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Full text of "Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique ; ou Bibliotheque de l'homme-d'état et du citoyen"

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DICTIONNAIRE 

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TOME    ONZIEME. 


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DICTIONNAIRE 

U  N IV  E RS  E  L 


TOME    ONZIEME. 


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DICTIONNAIRE 

UNIJ^ERSEL 


DES 


SCIE  N  CES 

MORALE,  ÉCONOMIQUE, 

POLITIQUE  ET  DIPLOMATIQUE; 

BIBLIOTHEQUE 


D    E 


L'HOMME-D'ÉTAT  ET  DU  CITOYEN, 

Mis  en  ordre  &  publié  par  M.  ROBINET ,  Cenfeur  Royal. 


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t/€u  Srém^  &  â  ^   ^cûté. 


TOME    ONZIEME, 


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A     LONDRES-, 

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Chez     les     LIBRAIRES     k.S'i  à  fef  i  s. 

Et  fe  trouve  à  Paris  thez  l'Éditeur ,  rue  de  la  Harpe  à  Tanden  Collège  de  Bayeux; 


M.     D  C  C.     L  X  X  1  X. 


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IPUBUC  UBRARY 


,    k«TOR.  X-BÏ***  **"L. 


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DE  S    ARTICLES 


DU    TOME     ONZIEME. 


c 


'  ATALOGNE  ^Province  d'Efpagnc,  avec 
titre  de  Principauté  y  entre  l'Arragon  , 
les  Pyrénées ,  la  mer  Méditerranée ,  & 
le  Royaume  de  Valence.  Page   i 

Conjurations  des  Catalans  contre  Us  Fran^ 
çois»  3 

CATECK  ,  Pays  d*Afie ,  un  peu  au-deffous 
de  l'embouchure  la  plus  occidentale  du 
Gange.  8 

CATHERINE ,  (  Me  de  Sainte-  )  dans 
r Amérique  méridionale ,  féparée  du  Con» 
tinent  par  un  canal  fort  étroit,  ^ 

CATIUNA.  lo 

CATSAND  ou  CADSAND ,  Ifle  fituée  à 
rextrêmité  occidentale  de  la  Flandre 
Hollandoife.        *  i  ^ 

CATON.    Parallèle  entre  Caton  &  Ce  far,  le, 

premier  attaché  a  l'intérêt  de  fa  patrie, 

l'autre  à  fon  intérêt  particulier.  1 7 

Caton»  ou  entretien  fur  la  liberté  &  tes 

vertus  politiques.  -         ai 

Caton  »  PoHtico^Efpdgnçly  &c«  39 

CAUSE,  f.  f.  40 
CAUTION,  f.  f. 

CAUTIONNEMENT ,  f.  m.  43 

C  E 

CECILE ,  Maîtrejfe  lEric  X ,  Roi  de  Da^ 
nemarc.  47 

ÇECILL ,  (  Robert  )  Comte  de  Salishury , 
Secrétaire^d' Etat ,  &  grand-  Tréforicr  d'An- 
gleterre ,  mort  en  16 iz,  ibid« 


CECROPS  ,  Fondateur  d'Athènes:  c  a" 

CEILAN,  CEYLAN,  ou  CEYLON,  «>!« 

dci  Jfles  les  plus  importantes  &  les  plus 

fertiles  des  Indes  Orientales ,  connue  des 

ancifns  fous  le  nom  de  Taprobane.  j  ) 

Etabliffement  des  Portugais  à  Ceilan.     57 

Etablijfement  £*  Commerce  des  HoUandois  4 

Ceïlan.  j^ 

CÉLEBES ,  IJU  des  Indes  Orientales.        64 

CÉLIBAT ,  f,  m. 

CÉLIBATAIRE ,  f.  m.  67 

Remarques  importantes  fur  le  Célibat  £•  fur 

les  maux  qu^il  doit  caufer  en  France.  78 

CELLAMARE,  (  N.  Prince  de  )  Ambafa- 

ieur  de  Sa  Majefté  Catholique  auprès  du 

Roi    TrèsrChrétien  ^  en  1718.  86 

CENS  ,  f.   m.  Dénombrement.  113 

CENS,  rente  foncière   due   en  argent  ou  en 

grain  .  ou  autre  chofe ,  pour  un  héritage^ 

au  Seigneur  du  fief  dont  il  relevé.    125 

CENSEUR.  127 

CENSEUR  ROYAL  ou  CENSEUR  DES 

LIVRES.  ibid* 

CENSURE .  f.  f.  Magiftrature  Romaine,  dont 

une  des  principales  fondions  Àtoit    de 

veiller  aux  bonnes  mœurs,  132 

De  la  Cenfure  publique.  13  j 

Cenfure  des  Livres.  ijj 

Cenfure  de  Propofitions.    Cenfure  Théologie 

que.  146 

CENTIEME-DENIER. 

Du    Centieme-Denier   &   des  Infinuations^ 
Laïques,  14^ 


T   A    R    L   Ë, 


CENTUMVtR. 

CENTUMViRAT. 

CERCLES  DE  i'EMPIRE. 

CÉRÉMONIAL  rr.  m.  * 

Du  Cérémonial  des  Souveraint, 
I,  Des  honneurs  perfonnels. 


ibid 
156 

M7 
M» 


II;  Z>«  honneurs  que   les    Souverains  fe 

rendent  en  s' écrivant.  ^^  t6y 

m.  Honneurs  rendus  aux  Repréfentans  des 

Souverains.  170 

î V.  Honneurs   que  les  Souverains  Jbn^  à 

leurs  Employés,  *       175 

y.  Honneurs  que    les   Souverains  fe  font 

rendre  à  leur  Cour  ;  &  diJIinSions  qu'ils 

accordent  4  chacun  de  leurs  Sujets.   176 

-'NéceJJité  du   Cérémonial.     .  177 

De  l'Etiquette  de  la  Cour.  179 

Du    Cérémonial   des    Tribunaux  de  Juftice 

•fi»  autres  Compagnies  refpeSlaHes^     181 

Du  Cérémonial  des  Répubiiques.  ibid. 

CERMENAT ,  (  Jean-Pierf  e  )  Auteur  Po- 

litique.  182 

CÉSAR,  furnom  particulier  à  la  famille  des 

Jules  dans  l'ancienne  Rome.  ibid. 

CÉSAR  4   (  C.   Jules   )  Premier    Empereur 

Romain ,  fils  de  JuUus  Céfar  &  d'Auré- 

lie^  né  à  Rome  Tan  pg  avant  l'ère  Chré' 

tienne.  1 8  j 

Elévation  de  Jules  Céfar*  186 

//  forme  le  Triumvirat.  ^87 

Guerre  des  Gaules.  188 

Guerre  entre  Céfar  &  Pompée.  192 

'Guerre  d'Efpagne.  Ip4 

Bataille  de  Pharfale.  196 

Guerre  de  Céfar  en  Egypte»  i^j 

Guerre  contré  Pkafnàcé^  '  199 

Céfar  à  Rome.  200 

Guerre  ^Afrique.  ibid. 

Bataille  de  Thapfus.  201 

Céfar  de  retour  à  Rome.  ibid. 

^Guerre  de  Céfar  en  Efpagne»  202 

Bataille  de  Munda.  ibid. 

Céfar  de  retour  à  Rome.  20 ] 

Confpiration  contre  Céfar.  Sa  mort.       204 

Parallèle  de  Jules^Cefar  avec  Olivier  Crom' 

well.  205 

CESSARES.  (  République  des  )         210 


CESSION ,  f.  f. 

Si  la  Cejfion  faite  par  vn  Etat  des  biens  de 
fes  Sujets  â  un,  autre,  Etat ,  ejl  valable 
indépendamment  dû  confentement  des 
propriétaires  ?  213 

Des  ^  Cejfions  forcées.  Si  elles  font  obliga* 
toires  ?  2x4 

C  H 

CHÀGRÎN,  f.  ni.  '217 

CHALONOIS,  Contrée    de    la  Bourgogng, 

Province  de  France.  218 

CHAMBRE,  f.  f.  219 

Chambre  Apofiolique.  Tribunal  Eccléftaflique 

à  Rome.  ibid. 

Chambre  bajfe  ou  Chambre  des  Communes.  220 
Chambre  haute  ou  Chambre  des  Pairs  &  des 

Seigneurs'  -225 

Chambre  Impériale, premier  Tribunal  de  V Em* 

pire  Germanique.  .229 

Chambre  des  Comptes ,  Chambre  des  Finances^ 

•Chambre  des  Monnoies ,  de  la  Généralité 

des  Provinces-Unies.  232 

Chambre  mi'Partie.  234 

Chambre  d*A£urance  ou  Chambre  des  AJfu^ 

rances.  *  S  5 

CHAMPAGNE,  Province  &   Gouvernement 

de  France.  249 

Réunion  de  la  Champagne  â  la  Couronne  de 

France.  245 

CHAMP  DE  MARS  ou  DE  MAt     246 

CHANCELIER,  f.  m.  262 

Grand-Chancelier  J Angleterre.^  263 

Chancelier  de  V Archiduc  d'Autriche.     267, 

Chancelier  de  Bohême.  ibid* 

Chancelier,  de  Danemarc.  ibid^ 

Chancelier  de  l'Echiquier  ou  GrandtCkan^ 

■  celier  de  la- Cour  de  (Echiquier.       268* 

Chancelier ,  ou  Gfand-Cnancelier ,  ou  Archi" 

chancelier  de  l'Empire  ou  du  Saint'Empirt 

Romain.  ibid. 

Chancelier    ou   Grand  »  Chancelier  tEfpart 

gnci  '  272 

Chancelier  de  France,  ^^73 

Chancelier  en  Portugal,  ftSi 


r   ^    B    L    E, 


Orand-^Chaneelier  d€  RuJJie,  '   '  aSa 

Grand'CfianctlUr  de  Suéde.  ibid. 

Chanceliers  des  Académies ,  des  Unïverfités , 

des  E^lifcs,  ordres  de  Chevalerie,     283 

CHANCELLERIE  »  f.  f.    Chambre   où   Von 

écrit ,  ou  Von  /celle  ,    où    Von  expédie 

Us  aéies,  28  { 

Chancelleries  d'Efpagne ,    Tribunaux    SoU' . 
yerains  qui   connoijfent  de   certaines  af- 
faires dans  leur  r effort,  286 

Chancellerie  Romaine.  287 

Chancellerie  aux  Contrats,       *  28(; 

CHANDERNAGOR  ,  Vùlè  des  Indes  ^  dans 

le  BengaU,  291 

CHANGE  ,    f.  m.    Le  prix  ou  le  droit  que 

Von    donne  en    changeant    des  monnoies 

contre  d* autres  tnonnoies,  292 

Table  du  Cours  du  Change  de  Hollande^ 
depuis  s 4  jufquà  $8  deniers  de  gros  de  - 
Hollande\  pour  Vécu  de  trois  livres ,  avec 
toutes  les  fraflions  jufquaux  fei^iemes , 
comme  ils  fe  trouvent  dans  le  Commerce 
de  Banque,         ^  300 

^ A  gens  de  Change,  308 

Mémoire  fur  V origine  de  la  nature  des  Changes 
étrangers.  3  1 2^ 

Change  Royal  ^  Bourfe,  de  Londres  ^  oh  les 
marchands   s'ajfemblent.  319 

CHANGEMENT ,  f.  m. 

Des  Changemens  Politiques,  ibid. 

Des  Changemens  qui  arrivent  dans  la  forme 
du  Gouvernement.  322 

Des  dangers  auxquels  les  maximes  favorables 
au  peuple  6»  Us  citoyens  populaires  ex- 
po fent  un  Gouvernement  libre  ;  &  les 
armes  quU  fournit  contre  fon  établijfe- 
ment,  326 

Du  pouvoir  éclatant  qu'ont  Venthoufiafine 
&  Us  fraudes  pieufes ,  pour  établir ,  pour 
changer^  ou  pour  rendre  la  forme  du  Gou' 
vernement  durable,  332 

Nouvelles  conjidérations  fur  la  durée  des 
gouvernemens  Monarchiques ,  6*  fttr  la 
nature  changeante  &  variabU  de  ceux  qui 
font  populaires  &  libres,  333 

Nouvelles  Confdérations  fur  Us  Changemens 
politiques,  34  j 


CHANUT ,  Amhajfadmr  de  France  en  Suéde  ; 

fous  le  règne  de  Chrijline.  3^1 

CHARGE  ,  f.  f.  Ofjice ,  Dignité.      '     352 

De  la   durée  &  de  la  vénalité  des   Char- 

S'''  /       355 

Charges  Municipales.  367 

CHARITÉ,  f.  f.  Amour  du  prochain.     368 

CHARLATAN,  f.  m. 

CH ARLATANERIE ,  f.  f .  3  70 

Charlatanerie  des  Sciences,  371 

Charlatanerie  des  hommes  illuftres,  375 

.    Charlatanerie  Religieufe.  374 

Charlatanerie  des  Médecins.  37  j 
Charlatanerie  des  profejjions  des  arts  ou  mé-* 

tiers.  ibid. 

Charlatanerie  de  la  Vertu,  376 

CHARLEMAGNE.  377 

Premières  années  de  fon  règne.  37$ 

Guerre  de  CharUmagne  contre  Us  Saxons,  379 
Zèle  de  CharUmagne  pour  faire  revivre  Ui 

Lettres  &  les  bonnes  Etudes.  382 

Suite    des   principaux  faits    de    CharUma* 

gne,  384 

Piété  de  CharUmagne,  386 

Suite  des  opérations  niilitaires  de  CharUma» 

gne.  387' 

CharUmégne.déclaré  Empereur  d'Occident,  ibid^ 
Idée  de  la  Cour  de  CharUmagne.  389 

Fin  de  la  guerre  des  Saxons.  39a 

Couronnement  de  Louis ,  fuccejfeur  de  ChaY» 

Umagne.  x       39' 

CaraElere  de  CharUmagne.  39» 

CHARLES  V , /i^rcom/we  t^  SaG£,  Rôi  de 

France.  401 

CHARLES  VII ,  Roi  de  France,  4  ï  7 

CHARLES   IX ,  Roi  de  France,  426 

CHARLES-QUINT ,  Empereur  d'Allemagne 

&  Roi  d*Ef pagne,  436 

ùuerre  de  Charles- Quint  contre  la  France,  44 1- 
Rome  faccagée  par  les  Impériaux,         443 
Suite  de  la  guerre.  44  y 

Diète  d*  A  us  bourg,  ^  446 

Expédition  de  CharUs'Quint  en  Afrique-  447 
Guerre  pour  le  Duché  de  Milan,  448 

Charles- Quint  à  la  Cour  de  France.    '449 
Entreprife  malheur eufe  fur  Alger.  451 

Siège  de  Mct^.  454 


TABLE, 


'Abdication  ii  Charlts»Quînt*  4j6 

Retraite  £*  mort  de  CharUs^Quint^  457 

CHARLES  I,  Roi  d'Angleterre.  458 

CHARLES  n.  Roi  d'Angleterre.  462 

Caradere  de  Charles  II,  »    465 

CHARLES  II ,  Roi  d'Efpagnt.  467 

CHARLES  XII ,  fiop  de  Suéde.  4g  i 

CHARNASSÉ  ,  (  Hercule    Baron  de   ) 

Ambajfadeur  de  France  en  Suéde  fous  le 

règne  de  Gujiave-Adolpke.  496 

CHAROLOIS ,    Comté  dépendant  du  Duché 

de  Bourgogne.  ibid. 

CHAROND AS ,  un  des  Légiflateurs  de  la 

Grèce.             ,  497 

CHARPENTERIE ,  f.  f. 
CHARPENTIER,  C  m.  499 

CHARRON ,  (  Pierre  )  Moralise  céUbre.  503 
CHARTE  ET  CHARTRE,  f.  f.  J17 

CHASSE,  f.  f.  527 

CHASSE-MAItëE ,  f.  f.  530 

CHASTETÉ,  f.  f.  33 y 

XHATEAU,  f.  m.  546 

CHATEL,  (  Pierre  du  )  Bibliothécaire  & 
ami  de  François  I ,  Roi  de  France,  ibid. 

CHATELET  DE  PARIS.  347 

ÇHATIGAM  ,    VUle  riche  &    confidérabU 

^Afie ,  daru  le  Bengale ,  fw  les  confins 

'    eTArrakar^.  340 

;    CHAUFFAGE,  f.  m.  330 

CHELONIS.  331 

CHEMIN,  f.  m.  ibid. 

Idées  d'un  Citoyen  fur  les  Chemins.      364 
Obfervations  fur    les   grands   Chemins  de 
France.  '378 

De  rAdminiftration  des  Chemi/u.  383 

CHESCHIRE,  Province  Occidentale  d'An- 
gleterre ,  fur  ta  mfr  d'Irlande  ,  avec  titre 
de  Comté  Palatin.  608 

CHESTER.  ibid. 

CHEVALERIE ,  f.  fl  610 

CHEVALIER  ,  tare  de  Nàleffe  diflinmf, 
aurdeffus  de  celui  d'Ecuyer.  6 1 1 

Chevaliers  Romains.  616 

CHEZERY,  (  Pays  &  VaUée  de  )  cédés 
à  I4  France  &  réunis  au   Gouvernement 


Général  de  Bourgogne  par  Partiele  t.  dû 
Trflité  des  Limites  conclu  à  Turin ,  entre 
le  Roi  de  France  &  U  Roi  de  Sardaigne  ^ 
le  24  Mars  1760.  623 

CHIFFLET,  (  Jean- Jacques  )  Auteur  Poli» 
t'iqiu.  ibid. 

CHIFFRE ,  r.  m.  Certains  caractères  inconnus , 
déguifés ,  ou  variés  dont  on  fe  fert  pour 
écrire  des  lettres  qui  contiennent  quelque 
chofe  de  fecret^  afin  qu'elles  ne  foient  pas 
comprifes  par  ceux  qui  n'en  ont  pas  la 
clef  626 

CHILI ,  grand  Pays  de  t Amérique  Méridio^ 
^    nale^le  long  de  la  mer  du  Sud.       6)0 
CHILON,  Ephore  de  Lacédémone.  636 

CHINE,  vafte  Empire  en  Afie.  ibid. 

Confidératiôns  ultérieures  fur  l'Agriculture 
des  Chinois.  64S 

De  la  forme  du  Gouvernement  de  la  Chi" 
ne.  6^^ 

Liaifons  des  Européens  avec  la  Chine.  Etat 
de  cet  Empire  relativement  au  Commer» 
ce.  658 

CHOPIN ,  (  René  )  fameux  Ligueur,  &  Au- 
teur Politique.  678 
CHOU-KING ,  Livre  facré  des  Chinois  qui 
renferme  Us  fondenUhs  de  leur  ancienne 
^  hiftoire  ,  les  principes  de  leur  morale  & 
de  leur  gouvernement.  ôyi^ 
CHRÉTIEN.  République  ChrétUnne.   Syfteme 
de  la  République  Chrétienne  9  imaginé  & 
foutenu  par  Leibnit^.  69a 
Confiitution  de  la  République  Chrétienne.  691 
Autorité  du  Pape  dans  U  République  Chr^ 
tienne.  692 
Autorité  de  FEmpereur  dans  la  République 
Chrétienne.  693 
Obfervations  fur  cefyftéme  de  Leibnit^.  6^j 
CHRISTIANIA ,  (  Diocefe  de  )  Province 
de  Norvège,  dans  la  partie  méridionale 
de  ce  Royaume.  .                                690 
CHRISTIANSAND ,  autrefois   STAVAN- 
GER,  Diocefe  de  Norvège.  702 

CHRISTOPHE.  (  Ifle  de  Saint-  )         705 


Fin  de  la  Table. 


BIBLIOTHEQUE 


BIBLIOTHEQUE 

DE  L'HOMME-DÉTAT, 


E    T 


DU     CITOYEN 


CATALOGNE,  Province  dPEfpagne ,  avec  titre  de  Principauté ,  entre 
i^Arragon  ^  les  Pyrénées  ,  la  mer  Méditerranée  ^  &  le  Royaume  de 
Valence. 

'ÉTENDUE  de  la  Catalogne  eft  d'environ  vingt -huit 
milles  d'Allemagne ,  du  couchant  au  levant ,  &  ^e  trente<« 
fept  du  feptentrion  au  midi  :  elle  en  a  eu  autrefois  bien 
davantage  ;  car  elle  comprenoit  le  Roulfîllon ,  Conflans ,  une 
bonne  partie  de  la  Cerdagne,  &  le  Comté  de  Foix,  Mais 
ces  portions  détachées  ,  fuocedivement  acquifes  par  la 
France ,  en  diverfes  manières ,  ne  font  plus  comptées  dans  la  Catalogne , 
^ui  n'en  refte  cependant  pas  moins  l'une  des  plus  confidérables  provinces 
de  l'Efpagne.  Elle  eft  atrofée  du  Segre  ,  anciennement  Sicorîs ,  qui  fe 
•groflit  de  plufieurs  autres  rivières ,  &  ie  joint  a  l'Ebre ,  proche  de  Mequi- 
nencia,  de  l'Ebre,  du  FrancoH,  du  Leobregat,  anciennement  Rubricarus; 
du  BalTos,  jadis  Betulus;  du  Ter  ,  jadis  Thiceris^  du  Fluvia»  jadis  Fluyia- 
Aus  ,  &  de  quelques  autres  moins  remarquables.  C'eft  généralement  un 
très-bon  pays,  dont  le  climat  eft  fort  tempéré,  &  dont  le  fol  eft  fort  fèr- 
Tome  XL  A 


a  CATALOGNE.  ^  _ 

tile.  Il  eft  moDtueux,  bien  plus  qu^l  n'èft  uni;  thaïs  téûsrUA  èé  ibréts 
fur  fès  hauteurs,  &  d'arbres  fruitiers  dans  {ts  valons,  &  dans  fes  plaines , 
il  ne  préfente  en  aucun  endroit,  l'itna^e  de  l'inculture  ou  de  raridîté.  Les 
rofeaux  qui  po^nt  le  fucre  n'y  croi^fent  pas  comme  dans  le  refte  de 
l'£(]>agne  ;  mais  on  y  eft  riche  en  grains ,  en  vin ,  en  huile ,  en  légu- 
mes, en  chanvre,  en  lin  &  en  fruits,  &  l'on  vante  ta  bonne  qualité  de 
toutes  les  viandes  que  l'on  y  mange.  Il  y  a  des  cryftaux,  de  l'ai* 
bàtre ,  du  jafpe ,  des  amëthyltes ,  de  l'or ,  de  l'argent ,  de  l'étaim ,  du 
plomb,  du  fer,  de  l'alun,  du  fel,  &  quelque  peu  de  Cuivre.  Et  la  pêche 
du  corail  eft  abondante ,  fur  les  côtes  orientales.  Il  eft  peu  de  Contrée  en 
Efpagne  autant  peuplée  que  la  Catalogne  :  l'on  y  trouve  un  Archevêché , 
fept  Ëvéchés,  vtngt-bnit  grandes  Abbayes^  iine  Pzincipiiné^^lfux  Ducfefél, 
cinq  M^rqdifab ,  dix-fe^t  Coidiés ,  quatorze  Vicomtes  ;  &  ticte  niultkuAe 
êe  fiaronnies. 

Quelques-uns  divifent  cette  province  en  vieille  &  nouvelle  Catalogne  : 
ils  donnent  le  nom  de4a  première ,  à  la  portion  qui  va  depuis  les  Pyrénées 
au  fleuve  Leobregat  jufques  à  la  mer;  &  celui  de  la  féconde,  à  celle 
qui  s'étend  depuis  le  Leobregat,  jufques  aux  frontières  de  Valence  & 
d'Arragon.  Une  divifion  plus  ordinaire  &  la  feule  qui  foit  ufitée  dans  le 
pays  même ,  la  panage  en  quinze  vigucries  ou  jurifdiâions  ;  on  lui  donne 
Barcelone  pour  capitale. 

Quand  les  Maures  envahirent  TEfpagne  l'an  714,  les  Catalans  fé  diftin- 
guerent  par  leur  attachement  pour  la  liberté  :  Us  la  foutinrent  long-temps 
contre  ces  nouveaux  makres,  avec  le  fecours  de  Charles-Martel ,  &  de 
Fepiti-Ie-BreF  :  mais  à  la  Hn  il  fallut  plier ,  Se  les  Maures  établirent  un 
Gouverneur  dans  Barcelone.  Zaro  étoit  pourvu  de  cette  charge ,  lorfque 
Charlemagne,  plus  puiflant  que  fon  père,  &  que  fon  grand-pere^  mais 
fi'^ayant  pas  le  temps  de  faire  la  guerre  aux  Maures,  fe  contenta  de  rendre 
ce  Gouverneur  tributaire  de  fa  Couronne.  Par  cet  événement  les  fuccef* 
feurs  de  Zaro,  fe  trouvèrent  à  la  nomination  de  la  Cour  de  France. 
Godefroy,  l'un  d'entr'eux,  s'étant  conduit  avec  beaucoup  de  bravoure^ 
au  fervice  de  Charles-Ic'-Gros  dans  la  guerre  contit  les  Normands ,  frit 
i&it  Comte  héréditaire  de  Barcelone,  maisr  toujours  feus  la  fouveraineté  dfc 
la  Francet  X)kns  le  douzième  fiede  le  Comte  Raîn^pnd  Beranger,  ayarik 
époufé  l'héritière  d^Arragon ,  il  réunit  la  Catalogne  \  <e  dernier  Royaume, 
&  la  domination  JPrançoife  en  frit  exclue ,  jufques  à  l'an  1 641  ;  k  cettt 
époque  cette  province 'révoltée,  depuis  un  an,  contre  Philippe  IV,  fe 
donna  à  Louis  XIII;  mais  Louis  XIV  la  rendit  à  la  paix  d^s  Pyrénéen  Tan 
16^9.  L'an  X70J,  l'Archiduc  d'Autriche,  rival  de  Philippe  d'Atijoù,  en 
prit  pofleffion ,  oc  promit  aux  habitans  la  confervittion  de  toutes  leurs 
franchifes.  Ces  peuples  étoient  auffî  braves  ^^  aùffi  amoureux  jde  leur 
liberté ,  qu'ils  l'avoiest  été  du  temps  des  Maures>  Abandonnés  de  l'Archiduc 
l'an  1713.)  ils  ne  perdirent  point  courage}  on  tes  vit  prêts  à  périr ,  plutôt 


CATALOGNE.  g 

qa%  fe  (ouinettrc  ;  ils  cr^ignoient  moins  U  qiorc  que  U  fervltvde  :  mais 
cettjB  confiance  fut  ladëe  par  des  forces  Qiajeures,  &  l'an  17 14,  1m  Cacf« 
lans  ai  cous  leurs  droits,  fléchirenc  (pus  Philippe  V. 

Conjur^Ufpn  du  Catalans  contre  les  François. 

1  ^Es  Efpagnols  dérefpéranc  de  rentrer  par  la  fprce  des  ar^ieç  i^n  ppflfer- 
fion  de  la  Catalogne ,  que  les  François  venoient  dç  conquérir  ,  tentèrent 
d'enlever  par  la  voie  de  Pintrigue  cette  belle  Province  aux  conquérans  ; 
&  la  Cour  de  Madrid  fe  flattoit  d'autant  plus  de  réuflir ,  qu'elle  étoit  puif- 
famment  fécondée  par  Hippolite  d'Arragon ,  Baronne   d'Alby,    trés-capar 
ble  en  effet  de  réunir  âc  de  guider  les  nombreux  partifans   que  le   Roi 
^'Efpagne  avoir  en  Catalogne.   A  beaucoup  d'efprit,  la  Bai;onne  joignoit  la 
plus  inébranlable  fermeté ,  une  parfaite  intelligence  des   affaire^  ^  une 
adrelfe  finguliere  à  fe  concilier  la  confis^oe  &  l'^ittachenient  de  tous  ceux 
qu'elle  vouloit  gagner.    Jeune,  belle,  pleine  de  grâces,  elle  étpit  perpé- 
tuellement environnée  d'une  foule  d'adorateurs,  n'étoit  intimement  unie 
qu'avec  quelques-uns  qui  fe  croyoient  réellement  aimés  &  qu'elle  ne  pré- 
féroit  que  par  des  vues  intérelfées  ;  ne  fç  faifaqt  d'ailleurs  aucun  fcrupule 
4e  profUhier  ies  charmes,  lorfque.p^ar  ce  inoyea  elle  çfpyoit   fatis&ire 
ou  Ion  ambition  ou  fa  v^engeaûce,    EUp  jdétefi;oic  les  François ,  çon  par 
patriotifme  &  parce  qu'elle  étott  Efpagppte;  mais  en  haine  de  fpn  mari^ 
qui  s'étoit  attaché  aux  François  &  auquel  elle  avoir  voué  la  plus  implaca- 
ble averfion  ;  elle  eut  également  abhorré  les  Efpagnols ,  fi    fon  époux  fe 
fut  déclaré  pour  eux. 

L'ordre  de  citoyens   le  plus  puifla^it  alors  en  Catalogne  ,  ainfi    qu'en 
Efpagne^  étoit  le  Clergé ,  &  l'Abbé  de  GaHic^ns,  Député  des  Ecclédafli- 

3ues ,  étoit  à  la  tête  des  Gens  d'Eglife  âf,  jouiflbit  d^ns  cette  Province 
'une  grande  autorité.  Il  étoit  très-important  dç  le  gagner  ;  &  comme  il 
étoit  fort  avide ,  la  Baronne  d'Alby  parvint  facilement  à  le  mettre ,  à  force 
d'argent  &  de  promeffes ,  datis  les  intérêts  de  la  Cour  de  Madrid.  Il  y 
avoir  un  autre  homme ,  qui  avoit  prefqu'autant  de  pouvoir  fur  l'efprit  des 
Catalans  ,  que  le  Député  du  Clergé.  Cet  homme  s'appelloit  Onofre 
AquUlés ,  d'une  naiflance  affez  commune ,  mais  immenfement  riche ,  très- 
officieux,  &  qui  par  le  noble  ufage  qu'il  faifoit  de  fon  opulence,  s'écoit 
fait  beaucoup  d'amis.  Ce  fut  fur  lui  que  la  Baronpe  d'Alby  &  le  Dut 
de  Toralto,  Gouverneur  de  Taragone,  jetterent  les  yeux  pour  la  diftri- 
bution  de  l'argent  que  le  Roi  d'Efpagne  s'étoit  propofé  de  répandre  dans 
cette  Province ,  afin  d'y  augmenter  le  nombre  de  (es  partifans  ;  largeflès 
qui  dés- lors  feroient  d'autant  moins  fufpeâes  ,  que  ce  riche  citoyen  écoit 
depuis  long- temps  connu  pour  le  plus  libéral  des  hommes. 

Malgré  fon  opulence  &  fon  extrême  générofité,  Aquillés  n'avoit  cepen« 
dant  pu  décider  en  fa  faveur  la  Baronne  d'Alby   qu'il  aimoit  paAionné*^ 

A  i 


4r  CATALOGNE. 

ment,  jufqo^alors  elle  s'ëtoit  refufëe  à  Tes  vœux;  mais  quand  elle  le  crut 
néceflaire  à  Tes  vues,  elle  lui  donna  4es  efpérances  &  l'enflammant  par 
degrés  ,  jufqu'à  la  plus  véhémente  paifîoi\ ,  elle  lui  promit  de  fe  rendre  à 
fes  défirs ,  pourvu  qu^il  fécondât  le  defTein  que  le  Roi  d'Efpagne  avoit 
formé  de  rentrer  dans  Barcelone,  par  le  feeours  des  Catalans  qui  étoienc 
refiés  attachés  à  leur  ancien  maître.  A  quilles  balança  quelques  momens 
entre  fon  devoir  &  fa  maltrefle  ;  mais  celle-ci  remporta  :  il  s'engagjea 
dans  la  conjuration ,  &  reçut  dans  les  bras  de  la  Baronne  le  prix  de  fbn 
engagement.  Ces  deux  principaux  Conjurés  décidèrent  avec  PAbbé  Galli- 
cans d'employer  le  refte  de  l'année  à  gagner  des  créatures  au  Roi  d'Ef- 
pagne,  par  le  moyen  des  diverfes  fommes  qu'Aquiilés  diftribueroit  aux 


Parmée  de  terre  devant  les  mûrs  de  la  ville  qu^ils  feindrôient  de  vouloir 
^flfiéger.  L'Abbé  de  Gallicans  promit  qu'alors  il  aflembleroit  le  Confeil* 
Général  dont  on  auroit  gagné  le  plus  grand  nombre  des  Membres ,  exhor- 
teroit  les  Catalans  à  s'accommoder  avec  le  Roi  d'Efpagne  &  à  rentrer 
ibus-  iés  lotx  ;  mais  que  fi  le  Cardinalr^  Fréfident  du  Confeil  ^  s'oppofbit 
&  cette  opinion ,  l'Abbé  fortirôit  auffi-tôt  de  la  ville  à  la  tête  du  Clergé  ^ 
fignal  auquel  tous  les  Conjurés  s^armeroient ,  fe  réuniroient,  iroient  em 
foule  brifer  les  portes  des  prifons  &  fe  faifir  de  Parfenal ,  pendant  que 
Parmée  navale  débarquée  &  jointe  à  l'armée  de  terre  attaqueroit  &  hâte- 
roic  la  réduâion  de  la  ville. 

Cette  réfblution  prife ,  les  trois  confpirateufs  travaillèrent  à  faire  det 
|>artifans  à  la  Cour  de  Madrid  &  eurent  d'autant  plus  de  facilité,  que  n'y 
ayant  point  alors  de  Vice-Roi  dans  la  Pït>vince  ^  depuis  le  rappel  du  Ma- 
réchal de  là  Mothe,  perfonne  n'avoir  ni  alTez  de  zèle  ni  afTez  d'autorité 
pour  s'oppofer  efficacement  aux  délations  injurieufes  &  aux  fiiux  bruits  qu'ils 
répandoient ,  foit  au  fujet  des  grands  avantages  qu'ils  fuppofoient  rem- 
portés par  les  Efpagnols ,  foit  au  fujec  de  l'anéantiffement  total  des  pri- 
vilèges de  la  Province,  qu'ils  afluroient  avoir  été  réfolu  à  la  Cour  de 
France.  Secondés  par  les  circonflances  ,  l'Abbé  Gallicans  ,  la  Baronne 
d'Alby  &  Onofre  Aquillés  ne  doutoient  prefque  plus  du  fiiccès  du  comr 
plot  ,  lorfqu'ils  virent  leurs  mefures  déconcertées  par  l'arrivée  du  Comte 
d'Harcourt  qui  vint,  beaucoup  plutôt  qu'ils  ne  s'y  attendoient,  remplacer 
en  qualité  de  Vice-Roi,  le  Maréchal  de  la  Mothe.  Le  Comte  étoit  un 
homme  très-vigilant  &  fort  févere  ;  &  fa  préfence  alarmoit  les  confpira- 
teurs  qui  néanmoins  furent  bientôt  raffurés,  lorfqu'ils  virent  le  Vice- Roi 
fe  difpofer  à  partir  pour  l'armée.  La  Baronne  d'Alby ,  croyant  que  le 
moyen  le  plus  fôr  de  réudîr  feroic  d'être  avertie  à  temps  de  tout  ce  qu'on 
délibéreroit  dans  le  Confeil  du  Vice-Roi,  réfolut  de  fe  ménager  quel- 
^'intelligence  auprès  da  Comte  y  &  celui  qu'elle  crut  le  plus  propre  à  la 


CATALOGNE.  ç 

fervir  fut  Chabot ,  coufin  du  Vice-Roi  &  ennemi  déclaré  de  Dom  Jofeph 
Marguerit,  Gouverneur  de  la  Province.  Chabot  etoit  précifément  tel  qu'il 
le  falloit  pour  retirer  de  lui,  fans  qu'il  put  s'en  douEer,  tons  les  fecours 
que  l'on  vouloit  en  retirer.  Vain  à  l'excès,  préfomptueux  jufques  au  ridi- 
cule &  de  l'intelligence  la  plus  bornée ,  rien  n'étoît  plus  ftcile  que  de 
Je  faire  tomber  dans  tous  les  pièges  ;  &  on  lui  en  tendit  trois ,  qu'il  n'é- 
toit  rien  moins  que  capable  d'appercevoir.  La  Daronne  lui  infpira  de  l'a- 
mour, parut  fenlible  à  fes  vœux,  &  lui  perfuadant  qu'il  en  étoit  tendre- 
ment aimé,  lui  arracha  tous  fes  fecrets ,  c'elî-à-dire ,  tout  ce  qu'il  favoit 
des  projets  &  des  vues  du  Comte  d'Harcourt.  Aquîllés  lui  offrir  fa  bourfe, 
&  l'oftentation  de  Chabot  qui  n'étoît  point  riche  ,  trouva  une  refTource 
afiurée  dans  l'opulente  générofité  du  Catalan.  L'Abbé  de  Gallicins  &  la 
Baronne  lui  firent  naître  l'idée  de  fonger  au  Gouvernement  de  Catalogne, 
&  lui  perfuaderent  que  ,  quoique  par  la  conQitution  de  cette  Province,  le 
gouvernement  ne  pût  en  être  confié  qu'à  un  Catalan,  il  lui  fufiîroît  pour 
lever  cet  obftacle  de  fe  faire  naturalifer,  pour  peu  que  le  Vice -Roi, 
fon  couGn  ,  voulût  s'employer  à  lui  faire  obtenir  cette  place  importante. 
Enchanté  de  cette  propofition  ,  Chabot  qui  fe  repaiffoit  volontiers  de 
chimères,  adopta  ce  projet,  remercia  beaucoup  fes  trois  amis,  voua  un 
amour  éternel  à  la  Baronne ,  tira  de  grandes  ibmmes  d'AquilIés ,  regarda 
l'Abbé  de  Gallicans  comme  fon  meilleur  ami  &  partit  pour  l'armée  d'oi!i 
il  mandoit  jour  par  jour  toutes  les  opérations  du  Comte  &  toutes  les  réfo- 
lutions  que  l'on  prenoit  dans  le  Confeil  ;  enforte  que'  les  trois  Conjurés 
agirent  à'aprcs  ces  inftruflions  avec  le  plus  grand  fuccès  ,  firent  entrer 
dans  leur  complot  une  partie  des  habitans  de  Barcelone  &  attirèrent  dans 
leur  parti,  le  Bailli  de  Mattau,  homme  puiffant  ,  faâieux  &  déterminé  , 
qui  jouillbit  de  la  plus  grande  autorité  parmi  les  Payfans  &t  les  Mique- 
lets.  Il  promit  de  faire  palTer  dans  Barcelone  cinq  cents  hommes  armés 
de  poignards  &  de  piftolets  &  de  s'y  rendre  lui-même  pour  concourir  à 
l'exécution  de  l'entreprife. 

Les  grandes  efpérances  des  confpirateurs  furent  troublées  par  la  nou- 
velle de  la  vi£loire  complette  que  le  Comte  d'Harcourt  venoit  de  rem- 
porter à  Livrens  fur  l'armée  Efpagnole.  Cet  événement  confterna  fi  fort 
les  faéïieux,  qu'ils  défefpérerent  de  réuffir.  Cependant  leurs  trois  chefs 
moins  abattus  ne  fongercnt  au  contraire  qu'à  faire  éclater  le  complot  & 
envoyèrent  ordre  au  commandant  de  l'armée  navale  de  venir  mouiller 
l'ancre  devant  Barcelone  i  mais  Marguerit,  Gouverneur  de  la  place,  n'é- 
toit  point  homme  à  fe  laifTer  furprendre ,  &  il  prit  de  fi  bonnes  précau- 
tions ,  que  les  faélicux  fe  trouvèrent  hors  d'état  de  rien  entreprendre. 
Le  Comte  d'Harcourt  averti  de  ce  mouvement  &  foupçonnant  quelque 
conjuration  formée  à  Barcelone ,  y  envoya  un  Officier  pour  veiller  à  fa 
confervation  &  tâcher  de  découvrir  les  faâieux.  Ceux-ci  tentèrent  une  fé- 
conde fois  d'exécuter  leur  projet,  &  rappellerent  lit  flotte  qui ,  après  avoir 


6  €ATAtOON3Ç. 

demeuré  quelques  jours  dev^t  B$x€p\ontf  s'ëloigiu  eacore  &  £é  reti» 
dans  fes  ports.  La  bmatioa  des  Coajurés  devine  alors  tr^^-^inquiétante.  Lçs 
principaux  d'entre  eux  s^aflemble^cnt  pour  délibérai-  (Ur  le  parti  qu'ils 
avoient  à  prendre,  Aquillés  qui  fe  tïepentoit  de  s'êtra  imprudemment  en- 

5 âgé,  fit  ce  qu'il  put  cour  détermîneff  fes  complices  à  renoncer  à  leurs 
efTeins  ;  puifque  la  çojujuratiqn  n'étant  poipt  encore  découverte ,  il  ne  leur 
r^floit  plus  que  ce  moyen  de  fk  dérober  au  fupplice.  Cet  avis  fage  & 
.modéré  fut  goûté  par  PafTemblée,  &  il  eût  été  fuivi,  fi  l'Abbé  de  Galli- 
cans n'eût  excité  les  efprits  à  }a  violence ,  en  leur  repréfentant  qu'il  étoit 
déformais  inutile  de  fe  flatter  de  l'impunité;  qu'ils  en  avoient  trop  fait 
pour  que  le  Comte  d'Harcourt  ignorât  vn  complot  dans  lequel  la  moitié 
des  h^itans  de  Barcelone  étoient  entrés  ;  en  forte  qu'il  ne  leur  reftoit 
plus  qu'un  des  deux  partis  à  choifir»  ou  celui  de  périr  par  les  plus  terribles 
châtimens ,  ou  c^lui  de  perfides  C^  difcours  emporta  le  contentement  de 
l'alTemblée ,  d'Aquillés  lui-même  ^  qui  feignit  d'y  applaudir  &  auquel  la 
Baronne  d'Alby ,  qui  le  voyoit  irréfblu  ^  dit  cous  bas  :  »  fi  je  vous  fuis 
9  chère,  embraÂez  l'ojpinion  de  l'Abbé (  faites  que  l'on  fe  porte  aux  plus 
n  grandes  extrémités  ;  fur-tout  que  l'on  n'épargne  pas  mon  odieux  époux. 
a>  Quand  nous  en  ferons  défaits ,  nous  pourrons  nous  marier  ensemble.  " 
Déterminés  à  périr  plutôt  que  de  renoncer  à  l'exécutfon  de  leurs  pro- 
jets, les  conjurés  firent  tou^  leurs  préparatifs ,  &  envoyèrent  avertir  le 
commandant  de  la  flotte  de  fe  trouver  devant  Barcelone  avec  l'armée  na- 
vale. Mais  rebuté  de  l'inutilité  des  deux  premières  entreprifes,  ce  com- 
mandant ne  crut  pas  devoir  fe  commettre  une  troifieme  fois.  Cet  aban- 
don inattendu  rompit  entièrement  les  mefures  des  hÔtWux  qui^  défefpérés 
d'avoir  manqué  leur  coup,  k  livrèrent  à  la  terreur  &  ne  longèrent  plus 
qu'à  fe  mettre  à  l'abri  du  fupplice.  Ils  s'obligèrent  tous  par  les  plus  terri» 
blés  fermens  à  ne  point  fe  trahir  les  uns  les  autres ,  &  cet  engagement  ne 
calma  que  pour  peu  de  mom^is  leurs  inquiétudes  :  elles  furent  bien  plus 
vives  à  Tarrivée  du  Vice-Roi  qui  s'appliqua  tout  entier  à  découvrir  la  con- 
juration &  promit  non-feulement  l'impunité,  mais  encore  des  récompenfes 
à  tous  ceux ,  même  du  nombre  des  Conjurés ,  qui  viendraient  lui  donQer 
des  lumières  fur  les  auteurs  &  fur  le  plan  du  complot.  Ce  moyen  qui 
ne  peut  gueres  manquer  de  réufiir  eut  un  fuccès  complet.  On  déféra  le 
Bailli  de  Mattare  qui  fut  arrêté  fur  le  champ  \  mais  il  fut  impofiible  de 
lui  faire  rien  avouer;  enforte  qu'on  n'avoit  pas  même  pu  le  procurer 
d'aflez  fortes  préfomptions  contre  lui  pour  le  condamner  à  fubir  la  quei^ 
tion.  On  ne  doutoit  cependant  pas  qu'il  n'eût  pris  beaucoup  de  part  à  ce 
complot ,  &  pour  arracher  les  aveux  qu'il  refiifoit  de  faire ,  On  mit  en 
ufage  un  expédient  auquel  il  ne  s'attendoit  pas  :  on  éplucha  fa  vie,  & 
Pon  parvint  à  découvrir  quelques  anciennes  fautes  dont  à  peine  le  mal- 
heureiix  fe  fouvenoit  lui-même  ;  de  manière  que  n'étant  point  du  tout 
préparé  fiur  ce  nouveau  procès ,  il  fe  défendit  mal ,  fut  condamné  à  mort 


G  AT  AL  O  G  NI.  ^ 

Se  apris  !t  condamnarion  appliqué  à  la  torture.  La  douleur  des  tourmens 
lui  ni  tout  confefler;  il  développa  le  plan  de  la  conjuration,  entra  dans  le 
détail  que  le  Comte  déHroii  de  connoitre,  chargea  beaucoup  Aquillës  ainti 
que  la  Baronne  &  l'Abbé  de  Gallicans.  La  promefle  de  l'impunité  déter- 
mina quelques  autres  conjurés  à  aller  dénoncer  le  complot,  &  ils  confir- 
mèrent tous  la  dépofition  du  Bailli  de  Matiare.  Heureui'ement  pour  Dotn 
Aquillés  il  avoit  eu  la  prudence  de  fe  cacher  fi  bien  qu'il  échappa  aux 
recherches  du  Vice-Roi  qui  ne  favoit  ni  quelle  route  il  avoit  prife  ,  ni 
quel  éroit  le  lieu  de  fa  retraite. 

Cependant  une  foule  de  citoyens  qui  étoient  entrés  dans  la  conjuration 
furent  arrêtés  ,  enfermés  dans  les  prifons  où  la  plupart  furent  exécutés. 
Mais  te  Comte  d'Hatcourt  ,  quoique  parfaitement  inltruît  de  tout,  afFefta 
de  n'inquiéter  ni  l'Abbé  de  Gallicans  ni  la  Baronne  d'Alby  ,  les  pluf 
puniflables  des  faiSieux.  A  la  tranquillité  qu'on  laifToit  i  Tes  deux  compli- 
ces, Dom  Aquillés  s'imaginant  que  le  Vice-Roi  n'avoii  pas  découvert  lej 
principaux  chefs  de  la  conrpiration ,  crut  qu'il  n'auroit  pas  plus  à  crain- 
dre que  la  Baronne  &  l'Abbé.  Raffurë  par  cette  idée ,  il  rentra  fecréte- 
ment  &  choifit  une  retraite  qui  n'étoii  connue  que  de  la  Baronne  d'Alby. 
Cependant  le  Comte  d'Harcourt  irrité  de  l'inutiliré  de  fes  recherches  & 
impatient  d'avoir  en  fa  puilTance  celui  qu'il  regardait  comme  le  plus  cou- 
pable, promit  une  grande  récompenfe  à  celui  qui  découvriroit  le  lieu  où 
Dom  Aquillés  s'etoit  retiré.  La  Baronne  d'Alby  fort  alarmée  de  ce  nou- 
veau moyen  propofé  contre  fon  amant,  fe  tranfporta  chez  lui,  l'avertit 
du  péril ,  le  fit  entrer  dans  fon  carrolTe  oii  elle  le  cacha  de  fon  mieux 
&  le  tranfporta  chez  les  Carmes  où  elle  le  crut  beaucoup  plus  en  fureté. 
Son  attente  fut  déçue,  le  portier  de  ce  Monaftere  avoit  pour  frère  un  ar- 
tifan  fort  pauvre,  &  dans  la  vue  de  lui  faire  gagner  la  fomme  confidéra- 
ble  propofée  par  le  Vice-Roi,  il  l'engagea  ^  aller  dénoncer  la  retraite  de 
Dom  Aquillés,  que  le  Comte  lui-même  à  la  tête  d'un  détachement  alla 
faifir  chez  les  Carmes.  Son  procès  fut  bientôt  inftruit  :  dès  le  lendemain 
le  coupable  convaincu  fut  condamné  à  mort.  Avant  que  de  périr  fur  l'é- 
chaffaud  il  fouffrit  pendant  deux  jours  de  fuite  les  tourmens  de  la  plus 
violente  queftion  ;  mais  la  force  de  la  douleur  ne  put  ébranler  fa  confian- 
ce, &  il  îcroit  mort  fans  déclarer  aucun  de  Tes  complices,  fi  le  religieux 
qui  l'afliffoit  dans  ces  derniers  momens  ne  l'eût  engagé  à  confefler  tout 
ce  qu'il  favoit  au  fujet  de  la  conjuration.  Alors  feulement  il  déclara  tout 
ce  qu'on  vouloit  fav'>ir  &  fiit  exécuté.  On  le  plaignit  ;  il  méritoit  de  l'ê- 
tre. Galant  homme,  libéral  &  très-dtfintérefTé,  il  s'ètoît  généralement  fait 
cftimer  avant  que  fa  fiinefte  pafTion  pour  la  Baronne  d'Alby  ne  l'ei'it 
rendu  coupable.  Chabot,  qui  lui  avoit  de  très-grandes  obligations,  fut  fi  vi- 
vement irrité  d'avoir  eu  la  complaifance  d'accepter  ds  trés-gro(fes  fommes 
d'un  traître,  que  pour  fe  venger  il  demanda  la  confifcation  des  biens 
d'Aquiiléi.  Les  plus   coupables  d'entre  les  conjurés  furent  punis  de  mort. 


8  C    A    T    E    C    K. 

&  le  Vice*  Roi  fit  grâce  ï  tous;  les  autres.  Les  Cttalanr  témoignèrent  ou 
feignirent  une  joie  uncere  de  voir  cette  conjuration  diffipée.  Tous  les  corps 
de  la  ville  de  Barcelone  en  firent  des  complimens  au  Comte  d'Harcourt , 
Se  l'Abbé  de  Gallicans  eut  l'imprudence  de  venir  à  la  tête  du  Clergé  féli- 
citer ce  Seigneur  de  ce  qu'il  avoit  découvert  les  auteurs  &  les  complices 
de  cet  af&eux  complot.    Le  Vice-Roi  l'interrompant  avec  indignation  : 

9  Oui,  lui  dit-il,  je  connois  tous  les  coupables  &  vous  êtes  un  des  pre- 
9  miers.  "  En  même-temps  il  le  fit  faifir  &  conduire  à  l'arfenal ,  d'où  il 
fe  contenta  de  l'envoyer  en  exil;  tant  on  craignoit  que  le  fupplice,  quoi- 
que très*mérité,  d'un  Eccléfiaftique  ne  ibulevât  les  Catalans.  Quant  k  la 
Baronne  >d'Alby^  fon  fexe,  fa  beauté ,  les  fervices  de  fon  mari  &  le  me- 
ute de  Dom  Jofeph  d'Ardenne  fon  heau-frere  très-attaché  aux  François, 
lui  fauverent  la  vie  :  elle  fut  exilée  à  Tarrarone.  Le  Vice-Roi  lui  faifant 


patrie  contrje  la  France  à  laquelle  elle  ne  tenoit  que  par  fon  man ,  dont 
on  favoit  que  les  intérêts  étoient  trés-difFérents  des  (iens;  enforte  que 
fi  on  avoit  à  la  punir ,  c'étoit  uniquement  comme  ennemie  de  la  France  à 
laquelle  elle  ne  devoit  aucune  fidélité.  Ces  raifons  n'eufiènt  très-certaine- 
ment point  jufiifié  la  Baronne  d'Alby  fi  d'autres  confîdérations  n'euiTent 
déterminé  le  Vice-Roi  à  ufer  d'indulgence. 


C  A  T  E  C  K .,  jfays  .^Afit ,  un  peu   au  -  dtjfous  de  l\cmbouchurc  la  plus 

^occidentale  du  Gange. 

1  j  E  Cateck  a  un  port  nommé  Balafibr ,  fitué  fur  une  rivière  navigable. 
Les  mêmes  Marates  qui  en  1740  avoient  ravagé  la  côte  de  Coromandel , 
s'emparèrent  quatre  ans  après  de  cette  petite  province  &  s'y  fixèrent.  Ils 
n'y  ont  pas  encouragé  l'indufirie^  mais  ils  n^ont  pas  ruiné,  comme  on  le 
craignoit,  celle  qu'ils  y  ont  trouvée  établie.  Depuis  cette  invafion,  le 
Cateck  continue  fa  navigation  aux  Maldives ,  que  l'intempérie  du  climat  a 
forcé  les  François  &  les  Anglois  d'abandonner.  Il  y  porte  de  groffes 
toiles ,  du  riz ,  quelques  foieries ,  du  poivre  qu'il  tire  d'ailleurs  ;  &  il 
reçoit  en  échange  des  cauris ,  qui  fervent  de  monnoie  dans  le  Bengale ,  & 
qui  font  vendus  aux  Européens.  Les  habitans  du  Cateck  &  quelques  au- 
tres peuples  du  bas  Gange ,  ont  des  liaifons  plus  confidérables  avec  I0 
pays  d'Azenu 


CATHERINE 


CATHERINE.  {IJle  dt  Sainte-  ) 


Catherine^    (  Ifle   de  Sainte-  )    dans  V Amérique  méridionale  ^ 

féparéc  du  Continent  par  un  canal  fort  étroit. 


c 


ET  TE  Ifle  peut  avoir  neuf  lieues  de  long  fur  deux  de  large.  Quoique 
fes  terres  foîent  afTez  hautes ,  on  ne  peut  la  découvrir  de  dix  lieues^ 
parce  que  dans  cet  éloîgncment  elle  eft  obfcurcie  par  le  Continent ,  dont 
le*  montagnes  font  extrêmement  élevées.  Son  port  offre  un  relâche  facile 
&  fôr  aux  plus  grandes  flottes.  Elles  trouvent  un  printemps  prefque  con- 
tinuel, des  eaux  excellentes,  une  grande  abondance  de  bois,  des  fruits 
exQuis ,  de  bons  légumes ,  &  un  air  pur ,  fi  ce  n'efl  dans  le  port  où  les 
forets ,  &  les  hauteurs  d'alenteur  concourent  à  le  rendre  humide  &  étouflS^. 
Il  n'y  manqueroit  rien  fi  les  bœufs  fauvages,  dont  on  pourroit  fe  fervir^ 
avoient  une  chair  moins  défàgréable. 

Cent  cinquante  à  deux  cents  Brigands  qui  sMtoient  réfugiés  dans  l'Ifle 
au  commencement  du  fiecle ,  reconnoiflbient  l'autorité  du  Portugal ,  mais 
fans  adopter  fes  haines.  Ils  recevoient  indifféremment  l«s  vaîfleaux  de 
toutes  les  nations  qui  alloient  à  la  mer  du  Sud,  &  leur  livroient  leurs 
produâions  pour  des  armes,  de  Teau-de-vie  &  des  habits.  Us  méprifoient 
Tor ,  &  avoient  pour  toutes  les  commodités  que  la  nature  ne  leur  four- 
niffoitpas,  une  indifférence  qui  eût  fait  honneur  \  des  hommes  vertueux. 

Uécume  &  le  rebut  des  fociétés  oolicées  peut  former  quelquefois  une 
ibciété  bien  ordonnée.  Ce  font  les  fardeaux  de  la  mifere ,  la  diflribution 
trop  inégale  de  la  propriété ,  l'infolence  &  l'impunité  des  richefles ,  c'eff 
l'abus  du  pouvoir  qui  fait  fouvent  des  rebelles  &  des  criminels.  Réuniffez 
tous  ces  malheureux  que  la  rigueur  outrée  des  loix  fouvent  injuftes  a  ban-, 
nis  de  la  fociété  ,  donnez-leur  un  chef  intrépide,  généreux,  humain ^ 
éclairé  ;  vous  ferez  de  ces  brigands  un  peuple  honnête ,  docile ,  raifonna- 
ble.  Si  fes  befoins  le  rendent  guerrier ,  il  deviendra  conquérant  ;  &  pour 
s'agrandir,  fidèle  obfervateur  des  loix  envers  lui-même,  il  violera  les  droits 
des  nations  ;  tels  furent  les  Romains.  Si  fau^e  d'un  conduâeur  habile ,  il 
eft  abandonné  à  la  merci  des  hafards  &  des  événemens,  il  fera  méchant  « 
inquiet,  avide,  fans  fiabilité»  toujours  en  guerre,  foit  avec  lui-même, 
foit  avec  fes  voifins  :  tels  furent  les  Paulifles.  'Enfin  s'il  peut  vivre  plus 
tifément  des  fruits  naturels  de  la  terre ,  ou  de  la  culture  &  du  commerce 
que  du  pillage ,  il  prendra  les  venus  de  fa  fituation ,  les  doux  penchans 
qu'infpire  l'intérêt  raifonné  du  bien-être.  Civilifé  par  le  bonheur  &  la  fé« 
icurité  d'une  vie  honnête  &  paifible,  il  refpeâera  dans  tous  les  hommes 
les  droits  dont  il  jouit,  &  fera  un  échange  de  la  furabondance  de  fes  pro- 
duâions avec  les  commodités  des  autres  peuples  :  tels  furent  tes  réfugiés 
de  l'ifle  Sainte-Catherine. 

Tome  XL  B 


,11  G  AT  I  1,1^  A. 

Exilés  par  la  crainte  de$  peioes  atroces  qui  fuirent  trop  fbuvent  des 
crimes  matheureux ,  ils  formèrent  un  établiuement  de  commerce,  avan- 
tageux même  pour  l^tat  qui  les  avbit  repoulTés  de  fon  fein.  Vers  Tan 
1738,  on  leur  donna  un  Gouverneur  &  des  foldats;  on  entoura  leur  port 
de  fortifications.  Comme  il  eft  fort  fupérieur  à  tous  ceux  de  cette  côte ,  il 


méridionale. 


m 


CATILINA. 

jff^  PEINE  tes  Romains  avoient  vu  s^épuifer  les  fureurs  de  Sylla  qu'ils 
furent  expofés  aux  horreurs  d'une  trame  plus  odieufe  encore  que  les  pro(^ 
criptions  de  ce  farouche  Diâateur.  Pour  juger  du  péril  qui  menaçoit  la 
République,  il  fufEt  d'avoir  une  idée  du  caraâere  atroce  de  celui  qui 
avoit  confpiré  la  ruine  de  Rome,  le  maflacre  de  la  plus  refpeâable  par- 
tie du  Sénat ,  l'extinâion  des  familles  les  plus  diftinguées  y  le  carnage  du 
plus  grand  nombre  des  citoyens,  la  fubverfion  des  loix  &  l'aflerviflement 
du  peuple.  Cet  homme ,  aufli  capable  d'exécuter  fts  noirs  complots ,  fi 
la  fortune  eut  fécondé  fts  vues,  qu'il  avott  été  capable  de  fermer  le  pla» 
de  la  plus  dangereufe  des  confpkations ,  étoit  Catilina ,  d'une  illuftrCL 
aaiflfance ,  ^  fait ,  à  ne  confidérer  que  fes  talens  ^  fes  rares  qualités ,  pour 
aipirer  aux  premières  dignités  de  l'Ëtat.  Prudent ,  courageux ,  intrépide  ^ 
exercé  aux  plus  dures  fetigues ,  ingénieux ,  éloquent ,  éclairé  y  fi  quelque 
chofe  en  lut  jpouvoit  égaler  l'étendue  de  fon  génie,. c'étoit  l'étendue  de 
ïa  méchanceté  de  fon  amev  niais  l'excès  de  fa  perverfité  furpafibit  de 
beaucoup"  la  fupériorité  de  fes  talens;  &  cette  corruption  extrême,  it 
avoit  l'art  de  la  cacher  fous  le  plus  féduifant  extérieur..  L'efprit  toujours 
rempli  des  moyens  de  nuire  &  d'aflbuvir  fes  penchans  y  perfonne  n'étoît 
plus  habile  que  lui  à  diffimuler  de  pernicieux  deflèins.  Jamais  il  ne  con* 
fiut  des  degrés  dans  le  crime,  ôc  its  atrocités  avoient  été  fès  premières 
aâions  :  parvenu  à  Tadolefcence^  il  avoit  corrompu  une  Vefiale,  qu'il 
avoit  quittée  après  en  avoir  abufé  pour  une  jeune  Romaine  du  fang  le 
plus  illuftre ,  qu^l  avoit  débauchée ,  &  dont  il  eût  une  fille  qui  devint 

pour 
*op- 
l'un 

fils  unique  ^  balançoit  de  fe  marier ,  dans  la  crainte  de  nuire  à  la  fortune 
de  cet  enfimt ,  Catilina  fixa  fes  irréfolutions ,  empoifonna  le  fils  &  époufa 
la  mère»  Digne  anû  de  Sylla  ^  il  fut  le  plus  impitoyable  de  fes 


C  A  T  IL  I  N  A;  i€ 

treS|  fe  pôru  aux  plus  monftrueux  excès  de  cruauté  peodant  les  prof- 
criptîons  ^  &  fie  couler  dans  ce  temps  orageux  le  plus  pur  fang  de 
Rome. 

On  eft  (urpris  qu'avec  tant  de  (cëlératefTe  »  Catilina  ne  fè  fût  pas  rendu 
l'exécration  de  Tes  concitoyens  ;  mais  Tétonnement  cefTe ,  quand  on  fonge 
que  ce  monftre  poflëdoit  au  degré  le  plus  éminent  l'art  de  cacher  it% 
penchans  déteftables ,  &  de  donner  même  à  fes  vices  l'apparence  des  ver- 
tus :  il  (e  prétoit  à  tous  les  caraâeres  ^  s'accommodoit  aux  mœurs  de 
chacun  ^  plaifbit  également  à  tout  le  monde ,  &  gagnoit  jufqu'aux  fuf- 
frages  de  ceux,  que  Tes  aâions  avoient  le  plus  vivement  ulcérés.  Ami 
fecret  &  décidé  des  plus  iniignes  fcélérats,  on  ne  le  voyoit  en  public, 
qu'avec  des  citoyens  vertueux  :  raviflëur  injufte ,  infatiable  des  biens  d'au* 
trui,  il  prodiguoit  le  (ien,  &  répandoit  avec  une  égale  profufion  k% 
tréfors  &  les  richelTes  qu'il  fe  procuroit  à  force  d'ufurpations,  de  larcins 
&  de  crimes.  Son  ambition  démefurée  briguoit  toutes  les  places ,  âc 
Ton  orgueil  lui  &ifoit  croire  qu'il  n'y  en  avoit  point  qu'il  ne  fut  digne 
-d'occuper. 

Tel  fut  le  caraâere  de  ce  Catilina ,  qui  forma  le  projet  de  détruire 
la  République,  &  d'établir  fa  fortune  fur  les  ruines  de  la  Capitale  du 
monde.  Affermi  dans  fa  réfolution ,  il  chercha  des  complices ,  &  en  trouva 
facilement  4ans  Rome,  où  le  luxe  avoit  introduit  toutes  fortes  de  vices« 
Une  foule  de  gens  fans  mœurs ,  facis  honneur ,  perdus  de  dettes ,  pour- 
fuivis  par  leurs  créanciers ,  une  multitude  d'aflaffins ,  de  meurtriers ,  d^ 
vagabonds  qui  cherchoient  à  fe  dérober  à  la.  rigueur  de  la  jufHce,  vin-- 
rent  fe  ranger  auprès  de  CatiUna  qui  les  accueilloit ,  les  flattoit ,  les 
plaignoit  de  vivre  fous  des  lotx  trop  dures,  d'obéir  à  des  Magiftrats  qui 
s'érigeoient  en  tyrans,  &  fans  découvrir  fes  deffeins  leur  fai(bit  efpérer 
une  révolution  heureufe. 

Toutefois  ce  n'étoit  pas  feulement  des  gens  fans  aveu  ,  fans  nom^ 
des  citoyens  obfcurs  que  Catilina  s'étoit  aflbciés  :  il  comptoir  parmi  les 
conjurés  des  Chevaliers,  &  mime  quelques  Sénateurs.  Lentulus,  Cailius^ 
Céthegus  ne  rougirent  point  d'entrer  dans  fes  complots;  CralTus  fut  foup- 
çonné  d'y  avoir  pris  part ,  &  Céfar  même  en  fut  aifez  hautement  acculé. 
Des  liaifons  au(Ti  fufpeâes ,  &  la  proteâion  que  Catilina  accordoit  à  tout 
ce  qu'il  y  avoit  à  Rome  de  mauvais  citoyens ,  dont  il  étoit  fans  cède 
environné ,  donnèrent  de  l'inquiétude  aux  Magiftrats  ;  ils  entreprirent  d'é« 
clairer  fa  conduite,  de  fuivre  (es  démarches,  &  cette  vigilance  l'enga* 
gea  à  hâter  l'exécution  de  fon  projet.  Les  circonftances  lui  parurent  d'au* 
tant  plus  favorables ,  qu'il  n'y  avoit  point  alors  d'armée  en  Italie ,  &  que 
Rome  n'avoir  pour  la  défendre  que  des  foldats  qui  ayant  fervi  fous  Syl- 
la,  accoutumés  à  la  rapine,  déHrant  une  guerre  civile,  s'empreffoient  de 
fe  ranger  fous  les  drapeaux  de  quiconque  leur  permettroit  de  fe  livrer  à 
leur  goût  pour  le  brigandage. 


t^  CATILINA, 

Quelques  précautions  que  Catilina  eut  prifes  dans  le  choix  de  £es  com- 
plices ;  il  avoic  eu  l'imprudeûce  d'admettre  parmi  les  conjurés  Quintus- 
Curius,  homme  également  incapable  de  garder  Tes  propres  fecrets;  &  de 
taire  les  confidences  que  les  autres  avoient  eu  la  foiDlefle  de  lui  fkire. 
A  force  de  débauches  Quintus-Curius  avoit  entièrement  épuifé  fa  fortuné 
&  dépenfé  la  meilleure  partie  de  fes  biens  avec  Fui  vie,  femme  de  qua- 
lité, mais  fans  mœurs  &  d'une  avidité  qui  égaloit  fon  goût  pour  la  pros- 
titution. Depuis  que  fon  amant  avoit  ceffé  d'être  en  état  de  payer  fes 
plaifirs ,  l'intéreflee  Fui  vie  avoit  ceffé  aufli  d'avoir  pour  lui  des  complai- 
fances.  Curius,  animé  par  la  confidence  de  Catilina,  &  fe  croyant  déjà 
poffeffeur  des  richeffes  qu'on  lui  avoit  promifes ,  accourut  chez  Fulvie. 
Après  l'avoir*  menacé  de  lui  plonger  un  poignard  dans  le  cœur ,  fi  elle 
refufoit  de  vivre  avec  lui  comme  elle  avoic  vécu  précédemment,  il  cher- 
cha à  l'éblouir  par  les  plus  magnifiques  promeffes.  Avec  un  tel  homme, 
il  ne  fot  pas  difficile  à  Fulvie  de  pénétrer  le  fecret  de  la  conjuration. 
Avec  des  mœurs  perdues ,  même  au  milieu  des  plus  honteux  déborde- 
mens ,  il  n'eft  pas  impoffîble  qu'une  femme  conferve  l'amour  de  la  pa- 
trie, &  quelquefois  des  fentimens  de  probité.  Fulvie  ef&ayée  du  danger 
2ui  menaçoit  Rome,  &  voulant  à  la  fois  fauver  fa  patrie  &  fon  amant, 
t  part  à  plufieurs  perfonnes  ,  fans  nommer  celui  qui  l'avoit  inihtiite , 
des  découvertes  qu'elle  venoit  de  faire. 

Le  Sénat  informé  des  projets  de  Catilina  y  crut  que  le  moyen  le  plus 
fQr  de  les  déconcerter,  étoit  de  nommer  au  confulat  un  citoyen  aœf, 
zélé  pour  la  patrie ,  vigilant  &  courageux ,  non  de  cette  valeur  qui  covr 
fifle  à  affronter  la  mort  parmi  les  horreurs  de  la  guerre,  mais  de  cette 
mâle  fermeté  qui  s'oppofe  aux  entreprifes  d'une  troupe  de  fcélérats  puiffans , 
Si  ne  craint ,  ni  leur  vengeance  ,  ni  leur  reffentiment»  Tel  étoit  Cicéron  ^ 
le  plus  éloquent  des  hommes ,  le  meilleur  des  citoyens  &  le  plus  grand 
des  Magiftrats.  Rome  dans  le  péril  jetta  les  yeux  lur  lui  ^  il  réunit  tous 
les  fttfFraees  &  fut  élu  Conful  avec  L.  Antonius ,  auffi  capable  d'en  impo- 
fer  par  la  valeur  guerrière,  que  Cicéron  par  fa  vigilance  &  fon  amour 
pour  la  patrie. 

Cette  éleAion  à  laquelle  Catilina  ni  (es  complices  ne  s'attendoient  pas, 
les  ulcéra  d'autant  plus ,  qu'ils  ne  doutèrent  point  que  leur  ruine  n'eût 
été  le  motif  de  ce  choix.  Furieux  de  la  préférence  accordée  à  Cicéron , 
Catilina  n^en  devint  que  plus  audacieux ,  &  fon  audace  s'accroiflbit  en  pro- 
portion du  nombre  de  fes  partifans  qui  s'augmentoit  de  jour  en  jour.  U 
hâta  les  préparatifs ,  &  lorfqu'il  crut  avoir  pris  tous  les  moyens  de  réuffîr, 
il  ofa  demander  hautement  le  confulat  pour  Tannée  fuivante;  il  fit  même 
des  démarches  pour  gagner  Cicéron ,  &  le  trouvant  inacceffible  à  fes  of&es , 
il  forma  le  deffein  de  lui  arracher  la  vie  ;  mais  le  prudent  Conful ,  toujours 
accompagné  de  fes  amis  &  de  fes  cliens,  évita  les  attaques  &  les  pièges 
des  conjurés.  Alors  Catilina ,  réfolû  d'en  venir  à  la  jfbrce  ouverte  ^  envoya 


CÀTILINA,  13 

quelques-uni  de  Tes  complices  dans  les  principales  villes  d^Italie  avec  ordre 
d'en  faire  foulever  les  habicans  :  il  plaça  en  difFerens  quartiers  de  Rome 
des  troupes  de  conjures  &  fe  réferva  le  foin  d^incendier  la  ville  ;  il  leur 
ordonna  de  fe  tenir  prêts  à  fidre  main  baffe  fur  tous  les  Romains  ^  fans 
diftinâion  d'âge  \  de  fexe  ni  de  rang  y  &  de  mettre  tout  au  pillage ,  à  la 
faveur  du  délordre  &  du  tumulte  que  Pinc^ndie  ne  manqueroit  pas  de 
eau  fer.  Mais  avant  tout  il  chargea  Cornélius ,  Chevalier  Romain  &  Var« 
guntegus  Sénateur,  d'aller  poignarder  Cicéron. 

Fulvie  informée  de  ces  difjpofitions  par  Quintus-Curius ,  avertit  le  Conful 
qui  fe  tint  fur  (es  gardes ,  oc  pourvut  ii  bien  à  la  fureti  de  Rome ,  que 
les  ordres  donnés  par  Catilina  ne  purent  encore  être  remplis.  Manlius, 
Lieutenant  duChef^des  conjurés  agiflbit  avec  plus  de  fuccès  en  Etrurie, 
oii  il  avoit  ra(femblé  fous  fes  drapeaux  une  multitude  de  brigands  qui , 
attirés  par  l'efpoir  du  pillage  &  compofant  une  armée  affez  confidérable , 
s'étoient  déjà  avancés  juiqu'à  Férules.  A  cette  nouvelle  la  confternatioa 
abattit  les  Romains  ;  ils  (e  croyoient  perdus  &  ils  l'euffent  été  inévitable- 
ment ,  fi  le  Conful  eût  été  fufceptible  de  la  même  terreur  :  mais  tandis 
qu'il  veilloit  fur  les  démarches  du  chef  des  conjurés  dont  il  rompoit  toutes 
les  mefures ,  le  Sénat ,  par  fes  ordres  envoya  dans  les  difFerens  endroits 
de  ritalie  ,  d'oii  on  avoit  le  plus  à  craindre  ,  *quatre  Généraux  de  très- 
grande  réputation  «  &  le  Conful  Antoine  à  la  tête  d'un  petit  nombre  de  ci- 
toyens aguerris ,  s'affuroit  dans  Rome  des  pofles  les  plus  importans.  Ce  fut 
dans  ces  circonflances  que  le  hardi  Catilina  ofa  paroitre  en  plein  Sénat  pour 
fe  juflifier  des  foupçons  trop  fondés  qu'on  avoit  contre  lui;  mais  Cicéron 
le  prévenant ,  prononça  cette  belle  harangue ,  connue  fous  le  nom  de  Se-' 
condc  Catilinairc  y  &  malgré  fon  éloquence  ne  put  déconcerter  le  chef  des 
conjurés  qui ,  priant  les  Sénateurs  d'un  ton  auffî  modefle  que  celui  du 
Conful  avoit  été  impétueux ,  de  n'ajouter  aucune  foi  aux  calomnies  qu'ils 
venoient  d'entendre ,  fit  fon  apologie ,  &  vomit  tant  d'injures  contre  le 
Conful,  que  la  plupart  des  Sénateurs  lui  impoferent  filence  avec  indigna- 
tion. Trop  fier ,  même  dans  la  conviâion  du  crime ,  pour  recevoir  des  or- 
dres» Catilina  jettant  fur  eux  des  yeux  de  fureur,  »  puifque  vous  me 
x>  pouffez  à  bout ,  leur  dit- il ,  attendez- vous  à  éprouver  dans  peu  tous  les 
i>  effets  de  ma  vengeance  « ,  &  fortatit  de  l'affemblée  fans  que  l'on  ofàc 
l'arrêter,  il  partit  pour  fe  rendre  au  camp  de  Manlius,  après  avoir  re- 
commandé à  Cethegus  &  Lentulus  de  mettre  Cicéron  à  mort,  &  de  ne 
différer  que  jufqu'à  la  nuit  fuivante  l'exécution  de  l'incendie ,  des  meurtres 
&  de  tous  les  complots  tramés  contre  la  République. 

Tout  paroiffoit  préparé  pour  cette  afïreufe  entreprife;  lentulus  &  Ce- 
egus  fe  âattoient  d'avoir  attirr^  ^'^-  Aii^k^^^-evî^^e  1-.,.-  «^^i^;    \r/>«.Kri.».ic 

m  des  conjurés ,  fe  croyoit  fi 
pendant  n'agiflbient  que  d'après 
plus  grand  zèle  pour  le  fuccès  de  la  confpiration ,  qu'afin  d'être  mieux  inf- 


14  C  A  TIl  I  N  A* 

tniics  des  fecrets  &  da  plan  de  Catilina.  Auffi  fut-xe  par  eux  que  le  Sénat 
apprit  qu^audi'tôc  que  le  chef  des  conjurés  aurait  donné  avis  de  fon  arri«- 
vée  à  Férules,  le  Tribun  Bertia  convoqueroir  le  peuple  devant  lequel  il  ao- 
cuferoit  Cicéron  d'allumer  le  feu  de  la  guerre  civile^  <&  que  lorfque  b 
populace  auroit  été  indifpofée  contre  le  Conful ,  on  proficeroit  de  la  pre- 
mière obfcurité  de  la  nuit  pour  mettre  en  même  -  temps  le  fbu  en  douze 
difFérens  endroits  de  la  ville  ;  qu'auflî-tôt  les  conjurés  fe  répandraient  dans 
cous  les  quartiers,  égorgeroient  les  Sénateurs  &  maiTacreraient  tout  ce  qi)i 
fe  préfenteroit  dans  les  rues  de  Rome ,  d'où  ils  s'éloigneroienc  pour  aller 
prendre  Catilina  qui  viendroit  avec  fes  troupes  achever  de  répandre  le  (ang 
du  peu  de  citoyens  qui  feroient  échappés  au  premier  carnage. 

On  touchoit  au  moment  de  l'exécution ,  quand  Cicéron  donna  ordre  i 
deux  Préteurs  de  s'aflurer  du  Pont  Milvien  ^  de  fe  faifir  de  tous  les  Allo- 
broges  qui  étoient  dans  Rome  &  de  leurs  Ambaflkdeurs ,  ainfi  qu'il  en 
étoit  convenu  avec  ces  derniers*  Il  manda  en  même-temps  Lentulus ,  Ce- 
thegus,  Statitius,  Sabinius  &  Ceparius  ;  le  dernier  prit  la  fuite;  les  autres 
ne  fe  doutant  point  que  leur  fecret  fut  découvert ,  fe  rendirent  fans  crainte 
chez  Cicéron  qui  les  fît  conduire  avec  une  foule  d'autres  conjurés  dont  on 
s'étoit  faifi ,  dans  le  temple  de  la  Concorde.  La  difficulté  n'étoit  pas  de 
convaincre  les  coupables;  mais  de  favoir  quel  parti  l'on  prendroit,  plu- 
fieurs  d'entr'eux  appartenans  aux  maifons  les  plus  illuflres ,  Lentulus  étant 
même  revêtu  de  la  dignité  de  Préteur.  Les  Sénateurs  étoient  dans  la  plus 
grande  incertitude,  &  rien  n'étoit  moins  prc^re  à  la  fixer,  que  les  opn 
nions  contraires  de  Céfar  &  de  Caton  qui  haranguèrent  tour-à-tour,  ie 
premier  cherchant  à  déterminer  le  Sénat  ï  ufer  d'indulgence  envers  les 
conjurés ,  du  nombre  defquels  on  le  fbupçonnoit ,  &  Caton  pour  démon-* 
trer  combien  il  importoit  d'ufer  de  la  plus  grande  févérité  pour  peu  que 
l'on  s'intéreflat  au  falut  de  la  patrie.  Le  Conful  fe  joignit  à  Caton  donc 
Tavis  prévalut  ;  les  coupables  furent  tous  envoyés  en  prifon  où  ils  furent 
étranglés  par  la  main  dfu  bourreau. 

Tandis  qu*à  Rome  Cicéron  fàifoit  périr  une  partie  des  complices  de 
Catilina ,  celui-ci  travailloit  à  rendre  fes  légions  complettes ,  &  s'occupoit 
à  éviter,  jufqu'à  ce  que  fon  armée  fiit  mieux  exercée  &  plus  nombreufe, 
la  bataille  que  le  Conful  Antonius  fe  préparoic  à  lui  livrer,  La  nouvelle  de 
ce  qui  s'étoit  pafTé  à  Rome  étant  parvenue  jufqu'au  camp  de  Catilina,  le 
plus  grand  nombre  de  (es  foldats  l'abandonnèrent ,  &  il  tenta  de  ie  fauver 
avec  le  refte  dans  la  Gaule  ;  mais  Métellus  Céfar  lui  coupa  cette  retraite 
&  le  ferra  de  fi  près ,  que  ne  lui  reftant  plus  d'autre  parti  ï  prendre  que 
celui  de  hafarder  une  bataille ,  Catilina  rappellant  toute  fon  audace  &  ni- 
fant  paiTei:  dans  le  cœur  de  (es  complices  l'intrépide  fureur  qui  l'animoit, 
il  marcha  au  devant  de  l'armée  d'Antoine  qui ,  obligé  par  une  violente 
attaque  de  goutte ,  de  s'abfenter ,  chargea  fon  Lieutenant  Petréïus  de  cette 
importante  expédition*. 


CATSAND,    ou    C  A  D  S  A  N  D.  tf 

Du  moment  que  les  deux  armées»  également  animées  du  défir  de  corn* 
battre,  furent  en  préfence ,  la  bataille  fut  engagée  &  foutenue  des  deux 
côtés  avec  une  égale  valeur  :  Catilina  balança  long* temps  la  viâoire,  fît 
la  plus  courageufe  réfiftance  &  eut  fini  peut-être,  par  remporter  l'avanta- 
ge ,  fî  Petréïus  fe  mettant  à  la  tête  de  la  cohorte  Prétorienne  ne  fe  fût 
impétueufement  jette  au  milieu  des  ennemis.  Ils  ne  purent  foutenir  la  vio- 
lence et  cette  atuque ,  ils  furent  enfoncés ,  &  Manlius  Secondant  fon  Gé- 

mmAtmt^%  f^«i      ^•««•«■••■■^M       •«^••«MA«««>      W^t0gxCfm*m^      •>.#%•«#•      /•«a*     t^      ^•1«m«*«««     Ât^      l^tfk^Mlll^         T1      ««^AaK 


vie«  cherchoient  à  l'épargner,  il  en  abattit  à  fes  pieds  un  fi  grand  nombre^ 
u'on  fe  hâta  d'arrêter  le  cours  de  fes  fureurs.  Percé  de  coups  il  tomba 
C  finit  par  un  genre  de  mort  trop  glorieux  &  qu'il  n'eue  dû  recevoir  que 

iiir  un  échafFaud« 


ï 


CATSAND,  ou  CADSAND,    ijle  Jttuèe  à  VcxtrèmiU  occidentale 

de  la  Flandre  HoUandoife^    . 


C 


ETTE  ifle  efl  bornée  au  nord  &  à  l'occident  par  la  mer  ^  à  l'orient  ^ 
par  un  bras  de  l'Efcaut  occidental ,  qu'on  appelle  t^Zwaru-gat^  &  au  midi 
par  le  Zwin,  Elle  a  du  nord-eft  au  lud-oueft  environ  deux  lieues  de  Ion* 
gueur,  &  autant  de  largeur  du  nord  au  fud.  Elle  étoit  autrefois  beaucoup 
plus  grande.  Mais  la  mer  en  a  englouti  plus  de  la  moitié ,  avec  un  grand 
nombre  de  villages.  Ce  n'efl  que  par  de  trés-fbrtes  digues  dont  l'entretien 
coûte  extrêmement,  que  l'on  garantit  cette  ifle  quiefl  tort  baflè,  d'être  en- 
tièrement engloutie  par  la  mer.  Le  vent  du  nord-ouefl  efl  celui  qu'on  y 
appréhende  le  plus.  D'ailleurs ,  cette  ifle  efl  fort  fertile ,  &  produit  de 
très- bon  froment.  Il  y  a  un  grand  nombre  de  réfiigiés  François  qui  s'y  font 
établis ,  &  qui  s'appliquent  particulièrement  au  labourage. 

Cette  ifle  appartenoit  anciennement  à  l'Evêque  dlJrrecht,  &  il  y  avoît 
une  Prévôté  de  Bénédiâins ,  qui  ne  fubfifle  plus  depuis  fort  long-temps» 
Son  véritable  nom  efl  Catfand,  &  elle  le  tire  des  Cattes  qui  habitoient 
le  pays  de  HefTe ,  &  dont  quelques  eflaims  allèrent  fe  jetter  dans  le  pays 
qu'on  nommoit  Batavic^  &  une  entr'autres  dans  cetteMfle.  Snlaltegange, 
dans  fa  grande  cronique  de  Zélande ,  dit ,  que  cette  ifle  faifoit  autrefois 
partie  de  la  Zélande,  &  qu'elle  n'en  étoit  féparée,  que  par  la  rivière  de 
Lieve.  Elle  a  été  pendant  iong*temps  le  théâtre  de  la  guerre  entre  les  Fla- 
mands &  les  HoUandois,  les  Zélandois  &  les  Anglois.  En  1^04,  le  Prince 
Maurice  fe  rendit  maître  de  cette  ifle  »  &  en  chafTa  les  Efpagnols  ^  ce  qui 


i6  CATSAND,    ouCADSAND. 

contribua  beaucoup  à  la  conquête  de  TËclufe.  Depuis  ce  temps*13k  elle  eft 
reftée  fous  la  domination  des  £cats- Généraux. 

Cette  ifle  eft  partagée  aujourd%ui  en  deux  parties  prefqu'égales.  La  par- 
tie  orientale  fait  partie  du  bailliage  d'Oftbourg,  &  comprend  les  villages 
&  les  polders.  L'occidentale  fait  partie  de  celui  d'Ardembourg ,  &  Tune  & 
l'autre  font  du  reflbrt  du  franc  de  l'Eclufe  ,  excepté  les  Seigneuries  de 
Breskens  &  de  Nieuvliet,  qui  ont  leurs  jurifdiâions  particulières.     ^ 

La  partie  occidentale  eft  proprement  appellée  le  pays  de  Cadfand  ^  Se 
comprend  les  villages  de  Cadfand ,  Zuytzande ,  Cafandria ,  Ter  Hofilede , 
le  polder  de  Thienhondert  »  celui  qu^on  nomme  le  Swarte-Polder  &  quel- 
ques autres  moins  confidérables.  Tout  ce  pays  contient  fix  mille  huit  cents 
quatre- vingt-dix-fept  gemeeten  ,  mefure  de  trois  cents  verges  de  douze 
pieds  chacune ,  &  cent  cinquante-quatre  verges.  La  Seigneurie  de  Nieuvliec 
eft  auflî  (ituée  dans  cette  partie  occidentale. 

Le  village  de  Cadfande  eft  aftez  grand ,  &  il  y  a  deux  rues  principales , 
avec  deux  églifes  fur  un  même  cimetière ^  Tune  pour  les  Flamands,  deffer- 
vie  par  un  Miniftre  de  la  clafle  de  Walcheren,  &  l'autre  pour  les  François  ^ 
qui  ont  un  Miniftre  du  fynode  Wallon. 

Zuytzande  eft  un  petit  village  qui  n'a  qu'une  rue.  Il  y  a  une  églife  dont 
le  Miniftre  eft  de  la  ctafte  de  Walcheren. 

Cafandria,  qu'on  nomme  aufli  le  retranchement^  eft  fituée  fur  le  bord 
du  Swin.  Ce  lieu  étoit  ci-devant  fortifié  &  défendu  par  deux  forts  à  chaque 
extrémité ,  qui  portoient  les  noms  d'Orange  &  de  Naftau.  Il  y  avoit  un 
Commandant ,  un  Major  de  la  place  &  un  Commis  du  magazin  ;  mais  les 
fortifications  en  ont  été  rafées  avant  la  dernière  guerre ,  &  au-lieu  de  cette 
forterefle ,  on  s'eft  fervi  d'un  vaiffeau  de  guerre  qui  étoit  toujours  à  l'an-. 
cre  à  l'embouchure  du'Svin,  pour  en  défendre  l'entrée.  Il  y  a  une  églifb 
dont  le  Miniftre  eft  de  la  claâe  de  Walcheren.  Ter  Hofidede  n'eft  qu'un 
petit  hameau  de  cinq  ou  fix  maifons  ,  entre  Cafandria  &  le  trajet  de 
l'Eclufe. 

Le  polder  de  Tien-hondert  eft  Cixué  à  l'orient  du  village  de  Cadfand ,  & 
comprend  quatre  cents  foixante*un  gemeeten.  Le  Svarte  Polder ,  à  l'orient 
du  premier,  contient  cent  gemeeten  &  cent  fept  verges,  le  Cafteil-Polderke 
en  a  quarante-fept ,  celui  qu'on  nomme  Lodyk-Polderke  vingt-trois ,  &  le 
Verre-Polderke  dix-fepr.  Ce  qu'on  nomme  la  vieille  paroiffe  de  Cadfand  , 
qui  contient  plufieurs  autres  petits  polders ,  comprend  fix  #niUe  deux  cents 
quarante-neuf^  gemeeten  &  quarante- fept  verges. 

Le  village  de  Nieuvliet  eft  à  une  petite  lieue  à  l'orient  de  celui  de 
Cadfand  ,  oc  il  y  a  une  rue  &  une  églife  deffervie  par  un  Miniftre  de  la 
claffe  de  Walcheren.  C'eft  une  Seigneurie  qui  a  haute ,  moyenne  &  balTa 
juftice ,  &  qui  appartenoit  autrefois  à  la  famille  d'Adornes  à  Bruges.  Le 
tribunal  de  cette  Seigneurie  eft  compofé  d'un  Bailli  Se  de  fept  Echevins , 
avec  un  Secrétaire ,  tous  établis  par  le  Seigneur  ;  mais  on  appelle  de  leurs 

juge- 


C    A    T    0    N. 


'7 


jtigemens  ^  pour  le  civil ,  au  franc  de  PEclufe.  Leur  jurifdiâian  s^éttnà  en* 
tre  la  paroifTe  de  Cadfapd  &  celle  de  Groede,  &  depuis  la  mer  jufqu'au 
canal  d'Oftbourg.  Il  y  a  aufli  un  Dykgrave  &  quelques  Jurés ,  pour  les  pol« 
ders  qui  dépendent  de  cette  Seigneurie  ^  &  qui  font  une  partie  du  Svarte- 
Polder  ,  de  même  que  pour  ceux  de  Baenft  ,  d'Adornes ,  de  Nieuwenho* 
ren ,  de  Motteneye  o^  de  plufieurs  autres  moins  confidérables.  (  T.  ) 


C    A    T    O    N. 

ParaUclc  entre  Caton  &  Céfar  ,  le  premier  attaché  à  Pintirét  de  fa  patrie  ^ 

Vautre  à  fort  intérêt  particulier. 

V^ATON  fe  donna  la  mort  plutôt  que  de  fe  réfoudre  à  feufTrîr  otl 
même  à  voir  la  fervitude  publique.  Céfar  fut  afTafliné  pour  l'avoir  établie. 

Les  caraâeres  de  ces  deux  illuftres  Romains  ont  été  bien  peints  par 
Sallufte ,  quoiqu'il  n'ait  pas  tout  dit.  Cet  hiftorien  dit  qu'ils  étoient  à*peu« 
près  de  même  âge ,  égaux  par  la  naifTance  &  par  l'éloquence  \  qu'ils 
avoient  autant  de  grandeur  d'ame ,  &  d'amour  de  la  gloire ,  l'un  que  l'au- 
tre ;  mais  qu'ils  ne  plaçoiem  pas  la  véritable  gloire  dans  le  même  objet. 
Sallufte  ne  les  confidere  que  comme  deux  grands  fujets  dans  un  Etat  li- 
bre ,  lequel  ils  fervoient  &  dans  lequel  ils  acquéroient  de  la  gloire  par 
diftërens  moyens  &  avec  des  qualités  différentes  :  il  paflè  fous  ulence  ce 
en  quoi  ils  différoient  totalement;  c'eft  que  l'un  Êtifoit  fa  principale  étude , 
&  ne  travailloit  uniquement  qu'à  la  confervation  &  au  bien  de  l'Etat  ; 
tandis  que  l'autre  employoit  toutes  fes  forces  &  toute  fon  adreffe  à  le 
corrompre  &  à  le  bouleverfer.  Caton  combattoit  pour  la  liberté  publique 
&  pour  la  vertu  :  Céfar  au  contraire  ne  travailloit  au'à  augmenter  fa 
puiffance,  ce  «qui  l'engageoit  à  favorifer  la  corrruption  ce  les  abus  publics. 
Tous  les  hommes  vertueux  &  la  caufe  de  la  probité  avoient  en  Caton  un 
proteâeur  &  un  afyle.  Mais  Céfar  protégeoit  &  entretenoit  les  fcélérats  ^ 
les  perdus  &  les  défefpérés  ^  tous  les  traîtres ,  &  toutes  fortes  d'intrigues 
pemicieufes  à  la  République.  Caton  faifoit  fes  efforts  pour  rappeller  l'an* 
cienne  probité  &  l'innocepce ,  pour  faire  rentrer  eh  eux-mémjss  ou  pour 
châtier  les  peftes  publiques,  pour  affurer  le  bien  public  par  des  meuires 
conformes  à  l'exaâe  juftice,  oc  pour  tranfmettre  la  liberté  &  un  bon  gou- 
vernement aux  générations  futures.  Céfar  favorifbit  la  diffolution  &  la  vé- 
nalité ,  encourageoit  les  criminels  d'Etat ,  brouilloit ,  débauchbit  &  oppri- 
moit  la  République.  Caton  aimoit  la  patrie ,  combattoit  &  mourut  pour 
elle  :  il  laiflfa  par-là  un  exempte  illuftre  &  touchant  d'une  vertu  incorrup- 
tible ,  &  d'un  zèle  digne  des  premiers  fiecles.  Céfar  s'aimoit  bien  plus  que 
fa  patrie  ;  il  combattoit  pour  lui-même  contre  elle  ,  &  la  réduifit  en  fer« 

Tome  XL  C 


,8  C    A    T    O    N. 

vicude  par  amoUf-propre  :  il  réduific  en  efcUvage  Tes  contemporains  &  la 
pofléricé ,  &  laifla  une  race  de  fuceefTeurs  dignes  d'hériter  de  la  tyran- 
nie ;  une  race  qui  fut  le  fléau  &  la  honte  de  la  nature  humaine  ,  la 
pefte  &  les  bouchers  des  Romains  &  de  tous  les  hommes  en  général* 

Telles  furent  à  la  lettre  les  aâions  &  le  caraâere  de  Céfar  que  Rome 
a  tant  vanté  :  ce  furent  Tes  exploits ,  ce  fut  le  legs  qu'il  laiila  à  fa  patrie. 
Si  coût  cela  ne  conftitue  pas  un  parricide  du  premier  ordre  ^  le  fens  des 
mots  eft  renverfé,  la  vérité  &  la  raifon  ont  perdu  tout  leur  crédit,  &  il 
n'y  a  plus  ni  crime  ni  innocence.  Ne  remplit-il  pas  Rome ,  &  les  immen- 
fes  pays  dont  elle  étoit  la  capitale ,  de  fang  &  d'infortune  >  Ne  les  rédui- 
fit-il  pas  en  efclavage  ?  il  parloir  bien ,  il  combattoit  vaillamment  ;  mais 

Îour  l'amour  de  qui ,  &  qui  en  recueillit  les  avantages  }  N'étoit^ce  pas 
léfar  qui  en  profîtoit  )  la  dépenfe ,  la  douleur  &  le .  chagrin  étoient  fur  le 
compte  de  Rome  ;  ce  fut  d'elle  &  de  fa  liberté  qu'il  triompha  la  der-» 
aiere  fois. 

Rome,  glorifie-toi  plutôt  d'un  véritable  Magîftrat  :  vante  ton  conct-^ 

toyen,  l'ennemi  de  tes  ennemis,  ton  meilleur  champion,  &  un  véritable 

Prophète  I  Lui  qui  t'avertit  d'avance  de  toutes  les  calamités  qui  te  mena- 

foient  I    qui   faifoit  fes  efforts  pour  les  détourner,  &  qui  aima  mieux 

mourir  que  de  les  envifager.   C'eft  là  une  véritable  réputation  ,  une  répu^ 

tation  folide  «  immortelle  &  fans  tache.    Tous  les  exploits  de   Céfar  ^ 

toutes  fes  belles  qualités ,  ne  font  pas  qu'il  n7ait  mis   fa  patrie   dans  les 

fers  9  confidération  qui  ternit  tout  ce  qu'il  avoit  de  bon  &  le  prive  de  la 

louange  qu'il  auroit  méritée.  Cicéron  le  regarde  comme  un  furieux  &  une 

créature  miférable ,  qui  n'avoit  aucune  idée  de  la  véritable  gloire  :  »   Ne 

»  fait- il  pas ,  dit  cet  Orateur,  i»  toutes  ces  chofes  pour  l'honneur  >  Ou  efl 

»  fon  honneur?  Où  efl  fa  vertu  &  fa  juftice?  EU -ce  de  tenir  contre  le 

9  public  une  armée  payée  par  le  public  >  De  s'emparer  des  villes  munici* 

9  pales ,  dans  le  defiein  d'envahir  Rome  elle-même   &  de  la  réduire  en 

m  efclavage?  D'annuller  toutes  les  dettes,  de  pardonner  tous  les  crimes  « 

p  de  commettre  toute  forte  d'infolences  ;  le  tout*  pour  parvenir  à  la  tyran- 

»  nie ,  qui  efl  fa  Divinité  favorite  ?  «  Tout  cela ,  dans  l'opinion  de  cet 

illudre  Romain ,  de  ce  vrai  citoyen ,  de  cette  lumière  de  fa  patrie ,  ren- 

doit  Céfar  d'autant  plus  coupable  &  plus  miférable  :  fes   grands   fuccès 

n'étoient  qu'un  grand  crime. 

Il  n'y  eut  jamais  rien  de  plus  impudent  que  les  demandes  qu'il  fit  pour 
parvenir  ^  un  accommodement  ;  en  quoi  il  manqua  encore  de  fincérité. 
Je  dois  encore  emprunter  le  raifonnement  de  Cicéron  :  p  Eh  bien  !  accor- 
a  dons-lui  ce  qu'il  demande  avec  cette  étrange  impudence  :  car  qu^y 
p  a-t-il ,  Céfar ,  de  plus  impudent  ?  Vous  avez  occupé  une  Province  pen«« 
»  dant  dix  ans ,  terme  qui  ne  vous  avoit  pas  été  accordé  par  le  Sénat  ^ 
a  mais  qui  vous   a  été  donné  par  vous-même  &  par  la  force  de  votre 

a  &6Hon.  Ce  terme  même  ^  Umûé  non  par  les  loix  ^  mais  pai*  votre  coo* 


Ç    A    T    O    H.  '9 

4 

9  voitife ,  eft  écoulé  :  foyons  d'accord  qu'il  eft  légitime  :  le  Sénat  vous 
»  a  nommé  un  SuccefTeur  :  vous  vous  y  oppoiez  &  vous  demandez 
0  qu'on  ait  des  égards  pour  vous;  je  vous  réponds;  en  avez -vous  pour 
»  nous  ?  N'avez- vous  pas  une  armée  plus  long-temps  que  le  peuple  Ro- 
»  main  ne  l'a  ordonné  ?  Ne  bravez-vous  pas  ainfi  l'autorité  du  Sénat  V  4l 
9  ne  lui  refte  donc  à  choifir  que  de  comoattre  ou  de  fubir  votre  joug,  a 
Dans  une  autre  lettre  à  Atticus ,  faifant  des  réflexions  fur  des  of&es  plau- 
fibles  de  Céfar;  n  Prétend- il ,  dit  Cicéron^  porter  de  bonnes  nouvelles 
•>  aux  véritables  Romains  ?  Oii  font-elles ,  à  moins  qu'il  ne  fe  pende ,  & 
»  qu'il  ne  forte  de  ce  monde  pour  l'amour  d'eux?  « 

On  donne  de  grands  éloges  a  la  clémence  de  Céfar  ;  mais  il  étoit  né« 
ceflaire  qu'il  en  montrât  beaucoup  ;  la  politique  exigeoit  qu'il  en  eût 
autant  que  cela  pouvoit  lui  fervir  :  il  avoit  vu  Marins  &  Sylla  déteftés  à 
xaufe  de  leurs  cruautés.  Mais  fi  les  voies  de  douceur  n'euflent  pas  réuffî  , 
eft-on  fht  qu'un  homme ,  que  l'ambition  avoit  rendu  furieux ,  eût  aban- 
\  donné  fes  mefures  &  fes  vues  ambitieufes ,  plutôt  que  de  recourir ,  pour 
les  faire  réuflîr  »  à  des  aâes  de  vengeance  &  à  l'efmfion  du  (àng  ?  Quelle 
plus  grande  cruauté  y  a-t-il  que  de  faire  la  guerre  à  fa  patrie  &  de  l'aT» 
lervir  >  Ne  le  fit-il  pas  ?  Ne  devoit-il  pas  faire  tout  ce  qui  étoit  néceflàire 

rour  parvenir  ï  ce  Dut  impie ,  tuer  &  détruire  jufqu'à  ce  quUl  en  fût  venu 
bout  ou  qu'il  eût  péri  lui-même  >  Lui  qui  expoloit  des  milliers  d'hom- 
mes à  la  mort  &  à  la  boucherie,  eût-il  eu  du  fcrupule  de  la  mort  de 
quelques  particuliers }  Ne  déclara-t-il  pas  rondement  a  Cicéron  ,  que  s'il 
ne  pouvoit  pas  obtenir  fit  concurrence,  &  celle  de  fes  amis,  U  embraf* 
feroit  les  fecours  quels  qu'ils  fufTent ,  &  prendroit  toute  forte  de  mefures , 
ai  omnia  effc  defccnfurum.  Curion ,  ami  &  adhérent  de  Céfar ,  ne  dit-if 
pas  »  que  Céfar  n'étoit  pas  porté  naturellement  à  la  cruauté ,  &  qu'il 
9  croyoit  la  clémence  une  qualité  propre  à  gagner  le  peuple  \  que  cepen- 
p  dant,  fi  la  faveur  du  peuple  lui  manquoit,  il  deviendroit  certainement 
»  cruel?  «  Cœlius,  l'orateur  &  lepartifiin  de  Céfar,  dit  auflî  franche* 
ment  dans  une  lettre  à  Cicéron ,  que  »  Céfar  ne  refpiroit  rien  que  de 
»  violent  &  de  tragique ,  &  qu'il  ne  parloit  pas  fur  un  autre  ton*  a  Ci-^ 
céron  lui  attribue  expreflëment  le  deffein  de  faire  périr  Pompée. 

Phalaris ,  tyran  -d'Agrigente ,  dont  le  nom  a  pafié  en  proverbe  pour  ex-^ 
primer  la  cruauté ,  ula  de  beaucoup  de  douceur  au  commencement  de 
ion  ufurpation  &  long- temps  après  :  il  montra  beaucoup  de  patience^ 
&  d'inchnatîbn  à  pardonner  pluueurs  confpirations  &  des  attentats  contre 
fa  vie  :  mais  ils  devinrent  fi  fréquens,  qu'ils  le  rendirent  enfin  vindicatif 
&  fanguinaire  ;  ce  qu'il  continua  d'être  :  il  difi)ît  que  fans  cette  cruauté 
ià  perfonne  ne  feroit  pas  en  fureté  :  trifie  expédient ,  très-fujet  à  cau- 
tion ,  &  qui  fouvent  produit  un  effet  contraire.  Il  eft  probable  que  Céfar 
eût  fuivi  les  traces  de  Phalaris. 

Otez  à  Céfar  fes  rares  qualités,  qui  d'elles-mêmes  ne  méritent  aucua 

C  %- 


i 


2a 


d    À    T    O    N. 


o 


éloge I  &  dont  fl  (c  fcrvît  pour  des  vues  criminelles;  conudcrtz  feule- 
fnent  fon  but  &  .fon  ambition,  quel  monftre  ne  paroitra-t-il  pas?  Ses 
grandes  qualités  rendent  fes  crimes  plus  atroces.  Ne  doutohs  pas  qu'il  ne 
fût  mille  fots^  pire  que  Néron  ,  ayant  fait  mille  fois  plus  de  mat  que  lui. 
Telle  eft  la  dmé^ence  que  le  plus  ou  le  moins  d^abileté  met  dans  le  ca-» 
raâere  des  hommes.  Néron  manquoit  d^adreffe  pour  (e  rendre  un  démon 
agréable  r  Céfar  en  avoit  beaucoup  ;  fans  compter  que  ce  fut  Céfar 
qui  ,  mettant  les  Romains  dans  les  chaînes^  mit  Néron  en  état  de  les 
exterminer. 

Je  conclurai  en  confidérant  les  avantages  que  Céfar,  ce  fameux  ufurpa^ 
teur ,  recueillit  de  fon  ufurpation  :  elle  lui  coûta  bien  cher  ;  après  une  vie 
pleine  de  troubles ,  après  une  infinité  de  crimes ,  de  périls  &  d'inquiétu^ 
des  y  il  fut  exterminé  comme  traître  &  tyran.  Céfar,  comme  tous  les  ufur* 
pateurs,  porta  un  &ux  jugement  fur  ta  réputation  &  la  poftérité.  Danfs 
î'efprit  des  gens  de  bien  &.  de  bon  fens,  celui  qui  avoit  commis  de  telles 
horreurs,  pour  parvenir  à  Paéte  le  plus  exécrable,  i  la  deftruâion  de  la 
liberté  publique,  à  afTervir  fa  patrie,  ne  pouvoir  point  acquérir  une  bonne 
réputation ,  mais  une  haine  éternelle  ,  &  un  opprobre  attaché  à  fon  nom» 
Qui  voudroit  à  ce  prix  fè  faire  un  grand  noni  parmi  la  vile  &  infâme 
populace  ? 

Sa  poflérité  n'eut  pas  une  meilleure  fortune  :  en  réformant  &  rétablie 
Tant  l'Etat,  il  auroit  pu  lui  laiffer  beaucoup  de  gloire  &  un  établiffement 
durable;  s'il  avoit  laiflë  aux  Romains  teur  ancienne  liberté  ,  ce  bonheur 
fi  précieux,  fon  nom  auroit  été  aufH  grand  &  auffî  célèbre  que  celui  du 
premier  l^utus  ^  &  fes  defcendans  auroient  été  auffî  refpeâés ,  aufli  chers 
aux  Romains,  que  ceux  de  ce  digne  Romain. 

Cette  forte  d'ambition  aurort  été  raifonnable;  elle  cR  recommandée  par 
Machiavel ,  qui  voudroit  »  qu'un  Prince  ou  un  grand  homme  qui  afpire 
n  à  l'immortalité,  choisit,  pour  te  théâtre  de  fon  Gouvernement  &  de  fa 
»  eloire ,  un  État  corrompu  &  en  décadence ,  qu'il  fe  propoferoit  de  reâr- 
»  ner  &  de  rétablir.  ''  Deffein  véritablement  grand  &  digne  d'un  Prince 
plein  de  bienveillance  &  de  véritable  honneur  :  au- lieu  que  de  corrompre  un 
Etat  &  de  l'affervir,  eft  un  afte  de  barbarie,  de  petiteffe  d'efprit  &  de 
badèfle.  Céfar  ne  choifît  pas  le  premier  parti,  mais  le  dernier,  qui  efl  un 
parti  impie  &  deftruâeur  ,  &  perdit  ainfî  une  bonne  réputation.  Pour 
avoir  mis  fa  patrie  dans  les  fers,  il  en  laiffa  la  malédiâion  à  fa  poflérité* 

Son  fuccefleur  immédiat  n'ét<Mt  pas  fon  fils ,  il  étoit  fris  de  fa  fœur  ; 
le  fuivant  n'étoit  pas  de  fa  famille ,  mais   il  laiffa  l'Empire  à  un  homme 

3 ut  en  étoit  :  ce  qui  ne  fut  pas  long-temps  continué.  La  plupart  de  fes 
efcendans  étoient  des  fhipides,  des  monflres  fanguinaires  ce  déteflables» 
Cela  pouvoit-il  contribuer  à  conferver  ou  à  perpétuer  fon  nom?  Ils  mou- 
rurent auffî  comme  lui  de  mort  vjolente;  tant  un  pouvoir  exorbitant  eft 
incapable  fl'en  garantir  l  il  caufa  £c  accéléra  leur  fin  tragique.  Après  quelr 


C    A    T    O    N,  21 

ques  règnes  fanglans,  malheureux  &  maudits,  ou  pour  mieux  dire  en  peu 
d'années,  le  diadème  impérial  fut  arraché  de  fa  famille  pour  toujours  : 
Néron,  cet  horrible  Cannibale,  fut  le  dernier;  Augufte,  plus  fanguinaire 

3ue  lui,  avoit  été  le  premier  ,  je  veux  dire  après  Jules.  Les  trois  intermé- 
iairesy  dignes  dépofitaires  du  nom  &  du  pouvoir  de  Céfar,  furent, 
comme  ce  dernier,  la  malédiâion,  le  (candale  &  les  bourreaux  du  genre 
humain. 

Outre  le  fort  funefte  qui  attendoit  infailliblement  tous  ceux  de  la'  fa- 
mille qui  étoient  fur  le  thrône ,  les  autres,  j'entends  les  branches  qui  ne 
régnoient  pas,  étoient  les  objets  continuels  de  la  jaloulîe  &  de  la  cruauté 
de  celui  qui  occupoit  le  thrône,  qui  travailloit  fans  celTe  à  exterminer 
tous  ceux  de  fa  famille  qui  fe  diftinguoient  par  leurs  talens ,  par  leur  mé- 
rite perfonnel  ,  par  leurs  richeffes  ,  ou  par  d'autres  avantages  perfon- 
nels  ou  accidentels  :  &  fans  cela  ,  uniquement  parce  qu'ils  étoient  de 
cette  race. 

Voilà  les  fuites  glorieufes  du  fuccès  de  l'ambition  du  puiffant  Céfar: 
il  mit  fa  patrie  dans  l'efclavage,  il  en  caufa  la  ruine  entière,  il  attira  la 
mort  fur  lui  &  fur  toute  fa  race ,  qui  jufques  au  dernier  furent  tous  aflaf- 
finés  :  il  eut  la  malédiâion  &  la  haine  univerfelle  du  genre-humain.  Voilà 
les  aâions,  voilà  le  mérite  du  grand  Céfar,  élevé  jufqu'au  Ciel  pour  fa 
conduite,  la  prudence  de  fes  mefures  &  fes  grands  fuccès!  Il  étoit  certai- 
nement très-artificieux,  très-brave;  il  fut  très-heureux  dans  l'entreprife 
Su'il  fit  de  caufer  fa  perte,  celle  de  fa  poftérité  &  de  fon  pays  :  ce  fut  le 
uit  de  fa  politique,  de  tous  fes  complots;  de  fon  éloquence  &  de  fon 
héroïfme.  Eft-ce  là  fe  rendre  aimable?  Eft-ce  être  heureux  &  fageî 

Il  eft  naturel  de  demander  comment  le  caraâere  de  Céfar  put  être 
admiré  ?  comment  il  put  être  populaire  ?  car  il  efl  vrai  que  Céfar  étoit 
aimé  du  peuple  ;  il  dut  fon  pouvoir  à  fon  génie  populaire  :  il  obtint  la 
feveur  du  peuple,  en  faifant  le  bon  citoyen  ,  &  fie  le  bon  citoyen  afin 
d'ufurper  l'Empire.  Ce  procédé  ne  fut  pas  particulier  à  Céfar  ;  c'étoit  l'arti»- 
fice  confiant  &  le  bouclier  de  tous  les  parricides  qui  l'avoient  précédé  : 
c'efl  ainfi  qu'ils  fe  mafquerent  &  qu'ils  cherchèrent  à  fe  rendre  recom- 
mandables  dans  l'efprit  de  la  multitude,  &  ils  n'y  réuffîrent  que  trop. 
Les  efforts,  les  aâes  frauduleux  &  la  conduite  de  pareils  parricides,  car 
il  y  en  eut  plwfieurs  de  cette  efpece,  font  réellement  une  grande  partie 
de  l'hiftoire  de  Rome,  depuis  la  fondation  de  la  république  jufqu'au  der- 
nier période  de  la  liberté  Romaine.  Céfar  avoit  autant  de  talens  que  qui, 
que  ce  fût  d'entre  les  Romains;  il  eut  des  occafions  plus  favorables  Se 
plus  de  fuccès  :  tous  tant  qu'ils  étoient,  ils  fe  donnoient  pour  des  bienfai- 
teurs publics,  pour  des  avocats  zélés  pour  le  peuple,  pour  des  patrons  ja- 
loux de  la  liberté.  Ces  belles  apparences,  ces  fauffes  bontés,  cette  often- 
tation  extérieure  &  fi  vantée  de  bon  citoyen  ,  retentiffoient  avec  leurs 
noms  parmi  la  populace  :  elles  paroifToient  dans  leurs  façons  populaires , 


ai  C    A    T    O    N. 

