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^'ortli Carnliim State (Collrgc
N Al 041
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V.2
I|| Il II llll l'i'l II IIIM III
S00434229 O
THIS BOOK IS DUE ON THE DATE
INDIC ATED BELOW AND IS SUB-
JECT TO AN OVERDUE FINE AS
POSTED AT THE CIRCULATION
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1)1CT1().\.\AII1E HAISONNE
PF.
L'ARCHITECTLRE
FRANÇAISE
DU XK AU XV l«" SIECLE.
11
Droits de traduction et de reproduction reserves
PARIS
IMI'RTME CHEZ BONAVENTURF, ET niTESSOTS
Quai des Anguslins, 55, près du Pont-Neul.
DICTIOMMAIRE RAISONNÉ
l)K
l'archuectlhk
FIUNCAISK
DU xr AU xvr siècle
M. yiOLLET-LE-DUC
AK<HlTKrTE I» l' (iO t' \ KKN KM EN I
INSPKrrKl'R-GENERAL DES EDIFICES DIOCESAINS
TOME DEUXIEME
HANCE, EDITEUR
R TT R BON A P A R T K , 13.
.■MDCCÇf.IX
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1^
J
BOUND.
NOV 14 1896
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iTlON.^lItK RAISONNÉ
LAUCHITECTLRE
FRANÇAISE
Dr XI Al \M SIÈCLE.
^5.iv
AT.TS (LIBÉRAIS . S. m. p. Los monuments des .vii«" et xw siècles
représentent fréquemment les sept arts libéraux. La belle encyclopédie
manuscrite intitulée : Horlus delicianim. composée, au ku*" siècle, par
Herrade de Landsberg, abbesse du monastère de Hohenbourg (sainte
Odile), en Alsace, et conservée à la Bibliothèque de Strasbourg ', renferme
parmi ses vignettes une personnification de la philosophie et des sept arts
libéraux. La figure principale, la Philosophie, est représentée assise;
sept sources sortent de sa poitrine; ce sont les sept arts libéraux: la
Granunaire. la Rhétorique, la Dialectique, la Musique, rArithmétique, la
Géométrie et l'Astronomie. Cette figure , qui occupe le centre de la
vignette, est couronnée d'un bandeau duquel sortent trois têtes; les trois
noms: «Ethica, Logica, Physica, » les surmontent; sous ses pieds,
vSocrate et Platon écrivent; cette légende les accompagne: Naluram
universœ rei qucri dociiil Philosophia. Autour du cercle qui inscrit le
sujet principal sont tracés les sept conqîartinients dans lesquels ces sept
arts sont figurés. Au sonnnet, la Grammaire est représentée tenant des
verges et un livre; en suivant de gauche à droite, la Rhétoricpie tient un
style et des tablettes; la Dialectique, une tète de chien, capiit canis, et
cette légende: Argumenla sino conciirrere more canino. \.a. Musique
porte une harpe, cilliara; devant elle est une sorte de viole, nonmiée lira ;
' Voy. la notice sur le Hortiis deticiarum. par M. A. Le Noble. (Bibt. de l'école des
Charles, t. 1. \^. 238.1
T. II. 1
601^8
Library
AUTS
0
(lenirrc elle une vielle désignée par le mot organislrum. L'Aiilliméli(|ue
port(^ une verj^e (lenii-circuiaiie à laquelle sont eiililces des houles noires,
sorte de conipteiu' encore en usa^'e en Orient ; la (iéoméirie, un compas et
une règle. I/Astronomie tient un boisseau plein d'eau, prohahlement pour
observer les astres par réflexion; au-dessus du i)oisseau sont figurés des
astres. Quatre poètes païens sont assis sous le cycle des arts; ils tiennent
des plumes et des canifs ou grattoirs; sur leur épaule un oiseau noii'
(l'esprit immonde) send)le les inspii'er.
La porte lie droite de la taçadc occidentale de la cathédrale de (Chartres
présente, sculptés dans ses voussures, les arts libéraux. Chaque science ou
chaque art est personnifié par une femme assise; au-dessous d'elle, un
homme est occupé à écrire sur un
pupitre [scrip(iotiale) jwsé sur ses
genoux. M. labbe liulteau, dans sa
Descriplion de la cathédrale de
Cltarlres^, désigne chacune de ces
figures; et en eftet la jjlupart d'entre
elles, sinon toutes, sont faciles à
reconnaitie aux attributs (|ui les ac-
compagnent. La Musi(|ue frappe
d'un marteau trois clochettes; sur
ses genoux est posée une harpe à
huit cordes; des violes sont suspen-
dues à ses côtés. Sous la Musique,
Pylliagore écrit; il lient un grattoir
de la main gauch(\ L"Aritlmieli(|ue
porte danssa main droite un dragon
ailé, et dans sa gauche un sceptre.
Gerbert écrit sous sa dictée; il
trempe sa })lunie dans son écritoire.
La lihélorique discourt ; Quintilien,
placé au-dessous délie, taille sa
plume. La Géométrie tient un
compas et une éipierre; Archi-
mède écrit. La IMiilosophie ti«Mil un
livre ouvert sur ses genoux ; Platon
semble parler. L'Astronomie re-
garde le ciel et pt)rte un boisseau,
comme dans le manuscrit d'Her-
rade; Ptolémée tient dans chaque
main un objet cylindrique. La
(iranmiaii-e lient dans sa droite une verge, un livre ouvert dans sa gau-
che; deux écoliers sont accroui)is à ses pieds : lun étudie, l'autre tend
PCGARD.SC.
Descvipt.de lacatliéd. (le Chartres, p:ir M. l';il)lic I5iilt(\ui ; IS.'iO.
;{ —
A m s
la iiiaiii pidii' rrccvoir uiit' cuiit'clion ; sa ligure t'sl ^riiiiavaiile. Sous la
lirainiiiaiit'. Cliilon t'ciil. Nous donnons (1) la copie de cclh' diM-nit'ic
sculpture du xii'^ siècle, remarquahleinent tiaitée. (lliilon est loit attentif;
penche sur son i)u|>ilie, il se sert du grattoir; à sa droite, des plumes
sont posées sur un râtelier.
Les arts libéraux ne sont jtas toujours seulement au nombre de sept.
On les renconlie lii^urés en plus ou moins i^rand nombre. A la porte
centrale de la cathédrale de Sens, qui date de la fin du xii<' siècle, les arts
et les sciences sont au nombre de douze ; malheureusement, la plupart de
ces bas-reliefs, sculptés dans le soubassement de gauche, sont tellement
nuifilés, qu'on ne peut les désigner tous. On distingue la Grammaii-e; la
iMédecine (probablement) . représentée par une tigure tenant des plantes;
la l{lielori(iue, qui semble discourir; la (Jéometrie ; la Peinture, dessinant
sur une tablette posée sur ses genoux; l'Astronomie (i) ; la Musique; la
Philosophie ou la Théologie (3) ; la Dialectique (?) [1]. Sous chacune de ces
figures est sculpté un animal réel ou fabuleux, ou quelque monstre prodi-
gieux, ainsi qu'on peut le voir dans la fig. 4. On distingue un lion dévorant
un enfant, un chameau, un griffon, un éléphant portant une tour, etc. Il
ne faut i)asoublierque l'esprit encyclopédi(jue dominait à la fin du xii'"siècle,
et que dans les grands monuments sacrés tels que les cathédrales, on cher-
chait à résumer toutes les connaissances de l'époque, (tétait un livre ouvert
pour la foule, qui trouvait là, sur la pierre, un enseignement élémentaire.
Dans les premiers livres imprimés à la fin du xv siècle ou au conunence-
AKTS
nifiit (lu xvi'\ U'Is (jiK' les cosiiiitiirapliies pai' fxfiiiplc , ou rt'|)r()(luisail
t'iicorc un },Man<l nonihro dn ces figures qu«' nous \ oyons sculptées sur les
soubassements de nos cathédrales, et qui étaient destinées à Caniiliariser les
intelligences populaires non-seulement avec l'histoire de l'Ancien cl du
Nouveau Testament, mais encore
avec la philosopliie. et ce qu'on
appelait alors la physique, ou les
connaissances naturelles. Dans la
Cosmographie urm^erselle de Séhas-
licii Munster', nous trouvons des
gravures sur bois qui reproduisent
les singularités naturelles sculptées
dans beaucoup de nos églises du
xii'' siècle; et pour n'en citer qu'un
exemple, Sébastien Munster donne,'
à la page l''2'2U de son recueil,
rhomme au grand pied qui est
sculpté sur les soubassemtMits de la
porte centrale de la cathédral(î de
Sens (Ti) '^ et voici ce qu'il en dit :
(( ... Siiuilmente dicesi di alcuni
« ail ri p(t|)uli. clie ciascheduno di
« loro ha ne piedi che sono gran-
M dissimi una gamba sola, sensa
« piegar giuocchio , et pur sono
« di mirabili velocitade, li (|ua li
(( si adimandono Sciopodi. Questi,
K corne attesta IMinio, nel tempo dell" «>stade, dislesiin terra col viso in su,
« si l'anno ondua col picde. » Ces étranges figures, que nous sonunes
' Sei Hliri dclhi Cui^mnri. iiuiv., Sel). MniisU-ro, t'dit. de lof),"].
- Nniisdoniioiis ici le fiic-simili' de oclle i^nviire tirée du cluipine inliudé ; " Ddie
» innriivigiinsce monslniofio cretitiirc clw si Iroi^nint nd' iiUcrnc juirti deC Africii. »
î5;mii)PI';..ui "ii|(ilii)AM'".-«i'
— O — l AKTS ]
li'op racilcinent disposos à considcivr coiumc des t'aiilaisics d'artistes,
avaieiil leur place dans le cycle cncyclopeduiue du moyeu àye, et les
auteurs antiques faisaient la plupart du temps les frais de cette histoire
naturelle, scrupuleusement figurée par nos peintres ou sculpteurs des
\ii'- et Mil-' siècles, afin de faire connaître au peuple toutes les œuvres de
la création (voy. bestiauu:).
Mais revenons aux arts libéraux. L'ne des plus i)elles collections des arts
lil)eraux ti-ures se voit au portail occidental de la cathédrale de Laon
(de h2IOa h2-20), dans les voussures de lajjjrande haie de ^^auclie, au-dessus
du porche. Là, les figures sont au nombre de dix. La première, à gauche,
représente la Philosophie ou la Théologie (()). Cette statuette tient un
FEG-MKB
Pe^M^û
sceptre de la main gauche % dans la droite un livre ouvert ; au-dessus un
livre fermé. 11 est à présumer que le livre fermé représente l'Ancien Testa-
ment, et le livre ouveil le Nouveau. Sa tète n'est pas couronnée connue à
Sens, mais se perd dans une nuée; une échelle part de ses pieds pour
arriver jusqu'à son col, et figure la succession de degrés qu'il faut franchir
pour arriver à la connaissance parfaite de la reine des sciences. La seconde,
au-dessus, représente la Grammaire (7). La troisième, la Dialectique (8) ;
un serpent lui sert de ceinture. La (quatrième, la Rhétorique (9). La
cinquième, rArithmetique ; la statuette tient des boules dans ses deux
< Le sceptre est tirisé.
[ AKTS 1 — 0 —
imiins (10). La piciiiici'c ti^uiv à droite icprcbeiile lu Médecine (piobal)le-
8 9
/f L'A no «
nient) ; elle i-ej^arde à travers un vase (11). La seconde, la Peinture (l'2);
WÏÏTTT
PEGhRD
c'est la seule statue qui soit figurée sous les traits d'un honnne dessinant
— 7 — I ARTS
avec 1111 style en loriiif de eloii, siti- une tiihlctle peiila^oiiale. La troisième.
la Géométrie (13). La quatrième, rAslronomie (11). 11 est à propos de
remarquer que le disque que tient cette statue de l'Astronomie est coupé
AUTS
— K
par iiii (l(iul)l(' Irait brisé; iiumiic chose à Sens. A (lliaili'c.^, drs aiij^es
(iciiiicnt ('^mIoihoiiI dos disquos coupés de la mriiK' fav»?fi! C»' sont là
évidonimciit dos astrolabes avec leurs alidades. La ci. lièiiie , la
Musique (15).
Dans le socle de la slalue du (^Juisl (|ui dt'Corail le liuuieau de la callie-
diale de Paris, ('laieiil S(ul|»tés les ails libéraux. Sur luii des piliei's (|ui
servent de supports aux belles statues du porche septentrional de la cathe
drale de (Ihaiti'es (l'iiid environ) . on voit ti{.iui'és le IMiilosophe (l<>),
16
n
^c.
PhlLO.SOPHVS
il' PF&ARO. se.
l'Architecte ou leCéoinètre (17), le Peintre (l<S) ; il tient de la main ijau-
che une palette, sur laquelle des couleurs épaisses paraissent posées; de
la main droite, il tenait une brosse dont il ne reste (iiTim moiceau de la
— •,» — [ ARTS I
haïupo , ft I» crins sur la paL'Itc. Le Médecin ( |)rol)al)lenipnt) 1 19| ;
18.
(9
des plantes poussent sous ses pieds; le haut de la figure est mutilé'.
Nous trouvons encore une série assez complète des arts libéraux figurés
1 11 y a des lois qui prononcent des peines assez sévères contre ceux qui mutilent
les édifices publics; les cathédrales et les églises, que nous sachions, ne sont pas
exceptées. Tous les jours, cependant, des enfants , à la sortie des écoles, jettent des
pierres, à heures fixes, cor.ire leurs sculptures, et cela sur toute la surface de la
France. 11 nous est arrivé quelquefois de nous plaindre de cette habitude sauvage;
mais la jilainte d'un particulier désintéressé n'est guère écoutée. Les magistrats chargés
de la police urbaine rendraient un service aux arts et aux artistes, et aussi à la civili-
sation, s'ils voui;iient faire exécuter à cet égard l(>s lois on vigueur. On le fait bien
pour la destruction intempestive du gibier. Or un bas-relief vaut, sinon pour tout le
monde, au moins pour quelques-uns , une perdrix , et les lois s'exécutent d'ordinaire,
quel que soit le petit nombre de ceux dont elles protègent les intérêts (voy. art. 237
T. II. 2 .
[ ASrilA(iAI.K I 10
SOUS k' porclif (le la lalliedialt' de Kiiltourj; en lirisj;aii. Ici lis llt)lll^ des
figures sont |)f'iii(s sous les pieds des slalues. Celte collection est <k»nc
précieuse, en ce qu'elle peut, avec le manuscrit dllerrade, faciliter
l'explication (les tij^ures sculptées ailleurs et qui ne sont accompagnées
que d'attributs. Ainsi, à Krihomg, la Dialectique semble compter sur ses
doigts, la lîlielori(|ue tient un pa(|uel de Heurs, la Médecine regarde h
travers une bouteille, la Philosopliie foule un dragon sous ses pieds; elle
est couronnée.
On voit par les exemples que nous donnons ici que, dans les grandes
cathédrales, à la lin du xie' sircjf et au conuuencement du xin^', les arts
lil)t''rau\occu|)ai('n( une place importante; c'est qu'en effet, à cette époque,
l'élude de la philosophie anti(pie, des sciences et des lettres, était en grand
honneur, et sur nos monuments les personnilications des arts libéraux se
trouvaient de pair a\ec les saints, les représentations des vertus, la para-
bole des vierges sages et folles. L'idée de former un (Misemble des arts,
de les rendre tous sujets de la philosoj)hie, était d'ailleurs heureuse, et
explirpiait parfaitement les tendances encyclopédiques des esprits élevés
de cette époque.
ASSEIVIBLAGE, s. m. On désigne par ce mot la réunion de pièces de
charpente (voy. charpente) .
ASSISE, s. f. Cha(|ue lit de pierre, de moellon ou de brique, prend, dans
une construction , le nom d'assise. La hauteur des assises varie dans les
édifices du moyen âge en raison de hupialité des matériaux dont pouvaient
disposer les constructeurs. Chacun sait (pie les pierres calcaires se ren-
contrent sous le sol, disposées par bancs plus ou moins épais. Les archi-
tectes du moyen âge avaient le bon espiit de modifier leur construction en
raison de la hauteur natuielle de ces bancs. Ils évitaient ainsi ces déchets
de pierre qui sont si onéi-eux, aujourd'hui (pie l'on prétend soumettre la
pierre à une foriuo d'architecture souvent en désaccord avec la hauteur
des bancs naturels des pieri-es. Les constructeurs antérieurs à l'éjioque
de la renaissance ne connaissaient |)as les sciages qui permettent de
débiter un banc calcaire en un plus ou luoins grand nombre d'assises. La
pierre était (Muployee telle que la donnaient les carrières ; aussi la hauteur
naturelle des assises a-l-elle une iplluence considérable sur la forme de
l'architecture des édifices d'une même époque (voy. construction).
ASTRAGALE, s. m. C'est la m(»ulure (pii sépare le chapiteau du fût de la
colonne. Ihins les ordres romains, lastragale fait partie du fût; il est
(lu code Niipolooii, rode |H'ii;tl). Toutes k's miililations des ligiiics si (•lll■i(■MS(■^ , et
belles souNcnl, (|iic mms ;iv(tiis données ci-dessns, sitnt dues bien plus ;hi\ nuiins d(^s
(Milants sorlanl de nets écoles publiques rpi'au niarleau des déinolisx'uis de 17915.
— Il — I ASTRAGALE ]
(•(»iii|t(>s(' (I un cavt't, diiii lilcl cl (11111 lorc (II. Celle tonne est suivie
I j,Tnéi'alenieiil dans les éditices des premiers temps du moyen
à^'e. Le l'ùl ûc la colonne porte l'astrafJiale ; mais, à partir du
XII" siècle, on voit souvent Taslrajifale tenir au chapiteau, atin
dV'viter révideiuent C()iisidt''ral)Ie (|ue son d(''^Mp'ment ohlii;»'
de taire sur le tVit. Tant (pie la colonne est diminuée ou j4all)(}e,
cet évidement ne se fait (]ue dans une pailie du l'ùl; mais
quand la colonne devieiil un cylindre parlait, c'est-à-dire
lorsque son diamètre est éjial du lias en haut, à dater des pre-
mières années du xiii*' siècl<', rasirairale (hnient, sans excep-
tion, un membre du chapileau. Son jirotil varie du x'' an
xvi"si('cle, comme tonne et comme dimension. Dans les édilices de lépocpie
carlovingienne, laslragale prend, relativement à la hauteur du chapiteau
et au diamètre de la colonne, une plus grande importance que dans les
ordres romains; le cavet s'amoindrit aux dépens du lore, ou disparail
complètement [-2] ', ou bien est remplacé j)ar un ornement. I.a lorme de
/F
..^^
li
A".
^.
Taslragale romain faisant partie du fût de la colonne est surtout conservée
dans les contrées où les monuments antiques restaient debout. A Autun.
à Langres. dans la Bourgogne, dans la l*rovence, en Auvergne, l'astragale
conserve habituellement ses membres primitifs jusqu'au xiii»^ siècle; seule-
ment, pendant le xii'" siècle, ils deviennent plus tins, et le cavet, au lieu de
se marier au fût, en est séparé par une légère saillie (3) \ Quelquefois, à
cette époque de recherche dans l'exécution des profils, le tore de l'astragale,
au lieu de présenter en coupe un demi-cercle, est aplati (-i)^, ou est com-
posé de fines moulures, ou taillé suivant un polygone (5) \ A mesure que
la sculpture des chapiteaux devient plus élégante et refouillée, que les
I A, df la ciyiile de l'église Saiiil-béger à Soissoiis; B, de la crjple de l'église de
Saint-Denis en France; C, de la nef de l'église Saint-.Menoii (Hoiirbonnais).
- Calliédrale de Laiigres.
* Clocher vieux de la callK'dralc lic (lliarires.
' Salle capiUilaire de Vézelav. A; Kglise de Montréal, H (Ronrgofjnc).
I ASlK.VtiAl.t 1 l'I
diaiiièlies des colonnes (ievieniit'iit moins t'oils , les astragales perdent de
leur lourdeur primitive et se détachent bien réellenienl du lïit. Voici (0) un
astragale de l'un des chapiteaux du clKeur de l'église de Vé/elay (premières
années du xiii*' siècle) ; (7) des cluiititeaux de la galerie des rois de Notre-
jp
1
1
Dame de Paris (même époque). Puis enlin iinus donnons (S^ le profil de
l'astragale adopté presque sans exception pendant le xni'' siècle; profil
qui, conformément à la méthode alors usitée, sert de larmier à la colonne.
Quehpu^fois. dans les édifices de transition, l'astragale est orné ; dans le
chœur de la calhédiale de Paris . (pielques chapiteaux du tritorium sont
munis d'astragales composés de rangées de petites feuilles deau (iM ; plus
jV.
tard encore trouve-l-(jn . surloul eu Noniiaudie, des astragales décorés,
ainsi qu'on peut le remanjuer dans le cho'ur de la cathédiale du Mans (10).
13 I VTTUIUITS I
l*eiulant It'xivsit'cle. les astraiialpss'aniaiin'isscnt, leurs jjrfililsdoviciinciil-
.. moins acct'ntiu's (1 1 ). Au XV siècle, ils prciiiH'iit
I au contraire de la lourdeur el de la sécheresse,
►
^>>.^ connue tous les profils de cette époque; ils ont
1^^^^ une forle saillie (|iii contraste avec l'excessive
J^^^^ maigreur des coloimeltes ou prismes verticaux
(l'2). 11 n'est pas l)(>soin d'ajouter ([u'au moment
de la renaissance l'astragale romain reparait
A' " f avec les imitations des ordres de l'antiquité.
ATTRIBUTS, s. m. p. Ce soiit les objets enq)runtés à l'ordre matériel,
qui accompagnent certaines tiguressculptéesou peintes pour les faire recon-
naître, ou (|ue l'on introduit dans la décoration des édifices atin d'accuser
leur destination, quchpietois aussi le molit'qui les a fait eleviM-; de rappeler
certains événements, le souvenir des personnages qui ont contribué à leur
exécution, des saintsauxquels ils sont dédiés. L'antiquitégrecque et romaine
a prodigué les attributs dans ses monuments sacrés ou profanes. Le moyen
âge. jusqu'à l'époquedela renaissance, s'est montré au contraire avarede ce
genre de décoration. Les personnages divins, les apôtres, les saints ne sont
que rarement acconq^agnés d'attributs jusque vers le milieu du xni«* siècle
(voy. APÔTRE, saints) , OU du moms ces attributs n'ont pas un caractère
particulier à chafjue personnage : ainsi les prophètes portent généralement
des phylactères; Notre-Seigneur, les apôtres, des rouleaux ou des livres* ;
les martyrs, des palmes. La sainte Vierge est un des personnages sacrés
que l'on voit le plus anciennement accompagné d'attributs (voy. viergk
sainte). Mais les ligures qui accompagnent la divinité ou les saints person-
nages, les vertus et les vices, sont plutôt des symboles que des atfi'ibuts
' " El remarque , dit Giiilhuiine Durand, que les patriarches et les prophètes
sout peints avec des rouleaux dans leurs mains, et certains apôtres avec des livres,
et certains autres avec des rouleaux. Sans doute parce qu'avant la venue du
Christ la foi se montrait dune manière figurative, el qu'elle était enveloppée
de heauciiup dohscurités au-dedans d'elle-même. C'est pour exprimer cela que
les patriarches et le- prophètes sont peints avec des rouleaux, par lesquels est
désignée en quelque sorte une coniiaiss;ince imparfaite; mais comme les apôlres
ont élé parCaiteuient instruits par le Christ, voilà pourquoi ils peuvent se servir
des livres par lesquels est désignée convenablement la connaissance parfaite. Or,
comme certains «l'entre eux ont rédigé ce qu'ils ont appris pour le l'aire servir à
renseignement des autres, voilà pourquoi ils sont dépeints convenablement, ainsi
que des docteurs , avec des lixrcs dans leurs mains , comme Paul , Pierre , .Jacques
et Jude. Mais les autres, n'ayant rien écrit de stable ou d'approuvé par l'Kglise,
sont représentés non avec des livres, mais avec des rouleaux^ eu signe de leur
prédication. On représente, ajoute-l-il plus loin, les confesseurs avec leurs
attrilmis; les évéques mitres, les abbés encapuchonnés, et parfois avec des lis <|ui
désignent la chasieté ; les docteurs avec des livres dans leurs mains, el les vierges
'd'après l'Kvangde'i avec des lanq)es tiJuillaume Durand, lialional, trail. par
M. C. Rarihélemv, chap. m. l'aris, l8o4.i
[ AIJBlbK ] li
prnpronioiit dits. F. os attril)iits no so sont ^uhv iiifrodiiits dans les arts
plasti(iu«'s que l()rs(|iu' l'ait inclinait vers lo réalisme, au coninuMicenion!
du XIV siècle. C'est alors que l'on voit les saints représentés tenant en main
les instruments de leur martyre; les personna^'es profanes, les objets qui
indiquent leur lanjj; ou leur état, leurs ^'oùts ou leurs passions.
Il est essentiel, dans l'étude des monuments du moyen âge, de distin-
liucv les attributs des symboles. Ainsi, |)ar exeinple , le démon sous la
tij^ure d'un draj^on (|ui se trouve sculpté sous les pieds de la plupart des
statues d'évèques, mordant le bout du bâton pastoral, est un symbole et
non un attribut. L'aj^neau, le pélican, le phénix, le lion, sont des fijrures
symboliques de la divinité, mais non des attributs; les clefs entre les
mains de saint Pierre sont un synd)oIe, tandis que la croix en sautoir
entre les mains de saint Andi'é. le calice entre les mains de saint Jean, le
coutelas entre les mains de saint liaithélemy, léquerre entre les mains
de saint Thomas, sont des attributs.
Sur les monuments de l'antiquité romaine, on trouve fréquemment
représentés des objets tels que des instruments de sacrifice sur les temples,
des armes sur les arcs de triom|)he, desmascpies sur les théâtres, des chars
sur les hippodromes; rien d'analoi^ue dans nos édifices chrétiens tlu moyen
âf?e (voy. décoration, ohxkmknt), soit relij^ieux, civils ou militaires. Ce n'est
fîuère qu'à l'époque de la renaissance, alors que \o ^où{ de Timitation des
arts antiques prévalut, que l'on couvrit d'allributs les édifices sacrés
ou profanes; que l'on sculpta ou peignit des instruments relif^ieux sur
les parois des éiïlises; sur les murs des palais, des trophét^s ou des
emblèmes de fêtes, et même souvent des objets empruntés au |)aganisme
et qui n'étaient plus en usaye au milieu de la société de celte époque.
Etrange confusion d'idées, en eflet, que celle qui faisait réunir sur la frise
d'une église des têtes de victimes à des ciboires ou des calices; sur les
trumeaux d'un |)alais, des boucliers romains à des canons.
AUBIER, s. m. C'est la partie blanche et spongieuse du bois de chêne (jui
se trouve immédiatement sous l'écorce et qui entoure le cœur. L'aubier
n'a ni durée ni solidité, sa présence a l'inconvénient d'engendrcM- les vers
et de provoquer la carie du bois. Les anciennes charpentes sont toujours
parfaitement j)urgées de leur aubier, aussi se sont-elles bien conservées.
Il existait autrefois, dans les forêts des Caules, une es|)èce de chêne, dile
chêne blanc, disparue aujourd'hui, qui possédait cet avantage de donner
des pièces d'une grande longueur, droites, et d'un diamètre à peu près
égal du bas en liaul ; ce chêne n'avait que peu d'aubier sous son écorce,
et on l'employait en brins sans le refendre. Nous avons vu beaucoup de
ces bois dans des charpentes cxéculées j)endanl lès xni'', xivet xv siècles,
qui, simplement é(|uanis à la hache et laissanl voir parfois l'écorce sur
les arêtes, sont à j)eine chargés d'aubier. Il y aurait un avanlage considé-
rable, il nous semble, à tenter de retrouver et de reproduire une essence
(le bois possédani fies qualités aussi ])récieuses (\<>\. ciiviu'kmk).
I.") [ AUTEL ]
AUTEL, s. ni. Tout ce (|u»' Von peut savoir des autels de la primitive
Église, c'est (|u"ils étaient inditl'éreiunient de bois, de pierre ou de métal-
P(Mi(hmf les temps de persécution, les autels ('laient souvent des tables de
bois (jue l'on j)ouvait tacilement transporter d'un lieu à un autre. L'autel
deSaint-.lean-de-Latran était de bois. L'empereurConstantin ayant rendu
la paix à l'Kuiise chrétiemie, saint Sylvestre fit placer ostensiblement dans
cette basili(|ue l'autel de bois qui avait servi dans les temps d'épreuves^
avec défense (ju'aucun autre (]ue le pape n'y «lit la messe. Ces autels de
bois étaient faits en forme de coftre, c'est-à-dire qu'ils étaient creux. Saint
xVugustin raconte que Maximin, évèquede lia{.;ai en Afriiiue, fut massacré
sous un autel de bois que les Donatistes enfoncèrent sur lui. Grég;oire de
Tours se sert souvent du mot archa, au lieu d'ara ou d'altare, pour dési-
gner l'autel. Ces autels de bois étaient revêtus de matières précieuses, or,
argent et pierreries. L'autel de Sainte-Sophie deConstantinople, donné par
l'impératrice Pulchérie, consistait en une table d'or garnie de pierreries.
Il est d'usage depuis plusieurs siècles d'offrir le saint sacrifice sur des
autels de pierre, ou si les autels sont de bois ou de toute autre matière,
faut-il qu'il y ait au milieu une dalle de pierre consacrée ou autel portatif.
Il ne send)le pas que les autels portatifs consacrés aient été admis avant le
vm»" siècle, et l'on pouvait dire la messe sur des autels d'or, d'argent ou de
bois. Théodoret, évèque de Cyr, qui vivait pendant la première moitié du
v« siècle, célébra les divins mystères sur les mains de ses diacres, à la
prière du saint ermite Maris, ainsi qu'il le dit dans son Histoire religieuse^
Théodore, archevêque de Cantorbéry, mort en 690, fait observer, dans
son Pénitenliel ^, qu'on peut dire la messe en pleine campagne sans autel
portatif, pourvu qu'un prêtre, ou un diacre, ou celui même qui dit la
messe, tienne le calice et l'oblation entre ses mains. Les autels portatifs
paraissent avoir été imposés dans les cas de nécessité absolue dès le
viii'" siècle. Bède, dans son Histoire des Anglais, parle d'autels portatifs
que les deux Evvaldes portaient avec eux partout où ils allaient ^ Hincmar,
archevêque de Reims, mort en 882, permit, dans ses Capitulaires, l'usage
des autels portatifs * en pierre, en marbre ou en mosaïques. Pendant les
XI* et xir siècles, ces autels portatifs devinrent fort communs; on les
' ... « Ego verb libenterobtemper:ivi , et sacra vasa adfeni jussi (nec enim prociil
" aberat locus). Diacouunique manibiis utens pro allari , mysticum ol tlivinum ac
•< salulare sacrificium obtiili. •
î Cap. II.
' Diicange, Gloss.
' Cap. III. n ....Nemo presbyterorum in ;iltavi(i ab eplscopo non consecralo cantare
• présumât. Oiiapropter si nécessitas poposcerit . donec ecclesia vel altaria cunse-
" crentur, et in capellis etiam quic conseciationeni non nieientur, tabulam (piisque
■' presbvter, ciii necessai inin lïierit, de niarnioie, vel nigra petra, aut lUro bonestis-
" sinio , secundnni suani possibililalein , iioneste aireclatam iiabcal , et nobis ad
" conseciamlnm nlVi^ral , ipiani scciini , cùin expedierit, deseiat , in qiia sacra niysteria
■ secnndnni liUini ccclesiaruni ant-re valeat. ■
I Al'TKI. I _ |(i _
fiii|)(»rl;iil dans les voya^os. Aussi l'Ordre romain les appnllo-t-ii lahukis
ilinerarias. Les inventaires des trésors d églises l'ont mention fréquem-
ment d autels portatifs.
Sur les tables d'autels fixes, il était d'usage, dès avant le ix^ siècle,
d'incruster des propitialoircs , (\u\ étaient des p!a(|M('s d"or ou d'argent
sur Icscpicllcs on oilVaii Ir saint sacrifice. Anaslliasc le lîihiiothecaire dit,
dans sa Vie du pape Pascal /■•■, que ce souverain ixinlife lit poser un pro-
pitiatoire en argent sur l'autel de Saint-Pierre de Rome, un sur l'autel de
l'église de Sainte-Praxède, sur les autels de Sainte-Marie de Cosmedin, de
la basilique de Sainte-Marie-Majeure. Le pa|)e Léon IV fit également faire
un propitiatoire pesant lH livres d'argent et SO livies d'or pour l'autel de
la i)asili(|U(' de Saint-Pierre.
Les autels primitifs, cpi'ils fussent de pierre, de bois ou de métal, étaient
creux. L'autel d'or di'essé par l'archevêque Angelbert dans l'église de
Saint-And)roise de Milan était creux, o\ l'on pouvait apercevoir les reliques
qu'il contenait par une ouverture percée par derrière '.
Ij'évèque Adelhelme, (pii vivait à la lin du ix<siècle, raconte qu'un soldat
du r()'\ P»ozon. qui elait devenu aveugle, recouvra la vue en se glissant sous
l'autel de l'église de Mouclii-le-Nenf. du diocèse de l*aris, ])endant que l'on
célébrait la messe. Lesmonnnicnis \iennent à cet égard appuyei'les textes
nombreux que nous croyons inutile de citer"; les autels les plus anciens
coimus sont généralement portés sur une ou plusieurs colonnes' (1 et 2).
Laplu|)art des autels grecs étaient portés sur une seule colonne. L'usage
des autels creux ou portés sur des points d'appui isolés s'est conservé
jusqu'au xv^" siècle. L'autel n'était considéré jus(|u'alors que comme une
table sous laquelle on plaçait parfois de saintes reliques, ou qui était élevée
au-dessus d'une crypte renfermant un corps saint; car, à vrai dire, les
reli(|uaii'es étaient plut(M, jjendaid le moyen âge, posés, à certaines occa-
sions, sui- l'autel que dessous '. Il n'existe ])lns, que nous sachions, en
' Ughdliis, t. IV.
- Voy. Disnert. ecclés. sur los princip. aiilfls dcK ('ylisi's, par ,1.-15. Tliiers. Paris,
1 6H8. Nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer nos lecteurs à ce curieux ouvrage,
plein de recherclies savantes.
' 1-a tiniire 1 donne l'anlel do la cliapoUo do la Viorçto do rôtjliso do Montr(^al
(IJourL^o^no); cet aulel osl du xii' siècle, l.a liiçuro 2, le nuiilro aulol de l'église de
Bois-Saiiite-Marie (Saône-el-Loire) ; col autel est du \i' siècle. A est le socle avec
rincruslomenl des colonneltes ; 15, le chapiteau ilc la colonuelle centrale; C, la base
d'iMio dos quatre colonnes. Nous deviuis ce dessin :i roi)ligeanco de M. Millet, rarchi-
tecte lie la curieuse église de Bois-Sainlo-Marie.
' « Rien ne nous porte à croire, dit Tliiers dans ses Disucrl. sni' /es )>riiicip.
autch (/('.s ('(//j'st's (p. 42), qu'un ait mis des reliques des saints sur les autels avant le
IX' siècle; nul canon, nul décret, nul règleineut. nul exemple, nul témoignage des
écrivains ecclésiastiques, ne nou> le persuade ; ou, si l'on y eu a mis, les saints de qui
elles étoients'en sont olfensés et les ont fait ôier.... Dans le x' siècle même, <|uelquos
saints ont cru qu'il y avoit de l'irrévérence à mettre leurs reliques sur les autels. En
ALTKI.
France, d'autels complets d'uiie certaine importance antérieurs au
XII* siècle. On en trouve fitfurés dans des manuscrils ou des bas-reliefs
f S2 >
-5iL.
M.
PIOAKD Sf
avant cette époque; mais ils sont très-simples, presque toujours sans
retables, composés seulement d'une table supportée par des colonnes et
recouverte de nappes tombant sur les deux côtés jusqu'au sol. I/usage
des retables est cependant fort ancien, témoin le l'etable d'or donné par
l'empereur Henri II à la catbédrale de Bàle, en lOH), et conservé aujour-
d'iiui au musée de Cluni (voy. retable) ; le grand retable d'or émaillé et
enrichi de pierreries déposé sur le maitre-autel de l'église Saint-Marc de
Venise, connu sous le nom de la Pala d'oro , et dont une partie date de
la fin du xt" siècle; celui conservé autrefois dans le trésor de wSaint-Denis.
L'autel étant consacré dès les premiers siècles, aucune image ne devait
y être déposée en présence de l'Eucharistie ; mais le retable ne l'étant
point^ on pouvait le couvrir de représentations de personnages saints, de
scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Sauf dans certaines cathé-
drales, à dater du xii'' siècle, les autels sont donc surmontés de retables
voiri un exemple qui ne peut pas raisonnablement èU-e contesté. Bernou 1 , al)l)e de
(;iuni, rapporte i;apu(l S. Odon, abb. (".luniac., L. 2) « qu'aussitôt qu'on eut mis, pour
(luelqucs jours seulement, les reliques de sainte Cauburge sur l'aulel d'une église de
son nom, et voisine de Cluni, les miracles qui s'y faisoient cessèrent; et que celte
sainte, étant apparue à l'un des malades qui imploroit son assistance, lui dit que la
raison pour laqm lie il ne recouvroil pas la santé était parce qu'on avoit mis ses
reliques sur l'autel du Seigneur, qui ne doit servir qu'a la célébration des mystères
divins. Ce qui donna occasion de les en ôler et de les rapporter dans le lieu où elles
étoienl auparavant. El au même instant les miracles continuèrent de s'y l'aire. >• (Juil-
laume luraiid. dans sim Hatioiial dci^ diviiin officea (cliap. III, p. xxv), qui date du
XIII' siècle, admet les châsses des saints sur les autels. 11 dit : ■< ... Et les (liasses
(capsse) posées sur l'autel, qui est le Christ, ce sont les apôtres et les imrtyrs •■
T. II. 3
ALTKL
— \H
fori riches, et souvent d'une j^Tande diinension. (Jmmt nu\ lal)les des
autels, jusque vers la ninilié du xii'' sièch^ elles sont très-fréqueininenl
ereus(''es en forme de plateau. Saint lienii. ai(lievè(|nr de Lyon, avait
■ 1,1,5.
B!g^i^iii-'''''1ii!||||||iiilllii!li|liil!::!:''''''ii!llii ''i'i'li
donné à l'église Saint-Élienne, pendant le ix*- siècle, un autel de niarhre
dont la table était creusée de si\ centimètres environ, avec de petits
oritices à chacun des coins '. 1). Mahillon reproduit, dans le troisième
volume de ses Annales liemdiciini , une tahle daulel de sept palmes de
long sur quatre de large, donnée par l'abbé Tresmirus à son monastère
de Mont-Olivet, du diocèse de Carcassonne, également creusée et remplie
d'inscriptions et d'ornements gravés, avec les quatre signes des évangé-
listes aux quatre c(»ins\ La grande table du maitre-autel de l'église
' loyaijcs lUurgiques de France, par le sieur de .Moléon, p. 80. l'aris, 1718.
- L'inscription qui faille tour de la table est ainsi conçue : « 'Jresniirus, gralia dei
— Ï^J — [ ALTtL J
Saint-S(Mniii do TkuIouso. retrouvée depuis (iiiel(|nos annéos dans l'une
des ehaiH'lles, et conservée dans cette é^dise, était eiialeiuent entourée
d'une riche hordure d"orneinents et creusée ; cette table parait appartenir
à la première moitié du xii^' siècle. Il semlde que ces tables aient été
creusées et percées de trous afin de pouvoir être lavées sans crainte de
répandie à terre l'eau qui pouvait entraîner des parcelles des saintes
espèces. Voici (3) la tl^aire
de l'autel de la tribune de
l'éj^dise (le Montréal près Aval-
Ion, dont la table, portée sur
une seule colonne, est ainsi
creusée et percée d'un petit
orifice '. « Le fjrand autel de
la cathédrale de Lyon, dit le
sieur de Moléon , dans ses
Voi/ages liturgiques - , est
ceint d'une balustrade de cui-
vre assez légère , haute de
deux pieds environ, et elle finit au niveau du derrière de l'autel, qui est
large environ de cinq pieds. L'autel, dont la table de marbre est un peu
creusée par-dessus, est fort simple, orné seulement d'un parement par
devant et d'un auli'e au retable d'au-dessus. Sur ce retable sont deux
croix aux deux côtés; Scaliger dit qu'il n'y en avait point de son temps.
Guillaume Durand, dans son Rational, que l'on ne saurait tiop lire et
méditer lorsqu'on veut connaître le moyen âge catholique', s'étend longue-
ment sur l'autel et la signification des diverses parties qui le composent.
« L'autel, dit-il d'après les Ecritures, avait beaucoup de parties, à savoir
la haute et la basse, l'intérieure et l'extérieure.... Le haut de l'autel, c'est
Dieu-Trinité, c'est aussi l'Eglise triomphante.... Le bas de l'autel, c'est
l'Eglise militante; c'est encore la table du temple, dont il est dit : « Passez
« les jours de letes dans de saints repas . assis et pressés à ma table près
« du coin de l'autel.... » L'intérieur de l'autel, c'est la pureté du cœur....
\
. f£^ARa. se.
abbas, edificavit banc dorauni, et jussil dedicare in fiouore saiicte Trinilatis, id est
palris . et filii, et spirilus sancti. Deo gratias. » Dans la longueur, on lit cette autre
inscription : » Amelius, uutu dei viceconies. » En cercle sont gravées les inscriptions
suivantes : autour de la télé de lion (saint Marc) : ■ Vox per déserta frendens leocujus
imagineui Marcustenet"-, autour de la tète de l'aigle (saint Jean) : « More volatiir aquila
ad astra cujus figurani Johannes lenel »; autour de la tète du ve;iu (saint Luc): •■ Rite
mactatur taurus ad aram cujus tipum Lucas tenet » ; autour de la tète de l'ange
saint Mathieu) : « Specieni tenet et naturani Matheusut bomo. » ^T. \\\, p. i95.)
' Cet autel date de la fin du xir siècle.
« Page 4i.
•' Rational, cbap. ii. (iuiilaunie Durand, èvèque île Mende, nnuirul a la lin du
xiir siècle. Trad. par M. C Hartlièlemy. Paris, 18;)4.
1 ALTKL I _ .2(» —
L'pxtt'riciir de I iiiilcl. cCst le hi'iclit'r ou r;int('l iik'ihc de la croix.... Kn
sot'oiid lieu, laiilrl siiiiiitic aussi lE^disc spiiiliicllc ; «M ses (|iialn' coins,
1rs qiialiv pai'licsdii monde sur l('S(|U('ll('s IKi^lisc clond son cnipiic. Troi-
sirnicnirnl. il est 1 inia;;»' du (Muisl, sans le(iu<'l aucun don no peut tMre
offert d'une manière aj^réable au J*ère. C'est pourquoi l'Ejilise a coutume
d'adresser ses prièi-f^s au Père par l'entremise du (llnisl. Un^drièmement,
il est la fiij:ure du cor|)s du Seii;neur ; cinquièmement, il leprésenle la lable
SIM' la(|ucllc ledhrist but el mant;ea avec ses disciples. Or. poursuit-il. on
lil dans lExode (|uc Ion dèj)osa dans l'arche du Testament ou du Témoi-
jiua^e la déclai-alion, c'est-à-dire les tables sur lescjuelles était écrit le
témoi^Miajjre, on peut mèmedire les témoif^nagesdu Seigfneurà son peuple,
et cela fut tait pour montrer que Dieu avait fait revivre par l'écriture des
tables la loi naturelle }»ravée dans les cœurs des bonnnes. On y mit encore
une urne d'or pleine de manne pour attestei' qu(> l)i<Mi avait domi('> du ciel
du })ain aux tils dlsiafl, cl lavcriie dAaron pour monticr (jue toute jjuis-
sance vient du Seigneur-Dieu , et le Deutéronome en signe du pacte par
lequel le j)euj)le avait dit : « Nous ferons tout ce que le Seigneur nous dira.»
Et à cause de cela l'arche fut appelée l'Arche du Témoignage ou du Testa-
ment, et, à cause de cela encore, le Tabernacle fut appelé le Tabernacle
du Témoignage. Or, on lit un jiropitialoire ou couverture sur l'Arche....
(^est à limitation de cela ([ue dans certaines églises on place sur lautel
une arche ou un tabernacle dans lequel on dépose le corps du Seigneur el
les reliques des saints.... Donc, ajoute (iuillaume Durand plus loin, par
l'autel il faut entendre notre co'ur;... et le cœur est au milieu du corps
comiue l'autel est au milieu de l'église. C'est au sujet de cet autel que le
Seigneur donne cet ordr<' <lans le Lévilique: «l.e feu brûlera toujours sur
« mon autel. » Le feu, c'est la charité; l'autel, c'est un co'ui- pur.... Les
linges blancs dont on couvre l'autel représentent la chair ou l'humanité
du Sauveur.... » Cuillaume Durand termine son chapitre de l'Autel, en
disant que jamais l'autel ne doit être dépouillé ni revêtu de parements
lugubres ou d't'pines, si ce n'est au jour <le la Passion du Seigneur (ce
que, ajoute-t-il, rei)rouve aujourd'hui le concil(Mle Lyon), ou lorsque
l'Kglise est injustement dépouillée de ses droits. Dans son chapitre m
(des Peintures, etc.), il dit : « On j)eint quelquefois les images des saints
Pères sur le retable de l'autel.... Les ornements de l'autel sont des coti'res
et des châsses (capsis) , des tentures, des phylactères (pliilotteriis) , des
chandeliiMs, des croix, des franges d'or, des bannières, des livres, des
voiles et d( s courtines. Le colfre dans lefjuel on conserve les hosti(^s con-
sacrées signifie le corps de la Vierge glorieuse.... Il est parfois de bois,
parfois d'ivoire blanc, parfois d'argent, parfois d'or et parfois de cristal....
Le même coffre, lorsqu'il contient les hosties consacrées et non consacrées,
désigne la mémoire humaine ; cai' l'honnne doit se rappeler contimu'lle-
ment les biens (|u'il a icçus de Dieu . tant les lenqxirels. q\\\ sont figurés
par les hosties non consacrées, que les spirituels, représentes par les hos-
ties consacrées... Et les châsses (capsœ) posées sur l'autel, cpii est le Christ.
— -21 — [ AUTKL ]
ce sont les apôtres et les martyrs; les tentures et les linj^es de l'autel, ce
sont les confesseurs, les vierges et tous les saints, dont le Seigneur dit au
prophète : « Tu te revèlii'as d'eux eomnie d'un vtMenient » On j)la(e
encore sur l'autel même, dans certaines églises, le lahernacle {laberna-
cuhim), dont il a été parlé au chapitre de TAutel.
« Aux coins de l'autel sont placés à demeuie deux chandeliers, pour
signitier la joie des deux peuples qui se réjouirent de la nativité du Christ ;
ces chandeliers, au milieu desquels est la croix, portent de petits tlam-
beaux allumés ; car l'ange dit aux pasteurs : (( Je vous annonce une grande
M joie qui sera pour tout le peuple, parce qu'aujourd'hui vous est né le
« Sauveur du monde »
« Le devant de l'autel est encore orné d'une frange d'or, selon cette
parole de l'Exode (chap. xx\ et xxvm) : « Tu nie construiras un autel, et
« tu l'entoureras d'une guirlande haute de quatre doigts.
«Le livre de l'Evangile est aussi placé sur l'autel, parce que l'Evangile
a été publié par le Christ lui-même et que lui-même en rend témoignage.»
En parlant des voiles, l'évêque de Mende s'exprime ainsi : « Il est à
remarquer que l'on suspend trois sortes de voiles dans l'église, à savoir :
celui qui couvre les choses saintes, celui qui sépare le sanctuaire du clergé,
et celui qui sépare le clergé du peuple.... Le premier voile, c'est-à-dire
les rideaux (|ue l'on tend des deux côtés de l'autel, et dont le prêtre
pénètre le secret, a été figuré d'après ce qu'on lit dans l'Exode (xxxiv)....
Le second voile, ou courtine, que, pendant le carême et la célébration de
la messe, on étend devant l'autel, tire son origine et sa figure de celui qui
était suspendu dans le tabernacle et qui séparait le Saint des saints du lieu
saint (]e voile cachait l'arche au peuple , et il était tissu avec un art
admirable et orné d'une belle broderie de diverses couleurs;... et, à son
imitation, les courtines sont encore aujourd'hui tissues <,\e diverses cou-
leurs très-belles....
« Dans quelques églises, l'autel, dans la solennité de Pâques, est orné
de couvertures précieuses, et l'on met dessus des voiles de trois couleurs :
rouge, gris et noir, qui désignent trois époques. La première leçon et le
répons étant finis, on ôte le voile noir, qui signifie le temps avant la loi.
Après la seconde leçon et le répons, on enlève le voile gris, qui désigne le
temps sous la loi. Après la troisième leçon, on ôte le voile rouge, qui
signifie l'époque de la grâce, dans laquelle, par la Passion du Christ,
l'entrée nous a été et nous est encore ouverte au Saint des saints et à la
gloire éternelle. »
Quelque longues que soient ces citations, on comprendra leur impor-
tance et leur valeur; elles jettent une grande clarté sur le sujet qui nous
occupe. Tant que le clergé maintint les anciennes traditions, et jusqu'au
moment où il lut entraîné par le goût quelque peu désordonné du
xvF siècle, il sut conserver à l'autel sa signification première. L'autel
demeura le symbole visilile de l'ancienne et de la nouvelle loi. Chacune
des parties qui le composaient rappelait les saintes Ecritures, ou les grands
[ ALTKI. I "2^2 —
faits (le la |)riiniti\p Éi,Misp. Toujuiiis sinipit» de luinic, (|ii(' sa inalièrc lïit
pivciouse on coiiiiiiunc, il était ciittiuii; de tout ce (jiii devait \o lairo
paraître saint aux yeux des fidèles, sans que ces accessoires lui otassent
ce caractère de siinplicite et de pureté (jue l<' faux {ioùt des derniers
siècles lui ont enlevé.
Nous allons essayer , soit à l'aide des textes, soit à l'aide des monu-
ments, de donner une idée coniplèle des autels de nos t'^dises du moyen
k'jfe. Mais d'abord, il est nécessaiie délahlii- une distinction entre les
différents autels. Dans les églises cathédrales, le maitre-autel non-seule-
ment était simple de forme, mais souvent même il était dépourvu de
retable, entouré seulement d'une clôture avec voiles et courtines, et
surmonté au dossiei' d'ime colonne avec crosse à laquelle était suspendue
la sainte Eucharistie. Sui' les côtés ('taient (Mahlies des armoires dans
les(|uelles étaient renfermées les reliques; (|uei(|uefois , au lieu de la
suspension, sur l'autel, était posé un riche tabernacle, ainsi que nous
l'apprend (iuillaume iHnand, destiné à contenir les hosties consacrées et
non consacrées. Toutefois, il est à présumei- fjue ces tabernacles ou
coffres, n'étaient pas fixés à l'autel d'une manière permanente. Sur
l'autel même se dressaient seulement la croix et deux lland)eaux. Jus-
qu'au XIII'' siècle , les trônes des évéques et les stalles des chanoines
ré}J[uliers étaient disposés généralement, dans les cath«'drales, au chevet ;
le trône épiscopal occupait le centre. Cette disposition, encore conser-
vée dans queUpies basiru|ues roniaines ,
entre autres à Saint -.leaii-de- Latran , à
Saint-Laurent hors les murs (i) ', à Sainl-
Clement (5) % etc., et qui appartenait a
la piimitive Église, devait nécessairement empêcher l'établissement des
contre-autels' ou des retables, car ceux-ci eussent caché le célébrant.
Aussi ne voil-on guère les retables apparaît i-e (jue sur les autels adossés.
> Dniis lo ])I;ni (|iie nous donnons ici, l'autol est élevé en A sur iint' crvi»!»' on
lonlessioii ; le Irônc épiscopal est en \i.
* Dans ce pian, l'autel esl en .\, le Irônc épiscopal en 15.
-l'.i — [ ALTKI. I
sur ceux desrhapolles. raivnifiit sui' les autels principaux des cathédrales.
ï>ans les éi,dises monastiques, il y avait presque toujouis l'autel niatu-
tinal, qui était celui oîi se disait lOtlice oi-diiiaire. plact' à l'entrée du
sanctuaire au bout du chteur des relif;icux , et l'autel des reli(|ues^ posé
au fond du sanctuaire, et derrière ou sous lequel étaient conservées les
châsses des saints. C'était ainsi qu'étaient établis les autels principaux de
l'église de Saint-Denis en France , dès le temps de Su},'er. Au fond du
rond-j)oint, l'illustre abbé avait fait élever le leliquaire contenant les
châsses des saints martyrs , en avant du(juel était placé un autel. Voici
la description (pie donne L). Doublet de ce monument l'cmarquable
« En ceste partie est le très-sainct autel des glorieux saincis martyrs (ou
« bien l'autel des corps saincts. à raison que leurs corps reposent soubs
(( iceluy), lequel est de porphyre gris beau en perfection : et la partie
K d'au-dessus, ou surface du même autel, couverte d'or fin, aussi enrichi
« de plusieurs belles agathes, et pierres précieuses. Là se voit une excel-
le lente table couverte d'or (un retable), ornée et embellie de pierreries,
(( qu'a fait faire jadis le roi Pépin, laquelle est quarrée; et sur les quatre
« costez sont des lettres en émail sur or, les unes après les autres, en ces
(( termes: lierlrada Denm venerans Chhsioque sacrala. Et puis : Pro
« Pippino rege fœlicissinio quondam.... Au derrièie de cet autel est le
(( sacré cercueil des corps des saints martyrs, (|ui contient depuis l'aire et
« pavé cinq pieds et demy de hault, et huict pieds de long sur sept pieds
« de large, fait d'une assise de marbre noir tout autour du bas d'un pied
« de hault, et sur la dicte assise huit pilliers quarrez aussi de marbre noir
« de deux pieds et demy de hault, et sur iceux huit pilliers une autre
« assise de marbre noir, à plusieurs moulures anciennes, et entre les
i( dicis huit pilliers, huit panneaux de treillis de fonte, enchâssez en bois,
<( de plusieurs belles façons, de deux pieds et demy de long, le pillier du
« milieu de derrière, et pareillement le pillier de l'un des coings du dit
(( derrière, couverts chacun d'une bande de cuivre doré, aussi iceux
« treillis et bois couverts de cuivre doré à feuillages, avec plusieurs
M émaux ronds sur cuivre doré, et plusieurs clous dorés sur iceux ; et sur
« le marbre de la couverture, dedans ledit cercueil, une voulte de pierre
'( revestuë au dedans de cuivre doré, qui prend jusque soubs l'autel, qui
(( est le lieu où reposent les sacrez corps des apôtres de France saint Denys
K l'Aéropagite, saint Hustic, et saiiU Éleuthère, en des châsses d'argent de
« très-ancienne façon, pendantes à des chaînettes aussi et boucles d'ar-
(( gent, pour lesquelles ouvrir il y a trois clefs d'argent... Au-dessus dudit
« cercueil il y a un grand tabernacle de charpenlerie de ladite longueur
« et largeur en façon d'église, à haute nef et basses voûtes, garny de huict
« posteaux, à savoir à chacun des deux pignons quatre, les deux des coings
« ronds de deux pieds et demy de hault, et les deux autres dedans œuvre
« de six pieds et demy de hault , aussi garny de bases et chapiteaux : et
« entre iceux trois béez et regards de ténestres à demy ronds portaiis leur
« plein centre, et celle du milieu plus haulle que les autres : le dessus des
[ AITKI. ] — '2-4 —
(( pillipi'S (le dedans œuvre en manière d'une nef d'église de ladite lon-
(( gueur, et de deux pieds et deniy de large, portant de costé et d'autre
.( dix coloniheltes à jour, et deux aux deux bouts à I)ase et cluipilcau
(( d'ancienne t'avon : au-dessus de ladite nel' et coloniheltes de chacun
(( costé est un appentil en manière de basses chapelles, voûtes et allées,
« les coste/. et ceintres à demy ronds portans (juatre culs de lampe; à
« chacun des deux pignons de ladite nel'cincj petites fenestres, trois par
(( haut à deux petits pilliers rpiarrez parvoye, et au-dessous d'eux, au
(( milieu un pilhcr rond; le dedans de hi nefiemply j)ar bas d "une Ibi'ine
« de cercueil, et les deux coslez aussi rein|)lis par bas dune même forme
« de cercueil de bois de la longueur dudit tabernacle, celle (bi mibeu plus
« liiiul eslevée que les autres. Le devant du cercueil du milieu joignant
« ledit autel est garny en la Ixtrdure d'en bas de plusieurs beaux esmaux
« sur cuivre doré, en favon dapplicpu' de diverses façons, et au-dessus
« desdits esmaux i)lusieurs belles agathes. les unes en façon de camahieux
(( à faces d'honmies (camées) et les autres en fond de cuve (chatons)....
« Tout le devant de cet autel est couvert d'or, et enrichy de belles perles
« rondes d'Orient, d'aiguës marines en fond de cuve, de topazes, grenats,
(( saphirs, amatistes, cornalines, presmes d'esmeraudes, esmaux d'ap-
« prupie et cassidoines, avec trois belles croix posées sur la pointe de
(( chacun pignon du cercueil , dont celle du milieu est d'or, et les autres
« d'argent doré, enrichies de beaux saphirs, de belles amatistes,,de grenats
(( et presmes d'esmeraudes. Au derrière du cercueil préallégué ce vers-cy
« est escrit en lettres d'or sur laiton, ainsi c(ue s'ensuit :
« Facitulnnnque lalus, fronlem, leclumque Suggerns'. »
Cette description si minutieuse de l'autel des reliques de l'abbaye de
Saint-l>enis l'ail voir que, si le reliciuaire ('tait important et aussi riche j)ar
son oinemenlation (pie par la matière, l'autel placé en avant conservait
la simplicile des formes primitives, que cet autel elait indépendant du
reli(piaire, que les trois châsses des saints étaient placées de façon à
pénétrer jusque sous la table , et que les cercueils supéricnus disposés
dans le grand tabernacle à trois nefs étai(>nt feints, et ne faisaient que
rappeler aux yeux des tidèles la présence des cor|)s saints (pi ils ne j)Ou-
vaient apercevoir. Sans prétendre faire ici une reslauiation de cet autel
remar(piable, nous croyons cependant dtnoii' en domiei' un ciocpiis aussi
exactement tracé que possible d'aj)rès la description, alin de rendre le
texte intelligible pour tous (('•) '^ Cet autel et son reli(|uaire, placés au fond
du rond-i)oinl de l'église abbatiale, n'étaient pas entourés d'une ch'iluic
particulière, car le sanctuaire elait lui-même fermé et élevé au-dessus du
' yUiliq. de l'ahbtnje de Suinct-Dennn en France, par F. J. Doublet, IG-2o, 1 I,
p. 289 et siiiv.
^ INous doiinniis (mi A le plan de cet autel et reliquaire, dressé d'aprt's les dimensions
données par 1). Doultlel.
lilbrary
-2:>
Al ni.
sol (le la iiot'ct (In liaiisscpt. dr trois iiu-lres t'uvinm ; il nctail acAîoiiipaj^iic
^ 1^ H^ .
6
que de deux armoires à droite et à gauche, contenant le trésor de Téirlise
r. M.
I AITKL 1 — -2{\ —
(voy. AïoioïKi:). (Jiianl à laiitcl iiialiiliiial place ii I c\li'(''iiiil(' de I a\r de la
croisée ot j)rt'S(|iir adosse à la Ii iluiiic roniicc |>ar rcxliaussciiiriil du saiir-
tiiaire. il ('lait ciitoiuvdf ^l'illcs de l'cr « l'ailcs par beaux (•ompaiiinitMils, )>
coiii|)()S('(run<' table de niaibre portée sur cpialre piliers de marbre blanc;
il avait été consacré pai' le pape saint Etienne '. A la lin du \v siècle,
cet autel était encore environné de colonnes de vermeil surmontées de
figures d'anges tenant des (lambeaux, et reliées par des tringles sur les-
quelles glissaient les conrlint^s. Derrière le retable, (pii était d'or, avait
été élevée la ciiàsse renl'ermant les relirpies du roi saint Louis.
Vu «lélicieux tableau de Van Eyck, conserve à Londres dans la colleclion
de lord ***. nous donne la disj)osition et la forme des |)arlies supérieures
de cet autel ; le dessous de la table de l'autel e^t caelie par un rielie pare-
ment de tapisserie (7). On retrou>e ici le retable doime par (Charles le
' I). i>(lllltl('l, llliip. WXVIII.
"27 [ AUTKL 1
dliauvt' vl la croix d'oi' (loiinéc par l'abbé Suger '. Le tableau de Vaii Eyck
est exécuté avec une Hnesse et une exactitude si reniaïquables, que l'on
distin^aie parfaitcMiient JKscju'aiix iiioiiidres détails du retable et du reli-
quaire. Les caractèies particuliers aux styles dilVereiils sont observés avec
une scrupuleuse tidelite. On voit que le retable appartient au ix*" siècle;
les colonnes, les anj^es et le reli(|uaire, à la tin du xiii<" siècle.
D. Doublet donne, dans lecliapitre xi.v de ses Anliquilezdc t'ahhai/e de
Sainl-lfenis, une description minutieuse du retable d'or de cet autel, qui
se rai)porle entièrement au tableau de Van Eyck ; il mentionne la qualité
et le nombre des pierres piécieuses, des perles, leur position , les acces-
soires qui accompagnent les personna^ics.
Guillaume Durand semble admettre que tous les autels de son tenqîs
tussent entourés de voiles et courtines, et en ettet les exemples donnés par
les descriptions ou les représentations |)eintes ou dessinées (car inalbeu-
reusement de tous ces monuments pas un seul ne reste debout) vi<'nnent
appuyer son texte. Du teuips de Moléon ( 1 7 1 S) , il existait encore un certain
nond)re d"autels ayant conservé leur ancienne disposition. Ot auteur cite
celui de Saint-Seine, de Tordre de saint Benoit ^ « Le {.,Mand autel est sans
retable. Il y a seulement un gradin et six chandeliers dessus. Au-dessus est
un crucifix haut de plus de huit pieds, au-dessous duquel est la suspension
du saint sacrement dans le ciboire; et aux deux côtés de l'autel il y a
quatre colonnes de cuivre, et quatre anges de cuivre avec des chandeliers
et des cierges et de grands rideaux. » A Saint-Étienne de Sens (la cathé-
drale), même disposition. A la cathédrale de Chartres, « le grand autel
est fort large; il n'y a point de balustres, mais seulement des colonnes de
cuivre et des anges au-dessus autour du sanctuaire. Le parement est attaché
aux nappes, un demi-pied sur l'autel ; la frange du parement est tout au
haut sur le bord de la table. Au-dessus de l'autel il y a seulement un pare-
ment au retable, et au-dessus est une image de la sainte Vierge d'argent
doré. Par derrière est une verge de cuivre, et au haut un crucifix d'or de la
grandeur d'un pied et demi, au pied duquel est une autre verge de cuivre
qui avance environ d'un pied ou d'un pied et demi sur l'autel, au bout de
laquelle est la suspension du saint ciboire, selon le second concile de Tours,
sub titulo cnicis corpus Domini componalur. » A Saint-Ouen de Uouen,
« le grand autel est simple, séparé de la nmraille, avec des rideaux aux
côtés, une balustrade de bois, quatre piliers et quatre anges dessus, comme
à celui de l'église cathédrale. Au-dessus du retable est la suspension du
saint ciboire (au pied de la croix), et les images de saint Pierre et de saint
Paul, premiers patrons, entre deux ou trois cierges de chaque côté. Il y a
trois lanq^es ou bassins devant le grand autel, avec trois cierges, connue à
< Un peut encore voir une lepiésentation de ceUe eroix dans le Irésor de Sainl-
Denis , gravé dans l'ouvrage de D. Kéliliien ; quant au relii|iiairc de vermeil, les
liuguenots s'en emparèrent lorsqu'ils prirent Saint-Denis.
' Saint-Seine, près Dijon. (Vofidijcs til\iriii(jiii'^ en Fraiicr, p. l'iT.;
[ AIITKL i _ -2S _
la catln'dralf. » .1.-1». iliici>' déiiKtiili»' ( laiicmcnl (|iii' l'iisajif d'entourer
les autels de voiles, encore conservé de son tenii)s dans (|uel(|ues éiiiises,
j'iait 1,'énéral dans les pieniiers siècles du christianisme. Nous donnons ici
la copie de l'ancien maître-autel de la cathédrale d'Arras (S), représenté sur
un tahleau du xvc' siècle conservé dans la sacristie de cette éj,dise *. (let
autel datait ceitainement du xiir' siècle, sauf jteut-éire la partie supérieuie
do la suspension, la croix, qui parait appartenii- au xv. Ce charmant
monument était construit partie en n)arl)re hlanc, partie en ar^^ent naturel
ou doré. La pile postérieure derrière le retable était en marbre rehaussé
de (pielques doiures; elle |)ortait une petite statue de la Vierge sous un dais
coui'omic d'un cruciliement en arj^t'ut, avec saint Jean et la A ierj^^e ; trois
anj^es reçoivent le ])récieux san^ de Notre-Sei^iieur dans de petites coupes.
Derrière le dais de la Viei'j^e était un anj^e en vérnieil sonnant de l'olilant.
Une crosse en vermeil à laquelle s'altachail un an^e aux ailes déployées
soutenait le saint ciboire suspendu par une petite chaîne. Sur le letahle
étaient jxisésdes l'cliquaires.Six colonnes d'ari;enl et de \('iiiieil portaient
six an^cs entre les mains desquels on distiniiiie les iiisliumenls de la
Passion. Dans le tableau de la sacristie d'Arras, l'autel ainsi (|ue le retable
sont couverts de parements semés de lleurs de lis. Nous ne savons pas
comment était décoré le retable sous li' parement ; quant à l'autel, il
présentait une disposition très-remarcpialde . disposition (|ue nous repro-
duisons dans la trravure (fii^. S), d'après un dessin de feu (iarnerey ■'.
Le maîlie-aiilel de la catliédrale de Paiis, qui est représenté dans une
gravure de i(i(i-2 ', est disposé connue celui de lacathediale d'Arras. Quatre
anj,'es tenant les instruments de la Passion sont posés sur (piati-e colonnes
de cuivre portant les trinjj;les sur lesquelles «^dissent les courtines. A Notre-
Dame de Paris, l'autel était fort sinqile, revêtu d'un parement ainsi que le
retable; derrière l'autel s'élevait le i^rand r(Miqiiaire contenant la cliAsse
de saint Marcel. « Premièrement, dil le i*. Du P»i<'ui '', derrière et au hault
<( du ^rand autel, sur une large tal)ie de cuivre, soutenue de quatre {j;ros
« et fort haults pilliers de même estotî'e, est posée la châssede sainl Marcel,
K neutième évéque de l*aris, laquelle est d'argent doré, enrichie d'une
« intinité de grosses peiles et pi(Mres précieuses — Plus haull d'iceile,
(( est une fort grande croix, dont le crucifix est d'argent dort'. »
Acùté de ce relitpiaire était un autre autel : « Au côte droit, |)oursuit Du
« Breul, sui' l'autel de la Trinité, dict des Ardents, est la châsse de Notre-
' Dinsert. ccclés. .si/r les princip. inili'ls des éiilises, cli. xiv.
- V(»yez Aiumles archmlniiiquefi , I. IX, p. I, l'ailiclo de M. l,:is>iis ot los notes fie
.M, l)i(iroi), ainsi que la gravure extVnléo sur nn calque de ce lalili an.
* Nous devons la conservalion de ce dessin à M. i-assus, (iiii , du \ivant île M. Ijur-
nerey, en avall l'ail un calque. Ce dessin esl n'iiidduil dans les Aimdles urchéolo-
(jiqites, l. IX.
• I^Knlrée Iriomphitnlc île Lnirs Majcslrs Lmiis \l\ ri M a r if- Thérèse ihnis lu
ville de Piiris. Paris, 1()()2, in-l .
s Thciilrc (les (iiili'i. (Il' l'diis. |iar l{. I'. !•'. .Iai(|iies \Ui l'.reid, y. :\C>. |':iiis, Mil 2.
— -20
Auri:
(I hamc. (lar^riit (ioiv \ cnU' sciipstrc diidict aiilcl (piiiicipal) est une
AIjTKL
;{()
(( châsse (le luds , ayaiil seulciiiciit le dcxiini ((imcil d'arj^enl dmi;, en
« l;i(|ii('llo est lecoi'ps (le sainct Lucain. iiiailyi' Au-dessus diidicl aulel
« de la Trinité sont plusieurs cliàsses »
Voici, (ra|)ivs la iiiavui'e dont nous avons ])ai"le loul a llieure. la vue de
cet aulel principal de Notre-Dame de l*aris, avec la (liasse de saint Marcel
suspendue sous son j^rund ltalda(|uin (9). Ce niailre-aiitel parait avoii-été
élevé vers la lin du \iii'' siècle; peut-èlre elail-il contemporain de la
clôture du cliu'ur. (jui date du commencciin'iit du \i\"' sirclc.
— 31 — [ AUTKI. ]
L'auti^l dos rpli(iues do la ratlicdrale d'Arras disposé au chovot de retto
«''^list\ et (|ui est icpi'odiiil dans les Annales arch(''ologi(iuc!> do M. Didroii,
d'aprôs un lal)loau consorvô dans la saciislio, piu'sonlait nuo disj)()sit'Kui
analoguo à collo ûi' l'autol du cliovot do Notro-nanio do Paris, si co n'osl
quo lo roliquaire osl suspoudu au-dossus de l'autel, scellé aux deux piles
extrêmes de lahside, et qu'on y monte par un petit escalier en bois posé
à la droite de cet autel '.
I.'usago do poser dos paremenifi ' devant les autels, bien qu'ancien, ne
tut pas adopte uniformomont on Franco, (^.ola explique poui(pioi, à partir
du xio siôolo, (piol(|uos tables dautols anciens sont poiloos sin-dos massifs
bruts, tandis quo d'autres sont soutenues par des colonneltes riches de
sculptures, des arcatures, des plaques de pierre ou de marl)re incrustées
ou sculptées. I.e sieur de Moléon observe ' « que dans les chapelles de
léglise calliédrale d'Anjiors, les autels (selon l'ancien usaçte quo nous avons
conservé lo vendredi saint, et, il n'y a pas encore lonytenqis, lo samedi
saint aussi) sont à nu, et ne sont couverts de quoi quo ce soit ; de sorte
(jue ce n'est qu'un moment avant que d'y dire la nu^sse qu'on y met les
nappes, qui débordent comme celle qu'on mot sur une table où l'on dîne;
et il n'y a point de parement. » La forme la plus habituelle de l'autel,
pondant lo moyen àfïo. qu'il soit ou non revêtu de parements, est celle
d'une table ou d'un cotiVe.
Il est certain que les beaux autels des chapelles de l'église abbatiale de
Saint-Denis en Franco dont nous donnons plus loin les dessins, et tant
d'autres, portés sur des colonnes ou i)ivsontant des faces richement déco-
rées de sculptures, de peintures et d'applications, n'étaient pas destinés à
recevoir des parements ; tandis quo très-anciennement déjà certains autels
en étaient garnis. L'autel niajour de la cathédrale de Reims avait un pare-
ment en partie d'or fin, en partie de vermeil, donné par les archevêques
Hincmar et Samson des Prés. L'autel des reliques de l'église de Saint-Denis
était également revêtu sur la face d'un parement d'or enrichi de pierres
précieuses qui avait été donné par Suger. Mais le plus souvent les pare-
ments étaient d'étoffes précieuses, pour les devants d'autel connno pour
les retables. Guillaume iHirand '* n "admet pour les vêtements ecclésiastiques
que quatre couleurs principales : lo blanc, le rouge, le noir et le vert ; il
ajoute, il est vrai, que l'emploi de ces quatre couleurs n'est pas absolu-
ment rigoureux ; l'écarlate peut, selon lui, être substitué au rouge, le violet
au noir, la couleur hi/sse au blanc, et le safran au vert. Il est |)robable que
les paromonis dos autels étaient soumis, comme les vêtements <>cclosias-
• AniKiles urchéo'., t. Vlll. Nous lu; ixnivoiis mieux (idro que de renvoyer nos
lecteurs à la gravure flou née par MM. I,as^iisft (iaiiclicrcl.
* Ou eiilt'ud par jmrrmeidfi un l'cvr'tonK'iil moliili' ([tie l'on place dovaiit cl sur les
côtés des auteU ou rclahlcs , cl (pic l'on change suivant les fêles ou les époques de
l'annéo. ( Voy. le Dictionnaire du Mobilier, an mol i>ari;ment .
3 Page 79.
'' litlliOHlll, C. XVIM, I. II.
I AITEL 1 — 3'2 —
tuiuos, àceslois, et il faut les(listin^niprdesc(»ii\frliirosou iiapj)es rouges,
grises et noires dont parle révèque de Mende dans son troisième cliapitre,
cité plus haut. Kn changeant la couleur des vêtements ecclésiaslifiucs
suivant les ditl'éreiUs tem|)s de lannec. le clergé changeait étialenicnl,
comme cela se prali(jue encore aujourd'iiui, la couleur des parements
d'autels, lorscpie ces parements étaient faits en étoiles. Il en était de même
des voiles et courtines entourant les autels; ces tentures étaient xariahles.
Nous ajouterons, au sujet des voiles et courtines, fpiils n'étaient pas
uniformément disposés pendant le moyen Age autour des autels. « Outre
<( (|u'auj(»ur(l'hui, dit Thiers (chap. xix) ', il y a peu de cilxiii'es au-dessus
a (les autels, hors lltalie , il n'y a point d'aulels ([ui aient des voiles ou
« rideaux tout autour. La vérité est qu'en plusieurs anciennes églises,
« tant séculières que régulières, les principaux autels ont des xoiles au
« côté droit et au côté gauche; mais ils n'en ont ni au devant, ni au der-
« rière, parce (pi'au derrière il y a des retables, des tableaux ou des images
<( en relief, et (|ue le devant est entièrement ouvert . si ce n'est ([u'eii
« carême on y met ces voiles dont parlent lielelh-, Dm and % et les Iz de
« Citeaux'*. En d'autres églises, les autels n'ont point du tout de voiles,
(( (pioicju'il y ait apparence qu'ils en ont eu autrefois, ou au moins à droite
« et à gauche, ce qui se reconnoît par les pilaatrcs ou colonnes île bois ou
(( (le cuivre <|ue l'on y voit encore à pn'sent. Kniin il y a une inlinité
(( d'autels (pii non-seulement n'ont point du tout de voiles, mais (|ui no.
.( paraissent pas même en avoir eu autrefois, n'ayant aucun vestige de
« i)ilastres ou colonnes. 11 y en avoit cependant autour des anciens autels,
(( dans les églises d'Oiient , comme dans celles d'Occident , et on les y
« tenoit dépliés et étendus (fermés) au moins pendant la consécration et
« jusqu'il l'élévation de lasainte hostie, atiii de piocurei' j)lus devénéralion
« aux divins mystères. » Après une dissertation étendue sur l'usage des
voiles posés au devant des autels grecs . Thiers termine son chapitre en
disant: << A l'égard des églises d'Occident, nous avons des preu\es de reste
« comme les autels y étoient entourés de voiles attachés aux ciboires, à
« leurs arcades, ou aux colonnes qui les souteiioient. Il ne faut que lire
« les vies des papes écrites ))ar Anasthase le bihliolliecaii-e jutur en être
« convaincu, et surtout celles de Serge I, de ('iiégoire III, de Zacharie,
« d'Adrien I, de Léon III, de Pascal I, de Grégoire W, de Serge II, de
« Léon IV, de Nicolas I ; on y verra que ces souverains pontifes ont fait
<( faire en diverses églises de Kome, les unsvingt-cin(], les autres huit, et
K la phqiart quatre voiles (rt-tolVes précieuses pour être tiMidus autour des
« autels, pour être suspendus aux ciboires des autels, poui' êlre allaehès
« aux arcades des ciboires autoui'des autels. ..('luillaume le bibliothécaire,
I Thiers t'crivail ceci en 1088.
* In Explicat. divin, ofjic, c. txxxv.
' Ratiomil, c. m, 1. 1.
* C. XV.
10
— :{:{ — [ AiTKL I
K (|ui a ajduté les vies de ('in(| |)a|)("s, savoir : d'Adrien II. de Jean VIII, do
« Martin II on Marin I, d'A<lrien III e( (rKtieinie V|, à celh^s qn'Anaslliase
(( a Unies par Nicolas I, parie encore de ces mêmes voiles, dans la vie
K (IKrK'nne VI, oîi il dit (pie ce pape donna un voile de lin et trois autres
« voiles de soie pour nieltn' autour de l'autel de l'éj^dise de Saint-Pierre à
« Rome... )) Thiers, qui ne va guère clierclier ses documents (jue dans les
textes, ne parait pas certain (pie dans l'(''glise d'Occident il y eut eu des
voiles derattl les autels. Le l'ait ne nous semble pas douteux cependant, au
moins dans un certain nombre de dioc('ses. Voici (10) comme preuve la
copie d'un ivoire du xi'= siècle ', sur lequel le voile anlérieur ûc l'autel est
parfaitement visible. Dans cette petite sculpture, que nous donnons
grandeur d'exécution, le prêtre
est assis dans une chaire sous un
dais; devant l'autel, trois clercs
sont également assis, le voile an-
térieur est relevé. La suspension
du saint sacrement est attachée
sous le ciborium. On ne voit sur
la table de l'autel qu'un livre
posé à plat, l'Évangile ; des (iercs
tiennent trois flambeaux du côté
droit de l'autel. Nous trouvons
des exemples analogues dans des
vitraux, dans des manuscrits et
sculptures du xi'* au xiii'= siècle.
Plus tard les voiles antérieurs des
autels sont rares et on ne lès re-
trouve plus, en Occident, que sur
les*ôtés, entre les colonnes, ainsi
que le font voir les fig. 7, 8 et V).
Il semblerait que les voiles anté-
rieurs aient cessé d'être employés pour cacher les autels des églises
d'Occident pendant la consécration , lorsque le schisme grec se fut établi.
C'est aussi à cette époque que le ciborium, ou baldaquin recouvrant
directement l'autel, cesse de se rencontrer dans les églises de France, et
n'est plus remplacé que par la clôture de courtines latérales. En effet, dans
tous les monuments de la fin du xiii'^ siècle, ainsi (pie dans ceux des xiv^ et
xvs l'autel n'est plus couvert de cet édicule, désigné encore vn Italie sous
le nom de ciborium (voy. ce mot) ; tandis que, pendant la période romane
et jusque vers le milieu du xni« siècle, on trouve, soit dans les bas-reliets,
les peintures, les vitraux ou les vignettes des manuscrits, des édicules
portés sur des colonnes et recouvrant l'autel, comme ceux (pi'on peut
1 Muulage tiré du cal)inel de M. AU'. (Jéiente. Cet ivoire parait apparleiiir à la
fia du XI' siècle et au style rtiénaii.
T. !.. ^
I AliTKI. I — 34
encore voir à Kuiiie, dans les églises de Saint-Clément, de Sainte-Agnès
(hors les murs), de S. Georgio in Velabro; à Venise, dans l'église de
Saint-Marc, etc. Cependant, du temps de Guillaume Durand, connue le
fait remarcjuer Tliiers, les voiles antérieurs des autels étaient encore posés
pendant le carême, et Guillaume Ihuand écrivait son National à la tin du
xiii'' siècle. « Il est à remarquer, dit-il', que IVju sus|)t'nd trois sortes de
« voiles dans 1 "église, à savoir : celui qui couvre les choses saintes, celui
« qui sépare le sanctuaire du clergé, et celui qui sépare le clergé du
« p(Miple Le premier voile, c'est-à-dire les rideaux que l'on tend des
« deux côtés de l'autel, et dont le prètie pénètre le secret, a été figuré
<( d'après ce qu'on lit dans l'Exode (xxxiv) : « Moïse mit un voile sur sa
« figure, parce que les tils d'Israël ne pouvaient soutenir l'éclat de son
« visage.... » Le second voile, ou courtine, que, pendant le carême et la
M célébration de la messe, «m elend devant l'autel, tire son origine et sa
« figure de celui qui était suspendu dans le tabernacle (]ui séparait le Saint
« des saints du lieu saint Ce voile cachait l'arche au peuple, et il était
« tissu avec un art admirable ol orné d'une belle broderie de diverses
« couleurs, et il se fendit lors de la Passion du Seigneur; et, à son imita-
« tion, les courtines sont encore aujourd'hui tissues de diverses couleurs
« très-belles...» Le troisième voile a tiré son origine du cordon de muraille
« ou tapisserie qui, dans la primitive Eglise, faisait le tour du chœur et ne
« s'élevait qu'à hauteur d'appui, ce qui s'observe encore dans certaines
« églises 2.... Mais le vendredi saint, (ui (Me tous les voiles de l'église,
« parce que, lors de la Passion du Seigneur, le voile du temple fut
« déchiré.... Le voile qui sépare le sanctuaire du clergé est tiré ou enlevé
« à l'heure de vêpres de chaque samedi de carême, et quand l'office du
« dimanche est commencé, afin que le clergé puisse regarder dans le
« sanctuaire, parce que le dimanche rappelle le souvenir de la résurrec-
M tion.... Voilà pourquoi cela a lieu aussi pendant les six dimanches qui
« suivent la fête de Pâques — »
L'autel de la Sainte-Chapelle haute de Paris ne parait pas avoir été
disposé pour être voilé, et l'édicule qui portait le grand reliquaire était
placé derrière et non au-dessus de lui. Nous traçons ici (II) le plan de
cet autel et de son entourage. L'autel semble être conlenq)orain de la
Sainte-Chapelle (hiiOà 1^50); (pumt à la tribune sur hupielle est |)osée la
grande châsse, et dont tous les débris sont aujourd'hui replacés, elle date
évidemment des dernières années du xui«- siècle. Quatre colonnes portant
des anges de bronze doré étaient placées aux (juatre coins de l'eunnarche-
ment de l'autel; mais ces colonnes avaient ete élevées sous Henri 111. Au
fond du rond-point, derrière le maitre-autel A, était dressé un petit autel B;
suivant un ancien usage, ce petit autel était désigné sous le nom d'autel
.' Hntioiial, cfiap. m, 1. I.
' (^est par suite de ceUe tradition que nous voyons encore sur les murs de quel-
ques églises des peintures simulant des tentures suspendues (vov. peinture).
— 35 — [ AiJT;h;u I
de rétro. C'était, comme à la cathcdralc do Paris, commf à Bourges, à
Chartres, à Amiens, à Arras, l'autel des reliques, qui n'avait qu'une place
4-, •
secondaire, le maitre-autel ne devant avoir au-dessus de lui que la
suspension de l'Eucharistie. Nous donnons (i'2) l'élévation perspective de
cet autel, avec la tribune, les deux petits escaliers en bois peint et doré qui
accèdent à la plate-forme de cette tribune voûtée et à la grande châsse en
vermeil posée sur une crédence de bois doré, surmontée d'un dais égale-
ment en bois enrichi de dorures et de peintures.
Nous entrerons dans quelques détails descriptifs à propos de cet autel
et de ses accessoires si importants, conservés au musée des Augustins et
rétablis aujourd'hui à leur place. L'autel n'existe plus, mais des dessins et
une assez bonne gravure faisant partie de l'ouvrage de Jérôme Morand*,
nous en donnent une idée exacte. Cet autel était fort simple ; la table
formée dune moulure enrichie de roses, portée sur un dossier et trois
colonnettes, n'était pas surmontée d'un retable. Derrière cet autel s'ouvre
une arcade formant l'archivolte d'une voûte figurant une abside et s'éten-
dant jusqu'au fond du chevet ; la grande arcade est accompagnée et contre-
buttée par une arcature à jour servant de clôture. Deux anges adorateurs
sculptés et peints se détachent sur les écoinçons de la grande arcade, ornés
d'applications de verre bleu avec Heurs de lis d'or. Sous la courbe ogivale
de cet arc sont suspendus des anges plus petits; les deux du sonnnet
tiennent la couronne d'épine, les quatre inférieurs les instruments de la
Passion. L'arcature et les archivoltes en retour s'ouvrant sous la voûte
sont couverts d'applications de verre, de gaufrures dorées et de peintures.
Hisl. delà Sainte-Chapelle royale du Palais, par M . S. Jérôme Morand. Paris, 1 790.
AUTEI. 1
:{(! —
La voùlr est conipnsf'cdc iicrviirpségraloinonlfïaufivcs, fiirirliios (U- piorros
— 37 — [ AUTEI. 1
fausses et d<' reniplissafïes l)leiisavec étoiles d'or. Les deux petits escaliers
en bois qui montent sur la voûte sont d'une délicatesse extrême et très-
liabilenient coinhinés connne menuiserie. Au roi de France seul était
réserve \o piivilciic d'aller prendre la monstrance contenant la couronne
d'épine l'enlérnu'e dans la jurande châsse, et de présenter la très-sainte
relique à l'assistance ou au peui)le dans la cour de la Sainte-Chapelle. A
cet etiet, en bas de la iirande verrière absidale, était laissé un panneau de
vitres blanches, afin que le reliquaire put être vu du dehors, entre les
mains du roi. La suspension du saint sacrement était devant la grande
châsse au-dessus de l'autel. Notre gravure ne peut donner qu'une bien
faible idée de ce chel"-d "œuvre, où l'art l'enqwrte de beaucoup sur la
richesse des peintures, des applications, des dorures. Il va sans dire que la
grande châsse fut fondue et que nous n'en possédons plus que des dessins
ou des représentations peintes. Derrière la clôture, l'arcature (jui garnit
le soubassement de la sainte chapelle continue ; seulement à droite, sous
la première fenêtre, est pratiquée une piscine d'un travail exquis (voy. pis-
cine); à gauche, une armoire. Deux des douze apôtres, dont les statues
ont été adossées aux piliers, sont placés à côté des deux escaliers ; ce sont
les statues de saint Pierre et de saint Paul. Au-dessus du petit autel de
rétro, sous le formeret de la voûte de la tribune, est peint un crucifiement,
avec le soleil et la lune et deux figures, dont l'une, couronnée, est proba-
blement saint Louis '. Deux marches montent à l'autel principal.
On observera que les autels dei-rière lesquels s'élèvent des reliquaires,
tels que ceux de l'église abbatiale de Saint-Denis, de Notre-Dame de Paris
et de la Sainte-Chapelle, sont placés de façon à ce que le dessous du
reliquaire forme connue une
M'Iiiiil , ^~^ grotte ou crypte à rez-de-chaus-
sée. A Saint-Denis, cette petite
crypte était occupée par les corps
saints; mais à Notre-Dame de
Paris, à la Sainte-Chapelle, les
châsses sont fort élevées au-des-
sous du sol, comme suspendues
en l'air, de manière à ce que
l'on puisse se placer au-dessous
d'elles. Cette disposition paraît
^2-^ avoir été adoptée fort ancienne-
ment. Il existe dans les cryptes
de l'église de Saint-Denis, du
..,,, côté du nord, proche l'entrée
du caveau central, une arcature
dépendant de l'église carlovingienne; sur l'un des chapiteaux de cette
arcature est sculpté un autel (l''2 a), derrière lequel est posé un édicule
1 Ces peintures étaient à peine visibles.
I ALTEL I 38
IHirlaiit un rolicjuaiiv. Lue petite éfjflise du midi de la France, l'éfîlise de
Valcabrère près Saint-Bertrand
de Connninges, a conservé dans
son chevet, dont la construction
appartient a icpncpie carlovin-
^ienne, un autel établi très-
franclienient au xui'" siècle d'a-
près cette donnée. Le plan (12 b)
de l'abside de cette église, l'élé-
vation (12 c) et la coupe (12 d)
de l'autel, indiquent nettement
la j)etite crypte placée sous le
reliquaire contenant la châsse.
Un escalier conduit sur la voûte
qui reçoit la (basse, et les fi-
dèles peuvent circuler derrière
lautel sous cette voûte, pour se placer directemenl sous la protection du
--€'"00-
pteAHD se
saint. Nous verrons tout à l'heure comme ce principe est appliqué aux
autels secondaires de l'église abbatiale de Sainl-Dt'nis.
— 31> — [ ALTEL ]
Il est une chose dii^MU' de remarque lorsqu'on examine ces restes
précieux, ainsi que ceux qui nous sont encore, el en si grand nombre,
flfÇAfiû.SC
consen'és à Saint-Denis : c'est que, dans les décorations des autels, dans
tout ce qui semblait fait pour accompagner dignement le sanctuaire des
églises, on s'est préoccupé au moyen âge, surtout en France, d'honorer
l'autel, plus encore par la beauté du travail . par la perfection de la main-
d'œuvre (\ue par la richesse intrinsèque des matières employées. A la
Sainte-Chapelle, ce gracieux sanctuaire n'est composé que de pierre et de
bois; les moyens de décorations employés sont d'une grande simplicité :
du verre appliqué, des gaufrures faites dans une pâte de chaux, des
peintures et des dorures, n'ont rien qui soit dispendieux. La valeur réelle
de ce monument tient à l'extrême perfection du travail de l'artiste. Toutes
les sculptures sont traitées avec un soin . un art , et nous dirons avec un
respect scrupuleux de l'objet, dont rien napj)roche. N'était-ce pas, en
effet, la plus noble manière d'honorer Dieu que de faire passer l'art avant
toute chose dans son sanctuaire? et n'y avait-il pas un sentiment vrai et
juste dans cette perfection que l'artiste cherchait à donner à la matièie
grossière? Nous avouerons que nous sommes bien plus touchés à la vue
d'un autel de pierre sur lequel l'hounnea épuisé toutes les ressources de
I AITEL ) — 40 —
son art, que devant ers morceaux de bronze ou d'arjjjent j^rossièi'enieiil
travaillés, dont la valeur consiste dans le poids, et (|ni excil(Mit bien |»lntôl
la cupidité (|u ils néuieuveiU lànie. Nous avons déjà parlé des autels de
l'église abbatiale de Saint-Denis, et nous avons cherché à donner une idée
de ce que pouvait être l'autel des reliques élevé dans son sanctuaire ; mais
ce n'est là qu'une restauration dont chacun peut contester la valeur;
heureusenxMit j)lusieurs des autels secondaires de cette église célèbre ont
été conservés ius(|irà nous en débris, ou nous sont domiés par de précieux
dessins exécutés en I7U7 par feu Percier '. C'est surtout dans ces autels
que l'œuvre de l'artiste api)araît. Là point de retai)les ni de parementsd'or
ou de vermeil. La pierre est la seule matière enq)lo\ée; mais elle est
travaillée avec un soin et un goût parfaits, recouverte de peintures, de
dorures, de gravures remj)lies de mastics colorés ou d'ai)j>lications de
verre qui ajoutent encore à la beauté du travail, sans que jamais la valeur
de l'œuvre d'art puisse être dépassée par la richesse de la matière. Nous
donnerons d'abord l'autel de la chapelle de la Vierge située au chevet
dans l'axe de l'église. Cet autel, élevé sur un pavé en terre cuite d'une
grande finesse, et qui dépend de l'église bâtie par Suger, est posé sur une
seule marche en pieire de liais giavée et incrustée de mastics. Les
gravures forment , au milieu dune délicate bordure d'ornements noirs,
un semis de fleurs de lis et de tours de Casiille sm- champ bleu verdàtre
et rouge (voy. dallage). Portée sur trois colonnettes et sur un dossier
richement peint , la table de l'autel est simple et surmontée d'un retable
en liais rei)résentant, au centre, la sainte Vierge couroimée tenant l'eidant
Jésus; adroite, la naissance du Christ, l'adoration des Mages; à gauche,
le massacre des Innocents et la fuite en Egyj)te. (^es ligures, d'un travail
' M. Percier, dont la jtiédilectioi) pour les arts de raiitiquilé ne saurait être contestée,
était avant tout un lioniinc de yoùl, et mieux que cela encore, un lionune de cœur et
de sens. Kn revenant d'Italie, il vit l'église de Saint-Denis pillée, dévastée; il ne put
regarder avec indillérence les restes épars de tant de monuments d'an irtnassés
pendant plusieurs siècles, alors nnitilés par l'ignorance ou le lanatisnie; il se mit à
l'œuvre , et lit dans rancienne alil)aliale un grand nombre de croquis. Ces travaux
portèrent leur l'ruil , et bientôt, aidé de M. Lenoir , il sauva d'une destruction com-
plète un grand mjuibre de ces débris, qui lurent déposés au Musée des n)onuments
français. JNous eûmes cpielquelois le bonbcur d'enlendre M. Percier parler de cette
époque de sa vie d'artiste; il était, sans le savoir peut-être, le premier qui avait voulu
voir et l'aire apprécier notre vieil art national ; le souvenir des monuments mutilés de
Saint-Denis, mais qu'il avait vus encore en place , avait laissé dans son esprit une
impression inell'açable. A sa mort, M. Vilain, son neveu, béritier de ses portelénilles,
eut l'obligeance de nous laisser calquer toutes les notes et croquis recueillis dans l'église
de Saint-Denis; grâce à ces renseignements si libéralement accordés, nous piimes
rassembler et recomposer les débris sortis du musée des Pelits-Auguslins. Quelcpies-
uns des anciens autels de l'abbaye ont été ainsi lacilemenl rélai)lis, beaucoup d'autres
pourraient l'être à coup sur; car les nombreuses traces encore existantes dans les
cliapelles et les fragments déposés en magasin montrent combien les croquis de
M. Percier sont tidèlcs.
— il —
[ AITKI,
reniiii'(|iial»It'. sont ciitièi'cnu'iil pcinles sur l'oiid hlf'u losanf.^*' ot somt' Ho
tleiirs (le lis d oi'. Ih'rriôrc le it'lahlo, eiitiv l'aulcl et le l'ond de la cliapcllc,
est un poli! cdiculc sous UmjucI on peut passer, et ([ui supporte au niveau
du (U'ssus du retable un tabernacle en pierre d'une excessive délicatesse.
Deux colonnes à liuil pans, terminées ;i leiu' sonniiel par des fleurons
téuillus, posées aux deux côtés du retaille, reçoivent des crosses en fer
doré," auxquelles des lampes sont suspendues. Au-dessus du tabernacle,
sur un cul-de-lampe incrusté dans la colonne centrale du l'ond de la
chapelle, est posé(^ une jolie statue de la sainte Vierge tenant reniant,
en marbre blanc, demi-nalme; sur sa tête est un dais. Voici (l.'J) un plan
13
peoAKc .se
de cet autel avec la chapelle dans laquelle il est posé, et (i;3 bis) une vue
de l'ensemble du petit monument. Dans le tabernacle, derrière l'autel,
était placée une châsse contenant les corps de saint llilaire, évéque de
Poitiers, et de saint Patrocle, martyr, évoque de Grenoble. Cet autel,
comme la plupart des autels secondaires de I e^dise abbatiale de Saint-
Denis, avait été élevé par les soins de saint Louis lorscjuil fil restaurer et
rebâtir en partie cette éj^lise.
A l'entrée du rond-point de l'église abbatiale, du côté j^^auche (nord),
était autrefois la chapelle dédiée à saint Firmin, premier évéque d'Amiens,
T. II.
AllTEI.
— ^^ —
C'^ff.L A tz-v^ r ^/:a.\tt
iiiailN !•. Lf pavé de coUc clia|)fll(' cl la iiiarclio do raïUel. (|ui ost tbrl large,
— -i.'î — [ AlïKL ]
élaieiil en mosaïques, et dataient du m^" siècle'. Laulel est du connnen-
cenient du ww siècle, ainsi (|ue son retahlo. qui existe encore en entier-.
l). Doublet mentionne le pavaiic en mosaïque de cett-e chapelle. d(tnt nous
avons dernièrement retrouve des |H»itionsen place; il donne la lèj^ende de
la châsse de saint Firmin concjuise par Dagobert, légende qui était peinte
sur le devant de lautel, entre l'arcature dont il était décoré '. Il parle de
la châsse en bois doré posée derrière l'autel, et d'une certaine « bande de
(( broderie au-dessus de l'autel , toute pourtilée de perles et enrichie de
« pierieries, de la longueur d'yceluv, à laquelle sont suspendues soixante
« bransUns (glands) daigent doré. » Voici (1-i) la (ace de l'autel avec son
ct/'Zt'u^or ^■cc/^€ .1 f
retable en piei-re sculptée et peinte, représentant le Christ au centre, avec
les quatre évangélistes; des deux côtés, les douze apiMres avec leurs noius
au-dessous. En commentant par la droite de lautel, on lit : Simon, Bartholo-
' Une partie de ce pavage existe encore : c'est une mosaïque composée de pierres
dures, porphyre, vert antique, serpentine, de pâtes colorées et dorées, et de petits
morceaux déterre cuite ;vov. mosaïqie).
2 Le corps de l'autel a été coupé en morceaux lors des restaurations entreprises de
1 830 à 1 840 ; lieureusenient tous ces fragments existent encore, et peuvent être faci-
lement recomposés à l'aide d'un dessin très-complet et détaillé de M. Percier.
■^ On voit dans le dessin de M. Percier l'indication de i-^Wc peinture, l'armée de
Dagobert au siège de Picquigny, etc.
ii
[ ALTKI. I
meus, Jacolms, JctliiiiiiH'^, Andréas, Petrus; sous le (Christ, Apostolus; puis
en suivant, Paulus, Jacohus, Tlionias. Filipus, Malheus, Judas (Jude). lians
lequatre-Ccuillesquicnfourele (llnist.on lit cetlciiisciiplion : Hir Deusesl
el liomo quem preaens signal imago ; ergo rogahil homo (inctn sntlia figurai
imago. Le corps de l'autel est coinpose d iinr ;ii( alnif tcuillue soutenue
par (les colonnettes engagées, cylindriques et piisinati(iues alternées; le
tout est couvert de peintures; les t'euillages sont colorés en vert ainsi que
les chapiteaux; les colonnettes sont divisées par des coiupartinients très-
tins siuudant des niosaiVpies . assez semblables à celles qui couvrent les
colonnellcs des cloîtres de Saint-Jean de Lalran et de Sainl-l*aul hors les
murs à Home; les intervalles entre les colonnettes sont couverts de sujets
légendaires, ainsi (]u'il vient d'être dit. La table de l'autel était bordée sur
ses rives d'une inscription, perdue, et couverte sur le plat d'une mosaïque
à compartiments. Nous donnons ici (15) le plan de cet autel, avec la chasse
>L
PCSARP se
de saint Firmin placée derrière le dossier, sous une table portf'e sur des
colonnes; et (10) le côté de l'autel qui l'ait coiupiendre la disjiosition de
cette châsse, des grilles dont elle était entourée et de la |)etile lauq)e (jui
brûlait sur !<> corps saint. On voit combien, malgré la richesse des d«'tails,
— 45 —
ACIKI.
la forme générale de ce petit inonunient est simple et dii^ne. Comme dans
toutes les (envies du moyen à^e. surtout avant le xiv siècle, on remai-que
dans le jx'tit nombre d'autels (|ui nous sont conservés par des dessins ou
des monunu'uts, et surtout dans leurs accessoires, tels que retables, taber-
nacles, reliquaires, une },M'ande variété; que serait-ce si tous ces objets
16
7:^7Z7rM
^
nouseussent été transmis intacts! Les deux deriners autels nous montrent
des relicjuaires disposés d'un»' façon très-ditierente et parfaitement justi-
fiée par la situation. En etl'et, l'autel (fii>. 13) de la chapelle de la Viertse de
Saint-Denis est adossé, et, pour faire voir la châsse, il fallait nécessairement
l'élever au-dessus du retable; au contraire, l'autel de Saint-Firmin est
placé de manière que l'on peut tourner facilement tout autour (fig. I o) ; la
châsse se trouvait alors au niveau du sol, protégée par un grillage. Au-
dessus d'elle, suspendue à la grande tablette qui la recouvrait, se voit
la petite lampe. 11 existait encore à Saint-Denis un grand nombre d'autels
secondaires dont les dispositions accessoires dilferaient de celles que nous
venons de donner. Voici entre autres l'autel Saint-Eustache, qui se trouvait
adossé au fond de la première chapelle carrée au nord , au-dessus de la
chapelle de la Vierge Blanche (17). Ici le tabernacle recouvrant la châsse
du saint était complètement isolé du retable et porté sur deux colonnes et
des consoles à figures. Il parait ditficile de donner une signification a ces
monstres accroupis sur des honnnes vêtus. Le sculpteur a-t-il vouJu faire
[ AllKL 1
— m —
des sirènes, en se conformant aux textes des bestiaires si fort en voii
ue
i" — I Al'TEI.
pendant les xn^' ot xiii' siècles', ft rappeler ainsi aux fidèles le danj^ferdes
séduclinnsdu siècle? Parmi les autels de Saint-Denis, il en est encore un
autre dont la plac(> n'a pu être jiiscprà présent reconiuie-, niais qui pré-
sente un jii'and intérêt : il se compose d'un massit'en maconni'rie entière-
ment revêtu sur le devant et les côtés (rapi>licati(»us de veries taillés en
losanges, et à travers iesciuels on aperçoit des tours de Castille sur fond
écarlate, des fleurs de lis sur fond bleu, des rosaces et des aif^lettes sur
fond pourpre. Sur le dossier est un retable éj^^alement incrusté de verre
bleu taillé en poly<ïones, avec un crucifiement, saint .leaiv et la Vierge,
rEglise et la Synagogue, en bas-relit^f. La marche de cet autel est en liais,
avec bordure de Heurs de lis et tours de Castille très-tines se détachant sur
un fond de mastic bleu et rouge; le milieu présente des dessins d'une
grande délicatesse, noirs, bleus et rouges, également en mastic. Le pavé
de la chapelle était en mosaïque de terre cuite et de petites pierres de
couleur, avec carreaux menus de marl)re blanc (voy. pavages). Nous don-
nons ci-contre (18) une élévation perspective de cet autel.
Dansquelques-uns desexemples donnés ci-dessus, on ne voitpas que l'Eu-
charistie ait été placée autrement que dans un ciboire suspendu, et nous
n'avons pas trouvé de tabernacles ou custodes posés sur les autels pour
contenir les hosties consacrées et non consacrées, ainsi que le dit Guillaume
Duranddansson /îa</ona/. L'usage de réserver l'Eucharistie dansdes réduits
tenant aux retables des principaux autels ne remonte pas à plus de deux
cents ans, et encore, à la fin du xviiie siècle, conservait-on l'Eucharistie
dans des boîtes en forme de pavillons ou de tours, ou dans des colombes
d'argent, suspendues au-dessus des autels majeurs des grandes cathédrales
et des églises monastiques. Souvent aussi apportait-on les hosties pour la
communion dans des ciboires que l'on posait sur la table de l'autel au
moment de dire la messe. Dans ce cas, le ciboire, la boîte de vermeil
1 Voy. les Mélangea archéol. des RR. PP. Marlin et Cahier, t. il , p. 173. » Phy-
" siologes disl que la seraine port saniblancc de lenie de si al iKiinlpiil, et la partie
■' d'aval est oisel. La seraine a si doux chant qu'èle déchoit cels qui nagent en mer;
'< et est lor mélodie tant plaisant à oïr, que nus ne les ot, tant suit loing, qu'il ne li
« conviegne venir. Et la seraine les fait si oi)lier quant èle les i a atrait, que il s'en-
• dorment; et quant il sont endormi, èles les assaillent et ocient en traïson que il ne
« s'en prennent garde. Ensi est de cels qui sont es richoises de cest siècle, et es délis
" endormis, qui lor aversaire ocient : ce sont li diable. Ia^s seraines senefient les
« lémes qui atraient les homes par lor blandissemens et par lor déchèvemens à els,
« de lor paroles; que èles les mainent à poverté et à mort. Les èles de la seraine, ce
■ est l'amor de la feme qui tost va et vient. » (Manusc. .Vrsenal, n" 28o.)
- I-es fouilles faites sons le i)avé actuel du choMir, en faisant retrouver les dallages
ou carrelages anciens, permettent de replacer à coup sûr les autels dessinés par
M. Percier avec leurs pavages. Malheureusement, ces fouilles ne peuvent être entre-
prises que successivement, par suite de la faiblesse des allocations annuelles, et l'autel
dont nous parlons n'a p;is encore retrouvé sa place, bien que son retable et une grande
partie de son devant existent encore, ainsi que la marche.
AlTKI. 1
— \H —
conteiiani l'Kucharistip, était hahiuirlloiupnt dépos«''<> dans un sacraire ou
petite saciislic voisiiKMlo l'autel. Tliieis parle, dans ses Dinaerlalions sur
les priiicipau.r aulels des églises, de (ours destinées à rontenir IKurlia-
ristie ; il dit en avoir vu une de cuivre, assez ancienne, dans le chœur de
18
Wii^m'^m^^^^^ ^f''^'^^^"''''.^^^^^^^
-^
i
%Mèi
réglise paroissiale de Saint-Michel de Miidn. (!let usaj^e était fort ancien en
effet; car saint Rémi, archevêque de Reims, ordonna, par son testament,
que son successeur ferait faire un tabernacle ou ciboire en forme de tour
d'un vase d'or pesant dix marcs. (|iii lui avait ete donn»' par le loi (llovis.
Fortunat, evèquede Poiliei's, l«»ue saint Kelix, ar(hevt''(nie de Rouriies, (pii
assista aucpuitrième concile de Paris en r>7;}, de ce (piil avait fait faire 'une
tour d'or très- pi'écieuse pour luettre le corps dt^ Jésus -Christ. Les
exemples abondent, aussi bien pour les tours transporlables que pour les
colombes suspendues au-dessus des autels et contenant l'Eucharistie.
Peut-être (uiillaunie Durand , en jiarlant des tabernacli^s posés sur les
autels, entend-il designer ces tours ou custodes mobiles (pii ne contenaient
pas seulement les hosties consacrées, mais encore les non con.sacrées et
49 [ AlITtiK j
nièine des reliques de saints ; ces custodes, complètement indépendantes
du retable, se posaient devant lui, sur Taufel mrme, au niomrnt de la
connuunion des tidèles. Mais il faut reconnaître que le texte de levcque
de Mcnde est assez va^ue, »'t l'opinion de Tliiers sur les oUstodesou tours
mol)il(^s nous parait appuyée sur des faits dont on ne peut contester
l'authenticité. Tliiers rep;arde les tours comme des cottres destinés non
point à contenir l'Eucharistie, mais les ustensiles nécessaires pour l'obla-
tion, la consécration et la communion, et il incline à croire (jue l'Eucha-
ristie était (ot( jours réservée dans une boite suspendue au-dessus de l'autel,
que cette boite fût faite en forme de tour, de coupe ou de colombe. Saint
Udalric parle d'une colombe d'or continuellement suspendue sur l'autel
de la {grande éjjflise de Cluny. dans laquelle on réservait la sainte Eucha-
ristie. Mais ces suspensions aftectaient diverses formes, sans parler de
celle représentée dans la fip-. S ; il existe encore dans le trésor de la cathé-
drale de Sens un ciboire en forme de coupe recouverte, destiné à être
suspendu au-dessus de l'autel; ce ciboire date du xnii' siècle. Quant aux
ustensiles nécessaires pour l'oblation, la consécration et la comnmnion,
tels que le calice, la patène, la fistule, les burettes, le voile, etc., ils étaient
conservés ou dans ces coffres mobiles que l'on transportait près de l'autel
au moment de l'oblation, ou dans ces petites armoires qui sont générale-
ment pratiquées dans les murs des chapelles à la droite de l'autel en face
de la piscine, ou dans de petits réduits pratiqués à cet effet dans les autels
mêmes. Nous retrouvons un assez grand nombre d'autels figurés dans
des peintures et des bas-reliefs où ces réduits sont indiqués. Voici entre
autres (19) un autel provenant d'un bas-relief en albâtre conservé dans
le musée de la cathédrale de Séez , sur la paroi duquel est ouverte une
petite niche contenant les burettes.
Quant aux retables, ils prirent une plus grande importance à mesure que
le goût du luxe pénétrait dans la décoration intérieure des églises (voy. re-
table). Déjà très-riches au xiu'" siècle, mais renfermés dans des lignes
simples et sévères , ils ne tardèrent pas à s'élever et à dominer les autels
en présentant un échafaudage d'ornementation et de figures souvent d'une
assez grande dimension, ou une succession de sujets couvrant un vaste
champ. Les cathédrales seules conservèrent longtemps les anciennes tradi-
tions, et ne laissèrent pas étouffer leurs maître-autels sous ces décorations
parasites. Il faut rendre justice à l'Église française, cependant : elle fut la
dernière à se laisser entraîner dans cette voie fâcheuse pour la dignité du
culte. L'Italie, l'Espagne, l'Allemagne nous devancèrent et couvrirent dès
le xive siècle leurs retables d'un fouillis incroyable de bas-reliefs, de niches,
de clochetons, qui s'élevèrent bientôt jusqu'aux voûtes des églises. Les
dossiers des autels des églises espagnoles notannnent sont surmontés de
retables, dont quelques-uns appartiennent au xiv siècle, et un plus grand
nombre aux xv»" et xyi»- siècles, qui dépassent tout ce que l'imaginalioii peul
supposer de plus riche et de plus chargé de sujets el de sculptures d'orne-
ment. Sans tomber dans cette exagération, les autels de France perdent a
T. II. 7
I Al'THl. 1 '><>
la fin du xiv<' sièclf l'aspect sévère (|u'ils avaient su couserver encore
|)en(lant le xm*". Les retables prennent assez d'iinportance (excepté, comme
•4,
:"i"i I I nil I I I I I I ' PESARD.)
nous l'avons dit, dans quehpies églises cathédrales) pour faire disparaître
la belle disposition des autels de Saint-Denis. On n'établit plus cette
distinction entre l'autel et le rerupiaires'élevant derrière lui ; tout se mêle
et devient confus ; l'autel, le retabh^ et le reli(|uair(> ne forment plus qu'un
seul édicule, contrairement à cette loi de la primitive Église, que rien ne
doit être placé directement au-dessus de l'autel, si ce n'est le ciboire. Il
ne nous appartient pas de décider si ces changements ont été favorables ou
non à la dignité des choses saintes; mais il est certain qu'au point de vue
de l'art, les autels ont perdu cette simi)licité grave, qui est la marque du
bon goût, depuis (ju'on a surchargé leurs dossiers d'ornements parasites,
depuis (ju'on a remplacé les susjxMisionsdu saint ciboire par des tabernacles
qui s'ouvrent au milieu du retable; depuis rpie les retables eux-mêmes,
convertis en gradins, ont été couverts d'une quantité innombrable de
flambeaux, de vases de fleurs artificielles; depuis que des tableaux avec
encadrements présentent des scènes réelles aux yeux, et viennent distraire
plutôt quéditier les fidèles. Notre opinion sur un sujet aussi délicat pour-
rait au besoin s'appuyersur celle d'un auleurecclésiasliqu<Mjue nous avons
— 51 — [ AUTEI. ]
déjà cité bien des fois dans le cours de cet article. Thiers, en parlanl de ces
innovations qu'il rejjarde comme funestes, dit • : « Les petits esprits, les
esprits foibles. les dé\ots de mauvais ^oust. (jui ont j)lus de zèle que de
lumières, et qui ne sont j)as prévenus de respect j)(>ur les anli(|uités
ecclésiastiques, louent, approuvent ct's nouvelles inventions, jusqu'à dire
qu'elles entretiennent, ([u'elles excitent leur dévotion. Comme s'il n'y
avoit point eu de dévotion dans l'antiquité; connnesi l'on ne pouvoit pas
être dévot sans cela; connue s'il n'y avoit pas de dévotion dans les églises
cathédrales, où les tabernacles sont extrêmement simples, aussi bien que
les autels, quoique les end)ellissements leur conviennent inciMuparablement
mieux qu'aux églises des Réguliers entre autres. » Que dirait donc Thiers
aujourd'hui que toutes les églises cathédrales elles-mêmes ont laissé
perdre la vénérable simplicité de leurs autels sous des décorations qui
n'ont même pas le mérite de la richesse de la matière, ou de la beauté de
la l'orme? Depuis l'époque où écrivait notre savant auteur (1088), que de
tristes changements dans les chœurs de nos églises mères, quelle mons-
trueuse ornementation est venue remplacer la grave et simple décoration
de ces anciens autels, témoins des faits les plus émouvants de notre histoire
nationale! Qu'eût dit Thiers en voyant le chapitre de la cathédrale de
Chartres démolir son jubé et son autel du ww siècle; le chapitre de
Notre-Dame de Paris présider à la destruction de son ancien autel , de
ses reliquaires, de ses tombes dévêques; celui de la cathédrale d'Annens
remplacer par du stuc, du plâtre et du bois doré le magnifique maître-autel
dont nous donnons plus bas la description ? Peut-on, après cet aveuglement
qui entraînait, pendant le cours du dernier siècle, le clergé français à jeter
au creuset ou aux gravats des monuments si vénérables et si précieux,
pour mettre à leur place des décorations théâtrales où toutes les traditions
étaient oubliées; peut-on, disons-nous, trouver le courage de blâmer les
démolisseurs de 1793, qui renversaient à leur tour ce qu'ils avaient vu
détruire quelques années auparavant par les chapitres et les évêques eux-
mêmes? Ces pertes sont malheureusement irréparables : car, admettant
qu'aujourd'hui, par un retour vers le passé, on tente de rétablir nos
anciens autels, jamais on ne leur donnera l'aspect vénérable que le temps
leur avait imprimé; on pourra faire des pastiches, on ne nous rendra pas
tant d'oeuvres d'art accumulées par la piété des prélats et des fidèles sous
l'intluence d'une même pensée; car jusqu'à la réformation, sauf quelques
légères modifications apportées parle goût de chaque siècle, les dispositions
des autels étaient à très-peu de choses près restées les mêmes. En voici
une preuve.
Le maître-autel de la cathédrale d'Amiens avait été érigé pendant
le xv^ siècle et au commencement du wi»-, soit que l'ancien autel n'eût
été que provisoire, soit qu'il eût été ruiné pendant les guerres désas-
treuses des xive et xv« siècles. Ce nouvel ault'l lappelait les dispositions
' Disserl. mir lex prinrip. milels des églises, cliap. xxiv, y. 209.
ALTEL
(I»' (('liii (If la Sainlo-i^liapclle, ce qu'il «'sl facile de l'econiiaitic en
examinant le plan C^O) ' que nous présentons ici. C.ràce au zèle (l'un
2(»
Aniiénuis dont tous les loisirs sont employés à t'aiit' coiuiaitrc lliistoire de
son pays% et dont les recherches ont déjà produit de précieux travaux sur
la Picardie, nous pouvons donner à nos lecteurs une idée complète du
maitie-autel de la cathédrale d'Amiens. Cet autel était en pierre blanche,
percé de trois niches destinées à contenir les chasses des trois saints les
plus vénérés du diocèse d'Amiens; il avait été consacié en I iS3 par
l'évèque Versé, neveu de .1. Coythier, médecin de Louis M. La tahle, en
marbre noir, avait 4"",5 i de long sur 0"',t>() de lar^'eur ; elle avait été donnée
en 1413 par un chanoine de la cathédrale, Pierre Millet. Le retable, sur-
1 Ce plan nous a été communiqué par M. Dullioit, tlWmicns; il csl copié sur un
dessin l'ail on 1727, et faisant partie de la précieuse collection de M. (JiUtcrt, linlati-
gal)le historien de nos anciennes catliédrales du nord.
2 M. Goze; c'est à cet archéologue, dont la com]»laisaucc ne nous a jamais l'ait
défaut, que nous devons la description suivante, extraite des registres déposés aujour-
d'hui dans la hihliothèque couinmnalo (fAniiens.
— r>3 — [ Al IKL 1
élevé iiu centre, était couvert de panneaux de bois peint représentant la
Passion, qui, en s'ouvrant connue des volets, laissaient voir des i)as-reliers
d'ari^ent t'xécutés de I iS5 à \\\V.i. Six colonnes île cuivre, tlonl les fûts
élaient ornés de slaluelles de saints, posées des deux côtés de l'autel,
portaient six anyes vêtus de chapes et tenant les instruments de la Passion.
Des voiles glissant sur les tringles qui réunissaient les trois colonnes, de
cluKpie côté, térniaient le sanctuaire. Ces voiles furent conservés jusqu'en
ICtTI . Les colonnes avaient été données par un chanoine d'Amiens, .lehan
l.eclère, en I.M I . Un lustre d'argent à trois branches était suspendu devant
l'autel. Tiois grands chandeliers de cuivre étaient en outre placés dans le
sanctuaire. Vn dais en forme de carré long, couvert d'une étotfe de soie
semée de fleurs de lis d'or, était suspendu à la voùle inmiédiatemeut
au-dessus de la table de l'autel. Aux deux angles postérieurs de l'autel, aux
extrémités du retable, étaient plantées, sur le dallage, deux colonnes de
cuivre en forme d'arbres chargés de fleurs et de fruits. Les corolles dés
fleurs portaient des cierges que l'on allumait aux jours de fêtes devant les
châsses des saints. Quant à la suspension du saint sacrement, elle avait été
refaite pendant les x\w et wni^ siècles. Il n'est pas fait mention, dans les
registres capitulaires d'où sont tirés ces renseignements, de la clôture qui,
comme à la Sainte-Chapelle de Paris, fermait le rond-point derrière l'autel;
mais il y a tout lieu de croire que cette clôture double, voûtée, formait une
galerie élevée sur laquelle étaient exposées les châsses qui, à la cathédrale
d'Amiens, étaient nombreuses et d'une grande richesse. Derrière le maître-
autel, au fond du rond-point, s'élevait le petit autel de relro; il était
décoré d'un groupe de statues représentant le Christ mis au tombeau,
exécuté en 14'84r.
Pour clore dignement ce chœur, des tombes d'évêfiues surmontées
d'arcatures à jour , terminées par des pignons et clochetons, étaient dis-
posées entre les piles du rond-point. Ce fut seulement en 1755 que tout
le sanctuaire de la cathédrale fut bouleversé pour faire place à des images
de plâtre et à des rayons de bois doré, avec grosses cassolettes, draperies
chifl'onnées, gros anges ettarouchés également en plâtre.
11 ne parait pas que juscpi'au xv«^ siècle il fût d'usage dans le nord de la
France de placer des statues de saints, et à plus forte raison le Christ ou
la sainte Vierge, sur le devant des autels au-dessous de la table'. En
admettant qu'il n'y eût pas là une question de convenance, les nappes
' Nous disons : dans le nord, parce qu'il existe dans la cathédrale de iMarseille un
autel du xu"^ siècle dont le devant est décoré d'une flgure de la sainte Vierge , et de
deux figures d'évéques en bas-i-clief ; mais Marseille ne faisait point alors partie de la
France. On voit encore dans l'église d'Avenas un autel sur la face duquel sont sculptés
1(; Ciirisl, les (juatre évangélistes et les douze apùlres. Cet autel est lidélcnient repro-
duit dans WhxhUecture du v« an xvii" siècle, de M. Gailhabaud. Nous ne prétendons
pas d'ailleurs aflûrmer qu'il n'y ait point eu en France de devants d'autels ornés de
figures de saints ou de personnages divins, car les exemples ilautels anciens sont trop
rares pour que l'on puisse rien altirnier à cet égard.
[ AtlEL ] — 54 —
des aulels anciens descendant forl bas ("21) ', il était inutile de placer sur
les laces des bas-reliefs qui n'eussent point
été vus. Mais pendant les xv*^ et xvi»' siècles
on sculpta souvent des fijjrures de saints sur
les devants dautel^ des anyes, des scènes
de la Passion ; on représenta même, sous la
table de l'autel, le ('hrist au sépulcre en
ronde-bosse;, avec les saintes femmes et les
soldats endormis*, ('e n'est qu'au xvi^ siècle
que lautel cesse d'ati'ecter la foiine d'une
table ou d'un coffre , pour adopter celle
d'un tombeau , dun sarcophage. Jusqu'alors l'autel n'est pas le
PEGMD. se.
tond)eau du (Christ ou dun niarlyr : il recouvre le l(>nd)eau , c'est
> i/;iul('l que nous (loiiiuins ici est copié sur iiii dos l);is-rclicls du portail de la
Vierge dorée de la cathédrale (i'Ainiens. (le bas-reliel a[)parlieiit à la seconde moitié
du XIII' siècle.
^ Ou voit un autel de ce genre dans le musée du (irand-.lardiu a Dresde; cet autel
appartient aux ileruiéres années du xV siècle.
;>•>
AUTEL
la table posée sur le toinlxMu <»ii devant lui, et même sur la crypte
renfermant le tombeau. Olle idée est dominante , et les exeniples
que nous avons donnés le prouvent surabondamment. La façon dont
sont disposés les corps saints sous Taulel des reliciues de I e^dise de
Saint-Denis, derrière les autels de Saint-Kirmin, de la Vier}>e, de Saint-
Eustache de la même église, de Valcabrère, de la cathédrale d'Amiens
même, indique bien nettement que l'autel n'est pas un tondteau, mais un
meuble posé devant ou sur des reliques saintes. Un bas-relief de la porte
Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris donne d"une manière naïve la véritable
signification de l'autel {"li). Là, on voit la crypte exprimée par les arcs
sous l'emmarchement ; trois petites baies s'ouvrent dans la partie supé-
PLAN^
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23
s.
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rieure de cette crypte et indiquent la place de la châsse du saint ; puis
l'autel adossé s'élève sur la crypte et la châsse, il est garni de ses nappes ;
seul le ciboire est posé sur la table, et une lampe est suspendue au-dessus
[ AUVEM' 1 56
do lui '. Mais, à partir du xvi' siècle, c'est Tautel lui-même qui devient la
repiTsentation du t<)nd)eau; il affecte de préférence la forme duu sarco-
phage scellé. Les autels pleins, antérieurs au xvi*" siècle, tels (jue ceux de
Saint-(îernier. de Paray-le-Monial {il'.\) du xii'' siècle, l'autel en veires appli-
qués de Saint-Denis (tig. 1«), celui mèniedereglisedu Foll-(ioat (BnMagne)
(2-i) *, qui date du commencement du xvi>' siècle, conservent toujours
24
l'apparence d'un meuble. Cette forme traditionnelle se perd avec les
derniers vestiges des arts du moyen âge.
AUVENT, s. m. Avant-vent. C'est le nom (|ue l'on donne à un ouvrage
de chaipente (]ue l'on dresse d'une manière permanente ou provisoire
devant une porte, devant une l)outi(|ue, ou une salle s"f»uvrant au rez-de-
chaussée, pour abriter les personnes qui entrent ou qui sortent. Pendant le
moyen âge on donnait aussi à l'auvent le nom d'ague. L'auvent se distingue
du porche en ce que ce dernier est porté sur des piliers en plus ou moins
grand nombre , tandis que l'auvent est comme suspendu à la muraille
au-dessus de la porte ou claire-voie qu'il est destiné a abriter. La plupart
des maisons élevées pendant les xu», xni« et xiv« siècles, avaient leurs
entrées et leurs boutiques surmontées d'auvents attachés à des corbeaux
saillants que l'on rencontre encore en grand nombre aujourd'hui. Dans ce
cas, l'auvent avait la forme d'un appentis, c'est-à-dire qu'il était à pente
simple renvoyant les eaux pluviales dans le milieu de la rue. Lesbouti(|ues
des marchands étaient généralement ouveiles, et les acheteurs se tenaient
dans la rue devant l'étalage; force était donc de leur donner un abri, aussi
bien qu'aux marchandises, au moyen d'un toit saillant ne pouvant gêner la
1 CeUc sciilpUiro îipinirrKMit au si'coml linteau tic la porto Sainto-.Vnnc; c'est une
adjonction l'aile, au xiir siècle, à ce linleaii, qui ilate du xir.
2 L'autel de l'église du Foll-Goal est en pierre uniic de Kersantun ; les petites
niches sont remplies par des figures d'anges t(?nant alternativement des pliylaclèrés et
des écussons.
.M
I AlVEM 1
circulation (voy. boltiqle). Ces auvents étaicnl (lailleiiis fort simples,
composés de potences accrochées aux corheaux ddut nous venons (]o
parler ( I) .
Beaucoup d'édifices publics avaient leurs portes munies d'auvents.
Les entrées des hôpitaux, des maisons d'asiles, des couvents, étaient
abritées par des auvents pour permettre aux pauvres d'attendre à couvert
les secours qu'ils venaient réclamer. On rencontre très-peu de ces ouvrages
de charpente conservés aujourdhui ; leur fragilité, les saillies gênantes
qu'ils formaient sur la voie publique , ont dû les faire supprimer. C'est
surtout dans les manuscrits, les anciennes gravures, que l'on trouve des
auvents figurés en grand nombre devant les portes des édifices publics
ou privés. Nous en voyons un encore attenant à la porte principale de
l'Hôtel-Dieu de Beaune, (|ui date du xv siècle ; nous le donnons ici (î>) '.
Il y en avait un devant le portail de Tancien Hôtel-Dieu de Paris, que l'on
voit représenté dans d'anciennes gravures du parvis Notre-Dame. Ces
auvents étaient couverts presque toujours en matières légères, telles que
l'ardoise, les bardeaux, ou en plomb orné et doré. Il est à présumer que
' Voy. ÏArchUecture civile et domestique de MM. Verdier et CaUois. In-4«.
T. II. "
AXK
tciix (les ltouti(|ues accrochés à des corheaux de pierre iiclaicnl nu^mc
soin ont composés cpic de toiles mobiles maintenues par des traverses et
/0f6/\R0. se.
des perches inclinées, ainsi que cela se pratique encore aujourd'hui
devant les maiiasins pour j)réservei' les marchandises du soleil.
AVANT-BEC, s. m. On dési}j;ne ainsi les renforts saillants élevés en aval
des piles des ponts, et formant en plan un anjj;le plus ou moins aigu, pour
r()m|)re le courant ou p;aranlir les piles contre l'effort des j^laces (voy. pont).
AXE, s. m. En architecture, c'est le nom que l'on donne à la ligne qui
coupe un éditice en deux parties égales, ('/est aussi la ligne qui passe
verticalement par le centre d'un |)ilier, d'un(> colonne, qui, en élévation,
divise une travée, un membre symétiicpu' d'architecture en deux por-
tions semblables. Dans la plupart des plans des églises du moyen âge
du XI'' au xiv^ siè(île, on observe que l'axe de la nef et celui du chœur for-
ment une ligne bi'is(^e au transsept. On a voulu voir dans cette inclinaison
de l'axe du clueur (ordinairement vers le nord) une intention de rappeler
l'inclinaison de la tête du Christ mourant sur la croix. Mais aucune preuve
— 59 — I ua(;li; ]
ceHuiiU' iievienl appuyer («'ttc ('onjeclurt'. (|iii iia licii dr cunli-airc dail-
leiirs aux idées du moyeu ài^'e , ft (|ue nous ne donnons ici (|iii' coiiiiiic
une explication in},^Mneuse, sinon compléleuient satisfaisante. .
03
BADIGEON, s. ui. Le badigeon est une |)cintuic dun Ion uni (|Uc Ion
passe iiidistinctcnicnt sur les nuus et les divers membres ilarchilecturc
extérieurs ou intérieurs d'un éditice. Ce n'est guèie fjue depuis deux
siècles que l'on s'est mis à badigeonner à la colle ou à la chaux les édifices,
afin de dissimuler leur vétusté et les inégalités de couleur de la pierre
sous une couche uniforme de peinture grossièrement appliquée. La plupart
de nos anciennes églises ont été ainsi badigeonnées à lintéi'ieur à plusieurs
reprises , de sorte que les couches successives de badigeon forment une
épaisseur qui émousse tous les membi-es de moulures et la sculpture.
Souvent le badigeon est venu couvrir d'anciennes peintures dégradées par
le temps; il est donc important de s'assurer, lorsqu'on veut enlever le
badigeon, s'il ne cache pas des traces précieuses de peintures anciennes,
et dans ce cas il ne doit être gratté ou lavé qu'avec les plus grandes pré-
cautions '.
BAÉE, BÉE, s. f. Ancien mot encore usité dans la construction, qui
signifie le vide d'une porte, d'une fenêtre, d'une ouverture quelconque
percée dans un mur ou une cloison (voy. fenêtre, porte).
BAGUE, s. f. On désigne par ce mol un membre de moulure qui divise
horizontalement les colonnes dans leur hauteur. Lorsqu'au xn*^ siècle
on remplaça les grosses piles carrées ou cylindri(|ues dans les édifices
par des faisceaux de colonnettes d'un faible diamètre, ces coloimettes,
' On peut enlever le badigeon, suivant sa qualité, de plusieurs manières. Lorsqu'il
est épais et qu'il se compose de plusieurs couches, que la pierre sur laquelle il a été
posé n'est |>as poreuse, on le fait tomber facilement par écailles au moyen de ràcloirs
de bois dur. S'd caclie d'anciennes peintures, ce procédé esl CL-Uii cpii réussit le mieux,
car alors il laisse à nu et n'entraîne pas avec lui les peintures ap|)liquées directement
sur la pierre. Si, au contraire, l;i couche de badii^eon est très-mince, la méthode
humide est préférable. Dans ce cas, on humecte à l'eau chaude, au ninyon d'éjionges ou
de brosses, les parties de badigeon que Ton vent enlever, et lorsque riuiniidité com-
mence à s'évaporer, on racle avec les ébauchoirs de bois. Presque toujours alors le
badigeon tombe comme une peau. Le lavage à grande eau est le moyen le plus écono-
mique, et réussit souvent ; on peut l'employer avec succès si le Itadigeon esl mince et
s'il ne recouvre pas d'anciennes peintures. En tous cas, il faut se garder d'employer
des grattoirs de fer qui , entre les mains des ouvriers, enlèvent avec le badigeon la
surface de la pierre, émoussent et déforment les profils et allèrent les sculptures, surtout
si la pierre est tendre.
BA(iUE ]
— 60 —
durent être tirées de morceaux de pierre posés eu délit, qui n'avaient pas
uiif lonjiueur sutlisanle pour ne former qu'un seul bloc de la base au
cliapileau. Leur petit diamètre relativement à leur longueur oblip;eait les
coiistnirtcurs à nuMiaiici' un on jtlusieui's joints dans leur hauteur; ces
coloiincltes étaient dautant plus minces cpielles se trouvaient adossées à
une pile ou à un mur, et leurs joints devaient être d'autant plus fréquents
qu'elles étaient plus minces. Les joints étaient une cause de dislocation ;
force était donc d'empêcher les ruptures ou les déranj,'ements surces points.
La nécessité de parer à ces inconvénients devint immédiatement un motif
de décoration. En intercalant entre les lonpfs morceaux des colonnettes
en délil une assise basse de pierre dure reliée au massif des piles ou des
murs, les architectes du xii^ siècle les rendiient stables et les fixèrent à la
construclion. Pour nous faire mieux comprendre, nous donnons ici une
bague disposée connue nous venons de l'indiquer (I) ; la fig. A présente
la bague avant la pose des fùls de coloimettes, et la tig. B la bague après
la pose des fûts. Ce principe une fois admis, on ne cessa de l'appliquer que
lorsque les colonnettes firent partie des assises de la construction, lorsque
les mati'riaux enq^loyes furent ass(v, gi'ands et assez résistants pour
permettre d'éviter les joints dans leur hauteur, ou lorsqu'au milieu du
xni« siècle on évita systématiquement de couper les lignes verticales de
l'architecture par des lignes horizontales. Les raisons de construction qui
avaient fait adopter les i)agues bien comprises (voy. construction) , nous
allons présenter une suite d"e\emj)les de ce membre d'architecture, si
lï'e(iuennne!il employé |HMi(lant le xu'" siècle et le coumumcement du xm*'.
— ni —
IIAC.UK
Au xii« siècle, les bannies étaient souvent décorées par des feuilles, des
perles, des pointes de diamant. Voiei des exemples, 1" d'une hajiue ornée
de feuilles tenant aux colonnettes du bas-cùté du tour tlu clurur de la
cathédrale de Lanj,a'es (-2) [milieu du xii»^ siècle]; et 2" d'une bague des
colonnettes des bas-côtés de la nef de la cathédrale de Sens (3) [tin du
pr&inB se
\n^ siècle] présentant un large profil avec billettes. Au commencement du
xiii»^ siècle, les bagues ne se composent plus que de profils minces sans
ornements, ainsi qu'on peut l'observer dans le bas-côté du croisillon sud
de la cathédrale de Soissons, dans la nef de la cathédrale de Laon, dans le
chœur de l'église de Vézelay (4) et dans un grand nombre d'édifices du
nord et de l'est de la France. Quelquefois aussi les bagues tiennent à des
colonnes isolées et ne sont alors qu'un ornement , un moyen de décorer
la jonction de deux morceaux de fûts. Un des plus beaux exemples de ce
genre de bagues se trouve dans le réfectoire du prieuré de Saint-Martin-
des-Clunnps à Paris (5). Les colonnes qui portent les grandes voûtes
divisent la salle en deux travées. Ces colonnes sont très-hautes et compo-
sées de deux morceaux de pierre réunis par une bague; la bague est
d'autant plus nécessaire ici, que le morceau inférieur est d'un diamètre
plus fort que le .fût supérieur (voy. colOiNne). Voici encore un exenqile
I BAGtE I (j'2 —
(l'une I»aj4:ii(' ou lamliour inuulurv, divisant une colonne en deux |K)rlinns
i
•1
(le fùls (5 bis). F.a bagfue (3St ici une véritable assise entre dnix morceaux
S
4.
de pienc posés en délit, (^elle colonne appartient à I une des maisons du
Mil'" sit'clc (le la ville d(
2 0.C
()3 I RAGL'KTTK ]
Dol en l'rotagne'. Nous ne pouvons omettre les
bagues de métal qui maintiennent les
rolonn(»lles de la eathédi'ale de Salis-
hury, bien que cet édilice n'appar-
tienne pas à laichi lecture française;
mais cet exemple est trop précieux
pour ne pas être mentionné. La ca-
tbédrale de Salisbury, comme cha-
cun sait, est construite avec un grand
soin; les piles de la nef, élevées par
assises, et qui, en plan, donnent une
figure composée de quatre demi-
cercles, sont cantonnées, dans les
angles curvilignes rentrants, de qua-
tre colonnettes dont les fûts sont en
deux morceaux dans leur hauteur.
Les joints qui réunissent ces fûts,
placés au même niveau pour toutes
les piles, sont maintenus par des ba-
gues ou colliers de bronze scellés
dans la pile au moyen d'une queue
de carpe ((>); A représente une de ces
bagues avec sa queue de carpe, et
B la coupe du cercle de bronze.
On donne aussi le nom de bague
^ aux moulures saillantes, ornées ou
simples, qui entourent la base des fleurons des couronnements de pinacles
ou de pignons, etc. (Voy. fleukox.)
BAGUETTE, S. f. C'est un membre de moulure cylindrique d'un petit
diamètre, qui fait partie des corniches, des bandeaux, des archivoltes, des
nervures. La baguette n'a guère qu'un diamètre de 0,01 à 0,05; au-dessus
de cette grosseur, elle prend le nom de boudin (voy. ce mot). Mais ce qui
distingue surtout la baguette du boudin, c'est safonction secondaire. Ainsi
dans les profds que nous donnons ici d'arcs ogives du xiii« siècle (1), A est
une baguette et B un boudin. Dans l'architecture romane du Poitou et de
la Normandie, la baguette est parfois décorée de perles (2) ; son profd C,
dans ce cas, est souvent méplat, pour que la lumière découpe nettement
chacune des perles ou petits besans. Dans larchitecture des xu'', xm^ et
xiv^ siècles, les architectes se sont servis de la baguette parmi les faisceaux
de colonnes pour faire valoir leur diamètre par opposition, et leur donner
plus de force (3) à l'œil. On trouve souvent, dans les édifices des xiii'^ et
XIV siècles, des baguettes dégagées dans les angles des piles carrées, et
\f.
rccAna se
Nous devons ce curieux dessin à M. Knprich Robeii.
