - Prieure du mou .sierej .ta
Chapelains de Tordre de Sainl-Jein premier grand maftre ds Tordre de Sîxeu». des religieuses ueji orure uu
do Jinisalem. Saint -Jean de Jérusalem. Siint J mm de J 'l'iisalcni.
î^ — "
N° 215. — Aicieii habillement Js
rHig piis.»s iW Tordre de Sa, ni. .1 .-an
sJimsa ein, iîu ii.on.is ère dé Tic.
yr*l7 — ftelïgieue de l'ordre de N* 218. — Religieuse de l'ordre de
ï>:i ini- Jt; ii de Jérusalem, iUi monas- Saiiil-Jean de Jérusalem, du monas
1ère de Florence, en liai) 1 1
" 2i9. — habillement des religieuses
de Sainl-Jt-an de Jérusalem de lïiô-
lère de Horciice, en liabil île cére- |ilal de Reaulieu, dans le cnnimeu-
munie, cément de leur établissement.
tO. — liabiiJ^*nrnT-B»a ieuj.iruses N".2_t. — in liseuse ae Itiruie de tN" 233. — Aneie.i ha1>illi"metit des re-
lie S.'.ini Je.^..déjôtu^a'eiii iV l'hô- Saint Jean île Jeresaleni, <lu iMcnas- lisieuse* de l'ordre de Saint-Jean de
pilai dèBetfwï^aiXlAri e de 1ère de Toulôu c,ni h&Mtorrftoiire. Jérusalem, de I hôpital de beatllieu
Rhodes: \ | ;,,, P. !;, .,rise de Rhodes.
<' ~~^>
N" 22"». — Religieuse »le l'ordre île N" 224. — Prieure mi munasu re îles
Saini-Jea» de Jérusalem, du motias- religieuses de l'ordre de Samt^ean
1ère de Toulouse, en liabil de chœur. de Jérusalem à Toulouse , eu liauil
de <■< rémonie.
.V 2ia
— Chanoine rrgnti«r JeMar-
bak, en Alsace.
t :i
N' 22(>. — Chanoine lëpulier de l'an-
eienne congre. alioii de Saint-Mare.
de Mai.louc,
i\ -27. — AU'iue Maïuiiiie.
in" ï28 — helwieuse Maronne
fs* ii«. — l'ainaiclie îles MaroniUs. N'iSu. —
,..=,., taUv-re ue aamie- iV 231. — Chanoine régulier de Saint-
Marthe. Maurice il'Agaune.
IV 252. — Chevalier de l'ordre de N° 235. — Moine Miugrélien. iN° 234. —Ancien chevalier île I ordre-
Saint-Maurice et Saint-Lazare, de Notre Dame de la Merci.
ï Ap l'nnlrp de N* 257. — Religieux déchausse de l'or-
* 255. - mTT de *£*.' de N «*£■*£ ^ Merc' ° «le la dre de muUm de la Merci.
[Solre-Da.ne de la Merci, en liabil \ A.,P
ordinaire dans la maison. ' :'
N" 238. — Religieuse de l'ordre de NJ 239. — Religieuse déchaussée de IN" 2iu. — i.ii.uioine i
Neire D.nne de !a Merci. l'ordre de Notre-Dame de la Mirci. de la Pénitence de^a/yr? ,^uV*>
de chœur. /-. / % VCNl
.V 2 il
--Chanoine r< gniifcr ,1e la lé- .V 2.2. _ Chevalier .le Saint-Michel. N" 243. - Chevalier de l'ordre
mfence <les Martyrs. AIiUce de Jésus-ChrUt.
de la
.V 2ii. — i leic i-i-jji lier mii.eur.
iY 243 — Keligieux Minime
manteau.
nu V 2ftî. — Keligieux Minime, avec h
manteau.
N "HT. — Religieuse Minime, avec la N iiS. — Religieuse .Minime , sans ,\ i»u. — Uerc régulier,- uiiiii&lrs des
tnanit-au. punira i. I [inné .
N* 250 — File île Saiiile-Genièvft. .V i51. — Hel gieuse de l'ordre rie N" z$2. — Religieuse de l'ordre de
Noire Dame de la Misirienr le, en Nolre-llame de Miséricorde, en ha-
li.diit ordinaire. bit de cérémonie.
M" 255. — Fi ère de Tarchwonlràter-
niié de Notre-Dame du Mont-Carmel.
N° 254. — Grand niailre de l'ordre de
Noire-Dame de Mont-Carmel, et d«
Saint Lazare de Jérusalem.