« 

leurs  ordres ,  leurs  harangues  trompeufes ,  leun  inveâives  pleines  de  feu  i 
leurs  loix  agréables  &  pernicieufes  ;  on  y  ajoutoit  tout  ce  qui  étoit  capar 
ble  d'attifer  la  fureur  aveugle  du  peuple  oc  d'établir  la  tyrannie  au  moyea 
de  ce  cri  de  liberté.  Catilina  fiiivit  la  même  route ,  &  y  périt.  Céfar 
parvint ,  &  fe  perdit  dans  la  fuite.  Aidé  du  fecours  &  des  applaudifle* 
mens  du  peuple,  il  fe  joua  de  Pompée  &  du  Sénat.  Il  affervit  le  peuple 
&  ufurpa  l'Etat  avec  une  armée  que  le  peuple  obtint  pour  lui  du  Sénat; 
il  lui  infpira  un  efprit  de  vertige  »  en  faifant  fonner  haut  le  nom  de  li- 
berté ,  &  lui  en  enleva  la  réalité  dans  le  temps  même  qu'il  en  étoit  infatué. 
Cette  manière  eft  toujours  infaillible  pour  miner  la  liberté  ;  c'eâ  la  route 
la  plus  fure,  la  plus  cachée ,  &  qui  réuflît  le  mieux.  Céfar,  ce  prétendu 
citoyen ,  ce  véritable  parricide ,  le  crut  ainfi ,  &  ne  fe  trompa  pas. 
Thomas  Gordon.  Difcours  fur  Sallujic. 


T 


C  A  T  O  N ,  OU  entretien  fur  la  liberté  &  les  vertus  politiques. 


é  M  O I N  infortuné  des  malheureufes  fuites  de  nos  dilfentions  civiles 

&  de  la  déplorable  fervitude  de  notre  patrie,  je  pafTe  mes  jours  à  gémir 
fur  l'afFreufe  fituation  de  la  République,  mon  cher  Marcellusv  &  le  com- 
ble de  mon  défefpoir  eft  de  ne  pouvoir  apporter  aucun  remède  à  fes 
maux.  La  lente  vieillefle  a  appefanti  mes  membres  &  m'a  mis  hors  d'état 
d'être  le  vengeur  des  loix  méprifées.  Si  les  ans  accumulés  fur  ma  tête  ne 
m'avoient  ôté  mon  ancienne  vigueur ,  ô  mon  cher  Marcellus ,  je  le  jure 
devant  les  Dieux  immortels,  je  ne  craindrois  pas  d'aller,  aux  dépens  de 
mes  jours ,  porter  le  fer  dans  le  fein  du  tyran ,  &  de  rappeller  dans  nos 
murs  la  liberté  fugitive!  Mais  borné  à  des  fouhaits  inutiles,  je  fuis  forcé 
de  languir  dans  ma  retraite.  Lli,  loin  de  Rome  opprimée  &  de  Céfar 
triomphant,  je  me  rappelle  encore  ce  jour  mémorable  où  le  plus  grand 
des  hommes  chercha  dans  les  bras  de  la  mort  un  afyle  contre  la  tyran- 
nie ;  il  me  femble  entendre  les  derniers  mots  que  fa  bouche  prononça , 
&  voir  la  pâleur  de  la  mort  fur  ce  vifage,  dont  le  feul  afpeâ  auroit  feic 
trembler  nos  oppreffeurs.  Souvent  je  crois  que,  du  féjour  célefte  oii  fa 
vertu  eft  récompenfée ,  il  me  crie  :  Favonius ,  6  mon  cher  Favonius  !  que 
fais^tu  fur  cette  terre  de  malheur  ?  Viens  joindre  ton  ami  dans  le  fein  de 
la  félicité ,  melc  ta  cendre  à  la  fienne ,  &  accomplis  dans  cette  vie  imrfior* 
telle  Punion  que  nous  avions  ébauchée  dans  notre  vie  pajfagere. ...  Je  le 
fens,  Caton,  je  le  fens,  la  mort  s'approche,  elle  va  frapper  fon  coup, 
&  en  tranchant  le  fil  de  mes  jours ,  remplir  tes  fouhaits  &  les  miens. 
Four  vous,  ô  mon  cher  Marcellus!  confervez-vous  pour  la  république  : 
quoique  nos  fautes  aient  irrité  les  Dieux ,  leur  bonté  eft  innnie  ;  fans 
doute  ils  mettront  un  terme  à  notre  punition,  &  peut-être  qu'un  jour  il 
vous  fera  permis  d'efpérer,  de  voir  la  Ubené  rétablie  fur  les  premiers 
fondemens. 


C    A    T    Ô    N.  13 

Si  jamais  le  ciel  plus  propice  vous  appelle  à  la  magîftrature  dans  Rome 
affranchie  de  Pefclavage ,  fongez  alors  à  faire  fleurir  la  vertu  dans  votre 
patrie,  fongez  à  rendre  vos  concitoyens  dignes  d'être  libres,  &  en  mo- 
dérant leurs  paflîons ,  fàites-Ieur  aimer  l'égalité ,  &  leur  infpirez  la  même 
horreur  pour  le  defpotifme  &  pour  la  fervitude. 

Je  me  rappelle  un  entretien  que  j'eus  avec  Caton  dans  ces  temps  ou 
tout  nous  préfageoit  les  orages  qui  ont  perdu  la  République.  J^étois  avec 
Cicéron  dans  fa  maifon  de  campagne;  prefque  toujours  la  converiation 
fe  toumoit  fur  Pétat  où  fe  trou  voient  les  affaires  publiques.  L'univers  re* 
tentifibit  alors  du  bruit  des  viâoires  que  Céfar  remportoit  dans  les  Gau« 
les.  Que  je  crains,  s'écria  Cicéron ,  ces  fatales  conquêtes  :  que  l'impru- 
dence qu'on  a  eu  de  confier  cette  guerre  à  un  Capitaine  aufli  ambitieux , 
peut  caufer  de  maux  à  l'État!  Les  Dieux  proteâeurs  de  Rome  nous  dé* 
lèndront-ils  contre  ce  dangereux  citoyen  (i  affuré  de  fes  foldats ,  &  fbr« 
tifié  du  fecours  des  Gaulois  nos  implacables  ennemis  !  Les  Dieux ,  répons- 
dit  Caton,  font  toujours  affez  puiffans  pour  diffîper  les  vains  projets  des 
mortels  :  mais  continueront*ils  à  accorder  aux  Romains  défunis,  corrom- 
pus ,  efclaves  de  leurs  pafHons ,  méprifànt  les  loix  &  les  devoirs  du  ci- 
toyen ,  une  proteâion  qu'avoient  mérité  à  nos  pères ,  leur  amour  de  la 
patrie  &  de  la  liberté ,  leur  magnanimité  &  l'auflérité  de  leurs  mœurs.  Pen- 
ibns*nous  que  le  ciel ,  par  des  miracles  multipliés ,  comblera  les  précipi- 
ces que  notre  imprudence  a  creufés  fous  nos  pas ,  &  femblera ,  par  cette 
conduite,  approuver  nos  déréglemens,  &  juftifîer,  pour  ainfi  dire,  les 
vices  qui  dégradent  la  République  ?  ne  le  croyez  pas ,  mes  chers  amis , 
il  fe  manqueroit  à  lui-même  fi ,  par  un  exemple  éclatant ,  il  n'avertiffoit 
les  autres  peuples  d'arrêter  les  progrés  de  la  corruption-,  avant  que  Tex^ 
ces  du  mal  n'ôte  Tefpérance  d'y  remédier  ;  foyez  perfuadés  que  nous  ne 
tarderons  pas  à  être  la  proie  d'un  tyran  qui ,  en  étouffant  dans  nos  cœurs 
un  refle  d'amour  pour  la  liberté,  nous  rendra  le  rebut  des  nations,  après 
en  avoir  été  les  maîtres.  A  ces  mots  une  fubite^  conflernation  fe  répan« 
dit  parmi  nous ,  ce  funefle  préfage  des  malheurs  de  notre  chère  patrie , 
nous  arracha  des  larmes  en  abondance.  O  Caton  !  m'écriai- je ,  tout  efl 
donc  défefpéré,  &  Rome  verra  les  dominateurs  des  nations  ramper  aux 
pieds  d'un  citoyen  que  fon  crime  aura  élevé  au-deffus  d'eux.  Il  n'efl  que 
trop  vrai ,  répondit-il  ,  &  voilà  où  nous  a  conduit  notre  imprudence  & 
notre  indifférence  pour  la  patrie. 

Lorfqu'une  trop  grande  profpérité,  &  les  richeffes  de  TAfie  apportées 
parmi  nous,  eurent  ouvert  notre  cœur  à  l'avarice,  à  la  volupté  &  à  tou- 
tes les  paflions  bafles ,  l'amour  de  la  liberté  &  de  la  gloire  commencè- 
rent à  décliner;  on  vit  de  funefles  divifions  éclater  parmi  nos  citoyens; 
au  mépris  des  anciennes  loix ,  quelques  particuliers  étalèrent  dans  Rome 
une  fortune  fcandaleufe ,  &  bientôt  envahirent  toutes  les  richeffes  de  l'I- 
ulie;  le  peuple  chalfé  de  fes  héritages  &  réduit  à  la  dernière  mifere,  ne 


^4 


C    A    T    O    N. 


tarda  pas  )  perdre  le  refte  de  fes  vertus  ;  à  la  place  des  ancieimes  mœurs , 
les  pahîons  établirent  leur  funefie  empire.  On  vit  alors  deux  fàâions 
acharnées  l'une  contre  l'autre ,  déchirer  la  République ,  &,  arrofer  la  pa* 
trie  du  fang  de  fes  enfans.  C'eft  du  fein  de  ce  chaos  que  l'ambition  de 
Sylla  fit  éciore  le  defpotifme  :  ce  criminel  citoyen  donna  le  premier  i 
des  âmes  corrompues,  l'exemple  dangereux  de  fe  rendre  plus  puiflknt 
que  les  loix.  O  éternel  opprobre  !  Rome  le  vit  ^  &  iae  fut  que  trem- 
bler; nos  cœurs  eJfFéminés  par  le  luxe,  ou  rétrécis  par  la^mifere,  avoient 
tellement  perdu  toute  vigueur,  qu'il  ne  fe  trouva  pas  un  feul  citoyen 
qui  o(àt  venger  la  patrie  offenfée.  Tandis  que  la  punition  de  ce  crime 
auroit  dû  intimider  ceux  qui  méditoient  de  femblables  defleins;  cet  hom« 
me,  pour  notre  honte,  mourut  au(U  tranquillement  que  le  plus  ver- 
tueux patriote.  Tout  fut  perdu  depuis  ce  jour  fatal.  Chacun  étouffant 
dans  fôn  cœur  l'amour  de  la  liberté  &  de  la  patrie ,  n'afpira  plus  qu'à 
fe  rendre  le  maître  de  fes  égaux ,  &  la  République  ne  fut  plus  qu'un  vil 
amas  d'efclaves  &  de  tyrans. 

Rome  amollie  par  fes  vices,  ôc  livrée  à  des 'troubles  perpétuels,  fe  vit 
forcée  de  donner  un  pouvoir  exorbitant  à  de  (impies  citoyens.  Devant 
ces  nouveaux  proteâeurs  les  loix  fe  curent  &  les  Magiflrats  n'eurent  qu'un 
vain  nom.  Bientôt  enhardis  par  l'indifférence  de  leurs  compatriotes  pour 
le  bien  public ,  ils  oferent  regarder  la  République  comme  leur  patri- 
moine ;  ils  fe  partagèrent  les  Provinces ,  &  les  légions  Romaines  ne  fu- 
rent plus  que  celles  de  Pompée,  de  Craffus  &  de  Céfar.  Nous  fommes 
réduits  aujourd'hui  a  craindre  également  l'union  &  les  divifions  de  ces 
hommes  ambitieux  \  le  peuple  incertain ,  fans  guide ,  livré  à  de  fi-ivoles 
amufemens ,  eft  fur  le  point  de  facrifier  fa  liberté  dont  il  ne  connoic  plus 
le  prix. 

Chers  amis ,  la  caufe  de  tous  nos  maux  efl  cette  ambition  immodérée 
ui  nous  fit  croire  que  nous  étions  les  légitimes  'maîtres  de  l'univers  ; 
ers  d'avoir  humilié  l'orgueil  de  Carthage ,  nous  trouvâmes  notre  Empire 
trop  refTerré  dans  les  limites  de  l'Italie ,  &  nous  ae  tardâmes  pas  à  porter 
nos  armes  dans  l'orient,  dont  les  richeffes  &  les  voluptés  dévoient  punir 
leurs  imprudens  vainqueurs.  Pourquoi  quelque  généreux  Romain  ,  pré- 
voyant dés-lors  le  vice  deflruâeur  qui  alloit  infeâer  fa  patrie  ,  ne  nous 
arrêta-t-il  pas  fur  le  bord  du  précipice  ?  O  Scipion  !  ù  dans  ces  temps  heu« 
reux  où  régnoit  la  vertu ,  &  où  l'amour  du  bien  public  embrafoit  chaque 
citoyen ,  quelque  divinité  propice  eût  mis  dans  ta  bouche  de  falutaires 
conleils ,  lans  doute  qu'ils  auroient  été  écoutés ,  &  tu  aurois  joint  ,  à 
la  gloire  d'être  le  fauveur  de  Rome ,  celle  d'être  le  confervateur  de 
fes  loix  ! 

Cependant  les  anciennes  mœurs  à  qui  nous  devions  notre^^profpérité  ne 
furent  pas  exilées  tout-à-coup ,  ôc  malgré  la  corruption  naUfante  on  vit 
encore  des  exemples  de  magnanimité  &  d'amour  de  la  patrie  :  mais  à  la 

fin 


t 


t 


C    A    T    O    N/  aï 

fin  les  vertus  déjà  ëbranlëes  dans  nos  cœurs  ne  purent  riCiRer  contre  le 
débordement  des  tréfors  afiatiques  ;  elles  s'enfuirent  &  cédèrent  la  place 
aux  pallions  les  plus  impér^euies  :  ainfi  le  ciel  nous  punit  de  notre  am-* 
bition  ,  vengea  les  droits  de  la  nature  violis ,  &  pour  confoler  les  peupler 
de  l'efclavage  où  nous  les  avions  réduits,  nous  condamna  dès^ors  à  per-* 
dre  notre  liberté.  Que  notre  fort  auroit  été  diffèrent,  fi  réprimant  notre 
injufle  avidité ,  &  jaloux  d'une  gloire  plus  pure  ,  nous  n'euflions  fongé 
u'à  afTurer  le  bonheur  de  ritalie!  Si  nos  pères  avoient  confulté  l'équité 

la  véritable  politique,  ils  auroient  pu  alTeoir  la  République  fur  des  fon^ 
démens  inébranlables,  &  la  liberté  de  nos  Alliés  feroit  devenue  le  plus 
fur  garant  de  la  durée  de  notre  Empire ,  fi  nous  y  avions  mis  le  fceau 
en  uniffant  ces  peuples  par  le  lien  d'une  mutuelle  confédération. 

Cette  idée  me  frappe ,  dit  alors  Cicéron  ^  je  vois ,  cher  Caton  que  c'é- 
toit  le  feul  moyen  d'affermir  également  la  liberté  de  Rome  &  les  loix  qui 
ont  fait  fon  bonheur.  Quelle  gloire  n'auroit*ce  pas  été  pour  notre  patrie 
de  donner  un  aufli  grand  exemple  de  modération  !  L'Xtalie  remplie  aupa* 
ravant  de  peuples  ennemis  les  uns  des  autres ,  réunie  alors  par  des  liens 
mutuels  fous  les  aufpices  d'une  ville  qui ,  pour  tout  prix  de  les  viâoires  ; 
n'eût  cherché  que  le  bonheur  général ,  auroit  offert  à  l'œil  de  la  raifon  uni 
fpeâacle  fublime  &  digne  des  regards  de  la  divinité.  Nos  Alliés  jouiffant 
de  leur  indépendance ,  tranquilles  fous  notre  proteâioa ,  èc  par  la  réu« 
nion  de  leurs  forces ,  n'auroient  eu  rien  à  craindre  des  incurfions  des  Bar- 
bares. Chaque  Cité  auroit  alors  tourné  toutes  fes  vues  vers  fon  gouver- 
nement intérieur.  Des  loix  fages  auroient  augmenté  la  vigueur  de  chaque 
République  &  par-là  celle  de  l'affociation  générale.  Il  eût  été  facile  à 
Rome  d'élever  l'Italie  bien  au-defTus  de  la  Grèce,  &  pour  une  Sparte  qui 
hit  la  gloire  de  cette  Province ,  d'en  faire  naître  cent  dans  celle  qu'elle 
auroit  gouvernée.  Vous  ne  dites  pas  tout ,  reprit  Caton  ;  ne  doutons  pas 
qu'un  pareil  exemple  n'eût  engagé  la  Grèce  à  remonter  les  refforts  de  fes 
inflicutions.  La^  fageffe  de  Rome  &  fa  médiation  n'auroit  pas  peu  fervi  à 
étouffer  l'efprit  d'ambition  &  de  difcorde  qui  a  &it  fi  long -temps  fon 
malheur.  Lacédémone  connoiffant  le  tort  qu'elle  a  eu  dé  renoncer  aux 
loix  de  Licurgue,  n'auroit  pas  tardé  à  les  rappeller  &  à  fe  foumettre  à 
leur  joug  falutaire.  Nos  citoyens  touchés  de  la  fageffe  de  ce  grand-hom- 
me ,  &  enflammés  de  l'amour  des  héroïques  vertus  ,  auroient  établi 
parmi  eux  cette  difcipline  fainte  &  févere  fi  propre  à  les  élever  au-deffus 
de  l'humanité ,  &  dès-lors  l'union  de  ces  deux  villes  eût  fait  à  jamais  le 
bonheur  de  l'univers. 

Cette  expreflion ,  chers  amis  ,  ne  doit  pas  vous  paroltre  trop  forte.  Je 
fuis  perfuadé  que  le  bruit  des  vertus  de  l'Italie  &  de  la  Grèce  réunies 
auroit  percé  dans  ces  climats  barbares ,  où  les  hommes  fiers  &  indompta- 
bles n'ont  pas  encore  fu  établir  leur  liberté  fur  le  fondement  des  loix. 
Les  Gaulois  Se  les  Germains,  témoins  de  la.fôUçité  dont  nous  jouirions. 

Tome  XI.  D 


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il  refpeâant  notre  puiflâace ,  auroietit  (ans  doute  cherdié  à  iiotts  tmicer  ; 
&  fenfibles  à  un  bonheur  plus  pur,  auroienc  renoncé  fans  peine  à  la  gloire 
féroce  du  brigandage.  L'Europe  entière  eût  alors  préfenté  le  fpeâacle  ho- 
norable de  la  liberté  unie  aux  loix  i  &  le  defpotiune  Si  la  tjrrannie  fe  (et 
roient  vus  relégués  pour  toujours  chez  ces  peuples  efiëmiaés  qui  femblenc 
itvoir  oublié  qu'ils  font  hommes. 

Quel  dommage,  m'écriai -je,  o  Caton!  que  ce  tableau  de  l'humanité 
libre  &  heureute  ne  fe  trouve  qu'un  beau  longe  !  Trilles  jouets  de  nos 
padions,  nous  nous  fommes  abandonnés  à  leurs  trompeufes  promefles^  & 
quoiqu'à  la  lueur  de  leur  finiftre  flambeau  nous  nous  (oyons  précipités  dans 
«n  abyme  fans^ond ,  nos  yeux  ne  font  pas  encore  deflUlés ,  &  malgré  nos 
malheurs  I  nous  ofons  nous  livrer  à  leur  conduite.  La  même  ambition  qui 
nous  avoit  portés  à  ôter  la  liberté  Aux  autres  peuples  ,  pouffé  maintenant 
nos  citoyens  à  s'égorger  mutuellement  »  &  à  tâcher  d'étabKr  leur  puifTance 
lur  la  ruine  de  la  République.  Le  mal,  nion  cher  Favonius,  reprit  Caton , 
a  fait  des  progrès  trop  conudérablei  pour  que  nous  puiflions  efpérer  de  voir 
les  Romains  devenus  plus  (âges ,  reprendre  les  vertus  de  leurs  pères.  Ne 
jpous  attendons  plus  qu'à  voir  consommer  des  crimes  déjà  conmiencéf ,  flc 
les  foibles  refles  de  notre  liberté  difparoitre ,  peut-être  hélas  !  pour  tou* 
JQui^s.  Moment.  £ital  !  Si  vous  faviesc ,  cbers  amis ,  quel  eft  l'état  déplorable 
d'un  peuple  qui  gémit  fous  le  defpotifme;  combien  la  fervitude  engourdie 
le  coeur  des  citoyens  >;  combien  le  retour  à  la  vertu  eft  difficile ,  pour  ne 
pas  dire  impodible^  quand  une  corruption  lente  a  enhardi  la  tyrannie  à 
s'élever  fur  les  débris  des  loix.  Bientôt  l'ultirpateur  revêtu,  de  toute  la  piiif« 
iknce  publique ,  jouit  de  la  lâcheté  de  fes  efclaves ,  augmente  lenr  ^cor- 
fuption ,  en  fementam  leurs  pallions  les  plus  baffes  ;  &  pour  s'àbandon- 
aer  enfuite  plus  tranquillement  à  fes  plaiurs,  livre  ce  vil  troupeau  à  fea 
miniftres  qui  ^  en  enchériflànc  fur  leurs  maîtres ,  font  à  l'humanité  des  in- 
£ikes  méthodiques.  On  les  voit  dévorer  la  fubftance  du  pauvre ,  dévafter 
les  campagnes  pour  fournir  à  leur  luxe  &  contenter  leur  avarice  infàriable. 
Sous  leur  proteâion  des  honunes  aufli  corrompus  qu'eux ,  exercent  fur 
les  foibles  uq  affi-eux  brigandage.  Si  le  peuple  réduit  au  défefpoir  fidt  en^ 
tendre  quelques  murmures ,  f^  pleurs  &  fes  cris  font  regardés  comme  le* 
ditieux  &  attentatoires  à  la  majefté  du  trône.  L'intrigue  ^  la  cabale ,  la 
bafle  flatterie  régnent  dans  tous  les  ordres  de  la  nation  ^  &  la  fociété  n^eft 
plus  qu'un  amas  de  loups  ravilfans  &  de  (bibles  agneaux  cp  tremblent  & 
nient  devant  eux, 

C'eft  alors  que  tout  l'Etat  eft  abfbrbé  dans  une  funefte  léthargie  à  la* 
•uelle  certainement  la  plus  tumultueufe  anarchie  eft  préférable.  Si  par  ha« 
lard  quelque  citoyen  vertueux ,  le  reflbuvenant  de  l'indépendance  de  les 
ancêtres  ,  (kit  fonner  le  mot  de  liberté  aux  oreilles  de  fes  compatriotes  ^ 
ces  hommes  avilis  &  couverts  d'ignominie  le  regardent  con^me  un  infenfé, 
^  fourient  dédaigaeufement  ^  aux  noms  de  verm  &  d'amour  de  la  patrie. 


C    A    T    O    N. 


*7 


Dans  une  Tilkiaîion  pareille ,  it  iFaadroic  les  ^ftis  terribtes  réToIution  pour 
tirer  de  leur  fommeil  des  âmes  qui  ont  perdu  tout  fentiinent  de  leur 
dignité. 

Caton  paflant  infenfiblement  des  obferrations  particulières  fur  la  dict^ 
dence  de  notre  conftitution  à  des  vues  plus  géo^Ies ,  nous  développa  Tes 
idées  fur  l'étroite  liaifon  deis  vertus  politiques  &  de  la  liberté,  &  lur  les 
moyens  d'aflurer  leur  empire  fur  le  cœur  des  citoyens, 

La  liberté,  &U  vertu,  nous  dît-il,  font  étroîtemept  unies,  cjles  fe  don- 
nent une  force  mutuelle,  &  la  chute  de  Tune  ne  manque  pas  d'entraîner 
la  chute  de  l'autre.  Il  efl  impoflfible  de  voir  naître  des  fentimens  héroïques 
chez  une  nation  qui  fe  méprife  aflfez  elle-même  pour  croupir  dans  refcla7 
vage  :  &  quel  amour  du  bien  public  peuvent  avoir  des  peuples  itiifér^bles^ 
qui  voient  qu'un  homme  feul,  &  les  favoris  engloutiflent  tomes  les  rî- 
cHêffes  de  PEmpire?  Tous  les  taîens  utiles  font  étouffés,  une  Hdîcule  ejé-j 
gance^  ou  une  débauche groflîere  en  prennent  la  place}  l'Etat  diffous^^par 
fà  deflruftîôn  des  loix,  ne  fubfifle  qu'en  apparence,  &  fes  parties  étant 
réellement  défunies  ,   tombent  en  pièces  au  moindre   choc  qu'elles   re- 


çoivent. 


Les  corps  pQÎîtiques  portent  dans  leur  feîn,  comme  les  corjis  naturels^ 
lé  ger^me  *  fànl  de  lèui*  dèftru6Hori.  Le  plus  fage  inftituteur  ïie  doit  pas  té 
flatter 'dMtablir  fur  dMternelV  fondemens  la  até  à  laquelle  'ir  donne  des 


le  deff^otifme  qui  caufe  la  mort  de  la  République.  Mais  quoique  le  légifl4^ 
tebr  ne  puiffe' guère  efpérer  de  rendre  fes  citoyens  éternellenient  libres  èç 
heureux  ;  il  peut ,  en  donnant  à  l'Ëtat  une  conftitutlôn  rbbufle  ^  lui  afTurer 
une  durée  de  plirfîeurs  fîecles ,  lier  teîlemenr  les  loix  aux  moeurs,  qu'elle? 
ioieht  long-tetnps  le  foutien  de  la  liberté.  Qu'il  imprime  dans  les  cœurs 
l'amour  d'une  fâ^e  indépendance ,  qu'il  infpire  l'obéifTance  aux  loix ,  &  l'a- 
mour de  l'égalité  :  s^l  a  l'art  d'inculquer  ces  vertus  dans  l'ame.de  fes  cî^^ 
toyens^  il  ne  doit  pas  craindre  que  la  tyrannie  ofe  de  long-temps  élever 
fsL  tète  hîdeufe.  Ce  n'eft  qu^  la  faveur  du  mépris  des  loix ,  de  l'ambitîor> 
dé  chaque  plirticulrer  &  du  peu  de  ca^  que  tous  leurs  compatriotes  font 
de  la  liberté,  me  quelques  Icélérats  tentent  d'ufurper  la  fouveraine  puif- 
fance/Que  la  KépuDlique  s'attache  fur-tout  à  donner  à  fes  membres  Iç 

{Ans  vif  amour'  pour  la  patrie  ;  qu'elle  nourriffe  avec  le  plus  grand  foin  ^ 
es  vertus  qui  conduifent  i  ce  généreux  fentiment  ;  que  des  le  moment  àt 
leur  naiflânce  les  jeunes  gens  apprennent  les  obligations  qu'ils  ont  à  cettç 
tendre  mère;  qu'accoutumés  à  ne  s'eftimer  que  par  rapport  à  elle,  ils 
né'  puKfent  jamafs  avoir  d'intérêt  différent  de  l'intérêt  général.  Ceux  quf 
connoiffent  la  iiature  de  l'homme,  &  combien  fes  paflîons  mal  régléeç 
l'inciténc  à  tout  rapporter  à  lui,  n'oflsront  jamais  efpérer  un  renoncement 

D  2 


2$  C    A   T   o  ir. 

auffi  héroïque  des  citoyens  hiflës  à  eux-mêmes.  On  fên*t  ici  qii^l  eft  d^une 
abfolue  neceflité  que  les  loix  veillent  à  l'inftitution  des  enfans,  &  que 
leurs  confeils  les  plus  falucaires  feront  peu  d'impreffion  fur  les  hommes 
fvts,  s^ils  n'en  ont  été  imbus  dès  Tâge  le  plus  tendre.  Les  nations  les  plus 
renommées  par  leur  fagefle  ont  établi  chez  elles  l'éducation  publique.  C'eft 

Sar  elle  que  les  anciens  Ferfes.fe  préferverent  de  la  contagion  des  vices 
e  leurs  voifins  ^  &  cultivèrent  les  vertus  les  plus  fublimes  au  milieu  desi 
peuples  effîminés  de  TAfie  »  dont  leur  valeur  ne  tarda  pas  à  les  rendre  les 
maîtres  :  c'eft  par  elle  que  la  Crète  acquit  la  répuution  de  pofféder  les 
meilleures  loix  de  l'univers.  Ce  fage  établiflement  perfeâionné  par  le  Lé- 

fiflateur  de  Sparte  ^  porta  fa  patrie  au  plus  haut  degré  de  gloire  où  une 
Lépublique  puifTe  afpirer  ;  &  l'abolition  de  l'éducation  publique  fut;  pour 
Lacédémone  le  coup  fatal  qui  la  détruifit  fans  reflburce.  Après  4e  pareil^ 
exemples ,  eft  -  il  quelque  cité  éclairée  fur  fes  propres  intérêts  ^ui  doive 
balancer  d'adopter  une  pareille  inftitution.  On  fait  aflez  que  le  ientipient 
ne' fe  commande  pas^  &  que  les  plus  pompeufes  exhortatk>ns  ne  font 
aucun  effet  fur  des  cœurs  mal  difpofés.  Si  donc  l'Etat  abandonne  les  pre- 
mières années  des  citoyens  aux  préjugés  &  à  la  volonté  des  parens,  qui  lui 
répondra  .que  la  vejtu  &  les  fentimens  patriotiques  préfideront  toujours  à 
cette  importante  occupation^  Qui  fait  fi  des  pères  ambitieux ,  ne  tâchcf^ 
ront  pas  d^inlpirer  les  mêmes  idées  à  leurs  enfans^  &  ne  les  rendront  pas 
ainfi ,  dès  le  premier  moment  de  leur  vie ,  les  ennemis  de  la  patrie  dont 
ils  auroient  dû  être  les  foutiensî  D'ailleurs  les  jeunes  gens  accoutumiés  à 
vivre  féparés  les  uns  des  autres ,  prendront-ils  dans  la  fuite  »  cet  amour, 
mutuel  qui  fied  fi  bien  aux  membres  d'une  même  fociété  ?  Ne  borneront- 
ils  pas  leur  afleétion  au  petit  cercle  qui  les  entourera  dans  la  maiibn  pan 
ternelle,  d(  n'y  aura-t-il  pas  lieu  de  craindre  que  l'intérêt  de  la  £mûlle( 
ne  marche  fbuvent  devant  l'intérêt  de  la  République?  Toutes  ces  idées ^ 
mttK  chers  amis ,  me  portent  à  croire  qu'un  peuple  jaloux  de  fa  liberté  & 
du  maintien  de  fà  léeiflation ,  doit ,  autant  qu'il  le  peut  »  admettre  chev 
lui ,  les  fages  règles  de  Licurgue  ;  &  qu'il  en  recueillera  amplemesit  le 
finit  par  les  fublimes  vertus  qui  naîtront  dans  le  cœur  des  citoyens. 

Quant  à  ces  nations  qui  font  là  honte  de  l'humanité ,  &  par  qui  l^ 
Vertus  mâles  du  Républicain  font  tournées  en  ridicule ,  toute  éducatioa 
publique  devient  inutile  chez  elles  ^  &  les  fatals  agrémens.  dont  elles  font 
leur  gloire  »  ne  s'acquièrent  que  trop  aifément  dans  le  tourbillon  dé  leura 
frivoles  plaifirs.  Tout  fentiment  noble ,  tout  élan  vers  la  liberté  eft  étouffi^ 
|)armi  ces  malheureux  efclàves.  Si  par  halard  le  Monarque  qui  fe  trouve 
I  la  tête  du  troupeau,  &  las  du  vain  pouvoir  qu'il  exerce  lur  des  auto-* 
mates ,  entreprend  de  les  changer  en  hommes ,  qu'il  n'efpere  pas  céufllr 
dans  fon  projet ,  s'il  ne  commence  par  réveiller  dans  leurs  cœurs  abattus 
le  (èntiment  primitif  de  leur  indépendance ,  qu'il  leur  rappelle  leurs  droits 
qu'ils  ont  négligés;  ces  droits  contre  lefquels  on  ne  prefcrit  jamais  ^ 


C    A    T    O    N.  %9 

pttce.qu^  fontf  ibficlâB  fur  la  coiiititvtion  de  Thomaie  ;  qu'il  ak  lui» 
aiémè  le  courage  de  fe  décharger  du  ârdeati  du  bpuvoir  arbitraire  i  ea 
coonoiflànc  combien  il  eft  peu  raifonnable  qu'un  ieul  homme  veuille  fe 
fiûre  le  centre  de  tout.  H'  eft  aifé  de  comprendre  ^ue»  s'il  n'établit  les 
fendemeus  de  fon  entreprife  fur  la  liberté  de  là  nation ,  &  s'il  ne  com«* 
sneoce  par  ^ire  des  citoyens  de  fes  fujets,  tous  fes  efforts  feront  vains  ^ 
il  que  des  tertua  commandées  par  un  maître  ne  pr^uiront  que  i'hy-^ 
pocnfie.  ... 

Si  cependant  le  içfpotifme  n'étoit  pas  un  mftl  ^cien^  ^  que  l'habi*! 
tode  de  refclavagei  n'eût  pas  eu  le  tempes  de  flétrir  entièrement  les  coeurs^ 
peut-être  qu'à  l'approehe  des  verms^  les  âmes  pouftoient  reprendre  Jeuti 
premiers  reflbtts  : .  mais  foyez  afliirés  que-  les  citoyens  ne  tarderoient  pas 
a  faire  euxrméme»  les  plus  grands  efl^rts  poiur  mettre:  des  bôrçes)  au  pou? 
^•Ir  du  Monarque  9^ &  que. les  (ecoufles  les;plus  viplôntes  rétablicont  enfin 
la  libené^l  Je  ne  peux»  chers  ami$,  me  lafler  dQ  le  répéter  ;  Je  defpo* 
ttfine  &  la  vertu  ibnt  deux  chofes  ;  ineoçipatibUs}  ^  l'une  eft  nécefraii:e- 
ment  la  ruine  de  l'autre.  £n  effet  6 ,  par  le  '  concours  de  quelques  cir- 
confiances  extraordlnair:es ,  un  peuple  yeiïHSux  ..viçat  à  perdre  fa  liberté  » 
je  fuLi  perfuadé  que  le  pouvoir  du  tyran  n'eft  rien,  mpins  que  bien  affermi  i 
ces  âmes  fieres  accoutumées  à  méprifer  les  voluptés ,  &  nourris  des  fenti- 
mens,  les  plus  fublknes^Te  foukveront  connue; Içuf  oppreffeur^  &  Técra^ 
ierom  fous  les  débris  de  fg»  trône.      -  t       ,    : 

;  C'eft  un  fpefùde  frappant  pour,  le  :  PhilofophC!  qui  jette  un  coup^d'œil 
fur  l'hiftoire  des  n^tic^s^  de.  voir  les  mcsQrs  i oc  Ja  liberté  des  Sociétés  po- 
litiques fuivre  une  marche  égale  dans  leurs  pro^fés  &  dans  leur  décadence. 
Rien ,  ce  femblç  ^  «ei  prouve  mieux  qu'elles  V)ift  irréparablement  unies. 
JLes  &ftes  de  toi}s  4çs.  peuples  noq$  apnoncent  cette  grande  vérité..  £t 
combien  n'eft-il  pas  étonnant  que  îlfls  :  Républiques).  aMer^ies  par  ces  exem'f 
pies,  regsudent  «vec  aut^t  d?indifféience »  le  r^l^chemont  des  mceurs  & 
les  premiers  fignçs  .d'une  corruption  naiftante^  Dan^  un  pareil  cas,  un 
Ma^ftrat  éclairé  fe  hâte  d'appliqi^er  le  remède  dès  au'il  apperçoit  les 
fymptèmes  du  nul ,  &  fans  attendre  que  des  progrès  dangereux  en  aient 
découvert  la  caufë^,  guidé  par  fa  fs^gacité  &  par  l^mour  de  la  patrie,  it 
y  reqionte  &  va  détruire  le  venin  jufq'ies  dans  fon  origine.  Connoiftknt; 
que  rioi  n'eft  plus  oppofé  à  CQ(te  ardeur  4e  courage  Se  à  ce^  e;npire  per-^ 
pétuel  fur  fes  paftions  qui  fontje  ç^M'aâere  de  Pho^nme  libre,  que  nn«, 
dolence  &  la  raufle  fé^urité  {  il  fera  toqs  fes  efforts  pour  donner  à  fes 
citoyens  un  nouveau  goût  pour  la  verm  ;  il  leur  communiquera  cet  en- 
thoufiafme  pour  les  grandes  aâions ,  fi  propre  à  «conduire  à  rhéroïfme  ; 
ce  mépris  des  richefles  &  ce  défintéreffement  qui  font  le  plus  ferme  rem* 
part  de  la  liberté. 

Ces  vertus,  mes  cheits .tmb ,  qui  £iifoient  la  gloire  de  nos  ancêtres, 
^  qui  contribuoiept  anunt  que  leur*  armes  à  les  Êûe  refpeâer  des  nar 


i 


}è  C   A  T   o  «r. 

fKMisiéinègaes,  ib«  maiotenaœ  parmi  lénn^ ètfcteoâàa^  \'nm 

tes  prodiges  de  jtiftke  &  d^moar  de  la  patde^qm  les  ^ôfoietic  régaidet 
par  leurs  entiMds  comme  des  écres  élerés  au^deflus  de  nuanamté  i  font 
rais  par  vont  an  nombre  des  chimères  doDt  oo  a  accoutamé  de  hesccc  les 
en&Bs  ^  depuis  <pi'un  nombreux  eflàim  de  fbphiftes  des  écoles  de  Démi»« 
crite  &  d'Epicure  nous  oot  imbus  de  leurs  argument  £dlacîeax.  Ces  tômm 
n^foDiseurs  *eii(eîgiiei|t  que  racmour^propre  eft  le  -fent  mobile  de  nos  ao* 
rions  ^  cet  amour  du  beau  que  Socrate  &  Platon  regardèrent  comme  >  Iq 
figné  de-  notre  origine  célette,  &  quHts  tichoieoc,  avec  tant  de  loin ,  de 
léTeflter  daàs  le  cœur  de  leurs  difdples  ^  les  nooveaur  Philofepfaes  le  toœ^ 
Mot  en  rtdicute,  &  VeffiircenK  de  prouver  qt^  ne  penr  exiiler qu^  fpé^ 
eobtion ,  &  qu^l  ne  doit  ion  origine  qu^à  notre  orgueil.  StAxm  eux ,  •  la 
^v^ûpté  doif  être  notie*  lbav^:^âin  bien ,  &  le  but  de  mus  nos  v^kik  ;  cha* 
qôe  homme  doit  fe  faite  te  Centre  de  toute  la  fi»ciélé:r  &  œ  procurer 
té  bien  de  fa  patrie  bii  celui  de  f^s  amis  qu'auiaot^a^  y  trouve  foo 
propre  avantage.  Cette -èang«fêu(è  doÔrine  nV^&k  ^e  tn>p  de  prdgrèi 
parmi  nous:  les  paflions  qu^elles  &voiifoie0t^  lui  ont  kit  en  jmbu  de  tènipi 
de  nombreux  profëlites ,  &  les  (entimens  bas  ;  qui  (ont  la  fuite  naturelte 
de  ces  fophilmes ,  ont  pris  la  phce  des  vertus  qui  ont  illuftré  les  ancient 
Romains.  '-•     •  '    *  --  -* 

Qeel  rava|;é  V  décria  Giééron,  n'a  pâ^^t  dansfOOtre  Rdpubliqoè/che» 
Çaton  ,  la  fauflè  philofophie  dont  yous^eilè^  db  nous  expofer  les  prinCi^ 
pes  !  Elle  a  pou^  jamatr  te#i  la-  ioiixct  à^  I*hdf0fthie ,  en  nous  concentrant 
dans  nous-mêmes  i  nous  ne  fommes  plus  qtie  des'maffts  fans  vie  que  le 
feu  de  la  gloire  ii'ammeAa* jamais.  Ô^RégidUsT  OlDédus!  O  Héros  dont 
les  noms  feuls  rempKfTeBt  Tame  du;  fnnt  ainour  de  \t  vertu  !  de  quelle  in- 
dignation ne  doivent  pas  étrt  fai fiel  Vos  ombres  -tnagnàninies ,  en  voyant 
Pérat  abjeft  oft  font  tombési  vo$  defcêâdans.  Xa  téite  en^ere,  frappée' <Pé-< 
fonnement  au  bruit  de  vos  àâions ,  ^ufoit-etle  regard»  Rotne  comme  Id 
teitaple  de  la  vertu,  fi  vos  eèet^s  généreuse  fb' fbf&tit  eoUâ^tts  par  les*niaxi* 
mes  baffes  de  notre  fieele^?  O  vous  qui  vous  ahnbnce^  comme  lésdépofi- 
taires  des  oracles  de  la  fàgeflb ,  &  comme  les  difpeHDfacèuf s  de  la  ftKeité  « 
dites-nous  quel  bien  ont  produit  parmi  nous  vos  nouvelles  opinions!  S^il 
eft'  vrai  qu'elles  ont  dépravé  ce»' jf^etechàns  nobles  qui  ^nbûs' font  fkcHfiet 
nos  propres  intérêts  à  celiii  de -là  patrie ,  fi  hos  cifoyens  ni  fbnif  ptw  que 
àts  êtres  inutiles ,  &  quefquefoîs  f^eniiciéiix  I  la  République  ;  dé  quel  front 
ofez-vous  vanter  ce  prétendu  bonheur  qui  fàie  lé 'malheur  général?  Fàùdi^^ 


i 


r-il  rwéter  ce  que  de  fiecle  eh  fîecte  les  fages  ont  dit  à  toutes  les  nations , 
que  rintérêt  particulier  à  été  dé  tous  lés  temps  une  fburce  de  trouble  & 
e  difcorde,  que  lei  malheurs  occafionnés  par  le  choc  de^  paflions  oppo-^ 
fées ,  obligea  les  premiers  hommes  à  pafler  de  Tétat  de  nature  dans  rétai 
civil ,  &  crue  par  une  corffecjuence  néèeffaire,  le  bd^eiir  de  fa  fbciété  ne 
peut  coefifier  qpe  daas^  l^Mlbibtiflcfaieat  des  iiftérêcF  j^vésy  A  dans  la  ferci^ 


Cr  AT    O    N.  31 

de  l'kAérét  général.  Ces  vérités  mconteftables  ^  &  beaucoup  d'autres  auflS 
certaines  ^  ne  > nous  permettent  de  vous  regarder  qoe^ comme  des  empoi* 
fbaneurs  publics  »  &  comme  les  ennemis  les  pins  dangereux  de  l'humanité. 

Ames  ^Cyerirès  fi^^feibles  ouï  n^éprdurâtes  jamais  ce  4îvin  enthoufiafine 
1^  ^leve  le  patriote  au-d^s  de  lin^^mème^  ne  cherchez  plus  à  rabaii&r 
la  gtoife  des  grands  hommes  par  vos  bafies  interpiétatidns  ;  l'éclat  de  leurs 
faits  hértMques  eft  trop  fort  pour  vos  débiles  yeur^  leur  ame  fublime  n'a 
rien  de  commun  avec  la  vôtre.  Semblables  à  ces  oifèaux  noâurnes  qui 
font  effijfqués  par  les  rayons  du  ibldl ,  &  qui  s'enfoncent  dans  les  téne* 
bres  pour  les  éviter,  l'oblcurité  des  temps  modernes  eft  votre  âénient  na>- 
turei^  ne  portez  plus  vos  regards  vers  des  objets  trop  brillans  pour  vous  ^ 
&  cefllfz  de  juger  des  fentinoen^  qui  «ohnent  k  cceuv  des  Héros  p»-  les 
petites  paflions  dont  le  vôtre  eft  continuellement  agité.  Oui ,  cher  Caton^, 
parce  que  dans  notre  fiecle  on  ne  voit  plus  d'aéHons  dont  la  fource  foie 
pure ,  parce  que  ceux  qui  fe  couvrent  du  mafque  de  l'intérêt  public  »  ne 
fongent  éfFeâivement  qu^  fatisfàire  leur  ambition  ;  fondés  fur  de  pareils 
exemples ,  nous  ofons  pénétrer  dans  l'ame  des  Réguhis ,  des  Scipions  & 
dei  Fa1>ricius ,  &  affirmer  que  l'amour«propr9  étoic  la  fource  fiécrete  des 
verms  qui  les  ont  imfnortalirés;  '- 

Ces  infenfés  '^  répondit  Caton ,  ignoreût  profondément  la  nature  de  Tàme 
&  celle  des  paffions  qui  la  dominent  ;  la  vanité ,  l'ambition ,  ou  quelque 
autre  des  penchans  qui  prennent  leur  fource  dans  l'amour-propre,  ont 
quelquefois  produit  des  aaions  éclatantes  ;  il  fut  toujours  aifé  de  1^  dif- 
tinguer  de  celles  qui  ne  doivent  leur  origine  qu'ik  la  vertu  &  l'amour  du 
bien  public.  Il  a  pu  mêiAe  arriver  que  des  hommes  adroits  &  fongeant 
eniquemem  à  leurs  intérêts  aient  ufurpé ,  par  quelques  faits  particuliers ,  la 
réputation  d'hommes  vertueux;  mais  s'ils  font  parvenus  à  éblouir  les  yeux 
de  la  multitude ,  kf  fage  démêloit  toujours,  au  travers  de  tout  cet  appareil , 
le  re(fort  qui  les  faifoit  agir ,  &  la  fuite  dé  leur  vie  n^a  pas  tardé  à  les  dé- 
mafquer  oc  à  faire  tomber  le  voile  dont  ils  cherchoient  i  fe  couvrir;  & 
ne  feroit-ce  pas  d'ailleurs  une  efpece  de  prodige  qu'une  fource  Ci  vile  pût 
jamais  produire  de  grandes  chofos  v  ces  baifes  affeâions  rétréciflènt  trop  le 
Cœur  de  l'homme  pour  que  tout  effort^  généreux  ne  lui  devienne  pas  im- 
poffible.  La  ]gloire  nef  lui  parott  plus  qu'une  vaine  chimère  ,  la  patrie  un 
mot  dépourvu  de  (èns,  &  les  Dieu^c  des  fantômes^  ouvrages  de  la  peur& 
de  la  fuperftition. 

Ce  fi'étoit  pas  allez  ponr  ces  dangereux  Sophiftes  d'avoir  rendu  le  ci- 
toyen fourd  &  la  voix  de  £1  patrie  ,  en  détruiiant  dans  fon  cœur  la  racine 
de  fes  devoirs  envers  elle  ;  ils  oist  encore  cherché  -  à  délivrer  les  '  paflions 
d'un  (rein  terrible  qui  a  fou  vent  Àiodéré  leur  fougue  la  plus  impétueufe. 
La  crainte  d'un  ciel  vengeur  a  fouvent  retenu  des  âmes  prêtes  à  fe  pré- 
cipiter dans  l'abyme  du  crime,  fouvent  la  confcience  alarmée  a  refifté 
tux  trompeufes  amorcée  du  vice  ^  en  fe  peignant  la  divinité  prête  à  lancer 


3a  C    A.   T    0    N* 

Ton  tonnerre.  Que  tle^  Héros  patriotes  n^onc  pas  donné  leur  vie  pour  h 
République ,  encouragés  à  ce  glorieux  facrifice  par  rerp^aocè  de  la  cou* 
ronne  immorcelle  qui  les  attendoic  !  •  • . . 

C'eft  de  la  charrue  que  nos  ancêtres  tirèrent  Curiu^  &  Cincinnatun  ^ 
ces  hommes  qui  méprifoient  les^  richeffes ,  &  qui  rettournoient  cultiver 
leur  héritage  après  avoir  triomphé  des  ennemis  de  h  patrie.  Comparez 
ces  grands  hommes  ^  citoyens  vertueux  au-dedans^  gueirriers  redoutables 
aux  dehors ,  enflammés  du  zèle  patriotique ,  pénétrés  de  refpeâ  pour  lea 
Dieux,  inacceflibles  à  Pavarice  âç  à  la  cupidité}  comparez-les  avec  ces 
méprifablés  avortons  qui  conduifent  aujourd'hui  notre  Gouvernement , 
avec  ces  êtres  frivoles  toujours  avides  de  plaifirs  &  de.  richeflès  ;  avec  ces 
âmes  criminelles  toujours  bourrelées  d^ambition ,  qui  ponent  dans  leur 
cœur  le  défir  coupable  d'aflervir  leurs  concitoyens  &  de  donner  la  more 
à  la  tendre  mère  qui  les  nourrit;  avec  ces  âmes  lâches  prêtes  à  rs^per 
aux  pieds  d'un  maître  &  à  venfdre  au  plus  offrant  une  liberté  dont  ils  ne 
font  plus  dignes.  Jettez  les  yeux  fur  ces  deux  tableaux ,  &  en  (entant 
combien  vous  êtes  dégénérés,  hàtez-vous  de  reprendre  les  vertus  de  vos 
Pères  &  les  qualités  héroïques  inféparables  du  nom  Roqiain  :  cbaflez  ces 
corrupteurs  qui  ont  infeâé  vos  âmes  de  vices  étrangers ,  ces  artiftes  inur 
tiles  qui  vous  ont  façonné  au  goût  des  chçfes  frivoles  j  &  q^i  ont  détourné 
vos  regards  de  la  grande  af&ire  de  la  libené,  pour  les  tourner  for  des 
iables  dangereufes  ou  fur  de  futiles  imitations  ;  ces  vains  raisonneurs  qui 


refte  encore  quelque  fentiment  pour  la  gloire ,  fbyez  fûrs  que  le  bonheur 
public  fera  le  fruit  d'un  au(fî  généreux  effort,  &  qu'en  renonçant  à  vos 
vices  vous  vous  délivrerez  des  maux  qui  vous  affligent^  &  vous  affurerez 
la  tranquillité  de  la  République. 


pendant  point  de  Cité  qui  n'ait  à  craindre  à-peu-près  les  mêmes  périls  où 
*  ;nous  (bmmes  tombés.  De  quelle  prudence  &  de  quelle  fagacité.  n'a  pas 


\  fe  diffoudre  par  les  chocs  terribles  qu'elles  reçoivent  de  rambitiôn  \  à 
confidérer  l'efpece  dç  conjuration  que  les  vices  de  toute  efpece  ont  tramée 
dans  tous  les  âges  contre  les  vertus  qui  font  le  bonheur  des  fociétés  ^  oa 
eft  tenté  de  croire  que  ces  établiflèmens  ne  peuvent  avoir  aucune  bafe 
folide  I  &  que  la  fagefle  la  plus  vigilance  efl  à  peine  capable  de  leur  pro^ 

curer 


C    A    T    0    N.  53 

curer  une 'courte  exiftence.  Il  nîeft  que  trop  vrai ,  reprît  Caton,  que  les 
Républiques  nourrirent  fouvent  dans  leiu-  fein  leurs  plus  dangereux  enne- 
mis :  mais,  outre  que  la  liberté  eft  un  bien  aflez  précieux  pour  mériter 
toute  l'attention  des  citoyens,  il  eft  des  moyens  par  lefquels  un  légiflateur 
la  mettra  facilement  à  couvert  des  entreprifes  des  hommes  ambitieux. 

Que  les  loix  évitent  de  donner  à  un  feul  Magiftrat  ou  même  à  un  corps 
de  magiftrature  un  pouvoir  trop  étendu  ;  qu'elles  n'aient  jamais  l'impru- 
dence de  confier  à  un  feul  homme  les  rênes  de  l'adminiftration.  Quelque 
vigueur  qu'il  fe  trouve  alors  dans  le  corps  de  la  République,  quel- 
que chère  que  la  patrie  puifle  être  aux  citoyens  ,  la  liberté  court  le 
plus  grand  danger.  Ce  Magiftrat  fuprême  n'ayant  aucun  collègue  dont  il 
puifle  craindre  l'oppofition,  fuit  fes  projets  bien  plus  aifément  que  le 
membre  d'un  Sénat  qui  a  tout  à  redouter  de  la  jaloufie  de  fes  confrè- 
res. Les  tréfors  de  TÉtat  dont  il  a  le  maniement,  &  l'entière  difpofition 
lui  fervent  à  fe  faire  des  créatures ,  &  la  force  publique  dont  il  eft  le 
dépofitaire  peut  devenir  dans  fa  main  l'inftrument  du  defpotifme.  Auflî 
voyons- nous  que  les  peuples  foumis  au  gouvernement  monarchique  n'ont 
pas  tardé  ii  perdre  leur  liberté,  &.  qu'il  n'en  eft  aucun  de  nos  jours  qui 
ne  croupifTe  dans  le  plus  honteux  efclavage.  C'eft  bien  pis  quand  la  mol* 
leffe  des  citoyens  &  leur  indifférence  pour  le  bien  public ,  les  engage  à 
rendre  le  gouvernement  héréditaire  pour  éviter  le  tracas  des  élections  de 
la  peine  de  difcerner  le  vrai  mérite  de  l'intrigue  &  de  la  cabale.  Alors 
ils  expofent  la  République  à  n'avoir  aucune  règle  de  conduite,  en  paf- 
fant  de  l'adminiftration  d'un  homme  à  talens  fous  celle  d'un  imbécille , 
ou  à  devenir  la  viftime  de  l'ambition  fuivie  d'une  famille ,  qui  fe  fon- 
^iera  peut-être  fur  cette  hérédité  pour  prétendre  ne  la  tenir  que  d'elle- 
même,  &  fe  rendre  indépendante  de  la  nation  qu'elle  ne  manquera  pas 
d'aflTujeitir.  Qu'un  peuple  fage  ne  donne  le  pouvoir  exécutif  qu'à  des 
compagnies  alTez  nombreufes  pour  que  les  confpirations  contre  le  Sou^ 
verain  y  deviennent  extrêmement  difticiles;  qu'il  le  partage  en  différen* 


tes 


toujours 

cun  ordre  s'attrib^ue  exclufivement  les  dignités  de  l'État  :'ce  furent  les 
prétentions  de  la  oobleffe  qui  remplirent  de  troubles  les  premiers  fiecles 
de  notre  République.  Ce  corps  ambitieux,  fe  croyant  d'une. efpece  plus 
excellente  que  le  refte  des  citoyens,  refufoit  de  partager  avec  eux  des 
honneurs  Se  des  avantages  qui  de  leur  namre  dévoient  être  communs. 
Sans  la  conftance  &  le  courage  des  Plébéiens  qui  vinrent  à  bout  de  ré- 
tablir l'égalité ,  on  auroit  vu  dans  la  même  Cité  deux  États  ennemis  l'un 
de  l'autre,  &  peut -être  que  tôt  ou  tard  notre  ville  n'auroit  été  qu'un 
aflemblage  de  malheureux  efclaves  &  de  maîtres  impérieux.  Cet  exem« 
pie  doit  infpirer  la  même  fermeté  à  ces  nations  chez  qui  une  légiflation 
informe  a  pu  dans  les  commencemens  favorifer  ces  ridicules  diftinâions» 
Tome  XL  £ 


I 


M     .  Ç    A    T    O    N. 

s 

Convaincues  que  l'égalicé  eft  la  bafe  de  la  liberté,  qu'elles  ^fTent  tous 
leurs  efForts  pour  engager  la  patrie  à  difpenfer  également  fes  bienfaits  à 
cous  fcs  enfans.  Des  vues  de  domination  dans  lès  chefs  des  Républiques 
ont  fouvent  fait  attribuer  des  prérogatives  à  une  partie  des  citoyens  au 
préjudice  de  l'autre,  afin  que  la  jaloufie  naturelle  entre  ces  deux  ordres 
les  empêchât  de  fe  réunir  pour  la  défenfe  de  la  liberté  commune,  & 
qu'à  la  £iveur  de  ces  divifions  les  entreprifes  de  rufurpateur  ne  rencon- 
traflenc  aucun  obflacle.  Un  légiflateur  vertueux  &  conduit  par  l'amour  de 
fa  patrie ,  évitera  de  faire  entrer  dans  le  plan  de  fon  inftitution  aucune 
claâe  qui  pôflede  des  privilèges  héréditaires.   La  noblefTe  dans  tous   les 

Eays  a  toujours  vifé  à  la  tyrannie,  &  dans  ceux  où  elle  étoic  déjà  éta- 
lie ,  elle  en  eft  devenue  le  plus  ferme  boulevard ,  par  une  bafle  va- 
nité qui  lui  a  £iit  préférer  de  ramper  aux  pieds  d'un  defpote  ,  à  l'o« 
bligation  de  partager  avec  le  peuple  les  honneurs  &  le  Gouvernement 
de  l'État. 

Il  ne  fuffit  pas  pour  la  fureté  de  la  liberté  publique,  que  les  loir  veil- 
lent au  maintien  de  Pégalité.des  conditions,  fi  elles  ont  négligé  de  pour- 
voir à  la  trop  grande  inégalité  des  fortunes.  Si  quelques  particuliers  pofTe- 
dent  des  richefles  fuffifantes  pour  être  en  état  d'intérefTer  à  leurs  projets 
un  grand  nombre  de  citoyens ,  comptez  que  tout  eft  perdu.  Leurs  tréfors 
&  leurs  pofTeflions  leur  donneront  bientôt  une  puiftknce  fupérieure  à  celte 
des  Magiftrats ,  &  il  fe  trouvera  des  hommes  aftez  lâches  pour  les  aider 
à  fe  frayer  une  route  à  la  fouveraineté.  Une  République  qui  connoitra  le 
prix  de  la  vertu ,  contiendra  toujours  les  fortunes  de  fes  membres  dans 
une  certaine  médiocrité.  L'exemple  du  luxe  &  du  fafte ,  fruits  ordinaires 
des  grandes  richeiTes ,  détruit  peu-à-peu  la  modeftie  des  mœurs  publiques  : 
il  rend  chacun  mécontent  de  fa  fituation,  en  lui  infpirant  du  dédain  pour 
la  frugalité  &  la  fimplicité  qui  étoient  la  fource  de  fon  bonheur;  &  en 
faifant  germer  dans  les  cœurs  mille  nouveaux  défirs  ,  il  excite  dans  l'Eut 
une  fermentation  dangereufe  qui  ne  finit  que  par  fon  entière  difTolution. 
Qu'afîn  d'éviter  de  femblables  malheurs  les  loix  aient  foin  de  limiter  &  de 
divifer  les  polTeflions ,  pour  empêcher  qu'elles  ne  s'accumulent  dans  quel* 
ques  maifons ,  &  que  par  une  fuite  néceffaire  la  plus  grande  partie  des  fa- 
milles ne  fe  trouvent  fans  héritages.  En  un  mot ,  pour  mettre  le  bon  ordre 
dans  la  cité ,  qu'il  n'y  ait  aucun  citoyen  alTez  riche  pour  être  en  état 
«  d'acheter  la  liberté  de  fes  compatriotes  ^  &  qu'il  n'en  loit  aucun  réduit  à 
une  affez  grande  mifere,  pour  être  tenté  de  vendre  la  fienne  à  celui  qui 
voudra  lui  procurer  la  fubfiftance. 


Que  la  nation  oblige  fes  Magiftrats  à  lui  rendre  compte  de  leur 
niftration  ;  que  l'autorité  du  pouvoir  légiflatif  ferve  de  bride  à  ceux  qui 
nourriroient  des  vues  ambitieufes  ;  que  la  loi  limite  la  durée  de  leurs  fbnc*^ 
tions  &  qu'elle  la  reftreîgne  autant  que  cela  pourra  s'allier  avec  le  bien 
des  parties  dont  on  les  aura  chargés*  Toutes  ces  précautions  font  nécef« 


C    A    T    O    N.  35 

faires  pour  retenir  les  adminiArateurs  de  la  chofe  publique  dans  la  dépen- 
dance du  Souverain.  Je  ne  prétends  pas  approuver  par-là  ces  efprits  in- 
quiets, turbulens,  artifans  perpétuels  de  troubles  &  de  difcordes,  qui  fem* 
blent  n^être  occupés  qu'à  femer  la  défiance  dans  tous  les  cœurs  &  à  relâcher 
les  doux  nœuds  qui  doivent  unir  les  pères  publics  à  leurs  enfans.  Il  con- 
vient que  les  Magifirats  aient  une  autorité  fufHfante  pour  fe  faire  refpeâer 
eux ,  &  les  loix  dont  ils  font  les  Miniflres.  Tant  qu'ils  ne  font  que  les 
organes  du  corps  légiflatif ,  ils  doivent  trouver  une  entière  obéifTance  dans 
les  particuliers  qui  en  font  les  membres.  Ce  n'efl  que  lorfqu'ils  tentent 
de  s'arroger  un  pouvoir  plus  grand  que  celui  qui  leur  a  été  confié ,  Se 
quand  ils  eflaient  de  mettre  à  la  place  des  loix  leurs  volontés  arbitraires  , 
que  les  citoyens  doivent  réfifler  à  leurs  entreprifes  :  dans  toute  autre  oc- 
cafion  il  efl  jufle  qu'ils  jouiffent  de  la  confiance  publique ,  &  que  par  l'eP 
time  qu'il  leur  témoigne  »  le  peuple  honore  fon  propre  choix.  A  Sparte , 
ce  modèle  de  toutes  les  Républiques ,  on  voyoit ,  à  la  moindre  parole  du 
Magiflrat ,  chaque  citoyen  empreflé  de  remplir  la  fbnâion  oui  lui  étoit 
aflignée  :  jamais  peuple  ne  connut  plus  le  prix  de  la  liberté  oc  ne  fîit  en 
même-temps  plus  foumis  à  l'autorité  légitime.  Il  n'efl  point  d'honneur  corn* 
parable  à  celui  de  commander  à  des  hommes  libres  ;  mais  les  travaux  & 
les  fatigues  attachés  à  la  magifbrature  méritent  l'eflime  publique  à  l'homme 
vertîteux  qui  confacre  fes  talens  au  bonheur  de  la  patrie.  Si  ce  prix  na- 
turel de  la  vertu  lui  efl  refufé ,  &  fi  tout  au  contraire  l'intégrité  &  l'amour 
de  la  juflice  font  en  proie  auxf'  perfécutions  de  l'intrigue  &  de  la  calom^ 
nie ,  on  doit  s'attendre  que  l'émulation  ne  tardera  pas  à  être  étoufFéé ,  & 
que  des  hommes  méprifables  &  fans  talens  s'empareront  des  places  dues 
au  mérite  &  à  l'amour  du  bien  public.  Telle  (ut  une  des  principales  caufes 
de  la  ruine^  des  Athéniens.  Toute  République  fage  évitera  de  aonner  dans 
un  pafeil  excès  v  &  fâchant  faiiif  le  milieu  entre  une  confiance  trop  aveugle 
&  une  défiance  mal-enteudue  ^  après  avoir  pris  avec  fes  Magiflrats  toutes 
les  précautions  qu'une  prudence  éclairée  lui  aura  diâées ,  elle  leur  laiflera 
la  liberté  néceflaire  à  leur^  fon6Hons ,  &  s'empreflèra  d'honorer  leur  vertu 
&  leur  capacité. 

Il  efl  pour  la  liberté  publique  de  plus  grands  dangers  que  la  violence 
des  ufurpateurs.  Ordinairement  quand  j  à  l'aide  des  troubles  inteflins ,  un 
tyran  s'empare  de  l'autorité ,  l'indignation  dont  tous  les  efprits  font  faifîs 
réunit  les  raâions  oppofées  &  les  engage  à  agir  de  concert  pour  punir  le 
violateur  des  loix.  Mais  fbuvent ,  femblable  à  ces  maladies  deflrifôives 
dont  le  germe  funefle  fe  développe  lentement,  &  qui  ne  fe  manifeflenc 
qu'après  avoir  miné  peii^-peu  tous  les  refforts  de  la  machine,  le  defpo- 
tifme ,  foible  datis  fes  commencemens ,  ne  s'avance  à  fon  but  que  par  des 
progrès  imperceptibles ,  marche  par  des  voies  obfcures  &  détournées  »  où 
l'œil  le  plus  attentil*  auroit  peine  à  le  fuivre ,  ramaffe  tout  ce  qu'il  trouve 
d'impur  dans  le  corps  politique ,  &  gagnant  de  proche  en  proche ,  il  en 

E  % 


35  C    A    T    O    N. 

corrompt  infenfiblement  toutes  les  parties  ;  lorfqu^eniîa  il  eft  parvenu  à 
vicier  totalement  les  fucs  qui  faifoient  la  vigueur  de  l'Etat ,  il  fe  montre 
tel  qu'il  eft  &  fe  livre  à  fa  fërocité  naturelle.  C'eft  donc  contre  Pindiffê- 
rence  &  le  relâchement  que  les  citoyens  doivent  le  plus  fe  précaution- 
nër  ;  que  leur  attention  toujours  portée  fur  les  affaires  publiques  les  mette 
en  état  d'éclairer  les  fourdes  manœuvres  d'une  ambition  criminelle.  Com- 
bien de  nations  libres  autrefois  eémiflent  aujourd'hui  dans  la  fervitude  , 
fans  pouvoir  aligner  l'époque  precife  de  la  chute  de  leur  liberté.  Combien 
en  eft-il  qui  par  cette  raifon  ne  fe  croient  plus  en  droit  d'y  prétendre, 
parce  qu'ayant  perdu  le  goût  d'un  bien  aufli  précieux,  ils  le  regardent 
comme  entièrement  étranger  à  leur  conftitution.  Erreur  grodiere!  comme 
fi  la  liberté  n'étoit  pas  de  l'effence  de  tout  corps  politique. 

Le  prétexte  fpécieux  d'augmenter  par  la  guerre  le  domaine  de  l'Etat , 
eft  un  moyen  dont  fe  font  quelquejfois  fervi  les  dépofîtaires  de  la  force 
publique ,  pour  étendre  leur  autorité.  La  prudence  doit  empêcher  les  citoyens 
de  fe  livrer  facilement  à  de  pareilles  fuggeilions.  Les  loix  ont  fouvent  de 
la  peine  à  fe  faire  entendre  dans  le  tumulte  des  armes.  Le  pouvoir  qu'on 
eft  obligé  d'accorder  aux  Généraux  pour  la  réuffîte  des  entreprifes  ,  peut 
devenir  redoutable  dans  la  main  des  ambitieux.  Si  les  vaincus  font  incor- 
porés dans  la  Cité ,  l'augmentation  de  membres  de  l'aflbciation  rendra  né- 
ceflàirement  l'union  &  le  bon  ordre  plus  difficiles  ,  &  peut-être  qu'à  la 
faveur  de  troubles  qui  s'élèveront  entre  les  anciens  &  les  nouveaux  ci- 
toyens, quelque  homme  hardi  ofera  méditer  la  ruine  de  la  liberté.  Si  les 
armes  procurent  des  fujets  à  la  République ,  il  eft  à  craindre  que  le  pour- 
voir aroitraire  que  les  Magiftrats  exerceront  fur  eux  ,  ne  leur  fkfie  dé- 
daigner la  modeftie  du  citoyen ,  &  qu'ils  ne  cherchent  à  ufurper  le  même 
Empire  fur  leurs  compatriotes.  Les  peuples  qui  n'ont  pas  fu  borner  leurs 
défirs  aux  limites  de  leur  premier  territoire ,  ont  travaillé  à  leur  ruine  en 
croyant  augmenter  les  richefles  &  la  fplendeur  de  l'Etat.  Sparte  vit  décli- 
ner fon  ancienne  gloire  lorfque,  fe  laiflant  conduire  par  l'ambition  d'un 
particulier ,  elle  viola  les  fages  loix  de  Licurgue  ^  &  que  ne  fe  contentant 
plus,  de  régner  fur  les  cœurs  par  fa  jufiice  &  fa  modération  ,  elle  voulut- 
ëtablir  une  autorité  defpotique  fur  les  villes  de  la  Grèce.  La  fureur  de 
dominer  a  perdu  Athènes ,  a  perdu  notre  République ,  &  elle  entraînera 
infailliblement  à  leur  décadence  tous  les  Etats  qui  feront  affez  peu  fages 
pour^s'y  livrer.  Heureufes  les  nations  que  des  barrières  pofées  par  la  na- 
ture elle-même  mettent  dans  l'impuiflance  de  reculer  leurs  limites-!  plus 
heureufes  encore  celles  que  la  fageflë  de  leurs  inftitutions  éloigne  de  la 
fèroce  avidité  des  conquêtes  !  Aucun  orage  ne  tibublera  leur  tranquillité  » 
&  des  jours  paîfibles  &  fereins  affureront  la  durée  de  leur  Empire.  Tels 
font,  mon  cher  Favonius,  les  principaux  moyens  que  la  politique  fournit 

Iiour  fauver  la  liberté  des  Républiques  des  écueils  qi|i  l'entourent  ;  mais 
es  plus  furs  garans  du  bonheur  de  la  patrie  font  les  mœurs  des  citoyens  : 


C    A    T    O    N,  37 

c^e(l-là  Tinébranlable  bafe  fur  laquelle  doit  être  fondée  la  conftitution  de 
l'Etat.  Si  cet  appui  lui  manque ,  on  fentira  bientôt  combien  toutes  les  pré* 
cautions  font  vaines  &  infuffifantes.  Les  Magiftrats  voyant  que  leurs  efforts 
ce  font  pas  fécondés ,  tomberont  dans  le  découragement ,  &  les  loix  mé- 
prifées  demeureront  fans  force  &  fans  autorité.  O  vertu ,  c^e(l*là  ton  glo- 
rieux apanage ,  de  faire  régner  la  félicité  par-tout  où  s'étend  ton  aimable 
domination  !  Tu  es  le  bien  eflentiel  de  l'homme ,  &  en  même  temps  que 
tu  fais  le  bonheur  des  individus ,  l'obfervation,  de  tes  loix  affure  le  repos 
des  fociétés! 

Ici  Caton  nous  traça  le  caraâere  du  vrai  citoyen  avec  cette  éloquence 
mâle  &  pathétique  qui  fit  fi  fouvent  l'admiration  du  peuple  &  du  Sénat. 
A  ce  tableau  fi  frappant,  où  nous  ne  pûmes  nous  empêcher  de  reconnoi^ 
cre  les  traits  difiincHfs  du  grand  liomme  qui  nous  parloit ,  nous  treffailli-* 
mes  9  &  nos  yeux  fe  remplirent  de  larmes.  Chers  amis ,  nous  dit-il ,  il 
c'eft  point  dans  la  nature  d'être  plus  fublime  que  l'homme  qur  porte  fa 
patrie  dans  fon  cœur.  C'efl  l'ouvrage  le  plus  parrait  de  la  divinijé  ;  c'eft  ce- 
lui fur  lequel  elle  jette  ks  regards  les  plus  favorables.  Semblable  à  ces 
ailres  bienfkifans  qui  répandent  la  lumière  &  la  vie  dans  la  fphere  de  leur 
aâivité  9  le  vrai  citoyen  infpire  à  fes  compatriotes  le  zèle  ardent  qui  l'en- 
flamme ;  c'eft  un  feu  brûlant  qui  communique  à  tout  ce  qui  l'entoure  une 
chaleur  vivifiante  :  fes  difcours  portent  dans  tous  les  cœurs  le  faint  amour 
de  la  vertu  :  fes  aâions  marquées  au  coin  du  patriotifme  excitent  une  no- 
ble ardeur  dans  les  âmes  les  plus  tiedes  :  il  n'exifte  ,  il  ne  vit  que  par  la 
vie  de  la  république,  fa  gloire  fait  la  fienne,  &  fon  bonheur  eft  (a  féli- 
aité.  Dans  quelque  rang  qu^il  foit  placé  par  le  choix  de  fes  concitoyens , 
quelques  fonctions  dont  ils  veuillent  le  charger  ,  l'avantage  de  la  patrie 
fera  fon  premier,  ou,  pour  mieux  dire,  fon  unique  mobile.  Magiftrat ,  il 
cmployera  fës  veilles  &  fes  fueurs  au  repos  de  l'Etat  ;  févere ,  intègre ,  il 
veillera  au  maintien  &  à  la  confervation  des  loix  :  à  la  tête  des  armées ,  fi 
la  viâoire  fuit  fes  étendards ,  il  ne  cherchera  qu^à  procurer  une  paix  glo- 
rieufe  à  fa  patrie;  &  dans  les  revers,  il  ne  balancera  pas  de  faire  le 
facrifice  de  fes  jours  ,  plutôt  que  de  la  voir  déshonorée  par  aucun 
opprobre. 

Si  la  modeflie  naturelle  à  la  vertu,  ou  la  négligence  de  fes  concitoyens, 
le  laiflent  dans  Potibli,  le  même  amour  pour  fa  patrie  honorera  l'obfcu- 
rité  de  fa  vie  privée;  dans  la  place  publique ,  les  loix  juftes  &  le  vrai  mé- 
rite auront  feuls  fon  fuffrage  ;  fîmple  foldat ,  il  donnera  à  fes  compagnons 
l'exemple  de  la  valeur  &  de  la  difcipline,  &  dans  la  confufion  des  dérou- 
tes, il  oppofera  à  l'ennemi  un  front  afliiré  &  un  courage  inébranlable. 
Si  un  fort  peu  propice  Ta  fait  naître  dans  des  temps  difficiles  &  troublés 
par  les  faâiohs ,  la  caufe  la  plus  jufie  pourra  feule  le  compter  pour  un 
de  ks  défènfeurs.  Si  la  licence  des  mœurs,  Se  l'indifférence  pour  le  bien 
public I  ont  ébranlé  la  conflitution  de  l'Etat,  il  ne  cefiera  d'en  prononcer 


38  Ç    A    T    O    N. 

hautement  la  condamnation  par  une  conduite  irréprochable ,  &  la  prati* 


Tes  compatriotes  ^  il  tâchera  de  réveiller  dans  leurs  cœurs  abattus  quelque 
étincelle  d'amour  pour  la  liberté  :  s'il  réuflit  à  les  tirer  de  l'afToupiflement  ^ 
il  fera  le  premier  a  braver  les  fureurs  de  la  tyrannie.  Mais  ù  l'aviliflemenc 
de  leurs  âmes  familiarifées  avec  la  honte,  ne  lui  laifle  aucune  efpérance 
de  leur  rendre  le  fentiment  de  leur  dignité ,  il  quittera  ce  vil  troupeau ,  & 
parcourra  tout  l'univers  pour  chercher  une  fociété  qui  jouifTe  encore  de  fes 
droits  primitifs;  il  s'enfoncera  dans  les  déferts  les  plus  affreux,  plutôt  que 
de  donner  aux  vrais  philofophes  le  fpeâacle  affligeant  d'un  homme  qui 
connoit  la  nobleffe  de  fon  être ,  &.  qui  confent  à  la  ravaler  en  fe  foumettant  à 
un  joug  ignominieux.  O  Patrie  !  objet  de  l'adoration  des  véritables  héros ,  qu'il 
ett  doux ,  qu'il  eflglorieux  de  &ire  fur  tes  autels  le  facrifice  de  fes  jours  !  O 
liberté!  noble  paflion  des  grandes  âmes!  malheureux  celui  qui  ne  goûta 
jamais  tes  plaiurs  inexprimables  !  trois  fois  heureux  celui  dont  tu  as  ceint 
la  tête  de  l'honorable  couronne  de  citoyen  !  Il  coule  des  jours  tranquilles 
ibus  la  proteâion  des  loix ,  ouvrages  du  corps  dont  il  efl  membre  \  per-> 
fonne  ne  prétend  commander  à  ces  loix  &  fbumettrc  les  autres  à  des 
obligations  dont  il  fe  difpenfe.  L'homme  libre  ne  craint  pas  ces  coup» 
imprévus ,  ces  ordres  terribles  qui  fortent  de  la  bouche  d'un  maître  pour 
écrafer  les  malheureufes  viâimes  du  pouvoir  arbitraire  :  rien  ne  l'empêche 
de  s'intéreffer  à  l'Etat  comme  à  ion  propre  bien,  &  de  donner  à  fes  con- 


pour 
réduits  ceux  qui  ont  méconnu  le  prix  d'un  bien  auffî  précieux. 

Tel  fut,  À  mon  cher  Marcellus,  l'entretien  que  nous  eûmes  avec  Ca« 
ton  ;  fes  prédiâions  n'ont  été  que  trop  bien  juftifiées  par  les  événemens. 
Rome  a  perdu  fa  liberté ,  &  ce  grand  homme  n'efl  plus  ;  il  n'efl  plus ,  & 
fes  compatriotes  gémiffent  dans  la  plus  baffe  fervitude.  £fl-il  encore  quel- 
que ame  affez  élevée  pour  ofer  laver  dans  le  fang  du  tyran  la  honte  de 
u  patrie  !  O  fpeâacle  déshonorant  !  O  opprobre  !  le  Sénat ,  le  Sénat  lui« 
même  ^  ce  corps  dépofitaire  de  la  gloire  &  de  la  majeflé  de  l'Empire , 
rampe  lâchement  aux  pieds  du  Diâateur.  On  le  voit  prodiguer  à  cet  hom- 
me criminel  des  honneurs  qu'il  a  fouvent  refufés  aux  pères  de  la  patrie. 
O  Brunis  !  O  Virginius  !  noms  redoutables  aux  tyrans ,  que  vos  ombres 
facrées  fâflènt  entendre  leur  voix  de  la  pouffîere  des  tombeaux,  qu'elle 
appelle  les  Romains  à  la  liberté ,  &  qu'à  ce  foa  terrible  ^  la  crainte  faiûffe 
les  partifans  de  la  tyrannie. 


c 


C    A    T    O    N.  3j 

Caton  Poliùco^Efpannoly  &c. 


'Est  le  tître  d'un  fort  bon  ouvrage  Efpagnol,  imprimé  récemment  à 
Madrid,  {a)  Dom  André  de  Mîgucz-Vagel ,  qui  en  eft  l'Auteur,  fe  propofe 
d'y  inftruire  les  jeunes -gens  des  devoirs  du  citoyen.  C'efl  un  dialogue 
entre  un  Inftituteur  &  fon  élevé,  où  le  maître  tâche  de  donner  à  ion 
difciple  des  idées  nettes  &  précifes  des  devoirs  qu'il  a  ou  qu'il  aura  à 
remplir  comme  citoyen.  Ces  devoirs ,  qui  font  la  bafe  du  bonheur  des 
fociétés  politiques  y  font  malheureufement  méconnus  &  négligés  dans  la 
plupart  des  Gouvernemens.  Chacun  s'ifole,  &  femble  prendre  à  tâche  de 
ne  tenir  à  la  Communauté  que  le  moins  qu'il  peut.  Notre  Auteur  attribue 
avec  raifbn  cette  ignorance  &  cette  négligence  aux  vices  de  l'éducation , 
foit  publique,  foit  privée.  Les  Inftituteurs  Qrdinaires  ne  fongent  pas  aflcz 
qu'ils  ont  des  citoyens  à  former  pour  la  patrie,  que  c'efl-là  le  but  de  toutes 
leurs  inflruâions.  Cultiver  l'efprit  des  jeunes  gens ,  leur  apprendre  les  lan- 
gues mortes  ou  vivantes ,  les  former  dans  l'art  des  Orateurs ,  leur  expli* 
quer  les  règles  de  la  logique,  ou  les  phénomènes  de  la  nature,  c'eft  les 
difpofer  \  fervir  la  patrie  dans  les  différentes  profeflîons  de  la  vie  civile  : 
&  ces  enfeignemens  doivent  les  rappeller  fans  ceffe  aux  obligations  qu'ils 
ont  contraâées  en  nai(fant,  &  aux  engagemens  qu'ils  auront  un  jour  ^ 
remplir  comme  enfans  de  l'£tat ,  comme  fujets  d'un  Souverain ,  comme 
frères  de  leurs  concitoyens.  Demandez  à  un  jeune-homme  qui  fort  du  col- 
lège ,  quel  eft  le  fens  de  tel  ou  tel  vers  de  Virgile  :  il  vous  répétera  bien 
ou  mal  l'explication  qu'on  lui  en  a  apprife  fouvent  avec  bien  de  la  peine. 
Mais  fi  vous  lui  demandez  quel  .degré  d'obéiifance  il  doit  au  Prince  , 
quelle  foumiflion  exigent  de  lui  les  loix  nationales  ^  quelle  influence  les 
mœurs  ont  fur  le  bonheur  de  l'Etat ,  comment  chaque  particulier  peut  &  doit 
concourir  au  plus  grand  bien  de  la  patrie?  Le  jeune-homme  étonné  vous 
regardera,  &  vous  prendra  pour  un  homme  extraordinaire.  Ces  inftru6tions 
cependant  valent  bien  autant  que  trois  ou  quatre  phrafes  de  latin ,  &  cinq 
ou  fix  argumens  de  logique  fcholaftique. 

Dom  Miguez-Vagel ,  qui  paroit  avoir  bien  étudié  les  mœurs  de  fa  nation , 
les  vices  qui  y  <  dominent  dans  les  diflërentes  clafles  du  peuple ,  depuis  le 
trône  jufqu'à  la  charrue,  ne  voit  point  de  plus  fur  moyen  de  les  corriger, 

Sue  de  veiller  avec  plus  de  (bin  qu'on  ne  l'a  fait  jùfqu'ici ,  fur  l'éducation 
e  la  jeuneflfe ,  &  de  la  rapporter  au  Gouvernement  :  car  par-tout  où  elle 
n'a  pas  pour  objet  principal ,  de  &ire  des  Rois  pères  de  leurs  peuples ,  des 
Miniftres  éclairés  fur  les  vrais  intérêts  de  l'Etat ,  &  pleins  de  zèle  pour  en 
procurer  le  plus  grand  bien ,  chacun  dans  fon  département ,  des  Magiflrats 


(4)  Cbf  I  Martinez  t  en  1777, 


/' 


40  CAUSE. 

intègres  ,  amis  de  la  juftfce ,  ^proteâeurs  de  Tinnocence  ,  ennemis  déclarés 
du  vice,  des  peies  de  famille  exaâs  à  remplir  tous  les  devoirs  de  ce  titre, 
des  citoyens  vertueux  dans  quelque  profeuîon  que  ce  foit,  elle  manque 
fon  but. 


L 


C    A    U    S    E,     f.   £ 


fE  mot  Caufe  fe  dit  dans  le  Droit  naturel  &  la  morale  de  tout  ce 
qui  a  quelque  influence  fur  une  aâion  humaine,  de  manière  qu^on  puifTe 
la  lui  imputer  ou  en  tout  ou  en  partie. 

L'on  peut  ranger  fous  trois  claffes  les  Caufes  morales  qui  influent  fur 
une  aâion  d'autrui.  Tantôt  cette  Caufe  efl  la  principale^  enforte  que  celui 
qui  exécute  n'eil  que  l'agent  fubalterne  ;  tantôt  l'agent  immédiat  eflt  au 
contraire  la  Caufe  principale ,  tandis  que  l'autre  n'eft  que  la  Caufe  fubal* 
terne  \  d'autres  fois  ce  font  des  Cauies  collatérales  ,  qui  influent  égale*- 
ment  fur  l'aôion  dont  il  s'agit. 

Celui-là  doit  être  cenfé  la  Caufe  principale,  qui  en  fitifant  ou  ne  hi^ 
(ant  pas  certaines  chofes,  influe  tellement  fur  l'aâion  ou  l'omiffîon  d'au*' 
trui,  que  fans  lui  cette  aâion  n'auroit  point  été  faite,  ou  cette  omiflion 
n'auroit  pas  eu  lieu  ;  quoique  d'ailleurs  Tagent  immédiat  y  ait  contribué 
fcîemment.  Un  Oflicier  exécute,  par  un  ordre  exprès  du  Général  ou  du 
Prince ,  une  aéHon  manifeflement  mauvaife  :  le  Prince  ou  le  Général  font 
la  Caufe  principale,  &  l'Officier  n'efl  que  la  Caufe  fubalterne.  David  fut 
la  Caufe  principale  de  la  mort  d'Urie ,  quoique  Joab  y  eût  contribué  , 
connoiffant  bien  l'intention  du  Roi.  De  même  Jezabel  fut  la  Caufe  prin* 
cjpale  de  la  mort  de  Naboth. 

J'ai  dit  qu'il  falloit  que  l'agent  immédiat  eût  pourtant  contribué  fciem- 
ment  à  l'aaion.  Car  fuppofé  qu'il  ne  pût  favoir  fi  cette  aôîon  eft  bonne 
ou  mauvaife,  il  ne  fauroit  être  confidéré  que  comme  un  fimple  înftru- 
ment  :  mais  celui  qui  a  donné  l'ordre ,  étant  alors  la  Caufe  unique  &  ab« 
/folue  de  l'aâion ,  il  en  feroit  feul  refponfable.  Tel  efl  pour  l'ordinaire  Iç 
cas  des  fujets,  qui  fervent,  par  l'ordre  de  leur  Souverain,  dans  une  guerre 
injufte. 

Au  refle,  la  raifon  pour  laquelle  un  Supérieur  efl  cenfé  être  la  Caufe 
principale  dç  ce  que  font  ceux  qui  dépendent  de  lui,  n'efl  pas  propre- 
ment la  dépendance  de  ces  derniers  ;  c'eft  l'ordre  qu'il  leur  donne ,  fans 


en  pourra  être  regardée  par  la  même  raifon  comme  la  Caufe  principale. 
C'eft  ce  que  l'on  peut  fort  bien  appliquer  aux  Confeilters  des  Fripçps ,  ou 

aux 


C    A    USE.  4f 

aux  Ecclëfiaftiques  qai  ont  de  l'afcendanc  fur  leur  efprit,  &  qui  en  àbufenc 

2uelquefbis  pour  les  porter  à  des  chofes  auxquelles  ils  ne  fe  leroient  point 
érerminés  d'eux-mêmes.  En  ce  cas,  la  louange  ou  le  blâme  tombe  princi- 
palement fur  l'Auteur  de  la  fuggeftion  ou  du  confeil. 

Mais  celui  -  là  n'eft  que  Caufe  collatérale  ^  qui  en  faifant  ^  ou  ne  fki" 
fane  pas  certaines  chofes  ^  concourt  fuffifamment  &  autant  qu'il  dépend 
de  lui ,  à  l'aâion  d'autrui  ;  enforte  qu'il  eft  cenfé  coopérer  avec  lui  ;  quoi-- 
oue  l'on  ne  puille  pas  préfumer  abibiumeot  que  fans  fon  concours ,  l'ac- 
tion n'eût  pas  été  faite.  Tels  font  ceux  qui  rourniflfent  quelque  fecours  à 
l'agent  immédiat  ;  ceux  qui  lui  donnent  retraite  &  qui  le  protègent  ; 
celui,  par  exemple,  qui  ,  tandis  qu'un  autre  enfonce  une  porte,  prend 
garde  aux  avenues ,  pour  favorifer  le  vol  »  &c.  Un  complot  entre  pIuHeurs 
perfonnes ,  les  rend  pour  l'ordinaire  également  coupables.  Tous  font  cen<* 
lés  Giufes  égales  &  collatérales ,  comme  étant  aflbciés  pour  le  même  fait,  . 
&  unis  d'intérêt  &  de  volonté.  Et  quoique  chacun  d'eux  n'ait  pas  une 
égale  part  à  l'exécution,  l'aâion  des  uns  peut  fort  bien  être  mife  fur  le 
compte  des  autres. 

Enfin ,  la  Caufe  fubalterne ,  eft  celle  qui  n'influe  que  peu  fur  l'aétion 
d'autrui ,  qui  n'y  fournit  qu'une  légère  occafion ,  ou  qui  ne  fait  qu'en  ren- 
dre l'exécution  plus  facile  ;  de  manière  que  l'agent  déjà  tout  déterminé  à 
agir  &  ayant  pour  cela  tous  les  fecours  néceffaires ,  efl  feulement  encou*- 
ragé  à  exécuter  fa  réfolution  ,  quand  on  lui  indique  la  manierp  de  s'/; 
prendre ,  le  moment  favorable ,  le  moyen  de  s'évader ,  &c.  ou  quand  on 
loue  fon  deffeio  &  qu'on  l'excite  à  le  fuivre. 

Ne  pourroit-on  point  mettre  dans  la  même  claffe  l'action  d'un  juge^ 
^ui  au  lieu  de  s'oppofer  à   un  avis  qui  a  tous  les  fuffrages  ,  mais   qu'il 
croit  mauvais f  s'y  rangeroit  par  timidité  ou  par  complaifance  ?   Le  mau- 
vais exemple  ne  peut  auflî  être  mis  qu'au    rang    des    Caufes   fubalternes. 
Car  pour  l'ordinaire ,  de  tels  exemples  ne  font  impreflflon  que   fur  ceux 
^ui  font  d'ailleurs  portés  au  mal ,  ou  fujets  à  s'y  lai(fer  facilement  entral<- 
ner  ;  enforte  que  ceux  qui  les  donnent  ne  contribuent  que  foiblement  au 
mal  Que  l'on  hiit  en  les  imitant.   Cependant  il  y  a  quelquefois  des  exem- 
ples a  efficaces,  à  caufe  du  caraâere  des  perfonnes  qui  les  donnent,  & 
de  là  difpofîtion  de  ceux  qui  les  fuivent ,  que  fi  les  premiers  s'étoient  abf* 
tenus  du   mal,  les  autres  n'auroient  pas  penfé  à  le  commettre.   Tels  font 
les  mauvais   exemples  des  Supérieurs  ,  ou   des  perfonnes  qui   par  leurs 
bmieres  &  leur  réputation  ont  beaucoup  d'afcendant  fur  les  autres  :   ils 
font  particulièrement  coupables  de  tout  le  mal  qui  fe  fait  à  leur  imitation. 
On  pourroit  raifonner  de  même  fur  pludeurs  autres  cas.  Selon  que  les  cir- 
conitances  varient,  les  mêmes  chofes  ont  plus  ou  moins  d'influence   fur 
les  aâions  d'autrui,  &  par  conféquent  ceux  qui  en  les  faifant,  concourent 
•à  ces   aâions ,  doivent  être  coniidérés  tantôt  comme  Caufes  principales , 
UBtôt  comme  Caufes  collatérales ,  &  tantôt  comme  Caufer  fubalternes. 
Tome  XI.  F 


^4  CAUSE.. 

L^application  de  cts  diftiodions  &  de  ces  principes  fe  fait  d'elIè-mème. 
Toutes  chofes  d'ailleurs  égales ,  les  Caufes  collatérales  doivent  être  traitées 
également.  Mais  les  Caufes  principales  méritent  fans  doute  plus  de  louange 
ou  de  blâme ,  &  un  plus  Haut  degré  de  récompenfe  ou  de  peine ,    que 
les  Caufes  fubalternes.  J'ai  dît ,  toutes  chofts  étant  iPaitteurs  égaUs  :  car  il 
peut  arriver,  par  la  divcrfité  des  cîrconftances  qui  augmentent  ou  dimi- 
nuent le  mérite  ou  le  démérite  d^une  aâion ,  que  la  Caufe  fubalteme  agilfe 
avec  un  plus  grand  degré  de  malice  que  la  Caufe  principale ,  &  qu^ainfi 
l'imputation  foit  aggravée  à  fon  égard.  Suppofé,  par  exemple  ^  qu'un  homme 
de  lang-froid  aflaflînât  quelqu'un  ;  à  l'inftigation  d'un  autre  qui  fe  trou- 
veroit  animé  par  une  injure  atroce  qu'il  vîendroit  de  recevoir  de  fon  en- 
nemi ,  quoique  l'inftigateur  foit  le  premier  auteur  du  meurtre ,  on  trou- 
vera fon  aâion,  faîte  dans  un  tranfport  de  colère,  moins  indigne  que  celle 
du  meurtrier  qui  l'a  fervi  dans  fa  paffion ,   étant  lui-même  tranquille  Ôc 
de  fens  railis. 

Au  refte ,  quoique  la  diftinâion  des  trois  ordres  de  Caufes  morales  d^dne 
a£Hon  d'autrm,  foit  en  elle-même  très-bien  fondée,  il  faut  pourtant  avouer^. 

3ue  l'application  aux  cas  particuliers  en  eft  quelquefois  difficile.  Dans  le 
oute,  il  ne  faut  pas  tenir  aifément  pour  Caufe  principale  un  autre  que 
l'auteur  immédiat  de  Taftion  t  l'on  doit  plutôt  regarder  ceiJx  qui  ont  con- 
couru ,  ou  comme  Caufes  fubalternes ,  ou  tout  au  plus  comme  Caufes. 
collatérales. 

Il  y  a  fur  cette   matière  plufieurs   importantes   décidons  du^  droit  Ro- 
main :  nous  allons  en  fournir  quelques  exemples.  C'eft  parce  qu'en  don- 


lement  celui  qui  fait  l'aâion  qui  efl  cenfé  la  commettre ,  mais  celui  qui 
»  anime  à  la  faire;  &  pourquoi?  parce  que  fa  volonté  y  a  autant  &  fou- 
B  vent  plus  de  part ,  que  celui  qui  commet  l'aâion.  Et  comme  celui  qui 
1»  donne  limplement  confeil  pour  l'exécution  d'un  crime  y  tend  par  fa  vo- 
9  lonté,  Tacbion  lui  eft  de  même  imputée.  C'eft  fur  ce  fondement  que  ce- 
»  lui  qui  donne  confeil  pour  un  vol  eft  cenfé  en  commettre  un.  a  La 
/.  36.  J^  de  furtis  eft  aflez  expreflîve  fur  ce  point;  &  Ulpien  ne  fait  au- 
cune diftinâson  entre  celui  qui  commet  un  adultère,  &  entre  celui  qui 
donne  le  confeil.  C'eft  encore  le  motif  de  ce  fenatufconfulte ,  qui  veut  que 
ceux  qui  par  leur  confeil  font  qu'on  ne  vienne  pas  au  fecours  des  naufragés  y 
font  punis  comme  affadins.  Ceux  qui  ont  connoiffance  d'un  parricide  font 
punis  comme  ceux  qui  l'ont  commis  fuivant  la  /.  6*.  ad  L  Pom.  de  parr. 
Ceux  qui  dans  un  tems  de  difette  empêchent,  ou  contribuent  à  empêcher 
que  des  navires  arrivent,  font  considérés  comme  auteurs  de  la  difette  /.  z^ 
§^ï.ad  L  JuL  de  ann.  Celui  qui  engage  au  vol  de  la  caifte  publique  ,  eft  tenu 
comme  l'ayant  volée  lui-même.  /.  t.ff.  adleg.  Juh  peeul.  Celui  qui  confeille 


i 


CAUTION.    C  A  UT  I  O  N  N  E  M  E  NT. 


4Î 


1  un  elclave  de  s^enfuir ,  qui  le  cache  ou  lui  donne  du  fecours  dans  fa  fuite , 
eft  tenu  pour  Tavoir  volé.  /.  pcn.  §.  uU.  ffi  ad  U  Fab.  dt  plag.  l.  2.  C.  cod. 
Telles  font  les  décifîons  du  droit  Aomain  ,  qui ,  comme  l'on  voit ,  font 
toutes  relatives  à  des  particuliers. 


o 


CAUTION,    f.    f. 
CAUTIONNEMENT,    Cm. 


N  appelle  Caution  la  fureté  que  Ton  donne  pour  Pexécution  de  queU 
que  engagement  :  en  ce  fens  il  eft  fynonime  à  cautionnement. 

Caution  fignifie  aufli  la  perfonne  même  qui  cautionne  ,  &  Cautionne^- 
ment  Taâe  de  celui  qui  cautionne. 

L'obligation  des  Cautions  eft  un  acceffoire  d'une  autre  obligation.  Ainfi 
on  appelle  celui  pour  qui  la  caution  s'oblige ,  le  débiteur  principsd ,  oa 
le  prmcipal  obligé. 

Ûufage  des  Cautions  s^étend  à  toutes  fortes  d'engagemens ,  &  renferme 
deux  fortes  de  furetés.  L'une  qui  regarde  le  paiement  d'une  fomme ,  ou 
l'exécution  de  quelque  autre  engagement  ,  comme  de  l'entreprife  d'un 
ouvrage ,  d'une  garantie ,  &  d'autres  femblables  ,  pour  afllirer  celui  en* 
vers  qui  la  Caution  s'oblige,  que  ce  qui  lui  eft  promis  par  le  principal 
débiteur  fera  exécuté.  L'autre  forte  de  fureté  regarde  la  validité  de  1  o* 
bligation  dans  le  cas  où  elle  pourroit  être  annulée,  comme  fi  le  prin- 
cipal débiteur  étoit  un  mineur ,  quoique  folvable  »  l'engagement  de  la 
Caution  feroit  non-feulement  de  payer  la  dette  fi  l'obligation  du  mineur 
n'étoit  pas  annuUée,  mais  de  faire  valoir  l'obligation,  en  cas  *que  le  m\n 
peur  s'en  fit  relever,  &  de  payer  pour  lui. 

On  peut  diftinguer  trois  fortes  de  Cautions.  La  première  eft  celle  des 
Cautions  qu'on  donne  volontairement  &  de  gré  à  gré  pour  toutes  fortes 
d'engagemens ,  foit  par  convention ,  ou  autrement.  Ainfi  on  donne  Cau«* 
don  pour  un  prêt ,  pour  une  garantie  ,  pour  le  prix  d'une  vente ,  pour 
le  prix  d'un  bail ,  &  pour  d^autres  obligations  qui  fe  contraâent  par  des 
conventions.   Ainfi  les  tuteurs  donnent  quelquefois  Caution. 

La  féconde  forte  eft  des  Cautions  ordonnées  par  quelque  loi.  Ainfi  dans^ 
le  droit  romain  les  demandeurs  &  les  défendeurs  étoient  obligés  de  don*- 
aer  les  Cautions  pour  diverfes  caufes  qui  regardoient  l'ordre  judiciaire.  Ainfi 
en  France,  par  un  Edit  du  mois  de  Janvier  i  ^57  ,les  dévolutaires  font  obli- 
gés de  donner  Caution  de  payer  le  jugé.  Et  il  y  a  d'autres  cas  où  les  ordon- 
nances obligent  de  donner  Caution  \  mais  dont  il  (eroit  inutile  de  parler  içi^ 

La  troifiemfe  forte  de  Caution  eft  de  celles  qui  font  ordonnées  en  jul^ 
tice ,  foit  fût  les  demandes  ou  fur  les  oftires  des  parties ,  ou  d'office  par 
le  juge.  Ainfi  on  adjuge  quelquefois  une  chofe  contentieufe  à  l'une  des 

F  2 


%i 


44  CAUTION.    CAUTIONNEMENT. 

>  -  » 

parties  par  providoD ,  en  baillant  Caution  de  la  rendre  s'il  e(l  ordonné. 
Âinfi  on  fait  donner  Caution  de  repréfenter  un  prifonnier  élargi  à  cette 
condition.    Ainfi  dans  un  ordre  entre    créanciers ,  on  ordonne  que  ceux 

3ui  recevront  dés  fommes  fujettes  à  être  rapportées,  donneront   Caution 
e  les  rapporter  aux  oppofans  antérieurs  à  qui  ces  fommes  devront  rêve-*, 
nir,  comme  pour  quelque*  dette  conditionnelle. 

Il  n'y  a  point  d'engagement  honnête  &  licite  où  l'on  ne  puifTe  ajouter 
la  fureté  d'une  Caution  à  celle  que  U  principal  obligé  donne  par  foi« 
xnéme  ,  pourvu  qu'on  ne  bleffe  pas  les  bonnes  mœurs  en  donnant  cette 
fureté  ;  car  il  y  a  des  engagemens  légitimes  où  il  ne  feroic  pas  honnête 
de  donner  Caution. 

Cet  ufage  des  Cautions  dans  toutes  fortes  d'engagemens ,  ne  s'étend  pas 
feulement  à  ceux  qui  fe  font  de  gré  à  gré  par  des  conventions ,  à  ceux 
des  tuteurs  &  des .  curateurs ,  à  ceux  même  des  Cautions  i  car  on  peut 
prendre  un  fidéjulTeur  d'un  fidéjufleur,  &  généralement  à  toutes  autres 
fortes  d'engagemens,  oii  les  loix  civiles  donnent  au  créancier  une  aéHon 
contre  la  perfonne  obligée ,  &  qu'on  appelle  par  cette  raifon  des  obliga- 
tions civiles  :  mais  on  peut  auffî  donner  Caution  de  cette  forte  d'obliga* 
tions  qu'on  appelle  (implement  naturelles.  Car  dans  ces  fortes  d'obligations; 
il  fe  rorme  un  engagement  naturel ,  que  celui  qui  s'en  rend  Caution 
j^it  valoir  en  fa  perfonne ,  encore  qu'en  la  perfonne  du  principal  obligé 
il  foit  inutile.  Âinfi  dans  les  coutumes  où  la  femme  qui  eft  en  puiffance 
de  mari  ne  peut  point  s'oblieer  du  tout ,  fi  le  mari  le  rend  Caution  de 
l'obligation  de  fa  femme,  il  fera  obligé,  quoique  l'obligation  de  la  femme 
demeure  toujours  nulle. 

On  peut  donner  Caution,  non-feulement  pour  une  obligation  préfente 
ou  qui  avoit  été  déjà  contraâée,  mais  auflî  pour  une  obligation  à  venir  v 
comme  fi  celui  qui  prévoit  ui>e  affaire  où  il  aura  befoin  d'argent,  donne 
par  aVance  la  fureté  d'une  Caution  à  celui  qui  devra  lui  faire  le  prêt  ^ 
cette  Caution  s'obligeant  par  avance  pour  ce  prêt  à  venir.  Ce  qui  pour^ 
roit  arriver  fi ,  par  exemple ,  celui  qui  doit  être  Caution  devoit  être  ab* 
fent  au  temps  qu'on  fera  le  prêt;  ou  en  d'autres  cas  &  pour  d'autres 
caufes,  (^omme  pour  une  garantie  d'une  vente  ou  autre  engagement. 

De  quelque  nature  que  foit  l'obligation  principale,  l'engagement  du  fi^ 
déjulfeur  ne  peuit  jamais  être  plus  dur  que  celui  du  principal  obligé.  Car 
fon  obligation  n'eft  qu'un  acce(foire  de  l'autre  :  &  s'il  s'obligeoit  à  quel* 
que  cbofe  de  plus,  ou  à  dés  conditions  plus  onéreu fes,  il  ne  fèroit  Cau-> 
tion  qu'en  ce  qui  feroit  de  l'obligation  principale.  Et  le  furplus  ne  feroic 
pas  un  Cautionnement ,  mais  le  regarîderoit  feul ,  fi  par  les  circonftances 
l'obligation  de  ce  furplus  devoit  fubfifter. 

L'obligation  du  fidéjufleur  peut  être  moindre  que  celle  du  principal 
obligé.  Ainfi ,  il  peut  ne  s'obliger  que  pour  une  partie  d'une  dette  ou  de 
quelqu'autre  engagement.  Âinu^   il  peut  ne  s'obliger  que  fous  quelque 


/ 


CAUTION.    CAUTIONNEMENT.  45 

•oodition,  quoique  la  dette  foit  pure  &  fimple.  Ainû ,  il  peut  prendre 
tin  terme  plus  long  que  celui  de  l'obligation  principale,  ou  un  lieu  plus 
commode  pour  le  paiement.  Et  il  peut  enfin  adoucir  fa  condition  de  tou- 
tes les  manières  dont  il  aura  été  convenu. 

On  peut  Te  rendre  Caution  fans  ordre  de  celui  pour  qui  on  s'oblige  & 
mén:>e  à  fon  infçu.  Car  de  la  part  du  créancier  ,  il  eit  jufte  qu'il  puifle 
prendre  fe^  furetés  indépendamment  de  la  volonté  de  fon  débiteur  ;  &  de 
la  part  du  iidéjuifeur,  il  peut  rendre  cet  office  à  fon  ami  abfent,  de 
même  qu'on  peut  prendre  foin  des  affaires  d'une  perfonne  abfente. 

En  matière  de  crimes  &  de  délits,  ceux  qui  les  commettent  par  ordre    ' 
d'autres  personnes,  ou  qui  s'en   rendent  complices,   ne   peuvent  prendre 
de  Camion ,  ni  de  garantie  ;  pour  être  indemnifés  des  événemens  qui  en 

{courront  fuivre,  ni  pour  s'aflurer  des  profits  qui  pourront  s'en  tirer.  Car 
'obligation  d'une  telle  Caution  &  d'une  telle  garantie  feroit  un  autre  cri- 
me. Mais  celui  qui  a  commis  un  crime  ou  un  délit  peut  donner  Cau- 
tion pour  l'intérêt  civil ,  &  même  pour  les  amendes  &  autres  peines  pé* 
cuniaires  qu'il  peut  avoir  encourues.  Car  il  eft  de  l'équité  &  du  bien  pu- 
blic qu'elles  foient  acquittées. 

:    11  y  a  des  engagemens  honnêtes  dont  on  ne  peut  prendre  de  Caution, 
ï  caufe  que  la  qualité  de  l'engagement  rendroit  mal  honnête  ;  cette  fureté. 
Aiofi  il  feroit  contre  les  bonnes  mœurs   qu'un   affocié  donnât  Caution  à 
fon  affocié  de  ne  le  point  tromper  :  qu'un  arbitre   donnât  Caution   de 
rendre  (à  fentence ,  ou  de  bien   juger.  Aiiifî ,  danr  un  cas   d'une   autre 
nature ,  on  ne  doit  pas  prendre  de  Caution  pour  la  reflitution  d'une  dot, 
ni  de  la  part  du  mari ,  ni  d'autres  perfonnes  qui  doivent  la  recevoir  pour 
lui,  comme  de  fon  père  ou  de  fon  tuteur.  Car  la  dot  étant  un  accefibire 
de  l'engagement  du  mariage ,  il   feroit  indigne   de  l'union  fi  étroite ,  qui 
met  la  femme  fous  la  puiffance  du  mari  à  qui   elle   fe   donne  elle-mê- 
me, qu'on  exigeât  cette  fureté.   Et  ce  feroit  une  fource  de  divifîon  dans 
les  familles  qui  doivent  s'unir  par  les  mariages.  Mais  le  père  &  la  mère  « 
du  mari  peuvent  s'obliger  pour  leur  fils  à  la  reflitution  de  là  dot.    Car 
l'obligation  de  leurs  biens  n'efl  que  celle  du  fils  même  qui  doit  les  re^ 
cueillir.  Et  il  efl  ordinaire  que  celui  ^ui  fe  marie  n'ait  pas  d'autres  biens 
que  ceux  que  (es  parens  peuvent  lui  donner,  0u  dès  le  mariage,  ou  après 
leur  mort,  ce  qui  rend  jufle  &  honnête  leur  obligation ,  pour  aifurerla  dot/ 
Quoique  l'obligation  de  la  Caution   ne   foit  qu'acceffoire  de   celle   du 
principal  obligé,  celui  qui  s'efl  rendu  Caution  d'une  perfonne  qui  peut  fe 
faire  relever  de  fon  obligation,  comme  d'un  mineur,  ou  d'un  prodigue 
interdit ,  n'eft  pis  déchargé  du  Cautionnement  pour  la  reflitution  du  prin- 
cipal obligé  :  &  l'obligation  fubftfle  en*  fa  perfonne  ;    à   moins  que  H 
reftitncion  fur  fondée  fur  quelque  dot ,  ou  autre  vice  oui  annullàt  le  droit 
du  créancier  :  mais  la  fimple  reflitution  du  principal  obligé  efi  un  événe* 
nent  dont  le  créancier  avoit  prévenu  l'effet ,  s'afluram  fa  dette  par  la  Cai^ 


CAUTION.    C  A  U  T  I  O  N  N  E  MENT; 

non ,  qui  de  fa  part  n^avcSt  pu  ignorer  cette  fuite  de  fon  engagement, 
La  Caution  du  mineur  a  fon  recours  contre  lui  pour  fon  indemnité,  fi 
Tobligation  a  été  utile  au  mineur.  Mais  fi  ne  lui  étant  pas  avantagçufe, 
il  en  eft  relevé,  il  pourra  auffi  être  relevé  de  l'indemnité  envers  fa 
Caution. 

L'engagement  des  fidéjufleurs  confîfie  en  ce  qu'ils  s'obligent  en. leurs 
noms,  pour  répondre  de  l'effet  de  l'obligation  dont  ils  fe Rendent  Cau- 
tions. Mais  ceux  qui  fans  delfein  de  s'engager,  recommandent  celui  qui 
doit  s'obliger ,  ou  confeillent  de  traiter  avec  lui,  ne  fe  rendent  pas  par 
là  Cautions  \  à  moins  qu'il  n'y  eût  de  leur  part  une  mauvaife  foi ,  ou  d'au- 
tres circonftances  qui  duflent  les  rendre  garans  de  l'événement. 


)uge  de  la  recevoir  ou  la  rejerter ,  félon  que  celui  qui  l'offre  &  la  Cau- 
tion même  ibnt  voir  la  fureté;  ce  qui  dépend  des  trois  qualités  qu'il 
but  confidérer  dans  les  Cautions ,  félon  les  engagemens  dont  ils  doivent 
répondre ,  la  folvabilité ,  la  facilité  de  les  pourfuivre  en  juflice  ,  &  U 
validité  de  leur  engagement.  Ainfi  ,  le  défaut  de  biens ,  la  dignité  & 
les  autres  qualités  qui  rendent  leurs  pourfuites  difficiles  ,  &  l'incapa- 
cité de  s'obliger ,  font  des  caufes  de  rejetter  les  Cautions  qu'on  préfente 
en  juflice. 

Les  engagemens  des  Cautions  paffent  \  leurs  héritiers ,  à  la  réferve 
des  contraintes  par  corps  ,  fi  rengagement  étoit  tel  que  le  6déjuflèur 
y  fût  obligé.  Car  il  a  pu  obliger  fa  perfonne,  mais  non  celle  de  fon 
héritier  ;  &  comme  les  héritiers  des  fîdéjufTeurs  entrent  dans  leurs  enga» 
gemens ,  ils  ont>  auffi  les  mêmes  bénéfices  que  les  loix  accordent  aux 
fidéjuffeurs. 

Celui  qui  a  reçu  une  Caution  sVn  étant  une  ibis  contenté,  ne  peut 
plus  en  demander  d'autres  ;  quand  même  cène  Caution  feroit  infolvable. 

Les  Cautions  des  Officiers,  &  autres  perfonnes  chargées  de  quelque  re- 
cette, ne  répondent  pas  des  peines  pécuniaires  qu'ils  pourront  encourir. 

L'obligation  de  la  Caution  n'étant  qu'acceflbire  &  fubfidiaire  de  celle 
du  principal  obligé,  &  pour  fatisfaire  à  ce  qu'il  manquera  d'acquitter, 
cette  obligation  efi  comme  conditionnelle,  pour  n'avoir  fon  effet  qu'en  cas 
que  le  débiteur  ne  puifle  payer.  Ainfi  la  Caution  ne  peut  être  pourfuivie 
qu'après  que  le  créancier  ayant  fait  les  diligences  néceffaires  pour  la  dif- 
cuffion  du  principal  obligé ,  n^a  pu  être  payé. 