[ BAdlETTE 1 t)4
surtout dans les pieds-droits des portes, pour éviter les vives arêtes qui se
2
dégradent facilement ou des aiguités qui peuvent blesser (i). La baguette
M
PSGAf^D sr
F
t'y'}' ■ 'i
/yg^RO se ti.uVVvxvy. o<\-.\.-- ''
alors ne descend pas jusqu'au sol, mais s'arrèlc sur iaiigle vif réservé
— (>o
BAHL'T
il la partio inférieure, soit eu pénétrant un hiseaii D, soit en tombant
carrément E, soit en se perdant derrière un ornenimt F. re qui se ren-
contre très-fréquenmient dans les édifices de Bouriio^ne qui datent de la
tin du \ii«' siècle ou du connuencement du xiu"' (voy. coxiÉ). Dans la
menuiserie, la ba.uuette est un îles membres de moulures les plus souvent
employés.
BAHUT, s. m. Cest le nom que l'on donne à un nun bas([ui est destiné
à porter un comble au-dessus d'un chéneau, l'arcature à jour d'un cloître,
une iirille. une barrière. Lorsqu'au \iw siècle on établit sans exception,
dans tous les édifices de quelque importance , des cliéneaux en pieire
décorés de balustrades à la chute des combles, on éleva ceux-ci (afin
d'éviter les dégradations (]ue le passage dans les chéneaux devait faire
subir aux couvertures) sur de petits murs qui protégeaient leur base , et
empêchaient les tillrations causées par des amas de neige ou de fortes
pluies. Les grands combles du chœur et de la nef de la cathédrale de Paris
sont ainsi portés sur des bahuts de l'",'-2.'i de hauteur, dont nous donnons
ici la figure (1). Ces bahuts, décorés d'une assise de damiers sous les
\
sablières, sont en outre percés d'ajours pour éclairer et aérer la charpente
du comble. Plus tard, vers le milieu du xin^ siècle, les bahuts furent
pourvus dune dernière assise formant larmier pour éviter (pie les eaux
descendant de la couverture ne dégradassent les parements de i)ie!re et
pour les faire tomber directement dans le chéneau (2). On trouve à
Amiens, à Béarnais, à la Sainte-Cha|îelle du Palais, des bahuts ainsi
couronnés. Ce profil saillant permettait d'ailleurs d'établii- des coyaux A,
et en laissant une ciiculation d'air enlie les pieds des chevrons, les sabliè-
res et la couverture . il pi-eservait ces pièces de bois de la |)ourriture. Les
T. II. il
I IIVIN I <'<■»
iialiiils (les ui'aiids comhh's n'ont micic (iiic (),\() (m <>.(»(> c. d'épaissjMir
et porlciil sur les formerets des voûtes hautes (voy. constulction , (iivu-
peistk) , en laissant le plus de larj-cur possible à la tète des murs pour
l'établissement des cliéneaux. Quehpiefois même les balmls dos combles
sont établis sur des arcs de décharj^e reportant le j)()ids de la charpente
sur les sonniiiers des voûtes intérieures; alors toute l'épaisseur des murs
est réservée pour le placement des chéneaux. Les colonnes des f?aleries
intérieures, pendant l'époque romane et au commencement de la période
ogivale, sont souvent dressées sur de petits murs d'appui qui sont de
/ véritables bahuts. L(\s colonnettes du triforium du porche de Téi^lise de
Vézelay sont ainsi disposées. Dans la nef et le clueur de la cathédrale
d'Amiens même, c'est encore sur un bahut que sont posées les colonnes
du liiforium (voy. tkikouilm).
BAINS, s. m. (Voy. ÉTiVK.)
BAIN DE MORTiEu. Oii désigne ainsi, dans les ouvrages de maçonnerie, le
lit de niortier sui- letjuel on pose une pierre de taille ou des moellons. A
Paris, depuis le conmiencemenl du xvn« siècle, on |)ose les pierres de
taille sur des cales de bois et on les fiche au morlirr, cest-à-dire que l'on
fait entrer du moitier dans l'espace vide laissé entie ces deux pierres par
l'exhaussement des cales au m(»yen de lames de ter mince découpées en
dents de scie. Ce procédé a rinconvénient de ne jamais remplir les lils
d'un mortier assez compacte pour résister à la pression. Les ficheurs étant
obligés, pour introduire le mortier entre les pierres par une fente étroite,
de le délayer beaucoup, lorsque la dessiccation a lieu, ce mortier diminue
de volume et les pierres ne portent plus (|ue sui' leuis cales. Heureusement
pour nos édiUces modernes cpron a le soin de mettre en o'uvre un cube de
(17 [ haï l STRAIIK I
j)iori'«' liois on (|nalic l'ois plus fort (jii il nCsl besoin, et (jue, j^iàct' à cel
excès (le forée. cliiiqiK^ pieti't» ne subit (juinie faible pression; mais lors-
(ju On bâtissait au moyen àfif , les arcbiteetes étaient poi'les à mettre en
(l'uvre un cube de pierre plutôt trop faible (jue tiop fort : il devenait donc
nécessaire de faire poser ces pierres sur toute la surface de leur lit, atin de
profiter de toute leur force de résistance. On posait alors les pieries à
bain de mortier, c'est-à-dire (ju'après avoir étendu sur le lit sui)éiieur
d'une j)remière assise de pierre une épaisse couche de mortier peu delayt',
on asseyait la seconde assise sur <'ette couche, en ayant le soin de la bien
appuyer au moyen de masses de bois jusqu'au refus, ce qui, en terme de
maçons, veut dire jusqu'à ce que le mortier, après avoir débordé sous les
cou|)sde la masse, refuse de se conq^rimer davantage. On obtenait ainsi
des constructions i-ésistant à une pression considérable sans craindre de
voir les pierres s'éi)auti'rer , et on évitait des tassements (jui, dans des
editices très-élevés sur des points d'appui léj^ers, eussent eu des consé-
quences désastreuses (voy. constrlc.tion).
BALCON, s. m. (Voy. bretèche.)
BALUSTRADE, s. f. ( haiicel , Guriol. Le nom de balustrade est seul
enqdoye aujourd'hui pour désigner les garde-corps à hauleui' d'appui, le
plus souvent à jour, qui couronnent les chéneaux à la chute des combles,
(jui sont disposés le longr de g,aleries ou de terrasses élevées, pour garantir
des chutes. On ne trouve pas de balustrades extérieures surmontant les
corniches des édifices avant la période ogivale, par la raison que jus(|u'à
cette époque les combles ne versaient pas leurs eaux dans des chéneaux,
mais les laissaient égoulter directement sur le sol. Sans atiirmer qu'il n'y
ait eu des balustrades sur les monuments romans, ne connaissant aucun
exemple à citer, nous nous abstiendrons. Mais il convient de divisei-
les balustrades en balustrades intérieures, qui sont destinées à garnir le
devant des galeries, des tribunes, et en balustrades extérieures, disposées
sur les chéneaux des combles ou à l'extrémité des terrasses dallées des
édifices.
Ce n'est guère que de l'-2:2(> à h230 que l'on établit à l'extérieurdesgiands
édifices une circulation facile, à tous les étages, au moyen de chéneaux ou
de galeries, et que l'on sentit, par conséquent, la nécessité de parer au
danger que présentaient ces coursières, étroites souvent, en les garnissant
de balustrades; mais avant cette époque, dans les intérieurs des églises ou
<le grand'salles, on établissait des galeries, des tribunes, dont l'accès était
public, et qu'il fallait par conséquent nmnir de garde-corps. Il est certain
(]ue ces garde-corps furent souvent, pendant l'époque romane, faits en
bois; lorsqu'ils étaient de j)ierre, c'était plutôt des mursd'ai^pui (pie des
Italustrades. La tribune du porch<' de l'église abbatiale de Vezelay iporclu^
dont la consiruclion |)eul èlre eonqirise entre W'.H) el I I KM est munie
d'un mur d'appui ([ue nou^ pouvons a la rigueui' classeï p;irini les balus-
[ BVI.ISTUADK I (IX
tradf^s, ce mur d'appui t'tani décoré de f-randrsdcnls de scie qui lui douueul
l'aspect d'un couronuenieiit plus lé^^er (pie le reste de la construclioii (11.
Les galeries intérieures des deux pignons du transsept de la même église,
construit pendant les dernièies années du xn" siècle ou au commencement
du XIII'', possèdent de belles balustrades pleines ou bahuts décorés d'arca-
tures, sur les(|uels sont posées les coloiiiiettes de ce tril'oriuni. Nous
donnons ici ("i) la balustrade de la galeri(! sud, dont le dessin produit un
grand etïet.
Mais on ne tarda pas, lorsque l'ait^hitecture prit des formes plus légères,
à évider les balustrades; un reste des traditions romanes fit que l'on con-
serva pendant un certain temps lescolonneltes avec chapiteaux dans leur
composition. Les balustrades n étaient que d(>sarcatures à jour, construites
au moyen de colonnettes ou petits piliers espacés, sur les(|uels venait
poser une assise évidée par des arcs en tiers-point. Les restes du trilbrium
primilit'de la nef de la cathédrale de Ilouen (h2"20à IH'M)) présentent à
l'intérieur une balustrade ainsi combinée, se reliant aux colonnes portant
la grande arcaturc loniiant galerie, afin d'otlVir une plus grande résis-
tance (;{). On concevra facilement, en elfet , (piune claire-voie reposant
sur des points (rapj)ui aussi grêles, ne pouvait se maintenir sur une grande
longueur, sans quelques renforts qui pussent lui donner de la rigidité.
Mais c'est surtout à l'extérieur des monuments que les balustrades jouent
un rôle important a partir du xiif siècle : car, ainsi que nous l'avons dit
l)lus liant, c'est à dater du commencement de ce siècle quel'on établit des
cheneaux et des galeries de circulation à tous les étages. Les balustrades
exécutées pendant cette période présentent uneexlrèm<> variété de formes
et de constructions, La nature de la pierre inllue beaucoup sur leur compo-
— ()«.) — [ BALUSTUVDi: 1
siiioii. La (Ml les iiiiilériaux étaient durs ol résistants, mais d'un '^nùn tin
t't faciles à tailler, les balustrades sont légères et très-ajourées ; Ikon la
1^
pierre est teiidic. au eonirairo, les vides sont Uioiiis larges, les pleins plus
I HAi.rsTUAi»!; I — 70 —
t'[)ais. Leur dimension est éj^alenienl soumise aux dimensions des maté-
riaux, car on renonça bientôt aux balustrades composées de i)lusieurs
morceaux de pierre placés les uns sur les autres, comme n'otl'rant pas assez
d'assiette, et on les évida dans une dalle posée en délit. Kn Normandie, en
Chamiiai,Mi(\ où la pierre ne s'extrait généralement (pi'en morceaux dune
petite dimension, les balustrades sont basses et n"alteij,Mient i)as laliauteur
(l'appui ( l"',()0 au moins). Dans les parties de la liourgogne où la pierre est
très-dure, ditlicilc à tailler, et ne s'extrait pas facilement en bancs minces,
les balustrades sont rares et n'ai)paiaissent (pie fort tard, lorsque l'an^hi-
teclure imposa les formes (pi'elle avait adoptées dans le domaine royal à
toutes les provinces environnantes, c'est-à-dire vers la fin du xiic si('cle.
Les bassins de la Seine et de l'Oise otl'raient aux constructeurs des qualités
de matériaux très-propres à faire des balustrades; aussi est-ce dans ces
contrées qu'on trouve des exemples variés de cette partie important(Mle la
décoration des édifices. Connue l'usai^^e de scier les bancs en lames minces
n'était j>as prati(pié au xni'' siècle, il fallait trouver dans les carri('res des
bancs naturellement assez peu épais pour permettre d'exécuter ces claires-
voies légères. Le cli(iuart de Paris, le liais de l'Oise, certaines pierres de
Tonnerre et de Vernon , (|ui pouvaient s'extraire en bancs de 0,15 à
0,'20 c. d'épaisseur, se pi'ètaient merveilleusement à l'exécution des
balustrades consliuites en grands morceaux de j)ierre posés de cliamp et
évidés. Partout ailleurs les arcbileclt^s s"ingéni('rent à trouver un ai)pareil
(!ond)iné de manière à supj)l(''er à l'insuflisancedes matériaux qu'ils possé-
daient, et ces appareils ont eu, comme on doit le penser, une grande
influence sur les formes adoptées. 11 en est des balustrades connue des
meneaux de fenêtres, comme de toutes les parties délicates de l'architec-
ture ogivale des xiic et xiv<' siècles : la nature de la pierre connnande la
forme ius(prà un certain j)oint , ou du moins la mo(liti<\ Ce n'est donc
([u'avec circonspection que l'on doit étudier ces variétés, qui ne peuvent
inditiérenmient s'appli(iuer aux diverses provinces dans lesquelles l'archi-
tecture ogivale s'est développée.
Dans l'Ile de France, une des plus anciennes balustrades que nous
connaissions est c<'lle (|ui couronne la galeri/^ des Rois de la fa(,'a(le occi-
dentale de la catliedi'aie de Paris; elle appartient aux premières ann(''es du
xiii*^ siècle (h2IOà h2:2(M connue toute bipartie inférieure (l(M"ettefa(,'a(le(i).
Avant la restauration du portail, cette balustrade n'existait plus qu'au
droit des deux contre-forts extrêmes, ainsi qu'on peut s'en assurer' ; elle
est construite en plusieurs morceaux, au moins dans la pai'tie à jour, et se
compose d'une assise poi'ianl les bases, de colomiettes posées en délit avec
renfort par-deri'ièrt», et d'une assise de couronnement évidée en aicatures,
décorées de fleurettes en j)ointes de diamant. 11 existe encore sur les gale-
ries intermédiaires des tours du portail de la (>alen(le, à la cathédrale de
' CfUc l);iliistr;i(l(> est rélalilie ;nijonni'lnii sur loiilo i:i loii^ni'iir do la l'ai,;«li" . ri
i'oni|)larc «'cllo (jiii avait oU' rol'aile an mV sicclo cl (|iii lomliait ou nmio.
71 I BAI.I STHADli J
Uuiicii. mit' Itiilitslradt' du (•(tumiciict'mpnl du \im'' ^irclc. At' niônit'
construite par morceaux superposés (5). Ici les coloniiettes reposent direc
tement sur le larmier de la corniche formant pass;ig«%et laissent entre elles
7^2 —
I ItAMSrUVDK I
h's raiix sécoulcr natun'lloinent sans chenal, (le nVst ^Mière qiio vers
l:2;}0 que l'on élahlit des eliéneaux conduisant les eaux dans des ^ai-
j^ouilles : jusqu'alors les eaux s'éj^outlaienl sur le larmier des corniches,
comme à la cathédrale de Cliarlres, à la chute des f;rands cond)les; mais
ces balustrades, composées de petits piliers ou colonnettes isolées et
scellées sur le larmier, conservaient dil'licilement Icui' aplomb. Les
constructeurs avaient tenté quelquefois de les réunira leur base au moyen
d'une assise continue évidee par-(lessous poui' l'écoulement des eaux . ainsi
qu'on peut le voir à la base du haut chu'ur nord de la cathédrale de
Chartres (0); mais ce moyen ne faisait que rendre le (juillage plus dnuno-
PEGARD.^C
reuxen multipliant les lits, et ne domuiit pas à ces claires-voies la rii^ndité
nécessaire pour éviter le bouclement. On dut renoncer bientôt aux
colonnettes ou petits piliers isolt';s reunis seulement par l'assise supérieure
continue, et on se décida à prendre les balustrades dans un seul morceau
de pierre ; dès lors les colonnettes avec chapiteaux n'avaient pas de raison
d'être, car au lieu d'une arcature construite, il s'aj,Mssait simplement de
dresser des dalles percées d'ajcturs aiVectaul des formes (pii ne convenaient
pas à des assises superj)()sées. C'est ainsi (pie le sens dioit, l'esprit loiii(pie
(|ui dirij^eaient les architectes de ces e|M)(pies, leur commandaient de
chan^'er les formes des détails, comme de l'ensemble de leur architecture,
à mesui-e qu'ils modifiaient les moyens de construction. Dans les balus-
trades construites, c'est-à-dire conqDosées de points d'appui isolés et d'une
assise de couronnement, on i-emarquera que la partie supérieure d<>s
balustiades est, (;onq)arativemenl aux points d"M|>pui . Ires-volumineuse.
Il était nécessaire en etiet de charj^er beaucoup ces poinis d'appui isolés
pour les maintenir dans leur aplomb, (juand les balustrades furent prises
— 7;{ — I BAI.ISTKADF, ]
dans un seul morceau d»' pieno , au contraire^ on donna de la Jorce, du
pied à leui' pailie inférieure, et de la léi;èi'elé à leur partie su|)(''iieure,
car on navail plus à craindre alors les déversenienls causés j)ar la multi-
plicité des lits horizontaux. Les balustrades des jurandes ^^aleries de la
tavade et du sommet des deux tours de la callié'drale de Paris sont taillées
conformément ii ce principe (7) : leur pied sempatte vi^'oureusemenl et
prolou^H' le lilacis du larnner de la corniche; un ajour en qualre-feuilles
donne une décoration continue qui n indique plus des points d'appui
T II Ht
[ BAI-LSTftADE I ' ^ —
séparés, mais qui laisse bien V(»ii' (lUc collo déoiralion est découiu'c dans
un seul morceau de pierre; un appui saillant. ména{xé dans l'épaisseur de
la pierr(\ sert de larmier et préserve la claiic-voie. Aux aniiles . la balus-
trade de la iirande },'alerie est reid'orcéc^ par des paities pleines ornées de
f,'ros croehets saillants et de li^'ures (ranimaux, qui viennent rompre la
monotonie de la li^ne horizontale de l'appui (voy. am:»iaix). Ka balustrade
extérieuiedutrilorium de la même éiilise,plus légère paree(|u"elle couronne
un ouvra^^e de moindre importance, est encore nmnie de rempattemeni
infV'rieur nécessaire à la solidité, ('et empattement, pouréviter les dérange-
ments^ est posé en léuilkire dans l'assise du larmier (8). Il ne faudrait |)as
PfTGAfiD 5r
cependant ((tnsidérer les principes que nous posons ici connue absolus : si
les architectes du xiic siècle étaient soumis aux rèfïles de la logique, ils
n'étaient pas ce que nous appelons aujourd'hui des rationalistes; le senti-
ment de la forme, Tà-propos avaient sur leur esprit une grande pi'ise, et ils
savaient au Ix^soin faire plier un ])rincipe à ces lois du goût (]ui, ne ])oiivanl
être formulées, sont d'autant plus impérieuses (ju'elles s'adressent à l'in-
stinct et non au raisonnement. C'est surtout dans les accessoires de
l'architectui'e commandés par un besoin et nécessaires en même tem|)s
à la décoration, que le goût doit intervenir et qu'il intervenait alors, .\insi.
en cherchant à donner à leurs balustrades prises dans d(^s dalles décou-
pées l'aspect d'un objet taillé dans une seule pièce, il falUil (lueces parties
imp(»rtanles de la (h'coration ne vinssent pas , par leur forme, contrarier
l,^
B.VI.LSrUADK
It's lij;iiés principales ilc raicliilt'ctmc. Si les ajorns ohlniiis au moyen de
tiètles ou de qua(ie-l"euill»'s juxtaposés convenaient à des balustrades
continues non inttMroni|)ues par des divisions vevlicalf^ ra|>proclit''es, ces
ajours produisaient un mauvais ell'et Ntisipiils se développaient par petites
travées coupées par des pinacles ou des points d'appui veiticaux; aloi'S il
fallait en revenir aux divisions multiplié<*s et dans lesciuelles la li^Mie ver-
ticale était rappelée, surtout si les balustrades servaient de courfunieinent
supérieur à l'archileclure. D'ailleurs les divisions des ajours de balustrades
par trétles ou (lualic-t'euilles étaitMit impérieuses, lie pouvaient st» l'étn'cir
ou s'élarjiir à volonté ; si une travée jiermettait de tracer ciiHj (|uatre-
feuilles, par exemple, une travée plus étroite ou plus larjj^e de quelques
centimètres (léranj,^eait cette combinaison, ou oblifieait le traceur à laisser
seulement aux extrémités de sa travée de balustrade une portion de trètle
ou de quatre-feuilles; ce (jui n'était pas d'un heureux eti'et. l^es ilivisions
de balustrades par arcatures verticales permettaient au contraire d'avoir
un nombre dajours complets, et il était facile alors de dissimuler les
ditierences de lartjeur de travées.
Nous ferons comprendre facilement par une tij^ure ce que nous disons
ici. Soit AB (1)) une travée de balustrade conq^renant trois quatre-feuilles;
si la travée suivante AC est un peu moins lonj;ue , il faudia (|ue lun îles
trois ajours soit en partie eni;a^;é. Mais si la travée AB (U bis) est divisée
en cinq arcatures, la travée AC pourra n'en contenii' que (juatre, et \\v\\.
rHrouvant des formes complètes dans l'une connue dans l'autre, ne sera
pas cb(»(jue. Les <livisions verticales permettent même des ditVérences
[ BALUSTKADK ] 7(> —
notables dans rérartcnient des axes, sans (|ue ces diHërences soient appiv-
ciahlesen exécution; leui'dessin est j)lusfacileàronipren(lredansdes espaces
resserrés (|ui ne jx'iniettraient pas à des conil)inaisons de cercle de se déve-
lopper en nombre sullisant,car il en est de rornenienlalion arcliilectoni(|ue
comme des mélodies, qui, pour être comprises et produire tout leur ettet,
doivent être répétées. La l)alustrade supérieure de la nef et du chœur de
Notre-Dame de Paris, exécutés vers 1230, est divisée par travées inégales
de largeur, et c'est conformément à ce princi[)e (ju'elle a été tracée (10).
De distance en distance, au droit des arcs-houtants et des gai'gouilles,
un pilastre surmonté d'un gros tleuron sépare ces travées, sert en même
temps de renfort à la balustrade, et maintient le déversement qui, sans
cet api)ui, ne manquerait pas d'avoir lieu sur une aussi grande longueur '.
Mais (|ue Ton veuille bien le remarquer, si cette balustrade a (juelque
rapport avec celles (|ui, peu d'anné'es auparavant, étaient consiruites j>ar
assises , on voit cepciKJaiil cjuc c'est un evidement, un ajour percé dans
une dalle, cl non un objet construit au moyen de morceaux de pierre
superposés; cela est si vrai, que l'on a cherché à éviter dans les ajours
les évidements à angle droit (|ui peuvent provoquer les riq)tures. Le pied
des montanis retombe sur le profil du bas, non i)oint bi'us(|uenient, mais
s'y réuni! par un biseau formant un enq^attement destine à donner de la
force à ce pied et à facilitei- la taille (1 1). On voit ici, en A, la pénétration
des montants sur le profil formant traverse inféiieure, et en B, la nais-
sance des trilobés sur ces montants. Si les formes sont nettement accusées,
si les lignes courbes sont francheinenl séparées des lignes verticales,
cependant, soit |)ar instinct, soit par raison, on a cherché à éviter ici
toute l'orme pouvant faire supposer la présence d'un lit, d'une soudure.
Mais, nous le réj)étons, les artistes de ce tenq^s savaient, sans renoncer
aux principes basés sur la raison, faire à l'art une large part, se sou-
mettre aux lois délicates du goût. Si nous croyons devoir nous étendre
ainsi sur un détail de l'architecture ogivale qui semble très-secondaire,
c'est que, par le fait, ce di'tail ac(|uiert en exécution une grande iiupor-
tance, en tant que couronnement. L'architecture du xiu"' sièch; veut (jue
la balustrade fasse partie de la corniche; on ne saurait la plupart du
temps l'en séparer; sa hauteur, les rapports entre ses pleins et ses vides,
ses divisions, sa décoration, doivent être combinés avec la largeur des
travées, avec la hauteur des assises et la richesse ou la sobriété des orne-
ments des corniches. Tell(> balustrade (|ui convient à tel édifice, et qui fait
bon ell'el la où elle fut placée, semblerait ridicule ailleurs. Ce n'est donc
pas une balustrade ([ii il l'aul \(»irdansun monument, c'est /a balustrade
de ce monument; aussi ne prétendons-nous pas donnei' un exemple de
chacunedes variétés de balustrades exécutées de l'200 à 1 300,encore moins
' Cctu- l)aliislr;Ml(' ir;(ppai'tieiit pas à la l'oiistnicliuii |»rt'iiii('ro de la nel', qui rt'iiionlc
à 1210 an plus lard; elle a éié lei'aile vers \2,\0, loiMpio après un inceudio la partie
supérieure de la nell'ul eouiplélenieut remaniée et rlialiillée |voy. CAriiKoiiALr. .
I I
[ BALISTKADK
faire supposer que telle haliistiade de telle epo(|iu\ a|)|>rK|iiée à tel ('(lilict'
d'une proviiiee, peut être applicpiée a tctus les t'ililiees de cette niènie
('pdipie et de cette inovinee.
Nous voyons ici (tig. 10) une balustrade exécutée de 1-230 à 1-240.
Cette balustrade est posée sur une corniche d'un j^nand édifice, oii
tout esî cniicu lar-.Muent et sui' luie grande échelle. Aussi ses espace-
liALlJSTItADK
— 7S
n
luftiils (If picds-didils ^(Hll larges, ses trilolM>s ouv«Mlt5 ; pas de détails:
(\o simples biseaux . des foniies arrentiiées pour obtenir des ombres
el des lumières vives et franches,
pour produire un etlet net et facile
à saisir à une j,Mande distance. Or,
voici qu'à la même époque, à cin(|
ans de distance penl-èlre, on élève
la Sainte-dliapelle du Palais, édifice
|)etit, dont les détails par consé(pienl
sont tins, dont les travées, au Thui
d'être larfj;es comme à la cathédrale
de Paris, sont étroites et coupées
par des ^^àbles i)leins surmontant les
archivoltes des fenêtres. L'an hilecle
fera-l-il la faute de placer sur la
corniche supérieure une balustrade
lâche, qui, par les j^rands espace-
ments de ses pieds-droits, rétrécirait
encore à I'umI la lari^cur des travées,
dont on saisirai! ditlicilement h' des-
sin, visible seulement entre des pi-
nacles et pignons rapprochés? Non
pas;
il cherchera, au contraire, à
serrer l'arcature à jour de sa balus-
trade, à la rendre svelte et ferme ce-
pendant j)()ur sonlenirson couronne-
ment ; il obtiendra des ombres fines
et multipliées j)ar la cond)inaison de
ses trilobés, par des ajouis délicats
percés entre eux ; il fera cette balustrade haute pour relier les {^âbles aux
pinacles (12) et poui' empêcher que le grand comble ne paraisse écraser
la légèreté de la maçonnerie, pour établir une transition entre ce cond)le,
ses accessoires inq)orlantsel la rich«>sse des corniches el fenêtres; mais il
aura le soin de laissera cette balustrade son aspect de dalle découpée, afin
(]u'elle ne puisse rivaliser avec les fortes saillies, les ombies larges de ces
gables et pinacles. Dans le même édifice, l'architecte doit couronner un
porche couvert en leri-asse par unt> balustrade. Prendra-l-il |)our modèle
la balusti'ade du grand cond)le'.' l*oint ; conservant encore le souvenii' de
ces belles claires-voies du connnencemenl du xiii"' siècle, composées de
colonnetles portant une arcature ferme et sim|)le connue celle que nous
avons donnée (fig. i) ; comprenant (jue sur un édifice couvert d'une
terrasse il faut un couronnement qui ait un asj)ect solide, qui prenne de
la valeur autant par la cond)inaison des lignes el des saillies que par sa
richesse, et ([U une dalle plaie percée d'ajours avec de sinq)les biseaux
sur les arêtes ne peu! satisfaire à ce besoin de l'ieil , il élèvera une baliiN-
70 I ItAl.lMIlADK i
Iradc onu'(> tic (•liai)iloau\ siipiun-liiiil iin«' aicaliuv (It'coupi'f en liilohcs,
relbuillée, doiil les ombres vives viendront ajoutera l'etiet de la corniche
en la complétant, à celui des pinacles en les reliant (13) . iMais nous sommes
au milieu du xin« siècle, et si la balustrade du porche de la Sainte-(^ha-
pelle est un dernier souvenir dt>s primitives clairt>s-voies construites au
moyen de points d'ai)i)ui isoles supportant une arcalure , elle restera,
connue construction, une balustrade de son époque, c'est-à-dire que les
colonnetles reliées à leur base par une traverse, et les arcalures trilobées,
seront prises dans un même morceau de pierre évidé. La tablette d appui
A sera seule rapportée. C'est ainsi (ju'à chaque pas nous sonnnes arrêtés
par une transition, un pro^avs (|uil faut constater, et que nous devo!is
pres(iue toujours rendre justice au yoùl sûr de ces praticiens du xni'' siècle
qui savaient si bien tenq)érer les lois sèches et froides du raisonnement
par l'instinct de l'artiste, par une imagination qui ne leur faillait jamais.
It\U STUADK
KO
L(iiifit(Miips les balustrades furoiit ex idcimncnt l'un des détails do larclii-
Icctiiit' oiiivalc sur l('S(|iif'ls on a|)i)oita une attention pai-ti(uli»~'re; mais il
laul convenir (|ua la tin du \nr siècle déjà, si elles présenlenl descond)i-
naisons iuf^M'nieuses, belles souvent, on ne les tiouve i)lus liées aussi
intimement à l'arcliiteclure; elles sont parfois comme une œuvre à part
PFCARD xr
ne participant j)lusà l'effet de l'ensend)le, et le clioix d«» leurs dessins, de
leurs comparliments ne i)arait j)as tonjouis avoir été lait pour la place
(|u'elles occui)eiit. La balustrade supeiieure du clio'ur de la catht'drale de
{•eauvais en est un exem|)le (li) : rallernance des (pialic-l'euilles posés <'n
carré et en diagonale est heureuse ; mais cette balustrade est beaucouj) trop
maigre pour sa place, les ajours en sont trop j>i'ands, et, de loin, elle ne
prête pas assez de fermeté au couronnement. Sous cette balustrade, la
coi-niche, bien (jue délicate, parait lourde et j)auvre en même temps. Nous
retrouvons cette combinaison de balustiades. amai^nie encore, au-dessus
des diapelles de lé^lise Saint-Ouen (1(> Kouen (ir>). Les défauts sont
encore plus choquants ici, l)ien (|ue cette balustrade, en elle-même, et
connue taille de pierre, soil un clicf-d^euvre de perfection; mais, étant
placée sur des côtés de polvfiones peu étendus, elle ne donne (|ue (|uatre
ou cin(| comparliments: leur dessin ne se comi»rend pas du pi-emier couj),
parcecjuela'il nei)eul saisircette combinaison alternée, (pii serait beuieuse
si elle se développait sur une jurande louj^^ieur. L excessive maii^reur de
cette l)alustrade lui donne l'apparence d'une claire-voie de meta! , non
SI
ItAl
d'une découpure faite dans de la pierre. Du reste, à partii- de la tin du
xuic siècle, on ne rencontre plus iiiière de balustrades composées d'une
suite de petits montants avec arcature ; on semble prelerer alors les
balustrades foiinées de trètles, de quatre-l'euilles , de triangles, ou de
carrés posés sur la pointe avec redents, comme celle qui couronne le
(>£C-Aliû se
chœui' et la nef de la cathédrale d'Amiens. Nous avons fait voir comme
à la Sainte-Chapelle du Palais on avait heureusement rompu les lignes
inclinées des gables couronnant les fenêtres par une balustrade à points
d'appui verticaux très-multipliés (voy. fig. 12), comme on avait tenu cette
balustrade haute pour (pi'elle ne fût pas écrasée par l'élévation des pinacles
et gables. Cette balustrade, indépendante de ces pinacles et gables, passe
derrière eux, ne fait que s'y appuyer; elle leur laisse toute leur valeur, et
paraît ce qu'elle doit être : une construction légère , ayant une fonction à
part, et n'ajoutant rien à la solidité de la maçonnerie, pouvant être
supprimée en laissant à l'édifice les formes qui tiennent à sa composition
architectonique. On ne s'en tint pas longtemps à ces données si sages.
De 1290 à 1310, on construisait à Troyes l'église de Saint-lJbain. Les
fenêtres supérieures du chœur de ce remarquable édifice sont surmontées
de gables à jour qui viennent, non pas comme à la Sainte-Chapelle de
Paris, faire saillie sur la corniche de couronnement et son chéneau, mais
qui les pénètrent. Et telle est la combinaison recherchée de cette construc-
tion, que les deux pentes de ces gables et les cercles appareillés dans les
écoincons portent cette corniche formant chéneau comme le feiaient des
T M 11
L BAL ] — 8-2 -
liens en charpente, il y avait à craindre que ces gables à jour qui n'étaient
pas reliés au nuir , et cette corniche-chéneau ([ui reposait seulement sur la
tète de ce mur, sans être retenue dans sa partie enjiagée par une loite
charge supérieure , ne vinssent à se déverser en dehors. Le constructeui'
/.5
imagina de se servir de la balustrade pour maintenir ce dévers (16); et
voici comment il s'y prit. Tl faut dire d'abord (pi'entre cha<iue travée
s'élève un contre-tort avec pinacle bien relié à la masse de la construction;
prenant ce pinacle ou contre-fort comme point fixe (il l'est en effet),
1 architecte fit ses demi -travées de balustiades A d'un seul morceau
chacune, et, ayant eu le soin de poser ses pinacles sur un plan plus avancé
que celui dans lequel se trouvent les gables, il maintint le sonmiet de
ceux-ci en les étrésillonnant avec les balustrades, ainsi (jue l"in(li(|ue le
plan (IGbis). Soit lî le pinacle rendu lixe par sa base portant cheneau
fortement engagée dans la construction , et CG les tètes des gables ; les
demi-travées de balustrades BC étant d'un seul morceau chacune, et
formant en plan un angle rentrant en G, viennent étrésillonner et butter
les tètes des gables G G, de manière à rendre impossible leur déversement
en dehors. Mais pour rendre sa balustrade à jour très-rigide, tout en la
- 83
l«Al,
(ItVoiipaiil (lélicateiiK'iit, riurliiiecte de Stiiiit-Dil);!!!) la (oiuposa (liiiic
suito de triangles chevauchés réunis par leurs cùlés, et t'onuaut connue
autant de petits liens inclinés se contre-buttant nnitnellenient de manière à
évitei- les chances di' lupluie. C/etait là, il faut le dire, plutôt une combi-
naison de charpente qu'une construction de niavonnerie ; mais il faut dire
aussi que la piei're à laquelle on imposait cette fonction anormale est de la
pierre de Tonnerre, d'une qualité, d'une fei-meté et d'une finesse extraor-
dinaires, qui lui donnent, une fois taillée, l'aspect du métal. Certes , cela
était ingénieux et bien raisonné connue appareil ; il était impossible de
dominer la matière d'une façon plus complète que ne le fit avec succès le
savant architecte de Saint-Urbain (voy. construction;; mais pour ne
parler que de la balustrade dont il est ici question, cette suite de petits
triangles semblables aux grands triangles formés i)ar les gables est
«i —
I BAL I
laclieiisc mi point de vue de lait. L'ct-il est tomnieiité par tes figures
jîéométri(iiies seiiiblables mais iiiéj-ales ; rhaniionie ([ui doit résulter, non
<|(" la similitude des diverses parties d'un editice , mais de leur contraste,
est détruite. Ici. comme dans toutes les formes de l'architecture adoptées
16
uis
B
PEGAnu. zc
à partir de cette époque, le raison ueuient, la combinaison géométrique
prennent une place trop importante; le sentiment, l'instinct de l'artiste
disparaissent étoufllés par la logique. L'amour des détails, les raffinements
dans leur application, vinrent encore ôter aux balustrades leur sévérité de
formes. Les architectes du xiii* siècle, mus par ce sentiment d'art qu'on
retrouve à toutes les belles épofjues. avaient com[)ris que plus les membres
de l'architecture sont d'une petite dimension, et plus leurs formes veulent
être laigcment composées, afin de ne pas détruire l'aspect de grandeur que
doivent avoir les édifices; car en nuiltipliant les détails sans mesuie, on
rapetisse au lieu de grandir l'arcliitecture. Si parfois, au xur siècle, dans
(pielques monuments exécutés avec un grand luxe, on s'était permis de
faire des balustrades très-riches par leur combinaison et leur sculpture, ce
sentiment de la grandeur apparaissait toujours, et les détails ne venaient
pas détruire les masses; témoin la balustrade qui couronne le passage
réservé au-dessus de la porte sud de Notre-Dame de l'aris (17). élevée en
1257. Il est impossible de grouper plus d'ornements et de moulures sur
une balustrade, et cependant on remarque qu'ici Jean de Chelles, l'auteur
de ce portail . avait compris que l'excès de richesse prodigué sur un petit
espace pouvait détruire l'unité de sa composition, car il avait eu le soin de
relier cette; balustrade aux divisions générales de l'architecture par des colon-
nettes engagées qui viennent la pénétier et la forcer, pour ainsi dire, à
participer à l'ensemble de la décoration'. Aussi raffinés, mais moins adroits,
les architectes du xiv« siècle arrivèrent promptement à la maigreur ou à la
lourdeur (car ces deux défauts vont souvent de compagnie dans les compo-
' Il n'existe plus que deux fragments de celte cliarniante Ijahislrade sur les deux
conlrelorls du portail, mais ces fragments indicpient clairement la disposition de
rcnsemhle. La richesse de cette balustrade est motivée par rexlrèmc délicatesse
des parties d'architecture qu'elle accompagne et coinonnc.
85 —
BAI. 1
sitions (l'art), en surchargeant les balustrades de profils et de combinaisons
plus surprenantes (pie belles. Ils cherchèrent souvent des dispositions
neuves et ne se content«'rent pas toujours de la claire-voie perc(ie dans une
dalle de champ, et couverte par nu appui horizontal. Parmi ces nouvelles
il
i.i' mm\\\ i'ii|i|i'iiwii.,..(ïnt|||i|||j|[pi>ii'>ii lii|i|||||j|]I||IliniiIP|llP(imr5''^
'•' COJ K' ZJ.
jf^i^^plli f^éM
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formes, nous devons citer les crénelages. Les créneaux avec leurs merlons
se découpaient vivement au sommet des édifices , et donnaient déjà, par
leur simple silhouette, une décoration. On se servit parfois, pendant le
xive siècle, de cette forme générale, pour l'appliquer aux balustrades. C'est
ainsi que fut couronnée la corniche supérieure du chœur de la cathédrale
de Troyes ' . Cet exemple de balustrade crénelée ne manque pas d'origina-
' Le clid'iir (le hi culiiéHrale de Troyes fut conslriiit de 1240 à 1250, mais tous les
eouioniiemeiils extérieurs lurent reliiits au xiv» siècle.
BAL
8«
lité, mais il a le (léfaut de n'être milleiiient en haimonie avec l'édifice; nous
ne le (loniioiis d'ailiciirs (jue coninie une e\icj)ti()U (IK). Les nierions de
18
f£C/^/li>. Si.
celte balustrade crénelée sont alternativement pleins et à joui'; les apj)uis
des créneaux sont tous à Jour. Dcrrièic cliaiiue meilon plein est un
renfort A (jui donne du poids à l'ensemble de la constiuction et retient
son dévers. On remarquera cpie cette balustrade est composée d'assises de
pierre d'un assez petit échantillon, et cela vient à l"ai>pui de ce que nous
avons dit au conmiencemenl de cet article : que les matériaux et leurs
dimensions exerc^-aient une innuonce sur les formes doimees aux balustrades.
Et, en ell'et, à Troyes on ne se procurait que dilticilement alors des jjierres
basses, mais longues et larges, propres à la taille des balustrades à jour
posées en délit. 11 fallait les faire venir de Tonnerre; elles devaient être
chères , et ces réparations faites au xiv« siècle à la cathtidrale de Troyes
sont exécutées avec une extrême parcimonie. A l'église Saint-Urbain d<' la
— S7 —
BAI.
inr-nu' ville , presque contemporaine de ces restaurations de la cathédrale,
mais où la (piestion d'économie avait été moins impérieuse, nous avons vu,
au contraire, connue l'architecte avait profité de la (pialit('' et de la dimen-
sion (les pierres de Toinierre , pour faire des balustrades minces et
composées de grands morceaux.
Il n'est pas rare de trouver dans les édifices du commencement du
xiv* siècle des balustrades pleines , décorées d'un simulacre d'ajour.
C'est surtout dans les pays où la pierre, trop tenace ou trop grossière,
ne se prêtait pas aux dégagements délicats des redents, et ne conservait
' ^
PC(rA KO
pas ses arêtes, que ces sortes de balustrades ont été adoptées. Dans
la haute Bourgogne, par exemple, où le calcaire est d'une qualité ferme
et difficile à évider, on ne fit des balustrades cà jour que fort tard, et
lorsque le style d'architecture adopté en France envahissait les provinces
voisines , c'est-à-dire vers le commencement du xiv<^ siècle ; et même
alors les tailleurs de pierre se contentèrent-ils souvent de balustrades
pleines, de dalles posées de champ, décorées de compartiments se déta-
chant sur un fond. C'est ainsi qu'est taillée la balustrade (|ui surmonte les
deux chapelles du transept de l'église Saint-Bénigne de Dijon (18 bis). Le
BAI
88
cloître de l'éj^'Use cathédrale de Bézieis, dont la construction date des
premièi-es années du xiv siècle , est couronné d'une balustrade composée
de la luênie manière comme compartiments et comme appareil, ce (\u\ est
motive par la nature firossière de la jticrre du pays, qui est un calcaire
alpin i)oreux, tenant mal les arêtes. Seulement ici (IKter) l'appui lorme re-
couvrement, il est rapporté sur le corps de la balustrade. L'assise d'aijpui.
: .r
m ■
■■■■■■■;•„■ xvi
il
-^
a
^
taillée dans une pierre d'un grain plus serré, protège les dalles de champ,
et (fait (pii doit être noté) cet appui porte une dentelure, sorte d'amortisse-
ment fleuronné couronnant la balustrade. Celle-ci, étant pleine, terminait
lourdement les arcades du cloilre ; sa ligne horizontale se (h'tacliant sur le
ciel (car ce cloître est couvert par une terrasse), reliait mal les pinacles qui
terminent les contre-forts ; et c'est évidemment pour ronij^re la sécheresse
de cette ligne horizontale, à laquelle la balustrade pleine n'apportait aucun
allégemefit, que fut ménagée cette dentelure supérieure. On trouve plu-
sieurs exemples de ces balustrades fleuronnées, même lorsque celles-ci sont
à jour, dans quelques églises de Bretagne, surtout pendant les xv et
xvi« siècles (voy. tig. "l')- Ce qui caractérise les balustrades exécutées
pendant le xiv« siècle, c'est l'adoption du système de panneaux de pierre
percés chacun de leur ajour, séparés par un montant le long du joint, et
recouverts d'un appui les reliant tous ensemble. Si l'appareil y gagnait, la
succession de divisions verticales séparant chacun des panneaux juxta-
posés Atait aux balustrades l'aspect qu'elles avaient au xm* siècle, d'un
H\) I BALUSTRADE ]
couronnoinent continu, d'une sorte de fVise à jour, laissant aux iij^Mies
horizontales leur sini|)lieilé calme; nécessaire dans des n)oiiuinents de
celte étendue |)Our re|)oser les yeux, que les divisions ré^^dières verti-
cales troj) répétées t'aliiiueni hienlùl.
Fjes architectes «'taient conduits à sacritiei- l'art au raisonnement; ils
perdaient cette liberté (|ui avait permis à leurs prédécesseurs de mêler les
inspirations du goût aux nécessités de la construction ou de l'appareil.
L'exercice de la liherti' dans les arts n'appartient (ju'au ^^énie, et le génie
avait fait place au (calcul , aux méthodes , dès le counnencement du
xiv siècle, dans tout ce qui tenait à l'architecture. Nous donnons ici (10)
19
''''"W''''''''''!i!il''!!'''''"''V
eâ'GMO.
un exemple d "une balustrade exécutée en panneaux de pierre, tiré du bras
de croix méiidional de l'ancienne cathédrale de la cité de Carcassonne. La
construction de cette balustrade remonte à 13^25 environ. Il faut dire
cependant que les formes des balustrades adoptées par les architectes du
xMi'' siècle furent longtemps emj)loyées; on les amaigrissait, ainsi que
nous l'avons vu dans l'exenqile présenté dans la fig. 1.^, on les surchar-
geait de moulures et de redents évidés; mais le principe était souvent
conservé; toutefois, on préférait les formes anguleuses aux formes engen-
drées par des combinaisons de demi-cercles; les courbes brisées étaient
en honneur; et des voûtes, des fenêtres, elles pénétraient jusque dans les
plus menus détails de l'architecture. Le sinq)le biseau (jui, au xuf siècle,
(tait seul destine à produire des jeux d'ombre et de lumière dans les
T. 11. 12
BAI-USIKAlili
'.)()
I>;iliistra(les, parut liDp simple, lorsque lous les membres de rarcliilecluie
se sululivisèrent à riiifiiii ; on le doubla par un temps danèt, et les
balustrades eurent deux j)lans de moulures : l'un donnait la forme ijéné-
rale, le thème; le second était destiné à (ornier h^s redenis, la broderie.
l'n exeuiple est nécessaire pour l'aire <(»mprendre reni[)loi de ce nouveau
mode.
Voici CâO) la baluslrad<' qui couromie la corniche du clueurde l'église
20
i
^
PC6AHD. se.
que nous venons de cit(M". la cathédrale de Carcassonne '. La forme iréné-
ratricede cette balustrade, le ihème , pour nous servir d'un mol (jui rend
parfaitement nohe pensée, est une suite de triangles équilatéraux curvi-
hj^nes.
Si nous examinons la coupe sur AB de cette balustrade , nous voyons
(|ue 1(^ biseau C est divisé païun arrêt résultant d'une petite coupe à angle
droit l). dette coupe produit un listel, parallèle à la face de la balustrade,
('/est ce listel qui dessine les redents E, et le second membre du bizeau
qui leur donne leur modelé. Mais les parties pleines de l'architecture, les
points «l'appui, se perdaient de plus en plus sous les subdivisions des
moulures, des colonnettes; les meneaux des fenêtres s'amaigrissaient
chaque jour sous la main des constructeurs; les balustrades chargées de
ce double biseau taillé' suivant un angle de la degrés, et de ce listel du
second plan, recevaient trop de lumière; elles paraissaient lourdes com-
< Toutes les fois que nous aurons à parler des édifices du xiv siècle, on ne s'éton-
nera pas si nous nieUons en preinièrt' littiic la calliédrale do ('arcassnnne. qui est un
ciiel-d'u-iivri' de «oltc ('-pcKpit', cl (|iii conuiic style apparliciil it larcliilcclure du Nord.
— "M —
UAI.ISIHADI
paralivciiit'iit aux aiilres membres de rarehilccliiit' , dont les plans ren-
foncés tlé('on|)aient seulement (|uel(iues lignes tiiu's de lumit-ic sur des
ond)res lari^cs. Dés lors on renonça aux biseaux coupés sui\anl un anyle
de io de^M'és dans le profil des balusliades, et l'on voulut avoir des plans
plus vivement accusés. Soit (-21) tiii. A : si le rayon lumineux WC tond»»'
21
B
B
sur le biseau EF, lui étant parallèle, il le frisera et ne produira qu'une
demi-teinte; mais si, fig. D, le biseau EF donne un angle moindre de
45 degrés, le même rayon lumineux RC laissera toute la partie EF dans
une ombre franche. Les balustrades étant com[»osées presque toujours
de petites courbes , la lumière frappe sur une grande partie des suifaces
fuyantes; pour obtenir des ond)res larges, il était donc nécessaire de
rapprocher, autant que possible, la coupe de ces surfaces fuyantes de la
ligne horizontale, afin de les dérober à la lumière ; et comme on ne donne
de la finesse aux parties éclairées que par l'opposition d'ombres larges,
que les parties éclairées, dans les formes de l'architecture . comptent
seules, et qu'elles produisent, suivant la lai-geur ou la maigreur de leurs
surfaces, la lourdeur ou la finesse, les architectes, voulant obtenir la plus
grande finesse possible dans la coupe des balustrades, arrivèrent à dérol)er
de plus en plus les surfaces fuyantes aux rayons lumiuiHix. A la lin du
xiv«^ siècle déjà, ils avaient entièrement renoncé aux biseaux qui, sur
quelques points, par le glissenient de la lumière, donnaient toujours des
demi-teintes, et ils les renqjlaçaient par des profils légèrcmtMit concaves
(•2-2) qui donnent plus d'ombre et découpent plus vivement les plans. Mais
alors ils amaigrissaient tellement les dalles à jour, qu'elles n'otlraient plus
de solidité; pour remédier à cet inconvénient, ils leur donnèrent plus
d'épaisseur, et les balustrades qui, en moyenne, au xiu« siècle, n'avaient
guère que 0,12 c. d'épaisseur dans leur partie à jour, |inreii1 jus(|u;t
0,20 c.
Par Tertet de la perspective, ces balustrades, vues de bas en liaul ou
BALUSTKADl-
— M^2
21
de eût»';, piésontaienl de si larf,'es surfaces de champ, qu'elles laissaient
à peine voir les ajouis. Il fallut encore dissimuler ce rléfaut, et. pour
y arriver, on j)rotila les Italustrades en
dedans coninie en dehors. On avait
voulu d'ahord déroher à la lumière les
surfaces fuyantes des épaisseurs pour
obtenir des ombres accentuées; par ce
dernier moyen, on dérobait aux yeux
une partie de ces surfaces ("23).
On nous pardomjcra la longueur
d'une théorie qu'il nous a paru néces-
saire d'exposer, afin de faire compren-
dre les motifs des diverses transforma-
tions que l'on fit subir aux bahisliades
jusqu'au xy«' siè(;Ie. iN'ous l'avons dit
déjà, et nous le répétons, cet accessoire
de l'architecture du moyen âge est d'une
grande inq)ortance ; il a préoccupé nos
ancien* architectes, et cela avec raison.
Une balustrade de couronnement complète heuieuseuient ou gâte un
édifice, s(Mon qu'elle est bien ou mal conq)osée, (|u'eli(> (>sl ou n'est |)as ,
dans son ensend)le et ses détails, à léchelle des divers membres archilec-
i
toni(|ues de cet édifice, qu'elle aide ou contiarie son syslènu» géïK'ral de
décoration. Tne balustrade bien liée à la coiniche (|ui lui sei't de base.
en rapport de proportions avec le monument (pielle couronne, (|ui
— 0:{ — I BALLSrKADK |
rappelle st's Ibrines de détail sans les leproduiie à une plus petite échelle,
dont les divisions tout valoir les dimensions de ce nioiunnenf , est une
(V'uvre assez rare pour (pi'il soit permis de croire que c'est là un des
ecueils de rarcliileclure du moyeu àye, et poui- qu'il soi! nécessaire
d'étudier avec grand soin les (juelques beaux exemples qui nous sont
l'est es.
L'adoption du système de panneaux divisés à chaque joint par des
montants verticaux dans l'appareil des halusli'ades lit (juehiuefois ajoutei'
des terminaisons en l'orme de lleurons ou d"aii;uilles sui- ces montants,
car les arcliilectes du xiii'' siècle, et, à plus l'orle laison, du xiv" siècle,
n'admettaient pas dans les formes de l'architecture un n)onlant vertical
d'une certaine largeur sans le couronner par quelque chose. Pour eux,
\e pilastre venant s<' i)erdre dans une moulure horizontale était un membre
tronqué. Mais c'est au commencement du xvf siècle surtout que les
balustrades à panneaux séparés par des montants verticaux le long du
joint furent adoptées sans exception. Les conqiartiments à jour dont elles
se composaient ne permettaient plus, par la conqilication de leur forme,
un autre appareil.
Pendant le xv«^ siècle , les balustrades à panneaux se rencontrent fré-
(luemment, mais ne sont pas les seules. Ce sont alors les losanges, les
triangles rectilignes qui dominent dans la composition des balustrades. Il
faut remarquer que ces formes se prêtaient mieux à l'assendjlage d'ajours
en pierre, étaient plus solides que les formes curvilignes; et au xv*" siècle
l'architecte était surtout appareilleur.
Un morceau de balustrade taillé suivant la fig. ^A présentait beaucoup
de résistance et s'assend>lait facilement par les extrémités AB. Lappui,
souvent d'un autre morceau, recouvrait et reliait ces claires-voies. Lors(jU(!,
pendant le xv^ siècle, les balustrades étaient conqjosées de panneaux, les
montants verticaux étaient parfois saillants en forme de petits contre-forts,
ainsi que l'indiquent les fig. 25 et 2(5.
Ce fut aussi pendant le xv siècle que l'on eut l'idée de sculpter, dans les
ajours des balustrades, des attributs, des pièces piincipales d'armoiries '.
Nous donnons ["Ih) des panneaux de la balustrade couronnant la nef de
la cathédrale de Troyes, et dans lesquels les tailleurs de pierre du xv«^ siè-
cle ont figuré alternativement les clefs de saint Pierre et des tleurs de lis.
La balustrade refaite , au xv siècle , à la base du pignon de la Sainte-
Chapelle du Palais, à Paris, présente également, dans chacun de ses
panneaux, une belle et grand*» tleur de lis inscrite dans un cercle (2(>).
Vn grand K couronné, tenu par deux anges, se détache au milieu de cette
balustrade; c'est le chiffre ou la première lettre du nom de Charles Vil
(Karolus), qui la tit refaire (voy. r.niFFRK). La balustrade de l'oratoire,
bâti par Louis XI sur le tianc sud du même édifice, porte également un
I Voir riiotel de Jacques Cœur h Bourges, sur les balustrades duquel on a sculpté
des cœurs, des coquilles, et cette devise « a vaillans riens impossiblk. »
I BALISTKADR | — 'M —
fii'aiid L ((niroiiiic. <lcl iisaj^o de placer des chiflVes. des It-tircs dans 1rs
haliisti'ades, fui assez généralement adopté à la fin du xve siècle et au
-J.>
connnenrenienl du wv; le cliâteau de Blois porle. sur la racad(^ ("levée
— '.►.") — I n.H.USTK.VDK ]
|>;ii' KiaiH'nis l"'. (les Iwiliislrados dans lt\sqiu'llt's on voit des F ('oiiromu's
fl (les salamandres. On alla niènic jus(|u"a y sculpter de i;ian(l<'s insciip-
lioiis à jt'iii , eoiunie au chœur de leglise de la Kerte-lieinard près du
26
Mans, comme au château de Josselin en Bretagne, sur les balustrades
duquel on lit la devise : A PLUS (27) '. »
Dans l'architecture civile de la fin du xv siècle et du commencement
du xvie, on fit souvent aussi des balustrades aveugles qui n'étaient, sous
les appuis des fenêtres, que des bandeaux larges formant une riche
décoration. Telles étaient les balustrades qui réunissaient les allèges des
fenêtres du premier étage de l'hôtel la Trémoille à Paris (28), balustrades
qui sont toutes variées soit comme dessin , soit connue division ; car il
n'est pas rare de trouver une grande variété dans la composition d'une
même balustrade de la fin du xv^ siècle et du commencement du xvi--.
Lorsque le goût de l'architecture romaine antique eut effacé , vers le
milieu du xyi" siècle, les derniers vestiges. des formes adoptées par le
moyen âge dans les détails de l'architecture, on se complut à faire des
balustrades composées d'ordres réduits. 11 existe une balustrade de ce
1 Cette balustrade est taillée dans des dalles de granit ; elle esl surmontée d'une
dentelure présentant des couronnes et des (lenrons alternés.
— U(i —
[ bai.ustrahk I
^(MH-e à la hase du pii;ii(ni de la pt'tiU' cglisf d»> Belloy près Rcaiimoiil ;
c'est un»' siiilc de ooloiiiicllps doriques suniioiitt'cs d'uno rorniclic à dciili-
cnlos avor sotlilcs scidplcs «'iilip les cliapilcaux. A Saiiil-lùistaclir de Paris,
17
ou voit dos halusfrados forméos d«> polils pilastres doriques ou composites
séparés par des arcades portées sur des jtieds-droils avec leuis iu)postes '.
Mais cette succession de Hj^nes vertical«»s données par les colonnetles ou
pilastres rapprochés prenait tiop dinqjortance dans l'enseuible de la
décoration, et avait linconvénient de rappeler en petit les jurandes divisions
et décorations de l'architecture alors en honneur; c'était là ini défaut
majeur, qui ne manqua pas de frappei' les architectes de la renaissaïu'e.
On voulut rendre au\ balustrades leur (rlielle, c\ pour (jue les coloimettes
formant la partie principale de leur décoration ne parussent pas un
diminutif des ordres de l'architecture, on leur donna un ^^albe particuliei'.
qui les fait ressembler à un potelet de bois tourné au tour. Les prolils de
c^s supports se divisent en bafoues, gorges, panses, etc. Quelquefois même
' Vov. JJ Eglise Saitil-Euslache a l'tiris, par Viilor ('■alliai. Taris, i8."i0.
— *>7 —
[ IJALUSTUADK ]
les reiitlciiiciils des colcmiicttcs ainsi i-alhccs l'urciil décoiV's de sculptures ;
celles-ci prirent dès lors le nom {U'haluslri'S (\u\ Iciu' est resté. Peu à peu
ces haluslres s'alourdirent et arrivèrent à ce prolil hi/arre (|ui rappclh' la
forme d'un flacon avec son ;;(tulol. et dont la réunion, eonipiise entre des
pilastres et de lourds appuis, couronne assez désagréablement, depuis le
xvn«" siècle, la plupart de nos édifices. Il faut croire que ces morceaux de
pierre tournés parurent être la dernière expression du goût : car, une fois
adoptés , les architectes ne se mirent plus en frais d'imagination pour
composer des balustrades en harmonie avec leur architecture ; (jue celle-ci
fût simple ou riche, plate ou accusant de fortes saillies, basse ou élevée,
religieuse ou civile, la balustrade fut toujours la même ou peu s'en faut,
bien que les architectes du xvif siècle aient prétendu la diviser en balus-
trade toscane, ionique, corinthienne, etc. On ne se contenta pas d'en
placer là où le besoin demandait une barrière à hauteur d'appui, on s'en
servit comme d'un motif de décoration. Rien cependant n'autorisait dans
l'architecture romaine antique, (jue l'on voulait imiter, un pareil abus de
la balustrade, ni comme emploi ni comme forme. Il faut dire même que
la corniche saillante de l'entablement romain porte mal ces rangées de
morceaux de pierre tournés, posés à l'aplomb de la frise, et qui, par leur
retraite, n'indiquent pas la présence du chéneau. La italustrade de l'ar-
chitecture du moyen âge, posée sur l'arête supérieure du glacis du larmier
portant le chéneau, est non-seulement un garde-corps pour ceux qui
passent dans ces chéneaux; mais elle arrête la chute des tuiles ou des
T. n. i;j
[ HANC I — MS —
ai-doisps^ et est une sécurité pour les couvreurs, i|iii sont ohlii^és de jxiser
des ('chelles sur la.pente des combles lois(|u"il rst nécessaire de les réparer;
elle fait i)arlie de la corniche, car le i,dacis du larmier demande iiii cou-
ronnement ; tandis (|ue la balustrade moderne, posé»' sur renlablcment
lomain, à laplond) de la frise, est un },M'ossier contre-sens, puisque,
d'après la configuration de cet entablement. !<• cliéneau se trouverait en
dehors de la balustrade et non en dedans. Aussi, janiais les architectes
romains, (|ui posst'daient cette qualité pr(''ciense (ju'on appelle le sens-
commim, n'ont eu l'idée bizarre de placer des balustrades sur les coiniches
supérieures dt' leurs édifices, faites pour purler les premières tuiles des
combles.
Nous ne devons pas omettre de parler des balustrades de bois fréquem-
ment employées pendant les xv^et xvi'' siècles. Quant aux balustrades en
métal, il en est fait mention dans le mot (jhu.i.k. C'est à l'interieui' des
édifices ou à couvert (pi'étaient posées les balustrades de bois. Le peu
d'exemples qui nous restent de ces claires-voies à hauteur d'appui, anté-
rieures au xvi«' siècle, sont d'une grande simplicité ; ce sont presque
toujours de petits potelets assemblés haut et bas dans deux traverses,
ainsi que le démontre la fig. 29, copiée sur une balustrade du xve siècle.
posée encore aujourd'hui le long du trifoi-iiun de l'église paroissiale de
Klavigny ((^«Mc-d'Or). Au x\i"' sit'cic, la forme des l)aluslres tournés conve-
nait parfaitement aux balustrades de bois; c'était le cas de lenqjloyer, et
les architectes ne s'en firent pas faute (voy. .mkmiskrik).
BANC, s. ui. Il n'était pas d'usage, avant la fin du xvi^ siècle, de placer,
dans les églises, des chaises ou bancs en menuiserie pour les fidèles. Les
femmes riches qui se rendaient à l'église se faisai(Mit suivre de valets qui
poitaient des pliants et coussins pour sasseoir et se mettre à genoux. Le
menu peuple, les honunes, se tenaient debout ou s'agenouillaient sur les
— ••»^» — [ BANC ]
dalles. A Rome, dans pres(|iic toute lltalic rt une partie de l'Alleniagne
callioli(|ue. enooie aujourdliui. on ne voit aucun siei^c dans les éi,dises.
Mais (|uand. au wi»' siècle, des pièches se furent établis sur toute la surface
de la Fiance, les réformistes |)lacèrent dans leurs temples des bancs
séparés par des cloisons à hauteur dappui destinés aux fidèles. Le clergé
catholicpie. craignant sans doute cpie la rigidité de la tradition ancienne
ne contribuât encore à éloigner le peuple des églises, imita les réformistes
et introduisit les bancs et les chaises. L'effet intérieur des édifices sacrés
perdit beaucoup de sa grandeur par suite de celte innovation; et pour qui
a pu voir la foule agenouillée sur le pavé de Saint- Pierre de Rome ou de
Saint-Jean-de-Latran. cet amas de chaises ou ces bancs cellulaires de nos
é^'lises fran(.aises détruisent com])létement laspec^t religieux des réunions
BANC
1(10 —
(le fidèles. Il n"y avail aiiliclois, dans nos éf^lises, de hancs (jue le lonj^
des murs des bas-côtés ou des chapelles ; ces hancs formaient comme un
souhassement continu entre les piles en^^aj^ées sous les arcatures décorant
les apjiuis dos fenêtres de ces has-côtés ou clia|)elles (voy. arcatiui:).
Quelquefois même ces hancs fixes en pierre s'élevaient sur un emniarche-
ment;, connue on peut le voira l'intt'rieur de la cathédrale de Poitiers (tin
du xne siècle) [IJ, et le long des murs de la nef de la cathédrale de Reims.
On en plaçait presque toujours aussi sous les porches des églises, dans les
('hrasements des portails, dans les galeries des cloîtres, soit le long des
claires-voies, soit le long des nuirs. Voici ("2) f|uelle est la disposition
des hancs foiinanl souhassement intérieur de la claire-voie du cloitre de
Fonth'oide près Narhonne (commencement du xiii»" siècle). Ces bancs se
combinent adroitement avec la consti-uclion des piles principales de ce
cloître, ainsi que nous le voyons dans la figure. Le hahut de la claire-voie
lui tient lieu de dossiei'. On voit encore des bancs avec une marche au
devant dans les salles caj)itulair<'s, dans les chauHbirs des monastères et
dans les parloirs.
Les giand'salles des palais royaux, des châteaux, les salles synodales
étaient toujours garnies de hancs au pourtour, ainsi que les salles des
gardes et les vestibules des habitations princières (voy. sallk). On plaçait
aussi à demeure des hancs de pierre le long des jambages des cheminées.
|)arliculièr(Mnent dans les habilalions d»' campagne, dans les maisons de
— loi —
bam:
paysans, los feinies, dont runi(jue clieniiiiée servait à faire la cuisine et à
cliautVei' les habitants.
Ht's (l('ii\ eûtes (les portes des maisons, il était également d'nsajite de
})laeer des banesde pierre sur la voie pul)li(pie, soit taillés dans une seule
pierre, soit composés d'une dalle et de montants avec ou sans accoudoirs.
Nous avons encore vu de ces sortes de bancs de pierre très-simples, avec
accoudoir, le lonij de quelques maisons anciennes du midi de la Fiance (3),
". C£<iC^^^,:>;^<'^^
à Cordes, à Saint-Antonin près Alby ; c'était là que se reposaient les piétons
fatigués, les pauvres; que le soir, après le travail, on venait s'asseoir et
causer entre voisins. Si les façades des maisons étaient garanties par des
contre-forts très-saillants portant des galei'ieset les charpentes du cond)le,
les bancs étaient alors posés le long de ces contre-forts perpendiculaireniciH
au nuir de face (voy. maison). Lorsque les murs des maisons ou ('hàteau\
I BANC.
1(^2
prés»Milaieiif une assez forle épaisseui-, on réservait des baïu's eu pierre
dans leséhrasenienls, à riiih-riciir des fentMics. Voici (A) l'un de ers bancs
tenant à la fenêtre de premier étage d'une des maisons construites pendant
le xiii'- siècle dans la ,ville de Flavigny (Bourgogne). Il est placé dans
l'ébrasement de la baie; le meneau A sépare ce banc en deux stalles et
se termine en accoudoir; les pcM'sonnes assises tournaient le dos au jour.
Mais ordinairement, (|uand les imns sont très-é|)ais, comme, par exemple,
dans les châteaux fortitiés, les bancs sont disposés perj)en(liculaireiiieiit
au jour, le long des deux ébrasemenis si la fenêtre est large (5), ou d'un
seul côté si la fenêtre est étroite (0).
Ce dernier exemple de banc est fréquent dans les tours de guet, où
l'on plaçait tles sentinelles pour obser\er ce qui se passait à l'extérieur
par des fenêtres étroites. Les meurtrières percées à la base des c(unlines.
— lO.Î —
BANDKAl
SOUS de grands arcs roriiiant coiiuiif de petites cliainbres |)Ouvant contenir
tacileineni deux hommes, sont toujours garnies de bancs posés le long des
.f*
:îM'j^^-.
^
deux côtés du réduit , perpendiculairement au mur de face. Cette dispo-
sition de bancs à demeure dans les ébrasements des fenêtres se conserva
jus([u"au XVI'" siècle (voy. fenêtre, meurtrière).
BANDEAU, s. m. C'est une assise de pierre saillante décorée de moulures
ou d'ornements sculptés ou peints qui sépare horizontalement les étages
d'un monument. Le bandeau indique un plancher, un sol; il ne peut être
indifteremment placé sur une façade ou dans un intérieur ; c'est un repos
pour l'œil, c'est larase d'une construction superposée. Dans les églises de
l'époque romane, un bandeau intérieur indique presque toujours le sol du
triîbrium ; il est interrompu par la ligne verticale des colonnes engagées, ou
passe devant elles. Dans l'architecture domestique, le niveau des planchers
est marqué souvent, à l'extérieur, par un bandeau de pierre. Sur les
façades, des bandeaux séparent les ordonnances d'architecture super-
posées. Ils ont cet avantage de garantir les parements extérieurs, leur
saillie empêchant les eaux pluviales de laver les nmrs; aussi les a-t-on faits
généralement en pierre plus dure que celle dont on se servait pour la
construction des parements, et leurs protils étaient-ils, surtout à partir
du xni'- siècle, tracés de manière à former une mouchelte ou un larmier.
L'influence des profds antiques romains se fait sentir dans les bandeaux
comme dans tous les autres membres de l'architecture romane. Pris dans
[ BANDEAi: 1 — loi —
une assise assez basse, les bandeaux atteclent, jusqu'au \ir siècle, à I ex-
térieur ou à l'intérieur, des formes très-simples, et se composent ordinai-
rement d'un biseau A. d'un eavel B Ici^èrcment roïieave. on dnne doucinc
C sous un plan boiizontal (I). Ces bandeaux sont IVéquennuenl ornés de
1
A
':^
sculptures, surtout à partir de la fin du xf siècle, et ils passent devant les
saillies verticales de l'arcbilecture , piles, contre-forts, etc. Tels sont les
bandeaux intérieurs de la nef de l'éj^lise abbatiale de Vézelay posés à l'arase
du dessus des arcbivolles des bas-côtés (-2) Icommencement du xir siècle].
Le lit supérieur de ces bandeaux form(> encore une saillie borizonlale. On
remarqua bientôt (|ue c<'s saillies à rinlerieurdes éditices masquaient, par
leur projection, une partie des parements élevés au-dessus d'elles. Soit A
_ lOr»
BAISDKAi:
le profil (11111 liandcaii intérieur (3) , la plus forte reculée «lu point visuel
,. étant suivant la li^MU^ !)(', toute la hauteur BC
^ sera j)er(lue pour IomI, la proj)oiti(Mi «le lor-
(lonnanee ar(hiteetoni«|U(' placée au-dessus
«le B sera détruite par la perte de cet espace
B C. Décorant les bandeaux de sculptures,
surtout à l'intérieur, les architectes tenaient à
piésentei' les ornements sur une surface per-
pendiculaire à la lijiiie visuelle ; ils ne re-
noncèrent pas facilement aux plans inclinés
EF, et se contentèrent de diminuer peu à
peu les saillies EB. Tel est le profd (4) des
l)andeaux intérieurs du i)ras de croix sud de
la cathédrale de Soissons, du chœur de Saint-
Bemy de Beinis (thi du xir siècle). A l'extérieur, on avait également
(ifr^'i,:iM|!î|îr"':'^'!l
P£CARt' il
Gl
/C
\i^
reconnu que les bandeaux saillants dont le lit supérieur était laissé hori-
zontal avaient l'inconvénient de ne pas donner un écoulement prompt aux
eaux pluviales. Les bandeaux extérieurs
S taillés suivant le profil A (5) retenaient la
neige, faisaient rejaillir les gouttes de pluie
projetées suivant CD jus«|u"en E, se dété-
rioraient facilement et étaient une cause de
^^hoHBÉHM ruine pour la base des parements FG élevés
J au-dessus de leur saillie, à cause de ce
A ^^ rejaillissement. Jusqu'au commencement du
g^ xnie siècle, on décorait volontiers les ban-
^^# deaux extérieurs, connue ceux intérieurs,
I d'ornements sculptés, particulièrement dans
I les provinces de la Nornumdie, du Poitou,
I de la Saintonge, du Languedoc et de Test;
on tenait à ce que les sculptures fussent
vues, et en même temps préservties des «légra<lations causées par les
eaux pluviales. Ces ornements étaient taillés sur un biseau, une doucine
ou un talon très-plats et protégés par le lit horizontal supérieur; les orne-
T. n. L4
HAMUiAL
KH) —
inents los plus onlinaii os élairnl des dénis de scie, des hilletles, «les damiers
(voy. ees mois). Mais lnrs(jue an xii'" siècle , dans les piovinces du nord
pailiculièrenient, tous les nienihres de rai'cliiteclure fiMeiil soumis à un
systènK' ^'én«'ral de construction, tendant à ne jamais pivsenler à la pluie
des suifaces horizontales, on protéj^ea les bandeaux eux-mêmes par des
talus en pierre et une niouchette. (l'est ainsi que sont disposés les ban-
deaux de la tour Saint-Romain (0) de la cathédrale de Kouen (xir' siècle).
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A la même époque, dans les provinces méridionales, on se contentait de
donnci' aux bandeaux extérieuis unt» faible saillie ; mais on ne les sui'mon-
tait pas du ne j)en te très-prononcée connue on le faisait dans rile-de-Fiance,
la Picardie et la Normandie, et leurs ornements n'étaient pas abrités par
^.
''ÈOMasa
une saillie formant mouchette. Entre autres exemples, nousdoimons ici (7)
M>" BANDKAI 1
un (les l)aii(l«\iu\ cxléricurs du has-côté noid de I eglisfi Saint-EuthrDpe
i]o Saintes. <|ui, sans (ttlVirà la pluie dos aspoiités pouvant »Hre tacileincnt
<lt'lruiU's , no sont pas oopondanl itarantis par uno assise ou un piotil tni-
niant larniioi-. Il n'ost pas hosoin ih' dire (|uo oos détails d'architt'otuio
prosonlont unt'jirando variété, soit connno pvoiils , soit comme ornonion-
talion; nous no prétendons donner dans cet article que leurs dispositions
trénorales. Nous ne saurions cependant passer sous silence les bandeaux
intérieurs (jui servent de soubassement au Irit'orium des éjrlises d'Autun,
de Beaune et de Lani^M'os; leur ornementation est trop empreinte des
traditions romaines, poui- cpio nous no reproduisions pas un dv ces exem-
ples. Voici le bandeau qui pourlourno le cbœur de l'église do Beaune, à la
hauteur du sol des jïalerios surmontant les bas-côtés (H). I.e même ban-
deau , à peu de ditiorences près, se retrouve à la cathédrale d'Aulun ; a
Langres, les rosaces sont remplacées par un enroulomont évidennnent
copié sur des fragments antiques.
Au xiiF siècle, les bandeaux deviennent plus rares dans l'architecture
que pendant la période romane. Déjà, à cotte époque, les architectes
send)laient exclure la ligne horizontale, et ils ne lui donnaient (juune
inqiortance relativement secondaire. Opendant larchitocte de la cathé-
drale d'Amiens avait cru devoir accuser très-vigoureusement la hauteur du
sol du triforium dans l'intérieur do la nef" par un large bandeau richement
decorédo feuillages très-saillants ; ce bandeau |)ren(l d autant plus d'inq)oi'-
lancedans lordonnance aichitectoniqiie de cet intérieur, cpiil passe devant
les faisceaux de colonnes et les coupe vois le milieu de loin- hauteur (9).
A indique la coupe ih' ce bandeau avec l'appui du triforium. Evidoujuienl,
ici. le maître do l'œuxre a voulu roiiq)ro les lignes verticales qui dominent
dans cette nef. dont la construction remonte à l'2.'j<* envir(»n (voy. aiu.hi-
TKcTiuK RKi.uiiEisE. fiii'. .'{.%!. Il V avait lii comme un dernier souvenir de
— 108 —
I BANDKAl I
l'aiThiteclure rouiaiie '. Sans avoir une aussi grande importance, il arrive
presque toujours que les bandeaux, dans les édifices du conuiiencenient du
xiiie siècle, passent devant les faisceaux de colonnes, et servent de bagues
« Nous avons entcMiHii s<mivpiiI loiior mi liliiinci' par dfs iumsoimics coiiipclfiitcs la
— I(K» —
I ItVNUKAl
pour inainfonir leurs fûts posés en délit (voy. ba(;l'e). Quelquefois aussi
les bandeaux s'arrondissent en eorheille, et, souteinispar un cul-de-lainpe.
servent de point dappui ;i des faisceaux de eolonnetles ne naissant (pi au-
dessus des co^tinies du rez-de-ehaussée entre les archivoltes. (]ette dispo-
sition est particulitM'einent adoptée lorsque les piles de re/.-de-cliaussée
sont nionoc\iin(lri(pies, mais non composées de la iciinion des coloimes
qui doivent porter les voûtes supérieures. L'intérieur de léfilise de Noire-
Dame de S(Mnui' en Auxois présente de ces bandeaux devenant tablettes de
cul-de-lampe sous les bases des colonnettes supérieures (10).
PROFIL
Pendant le xui'* siècle, a lextérieur, les bandeaux ne sont plus yuère
disposition du ^Tand bandeau de la cathédrale d'Amiens. .Mais la vérité nous loroe
d'ajouter que les louanges étaient données par des amateurs de l'architecture golhifiue
à son apogée, et le blâme par des enthousiastes du style roman. Comme dans l'un «.m
l'autre cas il y avait contradiction entre les goûts et les jugeuients de chacun, nous ne
savons trop quel jiigenieut jxulcr nous-méme. Ndus dirons seulement que le parti
I IIANDKAl' I — lin —
(|U(' (les iJioiiluros avec laniiiers sans oriicmonts ; car les architectes
(le cette époque ne voulaient pas détruire Telfet des lii^Mies verticales,
en donnant aux membres horizontaux de leur architecture une troj)
grande iinportaïuîe, et la sculpture, en occupant les yeux, aurait prêté
aux handeaux trop de valeur-. Cependant on voit encore quekjuet'ois . à
cette époque, des i)andeaux avec ornements; mais c'est lorscjue l'on a
voulu indi(juer un étatfe ou sol. C'est ainsi qu'à l'extérieur de la Sainte-
(]ha|)elle de Paris il existe un f^rand handeau décoré de feuilles et de
crochets au niveau du sol de la chapelle haute.
Si séduisante que soit l'architecture romane du F*oitou et des provinces
de l'ouest, il faut convenir qu'elle n'est pas si scrupuleuse, et ses monu-
ments sont parfois couverts de bandeaux sculptés dont la place est déter-
itiinéc seulement parle goût ou la fantaisie de l'artiste, non i)ar un étage,
une ordonnance d'archilecture distincte. Pendant la pciiode lomane.
beaucoup de membres horizontaux d'architectui'e dont la fonction est
très-secondaire, conrnie les impostes des archivoltes, les tailloirs des
chapiteaux de coloimes engagées, des appuis de croisées, ou les tablettes
basses des arcatures de couronnement, deviennent de véritables bandeaux,
c'est-à-dire qu'ils i)onitournent foules les saillies de la construction, tels
que h'scontre-forts, par exemple. Juscjuà lahndu xu'siècle, cette méthode
persiste ; mais ((uand le système^ de l'architecture ogivale est développé, on
ne voit jamais ces membres secondaires horizontaux devenir des bandeaux.
Cela (>st bien évident à la Sainte-Chapelle de Paris; seul, le profil dont
nous venons de pailer, et qui indique le niveau du sol de la chapelh^ haute,
pourtournert'dilice, passe sur les nus des murs comme sur les contre-forts.
A la cathédrale d Amiens, à la cathédrale de lleimset à celle de Chartres,
les appuis des fenêtres du rez-de-chaussée forment bandeau, mais sans
ornements (voy. ciiArEU-i:) ; à parhr de ce protil, les contre-forts montent
verticalement sans ressauts ni interru|)rion hoiizonlale sur les côtés, leurs
faces étant seules munies de larmiers «jui enqtêcheni les eaux de laver leurs
|)aremenls exposes a la pluie. H ne peut en êli-e autrement : lorsqu'on
examine la siriiclui'e des édifices dans lescpielsle système ogival est fran-
chement adopté et suivi, toute la construction ne se composant que de
contre-forts entre les(juelsdes fenêtres s'ouvrent dans toute la hauteur des
étages, il n'y avait pas de nmrs; les bandeaux indifjuanl des repos horizon-
(aux, d«'S arases, elaienl contraires à ce système vertical; lem- effet eût été
fâcheux; leurs prolilssaiilants sur les faces latérales des conire-foris seraient
adopté à Amiens csl liiiiu'. (ju'il dénolc une inteiilioii bien arrêtée, que cel iulérietir
(le lit 1 nous paraît être le plus lieau spécimen que nous |)ossé(lions en l'rance de
r:iiiliilt'ilure du xiii" siècle, (pie nous nous rendons dil'liciiemenl compte de TelU'l
que pidduirail cel inlérienr dépourvu de celle riilic ceinlure de léuillai;es viiioiiicii-
senuMil relouillés, s'il y tçaL;nerail ou s'il y perdrait; el prenant la chose i>our loil
lielle, exécutée par des artistes aussi bons comiaisseuis que nous, el |)lus lamiliers
avec les j^rands elléts, nous ne iioinoiis qu'approuver celle hardiesse de rarcliilecle de
la nef d'Amiens.
— I 1 1 — I hvrhacam: ]
\tiius pénotrer j^'auclu^ment les picds-dioils dos fenêtres, sans utilité ni
raison (voy. architectirk rki-k.ieuse, co>tre-fort). A partir du xni"' siècle,
dans rarcliilecture relif^ieuse, le bandeau n'existe plus par le fait, les murs
pl(Mns étant supprimés; on ne les rencontre, connue dans le dernier
e\emj)le dout ikkis venons de parler, que lorsqu ils sont 1»^ prolouiiement
horizontal des appuis des fenêtres; seulement, leurs profils se modifient
suivant leiioùt du moment (voy. profil). Dans rarcliitecture civile, où les
murs sont conservés forcément, où la construction ne se compose pas
uni(|uement de contre-forts laissant de grands jours entre eux, des ban-
(l(\iu\ in(li(]U(Mit le niveau des planchers (voy. chatkai, maison). Parfois
alors les bandeaux sont décorés de sculi)tures. parliculièi'ement pendant
le XV»" siècle. Composés de simples moulures profilées dans une assise
basse pendant les xii*", xin« et xiv«^ siècles, ils prennent, au contraire, delà
hauteur et une saillie prononcée au xv»" siècle, coupent les façades horizon-
talement par une ornementation plus ou moins riche. Au xvr siècle, les
bandeaux perdent leur aspect d'arasé, pour devenir de véritables en-
tablements avec leur architrave , leur frise et leur corniche . même
lorsque labsence d'un ordre antique devrait exclure l'emploi detous ces
niembres. Les façades ne sont plus alors que des bâtiments superposés
(voy. ordre).
BARBACANE, baibequemie, s. f. On désignait pendant le moyen âge,
par ce mot, un ouvrage de fortification avancé (jui protégeait un passage,
une porte ou poterne, et qui permettait à la garnison d'une forteresse de
se reunir sur un point saillant à couvert, pour faiie des sorties, pour
protéger une retraite ou l'introduction d'un corps de secours. Une ville ou
un château bien munis étaient toujours garnis de barbacanes, construites
simplement en bois, connue les anlenntraiia , procaslha des camps
romains, ou en terre avec fossé, en pierre ou moellon, avec pont volant,
large fossé et palissades antérieures (voy. architecture militaire). La
forme la plus ordinaire donnée aux barbacanes était la forme circulaire
ou demi-circulaire, avec une ou plusieurs issues masquées par la courbe
de l'ouvrage. Les armées qui canq^aient avaient le soin d'élever devant les
enti'ées des camps de vastes barbacanes, qui permettaient aux troupes de
combiner leurs mouvements d'attaque, de retraite ou de défense. Au
moment d'un siège, en dehors des nmrs des forteresses, on élevait souvent
des barbacanes, qui n'étaient que des ouvrages temporaires, et dans
lesquelles on logeait un surcroit de garnison.
" Hordéiz ol et bon et bel,
Far defors les murs dou chastel
Ses barbacanes fist drecier
Por son cbastel niiaiiz onforcier.
Sodoiers mande por la terre
Qu'il vaingnent à li por conquerre,
l RARBA(.ANK | I i'2
Sergeiis à pié et à cheval :
Tant en y vint que lui un val
Kn lu ooverl, gianl joie eu fisl
lienai'l, et luaiiitenaul les niisl
Es barbacanes por deffense '. »
Mais, le |)ius souvent, les l)arl)acanes étaicnl des ouvraj^es à dt'iiu'ure
autour (It's forteresses bien munies.
<' Haut sont li mur, et parfont li fossé,
Les barbacaues de lin marbre listé,
Hautes et droites, ja grciguors ne verres '^. •<
Parnti les barbacanes temporaires, une des plus célèbres est celle que le
roi saint Louis fit faire pour protester la retraite de son corps darmée
et passer un bras du Nil, après la bataille de la Massoure. Le sire de
Joinville parle de cet ouvrafïe en ces termes :
« Qtiant le roy et les barons virent ce, ils s'acordèreiil (|ue le roy feist
« passer son ost par devers Babiloine en l'ost le ducck- l>(tur};oini;ne, qui
« estoit sur le flum qui aloit à Damiete. Pour reciuerre sa gent plus sau-
ce veulent, Hsl le roy faire une barbaquane devant le i)ont qui estoit entre
« nos deux os, en tel manièrt' que l'en pooit entrer de deu\ pars en la
<( barba(|uaneà cheval. Quant la barbaquane fut arée. si s'arma tout l'ost
c< le roy, et y ot grani assaut de Turs ;i losl le roy. Toutev(ti/ ne se mut
« l'ost ne la gent, jusques à tant que tout le harnois fu porté outre; et
« lors passa li roys et sa bataille après li, et touz les autres barons après,
« fors (pie monseijineur Gautier de Chasteillon qui fist l'arière-garde. Et
« à l'entrer en la barbacane, rescout monseignein- Erart de Walery,
<( monseij^iieur Jehan, son frère, que les Turs emnenoieiit jiris.
« Quant toute lost fu entré dedans, ceulz (pti démoulèrent en la
u barbacane fuK'nt à grant meschief; car la barbacane n'estoit pas
(( haute, si que les Turs leur traioient de visée à cheval, et les San azins à
« pié leur getoient les motes de terre enmi les visages. Touz estoient
« perdus, se ce ne feust le conte d'Anjou, qui puis fu roy de Cezile, qui
(( les ala rescourre et les enmena sauvemeiit ^ »
(]etle barbacane n'élait certainement qu'un ouvrage en palissades,
puisque les hommes à cheval pouvaient voir par-dessus. Dans la situation
où se trouvait l'armée de saint Louis à ce moment, ayant perdu une
grande partie de ses approvisionnements de bois, campée sur un terrain
dans lequel des terrassements de quelque imporlance ne pouvaient être
' liojntm (lu licniirt, t. 11, p. 327, vers 1849.0.
■•î Le Homtin de Gitriii.
■^ Mi-moires de Jean siru de Joinvilic, publies par M. l'ianciscpie Mieliel. Paris,
Didot, 1858.
II?» , I ItARUACANK "1
piitrepiis. c'était tout ce (iiitui axait pu t'aiiv (\uv (réi»'v»'r une palissade
servant de tète de pont, pouvant arrêter l'arniée ennemie, et permettre
au (•or|)S (l'aiinée en reti'aile de liler en ordi'e avec son matériel. La \ue ii
vol d'oiseau que nous domions ici (1) fera comprendre liililité de cet
ouvrajj[e.
T . II.
iS
I iiaiibacam; ] , — 1 1 i —
Uno (les |)liis imporlanlfs baiiiacaiips construitps eu niat^-oiinerie élail
colle qui protégeait le château de la cité de Carcassonne, et qui fut liàlie
par saint Louis (voy. AuciiiTECTinK >iii.itaiiu:, i'Vfi. Il, 1:2 et 13). (letle
harbacane . très-avancée, était i'eiiiiée; celait un ouvrage isolé. Mais le
plus souvent les barbacanes étaient ouvertes à la gorge et lorniaient
comme une excroissance, un saillant semi-circulaire, tenant au\ enceintes
extérieures, aux lices. C'est ainsi que sont construites labarbacane élevée
en avant de la porte Narbonnaise à Carcassonne (voy. pokte) , celle du
château du côté de la cité, et celle (|ui protège la poteiiie sud de l'enceinte
extérieure de la même ville. Cette dernière harbacane conununiciue aux
chemins de ronde des courtines de lenceinle exléiieure pai- deux portes
qui peuvent être fermées. En s'emparant de la poterne ou des deux cour-
tines, les assiégeants ne |)ouvaient se jeter immédiatement sur le chemin
de ronde de l'ouvrage saillant, et se trouvaient battus en écharpe en
pén<''trant dans les lices. Etant ouverte à la gorge, cette harbacane était
elle-même conunandee par l'enceinte intérieure.
Nous donnons (2 A) les vues cavalières de l'extérieur et ("2 R) de
1 intérieur de cet ouvrage de défense. .Ius(|u'a l'invention des bouches ;i
leu , la forme donnée aux barhacaiies des le xu' siècle ne lut guère mo-
difiée, encore les établit-on même alors sur un plan semi-circulaire;
I ir> I llAKBAr.ANK ]
cependant, vers le milieu du xv« siècle, on ne les regarda pas seulement
connue
3
^'rande
P€(?ARO 5:
un flanquement pour les jjoites extérieures ; on chercha à les
flanquer elles-mêmes, soit par d'au-
tres ouvrages élevés devant elles, soit
par la confi{;;uration de leur plan. La
harbacane qui défend la principale
entrée du château de Bonaguil, élevé
au xve siècle, près Villeneuve d'Agen,
est une première tentative en ce sens
(voy. château). Des pièces d'artillerie
étaient disposées à rez-de-chaussée, et
les parties supérieures conservaient
leurs crénelages destinés aux archers
et arbalétriers. En perdant leur an-
cienne forme, à la fin du xv siècle,
avec l'adoption d'un nouveau système
approprié aux bouches à feu, ces ou-
vrages perdirent leur ancien nom pour
prendre ladénoHiination de 6oi//erar(/.
Lorsque les barbacanesdu moyen âge
Curent conservées , on les renforça
extérieurement, pendant les xvi'' et
XVII'" siècles, par des ouvrages d'une
importance, (/'est ainsi (|ut' les dehors de la barbacane A (3) du
I BAUI) I I l<>
faiibuui^ Sucliseiiliaiisen de Fi'ancrurl-sur-le-Mt'in fuit'ut piotéfiés au
coniineiK'enieiit du xvu'' sièclr: vcis la nKMnc t'poque, la harbacanc A du
château (U' Cauliuipit' de (;auil)i'ai (V) devinl Toccasiou de la coiistiuelion
d'un ouvrage à ('(uuouue H très-éleudu (voy. iioi i.kvauu).
BARD, s. ui. Ksi un eliaiiot à di'U\ roues sur lessieu desquelles i)orte
un tablier, avec un limon armé de deux ou intis traverses. Cv cliariot,
employé de temps inunémorial dans les chantiers de construction, sert à
transporter les i»ierrrs laillées à pied dd'uvi-e; on le désigne aussi sous
le nom de binard. Six ou huit liouunes satlellen! à ce chariol , et le font
avancer en poussant avec les nuiins sur les traverses , cl en ])assant des
courroies en bandoulière qui vont s'attacher à des crochets en 1er disposés
à Textréniité antérieure du tablier et sur le timon. Lorsqu'on \en\ charger
ou décharger les piiMies, on relève le limon; rextrémilé j)ostéi'ieure du
tablier ])orle à terre, et l'orme ainsi un plan incliné (pii facilite le charge-
ment ou déchargement des matériaux. On dit barduye pour exj)rimei-
l'action du transport des pierres à pied d'œuvre , et les ouvriers enq)loyés
à ce travail sont désignés dans les chantiers sous le nom de hardeurs.
Par extension on dit barder des pieri'es sur les échafauds, cesf-à-dire les
amener de réquij)e (pii sert à les monter, au point de la jjose, sur des
plateaux et des rouleaux de bois. (]es (h'uomiuations sont fort anciennes.
Le bardage des pierres, du sol au point de pose, se faisail souncuI
117
«AHDK.VL
autrefois au iiKiycii de plans inclinés en bois. Le donjon cylin(lri(|ue du
château de Coucy, construit en pierres de taille d'un très-fort volume de
1^1 hase au faite, fut élevé au moyen d'un j)Iaii incliiu' en spirale qui était
maintenu le loui; des parements extérimus pai- des traverses et des liens
en^afies dans la mai,omu'i'ie (voy. co.nstiuction, ÉciiAr.vii)).
BARDEAU, s. m. Bauclie, Essenle, Esscaii. (^est le nom que l'on donne
à de petites tuiles en hois de chêne, de cliataijj;nier, ou même de sapin,
dont on se servait heaucoup autrefois pour couvrir les combles et même
les pans-de-bois des maisons et des constructions élevées avec économie.
Dans les pays boisés, le bardeau fut surtout employé. Ce mode de cou-
verture est excellent; il est d'une grande lé^^èreté, résiste aux efforts
du vent, et, lorsque le bois employé est d'une bonne qualité, il se
conserve pendant i)lusieurs siècles. Quel(|uefois les couvertures en
bardeaux étaient jjeintes en i)run rouge, en bleu noir, pour imiter proba-
blement les tons de la tuile ou de l'ardoise, (les fonds obscurs étaient
relevés par des lignes horizontales, des losanges de bardeaux peints en
blanc.
Le bardeau est toujours plus long que large, coupé carrément, ou en
dents de scie, ou en pans, ou arrondis au pureau ; il est généralement
retenu sur la volige par un Seul clou. Voici (|uelles sont les formes les
plus ordinaires des l)ardeaux employés dans les couvertures des xv« et
xvi« siècles (1). Leur longueur n'excède guère 0,2:2 c. et leur largeur
0,08 c. Ils sont souvent taillés en biseau à leur extrémité niférieure, ainsi
que l'indiquent les deux figures A, afin de donner moins de prise au vent
et de faciliter l'écoulement des eaux. Les bardeaux ('taient r<>fendus et
non sciés, de manière à ce que le bois fût toujours i)arfaitemenl de fil;
cette condition <le fabrication est nécessaire à leur conservation. Le sciage
[ UAKUIÈUK 1 I IH
permet remploi de bois défectueux , tandis que le déhita^^e de til exi},'e
l'emploi de bois sains, à mailles réj^^ulières et dépounues de nœuds. La
scie contrarie souvent la direction du til ; il en résulte, au bout de peu de
teiups, sur les sciaj,^es exj)osés à la ])luie, des éclats, des esquilles entre
lesquelles l'eau s'introduit. Lorsque Ifs bardeaux sont posés sur des
surfaces verticales telles (|ue les pans-de-bois, ils alleclenl les l'oi'mes que
l'on donnait aux ardoises dans la même position (voy. audoisk) ; le bois
se découpant avec plus de facilité que le schiste, les dentelures des bar-
deaux posés le long des rampants des pignons, sur les sablières ou les
poteaux corniers, présentent parfois des dentelures ouvragées et même
des ajours.
Nous avons encore vu à Hontleur, en IS;jl ', une maison de bois sur le
port, dont les sablières étaient couvertes de bardeaux découpés en foinie
de lambrequins (2). On voit beaucoup de moulins à vent en France qui
4
sont totalement couverts en bardeaux. En Allemagne, on fait encore
usage des bardeaux de sapin, particulièrement en Bavière, dans le voisi-
nage du Tyrol "^
BARRE, BARRIÈRE, s. f. Depuis les premiers temps du moyen âge
jusquà nos jours, il est d'usage de disposer devant les ouvrages de
défense des villes ou cbàteaux, tels que les portes, des palissades d«' bois
avec parties mobiles pour le passage des trou})es. Mais c'est surtout
pendant lesxi*, xw, xiii'' et xiv^" siècles que les barrières jouent un grand
rôle dans l'art de la fortilicalion. I^es parties ouvrantes de ces barrières
se composaient ou de vantaux à claire-voie loulant sur des gonds, ou de
« Nous donnons ceUe date, parce uni' ions les jours ces restes de revètemenls de
maisons disparaissonl , et que la maison dont nous parlons peut avoir perdu son orne-
mentation d'essenio on même cU'e démolio aiijonrdlini.
* Le i)ardeau eloué sur les pans dc-lidis les préserve parl;ûtcnient de riinmidilé
extérieure, et on ne saurait Inip rcconiniaiiiler son ciniilui |i(iiii les eonstructions
isolées, exposées aux vents de pluie. Trempé a\;inl la jiose dans une dissolution
d'alun, il devient incomlmslible.
— II'.»
RAItltl^:KK
tal)liers à bascule (voy. architecture militaire, ti^^, 30), ou de simples
barres île bois qui se tiraient borizontalenient , coninie nos barrières de
forets, se relevaient au moyen dun contre-poids (1), et s'abaissaient en
■•^f
pesant sur la chaîne. Ces dernières sortes de barres ne servaient que
pour empêcher un corps de cavalerie de forcer brusquement un passage.
On les établissait aussi sur les routes, soit pour percevoir un péage, soit
pour empêcher un poste d"être surpris par des gens à cheval '. Lorsqu'une
armée venait mettre le siège devant une forteresse, il ne se passait guère
de jour sans qu'il se fit quelque escarmouche aux barrières; et les assié-
geants attachaient une grande importance à leur prise, car une fois les
défenses extérieures en leur pouvoir, ils s"y retranchaient et gênaient
beaucoup les sorties des assiégés. Ces barrières, souvent très-avancées et
vastes, étaient de véritables barbacanes, qui permettaient à un corps
nombreux de troupes de se réunir pour se jeter sur les ouvrages et les
engins des assaillants ; une fois prises, les assiégés ne pouvaient sortir en
masses compactes par les portes étroites des défenses construites en
' Les barrières à conlre-poids sont encore eu usage daus le Tvrol autrichien.
I BAKHitUF 1 — I-**
luavomierie : forcés de passer à la tile par ces issues, ils étaient facilement
refoulés à l'intérieur. Dans toutes les relations des siéj^es des xii«', \\w et
XIV siècles, il est sans cesse question de combats aux barrières extérieures
des places foiles; elles sont prises et reprises avec acliaiiiement et souvent
en perdant beaucoup de monde, ce qui prouve l'inqxiitance de ces défenses
a\ancées. Pour éviter que les assaillants n "y missent le l'eu, on les couvrait
extérieurement, comme les bretèches et les betiVois, de peaux fraîclies, et
même de boue ou de fumier.
On défendait les faubourj^s des villes avec de simples barrières, et sou-
vent même les rues de ces faul>ourj.;s, en avant des portes. L'attaipie
devenait alors très-dan^^ereuse , car on {.garnissait les logis à lentour de
combattants, et les assaillants se trouvaient arrêtés de face et pris de tlanc
et en revers. Froissart rend compte dune alta(|ue de ces sortes de bar-
rières, et son récit est trop curieux pour que nous ne donnions pas ce
passaiie tout au lonJ,^ Le roi d'Aniiietei-re est camj)('' entre Sainf-(Jn<'iitin
et Péronne (I. ■].■{'.)).
« ....Or avilit ainsi que messire Henri de Flandre, en sa nouvelle cbe-
(( Valérie, et pour son corps avancer et accroître son honneur, se mit un
« jour en la (ompaj^nie et cueillett(> de plusieurs chevaliers, desquels
« messire .lean de Ilainaut étoit chef, et là étoient le sire de Fauipiemont,
« le sire de P)erghes, le sire de P»audresen. le sire de Kuck et plusieurs
« autres, tant qu'ils étoient bien cin(| cents (•omi)allans ; et avoient avisé
« une ville assez près de là, que on appeloit llonnecourt, où la plus
« grand'parlie du i)ays étoit sur la fiance de la forteresse, et y avoient mis
(( tous leurs biens. Et jà y avoient été niessire Arnoul de Hlakeben et
« messiie (luillaume de Duvort et leurs roules ; mais rien n'y avoient
« fait : d(»nc, ainsi (pie par esramie (pronqttement), tous ces seii;i)eurs
« s'éloient cueillis en i^rand désii' de lii venir, et faire U'ur pouvoir de la
« coiu[uérir. Adonc avoit dedans llonnecourt, un abbé de <j;ran(l sens et
« de hardie entrepi'ise, et étoit moult hardi et vaillant homme en armes;
« et bien y apparut, car il fit au dehors de la poi'te de Honnecourt faiie
(( et charpenler en graiid'hàte une barrière, et mettre et asseoir au tra-
« vers de la rue; et y pouvoit avoir, eiitie l'un banc (banchart) et l'autre,
M environ demi-pied de creux d'ouverture (c'est-à-dii-e que les pieux
« étaient écartés l'un de l'autre duii demi-pied) ; el |)uis til armer tous
« ses gens et chascun aller es guérites, [)ourvu de pierres, de chaux, et
« de telle artillerie (pi'il api)ai-lieiit pour là déifendre. Et si très tôt (jue
« ces seigneurs vinrent ;i lloniiecourl, ordonnés par bataille, el en grosse
« route et (épaisse de gens d'armes durement, il se mil entre les barrières
« et la porte de ladite ville, en bon convenant, et lit la porte de la ville
« ouvrir toute arrière, et montra el til bien clière manière de défense.
M Là vint messire Jean de Hainaiil , messire Henri de Flandre, le sire
« de Fauquemont, le siie de Berghes et les autres, qui se mirent toul à
« pied el approchèrent ces barrières, qui eloi<Mit l'orles durement, chacun
¥ son glaive en son poing; et commencèrent à lancer et à jeter grands
— 1-21 — I BARRIÈRE 1
« coups à ceux de dedans; et ceux de Honneeomt à eux d«*i"endie vassal-
ce ment. Làéloit ilanip al)l)é, (|iii point ne sépariiiioii, mais se tenoit tout
« devant en très bon ronvenanl. et recueilloit les horions moult vaillaui-
i( ment, et lançoit aucune fois aussi ^lantls horions et i^rands coups moull
K apertement. Là eut fait mainte heile appertise d'armes; et jeloient
K ceux des guérites contreval, pierres et bancs, et pots pleins de chaux,
« pour plus essonnier les assaillans. Là étoient les chevaliers et les barons
M devant les barrières, qui y faisoient merveilles darmes; et avint que.
(« ainsi que messire Henri de Flandre, qui se tenoil tout devant, son i;laive
« enq^oigné, et lançoit les horions i^rands et périlleux, danq) ahlte, (|ui
<( étoit fort et hardi, euqwigna le glaive dudit messire Henri, et tout
« paumoiant et en Tirant vers lui, il fit tant (pie parmi les fentes des
(( barrières il vint jusques au bras dudit messire Henri, qui ne vouloit
(( mie son glaive laisser aller pour son bonneur. Adonc quand labbé
« tint le bras du chevalier, il le tira si fort à lui qu'il l'encousit dedans les
« barrières juscpies aux épaules, et le tint là à grand meschef, et l'eut
« sans faute sache dedans, si les barrières eussent été ouvertes assez. Si
« vous dis que le dit messire Henri ne fut à son aise tandis que l'abbé le
« tint, car il étoit fort et dur. et le tiroit sans épargner. D'autre part les
« chevaliers tiroient contre lui pour rescourre messire Henri ; et dura
« cette lutte et ce tiroi moult longuement, et tant que messire Henri fut
« durement grevé. Toutes fois par force il fut rescous ; mais son glaive
« demeura par grand' prouesse devers l'abbé, qui le garda depuis moult
« d'années, et encore est-il, je crois, en la salle de Honnecourt. Toutes
« fois il y étoit quand j'écrivis ce livre ; et me fut montré un jour que je
« passai par là, et m'en fut recordée la vérité et la manière de l'assaut
M comment il fut fait, et le gardoient encore les moines en parement
« (connue ti'ophées) '. »
Les barrières étaient un poste d'honneur; c'était là que l'élite de la
garnison se tenait en temps de guerre. «A la porte Saint-Jacques (de Paris)
« et aux barrières étoient le comte de Saint-Pol, le vicomte de Rohan.
(I messire Raoul de Coucy, le sire de Cauny. le sire de Cresques, messire
« Oudart de Renty. messire Enguerran d'Eudin. Or avint ce mardi au
« matin (septend)re I37U) qu'ils se délogèrent (les Anglais) et boutèrent
« le feu es villages où ils avoient été logés, tant que on les véoit tout clai-
« rement de Paris. Un chevalier de leur route avoit voué, le jour devant,
« qu'il viendroit si avant jusques à Paris qu'il hurteroit aux barrières de
« sa lance. Il n'en mentit point, mais se partit de son conroi, le glaive au
« poing, la targe au col, armé de toutes pièces; et s'en vint éperonnant
« son coursier, son écuyer derrière lui sur un autre coursier, qui portoit
« son bassinet. Quant il dut approcher Paris, il prit son bassinet et le mit
« en sa tête : son écuyer lui laça par derrière. Lors se partit cil brochant
« des épei-ons, et s'en vint de plein élai férir jusques aux barrières. Elles
' l.es ChroniqneK rie Froi«';nrt. liv. 1, p. 78. Kfiil. Fiiiclion.
T. II. 16
ItAltKl^lIlK
\-)^l
« étoienl ouvei-tes; et cuidoiéiil les scij^iK-iiis (|in la étoient (|uil dût
(( «Mitier (lodaiis; mais il n'en avoit nulle volonté. Ain^ois (|uan(l il eut l'ail
« «'t liurté aux hairières, ainsi (|ue voué avoit, il tira sui' IVein et se mit
« au l'elour. I^ors dirent les chevaliers de France (|ui le virent retraire :
(( Allez-vous-en, allez, vous vous êtes bien acquitté ' »
Il n'est pas besoin de dire qu'autour des canqis on établissait des
l)arrières (voy. lice, ci.ôtikk) -. Mans les tournois, il y avait aussi le
combat à la ban-ière. Tne barrière de cin(| |)ieds environ séj)arait la lice
en d(Mi\. F^es jouteurs, placés à ses extrémités, à droite et à ^^auclie,
lançaient leurs chevaux lun contre laulre, la lance en arrêt, et cher-
chaient à se désarçonner ; la barrière, (|ui les séparait, empêchait les
chevaux de se choquer, rendait le combat moins danj^ereux en ne laissant
aux combatlanis (|ue leurs lances pour se renverser. C-es barrières de
tournois étaient couvertes d'étotiés brillaiiles ou jxMiites et ])artaitemenl
])Ianchéiées des deux C(Més, pour que les chevaux ou les combattants ne
pussent se heuiler contre les saillies des poteaux ou traverses.
Quant aux barres proprement dites , c'étaient des pièces de bois qui
servaient à clore et renforcer les vantaux des portes (|ue l'on tenait à
fermer solidement. Les portes extéiieures des tours, des ouvrajies isolés
de défense, lorscprelles ne se ferment que
par un vantail, sont souvent numies de
l)arres de bois (|ui rentrent dans l'épais-
seur de la muraille. En cas de surpris»^ en
poussant le vantail et tirant la barre de
bois, on le maintenait solidement clos et
on se donnait le i(Mnps de veirouiller.
Voici (2) une des portes des tours de la
cité de Carcassonne fermée par ce moyen
si simple. Du coté opposé au logement de
la barre est pratiqué, dans l'ébrasement
de la porte, une entaille carrée qui reçoit
le bfmt decett(î bari-e, lorsqu'ellt» est com-
plètement tirée : le vantail se trouvait
ainsi fortement bairicadé; j)our tirer cette
''(^^Ko \ barre, un anneau était jiosé à son extré-
mité, et jiour la faire rentier dans sa loj^c, une morlaise profonde, pra-
' Les Chroniques de Froissait, liv. |, ir pailif, p. (118.
"^ Fn l."iS(), lors du projet d'expédition en Aiij,deleiie, « le ooniiétaMe de France
« Olivier de Clisson lit ouvrer et cliai|)entei' renelosnre d'une ville, tout de bon bois
« elgi'os, pour asseoir en Angleleire là où il leur [jlairoil , cpiaiid ils y auroient pris
" terre, pour les seigneurs loi^er et retraire de nuit, pour eseiiiver les périls (tes
" réveillenieus (surprises) On la pouvoit défaire par eliarnières ainsi que une cou-
n ronne et rasseoir uiendire à membre, (irand l'oison de eliarpenliers et d'ouvriers
" l'avoient eompassée et ouvrée » (Les Clironiiiites ûe Froissarl, liv. 111, p. 498.,
— 1-23
BAI<lll(:itK ]
tiquée en dessous, permettait à la main de la faire sortir de l'entaille
dans laquelle elle s'en}ïa}ieait (."M.
-.9
M-
FÈCftRD
Les portes à deux .vantaux des forteresses se barricadaient au moyen
d'une barre en bois à tléau, comme cela se pratique encore aujourdluii
dans bien des cas. Ce tléau, pivotant sur un axe, entrait dans deux entail-
les faites dans les ébrasemenls en maçonnerie de la porte (4) lorsque les
vantaux étaient poussés. Quelquefois, comme à la porte iS'arbomiaise de
la cité de Carcassonne, la barre des vantaux doubles était fixée horizontale-
ment à l'un des deux vantaux, venait battre sui' l'autre, et était maintenue
à son extrémité par une forte clavette passant à travers deux gros pilons
en fer (o). Les deux vantaux se trouvaient ainsi ne t'onner (|u une clôture
[ BAS-CÔiÉ I — l^2i —
lij^idf , pt'iidaiit <|ii*' lOii prenait If tt'iii|)s de pousser les vei'roux et de
\
poser d'autres hari'es uiohiles euj;ai;ées a leurs exlreiniu-s dans de> lions
carres prali(|ués dans les ei)rasenienls.
BART, s. ni. Vieux mol employé poui' moellon, pavé.
BAS-COTE, s. m. (^est le nom (jue Ton donne aux nets lalerales des
éfilises (\()y. vik im rcrriu: iu:r i(;u:rsi;. cATin'nRALi:. i':(U,isrK
— 1-25 — I BASE I
BASE, s. I'. Oïl nomme ainsi reMi|)ateiiient intérieur d'une colonne ou
(l'un pilier. Les(irecs de l'unli(iuifé ne plavaieni une assise lorinant l)ase
(|ne sons les colonnes des ordres ionique et corinthien ; l'ordre dorique
en ét;rit dépourvu. Sous lenqùre , les Homains adoptèrent la base pour
tous leurs ordres , et celte tradition fut conservée pendant les premiers
siècles du moyen âge. L'ordre toscan, qui n'est (jue le dorique modifié
par les Homains, fut très-rarement employé pendant le Bas-Empire ; on
donnait alors la préférence aux ordres corinthien et composite, comme
plus somptueux. Les hases applitiuées aux colonnes de ces ordres se
composaient, avec quelques variétés de peu d'importance, d'une tablette
inférieure carrée ou plinthe, d'un tore, dune ou deux scoties séparées par
une baguette, et d'un second tore ; le fût de la colonne portait le listel et
le congé. Souvent la base était posée sur un dé ou stylobale , simple ou
décoré de moulures. Rien n'égale la grossièreté des bases de colonnes
appartenant aux éditices des époques mérovingienne et carlovingienne,
comme protil et comme taille. On y trouve encore les membres des bases
romaines, mais exécutés avec une telle imperfection qu'il n'est pas possible
de définir leur forme, de tracer leur protil. Leur proportion, par rapport
au diamètre de la colonne, est complètement arbitraire; ces bases sont
parfois très-hautes pour des colonnes d'un faible diamètre, et basses pour
de grosses colonnes. Tantôt elles ne se composent que d'un biseau, tantôt
on y voit une séi-ie de moulures superposées sans motif raisonna!)le. Il
nous serait ditiicile de donner une suite complète de l)asès de ces temps de
barbarie; car il semble que chaque tailleur de pierre n"ait été guidé que
par sa fantaisie ou une tradition fort vague des formes adoptées pendant
les bas temps. Nous ne pouvons que signaler les particularités que
présentent certaines bases de l'époque carlovingienne , et surtout nous
nous appliquerons à expliquer la transition de la l)ase romaine corrompue
à la base détinitivement adoptée à la tin du xii« siècle et pendant la période
ogivale.
Un détail très-remarquable distingue la base antique romaine de la
base du moyen âge dès les premiers temps : la colonne romaine porte
à son extrémité inférieure une saillie composée d'un congé et d'un listel;
tandis que la colonne du moyen âge, sauf quelques rares exceptions
dont nous tiendrons compte, ne porte aucune saillie inférieure, et vient
))Oser à cru sur la base. Ainsi, dans la colonne antique, entre le tore ^
supérieur de la base et le fut de la colonne, il y a une moulure dépendant
de celle-ci qui sert de transition. Cette moulure est supprimée dès
l'époque romane. Le congé et le filet inférieur du fût de la colonne
exigeaient, pour être conservés, un évidement dans toute la hauteur de
ce fût; ces membres supprimés, les tailleurs de pierre s'épargnaient un
travail considérable. C'est aussi pour éviter cet évidement à faire sur la
longueur du fût que l'astragale fut réunie au chapiteau au lieu de tenir à
la colonne (voy. ASTKA(iAi.K).
Nous donnons tout darx)!"!) (|uelques-unes desvarielés de bases adoptées
[ HASE
— I-2G
(lu vii»^ au X'' siècle. La tig. 1 est une des hases trouvées dans les substruc-
tions de r»'>^dise colléfiiale de
Poissy, siil»stiuclions (jui pa-
raissent appartenir à l'épcxpie
niéro\inf,Menne '. La ti^'. i bis
reproduit le protil de la |)lupart
des bases de l'arcature carlo-
viniïicinie visible encore dans
la crypte de Te^lise abbatiale de
Sainl-Denis en France (x« siè-
cle). On retrouve dans ces deux
profils une grossière imitation
de la base romaine des bas
temps. La fig. ^ donne une
des bases des piliers à pans
coupés de la crypte de Saint-
Avit à Orléans : c'est un simple
biseau orné d'un tracé grossiè-
rement ciselé (VII'' ou vin* siè-
cle) ; la fig. ."}, les bases des
piliers de la cry[)te de l'église
Sainl-Ktienned'Auxerrelix'^siè-
cle). Ici les piliers se composent
( i une masse àplan carré canton-
née de (juatre demi-colonnes ;
la base n'est qu'un biseau repo-
sant sur un plaltviu circulaire.
(> lait est intéressant à constater, car c'est une innovation introduite dans
^..
iw<D^r?r"^
' C'est au-dessous ilii sol de l'église reconsUiiilf ;ui \ii' siccli- (|iie ces hases ont
)'-27 l BASE i
rairhiteclme pai' le moyen âg«^ l/'idée de faire leposer les piliers coiii-
rJiiilil lÀ V posés de colonnes sur une première assise olVranl
f"
' une assiette unique aux diverses saillies que pie-
^^^ „.,.. sentent les plans de ces piliers ne cesse de domi-
iÇ5«'Ç^vl jj^.j. ^j^i^^ |.^ composition des bases des époques ro-
--"""'^ mane et ogivale.
Nous en trouvons un autre exemple <lans l'église Saint-Remy de
;' \^
Reims. Les piliers de la nef de cette église datent du ix'" siècle; ils
VI, m
I
-~~~ ~ Pé^UTcI s
sont formés d'un faisceau de colonnes (i) avec leur base romaine
élé découveiles à leur ancienne place; autour délies ont été trouvés de nombreux
fragments de cliapiteaux et tailloirs du travail le plus l^arbare, des débris de tuiles
romaines. 11 n'est pas douteux que ces restes dépendent de l'église bâtie à Poissy par
les premiers rois mérovingiens, l.e sol de ces bases est à 0'",60 en contre-bas du sol de
l'église du xii' siècle.
BASH
— lf>Jî
corrompue reposant sur une assise basse circulaire (voy. pm.ieu). Dans
les contrées où les monuments antif|ues restaient debout, il va sans
(lire que la base romaine persiste , est conservée plus pure que dans
les provinces on ces édifices avaient été détruits. Dans le midi de la
France, sur les bords du Rhône, de la Saône et du Rhin, on retrouve
le profil de la base antique» jusque vers les premières années du xin« siè-
cle; les innovations apparaissent plus tôt dans le voisinaj^e des grands
centres d'art, tels cpie les monastères. Jusquau w siècle cependant, les
établissements religieux ne faisaient (pie suivre les traditions romaines en
les laissant s'éteindre peu à peu; u^ais quand, à cette époque, la règle de
Cluny eut formé des écoles, relevé l'étude des lettres et des ails, elle
introduisit de nouveaux éléments d'architecture parmi les derniers restes
des arts romains. Dans les détails comme dans l'ensemble de l'architecture,
Cluny ouvrit une voie nouvelle (voy. architectiuk monastk^xe) ; pendant
que le chaos règne encore sur la surface de l'Occident, (>luiiy |)(>st' des
règles, et donne aux ouvriers qui travaillent dans ses établissements
(certaines formes, impose une exécution (jui lui appartiennent. C'est dans
ses monastères que nous voyons la base s'affranchii- de la li'adition
romaine, adopter des profils nouveaux et une ornementation originale. Les
bases des colonnes engagées de la nef de l'éiilise abbatiale de Vézèlay
fournissent un nombre prodigieux d'exemples variés : (juchpies-uns raji-
pellent encore la base antique, mais déjà les profils ne subissent plus
linlluence stérile de la décadence ; ils sont tracés par des mains qui
cherchent des combinaisons neuves et souvent belles; d'autres sont
PfOARD..Si;
couverts d'ornements (5) et même de figures d'animaux (G). A la même
— h>'.» — [ BASK ]
»''poque (vors la tin du \i'' siècle), on voit aillours rij,Mi()ran(;e o\ la
Il
' f(i'( Il , '■
l'illtl'l l|..wi !1
' il!l||i IL.
barbarie admettre des formes sans nom, confuses, et sans caractère
déterminé.
Les bases de piliers appartenant à la nef romane de Téglise Saint-Nazaire
de Carcassonne (fin du x-i» siècle) dénotent et l'oubli des traditions
romaines et le plus profond mépris pour la forme, l'invention la plus
pauvre : la fig. 7 reproduit une des bases des piles monocylindriques, et
la 8» une base des coloimes engagées de cette nef. Toutes portent sur un
carré qui les inscrit.
Ailleurs, dans le Berry, dans le Nivernais, on faisait souvent alors des
bases tournées, c'est-à-dire profilées au tour ; ce procédé était également
appliqué aux colonnes (voy. coloxne).
Nous donnons (9) le profil de l'une des bases supportant les colonnes
du bas-côté du'cbœur de l'église Saint-Étienne de Nevers, qui est taillé
d'après ce procédé (xi*^ siècle). Le toui- invitait à donner aux profils une
grande finesse; il permettait de multiplier les arêtes, les filets; et les
r. M. M
1 nASK J _ i:{0 —
toiiriHHirs (le hases usaient de celle faeiilté. La hase tournée B, composée
rtuAPJ)
(l'une assise, repose sur un socle à huit pans A (jui inscrit son plus
^rand diamètre.
Dans le nord, en Normandie, dans le Maine, déjà dès le x"" siècle, les
or GARD. se
1
tailleurs de pierre avaient laissé de C(jté les moulures romaines corrom-
pues, et s'apprupiaîenf à exécuter des profils tins, peu saillants,, dun
j^Mlhe doux et (lelicat. Naturellement les hases suhissaient celte nou-
vc^lle influence. C'est par la finesse du galhe et le peu de saillie que
les profils normands se distinguent pendant lépocpie ronume (voyez
I'UOFIL) .
Voici une des hases des pieds-droits de l'arcature intérieure de la nef de
la (^.athédrale du Mans (x<' siècle) [10], (pii se rapproche plutôt des piotils
.des has temps orientaux (|ue de ceux adoptés par les Uomains dOccident.
— i;{| — [ BASE ]
Toutplois, nous pourrions multiplier les exemples de l)ases antérieures au
xiie siècle, sans trouver un mode gé-
néral, rai^plication d'un j)riii('ipe. Tn
monument anli([ue tMicore debout,
un fragment mal interprété, le goût
de chaque tailleur de pierre influaient
sur la forme des bases de tel monu-
ment, sans qu'il soit possible de re-
connaître parmi tous ces exemples,
dune exécution souvent très-né{j;li-
gée, une idée dominante. .Nous met-
tons cependant, connue nous lavons
dit déjà, les monuments clunisiens
en dehors de ce chaos.
Dans les provinces où le calcaire
dur est commun, la taille de la pierre
atteignit, vers le commencement du
xiie siècle, une rare perfection. Cluny
était le centre de contrées abondantes
en pierre dure, et les ouvriers atta-
chés à ses établissements mirent bien-
tôt le plus grand soin à profiler les
bases des édifices dont la construction
leur était confiée. Ce membre de l'ar-
chitecture, voisin de l'œil, à la portée
de la main, fut un de ceux qu'ils traitèrent avec le plus d'amour. Il est
facile de voir dans la taille des profils des bases l'application d'une
méthode régulière ; on procède par épannelages successils pour arriver
du cube à la forme circulaire moulurée.
BASE
— 1.^2 —
Comme |)rinci|K' de l;i mélliode appliquée au xii»^ siècle, nous donnons
une des bases si fiéquentes dans les édifices du centre de la France et du
Charolais (11) '. F>es deux disques A et P> sont, comme la ti^ure l'indique,
//
A
o
i
mmunk
kû[UL\ï4L^\:^jl':^^s
^
exactement inscrits dans le plan carré du socle 1). A partir du point K, le
tailleur de pierre a conmiencé par défifap,er un cylindie EF, puis il a évidé
la scotie C et ses deux listels, se contentant d'adoucir les bords des deux
discpies AR. sansclieicliei-àdonner autrenient de i^^albe à son jn-otil |)arla
retraite du second tore l> ou par des tailles arrondies en boudins, (le profil
est lourd tiiutel'ois, et ne peut convenir (jua des bases appartenant à
des colonnes d'un faible diamètre; mais ce système de taille est appliqué
pendant le cours du xii<- siècle et reste toujours apparent; il connnande
la coupe du profil.
Soit (1^2) un morceau de pierre 0 destiné à une base : 1" laissant la
hauteur AB pour la plinthe, on déffage un premier cylindre AC, connue
' Ce«c hase provient de l'égli-ie (ri'Lhreiiil ( VII
M-'i
lei
13:5 I BASE 1
dans la fij;. 1 1, puis un socond cylindre EH ; on obtiont IVnidonu'nt DEP.
2" On évidf la scotio F. 3'» On abat les deux arèles GH. -4" On cisèle les
lilets IKUI. ri" On arrondit le premier tore, la scolie et le second tore.
Quelquefois nuMue, ainsi ([ue nous le verrons tout à llieure^ la base reste
taillée coid'ornu'nient au (lualriènie épannelaye en tout ou partie. Le profil
des bases du xn*- siècle conserve , yràce à cet épannelaj^^e sini[)le dont on
sent toujours le j)rincipe, quelque cbose de ferme qui convient parfaite-
ment à ce meMd)re solide de l'architecture et qui contraste, il faut l'avouer,
avec la mollesse et la forme indécise de la plupart des profils des bases
romaines. Le tore infcrieur, au lieu d'être coupé suivant un demi-cercle
et de laisser entre lui et la j)lintbe une surface horizontale qui semble
toujours prête à se briser sous la charge, s'appuie et semble comprimé
sur cette plinthe. Mais les architectes du xii« siècle vont |)lusloin : obser-
vant que, malgré son empâtement , le tore inférieur de la base laisse les
quatre angles de la plinthe carrée vides, que ces angles peu épais s'épau-
frent facilement pour peu (jue la base subisse un tassement; les archi-
tectes, disons-nous, renforcent ces angles par un nerf, un petit contre-fort
diagonal qui, partant du tore inférieur, maintient cet angle saillant. Cet
appendice, que nous nommons griffe aujourdhui (voy. ce mot), devient
un motif de décoration, et donne à la base du xn<= siècle un caractère qui
la distingue et la sépare complètement de la base romaine.
Nous doiuions (13) le profil d'une des bases des colonnes monocylin-
driques du tour du chœur de l'église de Poissy taillé suivant le procédé
indiqué par la fig. l^, et le dessin de la grifle d'angle de cette base partant
du tore inférieur pour venir renforcer la saillie formée par la plinthe
carrée. Il n'est pas besoin d'insister , nous le croyons , sur le mérite de
cette innovation si conforme aux principes du bon sens et d'un aspect si
rassurant pour la-il. Quand on s'est familiarisé avec cet appendice, dont
l'apparence connue la réalité présentent tant de solidité, la base romaine,
avec sa plinthe isolée, a quelque chose d'inquiétant; il semble (et cela
n'arrive que trop souvent) que ses cornes maigres vont se briser au
moindre mouvement de la construction, ou au premier choc. C'est vers le
connnencement du xi^ siècle que l'on voit apparaître les premières griffes
aux angles des bases ; elles se présentent d'abord comme un véritable
renfort très-simple, pour revêtir bientôt des formes empruntées à la flore
ou au règne animal (voy. griffe).
Il nous serait ditiicile de dire dans quelle partie de l'Occident cette
innovation prit naissance; mais il est incontestable qu'on la voit adoptée
presque sans exception dans toutes les provinces fiançaises, à partir de
la première moitié du xn^' siècle. Sur les bords du lUiin , connue en Pro-
vence et dans le nord de l'Italie, les bases des colonnes sont presque
toujours, dès cette époque et pendant la première moitié du xiii^ siècle,
nmnies de griffes.
iNous représentous (14) une des bases des colonnes de la nef de l'église de
Kosheim, près vSirasbourgi rive gauche du Khin).(|uiest renforcée de grifl'es
[ BASE 1 l.'J-i
très-simples (prtMiiièro moitié du xii»" siècle) ; et (15) une base des colonnes
fteAno
engagées de l'église de Schelestadt, même époque, qui offre la même par-
ticularité, bien que, de ces deux protils, l'un soit très-saillant et lautre
très-peu accentué. Mais on remanjuera que dans ces deux exemples, comme
dans tous ceux que nous pourrions tirer des monuments rhénans, le goût
lait complètement défaut. Les bases des colonnes de l'église de Rosheim
sont ridiculement empâtées et lourdes; celles de l'église de Schelestadt
sont, au conti'aire . trop ])lates. et leurs griffes fort pauvres d'invention.
— l;{a — l BASE 1
C'est toujours dans rih'-dc-Fiancf ou les provinces avoisinantes qu'il
U
faut chercher les heauK exemples de Tarchitecture du moyen âge, soU
comme ensemble, soit comme détails. Tandis que dans ces contrées, centre
des arts et du mouvement intellectuel au xn«^ siècle, la base se soumettait,
ainsi que tous les membres de l'architecture, à des règles raisonnees,
l'anarchie ou les vieilles traditions régnaient encore dans les provmces
du centre, qui ne suivaient que tardivement l'impulsion donnée par les
artistes du xu^ siècle. En Auvergne, dans le Berry , le Bourbonnais
et une partie du Poitou, la base reste longtemps dépourvue de son nou-
BASE
— i;{(; —
\ii''si(VU', la hase anticiuo adopU'r lu
veau membre, la griffe, el les aiehiteetes paraissent livrés aux fantaisies
les j)lus étran{j;es. C'est ainsi
que nous voyons au clocher
d'Éhreuil (Allier) des colonnes
dont les chapiteaux et les hases
sont identi(|ues de forme (l(i).
Même chose à la porte de l'é-
glise de Neuvy-Saint-Séi^ulcre
(Indre) ;. à l'église de Cusset,
qui nous laisse voir encore
une hase dont la forme et la
sculpture appartiennent à un
chapit(>au (17) '.
I>à même où les traditions
romaines avaient conservé le
plus d'enq)ire, à Langres, par
exemple, mais où l'influence
des écoles d'art de la France
pénétrait , nous voyons , au
rifle. I.es hases des colonnes du
tour du clia'Ui' de la cathédrale
de Langres sont pourvues de
griftes flnement sculptées (18).
Le profll A de ces bases est
presque n»main, sauf la scotie,
qui semhle seulement épanne-
lée; la plinthe (voir le plan li),
au lieu d'être tracée sur un
plan cai-ré, est brisée suivant
"angle du polygone sur lequel
es colonnt^s du cho'ur s'élè-
vent. 11 y a la une recherche
qui dénote de la part des con-
structeurs "de cet édifice un
soin tout paiticulier'-. Cette re-
cherche dans les détails se re-
trouve poussée fort loin dans
les bases des colomiettes du tri-
forium du chœur de la cathé-
drale de Langres. Les colon-
nettes jumelles qui reposent
1 Ces deux derniers exenijiles appartieinient au .\ir suite, ('/est à M. Millet, arclii-
lecle, que nous devons les dessins de -ces deux Itases.
- I.e chœur de la ealiiédrale de [.angres ouvre un lar^e eiiamp à l'étude de la
!•<" I BASF I
sur (les hases taillées dans un luèine morceau de pierre, lorsqu'elles sont
i-eC/lfiO
très-chargées, portent toute la charge aux deux extrémités de ce morceau
de pierre et manquent rarement de le faire casser au milieu, là où il est
le plus faihle, puisqu'il n'a sur ce point que l'épaisseur de la plinthe. Pour
construction pendant le xii' siècle; nous avons l'occasion d'y revenir au mot
CONSTRUCTION.
T. II. 18
DASK
i;{K
évil(M' cet iiiconvéïiicnl, les conslrucUnns du cliirur de la callicdral»' di-
Lan}j;res ont eu l'idé'e de réserver entre les deux colonneltes jumelles, sur
la plinthe, un l'enforl pris dans la hauteur d'assise de la hase (lUi. Cela
'-1-
est Ibrt injiénieux, et ce principe est également appliqué aux chapiteaux
de ce triforium (voy. ciiAriTKAii).
Il ressort déjà de ces quelques exemples que nous venons de donner un
fait remarquahle : c'est la propension erois-
■10 saule des ai'chitectes du xii'' siècle à étahlir des
transitions enlic la ligne verticale et la ligne
horizontale, à ne jamais laisser porter brus-
quement la première sur le seconde sans un
intermédiaire. Et pour nous faire comprendre
par une tigure C^O) : soient A A deux assises
horizontales d'une construction et B un point
d"ap|)ui vertical; les constructeurs ne laisse-
ront jamais les angles CC vides, mais ils les
remplii'ont par des renforts inclinés D D, des
transitions qui sont des épaulements, contre-
forts, glacis, quand on part de la ligne hori-
zontale poui' arriver à la ligne verticale; des
encorhellements, (juand on part de la ligne
verticale pour arriver à l'horizontale. Tout est
logi(jU(' dans l'architecture du moyen âge, à
dater de la grande école du xn* siècle, dans
les ensend)les connue dans les moindres dé-
tails; le prinrij^e ([ui conduisait les archi-
tectes à élever sur la c(»l(»inie cylin(lri(|ue un chapiteau évasé pour porter
— I.5λ — , 1 BASK 1
l«»s nieinluvs divers des constructions supérieures. ;i multiplier les encor-
bellements pour passer, par une succession de saillies, du ])oint (l'ap|)ui
vertical à la voûte, les amenait naturellement à {U'océder de la même
manière lorsqu'il s"ai,Mssait de poser un point dappui veitical mince sur
un lar{,'e empâtement. Aussi, mettant à part les marches, les bancs qui
doivent nécessairement , dans les soubassements des édifices, présenter
des surfaces horizontales . voyons-nous toujours la surface horizontale
exclue connue ne fonctionnant pas, ne portant pas.
Kn effet : soit (:2I i A une colonne et P. une assise servant d'empâtement
inférieur, de l)ase. Toute la
A
2i
B
D
charge de la colonne porte seu-
lement sur la surface C D. Si
forte que soit l'assise de pierre
B, pour peu que la surface C D
s'ati'aisse sous la charge, les ex-
trémités (] F, D G non chargées
ne suivront pas ce mouvement,
et lapierre ne possédant aucune
propriété élastique cassera en
EE.Mais si (^l 6«s), entre la co-
lonne A et l'empâtement B, on
place une assise 0, les chances
de rupture n'existeront plus,
car la charge se répartira sur
une surface CD beaucoup plus
large. Les angles E seront abat-
tus comme inutiles; dés lors,
plus de surface horizontale ap-
parente. Telle est la loi qui
commande la forme de toutes
les bases de l'époque ogivale'.
Voyons maintenant comment
cette loi une fois établie, non-
seulement lesarchitectesne s'en
écartent plus, maisencorel ap-
pliquent jusque dans ses dernières conséquences, sans dévier jamais, avec
une rigueur de logique qui, dans les arts, à aucune époque, ne fut poussée
aussi loin; telle enfin, que chaque tentative, chaque essai nouveau dans
cette voie, n'est (ju'un degré pour aller au delà. Mais, d'abord, observons
que la qualité des matériaux, leur plus ou moins de dureté, influe sur les
profils des bases. Lorsque les architectes du xii^' siècle employèrent* le
•
• Cette loi , bien enlendd . ne >'appli(iiie pas seulemenl aux bases, mais à loul
l'ensemble comme aux détails ries constructions Hu nioven âge, à partir du xir siècle
(VOJ. CONSTRtCTH»,.
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[ RASE I
— I '((» —
inarluv ou (l»^s calcaires compactes et d'une nature fière, ils se f(ardèrenl
de refouiller les scoties des bases; ils multiplièrent les arêtes fines, les
plans, pour obtenir des ombres vives, minces, et de l'elVel à peu de fiais.
Dans le I.aniruedoc, où les marbi-es et les pierres calcaires compactes
froides se rencontrent à peu près seules, on trouve beaucoup de profils de
bases taillés au xii^ siècle avec un ^l'and soin, une firande finesse de galbe,
mais où les refouillements profonds si fréquents dans le Nord sont évités.
Nous prenons comme exemple une des bases des colonnes jumelles de
la galerie du i)renner étage de Thôtel de ville de Sainl-Antonin près Montau-
ban (^2-2). La pierre employée est tellement compacte et fière qu'elle éclate
sous le ciseau, à moins de la tailler à très-petits coups, sans engager
l'outil. Or le profil A de cette bas(» montre avec quc^lle adresse les tailleurs
de pierre ont évité les refouillements, les membres saillants des moulures;
comme ils ont tiré parti de la finesse du grain de la pierre pour obtenir,
par des ciselures faites à petits coups, des plans nettement coupés, des
arêtes vives quoi(|ue j)eu accentuées. Les traditions antiques, là où elles
étaient vivantes^ comme en Provenc»*, conservaient encon», à la fin du
xii'' siècle, leur influence, tout en permellant rinlroduclion d(^s innova-
lions. Parmi un grand nombre d'exemples (|ue nous pourrions citer, il en
est un fort remarquable : ce sont les bases des piliers du tour du cba-ur
de l'église de Saint-Gilles (23). Des gritïes d'angle viennent s'attacher au
tore inférieur de la base ionique romaine; leur sculpture rappelle la
sculpture antique. Cette base, qui, en se retournant entre les piles, forme
le socle d'une cUMure, porte sur le sol duclid'Uiel n'es! surélevée (jue du
côté du bas-côté en A. Il est à présumer que les colonnes porlaieni le tilel et
BASK
— lil —
le conjuré cimuno la colonne aii(i(|ii(' ' . Dans le ehd'ui' dr 1 V^'lise do Vézelay,
23
PEGARO S(
0 77
là
peu postérieur à celui de Saint-Gilles (dernières années du xiie siècle) nous
retrouvons encoi-e la tradition romaine,
mais seulement dans le fut de la colonne qui
porte en B un tore, un fdet et un cavet (-24) .
Quant à la base elle-même, outre ses grif-
fes, qui sont bien caractérisées et n ont rien
d'antique (voy. gkiffe), son profil est le
profil de la fin du xii" siècle; le bahut qui
■•^^^^ surélève cette base sur le bas-côlé n'est
^V^ ^ pas couronné par le quart de rond anticjue
^^Ê ?. de Saint-Gilles, mais par un profil beau-
WÊ ^^"P "l'PU-'^ approprié à cette place, en ce
B| qu'au lieu de former une arête coupante,
^H il présente un adouci. Ces quelques excep-
^^B ^ fions mises de côté, la base ne dévie |)lus
de la forme rationnelle que lui avaient
donnée les architectes français du xii»^ siè-
cle; elle ne fait que la perfectionner jusqu'à
l'abus du principe logique qui avait com-
mandé sa composition.
Un des plus beaux t>l derniers exemples
de la base du \w siècle se rencontre
dans une petite église de Bourgogne, l'église de Montréal, près Aval-
' Ce chœur est nialheiireusenient déhiiil . el les hases restent seules fi leur place,
ainsi que findiiiue notre dessin.