N* 255. — Chevalier de l'ordre de No
Ire-Dame de Mmil-Carmel , et d<
Saint-Lazare de Jérusalem.
25u. — Chevalier ecclésiastique de
Tordre de Notre-Dame de Mont-Car-
mel, etde Saint Laiare de Jérusalem.
iV ao7. — Frère servant de l'ordre de
N'itre-Oame de Mont-Carmel, et d*j
Saint Lazare de Jérusalem.
N" 258. — 'Novice de l'ordre de Notre
Dame de Mont-Carmel, et de Saint
Laxare de Jérusalem.
N' 259. — Ileraul de l'ordre .te Notre- N" ïWk-^iwssier 4b l'ordre de tioljth N 2bl-
Dame de Moi.l-Carmel, et de Saint- Dame de Mnnt-Carmel, el de Saint-
Lazare de Jéru^lem. Lazare rie lértiaalem.
Fi ère du tiers ordre des
Carmes.
n ordre des N* 265. - Bénédictin du M. nt-Cassin ;N" iW.'.- Bénédictin i du Mont-Cassin,
ïs 2*2. - ^J^tli orare ues - en hab,l3(le chaîllr. , en habit ordinaire dans la maison.
N° 21)5. ~ Frères con ers (tu Mont- N" 26ti. — Frère convers du Mont Cas- iV 2u7. — Chevalier de l'ordre d«
Cissiti, en babil ordinaire dans la sin, eu habit de ville. Monlesa.
uùiscu.
V 2iJ8.— Chevalier de l'ordre de Moni- N' 239". -'Aucienne Bénédictine de N' 270. — bénédictin du Moni-Olivtt,
Joie. Montmartre, avant la réforme en habit ordinaire dans la maison.
N» 271. —Bénédictin du Monl-Olivet, N° 272. — Frère ' convers' du Mont- N" 275. — Frère «onvers du M nt-
en habit de cliœur et de ville. Olivet, en habit ordinaire dans la Olivet, en habit de ville,
maison.
N* 274 Bénédictine du Mont-Olivet , N* 27S. - Bénédictine du Monl-Olivet, N« 276. -Chanoine régulier de Saint
en habit ordinaire dans la maison, en habit de chœur. woi a Arras.
Dictionnaire des Ordres religieux. II.
'.0
N'277. — U ligicns du Mmil-Vierr
comme ils dtaii'jit anciennement.
N° 278 — Religieux do Mont-Vierge, f\°279. — Religieux du Mont Vierge
en hahit ordinaire dans la maison, ; en habit de chœur.
S» 580. — Religieux du Mont Vierge. N* 281. — Iteligieuse du Mont-Vierge, N" 282. — Religieuse du Mont- Vierge,
en habilde ville, lorsqu'ils vontseuls. en habit ordinaire rlansla maison. en habit de cérémonie.
N" 283. — Moine Nesloriun.
N"2$i — Religieuse Nesiorienne.
N° 285. — Chanoinesse de Nivelle , en
habit d'église, comme elles éiaieni
anciennement.
N" 286. — Chanoinesse de Nivelle, en N* 287. — Chanoinesse de Mins, en N° 288. — Chanoinesse de Mons , en
habit d'église, connu elles soat pré- habit de chœur, la première année Inbit dériveur, la deuxième a^tica
sentiment- «le sa réception. do sa réception.
N"2S0. — AbliesredeMaubi iigj,comiin
elles étaient anciennement.
291. — Chanoinesse^de Denain , en y 202. _ Chevalier du Saint-Esprit
habit de chiur. a" Droit- Désir . ou du Nœud, en ha-
bit de l'ordre avec le Saint Esprit.
N° 293. — Chevalier du Saint Esprit N° 2 i4. — Chevalier du Saint-Esprit
au Droit-Désir, le chaperon en tite au Droit D sir , avec le manteau.
et le lia ud d'or sur la poitrine.
Y 295. — Chanoinesse de Noli.
N' 295. — Chanoincsse de lions, en N* 296.— Sœur converse de Noli. N* 297. — Religieuse de 1 ordre de
habit de chu ur, la troisième année Notre-Dame de Chanté, en habit
de sa réception. ordinaire.
N" 298. — Religieuse de l'ordre de
Notre Dame de Charité , en habit de
cérémonie.
N* 299. — Ancienne Bénédictine de
Notre-Dame de Saint-Paul de Beau-
vais, avant la réforme.
-I «s
- •"■-:'■ : v'J.// - < ■
', ? V'-
,/ : ;. • > f , s
/ ,
/>j ' ■ ^
? rv ■ f ,--
■>
v
v ■•■. M -v . M /