Le  principal  obligé  eft  tenu  d'indemnité^  fa  Caution,  foit  en  le.fid 


décharger  de  l'obligation,  ou  acquittant  la  dette.  Et  quand  il  n'y  aurait 
f>as  d'obligation  d'indemnité ,  il  tuffit  qu'il  paroiffe  que  la  Caunon  n'efl 
obligée  pour  le  débiteur  qu'en  cette  qualité.  Car  elle  emporte  l'engage* 
neat  de  l'indemnifen 


CECILE.    C  E  C  I  t  L.  ;(  Robert) 


C  E. 


C. 


CECILE,  maîtrtffe  tPErie  X,  Roi  de  Danemarv. 


_/  E  C I  L  E  «voit  été  Dame-d'honneur  de  la  Reine  Philippine  ,  époufe 
d'Kric  X  Roi  de  Danemarc.  Ce  Prince  en  devint  amoureux,  &  la  combla 
d*hoonetirs  qui  ne  fervirent  qu*à  la  faire  méprifer  davantage.  II  vouloir 
forcer  les  Seigneurs  de  h  Cour  ï  ramper  devant  elle;  mais  ta  fierté  Da- 
noife  ne  pouvoir  s'abailTer  jurqucs-là.  Un  jour  qu'elle  fe  promenou  Tur  un 
char  richement  orné,  Ollaus  Axill,  Sénareur ,  la  rencontra,  &  la  fatiia  pro- 
fondément ;  le  luxe  de  fon  équipage  la  lui  avoit  fait  prendre  pour  une 
Princerte  ,  mais  im  inflani  après  ayant  reconnu  fon  erreur ,  il  revient  fur 
fes  pas,  arrête  le  char  de  Cécile,  &  la  maltraite  de  la  manière  la  plus 
ignominieufe.  n  Va  dire  à  ton  Roi ,  lui  dit-il ,  que  le  trône  d'un  Pnnce 
»  efféminé  n'eft  pas  plus  difficile  à  renverfer  que  le  char  d'une  courtifanne, 
»y  Si  qu'un  jour  fa  pailion  pour  toi  lui  coûtera  trois  couronnes.  «  La  pré- 
diâion  fut  accomplie  :  Eric  fiit  détrôné. 


CECILL,  (Robert)   Comte  de  Saîifiury  ,  Secrétaire-tPEtat ^  &  grand- 
,  Tréforier  tP Angleterre^  mort  en   iGza.. 

J  ^E  Chevalier  Robert  Cecill ,  qui  fut  depuis  Comte  de  Saîifbury ,  étoit 
fils  de  Mylord  de  Hurlcigh  ,  héritier  de  fa  fagelTe  &  de  fa  feveur,  mais 
non  de  fes  biens  qui  éch'irent  au  Chevalier  Thomas  Cecill  fon  frère  aîné, 
qui  fut  depuis  Comte  d'Exceller.  Si  le  Chevalier  Cecill  avoit  (liiet  de 
n'être  pas  content  du  partage  que  U  nature  lui  avoit  fait  des  agrémens  du 
corps;  i!  avoit  à  fe  louer  de  fa  libéralité  au  fujet  des  avantages  de  Pe(^ 
'rit,  qui  ne  pouvoient  guère  Être  plu;  grands.  Il  avoit  le  vilâge  aflez 
lien  ftit,  mais  fon  corpi  éroit  petit  &  bafTu.  Cela  fut  caufe  que  la  Reine, 
qui  éioit  fort  difficile  quand  il  étoit  queflion  de  donner  des  dignités ,  refufa 
long-temps  de  le  faire  Secrétaire  -  d'Etat ,  quoique  Mylord  de  Burleigh 
fon  père,  auquel  elle  avoit  toutes  fortes  d'obligations,  la  follicitât  en  fa 
feveur.  Elle  vouloit  non-feulement  des  gens  de  mérite ,  capables  de  bien 
remplir  les  charges  ;  mais  encore  des  gens  bien  faits  qui  lui  fiffènt  hon- 
neur. Auffî ,  dit-elle  à  Mylord  de  Burleigh  qui  la  fotlicitoît  de  faire  foD 
fils  Sccrétaire-d'Etat ,  après  l'avoir  honoté  du  titre  de  Chevalier  j  que  ce 
ferbît  une  honte  qu'un' nommé  contredît  comme  fon  fils,  eût  place  avec 
des  Seigneurs  ù  bien  fùu.  Cependant  comme  elle  ne  rdhifbit  pas  vdIob?- 


bi 


4»  C  E  C  I  L  !•    (Roien) 

tiers  Mylôrd  de  Burleigh,  &  qu'elle  famt  d'ailleurs  que  la  beauté  de  Pef- 
pric  de  foQ  fils  réparoic  richement  la  difFormité  de  Ton  corps ,  elle  le  fit 
enfin  Secrétaire  d'Etat,  enfuite  maitre  de  la  Cour  des  Gardiens.  Après  la 
mort  de  Buckhurft ,  la  Reine  le  choifit  pour  foulager  fon  père  dans  les 
affaires  des  Finances.  Les  gens  de  guerre  n'en  furent  pas  contens  ^  &  My- 
lôrd d'Effex  qui  fe  croyoit  le  feul  digne  des  faveurs  de  la  Reine ,  en  nit 
fi  outré  qu'il  quitta  l'Irlande  fans  permiflion,  &  viùt  en  Angleterre  fe  laire 
couper  la  tête ,  comme  on  fait.  (  a  )  Au  moins  efl  -  ce  ^  fentiment  de 
Cambden ,  qui  attribue  à  cela  le  mauvais  fuccés  de  l'armée  d'Irlande  fous 
le  commandement  du  Comte  ^  &  la  perte  de  ce  favori. 

Je  ne  trouve  pas  que  Robert  Cecill  foit  entré  dans  les  affaires  d'Etat 
que  vers  la  fin  du  règne  d'Elifabeth.  Je  ne  vois  pas  qu'il  foit  parlé  de 
lui  (bus  le  règne  de  Marie  pendant  lequel  fon  père  même,  quoique  dès- 
lors  Secrétaire-d'Etat ,  n'avoir  de  part  aux  affaires,  que  quand  on  avoit 
befoin  de  fon  confeil,  &  qu'on  étoit  obligé  de  le  lui  demander.  11  paflà, 
comme  on  a  dit  en  parlant  de  lui,  la  plupart  du  temps  à  la  campagne^ 
vivant  en  homme  privé  ;  &  fi  Robert  fon  fils  étoit  au  monde ,  il  étoit 
bien  jeune  &  fit  bien  peu  de  figure  fbus  le  règne  de  Marie.  Je  ne  fais 
dans  quelle  fource  a  puifé  Amelot  de  la  Houffaye  ce  qu'il  a  dit  de  Robert 
Cecill  ,  à  la  page  j^i8  du  fécond  tome  des  Lettres  du  Cardinal  d^OJJai 
imprimées  à  Paris  en  z6q8^  avec  les  notes  de  ce /avant  Auteur.  Voici 
comme  il  en  parle.  Robert  Cecill^  Secrétaire  -  d'Etat  &  grand  Tréforier 
d^ Angleterre  j  avoit  changé  de  religion  comme  de  maîtres.  De  ProteJIant  ou 
Calvinijlcf  qu'il  étoit  fous  le  Règne  d^ Edouard  VI ^  ilfefit  Catholique  fous 
celui  de  Marie ,  puis  Protefiant  fous  celui  d^Elifabeth.  Il  y  a  apparence 
qu'il  a  confondu  Robert  Cecill  avec  Guillaume  Cecill,  c'eft-à-dire,  qu^il 
a  pris  le  père  pour  le  fils;  car  fi  le  fils  étoit  au  .monde  fous  les  Règnes 
d'Edouard  &  de  Marie ,  il  étoit  fi  jeune  qu'on  ne  deyoit  pas  penfer  à  li>i , 
&  par  conféquent  il  ne  fe  trouva  pas  en  nécefiité  de  changer  de  religion. 
Ce  qui  me  perfuade  qu'il  a  confondu  le  père  avec  le  fils,  efl  que  le  père 
à  effeâivement  vécu  fous  les  trois  Règnes,  &  a  eu  les  charges  qu'il  at- 
tribue à  Robert.  Les  Hiftoriens  Anglois  difent  même  qu'il  fe  ménagea  pen- 
dant le  règne  de  Marie  au  fujet  de  la  religion,;  mais  je  n'ai  lu  nulle  pm 
qu'il  en  ait  changé.  L'Evêque  de  Salifbury,  dans  fon  Bifioire  de  la  Refor-^ 
ination  d* Angleterre^  en  parle  comrhe  d'un  homme  qui  avoit  toujours  été 
Protefiant.  Il  y  a  apparence  qu'il  le  fut;  &  il  n'efl  guère  croyable  que 
s^il  avoit  été  un  caméléon  en  matière  de  religion,  &  homme  à  embi aller 
la  religion  dominante ,  on  eût  éloigné  de  la  Cour  une  tête  à  laquelle  oa 
étoit  forcé  d'avoir  recours  dans  les  affaires  épineufes.  Ce  que  M.  Ameloc 
ajoute,  qu'il  hdijfoit  extrêmement  la  Couronne   de   France,  convient  fort 


,ii)  Voyf[  rAaicU  EssBX. 


«talMMHi 


C  E  C  I  L  L.    (Rahert)  49 

bien  i  Guillaume  Cecill ,  Baron  de  Burleigh ,  qui  la  haifToit  efièâive* 
ineot,  &  qui  en  parle  aflèz  mal  dans  plufieurs  de  Tes  lettres ,  comme  on 
pourra  voir. 

Four  faire  en  un  mot  le  portrait  du  Chevalier  Robert  Cecill ,  il  faut  dire 
qu'il  étoit  le  digne  fils  d'un  Ci  illuflre  père,  &.  habile  comme  lui  dans  tout 
ce  qui  regardoit  le  Gouvernement  de  l'Etat.  Four  Courtifan  on  peut  dire 

3u'il  le  fut  dès  le  berceau;  cependant  à  l'âge  de  vingt  ans  dtau-deflln, 
s'en  ^lloii  bien  qu'il  ne  fut  ce  qu'il  devint  dans  la  fuite.  Le  changement 
de  climat  fît  voir  ce  qu'il  étoit ,  &  ce  qu'il  feroit  un  jour.  Il  vécut  dans  un. 
temps  où  la  Reine  avoit  le  plus  befoin  de  gens  de  poids ,  &  entre  ceux- 
là  Robert  Cecill  étoit  le  premier.  Les  inftruâions  de  fon  père ,  le  tems  ^ 
&  la  Cour  qui  étoît  alors  l*dcole  de  la  rufc  &  de  l'ariirîce  ,  l'avoient 
rendu  habile,  &  comme  l'Angleterre  n'avoit  jimais  éié  plus  floriffante  ÔC 
gouvernée  par  de  meilleures  têtes  ,  auffi  n'avoicelle  jamais  été  attaquée  par 
de  fi  puilTans  étrangers,  &  déchirée  par  tant  de  faétions  donieftiques.  II 
avoit  l'eiprit  grand  &i  la  vue  longue.  Le  Chevalier  François  Wallingharu 
avoit  ouvert  le  Conclave,  &  Guillaume  Cecill  avoit  éventé  les  cabales  des 
Efpagnols,  &  éroit  fi  bien  inflruit  de  ce  qui  fe  pafibit  en  Efpagne,  qu'il 
iavoit  ce  qui  fe  faifoit  dans  chaque  port,  chaque  vaifleau  qu'on  équîpoit, 
de  quoi  il  étoit  chargé,  oCi  il  alloit,  quels  obfîacles  traverfoient  lesdeffeins 
des  Efpsgnols  ,  leurs  confeils ,  &  leurs  réfolutions.  Robert  avoit  hérité  de 
toutes  les  connoiflances  de  fon  père  ,  &  en  avoir  acquis  de  nouvelles  ; 
comme  il  paroit  par  la  lettre  fuivante  que  Nanton  n'a  pas  oubliée,  &  que 
je  n'ai  garde  d'oublier  aufîi  ,  étant  une  pièce  trop  importante.  Milord 
Mootjoy ,  depuis  Comte  de  Devonshire,  ayant  été  averti  que  les  Efpagnols 
fairoient  de  formidables  préparatifs  contre  l'Irlande  ,  écrivit  predàmment  h. 
la  Reine  &  au  Confeil.leur  demandant  des  troupes  pour  prévenir  les  Es- 
pagnols, &  les  aller  attaquer  dès  qu'ils  auroient  mis  pied  5  terre,  comme 
aufli  pour  achever  de  pouffer  les  rebelles  ;  le  Chevalier  Robert  Cecill,  qui 
l'aimoit  autant  qu'il  en  écoiE  aimé  ,  lui  écrivit  en  particulier  ce  qui  fuit. 

M  Y  I  O  R  D, 

■>  Comme  je  crains,  que  vous  ne  foyez  fenfible  que  du  côté  de  l'hon- 
i>  neuf ,  je  dois  vous  amirèr  en  particulier ,  que  vous  ne  verrez  point  le* 
»  Efpagnols  de  cette  année.  Je  fai  les  préparatifs  qu'ils  font ,  &  ceux  qu'ils 
n  peuvent  &ire.  Comptez  qu'ils  font  en  réputation  de  ùiie  lemblant  de 
T>  plus  embrafler  qu'ils  ne  peuvent  tenir  :  mais^  comptez  au(n  qu'ils  feront 
»  l'année  prochairie  ce- qu'ils  ne  peuvent  faire  celle-ci.  Je  ne  fauroîs  en* 
»  core  vous  dire,  s'ils  feront  plus  &rts  qu'ils  ne  le  font  à  préfent;  jnaiy 
»  autant  que  je  le  puis  favoir ,  vous  pouvez  compter  qu'ils  feront  defcente 
M  danj-Ia  -Prorince  de-Mtinfterj  &  pour  votis  inquiéter  davantage  m  di- 
»  vers  autres  lieux,   comme  à  Kingshale,  à  fieer-Haven,   à  Baliîmwe, 

Tome  XI,  C  '  "  ' 


{o  C  E  C  I  L  I,.    (Robert) 

•  •      • 

p  OÙ  vous  devez  compter  quMs  fe  fortifieront ,  pour  apprendre  Tétat  des 
9  forces  des  rebelles  avant  que  d'ofer  fe  mettre  en  campagne. 

On  peut  juger  du  caraâere  de  ce  Miniftre  par  les  honneurs  qu^il  a  reçus 
de  fes  Souverains  ,  &  on  ne  fauroit  mieux  faire  fon  portrait  qu'en  cm*, 
pruntant  la  claufe  de  la  patente  du  Comtat  de  Salilbury.  Il  eft  dit  en  pro- 
pres termes  qu'on  Phonore  de  cette  dignité  pour  fa  fidélité ,  pour  fa  pru' 
4cncc  ^  pour  fa  vigueur ,  pour  fa  fagtjf'e  ,  pour  fa  dextérité ,  pour  fa  pré^ 
voyance ,  &  pour  fes  foins  ,  non-feulement  pour  les  grandes  ù  importantes 
affaires  du  Confeil  en  particulier ,  mais  aujfi  pour  toutes  les  autres  chofes 
jui  regardent  le  Royaume  en  général.  Le  témoignage  qui  lui  eft  rendu  eft 
jyfte  ,  &  l'on  peut  dire  ,  que  jamais  homme  n'a  mieux  entendu  l'art  de 
gouverner  l'Angleterre.  Fendant  lé  calme  de  la  paix  il  veilloit  aux  deifeins 
fecrets  qui  fe  tramoient  contre  une  Princefle  qui  étoit  fur  fon  déclin  ,  & 
diffîpoit  fans  bruit  &  lés  conjurations  &  les  conjurés ,  pendant  qu'avec  une 
bonne  foi  invariable  pour  fa  Souveraine  ,    &  une  fidélité  à  toute  épreuve 
pour  fa  patrie,  il  applaniflfoit  les  difficultés   de  la  fucceflîon  ,  également 
fbigneux  de  ne  donner  aucun  ombrage  à  la  Reine  fa  maitrefTe  ,  Sc  de  né 
faire  aucun  préjudice  à  celui  qu'il  devoir  avoir  pour  maître  ,  &  avec  le- 
quel il  entretenoit  une  honnête  correfpondance.    Ce  fut  lui  qui  ouvrit  le 
paquet  d'£co(Iè  ,    dont  on  fera  mention  en  parlant  du  Comte  d'Effex, 
&.  qui  trouva   moyen  de  détourner  les  lettres  particulières  qu'on  lui  écri- 
voit  de  ce  pays*là.  De  quelque  manière  qu'on  ait  expliqué  ce  tour  d'à* 
dreflfe ,  ce  qu'il  y  a  de  certain  efl ,  qu'ayant  été  envoyé  Ambafladeur  en 
France  avec  le  Comte  de  Derby ,  il  loutmt  les  intérêts  du  jeune  Roi  d'£- 
cofle  contre  fa  mère  ;  collègue  du  Chevalier  François  Walfingham ,  il  ren« 
dit  inutiles  les  defTeins  qu'elle  formoit  contre  lui  ;  premier  Secrétaire ,  il 
fuivit ,  traverfa ,  &  détruifit  le  petit  complot  tramé  ious  le  nom  du  Comte 
d'Effex ,  tournant  &  balotant,  élevant  &  ruinant  comme  il  vouloit  ceux 
qui  en  étoient  les  auteurs.  La  Reine  ne  fut  pas  plutôt  morte,  qu'on  vit  à 
Edimbourg  un  homme  de  fa  part  auprès  du   Roi ,    &  lui-même  fut  vu  à 
Yorck  ,  avec  lo  Chevalier  George  Humes ,  favori  de  ce.  Prince.  Avec  le 
fecours  de  ce  favori,  &  la  médiation  du  Chevalier  Roger  Afîon,  il  devint 
l'ami  de  cœur  du  Roi  Jacques.  Il  chpifît  TheobaldsYa)  pour  le  lieu  de  fa 
réfîdence ,  &  pour  règle  de  fon  autorité ,  les  loix  et  les  copHitutions  du 
gouvernement. 

Le  Roi  Jacques  ne  trouvant  Robert  Cecill  que  Chevalier  &  Secrétaire  ^ 
le  fît  Baron  d'Effenden  ,  Vicomte  de  Crambourn,  Chevalier  de  la  Jarre- 
tière &  Comité  de  Salifbury  :  &  comme  û  ce  n'eût  pas  été  affez ,  H  le 
fit  encore  maître  de  la  Cour  des  Gardiens,  &  Grand- Tréfbrier.  Dans  tou- 
tes ces  dignités  if  obferva  les  Catholiques  Homains  avec  beaucoup  de  vi- 

tn^         I     ■]  .1       ■■       ■     ■  <  ■       ■  w  ■■— — .i^— ^— fc^— — ^la^N— — W*"**"^"! ■    I*    ■  }m^ÊÊmm4'mmmfmm^Bm»^ 

■  I 

la)  Maifon  qnc  Mylord  de  Burleigh  père  de  Robert  Cecitl  avoit  fait  bàtlr« 


CBCILL.    (Rùben)  51 


Le  Roi  Jacques  tvôit  affîgné  vingt  mille  livres  fierling  au  Chevalier  Ro^ 
bèrc  Carre  :  Robert  Cecill  que  nous  appellerons  déformais  Mylord  de  Sa* 
lifbury,  voyant  qu^uhe  (i  groflTe  fomme  étoit  plus  convenable  à  la  libéra^** 
lité  de  Ton  maître,  qu^à  foù  pouvoir,  remarquant  d'ailleurs  que  le  Roi  avoit 
plus  de  (bin  de  l'argent  qui  paflToit  par  fes  mains,  que  de  celui  qui  pa(^ 
loit  par  Us  mains  dé  (es  ièrviteurs ,  il  fit  enforte  que  le  bon  Prince  entra 
dans  la  chambre  où  cette  grofTe  fomme  étoit  en  argent.  Le  Roi  ne  man^- 
qua  pas  dé  demander  à  qui  étôit  cet  argent.  Mylord  de  Salilbury  répondit 
qu'il  feroit  à  lui  s'il  ne  s'en  étoit  pas  défait.  Le  Roi  fut  incontinent  au 
fait ,  protefta  qu'il  avoit  été  trompé ,  &  qu'il  n'avoit  pas  entendu  donner 
a'a-delà  de  cifîq  cents  livres  fterlihg.  Le  favori  à  qui  le  préfent  avoit  été  fait, 
fut  bien  aife  d'avoir  recours  I  la  médiation  du  grand  tréforier  pour  avoir 
la  moitié  de  cette  grofTe  fomme.  Ce  qui  fuit  &it  voir  combien  il  étoit  in- 
duftrieux  à  &ire  valoir  les  revenus  de  fon  maître. 

I .  Il  prit  coânoiflaiicé  des  terres  de  la  couronne ,  dont  on  ne  favoit  le 
prix  jufqu'alors  ,  que  par  oui-dire  ,  &  qu'aufli  Ton  avoit  affermé  par  le 
paffé  pfutôt  au  hafard  que- par  cofinoiffance.  2.  II  fit  revivre  la  coutume 
de  percevoir  les  revenus  des  terres  par  CommifTaires.  3.  Il  fit  un  état  des 
bois  appartenans  à  la  couronne ,  de  leur  cru ,  &  de  leur  valeur^  &  fit  va- 
loir tout  lë  bois  qui  avoit  été  inconnu  jufques  alors.  ^^  Il  fit  nommer 
des  CommifTaires  pour  les  terres  qui  relevoient  des  fiefs.  5.  II  fit  régler 
ce  qui  regardoit  tes  biens  confisqués.  6.  ï\  Rt  valo^  les^  droits  de  la  douane, 
&  porta  ce  revenu  depuis  86,000,  jufques  à  135,000  livres  par  an.  7.  U 
eucouragiea  les  nianufaaûres  &  le  commerce  de  l'Angleterre.  Par  ce  moyen 
tout  le  monde  étôit  occupé,  lés  denrées  fe  vendaient  bien,  &f  l'argent  dé- 
meurdit  dans  le  Royaume.  8.  Il  eut  foin  des  plantations  &  tranfplantations 
d'Irlande.  9.  Et  enfin  il  réforma  la  Cour  des  Gardiens  au  fujet  des  orphe- 
lins dont  elle  avoit  la  difpofition. 

Des  fervices  de  cette  importanceluî  acquirent  de  grands  honneurs,  mais 
ils  l'expoferent  auffi  aux  plus  terribles  traits  de  l'envie.  Il  falloir  une  ame 
aufli  grande  que  ta  fienne ,  un  efprit  aufli  tranquille ,  un  jugement  auffi 
profond,  une  imagination  auffi  vafle,  &  une  réfolution  auffi  grande  que 
la  fienne  p^ur  fe  tirer  d'affaire,  &  guérir  le  vulgaire  de  ks  erreurs,  plutôt 
par  ta  beauté  de  fes  at^ions ,  que  par  l'éclat  de  fon  pouvoir  &  de  fon 
autorité.  Il  trouva  le  fecret  de  contenter  le  peuple  par  fes  vertus ,  &  de 
ne  le  pas  alarmer  par  la  grandeur  de  fon  crédit  :  en  un  mot  il  en  uùl 
fi  bien,  qu'il  fit  dire  à  fa  louange,  qu'il  avoit  été  le  premier  méchant, 
&  le  dernier  bon  tréforier  depuis  la  Reine  Elifabeth. 

Je  n'oublierai  jamais  la  converfation  que  fon  père  ou  lui  eut  avec  Grol- 
lart  premier  Préfident  de  Rouen  au  fujet  des  troubles  de  France.  Il  con- 

G  2 


^a  C    E    C    R    O    P    S. 

feilla  à  ce  Préfident  de  fe  tenir  toujours  attaché  au  Roi  quçlques  difficultés 

2u'il  y  vit  \  car  il  avoit  pour  maxime ,  que  les  Rois  reflemblent  au  foleil^ 
c  les  ufurpateurs  aux  étoiles  errâmes ,  parce  que  le  foleil  quoique  ofFufqué 
&  couvert  par  d'épais  nuages ,  les  diflipe  ennn  ;  au  lieu  que  les  autres  ne 
paroifTenc  aux  y^x  que  des  figures  d'étoiles  «  &  ne  font  par  manière  de 
dire  que  de  (impies  exhalaifons  qui  fe  didipent  tout-à-coup,  &  tombent 
fur  la  terre,  où  e^les  font  confumées.  Les  év^emeac^u on  a  vu  éclore  en 
Angleterre  &  aille\^rs  ,  montrent  fuffifamment  la  vérité  de  ce  difcours. 

Il  fit  voir  qu'il  étoit  digne  des  grandes  charges  qu'£lifa0^th  &  fon  fuc^ 
ceiïeur  lui  avoient  confiées ,  &  laiUa  au  public  des  monumens\de  (a  magni* 
ficence  &  de  fon  zele  pour  le  public,  par  la  fondation  qu'il  fit  pour  la 
iubfiftance  des  Capitaines  que  le  ppids  des  années  empèchoit  de  fervir ,  & 
par  la  fameufe  bourfe  de  Londres  qu'il  bâtir. 

Il  mourut  l'an  i6i%,  à  un  lieu  nommé  Saint  Margnaret,  près  de  Marie- 
borough  ,  en  revenant  de  Bath.  Miloi  d  Vicomte  de  Cramborn ,  milord  Cuf- 
ford,  &  plufieurs  autres  lui  virent  rendre  le  dernier  foupir»  Il  eft  vrai  que  le 
jour  précédent  il  s'étoit  évanoui  en  chemin,  ce  qui  obligea  de  lui  faire  quit- 
ter la  litière  pour  prendre  le  carroffe.  Je  remarque  ces  petites  particula** 
rites,  après  Nanton,  à  caufe  des  contes  qu'on  a  faits  de  fa  mort.  Qu'ils 
foient  nux  ou  vrais,  ce  qu'il  y  a  de  certain^  c^eft  que  cela  ne  &it  aucun 
tort  à  fon  mérite. 


G 


C  E  C  R  O  P  S  ,     fondateur  â^ Athènes. 


ECROPS  fut  un  de  ces  avanturiers  des  fiecles  héroïques  dont  la  fable 
a  défiguré  l'hiftoire.  Il  étoit  originaire  d'Egypte  ou  de  Phénicie  d'où  for^ 
tirent  les  premiers  Héros  fondateurs  des  Empires.  Il  eft  à  préfumer  qu'il 
eut  des  ennemis  dans  le  lieu  de  fa  naiiTance ,  puifqu'il  fut  chercher  unie 
patrie  nouvelle.  Après  avoir  erré  dans  la  Grèce  à  la  tête  d'une  Colonie, 
tl  fe  fixa  dans  l'Attique  qu'il  partagea  en  douze  cantons  habités  par  autant 
de  Tribus.  On  le  regarde  comme  le  fondateur  d'Athènes,  quoique  d'autres 

£  rétendent  qu'il  ne  fie  que  la  fortifier  d'une  citadelle  qui  porta  fon  nom» 
,e  peuple  ^e  l'Atcique  qui  devint  dans  la  fuite  le  précepteur  des  autres 
nations ,  étoit  alors  plongé  dans  la  plus  épaiffe  barbarie.  11  en  adoucit  les 
mœurs  par  le  fecours  de  la  Religion.  Jupiter  &  Minerve  devinrent  l'objet 
du  culte  public.  Comme  le  fol  de  TAttique  étoit  fablonneux  &  (lérile,  il 
établit  la  maxime  religieufe,  que  celui  qui  n'ofFroit  aux  Dieux  qu'un  peu 
de  gazon  ou  de  fleurs ,  les  honoroit  autant  que  ceux  qui  imrpoloient  des 
Taureaux ,  ou  qui  brûloient  dans  leurs  temples  les  parfums  de  l'Arabie.  C'é~ 
toit  accommoder  la  Religion  à  la  politique  &  aux  befoins  du  peuple.  C'efl 
à  Cecrops  qu'on  attribue  l'honneur  d'avoir  fondé  l'Aréopage ,  tribunal  in«^ 


CEI  LAN,    CBYIAN,    ou    CEYION. 


53 


corruptible  où  la  fcience  &  l'équité  préfidoient  à  la  fortune  des  citoyens; 
Les  fages  dont  il  étoit  compofé  tenoient  leur  aflëmblée  fur  une  montagne 
coofacrée  au  Dieu  Mars,  afin  que  la  préfence  de  ce  Dieu  terrible  en 
écartât  la  fraude,  &  le  parjure.  L'aâe  de  fe  reproduire  n'étoic  avant  Ce« 
crops  qu'un  accouplement  brutal  infpiré  par  un  befoin  honteux.  Ce  légif^ 
lateur  établit  le  mariage  ;  &  ce  fut  en  confëquence  de  cette  union  qu'on 
introduifit  la  coutume  de  le  repréfenter  avec  deux  vifages.  II  ne  fut  pas  le 
plus  ancien  des  légiflateurs,  puifqu'il  fut  précédé  par  Moyfe  &  Minos, 
mais  il  eut  du  moins  la  gloire  de  préparer  la  Grèce  à  devenir  l'honneur 
des  nations. 


CEÏLAN,  CEYLAN,  ou  CEYLON,  une  des  IJlcs  Us  plus 
importantes  &  Us  plus  fertiles  des  Indes  OrientaUs ,  connue  des  anciens 
fous  U  nom  de  Taprobane. 


L 


[ES  Grecs  &  les  Romains  n'ont  eu  qu'une  connoifTance  très- imparfaite 
de  cette  Ifle.  Les  Chinois  en  eurent  connoiilance  vers  le  commencement 
du  IV^.  fiecle  \  mais  avant  ce  temps  ils  n'avoient  aucune  connoiflance  de 
ceux  qui  Fhabitoient. 

Les  cartes  de  MM.  Sanfbn,  &  les  nouvelles  obfervations  de  l'Acadé- 
mie des  Sciences  de  Paris ,  font  affez  d'accord  fur  la  latitude  de  Ceïlan  ; 
mais  elles  diffèrent  beaucoup  pour  la  longitude.  Selon  les  nouvelles  décou- 
vertes aflronomiques ,  dont  à^#e  Lifle  a  fait  ufage  le  premier ,  l'ifle  de 
Ceïlan  s'étend  depuis  le  (ixieme  degré  de  latitude  feptentrionale  jufqu'aw 
dixième.  On  prend  fa  longueur  depuis  la  pagode  de  Galle  jufqu'à  la  pointe 
Das  Pedras ,  diftante  de  quatre-vingt  lieues  de  France ,  à  vingt  au  degré, 
C'eil  une  erreur  dans  les  anciennes  cartes  de  la  placer  au  1 1 7^  degré  & 
au  i2o^  de  longitude,  quand  elle  n'eft  qu'entre  le  97  degré  25  minutes 
&  le  100^.  degré.  Sa  largeur,  la  plus  étendue  d'Eft  en  Oueft,  efi  de  cin- 
quante lieues  de  Columbo  à  la  pagode  de  Trincoly.  Elle  a  plus  de  deux 
cents  lieues  de  tour  :  elle  eft  à  près  de  quarante  lieues  à  TEft  du  Cap  Co-* 
morioi  qui  forme  la  pointe  méridionale  de  la  péninfule  intérieure  de 
l'Inde ,  à  laquelle  on  croit  qu'elle  étoit  jointe  autrefois.  La  mer  fait  entre 
]a  côte  de  la  Pêcherie  &  celle  de  Ceïlan  un  détroit  qui  fe  rétrécit  aa 
Jiord  de  l'Ifk. 

On  dit  que  cette  Ifle  a  fept  Royaumes  \  ce  qui  n'eft  pas  étonnant , 
puifque  fur  les  cotes  des  Indes ,  chaque  petit  pays  a  fouvent  fon  Roi ,  ou 
Ion  Riais  particulier,  comme  nous  le  voyons  dans  le  Malabar  &  dans  les 
3(les  de  l'Orient.  Mais  pour  donner  une  idée  plus  diftinâe  de  la  domina- 
tion de  Ceïlan ,  nous  dfrons  que  deux  Puiffances  la  partagent.  Xes  Hol- 
laodois  polîedent  prefque  toutes  les  côtes ,  &  le  Roi  de  Candi  eft  maître 


i 


{4       G  BILAN,    CEYLAN,    Ott    G  E  Y  t  O  N. 

de  rintérteur  du  pays.  Tout. obéit  dans  le  pays  à  Tune  ou  \  Pautre  de  ces 
deux  PuifTances.  Il  nV  a  ^ue  les  Bedts ,  peuples  fauvages ,  qiri  n'en 
reconnoiiToient  point  l'autonté.  Le  petit  pays  qu'ils  habitent  eft  au  Nor4 
de  rifle  ,  ils  confinent  à  la  mer  y  &  leur  cote  regarde  le  Nord-Eft. 

Les  Etats  du  Roi  de  Candi  s'étendent  du  Nord-Oueft  au  Sud-EIt ,  £c 
par  ces  deux  côtés  il  atteint  la  nier.  La  domination  des  Hollandois  le  ret* 
ferre  du  côté  du  Nord ,  de  l'Eft  &  du  Sud-Oueft ,  &,  par-là  ils  font  maî- 
tres de  prefque  tout  ce  qui  eft  maritime.  Le  Royaume  de  Candi  &  la 
Principauté  d'Ouva  ^  font  divifés  en  grandes  &  en  petites  parties  ;  celles-là 
répondent  à  nos  provinces  ,  &  celles-ci  à  nos  bailliages  qu'ils  appellent 
Corlas^  &  qu'ils  féparent  par  de  grands  bois,  qui  leur  fervent  de  fortifia 
CUtion.  On  compte  jufqu^  rrttrte-déux  principales  Provinces  ,  dans  cha-* 
cune  defquelles  il  y  a  des  villes,  des  châteaux,  des  bourgs  &  des  villa-» 
ges.  Tout  ce  pays  eft  babité  par  les  Chingulais  ,  peuples  originaires 
de  rifle. 

Les  Hollandois  commandent  au  refte  de  Plfle,  &  cette  étendue  en  em- 
porte la  moitié  :  ce  qu'ils  polTedent  n'eft  nas  continu,  l'ancien  Royaume 
de  Cota ,  qu'ils  ont  appelle  le  irays  de  la  Candie ,  eft  Sad«-Oueft.  Ils  font 
maîtres  par-là  de  plus  de  foixante  &  dix  lieues  de  côtes ,  &  ont  fournis 
les  Chingulais  jufques  dans  le  cœur  du  pays.  Ils  occupent  là  vingt -fëpt 
Provinces  ou  Corlas  ;  ils  ont  des  places  fortes  fur  le  rivage,  &^es  châ- 
teaux dans  l'intérieur  du  pays.  Ils  confinent  à  la  Principauté  xl'Ouva  & 
9ux  Bedas  à  l'Eft  de  l'Ifle,  par  la  pofleffîon  de  trois  Provinces  maritimes. 
Enfin  les  Malabares  font  leurs  vaflfaux  chez  les  Vanians»  dans  le  Royaume 
de  Jafàdapatan ,  au  Nord  de  Ilfle  ,  &  àÊk%^  les  Ifles  voifines  à  l'Eft  de  la 
côte  de  Coromandel. 

Comme  l'Ifle  de  Céilan  eft  la  clef  des  Indes,  il  femble  que  l'Auteur 
de  la  nature  ait  pris  piaifir  à  l'enrichir  des  plus  rares  tréfors  de  la  terre, 
&  à  la  placer  fous  le  plus  heureux  climat  du  monde  ;  cependant  les  par- 
ties feptentrionales  ,  &  fur-tout  le  Royaume  de  Jafanapatan  ,  refpirent  un 
air  aflez  mal-fain  ;  &  tous  les  cantons  de  l'Jfle  ne  font  pas  également  fer* 
tiles ,  &  différent  par  la  fituarion.  * 

Le  pays  eft  le  plus  fouvent  montagneux  ;  l'Ouva  ,  les  parties  du  fop-* 
tencrion ,  &  quelques  Provinces  maritimes  de  l'Eft  font  ce  qu'il  y  a  de 
plus  uni  dans  Ceïlan.  Le  Royaume  de  Candi  eft  forrifié  par  la  nature  : 
dès  qu'on  y  entre  on  va  toujours  en  montant ,  &  l'on  ne  trouve  que  dtf 
hautes  &  grandes  montagnes  couvertes  de  bois  qui  font  très -épais  dans 
toute  l'Ifle ,  fi  l'on  en.  excepte  l'Ouva  &  quelques  contrées  de  la  partie 
orientale.  L'accès  de  ces  montagnes  n'eft  pas  aifé;  les  chemins  mêmes, 
quoiqu'en  grande  quantité,  y  font  fi  étroits  qu'un  voyageur  les  prendroi^ 
plutôt  pour  des  défilés  que  pour  des  routes  publiques.  Ces  fentiers  dans 
les  rochers,  que  nous  appelions  cols  &  ports  ^  font  défiîndus  par  des  bar- 
rières d'épines  &  par  les  habitans  des  lieux  voiûhs.   Cette  fituation  élevée 


CEILAN,    CKYLAN,    OU    C  E  Y  L  O  N.       ^ç 

dotinc  au  Souverain  du  pays  le  titre  Ae  Roi  de  Candi-Vda  ,  ou  de  Roi 
fut  U  haut  du  montagnes. 

Les  Veftiges  de  ptulieurt  villes  ruinées  nous  annoncent  que  le  payi  a 
été  plus  garni  qu'il  n'eft.  Ces  villes  portent  encore  leurs  anciens  OE  pre- 
miers noms,  û  nous  en  croyons  les  Infulaires,  &  ont  été  habitées  par 
des  Rois. 

Les  villes  maritimes  font  Tuuées  aux  meilleurs  abordages.  On  ne  peut 
pas  dire  cependant  que  les  côtes  de  Ceïtan  foient  avantageufes.  Celles  de 
rEA  font  d'ordinaire  balTes ,  &  les  vaifleaux  y  font  fans  abri.  Celles  du 
midi  font  IiérifTées  de  rochers.  La  mer  voifîne  y  eft  garnie  de  bancs,  qui 
rendent  la  rade  de  difficile  abord  âc  le  mouillage  peu  fur.  Les  gros  bâti>- 
mens  courent  rifque  de  ne  point  trouver  de  fond.  En  général,  cetie  Ifle 
a  peu  de  bons  potts. 

It  fe  trouve  de  deux  fortes  de  Chingulais.  Les  uns  tout-ii-&it  fauvages 
appelles  Bedas  ou  Waddahs ,  &  qui  ne  demeurent  auprès  d'aucuns  au- 
tres habitans.  Ceux  qui  font  les  plus  civilifés  font  fort  bien  faits  &  de 
bonne  mine. 

Il  y  a  parmi  le  peuple  divers  degrés  ou  rangs  qu'Us  tirent  de  leurs 
^milles  6i  de  leur  naitïance;  &  non  pas  de  leurs  richefles  ou  des  charges 
que  le  Roi  leur  donne.  Les  marques  de  qualité,  font  de  porter  des  pour- 
points, ou  d'aller  le  dos  nud  ou  découvert  ^  d'avoir  des  camifoles  plus 
ou  moins  longues ,  au-delTus  ou  au-deflbus  des  genoux  ;  de  s'afleoir  fur  des 
Heges ,  fur  un  bloc ,  ou  fur  des  nattes  étendues  à  terre.  Les  nobles ,  qu'ils 
nomment  Hondrews ,  font  diftingués  des  autres  par  leurs  noms,  &  par  la 
manière  dont  ils  portent  leurs  habits  ;  les  hommes  jufqu'à  mi-jambe ,  & 
les  femmes  jufqu'aax  talons. 

La  religion  de  ce  pays  eft  l'idolâtrie.  Ils  adorent  plusieurs  Dieux ,  & 
en  reconnoilTent  un  par  -  deflus  les  autres ,  qu'ils  appellent  OJfa  Polla 
Mops  Dio ,  c'eft-i-dire.  Créateur  du  ciel  &  de  la  terre.  Ils  tiennent  que 
ce  Dieu  en  envoie  d'aunes  pour  faire  exécuter  fes  ordres  ;  ce  font,  difent- 
îls,  tes  âmes  des  gens  qui  ont  vécu  autrefois.  Il  y  a  auflî  des  démons  qui 
leur  caufent  des  maladie? ,  &  ce  font  les  anies  des  niéchans.  Ils  ont  un 
autre  grand  Dieu  appelle  Buddau ,  auquel  il  appartient  de  fauver  les  âmes. 
Ils  croient  qu'il  ert  venu  fur  la  terre,  &  que  lorfqu'il  y  étoit,  il  avott 
accoutumé  de  s'afTeoir  fur  un  arbre,  qu'ils  tiennent  faint  depuis  ce  temps» 
&  fous  lequel  ils  l'adorent  avec  beaucoup  de  (blemnité.  lis  nomment  cet 
arbre  Bogahak  ,  le  foleil  Irri ,  la  lune  Handa ,  &  regardent  ces  deux 
affres  comme  des  divinités. 

Les  Chingulais  croient  une  réfurreâton  des  corps ,  l'immortalité  de 
Pâme ,  &  un  état  après  cette  vie.  Ils  font  perfuadés  que  leurs  Dieux  font 
les  efprits  de  certains  hommes  qui  ont  autrefois  vécu  fur  la  terre  ,  & 
tiennent  que  ceux  qui  ont  été  honnêtes  gens  en  ce  monde ,  quoique  pai> 
Très  &  d'une  bafle  naifTaoce ,  feront  élevés  en  l'autre  vie ,  &  que  les  mé- 


jtf^       CE  IL  AN,    CBYEAN,    ou    C  E  Y  L  O  N. 

chans  y  feront  changés  en  bêtes.  Il  y  a  dans  ce  pays  une  araignée  qui 
fait  un  œuf  de  la  largeur  d'une  pièce  de  quatre  k>1s.  Elle  le  porte  fous 
fon  ventre ,  qui  eft  plus  gros  que  fon  corps.  Cet  œuf  eft  plein  de  petites 
araignées  qui  mangent  la  vieille  à  mefure  qu'elles  croifTenr.  Les  Chingu- 
lais  difent  que  les  enfans  défobéiflans  deviendront  des  araignées  en  Tw 
tre  monde  ,  &  feront  mangés  par  leurs  petits.  Le  labourage  eft  leur  pria* 
cipale  occupation,  &  les  plus  grands  s'y  appliquent,  parce  qu'il  n'y  a 
point  parmi  eux  de  honte  aux  gens  les  plus  diftingués  de  travailler,  foit 
dans  leurs  maifons ,  foit  fur  leurs  terres ,  pourvu  que  ce  ne  (bit  ni  pour 
de  l'argent,  ni  pour  auti;ui.   Un  Gentilhomme  peut  faire  tout  ;  mais  il  ne 


quelques  boutiqu 

de  la  toile ,  du  riz ,  du  fel ,  du  tabac ,  de  la  chair ,  des  drogues ,  des 
fruits,  des  épées,  de  l'acier,  du  cuivre  &  autres  chofes  de  cette  nature. 
Us  n'ont  ni  Médecins  de  profeflion,  ni  Chirurgiens^  parce  qu^ils  ont  tous 
quelque  connoiflance  de  ces  deux  fciences,  &  font  leurs  médecines  de 
teuilles  qui  croilfent  dans  les  bois  &  de  l'écorce  des  arbres.  Ils  fe  pur- 
gent avec  cela ,  &  fe  provoquent  le  vomiflement.  Ils  font  des  cures  ad- 
mirables pour  les  plaies  &  pour  les  yeux.  On  n'approche  point  de  la 
.maifon  d'un  mort  pendant  plufieurs  jours  de  crainte  d'être  fouillés.  Les 
gens  de  condition  brûlent  leurs  morts ,  afin  d'empêcher  qu'ils  ne  fbient 
mangés  des  vers  ;  mais  ceux  du  commun  les  enterrent  dans  un  creux 
qu'ils  font  dans  les  bois.  Us  enveloppent  le  corps  d'une  natte ,  &  le  por- 
tent fur  un  ais  à  l'endroit  quHIs  ont  pour  le  mettre  en  terre. 

Leurs  mariages  fe  pratiquent  d'une  manière  affez  fînguliere ,  l'homme 
tient  un  bout  d'un  lin^e  qu'il  met  autour  de  ks  reins,  &  la  femme  tient 
l'autre  bout^  on  leur  jette  de  l'eau  fur  la  tête  &  fur  tout  le  corps ,  enfuite 
de  quoi  ils  font  mariés  aufli  long-temps  qu'ils  s'accordent  enfemble  :  l'ufage 
permet  à  deux  frères  qui  veulent  vivre  enfemble ,  de  n'avoir  qu'une  femme 
entr'eux.  D'autres  relations  nous  apprennent  que  cet  ufage  s'étend  jufqu'au 
ilxieme  degré  inclufivement ,  &  que  la  première  nuit  eft  au  mari,  la  fe«- 
conde  pour  ion  frère ,  &  ainfi  de  fuite  :  de  cette  manière  une  femme  feule 
fuftit  pour  une  faipille  entière. 

Les  Chingulais  ay^ant  toujours  confervé  leurs  loix  anciennes,  fous  quelque 
^iomination  qu'ils  aient  été,  on  leur  a  aufti  laiffé  prefque  toute  leur  ma^ 
niere  de  gouvernement ,  avec  cette  différence ,  que  quand  ils  obéiffoient  aux 
Portugais ,  il  falloit  que  leur  fiandigaralla ,  ou  chef  de  juftice ,  fût  Portugais* 

Les  Chingulais  ont  des  vaches ,  des  bufles ,  des  cochons ,  des  chèvres  ^ 
des  daims  ,  des  lièvres,  des  chiens,  des  jacols  ,  des  (Jnges ,  des  tigres,  de^ 
ours ,  des  éléphans ,  des  ânes  &  des  chevaux  ,  mais  ils  n^ont  point  de  brebis^^ 
Les  éléphans  de  Ceïlan  font  plus  eftimés  que  ceu;x  d'aucun  autre  lieu  de^ 
Indes,  Outre  des  corbeaux,  des  hochequeues,  des  ramiers  &  des  beccaftine 

fembk' 


\ 


I 


CEI  LAN,  CEYLAN,  OU  CEYLON,    Ç7 

femblables  aux  nôtres ,  &  tin  grand  nombre  de  paons ,  ils  ont  quantité  de 
jolis  oifeaux  de  la  groflèur  d'un  moineau ,  mais  qui  ne  font  propres  à  rien. 
II  y  en  a  qui  font  blancs  comme  la  nei^e ,  qui  ont  la  queue  longue  d'un 
pied ,  &  la  tête  noire  comme  du  jais ,  fur  laquelle  paroit  une  toufFe  droite 
telle  qu'un  bouquet  de  plumes  ;  il  y  en  a  d'autres  de  la  même  efpece ,  & 
qui  ne  différent  qu'en  couleur  v  elle  eft  rougcâtre  comme  une  orange  mûre, 
&  ils  portent  fur  la  tète  des  plumes  noires  toutes  droites.  Le  carlo ,  qui  eft 
auflî  gros  qu'un  cygne ,  fe  perche  toujours  fur  les  plus  Hauts  arbres ,  fans 
fe  pofer  jamais  à  terre  ;  il  eft  noir ,  a  les  jambes  courtes ,  la  tête  d'une 
grolfeur  prodigieufe,  le  bec  rond,  &  il  a  du  blanc  des  deux  côtés  de  la 
tête ,  comme  fi  c'étoient  des  oreilles.  Ils  fe  tiennent  ordinairement  cinq  ou 
fix  enfemble ,  &  ne  font  que  fauter  de  branche  en  branche ,  faifant  prelque 
toujours  un  grand  bruit  (emblable  au  cri  des  canards ,  dont  ils  n'ont  pas 
un  grand  nombre. 


L 


EtabUJfcment  des  Portugais  à  Ccilan. 


Orsqu^Albuquerque  eut  aflez  folidement  établi  la  puiffance  Por- 

tugaife  dans  les  golfes  d'Arabie  &  de  Perfe  fur  la  côte  de  Malabar ,  il  fongea 
i  rétendre  dans  l'eft  de  i'Afie. 

Il  (e  préfentoit  d'abord  à  ce  conquérant  l'ifle  de  Ceïlan,  qui  a  quatre- 
vingts  lieues  de  long  fur  trente  dans  fa  plus  grande  largeur.  Dans  les  fiecles 
les  plus  reculés ,  elle  étoit  très-connue  fous  le  nom  de  Taprobane.  Le  dé* 
tail  des  révolutions  qu'elle  doit  avoir  éprouvées ,  n'eft  pas  venu  jufqu'à 
nous.  Tout  ce  que  l'hiftoire  nous  apprend  de  remarquable  ;  c'eft  que  les 
Loix  y  furent  autrefois  fi  refpeâées,  que  le  Monarque  n'éroit  pas  plus  dif- 
penfé  de  leur  obfervation  que  le  dernier  des  citoyens.  S'il  les  violoit,  il 
étoit  condamné  à  la  mort  ;  mais  avec  cette  diftinâion ,  qu'on  lui  épargnoit 
les  humiliations  du  fupplice.  Tout  commerce,  toute  confolation,  tous  les 
fecours  de  la  vie ,  lui  étoient  refufés  ;  &  il  finiffoit  miférablement  fes  jours 
dans  cette  efpece  d'excommunication. 

Lorfque  les  Portugais  abordèrent  à  Ceïlan ,  ils  la  trouvèrent  très-peu- 
plée :  deux  nations,  différentes  par  les  mœurs ^  par  le  gouvernement  & 
par  la  religion ,  l'habitoient.  Les  fiedas ,  établis  à  la  partie  feptentrionale 
de  l'iile ,  &  dans  le  pays  le  moins  abondant ,  font  partagés  en  tribus,  qui 
fe  regardent  comme  une  feule  famille,  &  qui  n'obéifTent  qu'à  un  chef, 
dont  l'autorité  n'eft  pas  abfolue.  Ils  font  prefque  nuds  :  du  refte,  ce  font^ 
les  mêmes  mœurs  &  le  même  gouvernement  qu'on  trouve  dans  les  mon- 
tagnes d'EcofTe.  Ces  tribus ,  unies  pour  la  défënfe  commune ,  ont  toujours 
vaillamment  combattu  pour  leur  liberté ,  &  n'ont  jamais  attenté  à  celle  de 
leurs  voifins.  On  fait  peu  de  chofe  de  leur  religion ,  &  il  eft  douteux 
qu'elles  aient  un  culte.  Elles  ont  peu  de  communication  avec  les  étrangers. 
On  garde  à  vue  ceux  qui  traverfent  les  cantons  qu'elles  habitent.   Ils  y 

Tome  XI.  H 


5S       .CE  IL  AN,    CEYLAN,    ou    CEYLON. 

font  biea  traités ,  &  promptement  renvoyés.  La  jaloufie  des  Bedas  pour 
leurs  femmes  ^  lear  infpire  eo  partie  ce  foi  a  d^éloigner  les  étrangers ,  &  ne 
contribue  pas  peu  à  les  fëparer  de  tous  les  peuples.  Us  idnblent  être  les 
habicans  primitif  de  Tifle.  « 

Une  nacion  plus  nombreufe  &  plus  puiflante,  qu\Mi  appdie  les  Clûnga* 
lais,  eft  mait-elle  de  la  partie  méridionale.  En  la  comparant  it  rautre^ 
nous  rappellerions  une  nation  oolie.  Ils  ont  des  habits  &  des  dêfpotes.  Ils 
ont,  comme  les  Indiens,  la  diftinâion  des  caftes,  mais  une  rel^ton  diffî* 
renre.  Ils  reconnoiflent  un  Etre  fupréme ,  &  au-deflbus  de  lui ,  des  Divi* 
nités  du  fécond ,  du  troifieme  ordre.  Toutes  ces  Divinités  ont  leurs  Prêtres. 
Ils  honorent  particulièrement  «  dans  les  Dieux  du  fécond  ordre,  unBuddou^ 
qui  eft  defcendu  fur  la  terre  pour  fe  rendre  médiateur  entre  Dieu  &  les 
hommes.  Les  Prêtres  de  Buddou ,  font  des  perfbnnages  fiirt  importans  à 
Ceyian.  Ils  ne  peuvent  jamais  être  punis  par  le  Prince ,  quand  même  il^ 
auroient  attenté  à  fa  vie.  Les  Chingulais  entendent  la  guerre.  Ils  ont  (u 
£itre  ufage  de  la  nature  de  leur  pays  de  montagnes,  pour  fe  défendre 
contre  les  Européens,  qu^ls  ont  fouvent  vaincus.  Ils  font  fourbes,  inté« 
ntTés ,  complimenteurs ,  comme  tous  les  peuples  efclaves.  Us  ont  deux 
lansues  »  celle  du  peuple  &  celle  des  âvans.  Par-tout  où  cet  ufage  eft 
étami ,  il  a  donné  aux  Prêtres  &  au  gouvernement  un  moyen  de  plus  pour 
tromper  les  hommes; 


abondoient 
précieufes 

feprentrionale  &  fur  la  côte  de  la  Pêcherie,  qui  en  eft  voifine,  que  fb 
fàifoit  la  pêche  de  peries  la  plus  abondante  de  l'Orient.  Les  ports  de  Ceïlan 
étoient  les  meilleurs  de  PInde ,  &  fa  pofition  étoit  au-deflus  de  tant  d'a- 
vantages. 

Les  Portugais  auroient  dû ,  ce  femble ,  établir  toute  leur  puiflance  dans 
cette  ifle.  Elle  eft  an  centre  de  POrient.  Ceft  le  pafTage  qui  conduit  dans 
les  régions  les  plus  riches.  Tous  les  navires  qui  viennent  d'Europe ,  d^\<» 
rabie  &  de  Perfe ,  ne  peuvent  s'empêcher  de  rendre  une  forte  d'hommage 
à  Ceïlan  ;  &  les  mouçons  alternatives ,  permettent  d'y  aborder  &  d'en 
fortir  dans  tous  les  temps  de  l'année.  Avec  peu  de  dépenfe  en  hommes 
&  en  argent ,  on  ferait  parvenu  à  la  bien  peupler ,  à  la  oien  fortifier.  Des 
efcadres  nombreufes ,  parties  de  tous  les  ports  de  cette  ifle ,  auroient  fait 
refpeâer  le  nom  de  fes  maîtres  dans  toute  l'A  fie  ;  &  les  vaîflëaux  qui  au- 
roient croifé  dans  fes  parages ,  auroient  intercepté  la  navigation  des  autres 
nations.  Le  Vice«Roi  ne  vit  pas  tous  ces  avantages. 


V. 


CEI  LAN,    C  E  Y  L  A  N,    ou    C  E  Y  L  0  N,         çj 

EtahliffcYncnt  &  Commerce  des  HoUandois  à  Ceilan. 


Ers  le  milieu  du  (îecle  dernier ,  tandis  que  les  HoUandois  s'agran- 
difToienc  &  s^afFermilToient  à  Tefl  de  TAfie,  ils  foogerenc  à  enlever  Tifle 
de  Ceïlan  aux  Portugais.  On  peut  remarquer  que  cette  nation ,  fi  éclairée 
fur  le  commerce,  a  d'abord  penfé  à  fe  rendre  maitrefle  des  produâions 
de.  première  &  de  féconde  nécellité ,  avant  de  fbnger  aux  marchandifes  de 
luxe.  C'efl  fur  la  pofTeffîon  des  épiceries ,  qu'elle  a  fondé  fa  grandeur  en 
Afie ,  comme  elle  Ta  fondée  en  Europe  fur  la  pèche  du  hareng.  Les  Mo- 
luques  lui  fournilToient  la  mufcade  &  le  girofle  :  Ceylan  devoir  lui  donner 
la  canelle. 

Spilberg,  le  premier  de  fes  Amiraux  qui  ofa  montrer  fon  pavillon  fur 
les  côtes  de  cette  ifle  délicieufe ,  trouva  les  Portugais  occupés  à  bouleverfer 
le  gouvernement  &  la  religion  du  pays  ;  à  détruire  les  uns  par  les  autres , 
les  Souverains  qui  la  partageoient  ;  à  s'élever  fur  les  débris  des  trônes 
qu'ils  renverfoient  fuccedivement.  Il  offrit  les  fecours  de  fa  patrie  à  la 
Cour  de  Candi  :  ils  furent  acceptés  avec  tranfport.  Vous  pouve\^  ajfurer  vos 
maîtres^  lui  dit  le  Monarque,  que  s^ils  veulent  bâtir  un  fort ^  moi^  ma 
femme  ^  mes  enfans  ^  nous  ferons  Us  premiers  à  porter  Us  matériaux  né'- 
cejfaires. 

Les  peuples  de  Ceïlan  ne  virent  dans  les  HoUandois  que  les  ennemis 
de  leurs  tyrans ,  &  i\s  fe  joignirent  à  eux.  Par  cts  deux  forces  réunies , 
les  Portugais  furent  entièrement  chaffés  en  1658,  après  une  guerre  longue, 
fanglante  ,  opiniâtre.  Leurs  établiffemens  tombèrent  tous  entre  les  mains 
de  la  Compagnie  ,  qui  les  occupe  encore.  A  l'exception  d'un  efpace  affez 
borné  fur  la  côte  orientale ,  où  l'on  ne  trouve  point  de  port ,  oc  dont  le 
Souverain  du  pays  tiroit  fon  fel,  ils  formèrent,  autour  de  l'ifle ,  un  cor- 
don régulier,  qui  s'étendoit  depuis  deux,  jufqu'à  douze  lieues  dans  les 
terres. 

Le  fort  de  Jaflànapatan ,  &  ceux  des  ifles  de  Manar  &  de  Calpentin , 
ont  pour  but  d'empêcher  toute  liaifon  avec  les  peuples  du  continent  voifin. 
Negumbo,  defliné  à  contenir  le  diflriâ.qui  produit  la  meilleure  canelle,  a 
un  port  fuffifant  pour  les  chaloupes;  mais  qui  n'efl  pas  fréquenté,  parce 
qu'il  y  a  une  rivière  navigable  qui  conduit  à  Colombo.  Cette  place ,  que 
les  Portugais  avoient  fortifiée  avec  un  foin  extrême,  comme  le  centre 
des  richefles,  efl  devenue  le  chef-lieu  de  la  colonie.  Il  eft  vraifeniblable, 
que,  fans  les  dépenfes  qui  y  avoient  été  faites,  les  vices  de  fa  rade  au- 
roient  déterminé  les  HoUandois  à  établir  leur  Gouvernement  &  leurs  forces 
à  Pointe  de  Gale.  On  y  trouve  un  port ,  dont ,  à  la  vérité ,  l'entrée  eft 
difficile  &  le  baffin  fort  refferré;  mais  qui  réunit,  d'ailleurs,  routes  les 
perfèâions  qu'on  peut  défirer.  C'eft-là  que  la  Compagnie  fait  fes  charge* 

mens  pouf  TEurope. 

H  % 


^o        C  E  I  L  A  N,    C  E  Y  L  A  N,    OU    C  E  Y  L  O  N. 

Mature  lui  fert  à  recueillir  les  cafés  &  les  poivres  ^  dont  elle  a  intro- 
duit la  culture.  Ses  fortifications  fe  réduifent  à  une  redoute,  fituée  fur 
une  rivier<»  qui  ne  peut  recevoir  que  des  bateaux.  Le  plus  beau  ,  le  meil- 
leur port  des  Indes,  c'eft  Trinqnemale.  Il  efl:  conipofé  de  plufieurs  baies, 
où  les  plus  nombreufes  flottes  trouvent  un  afyle  fur.  On  n^  ^it  point  de 
commerce.  Le  pay$  n'of&e  aucune  marchandife;  il  fournit  même  peu  de 
vivres  :  il  eft  gardé  par  fa  ftérilité.  D'autres  établiflemens  moins  confidé^ 
rables ,  répandus  fur  la  côte ,  fervent  à  faciliter  les  communications ,  &  à 
écarter  les  étrangers. 

Ces  fages  précautions  ont  mis  dans  les  mains  de  la  compagnie  toutes.Ies 
produâions  de  Tlfle.  Celles  qui  emtrent  dans  le  commerce,  font,  i^.  les 
amétiftcs,  les  faphirs,  les  topazes,  &  des  rubis  très- petits  &  très-impar« 
faits.  Ce  font  des  Maures  venus  de  la  côte  de  Coromandel ,  qui,  en  payant 
un  modique  droit ,  les  achètent ,  les  taillent ,  &  les  font  vendre  à  bas  prix  » 
dans  les  diffêrentes  contrées  de  Tlnde. 

2^.  Le  poivre,  que  ht  compagnie  acheté  huit  fols  la  livre;  le  cafë, 
qu^elle  ne  paie  que  quatre ,  &  le  cardamome ,  qui  n'a  point  de  prix  fixe. 
Les  naturels  du  pays  font  trop  indolens ,  }>our  que  ces  cultures  ^  qui  font 
toutes  d'une  qualité  très-inférieure,  puiffent  jamais  devenir  fort  confidérables. 

3^.  Une  centaine  de  balles  de  mouchoirs,  de  pagnes  &  de  gingamps^ 
d'un  très -beau  rouge,  que  les  Malabares  fabriquent  à  Jaffanapatan ,  où  ik 
font  établis  depuis  très- long-temps. 

.  4^.  Quelque  peu  d'ivoire,  &  environ  cinquante  éléphans.  On  les  porte 
à  ta  côte  de  Coromandel  ;  &  cet  animal  doux  &  pacifique ,  mais  trop  utile 
ï  l'homme  pour  refler  libre  dans  une  Ifle ,  va  fur  le  continent  augmenter 
&  partager  tes  périls  &  les  maux  de  la  guerre. 

5^.  L^areque ,  que  la  compagnie  acheté  k  raifon  de  lo  livres  t'ammo- 
nân,  &  qu'elle  vend  96  ou  40  livres  fur  les  lieux  même,  aux  vaiflèaux 
de  Bengale ,  de  Coromandel  &  des  Maldives^  qui  le  patent  avec  da  riz , 
de  grofles  toiles ,  &  des  cauris.  L'areque,  qui  croit  fur  une  eipece  de  pal- 
mier, eft  un  fruit  qui  n'eft  pas  rare  dans  la  plupart  des  contrées  de  l'Afie, 
&  qui  eft  très-commun  à  Ceïlan.  Il  eft  ovaire,  &  reffembleroit  alfezà  la 
datte,  is'îl  n'étoit  pas  plus  ferré  par  les  deux  bouts.  Son  icorce  eft  épaîfle, 
lifte  &  membraneufe.  Le  noyau  qu'elle  environne  eft  blanchâtre ,  en  forme 
de  poire,  &,  de  la  grofTeur  d'une  mufcade.  Lorfqu'on  le  mange  feul,  comme 
le  font  quelques  indiens ,  il  appauvrit  le  fang ,  il  donne  la  jaunifle.  Cet 
inconvénient  n'eft  pas  à  craindre,  lorfqu'il  eft  mêlé  avec  le  bétel. 

Le  bétel  eft  une  plante  qui  rampe  &  qui  grimpe  comme  le  lierre;  mais 
qui  n'étoufie  pas  le  petit  arbre  auquel  eRe  s'attache^  l'agoti,  qui  lui  ferc 
d'appui ,  &  qu'elle  aime  finguliérement.  On  la  cultive  comme  la  vigne* 
Ses  feuilles  font  aflez  femblables  à  celles  du  citronnier ,  quoique  plus  Ion* 
gués  &  plus  étroites  à  l'extrémité.  Le  bétel  croit  par -tout,  &  dans  toute 
l'Inde  ;  mais  il  ne  profpere  véritablement  que  dans  des  lieux  humides» 


CEI  LAN,    CEYLAN,    ou    C  E  Y  L  O  N.        6i 

A  toutes  les  heures  du  jour ,  même  de  la  liuit  ^  les  Indiens  mâchent  des 
feuilles  de  bétel ,  dont  l'amertune  eft  corrigée  par  l*areque ,  qu^elles  en-> 
veloppent  toujojurs.  On  y  joint  conftaniment  du  chunam ,  efpece  de  chaux 
brûlée  faite  avec  des  coquilles.  Les  gens  riches  y  ajoutent  fouvent  des  par« 
lums ,.  qui  flattent  leur  vanité  ou  leur  fenfualité. 

On  ne  peut  fe  féparer  avec  :  bienféance  pour  quelque  temps  ,  fans  fe 
donner  mutuellement  du  bétel  dans  une  bourfe  :  c*eft  un  préfent  de  Pa- 
mitié  ,  qui  foulage  l'abfence.  Perfonne  n'oferûit  parler  à  fon  fupérieur ,  fans 
avoir  la  bouche  parfumée  de  bétel  ;  il  feroit  même  grodier  de  négliger 
cette  précaution  avec  fon  égal.  Les  femmes  galantes  font  le  plus  grand 
ufage  du  bétel ,  comme  d'un  puifTant  attrait  pour  l'amour.  On  prend  du 
bétel  après  les  repas  ;  on  màcbe.  du  bétel  durant  les  vifites  ;  on  s'of&e  du 
bétel  en  s'abordant,  en  fe  quittant  :  toujours  du  bétel.  Si  les  dents  ne  s'en 
trouvent  pas  bien,  l'eftdmac  en  eft  plus  fain  &  plus  fort.  C'eft,  du  moins, 
uo  préjugé  généralement  établi  aux  Indes. 

6P.  La  pêche  des  perles  eft  encore  pn  des  revenus  de  Ceylan.  On  peut 
conjeâurer,  avec  vraifeqiblancf ,  que  cette  Ifle,  qui  n'eft  qu'à  quinze  lieues 
du  continent ,  en  fut  détachée  dans  des  temps  plus  ou  nnoins  reculés ,  par 
quelque  grand  eiFort  de  la  nature.  L'efpace  qu\  )a  fépare  aâuellement  de 
la  terre ,  eft  rempli  de  bas'^'fonds ,  qui  empêchent  les  vaifleaux  d'y  navi- 
gaer«  Dans  quelques  intervalles  feulement,  on  trouve  quatre  ou  cinq  pieds 
d'eau  qui  permettent  à  de  petits  bateaux  d'y  pafler.  Les  HoUandois,  qui 
s'en  attribuent  la  fbuveraineté ,  y  tiennent  toujours  deux  chaloupes  armées , 
pour  exiger  les  droits  qu'ils  ont  établis.  C'eft  xians  ce  détroit  que  fe  fait 
la  pêche  des  Perles ,  qui  fut  autrefois  d'un  fi  grand  rapport.  Mais  on  a  tel- 
lement épuifé  cette  fource  de  richeffes ,  qu'on  n'y  peut  revenir  que  rare- 
ment. On  vifite ,  à  la  vérité ,  tous  les  ans  le  banc ,  pour  favoir  à  quel 
point  il  eft  fourni  d'huîtres }.  mais ,  communément,  il  ne  s'y  en  trouve  afTez 
que  tous  les  cinq  ou  (ix  ans.  Alors  la  pêche  eft  affermée;  &,  tout  calculé ^ 
on  peut  la  faire  entrer  dans  les  revenus  de  la  compagnie  pour  200,000  1. 
Il  fe  trouve  fur  les  mêmes  côtes  ,  une  coquille  appellée  xanxus ,  dont  les 
Indiens  de  Bengale  font  des  bracelets.  La  pêche  en  eft  libre  ;  mais  le  com- 
merce en  eft  exclufif. 

Après  tout ,  le  grand  objet  de  ta  compagnie ,  c'eft  la  canelle.  La  racine 
de  l'arbre  qui  la  donne,  eft  grofle,  partagée  en  plufieurs  branches,  cou- 
verte d'une  écorce  d'un  roux  grif^tre  en  dehors,  rougeâtre  en  dedans.  Le 
bois  de  cette  racine  eft  dur,  blanc  &  fans  odeur. 

Le  tronc,  qui  s'élève  juiqu'à  huit  &  dix  toifes,  eft  couvert,  ainfi  que 
fes  nombreufes  branches  ,^  d'une  écorce  d'abord  verte ,  &  enfuite  rouge. 

La  feuille  ne  reffembleroit  pas  mal  à  celle  du  laurier,  fi  elle  étoit  moins 
longue  &  moins  pointue.  Lorfqu'elle  eft  tendre ,  elle  a  la  couleur  de  feu  ; 
«n  vieillifTant  &  en  féchant ,  elle  prend  un  yerd  foncé  au  -  deifus ,  &  un 
^erd  plus  clair  au-deffous. 


6ii,  •  C    É    L    E.    B    E    S. 

A  Ceflan,  beaucoup  plus  encore  <}ue  d^ns  le  refie  deTIode,  les  terref 
appartiennent  en  propriété  au  fouverain.  Ce  fyflême  deftruâeur  a  eu^  dans 
cette  ifle,  les  fuites  funefies  qui  en  font  infôparables.  Les  peuples  y  vivent 
dans.Pinaâion  Ja  plus  entière.  Ils  font  logés^  dans  des  cabanes;  ils  n^onc 
point  de  meubles;  ils  vivent  de  fruits;  &  les  plus  aifés  n'ont  pour  vête- 
ment^ qu'une  pièce  de  grofle  toile ,  qui  leur  ceint  le  milieu  du  corps.  Que 
les  HoUandois  faflent  ce  qu'on  peut  reprocher  à  toqtes  les  nations,  qui 
ont  établi  des  colonies  en  AHe,  de  n'avoir  jamais  tenté;  qu'ils  diftribuenc 
des  terreins  en  propre  aux  familles.  Elles  oublieront ,  détefteront  peut-être 
leur  ancien  fouverain;  elles  s'attacheront  au  gouvernement,  qui  s'occupera 
de  leur  bonheur;  elles  travailleront,  elles  confommeront.  Alors  l'ifle  de 
Ceïlan  jouira  de  l'opulence  à  laquelle  la  nature  l'a  defiinée.  Elle  fera  à 
17abri  des  révolutions,  &  en  état  de  foutenir  les  établifTemens  de  Malabar 
&  de  Coromandel,  qu'elle  eft  chargée  de  protéger.  Hifioire  philofophiqut 
&  politique  des  établijfemens  &  du  commerce  des  Européens  dans  les 
deux  Indes. 


■p* 


1-" 


L 


C  É  L  E  B  E  S  ,   ijle  des  Indes  Orientales. 


'ISLE  de  Célebes  peut  a<^oîr  cent  trente  lieues  de  diamètre  :  elle  eft 

très-habitable,  quoique  fituée  au  milieu  de  la  Zone  Torride.  Les  chaleurs 
y  font  tempérées  par  des  pluies  abondantes  &  par  des  vents  frais.  S^s  ha* 
bitans  font  les  plus  braves  de  l'AHe  méridionale.  Leur  choc  eft  furieux  ; 
mais  ,  dit-on  ,  une  réfîftance  de  deux  heures  fait  fuccéder  un  abattement  to- 
tal à  cette  première  impétuoiîté.  Sans  doute  qu'alors  l'ivreffe  de  l'opium , 
fource  de  ce  feu  terrible ,  fe  diflipe  après  avoir  épui,fé  toutes  les  forces  par 
des  tranfports  violens. 

Une  éducation  auftere  rend  les  habitans  de  Célebes  ou  les  MacafTarois 
agiles ,  induftrieux ,  robuftes,  A  toutes  les  heures  du  jour ,  leurs  nourrices 
les  frottent  avec  de  l'huile  ou  de  l'eau  tiède.  Ces  onâions  répétées ,  aident 
la  nature  à  fe  dévelopjper  avec  liberté.  On  les  févre  un  an  après  leur  naif- 
fance ,  dans  l'idée  qu  ils  auroient  moins  d'intelligence ,  s'ils  continuoient 
d'être  nourris  plus  loiig-temps  du  lait  maternel.  A  l'âge  de  $  ou  6  ans^ 
les  enfans  mâles  de  quelque  diftinâion  ,  font  mis ,  comme  en  dépôt , 
chez  un  parent  ou  chez  un  ami  ;  de  peur  que  leur  courage  ne  foit  amolli 
par  les  careffes  de  leurs  mères  ,   &  par  l'habitude  d'une  tendreffe  récipro* 

Î|ue.  Us  ne  retournent,  dans  leur  famille  qu'^  l'âge  où  la  loi  leur  permet  de 
e  niarîer ,  c'eft-à-dfre ,  à  quinze  ou  fei:?e  açs.  U  eft  rare  qu'ils  ufent  dé 
cette  liberté  avant  de  s'être  perfeâionnés,dans  l'exerçicé  des  armes. 
.    Ces  peuples  ne  recohnoilfoient  autrefois  de. Dieux,  que  le  foleil  &  la 
lune.  On  ne  leur  oiTroit  des  facrifices,  que  dans  les  places  publiques  ;  parce 

'  ^'''       qu'on 


i 


C    É    If    E    B    B    s.  6\ 

qu'on  ne  troinroic  pas  de  matière  aflez  prëcieoiè  pour  leur  élever  âet  tem* 
pies.  Dans  l'opinion  de  ces  infulaires ,  le  foleil  &  la  lune  étoient  dcer-* 
nels  ^  comme  le  ciel  dont  ils  fe  parcageoient  l'Empire*  L'ambidon  les 
brouilla.'  La  lune^  fuyant  devant  le  foleil ,  fe  blefla,  &  accoucha  de  la 
terre  :  elle  étoit  grofle  de  plufieurs  autres  mondes,  qu'elle  mettra  fuccefli* 
vement  au  jour ,  mais  fans  violence  ;  pour  réparer  la  ruine  de  ceux  que 
le  feu  de  fbn*  vainqueur  doit  confumer. 

Ces  abfurdités  étoient  généralement  reçues  ii  Célebes  ;  mats  elles  n'a*- 
voient  pas  dans  l'efprit  des  grands  &  du  peuple ,  la  confiflance  que  les 
dogmes  religieux  ont  chez  les  autres  nations.  Il  y  a  environ  deux  fiecles 
c)ue  quelques  Chrétiens  &  quelques  Mahoméuns  y  ayant  apporté  leuri 
idées  f  le  principal  Roi  du  pays  le  dégoûta  entièrement  du  culte  ^  national. 
Frappé  de  l'avenir  terrible  »  dont  les  deux  nouvelles  religions  le  menaçoient  ^ 
également  y  il  convoqua  une  aflemblée  eénérale.  Au  jour  indiqua,  il  monta 
fur  un  endroit  élevé  ;  &  là ,  tendant  les  mains  vers  le  ciel ,  &  fe  tenant 
debout  y  il  adreflà  cette  prière  à  l'Être  fuprême.  ' 

9  Grand  Dieu,  je  ne  me  proAerne  point  à  tes  pieds ,  en  ce  moment; 
9  parce  que  je  n'implore  point  ta  clémence.  Je  n'ai  à  te  demander  qu'une 
9  chofe  jufle  ;  &  m  me  la  dois.  Deux  nations  étrangères ,  pppofées  dans . 
9  leur  culte,  font  venues  porter  la  terreur  dans  mon  ame,  éi  dans  celle i 
n  de  mes  fujets.  Elles  m'aflurent  que  tu  me  puniras  à  jamais ,  fi  je  n'obéis 
9  à  tes  loix  :  j'ai  donc  le  droit  d'exiger  de  toi ,  que  tu  me  les  faffes  cou* 
»  noitre.  Je  ne  demande  point  que  tu  me  révèles  les  myfteres  impénétra- 
9  bles  qui  enveloppent  ton  être,  &  qui  me  font  inutiles.  Je  fuis  venu 
»  pour  t'interroger  avec  mon  peuple ,  fur  les  devoirs  que  m  veux  nous 
»  impofen  Parles ,  ô  mon  Dieu  !  puifque  tu  es  l'auteur  de  la  nature ,  tu 
9  connois  le  fond  de  nos  cœurs,  &  tu  fais  qu'il  leur  eft  impoflible de con« 
9  cevoir  un  projet  de  défobéilTance.  Mais  fi  tu  dédaignes  ce  te  fkire    en^^ 


S' 

porte,  les  eaux  qui  environnent  mon  Empire,  &  toi-même ^  que  je  cher- 
che dans  la  fincerité  de  mon  cœur ,  à  connoitre  ta  volonté  %  &  je  te  pré* 
9  viens  aujourd'hui,  que  je  reconnoicrai ,  pour  les  dépofitaires  de  tes  ora» 
9  clés,  les  premiers  Miniilres  de  l'une  ou  de  l'autre  religion  que  tu  feras 
i>  arriver  dans  nos  ports.  Les  vents  &  les  eaux  font  les  Miniftres  de  ta 
9  puiflance  ;  qu'ils  loient  le  fignal  de  ta  volonté.  Si  dans  la  bonne  foi  qui 
»  me  guide,  )e  venois  à  embrafler  l'erreur,  ma  confcience  feroit  tran* 
ji  quille  i  &  c'efi  toi  qui  ferois  le  méchant. 

Le  peuple  fe  fépara  en  attendant  les  ordres  du  ciel ,  &  réfolu  de  fe  li- 
vrer aux  premiers  miffionnaires  qui  arriveroient  à  Célebes.  Les  apôtres  de 
l'Alcoran  furent  les  plus  aâifs;  &  le  Souverain  fe  fit  circoncire  avec  foB 
peuple.  Le  refle  de  l'iile  ne  tarda  pas  à  fuivre  cet  exemple. 
Tome  XI.  I 


66  (!    i    L    E    B    B    S. 

Ce  eontre*temps  n^empécha  pas  tes  Portugais  de  s^établir  à  Céldies.  lit 
s^  maintinrent,  même  après  avoir  été  ckaflës  des  Molucjues.  La  raifon ^ui 
les  y  reienoit  &  qui  y  attira  les  Anglois,  étoic  la  facilité  de  fe  procurer 
des  épiceries  ,  que  les  naturels  du  pays  trouyoient  le  moyen  d'avoir  ; 
malgré  les  précautions  qu'on  prenoit  pour  les  écarter  des  lieux  où  -  elles 
cromènt. 

les  Hoilandois  ,  que  cette  concurrence  empéchoir  de  s'approprier  le 
commerce  exclufif  du  girofle  &  de  la  mufcade,  entreprirent,  ea  16^0, 
d'arrêter  ce  trafic,  qu'ils  appelloient  une  contrebande.  Us  employèrent, 
pour  y  réulfir ,  des  moyens  que  la  morale  a  en  horreur ,  mais  qu'une  atri^ 
dite  ians  l>ornes  a  rendus  très-communs  en  A(ie.  En  (uivant ,  fans  inter* 
ru^tion  ',  des  principes  atroces ,  ils  parvinrent  &  chaflèr  les  Portugais ,  I 
écarter  les  Anglois ,  à  s'emparer  du  port  &  de  la  forterefle  de  Macaflar. 
I>és-*lors ,  ils  fe  trouvèrent  maîtres  ablolus  dans  l'ifle ,  fans  l'avoir  conquife. 
Les  Princes  qui  la  partagent ,  furent  réunis  dans  une  efpece  de  confédéra- 
tion. Ils  s'aflemblent  de  temps  en  temps ,  pour  les  affaires  qui  concernent 
l'intérêt  général.  Ce  qui  eft  décidé,  efl  une  loi  pour  chaque  Etat.  Lorfqu'il 
forviétit  quelque  conteflation  ,  elle  efl  terminée  par  lé  Gouverneur  de  la' 
cotonle  HoUandoifë,  qui  préfide  2i  cette  diète.  Il  éclsâre  de  prés  ces  AiSé^ 
reos  defpotes ,  qu'il  tient  dans  une  entière  égalité ,  pour  qu'aucun  d*etne  ne 
s^leve  au  préjudice  de  la  compagnie.  On  les  a  tous  d^farmés,  fous  pré- 
texte de  les  empêcher  de  fe  nuire  les  uns  aux  autres  ;  mais ,  en  ewst  ^ 
pour  les  mettre  dans  l'impuiflancê  de  rompre  leurs  fers. 

Les  Chinois ,  les  feuls  étrangers  qui  foient  reçus  à  Célebes ,  y  apportent 
du  tabac ,  du  fit  d'or ,  des  porcelaines ,  &  des  foies  en  nature.  Les  Hoilan- 
dois y  vendent  de  l'opium ,  des  Hqueurs ,  de  la  gomme  lacque ,  des  toiles 
fines  &  grolfieres.  On  en  tire  un  peu  d*or,  beaucoup  de  riz  ,  de  ta  cire  ^ 
des  efclaves  &  du  tripam ,  efpece  de  champignon  ,  qui  efl  plus  parfait  à 
meflire  qu'il  efl  phis  rond  &  plus  noir.  Les  douanes  rapportent  80,000  li«. 
vres  à  la  compagnie.  Elle  tire  beaucoup  davantage  des  t>énéfices  de  ion 
comoicarce  &  des  dixmes  du  territoire  qu'elle  pofféde  en  toute  fouyeratneté. 
Ces  objets  réunis  ne  couvrent  pas  cependant  tes  frais  de  la  colonie  :  eHe 
coftte  I  {0,000  livres  au-delà.  On  fent  bien  qu'il  faudroit  l'abandonner ,  (i 
elle  n'étoit  regardée ,  avec  raifbn  ,  comme  la  clef  des  ifles  à  épiceries. 
Hifioin  philofopkiguc  &  politique  des  itahliffemens  &  du  commerce  des  Eu^ 
ropéens  dans  us  deux  Indeu 


CÉLIBAT.     CÉLIBATAI  RE. 


O 


CÉLIBAT,    f.    m. 
CÉLIBATAIRE,    f    m. 


N  nomitie  ainfi  dans  le  langage  commun  &  ordinaire,  Tétât  ¥iAùn* 
taire  d'une  perfbnne  qui  pouvant  fe  marier ,  ne  fe  marie  pas. 

On  nomme  Célibataire  toute  perfonné  qui  vit  volontairement  hors  de 
Tétât  de  mariage. 

Que  Quelques  perfonnes  euflènt  vécu  dans  le  Célibat,  Se  même  dans 
une  parfaite  &  perpétuelle  continence,  c'eft  ce  qui  n'auroit  rien  de  (urpre- 
nant.   Un  vice  de  tempérament  ou  de  caraâere  moral ,  pouvoit  conduira 
^  choifir  un  tel  genre  de  vie  qui ,  dans  le  cours  ordinaire  Ses  chofes ,  eft 
fi  peu  d'accord  avec  le  vœu  de  la  nature,  Se  le  bien  au  moins  apparent 
de  l'humanité  ;  mais  que  des  fociétés  nombreufes  s^eti  foi^kit  fait  une  loi  ^ 
que  tant  de  gens  fe  foient  accordés  à  regarder  cet  état  comme  préférable 
même  au  plus  chafte  mariage ,  c'eil  ce  qui  aura  toujours  droit  de  iurprendre 
un  Philoiophe  qui  n'eft  pas  encore  familiarifé  avec  les  écarts  abfurdes  de 
la  raifbn  humaine.   Un  Auteur  moderne ,  Morin.  mtm.  de  PAcè.  des  Infl 
&  B.  Jjett.  T.  iK,  qui  a  voulu  nous  donner  une  hiftoire  critique  dû  Gélî*- 
bat,  affirme  âveé  une  confiance  dont  on  ne  découvre  nulle  part  \t  fimit^ 
ment,  que  ce  genre  de  vie  eft  aufli  ancien  que  le  monde,  aufli  étendu  qut 
le  monde,  &  durera  autant  que  le  monde.  Trois  afTertions  qui  ne  peuvent 
avoir  de  fetis  qu'autant  que  l'on  entendra  par  le  Célibat ,  tout  le  temps 
qu'une  perfonne,  quelle  qu'elle  foit,  paiTe  fans  être  mariée  v  fans  doute  les 
enfkns  ne  naiffent  pas  mariés;  le  temps  du  veuvage   eft  une  interruption 
du  mariage  ;  mais  perfonne  encore  ne  s'eft  avifé  de  nothmer  Célibat ,  ces 
temps  pendant  lefquels  on  n'eft  pas  marié  ;  on  ne  nomme  ainfi  qu'un  état 
permanent  qu'une  perfonne  préfère  ou  eft  contrainte  de  préférer  au  mariage 
dont  elle  fe  pafle ,  quoiqu'elle  eût  pu  fe  marier.  Or  fous  ce  point  de  vue , 
il  n'eft  certainement  pas  vrai  que  le  Célibat  foit  audi  ancien  que  le  monde. 

Quand  il  feroit  auflî  bien  prouvé  qu'il  l'eft  peu ,  que  Tétat  d'innocence 
d'Adam  &  d'Eve  ait  confifté  dans  labftinence  des  plaifirs  phyfîques  du 
mariage,  due  la  défbnfe  de  manger  du  fruit  de  l'arbre  de  fcience,  n'eût 
été  que  celle  de  jouir  l'un  de  l'autre ,  que  par  conféquent  leur  péché  n'eût 
confifté  que  dans  une  jouiffance  furtive  &  prématurée  de  leur  fexe ,  prife 
avant  que  d'en  avoir  reçu  la  permiflîon  de  leur  Créateur,  comme  quelques 
Auteurs  Font  avancé  fans  preuves  fuflifantes  ;  toute  perfonne  non  prévenue 
ne  verroit  autre  chofe  dans  ce  fait ,  finon  que  Dieu  vouloit  que  ces  àtùt 
premiers  humains  vécuffent  quelaue  temps  dans  la  continence  comme  per'* 
jonnes  non  mariées ,  quoique  deftinées  à  l'être  un  jour  ;  non  pour  les  con^ 
damner  au -Célibat,  mais  d'un  côté  pour  leur  apprendre  à.  régler  leurs  pciH 

I  % 


éZ  CÉLIBAT.    CÉLIBATAIRE. 

ehans  &  à  les  aflbjettir  à  Pempire  de  la  raifon  ,  &  de  l'autre  pour  leur  fiire 
comprendre  qu'à  leur  égard ,  Tunion  des  fexes  ne  dévoie  pas  être  comme 
chez  les  brutes /un  aâe  fans  réflexion ,  purement  phyfiqrô,  dépendant  du 
feul  infiinâ,  de  nulle  conféquehce  morale,  &  qui  ne  feroit  affujetti  à  au« 
cune  règle  d'ordre,  de  décence,  à  aucune  circonftance  de  temps,  de  lieu 
&  de  relation  ;  mais  qu'il  feroit  un  aâe  important ,  le  fceau  d'une  uoioa 
intime  &  réfléchie ,  la  fource  d'une  relation  morale  &  intéredante  pour  eux 


les  remplacer ,  quand  eux-mêmes  cefTer oient  de  vivre ,  qu'ils  feroient  obligea 
d'élever  conjointement ,  d'inftruire  par  leurs  leçons ,  &  de  former  à  une  vie 
fage  par  leur  exemple  \  que  par  conféouent  cet  aâe  que  Dieu  foumettoit 
dès  le  commAncement  à  une  loi  &  fàifoit  dépendre  de  fa  permiffion ,  étoit 
upp  fource  de  relations  &  d'obhgadons  morales  d'une  grande  importance, 
Adam  &  Eve  purent-ils  crmre  qu'ils  fufTent  appelles  à  vivre  dans  le  Célibat, 
pat  ce  même  Créateur  qui  avoit  dit ,  il  n\jl  pas  bon  pour  PAomme  iitrt 
Jcul^  &  qui  avoit  cfcc  une  femme  pour  être  Ja  compagne  &  fon  aide  fidèle^ 
.par  ce  même  Créateur  qui  les  ayant  formés  mâle  &  femelle ,  les  avoit 
appelles  exprefTément  au  phyfique  du  mariage ,  aufli  bien  qu^à  l'union  mo- 
jrale,  en  leur  difant,  croijje;^,  multiplie^  £f  rempUJfei^la  terre.  L'homme  ne 
fut  donc  pas  appelle  à  vivre  feul ,  puifque  la  fagefTe  éternelle  avoit  décidé 
que  cet  état  de  folitude  n'étoit  pas  bon  ;  ni  à  vivre  dans  la  continence  ^ 
puifqu'il  appelle  l'homme  &  la  femme  à  peupler  la  terre.  D'après  quels 
mémoires  nous  affiire-t-on  qu'Adam  &  Eve  vécurent  fi  long-temps  dans  le 
paradis  faiis  fe  connoitre  \  qu'après  leur  péché ,  ils  pafTerent  cent  ans  à  faira 
pénitence ,  en  fè  privant  l'un  de  l'autre  ?  c'efl  tout  auffî  gratuitement  que  ^ 
l'on  affirme  qu'Abel  paflà  toute  fa  vie  dans  le  Célibat  ;  il  n'efl  aucune  ^ 
«xpreffîon  de  l'Auteur  lacré  qui  Tinfinue  le  moins  du  monde.  Tout ,  au  con*  ^" 
iraire ,  dans  les  écrits  de  MoiTe  &  des  Prophètes  qui  l'ont  fuivi  îufqu'à  h 
fin ,  nous  conduit  aux  conclufions  les  plus  oppofées  à  i'eflime  pour  le  Cé< 
libat.  Tout  nous  y  peint  le  mariage  comme  un  état  refpeâable  auquel  le^ 
hommes  font  appelles  par  leur  Créateur  ;  le  Célibat  &  la  flériKté  comme 
expofant  à  la  honte  &  au  mépris.  Les  grands  hommes ,  les  plus  faints  per« 
Tonnages,  rois ,  facrificateurs ,  prophètes  ,  hommes  honorés  de  révélations 
nous  Tont  tous  repréfentés  comme  mariés ,  ou  s^il  y  en  a  du  mariage 
de  la  famille  defquels  il  n'efl  pas  Eût  mention ,  aucun  n'efl  loué  d^^ 


vécu  dans  le  Célibat.  Si  la  fille  de  Jephté  eft  fkcrifiée ,  ou  feulement 
facrée  à  Dieu ,  de  manière  à  ne  pouvoir  appartenir  à  aucun  homme ,  comm 
itant  fainte  à  l'Eternel,  l'Auteur  facré  ne  nous  repréfente  point  fon  fovw 
comme  honorable,  digne  d'eflime  &  falutaire;  au  contraire  il  le  peinr^' 
comme  fâcheux  &  affligeant  ;  Jephté  fon  père  en  eft  au  défefpoir ,  &  fa  fill^ 
va  avec  fes  compagnes  pleurer  le  malheur  qu'elle  a  d'être  condamnée  T 


et  LIBAT.    CÉLIBATAIRI.  6^ 

Koarir  vierge;  UDt  le  Célibat  ëtoit  dors  encore  regardé  comme  ua  état 
déshonorant.  Un  frère  non  marié  encore,  devoir  époufer  la  veuve  4^  fon 
frère ,  s^il  Pavoit  laiflëe  fant  enikns ,  uot  on  étoit  perfuadé  que  la  dieftina* 
tion  des  hommes  &  des  femmes  étoit  de  (e  marier  &  de  procréer  des  en- 
6ns.  Nul  rang,  nulle  condition,  n'autorifoit  à  fe  refufer  à  cette  fin  géné^ 
raie  de  Thumanîté ,  &  fi  ,  dans  le  temps  où  le  Grand-Prêtre  étoit  appelle 
à ,  fes  fondions  folemnelles ,  il  devoir  le  féparer  de  fa  femme ,  ce  n'étoit 
que  pour  peu  de  jours». &  uniquement  par  la  crainte  des  fouillures  légales 
qu'il  pouvoir  contraâér  en  approchant  de  fon  époufe.  Les  Doâeurs  Juifs 
qui  ont  étudié  avec  foin  leurs  loix ,  &  recueilli  les  traditions  de  leur  Na-- 
tion ,  s'accordent  tous  à  repréfenter  le  mariage ,  non-feulement  comme  un 
état  préférdïle  à  tous,  égards  au  Célibat  ;  mais  encore  comme  une  oUiga*» 
tion  étroite  pour  tout  ihoimme  qui  n'en  étoit  pas  rendu  incapable  par  une 
impuiflance  phyfique ,  quels  que  fuflent  fa  condition ,  fon  rang  &  ion  em*^ 
ploi^  &  s'ils  n'ont  pals  edfeigné  que  cette  obligation  regandoit  au0i  les  fem- 
mes ,  ils  ont  dit  que  c'étoit  parce  que  les  femmes  font  naturellement  affez 
difpofées  à  fe  marier  /  &  qu'ils  ne  vouloient  pas  les  antorifer  à  fortir  des 
bornes  de  la  décence  dans  la  recherche  d'un  mari.  Telles  ont  été ,  &  telles 
ibnt  encore  les  idées  des  Juifs  ;  idéer  puifées  dans  leurs  livres  iacrés ,  o& 
l'on  ne  fauroit  trouver  une  expreifîon ,  un  confeil,  un  exemple,  un  éloge 
en  faveur  du  Célibat. 

Ce  ne  fut  que  vtrs  les  derniers  temps  de  la  République  d'Ifraël,  que 
l'on  vit  une  feâe  de  Juifs  embrafler  le  Célibar.  Flufieurs  perfonnes  de  cette 
Nation ,  pour  fe  mettre  à  couvert  de  la  fureur  perfécutrice  d'Anthiocus  Epi« 
phanes ,  le  retirèrent  dans  les  déferts  ,  &  s'y  appliquèrent  à  la  vie  contenir 
plative.  Parmi  ces  perfonnes  connues  fous  le  nom  général  d^Ejféniens^  il 
y  en  eut  qui  pouffant  le  goût  de  la  retraite  jufqu'au  fànatifme,  fe  diflin«* 
guerent  des  autres  par  une  auflérité  de  vie  prefque  incroyable  &  furent 
connus  fous  le  nom  de  Thérapeutes ,  qui  figntfie  purificateurs  ou  médedns. 
Perfuadés  que  les  vices  &  les  crimes  de  leur  Nation,  avoient  allumé  con-^ 
tr'elle  la  colère  célefle  qui  les  abandonnoit  à  la  fureur  de  leurs  ennemis, 
ils  penferent  que  la  plus  dure  pénitence  étoit  le  feul  moyen  de  fe  fandi- 
fier  &  d'appailer  la  juftice  divine.  Ils  s'appliquèrent  en  conféquence  à  mor« 
tifier  leurs  fens ,  en  leur  refufant  tous  les  agrémens  fens  exception ,  à 
dompter  toutes  leurs  padions ,  en  fe  privant  de  tout  ce  qui  pouvoit  les 
flatter ,  en  renonçant  à  tout  plaifir ,  &  en  fuyant  tout  ce  qui  pouvoit  en 
être  une  fource.  Vivant  en  hermites ,  ils  ne  buvoient  que  de  l'eau ,  ne 
mangeoient  d'aucun  mets  flatteur ,  ne  faifoient  ufage  d'aucune  produâion  des 
arts  agréables ,  ne  pratiquoient  eux-mêmes  aucune  profeffion  ;  ils  renon- 
çoient  de  même  au  mariage  &  vivoient  dans  une  par&ite  continence.  Non 
point ,  à  ce  qu'il  paroit  par  le  rapport  de  Jofephe ,  &  fur^-tout  de  Philon , 
qu'ils  cruifent  que  le  Célibat  fût  en  lui-même  préférable  au  mariage  ;  mais 
parce  qu'ils  avoient  cru  devoir  par  pénitence ,  fe  priver  de  tout  plaifir,  re- 


70  CÉXIB  A  T.    CElil»  A  T  A  î  R  E- 

nottcer  k  tout  ce  ^ui  peut  pramifer  des  iè'QCtmèhcs  agl'éables.j  &  pon^  pou- 
voir fe  Uvrer  niieux  à  la  dontemplMoa  &  ^  Fécude  lie  la  fiuateie ,  enferm 
qae  Pon  fae  fauroic  allégaer  leur  exemple  On  preuve  du  mérice  du  Célibat 
par  defltts.  le  mariage.  Voyea  Jofephe  ik  Bello  JudJ  lit,  IL  cap*  7.  PhiloQ 
in  libro^  qubd  omnis  probtis  Uber  fit.  Et  in  tibr.  ejuJUim^  dt  vita  contem'^ 
plativa. 

L%iftoire  des  autres  dations,  foie  dé  l'orient ,  foit  de  Pocoident^  ne  nous 
feuroira  pas  plus  d'exemples  que  celle  des  Jui&  ,  propres  à  autorifer  la 
préférence  que  quelques  perfonnes  donnent  au  Célibat  fur  le  mariage.  En 
effet  dans  les  tems  les  plus  reculés,  dans  ces  monumens  défigurés  par  les 
fitbles  retîgieufes ,  qu'y  voyons<^nous  de  propre  à  établir  que  les  hommes 
eovifagea&nt  le  mariage  comme  un  état  moins  parfait*,  moins  faint,  moins 
eftimable  que  le  Célibat?  La  phipait  des  dieux  dit  pagaxiifme  lont  mariés  : 
fi  Diaiie  refte  vierge,  elle  en  demande  la  permiiliQn  à  Jupiter  ,  parce 
d'un  côté,  qu'die  a  Àé  effrayée  des  douleurs  de  Pen£mtement,  &  de  Pau» 
sre,  parce  qu'elle  eft  paf&onnée  pour  la  chaffe ,  &  poipr  des  courfès  dans 
les  montagnes;  exercices  peu  compatibles  avec  Pétat  d'une  femme  manéOé 
Pallas  aime  la  guerre  &  les  combats,  elle  veut  garder  fa  liberté  ,&  craint 
de  dépendre  d'un  mari  ,  il  £dloit  donc  refier  vierge. .  Vefla  eft  la  feule 
éontJes  mythologUles  parlent  de  manière  à  laifler  foupçonher  qu'elle  à 
choifi  le  Célibat  par  goût  pour  la  virginité  ;  mais  la  pluf>art  des  auteurs 
regardent  la  Vefla  vierge ,  comme  étant  une  divinité  naturelle  fous  le  nom 
de  laquelle ,  on  honoroit  le  feu  que  l'on  regardoit  comme  l'élément  le  plus 
exempt  de  tout  mélange  :  &  en  effet ,  ce  feu  que  Pon  entretenoit  conf* 
tamment  dans  fon  temple,  prouve  affez  que  cette  vierge  n'étoit  qu'une 
allégorie  deflinée  à  repiéfenter  cet  élément.  Car  il  étoit  une  autre  Vefla  , 
femme ,  dit-^on  ^  dIJranus  &  mère  de  Sativiie.  Four  ce  qui  eft  de  tous  les 
autres  exemples  que  nous  avons  ,  de  nymphes  ou  de  filles  qui  font  louées 
pour  leur  chafteté,  ou  qui  ont  mieux  aimé  mourir  que  de  fi  làifler  dés* 
honorer,  elles  ne  font  point  repréfentées  comme  des  filles  qui  euffent  fait 
voeu  de  Célibat ,  mais  comme  des  vierges  chaftes  qui  préféroienc  la  mort  à 
la  honte  de  s'abandonner  à  qui  n'étoit  pas  leur  mari  ;  tout  ce  que  les 
auteurs  nous  difent  à  ce  fujet  ne  renferme  que  l'éloge  de  la  pudeur.  Ce 
n'efl  donc  pas  du  Célibat  comme  le  dit  M.  Morin  ,  mais  de  la  chaftaé  ^ 
qu'on  peut  dire  qu'elles  ont  été  martyres. 

Il  y  a  eu  cependant,  &  il  y  a  encore  certaines  nations  chez  lefquelles 
on  trouve  des  ordres  de  perfbanes  qui  fe  vouent  au  Célibat.  Telle  eft  dans 
les  Indes,  parmi  les  Brachmanes,  une  fefle  de  Gymnofophifles ,  connue- 
fous  le  nom  d'Hylobiens,  qui  pouffant  plus  loin  encore  tes  auftérités  que 
ne  fitifbient  les  Thérapeutes  dont  nous  avons  déj^  parié ,  vivoient  en  fau- 
vages  dans  les  forêts,  marchant  ûods^  ou  ne  fe  couvrant  que  d'écorces 
d'arbres.  Ils  ne  fe  marioient  pmnt ,  vivoient  dans  la  Continence  &  dans  la 
privation  de  tous  les  plaxfirs  des  fens  :  c'étoit ,  dit*on ,  des  philofophes  qui 


G  ;  É  n  I  BAT.    C  É  L  î  B  AT  A  I  H  I.  ft 

embrafibient  ce-  genre  de  vie  ,  pour  pouvoir  s'appliqtter  aveo  nolM  iki 
éiftraâion  à  la  recherche  de  la  vérité  i  mais  nous  ^^ppreooM  ^as  qu^ilt 
vàntafTeflt  les  mérites  Au  Célibat  /  4t  itiéprifÂfffaiic  te  maritige.  l\  y  a^oic 
a'uffî,  dit-on,  en  Thrace ,  une  feâe  de  ^hiloTàphes  ou  de  religieux  qu} 
renonçoient  au  mariage  ;  mais  nous  favons  fi  peu  de  chofes  iur  leur  fujec  ^ 
que  nous  ne  faurions  rien  conclure  de  leur  exemple.  Il  eft  aujourd'hui, 
dans  diverfes  contrées  des  Indes ,  des  efpéces  de  religieux  ou  piut6t  de  fa- 
natiques impudeurs ,  qui  vivent  dans  le  Célibat  ,  &  qui  s'afireignent  it 
des  auflérités  fi  cruelles  ,  que  l'on  eft  tenté  quelquefois  de  révoquer  en 
doute  les  relations  qu'en  publient  les  voyageurs.  On  pourroît  avec  plus  de 
raifon  peut-être  alléguer  en  faveur  du  Cétibat ,  l'exemple  de  quelques  dif« 
ciples  dé  Pythagore  qui  fis  j&ifbient  une  gloire  de  cet  état  ;  mais  il  eft  ici 
une  réflexion  qui  fe  préfente  àfTez  naturellement  à  ceux  qui  connoîffent 
Thiftoire  du  cœur  humain  ,  &  qui  n'a  pas  échappé  à  l'auteur  célèbre  de 
VEJprit  des  loix  ;  la  plupart  des  hommes  aiment  à  fixer  fur  eux  lei  re* 
gards  de  leurs  contemporains  par  des  démarches  qui  les  diftinguent  ayan-- 
tageufement  des  autres  hommes,  &  qui  les  élèvent  au  deifus  d^eux  ,  ne 
fut-ce  que  par  les  apparences  de  quelque  vertu.  Dans  tous  les  tems,  on 
a  attendu  de  la  fagefle ,  qu'elle  modéreroit  les  paffiens.  Un  fage  vivant 
dans  la  fociéfé ,  y  pratiquant  tranquillement  &  avec  joie  les  vertus  réelles 
d'un  bon  citoyen,  feroit  peu  remarqué}  il  paroîtroit  ne' rien  faire  de  dîA 
ficite;  mais  celui  qui  s'offrira  comme  au-deflus  de  la  fenfibilké  ordinaire 
des  hommes ,  qui  paroitra  n'avoir  aucune  paifîon  ,  qui  réfiftera  avec  éclat 
aux  penchans  les  plus  forts  de  la  nature  humaine  ,  qui  fouftrira  fans  fe 
plaindre,  ce  que  Tes  femblables  craignent  le  plus  &  fupportent  avec  le^ 
moins  de  patience,  qui  fe  privera  voiontairenlent  &  fans  foupirer  de  ce 
q^e  les  hommes  défirent  avec  le  plus  d'ardeur  ,  &  eflimenr  davantage  » 
paroitra  certainement  s'être  élevé  au-deflus  de  Fhumanité ,  &  fe  conciliera 
lûrement  les  refpeâ)  de  la  multitude.  N'eft-ce  point  là  le  principe  de  ces 
privations  afieâées  ,  de  ces  abftinences  frappantes,  fi  vantées  chez  ces 
divers  ordres  de  perfonnes,  que  l'orient  vénéroit  autrefois  &  vénère  encore 
avec  tant  de  flupidité?  Souvent  auffî  n'eft-ce  p6int  l'orgueil  &  le  fanatifme^ 
quelquefois  même  la  fourberie  la  plus  hypbcrke ,  qui  ont  été  les  fburces 
impures  de  ces  abftinences  dont  les  foc^tés  humaines  n\)nc  retiré  aucun 
profit,  &  qui  n'ont  eu  fur  les  mœurs ,  aucune  influence  favorable?  Ne  de* 
vrons-nous  point  d'après  le  même  principe,  àflujëttir  à  là  même  cenfure  tant 
de  ces  &natiques  anachorètes ,  de  ces  nylitës  infenfés ,  de  ces  Célibataires 
inutiles  au  monde ,  lorfbu'ils  n'y  font*  pas  de  dangereux  féduâéurs  >  car  \ 
quoi  l'orgueilleufe  ambition  ne  porte-'t-elle  pas  «  lorfque  la  fuperftition  lui 
ptéte  fes  armes  &  lui  aflure  le  luccèsî 

A  ces  divers   ordres   dé  célibataires  ,  dont   Tantiquité   payenne  nous  9t 


fourni  les    exemples,  mais  qui  tous  fè-  privoient  du  mariage  fans  aircune 
obligation  d'état  où  de  profeffion ,  il  fout  joindre  ç 


ceux  qui  par  les  fenftiosa 


i 


E 


jx  C  EL  I  B  A  T.    C  É  L  1  B  A  T  A  Xi  R  E. 

re)igi<ufjsi  dont;  ilt.étoieot  iph^rgés»  4evoieat  néceflâiremœt  yivre  dtos  U 
cpûtioence  &  s'abftenir  du  .mariage^ 

Il  ne  parolt  pas  qu'tu  commencement  &  dans. les  temps  les  plus  re« 
culés,  la  virginité  pu  le  Célibat  abfolu  fut  requis  chjcz  les  M^imres  de 
la  religion.  Les  Egyptien^  ont  été  les  premiers  ou  au  moins  un  des  plus 
anciens  peuples ,  qui  .ont  cru  que  le  commerce  entre  les  époux ,  faifoit 
contraâer  une  fouillure ,  qui  s'oppofoit  à  ce  qu'un  Prêtre  pût  convenable* 
ment  vaquer  aux  cérémonies  religieufes  dans  les  Temples  de  leurs  divi«* 
nités.  Mais  nulle  part  les  auteurs  qui  nous  en  parlent  ne  leur  attribuent 
ni  le  Célibat,  ni  la  caftration  :  leur  conftitution  ne  le  leur  permettoit 
as  ;  ils  étoient  comme  les  Lévites  chez  les  Juifs ,  une  famille  féparée  que 
e  Célibat  auroit  bientôt  anéantie  :  tout  Prêtre  de  voit  être  de  race  facer-^ 
dotale,  tout  Prêtre  devoit  donc  fe  marier;  mais  lorfque  leur  tour  étoit 
venu  d'officier,  ils  dévoient  pendant  quelques  jours  (e  léparer  de  leurs 
femmes;  &  afin  de  prévenir  toute  incongruité  à  cet  égard,  ils  fe  cou- 
^choient,  dit-on,  fur  de  certaines  herbes,  &  bu  voient  certaines  liqueurs 
propres  à  calmer  les  mouvemens  de  la  concupifcence  &  à  en  éteindre  les 
feux.  Ils  prenoient  des  précautions  tout  auffi  fcrupuleufes  pour  prévenir 
toute  autre  fouillure  corporelle,  telles  que  l'attouchement  d^un  mort,  la 
rencontre  de  certains  animaux,  la  vue  d'une  fève.  Le  refpeâ  fouverain 
dû  à  la  divinité,  fut  le  fondement  raifonnable  de  ces  précautions  pour 
la  pureté  corporelle  de  tout  ce  qui  étoit  employé  à  fon  fervice.  Cette 

Îmreté  fut  d'abord  exigée  non  pour  elle-même,  mais  comme  emblème 
enfible  de  la  pureté  morale  que  les  yeux  du  corps  ne  voient  pas.  Les 
mœurs,  le  goût  du  fiecle,  les  préjugés  reçus,  décidèrent  de  toutes  ces 
apparences  de  pureté  ;  &  tout  ce  ou'une  perfbnne  délicate  auroit  rjcgardé 
comme  fale,  tout  ce  qui  l'auroit  dégoûtée,  dut  être  écarté  avec  foin  du 
culte  religieux.  De-là  les  ablutions ,  les  purifications ,  les  eaux  luftrales , 
l'abftinence  du  vin ,  &  de  tout  mets  qui  rendoit  l'haleine  puante ,  le  foin 
de  ne  rien  toucher  de  ce  qui  appanient  à  une  femme  qui  a  fes  règles, 
l'abflinence  des  plaifîrs  du  mariage ,  &  de  toute  luxure.  Par  rapport  aa 
vin  &  aux  plaifîrs  de  l'amour ,  une  raifon  morale  fe  joignoit  aux  raifons 
phyfiques  pour  en  exiger  l'abftinence ,  lorfqu'on  avoir  à  rendre  à  Diei 
un  culte  folemnel  par  des  facrifices  d'expiation ,  ou  que  l'on  devoit  fi 
faire  initier  aux  myfleres  de  quelque  divinité.  Xjts  cérémonies  deman 
doient  du  facrifiant  ou  du  candidat,  une  revue  de  fa  conduite,  des  a6te 
de  pénitence  pour  les  fautes  dont  il  faifoit  la  confeffion ,  un  cœur  contri 
&  dévoué.  L'abftinence  des  plaifîrs  &  des  fôurces  de  joie  qui .  4ifli'9Âfên 
l'efprit ,  &  rendent  le  coeur  content ,  devenoit  ainfi  une  condition  eflèn' 
tielle  dans  ces  circonftances  ;  mais  cela  n'emportoit  pas  la  néceflîté  di 
Célibat ,  &  d'une  abftinepce  perpétuelle.  Il  en  tut  à  cet  égard  de  la  plu 
part  des  nations  idolâtres  comme  nous  avons  vu  qu'il  en  étoit  des  Jui^ 
Ce  fut  chez  les  peuples  de  l'orient^  que  s'établit  oc  que  fut  inventé  l'i 

fa 


CÉLIBAT.    CÉLIBATAIRE. 


73 


fage  de  renoncer  pour  toujours  au  mariage  par  des  motifs  religieux.  Dans 
ces  climats  échaunës ,  où  l'imagination  s'allume  davantage ,  des  philofb- 
phes  contemplatifs  mirent  leur  gloire  à  réfifier^  au  moins  en  apparence, 
aux  penchans  les  plus  doux  &  les  plus  forts  de  la  nature;  ils  voulurent 
perfuader  qu'ils  en  étoient  plus  parfaits,  &  qu'ils  reflembloient  davantage 
aux  dieux.  Le  peuple  les  admira  fans  pouvoir  les  imiter,  mais  conçue 
une  haute  idée  de  leur  vertu.  Outre  cela  la  poligamie  poufTée  à  l'excès, 
&  la  jaloufie  qui  en  eft  une  fuite  inféparable,  portèrent  ces  nations  vo«- 
luptueufes ,  qui  jugeoient  de  leurs  Dieux  par  eux-mêmes ,  à  croire  que 
ce  qui  une  rois  étoit  con&crë  à  leur  culte,  ne  pouvoit  plus  fervir  à  au* 
cun  autre  ufage.  De-là  en  Ferfe  ces  vierges  ou  femmes  qui  une  fois 
vouées  au  culte  du  Soleil ,  dévoient  paflèr  le  refte  de  leurs  jours  dans  le 
Célibat  le  plus  rigoureux.  Delà  ces  Prêtres  de  la  Déeffe,  de  Syrie  qui 
dévoient  fe  faire  eux-mêmes  eunuques.  Cependant  il  ne  paroit  pas  que 
chez  ces  nations ,  le  Célibat  fût  en  honneur  pour  lui-même ,  &  que  dans 
la  fbciété  civile,  on  eflimât  un  homme  ou  une  femme  célibataire  plus 
que  les  perfonnes  mariées ,  quand  ces  célibataires  n'avoient  d'autre  titre 
à  Teftime  publique  que  l'abftinence  du  mariage. 