[ BASK 1 _ I i-2 —
Ion'. Nous (loiliioiis ici (-2.%) i drs hases drs coIoiiik-s .'niiaiit-t's de la
nef de cette église et son profil A moitié d'exécution. I.'épainiclaj;*'
indiqué par la ligne ponctuée est encore parfaitement respecté ici. I.es
|)iles de celte église présentent parfois des pilastres à pans coupés au lieu
de colonnes engagées; ces pilastres ne j)orlent jias sur un piolil de base
répétant celui des colonnes : ils ont leur l>ase spt'ciaie {"Ht), dont la compo-
sition vient appuyer notre théorie e\pli(|uéê i)ar la llg. "21 his. Ce nesl
guère que dans les monuments élevés sous une influence romaine, connue
les cathédrales de Langres et d'Autun, comme heaucoup d'édifices du
Charolais et de la haute Bourgogne, que les pilastres (frétjuenls dans ces
' l^es proiils de l'église île Montréal sont d'inio pnrelé el d'une beauté tiès-ieniai-
(lualiles, el leur exécution est parfaite. Dans ce monument, toutes les hases et profils
à la portée de la main sont polis, tandis que les parements sduI taillés au taillant simple
d'une façon assez rustique. Ce tonlr;istc entre la tailli" ile^< moulures et des parements
est fréquent à la tin du xii'' siècle et au commencement du \ni' ; il ^n•éte im cliarme tout
particulier aux détails de l'architecture (voy. taille).
— \\:\ — [ BASE I
('(tnsli'iu'li(>i)s|)('n(lant lo XII'" sit'clo) posent surdesprolilsdo hases son il)lal)les
0.70
à ceux des colonnes. La véritable architecture française, naissante alors,
n'admettait pas qu'un même profd de liase put convenir à un pilastre carré
et à un cylindre. Et en cela, comme en beaucoup d'autres choses, la nou-
velle école avait raison. Les tores et filets des bases, fins, détachés, présen-
tent dans les retours d'équerre des aiguités désagréables à la vue, et surtout
fort gênants à la hauteur où ils se trouvent placés ; car il est rare que le
niveau supérieur des bases, à dater du xu^ siècle, excède 1™,'20 au-dessus
du pavé. Les arêtes saillantes des hases de pilastres se fussent donc trouvées
à la hauteur des hanches ou du coude d'un homme ; et si les architectes
du moyen âge avaient toujours en vue l'échelle humaine dans leurs com-
positions (voy. architecture) , s'ils tenaient à ce qu'une base fût plutôt
proportionnée à la dimension humaine qu'à celle de l'édifice, on ne doit
pas être surpris qu'ils évitassent avec soin ces angles dont les vives arêtes
menacent le passant. Tenant compte de la dimension humaine, ils devaient
naturellement penser a ne pas gént;r ou blesser Ihonnue, pour lequel leurs
I BASE ] — \\i —
t'dificps étaient laits '. Ces raisons. ctAU's non moins inipt-rieuscs déduilt's
du nouveau système de ennstriiction a(l()|)té dès le ('onuneiu'enieiil du
» Combien ne voyons-nous pas, dans nos édilioes niodornes, de cei corniches de
slylobates présenter leurs angles vifs à la liaiitcnr de Td'il? de ces ;irèles do pdaslres
ou de bases que l'on maudit avec raison lorsque \:\ loule vous précipite sur elles'/
\r^
[ BASF, ]
XIII* siècle, ainenèi'piit successivement les architectes à modifier les hases.
C'est dans rile-de-France qu'il tant étiuHer ces trajisformations suivies
avec persistance. Ia>s architectes de cette j)rovince ne tardèrent pas ;i
recoimaitre que le plan carré de la plinthe et du socle était gênant sous le
tore inférieur, quoique ses angles fussent adoucis et rendus moins dange-
reux par la présence des griffes. S'ils conservèrent les plinthes carrées
pour les hases des colonnes hors de portée, ils les ahattiient aux angles
pour les grosses colonnes du rez-ile-chaussée : témoin les colonnes mono-
cylindriques du tour du chœur de la cathédrale de Paris (tin du \iv siècle) ;
celles de la nef de la cathédrale de Meaux , du tour du chœur de l'église
Saint-Uuiriace de Provins, dont les hases sont élevées sur des socles et des
plinthes donnant en plan un octogone à quatre grands côtés et quatre
petits. Toutefois, comme pour conserver à la hase son caractère de force.
fi£^ffA/ll?. se.
un empâtement considérahle sous le fiît de la colonne, les constructeurs
reculent encore devant l'octogone à côtés égaux ; ils conservent la griffe,
mais en lui donnant moins d'importance puisqu'elle couvre une plus petite
surface. La tig. -2(» his iu(li(|Ué le plan et l'angle ahattu avec sa giilVe dune
des hases du tour du chœur dans la cathédrale de Paris, taillée d'après ce
T. II. lU
ItASK
I ic.
l)r"m(;ip('. Mais (|ue l'on veuille h'wn roiuarquor (|ue ces bases, à j)laii
octogonal invj^'ulior, ne sont placées (|ue sous les {grosses colonnes isolées
du re/.-de-cliaussée ; ces angles abattus ne se trouvent pas aux hases des
colonnes engagées d'un faible diamètre. L'intention de ne j)as gêner la
circulation est ici manifeste '. Autour du chœur de la cathédrale de Char-
tres (connnencement du xui*' siècle) , les grosses colonnes qui forment la
précinction du deuxième has-côté sont portées sur des hases dont le socle
est cubique, et la plinthe octogonale n'gulière i^l). Mais la position de ces
colonnes accomj)agnant un ennnarchement justifie la présence du socle à
pan carré. En ellet, ces marches interdisant la circulation en tous sens, il
était inutile d'abaltre les angles des carrés. Ici la gritîe est descendue d'une
assise; elle dégage la base, dont la plinthe à la portée de la nuiin est fian-
chement octogone. Déjà même le tore. inférieur de cette base, pour garantir
par sa courbure les arêtes du polygone, éviter la saillie des angl(^s obtus.
(lél»orde les faces de ce polygone, ainsi que rindicpif en A le protil jtris
sur une ligne perpendiculaire au milieu de Tune d'elles. En si beau chemin
de raisonner, les architectes du xiiicTsiècIe ne s'arrêtent plus. A la cathé-
BgeAUO-^^
drale de Fieinis (28), nous les voyons conserver la plinthe carrée avec ses
I Cos bases de la cathcdrale de l'aris dnivenl avoir élé taillées et mises en place
entre les années 1 1 Go et 1 1 70.
Il
UASJ-:
grirtes, mais {iardcr los [)assaiils(l<'S arêtes parla première assise du socle B,
qui est taillée surun plan octogonal; le toic inférieur C déhorde les faces I>.
A la même ep(t((iie, (ni construisait la lU'f de la cathédrale d'Amiens et
une (juanlilé inn(tnd)rahle d'édifices dont les hases des j^ros piliers sont
prolilees sur des plinthes et socles octogones. La griife alors disparait. Voici
un exemple de ces sortes de bases à socle octogone tiré des colonnes
monocylin(lri(|ues des has-côtés du chœur de l'église Notre-Dame de
Semur en Auxois (-29). Pendant que l'on abattait partout, de 1230 à h2iO,
29
les angles des plinthes el les socles des grosses piles, afin de laisser une
circulation plus facih; autour de ces piliers isolés, on maintenait encore les
bases à plinthes et socles carrés pour les colonnes engagées le long des
murs, pour les colonneltes des fenêtres, des arcatures, et toutes celles qui
étaient hors de la circulation; seulement, pour les colonnes <Migagées, on
posait, lorsqu'elles étaient triples (ce qui arrivait souvent afin de porter
l'arc doubleau et les deux arcs ogives des voûtes), les has(>s ainsi (jue
lindique la fig. 30. Il y avait à cela deux raisons : la première, que les
tailloirs des chapiteaux étant souvent à cette époque posés suivant la
direction des arcs des voûtes, les faces B des tailloirs étaient perpendicu-
laires aux diagonales A ; que dès lors les bases prenaient en plan une
position send)lableà celle des chapiteaux; la seconde, que les bases ainsi
placées présentaient des pans coupés B ne gênant pas la circulation. Déjà,
dès 1230, la direction et le nombre des arcs des voûtes commandaient
[ BASE ] — lis —
non-seuleiiKMit le nombre cl la force des eolomies, mais la position des
l)ases (voy. construction). Suppiimaiit les ^a'iffes aux l)ases des piliers
isolés, on ne pouvait les laisser aux bases des colonnes engragées et des
eolonnettes des galeries , des fonètn^s . etc. I>es airbitectes du xiir' siècle
30
tenaient trop à l'unité de style pour faire une semblable faute; mais nous
ne devons pas oublier leur aversion pour toute surface horizontale décou-
verte et par conséquent ne portant rien. Les gritfes enlevées, l'angle de la
plinthe carrée redevenait apparent, sec, contraire au principe des éi)aule-
ments et transitions. [*our éviter cet écueil, les architectes commencèrent
par faire déborder de beaucoup le tore inférieur de la base sur la i)linthe
(31) ' ; mais les angles A, malgré le biseau C, laissaient encore voir une
surface horizontale , et le toreB ainsi débordant (quoique lebiseau il ne fût
pas continué sous la saillie en D) était faible, facile à briser; il laissait voir
par-dessous, si la base était vue de bas en haut, une surtace horizontale E.
On ne tarda guère à éviter ces deux inconvénients en entaillant les angles
et en ménageant un petit support sous la saillie du tore. La fig. 3''2 A
indi(iue en plan l'angh» de la plinthe dissimulé par un congé, et B, le
support réservé sous la saillie du tore inférieur. I>a lig. ',)',] donne les bases
d'une pile engagée du cloître de la cathédrale de Verdun taillé«\s <rai)rès
ce principe. On voit que là les angles saillants, contre lesquels il eût été
dangereux de heurter les pieds dans une galerie destinée à la promenade
ou à la circulation, ont été évités par la disposition à pan coupé des assises
inférieures P. Toutes ces tentatives se succèdent avec une rapidité incroya-
ble; dans une même consliuclion , élevée en dix ans, les progrès, les
perfectionnements apparaissent à clia(iue étage. D(; 1235 à i2io, les
architectes prirent le parti d'éviter les complications de tailles pour les
plinthes et socles des bases des colonnes secondaires, comme ils l'avaient
fait déjà pour les grosses colonnes des nefs, c'est-à-dire qu'ils adoptèrent
' Base (le l'église de NdUe-Danie de Seniiir, de NoU-e-Dame de Dijon , cle. Vove/.
aussi (37) la tij^iire d'une l)asede la calliédrale <le l.aoïi, coninieneenient du \\W siècle.
119 —
1 BASK I
partout, sauf pour iiuehjues bases de colonnettes de uieneaux, la pliuihe
et le socle octogones. A la cathédrale d'Amiens, dans les parties intérieures
3J
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du chœur, à la Sainte-Chapelle de Paris, dans la nef de l'église de Saint-
Denis^ dans le chœur de la cathédrale de Troyes, etc., toutes les bases des
colonnes engagées ou isolées sont ainsi taillées (34). Quelques provinces
cependant avaient, à la même épo(]ue, pris un autre parti. La Normandie,
le Maine, la Bretagne établissaient les bases de leurs piliers, colonnes
ou colonnettes isolées ou engagées, sur des plinthes et socles circulaires
concentriques à ces tores. Telles sont les bases des piles de la net de la
cathédrale de Séez (35), les bases des colonnes de la partie de l'église
d'Eu qui date de 1^210 environ, du chœur de la cathédrale du Mans de la
même époque, etc.; car il est à remarquer que, pendant les premières
années du \\\v siècle, ces détails de l'architecture normande ne diffèrent
que bien peu de ceux de l'architecture de l'Ile-de-P'rance, et qu'au moment
où, dans les diocèses de Paris, de Reims, d'Amiens, d'Auxerre, de Tours,
de Bourges, de Troyes, de Sens, on faisait passer le plan inférieur de la
base du carré à l'octogone, on adoptait en Normandie et dans le Maine le
socle circiiiaire. Otte dernière forme est molle, pauvre, et est loin de
BASE I
— 150
[H'oduii'c l'cttcl cticoïc solide de la hase sur socle ()clf)j;()iie. (y'esl aussi à
la forme eircidaii'e que s'arrêtèrent les architectes aii^dais , à la inèiiif
époque. L'influence du slvie français se fait sentir en NoriDandie à la tin
n^^ 'iwr^SIP^'
^
du rèf-ne de Philippe-Auj-usle; plus tard, le style anglo-normand semble
prévaloir, dans celle province, dans les détails sinon dans l'ensemble des
constructions.
Cependant le- profil de la base avait subi des modilications essentielles
de \^^<) à l"240. Le tore inférieur (fiy-. 34.) B s'était aplati; la scotie C se
creusait et arrivait j)arfois jusqu'à l'aplomb du nu de la colonne; le tore
supérieur A, au lieu d'être tracé par un Irait de compas, subissait une
dépression qui alléj^'cait son profil et lui donnait de la finesse. Le but de
ces modilications est bien évident : les arcliilecles voulaient donner plus
d'importance au tore inférieur aux dépens des autres membres de la base,
afin d'arrêter la colonne par une moulure lary<> et se dérobant le moins
possible aux yeux. Mais ce n'est qu(» dans lés provinces mères de l'archi-
tecture oiiivale que ces détails sont soumis à des l'ègles dictées par le bon
sens et le yoùt ; ailleurs, en Normandie, par exemple, où la dernière
l)ériode romane jette un si vif et bel éclat, on voit que l'école ogivale est
flottante, indécise; elle mêle ses profils romans au nouveau système
d'architecture; elle trace ses moulures souvent au hasard, ou cherche des
efièls dans lesquels Texagération a plus de part que le goût. Le profil de
la base que nous donnons (fig. 35) en est un e\enq)le : c'est un prolil
roman; la scotie est maladroitement remplie par un perlé qui amollit
ir>i —
[ BASK 1
t'iicore ce profil , déjà liop plal pour une pile de ce dianièlre. Ce n'est
pas ainsi (pic |)ro('t'(laienl les inaities, les architectes tels (pie Robert de
Ln/arclics. Picric de Coi'bie, l*ierre de Montereau el tant d'autres sortis
PFCARDSC.
LAN.
des écoles de l'Ile-de-France, de la Champagne, de la Picardie et de la
Bourgocne; ils ne donnaient rien au hasard, et ils se rendaient compte,
dans leurs compositions d'ensemble comme dans le tracé des moindres
profils, en praticiens habiles qu'ils étaient, des efïets qu'ils voulaient
produire.
Qu'on ne s'étonne pas si, à propos des bases, nous entrons dans des
considérations aussi étendues. Les bases, leur composition, leurs profils,
ont, dans les édifices, une importance au moins égale h celle des chapi-
teaux; elles doiment l'échelle de l'architecture. Celles qui sont po/és sur
le sol étant près de l'o'il deviennent le point de comparaison, le module
qui sert à établirdes rapports entre les moulures, les faisceaux de colonnes,
les nervures des voûtes. Trop fines ou trop accentuées, elles feront
paraître les membres supérieurs d'un monument lourds ou maigres ' ;
' Combien d'édifices, dont l'elTet intérieur était détruit par ces amas de chaises ou
[ BAS..; 1 — irr2 —
aussi los bases sont-elles traitées par les grands maîtres des œuvres du
xine siècle avec un soin, un amour tout particulier. Si elles sont posées
/sfCARD 5t
très-près du sol et vues de haut en bas, leurs profils s'aplatiront, leurs
moindres détails se prêteront à cette position (36 A). Si, au contraire,
elles port(Mit des colonnes supériemes telles que celles des fenêtres
hautes, des tritoriunis, et si, par conséquent, on ne peut les voir que de
bas en haut, leurs moulures, tores, scoties et listels prendront de la
hauteur (3() B), de manière que, par l'effet de la perspective, les profils de
ces bases inférieures et supérieures j)araili'()nt les mêmes. Cette étude de
l'effet des profils des bases est bien évidente dans la nef de la cathédrale
d"Amiens, bàlie d'un scid jet de h2'2r) à l-i.t.'). Là, plus les l)as(>s se rap-
prochent de la voûte et j)lus leurs profils sont hauts , tout en consei'vant
exactement les mêmes membres de moulures.
Depuis les premiers essais de l'architecture du \m'' siècle, dans les
de bancs encomliranl leurs bases, paraissent cent lois plus beaux, une lois ces nieiililes
enlevés.
— \:v.] —
[ BASK I
provinces do Franco, jusque vois l"2-2o oiivirqn, lorsque dos pilos so
composont (\o fniscoaux de colonnes inégales de diamètre, la réunion des
bases donne des profils différents de hauteur en raison de la grosseur des
diamètres des colonnes ; du moins cela est fréquent ; c'est-à-dire que la
36
k^
grosse colonne a sa base et la colonne fine la sienne, les profils étant
semblables mais inégaux. Ce fait est bien remarquable à la cathédrale de
Laon'j dont quelques piles de la nef se composent de grosses colonnes
monocylindriques tlanquées de colonnettes détachées, d'un faible diamètre
' Commencemenl du xm' siècle.
T. II.
-20
BASK
— ir)V
(.'{7). A (loniic If profil do hi «iiossc (olomir cniiialc. ri H. le piotil lU-
i
37
coloniipttos reposant tous deux sur un sitclc et une i)iin[|i«' de nièiiip
épaisseur. Mais déjà, de h23()à l'-2i(), nous voyons les piles composées de
colonnes de diamètres inéjïaux posséder le même profil de hase pour ces
colonnes, indépendamment de leur diamèlre. Il est certain que, quelle
que fiil la conqxtsilion de la pile, les arcliilecl(\s du xiii-' siècle voulaient
qu elle rùi sa hnse. et non .ses basies; c'était là ujie (pi(>stinn «l'unité. A la
— irir» — I BASK I
Saiiile-Chapolle de Paris (voy. tiji. 34), les trois colonnes des piles enj^a-
{j[ées et les colonnettes de l'arcature ont le même protil de hase, qui se
continue enlie ces colonnettes le loni; du pied de la tapisserie; seulement
le protil appliqué au\ coKinnetles de l'arcature et courant le Unv^ du
parement esl plus camard (jue celui des grosses colonnes. Les architectes
du xiir siècle, artistes de j;oùt autant au moins que loj;iciens scrupuleux,
avaient senti qu'il fallait, dans leurs édifices composés de tant de mem-
hres divei's , nés successivement du principe au(|uel ils s'étaient soumis,
rattacher ces memi)res pai'de i;randes lii^nes horizontales, d'autant mieux
accusées qu'elles étaient plus rares. La hase placée pres(|ue au niveau de
l'œil était, plus (jue le sol encore, le véritahle point de dépait de toute
leur ordonnance; ils cherchaient si bien à éviter, dans cette ligne, les
lessauts, les démanchements de niveaux, qu'ils réunissaient souvent les
hases des piles adossées aux nmrs par une assise contiimant le profd de
ces bases, ainsi qu'on peut le voii' à la Sainte-Chapelle de Paris.
Lorsque les éditices se composent, connue les grandes églises, de ran-
gées de piles isolées et de piles engagées dans les murs latéraux, les bases
atteignent des niveaux ditterents, celles des grandes piles isolées étant
plus hautes que celles des piles des bas-côtés; cela est fort bien raisonné,
car un niveau unique pour les bases des piles courtes et des piles élancées
devait être choquant; ce niveau eut été trop élevé pour les piles des bas-
côtés ou trop bas pour les piles isolées qui montent jusqu'à la grande
voûte. Ainsi , pour les grandes piles, la base se compose généralement de
trois membres : 1" d'un socle inférieur circonscrivant les polygones,
2" d'un second socle avec moulure, 3" de la base proprement dite avec sa
plinthe; tandis que pour les piles des bas-côtés, la base ne se compose
guère que de deux membres : 1" d'un socle à la hauteur du banc, ^2" de
la base avec sa plinthe. Si le bas-côté est double, le second rang de i)iles
isolées est porté sur des bases dont le niveau est le même que celui des
bases des piles engagées, puisque ce second rang de piles n'a que la hau-
teur de celles adossées aux nmrs latéraux. Si grand que soit l'édifice, les
bases dont le niveau est le plus élevé ne dépassent jamais et atteignent
rarement, dans les monuments construits par les artistes de France au
xuF siècle, la hauteur de l'œil, c'est-à-dire 1"',G0. La hauteur de la base
est donc le véritable module de l'architecture ogivale; c'est le point de
comparaison, l'échelle; c'est comme une ligne de niveau tracée au pied
de l'édifice, qui rappelle partout la stature humaine. Si le sol s'élève de
quelques marches, comme dans les chœurs des églises, le niveau de la
base ressaute d'autant, retrace une seconde ligne de niveau, indique un
autre sol. Ces règles sont bien éloignées de celles qu'on a voulu baser sur
les ordres romains, et qui sont du reste rarement confirmées par les faits;
mais n'oublions pas qu'il faut étudier l'architecture antique et l'architec-
ture ogivale à deux points de vue différents.
En soumettant ainsi toutes les piles et les membres de ces piles à un
seul profil de bases, sans tenir compte des diamètres des colonnes, les
( BASK ] • — lo(> —
architccles obéissaient à leur instinct d'artiste plutôt qua un raisonnement
de savants; ils avaient dévié de l'ornière loj,M(jue. Nous ne sauiions trop
le dire (parce que dans les arts, et surloul dans l'art de l'arcliilecture,
♦'iilre la science pure et le caprice, il est un chemin (pii n'est ouvert qu'aux
lionmies de yénie), ce qui nous porte à tant admirer nos arcliilecU^s
français du xiii»^ siècle, c'est qu'ils ont suivi ce chemin, connue dans leur
temps les Grecs l'avaient parcouru; mais malheureusement cette voie,
dans l'histoire des arts, n'est jamais longue. Le goût, le génie, l'instinct
ne se l'oiinident pas, et l'heure des ])é(lanfs, des raisonneurs, succède
bientôt a l'inspiration (|ui |)ossè(le la science, mais la possède prisonnière
et soumise.
Avant de passer outre et de montrer ce que devient ce membre si
important de l'architecture ogivale, la base, nous ne devons pas omettre
une observation de détail qui a son importance. Si les bases des piles" de
l'ez-de-chaussée exécutées de \^30 à l'2<iO ne présenl«'nt que peu de
variétés <lans la conqjosition de leurs j)rotilset de leurs plans; si les archi-
tectes, pendant cette période, attachaient une grande importance à ces
bases inférieures, le point de départ, le module de leurs éditices, il semble
qu'Usaient abandonné souvent l'exécution des bases des colonnes secon-
daires des ordonnances supérieures aux tailleurs de j)ierre. Les ouvriers
sortis de divers ateliers , réunis en grand nombre lorsqu'il s'agissait de
construire un vaste édifice (et à cette époque on construisait avec une
rapidité cpii tient du prodige) [voy. construction], se permettaient de
modifier certains profils de détails suivant leur goût. Il n'est pas rare (et
ceci peut être observé surtout dans les grands monuments) de trouver,
dans les édifices qui datent de \^W à 1:270, des bases de colonneltes, de
meneaux de f'enèlres, de galeries suj)érieures, présentant des rangs de
pointes de diamant dans la scotie, des bases sans scoties, avec tore supé-
rieur «l'une coupe circulaire, avec plinthe carrée simple ou avec angles
abattus et supports sous la saillie du tore inférieur. H y a donc encore k
cette époque une certaine liberté , mais elle se réfugie dans les parties
des édifices qui sont hors de la vue, et se produit sans la participation de
l'architecte.
Au connnencement du xiv' siècle, la base s'appauvrit . ses profils perdent
de leur hauteur et de leur saillie. Dans l'église Saint-rrbain de Troyes
déjà, qui ouvre le xiv siècle, les bases des piliers et colonnettes comptent
à peine; les deux tores se sont réunis et la scotie a disparu (38); les
moulures des socles sont maigres; et partout, au rez-de-chaussée comme
dans les gaI(M'ies supérieures, le profil est le même. On voit (pi'alors les
architectes cherchaient à dissimulerce membre d'architecture, si inq)ortant
dans les édifices des premiers temps de la période ogivale, à éviter des
empâtements dont l'iniportance était en désaccord avec le système vertical
des constructions. En progressant, l'architecture ogivale nuUtiplie ses
lignes verticales et eft'ace ses membres horizontaux ; ceux-ci se réduisent
de pins en plus poiu- disparaître conqilt'lrment au \>-' siècle. Telle est la
— ir>7 — l BASE 1
puissance d'un principe lo^Mque poursuivi à outrance dans les arts, qu'il
finit par étoutier ses propres origines.
Pendant les premières années du xiv«; siècle, les piliers possèdent encore
la base à niveaux et profils uniques. Non-seulement les colonnes formant
faisceaux se subdivisent (voy. pilier), mais elles commencent à porter des
arêtes saillantes destinées à multiplier les lignes verticales. Le profil des
bases obéit au contour donné par le plan de ces piliers : et, dans ce cas,
la plinthe conserve son plan carré , dont l'angle saillant est couvert par
l'excroissance que forme le tore inférieur de la base. Dans le rhieur de
l'église Saint-Nazaire de Carcassonne (39), les piles engagées pr('sentent
en section horizontale A des réunions de colonnettes portant, la plupart,
des arêtes saillantes; le profil de la base contourne ces arêtes, et les
saillies des tores iiderieurs sont acconqîagnées encore de petits supports.
Les surfaces horizontales sont soigneusement évitées ici , car les plinthes
carrées des bases pénètrent un biseau continu dépendant du socle qui
circonscrit le plan de ces plinthes. Toutefois un fait curieux doit être signalé
ici : le chœur de l'église Saint-Nazaiie de C.arcassoime conserve encore de
grosses colonnes cylindriques, et. par exception, rairhitecte de cet édifice.
BASK
)S
PECAKD.SC
Il uvani pas admis la pliiillic ixilviioiialo sons los toivs (\o>, hasfs. Cul
I ;;'.)
RASI-:
j'iilrainc à fair»- tMicore des grittos pour couvrii- It^s anf,'les saillants des
pliiilhes que le tore des bases des grosses colonnes ne pouvait masquer (40).
Ces exemples indicjuent j)arraitement la transition entre la hase du
xiiie siècle et la hase du xiv»", car la plinthe à plan carré et la {iritie ne se
retrouvent plus à partir de cette dernière époque. A Saint-Nazaire de Car-
cassonne, nous voyons encore, sous la plinthe, le profil B (tiJ.^ iO), qui
fifîure une assise sous cette plinthe, bien que par le t'ait ce prolil B soit
pris dans l'assise même de la base. C'était là un contre-sens qui ne fut pas
1 BASE I • — IC»0 —
souvent répété. Riontôt, en effet, le profil Bdu socle et la piinllie ne (irent
à A] P'^'^ qii un ; les deux profils des tores de la
base arrivèrent également a ne former
qu'une seule inouinie. Soit A (-41) le profil
dîme hase de la tin du xiii»^ siècle : la scotie
I) est encore visil)le, ce ir'est plus (|u"un trait
gravé; l'ancienne moulure du socle E tient
à la plinthe et lui donne un empâtement
détaché comme s'il y avait un joint en F,
qui n'existe pas cependant. La hase se mo-
difie encore : B, la scotie, disparaît entiè-
rement; le profil E s'amaigrit, son meîiihi'e
supérieur se détache. Puis enfin, vers 1320,
C' les deux tores, se réunissent, et le profil E s'est fondu dans la
plinllu". Les pelils supports sous les saillies du tore inférieur sont conser-
— Kil —
HASK
vés, lorsque la j)liiitlio à plan carré persiste, ce qui est rare. La plinthe
(levicnl polygdualc jxtiir nThUix circonscrire les tores. Ne comprenant plus
les raisons d'art (pii avaifMil (Mif;a^é les archilecles du milieu du xiu'' siècle
à taire régner la même hauteur et le même protll de base sous toutes les
colonnes, quel que fût leur diamètre, et tendant à soumettre tous les
détails architectoniques à une lo^i(|ue impérieuse, les constructeurs du
xiv« siècle reviennent aux bases iné^^ales de hauteur en raison des diamè-
tres des colonnes réunies en un seul faisceau. On peut en voir un exemple
à la cathédrale de l*aris, dont les chapelles ahsidales ont été construites
de ly-^ri à I ;};}(>; les piles de tète de ces chai)elles sont portées sur des bases
ainsi taillées (i"2). Toutefois, ici, les inéf;alités entre les hauteurs des bases
sont peu sensibles, et les tores sont profilés au même niveau. L'œil est
ramené à une seule ligne horizontale de laquelle les piles s'élancent. Pen-
dant toute la durée du xiv" siècle, cette méthode est suivie sans déviations
sensibles. Ce n'est qu'à la fin de ce siècle et au commencement du xv que
les architectes imaj.(iiient de fiiire ressauter les bases et de ne conserver ni
les tores ni les plinthes au même niveau. Mais disons d'abord que les deux
tores de la base, après l'abandon de la scotie. s'étaient si bien soudés
qu'on avait fini par oublier l'origine de ce profil; des deux moulures,
pendant le xv<' siècle, on n'en formait plus qu'une seule ; et connue cette
moulure se trouvait prise dans la même pierre que la plinthe, on ne la
sépara plus de celle-ci par une coupe vive à angle droit, coupe qui, pour
les raisonneurs de cette époque, indiquait un lit qui n'avait jamais existé.
Du profil A (4.3) on arriva au profil B , et le membre C qui remplaçait
.A.
l'ancien tore, au lieu d'être tracé sur un plan circulaire, prit la lorme
T. II. 21
I HASK
— l()-2
polygonale de laiicicmit' pliiillie l), la (((ioiiiic ivslaiil <vliii(lhqiif. Ïas
arcliilecIcsatVt'clèreiit de piofilcr les hases d'une même pile à des niveaux
ditféi-enls, connue pour mieux séparer cliaque colonnelle on niemhrede
ces jMles, et pour éviter la conlinnile des lignes horizontales. Voici ( U) un
exemple de hases dune pile du xv^ siècle In-é de la nel' de la cathédrale
de Meaux, Ces exemples sont très-fréquents, et nous ne croyons pas avoir
hesoin de les multij)lier ; d'ailleurs il en est des hases du xv" siècle comme
de tous les détails et ensemhles architectoniques de cette épotpie, la
conq)lication des formes arrive à la monotonie. Plus d'originalité, plus
d'art; tout se réduit à des fonnuh^s <rappai'eilleur. A la fm du xv siècle,
les piles, au lieu de se conq)oser de faisceaux de colomies cylindiiciues,
reviennent à la forme monocylindri(|ue ou aux groupes de prismes curvi-
lignes. Dans le premier cas, une seule hase à socle polygonal porte le gros
cylindre (4^); dans le second, on retrouve la hase principale, celle du
corps du pilier, <lans laquelle viennent pénétrei' l(»s petites hases partielles
et ressautantes des prismes groupés autour de ce |)iliei'. On se fait ditlici-
V
BASK
— 103 —
lemeiit iino idt'c de |;i (•oiifnsioii qui icsiiltr de <<■ liacc: mais los appa-
reilleurs et tailleurs de pieire de ce temps se faisaient un jeu de ces
pénétrations de corps (voy. trait).
Nous donnons ci-contre (40) la base d'une pile provenant du portique
de l'hôtel de la Trémoille à Paris ; cet exemple confirme ce que nous
disons '. On voit, en coupe, le profd principal D de la base du pilier,
exprimé en EV dans le plan P. Les bases ressautantes des prismes accolés
à ce pilier viennent pénétrer dans le profil I) de manière à ce que les
angles saillants AEFGCH des plinthes tombent sur la circonférence de la
courbe du socle inférieur. La colonne engagée B, qui a une fonction
particulière, qui porte la retombée de l'arc doubleau et de deux arcs
ogives, possède sa base distincte. Les petites surfaces I restant entre le
profil D de base et le fond des gorges sont taillées en pente, ainsi que
I indique la coupe F. On en était donc venu, au xv*" siècle, à donnera
chaque membre des piliers sa base propre, indépendante, tout en laissant
sous le corps du pilier une base principale destinée à recevoir les péné-
trations des bases secondaires (voy. pilier, pénétration).
Lorsqu'au commencement du xvr siècle on fit un retour vers les formes
de l'architecture romaine, on reprit le profil de la base antique; pendant
quelque temps encore, le système de bases appliqué à la fin du xv« siècle
se trouva mêlé avec le profil de la base romaine, ce qui produit une singu-
' Cette constiiicliim il;it;iil des rloniièrcs années du xv siècle.
I ItASIC I
— |()i
'— .
lific coiiriisioii ; iiiaiN du uioiiiciil (|iir \vs ordres rurciil rci^uliciciueiil
— Kià — [ BASii.iyi K I
admis, les deinières tracî's des pjofds des bases du xv^- siècle disparurent
(Voy. l'KOFII.).
BASILIQUE, s. f. Chez les Crées et les Uoiuains de rantiquilé, la basi-
liiiuf elail une salle plus loii;;;ne que larjj^e, souvent avec bas-côtés et
tribune au-dessus, terminée, à l'extrémité opposée à l'entrée, par un
hémicycle. C'était là qu'on rendait la justice, que se traitaient les atïaires
connnerciales comme dans nos Bourses modernes. Parmi les édifices qui
entouraieni le forum, la basilique tenait un<'des premières places. Vitruve
la décrit, en indi(|ue l'usage et les dimensions.
Les l)asili([ues antiques possédaient (juchpielois des doubles bas-côtés;
telle était la basilique Émilienne dont le plan est tracé sur les fragments
de marbre du ^M-and plan de Kome levé sous Septime-Sévère. Lorsque les ^
chrélieiis purent pratiquer leur culte ostensiblement , ils se servirent de
la basilique antique connue convenant mieux aux réunions de fidèles que
tout autre édifice du paganisme; les premières églises qu'ils élevèrent en
adoptèrent la forme. A proprement parler, il n'y a pas en France, depuis
le x*- siècle, de basilique (voy. auchitectire, architecture religiecse).
Ce nom fut seulement appliqué à quelques églises primitives de Rome,
telles que Saint-Pierre ', Sainte-Marie-Majeure, Saint-Jean-de-Latran, qui
sont les trois grandes basiliques chrélieimes de premier ordre; Saint-Lau-
rent, Sainte-Agnès, Sainl-Paul (hors les nmrs) et plusieurs autres églises
de la cité antique, conservent aussi le titre de Ijasilique. En France,
quelques-unes de nos églises obtinrent des papes le privilège d'être
désignées comme basiliques; mais, au point de vue architectonique, on
ne peut leur donner ce nom. Le plan et les dispositions générales de la
basilique antique peuvent convenir aux églises chrétiennes ; mais ces
monuments ne doivent être considérés que connue l'appropriation d'un
édifice antique à un besoin moderne, non comme la réalisation d'un
programme arrêté; cela est si vrai , que les constructeurs du moyen âge,
du moment qu'ils abandonnèrent les traditions abâtardies de l'antiquité,
cherchèrent de nouvelles dispositions comme plan, et un nouveau système
de construction; c'est ce qui a fait dire à beaucoup de personnes s'occu-
pant des arts religieux, que les églises romane et ogivale étaient les seules
qui fussent vraiment chrétiennes.
Si cela n'est pas soutenable au fond, puisque dans la ville chrétienne
par excellence il n'existe pas une église bâtie suivant la donnée romane ou
ogivale, nous sommes bien forcé de reconnaître que le christianisme, en
Occident, a trouvé une forme nouvelle qu'il a merveilleusement appliquée
aux besoins du culte. On peut adopter ou repousser celle forme, elle n'ap-
partient pas moins au catholicisme; bonne ou mauvaise, c'est son œuvre.
' Si Saint-Pierre de Flonie a conservé son nom de ha.silkiiw, il n'est pas besoin de
dire que la disposition de l'édifice actuel ne rappelle en rien celle des basiliques primi-
tives.
I «ASTIDI-; 1 — l(»(> —
BASSYE, vieux mol employé j)oiir lalrines, privé. (Voy. privé.)
BAS-RELIEF, s. m. (Voy. iji.vc.kkii:.)
BASTARDE, s. f. Vioux mot employ(; pour désignei- une \mn' de bois
(le moyenne grandeur.
BASTIDE, s. f. Hdsiille. On entendait \yàvbasli(lc. pendant le moyt-nâj^e,
un ouvrage de défense isolé, mais faisant ('e|)endanl partie diin système
iiV'iiéral de forliliealion. On doit distinguer les hasiilles permanentes des
hastilles élevées provisoirement; les bastilles tenant aux fortifications
d'une place, de celles construites par les assiégeants pour renforcer une
enceinte de circonvallation et de contre-vallation. Le mot bastide est
plutôt «'Uiplové, jusqu a la fin du xm*" siècle, pour désigner des ouvrages
pi'ovisoires destinés à pro.téger un campement (jne des constructions à
demeuie; ce n'est que par extension que l'on désigne, à partir de celle
époque, par bastide ou bastille, des forts en maçonnerie se reliant à une
enceinte. Le mot bastide cs\ souvent appliqué à une maison isolée, bâtie
en dehors des murs d'une ville '.
Loi'sque les Romains investissaient une place forte, et se trouvaient
dans la nécessité de faii'e un siège en règle, leur premier soin é'Iail d'éta-
blir des lignes de circonvallation et de conire-vallalion, l'cnfoi'cées de
distance en distance par des tours en bois ou même en maçonnerie. S'il
était facile d'élever les tours des lignes de circonvallation, on comprendia
que les assiégés s'efforçaient d'empêcher l'élablissement des tours tenant
aux lignes -de contre-vallation , de détruire ces ouvrages (]ue l'on dressait
en face des remparts de la place, souvent à une très-pelile dislance. (iCiK-n-
dant les armées romaines altachaient la plus grande inqjorlance à ces
ouvrages, que nous ne pouvons comparer qu'à nos batteries de siège et à
nos places d'armes. Élever en face des tours d'une ville assiégée des tours
plus hautes afin de dominer les forlilicafions, d'empêcher les défenseurs
de se tenir sui' les chemins de ronde, et de proléger ainsi le travail du
mineur, ("lait le moyen leni mais sûr que les armées romaines mettaient
en |)rali(|ue, avec autant de melliode et de persévérance (|ue dhal^ileté.
Nous ne pouriions nous occuper en détail de la bastide , sans avoir au
jH-èalable in(li(pié l'origine de cet ouvrage d'après les données antiques,
il faut convenir d'ailh-urs que jamais les armées du moyen âge ne présen-
tèrent un corj)s aussi discipliné el homogène (|ue les armées roiuaines, et
(jue, pai- conse(pienl, les moyens d'allaque régulière (ju'elles mirent en
{uatique ne purent rixaliser avec ceux enq)loyés |)ar les Homains.
Lorsque le lieutenanl C. Trébonius fut laissé par César au siège de Mar-
seille, les Homains durent élever des ouvrages cqnsidéral)les pour réduii'e
la ville, qui était forte et bien munie. L'un de leurs travaux d'approche,
' biUMiii^c, (ilussitirc.
— |(»7 — [ IJASriDK ]
véritable hasiide, est d'une grande importance ; nous donnons ici la tra-
duction du |)assai,'e des Mémoires de César qui le déciit , en essayant de
la rendi'C aussi claire quc^ possible:
«Les léi"ionnaii'es,(pii dirigeaient la droite des travaux, Jugèrent (piune
« lourde bri(|ues, élevée au pied de la muraille (de la ville), poui-rait leur
« être d'un grand secours contre lès fréquentes sorties des ennemis, s'ils
« parvenaient à en taire une bastille ou un réduit. (]elle qu'ils avaient
(( faite d'abord' était petite, basse; elle leui' servait cependant de retraite.
« Ils s'y défendaient conti'e des foi'ces supérieures, ou en sortaient })our
« repousser et poursuivre l'ennemi, (let ouvrage avait ticnte pieds sui'
« cliaque côté, et l'épaisseur des murs était de cinq pieds ; on recoimut
« bientôt (car l'expérience est un grand maître) qu'on pourrait, au moyen
« de quelques combinaisons, tirer un grand parti de celte construction,
« si on lui donnait l'élévation d'une tour.
« Lorsque la bastille eut été élevée à la hauteur d'un étage, ils (les
« Romains) placèrent un plancher composé de solives dont les extrémités
« étaient masquées par le parement extérieur de la maçonnerie, afin que
« le feu lancé par les ennemis ne pût s'attacher à aucune partie saillante
« de la charpente. Au-dessus de ce plancher ils surélevèrent les murailles
« de brique autant que le permirent les parapets et les mantelets sous
« lesquels ils étaient à couvert; alors, à peu de distance de la crête des
M murs, ils posèrent deux poutres en diagonale pour y placer le plancher
« destiné à devenir le comble de la tour. Sur ces deux poutres, ils âssem-
« blèrent des solives transversales comme une enrayure, et dont les
« extrémités dépassaient un peu le parement extérieur de la tour, pour
« pouvoir suspendre en dehors des gardes destinées à garantir les ouvriers
« occupés à la construction du mur. Ils couvrirent ce plancher de briques
« et d'argile pour qu'il fût à l'épreuve du feu, et étendirent dessus des
« couvertures grossières, de peur que le comble ne fût brisé par les pro-
« jectiles lancés par les machines, ou que les pierres envoyées par les
« catapultes ne pussent tracasser les briques. Ils façonnèrent ensuite trois
« nattes avec des cables servant aux ancres des vaisseaux, de la longueur
« de chacun des côtés de la tour et de la hauteur de quatre pieds, et les
« attachèrent aux extrémités extérieures des solives (du couïble), le long
« des murs, sur les trois côtés battus par les ennemis. Les soldats avaient
« souvent éprouvé , en d'autres circonstances, que cette sorte de garde
« était la seule qui offrit un obstacle impénétrable aux traits et aux projec-
« tiles lancés par les machines. Une partie de la tour étant achevée et mise
« à l'abri de toute insulte, ils transportèrent les mantelets dont ils s'étaient
« servis sur d'autres points des ouvrages d'attaque. Alors, s'étayant sur
« le premier plancher , ils commencèrent à soulever le toit entier, tout
« d'une pièce, et l'enlevèrent aune hauteur suflisante pour que les nattes
« de câbles pussent encore masquer les travailleurs. Cachés derrière cette
« garde, ils construisaient les murs en briques, puis «'levaient encore le
« toit, et se domiaient ainsi l'espace nécessaire pour monter peu à peu leur
I BASTIDE 1 — H»K —
« construction. Quand ils avaient atteint la hauteur d'un nouvel étajjje,
« ils faisaient un nouveau plancher avec des solives dont les poi'tees
« étaient toujours nias(juées par la maçonnerie exterieuie; et (h; la ils
« continuaient à soulever le comble avec ses nattes. C'est ainsi que, sans
w courir de dangers, sans s'exposer à aucune blessure, ils élevèrent
« successivement six étages. On laissa des meurtrières aux endroits
« convenables pour y placer des machines de guerre.
« Lorsqu'ils turent assurés que de cette tour ils pouvaient défendre les
« ouvrages qui en étaient voisins, ils commenceicnt à construire un rat
M {musciilus) ', long de soixante pieds, avec des poutres de deux pieds
« d'équarrissage, qui du lez-de-chaussée de la tour les conduiraient à celle
« des ennemis et aux murailles. On posa dabord sur le sol deux sablières
« d'égale longueur, distantes l'une de lautre de qualie pieds ; on assembla
« dans des mortaises faites dans ces poutres des poteaux de cinq pieds de
« hauteui'. On réunit ces poteaux par des traverses en forme de fiontons
« peu aigus pour y j)lacer les pannes destinées à soutenir la couverture du
« rai. Par-dessus on posa des chevrons de deux pieds d'équarrissage,
« reliés avec des chevilles et des bandes de fer. Sur ces chevrons on cloua
« des lattes de quatre doigts d'écpiarrissage, pour soutenir les briques
« formant couverture. Otte charpente ainsi ordonnée, et les sablières
« portant sur des traverses, le tout fut recouvert de bricjue et d'argile
« détrempée, pour n'avoir point à craindre le feu qui serait lancé des
« murailles. Sur ces briques on étendit des cuirs, afin d'éviter que l'eau
« dirigée dans des canaux par les assiégés ne vînt à détremper l'argile;
« pour (jue les cuirs ne pussent être altérés par le feu ou les pieri'es, on
« les couvrit de matelas de laine. Tout cet ouvrage se fit au j)ied de la
« tour, à l'abri des mantelets, et tout à coup, lorsque les Marseillais s'y
« attendaient le moins, à l'aide de rouleaux usités dans la marine, \erat
(( fut poussé contre la tour de la ville, de manièie à joindre son pied.
« Les assiégés, effrayés de cette manœuvre rapide, font avancer, à force
« de leviers, les plus grosses pierres (pfils peuvent trouver . et les préci-
« pitent du haut de la muraille sur le rai. iMais la charpente résiste par sa
« solidité, et tout ce (|ui est jeté sur le cond)le est écarté par ses pentes.
« A cette vue, les assiégés changent de dessein, mettent le feu à des
« tonneaux remplis de poix et de goudron et les jettent du haut des para-
« pets. Ces tonneaux roulent , tond)ent à terre de chaque côté du rai et
« sont éloignés avec des perches et des fourches. Cependant nossolda'ts, à
(( couvert sous le rai, ébranlent avec des leviers les |)ierres des fondations
« de la tour des ennemis. D'ailleuis le rai est défendu i)ar les traits lancés
(( du haut de notre tour de briques : les assiégés sont écartés des parapets
« de leurs tours et de leurs courtines; on ne leur laisse pas le temps de
' Isiilorus, libro duodevigesinio Klipnnloijidnnii. capite da Ariele : « Miisculiis,
iiiquil, cimiculo similis sil, qiio murus perfodiliir : ex qito cl (tppelUUur, quiisi miirits-
cultis. . ((Jodesc. Stewec, Cnmm. ad lit). IV Veget., 1492.)
— Hi'.t
[ BASnilK I
« s'y montrer pour les défendre. Déjà une grande (|iianlité (ies pierres des
« soubassements sont enlevées, une pai'lie de la tour s'écroule tout à
« coup'.» Afin d'eclaircir ce passage, nous doniKuis (1) une coupe
perspective de la toui' ou bastille décrite ci-dessus par César, au moment
où les soldats romains sont occupés à la surélèvera couvert sous le c(»nil)le
mobile. Celui-ci est soulevé aux (juatre angles au moyen de vis de cliar-
pente, dont le pas s'engage successivement dans de gros écrous assemblés
en deux pièces et maintenus par les prennères solives latérales de chacun
> Cssar, Dr lii-lln ni\, lili. 11. cap. viii, i\, x, xi.
1. II.
22
j BASTIDIs 1 170 —
des étages, et dans les anjdes de la tour ; de cette façon ces vis sont sans
fin, car lorsqu'elles quittent les écrous d'un étage inféiieur, elles sont déjà
engagées dans les écrous du dernier étage posé; des ti-ous percés dans le
corps de ces vis permettent à six hommes au moins de viier à chacune
d'elles au moyen de barres, comme à un cabestan. Au fur et à mesure que
le comble s'élève, les maçons le calent sur plusieurs points et s'arasent.
Aux extrémités des solives du comble sont suspendues les nattes de câbles
pour abriter les travailleurs. Quant au rat ou galerie destinée à permettre
aux pionniers de saper à couvert le pied des murailles des assiégés, sa
description est assez claire et détaillée pour n'avoir })as besoin de commen-
taires.
Protéger les travaux des mineurs, posséder près des murailles attaquées
un réduit considérable, bien muni, propre à contenir un poste nombreux
destiné à couvi'ir les parapets de projectiles et à prendiv en tlanc les
détachements qui tentaient des sorties, telle était la fonclion de la l)astille
romaine, que nous voyons employée, avec des moyens moins puissants, il
est vrai, aux sièges d'Alésia et de Bourges. Là ce ne sont que des ouvrages
en terre en forme de fera cheval, avec fossés et palissades, sortes de
barbacanes destinées à permettre à des corps de ti'oupes de sortir en masse
sur le liane des assaillants jetés sur les lignes. Il va sans dire que ces
bastides étaient garnies de machines de jet propres soit à battre les tours
de la place assiégée, soit à enfiler les fossés des lignes de circonvallation
et de contre-vallation.
Ce système est également appliqué dès les premiers temps du moyen
âge par les armées assiégeantes et assiégées pour l)attre les remparts et
défendre des points faibles, ou plutôt il ne cesse d'être employé; car
vaincre un ennemi, c'est l'instruire, et les Romains, en soumettant les
barbares, leur enseignaient l'art de la guerre. Charles le Chauve, pour
empêcher les Normands de remonter la Seine, avait fait élever à Pistes,
aux deux extrémités d'un pont, qui est probablement le Pont-de-l'Arche,
deux forts, véritables bastilles. Dans l'enceinte de l'abbaye de Saint-Denis,
le même j)rin('e, en 8(l(>, afin de niettic le monastère ii l'abri d'un coup de
main, fil élever uik^ j)etite bastide qui sufiit pour enq)êcher les Normands
de s'emparer désormais de ce poste. A la même éj)oque, les ponts situés
aux embouchures de la Marne et de l'Oise, à Charenton et à Auvers, furent
également nmnis de bastides '. Toutefois, si les textes font mention
d'ouvrages de ce genre pendant l'époque carlovingieime, si quehpies
vignettes de manuscrits représentent des bastides, nous ne connaissons
aucun monument (jui donne une idée aussi nette de la construction d'une
bastide offensive que le texte de César précité. Nous en sommes réduits à
constater simplement que ces ouvrages sont généralement élevés en bois,
qu'ils affectent de préférence la forme carrée, qu'ils sont à |)lusieurs étages
avec plate-forme pour le jeu des machines, et crénelages jtour garantir les
' Voy. llisl. descxpécl. riuviL. des Normands, p;ir M. Depping. Paris, 1844.
— 171 — I BASTIDK ]
soldats. Une des représt^nlatioiis les plus claires de bastides provisoires
élevées en dehors des murailles d'une place forte se ti'ouve sculptée sur
le cintre de la porte nord de la calliédiale de Modène. (Test un has-relief
du x^' siècle retraçant riiistoire d'Artus de Bretagne^ {"2) '. Les deux bastides
figurées dans ce bas-relief sont évidemment en bois et à plusieurs étages.
Nous ne saurions dire si elles appartiennent à la ville, ou si elles dépendent
d'une ligne de contre-vallation ; mais ce point est de médiocre importance ;
elles servent de refuge à des soldats soit pour défendre, soit pour attaquer
la ville. Car si les assiégeants élevaient des bastides sur la circonférence
de leurs lignes, souvent aussi les assiégés, lorsque les murailles ne pré-
sentaient pas une défense très-forte, en construisaient en dehors des murs,
de distance en distance, pour protéger ces murs, éloigner les assaillants ou
les prendre en flanc et en revers, s'ils se présentaient pour livrer l'assaut.
Dans ce cas, ces bastides étaient entourées de palissades et de fossés ; elles
se reliaient aux barbacanes des portes, ou les surmontaient. Quelquefois
même les portes et les bastides ne faisaient qu'un seul corps d'ouvrages
derrière une barbacane ; on en élevait aussi pour commander une tête de
pont, un défdé, un passage, comme le fit Charles le Chauve au ixe siècle.
L'enceinte de Paris, commencée sous le roi Jean et achevée sous Charles V,
était défendue par des bastides reliées entre elles par une courtine et de
doubles fossés avec une braie entre eux deux ^. Ces bastides avaient la
' Ce curieux l)as-relief nous a été signalé par M. Didron , (jui l'a fait dessiner pen-
dant son séjour à Modène; nous le croyons inédit; la communication obligeante de
M. Uidrim est donc d'un grand intérêt.
* Dans les extraits des comptes imprimés à la suite du Mémoire de IJouquet, il est
I BASTIKK I — I /"J —
forme en plan d'un parallélo^rainine dont le fïrand cAté faisait face à
rextériour. Les portes principales de l*aris sont aussi désii,Miées quelque-
fois par le mot baatidc, la bastide SaiiU-Denis '. la bastide Saint-Antoine.
Nous nous oeeui)erons j)lus parliculièrement de celte dernière, qui con-
serva le nom de bastide, ou bastille par excellence.
Dès le temps du roi Jean , ou même avant cette époque, il existait \\
l'entrée de la rue Saint-Antoine une porte flanquée de deux hautes tours;
Charles V résolut de faire de cette porte une forte bastide. Vers l.'itiU, ce
princ(> donna ordie à Uuj^ues Aubriol , prévôt de Paris, d'ajouter à ces
deux tours un ouvrage considérable , composé de six autres tours reliées
entre elles par d'épaisses courtines. Dès lors il paraîtrait (jue la Bastille ne
fut plus une porte, mais un f'oi't protéjjjeant la porte Saint-Antoine construite
vers le faul)ourg au nord. La bastille Saint-Antoine conserva toutefois son
ancienne entiée ; dans la partie neuve, trois autres portes furent percées
dans les deux axes, afin de pouvoir entrer dans le fort ou en sortir par
quatre ponts jetés sur les fossés. C'était là un véritable fort isolé, fermé <à
la gorge, commandaiu la campagne et la ville au loin, indépendant de
l'enceinte mais l'appuyant. Le nom de baslille par excellence donné à ce
poste indique clairement ce que l'on enlendail par bastide au moyen âge.
Nous donnons (3) le plan de la bastille Saint-Antoine. Les deux tours Hl
l'LC-nRD
-t-^-f -»-+-,
dépendaient de la porte primitive A. En B s'ouvrait la porte du côté de
l'Arsenal, au sud ; en F, la porte en face la rue Saint-Antoine, et en C,
la porte du côté du nord se reliant à l'enceinte de l*aris (les boulevards
qiieslion des « Eschifflfs^ et des Haslidca étant sur les murs de l'aris, sur les fossés
« pleins d'eau, par devers la porte Saint-Denys en France (p. 176 ) » Voy. les Disaerl.
archi'ol. sur les (iiicicnnes mrcintcs de ParÏK, \Mir Honnarddt, 1852.
' Memnirr <\f ]\tn\qi\ei, H Jounidl de Paris sons ('hurlen 17, 1429.
t;{
IIASTIDK
actuels) '. La firrande tapisserie de i'IIùlel-de-Ville représentant Paris a vol
doiseau tel (piii existait sous (>liailes IX l'ait voir la hastille Saint-Antoine
avec ses alentours. iNuus avons essayé, à lairle de ce plan, de doinier une
/=■. e&n^^i'/i/û / .
vue cavalière de cette forteresse (4), prise du côté sud. En A, on aperçoit
1 La tour (\ élail nommée tour du Puits; les tf»urs fi, de la Chapelle; I, du Trésoi';
K, de la Comté; (), delà Bazinière; N, de la Hertaudière ; M, de la Liberté: L, du
Coin; Prêtaient des bâtiments d'une é|)oque assez récente, mais qui peut-èlre rem-
[ BASTIDK ] — 174 —
le sommet de la porte Saint-Antoine ; en B, les murailles de la ville ; en
C, le pont de la Bastille jeté en face la rue Saint-Anloine. el en l), un j,'rf>s
ouvra^re en terre intitulé, sur la ta|)isst'rie en question, le hasiiUon, ouvrai^^e
qui datait probablement de la tin du xv siècle. Ce bastillon est un cavalier
assez élevé commandant les dehors el llanquant les vieilles nmrailles de
Charles V. Dans le même plan déposé à l'Hùtel-de-Ville, on voit un {iras,
bastillon à peu près semblable à celui-ci, construit à côté et en dehors de
la porte du Tenq)le. Mais nous reviendrons tout à l'iieme sui- ces sortes
d'ouvrantes.
Pendant les xiv« et xv" siècles, il est fort souvent question de bastilles en
terre, en pierres sèches ou en bois, élevées par des armées pour protéger
leurs camps et battre des murailles investies , pour couper les comnumi-
cations ou tenir la campagne. Les Anglo-Normands paraissent surtout
avoir adopté ce systèiue pendant leurs guerres, et il semblerait même que
chez eux cette habitude était venue du nord plutôt que i)ar la tradition
romaine. Lors de leurs grandes invasions sur le continent occidental au
ixe siècle, les Normands choisissent une île sur un fleuve, un promontoire,
un lieu défendu pai- la nature; là ils établissent des campements fortifiés
par de véritables blockaus, y laissent des garnisons et remontent les fleuves
sur leurs bateaux, vont piller le pays, attaquer les villes ouvertes, les
monastères, et reviennent déposer leur butin dans ces camps, où parfois
ils hivernent. Plus tard, lorsque les Normands établis dans l(\s provinces
du noid de la France vont faire la conquête de l'Angleterre, ils couvrent
le pays de bastilles ; ils ne se sont pas plus tôt emparé d'une ville ou dune
bourgade, qu'ils y élèvent des ouvrages isolés, des postes militaires soli-
dement construits, au moyen desquels ils maintiennent les habitants. C'est
en grande partie à ces précautions, à cette défiance salutaire à la guerre,
qu'il faut attribuer le succès incroyable des armées de Guillaume le
Conquérant au milieu d'un pays toujours prêt à se soulever, la réussite
d'une conquête odieuse aux populations galloises et saxonnes de la Grande-
Bretagne. C'est encore à ces moyens que les Anglo-Normands ont recours
lorsqu'ils font invasion sur le sol fiançais pendant les xiv<' et xv siècles.
Lorsque Edouard assiège Calais , il entoure ses lignes de bastilles ; il en
garnit les passages (voy. architecture militaire). Quand enfin la ville
d'Orléans est investie, en i-iâS, «le comte de Sallebery y mis des bastilles
« du côté de la Beausse ^ » Les bourgeois d'Orléans et la Pucelle à leur
tête sont obligés, pour faire lever le siège, d'attaquer ces bastilles et d'y
mettre le feu. L'organisation des armées anglo-normandes, leur génie
pendant le moyen âge, se prêtaient à ces travaux ; en France, au contraire,
la gendarmerie les dédaignait, et l'infanterie, indisciplinée, recrutée de
plaçaient un ancien logis. D était la grande cour; E, la cour du Puits ; R, un corps de
garde, et S, des magasins. Les portes ACF étaient murées depuis longtemps lorsque
la Bastille tut démolie.
' Alaiu Chartier, Hist. de Charles Vil.
— ITT) — [ BAsriUK I
tous côtés, !i'eii soupv<»"iait pas l'utilité ; elle eût été d'ailleurs incapable
de les exécuter. Les bastilles de campaj^ne ou d'assiégeants étaient cou-
ronnées par une plate-forme atin de permettre l'établissement de machines
de jet et de pouvoir ainsi, ou connnander la campagne, ou battre les tours
des assiégés. Il est à croire qu'il en était de même pour les bastilles
permanentes, et que la grande bastille Saint-Antoine eut, de tout temps,
ses tours terminées par des plates-formes. Sous Charles V, on faisait usage
déjà de l'artillerie à feu, et il est possible que ces plates-formes aient reçu
dès l'origine quelques bombardes. Assiégés comme assiégeants, au moment
de l'emploi de l'artillerie à feu, plaçaient de préférence leurs pièces desti-
nées à l'attaque ou à la défense sur des points élevés, et dans la position
que l'on donnait aux machines de jet ; en substituant le canon aux trébu-
chets, aux machines lançant des projectiles en bombe au moyen de contre-
poids, on ne changeait que le moteur, et l'on conservait la position de
l'engin. Les premières bombardes ne lançaient pas des projectiles de plein
fouet, mais suivant une parabole comme les trébuchets; il y avait dès lors
avantage à dominer les points que l'on voulait battre, et ce ne fut qu'au
xv» siècle que l'artillerie à feu fut placée près du sol et que Ton reconnut
l'avantage du tir rasant (voy. architecture mihtatre). La bastille, en tant
qu'ouvrage élevé et isolé, devint donc la défense appi'opriée à l'artillerie
à feu. Pendant les guerres du xv<" siècle, les vieilles enceintes du moyen
âge parurent bientôt insutîîsantes pour résister au canon; des bastilles ou
bastillons furent élevés autour de ces enceintes, soit en dehors, soit en
dedans, mais de préférence en dehors, pour mettre des pièces en batterie.
On était pressé par le temps ; les malheurs publics ne permettaient pas
d'employer des sommes considérables à la construction de ces sortes
d'ouvrages, et ils furent presque toujours élevés en terre, avec revètisse-
ment de bois ou de pierre sèche.
Les bastillons de Paris, dont nous avons vu un exemple dans la fîg. A,
peuvent donner l'idée des essais tentés pour flanquer les vieilles murailles
et placer de l'artillerie à feu. Plus tard, sous Louis XI, Charles VIII et
François I**'", beaucoup de ces ouvrages furent solidement étal)lis en maçon-
nerie et prii-ent le nom, conservé jusqu'à nos jours, de bastions. Quant
aux bastilles de campagne, nous les voyons encore employées au commen-
cement du xvi«^ siècle : ce sont, connue nous l'avons dit plus haut, de
véritables blockaus propres à contenir un poste et de l'artillerie. Voici (5)
un de ces ouvrages en bois entouré d'un fossé et d'une palissade, repré-
senté dans le Récit des actions de l'empereur Maximilien h' '. Toutefois,
le nom de bastille cesse d'être appliqué, à partir du xm'' siècle, aux
ouvrages isolés ou flanquants ; ils prennent dès lors le nom de bastions,
et, dans certains cas, de boulevards (voy. ces mots). Seule peut-être, la
bastille Saint-Antoine de Pai'is conserva son nom jusqu'au jour de sa
' Le Roi S(Kjc, Ih'cit, etc., par M. Treilzauvweiii , grav. par llauiisen Burgniayr.
Vienne, publ. en 1775, p. 144.
[ BASTION 1 — 170 —
déiiiolilion. Il ncst pas besoin dt' i;i|»p»'Ii'r i\uo cctl»' tbrieresse sei'vil dr
prison d'État depuis l'époque de sa ('(iiislructioii jiis(nrà la tin du deiiiier
siècle; ei. ((iiniuaiidaiii un t'auhouii; populeux, reliée à l'Arsenal par des
murs el des fossés, elle était ii^stée le sii;ne visible de la suzeraineté royale
au centre d<' l*aris. depuis la reconstruction du vieux Louvre.
BASTION, s. ni. OuvraiiC saillant de toi litication, adopte' depuis le
\\r' siècle pour IbuKiuei' les enceintes el enipècber les appi'ocbes par des
feux croisés (voy. auciuthcti uk .mii.itaihk). Les bastions leinplacèrenl les
tours du moyen àiie. Les mois baslide, hasiillc. iKtslUlon , explicpienl
l'orijiine du bastion. La |)luparl des anciennes enceinles (pie l'on voulut
renforcer à la lin du xv siècle, lorscpie l'ailillerie de siège eul accpiis une
lirande puissance de desirnction. fiireiil entourées de bastions en lerre
gazonnee ou revêtue de mavomieiie, loiscjue le temps et les ressources le
— 177 — 1 BASTION ]
peniiettaioiit. Dans cp deiniercas, on donna aux bastions piiinilifs plusieurs
étajïos (le feux, atin <lo connnandrr la campa^Mio au Idin et d»» hattie les
assiégeants lors(|u'ils s'emparaient des fossés. Kn France. <mi Allemagne
et en Italie, on voit apparaitie le bastion dès la lin du xv« siècle; les
Italiens prétendent être les inventeurs de ce genre de défense ; mais nous
ne voyons pas que les faits viennent appuyer cette prétention. En France
et en Allemagne, les bastions ronds s'élèvent en même temps, de 1490 à
lo'iO. Il nous send)lerait plus raisonnable de supposer rpie, pendant les
guerres dllalie de la tin du xv siècle, Français, llaliens, Suisses et Alle-
mands, perfectionnèrent à l'envi les moyens d'attaque et de défense. Le
texte de Machiavel que nous avons cité dans l'article Àrchitechire militaire '
est loin de donner à lltalie cette prédominance sur les autres contrées
occidentales de l'Europe *. Quoi qu'il en soit, la France et FAlIemagne,
qui, pendant toute la durée du xvi>^ siècle, eurent de longues et terril)les
guerres à soutenir, guerres civiles, guerres étrangères, ne cessèrent de
fortifier à nouveau leurs anciennes places, de munir les châteaux de
défenses propres à résister à l'artillerie. En France, les armées royales et
les armées de la réforme, assiégeantes et assiégées tour à tour dans les
mêmes villes, à quelques mois de distance, instruites par l'expérience,
ajoutaient tous les jours de nouveaux ouvrages de défense aux forteresses
ou perfectionnaient les anciens; et il faut dire que si, pendant ces temps
malheureux, un certain nombre d'ingénieurs italiens montrèrent un véri-
table talent, ce fut souvent au service des rois de France. Tous les hommes
qui s'occupaient de construction dans notre pays, pendant ce siècle,
étaient familiers avec l'art de la fortification, et Bernard Palissy lui-même
préfendit avoir trouvé un système de défense des places à l'abri des
attaques les plus formidables ^
Parmi les premiers ouvrages à demeure qui peuvent être considérés
comme de véritables bastions, nous citerons les quelques grosses tours
rondes qui flanquent les angles saillants de la ville de Langres \ Le plus
important de ces bastions est un ouvrage circulaire qui défend une porte;
il est à trois étages de batteries, dont deux sont casematées. La tig. 1
donne le plan du rez-de-chaussée de ce bastion; la tig. "2, le plan du premier
étage, et la tig. 3, la coupe. Les embrasures des deux étages casemates
sont ouvertes de manière à flanquer les courtines. La batterie supérieure
' T. I, p. 129.
- On est trop disposé à croire généralement que nous ayons tout emprunté à l'Italie
au commencement flu xvi= siècle. Peut-être quelques capitaines italiens ayant étudié
les auteurs romains avaient-ils à cette époque certaines idées sur l.i tactique militaire
qui n'avaient pas cours en l-rance; mais ce n'est pas dans Végèce qu'ils avaient pu
apprendre l'art de fortitier les places contre l'artillerie à feu.
^ OËuvres comiileles de Bernard Pidissij, chap. De la ville de Forteresse. Kdilion
Dnbochet, 1844, p. 113.
^ Voy. le plan général de la ville de L.mgres. (Ari:iiiii ctliu, mii.ii aiuk, 1". I, p. 411.)
T. II. 23
I «Asrio.v I — l"ÏS —
seule (levait «'tre réservée pour baltie la campanile au l<»in. I.cs bastions
(le la ville de l^angres ne sont pas élevés en lerrc ; ce soul encore de
10 iS
20
25'
véritables tours en maçoinierie d'un fort diamètre , et dont les murs sont
assez épais pour résister au boulet. La vue extérieure (i) du bastion dont
nous venons de donner les plans et la coupe a conseivé l'apparence d ime
tour du moyen â^^e, si ce n'est que cet ouvrage est peu élevé relativement
il son diamètre, et «]ue les parements sont dressés en talus pour mieux
résister aux boulets île fer. Les gargouilles (pii garnissent le pourtour de
l'ouvrage demonli'ent bien claireuKMit quil n'éiail jioint autrefois couverl
])ai' un comble, mais par une plate-forme, (le bastion fut ilailleurs remanie
peu de temps après sa ct)nslruction |)remière, et exliausse; à l'intérieui',
les voûtes in(li(pient un cliangement, et les ih'ux rangs superposés des
gargouilles (lig. A) ne peuvent faire douter (|ue la plate-forme n'ait été
sui'élevée.
Les j)iemiers bastions circulaires n'étaieiU |)as toujours cependani
dépoui'vus de cond)les , sans parler tles grosses tours l'ontles de la ville de
Nuremberg bâties par Albert Durer (voy. Tom), (pu peuvent passer poui'
— •"•• — [ BASTIOA
(le véritables baslioiis dans l'acception primitive du mol, et ont toujour:
été couvertes; voici (5) des bastions de l'ancienne enceinte de Soleure
également couronnés par des combles '. On leconnut bientôt que ces
bastions circulaires n'étaient pas assez vastes , que leurs feux divergents
ne pouvaient contrarier les approches des assiégeants, (|u'i!s ne flanquaient
les courtines que par deux ou trois bouches à feu, qu'ils n'opposaient pas
des faces étendues aux batteries de siège. Ils subirent, dès le commence-
ment du xvF siècle , diverses transformations. Quelques-uns, pour bien
flanquer les deux côtés d'un angle saillant, s'avancèrent sur les dehors ,
' Délia Cof^mnfi. univers, di Scb. Munuter.
I BASTION 1 _ 180 —
ainsi (|uc riii(Jit|U(' ht lig. «)', et allonj^^èrciit leurs flancs; d'autres, au
contraire, étendireni leurs faces pour piolé^er u1i Iront. Albert Durer,
dans son Art de forlifier les villes et citadelles \, adopte un système de
bastions qui mérite d'être étudié avec soin; cet artiste, peintre et architecte,
ne fut pas seulement un ini;énieux théoricien, il présida à la construction
d'une partie des défenses de la ville de Nuremberg; et ces défenses sont,
l)our l'éjxxpie où elles furent élevé(>s, un travail très-remarquable. On
doit même supposer que son système eut une grande vogue dans une
partie de l'Allemagne et de la Suisse au commencement du xv!*" siècle,
car on trouve encore dans ces contrées des restes nond)reux de défense
qui rappellent les principes développés par AllxMt Diirer dans son œuvre,
et nous citerons entre autres la forteresse de Schatt'hausen (voy. boii.evard).
Pour renfoicer et tlanquej- un front, Albert Diuer construit de larges et
hauts bastions avec batterie casematée au niveau du fond des fossés, et
batterie découverte au sonmiet. Ces bastions présentent un énorme cube
de maçonnerie ; il les isole des remparts ou les y réunit à la gorge. Le plan
de son bastion est un arc de cercle ayant pour base un parallélogrannne.
Nous figurons (7) ce plan au niveau du fond du fossé ; du terre-plein A
au niveau du sol de la ville, il comnumi(|ue à la batterie casematée Fi par
un ou deux escaliers C. Les deux escaliers D communiquent du teire-plein
A à la batterie supérieure et aux batteries inférieures. La iig. H doime le
plan du bastion sous le sol de la batterie supérieure, et la fig. y le plan de
cette batterie. La construction se compose de murs concentriques éperon-
nés et reliés par des murs rayonnants ou j^nrallèles dans la paitie rectangle
du bastion, de manière à former un grillage terrassé présentant une grande
' Angle Est de ht ville de liiiy, sur la Meuse, liilrod. à la foiiif., par de Fer. Paris,
17^2.
2 Mhrrli Durer), pict. et iirrhil. prœfilantiKsimi, de urb. (ircib. ciixtellixqiw condeii-
dia, elc, niiHC reeeiis c linijitii germniiiat iu l<diiitii)i Irudiiclœ. l'aiisiis, to3."j.
— 181 — [ BASTION I
lorce de résislance aux piojoctiles. La l)atterit' caseiiiatée peut contenir
<juatie bouches à feu pour flanquer les deux courtines, et huit l)ouches à
8
feu pour protéger la face en arc de cercle. La batterie découverte du
5
soiniuet (jui coiuiuaiule les glacis et la campagne coiilieul deux bouches à
BASTION
— IS^2 —
Ipu naiK|uaii(»'s. cl iiciit' bouches à feu sui- la face cintrée. Ce bastion peut
avoir environ 130 nièti'es <U' largeur d'un tlanc à l'autre, et 60 mètres de
tlcche à la hase. La coupe transversale de cet ouvrajie faite sur l'un des
deux escaliers droits (! est très-curieuse (10). Les murs, de la hase au
^,-u
-^^
X
.G 0-!"^ Qnviziin- ■
sonuuel. lendcnl à un centre commun post' sur le pi(»loni;('m(Mit de l'axe K.
et les assises de maconneiie sont jjeipendiculaires aux rayons, en formant
ainsi un an^le plus ou moins ouvert avec Ihori/.on^ selon que les murs sont
plus ou moins éloij^nés du centre de Inut iouvi-age. Alhert Durer re^^arde
ce moyen de construction connue présentant une grande cohésion, connue
épaulant puissamment le noyau du bastion; et il ne se trompe pas. Il
('tahli! un plancher de l)<»is pour le service de la hatt(M'ie su|)érieui'e, atin de
faciliter le mouvement des pièces de canon. Les détails de cet ouvrai^e sont
assez bien étudiés et ex|)liquès; la batterie casematée, outre ses eud)rasures
F, est percée d'évents (i pour la fumée et de cheminées H, afni d'obtenir
un lirai^e. Le j)arapet supéricui' esl bâti suivant un arc de cercle en coupe,
poui' faire ricocher les- boulets ennemis; les embrasuies sont numies de
mantelets en madriers toui'nant sur un axe et masipiant les pièces jiendanl
(pie lescanonniers sont occupés à les charger (voy. k.mbkaslki:). Ce bastion
isolé peut tenir encore si la courtine est au pouvoir de rennemi ; on
retrouve encore là un reste de la fortiticalioii du moyen à^^e ; et ce bastion
est une bastille que l'on suj)pose moins prenable que les courtines. Le
fossé est très-larj;e, -2{)() pas, et sa cimetle est creusée le loniidu bastion,
ainsi que l'indicpie le prolil -énéral \, lig. 10. La coulrescar|)e du fossé esl
— lî^'J — I ItVMION
revt'Iuc. I.ii lii;. I I (liniiic rclcvjiiioii rxIcrit'iiiT de l;i iiioilif de ce hasiioti.
A X.E
II
pÉg^rû se
-1
On remarquera les grands arcs de décharge qui accusent les embrasures et
reportent tout le poids du mur extérieur sur les tètes des nuu's convergents.
Cette élévation t'ait également voir les trous des évents et cheminées, les
mantelets de bois des embrasures supérieures et les courtines de la ville,
dont les chemins de ronde sont couverts par un appentis continu. C'est là
une fort belle construction, et ce qu'on peut lui repi'ocher, c'est l'énorme
dé|)ense qu'elle exigerait. Il seml)le qu'Alberl lUu'er ait attaché une grande
inqîortance aux fossés; il les fait très-lai'ges et profonds, et les défend
souvent par de pelits bastions circulaires isolés, connne nos ra\elins
modernes. Il laisse ces petits ouvrages au-dessous du niveau de la créle de
la contrescarpe, et ne les considère que comme des défenses propres à
battre un ennemi débouchant par un boyau de tranchée au niveau du fond
du fossé, et se disposant à le passer pour attacher le mineur au pied des
nuu'ailles, ou pom- les escalader au moyen d'échelles. Dans le cha|)ilre
de son œuvre inlitulé : Ânliquœ civilalis muniendœ ratio, ou il e\pli((ue
connnent on doit renforcer par des défenses extérieures une ville dont on
veut conser\t'i- l'ancienne enceinte munie de tours, il construit de ces
petits bastions isolés au fond des fossés (l'2) '.
' Voici le passage in(li(iiiaiit riililitc de ces ouvrages.. . ■■ liiler luee deiude propii-
'" gnacula ad f'ossa; alla passiiii eonslnientiir loUiiida, qiiec et ipsa liimiilia et siirsum
•< versus non niliil l'astigiala, Ittti rationeni ;i siiperioribus non ahsimilem sorliantur.
• In liU'c iiiminiMi propiignaenla seii tossa' slaliunes secretiora itinera quasi dill'ui,'i;i
" agentnr , quie adilus reditusqui- elaucularit)s pr:eslent. Est eiiiin hoc geuus niuiii-
" tionnni luin modo utile, sed necessariuni quoqne, cum liostis in lossani provolulus.
I hatons-ho.mim's 1 — 1^'* —
Le nom do bastion, ou plutôt do bastillnn. no fut j^uric applique aux
défenses avancées importantes pendant le \vi'' siècle. On désigna plulùl
ces ouvra^'ps parles noms de boulevard, de ;j/a/<'-/'o///((',(piils ne |)enlireiil
que vers les juemières années du xvii'' siècle, pour reprendre détinitiveuieni
la dénomination de bastion, conservée jusqu'à nos jours (voy. bollkvari)).
BATONS-ROIVIPUS, zigzogs. C'est un boudin ou une baguette brisée
que Ion rencontre fréquemment dans les arcs, archivoltes, cintres. i)an-
(leaux et pilastres même de larchiteclure du xii'' siècle. Les tailleurs de
pierre à cette époque étaient arrivés à une exécution parfaite, et ils se
plaisaient à varier les membres nond)reux des archivoltes.'les réunions de
moulures, au moyen de combinaisons de tracés tpii produisaient un grand
effet par le jeu des lumières et des ombres. Les bâtons-rtnupus les j)lus
ordinaires sont ceux qu«^ nous donnons dans la tig. I , reproduisanl l'arclii-
voltedune des fenêtres de la calliedrale de Tj^dle. Cette orneiiienlation se
cond)ine avec l'appareil des claveaux; ceux-ci étant taillés el ravalés avant
la pose, rien n'était plus simple que le tracé du boudin ronqiu sur chacun
d'eux, comme le démontre le voussoir A ; rassend)la}j;e de ces voussoirs
produisait beaucoup d'etiet à peu de frais. Mais c'est en Normandie surtout
que ce moven de decoi-er les archivoltes est fort enq)lo\e du xi«-' au
xni«^ siècle. La pieric de taille tMuployee dans cette contrée se prétait aces
recherches de moulures. Non-seulement en Normandie on trouve un grand
nombre d'arcs moulurés, tracés suivant la tig. 1; mais les bâtons-rompus
se doublent, se contrarient ("2) ', se pénètrent même parfois. Les monu-
ments normands de l'Angleterre nous donnent les plus nond)reux et
riches exemples de ce gemc de décoration '.
Les architectes de Ille-de-Fiance n'usèrent qu'avec discrétion de la
moulure en bâlons-ronqjus. Ils évitaient les bizarreries, les recherches, et
semblaient prendre à tâche dans leurs éditices de laisser aux grandes lignes
de l'architecture leur fonction, de repousser les formes qui pouvaient
« calervalini mûris scalas ailnuiliuir » (Voy., au uiul iidUi.tvAiti), des [)olils l)a»li(iiis
analogues à ceux dont parle Albert Durer , allaciiés aux lianes de la forteresse de
Scliairiiausen.j
' Porte du doeiier de Saint-I.oup, à Baveux.
- Voy. .1 (ilosK. of Ti'rms iisi'd ui (irçcc, liovi., liai, miil (luHiir. Airhil. Oxiord,
.1. II. l'arker, I8."J0.
IXr) [ IIAT(»>S-R()MIM s 1
détruire leur simplicité. S'ils adoptèrent le Ixmdiii ou la l)aj,^uette brisée
dans certains cas, ce n'était qu'en les subordonnant à des membres de
2 MA
moulures conservant la pureté des courbes prin('ij)ales, eu leur taisant
jouer un rôle très-secondaire. Nous citerons cependant le j>rand arc dou-
bleau de l'entrée du chœur de l'éf^lise de Saint-Martin-des-Champs à Paris,
qui est tlanqué de deux j^ros boudins présentant des zij^zajis très-accentués
T. II. ->'«
tii
BKFI'HOI
— 180 —
et d'une dimension \wn ordinaire; mais il faut dire que cet are douhleaii
n'est pas à l'échelle de l'arcliilecture du chœur^ et que le maître de l'ieuvre
a voulu dissinuderla lourdeur de cet arc par une dentelure (|ui lui donne
de la légèreté; c'est là une exception '. L'abus de la moulure en bâtons-
rompus, dans les édifices de la dernière [)ériode romane en Normandie et
en Angleterre, fatigue et donne un aspect monotone à rarcliileclure de
cette époque. Cette moulure en zigzags porte mal sur les tailloirs des
chapiteaux lors(ju'elle prend une certaine inq)orlance ; elle ne |)ro(luil un
bon etiet que lorsqu'elle est conq^rise entre des nerfs accusant la courbe
de l'arc, comme dans le cha.'ur de la cathédrale de Canterbury ('.{) *,
lorsque ses dentelures ne sont pas assez saillantes pour rompre cette
courbe. On voit encore des bâtons-rompus dans l'architecture de la pre-
mière période ogivale, comme à la cathédrale de Noyon, dans le chœur
de l'église Saint-Germer. Ils disparaissent complètement lorsque le
système de l'architecture adopté à la fin du xn«^ siècle se développe, c'est-
à-dire vers 1^00.
BEFFROI, s. m. liaffraiz. On désigne par ce mot un ouvrage de char-
pente destiné à contenir et à permettre de faire mouvoir des cloches ;
prenant le contenant pour le contenu, on a donné le nom de beffroi aux
tours renfermant les cloches de la commune. Les tours roulantes en bois
destinées à l'attaque des places fortes pendant le moyen âge, et jusqu'à
l'emploi de l'artillerie à feu, sont aussi nonnnées beffrois ou brelèches
(voy. ce mot).
BEFFROIS DE CHARPENTE. Lcs clochcrs dcs égliscs sout toujours disposés
pour contenir des beffrois en charpente, au milieu desquels manoeuvrent
les cloches. Ces beffrois sont posés sur une retraite' ou sur des corbeaux
ménagés dans la construc-lion des tours, et s'élèvent en se rétrécissant
» Cet arc (loiil)li>:ui a été déposé et reposé avec surélévation au xiii' siècle, lorsque
la nef de celle éj^lise l'ut reconstruite, ainsi que les voûtes hautes du chœur.
* En parlant de l'architecture française, on ne s'étonnera pas si nous citons souvent
la cathédrale de Canterbury. Le chœur de cette catliédrale a été élevé par des archi-
tectes sortis de France. (Voy. The Architcct. Hislor. of Cantcrburu cailicdral, par le
Rév. K. Willis. London, 1845.)
: Ciyy^.^<:f.
vers leur soiuniet. atiii de ne pas toucher h's parois intérieures de li
[ BEFFROI I INS
niacomiei'ie lorsque lo mouvement imprimé aux cloches les fait osciller, et
aussi pour présenter une plus frraïuie lésistance à l'action de va-et-vicnl de
ces cloches mises en branle. Dès que l'usa^'e des cloches d'un poids consi-
dérable fut adopté, on dut les suspendre dans des beffrois de chaipente
indépendants de la construction en maçonnerie. En France, en Belfiicjue,
en Allemaj,nie, on construisait déjà, au x* siècle, des clochers d'un diamètre
tel, qu'il fait supposer l'emploi de fortes et nombreuses cloches, la con-
struction de beffrois intérieurs de charpente très-importants. Il ne nous
reste pas une seule de ces charpentes antéiieures au wv siècle. Nous ne
pourrions donc donner un exemple appuyé sur un monument existant.
Avant IS;J6, le clocher vieux de la cathédrale de Chai-tres contenait un
beffroi considérable du xive siècle : malheureusement, cette curieuse char-
pente fut brûlée à cette époque, et nous n'en possédons qu'un dessin
donnant l'enrayure basse (I) avec le premier étap;e. Deux j,m'os poinçons
divisaient ce betfroi tMi deux travées dans toute la hauteur, et les cloches
étaient suspendues dans chacune de ces deux travées ; les tourillons de
leurs moutons posaient sur les deux j)ans-de-bois latéraux et sur les
2 chapeaux assemblés dans ces poin-
çons portés par les liens courbes in-
férieurs et soulajiés par des arbalé-
triers à chaque étage, ainsi que l'in-
dique la fig. 2. Un escalier posé dans
un des angles desservait tous les
étages du beffroi et était destiné aux
sonneurs.
Avant le xv siècle, les charpentieis
paraissent s'être préoccupés, dans la
construction des beffrois, de main-
tenir le pan-de-bois central (car les
anciennes charpentes de beffrois sont
r^ "^m^^^^^Hk niVI toujours divisées en deux travées) par
#11 liim MÏ des arbalétriers ou pièces inclinées
reportant la charge centrale sur les
pans-de-bois latéraux. Mais on dut
reconnaître que des fermes taillées
conformément à la tig. "2, posées les
unes sur les autres, étaient insutii-
santes pour résister à la charge et
surtout aux oscillations causées par
le mouvement des cloches; que les
assemblages devaient se fatiguer ,
étant successivement refoulés ou ar-
rachés par le balancement des cloches
dont tout le poids se porte brusquement dun côté à l'autre.
A la tin du xv«^siècle, les pans-de-bois des beffrois furent composés d'une
IX'.) — [ BKFFKOI I
succession de croix de Saint-André, dont rassénil)laj,^e à nii-bois les rendait
beaucoup i)lus rigides, et arrtMait les etVels de roseillation sur les tenons
et mortaises. Kn etï'et, lorsque les étages des pans-de-l)ois des betl'rois se
composaient seulement du poin(.-on central E, des deux poteaux corniersF
et des deux arbalétriers AB, la clo-
che étant en branle et dans la posi-
tion indiquée j)ar la fig. 3, l'assem-
h\',iii(' \) était refoulé et l'assendilaye
C arraché; il en résultait que le
chapeau K taisait bientôt un mouve-
ment de va-et-vient fort danj^ereux
de L en M. L'adjonction des deux
pièces G H arrêta ce mouvement en
reportant toujours le poids de la
cloche, quelle que fût sa position,
sur la verticale E. Parlant de ce
principe, les charpentiers compo-
sèrent les pans-de-bois des beffrois de grillages en lozange dune grande
résistance (4), moisés en X par des moises doubles avec clefs pour
éviter la poussée des pièces PP sur les poteaux corniers. L'oscillation des
beffrois fut très-réduite par cette combinaison. Mais le mouvement des
grosses cloches est tellement puissant que ces pans-de-bois rendus rigides,
entraînés tout d'une pièce, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, avaient pour
effet, à la longue, de faire |nvoter rensend)le de la charpente de façon à
placer Temaym-e basse et 1 enrayure haute dans deux [>lans non parallèles.
BKFFHOI
— \9()
ainsi que l'indique la tig. 5. Les quatre pans-de-bois iah^raux et le pan-de-
hois central gauchissaient, et la dernière enrayure du sommet ariivaif à
battre les parois de ma(,'onnerie des toui's en A ; les cloches maïKcuvraient
mal entre ces surfaces gauches, et leurs battants, pnMiant un léger mou-
vement de rotation, IVapj)aient les bords du bronze à faux et brisaient les
cloches. Pour parer à cet inconvénient, on établit des goussets R aux angles
de chaque enrayure à tous les étages (6) ; dès lors les pans-de-bois furent
S
X
K
X
^
X X
X
G
maintenus dans leurs plans. Ces perfectionnements, apportés successive-
ment par les charpentiers habiles du xv" siècle, furent oubliés un siècle
plus tard, et les beffrois, en grand nombre, (|ui datent du xyii*^ siècle,
sont, malgré l'équarrissage démesuré du bois, de pauvres charpentes fort
mal combinées, mal exécutées, et qui s'atfaiss(Mit sous leur propr(^ poids.
Les incendies, le défaut d'entretien, de maladroites réparations ont
détruit ou altéré les bettVois que lesxin*', xiv^ et xv siècles avaiiMit élevés;
ce que nous donnons ici ne peut être que le résultat de quelques observa-
tions faites sur des débris informes aujourd'hui. Toutefois ces observations
nous ont j)ermis de reconstituer un énoinie beffroi d'après ces données,
celui de la tour sud de la cathédrale de Paris: et, à défaut d'une ancienne
charj)ente comi)lèt(', nous croyons pouvoir rej)résenter cell(>-ci , dans
laquelle nous avons cherché à profiter de rexj)érience des charj)enliers
du moyen âge, et (jui résume les princij)ales règles posées ci-dessus '.
La fig. 7 présente le |)ian de l'enrayure basse de ce betIVoi, (\iù repose sur
une saillie de la ma(,'onnerie ménagée à cet etïet. Au lieu d'un seul j)an-de-
' l.e Diclioiuinirr tondant avant tout vers un liut praliciiio, on ne nous saura pas
mauvais gré, nous l'ospérons, de doiniei' un «'xcniple tl'iinc conslnictidn neuve, élevée
d'après les règles et des principes que les anciens exemples ne sauraient nous fournir
d'une manière complète. I^e helTroi neul' de Notre-Dame de l*aris fonctionne liien
di>l»uis sept ans, et sans (in'il soit )iossil»le de remarquer la plus légère altération dans
loni le svstème.
— 1»M —
[ BEFFHOI
E
E
H
M
1^
0
ja.
K'
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12-
S us
bois intPiMuédiairo, ici il y en a deux, se coupant à an^Me droit, à cause de
l'ciionii(> hauteur (le cette
' ^ cliarijentc cl pour donner
plus de tixité au poinçon
central. L'un de ces deux
pans-de-bois ne s'élève que
.jus({u au second étajre; les
deux derniers éta^^s restants
ne conservent plus qu'un
seul pan-de-bois de refend
pour permettre le jeu des
grosses cloches. La tig. 8
donne le plan de l'enrayure
supérieure de ce betiVoi, au
sonuiiet duquel est posé un
chemin de service et une ga-
A 0 ...
"^ lerie vitrée recouverte de
plomb. La fig. 0 donne l'un des quatre pans-de-bois latéraux; la fig. 10,
le pan-de-bois de refend s'élevant jusqu'au faite de la charpente. Le
g second pan-de-bois de refend, à
Ë angle droit, est en tout semblable à
celui-ci, si ce n'est qu'il n'existe que
jusqu'au point A. L'ensemble de
l'ouvrage est garni tout autour
<-N
-7, 20-
d'abat-sons recouverts de plomb, et
ces abat-sons, tenant seulement à la
charpente, suivent ses mouvements
sans que les oscillations puissent
agir sur les piliers en pierre de la
tour. C'est donc là, conformément
à la méthode ancienne, un ouvrage
g complètement indépendant de la
ma(,'ûnnerie, garni de ses accessoi-
res, et garanti des intempéries par les ouïes qui sont destinées à rabattre
le son des cloches. La pluie qui s'introduit par les longues baies de la
tour, fouettée par le vent, rencontre une construction isolée bien couverte,
s'égoutte d'un abat-son sur l'autre jusqu'au point B, où un trottoir libre,
isolé de la maçonnerie et recouvert également de plomb, la renvoie sur
les galeries en pierre extérieures. Lorsque le bourdon suspendu en C est
en branle, à grande volée, l'oscillation de ce betiroi à son sommet est de
cinq centimètres environ, à peine sensible au niveau B des galeries, et
inappréciable au-dessus de l'enrayure basse '.
» Celte charpente , qui a remplacé un beflroi du xvii' siècle, a été exécutée en beau
bols de chêne par M. Bellu, entrepreneur.
KEKFHOI
— I«.>^2
Dans le nord, il était d'usaj^e souvent d'établir des beffrois dans les char-
pentes mêmes des flèches en bois recouvrant des tours d'une dimension
ii
médiocre; ce système t'ati^^uait beaucoup les iiiuis en macoimeiie, et on
dut renoncera l'employer lorsque les cloches èlaieni dun poids cunsidé-
— l«K{ —
[ IIKFFKOI ]
ial)lo. Les tlèohes(lescallu'(lr;iles(l»'Koiins, (le Paris. (l('noauvais.(l('l^»uf'n,
de la Saint<'-(^haj)eile
H il 1 -^^ du imitais, otc, coiite-
uait'iil un iiraiid noiu-
bic (le cloclios, mais
d'une petite dimen-
sion. La cathédrale
(rAmiens, qui a con-
servé sa flèclie du com-
mencement du xv siè-
cle, contient un petit
betfroi indépendant de
la charpente dans sa
basse lanterne. Dans
ce cas , les hettrois
-A n'étaient pas munis
d'abat-sons ; leurs bois
étaient simplement
garnis de plomb, et
posaient sur un ter-
rasson recevant les
-^ eaux de pluie chassées
par le vent au milieu
de ces charpentes à
l'air libre.
BEFFROI DE COMMUNE.
Lorsqu'au xi*- siècle
s'établirent les pre-
mières communes,
elles s'assemblaient au
son des cloches , et
presque toujours alors
c'était des tours des
églises que partait le
signal des réunions.
Le clergé régulier et
séculier était généra-
lement opposé à ces
conquêtes de la bour-
geoisie, à ces conju-
rationa qui tendaient à secouer le joug leodaP. Les curés, les abbés
interdisaient les clochers des églises aux nouveaux citonens, el ne permet-
taient pas de sonner les cloches pour un autre motif que celui des otiices.
' Voy. ARCHITECTURE CIVILE.
T. II.
25
I nKFFUoi I — 194 —
Souvent celte opposition était la cause de scènes de violence (pie dciilo-
raient les chefs des villes alIVancliies. Plutôt cpie de provoquer des luttes
continuelles, les l)ourj;eois installcrrnt des cloches an-dessus des porlps
des villes, sur des tours destinées à tout autre usaiie qu'à celni de clocher,
et ce ne tut qu'à la tin du xn*" siècle et au comniencenienl du xin^ que
certaines communes purent songer à élever les tours uniquement réservées
aux cloches de la ville. Ces tours prirent le nom de beffrois. Elles furent
d'ahord isolées ; elles étaient comme le sij,Mie visihie de la franchise de la
coumume. Pins tard, elles furent réunies à la maison fk ville : c'était le
donjon nuniicipal. Il ne nous reste plus en Fi'ance cpiun bien jietit iiond)re
de ces monuments, témoins des premiers et des jilus léiiitimes efforts des
poi)ulalions mhaines iKiur conquérir la lihei-lt' civile, et encore ces rares
exemples que nous possédons ne remontent |)as au delà du xiv siècle.
Les premiers heH'rois isolés se composaient d'une grosse tour carrée, le
plus souvent surmontée d'un couible ou charpente recouvert d'ardoises ou
de plond», dans le([uel étaient suspendues plusieurs cloches. Tne galerie
ou étage i)ercé de fenêtres sur les quatre faces servait de poste pour les
guetteurs qui. le jour et la luiit, avertissaient les citadins de ra|>pro(;he des
ennemis, découvraient les incendies, réveillaient les habitants au son des
cloches ou des trompes. C'était du haut du beffroi que sonnaient l(»s heures
du travail ou du re|)f»s pour les ouvriers, le le\er du soleil, \o couvre-feu.
que l'on annonçait au bruit des fanfares les principales fêles de l'année.
La tour contenait ordinairement des prisons, une salle de réunion pour les
échevins, et quelques dépendances telles que déjjot d"archiv(>s, magasin
des armes que l'on distribuait aux bourgeois dans les temps de trouble,
ou lorsqu'il fallait défendre la cité.
IVndant le xiv siècle, lorsque les grandes horloges furent devenues
comnumes, les bellrois reçurent des cadrans marquant les heures. Le
betfroi est longtemps la seule maison de ville, U'inomimenl numicipal par
excellence. Lorsque le pouvoir féodal est le plus fort, son premier acte
d'autorité est ladémolili(»ii du beffroi. Kn \:)±2, l'évêque et le chapitre de
Laon obtieiment de Charles IV une ordonnance dans laquelle il est dit :
« Ona l'avenir, en la ville, cité cl faubourg de Laon, il ne jxturra y avoir
(( connnune, corps, université, échevinage, maire, jurés, cotfreconnnun,
« beffroi, cloche, sceau ni autre chose appartenant à l'état de la coni-
K mune '. » Et plus tard, en 1331, Philippe VI rend une seconde ordon-
nance conlirmative de la première, se terminant parcelle danse : a II n'y
« aura plus à Laon de tour du betlVoi; et les deux cloclu^s qui y étai(Mn
(( en seront ôtées et conlis(pu''es au roi. Les deux autres cloches qui sont
{( en la tour de la ]*orte-lMartel y resteront, dont la gi'ande sei'viraà sonnei'
<( le couvre-feu au soir, le point du jour au matin, et le tocsiu : et la
<( petite pour faire assend)ler le guet *. »
> A. Thierry. LcUres sur l' histoire de Fraiici-, IcU. xviii.
•i Jifiii^ — l^es cloclics claienl placées « iiiter iiisii,Mii;t de nalma ((insuialiis exisleiilia.i
— l'c) —
IIKKi'IUII I
Noyon. Laon, Keims, Amiens possedaitiil des liellVois. Cette deniièn
//
iiiâ \ "^
ville a ecmseivé le sien jusiiu a
nos jours; mais reconsiriiil
à plusieurs reprises et déna-
turé pendant le dernier siècle,
la base seule de la toui- car-
rée présente encoïc rflicUpu-s
traces de constructions éle-
vées pendant les xui*^ et xv
siècles ' . Les autres jjirandes
cilés que nous venons ih'
nonnner ont laissé détruire
complètement les leurs. Ce
n'est plus, en France, que
dans quelques villes de second
ordre qu'on trouve encore des
bett'rois.
Nous donnons ici (11) celui
de la ville de Béthune (Pas-
de-Calais), qui est assez bien
conservé et peut donner une
idée de ces constructions mu-
nicipales au xiv*^ siècle. L'étage
inférieur, masqué derrière des
maisons particulières, conte-
nait les services mentionnés ci-
dessus. Une grande salle per-
cée de liuil haies renfermait
les grosses cloches ; au-dessus
était une salle percée de meur-
trières et de petites ouver-
tures. Un escalier à vis posé
sur l'un des angles monte à
la galerie su{)érieure, llanquée
aux angles d'écbauguettes
crénelées. In comble recou-
vert d'ardoise et de plond»
contient un carillon cl une
'Les Olim , oriloniuiiue M, G8 , ail. ix.^ Helirer à une ville ses clociies, c'était lelirei-
an coii)S nmiiicipal de colle ville, iKPii-s.Miiement le moyen , mais le flroil de s'assem-
liler. Pondant toute la durée de linlonlictiuii , les allaires reslaienl suspendues , ou
.-laienl dévolues à la décision des officiers royaux. Ln tel élal de choses ne durait pas
longtemps, et la ville pouvait (Toidinaire abréger sa durée eu raclielanl le droit des
cloclii"^. (Les Oliiii, I, p. .S:}() du texte, note 12i).
' Voy. la De.sciiiiUon du belJnu d<: lu ville d'AmUns, par M . Il . Dusevel. Amiens, 1 8 i7 .
[ hkfkroi 1 — l".»"» —
lanlprne supérieure avec {^alerio pdiii le guetteur. Siii\;iiil
9
iisiiu»'. une
^.
— — «C-t.tJ
j<irouetlp couromu' la tlèclie. Les villes d'Auxerre, de lieaunc (Uil ciuore
h)7 [ BKFFKOI ]
leurs beffrois. Voici (l'2) celui d'Evreux, coiislruit au xv« siècle, et qui est
complet. Nous en (lonuons les plans, avec la vue persjjcctive, aux trois
étaitcs AHd. Les luniiicipalitt's déployaient un certain luxt^ dans ces
constructions uihaiiies; elles tenaient à ce (|ue leurs couroinienients
élevés, souvent ornés de clochetons, d'aiguill(\s, de j^M-andes lucarnes,
fussent aperçus de loin, el l(''inoiiiiiassent de la richesse de la citt'.
Nous avons dit, en connnençant, (|ue les cloches de la connnune étaient
suspendues, dans certains cas, au-dessus daiu-iennes portes de villes.
Peut-èti-e est-ce en sonvcnii- de celte disposition prcivisoire ((ue beaucoup
de beti'rois isolés furent constiuits à dessein sous forme de |)orle suriuontée
d'une ou deux tours. Nous citerons parmi les beffrois servant de porte,
bâtis à cheval sur une rue, les tours de beffroi de Saint-Antonin, de Troyes
^démolie aujourd'hui), d'Avallon, de Bordeaux. Ce dernier beffroi est fort
remarquable ; il se comj)Ose de deux grosses tours entre lesquelles s'ouvre
un arc laissant un passaj^e public. x\u-dessus, un second arc couroiuié
par un crénela^e el fin comble couvre la sonnerie (voy. poktk).
Dans quelques villes, l'une des tours de l'éjilise principale servit et
sert encore de beH'roi. A Metz, à Soissons, à Saint-Quentin, une des
tours de la cathédrale est restée destinée à cet usai^^e. Quant aux beffrois
tenant aux hôtels de ville, nous renvoyons nos lecteurs au n)ot hôtel de
VILLE.
BEFFROI, MACHINE DE GUERUE. Pcudaut les siégcs du uioyeu âge, on se
servait de tours de bois mobiles pour jeter, sur les murailles attaquées,
des troupes de soldats qui livraient ainsi l'assaut de plain pied (voy. archi-
tecture militaire). Ces tours prenaient le nom de beffrois. Cet engin de
guerre était en usage dans l'antiquité. César, dans ses Mémoires, indique
souvent leur emploi. Après avoir élevé des terrassements (|ui })ermeUaient
d'approcher de grosses machines des murailles attaquées, comblé les
fossés et étal)Ii des mantelets qui couvraient les travailleurs, l'armée de
César, au siège d'une place forte défendue par les Nerviens, construit
une tour de bois hors de la portée des traits des assiégés.
« Lorsqu'ils nous virent dresser la tour, dit César ', après avoir posé
« des mantelets et élevé la terrasse, les Nerviens se mirent à rire du haut
« de leurs murailles, et demandèrent à grands cris ce que nous voulions
« faire, à une si grande distance, d'une si énorme machine ; avec quelles
« mains et quels efforts des hommes d'une si petite taille pourraient la
« remuer (car les Gaulois, à cause de leur haute stature, méprisent notre
« petite taille) ; prétendions-nous approcher cette masse de leurs murs?
« Mais lorsqu'ils la virent s'ébranler et s'avancer vers leurs défenses,
(( étonnés d'un spectacle si nouveau, ils envoyèrent à César des députés
« pour traiter de la paix.... »
Les (iaulois iniilaieurs, d'après le dire de César lui-même, ne tardèrent
' Livre 11. ])c liello gallico.
I UKKFIUtI I — l*>8 —
pas à adopter^ eux aussi^ les toiiis de bois iiiohiles. Lors(|ue le eaiiip des
Hoiiiaiiis est assiéfïé par les Nerviens révoltés ', « le septième joui- dti
« siéj,'e, un faraud veut s'étant élevé, les ennemis lancèrent dans le camp
« des dards enihnnmés, et avec la fronde des l)alles d"arf;ile rouiiics an
M feu. Les baraques de nos soldats, couvertes en paille à la manière
« gauloise, eurent bientôt pris feu, et en un instant le vent j)orta la llanmic
« sur tout le camp. Alors, poussant de grands cris comme si déjà la
« victoire eût été jwur eux, ils tirent avancer leurs tours et Ituns tortues,
« et commencèrent à escalader l(>s retrancbements. Mais tels furent le
« courage et la solidité de nos troupes, (jue, de toutes pails environnées
« de flannnes, accablées d'une grêle de traits, sachant que l'incendie
M dévorait leur bagage et leur fortune, aucun soldat ne (|uilta son poste
« et ne songea même à regarder en arrière; tous combattirent avec acliar-
« nement. Cette journéf» fut rude pour nous; cependant beaucoup
« d'ennemis y furent tués ou blessés; entassés au pied du rempart, les
« derniers venus empêchaient les autres de se l'elirer. (Juand l'incendie
« fut un peu apaisé, les assaillants ayant roulé une de leurs tours près
« du retranchement, les centurions de la troisième cohorte postés sur ce
« point s'éloignèrent, emmenèrent tout leur monde, et, appelant les
« ennemis du geste et de la voix, les invitèrent à entrer s'ils voulaicni ;
« aucun n'osa se porter en avant. On les dispersa par une grêle de pierres.
« et on brûla leur tour »
Depuis loi's, et jusqu'à l'emploi de l'artillerie à feu, on ne cessa, tlans
les Gaules, d'employer ce moyen d'attaque pendant les sièges. Il n'est pas
besoin de dire qu'il ne nous reste aucun renseignement pratique sur ces
énormes machines. Nous devons nous en tenir aux descriptions assez
vagues qui nous sont restées, à quelques vignettes de manuscrils exécu-
tées de façon qu'il est impossible de constater les moyens employés pour
les ftiire mouvoir. Pendant le moyen âge, ces tours mobiles étaient assez
vastes pour contenir une troupe nombreuse; elles étaient divisées par des
planchers formant |)lusieurs étages percés de meurtrières, et leur sommet
crénelé, dont la hauteur était calculée de manière à dominer la crête <les
tours ou murailles atta(|uees, recevait un pont s'abattant sui- les jKirapels
des assiégés, lorsfjue le beffroi était amené le long des nuu-s. On garnissait
extérieurement ces grandes charpentes de peaux fraîches , de grosses
étoffes de laine mouillées pour les préserver des projectiles incendiaires
(voy. Aur.HiTKCTiRi: imiTAUu;, lig. ITi et !(!).
C'est au siège du château de l>releuil pai' le roi Jean (I.5.M)). (|u"il est
l'ait mention une des dernières fois d'un betfroi mobile, et la descri|)tion
(|ue Froissart donne de ce siège mérite d'êli'e transcrite, car l'artillerie à
feu connnence à jouer un rt)le important en détruisant les anciens engins
«l'assaut, si formidables jusqu'alors.
' Livre \ . De Bello gallko.
— lO'J — [ BEFFROI ]
K Et sachez que les François qui éJoient devant Breteuil ne séjournoienl
« mie (ie iniap^ineiet subliller |)lusi(nirs assauts pour |)Ius i^réver ceux de
X la t;ainis(»n. Aussi les chevaliers et écuyeis (|ui dedans étoient suhlil-
« loient nuit et jour pour eux porter douiniai^e; et avoient ceux de lust
« fait l('\er et (h'esser i^rands enjoins qui jetoient nuit et jour sur les
<« combles des tours, et ce moult les fiavailloit. ¥11 fit le roi de France faire
« par iirand Toison de charpentiers un lirand bett'roy à trois étages que on
'( menoit à roues cpielle j)aif que on vouloif. En chacun ('•faiie pouvoit bien
K entrer deux cents hommes et tous eux aider; et étoit breteskié et cuire
« pour le trait troj) nialeuient tort ; et lappeloient les plusieurs un cas, et
« jes autres un atournement d'assaut. Si ne fut mie si tôt fait, charpenté
« ni ouvré. Entrementes que on le charpenta et appareilla, on fit par les
« vilains du pays amener, apporter et acharner grand'foison de bois et
« tout renverser en ses fossés, et estrain et trefs (paille et pièces de bois)
« sus p(»ur amener liulit engin sur les quatre roues jusfiues aux murs pour
« cond)attre à ceux de dedans. Si n)it-on bien un mois à remplir les fossés
(( à l'endroit où on vouloit assaillir et à faii-e le char (le charroi). Quand
« tout fut prêt, en ce betfroy entrèrent grand'foison de bons chevaliers et
« écuyers qui se désiroient à avancer. Si fut ce betfroy sur ces quatre
« roues ai)outé et amené jusques aux murs. Ceux de la garnison avoient
« bien vu faire ledit beti'roy, et savoient bien l'ordonnance en partie com-
te ment on les devoit assaillir. Si étoient pourvus selon ce de canons jetant
« feu et grands gros carreaux pour tout dérompre. Si se mirent tantôt en
« ordonnance pour assaillir ce bettVoy et eux défendre de grandvolonté.
« Et de commencement, aincois que ils fesissent traire leurs canons, ils
« s'en vinrent condjattre à ceux du beffroy franchement, main à main. Là
« eut fait plusieurs grands appertises darnies. Quand ils se furent planté
'( ébattus, ils conmiencèrent à traire de leurs canons et à jeter feu sur ce
« bertVoy et dedans, et avec ce feu traire épaissement grands carreaux et
« gros qui en blessèrent et occirent grand'foison, et tellement les enfon-
« cèrent que ils ne savoient auquel entendre. Le feu, qui étoit grégeois,
<( se prit au toit de ce betlVoy, et con\int ceux qui dedans étoient issir
« de force, autrement ils eussent été tout ars et perdus. Quand les com-
« pagnons de Breteuil virent ce, si eut entre eux grandhuerie, et s'écriè-
« rent haut : « Saint-George! Loyauté et Navarre ! Loyauté! » Et puis
« dirent : « Seigneurs françois, par Dieu, vous ne nous aurez point ainsi
« (jue vous cuidez.n Si demeura la greigneure partie de ce betfroy en ces
« fossés, ni onques depuis nul n'y entra ' »
Lorsqu'à la fin du xv«^ siècle les auteurs de l'antiquité furent en honneur,
on fit de nombreuses traductions de Végèce, de Yitruve, et leurs traduc-
teurs ou commentateurs s'ingénièrent à trouver dans ces auteurs des
applications à l'art militaire de leur temps. Ces travaux , utiles peut-être
' Cbron.de Froinaart, liv. 1"^, p;irt. ii, clinp. \\i. Kdit. Biictioii.
I BÉMTIKK I — -iOO —
(|uaiit à la lacliqup, ne pouvai(Mit s "appliquer à l'art des siéjj;es en face de
rartilleiie à feu, et les combinaisons plus ou moins iuirénieuses de
machines de ^^uerre (|ue quelques savants s'amusaient à mettre sur le
papier restèi-ent dans les livres; ils ne pouvaient avoir et n'eurent aucun
résultat pratiijue ; nous n'en parlerons donc pas '.
BÉNITIER, s. m, lienoislier. Petite cuve dans laquelle on laisse
séjourner l'eau bénite pour l'usa^^e des fidèles, à l'entrée ou à la sortie
des éj^lises. Il y a deux sortes de bénitiers : les bénitiers portatifs
et les bénitiers fixes. Nous ne nous occuperons que de ces derniers,
les premiers faisant partie des ustensiles à l'usafije du culte. Il nous
serait ditlicile de dire à quelle époque les bénitiers fixes furent posés
à la porte des églises. Nous connaissons quelques bénitiers informes
qui paraissent avoir été très-anciennement scellés dans les pieds-droits
des portes d'ejilises d'une date reculée; mais rien ne prouve que ces
bénitiers appartiennent à l'époque de la construction de ces édifices. Ces
bénitiers, en tant (|uils soient primitifs, ne sont guère que de très-petites
cuves en pierre et en forme d'une demi-sphère. Nous serions tenté de
croire (bien (jue nous ne puissions ai)puyer notre opinion sur aucune
preuve certaine) tpie, dans les églises antérieures au xm>' siècle, le bénitiei'
était un vase de métal que l'on plaçait près de l'entrée des églises lorsque
les portes étaient ouvertes. Cette conjecture n'est basée que sur l'absence
de toute disposition indiquant la place de cet accessoire. Sous le porche
des églises primitives de l'ordre de Cluny, il y avait presque toujours une
table de j)ieiTe d'une dimension médiocre posée près de la porte. Cette
table était-elle destinée à recevoir un bénitier portatif ? C'est c«^ f|ue nous
n'oserions affirmer. Était-elle, connue semblent le croire (piel(|ues
auteurs, entre autres Mabillon , un autel? L'absence de monuments
existant aujourd'hui nous laisse à cet égard dans le doute.
Une gravure donnée par Dom. Plancher*, dans son Histoire de lionr-
(jogne, et représentant le porche de l'église abbatiale de i\loulier-Saint-.lean,
montre un bénitier fort inqmrtant placé d(>vanl le trumeau de la pt)rte
centrale, La façade de cette église avait été élevée vers I L'JO, et le bénitier
semble appartenir à la même époque; autant qu'on peut en juger par la
gravure, fort grossièrement exécutée, ce bénitier parait être en bronze et
posé immédiatement sous les pieds de la statue de la Vierge qui fait partie
du trumeau. Nous donnons (I) une copie de ce l)énitier avec son entou-
rage'. H était porté sur une colonne ilont l'excessive maigreur nous faii
supposer qu'elle était en métal.
1 Voy. entre autres Roberli y<illurii de rc mililurl. fil). XII ; 1493. Édit. do to34 ,
Paris, pet. in-f° latin, avec de nombreuses planclies eu l)ois, donnant les plus étranges
inventions de machines pour attaquer et prendre les places l'ortes.
^ Ilisl. génér. d partie, de Hoiinjognc, t. 1". p. 517. Dijon, 1739.
^ Nous nous sommes permis , tout en conservant aussi tidèlement que possible les
•un —
BÉMTir.n
L'absence des bénitiers d'une époque ancienne dans nos églises n'aurait
pas lieu de surpivndre, s'il-élait constaté qu'ils eussent été généralement
exécutés en bnuizr. Kn etl'ct, les bénitiers en pierre, que nous trouvons
tenant à des monuments des \w et ww siècles, sont dune extrême sim-
plicité^ et nous ne les rencontrons que dans des églises pauvres. On jx-ut
donc supposer avec assez de raison que les bénitiers des églises riches,
étant en bronze, ont été volés, détruits et fondus à répo(|ue des guerres
religieuses. Dans les petites églises du Soissonnais. de l'Oise, construites
a la tin du xii'' siècle et au commencement du xni*^, il existe un grand
nombre de bénitiers taillés comme l'indique la fig. 1 bis '.
I bi;
cmj^uuc T jeune
Mais les architectes du xui*" siècle aimaient à faire tenir aux édifices tous
les accessoires nécessaires ; ils étaient portés à prévoir, dans la construction,
des objets qui jusqu'alors avaient été regardés comme des meubles ; ils
durent disposer des bénitiers faisant partie de l'édifice, près des portes, de
même qu'ils accusaient franchement les piscines, lescrédences. Ces acces-
soires devenaient pour eux autant de motifs de décoration. Près de la porte
méridionale de l'église de Villeneuve-le-Roi , on voit encore un bénitier
formes indiquées par la gravure, de rapprocher notre dessin du style du xii' siècle, la
gravure étant cuniplétenient dépourvue de caractère.
» Ce bénitier provient de l'église de Saint-Jean-aux-Bois, près Compiègne.
T. II. 2ti
[ BÉMTfKl? 1
— ^2(V2 —
tcnaiil au nilior de droite ; ce béiiilier est combiné avec la construction (2)
HO'A [ BESAMS ]
Ses assises rè{;iient avec les assises du i)ilier; ce n'est pas un accessoire
rapi)orlt' apirs coup : il est prévu eu bâtissant. La cuve polyiionaie est
sunuoiilcc d'un dais liueiueiit taillé. Cet édicule, connue la coustrucliou
à la(pi('ll(^ il lient, date di> la première moitié du xni'' siècle '.
Plus tard, pendant les xiv«- et xv« siècles, les bénitiers reprennent leur
apparence de meubles, et se composent pi'esque toujours d'une cuve
polviionale ou circulaire portée sur une coloime ; ils ne font plus partie de
Tédilice. Quelipu^fois les sculpleui's se sont plu à fii;urer, au fond des cuves
des bénitiers, des serpents, des grenouilles, des poissons, jjuerilités
d'assez mauvais yoùt et qui fout l'admiration de beaucoup de yens. Si ces
fantaisies avaient pour but de rappeler aux tidèles qu'ils doivent prendre
de l'eau bénite en entrant dans l'église, il faut avouer que cette singulière
façon d'attirer l'attention eut un plein succès. A l'époque où le zèle reli-
gieux se refroidissait, les artistes s'ingéniaient souvent à exciter la curiosité,
à défaut d'autre sentiment. Nous pensons qu'il faut classer ces sculptures
d'animaux au fond des cuves des bénitiers parmi les fantaisies, parfois
burlesques, des sculpteurs du xv^ siècle , quoiqu'on ait voulu trouver à
ces figures un sens symbolique.
Au pied des tombes, dans les cimetières, il était d'usage de placer ou de
creuser de petits bénitiers dans la -^lierre même recouvrant la sépulture;
on en voit encore un grand nombre en Bretagne , dans le Poitou et le
Maine, où cet usage s'est conservé jusqu'à nos jours. Ces petits bénitiers
étaient quelquefois en métal, en fer ou en bronze, accompagnés d'un
goupillon attaché à la cuve avec une chaînette.
Le siècle de la renaissance sculpta des bénitiers en marbre d'une grande
richesse, supportés par des figures. Mais malheureusement les guerres
religieuses détruisirent en France ces petits monuments. L'Italie et
l'Espagne nous en ont conservé un grand nombre d'exemples.
BERCEAU, s. m. (Voy. architecture, construction, voûte.)
BESANTS, s. m. Le besant, en termes de blason, est un (lis(|iiede métal
pose sur le champ ou sur les pièces principales de l'ecu. Ou désigne, en
architecture , par besants , une série de disques plats sculi)tés dans une
moulure. Cet ornement est fréquent dans les édifices du xu^ siècle ; il est
toujours d'une petite dimension, plus gros que la perle, plus petit que le
boulon; il décore les bandeaux, les archivoltes, les cannelures des pilastres.
C'est dans le Poitou, la Saintonge et sur les bords de la Loire qu'on le
rencontre de préférence.
()nverraci-contre(l)unfragmentd'unedesarcaturesduclocherdel'église
de la Charité-sur-Loire, dont l'archivolte et les pilastres sont orné^debesants
délicatement sculptés. Le besant diffère surtout de la perle et du boulon en
• Le dessin de re bénitier nous a été comninniqiié par .M. Millet , aicliitecte, k qui
nous devons déjà de précieux renseignements.
BKSTIAlKKS
— -H)ï
ce (]u'il est plat au lieu de présenter une portion de sphère. Il est f-énéra-
lenient taillé, ainsi (pif l'iiurKpie la ^i^^ ^2, cpieUpie peu biseauté sur les
hords ])oui' éviter la sécheresse et la niai-
j jireur ijioduitcs i)ar des coupes à an^lc
choit. Les hesanis ont cet avantage, dans
la décoration, de donner à peu de frais,
heaucoup de richesse cl de légèreté aux
2
'•>!«.
vi. r
— ,,r--s/— V"
membres de l'architecture auxquels ils
sont a|)prK|ués : leur surface |)lane, acci'O-
cliant vivement la lumière, les l'ait dislin-
fy^^ guer à une grande dislance malgré leur
ténuité; ils rompent la monotonie des
moulures fines répétées et d'un profil plal, préférées par les architectes du
xii« siècle; ils ont enfin, malgré leur peu d'importance conmie dimension,
une fermeté qui convient parfailemenf à des constructions de pierre. Les
besants disparaissent au xiii'' siècle, pour ne plus rej)arai(re dans la déco-
ration archi tectonique.
BESTIAIRES, s. m. On désigne \ydv bestiaires les recueils, fort en vogue
pendant le moyen âge, qui contiennent la description des animaux réels
ou fabuleux de la cn'ation. Ces descrijilions sont presque toujours accom-
pagnées de vignelles. Peiulant les xe", xii'' et xiir' siècles, ces bestiaires,
copiés et aimotés, dans les monastères, sur les auteurs de ranliquilé, avec
force variantes et nouvelles histoires, avaient un sens symbolique. Les
qualités ftu les défauts de chaque animal étaient présentés comme une
figure de l'état de l'âme humaine, de ses vices ou de ses vertus, comme
une personnification de l'Eglise ou même de Jésus-Christ. Le bestiaire
en prose; j)icarde du ('onnnencement du xin»' siècle, donné tout au
long dans les Mélanges archéologiques des R|{. I»P. A. Martin et
— :2()r> — [ BÉTON 1
Cahier ',est précédé d'un court prolo;ïue qui indique parfaitement le but
que les coinpilateuis des bestiaires se proposaient d'atteindre. « Chi com-
« menée, dit l'auteur, li livres <''on apèle Bestiaiie. Et par ce est-il apelés
« ensi, qu'il pai'ole (parle) des natures des bestes; car totes les crt^atures
« que Dex créa en terre, cria il por home, et por prendre essanple et de
« foi en eles et de créance.» Du moment qu'il était admis que les animaux
de la création avaient été créés pour l'homme, et afin que l'étude de leurs
mœurs fût pour lui un exemple, on ne doit pas s'étonner si nous voyons
sculptés sous les portails des éijjlises, autour des chapiteaux et jusque sur
les meubles sacrés, une foule d'animaux destinés à rappeler les vei'tus que
les chrétiens devaient pratiquer ou les vices qu'ils devaient éviter. Au
moyen âge, l'homme est le centre de toutes choses sui- la terre, et l'Église
lui montre sans cesse cette vérité dans les monuments qu'elle élève. Après
avoir représenté Dieu, ses rapports avec l'homme, l'histoire de son sacrifice
et la hiérarchie céleste , l'Eglise n'oublie aucun des êtres secondaires, et
les fait entrer dans le grand concert de la création. C'est là le signe le
plus évident de la tendance des idées du moyen âge vers l'unité, l'ordre,
le classement. Tout a sa place dans la création, tout a un but et une
fonction, tout se rapporte à l'homme, qui doit compte à Dieu, comme
l'esponsable à cause de son intelligence, de toute chose créée pour lui. Ne
regardons pas, dans nos monuments, ces sculptures d'animaux, souvent
étranges, comme des caprices d'artistes, des bizarreries sans signification;
voyons-y, au contraire, l'unité vers laquelle tendait la pensée du moyen
âge, les premiers efforts encyclopédiques des intelligences du xiii« siècle,
les premiers pas de la science moderne dont nous sonunes si fiers -
(VOy. CATHÉDRALE, IMAGERIE).
BÉTON, S. m. C'est une maçonnerie faite de mortier de chaux et sable
et de caillou ou de pierres cassées menu. Les Romains ont fait grand
usage du béton dans leurs constructions ; ils employaient des chaux bien
cuites et bien éteintes, presque toujours hydrauliques, des sables ou
pouzzolanes parfaitement purs; avec ces premiers éléments, ils ne pou-
vaient manquer de faire du béton excellent (voy. coxstrlctiox).
Les traditions romaines touchant la construction se conservèrent assez
bien jusqu'à l'époque carlovingienne, et on voit encore, dans les construc-
tions antérieures au x" siècle, des massifs exécutés en béton grossier con-
servés sans altération. Depuis le x^ siècle jusqu'à la fin de la période ogivale,
les constructions élevées en pierre ou en moellon ne laissent guère de place
au béton, que l'on ne rencontre que dans les intérieurs des massifs ou dans
I Manusc. de la bibliot. de l'Arsenal, n° 283, fol. cciii.
" Nous renvoyons nos lecteurs aux Mélanges archéologiques des RR. PP. Martin et
Cafiier, pour l'éttide détaillée des bestiaires du moyen âge. Cette portion de l'ouvrage
des RK. PI\ est très-complète et accompagnée de planches n()nil)reuses, copiées sur
les manuscrits.
BfiTON
— fior. —
les foiidalions. (iénéralcnu'nt ces bétons ou rciiiplissayes en maçonnerie
sont mal faits pendant la pt'riode romane ; ils sont inétfaux, mal corroyés
et pilonnés; les chaux employées sont de mauvaise ipialilé, les sal)les mé-
lanines de terre. ir;iilleurs les l)étons veulent èlie coules en grandes niasses
j)our conserver leurs (lualités; et ces remplissages en mortier et débris de
pierres, que Ton trouve au milieu d(^^ massifs romans revêtus de pierre de
taille, se desséchaient trop rapidement pour pouvoir acquérir de la dureté.
Dans les provinces méridionales, là où le mode de conslruire des Komains
s'était le mieux conservé, nous trouvons, jusqu'au xu*' siè<'le, le béton
emi)loyé pour les fondations, ))ûur les aires sur les voùles. 11 iaut croire que
dans ces contrées on avait acquis même une expérience consonnnéedans la
fabrication du béton ; car nous voyons au château de la cité de Carcassonne
des fenêtres et des portes de la fin du xc" siècle dont les linteaux, d'une
grande porlée, sont en béton coulé dans une forme. Nous donnons ici ( I )
une de ces fenèlres; le linteau A est en belon d une extrême dureté, et
nous n'avons pas vu un seul de ces linteaux brisé par la charge. (|ui
— ^207 — I iiiiîK I
cependant esl eonsidéiahle. Ce béton, coulé et pilonné dans un encaisse-
ment, es! c()nii)osé d'une chaux hydraulique uiéiée avec le sable limoneux
de rAu(l<' ol de jK'lils IVai^uienls de brique; le caillou est cass('' liès-meim
et pi'es(|ue entièrement composé de grès vert. Ici, l'intention bien ('vidente
des constructeurs a été de réserver ces pierres factices pour les grandes
portées ; ils les estimaient donc plus résistantes que le grès du pays , (\u\
cependant est très-dur; (>t ils ne se sont pas trompés, car ces linteaux
n'ont subi aucune altéiation '. Lorsqu'au xiii'" siècle les constructions ne se
composèrent |)lus (|ue de murs minces et de points d'appui grêles, le IxUon
ne tiouvait |)lus d'emploi (ju'en fondation, et encore on ne saurait donner
ce nom aux maçonneries bloquées alors en usage (voy. constiujctio.n).
BIBLIOTHÈQUE, S. f. Jusqu'au moment oîi l'imprimerie fut inventée,
les bibliothèques, conq)osées de manuscrits, ne pouvaient être très-nom-
breuses, les salles pour les contenir très-vastes. Les monastères possédaient
tous des bibliothèques que les frères copistes augmentaient lentement.
Ces bibliothèques n'occupaient guère qu'une salle du couvent, de médiocre
étendue, autour de laquelle des armoires en bois étaient destinées à
contenir lès manuscrits. Les rois, les grands personnages, dès le xive siècle,
voulurent avoir des bibliothèques dans leurs palais. Charles V réunit au
Louvre une bibliothètiue fort nombreuse pour l'épo(|ue. (Charles d'Orléans
avait formé une bibliothèque dans son château de Blois. En 14'27, ce
prince, prisonnier en Angleterre, ayant su que les Anglais mettaient
le siège devant Montargis, donna pouvoir au sire de Mortemart d'en-
lever de Blois ses meubles et sa bibliothèque ^ et de tout transporter à
Saumur ^
Toutefois , les salles dans lesquelles les manuscrits étaient déposés ne
paraissent pas avoir présenté, avant l'invention de l'imprimerie, des dispo-
sitions particulières.
BIEF, s. m. Canal qui va prendre l'eau d'un ruisseau ou d'une rivière
en aval, pour la conduire à niveau au-dessus de la roue d'un moulin, en
profitant de la ditïérence de niveau qui existe entre le point de la prise et
celui où l'usine est établie. Le bief est ordinairement formé par des digues
en terre ; mais autrefois ce n'était souvent qu'un canal formé de planches
posées sur des chevalets.
Les grands établissements monastiques du xii*" siècle possédaient des
' La coloiinette qiii divise en deux ceUe fenêtre est en niail)rc l)lanc des l'yrénées,
ainsi que la l)ase el le ciiapite;iu ; les pieds-droits el le second linteau B sont en grès
vert. Les constructeurs ont donc admis qu'un morceau de béton était moins fragile
que les pierres naturelles , étant seulement soutenu à ses extrémités et charge sur le
milieu. Ce linteau n'a que 0"',2o d'épaisseur sur une longueur de 1"',20 de portée et
une largeur de 0"*, 30 environ.
^ Ecole (lefi chartes, t. V, p. 59. V'oir l'inventaire de cette hibrmthèque.
f BILl-ETTES 1 -O'*^ —
usines considérables pour l'époque, et l'on voit encore la trace des travaux
d'cndiguenient qu'ils exécutèrent pour diriger les cours d'eau sur leurs
moulins et obtenir de puissants moteurs. Beaucoup de nos usines de la
(Champagne et de la P.ourfîoj^^ie profitent encore de ces ouvrages, exécutés
souvent avec une grande intelligence et à l'aide de labeurs innnenses.
BIENFAITURE. Vieux mot qui signifie une bonne construction.
BILLETTES, s. \\ (^est un terme de blason pour désigner de petits
parallélogranmies posés sur le champ ou les pièces principales de l'écu.
En architecture, on entend pavUillelles une série de petits parallélogrammes
ou portions de cylindres séparés par des vides, et dont les rangs j)lus ou
uioins nombreux chevauchent. Cet ornement se rencontic Irès-ancien-
uement sur les lailloirs des chapiteaux, autour des archivoltes, sur les
bandeaux. Nous trouvons déjà des billettes taillées sur des membres
d'architecture de la période mérovingienne. Parmi les fragments de celte
époque découverts sous le sol de la parlie romane de l'église de Poissy,
s'est rencontré un tailloir décoré de billettes que nous donnons ici (I).
Mais c'est surtout i)endant les xi^ et xii'' siècles que cet ornement prend
une grande importaiK c dans la décoration des membres moulurés des
— -2()«.> — I BILI.ETTES 1
édifices. Les archivoltes, bandeaux et corniches des monuments de cette
époque, reçoivent une ou phisieurs rangées de hillettes, presque toujours
c\iin(hi(iues.
Lati};. :2 représente l'un des haiidt'aux extérieurs de l'égHse Saint-Etienne
de Nevers, décoré d'un rang de hillettes (xi»" siècle) , et la tig. 3 l'une des
corniches extérieures de l'église de Saint-Sernin de Toulouse, qui en
contient plusieurs. Les coupes de ces deux figures font voir comment
sont taillés ces ornements, qui, malgré leur simplicité, donnent une grande
richesse aux membres d'architecture auxquels ils sont appliqués, en leur
laissant leur fermeté. C'est surtout dans les provinces du centre et du
midi, dans le Poitou et la Saintonge, que les hillettes sont employées par
rangées nombreuses, au xn^ siècle. En Normandie et dans l'Ile-de-France,
l'emploi des hillettes est fréquent à la même époque; mais il est rare
qu'elles se présentent en rangs répétés, et qu'elles couvrent les bandeaux,
archivoltes et corniches, conmie dans les provinces du centre. Les hillettes
alternent avec des moulures et n'ont guère qu'une importance secondaire.
Comme exemple de ce que nous avançons ici, nous donnons (4) l'une des
archivoltes des fenêtres de la tour Saint-Romain de la cathédrale de Rouen
sur laquelle les hillettes à une seule rangée alternent avec des surfaces
plates et des boudins sans ornements. Dans ce cas, les hillettes, conmie les
T. II. '27
[ BISKAIJ I — -2I(» —
l)Ps;iiiK. les l»(»iil<»iis , les pcrlfs ivoy. ces mots) . lU- Imil (|iit' fi>iii|iic la
C
U
PG ù A R.n
monotonie des moulures fines et à peu près éj^^ales, répétées. Les billettes
disparaissent avec les dernières traces de l'architectuie romane.
BISEAU, s. m. Se (lit d'une arête abattue. Les constructeurs, pendant la
période ogivale, évitaient les arêtes vives, à anj;le di(»it. suitoul dans les
parties intérieures des édifices; et lorscjue ces arêtes n'étaient pas masquées
par des colonnettes ou adoucies par des moulures, ils se contentaient
souvent de les tailler en hiseau. Les tableaux des portes, des fenêtres, dans
l'arcbitecture civile, sont prescpui toujours biseautés à l'extérieur; on
évitait ainsi les écornures, et plus encore les saillies jiênantes des arêtes
vi\es sur les points des editices oii la circulation est active. Ce principe se
trouve appfuiue également à la charpente et à la menuiserie ; les bois
équarris sont souvent biseautés sur leurs arêtes.
Voici (i) un exemple d'une baie dont toutes les arêtes extérieures sont
biseautées. Parfois le biseau n'existe ([ue là seulement où l'arête saillante
j^'ênei'ait le passaj;e; le linteau et l'exticmité supérieure des pieds-droits
hors de la portée de la main consei'vent leurs arêtes pures ("2). Dans les
ouvrages de charpente, les biseaux s'arrêtent au droit des assemblages,
afin de laisser aux bois toute leur force sur ces points.
La figure 3 donne un juiinvon et un entrait biseautés, conformément à
cette méthode. Les retraites de soubassements de la maçonnerie sont
toujours, dans rarchiteclure ogivale, ou moulurées, ou biseautées, en
— -Il — I BISEAU I
raison de ce |»iiiici|»c (|iij iradiiirllail ();is les sinfacrs lioiizonlalcs, U'Ilrs
^as-ju
petites qu'elles fussent (voy. base). Sur les arêtes horizontales, ces biseaux
forment presque toujours un an^de
au-dessus de 45 dej^res (4-) tandis que
les biseaux sur les arêtes verticales
sont taillés suivant un angle de 45 de-
grés. Cette loi est trop naturelle pour
avoir besoin d'être commentée. On
voulait dérol)er, autant que possible,
les arêtes horizontales; il était tout
simple de donner une forte inclinai-
son au biseau, et langle à 4-5 degrés
eût encore présenté une trop grande
acuité , surtout dans les retours
d'équerre saillants; tandis qu'il fallait
abattre les arêtes verticales par une
, face formant, avec les deux autres
\^ faces se coupant à angle droit, deux
angles égaux (5).
Les arcs doubleaux, arcs ogives et
tormerets des voûtes construites avec
■•f^ économie, sont biseautés au lieu
d'être moulurés; cl. dans ce cas, le
biseau est taillé suivanl lui angle de 45 degies pom les arcs
dou-
[ BOIS I — "21^2 —
bleaux lar^'es A, ol (!♦• |)lus de 4r> déférés pour les arcs ogives B ou forine-
5
rels (6). On laissait ainsi plus de force aux arcs doul)leaux, et on donnait
de la légèreté aux arcs ogives.
Le biseau n'est , par le fait, qu'un épannelage, et, dans rarchitectui'
ogivale, il est taillé en raison de la niouluie qu'il est destiné à prépaie!-
(voy. épannelaue) .
BLOCAGE, s. m. On désigne par ce mot un massif en maçonnerie formé
de blocs de pierre gros ou menus jetés pèle-mêle dans un bain de moi-lier.
Toutes les coiislruclions romanes ne se conq)osent généralemenl (|ue d'un
revêtement de pierre renfermant un blocage, l^endant la période ogivale,
les membres résistants de l'architectuie, sauf les contre-forts ou les sou-
bassements des tours, étant réduits à la j)lus petite section horizontale
possible, ne contiennent généralement pas de blocages; on ne trouve alors
les blocages qu'au centre des grosses piles, des contre-forts épais, ou dans
les fondations (voy. constructio>).
BLOCHET, s. m. Terme de charpente (voy. chakpente).
BOIER, s. m. Vieux mot qui signifie ègoul, cloaque (voy. égout).
BOIS, s. m. On désigne par ce mot, en architecture, la partie ligneuse
des arbres propres à la charpente ou à la menuiserie. Le bois de
— -2i:! — . I BOIS 1
consliuctioii pai- excellence est le bois de clièiie. I.e sol des (laules était
renoiunié dans l'antiquité pour l'abondance et la (jualité de ses bois de
chêne. f>es H(»inaiiis tiraient de celte contrée les bois (|u"ils employaient
dans la constructictii de leurs editices ou dans la marine; et telle était
l'immense étendue de ses forêts, que lonj^temps après eux les constructeurs
firent usage du bois de chêne avec une incioyable profusion dans les
constructions relijiieuses, civiles et militaires. Pendant les périodes méro-
vingienne et carlovingienne, les églises, les monastères, les palais, les
inaisons. les chaussées, les ponts et même les enceintes des villes étaient
en grande partie élevés en bois, ou du moins cette matière entrait pour
beaucoup tians la construction. Les premières chroniques françaises
mentionnent sans cesse des désastres terribles causés par le feu ; des villes
tout entières sont consumées. Ce tléau devint tellement fréquent, surtout
pendant les expéditions normandes, que l'on dut songer à rendre les
édifices publics et les habitations privées plus durables, en remplavant le
bois par de la maçonnerie. Les voûtes furent substituées aux charpentes
apparentes. Les palais et maisons eurent des murs de brique et de pierre
au lieu de ces pans-de-bois si fréquents du temps de Grégoire de Tours et
longtemps encore après lui.
A partir du xi*^ siècle, le bois n'est plus guère employé dans les édifices
publics que pour couvrir les voûtes et recevoir la tuile ou le plomb ; dans
les hal)itations, que pour les planchers et les combles. Lorsque ces
désastres causés par la négligence, le défaut d'ordre et les guerres, furent
oubliés ; lorsque les villes prirent une grande importance commerciale,
que le terrain municipal eut acquis de la valeur par suite de Taugmentation
de la population dans des enceintes fortifiées que l'on ne pouvait étendre,
les constructions privées en bois reparurent, comme plus faciles à élever,
et surtout perdant moins de terrain que les constructions de maçonnerie.
Et, en effet, c'est dans les villes commerçantes du xv^ siècle, telles que
Rouen. Caen, Paris, Reims, Troyes, Amiens, Béarnais, que s'élèvent
surtout des maisons de bois à la place des maisons de pierre des xn*^ et
XHF siècles.
Depuis le xiii** siècle, les provinces du midi étaient en décroissance;
les enceintes des villes à peine remplies ne nécessitaient pas ces économies
de l'espace; les habitants continuèrent à élever des maisons de pierre ou
de brique ; d'ailleurs les forêts de ces contrées étaient déjà dévastées en
grande partie dès l'époque des guerres religieuses du xiii« siècle, et le
climat est moins favorable à la reproduction des bois durs que le nôtre.
C'est donc surtout dans les provinces situées au nord de la Loire qu'il faut
aller chercher les constructions de bois , que cette matière fut employée
avec une parfaite connaissance de ses qualités précieuses. Or, si aujourd hui
nous possédons des ouvrages pleins d'observations savantes sur les bois,
si nous connaissons parfaitement leur pesanteur spécifique, leur dureté,
leur degré de résistance; si de nombreuses ex|)eriences ont été faites sur
les moyens de les conserver, sur la meilleure culture et l'aménagement des
I BOIS I _ »2 1 i _
forêts, il faut cependaiil ieconiiailre(|uedans la j)rali(|ue nous ne pensons
liuère à ces savantes ivrlicirhes , à ces ol)sorvati(>ns appr«»IVni(lit's; (|ut'
nous discourons à merveille sur les bois, et (|ue nous les »'inployons trop
souvent en dépit de leurs qualités, et conini»' si nous ne connaissions pa^
la nature de cette matière. iMallieurensenient, de nos jours, le praticien
dédaifîne Tobseivation scientili(|ue ; le savant n'est pas praticien. Le savant
travaille dans son cabinet, et ne descend pas sur le chantier; le praticien
n'obsei'vc |)as. il cherche à produire vite et à bon marché. I>es mauvaises
habitudes intioduites par Tamour du lucre, rij;norance et la routine,
suivent leur cours, pendant que le savant observateur compose ses livres,
établit ses formules.
Le moyen âge, qui, pour beaucoup de gens, non praticiens il est vrai,
est encoie une époque d'ignorance et de ténèbres, n'a, que nous sachions,
laissé aucun livre sur la nature des bois et les meilleurs moyens de les
employer dans les constiuctions; cette époque a fait mieux que cela : elle
a su les mettre en œuvre, elle a su élever des ouvrages de charpente dont
la conservation est encore parfaite, tandis que nos bois employés il y a
vingt ou trente ans à peine sont pourris.
Nous a!l(nis essayer de nous servir des observations purement |)raliques
des charpentiers du moyen âge sur les bois; cet aperçu aura peut-être son
utilité. On a prétendu (|ue beaucoup de (charpentes du moyen âge étaient
faites en bois de châtaignier; nous sommes obligé d'avouer que nous
n'avons, jusqu'à présent, rencontré aucune pièce de charpente de cette
époque dont le tissu lessemble à celui de cette essence. Toutes les char-
pentes que nous avons visitées, celles des cathédrales de (Iharlies et de
Paris, de Saint-ticorges de Rocherville, de l'évèché d'Auxerre, (1»> l'église
de Saint-Denis, (jui datent du xiik siècle", celles des cathédrales de Reims,
d'Amiens, de l'église Saint-Martin-des-dhamps, de la cliaj)elle Saint-
(iermer , de l'hôpital de Tonnerre, et tant d'auties qu'il serait tioplong
d enumérer et qui datent desxine,xiv*,xv«etxvi«*siècles, nous ont paruètre
en chêne, et n'avoir aucune ressemblance avec le bois de châtaignier (|ue
nous j)()Ssé(lons aujourd hui dans nos forêls. (Cependant il l'aut dire que le
bois de chêiie enq)loye alors elail dune autre essence (|ue celui générale-
ment admis dans les constructions modernes. Les caractères particuliers
de ces anciens bois sont ceux-ci : égalité de grosseur d'un bout a l'autre
des pièces, peu d'aubier, tissu poreux, soyeux, til dioil, absence presque
totale de nœuds, de geri^'ures, rigidité, égalité de coideur au cu'ur et à la
surface; couches concentriques fines et égales, légèreté (ce (|ui lient pro-
bablement à leur sécheresse), il est certain que l'on possédait encore au
moyen âge et jusqu'au xvii»" siècle, dans nos forêts, une essence de chênes
parfaitement droits, égaux de la base aux branches supérieures , et très-
élevés quoique d'un diamètre assez faible. Ces chênes, qui semblaient
' L'ancienne cliaijieiiU' (Je la ealliedrale de Cli;iiiieb lui mceiuliee en IIS.'5() ; colle de
l'oylise de Saint-Denis esl démolie, mais il en existe de nomhreu.v fragments.
-21 ri —
BOIS
|)oussés pour faire de la charptMite, n'avaient pas besoin d'être refendus à
la scie pour faire des entraits, des arbalétriers, des poinçons; on se con-
tentait de les équarrir avec soin ; n'étant pas refendus, et le cueur n'étant
pas ainsi mis à découvert . ils étaient moins sujets ii se gercer, à se tour-
menter, et conservaient leui' foice naturelle. (>es bois (ce qu'il est facile
de reconnaître au nombre des couches concentriques) ne sont pas vieux ;
ils conqitent habituellement soixante. (|uatre-vinf,fts ou cent années au
plus pour les pièces d'un fort équarrissaj^'e. I-,es chevrons portant ferme
sont eux-mêmes des bois de brin non refendus, et ces chevrons, qui ne
comptent ixuère (jue soixante années^ altei.unent cependant parfois douze
et (|uinze mètres de lon<iueur sur un é(iuarrissage de 0,!20 x 0,'20.
Évidemment nos forêts ne produisent plus de ces bois.
Les charpentiers du moyen k^e semblent avoir craint d'employer, même
dans les plus ^n-andes charpentes, des bois d'un fort équarrissage, et très-
vieux par conséquent ; s'ils avaient besoin d'une grosse pièce, telle qu'un
poinçon de flèche par exemple, ils réunissaient quatre brins: c'était encore
un moyen d'éviter les torsions si fréquentes dans les pièces uniques.
Avait-on une grande charpente à exécuter, on allait à la forêt choisir les
bois ; on les écorçait avant de les abattre ; on les emmagasinait plusieurs
années à l'avance, à l'air libre, mais abrités et tout équarris. L'abatage
se faisait en hiver, et pendant la durée d'une certaine lune '. Vraie ou
fausse , cette croyance démontre l'importance que l'on attachait à ces
opérations préliminaires. Les bois bien secs, après un très-long séjour à
l'air, ou une immersion destinée à dissoudre et enlever la sève, étaient
mis sur chantier, A la pose, on redoublait de soins; le bois coupé debout
et posé contre la maçonnerie aspire l'humidité de la pierre; pour éviter la
pourriture qui résulte bientôt de cette aspiration, on clouait quelquefois
aux extrémités des pièces touchant à la maçonnerie, soit une lame de
plomb^ soit une petite planchette coupée de fd; d'ailleurs on prenait les
plus grands soins pour tenir les sablières isolées de la pierre, pour laisser
circuler l'air autour du pied des arbalétriers ou des chevrons. On évitait
autant que possible les assemblages, tant pour ne pas affaiblir les bois que
pour éloigner les chances de pourritui'e. 11 arrivait souvent (|ue les bois de
chaipente recevaient une couche de peinture qui semble n'être qu'une
dissolution d'ocre dans de l'eau salée ou alunée ; et, en etfet, une lessive
de sel marin ou d'alun empêche les insectes de s'attacher à la surface du
bois; elle leur donne une belle teinte gris-jaune d'un aspect soyeux. On a
supposé que le bois de châtaignier avait la propriété d'éloigner les
araignées, et on a conclu de l'absence des araignées dans les anciens
combles que ceux-ci étaient en bois de châtaignier; mais les araignées ne
se logent que là où elles peuvent vivre, et les bois bien purgés de sève,
' CeMe croyance à l'influence de la lune sur les bois au momenl de l'abatage s'est
encore conservée dans quelques provinces du centre eu France, à ce point que les bois
abattus pendant la lune favorable se vendent plus cher que les autres.
I BOSSAliK 1 — ^"' —
quelle que soit leur essence, |)ro(iuisaiil peu ou point de vers, de mouches,
ne peuvent servir de loj-^is aux arai^niées.
Quant aux bois enqiloyés dans les planchers et pans-de-bois pendant le
moyen à{iO, ils n'étaicnl jamais enfermés, comme ils le sont aujoindiiui,
entre des enduits; deux de leurs faces au moins restaient tctujours à lair
libie : or cette condition est nécessaire à leur conservation. Les planchers
se composaient d'une série de poutrelles ou solives apparentes recouvertes
d'une aire, sur laquelle on posait le carrelage; les pans-de-bois laissaient
voir leurs deux faces intérieure et extérieure. Dans cette situation, la durée
des bois est illimitée, tandis (|u"ils sechaulVenl , fermentent et se pour-
rissent avec rapidité, lors(|uils sont conqilétement enfermes. Tous les
jours nous voyons des planchers qui n'ont pas plus de vingt et trente ans
d'âge, dont les solives sont totalement pourries. On objectera que ces
planchers ont été exécutés avec des bois verts ; cela est possible. Mais
nous avons vu des poutres de planchers restées apparentes ptMidant deux
ou trois siècles en parfait état, se pourrir en quelques années lorstjuon
les avait enfermées dans des enduits; ce n'est donc pas seulement à la
verdeur des bois qu'il fan! allribuer leur décomposition lorscpi'ils sont
enfermés, mais au défaut d'air qui produit leur fermentation.
On a cru, surtout depuis le xviie siècle, que plus les bois étaient gros et
mieux ils résistaient à la destruction ; c'est là une erreui- que ne parta-
geaient pas les charpentiers du moyen âge. Nous lavons dit déjà : les
bois qu'ils employaient généralement dans les charpentes n'étaient |)as
d'un très-fort équarrissage ; ils tenaient plus à leur qualité, à l'égalité de
leur tissu, à leur longueur et rectitude naturelles, qu'à la grosseur du
diamètre des pièces. Le bois de chêne ne devient très-gros qu'après cent
cinquante ou deux cents ans d'âge; alors le co-ur tend à se décomposer,
et c'est par le coeur que conmience la ponrriture si dangereuse des gros
bois. Nous renvoyons nos lecteurs à l'ailicle charpenïi:, dans lequel nous
démontrons, par des exemples, que si les ('harj)entiers du moyen âge
choisissaient les bois de construction avec grand soin , ils n'étaient pas
moins scrupuleux dans la manière de les tailler, de les monter et les poser.
BOISERIE, s. f. (Voy. menuiserie.)
BOSSAGE, s. m. C'est le nom (pie l'on donne au parement saillant
brut d'une pierre dont les arêtes seulement
^ sont relevées par une ciselure, ainsi (|ue le
démontre la tig. I . Dans des constructions de
pierre de taille que l'on veut élever rapide-
ment, en n'enqîloyant que la main-d'œuvre
rigoureusement nécessaire pour permettre de
poser les assises sans perte de temps, on s'est
quelquefoiscontentéde tailler les lits, joints et
les arêtes des pierres, sans se préoccuper de parementer les surfaces com-
— -217 —
BUSSAliK j
prises entre ces aiètes. Les Koiuaiiis ont fait usa^'e de ce mode rapide dt-
construire, et, p<Midant le moyen àiîe, nous \ oyons certaines bâtisses dans
lesquelles on a laisse des bossages bruts sur la face \ue de tluKpie pierre.
C'est particulièrement dans les tuivrages de tortiticati(»n de la fin du
xnr siècle (pie ce genre de construction apparaît, surtout dans les contrées
où la qualité très-dure de la pierre ne se prèle pas à la taille. Toutes les
parties de lenceinte de la cité de Carcassonne, bâties sous IMiilippe le
Hardi, ont des parements à bossaa:es ; nous en voyons également, vers la
même époque, à la grosse tour de l'ancien archevêché de Narbonne, à
Aigues-Mortes, etc.
Les bossages disparaissent des parements de pieire pendant les xiv
et xv«; siècles , pour reparaître au xvi^, avec l'imitation de l'architecture
italienne. Ils deviennent même alors un motif de décoration dans l'archi-
tecture civile et militaire: ils sont ou bruts, ou taillés en tables (2), en
4
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poinie> de diamant (3), en demi-sphères (i), connue un peut le voir dans
2S
T. 11.
IIOlDIN
— '2\H —
qiu'lqiu's timrs l'ortiliccs de la fin du .\\'" sit^'clc »»u du ronnufiift'iiioiif
du wi-', el nolaunncnt sur les parcnitMils de la grosse lourde la \)inlr
nord de renceiule de Vezolay, hàlie au <'oiinu«>n(<Mn»'iit du règne de
François l'''".
Pondant le développement de l'arcliilecture de la renaissanee , on voit
les l)ossaj?es se couvrir de divers ornements, tels que vermiculures *,
emi>lènies, chiH'res, r«''seau\. efe. Le rez-de-cliaussee de la jurande i:alerie
du Louvre, du pavillon d'Apollon au pavillon Lesdi;;uières, nous lournil
de nombreux exemples de ce genre de décoration de bossages.
BOSSIL, s. m. Vieux mot qui signifie une braie, un dos d'âne au milieu
d'un fossé; aussi l'escarpement que produit la terre d'un fossé jeté sur
berge (voy. bu aie).
BOUDIN, s. m. (yest un membre d'architecture de forme cylindri(|ue
qui décore les archivoltes, les arcs doubleaux, arcs ogives, bandeaux, etc.
Dès le IX* siècle, on voit apparaître le boudin dans les arcs doubleaux
pour les alléger. La crypte de l'église cathédrale de vSaint -Etienne
d'Auxerre présente déjà de gros boudins ou demi-( ylindres saillants siu*
un arc doubleau à aiètes vives (I). On voit aussi, dans la cryjile de l'église
Saint-Euthrope de Saintes (conmiencement du xii'' siècle) , des arcs dou-
bleaux qui ne sont que de gros boudins ("2). Lorsque la voûte en arcs
d'ogive est adoptée pendant le xu<- siècle, la coupe des arcs doubleaux
reste souvent rectangle, et les arcs ogives prennent un ou trois boudins (;{) \
1 Ces bossaj;;es luMnisiiIitMiques se Irouvent souvent sur les parements fies forlifi-
calions élevées au nionieiil île l'emploi régulier de l'arlilleiie à l'en. Ils (iijnraienl
évidemment des boulets.
2 Ce genre d'ornemenlalion est une imitation des ell'els que produit le salpêtre sur
certaines pierres caleaires tendres, particnliéreliient à l'exposition du sud. Les tailleurs
de pierre et les carriers attribuent encore aiijourd'liui cet ellét singidicr de décompo-
sition à rinihience de la lune.
■' l'on lie de l'édise abbatiale de Vé/elav.
-2 lu
[ BOULEVARD |
Mais les cou|)es rectaiij'les ne devaient pas ètiv longtemps conservées
|)our les arcs doubleaux; dès le milieu du \m'" siècle, nous voyons les
Itondins i"»'mj)lacer les arêtes vives (voy. aik; doibi.eai . arc fMUVE).
Pendant le xni*^ siècle, les moulures des divers membres de larchitecture
deviennent de plus en plus délicates, et les boudins donnent une forme
trop molle pour être longtemps conservés; ils reçoivent une arête sail-
lante A (4) .
Au xive siècle, larète aiguë du boudin ne semble pas assez accusée ;
on lui donne un méplat A (o) '.
Dans les meneaux, c'est un boudin qui forme le principal nerf de la
combinaison des courbes (voy. mexeal); dans ce cas, il ne fait que conti-
nuer le diamètre de la colonnette. Le boudin disparaît au xv»; siècle et fait
place à des formes prismatiques curvilignes (voy. profil).
BOULEVARD, s. m. Boluverl, boulevert. On désignait par ce mol, à la
fin du xye siècle et pendant le xyi», un ouvrage de fortification avancé qui
' Déjà on trouve, dans des »>difiies du xiu' siècle, des lioudins taillés suivant la
roupp donnée par la fig. 'i.
I itou.KWui) 1 — '2-20 —
remplaçait les barbacanes des anciennes forteresses (voy. architectire
.Mii.iTArnF,). Le Ixuilevard apparaît en même temps (pie l'application réf,'u-
lière (le Tartillerie à l'eu. Il est d'abord élevé en teric i^a/.onnée. et c'est
peut-être à son apparence verdoyante à l'extérieur qui! doit son nom ;
l)ientôt, d'ouvraj^e "provisoire élevé à la bàle en dehors des vieilles
nmrailles, il passe à l'état de terrassement pei-manent revêtu de pierre
ou de construction de maçonnerie épaisse , défendue par des fossés, des
batteries couvertes et barbettes. Le boulevard devient la principale
défense des places ; il proté^^e les anciens nmrs, ou bien, établi sur un
point faible, il forme un saillant considérable et ne se relie à r'ensend)le
de la forteresse que par des lignes étendues.
Parmi les essais qui furent tentés, à la fui du xve siècle et au comni^nce-
ment du xvi«, pour mettre la défense des places au niveau de l'atta(iue,
nous devons citer en pnMnière ligne la belle forleress(> de Schaffbausen,
véritable boulevai'd, (pii présente tout un enseml'le d'ouvrages fort
reniar(piable pour répo(|ue, et parfaitement complet encore aujourd'hui.
Mais pour faire comj)rendre l'importance de cet ouvrage, il est nécessaire
de se rendre compte de son assiette. En sortant du lac de Constance, le
Rhin se dirige par Stein vers l'ouest ; arrivé à Schaffhausen. il se détourne
brusquement vers le sud jusqu'à Kaiserstuhl. (le coude est causé pai- de
hautes collines locheuses (pii ont présenlé un obstacle au fleuve et l'ont
contraint de changer son cours. Stein, SchalVhausen et Kaiserstuhl forment
les trois angles d'un triangle équilatéral dont Schaffbausen est le sommet.
II était donc d'une grande importance de fortifier ce point avancé, frontière
d'un État, d'autant mieux que la rive gauche du fleuve, celle qui est dans
le triangle, estMominé(> par l(>s collines de la rive dioile qui ont présenté
au fl(>uve un obstacle iiisuinionlable. En cas d'invasion, l'ennemi ne
pouvait manquer d'occuper les deux côlés du (l'iangle et de tenter le
passage du fleuve au j)oml où il forme un coude; il ne risquait pas ainsi
d'être pris en flanc. Ceci |)osé, les Suisses établirent dès lors un pont
reliant les deux rives du Khin et les deux parties de lavilledeSchafi'hausen,
et sur la rive droite ils planlt'rent une gi'aiide forteresse au sommet de la
colline commandant le fleuve, en reliant cette ciladelle au lUiin par deux
murs et des tours. Ces deux nmrs forment un vaste triangle, sorte de tête
de pont commandée par la forteresse. Voici (1) l'aspect général de cette
fortification, (pie nous devons étudier dans ses détails. La ciladelle, ou
phil(')t le grand boulevard (|ui couronne la colline, est à trois étages de
batteries, deux couveiles ei une à ciel ouvert. La batterie inférieure est
placée un peu au-dessus du fond du fossé, (|ui est liès-profond ; en voici
le plan (2). On arrive au chemin de ronde pentagonal A par une rampe
spirale en pente douce B permettant le charroi de pièces de canon. A
chaque angle de ce chemin de ronde, d'une largeur de 2'",00 environ, sont
perctM's des endtrasures biaises pour l'arlilleiie batlani le fossé; en avant
des ci!)tés du p(»lyg()ne sont élevés trois petits ouviages isolés, sortes de
bastions doiu nous donnons (li) Tt-hnatioii peispcclivc. Ln ïjupposani que
— --I — [ BOll.KNAHIi I
rassit'jieaiit Cùl |>ai\tiiii à (Iftiuiic un de ces bastions au moyen d'une
I
=^E^^^
^
VI.
ah I N
liatterie de brèche établie sur la contrescarpe du fossé (car le sommet de
ces bastions ne dépasse pas le iiixcau de la «H'Ic d.- crllf ctintrescarpe. l't
I BUI'LKVAIU)
»)>.)v)
ils sont ((jinplétenu'iil masqués du dcluns) , on ne pouvait s'introduirr
dans la |)la('(' ; non-scidcinciil ces hastictiis sont isolt's cl n'ont de (■(iitniin-
t^^M<.
nication qu'avec le fossé, mais ils sont aiMnés d'embrasuies de canon C à
la gorge, percées dans le chemin de ronde (fîg.. 2), et leur destruetion ne
faisait que démasquer ces end)rasures. Les bastions, complètement hàtis
en pierre, sont couverts par des coujxiles avec lant(Mn()iis perces dévcnts
pour |)ermettre à la fumée des pièces de s"èclia[)per. Le premier étage (i),
auquel on arrive par la même pente douce spirale B, hupielle est alors
supportée par quatre colonnes montant de fond, présente à l'extérieur un
plan parfaitement circulaire, la tour contenant la rampe formant seule une
saillie sur ce pâté, du côté du lleuve. Vers le point opixtsè, en E, est un
pont volant traversant le fossé; c'est de ce côte (pie rai-chitecte a cru
devoir renforcer son houlevard par une énorme masse de mavonnerie
— -2-23 -
BOII.KWUI)
pleine, ot ct'la avec raison, la foitorpsse no pouvant être l)attuo en brèche
des plateaux voisins que sur ce point. Sur la (lroit(> du boulevard, eu
amont du fleuve, du côté on une attaque pouvait aussi être tentée, est une
batterie F caseniatée, séparée de la salle principale par une épaisse maçon-
nerie. Une brèche faite en G ne pouvait permettre à l'ennemi de s'introduire
dans la place. En H est une inmiense salle dont les voûtes d'arêtes sont
soutenues parquatreirros piliers cylindriques. Quatre embrasures s'ouvrent
dans cette salle, deux flanquant les deux courtines qui det^c'cudent au fleuve,
et deux donnant dans le triangde. Outre les évents percés au-dessus de
chacune des embrasures, dans les voûtes de la i^rande salle s'ouvrent
quatre lunettes M de près de trois métrés de diamètre, destinées à donner
du jour cl de l'air, et à laisser échapper pnunptement la fumée de la
[ BOILKVAHI) I — "l'ii —
poudre. En I est un puits, el ou K deux jx'tils escaliers à \is (-(nmiiuui-
(|Uiint à la plale-rornio supérieure
pour le service de la j,'aruisoii.
Près de la rampe est un troisième
escalier à vis qui monte de tond.
Nous présentons ici (5) une des
embrasures de la frrande salle, in-
;;éuieuseuuMit coud)iuee pour per-
mellre à des pièces de petit calibre
de tirer dans toutes les directions
sans démas(pier ni ces pièces ni
les servants. La tiy. ('» donne le
plan de l'ela^c supérieur ou jjlate-
t'oruic dont le parapet est percé de
dix embrasures pour du canon, et
de quatre échaujjfuettes ttanciuanl
la circonlerence de la forteresse,
percées de meurtrières plou^^an-
les el borizontales. pour poster des
ar(iuebusiers. On voit que les deux
premières end)rasures à droite et
à gauche battent l'intérieur du
trianj(le et tlanquent la tour de la
rampe (|ui sert de donjon ou de
{jfuette à tout l'ouvrajïe.On retrouve
„, . ,, sur ce plan les (luatre crandes lu-
PLAN ,.■•..-
nettesI\l,lepuUs iet lespetUsesca-
liers de service. Les eaux de la plate-torme s'écoulent par dix gargouilles
placées sous les end)rasures. En N,() (fig. i) . soiii les deux cointines (pii
'2î*r^ —
KOILKVAHU
^i/.'LL/iuvor ^savë'
vont rejoindre le fleuve. Celle N. en amont, est plus fortement défendue
T. II. -20
[ BOLLKVARI) | — "^-'J —
que l'autre; sous les arcs qui portent le chemin de ronde et leshourds de
bois, encore en place aujourd'hui, sont percées des embrasures qui battent
les rampes du coteau, du côté où rennemi devait se présenter, l'autre
côté étant pioté^'é par la muraille du faubourj; de SchatVhausen. Pour bien
faire comprendre l'ensemble de cette belle forteresse, nous en donnons une
vue (7), prise en dedans du triangle foiiné par les deux courtines descen-
dant au fleuve. On voit que la courtine N en amont est tlanrpiée par une
haute tour carrée. Nous avons rétabli la tour qui se trouvait à la tète du
pont, et qui est aujourd'hui détruite. H ne reste plus que quehpies traces
des ouvrajijes (|ui «Miviron liaient celte tour. L'ancien pont a été remplacé
par un pont moderne. Quant au corps principal de la forteresse, aux
courtines, fossés, etc., rien n'y a été retranché ni ajouté depuis le
xvie siècle. La maçonnerie est grossière, mais excellente, et n'a subi
aucune altération. Les voûtes de la grande salle sont épaisses, bien faites,
et paraissent être en état de résister aux bombes.
Cette défense de Schalfhausen a un grand air de puissance, et nous
n'avons rien conservé de cette époque, en France, qui soit aussi complet
et aussi habilement combiné. Pour le temps, les llanquements sont très-
bons, et le plan du rez-de-chaussée au niveau du fond du fossé est
réellement tracé d'une manière remarquable. Si l'on tiouve encore ici un
reste des traditions de la fortification antérieure aux bouches à feu, il faut
dire cependant que les efforts faits pour s'en affranchir sont très-sensibles.
PSGAHD
et la forteresse de Sehaniiausen nous parait su|)érieure aux ouvrages
analogues exécutés à la même épo(jue en Italie.
■2-27
iioi l.i:\ AUl)
A l'instar des lours du moyen àj^e, la forme circulaire est prélerée
pour les i)remiers boulevards comme poiu- les pr<'iniers bastions. Albert
Durer trace des boulevards semi-circulaires, avec' tlancs droits en avant
des anj^les saillants des muiailles. Il les compose d'une batterie barbette
battant les dehors, la contrescarpe et les jilacis, et d'une batterie couverte
battant les fossés, ainsi que l'indique le plan (H) cpie nous donnons ici
d'après son œuvre. Le boulevard d'Albert Durer est isolé de la courtine
par un boyau DD, sorte de fossé couvert |)ar un j)lancliei'. Derrière le
boulevard sont établies, au niveau du sol de la place, de vastes casemates
E(9) destinées au lof^ement de la garnison et au dépôt des nuuiitions (voyez
la coupe sur AB du plan, fig. 8). La batterie couverte est munie de
grandes embrasures pour du canon et d'autres plus petites pour les
arquebusiers. Des évents et cheminées sont percés au-dessus de chaque
embrasure. Les casemates E sont éclairées et aérées par des lunettes
percées au milieu de chaque voijte d'arête, comme à Schatî'hausen.
Contrairement à l'usage adopté jusqu'alors, Albert Durer ne fait pas
commander les courtines par le boulevard; au contraire, ainsi que
l'indique la face extérieure (10), il semble admettre que le boulevard étant
10
»
pris , en détruisant le plancher posé sur le fossé D (fig. 8 et 9), les cour-
tines pourront conmiander cet ouvrage avancé et empêcher l'assaillant de
s'y maintenir'.
Quelle que fût l'étendue des boulevards semi-circulaires, leurs feux
divergents flanquaient mal les courtines; on comprit bientôt qu'il fallait
se préoccuper de défendre les saillants des boulevards plutôt par les feux
croisés des boulevards voisins que par leur armement piopre ; que
l'assaillant tendant toujours à battre les points saillants, il fallait fair«'
AU). Uureri, picl. cl ardiH., de slruend. aj^gerih. Parisiis, 1535.
[ BOULKVARD |
— ■l'2i<> —
conver^fii" sur le point atfa(|Lié des l)atl('ri<'s prcnaiil r<'miemi en écliaipt' ;
c'est alors que l'on renonça aux boulevards scnii-eirculaiies pour adopter
les faces formant un anyle , ou (jue l'on rcnfoiva les batteries circulaires
supérieures par des batteries basses avec redents, connue à Augsbour^
(voy. ARCHiTECTLKE suLiTAMiE, fig. 68). Le plau général dcs fortifications de
cette ville, au coniniencenient du xyi»^ siècle, que nous donnons ici (II),
fait voir comme on entendait , à cette époque, disposer les boulevards en
avant des aniïles saillants des vieilles défenses, et connue on cherchait
dès lors à rendre ces boulevards plus forts par des redents tlanquant leurs
faces.
Mais c'est en France que nous trouvons les boulevards les mieux conçus
dès le commencement du xvi'^ siècle. Il existe un plan (manuscrit sur
vélin) de la ville de Troyes, conservé dans les archiv(>s de cette ville, (jui
indi((ue de la manière la plus évidente des frrands bastions ou boulevards
àorillons et faces loiinant des angles aij^us ou obtus; et ce plan ne peut
être postérieur à 1530, car il fut dressé au moment où François I**'' fit
réparer les fortifications de Troyes, en ir>'-2i. Voici (12) un fac-similé
d'un des ouvraj^es projetés sur ce plan. Le fossé est plein d'eau; on voit
en A de petites batteries masquées, à double étajje, probablement réser-
vées en contre-bas et en arrière des flancs couverts B consliuils deirière
les orillons. Les batteries B enfilent le devaiU des anciennes tours conser-
vées. On remarcjuera que la maçonnerie qui revêt le boulevard est plus
épaisse à la pointe qu'aux épaules , présentant ainsi sa plus {grande
résistance au point où la brèche devait être faite ; des contre-forts viennent
encore maintenir, sous le terrassement, tous les revêtements. Ol ouvrajic
est inliude : lUmlevai'd de (a porte Saint-Jacques.
Kn donnant, chaque jour, aux boulevards une plus }iraud<' étendue.
»2'2i)
BOLLKV.llU)
«'Il protéiieant leurs faces par des feux croisés, en aufînientaiit et masquant
leurs tlancs pour enliler les fossés, on chercliait encore, à la fin du
VILLE
xvr siècle, à les isoler du corps de la place dans le cas où ils tomberaient
au pouvoir de l'ennemi. Dans les traités de fortification de Girolamo Maggi
et du capitaine Jacomo Castriotto, ingénieur au service du roi de France ',
on voit des l)oulevards très-étroits à la gorge , et pouvant être facilement
remparés; d'autres sont, au contraire, fort larges à la gorge; mais celle-ci
est casematée, et la galerie inférieure, étant détruite au moyen de four-
neaux, forme un fossé entre le boulevard et le corps de la place. Voici le
plan (13) de ces ouvrages qui méritent d'être mentionnés. Girolamo
Maggi dit - qu'un boulevard de ce genre avait été construit en 1550 près
la porte Livinia, à Padoue, par San Michèle de Vérone. Ce boulevard était
entièrement isolé par une galerie casematée inférieure A au niveau du
fossé, pouvant servir au besoin de logement pour la troupe et de maga-
sins. Dans les piles de cette galerie étaient ménagées des excavations
propres k recevoir des fourneaux; si les faces du boulevard tombaient au
pouvoir de l'ennemi, on mettait le feu à ces fourneaux, et l'ouvrage avancé
se trouvait tout à coup isolé des courtines B par un fossé impraticable.
Pour la défense des fossés, des pièces d'artillerie étaient placées en C aux
deux extrémités de la galerie et masquées par les épaules D. Il faut
« Delta forlif. délie Città, di M. Cirol. Maggi, et del capit. Jac. CastiioUo, 1o83.
In Venelia.
^ Lib. 11, p. o9.
[ BOULEVAHI) 1 — •2.'J<) —
convenir (luo des ouvraiiPS de ce jj;ein'e, eonstruilsen assez j,'i'an<l nonibi-e
antftur diHK^ place inipnrlante. ani'aieni occasioniu' desdépensesénoiines,
et qui n'eussent peut-être pas été proportionnées aux avantages que l'on
aurait pu en relirer; mais, jusqu'au connnencenient du xvir siècle, les
ingénieurs niilitaires, encore imbus des traditions du moyen âge, ne
craignaient pas, comme on a pu le voir par les exemples que nous avons
donnés ci-dessus, de projeter et d'exécuter même des travaux de fortifi-
cation exigeant des amas considérables de matériaux et des combinaisons
de construction dispendieuses. Les progrès de l'artillerie à l'eu obligèrent
peu à peu les ingénieurs à sinqilitier les obstacles détènsifs des places, à
doimer un plus grand développement aux ouvrages saillants et à les rendre
solidaires.
Les boulevards ne sont encore, au commencement du xvie siècle , que
des fortifications isolées se défendant par elles-mêmes, mais se protégeant
mal les unes les autres. Le principe « ce qui défend doit être défendu »
n'est pas encore appliqué. Ce n'est guère (|ue vers le milieu île ce siècle
que l'on commence à protéger les places autant par le tracé des ouvrages
— '2'JI — 1 BUULEVAKU ]
saillants, l'ouverture des angles de leurs faces et de leurs flancs, que par
la solidité des constructions.
il est curieux de suivre j)as à pas toutes les tentatives des architectes et
ingénieurs de cette éixxjue : comme toujours, les dispositions les plus
simples sont celles qui sont adoptées en dernier lieu. L'art de battre en
brèche faisant des progrès rapides, il fallait, chaque jour, opposer de
nouveaux obstacles au\ feux convergents des assiégeants. Longtemps les
constructeurs militaires se préoccupèrent de couvrir leurs batteries, de les
mascpier jusqu'au moment de l'assaut, plutôt (|ue de battre au loin les
abords des forteresses, »'t d'opposer à une armée d'investissement un
grand nombre de bouches à feu pouvant faire converger leurs projectiles
sur tous les points de la circonférence. Ce ne fut que quand l'artillerie de
siège fut bien montée, nombreuse, qu'elle eut perfectionné son tir, et
que les batteries de ricochet purent atteindre des défenses masquées, que
l'on sentit la nécessité d'allonger les faces des boulevards, de remplacer
les orillons, qui ne préservaient plus les pièces destinées à enfiler les
courtines, par des flancs étendus et enfilant les faces des boulevards voi-
sins; mais alors les boulevards prirent le nom de bastions K La dénomi-
nation de boulevard fut conservée aux promenades plantées d'arbres qui
s'établirent sur les anciens ouvrages de défense.
La grande artère qui, à Paris, entoure la rive droite, de la Madeleine à
la Bastille, a longtenqjs laissé voir la trace des anciens boulevards sur
lesquels elle passait. Les nivellements et alignements opérés depuis une
vingtaine d'années ont à peu près détruit ces derniers vestiges des défenses
de l'enceinte du nord commencée en 1336, et successivement augmentée
jusque sous Louis XIII. « En ce temps-là, dit Sauvai *, les ennemis étoient
M si puissants en Picardie, qu'ils ne menaçoient pas moins que de venir
« forcer Paris ; le cardinal du Bellay, lieutenant général pour le roy, tant
« dans la ville que par toute l'Isle de France, en étant averti, pour les
« mieux recevoir, outre plusieurs tranchées, fit faire des fossés et des
w boulevards, depuis la porte Saint-Honoré jusqu'à celle de Saint-Antoine,
« et afin que ce travail allât vite, en 1536, les officiers de la ville, s'étant
« assemblés le 29 juillet, defiéndirent à tous les artisans l'exercice de leur
« métier deux mois durant, avec ordre aux seize quarteniers de lever
« seize mille manœuvres, et de plus à ceux des faux-bourgs d'en fournir
« une fois autant, sinon que leurs maisons seroient rasées.... En 1544,
< Voj. laiticle ahchitectire militaire. Parmi les ouvrages à consulter : Délia
fortif. délie Città, di M. Girol, Maggi, et del capilan Jacomo Castriolto; 1583, Venetia.
— Disc, sur pluaieurs poincls de r architecture de guerre, par M. Aurel. de Pasino;
1579, Anvers. — Delte fortif.., iW Gidv. Scala ; 1590, Rome. — Le fortif., di Buonaiuto
Lorini; 1609, Venetia. — La fortif. démonstrée, par Lrrard de Bar-le-Duc; 1620. —
Les Fortifications, du chev. Ant. Deville; 1641, Lyon. — La fort. Guardia difesa et
expug. délie fortezze. Tensini; 1655, Venetia. — Fortif. ou Archit.milit., par S. Maro-
lois; 1627, Amsterdam. — Architecture militaire de Speklin; Strasbourg, 1S59.
" T. I, p. 4:i.
[ HOtLON
'2',i-2
« FiaiH'ois I ayant appris que Chailcs-Uninl avec son arn)ée étoit à
« Château-Thierry, aussitôt il envoya à Paiis le duc de Cuise, qui revêtit
« d<' remparts les murs de la ville, tant du côté des laux-lumr^^s du Temple,
« de Montmartre et de Saint-Antoine, (jue de ceux, de Saint-Michel et de
« Saint-Jacques.... »
La plupart de ces ouvrages n'étaient point revêtus, mais simplement
gazonnés. Les buttes que l'on remarcjue encore entre la rue Montmartre
et la rue Saint-Fiacre, entre la rue Poissonnière et la rue de (vh'ry. au
droit de la rue de lîondy, au boulevard du Temple, remplacemenl aujour-
d'hui bâti du Jardin Beaumarchais, étaient autant de boulevards élevés en
dehors de l'enceinte de Charles V.
BOULON, s. m. C'est le iiom que l'on donne à une tige de fer rond,
munie (liuie tête à im bout et d'un écrou à l'autre bout. Les boulons son!
c(-nnnunement employés aujourd'hui dans la chari)enle et la serrurerie.
Avant le wii^ siècle, ils n'<jtaient pas nmnis d'un filet avec écrou et pas-
de-vis pour serrer, mais sinq)Iement d'une clavette passant à travers l'ex-
trémité opposée à la tête, ainsi qu'on le voit ici (1). Du reste, les charpentes
R
anciennes ne sont maintenues que par la combinaison des assemblages,
des clefs de bois, et ne recevaient pas de ferrures. Quelquefois, cependant,
les sablières, les longrines sont retenues enstMulile par des broches de fer
ou boulons avec clavettes, connue celui représenté ici. Mais ces sortes de
boulons ne permettaient |)as de serrer les pièces de bois l'une contre
l'autre connue on le fait aujourd'hui au moyen des écrous. Le boulon
moderne est un véritable perfectionnement ; il permet d'assembler des
pièces de charpente avec facilité, t'conomie et pi'écision. A notre sens, on
en abuse connue de tout<' invention d'un usage connnode et économique;
on en est venu à conq)ter trop sur la puissance des boulons à écrous, à
négliger les assend)lages et ces clefs de bois qui possédaient, avec une
grande élasticité, l'avantage de ne pas endommager les bois par des trous
et des liges de fer qili souvent les font éclater. Les boulons sont munis
aujourd'hui de têtes carrées, afin qu'étant engagées dans le bois, la tige
ne puisse tourner lors(|ue l'on serre l'iîcrou. Autrefois , les têtes des
boulons étaient généralement rondes comme des têtes de clous.
— '2'^'^ — [ BoiusE ]
BOURSE, s. f. Dans les anciennes villes franches du nord, des Flandres
et de la Hollande, le connnerce prit, dès le xive siècle , une si j^'rande
importance, ((iic les nciiociants établirent des locaux destinés à leurs
réunions jouiMialières afin de faciliter les transactions, (^es hàtinients,
véritable hasilique des marchands, se composaient de vastes porti([ues
entourant une cour. Au-dessus des portiques étaient ménaf,'ées des gale-
ries couvertes. Un hetiVoi, muni d'une horloge, accessoire indispensable
de tout établissement municipal, était joint aux bâtiments. Les villes de
France ne prirent pas, pendant le moyen âge, une assez grande importance
commerciale, ou j)lutùt U^s négociants ne composaient pas un corps assez
homogène et compacte pour élever des bourses. A Paris, on se réunissait
aux halles ou sous les piliers de l'Hôtel-de-Ville. Dans les grandes villes
du midi, qui consei-vèrent leur régime municipal au milieu de la féodalité,
commeToulouse, par exemple, c'était sur la place publicjue que se traitaient,
en plein air, les att'aires de négoce. Mais, en France, c'était surtout dans
les grandes assemblées connues sous le nom de foires que toutes les
transactions du gros commerce avaient lieu; et ces foires, établies a
certaines époques fixes de l'année sur plusieurs points du territoire, dans
le voisinage des grands centres industriels ou agricoles, attiraient les
négociants des contrées environnantes. Là, non-seulement on achetait et
l'on vendait des produits et denrées apportés sur place , mais on traitait
d'atfaires à long terme, on faisait d'importantes commandes, dont les
délais de livraison et les payements étaient fixés presque toujours à telle
ou telle autre foire ; car le commerce, pendant le moyen âge, n'avait pas
d'intermédiaires entre le fabricant et le débitant. Les juifs, qui alors étaient
les seuls capitalistes, faisaient plutôt l'usure que la banque. Un tel état de
choses, (pii existait sur tout le territoire de la France , ne nécessitait pas,
dans les grandes villes, l'établissement d'un centre conunercial; tandis
que les villes libres du nord, dès le xiv^ siècle, villes la plupart maritimes
ou en communication directe avec la mer, avaient déjà des correspondants
à l'étranger, des comptoirs, et spéculaient, au moyen de billets, sur la
valeur des denrées ou produits dont la liviaison était attendue. En France,
le négociant faisait ses atl'aires lui-même, recevait et payait, revendait au
débitant sans intermédiaire; un local public destiné à l'échange des valeurs
ne lui était pas nécessaire ; traitant directement dans les foires avec le fabri-
cant ou le marchand nomade, payant comptant la marchandise achetée, ou
à échéance la marchandise commandée à telle autre foire, il n'avait de
relations qu'avec la clientèle qu'il s'était faite, et ne connaissait pas le
mécanisme moderne du haut négoce; mécanisme au moyen ducpiel le
premier venu qui n'a jamais vendu un granune d'huile et n'en vendra
jamais peut acheter plusieurs milliers de kilogrammes de cette denrée,
et, sans en toucher un baril, faire un bénéfice de dix pour cent. Les
grands marchés périodiques ont longtemps préservé le négoce en France
de ce que nous appelons la spéculation, ont contribué à lui conserver, jus-
qu'au commencement du siècle, une réputation de i)robilé tradilionnelle.
T. n. :«)
I BorTiQUK ] — "234 —
Nous ne pouvons donner à nos lecteurs un exemple de bourse française
du moyen î\ii(\ ces étaltlissements n'existant pas et n'ayant pas de raisdii
d'oxister. Nous devons dire, à riionneurdes monastères (car c'est toujours
liKiu'il faut revenir lors(|ue l'on veut comprendre et expliquer la vie du
moyen A^^e en France)^ que ces centres de religieux réj^uliers Curent les
prenners à établir des foires sur le territoire de la France. Possesseurs de
vastes domaines, d'usines, afi;iiculteurs et fabricants, ils formaient le noyau
de ces ajifilomt'i-ations périodicjues de marchands; certes, ils tiraient un
profit considérable de ces réunions, soit pai' la vente d(> leurs i)ro(luits et
denrées, soit par la location des terrains qu'ils abandonnaient temporaire-
ment ; vastes camps paciti(iues dont la foire de Beaucaire peut seule
auioui'd'liui nous donner l'idée. Mais ce profil, outre qu'il était fort légi-
time, était une sauvej;arde pour le conunei-ce; voici comment : les
monastèi'cs conservaient un droit de contrôle sur les objets apportés en
foiie, et ils ne laissaient pas mettre en vente des marchandises de
mauvaise (jualité; cela eut peu à peu discrédité le centre commercial;
quant aux denrées ou produits sortis de leurs mains, ils avaient intérêt
et tenaient à coeur de leur maintenir une supériorité sur tous les autres.
Les bois, les céréales, les vins, les fers, les tissus, les pelleteri<'s, les laines
sortant des établissements i-eligieux étaient toujours de (jualilé su})érieure,
recherchés, et achetés de conliance; car le couvent n'était pas un fabri(;ant
ou un aj^riculteur qui passe et cherche à gagner le plus possible sa vie
durant, quitte à laisser après lui un établissement discrédité; c'était, au
contraire, un centre perpétuel de produits, travaillant plus pour conserver
sa réputation de supériorité, et par conséquent un débit assuré à tout
jamais, (|ue pour obtenir un gain exagéré, accidentel^ en livrant des
produits falsitiés ou de médiocre qualité, au détriment de l'avenir.
Les établissements religieux , à la tin du siècle dernier, n'étaient plus ce
que les xc et xic siècles les avaient faits; et cependant cette époque n'est
pas assez éloignée de nous pour que nous ayons oublié la réputation
méritée dont jouissaient encoie les vins, par exemple, des grands monas-
tères, pendant ces dernières aimées de leur existence.
Si des villes comme Amsterdam, Anvers, Londres, (|ui n'étaient et ne
sont, par le fait, que de grands entrepôts, ont eu besoin de bourses pour
établir la valeur journalière des produits qu'elles recevaient et exportaient,
il n'en était pas de même en France, pays plus agricole qu'industriel
et commerçant, qui consomme chez lui la plus grande partie de ses
produits.
BOUTIQUE, s. f. Salle ouverte sur la rue, au rez-de-chaussée, dans
laquelle les marchands étalent leurs marchandises. Il n'est pas besoin de
dire que l'usage des boutiques appartient à tous les pays, à toutes les
époques et à toutes les civilisations. Dans l'antiquité grecque et romaine,
des boutiques occupaient le rez-de-chaussée des maisons des villes; il en
fut de mêmeen France pendant le moyenàge. Ces boutiques se composai<'nt
— :2;{.S — i Boi iiQiK ]
ordinaireiiuMit d'iiiie salle s'ouvraiif siii- la riif |iai' iiii ^raiid arc piPiiaiit
toute la laifïpur de la pièce, avec un mur d'appui pour poser les inai(;liai)-
dises. Ce nuu- d'appui était iuleri-onipu d'un cùf»' pour laisser un passafj;e.
Un arrière-magasin (ounoir) elait souveiil annexé à la honlifpie; les
ouvriers et apprentis travaillaient soit dans Touvroir, soit dans la boutique
elle-même; quelquefois aussi un escalier privé montait au premier étage,
et descendait sous le sol dans une cave; Les exemples anciens de boutiques
ne sont pas rares, et on peut en citer un faraud nombre appartenant aux
xir, xni'" et xiv*^ siècles. Karement les boutiques, ius((u'à la fin de ce
siècle, étaient fermées par une thnanlme vitrée. Les volets ouverts, le
marchand était en comnumication directe avec la rue. La fermeture la
plus ordinaire, pendant la période que nous venons d'indiquer, se compo-
sait de volets inférieurs et supérieurs, les premiers attachés à l'appui,
s'abaissant en dehors de manière à former une large tablette piopre aux
étalages, les seconds attachés à un linteau de bois, se relevant comme des
châssis à tabatière. La tig, I explique ce genre de fermeture. La nuit ,
les volets inférieurs étant relevés et les supérieurs abaissés, deux barres
de fer, engagées dans des crochets tenant aux montants, venaient serrer
les vantaux et étaient maintenus par des boulons et des clavettes, comme
cela se pratique encore de nos jours. Au-dessus du linteau, sous l'are,
restait une claire-voie vitrée et grillée pour donner du jour dans la salle.
Presque tous les achats se faisaient dans la rue, devant l"a|)pui de la bou-
tique, l'acheteur restant en dehors et le mai'chand à l'intérieur; la
boutique était un magasin dans lequel on n'entrait que loisqu'on avait à
traiter d'ati'aires. Cette habitude, l'étroitesse des rues expliquent pourquoi,
dans les règlements d'Etienne Boileau, il est défendu souvent aux mar-
chands d'appeler l'acheteur chez eux avant qu'il n'ait f|uillé l'étal du voisin.
D'ailleurs, pendant le moyen âge et jusqu'à la tin du xvn*- siècle, les
marchands et artisans d'un même état étaient placés très-proches les uns
des autres, et occupaient quelquefois les deux côtés d'une même rue : de
là ces noms de rues de la Tixeranderie, de la Mortellerie, où étaient établis
les maçons; de la Chaironnerie, où habitaient les charpentiers; de la
Huchette, de la Tannerie, etc., que nous trouvons dans presque toutes
les anciennes villes du moyen âge.
Le samedi, le commerce de détail cessait dans presque tous les quartiers
pour se rassembler aux halles (voy. halle). Les journaux, les atiiches et
moyens d'annonce manquant, les marchands faisaient crier par la ville
les denrées qu'ils venaient de recevoir. 11 y avait à Paris une corporation
de crieurs établie à cet effet ; cette corporation dépendait de la |)révôlé, et
l'autorité publique se servit des crieurs pour jjercevoir les inqxMs, particu-
lièrement chez les marchands de vin ou taverniers, qui furent obligés
d'avoir un crieur public, chargé en même temps de constater la (|uantité
de vin débitée par jour dans chaciue taverne. Le roi saint Louis ayant
interdit le débit du vin dans les tavernes , les crieurs de vin se tuent
débitants, c'est-à-dire qu'ils se tenaient dans la rue, un broc d'une main.
I BoiTiguK I — "2;ir> —
1111 haiiap (le laiilrc^ el vciidaieiit le \iii aux passants j)<)ur le cdinj)!!' du
la\t'rni('r '.
(yii iciicoiilrc ciicon" hcaticoiiit de l>uiirK|iU'S des xi^'. xiiP'ct xiV siècles.
à Cliiiiy, à Cordes (Tarn), à Saint-Yriex, à Périgueux, à Alhy, à Sainf-
Anlonin (Tarn-et-Garonne), à Monlfcrrand près Clerniont, à Kioni, et dans
des villes plus septentrionales, telles que Keiins, Beauvais, Chartres, etc.
' Voy. Vlntrod. au Livre rfcs méiierx, d'Etienne Roileau, par G. W. IVpping. {Coll.
des Doc. inèd. si/r/7ifs/. de France, l'aris, 1837.)
— ^2:r
[ lIOUTiylK
I.a (iisposilidii indiciueo fi^. l l'tait ♦Tii't'»'»'"' adopté*' à Paris, aulaiil
(|U(.ii pt'ul .'Il ju^tM- pav trancuMines ^Ta\uivs. Dans (piclijiu-s \ill.'s du
littoral (!.• la Maiiclir . il paraîtrait toutefois (pio rohscuritr onlinairc du
pèOKno. sn
ciel avait oblifié les maichands à ouvrir davantaiïe les devantures des bou-
tiques sur la rue. X Dol, en Bretagne, il existe encore un certain nombre
de maisons des xiii^ et xiv<^ siècles dont les boutiques se composent de
colonnes en granit, portant, rommo aiijourd'bui. des poitraux en bois ("2) ;
1 BOUTIQUE ] — 238 -r-
vl bien que les devanlinvs primitives aient été remplacées par des ferme-
tures récentes, il n'est pas douteux que, dans l'orij^ine, ces {jfrandes
ouvertures carrées n'eussent été destinées à recevoir de la boiserie posée
en arrière des pilieis. hans les villes n)eridionales, des corbeaux en
pierre saillants portaient des auvents en bois ou en toile, posés devant
l'ouverture des arcades (voy. auvent).
Déjà, au xv*' siècle, les marcliands demandaient des jours plus larges sur
la rue; les bouticpies ouvertes par des arcs plein cintre, en tiers-point ou
bombés, ne leur j)erinetlai«Mit pas de laire des élalai;es assez étendus. Les
(constructeurs civils clierc baient, par de nou\ elles cond)inaisons, à satisfaire
à ce besoin impérieux ; mais cela était ditlicile à obtenir avec la pierre, sans
le secours du bois et du ter, surtout lorsqu'on était limité par la bauteur
des rez-de-chaussée, qui ne dépassait guère alors trois ou quatre mètres,
et lorsqu'il fallait élever plusieurs étages au-dessus de ces rez-de-chaussée.
Voici un exemple d'une de ces tentatives (3). ('/est une boutique d'une
,)iiiiiiiiii"|-w/â;,V">" I ,.
Jp 1
* ^-^v'^^*:
^^"'' l^:/
des maisons de Saint-Antonin; son ouverture n'a pas moins de sept mètres;
sa construction remonte au xv« siècle. L'arc surbaissé, obtenu au moyen
de quatre centres, est double dans les reins, simple en se rapprochant de
la clef; celle-ci est soulagée par une colonne. Quoique cet arc j)orfe
deux étages et un comble, il ne s'est pas déforme; ses coupes sont d'ail-
leurs exécutées avec une grande perfection, et la pierre est d'une ({ualilé
fort dure.
Mais au xv^ siècle, dans les villes du nord surtout, les constructions de
bois furent presque exclusivement adoptées poui- les maisons des mar-
chands, et ce mode permettait d'ouvrir largement les bouti(|ues sur la rue
au moyen de poteaux et de poitraux dont la portée était soulagée par des
— -239
[ BOtUQlE
écharpes ou des croix do Saint-Aiulré disposées au-dessus d'eux dans les
pans-(le-l)ois. Les villes de Kouen, de Cliailres. de Reims, de Beauvais, ont
conseivé quelques-unes de ces maisons de bois avec boutiques. La fi},^ i
donne une de ces boutiques, complétée au moyen de renseignements pris
dans plusieurs maisons des villes citées ci -dessus (voy. maison). Les
devantures des boutiques du xv^ siècle étaient encore fermées soit par des
volets relevés et abattus connue ceux représentés dans la fig. 1, soit par
des feuilles de menuiserie se repliant les unes sur les autres (voy. fig. A).
Dans quelques villes de Flandre, les boutiques étaient situées parfois
au-dessous du sol ; il fallait descendre (}uelques marches pour y entrer,
et ces marches empiétaient même sur la voie publique. La rampe était
[ BOUTIQUK j — "2i<> —
bordée de bancs sur lescjuels des é(;haiitill(ms de niiiicliaiuliscs (Maietil
posés: un auvent préservait la descente cl les l)ancs de la |t[nie. Il est Ixm
de i'einar(|uer que, dans les vill(>s marchandes, les l)outi(|uiers cherchaient
autant ({u'ils pouvaient à barrer la voie pul)ii(iue, à arrètei- le passant en
mettant obstacle à la circulation. Cet usa^e, nu plutôt ce! abus, s'est
perpétué loiif^temps; il n"a fallu rien luoins que rétablissement des
trottoirs et des règlements de voirie rigoureusement appli(iués à grand'-
peine pour le faire disparaître. I.es rues marchandes, i)en(lant le moyen
âge, avec, leurs boutitiues ouveites et leurs étalages a\ances sur la voie
publique, ressemblaient à des bazars. La rue, alors, devenait comme la
propriété du marchand, et les piétons avaient |)eine à se faire jour pendant
les heures de vente ; quant aux chevaux et chariots, ils devaient renoncer
à cii'culer au milieu de rues étroites encond)rées d'étalages et d'acheteurs.
Pendant les heures des repas, les transactions étaient suspendues; bon
nombie de boutiques se fermaient. Lorsque le couvre-feu sonnait, et les
Jours fériés, ces rues devenaient silencieuses et presque désertes.
Quekpn^s petites villes de Bretagne, d'Angleterre et de Belgique peuvent
encore donner l'idée de ces contrastes dans les hai)itudes des maichands
du moyen âge. Sui- ces petits volets abattus, ne piéseiUanl <|u'une suiface
de quatre ou cincj mètres, des fortunes solides se faisaient. Les tils
restaient marchands comme leurs pères, et tenaient à conserver ces
modestes devantures conimes de toute une ville. Un marchand eut éloigné
ses clients, s'il eût remplacé les vieilles grilles et les vieux volets de son
magasin, changé son enseigne, ou déployé un luxe qui n'eût fait qu'exciter
la défiance. Nous sommes bien éloignés de ces ma'urs. Les boutiques,
dans les villes du Nord i)arliculièrement . étaient plus comuies \rdv leurs
enseignes (|ue par le nom des marchands (pu les possédaient de })èreiMi
tils. On allait acheter des draps à la Truie qui file, et la Truie qui file
maintenait intacte sa bonne réputation pendant des siècles. Beaucoup de
ces enseignes n'étaient que des rébus; et bon nombre de rues, même
dans les grandes villes, empruntèrent leurs noms aux enseignes de
certains nmgasins célèbres.
Les corj)s de métiers étaient, connue (chacun sait, soumis à des règle-
ments particuliers. Ln patron huchier, bouclier, palier, gantier, etc., ne
pouvait avoir qu'un certain nombre (rai)preinis à la fois, et ne devait les
garder en apprentissage qu'un certain temps ; les locaux destinés à contenir
les ouvriers de clnuiue maitie restaient donc t(Hiioursles mêmes, n'avaient
pas besoin détrt^ agrandis. On ne connaissail pas, pendant le moyen âge,
ce que nous appelons aujourdlmi le marclunidaye, Vouvrier en chambre.
tristes innovations ((ui ont contribué à démoraliser l'artisan, à avilir la
main-d'œuvre, et à ronq)re ces liens intimes, et prestpie de famille, qui
existaient entre l'ouvrier et le patron. Les nueurs inq)riment leurs (|ualités
et leurs défauts sur rarchitecture domesliciue, plus enc<u'e (|ue sur l(\s
monuments religieux ou les éditices publics. Les boutiques du moyen âge
rellèlent l'organisation étroite, mais sage, prudente et paternelle, qui
— iW
IIOI T(»>
l'éjiissait les corps de int'ticis. Il n fiait pas possildc de \(iir alois des
nu%^asins de (l»'l)ilaiits occupor un jour de vastes espaces, puis disparailr»'
tout à coup, laissant une lon^'ue liste de mauvaises créances sur la place,
et, dans toute une ville, des marchandises défectueuses ou falsitif'es. Nous
n'avons pas a discuter, dans cet ouvraf^e, sur ces matières étranjj^ères à
notre sujet ; nous voulons seulement faire ressortir, en quelques mots, le
caractère des anciens magasins de nos villes marchandes, afin qu'en
passant on ne jette pas un coup d'œil trop méprisant sur ces petites
devantures de houtique qui, tout étroites et siuiples quelles soient, ont
abrité des fortunes patientes, laborieuses, ont vu croître et se développer
la prospérité dt^s classes moyennes.
BOUTISSE, s. f. On entend par ce mot des pierres de taille qui, de
distance en distance, prennent toute l'épaisseur d'un mur, et relient ses
deux parements extérieur et intérieur. Quand un nmr ne se compose pas
seulement de pieries faisant parpaing (c'est-à-dire portant toutes l'épaisseur
du nmr), soit parce qu'on ne peut disposer de matériaux d'un volume
assez gros, soit par économie, on l'élève au moyen de carreaux de pierre
reliés de distance en distance par des boutisses ; on dit alors un mur
■'V,f,>-,M'iJI,7,..,i|
■■*:-
construit en carraudagea et boiHisses. La pierre A (I) est une boutisse
(VOV. CONSTRLCTIOM.
BOUTON, s. m. On entend désigner par ce mot un ornement de
sculpture qui tigure un bouton de fleur. Le bouton est fréquemment
employé dans la décoration architecturale pendant le xii» siècle et au
conmiencement du xm»-. Il est destiné à dé'corer les gorges qui séparent
des baguettes ou des boudins dans les bandeaux et les arcs ; les boulons
T. M.
;ji
[ BOUTON ] — "24'i —
sont l'ounis coinm»' les grains d'un chapelet, nii espacés, simples on
J
façonnés. Simples, ils affectent la forme indiquée dans la fig. 1 ; façonnés,
ils sont recoupés en trois, en quatre ou
cinq feuilles (ît).
Dans les monuments du Poitou, élevés
pendant le xir siècle, on rencontre sou-
vent des boutons qui sont divisés par
côtes, connue le pistil de certaines
fleurs (3) '. Quelquefois le bouton est
percé d'un trou carré au milieu et strié
sur les bords. Ces sortes de boutons
sont fi'équents dans la décoration des
archivoltes des édifices normands du
xiie siècle (4)^.
Les roses qui s'ouvraient au-dessus
du triforium de la cathédrale de Paris,
avant le j)ercem(Mit des jurandes fenêtres
du xni'" siècle, sont décorées de boutons
rapprochés taillés en forme de petit ma-
melon avec un trou au centre (5) ^ Les riches arcalures de la grande
galerie extérieure qui ceint les tours de la même cathédrale ont leurs
' De l'église de Surgère.
* Delà tour Saint-Romain, cathédrale de Rouen.
' Cette singulière ornoincMilatidn se voit atijourd'lmi sur les roses, de la Hn du
xii« siècle, qui ont été replacées au-dessous des fenèlres hautes, dans les bras de croix.
— -2t;{ —
I BOUION ]
^'Oi'fies décorées de jïros boutons trifoliés (|tii tout un toit bel eHcl. en
PCCAft.D J -
■tiiiil (les luinifies et des ombres au milieu des courbes concentriques.
et rompent ainsi leur monotonie (0).r, Les boutons disparaissent, de
6
^SARO
la sculpture ornementale des édifices pendant le xiu'- siècle; alors
[ BUKTtCllK I — '2ii —
on ne cherche à imiter que les tleurs ou feuilles «'panouies (voy. flork).
On (lési^'ue aussi par boulon une pouune de fer ou de bronze qui, étant
lixée aux vantaux des poi'tes, sei't h les tirer à soi pour les fermer.
Pendant le moyen àj,^e, les vantaux de portes sont plutiM jj;aiiiis d'amieaux
que de boutons; cependant, vers la fin du xv^ siècle, l'usage des boutons
de porte n'est pas rare ; ils sont généralen)ent composés d'un champiiïnon
de fei- forf^'é, sur le dis(]ue duquel on a rapporté des plaques de tôle
découpée et formant , par leur superposition , des dessins en relief et à
j)lusieurs plans (voy. serrikerik).
BRAIE, s. f. Brai/e. C'est un ouvrage de défense élevé en avant d'un
front de fortification, laissant entre le pied des murailles et le fossé une
circulation plus ou moins large, servant de chemin de londe, et destiné à
empêcher l'assaillant d'attacher le mineur. Les braies étaient le plus
souvent un ouvrage palissade . renforcé de distance en distance d'échau-
guettes propres à protéger des sentinelles. Lorsque l'artillerie à feu fut
employée à l'attaque des places fortes, on éleva autour des courtines, des
boulevards ou bastions, des murs peu élevés, des parapets au niveau de
la crête de la contrescarpe des fossés, pour y placer des arquebusiers.
Ces défenses, connues sous le nom de fausses braies, avaient l'avantage
de présenter un front de fusiliers en avant et au-dessous des pièces
d'artillerie placées sur les ren)parls, et de gêner les approches; on dut y
renoncer lorsque l'artillerie de siège eut acquis une grande puissance,
car alors, les parapets des fausses braies détruits, celles-ci formaient une
banquette qui facilitait l'assaut (voy. architecture rulitaire).
BRETÈCHE, s. f. lirelesche , brelesce, bertesche , berleiche . breireske.
On désignait ainsi, au moyen âge, un ouvrage de bois à plusieurs étages,
crénelé, dont on se servait pour attaquer et défendre les places fortes.
Quand il s'agit de l'attaque, la bretèche diffère du beffroi en ce qu'elle
est immobile, tandis que le beff'roi est mobile (voy. beffroi). La bretèche
se confond souvent avec la bastide; la dénomination de bre lèche \nir<\\\
être la plus ancienne. On disait, dès le \i'' siècle, brelescher pour fortifier,
garnii' de créneaux de bois, ou de luniids (voy. holru).
« l,:i cité (RoMi'ii) csleit rlose de mnr o de fossé.
" Fiaiiceiz et Aleinan/,, (|ii;iiit il lurent armé,
" Ont à cels de Roen un graiil assall doné :
Normaiiz se desf'endiienl ctinime vassal prové;
« As herteiches nionteiit et al mur quenielé ;
" N'i ont rienz par assalt cil de lors cnnqiiesté,... ' ■
Os bietèches étaient souvent des ouvrages de campagne élevés à la
hàfe.
' i.v HoDKtn (le Hou, I' pari., yers iOoi) et sui\.
— '2ir) — I BKKlfcCIIF I
" he celé pari el cliiei' del poiil,
« Par où la genl vienent è vont,
'< Avoit h cel tems un lossé
' Haut è pai l'onl è réparé ;
" Sor li fossé ont heriçun (chevaux de frise),
" Et dedenz close une maison ;
" Encore unt Itertesches levées,
« Bien plancliies è kernelées ' »
les hretèclios se (U'Hioiitaiont o\ poiivaiont cUv tiaiisporléos duii lieu
à un autre, suivant les besoins. Guillaunie de Normandie, après s'ètie
eni|)aré de Domfront, veut fortifier Anibrières sin- la Mayenne :
« E H Dus fist sun gonfanon
« Lever è porter el dangon (donjon :
■• El chasiel a altres niiz
" Od ki il ont Danfront assiz.
" Li bertesches en fist porter,
■ Por li Conte GifTrei grever.
'< A Anl)rieres les fist lever :
« Un chastel fist iloec fermer.... - ■
Le dur prétend défendre un château, ou plutôt un poste, au moyen de
l)retèches qu'il fait charrier de Domfront à Ambrières. Beaucoup plus
tard, « le roy d'Angleterre, qui ne pouvoit conquester la ville de Calais
'< fors par famine, fit charpenter... un chastel grand et haut de longs
« niesrins, tant fort et si bien hretesché, qu'on ne l'eust pu grever *. »
Quand on voulait défendre une brèche faite par l'assiégeant, on
établissait, le plus pi^omptement possible, en dedans de la ville, un pâlis
en arrière de cette bretèche, et on renforçait ce pâlis d'une ou plusieurs
bretèches (voy. architecture militaire, tlg. 10). Ces ouvrages s'établis-
saient aussi pour protéger un passage, une tête de pont.
" Et par devant le pont dont je vous ai parlé
" Furent faites défen ces, brestèques ou terré,
A la fin qu'il ne soient souspris ne engingiiié.
(Juaut Englois ont véu jus chéoir une tour,
A l'autre tour s'en sont fui pour le secour;
Barrières y ont fait à force et à vigour.
S'ont sur arbalestrier et maint bon arc à tour,
La tour fu bretechée noblement tout ontour..
On hreteschait des défenses fixes en maçonnerie, soit |)ar des charpenles
il <lemeure, soit par des saillies provisoires en bois (|ui permettaient de
I Le Homan de Hou, II' pari., vers 9444 et suiv.
- Ibid., 11' part., vers 9(i2.^ et suiv.
' Kroissart, cbap. rxiiv.
' Chron. de li. Duquesctin. vers l9;j2o el suiv.
BRET^:(:llE ]
^21()
hattre le pied de ces défenses, des passaj^^es. des portes. Dans ce cas, ce
qui disliuiiue la bretèche du liouid, c'est que le liourd est une galerie
continue (|ni couronne une nnu'aille ou une tour, tandis «pie la bretèche
est un appentis isolé, saillant, adossé à li-dilice. fermé de trois côtés,
crénelé, (^ouvert et pei'cé de mâchicoulis.
V'oici (1) une porte de ville surmontée d'une bretèche ' posée en
temps de {^ueire et pouvant
se démonter. Nous connais-
sons quchpies très-rares exem-
ples encore (existants de bre-
tèches à demeure posées au
niveau des combles des tours,
se condiinant avec leurs char-
pentes, et destinées à tlan^juer
leurs faces; et, i)armi ceux-ci.
nous citerons les bretèches de
la tour des deniers de Stras-
bourg;, qui sont fort belles et
paraissent appartenir aux der-
nières années du xiv siècle
(^). Ces ouvrai^es de char-
pente sont assez saillants sur
le nu des faces en maçonne-
rie pour ouvrir de larges mâ-
chicoulis et des créneaux la-
téraux ; ceux-ci sont encore
garnis de leurs volets. Leurs
appuis sont couverts de tuiles
en écaille et leurs combles en'
tuiles creuses hourdées en
mortier. Les poinçons ont
conservé leur plomberie et
leurs épis avec girouetles.
Les bretèches en bois etaitMit aussi posées sur des éditices civils qui
n'étaient pas spécialement aiîectés à la défense; telles sont les deux
bretèches (jui sont encore conservées aux angles du bâtiment de la Douane
de Constance (3), au-dessus de hourds également en bois. Ce bâtiment
fut élevt' en 1388, et ces ouvrages de charpfMile datent de la construction
primitive; les bretèches sont posées en diagonale aux angles des hourds, cl
doiment ainsi, outre les faces diagonales destinées à protéger les angles,
deux mâchicoulis triangulaires doublant les mâchicoulis du hourdage.
' M(tn. (le Fruissarl, xv siècle; Hilt. iiiip. ■■ Cy piii'le de l:i l);il:iille à Meaiix en
" Bryo oii les Jacques l'iiienl (iesconlil/. parle (".diile de l'iiix el le Caplal de liens; el
" est le IX" V' cliapilre. „
-217 ' HItKifiCHK I
l>ès ir xiv siècle, les hretèches ne turent pas seulement des ouvrages
Pr&AWj
fi architecture militaire; les maisons de ville étaient garnies, sur la façade
du côté de la place publique, d'une bretèche en bois ou maçonnerie, sorte
de balcon d'où l'on faisait les criées, où on lisait les actes publics. les
proclamations et condamnations judiciaires. On cRsait breléquer pour
proclamer. On voit encore à l'HO)tel-de-Ville d'Arras les restes d'une
bretèche couverte qui était posée en encorbellement sur le milieu de la
façade. La bretèche de rHôtel-de-Ville de Luxeuil est encore entière. Cette
disposition fut adoptée dans tous les édifices municipaux d'Europe. En
Italie, ce sont des loges élevées au-dessus du sol au moyen d'un emmar-
chement, comme au palais de Sienne, ou des portiques supérieurs,
ou des balcons, comme au palais des Doges de Venise. En Allemagne,
non-seulement les édifices publics sont garnis de brelèches, mais les
I BRETf:<:ilK I — -2VK —
palais . les maisons |)ai'liciili«'ivs ont picscjuc toujours une hivItVIu» à
'Hlii-'ÎIIM
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tl..|l|lllll!'!ll|ll| I||l||.,l,||lll|l|lll|| . . fr.M)IO
plusieurs étages, sorte de demi-tourelle saillante posée souvent au-dessus
de la porte. A Nuremberg, à Insbruck, à Augsbourg, à Prague, les maisons
desxiv, xvet xvi«-' siècles ont toutes une-ou |)lusi('urs bretj'rhes lermées
sur leur façade, qui permettent de voir a couvert tout ce qui se passe
d'un bout à l'autre de la rue. En France, les bretèches atteclent plus
— •249 —
I BKigiE
paiticulièrenit^nt la t'ornie de tuuivllt'S (voy. tourelles), et sont alors
posées (le prérerence aux anj^Mes des haltilations. On peut considérer
comme de véritables bretèches les petits balcons à deu\ etaj^es en encor-
bellement qui tlanquent la ra(,'ade extérieure du château de Blois (aile de
François I*^"").
BRETTURE, s. f. Outil de tailleur de pierre, façonné en forme de marteau
tranchant et dentelé 1 1 1. Les tailleurs de pierre du moyen âge comniencent
1
■■^■*Ji-tl!ji#
à employer la bretture pour laver les parements vers le milieu du
xu»^ siècle. Jusqu'alors les parements étaient dressés au taillant droit ou
au ciseau sans dents. La bretture cesse d être employée au xvie siècle
pour la taille des parements vus. Elle est à dents larf,^es dans l"origine,
c'est-à-dire vers la tin du xii^ siècle et le commencement du xiiie ci). Les
2 3
dents se rapprochent à la tîn du xiiie, et sont très-serrées au xiv^ (3)
[voy. taille]. La façon des tailles des moulures et parements est donc un
des moyens de reconnaître la date de la construction des édifices.
BRIQUE, s. f. On désigne par ce mot des tablettes de terre battues,
moulées, séchées au soleil et cuites au four. L'emploi de la brique
remonte à la plus haute antiquité. Les Romains en firent grand usage,
surtout dans les contrées où la pierre n'est pas connnune. Pendant le
Bas-Empire, ils élevèrent souvent les maçonneries au moyen de blocages
avec parements de petits moellons taillés, alternes avec des lits de briques
T. II. 32
[ BRiguE I — '2o() —
posées de plat. Les constructions jjtallo-roniaines et mérovinj^iennos
conservent encore ce mode. Mais, à partir du ix»-' siècle, on rencontre
très-rarement des briques mêlées aux autres matériaux; la brique n'est
plus employée ou est employée seule. Nous devons toutefois excepter
certaines bâtisses du midi de la France, où l'on trouve la brique rései-vée
pour les remplissages, les voûtes, les parements unis, et la pierre pour
les piles, les angles,, les tableaux de fenêtres, les arcs, les bandeaux et
corniches. C'est ainsi que la brique fut mise en œuvre, au xii'" siècle, dans
la construction de l'église Saint-Sernin de Toulouse. Cette partie du
Languedoc étant à peu près la seule conU'ée de la France où la pierre
fasse complètement défaut, les architectes des xui'' et xiv«^ siècles prirent
franchement le j)arli d'élever leurs édifices en brique, n'employant la
pierre que pour les meneaux des fenêtres, les colonnes, et quelques points
d'ai)pui isolés et d'un faible diamètre.
Un des plus beaux exemples de construction du moyen âge, en brique,
est certainement l'ancien couvent des Jacobins de Toulouse^ qui date de
la fin du xin« siècle. Plus tard, au xiv^ siècle, nous voyons élever en brique
la jolie église fortifiée de Simorre (Gers) , le collège Saint-Réniond et les
murailles de Toulouse, des maisons de cette même ville, le pont de
Montauban; plus tard encore, la cathédrale d'Alby, grand nombre
d'habitations privées de cette ville, les églises de iMoissac, de Lombez,
le clochiM- de Caussade , etc. La brique employée dans cette partie de la
France, pendant les xia», xiv» et xv« siècles, est grande, presque carrée
(ordinairement 0,33 cent-imètres sur 0,25 centimètres et 0,00 centimètres
d'épaisseur). Souvent les lits de mortier qui les séparent ont de 0,0-i à
0,05 centimètres d'épaisseur, La bricpu' moulée est rarem<'nt employée
en France, pendant le moyen âge, tandis qu'elle est frécjuenle en Italie
et en Allemagne; cependant on rcMicontre parfois de petits modillonsdans
les corniches, des moulures simples, telles que des cavets et quart-de-
rond. La bricjue du Languedoc étant très-douce, les constructeurs
préféraient la tailler; ou bien ils obtenaient une ornementation en la posant
en diagonale sous les corniches, de manière ;i faii'e débordei' les angles,
ou en épis, ou de «-hanq) et de plat alternativement (voy. constrlction).
La bri(|ue fut lrès-l'réquemm(Mit employée, pendant le moyen âge, pour
les carrelages intérieurs; elle était alors émaillée sur incrustations de
terres de diverses couleurs (voy. cauuki.age). Dans les constructions en
pans-de-bois du nord de la France, des xvj- et xvi'' siècles, la brique est
utilisée comme l'cmplissage entre les poteaux, décharges et tournisses;
et la manière dont elle est posée forme des dessins variés. Dans ce cas,
elle est quelquefois émaillée (voy. pan-de-bois).
Nous trouvons encore dans le Bourbonnais, au château de la Palisse, à
Moulins même, des constructions élevées en brique et mortier (jui datent
du XV siècle, et dont les parements présentent (par l'alternance de briques
rouges et noires) des dessins variés, tels que losanges, zigzags, clie-
\rons, etc. La façon dont ces briques sont posées mérite l'attention des
— '^^1 [ BRIQUE 1
consh'iufoui's : les lits et joints en mortier ont une épaisseur égaie à celle
des l)ri(iiies, c'est-à-dire (),()3i; ces briques i)résentent, à l'extérieur, leur
petit côté, qui n'a que 0,l'2 c, et leur pand côté, de (),ti c, forme ((ueue
dans le mur. La tig. 1 fait voir comment sont montés ces parements bri-
quefés '.
y
Pendant la Renaissance, les constructions de pierre et brique mélangées
jouirent d'une grande faveur; on obtenait ainsi, à peu de frais, des
parements variés de couleur, dans lesquels l'œil distingue facilement des
remplissages les parties solides de la bâtisse. Les exemples de ces sortes
de constructions abondent. II nous sutiira de citer l'aile de Louis XII du
château de Blois, certaines parties du château de Fontainebleau, et le
célèbre château de Madrid , bâti par François le--, près Paris , où la terre
cuite émaillée venait se marier avec la pierre, et présenter à l'extérieur
une inaltérable et splendide peinture ^ Tout le monde sait quel parti'
Bernard de Palissy sut tirer de la terre cuite émaillée. De son temps, les
M. Millet , architecte, à qui nous devons ces rcnseignenienls sur les briques du
Boiirl)()nnais, reconnaît que les briquclages avec lits épais de mortier ont une force
extraordinaire; cela doit être. La brique, étant Irès-àpre et poreuse, absorbe une
grande quantité d'eau; lorsqu'elle se trouve séparéo par des lits minces de mortier,
elle a bientôt desséché ceux-ci, et nous n'avons pas besi.in de rappeler que les mortiers,
pour conserver leur force, doivent contenir, à l'état permanent, une quantité assez
notable d'eau.
2 gi't^lques fragments de ces terres cuites émaillées, du château de Madrid , sont
déposés au musée de Clunv.
[ BUFFKT ] — :25-J —
nombreux produits sortis de ses fourneaux servirent non-seulement à
orner les dressoirs des riches pai'ticidiers et desseij,Mieurs, n)ais ils contri-
buèrent à la décoration extérieure des palais et des jardins.
BUFFET (i)'oRGUEs), s. m. On désigne ainsi les armatures en charpente
et menuiserie qui servent à renfermer les orgues des églises. Jusqu'au
xv« siècle, il ne parait pas que les grandes oigues tussent en usage. On
ne se servait guère que d'instruments de dimensions m/'iiiocres, et qui
pouvaient être renfermés dans des meubles j)osés dans les chœurs, sur
les jubés, ou sur des tribunes plus ou moins vastes destinées à contenii'
non-seulement les orgues, mais encore des chanli'es et musiciens. Ce
n'est que vers la fin du xv siècle et au commencement du xvr que l'on
eut l'idée de donner aux orgues des dimensions inusitées jusqu'alors,
ayant une grande puissance de son et exigeant , pour les l'enfermer, des
char{)entes colossali's. Les buffets d'orgues les jthis anciens que nous
connaissions ne remontent pas au delà des dernières années du xv*^ siècle;
et ces orgues ne sont rien auprès des instruments monstrueux que l'on
fabiique depuis le xvne siècle. Cependant, dès le xiv«" siècle , certaines
orgues étaient déjà composées des mêmes éléments que celles de nos
jours : claviers superposés et pouvant se réunir, tuyaux détain en montre,
trois soufflets , jeux de mutation; et ce (|ui doit être noté ici particulièi-e-
ment, ces orgues avaient un positif placé derrière l'organiste, et dans
lequel on avait mis des tîntes dont l'eHet est signalé comme très-agréable.
M. Félix Clément, à qui nous devons des renseignements précieux sur
l'ancienne musique et sur les orgues, nous fait connaître qu'il a trouvé,
dans les archives de Toulouse, un document fort curieux sur la donation
faite à une confrérie, par P>eriiard de Hosergio, archevêque de Toulouse,
d'un orgue, à la date de I4(i3. Il résulte de cette pièce que cinq orgues
furent placées sur le jubé dans Tordre suivant : un grand orgue s'élevait
au milieu, derrière un petit orgue disposé comme l'est actuellement le
positif; un autre orgue, de petite dimension, était placé au haut du- grand
buttet et surmonté d'un ange; à droite et à gauche du jubé se trouvaient
deux auti-es orgues , dont deux confréries étaient autorisées à se servir,
tandis que l'usage des trois premières était exclusivement réservé aux
chanoines et au chapitre de la cathédrale. Les cinq insiruments pouvaient,
du reste, résonner ensemble à la volonté de rarchevêijue '.
« L'église de Sainl-Severin, dit l'abbé Lebeuf % est une des premières
de Paris où l'on ait vu des orgues : il y en eut dès le règne du roi Jean,
mais c'éloit un petit buffet; aussi l'église n'éloit-elle alors ni si longue ni
si large. J'ai lu dans un extrait du nécrologe manuscrit de cette église que,
l'an l^oS, le lundi après l'Ascension, maître Rei/naud de Doua . écolier
* Rappnrl adressé par M. Félix Cirmcni à M. le Miiiislrc de rinstrttction publique
et des Cultes, sur Torgue de Toulouse. tSiii.
î m si. de la ville et du diocèse de Paris, t. 1, p. 168.
'253 — [ BUFFET I
en Ihvohqie (\ Parh et (fourerneur dea grandes écoles de la parouesse
Sainl-Scverin. donna àréqlise une bonne orgues et bien ordeni-es. Celles
que l'on a vu subsister jiis(|u"en 17i7, adossées à la tour de l'église,
n'avoieut été faites qu'en loh2 »
Au xv siècle, on parle, pour la première fois, d'orgues de seize et même
de trente-deux pieds ; les buffets durent donc prendre, dès cette époque,
des dimensions monumentales.
Au \\i>' siècle, tous les jeux de lorgue actuel étaient en usage et for-
maient un ensemblede quinze cents à deux mille tuyaux. L'orgue qui passe
pour le plus ancien en France est celui de Soliès-Ville dans le Var '. Celui
de la cathédrale de Perpignan date des premières années du xyi» siècle;
nous en donnons (1) la montre. Le buffet se ferme au moyen de deux
grands volets couverts de peintures représentant l'Adoration des Mages,
le baptême de Notre-Seigneur et les quatre Evangélistes. In positif, placé
à la tin du xvi<' siècle, est venu défigurer la partie inférieure de la montre;
le dessin que nous donnons ici le suppose enlevé. Le positif n'est pas,
d'ailleurs, indispensable dans les grandes orgues. Lorsque le facteur peut
disposer son mécanisme sur une tribune assez spacieuse pour placer ses
sonnniers dans le corps principal du buffet, le positif n'est j)lus qu'une
décoration qui cache l'organiste aux regards de la foule. Un clavier à
consoles est préférable, car il est nécessaire (jue lartiste puisse voir ce qui
se passe dans le chœur. Il est probable, cependant, que les anciens fadeurs
trouvaient plus commode de placer le sommier du positif à une certaine
distance des claviers, à cause du peu de largeur du mécanisme, tandis
qu'en plaçant leurs sonmiiers dans l'intérieur du grand buffet, ils étaient
obligés d'établir la correspondance par des abrégés, des registres, etc.,
dont la longueur devait amener des irrégularités dans la transmission des
mouvements. Le buffet de la cathédrale de Perpignan est bien exécuté,
en beau bois de chêne, et sa construction, comme on peut le voir, établie
sur un seul plan, est fort simple; elle ne se compose que de montants et
de tiaverses avec panneaux à jour. Presque tous les tuyaux de montre
sont utilisés. L'organiste, placé derrière la balustrade, au centre, touchait
les claviers disposés dans le renfoncement inférieur; la soufflerie est
établie par derrière dans un réduit.
On va voir (2) le buffet et la tribune des orgues de l'église d'Hombleux
(Picardie) , qui date du commencement du xvr siècle. Ici , l'instrument
' 1/orgue de Soliès-Ville est fort petit. Sa montre n'a pas plus de 2", 50 sur 2", 60
de haut; cette montre est datée de 1499. Nous préférons donner à nos lecteurs fa
montre de l'orgue de f^erpignan, qui est plus grande et plus fiefle comme travail et
comme composition, et (jui date de la même époque. D'aifleiirs , et bien que l'at-
tention des archéologues ait été fixée sur les orgues de Soliès (voy. le 111* vot. du
Hallelin ttrchéol., pub. par le Min. de l'Inst. publique, p. 176) , l'instrument a été
enlevé du buffet et refondu par un Polonais. L'inscription curieuse qui était sculptée
à la base le la montre a été arrachée, et le curé actuel de Soliès médite de faire de ce
buffet vide un confessionnal.
1 BLKFET I — :25i —
est porté par des eiicorhelleineiits, la partie inférieure n'ayant guère que
la largeur nécessaire aux elavi»'rs et aux regisinvs. Cette disposition per-
mettait à des musiciens, joueurs d'instruments ou clianieurs, de se placer
dans la tribune autour de lorganiste, assis dans la ])elile chaire portée
sur un cul-de-lampe; et. sous ce rappoit. elle mérite d'êlre signalée. Du
reste, même système de menuiserie qu'à lN'r|)ignan el à Soliès. (le sont
les tuyaux qui commandent la forme de la boiserie, celle-ci les laissant
apparents dans toute leur hauteur et suivant leur déclivité. Nous citerons
— "loh — [ BUFFET 1
encore les buffets d'oij^ues de la cathédrale de Strasbourg, des églises de
2
Gouesse, de Mord près Fontainebleau, de (Manieoy, de Saint-Bertrand de
Conniiinges, de la eathédralf de ("liarties. (jui dalent de la tin du xv siècle
[ r.ALVAlKK I '25r>
et du xYi''. La menuiserie de tous ces buttets est soumise à rinstruinent
et ne fait que le couvrir; les panneaux ajourne remplissent que les vides
existant entre l'extrémité sujiérieure de ces tuyaux et les j)!at'onds, atin
de permettre l'émission du son; quant au mécanisme et aux purle-venl,
ils sont complètement renfermés entre les panneaux pleins des soubasse-
ments. 11 arrivait souvent (}ue, pour donner plus d'éclat aux niontres, les
tuyaux visifMes étaient gaufrés et dorés , rehaussés de filets noirs ou de
couleur; la menuiserie elle-même était peinte ou dorée : tel est le butiet
des grandes orgues de la cathédrale de Strasbourg. Pres(|ue tous les
anciens butiets, connue celui de la cathédrale de l'erpignan, étaient clos
par des volets peints, que l'organiste ouvrait lorsqu'il touchait de l'orgue.
BUIZE, s. f. Vieux mol encore usité en Picardie, et qui signifie canal,
conduit d'eau (voy. tlvai. de descente).
' BYZANTIN (Style) [v. style]. BYZANTINE (architecture) [v.architectlkk|.
CABARET, s. m. Cahausl. Vieux mai qms\iin\t\e lieu fermé de barreaux,
d'où vient le nom de cabaret domié aux boutiques de débitants de vin.
CAGE, s. f. Désigne l'espace dans lequel est établi un escalier (v. escaliek) .
CAIVIINADE, S. f. Vieux mol employé pour vlyambre à feu, chandjre
dans laquelle est une cheminée.
CALVAIRE, s. m. Il était d'usage, pendant les xv« et xvi« siècles, de
représenter les scènes de la Passion de .lésus-C.hrist dans les cloîtres, les
cimetières, ou même dans une cha|)elle attenant à une église, au moyen de
figurines ronde-bosse sculptées sur pierre ou bois, et rangées soit dans un
vaste encadrement, soit sur une sorte de plate-forme s'élevant en gradins
jusqu'à un sommet sur lequel se dressaient les trois croix portant Notre-
Seigneur et les 'deux larrons. On voit encore un grand nombre de ces
monuments, qui datent du xvou du xvi*- siècle, dans les cimetières de la
Bretagne. Beaucoup de retables en bois, du commencement du xvi'" siècle,
représentent également toutes les scènes de la Passion, en connnenvant
par celle du Jardin des Oliviers et finissant au Crucifiement. Depuis le
xvi«: siècle, on a riMnpIacé ces représentations groupées par des stations
élevées de distance en distance, en plein air, sur les pentes d'une colline,
ou sculptées ou peintes dans des cadres accrochés aux piliers des églises '.
1 L'idée de présenter aux fidèles les quatorze stations de NoU-e-Seigiieui', depuis
le momenl où il lui livir par Judas jusqu'à sa mort, osl cerlainouient de nature à
inspirer les senlinienls les plus iervcnts ; la vue des soullVances supportées avec
patience par le fils de Dieu est bien propre à rallerniir les âmes aflligées : aussi,
— ''2'">7 — [ CAîSNKi.nU': ]
CANNELURE, s. C. (Tosl une iiioiilure pu f'onno do polil canal creusé
vorticalciiK'iil sur la circonfÏMciico des colonnes ou sur les faces des
pilastres. Les Cwcs avaieni addplé la cannelure sur les fnts des colonnes
des ordies dori(|ii(' , ionujue e^l corintliicii ; les Houiains l'employèrent
également, autant (jue les matières dont étaient composées leurs colonnes
le permettaient; aussi voyons-nous, en France, la cannelure applicpiée aux
colonneset |)ilaslrcsde rèpo(|ue romane dans les contrées où rarchitecture
romaine avait laissé de nombreux vestiges. En Provence, le \o\v^ du Hliône,
de la S;ione et de la Haute-Marne, et jusfpi'en lîourj^oj^nio, des camielures
sont paifois creusées, pendant le xir' siècle, sur les colonnes, mais plus
particulièrement sur les faces des pilastres. Il se faisait alors une sorte de
renaissance, qui, dans ces contrées couvertes de fragments antiques,
conduisait les arcliitectes à imiter la sculpture romaine, que la fdiation
romane avait |)eu i\ peu dénaturée. Ce retour vers les détails de la sculp-
ture anti(|ue est tiès-sensihle au portail de l'église de Saint-Gilles, dans
le cloître de Sainl-Trophyme à Arles, au Tlior, à Pernes, à Cavaillon en
Provence, dans toutes ces églises qui bordent le Rhône; puis, plus au
nord, àLangres, à Autun, à Heaune, à Semur en Brionnais, à la Charifé-
sur-Loire, àCluny. Dans l'architecture de ces pays, le pilastre est préféré
à la colonne engagée, et toujours le pilastre est cannelé; et, il faut le
dire, sa cannelure est d'un plus beau profil que la cannelure romaine,
trop maigre et trop creuse, mal terminée au sommet par un demi-cercle
dont la forme est molle, confuse près de la base, lorsqu'elle est remplie
par une baguette. La cannelure occidentale du xii« siècle se rapproche
des profils et de l'échelle des cannelures grecques, comme beaucoup
d'autres profils de cette époque.
Nous donnons (1) un des pilastres du triforium de la cathédrale de
n'esl-il pas, à noire sens, de spectacle plus touchant, dans nos églises, que la vue de
ces femmes venant silencieusement s'agenouiller devant les terribles scènes de la
Passion , et les suivre ainsi une à une jusqu'à la dernière. I^ourquoi faut-il que ces
prières si respectables car elles ne sont inspirées ni par un désir ambitieux, ni par
des sonliaits indiscrets, mais par la douleur et le besoin de consolation) soient adressées
à Dieu devant des images presque toujours hideuses ou ridicules, qui déshonorent
nos églises? Ces tableaux des Stations sont fabriqués en bloc, à prix fixes , se payent
au mètre ou en raison du plus on moins de couleur dont elles sont barbouillées; elles
sortent des mêmes ateliers qui envoient en province des devants de cheminée grave-
leux, des scènes bachiques pour les tavernes; et, il faut bien le dire, au point de vue
de l'art, ces |ioinlnres n'ont même pas le mérite des papiers peints les plus vulgaires.
Il nous semble que les images qui doivent trouver place dans les églises, même les
plus humbles, pourraient être soumises à un contrôle sévère de la part des membres
éclairés du liant clergé : qu'elles soient parfaites, cela est difficile; mais faudrait-il au
moins (ju'elles ne fussent jamais ridicules ou repoussantes; qu'elles ne lussent pas,
comme art, au-dessous de ce que l'on voit dans les cabarets. Sinon, mieux vaut une
simple inscription ; si pauvre que soit l'imagination de celui qui prie, elle lui peindra
les scènes de la Passion dune manière plus noble et plus digne que ne le font ces
tableaux grotesques.
T. II. 33
CANNEI.IIUK
-iaK —
Laiigres, dont la l'acr pirsenfe une seule canneluie; et (2) un des fïiands
pilastres des piles inlérieuresde celle même église, dont la l'ace est ornée
de deux cannelures. Entre les cannelures, des baguettes sont dégagées;
1
/'ft^AII.OSC
l'ensemble de ces surfaces concaves et convexes alternées produit beau-
coup d'etiet. A la cathédrale d'Autun, dont la construction précéda de
quelques années l'érection de celle de Langres, les cannelures des pilastres
se rapprochent davantage de la cannelure romaine (3).
>5'.» —
rAKRHI.Adi:
Lors(|iie les caiiiH'liin's sont traînées sur des colonnes, au xii»-' siècle, il
est rai'e (|u'elles soient simples; elles
sont ou chevronnées ou en zij,'/af,'s, ou
torses, ou rompues, ou remplies par
des ornements (v.colonnk) ; telles sont
les cannelures d'une des colonnes de
la porte principale de la cathédrale
d'Autun (4); ce n'est ^uère qu'en
Provence que l'on rencontre des co-
lonnes cannelées simples. Au \\w
siècle, la cannelure disparaît lorsque
l'architecture ogivale est adoptée.
Un des dernieis exemples de can-
nelures appliquées à des colonnes se
voit à l'extérieur du chœur de léglise
Saint-Rémy de Reims, dont la con-
struction remonte aux dernières an-
nées du xir siècle. Mais il ne faut pas
oublier qu'à Reims il existe de nom-
breux fragments d'antiquités romai-
nes, et que la vue de ces monuments
eut une influence sur l'architecture
■*1 / / ^ ' \ ^ et la sculpture de cette partie de la
Champagne.
Les cannelures reparaissent sur les
pilastres et sur les colonnes au mo-
ment de la Renaissance; souvent alors
conmie à la façade de la galerie du
Louvre, côté de la rivière, ou conmie
au rez-de-chaussée de la galerie de
Philibert Delorme au palais des Tui-
leries, elles alternent avec des assises formant bossage.
CANTON, s. m. Terme de blason. CANTONNÉ se dit, en architecture,
des piliers dont les quatre faces sont renforcées de colonnes engagées ou
de pilastres ; on dit alors : pilier cantonné de quatre colonnes, de quatre
pilastres (voy. piLtER).
CARREAU, s. m. C'est le nom que l'on donne à des tablettes de pierre,
de marbre ou de terre cuite, qui servent à paver l'intérieur des édifices
(voy. carrelage). On désigne aussi par carreaux les morceaux de pierre
peu profonds qui forment les parements d'un mur. Un mur est bâti en
carreaux ou carreaudages et bontisses (voy. boutisse).
f*£c*/tû. se
CARRELAGE, s. m. Assemblage de carreaux de pierre, de marbre OU de
I rAKHKI.ACK I — ^<)() —
lern' cuite. Lrs Koinains couvraient (ndiiiairenieiit l'aire des salles à rez-
de-chaussée de inf)saïques conijX)sées de petits cubes de marbre de
diverses couleurs, t'orinant, par leur juxtaposition, des dessins colorés,
(les ornements et même des sujets. Ils employaient souvent aussi de
{grandes tables de marbre ou de pierre carrées, oblon^^ies, polygonales et
circulaires, jmur daller les salles qui devaient recevoir un grand concours
de monde; car la mosaïque ne pouvait durer longten)ps sous les pas de
la foule. La brique était réservée pour les |)avages les j»lus vulgaires. Pen-
dant les [)remiers siècles du moyen âge, en France, ces traditions furent
conservées; mais les marbres, dans le nord , n'étaient pas connnuns, la
façon de la mosaïque dispendieuse; elle ne fut que rarement employée
pour les pavages (voy. mosaïque) ; on lui préféra les dallages gravés et
incrustés de mastics de couleur, ou les terres cuites émaillées. Partout, en
effet, on pouvait fabri(|uer de la brique, et rien n'est plus aisé que de lui
donner des tons variés par une couverte cuite au four. Il est vraisemblable
que, dès l'époque carlovingienne, les carrelages en l)ri(|ues de couleur
étaient en usage; on pouvait ainsi, à peu de frais, obtenir des pavages
présentant à peu près l'aspect des mosaïques. Cependant nous devons
dire que nous ne connaissons aucun cairelage de ferre cuite antérieur au
xic siècle; on n'en doit pas être surpris, (|uan<l on observe combien peu
durent les émaux dont on revêt cette matière; pronq)lement usés, les
carrelages en terre cuite devaient être souvent remplacés.
Les carrelages les plusanciens que nous connaissions sont ceux que nous
avons découverts, il y a quelques années, dans les chapelles absidales de
l'église abbatiale de Saint-Denis; ces carrelages sont du tcnqis de Snger;
ils fuient laisses la plup;ut en place, à cause j>robablement de leur beault",
lors(|ue. sous le rt'gne de saint Louis, ces chapelles furent remises à neuf.
Ils sont en gi'ande partie composés de très-jx'tits morceaux de terre cuite
émaillésen noir, en jaune, en vert foncé et en rouge, coupés en triangles,
en carrés, en losanges, en portions de cercle, en j)olygones, etc.; ils
forment, par leur assemblage , de véritables mosaïcpies d'un dessin char-
mant. Le carrelage de la chapelle de la Vierge, publie dans les Annales
archéologiques de M. IMdron et dans VEnci/clopnlie d'Arcliileclure de
M. Bance, celui de la chapelle de Saint-CiUcuphas, également reproduit
dans ce dernier ouvrage et dans les Eludes sur les carrelages hisloriés de
M. Alfred Ramé, et restaurés aujourd'hui, sont deux très-beaux spécimen
des carrelages mosaïques du \ii'"siècle. Nous croyons inutile de re|)ro(luire
ici les ensembles de ces carrelages, et nous nous bornerons à en donner
des fragments, afin de faire connaitre la méthode suivi»' par les architectes
de ce temps. Ces carrelages se composent généralement de bandes formant
des dessins variés, séparées par des bordures étroites. L'influence de la
mosaïque anti(|ue se fait encore sentir dans ces combinaisons, car cha(|ue
carreau porte sa couleur, et c'est par leur assemblage (|ue les dessins sont
obtenus. Les britiuetiers du xii»^ siècle avaient poussé fort loin l'art de
mouler ces petits morceaux de terre, et souvent ils composaient des dessins
— -<»l — [ i:AHKKLA(il- I
assez compliqués, (les onitMiK'iils iiièiiu", par reiRlicvètreiiicnt do ((nirbes
U's mu's dans les aiilrcs. I/'cxomplo que voici (I ) d'un riaj,Mneii( de carre-
ë^^n^é
■à
fil
G JEMf
lage de la chapelle de la Vierge de l'église de Saint-Denis nous fait voir
des bandes formées de cercles noirs et rouges qui se pénètrent^ et des
comparliments très-fins composés de morceaux triangulaires, carrés, ou
en fuseaux, qui n'ont pas plus de 0,03 cenlimètres de côté *. Nous trou-
vons même dans le carrelage de la chapelle Saiut-(Àicuphas de l'église de
Saint-Denis des tleurs de lis jaune sur fond noir-vert ainsi combinées ("2).
' .Nous avons ri'iidu les tons noir ou vert sonilirc par ilu noir , U- roiit;e [»ar des
[ (".\I«IIELAGE 1 "Hy-l —
La fig. "2 his piV'sente la disposition des morceaux dont est l'oniiée cette
sorte de mosaï(|iie. Quelquefois h's cari-eaux sont péiiéliés d'une petite
pièce de terre ( iiile d'une autre eonleui' (|ui vient s"ada|>lei' dans le creux
^P
niéna^'é pour la recevoir (3). Os exein|)les sont liies de la même cha-
pelle, dont tout le carrelage est jaune et noir-vert.
M. fVrcier nous a laissé, parmi ses précieux croquis faits en 1797 dans
l'église de Saint-Denis, (|uelques-uns de ces carrelages du xii^ siècle, dont
li;nlmrt's, el le jaune par le l)lam'. Le ronge esl couleur Inique, le jaune est d'un ton
(i'oeie clair fort doux.
— !2().'{ I r.ARREI.ACiK 1
la romposition «'sl si orifiitialc. Nous cioiinoiis ici (4) l'un des plus beaux;
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l'exactitude de ces croquis nous est confirmée par la découverte de carreaux
qui, quoique dérangés, coïncident parfaitement avec l'ensemble que nous
reproduisons. Dans ce dernier carrelage, beaucoup de morceaux de terre
cuite simulent un marbre vert jaspé'. Evidenniient, les artistes du
xne siècle, imbus des traditions antiques, cherchaient à rendre l'etiet des
mosaïques romaines des bas-temps, dont ils possédaient encore de nom-
breux exemples; n'ayant pas de marbres à leur disposition, ils les imitaient
au moyen de l'émail dont ils revêtaient leurs carreaux.
Nous avons encore trouvé en Allemagne des combinaisons de carreaux
de terre cuite de couleur formant des dessins variés par leur silhouette et
leur assemblage. Ces carreaux datent des premières années du \iw siècle ;
il ne faut pas oublier que les arts de l'Allemagne étaient alors en retard
d'une cinquantaine d'années sur les arts de la France. Nous pensons qu'il
est utile de présenter ici quelques-uns de ces exemples qui, d'ailleurs,
appartiennent bien nettement au style du xii'? siècle, et cela d'autant mieux
que ces carreaux proviennent des environs de Dresde, et que ces contrées
recevaient alors tous leurs arts de l'Occident. Ces fragments (n et o bis)
sont aujourd'hui déposés dans le musée du Grand-Jardin, à Dresde, et
appartiennent au cloître de Tzelle, situé à vingt-quatre kilomètres de cette
ville. Les figures A et B font voir comment ces carreaux sont fabriqués et
comment ils s'assemblent ; ils sont noirs et rouges ; les petites pièces C
sont seules bordées d'un filet blanc. On remarquera que, dans tous les
• (^es morceaux sont rendus dans la gravure par un travail irréguiier.
(:Ai<Ki:i.A<iK
— -2G4 —
rxfinplos que nous venons de doiinor ri-dessus, le noir-verl Joue un ^M'and
rôle; c'est là un des li-ails cin-icU'i'istuiucs des ciini-hi^fs du \\\' sircir.
landis qu'au xiii»- siècle c'est le rouge ([ui doniiiu'. En règle générale, dans
les décorations intérieures, au xu*' siècle, les pavages sont d'un ton tiès-
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soutenu et charge, tandis que les peintures sont claires; le verl, le
jaune, l'ocre rouge et le l)lanc sont les couleurs préférées. Au xin<* siè-
cle, au contraire, les surfaces horizontales, les pavages sont hrillanis,
clairs, landis (|ue les j)eintures des parements sont très-vigoureuses
de ton ; et il n'est pas rare même, vers la tin du xuc' siècle et pendant le
XIV, de voir le noir occuper des surfaces inqxirlantes dans la décoration
des parements verti(;aux (voy. i'kixtikk).
Mais ce n'est pas seulement par l'harmonie des tons que les carrelages
— -2{)7\ — [ (Aiuni A<iK I
du xiii»' siècle diffèrent de ceii\ du xii'", c'est aussi par le mode de falni-
cation ; en cela, comme en toute eiiose, le xiii*^ siècle rompt fnm('liem<'nl
avec les traditions : au lieu de composer les dessins des cariclat:>'s en
assendtlant des pièces de formes variées, il adopta un système de car-
reaux ordinairement carrés, ornés au moyen d'incrustations de terres de
couleurs ditiérentes , rouge sur jaune, ou jaune sur rouj^e. Les carreaux
noirs furent employés , le plus souvent alors , comme encadrements; le
noir-vert devint plus rare, pour rej)araitie au xiv siècle. Les exemples
de carrelantes du xiif siècle abondent dans nos anciennes églises, dans
les chàleaux, palais et maisons. Il tant toutefois remarquer ici que le
carielage en terre cuite émaillée n'est guère enq)loyé que dans les
chœurs, les chapelles, ou les salles qui n'étaient pas faites {)Our recevoir
un grand concours de monde. Lémail s'enlevant assez facilement par le
frottement des chaussures, on n'employait pas les carreaux émaillés dans
les nefs ou collatéiaux. dans les galeries ou grand'salies des châteaux et
palais. Si la terre cuite était mise en œuvre dans les lieux très-fréquentés,
elle était posée sans émail et alternée souvent avec des dalles de pierre et
même des carreaux de marbre. D'ailleurs, il ne faut pas oublier qu'à
partir du xn^ siècle le sol des nefs servait de sépulture, et qu'étant ains
bouleversé sans cesse et recouvert de dalles funéraires, il n'était guère
possible d"y maintenir un dessin général composé de petites pièces de
terre cuite.
Nous avons dit que le ww siècle avait remplacé le carrelage en terre
cuite mosaïque par des carreaux incrustés d'ornements. L'origine de ce
mode de fabrication est facile à découvrir : dès l'époque mérovingienne, on
cuisait des bri(iues pour pavage, présentant en creux des dessins plus ou
moins compliqués; ces dessins s'obtenaient au moyen d'une estampille
ai)pliquée sur la terre encore molle. On retrouve dans l'église de l'ancien
prieuré de Laître-sous-Amance , consacré en 1076, des carreaux qui ne
sont pas recouverts d'émail, mais simplement estampés en creux. « Os
briques ' sont carrées ou barlongues ; ces dernières ont 0,09 c. de largeur
sur 0.18 c. de longueur. Elles offrent soit des lignes di-oites qui se coupent
de manière à former des carrés, soit des rinceaux enfei-mes entre deux
bandes chargées de hachures. Les briques barlongues formaient des
encadrements dans lesquels on rangeait, l'une à côté de l'autre, un certain
nombre de briques carrées. »
Nous avons trouvé, dans des fouilles faites à Saint-Denis, (juelques
carreaux ainsi gravés de cercles et de losanges recouverts d'un email
tendre, opaque, blanc sale, produit j)ar une légère couche de terre plus
fusible que le corps de la brique. Voici une copie, moitié d'exéculion, de
carreaux ainsi estanqiillés provenant des fouilles faites sui- rem|)lacenient
de l'ancienne église de Sainte-Colombe à Sens, et dont la date parait foi-l
' Voy. V Essai sur le imvinje des éijlises uiitér.au w siècle, par M. Itescliaiii[)s du
ï'm. (Anitdles (trchcoL, l. X). Biillel. mouuui. de M. de Caiiiiioiil, 1848, |). l\i.
T. II. :u
[ C.AUKELAGK ] — ^(i(i —
ancienne (6) '. Ils sont composés d'une lerre blanc jaunâtre assez résis-
tante, mais sans couverte. Du moment qu'on possédait des carreaux j^ravés
en creux, il était naturel de clKMrlier à iemj)lir cette j^ravure par une terre
d'une autre couleur, et de recouvrir le tout dun émail transparent ; c'est
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ce que l'on fit dès le \\\^ siècle, et peut-être même antérieurement à cette
époque; cette méthode de fabrication devint fjfénérale au xni«^. Par ce
procédé, en supposant l'émail enlevé, la terre incrustée ayant une épaisseur
de quehjues millimètres, le carreau conservait lonj^Memps son dessin. La
gravure du carrelaj^^e étant remplie, la poussière n'élail plus arrêtée par les
intailles, et on pouvait maintenir ces carrelages [)ropres en les lavant et les
balayant. Posés dans des chapelles ou dans des salles capitulaires, ou des
appaitements intérieurs dans lesquels on n'entrait qu'avec des chaussures
molU's et légères, on ne riscjuait pas de glisser sur leur surface émaillée.
L'un des plus anciens cari'elages incrustés conmis est celui de l'église de
Saint-Pierre-sur-Dive; il est reproduit avec une scrupuleuse exactitude dans
les AmmUi archéologiques *. Le cairelage de Saint-Pierre-sur-Dive (près
i Le monastère de Sainte-Colombe, fondé en 630 par Clulaire 11, est situé à deux kilo-
mètres de Sens. Ces briques nous paraissent appartenir à ces premières cunslrucliinis.
- Annales archéol., pub. par M. Didron aîné, t. XII, p. 281. M. Alfred Ramé lait
paraître en ce moment un ouvrage spécial sur les carrelages émaillés (voy. Elitd. sur
les<(irrel(U)cs historiés du xii' an wir siècle). Cet ouvrage, accompagné de nombreuses
planches exécutées avec le plus grand soin, ne saurait trop être recommandé. C'est
- * — "IVÛ — I C.ARREI.AtlF 1
Caen) se coniposp d'une {^Mande rosace de carreaux concentriques, coupée
par une croix de dalles de pierre, et encadrée de même. Nous partaj^eons
comi)létement l'opinion de M. Alfred Uamé qui, contrairement à celle de
M. de Caumont , admet ce mélanj^e de dalles de pierre et de carrelage de
terre cuite, comme étant de l'époque primitive, c'est-à-dire de la fin du
xii»- siècle. Les irrégularités que l'on observe dans ce carrelage ne prouvent
pas qu'il y ait eu renumiement, mais simplement restauration ; nous avons
remarqué, d'ailleurs, dans tous les anciens carrelages, des défauts de pose
très-frequents. Cela est facile à expliquer : les fabriciues envoyaient, sur
commande, un certain nombre de carreaux cuits depuis longtemps et
emmagasinés ; lorsqu'on les mettait en place , à moins de se résoudre à
faire une commande partielle et spéciale, et à attendre une nouvelle
cuisson, ce qui pouvait retarder l'acbèvement du pavage de deux ou trois
mois , il fallait se résoudre à employer tels quels les carreaux envoyés
par le briquetier ; de là souvent des combinaisons connnencées avec un
dessin et achevées avec un autre , des carreaux posés pêle-mêle, ou par
rangées sans relations entre elles. A Saint-Pierre-sur-Dive, le sujet prin-
cipal, la rosace centrale , croisée de dalles de pierre, est régulière ; mais
le grand encadrement carré qui la cerne n'est composé que de rangs de
briques de dessins divers, la plupart de la même époque cependant et fort
beaux. D'ailleurs, il faut bien reconnaître que les artistes du moyen âge
n'étaient pas pénétrés de ce besoin de symétrie puérile qui fait loi aujour-
d'hui; ils étaient guidés par une idée toute opposée : la variété. Rien n'est
plus ordinaire que de voir, dans les carrelages anciens, jusqu'à l'époque
de la Renaissance, de ces mélanges de dessins, de ces divisions inégales
de bandes, de bordures, de compartiments.
Le carrelage de Saint-Pierre-sur-Dive est incrusté jaune sur noir brun ;
il est en cela conforme, comme couleur, aux carrelages mosaïques du
XII* siècle, où le noir domine, où le rouge n'est qu'accessoire quand on le
rencontre. Le procédé de fabrication du carrelage de Saint-Pierre-sur-Dive
mérite d'être mentionné : il consiste en une couche de terre fine noircie,
posée sur une argile rouge grossière, estampée, incrustée d'une terre
jaunâtre et couverte d'un émail transparent ; le dessin de ces carreaux est
noir sur jaune, ou jaune sur noir. La terre blanc jaunâtre pénètre à tra-
vers Vengobe brune et vient s'incruster jusque dans l'argile rouge, ainsi
que l'indique la coupe (7) ; l'émail , étant safrané, donne un éclat d'or à
la terre blanche.
une étude complète de cette partie importante de la décoration des édifices au moyen
âge. Un de nos jeunes architectes, M. Amé, a fait également paraîn-e un volume conte-
nant les plus beaux carrelages des provinces de la Bourgogne et de la Champagne.
(AKItll a(;k
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Nous prosontons (8) uno portion de la rosace ou torre cuite éniaillée
:2()U [ CAKRKI.AIiK I
de Saint-Pienv-sur-Mivt'. qui est certaineiiifiU unedesbollpsronipositions
(le ce jienre. Les carreaux (jui forment cette rosace exc»'(lent les diiiien-
sions ordiiiaiies; quel(|iies-uns ont O.IH c. de côf»^ , c<mi\ octoiîoiics des
écoinvons ont ius(|u a i),'23 c.
On voit encore, dans la chapelle Saint-Michel de l'ancienne collci-iale de
Saint-Quentin, un carrelaf^e de la lin du xii"" siècle, composé également de
bandes de pierre encadrant des briques de couleur brun foncé. De même
à Saint-Denis, si nous en croyons les croquis de M. Percier, quelques
carrelages des chapelles présentaient des encadrements de pierres unies.
Ce système parait donc avoir été adopté au xn«" siècle, tandis qu'au
xiiie s'fècle les deux matières ne se trouvent plus réunies; le carrelage de
terre cuite couvre sans mélanges les salles pour le pavage desfjuelles il est
réservé, et les dalles ne viennent plus s'y mêler.
Ainsi que nous l'avons dit déjà, le rouge domine dans les carrelages du
xiii*" siècle ; c'est qu'aussi le procédé de fabrication change et se simplifie.
11 est à remaïquer que, dans tous les arts et industries qui se rattachent à
l'architecture, le xii*" siècle a, sur le xni«", une grande supériorité d'exécu-
tion; les vitraux, les peintures, les sculptures, dallages incrustés et carre-
lages du xu** siècle , et nous dirons même la construction des édifices,
dénotent un soin et une recherche que le xnr siècle, préoccupé de ses
grandes conceptions, abandonne bientôt. Le procédé de fabrication des
carrelages du xie' siècle, soit qu'ils fussent composés de pièces enchevê-
trées, soit qu'ils fussent incrustés, exigeait beaucoup de temps, un grand
nombre d'opérations successives, une main-d'œuvre lente. Au xiii«^ siècle,
on se contente de la brique rouge estampée, incrustée d'une terre blanc
jaune, et couverte d'un émail transparent. Quelquefois la terre blanche
fait le fond, plus fréquemment elle fait le dessin ; dans l'un connue dans
l'autre cas , le procédé de fabrication est le même. Les carreaux noirs,
pour être incrustés comme ceuxdeSaint-Pierre-sur-Dive, exigeaient cinq
opérations successives, sans la cuisson : 1" le moulage de la brique ;
2" une première couverte d'une terre fine, noircie par un oxyde métallique;
3" l'estampage du dessin en creux ; 4" le remplissage du creux par une
terre blanche, le battage; 5" l'émaillage. Les carreaux rouges incrustés de
blanc n'en exigeaient que quatre : 1" le moulage de la brique ; tJ" l'estam-
page; 3" le remplissage du creux, le battage; 4" l'émaillage. Aussi,
pendant le xiii«? siècle, les carreaux noirs sont généralement unis et ne
sont employés que comme encadrements. L'émail des carrelages du
xni<- siècle est toujours, comme celui du xw, coloré en jaune; il contribue
à donner ainsi de l'éclat au blanc et au rouge.
Les carreaux de britjue rouge carrée incrustée, si fort en vogue au
xiii* siècle, forment des dessins isolés ou par quatre. Il n'est pas besoin
de démontrer comment ce système permettait de trouver des combinai-
sons de dessins à l'infini.
Voici des carreaux incrustés et émaillés provenant du château de Coucy,
faç(jnnes d'après celle doimée.
(;arrki.a<;k | — :27() —
La figure 0 présente deux carreaux dont le dessin est isole; riiii
9
d'eux est un écusson arnioyé. Les figures 10 et II donnent chacune
un assemblage de quatre carreaux complétant un dessin circulaire'.
10
La fabrication de ces carreaux est grossière; nous sommes ici bien
éloignés de la finesse et de la pureté des carreaux de Saint-Pierre-sur-l>ive.
Mais cependant, en simplifiant l'exécution pour obtenir des produits i)lus
nombreux et moins longs à fabriquer, le xnu' siècle sut taire d'admi-
' Ces carreaux, aujourd'hui déposés daus l'ancienne al)l)aye de l*rémonlré, ont 0,1 2 c.
de côté; ils nous ont été donnés par M. de Violaine. Ils servaient certainement de
pavage aux salles du cliàteau de Coucy, qui datent de la première moitié du xiii' siècle.
— "21 \ — [ CARKKLAIJK |
rables carrelantes , et nous citerons entre autres ceux des chapelles de la
11
cathédrale de Laon, dont nous figurons (12 et 13) quelques échantillons,
et le beau pavé de la salle du trésor de l'ancienne cathédrale de Saint -
Orner, reproduit en entier dans les Annales archéologiques de M. Didron '.
Ce dernier carrelaf,^e, qui date de la fin du xiiie siècle, présente une suite
de compartiments de seize carreaux rouges incrustés de jaune, avec enca-
drements noirs unis^ Les compartiments sont posés sur la diagonale, et
les carreaux ont environ 0,12 c. de côté. De deux en deux, les comparti-
ments offrent un mélange de carreaux noirs et blancs, à dessins mosaïques
très-fins, qui jettent de l'éclat au milieu de cette riche composition. Les
carreaux rouges et jaunes sont variés à chaque compailiment, et leurs
dessins se combinent par quatre ou sont complets dans chaque brique.
Au xiiie siècle, les dessins des carrelages incrustés sont encore larges,
simples comme disposition générale ; ils deviennent plus confus et plus
maigres pendant le xiv« siècle. Lue difficulté de nature à embarrasser les
archéologues, lorscju'il s'agit de reconnaître l'époque des carrelages, se
présente fréquemment à partir du xiu«* siècle. Les briquetiers, qui possé-
daient dans leurs ateliers ces matrices en bois propres à imprimer les
dessins destinés à orner les carreaux, s'en servirent longtemps après que
ces estampilles avaient été gravées , et souvent des carrelages furent
« Voy. Annales archéoL, pub. par M. Didioii aiué, l. XI, p. 65. Nous renvoyons nos
ieoleurs aux belles planches de ce recueil; elles donnent rensenil)le de ce carrelage.
CAKKKLAGK
-27-2
fabriqués au xiv»' siècle avec des inafrires faites pendant le xui»- ; cela
explique comment on l'ctroiive, dans des carrehii^es j)oses évidemment à
une certaine époque, des échantillons de cai reaux beaucoup plus anciens
que les édifices auxquels ils appartiennent. Comme principe décoratif, les
h2
carrelages ne se moditient guère du xue au xv« siècle; leur dessin s'amai-
grit de plus en i)lus ; à la fin du xiv»' siècle, on introduit à profusion dans
les carrelages des chiti'res, des inscriptions, des armoiries, (juehiuefois
même de petites scènes; on voit ap|)araitre les tons verts, bleu-clair; le
noir devient plus lare.
Nous donnons (14 et 15) deux portions de carrelages de cette épcxpie
qui proviennent des fouilles exécutées en 18i0 dans les jardins de riiùlel
des Archives à l'aris (ancien hôtel Soubise), et dont les dessins, rouge
sur jaune, sont exécutés avec une rare perfection. Des fragments d'une
bordui'c bleue et blanche furent dei'ouverls en même tenq)s.
Les carrelages des xiv" et xv^ siècles abondent; les villes de la Cham-
pagne, de la lirie, de la Bourgogne en sont encore remplies, et les ouvrages
-273 —
I.ARUKI.AUK ]
spéciaux sur celW uiatirn' nous eu présenteronl des cxcinplcs assez
iKMiihioux pour (\ue nous nous (lisi)fnsions do les rf'i)ro<luir<' ici.
l'cndaiil le xvi'' siccic. le carrclaue m brique iiicruf^t»'»' se rencontre
i:}
encore, et nous en trouvons de beaux spécimens dans la ville de Troyes
(l(i) '. Mais alors apparaissent les carrelajj^es en faïence peinte, dans
lesquels les tons blancs, bleus, jaunes et verts dominent. Tout le monde
connaît les carrelantes des châteaux d'Écouen, de Blois, de l'église de Brou;
nous en citerons un loutel'ois qui surpasse tous ceux que nous avons vus
de cette épocpic : c'est le carrelage en iaïence de la chapelle située au nord
de la nef de la cathédrale de Langres. Il est difficile de lencoulrer une
' De l'église de Sainl-Nicofas à Troyes. Ce canelage, qui se compose de hriqiies
circufaires enfermées dans (raiiUcs l)riques carrées entaillées en quart de ocrclc,
représente le numograniine du Christ cnlouré de la ((nirtiniic d'épines, i.a date de
Mï-JZ esl ineriislée au-dessous dii niduoiïrauiiuc
r . II. 30
( {-.AKKEl.ACE I — '274 —
décoration de pavage à la fois plus riche, mieux composée et j)lus harmo-
nieuse de tons.
On ne se contenta pas, pendant le iTioyen Afie , de faire des carreaux
li
mosaïques ou incrustés de terres de couleurs différentes, on en falniqua
aussi avec des dessins en relief, (^es sortes de carrelfïges ne pouvaient
s'exécuter qu'avec des terres très-dures, autrement les dessins eussent été
promptement usés par les chaussures. Ces dessins en relief avaient
l'avantage d'empêcher de glisser sur la surAice du carrelage ; mais il
devait être ditlicile de le maintenir en bon état de propreté, la poussière
se trouvant arrêtée par les aspérités des dessins.
Nous possédons un échantillon de carreaux fabriqués suivant ce système
et qui nous paraissent appartenir au xv« siècle '. La fig. 17 en donne le
' Ces carreaux nous ont (■té donnés par M. Mallay, archilecto du I»iiv-do-I)ônie : ils
proviennent fie Hiom.
^)7r.
,li) [ CARKELAliK ]
dessin; K's saillies n'ont pas plus do doux millimètres; la terre en est fort
compacte, bien battue et bien cuite.
ÎS
Les carrelages en faïence furent encore employés en France pendant le
11
«c '
^
^
x\ii'- siècle, et iusaye sen est perpétué en Italie, en Espa};ne, en Afrique
I (:aiii(i(':kk | ' — -27(i —
et t'ii Orient jus(iu'à nos jours, (^iicz nous, on nr les cinploic plus guérr
m
0 - i"wv\t
(\\u' pour carreler des fourneaux de cuisine, et, dans le midi, des salles
de bain ou des otiices '.
CARRIÈRE, s. t'. Orif^'inairenienl ce ni(>t est employé comme cAo/zm où
peut panser un char, puis comme lieu doii l'on extrait de la pierre à i)àlir.
De tout temps, en France, on a exilait la pierre à bâtir soit à ciel ouvert,
soit dans des f^aleries creusées sous le sol. La colline Sainl-Jacques à Paris
est complètement excavée par les constructeurs parisiens depuis les
premiers siècles du christianisn)e. (Vcst de celle colline et des (Mivirons
(lArcueil que furent lires tous les matériaux calcaii-es employés dans les
constructions de la cité, et notanniienl ceux ((ui oui seivi à l'édification de
' «Jiifl jiK-s t;il)ru;Hils l)ri(iii('lieis mil lliit rciiiiîlrc Tnil du caiTcliMir cniailloiir :iv<'('
succès. Nitiis riU'rons, l'iitrc îtiilics liihiKiiics, ct'llf «le M. i>iilMiis ii Paris, (iiii a louriii
les carrelages neufs de l'éj^lise de Saint-Denis, restaures sur les fragu)ents anciens;
celle de .\J. Millard à Troyes, don! les produits sont lieaux ; la ral)ri(|ne de terres cuites
éuiaillées de Langeais. Nous renvoyons nos lecteurs, pour de plus amples reiiseiiiue-
uu'uls sur cet article spécial, ii l'ouvraye de M. AlIVed liauic cité ci-dessus.
"211 — [ CARKltUK t
NoIrt'-DaiHt'. On employait alors, coiiiii»' aiijourd'luii, pour cxliaiir les
bancs calcaires, des treuils munis de grandes roues posés à l'orilice des
puits. On trouve, dans le recueil des Olim \ quehpies arrêts touchant
l'exti-action des pierres à bâtir; ils sont relatifs aux indemnitésà payer par
'les carriers ou constructeurs pour réparations des cbemins défoncés. Nous
citons ici un fragment d'un de ces arrêts royaux qui date de 1^73.
« Ce})endant l'abbé et les moines du couvent de Saint-Port se plaignaient
« de ce que ceux qui réparaient le pont de Melun étaient venus dans leurs
« terres, et y avaient creusé pour faire une carrière de hupielie ils tiraient,
« malgré eux moines, des piei-res nécessaires à la construction dudit pont ;
« que par cela même un tort considérable leur avait été fait, en détruisant
« presque entièrement un chemin sur lequel on arrivait à leur abbaye;
« c'est pourquoi les moines demandaient qu'on poursuivit ces carriers
« pour faire cesser l'abus, et leur faire réparer les dommages qu'ils
« avaient causés au couvent. Le bailli de la Seine fut donc invité à faire
« réparer le chemin de telle sorte que les moines pussent se rendre faci-
« lement et en toute sûreté à l'abbaye, comme auparavant, et à les
« indemniser des dommages qu'ils avaient soufferts par suite de l'exploi-
« tation de ladite carrière : savoir, en leur payant des deniers royaux une
M somme égale à celle de la pierre extraite, ou en leur faisant restituer
« cette somme par les entrepreneurs dudit pont.... «
A une époque où il n'existait pas une législation uniforme, propre à
régler l'exploitation des carrières, ces contestations étaient fréquentes;
les abbayes, les seigneurs féodaux, possesseurs du sol, faisaient payer des
droits pour permettre l'exploitation sur leurs teires, ou exigeaient un
charriage gratuit d'une portion des matériaux exploités pour leur usage
particulier. Souvent même les couvents faisaient exploiter eux-mêmes et
vendaient les matériaux. Les coteaux de carrière de Saint-Denis a|)parte-
naient à l'abbé et aux moines de Saint-Denis; ceux-ci possédaient aussi
des carrières près Pontoise. Les abbayes de Royaumont, du Val-sur-l'Oise,
tiraient profit des vastes et belles carrières dont leur sol est rempli. Les
établissements religieux se faisaient souvent un revenu considérable par
l'extraction de la pierre, car ils avaient, autant que faire se pouvait, le soin
de bâtir leurs monastères dans le voisinage de dépôts calcaires; et, sur le
sol de la France, on peut être assuré de trouver, proche des abbayes, de
bonnes terres, des cours d'eau et de la pierre propre à bâtir. Agriculteurs,
industriels et constructeurs, les moines furent les premiers à ouvrir le sol
et à lui faire rendre tout ce qui est nécessaire aux besoins d'un peuple
civilisé. Les constructions qu'ils nous ont laissées font voir que les moyens
d'exploitation (piils employaient étaient bien organises et d'une grande
puissance, car il n'est pas rare de trouver dans les églises abbatiales des
blocs énormes. Ainsi, par exemple, on voit, dans le choeur de l'abbaye de
Vézelay, des colonnes monolithes (|ui ne cubent pas moins de quatre
1 Les Olim, (li)cmii. iiiéd. siii' lliist. de Kraiier, l. I.
[ CAKIUÈRK 1 "llH
mètres; or, ces colonnes proviennent des carrières de Coutarnoux, qui
sont distantes de vin^'t-huit kilomètres de l'abbaye, et il a fallu montei-
ces blocs au sommet d'une monta^Mie escarpée, et cela avec des ett'orts
inouis. Dans beaucoup d'éj^dises de Bour^'ogne, du Maçonnais, on trouve
des monolithes qui, pour le cube, ne le cèdent en rien à ceux-ci. On ne
peut douter que l'attention des moines ne se soit portée d'une manière
toute particulière sur l'exploitation des carrières, car ils ont su extraire
des matériaux de choix en grande quantité, et les (aire transporter j)ai'
des moyens niécani(jues assez énergicjues pour causer encore aujourd'liui
notre étonnemenl.
Nous n'avons pu jusqu'à présent savoir s'il n'existait pas, pendant les
xii*" et xiii*^ siècles, des corporations de carriers, comme il existait des
corporations de constructeurs de ponts {ponlifîces); la vue des monuments
nous le ferait croire, car nous avons trouvé, en examinant des matériaux
de gros volume, des traces de moyens de transport identiques dans des
contrées très-éloignées les unes des autres, des choix de matériaux en
raison de la place qu'ils occupent, indiquant un système d'extraction suivi
avec méthode. Mais nous avons l'occasion de nous étendre sur ce sujet
dans le mot coxstkuction, auquel nous renvoyons nos lecteurs. Il est
certain, par exemple, (|ue les carriers du moyen âge devaient posséder une
méthode simple pour rxtraire des pierres dune grande longueur, quoique
faibles d'épaisseur et de largeui-.
Pendant les xn« et xui'' siècles, on a mis en œuvre, dans les construc-
tions, avec une profusion extraordinaire, des colonnettes, des meneaux
de fenêtres, dont le diamètre n'excède pas 0,'20 c. et dont la longueur
varie de quatre à cinq mètres, quel(|uefois plus; or, aujourd'hui, nous
avons souvent de la j)eine à faire extraire des matériaux, iiMuplissant ces
conditions, des mêmes carrières d'oii autrefois on les lirait en grande
quantité. En cela, connue en bien d'autres choses, nos progrès, dont nous
sommes si fiers , ressembleraient foit à une infériorité dans la pratique.
Jusqu'au xv» siècle, on n'employait pas la scie pour débiter la j)ierre
«lure ; la pierre arrivait de la carrière dans les dimensions demandées i)ar
leconslrucleur; il fallait donc, pour extiaire et tiansporter ces blocs longs
et fragiles, des précautions et des ressources négligées ou perdues, il est
vraisemblable que, pourobtenir ces pierres longues et minces, on employait
un i)rocédé encore usité dans quelques provinces en France, et qui consiste
à faire une tianchée étroite dans le banc que l'on veut IVndre; à placer
dans cette tranchée, de dislance en dislance, des coins de bois de frêne
séchésau four, sur lescpiels on laisse loml)er de l'eau goutte à goutte; les
coins, en se gonllant par l'hiuiiidilé qui les pénètre également, font fendre
le bloc longiludinalement, sans risquer de le casser par tronçons comme
le ferait infailliblement la percussion sur des coins de 1er. Trop dédaigneux
d'un passé que nous laissons dénigrer par quclcpies esprits étroits et
paresseux, nous négligeons aujourd'hui «'csdélails (|ui, aulicfois, prt'occu-
l)aient aveciaison les constructeurs. Si lesarchileetes icgardent (■(»mme un
"270 1 (AlIlfllltAl.K I
(le leurs devoirs de s'enquérir (les cariières el de les visiter, ils ne cher-
chent à avoir aucune action sur la niani('r(^ dt> les e.\j)loilcr; cest, nous le
croyons, un grand tort : car la (jualité de la j)ierre dépend parfois autant
de son gisement ((ue des proc(klés employés pour l'extraire, ou de la saison
pendant la(juelleon l'extrait. Beaucoup de carrières sont gâchées par des
carriers ignorants ou malhabiles, et ce serait un service à rendre que
d'établir une police sur lexploitation des pieri-es; si cette police n'avait
pas autrefois une action uniforme sur toute la surface de la Fiance, on ne
saurait douter, rien qu'en examinant les anciennes cari'ières abandonnées,
que chaque centre religieux, ou peut-être chaque province, avait la sienne:
car presque toujours, dans ces carrières anciennes, on retrouve les traces
d'une exploitation méthodique. Le même fait nous frappa lorsque nous
visitàuKS les carrières antiques de lltalie et de la Sicile. Et, en eti'e.f, si les
constructeurs du moyen âge avaient rompu avec la forme de l'architecture
antique, ils en avaient conservé l'esprit pratique beaucoup plus qu'on ne
le croit peut-être. Ce qu'on ne saurait trop dire, c'est que précisément les
amateurs exclusifs de la forme antique, depuis la Renaissance, ont dédaigné
ces bonnes et sages traditions qu'avaient su conserver les architectes du
moyen âge. Il est prol)able que le maître des œuvres, Pierre de Montereau
(à voir les matériaux admirables choisis pour bâtir la Sainte-Chapelle, on
peut l'aflirmer), allait à la carrière, et voulait savoir d'où et comment
étaient tirés les grands blocs qu'il allait mettre en oeuvre.
CATHÉDRALE, s. f. De cathedra, qui signifie siège, ou (rêne éphcopal.
Cathédrale s'entend comme église dans laquelle est placé le tr(jne de
l'évêque du diocèse *. Dans les églises primitives, le trône de l'évêque
(cathedra) était placé au fond de l'abside, dans l'axe, comme le siège du
juge de la basilique antique, et l'autel s'élevait en avant de la (libune,
ordinairement sur le tombeau d'un martyr'-. L'évêque, entouré de son
clergé, se trouvait ainsi derrière l'autel isolé et dépourvu de retable; il
voyait donc l'oliiciant en face (voy. altel). Cette disposition priniitive
explique pourquoi, jusque vers le milieu du dernier siècle, dans certaines
cathédrales, le maître autel n'était qu'une simple table sans gradins,
1 Cathedra, propria est sedes, seu sessio honestior et augustior episcoporuni in Ec-
clesia, cœteris aliorum presbyterorum sedilibus excelsior : Ut in nwntem rcvocarenl,
inqiiit S. Aiigiist. in Psalm. 1 26, altiore se iit loco, tanquam in sjicculd conslittitos, quo
oculorum acie perviyiti, alque indefessa , in lutetum grecjis incumbdnt , lanlo cœteris
virtute et probitate dariores, quanto magis essent sedis honore ac sublimilate conspicui.
(Ducange, Gloss.)
- Il existe encore quelques-uns de ces sièges épiscopaux. En Provence, à Avignon,
on en voit un dans l'église cathédrale; il est en marbre, et l'ut enlevé de sa place
primitive pour être rangé à la droite de l'autel. Dans la cathédrale d'Auiisbourg , le
siège épiscnpal est resté à sa place, au fond de l'abside, comme ceux que l'on voit
encore, dans les basiliques de Saint-Clément et de Saint-Laurent (txtra mtiros) à Rome.
(Voy. CHAIRE.)
I (AIIIÉDKAIK I -iKII
tahornarlos ni rolahh's '. La callu'dralt' du nioiidc clnvlicn, Saiiil-Pii'ir»'
de Homo, coiisci'vt' fiicorp lo sit'j^'o du piiiicc dos apùlifs fiifcniK' dans
une chaire de Inonze, au fond de l'aliside. (y«»lail dans les églises cathé-
drales, dans ce lieu réservé à la cathedra, (jue l<'s évè(|ues faisaient les
ordinations. Lors(|ue ceux-ci étaient invités pai' iabhé d'un monastère,
on plaçait uno collieih a au fond du saiuluaire. (lejoui'-là, l'église abbatiale
élait cathédrale. Le siège é[)iscopal était et est encore le sigiie^ le synd)ol('
de la juridiction des évè(|ues. La juiidiction é|iiscopale est donc le véritable
lien (|ui unit la basili(iue anti(|ueà l'église chrétiemie. La cathédrale n'est
pas seulement une église approj)riée au scivicc divin, elle consei've, et
conservait bien plus encore pendant les premiers siècles du christianisme,
le caractère d'un tiibunal sacré; et connue alors la constituti(Ui ci\ile
n'était pas parfaitement distincte de la constitution religieuse, il en résulte
que les catht'drales sont restées longfemj)S , et jusqu'au xiv^ siècle, des
édilices a la l'ois religieux et civils. On ne s'y réunissait pas seulement
pour assister aux otlices divins, on y tenait des assemblées qui avaient un
caractère purement ])oliti(pu'; il va sans dire (pie la religion intervenait
presque toujours dans ces grandes réunions civiles ou militaires.
Juscpi'à la tin du xm>' siècle, les cathédrales n'avaient pas des dimensions
extraordinaires; beaucoup d'églises abbatiales étaient d'une plus grande
étendue : c'est que, jusqu'à cette époqiu\ le morcellement féodal était un
obstacle à la constitution civile des jxtpulations ; l'inlluence des évè(iues
était gênée par ces giands établissements religieux du w siècle. Proprié-
taires puissants, jouissant de privilèges étendus, stMgneurs féodaux,
protégés par les papes, tenant en main l'éducation de la jeunesse, partici-
pant à toutes les grandes atfaii'es politiques, les abbés attiraient tout ii
eux, richesse et pouvoir, intelligence et activité. Lorsque les populations
urbaines, instruites, enrichies, laissèrent paraître les premiers synij)tômes
d'émanci|)ation, s'érigèrent en communes, il se lit une réaction contre la
féodalité monastique et séculière d(jnl les èvéciues, ai>pu\és par la monar-
chie, profitèrent avec autant de promptitude que (rintelligence. Ils com-
prirent que le moment était venu de reconquérir le pouvoir et l'inlluence
que leur donnait l'Kglise, et qui étaient tombés en partie entre les mains
des établissements religieux, (le que les abbayes firent pendant le xc" siècle,
les évéques n'eussent pu le faire; mais, au xic siècle, la tâche des établis-
semenls religieux était remplie; le pouvoir monarchique avait grandi,
l'ordre civil essayait ses forces et voulait se constituer. C'est alors que
l'épiscopat entreprit de reconstruire <'t reconstruisit ses cathédrales; et il
trouva dans les popidations un concours tellement énergique, qu'il dut
s'apercevoir que ses prévisions étaient just<^s. que son tem])S était venu,
et que l'activité développée par les établissements religieux, et dont ils
' A Lyon, le U-ôiie épiscopal occupait eiicorc , il y a un sictic , le luiid de l'abside
de la-catliédrale, et l'autel était dépouivii de tout ornement aii-dessns de la laide; une
croix et deux llamheanx devaient seuls y être placés.