Chez  les  Egyptiens  ,  quoique  l'abflinence  des  plaifirs  du  mariage  fât 
exigée  des  prêtres ,  pour  le  temps  qu'ils  étoient  appelles  à  facriner ,  il 
n'étoit  aucun  ordre  de  prêtres  parmi  eux  qui  fût  tenu  de  vivre  dans  le 
Célibat,  &  ce  genre  de  vie  ne  fut  jamais  exigé  de  perfonne  dans  ce 
Royaume  ,  comme  un  devoir  d'état  ou  de  profemon ,  ni  civile ,  ni  reli- 
gieufe  ;  &  comment  cela  auroit-ii  pu  être ,  vu  que  les  Prêtres  Égyptiens 
étoient  tels  par  la  naifTance?  Ils  naiflbient  de  famille  facerdotale,  &  per- 
fonne ne  pouvoit  prétendre  à  la  Prêitrife,  s'il  n'étoit  fils  de  Prêtre;  i\^ 
étoient  ce  qu'ont  été  les  Lévites  parmi  les  Juifs  ;  ils  ne  fe  recrutoient  pas 
dans  les  autres  Êimilles,  ils  ne  pouvoient  donc  pas  être  aflreints  au  Céli- 
bat t  &  c'eft  par  erreur  que  quelques  écrivains  l'ont  avancé. 

Chez  les  Grecs,  les  Prêtres  avoient  la  liberté  de  fe  marier,  &  ce  que 
l'on  nous  rapporte  des  Hiérophantes  d'Athènes  ,  qui  couchoient  fur  cer- 
taines herbes  &  buvoient  de  certaines  liqueurs ,  pour  éteindre  les  feux  de 
la  concupifcence  ,  ne  fignifiepas  qu'ils  vécuffent  dans  le  Célibat,  mais  feule- 
ment que  quand  ils  deVoient  exercer  leurs  fondions  ;  ils  étoient  appelles  à  une 
abftinence  très-rigonreufe ,  tout  comme  les  femmes  qui  vouloient  être  ini- 
tiées &  qui  par  cette  raifon  prenoient  aufli  les  mêmes  précautions ,  feule- 
ment pour  le  temps  requis  pour  l'initiation  ;  &  fi  dans  quelques  Tem- 
ples ,  oc  pour  certaines  cérémonies ,  il  falloit  employer  le  fervice  des  vier- 
ges ,  celles  qui  y  fervoienc  n'étoient  pas  appellées  au  Célibat ,  mais  elles 
étoient  libres  de  fe  marier  après  la  cérémonie.  Il  n'y  avoit  que  celles  qui, 
fous  le  nom  de  Pythies^  rendoient  des  oracles,  qui  paroiflent  s'être  vouées 
à  une  perpétuelle  vîrjgînité. 

Chez  les  Romains ,  les  Veftales  feules  étoient  obligées  de  vivre  dans 

Tome  XL  K 


74 


CÉLIBAT.    CÉIIBA  TA  I  R  E. 


•^■r 


le  Célibat  ^  &  de  garder  leur  virginité  intaâe ,  mais  feulemefit  pendaût 
les  trente  aqs  que  durpit  leur  fervice  :  elles  entroient  ordinairement  dans 
le  Temple  de  Vefta  à  Tàge  de  fix  ans;  les  dix  premières  années  de  leur 
féjour  dans  ce  collège  écoient  employées  à  apprendre  le  fervice  de  la  déeP 
fe.  Elles  exerçoient  ce  fervice  comme  prêtrefTes  pendant  les  dix  années 
fuîvantes  ;  pendant  les  dix  dernières ,  elles  s'occupcnent  à  fermer  les  jeu- 
nes novices ,  après  quoi  elles  étoient  libres  de  rentrer  dans  le  mionde  & 
de  fe  marier.  Il  eft  vrai  que  très-peu  profitotent  de  cette  liberté  ;  accou- 
tumées à  une  vie  tran^lie  ,  à  tenir  i  Rome  comme  Veftales  le  rang 
le  plus  honorable ,  jouifiant  des  pins  flatteurs  privilèges  ^  elles  aimoient 
mieux  refter  comme  eHes  étoient.  V.  Vestales.  Il  efl  sifez  apparent  que 
c'étoit  de  l'Orient  que  Numa  avoit  reçu  l'idée  de  cette  inftimtion.  VeAa 
étoit  le  feu  fervi  par  les  Perfes,  Cette  vierge  étott  Pembléme  de  cet  élé- 
ment réputé  ians  mélange ,  &  par  la  même  ndfon  le  fervice  de  cette  di- 
vinité fut  remis  à  des  vierges. 

Aucun  ordre  de  Prêtres  a  Rome  n'étoit  appdié  par  état  à  être  célibat 
taure  ^  tous  pouvoient  fe  marier  ^  &  le  grand  Prêtre  de  Jupiter  connu 
fous  le  nom  àe  flamcn  Dialis^  non-feulement  pouvoir ,  mais  devoir  être 
^marié  ;  il  ne  pouvoir  pas  réjpudier  fa  femme ,  &  devoir  quitter  fon  pofle 
is'il  devenoit  veuf  de  le  laifier  à  un  fuccefieur. 

On  parte  d'un  collège  de  vierges  entretenu  chez  les  Gaulois  ;  mais  ce 
qu^on  en  dit  efl  obfciur  &  incertain  :  pour  leurs  druides,  Hs  ne  vivoieat 
pas  dans  le  Célibat. 

Il  parolt  par  ce  que  nous  venons  de  rapporter  d^^rès  les  auteurs  les 
plus  eftimés ,  que  des  idies  de  propreté  corporelle  ^  emblème  de  la  pureté 


de  Pâme ,  la  perfiiafion  qu'il  falloit  être  paré  d'innocence  morale  repré- 

fentée  par  la  perfonne  d'une  vierge ,  &  l'oblmtion  de  fe  ^ 

£r  9  quand  on  feifbit  pénitence  ihm  crime  qu%  feUoit  expier  par  un  fk- 


crifice  pour  en  obtenir  le  pardon  ^  ont  été  les  caufes  qui  ont  introduit 
dans  le  culte  thtz  les  nations  andenaes ,  ces  àbftinences  ^  ces  purifica- 
tions, la  préfence  Se  le  fervice  des  vierges  dans  les  cérémonies  retigieit- 
fes.  Mais  il  ne  parolt  par  aucun  monument  que  le  Célibat  fut  efUme  par 
lui-même  préférable  au  mariage  ;  même  dans  les  Minifires  des  autels ,  et 
n'étoit  que  comme  emUême,  comme  une  figure  all^orique  qu'on  l'exi- 
geoit  de  quelques  ordres  religieux ,  cc^nme  celui  des  Vefhdes  à  Rome ,  ou 
des  prêtreffes  du  Soleil  chez  les  Perfes. 

Si  de  la  religion^  nous  paflbns  à  la  politique  ^  nous  trouverons  biea 
moins  d'argumens  encore  en  feveur  du  Célibat  dans  les  mceurs  des  nation^  ' 
anciennes,  dont  les  loix  nous  font  connues.  Rien  de  plus  févere  que 
\ts  loix  de  Licurgue  contre  les  Célibataires  :  tout  emploi  leur  étoit  inter- 
dit ,  nulle  place  honorable  ne  leur  étoit  affîgnée  dans  les  affemblées  di 
peuple  ;  ils  ne  pouvoient  noint  aflifler  à  ces  fêtes  qù  la  jeunefie  des  deu 
lèxes  à  Lacédémone  danfotc  puUlquement  |  n'étant  couvene  que  de  l 


CÉLIBAT/CÉLIBATAIRE.,  7? 


vieux ,  puifle  me  rendre  le  même  honneur.  Enfin  ils  étoieat  publique* 
ment  menés  en  procedîon  tout  nuds  ^  au  milieu  de  l'hiver ,  autour  de  la 
place  publique  par  les  huiffiers  de  la  ville ,  qui  en  les  battant  de  verges 
pour  les  faire  avancer ,  chantoient  des  chanfons  infukantes  compofées  con- 
tr'eux  i  les  femmes  même  venoient  alors  les  iofulter ,  &  leur  mibient  ainfi 
faire  amende  honorable  à  la  nature. 

Platon  vouloir  que  tout  homme  fÛt  marié  au  moins  à  trente-cinq  ans  .^ 
&  que  ceux  qui  pafTeroient  ce  terme  dans  le  Célibat ,  fuflènc  dépouillés  6f, 
déclarés  incapables  de  tout  emploi. 

Vers  la  fin  de  la  République  Romaine  ^  les  mcDurs  sMtoient  exceflive^- 
ment  corrompues,  &  les  loix  n'étant  plus  afTez  refpeâées,  les  Romains 
commencèrent  à  fe  dégoûter  du  mariage  &  à  lui  préfërer  le  Célibat.  Leur 

Ssùtj  dépravé  pour  la  débauche  de  toute  efpece ,  leur  fit  méprifer  les  liens 
eitunes  du  mariage ,  &  la  conduite  irréguliere  des  Dames  Romaines  for^ 
tina  en  eux  ce  goût  deftruâif  de  la  ibciété  &  des  bonnes  mœurs.  A  ces 
motifs  fe  joignirent  l'indolence ,  la  parefle ,  l'amour  da  repos ,  la  crainte 
des  embarras  du  ménage ,  &  la  peine  d'élever  des  esifiins.  Le  plaifir  d'é« 
tre  flattés  &  prévenus  par  tous  ces  cœurs  intérelTés^  qui  cherchoient  i 
avoir  part  à  l'héritage  oes  perfbnnes  riches,  en  portèrent  plufieurs  à  fuir 
tout  ce  qui  pouvoit  leur  donner  des  héritiers  naturels. 

Pline  fe  plaint  que  de  fon  temps  c'étoit  un  grand  avantage ,  une  fource 
de  crédit  &  de  puiflànce  que  de  n'avoir  point  d'en&ns.  Cm  ce  <|ue  Sé«- 
neque  confirme  dans  fa  confolation  à  Marcia.  Il  eft  incroyable  jufqu'où 
ar  ces  coupables  raifons,  les  Romains  pouflêrent  le  goût  pour  le  Céli-- 
lat,  le  mépris  du  mariage  &  la  mainte  d'avoir  on  époufe  ou  enfans.  Les 
plus  (âges  Magiflrats  firent  déjà  du  temps  de  la  République  ,  les  plut 
grands  efforts  pour  arrêter  ce  déibrdre  deflmâif.  On  nt  payer  des  amen* 
des  aux  Célibataires  ;  on  aflîgna  des  prix,  aux  gens  mariés  qui  avoient  des 
en&ns.  M.  Furius  Camillus,  Cenfeur  vers  l'an  4$o  de  Rome,  &  Q.  Ces- 
cilius  Mettellus  Macédoniens  vers  l'an  622 ,  luerent  de  la  plus  grande 
févérité  pour  contraindre  les  Célibataires  à  fe  marier.  Jules-Céfar  diftribua 
des  terres  à  vin^t  mille  citoyens  qui  avoient  des  enfans ,  il  renouvella  & 
augmenta  les  loix  à  ce  fujet,  mais  avec  peu  de  fuccès  ;  le  vice  l'emporta 
fur  fcs  foins  que  la  mort  prématurée  interrompit.  Enfin  Augufle  mit  tout 
en  œuvre  pour  remplir  des  vues  fi  fages ,  en  4émiifant  le  Célibat  ;  fes 
efforts  furent  prefque  inutiles;  &  vers  l'an  7^0,  les  Chevaliers  Ro** 
mains  ne  rougirent  pas  de  fe  réunir  pour  lui  demander  publiquement 
l'abolition  de  ces  loix  en  faveur  du  mariage  ;  il  les  adoucît ,  il  tempo- 
rifa ,  il  leur  accorda  divers  délais  j  ce  fut  à  cette  occafion  qu'il  protKmça 
ces  belles  harangues  que  les  HiflorieQs  nous  ont  confervées.   Il  publia  U 


I 


75  C  É  L  I  B  A  t.    C  É  L  I  B  A  T  A  liR  E. 

loi  eonnue  dans  le  Droit  Romain  fous  le  nom  de  Ux  JuUa  &  Papia^  qui 
ordonnoit  entr'autres.chofes ,  qu^en  cas  de  concurrence  pour  un  emploi^ 
le  prétendant  marié  fût  préféré  à  quiconque  ne  le  feroit  pas.  Que  des  deux 
confuls ,  celui  qui  auroit  le  plus  d'enfans  auroit  le  pas  fur  celui  qui  en  au* 
roit  moins.  Ceux  qui  avoient  des  enfans ,  héritoient  par  préférence  aux 
Célibataires  ;  une  nombreufe  famille  procuroit  au  père  une  place  plus  ho- 
norable au  théâtre.  A  Rome  trois  enfans,  dans  l'Italie  quatre,  &  dans 
les  Provinces  cinq ,  exemptoient  un  père  de  toute  imposition  perfonnelle^ 
&  de  toute  obligation  de  fe  charger  de  tutele.  Ces  Légiflateurs  avoient 
bien  compris  que  le  nombre  des  uijets  faifoit  la  force  d'un  État ,  que  la 
débauche  &  le  Célibat  détruifent  les  mœurs  &  la  population,  &  que  le 
mariage  au  contraire  leur  eft  elTentiellement  favorable.  Rome  apprit  cette 
vérité  par  la  plus  trifte  expérience  ;  le  mal  alla  en  augmentant  jufqu'à  la 
ruine  totale  de  cet  Empire,  qui  vit  fes  citoyens  s'anéantir  par  Vtmt  de 
la  débauche  &  du  mépris  pour  le  mariage.  Les  étrangers  prirent  la  place 
des  Romains,  &  apportèrent  avec  eux  les  vices  qui  dévoient  enfin  con-- 
fommer  la  ruine  de  cet  édifice  énorme.  Au  lieu  que  Ton  a  toujours  vu 
le  refpeâ  pour  le  mariage  être  inféparable  des  bonnes  mœufs,  &  pro- 
curer de  concert  la  prolpérité  des  peuples.  Le  vœu  de  la  nature  nous 
porte  à  l'union  conjugale,  les  fens  en  demandent  le  phyfique,  tout  cœur 
non  corrompu  en  dénre  le  moral  ;  par-là  le  but  de  l'exiftence  des  bornâ- 
mes &  *  des  femmes  eft  rempli ,  ces  deux  claffes  d'êtres  trouvent  leur 
fatisfaâion  dans  cette  union  régulière  &  fiable  ;  les  enâns  naifîent  & 
font  élevés  ;  les  générations  s'augmentent  en  fe  fuccédant  ;  l'État  fe  for- 
tifie \  la  fociété  voit  naître  l'abondance  ^  &  le  bonheur  domeftique ,  firuit 
des  mœurs  pures ,  produit  la  félicité  publique.  Tels  ont  été  les  prin- 
cipes incontefiables  fur  lefquels  les  plus  fages  Légiflateurs  &  les  nations 
les  plus  éclairéeçy  ont  fondé  leurs  loix  contre  le  Célibat  &  en  £iveur  dti 
mariage. 

Diverfes  caufes  avoient ,  comme  nous  l'avons  vu ,  encouragé  le  Céli^ 
bat ,  en  étouffant  la  voix  de  la  nature ,  ou  en  détournaiK  fa  pente  loii 
du  but  vers  lequel  fon  Auteur  la  lui  avoir  imprimée  ;  chez  les  uns  1 
fuperftition  qui  change  en  vertu  ce  qui  n'en  eft  que  l'emblème  allégort 
que ,  chez  d'autres  la  parelTe ,  l'indolence ,  la  débauche ,  l'avarice  ,  le 
mauvaifes  mœurs  qui  font  perdre  le  goût  des  plaifirs  innocens.  Qui  croi 
roit  que  la  philofophie  elle-même  y  auroit  contribué? 


pour  ce  qui  touche  la  fociété,  à  laquelle  il  doit  tout,  porta  les  Difcipl 
de  Thaïes,  de  Fythagore ,  de  Démocrite,  de  Platon,  de  Zenon   Citien^ 
d'Epicure ,  i  préférer  le  Célibat  au  mariage ,  fous  prétexte  que  celui  -  cm 
difirayoit  trop  le  philofophe^  en  le  portant,  à  i^occuper  trop  de  fes  fe 


CÉLIBAT.     CÉLIBATAIRE. 


77 


&  des  affaires  de  la  vie,  ce  qui  l'empéchoit  de  fe  livrer  tout  entier  à 
Pétude  de  la  fagefle  &  aux  méditations  profondes  de  la  philofophie.  On 
pourroit  approuver  le  motif,  fi  d'un  côté  cette  philofophie  eût  eu  pour 
Dut  de  travailler  à  perfeâionner  réellement  les  iciences  utiles  à  l'homme, 
&  non  pas  d'obfcurcir  la  vérité  par  des  fophifmes  ;  &  de  l'autre  fi  la 
conduite  de  ces  philofophes  eût  prouvé  que  l'amour  de  la  vertu ,  le  défir 
de  vaincre  tous  leurs  penchans  vicieux  étoit  le  principe  de  leur  genre  de 
vie  :  mais  nous  apprenons  de  leurs  contemporains,  que  s'ils  ont  fui  le 
mariage ,  ce  n'étoit  pas  par  amour  de  la  chafleté  ;  mais  uniquement  par 
indolence ,  pour  s'épargner  les  foins  qu'exige  la  qualité  de  père  de  fa- 
mille ,  par  la  feule  cramte  d'avoir  des  enfàns  à  élever ,  &  que  d'ailleurs 
ils  fe  livroient  à  la  débauche  la  plus  honteufe  :  ils  vivoient  dans  le  Cé- 
libat ,  non  lit  mcliores ,  fcd  ut  libcriores  ejfcnt. 

Le  prétexte  de  ces  Philofophes  s'ofFroit  cependant  à  des  perfbnnes  ver- 
tueufes ,  fous  un  afpeâ  eftimable  :  l'éloge  qu'ils  fàifoient  de  la  chafteté, 
&  de  la  virginité  parut  être  le  langage  de  la  vertu.  Les  Efleniens  dont 
nous  avons  parlé  ci-deflus ,  le  prirent  à  la  lettre ,  &  joignant  à  ce  motif 
rêfpeâable,  quoique  peu  éclairé,  celui  d'une  pénitence  à  laquelle  les  mal- 
heurs du  temps  dont  ils«  étoient  pénétrés ,  les  invitoient ,  ils  fe  vouèrent 
au  Célibat  le  plus  auflere.  Les  éloges  que  l'on  donnoit  de  tous  côtés  à  la 
vertu  des  Thérapeutes,  éblouit  quelques  Chrétiens  qui  d'ailleurs  étoient 
imbus  des  dogmes  de  Pythagore  &  de  Platon  :  on  en  vit  plufieurs  dès  les 
premiers  temps,  recommander  le  Célibat  comme  un  état  plus  parfait  que  le 
mariage ,  la  virginité  comme  une  vertu  fublime  par  elle-même ,  le  ma- 
riage comme  un  état  qui  n'étoit  toléré  que  par  condefcendance  pour  les 
foiblelTes  humaines.  Avec  le  temps  on  vint  à  faire  de  la  virginité  un  de* 
voir  pour  certaines  perfonnes  ;  du  Célibat  une  obligation  pour  quiconque 
étoit  revêtu  de  quelque  emploi  Eccléfiafiique ,  jSc  du  mariage  un  crime 
pour  tous  les  Miniftres  de  la  Religion.  Ainfi  la  Religion  Chrétienne  con- 
îacra  un  état ,  qui  élevant  l'homme  au-deflus  de  la  nature  par  une  conti- 
nence auflere,  le  rapprochoit  de  la  pureté  des  Anges. 

Nous  n'entrerons  point  ici  dans  l'examen  de  toutes  les  raifons  que  l'on 
allègue  pour  &  contre  le  Célibat  des  Prêtres.  Le  monde  eft  partagé  fur 
cela  en  deux  opinions  direâement  contraires.  Chacun  croit  avoir  d'excel- 
lentes  raifons  pour  foutenir  la  fienne  ;  &  il  n^  a  pas  d'apparence  que 
d'ici  à  long-temps  la  loi  du  Célibat  des  Prêtres  foit  abolie  dans  les  pays 
où  elle  eft  reçue ,  ni  qu'elle  s'introduife  dans  ceux  où  elle  n'a  pas  lieu.  Son 
abolition  auroit  peut-être  encore  autant  d'inconvéniens  eh  France  &  ail- 
leurs ,  que  fon  établiffement  en  auroit  en  Hollande  &  en  Angleterre.  Cela 
n'infirme  point  les  vérités  fuivantes  :  i^.  Que  les  Célibataires  nuifent  à  la 
fociété  civile,  en  refufant  de  contribuer  à  donner  à  l'Etat,  des  fujets  dont 
le  nombre  fait  la  plus  grande  richeffe  &  devient  le  principe  de  fa  force; 
en  refufant  de  travailler  à  élever  des  enfans^  qui  nés  de  pères  éclairés, 


7«  CÉLIBAT.     CÉLIBATAIRE- 

appelles  par  état  à  avoir  plus  de  vertu  &  à  prêcher  d'exemple,  deviendroiest 
des  fujecs  plus  utiles  à  la  patrie.  %^.  Que  l'état  du  Célibat  diminuant  le 
nombre  des  liens  qui  nous  attachent  à  la  patrie  ^  anéantilTant  même  tooc- 
à-fait  ceux  qui  nous  la  font  chérir  davantage ,  ne  peut  que  diminuer  dans 
le  cœur  du  (àus  ^rand  nombre ,  ce  zèle ,  pour  le  DÎen  public  »  qui  efl  tou* 
jours  plus  fort  à  mefure  que  nous  y  fommes  intérefTés  par  plus  de  relations. 
Un  foldat  eft  Célibataire  pour  Tordinaire;  cependant  il  combat  avec  cou* 
rage  pour  (on  pays ,  cela  eft  vrai ,  c'eft  fon  métier  ;  vraifemblablement  s'il 
étoit  marié ,  il  aimeroit  fon  pays  encore  davantage  ;  mais  enfin  il  n'eft  pas 
Célibataire  pour  toujours,  il  efpere,  quand  fon  temps  de  fervice  fera  fini, 
qu'il  reverra  fes  foyers ,  qu'il  fe  mariera ,  ^'il  deviendra  père  de  famille  : 
cet  efpoir  ne  refte  pas  même  au  Célibataire  Eccléfiafiique ,  il  ne  tient  à 
rien  autour  de  lui  ou  après  lu.  Le  Célibat  n'eft  donc  bon  dans  aucun 
fens  ;  fon  abolition  défiree  aujourd'hui  par  tons  les  bons  citoyens ,  feroit 
une  fource  d'avantages  réels  pour  les  mœurs ,  pour  l'État  &  pour  les  parti** 
Culiers^ 


I 


Rtmarfim  ipi^ortantu  fur  k  Célitat  &  fur  lc9  maux  fu'il  doit  wufkw 

tn  FrancCf 


XL  e,^  certain  que,  depuis  le  règne  de  Char lem^ne  jufoaec  au  tems  de 
Hugues-Capet,  perfonne  ne  pouvoir  prendre  l'habit  monafiique»  faire  fon 
noviciat  ou  des  vœux  dans  le  cloître ,  fans  en  avoir  obtenu  permifiion  du 
Roi  :  il  n'étoit  pas  même  permis  aux  Cerfs  d'embraflèr  l'état  eccléfîaftique 
ians  le  confentement  de  leurs  maîtres ,  ni  aux  hon^mes  libres ,  obligés  au 
ferviçe  militaire^  de  paffer  i  celui  des  autels ,  fans  en  avoir  préalablement 
le  congé  du  Souverain^  Cap.  de  Çharltm.  4t  Ub.  hom.  qui  ^dfervit.  Dci^  0^. 
lib.  I.  cap.  20, 

Loix  iages ,  jnfles ,  nécef&ires ,  impc»rtantes ,  diâées  par  le  droit  de  la 
nature  &  des  ^ns.  En  dfet  tous  les  fujets  de  la  République  appartiennent 
à  la  République  i  leur  travail ,  leur  vie ,  leur  poftérité  font  le  patrimoine  dé 
l'Etat;  ils  np  peuvent  l'en  fruffarer,  ils  ne  peuvent  en  difpofer,  ils  ne  peu- 
vent fe  féparer  du  corps  politique  »  dont  ils  font  membres ,  fans  donner 


einte  au  paâe  civil,  auqud  la  naiflànce  les  a  foumis. 

Le  Roi  étant  l'ame  de  la  République  »  c'eft  une  maxime  générale  qu'il  ne 
doit  être  étabU  dans  l'Etat,  fans  fa  permiffion,  ni  congrégations  ni  colle* 
ges ,  foit  pour  la  religion ,  foit  pour  la  police  :  les  loix  Romaines ,  &  par* 
ticufiérement  celle  4q>pellée  Licinia ,  Denis  d'Haliçamaire  &  d'autres  auteurs 
Qous  apprennent  que  tous  tes  Collèges  ées  Prêtres  furent  éts^lis  de  la  fode 
siutorité  des  Rois^  ou  du  peuple  après  l'expnlfion  des  Rois.  . 

Les  Lacédémoniens ,  au  rapport  de  Follux,  punUfoient  le  célibat  comme 
un  crime  qui  tend  à  ht  deftruaion  de  la  République.  Suivant  Valere  M axi« 
me,  ixV.  IL  chap.  q^  la  mente  peine  étoit  étabUe  chex  les  Romains 4  &  nous 


CÉLIBAT.    CÉLI9ATAIRB. 


79 


vnyons  dans  Jtifle  Lipfe ,  fur  les  annales  de  Tite-Live ,  que  la  loi  Papia 
Poppéia  étoic  auffi  fameu&  que  févere  à  ce  fujet.  Elle  fut  abolie  par  les 
conlticutions  d^Honorius  &  de  Juftinien ,  &  fut  caufe  en  partie  de  Ja  déca- 
dence de  P£nipîre  Romaii!,  comme  Paffiire  Procope^  parce  que  le  Célibat 
(e  trouvant  permis  ^  les  villes  dépeuplées  cédèrent  plus  £icilement  à  nnva^ 
fion  des  Barbares. 

Juftinien  crut  remédier  à  une  partie  du  mal  quM  avoit  fait ,  en  limitant 
le  tiombre  des  Clercs  &  des  Prêtres  des  Eglifes  ^  &  en  défendant  par  fa 
confiimtion  6j ,  d'édifier  des  monafteres,  ians  grande  connoiflMce  de  caufe , 
parce  qu^ls  dévoient  .être  moîas  regardés,  dit  cette  conftitution»  comme 
des  maifons  de  prière  &  d'oraifon^  que  comme  la  retraite  de  la  fkinéantife 
&  de  Poifiveté.  S'il  le  penfeit  ainfi ,  pourquoi  ne  les  détruifoit-il  pas  entié^ 
Efcmeat? 

,  Ce  qui  a  le  plus  contribué -à  empêcher  l'effist  de  ces  fages  réglemens, 
c'eft  que  9  depuis  Charlemagne  jufques  à  Hugues-Capet ,  ce  ne  fut  plus  que 
déibrdre  &  confofioo.  Les  Papes  ufurperent  des  parties  de  police  &  d'auto- 
fké,  que  le  Souverain  avoit  confiées  a  PEglife  &  aux  Prélats;  &  profitant 
de  la  ibiblcire  du  gouvernement ,  ils  le  firent  reconnoître  Supérieurs  immé- 
diats de  plufieurs  ordres ,  qui  furent  fi>Bdés  dans  cet  intervale  »  &  à  qui  le 
zèle  &  la  piété  mal  entendue  du  Souverain ,  des  Seigneurs  &  des  particu* 
liers,  prodigua  des  richeflès  inmienfes. 

Les  Prêtres  &  les  Moines  furent  fi  bien  mettre  à  profit  l'ignorance  &  la 
crédulité  du  peuple  de  ces  temps,  qu^ils  parvinrent  à  lui  perfuader,  qu'en 
leur  donnant  une  partie  des  terres  acquifes  oar  firaude  ou  par  violence ,  il 
pouvoir  conferver  l'autre  fans  fcrapule,  &  fans  crainte  des  peines  pronon- 
cées par  la  religion ,  dont  ils  repfermotent  toutes  les  pratiques  dans  ces  aâes 
unies  &  généreux. 

En  ôtanc  du  commerce  les  biens  dont  on  dote  les  égHfes  ft  les  monafle^ 
ses ,  on  prive  auffi  l'Btat  de  l'affiflance  &  du  fervice  de  ceux  qui  sV  reti- 
srent ,  fouvent  par  poltronnerie,  dit  Mezerai ,  pour  fê  fouflraire  aux  fatigues 
de  la  guerre,  en  le  laiflknt  féduke  par  ceux  qui  ont  intérêt  d'avoir  leurs 
biens. 

s>  L'efprit  du  treiaieme  fiecle,  continue  le  même  auteur,  fe  trouva  tel*^ 
^  lement  tourné  à  la  beface ,  &  à  croire  que  la  plus  erande  perfeâion 
»  confifloit  dans  cette  pauvreté  volontaire ,  que  l'on  vit  fourmiller  de  tous 

*  côtés  grand  nombre  de  ces  feâes  de  menduns  de  l'un  &  de  l'autre  fexe  : 

*  mais  l'Eglife ,  fe  fentant  furchargée  de  ces  nouvelles  bandes  de  fiûnéans  » 

*  fitti  d'ailleurs  s'enor^eilliflbient  de  leur  &fhieufe  pauvreté ,  &  donnoient 
>  l'eflbr  à  leurs  fiintaifies  pour  femer  de  nouveaux  dogmes ,  elle  les  fup* 

*  prima  toutes  «  &  ne  réferva  que  les  quatre  qui  refient  aujourd'hui  ;  ré» 
»  ferve  dont  pn  ignore  les  motifs ,  mais  dont  on  fent  parfaitement  les 
s  tnconvéniens  !  a 

U  y  a  crois  fortes  de  Moines  en  France  :  la  première  comprend  les 


8o  CÉLIBAT.     CÉLIBATAIRE. 

ordres  de  S.  Auguftin,  S.  Benoit,  S.  Bernard  &  S,  Norbert,  qui  poflê« 
dent  les  grandes  richefles  de  l'Eglife,  c'eft-à-dire/  les  Abbaies  &  les 
Prieurés, 

La  féconde  renferme  les  Chartreux ,  les  Minimes ,  les  Céleftins ,  les 
Feuillans  &  quelques  autres  qui  polTedent  des  biens  en  propriété  »  &  qui 
ne  font  mendians  que  par  tolérance. 

La  troifieme  eft  compofée  des  mendians  qui  fubfîftent  par  aumônes, 
comme  les  Dominicains  ,  Cordeliers ,  Carmes ,  Auguftins  &  les  réformes 


s 


de  ces  biens;  fubtilité  ridicule,  vaine  &  frivole. 

Toutes  les  religieufës  font  comprifes  fous  les  trois  efpeces  ci-dellus ,  & 
l'on  prétend  qu'il  y  a  en  Ffaiice  300,000  Prêtres,  ou  gens  dans  les  ordres. 
Séculiers,  Moines  ou  Religieufës,  dont  un  tiers  de  filles,  y  compris  les 
Sœurs  Grifes  &  autres  efpeces  de  dévrotes  ou  d'efprits  fbibles,  qui  croient^ 
comme  dit  PufFendorfF,  dans  fon  Traité  des  devoirs  de  Vhomme^  que  la 
divinité  prend  plaifir  à  des  inventions  humaines  &  à  des  genres  de  vie , 
qui  ne  s'accordent  point  avec  la  conftitution  d'une  (bciété  réglée  fur  les 
maximes  de  la  droite  raifon  &  de  la  loi  naturelle. 

Nous  lifons  dans  le  Concile  de  Trente  par  Fra-Paolo,  font.  2.  pag.  ^16. 
^ue  les  Eccléfiaftiques  avoient  anciennement  la  liberté  de  fe  marier;  qu'il 
ut  propofé  de  la  leur  rendre ,  Se  de  les  délivrer  de  la  contrainte  du  céli<^ 
bat  ;  que  k  demande  en  fut  faite  au  nom  de  l'Empereur  Charles  V ,  &  du 
Duc  de  Bavière  ;  mais  que  les  Légats  furent  blâmés  d'avoir  laiffé  mettre 
en  queftion  un  article  fi  dangereux,  étant  évident ^  difoit  la  Cour  de  Rome, 
que  tintroduSion  du  mariage  dans  le  Clergé  ^  en  tournant  Vaffeâion  des 
Prêtres  vers  leurs  femmes  &  leurs  enfàns ,  ^  par  conféquent  vers  leurs  fa^ 
milles  &  leur  patrie  ^  les' détachera  en  même-temps  de  ht  dépendance  oh  ils 
font  du  faint  Siège  :  raifon  qui  fit  rejetter  cette  propofition ,  &  qui  auroit 
dû  animer  les  Souverains  à  la  faire  paffer. 

Les  Prêtres ,  les  Moines  &  les  Religieufës  vivant  dans  le  célibat ,  ne 
font ,  ni  famille  ni  enfans ,  ce  font  des  terres  flériles  qui  ne  rapportent  au- 
cun fruit,  d'où  il  réfulte  quatre  fortes  de  pertes  pour  l'Etat  :  la  première ^ 
celle  des  individus ,  la  a.  celle  de  la  confommation  qu'ils  occafionneroient  ; 
la  3.  les  grands  biens  qu'ils  acquièrent  fans  efpoir  de  retour  pour  le  com« 
merce  de  la  fociété  civile,  &  la  4.  les  fuites  dangereufes  de  leur  aveugle 
foumiflîon  aux  volontés  du  Pape ,  de  laquelle  nak  un  Souverain ,  des  fu- 
jets  &  une  Monarchie  étrangère  dans  le  feîn  même  de  l'Etat. 

Il  n'eft  pas  néceflaire  de  rapporter  des  preuves  de  ce  dernier  inconvé- 
nient :  mais  pour  établir  le  préjudice,  des  trois  autres ,  je  mettrai  fous  les 
yeux  un  fait  d'expérience ,  d'après  lequel  on  pourra  faire .  des  calculs  qui 
ne  reffentiront  ni  la  chimère  ni  l'imagination  :  j'entends  parler  de  la  table 

des 


C  É  LIB  AT.    CE  IIB  AT  A  IR^  ji 

des  probabilieé^  de  la  irie,  dreflfée  fur  les  regi&res  mortuaires  de  Breflav* 
en  Silëfie  par  le  doâeur  Hallei  de  la  fociété  de  Londres ,  publiée  dans  les 
cranfaâions  philorophiques  de  l'année  1693. 

U  choifit  cette  ville  de  préférence  à  toute  autre ,  parce  qu^l  y  a  un  aflèz 
grand  nombre  d'habitans  pour  établir  fes  opérations,  qu'il  en  fore  peu,  &' 
qu'il  y  arrive  peu  d'étrangers ,  circonfiances  néceflaires  pour  agir  avec 
certitude. 

En  169I1  les  habitans  de  ladite  ville  montoient  à  trente^quatre  mille,' 
dont  on  fit  cent  claffes ,  la  première  des  enfans  depuis  un  jour  jufqu'à  un 
an  y  la  féconde  ^  depuis  un  an  jufqu'à  deux ,  &  ainfi  de  fuite  jufqu'à 
cent  ans.  1 

L'année  commune  des  naifTances  fut  trouvée  être  de  1238  &  des  morts 
de  II 74»  ainfi  il  reftoit  en  augmentation  &  bénéfice  pour  la  peuplade  64 
individus,  ce  qui  revient  à-peu-près  au  vingtième ,  duquel  vingtième  il 
£iut  ôter  la  moitié  pour  les  mâles,  attendu  qu'il  ne  fort  point  de  lignée 
de  leur  corps,  ainfi  il  ne  faut  plus  confidérer  ce  vingtième  que  comme 
un  quarantième. 

C'eft  ce  quarantième  qui,  à  la  fuite  des  générations,  augmente  fi  con* 
fidérablement  le  nombre  dès  individus,  auand  ils  ne  font  expofés  qu'à  la 
deftruéHon  ordonnée  par  la  nature^  que  Ion  a  vu  des  effaims  formidables 
fe  répandre  en  difFérentes  parties  de  la  terre  pour  y  chercher  des  habita- 
tions &  une  fubfiftance  que  leur  pays,  trop  chargé  de  fon  propre  poids, 
ne  pouvoir  plus  leur  fournir. 

Il  fut  encore  obfervé  que  de  ces  1238  enfans  il  en  mourut  348  «  dans 
Fannée  de  leur  nailTance,  &  que  la  moitié  des  1238  nVrivoitpas  à  vingt 
ans,  d'où  il  réfulte  un  calcul  vérifié  par  ceux  qui  fe  font  faits  depuis  à 
Londres,  qui  eft  que  la  vie  des  hommes  n'étoit  au  plus  que  de  20  ans  ; 
<'eft-à-dire  que ,  fi  on  ôtoit  à  ceux  qui  vivent  le  plus ,  pour  donner  à 
ceux  qui  vivent  le  moins ,  le  total  réparti  fur  chacun  ne  feroit  que 
^e  20  ans. 

Si  les  cent  mille  filles  qui  font  dans  le  cloître  oi|  vouées  au  célibat , 
s'étoient  mariées,  elles  auroient  donné  au  moins  l'une  pour  l'autre,  cha- 
îne deux  enfans  pendant  le  cours  de  leur  vie ,  &  ce  n^efl  pas  poufler  la 
produâion  trop  haut  ;  car  il  e(l  à  remarquer  qu'elles  font  toutes  entrées 
^asis  le  couvent  en  âge  nubile,  &  toutes  d'une  bonne  complexion,  étant 
^e  règle  de  n'en  point  recevoir  d'infirmes ,  à  moins  que  l'on  n'augmente 
I2  dote,  ou  qu'on  ne  donne  une  penfion  extraordinaire,  c'efl  deux  cents 
i^lle  enfans  qui  auroient  dû  exifier. 

Il  faut  fuppofer  que ,  de  ces  deux  cents  mille  enfitns,  il  y  en  auroît  eu 

^    nioitié  en  mâles  &  l'autre  en  femelles;  &  que,  fuivaht  le  calcul  ci- 

d^vant  rapporté,  il  en  feroit  mort  les  trois  quarts  des  uns  &  des  autres-, 

^"f^nt  l'âge  nubile  :  aiflfi  refte  feulement  pour  la  première  aniiée,   vingt 

€^<iq  nulle  filles  nubile^,  &:ÛAfi  tous  les  ans  par  une  ptogreifion  fuççef-; 

lomc  Kl.  L 


U  Ç  É  II  I  B/A  T;    C  ft  L  I.B  A  T  A  ï  Jl  ï- 

ùve  &  non  ioterrompue:,  id^ac  le'  premier  auaraottenie  ^i  refte^  -ta  mi|g« 


procdlaMe. 
pays  qui  Vont  admile  lans  contraûioioo  ^  une  étendue  de  terrein 
au(fî  grande  q^ie  la  France  a  perdu  une  pQpukdoa  îmmfenfe.  7e  vais  en 
convaincre  par  un  calcul  (knple  fo«idé  fur  les  principes  que  je  viens  de  po- 
fer.  Si  Ton  daté  en  effet  de  l'an  1675,  jufqu^en  la  préfente  année  1770, 
ce  "qui  feic  9^  ans  «  ce  tercein  protdlanc ,  égal  à  la  FrUQce  en  Rendue , 
doit  pofleder  plus  qu'elle ,  en  cette  pr^lènte  année ,  d'uine  pant  60^0  in* 
dividus,  provenant  à^s  6x^  ci-deiTus  dits,  lefquels  ayant  aiiffi  contribué  au 
profit  de  la  peuplade  d'un  40,  qui  eft  15  non  compris  la  fraâion,  rend  le 
nombre  6^0  qui,  par  une  muitiplîeatton  jpfQgreifive  (pendant  9^  ans^ 
donne  au  total  celui  dit  de  6o»8oo  à  quoi  h  l'on  ajoute  ^0^000  tant  gar-* 
çons  que  filles ,  qui  reilent  vivans  des  100,000  religieuses  ou  autries  b^ui* 
nés,  iuivant  l'évaluation  ci^defTus  qui  doit  avoir  Ueu  dans  toutes  les  an- 
nées »  il  en  réfuhera  un  total  de  iiQ,8oo  fujets  de  l'un  &  de  l'au- 
tre fexe. 

Il  eft  démontré  par  plnfieurs  calculs ,  faks  tant  en  France  qu'en  An- 
gleterre, que  dans  un  grand  État,  à  cdm^r  dc^puis  le  ibuverain  jufqu'aift 
plus  viL  des  ûijets,  ckaque  individu  dépenfe,  le  ibrt  pour  le  foible,  au 
moins  150  liv.  par  an,  pour  nourriture  ^  Iq^ment,  vêtement  &  autres  be- 
foins  généralemeot  qudconques. 

Il  eft  démontré  aufli  que ,  dans  un  lÊtat  po]icé ,  il  n'y  a  d'autres  rtcheG-. 
fes  que  la  <on(bmmation  :  car  fans  die ,  à  quoi  fervirôient  les  produc- 
tions de  la  terre  ?  Si  ce  n'efl  à  embarraflèr  ceux  q^i  en  feroient  pro- 
priétaires. 

Or  chaque  individu,  qui  confbmn^e  i^o  livres  par  an,  d<Mt  donc  être 
regardé  comme  un  iinmeuble  appartenant  à  l'Etat,  valant  3000  livreis  ^nii 
eft  le  capital  de  1 50.  Je^  dis  comme  un  immeuble ,  paifce  que  û  cet  ifidi«% 
vidii  eft  périiTable,  il  a  là  faculté  de  fe  reproduire  &  de  perpétuer  foa 
elpece. 

Ainfi  la  France.,  dtant  moins  peuplée  de  110,800  individus,  à  caufe  da 
Célibat  obfervé  par  les  loc^oco  religieufes  ^  béguines  &  dévotes  ,  Se 
chacun  de  ces  individus  étant  pour  l'£cat  de  la  valeur  de  3000  livres ,  il 
s'enfuit  que  la  France  eft  moins  riche,  qu'Ole  ne  devroit  l'être,  dans 
cette  préfente  année  de  la  fomme  de  332,400,000,  ^ce  indépendam- 
ment de  ce  qoe  l'on  pourroit  tirer  de  ces  individus  pour  le  fervice  mili- 
taire,  les  corvées  &  autres  travaux  néceflkires  à  la  défenfe  &  à  l'améliora- 
tion du  corps  de  l'Enxpire^  &  pour  toutes  les  conibmmations  qu'ils  auroient 
Qccafi(mnées  à  raifon  de  150  livres  chacun,  ce  qui  fitit  par  4|n  16^20^00^ 
&  pour  9{  ans  i^s?^' 9^^000  livres,  dont  le$  bénéfijces,  pour  chaque 
propriétaire  de  denrées  recueillies  &  de  mar^a^dîfc^  fabriquées  6c  'enfuîM 
ven4ucs  auroient  augmenté  ^  au  moina  d'un  ^i^ieii^,  qui  eft  le  taux  à/a 


I  I     »>  !  *. 


'  €  ir  £  I  B  A  T.  '  C  t  L  I  ft  A  T  A  m  &  9^ 

I  kt  maflb  fénénale  des  produits ,  rcvimus  &  richoflês  de  la  nab 
non ,  &  ce,  non  compris  les  bénéfices  des  bénéfices ,  qui  monteroienc  à 
des  foromes  confidérables. 

Rién 
iiippriffii 
dont 

intérelfèe  qu'on  ne  le  penfe  à  la  fuppreflîon  ou  du  moins  k  la  grande*  iU 
mÎBonon  des 
oii   elles 

parce  que  l'une  croit  tou]OQi:s  oc  que 
que  la  Providence  a  de  grandes  reflburces,  mais  n'eA^il  pas  téméraire  de 
la  tenter?  L'État  qui  ne  doit  pas  fe  condinre  par  une  confiance  aiUfi  aveug!^ 
dans  des  décrets  qu^l  ne  petit  pénétrer  :  avec  moins  de  fei  peutvétre ,  4oJt 
avoir  plus  de  pnKtence^  mais,  je  l'avoue,  rien  n'eft  plus  dangereux  que 
cette  entreprife.  Comment  ramener  à  la  raifon  un  peuple  féduit  de  longue 
main  par  les  Moines  &  les  Prêtres  &  enivré  de  leurs  préjugés  ^  Comment 
éviter  leur  vengeance  &  les  fublilités  dont  ik  fiiat  capables?  Comment 
parer  a»  pouvoir  &  an  intrigues  de  la  Cour  de  Rome,  qui  k  phÂt  k 
s'aveugler  ftir  fe^  propres  intérêts?  Il  faut  donc  marcher  avec  de  grandes 
précautions  dans  un  leotier  auffi  gliflaht,  &  voici  ce  que  conièilloit  ua 
jour  à  ce  fufet  un  homme  fort  raifonnable. 

Envoyer  des  efTaims  iréquens  &  nombretix  de  ces  moines  aux  miffione 
les  phis  éteîgnées ,  fans  leur  y  permettre  aucunes,  fortes  d'étabbflemens  ; 
il  y  en  périroit  beaucoup  :  niais  ce  ferott  le  cas  de  l'applàcacioB  exaâe 
du  prarerbe  qui  dit ,  pius  de  morts  &  moins  if  ennemis. 

Les  empêcher  de  mener  une  vie  errante  &  vagabonde ,  &  de  commua 
ntquer  avec  ce  qu'ils  appelknt  les  gens  du  (iecle ,  &  fur* tout  avec  les 
femmes ,  \  moins  que  ce  ne  fût  à  travers  d'une  grille  double  &  fort  fisr^ 
rée ,  comme  les  Religieufes  &  les  Chartreux.  Ce  n'eft  que  par  le  jeûne 
&  la  prière  que  l'on  pourra  parvenir  à  détruire  un  ocdre  infHtué  pour 
jeûner  &  prier. 

Supprimer  ce  qu'on  appelle  Congrégations  &  Provinces  ;  ces  fortes  d'aA 
Ibciations  fcmc  dangeretiies ,  contraires  à  la  bonne  pplice ,  &  peuvent  être 
f  réjudiciables  à  k  fureté  publique. 

Fixer,  les  Moines  pour  la  vie  dans  les  maifons  où  ils  auroient  fàie 
profeffîon,  comme  tes  Chartreux  &  les  Religieufes,  c'eA  une  loi  déjà 
prefque  établie  :  les  ordonnances  veulent  qi^après  la  profeffion ,  \ts  reli- 

E'  'M%  &  reMgieules  ne  puiflent  fonir  4e  leurs  monaflôes  fans  la  permif^ 
n  de  rBvé<^  ou  du  Supérieur ,  ovis  qêue  ait  avili ,  ftatim  lupi  morfihus 
patet. 

Leurs  eeurfes  perpéhietles  font  indécentes,  contraires  aux  principes  de 
Itor  infittution  &  dangereufes  pour  le  gouvernement.  Un  Cordelier  pféchane 
devant  S.  Louis ,  ^foit  que  »  ^  tout  aînii  que  le  poiflbn  ne  iauroit  vivre 

L  2 


{ 


^4  CÉLIBAT.     CÉLIBATAIRE. 

»  hors  de  Teau,  aiafî  le  religieux»  hors  de  foii  montftere^  ne  faurmc  rim 
m  en  vertu  ni  félon  ion  obièrvation*  a  Sirt^dc  Joinv.  chàp.  jo. 

Le  P.  Mabillon  a  dit  en  quelque  endroit  que  Poifiveté  des  moines  éioit 
un  dangereux  piège,  &  qirelle  le$  rendoit  d'ordinaire  ou  vicieux  ou  vi- 
iîonnaires.  Je  voudrois  donc  les  obliger  tous  à  favoir  un  métier ,  avant  que 
d'être  admis  au  noviciat ,  &  qu'ils  ne  puflent  vivre  que  de  leur  travail  » 
du  moins  quant  aux  mendians ,  Jans  qu'il  leur  fût  permis  de  quêter  & 
d'enlever  la  fubfiflance  des  véritables  pauvres  par  leurs  féduâions  &  leurs 
importunirés. 

Défendre  d'admettre  des  novices  avant  l'âge  de  2;  ans  accomplis ,  & 
de  &ire  àes  vœux  avant  25  ans;  c'efl-à-dire ,  que  l'on^ne  pût  aliéner  fa 
liberté  avant  l'âge  où  l'on  peut  aliéner  fon  bien.  M.  lé  Duc  d'Orléans  ré^ 
gent ,  trop  éclairé  pour  ignorer  l'importance  de  cette  police ,  avoit  fidt  ua 
règlement  à  ce  fujet ,  prêc  à  être  publié ,  lorfque  la  mort  le  furprit. 

Affujettir  tous  les  ordres  monaitiques  à  la  jurifdiâion  des  tribunaux  or- 
dinaires pour  le  civil  &  le  criminel,  &  à  TEvêque  Diocéfain  pour  la  dis- 
cipline. La  police  extérieure  de  l'Eglife  appartient  au  Souverain ,  en  verm 
de  fa  couronne  ;  le  Pape  ni  les  Conciles  ne  peuvent  iaire  aucuns  règlement    — 
à  ce  fujet  fans  fa  permiifion ,  &  s'ils  en  fent ,  les  fujets  ne  font  pas  obli* 
gés  d'y  obéir  :  ce  font  les  privilèges  inconteflables  de  l'Eglife  de  France  «     « 
&  ces  privilèges  ne  font  autre  chofe  que  le  droit  de  ta  nature  de  des  gens.    . 
Tous  les  Prélats  affemblés  par  Fhilippe-le-Bel ,  au  fujet  de  fon  différend 
avec  Boniface  ,   le  reconnurent ,  fans  difficulté ,  f eul  maître  &  fouveraior 
abfolu  au  temporel. 

A  l'égard  des  filles,  régler  le  temps  du  noviciat  &  de  la  profeffioD 
comme  celui  des  hommes  :  ordonner  qu'elles  ne  pourront  jamais  être  prc 
feflès ,  dans  les  maifons  où  elles  auroient  été  penfionnaires  ou   novice^  ^ 
étant  convenable  d'ôter  tonte  reffource  à  l'induoion  humaine,  &  delaiflc^ 
pleinement  agir  la  grâce ,  la  vocation  &  l'infpiration. 

Que  la  dote  ne  puiffe  être  à  l'avenir .  qu'une  (impie  penfion  viagerer 
fans  pouvoir  donner  ni  argent  ni  fonds ,  fous  quelque  prétexte  que  ce  fôs 
ii  peine  d'application  au  file. 

Qu'après  le  décès  de  ces  religieufès,  la  partie  d'héritage  qui  leur  auroi 
dû  revenir  des  biens  foit  paternels  foit  maternels ,  ou  autrement  fuccefliis 
fi  elles  fuffent  reftées  dans  le  monde ,  appartiendroit  au  Roi ,  c'efl-à*dire 
à  l'Etat  auquel  elle  feroit  incorporée ,  pour  le  récompenfer  de  la  perte  des^- 
fujets  qu'il  auroit  dû  en   attendre.  C'eft  ainfi   qu'en  ufoient  les  anciens 
Comtes  de  Flandres,  ils  appliquoient  au  fifc  la  moitié  des  fucceflions  d 
ceux^uiavoient  vécu  dans  le  Célibat,  fans  empêchemens  légitimes  ou  ùjit 
infirmités  naturelles. 

La  richeffe  fondamentale  de  l'Etat  conflile  dans  le  nombre  des  fujets  '^ 
c'eft  par  le  mariage  que  les  hommes  naiffent ,  qu'ils  fe  multiplient ,  qu'il^:^ 
fe  perpétuent  :  proyidit  illc  maximus  mundi  partns ,  ut  damna  fimpcrfa 


CÉLIBAT.    CÉLIBATAIRE.  Sç 

Me  n^arant  nova  :  les  Princes  ne  fauroient  trop  Bivorifer  cet  état  ,  ni 
s'oopoier  avec  trop  de  vigueur  à  tout  ce  qui  pourroit  lui  être  contraire. 

Lts  anciens  légiflateurs  avoient  ajouté ,  au  défit  naturel  de  fe  multiplier, 
tous  les  fecours  que  la  politique ,  Tintérét  &  le  préjugé  avoient  pu  leur 
Suggérer.  Chez  les  Hébreux ,  le  nouveau  marié  étoit  exempt  de  toutes  char- 
ges pendant  la  première  année  de  Ton  mariage.  Licurgue  donna  beaucoup 
<le  licence  aux  nlles  de  Lacédémone ,  pour  engager  les  jeunes  gens  au  ma- 
riage ;  &  outre  cela  il  nota  d'infamie  ceux  qui  ne  voudroient  pas  fe  ma- 
rier &  leur  défendit  de  fe  trouver  aux  jeux  publics  »  où  les  filles  paroif- 
Ibient  nues.  Plutarque  ,  dans  la  vie  de  Lifander,  fait  mention  des  peities 
prononcées  contre  ceux  qui  ne  fe  marioient  pas  ou  qui  fe  marioienc  trop 
Xtrd.  L'Empereur  Augufte  mit  un  impôt  fur  tous  ceux  qui  ne  fe  marioient 
pas  après  25  ans,  ou  qui  n'auroient  point  d'enBins,  &  il  donna  de  grands 
privilèges  à  ceux  qui  en  auroient  le  plus.  Tous  les  auteurs  politiques  qui 
ont  paru  depuis ,  ont  donné  les  louanges  les  plus  flatteufes  à  cette  fage 
prévoyance  de  cet  Empe^^eur ,  &  ont  blâmé  au  contraire  Juftinien  de  n'a- 
yoir  pas  tenu  cette  loi  en  vigueur  ,  comme  ils  ont  accablé  de  reproches 
Conflantin  pour  l'avoir  abolie. 

Prefque  toutes  lés  nations  ont  regardé  comme  affreux  de  mourir  fans 
poftérité  ;  c'étoit  la  plus  terrible  imprécation  qu'elles  puffent  faire  contre 
leurs  ennemis  ou  contre  les  infraâeurs  des  loix  :  nous  en  trouvons  la  preuve 
dans  la  coutume  que  les  Romains  obfervoient ,  au  fujet  des  bornes  qu'ils 
plantoient^  pour  la  féparation  de  leurs  héritages ,  fur  lefquelles  ils  gravoient 
cette  infcription  :  quifquis  hoc  fujlulcrit  ^  aut  fufluli  jujfcrit  y  ultimus  fuorunt 
moriatur. 

hts  Rois  de  France  avoient  accordé  par  difft^rens  Edits ,  &  notamment  par 
celui  de  Novembre  1666  aux  pères  de  familles,  ayant  dix  enfans  nés  en 
légitime  mariage,  pourvu  qu'il  n'y  en  eût  aucun  Prêtre,  Religieux  ou  Re-« 
ligieufe ,  exemption  de  colleâe ,  de  toutes  tailles ,  fels ,  fubfides  &  autres 
impofitions,  tutele,  curatelle,  logement  de  gens  de  guerre,  contribution 
aux  uftenciles ,  guet ,  garde  &  autres  charges  publiques.  Les  mineurs  tail- 
lables ,  qui  fe  marieroient  dans  ou  avant  la  vingtième  année  de  leur  âge , 
dévoient  jouir  des  mêmes  exemptions  jufqu'à  vingt-cinq  ans.  Les  habitans 
des  villes  franches  &  ceux  qui  en  étoient  bourgeois ,  ayant  dix  enfans  ob- 
cenoient  ^00  liv.  de  penfion  &  1000  liv.  s'ils  en  avoient  douze;  fie  les  gen- 
tilshommes fie  leurs  femmes  avec  dix  enfans  avoient  1000  liv.  fie  2000  liv. 
avec  douze  :  mais  fous  prétexte  que  ces  exemptions  avoient  donné  lieu  à 
quelques  abus,  fie  par  d'autres  motifs  auffi  peu  folides  fie  auffi  peu  réfléchis, 
elles  furent  toutes  fbpprimées  par  déclaration  du  13  Janvier  1683,  ^^  ^^^® 
que  la  crainte  des  charges  fie  de  la  mifere ,  ayant  arrêté  la  multiplication 
légitime,  la  nature  qui  ne  veut  rien  perdre  de  fes  droits,  s'eft  tournée  du 
côté  d'un  libertinage ,  ou  ftérile ,  ou  dont  les  produélions  périflent  prefque 
toutes ,  faute  de  foins  ^  ce  qui  a  jette  un  nouveau  vice  dans  la  police  des 
François. 


$6 


CELtAMARB.    {  N.  Prince  tU  ) 


Jamak  U  ne  fbt  plus  néceflMre  de  6ire  revivre  ces  mskximes  ttdks  &  tèvt 
les  privilèges  qui  peuvent  coatribuer  à  la  confervation  &  à  la  propaganoa 
de  Pefpece.  Ceft  elle  <}ui  fait  U  richeflè  &  la  force  des  empires  \  les  fujecs 
de  la  France  diminuent  fenfiblement,  je  ne  dis  pas  par  la  guerre ,  ni  par 
ces  ravages  épidémiques  dont  le  genre  humain  eft  louvent  affigé;  je  ne 
remonte  pas  même  à  l^xpuUion  iks  Proteftans  \  mais  je  parle  de  cette  di- 
minution caufée  par  Toubli  d^s  principes  fondamentaux  de  la  conftitutitm 
politique ,  &  de  laquelle  on  peuc  arrêter  le  progrès  avec  autant  de  Êbcilité 
dans  les  moyens,  que  de  certitude  dans  Texécution. 

»  Favorifer  les  mariages  >  accorder  du  fecours  aux  pères  cbar^s  d'une 
»  nombreufe  famille ,  veiller  à  Téducation  des  crphelins  &  des  enrans  trou« 
»  vis  y  c^efl  fortifier  PEcat^  bien  plus  que  de  fan^  des  conquêtes.  Melon  ^ 
p  EJpai  fur  U  Commerce. 

On  donne  ici  ces  remarques  comme  les  principes ,  fur  lefquels  nous  nous 
^derons ,  lorfque ,  dans  d^autres  articles  de  cet  Ouvrage  ,  nous  propo* 
ferons  un  plan  général  pour  rendre  utiles  aux  Empires  les  ëtabliffemens  re« 
ligieux  I  en  les  rapprochant  encore  plus  de  rintention  de  leurs  fondateurs, 
qu'ils  ne  le  font  par  la  pratique.  On  y  verra  que,  fans  les  détruire,  on 
peut  en  fëparer  les  maux  dont  Oé  fe  plaint  ici  »  &  en  Ëtiré  ibrtir  les  plus 
précieux  avantages ,  tant  pour  PËtat  que  pour  le  particulier. 


CELL  AMARE,  (N.  Prince  àt  )  Ambafadcur  de  Sa Maj^fié  Catholique 

auprès  du  Roi  Très- Chrétien^  en  tjzS. 


L 


^f' A  M  B  A  S  S  A  D  E  U  R  doit  fervir  fon  Maitre  par  toutes  fortes  de  moyens 

honnêtes  &  légitimes.  Il  efl  envoyé  pour  cela.  Mais  fa  miffion  ne  s'étend 
point  jufqu'à  fomenter ,  encore  moins  exciter  des  troubles  &  des  révoltes 
dans  l'Etat  où  il  efk  envoyé.  Le  droit  des  gens  çondamoe  de  pareilles  in* 
trigues;  &  le  MiniHre,  qui  s'en  rend  coupable,  violant  la  foi  pid>tique  fous 
la  proteâion  de  laquelle  il  efl  admis  chez  un  Prince  étranger,  invite  ce 
Prince  à  la  venger  fur  fa  perfonne,  &  à  le  traiter  en  ennemi. 
-  Le  Roi  d'Efpagne  étoit  entré  en  Sicile  en  1718  &  avoir  publié  un  mk* 
nUèfte  fur  cette  invafion.  Les  hoflilités  étoient  même  commencées  tmrû 
la  Grande-Bretagne  &  l'Efpagne.  Mais  la  France  diffëroit  d'entrer  direâe 
ment  dans  cette  querelle ,  dans  la  vue  de  réconcilier  les  efprits  par  fa 
diation;  je  dis  direâement,  car  elle  foumiflbtt  en  argent  à  fes  alliés  les  fe 
cours  qu'elle  auroit  pu  leur  donner  en  hommes  tSc  en  vaifleaux. 
;^  Sur  ces  entrefaites  le  Régent  découvrit  l'inceedk  que  le  Cardinal  A 
l^oni  travaillok  à  allumer  dans  le  fein  de  la  France  par  le  minifterè 
Prince  de  Cellaraare,  Ambailadeur  de  Sa  Majefië  Cadtoltqoe.  Nous 
ferons  wcunes^  réflexions  ni  fur  cette  affiiire  »  ni  fin;  le  caraâere  de  c 


tt  CELLAMARÉ.    (N.  Prince  de) 

Ce  en  demandant  la  convocation  des  États.  En  cas  qiie  pournotre  malheur 
nous  foyons  obligés  de  recourir  aux  remèdes  extrêmes ,  &  de  commencer 
les  entreprifes,  il  fera  bon  que  Sa  Majefté  choîfîflè  une  de  ces  deux  voies, 
&  qu'Elfe  examine  Técritconé  N<>.  30,  dans  lequel  nos  partifans  prennent 
la  liberté  de  lui  propofer  avec  refpeâ  tous  les  moyens  qu'ils  jugent  c<m« 
venables,  ou  plutôt  néceflaires  pour  l'accompliflement  de  nos  défirs,  pour 
éviter  les   malheurs  que  l'on    prévoit  être  prêts  d'arriver  ^  &  pour  afliirer 
la  vie   de  Sa   Majefté  Trés-Chrécienne   &   le  repos   public.   L'écrit  cotcé 
N®.  40,  eft  un  abrégé  de  diffêrences  chofes  arrivées  dans  le  temps   d'au* 
très   minorités;  il  peut  fervir  d^inftruâion   fuffifanre  pour  régler  plufieurs 
des  mefures  que  l'on  doit  prendre  dans  le  cas  préfent.   Enfin,  j'envoie  à 
Votre  Ëminençe  en  feuilles  féparées  fous  le  No.  45  ^  un  Catalogue  des  noms 
&  des  qualités  de  tous  les  Officiers  François  qui  demandent  de  l'emploi' 
dans  le  lervice  de  Sa  Majefté.  Après  que  Votre  Eminence  aura  vu  tous  ces 
mémoires  y  Elle  pourra  donner  Ion  avis  fur  ce  qu'ils  contiennent,  &  Sa 
Majefté  prendra  des  réfblutions  qu'EUe  eftimera  les  plus  convenables  à  ion 
fervice.    Si  la  guerre  &  les  violences   nous  forcent  à   mettre  la  main  à 
l'au vre ,  il  faudra  le  faire  avant  que  les  coups  ^  que  l'on  nous  portera , 
nous  afFoibliflent ,  &  que  nos  ouvriers  perdent  courage  fans  épargner,  ni  le 
temps ,  ni  les  offres ,  ni  l'argent.  Si  nous  fommes  obligés  d'accepter  une 
paix  fimulée,  il  faudra  pour  entretenir  ici  le  feu  fous  la  cendre,  lui  don* 
ner  quelque  aliment  modéré  ;  &  fi  la  divine  miféricorde  appaifoit  les  ja* 
loufies  &  les  mécontentemens  préfens,  il  fuffira  par  la  reconùoiflânco,  à 
laquelle  nous  fommes  obligés,  de  protéger  &  de  fàvo  ifèr  les  principaux 
chefs   qui  s'intérefTent  jpréfentement  avec  tant  de  zèle  pour  le  fervice  de       ^ 
nos  maîtres,  en  méprifant  les  dangers  auxquels  ils  s'expofent.  En  attendant     ^ 
les  réfolutions  décifives  de  Sa  Majefté,   je  tâche  d^entretenir  leur  bonne  ^s 
volonté ,  &   j'éloigne  tout  ce  qui  pourroit  la  ralentir.  Je  fuis  avec  refpeâ^^ 
de  Votre  Eminence. 

ji  Paris  k  I  Décembre  1718, 

P.  S.  Outre  les  écrits  ci-deflùs ,  je  remets  à  Votre  Eminence  celui  qi^^^ 
êft  cotté  N<>.  {o,  dans  lequel  on  fait  paroître  la  force  &  le  poids  des  deu  ^ 
différentes  minutes  des  manifeftes  :  &  j'avertis  Votre  Eminence  qu'à  cauf 
des  changemens   qui  font  arrivés,  on  a  jugé  à  propos  de  s'éloigner  d 
celle  que  j'ai  envoyée  par  un  exprès,  datée  du  i  Août. 

De  Votre  Eminence  k  très-humbk^  &c. 

N.  Pr,  DE  CSL.LAMARB. 


I 
f 


N».  c: 


C  EL  LA  M  A.REi,  (K  Frinecdc)  $f 

"         .     N<^.    II.    '  '     -^ 

M  o  ir  S  I  B  V  R  9 

JLi  E  priocipal  Auteur,  de  nos  defleîns  me  chargea  «veç  empreflemeiit  Ijl 
y:  a  q4elques  mois ,  de  faire  pafler  à  Votr>B  JBrnipcnçç  |aie|tre  cir jointe^ 
&  d'accompagner  les  inftances de  M./. ..  Âes  témoignages^  desofBces  lei 
plus  preflans.  J'ai  différé  d'exécuter  cette  commiflion  jufqu'à  ce  que  j^aie 
eu  une  ocçafion  fure  pour  ne  point  expoTer,  le  fecrct  à  tjuelqUe,  danger. 
Je  dirai  préfentement  a  Votre  Eminence  que  j'entends  parler  de  ce  (ujec 
comme  d'uae  porfonne  de. grand  mérite,  &  que  l'intérêt  que  prend  tout 
le  parti  à  ce  qui  le  regarde ,  eft  grand.  Il  m'a  été  propofé  d'introduire  au 
fervice  de  Sa  Maje(léii%..w.  hoinrhe.dé  qualité,  &  parce  qu'il  m'efl  re- 
commandé par  nos  ouvriers ,  je  l'ai  diftingué  du  catalogue  général  que 
que  j'envoie  à  Votre  Eminence.  Ap  rçflel  ces  Medieurs    m'ont  dit  qu'ils 

peuvent  difpofer  de  la  volonté  de  M qui  eft  celui  qui  fut  mandé  ici 

par  le  Régent,  pour  foulever,  comme  ils  le.difent,  les . Miquelets  de  Ca- 
talogne .  &  ils  voudroient  s'en  aflurer.  encore  davaQtaeç  par  quelque  grà- 
tincation  annuelle ,  OU  par  une  peniion. 

Four  ce  qui  regarde  les  réponfes  q^e  Votre  Eminence  donna  à  mes 
propofitions  du  premier  Août  dernier ,  je'  dôii  lui  marquer  que  les  LettFes 
de  créance  que  Ton  demandoit,  dévoient  avoir  lieu  pour  les  offres^  les 
demandes  &  les  propo&ioos  que.  j'auroi^,  1  faire  félon  les  conjonâures^  aux 
Parlemens ,  au  Corps  de  la  Nopleife ,  &.  aux  Etats-Généraux ,  &  que  pour  cet 
effet  elles  doivent  être  dreilëes  çor^me  en  forme  de  plein-pouvoir,  qui 
feroit  eq  mêmç  temps  limité  pac  Içs  inJ^rMâions  de  Sa  Majefté  pour  nia 
conduite.  ;      ;.  '■.  «  • 

Quand  il  s'agira  de  mettre  la  main  à  Tœ\xvre ,  il  ^era  néceflaire  que,  Sa 
Majefté  écrive  à  tous  les  Farleti^ns ,  conformément  à  la  Lettre  qu'elle  ja 
déjà  écrite  au  Parlement  de  jParis  ,  &  qui  efl  demeurée  en  dépôt  entre 
mes  mains  ;  &  j'envoierai  par  la  voie  ordipaîre  à  Votre  Eminence  ,  un 
catalogue  du  nombre  dé  ces  P^^rlemens  ^  &,  de  la  manière  4ont  on  doit 
fe  régler  pour  les  fufcriptiojn^.  •       . 

n  pourrroit  arriver  dans  les  agitations  préfentes,  ce  que  Dieu  veuillje 
détourner ,  quelque  malheur  à  Sa  Majefté  Trés'-Chrétienne  i  &  je  fupplie 
Votre  Eminence  de  Eure  réflexion  que  la  vie  précieufe  de  ce  Monarque  ve- 
inant à  manquer,  je  me  trouverois  embarraffé  manquant  des  inftruâions 
néceflàires  pour  agir.  Il  pourroit  aufti  arriver  que  M.  le  Duc  d'Orléans 
vint  à  manquer,  dans  lequel  cas  je  me  trouverois  dans  de  très-grands  em- 
barras par  rapport,  à  la  nouvelle  forme  que  pourroit  prendre  la  Régence , 
&  à  fes  vues  qu'il  conviendroit  de  faciliter  ou  non  de  la  part  de  Sa  Majefté. 

M.  le  Duc  de  Chartres  pourroit  prétendre  d'entrer  à'  la  place  du  père, 

Tome  XI.  M 


,ço  Ç  B  LX  A  M  ARTIE;    {N.  Prince  dt) 

&  pour  furmoQter  les  obftacles  de  fa  jeuneflTe ,  fe  foumettre  à  un  Confeil 
femblable  à  celui  que  le  feu  Roi  avoit  înftitué  dans  fon  teftament.  M.  le 
Duc  de  Bourbon  pourroit  aufli  prétendre ,  à  l'exclufion  du  jeune  Duc  de 
Chartres,  à  Tautoricé  abfolue  qu'exerce  préfentement  M.  le  Duc  d'Orléans, 
^  il  nojiis  convient  de  prévoir  ces  cas ,  &  de  choifir  les  parties  qui  font 
les  plus  utiles  poùi^  le  iervite  dis^'Sa  Majefté^fes  zélés  ferviteura'  Françob 
penchant  plus  pour  le  premier  que  pour  le  fecopd.  Je  fais  avec  refpeâ  de 
Vptre  Eminence.  - 


•  »  •  •  • 


Paris  k  %  Déctmbn  t;;^t8. 

>  .    Très-dévoué  &  très-obéiflant  Serviteur  t 

• ,      -  •■   .     .  •    •  .     .  .    .    •       ,  '  f    ■  ' 


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•     •  • 


f:-^    •  ■  :        -j-i 


«  ( 


N-».'  III. 


Copie  éPunê  Lettre  attribuée  au  Roi  Catholique ,  que  le  Prince  de  Cellamare , 
'    fon  Amhajfadeur^  avoît  crrdre  de  présenter  au  Roi  Très- Chrétien^ 

.  ï  ■      •         .  .      ,         ;    .  '     >  j 

Monsieur  mon  t^BiïiÉ  et  Nevbu.  .' 

Efuis  que  la  Providence  m'a  placé  fur  le  trône  d'Efpagne ,  je  n'ai 
pas  perdu  de  vue  pendant  un  feul  initant ,  les  obligations  de  ma  naiflance. 
Louis  XIV,  d'éternelle  mémoire^  eft  toujours -prélent  à'mon  efprit^.il  me 
femble  toujours  entendre  ce  grand  Prince , -an'  -moment  de  notrb  fépara- 
tion,  me  .dire  en  m'embraflant  ^  qu'il  n'y  a  voit  plus  4e  Pirenées,  que  deux 

feroient 
auroieot 
produirôit  néceflâirenient  la  tranquillité  de  l'Eurôpt 
Vous  êtes  le  feul  rejetton  de  m!on  Frère  aine ,  dont  je  pleure  tous  les 
jours  la  perte.  Dieu  vous  à  appdié  àla  fiic^eflibn  dé  éette  grande  Monar- 
chie ,  dont  la  gloire  &  les  intérêts,  me  feroht  précieux  jufdu^i  là  mort  , 
enfin  je  puis  vous  àffiifer  \  que  je  n'oublierai  jamais  ce  que  ]e  dois  à  Votre 
Majefté /à  ma  Patrie  &  à  la  mémoire  de  mon  Ayeul.'Mes  chers  Efpagnols^ 
qui  m'aiment  avec  tendreile  ,  &  qui  font  bien  afTurés  de  celle  que  j'ai  pour 
eux ,  ne  font  point  jaloux  des  (entimens  que  je  vous  témoigné ,  &  fentent 
bien  que  notre  union  eft  la  bafe  de  la  tranquillité  publique,  Vos  peuples 
font  lans  doute  pénétrés  des  mêmes  fentimens  ;  outi-e  qù^ils  voient  aufli 
bien  que  nous,  qu'il  n'y  a  point  de  Puiffance  fur  la-  terre  capable  de 
troubler  notre  repos ,  tant  que  les  forces  de  ces  deux  Royaumes  agiront 
de  concert. 


C  EL  L  A  Af  A  R  E.     ÇN.iPnnce  de)  9t 

Je  me  flatte ,  que  mes  intérêts  perfonaels  font  encore  chers  à  une  na* 
tîon,  qui  m'a  nourri  dans  Ton  fein ,  &  que  cette  généreufe.  noblçffe  ^.  qui 
a  verfé  tant  de  fang  pour  les  foutenir ,  regardera  toujours  avec  amour  un 
Roi  qui  fe  glorifie  de  lui  avoir 'obligation^  &  d^étre  né  au  milieu  d'elle. 
Ces  difpoutions  fuppofées»  comme  il  n'eft  pas  permis  d'en  douter,  de 
cuel  œil  vos  fidèles  fujets  peuvent-ils  regarder  le  Traité  qui  vient  d^trd 
ugûé  contre  juoi ,  ou  pour  mieux  dire  d'être  figôé  contre  eux-mêmes  ! 
des  geas  qui  fe  prévalent  de  votre  minorité  pour  augmenter  par  violence 
&  par  injuilice  l'état  de  leur  fortune  préfente  ,  qu'ils  ne  fauroient  augmen- 
ter par  un  vrai  médtç  »  engagent  le  dépositaire  de  votre  autorité  à  fou- 
tenir Ia:caufe  de  mpn  ennemi  perfonnel  ou  plutôt  de  notre  ennemi  com-» 
mun ,  feul  redoutable  ;à  toute  l'Europe.  Dans  le  temps  que  vos  Finances  épui^ 
fées  ne  peuvent  fournir  aux  dépenfes  courantes  de  la  paix  ,  oh  veut ,  •  que 
Votre  Majeflé  me  fàffe  la  guerre,  fi.  je  ne  confe^s  à  livrer  le  Royaume  de 
Sicile  à  l'Archiduc ,  &  (i  je  ne  foufcris  à  des  conditions  infupportables. 

On  épuife  votre  Clçrgé,  votre  Noblefle  &  votre  Peuple,  pour  payer 
des  cpntingens  ,  qui  n'onr  pour  but  que  ma  '  ruine  &  la  vôtre  :  & 
des  Traités,  qui  par  leur  feule  importance  ne  devroient  jamais  être  con-. 
élus  9  pendant  une  minorité ,•  fans  avoir  confulté  la  Nation^  :c'efl-à*dire  , 
les  Etats-Généraux  y  ou  du  moins  les  Parlemens,  fe  propofènt  au  Confdl 
de  votre  Régence  comme  qn^  chofp  ;  toute  &ite  fans  donner  même  le 
loifir  à  la  délibération. 

Je  n'entre  point  dans  le  détail  des  confequences  funefles  de  la  quadru^ 
pie.  alliance  »  ^  de  l'injuflice  criante  qu'elle  prétend  exercer  contre  moi  : 
]e  me  renferme,  à .  prier  inflamment  Votre  Majeflé  :de  convoquer  inceffam- 
meot  les  Euts-Gétféraux  de  votre  Royaunaie  pour  délibérer  lur  une  affaire 
de  fi  grande  çonféquence.  Je  vous  fais  cette  prière  au  nom  du  fang  qui 
nous  unit,  an  nom  de  ce  grand  Roi  »  dont  nous  tenons  notre  origine ,  au 
0001  de  vos  peuples  &  des  miens  ^  s'il  y  eut  jamais  occafion  d'écouter  la 
voix  de  la  nation  Françoife ,  c'efl  aujourd'hui  ;  il  efl  indifpenfable  d'ap- 
prendre d'elle- miéme  ce  qu'elle  penle,  &  de  favoir  fi  elle  veut  en  effet 
me  déclarer  la  guerre  dans  le  temps  que  je  fuis  prêt  à  verfer  mon  prom- 
pte fang  pour  maintenir  fa  gloire  &  les  intérêts. 

Jevousp-ie,  Mr.  mon  cher  frère  &  neveu,  que  vous  répondiez  au  plutôt 
ï  la  propofition  que  je  vous  fais ,  puifque  l'aflèmblée  que  ]e  vous  demande^ 
préviendra  les  malheureux  engagemens  où  nous  pourrions  tomber  par  la 
fuite,  &  que  les  forces  d'Ë^agne  ne  feront  employées  qu'à  foutenir  la 
grandeur  de  la  France  &  à  humilier  fes  ennemis.  Au  Monaflere  Royal  de- 
ot.  Laurent,  le  troifieme  Septembre,  1718. 


»> 


Mr.  mon  firere  ^  açveu. 

Votre  bon  fnre  &  oncle 

Philippe. 
M  2 


jz  CE  L  LA  M.  A  R  E.    {H,  Prince  Je) 

N°.  IV. 

Copie  éPune  Lettre  Circulaire  attribuée  au  Roi  dEfpagne ,  que  U  Prince 
de  Cellamare^  foH  Ambajfadcur^  avoit  ordre  de  remettre  â  tous  [les  Parkr 
.   mens  de  France. 


T 


Rès  -  CHERS  &  iMcn  -  aimés ,  &e.  La  nëcedité  prëfente  des  afiairet 

nous  ayant  obligé  d^écrire  au  Roi  Très-Chrétien ,  notre  très-cher  frère  & 
neveu ,  nous  avons  cru  devoir  en  tnéme-temps  vous  envoyer  copie  de  la 
Lettre  que  nous  lui  avons  adreflee.  Comme  elle  n^a  pour  objet  que  lè 
bien  public ,  nous  vous  connoiflbns  aflez  pour  être  perfuadé ,  que  le  grand 
motif  qui  a  été  toujours  l'amé  de  vos  aéBons ,  vous  déterminera  à  con- 
courir avec  nous  dans  le  dellèin  que  nous  avons  de  remédier  au  défordre 
préfent,  &  d'en  prévenir,  s'il  fe  peut,  encore  de  plus  ^uneftes.  Vous  verrez 
dans  notre  Lettre  la  juiie  douleur  dont  nous  fommes  faifis  dans  la  feule 
idée  d'une  divifion  prochaine  entre  deux  Rois  fi  étroitement  liés  par  le 
fàng ,  &  entre  deux  peuples  que  la  '  fageflè  &  les  confeils  du  Roi  notre 
aïeul  fembloient  avoir  unis  pour  jamais.  • 

,  Vous  êtes  trop  éclairés  pour  ne  pas  voir  ks  e  fuites  malheureufes  de  notre 
divifion ,  6c  pour  ne  pas  fentir  ^  que  le  Traité  de  la  quadruple  alliance ,  èft 
direâement  contraire  aux  intérêts  du  Roi  ^  notre  très-cher  frère  &  neveu , 
&  à  ceux  de  tous  nos  fujets, 

"  On  veut  que  la  Nobtefle  FranÇoife  prenne  les  armes  pour  attaquer  un 
Roi  qu'elle  a  maintenu  fur  le  trône,  après  Dieu,  (buverain  arbitre  des 
Couronnes.  On  veut  épuifer  teâ  peuples  »  -  pour  fournir  aux  firais  d'une 
guerre,  qui  n'a  d'autre  but  que  de  traverfer  nos  juftes  entreprifes,  pour 
nous  contraindre I  à  facrifier  tous  nos  droits,  pour  àu^enter  la  puiflànce 
de  l'ancien  ennemi  de  notre  Maifon  »  &  de  nous  forcer  à  lui  céder  pour 
jamais  la  Sicile,  dont  s'enfuivroit  abfolument  la  perte  de  votre  commerce 
&  de  votre  confidération  dans  la  Méditerrânnée.  \ 

Enfin  nos  très-cbers  &  bien*aimés ,  vous  voyez  auflî*bien  que  nous ,  lea 
autres  conféquences  encore  plus  dangereofes  de  ce  Traité  :  c'eft  ce  qui 
nous  fait  efpérer,  que  vous  employerez  tous  vos  foins  pour  obtenir  du. 
Roi,  votre  Souverain,  le  feul  remède  à  tant  de  maux,  c'eft  l'Aflemblée 
des  Etats  -  Généraux ,  qui  certainement  ne  fut  jamais  fi  néceiTaire  à  la 
France  qu'elle  Teft  aujourd'hui.  Nous  nous  adreifons  à  vous  pour  pro* 
^urer  fa  confervation ,  préférant  cette  voie  paifible  &  tranquille  à  toutes 
lés  autres  auxquelles  nous-  ferions  obligé  de  recourir  fi  l'autorité  du  Régent 
nous  faifoit  refufer  cette  juftice.* 

Souvenez-vous  donc  en  cette  occafion,  que  vous  êtes  cet  illuftre  Par- 
lement,que  les  Rois  ont  pris  plufieurs  fois  pour  arbitre ,- qui  n'a  ^jamais 
rien  appréhendé,  quand  il  a  fallu  travailler  pour  l'Etat,  &  qui  donne  tous 
lea  jours  des  marques  d'une  fermeté  fi  digne  de  fa  réputation.  Nous  atten- 


d  fi  L  L  À  MA  R  fi.     (V.  Prince  de)  93 

dons  tout  de  votre  équité  naturelle  &  du  zele  que  vous  avez  pour  votre 
patrie  :  fur  ce ,  nous  prions  Dieu  qu'il  vous  ait ,  très-chers  &  bien-aimés , 
en  fa  fainte  &  digne  garde.  Donné  au  Monaftere  Royal  de  St.  Laurent , 
le  ^  Septembre,  1718. 

Signé. 

PHILIPPE, 

Et  plus  bas. 

D.  Miguel  Fbrnandes  Durand. 

Mani/efie  attrihui  au  Éoi   Catholique   &   adrejfé  aux   trois  Etats 

de  la  France. 


D 


'On  Philippe  par  la  grâce  de  Dieu,  Roi  de  Caflîlle.,  de  Léon,  dMr- 
ragon ,  des  deux  Siciles ,  de  Jérufalem  ^  de  Navarre  »  de  Grenade ,  de  To- 
lède, de  Valence,  de  Galice,  de  Majorque,  de  Séville,  de  Sardaigne, 
de  Cordoue,  de  Corfîque,  de  Murcie,  de  Jaen,  des  Algarves ,  d'Alger  , 
de  Gibraltar ,  des  Ifles  de  Cànarie ,  des  Indes  Orientales  &  Occidentales  , 
des  Ifles  &  Terre  ferme  de  la  Mer  Océane,  Archiduc  d'Autriche,  Duc  de 
Bourgogne  ,  de  Brabant  &  de  Milan,  Comte  de  Habfpurg ,  de  Flan- 
dres,  de  Tirol  &  de  Barcelone,  Seigneur  de  Bilzaye  &  de  Maline,  6c,  &c. 

A  nos  très- chers  &  bien-aimés ,  les  trois  ordres  du  Royaume  de  France^ 
Clergé ,  Nobleffe  ,  &  Tiers-Etat ,  falut. 

Depuis  quM  a  plû  à  Dieu  de  nous  appeller  au  trône  d'Efpagne,  où  fa 
divine  providence  nous  a  maintenu  malgré  tant  d'ennemis,  non-feulement 
par  la  force  de  nos  armes  &  la  fidélité  de  nos  fujets,  mais  encore  par  le 
zele  &  la  valeur  de  la  nation  Françoife  ,  nous  avons  toujours  confervé 
pour  elle  tous  les  fentimens  que  la  nature  &  la  reconnoiffance  pouvoient 
lions  infpirer,  &  que  les  avis  falutaires  du  Roi  notre  augufte  aïeul ,  de 
très-glorieufe  mémoire  n'avoient  cefTé  de  cultiver  &  de  fortifier  dans  notre 
cœur.  C'étoit  par  des  motifs  fi  jufles  qu'après  une  longue  &  fanglante  guerre, 
pour  procurer  le  repos  à  deux  peuples  qui  nous  étoient  fi  chers,  &  qu'un 
intérêt  commun  fembloit  avoir  réunis  à  jamais ,  nous  avons  bien  voulu 
confentir  au  démembrement  de  notre  Monarchie  ^  renoncer  à  l'exercice 
de  nos  droits  naturels  fur  la  couronne  de  France. 

II  ne  tenoit  qu'à  l'Archiduc  d'Autriche  d'affurer  de  fa  part  la  tranquillité 
de  l'Europe  »  en  faifant  avec  nous  une  paix  folide  &  durable  ;  il  pouvoit 
en  renonçant  aux  chimériques  prétentions  qu'il  avoit  formées  fur  notre 
couronne ,  s'afTurer  à  lui-même  la  pofTeffîon  paifible  des  Etats  ufurpés  fur 
nous,  mais  ce  Prince  qui  n'a  traité  avec  la  France  que  par  force  &  pout 


9+  G  E  L  L  A  M  A  R  E.    (N.  Prince  de) 

avoir  le  temps  de  fe  préparer  à  de  nouvelles  hoHilités  contre  tioiis,  a  mieuit 
aimé  conferver  fes  faux  titres  &  nourrir  Tes  pernicieux  deifeins ,  que  de 
concourir  avec  nous  au  bien  général  de  la  Chrétienté ,  même  dans  le  temps 
qu'elle  étoit  attaquée  par  les  infidèles.  i  ; 

Nous  avons  foufFert  le  plus  long-temps  qu'il  noys  a  été  pofTible  les  in- 
fraâions  criantes  qu'il  a  fait  au  traité  de  l'évacuation  de  la  Catalogne  & 
de  Majorque  :  il  efl  inutile  de  les  répéter  ici^  puifqu'elles  font  connues  de 
tout  le  monde  ;  mais  enfin  fa  conduite  que  notre  patience  rendoit  tous  les 
jours  plus  orgueilleufe ,  ayant  paffé  toutes  les  bornes  de  la  raifon  ,  nous 
avops  cruqt^'il  étoit  de  notre  devoir  eflentiel  de  reprendre  par  les  moyens 
que  Dieu  nous  a  mis,  en  main  les  pays  de  notre  domination ,  dont  il  s'étoit 
rendu  maître  par  la  fraude  &  par  la  violence.  Nous  avions  lieu  d'efpérer 
que  toutes  les  puifTances ,  avec  qui  nous  avons  traité  dans  le  congrès  d'U- 
trecht,  &  qui  lavent  avec- quelle  fidélité  nous  avons  oblervé  tous  les  arti« 
des  dont  nous  étions  convenus»  nous  aiderotent  à  venger  notre  injure»  bien 
loin  de  fe  déclarer  pour  celui  qui  nous  avoit  infulté,  d'autant  plus  que  les- 
garanties  refpe^ives  engageoient  par  des  fermen$  folemnels  à  ne  pas  per«- 
mettre  de  pareils  contraventions;  cépendant^  aujourd'hui  nous  voyons  avec 
étonnement  que  ces  garans  de  nos  traités  »  s'en  déclarent  eux  -  mêmes  les  ; 
premiers  infraâeurs y  que  par  une  confpiration  fans  exemple»  ils  renver«-| 
lent  à  force  ouverte  ces  mêmes  conditions  qu'ils  ont  exigé  de  nous ,  &  que 
voulant  favorifer  en  tout  notre  ennemi  qui ,  par  fon  infatiable  ambition , 
devroit  être  regardé  comme  l'ennemi  commun  de  l'Europe»  ils  femblenc 
avoir  oublié  non^feulement  toutes  les  loix  de  l'honneur»  mais  leurs  propres 
intérêts  »  pour  s'enrichir  de  nos  dépouilles  au  lieu  d'entrer  avec  nous  en 
négociation  réglée  &  dans  les  formes  ordinaires»  ainfi  que  nous  l'avons 
toujours  pf^rt  »  ils  nou$  ont  porté  des  conditions  affreufes  comme  une  loi 
tpute  écrite  çn  noqs  menaçant  de  la  guerre  fi  nous  ne  les  acceptions  fer- 
vilement. 

Après  avoir  fenti  comme  nous  »  de  quelle  importance  il  étoit  pour  la 
liberté  de  l'Europe  &  de  fon  commerce»  que  la  Sicile  ne  paflfe  jamais  au 
pouvoir  de  la  Maifon  d'Autriche»  ils  commencent  par  vouloir  livrer  ce 
Royaume  à  l'Archiduc  &  offrent  au  polTeffeur  de  cette  Ille ,  celle  de  Sar- 
daigne  qui  nous  appartient  &  que  nous  avons  reconquife ,  comme  s'il  leur 
étoit  permis  de  le  dédommager  à  nos  dépens.  Mais  fi  cette  conduite  doit 
nous  paroitre  odieufe  de  la  part  dç  l'Angleterre  &  de  ceux  qui  pourroient 
fe  jomdre  à  elle  contre  nous  »  que  devons  -  nous  penfer  du  Prince  qui 
n'étant  que  dépofitaire  de  l'autorité  Royale  en  France»  ofe  s'en  prévaloir 
&  fe  liguer  avec  les  anciens  ennemis  des  deux  Couronnes»  fans  avoir  con-' 
fuite  iii  la  nation  Françoife  ni  les  Parlemens  du  Royaume»  &  fans  avoir 
même  donné  le  temps  aii  Confeil  de  Régence  d'examiner  la  matière  pour 
en  délibérer  mûrement? 

11  a  vu  après  la  mort  du  Roi  Très-'Chrétien  notre  aïeul  avec  quelle  tranr 


C  E  L  L  A  M  A  R  E,     (N.  Prince  de)  9c 

quîUité  nolis  l'avons  laiiTé  prendre  pofleflion  de  la  Régence  pour  gouverner 
le  Royaume  de  nos  pères  pendant  la  minorité  du  Roi  notre  très-cher  ne- 
veu fans  lui  &ire  le  moindre  obftacle ,  &  que  nous  avons  toujours  perfévérë 
dans  le  même  filence  ^  parce  que  nous  aurions  mieux  aimé  mille  mis  mou- 
rir que  de  troubler  le  repos  de  la  France ,  &  d'inquiéter  le  refte  de  l'Eu- 
rope ,  Quoique  les  loix  mndamentales  de  ce  Royaume  nous  en  donnent 
l'adminiitration  '  préfërablement  à  lui. 

Nous  avons  dépuis  entendu  les.  plaintes  qui  fe  faifoient  de  tous  côtés 
contre  Ton  Gouvernement,  fur  la  diflipation  des  finances,  l'oppreflion  des 
peuples ,  le  mépris  des  loix  &  des  remontrances  juridiques  :  quoique  nous 
fumons  vivement  touché  de  ces  défordres ,  nous  avons  cru  en  devoir  cacher 
le  déplaiiîr  aii  fond  de  notre  cœur  ^  &  nous  ne  fortifions. pas  aujourd'hui  du 
iilence  ni.de  la  modération  qup  nous  nous  étions  prefcrite,  iLle  Duc  d'Or- 
léans n'étoic  forti  lui-même  oe  toutes  les  règles  de  la  juftice  &  de  la  na- 
ture, pour  nous  opprimer,  nous  &  le  Roi  notre trésrcher  neveu.    .    : 

En  effet  comment  pouvoir  foufFrir  plus  long-temps  des  traités  oii  l'honneur 
de  la  France  &  les  intérêts  du  Roi  ion  pupille  font  facrifiés,  quoique  faits 
au  nom  de  ce  jeune  Prince,  dans  l'unique  vue  de  lui  fuccéder;  &  fur- 
tout  après  avoir  répandu  dans  le  public  des  écrits  infâmes  qui  annoncent 
fa  mort  prochaine ,  &  qui  tâchent  d'infmuer  dans  les  efprits  la  force  des 
renonciations ,  au-delfus  des  loix  fondamentales.  ^  Un  procédé  fi  contraire  à 
ce  que  toutes  lés  loix  divines  &  humaines  exigent  d'un  oncle ,  d'un  tu- 
teur ,  &  d'un  régent  auroit  dû  feul  exciter  notre  indignation  par  l'intérêt 
3ue  nous  prenons  tant  au  bien  de  la  nation  Françoife  qu'à  la  confervation 
u  Roi  notre  très-cher  neveu  ,  mais  un  fujet  qui  nous  touche  encore  plus 
perfonnellement ,  efl  l'alliance  qu'il  vient  de  fîgner  avec  l'Archiduc  & 
l'Angleterre,  après  avoir  rejette  l'ofire  que  nous  lui  faifions  de  nous  unir 
enfemble.  Au  moins  devoit-il  obferver  une  exade  neutralité,  s'il  la  croyoit 
néceflàire  au  bien  de  la  France }  mais  voulant  faire  une  ligue ,  n'étoit-il 
pas  plus  raifonnable  de  fè  liguer  avec  fon  propre  fang ,  que  de  s'armer 
contre  lui  en  faveur  des  ennemis  perpétuels  de  notre  Maifon. 

Cette  indigne  préférence  ne  déclare  que  trop  à  tout  l'Univers  fon  opiniâtreté 
dans  le  projet  ambitieux  dont  il  efl  uniquement  occupé  ,  &  dont  il  veut 
acheter  le  fuccès  aux  dépens  des  droits  les  plus  facrés. 

Ce  n'efl  pas  ici  le  lieu  dç  dire  que  par  cet  acharnement  aveugle  à  fuivre 
des  prétentions  qui  ne  lui  avoient  point  été  difputées,  il  compte  pour 
rien  de  plonger  les  deux  nations  dans  les  derniers  malheurs  ;  nous  voulom 
ieulement  vous  £iire  entendre  que  la  conduite  injurieufe  du  Duc  d'Orléans 
ne  diminuera  jamais  notre  fincere  afïëâion  pour  vous. 

Nous  ne  pourrons  oublier  que  nous  avons  reçu  le  jour  dans  votre  fein , 
que  vous  sous  avez  aflTuré  la  Couronne  que  nous  portons,  au  prix  de  votre 
iang.  Rien  ne  fera  capable  d'éteindre  dans  notre  cœur  la  tendreflè  que 
oous  fentons  pour  notre  très*cher  neveu  votre  Roi, .  Et  û  le  Duc  d'Orléans 


^  CE  X  L  A  M.  ARE.    (K.  PririU  :dc  ) 

nous  rëduic  à  la  cruelle  nëcèiBté  de  défendre  nos  droits  par  les  armer  j^ 
contre  Tes  attenuts ,  ce  ne  fera  Jamais  contre  vous  que  nous  les  porterons  ^ 
bien    perfuadé  que  vous  ne  les  prendrez  jamais  contre  nous. 

Ce  ne  fera  au  contraire  que  pour  tirer  )e  Roi  notre  très-* cher  neveu ^ 
de  l'oppreflion,  où  le  Régent  le  tient  avec  tous  fes  fujeltS|  par  les  plus 
grands. abus  qui  fe  foient  jamaisbfût  de  l'autorité  confiée/ 

Ce  ne  fera  que  pour  procurer  i'affemblée  ides  Etats^Génériinc ,  qui  feule 
peuvent  remédier  aux  :  maux  pcéfens ,  &  pnéveair  ceux  dont  on  n^eft  que 
trop  vifiblement  menace  ;  nous  vous  exhortons  à  feconder  nos  juftes  intei^ 
tions  &  à  vous  unir  à  nous  daitt  une  vue  (i  faiutaire  au  repos  public. 

Nous  efjpérons  tout  de  votre  zete  pour  le  Roi  votre  maître ,  de  votre 
amitié  pour  nous ,  £c  de  rattachement  que  vous  avez  \  vos  lotx  &  à  votre 
patrie^:  fur  ce  nous  prions  Dieu  qu'il  vou^^att,  chers  &  bien  aimés ,  en 
•ik:  feinté  &  digne  garde.  Donn^  au  Monafteré  Royal  de  Se,  Laurent  > 
le  6  de  Septembre  171 8.  ^ 

PHILIPPE. 

Et  plus  bas. 

D.  Miguel  Fernandbs.  Duk  and. 

N».  VI. 

Prcttndiu  Requête ^  fue  Von  fuppofoit  préfeatée  au' Roi  Catholique  ^  ait 
,  nom  des  trois  EttUs  de  France. 

Sire, 

O  u  S  les  Ordres  du  Royamne  de  France  viennent  fe  jetter  aux  piedv 
de  Votre  Majefté  pour  implorer  fon  fecours  dans  l'état  ou  les  réduit  le 
Gouvernement  prêtent  :  elle  n'ignore  pas  leurs  malheurs ,  mais  elle  ne  les 
connoit  pas  encore  dans  toute  leur  étendue. 

Le  relpeâ  qu'ils  ont  pour  l'autorité  Royale  dans  quelque  main  qu'elle 
fe  trouve  &  de  quelque  mîaniere  qu^on  en  ufe ,  ne  leur  permet  pas  d'en- 
vifager  d'autre  mpyen  d'en  ibrtir  que  par  les  fecours  qu'ils  ont  droit  d'ab- 
tsndre  des  bontés  de  V.  M. 

Cette  Couronne  eft  le  patrimoine  de  vos  pères  ,  celui  qui  la  porte  ^' 
rient  à  vous ,  Sire ,  par  les  Hens  les  plus  fons ,  la  nation  regarde  toujoun 
V.  M,  comme  l'héritier  préfomptif. 

Dans  cette  vue  elle  fe  flatte  àe  trouver  dans  votre  cœur  les  mêmes  fef»- 
rimens  qu'elle  aiuroit  trouvé  dans  le  cœur  de  feu  Monfeigneur,  qu'elle  pleure 
^encore  tous  les^  jours. .Dans  cette  vue  elle  vient  expoifer  à  vos  yeux  tous 


CELLAMARE.     (N.  Prina  de)  ^ 

fes  malheurs  êc  implorer  votre  afliftance.  là  Religion  a  toujours  été  le 
plus  ferme  appui  des  Monarchies  ;  V.  M.  n'ignore  pas  le  zèle  de  Louis-le- 
Grand  pour  la  conferver  dans  toute  fa  pureté.  Il  femble  que  le  premier 
loin  du  Duc  d'Orléans  ait  été  de  fe  faire  honneur  de  Pirréligion.  Cette 
Irréligion  Ta  plongé  dans  des  excès  de  licence,  dont  les  fiecles  les  plus 
corrompus  n'ont  point  eu  d'exemples,  &  qui  en  lui  attirant  le  mépris  & 
l'indignation  des  peuples,  nous  fait  craindre  à  tout  moment  pour  le  Royau- 
me, les  chàtimens  les  plus  terribles  de  la  vengeance  Divine.  Ce  premier 
pas  femble  avoir  jette ,  comme  une  jufle  punition ,  l'efprit  d'aveuglement 
fur  toute  ùl  conduite  :  on  forme  des. traités,  on  acheté  des  alliances  avec 
les  ennemis  de  la  Religion ,  avec  les  ennemis  de  la  Monarchie ,  avec  les 
ennemis  de  V.  M. 

Les  enfâns  qui  commencent  à  ouvrir  les  yeux^  en  pénètrent  les  motifs^ 
il  n'en  eft  point  qui  ne  voie  ,  que  Ton  facrifie  le  véritable  intérêt  de  la 
oation  à  une  efpérance  que  l'on  ne  peut  fuppofer  fans  crime,  &  qu'oa 
ne  peut  envifager  fans  horreur;  c'efl  cependant  cette  cruelle  fuppoution 
qui  eft  l'ame  de  tous  les  confeils,  &  le  premier  mobile  de  ces  funeftes 
traités.  C'eft-là  ce  qui  diâe  ces  arrêts  qui  renverfent  toutes  les  fortunes  » 
c'e(l-là  l'idole  où  l'on  facrifie  le  repos  de  l'£tat.  A  la  lettre,  Sire,  on  ne 
paie  plus  que  le  feul  prêt  des  foldats ,  Si  les  rentes  fur  la  ville ,  pour  des 
raifons  qu'il  eft  aifé  de  pénétrer  :  mais  pour  les  appointemens  des  Officiers^ 
de  quelque  ordre  qu'ils  foient,  pour  les  penfions  acquifes  au  prix  du  fang^ 
il  n'en  eft  pas  queftion. 

Le  public  n'a  reffenti  aucun  fruit ,  ni  de  l'augmentation  des  monnoies  ^ 
ni  de  la  taxe  des  gens  d'affaires.  On  exige  cependant  les  mêmes  tribus 
que  le  feu  Roi  a  exigé  pendant  le  fort  des  plus  longues  guerres;  mais 
dans  le  temps  que  le  Roi  tiroit  d'une  main ,  il  répandoit  de  l'autre ,  & 
cette  circulation  faifoit  fubfifter  les  grands  &  les  peuples. 

Aujourd'hui  les  étrangers,  qui  fa  vent  flatter  la  paftîon  dominante,  con- 
Aiment  tout  le  patrimoine  des  enfans. 

L^unique  Compagnie  du  Royaume  qui  ait  la  liberté  de  parler ,  a  porté 
/es  remontrances  refpeftueufes  au  pied  du  trône  ;  cette  Compagnie  dans 
laquelle  on  a  reconnu  le  pouvoir  de  décerner  la  Régence ,  à  qui  l'on  s'eft 
«ireffé  pour  la  recevoir ,  avec  laquelle  on  a  ftipulé  en  la  recevant  de  fes 
aains ,  à  laquelle  on  a  promis  publiquement  &  avec  ferment  que  l'oQ  ne 
ouloit  être  mainre  que  des  feules  grâces ,  &  que  pour  la  réfolution  de$ 
flaires,  elle  ferait  prife  à  la  pluralité  des  voix  dans  le  Confeil  de  Régence; 
1  ^sn-feulement  on  ne  l'écoute  pas  dans  fes  plus  fages  remontrances,  mais 
^vi  exclut  des  Confeils,  les  fujets  les  plus  dignes,  d'abord  qu'ils  repré^ 
t«iîtent  la  vérité  ;  non-feulement  on  ne  l'écoute  pas ,  mais  la  pudeur  em- 


Tome  XL 


e  E  L  L  A  M  A  R  R   ^{N.  Prince  de  ) 

Hes  Etats  de  Bretagne  tëgittmement  convoqués  ont  demanda  qu^it  leur  fôt 
permis  de  faire  rendre  compte  à  un  Tréforier  très-fufpeâ|  afin  de  mettre 
ordre  à  l'adminiflration  de  leurs  finances,  on  leur  en  a  fait  un  crime  d'Etat  « 
on  a  fait  marcher  des  Troupes ,  comme  on  les  fiiit  marcher  contre  des 
rebelles. 

Enfin,  Sire,  on  ne  connoit  plus  de  Loix  :  ces  Edits  qui  confacrent  en- 
core aujourd'hui  la  mémoire  des  Rois  vos  aïeuls ,  ces  Edits  rendus  avec  tant 
de  fagefTe  pour  conferver  la  fainteté  des  mariages,  &  l'état  de  toutes  les 
familles ,  on  s'en  joue  ;  une  Lettre  de  cachet  les  renverfe  :  quelles  fuites 
une  telle  conduite  ne  fait-elle  pas  envifager  f  que  ne  fait-elle  pas  craindre  ! 
Nous  ne  nous  flatterons  pas  vainement ,  Sire ,  en  nous  perfuadant ,  que 
nous  entendrons  de  votre  bouche  ces  paroles  de  confolatioo  :  Je  fens  vos 
maux ,  mais  quel  remède  y  puis^je  apporter? 

J  11  eft  entre  les  mains  de  Votre  Majefté  :  quoique  revêtue  d'une  Cou- 
ronne ,  elle  n'en  eft  pas  moins  Fils  de  France ,  &  fes  droits  font  encore 
mieux  établis  par  le  refpeâ  &  l'attachement  des  Peuples,  qu'ils  ne  le  font 
par  la  Loi  du  Sang.  Comme  oncle  du  Roi  pupille,  qui  peut  difputer  i 
Votre  Majefté  le  pouvoir  de  convoquer  les  Etats ,  pour  aviler  aux  moyens 
de  rétablir  l'ordre ,  la  tutele  &  la  Régence  ?  n'appartenoit-elle  pas  de  droit 
à  Votre  Majefté?  il  n'eft  pas  fans  exemple  qu'un  Prince  Etranger  ait  été 
tuteur  d'un  pupille;  fans  fortir  hors  de  chez  nous,  Baudouin,  Comte  de 
Flandres  n'a-t-il  pas  eu  l'Adminiftration  du  Royaume  de  France ,  &  la  tu- 
tele de  Philippe  I,  fils  d'Henri  I?  Votre  Majefté  n'auroit  pas  manqué  de 
raifons ,  fi  elle  avoit  voulu  attaquer  la  prétention  du  Duc  d'Orléans.  Audi 
toute  la  France  a-t-elle  fenti  que  Votre  Majefté  ,  loin  de  confulter  fès 
Droits,  n'a  envifagé  que  le  repos  de  l'Etat,  dans  la  confiance  d'une  fage 
adminiftration ,  &  toute  la  France  a  reconnu  dans  cette  conduite  le  cœur 
d'un  véritable  Père. 

Votre  Majefté  peut  s'afturer  de  fon  côté ,  que  tous  les  cœurs  voleroient 


armée  de  dix  mille  hommes ,  quand  on  fuppofera  que  le  Duc  d'Orléans 
paroitroit  à  la  tète  d'une  armée  de  60  mille  hommes  ;  Votre  Majefté  peut 
^'afturer  que  cette  armée ,  fur  laquelle  il  àuroit  compté ,  &  qui  ne  fèrvira 
qu'à  le  féduire,  fera  la  première  à  prendre  vos  ordres. 

Il  n'y  a  pas  un  Officier  qui  ne  gémifte ,  il  n'y  a  pas  un  fotdat  qui  ne 
fente  l'iniquité  &  la  perverfité  du  Gouvernement ,  il  n'y  en  a  pas  un  qui 
ne  vous  regardât  comme  fon  Libérateur.  Tous  s'eniprefferoient  d'aller  recon» 
Tioître,  d'allcf  admirer  en  vous  le  fils  de  ce  Prince  fi  cher,  qui  règne  to»- 
joufs  dans  les  cœurs v  que  pouvez* vous  jamais  craindre,  ou  du  Peuple,  oa 
îàt  la  Noblelfe,  quand  vous  viendrez  mettre  leur  fortune  en  fureté?  votre 
armée  eft  donc  toute  prête  en  Frïmcé ,  &  Votre  Majefté  peut  s'afliuret  d'y 


C  E  L  L  A  M  A  R  E.    (N.  Pnnet  dt)  99 

être  auffi  puîflant  que  fut  jamais  Louis  XIV.  Vous  aurez  la  conibladôn  de 
Vous  voir  acclepter  d'une  Commune  voix  pour  Adminiftrateur  &  Régent, 
ou  tel  que  votre  fagelle  jugera  plus. convenable  y  ou  de  voir  rétablir  avec 
honneur  le  Teilament  du  feu  Roi  votre  Augufie  aïeuK 

Far-là  vous  verrez ,  Sire ,  cette  union  fi  néceffaire  aux  deux  Couronnes  ; 
tt  rétablir  d'une  manière  qui  les  rendroit  l'une  &  l'autre  inébranlables  à 
leurs  ennemis  ;  par-là  vous  rétablirez  le  repos  d'un  peuple  qui  vous  regarde 
comme  fon  Père ,  &  qui  ne  peut  vous  être  indifférent.  Par-là  vous  pré« 
viendrez  les  malheurs ,  qu'on  n^ofe  feulement  envifager ,  &  que  l'on  nous 
force  de  prévoir.  Quels  reproches  Votre  Majefté  ne  fe  fèroit-elle  pas  à 
elle-même ,  fi  ce  que  nous  avons  tant  de  fujet  de  craindre ,  venoit  à 
arriver} 

Quelles  larmes  ne  verferoit-elle  pas,  pour  n'avoir  point  répondu  aux 
vœux  de  la  Nation ,  qui  fe  jette  à  fes  pieds  ,  &  qui  implore  fon  fe- 
cours  ?  Nous  fouhaitons  nous  tromper ,  mais  Ton  nous  force  à  craindre , 
du  moins  nos  craintes  prouvent  notre  zele  pour  un  Roi  qui  nous  efl  cher. 

Si  Votre  Majefté ,  dont  nous  reconnoiifons  les  vues  très-fupérieures ,  ne 
ttouvoit  pas  à  propos  de  répondrp  à  nos  vœux  ,  au  moins  ppurroit-elle 
fe  ièrvir  de  notre  requête  pour  rappeller  à  lui-même ,  &  pour  faire  ren-- 
crer  dans  les  véritables  intérêts  de  la  France ,  un  Prince  qui  fe  laifle  aveu-* 
gler,  quoique  l'on  foit  forcé  de  Vous  repréfenter  que  l'on  ne  peut  s'en  riea 
promettre. 

Le  Minière  de  Votre  Majefté  dans  cette  Cour  peut  l'aflurer  que  l'on 
n'avance  rien  ici  qu'il  n'ait  lu  dans  tous  les  cœurs.  Ainfi  Votre  Majefté  n'a 
rien  à  craindre  d'une  Nation  qui  lui  eft  toute  dévouée ,  &  doit  tout  fe 
promettre  de  la  Nobleffe  Françoife. 

N^    V  I  I. 

BitUt  du  Cardinal  Alhtroni  au  Prince  de  Cellamare ,  joint  à  une  de  fcs 

Lettres  à  cet  Amhajfadeur^  du  tjf.  Décembre  tji8. 

QUelqu'avis  que  l'on  reçoive  de  ce  qui  s'eft  paffé  à  l'égard  du  Duc 
de  St.  Aignan  {a)  y  ce  ne  doit  en  aucune  manière  être  un  exemple 
i)our  en  ufer  de  même  envers  Votre  Excellence.  Il  a  été  néceflaire  avec 
ui  de  prendre  ce  parti ,  parce  qu'il  avoir  pris  cjiogé ,  parce  qu'il  n'avoît 
plus  de  caraâere ,  &  à  caufe  de  fa  mauvaife  conduite.  Votre  Excellence 
continuera  d'être  ferme  à  demeurer  à  Paris»  &  elle  n'en  fortira  que  lorf- 
Qu'elle  y  fera  connrainte  par  la  force.  En  ce  cas  il  faudra  céder ,  en  fai- 
sant auparavant  les  proteftations  requifes  au  Roi  Très-Chrétien  »  au  Parlé- 


es) On  Tavoit  obligé  de  fortir  de  Madrid  en  vixigt-qttatre  heures; 

N  2 


,b#  C  E  L  L  A  M  A  R  E.     (2V.  Prince  de) 

ment  &  \  tous  les  autres  qu^il  conviendra ,  fur  la  violence  que  le  Couver^ 
nement  de  France  exerce  contre  la  perfonne  &  le  caraâere  de  Votre  Ex- 
cellence. 