'2H\ I (ATHfiDRAI.K ]
avaient piolilt'*. allait lui voiiir en aidr. Rien, eu ettel. aujouidliui, si ce
nest peut-être le niouvenient intellectuel et cnninieicial (|ui rouvre
l'Europe lie li^Mies dr ehcmiiis de l'er, ne j)eut donner lidee de Tenipres-
sement avec lequel les populations urbaines se mirent à élever des cathé-
drales. Nous ne prétendons pas démontrer que la foi n'entrât pas pour
une {grande part dans ce mouvement; mais il s "y joijinait un instinct très-
juste d'unit»', de constitution (ixile.
A la tin du \\v siècle, I érection d'une cathédrale était un besoin, parce
que c'était une pioiestation éclatante contre la féodalité. (Juand un senti-
ment instinctif pousse ainsi les peuples vers un but, ils font des travaux
qui, plus tard, lorsque cette sorte de fièvre est passée, semblent être le
résultat d'eti'orts qui tiennent du prodige. Sous un régime théocratique
absolu, les hommes élèvent les pyramides, creusent les hypogées de Thèbes
et de Nubie; sous un gouvernement militaire et administratif, connue
celui des Romains pendant l'empire, ils couvrent les pays conquis de
routes, de villes, de monuments d'utilité publique. I.e besoin de sortir de
la barbarie et de l'anarchie, de défricher le sol , fait élever, au xi»" siècle,
les abbayes de l'Occident. L'unité monarchique et religieuse, l'alliance de
ces deux pouvoirs pour constituer une nationalité, font surgir les grandes
cathédrales du nord de la France. Certes, les cathédrales sont des monu-
ments religieux, mais ils sont surtout des édifices nationaux. Le jour où
la société française a prêté ses bras et donné ses trésors pour les élever,
elle a voulu se constituer et elle s'est constituée. Les cathédrales des xif
et xiir siècles sont donc, à notre point de vue, le symbole de la nationalité
française, la première et la plus puissante tentative vers l'unité. Si, en
1793, elles sont restées debout, sauf de très-rares exceptions, c'est que ce
sentiment était resté dans le cœur des populations, malgré tout ce qu'on
avait fait pour l'en arracher.
Où voyons-nous les grandes cathédrales s'élever à la fin du xn»; siècle et
au commencement du xiii*? c'est dans des villes telles que Noyon,Soissons.
Laon, Reims. Amiens, qui toutes avaient, les premières, donné le signal
de latiranchissement des conuîiunes; c'est dans la ville capitale de l'Ile-
de-France, centre du pouvoir monarchique, Paris; c'est à Rouen, centre
de la plus belle province reconquise par Philippe-Auguste. Mais il est
nécessaire que nous entrions à ce sujet dans quelques développements.
Au connnencement du xii*" siècle, le régime féodal était constitué; il
enserrait la France dans un réseau dont toutes les mailles, fortement
nouées, send)laient ne devoir jamais permettre à la nation de se développer.
Le clergé régulier et séculier n'avait pas protesté contre ce régime; il s'y
était associé; toutefois, quoique seigneurs féodaux, les abbés des grands
monastères conservaient, par suite des privilèges exorbitants dont ils
jouissaient, une sorte d'indépendance au milieu de l'organisation léodale.
Il n'en était pas de même des evêques; ceux-ci n'avaient pas profite de la
position exceptionnelle que leur donnait le pouvoir spirituel ; ils venaient
se ranger, comme les seigneurs laï([ues,sous la bannière de leurs suzerains.
T. 11. 3(i
( r.ATIlf-DKXI.K I 'l^'l
« Qui 110 s'étonnorait pas, disait saint Bernard '. de voir (\uo la niôine
« personne qui, lépée à la niain.ronnnande une troupe de soldats, puisse,
« revêtue de l'étole, lire rÉvani^^ile an milieu d'une éiilise?» Mais les
évêques ne tardèrent pas à reconnaître (|ue cette position douteuse ne
convenait pas au caractère dont ils étaient revêtus. Lorsque la monarchie
eut laissé voir que son intention était de donqîter la féodalité, « le cleri;é
sentit aisément- (|ue, dans la lutte (|ui allait s'enjiaj,'er^ les sei^Mieurs
seraient vaincus ; dès lois il rompit avec eux, sépara sa cause de la leur,
renoïK'a à tout engagement, déposa ses mœurs guerrières, et même,
abjurant tout souvenir, il ne craignit pas de rivaliser d'ardeui' avec le
trône, pour dépouiller les seigneurs de leurs prérogatives. Il commença
par étendre au delà de toutes limites sa juridiction , (|ui, dans l'origine,
était toute spirituelle; il lui sutlil pour cela d'un mauvais raisonnement,
dont le succès lut prodigieux; il consistait à dire : que l'Kglise, en vertu
du pouvoir que Dieu lui a donné, doit prendre connaissance de tout ce
qui est péché, afin de savoir si elle doit remettre ou retenir, lier ou délier.
Dès lors, comme toute contestation judiciaire peut prendre sa source dans
la fraude, le clergé soutenait avoir le droit de juger tous les procès:
affaires réelles, personnelles ou mixtes, causes féodales ou criminelles....
Le peuple ne voyait pas ces envahissements d'un mauvais œil ; il trouvait
dans les cours ecclésiastiques une manière de procéder moins harbare que
celle dont on faisait usage dans les justices seigneuriales : le combat n'y
avait jamais été admis ; l'appel y était reçu; on y suivait le droit canonique,
qui se rapproche, à beaucoup d'égards, du droit romain; en un mot.
toutes les garanties légales (jue refusaient les tribunaux des seigneurs, on
était certain de les obtenir dans les cours ecclésiasti(iues. » C'est alors que,
soutenus par le pouvoir monarchique déjà puissant, forts des sympathies
des populations qui se tournaient rapidement vers les issues qui leur
faisaient entrevoir une espérance d'atfranchisseinent, les évêques voulurent
donner une forme visible à un pouvoir qui leur semblait désormais appuyé
sur des bases inébranlables; ils reuniient des sommes énormes, et jetant
bas les vieilles cathédrales devenues trop petites, ils les employèrent sans
délai à la construction de monuments immenses faits pour réunir à tout
jamais autour de leur siège épiscopal ces [topulat ions désireuses de s'affran-
chir du joug féodal. Ola se passait sous Philippe-.Vuguste, et c'est en ett'et
sous le règne de ce prince (|ue nous voyons connueiicer et élever rapide-
ment les grandes cathédrales de Soissons, de Paris, de Boui'ges, de Laon,
d'Amiens, de Chartres, de Reims. C'est alors aussi que l'architecture reli-
gieuse sort de ses langes monacals ; ce n'est pas aux couvents que les évê-
ques vont demander leurs architectes, c'est à ces populations laïquesdont les
trésors apportés avec empressement vont servir à élever le premier édifice
vraiment populaire en face du château féodal, et ()ui finira par le vaincre.
' Lettre LXXVin.
i [nstit. de saint Louis, p. 172. l.o lomle Beiignol.
— "283 — I CATIlfiDKALK |
Nous ne voudrions pas que cette origine à la fois politi(jue et i'elijj;ieuse
donnée par nous à la grande cathédrale put taire supposeï- (juc nous
prétendons diminuer la valeur de cet élan (|ui se nianitésle en France à
la tin du \w siècle. Il y a dans le haut clergé séculier de cette épo(|ue une
pensée trop grande, dont les résultats ont été trop vastes, pour qu'elle
ne prenne pas sa source dans la religion ; mais il ne faut pas oublier que,
chez les peuples naissants, la religion et la politique vont de pair; il n'e.st
pas possible de les séparer; d'ailleurs les faits parlent d'eux-méu)es. On
était aussi religieux en France au commencement du xn*; siècle qu'à la
fin ; cependant, c'est précisément au moment où les évoques font cause
connnune avec la monarchie, veulent se séparer de la féodalité, qu'ils
trouvent les ressources énormes dont l'emploi va leur permettre d'élargir
l'enceinte de leurs cathédrales pour contenir tout entières les populations
des villes. Non-seulement alors la cathédrale dépasse les dimensions des
plus vastes églises d'ahhayes, mais elle se saisit d'une archit(>cture nou-
velle; son iconographie n'est plus celle des églises monastiques; elle
parle un nouveau langage; elle devient un livre pour la foule, elle instruit
le peuple en même temps qu'elle sert d'asile à la prière.
Nous allons étudier tout à l'heure, sur les monuments mêmes, les phases
de ce mouvement qui se manifeste vers la fin du xii«' siècle.
Poursuivons. L'alliance du clergé avec la monarchie ne tarda pas à
inquiéter les barons; saint Louis reconnut bientôt que le pouvoir royal ne
faisait que changer de maître. En l'235, la noblesse de France et le roi
s'assemblèrent à Saint-Denis pour mettre des bornes à la puissance que
les tribunaux ecclésiastiques s'étaient arrogée. En I^IO, les barons rédi-
gèrent un acte d'union « et nommèrent une commission de quatre des
plus puissants d'entre eux ', pour décider dans quels cas le baronnage
devait prendre fait et cause pour tout seigneur vexé par le clergé; de
plus, chaque seigneur s'était engagé à mettre en commun la centième
partie de son revenu, afin de poursuivre activement le but de l'union.
Ainsi l'on voit l'attitude du clergé français quand saint Louis monta sur
le trône : elle était hostile et menaçante. »
Au milieu de ces dangers^ par sa conduite à la fois ferme et prudente,
le saint roi sut contenir les prétentions exorbitantes du clergé dans de
justes bornes, et faire prévaloir l'autorité monarchi([ue sur la féodalité.
Dès 1*250, le peuple, rassuré par la prédominance du pouvoir royal,
s'habiluant à le considérer comme la représentation de l'unité nationale,
trouvant sous son ombre l'autorité avec la justice, ne montra plus le même
enqjn>ssement pour jeter dans l'un des plateaux de la balance ces trésors
qui, cinquante ans auparavant,. avaient permis de conmiencer, sur des
proportions gigantesques, les cathédrales. Aussi est-ce à partir de cette
époque que nous voyons ces constructions se ralentir, ou s'achever à la
hâte sur de moins vastes patrons, s'atrophier pour ainsi dire. Faut-il
1 liiKlit. tli' saint Loiiiii. l>e comte Hciif^iud.
I (,ATH(-I)H\LK I — '2Si —
atliihiicr cela à im refroidisseineiit relijiieux? nous ne ie pensons pas; la
nalion. sentant désormais un pouvoir supérieur à la IV'odalit»'. portait ses
reiiai'ds vers lui, et néprouvail plus le besoin si vif, si prt^ssant, d élevei'
la cathédrale en lace de la l'orleresse féodale.
A la fin du xni« siècle, celles de ces vastes constructions qui étaient
tardivement sorties de terre n'arrivèrent pas à leur développement ; elles
s'arrêtèrent tout à coup; si elles furent achevées, ce ne fut plus (|ue par
les etTorts personnels d'évêques ou de chapitres (pii eniployèi-ent leurs
pi'opres biens |>oni' terminer ce que rentiainement de toute une popula-
tion avait ))eriuis de commencer. Il n'est pas ?inp .sew/t' calliediale qui ait
été finie telle ([u'elle avait été projetée, et cela se comprend; la période
pendant laquelle les j,n'andes cathédrales eussent dû être conçues et
élevées, celle pendant laquelle leur existence est pour ainsi dire un besoin
impérieux, l'expression d'un désir national irrésistible, est conq)rise entre
les années 1180 et l:2iO. Soixante ans! Si l'on peut s'étoimer d'une
chose, c'est que, dans ce court espace de temps, on ait pu obtenir, sur
tout un grand territoire, des résultats aussi surprenants; car ce n'était
pas seulement des manœuvres qu'il fallait trouver, mais des milliers
d'artistes qui, la plupart, étaient des hommes dont le talent d'exécution
est pour nous aujourd'hui un sujet d"admii'ati(»n.
Tel était alors, en France," le besoin d'agrandir les cathédrales, que,
pendant leur construction même, les premiers travaux, déjà exécutés en
partie, furent j)arfois détruits pour faire place à des projets plus grandioses.
En dehors du domaine royal, le mouvement n'existe pas, et ce n'est que
plus tard, vers la fm du xiu'' siècle. lors([ue la monarchie eut à peu près
réuni toutes les provinces dt>s (iaules à la France, <|ue l'on entrepiend la
reconstruciion des cathediales. C'est alors que quelques diocèses rempla-
cent leurs vieux monuments par des constructions neuves élevées surdes
plans sortis du domaine royal. Mais ce mouvement est restreint, timide,
et il s'arrête bientôt jjar suite des mallieurs politiques du xive siècle..
A la mort de Philippe-Auguste, en Iiî23, les principales cathédrales
comjM'ises dans le doiiiaiiie royal étaient celles de Paris . de (-harires.de
liourges, de Noyoïi, de Laon, de Soissons, deMeaux, d'Amiens, d'Arras,
de Cambrai, de Rouen, d'Kvreux, de Séez, de Bayeux, de Coulances, du
Mans, d'Angers, de Poitiers, de Touis ; or tous ces diocèses avaient lebàli
leurs cathédrales, dont les consti'uctions étaient alors fort avancées. Si
certains diocèses sont polili(pi(Mnent unis au domaine royal et se recon-
naissent vassaux , leurs cathedralis s'élèvent raj)i(lement sur des plans
nouveaux comme celles de la France; les diocèses de Jieims. de Sens, de
Chàlons, de Troyesen Chanq)agne, sont les premiers à suivie le mouve-
menl. En Bourgogne, ceux d'Auxeire et de Nevers, les i>lns rapprochés
du domaine royal, reconstruisent leurs cathédrales; ceux d'Autun et de
Langres. plus éloignés, conservent leurs ancieimes églises élevées vei-s le
milieu du xii*' siècle.
Dans laCuyeime, restée anglaise, excepté Bordeaux <pii tenle un ellori
;285 l CAIIlf-DRAl.E I
vfM's i-2-25,Périgueux,Angoulènu\ l>iiiioges, Tulle, Cahors, A^en, gardent
leurs vieux inoiumients.
A la nioil (le lMiilii>iit' le Bel, en 131-4, le domaine royal sesl étendu :
il a englobe la (lluunpagne; il possède le Languedoc, le marquisat de
Provence ; il tient l'Auvergne et la Bourgogne au milieu de ses provinces.
Montpellier, Carcassonne, Narlmnne , Lyon, exécutent dans leurs cathé-
drales des travaux considérables et tentent de les renouveler, (llcrmont
en Auvergne cherche à suivre l'exemple. Les provinces anglaises et la
Provence résistent seules.
A la mort de (Charles V, en liiHO, les Anglais ne possèdent plus (|ue
Bordeaux, le (Aitentin et Calais ; mais la sève est épuisée : les cathédrales
dont la reconstruction n'a pas été conunencée pendant le xiii«^ siècle
demeurent ce qu'elles étaient ; celles restées inachevées se terminent avec
peine.
N(tus a\ons essayé de tracer sommairement un historique général de la
construction de nos cathédrales françaises; si incomplet qu'il soit, nous
espérons qu'il fera comprendre l'inq^ortancede ces monuments pour notre
pays, de ces monuments qui ont été la véritable base de notre unité
nationale, le premier germe du génie français. A nos cathédrales se
rattache toute notre histoire intellectuelle : elles ont abrité, sous leurs
cloîtres, les plus célèbres écoles de l'Eurupe pendant les xii'- et xui^ siècles;
elles ont fait l'éducation religieuse et littéraire du peuple ; elles ont été
l'occasion d'un développement dans les arts qui n'est égalé que par l'anti-
quité grecque. Si les derniers siècles ont laissé périr dans leurs mains ces
grands témoins de l'effort le plus considérable qui ail été fait depuis le
christianisme en faveur de l'unité, espérons (jue . plus juste et moins
ingrat, le nôtre saura les conserver.
Puisque nous prétendons démontrer que la cathédrale française, dans
le sens moral du mot, est née avec le pouvoir monarchique , il est juste
que nous commencions par nous occuper de celle de Paris ; d'ailleurs,
c'est la première qui ait été commencée sur un plan vaste destiné à
donner satisfaction aux tendances ;i la fois religieuses et politiques de la
tin du xir siècle.
La cathédrale de Paris se composait, en SGO, de deux édifices, l'uli du
titre de Saint-Étienne, martyr, l'autre du titre de Sainte-Marie ; nous ne
savons pas quelles étaient les dimensions exactes de ces monuments, dont
l'un, Saint-Étienne, fut épargné par les Normands moyennant une sonnne
d'argent. Les fouilles ipii furent faites nu midi, en 1845, laissèrent à
découvert un mur épais qui venait se prolonger, en se courbant, sous les
chapelles actuelles du chœur. La portion visible du cercle donne lieu de
croire que l'abside de cette première église n avait guère plus de huit à
neuf mètres de diamètre. En I UO environ , Etienne de (^.arlande, archi-
diacre , tit faire d'inq^ortanls travaux a l'église de la Vierge. De ces
ouvrages, il ne reste plus que les bas-reliels du tympan et une portion
des voussures de la porte Sainte-Anne, replacés au connnencement du
I c.ATiifiDKAi.K I — :28(i '
Mil'' siècle, loisquOn coiisliuisit la façade acliiollc, prohahloniont parce
(|iie ces scul!)liires seMii)lèient ti'op reinar(|iial)les pour être délniitcs.
(/"«'tail (railleurs un usa^e assez ordinaire, au nioinent de cet cnliaincnirnl
(jui taisait recons^truire les cathédrales, de conserver un souvenir (ies
édifices piiinitifs, et l'exemple cité ici n'est pas le seul, ainsi que nous le
verrons^ En 1160, Maurice de Sully, évêque de Paris, résolut de réunir
ies deux éj,dises en une seule, et il fit commencer la cathédrale (pie nous
voyons aujoui'dhui ', sous l'unique vocahle de Sainte-Marie. En ll'.Ki,
Maurice de Sully mourut en laissant ciiKi mille livres pour couvrir le clm'ur
en plomh; donc, aloi-s, le chœur était achevé jusqu'au transsept, ce que
vient confirmer le caractère archéologique de cett(> pai'tie de Notre-Dame
de Paris. 11 y a tout lieu de croire même que la nef était élevée alors jusqu'à
la troisième travée après les tours ^, à quelques mètres au-dessus du sol.
Eude de Sully, successeur de Maurice, continua r(euvre jusquen 1:208,
époque de sa mort. La grande fa(,'ade et les trois premières travées de la
nef furent seulement commencées à la fin de 1 episcopat de Pierre de
Nemours, vers I'2I8; car ce fut seulement à cette époque, d'après le
Martyrologe de l'église de Paris cité par l'abhé Lebeuf, qu'on détruisit les
restes de la vieille ('glise de Sainl-Etiennc (|ui gênaient les travaux. A la
mort de IMiilij)|)e-Auguste, en l^^iiJ, le j)ortail était achevé juscju'à la hase
de la grande galerie à jour qui réunit les deux tours. Il y eut évidenunent,
à cette époque, une interruption dans les travaux; le style du sommet de
la fa(,'ade et la nature des matériaux employés ne peuvent faire douter que
les tours, avec la grande galerie qui enceint leur hase, aient été élevés,
vecs 1235, fort rapidement. Alors la cathédrale était complètement
terminée, sauf les flèches qui devaient surmonter les deux tours.
Nous donnons (1) ^ le plan de cette église primitive dépouillé des
adjonctions laites depuis cette époque. Comme on peut le voir, cette vaste
église était dépourvue de chapelles, ou, s'il en existait, elles n'étaient
(|u'au nond)i'e de trois, fort petites, et situées derri("re l'ahsidfM^n L ; car
nous avons i'etrouv(' la coiniche extérieure du double bas-ccMé sur |)resque
tous les points de la circonférence de ce double bas-c(Mé absidal ; ces
chapelles ne pouvaient donc être percées qu'au-dessous ûo cette corniche,
et, par consé(pienl , n"o(^cuper qu'une faible hauteur et un petit espace.
Nous serions pliit(')l porté à croire que trois autels étaient i)la(^és contre la
paroi de ce (loid)le bas-C('>lé : l'un dédié à la Vierge, l'autre à saint Etienne,
et le troisième à la sainte Trinité. Mais ce (lu'on avait voulu surtout obtenir
en fra(,'ant ce plan si sinq)le, c'était un vaste espace pour contenir le clergé
et la foule devant et autour de l'autel principal |)lacé au centre du sanc-
tuaire. En E était une galerie à deux étages, dont les traces ont été retrou -
« Voir, pour de plus amples détails, Vllinér. archéol. de Paris, par M. le baron de
(Jiiilhcriiiy. — Paris, i85.'i.
"■' i/c'cliolle de ce plan , ainsi que fie tous ceux qui vunl suivre, est de 0,001'" pour
mètre.
->,S7 —
CATIlf-Kll VIK
vées, coininiiiiiciiiaiil de r»'Vt'(h(' au clKnir cl aux lai^^cs j^alcries qui
selt'vcnl surl('|)r('nru'il>as-(ùtf. Kii(i, leslivi/c uiaiclics qui (Icscriidaiciil
pesAU) se
du parvis à la berge de la Seine. A gauche, du côtt' uoi-d, contre le flanc
de la façade, s'élevait la petite église de Sainf-.Iean-le-P,ond, proliahleuient
un ancien baptistère ; et, de cette église à la ligne poncluée A, les cloitres
et dépendances de la cathédrale qui s'étendaient assez loin. Ce n'était pas
I CVIIlf-llUVI K I — 2SS —
assez (le cette vaste suiiace couverte ' à rez-de-cliaussée ; comme nous
l'avons (lit tout à llieure, une hw^o j^alerie pdiirtnurne lé^Mise au-dessus
(lu collaleral intérieur*; on y arrive par ([uatrc j;ran(ls escaliers iixisdun
emmarcliement de l '",50 environ. Les galeries su|)érieures, de la même
lar^'eur(|uelel)as-c(Mt^etvoùtées,n'apparaissent{^uèi'e,pendanl lapremi('re
partie de la période ogivale, que dans les catliédiales de l'IU^-de-France;
on les retrouve à Noyon, à Laon, à Senlis, à Soissons (voy. aiu.hitectiuk
RELKjiEcsi;). Dans ces villes riches et populeuses, ou avait probablement
senti le besoin d'otlrir aux fidèles ce supplément de surface, pour les
jours de (grandes cérémonies; mais ces {galeries avaient encore cet avan-
tage de permettre d'ouvrir des jours larges propres à éclairer le centre de
la nef et de donner une plus grande solidité aux constructions.
I.a coupe transversale (pie nous pn'stMitons ("2) lera comprendre le
système de construction adopté pai' rarcliilecte de la cathédrale de Pans,
de ll(i(> à l^'^O. Des découvertes récentes du plus haut intérêt nous
engageiil ii rej)ro(luire cette coupe, tracée déjà, mais dune manière
incomplète, dans larticle ahchitecture kelujieuse.^Oii voit, en A, les
fenêtres de la galerie ou triforium, dont la position indi(|ue nettement
l'intention de donner du jour dans la n<»f, que les fenêtres B du double
bas-cê)té et les fenêlres C supérieures euss«Mit laissc'e dans l'obscurité.
Mais cette (lis[)osi[ion inclinée d(^s voûtes du triforium l(»r(,ait de relever le
chéneau \) et par conséquent le comble E; il restait un espace FG, (jue
nous su|)posions plein , nous en tenant à la première travée de la nef
laissée dans son étal primitif''. Or cet intervalle entre l'appui de la fenêtre
haute et l'arc du triforium était percé de roses .1 à meneaux très-singuliers,
et destinées autant à alléger la construction qu'à donner de la lumière
sous le comble E. Les jours de grandes cérémonies, ces roses étaient
utilisées pour décorer l'éditice à l'intérieur. La grande élévation du mur
du triforium portant le chéneau 1> avait permis de construire les arcs-
boutants Hl à double volée avec une j)ile K intermédiaire. De plus, la
naissance des grandes voûtes était maintenue par des S(»us-arcs-boutants L
portant les jjannes du comble E. (les arcs-boutants L étaient eux-mêmes
contre-buttes par les arcs-boutants inférieurs M, qui maintenaient en même
temps les voûtes du triforium. Cette construction, solide , ingénieuse et
belle en même temps, était rendue stable à tout jamais par les énormes
' l.a siiiTace cuuvciie de l'éi^lise dv Nulie-Dame de Paris élail de '4,370 lucl.; dédui-
sant les pleins et le sanctuaire, restait environ 3,800 met à re/.-de-cliaussée, pouvant
contenir, eu supposant les espaces laissés libres pour les passages, 7,500 personnes.
2 Ces galeries peuvent contenir 1,500 personnes, en supposiml (in'clics soient pla-
cées seulement sur quatre rangs.
^ C'est en réparant les fenêtres hautes de la nef de la cathédrale, pendant le coins
de la campagne de 1854 , que nous avons découvert les roses s'ouvranl dans la net
au-dessus de la galerie du premier étage, et éclairant le cond)ie de cette galerie. Des
fragments de ces roses ont pu être replacés dans la dernière travée de la net et les
deux travées ouest du croisillon sud.
-2SU —
CATIIÉDKALK j
contre-forts N , qui seuls présentent un cuhe (xtnsidérable de matériaux
posés à l'extérieur de lédifice.
T. II.
■il
CATIIËDItAl.l': I
.11».
-i'.tO
La fifi. .5 (lomio l"asi>ool extérieur, et la lij{. i lasprcl intérieur (eoupe
— -2*M
I r.ATHf-DRAI.K I
^=^
Cjn-i.yj(Mor jêmie
longitudinale) df dfiix tiav.'cs piimitivt's do la cathédrale et dune travée
[ CATHÉDRALE ] — ^l'iH —
modifiée pendant le cours du xiii« siècle. La coupe fait voir avec quel
soin le poids des constructions était réparti sur les piles^, et combien déjà,
à cette époque, les constructeurs cherchaient à éviter les murs. En etlet,
sous l'appui des grandes fenêtres A du triforiuni, faites pour être vues de
la nef, sont ménagés des arcs de décharge.
La tradition de la construction romane est donc déjà complètement
abandonnée dans la cathédrale de Paris de la fin du xii^ siècle ; il n'y a
plus que des piles et des arcs. Le système de la construction ogivale est
franchement écrit dans ce remarquable monument. —
Malheureusement, cette église reçut très-promptement d'importantes
modifications qui sont venues en altérer le caractère si simple et grandiose.
De l'-230 à 1240 \ un incendie, dont l'histoire ne fait nulle mention, mais
dont les traces sont visibles sur le monument, détruisit une partie des
charpentes supérieures et des combles E du triforium de la caihédrale
(voy. la C(jupe transversale fig. 2 et la coupe longitudinale tig. 4) ; les
meneaux des roses J furent calcinés, ainsi que leurs claveaux et les
bahuts 0 du grand comble. Il est probable (|ue la seconde volée I des
arcs-boutants et les voûtes du triforium turent endonunagées.
Déjà, à cette époque, d'autres cathédrales avaient été élevées, et on les
avait percées de fenêtres plus grandes, garnies de brillants vitraux; celle
décoration prenait chaque jour plus d'importance. Au lieu de répaicr le
dommage survenu aux constructions de Notre-Dame de Paris, on en
profita pour supprimer les roses J percées au-dessus du triforium, faire
descendre les fenêtres hautes, en sapant leurs appuis jusqu'au point P
(voy. la (îoupe fig. 2, la face extérieure lig. ,'J et la coupe fig. i) ; on enleva
le chéneau D, on démolit les arcs-boutanis III à double volée, on descendit
le chéneau D au niveau H, on abaissa les triangles S des voûtes, on lil
sur ces voûtes un dallage à double pente; les grandes fenêtres A de la
galerie furent coupées, ainsi qu'il est iiuli(|ué en Q (fig. 3) ; et, n'osant {)lus
laisser isolées les piles K (tig. '2), qui ne se trouvaient plus sutlisanunent
étrésillonnées par les couronnements D abaissés, on établit de grands
arcs-boulants à une seule volée de T en V. Les arcs-boulanis sous-comble
L, détruits par le feu, fuient supprimés, et les arcs-boutants M restèrent
seuls en place dans une situation anormale, car ils étaient trop hauts pour
contre-butter les voûtes du triforium seulement. Les corniches et les
couronnements supérieurs X furent refaits, les pinacles Z changés. Les
fenêtres hautes, agrandies, furent garnies de meneaux (fig. 3 et A) très-
simples, dont la forme et la sculpture nous domient précisément répcxpu'
de ce travail. A peine cette opération était-elle lerniinée à la hâte (car
Texamen des constructions dénote une grande |)récipitalion), que l'on
1 Nous n'iivons, iioiir <l(»niier ces dates, que le caractère aichitectonique des
• constnutions; mai», dans rile-de-France, les propres sont si rapides, que l'on apei-
çoit. dans un espace de dix ans, îles clKinf;enients assez seusildes |iour pouvoir, à coiqi
sur, lixiM la date dune conslrurlion.
"293 [ CATHEDRA LK |
<Mif reprit, vers \^2Ab, de faire des chapelles II, entre les saillies formées à
rextéi'ieur par les jj;rns contre-forts de la nef. (]es chapelles furent élevées
éjîal(MHent av(>c une grande rai)idité; leur construction eut poui- résultat de
faire disparaître la claire-voie A' (voy. les fi^^ ^2 et 3) - qui doiuiait du jour
au-dessus des voûtes du deuxième bas-côté, et de rendre l'écoulement
des eaux plus diilicile. En examinant le plan {ii^. 1), on peut se rendre
compte du fiicheux etiét produit par cette adjonction. Les deux pignons
du transsept se trouvaient alors di'hordés j)ar la saillie de ces chapelles.
(^omj)arativement à la nouvelle décoration extérieure de la nef , ces deux
pignons devaient présenter une masse lourde ; on les démolit, et, en 1257,
on les reconstruisit à neuf, ainsi (jue le constate l'inscription sculptée à la
base du portail sud. Entre les contre-forts du chœur, trois chapelles au
nord et trois chapelles au sud, compris la petite porte rouge qui donnait
dans le cloître, furent bâties en même tenqis, pour continuer la série des
chapelles de la nef. (^es travaux, vu leur importance et le soin a|)porlc
dans leur exécution, durent exiger plusieurs années. En 1290, Matitïasde
Bucy, évêque de Paris, commença la construction des chapelles du chœur,
entre les contre-forts du xu*^ siècle, en les débordant de l'»,50 environ. Ce
fut alors aussi (jue l'on relit les grands pinacles des arcs-boutants de cette
partie de l'éditice, et (jue l'on ouvrit, dans la pai'tie circulaire du friforium,
de grandes fenêtres surmontées de gables ii jour , à la place des fenêtres
coupées précédemment. Ces ouvrages durent être terminés vers 1310. En
même temps que l'on reconstruisait les pignons du transsept (c'est-à-dire
vers 1260), on refit, au nord, un arc-boutant à double volée, le premier
après le croisillon. C'était un essai de reconstruction des anciens arcs-
boutants du xn*' siècle , probablement conservés jusqu'alois autour du
chœur, bien que l'on eût fait subir aux fenêtres hautes, vers 1235, le
même changement qu'on avait inqiosé à celles de la nef. Il n'était plus
possible de rien ajouter à ce vaste édifice, achevé vers 1230 et remanié
pendant près d'un siècle. Son plan ne fut plus modifié depuis lors; nous
le donnons ici (5) tel qu'il nous est resté *. Les tours de la façade demeu-
rèrent inachevées; les tlèches en pierre dont la souche existe au sommet,
à l'intérieur, ne furent jamais montées. Une flèche en bois, élevée au
commencement du xrii'' siècle, recouverte de plomb, surmonta la croisée
du transsept jusqu'à la fin du siècle dernier (voy. flèchk). Ces change-
ments, faits à un monument complel, immédiatement après sa construc-
tion, donnent l'histoire des programmes de cathédrales qui se succédèrent
en France pendant tout le cours du xiii^ siècle.
Dans l'origine, peu ou point de chapelles; un seul autel principal, le
' Kpoque de la construclion de la Saiute-Cliapelle. (ies cliapelles présenleiu des
détails et des profils identiques avec ceux de ce monument.
^ Celte claire-voie est restée du côté nord, derrière les couvertures de ces cliapelles.
•^ Ce plan est le plan actuel, avec la sacristie l)àtie depuis IH'i') :i la place de l'ancien
arclievèclié, au sud.
[ CATHÉDKAI.E | — ^VU —
trônt' (le Irvèque placé (lemère. à l'abside. Tout autour, dans des cnllii-
téraux larges, la l'ouïe; à l'entrée du eho'ui'. (I(tnnant sur le transsepl, une
tribune pour lire l'épitreet l'évanj^ile; les stalles du cliapitre dans le chœur,
des deux côtés de l'autel. La catln'drale, dans cet état, c'est-à-dire au
moment où elle pnMid une jurande importanc<> moi'ale et matt'rielle . se
l'approche i)lus de la basilicpie antique (jue les éj^lises monastiques, déjà
toutes munies, à l'abside au moins, de nond)reuses chapelles, (l'est une
immense salle, dont lObjet principal est l'autel, et la cathedra, le siéj;e
du prélat, sijijne de la justice épiscopale. Le monument vient donc ici
pleinement justifier ce que nous avons dit au commencement de cet article.
Mais un seul exemple n'est pas une |)reuve ; ce j)eut être une exceplion.
Examinons daulres calhédiale de la France d'alors.
A Bourges, il existait encore, au milieu du xii*' siècle , une cathédrale
bâtie pendant le xi«, d'une dimension assez restreinte, si l'on en juge pai'
la crypte qui existe encore au centre du cho'ur et qui donne le périmètre
de l'ancienne abside. En 1 1""^, l'évéque Etienne ((rojelle de bàlirun nouvel
édifice '. Toutefois, il ne parait pas que l'exécution de ce grand monmiieiil
' l'iii lltiO, on jeUe les londenieiils de la calhédiale actnrllc de i':iri>; «-n Il7i,
— -295
CATHKOKAI.K
ait été conimtMicép avant les premières années du xiii»" siècle. En voici
le plan ((>) '. A l'abside, seulement cinq très-petites chapelles ; doubles
collatéraux comme à Notre-Dame de Paris; f»as de transsept ; i uiiiu-
on projette la reconstriiclioii de celle de Bourges. 1,'évèque Ktienne (ioiiiie à Odon.
clerc, celte année I 172, une place située devani la porte de l'église, pour y l>àtir une
maison , à la condition de rendre remplacement « aussitôt que la conslructioii de
l'église projetée l'exigera. » {La Cnthodrale de Bourges, par A. de (Jirardot et
Hip. Durand. Moulins, 1849.)
' Ndus avons enlevé de ce plan quelques chapelles ajoutées le lonti du iias-côtc d(
la nef pendant les xiv et xv siècles.
[ (.ATiU:i>K\i.K I — :2VHi —
(l'ohjot , dans ce plan, est encorf plus niar<pu'0 (pir dans !»■ pl;in de la
calliédralt' de l*aiis. Outre les entrées de la l'ai^ade , deux |)()rles sont
ménagées en A et B ; et c'est (comme à Notre-Dame de Paris, à la porte
Sainte-Anne) avec des fragments de sculpture appartenant an \ii" siècle
que ces portes sont bâties '. On élève, vers le milieu du xiii*^ siècle, deux
porches en avant de ces portes. A côté sont ménai;és deux larges escaliers
(pii desc(Mi(lent à une église souterraine, à doubles bas-côtés, enveloppant
l'ancienne crypte de la cathédrale du w siècle. Les petites chapelles
absidales n'ajjparaissent pas dans l'église inférieure; elles sont portées
en encorbellement sur un pilier accosté de deux colonnes dégagées.
Otte église inférieure n'est pas une nécessité du culte, mais une nécessité
de construction ; à la fin du xii'" siècle, les remparts roiuains de la ville
de Boui'ges s'élevaient à (juelques mètres de l'abside de l'ancienne
cathédrale, qui ne dépassait pas le sanctuaire de celle actuelle. Voulant
faire pourtourner les doubles collatéraux , les constructeurs se trouvaient
obUgés de descendre dans les fossés de la ville ; il y avait donc nécessité
de faire un étage inférieur, ce qui fut fait avec un luxe de construction
remarquable : car de toute la cathédiale de Bourges, c'est cet étage
inférieur ((ui est le mieux bâti ; là, rien n'a été épargné, ni les matériaux
(|ui sont d'une belle qualité, ni la taille, ni même la sculpture, qui est du
plus beau caractère. Mais la cathédrale de Bourges était en retard. Sa
partie orientale , sortie de terre seulement vers 12'20, était à peine élevée
à la hauteur des voûtes du deuxième collatéral, que les ressources étaient
moins abondantes. La construction s'en ressentit, et tf)ules les parties supé-
rieures de cet immense vaisseau furent terminées tant bien que mal, a la
hâte, et probablement en réduisant la hauteur de la nef, qui, nous le croyons,
avait été projetée sur une coupe plus élancée (voy. au mot architecture
RELIGIEUSE, tlg. 34, la coupc de cette cathédrale). La partie antérieure de
la nef ne fut achevée qu'au xiv siècle, et le sonmiet de la façade avec ses
deux tours qu'au xvi''. Hes cha})elles latérales viiu'ent gâter ce beau plan,
et entourer le colosse d'une décoration parasite; mais , à partir de la tin
du xiue siècle, bien peu de cathédrales en France purent se soustraire à la
manie de ces chapelles latérales. La grande idée première qui les avait fait
élever était sortie de l'esprit du clergé pendant le cours de ce siècle. Les
confréries, les corporations, des familles même, en donnant des sommes
' Nous avons entendu exprimer l'opinion que tes porles étnient les restes, demeurés
en place, d'une église du xii"^ siècle; il n'est pas besoin d'être très-l'amilier avec les
détails de sculpture et les moulures des xir" et xiir siècles, pour rocounaître (pi'i^i la
porte 15 du sud, par exemple, le trumeau portant la tigure du C.lirist est du xni' siècle,
t|ue les moulures de soubassements et quelques colonnes servant de supports aux
statues sont du xiir siècle, tandis que les figures des ébrasenients, les linteaux et
tympans sont du xif. C'est encore la , comme à Paris, une collection de IVagmcnls
précieux, un souvenir d'un édifice antérieur qu'on a voulu conserver et enchâsser dans
la construction n)è>ne. Du reste, comme à Paris, ces sculptures méritaient bien cet
li4)nneur , elles sont de la plus grande beauté.
-21 1" — [ CATIlf:i)KAl.K 1
pour acliPVPi" ou ivparei' le monument national, voiilaicnf avoir lour cha-
pelle; on n'obtenait plus d'aiiient quà ce \)r\\.
Les parties suj)erieures de la cathédrale de Bouri^es se ressentent du
dél'aut d'unité; déti^'urées aujourd'hui par des restaurations barbares qui
n'appartiennent à aucune épocjue, à aucun style, on n'en juut plus juger.
Mais nous les avons vues encore, il y a (juinze ans, telles que les siècles
nous les avaient laissées; il semblait que l'emploi des sonmies successives
eût été fait sans tenir compte du projet primitif; cctait connue une
montagne sur la(piellc chacun élève ;i son gré la construction qui lui
convient. Les architectes appelés successivement à la terniinerou à conso-
lider des constructions élevées avec des moyens insutlisants y ajoutèrent,
l'un un arc-boutant. l'autre un couronnement de contre-fort incomplète-
ment chargé, (leitainement celui qui avait com u le plan et élevé le ch(eur
jusqu'à la hauteur des voûtes avait projeté un édifice (jui ne présentait
pas ces superfétalions et cette confusion ; et il faut se garder déjuger l'art
des hommes du commencement du xm»" siècle avec ce (pie nous donne
aujourd'hui la cathédrale de Bourges '.
l^a cathédrale de Bouiges nous représente mieux encore une salle destinée
il une grande assend)lée que la cathédrale de Paris, non-seulement dans
son plan, par l'absence du transsept, mais dans sa coupe, pai- la disposition
' On a repiOL-lié , et on repioclie iliaque jour aux architectes de cette époque,
d'avoir conçu des cditices qui irélaieiit pas poi^iblea ; et, confondant les styles, les
époques, ne tenant pas compte de l'épuisement des sources flnancières qui se tarirent
au milieu du xiii^ siècle , on les accuse de n'avoir pas su achever ce qu'ils avaient
commencé. Mais les architectes qui , en I 1 90 , élevaient une cathédrale , no pouvaient
supposer alors tel était l'entraînement général) que les moyens dont ils dispusaieiit
viendraient à s'amoindrir. Lorsqu'ils ont pu, par hasard, terminer l'œuvre qu'ils
avaient conçue, nous verrons avec quelle puissance de moyens et avec quelle science
soutenue ils l'ont fiit. Déjà l'exemple de la cathédrale de Paris que nous avons donné
le prouve; nous allons voir qu'il n'est pas le seul. Un fait curieux t'ait comprendre ce
que c'était que la construction dune cathédrale au commencement du mii' siècle. Ce
fait étant plus rapproché de nous, bien c;'nnu, convaincra, nous le croyons, les esprits
les plus enclins au doute. T.a cathédrale d'Orléans fut détruite de fond en comble par
les protestants, à la tin du xvr siècle. Les Orléanais vouliirciU avoir non-seulement
une cathédrale, mais ie/fr cathédrale, celle qui avait été démolie , et pendant deux
siècles ils poursuivirent cette idée . bien que le goiil des constructions ogivales ne
fût guère de mode alors. \.a cathédrale d'Orléans fut rebâtie, et ce n'est pas la faute
des populations si les architectes ne surent leur élever- qu'un monument bâtard.
Certes, nous n'avons pas l'intention de donner cet édifice comme un modèle d'archi-
tecture ogivale ; mais sa reconstruction est un fait moral d'une grande portée. Orléans,
la ville centrale de la France, avait seule peut-èlre conserxé, en plein xvii* siècle,
le vieil esprit n^aional; seule elle était restéi' attachée à son monumenl, qui lui rappe-
lait une grande époque, de grands souvenirs, les premiers elTorts de la société française
pour se constituer. Nous l'avcms dit déjà, si les châteaux, si les abbayes furent brûlés
et ilévastés en 1793. tnntes no> L;randes eaihédralts lestèrent debout, (t beaucmip
iiK'nie n(^ siiiiirenl pas «le ninliialions.
T. II. •>'S
[ r.ATHÉDKAI.E | — "Idii —
(If^s deux j,'alpries élaf^ées , l'une au-dessus du second bas-cAté donnant
dans le premier l)as-roté. l'autre au-dessus des voûtes de ce premier bas-
culé doimant dans la nef centrale. C'était la un moyen de permettre a
de nond)reux spectateuis de voir ce qui se passait dans la jurande nef.
Ne perdons pas de vue que les cathédrales n'étaient pas, au xim<^ siècle,
seulement destinées au culte; on y tenait des assemblées, on y discutait,
on y représentait des mystères, on y plaidait, on y vendait, et les diver-
tissements })i()tanes n'en étaient pas exclus '. par exenqile : la l'été des
limocents à l^aon, (|ui se célebiait le -2H decend)re; la lele des Fous, etc.;
ces farces furent diHicilement supprimées, et nous les voyons encore
persister pendant le xv siècle.
Mais les dispositions particulières à la catliediale de Boui-fj;es nous ont
fait sortir de la voie clironoloj^ique dans la(|iit'llc il est nécessaire de
revenir pour mettre de Tordie dans notre sujet.
En 1 1^1, un incendie teirible détruit la ville de Noyon et sa cathédrale.
L'évèque Simon, qui occupait alors le siège épiscopal de Noyon , n'était
pas en état de réparer le désastre; ses finances étaient épuisées par la
construction de l'abbaye d'Ourscamp; alors, le mouvement qui. quelques
années plus tard, allait juirter le haut clergé séculier et les fidèles à élever
des cathédrales siu de vastes [)lans, n'était pas piononcé. I>e successeur
de Simon , Beaudoiu II, prélat renq)li de prévoyance, i)rudent , régulier,
sut administrer son diocèse avec autant de sagesse que d'énergie; il était
lié d'amitié avec saint Beinaid, honoré de la confiance et de la faveur de
Suger. Dans son excellente notice archéologique sur Notre-Dame de
Noyon, M. Vitet croit devoir faii'e remontei- la construction de cette église,
telle que nous la voyons aujourd'hui, à l'épiscopat de Beaudoin; non-seu-
lement nous partageons l'opinion émise par M. Vitet, mais nous serons
plus afiirmatif (jue lui, car nous api)uierons ses preuves historiques de
preuves plus sûres encore, tirées de l'examen du monument même. Nous
venons de dire que Suger honorait l'évèque Beaudoin d'une confiance
particulière, et Suger était , connue chacun sait, fort ])réoccupé de la
construction des églises; il fit rebâtir entièrement celle de sou abbaye, et
les portions qui nous restent de ces constructions ont un caractère reinaï-
(juable pourl époque où elles furent élevées. Elles font un grand pas vers
le système ogival; elles ai)andonnent presque entièrement la Iradiliou
romane. Qui Suger enq)loya-t-il pour élever l'église abbatiale de Saint-
Denis? cela nous sei'ait difficile à savoir. I/illustre abbe <'t ses successeurs
1 (it'S usages ne furciil guère .Tbolis qu'à fa lin (fn xiir siècle. Jean de (^onrlenai ,
arcfievèque de Reims, donna, en I2(i0, des fellres de rél'ormaiion pour la calhédrafe
de l.iion, dans lesquelles on fil ce passage : « Eccfesiani qinique, quae doraus oralionis
« esse débet, focuni negociationis fieii |)i'(iliil)enuis, née in eadeni reruni qiiarnni-
" fibel niercos vendi , causas audiri vef decidi voluinus, sru innndana celebrari : inu»
'' mundanis excfusis negotiis.soluni ibidem divinuui ncgotinm liai." [^Ciirliil. Liuidiin.,
Essai aw r(-glisc de N.-D. de Luon, par. I. Marion. 1843.)
— !29'J — I CATIIÉURAI.I': I
iw iKiiiv, cil dibenl ncii ; ils conservent pour eux (et cela se eon(;oil) tout
llionneur de cette enlivpiise; a les en croire, les moines sullirent a tout.
Mais il y a. dans Ihisloire de cette éditiealion, tant de tables, de laits
eyideniiiiriii présentés avec rinlenlion de frapper la foule de respect et
d adiniiation , (pie nous ne pouvons y attacher une véritable importance
Insloiiipie '. Siii^cr était aussi bon politique (pie relij>ieux sincère; il était
plus (ju aucun aulre a même de se servir des hommes que pouvait lui
fournir ré|)oqueoù il vivait; celait un espiil (îciairé, et, comme on dirait
aujourd'hui, amateur du proférés. Son église le prouve; elle est en avance
de vin-l ou trente ans sur les constructions que l'on élevait alors, même
dans le domaine royal. Qu'il ait été le premier à former cette école nouvelle
de coiislrucletirs. ou (ju'ii ail su voir le premiei^iu'à c(Mé de l'école mona-
cale il se formait une école laïque d'archilecles, à nos yeux le mérite serait
le même; mais ce qui est incontestable, c'est la physionomie, nouvelle
pour le temps, des constructions élevées par lui à Saint-Denis. Or nous
retrouvons, à la cathédrale de Noyon, la même construction, les mêmes
procédés d'appareil, les mêmes profils, les mêmes ornements qu'à Saint-
Denis. Nous y voyons ce singulier mélange du plein cintre et de l'ogive,
i/eglise de Saint-Denis de Suger et la (cathédrale de Noyon semblent avoir
été bâties par le même atelier d'ouvriers. L'abbé et l'évêque sont liés
d'amitié; Suger est à la tête du pays : quoi de plus naturel que de supposer
(pie l'évêque Beaudoin, le voyant rebâtir l't^glise de son abbaye sur des
dispositions et avec des moyens de construction neufs pour l'époque, se
soit adressé à lui pour avoir les maiti'es des œuvres et ouvriers nécessaires
à la reconstruction de sa cathédrale ruinée par un incendie? Si ce ne sont
pas là des pieuves, il nous semble que ce sont au moins des piésomptions
frappantes. M. Vitet a compris toute l'importance qu'il y a à préciser d'une
manière rigoureuse la date de la construction de la cathédrale de Noyon.
Cette importance est grande en effet, car la cathédrale de N(jyon est un
monument de transition, et un monument de transition en avance sur son
temps. H |)récède de (juelques années la construction des cathédrales de
» Tels sont, par exemple, les faits relatifs aux Ibiidalions, que Suger dit avoir fait,
exécuter avec le plus grand soin : or ces fondations sont aussi négligées que possible;
aux colonnes du clia-ur, qui auraient été rapportées d'Italie: elles proviennent des
carrières de l'Oise; aux vitraux, dans la fabrication desquels il entra une quantité
considérable de pierres précieuses, sapbirs, éuieraudes, rubis, topazes : or ces vitraux,
donl nous possédons heureusement de nombreux fragments, quoique fort beaux, sont,
bien entendu, eu verre cdloré par des oxules métalliques. On objectera peut-être que
les fabricants cbargés de faire ces vitraux firent croire à Suger que , pour obtenir des
verrières d'une belle couleur, il fallait y jeter des pierres précieuses; mais alors ces
vitraux auraient donc été faits en deboi s de l'abbaye, et Suger se servait donc d'artistes
laïques? Nous sommes plus disposé à croire que ce récit est une exagération. Suger,
tel que nous le représente l'iiistoire, ne paraît pas être homme à se laisser tromper
d'une façon aussi grossière. On devait savoir, dans son abbaye, comment se fabri-
quaient les vitraux.
1 cAriir-oiiAi-K I — ;{<!() —
Paris ol de Siiissoiis. h'audrait-il donc voir, dans 1 église de Sainl-hcnis et
dans It's callit'dralcs de Noyon et de Seidis, le heiceaii de rarcliitectiire
o;,Mvale? Et Su^^er, k la fois abbé et ministre, serait-il le premier qui eût
été chercher les constructeurs en dehors des monastères, qui eût compris
(|iie les arts et les sciences étouHaient dans les cloîtres et ne pouvaient
plus se développer sous leur ombre? Voilii (h^^ questions que iious laissons
à lésoudi'e à plus habiles (|ue nous.
Mais, avant d'enlamer la descriitlion des monuments, (|ue Ion nous
])ermelte encoi'e un argument. Saint-Bernard s'était, à plusieuisrepi'ises,
élevé contre le jioùt des sculptures répandues dans les églises clunisiennes ;
son espi'it droit, j)ositif, éclairé, était cho((ué par ces re[)résentations des
scènes singulièi'emenl traVesties de IWncien et du Nouveau Testament .
ces légendes, celte lavon barbare de tigurer les vices et les vertus (jui
tapissaient les chai)iteaux des églises romanes. A Vézelay même , au
milieu de ces images les plus étrangement sculptées, il n'avait pas craint
de qualifier ces arts de barbares et d'impies, de les stigmatiser connue
confraiies à l'esprit chrétien ; aussi, lorstju'il établit la i-ègle de Cîteaux.
voulut-il j)i'otester contre ce (|u"il regardait connue une monstruosité, en
s'abstenant de loule it^i)réseutation sculptée.
F.es âmes de la lrenq)e de celle de saint Bernard sont rarement comprises
par la loule : (|uand elles sont soutenues par des vertus éclatantes, une
conviction inébranlable et une éloquence entrainanle. tant (ju'elles demeu-
rent au milieu de la société, elles exercent une pression sur ses goûts et
ses habitudes ; mais sitôt (|u'elles ont disparu, ces goûts et ces habitudes
reprennent h'ur empire ; toutefois, de laproleslalion(runesj)rit convaincu,
il reste une trace inefl'açalile. Faites honte à un honune de ses goûts
dépravés, montrez-les-lui sous le côté odieux et ridicule, il ne se corrigera
peut-être pas; mais il modifiera la forme, l'expression de ces goûts. La
protestation de saint Bernard ne changea pas les goûts de la nation pour
les arts plasli(|ues. heureusement; mais il est certain qu'il les modifia, el
les modifia en les foi(,ant de se diriger vers le vrai, vers le beau. Celle
révolution se fait précisément au moment où les arts se répandent en
dehors du cloître, et deviennent le partage des laïques.
A Sainl-neiiis, les étrangetés contre lesquelles saint Bernard s'était
élevé ont déjà disparu. Dans nos cathédrales des xie' et xiii"' siècles, il n'en
reste |)lus trace. Sur les chapiteaux et dans les intérieurs, des ornements
empruntés à la Flore locale; jamais ou très-raremeiil des figures, des
scènes sculptées ; il semble que la voix de saint Bernard tonnait encore
aux oreilles des imagiers.
Dans nos cathédrales, l'iconographie se règle sous la haute direction
des évê(|ues; les ouvrier;? laïques ne tombent jilus dans ces bizarieries
affectionnées par les moiin'S des xi'" et xii*' siècles. La sculpture cherche
moins à surprendre ou terrifier qu'a instruire et ex|)liquer ; ce n'est plu.s
de la superstition, cesl de la foi. de la poésie, de la science.
Aillai, cftnslalon^ bien ce l'ail : avec le besoin d'élever nos grandes
:{(il —
[ ( ATHÉDKALt
catliéflralj's. liait un sysfèiiu* do ronstnuti<»ii nouveau, apparaît un art
nouveau, en ilehors de riiithieiue des ordres monastiques, et jMesquen
opposition avee l'esprit de ees ordres.
Revenons à la cathédrale de Noyon. Cest donc vers 1150 quelle fut
connuencée; l'église de Saint-Oenis . Italie par Suger, avait été dédiée en
1 110 et Il4i.
Nous donnons (7) le plan de la cathédrale de Noyon '. Le ciid'ur, le
transsept appartiennent à la construction de Beaudoin ; la nef paraît navoir
été terminée que vers la tin du xii« siècle. Nous ne pouvons mieux faire ici
« Ces pians sout tous à la même échelle , 0,001"' pour mètre. Il est entendu que
lorsque nous parlons du côté sud . c'est la droite que nous prétendons indiquer ; du
nord, c'est la gauche pour celui qui regarde la planche; toutes les cathédrales étant
orientées de la même manière, sauf de très-rares exceptions.
I (ATHÉDRAI.E | 'MH
que (le cilci M. Vilet ', pour expli(|iiei' la forint de (tr |>lan »'l !«' iiicluii;;»'
prononcé du plein cintre et de l'ogive dans cette église déjà toute ogivale
connue constiuction :
« Lorsque Beaudoin II entieprit la reconstruction de sa cathédrale, il
M existait à Noyon une connnune depuis longtemps établie, et consacrée
« par une paisible jouissance, niais placée en quelque sorte sous la tutelle
« de levéque. (Test le rellel de celte situation que nous présente l'arcln-
« lecture de l'église. Le nouveau style avait déjà lait trop de chemin à
« cette époque pour qu'il ne fût pas franchement ado|)té, surtout dans un
(( édifice séculier et dans une ville en possession de ses franchises ; mais
« en même temps le j)ouvoir teiiq)()iel de l'évoque avait encore trop de
« réalité p<)Ui(|u'il ne l'ùl pas fait une large part aux traditions canoniques.
« Nous ne prétentions pas ([ue cette part ait été réglée pai' une transaction
« explicite, ni même (juil soit intervenu aucune convention à ce sujet : les
« faits de ce genre se passent souvent presque à l'insu des contemporains.
« Que de fois nous agissons sans nous douter que nous obéissons à une
c( loi générale ; et cependant cette loi existe, c'est elle qui nous fait agir,
« et d'autres que nous viendi-ont plus tard en signaler l'existence et au
«, apprécier la j)ortée. (l'est ainsi que l'évè(|ue et les chanoines, tout en
« confiant la conduite des travaux à quelque maître de l'œuvre laïque,
(( parce que le tenqis le voulait ainsi, tout en le laissant l)àtii' à sa mode,
K lui auront reconmiandé de conserver quelque chose de l'ancienne église,
« d'en rappeler l'aspect en certaines parties; et de là tous ces pleins cintres
« dont l'extérieur de l'édifice est pei'cé, de là ces grandes arcades circu-
« laires qui lui servent de couronnement tant au dedans (|u'au dehors. Il
« est vrai (jue les profils déliés de ces arcades les rendent aussi légères
« que des ogives; l'obéissance de l'artiste laïque ne pouvait pas être plus
« complète; elle consistait dans la forme et non pas dans l'esjjrit.
« C'est encore poui- com{)laire aux souveniis et aux prédilections des
K chanoines (|ue le plan semi-circulaire des transsepts ama été maintenu :
i! la vieille église avait probablement ses bras ainsi arrondis, suivant
« l'ancien type byzantin. Mais tout en conservant cette forme, on scnililc
« avoir voulu racheter l'antiquité du plan par un ledoublemenl de non-
ce veauté dans l'élévation. Remarquez, en ettét , que ces transsepts en
« hémicycles sont percés de deux rangs de fenêtres à ogive, tandis (|ue,
« dans la nef, bien (ju'elle soit évidennnent posterieui'e, toutes les fenêtres
« sont à plein cinire.
« II est très-probable aussi que la fornie arrondie de ces deux transsepts
« a été conservée en souvenir de la cathédrale de Tournay, cette sœur de
« notre cathédrale. A Tournay, en effet, les deux transsepts byzantins
« subsistent encore aujourd'hui dans leur majesté primitive, avec leur
« ceinture de hautes et massives colonnes. En I !.%;{, la séparation des deux
« sièges n'était prononcée que depuis sept années. La mémoire de ces
I Monnij. de l'église dr N.-D. dr .V(»i/o/», par M. !.. Vitet, 1845.
3(n —
I (:atii(:i>hai E |
(( admirables traiissepts était encore toute fraîche , et c'est peut-être eu
<i ténioiiiiiaiit' (le ses rciirets . et connue une sorte de protestation contre
« la bulle du Saint-I*ère ', que le chapitre tie Noyou voulut que les trans-
« septs de sa nouvelle église lui rappelassent , au moins par leur plan,
« ceux de la cathédrale qu'il avait perdue.... »
L'incendie de 1131 ne fut pas le seul qui attaqua la cathédrale de
iNoyon : en 1152, la ville fut bridée, et la cathédrale fut probablement
atteinte; mais alors, ou léjilise de Beaudoin n'était pas conunencée, ou
elle était à peine sortie de terre, et l'incendie ne put détruire que des
constructions provisoires faites pour que le culte ne fût pas interrompu
pendant la construction du nouveau chœur. En 1238, *le feudé\asta, pour
la troisième fois, une grande partie de la ville. En 1203, quatrième
incendie, qui brûla les charpentes de la nouvelle cathédrale et lui causa
des donnnages considérables. Ces dévastations successives expliquent
certaines singularités que l'on remarque dans les constructions de la
cathédrale de Noyon. Nous allons y revenir.
Observons d'abord que le plan du chœur de la cathédrale de Noyon est
accompagné de cinq chapelles circulaires et de quatre chapelles carrées ;
or ces chapelles sont la partie la plus ancienne de toute l'église. Nous
avons vu et nous verrons que les plans des cathédrales bâties vers la tin
du xu'" siècle et le commencement du xni*', comme Notre-Dame de Paris,
Bourges, Laon, Charti-es, sont totalement ou presque totalement dépour-
vues de chapelles. Mais Noyon précède le grand mouvement qui porte les
évêques et les populations à élever de nouvelles cathédrales, mais le plan
de Noyon est encore soumis à l'influence canonique ou conventuelle; mais
enfin Noyon suit la construction de l'église de Saint-Denis, qui possède de
même des chapelles circulaires et des chapelles carrées à l'abside. Si nous
examinons le plan de Notre-Dame de Noyon , nous voyons encore qu'à
l'entrée du chœur, après les deux piles des transsepts, sont élevées deux
piles aussi épaisses. En regard, les maçonneries des bas-
côtés ont également une grande force, et contiennent
des escaliers. Des tours sont conmiencées sur ce point,
elles ne furent jamais terminées. Dans la nef, dont la
construction paraît être comprise entre les années 1 180
et 1190, nous voyons cinq travées presque carrées por-
tées par des piles formées de faisceaux de colonnes, et
divisées par des colonnes monocylindiiques. Cette dispo-
sition indique nettement des voûtes composées d'arcs
ogives portant sur les grosses piles, avec arcs doubleaux
simples sur les piles intermédiaires (8). C'est, en etfet, le
mode adopté pour la construction des voûtes de Notre-Dame de Paris, de
• La réunion des deux évècliés de Touniay el de Noyon fut niainlenne jiisqne vers
41.35; à cette époque, les chanoines de loinnay obtinrent une Itulle qui pronouçait la
séparation des deux diocèses et donnait à Tonrnay un évèque propre.
[ CATHÉDUAI.K | — .JOi —
Bour^«\s Pt (le Laoïi ; coppiidant, contraironient à ccfto dispositidii si
l)i(Mi écrite dans le plan (1<' la nef, les voûtes sont constiuitcs conforiné-
nient à l'usa^'e adopté au xiii*' siècle, cest-à-dire que chaque pile, finisse
ou fine, porte arcs doubleaux et arcs ofi;ives (voy. fi^'. 7) ; seulenuMit les
arcs doubleaux des grosses piles sont plus épais que ceux posés sur les
piles intermédiaires. Il y a lieu de croire f|ue ces voùles de la nef furent
en partie refaites après l'incendie de 1:2.'JS, les piros arcs doubleaux seuls
auraient été conservés; et, au lieu de refaire ces voûtes ainsi quelles
avaient existé, c'est-à-dire avec arcs oi>ives portant seulement sur les
grosses piles, on aurait suivi alois la méthode adoptée partout. Si nous
examinons les profils de ces arcs ogives et des arcs doubleaux portant sur
les piles intermédiaires, nous voyons qu'en eHet ces profils ne pai'aissent
pas appartenir à la lin du xii*' siècle. Les voûtes du dueur et des ('haj)elles
absidales seules sont certainement de la (construction primitive; leurs
nervures sont ornées de perles, de rosettes très-délicates, comme les
arcs des voûtes de la partie antérieure de l'église de Saint-Denis. Quoi
qu'il en soit, la cathédrale de Noyon était complètement terminée à la fin
du xn«^ siècle, et, sauf (pu'Iques adjonctions et lestaurations faites aj)rès
Tincendie de h29.'î et après les guerres du xvi^ siècle, elle est parvenue
jusqu'à nous à peu près dans sa forme première.
A Noyon, comme à la cathédrale de Paris, et comme dans l'église de
Saint-Denis construite jiar Sugei-, les collatéraux sont surmontés d'une
galerie voûtée au premier étage '. En examinant la coupe du chceur. on
voit ((ue l'arcature ((ui surmonte la galtM'ie du premier étage n'est (pi'un
faux trifoiium, sinqile (léc(»ration i)la(|ué(> sur le nun- (jui est élevé dans la
hauteur du comble en appentis recouvrant les voûtes du premier étage.
Dans la nef, cette arcature est isolée : c'est un véritable triforium comme
à la cathédrale de Soissons dans le croisillon sud (voy. architecture reli-
gieuse, fig. .'51). Une belle salle capitulaire et un cloître du xiir siècle
acconq)agnent,du( ôtenoid.la nef de lacatht'drale de Nctyon (voy. cloître,
SALLECArriULAUu:). Deux grosses tours, for! detiguréespar desrestaui'ations
successives, et dont les fU'ches primitives ont été remplacées, si jamais
elles ont été faites, par des combles en charpente, sont élevées sur la
façade. (Juaiit au porche, il date du (ounuencement du xive siècle; mais
cette parti(^ de l'édifice n'offre aucun intérêt.
Il est une cathédrale (|ui remplit exacteuK'Ut les conditions imposées aux
reconstructions de ces grands édifices à la fin du xu'" siècle et au commen-
cement du xin*", c'est celle de Laon. On a voulu voir, dans la calhedrale
actuelle de Laon, celle qui fut leconstiuite ou réparée après les désastres
qui signalèrent, en 11 1*2, rétablissemeiil de la conmiune. Cela n'est pas
admissible; le monument est là, qui, mieux (pie tous les textes, donne la
date i)récise de sa reconstruction, et nous n'jivons piis besoin de revenir
' \nv. I;) MdiiDij. lie /V(///.sr dr A.-/', ilc Aoijon, [kw .M. !.. \ ilcl, <l l',ill;i^ «le
|il;iinlir>, ji.ii M. I> Uiiinoo. i84.*).
— 30?) — [ CATHfiDKAI.K |
là-(lossiis apivs los obstMvatioiis que M. Vile! a iiiséréos sur la cathédrale
(le Laon dans sa Monographie de Notre-Dame de Xoi/oti.
La catliedrale de Laou (iM |)res(Mi(e en plan une ;4iand(' net' avec colla-
téraux, coupée à peu près vers son milieu par des Iranssepis ; lahside se
termine carrément^ bien que primiliveinenl elle fût sur plan circulaire.
Deux chapelles sont seulement prali(|uées vers lest aux deux extrénntés
des bras de ci-oix. La ville de Laon était, pendant les xn*' et xmi'- siècles
une ville riche, pojxdeuse. tuibulente ; elle selablit à main armée une
des premières en connnune, et obtint de i*hili|)pe-Au^Histe, après bien
des tumullcs (M des violences, <'n ll'.tl, une paix, ou confirmati(»n
de la commune, moyennant une renie annuelle de deux cenis livres
T. 11. ;{()
I (.ATHfl>U\I.K ] .■J(><)
parisis'. (^pst probahlcinciit pou do tomps aprôs l'octroi do oolto p(ii.r
(|iio los ritoyons i\o Laon , possossoui's tranqiiillos ûo lours IVanchisos.
aidoi'oiit los évèquos do oo diocèse à éhnor radiuiiablo édifice que nous
voyons encore aujourd'hui.
De toutes les populations urbaines qui, dans lo nord de la France,
s'établirent en connnune, celle de Laon fut une des plus énergiques, et
dont los tondanros furont plus parlicidiônMnont démocratiques. Lo plan
donné à leur cathédrale fut-il une sorte do concession à cet esprit? Nous
n'oserions latlirnior ; il non est pas moins certain que ce plan est celui do
toutes nos grandes cathédrales qui se prête le mieux, par sa disposition,
aux réunions populaires, (^est dans ce vaisseau, qui conserve tous los
caractères d'une salle innnense, que, pondant plus i]o trois siècles, se
passèrent , à certaines époques de l'année , los scènes los plus étranges.
Nous avons dit déjà « qu'on y célébrait, lo -2H décembre, la féto dos Inno-
cents '% où los enfants do chœur, portant chapes, occupaient los hautes
stalles et chantaient rollice avec toute espèce de bouttonnorios ; le soir, ils
étaient régalés aux frais du chapitre '. Huit jours après, venait la fête des
Fous. La veille de l'Epiphanie, les chapelains et choristes se réunissaient
pour élire un pape, qu'on apj^olait lo jiatriarcho dos Fous. Ceux qui s'abs-
tenaient do loloction payaioni uiio amende. On ollrait au patriarche lo
pain et lo vin do la part du chapitic, (pii donnait, on outre, à chacun, huit
livres parisis pour le repas. Toute la troupe se revêtait d'ornements
bizarres, et avait, les doux jours suivants, l'église entière à sa disposition.
Après plusieurs cavalcades par la ville, la fête se terminait par la grande
procession des rabardiau.r. (-es fai'cos furont abolies on I.MiO; mais le
souvenir s"on conserva dans l'usage, (jui subsista jusqu'au dernier siècle,
do distribuer, à la messe de l'Epiphanie, des couronnes de fouilles vertes
aux assistants '\.. Au xv«^ siècle, de nombreux mystères furent représentés
dans la cathédrale de Laon, et los chanoines eux-mêmes ne dédaignèroni
pas d'y figurer connue acteurs ^ En li{>'2, aux fêtes de la Pentecôte, on
joua la Passion de N.-S. Jésus-t^hrist, distribuée en cinq journées.... Le
20 août I iTO, on représenta un mystère intitulé : Les Jeiw de la vie de
Monseigneur saint Denijs. Atiiï de faciliter la rei)résentation, la messe
fut dite à huit heures et les vêpres chantées à midi ''.... »
Si le chapitre et les évêques de Laon croyaient nécessaire de faire de
sond)lables concessions morales aux citoyens, no pout-on admettre que
cette toléianco influa surlosdispositionsprimilivos du plando laoalhodraioV
Après los luttes et les scènes lragi(pios i[u\ onsanglantèront rétablisse-
ment de la commune de Laon, lors(iuo. par l'entremise du pouvoir royal,
cette conmiune fut définitivement constituée, il est probable que, d'un
' Aug. Thierry, Letlrea sur l'Iiist. dn France. (Iveltre XVlll.)
'■' /:.s.s(i) liixt. rt archéol. sur l'i-gl. cnihécl. de N.-IK de L(iou\ \Y.\r .1. Marimi; 1X4:5.
^ Dom Bugiiâlre. — ^ Idem.
^ lieyisl. cupil. — ^ Ibidem.
307 — [ CAIHÉDUALE |
comimin accord, le cliai)iln', rt''vc(]iip et les hourj^eois élevèrent cet édifice
à la fois idi^ieux et civil, (^est par des concessions de ce genre que le
clergé put amener les citoyens d'une ville riche à faire les sacrifices d'argent
nécessaires à la construction d'un inonument qui devait servir non-seule-
ment au culte, mais même à des assemblées profanes. Nous ne nous dis-
simulons pas combien ces conjectures paraîtront étranges aux personnes
qui n'ont pas , pour ainsi dire, vécu dans la société du moyen âge, qui
croient que cette société était soumise à un régime purement féodal et
théocrati(|ue ; mais (juand on pénètre dans cette civilisation qui se forme
au xne siècle et se développe au xiii*', on voit à chaque pas naître un besoin
(le liberté si prononcé à côté de privilèges monstrueux, une tendance si
active vers l'unité nationale , qu'on n'est plus étonné de trouver le haut
clergé disposé à aider à ce mouvement et cherchant à le diriger pour ne
pas être entraîné et débordé. Les evéques aimaient mieux ouvrir de vastes
édifices à la foule, sauf à lui permettre parfois des saturnales pareilles à
celles dont nous venons de donner un aperçu, plutôt que de se renfermer
dans le sanctuaire, et de laisser bouillonner en dehors les idées populaires.
Sous les voûtes de la grande cathédrale, les assemblées des citoyens, quoi-
que profanes, étaient forcément empreintes d'un caractère religieux. Les
populations urbaines s'habituaient ainsi à considérer la cathédrale comme
le centre de toute manifestation publique. Les évèques et les chapitres
avaient raison, ils comprenaient leur époque ; ils savaient que, pour civi-
liser des esprits encore grossiers, faciles à entraîner, unis par un profond
sentiment d'union et d'indépendance, il fallait que le monument religieux
par excellence fût le pivot de tout acte public.
Laon est une ville turbulente qui, pendant un siècle, est en lutte ouverte
avec son seigneur, l'évéque. Après ces troubles, ces discussions, le pouvoir
royal qui , par sa conduite, commence à inspirer confiance en sa force,
parvient à établir la paix ; mais on se souvient, de part et d'autre, de ces
luttes dans lesquelles seigneurs et peuple ont également souffert; il faut
se faire des concessions réciproques pour que cette paix soit durable. La
cathédrale se ressent de cette sorte de conqjromis; sa destination est
religieuse, son plan conserve un caractère civil.
A Noyon, d'autres précédents amènent des résultats différents.
« En l'année 1098, dit M. A. Thierry ', Baudri de Sarchainville, archi-
« diacre de l'église cathédrale de Noyon, fut promu, par le choix du clergé
(( de cette église, à la dignité épiscopale. C'était un homme d'un caractère
(( élevé, d'un esprit sage et rétléchi. Il ne partageait point l'aversion
« violente que les personnes de son ordre avaient en général contre
« l'institution des communes. Il voyait dans cette institution une sorte
M de nécessité sous laquelle, de gré ou de force, il faudrait plier tôt ou
K tard, et croyait qu'il valait mieux se rendre aux vœux des citoyens que
« de verser le sang pour reculer de (juelques jours une révolution inévi-
Liilrcs sur l'hist. de France, (l.ellre XV.)
CATHÉUH.VLi: | — 308 —
« table De son propre mouvenieiit, l'évt-'fpie de Noyoïi convoiiua en
(( assemblée tous les habitants de la ville, eleirs, chevalieis, connneivanls
« et ji^ens de métier, il leui piésenta une charte qui constituait le corps
'< des bourgeois en association perpétuelle, sous des magistrats appelés
« jurés, comme ceux de Cambrai.... )x
M. Vite! a donc raison de dire ' «(ue « lorsque Beaudoin II entrepiit
« la reconslinction de sa cathédrale, il existait à Noyon une commune
(< depuis longtemps élablie, et consacrée par vue fjaisihle jouissance,
« mais placée en quelque sorte sous la tutelle de l'évèque. »
Aussi lacathédrale de Noyon présente-t-elle le ijlandunédiMceivligieux:
abside avec chapelles , transsepts avec croisillons arrondis. Là, le clergé
est resté le directeur de l'œuvre, il n"a besoin de l'aire aucune concession ;
il n'a pas eu recours, non plus (|ue la connuune, loi-squ'il commença
l'œuvre, à l'inteivention du pouvoir royal. 11 entre dans la calhédiale de
Noyon moins d'éléments hùques (\uv dans celle de Senlis, par exemple,
construite en même temps, et où l'ogive domine sans partage; mais la
cathédrale de Noyon est de près de cin(|uante années antérieure à celle de
Laon. Il n'est pas surprenant, objectera-t-on, que son plan se rapproche
davantage des traditions cléricales; cela est vrai. Cependant, nous avons
vu le plan de la cathédrale de Bourges, contemporaine de celle de Laon,
où la tradition cléricale est encore conservée ; nous verrons tout à l'heure
le plan de la cathédrale de Chartres, où, plus (|u'à Bourges encore, les
données religieuses de l'architecture romane sont observées. Laon , au
contraire, possède un plan dont le caractère est tranché; il a fallu l'aire
une large part aux idées laï(|ues. P»Hit-èti'e voudra-t-on prétendre encore
(jue, les évèques de Laon ayant eu de fréquents rapports avec l'Angleterre,
leur cathédrale aurait pris la disposition carrée du plan de l'abside aux
monuments de ce pays; l'observation ne saurait être admise, par la raison
(|ue les absides carrées anglaises sont postérieures à celle de la cathédrale
de Laon : lechceur de la cathédi-ale de Canlorbéiy, (]ui date du xii« siècle,
est circulaire; les absides carrées d'Ély.ih» Liiuoln.iu'sont pas antérieures
à l!230.
Ce n'est pas seulement cette abside carrée, lefaite après coup, (jui nous
frappe dans le plan de la cathédrale de Laon (Hg. 9), c'est encore la dispo-
sition des collatéraux avec galeries supérieures voûtées, connue à Notre-
Dame de i*aris, comme à Noyon , comme à la cathédrale de Meaux dans
l'origine; c'est la place qu'occupent les chapelles circulaires des trans-
septs, chapelles à deux étages; c'est la présence de quatre tours aux
quatre angles des deux croisdlons et d'une tour carrée sur les piles de
la croisée; c'est cette graiule et belle salle capitulaire qui s'ouvre au sud
des premières travées de la nef; ce sont ces deux salles, trésors et sacristies,
(jui avoisinent le clKeui- et sont réservées entre les collatéraux et les cha-
j)elles circulaires. On \oil m loul ceci un plan con(,u et exécuté d'un seul
' Mouoij. (le In cdtlK'tlrdlc (U iS'oijoti.
:]{Y.) — [ CATUtDRALK \
jet, une disposition bien tranche conunandée par un proj,Tannne arrêté.
Quant au style d'architecture adopté dans la cathé(hale de Laon , il se
rapproche de celui des parties de Notre-Dame de l'aris qui datent du
conmiencenient du xiii-' siècle; il est cependant plus lourd, plus trapu;
il faut dire aussi que les matériaux employés sont |)lus j^nossiers.
A la fin du xiif siècle, ce beau plan fut défijjuré par l'adjonction de
chapelles élevées entre les saillies des contre-forts de la nef. Une salle fut
érigée au milieu du préau du cloître. C'est aussi pendant le cours du
xiu'' siècle que les disjjosilions premières du porche furent nioditiees. Les
sept tours étaient surmontées de flèches, détruites aujourd'hui (voy. au
mot clocher).
Malgré son importance, la cathédrale de Laon fut élevée avec une préci-
pitation telle, que, sur quelques points, et particulièiement sur la façade,
les constructeurs dédaignèrent de prendie les précautions que l'on prend
d'ordinaire lorsque l'on bâtit des édifices de cette dimension : les fonda-
tions furent négligées, ou bloquées au milieu des restes de substructions
antérieures; on ne laissa pas le temps aux constructions inférieures des
tours de s'asseoir, avant de terminer leurs sommets. Il en résulta des
tassements inégaux, des déchirements qui compromirent la solidité de la
façade '.
La cathédrale de Laon conserve quelque chose de son origine démo-
cratique; elle n'a pas l'aspect religieux des églises de Chartres, d'Amiens
ou de Reims. De loin, elle parait un château plutôt qu'une église; sa nef
est, comparativement aux nefs ogivales et même à celle de Noyon, basse;
sa physionomie extérieure est quelque peu brutale et sauvage; et jusqu'à
ces sculptures colossales d'animaux, bœufs, chevaux, qui send)lent garder
les sommets des tours de la façade (voy. ammalx), tout concourt à produire
une iujpression d'ettVoi plutôt qu'un sentiment religieux, lorsqu'on gravit
le plateau sur lequel elle s'élève. On ne sent pas, en voyant Notie-Dame
de Laon, l'empreinte d'une civilisation avancée et policée, connue à Paris
ou à Amiens; là, tout est rude, hardi : c'est le monument d'un peuple
entreprenant, énergique et plein d'une mâle grandeur. Ce sont les mêmes
honmies que l'on retrouve à Coucy-le-Château, c'est une race de géants.
Nous ne quitterons pas celle partie de la France sans parler de la cathé-
drale de Soissons. Cet édifice fut certainement conçu sur un plan dont les
dispositions rappellent le plan de la cathédrale de Noyon ^10). Connue à
Noyon, le transsept sud de la cathédrale de Soissons, qui date de la fin
du xw siècle, est arrondi, et il est fianqué à l'est d'une vaste chapelle
circulaire à deux étages, connue celles des transsepts de Laon. A Soissons,
ce croisillon circulaire possède un bas-côté avec galerie voûtée au-dessus
1 CeUe partie de la cathédrale de Laon est aujourd'hui en pleine restauration, sous
la direction de M. Bœswihvald , architecte des nionmnents historiques. I.a cathédrale
de Laon n'est plus siét;e épis(op;il depuis la révolution ; elle dépend du siège de Sois-
sons
CATHÉDKALE
— :no —
et triforiuin dans la hauteur du comhU' do la jïalorio (voy. arcmitectlrk
REi.iGiKi SK, i\{i. ."{() et .'{1 ). l/t'la^'o supérieur de la chapelle eirrulaire servait
de trésor avant la révolution ; était-ce là sa destination i)i'iiuitive? C'est
ce que nous ne pourrions dire aujourd'hui, n'ayant aucune donnée sur
Tutilité de ces chapelles à deux étages, (|ue nous retrouvons encore à
Saint-Reniy de Reims et dans la grande église de Saint-Cernier.
pectAkd
Que la cathédrale de Soissons ait été élevée coniplélenient pendant les
dernières années du xii« siècle, ou seulement conmiencée, toujours est-il
que le chœur et la nef furent construits pendant les premières années du
xiiie siècle. Le chœur est accompagné de cinq chapelles circulaires et de
huit chapelles cai'rées. C'est dtîjà une moditication au plan des cathédrales
de cette époque. Le transsept nord ne l'ut termine (|ue plus tard, ainsi
(|ue la fa(,ade.
Jus(|u"à présent, nous \(>)(»n> régner, dans ce> edilices élevés depuis le
— •'{! I — [ (.ATHÉDRAF.K ]
miliou (lu xii»^ siècle jusqu'au ('(tiiuutMiconiont du xrii*' ', une sorte d'incer-
titude; les plans do CCS cathédrales françaises sont comme autant d'essais
subissant rinlluence de pio^Mannnes variés. On élève des cathédrales
nouvellt^s plus vastes que les éj^lises romanes, pour suivre le mouvement
qui s'était si bien prononcé pendant les rèjjfnes de Louis le Jeune et de
Philippe-Auguste; mais la cathédrale type n'est pas encore sortie de
terre. Nous allons la voir naître définitivement et arriver, en quelques
années, à sa jierfection.
A la suite d'un incendie qui détruisit de tond en comble la cathédrale
de (Ihartres, en 10^0, l'évèque Fulbert voulut reconstruire son éfdise. Les
travaux furent continués par ses successeurs à de longs intervalles. En
1 145, les deux clochers de la façade occidentale, que nous voyons encore
aujourd'hui, étaient en pleine construction. En I lOi, un nouvel incendie
ruina léditice de Fulbert à peine achev(''. Les parties inférieures de la
façade occidentale , le clocher vieux terminé et la souche du clocher neuf
resté en construction échappèrent à la destruction. Sur les débris encore
fumants de la cathédrale , iMélior, cardinal-légat du pape Célestin III, fit
assembler le clergé et le peuple de Chartres, et, à la suite de ses exhorta-
tions, tous se mirent à l'œuvre pour reconstruire, sur un nouveau plan,
l'ancienne église Notre-Dame ^ L'évèque Reghault de iMouçon et les
chanoines abandonnèrent le produit total de leurs revenus et de leurs
prébendes pendant trois années.
.... Borjois et rente et niueble
Abandonèrent en aie
rhascun selon sa nienantie '.
Philippe-Auguste . Louis VIII et saint Louis contribuèrent par leurs
dons à l'érection de la vaste église.
Déjà, en 1220, Guillaume le Breton parle de ses voûtes «que l'on peut
comparer, dit-il, à une écaille de tortue, » et qui sont assez solides pour
défier les incendies à venir.
La fig. 1 1 tlonne le plan de la cathédrale de Chartres. Ici, lintluence reli-
gieuse paraît tout entièi^e. Trois grandes chapelles à l'abside, quatre autres
moins prononcées entre elles, doubles bas-côtés d'une grande largeur ;
autour du chœur, vastes transsepts. Là, le culte peut déployer toutes ses
pompes; le cha^ur, plus qu'à Paris, plus qu'à Bourges, plus qu'à Soissons
et à Laon surtout, est l'objet principal ; c'est pour lui que l'église est faite.
Il faut supposer que l'église de Fulbert était très-vaste déjà, car les cryptes
1 Nous comprenons la cathédrale de Bourges dans celte période , parce qu'il y a
lieu de présumer, eu examinant son plau , que les architectes du xiir siècle qui la
construisirent exécutèrent un projet antérieur, peut-être celui qui avait été conçu dans
la seconde moitié du xn' siècle.
* Deacripl. (/^ lu calhéd. de Chartres, par l'abbé liulteau. 1850.
' Poème des Miracles, p. 27. (Jelian le Marchant.,
CAllUCDItAI-K
— .iH —
(|iii cxislcnt, <'t (latent de son «''pis('o|)at . occupent la surface entière du
ineniier l)as-cùte; la nef centrale et le clut'ur étant nu tene-plein , le
\iii<' siècle n ajouta donc a l'editîce roman, connue suil'ace. que le second
i)as-côté du chœur, les chapelles ahsidales et les extréuiilés des deux
ti'anssepts.
3l:{ 1 CATHÉUKALI-; J
Nous voyons se reproduire à Notre-Dame de (-liartres un fait analoj;;ue
à ceux sif,Mialés(lans la construrlion descallu'drales de l*aris et de Bourges.
Non-seulement les arehittMtes du xuesiècle eonservèrent les deux clochers
occidentaux de l'église du xie' siècle, mais ils ne voulurent pas laisser
perdre les trois belles portes qui donnaient entrée dans la nef et étaient
autrefois placées au fond d'un porche en A (voy. le plan). On voit encore
entre les. deux tours la trace des constructions de ce porche et l'amorce
du mur de face. Les trois portes, avec leurs belles statues, les tympans,
voussures et fenêtres qui les surmontent, replacées sur l'alignement des
deux clochers, furent couronnées par une rose s'ouvrant sous la voûte de
la nef centrale. La construction de la cathédiale de Chartres fut conduite
avec une incroyable rapidité. L'enqîressement des populations, des sei-
gneurs et souverains, à mener l'œuvre à fin ne fut nulle part ])lus actif.
Aussi, cet édifice présente-t-il une grande liomogénéité de style ; il devait
être complètement achevé vers HiO '. Ue l"2i() à 1:250, on ajouta des
porches aux deux entrées des transsepts; la sacristie fut bâtie au nord,
proche le chœur, à la fin du xui^ siècle, et, vers le milieu du xiv^ siècle,
on éleva, derrière l'abside, la chapelle Saint-Piat à deux étages. C'est
aussi pendant la seconde moitié du xur siècle que fut posé l'admirable
jubé qui fermait l'entrée du chœur il y a encore un siècle ^
A Notre-Dame de Chartres, la nef est courtecomparativement au chœur;
c'est probablement pour lui donner deux travées de plus que l'ancien
porche de la façade fut supprimé et les portes avancées au nu du nmr
extérieur des tours. Voulant conserver, pour bâtir le chœur, la crypte qui
lui sert de fondations et les deux belles tours occidentales, il n'était pas
possible de donner à l'église une plus grande longueur.
Aux quatre angles du transsept, quatre tours B furent commencées
(voy. fig. l'2, présentant le plan du premier étage de la moitié du chœur
et des transsepts de la cathédrale de Chartres) ; elles restèrent inachevées,
ainsi que la tour centrale qui, probablement, devait s'élever sur les quatre
gros piliers C de la croisée. Deux autres tours A furent élevées sur les
deux dernières travées du second bas-colé du chœur précédant les cha-
pelles absidales; ces tours restèrent également inachevées à la hauteur
des corniches supérieures du clia'ur. C'étaient donc neuf tours qui
surmontaient la grande cathédrale du pays chartrain. Les tours situées
en A, en avant du rond-point, appartiennent à une disposition normande ;
beaucoup d'églises de cette province possédaient ainsi des tours élevées
sur les bas-cùtés au delà des transsepts. Ce monument , complètement
achevé avec ses neuf flèches se surpassant en hauteur jusqu'à la flèche
centrale, eût produit un efîét prodigieux.
Une seule chapelle fut élevée au sud, entre les contre-forts de la nef, en
• Notre-Dame de Cliartres fut dédiée seulement le 17 octol^ie 1260.
s Des fragments de ce jubé ont été découverts en gi'and nombre sous le dallage ; ils
sont de la plus grande beauté, et déposés aujourd'bui dans la crypte et sous la chapelle
Saint-Plat (voy. jibé).
T. II. io
CATHËUKAI.K
— Mi
p£ûUii<ir:
1413. Au (■ominciuniK'iit du wv si<Vlr , ou Ipruiuia le cloc lier uuni du
M^ I r.ATHÉDUAI.K ]
portail qui était resté inachevé, et on dressa la {jjraeieuse clôture du chœur
que nous voyons encore aujourd'hui, et qui seule a résisté en partie aux
mutilations que les chanoines tirent subir au sanctuaire pendant le dernier
siècle. Toutes les verrières de cet édifice sont de la plus grande magnifi-
cence et datent du xiii' siècle, sauf celles des trois fenêtres du portail
occidental, qui furent n^placées avec leurs baies et qui proviennent de
l'église du xii»" siècle.
(uiillnunie le Breton avait raison lorsque, en l'2'20, il disait que la
cathédrale de Chartres n'avait plus rien à craindre du feu. En I83(j, un
terrible incendie consuma toute la charpente supérieure et le beau betîroi
du clocher vieux (voy. beffroi). La vieille cathédrale put résister à cette
épreuve; elle est encore debout telle que les constructeurs du xiii*' siècle
nous l'ont laissée ; elle demeure comme un témoin de l'énergique puissance
des arts de cette époque ; et. du haut de la colline (jui lui sert de base, sa
mâle silhouette, qui de neuf llèches n'en possède que deux, est une cause
d'étonnement et d'admiration pour les étrangers qui traversent la Beauce.
Nous ne trouvons plus à Chartres la galerie supérieure voûtée ; un
simple triforium, décoré d'une arcature, laisse une circulation intérieure
tout au pourtour de la cathédrale, derrière les condtles en appentis des
bas-côtés. Cette église , la plus solidement construite de toutes les cathé-
drales de France \ ne présente , dans sa coupe transversale, rien qui lui
soit particulier, si ce n'est la disposition des arcs-boutants (voy. arc-bol-
TANT, fig. 54) .
Afin de conserver un ordre logique dans cet article, nous devons,
quant à présent, laisser décote certains détails sur lesquels nous aurons
à revenir', et poursuivre notre examen sommaire des cathédrales élevées
au commencement du xui^ siècle. Jusqu'à présent, nous avons présenté
des plans dans lesquels il se rencontre des indécisions, des tâtonnements,
l'empreinte de traditions antérieures. A Chartres même, les fondations
de l'église de Fulbert et la conservation des vieux clochers ne laissent pas
aux architectes toute leur liberté.
En 1-211, l'ancienne cathédrale de Reims, bâtie par Ebon, et qui datait du
ix*^ siècle, fut détruite de fond en comble par un incendie. Cette église était
lambrissée, et affectait probablement la forme d'une basilique. Dès l'année
suivante, en 1-21-2, Albéricde Humbert, qui occupait le siège archiépiscopal
de Reims, posa la première pierre de la cathédrale actuelle; l'œuvre fut con-
fiée à un honmie dont le nom nous est resté, Robert de (V)ucy. Si le monu-
ment était champenois, l'architecte était d'une ville voisine dudomaineroyal;
il ne faut pas oublier ce fait. Le plan conçu par Robert de Coucy était vaste,
établi sur des bases solides; cet architecte doutait de pouvoir l'exécuter tel
« La cathédrale de Chartres est bâtie en pierre de Berchère ; c'est un calcaire dur,
grossier d'aspect, mais d'une solidité à toute épreuve. Les blocs employés sont d'une
"randeiir extraordinaire. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces détails (vov. arc-
BOUTANT, BASE, CONSTUl CTKIN , WOROHli, PILIER, SOIBASSEMENT).
[ CATIIÉDUALK J — 3I() —
qu'il l'avait projot»'; il doutait de l'étenduo des ressources, et peut-rtic
de la constance des Héniois. Ses doutes n'étaient (|ue trop fondés, (dépen-
de la constance (les neniois. >es doutes n eiaiein (|ue irop londes. (>epen-
dant le projet de Kobert l'ut rapidement exécuté ius(iu"à la hauteui- des
voûtes des bas-côtés, depuis le chœur jusqu'à la moitié de la nef environ.
pcgam se
Nous présentons (i;{) le plan de la cathédrale de Reims.
Si nous comparons ce i)lan avec ceu\ de Notre-Uaine de Paris, des
— .317 — I CATHÉDRALK ]
calhédialt's de R(»urj:es, do Noyon, de Laon el de Chartres, nous serons
frappés de ré|)aisseur proportionnelle des eonstiuetions formant le péii-
inètre de ["«'ditice. (Vesl que Hohert de Coucy ajtparteiiait à une éeole de
constructeurs robustes, «jue cette école s'était élevée dans un pays où la
pierre est abondante ; c'est, bien plus encore, que Robert avait con(,'u un
édifice devant atteindre des dimensions colossales. La bâtisse avait à peine
atteint la hauteur des basses nefs, que Ion dut renoncer à exécuter, dans
Ions leurs développements, les projets de Robert ; qu'il fallut faire certains
sacrifices, probablement à cause de l'insutiisance reconnue des ressources
futures. Le plan du premier elaiie de la cathédrale de Reims est loin de
repondi'e à la puissance des soubassements. Cependant il est certain que
l'on suivit, autant que jjossible, en diminuant le volume des points
d'ap|>ui , les projets primitifs; et il faut une attention particulière, et
surtout la connaissance des constructions de cette époque, pour recon-
naître ces chauijements apportés au\ plans de Robert de Coucy. Nous
essaierons toutefois de les rendre saisissables pour tout le monde, car ce
fait ne laisse pas d'avoir une grande importance pour l'histoire de nos
cathédrales, d'autant plus qu'il se reproduit partout à cette époque.
Voici d'abord (14) une coupe transversale de la nef de la cathédrale de
Reims. Il est facile de reconnaître que les contre-forts, dans la hauteur
du collatéral, ont une puissance, une saillie que ne motive pas la légèreté
de la partie supérieure recevant les arcs-boutants ; on sera plus frappé
encore de la différence de force qu'il y a entre les parties inférieures et
supérieures de ces contre-forts, en examinant la vue perspective extéiieure
d'un contre-fort de la nef (15). Dans la construction des deux pignons
des transsepts, la différence entre le rez-de-chaussée et les étages supé-
rieurs est encore plus mar(|uée. Robert de Coucy avait proliablement
projeté, sur ce point, des tours dont il fallut réduire la hauteur par des
raisons d'économie. Une observation de détail vient appuyer la conjecture
d'une modification dans les projets. Le larmier du couronnement des
corniches qui passent au niveau des bas-côtés devant les contre-forts des
transsepts et du chœur est muni de petits repos horizontaux, espacés les
uns des autres de 0,40 c. à 0,.")0 c. qui forment connue des créneaux,
et que Villard de Honnecourt, contemporain et ami de Robert de Coucy,
appelle , dans ses curieuses notes, des créllaux réservés sur la pente des
larmiers pour permettre aux ouviiers de circuler autour des contre-forts à
l'extérieur ( 10). Cela est fort ingénieux et bien entendu, puisque la pente
des larmiers ne permettrait pas, sans ce secours, de passer devant les
parements des contre-forts à toutes hauteurs. Or ces octiaujr, dont parle
Villard, n'existent que sur les larmiers couroimant le rez-de-chaussée.
Robert de Coucy eût cependant, s'il eût continué l'œuvre , réservé à plus
forte raison des passages send)lables dans les parties élevées de l'édifice;
mais les parements qui se dressent au-dessus de ces larmiers à créliaux,
au lieu d'atlleurer l'arête supérieure du lit du larmier, ainsi que l'indique
la fig. 17. sont en retraite, comme l'indique la tig. 17 bis. Donc, alors, les
I r.ATHÉDRAI.K
— 31 S —
créliau.r dcviciiiiciit iiiiililcs. piiisiinc drrrière eux rcslc iiiio |)arlit' liori-
31 y I CA1IIÈHHAI.K 1
zontale permettant la cireulatioii ; donc, si Kolteit eût voulu retraiter ainsi
l)rusquement ses contre-forts à partir du premier étage, il n'eût pas réservé
16
des crétiauJi- sur ses larmiers; et })uisquil les avait réservés, c'est qu'il
1 CAIIIÉDKAI.K j
liii)
cnltMidait continuer à donner à ses {.n'os points d'appui une saillie, et par
eonsécjuent une force |)lus ^M'ande (pie celle laissée après l'abandon des
premiers projets. Il y a donc lieu d'admettre que Kohert de Coucy éleva
la cathédrale de Heims jusqu'à la hauteur des corniches des chapelles du
cho'ur et des bas-côtés, sauf les quatre premières travées de la nel", qu'il ne
con)menc,'a même pas ; (pi'après lui, la construction fut contiiUK'e en faisant
subir des chanj^ements aux jti'ojets primitifs atin de réduire les dépenses;
(|ue cette nécessité de terminer leditice à moins de frais était le résultat
d'une diminution dans les dons faits parles j)opulations. L'ornementation
des parties inférieures du cho'ur et des transsepts de la cathédrale de
lieims, jusques et y compris la corniche des chapelles rayonnantes, jwi-te
encore le cachet de la scuipfuie de la lin du \w' siècle; tandis qu'innné-
diatemenl au-dessus du niveau des corniches de ces chapelles appaiait une
ornemenlalion (pii a tous les caractères de celle du milieu du \ni'' siècle.
Dans la ti-avée de droite du pij^non du transsept nord, est percée une porte
donnant aujourd'hui dans la petite sacristie établie entre les contre-foris ;
cette porte, dont les sculptures sont peintes, date évidenmient des pre-
mières constructions connneiicées par Hobert de (loucy, et les bas-reliefs
|)ourraient même élre attribués à l'école des sculpteurs de la tin du
xu'- siècle. Les parties inférieures du pij-non du transsept sud, qui ne furent
pas modifiées par l'ouverture de portes, ali'ectent une sévérité de style
qui ne le cède en rien aux constructions inférieures de la façade de Noire-
Dame de Paris. Tout, enfin , dans le rez-de-chaussée de la cathédrale de
Kcims, (lu clueur à la moiti('' de la nef, dénote l'feuvre d'un artiste appar-
tenant à l'école laïque d'architectes né(? à la tin du xie" siècle. Au-dessus,
le style o</\\n\ a pris son entier développement ; mais la transition entre les
deux caractères architectoniques est habilement ménagée. Nous ne savons
en quelle année Hobert de (>)ucy cessa de travailler à la cathédrale ; cepen-
dant lui-même, en (construisant, modifia probaldemenl (pieUjues (h'Iails de
son projet primitif, ('.et architecte n'en était i)as à son coup d'essai lorsqu'il
commenta r(euvre en l''2h2, et peut-être était-il déjà d'un âge assez
avancé. Toutefois (et les notes de Villard de Honnecourt sont là pour le
prouver) il cherchait sans cesse, coimne tous ses contemporains, des
— .121 — [ (ATIIÈDRAI-K ]
ppi'fectiomiomfnts à l'art laissé par le xn*" sit'cio; il no pouvait ignorer ce
que Ion tentait autour rie lui; e'est ainsi qu'il fut amené à terminer les
chapelles du clKeur. connuencées sur un plan circulaire connue celles de
la catlu'drale de Noyon, par des pans coupés. Les ornements de la corniche
de ces chapelles, les créliaux des larmiers dont parle Villard, le style des
statues d'anges qui surmontent les petits contre-forts, ne peuvent laisser
douter qu'elles n'aient été achevées par Robert de Coucy, de 1"220 à lîi.'iO.
Il avait fallu plusieurs années pour jeter les fondements de cet édifice
commencé suivant un projet aussi robuste, d'autant plus que le sol sur
lequel la cathédrale de Reims est assise n'est pas égal, et ne devient bon
qu'à plusieurs mètres au-dessous du pavé (de quatre à sept mètres, d'après
quelques fouilles faites au pourtour). Il n'est' pas surprenant donc que ces
énormes constructions, quelle que fût l'activité apportée à leur exécution,
ne fussent pas, en l''2;30, c'est-à-dire dix-huit ans après leur mise en train,
élevées au-dessus des voûtes basses. A la première vue, le rez-de-chaussée
des pignons des deux transsepts ' paraît plus ancien que les chapelles du
chœur ; les fenêtres basses sont sans meneaux et encadrées de profils et
ornements qui rappellent l'architecture de transition; tandis que les fenê-
tres des chapelles du chœur sont déjà pourvues de meneaux dont les
formes, la disposition particulière et lappareil sont identiquement sem-
blables aux meneaux des bas-cùtés de la nef de la cathédrale d'Amiens,
qui datent de l'année i 230 environ . Robert de Coucy avait bien pu amender
lui-même certains détails de son projet, en même temps qu'il adoptait les
pans coupés pour ces chapelles au-dessus de la forme circulaire de leur
soubassement. Quoi qu'il en soit , le maître de l'œuvre, en mourant ou
en abandonnant les constructions à des architectes plus jeunes, peut-être
après une interruption de quelques années, avait laissé des projets dont
ses successeurs, malgré les réductions dont nous avons parlé, se rappro-
chèrent autant que possible. C'est ce qui donne à cet édifice un caractère
d'unité si remarquable, fjuoiqu'il ait fallu près d'un siècle pour conduire
le travail jusqu'aux voûtes hautes. A Reims, plus que partout ailleurs, on
respecta la conception du premier maître de l'œuvre. Aussi, lorsque l'on
veut se faire une idée de ce que devait être une cathédrale conçue par
un architecte du commencement du xnie siècle, de la plus belle époque
de Tart ogival, c'est à Reims qu'il faut aller. Et cependant, combien ce
grand monument ne sul)it-il pas de modifications importantes; et, tel que
nous le voyons aujourd'hui, combien il est loin des projets de Robert de
Coucy et même de ce qu'il fut avant l'incendie de la fin du xve siècle.
Le plan de la cathédrale de Reims est simple (voy. fig. 13) ; les chapelles
rayonnantes du chœur sont larges, profondes ; la nef longue et dépourvue
de chapelles. Les coupes et élévations des parties latérales de l'édifice
répondent à la simplicité du plan ; les contre-forts et arcs-boutants sont
' 11 est eiUeiidu que, pour le pi|,moii uord, nous no parlons pas des deux portes
percées vers le milieu du xiic siècle.
T. II. ^1
I t:\THi-im\Li'; j — .\'i'l —
;i(lmiral)los do coiicoptioii et de {^raiuleur, les |)iles épaisses, les IVnètres
siipt'iiciiios pioroiidcmciit encadrées. (!el edilice a toute la t'orce de la
cailicdiale de (liiaities, sans en avoir la lourdeur; il réunit enlin les véri-
tables conditions de la beauté dans les arts, la puissance et la grâce; il est
d'ailleurs construit en beaux matériaux, savannnent appareillés, et on
retrouve dans toutes ses parties un soin et une recherche fort rares à une
épo(jue où l'on l>Atissait avec une giande rapidité et souvent avec des
ressources insidlisantes. (le ne fut guère qu'en I;2i0 que l'on continua les
parties supérieures du chœur, que l'on commença les premières travée;^
de la nef et la façade. Celle-ci ne fut achevée, sauf les deux flèches des
deux tours occidentales, que vers le commencement du xiv siècle; on y
travaillait encore pendant le xv siècle, mais en suivant les dispositions
et détails des xiir et xiv*" siècles. Ihi cloître s'élevait au nord de la nef et
du transsept; et c'était probablement pour donnei' entiée dans ce cloître
qu'avait été faite la porte ouverte dans la travée de droite du pignon nord,
porte dont nous avons parlé tout à l'heure. Deux autres portes publiqua^
furent ouvertes, dans les deux autres travées de ce pignon, vers le milieu
du xiir siècle, et richement décorées de voussures, bas-reliefs et statues ' .
Deux tours s'élèvent sur la façade occidental*'; quatre tours surmontent
les quatre angles des transsepts, et une tour centrale se dressait, au centre
de l'édifice, sur les quatre piles de la cioisée. Une flèche en plond)
couronnait le poinçon de la crou[)e du coiuble au-dessus du sanctuaire. Le
pignon du transsept sud donnant du côté de l'archevêché ne fut jamais
percé de grandes portes. On arrivait du palais archiépiscopal au cha-ur par
des portes secondaires, percées dans les soubassements de ce pignon
(voy. le plan). Pendant les xiv et xv siècles, de petites chapelles furent
bâties du côté nord, entre les contre-forts de la nef et dans l'intervalle
laissé par le cloître ; mais ces petites chapelles , (pii ne dépassent pas
ra|)pui des fenêtres, ne dérangent en rien l'ordonnance intérieure du
vaisseau ; elles ne s'ouvrent, dans le bas-côté, (pie par de petites portes.
Si les projets de iiobert de Coucy furent modifiés, c'est surtout dans
la constiuction de la façade occidentale, qui présente tous les caractères
de l'architecture la plus riche de la seconde moitié du xui^ siècle. Comme
décoration, elle se relie encore aux faces latérales par ces admirables
couronnements de contre-forts dans lesquels sont j)laceesdes statues colos-
sales. iMais la multiplicité des détails nuit a rensend)le; cette façade,
(juclque belle (juclle soit, n'a pas la grandeur des faces latérales. L'archi-
volte delà porte principale vient entamer la base des contre-forts intermé-
diaires, ce qui tourmente l'œil ; les nus, les parties tranquilles font défaut.
Cependant, et telle qu'elle est, la façade occidentale de la cathediale de
Heims est une des plus splendides concej)tions du xiir siècle; elle a pour
nous, d'ailleurs, l'avantage d'être la seule. iNotre-Dame de Paris est encore
une façade de lepoque de transition. 11 en est de même à Laf)n. Nous ne
' Seule, l:i porte centrale esl umeite aujoiii<riiui.
•t'21 — '[ CATIII-DKALi: I
pouvons fousidérer ces portails coiiiiik' appartenant au style punMnenI
ogival. Ainieiis n'a (pi'une faeade li'oïKiué*", non terniinf'e, sur lacjuelle
(les épo(pi('s (iill'erenlrs sont venues se supet'poser. Cliiirlics n'est (|n"iine
réunion de IVai^nienls. |{ouri;es et Rouen sont des mélanges dv styles de
trois et quatre siècles. Les façades de Bayeux, de Coutanees^ de Soissons,
de INoyon, de Sens, de Séez, sont restées inachevées, ont été dénaturées,
ou présentent des amas de constructions sans ensemble, élevées succes-
sivement sans i)roiet arrêté. La It^-ade prinei|)ale de Notre-Dame de
Reims, malj^ré cet excès de richesse, a donc pour nous l'avanlafie de
nous doimer une conce|)tion franche en style of^ival, et, sous ce point de
vue, elle mérite toute l'attention des architectes. Son iconoj^raphie est
complète, et ce fait seul est d'une grande iniportance. Mais nous revien-
drons sur cette partie de la décoration des cathédrales.
Afin de donner une idée de ce que devait être une cathédrale du
XIII'' siècle, couiplète, ach(>vée telle qu'elle avait été connue, nous reprodui-
sons (18) une vue cavalière d'un édifice de cette époque, exécutée d'après
le type adopté à Reims. Faisant bon marché des détails, auxquels nous
n'attachons pas ici d'importance, on peut admettre que le monument
projeté par Robert de Coucy devait présenter cet ensemble , si ce n'est
que les tlèches occidentales ne furent jamais terminées et que les flèches
centrale et des transsepts étaient en bois et plomb. Le ^24 juillet 1481,
des ouvriers plond)iers, dont les noms nous sont restés ', mirent le feu à
la toiture par négligence. L'incendie dévora toutes les charpentes. C'était,
autour de l'édifice, un tel déluge de plomb, que l'on ne pouvait en appro-
cher pour porter secours. Le dévouement des Rémois ne put maîtriser le
Héau, et ce fut une véritable désolation non-seulement dans la province,
mais dans la France entière. Louis XI prit fort mal la nouvelle de ce
sinistre, qu'on lui apporta au Plessis-lès-Tours ; il fut question de rem-
placer le chapitre par des moines \ Quels que fussent les sacrifices que
s'imposèrent le chapitre et l'archevêque, les dons royaux, qui furent
considérables, on ne put songer à rétablir le monument dans l'état où il
était avant l'incendie. La sève qui, au xn!»- siècle, se répandait dans ces
grands corps était é|)uisée. On dut se borner à refaire la charpente , les
galeries supérieures, les pignons, à réparer les tours du portail et araser
les quatre tours des transsepts au niveau du pied du grand comble. C'est
dans cet état cjue nous trouvons aujourd'hui ce monument, si splendide
encore malgré les mutilations qu'il a subies.
La cathédrale d'Amiens, dévastée par le feu et les invasions normandes,
en 850, 1019 et 1107, fut totalement détruite par un incendie en l'218.
En H^O, Evrard de Fouilloy, quarante-cinquième évèque d'Amiens, fit
jeter les fondements de la cathédrale actuelle. Le maître de l'œuvre était
Robert de Luzarches. L'évêque picaid alla chercher son architecte dans
l'Ile-de-France. Les nouvelles constructions furent commencées pai- la nef;
' .Iran il lîniii bcgoix. — - Anquelil.
[ (.AlHfiKHALi:
3-2i
probableiiioiit les rcslcsdc r;(ii«i«'ii cIkiiii liiiviil (oiiscrvésprovisoiiviiiciit
— [i'iiy — [ caiiiCdhai-k I
iiliii (le ne pas iiiU'n(>iii|)ie iv culte. En ["iilli, l'évè(|Ut' Kviaid inoiiiiit;
Ifs toiidations rlaioiil achevées sous la nef, et prohahleiuent le pignon du
traiissept sud était élevé de quelques mètres au-dessus du sol. Sous
l'épiscopat du successeur de l'évèque Evrard, GeottVoy d'Eu, nous voyons
déjà les travaux confiés à un second architecte, Thomas de Cormont.
Rohertde Luzarches n'avait pu ([uc laisser les plans de l'édifice qu'il avait
fondé. Le second maitrede To'uvre éltna les constructions de la nef jusqu'à
la naissance des jurandes voûtes; nous arrivons alors à l'année 1"'2:28. Son
tils, HtMiault de (>ormont , continua l'œuvre et passe pour l'avoir achevée
en l'288, ce qui n'est guère admissible, si nous obser\ons les différences
profondes de style qui existent entre le rez-de chaussée et les parties
hautes du chœur. En l'237, l'évèque Geoffroy mourut; son successeur
Arnoult termina les voûtes de la nef et fit élever sur la partie centiale de
la croisée une tour de pierre surmontée d'une flèche en bois et plomb. Ce
fut probablement aussi cet évèque qui fit élever les chapelles du chœur '.
En 1240, l'évèque Arnoult avait poussé les travaux avec une telle activité
que les fonds étaient épuisés; il fallut suspendre les constructions et
amasser de nouvelles sommes. En l'2o8, un incendie consuma les char-
pentes des chapelles de l'abside ; on voit parfaitement, encore aujourd'hui,
les traces de ce sinistre au-dessus des voûtes de ces chapelles. Ce désastre
dut contribuer encore à ralentir l'achèvement du chœ'ur. 11 est certain
que le triforium de l'abside, et par conséquent toute l'œuvre haute,
ne fut commencé qu'après cet incendie : car, sur les pierres calcinées
en 1258, sont posées les premières assises parfaitement pures de ce
triforium. Les successeurs d'Arnoult, Gérard ou Evrard de Couchy et
Aléaume de Neuilly, ne purent que réunir les fonds nécessaires à la
continuation des travaux. A Amiens, comme partout ailleurs, les popu-
lations montraient moins d'empressement à voir terminer le monument
de la cité; on mit un temps assez long à recueillir les dons nééessaires à
l'achèvement du chœur, et ces dons ne furent pas assez abondants pour
permettre de déployer dans cette construction la grandeur et le luxe que
l'on trouve dans la nef et les chapelles absidales. En 1269, cet évèque
faisait placer les verrières des fenêtres hautes du chœur -, et son succes-
seur, Guillaume de iMâcon, en 1288, mit la dernière main aux voûtes et
parties supérieures du chevet. En construisant la nef, de 1220 à 1228,
on avait voulu clore, avant tout, le vaisseau, et on ne s'était pas préoc-
cupé de la façade laissée en arrachement. La porte centrale seule avait
' '< .... Le iiécroloLçe du chapitre en la roiulalioii de l'obil de cet évesque le taiel
■< origenaire de la ville d'Amiens, ioit débonnaire et de grande estude, et croyrois que
« c'est luy (|ui gist en marbre noir, tout an pins haut, s'il faut ainsi dire, de l'église,
« vis-à-vis de la chapelle paroissiale (la chapelle de la Vierge dans l'axe), justement
« derrière le chœur, en mémoire (pi'il acheva la summité d'icelle » {Antiquilez du
la ville d'Amiens. Adrian de la Morlière, chan. 1627.)
2 L'inscription qui constate ce lait existe encore sur la verrière haute située dans
l'axe du chœur.
I CAinr-rtKAi.K ) — ;{:2(» —
été percéfi au bas du pignon et la rose supéiiouro ouverte. Ce ne fut
iiuève qu'en 123S, lorsqu'une nouvelle impulsion fut donnée aux travaux
par l'évèque Arnoult, (|ue l'on songea à lerniiner la ta(,'a(le (ucidentale.
Mais déjà, prohaltlenieni , on pressentait ré[)uiseuient des ressources, si
abondantes pendant le réunie de IMiili|)pe-Au^aiste, et les projets primitifs
furent restreints. I/'examen de l'éditice ne peut laisser de doutes à cet
é^ard.
En jetant les yeux sur le plan (lî>), nous voyons une lij^Mie EF tirée
parallèlement au pij^non du portail : c'est la limit<' de lairacliemenl d<'
l'ancienne façade projetée, contre leciuel on est venu plaquer le portail
actuel. De cette modification au projet primitif, il résulte que les deux
tours GH, au lieu d'être élevées sur un plan carré connue toutes les tours
des cathérliales de cette épotpie , sont barlonjjfues, moins épaisses que
larges; ce ne sont que des moitiés de tours dans toute leur hauteur, et
les deux contre-forts, qui devaient se trouver, latéralement, dans les
milieux de ces tours, sont devenus contre-forts d'anj^fles. La preuve la plus
certaine de cette modification apportée au projet de Robert de Luzarches,
c'est que les fondations existent sous le périmètre total des tours telles
qu'elles sont indicpiées sur le plan présenté ici. De la façade primil4ve, il
ne i-este que le trumeau et les deux pieds-droits de la porte centrale, sur
lesquels sont sculptées les vierges sages et folles, et l'entourage de la
grande rose percée sous la maîtresse voûte. Les trois porches, si remar-
quables d'ailleurs, les pinacles qui les surmontent, la galerie à jour et la
galerie des rois, datent de 12-40 environ, ainsi que l'étage inférieur des
toui s. Quant aux parties supérieures de ces tours et à la galerie entre deux,
ce sont (h's constructions successivement élevées pendant le xiv siècle, (^e
fut aussi j)endant le xiv siècle que l'on ferma les parties supérieures des
pignons des deux lransse|)ts qui probablement étaient restées inachevées,
et que l'on construisit des chapelles entre les contre-forts de la nef,
adjonction funeste à la conservation de l'édifice et qui détruisit l'unité et la
grandeur de cet admirable vaisseau. Le xivi- siècle vit encore exécuter les
balustrades supérieures du chœur et de la nef. l^es balustrades des cha-
pelles et les meneaux des deux roses occidentale et méridionale, la conso-
lidation de la rose septentrionale furent entrepris au conmiencement du
xvi« siècle. Le clocher central en pierre et charpente, posé sur les quatre
piliers de la cioisée, sous l'épiscopat d'Arnoult, vers h240, fut détruit par
la foudre le 15 juillet ir»27. On craignit un instant que le sinistre ne
s'étendit à toute la cathédrale; heureusement les progrès (lu feu furent
promptement arrêtés, grâce au dévouement des habitants d'Amiens.
Ce fut en 1529 que fut reconstruite la llèche actuelle, en charpente
recouverte de plond), par deux charpentiers |)icards, Louis Cordon et
Simon Taneau (voy. klèchk).
Nous avons dit (jue Hoixn't de Luzarches a\ail pu voir non-seuleinenl
les fondations de sa cathédrale, mais aussi (juehiues mètres du pignon du
transsept sud, élevés au-dessus du sol. En eti'et. le portail percé à la base
— :\'îl
I f.XTIlÉDHAI H
PF6AR0.sC
de ce pitinoii, dil portail de la Vi.M-.^ doiee, présente d.-s détails daroh
[ CATHÉDRALE ] — '.V2X —
tecturp plus ancifiis ([uo tous ceux des autres parties de lédltice; ce
portail fut cependant remanié vers l'iriO; le tympan et les voussures
datent de cette époque, et furent reposés après coup sur les pieds-droits
«>l le trumeau du coinmencemeiit du xni'' siècle. La Vieri^c (|ui décore ce
trumeau ne peut être antérieure à l'^riO; le trumeau fut lui-même alors
doublé à l'intérieur, afin de recevoir une décoration en placajïe qui
n'existait pas dans l'orijiine.
Le plan de la cathédrale d'Amiens n'indique pas que les premiei-s
maîtres de l'ccuvre aient eu la pensée d'élever, comme à Chartres, à Laon
et à Ueims, quatre tours aux angles des transsepts; de sorte que nous
voyons aujourd'hui la cathédrale d'Amiens à peu près telle quelle fut
orijj;inairement conçue, si ce n'est que les deux tours de la façade eussent
dû avoir une base plus larj^e et une beaucoup plus j'rande hauteur,
Cependant on remarque sur ce plan les escaliers posés à l'extrémité des
doubles bas-côtés du chcrur. et précédant les chapelles. Ces escaliers sont
conmie un dernier reflet des tours placées sur ces points dans les églises
normandes, et qui, comme nous l'avons dit, se voient encore à Chartres.
Nous les retrouvons dans les cathédrales de Beauvais, de (Pologne, de
Narbonne, de Limoges, qui sont toutes des filles de la cathédrale
d'Amiens. Du côté du nord s'élevaient les anciens bâtiments de Tévéché,
qui étaient mis en connnunication avec la cathédrale par la grande
porte du pignon septentrional et par une petite porte percée sous l'appui
de la fenêtre de la première travée du bas-côté. Sur le flanc nord du
chœur était placée une sacristie avec trésor au-dessus. Un cloître du
xiye siècle, dans les galeries duquel on entrait par les deux chapelles A et
B, pourtournait le rond-point irrégulièrement, en suivant les sinuosités
données par d'anciens terrassements. En !> sont placé(s des dépendances
et une chapelle, ancienne salle capitulaiie qui date également de la
première moitié du xiye siècle. Ce cloître et la chapelle étaient désignés
sous la dénomination de cloître et chapelle Macabre, des Macabres, et,
par corruption, des Machabées. Les arcades vitrées de ce cloître, ou
peut-être les murs, étaient probablement décorés autrefois de peintures
représentant la danse macabre '.
Voici ("20) la coupe transversale de la nef de cette iimnense église,
la plus vaste des cathédrales françaises, dont le plan couvre une surface,
tant vides que pleins, de 8,000 mètres environ ^ Il est intéressant de
comparer les deux coupes transversales des cathédrales de Reims et
' De ces dépendances, il ne reste aujourd'hui «juc la cliapelle qui sert de grande
sacristie ; elle est décorée par une belle tribune en bois sculpté de la fin du xv siècle,
l'no porlion du cloître a élé roconslniitc depuis 184S, ainsi que le pdit hàtiniont placé
en l>. I>es icstes anciens étaient en ruine.
2 Le plan de la cathédrale de Cologne terminée couvre une surface de 8,900 m.
environ ; celui de la cathédrale de Reims une surface de 6,650 mètres; celui de la
calliédralc de Bourges une surface de 6,200 mètres; celui de la cathédrale de f\iris
une stirlace de •>,■)(>() mètres.
dAniions. I.anefdp la cathéfliale d'Aniipiis, élevée rapidement (Inii seul
T. Il,
i-2
( CATlH-DHVI.li 1 , .{.'{(1
jet, dix ans environ avant ccllo de Heinis, présenlc une construclion plus
lé^'èrp,niioux('ntPnduo. A llcinis.non-soulonionl dans le plan et les paili<'s
inférieures de lédiliee on retrouve encore fiuehjues traces des traditions
romanes; mais dans la coupe de la net" il y a un luxe d'épaisseurs de piles
qui indique, chez les constructeurs, une certaine appréhension. A H(>ims
(voy. fig. 1-4), les arcs-houtants sont placés trop haut ; on ne comprend
pas, par exemple , quelle est la fonction du deuxième arc. Le triforium
est petit, mesquin; les arcs doubleaux, atin de diminuer la pousst'e des
voûtes , sont trop aij;us, et pi'ennent , par consécpient, trop de hauteur ;
leur importance donne de la lourdeur à la nef principale; il semble ([ue ces
voûtes, qui occupent une énorme surface, vous étouffent. La construction
préoccupe. Dans la nef d'Amiens, au contraire, on respire à Taise; à
peine si l'on songe aux piles, aux constructions; on ne voit pas, ])our ainsi
dire, le monument; c'est conmie un f^rand réservoir d'air et de lumièie.
Bien que la cathédrale de Keims soit un édifice oii;ival, on y sent encore
l'empreinte du monument antique; que cette inlluence soit due au {^énie
de Ilobert de Coucy, ou aux restes d'édifices romains réj)andus sur le sol
de Reims, elle n'en est pas moins sensible. La cathédrale d'Amiens,
comme plan et comme structure, est l'église ogivale par excellence. En
examinant la coupe (fig. 20), on n'y trouve nulle part (Texcès de force '.
Les piles des bas-cotés , plus hautes que celles de Heims. ont près d'un
tiers de moins d'épaisseur. Le triforium B est élancé et permet de donner
aux cond)les des bas-côtés une foite inclinaison. Les arcs-houtants sont
parfaitement jilacés de façon à contre-butter la grande voûte, l^a charge
sur les piles inférieures est dimiimée j)ar l'évidement des contre-forts
adossés aux piles supérieures; les aies doubleaux sont moins aigus (jue
(;eux de Keims.
On ne voit plus, au sonnnt^t de la nef d'Amiens, cette masse énorme
de maçonnerie, qui n'a d'autre but que de charger les piles afin d'arrêter
la poussée des voûtes. Ici, toute la solidité réside dans la disposition des
arcs-houtants et l'épaisseur des culées ou contre-forts A. Cependant cette
nef, dont la hauteur est de i'i'",.')^ sous clef, et la largeur d'axe en axe
des piles de 1 i"',t)0, ne s'est ni déformée, ni déversée. La construction
n'a subi aucune altération sensible; elle est faite pour durer encore des
siècles, pour peu que les moyens d'écoulement des eaux soient maintenus
en bon état. A Amiens, les murs ont disparu ; derrière la claire-voie du
triforium en C, ce n'est (pTune cloison de pierre, rendue plus légère
encore par des arcs de décharge; sous les fenèlres basses en I), ce n'est
(|u"un d\)\)m évidé par une arcature ; au-dessus des l'enétres supérieures en
E, il n'y a qu'une corniche et un chéneau : partout entre la lumière. Les
eaux du grand comble s'écoulent sinq)lement , facilement et par le plus
court chemin, sur les chaperons des arcs-houtants supérieurs. Celles reçues
par les combles des collatéraux sont déxcrsées à droite et à gauche des
' Voy. -.iu iiint Ai!Ciiiri:t.Ti lîE Kt;i,i(aiiisii:,liy.35, un eiiseinblo pcrspeclildi' ci'Uc coiiiic.
— 331 — (;atiii^:i)iiai,k ]
('ontre-forlspar(los^arj,^ouilles'. Ilfstditliciledevoirunoconslmclioii plus
sinip|p('l|)liis('('()ii()nii(|ii(\('iH''i;ai(làsa(lini(Misiono(iil'('n"('l(|ir<>II('pr(t(liiil.
Danslt's parties liaulrs du clia'urdê la calliédralc dAuiicns. ou voulut
pousser le pi-iucipe si simple^ adopté pour la uef, aux dciuicics liuiil(>s,
et ou dépassa le l)ut. Lorsque la coustruetiou de l'œuvre haute du clio'ur
fut reprise après une iuterruption de près de vingt ans, on avait déjà, dans
l'église de l'abbaye de Saiut-Deuis, dans les cathédrales de Troyes et luénic
de Beauvais, adopte' le système des galeries de preiiiiei' ("lage à claire-voie
prenant des jours extérieurs. Le triforium se trouvait ainsi participer des
grandes fenêtres supérieureset prolongeait leurs ajonrs et leur riche décora-
tion de verrièies jusqu'au niveau de l'appui de la galerie. Ce parti était trop
séduisant pour ne pas être adopté par l'architecte du haut clKeur d'Amiens.
Mais examinons (l'abord le plan de cette partie de fédilice, (pii sortait
déterre seulement un peu avant h2U), c'est-à-dire au moment où l'on
commençait aussi la Sainte-Chapelle du Palais à i'ai-is'-. On reconnaît,
dans le plan du chœur de Notre-Dame d'Amiens, une main savante; là,
plus de tâtonnements, d'incertitudes : aussi, nos lecteurs ne nous sauront
pas mauvais gré de leur faire connaître la façon de procéder employée par
le troisième maître de l'œuvre de la cathédrale d'Amiens, Renault de
Cormont, pour tracer le rez-de-chaussée du plan de l'abside. Soit AB la
ligne de base de la moitié de l'abside (21) ; les espaces AC,CB les écarte-
ments des axes des rangées de piles ; soit la ligne AX l'axe longitudinal du
vaisseau. Sur cette ligne d'axe, le traceur a commencé par poser le centre
0 à 2'",o0 de la ligne AB ; les deux cercles CE,BD ont été tracés en pre-
nant comme rayons les lignes OC,OB. L'arc de cercle, dont BD est la
moitié, a été divisé en sept parties égales ; le rayon FO prolongé a été
tiré; ce rayon vient couper l'arc CE au point d'intersection du prolonge-
ment de l'axe CC/, et, passant par le centre 0, rencontre le point corres-
pondant à C. Connnent le traceur aurait-il obtenu ce résultat? Est-ce par
des tâtonnements ou par un moyen géométrique? Les côtés BFCH n'ap-
partiennent pas à un polygone divisant le cercle en parties égales. Il y a
lieu de croire que c'est le tracé primitif de l'abside (|ui a commandé l'ou-
verture de la nef principale, et que Renault de (>ormont n'a fait que suivre,
quant à la plantation de cette abside , ce que ses prédécesseurs avaient
tracé sur l'épure ^ Si le tracé de l'abside n'avait pas commandé l'espace AC,
> Il esl entendu que nous parlons ici de la nef de la cathédrale d'Amiens telle
qu'elle existait avant la conslriicliou des cliapelles du xiv siècle. Cette adjonction
laisse d'ailleurs voir toute la disposition ancienne , et à l'inlérieur , dans le transsept,
les fenêtres des bas-côtés sont restées en place.
2 L'architecture des ciiai)elles absidales de la cathédrale d'Amiens a la pins grande
ressemblance avec celle de la Sainte-Chapelle de Paris. Ce sont les mêmes prolils, les
mêmes meneaux de fenêtres, le même système de construction, l/arcalure de la Sainte^
Chapelle basse reproduit celle des chapelles du lom du chœur d'Amiens.
•' Il faut se rappeler que la nef était cnlirrcniciil élcvi-c linscpic le (iKi^iir élail à
peine rnnunemt'.
CATHÉDIULE ]
2i hs
Pf&MtO iC Hi 'il, /i,
!<■ Ii;is;ii(l ir;iiii;iil pu !';iiir i\nv le |>(tiiil (l'iiilcis«'«-lio!i de la li^ij<' F(>, s<'
333 [ CATHÉUKALE j
proloiiiïoaiit jusqu'au point convspoudant à C avrc l'axp C(?, so roncoiitràt
sur laïc CE. Il »'Sl donc M'aiscmblahlt' que la laij^eur AB elant donnée,
le centre 0 a été posé sur le grand axe ; que le grand aie de cercle BD a
été tracé et divisé en sept parties, et que le prolongement du rayon FO a
donné, par son intersection avec la ligne AB, la largeur AC de la nef
centrale. Dès lors, traçant Tare CE, la perpendiculaire CC devait néces-
sairement rencontrer le rayon FO sur un j)oint K de ce cercle, qui
devenait le centre de la deuxième pile du rond-point. Il ne faut pas
oublier , d'ailleurs, que, généralement, la construction des cathédrales
était commencée par le chœur. Amiens fait exception ; mais tous les tracés
et la plantation avaient dû être préparés par Robert de Luzarches, le
premier architecte. Quoi qu'il en soit, ce fait indique clairement que les
tracés de cathédrales étaient commencés par le rond-point; c'était la
disposition de labside qui commandait l'écartement relatif des piles de la
nef et des bas-côtés.
Les rayons GO.HO tirés donnaient, par leur rencontre avec le petit arc
CE, les centres des autres piles du sanctuaire. Quant aux chapelles, celles
de la cathédrale d'Amiens présentent cinq côtés d'un octogone régulier.
Voici comment on s'y prit pour les tracer : la ligne NP, axe de la chapelle,
étant tirée, les lignes GG ,FF' ont été conduites parallèles à cet axe. La
base FG du polygone étant reculée pour dégager la pile, la ligne LM a été
tirée, divisant en deux angles égaux l'angle droit F LS. L'angle MLS a été
divisé en deux angles égaux par une ligne LR. L'intersection de cette ligne
LR avec l'axe iNP est le centre T de l'octogone. Les lignes TR,TM,TZ,TF'
donnent la projection horizontale de quatre des arcs de la voûte. Il en est
de même des lignes OC,OKF,OG, etc.
Pour tracer les arcs ogives des voûtes des bas-côtés, soit I le devant de
la pile séparative des chapelles, la ligne IF a été divisée en deux paities
égales, et, prenant OJ comme rayon, un cercle a été décrit. La rencontre
de ce cercle avec les axes des chapelles a donné le centre des clefs des
voûtes (voy. constrccïion).
Voulant avoir une chapelle plus profonde que les six autres dans l'axe,
on a pris la distance HU sur le prolongement de la ligne tirée du point H
parallèlement au grand axe; puis, à partir du point U, on a procédé
comme nous l'avons indiqué à partir du point L.
La fig. -21 bis présente le tracé des arcs des voûtes et piles des chapelles,
ainsi que des contre-forts extérieurs qui viennent tous s'inscrire dans un
grand plateau circulaire en maçonnerie VQ, s'élevant d'un mètre environ
au-dessus du sol extérieur.
Tout ce grand ensemble de constructions est admirablement planté,
régulier . solide ; les différences dans les ouvertures des chapelles sont de
trois ou quatre centimètres en moyenne au plus. On voit que ce sont les
projections horizontales des arcs des voûtes qui ont conmiandé la dis|)o-
sition du plan (voy. (Hapelle, coxstrk.tk» . imlieh. thavée. voite, |)our
les détails de celte partie de la cathédrale d'Amiens).
CATliÉDKALK
— 334 —
La callKkli-ilo d'Amiens n'était pas la seule (jui se construisait sur ce
plan, dans cette partie de la France, de l~2'i>()ii h2()0. A Beauvais, en l-2"2r>.
^ — y^ — '^ Zi
'• ^.'^ C^ c<^
on jetait les fondements d'une église aussi vaste; mais la bâtisse était,
suivant l'usage ordinaire, ronniiencee , dans cette dernière ville, par le
clueur; et le plan de ce clKcur vient ajjpuyeiropinion (|ue n(tus cMiellions
ci-dessus au sujet du tracé de ces nionunu'Uls . à savoir : (|ue celait le
— a.i.n —
[ CATIlfiDHM.K ]
tracé du sanctuaire (|ui donnait la larj^^eur comparative des bas-côtés et de
la nef centrale.
Si nous jetons les yeux sur le plan de la cathédrale de Beauvais (^2) ',
nous voyons que si la largeur du cliœui- de la catlu'drale de Beauvais,
compris les bas-côtés, est moindre que celle du chœur de la cathédrale
d'Amiens, cependant la largeur du sanctuaire de Beauvais, d'axe en axe
des piles, est plus grande que celle d'Amiens \ Procédant, pour le tracé
des parties rayomiantes de l'abside, comme nous l'avons indicpié Hg. *2l,
le centre étant i)orle ii Beauvais, comme à Amiens, de -2<",ï)() environ sur
le grand axe au delà de la ligne de base , et le cercle extérieur à diviser
en sept parties égales étant plus petit, il en résultait nécessairement (ces
divisions n'étant pas d'ailleurs les côtés de polygones réguliers) que le
rayon, passant par la première de ces divisions et le centre, venait couper
la ligne de base à une distance plus grande du grand axe. Tue figure fera
comprendre ce que nous voulons dire. Soit [i'S) la ligne de base AB, le
grand axe CD; 0 le point de centre, traçant deux arcs de cercle ADB.GFE.
Si nous divisons chacun de ces arcs de cercle en sept parties égales, le
rayon HO, tiré du point diviseur H de l'arc du grand cercle prolongé,
viendra couper la corde AB au point K; tandis que le rayon, tiré du point
diviseur I de l'arc du petit cercle prolongé, viendra couper cette même
corde en L. D'où l'on doit conclure, si nous suivons la méthode adoptée
par les architectes des cathédrales d'Amiens et de Beauvais pour tracer
une abside avec bas-côtés et chapelles rayonnantes, que le centre de
l'abside étant fixé à une distance invariable de la ligne de base sur le grand
axe , la largeur du sanctuaire sera en raison inverse de la largeur totale
' A réciielle do 0,001™ pour mètre, comme tous les autres plans conletuis dans cet
article.
* I.a nef centrale, d'axe en axe des |iiles, porte, à Amiens, 14'",()0; :i Beauvais,
■1o'",60.
[ fATHÊDUALK | — 'VM) —
comprise oiilre les axes des piles extérieures des has-côlés, du nioimiil
que la portion du cercle ahsidal sera divisée en sept parties.
Nous avons vu, dans le j)lan de l'ahside de la cathédrale de (Ihartres
(tip. 42), que les chapelles sont mal plantées; lesarcs-boutants ne sont pas
placés sur le prolongement de la li^iie de projection horizontale des arcs
rayonnants du sanctuaire; (|ue l'on trouve encore là les suites d'une
hésitation , des tâtonnements. Bien de pareil à Amiens et à Beauvais ; la
position des arcs-boutants venant porter sur les massifs entre les chapelles
rayonnantes est parfaitement indi(|iiée pai' le prolon^^ement des rayons
tendant au cenli'c de Pahside. A Amiens, à Beauvais, on ne rencontre
aucune irré^adaiité dans la plantation des constructions absidales.
L'architecte de la cathédrale de Beauvais avait voulu surpasseï' l'œuvre
des successeurs de Bobert de Luzarches. Non-seulement ^ti^^ '2^) il avait
tenté de donner plus de larj^eur au sanctuaire de son é^dise, mais il avait
pensé pouvoir donner aussi une plus i^nande ouverture aux arcades |)aial-
lèles du chœur, en n'élevant que trois travées au lieu de quatre entre le
rond-point et la croisée. Aux angles des transsepts, il projetait certainement
quatre tours, sans compter la tour centrale qui fut bâtie. Ses chapelles absi-
(lales, moins grandes que celles d'Amiens et moins élevées, laissèrent, entre
leurs voûtes et celles des bas-côtés, régner un triforium avec fenêtres au-
dessus '. En élévation, il donna plus de hauteur a ses constructions cen-
trales, et surtout |)lus de légèreté. Ses etlbrls ne furent pas couroim»'s de
succès; la construction du chœur était à peine achevée avec les quatre piles
de la croisée et la tour centrale, que cette construction, trop légère, et
dont l'exécution était d'ailleurs négligée, s'écroula en partie. A la hn du
xiii*^ siècle, des piles durent être intercalées entre les piles des trois
travées du clKcm- (tig. 2'2) en A, en B et en C (voy. c.onstklction).
Une sacrisli(! fut élevée en l) comme à Amiens, et ce ne fut qu'au
commencement du xvi« siècle que l'on put songer à terminer ce grand
monument. Toutefois, ces dernières constructions ne purent s'étendre au
delà des transsepts, ainsi que rindicjue notre plan; les guerres religieuses
arrêtèrent à tout jamais leur achè\emenl *.
La cathédrale d'Amiens et celle de lieauvais |)roduisirenl un troisième
édilice, dans l'exécution ducjuel on piotita av(>c succès des elforts t<M)tés
par les architectes de ces deux monuments; nous voulons parler de la
cathédrale de Cologne. Nous avons vu que le chœur de la cathédrale
d'Amiens avait dû être conmiencé de 1^235 à l!2iO; celui de la cathédrale
de Beauvais fut fondé en l'Hl^. Mais nous devons avouer (jue nous ne
voyons, dans les |)ai'ties moyennes de cet é(liti(;e , lien qui puisse êti-e
antérieur à l'2iO; cependant, en 127'2, ce chu'ur était achevé, puis(pï"on
s'occupait déjà, à cette époque, de relever les voûtes écroulées. En 1248,
' Voy. ARC-BOUTANï, tig. 61 .