Suppofë  quelle  foit  obligée  de  partir ,  elle  mettra  auparavant  le  feu  à 
routes  les  mines. 


que  le  nommoit  le  rrince  de  Cellamare.  U'eit  pourquoi  renonçant 
la  modération  dont  il  avoit  ufé  jufqu^alors  avec  PEfpagne ,  i!  propofa  dans 
Te  Confeil  de  Régence  de  prévenir  les  entreprifes  du  Cardinal  Alberoni  & 
de  fes  ouvriers  ,  &  de  déclarer  la .  guerre  à  cette  Couronne ,  ce  qui  fut 
au(fî-tot  réfolu ,  &  Ton  employa  une  des  meilleures  plumes  du  Royaume 
à  compofer  le  manifefte  fuivant  en  forme  de  déclaration  de  guerre. 


Manifejle  fur  Us  fujcts  de  rupture  entre  la  France  &  PEJpagne. 


L 


Es  Rois  ne  font  comptables  (a)  de  leurs  démarches  qu'à  Dieu  mê* 
me ,  dont  ils  tiennent  leur  autorité.  Engagés  indifpenfablement  à  travaillée 
^u  bonheur  de  leurs  peuples ,  ils  ne  le  font  pas  à  rendre  raifon  des  moyens 
qu'ils  prennent  pour  y  réudîr ,  &  ils  peuvent  au  gré  de  leur  prudence  ca- 
cher ou  révéler  les  myfteres  de  leur  gouvernement.  Mais  des  qu'il  im-* 
porte  à  leur  gloire  &  à  la  tranquillité  de  leurs  peuples ,  qui  n'en  peut  être 
(ëparée ,  que  les  motifs  de  leurs  réfolucions  foient  connus ,  ils  doivent  agir 
à  la  face  de  l'univers ,  &  faire  éclater  la  juftice  qu'ils  ont  confultée  dans 
le  fecret. 

Sa  Majefté ,  conduite  par  les  confeils  du  Duc  d'Orléans  régent ,  s'eft 
true  dans  cet  engagement ,  &  elle  ùit  gloire  d'expofer  à  fes  fujets  &  à 
toute  la  terr« ,  les  raifons  qu^elle  a  eues  d'entrer  en  de  nouvelles  liaifons 
avec  plufieurs  grandes  Puiflances  pour  la  pacification  entière  de  l'Europe, 
pour  la  fureté  particulière  de  la  France,  &  pour  celle  même  de  l'Ëfpagne, 
qui  méconnoiflant  aujourd'hui  fes  vrais  intérêts,  trouble  la  tranquillité coni- 
mune  par  l'infraâion  des  derniers  traités. 

Sa  Majefté  n'imputera  jamais  cette  infraôion  à  un  Prince ,  qui ,  recom- 
mandable  par  tant  de  vertus ,  Teft  particulièrement  par  la  fidélité  la  plus 
religieufe  à  fa  parole  ;  &  ce  ne  peuvent  être  que  fes  Miniftres ,  qui  Tay ant 


(a)  Chacun  ne  convient  pal  de  ce  principe ,  qui  pour  trop  comprendre  ne  prouva 
rien  ;  cela  fe  peut  à  Tégard  de  quelques  Souverains  entièrement  derpotiques  ,  mais  non  à 
i'éeard  de  tous  les  Rois.  Le  defpotifme  eft  une  tyrannie,  &  n'eft  pas  le  pouvoir  propre 
à  la  Royauté,  c*e(l  un  pouvoir  ufurpé;  on  a  été  étonné  de  voir  fortir  ce  principe  de  la 
plume  d'un  Auteur  auili  judicieux ,  &  qui  par  oit  tant  refpeâer  la  liberté. 


CELLAMARE.    (N,  Prinu  dt)  içi 

engagé  trop  légèrement  ,  favent  lui  faire  de  cet  engagement  même  une 
raitôn  &  une  néceflîté  de  le  foutenîr. 

Sa  Majefté,  dans  les  mefures  qu'elle  a  prifes ,  s*efF  proporii  de  fatisfaire 
également  à  deux  devoirs  ;  i  l'amour  qu'elle  doit  à  Ion  peuple  ,  en  pré- 
venant une  guerre  avec  tous  fes  voifins ,  dont  il  ëtoit  menacé  ;  &  à  l'a- 
mitié qu'elle  doit  au  Roi  d'Kipagne  ,  en  ménageant  conftamment  fes  in- 
térêts &  fa  gloire  ,  qui  feront  toujours  d'autant  plus  chers  à  la  France, 
qu'elle  les  regarde  comme  le  prix  de  fes  longs  travaux  &  de  tout  le  fang 
qu'il  lui  en  a  coûté  pour  le  maintenir  fur  fon  trône. 

Ces  intentions  de  Sa  MajeHé  fe  reconnoîtront  fenfiblement  &  fans  intcr- 
ïuption  8ans  tous  les  faits  qu'on  va  expofer. 

On  fait  que  dans  le  cours  de  la  dernière  guerre ,  la  France  avoît  été 
réduite  par  fes  difgraces  à  la  dure  néceffité  de  confentîr  au  rappel  du  Roi 
d'Efpagne  ;  &  elle  en  auroîi  fans  doute  éprouvé  la  douleur ,  n  U  provi- 
dence ,  qui  changea  les  événemens  &  les  cœurs ,  n'eut  épargné  cette  in- 
jurtice  à  nos  ennemis. 

On  reconnut  à  Utrecht  les  droits  du  Roi  Catholique  ;  mais  l'Empereur , 
quoiqu*abandonoé  de  fes  alliés  ,  ne  pouvoir  encore  renoncer  à  fes  préten- 
tions. La  prife  de  Landau  &  de  Fribourg  ne  put  raéme  l'y  réduire;  &  1( 
lèu  Rot  de  glorieufe  mémoire  ,  qui  au  milieu  de  Tes  derniers  fuccès  ,  fen- 
loît  l'extrême  befoio  que  fes  peuples  avoient  de  la  paix,  ne  la  conclut 
[U*aprés  avoir  fait  propofer  à  TËmpereur  dans  la  négociation  de  Rafiadt» 
e  travailler  à  un  accommodement  entre  lui  &  te  Roi  d'Rfpagoe.  {a). 
Il  avoic  toujours  en  vue  d'achever  fon  ouvrage .  &  d'étoufièr  les  femeoces 
de  guerre ,  que  le  traité  d^Utrecht  avolt  lunées  dans  l'Europe ,  en  ne  ré- 
glant que  provtfionneltement  &  fans  le  concours  de  l'Empereur  les  intérêt* 
de  ce  Prince  &  du  Roi  d'Ëfpagne. 

Le  deffein  de  cimenter  la  paix  par  une  conciliation  entre  ces  detu  Prin- 
ces, fut  infmué  \  Bade  le  (b)  if  Juin  1714  au  Comte  de  Goes ,  &  com- 
muniqué le  (c)  7  Septembre  fuivant  au  Prince  Eugène  de  Savoye,  qui 
afTura  que  l'Empereur  ne  s'en  éloigoeroit  pas.  Après  la  fignature  du  traité 
de  Bade  ,  le  Roi  chargea  le  Maréchal  de  Villars  {d)  de  fuivre  avec  le 
JPrJnce  Eugène  le  même  objet.  Et  lorfque  le  Comte  du  Luc  (e)  fiii 
nommé  pour  être  Ambafladeur  du  Roi  auprès  de  l'Empereur ,  il  fut  par- 
ticulièrement chargé  par  fon  inflruâion  d'agir  félon  fes  vues. 

Le  Roi  d'Ëfpagne  avoic  repréfenté  fouvent  au  fèu  Roi  par  des  lettres 
Àn-iies  de  fa  main,  que  fon  état  n'étoit  point  afîliré  par  les  traités d'Utrecht. 


(tf }  Inftmâion  ponr  les  Plénipotemiairei  du  Congrtf  de  Bade  ,  it  15  Avril  1714. 
i.b)  Lettres  des  Plfnipotentiaires  de  Bade  au  Roi,  du  i;  Jain  1714. 

!é)  Lettre  du  Maréchal  da  Villats  au  Roi,  du  7  Septembre  1714. 
d)  Mémoire  donné  de  la  part  du  Roi  au  Maréchal  de  Villars,  le  15  Septembre  I7M> 
(  (  ]  laÂruôion  pour  le  Conte  du  Luc  allant  à  Vienoe  >  du  3  Janvier  i7i$> 


l 


,oi  CE  L  L  A  M  A  R  E.    {N.  Prince  de) 

Vous  jugerei  aifcmenty  difoit-il  dans  une  de  fes  lettres  du  i5  Mai  171}  ; 
que  la  paix  dont  tout  le  monde  défire  également  la  jhlidité  ,  ne  peut  être 
fiable  ,  fi  P Archiduc  »  qui  rrUa  difputé  la  Couronne  d^Efpagne ,  ne  nCen  rt^ 
connoit  le  légitime  Roi. 

Vous  fiivei^^  écrit  ce  Prince  dans  fa  lettre  du  31  Janvier  lyt^^gue  pai 
rempli  tous  les  Préliminaires  ^  &  que  je  fuis  prêt  à  conjentir  que  Naples^ 
le  Milane[  &  les  Pays-Bas  refient  à  V  Archiduc  ^  comme  J€  Pal  fait  de  la  Si- 
cile  en  faveur  du  Duc  de  Savoye ,  de  Gibraltar  &  de  PIfie  de  Minorquc  en 
faveur  des  Anglois^  &  que  je  fuis  aufii  prêt  à  le  faire  de  la  Sardaigne  enfa^ 
veur  de  PEledeur  de  Bavière.  V Archiduc  doity  moyennant  ces  conditions^ 
^  renoncer  à  ce  qui  me  refie  de  la  Monarchie  ^Efpragne.  Ainfi  nous  r^avons 
plusj  ni  lui  ni  moi  y  rien  à  prétendre  fun  conttt  Pautre. 

Je  me  flatte  y  dit  le  Roi  d'Efpagne  dansfa  lettre  du  17  Mai  171 4  ^  que 
connoijfant  de  quelle  importance  il  efi  de  faire  départir  V Archiduc  de  toutes 
prétentions  fur  CEfpagne  &  les  Indes ,  vous  me  mettre^^  en  état  d^établir  des 
conditions  folides  pour  en  jouir  paifiblement. 

'  Ce  Prince  ne  fe.  croyoic  afFermi  fur  le  trône  d'Efpagne  &  des  Indes,  que 
par  la  renonciation  folemnelle  de  l'Empereur  à  fes  prétentions;  &  il  n'in*^ 
fifioit  fi  vivement  iîir  cette  fureté ,  que  parce  qu^il  en  avoit  reconnu  l'im* 
portance  par  les  extrémités ,  oh  l'avoient  réduit  les  événemens  de  la  guerre , 
excitée  par  les  prétentions  de  l'Empereur.  C'étoit  audi  tout  ce  qu'il  deman- 
doit  au  feu  Roi ,  comme  le  gage  te  plus  fenfible  de  fon  amitié  paternelle , 
&  comme  le  dernier  e(Fort  dont  il  devoit  couronner  tout  ce  que  la  France 
avoit  fait  pour  fes  intérêts.  Le  feu  Roi  travailloic  avec  toute  la  vivacité  d'un 
per&  à  la  iktisfàâion  de  fon  petit-iils.  Mais  comme  l'Empereur  paroiffoit 
inébranlable ,  &  que  d'ailleurs  un  refie  de  défiance  répandu  dans  l'Europe , 
une  opinion  générale  que  la  paix  ne  pouvoit  pas  durer  ^  &  qui  retenoic 
encore  la  plupart  des  Puiflances  armées,  la  guerre  du  Nord,  &  les  chan'- 
gemens  arrivés  dans  la  Grande-Bretagne,  faifoient  craindre  que  le  feu  ne  fe 
railumàc  bientôt  ;  il  falloir  prendre  encore  de  nouvelles  mefures  pour  le 
prévenir. 

C'efl  dans  ces  conjonâures  que  le  feu  Roi  fut  enlevé  à  la  France.  Sa  Ma- 
jefté  n'oubliera  jamais  ces  avis  fi  importans  &  fi  falutaires  qu'il  lui  donna 
dans  les  derniers  momens  de  fa  vie.  Elle  en  veut  faire  la  règle  invaria- 
ble de  fon  règne ,  &  l'on  va  voir  qu'elle  y  a  mefuré  jufqu'ici  toutes  fes 
démairches. 

De  longues  guerres  avoîent  laiflë  contre  nous  dans  l'Europe  des  refies 
d^aliénation  &  de  haine  qui  ne  cherchoieut  qu'à  fe  ranimer ,  &  nos  voifins^ 
encore  pleins  de  la  jaloune  &  àts  frayeurs  qu'ils  avoîent  eues  fi  fouvent  de 
nos  profpérités,  &  même  de  nos  reflources  dans  nos  plu^  grandes  difgra* 
ces ,  fongeoient  déjà ,  pour  achever  de  nous  abattre ,  à  profiter  de  la  mino« 
rite  du  Roi  ,•  &  de  l'épuifement  du  Royaume  dont  nous  nous  plaignions  nous* 
mêmes  affez  hautement ,  pour  inviter  nos  ennemis  à  tout  entreprendre.  L'an- 


îo4  C  E  L  L  A  M  A  R  E.    (  N.  Prince  de  ) 

eut  donné  part  inutilement  au  Roi  d^fiPpagne,  &  qu'il  fe  fut  itfluré  de  la 
répugnance  invincible  du  Miniilre  à  tout  projet  d*union. , 

Mais  quelque  favorable  que  fût  cette  alliance  au^ repos  public,  elle  ne. 
fuppléoit  point  ce  qui  manquoit  à  la  perfeâion  des  traités  d'Utrecht  &  de 
Bade ,  parce  que  les  difFérens  entre  TEmperetir  &  le  Roi  d'Efpagne  n^  ayant 
pas  ère  réglés ,  l'Europe  étoit  toujours  dans  l'incertitude  de  fa  fituation  j  & 
en  danger  d'être  replongée  dans  la  guerre  par  la  première  hofiilité  de  part 
ou  d'autre.  L'Italie  feule  pouvoir  fe  flatter  de  quelque  repos  à  la  faveur  de 
la  neutralité  qui  y  avoit  été  établie  par  dés  traités  &  des  engagemens  qu'oa 
regardoit  comme  un  premier  pas  &  un  degré  qui  pouvoir  conduire  à  la. 
paix.  Mais ,  quoique  la  neutralité  fut  véritablement  une  loi  à  laquelle  cha-* 
cun  de  ces  deux  Princes  s'étoit  (bumis,  le  bien  de  l'Europe  en  vouloir  uiie 
plus  fûre  &  plus  folemnelle ,  qui  fût  autorifée  par  le  confentement  réci*- 
proque  des  deux  concurrens,  oc  maintenue  par  des  garants  tels  qu'on  n& 
pût  pas  l'enfreindre  impunément.  Une  telle  loi  ne  pouvoit  être  qu'un  traité 
de  paix ,  qui  terminât  à  jamais  les  conteftations  entre  l'Empereur  &  le  Rot 
d'Efpagne. 

Le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  voulut  tenter  de  procurer  un  Ci  grand 
bien  à  l'Europe ,  &  s^en  ouvrit  à  Sa  Majeflé.  Elle  vit  avec  plaifir  les  in- 
tentions du  feu  Roi  revivre,  &  elle  crut  que  c'étoit  agir  pour  un  Prince 
auquel  Elle  eft  étroitement  unie  par  les  liens  du  fang^  que  de  favorifer 
l'exécution  de  tout  ce  que  la  tendreffe  paternelle  avoit  projette  pour  lui-» 
même  fi  pofitivement  &  fi  inftamment.  Mais  Sa  Majefté,  qui  avoit  déjà 
éprouvé  en  différentes  occafions»  que  ce  qui  pouvoit  convaincre  le  Roi 
d'Ëfpagne  de  fon  amitié  »  ne  trouvoit  plus  le  même  accès  auprès  de  lui , 
n'en  put  plus  douter  lotiqu'Elle  vit  que  le  Marquis  de  Louville,  qu'elle 
avoit  envoyé  au  Roi  d'Ëfpagne  pour  lui  faire  connoltre  fes  véritables  fen« 
timens  &  lui  communiquer  des  chofes  importantes  aux  deux  Couronnes, 
avoit  été  renvoyé  fans  être  écouté ,  malgré  l'attachement  particulier  i  qu'il 
avoit  à  la  perfonne  &  à  la  gloire  de  ce  Prince.  Ainfi  trop  inftruite  par 
l'expérience ,  qu'on  rendroit  fufpeâ  à  Madrid  tout  ce  qui  viendroit  de  fa 
part ,  Elle  pria  le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  d'agir  lui-même  à  Vienne  & 
a  Madrid  pour  le  fuccès  de  ce  grand  deflein,  d'autant  plus  qu'EUe  n'étoit 
point  autorifée  à  traiter  des  intérêts  du  Roi  d'Ëfpagne ,  &  qu'il  convenoit 
d'ailleurs  à  la  dignité  d'un  fi  grand  Prince  de  les  difcuter  lui-même. 

V-*  Le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  fit  en  même-ternps  les  odvertures  de  fes 
vues  à  Vienne  &  à  Madrid.  Elles  furent  reçues  aflfez  favorablement  à  Ma-? 
drid,  tant  que  la  feinte  fervit  à  cacher  les  entrepri fes  qu'on  y  méditoit  ^ 
&  rejettées  enfuite  avec  peu  de  ménagement  dès  qu'on  crut  avoir  moins 
'd'intérêt  de  feitidre.  On  ne  trouva  à  Vienne  des  difpofitions  à  aucun  ac- 
commodement, qu'à  condition  que  la  Sicile,  qui  avoit.  été  jufqu'alors  ua 
obftacle  infurmontablê  à  toutes  les  propofitions  de  conciliation ,  ferôit  re- 
mife  à  l'Empereur,  parce  qu'il  la  jugeoit-  abfolumept  péccflaire  à  la  çon-- 

'^  fervation 


C  E  L  L  A  M  A  R  E.     (N.  Prince  de)  105 

fenrtdoM  du  Royaume  de  Naples.  Mais  à  ce  prix  on  efpéroit  que  le  Roi 
Cadioliqae  (eroit  reconnu  par  l'Empereur ,  légitime  poflèfleur  de  PEfpagne 
&  des  Indes;  &  de  plus,  ce  qui  écoit  pour  lui  un  avantage  nouveau,  aue 
l'Empereur  confentiroit  que  les  fucceflions  db  Parme  &  de  Plaifance  ru& 
fenc  aiTurées  aux  enfàns  de  la  Reine  d'Efpagne. 

Les  difficultés  de  cette  négociation  ne  dévoient  point  nuire  à  la  neutralité 
d^talie  établie  par  le  Traité  dlJtrecht  du  14  Mars  171 3,  renouvellée  &C 
confirmée  par  celui  de  Bade.  L'Empereur  &  le  Roi  d'Efpagne  paroiflbienr 
cux-niêmes  avoir  pris   des  précautions  pour  s'afTurer  qu'elle  ne  feroit  pas 
interrompue.  Le  Roi  d'Efpagne  avoir  eu  foin  avant  la  guerre  de  Hongrie  ^ 
de  faire  fouvenir  le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  qu'il  étoit  garant  des  en- 
^gemens  pris  à  Utrecht  pour  la  neutralité  d'Italie  \  &  l'Empereur  de  fbn 
«oté ,  lorfque  les  Turcs  le  mirent  en  campagne ,  avoit  engagé  le  Pape  à 
demander  au  Roi  d'Efpagne  une  parole  pofitive  qu'il  ne  profiteroit  pas 
contre  l'Empereur,   de  la  guerre  que  les  Turcs  venoient  de  lui  déclarer. 
X^'iotérét  du  Roi  d'Efpagne  fe  trouvoit  conforme  à  cette  promefTe,  car  il 
«voit  été  inflruit  par  le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  du  traité  conclu  à  Lon- 
dres le  25  Mai  17 16,  entre  l'Empereur  &  ce  Prince,  portant  une  garantie 
des  États  de  l'Empereur  en  Italie,  &.une  promefle  exprefTe  de  lui  donner 
des  lecours ,   en  cas  qu'ils  fufTent  attaqués.  En6n ,  la  piété  fi  connue  du 
Roi  d'Efpagne  rafTùroit  encore  plus  que  fon  intérêt. 


rout  à  la  fois^  à  Ton  intérêt,  &  à  fon  zde  pour  la  religion.  Cependant  cette 
entreprife  éclata,  &  l'on  apprit  qu'un  armement  fait  des  fonds  levés  fur  les 
l>îeiis  ecdéfiâfiiques  &  deflinés  pour  fomenir  la  gloire  du  nom  Chrétien , 
alloit  ftrvir  à  violer  les  traités.  Il  ne  faut  pas  de  plus  grande  preuve,  que 
les  mauvais  confeils  &  la  trop  grande  puiilknce  du  Miniflre  prévalent  en 
Efpagoe  fur  les  intentions  &  les  vertus  de  fon  Roi. 

Sa  Majeflé  alarmée  d'une  démarche  fi  dangereufe,  envoya  aufli-tôt  un 
exprés  nu  Duc  de  St.  Aigilan  ,  qu'elle  chargea  de  repréfenter*  vivement  au 
Roi  d'Efpagne  les  dangers  o&  il  s'expofott;  oc  ce  qui  devoit  faire  plus  d'im-» 
predioti  (ut  lui/  l'injuftice  de  fon  entreprife.  Elle  le  prioit,  pour  la  tran-*. 

Suillité  cdmmttne  de  l'Europe  &  pour  fes  intérêts  perfonnels,  de  rentrer 
ans  ces  vues  de  conciliation,  que  le  feu  Roi  fon  grand-pere,  &  après  lui 
le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  avoient  déjà  projettées  entre  lui  &  l'Em- 
pereur.  Quelques  jours  après  Elle  ordonna  encore  au  Duc  de  St.  Aignan, 
d'agir  de  concert  avec  le  Miniftre  d'Angleterre  qui  avoir  reçu  les  ménies; 
ordres,  pour  engager  le  Roi  d'Efpagne  à  autorifer  fon  Ambafladeur  à  Loa« 
dres,  ou  à, y  faire  pafTer  un  autre  Miniflre  qui  traitât  des  moyens  de  réta- 
blir folidement  la  paix.  Le  Colonel  Stanhope  venoit  d'arriver  à  Madrid» 
chargé  plus  particulièrement  des  mêmes  infiances.  Le  Roi  de  la  Grande^ 
Tonn  XI.  O 


ie#         .  C  E  L  L  A  M  A  R  E.     (N.  Prince  dey 

Bretaene  fie  favoîr  en  même-temps  à  Sa  Majefié  que  comme  le  mal  pref* 
(bit,  il  ne  fàlloit  pas  perdre  le  temps  ées/remeées;  ^ils  nepoirrokacnjur 
ire  que  du  concert  unanime  des  Puiflances  impartiales,  &  qu'il  k.  prioh 
d'envoyer  un  Am.bafladeur  à  Londres ,  ou  fur  fes  inûances ,  l'Empereur 
avoic  audi  confenti  d'envoyer  uo  Miniftre.  Sa  Majefté  y  envoya  l'Abbé  du 
Bois  \  &  attentive  aux  intérêts  du  Roi  d'Efpagne,  auifi  bien  qu!à  ceux  de 
fon  Royaume,  elle  crut  qu'elle  devoir  avoir  dans  les  conférences  de  Lonr* 
dres  un  Miniftre  qui  pût  conferver  au  Roi  d'Efpagnè  des  ouvertures  pouv 
entrer  dans  la  négociation,  dès  qu'on  pourroit  l'éclairer  fur  fes  intérêts. 
Mais  en  vain  lui  a-t-on  fait  là-demis  des  inftances  redoublées.  En  vain  lus 
a-t-on  h\t  efpérer  d'obtenir  pour  lui  de  l'Empereur  ce  qu'il  avoit  fi  fouvent 
demandé  lui-même.  On  n'a  reçu  de  foo  Miniftre  que  de^  refus  opiniâtres-, 
&  fouvent  même  des  menaces  d'allumer  par-tout  lefiui  de  la 'guerre,  mal** 
gré  toutes  les  mefures  que  l'on,  croifoit  prendre  pour  le  prévenir.  L'Efpagoe 
fembloit  regarder  comme  une  confpiration  contre  elle  ces  fentimeos  unani* 
Qies  de  paix  où  eiitroient  les  autres  Puiflances» 

C'eft  ilir  ces  refus  &  fur  ces  defleins  menaçans  de  l'Efbagne,  que  le 
Roi  de  la  Grande-Bretagne  fit  repréfenter  à  Sa  Majefté  qu'il  étoit  abfolu«* 
ment  nécelfaire  d'en  arrêter  les  effets  ;  &  qu'il  ne  s'en  oSroit  d'autre 
moyen  à  la  prudence  des  Puiflances  impartiales ,  que  >  de  former ,  pouir 
concilier  les  intérêts  des  deux  Princes,  un  plan  qui  pût  lenv  être  propo* 
ié ,,  &  procurer  à  quelque  prix  que  ce  f&t ,  leur  propre  tranquillité  & 
celle,  de  toute  l'Europe.  Cette  rélolution  favorifant  d'un  côté  l'affisnfiiflè- 
ment  de  la  paix,  qui  étoit  l'objet  invariable  de  Sa  Majefté,  &  donnant 
de  l'autre  au  Roi  d'Efpagnè  le  temps  &  les  moyens  de  prendre  des  ré-* 
Solutions  conformes  à  les  intérêts ,.  le  iRoi  l'embrafla.  Mais  en  ordonnant 
à  l'Abbé  du  Bois  d'entrer  dans  •  un?  projet  fi  néceflaire ,  Sa  Majefté  ne  lui 
commanda  rien  tant  que  de  rejetter  f toujours  tout  ce  qui  pourroit  ilifpen^ 
dre  pu  éloigner  le  Concours  du  Roi  d'Efpagnè  dans  cette  négociaftidm 
Quels  combats  le  Roi  de  la  .Grander>Bretagne  n'eut-il  pas  à  efluyér.avec 
l'Empereur ,  pour  ébranler  fon  attachement  aux  prétentions  fur  l'Bfpagne 
&  fur  les  Indes,  pour  vaincre  fa  r^ugnance  à  voir  pafler  un^f^ur  les 
Etats  de  Parme  &  de  Tofcane  eiitre  les  mains  d'un  Prince  de  la;  Mféifeiv 
d'Efpagnè,  &  pour  amortir  fon  reflentiment  de  l'infi-àftioa  des  fTriaîîté» 
dont  il  fe  croyoit  en  droit  de  tirer  vengeance!  Ce  ne  fut  qu*aveC  une 
peine  infinie,  qu'on  vint  à  bout  pied  à  pied  de  ces  obftacles,  &  qu\>n 
ménagea  encore  au  Roi  d'Efpagnè  désavantages  plus  grands  que  ceux  que 
lui  donnoient  les  Traités  d'Utrecht,  &  par  conféquent,  comme  on  l'a  vu 
par  fes  lettres ,  au  delà  même  de  k%  défirs. 

Ainfi  fe  forma  à  Londres  Le  projet  des  conditions  qui  devoièat  fërvîr 
de  fondement  à  une  paix  folide .  entre  l'Empereur  &  le  Roi  d'Efpagnè. 
La  parfeite  amitié  de  Sa  Majefté  pouf  ce  Prince  s'éroît  toujours  fignatée* 
par  les  inftances  qu'elle  lui  avoit  iàites  fans  interruption,   d'envoyer  des 


E 


,C  E  r.  L  A  M  A  R  B.    (  iV.  Prince  de  )  ic; 

Miniftres  qui  difcutaflent  fes  intérêts,  par  les  moyens  qu'elle  lui  avoit  mé- 
nagés fans  relâcher,  d'entrer  dans  la  négociation,  &  par  fes  efforts  conf-' 
tans  à  lui  procurer  de  nouveaux  avantages  dans  le  Traité  même.  Mais 
non  coDtenie  de  ces  démarches  ,  elle  porta  encore  plus  loin  l'attention 
&  les  égards.  Elle  envoya  le  Marquis  de  Nancre  auprès  du  Roi  d'Efpa- 
gne  pour  lui  fane  pan  du  projet  de  Londres ,  tandis  que  le  Roi  de  !■ 
Grande-Bretagne  faifbit  la  même  démarche   auprès  de  l'Empereur. 

Sa  Majellé  dans  les  cinq  premiers  mois  du  îéjour  du  Marquis  de  Nan- 
cre à  Madrid  ,  repréfenta  fans  ceiTe  au  Roi  d'Efpagne  qu'il  y  alloit  éga- 
lement de  fon  intérêt  &  de  fa  gloire  d'abandonner  une  entreprife  injufie, 
&  d'adopter  des  conditions  qu'il  avoit  ,  pour  ainli  dire  ,  diftées  lui-même 
Bar  fes  inflances  au  feu  Roi.  Enfin ,  &  elle  (ait  gloire  de  le  dire ,  elle 
ut  demandott  la  paix  de  l'Europe  au  nom  de  la  France ,  qui  l'avoit  main- 
tenu fur  fon  trône  par  tant  de  travaux  &  tant  de  faiig ,  &  au  nom  de 
fes  propres  fujets,  dont  le  zèle  &  l'attachement ,  peut  être  fans  exemple, 
niéritoient  bien  de  leur  Prince  qu'il  ne  les'  livrât  pas  aux  horreurs  de 
la  guerre. 

Toutes  ces  ïnllances  fondées  fur  les  conditions  fages  du  projet,  n'ar- 
rtcherent  du  Mini/tre  d'Efpagne,  qu'un  aveu  du  péril  où  elle  alloit  s'ex- 
pofer  en  réfiiiant  à  tant  de  Puilfances.  Mais  il  affuroit  en  mêine-renips 
que  fon  Maître  ne  fe  dédfteroit  jamais  de  fon  entreprife ,  &  il  u'avoït 
pas  honte  de  rejetter  fur  lui  le  blâme  de  fa  propre  inOexibilitc.  Eniîn, 
Sa  Majefté  lui  fit  dire  au  mois  de  Juin  dernier,  que  l'amour  qu'EIle  doit 
à  fes  peuples,  &  qui  doit  prévaloir  à  tout  autre  lentiment,  lui  dtifendoiE 
de  différer  davantage  à  figner  le  Traité  avec  rEmperenr  &  le  Roi  de  la 
Grande-Bretagne.  On  ajoutoit  l'engagement  même  où  étoît  le  Roi  de  U 
Grande-Bretagne  d'envoyer  une  efcadre  dans  la  Méditerranée  pour  fecourir 
l'Empereur.  Rien  n'ébranla  le  Miniftre ,  qui  s'irriroit  de  plus  en  plus  par 
les  inHances  de  paix ,  &  qui  menacoit  de  mettre  en  feu  toute  l'Europe. 
Enfin  le  Chevalier  Bing,  qui  commandoit  les  forces  navales  du  Roi  de 
la  Grande-Bretagne  deflinces  pour  la  Méditerrante  ,  avant  que  d'entrer 
dans  cette  mer,  donna  avis  au  Miniftre  d'ETpagne,  des  ordres  précis  qu'il 
avoit  d'agir  comme  ami,  fi  l'Efpagne  fe  délilloit  de  lés  eutreprifes  con- 
tre U  neutralité  de  l'Italie,  ob  Q  die  les  fufpendoit;  &  de  s'y  oppofer 
auin  de  toutes  fes  forces,  fi  elle  y  perfiftoit  :  &  le  Miniftre  ne  laiftanc 
plus  aucune  efpérance ,  lui  répondit  qu'il  n'avoit  qu'à  exécuter  les  ordres 
dont  il  étoit  chargé. 

La  guerre  finiffoit  alors  entre  l'Empereur  &  le  Ttirc ,  &  les  ordres 
étoient  déjà  donnés  pour  faire  pafter  de  nombreufes  troupes  en  Italie: 
Sa  Majefté  ibrcée  enfin  par  les  cirqonftances ,  n'héfiia  plus  à  convenir  avec 
le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  des  conditions  qui  ferviroient  de  bafe  à  ia 
paix  entre  l'Empereur  &  le  Roi  d'Efpagne ,  &  entre  le  premier  de  ces 
deux  Priocei  &  le  Roi  de  Sicile  :  Su  ce  furent  ces  mêmes  condîtioos  qui 

O  a 


ic8  C  E  L  L  A  M  A  R  E.     (N.  Prince  dl) 

formèrent  le  Traité  figné  à  Londres  \t%  AoAc  dernier,  entre  les  MiniUre» 
du  Roi ,  de  l'Empereur  &  du  Roi  de  la  Grande*Breugne. 

Mais  le  Roi  de  la  Grande-Bretagne ,  toujours  conduit  par  un  efpric  de 
conciliation  &  de  paix ,  &  voulant  prévenir  aufli  la  méfintelligence  qui 
pourroit  naître  entre  fa  Couronne  &  l'Efpagne,  à  l'occafipn  des  fecours 

3u'il  étoit  obligé  de  donner  à  FEmpereur,  crut  encore  devoir  faire  uo 
ernier  effort  auprès  du  Roi  d'Efpagne  :  il  envova  le  Comte  de  Stanho* 
pe ,  Pun  de  Tes  principaux  Miniftres  ^  à  Sa  Majeité ,  pour  pafler  enfuite  à 
Madrid ,  fi  elle  le  jugeoit  à  propos. 

Ce  fut  pendant  (on  féjour  à  Paris  ^u'on  apprit  la  nouvelle  de  rinvafion 
de  la  Sicile  par  les  troupes  du  R<m  d'Efpagne  ;  ce  qui  hâta  encore  le 
voyage  du  Comte  de  Stanhope  à  Madrid.  Il  y  arriva  les  premiers  jours 
du  mois  d'Août  ,^  &  le  '  Marquis  de  Nancré  reçut  de  nouveaux  or- 
dres pour  agir  de  concert  avec  lui  \  mais  les  vives  repréfentations  qu^ils 
redoublèrent  l'un  &  l'autre,  fur  les  extrémités  où  l'inflexibilité  du  Roi 
Catholique  pouvoit  porter  les  chofes  ;  l'afiurance  qu'on  lui  donnoit  pour 
toutes  iti  poflcllions  par  la  renonciation  de  l'Empereur,  &  par  la  ga*- 
rantie  des  Putffances  contra£bntes  ;  la  promefle  que  Sa  Majefté  lui  pro- 
cureroit  la  reftitution  de  Gibraltar,  qui  intérefle  par  un  endroit  fi  fen^ 
fible  toute  la  nation  Efpagnole,  (a)  &  que  fon  Roi  défiroit  ardemment 
depuis  long- temps  :  enfin  la  déclaration  des  engagemens  pris  à  Londres , 
&  celle  de  la  néceffité  où  Sa  Majefté  &  le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  ^ 
fe  trouvoient  de  les  exécuter  immédiatement  après  l'expiration  des  trois 
mots,  du  jour  de  la  fignature  des  Traités  de  Londres^  tout  fut  abfolu- 
ment  inutile.  Le  Comte  de  Stanhope  partit  de  Madrid,  avec  la  douleur 
de  voir  que  les  offices  &  les  foins  de  fon  Maître  pour  prévenir  une 
Déclaration  contre  TEfpagne ,  n'avoient  eu  aucun  eftèt  :  mais  il  eut  au 
moins  cette  confolation,  que  l'on  n'avoit  rien  épargné  pour  vaincre  l'obf- 
tination  du  Miniftre ,  qui  feiule  étoit  la  caufe  de  la  rupture  &  àts  maux 
qui  la  fuivroient.  Cependant  le  Marquis  de  Nancré  eut  ordre  de  de- 
meurer, parce  que  le  Roi  vouloir  bien  fe  prêter  encore  aux  plus  légères 
efpérances ,  que  le  Miniftre  avoir  l'art  d'entretenir  pour  gagner  du  temps  : 
mais  Sa  Majefté  reconnut  enfin  l'inutilité  de  fa.condefcendance,  elle  fut 
peu  de  jours  après  inftruite  des  violences  exercées  fur  les  perfonnes  & 
fur  les  eftets  des  Anglois  en  Efpagne,  au  préjudice  du  XVIII  Article 
des  Traités  d'Utrecht  entre  l'Efpagne  &  l'Angleterre,  qui  fixe  un  terme 
de  fix  mois  pour  retirer  les  perfonnes  &  les  effets  de  part  &  d'autre ,  en 
cas  de  rupture. 

Le  Marquis  de  Nancré  étant  parti  de  la  Cour  d'Efpagne,  Sa  Majefté, 
pour  fatisfaire  au  traité  de  Londres,  ordonna  au  Duc  de  St.  Aignan  de 
porter  des  plaintes  de  la  violence  exercée  contre  les  Anglois  ^  &  elle  lui 

(4)  Lettre  du  Roi  d*£fpaane  au  feu  Roi  du  %%  Avril  1711. 


CELIAMÂRE.     (N.  Prince  ic^  109 

prefcrivic  de  déclarer ,  que  le  terme  de  trois  mois  laifTé  au  Roi  d^Efpagne 
pour  accepter  les  conditions  qui  lui  ont  été  refervées ,  devant  expirer  le  % 
de  Novembre ,  il  ne  pouvoit  s'empêcher  de  demander  à  ce  Prince  une 
réponfe  décifive  :  &  le  Roi  d'Ëfpagne  ayant  perfide  dans  fon  refus,  il  a 
pris  fon  audience  de  congé. 

On   n'a  parlé  jufqu'ici  qu'en  général  ,   des  conditions  refervées  au  Roî 
d'Efpagne;  mais  il  faut  les  expofer  plus  précifément,  pour  en  faire  fentir 
d'autant  mieux  ,  non- feulement  l'avantage  commun  ^  mais  encore  l'avan-^ 
tage  particulier  de  ce  Royaume» 

JLi  '  Empereur  renonce  formellement  tant  pour  lui  que  pour  fes  héritiers, 
defcendans  &  fuccejfeurs  mâles  &  femelles  ,  à  la  Monarchie  dEfpagne  & 
des  Indes  ,  &  à  tous  Us  Etats  dont  le  Roi  Catholique  a  été  reconnu  lé- 
gitime  pojfeffeur  par  les  traités  dUtrecht  ;  &  il  s^engage  de  fournir  dans 
ta  meilleure  forme  les  aSes  de  renonciations  nécejfaires. 

//•  Les  fuccejfions  aux  Etats  du  Duc  de  Parme  &  du  Grand- Duc  de 
Tofcane  ,  pouvant  exciter  de  grandes  contejlations  &  une  nouvelle  guerre  en 
Italie,  parce  que  la  Reine  dEfpagne  prétend  y  être  appellée  par  fa  naif- 
fance ,  Ù  que  H^mpereur  foutient  que  le  droit  den  difpofer  au  défaut  dhé^ 
ritiers  mâles  ,  lui  appartient  &  à  P Empire  :  il  a  été  ftipulé  que  ces  fuccef" 
fions  venant  à  vaquer  par  la  mort  des  Princes  pojfejfeurs  fans  héritiers  /n4- 
les ,  le  fils  de  la  Reine  &  fes  defcendans  mâles ,  &  à  leur  défaut  le  Jecond 
fils  &  les  autres  cadets  de  ladite  Reine  avec  leurs  defcendans  mâles ,  fuccé-^ 
deront  dans  tous  lefdits  Etats  qui  feront  reconnus  fiefs  mafculins  mouvans 
de  r Empire ,  &  qu^il  en  fera  donné  au  fils  de  la  Reine  qui  devra  fuccéder, 
des  lettres  d^expeâative ,  contenant  Vinvefliture  éventuelFe.  Et  pour  fureté  de 
Vexécntion  de  cette  difpofition ,  il  doit  être  établi  par  les  cantons  Suiffes  , 
des  garnifons  dans  les  principales  places  de  ces  deux  Etats  ^  favoir  a  Li^ 
vourne ,  à  Portoferraro ,  à  Parme  &  à  Plaifance ,  à  la  folde  des  média-- 
teurs ,  avec  ferment  de  les  garder  &  défendre  fous  Pautorité  des  Princes 
régnans  ^  &  de  ne  les  remettre  qu'au  Prince  fils  de  la  Reine  dEfpagne  , 
lorfque  ces  fuccef[iohs  feront  ouvertes. 

IIL  II  a  été  ftipulé  que  jamais  ^  ni  en  aucun  cas  y  P  Empereur  ^  ni  aucun 
J^rince  de  la  maifon  d Autriche  qyi  poffédera  des  Royaumes ,  Provinces  & 
Etats  d  Italie  y   ne  pourra  s'approprier  les  Etats  de   Tofcane  &  de  Parme^ 

IV.  Comme  il  h*  a  pas  été  po£ibU  d'*  engager  P  Empereur  à  fe  défifter  des 
prétentions  qi^il  a  toujours  confervées  fur  la  Sicile  ,  il  a  été  réglé  qu^ellc 
feroit  cédée  à  ce  Prince  ,  qui  de  fa  part  céderoit  au  Roi  de  Sicile  par  former 
d^équivalent  le  Royaume  de  Sardaigne ,  en  réfervant  au  Roi  dEfpagne  fur 
ce  mime  Royaume  le  droit  de  réverfion  à  cette  Couronne^  qu^il  s'*étoit  ré-' 
fervé  fur  la  Sicile  par  Pa3c  de  cejfion  qu^il  en  avoit  faite  en  conféquencc 
des  traites  dUtncht^ 


no  C  S  L  L  A  MA  R  E.     (i^.  Prma  de) 


V.  On  a  laijfé  au  JRoe  ^JEfifagnt  un  terme  de  trois  mois ,  du  jour  de 
la  fignaturt  du  traité^  pour  accepter  les  conditions  oui  lui  ont  été  of^ 
jtrtts ,  que  toutes  Us  parties  contraSantes  garantirent  &  s^engagent  à  faire 
exécuter 

VL  Comme  il  ne  feroit  pas  jufle  que  la  paix  de  VEuropc  dépendit  de- 
d opiniâtreté  ou  des  vues  particulières  d^une  ou  de  deux  feules  Puiffances^ 
&  que  P Empereur  n^auroit  pas  pu  fe  porter  à  délivrer  fa  renonciation  avant, 
que  le  Roi  d^Efpagne  eut  accédé  au  traité  ^  fi  on  ne  lui  avoit  donné  d^ail-' 
leurs  quelque  autre  fureté  ;  les  parties  contraSantes  font  convenues  de  Join'* 
dre  leurs  forces  pour  obliger  le  Prince  refufant  à  V acceptation  de  la  paix  ^ 
conformément  à  ce  qui  a  été  fouvent  pratiqué  pour  le  repos  public  dans  Us 
occafions  importantes. 

VIL  On  eji  convenu  expreffément  ^  que  fi  les  Puiffances  contraclantesi 
étoient  obligées  d^en  venir  aux  voies  de  fait  contre  celui  qui  refuferoit  d^ac^ 
ctpter  raccommodement  propofé ,  P Empereur  fe  contenteroit  des  avantages 
ftipulés  pour  lui  dans  U  traité  ^  quelque  fuccis  que  puiffent  avoir  fes  armes ^ 
'  VIII.  Enfin  U  Roi  s^efi  engagé  d^obtetùr  pour  U  Roi  d^Efpagne  la  refii'^ 
tution  de  Gibraltar. 


t 


Voilà  ces  conditions  que  le  Mîniftre  d'Efpagne  rejette  avec  tant  de  hau« 
reur.  Elles  font  cependant  fi  convenables  à  la  tranquillité  générale  ^ 
ue  le  Roi  de  Sicile ,  qui  par  l'inégalité  de  la  Sicile  à  la  Sardaîgne ,  eft  le 
;ul  qui  paroifTe  y  perdre^  vient  d'accepter  le  traité. 

L'expoië  fimple  &  fincere  de  ces  fixts  fufHc  pour  Êiire  juger ,  quel 
parti  la  France  a  dà  prendre  dans  les  conjonâures  ou  elle  s'efl  trouvée. 

Le  Roi  d'Efpagne  attaque  la  Sardaigne  ,  &  prend  autant  de  foin  de 
Cacher  fon  deflëîn  au  Roi ,  qu'à  l'Empereur.  Depuis  cette  infraâion  des 
traités,  &  après  la  déclaration  de  l'Empereur  qu'il  donnoit  les  mains  à  un 
accommodement ,  que  pouvoit  &ire  Sa  Majefté  ? 

En  demeurant  neutre,  elle  auroit  également  mécontenté  &  aliéné  l'Em* 

!>ereur  &  le  Roi  d'Efpagne ,  &  dans  le  progrès  de  la  guerre ,   une  Puii^ 
ànce  auffî  confidérable  que  la  France  ^  n'auroit  pu  foutenir  un  perfonnage 
indifférent. 

Si  elle  s'étoit  jointe  à  l'Efpagne;  comme  Sa  Majeflé  auroit  violé  le  traité 
de  Bade ,  l'Empereur  étoit  en  droit  de  lui  déclarer  la  guerre  »  &  elle  au* 
roit  eu  à  la  foutenir  en  Italie ,  fur  le  Rhin  &  dans  les  Pays-Bas.  De  plus 
l'Empereur  auroit  armé  contre  elle  tous  fes  alliés^  ou  plutôt  l'Europe  en- 
tière I  qui  auroit  été  alarmée  de  l'union  des  farces  de  la  France  &  de 
l'Efpagne.  La  France  fe  trouvoit  donc  replongée  dans  les  horreurs  d'une 
guerre  générale. 

Si  le  Roi  n'avoit  eu  d'autre  moyen  pour  prévenir  ces  malheurs,  que 
de  fe  lier  avec  l'ennemi  du  Roi  d'Efpagne  ,  pour  exercer  contre  lui  les 
plus  grandes  rigueurs  ;   ce  moyen  ^  tout  douloureux  qu'il  auroit  été  pour 


C  E  L  L  A  H  A  R  E.    {U.  Prince  de)  tu 

Sa  Majefté,  nVn  auroic  pas  été  moins  jofte  ni  moins  néceflâire.  Le  faluc 
des  peuples ,  qui  feul  doit  commander  aux  Souverains  »  raurotc  contraint 
de  TembralTer ,  &  l'exemple  du  feu  Roi  tui  -  même  ,  qui  aroît  fait  céder 
toute  là  tendrefTe  paternelle  à  ce  devoir,  défendoit  alTez  i  fon  fuccefleur 
de  la  facrifier  aux  droits  du  fang.  Mais  combien  le  parti  que  le  Roi  a 
pris  ,  eft-il  différent  >  Il  fe  lie  avec  FËmpereur ,  mais  c'eft  en  offrant  en 
même -temps  au  Roi  d'Efpagne  cet  ennemi  même  &  le  refte  des  plus 
grandes  PuilTances  de  l'Europe  pour  alliés  ,  dans  le  moment  qu'il  voudra 
les  accepter  ;  c'eft  en  l'afFermifTant  fur  fon  trône  ,  dont  la  pofTefnon  lui 
devient  inconteflable  ;  c^efl  en  lui  procurant  tout  ce  qu'il  a  jamais  déiiré, 
&  plus  qu'il  n'efpéroit»  &  à  l'Europe  une  tranquillité  durable  &  folide. 

La  nouvelle  entreprife  du  Roi  d'Efpagne  fur  la  Sicile^ a  fiiit  voir  ,  que 
quand  même  on  fe  feroit  borné  à  ne  vouloir  rétablir  que  la  neutraÛté  en 
Italie  I  il  n'y  auroit  pas  confenti  ;  &  qu'on  auroit  eu  autant  de  peine  à 
làire  rcflituer  la  Sardaigne  à  l'Empereur,  que  l'on  en  peut  avoir  à  faire 
exécuter  le  traité  en  entier.  Qu^auroit -«  on  fiiit  enfin  par  le  foccès  même 
^ui  n'auroit  point  anéanti  les  prétentions  de  l'Empereur  fur  la  Sicile,  que 
ëe  fufpendre  quelque  temps  fes  entrqprifes. 

Sa  Majeflé  n^avoit  donc  d'autre  reffource  pour  prévenir  la  guerre  ,  que 
£e  fuivre  le  projet  d'accommodement  entre  rEmpereiir  &  le  Roi  d'Ef- 
pagne, &  de  donner  par-là  le  repos  à  la  France,  à  l'Italie,  à  l'Europe^ 
fans  qu'il  en  coûtât  à  la  France ,  que  des  offices  honorables  ;  &  à  l'Italie , 
que  l'avantage  que  donne  à  PEmpereur  l'échange  de  la  Sicile  pour  la 
Sardaigne ,  qui  eft  contrebalancé  par  les  bornes  que  l'Empereur  s'eft  pref^ 
crites  diins  le  traité  ,  &  par  l'engagement  que  les  principales  PuifTances 
de  l'Europe  y  ont  pris  de  garantir  les  polfeAions  des  autres  Princes  d'Ita* 
lie  en  l'état  où  elles  font. 

Âinfi,  loin  que  l'Efpagne  ait  à  fe  plaindre  du  Roi  qui  entreprend  au- 
jourd'hui la  guerre  la  plus  jufle  en  évitant  la  plus  périlleufe  &  la  plus 
ruîneufe  pour  fes  ^\jt]tx.s  \  c'eft  le  Roi  même  qui  fe  plaint  avec  jnflice  à 
PEfpagne  de  l'avoir  réduit  à  cette  extrémité,  en  refufant  obftinément  la 
paix  fous  des  prétextes  fi  frivoles  ,  qu'on  n'a  pas  pu  jufqu'ici  les  com- 
prendre. 

Tantôt  c'étoît  un  pcnnt  d'honneur,  fondé  fur  ce  que  les  fucceflîons  de 
Parme  &  de  Tofcane  ,  étoient  accordées  feulement  comme  fiefe  de  l'Em- 
pire. Mais  comment  croire  que  le  Roi  d'Efpagne  fût  bleffé  pour  un  Prince 
de  fa  Maifon ,  d^une  condition  qu'ont  reçue  &  même  recherchée  tant  de 
Rois  d'Efpagne  &  dé  France ,  &  en  dernier  lieu  le  feu  Roi  fon  glorieux 
Ayeul,  &  le  Roi  d'Efpagne  lui-même? 

Tantôt  c'étoit  l'inégalité  de  la  réverfion  de  la  Sardaigne  avec  celle  de  la 
Sicile.  Mais  un  défavantage  fi  léger ,  fi  incertain,  fi  éloigné ,  pouvoit-il  être 
mis  en  balance  avec  tant  d'avantages  préfens  &  fblîdes?  Enfin,  ce  qui  eft 
décifif ,  on  ne  pouvoit  obtenir  qu'à  ce  prix  la  renonciation  de  l'Empereur 


112  C  E  L  L  A  M  A  R  E.    (N.  Prince  de) 

à  PEfpagne  &  aax  Indes.  Pouvtiic-on  commettre  la  fureté  de  l'Etat  dit 
Roi  d'Ëlpagne  à  de  fi  petites  difficultés,  &  un  fi  grand  intérêt  ne  ftifoit** 
il  pas  difparoitre  tous  les  autres! 

Tantôt  c'étoit  le  prétexte  d'un  équilibre  abfblument  nécefTaire  en  Ita- 
lie ,  &  qu'on  alloit  renverfer  en  ajoutant  la  Sicile  aux  autres  Etats  que 
PEmpereur  y  pofTede.  Mais  le  défir  d'un  équilibre  plus  parfait  méritoit-il 
qu'on  replongeât  les  peuples  dans  les  horreurs  d'une  guerre  dont  ils  ont 
tant  de  peine  à  fe  remettre?  Ces  équilibre  même  qu'on  regrette  en  appa- 
rence, n'eft-il  pasafTuré  fuffifamment,  &  plus  parfaitement  peut*-étre,  que 
fi  la  Sicile  étoit  demeurée  dans  la  Maifdn  de  Savoye  ?  L'établiiTement  d'un 
Prince  de  la  Maifon  d'Efpagne  au  milieu  des  Etats  d'Italie,  les  bornes  que 
l'Empereur  s'efl  prefcrites  par  le  Traité ,  la  garantie  de  tant  de  PuifTances  , 
l'intérêt  invariable  de  la  France ,  de  l'Efpagne  &  de  la  Grande-Bretagne  ^ 
foutenus  de  leurs  forces  maritimes  ;  tant  de  fiiretés  laifTent-elles  regrettée 
un  autre  équilibre  ?  Si  lors  de  la  Paix  d'Utrecht ,  les  armes  Impériales 
avoient  occupé  la  Sicile ,  comme  elles  occupoient  le  Royaume  de  Naples  ^ 
le  Roi  d'Efpagne  n'auroit  pas  fait  difficulté  de  confentirà  cette  difpofition^ 
&  le  Miniftre  d'Efpagne  lui-même  n'a  pas  &it  difficulté  (a)  de  dire,  que 
le  Roi  Ton  Maître  n'àvoit jamais  compté  de  garder  la  Sicile,  &  que  s'il 
en  faifoit  la  conquête ,  il  feroic  porté ,  puifque  toute  l'Europe  le  vouloir 
ainfi ,  à  la  remettre  même  à  l'Empereur. 

Les  vrais  motifs  de  ce  refus ,  jufqu'à  préfent  impénétrables ,  viennent 
enfin  d'éclater*  Les  Lettres  de  l'Ambafladeur  d^Efpagne  au  Cardinal  Albe- 
roni'  ont  levé  lé  voile  qui  les  couvroit ,  &  l'on  apperçoit  avec  horreur  ce 
qui  rendoit  le  Miniflre  d'Efpagne  inacceffible  à  tout  projet  de  paix.  Il  au- 
roit  vu  avorter  par-là  ces  complots  qu^il  tràmoit  contre  nous.  Il  eût  perdu 
toute  efpérance  de  défoler  ce  Royaume,  de  foulever  la  France  contre  la 
France,  d'y  ménager  des  rebelles  dans  tous  les  Ordres  de  l'Etat,  de  fouffler 
la  guerre  civile  dans  le  fein  de  nos  Provinces,  &  d'être  enfin  pour  nous  le 
fléau  du  Ciel ,  en  faifant  éclater  ces  projets  pernicieux ,  &  jouer  cette  mine 
qui  devoit,  félon  les  termes  des  Lettres  de  l'Ambafladeur,  fetvir  de  pré-^ 
lude  1  l'incendie.  Quelle  récompenfe  pour  la  France  des  tréfprs  qu'elle  a 
prodigués ,  &  du  fang  qu'elle  a  répandu  pour  l'Efpagne  ! 

La  Providence  a  éloigné  de  nous  ces  malheurs ,  &  tous  les  François  ^ 
à  la  vue  de  la  trahifbn  qui  nous  les  préparoit ,  en  attendent  &  en  preflent 
la  vengeance.  Mais  Sa  Majeflé  n'époufe  que  les  intérêts  de  fon  Peuple ,  & 
non  pas  fes  palfions.  Elle  ne  prend  aujourd'hui  les  armes  que  pour  obtenir 
la  paix ,  fans  rien  perdre  de  fon  amitié  pour  un  Prince  qui  a ,  fans  doute  ^ 
horreur  des  perfidies  qu'on  a  tramées  fous  fon  nom.  Heureux  fi  fes  vertus 
l'avoient  mis  à  couvert  des  furprifes  de  fon  Miniflre ,  &  fi ,  faifant  taire  à 

">'|l|        <      Il        I  I  I       p        III  I  ■■  — i— — 1^— — — — il— — ^— — ^M^ 

(a)  I^eme  du  Marquis  de  Nancrj  du  a6  Septembre  1718. 

jamais 


CENS.  it, 

iamaisles  mauvais  confeils,  il  nVcoutoic  plus  que  fa  parole,  fa  juflice  &  fx 
religion  ,  qui  le  follicicent  toutes  à  la  paix  ! 

Ce  Manifefte  fut  fuivi  de  la  marche  des  troupes  qui  fe  jetterent  dans  la 
Navarre  &  dans  la  Bifcaye ,  oii  elles  firent  de  faciles  conquêtes  qui  ne  font 
piï  de  noire  fiijer  ;  mais  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  remarquer 
que,  quoique  Philippe  V  parût  à  la  tête,  non  de  fa  Maifon  feulement, 
mais  de  50  à  40  mille  hommes ,  il  n'y  eut  pas  un  Ceul  régiment  François 
qui  branlât  pour  embraffer  fon  parti ,  ce   qui  fijt  une  preuve  bien  parlante 

Sue  la  pièce  rapportée  ci-deflus  N".  VI  p.  96 ,  étoît  l'ouvrage  du  MiniftfC 
'£fpagne  aufTi-bien  que  les  précédentes ,  &    qu'elles  ne    venoient  d'au- 
cun François. 

Perfonne  n'ignore  la  fuite  de  cette  affaire.  Le  Cardinal  Alberoni  fe  rendît 
odieux  à  toute  l'Europe  par  ce  trait  d'une  politique  déteftable.  Le  Roi  d'Ef- 
pagne  fiit  obligé  de  l'éloigner  de  fa  Cour,  &  il  alla  porter  en  Italie    la 
honte  d'une  a<^ion  Ci  balle. 
Voye^  Alberoni. 


C  E  N  S  >    f.   m.    Dénombrement. 

.P  ^E  Cens  étoit  chez  les  Romains ,  une  déclaration  authentique  que  les 
citoyens  fiiifojent  de  leurs  noms,  biens,  réfidence ,  &c.  pardevani  des  Ma- 

tittrats  prépofés  pour  les  enregiftrer,  &  qu'on  nommoit  à  Rome  Cetijeurs, 
l   Cenjiteurs  dans  les  Provinces  &  les  Colonies. 

Le  Cens  ou  dénombrement  des  citoyens  fut  la  première  fbnflion  des 
Cenfeurs.  On  attribue  l'origine  du  Cens  a  Servius  TulUus  ,  flxieme  Roi 
des  Romains,  qui  l'uiftitua  au  commencement  de  fon  règne,  l'an  de 
Rome,  177;  &  cela  pour  deux  raifons  également  fages  &  utiles  ;  l'une, 
pour  connoitre  d'un  coup-d'œil  les  forces  de  fon  Royaume  i  l'autre ,  pour 
engager  fes  fujets  à  fournir,  chacun  félon  fon  pouvoir,  de  quoi  fubvenir 
aux  befbins  de  l'Etat.  Il  ordonna  \  tous  les  citoyens  de  venir  infcrire 
leurs  noms,  de  déclarer  leur  âge,  la  qualité  de  leurs  pères  &  mères,  les 
noms  de  leurs  femmes  &  de  leurs  enfans,  &  de  faire  un  dénombrement 
exafl  de  tous  les  biens  qu'ils  polTédoient.  Afin  que  fes  ordres  fuffent  exé- 
cutés plus  ponétiiellement,  il  publia  une  loi,  qui  portoit  que  celui  qui 
ne  fcroit  pas  venu  s'mfcrirc  dans  le  jour  marqué,  feroii  battu  de  verges., 
&  vendu  comme  e^zl^vç.  Les  Romiins  fe  hâtèrent  d'obéir  aux  ordres  de 
Servius  TuUius.  Ce  Prince  les  diltribua  par  ctaffes  fic  par  centuries,  & 
les  chargea  de  payer  chacun,  à  proportion  de  fon  revenu  ,  une  certaine 
fomme  pour  les  néce(fiiés  de  l'Etat.  It  leur  enjoignit  enfuite  de  fe  trou- 
ver en  armes  au  poiot  du  jour  dans  le  champ  de  Mairs,  la  cavalerie  Se 
Tome  XL  P  ; 


fr4  C    E    K    1 


TiontiÊtnt  Cptiwf  fxt  coDOmcs^  pois  y  symt  nu -racine  no^  cctn 
armée  e0  bauUle^  il  e0  &  la  renie,  &  la  purifia  par  le  ùciifitc  nomnié 
foUtaurilia  oa  fucptiausiUa^  qui  iê  fiûCoit  eo  rhooneor  de  Mais,  &  dans 
lequel  on  irainrfmt  no  taoreaa  ^  un  bdier  &  on  porc ,  après  leur  avoir 
£ur  fiûre  mm  fins  le  toor  de  Parmée  ;  cérémonie  cpâ  eft  toujours  obfënrée 
depuis  à  la  cloiure  du  Cens,  puifijoe  Denis  dUalicaimifiê  affine  que  de 
ion  temps  encore ,  les  Cenleors  avoienc  coomme  de  purifier  de  cène  lofte 
les  Romains ,  après  vidut  bit  le  Cens ,  &  que  cda  fè  nommoic  en  lenr 
lanjetse  lufirum^ 

^rrvins  TuUins ,  pendam  ion  règne ,  fit  onatre  fi>is  le  Cens  ;  i!  nV  a 
que  le  premier  qm  foie  connu.   Tarqnin-le-iuperbe ,  eimemi  de  tout  bien  , 


OC  de  la  mémoire  de  Servius  Tullius ,  négligea  cet  écabliflèmenr  fi  utile. 
Après  Texpulfion  àts  Rois ,  le  pouvoir  de  mre  le  Cens  psllà ,  avec  toutes 
les  autres  fimâions  Royales  ^  en  la  peribnne  des  Coninls.  Ces  premiers 
Magiftrats  furent  pendant  loixance-fept  ans  en  poflèffion  de  faire  le  dénom- 
brement des  citoyens.  Mais  comme  le  peuple  Romain  vint  \  (e  Bonyer 
dans  la  fuite  embarrallë  de  guerres  cootinuelles  ,  &  que  les  Confids, 
obligés  d'être  à  la  tête  des  armées ,  ne  fiiifoient  prelque  plus  de  réfidence 
dans  Rome ,  Ton  commença  I  négliger  le  Cens ,  &  on  (ut  dix-lèpt  ans 
entiers  (atu  le  faire.  Uan  dé  Rome  312 ,  M.  Génanius  Macérinus  &  T.  Q. 
Capitolious  »  Confuls^  propofcrenr  de  créer  un  Magîftrac  exprès  pour  fiùre 
le  Cens  des  citoyens.  Leur  propofition  fut  agréée;  &  le  Sénat  ordonna 
que  Ton  éliroit,  pour  cet  effet,  deux  perfomsages  de  probité,  de  maifon 
patricienne ,  &  le  plus  ibuvent  même  des  confulaires ,  ce  qui  fe  pratiqua 
lufott^  l'an  de  Rome  402 ,  que  C.  Martius  Rutilus ,  le  premier  d'entre  les 
Plébéiens  qui  fut  parvenu  i  la  diâature ,  demanda  la  charge  de  Cenfèur , 
Tobtint  &  eut  pour  collègue  Cn.  Manlius  Impériofus ,  pei^nnage  confu- 
^  Quelques   années  après,  un  autre  Diâareur,  Q.  Publius  Philo,  fit 


porter  une  loi  qui  ordonnoit  que  des  deux  Cenfeurs ,  il  y  en  auroit  un 
siré  du  peuple.  Et  Pan  de  Rome  621,  ils  furent  tous  deux  choifîs  parmi 
les  Plébéiens.  Depuis  ce  temps ,  on  les  prit  indiffêremment  dans  les  deux 
ordres. 

La  durée  de  cette  charge,  dans  fa  première  înfKtution,  fut  de  cinq  ans^ 
I  la  fin  defquels  fe  faifoit  le  Cens.  Avant  qu'il  fe  fbt  écouté  dix  ans ,  elle 
fut  réduite  à  dix-huit  mois  par  le  Diâateur  Mamercus  Emilius.  Ainfî  régu- 
lièrement Rome  étoit  fans  denfeurs ,  pendant  trois  ans  &  demi ,  car  le  luftre 
ne  fe  fitifbit  qu'au  bout  de  la  cinquième  année.  Mais  cet  ordre  fut  fouvent 
troublé ,  foit  par  les  guerres  du  dehors ,  (bit  par  les  diffentions  domefti- 
ques ,  &  d'autres  raifbns  particulières.  Quelquefois  il  fe  pafTa  plus  de  cinq 
ans  ,  fans  qu'il  y  eût  de  Cenfeurs.  Dans  d'autres  occafions ,  on  créa  plus 
d'une  fois  des  Cenfeurs  pendant  l'intervalle  d'un  luftre,  fi  ceux,  qui  avoient 
été  choiiis  d'abord ,  n'avoicnt  pas  pu  achever  leur  ouvrage. 
^  Rome  étoit  fuperfiiticufe  à  l'excès.  Comme  la  prife  de  la  ville  par  les 


CENS.  m 

Gaulois  ^toic  arrivée ,  l'année  où  Ton  avoit  fubOitué  M.  Cornélius ,  en  Ix 
place  d*un  des  deux  Cenfeurs ,  qui  étoit  mort  dans  fx  magiftrature ,  il  fbt 
ordonné  qu'en  pareil  cas  ,  on  ne  donneroic  point  de  fucceireur  k  celui  qui 
ferait  mort,  &  que  fon  collègue  fe  démetiroic  de  fa  charge. 

Fluiieurs  Savans  ont  diftingué  le  lieu  oi!i  fe  faifbit  le  Cens ,  d'avec  celui 
où  fe  faifoit  la  clôture ,  prétendant  que  les  Cenfeurs  fàifoieni  le  Cens  dant 
la  grande  place  de  Rome,  &  la  clôture  dans  le  champ  de  Mars.  D'autres, 
au  contraire,  ont  cru  que  tant  le  Cens  que  le  luHre  fe  faifoient  dans  le 
champ  de  Mars.  M.  de  Valois  fe  contente  de  rapporter  ce  que  dit  là-deflus 
Tite-live;  favoir,  que  Tan  de  Rome  ^19 ,  les  Cenfeurs,  C.  Furius  Pacilus, 
&  M.  Geganius  Macerinus  lîrent ,  pour  la  première  fois,  le  Cens  des  ci* 
loyens ,  dans  un  grand  hôtel  qu'ils  nommèrent  villa  publica.  Le  peuple 
donc  féparé  par  tribus ,  s'atTembloic  dans  le  champ  de  Mars ,  Ôc  le  crieur 
public  les  faifoit  avancer  l'un  après  l'autre ,  au  pied  du  Tribunal  des  Cen- 
îears,  en  préfence  defqueh  ils  faifoient  leur  déclaration  ,  qui  étoit  enre- 
giftrée  par  les  Greffiers ,  dans  les  regillres  publics.  Mais  pour  peu  qu'il 
parût  aux  Cenfeurs,  que  quelqu'un  leur  eût  déguifë  la  vérité  en  quelque 
circonftance ,  ils  refuloient  de  recevoir  fa  déclaration.  Les  citoyens  ableni 
avoient  la  faculté  de  faire  leur  déclaration  par  Procureur,  pourvu  qu'ili 
enflent  foin  de  choiGr  pour  cela  un  homme  de  probité,  &  qu'ils  appor- 
tafleni  une  caufe  raifonnable  de  leur  abfence.  Il  y  avoit  de  grieves  peines 
contre  ceux  qui  manquoient  à  fe  faire  infcrire,  comme  conHfcation  do 
biens  &  perte  de  la  liberté  ;  ce  qui  fut  long-temps  pratiqué  dans  la  Ré- 
publique. 

Les  Cenfeurs  étoient  les  maîtres  de  fixer  l'eftimation  des  bi>ns  des  parti- 
culiers, &  par  conféqnent  de  les  impofer  à  une  taxe  plus  ou  moins  forte, 
parce  que  c'étoit  fur  l'enimation  faite  par  les  Cenfeurs,  que  fe  régloit  U" 
répartition  des  tribus. 

Dans  les  premiers  temps,  chacun  fe  faifoit  infcrire  dans  fa  clafle  ôc 
dans  fa  centurie,  puis  dans  fa  tribu,  lorfque  la  divinon  par  tribus,  dont 
Tufage  n'étoit  pas  d'abord  fort  étendu ,  eut  pris  iàveur  &  fe  fut  accrédité. 
Quand  Rome  eut  étendu  fes  conquêtes,  &  fondé  pluûeurs  colonies,  ou 
donné  le  droit  de  bourgeoifie  Romaine  à  pludeurs  villes ,  les  fondions  des 
Cenfeurs  eurent  plus  d'étendue.  Des  Officiers  qui  prenoienc  auffi  le  nom 
de  Cenfeurs  dans  ces  colonies  ou  villes  municipales,  rendoient  compte  aux 
Cenfeurs  de  Rome,  de  l'état  de  ces;  villes,  du  nombre  de  leurs  habitans, 
de  leurs  richelTes  ;  &  leur  rapport  étoit  enregiftré  dans  le  livre  des 
f— f»urs. 

i  commençoit  le  Cens  à  Rome,  par  les  Sénateurs  &  les  Patriciens; 
afToit  enfuiie  aux  Chevaliers,   &  on  finiflbit  par  ceux  du  peuple, 
m  des   deux  Cenfeurs,   à  qui  cette   fondion   étoit  échue  par  le   fort, 
Ht  la  lifie  des  Sénateurs,  &  en  faifoit  la  ledure  à  haute  voix.  C'étoit 
un  grand  honneur  que  d'être  nommé  le  premier,  &  d'être  mis  à  la  t^te 

F  2 


^xtf  C    fi    N    È. 

àe  tous  les  autres.  Celui  qui  Tobtenoit  i  étoic  appeTIé  le  premier  des  Sent* 
teurs.  Ce  titre  d'honneur  une  fois  accordé,  ne  le  révoquott  plus,  à  moins 
que  celui  qui  en  avoit  écé  décoré ,  ae  méritât  d^être  rayé  du  catalogue  des 
Sénateurs  ;  ce  qui  efi  (ans  exemple  dans  toute  l'hiftoire  Romaine.  Lé  Prince 
^T  iiu  Sénat  gardoit  toujours  fon  rang ,  tant  qu'il  vivoit,  à  la  tête  de  chaque 
'  tableau  des  Sénateurs,  que  dreflbient  de  nouveaux  Cenfeurs.  Scipioiï  l'A- 
'  fricain  l'ancien ,  fut  nommé  trois  fois  prince  du  Sénat  ;  &  M.  Emitius 
Lepîdus ,  grand  Pontife ,  fix  fols.  La  coutume  ordinaire  étoit  de  nonmier 
Prince  du  Sénat,  le  plus  ancien  des  Cenfeurs  qui  étoîent  encore  en  vie. 
Le  Cenfeur  P.  Sempronius  Tuditanus ,  fut  le  premier  qui  changea  cet 
ufage,  en  nommant  Q.  Fabius  Maximus ,  malgré  l'oppoficion  de  >on  col-* 
^S"^  >  S^  vouloir  qu'on  déférât  cet  honneur  à  T.  Manlius  Torquatus  ; 
parce  qu'il  avoir  écé  Cenfeur  avant  Q.  Fabius  Maximus.  Et  la  louable 
coutume  s'établit  depuis ,  d'avoir  plus  d'égard  au  mérite  dans  et  choix  qu'à 
l'ancienneté. 

Le  Cenfeur»  après  avoir  déclaré  le  Prince  du  Sénat,  nommoit  de  fuite 
tous  les  Sénateurs:  On  procédoit  enfuite  au  Cens  des  Chevaliers.  Celui  qui 
écoit  nommé  le  premier  s'appelloit  Pr inceps  cquitum  ;  mais  cette  diftinélioa 
étoit  peu  remarquée.  Tous  les  Chevaliers  pafToient  en  revue  devant  les 
Cenfeurs,  en  menant  leurs  chevaux  par  la  bride.  Ils  éroient  revêtus  d'une 
robe  nommée  trabea.  Enfin  ceux  du  peuple  éroient  cités  par  leur  nom , 
chacun  dans  fa  dafle  ou  dans  fa  tribu. 

C'étoit  dans  cette  cérémonie ,  que  les  Cenfeurs  infligeoient  publique- 
ment des  peines  à  ceux  des  citoyens  qui  avoient  donné  quelque  (ujet  con* 
fidérable  oe  plainte ,  par  rapport  à  leur  conduite  &  à  leu^-s  nusurs.  Pour 
les  Sénateurs ,  il  fuffifoit  que  dans  la  leéhire  du  catalogue  on  eût  omir 
leur  nom.  Dès -là  ils  étoient  cenfës  déchus  de  la  dignité  de  Sénatew,. 
Par  rapport  aux  Chevaliers ,  on  les  puniffoit  en  leur  ôtant  le  cheval  » 
que  le  public  leur  fourniffoit,  âc  qui  étoit  la  marque  de  la  dignité  de 
Chevalier. 

Les  Plébéiens  étoient  tranfportés  d'une  tribu  plus  noble  dans  une  autre 
moins  confidérée ,  comme  d'une  des  tribus  de  la  Campagne ,  dans  une 
autre  du  même  genre,  mais,  inférieure;  ou  dans  quelqu'une  des  quatre 
Tribus  de  la  ville ,  qui  renfermoient  la  plus  vile  populace.  C'étoit-lâ  le  pre* 
mier  &  le  plus  léger  degré  de  punition.  Le  fécond  étôit  d'être  privé  du 
droit  de  fuftrage.  Les  habitans  de  Céré ,  ppur  avoir  reçu  chez  eux  les  Prê- 
tres &  les  chofes  facrées ,  lorfque  les  Gaulois  étoient  prés  d'entrer  dans 
Rome  ,  avoient  été  gratifiés  du  droit  de  bourgeoifie  Romaine ,  mais  fans 
ppuvoir  porter  de  fufFrage.  Par' ce  fécond  degré  de  punition,  les  citoyens 
Romains  étoient  réduits  à  l'état  des.  Cérites.  Le  troifieme  &  dernier  les  pri- 
voit,  non-feulement  de  fufFrage,  mais  de  toute  autre  prérogative  attachée 
'  a  la  qualité  de  citoyen ,  ne  leur  en  laiifant  d'autre  marque  que  la  néceffité 
de  payes  leur  part  des  tributs. 


CENS.  117 

Les  Sëosteurs  &  les  Chevaliers  étolent  quelquefois  condamnes  î  ces  trois 
Ibrtes  de  peines. 

Comme  la  pallion  pouvoii  avoir  lieu  dans  le  jugement  que  portoit  le 
.Cenfcur,  les  loix  «voient  fagement  établi  des  reinedcs  contre  Tabiis  d'une 
autorité  exceiTive,  dont  l'injufle  févérité  eut  quelquefois  befoin  d'être  ré- - 
primée.  Les  citoyens  dégradés  par  l'un  des  Cenfeurs  ,  pouvoient  fc  faire 
Téhabiliter  par  fon  collègue,  ou  par  les  Cenfeurs  fuivans,  ou  en  obtenant 
des  dignités ,  qui  les  rétablifToîent  dans  tous  leurs  droits. 

L'hillotre  nous  fournie  un  grand  nombre  de  ces  fortes  de  punirions  em- 
ployées légitimement.   En  voici  quelques-unes  des  plus  remarquables. 

Les  Cenfeurs  Scipion  Nafica  &  M.  Popilius,  faifant  la  revue  des  Cheva- 
liers ,  apperçurent  un  cheval  maigre  &.  élancé ,  dont  le  maître  étotc  fort 
gras  &  d'un  merveilleux  embonpoint.  D'où  vient  donc,  lui  dirent -ils, 
une  J!  grande  différence  entre  vous  &■  votre  cheval?  C'ç/?,  répliqua  le  Che- 
Talier ,  ^ue  c^eji  moi  qui  me  Joigne  ,  &  que  c'eft  mon  valet  qui  Jhigne  mon 
theval.  La  réponfe  parut  trop  hardie  ,  &  elle  î'étoic  en  effet.  Sa  négli- 
gence, jointe  à  ce  manque  de  refpeâ,  fut  punie  par  une  entière  dégrada- 
lion,  qui  ne  lui  laifTa  plus  d'autre  droit  de  citoyen,  que  celui  de  payer  les 
tributs,  in  œrarios  relatas  ejf. 

Caton,  furnommé  le  Cenfeur ,  chafTa  du  Sénat  L.  Quintius  Flaminius, 
parce  qu'étant  Conful ,  il  avoit  fait  exécuter,  au  milieu  d'un  feflin,  un  cri' 
minel ,  pour  procurer  à  une  courtifanne,  le  plaifir  inhumain  de  voir  mou- 
rir un  homme.  Selon  Tite-Live ,  le  fait  éfoit  bien  plus  atroce. 

Le  cenfeur  Fabricius  Lufcinus  ,  retrancha  du  nombre  des  Sénateurs , 
Cornélius  Rufînus  qui  avoit  été  deux  fois  Conful ,  &  une  fois  Diâateur , 
parce  qu^tl  avoit  en  vaifTelIe  d'argent  le  poids  de  dix  livres,  c'efl-à-dire , 
quinze  marcs  cinq  onces  de  notre  poids  \  perfuadé  qu'un  tel  exemple  pou- 
voit  être  fuBcfle  à  l'Etat,. en  y  introduifant  le  luxe.>  Heureux  fiecle,  di- 
»  foit  Caton  d'Uttque,  oi!i  quelque  légère  vaiffelle  d'argent  étoit  regardée 
»  comme  un  luxe  taflueux,  digne  de  la  répréhenfton  du  Cenfeur! 

DVutres  Cenfeurs  exclurent  du  Sénat ,  Duronius  ;  parce  qu'étant  tribun  du 

Seupte,  il  s*étoit  oppofé  à  une  loi,  qui  prefcrivoit  des  bornes  étroites  aux 
épenfes  de  la  table.  L'hiflorien,  pour  faire  fentir  toute  l'injuflice  &  toute 
l'indignité  de  l'aâion  du  tribun ,  le  fait  monter  fur  la  tribune  aux  haran- 
gues ,  &  lui  met  ce  difcours  dans  la  bouche  :  »  Romains ,  on  met  un  frein 
m  à  vos  défirs,  &  l'on  vous  im'pofe  un  joug  qui  efl  infupportable.  Quoi} 
s  lailfer  palTer  une  loi  qui  vous  oblige  il  vivre  dans  la  frugalité  !  Non ,  Ro- 
»  mains  ^  aux  Dieux  ne  plaife.  Nous  catTons  une  ordonnance  qui  fent  la 
»  rouille  du  vieux  temps.  Que  devient  donc  notre  liberté ,  fi  voulant  périr 
s  par  le  luxe,  on  ne  nous  le  permet  pas  ?  «  Un  tel  difcours  paroîiroii  ridi- 
cule &  infenfé.  La  réalité  l'eft-elle  moins!  Car,  c'efl  ainfi  que penfënt  ceux 
qui  autorifent  le  luxe. 
Le  Cens  fini,  les  Cenfeuri  afTembloient  dans  le  champ  de  Mari,l*anné« 


lit  C    E    N    Se 

de  la  vme^c^eft-^à^dire/lesfoldatsPi^coriens  âefiinés  S  lâ  g^rde  deRome, 
la  rangeoienc  par  centuries,  &  en  faifoient  la  revue,  qui  étoic  fuivie  du  fa« 
crilice  appelle  fuoyetauriUa  ,  par  lequel  fe  terminoit  la  clôture  du  Cens.  On 
ne  doit  pas  oublier  deux  chofes  par  rapport  \  ce  facrifice  ;  la  première  eft, 
que  l'on  avoit  grand  foin  de  choifir  toujours  pour  conduire  les  viâimes,  des 

{^eos  qui  portaf&nt  un  nom  heureux,  afin  que  cela  fût  d'un  bon  augure  pour 
a  fête;  la  féconde  eft,  que  Ton  faifoic  des  vœux  pour  la  confervation  & 
pour  la  profpérité  du  peuple  Romain;  c'eil-à-dlre,  que  Ton  y  acquictoit  les 
vœux  faits  dans  le  Cens  précédent ,  &  que  Ton  en  fbrmoit  d'autres  pour  le 
Cens  fuivanr. 

Après  Taccompliflement  de  ces  vœux  folemnels ,  celui  des  Cenfeurs  à  qui 
il  étoit  échu  par  le  fort  de  faire  la  clôture  du  Cens  ,  vêtu  d'une  robe  prétexte 
&  couronné  de  fleurs ,  donnoit  lui-même  le  coup  de  hache  aux  viâimes , 
comme  nous  l'apprend  Athénée.  Enfin  le  facrifice  achevé ,  le  Cenfeur  étoit 
obligé  de  remener  les  Prétoriens  dans  Rome ,  fous  leur  étendard.  Four  ce 
qui  efl  des  tables  cenforiennes ,  Tite-Live  affure  qu'elles  étoient  confervées 
dans  le  tréfor  des  Chartres  de  la  République ,  auprès  du  temple  de  la  liberté, 
fur  le  mont  Aventin. 

Les  premiers  de  Rome  regardèrent  d'abord  cette  charge  comme  au-deflbuf 
d'eux  \  cependant  elle  devint  bientôt  l'une  des  plus  grandes  magiflratures  ^ 

Earce  que  le  pouvoir  des  Cenfeurs  s'étendoit  juiqu'à  placer  ou  déplacer  qui 
on  leur  fembloit,  tant  dans  le  corps  du  Sénat  que  dans  celui  des  Cheva- 
liers. Ils  étoient  les  Juges  fouverains  de  la  Police.  On  leur  avoit  confié  le 
foin  de  fiiire  conflruire  &  d'entretenir  en  bon  état  les  temples ,  les  aqueducs  ^ 
tous  les  édifices  publics;  &  de  veiller  à  ce  que  l'on  en  fit  les  réparations  à 
propos  &  dans  le  temps.  On  voit  que  l'an  de  Reme  58 3^  le  Sénat  fit  re-» 
mettre  par  les  *  Quefleurs ,  entre  les  maips  des  Cenfeurs ,  la  moitié  des  tributs 
de  cette  atmée,  pour  difiërens  ouvrages  publics.  La  Bafilique  que  fit  con<- 
ftruire  alors  Sempronius,  fut  appellée  de  (on  nom,  Sempronia ^  comme  au* 
paravant  celle  de  Caton,  Porcia. 

C'étoit  auffi  une  fbnâion  importante  des  Cenfeurs,  de  pafler  le  bail  des 
revenus  publics  avec  les  fermiers^  appelles  pour  cette  raifon  publicanL  Ils 
ne  pouvoient  adjuger  les  fèimes  qu'en  préfence  du  peuple  Romain.  Il  paroît 
que  lorfque  les  baux  en  étoient  portés  à  un  trop  haut  prix,  les  fermiers 
avoient  recours  au  Sénat  qui  ordonnoit  quelquefois  que  l'on  procéderoit.  à 
une  nouvelle  adjudication,  comme  cela  arriva  pendant  la  cenfure  de  Ca*- 
ton;  &  les  fermes  pour  lors  furent  adjugées  à  un  prix  plus  bas. 

On  voit  dans  Tite^Live ,  que  la  garde  des  regiftres  publics  leur  étoit  con- 
fiée ,  &  que  c'étoit  \  eux  de  vdller  fur  les  Greniers ,  &  d'examiner  s'ils  s'ac^ 
quittoient  de  leur  emploi  avec  exaâitude  &  fidélité. 

Si  quelqu'un  avoit  fait  un  fmx  ferment;  fi  un  juge  étoit  accufô  d'avoir 
reçu  de  l'argent  pour  juger  un  procès  ;  fi  tel  citoyen  avoit  aliéné  ou  engagé 
mal  i  propos  fes  biens  ;  fi  tel  auue  faifôit  une  trop  groiTc  dépenfe;  tous  ces 


CENS. 


«ij 


en  Croient  de  la  compétence  des  Cenfeurs,  qui  en  jugeoicnt  fouveraine- 
ment.  Les  fiançailles  écoient  encore  de  leur  reflbrt,  auili-bien  que  les  ma- 
riages. On  fait  que  dans  le  temps  du  Cens,  les  Cenfeurs  avoient  coutume 
d'interroger  chaque  citoyen,  s'il  ctoit  marié.  Celui  qui  n'avoit  point  de  fem- 
me ,  payoit  pour  amende  utic  certaine  fomme.  Et  celui  qui  avoic  époufé  une 
femme  qui  fe  trouvoit  ftérile  ^  étoit  obligé  de  la  répudier,  &  d'en  prendre 
une  autre,  dont  il  pût  avoir  des  enftns.  Des  Cenfeurs  condamnèrent  à  une 
amende  confidérable  un  citoyen  qui  étoït  demeuré  dans  le  célibat  jufqu'i 
la  vieillefle;  d'autres  exclurent  du  Sénat,  un  Sénateur,  parce  qu'il  avoit  ré- 
fudié  fa  femme,  fans  avoir  pris  confeil  de  fes  amis. 

Les  Cenfeurs,  pour  tout  dire  en  un  mot,  avoient  infpeflion  fur  la  ma-   - 
■iere  de  vivre,  &  fur  les  mœurs  de  ïous  les  états;  &  l'honneur  ou  le  déf- 
honneur  de  chacun  en  particulier,  f^mbloit  être  abfolumeni  à  leur  dilpo- 
Ction. 

Cette  autorité  n'étoit  pourtant  pas  fans  bornes,  puifque  les  Cenfeurs  eux- 
mêmes  éroient  obligés  de  rendre  compte  de  leur  conduite  aux  Tribuns  du 
peuple  &  aux  grands  Ediles.  Un  Tribun  fit  mettre  en  prifon  les  deux  Cen- 
feurs M.  Furius  Philus  &  M,  Atttlius  Regulus.  Enfin ,  ils  ne  pouvoient  pas 
dégrader  un  Citoyen,  fans  avoir  préalablement  cxpofé  leurs  motifs  i  &  c'é- 
toit  au  ^'énat  &  au  peuple  à  décider  de  leur  validité. 

On  ne  peut  point  difconvenir  que  la  nécedîté  de  comparoître  dans  decer- 
tains  temps,  pour  y  rendre  compte  de  fa  conduite,  împofée  généralement 
i  tous  les  Citoyens  ,  en  forte  que  ni  la  naiffance  ,  ni  les  fervices  rendus  i  l'E- 
ttt ,  ni  les  charges  les  plus  importantes ,  comme  le  Confulat  &  la  Diâature , 
exercées  précédemment,  n'en  dirpenfoient  perfonne,  ne  fût  un  puiflant  frein 
pour  arrêter  la  licence  &  le  défordre.  Cette  crainte  falutaire  étoît  le  foutîen 
des  loïx,  le  nœud  de  la  concorde,  &  comme  la  gardienne  de  la  modeftîe, 
de  la  pudeur,  de  la  juftice ,  &  en  général  de  l'intégrité  des  mœurs. 

II  y  a,  dit  un  auteur  moderne,  de  mauvais  exemples,  qui  font  pires  que 
ïes  crimes î  &  plus  d'Etats  ont  péri,  parce  qu*on  a  violé  les  mœurs,  que 
parce  qu'on  a  violé  les  loix.  A  Rome,  tout  ce  qui  pouvoit  introduire  des 
nouveautés  dangereufes,  changer  le  cœur  ou  l'efprit  des  Citoyens,  &  en 
empêcher,  s'il  étoit  permis  d'ufer  de  ce  terme,  la  perpétuité;  en  un  mot, 
les  défordres  domefliques  ou  publics,  étoîent  réformés  par  les  cenfeurs. 
Cette  réflexion  parolt  fort  foUde. 

Si  le  luxe  Be  l'avarice,  caufes  ordinaires  de  la  ruine  des  Etats ,  fe  font  in- 
troduits fi  tard  à  Rome  ;  fi  la  pauvreté ,  la  fi-ugalicé ,  la  {implicite  Se  la  mo- 
deAie  dans  la  table,  dans  les  batimens,  dans  les  meubles  &  dans  les  équi- 

Eages,  y  ont  été  fi  long-temps  en  honneur,  je  ne  doute  point  qu'un  fi  rare 
onheur  ne  doive  être  principalement  attribué  i  Hnexorable  févérité  de 
certains  Cenfeurs  rigidement  attachés  aux  mœurs  antiques,  dont  ils  connoif- 
Ibient  combien  il  étoit  important  de  ne  fe  point  départir.  Quand  on  voit 
un  Romain  qui  a  palTé  par  toutes  les  charges  les  plus  conftdérables,  dégrada 


lao  C    B    K    S; 

de  iâ  dignité  de  Sénateur  ^  parce  qu'il  avoir  un  peu  plus  ^e  ▼aiflêlte  d'iur* 
gent  que  les  autres ,  on  eft  porté  naturellement  à  taxer  cette  condamnation 
d'une  rigueur  outrée  &  exceffive.  Il  faut  fe  fouvenir  que  le  Cenfeur  qui  pro- 
nonça ce  jugement ,  étoit  le  célèbre  Fabricius.  Ces  grands  hommes  totale- 
ment  dévoués  au  bien  public ,  &  qui  par  une  fage  prévoyance,  portoient  au. 
loin  leurs  vues  dans  les  fiecles  à  venir ^  le.croyoient  obligés  d'arrêter,  par 
des  punitions  exemplaires,  les  abus  qu'ils  voyoient  naître  de  leurs  temps, 
&  dont  ils  envifageoient  toutes  les  funeftes  fuites.  Ils  favoientque  ces  abus  ^ 
faciles  à  réprimer  dans  leur  naiffance ,  mais  devenus  bientôt ,  par  la  négli-* 
gence  des  Magiflrats  &  par  une  longue  impunité ,  plus  forts  que  toutes  les 
loix  I  entraînent  toute  une  nation  avec  une  rapidité  incroyable.  Or  quand 
les  chofes  en  font  venues  à  ce  point,, &  que  ce  qui  étoit  vice  &  défordre^ 
eft  devenu  les  mœurs  d'un  Etat ,  il  n'y  a  plus  de  remède  à  efpérer. 

Lorfque  Cicéron  accufa  Verrez ,  les  Juges  étoient  fi  généralement  dé«. 
criés  à  Rome  pour  leur  avance  &  leur  vénalité  ,  que  le  peuple  même  , 
quelque  averfion  qu'il  eût  toujours  témoigné  poiir  la  cenfure ,  défiroit  ar- 
demment qu'on  en  rétablit  l'exercice  qui  avoir  été  interrompu  depuis  quel- 
que temps ,  la  regardant  comme  Tunique  remède  qu'on  pût  apporter  aux 
défordres  qui  régnoiént  dans  la  judicature.  Et  elle  fut  rétablie  eèeâivemenCc 
cette  année-là  même ,  après  un  intervalle  de  feize  ans ,  par  les  confuls 
Pompée  &  CrafTus. 

L'auftérité  de  la  cenfure  produifoit  à  Rome  le  même  effet,  par  rapport 
aux  mœurs,  que  la  fé vérité  de  la  difcipline  militaire  dans  les  armées,  pour 
y  maintenir  la  fubordination  &  l'obéiflance.  Et  ce  furent-là  deux  des  eau- 
les  principales  de  la  grandeur  &  de  la  puiflfance  Romaine.  En  effet,  de  quoi 
fert  le  courage  au  dehors ,  fi  le-  dérèglement  &  la  corruption  dominent  au- 
dedans?  Quelques  viâoires  que  l'on  remporte ,  quelques  conquêtes  que  l'on 
fafle ,  fi  la  pureté  des  mœurs  ne  règne  point  dans  les  différens  corps  de 
l'Etat ,  fi  Tadminiflration  de  la  juflice  &  le  pouvoir  du  gouvernement ,  ne 
font  point  fondés  fur  une  équité  inébranlable ,  &  fur  un  fincere  amour  du 
bien  public ,  quelque  puiffant  que  foit  un  Empire,  il  ne  peut  pas  fubfiftec 
long-temps.  C'eft  un  payen  qui  parle  ainfi  à  l'occafion  des  grands  biens 
que  la  cenfure  produifoit.  On  remarque  que  la  faintecé  des  fermens  n'éroic 
nulle  part  refpeâée  comme  à  Rome.  C'eft  ,  comme  Tobferye  Cicéron  ^ 
que  nulle  faute  n'étoit  punie  fi  févéreinent  par  les  Cenfeurs ,  que  le  défaut 
de  bonne  foi  .&  le  mépris  du  ferment. 

Cette  charge  fubfifta  pendant  près  de  quatre  cents  ans  »&  ne  finit  que  lorf- 
que Jules  Céfar  s'érant  rendu  maître  de  l'Empire  Romain  ,  joignit  à  la 
diâarure  perpétuelle  la  charge  de  Cenfeur,  fous  lè^  nom  de  prétfcâura  mo^ 
rum.  Néanmoins  Dion  Caffius  rapporte  qu'Augufte ,  devenu  plus  puiffaaf 
&  plus  abfolu  que  ne  l'avoit  été  Jules-Céfar,  fut  nommément  créé  Cen-» 
feur  pour  cinq  ans  ;  ce  qui ,  félon  les  apparences ,  fe  renouvella  à  cha-» 
que  lufire  pendant  le  refte  de  fa  vie  y  puifque  nous  ne  voyons  |)oinf  que 

fous 


f 


CENS»  î3tt 


s  Empereurs,  il  y  ait  eu  d^autres  Ceofeiirs  ane  les  Empereurs eux^ 
,  ces  Princes  n'ayant  pas  jugé  à  propos  de  iouffrir  un  Magiflrat  fi 


fous  les 

mêmes 

puiflant  dans  un  Etat  monarchique.  On  ne  connoit  que  trois  Empereurs  qui 

aient  pris  fur  leurs  monnoies  le  nom  de  Cenfeur;  Vefpafien,  Oi  fes  *deux 

fils  ,  Tire  &  Domitien. 

II  ne  faut  pas^  beaucoup  de  réflexion  pour  fiiîre  fentir  toute  l'utilité  da 
Cens  :  fi  la  population  eft  eflentielle  à  un  État  ^  le  dénombrement  des  fu- 
jets  devient  néceflaire  à  la  conduite  du  gouvernement.  Ce  moyen  appren* 
dra  fi  l'efpece  multiplie ,  ou  fi  elle  décroît  :  on  connoitra  fi  les  loix  pé-* 
chent.  On  faura  par  le  nombre  de  chaque  profefiion  ,  fi  le  vice  eft  égal 
dans  tous  les  ordres,  ou  s'il  n'afFeâe  que  l'un  d'eux  :  on  appercevrapar-là 
ies  caufes  les  plus  prochaines  &  la  meilleure  efpece  des  arrangemens  boni 
à  prendre  dès  le  commencement  de  la  maladie.  On  fera  encore  inftruit  du 
nombre  des  vagabonds,  des  gens  fans  aveu  que  Taumône  entretient  dans 
une  oifiveté  préjudiciable  à  la  république. 

On  n'a  confidéré  jufqu'ici ,  la  population  que  fous  un  point  de  vue  gé- 
néral ;  elle  mérite  d'être  obfervée  dans  le  détail.  Il  ne  fuffit  pas  d'avoir 
des  hommes  ;  leur  nombre  ira  jufqu'à  être  nuifible ,  s'ils  ne  font  pas  dif- 
tribués  dans  les  proportions  qui  doivent  être  dans  leurs  différentes  claflès. 

La  Monarchie  demande  une  proportion  de  nombre  entre  la  nobleffe , 
la  bourgeoifie  &  le  peuple  qui  fournit  le  cultivateur ,  l'artifan  &  le  foldat. 
Là,  comme  ailleurs,  la  claffe  de  l'artifan  ne  doit  pas  fe  groffir  aux  dé- 
pens de  celle  du  laboureur  &  du  vigneron  ;  &  le  dénombrement  feul  peut 
infiruire  de  ce  que  l'État  peut  prendre  de  foldats  Air  l'un  ou  fur  l'autre. 

Les  proportions  font  encore  relatives ,  non  à  la  grandeur ,  mais  à  l'em- 
ploi des  territoires.  Les  pays  de  pâturages  veulent  moins  d'hommes  que 
ceux  de  labourage,  &  ceux-ci  beaucoup  moins  que  les  pays  de  vignobles. 
Toutes  ces  proportions  peuvent  fe  former  &  fe  maintenir  par  de  bonnes 
loix.  De  cette  difpenfation  dépendent  la  force  &  l'éclat  dû  corps  politique. 

Les  avantages  que  le  gouvernement  peut  retirer  du  Cens  font  infinis. 
11  eft  également  malheureux  que  cette  pratique  foit  négligée  ;  ou  que ,  fi 
elle  eft  mife  en  oeuvre ,  elle  n'opère  pas  les  réglemens  que  l'on  en  doit 
attendre. 

On  a  vu  que  le  Cens  des-  anciens  comprenoit  deux  chofes,  le  nombre 
des  fiijets  &  l'eftimation  de  leurs  biens.  Ces  monumens  nous  appreimenc 
la  prodigieufe  richeffe  de  ce  temps-là ,  &  l'énorme  difproportion  des  forr- 
tunes  des  particuliers  d'alors,  &  de  ceux  d'aujourd'hui.  Nous  trouvons 
dans  Démofthene  que  le  revenu  de  l'Âttique  étoit  de  trente-fix  millions 
d'écus  d'or.  Le  nombre  des  perfonnes  libres  ne  paffoit  pas  trente  mille. 
Ces  trente  mille  ne  donnoient  pas  peut-être  dix  mille  chefs  de  famille , 
entre  lefquels  ces  revenus  n'étoient  pas  partagés  également  à  beaucoup 
prés.  . 

Cette  différence  frappante  des  fortunes  des  temps  paflés  &,  des  nôtres  ^ 

Tome  XI.  Q 


laa  CENS. 

devient  bien  tiatUrelle  par  une  fimple  obfertration.  Les  hommes  écoîent 
alors  divifés  en  deux  efpeces ,  les  libres  &  l$s  efclaves.  Cette  dernière 
portion  étoit  infiniment  fupérieure  par  le  nombre;  je  prendrai  toujours 
mon  exemple  dans  TAttique.  On  y  comptoit  environ  treize  efclaves  pour 
un  homme  libre ,  de  forte  que  dix  mille  familles  polfèdoient  ce  qui  eft., 
de  nos  jours ,  divifé  entre  cent  quarante  mille.  Je  n'ai  pas  prétendu  faire 
un  calcul  exaâ ,  mais  un  à-peu-près. 

L'appréciation  àes^  biens  parolt  au  premier  coup-d'ceil ,  aufli  utile  ^  aufli 
nécefiaire  que  le  dénombrement  des  perfonnes.  Elle  peut  être  confidérée 
fous  deux  rapports.  On  peut  concevoir  une  eftimation  particulière  des  biens 
de  chacun ,  d'où  réfidtera  la  connoiflance  du  total  ^  ou  une  eftimation  totale 
fans  divifion  particulière  :  cette  féconde  ed  nécefiaire  aux  grands  objets.  A 
l'égard  de  la  première  ^  i^.  elle  ne  remplit  pas  les  vues  qu'on  fe  propofe; 
2^.  elle  eft  fujecte  à  des  inconvéniens  fans  nn  ;   3^\  elle  eft  inutile. 

Le  Cens  paniculier  ne  peut  avoir  d'objet  légitime  qu'une  répartition  équi- 
table &  proportionnée  des  charges.  Si  on  coliige  le  Cens  par  la  voie  des 
déclarations  de  chacun  fuivant  les  anciennes  méthodes ,  quel  efl  l'homme 
qui  ne  défigurera  pas  le  tableau  de  fa  fortune  au  point  de  le  rendre  mé- 
connoiflable }  Le  riche ,  tranquille  dans  fa  pofition  ,  te  donnera  pour  malaifé, 
l'homme  à  demi  ruiné ,  qui  craint  tout ,  voudra  paflèr  pour  opulent.  La 
jnème  vue  d'intérêt  les  guide  par  des  chemins  oppofés.  Il  eft  abfurde  de 
vouloir  régler  des  fubfides  fiir  de  pareils  fondemens. 

Voudra*t-on  parvenir  au  but  propofé  par  les  recherches  ?  Flufieurs  obf- 
tacles  fe  préfentent.  On  ne  pourra  par  cette  voie  connokre  tout  au  plus 
que  les  immeubles  ^  &  on  doit  contribuer  fur  la  toulité  des  richefles.  On 
vient  de  voir  qu'il  eft  impropofable  de  compter  fur  les  déclarations  »  les 
hommes  trouveront  plus  de  détours  pour  cacher  un  mobilier  aâif ,  que  Ton 
n'en  inventera  pour  le  découvrir ,  duflènt-ils  le  fiiire  pafler  chez  L'étranger. 

Je  ne  parlerai  pas  de  l'inconvénient,  immenfe  qu'une  recherche  de  cette 
nature  entraineroit  vis-à-vis  du  commerce  :  il  fi-appe  tous  les  yeux;  mais 
il  n'eft  point  de  famille  à  laquelle  il  n'importe  d'avoir  fba  fecret.  Si  on 
met  au  grand  jour  les  dettes  aâives  de  l'une  ^  on  découvre  les  paffives 
de  l'autre  ;  que  de  vuides  af&eux  fe  préfenteroient  !  que  de  crédit. ,  de  ref- 
fources  &  d'établiflemens  perdus  !  Si  on  fouille  fcrupuleutement  l'intérieur  ^ 
c'eft  une  inqutfition  civile  ;  fi  on  recheiiche  fuperficiellement ,  c'eft  une 
fource  d'abus  &  d'inégalités. 

Venons  à  confidérer  le  Cens  particulier  uniquement  par  rapport  au  fonds 
des  terres  ;  il  eft  incertain ,  &  le  plus  fouvent  inexad.  Les  déclarations 
fiir  les  qualités  des  terreins  &  le  rapport  de  leivs  firuits  ne  feroient  pas 
plus  fide^s  que  fur  le  mobilier;  il  nut  donc  avoir  recours  à  l'apprécia-^ 
tion  ;  mais  la  divifion  ufitée  en  bon  ,  médiocre  &  mauvais ,  eft  trop  abré- 
gée :  on  apperçoit  plufieurs  degrés  eutre  le  bon  &  le  meilleur ,  le  plus  on 
le  moins  médiocre,  le  mauvais  &  le  pire« 


C    E    N    S.  123 

Cette  opération  fautive  de  fa  nature ,  peut  Pétre  encore  plus  par  Tinat- 
tention ,  l'ignorance ,  la  prévarication  de  ceux ,  ou  qui  opèrent ,  ou  qui  di- 
rigent l'opération.  La  taille  tarifée,  établie  en  France  fur  cette  théorie,  a 
produit  les  inégalités  les  plus  fenfibles,  &  n'a  pas  introduit  les  juftes  pro- 
portions. 

L'occafion  fe  préfente  fans  ceife  de  répéter  que  fous  un  gouvernement 
ou  préfide  la  juflice,  tout  eft  bon;  mais  iorfqu'un  ufage  invétéré  livre  les 
peuples  aux  traicans,  ils  ne  voient  dans  le  Cens  particulier  «  au  lieu  des 
moyens  de  l'égalité ,  que  ceux  de  l'oppreflion  :  tout  fe  change  entre  leurs 
mains  en  maximes  tortionnaires. 

On  a  vu  procéder  à  la  découverte  des  facultés  par  la  voie  de  l'informa- 
tioii.  On  a  vu  demander  à  des  fyndics ,  fimples  manœuvriers,  de  donner 
par  état  la  valeur  des  revenus  de  chaque  poifefleur  dans  leurs  paroiffes. 
Ces  gens ,  dont  les  connoilfances  fe  bornent  à  favoir  la  valeur  de  leurs 
outils ,  ne  s'étoient  jamais  informés  de  la  quantité  des  grains ,  des  vins , 
du  bois  ou  des  autres  denrées  recueillies  par  les  propriétaires ,  encore  moins 
du  prix  des  ventes ,  des  frais  de  mife ,  des  dépéririons ,  6fc.  Ils  faifoient 
remplir  un  papier,  qu'ils  ne  fàvoient  pas  écrire,  de  leurs  idées  vagues  & 
dontufes,  après  qu'on  leur  avôit  (kit  entrevoir  qu^  les  fubfides  impofés 
fur  les  privilégiés,  feroient  diminuer  les  leurs ^  c'eft  fur  ces  fondemens 
pourris  qu'on  a  vu  affeoir  des  taxes. 

Dans  les  pays  où  la  nature  du  fol  &  des  fruits  permet  de  donner  à  la 
ferme ,  &  ou  l'ufage  en  eft  introduit ,  on  a  une  règle  pour  taxer  les  fonds  ; 
mais  dans  ceux  où  un  domaine  eft  une  manufaâure  que  le  propriétaire  eft 
forcé  de  conduire  &  de  veiller  ;  où  l'on  voit  quelquefois  du  brillant  «  mais 
conftamment  plus  de  cafuel  que  de  folide ,  ce  n'eft  que  par  hafard  que 
l'^n,eflime  avec  jufteffe. 

Quand  on  fuppoferoit  une  appréciation  exaâe ,  dont  l'impoflibilité  pra<- 
tique  eft  démontrée,  le  Cens  n'en  fèroit  pas  plus  fixé.  Les  mxitations 
journalières  y  font  un  inconvénient  inévitable  ;  les  contrats ,  les  aâions  ^ 
les  charges ,  fe  vendent  comme  les  fonds.  Il  ne  fuffît  pas  d'écrire  le  nom 
de  l'aquéreur  à  la  place  de  celui  du  vendeur  ;  les  corps  des  biens  fe  dé- 
membrent; Tes  fuccedions  fe  partagent,  le  tout  par  portions  inégales  :  i! 
faut  chaque  jour  écrire ,  chaque  jour  eflacer  ce  qu'on  aura  écrie  la  veille. 
Les  fortunes  font  des  tableaux  mouvans;  les  idées  doivent  changer  &  fe 
fuccédèr  à  chaque  inftant,  fans  qu'on  puiffe  fe  repofer  fur  aucune.^ 

Comment  pourra*t-on,  dans  ces  circonftances ,  affurer  une  capitation  ? 
on  la  règle  fur  la  commune  renommée.  Où  fe  fait  l'enquête  >  devant  qui  > 
quels  font  les  dépofâns  ?  la  vérité  du  jour  ne  fera  pas  la  vérité  du  lende- 
n^ain.  Quand  on  parviendroit  avec  des  dépenfes  &  des  peines  inimagina- 
bles à  un  calcul  à-peu-près  exaâ,  les  variations  fans  nombre  en  exigeroient 
un  nouveau  chaque  femaine. 

Il  efl  évident  que  (i  on  peut  atteindre  à  une  plus  grande  judeffe  par 

Q  a 


124  CENS. 

une  voie  (impie ,  le  déocmbrement  de  chaque  fortune  devient  inutile. 
Tout  eft  réglé ,  tout  eft  dans  l'ordre  autant  qu'il  peut  Tètre ,  par  la  levée-  - 
d'une  portion  certaine  des  fruits  ;  fi  d'ailleurs  on  permet  au  débiteur  de  ^ 
retenir,  fîir  les  intérêts  qu'il  paie,  une  quotité  pareille  à  celle  qu'on  prend  ^ 
fur  fes  denrées  :  le  mobilier  paie  alors  comme  l'immeuble  ;  cela  fe  paffe  ^ 
du  débiteur  au  créancier  ;  l'état  àcs  fortunes  n'eA  pas  expofé  à  la  ^ 
lumière. 

Mais  autant  que  le  détail  du  Cens  peut  être  nuifible  &  Qu'il  eft  fuperfla ,  , 
autant  la  connoifTance  du  général  des  fonds  de  l'Etat  eu  nécefGôre  ^  la  ^ 
conduite  du  Gouvernement.  La  meilleure  manière  de  les  connoitre  eft  d'en  ^ 
examiner  les  produftions. 

On  peut  pofer  pour  maxime  que  toute  efpece  d'impôts ,  quels  que  l'on 
puifle  les  imaginer,  fo  paie  du  produit  àts  fonds.  La  taxe  tmpofée  fur  l'ar- 
tifan ,  fur  l'homme  de  journée ,  fur  les  marchandifes ,  fe  paie  par  celui  qui 
confomme.  Si  on  fuppofe  que  fa  fortune  ne  confifte  qu'en  dettes  aâives , 
elles  font  afltfes  fur  qes  propriétaires  de  fonds  :  fi  l'on  veut  que  ce  foit  fur 
des  commerçans ,  les  produâions  de  la  terre  font  la  bafe  primitive  dû  com-> 
merce}  il  faut  toujours  y  revenir 

Lts  fonds  font  les  feules  facultés  réelles ,  toutes  les  autres  font  idéales  :  il 
eft  vrai  cependant  que  la  valeur  des  fonds  de  la  Hollande  en  Europe  ne 
répond  pas  à  fes  richeffes  ;  mais  fi  on  tourne  les  yeux  fur  les  fi^uits  de  fes 
poftëdions  étrangères^  onv  trouvera  leur  véritable  fondement.  Les  profits 
de  l'échange  &  de  l'induftrie  font  cafuels,  on  y  peut  foufFrir  des  pertes, 
comme  y  faire  des  profits.  Un  État  ne  peut  fonder  fes  finances  fur  l'indé- 
terminé, fijr  l'incertain. 

Si  la.produâion  des  fonds  eft  la  mefure  de  la  richefle  d'un  État,  on 
doit  fentir  combien  il  eft  utile  à  un  corps  politique  quelconque  de  connot* 
tre  en  gros,  non- feulement  la  quantité  de  \ts  fonds ,  mais  encore  la  natu* 
re,  à-peu- près  de  fes  diflërens  terroirs.  Cette  dépenfe  n'approchera  pas  de 
celle  du  mefurage  en  détail  des  biens  de  chaque  pofleflèur. 

Si  les  fruits  de  la  terre  font  les  feules  richeflès  folides ,  il  eft  intérelfant 
que  l'on  cultive  chaque  efpece  dans  le  terrein  qtfi  lui  eft  propre.  Après 
avoir  calculé  ce  qu'il  faut  pour  l'abondance  des  fruits  de  premiers  befoins, 
le  gouvernement  ne  doit  pas  fouftrir  que  l'on  emploie  les  terres  qui  y  fe- 
ront deftinées»  à  produire  ceux  de  commodité»  &  moins  encore  ceux  qui 
fervent  au  luxe. 

Ce  n'eft  pas  encore  aflèz  que  l'on  ne  plante  pas  des  vignes,  des  oli- 
viers ,  des  mûriers  au  détriment  des  bleds  &  des  bois  ;  les  vins ,  les  hui* 
les ,  la  foie  doivent  être  dans  des  proportions  convenables  des  uns  aux  au- 
tres. Une  de  ces  denrées  ne  doit  pas  être  fans  valeur  par  fa  furabondance, 
tandis  que  l'autre  ne  fera  pas  dans  une  quantité  fuftîlante,  &  qu'il  &udra 
la  tirer  de  l'étranger  :  cette  partie  la  plus  effentielle  eft  la  plus  négligée. 

On  dit  que  chaque  propriétaire  doit  être  libre  d'économifer  fes  fonds 


CENS,  -125 

félon  (a  volonté  ;  aue  Ton  peut  fe  repofer  fur  la  connoiflknce  que  chacun 
a  de  fon  intérêt,  oc  fur  (on  expérience  :  n'eft-ce  pas  une  feuffe  maxime, 
une  fauile  liberté  t  c'eft  au  moins  fuppofer  que  le  générai  fe  conduit  par 
*  la  faine  raifbn  ;  c^eft  donner  au  commun  des  hommes  un  jugement  foli- 
de ,  un  difcernement  éclairé^,  plutôt  que  des  fantaifies  &  des  connoiflkncet 
bornées  i  c'eft  ne  les  pas  connoitre. 

• 

CENS,  rente  foncière  dut  en  argent  ou  en  grain ,  ou  autre  chofe ,  pour 

un  héritage ,  au  Seigneur  du  fief  dont  il  relevé: 

JLi  E  Cens  eft  un  hommage  &  une  reconnoiflance  de  la  propriété  direâe 
du  Seigneur.  Le  Cens  eft  imprefcriptibie  &  non^rachetable  ;  teulemenc  on 
en  peut  prefcrire  la  qualité  ou  les  arrérages  par  30  ou  40  ans. 