2 Dans notre |ilaii fig. 22, l;i leiiile griso iniliqno les cnnsn'iicliDns du xvi' siècle, et
le trail le projet de la iielqui ne lui jamais mis à exéculioii.
on comiiienvait la coiisHiictioii du chœui' de la calliédiale de Cologne ' ;
en \'.Hîl. ce clKeur «'tait consacré. On a {)relendn que les projets priniilifs
de lu cathédrale de Colofjne avaient été rigoureusement suivis lois de la
continuation de ce vaste édifice ; si cette conjecture n'est pas adniissilde
dans l'exécution des détails architectoniques, nous la croyons fondée en
ce qui touche aux dispositions générales.
Nous donnons (:24) le |)lan de celte cathédrale*. Si nous le comparons
avec ceux (l'A miens et de Heauvais. nous voyons entre eux tiois un degré de
parenté incontestable ; non-seulement les dispositions, mais les dimensions
sont à peu de chose près les mêmes. A Amiens, si ce n'est la chapelle de
la Vierge, qui fait exception, nous voyons le chœur composé de quatie
travées paiallèles comme à Cologne ; dans l'une et l'autre église, les
bas-côtés sont doubles en avant des chapelles absidales ; ils se retournent
dans les transsepts. La ditierence la plus remarquable entre ces deux
édifices consiste dans les transsepts et la nef. La nef du dôme de Cologne
possède quatre collatéraux ; celle de la cathédrale d'Amiens n'en possède
que deux. Les transsepts, à Cologne, se conjposent de quatre travées
chacun ; ceux d'Amiens n'en ont que trois. A Béarnais, la nef du xiiie siècle
devait-elle avoir quatre bas-côtés? c'est ce que nous ne pourrions atiirmer;
mais le plan des chapelles absidales de Cologne semble caUpié sur celui
de Beauvais. Cependant l'architecte du dôme de Cologne avait élargi ses
bas-côtés et donné plus de force aux contre-forts extérieurs ; il s'était
écarté de la règle suivie à Amiens et à Beauvais , pour le tracé de la
grande voûte du rond-point ; il avait su éviter les témérités qui causèrent
la ruine du chœur de Beauvais ; si ses élévations et ses coupes se rappro-
chent de celles d'Amiens . elles s'éloignent de celles de Beauvais. De ces
trois chœurs élevés en même temps, ou peu s'en faut, celui de Cologne
est certainement le moins ancien ; et le maître de l'œuvre de ce dernier
monument sut profiter des belles dispositions adoptées à Beauvais et à
Amiens, en évitant les défauts dans lesquels ses deux devanciers étaient
tombés. Mais, nous devons le dire, malgré la perfection d'exécution du
chœur de la cathédrale de Cologne, malgré la science prati(iue déployée
par le constructeur de cet édifice, dans lequel il ne se manifesta aucun
mouvement sérieux, la conception du chœur de Beauvais nous parait
supérieure. Si l'architecte du chœur de Beauvais avait pu disposer de
moyens assez puissants, de matériaux d'un fort volume; s'il n'eût pas été
contraint, par le manque évident de ressources financières, d'enqjloyer des
procédés trop au-dessous de l'œuvre projetée ; s'il n'eût pas été gêné par
l'emplacement trop étroit qui lui était donné, il eût accompli une œuvre
incomparable ; car ce n'est pas par la théorie que pèche la construction du
' Vuv. fexcellenle Notice de M. Kéli\ de Verneilli sur la calhédrale de Cologne,
dans les Annales archéologiques de M. Didron, tirée à part. 1848. (Lil)iairie iiiriiéol.
de M. V. Didron.)
- Comme loiis les autres, ce plan esl ii ri-cliclk- lie (1,001" pour mélre.
T. 11. W
[ CATnf:i)UAi.K I — -^38 —
chœur de lacallii-dralcdc licaiivais, mais i>ai' rt'xt'Ciilioii. quicsl nn-diocre,
pauvre. N'oultlions |)as i\iu' la cathédrale de licaiivais fui ('oiiinitMicfe au
Pt GAno.sc
uK.iiienl oii déjà sVïtail ralenti le mouveuieiii polidiiue et religieux qui
avait i)rov(»<iué l'exécution des grandes cathédrales du Nord.
— .'{.'{U — [ rATllfiDRAI.E ]
Cet art français du xiire siècle arrive si rapidement à son déveloj)|)einent,
(jue déjà, vers le milieu de ce siècle, on seul (|u"il eloutVera l'imai^inalictn
de l'artiste; il se rt'duil souvent à des Cornudes (|ui tiennent plus de la
science (jue de l'inspiialion ; il tend à devenir banal. Des làtonnemenis,
il tombe presque sans transition dans la rij^ueur niathémati(|ue. Le
moment pendant lequel on peut le saisir est compris entre des essais
dans lesquels on sent une surabondance de force et d'imaj^nnalion, et un
formulaire toujours loi:i(pie, mais souvent sec et froid, (^ela lient îion pas
seulement aux arts de cette épo(|ue^ mais à l'esprit de notre i)ays , qui
tond)e sans cesse des excès de l'imagination dans l'excès de la méthode,
de la règle; qui, après s'être passionné pour les formes extérieures de
l'art, se passionne pour un principe abstrait; qui, pour tout dire en un
mot, ne sait se maintenir dans le juste milieu en toutes choses.
On nous a répété bien des fois ((ue nous étions lalins : par la langue,
nous en tond)ons d'accord; par l'esprit, nous penchons plutôt vers les
Athéniens. Comme eux, une fois au pied de l'échelle, nous arrivons
promptement au sonmiet, non pour nous y tenir, mais pour en descendre.
Si nous passons en revue l'histoire des arts de tous les peuples (qui ont
eu des arts), nous ne trouverons nulle part, si ce n'est à Athènes et dans
le coin de l'Occident que nous occupons, ce besoin incessant de faire
pencher les plateaux de la balance tantôt d'un côté, tantôt de l'autre,
sans jamais les maintenir en équilibre.
Ce qu'on a toujours paru redouter le plus en France, c'est l'immobilité;
au besoin de mouvement, l'on a sacrifié de tout temps, chez nous, lé vrai
et le bien, lorsque par hasard on y était arrivé. Et pour ne pas sortir des
questions d'art, nous avons toujours lait succéder à une période d'inven-
tion, de recherche, de développement de l'imagination, de poésie, si l'on
veut, une période de raisonnement ; aux égarements de la fantaisie et de
la liberté, la règle absolue. De l'architecture si variée et si pleine d'inven-
tion du commencement du xnie siècle, de cette voie si large qui permettait
h l'esprit d'arriver à toutes les applications de l'art, on se jette tout à coup
dans la science pure, dans une suite de déductions impérieuses qui font
passer cet art des mains des artistes inspirés aux mains des appareilleurs.
Des abus de ce principe naissent les architectes de la Renaissance : ceux-ci
laissent pleine carrière à leur imagination ; la fantaisie règne en maîtresse
absolue. Mais bientôt, s'appuyant sur une interprétation judaïque des lois
de l'architecture antique, on veut être plus Romain ([ue les Romains; on
circonscrit l'art de l'architecture dans la connaissance des ordres, soumis à
des règles inqîérieuses que les anciens se gardèrent bien de reconnaître '.
Cependant, les excès en France sont presque toujours couverts d'un
• Dans le temps où l'on croyait très-sérieusement faire en France de rarcliitecture
romaine, on portait des perrtiqnes colossales et des souliers à talons, des canons
couverts de rubans, des aiguillettes et des baudriers larges de six pouces : nous n'y
voyons pas de mal ; mais on nous dit, très-sérieusement aussi , lorsque nous croyons
[ (.ATIIÉDKAIK ] — ;{i() —
vornis, diino sortp d'onvoloppp qui les rend suppoilaliles; on appclhMii
cela \o iiinU. si l'on vont. On arrive prompteinenf à l'abus, et l'abus porsisle
parce (pi'on le rend presque toujours séduisant.
L'architecture franvaise était en clieniin , dès le milieu du xiie siècle,
de franchir en peu de temps les limites du possible; cependant on s'airêle
aux hardiesses, on n'atteint pas l'extravagance. L'architecte du ch(eur de
la cathédrale de Reauvais, si ce monument eût été exécuté avec soin, fût
arrivé, cinquante ans après l'inauguration de l'art ogival, à produiie tout
ce que cet arl |i<'ut produire; il est à croire (|ue les fautes qu'il conniiil
dans l'exécution anètèrent l'élan de ses confrères : il y eut réaction. A
partir de ce moment , l'imagination cède le pas aux calculs, et les con-
structions religieuses qui s'élèvent à la fin du xiii'- siècle sont l'expression
d'un art arrivé à sa maturité, basé sur l'expérience et le calcul, et (pii
n'a plus rien à trouver.
Mais avant de donner des exemples de ces derniers monuments, nous
ne pouvons omettre de parler de certaines cathédrales qui doivent être
classées à part.
Nous avons d'abord fait connaître les édifices de premier ordre élevés
pendant une j)ério(le de soixante ans environ^ pour satisfaire aux besoins
nouveaux du clei-gé et des populations, dans des villes riches, et au moyen
de ressources considéiables. Mais si l'entrainement (|ui portail lesévèques
à rebâtir leurs cathédrales était le même sur toute la surface du domaine
royal et des provinces les plus voisines, les ressources n'étaient pas, a
beaucoup près, égales dans tous les diocèses. Pendant que Reims, Chartres
et Amiens élevaient leur église mère sur de vastes plans, après en avoir
assuré la durée par des travaux préliminaiies exécutés avec un giand
luxe de pi'écautions, d'autres diocèses, entourés de populations moins
favorisées, moins riches, en se laissant entraîne!' dans le mouvement
irrésistible de cette époque , ne pouvaient réunir des sonniiesen rapport
avec la grandeur des entreprises, quelle ((ue fût d'ailleurs la bonne
volonté des fidèles.
De ce besoin de construire des églises vastes avec des moyens insuffi-
sants, il résultait des édilices qui ne pouvaient jirt'senter des garanties de
durée. Pour pouvoir élever, au moins partiellement, les constru( licous sans
épuiser toutes les ressources disponibles dès les premiers travaux, on se
passait de fondations, ou bien on les établissait avec tant de paicimonie,
qu'elles n'offraient aucune stabilité. Lorsqu'on a vu comment sont fondées
les cathédrales de Paris, de Reims, de Chartres ou d'Amiens, on ne |)eul
admettre que les maîtres des œuvres des xw et xm«" siècles ne fussent pas
qu'on peut tirer quelque chose de l'architecture IVaiK-aiso du xm' siècle et lorsque
nous engageons les jeunes architectes à l'étudier, pour conihaltre cette opinion et ce
désir, que nous ne nous li:il)illons pins conniie du temps de IMiilippe-AugusIe. Nos
iiabits se rapproclient-ds davantage du costume romain ou micore des vêlements du
siècle de Louis \|V ?
— ;{il — I CATHEDRA I.F ]
exjMM'Is dans la comiaissaiioo de ces éléments de la construction. Mais tel
évèque voulait une cathédrale vaste, pronipteuient élevée, qui pût rivaliser
avec celles des diocèses voisins, et ses ressources étaient proportionnelle-
ment minimes; il n'entendait pas qu'on enfouît sous le sol une grande
partie de ces sommes réunies à grande jM^ine : il fallait paraître. Le maître
de l'œuvre se contentait de jeter, dans des tranchées mal faites, du mau-
vais moellon cpie l'on pilonnait; puis il élevait à la hâte, sur cette hase
peu résistante, un grand editice. Habile encore dans son imprudence, il
achevait son o-uvre.
Ces derniers monuments ne sont pas les moins intéressants à étudier,
car ils prouvent, beaucoup mieux que ceux élevés avec luxe, deux choses :
la première, c'est que le nouveau système d'architecture adopté par l'école
laïque se prétait à ces imperfections d'exécution , et pouvait, à la rigueur,
se passer de précautions regardées connue nécessaires ; la seconde, que,
dans des cas pareils , les maîtres des œuvres du moyen âge arrivaient,
par des artifices de construction qui dénotent une grande subtilité et
beaucoup d'adresse, à élever à peu de frais des édifices vastes et d'une
grande apparence. Si ces édifices tombent aujourd'hui, s'ils ont subi des
altérations effrayantes, ils n'en ont pas moins duré six siècles; lesévéques
qui les ont bâtis ont obtenu le résultat auquel ils tendaient : eux et leurs
successeurs les ont vus debout.
Parmi les cathédrales qui furent construites dans des conditions aussi
défavorables, il faut citer en première ligne la cathédrale de Troyes. Le
chœur et les transsepts de la cathédrale de Troyes, dont nous présentons
le plan (-2^), appartiennent, parleurs dimensions, à un monument du
premier ordre. Le vaisseau principal n'a pas moins de li'", 50 d'axe en
axe : or, que l'on compare le plan du chœur de la cathédrale de Troyes
avec celui du chœur de la cathédrale de Reims, par exemple, qui , dans
œuvre,, est à peu près de la même dimension comme largeur, quelle
énorme différence de cube de matériaux à rez-de-chaussée entre ces deux
édifices? L'architecte de la cathédrale de Troyes a établi ce vaste monument
sur des fondations composées uniquement de mauvais sable et de débris
de craie ; mais, avec une connaissance parfaite du défaut de sa construc-
tion, il a cherché à reporter ses pesanteurs sur le milieu du chœur, en
donnant aux piliers intérieurs une assiette comparativement large, et aux
contre-forts extérieurs un volume moindre que dans les édifices analogues.
Il espérait ainsi , en ne chargeant pas le périmètre de son monument,
éviter le déversement que devait nécessairement produire le poids des
contre-forts, augmenté de la poussée des grandes voûtes. Il va sans dire
qu'il ne réussit qu'imparfaitement dans l'exécution. Malgré leur peu de
pesanteur, les contre-forts extérieurs se déversèrent sous la pression
oblique des arcs-boulants , et, au xiv siècle, il fallut déjà prendre des
mesures pour ariètei- les fâcheux etiets causés par le vice radical de la
construction de la cathédrale de Troyes. Ce n'est pas seulement dans les
fondations (juc I on ifinarque l'extrême parcimonie avec laquelle la partie
[ CATHÉDRALE | — -iH —
orientale de cet édifice ("ut élevée ; en élevai ion, tous les mt-inhies résistants
et épais de la bâtisse sont construits (M1 matériaux |)etits, inéj^MUX, dune
mauvaise qualité; les meneaux, corniches et colonnes sont seuls en
pierre de taille; les voûtes sont en craie. I-e fondateur n'en vit pas moins
ce vaste cho-ur élevé : son but était atteint. I.e chœur de la cathédrale de
Troyes est d'ailleurs fort beau comme comj^osilion ; à linlérieur on ne
s'aperçoit pas de cette pauvre exécution, i.a galerie ou tiiforium est,
comme dans le chœur de la cathédrale d'Amiens, à claire-voie, et toutes
les fenêtres sont ^^-u'nies de beaux vitraux. La sculpture intérieure est
sobre, mais lar^^e et belle; les chapelles sont d'une heureuse proporlifin.
Vers le conmiencement du xiv»- siècle, la nef fut élevée avec des doubles
— 343 ( CATIIÈDRAIK ]
bas-côtés; peu après, c'est-à-dire vers le milieu du xiv» siècle, des cha-
pelles vinrent encore s'ajouter à cette nef. La façade ne fut conuiiencée
qu'au wc siècle «^l resta inachevée. Ces constructions des xiv^' et \vi« siè-
cles sont soridenienl fondées et savanniient combinées '.
Le chœur de la cathédrale de Troyes présente (]uelques particularités
que nous devons signaler (fig. "25). Si la chapelle de la Vierge (dans Taxe de
l'abside) n'est pas aussi profonde qu'à Amiens, cependant elle se distingue
des quati'e autres chapelles absidales ; elle possède deux travées en avant
du rond-point au lieu d'une seule. Du côté du nord, deux chapelles plus
petites s'ouvrent à l'extrémité des bas-côtés, avant les chapelles absidales;
Tune des deux est ouverte dans le second collatéral. Au sud , est une
sacristie, et un double bas-côté terminé par une sorte d'abside peu pro-
noncée. La grande voûte n'est pas tracée comme le sont celles d'Amiens
et de Beauvais. Le centre du rond-point est posé sur le dernier arc dou-
bleau, et la poussée des arcs arêtiers est contre-buttée par deux demi-arcs
ogives franchissant la largeur de la dernière travée. Enfin, si le chœur de
la cathédrale de Troyes est champenois, bâti à une époque où xette
province n'était pas encore réunie à la France, il appartient, connue
architecture, au domaine royal. Sa construction fut certainement confiée
à l'un de ces maîtres des œuvres appartenant à l'école des Thomas de
Cormont, des architectes qui rebâtirent, au xiie" siècle, le haut chœur de
l'église abbatiale de Saint-Denis -, qui élevèrent le chœur de la cathédrale
de Tours, dont nous présentons (26) le plan. Conq^arativement aux plans
que nous avons donnés jusqu'à présent, celui de la cathédrale de Tours
est petit*; mais les constructions sont excellentes. Le triforium est à
claire-voie, connne ceux de Troyes et d'Amiens.
Tours était cependant une ville très-importante au x[ne siècle; mais
nous ne trouvons plus dans les populations des bords de la Loire cet
esprit hardi, téméraire des populations de l'Ile-de-France, de Champagne
et de Picardie. Plus sages, plus mesurés, les riverains de la Loire n'exé-
cutent leurs monuments que dans les limites de leurs ressources. La
cathédrale de Tours, dans ses dimensions restreintes , en est un exemple
remarquable.
Ce charmant édifice est exécuté avec un soin tout particulier; on n'y
voit, dans aucune de ses parties, de ces négligences si fréquentes dans nos
' En 1845, il i'allul rebâtir le pignon du Iranssept sud qui s'élail écroulé en partie ;
déjà, au xv<^ siècle , on avait consolidé celui du nord. En 1849 , il fallut élayer les
voûtes du chœur , et , depuis cette époque, des travaux de reprise en seus-œuvre des
fondations ont été exécutés avec une grande adresse : les chapelles sont restaurées,
et on reconstruit aujourd'hui toute la partie supérieure du sanctuaire.
2 Le haut chœur de l'église abbatiale de Saint-Denis a la plus grande analogie avec
le chœur de la cathédrale de Troyes.
* Le chœur seul de cet édifice date du xiii= siècle (première moitié). I^a nefappar-
tient, ainsi que les chapelles, aux siècles suivants; la l'a(j^ade ne fut élevée qu'au
commencement du xvi' siècle.
[ CATHÉDRALE ] — '{ii —
},qaiides catlu'drales du nord. Les calhédialfs de (Uiarlies et d'Aïuieiis
particulièroinpiit paiaissont avoir été élevées avec une liàlequi tient de la
fièvre; il seniltle . lors(|u'on parcourt ces édifices, (jue leuis architectes
aient eu le pressentiment du peu de durée de cette inij)ulsi<>n à la(|uelle
ils obéissaient. A Tours, on sent Tétude, le soin, la lenteur dans l'exécu-
tion; le chœur de la cathédrale est l'œuvre d'un esprit rassis, qui possède
son art et n'exécute qu'en vue des ressources dont il peut disposer. On
|)eut dire que ce gracieux monument suit pas à pas les proj^Mvs de I art de
son temps; mais aussi n'y sent-on pas rinsi)iration du f^énie (|ui conçoit
et devance l'exécution, (|ui anime la pierre, et la soumet sans cesse à de
nouvelles idées.
Il est nécessaire que nous revenions sur nos pas pour reprendre , à sa
souche, une autre branche des grandes constructions religieuses du
xui« siècle. A Autun, il existe encore une cathédrale bâtie vers le milieu
du xu»" siècle; ce monuuKMit rappelle les citustructions religieuses de
(lluny ; il avait été élevé sous linllueuce des églises de ce! ordre et des
traditions romaines vivantes encore dans cette ville.
— ;}45 I CATHfiDKALK |
Son plan, (|U(' nous donnons ici ('27), couvr<' une surface médiocre
rseAM se
comme étendue' ; il est d'une grande simplicité ; la nef et les collatéraux
se terminent par trois absides semi-circulaires; le vaisseau principal
est voûté en berceau ogival, avec arcs doubleaux; les bas-côtés en
voûtes d'arêtes, sans arcs ogives ^ Un vaste porche , bâti peu de temps
après la construction de la nef, la précède, comme dans les églises
clunisiennes.
Cet édifice en produisit bientôt un autre : c'est la cathédrale de Langres
(28). A Langres, le bas-côté pourtourne le sanctuaire ; une seule chapelle
existait à l'abside*; dans les murs est des croisillons s'ouvrent deux
petites absides. Le rond-point était encore voûté en cul-dc-four; mais,
dans la travée (|ui le précède et dans le collatéral circulaire, apparaissent
les voûtes darétes avec arcs ogives. Les fenêtres et les galeries sont plein
cintre; tous les archivoltes, formerets et arcs doubleaux, en tiers-point
1 Ce plan est à 0,001'" pour mèlre. La cathédrale d'Aulun est mal orientée : l'abside
est tournée vers le sudsiul-est.
2 Voy. ARCIMTECTL'KE heligikusf;, fig. 20.
* Ce collatéral circulaire a été entouré, au xiv siècle, de diapelles informes; mais
on retrouve facilenieul , au-dessus des voûtes de ces cliapolles, fort légèrement
construites, les dispositiiuis |)riniitives <\n has-côlé.
T. 11. W
[ CATHfinuMi: I — :{4H —
(voy. voiite). Des arcs-houlants, qui tiomient à la oonstruclioii piiinitiv»',
coiitre-lnittont les poussôos rpporl(''ps sur l»'s conlre-forts.
Le chœur do la calliédrale de Lan^ics date do la sonmdo innilio du
''ieAp.o (i
xif siècle; la nef, des dernières années de ce siècle ou des premières du
xiM«, Nous présentons (29) la coupe transversale de ce monument. En
examinant cette coupe, il est facile de voir qu'il y a là tous les éléments
d'un art qui se développe, des dispositions simples et sajj;es. Si la cathé-
drale d'Autun, avec son j^rand berceau ogival sans arcs-boulants, n'otirait
pas des conditions de stabilité sutiisantes ', à Lani-res, le problème était
résolu, les conditions de stabilité excellentes.
Cette école de constructeui's, dont nous retrouvftns les o'uvres à la
Charité-sur-Loii-e, dans le jjorche de Vezelay , dans celui de (lluny. dans
la belle éj^lise de MiMiIrcalr ( Yoime), dans une grande partie du Lyonnais,
' Quoique la calliédrale (r\utmi ait (Me liàlic eu excellents matériaux , hieu appa-
reillés, d'un Idil volume, cl posés avec soin , le ^land berceau ogival lit déverser les
murs latéraux imniédialeuu'iil après le décinUage ; on dut soutenir ces murs par des
arcs-boutants , qui lurent lelaits ou rliabillés au w^ siècle. Il y a dix ans, il l'allul
reconstruire les grandes voûtes en poterii» et ter; elles nuMiaçaienl luiiu'.
:U7
I (:.\TllfU)U.\I.K
de la BouriiOj^iie et du tond de la (llïaiiipaftiie , s'élevait paiallèleinent à
l'école sorlie de l'Ile-de-France; elle fut absorbée par celh'-ci.
La catlieiliale de Laiigres es! la dernière expression originale de celle
branche de l'art ofrival issue des provinces du sud-est; les deux rameaux
se rencontrèrent à Sens pour se mêler et {troduire un édifice d'un carac-
tère particulier, mais oii cependant l'intUience française prédomine.
r.ATIir-DIlAI.K I — ^'*X
Nous présentons (30) lo plan dr la oathédralo de Sens ', lenninée à la
'^
fin (lu \ii' siècle. En comparant le chœur de cette catliédrak; avec celui
de Lan^nes, on tiouve entre eux deux une certaine analogie. Le sanctuaire
est entouré d'iin collatéral; une seule chapelle est disposée dans l'axe;
dans les ti'ansse|(ts, les absides, dont nous tiouvons rend)i'yon à l.ani,M*es,
se développent à Sens. Dans les détails, on rencontre é^uilenient, entre
les deux édilices, des points de rapport. Les arcs ogives, par exemple,
des voûtes des has-cotés, à Sens connue à Langres, reposent sur des
culs-de-lampes ménagés au-dessus des chapiteaux, ceux-ci ne recevant
(|ue les retombées des archivoltes et des arcs doubleaux.
Mais, à Sens, plus de j»ilasfres cannelés : déjà le sysiènie de la voûte
A ri'cliellc (If 0,001"' |i(>iii iKcl
If.
[W.) — [ CATHfinRAI.K I
française est adopté dans les bas-côtés '. Autour du sanctuaire, ce n'est
plus, comme à Lanjjres , une simple rangée de colonnes qui porte les
parties supérieures, mais des colonnes accouplées suivant les rayons de la
courbe, et des piles formées de faisceaux de colonnettcs. Ce système de
colonnes accouplées entre des piles plus fortes se re|)roduit dans toute
l'œuvre intérieure de la catliédrale de Sens, et s'adapte parfaitement à la
combinaison des voûtes dont les diagonales ou arcs ogives comprennent
deux travées ; c'est une disposition analogue à celle de la nef de la cathé-
drale de Noyon, et rpii lut généralement adoptée dans les églises de
l'Ile-de-France de la tin du xii^' siècle. Malheureusement, la cathédrale de
Sens subit bientôt de graves modifications; des reconstructions et adjonc-
tions postérieures à sa construction changèrent profondément ses belles
dispositions premièi-es. Pour bien nous rendre compte de l'édifice primitif,
il nous faut passer la Manche et aller à Canterbury.
Nous ne possédons aucun renseignement précis sur la fondation de la
cathédrale actuelle de Sens, et le nom du maître de l'œuvre qui la conçut
nous est inconnu; on sait seulement que sa construction était en pleine
activité sous l'épiscopat de Hugues de Toucy, de 1 144 à 1 168, dates qui
s'accordent parfaitement avec le caractère archéologique du monument.
Nos voisins d'outre-mer sont plus soigneux que nous lorsqu'il s'agit de
l'histoire de leurs grands monuments du moyen âge. Les documents
abondent chez eux, et depuis longtemps ont été recueillis avec soin;
grâce à cet esprit conservateur, nous allons trouver à Canterbury l'histoire
(le la cathédrale sénonaise.
En 1 174-, un incendie détruisit le chœur et le sanctuaire de la cathédrale
de Canterbury; l'année suivante, après que les restes de la partie incendiée
eurent été dérasés et qu'on eut établi provisoirement les stalles dans
l'ancienne nef, on commença le nouveau chœur. L'œuvre fut confiée à un
certain Guillaume de Sens *. Ce maître de l'œuvre ne quitta l'Angleterre
qu'en 1179, à la suite d'une chute qu'il fit sur ses travaux, après avoir
élevé la partie antérieure du nouveau chœur et les deux transsepts de
l'est '\ Avant de partir, étant blessé et ne pouvant quitter son lit, Guillaume
' Nous ne parlons pas des voûtes hautes du chœur et de la nef qui, dans la cathé-
drale de Sens, furent refaites, vers la fin du xiii' siècle, à la suite d'un incendie.
•2 II ne faut pas oublier que la cathédrale de Canterbury avait conservé avec la
France des relations suivies. Lanfranc, Saint-Anselme, tous deux Lombards, tous
deux sortis de Tabbaye du Bec en Normandie, devinrent successivement archevêques
de Canterbury, primats d'Angleterre. Saint Thomas Becket demeura longtemps à
Pontigny et à Sens; le trésor de cette cathédrale conserve encore ses vêlements
épiscopaux.
•^ La cathédrale de Canterbury est à doubles croisillons ; les croisillons de l'ouest
dépendent de la basilique primitive; ceux de Lest appartiennent à la construction
commencée par (Hiillaunie de Sens. (Voy. The architcclunil hiatorii of Canterbury
culhedral, par le professeur \\ illis, auquel nous empruntitns ce curieux passage, que
l'auteuru) lui-même extrait iW la chronique de (Jcrvase.)
( CATHÉDKALE | .joO
(le Sens, voyant l'hiver (I77S-I77U) appi'ocliciM't ne vonlant pas laisser la
grande vonle inachevée, donna la condnite dn ti'avail h un moine habile
rt industrieux (|ui lui servait de eotiduelcur de travaux, (le fut ainsi que
jiut tMre terminée la voûte de la croisée et des deux transse|>ts oiicnlaux.
Mais « le maître, s'apercevant quil ne recevait aucun soulajiement des
K médecins, abandonna l'œuvre, et, traversant la mer. retourna chez lui
« en France. Un autre lui succéda dans la direction des travaux. William
« de nom, Anj^dais d(> nation, petit de coips, mais pi'obe et habile dans
« toutes sortes darts. « Ce fut ce second maître, atiglais de nation, qm
termina le clueur, le chevet, la chapelle de la Trinité et la chapelle dite
la couronne de liecket. Or cette extrémité orientale, dont nous donnons le
plan au niveau de la j>alerie du rez-de-chaussée (lil), (|uoique élevée par
un architecte anglais, conserve encore tous
les caractères de l'abside de la cathédi'ale de
Sens, non-seulement dans son plan, mais dans
sa construction, ses protils et sa sculi)ture
d'ornement, avec plus de finesse et de léj^^è-
reté ; ce qui s'explique par l'intervalle de quel-
ques années qui sépare ces deux construc-
tions. William l'Anglais n'a fait que suivre,
nous le croyons, les j)roiets de son malheu-
reux prédécesseur, qui pourrait bien être le
maître de l'œuvic de la cathédrale de Sens.
Le chevet de la cathédrale de Canterbury nous
donne le moyen de restituer le chevet de la
cathédrale de Sens, ainsi que nous l'avons fait (fig. .'{()) '.
Ce qui caractérise la cathédrale de Sens, c'est lauqjleur et la simplicité
des dispositions générales. La nef est large, les points d'appui résistants,
élevés seulement sous les retombées réunies des grandes voûtes ; le chœui-
est vaste et profond. L'ai-chitecte avait su allier la, mâle grandeur des
églises bourguignonnes du xu»' siècle aux nouvelles formes ado|)tées par
I lle-(l(!-KraMce. Mais il ne faut pas croire que ce monument nous soit
conservé tel que l'avait laissé l'évèque Hugues de Toucy. Dévaste par un
incendie vers le milieu du xiii« siècle, les voûtes, les fenêtres hautes et
les couronnements furent refaits, puis la chapelle absidale. Des colonnes
furent ajoutées entre les colonnes accouplées du rond-point, afin de porter
' La seule partie contest;il)le de ceUe resliuition serait la chapelle circulaire dans
l'axe, r('ni|)la(ée par une chapelle plus profonde élevée, après l'incendie , a la lin du
xiir siècle. Mais il y a tant d'analo5j;ie entre le clievel de ("anterhnry et celui de Sens,
que nous sommes iorl disposé à croire cpie la couronne de i?ecket n'çsl (prune imitation
d'une chapelle send)lal»ie bàlie à Sens par le maître (Miillaunie , avant son dépari pour
i'Auifliterre. N'oublions pas que c'est en t 168 que la cathédrale de Sens est terminée,
et (jue cesl eu I l7o que (Jnillaume commence les constructions du chœur de (".anter-
hury. iNous renvoyons nos lecteurs, pour de plus anq)les renseignements sur ce sujet,
à l'excellent ouvrage déjà cilé du l*rol' Willis.
•'*•"»• I (ATllfiDRAI.K I
(le fond l»>s archivollps qui devaient, ooinnie à (>anterl)ury, porlei' sur des
euls-de-lainpc saillants entre les deux eiiapiteaux (vuy. imli;).
A la lin de ee siècle, on i)rati(|ua d(^s ehaix'llcs entre les contre-torts de
la nef,; cette malheureuse opération, que subirent toutes nos catliédiales
françaises, sauf celles de Keiniset de Charlivs, eut poui' résultat d'allaiMir
les points d'appui extérieurs et de rendre I écoulement des eaux dilliciie.
Vers 1^2()(), la tour sud de la façade s'écroula sur la belle salle synodale bàlie
vers h2i(). en C ; cette tour fut remontée à la fin du xui*' siècle et achevée
seulement au xvi"' siècle. La tour du nord, élevée vers la tin du xii»- siècle,
n'était terminée que par un bettroi de bois, recouvert de plomb, monte
vers le conmiencemeiii du xiv siècle '. Au connnencement du xvi»' siècle,
le pij^Mion du transsept sud, qui datait du xm»^ siècle, fut reorisdans toute
sa partie supérieur»'; celui du nord, complètement rebâti; les fenêtres
hautes des croisillons , refaites avec leurs vitraux; enlin, deux chapelles
de forme irré^ulière vinrent s'accoler, à la Hn du xvr et au xvii"' siècle,
contre les lianes du collatéral de l'abside. Une salle du trésor et des
sacristies qui communiquent avec l'archevêché s'élevèrent en B. l/entree
principale du ])alais archiépiscopal était sous la salle synodale en A.
Dans la cathédrale de Sens, le plein cintre vient se mêler à l'ogive,
comme dans le chœur de la cathédrale de (lanlerbury. (]'est encore là une
influence de l'école bourguignonne.
Les constructions achevées en 1168 avaient dû s'arrêter à la seconde
travée de l'entrée de la nef. Les parties les plus anciennes de la façade ne
remontent pas plus loin qu'aux dernières années du xiie siècle; il ne reste,
de cette épo(|ue, que les deux portes centrale et nord et la tour nord
tronquée. \ l'inférieur et à l'extérieur, sur ce point, c'est un mélange
incompréhensible de constructions reprises pendant les xin«, xiv et
xvi»" siècles. Ce qui reste des vitraux du commencement du xni»- siècle et
du xvie, dans la cathédrale de Sens, est fort remarquable (voy. vitrail).
Saint-Etienne de Sens est une cathédrale à part, connue plan et comme
style d'architecture; contem[)oraine de la cathédrale de Noyon, elle n'en
a pas la tînesse et l'élégance. On y trouve, malgré l'adoption du nouveau
système d architecture, l'ampleur des constructions romanes, bourgui-
gnonnes et de Langres, comme un dernier reflet de ranfi(piité romaine.
Ce qui caractérise la cathédrale sénonaise, c'est surtout l'unique chapelle
absidale et les deux absidioles des transsepfs. Quoique Sens et Langres
dépendissent de la Champagne, ces deux églises a|)partiennent bien
moins a cette province qu'à la Bourgogne, comme disposition et style
d'architecture.
Nous en trouvons la preuve dans les substructions de la cathédrale
d'Auxerre. La cathédrale d'Auxerre, rebâtie après un incendie par l'évêque
Hugues, vers lO.'JO, possédait un sanctuaire circulaire avec bas-côtés et
1 Ce helhdi n'exisU' |>lus; il lui descendu, pour cause de vétusté, il y a une ili/.;tine
d'années.
32
1 i:athédralk 1 — "{o^ —
tliapcllo unique dans l'axe; la crypte de cette église, encore existant*'
aiijouid'lmi , est , sous ce point de vue, du plus j^M-and intérêt. Nous en
donnons ici (3'2) le plan ', dépouillé des contre-forts extérieurs ajoutés
au xiii« siècle. En comparant ce plan de
crypte avec le plan du chœur et du chevet
de la cathédrale de Lan^M'es, et surtout avec
celui de la cathédrale de Sens, il est facile
de reconnaître le de^ré d<' parenté intime
qui lie ces trois édilices , construits à des
époques fort ditierentes ; et on peut con-
clure, nous le croyons, de cet examen,
que les diocèses d'Autun , de Langres ,
d'Auxerre et de Sens, possédaient, depuis
le xi*" siècle, certaines dispositions de plan
qui leur étaient particulières, et qui furent
adoptées dans la partie orientale de" la
cathédrale de Canterbury.
Nous retrouvons encore les traces de cette école, au xni* siècle, à
Auxerr*' même. En 1215, l'évêque Guillaume de Seignelay commenta la
reconslruclioii de toute la partie orientale de la cathédrale d'Auxerre ;
Tancienne (■ryi)le fut conservée, et c'est sur son périmètre, augmenté
seulement de la saillie de ((uel(|ues contre-forts , (jue s'éleva la nouvelle
abside. Sur la petite chapelle absidale de la crypte, on bâtit une seule
chapelle carrée dans Taxe, en renforc^-ant par des piliers , à l'extérieur, le
|)etit hémicycle du xi<^' siècle (tig. 32).
Certes, à celle époque, si fou n'avait pas regardé cette forme de plan
comme consacrée par l'usage, même en conservant la crypte, on aurait
pu, comme à Chartres, s'étendre au dehors de son périmètre , soit pour
élever un second bas-côté, soit pour ouvrir un i)his gi-and nombre de
chapelles absidales. Le plan du xi" siècle fut conserve^ et le chœur de
la cathédrale auxerroise du xni'" siècle respecta sa forme traditionnelle.
Cependant la construclion du chœ'ur de Saint-Étienne d'Auxeri-e fut assez
longue à terminer.
Guillaume de Seignelay, en prenant possession du siège épiscopal de
Paris, en 1220, laissa des sommes assez importantes pour contimier
l'œ'uvre; son successeur, Henri de Villeneuve, (pii moiiiut en 1231, parait
avoir achevt' l'entreprise; c'est l'opinion de l'abbé Lebeuf-, opinion (|ui
se trouve d'accord avec le slyle de cette partie «le la cathédrale. Quant
aux transsepts et à la nef de l'église Saint-Étienne d'Auxerre, commencés
vers la tin du xiiie siècle, on ne les acheva que pendant les xiv et xv^ siè-
' A récliclle (le 0,001"" pour mèlre.
* Mém. conccrn. l'hisl. civ. cl ceci. d'Auxerre , \y.w V:\\)\n' I.cIkmiI', I. 1 , p. '(02 ol
siiiv. I84S. l'oiir les dispiisitions iiil(''iioiiros (\e rc'diticc du mm'' sirclo, voyez au mol
iMiNSTKUCTioN. ( '.cs dis|i(isil idiis ;iii|i:iH irii iiciil II aiicliciiinil a \'fi(<\f Imiiii i^uiiiiionnt'.
— :WA
(ATHÉDRAIK
des. La favade occidontalo ivsta iiicoinplMe: la tour nord seulo fut
terminée vers le coninienceniont du wi*' sit'('l(\
Si les diocèses méridionaux df la Cliampaj^ne avaient subi Tintluence
des arts bourguignons, lun de ceux du nord avait pris certaines disposi-
tions aux édifices reli^deux des bords du Hhin. Au conmiencement du
xiii" siècle . on reconstruisit la cathédrale de Chàlons-sur-Marne , dont le
sanctuaire (33) était dépourvu de bas-côtés, rt dont les transsepts allon^^és
étaient accompagnes, à l'est, de deux chapelles carrées, de deux petits
sacraires et de tours, restes dun édifice roman. Nous ne pouvons savoir
si, comme dans les églises rhénanes, la nef était terminée, à l'ouest, par
des transsepts et par une seconde abside ; nous serions tenté de le croire
en examinant les dispositions rhénanes de ce plan du cO)té de l'est '.
Toutefois, si la cathédrale de Châlons-sur-Marne rappelle, dans le plan de
son chevet, celle de Verdun, par exemple, qui est entièrement rhénane,
' Au \i\' siècle, un collatéial ciirulaire et des chapelles lureul élevés autour du
sanctuaire de la cathédrale deChàlons, et la nefiiit presque entièrement reconstruite.
La partie occidentale de cette cathédrale date du dernier siècle. Après un incendie qui
causa les plus graves dommages à cet édifice et qui détruisit la voûte du sanctuaire,
une restauration, entreprise sous le régne de Louis \1V, acheva de dénaturer ce qui
restait du monument du xui' siècle. Cependant on peut encore facilement reconnaître
le plan primitif enté sur ini édifice roman.
T. II. *^
f r.ATHÉUHAI.K 1 — .{^4 —
les détails, le système de construction et l'ornementation, se rapprochent
de IfH'ole (le Reims, (l'est là un monument exceptiomiel , sorte de lien
ejilre deux styles fort dillcrents, mais qui se réduit à un seul exemple.
Ne pouvant nous occuper des admirables cathédrales de Canihrai et
d'Arras ', détruites aujourd'hui, et qui auraient pu nous fournir des
renseignements précieux sur la fusion de l'école rhénane avec l'école
française, nous ferons un détour vers les provinces du Nord-Ouest et de
l'Ouest.
Dans le Nord, les voûtes avaient paru tardivement; les grandes églises
du centi'e de la France, des provinces de l'Est et de l'Ouest, étaient déjà
voûtées au \v siècle, quand on couvrait encore les nefs principales des
églises par des charpentes apparentes dans une partie de la Picardie et de
la Champagne, dans la Nm-mandie, le Maine et la Bretagne.
Pendant le xii''siècl<\ la Normandie et le Maine n'étaient pas reunis au
domaine royal; et, quoicjue les ducs de Normandie tinssent leur j)rovince
en fief de la couronne, chacun sait coniliicii ils reconnaissaient peu, de fait,
la suzeraineté des rois de France. Ce(}ui reste des cathédrales normandes du
xi^au XM*" siècle, en Angleterre et sur le continent, donne lieu de supposer
que ces monuments, dont le plan se rappiochait beaucoup de la basilique
romaine, étaient, en grande partie, couverts par des lambris; les voûtes
n'apparaissaient (pie sur les bas-côtés et les sanctuaires. L'ancienne cathé-
drale du Mans fut construite d'après ce juincipe au commencement du
XF siècle. Nous en donnons le plan (3i) -. Les bas-C(')tés A étaient fermés
par des voûtes d'arêtes romaines, les absides par des culs-de-four, les
transsepts B et la nef C par des charj)entes lambrissées. Sur les quatre
piles de la croisée, dans les églises normandes, s'élevait toujours une
haute tour portée sur quatre arcs doubleaux. Au Mans, la façade occiden-
tale existe encore, ainsi que les murs latéraux et la base du pignon du
Iranssept nord. On aperçoit l'amorce des absidioles E.
La cathédrale de Pélerborough en Angleterre, d'une date plus récente,
mais qui ceixMidant , sur presque toute son ('tendue, est ant(''rieur(' au
xii<" siècle, présente encore une disposition analogue à celle-ci.
Pendant le xii« siècle, vers l'époque où l'on construisait les églises de
l'abbaye de Saint-Denis et de Notre-Dame de Noyon, la nef romane de la
cathédrale du Mans fut remaniée; on reprit les piles et les parties supé-
rieures de la nef, (|iii fut alors voût(^e ainsi qm» les transsepts. Ces voûtes
' L;i Ix'iic (allit-dralo dAnas no lui détniilt' (|nc depuis la lévoliilion de 1792; elle
existait encore au coniniencenicnt du siècle. Celle de (laminai était l'œuvre de Villard
de Iloiinecourt, ce maître dont nous avons parlé plusieurs fois, l'ami de Robert de
Coucy. Vienne possède un modèle de celle cathédrale dépendant d'un plan en relief
enlevé, en 1815, du musée des Invalides, par les iréiiéraux aulricliiens.
- Ce plan est à l'échelle de 0,001'" pour mètre. H est entendu que nous n'avons eu,
pour le tracé de l'ahside principale, que des données fort vagues. Mais nous présentons
ce plan comme un ivpe plutôt que comme un édifice parlicnlier.
— ;j5r>
CATHËDKALE
se i-approi'lu'iit, connue constriulioii . non du système adopté dans l'Ile-
de-Fiance et le Soissonnais, mais de eelui (|ui dérivait des coupoles des
u
I I
églises de l'Ouest ivoy. volte). Une porte ^ décorée de sculptures et de
statues qui ont avec celles du portail royal de la cathédrale de Chartres la
plus grande analogie, fut ouverte au milieu de la nef au sud (35). On ne
se contenta pas de ces changements importants. Vers 1:2^0, les anciennes
absides furent démolies, et on construisit l'admirable chœur que nous
voyons figuré dans ce plan. Mais alors le Maine venait d'être réuni au
domaine royal. Le diocèse du Mans payait sa bienvenue en reconstruisant
un chœur qui, a lui seul, couvre une surface de terrain plus grande que
tout le reste de l'ancienne cathédrale.
Le chœur de la cathédrale du Mans, si ce n'était la profondeur inusitée
des chapelles absidales, présenterait une disposition absolument pareille à
celle de la cathédrale de Bourges. C'est-à-dire qu'il possède deux rangs de
galeries; le piemier bas-côté, étant beaucoup plus élevé que le second, a
permis de prati(|uer des jours et un trit'orium dans le mur séparant ces
deux bas-côtés au-dessus des archivoltes. Mais la construction, la disposi-
[ CATHÉDRALK |
— :iM\ —
lion des chapelles, les détails de l'architecture sont beaucoup plus heaux
au Mans qu a Bouii^es. Les extérieurs sont traités d'une nianièi-e remar-
quable, avec luxe, et ne laissent pas vf»ir la j)auvrel<' des moyens conune la
PBGARÛ
cathédrale du Berry. Tne belle sacristie s'ouvre au sud ; elle date égale-
ment du xiii« siècle. r>es deux pignons des transsepts et le seul clocher ' bâti
à l'extrémité du croisillon sud ne furent fenninc's (|u'au xiv siècle. Il
est à croire que le maiire {\v Iceuvre du clurur de la cathédrale du Mans
> La posilion inusitée <le ce clocher ne pont être expliquée que par la détermination,
prise à la fin du \iii' siècle, de ne pas étondre plus loin que les transsepts les nouvelles
constructions, et de conserver la nel roman- restaurée au xii' siècle. Dans l'église
CAlHÈUUALli
songeait à reconslruire la nef dans le même style; les liavaux s'anètè-
rent aux transsepts, et si le monument y perd de l'unité, Ihistoire de lart
y ga^nc des restes tort jirt'cieux de lu catlunlrale primitive.
Au Mans, la chapelle de la Vierge, dans l'axe, est beaucoup plus pro-
fonde que ses voisines, et s'élève sur une crypte dans laquelle on descend
par un petit escalier particulier, (^ette disposition de chapelles ahsidales
profondes, celle centrale étant accusée par une ou deux travées de plus
que les autres, se retrouve également dans le cho'ur de la cathédrale de
Séez. Cet éditice, complètement de style normand dans la nef, (jui date
des premières années du xni« siècle, se rapproche du style français dans
sa partie orientale ; il peut être classé parmi ceux qui , élevés au moyen
de ressources insutlisantes, connue Troyes, Châlons-sur-Marne, Meaux, ne
furent point fondés, ou le furent mal. La nef (36), bâtie au commencement
duxiu'-siècle, fut remaniée dans sa partie supérieure cinquante ou soixante
primitive, dont nous avons donné le plan fig. 34, le clocher nnuiue devait être posé
sur les quatre piles de la croisée, suivant la méthode normande. Démoli lorsqu'on
refit le chœur, en renonçant 'a la reconstruction totale, ou ne trouva pas d'autre place
pour recevoir les cloches que rextrémilé du croisillon sud.
[ CATHÉDRALE ] .JaS
ansapivssa constiuclion ; le rlid'ur. élevé vers \îi:\0. et presque eiitière-
uiciil (lelruit jkiiuii incendie, diitèlre repris, vers hiiiO.deloiid en coniltle,
sauf la chapelle de la Viei'j^e, que 1 on '\u'^od pouvoii' èlre cons»'ivée. I.e
maître de l'œuvre du chœur, ne se tondant (juesur des maçonneries très-
insuttisantes, avait cherché, |)ar l'extrême légèreté de sa construction, a
diminuer le danf>er dime pareille situation ; et en ne considérant même
le chœui' de la cafht'drale de Sée/ (|u'ii ce jioint de vue. il meriteiait d'être
étudié. I^es chai)elles |)r(tl'on(les ahsidales, |)resentaiit des nmrs rayonnants
étendus, se pn-laient d'ailleurs a une construction léj^^ère et bien empatlee.
En effet, les travées intérieures du sanctuaire sont d'une légèreté (pii
dépasse tout ce qui a été tenté en ce genre (voy. tuavée), et la construction
en élévation est des plus savantes; cependant, rien ne peut remplacer de
bonnes fondations. Vei's la lin du xiv siècle, on crut nécessaire de ren-
lorcer les contre-forts extéiieurs du chœui' ; mais ces adjonctions , mal
fondées elles-mêmes, contribuèrent encore, par leur poids, à entraîner la
légère bâtisse du xiii*" siècle, (jui ne lit, depuis lors, que s'ouvrir de plus
en plus. Au commencement de notie siècle, les grandes voûtes du sanc-
tuaire s'écroulèrent ; il fallut les refaire en bois.
I^a façade de la calbédi'ale de Séez est couronnée fiai' deux tours avec
llèches élevées au conunencemenl du xm*^' siècle et réparées ou reprises
pendant les xiv* et xv. Os toui-s, ainsi que toute la nef, ont fait de très-
sérieux mouvements, par suite de rinsuilisance des fondations. C'est
aujourd'hui un monument fort compromis '.
iNous ne ([uillerons pas la Normandie, sans parler des cathédrales de
Baveux et de (loulanc(>s.
La cathédrale de Baveux, dont n(^us doimons le plan (37), est un éditice
du xm»- siècle enté sur une église du xik; et, de l'église du x[F siècle, il
ne reste que les piles, les archivoltes et les tympans du rez-de-chaussée
de la nef. Connue an Mans, comme à Séez, les transsepts sont simples,
sans collatéraux; à Baveux, deux chapelles lrès-j)eu piofondes. dont nous
trouvons •■l'alemen! la trace dans le mur oritMital du ( loisillon sud de la
cathédrale de Seez, s'ouvraient , à l'est , sur les deux transsepts nord et
sud. C'est là un dernier souvenir des chapelles romanes des transsepts
normands que l'on voit développées dans le plan primitif de lacathédiale
du Mans (fig, 34.). A Bayeux encore, dans le plan du chu'ur du \\w siècle,
on voit les deux tours normandes (sur une petite échelle, j)uis(pi'elles ne
contiennent «juedes escaliers) (|ui tei'niinaient la série des chaj)elles carrées
avant les chapelles absidales^. Sur la façade, deux giands clochers romans
' Do funesles restaiiratiims turent entreprises sur la façade et autour de la nef de la
cattiédrale de Séez, de 1818 à 18ii) ; elles n'ont lait qu'empirer un étal de choses déjà
fort dangereux. Des travaux exécutés avec intelligence et soin depuis celte époque
permettent d'espérer que ce remarquable édifice pourra être sauvé de la ruine dont il
esl menacé depuis longlemps. '
* Voy. le plan du premier étage de la cathédrale de Chartres, où ce parti est large-
ment développé.
— 359 —
(.ATHfiDKAI.K
avec tlèclips. Sur les quatre piles de la croisée, une tour existait dès le
xir siècle; elle fut rebâtie au xiii'', puis continuée pendant les xive et
xve siècles, pour être terminée, pendant le siècle dernier, par une coupole
avec lanterne. Ces quatre piles de la croisée turent successivement enve-
loppées de placages pendant les xiii'' et xiv" siècles '. On remarquera la
disposition des clochers romans de la façade occidentale : ils sont com-
plètement fermés à rez-de-chaussée et portent de fond; c'est là une
disposition normande, que nous retrouvons à Rouen, à Chartres même,
encore indiquée à Séez et a Coutances (voy. clochkr) ^
A Baveux, il n'ya plus Irace, dans le style de l'archileclure, de l'influence
française. Le mode normand domine seul ; c'est celui que nous retrouvons
' Par suite de ces constructions successives, faites d'ailleurs en matériaux peu
résistants, des écrasements si graves se sont manifestés dans les quatre points d'appui,
sous l'énorme charge qu'ils ont à porter, qu'il a fallu cintrer les quatre arcs doubleaux,
étayer les piliers, et procéder à la démolition des pariies supérieures.
* La cathédrale de Baveux possède encore, des deux côtés dii cliœiir, ses sacristie
et salle de trésor, et, au nord de la façade occidentale, une belle salle capitulaire du
XIII' siècle (voy. salle capiti lairf..
( CATHÉUKAIK | 3<i()
à Westminster, à Lincoln . à Salisbury. ii f'^ly , en An^Meterre ; et cepen-
dant, connne disposition de plan , la cathédrale de Baveux se rap|)i()che
plus des cathédrales françaises du xiii"' siècle, au moins dans sa partie
orientale, que des cathédrales anglaises. C'est qu'au xui" siècle, si la
Normandie possédait son style d'architecture propre, elle subissait alors
l'influence des édifices du domaine royal.
La cathédrale de Dol seule, en -Bretagne, paj-ait s'être affranchie com-
plètement de l'empire (pi'exervaient , sur tout le territoire occidental du
continent, les dispitsilions de plan adojttées, à la tin du rèjine<le IMiilippe-
Auj^uste, dans la constiuclion des cathédrales. La cathédrale de Dol est
terminée, à l'orient, par un mur carré, dans lequel s'ouvre un immense
fenestrage, connne les cathédrales d'Ely et de ï^incoln.
La cathédi-ale de Coutances, fondée en 1030 et terminée en 1083, soit
(pi'elle menac'ât ruine comme la phij)art des grandes églises du nord de
C(Mte époque, soit (|u"elle parût insuttisante. soit enfin que le diocèse de
(Coutances. nouvellement réuni à la coui'onne de France, voulût entrer
dans le grand mouvemeiU (|ui alois faisait reconstruire toutes les cathé-
drales au nord de la Loire; la cathédrale de Coutances, disons-nous, fut
complètement réédifiée dès les premières années du xiii-' siècle. Le chœur,
avec ses chapelles layonnantes, qui rappelIfMit celles du ch(eui' de la
cathédrale de Chartres, parait avoir été fondé vers la fin du règne de
Philij)pe-Augusle. Les constructions de la nef durent suivre presque
immédiatement celles du sanctuaire; mais il est probable que les trans-
septs furent élevés sur les anciennes fondations romanes du xi*' siècle, et
que même les énormes piliers de la croisée ne font, comme à Baveux,
qu'envelopper un noyau de construction romane.
En eti'et, si nous examinons le plan (38) de cette partie de l'édifice, nous
y trouvons une sorte de gêne dans l'ensemble des dispositions, et la trace
encore bien marquée des chapelles normandes des croisillons. Quellf^
que fût la charge que le maître de l'oeuMe voulait faire porter aux (juatre
piliers de la croisée icharge énorme, il est vrai), il nous parait difficile
d'admettre qu'en plein xiii*- siècle, s'il n'eût pas été commande j)ar des
substructions antérieures, il ne se fût pas tiré avec plus d'adresse de cette
partie importante de son projet. Quoi qu'il en soit, il ne reste plus de traces
visibles de constructions romanes dans la cathédrale de Coutances; c'est
un édifice entièrement de style ogival pur; la chapelle de la Vierge, à
l'extrémité de l'abside, et les chapelles de la nef furent seules ajoutées^
après coup, au xiV siècle '. La façade occidentale est surmontée de deux
clochers avec flèches en pierre, sous lesquels, outre les trois portes princi-
' Les cfiapelles de la iieC présentent une disposition si i)elie et si rare, que nous avons
cru devoir les donner sur ce plan, bien qu'elles dénaturent les dispositions primitives,
(les elia])olles soûl mises en ((immunicalion les unes avec les antres, à une hauteur de
trois nit'lres environ, par des claires-voies on meneaux sans vitraux : c'est comme un
collatéral qui serait divisé par des cloisons transversales peu élevées.
— .'Kil — l CATHÉDKAI.E ]
pales, souvroiit. au unn\ o\ au sud. doux porches latéi-au\ d ini ^'laud
prtof. Sur los (jualre piles dt» la croisép s'élève une énorme tour octogonale,
flanquée, sur les (juatre laces diaiionales . de quatre touielles servant
d'escaliers. (Irlle loui" centrale, (jui devait cei laineuient êtrt' <(iuronnée pai-
38
Pe&AHb
une flèche, est restée inachevée. Aux deux extrémités des croisillons sont
adossées, au sud, une chapelle; au nord, une vaste saciistie. On retrouve
encore à Coutances, en avant des chapelles rayonnantes, les deux tourelles
carrées normandes, qui, connue à Baveux, contiennent des escaliers et
séparent si lieureusement l'altsidedu chœur proprement dit. Comme style
d'architectuiv , la cathédrale de Coutances est complètement normande.
Le diocèse dans lequel le mélan{j;e du style normand et du style français
est le plus complet, ce doit être, et c'est en effet le diocèse de Rouen. La
cathédrale de Rouen occupait déjà, au xii^ siècle, la surface de terrain
quelle occupe encore aujourfl'hui. Rebâtie, pour la troisième fois, pendant
T. fi. -iH
I (ATHÉDKAI.i: I — •■»»"2 —
le rours du w*" siècle, elle lut enlièienient réédifiée pendant la seconde
moitié du xii'' siècle dans le style normand de Iransilion.
neresconsli'urtions {'M)), il ne reste (|ue la tour dite de Sainl-liownln.
/'e&AKO
qui s'élève au nord du portail occidental, les deux chapelles de l'abside.
celles des transsepts et les deux portes de la ia(,a(le s'ouvrant dans les
deux collatéraux; ces derniers ouvraj'es même paraissent apparlenir aux
dernières années du xii'' siècle. Ainsi donc, lorsque l*.icliar(lC(eur-(le-Lion
mourut, en ll'.M», la cathédiale de Uoueii avait déjà letendue actuelle.
Cesl en l^2(H que IMiili|>pe-Au^Hisle arracha des mains de Jean-sans-
— 3(53 — I c.ATiir'DUAi.i; 1
Terre la Nonuiiiidie, et (lu'il réunit à la coinoniie <le France eelte helle
province, ainsi (|ue rAnjon, le Maine et la Tonraine, avec une partie du
l*oiluu, Peu après, de j^rands travaux furent entrepris dans la cathédrale
de Rouen. l>a nef, les transsepts et le sanctuaire durent être reconstruits,
a la suite dun incendie qui, probablement, endommagea ^M'avement
I eylise du xu'- siècle. Là, connue dans les autres diocèses français, s "élève
une cathédrale au commencement du xiuf siècle, sous l'hinuence du
pouvoir monarchi(iue; et, chose remarquable, à Houen. les coustrucîtious
(pii paraissent avoir été élevées sous le règne de IMiilippe-Aiiguste, c'est-
à-dire de 1^210 à h22<) environ, appartiennent au style français, tandis que
celles qui datent du milieu du xuit- siècle sont enqireintes du style ogival
normand. Ce fait curieux , écrit avec plus de netteté encore dans l'église
d'Eu, est d'une grande importance pour l'étude de l'histoire de notre
architecture nationale.
La Normandie possède, pendant toute la période romane et de transi-
tion, c'est-à-dire du xi«^ au \w siècle^ une architecture propre, dont les
caractères sont parfaitement tranchés. Dans les édifices élevés pendant ce
laps de tenqis, la disposition des plans, la construction, roriTementation
et les proportions de l'architecture normande, se distinguent entre celles
des provinces voisines , l'Ile-de-France, la Picardie, l'Anjou et le Poitou.
Au connuencement du xne' siècle, lorsque l'architecture ogivale atteint,
pour ainsi dire, sa puberté, en sortant de son domaine elle étouffe les
écoles provinciales; si elle respecte parfois certaines traditions, certains
usages locaux qui n'ont d'intluence que sur la conqjosition générale des
plans, elle impose tout ce qui tient à l'art, savoir : les proportions, la
construction, les dispositions de détails et la décoration. Cette sorte de
tyrannie ne dure pas longtemps, car, de 1220 à 1230, nous voyons
l'architecture normande se réveiller et s'emparer du style ogival pour se
l'approprier, connue un peuple conquis modifie bientôt une langue
imposée, pour en faire un patois. Disons tout de suite, pour ne pas
soulever contre nous, non-seulement la Normandie, mais toute l'Angle-
terie, que le patois ogival de ces contrées a des beautés et des qualités
originales qui le mettent au-dessus des autres dérivés, et qui pourraient
presque le faire passer pour une langue. Mais nous aurons l'occasion de
développer notre pensée à la fin de cet article.
La cathédrale de Rouen, reconstruite au connuencement du xui** siècle,
adopta cependant certaines dispositions qui indiquent une singulière
hésitation de la part des architectes, probableuient français, qui furent
appelés pour exécuter les nouveaux travaux. Dans la nef, le maître de
l'œuvre semble avoir voulu figurer une galerie de premier étage, comme
dans presque toutes les grandes églises de l'Ile-de-F'rauce et du Soisson-
nais, mais s'être arrêté à moitié chemin, et, au lieu d'une galerie voûtée,
avoir fait un simple passage sur des arcs bandés au-dessous des archivoltes
des bas-côtés, et pourtouruant les piles (voy. galkku-:) au moyeu de colon-
nettes portées en encorbellement.
[ CAIHÉUKALE | — 'MM —
Dans réjjrlise d'Eu, même étian^^cté, mais partailt'iiicnt ('\|)li(|ii('*'. Le
chœur, les ti'anssepts et la dernière Iravée de la iiel'de cet edilice turent
élevés dès les j)remières années de la coïKiuèic de IMiili|(|)e-Auj^uste, c'est-
à-dire de Hori à 1^10, en style français parfailement pur, avec {jaleiie
voûtée au premier étaj^e, comme à Notre-Dame de Paris. De h2lO à 1:2-20
environ, interruption; de 1220 à I2:{0, reprise des travaux ; la nef est
continuée eonloi'mèincnl aux disjtositions |)reniières, c"est-à-dire que tout
est prt'pait' jiour recevoir une i^aleiie voùlee (h- premi(M' éta^^e au-dessus
des ('(tllaleiaux ; mais déjà les tailloirs des chapiteaux et les socles des
bases sont circulaires, les ornements et moulures sont devenus noiiuands;
puis, en construisant, on se reprend , on coupe les chapiteaux destinés à
recevoir les voûtes formant galerie, on laisse seulement subsister les
archivoltes dans le sens de la longueur de la nef entre les j)iles; on ne
construit pas les voùles devant servir de sol à la galeiie de premier étage,
et ce sont les voûtes hautes de celte galeiie (pii deviennent voûtes des
collatéraux ; les fenêtres de cette galerie supprimée et celles du rez-de-
chaussée se réunissent, en formant ainsi des baies démesurément longues.
La nef de la cathédrale de Rouen est de (pielques années antérieure à
celle de l'église d'Eu. A-t-on voulu, dans ce dernier éditice, imiter la
disposition adoptée à Kouen, seulement (piani à l'eflet produit (les sous-
archivoltes de la nef de l'église d'Eu étant sans utilité puiscpi'on ne peut
communiquer de l'un à l'autre, tandis qua Houen ils forment une galerie)?
C'est probable... Quel que fût le motif qui dirigeât l'aichitecte de la cathé-
drale de Kouen , toujours est-il que la disposition de sa nef ne fut plus
imitée ailleurs en Normandie . et que. dans cette province, dès que l'art
ogival se fut alfraïu-hi de linlhuMice française et eut acquis un caractère
propre, on ne voit plus de galeries voûtées de premier étage, ni rien qui
les rappelle; un sinq)le triforium couronne les archivoltes des bas-côtés.
La cathédrale de Kouen, rebâtie presque totalement en style ogival
français, est terminée , à partir du niveau des voûtes des collatéiaux, en
style ogival normand. Les quatre tours qui tlanquent les transsepts, les
fenêtres, les coi-niches et les balustrades supérieures sont normandes.
Mais la nef de la cathédrale de Kouen était, connue toutes les nefs des
cathédrales françaises du commencement du xui»" siècle, dépourvue de
chapelles. A la fin de ce siècle, on en construisit entre les contre-forts (39),
comme à la cathédrale de Paris. En 1302, on connnença la reconstruction
de la chapelle (\o la Vierge, située dans l'axe au chevet . eu lui donnant
de glandes dimensions, à la place de la chapelh^ du xii'' siècle, (pii n'était
pas plus grande que les deux autres chajielles absidales encore existantes.
Vers cette époque, on refit les deux pignons nord ci sud des transsepts
(portail de la Calende et portail des Libraires). Ces travaux, du commen-
cement du XIV siècle , surpassent comme richesse et beauté d'exécution
tout ce (pie nous connaissons en ce genre de cette epo(pu\
Alors, la Normandie possède une école de consli iicleurs, d'appareilleurs
et de sculpteurs, qui égale l'école de l'Ile-de-France.
— 3(55 [ CATHÉDKALK 1
Les portails de la Caleiide et des Libraires, la chapelle de la Vierge de
la cathédrale de Rouen, sont des chefs-d'u'inre '.
Mais la cathédrale du xni'' siècle, dont les dispositions primitives étaient
déjà altérées au connneuceuient du xiv siècle, suhit encore des change-
ments importants qui . malheureusement, ne furent pas aussi heureux
que ceux dont nous venons de parler. En 14.30, les chanoines firent
agrandir les fenêtres du clKcnr , non par nécessité, mais parce que,
connue le dit Pommeraye% le clueur paraissait «sombre et ténébreux. »
Les fenêtres de la nef et une grande partie des couroimements extérieurs,
des galeries intérieures, furent également moditiés pendant le xv«" siècle.
En 1485 fut conmiencée la construction de la tour qui flanque le portail
au sud, comme sous le nom do lour de Beurre \ Le caidiiuil George
d'Amboise commença la reconstruction de la façade occidentale, qui ne
fut jamais achevée. Déjà, au xiii'- siècle, il existait, sur les quatre piliers
de la croisée, une haute tour carrée, dont deux étages subsistent encore,
endommagée par le vent en 1353, puis réparée et brûlée en 1514 par la
négligence des plombiers; l'étage supérieur de cette tour fut reconstruit
et surmonté d'une immense tlèche en bois recouvert de ploml), (\u\ ne
' fut achevée qu'en 1544. La foudre y mit le feu en IS-21, et on Ta voulu
remplacer de nos jours par une flèche en fonte de fer \
Les dépendances de la cathédrale de Rouen étaient considérables, et.
sous son ombre, l'archevêché, un beau cloître, des écoles, des biblio-
thèques, des sacristies, salles capitulaires et trésors étaient venus succes-
sivement se grouper du côté du nord et de Test. Il reste encore de beaux
fragments de ces divers bâtiments (voy. cloître).
Jusqu'à présent, nous avons vu l'architecture, née en France à la fin du
xn«" siècle, se développer avec le pouvoir royal et pénétrer, à la suite de ses
conquêtes ou à l'aide de son influence politique, dans les provinces voisines
de l'Ile-de-France. Cette révolution s'acconq^lit dans lespace de peu
d'années, c'est-à-dire pendant la durée du règne de l*hilippe-Auguste.
Mais, jusqu'à la fin du xiii«^ siècle , elle ne dépasse pas les territoires que
nous venons de parcourir. Dans d'autres provinces, au sud et à 1 ouest,
l'architecture romane suit paisiblement son cours naturel; si elle se
' Le portail des Libraires (nord) vient d'être restauré, par MM. Desniarels et
Barliiélemy, avec un soin et une perfection qui font le plus grand fionneuv à ces deux
architectes.
i Hisl. di' l'pql. cathéd . de Bnnen. ftouen, 1696.
3 « Chacun sçait (dit Ponimeraye dans son Hist. de l'ajl. aithrd. de Rouen, p. 35)
« qu'elle a eu ce nom à cause de la permission que le cardinal Cnillaume d'Estoule-
.. ville obtint pour les fidelles du diocèse de Roiien et (l'Kvienx d'user de beurre et de
« laict pendant le carême.... Hobert de Croismare archevêque de fiouen; destina au
« bâtiment de cette tour les deniers qui furent offerts par les fidelles pour reconnoissance
" de cette faveur.... La tour ne fut achevée qu'en 1507....
* A la suite de l'incendie de 1821, ime partie de la toiinre des grands combles et
les voûtes de la nef furent refaites à neuf.
r.ATIIËDItALE
— ;j(»()
modilio, ce n'est pas dans son princi|)o, mais dans les détails de son
orncnieiitafioii.
LV'^lise al)l)atial(' de Saint-Front de IVrii^ncux avait clé élevée, vers la
lin du X'' siècle, à rimilalion de l'éj^lisede Sainl-.Marc de Venise (voy. aiu.mi-
TECTUUE kelicieuse). Pcu apivs, ou en n)cnic temps peut-ctie, on élevait
Icjilise caihédrale de Péiij^ucux ' et l'église catliédiale deCaliors, toutes
deux sans tianssepts, et présentant seulement une seule nef avec abside.
Nous doimons (iO) \e plan de ce dernier edilice. 11 se comj)ose de deux
coupoles portées sur six gros piliers, huit pendentifset des arcsdoubleaux.
L'abside est voûtée en cul-de-tour, et trois petites chapelles s'ouvrent
dans le nnu* du sanctuaire.
L'église abbatiale de Saint-Fiont était plus étendue et plus riche que
les deux pauvies cathédrales de (lahors et de la cité de IN-rigueux.
Dans les j)rovinces de l'Ouest, comme en liouryogne, en Cliamj)agne,en
Normandie, les églises abbatiales, pendant les x« et xi^ siècles, attiraient
tout à elles; mais si, dan.s les provinces du Centre et de l'Ouest, la renais-
sance épiscopale fut moins active au xn» siècle que dans le Nord et l'Est,
elle fit cep(Midant de grands efforts , sans trouv(^r une école darclùtectes
laï(|ues toute prête à la seconder, et, dans les ])o|)uIations, un désir j)ro-
non( é de se constituer en corps de nation. D'ailleurs, l'architecture romane
de ces dernières provinces avait adopté, pour ses monuments religieux,
un mode de construction durable, solide, qui excluait les charpentes et,
par conséquent, annulait les causes d'incendie ; et nous voyons (jue, dans le
' Nous ilcsi^iioiis ici l';incienne catfiédraie de Péiii^uoiix ol non la caliiodralo
acUielle, rélal)lie dans l'église abbatiale de Sainl-Kionl.
— 'Mil — I CATIIÉDIIAI.I'; I
Nord, à la tin du xii« siècle, la reconsUuction de la plupart des ealliédi-ales
romanes (>st i)iov()qut'e j)ar des iueendies, eoinnie si ce tléau avait voulu
venir en aide aux tendances de l'épise()|)at et des populations urbaines.
A An^oulènie, une eatliediale avait été hàtie au eoinnienecnicnt du
xii*" siècle ; elle se composait d'une nef à quatre coupoles, avec une abside
et quatie chapelles rayonnantes (il). Vers IfMuilieu de ce siècle, alors que
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sur une grande partie du territoire de la France actuelle on élevait ou on
songeait à élever de nouvelles cathédrales plus vastes, on se contenta
d'agrandir la cathédrale d'Angoulème par l'adjonction des deux transsepts
surmontés de deux tours', et on enrichit l'inféiieur de la nef en incius-
tant des colonnes engagées et quelques détails d'architecture. La façade
occidentale fut reconstruite et couverte de sculpture. De la primitive
église, la première ti-avée de la nef demeure seule intacte. A l'extérieur,
les couronnements furent refaits.
Nous donnons (42), en A, la coupe sur le transsept nord de cette église,
et en B la coupe transversale sur la nef*. Les adi(»nctions et les réparations
à l'église primitive de Saint-Pierre d'Angoulème ne moditient pas le
1 Seule la lour du nord existe aujourd'tiui.
2 Nous devons ces dessins à notre ami, M. Abadie, architecte de la catliédraie
d'Angoulème, qui vient do terminer avec autant de tionlicur que do taiont le démontage
el la l'econstruclioii pioco |iar pièce do la belle lour dont nous doiuions la coupe.
I CATHl-DKALK ] — .{(iS —
système de construction. La liadilion romane est conservée pine. Kn se
-I ■■';■■ ' ' 1 — I I I I — ■— • — I I j
ÎOm
v|j A.KCAXO.iX.
iap{)ro('hanl des provinces du Nord, le style l)yzanlin des éiilises de
rOuesl allait, dès le milieu du wv siècle, suhir liidluence des écoles de
rile-de-France et de Picardie.
Me 1 1 iri il I Kiri, on bâtissait, à Anfifers, la nef de la cathédrale '. Le
• Voy. K Arch\i. byzanline en Frnnrp, par M. Friix df Vornoilli, p. ^S!^ o\ suiv.
Paris, 1851.
— 369 f r.ATIII-DRAlK 1
plan do (t'ttc nef (13) se.rapproche beaucoup do celui de la net" de la cathé-
drale d'Anj^^oulême (fig. -41). Mais, à Saint-Maurice d'Angers, la coupole a
fait place à la voûte d'arête. Au conniiencement du xui»" siècle, on élève
les transsepts et le chœur, en suivant encore le système adopté au xii*.
L'architecture du Nord n'impose ici ni ses dispositions de plans, ni même
son système de construction ; car ces voûtes d'arêtes sont plutôt des
coupoles nervées que des voûtes en arcs d'ogive (voy. construction). Les
nervures diagonales sont une décoration plutôt qu'un moyen de
construction. Point de collatéraux, point de chapelles; une nef, des
transsepts et un sanctuaire.
Saint-Front de Périgueux avait été l'origine de tous les monuments à
coupole bâtis dans les provinces de l'Ouest pendant un siècle '. Mais, dans
le Poitou et les provinces du Centre, il s'était, dès le xi«^ siècle, formé une
(H'ole de constructeurs dont le mode dittV-rait essentiellement de ceux
adoptés par les architectes romand-byzantins de l'Ouest ou par ceux du
Noid. Une grande partie des églises romanes du Poitou, du Limousin, de
la Saintonge, de la Vendée et même du Berry , possèdent une nef avec
bas-côtés, dont les voûtes atteignent à peu près le même niveau; celles
Vov. If mémo diiviago, el l'arlicle AiiCHirecTiiRE religieiisk.
T. II.
I CATIIÉI)BAI.K I — 370 —
(les collaléraux , plus étroites , en berceau ou d'arêtes , servent de buttée
aux voûtes centrales en berceau (voy. ARr.iiiTKc.TiRK uki.kwusk. li^. \î>).
(l'est contoi-niénient à ce [)rinci|X' (|ue sont conslruites les enlises de
S;iinl-Savin |)rès Poitiers, de Notre-Dame ladrande, de Melle, de Surj^ère,
de Saint-Euthrope de Saintes, et niênie dans des provinces éloif^nées, de
la cité de Carcassonne au xi^ siècle, de Brives et de Limoges au xiii»". Ces
trois nefs, égales en bauteur, sinon en largeur, ne permettaient de prendre
des jours que dans les murs des collatéraux, la voùle ceuliale restant
dans r»»bs< lu'ilé. Ce mode de construction tut adopté ])our redilicatiou
de lacalbédrale de Poitiers, au commencement du xni'' siècle. Seulement,
l'arcbitecte donna à ses trois nefs une largeur à peu près égale , et les
voûtes fui-enl laites en arcs d'ogive avec nerf partant des clefs centrales
aux clefs des arcs doubleaux.
Voici (i'O le plan de la cathédrale de Poiti«M's. I,ii encore, dans les
dispositions c(»nMuc dans le svstème de la construction, linlluence du
— ;ni —
[ CATHEDRA I.K J
Nord est nulle, quoique tous les arcs soient en tiers-point, ainsi qut; dans
la cathtVirale d'Angers; elle se fait sentir dans le style des moulures et
dans rornonientation. Grâce à la lari^^eur et à la hauteur des travées, k la
grandeur des fenêtres jumelles ouvertes au-dessus de l'arcature des bas-
côtés, cet intérieur est fort clair. Les transsepts ne sont, à vrai dire, que
des chapelles latérales orientées, et les absides, tracées suivant une
courbe peu prononcée, ne paraissent pas à l'extérieur.
Du dehors , la cathédrale de Poitiers , couverte par un cond)le à deux
pentes, terminée à l'orient par un énorme mur-pignon sans saillies et à
peine percé, paiait être i)lulùt une salle immense ([u'une église avec nef
et collatéraux. Hien, dans le plan, n'indique ni le clio'ur, ni le sanctuaire.
Nous sommes disposé à croire que, connue à Saint-Pierre d'Angoulême,
des tours avaient été projetées sur les deux transsepts. Une façade de
style français du Nord fut commencée , vers le milieu du xiif siècle, à
l'ouest, et flanquée de deux petites tours non achevées. Les constructions
supérieures de cette façade ne datent que des xiv»^ et xv«^ siècles. Maigre
sa grandeur, la beauté de sa construction et de ses détails, c'est là, nous
l'avouons, un monument étrange, une exception qui ne trouve pas d'imi-
tateurs.
Nous donnons (45) la coupe transversale de la cathédrale de Poitiers,
dont les voûtes se rapprochent plutôt, comme à Saint-Maurice d "Angers,
I r.ATIlÉORALE ] — 'M"! —
de la coupole nervée que de la voûte en ares d'o^'ive (voy. construction).
Dans la cathédrale de Poitiers viennent se réunir et s'éleindre les an-
ciennes dispositions de plan et de coupe des é^dises lonianes du Pctitou,
à trois nefs égales de hauteur, et les ti'aditions de la construction des
coupoles byzantines.
A partir du milieu du xni"' siècle , rarchitecture ogivale française
s'impose dans toutes les provinces réunies à la couronne, et même dans
(|uelf|ues-unes de celles qui ne sont encoi'c (pic vassales. Excepté en
Provence et dans (|uelques diocèses du îMidi . les styles provinciaux
s'etVacent, et les eti'orts des évêcpies tendent à élever des callicdrales
dans le style de celles qui taisaient l'orf^ueil des villes dn Nord.
C'est de 1260 à 1275 que nous voyons trois villes importantes du midi
jeter bas leurs cathédrales romanes pour élever des édifices dont la direc-
tion fut évidemment confiée à un même architecte du Nord : Clernumt en
Auverj,fne , Limoi^^es et Narhonne. Ces trois diocèses connnencenf leurs
cathédrales, la première en 12(58 et la dernière en 1272, sur des plans
tellement idenliciues, qu'il est ditliciie de ne pas voir, dans ces lidis
monuments, la main d'un même maître. IVut-êtie, cependant, la calhé-
diale de Narhonne, tout (mi appartenant à la même école que les deux
autres, fut-elle élevée par un autre architecte ; mais, cpuint aux cathé-
drales de (^lei-inont et de Limof^es, non-seulemeiU ce sont les mêmes
plans, mais les mêmes profils, les mêmes détails (rornementation, le
même système de construction.
Nous représentons ici (4<i) le plan de la cathédrale de Clermoni , la
première en date '.
La construction de la cathédrale de (^lermont fut conunencée par le
chœui'. L'ancienne éptlise romane avait été laissée debout, son abside ne
venant j,'uère (jue jusquà l'entrée du chœur nouveau -. Le sanctuaire
achevé vers la fin du xiic siècle, l'éj^dise romane fut démolie, sauf la
façade occidentale, ol on continua l'œuvre pendant les premières années
du xiv« siècle. Quatre travées de la nef furent conq)létées. Le travail, alors
suspendu, ne fut j)Ius repris, et on voit encore les restes de la façade du
XI*" siècle '. I^a pai'lic orienlale de la cathédrale de (ilern)ont, enlièicmcnl
bâtie en lave de Volvic, est admirablemcnl conslruile, bien que Ton
s'aperçoive de l'extrême économie imposée au maître de l'œuvre. Absence
d'arcalure dans les soubassements des chajjclles, sculpture raie, i)as de
formerets aux voûtes. Ce qui est surtout remaïquable, à Clermoni comme
à Limoges et à IVarbonnr, c'est la concession faitf t'vidciumenl aux lia<li-
' Coiiiiiic Unis les ;iiilr('s plans, celui-ci est ii Tcclicllc de 0,()()l"' |)(Uir inclrc
- Kn iaisaiit qii('l(|ii('s rouilles, iM. Mallay, aicliilecle, a reU'omé exacteineiil le pian
de la cathédrale du \'- au xi« siècle, dont les dis|)osilions se ia|)porlaienl a celles de
tontes les éirlises romanes d'Anvergne.
3 Denx lonrs qui snhsislaienl encore sur ceUe façade, mais (pii avaient été déiiatu
rées depuis lon;j;leiiij»s, onl dû èU'c démolies parce cju'elles meiia<,';iieul de s'écrouler.
;n:j
[ CATHÉDRALE
lions méridionales par l'architecte du Nord. Ainsi, les bas-côtés et les
chapelles sont couverts en terrasses dallées, quoique le triforium ne soit
L.Ml
^e-Jin? 1
point à claire-voie. Les fenêtres hautes ne remplissent pas complètement
l'intervalle entre les piliers, mais laissent entre elles des trumeaux d'une
certaine lar^^eur, ce qui est tout à tait contraire au système adopté dans
toutes les éj^dises du Nord de cette époque. Deux des chapelles carrées du
chœur, au nord, sont consacrées au service de la sacristie, avec trésor
au-dessus.
A la cathédrale de Limoges, dont nous donnons le plan (47), c'est au
sud et de la même manière que sont placés les services pris aux dépens
de deux chapelles. Dans les chapelles absidales de ces deux plans, qui
présenttMit non-seulement des dispositions, mais encore des dimensions
semhlahlrs, on remanjuera la petite travée d'entrée qui précède le poly-
gone ; c'est là un parti que nous ne trouvons pas adopté dans les chapelles
absidales des cathédrales du Noitl. Du reste, comme à Reims, comme à
Beauvais, les chapelles rayonnantes sont toutes égales entre elles ; il n'y a
pas de chaj)elle plus jn-ofonde dans Taxe, connue à Amiens, à Troyes, etc.
La net' de la catlicdralc (le (llermont appartient au mv siècle; celle de
[ CATHÉDRALE ] — '{7 4 —
la cathédrale de Linio^^es au w^et même au wi»^ ', ainsi que le pignon du
transsept noid. L'histoire de la construction de ces deux nKinuincnts est
doncsemhlahle. Les ressources que les chapitres et les évèques de (llmnont
et de Limojj;es avaient pu rt'unir, vers la fin du xm^ siècle . pour rehàlir
leui's cathédi-ales, furent proniptement éi)uisées; et, à Limoges, ce ne tut
(pi'à la tin du xv siècle que les travaux j)urent être repris, pour être de
nouveau abandonnés.
A Narbonne, siège archiépiscopal, la cathédrale de Saint-Just,dont nous
admirons aujourd'hui le chœur, ne sortit de terre que vers les dernières
années du xm*" siècle ; entre cet édifice et ceux de Clermont et de Limoges,
on i-emartpu' une dillérence notable dans le style des profils et des
détails de la construction. La cathédrale de Narbonne, conçue d'après des
> La nef de la calliédrale de Limoges resta inachevée comme celle de la cathédrale
de Cloimont. A l'ouest (voy. tig. 47), on a laissé suhsisler un déi)ris de raïKicMiiie nef
romane et les soubassements de la tour du xr siècle, renlorcés cl surélevés au xiii' et
au xiv siècle (vov. CLociiti! .
— 375 — [ r.ATIIÈDIULK 1
données hoaucoup plus vastes que ses deux devancières, ne vit élever, de
1"27''2 à i;{;{0 environ, que son chœur (48) '.
PEMUD St
Vers cette époque, Narbonne perdit son antique importance par suite de
' Ce chœur est à peu près aussi élevé que celui des caihéd raies de Beauvais el do
Cologne.
[ (ATllfiimAI-E I .ne»
l'eiisablomont de son port. La cathédrale resta inachevée; h'S Iraiissepts
ne furent même pas élevés '. La construction de ce vaste chœur est admira-
blement traitée, par un hoM)me savant et connaissant j)artailement toutes
1er; ressources de son arl. Il semble mèm(> (|u'on ait voulu, avant tout, à
Narboime, faii'c preuve de savoir. Les chapiteaux des piles sont complè-
tement dépourvus de sculi)ture ; le triforium est d'uiu' simplicité rare;
mais, en revanche, l'agencement des arcs, les pénétrations des moulures,
les profds, sont exécutés avec une perfection (pii ne le cède à aucun de
nos édifices du Nord. Les voûtes sont admiiablement apjtareillées et
construites. Celles des chapelles et des bas-côlc's (jui reçoivent , connue à
Limoges et àClermont, un dallaj;»' presque horizontal, ont ()'",i() d épais-
seur et sont maçonnées en pierres dures. L'ensemble de la constj'uclion,
bien pondéré, dont les poussées et les buttées sont calculées avec une
adresse incomparable, n'a pas fait le moindre mouvement; les piles sont
restées parfaitement verticales. L'architecte, afin de \w pas aflaiblir ses
points (l'appui princi|)au\ par les passages des galeries, a l'ait tourner le
mur <'xtérieur du triforium aut(»ur des piles (voy. ahciutkc.ti uk «ELKirKUSK,
fig. 38). Cette mêniP disposition se retrouve également a la cathédrale de
Limoges. Mais outre la grandeur de son plan, ce qui donne à la (;athédrale
de Narbonne un aspect particuUer, c'est la double ceiidure de créneaux
(|ui reuq)lace les balustrad(>s sur les chapelles, et qui réunit les culées des
arcs-boutauts terminées eu forme de tourelh^s (voy. aiu.-boi tant, fig. (iiS).
C'est (|u'en etl'el cette abside se reliait aux fortifications de l'archevêché
et contribuait , du côté du nord , à la défense de ce palais (voy. évêché).
C'était, dans les villes du Midi, un usage fré(iuent de f(utilier les cathé-
drales. Celle de Béziers, outre ses fortitications de la fin du \\w siècle,
laisse voir encore des ti'aces noiubreuses de ses foililications du xic". La
partie de la cathèdi-ale de Carcassonne qui date du xi** siècle se reliait aux
fortifications de la cité.
Au xiv siècle , nous voyons encore les archevêques d'Alby élever une
cathédrale qui présente tous les caractères d'une forteresse. Ce fait n'a rien
d'extraordinaire, quand on se rapi)elle les guerres féodales, religieuses et
politicjues (|ui ne cessèrent de bouleverser le Languedoc pendant les xu'',
xni'" et xiv<" siècles, l'our en revenir à la cathédrale de Narbonne, on icmai-
quera la disposition neuve et originale des chapelles nord du cho'ur,
laissant entre elles et le collatéral un étroit bas-côté qui produit un grand
effet , en donnant à la construction beaucoup de légèreté, sans rien ôter
de la solidité, il est vraisendjlable que cette disposition devait être adoptée
1 L'un (les archevêques fie Narbonne, peiidanl le dernier siècle , voulut reprendre
celle consUiiclion el élever l'église au moins jusiiu'ii la ineniière Uavée eu avant des
Iranssepts ; l'enU'eprise l'ut bientôt suspeudue ; les constructions, reprises de nouveau il
y a quinze ans, n'ont lail qu'ajouter ([ueUiues assises .^ celles laissées en attente à la Hn
du xvm' siècle, bans notre plan, la teinte L,'rise indique les constrnclioiis dernières, cl
le trait le projet prolialilc.
— ■{"T — I ( ATHÉDUAIK ]
(laii> la net', (|ui, coiimit' celles de Clermoiit et de Liiiiof,^es, avait été
pntjetee avec des cliapelles latérales.
A Narlioiint», la sacristie et le trésor sont disposés dans deux des
chapellt^s du clueur , au sud ; cest encore là un point de resseudtlance
avec Clerniont et Linio^'es (voy. fig. 46 et 47). Les fenêtres de ces trois
monuments fuient j^^arnies de vitraux ; mais ceux de la cathédrale de
Narhonne . posés seulement pendant le xiv siècle, ne présentent , dans
toutes les chapelles, excepté dans celle de la Vierjjje, (jue des grisailles
avec entrelacs de couleur et écussons armoyés. Il semble (|ue Ion ait
tenu à bamiir la sculpture et la peinture de cette église; aussi est-elh;
d'un aspect passablement froid. C'est plutôt là l'œuvre d'un savant que
d'un artiste. Le sanctuaire de Narbonne, connue celui de Limoges, a
conservé sa clôture formée de tombeaux d'évèques (voy. tombeau). La
cathédrale de Narbonne possède encore son cloître du xv*" siècle, au flanc
sud du chœur, connue celle de Béziers (voy. cloître), et des dépendances,
entre autres une salle capitulaire d'un fort bon style.
Saint-Just de Narbonne est un édifice unique dans cette contrée du sol
français, et par son style et par ses dimensions; car les cathédrales du
Languedoc sont généralement peu étendues, et la plupart ne sont que des
édifices antérieurs aux guerres des Albigeois, réparées ou reconstruites
en partie à la fin du xni«" et pendant le xiv^ siècle.
Toulouse, seule peut-être, possédait, au xn«^ siècle, une grande cathé-
drale à nef unique sans collatéraux, autant qu'on peut en juger par le
tronçon qui nous reste de ce vaste et bel édifice '. Mais Toulouse était, au
xiie siècle, une ville riche, très-populeuse, et fort avancée dans la culture
des arts.
Avec celle de Béziers, la cathédrale de Carcassonne ' est une de celles
qui nous présente cette invasion du style ogival du Nord dans un monu-
ment roman du Midi. Nous donnons (49) le plan de ce curieux monument.
La nef et ses deux collatéraux, jusqu'aux transsepts, appartiennent à une
église de la fin du xf siècle. Immédiatement après que Carcassonne eut été
réunie à la couronne de France sous saint Louis, l'évêque Radulphe fit
construire, en style ogival quelque peu bâtard, à l'extrémité du transsept
sud (qui alors était roman et devait avoir létendue actuelle) , la chapelle
teintée en gris sur le plan et la salle voisine \ Au connnencemenl du
xiv^ siècle, l'évêque Pierre de Roquefort ou Rochefort démolit le chœur,
' CeUe nef dans œuvre n'a pas moins de 54 mètres ; les voûtes sont en arcs d'ogive,
portées sur des piles et contre-buttées par des conlre-torts formant des travées inté-
rieures profondes ou des chapelles entre eux. 11 est probable que ceUe disposition était
une de celles adoptées dans ces provinces avant l'invasion du style français, après les
guerres des Albigeois.
- Aujourd'hui l'église de la Cité, le siège épiscopal :iy.tiil, depuis le concordat, élé
Iransléré dans la ville basse.
^ CeUe salle a été nioditiée au xv= siècle. Le tombeau de l'évêque Kadulplie est placé
dans la chapelle (voy. tombkau).
T. n. . '^^
[ CATHÉDKAI.I' ] 'f"!^
les transsepls roiuaiis, et hàliteii styl»' ogival pur IVanvais la pai lie orifiilalc
de la calhédrale que lums voyons aiijoiiidliiii. (lepeiidanl, soil (pioii ail
voulu se tenir sur les fondations ancinincs du clicxcl cl drs transsepls
v<
ï\)
romans, soit quon ait voulu conserver une disposition liaditionnelle et
que nous ne voyons guère adoptée, en dehoi's de Careassonne, que dans
l'éylise d'Obazine, on donna à la nouvelle consiruotion un plan qui ne
trouve d'analogue nulle part dans le Nord; mieux encore : dans la nef
romane, il existe des piles alternativement carrées, cantonn(''cs de demi-
colonnes et cylin(lri(|ues. dette foiine de pilier. (\u'\ n'est pas ordinaire dans
les constructions d'églises du xiii"' et du xiv siècle, fut ado|)tce pour les six
piliers formant tètes des chapelles et du sanctuaire, c'est-à-dire que les
deux piles de la croisée, à l'entrée de l'abside, lebâties en face des deux
piliers romans laissés en place, prirent la section horizontale en plan de ces
derniers, et (pie les quatre autres piles sc'parant les cha|)elles des transsepls
prin'nt la forme cylindricpie, connue pour se relier avec la vieille église;
partout ailleurs les sections des pilieis du xiv siècle adoptent les formes
usitées à cette époque. lj'évè(jue Pierre de Ko(|ucfort, en faisant lebàlir la
partie orientale de sa cathédrale, axait donc r'intenlion de borner là son
entreprise et de respecter la nef lomane, puisqu'il chenhait à conserver,
enti'e les deux constructions, une certaine hainionie. malgré la ditVérence
de style. Ce n était |)lus celle confiance des evè(|ues du iNoi'd , (|ui, au
XIII'' siècle, lors(|u'ils laissaient subsister, pour le service du culte, une poi-
tion d'église antérieure, ne le faisaient (ju'à titre provisoire, et ne songeaient
guère à raccorder leurs nouveaux projets avec ces débris romans destinés
a être jetés bas aussitôt «pie l'avancement de l'œuvre nouvelle l'aurait
permis. On voit, d'aillems, combien les consli'uciions dernières de I;i
cathedraU' de (larcass(»nne sont exigu«'s : on rebàlissail Tcglise pour se
— .{7".> — j CATIIÉDKALE ]
coiifonner au ^'oùt du temps, mais on ne pensait pas à l'aj^^-andir ' ; tandis
qu'à Clermont et à Limoires encore, bien que ces cathédrales ne soient pas
d'une irraiide dimension, on avait cependant beaucoup anirmenté, au
XIII'' siècle, le périmètre des èirlises romanes -. Si, a la tiii du xiir- siècle,
dans le Nord, la puissance qui avait tait élever les cathédrales commentait
à satiaiblir. il est évident (jue. dans les provinces du Midi, et même dans
celles alors réunies à la couronne de France, il n'y avait plus qu'un reste
de l'impulsion piovof|uée |)ar le itrand mouvement de la fin du xii"" siècle.
l/e\è(|ue Pierre de R(»(|ucfort send)la vouloir, du moins, l'aire de sa
petite calliediale de Saiiit-Na/aire, si modeste comme étendue, un chef-
d'œuvre d'éléjj^ance et de richesse. Contrairement à ce que nous voyons à
Narbonne, où la sculpture t'ait complètement défaut , l'ornementation fut
prodiguée dans l'église Saint-Nazaire. Les verrières innnenses et nom-
breuses (car ce chevet et ces transsepts sont une véritable lanterne) sont
de la plus grande magnificence (voy. vitrail) comme composition et
couleur. Le sanctuaire, décoré des statues des apôtres, était entièrement
peint. Les deux chapelles latérales de l'extrémité de la nef, au nord et au
sud, ne furent probablement élevées qu'après la mort de Pierre de
Rochefort, car elles ne se relient pas aux transsepts comme construction,
et dans l'une d'elles, celle du nord , est placé, non pas après coup, le
tombeau de cet évèque . Tun des plus gracieux monuments du xiv siècle
que nous connaissions (voy. tombeau).
Les grands vents du sud-est et de l'ouest qui régnent à Carcassonne
avaient fait ouvrir la porte principale au nord de la nef lomane; une
autre porte est percée dans le pignon du transsept nord. Le clocher de
l'église, qui datait du xi^ siècle, s'élevait sur la première travée de la nef
et servait de défense, car il dominait la nuu'aille de la cité, qui . alors,
passait au raz du mur occidental.
En A est le cloître: il reliait les bâtiments du chapitre et de l'évèché à
l'église. Des deux côtés du sanctuaire, entre les contre-forts, sont réservés
deux petits sacraires qui ne s'élèvent que jusqu'au-dessous de l'appui des
fenêtres. Ces sacraires sont garnis d'armoires doubles fortement ferrées
et prises aux dépens du mur. Ils servaient de trésors, car il était d'usage
de placer, des deux côtes de l'autel principal des églises abl)atiales ou des
cathédrales, des armoires destinées à contenir les vases sacrés, les reli-
quaires et tous les objets précieux. A Saint-Xazaire , on avait habilement
profité des dispositions de la construction pour établir d'une manière fixe
ces sacraires qui, le plus souvent, n'étaient que des meubles (voy. autel).
Les cathédi'ales des diocèses de la France actuelle avaient tous, ou peu
• Ce plan est à hi même échelle que les autres, 0,001'" pour mètre.
* La crvpte romane de l'église cathédrale de Limoges , qui existe encore et était
placée sous le chevet, n'arrive guère qu'au milieu du s:incluaire actuel. Les fonda-
tions de la lalhédrnle romane de (Mormont ne dépassent pas la premiiTi' travée du
chœur.
I (,ATiif:i)«\i !•: I — •{^<* —
s'en faut, reconstniit leurs cathédrales pendaiil lt's\ii>'. \iii' et \iv siècles;
ceux dont l'teuvre de reconstruction n'avait été conunencée (|ue lardive-
nicnt ne purent , la plupart, la terminer. Les j,aierres qui, ])endant la
dernière moitié du xiv^ siècle et le connuencement du xv«', ensanglan-
tèrent le sol français, ne permirent pas de continuer ces monuments
tardifs. Ce fut seulement à la fin du xv«" siècle et au conmiencemenl du
\vi* que l'on reprit les travaux. Alors, comme nous l'avons dit en décri-
vant (|uelques-uns de ces grands édifices, on fit de nouveaux eHorts; à
Troyes, à Auxeire, à Tours, à Évreux, à Fiouen. à Heauvais. à Limoi^es, à
Bourj,^es, à Ncners, etc., les évé(|ues et les chapitres consacrèrent des
sonnnes considérables à parfaire des monuments que le refroidissement
du zèle des po|)ulalions et les guerres avaient laissés incomplets. Quelques
cathédrales, en bien petit nombre, furent commencées à cette époque.
Le xv«; siècle vit fonder la cathédrale de Nantes, celles d'Auch, de Mont-
pellier, de Hhodez, de Viviers ; les gueires religieuses du xvi'' siècle tirent
de nouveau suspendre les travaux.
Nous ne devons pas quitter ce sujet sans parler de la cathédrale dAlby ,
monument exceptionnel, tant à cause du principe de sa construction et de
ses dispositions particulières que par la nature des matériaux employés,
la brique.
• Nous donnons (50) le plan de la cathédrale dAlhy '. néjà nous avons
parlé de deux cathédrales ilu midi de la France qui pouvaient, au besoin,
servir de forteresses : Narbonne et Béziers; ce parti est plus franchement
accusé encore dans l'église Sainte-Cécile d'Alby. La tour occidentale est
un véritable donjon , sans ouvertures extérieures à rez-de-chaussée. Du
côté méridional , une porte fortifiée se reliant à une enceinte défendait
l'entrée qui longeait le fianc de la cathédrale, et s'élevait au niveau du sol
intérieur au moyen dun large ennnarchement. Du côté du nord, des
sacristies fortifiées reliaient la cathédrale à l'ai'chevêché, fort bien défendu
par d'épaisses nmrailles et un magnifique donjon ^
Sainte-Cécile d'Alby, conunencée vers le milieu du xiv*" siècle, n'est
qu'une salle iunnense terminée par une abside et ('omj)létement entourée
(le chapelles, polygonales au chevet, carrées dans la nef. Ces chapt^lles sont
prises entre les contre-forts qui contre-buttent la grande voùle;àdeux
étages, ces chapelles communiquent toutes enti'e elles, au premier étage,
par des portes percées dans les contre-forts, et forment ainsi une galerie.
Ces chapelles du rez-de-chaussée sont, les unes voûtées en berct^iu ogival,
les autres en arcs d'ogive, irrégulièrement, ainsi (\nc rindi<|ue le plan.
Les voûtes du premier étage des chapelles sont toutes en arcs dogive.
Les contre-forts, ou séparation des clia|)elles, au-dessus du soubass«Mnenl
continu, se dégagent en tourelles fiantpiantes dont la section hoiizonlale
donne un arc de cercle dont la fièche est courte. Des fenêtres étroites et
' A l'ôclicllc (lo (),()()!"' pour nictro.
2 Cet iiiclicvt'ilié l'iail ori^'iiiaircnicnl lo palais des comtes di; Idiilduse.
— '{^^1 — [ CATHÈDUALi; ]
i(m}j;ii('s. porcéos Sfnilcmciil au premier claiic . dans les imiis, entre les
ennli'e-torls, éclairent le vaisseau.
La construction de cette éi^iise fut interrompue vers le commencement
du xyp siècle; les couronnements projetés, et qui certainement ne devaient
être qu'un crénelage, ne furent pas montés. Au conmiencement du
xvre siècle, on se contenta de placer des balustrades aux ditïérents étages
de la tour, de faire quelques travaux intérieurs, le porche sud, et la clôture
du chœur avec un jubé qui occupe la moitié du vaisseau et forme ainsi
comme un bas-côté autour du sanctuaire, (le grand édifice , entièrement
bâti en briques, excepté les meneaux des fenêtres, les balustrades et la
clôture du chœur qui sont en pierre, fut enduit à l'intérieur et complè-
tement couvert de peintures de la fin du xve siècle et du xvi' '.
' Voy. la cuiipe de la calliédralo dAlljy, a railicle auchitk.ctirk reiigieisk, lig. ol .
La catlicdralc dAlby est certaiiiêiucnt leditice ogival le plus imposant
dos pro\iiU'«'s du Midi; il est (railleurs orii^^iiial, et n'a pas subi, coinnie
Narltonne, IIIk (df/,, Mende. Hé/iers, les iniluenees du Nord. Il dérive des
éfîlises de la ville basse de Carcassonne, de laiieieiMie catbédrale de Tou-
louse, uKiMuiiicnls leligieux sans bas-côtés, (|ui n'élaieiit eux-mêmes
(|uinie application des constructions quasi-romaines de Fréjus, de Notre-
Danie-des-Dons d'Avij^Mion, de la iMajor de Marseille, éfdises rap|)elant le
système de consfructinn adopté dans la basilique de ('onstaiitin à Kome.
Si la cathédrale (lAlby est unéditice <»^ival dans les moyensd'execution,
il faut reconnaître qu'il est, comme dispositi(»n de plan, connue structure,
complètement roman et môme antique. Le style oj,Mval n'est là qu'une
concession faite au ^oi\t du temps, l'application d'une forme étranj^fère,
nullement une nécessité. La voûte de la cathédrale d'Alby pounait être un
Krand beiceau plein cintre, pénétré par les petits berceaux Iraiisveisaux
fermant les travées entre les contre-forts; la stabilité de ICdilice n'eût
rien perdu à l'adojjlion de ce dernier système roman ou romain ; et nous
dirons même que les voûtes en arcs d'ogive qui couvrent les travées entre
les contre-forts, à la hauteur de la finaude voûte, sont un non-sens; la
véritable consliuction de ces voûtes eût dû être faite en berceaux, bandés
perpendiculairement à la nef et portant sur ces contre-forts. Ce parti eût
été plus solide et suitout plus logique.
C'est en étudiant les monuments (|ui ont admis les formes de l'architec-
ture ogivale sans en bien comprendre l'esprit, que l'on reconnaît combien
le style adopté, à la fin du xne siècle, dans le nord de la France, est
impérieux; cond)ien il se sépare nettement de tous les autres modes
d "architecture antérieurs.
L architecture romaneest multiple; dérivée du principe anti(|ue romain,
elle a pu pousser des rameaux divers, ayant chacun leur caractère particu-
lier. Il n'en est pas et ne peut en être de même de l'aichilecture ogivale :
il n'y aqu'wwe architecture ogivale; il y a dix, vingt architectures romanes.
Nous voyons en A(|uitaine, en Auvergne, en Poitou, en Normandie, en
Homgogne, en Alsace, en Provence, en Picardie, dans l'Ile-de-Fiance, dans
le iMaine, en ChaMq)agne, des écoles romanes (pii se dévelo|)pent chacune
dans leur propre sphère, bien qu'elles soient filles de la même mère,
connue les langues italienne, française, espagnole se sont développées
chacune de leur coté, quoique dérivées du latin. Pour(|uoi? C'est que dans
I "architecture romane, connne dans rarchileclure anti(pie, la forme d'art,
renvelo|»pe ne dé|)en(l |)as absolument de la consti uclion , du besoin à
salisfaiie ; l'art est libie, il ne dépend que de la tiadition et de rins[)ira-
tion; il n'est pas une déduction dun principe absolu. Veut-on des exem-
ples? Nous ne répéterons pas ici ce qu'on a dit du t(Mnple grec, qui repro-
duit en pierre ou en marbre une construction de bois; nous estimons trop
ces maîtres dans tous les arts, pour les accuser d'avoir ainsi manqué aux
règles les plus sinq)les du bon sens, et par cons(''(|ueiil du bon goût; mais
il est certain que, dans l'archileclure greccpir, les ordres prennent une
.ÎH.'} — I (.ATHfiDKAI.K )
iiu|)ortaiice, ('(MUiue art, qui doiiiint' I aichitocle; l'arl est le inailrede son
iiiia^Miiatioii, plus fort (|iie son raisonnement. Aussi, que t'ait l'artiste? Il
fait tendre toutes les facultés (l(^ son esprit à perfeetionnei- cette tornie qui
l'élicint ; ne pouvant l'assouplir, il la polit. Les Honiains, peu ai'tistes de
leur nature, prennent la fcu'uie d»' l'art ^rec pour l'ai)pliqu(M' à des monu-
ments qui nont aucun rapport avec les principes de cet art. Ils trouvent
des ordres; entre tous, ils adoptent volontiers le plus riche; confondant,
comme tous les parvenus, la richesse avec la beauté, et ces ordres dont
l'oriiïiiu' est j)ait'aitenient rii,'oureuse et définie, ils les appliquent au
rebours de cette orij^ine. Les Komains veulent des arcs et des voûtes; les
Grecs ne connaissaient que la plate-bande. On devrait conclure de ceci
que les Romains ont trouvé ou cherché une forme nouvelle propre à leur
nouveau système de construction; point. Les Romains prennent la forme
grecque, l'architecture grecque, les ordies grecs, et les plaquent, comme
une dépouille, contre leur construction ; peu leur importe que la raison
soit cho(|uee de ce contre-sens; ils sont les maîtres. Mais ce sont des
maîtres qui font passer le besoin, la nécessité avant la satisfaction des
yeux ; il leur faut de vastes monuments voûtés ; ils les construisent
d'abord, puis, leur progranmie rempli, trouvant un art tout fait, ils s'en
emparent, et l'accrochent à leurs murailles comme on accroche un tableau.
Que ceux qui voudraient nous taxer d'exagération nous expliquent com-
ment, par exenq:>le , on trouve, autour du Colysée, des ordres complets
av(;c leurs plates-bandes (des plates-bandes sur des arcs !) ; dans l'intéi-ieur
des salles des Thermes , des ordres complets , avec leurs corniches sail-
lantes, sous des voûtes (des corniches saillantes à l'intérieur, comme s'il
pleuvait dans l'intérieur d'une salle !). Il est évident que les Grecs, amants
avant tout de la forme . ayant trouvé cette admirable coml)inaison des
ordres, étant parvenus, guidés par un goût parfait, à donner à ces ordres
des proportions inimitables, se sont mis à adorer leur œuvre et à lui
sacrifier souvent la nécessité et la raison : car, pour eux, le premier de
tous les besoins était de plaire aux sens; que les Romains, indifférents
au fond en matière d'art, mais désireux de s'approprier tout ce qui dans
le monde avait une valeur, ont voulu habiller leur architecture à la
grecque, croyant que l'art n'est qu'une parure extérieure qui embellit
celui qui la porte, quelle que soit sa qualité ou son origine.
L'habitude prise par les Romains de se vêtir des habits d'autrui a lini
par produire, on le conc^-oit facilement, les costumes les plus étranges.
L'architecture romane, dérivée de l'architecture romaine, n'ayant plus
même sous les yeux ces principes grecs pillés par les Romains, a inter-
prété les traditions coii'ompues de cent façons diti'erentes. La forme
n'étant pas intimement liée à la matière, n'en étant pas la déduction
logique, chacun l'interprétait à sa guise. C'est ainsi que l'art roman a pu,
à son tour, s'emparer des lambeaux du vêtement romain , sans en com-
prendre l'usage. puis(|u'il n'était (piune jtanire empruntée, et arriver,
dans les ditferentes jjrovinces des (iaules, a former des écoles sépart'es et
I CATIII-DKALE | — -iHi —
qui pouvaient se divisera linliiii. Il n'en est pas ainsi de rarcliilccluic
(|ui naît au xii'' siècle : tilio du rationalisme moderne, chez elle le calcid
précède lapplication de la tonne; bien [)his, il la connuande, il la somnet ;
si, parce besoin naturel à 1 homme, il veut qu Clle soil belle, il faut (|ue
ce soif suivant la loi d'unité.
En entrant dans le domaine dun autre art, nous pourrons peut-être
nous faire mieux conqirendre... I/architecture antique, c'est la mélodie;
l'arclntecture du moyen àj^e , c'est l'harmonie. L'harmonie, dans le sens
que nous attachons à ce mot, c'est-à-dire l'arrangement. et la disposition
des sons simultanés, était inconnue chez les anciens (Irecs; lantiphonie,
au temps d'Aristote, était seule pratiquée, c'est-à-dire les octaves produits
par des voix d'honmies et de fenniies ou d'enfants chantant la même
mélodie, ('e ne fut que pendant les premiers siècles de notre ère que
l'usat^e des quartes et des quintes fut admis dans la nnisique ^rec<|ue, et
encore l'échelle tonale de ses modes se j)rètait si peu aux sons simultanés,
que la pratique de l'harmonie était hérissée de ditliculles et son enq)loi
fort leslreint. M. Vincent ', maljijré des etïbrts persévérants pour découvrir
les traces de l'harmonie chez l(>s Grecs, n'a encore pu arriver à aucun
résultat concluant.
Dans l"Et;lise latine, au contraire, l'harmonie n'a cessé de prendre des
développements rapides, et c'est i)rincipalement au moyen àj^e (ju'il faut
raj)porter l'invention et l'établissement des rèj^les qui ont élevé cet art à
la plus merveilleuse puissance.
Dès l'époque de Charlemagne, on trouve des traces de l'art de combiner
les sons simultanés, et cet art s'api)elle or<ianum, arsorganandi. Il était
réservé à Hucbald, moine de Saint-Amand au x<' siècle, de donner une
grande impulsion à l'harmonie, en établissant des règles tlxes (!t fécondes.
Aux diaj)honies à mouvements semblables succéda , au xi<" siècle, la dia-
phonie à mouvements contraires et à intervalles variés, comme le prouvent
les ouvrages de Jean Cotton et d'autres auteurs. Enfin, pendant les xn« et
xni'' siècles, l'harmonie s'em'ichit successivement de tous les accords qui
forment la base de la composition nnisicale moderne; et les traités de
Jean de (iarlande, de l*icrrt^ IMcard, de Jérôme de Moravie, etc., prouvent
surabondannnent l'emploi, dans la synq)honie, des tierces, des quartes,
des quintes, des sixtes, des septièmes même, la résolution des intervalles
dissonants sur des consonnances par mouvement contraire ; et bien plus
encore , l'existence des notes de passage, du contre-point double et des
imitations ^
Or, s'il est deux arts qui peuvent être comparés, ce sont certainement la
' Membre de riiislilul.
- Si l'on cloute de nos assertions, on peut consulter TexcelUMii ouvi;igi> de M. de
(loiisseniaker sur celte niatièri', el les travaux de M. VéWx (Mcnioiil, (|ui a tiioii
voulu nous fournir tous ces renseiyneuionts scieutiliiiues (voy. les Annales avchml. d<'
M. Didron).
.'Wri [ CAIHÉURAI.K I
iiiiisi(|iif l't larcliilecliiit' ; ils s'expliciuriit l'un |»iir l'aiilif ; ils ne pidcèdeiit
ni lun ni lautiv de l'imitation de la nature : ils cirent. Pour ciéei-, il laut
calculei'. j>r»'voii'. conslruii-e. Le musicien (|iii seul, sans instruments,
sans articuler un son. enlend. la jjlume à la main et le |)a|iier leglé devant
lui, la composition harmonicjue la |)lus c(»mprK|uée. (jui calcule et combine
l'ettet des sons sinmitanés; Taichitecte qui, à l'aide d'un compas et d'un
crayon , trace des projections sur sa planchette, et voit, dans ces tracés
géométriques et dans des chittVes, tout un monument, les etléts des pleins
et des vides, de la lumière et des ombres; qui pr(''voil . sans avoir besoin
de les peindre, les mille moyens delever ce fju'il conçoit; tous deux,
musicien et architecte, sont bien forcés de soumettre l'inspiration au
calcul. Les peuples primitifs trouvent tous des mélodies : c'est la création
d'instinct, lépanchement extérieur par les sons d'un sentiment ; mais à
notre civilisation moderne seule apj)artient l'harmonie : c'est la création
voulue, préméditée, calculée, raisonnee de l'honmie qui est tourmenté
par l'éternel u Pourquoi?»; qui cherche, travaille, et veut, en produisant
un etiét, en obtenant un résultat, que son labeur paraisse, qu'on apprécie
les efforts de sa raison et la science qu'il lui a fallu déployer pour créer
Vanité 1... soit; niais plus l'homme mordra au fruit de l'arbre de la
science, plus sa vanité croîtra. Peut-être (Dieu veuille que nous nous
trompions 11 le jour n'est-il pas éloitiiié oii l'amour de l'art sera remplacé
par la vanité de l'art.
L'architecture grecque est une mélodie rhythmee ; mais ce n'est qu'une
mélodie, admirable, nous en tombons d'accord. Enlevez d'une mélodie
un membre, ce qui restera n'en sera pas moins un fragment de mélodie;
enlevez un ordre d'un tenq)le grec, ce sera toujours un ordre que vous
pourrez appliquera un palais, à une maison, à un tombeau. D'un morceau
d'harmonie, d'une synqjhonie, retirez une partie, d ne reste rien, puisque
l'harmonie n'est telle que par la simultanéité des sons.
De même, dans un édifice ogival, toutes les parties se tiennent; elles
n'ont adopté certaines formes que par suite d'un accord d'ensend)le. La
lecture de ce Dictioimaire le prouverait ; nous ne pouvons nous occuper
d'un détail de l'architecture ogivale, et expliquer sa fonction, qu'en indi-
quant sa place, les circonstances qui ont imj>osé sa forme, sa raison d'être,
indéj^endamment du goût de l'artiste ou du style dominant. Le même
soutile moderne (|ui faisait substituer l'hai inonie à la mélodie dans TsT
musique faisait, au \ir siècle, renqjlacer. dans l'architecture, les tradi-
tions plus ou moins (•orronq)ues de l'art antiiiue i)ar une succession de
combinaisons soumises à un piincijje absolu. Les cathédrales sont le pre-
mier et le plus grand etlorl du génie moderne apjjliqué à l'architecture,
elles s'élèvent au centre d'un ordre d'idées opposé à l'ordre antique. Et,
pendant qu'on les construisait, les études de la philosophie grecque, du
droit romain, de l'administration romaine, étaient en grande faveur.
Au xii*" siècle, l'esprit moderne prit à l'antiquité certains j)rincipes de
vérité éternelle poui' se les a[)propriei- r[ les transformer. Au x\e' siècle, on
T. II. lu
I CATIII-DUAI.K I •W>
s'empara de la forme aiilique, sans trop se soucier du fond. C'est donc une
erreur, nous le croyons, de présenter, connne quelques écrivains de noire
temps ont voulu le l'aire, rarchilectui-e née au xii>' siècle connne une sorte
(le déviation de resj)ril humain ; déviation hruscpie, sans relations avec ce
(jui a précédé et ce (pii doit suivre. Si Ton j)rend la peine déludier sérieu-
sement cet art, en mettant de côté ces repi-oches banals eni^endrés par la
prévention, répétés par tous les esprits paresseux, on y trouvera, au
contraire , développés avec une grande énergie , les éléments de ce que
nous appelons nos con(|uètes modernes , l'ordre gén(M-aI avec l'indépen-
dance individuelle, lunité dans la variété ; Iharmonie. le concours dt^ tous
les membres vei-s un centre connnun; la science qui s'impose à la forme,
la raison qui domine la matière; la critique enlin, pour nous servir d'un
mot de notre lenq^s, qui veut que la tradition et rinspiration soient soumises
à certaines lois logiqut^s. Et ce n'est pas seulement dans la combinaison
géométrique (les lignes de l'architecture ogivale (|uen( tus trouvons l'expres-
sion de ces principes, c'est encore dans la sculpluie, dans la statuaire.
L'ornementalion et riconogra|)liie de nos grandes cathédrales du Jiord
se soumettent à ces idées d'ordre, d'harmonie universelle. Ces myriades
de figures, de bas-reliefs qui décorent la callu'drale, composent un cycle
encyclopédique, (jui renferme non-seulement toute la nature créée, niais
encoi-e les passions, les vertus, les vices et l'histoire de l'humanité, ses
connaissances intelleclut^lles et physiques, ses arts et même ses aspirations
vers le bien absolu. Le temple grec est dédié au culte de Minerve, ou de
Neptune, ou de Hiane; et, considérant ces divinités au |)()int de \ue
mythologique le plus élevé, on ne peut disconvenir (ju'il y a là comme un
morcellement de la Divinité. Le temple de Minerve est à Minerve seule;
son culte ne satisfait qu'à un ordre d'idées. L<' Crée qui désire se rendre
propices les diviniU'S , c'est-à-dire la puissance surnaturelle maîtresse de
l'univers et de sa propre existence, doit aller successivement sacrilier à la
porte des douze dieux de l'Olympe ; il ne peut, à son point de vue, croire
(ju'un sacrifice fait à Cérès pour obtenir de bonnes récoltes lui rendra
Neptune favorable, s'il doit faire un voyage sur mer.
Nous adniellons volontiers que les grands esprits du paganisnievoyaieni,
dans les dillérenls mytlH'S(iu"ils adoraieni, les (pialiles diverses et person-
uiliees d'une |)uissan('e divine; mais, eiitiii . il fallait une viétodie jiour
chacun de ces mythes. L'harmonie moderne ne pouvait enirer dans le
cerveau d'un (ire(;; elle n'avait pas de raisons d'exister; au contraire, tout
la repoussait. Avec le christianisme, l'idée du moicellement des qualités
de la divinité disparaît ; en priant, le chrélien inqilore la pi-oleclion de
IHeu pour lui, pour les siens, })our ce qu il possède, pour l'humanité tout
(litière ; son Dieu enibnisse l'univers sous son regard. Or cette idée chré-
tienne, chose singulière, nous ne la voyons matériellement dévelop|)ée
qu'au xiie siècle, 11 semble que, jusqu'à ce réveil de l'esprit moderne, la
tradition païenne laissait encore des traces dans les espi'ifs, connne (>lle
en laissait dans les l'(»rm(>s de rarchileclure. .Ius(|u"au \w siècle, les églises.
— '.\H1 — [ CATHÉKKALli |
nièiue nioiiasli(|ues, conservent ([uolque chose du niorcelleiuent de la
Divinité antiqii(\ En voyant les nond)reuses sculptures romanes {|ui déco-
rent nos monuments occidentaux, on ne sait trop connnent rattacher ces
imajjjeries à nue uh'n' conmiune. Les traditions locales, le saint vénéré, les
tendances ou l'histoire des populations, dirii^cnt le sculpteur. L'Ancien <'l
le Nouveau Testament se mêlent aux légendes. Si nous visitons une é'^Wse
clunisienne, nous voyons que saint Antoine, saint Benoit, l'archange saint
iMichel jouent un rôle important dans riconograi)hie; on retrouve ces per-
sonnages partout , en dedans et en dehors, sans qu'il soit possihie d'assi-
gner un ordre hit'rarcliique à ces représentations. Tout cela est entremêlé
de figures d'animaux hizarres, et nous ne croyons pas que la symboTuiue
romane puisse jamais être claire pour nous, puisque saint Bernard lui-
même traitait la plupart de ces sculptures de monstruosités païennes.
Admettant, si l'on veut, que la fantaisie de l'imagier n'ait pas été pour
beaucoup dans le choix des sujets, toujours est-il que chaque église, sauf
certaines représentations invariables, possède son iconographie propre.
Avec la cathédrale de la tin du \iv siècle, surgit l'iconographie métho-
dique, et, pour en revenirà notre conq)araison musicale, chaque sculpteur,
en faisant sa partie, concourt à l'ensemble harmonique; il est astreint à
certaines lois dont il ne s'écarte pas, comme pour laisser à la symphonie
sa parfaite unité.
Beaucoup d'églises cathédrales, avant cette grande époque de l'art
français, se composaient de plusieurs églises et oratoires. Connue premier
pas vers l'unité, les évèques qui reconstruisent ces monuments, aux xrr
et xrne siècles, englobent ces églises et ces chapelles dans la grande
construction; puis ils adoptent une iconographie dont nous allons essayer
de présenter sommairement le vaste et magnifique tableau. Disons d'abord
que les cathédrales qui nous donnent un ensemble de sculptures à peu
près complet sont les cathédrales de Paris, de Reims, d'Amiens et de
Chartres, toutes les quatre dédiées à la sainte Vierge.
Trois portes s'ouvrent à la base de la façade occidentale. Sur le trumeau
de la porte centrale est placé, debout, bénissant de la droite et tenant
l'Évangile de la main gauche, le Christ honmie'; ses pieds reposent
sur le dragon. Les douze apôtres sont rangés des deux côtés contre les
ébrasements -. Sur le socle du Chiist est la figure de David ', ou les
l)i'ophètes qui ont annoncé sa naissance, et les arts libéraux * en bas-relief.
Sous les apôtres sont sculptés, en bas-relief, les vertus et les vices, cha(|ue
vertu j)lacée au-dessus du vice contraire ^ Les quatre signes des évangé-
' Paris, Amiens, porliiil principal; (liiarires, portail niciidional ; Roinis, portail
st'ptenlri(,)nal. — - - hlrm.
■' Amiens.
* Paris.
■'' Paris, Amiens. A Chartres, les vérins et les vires sont soulplé> sni les piles du
|)(ireiie méridional.
I CAIIlIlDKAI.K I ."ÎSiS
listes occupent les an^'les «les éhrasenienis '. On \(»if sélever, sur les deux
pieds-droits, a la droite du Christ, les vierj^'es sages; à la gauche, les
vierges folles - ; au-dessous d'elles, un arhre feuillu, aurpiel sont sus|)en-
(lues des lampes, du coté des vierges sages; du coté des folles, un arbre
mort frappe «lune cognée^. I^e linteau ([ui ferme la j)orte au-dessus du
trumeau représent<» la Résurrection, le pèsement des âmes et la séparation
(les élus des danmés. Au-dessus, dans le tympan, le (Ihiist au jour du
jugement, nu, montrant ses plaies; des anges tiennent les instruments de
la Passion; la Vieige et saint. lean à genoux, imj>lorant le divin Juge'. Dans
les voussures, des ;uiges''; à lagauche du Ciirist. les su|)plices des danmés;
à la droite, les élus; jtuis les niartyrs, les confesseurs, les vierges martyres,
les rois, les patriarches, ou des prophètes, quelquefois un arbfe de Jessé *.
Des deux côtés de la porte, l'Eglise et la Synagogue '. Le trumeau de l'une
des deux portes latérales est occupé par la statue de la Vierge tenant
l'enfant Jésus * ; ses pieds portent sur le serpent à tète de femme. Sur le
socle est sculptéf^ la création de Ihomme et de la femme, et Thisloire de
la tentation ^ Sur la tèie de la Vierge, et lui servant de dais, l'arche d'al-
liance, soutenue par des anges'". Des deux côtés, dans les ébrasements,
les rois Mages, l'Annonciation, la Visitation, la Circoncision, David ". Sur
le linteau de la porte, on voit les rois et les prophètes '% ou Moïse et
Aaron et des prophètes '\ xVu-dessus , la mort de la Vierge '% ou son
ensevelissement par les apôtres et Tenlèvement de son corps par les
anges '^ Dans le lynq)an, son couronnement "^. Les voussui'f^sco'ilieiment
des anges, les rois ancêtres de la Vierge, et les prophètes (pii ()nt annoncé
sa venue ". La troisième porte est ordinairement réservée au saint patron
du diocèse (à Amiens, c'est saint Firmin qui occupe le trumeau); des deux
côtés. dans les ébrasements, viennent les représentants de Tordre religitnix
dans Tancienne et la nouvelle loi, Aaron. Melchisedech et l'Ange; les
premiei's prèlres martyrs, saint Etienne, saint D(Miis, etc.; quelquefois des
saints vénéi-és <lans la localité, comme sainte Mlphe, saint Honoré et saint
Salve à Amiens, i^es linteaux et tynqwns de ces portes, consacrées au
saint palron du diocèse, contiennent sa légende et l'histoire de la transla-
tion de ses reliques '^ Sur les soubassements ou les pieds-droits de lune
de ces portf^s latérales sont sculptés, en bas-relief, un /.odiacpu» et les tra-
vaux de l'année '^. A Amiens, sur l«»s faces des contre-forts, en avant des
trois portes, sont posées les statues des prophètes, et, au-dessous, les
pi'ophéties dans des médaillons; c'est connue une sorte de prologue aux
' Paris. — 2 |»mis , Amiens, Sens.— ■'Amiens. — '• Paris, .\miens, iieinis,
Chartres. — ^ l*aris, Amiens, Reims, C-liartres. — "Amiens. — ' l*aris. — «A
l'aris, la Vierge esta la porte de gauche, en iT^ardanl le portail ; à Amiens,, à la porte
de droite. — ' Paris, Amiens. — '" /(/t/n. — "Amiens, Keims. — '* Paris. —
1-' Amiens. — ''• Paris, Seidis. — '•' Amiens, Senlis. — '" Paris, Amiens, Seidis ,
Reims. — ''' .Vmiens. — '''Reims, portail sei)lenni()nal ; Amiens. Paris, Meaux ,
porlaii méridiunal. '■' Paris, {{einis, .Vmiens.
— 3S'.> — I CATHÉI)KAI,K |
scènes sculptées autour des portes et qui tieiinenl a la nouvelle loi. Sur
les façades des ^'randes cathédrales du litre de sainte Marie, mère de Dieu,
au-dessus des portes, on voit une série de statues colossales de rois ancê-
tres de la Vierjie '; ils assistent à sa ^loritication. Une galerie supérieure
I A Paris, à Iteims, à Amiens, on a voulu voir, dans ces statues de rois, la série
des rois de France; et celte idée populaire date de tort loin, puisqu'elle est déjà
exprinu';e au xm' siècle. L'une de ces statues, iiivarialileiucnt posée sur nu lion, est
alors prise pour l'epin. Dans Im .Wlll manièrcf; de vilai)ts, manuscrit qui dale de la
tin du xiii'- siècle, on lit ce passage : •' \À vilains Babnius est cil ki va devant Nolre-
.. Dame il i'aris, et regarde les rois et disl : ■- Vés-la Pépin, vés-la Charleniainne. "
• Et on li coupe sa borse par derière. ■> Nous ne voyons pas cependant que les
évèqnes qui, h la tin du mi' siècle, fixèrent les règles générales de l'iconograpliie
des cathédrales, aient voulu représenter les rois de France sur les portails des églises
du titre de Sainte-Marie , mais bien plutôt les rois de .luda; car rien ne rappelle
riiisloire contemporaine dans ces grands monuments, ou, quand par hasard elle s'y
montre, ce n'est que d'une numière très-accessoire. Le manuscrit cité ici est une
satire, el son auteur a bien pu d'ailleurs, en taisant ainsi parler le badaud parisien
devant le portail de Notre-Dame de Paris , vouloir rappeler une erreur populaire.
Il nous paraît bien pins conforme à l'esprit de l'époque d'admettre que les statues
des rois sont des rois de .luda, puisqu'ils complètent, par leur présence, les
représentations des personiuiges qui participent ii la venue du Christ. Le roi
toujours posé sur un Hou , et tenant luie croix et une épée, ne peut être que
David; l'autre roi, tenant également une croix et un anneau ou un globe, Salomon.
D'ailleurs, avant le règne de Philippe- Auguste, et même jusqu'à celui de saint Louis,
les évèques ne pouvaient avoir, de la puissance royale, les idées admises à la tin
dn xiii' siècle. Il nous suffira, pour l'aire comprendre ce qu'était, au \u' siècle,
un roi de France aux yeux de l'évèque el du chapitre de Paris , «le citer un
fait rapporté par un écrivain contemporain , Ltienne de Paris. <> J'ai vu , dit-il ,
' que le roi Louis (VU), qui voulait arriver un jour à Paris, étant surpris par
« la nuit , se relira dans un village des chanoines de la cathédrale appelé Creteil
« [Crislolium]. Il y coucha; et les habitants fournirent la dépense. Dès le grand
«- matin , on le vint rapporter aux chanoines ; ils eu furent fort affligés et se dirent
<• l'un à l'autre : « C'en est fait de l'Kglise, les privilèges sont perdus : il faut ou que
•• le roi rende la dépense , ou que l'ollice cesse dans notre église. » Le roi vint à la
'■ cathédrale dès le même jmr , suivant la coutume où il étoit d'aller à la grande
« église, quelque temps qu'il fît. Trouvant la porte fermée, il eu demanda la raison,
" disant cjne si quelqu'un avoil olfensé cette église, il vouloit la dédommager Un lui
« répondit : « Vraiment , sire , c'est vous-même qui , contre les coutumes et libertés
« sacrées de cette sainte église, avez soupe hier à Creteil, non à vos frais, mais à
« ceux des hommes de cette église : c'est pour cela que l'olfice est cessé ici, et que
. la porte est fermée, les chanoiiu's étant résolus de plutôt soutlrir toutes sortes de
« tourments que de laisser de leur temps enfreindre leurs libertés. » Ce roi très
.< chrétien fut frappé de ci s |)aroles. ■■ Ce qui est arrivé, dil-il, n'a point été fait de
.. dessein prémédité. La nuit m'a retenu en ce lieu, et je n'ai pu arriver à Paris
« comnu' je me l'étois proposé, (^est sans force ni contrainte que les habitants «le
■< Creteil ont fait de la dépense pour moi ; je suis fâché maintenant d'avoir accepté
■ leurs ollres. (jue l'évèque Thibaud vienne, avec le doyen Clément, que tous les
chanoines approchent, et sinloiit le chanoine (pii est prévôt de «e village : si je suis
[ CATHÉDKAI.K ] '.\W
reçoit la statue de la sainte Vieif^e entourée d'anges '. C'était de ce hakon
élevé qu'au Dinianelie des Rameaux le clergé entonnait, en plein aii. le
(jfloria (levant le peui)le assemblé sur le parvis. Le sonnnet du pij;n(»n de
la nef poi'te une statue du (Ihrisf bénissant . ou un ani,^e sonnant de la
tiompette, connue pour rappeler la scène du .luiicmenl deinier tracée sur
le tympan de la porte centrale. Les sculptures des portes nord et sud des
transsepts sont ordinairement réservées aux saints particulièrement vénérés
dans le diocèse^, ou, comme à Paris, du côté sud, consacrent le souvenir
de l'une des éiilises annexées à la cathédrale avant sa reconstruction '.
Autour de la catlit'drale , sur les contre-loils , contre les parois des clia-
|)elles ', des statues d'anj^es tiennent les ustensiles nécessaires au service
religieux, des instruments de musique *, comme pour indiquer que
IKglise est un concert éternel à la gloire de Dieu.
Nous ne pouvons ici entrer dans tous les détails de la statuaire de nos
grandes caihédiales du Nord ; ce serait sortir du cadre déjà très-large (|ue
nous nous sommes tracé. N(»us avons seuleuKMit voulu tu'wo comprendre
le principe d'unité (jui avait dû diriger les sculpteurs. Un a pu le voir, par
cet exposé sommaire, non contents de tracer l'histoire de la naissance du
Sauveur, les évêques voulaient, aux yeux de tous, établir la généalogie de
la Vierge, sa victoire sur le démon, sa gloritication, les l'apports (jui
exist(Mit entre Tancienne et la nouvelle loi par les prophéties, et surtout
" en lort , je veux doiiiier salist'actioii ; si je n'v suis pas, je veux m'en tenir à leur
« avis. » Le roi resta en prière devant la porte en ailt'udanl Tèvèque et les clianoines.
« On tit l'ouverture des portes; il entra en l'église, y donna pour caution du dédoni-
« niagenient la persoinie de l'évêque même. Le prélat remit en gage aux clianoines ses
« deux chandeliers d'argent; el le roi, pour marquer par un acte extérieur qu'il
« vouloit sincèrement payer la dépense qu'il avoii causée, mit de sa propre main une
« baguette sur l'autel , laquelle toutes les parties convinrent de laire conserver soi-
« gneusement , h cause que l'on avoit écrit dessus qu'elle étoit en mémoire de la
" conservation des libertés de l'Kglise. » (L'al)bé L<'beuf, Hisl. rfc.s /)/or. de Paris,
t. XII.) Nous le demandons, est-il possible dadmcttre ipie , quarante ou cinquante
ans après une scène de ce genre, l'évêque et le ciiapilre de Paris eussent l'ait placer,
sur le j)ortail de la catliédiale neuve, au-dessus des trois portes, au-dessus du Christ,
des statues coh)ssales des rois de France, qtiami on (îommençait à peine à se faire une
idée du pouvoir monarchique V
* A Paris. Autrefois à Amiens.
■i On n'a pas ouldié (pi'à Paris"' l'une des deux églises caliiédraies était placée sous
le titre de saint Klienne. Le tympan de la porte sud retrace la prédication et le mar-
tyre de ce saint, dont la statue était posée sur le trumeau; dans les ébrasemenis
étaient rangées les statues de saint Denis, de ses deux compagnons, et de quelques
autres saHits évècpies (hi diocèse. La statue de saint Ktienne se vovait encore dans
l'une des niches latérales tie la l'açade. Ce fut, en etïet, pour bâtir cette l'açade que l'on
détruisit les restes de la vieille église de Sainl-lllienne ; et lors de la consUnction de
cette l'açade, le portail sud n'était point élevé.
i lleinis.
• Palis, biir les pii;ii(Piis des leiièties des chapelles du elneiir ; iîeims.
'{-H I CATIlfiDUAr.K I
fVapjior les iiua^iiiiatioiis i>ar la roprésentatioii du Jiif^cnH'iU dorniei'. de la
récompcDst' des l)()nset de la luiniliou des niécliauls. Comme épisodes d<?
ce jiiaiid poi'iiie, la paraliole des vierges sai^'os, celle de renfaiit piodi^aie,
(pielqiieluis îles scènes tirées de l'Ancien Testament, la tentation et la
chute d'Adam, la mort d'Ai)el, le délui;e, l'Instoii-e de Jose|)h, de Jolt,
celle de David, les principaux exemples de la faiblesse^ de la rési{,Miation
ou (lu cduraj^^e humain, de la venj,Tance divine; puis ces tijjrui'esénerf,Mques
des vertus et des vices pei-soimitiés; puis, enfin, l'ordre naturel, les
saisons, les éléments, les travaux de l'atirieiUture. les sciences et les arts.
L'iconographie de la cathédrale, à l'extérieur, embrassait donc toute la
création.
Dans Téiilise, la statuaire était remplacée par les peintures des verrières;
sur ces splendides tapisseries, on retrouvait, dans le ch(eur, la Passion de
Jésus-Christ, les apôtres, les évanj^élistes et les prophètes, les rois de Juda;
dajis la nef, les saints évéques. Les fenêtres basses retraçaient aux yeux
les légendes des saints, des paraboles, l'Apocalypse, des scènes du Juge-
ment dernier; celles de la chapelle du chevet consacrée à la Vierge, son
histoire, ses légendes, l'arbre de Jessé, les prophéties, les sibylles. Le
pavage venait à son tour ajouter à la décoration en entrant dans le concert
universel; au centre de la nef était incrusté un labyrinthe (voyez ce mot),
figure symbolique, probablement, des obstacles (|ue rencontre le chrétien
et de la patience dont il doit être armé; c'était au centre de ce labyrinthe
que les noms et les portraits des maîtres des œuvres étaient tracés,
conune pour indiquer qu'ils avaient eu, les premiers, à traverser de
longues épreuves avant d'achever leur ouvrage. Sur les dallages des
cathédrales, on voyait aussi, gravés, des zodiaques', des scènes de
l'Ancien Testament *, des bestiaires^. Si nous ajoutons à ces décorations
tenant aux monuments les tapisseries et les voiles qui entoui'aient les
sanctuaires, les jubés enrichis de fines sculptures, les peintures légen-
daires des chapelles, les autels de marbre, de bronze ou de vermeil, les
stalles, les chasses, les grilles admirablement travaillées, les lampes
d'argent et les couronnes de lumière suspendues aux voûtes, les armoires
peintes ou revêtues de lames d'or renfermant les trésors, les statues en
métal ou en cire, les tombeaux, les clôtures de chœur couvertes de bas-
reliefs, les figures votives adossées aux piliers, nous pourrons avoir une
idée de ce qu'était la cathédrale, au xin-' siècle, un jour de grande céré-
monie, lorsque les cloches de ses sept tours étaient eu branle, lorsiju'un
roi y était revu par l'évêque et le chapitre, suivant l'usage, aussitôt son
arrivée dans une ville.