Le  Cens ,  dans  les  premiers  temps ,  égaloit  prefque  la  valeur  des  fruits 
de  l'héritage  donné  à  Cens ,  comme  font  aujourd'hui  nos  rentes  foncières  j 
de  forte  que  les  Ceniitaires  n'étoient  guère  que  les  fermiers  perpétuels 
des  Seigneurs,  dont  les  revenus  les  plus  conudérables  confiftoient  dans 
leurs  cenfives.  Ce  qui  en  fait  à  préfent  la  modicité  ,  c'eft  l'altération  des 
monnoies  ,  qui  lors  de  l'établiflèment  des  cenfives  étoient  d'une  valeur 
toute  autre. 

Le  Cens  eft  la  première  redevance  qui  eft  impofée  par  le  Seigneur  di« 
refl,  dans  la  conceflion  qu'il  &it  de  fon  héritage.  Toutes  les  autres  charges 
impofôes  depuis ,  n'ont  pas  le  privilège  du  Cens. 

Le  Cens  reçoit  diverfes  dénominations ,  comme  de  champart ,  terrage , 
agrier ,  avenage ,  carpot ,  comptant ,  &  autres  ;  droits  qui  tous  ,  quelque 
nom  qu'ils  portent ,  entraînent  avec  eux  celui  de  lods  &  ventes ,  s'ils  ont 
été  impofés  lors  de  la  première  conceflion ,  &  qu'il  n'y  ait  point  d'autre 
charge  fpécialement  à  titre  de  Cens. 

La  plupart  des  coutumes  prononcent  une  amende  faute  de  paiement  du 
Cens,  au   jour  &  lieu  qu'il  eft  dil,  fans   préjudice   de  la  laifie  que  le 
Seigneur  peut  faire  des  miits  pendans  fur  l'héritage^  redevable  du  Cens, 
^u'on  appelle  arrêt  ou  brandon. 

Les  héritages  fitués  dans  la  ville  &  banlieue  de  Paris  font  exempts  de 
^ette  amende  :  mais  le  Seigneur,  faute  de  paiêmens  du  Cens,  peut  procé- 
der fur  les  meubles  étant  en  iceux ,  par  voie  de  faifie-gagerie  ^  pour  trois 
nnées  ou  moins  ;  car  s'il  a  laiffé  amaffer  plus  de  trois  années ,  il  n'a  que 
a  voie  ordinaire  de  l'aâion. 
Celui  qui  a  donné  un  héritage  à  titre  de  Cens ,  ou  par  un  bail  emphy<- 
otique ,  a  un  privilège  pour  fon  Cens ,  ou  pour  fa  rente ,  fur  les  miits 
S^endaos  fur  cet  héritage  ,  &  aufli  fur  le  fonds ,  en  quelques  mains  qu'il 

T>ui(re  pafter  :  &  fi  le  poflefleur  de  cet  héritage  le  vend ,  ou  l'engage ,  ou 
e  donne  à  ferme ,   ou  en  difpofe  autrement ,  ou  qu'il  foit  faifi  &  vendu  ; 
le  premier  maitie  fera  payé  de  fon  Cens  ou  de  fa  rente ,  tant  fur  le  fonds 


\ 


i7j6  V  C    E    N    s. 

« 

OU  fur  les  deniers  qui  en  proviendront ,    par  préférence  ï  tous  créîanciers 
de  ce  poflèlTeur ,  que  fur  les  fruits  qui  feront  en  nature  en  (es  mains. 

On  s'ell  élevé  avec  force ,  dans  ces  derniers  temps  ^  contre  le  Cens  & 
autres  redevances  de  cette  efpece.  Mais  a-t-on  bien  fait  artention  que  ces 
droits  font  des  propriétés  aufli  réelles  que  toutes  les  autres ,  &  qu'on  ne  doit 
violer  la  propriété  de  perfonne,  fous  prétexte  de  quelques  abus  Si  inconvér 
niens.  Il  faut  réformer  ceux-ci ,  fans  bleffer  l'autre. 

On  dit  ;  j>  fi  l'on  voulôit  réfumer  tous  les  fiiits  principaux  de  l'hiftoire 
»  des  Cens  en  Europe ,  on  verroit  que  la  plupart  de  ces  charges  fëodales 
»  font  une  fuite  malheureufe  de  l'Anarchie  des  V«,  VP.  &  VII*.  fiecles. 
»  C'eft  dans  ces  temps  de  calamité ,  où  les  révoltes  &^le  brigandage  des 
n  fiefs  s'eft  établi  :  c'eft  alors  que  l'on  détruifit  le  fage  principe  du  droit 
9  romain,  ou  plutôt  du  bon  fens,  qui  exige,  que  l'on  annulle,  que  l'on 
n  tienne  pour  non  écrites  toutes  les  claufes  des  aâes  qui  font  ou  ufurai- 
9  res ,  ou  irritantes ,  ou  inhumaines,  a  Cela  peut  être  vrai  jufqu'à  un  cer- 
tain point.  Mais  les  chofes  ont  bien  changé  depuis  le  VII^.  fiecle. 

On  ajoute  :  »  A  l'égard  des  Cens  &  hommages  ,  établis  par  droit  de 
»  conquête ,  ils  (ont  encore  plus  (inguliers.  Quel  fpeâacle  de  voir  dans 
9  l'hiftoire ,  un  tas  de  petits  Seigneurs  révoltés  contre  leur  Souverain  légi- 
»  rime ,  qui  s'accordent  fiirtivement  pour  aller  piller  publiquement  &  fac- 
a»  cager  réciproquement  leurs  vaflaux ,  âc  mettre  des  importions  perpétuel- 
»  les ,  fous  prétexte  de  guerre  !  Que  l'on  eft  fcandalifé  quand  on  lit  dans 
»  le  ftatut  Delphinal ,  que  les  Seigneurs  fe  ré  fervent  le  privilège  iPalUr  à 
9  volonté  fe  faire  la  guerre  les  uns  contre  les  autres  ! 

3>  Que  de  terriers  créés  par  force  ou  par  furprife  !  Que  de  terriers  an- 
ai  Duellement  inculpés  de  ratures,  d'additions,  de  fklfifications !  Que  de  ter- 
9  riers  créés  par  des  ufuriers,  c'eft*à-dire,  à  prix  d'argent,  avec  rente, 
9  lods  &  ventes.  Pe  la  quartale  on  a  fait  le  quartal  ;  de  la  bichette  on  a 
9  fait  le  biçhet  :  on  fait  payer  comble  &  double  l'avoine  ;  on  élargit  les 
9  mefures;  on  brûle  deux  ou  trois  paperaffes  dans  un  cabinet  ;  &  l'on 
9  fait  dre(rer  des  procédures  dVchives  brûlées  :  fous  ce  prétexte ,  l'on  fait 
9  reconnoître  en  direâe  univerfelle ,  avec  lods  &  ventes ,  des  milliers  d'ar- 
9  ticles  de  rentes  bâtardes.  Qui  croira  qu'il  y  a  eu  des  fèudiftes,  qui  ont 
9  ofé  foutenir  dans  ce  fiecle ,  que  les  lods  au  tiers  denier ,  n'étoient  pas 
9  ufurairesy  &  contraires  au  droit  Romain;  que  les  lodis  ou  tiers  denier 
9  foumettoient  l'acquéreur  à  payer  au  Seigneur  la  moitié  du  jufte  prix; 
9  qu'il  n'y  a  point  de  terre  (aus  Seigneur  ;  que  les  Cens  font  univerfels 
9  OC  impre(criptibles ,  (fc.  ? 

Une  (âge  légiflation  doit  réprimer  de  tels  abus  »  &  alléeer ,  autant  qu'it 
eft  poffîble,  le  joug  impofé  par  les  Seigneurs  fur  leurs  vafUux,  fans  MefTer 
néanmoins  la  propriété  de  perfonne. 


CENSEUR. 


CENSEUR. 


J_jE  Cenfeur,  dans  Pancîenne  Rome,  étoic  un  des  premiers  Magiflrats. 
Ses  fonâions  confiftoient  d'abord  %  faire  le  denombremeni  du  peuple  &  la 
répartition  des  lâches  pour  chaque  citoyen ,  comme  nous  l'avons  expliqui.- 
ci-defllis  à  l'arricle  Cens.  Sa  charge  avoir  encore  pour  objet  la  police  & 
la  confervation  des  bonnes  mœurs  dans  tous  les  ordres  de  la  République. 
y^iy^l  ci-après  l'article  Censure. 

CENSEUR  ROYAL. 


CENSEUR  DES  LIVRES. 

Vm^'Est  le  nom  que  Ton  donne  en  France  à  des  perfonnes  chat^ëes 
par  le  gouvernement,  du  foin  d'examiner  les  livres  que  l'on  veut  impri- 
mer, pour  empêcher  qu'il  ne  fe  publie  rien  par  l'imprefTion  qui  puiflè  fë- 
duire  les  efprits  par  une  fàuffe  doftrine ,  ou  corrompre  les  mœurs  par  des 
maiimes  dangereufes.  Leur  nom  efl  emprunté  des  Cenfeurs  Romains ,  donc 
une  des  principales  fônâions  étoit  de  maintenir  la  police ,  &  de  veiller  à 
la  confervation  des  bonnes  mœurs.  Oo  ne  fauroic  nier  que  le  but  de  cet 
établlifement  ne  foit  des  plus  fages ,  &  ne  mérite  toute  l'attention  d'un 
bon  gouvernement.  Les  erreurs  qui  fe  répandent,  font  d'une  plus  grande 
confëquence  qu'on  ne  le  croit  ordinairement  &  généralement.  Les  vérités 
tiennent  les  unes  aux  autres  par  une  chaîne  néceuaire;  l'une  renferme  l'au- 
tre, &  de  vérités  en  vérités,  on  parvient  fouvent  de  la  moins  importante 
en  apparence,  à  celles  qui  intéreHent  l'humanité.  Il  en  efl  de  même  des 
erreurs;  une  fàuflèté  qui  femble«n'étre  d'aucune  conféquence,  quand  on  ia 
confidere  feule,  &  ifolée,  renferme  fouvent  dans  fon  feïn,  ou  pour  parler 
fans  figure,  dans  l'étendue  du  fcns  de  la  propofuîon  qui  l'exprime,  des 
erreurs  ef&ndelles  qui  peuvent  jetter  l'efprit  qui  les  admet  dans  les  égare- 
roeos  les  plus  funenes.  Le  danger  de  l'erreur  n'ell  pas  dans  la  feule  fpé- 
culation:  fi  ce  fur  quoi  je  me  trompe  ne  peut  jamais,  ni  par  lui-même, 
ni  par  tes  objets  dont  il  me  Bât  juger  par  analogie ,  devenir  l'objet  de  mes 
volontés ,  de  mes  déterminations ,  de  mes  démarches ,  de  mes  afTeâions , 
de  mes  difcours ,  de  mes  aâions  ^  il  eft  aflèz  peu  important  pour  Thuma- 
nité,  fi  je  me  trompe,  ou  fi  je  crois  la  vérité;  mais  il  eft  bien  peu  de 
propofitions  de  cette  nature  ,  &  s'il  y  en  a ,  les  efprits  fages  n'en  font  pas 
robjet  de  leurs  recherches.  Le  plus  grand  nombre  des  propoGtioas ,  difons 


128  CENSEUR. 

mieux ,  prefque  toutes  les  propofmons ,  fur  la  vérité  defquelles  refprit 
s'exerce ,  influent  fur  nos  démarches ,  foit  immédiatement  par  elles-mêmes,^ 
foit  médiatement ,  par  les  conféquences  qui  en  découlent.  C'eft  des  démar 
ches  des  hommes  que  dépend  le  bonheur  &  des  particuliers  &  du  public  ; 
c'eft  des  idées  de  la  vérité  defquelles  leur  efprit  eft  prévenu ,  que  décou- 
lent leurs  démarches.  Que  des  erreurs  s'offrent  à  leur  efprit  comme  des 
vérités,  leurs  démarches  feront  aufli  éloignées  du  caradere  moral  qu'elles 
doivent  avoir  pour  les  rendre  heureux ,  que  leurs  idées  feront  éloignées  de 
la  vérité.  Or  les  livres  qui  fe  publient  fans  entraîner  néceflfairement  l'ef** 
prit  de  tous  les  leâeurs ,  trouvent  toujours  quelques  perfonnes  qu'ils  per« 
fuadent  &  dont  ils  règlent  la  croyance.  Si  tous  ceux  qui  lifent  étoient 
éclairés,  &  ne  donnoient  leur  affentiment  que  fur  des  preuves  fuffifantes, 
les  mauvais  livres  ne  feroient  que  des  livres  mauvais ,  qui  n'ioduirtient 
perfonne  dans  l'erreur ,  &  qui  ne  s'attîreroient  que  le  mépris  du  public  : 
mais  il  eft  tant  de  leâeurs  ignorahs  qui  ne  jugent  que  fur  l'autorité  pré- 
tendue de  ce  qu'ils  lifent  ou  entendent  v  il  eft  tant  d'efprits  faux  qui  ne 
diftinguent  point  le  fophifme  des  preuves  folides  ;  il  eft  tant  de  cœurs  gâ- 
tés par  les  paffions  qui  faififfent  avec  feu  tout  ce  qui  les  flatte ,  &  qui  s'au* 
toriient  de  ce  qu'ils  lifent  pour  fe  permettre  une  conduite ,  que  fans  le 
poifon  de  l'erreur,  leur  confcience  leur  auroit  interdite.  Il  eft  tant  de  lec« 
teurs  dont  l'ame  mal  affermie  contre  le  vice  |iè  corrompt  par  des  leâu- 
res  qui  peignent  le  crime  comme  délicieux,  la  vertu  comme  déplaifante^ 
le  vice  comme  n'ayant  plu^  rien  de  haïffable,  lorfqu'il  conduit  à  la  volup- 
té. Le  bonheur  des  États,  des  fociétés,  des  familles,  des  individus,  eft  in- 
féparable  de  la  bonne  croyance  &  des  bonnes  mœurs  \  les  mauvais  livres 

Seuvent  corrompre  &  corrompent  fouvent  l'un  &  l'autre.  Les  livres  font 
onc  un  objet  lur  lequel  il  importe  au  gouvernement  de  fixer  dés  regards 
attentifs,  pour  prévenir  la  publication  des  livres  mauvais,  &  en  empêcher 
les  effets  tuneftes.  Tels  font  les  principes  fur  lefquels  on  a  fondé  l'établif> 
fement  des  Cenfeurs  j  telles  font  les  vues  ^ftimables  qu'ont  eu  les  gouver- 
nemens ,  en  chargeant  certaines  perfonnes  du  foin  d'examiner  les  livres  1^ 
imprimer ,  afin  d'empêcher  qu'il  ne  fe  répande  dans  le  public  des  principes 
faux,  des  maximes  vicieufes ,  qui  gâtant  les  efprits  &  corrompant  les  cœurs, 
fappent  les  fondemens  du  bonheur  des  hommes ,  qui  eft  appuyé  fur  la 
vérité  &  la  vertu. 

Tout  en  applaudifTant  en  bons  citoyens  à  des  intentions  fi  eftimables , 
pouvons-nous  applaudir  de  même  aux  fuccés  de  ces  foins,  quand  nous  en 
jugeons  par  le  fait  même?  A-t-on  bien  compris  ce  que  c'étoit  qu'un  Cen- 


Un  Cenfeur  eft  une  perfonne  chargée  du  foin  d'examiner  tout  ce  qu'on 
deftine  à  l'imprefEonj  pour  juger  s'il  eft  avantageux  ou  nuifible  aux  hom- 


mes 


C    E    N    S    E    U    R.  129 

sits  dPeô  permettre  la  publication.  Le  Cenfeur,  pour  remplir  le  but  défoh 
emploi,  doit  doge  étre^  par  l'étendue  de  Tes  lumières,  un  juge  compé^ 
renc  de  tout  ce  qu'on  imprime  ;  par  (a  probité ,  par  fa  droiture  incornipri* 
^Ic,  un  juge  intègre,  impartial,  &  digne  de  la  confiance  publique  ;  par 
"on  aâivité  &  fa  diligence,  un  juge  utile  à  un  commerce  conGdéra* 
ile  que  les  lenteurs  dérangent,  que  les  longs  retards  ruinent  &  dé« 
riiilènt. 

Perfbnne  n'ignore  la  multiplicité  des  diverfes  matières  que  Pon  traite 
lans  les  livres,  &  il  n'en  e(t  aucune  qui  ne  puifle  être  utile  ou  nuifible 
LU  genre  humain  :  comme  nous  Tavons  déjà  remarqué ,  toutes  les  vérités 
!bnt  enchaînées  ainfi  que  les  erreurs ,  &  tel  livre  que  Ton  regarde  comme 
l'intéreflant  en  rien  le  public ,  parce  qu'il  ne  paroit  avoir  aucune  cohnexioh 
Lvec  les  mœurs,  renferme  fouvent  des  vérités  ou  des  erreurs,  dont  certains 
tiprirs  tireront  des  conféqoences  très-importantes.  On  peut  eil  juger  par 
^ufage  que  Ton  fait  aujourd'hui  des  mathématiques,  de  la  phyfîque,'de  la 
[éoeraphie,  de  l'hiftoire,  des  antiquités,  des  langues  &  de  la  grammaire^ 
le  Ta  médecine,  de  l'hifloire-naturelle ,  de  l'aftronomie ,  des  méchani- 
[lies,  de  la  chymie,  de  la  jurifprudence ,  de  la  politique,  pour  attaquer 
»u  défendre  la  relieiôn,  pour  juger  dé  la  bonté  générale  ou  particulière 
les  loix  &  des  régleme^s.  Quel  efl  donc  le  livre  dont  il  n'importeroit  pas 
[ue  le  Cenfeur  eût  fait  l'eitameii  >  Mais  quelle  étendue  de  connoiiTances , 
[uelle  juflefle  de  jugement,  quelle  délicateffe  de  goût,  quelle  pénétration 
refprit  &  de  génie  ne  faut-il  pas  pour  appercevoir  d'abord,  fl  un  livre  ne 
:oiitient  rien  de  faux  dans  les  fpéculations  ^  &  de  dangereux  pour  la  pra- 
ique,  nulle  doârine  erronée ,  nulle  maxime  vicieufe  qui  y  foit  renfermée, 
BÏ  explicitement ,  ni  implicitement  !  Cependant  fans  cette  capacité  du  Cen-^ 
Saar,  à  quoifert  la  cenfure?  à  répandre  l'erreur  &  le  vice  avec  l'empreinte 
l  ^ne  autôrifation  refpeâable ,  ou  à  enfevelir  dans  l'oubli  des  leçons  exr 
clientes  &  utiles  qu'un  Cenfeur  ignorànt  &  fans  génie  a  mal  comprifes, 
!i«  regardées  comme  dès  erreurs.  Comme  l'univerfalité  du  favoir  n'efl 
«)nn&  à  perfonne,  on  doit  choifir  les  Cenfeurs  parmi  les  citoyens  les 
Mus  éclairés  dans  chacune  des  différentes  branches  des  connoifTancei 
mimaineà. 

Aux  lumières  tl^quifcs  pour  bien  juger,  lès  Cenfeurs  doivent  hécefTaire* 
Kieat  joindre  une  droiture  parfaite  d'intentions ,  qui  ne  leur  permette  ja- 
mais d\ifèr  de  partialité  dans  les  jugemens  qu'ils  prononcent  fur  le'mé*- 
î^V  des  livres ,  ou  des  propofitions  que  ces  livres  renferment.  Que  leur 
nique  ferment  les  oblige,  &  que  leur  vertu  capitale  confifle  à  noter  les 
^^ors  fpéculacives  &  pratiques ^  pour  les  empêcher  de  fe  répandre,  ,&  à 
^vorifêr  au  contraire  la  publication  de  tout  ce  qui  efl  vrai  &  bon,  où 
^  tout  ce  qui  peut  conduire  au  vrai  &  au  bon  :  que  jamais  un  men-' 
^nge  ne  paffe*  dans  le  public  à  l'abri  dé  leur  autorité ,  dans  quelque  vue 
^e  l'on  ait  eu  de^ein  de  lui  donner  cours  :  que  jamais  par  leur  juge- 

Tome  XI.  R 


3ja  C    E    N    S    E    U    R. 

nient,  une  Téricé  ne  foie  mife  au  rang  des  efreurs,  ou  dërobëe  &  la 
soiflance  des  hommes  pour  qui  elle  pourroit  être  utile ^  je  dis,  pour  qui 
elle  pourroit  être  utile ,  parce  que  cette  propofition ,  toute  vérité  doit 
être  publiée,  demande  quelque  reftriâion.  Donner  pour  vrai  ce  qui  efl 
faux,'C^eft  mentir,  c'eft  un  crime  :  taire  ce  qui  eft  vrai,  eft  dans  bien 
jdes  cas  un  aâe  de  grande  prudence  :  il  eft  des  circonftances  oii  la  pu- 
blication d'une  vérité  pourroit  avoir  des  fuites  facheufes,  parce  que  les 
<eÂ)rits,  inal  préparés  à  la  recevoir,  en  abuferoieiit ,'  par  PefFet  des  préju- 
ge dont  ils  font  imbus,  &  qu'il  eft  difficile  de  déraciner ,  &  parce  qu'ils 
ignorent  d'autres  vérités  qui  les  mettroient  en  état  de  ne  faire  qu'un 
bon  ufage  de  celle,  dont  fans  ces  connoiftances  ils  feroient  l'ufage  le  plus 

funefte. 

Qui  ignore  combien  l'efprit  de  parti,  l'intérêt  préfent,  l'envie,  la  jalon*-, 
fie,  corrompent  les  jugemens  des  hommes?  Prendra-t-on  un  eiclave  vendu 


écrit,  qui  tire  la  vérité  de  deffous  les  voiles,  dont  pa;*  intérêt  elle  la,  cou- 
vre?.Un  homme  de  lettres,  qui  a  la  vatiité  de  vouloir  tenir  le  premier 
rang,  favorifera-t-il  l'ouvrage  d'un  rival  qui  l'éclipfe?  Tout  homme  donc^ 
ou  toute  fociété ,  qui  par  la  profeflion ,  ou  par  Je  parti  qu'elle  embrafle , 
peut  avoir  un  intérêt  particulier  différent  de  celui  du  public,  pour  favori- 
fer  une  opinion ,  ou  pour  en  rejetter  une  autre ,  ne  fauroit  être  admis  à 
exercer  aucune  cenfure  littéraire.  C'eft  pour  n'avoir  pas  fuivi  à  cet  égard  ^ 
ce  qu'exigeqit ,  la  fageffe ,  que  l'on  a  vu  quelquefois  paroitre  avec  des  ap- 
probations-de  Cenfeurs ,  des  écrits  rempli^  de  fituffetâ;,  d'erreurs,  de  pcin^ 
cipes  dangereux,  de  maximes  funeftes,  de  doârines  abfurdes ; >& . à  com- 
bien d'ouvrages  bons  &  utiles  l'intérit ,  l'envie ,  la  haine ,  l'efprit  de  parti , 
n'ont-ils  pas  empêché  de  voir  le  jour?  i  . 

La  librairie  étant  un  commerce  dont  l'objet  exige  des  avances  très-for- 
tes, une  profeflion  qui  roule  fur  des  fonds  confidérables ,  &  dont  le  fuc-. 
ces  dépend  fouvent  de  la  célérité,  les  retards  lui  nuifent,  quelquefois 
même  le  détruifent  abfolument^  il  ne  fuffit  donc  pas  que  les  Cenfeurs 
foient  capables  par  leurs  lumières ,  dignes  de  confiance  par  leur  amour 
impartial  pour  la  vérité  &  leur  zèle  pour  la  vertu;  il  niut  encore  que 
leur  diligence,  leur  aétivité  affidue^  ne  faffe  pas  fouffirir  à  cette  brancher 
du  commerce,  des  retards  infupportables  aux  auteurs  &  aux  libraires. 
C'eft  pour  prévenir  ce  retard,  que  l'on  a  affez  multiplié  les  Cenfeurs  pour 

au'ils  fuffifent  à  l'examen  de  tous  les  livres  qu'on  leur  préfente.  Ils  font 
e  plus  invités  à  accélérer  l'expédition  des  approbations^  Il  eft  vrai  que 
dans  un  fiecle  où  nous  avons  une  grande  intempérance  de  littérature ,  les 
Cenfeurs,  trop  peu  payés  pour  vivre  du  revenu  de  cette  charge  qui  eft 
auffî  pénible  qu'importante ,  font  forcés ,  pour  fu£re  à  leur  entretien  ^  de 


CE    N    SE    U    Rv  ^  13, 

i^oceuper  de  beaucoup  d'autres  chofes  qui  leur  prennent  un  temps  quMs 
ne  peuvent  pas  donner  à  la  leâure  attentive  &  judicieufe  des  écrits  qu'on 
our  préfente. 

Four  qu'un  Cehfeur  (bit  utile ,  il  faut  donc  qu'il  ait  afTez  de  lumiè- 
res, pour  juger  fainement,  afTez  de  droiture  pour  ne  prononcer  qu'en 
Faveur  du  vrai  avec  une  entière  impartialité  ,  enfin  anez  de  diligence 
pour  que  jamais  il  ne  nuife  par  Içs  retards  au  çommçrce  dpnt  il  a  l'inf- 
)eâion. 

Quand  on  auroit  fourni  à  la  première  de  ces  conditions  par  des  Cenfeurs 
ou  par  des  fociétés  littéraires  ^  dont  chacune  ne  jugeroit  que  de  ce  qui 
eft  dé  fon  reflbrt;  quand  on  auroit  fatisfait  à  la  féconde  ,  en  ne  choi- 


roit  prévenu  les  retards  de  Pindolence  ou  du  mlanque  de  loifir ,  le  gou- 
irernement  n'auroit  pas  encore  atteint  le  but  de  l'etablilTement  des  (.en- 
Peurs.  S'il  eft  permis  d'imprimer  des  livres ,  fans  les  avoir  fournis  à  l'exa« 
tnen ,  ou  s'il  eft  permis  de  faire  entrer  dans  un  pays  des  livres  imprimés 
chex  récranger ,  &  qui  par-là  même,  n'ont  pas  été  foumis  à  la  cenfure, 
il  n'eft  rien  de  plus  inutile  dans  la  fociété  que  les  Cenfeurs;  les  màuvai^^ 
livres  s'impriment  &  fe  débitent.  Aufti  non* feulement  aucun  imprimeur- 
ae  peut  mettre  d'ouvrage  fous  prèfte ,  qu'il  n'ait  été  examiné  par  un  des 
Cenfeurs  établis  par  le  Gouvernement  ^  mais  les  marchands  libraires  ne 
leuvent  encore  mettre  en  vente  aucun  livre  venant  de  l'étranger  fans  en 
ivoir  eu  auparavant  la  permiifîôn  :  laquelle  ne  leur  eft  accordée  que. fui- 
l'approbation  d'un  Cenfeur  à  qui  l'on  remet  /un  exemplaire  de  l'ouvrage 
jour  le  lire  &  l'examiner.  Jufau'à  ce  que  cette  formalité  foit  remplie,' 
es  livres  venant  du  dehors  renent  en  dépôt  dans  les  Chambres  Syn- 
licales. 

En  France  la  difpofirion  de  l'article  23  de  l'Ordonnance  de  Février  16^7,  . 
lonnée  fur  les  remontrances  du  Clergé ,  confirme  aux  Evéques ,  comme  Ju- 
les naturels  de  la  doârine ,  le  droit  de  juger  ou  de  faire  juger  par  des  - 
^nfçurs  les  livres  de  Théologie ,  &  de  Piété  qui  s'impriment  dans  leurs 
Diocefes.  Cette  infpeâion  pour  les  livres  mentionnés  a  été  accordée 
nflt  par  les  Papes  &  par  les  Rois  de  France  aux  Doâeurs  de  la  Fa- 
ut té  de  Théologie  de  Paris  ,  fans  préjudice  néanmoins  du  droit  des 
Ivéques. 

L'afage  a£hiel  de  ce  Royaume ,  eft  que  Mr.  le  Chancelier  choififTe  parmi 
Bs  Doâeurs  ceux  qu'il  juge  à  propos  pour  cenfurer  les  livres  de  Religion» 
Ce  de  Doârine ,  &  de  même  parmi  les  Laïques  ceux  qu'il  honore  du  titre 
c  Cenfeurs,  pour  juger  les  livres  de  Jurifprudence,  de  Politique ,  d'Hiftoiie, 
^c  Belles-Lettres,  &c.  Après  avoir  examiné  avec  tout  le  foin  dont  ils  Ibnb 

R  2 


ijx  C    E    N    s   U    R    R 

capables  9  Tcaviage  qui  leur  eft  confié  »  ils  en  rendent  compte  à  Mr.  le  Chin^ 
celier  ou  à  celui  qu'il  a  commis  à  fa  place. 

Parmi  les  Cenfeurs,  il  y  en  a  un  certain  nombre  qui  font  penfionnés  dn 
Roi  9  cette  penfion  eft  de  quatre  cents  firancs. 


5 


CENSURE^f.   £   Magijhraturc  Romaine  ^  dont  une  des  principales 

fonâions  était  de  veiller  aux  bonnes  mœurs. 

I  i  A  première  inftitution  des  Cenfèurs ,  comme  nous  l'avons  dit  k  Parn- 
cle  Cens,  ne  regardoit  que  les  finances,  auxquelles  ils  étoient  unique- 
ment pr^pofés ,  mais  la  vertu  auftere  de  ces  Magiftrats ,  les  porta  à  exami* 
ner ,  &  peu*à-peu  à  blâmer  les  aâions  des  citoyens  :  cette  difcipline  pa-^ 

rut  utile. 

Tous  les  Auteurs,  les  Grecs  comme  les  Latins,  (e  (ont  accordés  fur  l'é* 
loge  de  la  Cenfure ,  &  Tont  regardée  comme  tme  des  grandes  caufes  de 
PaccroilTement  &  de  l'éclat  de  la  République  Romaine.  Ils  remarquent  que 
lorfque  des  guerres  longues  &  périlleufes  la  firent  négliger,  on  vit  dégéné- 
rer les  mœurs  :  de  même  qu'un  régime  abandonné  livre  un  tempérament 
faible  à  des  infirmités  légères,  mais  quotidiennes^  qui  ne  tardent  pas  à  fe 
Convertir  en  maladies  férieufes. 

Que  Ton  ralTemble  tout  ce  qui  a  été  dit  par  plufieurs ,  fur  les  caufes  de 
la  grandeur  &  de  la  décadence  de  Rome^  on  en  fera  un  extrait  fidèle,  en 
difant  que  tandis  que  les  Romains  pratiquèrent  les  vertus  humaines  ,  leur 
puiflànce  hùmaioe  augmenta  v  que  lorfque  les  profpérités  &  les  richeffes  les 
eurent  bannies ,  la  République  pencha  vers  fa  cbûte.  Le  fort  des  Etats  tient 
donc  aux  mœurs. 

Un  Auteur,  bien  digne  d'efUme,  a  écrit  que  la  corruption  des  mœurs  a 
été  à-peu-près  la  même  dans  tous  les  fiecles,  &  que  la  feule  dépravation 
du  caraâere  d'une  nation  eft  le  préfage  de  fa  décadence.  Il  explique  ce  qu'il 


que  l'un  &  l'autre  doivent  fe  fuivre  de  bien  prés. 

En  efFet,  c'eft-  une  erreur  de  croire  que  la  négligence  dans  les  devoirs  ^ 
la  di(fipation  fans  mefure,  la  fenfualité  volupmeufe,  l'ufage  des  plaifirs  qui 
va  à  mériter  le  nom  de  libertinage,  &  quelques  autres  vices  dans  ce  goût, 
ne  méritent  l'attention  que  du  Moralifte.  Le  Politique  .doit  appercevoir  dans 
l'efprit  qui  fe  porte  aux  irrégularités,  &  dans  celui  qui  les  tolère ,  lafemence 
des  vices  dettruâeurs  des  empires  ;  il  doit  fentir  que  l'amour  du  prochain 
eft  le  chemin  de  l'amour  de  la  patrie. 

Cicéron  difoit  que  le  Tribun  qui  le  premier  avoit  ébréché  les  pouvoitt 
des  Cenfeurs  avoit  ruiné  la  République.. 


C    E    N    s    U    R    B. 


»3î 


On  ioxt  dire  que  là  Cenfure  avoit  cetCé  au  moment  ou  elle  sMtoit  relâ- 
chée; c'eft  uo  reflbrt  qui  fe  décraque  &  produit  un  faux  mouvement.  Le 
peuple, que  ce  relâchement  laiiToit  tendre  à  la  corruption  ,  nomma  desCen- 
leurs  qui  méritoient  é^txe  cenfurés.  Cajus-*Geta ,  rayé  de  l'ordre  des  Séna- 
teurs, parvint  à  écre  Cenfeur  lui-même  :  tout  fut  perdu. 

Ce  Miniftre  étoit  particulièrement  defliné  à  corriger  les  abus  que  la  juftice 
ne  punit  point.  Jl  eft  peut-être  autant  eifentiel  que  celui  qui  châtie  les  cri-. 
mes  :  cette  réflexion  reviendra,  Seneque  penfoit  que  c'eft  peu  d'être  inno-  * 
cent  félon  les  loix;  la  règle  des  procédés  &  de  la  probité,  a  une  circonfé-* 
rence  plus  étendue  que  la  juftice  coërcitive.  Le  bon  ordre  peut-il  permet* 
tre  qu'il  y  ait  des  vices  qu'aucune  autorité  ne  foit  en  droit  de  reprocher  ni 
d'arnêten 

Il  eft  difficile'  d'imaginer  comment  deux  Cenfeurs  uniques  étoient  capa- 
bles de  contenir  tes  mœurs  dans  la  ville  de  Rome.  Cependant  il  ne  faut  que 
peu  de  réflexion  pour  le  concevoir. 

La  conftitution  Romaine  avoit  répandu  par-tout  des  Cenfeurs  qui  n'en 
avoient  pas  le  titre  ;  les  efclaves  faifoient  le  grand  nombre ,  ils  avoient  leurs 
maîtres,  dont  lejpouvoir  abfolu  les  comenoit,  &  dont  l'intérêt  étoit  de  les 
contenir.  La  puiflance  paternelle  &  la  maritale ,  dont  l'autorité  n  avoit  pour 
ainfi  dire  point  de  bornes,  arrêtoit  la  fougue  de  la  jeunefle  &  la  légèreté 
des  femmes  :  le  père  de  famille  étoit  un  cenfeur  né ,  dont  la  correéUon  étoit 
du  plus  grand  poids. 

L'attention  des  Cenfeurs  Magiftrats  ne  devoir  porter  que  fur  ces  chefs. 
Parmi  ceux-là ,  un  corps  diftingué ,  fur  lequel  tous  les  regards  étoient  atta- 
chés ,  donnoit  l'exemple  &  fervoit  de  modèle.  Il  eft  de  re^Ie  par-tout  que 
les  petits  fe  montent  fur  les  grands  ^  de  forte  qu'il  fuffifoit  de  régler  les 
mceurs  du  Sénat  pour  que  tout  fut  réglé  :  auffî  les  Sénateurs  &  les  Cheva- 
Kers  faifoient  toute  l'occupation  des  Cenfeurs ,  &  c'étoit  affez. 
I  On  voit  par-là  que  la  Cenfure ,  forte  &  puiffante  dans  une  République . 

;,        le  feroit  moins  dans  une  Monarchie ,  où  ce  qui  donne  le  ton  ne  pourroit 

r'  y  être  fournis;   mais  fera-ce  une  raifon  fuffifante  pour  l'en   exclure, 

pour  dire,  ks  Cenfeurs  ne  feroient  pas  bons  contre  la  corruption  d'une 
Monarchie ,  &  la  corruption  d'une  Mofiarchie  feroit  trop  forte  contr'eux  i 
Pourquoi  la  nature  de  la  Monarchie  feroit  -  elle  d'être  plus  corrompue 
qu'une  autre  efpece  de  République  >  Bien  au  contraire  \  là  ou  les  loix  ont 
plus  de  force ,  là  où  réfîde  une  autorité  plus  réprimante ,  il  eft  plus  ^cile 
d'y  introduire  des  mœurs. 

Il  eft  évident  que  cette  idée  a  été  prife  dans  l'état  aéhiel  d'une  Monar« 
chie  que  l'Auteur  avoit  dans  la  penfée ,  &  cet  état  vicieux  eft  précifément 
ce  qui  doit  engager  à  chercher  des  règles  pour  oppofer  à  la  dépravation  : 
toute  conftimtion  peut  en  admettre.  Le  mauvais  état  afhiel  eft  une  preuve 
des  mauvaifes  loix ,  du  peu  d'attention  qu'on  a  eu  dans  l'origine  à  fonder 
^]  les  mœurs  fur  l'éducation  ^  précurfeur  néceftaire  de  la  Cenfure, 


i|4t  C'E'N'JS    U;  R::E; 

Les  Monarchies,  dit*- on  ,  font  Ibodées  fur  l^onnoûr,  &  Il  natOre  de 
Thonneur  eft  d'avoir  pour  Cenfeur  tout  l'univers.  Ou  le  fondement  n'eft 
pas  pris  dans  le  vrai,  ou  l'honneur  n'eft  rien  moins  que  l'équivalpat  de. 
la  Cenfure.  La  corruption  aâuelle  qui  a  fourni  1^  premières  raifons ,  en 
eft  la  preuve.   Si  cette  Cenfure  idéaU  eft  fan$  ef^t,.on  ne  doit  pas  iater*. 
dire  celle  qui  peut  en  procurer* 

Revenons  à  la  lëgiflation  \  elle  peut  tout.  U  a  pu  arriver  que  la  politique* 
d'un  Monarque  ait  laiflé  un  cours  libre  aux  mcpurs.  S'il  a  voulu  fe  faiiir  de 
l'eftentiel  de  la  liberté ,  il  a  dû  éviter  de  la  gêner  dans  les  détails  de  la 
vie  privée  :  ce  n'eft  pas  ce  que  j'appellerai  un  bon  gouvernement. 

La  Cenfure  ne  doit  avoir  aucune  jurifdij^on  proprement  jiite  :  tel  étoit; 
l'ufage  de  Rome.  Mais  un  regard,  un  reproche  du  Cenfeur  touchoit  plus, 
vivement  que  l'arrêt  du  Magiurat.  Quand  on  faifoit  Je  lufttç,  les  Séna- 
teurs, l'ordre  équeftre,  le  peuple,  tout  trembloit  devant  les  Cenfegr^,  Le 
Sénateur  craignoit  d'être  exclus  du  Sénat,  le  Chevalier  d'être  rangé  parmi 
le  peuple,  le  (impie  citoyen  de  perdre  fa  voix  &  d^être  mis  au  nombre 
dçs  Cerites  &  Tributaires. 

.  Les  Cenfeurs  déplaroient  feulement  que  ceux  dont  la  conduit^  étoit. 
répréhenfible ,  méritoient  ces  peines  ;  mais  ils  ne  les  ordonnoient  pas.  Le. 
Sénateur  rayé  de  la  lifte  pouvoit  préfenter  fa,  requête  au  peuple-:  (i,  fur. 
Foftre  de  prouver  fon  innocence,  le  Cenfeur  neie  rendoit  pas  accufateur. 
comme  particulier,  ou  fi,  à  fon  défaut,  quelque  autre  n'entreprenait  pas. 
de  foutenir  la  juftice  de  la  Cenfure,  on  n'alloit  pas  plus  loin,  le  blâmé 
étoit  abfous  &  reftitué  :  il  en  étoit  de  même  des  autres  ordres* 

Si  l'autorité  des  Cenfeurs  eût  été  armée  de  jurifdiétion ,  elle  auroit  biçntôt 
dégénéré  en  tyrannie.  Les  grands  pouvoirs  ôtés  aux  grands  corps ,  &  portés 
fur  une  tête ,  entraînent ,  par  une  ^talité  abfoluc ,  Içs  abus  &  Toppreflion» 
On  ne  fauroit' faire  trop  d'attention  à  la  vérité  de  ;  cette  maximis  ;  fon 
obfervation  eft  la  feule  chofe  capable  de  i^aintenir  la  liberté  dans  le  degré 
que  tout  bon  gouvernement  doit  procurer  à  des  fujets, 

Cicéron  -dit  que  l'effet  du  jugement  des  Cenfeurs  étoit  feulement  de 
faire  rougir  ;  leur  fuite  étoit  l'ignominie ,  &  non  l'infamie  î  di^rençe  que 
la  plupart  des  Jurifcenfultes  n'ont  point  apperçue.  Celui  ^qui  fe  foumettoit 
à  la  Cenfure,  &  qui,  dans  la  fuite  »  obtenoit  du  peuple  quelque  commiflioii 
proportionnée  à  fon  état  précédent  i  ou  qui  étoit  rétabli  par  les  Cenfeurs 
fuivans,  étoit  lavé  de  l'ignominie  :  mais  fi  fur  fa  requête  il  étoit  con^ 
damiié  ,  &  la  Cenfure  confirmée ,  il  étoit  incapable  à  jamais  d'aucuQ 
emploi.    . 

La  règle  vouloit  encore  que  les  Cenfeurs  ne  puflent  être  appelle  en  ju? 
gement  pour  rendre  compte  de  cette  partie  de  l'exercice  de  leur  charge , 
ce  qu'il  étoit  cependant  permis  de  faire  contre  tout  Magiftrat,  &  contre 
les  Cenfeurs  eux-mêmes,  comme  prépofés  aux  finances. 

Si  on  veut  réftéchir  à  l'efprit  de  tous  ces  milieux ,  de  ces  tempéramens 


CENSURÉ;  135 

qui  rendoieot  ttf  Cenfure  libre ,  redoûtàbfe  &  mile;  fans  néanmoins  lui 
donner  jin  pouvoir  abufif,  on  en  fentira  toute  la  fagefTe,  &  on  y  trouvera 
le  modèle  des  meilleures  confiitutions. 

Cefl  dans  ce  goût  qu'on  pourroit  établir  la  Cenfure  ^  même  dans  les 


trouver  la  vertu  ,  fi  on  la  perdoit  dans  l'indépendance  de  la  Cour. 

La  République  dé  Véniie  a  une  Cenfure.  On  y  créa  en  1^66  trois  Ma- 
gifbats  qui  furent  appelles  /  fignori  fôpra  il  ben  vivere  délia  città.  L'année 
d'auparavant ,  Bodin  avoit  mis  au  jour  un  livre  dans  lequel ,  parlant  de  cet 
Etat , .  il  remarquoit  que  parmi  le  grand  nombre  de  fts  Officiers  on  avoit 
oublié  ceux -^ là,  quoique  les  }>lus  nécefTaires.  Peut-être  cette  oblèrvatioà 
doniia*t-elIe  lieu  à  la  nouvelle  inititution. 


I 


D  B     L  A     C  E  N  S  U  R  É      P  U  SL  I  Q  U  B. 


L   eft   bien  louable  à  ceux  qui  (ont  préoofés   au  Gouvernement,  de 

profiter  des  réflexions  que  des  geni  d'étude  oc  fenfés  produifent  quelque- 
Ibis  dans  le  public.  ]  ' 

Nous  avons  parmi  nous  une  efpece  de 'Cenfure  inconnue  aux  ancien^; 
&  qui  dans  la  théorie  devroit  profiter,  même  fuffire  aux  mœurs,  c'efi  la 
pureté  de 'la  morale  de  l'Evangile  ;  préfentée  dans  les  Catéchifmes  & 
les  Prédications  de  fes  Miniftres.  Les  Religions  païennes  n'interdifoient  point 
un  nombre  de  principes  corrupteurs  que  la  nôtre,  condimine.  On  les  regar- 
doit  cependant  commd  nuifibles  à  l'Etat  ;  &  il  fèmble  que  c'eft  au  déBiut 
d'une  laine  morale ,  &  de  pratiques  établies  pour  l'entretenir ,  que  l'on 
a  iûftitué  l'ancienne  Cenfure.  L'excellence  de  nos  jpréceptes,  &  leur  joug 
étroit ,  paroifiènt  rendre  toute  autre  fuperflue. 

-  Pourquoi  les  effets  ne  répondent  -  ils  point  aux  apparences?  Pourquoi, 
onalgré  le  zèle  de  nos  Pafteurs ,  la  pureté  des  premiers  fiecles  du  Chrifiia^ 
aifme  va-t-elle  toujours  en  dégénérant  fous  cette  perpétuelle  Cenfure  >  Je 
n'en  parlerai  que  ^oitime  Politique  ou  Philofophe ,  les  autres  confidérations 
ont  hors  de  ma  matière. 

A  mefure  que  l'homme  fent  aull  mérite  la  Cenfure,  il  la  craint  :  un 
"Ssatinient  naturel  l'en  éloigne ,  lorfqu'elle  eft  d'une  nature  qui  lui  laifle 
^  liberté  de  l'éviter.  Celle-ci  n'eft  donc  Cenfiire  que  pour  ceux  qui  veulent 
^^endre  &  s'y  prêter,  &  ceux  qui  le -veulent,  font  communément  les 
^-ntes  qui  en  ont  un  moindre  befoin. 

La  Cenfure  trop  vague  qui  ne  défi^ne  perfonne ,  &  qui  ne  fiiit  rougir 
^u'en  dedans ,  n'eft  rien  ;  celle  qui  puDlie  ht  honte ,  fans  néanmoins  dégé- 
nérer en  fatyre ,  peut  tout.    Car  la  fatyre  aigrit  &  révolte  \  mais  la  Cen*- 
^e  adroitenàextt  ménagée  eft  une  leçon  falutaire. 


i^  Ç    E    N    s-  U    R    E. 

La  crainte  d'une  peine  prochabe ,  qui  huoiilie  Tamour-propre  eo  fl^ 


peut 

des  paffions. 

On  fe  flatte  inutilement  de  contenir  les  hommes  en  parlant  à  la  raifon^ 
fi  on  ne  joint  au  difcours  une  autorité  palpable.  11  '£iut  fcapper  les  fens 
pour  corriger  le  défordre  des  fens. 

Les  Gouvernemens  ont  cru  réprimer  le  défordre  des  mœurs  par  Téta- 
blifTement  des  Magiflrats  de  police  :  mais  nous  ne  voyons  pas  x|ue  cette 
inftitution ,  utile  à  tant  d'égards,  ait  tout  Pef&t  Qu'on  en  attendoic. 

Ignorer  ce  que  peuvent  l'éducation  &  la  Cenlure  for  les  mœurs ,  c'eft 
ne  raire,  aucun  ufagç  de  la  faculté  de  raifonner.  Croire  que  la  qualité  des 
mœurs  eft  indifférente  au  corps  de  l'Etat,  eft  une  opinion  qui  n'a  pu  naitce 
qu'au  milieu  de  la  plus  grande  dépravation. 

La  Cenfure  pubUque  qui  s'exerce  au  théâtre  par  les  auteurs  draman- 
ques ,  &  dans  les  livres  par  les  moralifles  ,  peut  avoir  aufli  un  très-bon 
elFet.  L'amour  de  l'eflime  &  le  défir  que  nous  avons  tout  naturellement  de 
nous  établir  du  bon  côté  dans  l'opinipn  publique ,  feroient  de^  raifons  pro^ 
près  à  nous  déterminer  à  pratiquer  la  vertu  &  à  Aiir  le  vice ,  fi  chacun  ne 
le  faifoit  pas  illufion  fur  foa  propre  mérite ,  &  fi  les  hommes  .  étoient 
moins  faux  &  moins  compoféj.  11  eft  donc  à  propos,  pour  rappeller  auxci^ 
toyens  leurs  devoirs,  pour  exciter  clans  leurs  âmes  l'amour  du  bon  ordre  ^ 
fur- tout  pour  éclairer  les  aâions  fourdes  &  obliques  des  riches  &  des  fri- 
pons, qu'il  y  ait  des  écrivains  moralifles  qui  exercent  une  efpece  de  Cen« 
fure  publique,  non  p^r  des  libelles  &  des  fatyre^  perfbnnfl}^:,  ce  ouife« 
roit  un  abus  criant,  mais  .par  des  écrits,  par  desvpeîntures ,  aflez  jultes  âc 
affez  vives  des  mœurs  nationales.,  pour  que  chacun  rentrant  dans  fpir 
même ,  pût  fé  reconnoitre ,  rougir  &  fe;  corriger. .  . 

Peut-on  douter  de  l'utUité  de  la  Cenfure  qu'ont  exercée  Molière,  la  Roche- 
Foucault,  la  Bruyère  &  d'autreç  écrivains  dç  cette  efpece  ?  Leur  Cenfure^ 
quoique  générale  en  apparence  ,  avoit  fes  applications  précifes  qui  por- 
toient  coup.  Le  pouvoir  de  l'opinion  ppblique  çfl  grand  Air  la  volonté  des 
hommes.  Il  maitrife  les  efprits  les  plus  altiers.  On  voit  fouv^ent  des  Mi«* 
niflres  s'inquiéter  de  ce  que  *la  cour  ^  la  ville  penfent  &  difent  d'evix. 
Après  la  crainte  de  la  difgraçe,  celle  de  la  Cenfure  publique,  eft  lu  plut 
forte  fur  leur  ame.  C'efl  un  frein  qu'il  efl  bon  de  rembrcer. 

De  même  que  la  déclaration  de  la  volonté  générale  fe  hit  par  la  loi  ; 
dit  le  célèbre  citoyen  de  Genève,  la  déclaration  du  jugement  public  fe fiiit 

{)ar  la  Cenfure  ;  1  opinion  publique  eft  l'efpeçe  «  de  loi  dont  le  Cen leur  eft 
e  Miniftre,  de  qu'il  ne  fait  qu'appliquer  aux  cas  particuliers,  à  l'exemple 
du   Prince. 
Loin  doue  que  le  tribunal  ceQipi;ial  ^{t  l'arbitre  de .  l*opiBion  du  peu- 

■  pie. 


CENSURE. 


«37 


t 


Îile^  il  nW  eft  que  le  déclaniteur,  &  fi-€6t  qu'il  s^n^éctrte,  (es  déciGons 
ont  iraifies  &  fans  effet. 

-  Il  eft  inutile  de  dtftinguer  les  mœtlrs  d'une  nation  des  objets  de  fon  eP 
time  ;  car  tout  cela  tient  au  même  principe ,  &  fe  confond  néceffairement^ 
Chez  tous  les  peuples  du  monde  ce  n'eft  point  la  nature,  mais  Topinion 
ui  décide  du  choix  de  leurs  plàiûrs.  Redre(&z  les  opinions  des^hommèsi 
leurs  mœurs  s'épureront  d'elles-mêmes.  On  aime  toujours  ce  qui  eff 
beau  ou  ce  qu'on  troure  tel,  mais  c'eft  fur  ce  jugement  qu'on  fe  tfoi^ipe;^ 
c'eft  donc  ce  jugement  qu'il  s'agit,  de  régler.  Qui  juge  des  mœurs  juge  de 
l'honneur,  &  qui  juge  de  l'honneur  prend  fa  loi  de  l'opinion. 

Les  opinions  d'un  peuple  naiiTent  de  fa  conftitution  ;  quoique  la  loi  ne 
règle  pas  les  mœurs  ,  c'eft  la  légtflation  qui  le  fait  naître  ;  .  quand  la  liA 
^nation  s'affoiblit ,  les  mœurs  dégénèrent  ;  mais  alors  le  jugement  des  Ceûr^ 
feurs  ne  fera  pas  ce  que  la  force  des  loix  n'aura  pas  fait. 

La  Cenfure  maintient  les  mœurs  en  empêchant  les  opinions  de  fe  cor- 
rompre ,  en  confervant  leur  droitdre  par  de  fages  applications ,  quelquer 
fois  même  en  les  fixant,  lorfqu'eiles  font  encore  incertaines.  L'ufage  des 
féconds  dans  les  duels ,  porté  jufqu'à  la  fureur  dans  le  Royaume  de  Franr 
ce ,  y  fut  aboli  par  ces  feuls  mots  d'un  édit  du  Roi  ;  fua^nt  à  ctux  qui 
ont  la  lâcheté  dTappcUtr  des  féconds.  Ce  jugement  prévenant  celui  du  ^u^ 
blic  le  détermina  tout  d'un  coup.  Mais  quand  les  métties  édits  .voutureot 
prononcer  que  c'étoit  auffi  une  lâcheté  de  fe  battre  en  duel  \  ce  qui  eft 
crés-vrai ,  mais  contraire  à  l'opinion  commune  ;  le  public  fît  peu  de  cas 
de  cette  décifion  fur  laquelle  fon  jugement  étoit  déjà  porté. 
^  L'opinion  publique  n'étant  point  fçumife  à  la  contrainte ,  il  n'en  fallait 
aucun  veftige  dans  le  tribunal  établi  pour  la  repréfenter..  On  ne  peut  trop 
admirer  avec  quel  art,  ce  reifort  entièrement  perdu  che^  les  mod^^fnes 
Àoit  mis  en  œuvre  chez  les  Romains  &  mieux  chez  les  Lacédémoniens. 

Un  homme  de  mauvaifes  mœurs  ayant  ouvert  un  bon  avis  dans  le  con« 
feil  de  Sparte  ,  les  Ephores ,  fans  en  tenir  compte  ,  firent  propofer  le 
même  avis  par  un  citoyen  vertueux.  Quel  honneur  pour  l'un ,  quelle  not0 
pour  l'autre,  fans  avoir  donné  ni  louange  ni  blâme  à  aucun;  des  deux! 
.Certains  ivrognes  de  Samos  fouillèrent  le  tribunal  des  Ephores  ^  le  lende- 
xnain  par  édit  public ,  il  fut  permis  aux  Samiens  d'être  des  vilains.  Un  vriù 
châtiment  eut  été  moins  févere  qu'une  pareille  impunité.  Qyand  Sparte  a 
prononcé  fur  ce  qui  eft  ou  n'eft  pas  honnête  ^  la  Grèce  n'appelle  pas  d^ 
îcs  jugemens. 


1 


Censure    des    L  i  v  r  b  s. 


1 


L  y  a,  commtJ  nous  l'avons  dit ,  dans  plufieurs  Euts  :de  PEurope  &  ftar- 

tout  en  France  ^  des  Cenfeurs  prépofés  à  Pexamen.  des  livres ,  &  ordinaire- 
ment on  n'en  donne  aucun  à  rimpreffion  quîue  ibit  muni  d'une  aneftjitioo 
Tonu  XI.  's 


r^a  C    E    N*   s    tSr    K    E. 

du  CêhfeurV  qui  dédarè  au  moins  que  le  livre  œeomSeiit  rien  qmpuiflc  . 
empêcher  rimpreflion -r  car  l'emploi  du  Cenfeur  n'èft  pas  de  taire  l'élog 
d^m nouvrage.   &'il  le  fait,  c'eft  un  cadeau  dont  un  auteur  doit  lui  favoi— 
gré.  La  fonction  de  Cenfeur  eft  délicate.  J'ai  vu  beaucoup  d'auteurs  mécoo^ 
tens  qui  avoient  tort  de  l'être.  J'en  ai  rencontré  anfll  'quelque&ùns  qui  avoi 
raifon.  Un  Cenfeur  ne  doit  être  ni  trop  diflicultueux^  ni  trop  peu  fcrupuraM^* 
ieux.  Par  ces  deux  excès  il  manqueroit  ëgalement  à  la-  confiance  du  mini 
tere,  &  à  ce  que  ceux  qui  écrivent  attendent  de  lui.  Je  ne  (>enfe  pas  qu'c 
axtfeur,  s'il  a  de  b  droiture,  puifle  défirerque  fbn  livre  voie  le  jour,  fi  un  exa 
men  judicieux  ne  le  permet  pas.  Il  a  droit  aorfli  d'exiger  que  cet  examen 

2oi  condamne  fon  livre  à  rentrer  dans  le  porte* feuille,  foît  judicieux  &  rai 
>àné.  Ce  droit  efl  fondé  ftir'un  principe  ptos  fore  quêta  vanité  d'auteuj 
Un  Cenfeur  efl  comme  le  juge  de  l'honnêteté  d'un< Ecrivain ^  de  fa  probité, 
de  la  bonté  de  fes  fentimens ,  non  aux  yeux  du  ptibiic ,  parce  que  ce  jog 
ment;  ne  fe  divulgue  point  ^  mais  aux  yeux  du  minifiere  qui ,  bien  qu'u 
auteur  ne  fè  nomme  pas  toujours ,  &  fe  ferve  fouvent  d'une  main  tier 
pour  préfenter  fon  ouvrage ,  ne  manque  poufftfnt  pas  de  -iiioyens  pour  I 
connoitre.  Un  Cenfeur  qui ,  en  refufant  une  permîflîon  d'imprimer ,  charg 
un  ouvrage  de  qualifications  diffamantes,  note  TAuceur  de  la  même  tache 
&  Je  fait  regarder  par  le  minifiere  comme  un  citoyen  dangereux.  Cela  mé 
rite  bien ,  je  penfe ,  que  l'on  y  faffe  attention.  Toutes  les  paroles  doivent 
être  pefées* 


mations  les  plus  exade5  pour  n^étre  point  trompé.  Ce  n'eft  pas  afleï.  Soit 
qu'un  auteur  n'ait  pas  le  ratent  de  s'exprimer  toujours  avec  la  plu^  grande 
jufleffe ,  foit  que,  dans  le  fëu  de  la  compofition,  il  lui  échappe  des' traits 
trop  forts,  foit  que  l'Examinateur  lui-même  «  préoccupé  d'idées  étrangères 
au  livre  qu'il  apprécie  »  donne  aux  mots  un  fens  qu'ils  n'ont  point,  il  arrive 
très-fouvent  qu'un  ouvrage  efl  blâmé ,  &  avec  raifon ,  mais  félon  une  inter- 
prétation fuppofëe,  à  laquelle  peut-être  des  expreflions  peu  correôes  ottt 
dotunè  lîeii.  C'efl  uile  injuflice  qu'un  Cenfeur  auroit  pu  éviter ,  s'il  s%to% 
-dominé  la  pêîné  d'étitrer  dans  l'efprit  de  rauteùr. 

^  y  a  dés  Cénfeurs  auffi  éclairés  que  réfervés  â  condamner,  au firès  de  criA 
lin  auteur  a  toutes^  fortes  de  facilités  de  s'expliquer  fur  les  points  conteftés 
entre  eux  :  il  feroit  bien  à  fouhaiter  que  tous  fuffent  de  ce  caraflere.  Te 
fuis  fur  qu'ils  trouveroient  toujours  les  auteurs  raifonnables,  &  prêts  à  fà- 
crifier  à  la  vérité  ëc  acf  public  totit  ce  qui  dans  leurs  écrits  pourroit  en  ren- 
dre la  leôure  nuifible,  à  expliquer  nettement  tout  l'équivoque,  à  réformer  jfar 
des  correâifii'tout  ce  qui  eiî  a  réellement  befoin.  J'ai  Àé  moi-même  dans 
te  <:a6  d'avoir  une  explication  avec  un  Cenfeur  réputé  pàuc  être  un  des  plus 
difficiles.  Les  chicanes  qu^  fàifoit  me  prouvoient  aflez  qu'il  méritoic  toute 


C   M    N    &'•  U    R    E.     ,  fj^ 

la  répntMticm  dottt  U  jomâbic  à  cet  églud.  Je  me  trouvôls  li  Paris  :  )e  l'ailal 
nàt.  Je  montrai  d'abord  beaucoup  de  déférence  pour  ifes  remarques.  Je 
le  priai  eofaite  de  vouloir  bien  m^écoucer ,  Taflurant  que  û ,  après  kiv^avoir 


tes ,  &  le  réittltat  de  notre  conférence  fîit  que  je  modifierois  un  feul  pafTa^ 
ge.  Si  Ton  en  croit  le$  plaintes  des  auteurs ,  il  s'en  faut  bien  que  tous  les 
Cenfeurs  foiem  aufli  traitables  que  celui-là.  Les  uns,  dit^on,  font  des  enne- 
mis déclarés  de  toute  Philofophie  vraie  ou  faulTe ,  oui  voient  par*tout .  de 
l'irréligion ,  de  Timpiété,  de  Pathéïftne,  qui  touri^ant  lans  ceffe  dans  un  cer- 
cle de  préjugés,  rejettent  (ans  exanien  tout  ce  qui  n'y  reutre  pas.  Lesau^^ 
très  fotkt  des  gens  vendus  au  Gouvernement ,  qu'ils  fervent  baflènient  en  trai* 
tant  d'efprit  remuant  &  dangereux  tout  citoyen  politique  qiii  ofe  difcuter 
des  matières  d'adminiftration ,  quelque  cîrconfpeéHon ,  quelque  modération 
qu'il  mette  dans  fes  difcuflions.  J'avoue  de  bonne  foi  que  j'ai  oui  des  per« 


déplorer  un  tel  abus.  J'aime  mieux  entretenir  le  leâeur  d'une  qi 
ponante  fur  ht'  Gehfiire  des  livres.  Efi-il  aufli  néceflfaire ,  efl-ii  auffî  utile 
qu'il  y  ait  des  Cenfeurs  de  livres,  qu'on  le  penfe  dans  quelques  Etats  ?  Un 
Angtdis  'aurait  bientôt  décidé.  Ou  plutôt  je  n'oferois  fiiire  une  pareille  quef- 
tion  à  Londres ,  ni  même  à  Amfterdam. 

Le  Parlement  d'Angleterre  avoit  défendu  en   1644,  d'imprimer  aucun 

livré,  aucune  brochure 9  aucun  écrite  quel  qu'il  fôt,  qu'il  n'eût  été  premié- 

Temient  examiné  &  approuvé  par  celui  ou  ceux  qui  feroient  choifis  pour  cet 

cfièt.  Une  pareille  défenfe  ne  pouyoit  que  djéplaire  extrêmement  aux  ama- 

reurs  de  la  liberté  de  penler  &  d'écrire.  Milton ,  aufli  grand  Philofophe  qu'ex* 

relient  Poète,  tjuoique  plus  connu  fous  cette  dernière  qualité,  adreflà  au 

X'arlement  un  difcours  en  faveur  de  la  liberté  d'imprimer  fans  approbation , 

^ôus  ce  titre  Artopamticà  ;  ^r  A  fpecchfor  tfie  liherty  ofun  Ucens^d  Prin* 

^ing.    Ce  difcours  en  plein  de  *fbrce  &  de  vivacité..  L'auteur  y  repréfente 

d'une  manière  bien  (enfible  les  inconvéniens  idé  la  défenfe  du  Parlement. 

Xi  y-fiiît  voir  prehliéît ment  qu'il  n'y  a  j^aimâiseu  que  des  tyrans  qui  aient 

entrepris  de  mettre  des  bornes  à  la  liberté  d'miprimer  ou  de  publier  tels 

livres  ou  tels  ouvrages  qu'on  jugeoit  à  propos'^  en  fécond  lieu  que  la  dé* 

iEenfe  en  oueftion  eft  inluffifante  pour  prévenir  l'impreflîon  des  ouvrages 

prétendus  féditieiîbc,  fcandafeux  &  diffaniàtoires ;  &  le  fait  prouva  qu'elle 

^es  multîplioit  aulieti  d'en  dinSinuer'  le  àptîibre^  enfin  qii'uné  pareille  dé- 

ftnfe  n!eft  propre  qu'à  décourager  lés'grfrts  de'lenrès  &  les  favans,  i  re*- 

tenir  la  vérité  captive ,  èc  à  replon^r  les  hommes  dans  U  fuperftîtioh  & 

*ans  l'ignorance. 


14©  CBN    S    U    R    R 

LV(&t:que  cedifcours  produifit  fut  tel  qat  Maibtfot ,  !  nomtoé.  Cëofeur  del 
livres ,  repréfenta  lui-même  au  Parlement  les  raifons  qui  dévoient  Tengageff 
à  abolir  cet  office  ^  &  fur  fa  requête  il  fut  déchargé  de  fon  emploi.  On  oe  \  0 
fera  pas  fâché  de  trouver  ici  les  raifons  que  Mabbot  allégua  contre  U  Cen?  I  ^ 
fure  des  livres.  Les  voici  telles  que  Mr.  fiirch  les  çappqrte  dans  la  vie  de       1   ^ 

Milton.  \  •■ 

Mabbot  dit  donc  I.  »  Qu'on  avoit  publié  plufieurs  miltiefs  de  brochures        \  | 
'y>  malignes  &  dif&matoires^  auxquelles  on  avoit  mis  fon  nom,  comme  s'il 
x>  en  eût  penpis  l'impreflion ,  quoiqu'il  ne  les  eût  feulement  pas  vues  ;.  ^ 
»  cela  dans  le  deffein  (  à  ce  qu'il  croyoit  )  de  le  ruiner  de  réputation  dan^ 
»  Tefprit  du  bon  parti. ce.  Cette  première  allégation  qui  eft  un  fait, ^prouve 
combien  la  défenfe  du  ï'arlement,  étoit   infufHfante   comme  le  foucenoii 
Milton. 

»  IL  Que  fon  emploi  lui  paroifToit  injuAe  &  contraire  aux  loix ,  au  moii 
p  par  rapport  au  but  pour  lequel  il  avoit  d'abord  été  établi,  &  qui  étoiM^  '\ 
i>  d'empêcher  qu'on  n'imprimât  rien  qui  pût  découvrir  la  corruption  quSK:-^ 
p  s'étoit  gliffée  dans  l'Eglife  &  dans  l'État,  du  temps  du  Fapifme,.de  l'E' 
i>  pifcopat  &  de  la  Tyrannie ,  &  de  tenir  le  peuple  dans  l'ignorance ,  afii 
10  qu'on  pût  exécuter  plus  facilement  les  deffeins  qu'on  avoit  en  faveur  di 
»  rapifme  &  de  la  Tyrannie,  pour  détruire  2k  la  tois  le  corps  &  l'ame  de 
»  gens  libres  qui  vivoient  en  Angleterre.  «  Ceci  offre  upe  foule  de  réflexions^»-^ 
accablantes.  Voilà  donc  comme  les  nations  font  le  jouet  non-* feulement  de 
ceux  qui  les  gouvernent ,  mais  de  ceux  encore  qu'elles  établilfent  pour  les 
protéger,  &  tenir  la  balance  entre  le  defpotifme  de  la  Cour  &  les  drpits 
ou  peuple.  Le  Parlement  d'Angleterre  corrompu  pour  reipverfer  la  Religion 
&  rEtat  &  fervir  la  Tyrannie!  EtJa  défenfe  d'imprimer  aucun  livre  fans 
Tapprobation  d'un  Cenleur,  eft  un  des  moyens  dont  il  fe  fert  pour  parver 
nir  à  fts  vues  iniques  !. 

»  III.  Que  la  Cenfure  des  livres  eft  le  plus  grand  monopole  qu'il  y  ait 
»  jamais  eu  dans  l'Etat,  en  ce  que  le  jugement,  laraifon,  l'efprit^  &c.  de. 
»  tous  les  hommes  font  foumis  à  un  feuji^  car  (i  un  livre,  un  traité,  ou 
»  un  écrit,  quel  qu'il  foit»  n'eft  pas  à  la  fantaiHe  du  Cenfeur,  ou  fe  trouve 
m  au-deffus  de  fon  iavoir,  il  n'en  permettra  point  l'impreffion-a 

»  IV.  Qu'il  lui  femble  mi'il  eft  jufte  d^imprimer  quelcfue  livre  ou  traité. 
*  que  ce  foît ,  fans,  permiffion ,  pourvu*  que  l'autepr  &,  l'imprimeur  y  mer- 
^  tent  leur  nom,  de  forte  qu'ils  foient  refponfables  de.  ce  qui  eft  contenu* 
r\  dans  ce  livre ,  &c.  &  que ,  s'il  y  a  quelque  chofe  de  condamnable ,  ils: 
n  puiflent  être  punis  félon  les  loix  qui  ont  déjà  été  établies.,  ou  qui  le  feront 
9  dans  la  fuite.  «  Voye:^  ci-après  P article  Co^NDAMNATio^  DES  LiyRES. 

L'on  penfe  ain(i  err  Angleterre  où  l'on  regarde  les  défordres  d'une  liberté 
illimitée  comme  beaucpup  moindres  que  les  inconvj^niens  de  ia  génf.;Dans 
nne  conftitution  qui  fe  foutient  &  s'a^rmit  par  les  chocs.,  vîolens  que  fe; 
portent  fans  ceffe  la  prérogative  royale  &  les  privilèges  de  la  nation ,  où. 


CENSURE.  i4t» 

It  licence  (èule  peut  réprimer  les  entreprifes  du  defpàtifme ,  oir  le  peuple 
toujours  inquiet  le  croiroit  opprimé  s'il  ne  jouiflbit  pas  du  ^oic  illimité  de 
cenAirer  ceux  qui  le  gouvernent ,  la  liberté  d'écrire  &  d'imprimer  ne  peut 
fbufFrir  d'entraves.  Mais  ce  régime  propre  d'une  conftitution  tumûltueufe^ 
ne  feroit-il  pas  déplacé  dans  un  Gouvernement  plus  tranquille  >  Toutes  les 
formes  politiques  d'un  Etat  ont  une  analogie,  une  correfpondance  harmo- 
nique qui  en  &it  un  tout-enfemble.  Dès  qu'on  veuc  les  introduire  dans  us 
Etat  étranger^  ce  font  des  pièces  difparates  qui  en  dérangent  l^ccord. 

J'étois  en  1765  en  Hollande.  Ce  pays  jouit  encore  de  la  liberté  de  la 
prefle.  Il  y  eut  alors  une  fermentation  dans  les  efprits  théologiques.  On  ve« 
noit  d'imprimer  à  Amfterdam  les  Lettres  écrites  de  la  Montagne ,  du  trop 
célèbre  Roufleau.  Ce  livre  fut  publiquement  profcrit  à  La-Haye ,  par  la 
Cour  de  Jufiice  de  Hollande ,  le  même  jour  qu'il  fubiflbit  à  Genève  le  mè« 
me  fort.  Cette  démarche  excita  quelque  rumeur ,  &  l'on  accufa  deux  Mi<- 
fiiftres  du  St.  Evangile  à  La*Haye  d'en  avoir  été  les  premiers  moteurs.  On 
les  accufoit  encore  d'avoir  des  vues  ultérieures.  On  difoit  qu'ils  avoient  des 
projets  pour  gêner  la  liberté  de  la  preflè,  que  voyant  l'empire  qu'ils  avoient 
Sur  pluueurs  membres  de  la  Cour  de  Juftice,  ils  en  profiteroient  pour  faire 
établir  dans  la  Province  des  Cenfeurs  fans  la  permi^on  &  Tapprobation 
desquels  on  ne  pourroit  plus  déformais  rien  imprimer.  Ces  alarmes  n'étoienc 
pas  fans  fondement.  Je  vais  mettre  ici  fous  les  yeux  du  leâeur  deux  let* 
très  qui  conftatent  les  rifques  que  la  Hollande  courut  alors  à  cet  égard ,  par 
le  zèle  imprudent  de  deux  de  fes  Théologiens. 

»  Fermettez^moi ,  Monfieur,  de  profiter  de  votre  fëjour  ^  La-Haye,  pour 
»  yous  demander  s'il  eft  vrai  que  l'on  veuille  mettre  des  entraves  à  la  li- 
i>  berté  de  la  prefle.  NY  a-t-il  donc  d'autre  moyen  de  réprimer  là  licence 
»  des  méchans,  que  d'opprimer  la  liberté  des  bonsi  C'eft,  félon  moi,  la 
»  plus  mauvaife  politique  dans  tous  les  fens ,  car  elle  eft  tyrannique  &  ne 
»  peut  produire  de  bons  efGsts  en  mécontentant  tout  le  monde.  Cette  li- 
»  cence  d'ailleurs  que  l'on  prétend  réprimer ,  eft-elle  avérée  ?  Qui  l'a  prou* 
»  vée?  Ne  va-t-on  pas  s'expofer  au  ridicule  de  ceux  qui  fe  font  des  chi- 
»  mères  pour  les  combattre  ?  Et  qu'eft-donc  devenu  cet  efprit  qui  a  fondd 
3»  la  réforme  &  la  République  \  Ôette  liberté  qui  a  peuplé  la  Hollande  & 


»  plus  chère  qu'en  celui-ci.  La  libené  dont  on  y  a  joui ,  faifoit  dévorer  les 
1»  inconvéniens  de  la  dureté  du  climat  &  de  la  cherté  des  denrées ,  même 
^  de  la  grandeur  des  impôts  depuis  qu'ils  e^Tiftent.  Elle  feule  a  pu  ù\r^ 
»  fleurir  la  République ,  &  la  République  tombera  dans  fes  débris.  Qu'a. 
»  dû  penfer  l'Europe  en  apprenant  que  la  Cour  de  Juftice  de  Hollande  avoit 
»  donné  l'exemple  de  l'intolérance  la  plus  criante  en  flétriflant  les  lettres, 
ï^  écrites  de  laMcxntagne^  qui  ne  font  que  la  juftification  de  Mr.  RouiTeau.. 


%* 


«4* 


CENSURE. 


B  Qu'en  ont  peafé  les  c6ces  les  phis  faines  &  j*ofe  dire  les' plus  reTpéâi- 

»  blés  de  cette  République  l  On  eft  encore  à  imaginer  comment  on  a  pu 

»  oublier  jufqu'à  ce  point  les  principes  les  plus  chers  à  ceux  qui  aiment 

n  véritablement  la  Patrie  &  la  Réforme,  pour  prendre  une  telle  réfolo- 

n  tion.  NofTeigneurs  ont-ils  donc  quelque  chofe  à  démêler  avec  un  honnête 

V  Fhilofophe  que  Ton  perfécure  »  &  qui  n'ayant  été  cité  à  aucun  tribunal       ■  ^ 

f»  n^avoit  que  la  voie  de  l'impreflion  pour  fe  défendre?  On  attribue  cette        I   j| 

i>  démarche  indifcrete  à  Paétivîté  de  ces  petites  padions  qui  aviliflènt  l'hom-        \  i 

»  me  d'Etat  &  le  Miniftre  de  la  Religion.   On  n'efi  pas  étonné  que  cette 

y>  penfée  ait  pu  entrer  dans  une  ou  deux  têtes ,  mais  comment  a-t-elle  puk. 

»  être;  reçue  unanimement ,  ou  au  moins  à  la  pluralité  des  voix?  Du  refte  ^ 

»  dans  quel  autre  pays  de  l'Europe  a-t-on  imité  cet  exemple  qui  fait  gé- 

»  mir  les  cœurs  vraiment  patriotiques  ?  Voilà  de  quoi  faire  rentrer  en  eux- 

j>  mêmes  ceux  qui  l'ont  donné .  Heureufement  j'entends  dire  que ,  fi  l^^  > 

>>  chofe  n'étoit  pas  arrivée ,  elle  n'arrivcroit  pas.  Tant  mieux  !  Mais  devoit-— ^^ 

»  elle  arriver  >  A  ce  moment  le  Confeil  de  Genève ,  dit-on ,  fe  repent  auti-  V  ^^ 

»  des  excès  auxquels  il  s'eil  laiiTé  aller.  La  poftérité  dira  avec  raifbn  que  Is^^  M\^ 

»  République  de  Genève  perdit  fa  tranquillité  au  moment  qu'elle  ceifa  d'û     ^^ 

n  tre  tolérante  :  grande  leçon  pour  les  contrées  heureufes  où  l'on  jouit  en-rK^i^ 

»   core  de  la  précieufe  liberté  de  penfer!   Je  parle  de   liberté  &   non  d^^KJe 

SI  licence.  Mais  fi  l'homme  a  tant  de  peine  à  garder  un  jufte  milieu ,  quel^^  -'* 

n  ques  excès  font  d'une  bien  petite  conféquence  en  comparaifon  des  mausc 

»  que  doit  craindre  la  République ,  lorfque  les  âmes  feront  avilies  par  l'ef-' 

»  clavage,  &  qu'il  ne  fera  plus  permis  de  penfer  par  foi-même,  ce  quiS:.^^ 

»  en  eft  le  dernier  degré. 

}>  Je  vous  avoue ,  Monfieur ,  que  ces  idées  m'ont  chagriné  &  me  cha- 
»  grinent  encore  dans  un  pays  que  j'ai  choifi  de  pï-éférence  pour  ma  Pa» 
»  trie.  Enfin  on  parle  de  nous  donner  des  Cenfeurs  pour  la  Librairie,  de 
»  de  forte  qu'il  ne  fera  plus  permis  d'imprimer  que  ce  qu'ils  auront  ap* 
n  prouvé.  Et  quels  feront  donc  ces  Cenfeurs  qui  jugeront  en  dernier  reflbrt 
»  du  bien  &  du  mal,  du  vrai  ôc  du  faux,  qui  mettront  des  bornes  à  l'en* 
y>  rendement  humain  en  lui  aiïïgnant  jufqu'où  il  doit  porter  précifément  fes 
9>  penfées,  qui  domineront  le  génie  &  aflerviront  les  confciences ,  ce  qui 
»  eft  direâement  oppofé  aux  droits  inaliénables  de  la  raifon,  &  aux  prin^ 
»  cipes  fondamentaux  de  la  République  &  de  la  Réforme  !  Y  a-t-on  bien 
»  penfé  ?  Quels  font  les  hommes  qui  oferont  fe  propofer  pour  cette  Ion- 
i>  £Hon  ?  Quels  font  les  hommes  qui  oferont  en  nommer  d'autres  pour  la 
3»  remplir  ?  Tout  cela  me  paroit  n  étrange  dans  ce  pays ,  que  je  n'en  puis 
»  rien  croire.  Achevez,  Monfieur,  de  me  défabufer.  Mon  cœur  éroit  trop 
»  plein  pour  ne  pas  le  répandre  dans  le  vôtre.  Je  penfe  trop  bien  de  la 
Y>  Cour  de  Hollande  &  de  nos  Seigneurs  les  Etats-Généraux ,  pour  imaginer 
»  que  ce  ne  foient  pas  là  de  faufles  alarmes.  D'ailleurs  l'affaire  ne  pourroit 
2>  pa(fer  fansjêtre  communiquée,  je  crois,  aux  différentes  villes.    Je  vous 


C    t    N    s    V    R    E. 


*4) 


»  prie  donc ,  Monfieur,  de  vouloîr  bien  m%oDorer  d'une  réponfê  propre  à 
»  me  confirmer  dans  l'eftime  que  j^ai  toujours  eue  pour  le  Gouvernement 
n  (bus  lequel  ;*ai  choifi  de  vivre ,  ou  de  redrefler  mes  idées  fi  elles  étoienc 
9  oppofées  à  celles  des  bons  Patriotes,  qui  font  les  vôtres.  J'ai  l'honneur 
»  d'être,  &c.  A  Amfitrdam  ce  8  Mars  17^5. 

Cette  lettre  ëtoit  écrite  à  un  homme  d'un  grand  mérite,  qui  a  rempli 
fucceflivemenr  toutes  les  charges  de  fit  province ,  qui  a  été  employé  dans 
plufieurs  députations  importantes  dont  il  s'efi  acquitté  honorablement,  qui 
aime  à  fe  délafTer  avec  les  Mufes  dts  fi>ins  pénibles  de  la  Magiftrature, 
ami  de  la  Philorophie  &  du  peuple.  Ce  refpedable  Magiftrat  vit  encore; 
c'eft  pourquoi  je  me  difpenfe  de  le  nommer.  Voici  fa  réponfe  datée  de  La- 
Haye  le  10  Mars  1765. 

»  Je  reçus  hier,  Monfieur ,  Pobligeante  &  judîcîeufe  lettre  que  vous  mV 
»  vez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  8  du  courant*  Vous  y  faites  paroltre  des 
D  fentimens  dont  je  fuis  d'autant  plus  charmé  qu'ils  font  plus  analogues  aux 
»  miens.  Tout  occupé  que  je  fuis,  je  ne  veux  point  diffôrer  de  vous  dire 
3»  que  votre  lettre  a  été  communiquée  à  plufieurs  membres  de  la  Cour  de 
yi  Hollande  qui  y  ont  reconnu  leurs  fentimens  comme  j'y  reconnois  ma  fa- 
»  çon  de  penfer.  Pour  répondre  à  votre  queflion,  il  eft  très-vrai  qu'il  exifle 
»  des  projets  pour  génér  la  liberté  de  la  prefTe  ;  mais  n'en  craignez  pas 
»  l'exécution.  Les  Etats  de  Hollande  n'ont  point  approuvé  la  conduite  de 
»  la  Cour  de  Juflice ,  &  les  'projets  n'auront  furement  pas  lieu. 

»  Le  temps  ne  me  permet  pas  de  vous  en  dire  davantage,  Monfieur: 
h  j'ai  l'honneur  d'être  avec  le  zèle  dçmt  je  fuis  capable ,  &c. 

La  Hollande  fe  félicite  d'avoir  échappé  dans  la  Sécadence  aébelle  de  fa 
liberté ,  au  nouveau  malheur  qui  la  menaçoit.  La  tolérance  la  plus  entière 
eft  la  bafe  de  fa  conflitution ,  Se  elle  ne  doit  rien  foufFrir  qui  la  contre^ 
dife.  Mais  ce  qui  convient  au  Gouvernement  Hollandois,  peut  très-bien  ne 
pas  convenir  à  un  Gouvernement  qui  n'eft  pas  établi  fur  les  mêmes  prin- 
cipes. Ce  qui  n'a  que  peu  ou  point  d'inconvéniens  à  Amflerdam ,  en  pour- 
roit  avoir  de  très-grands  à  Paris. 

Quels  éloges  ne  méritent  pas   le  Roi  &   le   Miniflre  qui  fe  font  fait 

Îloire  de  donner  une  étendue  illimitée  à  cette  précieufe  liberté  de  penfer 
t  d'nécrîre?  C'eft  un  Roi  defpote,  c'efl  un  Minîftre  qui  gouvernoît  delpo- 
tiquement  fous  un  jeune  Monarque ,  qui  ont  donné  cet  exemple  à  l'Eu- 
Topc.  C'efl  le  Roi  de  Danemarck.  Ô'étoit  l'infortuné  Struenfée,  digne 
^'un  meilleur  fort.  Le  14  Septembre  1770,  Sa  Majeflé  Danoife  donna 
ao  Château  d'Hirfcholm,  une  ordonnance  par  laquelle  ce  Prince  jugeant 
^ue  la  liberté  de  la  preffe  étoit  un  des  moyens  les  plus  efficaces  pour  ac- 
^lérer  les  progrès  des  fciences  ,  l'introduifoit  dans  tous  les  pays  de  fa 
dominarion ,  &  exemptoit  de  toute  efpece  de  Cenfure ,  tous  les  livret  qui 
s'împrimerdîent  dans  fcs  Etats.  Une  telle  ordonnance  fut  regardée  comme 
une  opération  majeure.  Elle  l'efl  en  effet ,  fi  elle  n'entraîne  point  d'abus  ; 


M* 


C    E    N    S    U    R-    E. 


développ 
voirs  réciproques  de  ceux  qui  commandent  Ôc  de  ceux  qui  obéiflènt. 

Cet  exemple,  tout  frappant  qu^il  efl,  ne  nous  empêche  pas  de  regar-^ 
der  la  formalité  de  la  Cenfure  fagement  adminiftrée,  comme  un  excellent 
moyen  de  réprimer  la  pétulance  des  écrivains  licencieux,  la  publicatiotrK 
des  libelles,  le  cours  des  livres  contraires  aux  bonnes  mœurs.  Elle  doiwtK^* 
être  fur- tout  en  ufage  pour  les  ouvrages  que  Ton  deftine  à  Tinftruâion  d^  ^ 
la  jeunefTe  »  qu'un  bon  Gouvernement  doit  s'efforcer  de   rendre  la  plu^- 
parfaite  &  la  plus  uniforme  qu'il  efl  poffible ,  de  même  que  pour  tou^  les^ 
ouvrages  ou  écrits  qui  font  d'un  ufage  public ,  &  dont  on  fe  fert  en  con— 
féquence  des  ordres  fupérieurs  du  Gouvernement ,  tels  que  les  livres  élé- 
mentaires en  ufage  dans  les  écoles,  les  collèges  &  les  académies  :  les  li 
vres  de   loix  &  d'ordonnances  ,   &   les  livres    càçoniques   dont    on  f( 
fert  dans  le  culte  public ,  par-tout  où   ce  culte  efl  réglé  par  les  loix  d 
rEtat- 

On  craint  que ,  fous  un  gouvernement  corrompu ,   la  formalité  de  la 
Cenfure  des  livres  ne  devienne  un  inftrument  de  tyrannie  \  qu'elle  n'em- 

f)éche  les  bons  citoyens  d'éclairer  la. nation  fur  fes  véritables  intérêts^,  fur 
es  concufllons  de  fes  opprlslTeurs ,  fur  la  diflipation  du  tréfbr  public  ^  qu'elle 

n'empêche  les  plaintes  du  peuple  de  parvenir  jufqu'aux  pieds  du  trône; 

on  craint  qu'il  ne  foit  alors  ordonné  aux  Cenfeurs  de  n'approuver  aucune 
difcuffîon  politique  fur  les  opérations  du  miniftere,  de  forte  qu'au  mo- 
ment oii  elles  auroient  ie  plus  de  befoin  d^étre  examinées  ,  approfondies , 
critiquées,  toutes  les  preffes  feroient  enchaînées.  Cette  alarme  eft-elle  bien 
fondée?  Mettons  les  chofes  au  pi^.  Suppofons  un  miniftere  excluftf  dans 
fes  fyflêmes ,  qui  prétende  avoir  toujours  raifon  fans  fouffrir  d'être  con- 
tredit ,  un  miniftere  opiniâtre  &  impérieux  qui  commande  d'approuver  fans 

';examen  ce  qu'il  fait;  ou  fi  cette  fuppofition  paroit  trop  forte,  fuppofons 
un  miniftere  d'une  probité  déraifonnable  dans  fon  auftérité,  qui  défende 
de  difcùter  fes  opérations  les  plus  juftes  &  les  plus  utiles ,  comme  fi  une 
pareille  difciiflion  ne  devoit  pas  tourner  à  l'avantage  du  bon  &  du  vrai. 
Mais  une  telle  conduite  feroit  de  la  plus  grande  inconféquence.  Les  entra- 
ves tyranniques  qu'un  pareil  miniftere  mettroit  à  la  liberté  de  la  prefle 
feroient  beaucoup  plus  propres  à  alarmer  les  peuples,  à  les  mécontenter, 
à  leur  rendre  le  joug  de  l'obéiftance  infupportable ,  que  les  raifonnemens 
tranquilles  des  politiques  bien  intentionnés,  que  leur  2ele  pour  la  chof<;  pi>- 
blique  engage  à  écrire  fur  des  matières  qu'il  importe  d'autant  plus  d^ap-> 
profondir  qu'elles  intéreftént  direâement  le  bonheur  des  hommes.  Croit- 
on  d'ailleurs  que  les  cenfeurs  feconderoîent  facilement  des  vues  iniques  ? 
Je  n'en  connois  point  d'afti^z  vils  pour  cela.  Le  Gouvernement,  qui  les 
choifit  parmi  les  citoyens  les  plus  éclairés,  les  plus  judicieux ,  les  plus 

intègres, 


CENSURE,  14c 

intègres ,  montre  la  pureté  de  fes  intentions  \  &  les  garants  de  la  fagefTe 
^'un  miniftere  jufle  ck  bienfkifant ,  ne  deviendront  jamais  les  fuppôts  d'un 
«lefpotifme  arbitraire. 

On  s'accoutume  mal-à-propos  à  regarder  la  Cenfure  des  livres  comme 
line  gène  odieufe  &  prefque  tyrannique.  Des  frondeurs  qui  blâment  tout 
£Aas  conooitre  &  fans  examiner  ^  ont  malheureufement  accrédité  cette  fauKTe 
idée  d'un  ëtabiiflement  formé  pour  une  bonne  fin.  Une  Cenfure  judicieufe 
réprime  la  licence ,  fans  gêner  la  liberté  :  elle  dirige  cette  liberté ,  fans 
la  contraindre.  Elle  l'empêche  de  s'écarter  des  bornes  de  la  fageffe  &  de 
la  modération.  Son  but  eft  de  prévenir  les  écarts  dangereux  &  criminels, 
pour  épargner  à  la  police  la  trifle  peine  de  les  punir.  Toute  efpece  de 
livre  peut  être  préfenté  à  la  Cenfure,  &dés  que  le  Cenfeur  nommé  pour 
l^examiner,  n'y  trouve  rien  de  répréhenfible  du  côté  moral,  il  ne  peut 
refufer  fon  approbation.  Un  Cenfeur  qui  la  refufe,doit  motiver  fon  refus, 
dans  le  compte  qu'il  rend  de  l'ouvrage  à  Mr.  le  Chancelier  ou  à  celui  que 
ce  premier  Magiilrat  a  commis  à  fa  place.  Si  jamais  la  Cenfure  devenoic 
trop  difiiculmeufe  ;  (î  jamais  un  Gouvernement  corrompu  vouloir  s'en  fer- 
vif  pour  tenir  captives  des  vérités  qui  feroient  une  jufle  condamnation  de 
fes  vues  &  de  fes  opérations  oppremves,  ce  feroit  en  pure  perte.  Il  man- 
queroit  fon  coup.  La  néceffîté  de  parler  trouvera  toujours  afTez  de  moyens 
d'éluder  les  défenfes  des  oppreffeurs ,  &  la  vigilance  de  leurs  fuppôts.  L'ex- 
périence de  tous  les  temps ,  prouve  que  jamais  on  ne  parle  &  on  n'écrit 
avec  plus  de  force,  que  lorsqu'on  eft  condamné  injuftement  au  (ilence. 
L'on  a  beau  faire,  la  raifon  ne  fe  foumet  point  à  l'injuftice.   La  licence 
eft  toujours  voifine  de  la  contrainte  exceilive.  Accordez  aux  hommes  une 
honnête  liberté»  ils  en  uferont  convenablement,  fans  en  pafler  les  bornes. 
Mais  dés  que  vous  voudrez  leur  ôter  cette  précieufe  liberté,  ils  donneront 
dans  tous  les  excès  de   la  licence.  Vous  les  y  aurez  invités  par  la  con- 
trainte que  vous  vouliez  leur  impoler.  Tous  les  Gouvernemens  font  con- 
vaincus de  cette  vérité  ;  &  ils  fentent  que  leur  modération  eft  le  plus 
fur  garant  de  l'obéilfance  des  peuples  ;  que  l'autorité  devient  précaire  en 
devenant  oppreftive  ;  qu'une  foumiftion  éclairée  &  raifonnable  fe  change 
en  révolte  plutôt  que  de  dégénérer  en  fervitude. 

L'approbation  d'un  Cenfeur  eft  comme  le  fceau  de  la  bonté  morale  d'un 
livre.  Elle  met  l'auteur  &  l'imprimeur  à  l'abri  de  tout  reproche  de  ce 
côté-là.  Lorfqu'ils  ont  rempli  la  formalité  reauife  ,  ils  ne  répondent  plus; 
de  rien.  Le  gouvernement  dont  le  Cenfeur  en  l'organe ,  en  répond  pour 
eux.  Il  y  auroit  donc  de  la  contradiâion  &  de  l'injuflice  à  inquiéter  un 
auteur  ou  un  libraire  pour  un  ouvrage  publié  avec  approbation.  Il  y  au- 
roit de  l'injuftice  à  punir  quelqu'un  pour  avoir  fait  ce  que  la  loi  lui  a 
permis  de  faire.  Pouvez-vous  m'imputer  le  mal  qui  eft  dans  mon  livre , 
lOrfque ,  par  une  approbation  légale ,  vous ,  Magiftrat ,  ou  votre  Cenfeur 
que  vous  avez  établi  juge^  en  cette  matière ,  m'avez  dit  qu'il  ne  contenoic 
Tome  XI.  '  T 


i 


ti6  C    n    N   S    V    R    E. 

rien  contre  U  religion ,   les  bonnes  tùœurs  &  le  gouvernement  ?  La 
Cenfure  feroit  alors  un  pitge  tendu  à  la  bonne  foi  d^un  écrivain. 

Le  Cenfeur  lui-même  qui  a  donné  mal-à-propos  fon  approbation ,  o'eft 
pas  coupable,  sHl  Ta  fait  fiiiVant  le  fenciment  intime  ëe  fa  confcience» 
On  lui  envoie  un  livre  à  examiner.  Il  le  Ut  attentivement ,  &  n'y  trouvant 
rien  de  répréhenfible ,  il  l'apprauve.  Où  efl  fon  crime?  Il  peut  s'écre 
trompé,  il  peut  avoir  manqué  de  lumières.  Il  a  mal  jugé;    cette  erreur 


de 


châtiment  plus  rigoureux  ne  feroit  plus  proportionné  à  la  hme.  Où  font 
les  hommes  infaillibles?  Ne  voyons-nous  pas  tous  les  jours  le  mtniftere 
fe  corriger  lui-même ,  ré&rmer  fes  opérati<»is ,  fes  ordonoances ,  fes  k>ix , 
lorfque  de  nouvelles  lumières  &  une  expérience  fbuvent  fatale  lui  font 
voir  qu'il  s'étoit  trompé?  Les  tribunaux  de  judicatnre  fe  trompent  eux* 
mêmes  quelquefois ,  malgré  les  difcu(fions  des  avocats ,  les  éclaircifllën 
des  témoins ,  Tinfpeâion  des  pièces ,  &  la  confrontation  qu'ils  font 
tout  cela  au  texte  de  la  loi.  Un  Cenfeur  eft-il  plus  in£ûllible  qu^]n  Mi«- 
mftre  &  un  Magiftrat?  ou  eft-^il  moins  excufabte,  s'il  fe  trompe?  Tout 
femble  au  contraire  folliciter  Tiiidulgence  en  fa  &veur.  Il  eft  leul,  livré 
à-  fes  propres  lumières  )  il  n'a  point  de  confeil  ni  de  corps  entier  de  ma* 
gîftrature  pour  diriger  fon  jugement.  Souvent  prévenu  pour  l'auteur  du 
livre  qu'il  examine,  il  a  affex  de  modeftie  pour  foumettre  fon  fenti* 
ment  au  Gen.  La  crainte  de  foupçonner  un  innocent  le  rend  timide  & 
lent  à  blâmer.  L'horrenr  d'une  accufation  injufte  ou  feulement  témé* 
raire,  le  met  en  garde  contre  une  ftvérité  qui  ne  feroit  pas  toujoor» 
déplacée.  Plus  il  efl  éclairé ,  plus  il  voit  de  raifons  d'être  indulgent.. 
Comme  il  n'a  point  de  mauvâûfes  intentions ,  il  eA  bien  éloigné  d'en  fup* 
pofer  aux  autres.  Quand  on  exerce  la  fonâiou  redoutaUe  de  |itge ,  peot-oa 
être  trop  prudent  ^  trop  réiervé  i 

Cenfure  de  propofitions.. 

CXKSVaB     THéQI.OÇIQ0C 

V^  N  nomme  ainfi  »  dans  le  droit  canon  ^  l'aâe  par  lequel  un  tribunal 
eçcléfiaftique ,  jugeant  fur  des  objets  de  croyance  ou  de  morale ,  qualifie 
la  doébine  ou  les  propofitipns  renfermées  dans  un  écrit  quelconque ,  qw 
c^  parvenu  à  (k  connoifiance  ou  qui  tui  a  été  déféré  ^  &  qu'il  ne  trouve 
pas  conformie  dans  fon  contenu  i,  à  la  doârine  qu'il  veut  que  Ton  enCeigne». 
Les  qualifications  par  lefquelles  il  note  la  doârine  qu'il  blâme   comme 

i^uraife  »  &  qu'il  çondainfi«  ^  tejei;t€  coQuue  erroaée ,  i»  font  pas  tou» 


/ 


CENSURE.  r47 

tes  également  flëtrîflTantes  ;  elles  doivent  Tétre  d'autant  plus  que  le  tribu- 
nal juge  les  propofîcions  qu'il  rejette ,  plus  éloignées  du  vrai  ^  ou  contre-* 
difant  des  vérités  plus  importantes.  Voici  les  divers  degrés  de  Cenfure,  ou. 
de  qualifications  par  lefquelles  les  tribunaux  eccléfiaftiques  qui  jugent  de 
la  fei ,  flétrifTent  les  proportions  qu'ils  rejettent  &  condamnent. 

La  note  à^héréfic  eft  regardée  comme  la  plus  infamante  de  toutes, 
parce  que  l'on  qualifie  d'héi^e  toute  doârine  qui  contredit  formellement 
ce  que  la  révélation  enfeigne ,  ou  ce  que  le  tribunal  préterid  qu'elle  en« 
feigne.  Ordinairement  les  tribunaux  prononcent  anatheme  contre  ceux  qui 
enlèignent  des  héréfies.  La  flétrifTure  à^ erreur  ^  efl  moins  forte  que  celle 
d'héréiîe ,  parce  qu'on  ne  traite  ordinairement  d'erronées  que  les  propor- 
tions qui  contredirent  ce  que  le  tribunal  jugeant ,  envifage  comme  une  vé- 
rité reconnue ,  &  enfeignée  par  la  raifon ,  fans  l'être  exprefTémetit  par  la 
révélation.  On  dit  qu'une  propoHcion  fent  Vhéréfic ,  lorfqu'elle  e(l  exprimée 
de  manière  à  ofïrir  deux  fens ,  dans  l'un  defquels  elle  renferme  une  doârine 
regardée  comme  hérétique ,  quoique  dans  l'autre ,  elle  puifle  renfermer  un 
fens  vrai  &  recevable.  On  nomme  captituft ,  une  propofition  ambiguë  & 
équivoque  9  qui  dans  un  fens  exprime  ce  qu'on  nomme  une  erreur,  mais 
qui  dans  un  autre  fens,  pourroit  ne  rien  renfermer  qui  ne  ffit  réellement 
vrai ,  félon  la  façon  de  penfer  du  joge.  Une  proposition  mal-fonnante  dans 
la  foi,  e(l  celle  qui  fans  exprimer  aucune  erreur  ni  héréiie,  exprime  une 
vérité  dans  des  termes  durs  &  peu  convenables ,  qui  tendent  à  rendre  la 
vérité  elle-même  odieufe  à  ceux  qui  l'entendent  exprimer  de  cette  ma^ 
niere.  C'efl  ainH  que  dans  la  morale  ,  on  peut  employer  des  expredions 
mal-fonnantes  pour  les  oreilles  chaftes ,  quoique  dans  le  fond  elles  ne  di- 
fent  rien  de  plus  que  d'autres  phrafes  regardées  comme  honnêtes,  mais 
dans  lefquelles  on  n'emploie  que  des  expredions  décentes  &  d'ufage  par- 
mi les  perfonnes  modeftes  &  réfervées.  On  qualifie  de  proportions  dangt^ 
rcufes  ,  celles  qui  tirant  des  fyflêmes  reçus,  ou  des  opinions  adoptées,  des 
conféquences  qui  paroiflent  en  découler ,  &  qui  peut-être  en  découlent  en 
effet ,  tendent  à  ébranler  la  vérité  du  principe  ou  de  Topinion  qu'admet  le 
tribunal  jugeant.  La  note  de  témérité  s'imprime  fur  des  proportions  qui 
attaquent  la  vérité  de  ce  qu'ont  enfeigne  éi  de  ce  qu'enfeignent  des  doc- 
teurs humains  d'une  grande  réputation ,  dont  le  fentiment  eft  regardé  comme 
une  autorité. 

S'il  exide  fur  la  terre  un  tribunal  infaillible,  pour  juger  de  tout  ce  que 
l'on  enfeigne,  il  fuffit  qu'il  ait  prononcé  une  fois  une  Cenfure  contre  une 
doéb'ine  ou  contre  les  termes  d'une  proportion  ,  pour  que  l'on  doive  re- 
jetter  cette  doctrine ,  &  abandonner  ces  termes  cenfurés.  Tout  ce  qu'il  a 
cenfuré  comme  hérétique  ou  erronné ,  doit  ^re  rejette  comme  faux  :  ce 
qu'il  qualifle  de  propontions  fentant  l'hérére  ou  captieufes ,  doit  être  évité 
avec  foin ,  comme  condeifant  à  l'hérére  ou  à  l'erreur  i  s'il  déclare  une  prô- 
pio&ioa  être  mal-fannante ,  il  faut  en  corriger  les  expredions  \  s'il  ta  qna- 

T  2 


148  C  E  N  T  I  E  M  E-D  E  N  I  E  R. 

lifie  dangereufe ,  on  doit  garder  le  filence  à  fon  égard  ;  s^it  la  dit  être  td« 
méraire^  il  faut  ne  la  préfenter  qu'avec  beaucoup  de  réferve  &  de  mo^ 
deftie.  Ainfi ,  dans  l'églife  Romaine ,  toute  proportion  qu'elle  a  une  fois 
cenfurée  comme  hérétique  ou  erronée,  efl  cenfurée  irrévocablement  :  mais 
ce  qu^elIe  défapprouve  feulement  comme  Tentant  l'héréfie,  captieux,  mal- 
fonnant,  dangereux,  téméraire,  n'eft  pas  par  cela  même  irrévocablement 
déclaré  tel ,  parce  que  ces  notes  ou  qualifications ,  peuvent  dépendre  de 
certaines  opinions  courantes  dans  un  temps  ,  que  l'on  abandonne  dans 
d'autres;  de  certaines  expreflions  ou  manières  de  parler  qui  changent  de 
fens  félon  les  fiecles.  Par  rapport  aux  églifes  Réformées  qui  ne  connoiffent 
.  point  de  tribunal  infaillible  ,  Ja  Cenfure  n'établit  ni  la  vérité  ni  la  fâufleté 
.d'une  propofition,  mais  feulement  la  manière  dont  le  tribunal  qui  juge, 
veut  que  l'on  penfe  &  que  l'on  parle. 

On  ne  faurpit  refufer  à  aucune  fociété ,  dont  l'union  des  membres  eft 
fondée  fur  la  confi>rmité  de  croyance ,  &  qui  ont  des  confeflions  de  foi  ^ 
ou  expofîtions  de  doârine ,  le  droit  de  déclarer  l'oppofition  qu'elle  trouve 
entre  fa  foi  &  fa  doârine ,  avec  la  foi  &  la  doârine  de  ceux  qui  ne  font 
pas  corps  avec  elle ,  ou  qui  s'en  écartent.  Mais  cette  Cenfure  doit-elle  être 
réputée  une  règle  irrévocable  de  croyance,  ou  regardée  comme  une  fimple 
déclaration  qui  n'a  point  force  de  loi  ?  C'efl  fur  quoi  l'églife  Catholique 
n'eft  pas  d'accord  avec  les  églifes  Réformées. 
> 

CENTIBME-DENIER. 
2>2/  Centième '- Denier  &  des  Injînuations^  Laïques. 

1^'ORDONNANGE  de  François  I  en  1Ç39,  &  celles  de  Charles  IX, 
des  années  1560,  &  1566,  avoient  afTujetti  à  l'enregiflrement  &  iafinua- 
tion  y  dans  les  cours  &  jurifdiâions  ordinaires ,  toutes  donations  qui  feroient 
faites  entre  les  fujets,  fous  peine  de  nullité.     ^ 

Louis  XÎV,  par  fa  ddclararion  du  17  Novembre  1690,  enjoignit  pareil- 
lement que  les  donations  &,  fubflitutions  feroient  enregiftrées.  &  inunuéet 
fous  les  mêmes  peines  infligées  par  les  précédentes  ordonnances,  avec 
cette  différence  y  qu'il  accordoit  plus  de  temps  pour  remplir  cette 
formalité. 

Pour  faire  exécuter  ces  difpofitions  avec  la  précifion  que  rèquéroît  l'in- 
térêt des  parties,  le  Roi  Henri  II ,  avoît  créé  des  offices  de  Greffiers  des 
înfinuations  laïques,  qui  furent  fupprimés  par  l'article  LXXXVl,  de  l'or- 
donnance de  Charles  IX ,  donnée  à  Orléans  l'an  1 560. 

Louis  XIV»  les  rétablit  par  déclaration  du  mois  de  Mai  1645»  mais 


C  E  N  T  I  E  M  E-D  E  N  I  E  R 


149 


•omme  la  plupart  n'avoient  pas  été  levés,  le  inéme  Roi,  par  fon  édie 
du  mois  de  Décembre  1703  ,  fupprima  ce  qui  exiftoit  alors,  &  ea 
créa  de  nouveaux  dans  toutes  les  villes  du  Royaume  où  il  y  avoit 
ûege  de  jurifdiâion  Royale  &  ordinaire,  en  expliquant  toutes  les  na- 
tures d'aâes,  qui  dévoient  être  fujets  à  Tinfinuation  &  enregiftrement, 
dont  le  droit  fut  fixé  par  le  tarif  attaché  fous  le  contre-fcel  dudit  édit. 
L'article  XXX,  attribue  en  outre  auxdits  Officiers  cent  mille  livres  de 
gages  efièâifs  à  répanir  entre  eux ,  fuivant  les  rôles  qui  feroient  arré* 
tés  au  Confeil. 

Ce  Prince  informé  aue  la  perception    defdits  droits   étoit  contraire  à 

celle  du  contrôle  des  aaes  des  Notaires  &  Petits-Sceaux ,    que  le  peuple 

en  fouffroit  par  l'obligation  de   porter  fes  aâes  en  diffêrens  bureaux  ;  & 

«lie  la  multiplicité  de   ces  Officiers ,  qui  jouiilbient  de  pluHeurs  exemp-» 

^sions ,   devenoit  à  charge  aux   villes    oc  communautés  du  Royaume ,  en 

Supprima  le  titre   par  édit  «du  mois  d'Oâobre  1704 ,  &  ordonna  que  les 

droits  en  feroient  perçus  conjointement  avec  ceux  du   contrôle  des  aâes 

^es  Notaires  &  '  Petits-Sceaux ,  pour  ne   &ire   par  la  fuite  qu'un  même 

«orps  de  ferme. 

Par  déclaration  du  7  Juillet  1705  ,  le  Roi  ordonna  la  levée  de 
^eux  fous  pour  livre  d'augmentation  fur  les  droits  dlnfînuation  Laï- 
que &  Centième  -  Denier  ;  &  par  édit  du  mois  de  Mars  17 14,  le 
«eut  fut  réuni  au  Domaine.  Ces  deux  fous  pour  livre  furent  fuppri- 
snés  par  arrêt  du  13  Février  1717  ,  mais  ils  furent  rétablis  par  celui 
^u    8   Mars  171 8. 

Cette  partie  efl  comprife  dans  le  bail  général  des  fermes  unies ,  fous  les 
vermes  d'Infinuations- Laïques  de  tous  contrats ,  jugemens,  fentences ,  let*- 
^n-es  &  autres  aâes  fujets  à  infinuation;  &  de  droits  de  Centieme-Denier 
^e  tous  contrats  de  vente,  échange,  licitations,  ceffions,  tranfports,  fu- 
l>rogations,  &  généralement  de  tous  aâes  tranflatifi  ou  rétroceffiiK  depro- 
riété  des  biens  immeubles  ;  enfemble  les  droits  de  Centieme-Denier  des 
iens  immeubles  échus  par  fucceffions  collatérales  ,  conformément  aux 
its  de  Décembre  1703,  Oâpbre  1705  ,  Août  1706,  &  autres  réglemens 
aux  exceptions  y  portées ,  en  faveur  des  Princes  du  fang  qui  jouiffent 
defdits  droits ,  à  la  charge  de  les  faire  percevoir  fur  le  pied  du  tarif  du  1 9 
Septembre  17x2. 


I 


^ 


ço    CENTUMVIR.  CENTUMVIRAT.  CERCLES  DE  L'EMPIRE, 


C  E  N  T  U  M  V  I  R. 

CENTUMVIRAT. 

JLjE  Ceotumvirat  étoit  un  Tribunal  ^  ou  Cour  de  Judicature  chez  les 
Romains,  ainfî  nommé  parce  qu'il  étoit  compofé  de  cent  Magiilrats  qui 
jugeoient  les  différends  des  particuliers. 

Les  Centumvirs  furent  créés  à  Rome  vers  Tan  512,  fous  le  conful^ 
de  Q.  Lutatius  Cercon,  &  d'A.  Manlius  Torquatus.  Ils  furent  tirés  dp 
toutes  les  tribus ,  troisi  de  chacune  ;  de  forte  qu'ils  étoienc  réellement  au 
nombre  de  cent  cinq ,  parce  que  le  peuple  fut  alors  partagé  en  trente-cinq 
tribus ,  ce  qui  n^empêctu  pas  qu'on  ne  leur  donnât  le  nom  de  Centumvirs. 
Ces  Juges  rendoient.la  juftice  dans  les  caufes  les  plus  imporuntes;  mais 
leurs  jugemens  différoient  entièrement  de  ceux  des  autres  Juges ,  &  avoient 
une  certaine  forme  qui  leur  étoit  particulière.  Outre  cela,  les  Centuiîivirs 
étoient  aflis  fur  des  tribunaux ,  au-lieu  que  les  autres  n'étoient  aflis  que  fur 
des  bancs.  Il  n'y  avoit  point  d'appel  de  leur  jugement ,  parce  que  c'étoîc 
comme  le  confeil  de  tout  le  peuple,  &  l'on  pouvoit  appeller  de  la  fen- 
tence  de  tout  autre  Juge.  Les  Juges  particuliers,  après  avoir  prononcé , 
cefToient  d'être  Juges  ;  les  Centumvirs  l'étoient  pour  un  temps  marqué , 
leur  jugement  devoit  s'exécuter  fans  délai ,  &  celui  des  autres  pouvoir  être 
différé.  Les  Centumvirs  étoient  diftribués  en  quatre  chambres  ou  tribunaux; 
&  les  décemvirs ,  par  ordre  du  préteur,  les  aflembloient  pour  rendre  la  ju(^ 
tice.  Celui-ci  préfidoità  leurs  jugemens,  &  tenoit,  pour  ainfi-dire,  la  ba- 
lance entre  les  quatre  tribunaux.  Us  s'affembloient  dans  les  baftliques , 
qui  étoient  de  magnifiques  édifices,  où  étoit  dé]>ofée  une  hache,  pouir 
marque  de  jurifdi^on;  delà  vient  qu'on  difoit  un  jugement  de  la  hache, 
pour  un  jugement  des  Centumvirs.  Le  nombre  de  ces  Magiftrats  fut  le 
même  pendaat  toute  la  durée  de  la  République  ;  niais  après  le  règne  d^ui- 
gufie  il  devint  plus  nombreux,  &  pour  l'ordinaire  il  montent  à  cent  quatre* 
vingt  :  ils  ne  s'aflembloient  que  les  jours  auxquels  le  préteur  ne  tenoit 
point  fon  fîege. 


CERCLES    DE    L'EMPIRE. 

J[^  OUS  ajouterons  ici  quelques  détails  à  ce  que  nous  avons  dit  des  Cer- 
cles de  l'Empire  dans  l'article  Allemagne. 
Le  Cercle  d'Autriche  eft  compofé  de  l'Archiduché  de  ce  nom ,  des  Du*- 


CERCLES    DE    L'EMPIRE.  x^i 

cfiés  de  Styrie ,  de  CariDthie ,  &  de  Carniôle  ;  des  Comtés  de  Tyrol  & 
des  Evéchés  de  Trente  &  de  Brixen ,  que  quelques-uns  difent  appartenir 
plutôt  à  l'Italie  y  qu'à  l'Allemagne.  Quant  au  Brifgau»  au  Burgau,  aux  villes 
fbreftieres,  &  en  un  mot  tout  ce  que  les  Archiducs  d'Autriche  poffedenc 
en  Suabe,  ils  font  compris  dans  le  Cercle  d'Autriche,  quoiqu'ils  n'y  ap- 
partiennent naturellement  point  par  leur  fimation  ;  mais  les  Empereurs  ont 
eu  des  raifoas  pour  en  décider  autrement.  Les  Comtes  de  WeifTenwolff 
ont  leurs  biens  fitués  dans  la  Haute  -  Autriche  :  le  Prince  de  Por tia , 
l^Evéque  de  Bamberg  ont  des  terres  &  dés  Seigneuries  fituées  dans  ce 
Cercle. 

Le  Cercle  d'Autriche  ne  tient  jamais  de  diète  circulaire,  vu  que  la 
Maifon  d'Autriche  éunt  fouveraine  des  pays  qui  le  compofent,  &  avec 
des  prérogatives  particulières  ,  elle  prend  les  réfolutions  qui  lui  con-^ 
Tiennent. 

Le  Cercle  de  Bourgogne  étoit  autrefois  compofé  des  dix-fept  Provinces^ 
ées  Pays-Bas,  &  du  Comté  de  Bourgogne  dont  il  tiroir  Ion  nom.  Il  ti'eft 
pas  douteux  que  le  but  de  Maximilien  I ,  en  faifânt  de  ces  pays  un  Cercle 
de  J'Empire,  ne  fût  d'engager  le  corps  Germanique  à  la  défenfe  defdite? 
Provinces,  oui  appartenoient  toutes  à  la  Maifon  d'Autriche.  Charles-Quint, 
en  1 548 ,  obtint  des  Etats  de  l'Empire  que  ces  Provinces  reftercHcnt  in- 
corporées à  l'Empire  pour  toujours-,  que  l'Empire  les  garantiroit  au  pof« 
fefleur ,  lequel  auroit  voix  &  féance  à  la  diète  fous  le  titre  de  Due  de- 
Bourgogne.  C'étoit  un  moyen  de  conferver  à  peu  de  frais  une  acqurfition 
cpii  donnoit  de  l'ombrage  aux  principales  puifiances  de  l'Europe  &  même 
à  l'Empire.  Dans  la  guerre  que  le  Roi  d'Efpagne  Philippe  II  eut  avec  fes 
lujets  des  Pays-Bas ,  il  reclama  la  garantie  de  l'Empire ,  &  fes  fuccefleurs 
en  firent  de  même  dans  celles  qu'Us  eurent  depuis  avec  la  France.  Mais 
le  corps  Germanique  n'a  jamais  voulu  donner  dans  le  ptege ,  &  a  c<m|oura 
re£ifô  de  prendre  fur  foi  la  défenfe  de  ces  Provinces ,  fous  prétexte  qu'elles 
ne  contribuoient  en  aucune  manière  aux  befoins  de  l'Empire. 

Le  Roi  d'Efpagne  étok  aofrefois  direâeur  de  ce  Cercle ,  lequel  eft  au* 
îourd'hui  réduit  à  peu  de  choie  par  l'établifTement  de  la  RépiibKqife  do 
Hollande,  par  les  conquêtes  de  la  France,  &  par  les  acquifitions  du  Roi 
de  Prufle.  Il  ne  refte  plus  qu'une  petite  partie  de  la  Gûeldre,  du  Haynaut, 
des  Comtés  de  Flandres  &  de  Namur ,  du  Duché  de  Luxembourg  ;  une 
partie  confidérable  du  Duché  de  Brabant  &  du  Limbourg. 

Ce  Cercle,  non  plus  que  le  précédent,  ne  tient  point  de  diète  &  n'en 
a  jamais  tenu ,  dans  le  iens  des  autres  Cercles  de  l'Empire.  . 

Le  Cercle  Eleâoral  ou  Cercle  du  Bas-Rhin ,  eft  compofé  des  EteéloraTs 
de  Mayence ,  de  Trêves ,  de  Cologne  &  du  Bas-Palatinat  ou  Palatinat  Elec- 
toral du  Rhin.  II  comprend  encore  la  Commanderie  Provinciale  de  Co- 
blence, &  le  diftriâ  nommé  Eiffel  y  lequel  renferme  les  Comtés  de  Man- 
derfcMeid  |  de  Aeifiêrfcheid  ^  la  Principauté  d'Aremberg ,  &€. 


i^%  C  E  R  C  L  E  s    D  E    L'  E  M  P  I  R  E. 

Ce  Cercle  a  cela  de  particulier  qu'il  renferme  trois  Elèâorats  EccléfiaC- 
tiques ,  &  un  Eleâorat  féculier.  Tous  les  quatre  ont  beaucoup  foufFert  dans 
les  guerres  de  l'Empire  avec  la  France.  Ils  ont  été  foulés  tour  -  à  -  tour 
par  les  François  &  par  les  Allemands. 

Les  Etats  du  Cercle  de  Bavière  font  partagés  en  deux  bancs,  Tun  £c« 
cléfiaftique,  l'autre  Séculier.  L'ordre  de  ces  deux  bancs  &  le  rang  des  Etats 
qui  y  ont  féance,  ell  tel.  Sur  le  banc  eccléfiaflique  font,  l'Archevêque 
de  Saltzbourg  ;  les  Evêques  de  Freifinguen  ,  de  Rati(bonne ,  de  Paflau. 
Les  Abbés  &  Abbefles  de  Berchtolfgade ,  de  St.  Emméran ,  d'Ober  -  Munfler  , 
de  Niedermunfter ,  &  de  Kaifersheim.  Le  banc  féculier  eft  compofé  des 
Etats  fuivans.  L'Eleâeur  de  Bavière  pour  le  Duché  de  ce  nom  ;  l'Elec- 
teur Palatin  comme  Duc  de  Neubourg  ;  Bavière  pour  le  Comté  de  Leuch- 
temberg;  le  Prince  de  Lobkovitz  pour  le  Comté  de  Sternftein,  Bavière 
pour  le  Comté  de  Haag  ;  les  Comtes  d'Ortembourg  pour  le  Comté  de  ce 
nom  &  la  Seigneurie  d'Ehrenfels  \  les  Comtes  de  WolfFAein ,  les  Comtes 
Maxelrain,  pour  la  Seigneurie  de  Hohenvaldeck  ,  Sondershaufen  &  Schwartz- 
bourg,  les  Comtes  de  Tilly  ,  pour  la  Seigneurie  de  fireitenegg  dans  le  Haut- 
Palatinat,  &  enHa  la  ville  de  Ratifbonne. 

Les  Etats  qui  pnt  voix  &  féance  à  la  diète  du  Cercle  de  Haute«*Saxe , 
font  l'Ëleâeur  de  Saxe  ;  le  Roi  de  Prufle  comme  Eleâeur  de  Brandebourg  ; 
l'Electeur  de  Saxe  comme  héritier  des  Ducs  de  Weiflenfels  &  pour  la  Prin- 
cipauté de  Queerfurth  dont  la  voix  a  été  admife  en  1664.  Le  Duc  de 
Saxe -Gotha  pour  le  Duché  d'Altembourg  ;  le  Prince  de  Saxe  «•  Cobourg  ^ 
Saxe-Weimar ,  Saxe-Gotha  pour  le  Duché  de  ce  nom ,  Saxe-Weimar  pour 
le  Duché  d'Eifenach  réuni  depuis  peu  au  Duché  de  Weimar;  le  Roi  de 
Suéde  pour  la  Poméranie  antérieure;  le  Roi  de  Pruffe  pour  la  Foméranie 
tlltérieure,  &  pour  l'Evéché  de  Camin;  les  Princes  d'Anhalt  comme  tels, 
&  enfuite  pour  l'Abbaye  de  Gernroda;  l'Abbeffe  de  Quedlinbourg.  Le  Duc 
de  Brunfvick  pour  le  fief  de  Walckenfied  ;  les  Princes  de  Schvartzbourg- 
Rudelftadt  ;  les  Comtes  de  Mansfeld ,  les  Comtes  de  Stolberg  pour  Stol^ 
berg  &  Vernigeronde  ;  l'Eleâeur  de  Saxe  pour  le  Comté  de  Barby  ;  les 
Seigneurs  Comte  Reufs ,  les  Comtes  de  Schoenbourg. 

L'Eleâeur  de  Brandebourg  prétend  à  la  voix  que  les  Comtes  de  Ho- 
henftein  avoient  autrefois  à  la  diète  de  ce  Cercle ,  à  caufe  des  deux  Sei- 
gneuries de  Lohre  &  de  Klettenberg  en  Thuringe ,  difant  que  le  Comté  de 
Hohenftein  lui  ayant  été  cédé  comme  Prince  d'Halberftadt  par  le  traité  de 
Wedphalie,  il  doit  auffi  jouir  du  fufFrage  que  les  Comtes  de  Hohenftein 
avoient  eu  à  la  diète  du  Cercle  de  Haute-Saxe.  Les  Maifons  de  Schwartz- 
bourg  &  de  Stolberg  fe  font  oppofées  à  cette  prétention ,  alléguant  en 
leur  faveur  le  paâe  de  confraternité  entre  leurs  familles  &  celle  de  Ho- 
henftein. Le  différend  eft  refté  indécis ,  &  cependant  le  direâoire  du  Cercle 
agit  comme  fi  cette  voix  n'avoit  point  lieu. 

Le  Cercle  de  Haute-Saxe  eft  un  des  plus  confidérables  de  l'Allemagne , 

tant 


CERCLES    DEL*  EMPIRE.  1^3 

tau  par  foa  étendue ,  fa  iêrtilitd  ic  fes  richelTes ,  que  par  la  puillkiice  des 
Princes  qui  en  font  membres. 

le  Roi  de  Pologne,  en  qualité  d'EIefleur  de  Saxe,  poflede  dans  ce  Cercle 
le  petit  Duché  de  Saxe ,  autrement  le  Cercle  Eleftoral  dont  Wiitemberg  , 
autrefois  fortereflè  trts-importante,  eft  le  lieu  principal.  Aujourd'hui  les  for- 
cifications  font  peu  confidérables ,  &  la  viUe  eft  médiocre  de  toute  façon. 
H  y  a  une  univerfué  où  le  célèbre  Luther  enfeignoii  la  théologie,  lorfqu'il 
commença  i  débiter  Tes  opinions  &  à  lever  l'éiandard  contre  Rome.  Le 
Marquifat  de  Mifnie,  l'OltcHande ,  le  Vogtiand ,  les  diflriéb  ou  Cercles 
de  I^ipzig  &  des  montagnes ,  font  des  pays  fort  peuplés ,  remplis  de  vil- 
les &  de  villages,  dont  les  habîtans  ne  manquent  ni  de  génie  ,  ni  d'in- 
duftrie.  Ce  Pnnce  a  réuni  à  fon  ancien  domaine  tous  les  fiel^  qui  en 
avolent  été  détachés  pour  former  les  apanages  de  differens  Princes  cadets 
de  la  ligne  Alberiine  dont  il  éioit  le  chef 

Le  Duc  de  Golha  ,  chef  de  la  ligne  Erneftine ,  poflede  la  ville  &  le 
Duché  de  Gotha,  avec  la  partie  du  Duché  d'Alrembourg,  qui  comprend 
la  ville  de  ce  nom  ;  celles  d'Orlamiinde  &  d'Eifenberg;  l'autre  partie  où 
font  Dornbourg,  Rofîîau ,  &c.  appartient  au  Duc  de  Weimar. 
■  La  Thuringe  appartient  au  Cercle  de  Haute-Saxe,  à  la  réferve  des  deux 
TÏlles  Impériales  de  Muhlhaufen  &  de  Nordhaufen ,  qui  appartiennent  au 
Cercle  de  Baffe-Sase.  Une  partie  de  la  Thuiinge  eft  polTédée  par  l'Elefteut 
de  Saxe,   Le  refte  appartient  à  divers  Princes  &  Seigneurs. 

Quoique  la  Principauté  de  Cobourg  foit  fituée  en  Franconie ,  elle  appar- 
Ûent  néanmoins  au  Cercle   de  Haute-Saxe. 

Les  pays  du  Roi  de  PrulTe  que  Ton  compte  dans  le  Cercle  dont  nous 
parlons  ici ,  font  les  trois  Marches  de  Brandebourg ,  la  Foméranie  ultérieure 
&  fa  portion  de  la  Poméranie  antérieure. 

Le  Cercle  de  Franconie  a  long-temps  difputé  le  rang  à  celui  de  Haute- 
Saxe  ;  mais  fans  fuccés.  Les  fufïrages  fe  trouvent  aînfi  rangés  dans  les 
récés  des  Dictes  de  ce  Cercle  :  Wurtzbourg  ;  Brandebourg  Anfpach  ; 
Ejchftxdt;- Brandebourg  Culmbach  ou  Bareith;  le  Grand-Maître  de  l'Ordre 
TeutoniquCi  Henoeberg-Schleufingen  ^  Henneberg-Smalkalde  &.  Henneberg- 
Rxmhild  ;  Schvartzemberg  ;  Laiwenftein -Wertheîm  ;  Hohenlohe-Walden- 
bourg  ;  Hohenlohe-Neueftein  ;  Caftel -,  Wertheim  i  Reineck;  Erpach  ;  les 
fuffraget  de  la  Maifon  de  Limbourg  laquelle  eft  éteinte  :  ceux  des  villes 
Impériales  de  Nuremberg  ^  de  Rotenbourg  fur  le  Tauberj  de  Windsheimj 
Sweinfurth  ;  &  Bamberg  comme  direfleur. 

Il  faut  remarquer ,  au  fujet  du  dir'eâoîre  de  ce  Cercle  ,  que  les  Mar- 
graves de  Bareith  &  d'Anfpach  l'exercent  alternativement,  &  qu'ils  ad- 
mettent l'Ëvéque  de  Bamberg  pour  condireâeur  ;  mais  que  ce  Prélat  ne 
veut  point  de  partage ,  &  que  tous  les  jours  il  attaque  les  droits  de  .ces 
Frioces.  C'eft  ce  qui  a  paru  dans  un  écrit  publié  depuis  peu  ,  où  l'on 
prétend  &ire  voit  que  le  dtreâoire  du  Cercle  de  Franconie  appartient  pri- 

Tome   XL  V 


M4 


CERCLES    DE    L^  EMPIRE. 


vaûvemenr  ï  PEvêque  de  Bamberg.  Cet  écrit  a  été  porté  à  la  Diète  dt 
l'Empire,  où  apparemment  il  ne  fera  pas  plu$  d'efièt  qw  cent  auues  de 

cette  natvre« 

Il  faut  encore  obferver,  ^u'à  Tégard  du  fuf&age  de  Hçnneberg-Schleu-^ 
(îngen  il  y  eut,  lorfqu'il  vint  à  vaquer,  un  diœrend  entre  l'Eleâçur  de 
Saxe ,  comme  héritier  du  Duc  de  Zeitz»  les  Ducs  de  Meiningen  ou  ^'~' 


nungen ,  de  Gotha ,  de  Weimar ,  &  d'Eifenach ,  qui  tous  y  prétendoient» 
L'amiire  s'accommoda  à  Pamiable ,  &  il  fut  réglé  que  chacun  jouiroit  du 
fufFrage  alternativement  :  de  manière  que  'dans  douze  Diètes,  l'Eleéleur 
de  Saxe  auroit  le  droit  de  ce  fufFrage  à  la  première,  à  la  quatrième, 
feptieme  &  dixième  ;  le  Duc  de  Meiningen  l'auroit  à  la  cinquième ,  hui- 
tième &  onziecue }  Gotha  à  la  fixien^e  pc  douzième  i  Eifenach  à  la  neu- 
viemç  ;  &  ainfi  toujours  de  douze  en  douze  Pietés. 

La  Principauté  de  Henneberg  eft  partagée  entre  les  Princes  de  la  branche 
Erneiline,  &  PEIeâeur  de  S^e.  Le  Landgrave  de  HeiTe-Caflel  en  a  une 

f)etite  portion  ,  confifiant  dans  la  petite  ville  de  Smalkaîde ,  célèbre  par 
a  fameufe  ligue  que  les  Etats  Proteilans  y  conclurent  pour  la  défenfe  de 
leur  Religion. 

Les  Etats  du  Cercle  de  Suabe  font  divifés  en  cinq  bancs  :  i^.  les 
ï^rinces  Eccléfiafliques  ;  2^.  les  Princes  Séculiers  ;  3^,  les  Etats  EccléGafti"> 
ques  du  fécond  ordre  que  les  Allemands  appellent  Pralatcn ,  Prélats ,  par 
où  ils  entendent  les  Etats  Eccléfiaftiques  de  rEmpire  qui  n'ont  pas  le  rang, 
de  Princes,  au-lieu  qu'en  François ,  nous  n'entendons  pas  autre  chofe  que 
les  Evêques  &  Archevêques,  par  ce  mot  de  Prélat;  4.^.  les  Comtes; 
&  {^.  les  villes  Impériales.  Leur  rang  fe  prend  de  la  fignature  des  récés 
de  la  Diète,  &  en   particulier   de   celui  de  1664.  qui  eft  le  plus  com<* 


plet.  Les  noms  sV  trouvent  dans  cet  ordre  :  les  Evêques  de  Cooftance 

,  le 

Kempten. 


&  d'Augfbourg ,  le   Prince  &  Prévôt   d'Elvangei^ ,  le  Prince  Abbé   de 
""împten. 

Le  Duc  de  Wirtemberg  ;  les  Marquis  ou  Margraves  de  Bade-Bade  \  de 


Les  Abbés  de   Salmanfi^eiler  ;  de  Weingarten  ;  d'Ochfenhaufen  ;  d'El^ 
chingen  ;  d'Irrfée  ;  d'Urfperg  ;  de  Munchroth;  de  WeilTenau  ;  de  Marchthal  ; 


de  Petters-Haufen  ;  de  Wettenhaufen  ;  de  Gegenbach;  de  Muttenthal  ;  de 
ftothenmunfter  ;  de  Baindr^ 

Les  Comtes  d'Alfchaufen ,  d'Oettingen ,  c|e  Wallerftein ,  de  Furflernberg , 
de  Moiskirchen,  Furftemberg  pour  le  Comté  de  Barr;  Bavière  pour  la 
Seigneurie  de  Mufletfteig,  les  Comtes  de  Sultz,  de  Montfbrt,  de  Furf- 
temberg-Stuhlingcn,  d'Oçttiqgen-Oettingen,  de  Kpnigfeg ,  de  Rothenfels» 
de  Zeil,  de  WoIfBeck,  de  Konigfeg-AuIendorfF,  de  Scheer,  TEle^eur  de 
Bavière  pour  la  Principauté  de  Mindelheim  \  Furftemberg  pour  Guadel* 


CERCLEES    DE    L^  EMPIRE.  1)5 

fingen  ;  les  Comtes  d^berftein ,  de  Grafiméck  ^  de  Hohenêmbs ,  de  Ju^ 
tingen,  de  Traun  pour  la  feigneurie  d'Egbfïs. 

Les  villes  Impériales  font ,  Augibourg  ,  Ulm  ^  Eflliogeii  ^  Reutlingéo  ^ 
Nordliogen,  Halle  en  Suabe,  Uberlingen,  Rorhveil,  Heilbroan^Cémundea 
de  Suabe  ,  Memmingen ,  Liodau ,  Dunckfpcd  ^  Biberaeh  ,  RaveaPpourg  ^ 
Kempcen ,  Kaufiêbeuren ,  Weil ,  Wangen ,  Yflhi ,  Lëutklrcb  |  Wimpfen  ^ 
Gingen,  Aalen ,  PfullendorfF,  Bopffingen  ,  OfFenbourg  ,  Buchau,  Buchhortt^ 
&  Zell  fur  Hammerfbach» 

Il  faut  encore  ajouter  à  cette  lifte  TEvéque  de  Coire ,  qui  n'a  été  rétabli 
dans  fa  qualité  d*£tat  de  Cercle  &  de  l'Empire  que  fur  la  fin  du  dernier 
liecle  ;  les  Abbayes  de  Roggenbourg ,  de  St.  George  d'Ylfni  ;  les  Abbeffes 
de  Guttenzell  &  de  Heggenbach  ;  les  Comtes  de  Rechberg,  de  Fappenheim^ 
de  SinzendorfF,  de  Stadian  pour  le  fief  de  Tannhaufen ,  les  Barons  de 
Linden  pour  la  feigneurie  de  Gerolfdeck ,  poffédée  autrefois  par  les  Comtes 
de  Cronnerg ,  &  enfin  la  ville  Impériale  de  Gegenbach. 

Les  Ducs  de  Suabe  étoient  autrefois  de  fort  puiflkns  Princes  en  Alle« 
magne.  Aujourd'hui  cet  ancien  Duché  eft  partagé  entre  tant  de  Souve* 
rains ,  que  fa  puiflance  en  eft  confidérablement  diminuée.  Cependant  le 
Cercle  de  Suabe  eft  un  des  plus  riches  &  dei  plus  importans. 

En  1697  les  Etats  du  Cercle  du  Haut-Rhin  fignerent  l'aflbciation  des 
Cercles  contre  là  France ,  6c  convinrent  que  fans  préjudice  de  leurs  pré^ 
tentions  tefpeâives ,  ils  figneroient  le  récés  de  la  Diète  dans  cet  ordre  : 
FEvéque  de  Worms  &  de  Spire ,  l'Abbé  de  Fulde,  le  maître  de  l'ordre 
de  St.  Jean ,  autrement  le  Grand- Prieur  de  Haitersheim  \  TArchevêque  de 
Trêves,  comme  Abbé  de  Prum,  le  Prévôt  d'Ottenheim. 

Parmi  les  Princes  féculiers  PEleéleur  Palatin  comme  Duc  de  Simmern; 
&  pour  les  deux  Principautés  de  Lautereck  &  de  Veldefice,  de  même 
pour  fa  portion  du  Comté  de  Spànheim  ;  le  Marquis  de  Bade-Hochberg 
pour  l'autre  partie  de  ce  Comté;  le  Duc  de  Lorraine  pour  le  Marquifat 
de  Nomeny  ;  les  Princes  de  Salm  ;  les  Wild  &  Rhîngraves  de  Thaun  ;  les 
Princes  de  Naflàu  •«  Sarbruck  &  Saarwerden  ;  le  Comté  de  Hanau  pour 
Hanan-Muntzenberg  ;  les  Comtes  de  Solms;  l'£Ie£teur  dé  Mayence  pour 
le  Comté  de  Konigftein  ;  les  Comtes  d'Ifenbourg  -  Budingen  ;  les  Comtes 
de  Stolberg-Gedern;  les  Comtes  de  LinangérDachfbourg ,  &  de  Linange- 
Wefterbourg  ;  le  Comte  de  Wittgenfteîn  ;  le  Prince  -  Comte  de  Waldeck 
&  de  Pirmont  ;  les  villes  Impériales  de  Worms ,  Sjnre  &  Wetzlar  ;  les 
Princes  de  Deux-Ponts  &  de  fiirckenfeld  ;  le  Landgrave  de  Heffe  comme 
te!  &  comme  Comte  de  Hanau;  les  Comtes  de  Hatzfeld,  de  Manderf- 
<}heid ,  dp  lavenfiein ,  les  villes  Impériales  de  Francfort ,  Friedberg  & 
Geinhaufèn. 

Ce  Cercle  autrefois  Tun  'des  plus  puifTans,  eft  aujourd'hui  fort  déchu 
par  les  cédions  que  l'Empire  a  faites  à  la  France  qui  poflède  dix  villes 
Impériales  en  AlDice  avec  toute  cette  province  &  la  ville  de  Straibourg 


i^S  CE  RÉ  U  a  N  I  A  L. 

Vune  des  plus  riches  &  des .  plus  puiflantes  de  l'Empire ,  &  U  plus  confi--^ 
dérable  de  ce  Cercle.   Les  dix  villes  Impériales  d'Alface  font ,  Haguenau  , 
-  Colmar,  Schleftadr ,  Weiflenbourg ,  Landau ,  Obernheim,  Rofsheim,  MuoF- 
ter,  Kaiferfberg,  Turckheim  ou  Durckheim. 

^  Le  Cercle  de  Weftphalie  comprend  les  Evôchés  de  Munfter,  de  Liege> 
4e  Paderborn  &  d'0{habruck  ,  avec  îes  Abbayes  de  Corwey  &  de 
Çtabloi. 

Les  Duchés  de  Juliers ,  de  Cleves  &  de  Berg  y  le.  diftriâ  appelle  fingu* 
llérement  le  Duché  de  Weftphalie  ;  les  principautés  de  Verden ,  de  Min* 
den  &  d'Oftfrife  ;  les  Comtés  d'Oldenbourg ,  Delmenhorft ,  de  la  Marck  , 
Reda,  Ravenfperg,  Schaumbourg,  Spiegelberg,  de  la  Lipe,  de  PtrmoDt, 
de  Riëtberg;  de  Bentheim,  de  Teckltnbourg ,  de  Steoforti  de  Lingen  & 
de  Reckum. 

.  CeXercIe  eft  un  des  plus  grands  &  des  plus  puiiTans.  H  renferme  les 
plus  conGdérables  Evêchés  d'Allemagne ,  dont  le  voifinage  ne  plait  guère 
aux  Hollandois ,  &  peut  en  effet  leur  être  préjudiciable ,  quand  ces  Evér 
chés  font  entre  les  mains  de  prélats  guerriers ,  comme  Bernard  de  Gahleir» 
Les  Etats  qui  compofent  ce  Cercle  font,  les  Duchés  de  Magdebourg^^ 
de  Brème  &  de  Wehrden^  ces  deux  derniers  ont  été  cédés  .par  la  couronne 
de'  Suéde  à  l'EIeâeur  de  Lunebourg,  les  Duchés  de  Zell  &  de  Hannovre, 
avec  les  diftriâs  de  Callemberg  &  de  Grubenhagen  qui  eft  une.  petite 
Principauté  ;  &  enfin  tout  ce  qui  appartient  à  l'Eleâorat  de  Lunebourg  ou 
de  Hannovre;  les  Etats  du  Duc  de  Brunfwick  Wolffenburtef ,  la  Princi- 
pauté de  Halberftadt  ;  les  Duchés  de  Mecklembourg  &  de  Holftein ,  TEvé*^ 
ché  de  Hildesheim  ;  le  Duché  de  Latc^embourg  \  TEvéché  de  Lubeck  ;  le 
Comte  de  Rantza'cr  ;  les  villes  Impériales  de  Lubeck;  Gosflar,  Muhlhaulen 
&  Nordhaufen  ;  Hambourg  &  Brème  prétendent  aufli  être  membres  de  ce 
Cercle  ;  &  avoir  voix  &  féance  à  la  dicte  circulaire  ;  mais  le  Roi  de  Da* 
nemarck  s'oppofe  à  cette  prétention  de  la  ville  de  Hambourg,  &l'E!eâeur 
de  Hannovre  ^  celle  de  la  ville  de  Brème. 


CÉRÉMONIAL,    f.    m. 

X-jE  Cérémonial  eft  en  général  l'aftèmblage  des  règles  introduites  dans 
l'ufage  de  la  vie ,  &  auxquelles  l'on  eft  obligé  de  fe  conformer  pour,  l'ex- 
térieur ,  le  maintien ,  les  difcours ,  les  habillemens ,  &c. 

Oii  peut  prendre  ce  mot  dans  un  iens  plus  étroit,  &  entendre  par*Ià  les 
ufages  introduits ,  ou  par  des  ordres  des  fupérieurs,  ou  tellement   établis, 
par  une  longue  coutume,  que  l'on  eft  obligé  de  les  regarder  comme  des 
loix,  &  les  refpeâer  :  dans  ce  fens  Ton  trouve  que  chez  toutes  les   na- 
tions du  monde  on  a  pratiqué  de  certaines  cérémonies ,,  tant  pour  le.  culte 


CÉRÉMONIAL. 


^7 


de  la  divinité  eue  pour  les  Maires  civiles  /dans  les  mariages  ^  dans  les 
cnterremens  ^  èc  v.  CéRBMQKiB. 

L'on  entend ,  en  troifieme  lieu«^  par  Cérémonial  ^  la  manière  4onc  les 
Souverains  oii  ieur$  AmbafTadeurs  ont  coutume  d'en  ufer  les  uns  envers  les 
«tttres';  ce  qui  n'eft  IpiTune  convention  ou.  règlement  établi  entre  les  Prin^ 
CCS  ,  tx  paSo  ,  ^cçnfuUudmc  6  ppfftffionc^  fuivant  lequel  ces  Prînceà^, 
ou  leivs  repréfentans  | rjdoiyenc ; . le  conduire  les  uns  envers  les  autres, 
lorfqu'ils  fe  trouvant ,  eofemble  ^  afin  que  l'on  ne  donne  à  chacun  ni 
trop   ni   trop   peu.  ^ 

Du  Cérémonial  des  Souverains^ 

Es  .^ncien$  Ijatins^  après. avoir  deffié  leur  Roi  Tanôs,  le  dépeignirent 
avec' linë  tête  à  deux  Vîfagei.  Cette  figure  nous  préfente  l'emblêmè  de 
foutes  Jes  chofes. i^ond^ings.  JEIles,  ont  toutes  deux  faces,. l'une  bonne,  l'au- 
tre mauvaife,  félon  lé  point  de  vue  fous  lequel  on  les  cbftfidere/  Si  l'on  n'cn- 
y?^4gc  li?^  Cérémoxiial .  u/îté  parmi  les  Souverains  que  du  côté  du  frivole ,  il 
ne  vaut  certainement  pas  la  peine  que  nous  en  fàflions  un  objet  de  r^<- 
çherç^es.  Nous  .dégraderions^  notre  ouvrage  fi  ndus  voulions  réduire  en 
fyfteme  ja  vaine  glpire  des  Prinies,  &  donner  des ^niaximes  pour  un  ob- 
jet chimérique»  Mais  il  ëft  un  côté  utile  par  lequel  on,  peut  regarder  le  Céré- 
lîionial^  &  p'eft  par  ce  côté  qu'il  tient  tellement  à  îa  j)otitîque,  qu'on  ne 
fauroit  s'empêcher  d'en  développer  les  principes,  5c  d'en  donner  quelques 
réglés  fondées  en  partie  fur  le  droic  naturel ,  &  en  partie  fur  des  ufages 
établis  depuis  long-temps  parmi  tes  Chefs  des  nattons  policées. 

On  entend  ici  par  le  jmot  de  Cérémonial  tous  les  honneurs  que  fes  Soit- 
verains  fe  rendent  l'un  a  Taiitre,  ou  fc  font  rend/e  dé  leurs  inférieurs  par 
honnêteté,  par.  civilité ,  ou  par  devoir.  S'il  eft  vrai  que  lés  Cérénfionies" 
religieufes  piit  été  établies  pour  rendre  le  cutte  dïvîn  pliis'augufte  &  plus 
vénérable  ^  ^on  ne  làuroit  nier  que  lé  Cérémonial  it%  Souverains  n'ait  été 
inventé  pour  donner  plus  d'éclat  à  leurs  '  aâions  publiques ,  &  les  rendre 
plus  fdemnelles,  pour  imprimer  plus  dçrefpeâ  aux  peuples  envers  ceux 
oui  (ont  defiinés  à  les  gouverner ,  &  pour  pHer  leurs  fujets  à  une  obéif- 
lance  ËKCife  par  cet  extérieur  imppfant.  L'expérience  n'a  que  trop  bien  faîr 
connoitre  quelle  impredion  les 'formalités ',  accompagnées  d^un  appareil 
xnagnifique ,  font  fur  l'efptit  des  hommes. 

Tous  Jes  états,  ou  toutes  les  proféflions  /  qui  compofent  la  fociété  hu- 
maine^, y  occupent  chacun  leur  place.  Les  différentes  gradations  de  ces  places 
entretiennent^  l'ordre  dans  la  fociété  ;  &  le  degré  idéal  ou  d'opinion  ;  oit 
chacun  fe  trouve  ainfi  placé,  cfl  nommé  iî^/z^.  Chaque  rang  a  les  préro- 
gatives &  Tes  diftinâions  qui  font  proportîotinées  au  degré  de  fijn  élé- 
vation. Chez  les  peuples  policés,  ces  diftin£Kons  ont  été  établies,  en  par** 
lie   par  des  réglemehs   que   les  Souverains  ont  jugé  à' propos  de  fiûre  à 


i{8  CtAtUOHIAL. 


tzins ,  qui  ne  font  fùiM  àflujettiis  par  des  loiit  pofidves  ^  om  cepoidant 
tr'eux  un  rang,  &  l'obferveiit.  Ce  rang  éft  dértrmiqé  du  pir'des>conveiH 
dons  exprefles,  oti  par  Un  long  ufàge,  non  é(}ui^^€ie,  cc^Uen  rionftatd 
La  connoilTance  de  ces  difFérens  régleniens  /  de  ^es  ^eonventiçiis ,  de  ces 
coutumes  &  ufagesr,  tjui  firent  le  rang  de  éhàcUiy^^des  prérogatives  qui 
font  attachées  à  chaque  rang  ,  des  honneurs  auxquels  chacuti  â  droit  de 
prétendre  ,  ou  qu'il  eft  obligé  de  rendre  à  autrui  ;  les  démonftrations  exté- 
rieures qu'il  convient  d'en  faire  à  chaque  rencontre  :  toutes  ces  chofes  en- 
femble  formant  la  fcience .  du-  Cérémonial.  Nous  ne  traitons  ici  oue  dp 
celui  que  les,  Souverains  pbférveht  éntr'eUx ,  01;.  envers  ceux  qui  les  ïe-: 
préfentent.  ^  /  • 

Le  grand  principe /que  tout  homme  natt  avec  un  déAr  naturel  de  ren- 
dre fa  condition  n^eîlleure  ,  eft  aufli  là  ï>afe  du  rang  &  des  diftinâioUs 
auxquelles  les  morrels  afpirent.  Tous  Tes  eftbVts  tendent  ou  à  améliorer 
leur  bien-être  phyfique,;  (&  alors  ils  (uîvent  un  objet  d'Internet )  du  à  amé- 
liorer leur  bien-être  mojral ,  c'eft-à*-dirë ,  à  fe  procurer  une  plt^s  grande 
conHdératiod .  vis-à-vi$  des' autres  humains  ;  âc  c'en  alors  qu^ls  ont'  un  dbjét 
d'ambition,  Ainfi  toqt  lijionnête  homme  fert  6c  agit ^  &  par  intérêt^  &  par 
ambition.  Les  Souverains'  ne  font  pas  plus  exempts  que  les  autres  hommies 
de  ce  penchant  naturel  ,  qui  eft  encore  confirmé  en  eux  par  des  motifs 
puifés  dans  la  Politique.  Celle-ci  leur  dit  que  chaque  degré  de   confidé- 


Le  Cérémonial  des  Souverains  fe  partage  en  cinq  branches  pirincipafes 

Îpi  comprennent  i^.  les  honneurs  quits  rendent  mutuellement  a  leurs  per- 
onne^s.;  a^.  ceux  qu'ils  fe  rendent  en  s'écrivant  \  3^.  ceux  qu'ils  rendent 
à  leurs  Repréfehtans ,  ou  Miniftres  publics,  &  que  ceux-ci  fe  rendent  mu* 
tuellement  entr'eux;  4^.  ceux  qu'ils  foçt  rendre  nfciproquemenfà  leurs  Em- 
ployés; i&  {^.  ceux  qu'ils  fe  font  rendre  à  leur  Cour^  &  les  diftinâions 
qu'Us  accordent  en  échange  à  chacun  de  leurs  Sujets. 

L    l^cs  honneurs  pcrfonnels. 

L' 
Es   honneurs  oue  les  Souverains  rendent  mutuellement  S  le^B^  jper^ 

fonnes  font  fondés  Vax  le  rang  que  chacun  d'eux  *  occupe.  11  fei^a  donc  0*= 
ceflaire  de  faire  quelques  recherche?  fur  le  rang  des  Puiffiinces  de  l'Euro- 
pe ,  fans  préjudicier  à  leurs  droits  refpeâifs. 

Toutes  les  Pui(faoces  qui  fuivent  la  ^efigion  Catholique  Romaine  don- 
nent le  premier  rang  au  Pape  1  non  en  qualité  de  Prince  temporel ,  mab 


2 


C  É  R  É  MON  I  AI.  1(9 

comme  Chef  vUîble  de  TEglife  Chuétieime  ^  &  Vkai^ê  de  Tefits-Chrift  fur 
la  serre.  Ce  Pontife  ^eod  le  titre  de  Stinteeé  ^  &  les  Fiinces  Câiholiquei: 
sf€  mectent  poÎB^  de  bornes,  aux- honiieurs  qu'ils  lui  fesdenr.  I,es  phtr 
grapdi  Mooarque^r  lui  baifent  lei  pieds,  de  lui  donoeot  toutes  le»  ]iiar-<n 
lues  d«  plus  profond;  refpeâ.  Mais  nous  ne  vivons  plus  dans  le  temps 
es  Adrien  IV ,  des  Alexandre  III ,  des  Luoe  III  i  de»  Urbain  III ,  &àj 
oii  les  Papes ,  après  avoir  excomnaMnié  des  Empereurs ,  mis  les  Rois  au' 

"  ban  de  TEglife,  jette  des  interdits  fur  des  Royaumes^  &  réduit  les  SiMir' 
veratns  &  les  peuples  au  défi^poîr,  ft  récoociliQient  avec  eux ,  ea  leur 
impofant  des  aâes  de  foumiifîon  &  d'humXté  qui  flétrifTenr  encore  atijour* 
d'I^ui  leur  mémoire.  Il  n'eft  pas  vraifemblable  que  jamais  un  Eûipereitf 
tienne  l'étrier  d'un  Pontife ,  fe  Êifle  mettre  le  pied  fur  ,1a  goree,  &  s\a^\ 
tende  djre  ces  paroles  infolentes  :  Vous  marchere^^  fur  Pafytic  &  fur  le  ba* 
Jilic  ;  6r  vous  fouUr€[  aux  pieds  k  lion  &  le  dragon»  La  Politique  en-^. 
ie^ne  aux  hommes  que  le  Ulut  des  Rois  &  des  peuples  dépend  dé  la  vi- 
goureufe  réfîftance  qu'ils  font  «outre  de  pareils  attentats ,  qu'ils  ne  doivent 
point  au  Pape  d  obéiflance  fanatique  pour  les  affaires  d'£tat  &  pour  des 
objets  temporels,  que  fi  les  Princes  baifent  encore  les  pieds  du  Pomife»  ils. 
lui  Uerotent  les  mains ,  s'il  éteit  h  propos. 

Les  Souverains  Proceftans  a'envifagent  le  Pape  que  comme  un  Prince, 
féculier,  &  alors  cette  grandeur  cololTale  devient  une  mignature.  Ce  n^ft! 
plus  qup  Je  maître  d'un  petit  territoire ,  qui  ne  iàuroit  avoir  de  rang  parmi 
les  grandes  puiflances.  lU  ne  peuvent  dPaUleurs  avoir  aucune  liaifon  direâer 
avec  un  Pontife  qui  ,  tous  les  ans ,  du  haut  de  fon  fiege ,  lance  fur  eux 
les  foudres  de  l'Eglife.  Ces  foudres ,  il  eft  vrai ,  fe  perdent  dans  tes  airs  x 
mais  la  cérémonie  n'en  eft  cas  moins  outrageante  pour  des  Princes^  qui 
régnent  fur  des  nations  refpeqables.  Cependant  tous  les  Souverains  ont  des 
devoirs  de  politeife  à  remplir  ;  &  celle  -  ci  exige ,  même  des  Proteftans  ^ 
qu'ils  témoignent  des  égards  à  un  Prélat  que  tant  de  Monarqbes  &  de 
peuples  Catholiques  refpeâent  fi  fort,  qu'ils  ne  choquent  point  leurs  opi« 
nions,,  en  témoignant  pour  lui  du  mépris,.  &  qu'ils  connivent  au  rang,: 
qui  lui  eft  accordé  par  des  Souverains  qui  ont  le  rang  fur  eux* 

.  L'Empereur  des  Romains  tient  le  premier  rang  pàripi.  tous  les  Princes 
temporels  de  la  Chrétienté.  On  a  vu .  quelquefois  cette -première'  dignité  du 

*  monde  occupée  par  les  Princes  dont  la  puiflance  nMtoitepas  formidable:  r 
mais  ce  défaut  de  puiffance  n'a  dérogé  en  rien  au  rang  &  à  la  confidérar- 
tion  qui  leur  eft  due.  Il  femble  que  ce  foit  un  hcmimage  que  les  peuples 
modernes  rendent,  à  l'ancienneté  du  titre  v  ^  «quoiqu'il  <  ^en  faille^e  beau- 
coup que  les  Empefe^r^  d^aqjouiii'faiii^^ént.  les.  maîtres^da  mondb,  Us  (e. 
trouvent  néanmoins  placés  fur  le  trône  des  Céfars  &  des  Charlemagne ,  & 
nous.  en.  pcéfoatent.  l'image  ■  Comme  >les  honpeurs^extérîcuw  n^ene-pas  tcfù^ 
jours  des  effets 
les  rend.  On  donne 


réels,  ce  n'eft  pas  aufli,  touiçurs  à  la  grandeur  réelle  qu'on 
3nne  à  l'Efnpereur  le  titre  dô  Sacrée  Màj'efté  ïmpériale.^ 


x 


i6<i  CÉRÉMONIAL. 

Vers  la  fin  du  'XV  fîecle,  le  grand  Duc  de  Ruflie  ou  de  Mof^ovie; 
Bafile^  fils  de  Jean  Bafilide,  ayant  fecoué  le  joug  des  Tartares  &  ireodu 
Ion  Empire  formidable  ^  prit  le  titre  de  C^ar ,  que  l\>n  déiive  de  Céûr 
ou  Kéfar.  A  mefiire  que  la  pbiflançe  des  Czars  s'eil  accrue,  &  que  les  na- 
tions Européennes  ont  eu  befoki  de  leurs  fecours  oa  -dé  leur  commerce^ 
elles  leur  ont  actordé  des  titres  &  des  honneurs  très-grands.  Déjà  eti  Tan- 
née i66i  y  Charles  II ,  Roi  de  la  Grande-Bretagne,  envoya  le  Comte  de 
GarlilTe  en  qualité  d^Ambafladeur  extraordinaire  en  Ru(Tie  ;  &  ce  Minifire  " 
ayant  obtenu  fa  première  audience  ^  commença  ainfi  fa  harangue  au  Czar  : 
(a)  Le  SérénîJJimc  €f  tris'puiffant  Prince  Charles  II ^  par  la  grâce  de  Dieu 
Roi  ^Angleterre ,  éPKcoffe^  de  fronce  &  d* Irlande ,  difenfeur  de  la  foi^  &c; 
h  Vous  y  tris'-haut^  tr-ès-puiffant  ^  &  trh-illuftre  Prince^  Grand- Seigneur  ^ 
Empereur  y  &  Grand^Duc^  jUexty  Michalowit[y  abfoîu  Souverain  de  toute 
la  grande ,  la  petite  &  la  blanche  RaJ/ie ,  de  la  mofcovie ,  Empereur  de 
Ca^an ,  Empereur  dPAfiracan ,  Empereur  de  Sibérie ,  &c.  Ces  titres  ne  fi« 
nilTent  point.  Pierre-le-Grand  ,  ayant  rendu^a  puiflknce  Mpfcovite  encore 

{dus  relpeâable,  &  contraâé  plus  de  liaifons  avec  les  autres  peuples  de 
'Europe  par  Ces  conquêtes  fur  la  mer  Baltique ,  tous  les  autres  Souverains 
lui  ont  confirmé  fucceffivement  ces  titres,  &  les  honneurs  qui  lui  font 
sttacHés.  La  France  a  été  la  dernière  à  y  confentir.  En  accordant  au  Czar 
le  titre  à^Empereur  &  de  Majefti  Impériale  ^  il  eft  certain  que  les  Rois  lui 
cèdent  le  rang  &  ne  marchent  qu'après  lui.  Le  titre  é? Autocrateur  de  tous 
Us  Ruffesy  que  les  Czars  prennent  dans  leurs  ukafes  ou  édics,  femble  tenir 
un  peu  de  l'enflure  Afiatique ,  ne  pouvant  être  attribué  qu'à  Dieu  même , 
qui  ibutient  &  gouverne  tout  par  fa  puiflance  infinie. 

En  parlant  des  Souverains  Chrétiens  de  l'Europe ,  il  fembleroit  que  nous 
pourrions  nous  difpenfer  de  faire  mention  du  Sultan  ou  Chef  de  l'Empire 
Ottoman;  mais  comme  la  Pone  a  diverfes  liaifons  avec  l'Empereur  d'Al- 
lemagne ,  la  Cour  de  Vienne ,  la  Ru/fie ,  la  France ,  la  Suéde ,  la  Repu* 
Uique  de  Venîfe ,  Sfc.  &  qu'elle  envoie  de  temps  \  autre  des  Ambaflk* 
deurs  à  ces  Puiflknces,  il  fera  néceflaire  de  faire  quelques  remarques  fur 
le  rang  auquel  elle  peut  prétendre.  Si  l'on-  confidere  l'étendue  immenfe  de 
l'Empire  des  Turcs ,  fès  forces ,  les  peuples  qui  y  font  fournis ,  la  fiiccef*- 
fion  des  Sultans  au  tràne  de  Conftantiii*le*Grand ,  le  nombre  de  Provinces 
que  les  Mahomets  &  Solimans  ont  encore  ajoutées  à  l'Empire  Grec  pour 
en  compoièr  l'Ottoman ,  il  eft  certain  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  confia  - 
dérer  le  Sultan  comme  un  Empereur  très*fbrmidable.   Audi  les  Rois  de 
TEurope  lui  cedenc^ls  le  rang ,  oc  ibnt  toutes  fortes  d'honneurs  &  de  dif» 
tinétions'à  fes  AmbafTadeurs.  La  ReKgibn  ne  fe  fbrmàlifë  point  de  ces  hou* 

■ .      '  ■    -r     .  neurs 


ai*  •  • 


(d)  Voyez  ia  relation  dts  trois  AmiaJJ'ades  de  Mr,  U  C^mt  de   Carliffe ^  édit^  fAmf- 
jurdam^  pajg/e  i)u 


CÉRÉMONIAL.  i^i 

neurs  purement  temporels ,  rhumilité  évangélique  ne  permet  pas  que  le 
Chriftianifme  ferve  de  principe  à  des  vanités  mondaines.  Le  Sultan  efl;  ap- 
pelle par  excellence,  le  G r and- Seigneur ^  &  on  lui  donne  le  titre  de  HaU' 
tejfe.  1,^%  autres  titres  que  ces  Princes  prennent  dans  les  écrits  qui  émanenc 
de  leur  Chancellerie ,  fe  refTentent  tous  de  cet  efprit  Oriental  qui  fe  plait 
aux  hyperboles  &  aux  exagérations  outrées.;  elles  deviennent- ridicules  à 
force  d'être  fublimes  &  pompeufes ,  &  la  manie  d'inventer  ces  titres  faf- 
Cueux  gagne  fi  fort  en  £urope,  que  les  Allemands  courent  rifque  d'être 
bientôt,  à  cet  égard,  auffî  ridicules  que  les  Turcs.  Au  refte,  on  verra  plus 
bas,  combien  il  importe  aux  Puiflances  Chrétiennes  de  fe  faire  refpeâer  à 
la  Cour  du  Grand-Seigneur  par  un  extérieur  impofant ,  &  combien  elles 
doivent  être  pointilleufes  fur  Pexaâe  obfervation  du  cérémonial  reçu  à 
Conflantinople. 

Les  Bj>is  occupent  le  premier  rang  en  Europe  immédiatement  après  les 
Empereurs  ,  &  ce  rang  ne  fauroit  leur  être  difputét  mais  ils'eft  élevé  en* 
tr'eux  de  grandes  conteftations  pour  la  préféance.  Par  qui  cette  conteila* 
tion ,  fur  la  préféance,  peut-elle  être  décidée  ?  Qui  peut  s'ériger  en  arbi-» 
tre  des  Rois  ?  Qui  voudra  le  charger  de  réduire  à  l'obéifTance  des  Souve- 
rains formidable^?  Tant  que  toute  l'Europe  étoit  Catholique  Romaine,  il 
fembloit  qu'on  pouvoit  s'en  remettre  à  la  décifion.  du  Pape,  tant  par  rap- 
port à  la  nature  de  l'objet ,  qui  n'ajoute  rien  à  la  puiffance  réelle  de  chaque 
Prince,  ni  ne  la  diminue,  qu^  l'égard  du  perfonnage  que  fa  dignité,  ion 
âge ,  fon  expérience  &  fa  fagelTe  éclairée ,  pou  voient  faire  confidérer  comme 
un  Juge  refpeâable  en  matière  de  cérémonial.  Aufli  le  Pape  Jules  II  ré- 
gla-t-il,  en  l'année  1^04,  le  rang  que  les  Souverains  ou  les  AmbafTadeurs, 
doivent  prendre  dans  fa  chapelle  aux  grandes  folemnités,  de  la  manière  fui* 
vante.  1^.  L'Empereur.  a°.  Le  Roi  des  Romains.  3®.  Le  Roi  de  France. 
4^.  Le  Roi  d'Ëfpagne.  ç^.  Le  Roi  d'Arragon.  6^.  Le  Roi  de  Portugal.  7^.  Le 
ioi  d'Angleterre.  8^.  Le  Roi  d'Ecolfe.  9^.  Le  Roi  de  Sicile.  lo^  Le  Roi 
de  Hongrie.  11®.  Le  Roi  de  Navarre.  I2«^  Le  Roi  de  Chypre.  13®.  Le 
Roi  de  Bohême.  14^.  Le  Roi  de  Pologne.  1 5^  Le  Roi  de  Danemarck.  i6^.  La 
République  de  Venife  pour  les  Royaumes  de  Chypre,  Candie  .&  Dalma- 
tîe.  17®.  Le  Duc  de  Bretagne.  i8<>.  Le  Duc  de  Bourgogne.  19^  Le  Duc 
de  Bavière  &  Palatin.  20^  L'Eleâeur  de  Saxe.  21^  Le  Marckgrave  de 
Brandebourg.  22®.  L'Archiduc  d'Autriche.  2^^  Le  Duc  de  Savolie.  24®.  Le 
Grand  Duc  de  Tofcane.  2<^.  Le  Duc  de  Milan.  26^  Le  Duc  de  Bavière. 
27<>.  Le  Duc  de  Lorraine,  &c.  Les  Princes  du  St.  Siège  Colonna  &  Urfini, 
les  neveux  du  Pape,  les  Légats  des  villes  de  Bologne  &  de  Ferrare. 

Ce  règlement  du  rang  trouva  d'abord  beaucoup  de  contradiâions ,  &  les 

révolutions  arrivées  depuis  dans  l'Eglife  &  dans  les  Empires,  l'ont  renverfé 

tout-à-fait.  Le  Roi  de  France  refufa  de  céder  le  pas  au  Roi  des  Romains, 

^ui  n'ayant  qu'un  fimple  titre  de  Roi,deftitué  de  toute  puiffance  réelle,. & 

ne  déugnant  qu'un  fuccefleur  à  la  Couronne  Impériale ,  ne  pouvoir  exiger 

Tome  XL  X 


itf2  C  É  R  É  M  O  N  ï  A  L. 

de  prééminence  fur  des  Monarques  qui  régnoient  efFeâivettient  fur  des  na-' 
rions  refpeâables.  L'Efpagne  concefta,  à  fbn  tour,  la  préféance  à  la  Fran« 
ce;  les  guerres  &  les  conquêtes  confondirent  les  Royaumes  &  les  autres 
Etats  )  plufieurs  furent  réduits  en  Provinces  ;  d'autres  Royaumes  fe  for- 
mèrent ;  la  réformation  de  Luther  &  de  Calvin  acheva  de  déranger  tout  ce 
fyftême.  Depuis  Henri  VIII  l'Angleterre  ne  reconnoît  plus  l'autorité  du 
PapCi  ni  fon  règlement  pour  le  rang  ;•  le  Danemarc,  la  Prufle,  la  Suéde, 
&  tant  d'autres  Souverains  Proteftans»  imitent  fon  exemple;  &  il  paroit 
déformais  impoifîble  de  concilier  les  efprits  au  point  de  pouvoir  afligner 
ii  chaque  Roi  une  place  fixe,  &  de  l'engager  à  s'en  contenter. 

S'il  falloit  néanmoins  établir  des  principes  pour  déterminer  \i  préféance 
entre  les  Rois,  on  pourroit  adopter  les  ifuivans  :  i^.  l'ancienneté  de  la  Mo- 
narchie, 2^  la  puiÂance  du   Monarque,  3°.  la  quantité  &  la  grandeur  des 
Provinces  dont  fa  Monarchie  eft  compofée,  4®.  s'il  y  a  plufieurs  Rbyau* 
mes  qui  en  font  partie  ;  5^  s'il  a  des  Vaflaux  puifTans  ;  6^  fi  la  Souverain 
neté  efi  abfolue  »  ou  bridée  par  un  pouvoir  mitoyen  ;  7^.  la  polfefiion  lon- 
gue &  non  interrompue  de  la  préféance;  8^  le  rang  que  les  Empereurs  & 
les  Papes  ont  toujours  accordé  à  chaque  Roi ,  9^  l'ancienneté  de  la  Maifon 
régnante ,  10^.  les  divers  titres  qu'un  Monarque  ajoute  à  celui  de  Roi ,  &c. 
Cependant,  il  faut  l'avouer,  toutes  ces  prérogatives  éminentes  forment  plu* 
tôt  des  confidérations  que  des  principes  de  droit;  car  fi»  par  exemple,  l'an- 
cienneté de  la  Monarchie  devoit  faire  un  titre  incontefiable  pour  la  pré« 
féance ,  le  Roi  de  Danemarc  pourroit  y  prétendre  plutôt  que  la  plupart  des 
autres  Rois.   Il  en  eft  de  même  des  autres  fondemens  qui  n'ont  guère  plus 
de  poids.  Réduifons  les  chofes  au  naturel.  La  pui (Tance  eft  un  excellent  ti- 
tre. Le  Roi  le  plus  formidable  faura  toujours  fe  faire  rendre  les  plus  grands 
refpeâs  &  les  premiers  honneurs ,  s'il  en  eft  flatté.  Il  a  d'autres  argumens 
en  main  que  ceux  de  la  plume.  Perfonne  n'ignore  la  difpute  que  les  Rois 
de  France  &  d'Efpagne  ont  eue  pour  la  préféance  depuis  que  CharIes*Quint 
abdiqua  l'Empire.  Les  conteftations  les  plus  vives  fe  font  palTées  à  cet  égard 
à  Venife,  en  l'année  1558 ,  entre  François  de  Noaiiles,  Evêque  d'Aix ,  & 
Don  Francefco  de  Vergas;  à  Rome,  entre  Henri  d'Orfeille  &  Requeîens; 
&  à  Londres ,  entre  le  Comte  d^Eftrates ,  &  le  Baron  de  Vatteville ,  Am- 
baflàdeurs  de  France  &  d'Efpagne  ;  mais  la  Puiffance  Françoife  &  fon  cré- 
dit ont  toujours  maintenu  cette  Couronne  dans  la  poflefiîon  de  la  préémi- 
nence ^  ou   du  premier  rang   qui  lui  eft  connivé  aujourd'hui  par  les  autres 
Rois,  mats  non  pas  cédé^  comme  quelques-uns  te  prétendent. 


par 
prouve 

tort  qu'on  puiftè  produire  aucun  aéèe  ou  document ,  qui  prouve  le  contrai- 
re, fur-tout  fi  Ton  veut  convenir  que  la  violence  ne  fut  jamais  un  titrer 
car  en  ce  cas  TAmbailadeur  du  plus  petit  des  Rois  n'auroit  qu'à  fe  hitç  ef-* 


C  É  R  É  M  O  N  I  A  t.  1^3 

ebrter  d*une  centaine  de  braves  dëguifiis,  &  foutenii  j  main  armie ,  dans 
quelque  cérémonie,  un  rang  auquel  ibn  Maître  ne  fauroit  prétendre.  A  me- 
liire  que  la.politeffe  fait  des  progrès,  les  difpuces  pour  !a  préleance  dimi- 
nuent, les  Kois  cherchent  à  fe  prévenir  par  des  égards  &  des  civilités  ré- 
ciproques ;  ils  tâchent  d'honorer  leur  propre  dignité  à  force  d'honorer  leurs 
confrères ,  &  de  convaincre  par  ce  moyen  toutes  les  Puiflances  fubalter- 
nes  ,  combien  la  Majefté  met  celui ,  qui  en  eft  légitimement  revêru ,  au-delTus 
de  tous  les  autres  Souverains  en  matière  de  rang  &  de  cérémonial. 

Mais  dans  les  cas  où  il  femble  que  la  dignité  d'un  Roi  ôi  la  gloire  d^me 
nation  foient  intérefTées  à  maintenir  le  rang  qu'on  lui  contefte,  il  eft  des 
expédiens  qu'on  emploie  pour  éviter  d'en  venir  à  des  voies  de  hit.  Tantôt 
on  menace  de  rompre  un  congrès  ou  utie  alTeniblée,  ou  défaire  manquer 
une  cérémonie,  ou  une  négociation,  en  s'éloignant;  &,  par  cette  menace^ 
la  crainte  de  nuire  ik  des  intérêts  réels  £ût  quelquefois  obtenir  des  préroga- 
tives frivoles  ;  tantôt  oQ  évite  toute  concurrence  avec  celui  qui  nous  con- 
tefte  la  préféance,  on  prétexte  une  maladie,  un  voyage,  &c.  tantôt  on  prend 
par  adreHè  le  pas  fur  lui;  tantôt  on  établit  une  égatiré  il  parfaite  dans  tou- 
les  les  parties  du  cérémonial ,  que  la  prééminence  refte  indécife,  comme  on 
l'a  vu  pratiquer  aux  conférences  que  le  Cardinal  Mazarin  Si.  Don  Louis  de 
Haro  tinrent  en  16159  ,  dans  l'ide  des  Faifans,  fur  la  rivière  ^^  KidaiToa  ,  où 
Ton  avoir  conftruit  un  pavillon  dont  une  porte  répotidoir  au  côté  de  la  Fran- 
ce; &  l'autre  à  celui  d'Ëfpagae.  Les  deux  Minifires  entrèrent  au  même  in- 
ilant  dans  le  pavillon  chacun  par  fa  porte ,  &  s'adlrent  à  une  table  ronde 
placée  au  milieu.  Le  pavillon  étoic  meublé  avec  tant  d'art  &  d'uniformité  y 
qu^on  ne  pouvoir  y  diftinguer  ni  haut  ni  bas  bout  quand  on  l'auroit  voulu. 
Là  fut  arrêté  le  mariage  de  Louis  XIV ,  avec  l'In&nte  Marie-Therefe,  &  cette 
ifle  a  fervi  depuis  à  d'autres  cérémonies  augufïes  dans  lefquetles  on  a  ob- 
fervé  la  même  égalité.  Tantôt  on  cède  même  le  rang  à  fon  compétiteur 
pour  ne  pas  faire  manquer  la  réulÏÏte  d'un  objet  plus  important;  mais  on  fe 
pourvoit  d'une  proteilation ,  ou  déclaration ,  portant  que  cet  exemple  ne  ti- 
rera point  à  conféquence,  ni  ne  pourra  préjudicier  pour  l'avenir;  tantôt  les 
concurrens  conviennent  de  prendre  le  rang  alternativement  l'un  fur  l'autre, 
ainfi  qu'on  le  voit  à  la  diète  de  l'Empire  entre  pIuTieurs  Princes  d'Allema- 
gne ;  tantôt  on  décide  la  préféance  par  le  fort ,  tantôt  on  n'envoie  que  des 
Minières  du  fécond  ou  troifieme  ordre  dans  les  Cours  ou  autres  endroits, 
où  l'on  prévoit  que  le  rang  nous  fera  contelïé,  &  ainft  du  refle.  Il  y  a  mille 
expédients  &  tempéraiViens  à  trouver  pour  empêcher  que  ces  fortes  de  con- 
teltations  ne  donnent  lieu  à  de  grands  éclats,  &  ne  rompent  la  bonne  har- 
monie néceffaire  entre  deux  Cours  liées  d'intérêt. 

Lorfqu'une  nation  nombreufe  &  refpeâable  a  introduit  chez  die  un  Got> 
vernement  Républicain,  que  ces  Républiques  font  formidables,  qu'elles  ont 
fous  leur  domination  des  Royaumes ,  Etats ,  ou  Provinces  confidérables ,  elles 
ont  le  rang  immédiatement  après  les  Rois  &  même  en  quelque  manière  à 


i5^  CÉRÉMONIAL. 

régal  des  Rots ,  comme  nous  le  voyons  par  l'exemple  des  Républiques  de 
Hollande ,  de  Venife ,  de  Gênes ,  &c.  Mais  les  honneurs ,  qui  font  une  fuite 
de  ce  rang ,  ne  fe  rendent  point  aux  Che^  de  ces  Républiques  en  particulier , 
comme  aux  Doges ,  aux  Sénateurs ,  &  à  d^autres  Magiftrats ,  mais  feulement  à 
des  Miniiires  qui  reprjfentçnt  toute  la  République  en  Corps ,  comme  aux  Am* 
baffadeurs,  &c.  Les  Etats*Généraux  des  Provinces-Unies  ont  obtenu  le  ti- 
tre de  Hautes  Puijjfances  :  on  dît  la  Sérénijjime  République  de  Venife  ou 
de  Gènes  \  on  appelle  très^iUufires  &  três-magnifiques  Seigneurs  les  Chefe 
de  la  République  Helvétique,  &  ainfl  du  refie;  mais  il  feroit  également 
ridicule  &  impertinent  d'écrire  à  un  Etat  Républicain ,  Votre  Majefté ,  ou 
Votre  Altejfe ,  ou  de  le  nommer  une  Majeftueufe  République ,  ou  de  lui  at- 
tribuer quelque  autre  titre  faftueux  qui  n'eft  point  confacré  par  l'ufage. 
c  Les  EleSeurs  ont  dans  V Empire ,  &  â  la  Cour  Impériale ,  un  rang  qui 
Us  égale  aux  Rois.  Ce  fait  eft  inconteftable  ^  &  fe  fonde  noA-feulement  fur 
l'expreflion  claire  &  pofitive  de  la  Bulle  d'Or  (a) ,  mais  atifli  fur  celle  de 
toutes  tes  villes  Impériales  (b).  Cependant  l'Empereur  ne  peut  faire  de  régie- 
mens  que  dans  les  Etats  qui  font  direâement,  ou  indireâement»  de  fa 
dépendance  \  &  fes  loix  ne  fauroient  alTujettir  le  refte  de  l'Europe.  Il  faut 
donc  fixer  leur  rang  hors  de  l'Allemagne  par  d'autres  principes.  Les  Elec- 
teurs ,  comme  tels ,  font  à  la  vérité  des  Souverains  également  puiflans  par 
la  grandeur  de  leurs  Etats ,  &  refpeâables  par  leur  dignité ,  mais  leur  Sou- 
veraineté n'eft  pas  tout-à-fait  abîblue.  Ils  font  fournis  aux  loix  de  l'Em- 
pire; ils  tiennent  leurs  Etats  en  Fief,  &  peuvent  être  mis  au  ban  de  l'Em- 
pire en  cas  de  félonie  ou  de  rébellion.  Cette  confîdération  doit  les  ranger 
naturellement  après  les  Rois  &  les  grandes  Puiflances  qui  jouiflènt  d'un 
pouvoir  abfolu  dans  leur  Gouvernement.  Delà  ont  pris  naiflanjce  les  diC* 
putes  pour  le  rang  entre  les  Miniftres  de  Venife ,  de  Hollande  &  autres 
Républiques,  &  ceux  des  Eleâeurs,  lefquelles  n'ont  jamais  été  bien  déci- 
dées. Avant  que  Frédéric  I ,  Roi  de  Prune ,  eût  mis  la  Couronne  d^ns  fà 
Maifon,  M.  BeiTer,  Grand-Maître  des  cérémonies  de  TEleâeur  de  Brande- 
bourg ,  fut  envoyé  en  qualité  de  Miniftre  public  en  France.  II  arriva  à  la 
Cour  de  Louis  XIV,  en  même-temps  qu'un  nouvel  Ambaflàdeur  de  Gênes  ^ 
qui  entra  d'abord  en  conteftation  avec  lui  pour  le  rang  à  la  première  au- 
dience. Ils  convinrent  que  celui  qui  arriveroit  le  premier  à  Verfailles^  fe 
préfenteroit  le  premier  au  Roi.  Beflèr  paffa  la  nuit  dans  la  galerie  de  Ver- 
failîes,  &  prévint  ainfi  l'AmbafTadeur  Génois;  mais  celui-ci,  ayant  trouvé, 
la  porte  de  la  chambre  d'audience  entre-ouverte ,  s^y  glifla  dans  le  temps 
que  BefTer  s'entretenoit   avec   un  Courtifai».   Befler  s'en  apperçoit^  vole 


tm 


(a)  Voyei  ci-devant  la  Bulle  d'Ob  ,  Chap.  VI. 

\b)  Voye^  cî-devant  les  Capitulations  de  Charles  VI «  Charles  VIT,  &  François  I»  & 
I^artide  CapitvlatiO)u 


C  É  R  É  M  O  N  I  A  L.  x5$ 

comme  un  éclair  vers  la  même  chambre,  tire  le  GëDois,  qui  alfoic  com- 
mencer fa  harangue,  par  le  pan  de  l'habit,  hors  de  la  porte,  fe  met  à 
fa  place ,  &  harangue  le  Roi  qui  ne  fit  que  plaifanter  de  cette  faillie  vio- 
lence faite  en  fa  préCence. 

On  fait  que  même  les  Cardinaux  ont  difputé  depuis  long-temps  la  pré- 
féance  aux  Eleâeurs.  Je  trouve  dans  une  gazette  publique  de  l'année  17 17, 
à  l'article  de  Cologne  du  24  Février ,  ces  mots  :  »  Le  Pape  vient  de  créer 
s»  Notre  Séréniflîme  Eleâeur,  de  même  que  les  Eleâeurs  de  Mayence  & 
»  de  Trêves ,  Patriarches  de  Jerufalem ,  d'Antioche ,  &  d'Alexandrie. 
9  Cette  dignité  leur  donne  le  rang  fur  tous  les  Cardinaux,  qui,  fans  cela, 
3»  prétendent  avoir  la  préféance  fur  les  Eleâeurs  de  l'Empire.  "  Je  ne  ga- 
rantis point  l'authenticité  de  cette  relation^  ni  que  le  raifonnement  duGa- 
zetier  foit  conféquent  \  mais  quoi  qu'il  en  puilfe  être ,  il  paroit  étrange 
que  des  hommes  d'Eglife ,  dont  la  fortune  eft  fouvent  fort  modique ,  & 
qui  après  tout  ne  font  que  des  fujets,  aient  la  vanité  de  difputer  le  rang 
à  des  Princes  aufli  refpeaables  que  des  Eleâeurs.  On  ne  s'arrêtera  pas  ici 
à  examiner  leurs  prétentions.  Nous  ne  traitons  point  du  cérémonial  des 
Prêtres,  mais  de  celui  qui  fe  pratique  entre  les  Souverains. 

Les  Rois ,  pour  donner  plus  d'éclat  à  leur  majefté,  accordent  aufli  ref- 
peâivement  un  grand  rang  aux  Héritiers  préfomptifs  des  Couronnes,  aux 
Fils  des  Monarques  &  aux  Princes  de  Sang  Royal.  Ils  ont  à  leurs  fours  la 
préféance  fur  les  Souverains  d'une  dignité  inférieure. 

Les  Princes  dont  les  titres  &  les  dignités  font  diftingués ,  comme  l'^r- 
mhiduc  dP Autriche^  U  grand  Duc  de  Tofcane,  &c.  fuivent  immédiatement 
après  les.  Eleâeurs.  Enfuite  viennent  les  Ducsj  Us  Marckgravts  ^  les  Pala- 
tins ,  Us  Landgraves ,  Us  Princes ,  Us  Comtes  &  autres  Souverains.  On 
s'attendra  pas ,  j'efpere ,  que  nous  aflignions  ici  à  chacun  de  ces  Sou- 
verains le  rang  qu'il  doit  occuper  parmi  les  autres.  Le  nombre  de  ces 
Princes  eft  fi  confidérable,  &  les  conteftations  pour  la  pré fëancé  font  fi 
fréquentes ,  fi  diverfement  fondées ,  fi  indécifes ,  que  les  Auteurs  les  plus 
volumineux ,  qui  ont  entrepris  de  traiter  cette  matière  ,  n'ont  pu  que 
l'efileurer.  Chaque  Souveram  a  d'ailleurs  dans  fes  archives  les  titres 
iur  lefquels  fe  fonde  le  rang  qu'il  prétend  occuper ,  &  c'eft  à  ces  for- 
ces de  pièces  authentiques  qu'il  faut  avoir  recours,  dans  de  pareilles 
difputes. 

Heureufement  les  entrevues  des  Rois  font  rares,  Se  les  folemnités, 
auxquelles  plufieurs  Souverains  concourent  en  perfonne^  ne  fubfiftent  plus 
du  tout.  La  diète  pour  l'Eleâion  &  le  Couronnement  des  Empereurs  nous 
préfente  encore  l'image  d'une  affemblée  augufte  :  car  ,  quoique  tous  les 
£leâeurs  n'y  paroiflent  pas  en  perfonne,  il  y  en  a  cependant  ordinaire- 
ment quelqu'un,  au  moins  l'Eleâeur  EccléHaftique  qui  fait  le  Sacre,  & 
les  autres  le  font  repréfenter  par  d'illuftres  Ambaffadeurs.  II  femble  que 
tout  l'Empire  foit  condenfé  alors  à  Francfort,   Mais  dans  cette  diète  ,^  le 


i66  CËRISMONIAL. 

rang  &  les  fendons  de  chaque  Prince  font  réglés,  ainfi  que  tous  les  dé- 
tails du  cérémonial,  &  ces  réglemens  font  connus  de  tout  le  monde. 
J'ai  dit ,  heureufement  que  ces  entrevues  perfonnelles  font  rares ,  parce 
que  l'expérience  a  fait  connoitre  qu'elles  ne  produifent  pas  de  bons  effets , 
qu'elles  font  infiniment  coûteufes ,  &  que  la  plus  grande  perte  qu^elIes 
occafionnent  à  l'£tat  confifte  dans  celle  du  temps  qui  s'emploie  à  mille 
cérémonies  gênantes.  Mais  lorfque  les  Rois  ne  peuvent  éviter  ces  entrevues 
ou  vifites,  celui  qui  la  reçoit  en  qualité  d'hôte  doit  combler  fon  convive 
Royal  de  toutes  les  politeffes ,  attentions  &  honneurs  imaginables ,  le  fiiire 
recevoir  par  (es  principaux  Officiers  &  Courtifans  les  plus  diftingués  fur  fes 
frontières,  le  faire  défrayer  dans  la  route,  faire  tirer  le  canon  des  places 
qu'il  traverfe ,  ou  près  defquelles  il  paffe ,  aller  à  fa  rencontre ,  ou  du 
moins  l'attendre  à  la  defcente  de  fon  carrofle,  le  loger  au  château  dans 
les  plus  beaux  appartemens ,  lui  donner  toutes  fortes  de  fpeâacles ,  de 
Chaffes,  de  feftins,  de  fêtes  &  de  divertiffements  ,  &c.  Le  Roi  hôte  doit 
aufli  céder  en  toute  occafion  le  pas  au  Roi  étranger,  lui  donner  la  droite, 
&  ne  pas  craindre  de  déroger  ou  de  compromettre  fon  rang,  par  cette 
civilité  qui  efl  un  effet  de  la  politeffe^  &  qui  ne  fauroit  tirer  à  aucune 
conféquence  préjudiciable.  Mais  lorfqu'un  Monarque  ell  obligé  de  recueil- 
lir dans  fes  Etats  un  Roi  fugitif  ou  infortuné ,  comme  Louis  XIV  reçut 
le  Roi  d'Angleterre,  Jacques  II,  &  fa  fitmille,  &  que  le  féjour  peut 
durer  quelque  temps ,  il  eft  convenable  de  former  au  Roi  étranger  une 
Cour  ieparée,  &  d'éviter,  le  plus  qu'il  eft  poffîble,  de  fe  trouver  avec 
lui  en  pubfîc  :  car  le  Souverain  du  lieu  ne  peut  pas  ceffer  long-temps  d'ê- 
tre le  premier  dans  fon  pays,  même  en  apparence. 

J'ai  toujours  plaint  les  petits  Souverains  lorfqu'ils  fe  préfentent  à  la  Cour 
des  Rois.  Accoutumés  à  recevoir  chez  eux  les  hommages  de  la  Souverai- 
neté, on  lit  dans  leurs  yeux,  on  voit  fur  leur  vifage,  combien  il  leur  en 
coûte  de  rendre  à  la  Majefté  ceux  qu'ils  lui  doivent  à  leur  tour.  Les  Rois 
leur  donnent  audience  dans  une  antichambre  où  ils  font  prefque  confon- 
dus avec  les  Miniflres  étrangers  &  les  Courtifans.  Lorfqu'on  les  régale  de 
magnifiques  feflins,  de  fpeâacles  briUans,  de  fêtes  galantes  ou  militaires, 
il  femble  que  ce  foit  plutôt  étaler  à  leurs  yeux  Péclat  de  la  grandeur  & 
d^s  prérogatives  qu'on  a  fur  eux ,  &  donner  ainfî  une  mortification  à  leur 
amour-propre,  que  pour  les  honorer  &  les  divertir.  Ils  jouent,  dans  ces 
oceafions ,  un  trop  petit  rôle  ;  &  fi  les  liens  du  fang ,  ou  l'intérêt  de  leurs 
affaires,  ne  les  attirent  à  la  Cour  des  Monarques,  la  politique  leur  con- 
feille ,  pour  plus  d'une  rÂfon  ,  de  reHer  tranquilles  &  les  premiers  dans 
leurs  palais. 


b 

ï 


CÉRËMONIAI. 

I L   Des  honneurs  que  les  Souverains  fc  rendent  en  s^éerhant. 


i6y 


4'Es  honneurs  que  les  Souverains  fe  rendent  en  s'écrivant  font  fondés 
le  même  principe  des  honneurs  perfonnels,  c'eft-à-dire  fur  leur  rang, 
slque  déiîr  que  je  puiiTe  avoir  de  donner  ici  des  inftruâions  particu- 
es  fur  la  Courtoijîe  que  les  Chancelleries ,  aufli-bien  que  les  particuliers 
chaque  nation,  obfervent  à  cet  égard ,  la  diverfîcé  des  idiomes  ,  &  les 
>es  difFérens  de  chaque  langue ,  m'empêche  d'entrer  dans  aucun  détaif. 
(qu'on  confidere  l'exagération  des  titres  que  les  Turcs ,  les  Allemands  \ 
Efpagnols ,  &  tant  d'autres  peuples  donnent  non-feulement  aux  Sou*^ 
ains ,  mais  auili  à  toutes  les  -perfonnes  diftinguées ,  &  même  à  celles 
ne  le  foiit  pas,  on  efl  confondu  de  voir  que. des  nations,  d'ailleurà 
âges,  puiflent,  dans  un  fiecle  éclairé»  fe  prêter  encore  à  des  rodomon* 
;s  fi  puériles;  ^  en] être  flattées.  Il  n'y  à,  par  exemple,  en  Allema-f- 
,  pas  de  petit  fcribe  dans  un  bureau ,  pas  d'artifati  dans  fon  atrelier  ^ 
ne  fût  choqué,  fi,  en  recevant  une  lettre,  il  n'y  trouvoit  le  titre  de 
I  noble  Seimeur  {a)  ,  quoiqu'il  foit  bien  clair  qu'il  n'eft  ni  Noble  nî 
;neur.  La  ftyrielle  de  ces  titres  augmente  par  degrés  félon  l'état  et 
ang  des  perfonnes,  &  l'hyperbole  efl  pouflee  à  un  excès  ridicule  dani 
X  que  l'on  donne  aux  Souverains.  A  force  d'enflure  on  a  même  perdu 
aldgie,  la  fignification  naturelle  &  le  fens  des  .expreflions.  Si  ces  for- 
d'élocutions  fiiftueufes  &  bifarres  pouvoient  fe  traduire  littéralement 
s  une  autre  langue,  le  titre  que  tout  Allemand  donne  \  FEmpereùr 
endroit ,  à-peu-prè$ ,  à  ce  galimatias  :  RcfplendLjPantijp,me  ,  Tranfpa- 
njfime ,  Puijfantijfime ,  &  tris-invincible  Empereur ,  le  plus  gracieujç 
Empereurs  &  Heigheurs.  (b)  On  eft  fcandalifé  de  la'  boujjîjjure  des 
!S  Orientaux;  &  le  préjugé  de  l'habitude  nous  ferme  les  yeux  ftir  les 
cules  des  nôtres.  Les  Anglois  &  les  François  purgent  leur  langage  de 
forces  de  courtoifies  plates  &  pédantefques.  On  y  donne  aux  gens  du 
imun  le  titre  de  Maître  (  en  A  nglois  Mafter  ) ,  aux  honnêtes  gens  celui 
Monfieur  (  Sir  ) ,  aux  perfonnes  confidérables  &  diflinguées  par  leur 
fance  &  leur  rang,  celui  de  Monfeigneur  (  Mylord  )  &  aux  Rois  Sire'^ 
ique  dans  la  prononciation  Anglbife  les  fons  des  mots  de  Sire  &  de 
fe  rapprochent  de  trop  prés,  &  f oient  prefque  toujours  confondus  lori^ 
>n  adrefle  la  parole  aux  Monarques.  ' 

lalgré  la  fobriété  que  la  langue  Françoife  obferve  fi  fagement  dans  lai 
enution  des  titres ,  il  n'efl  cependant  pas  fort  aifé  de  prefcrire  des 
es  fixes  pour  ceux  que  les  Souverains  fe  donnent  réciproquement  dans 


)  Wohl  Edier  Herr. 

)  Allerdachleuchtîgfter  ,  Grofznuchtigiler  und  Unuberwindiicbfier  Kayfer  «  Aller- 

igfter  Kayfer  und  rlerrl 


i^S  CÉRÉ  MONIÂL. 

leurs  lettres,  parce  que  les  ufages  varient  à  cet  égard  dat»  prefque  toutes 
les  Cours  d'Europe ,  que  ces  ufages  font  fondés  ou  fur  une  longue  praci* 
que,  ou  fur  des  conventions  particulières,*  qui  peuvent  changer  de  jour  i 
autre ,  félon  qu'une  puiflànce  s'élève  &  que  l'autre  s'abaifle ,  ou  qu'elles 
trouvent  leur  intérêt  à  accorder  plus  ou  moins  de  ces  prérogatives  ,  qui 
ne  leur  coûtent  que  quelques  traits  de  plume,  à  tel  Prince  qui  peut  les 
aflifter  ou  leur  nuire  réellement.  Nous  tâcherons  néanmoins  de  réduire  à 
quelques  principes  les  coutumes  qui  s'obfervent  à  cet  égard  parmi  les  pria* 
cipales  Fuiffances  de  l'Europe  moderne^ 

Tous  les  Princes  &  toutes  les  Républiques  Catholiques  en  écrivant  aa 

•  Pape,  le  qualifient  de  Très-Saint  Pcrc^  &  dans  la  contexture,  de  Sainte- 
té. Ils  finiffent  leurs  lettres  en  proteftant  qu'ils  font  avec  un  profond  rcf* 
pe3 ,  &  (inc  entière  foumijfion  ,  fes  très-humbhs  &  très-obéiffans  fervi* 
teurs&  fiU.  Nous  avons  déjà  rapporté  plus  haut  les  raifons  de  cette  dé- 
férence refpeâueufe,  d'ailleurs  fi  peu  uîitée  parmi  les  Souverains  ;&  l'on 
en  peut  voir  des  exemples  dans  les  lettres  de  Louis  XIV,  dont  on  a 
donné  un  recueil  au  public.  Ce  Monarque  fi  glorieux ,  fi  délicat  fur 
le  rang  &  le  cérémonial»  femble  ne  ménager  aucune  exprefiîon  humble 
ou  polie ,  pour  témoigner  aux  Papes  les  égards  qu'il  portoit  aux  Chefs  de 
PEglife ,  même  dans  les  temps  ou  il  étoit  fi  mécontent  de  la  Cour  de  Ro- 
me,-qu'il  la  menaçoit  de  tout  (on  reffentiment ,  &  qu'il  l'obligeoit  pref<* 
que  à  main  armée  de  lui  faire  les  réparations  les  plus  éclatantes.  Toutes 
les  Bulles ,  les  Brefs ,  les  lettres  Pafiorales ,  &  autres  pièces  qui  émanent 

.  de  la  Chancellerie  Papale,  font  conçues  en  Latin;  &  lorfque  le  Souve- 
rain Pontife  écrit  de  fa  main  aux  Souverains ,  il  fe  fert  ordinairement  de 
la  langue  Italienne,  dans  laquelle  il  les  appelle  Beatijjimo^  Dilettiffimo 
FigUo ,  &c.  Les  Puiflfances  Proteftantes  ne  reconnoiffant  en  rien  l'auto- 
rité du  Pape,  elles  ne  lui  accordent  ni  rang  ni  titre,  &  ne  lui  écrivent 
jamais. 

Wîcquefort,  dans  fon  Traité  de  l'Ambafladeur  (  Liv.  I.  Seâ.  XXV.  ) 
rapporte  a  que ,  lors  des  conférences  de  Munfier ,  les  Plénipotentiaires  de 
»  France  s'étant  plaints  à  ceux  de  l'Empereur  que  ce  Monarque  n'avoit 
P  pas  fait  de  réponfe  à  une  lettre  qu'on  lui  avpit  écrite  du  règne  de 
»  Louis  XIII,  le  Comte  de  TrautmanidorfF  leur  dit,  qu'on  n'avoit  pas  fait 
»  de  réponfe  ,  parce  que ,  dans  les  lettres ,  le  Roi  ne  donnoit  point  d^au" 
»  tre  titre  à  t Empereur  que  celui  de  Sérénité  \  &  qu'après  bien  des  con- 
3»  tefiations  &  des  tempéramens  propofés ,  il  fut  pourtant  enfin  convenu 
D  entre  Traatmanfdorff  &  les  Plénipotentiaires  de  France ,  par  l'entremife 
»  des  médiateurs,  que  lorfque  l'Empereur  &  le  Roi  de  France  s'écriroient 
»^  de  leur  main, ils  le  donneroient  le  titre  de  Majefié  Impériale  &  Royale. a 
Anciennement  les  Puifiànces  n'étoient  pas  fi  libérales  du  titre  de  Majef- 
ce ,  elles  donnoiènt  aux  Monarques  tantôt  celui  à^ Excellence  ,  tantôt  celui 
de  ViUâion ,  taiitôt  celui  de  Sérénité^  &  tantôt  celui  à^AlteJfè.  Les  Rois 

d'Efpagne, 


C  E^R  E  M  O  N  I  A  I;  169 

Tpagoe ,  avant  Charles-Quint ,  nWoient  que  ce  dernier  titre.  •  Sous  le 
ne  de  Henri  II,  ç'eflrà-dire ,  vers  le  milieu  du  feizieme  fiecle,  celui  de 
jefté  commença  à  avoir  plus  de  cours  ;  &  Ton  ne  fauroit  difconvenir 
il  ne  foit  le  plus  convenable ,  le  plus  jufte ,  &  le  moins  menteur  qu'on 
(Te  donner  aux  Monarques,  puifqu'il  exprime  mieux  que  tout  autre  le 
i6lere  de  la  grandeur ^  &  de  la  dignité  Royale   ou  Impériale,  &  la 
ériorité  que  de  pareils  Monarques  ont  fur  des  Souverains  d'un  rang  in« 
eur.  11  eft  à  fouhaiter  qu'on  s'y  tienne ,  &  que   la  flatterie  intéreiTée 
ivente  pas  encore  quelque  nouveau  titre  pour  encenfer  ceux  qui  font 
:és  au  faite  des  grandeurs  humaines ,  &  qui ,  les  égalant  à  la  Divinité, 
*  &fCG.  croire  qu'ils  en  pofTedent  les  qualités  réelles.  Un  auteur  efiron* 
en  dédiant  fon  livre  au  Pape  Sixte  V^  ofa  l'appeller  Vice-Deo;  tant 
laflèfle  de  l'adulation  eft  capable  de  forger  des  titres  impertinens. 
[ais  quel  que  puiile  avoir  été  le  ftyle  d'autrefois ,  il  eft  certain  que  l'ufage 
i}ourd'hui  demande  que  les  Rois ,  en  écrivant  à  l'Empereur ,  l'appellent , 
ijieur  mon  Frère  ^  en  y  ajoutant  le  titre   relatif  au  degré  de  parenté 
Liel  ils    lui  font  alliés  ;   comme ,  Monfieur  mon  Frère ,  Oncle ,  Beati^ 
,  &c.  Dans  la  contexture  ils  le  npmnient  Votre  Sacrée  Majefté  Impè-* 
? ,  ou  Votre  Majefié  Impériale  tout  court.   L'Empereur ,  en  revanche  , 
ifle  les  Rois  dans  les  lettres  qu^il  leur  adrefte  de  Monfieur  mon  Frert 
ie   Votre  Majefié.  Telle  eft  la  règle  générale ,  fondée  fur  le  principe 
nteftable  que  tous  les  Rois ,  reconnus  pour  tels ,  font  des  Monarques 
-bien  que  l'Empereur,  qui  n'eft  parmi  eux,  tout  au  plus,  que  primiis 
^ pares.  II  y  a  cependant  quelques  exceptions  à  faire,  fondées  lur  des 
umes ,  ou  des  conventions  particulières ,  &  dont  il  faut  s'informer  dans 
[ue  Chancellerie. 

es  Rois  entr'eux  fe  qualifient  également  de  Monfieur  mon  Frère  &  de 
rt  Majefié ,  &  finiflent  leurs  lettres  par  une  courtbifie  polie ,  mais  non 
sâueufe.  Lorfque  le  Duché  de  PrufTe  fut  érigé  en  Royaume ,  il  étoit 
rena  que  l'Empereur  &  la  France  ne  donneroient  au  nouveau  Roi  que 
tre  de  Dileâion  Royale ,  &  cet  ufage  a  fubfifté  affez  long-temps  ;  mais 
uiflance  que  poflede  aujourd'hui  le  Monarque  Frulfîen,  a  fait  changer 
yle  de  fes  confteres ,  qui  le  traitent  tous  d'égal  préfentement. 
M-fqu'un  Roi  écrit  à  un  Souverain  d'un  rang  inférieur ,  il  le  nommé 
fieur  mon  Coufin ,  &  dans  la  contexture  Votre  Altefie  Royale ,  ou  (îm- 
lent  Votre  Altefie ,  ou  Votre  Alufie  Sérénifiime ,  ou  Votre  Sérénité ,  &c. 
I  le  rang  &  le  titre  dont  ce  dernier  jouit.  Les  Souverains,  en  revanr 
,  qui  ne  font  point  Rois ,  donnent  à  ceux-ci  le  titre  de  Sire  &  de 
zfie.  Les  Monarques,  en  écrivant  aux  Sénateurs  &  autres  Magiftrats 
Républiques  en  corps ,  les  appellent  communément  Mefiieurs  mes  bons 
s ,  ou  Mefiieurs  mes  Amis ,  Alliés  &  Confédérés ,  &  dans  la  contexture 
r.  S'ils  fe  fervent  d'une  autre  ritulature,  c'eft  une  exception  à  îa  règle  ^ 
le  fur  quelque  convention  particulière  ^  ou  fuc  un  ufage.  ancien.  Les* 
me  XL  Y 


,7«  CÉRÉMONIAL^ 

Républiques  doonent  aux  Empereurs  comme  aux  Rois ,  le  titre  de  Site  Ac 
de  Majc/ié.  . 

On  ne  finiroit  point  fi  Pon  vouloic  faire  l'énumératton  de  tous  les  titres , 
noms  de  dignité ,  &  Courtoifies  que  les  Souverains ,  qui  ne  font  poiift 
Rois,  emploient  réciproauement  en  s'écrivant.  C'eft  un  labyrinthe  oii  IW 
s'égare  fort  aifément  ;  ol  il  feroit  à  fouhaiter  qu'à  la  place  de  tant  d'au- 
tres compilations,  fouvent  inutiles  »  quelque  Auteur  exaâ  voulût  nous 
donner  un  recueil  des  étiquettes  &  formules  tirées  des  regiftres  de  toutes 
les  Chancelleries  des  Souverains,  qui  pût  fervir  de  gutde  certain  dans 
cette  partie  du  Cérémonial  aux  perfonnes  chargées  de  la  correfpondance 
àts  Cours.  Au  refte,  le  titre  de  DiUSion  (a)  eft  aujourd'hui  fort  ufîté 
parmi  les  Princes.  Les  Empereurs  le  donnent  aux  Eleâeurs ,  aux  Princes 
de  l'Empire,  auffi-bien  qu'aux  Cardinaux  qui  font  Princes  de  l'Empire. 
Tous  les  autres  Souverains  nomment  les  Eleâeurs  Votre  Altejfe ,  ou  Sérc" 
nité  ElcSorale.  Le  Pape  fe  (ert  auili  du  terme  de  DiUâion  au  Dauphin  i 
au  frère  du  Roi,  &  aux  Princes  Souverains  qui  ne  font  pas  Rois.  Ces 
derniers  fe  le  donnent  prefque  toujours  entr'eux,  fur -tout  en  Allemagoe 
où  il  y  en  a  le  plus  grand  nombre.  / 

1 1  î.    Honneurs  rendus  aux  Reprefentans  des  Souverains. 

I  ^Es  honneurs  que  les  Souverains  rendent  mutuellement  à  leurs  Repris 
feu  tans  refpeSifs  font  la  troifieme  partie  du  Cérémonial.   Nous  comprenons 
ici  fous  le  nom  colle^if  de  reprefentans,  non-feulement  les  Ambaffadturs^ 
mais  auflî  les  Miniftres  du  fécond  &  troifieme  ordre.  Il  faut  pofer  ici  quel- 
ques principes  certains  fondés  fur  l'ufage  univerfellenient  reçu  dans  toutes 
les  Cours  d'Europe  ;  favoir,   i^.  que  les  Ambajfadeurs  extraordinaire  & 
ordinaires  d^un  Souverain  quelconque»  qui  eft  en  droit  d^én  envoyer^  ont 
le  pas  &   la  vréféance  fur  tous  les  Miniftres  du  fécond   ordre ,   quoique 
leurs  maîtres  joient  d^un  rang  fupérieur,  tout  comme  les  Miniftres  dnfcconà 
ordre  prennent ,  à  leur  tour ,  ce  pas  fur  ceux  du  troiftemt  ordre ,  malgré  h 
m(me  inégalité  du  rang  que  leurs  Souverains  tiennent  dans  l Europe.  Dé* 
veloppons  cette  maxime.   Si ,  par  exemple ,  dans  une  même  Cour ,  dans 
une  même  République,  ou  à  un  même  congrès,  il  fe  trouvoit  un  Am' 
bafladeur  du  Roi  de  Naples,  ou  de  la  République  de  Venife,  &  un  En^' 
vdyé  extraordinaire  du  Roi  de  France,  celui-ci  feroit  obligé  dans  toutes 
les  Cérémonies  de  le  céder  à  ces  Ambalfadeurs,  &  de  même  un  Envoya 
extraordinaire  du  plus  périt  Prince  Souverain  prendroit  le  pas  fur  un  Ré' 
fident  d'Angleterre ,  ou  d'un  autre  Roi,  quoique  le  rang  de  leurs  maitra 


'^■•^■^■•^^^^•■■^i**^»!*!^— i*i^*P— ii^BPiipI 


(4}  En  Allemand  lithdcnp 


* 


C  É  R  É  M  0  I^  I  A  L;  171 

rerpeâifs  foit  fort  inégal.  Ce  n'eft  pts  ou'au  fond  le  Cabinet  >  I^  Cour  & 
la  Ville  ne  portent  une  jplus  grande  conudération  %,  un  Envoyé  de  France , 
qu^  un  Ambafladeur  de  Gênes  ,  à  un  Rëfident  d'Anglecerre ,  qu'à  un 
Envoyé  de  Modene ,  &  que  les  Minières  des  grandes  Puiflkhces  ne  jouent 
lin  plus  grand  rôle  dans  le  monde  &  dans  les  affaires ,  que  ceux  des  petites , 
dans  quelque  clafle  qu'ils  puiflent  fe  trouver  ;  mais  il  ne  s'agit  ici  que  des 
Cérémonies ,  comme  dans  les  audiences  publiques ,  entrées  &  autres  fo- 
lemnités. 

La  féconde  maxime  eft  ^i/^  Us  Minijîrcs  publics  du  m£mt  ordre  prennent 
hur  rang  fur  celui  que  tient  leur  maître  parmi  les  autres  Souverains.  C'efl 
àinfi  qu'un  Légat  â  latere  du  Pape  occupe  la  première  place  dans  toutes 
les  Cours  Catholiques ,  enfuite  l' Ambafladeur  de  TEmpereur ,  après  lui 
cfelui  de  France,  &.  ainfî  des  autres.  Les  Miniftres  du  fécond  ordre  ob- 
fervent  entr'eux  la  même  règle ,  &  ils  font  imités  par  ceux  du  troifieme. 
Les  Minières  du  fécond  ordre  font  fouvent  revêtus  de  caraâeres  difFérens, 
comme  de  celui   d'Envoyé   extraordinaire ,    de  Miniftre   Plénipotentiaire , 


préféance  fur  TEnvoyé 
Ces  nuances,  prefque  imperceptibles  de  caraâeres  ,  ne  font  rien  pour  les 
diilinâions  réelles,  &  dès  qu'un  Miniftre  public  eft  accrédité  auprès  du 
Souverain  même,  il  doit  jouir  des  prérogatives  attachées  à  (on  emploi.  II 
y  a  cependant  quelques  Cours  qui  font ,  abufivement ,  des  exceptions  à 
cette  règle ,  comme ,  par  exemple ,  celle  de  France ,  qui  admet  une  diO- 
tinâion  notable  entre  les  Envoyés  extraordinaires  qui  ont  fait  une  entrée 
publique,  &   obtenu  une  audience  folemnelle,  &   les  Miniftres  Plénipo*, 
tentiaires,  ou  Envoyés  ordinaires,  qui  n'om  point  fait  d'entrée.    Ces  pre- 
liiiers,  quotqu'Envoyés  du  plus  petit  Souverain ,  prennent  le   pas,  dans 
toutes  les  folemnités,  fur  les  fecoùds,  qui  font  accrédités  même  par  les 
plus  grands  Rois  ;  on  les  place  au-deftus  d^eux  au  fpeâacle  &  ailleurs ,  & 
on  leur  accorde  des  honneurs  prefque  à  l'égal   des  AmbafTadeurs.   C'eft 
un  grand  abus  contre  les  principes  du  Cérémonial ,  &  l'on  ne  peut  voir 
fans  rire  un  pareil  Envoyé ,   quelque  eittraordinaire  qu'il  foit ,  prendre  le 
pas  (ur  le  Miniftre  d'un  Monarque  que  fon  maître  feroit  glorieux  de  fervir. 
Mais  la  France  agit  en  ceci  par  une  autre  maxime  de  politique.   Ôii  veut 
à  Paris^des  entrées  publiques,  non-feuleraent  potir  en  donner  le  fpèâacle 
au   peuple ,"  mais  aufti  pour  oocafîonner  une  grande  dépenfe  au  nouveau 
Miniftre,  &  attirer,  par  de  leniblables  moyens,  l'argent  des   Puiflances 
étrangères  dans  le  Royaume. 

IIK  Tous  les  honneurs  que  Pon  fait  à  un  Miniflre  public  font  fondis 
Jbr  le  caractère  dont  il  ejl  revêtu  en  vettu  de  fes  lettres  de  créance.  C'eft 
ainfî  qu'un  Ambafladeur  pent  prétendre  à  des  diftinâions  auxquelles  un 
Miniftre  du  fécond  ordre  ne  fauroit  afpirer,  comme,  par •  exemple |  à  voir 

Y  % 


172  CÉRÉMONIAL. 

arriver  à  fa  rencontre  les  carroiTes  de  la  Cour,  à  être  défrayé  pendant 
quelques  jours ,  que  la  garde  batte  aux  champs  lorfqu'il  paffe  »  à  fe  cou- 
vrir devant  le  Souverain,  ôc  Les  MiniftrQs  du  fécond  ordre,  fans  avoir 
la  repréfentation  immédiate ,  Jouiflent  cependant  à  leur  tour  de  plufieurs 
prérogatives  que  ceux  du  troiueme  ne  peuvent  exiger ,  fur-tout  depuis  que 
Vufage  d^envoyer  des  Âmbafladeurs  eft  devenu  moins  fréquent.  A  la  plu* 
part  des  Cours ,  ils  ont  l'honneur  d'être  admis  à  la  table  du  Souverain , 
de  jouer  avec  les  Reines  ou  Princeffes ,  d'être  invités  à  toutes  les  fêtes  & 
folemnités,  d'y  avoir  des  places  diftinguées,  &c.  toutes  diftinétions  aux- 

Quelles  les  Miniftres  du  troisième   rang  ne   fauroient  prétendre  de   plein 
roit ,  à  moins  que  ce  ne  foit  par  une  faveur  fpéciale  qui  ne  fauroit  tiret 
à  conféquence.  n  eft  à  remarquer  que  l'étiquette  reçue  dans  chaque  Cour, 
règle  ces  diftinâions  &  ces  honneurs ,  &  qu'aucun  Miniftre ,  de  quelque 
Fuiftance  qu'il   vienne ,  n'a  droit  de  former  des  prétentions  contraires  à 
cette  étiquette  établie,  &  de  vouloir  prefcrire  au  Souverain  vers  lequel  il 
eft  envoyé ,  des  loix  dans  fa  propre  Cour.   Il  doit  fe  contenter  de  ce  qui 
a  été  fait  à  cet  égard  en  faveur  de  fes  prédécefleurs  &  des  autres  Minif- 
tres d'un  caraâere  égal  au  fien.   D'un  autre  côté,  le  Souverain  doit  ob- 
ferver  une   parfaite  égalité  dans  la   difpenfation  des  honneurs  qu'il  &it 
rendre  aux  Miniftres  étrangers  revêtus  du  même  caraétere ,  fans  avoir  égard 
à  la  puilTance ,  au  rang ,  au  degré  de  parenté  de  leur  maître ,  à  l'objet  de 
leur  commiftion  ,   ou  à    d'autres    confidérations    acceftbires.    Dès   qu'on 
accorde  à  un  Souverain  le  droit  d'envoyer  des  Miniftres  de  tel  ou  tel  ca- 
raâere ,  (  ce  qu'on  fait  en  les  acceptant  ;  ces  Miniftres  font  fondés  à  exiger 
toutes  tes  prérogatives  que  la  Cour  a  coutume  d'accorder  aux  autres  Mi- 
niftres du  même  caraâere.  On  fent  bien  que  nous  ne  parlons  ici  que  des 
honneurs  eftentiellemenc  dûs  au  caraâere ,  &  non  de  la  conftdération  per- 
fonnelle  ,  de  l'eftime ,  &  d'autres  diftinâions  pour  lefquelles  il  n'y  a  aucune 
prétention  à  former. 

Si  l'on  manque  d'obferver  envers  un  Miniftre  étranger  quelque  point  e(^ 


vou- 
qui  l'envoie.  Comme  les  Souverains  font 
fort  délicats ,  &  leurs  repréfentans  fort  pointilleux  fur  cette  matière ,  on 
fait  bien  de  créer  un  ou  plufieurs  introduâeurs  des  Ambaffadeurs ,  qui  les 
mènent  non-feulement  \  l'audience^  mais  qui  ayant  auftî  fait  une  étude 


particulière  du  cérémonial  &  de  Tériquette,  règlent  toutes  les  cérémonies 
qu'on  obferve  à  l'égard  des  Miniftres  étrangers  depuis  le  moment  qu'ils 
arrivent  jufqu'à  celui  de  leur  départ,  &  pendant  tout  le  féjour  qu'ils  font 
à  la  Cour.  Dans  plufieurs  Cours,  cette  charge  eft  confondue  avec  celle  de 
maîtres  des  cérémonies.  On  s'évite  par-là  bien  des  conteftations ,  àts  criail- 
leries,  &  des  réparations  toujours  défagréables  ^  &  quelquefois  mortifiantes 
à  faire ,  ou  à  efluy en 


CE  R  É  M  O  N  I  A  !•  173 

n  eft  d«s  pays  où  l'obfervation  exaâe  du  cérémonial  envers  un  Miniftre 
étranger  devient  un  objet  trés*réel  pour  le^fuccès  de  fa  négociation.  Nous 
en  citerons  pour  feul  exemple  la  Turquie,  Qui  ne  fait  combien  les  Minif- 
très  &  Officiers  de  la  Porte  Ottomane  emploient  de  rufes ,  de  finefles ,  de> 
menfonges  &  d^ntrigues  pour  priver  les  AmbafTadeurs  des  Puiffances  Chré* 
tiennes  à  Conftantinople  des  honneurs  auxquels  ils  ont  droit  de  prétendre , 
tant  en  vertu  de  leur  caraâere,  que  de  l'ancienne  coutume  &  des  conven* 
tions  antécédentes?  Les  Turcs ^  dont  on  vante  fi  fort  la  probité  &  la  droi- 
ture ,  font  fourbes  à  l'excès  fur  cet  article.  Il  n'y  a  forte  de  pièges  qu'ils 
ne  tendent  à  un  nouveau  Miniflre  étranger  pour  gagner  quelque  avantage 
fur  lui  dans  le  cérémonial^  oui  s'obferve  aux  entrées  puoliques,  aux  au- 
diences du  Grand-Seigneur ,  oc  à  d'autres  occafions  folemnelles.  Si  le  Mî- 
niflre ,  foit  par  ignorance ,  foit  par  foibleffe ,  mollit ,  cède  «  &  fe  foumet 
i  leurs  volontés,  ils  conçoivent  ibudain  un  grand  mépris  pour  lui,  pour  fa 
nation,  &  pour  le  Prince  qui  l'envoie.  Ce  mépris  influe  fur  toute  la  fuite 
de  fa  négociation,  &  ils  prétendent  lui  donner  également  la  loi  pour  tou- 
tes les  chofes  eiTentielles  ;  au-lieu  que  s'il  eft  ferme  dans  fb;i  début,  &  pour 
les  objets  du  cérémonial ,  fon  caraâere  leur  en  impofe ,  &  il  y  a  toute 
apparence  qu'il  fera  réuffir  les  affaires  au  gré  des  défirs  de  fon  maître. 

Quoique  dans  les  Cours  Européennes  l'obfervation  de  l'étiquette  ne  tire 
pas  fi  fort  à  confëquence,  <»  y  penfe  fouvent  à  la  Turque  fur  cet  objet,> 
lors  même  qu'on  affèâe  d'en  faire  le  moins  de  cas.  Un  négociateur  pèche 
grièvement  contre  fon  devoir ,  lorfqu'il  permet  qu'on  empiète  de  deffein 
prémédité  fur  fes  droits ,  &  qu'on  lui  refufe  des  honneurs  qui  lui  font  dûs. 
Sans  être  vétilleur  &  ombrageux  pour  des  bagatelles ,  41  doit  fe  montrer 
attentif  à  maintenir  l'honneur  de  fa  nation ,  &  les  prérogatives  dues  à  fon 
jnaltre.  D'un  autre  côté,  toutes  les  Puiffances  fouveraities  ont  un  intérêt 
ëgal  à  témoigner  des  égards ,  des  politeffes ,  &  à  faire  des  honneurs  diftin* 
gués  à  leurs  Miniftres  rejjpedifs;  car  fi,  par  malheur,  fous  prétexte  de  vou* 
loir  bannir  toute  gêne  &  contrainte,  l'ufiiçe  venoit  Si  s'introduire  en  Eu- 
^xope  de  les  traiter  trop  cavalièrement,  la  dignité  dans  les  mœurs  des  Cours 
le  perdroit  bientôt ,  &  nous  n'aurions  plus  qu'un  pas  à  faite  pour  retombée 
dans  cette  ancienne  barbarie  dont  nos  ancêtres  ont  eu  tant  de  peine  à  nous 
tirer.  Il  eft  eflèntiel  qu'un  négociateur  maintienne  ion  rang  dans  les  con- 
iërences  &  dans  toutes  les  occafions  où  il  s'agit  de  porter  la  parole.  Le 
cérémonial  n'eft  affurément  point  un  objet  fîrivole  en  cette  rencontre.  Pen- 
dant la  guerre  de  1740 ,  on  entama  à  La-Haye  des  conférences  pour  la 
Îacification.  L'Ambaffadeur  d'Angleterre  prétendit  y  porter  la  parole.  Le 
liniffa'e  de  Fruffe  s'y  oppofa ,  &  lui  fit  comprendre  qu'en  cette  rencontre 
tous  les  Rois  étoient  égaux ,  que  Tancienneté  de  celui  d'Angleterre  ne  pou- 
voit  lui  doimer  de  prééminence ,  puifque  cette  raifon  l'obligeroit  à  céder  au 
Roi  de  Danenurc.    Ces   argumens  furent  goûtés,  &  les  Miniftres   pro- 
poferent  à  tour  de  rôle.  On  pourroit  indiquer  mille  occafions  fembUbles 


174  CÉRÉMONIAL. 

où  un  Miniftre  public  ne  peut  compromettre  fon  rang  ni  la  dignité  de  Ton 
maître,  fans  nuire  réellement  à  Tes  affaires. 

Quoîqu^on  ne  puilTe  prefcrire  aux  Souverains  les  moyens  qu'ils  doivent 
employer  pour  faire* des  honneurs  à  un  Miniftre  public,  &  que  chaque 
Cour  luive  une  étiquette  différente  dans  la  manière  de  les  recevoir  &  de 
les  traiter,  on  doit  cependant  admettre,  pour  règle  générale  en  cet  objet, 
la  maxime  de  morale  fi  connue,  ^i^  il  faut  faire  à  autrui  ce  qu'on  vou* 
droit  qid  nous  fut  fait  à  nous-'rriénics  en  pareil  cas.  Un  Prince  iàgc  &  équi- 
table n'exigera  point  d\in  autre  Prince  qu'il  déroge  à  fa  prop^re  dignité, 
qu'il  s'épuile  en  dépenfes ,  ou  qu'il  occupe  tout  fon  temps  à  faire  des  dif- 
tinâions  fans  bornes,  à  donner  des  fefUns  fplendides,  ou  à  procurer  des 
àmufemens  brillans  à  fon  Ambaffadeur  ;  mais  tout  Souverain  a  droit  de 
^attendre  que  (on  négociateur  (bit  traité  avec  toutcss  fortes  de  politeffes  ^ 
d'égards,  &  qu'on  lui  fkffe*  des  honneuiis  convenables  au  cartfâere  doïit  il 
eft  revêtu.  Quelque  grand  que  fbit  un  Monarque ,  il  né  peut ,  fans  le  ren- 
dre ridicule  &  odieux ,  refufer  la  confidération  &  les  civilifés  dues  aux  Mi« 
niflres  étrangers ,  qui  réfident  en  (a  Cour ,  ni  s'empêcher  de  leur  faire  des 
honnêtetés,  b'il  y  manque,  s'il  les  traite  avec  mépris,  s^'il  afieâe  trop  de 
hauteur,  il  en  fera  puni  le  premier;  le  tocfin  fera  bientôt  (bnné. parmi  tous 
les  négociateurs,  ils  détefteront  fa  Cour,  &  nul  homme»  de  difHnfUon  & 
de  mérite  ne  votidra  plus  s'y  faire  employer.  Les  autres  Puiffiinces  fe  ver^ 
ront  dans  la  néceffîté  d'y  envoyer  de  minces  (ujets,  qui  feront  d'humeur 
à  fe  contenter  de  toutes  fortes  de  traitemens,  &  qui  fe  trouveront  dans 
l'impuiffance  de  faire  profiter  la  ville  par  une  dépenfe  honorable.  Il  ne  faut 
pas  croire  non  plus  ,  que  les  frais  employés  à  la  réception  brillante  d'un 
Ambaffadeur,  à  une  entrée  fblemnelle,  à  une  fête  qu'on  lui  donne,  foient 
perdus  pour  l'Etat.  Tout  au  contraire,  les  dépenfes  qu'il  eft.  obligé  défaire 
de  fon  côté,  fervent  d'un  ample  dédommagement;  &  ces  fortes  de  céré- 
monies deviennent  un  fpeâacle  qui  réjouit  le  peuple  ^  attire  <les  étrangers , 
&  met  beaucoup  d'argent  en  circulation. 

Tous  les  Miniftres  étratnigefs ,  qui  réfident  en  une  mêmfe  Cour ,  règlent 
les  honneurs  &  les  politefles  qu'ils  fe  font  mutuelleilient  fur  les  principes 
établis  ci- deffus.  Un  Ambaffadeur  ordinaire  cède  à  l'Ambaffadeur  extraor- 
dinaire, un  Envoyé  à  un  Ambaffadeur,  un  Réfideint  à  un  Envoyé ,  &  ainfi 
du  refle ,  fans  égard  au  rang  de  leiir  maître.  Les  Mtniflres  du  fécond  ordre 
font  la.  première  vifite  ^  ceux  du'  premier,  quoiqu'ils  foient  arrivés  plutôt 
ou  plus  tard;  ils  donnent  aux- Ambaffadeurs  le  titre  à^Excellence,  ils  les 
reçoivent  à  \a  defcente  du  carroffe ,  &  les  reconduifent  de  même  ;  au-lieu 
que  les  AmbafTadeurs  ne  font  recevoir  les  envoyés  que  pat  un  cavalier,  & 
les  attendent  eux-mêmes  à  la  porte  de  l'antichambre  ;  un  AmbdfTàdeur  prend 
la  droite,  même  chez  foi ,  fur  lès  envoyés  des  Couronnes,  &  rie  leur  pré- 
fente  qu'une  chaife  à>dos;  il  a  droit  de  prétendre  que  lé  Gouvernement 
faffe  placer  des  fentinelles -à  fa  porter  il  peut  demander  wie -entrée  publi- 


,   G  É  R  É  M  0  N  I  A  I;  i7< 

que ,  les  honneurs  militaires ,  fe  couvrir  devant  le  Souverais  ;  il  jouit  ea 
un  mot  de  plufieurs  diftinâions  que  les  Miniftres  du  fécond  &  troifieme 
ordre  n'ont  pas.  Mais ,  au  refte ,  tout  homme  revêtu  du  caraâere  de  Mi- 
niflre  public  de  la  part  d'une  grande  PuilTahcé  fait  fe  faire  refpeâer  même 
)ar  un  Ambafladeur  d'une  Puiflance  inférieure ,  &  lui  fait  fentir  à  propos 
a  fupériorité  de  fon  maître.  Le  carroflb  d'un  envoyé  extraordinaire  du 
Prince ,  Abbé  de  Fulde ,  fe  trouvant  engagé  dans  un  embarras  à  Vienne , 
&  le  carroffe  du  Miniftre  réfidant  du  Roi  de  Pruffe  lui  ayant  barré  le  che<- 
min,  cet  envoyé  de  Fulde  mit  la  tête  à  la  portière,  &  cria  au  Miniftre 
Pruffien  ,  Monficur ,  ordonne^  donc  à  votre  cocher  qu'il  C4de  au  mien  ;  mais 
celui-ci  lui  répondit  ^  Monjiear ,  je  lui  donnerois  cent  coups  de  bâton  s*U  cedoit 


i 


m  votre  maître. 


o 


IV,  Honneurs  que  les  Souverains  font  à  leurs  Employés. 