Dépouillées aujourd'hui, mutilées par le temps et la main des hommes,
méconnues pendant plusieurs siècles par les successeurs de ceux qui les
' Canterbury.
^ Saiiit-Omor.
■' (ienève ; ('aiilcihiirv.
[ rAVALIEK 1 — .■{«.>t> —
avaieiil élevées, nos cathédrales apparaissent . au milieu de nus xilio
|)(>puleuses, coininede grands cercueils; cependant elles inspireni toujours
aux populations un sentiment de respect inaltt-rahle; à certains jdurs de
solennités pnhiicpu's, elles reprennent leur voix, une nouvelle jeunesse,
et ceux mêmes (jui répétaient, la veille, sous leurs voûtes, rpie ce sont
là des monuments dun autre âi,'e sans signiticalion aujourdliui , sans
raison d'exister , les trouvent belles encore dans leur vieillesse et leur
pauvreté '.
CAVALIER, s. m. On dési^Mie ainsi un ouvrafje en terre élevé au milieu
des bastions ou boulevards, pour en doubler le feu et commandei' la
campafjne. Ce n'est guère qu'au xvi» siècle que Ton eut Tidée d'exécuter
ces ouvrages pour renforcer des points faibles ou jjour dominer des fronts.
On en exécuta beaucoup, pendant les guerres de siège de cette époque,
en dedans des anciens fronts fortitiés du moyen âge, et on leur donnait
alors généralement le nom de plaie- fonnc ; ils présentaient connue une
» Un jour qii('l(iii'im nous dit, en pitrcoiirant riniiMUMir de Notro-Daino d'Amiens :
« Oui, c'est i'uil l)L'uu ; mais c'est lolic de vouloir conserver, i|uand même, ces
monuments d'un autre âge qui ne disent plus rien aiijourd'luii. Vous pourrez galva-
niser ces grands corps , la manie de l'archéologie et du (jotliiquc leur donnera quel-
ques années d'existence de plus ; mais , celte mode passée , ils t(Mnl)eront dans l'oultli.
ad milieu de populations qui ont besoin de chemins de 1er, d'écoles, de marchés,
d'abattoirs, de tout, enfin, ce qui est nécessaire à la vie journalière. ■> A quelques
jours de là , une grande solennité publique appelait dans la cathédrale un immense
concours de monde; elle était parée de quelqiu's maigres tentures, son chu-ur
étincelail de lumières. Notre interlocuteur ne se souvenait [>lus de son discours
précédent; il s'écriail alors : << Vraiment, c'est bien là le monume.it de la cité; tout
ce qu'on peut faire pour donner de l'éclat à une cérémonie publique n'a jamais cet
aspect imposant du vieux monument qui appelle toute la |)opul:ition de la ville sous ses
voûtes. Voyez c(jnune celte loule donne la vie à ce grand vaisseau si bien disposé pour
la contenir! Combien d'illustres personnages ont abrité ces arceaux! Quelle idée
merveilleuse d'avoir voulu et su élever la cathédrale comme un témoin éternel de tous
les grands événements d'une cité, d'un pavs; d'avoir (ail (pie ce témoin vil. ])arle, eu
présentant au peuple ces eveniples tirés de Ihisloire de i humanité, ou plulôl du cœur
humain! •■ Pour un peu , notre interlocuteur, entraîné i)ar la grandeur du sujet, nous
eût accusé de froideur. Telle est aujourd'hui la cathédrale française ; aimée au fond
du cœur par les populations; tour à tour llattée et honnie par ceux qui sont charmés
de s'en servir, mais (pii ne songent guère ;i la conserxei'; oeeupéi' par un clergé sans
ressources , et souvent insouciant; énigme pour la plupart, dernier vestig • des temps
d'ignorance, de superstition et de barbarie pour quelques-uns, texte de phrases creuses
pour ces rêveurs, amaleurs de poésie nébuleuse, qui ne voient qu'ogives élancées vers
le ciel, dentelles de pierre, sculi>ture mvstérieuse ou lanlaslique, dans des moniMuents
où tout est méthodique, raisonné, clair, ordonné et précis ; où tout a sa place marquée
d'avance, et retrace l'histoire morale de riiomnie, les efforts persévérants de son intel-
ligence contre la force matérielle et la barhai'ie. ses épreuves et son derni<'r reiiige dans
un UKtude meilleur.
— :\\):\
C.AVAIIKK
suite de t'orliiis détachés, possédant des feux de face et de flanc, avec une
pente douce du côté de la ville pour amener les pièces et pouvoir les
mettre en halttM'ies. Les cavaliers étaient ou semi-cii'( idaiies ou carrés.
Les ])lus anciennes re|)résentations de cavaliers se voient li^inces sur les
bas-rclicls en niarhrc, du connnencement du \\v siècle, (pii j^arnissent les
parois du tond)eau de Maxiniilien, à Inspruck.
Voici (h un de ces cavaliers copié sur l'un de ces h.is-rcliefs représentant
la ville d'Arias. 11 es! en portion de cercle, établi en arrière d'un bastion A
possédant un orillon avec deux batteries découvertes C et une batterie
casematée D au niveau du fond du fossé. Le cavalier B est revêtu et planté
à cheval sur la gorge du bastion ; il commande ainsi les dehors, le bastion
et les deux courtines voisines. La fig. '2 nous montre un autre cavalier
carré fermé sui- ses quatre faces, élevé au milieu d'un bastion dont les
parapets sont munis de fascines et de gabions. Ce cavalier est également
revêtu, percé d'une porte; ses parapets sont garnis de fascines. Cette
seconde figure est copiée sur le bas-relief représentant l'enceinte de la
ville de Vérone.
Lorsque l'on éleva, au xvi^ siècle, des bastions en avant des anciennes
enceintes du moyen âge, on conserva souvent, de distance en distance, les
tours les plus fortes <le ces enceintes, en détruisant seulement h^s courtines;
on remplit ces tours de terre, on enleva leurs crénelages, et on établit des
plates-formes sur leur sommet pour recevoir une ou j)lusieurs pièces de
canon. Les tours furent ainsi converties en cavaliers. Mais, en France,
ces dispositions ne furent prises qu'accidenlellement et pour profiter
d'anciennes défenses, tandis qu'en Allemagne, nous les trouvons, dès
le \vi^ siècle. (M'igées en système, ainsi (|u"oii piMil le voir encore à
M»
T. M
CAVAI ii:u
— :\\)'i
iNiirtMubor^. Dans la Inrtiticatioii iiiodcnit' iiit'iiit' . U's AlItMiiaiids ii (tut
pas renonce aii\ lours isolées, hâties. de dislaiicr fii distance, en arrière
desouvra^'es extérieurs. A la Kochelle, pendant les sièges que cette ville
eut à subir à la fin du xvif siècle, des cavaliers en teiTC d'une jurande
importance fuient ('levés en arrière des anciennes enceintes, et, étant
armés de pièces à longue portée, liren! heaucouj) de mal aux assiégeants.
Les cavaliers tienncMit lieu aussi, dans certains cas, de traverses, c'est-à-
dire que leur élévation au-dessus des courtines et des bastions empêcbe
l'artillerie des assiégeants d'enfiler des ouvrages dominés du debors; ou
bien, comme à Sainl-Omei' encore, au xvii'" siècle, du côté de la porte
Sainte-Croix (3), ils commandent au loin des jdaines s'abaissant vers les
abords d'une place , et l'orciMit l'assiégeant à ne connnencer ses travaux
d'approcbe qu'à une grande distance. Ce cavalier de la porte Sainte-Croix
deSaint-Omerse composait d'une haute batterie semi-circulaire revêtue A,
protégée par un fossé i)lein d'eau : elle doublait les feux du saillant EC
de la ville le plus lacilcment attaquable, et, au moyen du fosst'' (]ui
— ;{«».% —
C.AVK I
reiitoluait |)i>'S(|in> nitièreinent, donnait aux assiéjjésiiiicdciiiit'redéCens»'
assez forlo poui- arrêter l'ennenti qui eût pu s»* loiicr <laus le Imstion sail-
lant, et le forcer, pour passer outre, de faire un nouveau siège, (l'est
encore là une dernière trace du donjon du moyen âge.
CAVE, s. f. Étage souteriain voûté. prati(jué sous le rez-de-chaussée des
habitations. De tout temps, les palais, les maisons ont été bâtis sur caves.
Les caves ont l'avantage dempècher l'humidité naturelle du sol d'envahir
les rez-de-chaussée des habitations, et procurent un lieu dont la tempéra-
ture égale , fraîche . permet de conserver des provisions de bouche qui
entreraient en fermentation si elles restaient exposées aux changements
de la température extéi'ieure. Mais c'est surtout dans les pays de vignobles
(|ue les caves ont cté particulièrement pratiquées sous les maisons. En
Bourgogne, en Champagne, dans le centre et le sud-ouest de la France,
on voit des maisons anciennes, d'assez chétive apparence, qui possèdent
jusqu'à deux étages de caves voûtées, construites avec soin, quelquefois
même taillées dans le roc.
Pendant le moyen âge. les \illes, clant entourées de muiailles. ne [)ou-
vaient setendie ; il en résultait que les terrains réservés aux consliuctions
particulières, lorsque la population augmentait, devenaient fortchers; on
prenait alors en hauteur et sous le sol la place que l'on ne pouvait obtenir
en sui'face , et les caves étaient (|uel(|uefois habitées. On y descendait
ordinairement |>ar une (uuerluie pratiquée devant la façade sur la voie
nubruiiie. Dans (piehpies villes de pruvinee. el parlicnliereiiieiil en |{(iin'
I ciiai>a(;m 1 — :UH> —
i^ofïiie , on voit encore un i^rand iKiniltrc de ces descentes de caves (jui
einpièlent siii' la rue, et sont lerniées par des volets léfîèrenient inclinés
|ioui- luire écouler les eaux pluviales (voy. maison).
CAVEL, ^. Ml. \icii\ iiini (jui siyiiitie une clievilli' lU- li(ii>. uwv clef
(VOy. CLEF).
*
CÈNE (la). Dernier repas de Jésus-(^hrist entouré de ses apôtres. La
(lène est (juelcpu'fois sculptée sur les tynii)ans des portes de nos églises
du moyen ài^c. On la voit tii^urée en bas-relief sur le linteau de la porte
occidentale de l'église abbatiale de Saint-Gerniain-des-Prés {xii« siècle).
Une des plus belles représentations de la Cène se trouve sur le linteau de
la porte principale de l'église de Nantua {wr siècle). Cette sculpture est
fort i-eniarqnable; on ne voit à la table de Jésus-Christ que onze apôtres ;
Judas est absent. Le nom de chaque apôtre est gravé au-dessus de lui.
Voici l'ordre dans lequel sont placés les apôtres , en counnen^ant par la
gauche du spectateur : Simon, Taddsus, Bartholomens, Jacobus,' Ma-
theus,Petrus, (leChrist),Johannes, Andréas, Jacobus, lMiiiipi)us. Thomas.
Saint-Jean appuie sa tète sur la poitrine de Notre-Seigneur. Dans le tympan
au-dessus, on voit le Christ entouré des (piatre signes des évangélistes;
mais ce bas-relief a été conq)létement mutile , ainsi que les anges qui
garnissaient la première voussure. Sur les chapit(>aux (|ui portent les
voussures, on voit, sculptés, l'Annonciation, la Visitation, la naissance
du Sauveur, le voyage des Mages et l'Adoration des bergers et des Mages.
Sur le linteau de la porte de droite de la façade de Notre-Dame de Dijon
(xin*' siècle), au-dessous du crucitiement sculpté dans le tynipan, on voit
aussi une représentation de la Cène, malheureuscMuent fort mutilée. La
l'assion de Notre-Seigneur est fréquemnient représentée en sujets légen-
daires sur les verrières des églises. La Cène ouvre la série de ces sujets, et
l'apôtre saint Jean, placé le plus souvent à la droite du Christ, y est encore
représenté incliné sur la poitrine de son maître. Dans les monastères,
on peignait souvent la (>ène sur un des nmrs du réfectoii'e; mais nous
n'avons jamais pu lenconlrer en Fiance une seule de ces peintures
(•onq)lète.
CERPELIÈRE, ^. f. Vieux mot (|iii est enq)loyé connue cercle, enceinte
circulaire.
CHAFFAUT, ^. m. Vieux mot dont on a fait ce h a failli, l liaffaul sem-
ployail principalement poiu' désigner un a|»pentis, un houi'd (voyez ce mot).
Lu ClKunpagne, en Pxuiigogne, ou dit rncori' cita f faut \)i)ur ('cliafaud.
CHAINAGE, ^. m. Ce mot s'apidicpie aux longiines d<' bois, aux succes-
sions de (Tampons de fei- posj's connue les < hainons d une chaîne, ou
même aux barres de fer noyées dans ré|)aisseur «les nuns. liori/.oulale
;{«)7 — I CHAINAGE 1
iiKiit, et destinées à pnijW'clu'r les éeartements, la dislocatioiides construc-
tions en maçonnerie.
Les Romains, et même avant eux les Grecs, avaient Tliahitude, lorsqu'ils
construisaient en assises de pierres de taille ou de marbre, de idier ces
assises entre elles par de ^ros iioujons de ter, de bronze ou même de bois,
et les blocs entre eux par des crampons ou des queues d'aronde. Mais les
Grecs et les Romains posaient les blocs de pierre taillés à côté les uns des
autres et les uns sur les autres sans mortier (voy. joint, ht). Le mortier
n'était employé, chez les Romains, que pour les blocages, les ouvrages
de moellon ou de brique, jamais avec la pierre de taille.
Dès repocpie mérovingienne, on avait adopté une construction mixte,
qui n'était plus le moellon smillé des Romains et qui n'était pas l'ouvrage
antique en pierre de taille : c'était une sorte de grossier blocage revêtu
de parements de carreaux de pierre assez mal taillés, et réunis entre eux
par des couches épaisses de mortier (voy. construction).
Du temps de César, les Gaulois posaient , dans l'épaisseur de leurs
murailles de défense, des longrines et des traverses de bois assend)lées
entre les rangs de pierre. Peut-être cet usage avait-il laissé des traces
même après l'introduction des arts romains dans les Gaules. Ce que nous
pouvons donner comme certain, c'est que l'on trouve, dans presque toutes
les constructions mérovingiennes et carlovingiennes, des pièces de bois
noyées longitudinalement dans l'épaisseur des murs, en élévation et
même en fondation '. Ces pièces de bois présentent un équariissage qui
varie de 0,12 c. X 0,12 c. à 0,20 c. X 0,20 c.
Jusqu'à la fin du xn-- siècle, cette habitude persiste, et ces chaînages
sont posés, comme nos chaînages modernes, à la hauteur des bandeaux
indiquant des étages, à la naissance des voûtes et au-dessous des couron-
nements supéi'ieurs. Les travaux de restauration que nous eûmes l'occa-
sion de faire exécuter dans des édifices des xf et xw siècles nous ont
permis de retrouver un grand nombre de ces chaînages en bois, assez bien
conservés pour ne pas laisser douter de leur emploi. Dans la net de
l'église abbatiale de Vézelay , qui date de la fin du xi'^ siècle, il existe un
premier chaînage de bois au-dessus des archivoltes donnant dans les
collatéraux, et un second chaînage, interronq:)U par les fenêtres hautes,
au niveau du dessus des tailloirs des chapiteaux à la naissance des grandes
voûtes. Ce second chaînage de bois offre cette j)articularité qu'il sert
d'attache à des crampons en fer destinés à recevoir des tirants transversaux
d'un mur de la nef à l'autre à la base des arcs doubleaux. Ces tirants
étaient-ils (h'stinés à demeurer toujours en place pour éviter l'écartement
des glandes voûtes? nous ne le pensons [las. Il est à croire qu ils ne
devaient rester posés que pendant la construction, jusqu'à ce que les nmrs
' II n'est pas besoin de dire que le bois ;t disparu, et se trouve réduit en poussière ;
mais son moule existe dans les inaronueries. I,e bois, Inlidenirnl privt" d'air t-l
entouré di' riminiditt' iii'iniaiiiMilc de la niai-oniierie, est bienlôl [luuiri.
CIIAINAUK
— 39S —
jioutferols fusseiil charges, (HJ juscju'à ce (jiu' les iiioiliei-s des voùles
eussent acquis toute leur dureté, c'est-à-dire ius(|u"au déciiilraf,'e
(VOy. CONSTRUCTION).
Voici (1) coniuient sont posées les cliaines de bois et les iiiauds cram-
pons ou crochets destinés à recevoir un tirant, en supposant les assises
supérieuies eidevées; et ("2) la coupe du nuu' avec la position du chainajic
A et du crochet en ter R sous le sonunier des grands arcs douhleaux.
En démolissant la tour d<' l'église abbatiale de Saint-Denis, qui datait
du milieu du xir siècle, on trouva, à chaque élaiic, un chaînage en bois
d'un fort é(|uarrissage chevillé par des chevilles en fer aux retours
d"é(iuerre, ainsi (jue lindiciue la tig. li, et noyé dans le milieu des murs.
La pourriture de ce chaînage, formant un vide de près de 0,30 c. de sec-
lion dans l'épaisseur de la maçonnerie et sur tout son pourtour, n'avait
l»as peu contribué à déterminer l'écrasement des parements intérieurs et
extérieurs. Des croix horizontales en bois venaient en outre s'assemblei-
dans les mili(>u\ des longrines, à chafjue étage, comme l'indique la tig. 4,
et devaient relier les quatre trumeaux de la tour entre les baies ; mais ces
croix, visibles à l'intérieur, avaient été brûlées, au xn^" siècle, avant la
construction de la tlèche.
.Nous trouvons encore, pendant la première moitié du xiu« siècle, des
chainag<'s en bois dans les constructions niilitain's et civiles. Le donjon du
cliâlcau de (loucv laisse^ \oir. à tous ses étages, au nixeau (\u sommet des
— ll\)\) — [ CIlAlNACiK ]
voiUcs. (les cliainaues rirculairos on bois, de (),;{(>X(>/2r)r. dï'quarrissajjo
environ, sortes de ceintures noyées dans la maçonnerie, desquelles partent
des chaînes rayonnantes é^'alement en bois, passant sous les bases des
piles engagées portant les arcs de la voûte et venant se réunir au centre
(VOV. CO.NSTRlf.TION. DON.ION).
CIIAINACK
KM) —
(IcporKlant, à la lin du \m' sièclecléjà, on r«'('<>unul prohahlciiinii le |i(ii
(le (liiive des chainaj^fs en bois, cai- on tenta de les renipiacei' pai' des
cliainages en for. La j^n-ande corniche à damiers qui couronne le choeur de
la cathédrale dt^ Paris, o\ qui dut être post'e vers 11^)5. se conqiose de
trois assises en pierre dure t'oruiant j)ari)ain^, dont les morceaux sont tous
réunis ensend)le par deux ranj^xs de erauq)(uis. ainsi (|ue l'indique la lij;. .%.
^
N^^^NVV\m
~--^>\-^AXN'V-;,
Cela constituait, au sonunet de 1 editice, au-dessus des voûtes, un puissant
chaînage; mais ces crampons, en s'oxydanf, et prenant, par suite de cette
décoiuposition, un plus fort volume, eurent pour effet de fêler presque
toutes ces pierres loiii;itu(linalemeiit. el de faire, de celle léie de mur
homogène, tiois uuns juxtaposés.
— 401 — 1 CHAINAGE ]
En construisant la Sainte-(]hap(^lle de Paris, Pierre de Montereau se
rapprocha davanta^'e du système des cliainaj^es modernes. Au niveau du
dessous des ai)puis des fenèti-es de la chappelle haute, à la naissance des
voûtes et au-dessous ^\o la corniche supérieure, il posa une suite de cram-
pons d»' ().;j() c. il O.oO c. de louj^ueur, ([ui, au lieu d'être scellés dans
cha(|ue morceau de pierre, vinrent s'agrafer les uns dans les autres,
coid'ormémenl à la fij;. (5. Celte chaîne, posée dans une rij^ole taillée dans
le lit de l'assise, fut coulée en plomh. Le chaînaf^e, au niveau de la nais-
sance de la voùle, se reliait, à chaque travée, à une foi-te harre de fer de
0,05 c. d'é(|uarrissaj>e, passant au-dessus des chapiteaux des meneaux, à
travers ceux-ci, et faisant ainsi partie de l'armature des vitraux. A mi-
hauteur des fenêtres, il existe des barres semblables, qui sont reliées
entre elles dans l'épaisseur des piles. Ce système de chaînage était certai-
nement moins dangereux que celui employé au sommet du chœur de la
cathédrale de Paris; cependant il eut encore, malgré la masse de plomb
dont il est enveloppé, Tinconvénient de faire casser un grand nombre de
pierres. Pour donner une idée de la puissance du gonflement du fer,
lorsqu'il passe à l'état d'oxyde ou de carbonate de fer, nous ferons observer
que le chaînage placé au-dessous des appuis des grandes fenêtres de la
Sainte-(>hapcll(% en gonflant, souleva les assises composant ces appuis et
les meneaux qu'elles supportent, au point de faire boucler ces meneaux et
de les briser sur quelques points, bien qu'ils soient d'une grande force.
Au \ui^ siècle, le fer ne se travaillait qu'à la main, et on ne possédait
par des forges comme celles d'aujourd'hui, qui fournissent des fers passés
au cylindre, égaux et d'une grande longueur. Pierre de iMontereau eût pu
ce|)endant chainei- la Sainte-Chapelle au moyen de pièces de fer d'une plus
grande longueur que celles indiquées dans la tig. (i, puisque, dans le vide
des fenêtres, les traverses se reliant aux chaînages ont plus de quatre
mètres de long; mais il faut croire qu'alors la difliculté de faire forger des
fers de cette longueur et d'une forte épaisseur était telle qu'on évitait d'en
employer, à moins de nécessité absolue.
Au xiv^ siècle, on voit déjà de hnigs morceaux de ( hahies en fer posés
T. M. :»i
! (iiviN\(iK i — -40:2 —
dans les coiislruclions. iNous citerons^ entre autres cxtniples, la l'avade de
la cathédrale de Strasl)oiUi,% qui, de la hase jusciuà la hauteur du |)ie(l de
la flèche, est chaînée av<'c un irrand soin à tous les étapes, au moyen de
lonj^ues harres de fer j)lal hien forcées, noyées entre les lits des assises;
le chœur de l'ancienne cathédrale de ('aicassonne, qui est de même soli-
dement chaîné au moyen de lonj,aies et fortes harres de fer passant à
travers les haies, et servant d'armatures aux vitiaux; l'éjJtlise Saint-(\uMi
de Rouen, la cathédrah' (le Narhonne.
l>es architectes du wu*" siècle n'enq)loyèrent pas seulement les chainaj^es
à demeure, noyés'dans les constructions; ils s'en servirent aussi connue
d'un moyen provisoire pour maintenir les poussées des arcs des collaté-
laux sur les piles intérieures, avant que celles-ci ne fussent charj^ées.
Dans le chreur et la nef des cathédrales de Soissons et de Laon, dans la nef
de la cathédrale d'Amiens, dans le ch(eur de celle de Tours, constiuctions
élevées de l''21<> à \^2'M), on ohserve, au-dessus des chapiteaux poitant les
archivoltes et les voûtes en arcs d'oyives des has-côtés, entaillées dans le
lit inférieur des sommiers, des pièces de bois sciées au ras du ravalement ;
ces pièces de bois n'ont jruère que 0,12 c. X 0,12 c. d'équarrissa^e. Ce
sont des tirants posés, en construisant les voûtes, entre les cintres doubles
sur lescpifis on bandait les archivoltes et les arcs doubleaux, et laissés
iuscju'à rachèvement de l'édifice, c'est-à-dire jusijuau moment où les
piles intérieures étaient charj^ées au point de ne plus faire ciaindre un
bouclement produit par la poussée des voûtes des bas-côtés. On pouvait
ainsi, sans risques, décintrer ces voûtes, se servir des bols pour un autre
usage, et livrer même ces bas-côtés à la circulation. La construction
terminée, on sciait les tirants en bois.
La fig. 7 ' fera conq)rendre l'emploi de ce procédé fort ingénieux et
simplg,. On \oit en A le bout du chaniage de bois scié. Ce moyen avait élé
indiqué pai' l'expérience; beaucoup de piles intérieures d'églises, bâties à
la tin du XII'" siècle, sont sorties de la verticale, sollicitées par la poussée
des voûtes des bas-côtés avant l'achèvement de la construction : car, poui-
interrompre le culte le moins longtemps possible, à jieine les bas-côtés
»'taient-ils élevés, on fermait les voûtes, on les décintiait, on établissait un
plafond sur la nef centrale à la hauteur du triforium, et on entrait dans
l'église.
A la cathédrale de Keims, dont la construction est exécutée avec un
grand luxe, on avait substitué aux chaînes provisoires, en bois posées sous
les sonmiiers des arcs des piles des bas-côtés des crochets en fer dans
lesquels des tirants en fer, portant un œil à cha(|ue extrémité, venaient
s'adapter ; la construction chargée autant qu'il était nécessaire pour ne plus
craindre un bouclement des piles, on enleva les tirants ; les crochets sont
restés en place. On retrouve les traces de ces chaînages provisoires] usqu'à
la fin du XIV siècle.
' De l'une des piles fie \a net de la cathédrale d'Amiens.
— i();{ —
<:iiviN\(.i: I
Les cliainajAt's en l'cr noyés dans la mavouiierie à demeure et donl nmis
avons parlé plus haut élaienl, aulanl (|ue les ressources desconstmcJeurs
le i)erniettaient, coulés en plomb dans les scellemenis ou les rigoles ijui
7
..le
". cjy/i:jL,v^^a ^ .
les renfermaient, quelquefois scellés simplement au mortier. Nous avons
vu aussi de ces chaînes scellées à leurs extrémités et dans leur lonj^uem-
au moyen d'un mastic gras qui paraît être composé de grès pilé, de
minium, de litharge et d'huile, ou dans un bain de résine. Les tirants
scellés par ce procédé, dans des édifices de la tin du xin'" siècle, se sont
moins oxydés que ceux scellés au plomb ou au mortier. La présence du
plomb paraît même avoir hâté quelquefois la décomposition du fer, surtout
lorsque les chaînes sont placées au cœur de la maçonnerie, loin des pare-
ments.
Pendant le xv" siècle, les constructeurs ont préféré souvent placer leurs
chaînes libres le long des muis, au-dessus des voûtes, transversalement
ou longitudinalement. On avait dû reconnaître déjà, à celte époque, les
effets funestes que produisait le fernoyédans la maçonnerie par les maîtres
des œuvres des xiii« et xiv« siècles, (.es chaînes libres sont ordinairement
composées de barres de fer carré d<' deux à six mètres de longueui'.
CHAINK I
— iôi
réunies à leurs extrémités par des boucles et des clax elles, ainsi que
l'indique la fig. S '. On tendait la ciiainc fortement en IVapiiant sur les
8
clavettes, connue on le fait aujourd'hui pour les chaînages dont les bouts
sont assemblés à lraiU-de-Jt(piter.
CHAINE. Pendant le moyen âge et jusque vers le commencement du
xviie siècle, il était d'usage de placer aux angles des rues, aux portes des
villes et des faubourgs, h l'entrée des ponts, des chaînes que l'on tendait
la nuit, ou lorsqu'on craignait (piehiue surprise. Ces chaînes, fort lounh^s,
étaient scellées d'un bout à un gros anneau fixe et de l'autre venaient
s'accrocher à un crochet ^ ou à une barre de fei', sorte de verrou gaiiii
d'un moraillon entrant dans une serrure que l'on fermait à clef pour
empêcher les premiers venus de détendre la chaîne. Lorsque les chaînes
étaient tendues dans une ville, il devenait impossible à de la cavalerie de
circuler ; les piétons même se trouvaient ainsi arrêtés à chaque pas ^
Dans les rues, les maisons permettaient de scellei' les chaînes à leurs
parois ; mais sur les routes, à Fentrée des ponts ou des faubourgs, en
dehors des portes et passages, les chaînes étaient attachées à des poteaux
de bois avec contrefiches. Ces supports étaient désignés sous le nom
d'estaquea. En temps de paix, les portes des villes restaient souvent
ouvertes la nuit, et on se contentait de tendre les chaînes, attachées à
l'extérieur, d'une tour à l'autre. On voit encore, à la j)()ite Narbonnaise
de Carcassonne, la place de la chaîne ; elle était scelle»^ d'un bout à la paroi
de l'une des tours ; l'autre bout était introduit, i)ai' un liou pratiqué à cet
1 Ce délai! est coi)ié sur le grniul cliaîiiage qui lut placé, à la fin du xv siècle, sur
le sol du triforium de la cathédrale (rAiiiieiis pour anvicr le itoucleinent des quatre
piles de la croisée, fatiguées par la charge de la tour centrale, avant l'incendie de
cette tour.
^ On voit encore un de ces grands cnichets à l'ani^lo du mur sud de la caliiédralc
d'Amiens, près de la ra(;ade.
* « Deniers paye/, pour la conlence des kaisnes que on a lait en aucunes rues. >.
— Compte de recette et dépense de Valenciennes, année 1414. — Les chaînes nouvel-
lement faites, sans compter les anciennes, étaient au nombre lie quatre -vingt-lrei/.e.
405 —
CHAIISE
ettet, dans la salle basse de la tour en face; on passai! une l>ari-e de fer
dans le dernier chaînon, et, du dehors, il n'était plus possible de détendre
la chaîne. La tii;. 1 explicpie celte manœuvre très-simple.
CHAINE (UK FiKRKE). Dans la bàlisse on désijj;ne, parcliaines, des piles
formées d'assises de pierre ou de maté-
riaux résistants se reliant aux maçonneries
et ne présentant pas de saillies sui" le nu des
nmis. On ne trouve que rarement ce procédé
employé dans les constructions du moyen
âge. Quand les nuus sont en maçoimerie
ordinaire, et qu'on veut les renforcer par
des points d'appui espacés plus résistants,
la chaîne de pierre forme presque toujours
une saillie extérieure, et jn-end alors le nom
de contre-fort. (ïependanl les constructions
rurales, militaires ou civiles, bâties avec
économie, présentent quelquefois des chaî-
nes de pieire noyées dans les murs et ne
portant pas une saillie à l'extéi'ieur, mais
formant un pilastie intéi'ieur pour porter
' une poutre, une charj<e quelcon(|ue. Alors,
pour économiser les matériaux et pour
éviter les évidements, ces chaînes sont
appareillées et posées ainsi que l'itidique
ormant houtisse. les pieries H parement exté-
[ CHAIKK I iOr»
rieur, les pierres C Jiiorreau de pilastre sans liaisons ; ainsi de suit»' de l;i
base au sommet du inur.
Dans les constructions militaires de Normandie qui datent des xii' ri
xin*" siècles, on rencontre des chaînes de pierre destinées à renforcer des
anodes ol)tus lorsque les murs sont hàlis en moellons. I.e donjon de la
Koclie-Guyon en présente un exemple remarcjuahie (voy. do.njon;.
CHAIRE A rRfi('iiKH, s. f. Pupitre. Sorte de petite tribune élevée au-
dessus du sol des églises, des cloîtres ou des réfectoires de monastères,
destinée à recevoir un lecteur ou prédicateur. Dans les éj^lises |)rimilives,
il n'y avait pas, à proprement parler, de chaires à pi-ècher, mais deux
ambons ou pupitres placés des deux côtés du cha'Ui' pour lire lepilre cl
l'Evaufiile aux fidèles. On voit encore cette disposition conservée dans la
petite basilique de Saint-Clément à Kome et dans celle de Saint-Laurent
hors les nmrs. Dès le xm« siècle, cependant, il paraîtrait qu'outre les
ambons destinés à la lecture de l'épitre et de l'Kvanfjile, on avait aussi
parfois, dans Téglise, un pupitre destiné à la pré(li( ation.
(iuillaume Durand, dans son Ralional, s'exprime ainsi à l'éyard du
pupitre ' : «Le pupitre placé dans réji;lise, c'est la vie des hommes f)ar-
« faits, <■! on l'appelle ainsi pour sij^iiitiiM' en (juclque sorte un i)upitre
« public ou placé dans un lieu public et exposé aux rejiards de tous. Kn
K effet, nous lisons ces mots dans les Pai'alipomènes : «Salomon fit une
« tribune d'airain, la pla(;aau milieu du temple, et, se tenant debout dessus
« et étendant la main, il parlait au peuple de Dieu. » Esdras fit aussi un
« degré de bois pour y parler, et lorsqu'il y montait, il était élevé au-dessus
« de tout le peuple.... On domie encore à ce pupitre le nom (Vanaloginm.
« parce qu'on y lit et qu'on y annonce la parole de Dieu.... On rajjpelle
« aussi nmi)on, de anihicmlo, entourer, parce (ju'il entoure comme d'une
« ceinlure celui (pii y monte. »
Mais le plus souvent c'était sur une estrade mobile que se tenait le prédi-
cateur lorsqu'une circonstance voulait que l'on exhortât les fidèles réunis
dans une église ou dans le préau d'un cloître.
Les églises italiennes ont conservé des chaires à prêcher d'une époque
assez ancienne, des xnc et xiv siècles; elles sont en pierr(\ ou plutôt en
marbre, ou en bronze, (lelle de la cathédrale de Sienne, qui date tlu
xiii« siècle *, est fort belle; elle est portée sur des colonnes posées sur des
lions, et son garde-corps est orné de bas-reliefs représentant la Nativité. A
Saint-Marc de Venise, les ambons placés à droite et à gauche des jubés
afi'ectent la forme de cliaires à prè<;her et sont composés de marbres pré-
cieux, de pf)rphyre «M de jaspe. On voit également, dans l'église San-
' lidlioii tl, (III Mimui-I des divins offices, par (Jiiill. Duruiid, évèque de Meiide,
chap. l"", parag. xxxiu. xui* siècle. ïrad. Harlliéleniy.
* l/escalior est du wc siècle. (a-Uo cliairc est placée dans le cImpiii' cl non dans la
nel.
1(17
CMAIItK
Minialo df Kloirnce, (l;iiis la cliapfllc n.yalr de Palmiie, des pupitres
poiivani servir de chaires, jjlaces à la gauche de l'autel, à l'eutrée du
chd'ui'.
Mais en lManc(% aucune de nus anciennes éj^lises n'a conservé, qiio nous
sachions, de chaires à prêcher, ou pupitres pouvant en lenii lieu, antérieurs
au w siècle. I/usaiiC. à partir du xm-' siècle surtout, était, dans nos églises
du Nord, de disposer à l'entrée des chœurs des jubés, sur lesquels on
montait pour lire l'epilre et l'Évangile, et pour exhorter les fidèles s'il y
avait lieu (voy. jlbé). Toutef'(»is c(>s prédications, avant rinstitulion des
frères prêcheurs, ne se faisaient quaccidenleilenienl. Jacques de Vitrv.
écrivain du xui-^ siècle, dit « que Pierre, chantre de Paris, V(»ulaiil l'aire con-
naître les talents extraordinaires de Foulques, son disciple, le Ht prêcheren
sa présence et devant plusieurs habiles gens dans l'église de Saint-Severin ;
et que Dieu donna une telle bénédiction à ses sermons, quoiqu'ils fusseni
d'un style fort sinqjle, que tous les s^avans de Paris s'excitoieni les uns
les autres à venir entendre le prêtre Foulques, qui preschoit, disoient-ils,
comme un second saint Paul. Ces faits sont d'environ l'an 1 180.... • » Il
est probable que, dans ces cas particuliers, les prédicateurs se plaçaient
dans une chaire mobile disposée en quelque lieu de l'église pour la circon-
stance. La chaire n'était alors, ainsi que l'indique la fig. I % qu'une petite
estrade en bois fermée de trois côtés par un garde-corps recouvert ^ur le
devant d'un tapis.
' HiHt. de la ville cl du diocèse de Paris, par l'aljbé [.eheiit, t. I, p. KiO.
2 Lf Miroir k,!>ton<tl. Maiiusc. de la Blbl. imp., n» 6731. w siècle. Prédic. <le
saint l'aiil.
<:iiAiKK J
— iOS
Mais, an xiii» siècle, quand Ips onlros pièclunirs se fuient élahlis pour
(combattre l'hérésie et expliquer au peuple les vérités du chrislianisnie, la
prédication devint un besoin au(|uel les dispositions aicbitecloniipics des
cditices rrliiiiciix dnreni obéir. Pour rciiiplirexaclrnient ces conditions, les
dominicains, lesiacobinseiitre autr«>s. bàlirent des éj^lisesàdeux nel's, l'une
étant i-éservée poui le clneur des relijiieux et le service divin, l'autre pour
la prédication (voy. architecture monastiqie. fifr. 24 et 24 bis). .Mors les
chaires devinreiU fixes et entrèrent dans la construction. Elles formaient
connue un balcon saillant a linlérienr de l'éi^lise. porté en encoibellemenl.
accoin|)aiine dune niche |)rise aux dépens du mur, et ordinairement
éclairée par de |>etites fenêtres ; on y montait |)ai' nn escalier praticpie dans
I epaisseiu' de la construction. La nef sud de la j^^rande éi^lise du couvent
des jacobins de Toulouse possédait, à son extrémité occi«lentale, unechaiie
de ce irenre à la(pielle on montait par un escalier s'ouvrant en dehors de
Téiilise ilans le petit cloiti'c ; nous en avons \n encoi-e les traces. (pioi(|u<>
la saillie du cul-dc-lampe eût été coupée et la niche bouchée. (Test ainsi
qu étaient disposées les chaires des rt'fectoires des monastères, deslintM'>
— W.) —
ciiAiiti':
a contenir le lecteur pendant les repas des reli^Mcux. L'une des plus an-
ciennes et d(^s plus belles chaires de rélectoii-e (pii nous s(»ient consei'vées
est celle de l'abbaye Sainl-Martiii-des-Chaïups; nous en donnons (^2) le
plan. (-2 bis) la coupe, et (:{).rélévation perspective.
On remarquera la disposition ingénieuse de l'escalier montant à cette
chaire : praticpié dans l'épaisseur du mur, il n'est clos du côté de l'intérieur
que par une claire-voie ; mais pour éviter (pie la c
T. II.
■harjjie du mur au-dessus
52
niAïKi':
A\() —
n ocrasâl collo clairo-voir. \o rnnstnirloui- a pose un aie dcdt'chapgp A (|iii
ill — [ CHAIRE 1
vient l;i soulager, et, aliii (|ue cet aie ne poussât pas à son arrivée en B, les
deux premiers pieds-droits C C de la claire-voie ont été inclinés de tavon à
opposer une hutée à celte poussée. Aujourdlini on trouverait étranf,^e
(lu'un architecte se perniil une pareille hardiesse : incliner des pieds-droits!
On lui demanderai! duser dartilices pour obtenir ce résultat de butée sans
le reiulre apparent ; au commencement du xni«- siècle, on n'y mettait pas
autrement de finesses.
Sauvai cite la chaire du réfectoire de l'abbaye Saint-Germain-des-lM-és,
oâti par Pierre de Montereau. connue un cliel'-d'ieuvre en ce i;em-e. Elle
était, dit-il, « portée sur uu liros cul-de-lanipe charj^e dun i;rand cep de
vii;ne coupe et touille avec une patience incroyable '. » Lebeuf parle aussi
de la chaire du réfectoire de Saiid-Maur-des-Fossés, comme étant remar-
quable et «revêtue de dix images ou petites statues de saints d'un travad
antitpie, mais grossier -.» Les exemples de ces chaires de réfectoires ne
sont pas rares ; elles sont toujours disposées à peu près connue celle
représentée fig. "2 et 3.
En 1 109, un morceau considérable de la vraie croix fut rapporté de
Jérusalem à Paris par la voie de terre, en traversant la Grèce, la Hongrie,
l'Allemagne et la Champagne. Il fut provisoirement déposé à Fontenet-
sous-Louvre, puis transporté en grande pompe à Saint-Cloud pour y être
gardé jusqu'au premier d'août, jour désigné pour sa réception solennelle
dans la cathédrale de Paris. Il y eut une grande affluenc(Kle peuple dans la
plaine de Saint-Denis pendant la translation de cette précieuse relique de
Fontenet à Sâint-Cloud, pour la voir passer. Depuis lors, tous les ans, le
second mercredi du mois de juin, le morceau de la vraie croix était rapporte
dans la plaine située entre La Chapelle, Aubervilliers et Saint-Denis, alin
d'être exposé à la vénération des fidèles, trop nondireux pour pouvon- être
reçus dans la cathédrale.
« Au sortir de Notre-Dame, dit l'abbé Lebeuf ^ on passoit au cimetière
« de Champeaux, dit depuis des Innocens. Après une pause faite en ce
« lieu, et employée à quelques prières pour les morts, l'évêque commen-
« çoit la récitation du Pseautier qui étoit continuée jusqu'au lieu mduiue
« (ci dessus) usque ad indiclum. Là, après une antienne de la croix,
« l'évêque ou une autre personne en son nom, étant au haut d une
« tribune dressée exprès, faisoit un sermon au peuple : après quoi le
a même prélat, aidé de l'archidiacre, donnoit la bénédiction à toute la
a multitude avec la croix apportée de Paris, se tournant dabord à l'orient
« d'où cette relique est \ enue, puis au midi vers Paris, ensuite au couchant,
« et enfin au septentrion du C(Mé de Saint-Denis.... »
Cet exemple de prédication en plein air n'est pas le seul. Saint Bernard
' Histoire de Paris, l. I, p. :M I .
^ Histoire de la ville et du diocèse de Paris, l. V. y. l-'iV. Ce ivlr.lniiv (hil.iit du
\iv siècU'.
' Ibidem. I. III, !• 2»:î.
[ CIIAIKK 1 — ihi
pi'ècliM, mniité sur une estrade, du haut de la ((illiDc de \é/elay, devant
l'armée des croisés rassemblés dans la vallée d"As(|nin, en présence de
F^ouis le Jeune, [^a chaire du prédicateur n"«''tait alors (|u'une petite plale-
l'orine sans ifai'de-corps : car, au milieu d'un vaste espace, en |)lein aii'. le
prédicateur de\ait être vu en pied; sa pustui'e dans luie boite semblable à
nos chaires eût été ridicule '.
f.es prédications en plein airétaient fréquentesau moyen âge et ius(|u'au
moment de la rétbrmation. Les prédicateurs se retirèrent sous les voûtes
des ('glisescpiand ils j)ui'ent craindre de trouver |)armi la foule assemblée
des cf)ntra(licleurs. deux (|ui se seraient permis de prov(M|uer un scandale
au milieu d'un champ ou sur une place j)ubli(jue n'osaient et ne pouvaient
le faire dans l'enceinte d'une église.
Nous trouvons encore des chaires élevées dans les cloîtres et cimetières
pendant les xiv^ et xv« siècles, et même sur la voie publitiue tenant à
l'église. Le cloître de la cathédrale de Saint-Dié en contient une en
l)ierre, j)lacée vers le commencement du \\v siècle, et que nous don-
nons figure A. Ce petit monument est recouvert par un auvent égale-
ment en pierre, destiné à garantir le prédicateur contre les ardeurs du
soleil et surtout à rabattre la voix sur l'assistance : car, pour les chaires
élevées en plein air ou dans les églises, on sentit bientôt la nécessité de
suspendre au-dessus du prédicateur un plafond jKiur empêcher la voix
de se perdre dans l'espace ; cet appendice de la chaire prit le nom d'abat-
voix.
^ A l'un des angles de l'église Saint-Lô, sur la rue, on trouve encore une
de ces chaires extérieures en pierre, dont la porte communi(]ue avec un
escalier intéi'ieur, et qui est recouverte d'un v'who abat-voix terminé en
pyramide '-. dette chaire date de la tin du xv- siècle. Mais c'est i)arti(Mi-
lièrement pendant le xvr siècle et au moment de la rèformation (jue l'on
établit des chaires dans la plupart des églises françaises. La prédication
était, à cette époque, un des moyens de combattre l'hérésie avec ses
|)ropies armes ; on plaça leschaires dans les nefs (ce qui ne s'était pas fait
jus(pi'alors), afin que le prédicateur se trouvât au milieu de l'assistance.
Les cathédrales de Strasbourg et de riesanc-on ont conserve des chair(^s en
pierre de cette éi)oque ; celle de Strasl)ourg particulièrement est d'une
excessive richesse et du travail le plus précieux. Son abat-voix est cou-
ronné par une pyramide chargée de détails et découpures infinies ; ce
monument est d'ailleurs, connue conqîosition et ornementation, d'un
assez mauvais goût, se lapprochant du style adopté en Allemagne à la fin
de 1 ère oi;ivale.
' l'.u Italie, corlaiiios [trédicaliuus t;ii plein air se toiil encore sur des estrades; les
gestes et la pose de l'oraliMir produisent alors un grand eïïel, pour j>eu tpi'il soit doué
de (jueUpie talent.
- Ce nionnnieni esl re|.r(>ilnil daie- le L;i,nid ouvrage île \| M '\':<\\<>\ cl N'odiei .
Francr pitlori nipa .
— A Mi —
CIIAIKK
lii(Mitù( (»n cessa do faii»' (l»^s chaires en iiiaihic (.
Il cil |)i('nc ; on se
Ï-Lcu^
«•«'i.tenla de les elal.lir ru Iw.is. en Us adossant et les acioclu
pailois aux piliers.
ml iiicitic
I cH.viKK 1 — ili —
Nous ne saurions dount'i" à nos lecteurs des chaires donl la construc-
tion remonterait aux xiir et xiv siècles, par la raison (luil n'y en avait
point alors dans les é^dises se rapprocliani de la loriue adnph'c depuis
le XM»^ siècle, (-e meuble est cependant aujuindhiii iiidis|»erisal»le .
et si les architectes des xii" et xin** siècles eussent dû exécuter des
chaii'es, ils leur auraient certainement donne des formes parlailemenl
en harmonie avec leur destination et les matériaux employés, marbre,
piei'i'e, métal ou bois. En l'absence de tout document, nous croyons
devoir nous abstenir, laissant à chacun le soin de salislaii-e à ce nouveau
programme.
CHAIRE, s. f. Siéye épiscopal (calhedra). Dans les é^dises primitives,
le siège de l'évèque était placé au foiul de l'abside, derrière l'autel
(voy. CATiifiDiîALE). Celte disposition existe encore dans (|uel(|ues basili-
(|ues italiennes; on la retrouve conservée dans la catbediale de Lyon, le
sanctuaire étant l'ermé et dépourvu de collatéraux. Le siège de l'abbé,
dans les églises abbatiales antérieures au xw siècle, était placé de la
même manière. Ces chaires étaient généralement fixes (c'est pounpioi
nous nous en occupons ici), en marbre, en métal, en pierre ou en bois,
et se reliaient àdes bancs ou stalles disposés de chaque coté le long di^s
nuu^s de labside. Nous possédons encore en France (luehjues exemples,
en petit nombre, de ces meubles fixes tenant à la disposition architecto-
nique du sanctuaire ; seulement ils ont été déplacés. Nous avons vu encore
en Alleniagne une de ces chaires absidales en pierre, demeurée vn place,
quoique mutilée, dans la cathédrale d'Augsboui'g. Le style de ce monu-
ment, fort ancien ', n'est pas tellement particulier au pays doutre-Ubin
que nous ne puissions le considérer connue ai)partenaiU à lejioque
carlovingienne d'Occident.
Nous croyons donc devoir donner cette chaire (I ), l'un des plus anciens
meubles fixes que possède l'architecture romane du Nord. Sa forme se
rapproche beaucouj) de celle des chaises antiques que possèdent les musées
d'Italie et de Kran( e.
Dans la sacristie de l'église de l'ancien prieuré de Saint-Vigor près
Bayeux, il existe une chaire en marbre rouge autrefois placée au fond du
sanctuaire. Le nouvel evéque venait s'asseoir dans cette chaire la veille de
son entrée à Bayeux. De là, le prélat, avant son intronisation, donnait sa
|)remière bénédiction au peuple, revêtu de ses habits pontificaux -, i)uis
s'acheminait à cheval, processiomiellement, vers la \ille.
On voit dans l'église Nolre-Dame-des-Dons, cathédrale d'Avignon,
la chaire en marbre blanc veiné qui était autrefois fixée au fond du
' Nous le iM'oyoïis du i\' siècle. Le siège, son ;ippni et sou socle soûl sculplo i1;im
un seul l)loc ; les lions licuucut des rouleaux daus leurs pâlies de dcvaui.
Vo}. le Jiitllel. mnniimciil. puli. par M. del'aunioul. JSi/, p. ■i.'X.
'^'-"^ [ CIIAIRK ]
SMiicliiain' : clic est jniionidluii posée a la dioilc do l'aufol, et sert encorf
1
nm
lions le croyons, de sii'ire épiseopal. ("-elle chaire date du xir siècle ; elle
[ r.MAlRK ] — 4"' —
csl l'orl Ix'lU' coiuiiu' coinposilion et li;iv;iil ri), h un cùlc csi s(iil|ttr Ir
lion dp saint Marc, de l'autre le bœuf de saint Luc. On sent encore riniluencc
anti(|ue dans ce meuble, connue dans raicliiteclnrc de la Pi'ovencc à celte
épof|ne.
Mais il existe une cbairc en pierre, du xne' siècle, conservée dans la
cathédrale de Toul, et connue sous le nom de chaire de saint (iérard,
dont la forme ainsi que les détails sont étranj^ers aux traditions antiques.
Les acoudoirs sont composés avec ce respect pour les nsaj^es ou les besoins
qiii caractérise les arts do cette époqu»\ La sculplure est lVai)cli(\ parlai-
— 417 — I CIIAIKK ]
temont àré<holIe(lecepetitinonuinent,riehosansèfrécIiarjj;ée. llestditiicile
de rencontrer une composition à la fois plus simple et mieux décorée'. Des
coussins épais étaient natmcllemenl posés sur la tablette de ces meubles.
« Au fond du sanctuaire de la catiiédraie de Keims, dit M. Didron dans
ses Annales archéologiques ', derrière le maitre-autel, on voyait, avant
1793, un siéj^e en pitMie, haut d'un mètre soixante-dix ceiUinièti-es, et
Jarfîe de soixante-dix centimètres. C'est là qu'on intronisait les nouveaux
archevêques. Ce monument de Reims s'appelait la chaire de saint Rigo-
bert Dans cette chaire, on plaçait, pendant la vacance du siéj^e archi-
épiscopal, la crosse la plus ancienne de tout le trésor de la cathédrale. Par
là, saint Nicaise, saint Rémi, saint Rigobert ou même Hincmar, auxquels
celte crosse pouvait avoir appartenu, étaient censés gouverner le diocèse
en attendant la nomination dun nouvel archevêque.»
On suspendait au-dessus de la chaire épiscopale un dais en étoffe ; mais
plus tard, pendant les xiv<- et xv siècles, ces dais entrèrent dans la compo-
sition même du monument, ils furent faits comme eux en pierre ou en bois.
R existe encore, dans l'église Saint-Seurin ou Saint-Severin de Bordeaux,
une chaire épiscopale en pierre de la fin du xiv« siècle, ainsi complétée
d'une façon magnihciue (3). Au centre du dais, sur le devant, entre les
deux gables, est sculptée une mitre d'évêque soutenue par deux anges. Le
siège et les accoudoirs sont délicatement ajourés. Les quatre pieds-droits
qui supportent le dais étaient autrefois décorés de statuettes, aujourd'hui
détruites. Deux autres figures devaient être placées également sur deux
consoles incrustées dans la muraille, sous le dais, au-dessus du dossier.
Cette chaire est aujourd'hui déplacée; elle était autrefois fixée au fond
du sanctuaire, suivant l'usage.
En Normandie, en Bretagne, et plus fréquemment en Angleterre, on
voit, dans les sanctuaires des églises dépourvues de l)as-cùtés, des sièges
ménagés dans l'épaisseur de la muraille, à la gauche de l'autel, et formant
une arcature renfoncée, sous laquelle s'asseyaient l'officiant et ses deux
acolytes. Ces chaires à demeure sont ((uelquefois de hauteurs différentes,
comme pour indiquer l'ordre hiérarchique dans lequel on devait s'asseoir.
Le Glossaire dWrchileclure, de M. Parker d'Oxford, en donne un assez
grand nombre d'exemples, depuis l'époque romane jusqu'au xvje siècle.
Nous renvoyons nos lecteurs à cet excellent ouvrage. En France, ces sortes
de sièges sont fort rares, et il est probable que, dès une époque assez
reculée, on les fit en bois, ou tout au moins indépendants de la construc-
tion, comme celui que nous donnons (fig. 3). Ces chaires, ou formes
anglaises, se combinent ordinairement avec la piscine; dans ce cas, il y a
quatre arcatures au lieu de trois, la piscine étant sous la travée la plus
rapprochée de l'autel.
Mais a la fin du xv« siècle, on étaldit de préférence les chaires épiscopales,
les trônes, à la tête des stalles du chœur, à la gauche de l'autel (voy. stalle).
1 Vov., dans les Aniutles archéoL, t. lî, p. 17o, mie gravure de celte belle ctiaire.
2 T. M, p. 175.
T . 1 1 . 53
[ (IIAIKI
— ils
l>iinsIpssall('S(;ipitiil:iiiPS. ily;ivait aussi, an milieu des sir^rs. lacliairt'
— il'.»
CMA.MUUK
(lu président du chapitre, de l'évèqueou de rarchevé(|ue. A Mayence, on
voit encore une de ces cliaires, qui date du xii«^ siècle, dans la salle carrée
altenaii! au cloître de la cathédrale.
Ou donnait aussi le nom de chaires, pendant le moyen ài,^e et jusqu'au
XVII* siècle, aux stalles des rtMi^ieux ou des chai)itres.
CHAMBRE, s. f. Pièce retirée dans un j)alais. un hôtel ou une maison,
destinée à recevoir un lit. Par suite de cette destination, on donna le nom
de chambre aux salles dans lesquelles le roi tenait ou [touvait tenir un lit
de justice; aux salles dans lesquelles, chez les i^rands. était place le dais
sous lequel s'asseyait le seii;neur lorsijuil exerc^ait ses droits de justicier;
on appelait ces cliambres : Chambre du dais, chambre de paremeyil.
Lai.frand'chand)re du Palais à Paris avait été bâtie par Enj^fuerrand de
Marigny, sous Philippe le Bel ' ; elle fut richement décorée en ISOti *.
Jean sans Peur, duc de Bourgogne, tit faire, dans l'hôtel d'Artois, après
le meurtre du duc d'Orléans, une chand)re « toute de pierres de taille, pour
« sa sûreté, la plus forte qu'il put, et terminée de mâchicoulis, où toutes
« les nuits il couchait '\ » Dans les donjons, il y avait la chambre du
châtelain, qui se trouvait toujours près du sommet et bien munie; quel-
quefois même on ne pouvait y arriver que par des couloirs détournés, ou
au moyen d'échelles ou de ponts volants que l'on relevait la nuit.
Les chambres des riches hôtels étaient sonqîtueusement décorées.
Les solives des plafonds en étaient sculptées, peintes et dorées ; les
fenêtres garnies de vitraux et de volelsquelquefois doubles, ajourés de fines
découpures et pleins; les parements tendus de tapisseries; les lambris en
bois travaillés avec art et se reliant à des bancs fixes (banquiers) garnis de
dossiers en étoffe et de coussins; le pavé de carreaux de terre cuite éniaillée
avec tapis; une grande cheminée, souvent avec bas-reliefs sculptés, armoi-
ries peintes, occupait l'un des côtés; elle était acconqjagnée de ses acces-
soires, de tablettes latérales pour poser un flambeau, quelquefois d'une
petite fenêtre s'ouvrant près de l'un des jambages ou sous le manteau
même de la cheminée, pour voii- le dehors en se chautt'ant ; de ses écrans
et escabeaux. Les portes perdues derrière la tapisserie étaient étroites et
basses. Le lit, place perpendiculairement à la face opposée à la cheminée,
était large, garni de courtines et d un dais à gouttières; il se trouvait or-
dinairement plus rapproché d'un nmr que de l'autre, de façon à laisser un
petit espace libre qu'on appelait la ruelle. Quehjuefois, danslébrasemeiU
profond de l'une des fenêtres, on plaçait une volière et des fleurs, car les
oiseaux devenaient les compagnons ordinaires des femmes nobles, dont
les distractions, hormis les grandes fêtes publiques, étaient rares. Lue
chaire (chaise à dossier) se trouvait au fond de la ruelle ; un dressoir, une
• Sauvai, l. 111, p. 8.
2 Diilxt-nl, lis. I.
"• Sauvai, l. Il, |i. 64.
CHAMBKK
— 'r>(>
petite table, des escabeaux et carreaux pour s'asseoir, complétaient l'a-
meublement (voy. le DirHotmaire du Mobilier).
« Adonc est li sires levé
« Et est entrez Hedenz sa cliainhre
« Qui tôle estoit uvrée à Tamltre.
« N'a el monde besie n'oisel
« Oui n'i soit ovré à cisel,
« Va la procession Heiiarl
« Qui tant par sol engin et arl,
" Que rien a fere n'i lessa
>< VW qui si bel la conpassa.
'< Qu'en li séusl onques nonier '.
fiC&^PD
Nous donnons (i) un plan d'une de ces chambres privées, que Ion avait
' Romnn du Renart, vers 22 162 et suiv.
— 'ril — I CHA.MIKK j
le soin, autant (|ut' lairc se pouvait, de placer à Tan^Me des l)àtiinents et de
mettre, par ee moyen, en comnumieation avec une tourelle qui servait de
boudoir ou (le cabinet de retraite. La disjiosition que nous in<li(|uons ici se
retrouve i'réquemment, à (iuclqut\s tlétailsprès, dans les cliàlcaux des \ui%
xiv«'et \v« siècles. Kn A est le lit, en B la ruelle avec sa chaire C et ses
carreaux I), en E le dressoir, en V des bancs Hxes, bahuts destinés à
contenir la gardei'obe ; en (1 la cheminée avec sa petite fenêtre H et sa
tablette I, en K les portes, en L la tourelle, en M la petite table avec son
banc à dossier N, en 0 des escabeaux mobiles, en X une armoire destinée
au linyeet aux objets de toilette. Les lénnnes recevaient souvent le matin
ou le soir couchées, et alors ce n'était que les intimes et les membres de la
famille qui étaient admis dans la ruelle. Le jour, on recevait les visites sur
le banc à plusieurs places posé près de la cheminée : les hommes se tenaient
sur les escabeaux ou carreaux ; les gens que 1 on faisait attendre ou les
inférieurs s'asseyaient près de l'entrée sur les bancs bahuts. Les fenmies
de haut rang tendaient leurs chand)resen noir pendant les quinze premiers
jours de grand deuil et restaient couchées, les contre-vents fermés. Pendant
leurs couches, les chand)res étaient richement décorées, mais également
fermées et éclairées aux tland^eaux '. Les époux, même dans les classes
élevées, n'avaient habituellement qu'une chambre ; chez les bourgeois, les
enfants couchaient, pendant leurs premiers ans, dans des berceaux que l'on
plaçait tout à côté du lit dans la ruelle. Aussi ne trouve-t-on qu'un petit
nombre de chambres dans des maisons, même vastes, souvent une seule;
les familiers couchaient dans des galetas. Quand on recevait un parent ou
un étranger auquel on voulait faire honneur, les maîtres, dans la bour-
geoisie comme chez les paysans, abandonnaient leur chambre et allaient
coucher dans la salle, c'est-à-dire dans la grande pièce qui servait à la fois
de salon, de lieu de réunion et de salle k manger; ou bien, ce qui arri-
vait souvent, on dressait un lit dans la chambre des maîtres, et maîtres
et étrangers couchaient dans la même chambre (voy. hôtel, maison).
CHANCELLE, S. m. Cliaticel, chaingle. Enceinte, clôture ; le chancel du
chœur, pour la clôture du chœur d'une église; s'employait aussi comme
balustrade.
s
CHANFREIN, s. m. Arête abattue suivant un angle de 45 degrés. Dans
l'architecture du moyen âge, surtout à dater de l'époque ogivale, les arêtes
à la portée de la main, au lieu d'être laissées à angle droit, sont souvent
abattues. Les chanfreins sont très-fréquenmient appliqués à la charpente
et à la menuiserie de cette époque (voy. biseau, cnAuriiME, .memjiseiue).
CHANTIER, s. m. Place vague, espace découvert sur lequel on dépose
les matériaux qui doivent servir à la construction d'un édifice (voy. coi>-
1 Les Honneurs de la Cour. Aliéner de Poicliers. xv siècle.
(HAI'K
Vl'Z
sTRLCTio). Du désij'iie aussi par ce mot des pièces de bois (|iic l'on j)ose
à Icrre hori/.onlalenient. pour isoler et soustraire à l'iunuidilc du sol des
chai'pcutes ou des |)lauclies, des touueaux couteuaut des boissous.
CHANTIGNOLLE, S. f. Petite pièce de charpeute (|ui sert à empêcher les
pannes de jj;lisser sur l'arbalétrier. La pièce A (l) est une chauti^nolle. La
chantijiuolle est toujours asseud)lée dans Tarbalétrier à tenon (.'l mor-
taise et cbevillée, pour éviter (ju'elle ne se relève par suite de la pression
que la panne exerce sur la partie supérieure. Souvent, dans les char-
pentes de la période oj^ivale, les pièces verticales sont moisées; mais,
comme alors on n'employait pas de boulons mais simplement des clefs
de bois ]»our serrer les moises contre les pièces moisées, on jiosait des
chanti^iiolles A sous ces moises pour que leur poids ne lali^uàt pas les
clefs, ainsi que l'indique la tig. -2 (voy. chakpeme).
CHAPE, s. f. Crouste. Vieux mot emi)loyé pour voûte, lieu voûté.
Aujourd'hui on entend par chape l'enduit (lue l'on pose sur l'extrados
d'une voûte pour le pioté^(M'. Toutes les voûtes of^ivales étaient coiixertes
d'une chape en mortier ou en plâtre. En cas d'incendie, celle précaution
— 'r2.{ — I (.HAI'KI,1.K I
*
siittit pour cmpèclitM' la hiaisc de calciner l'extrados des voûtes, surtout
si la chape est eu plâtre. Nous avons vu aussi des chapes de voûtes faites
en ciment de l)rique dans les édifices du Laiif^uedoc. La chape a cet avan-
tai;e encore d(> garantir les voûtes des filfi'ations d'eau pluviale, loi'S(|ue
lescou\er(ures sont en mauvais état ou lorscju'on l'ail des réparations aux
l(»ilures. Sur les voûtes oj^nvales, les chapes sont f'ailes avec soin ; elles
étaient surtout destinées à les j^arantir pendaiil le laps de temps qui
s'écoulait entre leur achèvement et le montajre des charpentes. À cet
effet, dans les reins des voûtes, sont ménagées des cuillers en pierre avec
frari,fouille extérieure, qui ne servaient que pendant cet intervalle de temps
elaussidanslecasdedejiiadationsàla couverture' (voy.(;AR(;()iiLi.i:,voL"TK).
CHAPELLE, s. f. « Dans plusieurs endroits on a|)|)elle les piètres, dit
« Guillaume Durand', chapelains (cape//awî), car de toute antiquité les rois
« de France, lorsqu'ils allaient en g;uerre, portaient avec eux la ('haj)e
« icapam) du bienheureux saint Martin. (|ue Ion iiardait sous untMente
« qui, de cette chape, fut appelée chapelle (a capa, capella). Et les clercs
« à la garde desquels était confiée cette chapelle reçurent le nom de
« chapelains {capedania capella) ; et, par une conséquence nécessaire, ce
« nom se répandit, dans certains pays, d'eux à tous les prêtres. Il y en a
« même qui disent que de toute antiquité, dans les expéditions militaires,
« on faisait dans le camp de petites maisons de peaux de chèvre qu'on
(( couvrait d'un toit et dans lesquelles on célébrait la messe, et que de
M là a été tiré le nom de chapelle (a caprantm pellihus. capella). »
La première de ces deux étymologiesest établie sur un fait. La petite
cape que saint Martin revêtit après avoir donné sa luni(jue à un pauvre
était religieusement conservée dans l'oratoire de nos premiers rois, d'où
cet oratoire prit le nom de capella. L'oratoire, depuis lors appelé chapelle,
se trouvait compris dans lenceinte du palais royal ■'. Le nom de chapelle
fut, par extension, donné aux petites églises qui ne contenaient ni fonts
baptismaux ni cimetières*; aux oratoires dans lesquels on renfermait les
trésors des églises, des monastères, des châteaux ou des villes % les
chartes, les archives % des reliques considérables; puis aux succursah's
I Ces gargouilles existent encore à la Sainte-Chapelle dn Palais, sous les pignons
des fenêtres, et à Amiens; dans ce dernier édiflce , ce sont des baies assez grandes
pour qu'un tioninie puisse y passer; ces baies correspondt^nt aux gargouilles (]iii
desservent les chéueaux à l'arrivée des arcs-boiitauls.
* Batioiial, liv. II, chap. x, §8.
a " Capella, postmoduni appcllata sedes ipsa, in ipia asservala estcupa, seu capella
« S. Martini, intra Palatii amliituni ine<litiiat:i : in (juaui etiaui prtecijuia Saiictoriim
" aliorum Àc'-Ya/^' illala, uude ol) cjnsuKtdi l>eli(iuiaruin reverenliani aidicuhe istse
" sanctœ capellœ vulgo appellantur. « Ducange, (r/o.ss.
* Ibkl. .loan. de Janua. — * Ibitl.
* « Caucellaria : ita vero dicta qiidd in Capella Principis, seu oratorio Archivuui,
» diplomata et regni niouunicnla olini, iil iioilie, asservareutur. lu Krancia eniui
I CHAPKI.LK I — Wi —
des paroisses, aux édicules annexés aux ^^randes églises cathédiales,
conventuelles ou paroissiales, et contenant un autel, et même la cuve
baptismale; aux oratoires élevés dans Tent^'inle des cimetières, sui- un
eniplaceniont sanctifie' par un miracle ou j)ar la présence d'un saint.
iS'ous diviserons donc cet article : I" en cliaiH'lles (saintes) ; "2" chapelles
ou oratoires de châteaux, d'évêchés; 3" isolées, des morts, votives;
4" annexes d'églises ; 5» chapelles faisant partie des églises, et renfer-
mées dans leur périmètre.
(^iiAi'Ei.i.KS (sAiNTKs). I)ès Ics premiers siècles du christianisme, on
avait élevé un grand nombre d'oratoires sur les emplacements témoins du
martyre des saints. Os oratoires se composaient le plus souvent d'une
crypte avec petite église au-dessus. « Lorsque les saincts Denis, Rustic,
« et Éleuthère souft'riient le martyre, dit Dubreul', une bonne dame chré-
«I tieime, nonnnée ('atulle, demeuroit en un village, (pie l'on surnommoit
(( de son nom : lacjuelle ensevelit et enterra les cor|)s des susnommés mar-
« tyrs en une petite chapelle (au bas de la ITLilte Montmartre.), juscpies en
« laquelle (par grand miracle) saincl Denys avoit apporté sa teste entre
« ses bras, après (pie l'on la luv eust trancluîe; laquelle (cha[)elle) fut
(' rei)asti(; du temps de saincle tienevielVe Cette chapelle est double,
n s(,'avoir la plus petite (pii est presque dans terre, et l'autre plus grande
« qui est érigée au dessus d'icelle. Mais au dessoubs de tout ce bastiment
i( il y avoit encore une chapelle ou cave souterraine, (pii toutefois a
« demeuré incogneiie à nos pères jusques en l'an KJl I »
Cette disposition de chapelle double en hauteur demeure liaditionnelle
pendant les premiers siècles du moyen âge. Nous la voyons conservée
encore dans la célèbre Sainte-Chapelle du l'alais bâtie par saint Louis à
Paris; mais ce n'était pas avec riiiteiition de consacrer la chapelle infé-
rieure au dép(M des relicjues. Au contraire, à l*aris, c'est dans la chapelle
haute que la couronne d'épines, les morceaux de la vraie croix et les
saintes reliques recueillies par I-,ouis IX fureni déposés; la chapelle basse
était réservée aux familiers du palais et au piddic; elle servit aussi de
sépulture aux chanoines. De toutes les chapelles |ialatiiies (pii existaient
en France, celle de Paris est aujourd'hui la |)lus complète et l'une des plus
anciennes. Elle fut commencée en 12-42 ou 124.%, et terminée en 1247, sur
remplacement de deux oratoires, l'un bâti en llTiien l'honneur de Notre-
Dame, l'autre bâti en 1 100 sous le titre de Saint-Nicolas, .léreuue Moi and '
prétend (pic c'est pour rappeler ces di^ux fondations (pic la Saiiit<'-Cha|)(llt'
actuelle est double. Nous voyons là plut(~)[ rintluence de traditions aiili'-
rieures, comme nous l'avons dit, et surtout une nécessité commandée j)ar
la disposition même du palais. Ainsi, la chapelle haute communiquait de
" Chartanim Rcijiitrnin, ut vocaiil, thésaurus, in Sacra Capella l'arisiensi etiamnuni
« asservalur. >> [Ibid.)
' Dubreul, liv. IV, p. 1152. Kdit. de 1612.
- Hist.drid iSf(i/i/('-r/if»;)c//c roj/., p:ir .It'iûine MoimiuI, cliimoino; P:iris, 179(1.
i"2o [ f.HAI'KLLK 1
|)lain-pio(l avec les sallos du premier étage et les appartements royaux ;
tandis que la chapelle basse, au niveau du sol extérieur, pouvait êtrr
abandonné»' au publie.
De tout temps, cet édifice, dû au uiaitre Pierre de Monlfreau, fut con-
sidéré avec raison comme un chef-d'œuvre. Le roi saint l^ouis n'éparijna
rien pour en faire le plus brillant joyau de la capitale de ses domaines; et
si une chose a lieu de nous étonner, c'est le peu de temps employé à sa
construction. En prenant les dates les plus larges, on doit admettre que la
Sainte-(^-lia|)t'lle fut fondée et complètement achevée dans l'espace (UM"in(|
ans; huit cent mille livres tournois auraient été enq)loye»'s a sa construc-
tion, à sa décoration et à l'acquisition des précieuses reliques qu'elle
renfermait. Si l'on observe avec une scrupuleuse attention les caractères
archéologiques de la Sainte-Chapelle, on est forcé de reconnaître l'exac-
titude des dates historiques. Le mode de construction et l'ornementation
appartiennent à cette minime fraction du xni'' siècle. Pendant les règnes
de Philippe-Auguste et de saint Louis, les progrès de laichitecture sont
si rapides, qu'une périodede cinq années y introduit des modifications sen-
sibles : or la plus grande unité règne dans l'édifice, de la base au sommet.
Ce n'est plus la fermeté un peu rude des sommets de la façade de Notre-
Dame de Paris (1"230), et ce n'est pas encore, il s'en faut de beaucoup, la
maigreur des deux extrémités des transsepts de la même église (1257).
Pierre de Montereau fut également chargé d'élever une chapelle dédiée
à la ViergC;, dans l'enceinte de l'abbaye de Saint-Cerniain-des-Prés. Cette
chapelle avait été fondée, en l'24o, par l'abbé Hugues : or les fragments
assez nombreux qui nous restent de cette construction ' accusent une
certaine recherche, un travail déjà maigre dans l'ornementation et les
moulures, qui se rapproche de l'exécution du portail Saint-Etienne de
Notre-Dame de Paris et s'éloigne de celle de la Sainte-Chapelle; c'est qu'en
etiét la chapelle delà Vierge de Saint-Germain-des-Prés n'avait été achevée
que sous l'abbé Thomas, mort en 1^255. Il y avait donc cinq années de
différence environ entre la construction de la Sainte-Chapelle du Palais et
la chapelle de Saint-Cermain-des-Prés; cette ditierence se fait sentir dans
le style îles deux édifices : donc, la Sainte-Chapelle du Palais a dû être
élevée eu quatre ou cinq années au plus, puisqu'elle ne laisse pas voir,
même dans ses parties supérieures, cette tendance à la recherche et à la
maigreur. On nous pardonnera d'insister sur ce point; nous désirons
constater ainsi, une fois de plus, la rapidité avec la([aelle les maiires des
œuvres construisaient leurs édifices auxiii»^ siècle, lorsqu'ils n'elaient pas
entraves par le man(|ue île ressources, et délrune une opinion trop
généralement accréditée, même parmi les personnes éclairées, savoir :
que les édifices de cette époque n'ont pu être élevés qu'avec lenteur.
1 f>a porte principale déposée dans le cinielière des V;dois à Saiiit-I)eiiis ; des
"arituuiiles et perlions de coiiionnomenls déposés dans une cour d'une des maisons de
la rue de l'Abltaye, côlé nonl.
T. II. 54r
[ CHAPELLE 1 i'2<) —
Ijfusqii'on pai'court la Saiiil('-('ilia|»'ll(' du Palais, on ne peut concevoir
comment ce travail, surprenant par la niulliplicilé et la variété îles détails,
la pureté d'exécution, la l'icliesse de rornenieiilation et la heauh' des
matériaux, a pu être achevé |)endant un laps de temps aussi court. !)«> la
base au faîte, elle est entièrement bâtie en pierre dure de choix, liais
cliquart; chaque assise est cramponnée par des agrafes en fer, coulées en
plomb; les tailles et la pose sont exécutées avec une précision raie; la
sculpture en est composée et ciselée avec un soin paiticulier. Sur aucun
point on ne peut constater ces néirlifjjences. résultat ordinaire de la préci-
pitation ; et cependant, telle qu'elle est aujouid'hui, la Sainte-Chapelle
du Palais est privée d'une annexe importante qui, à elle seule, était un
nionument : nous voulons parler du trésor des chartes accolé à son flanc
nord, bâti et terminé en même temps qu'elle.
i
Nous donnons (I) Ir plim de la chapelle basse du Palais '. In porclic
' Ce phiii esl à l'ctlii'lk' de (),()02o ixiiir iiielir, :iinsi (pic loiis les phiiis >;iii\:iiils.
'L
C
1-27 —
[ CIlAl'KI.I.K I
précède la port»' principale; un has-côté élroil fait le t(»iir du vaisseau.
L'architecte a dû l'établir pour ne pas être contraint ou de trop éle\er le
sommet de la voûte, ou de poser les naissances des arcs près du sol. Il
était commandé pai- la hauteur des sols des appartements du premiei-
éta^'e. (|ui dcja existaient, et il tenait à placer le dalia^^e de la chapelle
haute de plain-j)ied avec ces appartements et galeries. Deux escaliers de
service couuuuniquent du rez-de-chaussée au premier étage et au cond)le.
La ( hapelle basse est éclairée par des fenêtres occupant tout l'espace
compris entre les formerets et l'appui décoré d'une arcaluie, de sorte que
ces fenêtres attecteni la foiine de triangles dont deux côtés sont curvi-
lignes ; elles sont admirablement composées pour la place (voy. fe.nèthe),
et étaient autrefois garnies de vitraux colorés ou en grisaille. Cette chapelle
laisse voir de nombreuses traces de peintures du xiii* siècle ', cl, dans
' Elle fui en iirande partie repeinte sous Louis XIIF.
1 r.llAPELI.K 1 — VIH —
rarcatui'c, des inédailliuis t'inichis d'incruslations de verre avec dorures
d'une finesse rare, de gaufrures et de petites tij^^ures d'apôtres en bas-
relief sculptées dans un stuc autrefois peint. Ledallaj^e de cette cliaix'llt'
est entit'reinent composé de pierres tonil)ales. Au })reinier étaj^^e (ti^. '2).
un p(»rclie précède le vaisseau, comme au rez-de-chaussée. Avant 179.'{, au
trumeau de la porte était adossée une statue du (Christ bénissant et teiiani
l'Évanjjfile. Au-dessus, dans le linteau, était sculpté un Jugement dernier,
le Pèsement des âmes, et, dans le tympan, le Fils de lllomnie luontrant
ses plaies, ayant la sainte Vierge à sa droite, saint Jean à sa gauche, tous
deux agenouillés comme à la porte centrale de la cathédrale de Paris.
Toutes ces sculptures ont été complètement détruiles. Le porche servait
de conmiunication, du côté du nord, avec les galeries du palais royal, et
formait connue un vaste balcon couvert, de plain-pied avec Téglise.
Lorsqu'on entre dans la Sainte-Chapelle haute, ce qui frappe surtout, c'est
l'extrême légèreté apparente de la construction. Au-dessus d'une arcature
très-riche, s'ouvreni de grandes fenêtres qui occupent tout l'espace com-
pris entre les contre-forls sous les formerets des voûtes; de sorte que la
construction ne [)arait consister ((u'en légers faisceaux de coloimes |)orlant
ces voûtes. Les vitraux qui garnissent les fenêtres, à cause de leur puis-
sante coloration, ne laissent pas voir les contre-forts extérieurs qui consti-
tuent à eux seuls la solidité de l'édifice. L'arcature régnant souslesappuis
des grandes fenêtres repose sur un banc contiim, et présente, dans des
quatre-feuilles, des scènes de martyres (voy. arcatlre, iig. S). Les statues
des douze apôtres, portées sur des culs-de-lampe, sont adossées aux
piliers. A l'abside, un édicule avec clôture fut élevé derrière Tautel après
la mort de saint Louis, pour porter la gi-ande châsse contenant les saintes
reliques (voy. autel, fig. 11 et l^). L'intérieur de la Sainte-Chapelle était
entièrement couvert de riches peintures et de dorures avec incrustations
de verres colorés et dores. Mais les vitraux forment certainement la pai'tie
la plus brillanle de cette décoration; ils sont, comme couleur et composi-
tion, d'une grande beauté, quoi([ue, dans l'exécution, on s'aperçoive de
la précipitation avec laquelle ils durent être fabriqués.
Nous présentons (3) la coupe transversale de la Sainte-t'hapelle du
Palais, qui fera comprendre mieux qu'aucune inscription laconstruclion
simple et hardie en même temps de ce charmant édifice.
Le plan 2 indique en A l'annexe, le trésor des chartes, avec le passage
B comnmniquant à la chapelle. Cet annexe était divisé en trois étages :
celui du rez-de-chaussée servait de sacristie à la chapelle basse; celui
du premier, de trésor et de sacristie à la chapelN^ haute; et le dernier
étage, auquel on arrivait par un escalier à vis, de dépôt des chartes. L'ne
autre porte de service, percée dans larcalure en C, mettait la galerie du
nord longeant les premières travées en comnmnication avec la chapelle
haute. Sous les deux fenêtres DD, deux renfoncements dim mètrr
environ de profondeur sur la largeur de la travée étaient les places d'hon-
neur réservées au roi et à la reine. Mais Louis XI. qui probablenitMil
i.>2*» — [ CliAl'ELLK
liiiuxa (OS [)lacos liop tMievideiuu?, fit bâtir eii K mi niduit entre les con-
■7
O
tro-forts, dans lequel il se retirait pour entendre les oftices; une petite
ouverture biaise et f;rillée lui permettait de voir l'autel sans être vu.
Sous Charles VU, des travaux importants viment modifier certaines
parties de la Sainte-Chapelle. Ce prince fît refaire la rose en pierre et ses
vitraux, les couronnements des deux escaliers et les crochets du jj^rand
pij,Mion. Déjà, au xiv*; siècle, on avait changé la décoration des pignons ou
gables des fenêtres; des crochets dans le goût de cette époque et des
statues danges étaient venus remplacer les lleurons et les crtîchets du
xiii" siècle. Charles VII tit également exécuter la tlèche en charpente
recouverte de plomb «pii surmontait le cond)le. ainsi que les crêtes et
décorations de la toiture. Nous ne savons pas si la Sainte-Chapelle de
saint Louis possédait une tlèche; aucune vignette antérieure au xv' siècle
CHAPELLE
— 430
■4
ne la i-eprésent(^, aucui) texte iieii |)arle'. Le l'ait parait douleux : car,
eonfiairement aux hal)itudes des arehitectesdu xiif*" siècle, rien, dans la
eonstruction en maçonnerie, n'indique que cette flèche ait du être élevée.
Peut-être quelque tour du palais, dans le voisinage de la Sainte-Chapelle,
tenait-elle lieu d(> clocher. Louis XU, étant ^^outleux et ne pouvant mon-
ter à la Sainte-(]hai)elle par les escalieis du palais qu'il n'habitait pas, lit
faire le long du liane sud un vaste degré couvert par des voûtes et un
comble. Ce degré était assez doux pour que des porteurs pussent monter
sa litière jusque sous le porche. Les voûtes de cet escalier furent déiruiles
pai' l'incendie de KÎ.'JO -, et remplacées par un appentis en char|)enle.
A l'imitation du roi de France, les grands vassaux de la couronne se
firent bâtir, dans leur résidence habituelle, une sainte chapelle, et le roi
lui-même en éleva quelques autres. Celle du château de Saint-Germain
<'n-Layeest même antérieure de quel-
ques années à celle du Palais; son
achèvement ne saurait être postérieur
à I^IU). Co très-curieux inonumeiil.
fort peu connu, engagé aujourd'hui
au milieu des constructions de Fran-
çois 1«^>' et de Louis \IV,est assez com-
|)let cependant pour que l'cui puisse
serendie un compteexact. non-seule-
ment de ses dimensions, mais aussi
de sa coupe, de ses élévations latéra-
les et des détails de sa construction et
décoration La sainte chapelle de
Saint-Cierniain-en-Layea cela de par-
ticulier qu'elle n'appartient pas au
style ogival du domaine royal, mais
{ju'elleest un dérivé des écoles cham-
penoise et bourguignonne.
Nous en donnons (i) le plan '. (]on-
forménuMil aux consiruclions cham-
penoises et bourguignonnes, les voû-
tes portent sur des pih's saillantes à
l'intérieur, laissant au-dessus du soubassement une circulation. La coupe
' La flèclie de Ciiarles Vil a été rétal)lit' sous la direction de l'eu l^assus (voy. flèche);
elle avait été lirûlée en 1630 et remplacée par une flèche dans le goiit de ce temps,
qui fut détruite î"» la fin du dernier siècle.
'■' INous avons eiicoro vu quohjuos restes de col escalier que les dernières restaura-
lions ont l'ait disparaître. (Voy. les i^ravures d'Israël SylvesUe, le tableau déposé an
musée de Versailles représentant la visite de Louis XV enfant au palais.)
^ A Téchelle de 0,0025 pour mètre. Nous devons ces dessins à M. Millet, architecte
du château de Sainl-tiorniain-en-Lave.
i.n —
[ (.IIAI'KI.I.K
li'iinsvei.salo io). faito sur le milieu d'iiix^ travée, eN|)ii((ue la disposition
[ r.HAI'KI.M' J — W-2 —
principale de cet édifice. Les formeiets A des voûtes, au lieu de servir
d'arcliivoUes aux fenêtres, sont isoh's, laissent entre eux et les baies un
espace lî couvert j)ar le chéneau. Les fenêtres sont alors prises sous la
(•(trniche et niellent à jour tout l'espace compris entre les contre-forts. Si
nous examinons la coupe lonj^itudinale (6), faite sur une travée, et (0 bis),
faite sur lapile intérieure enB C (voy. fig. 5), nous pourrons nous rendre
un compte exact du système de construction adopté. Les fenêtres, n'étant
plus circonsciites par les formerels, sont carrées; les tympans, ('tant
ajourés et faisant j)artie des meneaux, ne laissent comme pleins visibles
que les contre-forts. A l'extérieur, cbaque travée est conforme à la ^IJ,^
C» ter: le iiKtmiiiient tout entier ne consiste donc (ju'en un soubassement,
des contre-forts et une claire-voie fort belle et combinée d'une manière
solide; car les contre-forts (très-minces) sont étrésillonnés par ces puis-
sants meneaux portant l'extrémité de la corniclie sui)érieure et le clié-
neau. Ces meneaux ne sont réellement que de grands cbàssis vitrés posés
entre des piles et les maintenant dans leurs plans.
Le système de la construction ogivale admis, nous devons avouer que
le parti de construction adopté à la sainte chapelle de Saint-Germain nous
semble supérieur à celui de la Sainte-Chapelle de Paris, en ce qu'il est
plus franc et plus en rapport avec l'échelle du monument. La richesse de
rarchitccline (le la Sainte-Chapelle de Paris, le luxe de la sculpture ne
sauraieiU faire disparaître des défauts graves évités à Saint-Germain.
Ainsi, à Paris, les contre-forts, entièrement reportésk l'extérieur, gênent
la vue par leur saillie; ils sont trop rapprochés; la partie supérieuie des
fenêtres est (jiiebpie p(Hi lourde et encombrée de détails; les gables qui
les sunnoiUent sont une superfétation inutile, un de ces moyens de
décoration qui ne sont pas motivés par le besoin. Si TeHet produit parles
verrières entre des piles minces et peu saillantes à l'intérieur est surpre-
nant, il ne laisse pas d'inquiéter l'ceil par une excessive légèreté apparente.
A Saint-Germain, (in comprend comment les voûtes sont maintemies par
ces piles qui se prononcent à rintérieur. Les men(^aux ne sont (pi un
accM'ssoire, qu'un châssis vitré indei)endant de la grosse constiuclion. Ce
petit passage chanqx'nois ménagé au-dessus de l'arcature inférieure, en
reculant les fenêtres, donne de l'air et de l'espace au vaisseau; il rouq)t
les lignes verticales dont, à la Sainte-t^hapelle de l^aris, on a peut-être
abusé. Les fenêtres elles-mêmes, au lieu d'être relativement étroites connue
à Paris, sont largf^s; leurs meneaux sont tracés de main de maître, et
rappellent les beaux conq)artiments des meilleures fenêtres de la ( allie-
drale de Reims. Les fenêtres delà Sainte-Chapelle de Paris ont un défaut,
qui paraîtrait bien davantage si elles n'éblouissaieiU pas par l'éclat des
vitraux : c'est quelescolonnettesdes meneaux sont dénu^surément longues
et que les entrelacs supérieurs ne conunenceni (pi'a partir de la naissance
des ogives (voy. fkxètki;). Cela donne ii ces fenêtres une appanMice giêle
et pauvre ([ue l'architecte a voulu dissinuiler à l'extérieur, oii les vitraux
ne produiseiU aucmKMllusion, par ces detads darchivolles et ces gables
[ (.M.\ri;i.i i:
iluiii nous parlions tcml à riicurc A la cliapcllc de Saiiit-(i(M'niain. aucun
T. n. rir>
( CIIAI-KIIK I 'i.{4
détail suporflu ; c est la construction seule (jui tait toute la décoration ; et
sans vouloir faire tort à Pierre de Montereau, on peut dire (jue si l'archi-
tecte (dianipenois prohahleinent) de la cliapelle de Saint-Onnain eut en
à sa disposition les In'soi-s employés à la construction de celle de Paris il
eût l'ait un monument supérieur, connue composition, i\ celui que nous
admirons dans la Cité. Il a su (chose rare) conformer son architecture à
l'échelle de son monument, et, disposant de ressources modiques, lui
donner toute l'ampleur d'un ^M-and éditice. A la Sainte-Chapelle de Paris,
on trouve des tàtomuMuents, des recherches (jui occupent l'esprit plutôt
(juelles ne charment. A Saint-(iermain, tout est clair, se comprend au
premier coup iWvW. J>e maître de cette (eu\re était sûr de son art; c'était
en même temps un honnue de j.jont «i un savant de premier ordre '.
L'intérieur de ce monument était peint et les fenêtres garnies prohahle-
ment de vitiaux. Inutile de dire que leur effet devait être prodigieux à
cause des larges surfaces qu'ils occupaient. Hien n'indique qu'une tlèche
surmontât cette chapelle. On ne voit point non plus (juc des places spé-
ciales aient été réservées dans la nef, connue à la Sainte-Chapelle du
Palais, pour des personnages considéi'ahles. 11 faut dire qiw la chapelle
de Saint-(iermain-en-La\e n'était (jue le vaste oratoire d'un château de
médiocre importance. Tous les détails de ce charmant édihce sont traités
avec grand soin; la sculj^ture en est helle et entièicment dut^ à l'école
chanqjeijoise, ainsi que les protils.
De riches ahbayes voulurent aussi rivaliseï' avec le souverain en élevant
de grands oratoires indépendants de leur église. Nous avons dit que les
abbés de Saint-Cermain-des-Prés chargèrent l'architecte Pierre de Monte-
reau de leur bâtir la chapelle de la sainte Vierge jirès de leur réfectoire
(voy. Architeclure nu)nasli(iue,i\{i. ir>). Les abbés étaient seigneurs féo-
daux, et, comme tels, voulaient imiter ce que faisait le suzerain dans
I La cliapelle du cliàlcaii (Je Saint-tierniain-eii-l.aye est aiijiiiinl'iiui tort déiiaUirée;
les coiUre-l'orls ont été rcvèlus, au xvii' siècle, de placages daus ieguùt du leiups; le
s(il iiitéiieur a été relevé de plus d'un mèlre. i/arcalure a été détruite, ainsi que la
balusU'ade extérieure. Cepenriant nos dessins (saul' la décoration des contre-toits, sur
laquelle nous n'avons aïK une donnée) ])iésciitciit ri!;(puieiis<'nicnl renseinhie et les
détails (le ceUe belle conslruclion. Des touilles l'ailes avec intelligence par l'arcliitecle
M. Millet ont mis à nu les bases intérieures. Des fragments de l'arcature et de la
balustrade ont été retrouvés ; les piles ont été dégagées. Quant aux autres parties de
l'édifice, elles sont conservées, et la coiislniction n'a subi aucune altération. On ne
saurait trop étudier cette clia|H'lle , (pii nous parait être un des exemples les |)lus
caractérisés de cet art du xm' siècle, au monient de sa splendeui . Si Ton avait (piel-
ques doutes sur la date, il suflirait de comparer ses profils et sa sculpture avec les
profils et la scul|)lure des inonninenls clKinipenois du mii"" siècle, pour être assuré que
la cliapelle du cliàleau de Saint (iermain est contemporaine des cliapelles absidales
delà cathédrale de Reims, des parties inférieures du chœur de la cathédrale de Troyes,
de la chapelle de l'archevêché de Heinis. constructi(Uis qui sont antérieures à l'24().
La corniche supérieure et la lialuslrade, dniil on a retrouvé des fragments, peuvent
même renioiiler a I -l.W.
— i;{.*. —
CHAI'EI.I.K
Sf^s (lomaiiies; heaucoup (Talyhayc's \inMil donc, vers le milieu du
xiiie siècle, éhner, dans leur enceinte, de jurandes chapelles isolées, dont
la construction n'était pas toujours justitiée par un besoin tu-j^ent. Le
prieure de Saint-Martin-des-Clianipsà Paris hàlit aussi, \erscelte é|)o(|ue,
deux grandes chapelles, lune dédiée à \otre-hanie, l'autre à saint Michel.
Voici (7) le plan de la chapelle de la Vierj>e de l'ahhaye Saint-(;erniain-
des-Pres ', qui se distiiifîue surtout de celui de la Sainte-Chapelle du
Palais par la disposition de ses \oùtes, dont les arcs ogives, s'il faut en
croire un dessin de xM. Alexandre Lenoir relevé avant la destruction de ce
beau monument, comprenaient deux travées, et dont l'abside était plantée
d'une façon peu conforme aux habitudes des constructeurs du milieu du
xni* siècle. Mais Pierre de Montereau avait certainement, dans la con-
struction de la chapelle de la Vierge, été forcé de se renfermer dans une
dépense assez peu élevée, relativement à la dimension donnée à l'édifice.
Ce geme de voûtes est moins dispendieux (|ue celui adopté pour la Sainte-
Chapelle du Palais, et les fragments des couronnements qui existent
encore accusent une exécution ptii dispendieuse. I/abbaye Saint-Cer-
' A IVcliplle de 0,002') pour iiidre.
[ r.iiAi'in.i.i: I — i.'{<» —
inaiii-(les-l*rés n'avait pas, telle riche qu'elle fût , les ressouiees du roi
de France. A ce point de vue, la comparaison de ces deux édifices, élevés
j»res(|ue en même temps par le même arcliilecte, est intéressante.
Mais saint Louis ne tut pas le seul roi de France (pii éleva des saintes
< hapclles. Lt' vaste château de Vinceimes , connnencé par le roi Jean,
était achevé, au point de vue militaire, sous (>harles V. Son fils com-
mença, sur de fïrandes proportions, la construction d'une sainte cha|M'lle,
au milieu d(» son enceinte. Charles VI éleva \o hâtimenl vei-s l'abside
ius(|u'au\ corniches supérieures, dans la nef .ius(|u"an\ naissances des
archivoltes des fenètn's, et sur la façade jus(|u'au-dessous de la rose. Les
malheurs de la fin de ce rèj^ne ne permirent pas de contimier l'édifice, qui
resta en souffrance pendant un siècle. François Lr reprit les constructions
vers 1525, elles ne furent achevées que sous Henri IL Les deux sacraires
et le trésor à deux étajïes annexés à la chapelle étaient terniinés à la fin
du XIV siècle ou au commiMicemenl du w". Deux époques bien distinctes
ont donc concouru à ledilication de la sainte chapelle de Vincennes, et
cependant, au premier abord, ce monument présente une jurande unité.
Les architectes de la renaissance charj^^és de l'achever ont, aulant (ju'il
était possible à cette épo(|ue, cherché à conserver l'ordonnance de l'en-
semble, le caractère des détails. Il faut examiner la sculpture, reconnaître
les déiiradalions causées par les pluies et la i;elée aux parties supérieures
des conslruclions laissées inachevées pendant un siècle, jjour trouver les
points de soudure des deux époques.
La ti^. 8 flonne le plan de la sainte chapelle de Vincennes ', avec ses
annexes. Ce sont d'abord deux oratoires à double étaf.re ayant vue sur le
sanctuaire par deux petites ouvertures biaises. A la suite, à droite, un
escaliei" conduisant à l'étaiic supérieur de Toraloire, aux terrasses el aux
combles. A ^^auche, lasacrislie avec son tiésor, éi^alement a deux elaiiis.
le trésor ayant, comme à la Sainte-Chapelle du Palais, la forme, en plan
et en élévation, d'une pelite cha[)elle. Un escalier particulier conduil au
premier étage du trésor et au comble.
Il est vraisemblable (pie l'oratoire construit par Louis XI entre deux des
contre-forts de la Sainte-Chapelle de Paris, pendant la seconde moitié du
XV siècle, est une imitation de ceux de la sainte chapelle de Vincennes,
cette disposition ayant paru plus commode que celle adoptée par saint
Louis, et ne consistant qu'en doux renfoncements dans l'épaisseur de la
muraille (voy. fif^. :2 , en D). Le roi, la reine se trouvaient ainsi séparés
des assistants, et voyaient le prêtre à l"aut(>l sans être vus.
A Vincennes, une tribune larj^e est portée jiar une voûte au-dessus de
l'entrée; elle occuj)e toute la première travée. A Paris, cette tribune n'est
(|u'une simple j^alerie d'un mètre de larfj;eur tout au plus. Les statues des
apôtres et de quatre aiifics. derrière l'autel, étaient, à Vincennes, c(»iiinic
à Paris, adossées aux piliers, a la hauteur de raj)|)uides fenêtres, suppoi-
' A fi'i'licilc (le 0,0()2o ponr nièlro.
— i'M — 1 (.IIAI'KI.LK I
Icrs |>;ii (Ic^ ciils-dc-liiiuiM' cl sniiiioiiltM'^ dr dais '. I,i'> iiiiir> dapiuii
X
sous les meneaux nelaient point décorés d'arcatures à Viiiceiuies, mais
piohaltlement j;aniis autrefois de bancs en l)ois avec des tapisseries. Les
fenêtres de l'abside ont seules conservé leurs vitraux, qui ont été peints,
au xvi<* siècle, par Jean Cousin, et représentent le Jugement dernier. Parmi
les vitraux de la renaissance, ceux-ci peuvent prendre le piemier rang ;
ils sont bien roni|)Osés et d'une belle exécution. Le condde de la sainte
cliapelle de N incennes, construit en bois derhène, t>sl coiid)iné avec une
grande peifeclion; il ne fut jamais surmonlé que dune llèche fort petite
et simple, qui n'existe plus.
' Cos (igurcs ont t'Mé hi'isi'-t^s ; \ouv trace est seul»^ visilili
el les amorces des da's.
ainsi (
|iif 1
es eiih-(
le-lani|ie
C.IIAPEU.K 1 i'{^<
Voici (ÎM la coupe transversale do la sainte (liapellc de Vinceniies; si
elle couvre une su{)erricie plus fiiande (|ue celle de Paiis. elle est loin de
présenter en coupe une proi)ortion aussi heureuse. Sous clef, la Sainte-
Chapelle du Palais a un peu plus de deux fois sa larjieur, tandis que celle
de Vincennes n'a, du sonniiet de la voûte au pavé, que les neuf cinquièmes
de sa largeur. A ce sujet, qu'il nous soit permis de faire remarquer
combien on se laisse entraîner à pi-opa^jer les erreurs les plus faciles à
constat<'r cependant, lorsqu'on ])arledes éditices de l'époque ogivale. On
veut toujours (jue ces éditices affectent des proportions élancées, et qu'ils
aient des hauteurs exagérées relativement à leur base ; d'une part, on loue
les architectes de ces temps d'avoir ainsi accunmlé des matériaux sur une
base étroite; d'autre part, on les blâme. Or ces momnnents ne méritent
ni cette louange ni ce blâme; les rapports de leur hauteur avec leur largtMU
VM —
(.IIAl'El.LE
sont ceux (|u»\ de tout leinps, on a donnés aux édiHces voûtés : une fois
et demie, deux lois la largeur. S'ils adoptent des proportions plus sveltes,
c'est pour pi-endre des jours au-dessus des collatéraux , lorsqu'ils en
possèdent, (le dont il faut louer ou blâmer les architectes du moyen âge,
suivant les goûts de chacun, c'est d'avoir eu le mérite ou le tort de faire
paraître les intérieurs de leurs édifices beaucoup plus élevés (luils ne le
sont réellement.
CHAPELLES DE cHATEALx , D'ÉvÊCHÉs. Chaquc seigncur féodal voulait
posséder, dans l'enceinte de son château, une chapelle, desservie par un
chapelain ou n)ème par un chapitre tout entier. Ces chapelles ne furent
donc pas seulement de simples oratoires englobés dans l'ensemble des
constructions , mais de petits monuments presque toujours isolés , ayant
leurs dépendances particulières, ou se reliant aux bâtiments d'habitation
par une galerie, un porche, un passage. Très-fréquenunent, ces chapelles
sont à double étage, afin de placer l'oratoire du maître au niveau des
appartements qui se trouvaient toujours au-dessus du rez-de-chaussée, de
séparer le seigneur et sa famille des domestiques et gens à gages qui
habitaient l'enceinte du château, et aussi par suite de cette tradition dont
nous avons parlé au conmiencement de cet article. 11 va sans dire que les
évèques, dans l'enceinte du palais épiscopal, avaient leur chapelle. L'évèque
Maurice de Sully en avait élevé une à Paris, à deux étages, du côté de la
rivière, et qui existait encore avant le sac de î'archevéché en 1831.
L'archevêché de Reims possède la sienne, qui est fort belle, à deux
étages, et dont la construction remonte à 1-230 environ. Son rez-de-
chaussée, dont nous donnons le plan (10), est construit avec une grande
siiiiplicite. Ialllli^ (|uc If prriiiitT étage est richeniciil décore à rinlerieur
par de Hne> >< id|»lurt'>. La lig. I 1 |»r»'senle le plan de ce |)reiniei' étage.
1 CHAPKMK 1 \M)
Suivant le inodcdr coiistinctiuii adopté «mi Oliainpafiiic. It> pilo luiiiiciil
saillie à riutéiiour, de fa(,'(>M à diminuer à i'extérieui- la saillie des contre-
forts; ces piles, isolées de la nuiiaillt' ius(|u'à (piatre mètres du sol.
ddunent un étroit has-eôté autour de la chapelle et produisent un cliarmani
etlet. Les mius sont décorés par une arcatuie posée sur un banc continu,
et les fenêtres ouvertes au-dessus de celte arcature sont sans meneaux.
Voici (12) la coupe de ce petit éditice , d'une bonne exécution . et rpii.
1
1 Jr££i
malgré les plus regrettables mutilations, passe avec raison pour un clief-
do'uvre; on y trouve, en effet, toutes les (jualités à la fois gracieuses et
solides de la bonne architecture champenoise, et, à côté de Notre-Dame
de Heims, la chapelle de larchevéché parait encore une des meilleures
<'onceptions du xiii*" siècle.
Pendant lépoque romane, les chapelles de châteaux ou d evèchéssont
généralement d'une grande simplicité , compienant une nef couite avec
une abside; (|uelquefois de petits bras de croix forn)ant deux réduits pour
le châtelain et sa famille, des bas-côtés étroits accompagnent la nef, et
deux absidioles llan(|uent l'abside centrale. Telle était la chapelle du
chàleau de Monlargis (voy. <:HATEAr).
Cicrlains châteaux d'une grande im|)ortance possédaient deux chapelles,
lune située dans la basse-cour pour les gens de service et la garnison,
l'autre au milieu des bâtiments d'habilalion intérieurs pour le seigneur
du lieu, (".cite dispositinii existait à ('oucy. ainsi (pie le fait voir le plan de
— iil — I (HAI'KLI.K 1
Duceiceau '. La cliapcllc de la hasse-cour parait èliv de l'époqu»' romaiit' ;
celle du chàleau, dont le rez-de-chaussée est encore visible, datait du coin-
niencenienl du xiii"" siècle; elle conniiuiiiquail diredenieul , au preniiei-
étajic, avec la j^^rande salle, (yélait un adniiiahlc édiiic(\ à eu ju^ci' par les
nond)reu\ traj^uienls (jui jonchent le sol autour des piles ruinées du rez-
de-chaussée, quoi(jue d'une simplicité de plan peu ordinair«> (v.chatkau).
A dater du milieu du xiii«* siècle, la construction de la Sainte-Chapelle
du Palais eut une iniluence sur les chapelles seigneuriales, et son plan
servit de type. A lexeniple du saint roi, les fondateurs de chapelles
seigneuriales les décoraient de la façon la plus somi>tueuse, et augmen-
taient leurs trésors de vases et d'ornements précieux. L'hùlel Saint-i*ol, à
Paris, qui devint une des résidences les plus habituelles des rois pendant
les xiv« et xv«* siècles, possédait une chapelle « dans laquelle Chailes V
« avoit fait placer des figures de pierre représentant les apôtres, dit
(( Sauvai; Charles VI les fit peindre richement par François d'Orliens, le
« plus célèbre peintre de ce temps-là. Leurs robes et leurs manteaux
« étoient rehaussés d'or, d'azur et de vermillon glacé de fin sinople; leurs
M tètes, accompagnées d'un diadème (niml)e) rond de bois, que l'on avoil
« oublié, qui portoit un pied de circonférence, brilloient encore d'or, de
« vert, de rouge et de blanc, le plus fin qui se trouvât Au Louvre,
c( Charles V entoura encore la principale chaj)elle de treize grands pro-
ie phètes, qui tenoient chacun un rouleau dans un petit clocher de
« menuiserie terminé d'une tourelle, où il fit mettre une petite cloche :
w les vitres furent peintes d'images de saints et de saintes couronnées
« d'un dais, et assises dans un tabernacle. »
Les oratoires tenant aux chapelles royales, comme ceux encore existant
à Vincennes, conlenaient eux-mêmes des reliques, et étaient nmnis d'une
cheminée, de tapis et de prie-Dieu.
La chapelle de l'hùlel de Bourbon était une des plus riches parmi celles
des résidences princières à Paris. « Louis 11 (duc de Bourbon), dit encore
« Sauvai, comme prince dévot et libéral, prit un soin tout particulier du
« bâtiment de la chapelle, aussi bien que de ses ornements : sa voûte
« rehaussée d'or, les enrichissements dont elle est couverte, ses croisées
c< qui l'environnent coupées si délicatement, ses vitres chargées de cou-
(( leurs si vives, dont elle est éclairée; enfin les fleurs de lis de pieri-e qui
M terminent chacune de ses croisées, et si bien pensées pour la chapelle
« d'un prince du sang, témoignent assés qu'il ne jjlaignoit pas la déj)ense. . .
« 11 fit faire à côté gauche de l'autel un oratoire de menuiserie à claire-
(( \o\e où il arbora quatie grands écussons : dans le premier étoienl
(( gravées les armes de (^luiiies VI à cause (jue celle chapt'lle fui achevée
a sous son règne; celles de Charles, dauphin, renq)lissoient le second;
(( dans le troisième étoient les siennes; el dans le (irniier celles d'Anne,
' Dis plus cxccllcnii hastnioiii: de Fi(tncf.
T. 11. M»
I CHAPELLE 1 — 44:2 —
« daui)hine (l'Auvergne, sa lenime. C'est dans cet oratoire que le roi se
« retire ordinairement pour entendre la messe. »
Ce n'était jias seulement à Paris qu'on déployait ce luxe de peinture et
de sculpture dans les chapelles particulières. Le château de Marcouci, dit
l'abbé Lebeuf, « possédoit deux chapelles l'une sur l'autre, peintes toutes
« deux; celle du rez-de-chaussée étoit dédiée à la sainte Trinité, l'autre
« étoit au niveau du premier étage A la voûte sont peints les apiMres,
« chacun avec un article du symbole, et des anges qui tiennent chacun
« une antienne de la Trinité notée en plain-chant. Sur les nuus sont les
« armes de Jean de Montaigu et celles de .lac(jueline de la (Irange, sa
« femme; il y a aussi des aigles éployées et des feuilles de courge »
On peut encore voir aujourd'hui la charmante chapelle de l'hùtel de
Jacques Cœur, à Bourges, dont les voûtes sont peintes d'azur avec des
anges vêtus de blanc portant des phylactères, connue ceux du château de
Marcouci. Mais nous ne multiplierons pas les citations; il sutlit de celles-ci
pour donner une idée de la recherche que l'on apportait dans la décoration
des chapelles privées pendant le moyen âge.
Vers la tin du xv« siècle et le connnencement du xvie seulement , on
s'écarta parfois du plan type de la Sainte-Chapelle de Paris, pour adopttn'
les plans à croix greccjue ', les rotondes avec croisillons*, les salles
carrées ' avec tribune pour le seigneur du lieu.
CHAPELLES ISOLÉES, DES MORTS, VOTIVES. Bcaucoup dc uos graudcs églises
conventuelles ne furent d'abord que des oratoires , successivement
agrandis par la nmnificence des rois ou de puissants seigneurs. Le sol des
Gaules, pendant les premiers temps mérovingiens, était couvei't d'oratoires,
bâtis souvent à la hâte, pour perpétuer le souvenir d'un mii-acle et la
présence d'un saint. Ces édicules furent le centre autour duiiuel vinrent
se fonder les premiers établissements monastiques. Plus tard, des
évéques, des abbés ou des seigneurs fondèrent des chapelles autour des
abbayes, dans le voisinage des églises, soit i)our renqilir un vo'u, soit
pour y trouver un lieu de sépulture pour eux et leurs successem-s. Saint
Germain ht bâtir, j)rès le jjortailde l'église Saint-Vincent (Sainl-Cermain-
des-Prés) , une chapelle en llionneur de saint Symphorien, et voulut y
être enterré \ En 734 , sous le règne de Pépin , les restes de ce saint
évêque furent transférés de cette chapelle dans la grande église.
Le cardinal Pierre Bertrand fonda plusieurs chapelles, et, entre autres,
une, vers 1300, au couvent des Cordeliers, à Annonay, où fut enterrée sa
mère '\ Philippe de Maisièi-es, conseiller du roi Charles V, se' retira aux
Célestins en 1380, sans toutefois prendre l'halùt; il y mourut en 1405,
' Voy. la chapelle du cliâleau d'Aiiiboise.
2 Anet.
' Kcouen.
^ Diibreul, Anliq. de Paris, liv. 11. — ^ lUid.
— ii.} — [ CHAPELLE 1
dans « la même infirmerie qu'il avoit fait bastir à ses propres cousts et
« (léspeiis, avec une belle chapelle et un petit cloître pour rt'ciéer les
« malades '. » Les maisons d'asile, les maladreries, les collèges et hôtels-
Dieu possédaient des chapelles plus ou moins vastes , mais toutes fort
riches des dons des tidèles et, par conséquent, décorées avec luxe et
remplies d'ornements précieux. Des oratoires plus modestes, et qui
n'étaient souvent qu'une petite salle couverte d'un comble en charpente
ou d'une voûte en moellons surmontée d'un campanile ou seulement d'un
pijinon percé d'une baie pour recevoir une cloche, s'élevaient près d'un
ermitaire ou dans les passaires ditiiciles des montajxnes. sur quelque
soumiet escarpé. Ces monuments isolés, consacrés par quelque tradition
religieuse > ou élevés par suite d'un vœu, étaient et sont encore, dans
certaines provinces de France, en grande vénération ; on s'y rendait,
processionnellement, un jour de l'année, pour y entendre la messe;
l'assistance se tenait dans la campagne, autour du monument, et la porte
ouverte laissait voii- le prêtre à l'autel. Ces chapelles sont souvent bâties
sur des plans assez étranges, imposés soit par les dispositions du terrain,
comme la chapelle de Saint-Michel du Puy-en-Vélay, par exemple, soit
par un souvenir, une tradition, la présence d'un tombeau, les traces de
quelque miracle, peut-être même les restes d'un édicule antique. Il serait
donc ditiicile de classer ces monuments qui, la plupart d'ailleurs, n'ont
aucun caractère architectonique.
Nous devons cependant faire connaître à nos lecteurs quelques-unes de
ces étrangetés monumentales, et nous choisirons, parmi elles, les exem-
ples présentant des formes qui permettent de leur donner une date à peu
près certaine, ou qui sortent des données ordinaires.
La chapelle de Planés, dans le Roussillon , située à six kilomètres de
Mont-Louis, peut passer pour un de ces caprices de construction que l'on
rencontre en recueillant ces monuments élevés au milieu des déserts. Elle
se compose d'une coupole posée sur une base triangulaire et sur trois
grandes niches ou culs-de-four. Construite grossièrement en moellon, il
serait assez difficile de lui assigner une date précise. Cependant le système
de la bâtisse et la forme du plan ne nous permettent pas de la regarder
comme antérieure au mm*" siècle.
13
Voici le plan (13) de cet édicule. La porte est percée çn A près de l'un
' Ibidem, \i\. III.
Ui —
I CIIAPEI.I.K I
«les iiiijih's (lu liiiiiiiilc t'(|iiiliil('riil. I,;i liii. I i prcsenft! s;i viu* cxU'i'ipiii»',
et la fif>. ih sa coupe sur la li^Mie BC. A moins de supposer que la chapelle
<1
10'
de Planés ait été élevée en l'Iionneur de la sainte Trinité, nous ne saurions
— iin
CHAPELLE ]
cxpruiiit'i' la disposition Iriloln'o du plan. (J""' M^' '' ''" ^'*'' « 'ï<*i'^ "^^
donnons cet («xcnipic (|ii»' connue uncde ces oxcoptioiis dont nous avons
parié.
Il oxistf , dans l'oncointf dp l'abbaye de Montniajour près Arlos , une
('hai)elle élevée sous \c titre de la Saint«'-(li(»i\ , et ((ui mérite toute
l'attention des architectes et archéologues, ('/est un édifice composé de
quatre culs-de-lour é-^aux en diamètre, doiil les arcs poilent une coupole
a hase cairée ; un porche précède l'une des niches (|ui sert d'entrée. En
voici (It)) le plan. L'intérieur n'est éclairé que par trois petites fenêtres
I I
percées dun seul côte. La porte A donne entrée dan> un petit cimetière
clos de murs. La chapelle de Sainte-Croix de Montniajour est bien bâtie
en pierres de taille, et son ornementation, très-sobre, exécutée avec une
extrême délicatesse, rappelle la sculpture des éf^lises j^recques des envi-
rons d'Athènes. Sur le sommet delà coupole s'élève un rami)anile. I>a
[ C.HAPKLLE ] — ii(i —
liu. I" prcsoiiff l'élévation extérieure de cette chapelle, et la fif;. 18 sa
^^^^^sfJ^W^^ IL
coupe sur la lii,Mie RC. L'intérieur est coiiiplétouient dépourvu de sculp-
tui-e, et devait probahlenuMit être décoré par des peintures. Nous voyons,
dans cet édifice, une de ces chapelles de morts que l'on élevait, pendant
le moyen âge, au milieu ou proche des cimetières, non point une église
pouvant être utilisée pour le service journalier d'une connnunauté. même
provisoirement, ainsi (|ue le suppose M. Vilet '. Sa forme ni ses dimensions
n'eussent pu permettre de réunir, dans son enceint(>, les moines d'une
abbaye comme celle de Montmajour, et de disposer les religieux d'une
façon convenabh' près de l'autel. Pourquoi, d'ailleurs, adopter un plan en
forme de croix grecque pour une église destinée aux religieux d'une abbaye
qui doivent être placés dans un chœur suivant un oi'dre hiérarchique et
sur deux lignes parallèles? Pourquoi cette» absence jH-es(]ue totale de
fenêtres? Pourquoi cette porte latérale donnant sur un petit terrain clos
> VArchil. byznnt. en France; réponse à M. Félix de Veriieilli, par M. L. Vitel.
{Journal des Savants, janv. , fév. et mai 1 853.)
— ii" — [ CHAPELLE 1
de murs et conipléteiiient reuipli de tombes creusées daus le roc, si l'ou
IS
.43
ii^'^iW'niV • Il ''' YTTTTr
lOia. ,<>5rô*a7JK
ne veut voir dans l'église Sainte-Croix de Montmajour la chapelle funé-
raire de l'abbaye? Si , au contraire, nous admettons cette hypothèse, sa
forme, ses dispositions et sa dimension sont parfaitement expliquées. Les
moines apportent le mort, processionnellement ; on le dépose sous le
porche; les frèi'es restent en dehors. La messe dite, on bénit le corps et
on le transporte à travers la chapelle, en le faisant passer par la porte
latérale A pour le déposer dans la fosse. On traverse la chapelle pour
entrer dans le cimetière, qui cependant avait une porte extérieure. Les
seules fenêtres qui éclairent cette chapelle s'ouvrent toutes trois sur
l'enclos servant de champ de repos. La nuit, une lampe brûlait au centre
du monument, et, conformément à l'usage admis dans les premiers siècles
du moyen âge, ces trois fenêtres projetaient la lueur de la lampe dans le
charnier. Pendant l'oiiice des morts, un frère sonnait la cloche suspendue
dans le clocher au moyen d'une corde passant par un leil réservé, à cet
effet, au centre de la coupole.
I ciiAi'Ki.i.K I — ii^ —
Lit cliaix-llc Sainlf'-(^roix d»» Moiitmajour fut l)àlie»'n lOh) '. Ce iiVlail '
passcultMiicnl dans le voisiiiai^iMlcs ciiiirlit-ros jiai liciilicrs. des ctalilissc-
montsreliiiicux (|U<' Ton élevait dos rliapcllcsdcs morts. Tons Icsdiarnicrs
|)la('('s au niilion des villes ou près des églises possédaient un oratoire;
(lueUiuelois même cet oratoire n'était quune sorte de dais ou de pyramide
en pierre portée sur des colonnes, laissant des ajours entre elles, de
manière à permettre à l'assistance de voir le prêtre qui, le jour des Morts,
disait la messe et donnait ainsi la bénédiction en plein air.
Il existe encore une tres-jolie chapelle de ce ^emc à Aviotli (Meuse),
qui date du xv siècle. Nous en d(»nnons le plan (!«.)), la coupe (20) el la
vue perspective (21) -. dette chapelle est placée près de la i>orle d'entrée
du cimetière; elle est bâtie sur une plate-forme élevée d'un mètre environ
au-dessus du sol ; l'autel est enclavé dans la niche A, iv^. H) et 20 ; à côté
est une petite piscine. Au milieu de la chapelle est placé un tronc en pierre
B, d'une {^Maiide dimension, poui- re(>evoii' les dons (pie les assistants
s'empressaient d"app<»rler pour le repos des Ames du puri^aloire. La messe
dite, le prêtre sortait de la chapelle, s'avançait sur la |)late-f'orme jtour
exhorter les fidèles à prier pour les moits, et donnait la bénédiction. On
remarquera c(ue celte chapelle est adroitement construite pour laisser \(iii
1 Voy. des fiajJîmciils de la cliarle de loiidiilion de ceUe eliapelle el d'une liistoire
niaïuiseiile de la ville d'Arles, cilés dans les \()tcs d'un vojidiif ditns le midi de tu
l'iaiicr, \>ar M. M»''iiiiiée ; jdèces ccinniiiiiiiiiiices i)ar M. ('.. Lenorniaiil.
i Nous devons ces dessins ;i Idlili^i'aiicr île M. li(rN\\i'i\\;dil.
- 44'.»
20
I (H.vrELLt
ottiriant à la fViulc et pom' laltrifei' aiilanf que jwssiblf du vent et de la
T. ir. 57
(IIAPKLI.K 1
— 450 —
pliiio. Au-dessus de ((tlonnt's courles qui. iivér leur l»;isc cl cliaitité'iu
— i.M — I CHAI'KI.LK ]
n'ont pas plus do deux mt'dvs de haut, est posée une claire-voie, sorte de
haluslrade (jui porte des fenêtres vitrées. 11 est à croire (jue du s(»inint't de
la voûte pendait un Canal allumé la nuit, suivant l'usage; la partie supé-
rieure de la chapelle devenait ainsi une jurande lanterne (voy. la.mernk
des morts).
On trouve encore, dans quelques cimetières de Hretaj,nie, de ces cha-
l)elles ou ahris pour dire la messe le jour des Morts.
Le petit monument , composé d'un mur d'appui avec un comhie en
pavillon élevé sur quatre colonnes, que l'on voyait encore, à la fin du
siècle dernier, dans l'enceinte du charnier des Innocents à Paris, et qui
se trouve reproduit dans la Slalistique monumenlale de M. Alh. Lenoir,
sous le nom de Prèchoir , n'est autre chose qu'une de ces chapelles des
morts destinées à abriter le prêtre, le jour de la fête des Morts, pendant
la messe et la bénédiction ' .
CHAPELLES ANisçxEs dcs graudcs éjiiises. Jusqu'au xni« siècle, les églises
les plus inqiortanles ne possédaient qu'un petit nondîrede chapelles; les
cathédrales elles-mêmes en étaient souvent dépourvues (voy. cathédrale,
fir.LISE).
Lorsqu'au xui*" siècle on apporta des modifications importantes dans
les habitudes du clergé, que l'on sentit la nécessité de nndtiplier les
otiices pour se conformer aux désirs des tidèles, (|ui ne pouvaient tous, a
une même heure, assister au service divin , ou pour satisfaire les corps
privilégiés qui voulaient avoir leur chapelle, leur église particulière, on
bâtit des chapelles plus ou moins vastes sur les flancs ou à l'abside des
grandes églises, dans leur voisinage, et en communication avec elles. Les
églises conventuelles avaient un chœur fermé par des stalles et des jubés;
l'assistance ne pouvait que ditlicilement voir les otiices. Les monastères
élevèrent donc des chapelles où les religieux ordinés pouvaient dire les
offices pour les fidèles en dehors du chœur clôturé. Quelquefois aussi,
des chapelles anciennes, en grande vénération, furent laissées près des
églises nouvelles. C'est ainsi que les religieux de Saint-Bénigne de Dijon
conservèrent la curieuse rotonde qui renfermait les reliiiues de ce saint
en reconstruisant leur nouveau chœur (voy. sépulcre [saint]) , et qu'une
chapelle à deux étages, qui date du x«^ siècle, fut laissée debout, à la fin
du xne siècle, par les religieux (jui rebâtirent l'église de Neuwiller (Bas-
Rhin).
Cette chapelle, dont nous donnons le plan ("2^2) , était placée sous le
vocable du fondateur, saint Adelphe, et présente une disposition des plus
curieuses. C'est une petite l)asilique, à deux étages, dont le rez-de-chaussée
est voûté et le premier étage couvert par une charpente apparente. Ce
premier étage est presque de plain-pied avec le sanctuaire de la grande
' Ce nionnmtMit ])ar;iîl remonter au xiv« siècle.
[ CHAPELLE ] 45"2 —
é{,'liso, tandis que le nv.-de-chaussée est, relalivniuMil an sol du clMnird»'
l'éfîlise, une véritahle crypte.
Nous en présentons (^23) la coupe transversale '.
Vers la fin du xin»' siècle, on éleva, derrière l'abside de la trrande é^dise
abbatiale de Saint-dermer (près Gournay) , une ^'rande chapelle copiée
sur la Sainte-Chapelle haute de Paris, et connnLini(|uanl avec le sanctuaire
de l'église au moyen d'une charmante galerie. Ce monument, exécuté
avec un grand soin, était décoré de vitraux en grisailles et de peintures;
son autel i)ortait le beau retable en pieii-e peinte qui est aujourd'hui
déposé dans le musée de Cluny à Paris, cl (|ui est un des chefs-d"(euvre
de la statuaire de cette époque ^.
La cathédrale de Mantes, bâtie à la fin du xii« siècle, ne posséda aucune
chapelle jus(iu'au xiv; à cette époque, on éleva contre le bas-côté sud
lu chœur une belle chapelle, composée de quatre voûtes retombant sur
' Ce monument vient d'être restauré et déblayé par M. Bœswihvald, à qui nous
levons encore ces dessins.
2 Ce reJ;il)lecst repnidnit^aiissiVninp'étemenlJqup possible dans la Hcvnc d'archilec-
t'ii-e de M. C. Dalv.
'(.%.{ [ CHAI'EM.K I
imr pile centrale, mise en coininuriicalidii avec ce lias-cAlé pai- l'ouver-
■^v-^^/*«».''
ture de deux aiccatix perces enire les anciennes piles.
Nous donnons (;24) une vue extérieure de celle cliapelle. Inn des nie
CIIAI'i-:!
45-i —
CI//L 1. A i/j»f/9 r «^tr^/Kf
lours o\(>inplPs de rairliit»x-tuiT du ((HiiMiciic.'iiimt du mv sièclo (|n il v
( iiAi'i II !•; j
.'iil (l;ms rilt'-dc-KiiiiR-c, ri (-lU) une vue inlericuic juisr de I aiuicii hiis
I CIIAI'KLLK 1 — ioC) —
côté du xw siècle. Otte adionction lut faite avec adresse; eu consn\iiiii
les voûtes du bas-côté, dout les arcs AB sont ancieus, l'architecU' du
xiv siècle romphu-a la pile C en sous-œuvre, accola les deux piles d'entrée
1)1) aux piles K du collatéral du xie" siècle, conserva les anciens contre-forts
F ; et, suppiiniant celui qui existait derrière la pile C, y substitua un arc
aigu venant reporter le poids des constructions supérieures sur la pile (I.
Une charmante arcature décore l'appui des quatre grandes fenêtres doni
les meneaux offrent un dessin d'une ])ureté remarquable.
Les xiv«, xv et xve' siècles bâtirent à proximité, ou attenant aux grandes
églises, unerjuantité innombrable de chapelles; parmi h's plus belles, on
doit citer la chapelle de la Vierge bâtie à l'abside de la cathédrale de
Rouen (xiv« siècle) , les grandes chapelles élevées sur le ilanc sud de la
cathédrale de Lyon et nord des cathédrales de Châlons et de Langres
(xvi'= siècle).
ciiAPKi.i.i-s (comprises dans le plan général des églises). A quelle épo(jue
précise des chapelles vinrent-elles entourer le sanctuaire des églises? Il
serait ditlicile, nous le croyons, de répondre d'une façon catégorique à
cette question dans l'état actuel des connaissances archéologiques; nous
n'essayerons même pas de la discuter; nous nous bornerons à constater
quelques faits. Mais, avant tout, nous devons dire que nous ne donnons
le nom de chapelles qu'aux al)sidioles plus ou moins profondes et larges,
circulaires, carrées ou à pans, qui s'ouvrent sur les bas-côtés d'une église;
nous rangeons les chapelles posées à l'extrémité des bas-côtés, comme dans
la fig. 2^ de cet article, ou celles qui s'ouvrent des deux côtés du sanctuaire
sur les transsepts, au nombre des absides secondaires. Or nous voyons des
chapelles absidales donnant sur le bas-côté qui pourtourne le sanctuaire,
dans des églises dont la construction remonte au iv ou x^' siècle, couune,
par exenq)le, l'église de Vignory. Dans le centre de la France, nous trou-
vons des chapelles absidales dès le x^ siècle '. L'église de Saint-Savin
(Poitou) nous donne cinq chapelles s'ouvrant dans le bas-côté du sanctuaire
(xF siècle). L'église Saiiit-KJienne de Nevers {xi<^ siècle) en présente ti'ois;
celle de Notre-Wani('-(lu-l'orl(le('lermont (xi"' siècle), quatre. Dans d'autres
provinces, les cha})elles absidales apparaissent beaucoup j)lus tai'd. En
Normandie, par exenqjle, les sanctuaires demeurent longtemps, jusqu'à
la tin du xii« siècle, sans bas-côtés et, par conséquent, sans chapelles absi-
dales. En Bourgogne, nous ne les voyons adoptées qu'au xiie siècle. Les
abbayes connnencent, dans les provinces du Nord et de l'Est, à élever des
• Une importante découverte vient ajouter un (ait nouveau à ceux déjà coniuis.
Des fouilles, exécutées dans le sanctuaire de la calliédrale de Clermont, sous la
direction de M. Ma'.lay et la nôtre, viennent de faire reconnaître l'ancien plan de la
cathédrale |)rimitiYO, qui date du x"" au xi' siècle; ces l'ouilles ont laissé voir quatre
cliai»elles autour i\u ijas-côté du sanctuaire, comme dans l'église de Notri^DanuMlii-
l»ort.
— 457 — I ciiApia.i.K I
cliapt'lle.s ahsidalcs dts le w siècle '. An \ir' sirch», rlh's st^ dcVrloppcnt
fil iKniihre et «mi éleiidue -.
La callK'di'al*' iVaiivaisc. (|ui iiail à la lin du xii''sitVle, scinlilc protcslcr
conlif ce besoin «le niniliplicr les ault'ls. Kri^éo soUs une pensée donii-
nanle. I iinilé, elle n'adniel les chapelles quassez tard (voy. (:Ariif;i)i{.\i.i;).
Si nous les voyons poindl'e , au xir siècle , daus les deux cathédrales de
Noyon et (h' Sen lis, c'est que ces deux monuments s^élèveiit sous linlhience
«H idente de i'éj^lise abbatiale de Saint-Denis, et encore, dans Ih cathédrale
de Senlis, pal' (exemple, dont la conslructioii n'est pas aussi direclenu'iil
soumise à celle de labbaye t|ue la construction de la calhédiale de Noyon,
ces chapelles absidales osent à peine se développer; elles ne t'ornient en
plan, à l'extérieur, qu'un arc de cercle très-ouvert; elles peuvent diHici-
lement contenir un petit autel, et ne présentent qu'une fail)le excroissance
en dehors du périmètre du bas-côté., Bientôt, cependant, il y a réaction
contre le ]>iincipe qui avait fait exclure les chapelles des cathédrales; on
auiiniente en nond)re et en étendue d'abord celles de l'abside, puis on en
construit après coup h; long des bas-côtés des nefs. Cet exemple est suivi
dans les églises paroissiales. Nous ne nous occuperons pas des chapelles
élevées entre les contre-forts des bas-côtés des nefs, car elles ne consistent
réellement qu'en une voûte et une fenêtre; mais nous essayerons de
présenter une série de chapelles absidales en prenant les types principaux
classés par ordre chronologique, ou suivant leur ordonnance.
Les chapelles absidales romanes ne consistent à l'intérieur qu'en une
demi-tour ronde voûtée en cul-de-four, percée d'une, de deux ou trois
fenêtres cintrées, simples, ou ornées de colonnettes des deux côtés de
l'ébrasement. Ces chapelles, destinées à être peintes, ne sont pas décorées
de sculptures. Quelquefois le soubassement reçoit une arcature ^ A
l'extérieur, au contraire, elles sont enrichies de moulures, de délicates
sculptures et quelquefois d'incrustations de pierres de diverses couleurs.
Telles sont les chapelles absidales de l'église de Notre-Dame-du-Port à
Clermont, dont nous donnons (26) une vue intérieure, et (27) une vue
extérieun*. Ces chapelles sont à double étage, c'est-à-dire qu'elles régnent
dans la crypte connue au rez-de-chaussée; cela leur donne à l'extérieui'
une proportion très-allongée, les voûtes de la crypte étant au-dessus du
niveau du sol extérieur afin d'obtenir des jours par de petites baies percées
dans le soubassement. Les deux fig. 26 et 27 font voir que l'ordonnance
des chapelles est indépendante de celle du bas-côté. Les corniches ne sont
pas posées au même niveau. Cependant, à Notre-Dame-dn-Port. la diffé-
rence du niveau entre la corniche du l)as-côté et celle des cliaiielles nesl
pas telle, que la couverture en dalle de ces chapelles ne dépasse l'arase de
' Prieuré de Saiiil-Marlin-des-Champs.
- Clunv, Clairvaux, S.iint-Deiiis; à la fin du xir siècii-, IVtnligny, Vt'/elay, rAi)l)aye-
aiix-Homnies de ('aeii, Saiut-lîcini do Heiiiis.
^ Sainl-Savin près |'oili(M's.
1. M. ' :>«
I CHAPE1J.K 1 — ^^^
la corniche du bas-côlé. Pour éviter le mauvais effet des pénétrati<.i.s dc^
'^■''z:i'</v..7,^.
couvertures des chapelles sur les dalla^^es du collatéral, on a élevé les
petits pi^Mions A (fig. -i') qui arrêtent le dallaj>e des chapelles et masquent
une couverture à deux égouts pénétrant le dallage continu du has-côle.
Cela est adroitement combiné, quoique un peu recherché; mais les dispo-
sitions les plus simples ne sont pas celles qu'on adopte tout d abord, i.es
formes primitives des chapelles absidales romanes des pioxinccs du Centre
(■.IIAPKI.LI':
^t (If lAquitainr varirnt \h-u: ol si nous avons choisi oH êxeniplo. cVsf
I CIIAI'KI.I.K I — i<;0 _
quil est un des plus anciens cl des plus heaiix. I^es cliapellesahsididesdr
iXdlre-Danie-dii-INtrtsonleneoreenipreiiilcsdiiiiccitiiiii pai finn de ll..|ltl.•
lUE»!!'
ilMîl
\
^'
iiiili(|iiil(' (pii leur donne à nos yeux un earaelère pailicidiei-. (!e nesl |»his
I aiehileeluie anli(pie. mais ce n'est pas I arclnleelure loniaiie du .Ndid ri
ici —
CHAPKLLE
(If IKst. l>'(iii Nt'iKtil («M art. citiiimt'iit clail-il iir dans ers provinces
cenli'ales de la France? Coininciit se t'ail-il (|ih'. dès le xc siècle, il se
disliniiue entre tous les styles daichiteclure des auiies pro\inces par son
extrême linesse, par son exéculion délicate, la pureté de ses |)i()fils et
rhaïuionie parfaite de ses proportions? La t'av<>n dont est dis[)osée la
décoration de l'extérieur de ces chapelles dénote un art arrivé à un haut
degré. La sculpture n "est pas prodij^aiée, elle est liiic ri cependant pioduit
un grand etiet par son judicieux emploi. Les inciuslationsde pierre noire
(lave) cntie les modillons et au-dessus des archivoltes des fenèti-escontri-
huent à domierde lelégance à la partie su|)érieurede ces cha|)elles, sans
leur rien enlever de leur l'ermelt'.
Lorsqu'au wv siècle on abandonne les voûtes en cul-de-1'our pour
adopter définitivement la voûte en arcs d'ogive, les constructeurs profitent
de ce nouveau mode pour agrandir les fenêtres des chapelles et pour les
orner de colonnes liégagées (pii reçoivent les arcs et les formerets. C'est
d'après ce principe (jue sont construites les chapelles de l'église abbatiale
de Saint-Denis et celles de la cathédrale de Noyon (milieu du xii'' siècle),
dont nous présentons ("28) l'aspect intérieur. Quant aux chapelles de la
cathédrale de Senlis, elles ne se composent que de deux travées dont une
29
seuleesl percée d'une fenêtre. En voici ("2'.)) le plan, (.{(M ia\U(^ extérieure
et (31 ) l'aspect intérieur. A Noyon, l'arc doubleau d'entrée est plein cintre;
à Saint-Leu d'Esserent et à Senlis, il est ogival ; cependant ces chapelles
sont construites à la même époque , ou peu s'en faut. Les chapelles de
Noyon sont décorées d'une petite arcature plein cintre, celles de Saint-Leu
et de Seidis en sont depoui'vues.
Il faut mentionner un lait imp(»rlanl : ^lit (|ue ces cliapelles se C(»mpo-
I (IIAI'KI.I.K ! ' — i<>-2 —
sent (le (l«'iix Iravees. (oiiiiiic a Sciilis. ou de ((ualic li'avé«>s, coiiiiiH' a
...i;.V,K9,^ V.
Noyou o\ à Saiiil-Lcii, I autel de chacune «Iclles est |)lacé suivant l'axe du
chevel , de façon à être toujouis orienté, et . par consé(|uent, dans I une
— ic.:{
cii.vn I m
des travées latérales, ainsi que l'indique la tlj;. :M . Cependant les chapelles
[ niAi'Ki.i.i- I — i(>4 —
iihsidalcs (le. l'»îj;lis»' aMuilialc de Sa'ml-l^ciiis laisaiciil cxccidioii à (fil»'
lè^Ic ; Icursaiitclsélaicnl tous posés pcrpcndiciilaiicmcnl au rayon parlaiil
du centre du sanctuaire et l'oiinant Taxe de < liaeune des eliapelles. l)an>
les j,M"andes é^dises de l'ordi-e de (>luiiy et dans les cathédrales de TOise
citées plus haut, bâties vers le milieu duxii' siècle, les chapelles ahsidales
sont senii-eireulaires; elles sont carrées dans les éj;lises de l'ordre de
Citeaux. A Clairvaux , à Ponlijxny, c'est un paiti franchenienl ado|)le, el
(pii n(»us parait coniniandé par la rèi,de de ccl ordre, (jui voulait (jut> les
constructions nionasticpies se renferniassenl dans les doiniées les plus
simples. En eÛ'oi, les chapelles circulaires enli-ainent des dépenses hiipor-
tantes, parce qu'elles compliquent les constructions, nécessitent des
développements considérables de murs,exij;ent une main-d'œuvre dispen-
(lieus(% des couvertures ditliciles à ex(Vulei', des pénetialions, des ('oui)es
particulières, et, par suite, un iirand dclail de précautions. Les cliajx'Ues
carrées, au contraire, ne font (luajouter une précinction au bas-côté, ne
demandent (|u'un mur de clôture très-sim])!»' et des couvertures (pii ne
sont que le prolonj^ement de celles du collatéral de l'abside: les contre-
forts nécessaires à la buttée des voûtes supérieur(>s leui" servent de murs
de séparation ; les voûtes conqiosées de deux arcs oiiives st^ consli'uisenl
pluséconomicjuenient que les voûtes couvrant une surfaire semi-circulaire,
une seule fenêtre les éclaire au lieu de deux. Ces chapelles carrées ne son!
dfuic réellement (|u"un second bas-côté divisé par des murs de refend
construits suivant les rayons partant du point de centre du sanctuaire '.
Les constructeurs de l'éfilisedePontijiny (Yonne) voulurent cependant,
tout en se conformant à cette donnée de Tordre, faire» une concession au
jioût du tenq)s. Le chueur de cette éi;lise abbatiale, élevé pendant les
dernières années du xii*' siècle, conserve le principj^ des chapelles absi-
dales carrées à l'extérieur, tandis qu'à l'intérieur ces (chapelles sont
plantées sur un polyjj,one irrégulier.
Voici (3% le plan d'une de ces chajielles. La couverline ne tient pas
compte de celte forme ])olyfj;onale ; elle j)asse uniformément sur toutes,
laissant seulement les souches des arcs-boutants percer l'appentis. Nous
devons reconnaître toutefois qu'il y eut de l'indécision dans la favon de
couvrir les chapelles absidalesde l'église de Pontigny, car les filets solins
des combles, ménagés sur les flancs des souches des arcs-boulanls, ne
suivent pas la direction de ces combles, et donnent à croire qu'on avait
voulu faire, soit des cond)les brisés, soit un appentis sui' le bas-c(Me,
pénétré par des combles à double pente avec pignon sur chacune des
chapelles. Ces tâtonnements, quant à la manière de couvrir les chapelles
absidales des églises monastiques, ne sont pas seulemeni apparents à Pont i-
gny. Il y avait là une dilhculté (jui, évidennnent, end)a>rassa longlenq>s les
architectes des grandes églises d'abbayes pendant les \i'' et xic siècles. On
' Voy. le plan do riil)bayo de Ciairv.Tiix, Archikcture inoïKisdiiiif, liii. (i.
— Kir» — I CHAPELIE 1
arrivail à couvrir ces cliap«'llos par des procédés (|ui iiOiil ricii de franc cl
accusent une certaine indécision. Cela est visible dans le chœur de l'éj^lise
Saint-Martin-des-Clianips de l*aris, dans le chœur de l'église de Vézelay,
où les couvertures des chapelles circulaires, au lieu d'être coniques,
forment une surface gauche qu'il n'était possible d'obtenir que par un
massif posé sur les voûtes. Dans les églises de l'Auvergne, du Poitou et
de l'Aquitaine, les chapelles absidales étant plus basses que le collatéral,
les couvertures venaient naturellement buter contre le nun- de ce collatéral ,
sous sa corniche; mais, dans l'Est et le Nord, on voulut de bonne heure
donner aux chapelles absidales la hauteur du collatéral, et les construc-
teurs, après avoir arasé les corniches, ne savaient plus trop comment
couvrir ces surfaces inégales, et reculaient devant les dithcultés que
présentent des pénétrations de combles en charpente.
Dans l''Ile-de- France et les provinces voisines, les églises de quelque
importance possédaient toutes, au-dessus des bas-côtés, une galerie aussi
large que lui, formant au premier étage un second collatéral. Cette dispo-
sition permettait d'éviter les dithcultés que nous venons de signaler,
puisque le mur de précinction de la galerie du premier étage présentait
une surface verticale assez haute pour permettre d'appuyer une couverture
contre elle. Ce cjue nous disons ici est parfaitement i>\pliqué par la vue
extérieure des chapelles absidales de la cathédrale de Senlis (lig. 30).
Mais aussi ces chapelles n'avaient-elles qu'une faible profondeur, et
n'étaient-elles pas, à cause de leur exiguïté, d'un usage coimnode.
Avant de passer outre, nous devons revenir sur ce que nous venons de
dire des chapelles absidales des églises du Poitou et de l".\(|uitaine. Dans
T. II. •'»••
[ ciiAi'Ki.i.i: I — i(»() —
ces provinces, les bas-côtés des éfïlises ont à peu près la liaiileiirdu vais-
seau pi'incipal (voy. architectlre ukligiiîlse, cathèdhai.k), atii) de coiilre-
huler la poussée des voûtes centrales; quoicpie ce mode eut rincoiivéïiit-nl
(rein|)ê('licr d'ouvrir (U's joins au-dessus des collatéraux sous les voùles
hautes, il avait l'avantagée d'éviter la constiuction des arcs-hoiilanls, et de
donner des i)as-C(Més fort élevés contre lesquels on pouvait adosser des
clia|)elles d'une bonne dimension connue diamètre et bauteui-, sans que
leur couverture vînt dépasser le niveau des corniches de c<'s collatéiaux.
La chapelle était alors une absidiole seiui-circulaire accoN'e à un mur
élevé; elle était un appendice à léditice, nu cdicuie indépendant |)our
ainsi dire, ayant son ordonnance particulière.
L'exemph; pris sui" le plus beau monument de ce genre (pi'il y ait m
Saintonge, et que nous donnons (33), expliquera nettement ce (pi'est la
chapelle ai)sidale dans les églises romanes de l'Ouest. A Saintes, il existe
une charmante ('giise du \\v siècle, Saint-Eulhrope. qui possède une vaste
crypte, ou plutôt une église basse, à rez-de-chaussee, sous le chieur.
L'abside de cette église est tlan(juée de trois chapelles dont nf)us repi'odui-
sons l'aspect extérieur. Ces chapelles régnent dans la crypte connue au
niveau du clueui", ainsi (|ue le fait voir notre gravure ; Icnrs fenêtres ne
sont pas de la même dimension (pie celles du collatéral A ; «'lies sont plus
petites. Les chai)elles de Saint-Euthrope de Saintes sont doiu', connue
nous le disions, un petit édifice accolé à un autre plus grand. Si ce parti
peut être adopté dans l'architecture romane de l'Ouest, dont l'échelle n'est
pas soumise à des proportions fixes. (|ui ne lient pas compte de l'unité
dans ses dispositions archilectoniques, il n'aurait pu être admis par les
architectes des provinces du iNord à la fin du xn"" siècle, alors (pie l'archi-
teclui'c n(> se permettait plus ces désaccoi'ds (r(''chclle, et (pie l'on revenait
à des lois impérieuses duniU;. D'ailleurs on n'avait pas, dans le Nord, cette
ressource des collatéraux élevés; il fallait les tenii" assez bas pour pouvoir
éclairer largement le vaisseau cenlial au-dessus de leur (dincrture. Force
fut donc, loi'S(pi'on voulut, au commencement du xiu'" siècle, ouvrir des
(chapelles à l'abside des églises, de hnir donner la hauteur des bas-côtés et
de les couvrii' sans troj) de ditiicultés, sans gêner réconiciiient des eaux
et sans nuiie à rordonnaiice générale. On procéda timidement d alioid;
à Bourges, par exenq)le, les chapelles absidales ne formèrent que des demi-
tourelles atta(;hées au bas-côté, couvci les par des Icnassons coniques en
dalles '. A Chartres, les diapelles absidales ne fureiil guère aussi (pu' des
ni(hes couronnées par des pa\ liions dalles. (Test en Champagne (pie les
chapelles absidales paraisseiU prendre, des la fin du xii'^ siècle, un deve-
lo|)pement considérable. Le cha'ur de l'église Saiiil-liemy de Keinis es!
contemporain de celui de la cathédiale de Paris, c'est-à-dire (ju'il dut être
élevé vei's 11 HO; il y a même entre ces deux édifices une très-grande
' IMiis taiil , cos couverUu'cs lurent i'Oiii[>l;u(''('s par des pyraniidcs cm picrri' l<'il
élevées (ini ne soiil jtas iriin lieureii\ ellcl.
— u\-
(IIAI'KI.I.K
KiAVOICNAT
aïKilo^ié. (l('|>t'ii(laiit 1rs (l(inl)lrs has-cùlfs du clia'ur de .NoIic-lhiiiH' (le
CHAFKI.LK
— i08 —
Paris n'avaient pas de chapelles ou n'en possédaient que de tivs-jxMites,
tandis qu'à Saint-Reniy de Reims on voit apparaître autour do l'aljsidc
une disposition particulière à la Clianipaiiiie, disposition que nous
trouvons exister déjà dans les chapelles du tour du chœur de Notre-Dame
de Châlons-sur-Marne, et qui consiste à ouvrir les chapelles sur le bas-
(;olé, de façon à ce que leur voi!ite soit inscrite dans un cercle. Ainsi, ii
Saint-Remy de Reims {'-VS bis) *, les chapelles absidales sont parCailciiiciii
rt£ZM>FJ'.,5r
circulaires, voûtées au moyen de (juatre arcs o^^ives , de cin(| foiiiit'rct>
et de trois arcs doubleaux ouverts sur le bas-ccMé. Deux colonnes AA
séi)arent la chapelle du collatéral et complètent les huit points d'appui
sur lesquels reposent les quatre arcs ogives. Ces chapelles, à Texléiieur.
ne laissent voir qu'un segment de cercle assez peu étendu , à cause de l:i
saillie des gros conire-torts qui les séparent et sont destinés à contre-
buter les arcs-boulants des voûtes hautes. Dans l'axe, nue cba|)elle
IM^^i; il l'échelle de (),(l(i-) poiii melre.
— i(iO — [ CIUPKLI.K 1
heaucoiip plus profonde B terniino le chovot. Au-dessus de l'arcaturequi
décore à rintérieur le soubassement de ces chapelles ivj,Mie un passage
traversant les piles qui portent les arcs; les ten«Mres occu|i(Mit fout
l'espace laissé entre ces piles, et sont terminées à leur sommet par des
berceaux ogives concentriques aux formerets. Les voûtes sont contre-
butées par les piles formant contre-forts à l'intérieur. A (>bàlons-sur-
Marne , les chapelles présentent, à l'extérieur, des contre-forts (jui ne
sont qu'une demi-colonne cannelée terminée par une statue et un dais
(voy. c.onstriction). (]e plan circulaire, les piles formant contre-forts
intérieurs, les deux colonnes posées à l'entrée de la chapelle sur le
collatéral, et juscju'aux demi-colonnes cannelées extéi'ieures, sont des
dispositions qui rappellent encore l'architecture antique romaine. Son
influence, surtout apparente dans la Haute-Marne, à Langres, et le long
de la Saône, se fait aussi sentir jusqu'à Reims (ville (jui possède encore
un monument antique), et même jusqu'à Chàlons, pendant les premières
années du xiii*' siècle. Les chapelles absidales de la cathédrale de Reims,
élevées vingt ou vingt-cinq ans après celles de l'église de Saint- Remy,
sont évidemment dérivées de ces dernières. Mais, à la cathédrale de
Reims, Robert de Coucy a supprimé les colonnes isolées de l'entrée, et
a donné à son plan plus d'ampleur.
Les chapelles absidales de la cathédrale de Reims méritent d'être
étudiées avec soin. Commencées sur un plan circulaire , comme celles de
Saint-Remy,ellesdeviennent polygonales au niveau de l'appui des fenêtres:
c'est la transition entre les deux systèmes roman et ogival. Les architectes
soumis aux principes de l'école ogivale reconnaissaient : l"que les archi-
voltes des fenêtres percées dans un mur cylindrique poussaient au vide ;
-2" que les meneaux ne pouvaient être étal)lis solidement (|u"autant qu'ils
se trouvaient dans un plan droit ; que leur taille, suivant un plan courbe,
présentait des diflicultés insurmontables. Ainsi, en adoptant les meneaux
connue châssis de fenêtres et pour maintenir les vitraux, on se trouvait
forcément entraîné à abandonner la forme cylindrique dans les absidioles
aussi bien que dans les grandes absides. Mais la rencontre des meneaux
avec les talus circulaires du soubassement nécessitait des pénétrations
conq)liqnées, un raccordement présentant certaines diiiicultés; on trouva
bientôt plus naturel de prolonger la forme polygonale jusqu'au sol. Pour
nous résumer, l'habitude des constructions romanes fait commencer, au
\\n<^ siècle, des chapelles sur plan circulaire; le principe de la construction
adoptée fait «énoncer au plan circulaiie en construisant les fenêtres, sur-
tout lors(|ue celles-ci sont garnies de meneaux ; ce principe, une fois admis,
fait abandonner la foiine cylindrique même pour les soubassements, et
connnande la forme polygonale ou prismatitjue dans les plans des chapelles.
Il y avait dans tout le système ogival des données inqiérieuses qui forçaient
ainsi les architectes, de déductions en déductions, à l'ajjpliquer avecplus
de rigueui'. (pielle que fût la force des traditions antérieures. Toutefois, à
Reims, l'architecte sut se tirer avec adresse du nuunais pas où il s'était
[ CIIAl'KI.I.K
'(70 —
en{i:afïé en (biKlaiil les chapelles sur plan circnlaiie; mais la leiifalive de
concilier les deux sysItMnes ne fut j^uère renouvelée depuis; on avait fait
là, évidemiuenf. ce (|ue nous appelons une ('colc '.
Nous dounous {'M) le plan inférieur d'une des chaix-iles ahsidales de la
calliédi'ale de Reims -, et (3o) le plan au niveau des fenêtres, qui indi(|ue
comment les meneaux vieimeni péiiétrei- le talus coni(|ue couroimaiil le
soid)assemeiit à l'extérieui'. Suivant le mode champenois , il existe une
circulation au-dessus du souhassemcnt décoré dune aicature à l'intérieur.
I><'s fenêtres se trouvent ainsi, connue à Saint-Hemy, comme à la cha|)elle
de l'archevêché de Keiins, comme à la chapelle du château de Saint-
' Les chapelles (tu chevet de la cathédrale de Tours sont de même prismatiques sur
■UH souhasscmcni circulaire.
- A rccliclic de O.OO:; pciiir mclrc.
— ïl\ — I r.HAPKi.i.i; I
Gei-inain-cn-I.ayt', oiivcries dans un ivnfoncpiiieiit produit |)ar la saillie
iiilérifure des j)il('s. A lu'inis, «'cpcudanl, on ne retrouve pas le l'ornieret
isolé de la fenêtre par un plalbnd portant le eliéneau (ce (|ui est du reste
une disposition bour^uiiinonne) ; c'est un éhi'asement concentrique au
fornieret qui sépare celui-ci de la baie. La fi^. 30, donnant la vue inté-
l'ieure de l'une de ces chapelles, nous dispensera de plus longues explica-
tions à ce sujet; elle fait voir le passage pratiqué au-dessus de l'arcature
et toute l'ordonnance intérieure. La proportion de ces chapelles est des
plus heureuses; leur aspect est solide, les détails de la sculpture et les
profils sont traités avec la plus rare perfection. A l'extérieur, ces chapelles
ne sont pas moins belles et simples, et n'était la malencontreuse galerie à
jour [)lacee, vers le milieu du xni"' siècle, sur la corniche su|)érieure, dont
le moindre inconvénient est de faire paraître ces chapelles petites, on
CII.VI'KI.I.K
— 47^2 —
/11'-'- ; ' ' / il'',
poumiil lt'S|n-cs(;iil(TC()iiiiiic un niodrlc |)arlail cl compl.-t d'airliifcrliiiv
ogivale primitive. La fig. 37 reproduit leur aspect extéi-ieur. S'élevant
)US((u'au niveau supérieur du collatéral, elles sont couvertes par des cliar-
r. .1. <■'<>
r.iuPixi.K 1
47 i
pontes foniiaiit |)avill()ns pyraiiiidaiix isolés, revêtues de plomb. Entre
ees pavillons et l'appoiifis lerouvrant le has-eôfé, est un l)eau ehéneau de
pierre posé sur les arcs doubleaux d'entrée des eha|)elles, et rejetant les
eaux à travers les ^^ros contre-forts séparalils, par des canaux dans lesquels
un homme peut entrer debout, et des gargouilles. Ce canal principal es!
coupé en croix par un autre canal d'égale hauteur, recevant les eaux des
chéneaux posés sur la corniche du couronnement des chapelles.
Quoique les chapelles absidales de la caihédrale de Reims soient fort
bien composées, elles n'ont pas encore comph'temenl abandonné les tradi-
tions romanes; on en retrouve la trace dans le soubassement circulaire, dans
les piles saillantes à l'intérieur, dans ce bandeau horizontal qui, couronnant
l'arcature, coupe les colonnettes, et dans la construction qui est quelque peu
lourde. Si nous voulons voir des chapelles absidales de l'époque ogivale
ariivées à leur complet développement, il faut nous transporter dans la
cathédrale d'Amiens; celles-ci sont d'autant plus intéressantes à étudier
qu'elles ont servi de type à toutes les constructions élevées depuis lors,
entre autres pour les chapelles des cathédrales de Beauvais, de Cologne, de
Nevers, de Séez, et, plus tard, de Clermont, de Limoges, de Narbonne, de
l'église de Saint-Ouen de Rouen, etc. Les chapelles absidales de la cathé-
drale d'Amiens sont hautes, largement ouvertes et éclairées ; leur construc-
tion ne comporte exactement que le volume de matériaux nécessaires à leur
stabilité; ell«»s sont aussi simplement conçues qu'élégantes d'aspect.
Nous donnons (liH) le plan d'une de ces chapelles pris au niveau des
17 o
(HAriciii;
t'eiiètvfs. (3V») nue vue intérieure, et (40) une vue extérieure. Trois j-randes
I i;iiAi'i:i II-
i7«> —
vciTu-ivs,, qui u'onl pas moins de (|uatorze mèlivs (!<• Iiiiiilciir. ri lairalmv
477 I CHAl'EI.LK
inférieure avec s;i piscine, font toute leur décoration à l'intérieur; les
fenêtres, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, occupent tout l'espace
compris entre cette arcature, les piles et les voùles, auxquelles leurs archi-
voltes servent de formerets. A l'extérieur, une belle eorniehe à crochets et
feuilles les couronne ; les contre-forts, dont toute la saillie est reportée en
dehors, reçoivent des archivoltes al)ritant les fenêtres et dont l'épaisseur
porte le chéneau supérieur. Les bahuts de la charpente reposent directe-
ment sur les formerets des voûtes. Il est impossible d'imajj;iner une
construction voûtée plus simple et plus sage. Les sommets des contre-forts
sont brusquement terminés par des talus sur lesquels viennent se reposer
des animaux, che\aux, griti'ons et dragons. A la chapelle de la Vierge, ces
animaux sont remplacés par des rois de Juda (voy. amortissement). Nous
ne pensons pas que ce couronnement soit complet, car on aper(,'oit, au
sommet des contre-forts, comme des assises recoupées, des repenlirs, des
négligences qui marquent une certaine hâte de finu' tant bien que mal,
et qui ne répondent pas à l'exécution soignée, précise des constructions
jusques et y compris la corniche. Ce qui nous contirme dans l'opinion
que les couronnements des contre-forts des chapelles de la cathédrale
d'Amiens ^ n'ont pas été terminés comme ils avaient été projetés, ou que
l'incendie qui détruisit leur couverture, avant l'érection de la partie haute
du chœur, les ayant calcinés, ils furent refaits avec parcimonie et à la
hâte, c'est qu'à Beauvais, et à la cathédrale de Cologne particulièrement,
les chapelles, copiées sur celles d'Amiens, portent des pinacles très-élevés
et dont la proportion élancée forme un complément indispensable au bon
effet de ces contre-forts saillants et minces, et, plus encore, assurent leur
parfaite stabilité par leur poids. Il est intéressant de comparer ces deux
édifices, Amiens et Cologne, qui ont entre eux des rapports si intimes.
Les chapelles absidales de Cologne, comme celles d'Amiens, reposent sur
un plateau circulaire qui les inscrit et sert de base à tout le chevet; leur
proportion est pareille, les meneaux des fenêtres identiques. A Amiens,
deux gargouilles prises dans la hauteur du larmier rejettent les eaux des
chéneaux à chaque contre-fort; à Cologne, c'est une seule gargouille prise
dans la hauteur de la corniche feuillue sous le larmier qui remplit cet
office. A Amiens, les balustrades lefaites au xvi*- siècle devaient, nous le
croyons, rappeler la balustrade de la Sainte-Chapelle de Paris; à Cologne,
la balustrade est semblable à celle de Beauvais. Restent les sommets des
contre-forts, incomplets ou inachevés à Amiens, terminés à Cologne,
quelques années après la construction des chapelles, vers le conmience-
ment du xiv^ siècle, par de hauts pinacles à jour renfermant des statues.
Dans l'une comme dans l'autre de ces deux cathédrales, les chapelles
absidales sont couvertes par des pavillons en charpente isolés et pyrami-
• Voy. au mol cathédrale riiisloriqiie de la construclioii de la cathédrale d'Amiens.
A peine les chapelles de l'abside sonl-elles terminées, que les travaux restent suspen-
dus et ne sont repris qu'après un incendie des couvertures iulërieures.
[ CHAI'KI.LK 1 ITS —
(laux. A Beauvais, les cou\iei'lures des chapelles «liaient en dalles; mais il
ne faut pas oublier (|Liê. dans ce dernier monument, il y a un double
friloriiiin , et (|ue larcliitecte avait voulu laisser à cette belle disposition
toutesDii importance à l'extérieur, et ne point la masquer par des combles.
A ClerinonI en Auvergne, à Limoj^^es et à Narbonne. et |)lus tai'd a
Kvreux, l<'s chapelles ahsidales furent protégées par un dallage Ibi'mant
imc seule et même pente, très-faible, avec celui établi sur le bas-cùlé;
mais nous ne pouvons considérer ce mode de couveilure connue définitif;
il nous sera fa(;ile de le démontrer. A ('l(<rmont, à Limoges <^t a Narbonne,
ces dallages sans ressauts, mais presque plant\s, son! couverts dejturcs
tracées sur la pierre comme sur une aire, ('.es épures sont celles, naluiel-
lement, de constructions postérieures à l'érection des chapelles ; ce sont les
tracés des arcs-boutants, des portails des transsepts, des fenêtres hautes.
Dans les villes du moyen âge, l'espace manquait pour élal)lir des chantiers
avec tous leurs accessoiies. Sitôt les chapelles et bas-côtés du chevet
achevés, on It^s recouvrait d'une aire dallée, et cette surface servait de
chantier aux api)areilleurs pour tracer leurs épures; ce qu'ils faisaient avec
le plus grand soin, |)uis(pie, encore aujourd'hui, nous pouvons les relever
exactenuMit et tailler dessus des panneaux. Or, à Cleiinniil, quoifju'il y ait
un dallage, on voit, tout autour des souches des aics-boulantsqui percent
l'aire, des chéneaux disposés pour recevoir des combles; bien mieux, le
nmr du triforium porte un lilet de cond)le et des corbeaux destines à
soutenir les faîtages de l'appentis en charpente que l'on projetait sur le
bas-côté. A Limoges, des restaurations récentes ont fait disparaître des
traces analogues dont probablement on n'a pas compris l'importance au
point de vue archéologi(pie. Ces dispositions indiquent évidenmient qu'au
xiiie siècle on ne songeait pas à élever des chapelles ahsidales polygonales
sans cond)les pyramidaux, et (|ue ces dallages n'étaient que des couvertures
provisoires destinées à fournir un emplacement aux traceurs d'épurés
pendant la construction des parties supérieures, et en même temps à
protéger les voûtes jusqu'au moment où l'on aurait pu, l'œuvre achevée,
établir des cond)les délinilifs. La forme polygonale des chapelles de chevet
adoptée depuis h' xuc siècle jusqu'au xvr demande une couverture j)yra-
midale, et les architectes de ces temps avaient un sentiment trop juste de
l'etiet des masses archilectoniques pour ne pas être choqués par l'absence
de ce couronnement indispensable; car c'est un principe général, dans
l'architecture ogivale , que toute partie d'un monument doit porter sa
cou\erlure propre, lorsqu'elle se détache tant soit peu de la masse. Nous
voulons bien admettre qu'à la cathédrale de Narbonne on n'a jamais
songé a couvrir autrement les chapelles ahsidales que par une plate-forme
dallée; mais ces chapelles étaient couronnées par un crénelage au lieu
d'une balustiade. La cathédrale de Narixunie était presque une forteresse
en même tenq)s (|u'une église, et dans ce cas les plates-formes étaient
juslilic'cs; c'est la une exception. Quant aux chapelles ahsidales delà
cathédrale de Limoges, l'absence de combles pyramidaux jure avec leur
— iT'.i
^.y^/rH'^^^fjJX'
composition, (|ui appartient exciusiveiiient a lecole darchitectuip du
[ CHAPITEAU 1 4^0 —
Nord. L'une de ces chapelles, celle du chevet (il),oflVe une particularité
rare, même au xiv siècle : c'est que les fenêtres sont couroniK'es par des
^^âhles à jour ; or cette partie de la cathédrale de l>inioj;es date de la tin
du XIII*" siècle. Pour le reste de la composition de la chapelle du chevet
de la cathédrale de LimojACS, on retrouve les éléments fournis par Amiens,
B(>auvais et Cologne.
La fig. Ai fera recoHnaîti'e la parenté rpii existe entre ces monuments.
Toutefois, outre les p"il)les à jour rpii font exception, à Limoges connue à
(llei'mont, la halustrade des chapelles absidales passe au-devant des gros
contre-forts séparatifs, et on peut regretter que cette disposition n'ait pas
été adoptée antérieurement parles architectes d'Amiens et de Cologne, car
elle sert de transition entre le gros contre-fort inférieur et celui supérieur
servant de buttée aux arcs-l)outants ; et de plus, die rend l'enlielien facile,
ainsi que le nettoyage des gargouilles. Les ('hai)elles du chevet de la cathé-
drale de Limoges portent sur un énorme soubassement en granit (jui en-
globe leur base dans sa masse. A partir de ce moment (les dernières années
du xiii'" siècle), on ne voit plus que des dispositions particulières aient été
prises pour la consti'uction des chapelles absidales; les mêmes errements
sont suivis par les ai'chitectes jus(ju"au xvi*' siècle, quant à l'ensemble, et
les dittérences que Ton pourrait signaler entre les chapelles <lu xv<- et celles
du xiiif ne tiennent qu'aux détails de l'architecture qui se moditient.
Nous terminerons donc ici cet article, puisque nous avons, dans le
cours du Dictionnaire , l'occasion de revenir sur chacun de ces détails.
CHAPITEAU, s. m. Nom (pie l'on donne à l'évasement que forme la
partie supérieure d'une colonne ou dun pilastre, et qui sert de transition
entre le support et la chose portée.
Les Romains, à partir de l'époque impéi'iale, n'employaient })Ius, sauf
de rares exceptions, dans leurs édifices, que l'ordre corinthien. Plus riche
que les autres , se prêtant aux grandes dimensions des monuments, il
convenait au gont et aux programmes romains. Mais, dans les derniers
temps de la décadence, les sculpteurs étaient arrivés à pervertir tîlrange-
ment les formes des chapiteaux antiques. Des chapiteaux ionicpie et coiin-
thien, on avait fait un mélange que l'on est convenu d'appeler le chapiteau
composite, mais qui, par le fait, n'est qu'un amalgame assez disgi'acieux
de deux éléments destinés à rester séparés. Déjà même les Romains
avaient introduit dans le chapiteau composite des figures, des victoires
aih'cs, des aigles; ils avaient chargé le tailloir d'ornements, et cherché,
dans cette partie inqmitante de la décoration archilecloni(pu% la richesse
plutôt que la pureté du galbe, si bien com|)rise par les Grecs. Lorsque
dans les Gaules, sous les rois mérovingiens, on voulut élever de nouveaux
édifices sur les ruines qui couvraient le sol, les matériaux ne manquaient
pas; la sculj)lure était un art perdu; on em|)l()ya donc tous les anciens
fragments (\uo l'on put iccueillir dans la construction des bâtisses nou-
velles. Des colonnes et des chapiteaux, différents de diamètre et de hauteur.
— 4SI — I ciiAi'miAi J
viiiront so ranjier tant bien que mal dans un m^nie monument. Les
anciennes basiliques de Rome ne sont elles-mêmes qu'une iV'union de
frafïments antiques. Cette vari«''té d'ornementation, imposée parla néces-
sité, fut cause que les yeux s'habituèrent à voir, dans un même édifice,
des chapiteaux fort ditiérents par la composition, l'àfie, le style et la
provenance. Lorsque les frajj^nients antiques vinrent à manquer, il fallut y
suppléer par des œuvres nouvelles, et les sculpteurs, depuis le vi« siècle
jusqu'au ix«, cherchèrent à imiter les vieux débris romains qu'ils avaient
sous les yeux. Ces imitations, faites par des mains inhai)iles, avec des
outils grossiers, sans aucune idée de la mise au point régulière, ne furent
que d'informes réminiscences des arts antiques, dans lesquelles on cher-
cherait vainement des règles, des principes d'art. Toutefois, il faut
reconnaître que, dès cette époque reculée, il se fit une véritable révolution
dans la manière d'employer le chapiteau ; ce membre de la colonne
reçut une destination plus vraie que celle qui lui avait été affectée par les
Grecs et les Romains,
Certains développements sont nécessaires pour faire comprendre toute
l'impoitance de ce changement de destination donnée au chapiteau.
Les ordres grecs se composent, comme on sait, de la colonne avec son
chapiteau supportant un entablement, autrement dit, une superposition de
plates-bandes comprenant l'architrave, la frise et la corniche. Il en est de
même des ordres romains. Avant les dernières années du Ras-Empire, pas
de colonnes grecques ou romaines sans l'entablement ; et ce n'est que fort
tard, dans quelques édifices de la décadence, que l'on voit, par exception,
l'archivolte romain posé sur le chapiteau sans entablement. Dans les ordres
•■•recs et romains; le chapiteau est plutôt un arrêt destiné à satisfaire les
veux, qu'un appendice nécessaire à la solidité de l'édifice, car la première
plate bande ne dépasse pas l'aplomb du diamètre supérieur de la colonne,
et le chapiteau est ainsi (au point de vue de la solidité) un membre inutile,
dont la forte saillie ne porte rien sur deux de ses faces.
La fig. 1 , qui donne un chapiteau d'un des temples d'Agrigente avec
son entablement, exprime clairement ce que nous voulons indiquer.
Supposant les parties A du chapiteau coupées, l'architrave portera tout
aussi bien sur le fût de la colonne. En gens de sens et de goût, les Athé-
niens furent évidemment frappés de ce défaut; car, dans la construction
du Parthénon , ils firent saillir laichitrave sur le nu de la colonne, ainsi
que l'indique la fig. 2. La fonction du chapiteau est là bien marquée;
c'est un encorbellement placé sur le fût cylindrique de la colonne pour
donner une large assiette à la plate-bande. Ces finesses échappèrent aux
Romains; ils ne virent dans le chapiteau qu'un simple ornement, et ne
profitèient pas de son évasement pour porter une plate-bande plus large
que le diamètre supérieur du fut de la colonne.
Dès les premiers temps du moyen âge, l'entablement disparait totale-
ment, pour ne plus reparaître (juau xvr siècle, et le chapiteau avec son
tailloir porte larchivolte sans intermédiaire. Alors, le chapiteau prend un
T. ... <'•
I CHAI'ITKAU I — 4S'2 —
rôle mile ; du cyliiHlip il passe au carré par un pncorl)ellpmpnt. n\ rf'(,nit
le sommier de l'arc; ce rôle, il le conserve jusqu'à l'époque de la renais-
sance. Cependant, jusqu'au xi*" siècle, en posant un sonunier d'arcs sur le
tailloir du chapiteau, on n'osait pas toujours pi-ofiter de l'évasement donné
par la saillie de ce tailloir, et on tenait le lit de pose du sonimier à l'aplomb
de la colonne. C'est ainsi (jue sont disposés les chapiteaux de la nef de
rég;lise Saint-Menoux (Allier), qui datent du ix"" ou x*' siècle (3). ('e n'était
que successivement qu'on arrivait à se servir de l'évasement du chapiteau
comme d'un encorbellement pouvant être utilisé pour porter un sommier
dont le lit de pose débordait le diamètre de la colonne. Nous verrons
quelles furent les conséquences importantes de cette innovation dans la
construction des édifices, et comme le chapiteau dut peu à peu abandonner
les formes antiques pour se prêter à cette fonction imposée j)ar les prin-
cipes de l'architecture du moyen âge. Dans les édifices mérovingiens et
— 48.'{ — [ ("IIAIMTEAL 1
carlovingiens, on plaçait souvent des colonnes aux angles saillants , ainsi
que l'indique la tiy. i, afin de dégager et doiner ces angles; si une voûte
en berceau venait se reposer sur le mur AB, le chapiteau de la colonne
formait supj)ort de la tète du berceau et venait atilcurer le nu AH suivant
la ligne pnnctueo BB C; le tailloir seul formait saillie sur le nu du mur.
I (.iiAriri;vr ] — iMi —
C'est dans cette position que nous voyons les premiers chapiteaux porter
une niac^'onnerie en encorbellement; car, dans un même édifice, les
colonnes isolées portent des sommiers d'arrliivoites dont le lit de pose
inscrit exaclemeni l(^ diamètre supérieur du lïil, tandis (jue les colonnes
d'angle sont déjà surmontées de chapiteaux dont I evasement , comme
dans la tig. 4, sert à supporter un sommier saillant.
La crypte de Téj^lise Saint-Etienne d'Auxeri'e nous présente ces deux
exemples, qin datent de la même époque (ix'' ou x'' siècle).
La \'v^. \ bis est l'élevalion perspective du plan i, el la fii-. T» le chapiteau
dune colonne isolée, (hi voit que si le cha|)ifeau de la colonne d'angle
porte un sommiei' plus saillant que le nu de la colomie, il n'en (>st pas
encore de même pour la colonne isolée. Ces trois chapiteaux (lig. 3, i bis
et .-)) l'oni voii- comment les sculpteurs carlovingiens inlerprt'laient le
feuille du diapiteau romain : les uns, ne sachant conmienl réserver el
dégagei' dans la pierre le revers de la feuille, |)osaienl celle-ci de prolil el
connue raltatUie sur la corbeille; les aulies se conteiUaieul de (pielques
— AHh — [ ciiAPiTiau I
cannelures ciselées en éventail pom- siniulei- les nei-ls et découpures de la
S
feuille romaine. Ces artistes priniilils tentaient cependant de se soustraire
parfois à la tradition antique, et taillaient déjà, dès le x*- siècle, des figures
sur les corbeilles de leurs chapiteaux, ou des formes dont il serait ditii(>ile
de découvrir l'origine , des traits, des zigzags, de grossiers linéanienls ;
souvent aussi ils se conlentaient de les épanneler. Mais nous ne voulons
pas fatiguer nos lecteurs par des reproductions de ces premiers et informes
essais, qui n'ont qu'un attrait de curiosité ; nous arriverons au xi^ siècle,
époque pendant laquelle la forme des chapiteaux , leur fonction et leur
sculpture peuvent être parfaitement définies.
11 nous faut d'abord distinguer les chapiteaux, à partir de cette époque,
en chapiteaux de colonnes isolées, monocylindriques, et en chapiteaux
de colonnes engagées.
Dans les églises, les colonnes monocylindriques sont ordinairement
réservées pour le tour des sanctuaires; partout ailleurs la colonne est
presque toujours engagée au moins d'un tiers dans une pile , un pilastre
ou un mur. La fonction de la colonne engagée étant, dans l'intérieur des
monuments, de supporter un archivolte, et son diamètre ne dépassant
[ CHAIMTKAL' ] — i^56 —
guère un pied (de 0,33 c. à 0,40 c, voy. pile), il fallait donn»M- au
chapiteau un évaseuieiit assez considérable pour recevoir le lit du som-
mier de cet archivolte (jui devait soutenir un mur épais ou tout au moins
un contre-tort. Dès l'instant (|ue le système de la constiuction des voûtes
romanes était adopté, le chapiteau n'était plus un simple ornement; il
entrait dans la construction comme une des parties les plus importantes,
puisqu'il devenait l'assiette, le point de dépari des voijtes (voy. construc-
TioN, l'ii.i:). Donc, après ces tâtonnements et c(>s grossiers essais des
architectes et sculpteurs, nous \oyons tout a coup, au xi*" siècle, le
chapiteau composé pour remplir une fonction nouvelle et utile. Cela est
particulièrement sensible dans les édifices de l'Auvergne, du Nivernais
et de la Bourgogne, qui datent de cette époque. Dans ces provinces, les
archivoltes présentent une section carrée qui exige un point d'appui solide
pour recevoir le sommier; le chapiteau est alors muni d'un double tail-
loir, le premier tenant à l'assise même du chapileau, et le second formant
tablette saillante : or c'est ce premier tailloir (jui embrasse exactement la
surface donnée par le lit de pose du sommier.
La hg. G, copiée sur 1 un des chapiteaux du lotu' du chinu' de l'église
— 4S7 — [ CHAPITKAU ]
de Saint-Étienne de Nevers (seconde moitié du xi»" siècle), fera comprendre
le rôle utile du chapiteau roman.
Dans l'Ile-de-France et la Normandie, l'indécision dni'e plus lonj^temps;
les archivoltes sont nmnis souvent de yros boudins, sont maigres et ne
viennent pas franchement se reposer sur la saillie du chapiteau. Cela est
apparent dans la nef de la cathédrale d'Evreux , où (juelques piles du
xi« siècle, qui ont conservé leurs chapiteaux et archivoltes primitifs, nous
présentent une disposition reproduite ici (7).
C'est toujours dans le voisinage des grands centres monastiques qu'il
faut étudier l'architecture romane , c'est là qu'elle se développe avec le
plus de vigueur et de franchise. En Bourgogne, l'ordre de Cluny forme
une école , au xi^ siècle, à nulle autre comparable ; c'est donc à lui que
nous irons demander les exemples les plus beaux de cette époque. C'est à
Vézelay , puisque l'église mère de Cluny est détruite aujourd'hui. La nef
de l'église de Sainte-Madeleine de Vézelay présente une série de quatre-
vingt-quatorze chapiteaux décorés d'ornements et de tigures ; leur galbe,
leur proportion et la façon monumentale dont la sculpture est traitée.
[ CHAPITEAU I — 4S8
sont un liche sujet d'études auquel on revient toujours après avoir examiné
d'autres édifices du même temps. Parmi ces chapiteaux, on en remai(iue
([iiel((ues-uns , vers les transsepts, qui appartiennent à une cpociuc anlé-
rieui'e, el ont été replacés, lors de la reconstruction de la nef, à la tin du
xi« siècle. 11 ne sendile pas que le maître de l'œuvre ait suivi un ordre
méthodique dans le classement de ces chapiteaux; étant tous apjjarcillés
de la même manière et sculptés, connue toujours, avant la pose, il est
vraiseml)la])le (|ue les poseurs les ont montés el scellés à leur place sans
suivre un oidre. mais au l'ur et à mesui'e ((u'ils sortaient des inams des
sculpteurs. Outre les chapiteaux f'euiihis et qui n'ont aucune sif^nilication,
il en est un grand nombre, parmi ceux à figures, qu'il est ditlicile, pour
nous du moins, d'expliquer. Quelques-uns repi'ésenlent des scènes de
l'Ancien Testament ; par exemple , la bénédiction de Jacob, la mort
d'Absalon, David et Goliath, Moïse descendant du Sinaï (H), ('e chapiteau
est un de ceux <|ui sont traités avec le plus de verve; son tailloir est décoré
de gros l)oulons orlés qui rappellent les oves antiques. Le démon s'échappe
par la bouche du Veau d'or à la vue de Moïse, un homme apporte un
chevreau pour le sacrifier à l'idole •et parait interdit. Les gestes sont
justes, bien sentis et fortement accentués; la figure du démon (>st d'une
énergie sauvage qui ne manque j)as de style. En sonune, si les délaiis de
ces S(;ulptures sont souvent barbares, jamais on ne peut leur l'eprocher
d'être vulgaires. Dans les compositions, il y a toujours quehjue chose de
grand, de vrai, de dramatique qui captive l'attention et l'ait songei-.
Beaucoup de ces chapiteaux représentent des paraboles : le mauvais riche,
l'enfant prodigue; des légendes : celles de Gain, tué par son fils Tubal ; de
saint Eusiache; des scènes de la vie de saint Anioine et de saint Benoit;
puis des vices et leur punition (le diable joue un grand rôle dans ces
conqwsitions) ; des travaux de l'année : la moisson, la moulure du grain,
la vendange, etc.; des animaux bizarres tirés des bestiaires (9) ; des lions
et des oiseaux adossés ou affrontés au milieu de feuillages. Tous ces
ornements et figures se renferment dans le même e|)annelage. consistant
en un cône ti'onqué renversé, pénétré par un cube donnant en projection
horizontale (10) le tracé A, et en projeelion verlicale le trace li. L'astra-
gale tient toujours au fût, el le second tailloir saillant est pris dans une
autre assise; du reste, tous les tailloiis soiU variés connue profil ou tléco-
ration. Si les chapiteaux à Hgures de la nef de l'église de Vézelay sont
d'un style tant soit peu sauvage, il n'en est pas ainsi de ceux conq)osés
uni(|uement de feuillages; ces derniers sont dune pureté d'exécution et
dune beauté iiK-onqiarable.
Mais c'est surtout pendant le xii« siècle que la sculpture des chapiteaux
atteignit une singulière perfection. Leur fonction désormais arrêtée,
supports avant d'être ornements, ils conservent cette forme dominanle en
se couvi'ant de la paiure la plus riche . la plus délicate e! la plus vaiiée.
Depuis longtemps (lejii il était admis que les chapili^aux dun même monu-
ment, en se renfermant dans un galbe uniforme, devaient fous être variés ;
— iXU
ClIAI'ITKAi;
-V. ^^3£Z-î/B5'.^^
c'était donc là. pour les sculpteurs, une occasion de se surpasser les uns
62
T. H.
CHAPITEAi;
— Am
les autres, do faire preuve de talent dans la eoiuposition, de finesse d'exé-
cution, de patience et de soin, (yétaient. dans les inh-rieurs des monuments.
pesÂRD. se.
de nond)reuses pa^^es à remplir, destinées à captiver l'attention et à
instruire la foule. Les chapiteaux à figures tiennent essentiellement à
l'architecture romane, surtout dans les provinces éloignées de l'Ile-de-
France. Ils persistent , jusque vers la fin du xii« siècle , dans le Poitou, le
Herry, la Bourgogne, l'Aquitaine et l'Auvergne, tandis (|ue les feuillages,
les entrelacs sont adoptés de préférence dans les ])rovinces dépendant du
domaine royal. Nous ne trouvons ces grands chapiteaux ave(; tailloirs
très-saillants et large sculpture qu'à Vezelay et dans le voisinage de cette
491 l CHAPITEAl ]
rélèbre al)l)aye. Ailleurs, pendant les xi" el \ii« siècles, ils sont plus
trapus, moins saillants sur la colonne, moins hauts, et ne sont pas
couromiés par ces énormes tailloirs d'un etiet si muiiumental. A Vezelay.
les chapiteaux des colonnes engagées des bas-côtés ont en hauteur .
compris le tailloir, le quart de la hauteur du fût ; tandis que généralement,
en Auvergne et dans le Berry , ils n'ont guère que le cinquième ou le
sixième de la hauteur du fût. En Normandie, dans le Maine, l'Anjou et
le Poitou . ils sont plus bas encore, comparativement à la longueur de la
colonne.
La dimension des matériaux employés était pour quelque chose dans
ces différences de proportion. En Bourgogne, les bancs de pierre sont
hauts et ont toujours été extraits en blocs d'une grande dimension ; tandis
que, dans les provinces que nous venons de désigner , la pierre était . de
temps immémorial, extraite par bancs dune faible épaisseur. Or. pendant
la période romane, les chapiteaux sont toujours sculptes dans une hauteur
d'assise ; jamais un lit ne vient les séparer en deux assises. Les chapiteaux
étant, conmie tous les membres de l'architecture, taillés et terminés avant
la pose, il eût été impossible de raccorder des sculptures faites sur deux
pierres. Ce ne fut que plus tard que l'on conq)osa des chapiteaux en deux
ou trois assises, et nous verrons comment sy prirent les appareilleurs et
sculpteurs pour rassembler ces divers morceaux termines sur le chanlier.
Il \ a sans dire que, si la hauteur des bancs calcaires inilue sur la proportion
donnée aux chapiteaux, la qualité de la pierre, pendant toute la période
romane, vient en aide au sculpteur si elle est fine et compacte, gène son
travail si elle est grossière et poreuse. Là où les matériaux permettent une
glande délicatesse de ciseau, les chapiteaux sont sculptes avec une rare
perfection : ils se couvrent de détails a peine vi>ibles a la distance oii ils
[ CIIAIMIKAL I iU-2
sont placés. Il est tel cliapilt'au , (111X11*= siècle, des provinces l'avorisées
par la nature des matériaux, qui peut passer pour une u'uvre destinée à
être vue de près connne le serait un nieui)le. Les exein|)les abondent ;
nous en choisirons un entre tous, tiré des ruines de léj^dis*' de Deols
(Bouig-Dieu) près Chàteauroux (11). Ce chapiteau est bas, coniparative-
H
ment à ceux de la liourfïogne de la même épo(|ue; son tailloir est lin. peu
saillant; les ornements exécutés avec une délicatesse remartiuable; il
présente ces singuliers enchevêtrements d'animaux <|ue Ton rencontre si
souvent dans les j)rovincesvoisinesde la Loire et jus(|ue dans lAn^oumois.
Ce n'est plus là cet art imposant de la Houri^oi^ue , ce pdlx» hardi des
chapiteaux du porche de Vézelay, contemporain de Féi^lise de Deols. La
sculpture n'est pas découpée sur le fond, mais très-modelée ; les traditions
antiques ne paraissent pas avoir dominé l'artiste, qui semble plutôt inspiré
parées dessins d'étoffes, ces ivoires , ces bijoux venus d'Orient et si fort
prisés au xn'" siècle (voy. sculptlre).
Mais c'est sui'tout dans les contrées méridionales compiises entre la
Caronne, la Loire et la mei', (jue. dès le xr' siècle, les chapiteaux se
'*">5 [ CHAl'ITEAl I
couvrent d'animaux Irailés avec une rare énergie , modelés simplement,
d'un caraclère étrange et plein de style. On en jugera par lexemple que
nous donnons (1-2), eo|)ié sur un ehajtiteau du porche de l'église de
Moissac (partie du xi'' siècle). Cette sculpture, dessinée avec vigueur,
coupée dans une pierre dure par une main habile, n'est cependant pas
exempte de tinesse; la netteté de la composition, la franche disposition
des masses, n'excluent pas la délicatesse des détails, comme le fait voir,
autant que possible, notre gravure. Les articulations, les mouvements de
ces lions fantastiques ayant une seule tête pour deux corps sont vrais,
bien compris dans le sens de la décoration monumentale; la sculpture est
peu saillante, afin de ne pas déranger la silhouette du chapiteau, dont la
forme est trapue connue celle de tous les chapiteaux de grosses colonnes.
Car il est, dès l'époque romane, un fait à remarquer : c'est (fue la hautein-
CHAI'ITEAL
ï\)'i —
d'assises cominandaiil la liaiileiir du chapiteau , il en résulte (|ue, dans le
niènje édifice, les eliapileaux des fji'osses colonnes sont l»as, larj^vs, écrasés,
tandis (jue ceux des coloiinelles sont svellcs, élancés. Il nr faut jjascroiic
(|iie ce principe est adopté dune t'act>n absolue; mais il a toujouis une
irdluence sur les pi'oportions des chaj)iteaux, qui sont daulant plus allon-
gées, relativeineni au diamètre des colonnes, que celles-ci sont plusj-ièles.
Nous avons dit qu'à partir des temps mérovingi<'ns, les diapileaux
portent directement, les sommiers des arcs et ne sont plus, connue dans
l'architecture antique grecque et romaine, destinés à soutenir une plate-
bande. A cette règle, quelque générale qu'elle soit , il y a cependant îles
exceptions.
Dans les provinces du Centre, en Auvergne, dans le l'oilou et l'Aqui-
taine, dès le xi« siècle, on rencontre souvent des colonnes tenant lieu de
contre-forts sur les parois extérieures des absides ou chapelles circulaires
(voy., au mot ciiAPKi.i.i:, les fig. '27 et 34). Les chapiteaux alors portent
directement la corniche sous la couverture, l'inleivalle entre ces chapi-
teaux étant soulage par des corbeaux. On trouve de beaux exemi)les de
ces chapiteaux autour des absides des églises dissoire, de Saint-iNectaire,
— i9r> I CHAPITKAU )
(le Chamaillèi'es, de Noli'e-I)aiiie-(lii-l*ort à Clermont (13), qui datent du
xi« siècle; nous les reiieoutrons encore au Mas-d'Aj^enais, sur les bords
de la (iarf)iine. à Saint-Sernin de Toulouse, à la callK'drale d'Amen , et
jusqu'à Saint-l*apoul, sur les frontières du Houssillon. [.a eoiniclie n'est,
dans ce cas, qu'une sinq^le tablette destinée à recevoir les premières dalles
de la couverture et à proté{jfer les murs par sa saillie (voyez cornichk).
On sent encore l'influence antique dans le chapiteau (fig. 13) d'une des
chapelles de Notre-Dame-du-Port ; mais ces réminiscences sont peu
connnunes, et les chapiteaux ap|)artenantà ce style et à l'architecture des
XI*; et xiif siècles de ces pi'ovinces ont un caractère original.
Pour rencontrer des chapiteaux dans la composition descjuels les tradi-
tions gallo-romaines ont une grande influence jusqu'au commencement
du \in<; siècle, il faut aller dans certaines localités de l'Est et du Sud-Est,
à Autun, à Langres, le long de la Saône et du Rhône. Les chapiteaux des
colonnes monocylindriques du sanctuaire de la cathédrale de Langres,
(jui datent de la seconde moitié du xii*" siècle, sont évidenunent imités de
chapiteaux corinthiens gallo-romains; on y retrouve même le faire de
la sculpture, les trous nombreux de trépan percés pour dessiner les sépa-
rations des membres des feuilles, la découpure dentelée des feuillages, les
volutes, culots et retroussis, le tailloir curviligne avec ses quatre fleurons
et la corbeille corinthienne. Souvent , à côté de ces chapiteaux imités de
l'antiquité, le goût particulier à l'époque apparaît, et les feuillages coiin-
Ihiens sont remplacés par des flgures, connne à la cathédrale d'Autun,
par des entrelacs ou des rosaces, genre d'ornement fréquemment adapte
aux chapiteaux pendant le xii*^ siècle, ainsi que le fait voir la fig. 14,
reproduisant un chapiteau de l'ancien cloître roman de l'abbaye de
Vézelay '. Il faut reconnaître que, même dans les contrées où la tradition
gallo-romaine persiste, à cause surtout du voisinage de fragments antiques
qui couvraient encore le sol, cette influence n'a d'ettet que sur les chapi-
teaux posés sur des colonnes monocylindriques comme les colonnes
anti(|ues, et sur des pilastres disposés comme le sont les pilastres romains.
Sur les colonnes engagées, d'angles, et les colon nettes, le chapiteau roman
prend sa place, connue si ces genres de suppoits appartenaient exclusive-
ment à ce style et ne pouvait admettre de uiélanges. Cela est bien visible
dans la cathédrale de Langres.
Ce monument ne présente à l'intérieur et à l'extérieur que les colonnes
monocylindriques du chœur, dont nous avons parlé tout à l'heure, et des
pilastres. Les chapiteaux de ces colonnes et pilastres rappellent avec
plus ou moins de fidélité la sculpture et la conqwsition des chapiteaux
corinthiens romains. Mais le triforium du chœur présente une suite
d'arcatures supportées par des colonnettes accouplées. Ces coloimettes
sont surmontées de chapiteaux jumeaux portant les sommiers des petits
1 Ce chapiteau es.l le seul de ce cloîUe qui soit conserve inlaci ; il est déposé dans
le musée de l'église, el reproduit dans la nouvelle construction du cloître.
CHAPITKAi:
U)(l —
iiir-hivollos. C-rla est iiiu' disposition toute romane : or les cliaijileaiix
jumeaux des colonnes accouplées ont, la plM|)ait , un caractère étranj^'er
Pf
^ a. JS///v£'
aux arts antiques; on en jufïera par l'exemple que nous donnons ici (15).
Le nuir supportant le triforium du cho'ur de la cafliédrale de Lanières est
épais; pour le ])orler sans avoii' des colonnclles dun l'orl diamètre,
l'arcliitecte a dû éloigner passablement ces coloimettes lune de l'autre,
suivant la section du mur; voulant aussi (|ue les chapiteaux jumeaux
fussent pris dans une seule pierre, afin de ne pas donner troj) de quillaf^e
à ses colonnettes, il les a réunis par une jjfrosse tète de lion . ainsi que le
lait voii' notre ti^uur.
Un procédé analogue avait été suivi pour la laille des l)as(\s jumelles
i9T —
f r.HAI'ITKAl' ]
«le ces colonnettes . qui sont éfialement défiai^ées dans un seul luoiceau
(le pierre (voy. base, Hg. 19). Ainsi, d'une part, nous voyons la forme
primitive de la colonne ou des pilastres antiques faire eoiiscrver, à
i.anirres. la formt' et la eompdsition du chapilt'aii (•(irinlliioii ; cl. de
/5
lautie . l'adoption dune disposition toute romane de colonnettes faire
adoptei' le chapiteau roman dans lequel les traditions antiques ne sont
plus apparentes.
C'est, nous le répétons, pendant la seconde moitié du y.w" siècle, que
ces influences diverses a^'issent à Laniires. Mais il fallait (pie cette tradition
de la forme antique fût bien forte dans cette contrée, puisque , pendant
les dernières années du xu« siècle ou les premières du xiii'', lorsque l'on
construit la nef de la cathédrale, en conservant le pilastre antique canton-
nant les piles, on voit encore, dans la conqjosition des chapiteaux de ces
pilastres, la disposition corinthienne conservée avec certains détails et
ornements qui appartiennent à la sculpture la plus belle et la plus carac-
térisée de la première période ogivale.
Ainsi nous trouvons (16) dans un même chapiteau, connne masse, les
divisions des feuilles sur la corbeille corinthienne , les restes des volutes
avec leurs caulicoles et bagues, puis les reiroussis, et un beau crochet
appartenant franchement à la sculpture des premières années du xn^
siècle.
Cn autre chapiteau de la même nef présente, avec un souvenir plus
T II - <>3
[ C.MAI'irKAl 1 ' — •iV*^» —
('H'iicé mais porsistant «'iiroiv du cliapilcaii ((iiiiilliicii . des détails (|iii
quoique fort étranges, sont empreints du style des premières années du
xine siècle; c'est ce chapiteau dont les relroussis des téuilles viennent
couvrir des tètes humaines (17).
ï.a Bourgogne nous présente quelques autres exemples de chapiteaux
de cette époque décorés de têtes en guise de crochets; nous en avons vu
un dans la petite église de Sainte-Sabine (Cùte-dOr), entre Saint-Thibaut
et Arnay-le-L)uc. La Normandie et le Maine en possèdent aussi en assez
grand nombre, mais d'une date plus reculée.
Aucune époque de notre architecture ne foui-nit une aussi grande
(|uantité de chapiteaux variés de forme et de détails que le xii^' siècle. A
aucune époque aussi la sculpture de ce membre important de la colomie
ne fut exécutée avec plus d'amour. iNous ne pouvons que donner quelques
types bien caractérisés et en petit nondjre, en essayant de les classer
méthodiquement.
Puisque nous en sonnnes à l'interprétation plus ou moins exacte des
formes antiques, nous ne saurions passer sous silence ces chapiteaux des
bords de la Haute-daronne qui ont une physionomie bitMi tranchée, et
qui, en conservant à peu près les masses du chapiteau corinthien, subdi-
visent les grandes feuilles en gracieux (leurons s'em-oulant les uns près
4-*.)*.) — I (IIAI'ITKAl' I
des autres coiiiiiic une sorte dedaniasquinaj^e. l/éj;iisedt'Saiiil-Seiniii de
Toulouse en fournit de beaux échantillons exécutés avec une rare perfection.
Nous donnons (18) un de ces chapiteaux. Dans le même monument, il
en est d'autres qui ne donnent que l'épannelage de cette riche ornemen-
tation; quelques-uns, posés sur les colonnes monocylindriques du sanc-
tuaire, sont des copies assez fidèles de chapiteaux romains, copies dans
lesquelles cependant on trouve un style, un goût et une pureté d'exécution,
qui rendent ces sculptures supérieures aux chapiteaux des bas-temps.
Il est un fait que nous devons signaler, car il est particulier à leglise de
Saint-Sernin ainsi qu'à certaines églises méridionales du xu^ siècle : c'est
qu'à l'intérieur de ces édifices les chapiteaux sont seulement décorés de
feuillages, sauf de rares exceptions, tandis que ceux qui décorent les
portails à l'extérieur sont presque tous couverts de figures légendaires,
symboliques, ou d'animaux bizarres. Les colonnes du portail souvrant à
l'extrémité du transsept sud de l'église de Saint-Sernin sont surmontées
de chapiteaux sur lesquels on a figuré la personnification des vices et leur
punition. Le portail de la nef, du même côté, reproduit,' sur ses chapiteaux,
l'Annonciation, la Visitation, le massacre des Innocents, etc. Cette méthode
de figurer des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament sur les chapi-
teaux des portails est généralement a(lo[)tce, au xii'' siècle, non-seulement
I (.11 AIMIKM I h(H)
dans 1p Midi, mais ^iicoïc dans (|uel(|iu's-iiiu's de ii(>séi;lises du iNord. I.c
j)()rtail royal de la callicdralc de (lliarti'ps, par exeinijle. développe sur ses
chapiteaux une série descènes sacrées (|ui se suivent »'t forment <(imiiie
une frise pourtournant les ressauts produits par la disposition des colonnes
en retraite les unes sur les autres.
Mais c'est dans h's cloîtres surtout (|ue les chapiteaux sont, au xic siècle,
couverts de scènes empriu)tées à l'histoire sacrée ou aux léjj;en(les des
saints. Les cloîtres de Saint-Trophyme d'Arles, de Moissac, d'Elne, sont
])articulièrement riches en représentations de ce j^enre, ainsi que les admi-
rahles cloîtres, détruits aujourd'hui, des églises de Toulouse et d'Avignon.
r>es nmsées de ces villes renferment encore (piehpies-uns de ces fVa^ments
<pii sont de la plus jurande beauté et d'une liuesse d'exécution incompa-
— 50 1 — I CHAIMTKAU ]
rable. Les chapiteaux des cloîtres romans sont presque toujours doubles,
les colonnes supportant les arcaturesdes lialeries étant jumelles ; et, dans
ce cas, ces chapiteaux ne sont souvent qu'une frise sculptée supportée
par un ranjf de l'euiiies au-dessus de chacune des astrajiales. Quelques-uns
des chapiieaux déposés dans le musée de Toulouse et provenant, dit-on,
du cloître de Saint-Sernin (xri« siècle), sont ainsi composés.
.Nous donnons (19) une copie de l'un deux. Il représente une chasse à
l'ours au milieu d'enroulements d'un 5^:0111 ex(|uis. I/ours est remarquable-
ment imité, contrairement aux habitudes des sculpteurs du xn'' siècle, qui
donnaient presque toujours à leurs animaux une forme conventionnelle;
on voit que le voisinage des Pyrénées a permis à l'artiste de prendre la
nature sur le fait. Quant aux chapiteaux du cloître de Moissac, ils repré-
sentent des scènes diverses, dont les figurines sont sculptées avec la plus
grande délicatesse, ou des ornements dans le genre de ceux du chapiteau
de Saint-Sernin (fig. 18).
Mais, dans ces provinces méridionales, l'école des sculpteurs qui étaient
arrivés, au xn** siècle, à une si rare habileté, s'éteint pendant les guerres
des Albigeois, et il nous faut retourner vers le Nord pour trouver la
transition entre le chapiteau roman et le chapiteau appartenant au style
ogival. Cette transformation suit pas à pas celle de larchiteclure; elle est,
à cause de cela même, fort intéressante à étudier. Dans les provinces
septentrionales, et particulièrement dans le domaine royal, la sculpture
avait atteint, au xn» siècle, une perfection d'exécution qui ne le cède
guère aux écoles méridionales. Toutefois, dans les chapiteaux de cette
époque et appartenant aux édifices de ces contrées, les figures sont rares ;
l'ornementation, composée de feuillages ou d*enroulements , domine.
Lintîuence du chapiteau corinthien antique se fait souvent sentir, mais
elle est déjà soumise à des formes particulières; c'est plutôt un souvenir
qu'une imitation. L'artiste adopte un galbe, certaines dispositions des
masses qui lui appartiennent; il ne tâtonne plus, il a trouvé un type
auquel il se soumettra de plus en plus jusqu'au moment où il abandonnera
complètement les dernières traces de l'art romain. La transition entre le
chapiteau roman plus ou moins fidèlement inspiré de la tradition antique
et le chapiteau appartenant à l'art ogival peut être observée dans un assez
grand nombre d'édifices construits pendant la première moitié du
xiie siècle.
Nous prendrons un exemple, entre beaucoup d'autres analogues, dans
léglise de Sainte-Madeleine de Chàteaudun (-20). Les piliers de la nef de
cette église (côté nord! sont cantonnés de colonnes engagées de diamètres
ditiérents; cependant tous les chapiteaux^ pris dans la même assise sont
de la même hauteur, (|u'ils appartiennent aux grosses ou minces colonnes.
La corbeille du chapiteau de la colonne mince s'entoure de feuilles peu
recourbées à leur extrémité, tandis que déjà le chapiteau de la grosse
colonne retourne vigoureusement les bouts de ses feuilles de façon à
former, à chaque extrémité, une masse assez volumineuse pour accrocher
I CHAI'IIKAI
— o(>-2
^^vo
:^^y^
CIIAPITKAl
la lumière et faire prévaloir ainsi , au milieu du j^roupe de feuillages,
certaines masses fortement accentuées. C'est, en eflet , dans les gros
(']ia|)iteau\ (|ue l'on voit se développer d'abord ces extrémités de feuilles
qui peu à peu prennent une grande importance, jusqu'à figurer ces
volumineux bourgeons , ces paquets de folioles que l'on désigne aujour-
d'hui sous le nom de crochets.
Les puissants tailloirs carrés des chapiteaux romans, encore conservés
dans l'architecture du'xii'" siècle, supportant des sommiers d'arcs dont le
lit était lui-même inscrit dans des angles droits, obligeaient les sculpteurs
à donner aux angles du chapiteau une grande résistance pour ne pas être
brisés sous la charge. Ces letroussis de feuilles, non point évidés comme
les volutes du cha{)iteau corinthien antique qui n'ont rien à porter, mais
pleins, formaient comme une console, un encorbellement nécessaire à la
solidité. C'est pourquoi nous voyons ces retroussis adoptés d'abord dans
les gros chapiteaux portant les arcs principaux, tandis qu'ils ne paraissent
pas nécessaires dans les chapiteaux plus grêles (|ui n'ont que des arcs
ogives à soutenir. A plus forte raison donnait-oîi aux angles des chapi-
CHAHIÏKAI
rioi —
teaux des colonnes isolées, portant de très-lourdes char^TS et réparlissanl
cette char^'e sur un fût assez mince comparativement, un lrès-j,M'and
dévelopjiement.
Cela esl bien accusé dans les chapiteaux (h>s colonnes monocylindriques
du lour du chœur de ICj^lise de Saint-Denis, (|U()i(|U(' lii encore on sente
l'influence de la sculpture romaine Le déveloj)peuient est complet dans
les chapiteaux du sanctuaire de léj^lise de Sainl-Leu d'Esserent cil).
Nous n'avons pas i)esoin de faire ressortir les l)elles qualités de cette
dernière sculpture, qui réunit au plus haut de}.';ré la finesse à la fermeté.
Dans cet exemple, nulle ccud'usion, pas de làtomuMuents. Les angles de
l'épais tailloir sont puissamment souteims par les gros crochets, com-
posés avec un ait infini ; entre eux on voit paraître la corbeille circulaire
qui fait le fond du chapiteau ; des tètes d'animaux sortant à la réunion
des larges feuilles découpées occujjent et décorent la partie moyenne. Les
feuilles, afin de [)resenter à l^eil une masse plus ferme, sont cernées par
— 505 — [ CHA ]
deux nerfs qui servent de tige au crochet d'angle, en «'enroulant sur eux-
mêmes.
Pour tout artiste de goût, c'est là, quelle que soit l'école à laquelle il
appartienne, une œuvre digne de servir d'exenq)le, autant par la manière
dont elle est composée que par son exécution^ à la fois sobre, fine et monu-
mentale.
La révolution qui s'opère dans la forme et les détails des chapiteaux,
vers la fin du xn^ siècle, arrive promptement, dans le domaine royal et
les provinces environnantes, à son entier développement, connue nous le
verrons tout à Iheure ; elle se fait moins rapidement en Bourgogne.
L'influence romane persiste plus longtemps. Dans les provinces de l'Est,
sur les bords du Rhin et de la Moselle, le chapiteau roman se décore de
détails plus délicats, mais conserve sa forme primitive. Le chapiteau
roman rhénan est bien connu ; c'est une portion de sphère posée sur
l'astragale et pénétrée par un cube.
mm0Ê \
1%
hj
La fig. 22 nous dispensera de plus longues explications au sujet de cette
forme singulière que l'on rencontre dans presque toute l'Allemagne, et
dont on trouve la trace dans certains édifices du x« siècle, du nord-est de
l'Italie et en Lombardie. Ces chapiteaux ont leurs faces plates décorées
souvent, soit par des peintures, soit par des ornements déliés, découpés,
peu saillants, connue une sorte de gravure.
Au xri^' siècle, lorsque tous les profils de l'architecture prirent plus de
finesse, la forme cubique de ces chapiteaux dut paraître grossière; on
divisa donc les gros chapiteaux en quatre portions de sphères se péné-
trant et pénétrées ensemble par un cube, ainsi que l'indique la fig. 23; puis
on orna chacune de ces parties qui formaient comme un groupe de quatre
chapiteaux réunis.
La nef de l'église de Uosheim près Strasbourg, qui date du xu'" siècle,
(U
n.
1 ni A 1 — rioo —
nous donne un bel exemple de ces sortes de chapiteaux (2i). On voitquiR
mamf
rorncmentation n'est qu'accessoire dans les chapiteaux rhénans; ce n'est
guère qu'une gravure à peine modelée qui ne modifie pas le galbe géomé-
trique du sonmnet de la colonne; on sent là l'influence byzantine, car si
l'on veut examiner les chapiteaux de Saint-Vital de Ravenne et de Saint-
Marc de Venise, on reconnaîtra que dans ces édifices la plupart des chapi-
teaux, appartenant aux constructions primitives, ne sont décorés que par
des sculptures très-plates, découpées, ou même quelquefois, comme dans
le bas-côté nord de cette dernière église, par des incrustations de couleur.
Ouelle que soit la beauté de travail de ces sculptures, la forme romane,
même à la fin du \\w siècle, reste maîtresse; il ne semble pas que cet art
puisse se trantormcr.
L'architecture comme la sculpture romane du Uhin ne peuvent se débar-
rasser de leurs langes carlovingiennes; elles tournent dans le même cercle
jusipi'au moment où les arts français importés viennent prendre leur place.
Cette innnobilité ou ce respect pour les traditions, si l'on veut, existent,
(pioicpie avec moins de force, en Normandie. La forme du chapiteau nor-
mand roman persiste, sans modification sensible dans lésinasses, justpi'au
moment oii \o, style français tait invasion dans celte province lors de la
507
f rii\
(•oiiquète de Philippo-Aiigiisle. l.e chapiteau (ubKiiie simple ou divisé se
rencontre aussi dans cette province; il est souvent décoré de peintures,
comme on peut le voir encore dans l'église de Saint-Georges de Boscher-
ville et dans celle de l'abbaye de Jumièges. Nous retrouvons même ces
chapiteaux dans des parties carlovingiennes des églises françaises de l'Est.
La crypte de l'église Saint-Léger de Soissons contient encore un chapiteau
cubique peint, fort remarquable , qui paraît dater du x« siècle. Nous en
donnons une copie (2,%). Les ornements sont blancs sur fond jaune ocre.
A
(^v/
La pénétration du cube dans la sphère est tracée par une légère entaille
double, ainsi que l'indique le profil fait sur l'axe A B, ce qui donne à ce
chapiteau une physionomie particulière. Ce n'est pas là le pur chapiteau
rhénan.
De tous ces divers styles romans, dont la variété est infinie et dont nous
n'avons pu que tracer les caractères les plus saillants, un seul arrive à une
transformation à la fin du \u^ siècle ; c'est le style français proprement dit,
car les chapiteaux suivaient naturellement les progrès de l'architecture
(voy. ARCHiTECTCRE, CATiiÉDRALK). Lcs autrcs sc traînent sur des traces
vieillies, se perdent, ou louibent dans des raffinements puérils Nous allons
[ CHA ] — 508 —
donc pouvoir suivre pas à pas les transformations successives du chapiteau
français, sans plus faire d'excursions, connue dans la première partie de
cet article.
Ainsi que nous l'avons fait voir, il avait toujours existé une ditïérence
marquée dans la composition des chapiteaux romans appartenant à des
colonnes isolées monocylindriques d'un diamètre assez fort par conséquent,
et des chapiteaux de colonnettcs et colonnes engagées. Toutefois, cette,
différence est plutôt le résultat d'un instinct naturel d'artiste que d'un
système arrêté. En abandonnant la tradition romane pour entier dans
l'ère ogivale inaugurée, à la fin du xn^ siècle, dans les provinces du
domaine royal, de la Champagne, de la Picardie et de la Bourgogne, la
composition des chapiteaux se soumet à un mode fixe; elle devient
logique connue le principe général de l'architecture. Ce sera dorénavant
le sommier des arcs supporté par le chapiteau qui commandera la forme
du tailloir; ce sera la forme du tailloir qui commandera la conqxjsition
du chapiteau. Notons encore une fois ce fait, sur lequel nous reviendrons
souvent, et dont nous ne saurions trop faire ressortir l'inqiortancc : dans
l'architecture ogivale, c'est la voûte et ses divers arcs qui inqwsent aux
mend)res inféiieurs de l'architecture, aux supports, leur nombre, leur
place et leur forme jusque .dans les moindres détails.
A la fin du xw siècle, le chapiteau devient, connue tous les membres
nombreux de l'architecture, un moyen de construction ; il est connue une
expansion intelligente de la pile; il prend ses fondions de support au
sérieux.
Dans l'Ile de France on avait, à la fin du xn^ siècle, adopté fréquemment
la colonne monocylindrique connue pile, non-seulement autour des sanc-
tuaires, mais aussi dans k-s nefs, peut-être parce que cette forme est celle
qui prend le moins d'espace, gêne moins que toute autre la circulation, et
démasque le mieux les diverses parties intérieures d'un édifice. Mais la
colonne cylindrique d'une nef devait porter : 1" deux archivoltes de
travées, 2° l'arc doubleau et les deux arcs ogives du collatéral, 3o le
faisceau de colonnettcs montant jusqu'aux naissances des grandes voûtes.
Ces membres compliqués, se pénétrant, ayant chacun leur fonction,
demandaient une assiette large, snr laquelle ils devaient s'asseoir, et qui
ne pouvait se renfermer dans la section horizontale d'un cylindre, dans un
cercle, ni même dans le carré qui aurait inscrit ce cercle.
A la cathédrale de Paris , par exemple, dont le chœur et la nef sont
portés sur des colonnes monocylindriques, la section de la colonne étant
un cercle dont le centre est en A (i(i), les lits de sounniers des archivoltes
tracent la projection horizontale B; ceux de l'arc doubleau du bas-côté et
des deux arcs ogives, les projections C,DD; et, enfin, les bases des faisceaux
de colomiettes montant juscju'aux grandes voûtes, la projection horizontale
E. Qu'ont fait les constiiuleurs? Ils ont tracé simplement le tailloir du
chapiteau suivant le carré FG III (jui inscrit tous les lits de ces divers
membres, et se sont contentés d'abattre ses angles pour éviter des aiguités
— 509 -^ l lUA I
désagréables, lorsque l'on regarde le chapiteau parallMemenl à ses diago-?
uales. Mais ce tailloir n'inscrit pas exactement les traces données, surpjao
26
horizontal, par le lit des sommiers et bases des colonnettes; il reste deux
surfaces K inutiles; on ne tarda pas à les éviter.
Avant de passer outre, nous faisons voir (27) l'élévation de ces chapiteaux
des gros piliers cylindriques de la cathédrale de Paris, du côté de la nef.
Les bancs de beau cliquart dont sont composés ces piles et leurs chapiteaux
sont bas d'assises et ne portent guère plus de 0,40 c. à 0,45 c. de hauteur.
Force était donc, pour donner aux chapiteaux une proportion convenable
par rapport au diamètre de la colonne, de les sculpter dans deux assises.
Notre fig. ^21 montre comment l'ornementation de ces chapiteaux concorde
avec la hauteur des assises, et conunent on a pu raccorder les deux tam-
bours des chapiteaux très-facilement, quoiqu'ils aient été sculptés avant la
pose'. Les chapiteaux des piles du chœur, sculptés et posés quelques
années avant ceux de la nef, présentent les mêmes dispositions d'ensemble ;
seulement leurs crochets d'angles sont plus forts, plus larges, les feuilles
plus grasses et moins découpées. Il est, du reste, une observation à faire
au sujet des chapiteaux du chœur de Notre-Dame de Paris, que nous ne
devons pas omettre, c'est que les chapiteaux des colonnettes isolées de la
galerie du premier étage paraissent d'un travail plus ancien que les chapi-
teaux des grosses piles cylindriques du rez-de-chaussée. Ils ont dû tous
cependant être taillés en même temps, et s'il y a quelques années de ditfé-
1 Notre gravure ne peut donner qu'une idée fort incomplète de ces magnifiques
chapiteaux dont la scnl[)liiro grassement traitiV, quoique modelée avec -un. soin
extrême, présente une série variée de compositions du medleur style
[ CHA ] - 510 —
reiice entre leur sculpture, évidenuiient ceux du triforiinu sont posU'rieuis
h ceux (lu lez-de-chaussée. Mais, à cette époque de transition, encore
rapprochée de la période romane, il n'est pas rare de rencontrer de ces
soites d'anachronismes en sculpture. Noyon, Sonlis nous en offrent des
exemples. Cela tenait à ce (pie l'on employait en nuMue temps, pour sculpter
les noiuhreux chapiteaux de ces grands monuments, des artistes d'âge
diflférent; les uns appartenaient encore à la vieille école romane, d'autres
plus jeunes suivaient les nouveaux eriements. Or, connue en France on a
toujours été enclin à préférer la nouveauté aux traditions, on confiait les
sculptures les ])lus en vue, les plus iinpoitantcs. aux artistes appartenant
a la nouvelle école, et les œuvres des vieux sculpteurs étaient reléguées
— oll — [ CHA ]
dans les parties des édifices le moins en vue. Les corporations laïques
d'artisans ou d'artistes qui, à la fin du xii» siècle, étaient à l'origine de leur
puissance, avaient cette intellij^îence des corps qui s'organisent dans le but
de produire et de progresser ; elles ne cherchaient pas à nionoi)oliser les
œuvres d'art entre les mains de quelques hommes dans nn intérêt
personnel; elles favorisaient, au contraire, les innovations, et les patrons
étaient débordés et supplantés par leurs apprentis devenus rapidement
plus hardis et plus habiles. Les corporations, pour tout dire en un mot,
étaient des corps et non des coteries ' .
Dans le même monument, la cathédrale de Paris, nous voyons les chapi-
teaux des piles séparant les deux collatéraux déjà combinés pour recevoir
exactement les retombées des ditférents arcs des voûtes. Mais nous revien-
drons tout à l'heure sur les fonctions si bien écrites du chapiteau appaite-
nant à la période ogivale.
Pour faire ressortir l'influence exercée par la nature des matériaux
employés, sur la sculpture des chapiteaux, nous présenterons un exemple
tiré du tour du chœur de la grande église de Mantes , contemporaine du
chœur de Notre-Dame de Paris, et qui paraît avoir été élevée par les mêmes
maîtres. Les murs du sanctuaire de l'église de ÏNIantes sont portés sur des
colonnes en grès qui n'ont pas plus de 0,50 c. de diamètre. Pour résister à
la charge sui)érieure, les chapiteaux durent être également sculptés dans
un grès très-résistant, difficile à travailler et qu'il eût été dangereux de trop
évider ; ils devaient encore présenter un évasement considérable pour
recevoir, sur le lit supérieur du tailloir, le sommier de deux archivoltes, de
deux arcs ogives, d'un arc doubleau, et le départ de la colonnette montant
jusqu'à la naissance des voûtes hautes. Afin d'éviter les brisures qui pou-
vaient se manifester aux angles de ces chapiteaux très-évasés, il fallait que
ces angles fussent soutenus par la sculpture entourant la corbeille, que
cette sculpture formât comme un encorbellement reportant la charge d'un
large sommier sur un fût très-mince. Les sculpteurs résolurent exactement
ce prol)lème, ainsi que le fait voir la fig. 28. A est Vrvc doubleau du colla-
téral. La composition de ce chapiteau a cela d'étrange que, sur quatre
volutes d'angles, deux se retournent dans un sens, deux dans l'autre, mais
toutes quatre sont fortement épaulées sous le retroussis. Cette méthode
avait déjà été employée, quelques années auparavant, autour du chœur de
l'église de Saint-Denis, pour les chapiteaux des colonnes monocylindriques
qui datent de la construction de Suger, et qui portent les culées des arcs-
boutants reconstruits au xur siècle. Il est donc facile de reconnaître qu'au
1 Si (tes faits ne paraissent pas une preuve suffisante en faveur de notre opinion,
on peut consulter les Règlements d'Etienne Boileau ; on y verra avec (pielle sollicitude
ils s'occupent de l'apprenti : s'ils obligent celui-ci h rester auprès de son patron, ils
veulent que le patron lui donne un travail assuré. Un labeur constant entre les mains
de jeunes gens devait naturellement amener des progrès rapides, et il était de
rintérèl du patron de l'encourager.
•[ ciiA "j - rvi2 -
.monlentoîiTarchitcctnro ogivale se développe, le chapiteau se soumet ai*
système de construction adopté, sa fonction est nécessaire et sa forme se
modèle sur les membres des arcs dont il doit porter la charge.
'Si rapides (|ue soient les transformations dans un art, il est certains
usages, certaines traditions qui persistent, dont on ne s'athanchit qu'avec
peine. Déjà la section hoii/ontale du pilier roman était abandonnée depuis
longtemps, le pilier ogival, dans les nefs, se composait d'un cylindre can-
tonné de quatre colonnes, (^l'autour des sanctuaires on conservait encore
la colonne monocylindrifiue, soit parce que cette forme était traditionnelle
et que le clergé y tenait, soit parce qu'elle dégageait mieux les bas-côtés
du chœur et permettait aux tidèles assemblés autour du sanctuaire de
mieux voir les cérémonies, soit enfin parce que, les travées de rond-point
étant plus étroites que les autres, on voulait donner une grande légèreté
apparente aux points d'appui, et ne pas diminuer la largeur des vides
(VOy. PILK, PILUUl).
Cependant le système général de la construction des voûtes ogivales
franchement appliqué ne pouvait concorder nxoc la colonne monocylin-
— 513 —
CHA ]
(Iriqiie. L'esprit inipérieusemont logique des constructeurs excluait les
surfaces horizontales ne supportant rien, inutiles par conséquent, quelque
peu étendues qu'elles fussent (vov. base).
Passer d'un lit de sounnier tel que celui donné [i'ù), par exemple, à un
cercle, en évitant les surfaces horizontales sur le tailloir du chapiteau,
devenait difticile; on pouvait bien inscrire le lit des différents arcs
ce ,DD ,E dans un octogone régulier, et de l'octogone régulier passer au
cercle, mais les trois colonnettes ABB', destinées à recevoir trois nerfs des
voûtes hautes, sortaient avec leur base de l'octogone; il fallait ajouter un
appendice au tailloir pour les soutenir, et cet appendice du tailloir devait
être lui-même soutenu par un ornement du chapiteau ; de là des combi-
naisons que les architectes faisaient concourir avec un art exquis à la
décoration de l'ensemble.
Le plan de tailloir et la trace de sommier, fig. 29, provenant du chœur
de la jolie église de Sémur en Auxois, donne, en élévation perspective, la
fig. 30 '. On voit avec quel scrupule l'architecte a évité des angles saillants
présentant des surfaces horizontales sans emploi, comment il a su conduire
l'œil du tut cylindrique à la rencontre compliquée des ditiérents membres
des voûtes et des colonnettes , de manière à faire voir que ce chapiteau
porte réellement et qu'il n'est pas seulement une décoration banale. Une
fois le principe admis, il y a dans ces combinaisons une sincérité et une
f^ràce bien éloignées de notre architecture moderne, dont la plupart des
' Celte paille du chœur de l'église de Sémur eu Auxois dul élre consliuile de I 220
à 1 230.
T. 11. t)0
rn.v
ol4
membres se superposent sans qu'il soit possible de dire quelle est leur
fonciion, pounpioi ils occupent une place i)lutol qu'une autre.
La pierre mise en œuvre pour la construction des églises de Sénuir en
Auxois est, il faut le dire, fort résistante; c'est un gros grès (pierre de
l'ouillenay) qui, bien qu'il se taille assez facilement en sortant de la carrière,
acnjuiert la dureté du granit.
L'assise du chapiteau représenté fig. 30 n'a pas moins de 0,80 c. de
lianteur, non compris le tailloir pris dans une autre assise. Les construc-
teurs n'avaient pas partout des matériaux de cette hauteur de banc et de
cette force. Alors, s'ils voulaient maintenir la colonne monocylindi'iqne
dans les sanctuaires (connue ils l'ont fait plus tard encore dans la Bour-
gogne), ils lui donnaient, comparativement au sonmiier. un plus fort
515 —
[ CHA ]
diamètre, et ils sculptaient le chapiteau dans deux assises, ainsi qu'on peut
le voir à la cathédrale d'Auxerre.
Cependant on ne tarda pas à s'affranchir de la difficulté résultant de la
retombée des membres des voûtes sur un chapiteau unique, et à oublier
ce dernier vestige des traditions romanes. Admettant définitivement, vers
\'2io, que les voûtes devaient commander la section horizontale des piliers,
on cantonna les colonnes monocylindriques de deux ou de (piatre
colonnes; cette nouvelle combinaison vint déranger l'ordonnance des
chapiteaux (voy. pile, pilier).
Un des premiers exemples de cette transformation se rencontre à l'entrée
de la nef de la cathédrale de Paris; les premières travées de cette nef sont
d'une époque un peu postérieure aux suivantes (voy. cathédrale). L'archi-
tecte, en laissant subsister au centre du groupe de colonnes le gros pilier
monocylindrique adopté dans le reste du monument, lui conserva son
chapiteau; seulement il l'interrompit au droit de chacune des colonnes
engagées.
31
/'SJMIÙ.
La fig. 31 rendra notre description plus claire. Un voit en A la colonne
[ CHA J — 510 —
qui porte, comme un renfort ajouté au pilier, les colonnettes montant
jusqu'à la naissance des voûtes hautes ; en B l'une des trois autres colonnes
qui portent k'S deux archivoltes et l'arc douhlcau du collalcral ; les arcs
ogives posent sur les sections circulaires du tailluii- du gius chapiteau,
laissées encore inutiles, en partie, du côlé de la nef. Si le gros chapiteau
est formé de deux assises , les trois chapiteaux des colonnes engagées B
sont sculptés dans une seule. L'instinct de l'artiste lui commandait cette
diHérence de hauteur donnée à des chai)iteaux de colonnes de diamètres
différents. Quant à la colonne engagée A ne portant pas d'arc , mais un
groupe de colonnettes, elle n'a pas de chapiteaux. Ce fait indique bien
clairement que l'on n'admettait alors le chapiteau (comme déjà pendant la
période romane) que pour porter des arcs de voûtes, et servir de transition,
d'encorbellement, entre le sommier large de ces arcs et les fûts minces des
colonnes.
Ce moyen transitoire trouvé, les architectes ne purent manquer d'être
choqués par ces démanchements d'assises ornées, ce tailloir d'une forme
assez peu gracieuse et compliquée en plan. Ils cherchèrent à concilier
l'efllet d'unité donné par le chapiteau unique possédant un seul tailloir
avec les nécessités de proportions (jui obligeaient d'avoir des hauteurs de
chapiteaux en rapport avec le diamètre des fûts des coloimes réunies. Ils
résolurent ce problème avec beaucoup d'adresse dans la construction des
piliers latéraux du chœur de la cathédrale d'Auxerre (1230 environ), ainsi
que le fait voir la fig. 32. Les colonnes engagées ne viennent ici qu'épauler
quatre des faces du tailloir octogone du chapiteau de la grosse colonne
centrale. L'astragale des petits chapiteaux passe également sur le gros,
indique le lit; et au-dessous, ce gros chapiteau, entre l'astragale fausse et
sa véritable astragale, présente une sculpture plus simple, plus en rapport
avec son diamètre. L'ornementation de la partie supérieure du gros cha-
piteau participe, comme échelle de celle des petits, tandis (lu'elle lui
ap[)artient en propre dans la partie infériem-e où il reste seul visible. Ce
n'est pas là, il faut bien en convenir, l'effet du hasard ou d'une fantaisie
d'artiste, mais la e()usé(pience d'un j^incipe (jui cherche à devenir de plus
en plus absolu jusque dans les moindres détails de la construction et de la
décoration des édifices.
Entre le chapiteau de Notre-Dame de Paris (fig. 3») et celui que nous
représentons ici (32), il y a un grand pas de fait vers l'unité d'aspect; mais
les (juatre colonnes engagées viennent encore couper le gros chapiteau,
et l(î demanchemenl cpii choque, dans la fig. 31, n'est pas évité malgré
le passage de l'astragale des petits chapiteaux sur la corbeille du gros. Un
voulut tout concilier à Reims en construisant les piliers de la cathédrale
(1230 à 1240) '.
' Nous pailuns dos piliers de la i)ar(ie la plus aiicicuuo de la uef avoisiuaul les
Iranssepts.
— ril7 — [ CHA ]
Le gros chapiteau conserva son ordonnance propre au milieu des
lé i
quatre autres '. Ceux-ci prirent toute la hauteur du gros chapiteau en
' Par exception, les qiKitre edlonnes engagées dans les piliers portent chacune un
ciiapiteau au même niveau, les colonnettes supérieures reposant sur le chapiteau de
la colonne engagée du côté de la nef(voy. cATHÉuiiALii, lig. !4, pilier).
[ en A I ■ — 518 —
deux assises; mais une seconde astragale vint les divisera mi-hauteur (33).
Hi'fCErsr
On remarquera, en outre, dans les chapiteaux de la nef de la cathédrale
de Reims, la forme des tailloirs; oelni du jjros clia|)it('au est un carré posé
diagonalement, ceux des petits chapiteaux sont octogones; ils sont com-
binés de manière à circonscrire exactement la trace du lit du sommier des
arcs et des bases des cinq colonnettes montant juscpi'à la naissance des
grandes voûtes, ainsi que le démontre la section horizontale (34.). La ligne
ponctuée indiiiue le pilier; en A,BB,GG sont les cinq colonnettes (lui, posant
sur un des quatre chapiteaux octogones, portent le gros arc douhleau, les
deux arcs ogives et les deux formerets des voûtes hautes ; en DU les traces
des sommiers des archivoltes sur lesquels reposent les écoinçons entre les
piles, le triforium et les grandes fenêtres supérieures; en EE les deux arcs
ogives des voûtes des bas-côtés; en F l'arc douhleau de ces mêmes voûtes.
Le tailloir du chapiteau principal avait ses deux diagonales CiII.IK parallèles
et perpendiculaires à l'axe de la nef, ce (pii était motivé par la trace du
sommier de tous les arcs. On arrivait ainsi successivement à prendre le lit
inférieur du sommier conmie générateur du tailloir du chapiteau. Ce que
— 519 — [ CHA j
l'on ne saurait trop remarquer dans la structure de la cathédrale de Reims,
./Lonux^iP.iK:
c'est la méthode, la régularité de toutes les parties. Le tracé de ces som-
miers d'arcs est très-savant, et nous avons l'occasion d'y revenir aux mots
CONSTRUCTION, SOMMIER, VOUTE.
Il nous suffira de faire observer ici que la disposition du groupe de chapi-
teaux, n'ayant pour eux tous qu'un seul tailloir, se soumettant déjà au
nombre des arcs principaux et à leur section, est un acheminement vers les
chapiteaux isolés appartenant à chaque colonne. La transition est encore
plus sensible dans la disposition des chapiteaux du tour du chœur de la
cathédrale d'Amiens (1240 environ). Leurs tailloirs prennent des formes
rectangulaires qui, non-seulement se modèlent exactement sur la trace du
lit inférieur du sommier, mais encore accusent chacun des arcs des voûtes.
Ainsi (35) : soit la ligne ponctuée la section horizontale du pilier ; en A est
la colonnette qui monte jusqu'aux voûtes hautes, le tailloir ne fait que la
pourtourner comme une bague sans chapiteau; en B les archivoltes et
leurs doubles claveaux C; en D l'arc doubleau du collatéral, et en E les arcs
ogives. On voit que chacun de ces arcs porte sur une portion du tailloir qui
lui appartient en propre ; ce n'est plus un tailloir commun pour plusieurs
arcs. En élévation perspective du côté du collatéral, ces chapiteaux artéctent
la disposition donnée par la fig. 36. Si la naissance du chapiteau est
composée comme celle des chapiteaux des piliers du chœur de la cathédrale
d'Auxerre, son tailloir se découpe, se sépare en autant de membres qu'il y
I CHA 1 — 520 —
il d'arcs. Il n'y a encore que quatre chapiteaux, un gros et trois plus petits
/t^ffstMn.'j^.
et il y a déjà six tailloirs. Du moment que les architectes se laissaient ainsi
entraîner par une suite de raisonnements , la pente était irrésistible. Les
arcs des voûtes (à cause de cette sorte d'horreur que les maîtres avaient
pour les surfaces horizontales inoccupées), en forçant de subdiviser le
tailloir du chapiteau, intUièrent bientôt sur les piles. Dès 1250, on donnait
déjà aux piles autant de colonnes qu'il y avait d'aics, et par suite autant de
chapiteaux ; on arriva à doinier aux jjiles autant de membres que les arcs
avaient de nerfs, et les chapiteaux perdirent alors leur véritable fonction de
suppoit, d'encorbellement, pour ne plus devenir que des bagues ornées,
mettant une assise de séparation entre les lignes veiticales des piles et les
naissances des arcs. Puis enfin , comprenant que les chapiteaux n'avaient
plus de raisons d'exister, les maîtres les supprimèrent complètement, et
les arcs, avec toutes leurs moulures, vinrent descendre jusque sur les bases
des piliers. C'est ainsi que par l'observation rigoureuse d'un principe on
5*21 — 1 CHAl'ITKAl i
tombe du vrai dans l'absurde, par l'excès luènic de la vérité; car la vérité
(dans les arts du moins) a ses excès.
On est fondé à soutenir que l'art ogival, à son déclin, aboutit à des
recherches ridicules : quand on le considère isolément, de 1400 à 1500, il
est impossible, en elïèt, de deviner son origine et de prédire juscpi'à
quelles extravagances il pourra s'abaisser; mais si Ton suit pas à i)as les
transformations par lesquelles il passe, de sa naissance à sa décrépitude,
on est forcé de reconnaître que l'excès n'est, chez lui, que l'exagération
d'un principe juste basé dans l'origine sur l'application du vrai absolu,
trop absolu puisqu'il a conduit par une pente rapide à de tels résultats. Le
goût peut seul, dans les arts, comme en toute chose, opposer une barrière
à l'exagération, même dans lajjplication du vrai; mais le goût ne peut
exister dans une société qui, ayant rompu avec les traditions, se trouve à
l'état d'enfantement perpétuel ; le goût n'est alors qu'un sens individuel
propre à chaque artiste, il n'existe pas à l'état de doctrine. L'architecture
de la fin du xii« siècle prend sa source dans la raison des artistes; ceux-ci
T. 11.
f CHAITIEAI ) — '.rm —
ne font que poser des principes matériels étranj^ers aux principes admis
jusqu'alors; la forme, si belle qu'ils Taienl trouvée, n'est qu'un moyen,
qu'une enveloppe soumis(> aux cilculs de Tesprit. Une fois enj,^aj;és dans
cette voie, les artistes (|ui suivent ne cherchent (|u"à la pousser plus avant;
entraillés par une succession de lois qui se déduisent fatalement comme
des j)roblèines de géométrie, ne possédant pas ce tempérament de lesjjrit
qu"on appelle le goût, ils ne peuvent revenir en arrière ni même s'arrêter,
et ils étendent si loin leurs raisonnements qu'ils perdent de \ue le point
de départ. C'est toujours la même voie parcourue dans le même sens;
mais elle va si avant, que ceux qui sont forcés de la suivre ne savent où
elle les conduira. Les arts antiques consei'vent un étalon auquel ils peuvent
recourir, car pour eux la forme domine le raisonnenu'ut; les arts du
moyen âfi;e n'ont d'autre j'uide qu'un piincipe abstrait auquel ils soumet-
tent la forme. Cela nous explique connnent , dans un espace de temps
très-court, des raisonnements justes, le savoir, l'expérience, peuvent
aboutira l'absurde, si une société n'est pas réglée par le jioùt (voy. golt).
On voudra l)ien nous paidoimer cette dii^iession à propos de chapiteaux;
mais c'est que, dans rarchitecture ojj;ivale, ce membre est dune jurande
importance; il est comme la mesure servant à reconnaître ies doses de
science et d'art qui entrent dans les compositions architectoniques; il
permet de préciser les dates, de constater rintluence de telle école, ou
même de tel monument ; il est connue la piern' de touche de lintelMijence
des constructeurs : car, jusque vers le milieu du xne- sièch^, le chapiteau
est non-seulement un support, mais aussi le point sur lequel s'équilibrent
et se neutralisent les i)iessions et poussées des constructions oj^ivales
(voy. constuuction).
L'histoire que nous avons tracée de la transition entre le chapiteau
roman et le chapiteau appartenant définitivement à lère offivale devait
être trop succincte pour que nous n'ayons pas été forcé de né|.;lii;er de
nombreux détails. Du jour où chaque colonne ou colonnette porte son
chapiteau propre, ce n'est plus qu'une question de décoration. Mais cette
question a sa valeur, et nous devons la traiter. Elle ne peut cej)endaiit
être séparée de la forme et des dispositions données aux tailloirs.
Versle milieu du xm^^siècle. lors(|ue. dans rile-de-Fraiice.iaClianipaf;ne
et la Picardie, les architectes s'efforçaient de tracer les tailloirs des chapi-
teaux suivant des (ij^ures qui inscrivaient méthodi(piement les lits des
sommiers des arcs, en Normandie on tranchait brusquement la ditiiculté;
au lieu de formes anj,'uleuses, on donnait aux tailloirs la tif-ure d'un cercle
sur lequel venaient s'asseoir les arcs avec leurs divers membres. L'archi-
tecture en Normandie et en Ani,deterre a cela de particulier, a cette cjxxpie,
quelle emploie des moyens que nous pouri ions ajjpeler mécaniques dans
l'exécution des détails. Ainsi se révélait déjà l'esprit pi-atique de ce peuple
plus industrieux que raisonneur. Cette observation s'apj)lique également
à la sculpture qui, en Angleterre et en Normandie, à partir du xm»" siècle
devient d'une monotonie insupportable; on y sent le travail manuel, mais
5^3 — , [ CHAPITEAU ]
point l'empreinte de l'imagination de l'artiste. Nous reviendrons sur ce
fait.
Les raisons qui font donner au chapiteau telle ou telle forme, qui
influent sur le tracé du tailloir étant connues d'une façon sommaire, on
remarquera que, pendant la seconde moitié du xn^' siècle, rornementation
tend de plus en plus à prendre une fonction utile. Les retroussis ou
crochets qui sont destinés à soutenir les angles du tailloir deviennent plus
volumineux, plus solidement greffés sur la corbeille (voy. fig. 21);
cependant la saillie de ces crochets ne dépasse pas l'angle du carré du
tailloir tenant au chapiteau : c'est-à-dire que A étant le sommet de l'angle
de la tablette du tailloir tenant au chapiteau, le crochet
sera pris dans l'épannelage BCDE (37). On ne trouve
que l)ien peu d'exception à cette règle jusqu'au moment
où les tailloirs commencent à être tracés sur des poly-
gones, vers l^SO. Au contraire, à partir de ce mo-
ment, les crochets débordent plus ou moins les angles
de la tablette supérieure du chapiteau, et il est certaines
provinces, par exemple, où ils sortent de sa corbeille
comme des végétations vigoureuses, pour s'épanouir en dehors de l'aplomb
des moulures les plus saillantes des tailloirs.
Cette première observation faite sur le plus ou le moins d'étendue que
prend la sculpture dans les chapiteaux, il en est une autre, non moins
importante, c'est celle relative au caractère même de cette sculpture.
Pendant la période romane, la décoration des chapiteaux suit des tradi-
tions, répète ou arrange certains ornements pris soit à l'antiquité, soit
aux meubles, aux bijoux, aux étoffes venus de Lombardie ou d'Orient,
tout en s'appropriant ces ornements et leur donnant une allure française,
bourguignonne, normande, champenoise, poitevine, etc.; cependant on
voit bien qu'il y a là l'interprétation d'un autre art. Ce sont des plantes
acclimatées , modifiées par la culture locale ; mais ce ne sont pas des
plantes indigènes.
Vers la fin du xii«' siècle, c'est tout autre chose; une nouvelle plante
naît sur le sol même et finit par étouffer celle qui était exotique. On voit,
vers le milieu du xii^ siècle, percer autour de la corbeille du chapiteau
certains bourgeons peu développés d'abord, qui se mêlent aux entrelacs
romans, à leurs feuilles, à leuis animaux fantastiques. Peu à peu ces
bourgeons s'étendent, ils s'ouvrent en folioles grasses, encore molles de
duvet; les tiges charnues, tendres, ont cette apparence vigoureuse des
jeunes pousses. Mais déjà cette première végétation a expulsé les enrou-
lements perlés et la feuille anguleuse, découpée , du commencement du
xiie siècle; elle est luxuriante, quoique encore chiffonnée et repliée sur
elle-même comme le sont les premières feuilles qui crèvent leur enveloppe.
Entre ces feuilles repliées, on aperçoit les boutons des fleurs. Déjà les tiges
deviennent plus nervées, elles accusent des angles dans leur section. Mais,
chose singulière, il ne faut pascroiieque cette floraison de l'ornementation
[ CIIAPITKAU 1 Mi
(les chapiteaux, au (((inuiencenieut du xu«^ siècle, imite la floraison de
telle ou telle plante; non, c'est une sorte de tlore de convention, (|ui
ressemble à la floi'e naturelle et pi-ocède connue elle, mais à Iaf|uelle on
ne pourrait donnei- un nom d'espèce.
Les beaux exemples de ce printemps de la sculptuie française d'orne-
ment sont innond)rables ; nous en choisirons un parmi les chapiteaux si
remarquablement exécutés du chœur de l'église abbatiale de Vézelay (38).
Malheureusement la gravure ne peu! donner Tidée de l'extrême finesse
de modelé de ces feuilles repliées, qui ont toute la grasse souplesse et la
pureté de contours des bourgeons qui s'épanouissent.
Jamais la sculpture doruement n'avait atteint ce degré de perfection
— 5>25 — [ CHAPITEAU ]
dans l'exécution, avec une entente aussi coujplète (ie l'etïet des masses.
En Bouriioirne et dans le Nivernais . ce commencenient de végétation est
abondant, puissant : il se développe dans le même sens. Dans llle-de-
France, et en Chanipaçine surtout, il est plus délicat; la plante est moins
viiïoureuse, son développement est aussi plus maii^re. Ces observations
pourront paraître étianj^^es; elles sont cependant établies sur des faits
tellement nombreux, que chacun peut vérifier dans tous les monuments
de la période ogivale, qu'on ne saurait en contester la réalité (voy. flore).
Mais en même temps que se développait cette sorte de végétation de
pierre, l'esprit des maîtres, connue nous lavons vu, ne restait pas inactif.
La corbeille ' du chapiteau roman était formée par la pénétration dun
cône dans un cube. En voulant donner plus de souplesse à la sculpture,
et plus de grâce au chapiteau, on avait successivement, pendant la seconde
moitié du xii^ siècle, supprimé le cube et creusé le cône. Mais le solide qui
servait de transition entre le cylindre de la colonne et le carré du tailloir
ne pouvait être géométriquement tracé ; c'était un solide dont la forme
n'était pas définie dune façon rigoureuse, et qu'on laissait à chaque sculp-
teur la faculté de tailler à son gré. Il en résullait que les chapiteaux
analogues d'un même édifice présentaient souvent des galbes très-diffé-
rents. Cela ne devait point satisfaire les architectes du \iu^ siècle, qui
tendaient chaque jour davantage à ne rien laisser au hasard et qui procé-
daient méthodiquement. On arriva donc à adopter poui' les chapiteaux
une corbeille indépendante du tailloir, et ne venant plus s'y relier tant bien
que mal, comme on le voit dans la fig. 38, par des surfaces gauches. En
cela, on se rapprochait de l'ordonnance du chapiteau corinthien antique.
Mais, dans le chapiteau corinthien antirpie, le diamètre supérieur de la
corbeille n'excède pas les côtés curvilignes du tailloir, et le tailloir n'est
qu'une tablette horizontale pai'-dessous. dont les angles saillants ne sont
soutenus que par les volutes à jour qui terminent les caulicoles. Cela
n'avait nul inconvénient, parce que les angles du chapiteau corinthien
antique n'avaient rien à porter, et qu'on ne craignait pas, par conséquent,
qu'une charge supérieure les fit casser. Mais tout autre est la fonction du
chapiteau du \u\*- siècle ; les angles de son tailloir sont utiles, ils reçoivent
la charge considérable des sonmiiers des arcs ; il était donc important de
leur donner la plus grande solidité.
Nous avons vu qu'à Saint-Leu d'Esserent (voy. fig. "21), dès les der-
nières années du xii^ siècle, on avait adopté une corbeille circulaire dont
le bord supérieur n'excédait pas les côtés du tailloir, et ([ue les angles en
porte-à-faux de ce tailloir n'étaient supportés que par des crochets auxquels
on avait dû (à cause de ce porte-à-faux) donner un volume exagéré. Lors-
qu'on voulut que les chapiteaux prissent un galbe plus élégant, une
apparence moins écrasée, et qu'on sculpta des crochets d'angles plus fins,
' On désigne par corbeille, dans le chapiteau, l'évasement qui sert de transition entre
le fût et le tailloir, évasement autour duquel vient se grouper la sculpture.
[ CHAPITEAL' J — a"2(> —
il fallut suppléer au manque de force qui en était la conséquence par un
plus grand développement donné à la corbeille; un Iraça donc le Ixtrd
supérieur de celle-ci de façon à le faire dél)order les côtés du carré du
tailloir, ainsi qu<' l'iiidicpie la fit;. 3'.». il ne l'cslail plus alois en portc-à-fau\
fee/\Rù
que les petits trianp:les A facilement soutenus par les crochets d'angles.
Ces petits triangles même ne furent pas laissés plats, mais vinrent j)énétrer
le revers des crochets d'angles et le bord supérieur de la corbeille par un
biseau (|ui évita toute surface horizontal*\, toute maigreur, tout porte-à-
faux si minime (ju'il fût. Le tracé B explitiue cet arrangement de l'angle
du tailloir sur le crochet destiné à le supporter. On conviendra que si le
hasard a seul inspiré les architectes du xni«' siècle, ainsi qu'on l'a quelque-
fois prétendu, ceux-ci ont eu un rare bonheur; le hasard eut été cette
fois bien prévoyant et sid)til. Ces transformations, ces perfectionnements
sencliaiiK'iil si iMpidemcnl, qu'il fan! une grande attention pour en suivre
toutes les phases. La corbeille débordant les côtés du tailloir carré restait
fort en vue; on décora son bord supérieur par un profil simple (iO), ou
même quelquefois par un prolil orné de sculpture (il ).
:r21
[ CHAPITKAU I
En Bourgogne, les tailloirs des chapiteaux sont tiès-(léveloi)pés par
rapport au diamètre de la colonne, parce que dans cette contrée la pierre,
étant forte , permettait de mettie en œuvre des colonnes minces compa-
rativement aux sommiers quelles avaient à supporter; aussi la cori)eille
s'évase-t-elle d'autant plus que le tailloir prend plus d'imp(»itance. En
Champagne et en Picardie, au contraire, où la pierre n'a pas une très-
grande résistance, les chapiteaux ne portent pas une grande saillie, et
leurs corbeilles, par conséquent, ne sont pas très-évasées ; les crochets se
serrent contre elle et ne se projettent que peu en dehors de son bord
supérieur.
Pendant que se produisaient ces diverses modifications dans la forme et
la décoration des chapiteaux, les archivoltes, arcs doubleaux et arcs ogives
changeaient leurs profds; au lieu d'être pris dans un épannelage rectan-
gulaire dont les faces étaient parallèles aux faces des tailloii-s carrés, on
commençait à les tailler suivant un épannelage à pans abattus ou angu-
leux. Les cornes du tailloir carré excédaient alors inutilement les lits
inférieurs des sonmiiers des arcs; on les abattit et on donna à ces tailloirs
des formes polygonales, ou on les posa diagonalement. La corbeille alors
n'eut plus besoin de prendre autant d'évasement ; son bord supérieur fut
seulement assez saillant pour inscrire à peu près exactement les angles du
polygone du tailloir, ainsi que l'indique la fig. 4-2. Cependant on n'adopta
42
pas sans transition le tailloir polygonal pour les chapiteaux. On connuença
par abattre les cornes du tailloir carre, de manièi'eà former un octogone
à quatre grands et quatre petits côtés, et l'on maintint seulement quatre
crochets sous les petits côtés de l'octogone; pour meubler la partie
CHAPITKAll
— *)-28 —
moyenne de la corbeille, un posa un lanj; infV'rieurde feuilIcs) on cioclicis
issant entre les liftes des crochets supérienis à Taplonih des (|iiatic i^i andcs
faces du tailloir oetoj^^onal.
Le chapiteau que voici (-i3) , l'un d(> ceux qui su|)p()rtenl les voùlcs <lii
M
réfectoire de Saint-lMarlin-des-Clianips à Paris (l''2'2() enviion) , explique
ce premier pas vers le chapiteau à tailloir octof^onal du milieu du xiii»^ siè-
cle. La transition est évidente dans les exemples tirés deSaint-Martin-des-
Champs ; quelques-uns ont déjà des corbeilles à bord supérieur mouluré,
comme rindiqu(^ la fii;. 40; d'auties. connue celui donné fil,^ 43. ont
aussi une coibeille, mais sans bord suj)érieur. et dont la courlx^ vient se
perdre sous le biseau du tailloir. Dès (|ue la corbeille est bien distincte du
tailloir, son galbe est tracé de façon à prolongera peu près jusciu'aux deux
tiers de sa hauteur le fût de la colonne, au-dessus de l'astragale ; tandis
(jue, pendant la période ron)ane, et même encore à la fin du xii« siècle, la
corbeille commence à s'évaser tout de suite en sortant de l'aslingale. ou
(pielque peu au-(l(\ssus d'elle. Il faut observer même (piau coinmen('"ment
(lu xin'' siècle, la corbeille du chai)iteau est légèrement éti-anglée au-dessus
d'un fdet qui surmonte l'astragale; cette forme est indiquée dans le cha-
piteau qu'on voit ici.
Dans la fig. .'W, nous avons laissé les crochets et folioles (jui entourent la
corbeille du (•ha|)il(\au à l'étal de bourgeons à peine développés ; nous les
— 529 — [ CHA 1
trouvons épanouis vers 1250; les feuilles sont ouvertes à la base du crochet
(voy. i\^. 43) ; celui-ci est plus relbuillé. plus dégagé, les boutons de Heurs ne
sont plus enveloppés dans le paquet de feuilles, ils poussent de leur côté.
La sculpture conserve encore cependant (juelque chose de monumental,
de symétrique, de conventionnel qui n'exclut pas la souplesse, non cette
souplesse molle de la jeune pousse, mais la souplesse vigoureuse, puissante
de la végétation qui arrive à son développement et peut^braver les intem-
péries.
Si nous ne consultions que notre goût particulier, nous dirions (pie c'est
là le point où la sculpture eût dû s'arrêter. Car, malgré leur exubérance
de végétation , ces magnifiques chapiteaux du réfectoire de Saint-JMartin-
des-Champs conservent un caractère de force, de résistance qui est en
rapport avec leur fonction. Ce sont, en même temps, et de riches couron-
nements de colonnes, et des encorbellements dont la forme énergique est
en rapport avec la ciiarge énorme qui s'appuie sur leur tête. L'œil est à la
fois rassuré et charmé. Mais l'ornementation de l'époque ogivale ne pouvait
s'arrêter en chemin, pas plus que le système général de l'architecture.
f'^ ne jour les membres des moulures des arcs tendaient à se diviser; on
excluait les plans planes, et on les remplaçait par des tores, des boudins
nervés, séparés par de profondes gorges. Les chapiteaux qui portaient ces
nerfs déliés devaient subir de nouvelles transformations. D'abord ces larges
feuilles si monuuh^jitales parurent lourdes ; on alla chercher' dans les forêts
des feuillages plus légers, plus découpés; les crochets perdirent peu à peu
leur forme primitive de bourgeons pour n'être plus que des réunions de
feuilles développées se recourbant à l'extrémité de la tige. Ces transitions'
sont si rapides qu'il faut les saisir au passage ; d'une année à l'autre, pour
ainsi dire, les changements se font sentir.
"' Dahs la cathédrale de Nevers, monument qu'on ne saurait étudier avec
trop de soin, à cause des curieuses modifications qu'il a subies, on voit
encore, dans la nef, un triforium qui date de 1230 environ. Les chapiteaux
de ce triforium sont exécutés par d'habiles sculpteurs, et ils présentent
les dernières traces de l'ornementation plantureuse, grasse du commence-
ment du xni«^ siècle , avec une tendance marquée vers l'imitation de la
nature.
Nous donnons l'un de ces chapiteaux (44). Ses feuilles, bien qu'elles ne
soient pas encore scrupuleusement reproduites d'après la tlore, rappellent
cependant déjà les feuilles des arbres forestiers de la France ; cela peut
passer pour du poirier sauvage. La grosse tige du crochet est encore appa-
rente derrière la branche de feuillage. Les têtes des crochets ne sont plus
des bourgeons, mais se développent. Le tailloir est un polygone irrégulier;
c'est hn carré dont les angles ont été abattus ; ce chapiteau conserve
encore ses quatre crochets primitifs sous les petits côtés du polygone.
Vers 1230, il s'opère un nouveau changement; on pose un crochet sous
chacun des angles du tailloir; autant d'angles saillants, autant de crochets,
ou, pour mieux dire, de supports ; cela était logique. Mais alors aussi les
T. u. 07
f r.HA ] — 530 —
crochets, se trouvant plus nombreux autour de la corbeille, diminuent de
volume, deviennent moins j)uissants. nuaiid les chapiteaux étaient d'un
fort diamètre, il fallut occuper l'intervalle laissé entre ces cro( hets par des
feuillages nuiltipli»^ (voy. ï\^. 32 et 33); loiscpi'ils étaient fins, j)osés sur
des colonncttes grêles, ou se contenta d'un crochet sous chaque angle du
tailloir, d'abord avec une feuille en j)remier rang entre eux, puis, plus tard,
vers 1240, la feuille fut remplacée par un crochet. Ce fait est remarquable
dans les chapiteaux des meneaux des fenêtres, et peut servir à reconnaître
leur date.
Nous devons à ce sujet entrer dans (juelques exi)lications. Tant que les
meneaux ne se composèrent que d'un boudin avec deux biseaux, l'aspect
de force que présentait ce genre de moulure exigeait que les chapiteaux
portant les compartiments supérieurs conservassent eux-mêmes une appa-
— 531 —
[ cil A
rence de résistance. D'un autre côté, le chapiteau adapté aux meneaux se
trouvait en dehors de la règle commune imposée par le système og^ival; il
ne portait rien, puisque la moulure supérieure au chapiteau est identique-
ment semblable à la colonnetle iniV'rieure (voy. meneai;). Gela enil>arrassa
fort des arciiitectes habitués à donner une fonction à chaque nuMubre de
l'architecture, si peu important (]uil fût. La raison eût indiiiné de ne
pas mettre de chapiteaux aux meneaux , mais cela eût été d'un aspect
mou, désagréable; d'ailleurs le chapiteau du meneau se trouvait à l'extré-
mité d'une colonnette posée en délit, servait d'assiette aux compartiments
supérieurs, et de point de scellement pour la barre en fer transveisale qui
est toujours posée à la naissance des courbes. Admettant donc le chapiteau
connue nécessaire sur ce point, on lui donna d'abord un tailloir carré
suivant l'usage admis (45) , connue dans les meneaux des fenêtres supé-
rieures de la cathédrale de Paris (1225 à 1230), et un seul rang de crochets
soutenant les angles de ce tailloir; mais les deux angles A ne portaient
rien, n'avaient aucune raison d'exister; on changea de système. Ce chapi-
teau des colonnettes des meneaux était une bague, non point un support;
on le reconnut promptement ; on supprima le tailloir carré , qui fut rem-
placé par un tailloir circulaire (vers 1235); on maintint la corbeille sail-
lante sous ce tailloir, l'astragale, et un rang de crochets comme ornement
(46). Des raiionalistes du temps allèrent même jusciu'à supprimer les
crochets et se contentèrent de la bague, qui seule marquait la transition
entre les verticales et les courbes des meneaux. On peut voir de ces chapi-
teaux de meneaux à tailloirs circulaires aux fenêtres de la Sainte-Chapelle
de Paris, des chapelles absidales de la cathédrale d'Amiens, des chapelles
de la nef de la cathédrale de Paris (1240 environ). La section horizontale
des meneaux commençait alors à donner, non plus seulement une ou trois
[ CHA ] - 532 -
coloniiettes avec deux biseaux, mais des moulures plus compliquées; cela
était motivé par des raisons que nous n'avons pas à examiner ici (voy. me-
neau). La multiplicité de ces nerfs verticaux, les ombres qu'ils projetaient
absorbaient le chapiteau dont la décoration simjjlc ne pouvait lutter avec
ces effets de lumière et d'ombre; il fallut orner davantage la corbeille du
chapiteau; on ajouta au-dessous des crochets un rang de feuilles qui
épousaient la forme de la corbeille à leur naissance et s'en détachaient à
leur extrémité supérieure; puis bientôt ces feuilles elles-mêmes ne parurent
pas prendre assez d'importance , et on les remplaça par une première
rangée de crochets épanouis (1245 à 1250) (40 bis, A et B). Le chapiteau
LQ
L
■l
G.
du meneau, par le relief de son ornementation, put ainsi arrêter le regard
préoccupé de la nudtiplicité des ombres verticales. C'est ainsi que peu à peu
la sculpture devenait plus détaillée, plus compliquée , à mesure que les
membres de l'architecture se subdivisaient ; les maîtres, en restant esclaves
d'un principe , perdaient de vue l'effet général. Une moului-e de plus
ajoutée à un arc, à des meneaux, les obligeait à changer l'échelle de tous
les détails de la sculpture. Dans certaines provinces même, de 1235 à 1245,
en Champagne et en Normandie, on ne considéra le chapiteau des meneaux
que comme un simple ornement destiné à marquer le point de départ des
courbes; on supprima quelquefois le tailloir qui présentait une saillie, un
encorbellement, l'assiette d'un corps plus large (pie le fût de la colonnette;
les ci'ochets ou feuillages vinrent seuls arrêter l'extrémité des coloniiettes
des meneaux.
— 533 — [ CHA 1
Voici un exemple de ce dernier parti, lire des fenêtres supérieures de la
nef de la cathédrale dÉvreux d -24(1 environ) ^7). Afin de produire plus
d'etîet. ces chapiteaux sont peints à l'intérieur ; la corbeille (si on peul
donner ce nom à ce qui n'est que la continuation du fût de la colonnette)
reste couleur de pierre, les feuilles supérieures sont vert-olive bordées de
noir et doublées de pourpre sombre : celles inférieures sont blanches
bordées, côtelées de noir et doublées aussi de pourpie : lastragale est
vermillon. En Champagne, les meneaux des fenêtres supérieures de la nef
de la cathédrale de Châlons-sur-Marne imême date) ont aussi des chapi-
teaux sans tailloirs.
Comme nous l'avons dit déjà souvent, les maîtres voulaient sans cesse
perfectionner, donner plus d'unité à l'architecture. Les tailloirs circulaires
avaient, au milieu des aiguites voisines, un aspect mou. indécis qui Uf
r.iiA
— r)3i —
pouvait les satisfaire; ils voulurent leur trouver des angles, mais ne pas
cependant tomber dans le défaut reconnu au tailloir carré (voy. fig.-45). Ils
adoptèrent fréquemmiMit le parti dont nous donnons un exemple (48);
c'est-à-dire qu'ils posèrent le tailloir en angle saillant sur la face, comme
l'indique la section liorizoïifale A, ayant le soin de ne pas faiie déhordei' ce
tailloir et les ornements de la corbeille en deliors de l'epannelage du me-
- 535 - [ CHA ]
neaii, pour éviter les déchets ou évidenient de pierre sur toute sa longueur ;
précaution d'apparcilleur qui n'avait pas toujours été prise par les archi-
tectes de la première moitié du xnr' siècle. Cette position donnée au tailloir
du chapiteau n'est pas seulement réservée aux oolonnettes des meneaux,
elle est encore adoptée, dès HiO à 1245, pour les chapiteaux d'arcs
doubleaux dont les membres de moulures, comme à la Sainte-Chapelle du
Palais, par exemple, s'inscrivent dans un angle droit présentant son som-
met à l'intrados.
Plus tard, vers la fin du xui'' siècle et le commencement du xiv, l'angle
droit présentant son aiguité sur la face du tailloir du chapiteau des meneaux
parut trop vif, trop saillant, trop important, donnant une ombre trop
prononcée; en conservant le principe de l'angle sur la face, on traça le
tailloir des chapiteaux de meneaux suivant un hexagone régulier.
Nous présentons (voy. 48 bis) un chapiteau des montants simples appar-
tenant aux fenêtres des chapelles absidales de Noire-Dame de Paris; son
tailloir, ainsi que l'indique la section horizontale A, est un hexagone. Le fût
de la colonnette se prolonge jusque sous le bord supérieur de la corbeille,
ce qui est encore un des caractères particuliers aux chapiteaux de la fin du
xiiF siècle ; cette corbeille est décorée de bouquets de feuilles empruntées à
la flore indigène, le crocheta disparu. Ces chapiteaux datent des premières
années du xiv siècle; ils sont peints à l'intérieur ; la corbeille est rouge, les
feuilles or, ainsi que le bord supérieur de la corbeille, l'astragale pourpre,
la gorge du tailloir bleu verdâtre, son filet est pourpre et son tore doré.
C'est vers 1240 que les feuilles décoratives des chapiteaux s'épanouissent
complètement, et qu'au lieu d'être copiées sur des plantes grasses, des
herbacées, elles sont de préférence cueillies sur les arbres à haute tige, le
chêne, l'érable, le poirier, le figuier, le hêtre, ou sur des plantes vivaces,
comme le houx, le lierre, la vigne, l'églantier, le framboisier. L'imitation
de la nature est déjà parfaite, recherchée même, ainsi que le fait voir un
des chapiteaux de l'arcature de la Sainte-Chapelle haute de Paris (49). On
trouve encore, dans cet exemple, le crochet du commencement du xin^ siè-
cle; mais sa tête n'a plus rien du bourgeon, c'est un bouquet de feuilles;
sur la corbeille déjà serpentent des tigettes; la feuille ne tient plus à l'archi-
tecture, elle est indépendante ; c'est comme un ornement attaché autour
de la corbeille. On comprendra tout le parti que des mains aussi habiles
que celles des sculpteurs de cette époque pouvaient tirer de ce système
de décoration ; et, en effet, une quantité innombrable de ces chapiteaux
du milieu du xui" siècle sont, comme exécution et comme composition
gracieuse, des œuvres charmantes. Les ensembles architectoniques per-
dent de leur grandeur cependant du jour où la sculpture commence
à s'attacher plutôt à l'imitation de la nature qu'à satisfaire aux données
générales de l'art Les chapiteaux de cette époque deviennent déjà confus;
mais la corbeille bien visible, bien galbée, et le tailloir encore largement
profilé (dans l'Ile de France surtout) soutiennent les membres supérieurs
que les chapiteaux sont destinés à porter.
CHA
— 536 —
En Champaj,MK', la décadence se fait sentir pins tôt ; dès h24(), les tail-
loirs des chapiteaux deviennent d'une excessive maigreur: les bouquets de
feuilles, plus nombreux, plus serrés, plus découp('s , apportent une
extrême confusion dans ces parties importantes de la décoration des
édifices. A la tin du xur siècle, le chapiteau n'existe déjà plus cpie connue
ornement, il n'a plus (h; fonction utile ; les piles se sont divisées en fais-
— -^'ii — [ CHAPITEAL ]
ceau\ (If coloniiettf's (Ml nonibro égal, au moins, au iKimhredes arcs; la
forint d'encorbellenient donnée aux chapiteaux du commencement de ce
siècle n'avait plus de i-aison d'être ; ils perdent de leur saillie et de leur
hauteur; sculptés désormais dans une seule assise, le tailloir compris,
pour les colonnetfes de diamètres ditïérents, ils ne forment plus truère
qu'une sorte de iiuiriande de feuillages à la naissance des arcs. La trace
des crochets ou des bouquets se fait longtemps sentir cependant ; mais
ceux-ci sont tellement serrés, leurs intervalles si bien bourrés de feuillages
et de tiges, qu'à peine si l'on soupçonne la corbeille. Non contents d'avoir
apporté la confusion dans ces belles compositions du commencement du
xiu«" siècle , les sculpteurs se plaisent à chiffonner leurs feuillages, à les
contourner et à en exagérer le modelé. De cette recherche et de cet oubli
de l'effet d'ensemble dans l'exécution des détails, il résulte une monotonie
qui fatigue; et autant on aime à voir, à étudier ces larges et plantureux
chapiteaux primitifs de l'ère ogivale, autant il faut de courage, nous
dirons, pour chercher à démêler ces fouillis de feuillages dont les artistes
de la fin du xuf siècle garnissent les corbeilles de leurs chapiteaux. Il
faut cependant les connaître, car rien ne doit être négligé dans l'étude
d'un art; on n'arrive à en comprendre les beautés qu'après en avoir
signalé les défauts et les abus, lorsque ces défauts et ces abus ne sont
que l'exagération d'un principe poussé aux dernières limites.
Nous ne fatiguerons pas nos lecteurs en multipliant les exemples ; ce
serait inutile d'ailleurs, car s'il y a, dans les détails des chapiteaux de la
fin du xiir siècle et du commencement du xiv, une grande variété, ils
ont une uniformité d'aspect qui doit nous dispenser d'en donner un
grand nombre de copies.
Il n'est pas possible d'admettre qu'à la fin du xii^ siècle et jusqu'à la
moitié du xiiF les architectes ne se soient préoccupés de la composition
et de la décoration des chapiteaux. Ce membre de l'architecture tenait
trop alors à la construction ; il avait, au point de vue de la solidité et de la
répartition des forces, une trop sérieuse importance, pour que l'architecte
n'imposât pas, non-seulement sa forme générale, son galbe, mais encore
la disposition de ses détails. L'architecte créait alors une architecture;
tous les divers ouvriers qui concouraient à l'œuvre n'étaient que des mains
travaillant sous l'inspiration d'une intelligence qui savait seule à quel
résultat devaient tendre ces efforts isolés. A la tin du xiif siècle, il n'en
était plus ainsi; l'architecture était ci-éée; le maître de l'œuvre pouvait
désormais se reposer sur les appareilleurs et les sculpteurs pour exécuter
des conceptions qui ne sortaient jamais d'une loi fixe. Ln sommier d'arcs
donné exigeait une pile tracée d'une certaine manière, des chapiteaux
de telle forme; l'assise portant ces chapiteaux était livrée au sculpteur,
et celui-ci, trouvant les angles du tailloir et les astragales taillés qui indi-
quaient les sommiers des arcs et la section de la pile, n'avait rien à
demander ; il pouvait travailler à son œuvre personnelle en toute assu-
rance ; il s'y complaisait, ne se préoccupait guère, au fond de son atelier.
T. II. 68
CHAPITEAU
538 —
de la place assignée à ce bloc de pierre, et souvent sculptait des feuillages
délicats autour de chapiteaux placés à une grande hauteur , des orne-
ments larges autour "de ceux qui devaient être posés près de l'œil. Ainsi
l'excès de la méthode, le prévu en toute chose amenait la confusion dans
l'exécution dos détails.
Nous choisirons donc parmi les chapiteaux de cette période de lart
ogival ceux qui paraissent avoir été plus judici(Uisement sculptés pour la
place qu'ils occupent et l'apparence de fonction cpi'ils remplissent encore.
La fig. 50 donne un chapiteau du iriforium de la cathédrale de Limoges
^
Hj
(dernières années du xiii<" siècle). Ce chapiteau ne porte rien; il n'est qu'un
ornement, car les profils de l'arcature posés sur les tailloirs sont exacte-
ment ceux de la pile. On voit avec quelle finesse sont rendus et exagérés
même les moindres détails des feuilles; ici plus de crochets, mais toujours
deux rangs de feuillages; quant à la corbeille, son bord est perdu sous
la couronne supérieure. Il faut dire en passant que cette sculptuie es!
exécutée dans du granit; ainsi, à cette époque, l'architecture adoptée est
tellement impérieuse, faite, qu'elle ne lient plus compte de la nature des
matériaux, même dans l'exécution des détails de la sculpture.
La fig. r>l présente un chapiteau de naissance d'arc ogive de la cathédrale
de ('arcassonne (commencement du xiv siècle). La sculpture en est large
:)3v> —
(HAI'IIEAL
relativement à celle de celle époque, convenahle pour la place, à réchelle
du monument; on voit encore dans ce chapiteau une dernière intention
de faire paraître la masse du crorliet ; mais le désir d'imitei' la souplesse
de la plante, le réalisme enfin, connue on dit aujouid'lmi, domine l'artiste
et lui fait perdre de vue l'effet monumental. A dislance, ce chapiteau,
malgré les qualités qui distinguent sa sculpture, ne produit que confu-
sion, et c'est, parmi les hons. un des meilleurs.
A la fin du xiv siècle, les chapiteaux prennent, dans les moimments,
si peu d'importance, qu'à peine on les distingue. Alors toute ligne hori-
\ CHAIMTEAI I — MO —
zuiitale, toute sculpture (\m arrêtait le regard et rempèchait de suivie sans
interruption les lif^nes verticales de l'architecture , gênaient évidemment
les maîtres. Pour dissimuler l'importance déjà si minime des chapiteaux,
les architectes réduisent le tailloir à un filet ou un boudin très-fin mas(]ué
par la saillie des feuillages; si ce tailloir existe encore, on le soupçonne
à peine; il nest plus ((u'un guide pour le sculpteui, une assiette, pour
qu'en posant le sounnier, on ne l)rise pas les sculptures.
Vers le milieu du xv^ siècle, on supprime généralement le (•liaj)iteau,
qui ne reparaît (ju'au commencement de la Renaissance, en cherchant à
se rapprocher des formes antiques. Si, par exception, le chapiteau existe
encore de 1400 à I 480, il est bas, décoré de feuillages très-découpés, de
chardons, de ronces, de passiflores; son astragale est lourde, épaisse, et
son tailloir maigre. Ce dernier chapiteau n'est plus réellement qu'une
bague. Parfois aussi , dans les édifices du xv siècle, on rencontre des
chapiteaux à figures, mais qui sont plutôt des caricatures ou des repré-
sentations de fabliaux en vogue que des légendes sacrées.
Nous avons dit un mot des chapiteaux normands du xiir siècle, lorsque
l'architecture de cette |)rovince cesse d'être une copie de rarchilecture
française du règne de IMiilippe-Auguste. Au moment oîi les architectes de
rile-de-France, de la Champagne, de la Picardie et de la Bourgogne aban-
donnent le tailloir (;arré pour adopter les formes polygonales se pénétrant
en raison de la disposition des arcs des voûtes, et afin d'éviter les angles
saillants et les surfaces horizontales inutiles, les appareilleurs normands
ne pivnnent pas tant de soin; ils évitent ces tracés conq)li(|ués et ([ui ne
pouvaient être arrêtés que lorsque les lits des sommiers, et par consé(|uent
la place, la forme et la direction des arcs, étaient connus; ils prennent un
parti qui supprime les combinaisons géométriques i-ectilignes, et donnent,
vers 1230, aux tailloirs des chapiteaux, la forme circulaire toutes les fois
que la disposition des piles le leur permet, et surtout (cela va sans dire)
lorsque ces [)iles sont monocylindriques. Les cathédrales de Coutances, de
Bayeux, de Dol , du Mans, de Séez, l'église d'Eu nous donnent de nom-
breux exemples de ces chapiteaux à tailloirs en forme de disque. (]e qu'ils
font pour les chapiteaux, ils le font également pour les bases (voy. base).
Mous donnons (r>2) un chapiteau en deux assises d'une des jjiles de la nef
de la cathédrale de Séez, construite vers cette époque (l'-2;}0),el (Ti!!) un
chapiteau (rune des colonnettes de l'arcatui'e intérieure de la même église
appartenant aux mêmes constructions. Déjà, dans le gros chapiteau, les
feuilles sont sculptées d'une façon sèche' et maniérée, qui est bien éloignée
de la souplesse des ornements du même genre appartenant à l'Ile-de-
France ou à la Bourgogne. Il y a queUpie chose d'uniforme dans le faire
et la composition de cette sculpture, une grande pauvi'cte (rinvcntion et le
désir de produire de leffel par la nudiiplicite des détails et la recherche de
l'exécution. Ce défaut est plus sensible encore dans les édifices anglais de
cette épo(|ue. il faut dire aussi que les sommiers des arcs paraissent mal
soutenus par ces tailloirs circulaires qui n'indiquent plus, comme les faces
— .')il — I (HAI'ITKAl 1
an{4ul(Hist's (lu tailloir du clui[)ileaii IVaiiç,ais, rassicltc de chacun dos aies.
^2
cl leur diit'clion. Dans le chieur de la catliédiale du Mans, on trouve
5 H
pecAffû se.
cependant des chapiteaux à tailloirs circulaires dont les rangs de crochets
sont fort beaux. Mais, au Mans, la sculpture n'est pas normande; elle
tient plutôt à l'école des l)ords de la l.oire et du |»ays (hartrain.
[ CHAriTEAU I — 54i —
Les exemples donnés plus liaul soûl pris sur des chapiteaux ayant pour
fonction de porter des arcs de voûte. Les architectes du moyen âge n'em-
ployaient pas seulement la colonne pour soutenir des voûtes; ils s'en
servaient aussi comme de supports destinés à soulaj,^er des poitraux de
maisons, des maîtresses poutres de planchers. I>ansce cas. il était néces-
saire que le chapiteau fût très-évasé ou très-saillant dans le sens de la
portée, tandis que, dans l'autre sens, il n'était pas nécessaire qu'il prit
une largeur plus forte que celle de la pièce de hois supportée. En d'autres
termes, le chapiteau n'était plus qu'un douhle corheau posé à l'extrémité
de la colonne, (M)nmie on pose un chapeau avec ses liens à la tète d'un
poteau en bois, lorsqu'il s'agit de soulager la portée dune pièce de char-
pente horizontale.
Les habitations privées des xii«, xiii«', xiv et xv»; siècles nous ont
conservé un grand nombre de ces sortes de chapiteaux corbeaux, (leiié-
ralement ils sont dépourvus d'ornements; on en voit encore dans les
maisons de Dolen Bretagne, au mont Saint-Michel-en-Mer, en Normandie
et en Picardie, dans les contrées eidin ou le Ixjis entrait pour beaucoup
dans la construction des hal)itations privées.
Voi(!i (oi) un de ces chapiteaux (jue nous avons |)u dessiner, il y a déjà
|)lusieui's années, dans une maison que l'on démolissait i\ ('■allardon, près
Mo [ CIlAPlTEAt J
dp Chartres; il datait des premières années du xiv^ siècle, l/assise
superposée était évidennnent destinée à porter une seconde colonne en
pierre à l'étage supérieur. Le chapiteau est si bien admis, dans rarchitec-
i
ture civile, comme un chapeau destiné à soulai;er les portées des poutres,
que nous en trouvons dans la cour de IHùtel-Dieu de Beaune (xv^ siècle),
qui, reposant sur des fûts à huit pans, se divisent à la tête en trois cor-
beaux , pour recevoir les poitraux de façade et la poutre transversale
supportant les solives du portique (.on).
I CHAIMTEAI I — r)i.i —
Il n'est pas nécossaiio, nous le pensons, de niulliplier des exemples
l)asés sui- un prineipe aussi vrai. Avec les progrès de la Renaissanee du
xvie siècle disparaissent ces combinaisons iniiénieuses et raisonnées
toujours, belles quelquefois. Les ordres antiques, modulés d'une façon
beaucoup plus rigoureuse que les anciens ne l'avaient fait, premient
possession de farchilecture vers la tin du xvi*' siècle, après de longues
luttes entre le bon sens des constructeurs et les formules de quelques
théoriciens qui avaient pour eux tous les gens qui se piquaient de bon
goût.
Les chapiteaux du commencement de la Renaissance nous donnent
encore un grand nondire de charmantes conq)ositions, dans lesquelles
l'élément antique ne fait pas disparaître lorigiualilé native; mais ces
chapiteaux ne sont plus qu'une décoration ; leur l'onction, connue support,
est supprimée; la plate-bande reparaît avec l'entablement, et le chapi-
teau, pendant le cours du xvne siècle, n'est plus qu'une copie abâtardie
de la sculpture antique.
Fl> I)L lOME SHCOM).
Paris. — Imprimé chez BonaveiUure et Ducessois, 55, quai des Grands-Au;justins
sr n
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DES MdTS CONTENUS DANS LK TiLMK ItiaXlEMJ
■c \. (suite).
Arts (libéraux).
Assemblage
1 j Aubjer. . . .
10 I Autel. . ..
Assise 10 Auvent. . .
Astragale 10 ! Avant-bec.
Attributs 13 i Axe
14
15
56
58
58
03
Badigeon 59
Bdée, Bée 59
Bague 59
Baguette. 63
Bahut 65
Bains. . . 66
Bain de Mortier 66
Balcon 67
Balustrade 67
Banc 98
Bandeau 103
Barbacane 111
Bard 116
Bardeau 117
Barre, Barrière 118
Bart 124
Bas-côté 124
Base 125
Basilique 165
Bassye 166
Bas-relief 166
Bastarde 166
Bastide, Bastille 166
T. 11.
Bastion 176
Bâtons-rompus, zigzags 184
Beffroi 186
Beffrois de charpente 186
Beffroi, machine de guerre.. 197
Bénitier 200
Berceau 203
Besants 203
Bestiaires 204
Béton 205
Bibliothèque. 207
Bief 207
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Billettes 208
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Bossil 218
Boudin . . 218
69
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chitecture] 256
:â
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Cage 256
Caminade 256
Calvaire 256
Cannelure 257
Canton 259
Carreau 259
Carrelage 259
Carrière 276
Cathédrale 279
Cavalier 392
Cave 395
Cavel 396
Cène (la) 396
Cerpelière 396
Chafiauf . 396
Chaînage 396
Chaîne: 404
Chaîne (de pierre) 405
Chaire à prêcher 406
Chaire (siége épiscopal) 414
Chambre 419
Chancel 421
Chanfrein 421
Chantier 42]
Chantignollc 422
Chape 422
Chapelle 423
Chapiteau 480
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