ITtrb  les  Miniftres  publics,  on  voie  fréquemment  arriver  dans  les 
Cours  des  Gentilshommes ,  des  Cuurtifans ,  des  perfonnes  chargées  d'emr 
plois ,  appartenans  à  des  Souverains  étrangers.  Le  droit  des  gens  n'établit. 


âioiis.  Mais  il  eft  dPufage  dans  toutes  les  Cours  de  PEurope  policée  (Py  re^ 
revoir  toutes  les  perfonnes  nobles ,  ou  qui  occupent  des  charges  confiderables 
€htT^  les  autres  Souverains  ^  &  de  leur  faire  un  accueil  honorable^  &  c'eft 
en  quoi  confifte  la  IV.  Partie  du  Cérémonial.  JLcs  politefles  qu'on  leur  té- 
moigne (b  fondent,  pour  l'ordinaire,  ou  fur  leur  mérite  perfonnel,  qui  les 
rend  plus  ou  moins  agréables ,  ou  fur  le  rang  qu'occupe  le  Maître  auquel  ils 
appaniennent ,  ou  fur  l'emploi  plus  ou  moins  diftingué  dont  ils  font  eux- 
mêmes  revêtus  dans  leur  patrie*  Pour  ne  pas  s'expofer  à  admettre  toutes 
ibnes  d'aventuriers  à  la  Cour,  ou  ne  pas  obliger  chaque  homme  de  con«- 
dition  \  porter  fes  titres  de  noblefle  en  poche ,  la  plupart  des  Princes  ont 
coutume  de  fe  fj^ire  préfentèr  tous  lés  étrangers,  chacun  par  lé  Miniftre  de 
ia  nation,  lequel  répond  par-là  dé  fa  naiffance  ou  de  fa  qualité.  Un  étran* 
2er  ainfi  préfepté,  &  admis,  peut  paroître  à  la  Cour  chaque  jour  que  le 
Souverain  fè  montre  en  public,  aifîfter  à  toutes  les  folemnités,  jouir  des 
ipeâacles ,  fêtes  &  feftins  que  le  Prince  donne ,  manger  félon  fon  rang  ou 
à  la  table  du  Prince  même ,  ou  à  celle  du  Maréchal ,  fuivant  l'étiquette  éta« 
blie^  6(  profiter  dq  tous  Jes  plaifirs  que  la  Coyr  prend  publiquement  durant 
le  féjour  qu'il  y  fait;  On  cherché  même  i  prévenir  lès  OfBcîprs  :  lesCour^ 
tifans  &  les  Dames  s'emipreilent  à  leur  fitire  des  honneurs  &  à  leur  rendre 
Je  féjour  agréable  ;  mais  ils  doivent,  en  revanche,  s'efforcer  de  plaire  &  ^e 
mériter  Teftime  du  Souverain  &  des  gens  en  place  ;  ne  fe  préfentèr  que  dans 
iiD  habillement  convenable,  &  dans  un  équipage  décent ,  avoir  des  manié'- 


175  C  É  R  É  M  O  N  I  A  L. 

res  qui  anm>ncent  leur  naifTance,  ne  point  faire  les  efpions,  ni  fè  mêler  des 
affaires  d^Erat,  ne  point  froqder  la  conduite  du, Prince  ou  de  fes  Minières, 
ne  point  blâmer  les  mœurs  &  les  ufage^  qu^ils  trouvent  établis,  ne  point 
méprifer  les  bàtimens,  les  équipages,  mçubles,  cave,  cuifine ,  fpeâacles,  & 
autres  chofes  qu'ils  voient,  enfin  ne  point  choquer  la  Cour  ou  la  nation, 
dont  ils  défirent  d'obtenir  un  accueil  favorable. 

Un  Souverain  juge  fouvent  des  intentions,  bonnes  ou  mauvaifes,  d'une 
Cour  étrangère  par  le  degré  de  politeffes  qu'elle  fait  à  fes  ferviteurs  ou  à 
fes  fujets  qui  s'y  préfentent  en  voyageant.  £n  effet,  c'efl  le  thermomètre 
de  l'amitié  \  mais  il  faut  diftinguer  la  nçon  de  penfer  de  la  Cour  d'avec  celle 
de  la  nation.  A  Verfailles,  par  exemple,  un  Suédois  efl  accueilli  avec  tou- 
tes fortes  de  diflinélions,  parce  que  la  Suéde  efl  alliée  depuis. un  temps  im- 
mémorial avec  la  France;  à  Paris, au  contraire,  un  Anglois  efl  adoré,  parce 
qu'il  y  fait  une  graqde  dépenfe,  &  qu'il  a  jles  guinées  à  répandre,  au-Iieu 
que  le  Suédois ,  qui  femble  n'avoir  que  du  cuivre  en  poche ,  y  brille  peu. 
Maiisle  Souverain  ne  fauroit  répondre  de  Teforit  &  des  manières  du  peu- 
ple, pourvu  qu'il  obferve  lui-même  ce  qui  eft  dû  à  chaque  étranger  de  dU^ 
tinâion.  Les  petits  Princes  ont  fouvent  la  manie  de  témoigner  aux  Cour- 
tifans'  ou  aiix  'Employés  des  autres  petits  Princes,  des  honneurs  &  des  ci- 
vilités qu'ils  accordent  à  peine  aux  ferviteurs  des  grands  Monarques  d'un 
rang  ou  d'un  titre  égal.  Çefl  une  efpece  de  vengeance  qu'ils  prennent»  en 
même*temps  qu'ils  croient  fe  donner  un  relief  &  s'honorer  eux-mêmes  en 
honorant  les  petits  domefliques  de  leurs  petits  collègues.  Les  Miniflres  des 
Princes  Souverains ,  fur-tout  en  Allemagne ,  prétendent  auffi  au  titre  d'£x- 
ccllencc ,  &  voudroient  qu'il  leur  fût  donné  même  par  les  Miniflres  des  Têtes 
couronnées.  Il  efl  arrivé  mille  conteflations  à  ce  fujet ,  &  on  a  allégué  beau- 


que 
c'efl  pour  cette  raifon  que  les  Miniflres  des  Eleâeurs ,  î  la  diète  de  l'Ern- 

pire^  reçoivent  le  titre  d'Excellence  de  la  part  de  ceux  des  Princes,  &  ne 
le  leur  rendçnt  jamais ,  en  vertu  de  la  coutume  établie  dans  le  Saint- Empi- 
re, outre  qu'il  n'efl  pas  trop  bien  décidé  fi  les  Princes  peuvent  donner  à 
leurs  Confeillers  le  titre  de  Miniflres. 
■  .  •  '    '  •    . 

V.  Honneurs  qut  les  Souverains  fc  forit  rendre  à  leur  Cour  i  &  difiinâions 

fuHls  accordent  à  chacun  de  leurs  Sujets. 

JLêEs  honneurs  que  les  Souverains  fe  font  rendre  â  leurs  Cours  ^  &  les 
difinSions  jujils  accordent,  en  échange  à  chacun  de  leurs  Sujets^  forment  la 

cinquième 


C  É  R  Ê  NT  O  N  I  A  I-  177 

cinquième  partie  du  cérémonial.  Elle  comprend  i^  l'arrangement  de  tou- 
tes les  cérémonies  ufîtées  dans  les  occaHons  folemnelles,  2^  le  règlement 


rémonial  ufîté  dans  les  Républiques. 


Nos  bons  Aïeux  difoienc  en  proverbe  :  Trop  de  familiûrlté  engendre  le 
mépris.  Nous  fbmmes  obligés  d'en  revenir  prefque  toujours  aux  dirions 
populaires  &  aux  fentences  antiques,  dans  les  affaires  les  plus  graves  &  les 

Î|lus  importantes.  Il  importe  infiniment  au  maimien  du  bon  ordre  dans  la 
bciété,  au  bonheur  du  Gouvernement,  &  à  la  félicité  de  l'£tat^  que  le 
Souverain  foit  refpeâé  non- feulement  par  le  peuple,  mais  aufli  par  les  Grands 
qui  Tenvironnent.  Tous  ceux  qui  approchent  des  Rois  fauront  par  expérien- 
ce ,  ^ue  cette  timidité  dont  on  eft  faifî  au  premier  afpeâ  de  la  Majefté ,  dif- 
paroit  à  mefure  qu'on  les  voit  plus  fréquemment,  oc  que  rhabitude  de  vî-» 
vre  en  fociété,  pour  ainfî  dire,  avec  eux,  la  fait  évanouir  avec  le  temps. 
La  familiarité  qui  s'enfuit  devient  (buvent  funefie ,  ou  aux  perfonnes  qui  en 
jouiilent ,  ou  aux  fujets  qui  n'en  jouiffent  pas.  C'eft  ce  qu'on  pourroit  conn 
firmer  par  une  foule  d'exemples,  s'il  étoic  néceflaire. 


L 


NéceJJité  du   CéremoniàL 

E  Cérémonial  n'a  été  inventé  que  pour  retenir  les  uns  &  les  autres 
dans  les  boroes  du  refpeâ.  Que  feroit*ce  Ci  les  gradations  du  rang  inter- 
médiaire entre  le  Prince  &  le  peuple  écoient  confondues  ou  abolies  ?  .Que 
deviendroit  le  Souverain  &  l'Etat,  fi  chaque  particulier  pouvoit  approcher 
de  lui  fans  cérémonie ,  comme  de  fon  égal ,  &  s'il  n'y  avoir  abfolumenc 
a^iicune  étiquette  dans  la  manière  de  vivre  à  la  Cour  >  Le  peuple ,  d'ail- 
leurs, qui  fe  moule  trop  aifément  fur  le  modèle  de  fon  Roi,  vivroitdans 
«  défordre  &  dans  la  confufion ,  fi  celui-ci  en  donnoit  le  premier  exem- 
>1e.  Ce  font  ces  confidérations  qui  ont  donné  lieu  à  l'établiflement  du 
-cérémonial  dont  nous  allons  indiquer  en  peu  de  mots  les  règles  politiques. 

Dans  toutes  les  Cérémonies  publiques ,  le  Souverain  ne  doit  paroître  aux 
'"«JX  de  fes  peuples  que  dans  un  appareil  éclatant  &  digne  du  rang  qu'il 
►^cupe.  Il  faut  ou  éviter  toutes  les  lolemnités,  ou  les  accompagner  d'une 
"magnificence  capable  d'en  impofer  au  public.  Le  bon  ordre  doit  y  régner 
(-■r-tout  ;  &  le  rang ,  ainfi  que  les  fondions  de  chaque  affiftant  doivent 
^re  bien  réglés,  parce  que  les  extrêmes  des  chofes  les  plus  oppofées  (è 
couchent  prelque  toujours ,  ou  du  moins ,  que  leur  intervalle  eft petit.  Dans 
^^c, Cérémonie  le  burlefque  eft  tout  près  du  majeftueux,  &  lorsqu'une  pa- 
^^le  Cérémonie  ne  frappe  point  par  un  air  augufte,  elle  donne  à  rire 
^^r  un  air  de  confafion  ou  de  léfîne.  C'eft  pour  cette^raifon  que  les  Sour 
""^aias  ne  doivent  pas  trop  les  multiplier,  pour  pouvoir  y  mettre  une  4éï 

Umt  XL  Z 


,78  CEREMONIAL. 

penfe  convenable ,  outre  qu'il  y  auroic  autant  de  frivolité  que  de  gène 
tl'écaler  à  tout  moment  une  pompe  théâtrale  aux  yeux  du  monde.  Un 
Prince  fage  ne  coniidere  les  Cérémonies  que  comme  un  habile  architeâe' 
les  décorations ,  dont  il  n'a  garde  de  charger  un  édifice ,  mais  s'attache  à 
tourner  en  ornemens  toutes  les  nécedités  du  bâtiment.  Le  Prince ,  de  mê- 
me ,  ne  doit  point  ordonner  des  Cérémonies  trop  fréquentes ,  mais  célé- 
brer avec  un  éclat  digne  de  fa  grandeur  les  occafions  folemnelles  qui  fe 
préfentent  pour  de  femblables  fêtes ,  comme  les  couronnemens ,  les  en- 
trées triomphales,  la  publication  d'une  paix  glorieufe,  une  viâoire  figna* 
lée ,  un  mariage  augufle ,  la  naiflance  d'un  héritier  à  la  Couronne ,  la  Cé- 
rémonie des  hommages  d'un  pays  acquis  ou  conquis ,  les  pompes  fiine- 
bres,  Ùc.  Ceux  qui  font  chargés  de  l'ordonnance  d'une  pareille  fête  ou 
Cérémonie ,  peuvent  en  trouver  des  defcriptions  capables  de  leur  fervir  de 
guides  &  de  modèles ,  dans  toutes  les  compilations  des  Mémoires  hiftori- 
ques  ,  dans  le  Supplément  au  grand  corps  diplomatique  ,  dans  le  grand 
Théâtre  des  Cérémonies  de  Lunig,  dans  les  archives  de  chaque  Cour  & 
ailleurs.  Ils  ne  peuvent  point  attendre  des  inftruéKons  détaillées  fur  ces 
fortes  d'objets  dans  un  ouvrage  »  qui  ne  peut  &  ne  doit  envifager  les  cho- 
fes. qu'en  grand  &  fommairement. 

Pour  parvenir  d'autant  plus  aifément  à  faire  régner  cet  ordre  non-feule- 
ment dans  les  folemnités ,  mais*  aufli  à  la  Cour  en  général ,  pour  fixer  la 
place  de  chacun,  &  pour  éviter  toutes  fortes  de  difputes,  la  plupart  des 
Souverains  ont  fait  à  leur  Cour  des  réglemens  pour  le  rang  de  tous  leurs 
Employés  civils  &  militaires.  Dans  la  formation  d'un  pareil  règlement , 
on  pofe  pour  bafe  le  rang  des  grades  militaires  qui  fert ,  pour  ainfi  dire  p 
d'échelle  &  de  mefure  au  rang  des  perfonnes  de  l'Etat  civil  &  des  courti-* 
fans,  comme,  par  exemple, 

Maréchaux Minières  d'Etat  aâuels Grand-Maitre^  de  la  Mai« 

fbn ,  ou  autres  grands  Officiers. 

Lieutenans  -  Généraux Miniflres  d'Etat  titulaires  ,  Maréchal  de  la 

Cour , 

&  ainfi  du  refte.  Il  dépend  du  bon  plaifir  de  chaque  Prince  d'avantager 
Pun  ou  l'autre  de  ces  trois  Etats  dans  le  rang  qu'il  leur  accorde.  Le  plus 
ou  le  moins  de  befoin  qu'il  croit  en  avoir ,  fon  inclination ,  peut-être  foQ 
caprice ,  tout  cela  fait  varier  ces  fortes  d'arrangemens  ;  mais  en  général  il 
efl  de  la  juftice  &  de  la  prudence  politique  des  Souverains  d'y  admettre 
une  proportion  équitable  ,  fondée  fur  cette  vérité  éternelle,  que  tous  les 
Etats  font  également  néceffaires  dans  la  fociété  ,  qu'if  n'y  auroit  point 
d'Etat  militaire  s'il  n'y  avoir  un  Etat  civil ,  &  que  dans  chaque  Etat  le 
mérite  qui  mené  aux  grands  emplois  eft  refpeâable  ,  &  ne  fbuffre  point 
qu'on  le  dégrade.  C'eft  fe  mettre  dans  le  cas  d'être  toujours  mal  fervi 
que  .d'avilir  l'un  ou  l'autre  emploi.  11  y  a  des  Cours  ou  l'on  a  aboli  toute 
diilinôion  de  rang ,    fur-tout  entre  les  hommes  \  mais  il  m'a  fcmblé  qu^on 


CÉRÉMONIAL.  ,75 

ne  «'eft  pis  bien  trouvé  de  cette  invention  ;  que  fi»  d'un  côté ^  on  a  eu 

Î quelque  peu  de  gêné  de  moins  «  on  a  foufTert  de  l'autre  par  te  grand  dé- 
ordre; que  rémuLarion  s'eil  beaucoup  perdue  dans  Tétat  civil  ;  que  les 
i>er/bnnes  les  plus  refpeâables  ont  efTuyé  toutes  fortes  de  mortifications  de 
a  part  du  premier  étourdi  &  des  hommes  indifcrets ,  &  que  le  prince  a 
été  obligé  de  récompen(er  tout  le  monde  en  bienfaits  pécuniaires  »  n'ayant 
plus  de  diftinâions  réçlles  à  donner. 

De  VEtiquctic  de  la  Cour. 


Varrangement  gênerai  dune  Cour  pour  la  façon  de  vivre  du  Souverain  & 
de  fa  familU ,  pour  les  honneurs  qu^il  fe  fait  rendre ,  pour  les  charges  ^ 
JbnSions  &  prééminences  des  courtifans  ,  pour  la  réception    des  étrangéts , 
pour  Us  difiinâions  qui  font  accordées  à  chacun ,  pour  les  Cérémonies  à  oh- 
Jerver  en  toute  occafion  ,   &c.  Quelquefois  ces  arrangemens  font  écrits  en 
£irme  de  loi ,  comme  l'ancienne  étiquette  de  Bourgogne  dont  on  voie  en- 
core les  vefiiges  à  la  Cour  de  Vienne  &  à  celle  d'£fpagne  ;    quelquefois 
ils  fe  fondent  fur  la  coutume  conftamment  obfervée*  Que  ces  objets  foient 
réglés  en  gros»  il  n'y  a  rien  de  déraifonnable.  L'ordre  vaut  toujours  mieux 
^ue  la  confufion  ;   mais  qu'on  fafTe  de  l'étiquette  un  objet  de  la  première 
importance  »  qu'on  foit  d'une  févérité  fcrupuleufe  fur  Tobfervation   d'un 
vain  Cérémonial ,   que  les  Souverains  fe  réduifent  eux ,  leur  famille ,  & 
leurs  fèrviteurs ,  à  l'état  de  (impies  automates  qui  femblenc  ne  fe  mou- 
voir   que  par  les  loix  de  la  méchanique,   &  que  le  rang  &  la  naiflance 
^ent  des  prérogatives   auxquelles  le  mérite ,   le  plus   noble  apanage  de 
l'humanité ,  ne  lauroit  Jamais  atteindre  »  c'cft-là ,  ce  me  femble  ,  le  com« 
l>le  du  ridicule.  On  ne  fauroit  lire  fans  dégoût  toutes  les  extravagances  que 
Tétiquette  a  fait  éclore  en  Efpagne.   J'en  citerai  un  feul  exemple.  Phi* 
lippe  III  étoit   gravement  aflis  à  côté  d'une  cheminée  dans  laquelle   le 
l>oute-feu  de  la  Cour  avoir  allumé  une  fi  grande  quantité  de  bois ,  que  le 
lilooarque  penfa  étouffer  de  chaleur.    Sa  grandeur  ne  lui  permettoic  point 
de  fe  lever  pour  appeller  du  fecours ,  les  Officiers  en  charge    s'étoient 
éloignés,  &  les  domeftiques  n'ofoient  entrer  dans  l'appartement.   A  k  fin 
le  Marquis  de  Fobar  parut,    auquel  le  Roi   ordonna  d'éteindre  le    feu; 
xa2âs  celui-ci  s'en  excuia  fous  prétexte  que  l'étiquette  lui  défendoit  de  faire 
une  pareille  fonftion  pour  "  laquelle  il  ralloît  appeller  le  Duc  d'Uffede.  Le 
Duc  étoit  forti,  la  fiamme  augmenta,  le  Roi  la  foutint  plutôt  que  dedé^ 
Toger  à  fa  dignité;  mais  il  s'échauffa  tellement  le  fang,  que  le  lendemain 
il  eut  un  érefipele  à  la  tête  avec  des  redoublemens  de  fièvre  qui  l'empor^ 
terant  l'an  i6zx  dans  la  24^^.  année  de  fon  âge. 


i8o  CÉRÉMONIAL. 


On  pourroît  rapporter  plufieurs  autres  exemples  parrils ,  moins  Gmûm       I     ^ 


fouvent  par  la'  bouche  de  la  politique ,  que  tout  excès  dans  le  Cérémonial  I  ^^ 
devenoit  comique ,  que  le  fafte  orienul ,  bien  loin  d'en  impofer ,  paffi>ic  1  ^ 
pour  une  petitefle  depuis  que  l'efprit  philofophique  avoit  fait  des  progrès  *  ^ 
en  Europe,  qu'on  ne  mefuroit  plus  la  grandeur  des  Souverains  fur  leur  éclat 
extérieur  &  fur  des  airs  afFeâés»  que  la  repréfentation  continuelle  de  U 
Royauté  étoit  un  jeu  de  théâtre  que  les  grands  Princes  avoient  abandonna  %  v 
aux  Barons  &  aux  jdu  Frêne ,  (a)  que  le  trop  de  temps  donné  à  l'obferva^ 
tion  d'une  étiquette  rigide  étoit  perdu  pour  le  Gouvernement  de  l'Etat^ 
que  la  vraie  grandeur  étoit  toujours  (impie  &  naturelle,  &  que  l'air  de  di'— 
gnité  étoit  le  feul  qui  convint  aux  Monarques.  Il  eft  rare  de  voir  une  Cou  ' 
obferver  dans  fon  étiquette  ce  jufte  milieu  qui  fait  la  perfeâion  en  tou- 
tes chofes. 

On  pardonne  aux  Souverains  dont  la  puifTance  efl  fondée  fur  Topinioa^K^ 
de  fe    repaître  de  ces  fortes    de    chimères,    &  de  faire  du  Cérémonial .K^  ^ 
un  objet  très-férieux.  Que  la  Cour  de  Rome  s'occupe  les  trois  quarts  d 
l'année  à  des  cérémonies,  ou  religieufes  ou  mondaines;  que  le  Souverain 
Pontife,  les  Cardinaux,  Prélats,  &  tout  un  peuple  d'Eccléfiaftiques  foienc 
confits  dans   l'étiquette,   n'agiflent,  ne  marchent  que  par  compas  &  pat 
mefure,   il  n'y  a  rien  d'extraordinaire.    Qu'auroient-ils   de  mieux  à  faire? 
le  Clergé  de  toute  l'Europe  Catholique  a  fans  ceffe  les  yeux  tournés  vei^ 
le  Vatican.  Le  Pape  eft  un  Chef  de  file  qui  fait  des  mouvements  prefque 
convulfifs  en  maniant  fes  armes  fpirituelles  pour  montrer  les  temps  à  toute 
la  ligne ,  &  pour  rendre  l'exercice  d'autant  plus  exaft.  D'ailleurs  la  hiérar-   --^"' 
chie  de  l'Eglife  Romaine  a  befoîn  d'un  dehors  grave  &  magnifique  pour    *^^*^ 
foutenir  non- feulement  fon  établiffement  dans  la  Capitale,  mais  pouréten-     '-^* 
dre  auffi  fon  pouvoir  jufqu'aux  extrémités  de  la  terre  connue.  Les  hommes     ^  "^ 
font  frappés  du  merveilleux ,  &  veulent  être  gouvernés  avec  cet  art  que      ^^ 
les  Papes  &  le  Sacré  Collège  pofTedent  fi  bien.  11  n'eft  donc  pas  étonnant      "•^^ 
de  voir  à  Rome  des  maîtres  en  fait  de  cérémonies  (comme  ailleurs  des 
maîtres  en   fait  d'armes)   qui    enfeignent  aux  étrangers  le  Cérémonial  & 
tout  ce  qu'il  faut  faire  à  chaque  pas.  Les  AmbafTadeurs ,  fur-tout,  ont  une 
étude  particulière  à  faire  de  l'étiquette  de  Rome ,  &  efTuient  la  gêne  pen- 
dant tout  le  temps  de  leur  réfidence. 


{a)  Fameux  Aâeurs  de  la  Comédie  Françoife  de  Paris. 


i^N  verroic  régner  une  étrange  confufion  dans  toutes  les  compagnies 
i'hommes  qui  s^aflemblent  dans  un  Etat  avec  un  même  defTein ,  ilojit  par 


CÉRÉMONIAL.  i8r 

Du  Cérémonial  des  Tribunaux  de  Juftice  &  autres  Compagnies  refpeSables. 

o 

d'hommes  qui  s  aiiemoienr  aans  un  ncac  avec  un  même  aeiiem ,  io;t  par 
ordre,  foit  avec  la  permiffion  du  Souverain,  ou  de  régler  la  police,  ou 
de  diriger  les  finances ,  ou  d'adminiftrer  la  Juftice ,  ou  de  cultiver  ou  de 
profelTer  les  lettres,  ou  pour  quelque  autre  objet  que  ce  foit,  fi  Pon  n'y 
introduifoit  un  Cérémonial  qui  réglât  l'ordre  nécelTaire  à  obfetver  dans 
ces  fortes  d'affemblées.  La  plupart  de  ces  compagnies  ont  s^uflî  obtenu  des 
privilèges  pour  leur  rang,  &  des  honneurs  qui  leur  font  rendus  pour  les 
faire  refpeâer  par  le  peuple,  &  rendre  leurs  arrêts  d'autant  plus  folem- 
nels.  Delà  les  privilèges  des  Parlemens ,  des  Magiftrats  des  villes ,  des 
difFérens  départemens  de  l'Etat i  du  Clergé ,  des  Univerfités ,  Académies,  &c. 
lues  cérémonies  qui  accompagnent  les  affemblées ,  procédions ,  audiences 
ou  autres  folemnités  de  ces  difFérens  corps ,  doivent  porter  avec  eux  un 
certain  air  de  décence  &  de  gravité  qui  les  rende  refpeétables  au  peuple, 
&  l'on  ne  fauroit  abolir  trop  jpromptement  celles  que  nos  bons  aïeux  y 
ont  introduites  quelquefois ,  qui  pouvoient  leur  paroitre  pleines  de  dignité, 
mais  que  le  changement  des  mœurs  a  rendu  comique  aujourd'hui.  Tout  ce 
qui  prend  l'air  de  farce ,  tout  ce  qui  peut  apprêter  à  rire ,  doit  être  banni 
des  cérémonies  d'un  corps  qui  efl  l'organe  des  volontés  du  Souverain  , 
l'interprète  des  loix,  ou  qui  eft  chargé  d'autres  fonâions  refpeâables. 


D 


Du  Cérémonial  des  Républiques. 


Ans  les  Républiques  enfin,  il  efl  encore  plus  eflTentîel  de  faire  de 
lages  réglemens  pour  l'obfervation  du  Cérémonial  \  car  comme  les  chefâ 
&  tous  ceux  qui  compofent  la  Magiflrature,  font  pris  ou  dans  le  corps 
des  Patriciens,  ou  dans  la  bourgeoifie^  ou  dans  le  peuple»  il  importe  au 
maintien  du  bon  ordre  &  de  l'Etat  que  ces  charges  foient  rendues  refpec* 
tables  par  un  extérieur  '  impofant.  La  politique  a  befoin  de  faire  jouer 
tous  fes  refTorts  pour  obliger  un  citoyen  à  obéir  à  un  autre  citoyen  qui 
hier  étoit  fon  égal ,  &  qu'il  doit  confidérer  aujourd'hui  prefque  comme 
fon  Souverain.  Les  honneurs  dont  chaque  Magiilrat  jouit,  lui  fervent, 
d'ailleurs,  de  récompenfe  principale,  pour  toutes  \ts  peines  qu'il'fe  donne 
en  faveur  de  la  République,  qui  communément  n'accorde  à  fes  chefs  que 
de  modiques  falaires  ,  au-lieu  que  les  Souverains  &  leurs  Miniftres  fonc 
toujours  bien  payés.  Il  efl  très-important  aufïi  d'obferver  une  jufle  grada- 
tion dans  les  honneurs  que  l'on  fait  rendre  à  Chaque  ordre  de  la  Magif^ 
trature,  pour  conferver  toujours  non-feulement  la  fubordination  fi  nécef- 
faire  dans  la  fociété ,  mais  auffi  l'émulation  parmi  les  membres  du  gou- 
vernement, &  le  défir  de  monter  à  de  plus  grands  honneurs  à  force  de 
travaux  &  de  mérite. 


iZz  C  E  R  M  E  N  A  T,     (Jcan-Picm)    CÉSAR. 

11  y  a  deux  écucils  à  éviter  à  l'égard  du  Cérémonial  :  le  trop  grand  faftt 
qui  reflemble  trop  à  la  pompe  théâtrale,  &  la  trop  grande  umplicicéqui 
conduit  au  mépris  &  à  la  balTefle.  Voilà  la  règle  générale,  applicable  à 
tous  les  Etats. 


■ 

m 


CERMENAT,  (  Jean-Pierre  )  Auteur  politique. 

.1  E  AN-PIERRE   CERMENAT,  Milanois,  a  fait  un  Livre  qui  a 

^  pour  titre  :  Rjpjhdia  Jo.  Pétri  Cermenati  de  reàâ  Regnorum  ac  Rerum 
publicarum  adminifiratione  j  deque  Frincipum  moribus  ex  optimis  quibuf^ 
que ,  cùm  facris  tum  profanis  autoribus  colleâa.  Lugduni  ad  injiçne  Sala^ 
mandrœ  j   apud  Ludovic um    &    Carolum    Penot  Praires    1561  ,  i/i-it« 
L'ouvrage ,  dédié  à  Jacobo   Rappio   Cômbrajo ,   Maître  des   Requêtes   &^ 
AmbalTadeur  de  France  chez  les  Grifons,  eft  divifé  en  :)8  Chapitres,  01 
PAuteur  traité  du  refpeft  pour  la  Divinité ,  de  celui  pour  le  Prince ,  d( 
diverfes  efpeces  de  Magiftrats,  de  la  conduite  que  doit  tenir  le  Prince  ^  d( 
qualités  néceflaires  aux  Ambafladeurs  ;  mais  tout  cela    eft  examiné  foi 
fuperficîellemcnt  &  fort  imparfaitement.   Ce  Livre  a  été  traduit  du 
en   François  fous  ce   titre  :  i>   Difcours   de    la   droite  adminiftration 
D  Royaumes  &  Républiques ,  extrait  de  la  Rapfodie  du  S.  J.  P.  Cermenat^     -t 
yi  Milanais,  a  Lyon ,  chez  les  mêmes  Libraires,  la  même  année  1 56 1 ,  io-4*»-^^* 
Cette  Traduâion  eft  de  G.  Gueroult,   qui  Ta   dédiée  aux  Echevins 
Confeillers  de  la  Cité  de  Lyon. 


j 
d 


CÉSAR,   furnom  particulier  à   la  famille  des  JuUs   dans 

tancienne  Rome. 

jLrfE  premier  de  cette  famille  que  Ton  trouve  avoir  porté  ce  furnom,. 
elt  Sextus  Julius  Céfar,  qui  fut  Préteur  l'an  de  Rome  544. 

C.  Jules  Céfar  a  rendu  ce  furnom  le  plus  illuftre  de  Punivers  ;  &  il  a 
été  long-temps  employé  chez  les  Romains,  pour  (ignifier  l'héritier  pré- 
fomptif  ou  défigné  à  l'Empire ,  comme  Peft  aujourd'hui  le  titre  de  Roi 
des  Romains  dans  l'Empire  d'Allemagne.  Ainfi  Confiance  Chlore  &  Galère 
furent  proclamés  Céfars  par  Dioclétien  &  Maximien  ;  Licinus ,  par  Galé- 
rius  ;  Conflantin-le-Grand ,  par  Conftantius  ;  Conftantin  le  jeune  ,  Conf* 
tantius  &  Conflans,  par  Conftantin,  leur  pere^  Junius  Gallus  &  Julien  | 
par  Conftantius. 

Les  Céfars  étoient  des  efpeces  d'adjoints  ou  affociés  à  l'Empire ,  parii-^ 
cipes  ImperiL  Jls  portoient  le  manteau  Impérial,  la  poturpre  &  le  diadème» 


C    É    3    A    R.  183 

£1  marchoieat  arec  toutes  les  autres  marques  de  la  dîgnitë  (buveraiue. 
Ils  étotent  créés  Céfars  comme  les  Empereurs ,  par  l'éndofTemenc  dé  la 
robe  de  pourpre. 

la  Dacure  de  TEmpire  des  Céfars  étoit  la   même  que  celle  des  com^- 
mandemens.   Ces  commandemens ,  avant  la  création  des  Céfars ,  furent 
décernés  extraordinairemént  à  un  Magiftrat  ou  à  un  particulier ,  félon  qu6 
le  befoin  de  l'Etat  le  demandoit.    Tel  fut  TEmpire   qu'Augufte  ^  tige  de 
tous  les  Céfars,  fe  fit  conférer  par  le  peuple ,  d'abord  pour  cinq  ans  ,  de 
peur  d'être  foupçonné,  comme  les  autres  Triumvirs,  d'afpirer  à  la  Royauté; 
enfuite^  pour  dix  ^  fous  prétexte  de  pacifier  les  provinces  ;  &  il  fe  le  con^- 
tinua  par  ce  moyen ,  toute  fa  vie.   Ce  fiit  de  cette  manière ,  qu'il  le  fît 
paflèr  à  fes  fucceifeurs.  Eux  ne  voulant  pas  paroitre  s'arroger  plus  que  lui  ^ 
conferverent  les  jeux  décennaux,  &  firent  femblant ,  comme  ce  Prince^ 
de  redemander  l'Empire  par  intervalles.  Long- temps  auparavant,  la  Ré- 
publique avoit  donné  des  exemples  de  cette  puifTance  extraordinaire,  dans 
la  perfonne  d'Oâave  même,  que   le  peuple  difpenfa  des  loix  à  caufè  de 
Ton  extrême  jeuneffe ,  &  que  le  Sénat ,  de  l'avis  de  Cicéron ,  envoya  en 
qualité  de  pro-Préteur,  &  créa  Général  contre  Antoine.   Il  en  avoit  aufli 
donné  un  exemple  dans  la  perfonne  de  Cn.  Pompée,  créé  pro-Conful  dans 
la  guerre  contre  Sertorius»  dans  celle  des  Pirates,  &   lorsqu'il  fallut  ap«- 
provifionner  Rome  de  grains.  Il  en  avoit  enfin  donné  des  exemples  dans 
la  perfonne  de  Céfar ,  pour  la  guerre  des  Gaules ,  dans  la  perfonne  de  Sci- 
pion,  pour  la  guerre  d'Efpagne,  &  dans  celle  d'autres.  On  joignoit  tou- 
jours à  l'Empire  les  Magiflratures  ;  parce  que  l'Empire  feul  ne  donnoit  de 
pouvoir  que  fur  les  foldats,  liés  aux  Généraux  par  le  ferment;  &  parce 
que  les  magiftratures,  par  exemple ,  la  pro-préture  ou  le  pro-confulat ,  don- 
Jioient  à  fes  Généraux  le  pouvoir  fur  les  provinces,  à  travers  lefquelles  ils 
menoient  les  armées ,  afin  qu'ils  exerçaffent  plus  librement  leur  puiflànce 
militaire. 

Avant  les  Empereurs ,  on  ne  conféroit  qu'une  portion  de  l'Empire  mi-- 
litaire  ou  pro-confulaire ,  &  cela  pour  un  temps,  &  à  certains  citoyens. 
Quand  ils  eurent  été  établis,  on  le  leur  conféra  fans  bornes.  Dans  les 
derniers  temps ,  la  puifTance  pro-confulaire  leur  paffoit  peut-être  par  le  con- 
fentement  tacite  du  peuple  ;  pour  la  raifon  qu'ils  ne  pouvoient ,  fans  cela , 
déployer  leur  empire  militaire,  faire  la  guerre  par-tout,  convoquer  les 
aflemblées  des  provinces ,  y  lever  de  l'argent  &  des  foldats.  Mais  fous  les 
premiers  Céfars,  l'empire  militaire  &  le  pro-confulaire  étoient  diflingués 
par  le  nom,  le  temps,  les  aâes;  &  l'un  n'étoit  pas  une  fuite  de  l'autre. 
CVtoit  afin  d'empêcher  que  l'autorité  du  Sénat  ne  fût  afFoiblie ,  fi  on  ve- 
Doit  à  les  confondre ,  &  afin  que  cette  autorité ,  réitérée  par  l'adjudication 
de  deux  Empires  diflinâs ,  ^  multipliée  par  la  multiplication  dès  aâes  ^ 
parut  plus  fouvent.  Aufïî  Dion  rapporte-t-il  que  les  pouvoirs  que  les  Em- 
pereurs reçoivent  étoient  à  la  vérité  conférés  tous  à  la  fois ,  de  fon  temps  \ 


\ 


I 


184  C    É    s    A    R. 

mais  qu'aupararant  ils  ëtoieDt  conférés. ,  chacun  par  une  loi  pardctiliere. 
En  forte  que ,  d^abord  le  Sénat  montra  Ion  autorité  à  diverfes  reprifes ,  9l 
que  dans  la  fuite,  il  la  montra  toute  entière  en  une  feule  fois.  Mais  les 
|>ouvoirs  qu^il  donnoit ,  furent  toujours  dîAingués  par  les  titres ,  de  peur 
^qu^ils  ne  paruflent  aux  yeux  de  ceux  qui  ignorent  le  gouvernement^  ren- 
fermés dans  le  feul  titre  d'Empereur  ;  comme  ii  le  civil  &  le  militaire , 
les  magilbratures  &  la  dignité  de  Prince  n'eulfent  fait  qu'une  feule  &  même 
chofe. 

-  La  dignité  de  Céfar  fut  toujours  la  féconde  de  l'Empire ,  jufqu'au  temps 
d'Alexis  Comnene ,  qui  en  -revêtit  Nicéphore  de  Mélife  en  conféquence 
de  la  convention  faite  entr'eux;  &  comme  il  falloit  néceffairement  qu'il 
conférât  une  dignité  fupérieure  à  fon  frère  Ifaac ,  il  le  créa  Sébafiocrator, 
lui  donnant  en  cette  qualité  la  préféance  fur  Nicéphore ,  &  ordonna  que 
dans  toutes  les  acclamations ,  Ifaac  feroit  nonmié  le  fécond ,  &  Nicéphore- 
le  n^oifieme. 

Le  Sénat  avoir  ordonné  par  arrêt ,  que  tous  les  Empereurs ,  depuis  Cé- 
far ,  porteroient  ce  nom  dans  la  fuite  ;  mais ,  fous  fes  fuccefleurs ,  le  nom 
d'Anèufte  étant  devenu  propre  aux  Empereurs,  celui  de  Céfar  fut  commu- 
nique à  la  féconde  perfonne  de  l'Empire ,  fans  que  l'Empereur  ceflàt  pour 
cela  de  le  porter.  On  voit  par-là ,  quelle  eft  la  différence  entre  Céfar  pu« 
rement  &  unriplement,  &  Céfar  avec  l'addition  d'Empereur  Augufte. 

Depuis  Philippe  le  fils ,  les  Céfars  ajoutoient  à  leur  titre  de  Céfar  celui 
de  NobiUJftme ,  comme  il  paroit  par  plufieurs  médailles  anciennes  ;  &  les 
femmes  des  Céfars  partageoient  avec  eux  ce  dernier  titre ,  comme  celles 
des  Empereurs  portoient  le  nom  à^Augiiftes. 

'  Les  Céfars  étoient  admis  dans  l'ordre  des  Fontifef;  &  on  ne  peut  guère 
douter  qu'ils  n'y  fuflent  reçus  fur  la  feule  préfentation  de  leurs  pères ,  ou 
naturels ,  ou  adoptifs.  Cependant ,  il  paroit  que,  foit  qu^ils  fulTent  reçus 
furnuméraires ,  foit  qu'ils  remplilfent  une  place  vacante ,  pour  rendre  leur 
éleâion  plus  folemnelle ,  on  y  faifoit  intervenir  l'autorité  du  Sénat.  Ainfi  ^ 
dans  un  fragment  des  Faftes  pontificaux  ,  dont  la  copie  nous  a  été  con- 
fervée  par  Gruter ,  nous  apprenons  que  -  Néron ,  du  vivant  de  Claude , 
Titus  fous  Vefpafîen  ,  &  Caracalla ,  fous  Sévère ,  ont  tous  été  reçus  en 
vertu  d'un  Sénatus-Confulte  EX.  S.  C.  ;  ce  qui  ne  fe  rencontre  pas,  quand 
il  n'efl  quefiion  que  de  citoyens  particuliers.  On  lit  de  même  dans  Capi- 
tolin^  qu'Antonin  Pie  fit  recevoir  Marc-Aurele  dans  les  collèges  facerdo- 
taux  par  ordre  du  Sénat. 

.  Mais,  de  quelque  manière  que  les  Céfars  fuflent  admis  parmi  les  Pon- 
tifes, ils  ne  parvenoient  point  au  titre  de  Souverains  Pontifes.  On  ne  voit 
pas  que  les  Augufies  leur  aient  jamais  permis  de  prendre  ce  titre.  Du 
moins,  les  infcriptions  ne  le  leur  donnent  point.  Parmi  celles  que  le 
Cardinal  Léopold  de  Médicis  fit  apporter  d'Afrique  à  Florence,  il  y  en  a 
une  des  deux  Philippes,  &  une  autre  de  Trajan  Deçe  &  d'Hérennius 

Etrufcus. 


C    ES    A    R.    (C,  Juks)  i8$ 

:us.  La  precrtîere  donne  le  titre  de  Souverain-Pootift  à  Philippe  le 
&  la  deuxième  à  Trajan  Dece  ;  mais  elles  ne  le  donnent  ni  a  Phi« 

le  fils ,  ni  à  Hërennîus  Etrufcus ,  qui  n'étoient  que  Céfars ,  lorfqu'elles 
gravées;   Pour  les  nrédailles ,  il  n'y  en  a  qu'une   feule   qu'on  pûc 

objeâer.  Elle  eft  dans  la  fuite  d'argent  du  P.  Chamillard  ;  &  on  y 
côté  de  la  tête,   Q.  HE.  ETRUS.  ME.  DECIUS.    NO.   C.   au 

,  P.  M.  TR.  :P.  //.  CONS.  II.  Mais,  comme  cette  médaille  eft 


itiment. 


refte^  les  Céfars  étoient  égaux  en  dignité  ;  mais  leurs  rangs 
t  réglés  ;  c'eft-à-dire ,  quHl  y  avoic  parmi  eux  primauté  de  rang 
lo'nneur. 


>  A  R  ,  (  C.  Jules  )  Premier  Empereur  Romain  ,  fils  de  Julius 
'^efar  &  (TAurélie^  né  à  Rome  Van  ^q  avant  Père  Chrétienne. 

S  S  A  R  avoir  la  taille  avantageufe ,  les  yeux  vifs ,  une  phyfionomte 
ife  &  inréreflante  y  une  politeffe  &  des  grâces  naturelles.  Il  étoic 
iyÇareflant,  traitant  fes  égaux  avec  dignité,  &  fts  inférieurs  avec 
;  il  étoic  libéral ,  &  favoit  faire  des  largeffes  à  propos/  Il  avoir  en* 
m  génie  pénétrant,  un  jugement  exquis,  des  vues  profondes,  Tame 
de  au  milieu  des  plui  grands  dangers  ;  qualités  qui,  lui  difant  qu^il 
lé  pour  commander ,  furent  le  germe  de  cette  ambition  qui  le  porta 
endre  maître^  abfolu  de  la  République. 

l'avoit  pas  encore  vingt  ans ,  qu'il  eut  la  hardieffe  de  réfiftèr  à  Sylla, 
»mme  cruel  qui  avoir  rempli  Rome  de  meurtres  par  fes  profcrip* 
<&  l'avoit  gouvernée  defpotiquement.  Céfar  avoir  époufé  Cornelie^ 
e  Cinna,  le  plus  grand  ennemi  de  ce  Diâateur  :  celui-ci  voulue 
er  de  la  répudier.  Le  jeune  Romain  indigné  d'un  ordre  (i  tyranni- 
ftifa  de  Uii  obéir.  6ylla  irrité  le  mit  au  nombre  des  profcrits.  Obligé 
cacher .  il  , n'obtint  fa  grâce  qu'aux  prières  inftantes  des  amis  du 
eur,  qui  en  la  leur  accordant,  s'écria,  qu'il  reconnoiflbit  dans  ce 


fur  la  brèche,  &  avoit  été  honoré  d'une  couronne  civique, 
es  la  mort!  de>Sylla  il  revint  à  Rome  dans /le  deffein  de  briguer  les 
les  plus'  honorables.  Comme  le  chemin  ordinaire  pour  y  arriver 
e  talent  de  l'élo<|ueniçe ,  il  en  fit  une  étude  particulière^  &  mérita 
\e  XI.  A  a 


( 


\i6  '   CES  A  R*    (  C.  Juiu  )  ' 

biencôc  (fStre  mU  dans  le  mêine  raog  cpk  renoiciït  âttfrs  Cicéroti ,  Hor^ 
tenfiu^  Si  Craflus.  Ce  fîit  dans  ce  temps^là  qu'ayant  voulu  faire  un  voyage 
en  Grèce»  il  fit  connoître  dans  le  péril  où  il  fe  trouva  toute  la  grandeur 
d^une  ame  deftinëe  à  donner  la  loi  aux  autres.  Le  vaiflèau  fur  lequel  9 
montoit  ayant  été  pris. par  des  Pirates,  ceux-ci  voyant  dans  la  phyiîono- 
8iie  du  jeune  Romain  un  air  de  nobkfTe  oui  dëhotoît'fa  naiflànce  &  fbtt 
rang  »  lui  demandèrent  vingt  talens  pour  ïa  rançon  :  Cé&r  leur  die  fl'uit 
air  moqueur  Nou'ils  ne  favoienc  pas  leur  métief  ,^  ftj<Aitan€  quHI  Vonloic 
payer  plus  genéreufement  la  gloire  qu^ils  avoient  eue  de  furprendre  uif 
homme  tel  que  lui ,  il  leur  promit  cinquante  talens.  Obligé ,  en  attendant 
le  retour  de  fes  efclaves  qu'il  avoir  envoyés  chercher  fa  ran<dti,  de  de* 
ateurer  quarante  jours  en  la  compagnie  de  ces  Pirates ,  il  leur  infpira  un 
fi  grand  refpeâ  pour  (à  perfonne ,  qu'ils  le  regardoient  comme  leur  mal* 
tre  :  ils  lui  obéiflbient  en  tout ,  &  lorfqu'il  vouloir  fe  repofer ,  s'ib  fat* 
foient  trop  de  bruit,  il  leur  envoyoit  dire  de  fe  taire;  s'ils  fiiifoient  quel- 
que  aâion  d'inhumanité^  il  les  menaçoit  de  les  en  punir.  Sa  rançon  efant- 
arrivée ,  il  leur  paya  les  cinquante  talens  :  mais  à  peine  fut-il  forri  de 
leurs  mains ,  qu'il  arma  plufieurs  vaifièaux ,  attaqua  les  Pirates ,  les  prit , 
en  fit.  pendre  une  partie,  fit  vendre  les  autres,  oc  s'empara  de  leur  butin^ 


A. 


Elévation  de  Juks  Céfar. 


^ Rrivé  à  l'âge  où  il  pouvoît  pofiëder  les  charges  publiques;  la  pre-^ 

miere  qu'il  obtint  fiit  celle  de  Tribun  Militaire  ;  il  commença  à  fè  nire 
connoître  des  Citoyens  dans  cet  emploi,  &  il  acquit  tellement  leut  efli* 
me ,  qu'ayant  enfuite  demandé  la  Quefture ,  il  fut  élu  préférablement  %  fes 
compétiteurs.  Peu  de  temps  après  il  obtint  celle  d'Edile^  ëc  eomme  en 
cette  qualité  il  falloit  donner  des  jeux  Se  des  fpcâacles ,  Céfar  furpaifa , 
par  fa  dépenfe,  ceux  qui  l'avotent  précédé.  Pour  gagner  les  bonnes  grac'es 
des  Romains ,  il  fit  faire ,  avec  beaucoup  de  magnificence ,  les  images  de- 
Marins,  que  Sylla  avoit  fait  abattre.  C'étoit  plaire  beaucoup  au  peuple 
qui  chériflbit  la  mémoire  de  Marius,  cet  implacable  ennemi  déclaré  de  la 
Noblefle.  Céfar  en  fit  l'éloge  à  l'occafion  de  celui  de  Julie ,  veuve  de  Ma- 
rius. Ainfi  il  gagna  tellement  la  bienveillance  du  peuple,  qu'il  en  obtint 
les  fuffrages  dans  toutes  les  occafions  ;  en  un  mot  ;  il  fit  voir  ou'il  vou- 
loit  s'élever  par  fa  feule  feveur  aux  premières  Charges  de  U^épubliqne. 

Lorfqu'it  fiit  k  la  fleur  de  A>n  âge ,  il  demanda  la  charge  de  Souverain 
Pontifia,  charge  qui  avoit  la  prérogative  de  pouvoir  être  exercée  toute  la 
vie ,  &  il  l'obtint  malgré  la  brigue  des  plus  grands*  de  Rome.  Bientôt 
après  il  fiit  fait  Préteur,  fi>n£Hon  très-honorable,  car  celui  qui  en  étoit  re- 
vêtu étoit  regardé  comme  le  gouverneur  de  la  ville ,  &  il  y  commandoir 
en  l'abfence  des  Confuls. 

Cependant  les  Nobles ,  s'apperoevant  des  deflfeins  ambitieux  de  Céfar ,  fe- 


C  ES  A>  R.    {\C,fùUs  X  %%j 


t)gu0rcffictie0éére  3uiV&  loi  fwsqrterem  lés  pluf  grands  coiip&  Il  ne  poai^oit 
fti«iq«erd^4<n»  retiverfë,  tHX  n^avotc  pas  eu  mi  gàiîè  autB  ferme  &  auffi 
Hmni  m  j^dfeurces*  Mari ,  an  milieo  ^  cet  orage,  perfonae  ne  fut  miet» 
modérer  fim  rei&ntîmetit  itootre  eeox  même  qu?tl  pouvott  perdre.  Cefl 
^et  empiiie  ^'it  fut  prendre  fur  ht^méme,  qut  fiit  tou)oars  fa  règle,  & 
f|m  enftn^le  iRt' parvenir  au  ferme.de  fesi  dairs  :  c'eil  aii^  qu^l  £e  ma 
de  Fafbire  qufoin;lui  fbfcka  lors  delà  convocation  de  Catilioa,  dans  la^ 
quelle  oa^  à^oit  voulu  l'impliquer. 


avoir 


Mique,  &  eeiuf- cri  voulut  bien  Te;  rendre  'pour  lui  caution  de  deux  mil- 
lions. On  rapporte»^ que ^  4ans  fon  voyage  pour  fè  rendue  en  cette  provin** 
ce ,  &  pafiànt  dainsi  une  petiie  ville  afiez  mal  peuplée  »  ceux  de  fes  ami^ 
^ui  Taccompagiioietit  »  lui  dirent  en  rians  »  qu'il,  àe  pouvoic  pas  y  avoir 
de  brigues  ponr  les  charges  dan»  nne  pareifle  bicoque  »  Pourquoi  non  ) 
»  répondit  Céfar  :~poar  itior,  je  iâb  bien  que  j'aunerois  mietijo  être  le 
»  premier  dam^cetié  'petite  viÉe^  ^ue  le  fécond  à  Rome,  «  Pendant  le 

Cu  de  temps. qu^itfot  dams  Je  Gouivernement ,.  ti  acheva  de  foumeUre  la 
i£tanie,  &  }»  autres  peuples  de  l^extrémicé  de  rEfpagneu  Delietour  à 
Rome,  it  fe  mit  au  railg  des  prétendans  au  Con&iiatL  !         - 

r  •  •  •  * 

•  '  t  ■ 

Il  forme  le  Triumvirat. 

X^Omp^B  St  Craffus  étoient  alors  les  Citoyens  les  plus  poiffans  de  I4  R^ 
pubtlqne.  Le  premier  brîHoit  par  L'éclat  tout  récent  de  fes  viâoires ,  &  CralTus 
par  rimmeomé  de  fes  richeflfes  *^  mais  la  faloufie  les  avoittrendu  ennfemik 
depuis  tong^cemps.  Célkr  réfolutde  les!  réconcilier;  &  ce  fut  fur  ceete.ré* 
conctlii^iion  qu'il  concerta  le  plan  de  fa  propre  ékvatioo*  Il  vint  à  bout 
de  fon  deflëin  par  la  force  de  fes  néroas  qui  éroienjt  prifes  de  leuc  nropre 
intérêt ,  &  qu'il  leur  fit  fentir.  Ce  fut  ainn  qu'il  ferma  avec  eux  le  fameut 
THumvirat  qui  les  rendk  tous  trois  maltrer  de  la  République.  Le  premier 
fhiit  de  cette  ligue  fut  fon  éleâion  au  Confulat  :  bientôt  i{  rappella  à  lui 
feul  toute  l'autorité  ;  fon  génie  fupérieur  à  celui  de  fes  collègues  lui  en  fuif- 
eita  les  mtfyens  ;  &  infenfîblement  il  prit  uh  tel  afcendant  fur  (es  conci- 
toyens, que  perfonne  n'ofa  plus  lui  réfifier.  S'étant  apperçu  que  Cicéron, 


propofer  la  loi  agraire 
aux  pauvres  citoyens.^,  tentative  qui  avoit  coûté  la  vie  aux  Gracques;  £t  il 

Aa  2 


I 


OÉS  A  R.    <  C  JuUs) 


la  fit  approuver  ptr  le  peuple  /  malgré  Poppofîtiob  de  là  Noblefle,-  Voyant 
fon  crédit  s'affisrmir  de  plus  en  plus ,  il  fe  m  décerner  pour  cinq  ans  le  goa« 
vernement  de  la  Gaule.  Ses  vues  étoient  de  faire  voir  qu'il  n'étoit  pas  mpint 
habile  que  Pompée  dans  le  métier  de  la  guerre,  &  qu'il  pouvoit  conmic 
lui  s'illuftrer  par  des  conquêtes.  Mais  fbn  deffein  étoit  encore  de  trouver 
des  occafions  d'amafler  des  richefles,  de  s'attacher  les  fdfdars  par  degrfin^ 
des  largefles ,  d'avoir  ainfi  une  armée  à  fa  difoofition,  qui  fût  moins  celle 
de  la  République  que  la  fienne  propre ,  pour  fubjuguer  enfùitç  fa  patrie. 

Guerre  des  Gaules. 

T 

XyEs  Romains  poffédoient  alors  dans  les^  Gaules  6ette>  partie  de  Htalie 
qui  compofe  aujourd'hui  l'Etat  de  Gènes ,  le  Piémont^  leMilaoois,  ta  Lom^ 
bardie.  Ils  a] — "-' ^    r^^-f-  r^ir^t^z —  ti iriA^i i^ 

Savoie ,  la  Pn 

cherchoit  qu'une  occalion*  de  taîre  la  guerre 


che  ,.Céfar  partit  en  diligence  pour  s'oppofer  à  leur  paflàgcL  Ainfi  fa  pre^ 
miere  expédition  fut  contre  lesSuifles  :  ces  peuples  ft  défèndireitf  avec  beau- 
coup de  valeur,  &  ce  ne  fut  qu'après  un  fanglant  combat  qu'il  défît  leur 
armée,  quoique  très-nombreufe.  Sa  féconde  expédition  fut  contre  les  Ger- 


remporta  une  grande 
fur  les  Germains  ;  &  ce  /ut  dans  tme  feule  campagne  qu'il  termina  ces  deux 
ffuerres.  Enfuite ,  il  (e  rendit  dans  la  Lombardie ,  pour  y  paffer  l'hiver  & 
lever  des  troupes.  Là ,  comme  il  n'étoit  pas  loin  de  Rome ,  il  étmt  à  por^ 
tée  de  favoir  ce  qui  s'y  paffoit.  Son  grand  but  étoit  de  pouvoir  conferver 
fon  Gouvernement,  &  d'ëmpécher  qu'on  ne  lui  donnât  un  fuccefleur  qui 
viendrait  lui  enlever  la  gloire  de  fes  travaux  :  il  ne  vouloit  pas  revenir  à 
Rome  en  (impie  particulier ,  mais  devenu-^  afiez  puiflant  pour  y  donner 
la  loi. 


mains 

campagne  ;  mais  raute  û^avoir  tait  des  pi 

Céfar  inftruit  de  leur  route  les  pourfuivit ,  &  les  ayant  atteint  il  tomba  fur 

leur  arriere-garde  &  en  fit  un  grand  carnage.  Enfuite  il  fit  le  fiege  de  Soif- 


■«■««i 


W  Provinces  jjuî  font  dans. le  milieu  de  la  France. 

W  Aujourd'hui  la  Champagne»  la  Lorraine ,  &  les  Pays  fur  le  Rhin* 


CÉSAR.    (  C  Jutes  )  ig^ 

ISmis  :  les  hâbitans  étonnés  de  la  hauteur  des  machines  des  Romains,  fe 
rendirent  :  les  peuples  de  Beauvais  &  d'Amiens  n^ayanc  pas  ofé  éprouver  fe^ 
nrmes,  fe  rangèrent  auffî  fous  fon  obéiflance. 

De- là  il  marcha  contre  les  Nervien$  (a)  y  peuple  belliqueux  :  ceux-ci 
ie  défendirent  avec  la  plus  grande  valeur  contre  les  légions  Romaines ,  & 
lurent  fur  le  point  de  les  mettre  en  déroute.  Mais  Céfar  ayant  rétabli  le 
combat ,  fes  troupes  furent  en  état  de  mettre  en  fuite  ces  peuples.  Cette 
aâion  fut  la  plus  périlleufe  de  toutes  celles  que  les  Romains  eurent  à  fou- 
tenir  dans  les  Gaules  ;  &  s'ils  arrachèrent  la  viâoire  à  Tennemi ,  ils  en 
furent  redevables  à  leur  expérience  dans  l'art  militaire  «  à  leur  fermeté  & 
ii  l'habileté  de  Céfar.  Enfuite  il  forma  le  fîege  de  Namur.  Les  hâbitans  eF- 
fi-ayés  de  toutes  les  machines  que  les  Romains  élevoient ,  fe  rendirent  & 
ouvrirent  leurs  portes  ;  mais  ayant  voulu  ufer  de  trahifon  pendant  la  nuit, 
la  ville  fut  mife  au  pillage  &  une  grande  partie  des  hâbitans  paflée  au  fil 
de  l'épée.  La  réputation  de  Céfar  s'étant  étendue  au-delà  du  Rhin ,  les 
peuples  de  ces  Contrées  lui  envoyèrent  des  Ambaffadeurs  pour  fe  ranger 
tous  fon  obéiflance. 

Etant  venu  paflèr  fon  quartier  d'hiver  à  Lucques  ^  il  envoyoit  à  Rome 
des  officiers  &  des  fbldats  qui  ^ifoient  des  éloges  extraordinaires  de  fès 
viâoires  ;  leur  récit  enflammoit  le  courage  de  la  jeune  nobleffe,  qui  ne 
demandoit  pas  mieux  que  d'aller  cueillir  des  lauriers  fous  les  ordres  d'un 
tel  Général  :  fes  amis  de  Rome  le  venoient  trouver  ^  il  les  recevoit  ma- 
gnifiquement ,  il  leur  faiibit  des  préfens  ^  leur  ofFroit  fa  bourfe.  Quantité  de 
Sénateurs  s'y  rendirent.  En  un  mot ,  Céfar ,  félicité  fur  fes  exploits  &  ho- 
noré de  tous  les  Romains,  voyoit  autour  de  lui  comme  une  cour,  &  goil- 
toit  d'avance  les  honneurs  de  la  Souveraineté. 

Il  avoir  alors  foumis  les  Belges ,  &  chaiTé  les  Germains  au-delà  du  Rhin. 
De  retour  dans  les  Gaules ,  il  apprit  que  les  Bretons  vouloient  fe  (buftraire 
à  la  domination  des  Romains,  a  qui  ils  payoient  un  tribut.  Comme  la 
ville  de  Vannes  étoit  la  pliis  puiflante  de  cette  Province ,  &  s'étoit  rendue 
la  maltrefle  de  tous  les  ports ,  Céfar  fit  conftruire  une  flotte  qui  navigeoit 
liir  les  bords  de  la  Loire.  Le  jeune  Brunis  ftit  chargé  de  cette  expédition. 
Il  vint  à  bout  de  réduire  ces  peuples  &  il  eut  toute  la  gloire  de  cette  vic- 
toire. Labienus ,  le  plus  célèbre  de  fes  Lieutenans ,  défît  à  Trêves  un  corps 
de  Germains.  Sabinus  battit  les  peuples  du  Mans  &  d'Evreux.  Le  jeune 
Craflus ,  qui  commandoit  en  Aquitaine ,  fe  rendit  maître  de  cette  Province  ; 
&  ces  trois  Romains ,  qui  agiflbient  fous  les  ordres  de  Céfar ,  fécondè- 
rent fi  bien  fes  deffeins,  qu'ils  partagèrent  avec  lui  la  gloire  de  cette 
campagne. 

L'année  fuivante,   Céfar,  appuyé  du  crédit  de  Pompéç^&  de  CrafTus^ 


{m)  Peuples  du  Catnbrefis» 


â 


ebdoc ,  malgré  les  dibri r  de  tes  ennanU ,  q^  ion  gbuveraehiént  filkt  «pm 
lofigé  pour  cinq  ans.  Eofiftce  il  eut  à  foutentr  une^gueinre  cootre  ploueurs 
peuples  de  Germains ,  &  il  la  termina  avec  antanr  de  liooheur  que  de  £» 
ctiité.  Pour  contenir  cette  nation ,  il  rëfokt  4e  palTer  le  Rhin ,  &  vint  k 
bout  en  dix  jours  de  conftruire  un  pont  fur  ce  fleuve  rapide  :îl  y  fit  pafTer 
fon  armëe«  Après  avoir  fait  le  dégât  dans  les  campagnes,  brûlé  tous  les 
villages  des  Sicambres  Se  des  Ufipetes ,  &  jette  la  terreur  parmi  ces  pepr 
pies  )  il  rentra  dans  la  Gaule.  Ce  fut  alors  mi'il  voulue  exécuter  le  profec 
qu^il  avoit  formé  de  faire  une  deicente  dans  la  Grande-Bretagne. 

Céfar  fe  rend  à  Boulogne,  it  y  fornnre  ime  fiotte  de  quatre-vingts  voiles 
pour  tranfporter  les  légions  {a)  y  &  fait  conftruire  dix-huit  gros  vaîfTéauz 
pour  embarquer  fa  cavalerie.  Il  Ëiit  fa  defceore ,  trouve  les  AngIcMs  rairgés 
en  bataille ,  il  les  attaque,  les  met  ai' fuite.  Une  tempête  brife  une  partie 
des  vaifleaux  Romains  :  il  fè  trouve  fans  vivres  :  fon  génie  fécond  en  ref- 
Ibucces  répare  ce  malheur  ;  il  fe  voit  bientôt  en  état  de  livrer  bataille  aux 
ennemis ,  il  les  met  en  déroute ,  les  réduit  à  lut  demander  la  paix ,  repaile 
la  mer,  &  arrive  heureufement  à  Boulogne. 

L'année  fuivante ,  Céfar ,  après  avoir  fait  conflaruire  plus  de  fix  centi  vai(^ 
feaux,  fit  une  féconde  deicente  dans  la  Grande-Bretagne  avec  fix  légions 
&  huit  cents  chevaux.  Les  Barbares  attaquèrent  les  Romains,  &  il  y  eut  di« 
vers  combats  ;  mais ,  dans  le  dernier ,  ayant  été  défaits  avec  beaucoup  de 
perte^ ,  ils   n'attaquèrent  plus  les^  Romains^  avec  toutes  leurs  forces  ^  ils  fe 
contentèrent  de  harceler  &  de  à*ainer  la  guerre  en  longueur.  Céfar  s'avança 
dans  la  Province  de  Kent,  attaqua  une  place  trés-fortifiée ,  &  vi«  à  bout 
de  la  prendre.  Il  fournit  enfliite  divers  peuples  ,  leur  fit  doniier  des  otages , 
leur  impofa  un  tribut.  Cependant,  comme  il  craignoît  de  nouveaux  mou^ 
vemens  dans  les  Gaules  ,  il  embarqua  fes  légions  ck  revint  à  Boulogne  avec 
la  gloire  d'avoir  été  le  premier  des   Romains  qui  eAt  pénétré  dans  cette 
Ifle.  Il  mit  aufli-tôt  fes  troupes  en  quartier  d^'hiver,  &  il  éloigna  fes  lé- 
gions les  unes  des  autres,  ann  qu'elles  pulfent  fubfifter  plus  facilement. 
Pendant  qu'il  parcouroit  les  différentes  villes  des  Gaules ,  Sabinus  &  Cotta. 
•qui  commandoient  une  légion  dans  le  pays  de  Liège ,  furent  tout  à^ua  coup 
attaqués  par  les  peuples  de  cette  Contrée,  qui  avoiem  à  leur  tête  Indu- 
eiomare,  &  furent  défaits  avec  la  plus  grande  partie  de  la  légion.  Anv- 
biorix ,  qui  avoit  remporte  la  vîâoire ,  fe  rend  dans  le  Hainault ,  eaihort^ 
les  peuples  à  fe  délivrer  de  la  nation  Romaine  :  il  perfuade  à  ceux  de  Canp- 
bray  d'opprimer  la  légion  qui   étoit  en  quartier  d'hiver  dans  leur  caatoiL 
(bus  les-  ordres  d^  Quintus  Cicéron.  Les  peuples  prennent  les  armes ,  attan- 
auent  le  camp  des  Romains  &  veulent  forcer  les  retranchemens ,  &  ceux*cL 
<fe  défèndemSftvQc  la  plus  grande  vigueur.  Cependant  L'attaque  devenoic  d^ 


{a)  Une  légion  avec  fa  cavalerie,  compofoit  fix  mille  trois  cents  hOAmes. 


C  É  s  À  R.    (C  Jules)  ICI 

|our  en  jour  plus  opiniâtre;  mais  Céfar  ayant  fû  ce  qui  fe  paflbit,  vint 
&  grandes  journées  avec  fa  cavalerie  au  fecours  de  Quintus.  Aufli-tôt  les 
Gaulois  abandonnent  le  fiege  &  vont  au-devant  de  lui  avec  toutes  leurs 
troupes.  Leur  armée. étoit  torte  de  plus  de  Ibixante  mille  hommes.  Céfar 
avoit  déjà  a(fîs  fon  camp ,  &  après  s'y  être  fortifié  ^  il  afFeâa  de  n'ofer  en 
fortir.  Mais  au  moment  qu'il  vit  les  ennemis  moins  fur  leurs  gardes ,  il  fit 
fortir  fa  cavalerie  par  toutes  les  portes  du  camp ,  fit  une  irruption  fur  eux 
avec  tant  de  vigueur,  qu'il  en  tua  une  grande  partie,  diilipa  les  autres,. 
&  s'empara  de  leur  camp.  Après  cette  expédition  »  il  renvoya  fes  troupes 
dans  leurs  quartiers ,  &  paffa  l'hiver  dans  les  Gaules ,  de  peur  de  quelque 
iiouveau  mouvement.  Ce  fut  dans  cette  même  année  que  mourut  fa  fille 
7ufie ,  femme  de  Pompée.  Cette  mort  rompit  les  liens  de  l'amitié  qui  régnoit 
entre  lui  &  ce  célèbre  Homain. 

Les  prétentions  de  Céfar  étoient  alors,  non  d^étre  (ait  ConfuI ,  maîtf 
d^obtenir  la  permiflion  de  demander  le  Confulat,  quand  il  feroit  temps  ^ 
fans  être  préfent  lui-même  fur  les  lieux  ,  ce  qui  étoit  contre  les  loix^ 
afin  de  pafter  du  commandement  des  armées  &  un  fécond  Confulat.  C'eil 
cette  diipenfe  qu'il  demandoit  qui  fit  tant  de  bruit  i  Rome.  Néanmoins 
elle  pafTa,  malgré  les  oppofitions  de  Caton,  parce  que  Céfar  avoit  trouve 
le  moyen  de  gagner  lès  Tribuns  du  peuple;  mats  tout  le  monde  convint 
que  Pompée ,  qui  étoit  alors  Conful ,  &  dont  le  parti  étoit  même  le  plus 
puiffant ,  fit  une  grande  faute  de  ne  pas  s'y  oppoler. 

Cependant  les  Gaulois  fe  préparoient  à  une  révolte  générale.  VercTnge- 
torix,  un  de  leurs  chefs  les  plus  accrédités,  &  qui  n'avoir  pas  moins  de 
courage  que  d'ambition,  fut  élu  Généraliflime  de  la  ligue,  fouleva  les  Ar^ 
vemiens,  &  s'empara  de  Gergovie  ville  dans  l'Auvergne.  Céfar  n'eut  pas 
plutôt  appris  ce  foulevement ,  qu'il  fe  mit  en  marche.  Il  traverfa  les  mon- 
tagnes des  Cévennes  au-milieu  de  l'hiver»  il  fit  le  fieje  d'Avaricum  dans 
le  Berry,  oii  (es  troupes  eurent  beaucoup  à  fouf&ir;  &  malgré  la  vigou- 
reufe  réfiflance  des  affîégés,  il  fe  rendit  maître  de  cette  ville.  Delà  il  en« 
gagea  un  combat  de  cavalerie  contre  Vercingetorix.  L'aéHon  fut  rude  Se 
dangereufe,  même  pour  Céfar;  car,  félon  Plutarque,  il  penfa  y  être  pris^ 
mais  ï  l'aide  des  Germains  il  mit  en  déroute  la  Cavalerie  Gauloife,  £c 
Vercingetorix  voyant  fes  troupes  défaites ,  fut  obligé  de  fe  retirer  fous  les 
murs  de  la  ville  d'Alife. 

Céfar  entreprit  d'afliéger  cette  ville  fituée  fur  une  montagne  :  ce  fiege 
efl  l'événement  le  plus  mémorable  de  toutes  les  guerres  qu'il  fit  dans  les 
Gaules.  Il  forma  une  ligne  de  contrevallation,  dans  laquelle  il  enferma  la 
ville  &  le  camp  des  Gaulois.  Ce  fut  envain  que  Vercingetorix  raffembla 
une  armée  de  toute  la  Gaule  qui  vint  au  fecours  de  la  place ,  Céfar  de- 
meura vainqueur  dans  trois  combats  confécutifs.  L'armée  Gauloife  fe  diflî- 
pa  :  les  habitans  d'Alife  fe  virent  obligés  d'ouvrir  leurs  portes  au  vain- 
queur. Vercingetorix  vint  implorer  fa  miféricorde^  mais  il  6it  retenu 
pifoBoier. 


I 


192  CÉSAR.    (  C  Jiil4s) 

Eofuite  Céfar  fie  la  guerre  dans  le  pays  des  Bitoriges,  des  Camates; 
des  Bellovaques,  &  fournit  ces  peuples.  Ëofin  il  vint  à  bout  de  pacifier 
la  Gaule  en  mêlant  la  douceur  &'  la  clémence  à  la  fprc«  des  armes  ;  &  il 
employa  la  neuvième  année  de  fon  gouvernement-  à  calmer  les  eijprits 
des  Gaulois. 

Guerre  entre  Céfar  &  Pompée,  x 

I  ^A  vraie  caufe  de  cette  guerre  fut  l'ambition  réciproque  de  ces  deux 
Romains.  Ils  avoienc  Tun  &  l'autre  pour  objet  le  premier  rang.  Pompée, 
qui  en  écoic  en  pofleffion ,  ne  voulut  pas  en  décheoir,  &  Céfar  afpiroit  à 

y  monter.  Dans  cette  vue ,  il  prit  la  réfolution  de  ne  point  fe  delTaiflr  du 
commandement  dont  il  avoit  été  revêtu;  &  on  verra  que  cette  politique 
lui  réuflit,  mais  en  même-temps  il  travailla  à  fe  faire  par-tout  des  créa- 
tUres.  Ce  fut  envain  que  le  CunfuI  Marcellus  propofa  de  le  révoquer  :  les 
Tribuns  qu'il  avoit  déjà  mis  dans  fon  parti ,  s'oppoferent  aux  arrêtés  du 
Sénat.  II  facriiîa  une  fomme  immenfe  pour  empêcher  que  L.  Paulus  & 
Curion,  l'un  dédgné  Conful ,  &  l'autre  Tribun,  ne  lui  fuffent  contraires, 
&  n'exigea   d'eux    que  de  garder  le  £lence.   Dan»  le  fond,  les  vues  de 
Céfar  n'alloient  à  rien  moins  qu^à   fe  rendre   maître  de   la  République  ; 
mais  comme  il.  vouloir  donner  une  couleur  de  légitimité  à  fes  démarches , 
il  cherchoit  à  s'appuyer  de  l'autorité  des  loix  qu'il  faifoit  pafler,  foie   par 
l'intrigue  I  foit  en  corrompant  les  Magiftrats  par  fes  largeflès  <&  par  toutes 
fortes  de  voies  :  la  maxime  qu'il  avoit  fouvent  à  la  bouche ,  &  qu'il  avoir 
empruntée  d'Etéocle  dans  Euripide ,  le  prouve  afiez ,  fa  voir  i>  que ,  s'il  faut 
n  violer  la  juflice,  c'efl   pour  régner   qu'il  eft  beau   de  la  violer;  mais 
9  qu'en  toute  autre  matière,  on  doit  avoir  égard  à  la  probité.  '*  D'un  au* 
tre  côté,  l'attachement  que  les  peuples  d'Italie  témoignèrent  à  Pompée  , 
dans  les  réjouiflances  qu'ils  célébrèrent  à  l'occaHon  'de  fa  convalefcence 
après  une  maladie  qu'il  eut  i  Naples ,  enflèrent  tellement  le  cœur  à   ce 
Romain,  qu'il  ne  crut  pas  devoir  craindre  les  démarches  de  fon  rival  ;  & 
dans  fa  préfomption ,  il  lui  échappa  de  dire  qu'en  quelque  lieu  de  l'Italie 
qu'il  frappât  du  pied  la  terre,    il  en  fortiroît  des  légions.  Céfar,  au  con- 
traire ,  prenoit  habilement  fes  mefures.  Il  avoit  difpofé  fes  légions  de  ma- 
nière qu'elles  fuffent  prêtes  à  marcher  vers  Bome  au  premier  lignai.  Pen- 
dant ce  temps-là,  le  Sénat  exigeoit  que  Céfar  licenciât  fon  armée,  &  ce- 
lui-ci répondoit  que  Pompée  devoit  de  même  abdiquer  le  commandement. 
Ces  débats  furent  longs,  &  l'accbrd  fut  impoffîble  entre  deux  hommes  qui 
vouloient  la  guerre.   Le  Conful   Marcellus  inftruit  que   les   dix  légions  de 
Céfar  étoient  prêtes  à  paflTer  les  Alpes,  ordonna  à  Pompée  de  défendre  la 
patrie.  Dans  le  méine-remps,  Céfar  faifoit  au  Sénat  des  proportions  d'ac- 
commodement pour  parôitre   avoir   rente  toutes  les  voies  de  conciliation 
avant  que  de  recourir  à  la  force ,  mais  elles  furent  rejet tées. 

Le  Sénat  rend  un  décret  qui  ordonne  à  Céfar  de  licencier  fes  troupes, 

Maïc 


C  é  s  A  R..    (  C.  Jaks)  içj 

.  Mâft   Antoine  &  Q.  Caflnis  tous  deux  Tribuns  du  peuple ,  &  virement 
dans  les  intérêts  de  Céfar,   s'oppofent  à  ce  décret.   Us  font  menacés  des 
dernières  violences  »  ils  sVnfuient  de  nuit.  Le  Sénat  nomme  deux  fuccef- 
leurs  à  Céfar.  Celui-ci  ayant  eu  nouvelle  à  Ravenne  de  ce  qui  s'étoit  paiTé 
à  Rome,  afTembla  ce  qu'il  avoit  en  ce  moment  de  foldars,  &  les  exhorta 
à  venger  les  droits  de  la  puillance  du  Tribunat  violés  en  la  peribnne  d'An- 
toine. Animés  par  Ton  4i(cours  &  par  la  douleur  qu'il  leur  témoignoit,  ils 
lui  offrirent  leur  fecours  »  &  protégèrent  de  le  fuivre  par-tout  où  tl  vou« 
«droit  les  mener.  Ainiî,  avec  une  feule  légion,  il  ofa  commencer  la  guerre, 
&  voulut  fe  montrer  au  moinent  oii  il  n'étoit  pas  attendu.   11  avoit  d'ail- 
leurs éprouvé  que  la  célérité  lui  avoit  procuré  le  fuccés  de  Tes  entre* 
prifes.  Dans  cette  vue,  il  s'avança  vers  le  Rubicon.  Fret  à  pafTer  le  fleu* 
ve  ,  Timage  des  maux  qui  font  les  fuites  de  la  guerre  civile  fe  préfenta 
à  fon  efprif.   Il  s'arrêta  quelque  temps  fur  les  bords  :  mais  un  homme 
inconnu  ayant  paffô  dans  ce  moment  à  la  nage  à  l'autre  bord  du  fleuve 
en   fonnant   de   la  trompette ,   il  s'écria   :  n    Allons  où  nous   appellent 
»  les  préfages  des  Dieux  ,   &  l'injuflice  de  nos  ennemis  :  le  fort  en  efl 
B  jette.  " 

Céfar  pafTe  le  Rubicon ,  va  droit  à  Rimiol  &  fnrprend  cette  place»  On 
apprend  cfette  nouvelle  à  Rome ,  elle  y  jette  la  confîemation  :  on  croit 
Toir  Céfar  aux  portes.  Pompée  en  eft  fi  troublé^  qu'il  en  perd  la  tête.  Il 
s'en  fàlloit  i>eaucoup  que  les  dix  légions  fufTent  toutes  prêtes ,  comme  il 
l'avoit  promis.  On  lui  défère  néanmoins  le  commandement  :  il  prend  une 
xéfolution  défefpérée ,  abandonne  la  ville ,  &  il  efl  fuivi  des  Magiflrats  & 
de  tout  le  Sénat. 

Fendant  que  Pompée  taifoit  àc%  levées  dans  l'Italie ,  Céfar  poufToir  vive^ 

ent  la  guerre,  il  s'emparoit  de  plufieurs  place$  &  donnoit  la  chafTe  aux 

partifans  de  Pompée.  Il  affiégea  Domitius  dans  Corfinium.  ht%  habiuns  lui 
ouvrirent  leurs  portes  &  lui  livrèrent  Domitius  ,  à  qui  il  eut  la  générofité 


ment 


piacc  au  cote  ac  la  icrrc  ;  rompcc  i;raiga«iai.    puur  lui-mcinc  s  cncuii  le* 

crétement  en  Epire.  Cependant  les  Magiltrats ,  après  s^être  remis  du  trou* 
ble  où  les  avoit  jettes  la  fuite  de  Pompée ,  revinrent  à  Rome  &  reprirent 
leurs  fonâions.  Céfar  s'y  rendit  auf&*tôt ,  &  aSeâa  beaucoup  de  modéra* 
tion  dans  fes  difcours  au  Sénat  &  au  peuple  :  il  propofa  même  de  députer. 


dio  tréfbr,  &  enleva  tout  ce  qu'il  y  avoit  d'or  &  d'argent.  Bnvain  le  Tri-*, 
bun  Metellus  voulut  s'oppofer  à  une  telle  violence ,  Céfar  le  menaça  de, 
le  tuer  :  il  fallut  céder.  Enfuite ,  ayant  laiffé  Lepidus  à  Rome  pour  y  com« 
Tome  Xi.  Bb 


ty^  CES  'A.R."(C,  Juks) 

mander»  iî  diftrîbuà  des  Lîeutenans  en  fou  clôm  dafts  ritàïîc  de  dans  lit 
povinces  ,  &  fe  difpafa  à  partir  pour  rEfpâgcie. 

Guerre  (fEfpaghé. 

JLi  E  dcflein  de  Céfar  étoît  d'abattre  les  forétt  de  Pompëe  en  Efpagne^ 
oii   ce  Romain  avoit  (ept   légions  commandées  par  Afranius  &  Peereïus, 
Etant  donc  parti  de  Rome  ,   (Somme  il  approchoit  de  Marfeille  »    les  habi* 
tans  qui  étoîent  du  parti  de  Pompée  lui  fermèrent  leurs  portes.   Céfar  ff 
trouvant  offenfé  ,  fe  difpofa  à  faire  le  iiegedè  cette  ville  ;   &»  après  Va- 
voir  mi«  en  train ,  il  en  laîfla  îè  foin  à  Tretw>ttiils  ,  &  {KHirfuîvîc  fa  ramé 
en  Efpagne-  Dés  qu^il  y  fut  arrivé,  il  préftnta  la  bataille^ à  Afranitis,  mail 
cfelui^ci   ne  voulut  pas  faire  defcendre  Tes  troupes  dahs  !a  plaine.    Céfar 
voyant  qu'il  rèfufoit  le  combat,  fît  former  un  canip  à  la  vue  de  Pennemî. 
Cependant  Afranius  voulant  empêcher  que  Céfar  ne  s'emparât  d^une  hau- 
teur qui  lui  eût  coupé  la  communication  avec  la  ville  de  Lérida,  engagea 
une  aâion  qui  fut  très*vive,  &  dans  laquelle  les  troupes  de  Céftr  couru- 
rent rifque  d^étre  défaites.  Bien  plus,  les  eaux  de  la  Segre  s'étant  fort  groP* 
fiés  &  aytint  rênverfé  deux  ponts ,  Céfar  fe  vit  enfermé  entre  deuxrîvteres 
&  prête  de  manquer  de  vivres.  Uo  convoi  qui  lui  éroit  venu  de  la  Gauler 
fut  attaqué  par  Afranius  ;  mats  la  valeur  et  fa  cavalerie  Gauloife,  qui  fài' 
foit  partie  de  ce  renfort ,  fauva  le  réfte  de  la  troupe.  Céfar  répara  Dient6t 
ces  échecs  par  Phabileté  de  fon  génie.   Il  fit  tonftruire  ile^  barques  lége-" 
res  ,  jetta  un  pont  fur  la  Segre,  &  ayant  paffé'à  Pautre  bord ,  il  tomba 
fur  les  fourrageurs ,  &  railla  en  pièces  une  cohorte  Efpagnofe.  Après  avoir 
repris  la   fupériorité  fur  les  ennemis  ,  il  les  pour&ivit^  les  empêcKa  de 
pafTer  PEbre ,  &  fe  vit  au  moment  de  pouvoir  détruire  énttérenifent  les  lé-* 
gîons  d' Afranius^  qu'il  avoit  eu  Padrelfe  d'envelopper •;  mais  il  fe  contenta 
de  leur  faire  mettre  les  armes  bas.  Enfin  à  forc^  de  harceler  lés  ennemis, 
il  les  réduifît  au  point  de  manquer  de  provifions.  Afranius,  ayant  demandé 
une  entrevue  avec  Céfar,  s'avoua  vaincu,  &  Céfar  exigea  pour  toute  con- 
dition que  les  troupes  ennemies  fuflent  licenciées.  Un  ^and  nombre  d'en- 
tr'elles  pafferent  dans  le  parti  du  Vainqueur.  Enfùite  il  réduifit  fans  peine 
PEfpagne  ultérieure;  car  toute  cette  province,  où  il  avoit  autrefois  exercé  la 
quefture  fe  déclara  pour  lui.  Céfar ,  après  cette  campagne ,  qui  lui  a  mé- 
rité les  louanges  de  la  poftérité^  fe  rendit  devant  Marfeille.  Les  habitans 
en  avoient  foutenu  le  ftege  pendant  fon  abfencé  avec  le  plus  grand   cou- 
rage ,  mais,  prelfës  par  mer  &  par  terre,  ils  eurent  recours  à  la  compaf^ 
fion  du  vainqueur.   Céfar  épargna  aux  habitans   le  pillage  de  leur  viHe  : 


cappella  les  exilés.  Cependant  Pompée  qui  y  pendant  la  guerre  de  Céfar  eo 


C  Ê  s  A  R. .  X  C.  7rt&sy  __        >T9Ç 

t 

Espagne  y  avoit  eu  le  temps  dé  revenir  de  fon  troublé»  l'employa  à £iire 
de  grands- préparatifs  de  {(uerre  ,  tant  pour  les  troupes  que  pour  les  pro*' 
vifioDS  ,  &  s'appliqua  à  former  une  âotte  trés-conûdérable  :  il  avoir  pour 
lui  l'afFeâion  générale  ^  &  on  écok  perfuadé  que  fa  caufe  étoit  celle  de  VE^ 
XBt.  Ainii  le  Sénat  s'étant  aflemblé  à  ThefTalonique ,  Pompée  y  fut  déclaré 
ièul  Chef.  Au  refte ,  comme  Phi  ver  approchoit ,  on  ne  croyoit  point  que 
Céfàr  pût  avoir  le  deflein  de  faire  le  trajet  ea  Grèce  avant  le  retour  du 
printemps.  Mais  c'étoit  mal  cpanoitre  Paâivité  avec  laquelle  il  conduiibit 
toutes  (es  entreprifes.  £n  effet,  ayant  rafibmblé  le  plus  de  troupes  qu'il  lui 
fut  poflîUe ,  il  pailk  en  Grèce  avec  vingt  mille  foldats  légionnaires  &  ftx 
cents  chevaux.  Dés  qu'il  eut  débarqué  fes  troupes ,  il  les  mit  en  campagne 
avec  fon  ardeur  accoutumée ,  &  s'empara  facilement  de  prefque  toute  V&^ 
pire.  De-là  il  s'avança  vers  Dirrachium,.où  étoient  les  magauns  des  enne^ 
mis  :  mais  Pompée  qui  avoit  (ù  l'arrivée  de  Céfar  en  Grèce ,  avoit  fait 
fes  diligences  pour  mettre  eii  fureté  cette  place.  Céfar  fe  vit  donc  obligé 
d'attendre  qu'il  eût  reçu  fes  autres  troupes  qui  étoient  à  Brindes.  Comme 
la  cote  étoit  gardée  avec  foin ,  le  trajet  étoit  devenu  impoflible.  Fendant 
ce  temps-là,  il  fit  £ûre  à€&  propoiitions  d'accommodement ,  mais  elles  fb^ 
rent  hautement  rejettées.  .Dans  l'impatience  où  il  étoit  de  ne  point,  voir 
arriver  fes  ^npes^  il  entreprit  d'aller  lui-même  à  Brindes  les  chercher^ 
&  dégttifë  en  efclave ,  il  s'embarqni  dans  une  petite  barque  avec  trois  de 
fes  ferviteuvs  :  mais  le  vent  s'étant  élevé ^  devint  d  violent ^  que  le  patron^ 
oe  pouvant  ,plus  avancer ,  retourna  en  arrière.  Alors ,  Célar  fe  décou« 
vrant ,  dit  au  patron  ce  mot  célèbre  :  Que  crains- tu  ?  tu  menés  Céfar  & 
fa  fortune.  Le  ^patron  &  les  rameurs ,  tous  furpris ,  voulurent  faire  de  nou* 
veaux  efforts  pour  avancer,  mais  il  fallut  céder  à  la  violence  des  flots ,  âc 
Céfar  fe  fit  ramener  à  l^ndroit  <d?ob  il  étoit  parti. 

Il  écrivit  donc  à  fes  lieutenans ,  &  dans  des  termes  fi  prefians ,  qu'An<- 
toine  embarqua  quatre  légions  ;  &  wptès  avoir  couru  rirque  d'être  attaqué 
par  les  galères  des  ennemis,  il  aborda  en  Grèce,  Ainfi  Céfar  fe  trouva  à  la 
tête  de  douze  légions ,  c'efl-à-dire  d'une  armée  de  près  de  quarante  mille 
hommes.  Dans  cette  pofition  il  fe  mit  à  la  pourfuite  de  Potnpée»  &  lui 
préfema  la  bataille.  Mais  quoique  les  forces  de  ce  dernier  fufTent  plus  con^ 
fidérables ,  quoique  tout  le  refte  de  la  Grèce  excepté  TEpire  fût  en  fon  pot^- 
voir,  &  qu'il  fût  maître  de  la  mer,  il  ne  voulut  pas  engager  une  aâion 
générale;  fon  intention  étant  de  miner  fon  ennemi  par  la  difette.  Alors 
Céfar  réfolut  d'enfermer  Je  camp  de  Poinpée  par  des  lignes  :  il  fe  donna 
à  cette  occafion  des  combats  où  plufieurs  troupes  de  Céfar  firent  des  pro- 
diges de  valeur  ^  une  de  fes  cohortes ,  c'eft-à-dire ,  une  troupe  au  plus  de 
cinq  cents  hommes ,  défendit  un  fort  pendant  plufieurs  heures  contre  quatre 
légions. 

Pompée  ayant  découvert  un  endroit  foible  des  lignes  de  fon  ennemi ,  il 
l^taqoà,  &  le  fi>rça«  Céfar  crut  4evov  réparer  cet  affronta  mais  une  par^- 

Bb  2. 


'JP« 


CÉSAR.    (C.  Jiilts) 


fie  dé  fes  troupes  s'étant  égarée  ^  Pompée  vint  au  (^cours  des  fiens  avec  ét% 
forces  fupérieures.  Le  combat  fe  donna  près  de  Dirrachium.  La  cavalerie 
de  Céfar  prit  la  fiiite,  &  communioua  fa  terreur  à  l'infanterie  :  ce  fut  une 
déroute  comptetre  malgré  tous  les  efforts  du  Général ,  &  la  perte  fiit  cod« 
fidérable.  Après  cet  échec,  Céfar  réfolut  de  quitter  l'Epire,  &  depaflerea 
TbefËdie  :  il  fit  (a  retraite  avec  habileté ,  malgré  la  difficulté  des  chemins 
&  des 
Theffalie. 
porta  d'ailaut 

mit  toutes  les  autres  :  il  s'avança  ainfi  jufqu'à  Fharfale.  Pompée  qui  le  Pour« 
fuivoit  de  loin  ne  tarda  pas  à  le  joindre ,  &  vint  campes  à  peu  de  diuaace 
de  ion  ennemi. 

Bataille,  de  Pharfatt^ 


E  combat  de  Dirrachium  où  les  tronpes  de  Céfar  avoîent  été  battuer^ 
&  leur  retraite  dans  la  Theffalie,  avoieot  rempli  d'une  folle  préfomptioa 
les  P^tifans  de  Pompée  :  ils  partageoient  déjà  entr'eux  les  dépouilles  de 
Céfar ,  &  fe  promettotent  dé  tirer  vengeance  de  leurs  ennemis  y  ils  blâ* 
moient  même  la  lenteur  de  Poftipée.  Celui-ci  perfîfloit  à  vouloir  éviter 
le  combat  par  des  motifs  pris  de  fon  intérêt  perfoonel  :  mais  les  plaintçs 
étant  devenues  univerfelles ,  il  fut  obligé  de  céder  aux  folUcitations.  Céiar 
4e  foo  côté  ne  cherchoit  que  Poccafion  d'engager  une  a^oo  générale ,  & 
rangea  fes  troupes  en  ordre  de  bataîtle.  Après  bien  des  délais  ^  Pompée  s'a« 
vaiKa  pour  combattre,  &  dHpofa  fon  armée  avec  beaucoup  d'intelligence. 
Céfar  prit  fes  mefures  avec  encore  plus  d'habileté.  Comme  fa  cavalerie 
itoit  de  beaucoup  inférieure  à  celle  de  Pompée,  il  pla^a  ce  qu'il  avoit  de 
plus  vigoureux  fantaflins .  entre  les  rangs  de  fes  Cavaliers ,  &  leur  apprit 
^comment  ils  dévoient  combattre  ;  de  plus  il  tira  de  fa  doniere  ligne  iix 
cohortes  qu'il  plaça  comme  en  embufcade  derrière  fon  aile  droite  :  il  leur 
ordonna ,  qu'au  lieu  de  lancer  leurs  demi-piques  comme  c'étoit  l'ufage ,  ils 
les  portaflènc  direâement  au  vifage  des  cavaliers,  dont  une  grande  partie 
étoient  de  jeunes  gens  curieux  de  leur  bonne  mine.  Au  refle  le  nombre 
^es  troupes  de  l'un  &  l'autre  Général  étoit  fort  inégal  :. Pompée  avoit  fept 
mille  chevaux  &  quarante-cinq  mille  hommes  de  ^ed,  &  Céfar  n'avoit 
que  mille  cavaliers  &  viogt*deux  mUle  fantaf&ns.  Après  que  les  deux  Chefi 
euient  chacun  harangué  leurs  fbldats,  &  excité  leur  courage  parles  moci6 
les  plus  preffans ,  Céfar  donna  le  fignal  :  fes  troupes  s'avancèrent  les  pre« 
mieres  ;  celles  de  Pompée  foutinrent  le  choc  avec  vigueur.  Sa  cavalerie  vint 
fondre  fur  celle  de  fon  ennemi,  &  la  fit  d'abord  plier;  maïs  les  fix  co« 
hortes  de  Céfar  arrêtèrent  bientôt  i'impétuofité  de  cette  cavalerie.  Tous  les 
jeunes  cavaliers  fe  fentant  frappés  au  vifage,  prirent  l'épouvante  &  s'en- 
fuirent en  défordre  ;  les  archers  &  les  frondeurs  furent  taillés  en  pièces.  Les 
mêmes  cohortes  attaquèrent  l'aile  gauche  des  ennemis  ^  &  Cébr  fit  wvy^. 


CÉSAR.    (  C.  Jules  )  i0 

lier  en  même-temps  fa  troifieme  ligne  qui  n'avoit  point  encore  donné.  L'in- 
fimterie  de  Fomoée  attaquée  en  front  &  en  queue ,  fût  mife  en  déroute  ^ 
&  tout  prit  la  fuite.  Céfar  voyant  la  viâoire  aflurée,  ordonna  à  fes  fol- 
dats  d'épargner  le  citoyen ,  &  de  ne  tuer  que  l'étranger.  Du  champ  de  ba« 
raille  il  les  mena  au  camp  des  ennemis,  qu'ils  forcèrent  en  peu  de  temps ^ 
malgré  la  brave  défènfe  que  firent  les  Thraces.  Etant  entré  dans  le  camp, 
il  fut  furpris  d'y  voir  tout  l'appareil  du  luxe,  &  une  grande  quantité  de 
vailTelle  d'or  &  d'argent  qui  rut  un  riche  butinr  pour  fes  fbidats  :  enfuite 
il  pourfuivit  ceux  qui  s'étoient  retirés;  &  le$  ayant  enfermés  par  des  lignes, 
il  les  réduifit  à  implorer  fa  miféricorde ,  &  il  leur  fauva  la  vie  à  tous.  Il 
périt  dans  cette  bataille  environ  quinze  mille  hommes  de  l'armée  de  Pom« 
pée  î  Céfar  n'en  perdit  que  douze  cents.  Vingt-quatre  mille  hommes  fe  ren- 
iKrent  après  le  combat,  &  la  plupart  fe  mirent  dans  le  parti  du  vainqueur. 
On  ne  fauroit  affez  louer  la  générofîté  dont  il  ufa  envers  les  Sénateurs  & 
les  Chevaliers  Romains  qui  tombèrent  fous  fa  puiffance ,  car  il  leur  permît 
de  fe  retirer  où  ils  voudroient.  Tous  ceux  qui  eurent  recours  à  fa  bonté, 
même  les  peuples  étrangers ,  en  furent  quittes  pour  des  taxes  pécuniaires  : 
en  un  mot  il  ne  fouilla  la  viâoire  par  le  fang  d'aucun  Romain  tué  de 
iang-froid. 

Dès  le  moment  que  Pompée  avoit  vu  la  déroute  de  fbn  armée ,  il  avoit 
pris  la  fuite ,  fuivi  d'un  petit  nombre  des  fiens  :  il  gagna  la  mer ,  &  fe  dé- 
termina à  aller  chercher  un  afyle  en  Egypte.  Les  Miniftresdu  Roi  Ptolomée 
qui  étoit  encore  enfant,  inftruits  de  fon  approche ,  oferent  décider  du  fort  dé 
ce  célèbre  Romain  :  ils  craignirent  de  le  donner  un  maître  s'ijs  le  rece- 
voient ,  &  de  s'attirer  Céfar  pour  ennemi.  Ainfi  ils  délibérèrent  qu'il  fkiloit 
le  tuer  à  fbn  arrivée ,  &  ils  eurent  la  lâcheté  de  faire  exécuter  cet  aflàfli* 
nat  :  ainfi  périt  un  des  plus  illuflres  Généraux  Romains ,  &  qui  tout  récem- 
ment  avoic  été  fur  le  point  de  fe  voir  le  maître  de  l'Empire  du  monde. 


p 


Guerre  de  Céfar  en  Egypte. 


£ 


Endant  que  ces  chofes  fe  pallbient,  Céfar  s'étoit  mis  II  la  pourfuite 
de  Pompée  ;  &  inilruit  de  la  route  qu'il  avoit  prife ,  il  s'embarqua  pour 
l'Egypte  fur  une  petite  efcadre,  n'ayant  avec  lui  que  deux  légions.  Ar- 
rivé à  la  rade  d'Alexandrie,  il  vit  venir  ii  lui  celui  des  Minières  d'Egypte 
ui  avoit  confeilié  le  meurtre  de  Pompée ,  &  qui  lui  préfenta  la  tête  de 
n  rival.  Ce  fpeâade  tira  les  larmes  à  Céfar ,  &  il  téihoigna  hautement 
la  plus  vive  indignation  contre  un  tel  attentat. 

Étant  entré  dans  Alexandrie ,  il  trouva  les  efprîrs  prévenus  contre  fui. 
On  craignoit  un  Général  Romain  /)ui  fitifoit  porter  les  faifceaux  devant  lui  ; 
&  on  ne  favoit  pas  jufqu'où  iroit  fon  reflentiment  fur  le  meurtre  de  Pom- 
pée :  les  lâches  Miniftres  de  Ptolomée  ne  penfoient  pas  moins  qu'à  s'en 
défaire  par  quelque  trahifon.  Cette  difpafitioa  des  efprits  obligea  Céfar 


1.9S  CÉSAR.    (Ç.  Jutes} 

*  t 

oui  s^étoit  déjà  logé  dans  le  palais ,  de  tenir  une  garde  autour  de  fa  |>er« 
tonne  :  il  envoya  des  ordres  en  Afie  pour  qu'on  lui  amenât  plufieurs  de 
fes  légions  ;  cependant  il  afFeâoit  au  dehors  des  manières  pleines  de  dou- 
ceur &  de  bonté.  Il  eût  bien  voulu  retourner  à  Rome^  mais  fe  voyant 
retenu  en  Egypte  par  les  vents  étéfiens,  il  s'occupa  à  prendre  connoif- 
fance  du  difterend  entre  le  Roi  Ptplomée  &  fa  fœur  Cléqpâtre.  Ce  Prince 
n'avoit  que  treize  ans,  &  la  PrincelTe  en  avoit  dix-(ept  :  outre  cette  fu« 
périorité  d'âge ,  elle  étoit  pleine  d'ambition  &  de  confiance  en  fes  char-- 
me^  ;  l'ame  de  Céfar  s.'y  laifTa  prendre.  Cléopatre  ravie  de  lui  plaire,  n'eut 
pour  lui  que  des  complaifances  \  en  forte  que  Céfar  vécut  quelque  temps 
avec  elle  dans  la  plus  étroite  familiarité.  Il  eft  aifé  de  juger  qu'il  4écida 
en  fa  faveur,  c'eft-à-dire  qu'il  la  déclara  Rei^e  d'Egypte  conjointement 
avec  Ptolomée.  Achillas,  un  des  Mini(lre$  qui  gouvernoient  à  leur  gré' 
ce  jeune  Roi,  mécontent  de  cette  décifion,  vint  alfîéger  Çé(ar  dans  Alexan-^ 
drie  avec  une  armée  de  vingt  mille  hommes.  Le  Romain  n'avoit  ave^- 
lui  que  trois  mille  hommes  de  pied  &  huit  cents  chevaux  :  comme  il  n< 

f^ouvoit  empêcher  l'ennemi  d'entrer  dans  Alexandrie ,  il  fe  retrancha  dam 
e  quartier  qu'il  occupoit.  Il  y  eut  à  cette  occafion  un  premier  combat 
c'eft  ici  que  Céfar  eut  befoin  de  toute  la  préfence  de  fon  efprit.  D^abord — - 
il  s'affura  de  la  perfonne  du  jeune  Roi ,  ann  que  l'ayant  avec  lui ,  il  p&t 
s'autorifer  du  nom  du  Prince  régnant  :  de  peur  qu'Achillas  ne  fe  rendit 
maître  de  vingts-deux  vaiflfeaux ,  &  de  cinquante  galères  qui  étoient  dans 
le  port,  &  que  par- là  il  ne  lui  ôtât  la  communication  avec  la  mer,  il 
iit  mettre  le  feu  à  tous  ces  bâtimens; cet  incendie  fut  Ci  terrible,  qu'il con—^ 
fiuiia  la  plus  grande  partie  de  la  bibliothèque  d'Alexandrie  \  enfuite  il  s'em*-* 
para  de  l'Ille.du  Phare  qui  le  mettoit,en  état  de  recevoir  les  feçours  qu'il 
avoir  demandés.    Ayant  découvert  que  Photin  ,  un  des  Miniftres ,  quoi-* 
qu'enfermé  dan;;  le  palais ,  entretenoit  des  correfpondances  avec  l'armée 
ennemie,  &  qu'il  avoir  formé  le  projet  de  le  faire  poignarder,  il  trouva 
moyen  de  fe  défaire  de.  ce  traître.  Dans  le  même  itemps  Achillas  fut  afTaf- 
fné  par  l'Eunuque  Ganimede,  &  par  l'ordre  d'Arfinoë,  fœur  de  Cléopatre; 
&  dès  ce  moment  le  commandement  des  troupes  paffa  à  cet  Eunuque, 
qui  n'étoit  pas  moins  audacieux  que  le  premier.  Voilà  donc  la  guerre  qui 
continue  plus  vivement.  Deux  combats  fe  livrent  fur  mer  :  dans  le  prer 
mier  les  Romains  ont  l'avanta?e;  dans  le  fécond  ils  font  battus  &  pren*- 
nent  la  fuite.  Céfar  voyant  la  toule  entrer  dans  fon  bâtiment ,  e(l  obligé 
de  fe  jetter  dans  la  mer  ;  il  nage  deux  cents  pas ,  &  gagne  les  vailfeaux 
les  plus  proches^  ^ 

Cependant  fes  renforts  qu'il  attendoît  arrivent  tant  par  mer  que  par 
terre  :  Mithridate ,  Tetrarque  de  Pergame ,  lui  amené  un  fecours  con(îdéra« 
ble.  Les  Alexandrins  avertis  de  fon  approche  ,  s'efforcent  d'empêcher  la 
jonâion  ;  mais  ils  font  repoulTés  avec  perte.  Céfar  vient  à  bout  de  le  joitk* 
dre.  Se  voyant  alors  en  force,  dè^  le  lendemain  il  attaque  le  camp  du 


t  Ê  s  A  È.     (C.  Jules)  1(^9 

Roi  Ptolomée ,  îl  le  force ,  &  fait  un  grand  carnage  des  Egyptiens  :  Fto- 
lomée  veut  fe  fauver  par  le  fleuve  ;  il  entre  dans  une  barque ,  qui  ëtanc 
trop  fiirchargéè  de  fuyards,  coule  à  fond,  &  il  périt  dans  ié  Nil.  'Céfar 
viâorieux,  revient  à  Alexandrie  :  les  habicans  vont  au  devant  de.  lui,  inv- 
plorent  (a  miféricorde;  il  les  reçoit  avec  bontés  &  met  en  polTeifion  du 
Royaume  d'Egypte  Cléopatre  &  fon  fécond  frère  encore  enfant.  Après 
avoir  ainfi  terminé  cette  guerre,  il  pafTa  encore  quelque  temps  à  Alexan- 
drie, vivant  dans  les  délices  avec  Cléopatre,  qui  femblable  à  une  autre 
Armide ,  tenoit  comme  enchanté  le  plus  grand  des  guerriers  ;  mats  le  bruit 
des  armes  de  Pharaace  en  Afie  réveilla  Céfar;  fa  gloire  reprit  le  deiTus, 
&  Tarraçha  à  l'objet  de  fon  amour. 


E 


Guerre  contre  Pharnme. 


Tant  venu  en  Syrie ,  il  y  apprît  qu'à  Rome  tout  étoît  dans  le  plus^ 
grand  trouble.  Après  avoir  réglé  les  affaires  de  cette  Province,  il  pafTa  par 
mer  en  Cilicie ,  &  s'avança  vers  le  Pont  dont  Pharnace  s'étoit  emparé.  Ce  fils 
du  fameux  Mithridare  profitant  de  la  guerre  civile  des  Romains,  avoir  déjà 
Ait  des  progrès  confidérable^,  &  fournis  plufieurs  Provinces;  il  avoir  battu 
Domitius-Caivrnus ,  Lieutenant  de  Cé^r,  &  il  étoit  déjà  maître  de  la  Cap-» 
padoce  &  du  Pont  :  il  fe  préparoit  à  entrer  dans  la  fiithinie ,  lorfqu'il  apprit 
que  Céfar  approchoit.  Plein  de  courage  &  d'audace ,  il  alla  à  la  rencontre 
du  Général  Romain ,  feignant  de  défirer  la  paix  :  dans  cette  vue  il  lui  en*" 
▼oya  des  Ambaffadeurs.  Mais  Céfar  ayant  pénétré  la  rufe  de  ce  Prince 
anificieux,  réfolut  de  le  mettre  à  la  raifon;  &  quoique  fes  forces  fuflènt 
peu  confidérables ,  il  avança  vers  Petmemi ,  fe  pcma  lur  une  hauteur ,  6à 
s'y  retrancha.  Pharnace  ofa  faire  monter  fes  troupes  fur  la  colline  pou» 
attaquer  Céfar.  Alors  les  Romains  aidés  de  l'avantage  du  lieu ,  re-> 
pouffèrent  les  ennemis  fans  peine  ;  &  les  culbutant  dans  le  vallon  ,  ils 
en  taillèrent  en  pièces  la  plus  grande  partie  :  delà  Céfar  vint  attaquer  le 
camp  de  Pharnace ,  &  le  força.  Pharnace  fe  déroba  au  vainqueur  par  une 
fuite  précipitée^  Ce  fut  en  cette  occafion  que  Céfar  écrivant  à  un  de  fes 
amis  ,  exprima  la  célérité  Ae  fa  viâoire  par  ces  trois  mots  fameux  :  Je 
fîiis  venu ,  pai  vu ,  pai  vaincu.  Enfuite  après  avoir  réglé  les  affaires  de 
l'Afîe,  il  prit  le  chemin  de  Rome  :  mais  en  traverfant  les  Provinces  il  fit 
de  grandes  levées  d Vgent  ;  il  exigea  de  groflfes  fommes  de  Dejotarus  ^  Roi  ^ 
de  nithynie,  &  des  peuples  oui  avoient  pris  le  parti  de  Pompée  ;  il  pilla 
les  temples ,  &  reçut  en  prêtent  quantité  de  couronnes  d'or  de  plufieurs 
Princes.  Sa  maxime  étoit ,  que  pour  aflèrmir  une  Puiffance ,  l'argent  & 
les  foldats  étoient  abfolument  néceffaires. 


^00  €  É  s  A  11.    (C.Jalciy 

Céfar  à  Rome. 

JLi  A  dëfaire  de  Pompée  à  Pharfale  avoit  afFermî  la  domination  de  Céfar 
à  Rome.  Il  avoit  été  déjà  nommé  diâateur  par  ordre  du  Sénat,  &  Marc 
Antoine ,  maître  de  la  cavalerie.  Ainfi  iorfqu'il  arriva  tout  fut  calme  ;  il 
eut  bientôt  appaifé  les  troubles  ezcit^s^  par  le  Tribun  Dolabella ,  ainfi  que 
les  plaintes  que  Von  faifoit  contre  Antoine  à  l'occafion  de  fes  débaur 
ches  &  de  fès  violences.  Il  nHnquiéta  perfonne,  ni  même  les  parnfans  de 
Pompée  ;  mais  il  travailla  à  ams^llèr  de  Targent  par  toutes  fortes  de  voies  : 
il  fit  vendre  les  biens  des  vaincus  &  ceux  de  Pompée  ;  il  récompenfa  ceux 
qui  lui  avoient  été  le  plus  attachés  ;  il  foulagea  les  pauvres  citoyens ,  & 
travailla  à  fe  concilier  la  faveur  du  peuple.  Vers  le  même  temps  il  appaifa 
par  fà.  fermeté  une  fédition  qui  s'éleva  parmi  les  vieilles  légions.  Il  avoit 

J)our  maxime  de  tenir  toujours  rigueur  aux  déferteurs  &  aux  féditieux  ;  à 
'égard  à&s  autres  fautes ,  il  ufoit  de  douceur  &  d'indulgence. 


c 


Guerre  dAfriqwt. 


Ependant  les  débris  du  parti  de  Pompée  s'étoient  rafTemblés  en  Afri^ 
que ,  &  y  avoient  déjà  pris  des  accroiflemens  formidables  :  Céfar  fe  vit 
donc  obligé  de  quitter  Rome  pour  conjurer  une  tempête  qui  devenoit  auffi 
forte  que  celle  qu'il  avoit  diffîpée  par  la  viâoire  de  Pharfale.  On  peut  dire 

3u'il  conduifit  cette  expédition  avec  une  aâivité  qui  paroit  incroyable, 
'étant  rendu  à  Lilybée  en  Sicile ,  fix  légions  fe  raflemblerent  autour  de 
lui  :  il  avoit  deux  mille  chevaux  &  un  grand  nombre  de  bâtimens.  Sa  flotte 
fut  difperfée  pendant  quelque  temps  ^  &  il  aborda  à  Adrumete  avec  trois 
mille  hommes  de  pieds  &  cent  cinquante  chevaux.  Outre  ce  foible  fecours, 
il  étoit  prefque  fans  provifions,  &  il  fe  trou  voit  dans  un  pays  qu'occupoic. 
une  multitude  incroyable  d'ennemis  :  cependant  il  fe  rendit  maitre  de  la 
ville  de  Rufpine ,  de  celle  de  Lepris ,  &  de  quelques  port^  mais  avant 
qu'il  eût  reçu  de  nouveaux  fecours ,  étant  allé  au  fourrage  «  il  fe  vit  atta* 
que  par  Labienus  qui  avoit  une  armée  quatre  fois  plus  nombreufe.  Céfar 
en  cette  occafion  fe  trouva  extrêmement  preflë ,  &  il  ,eut  befoin  de  toute 
fon  habileté  pour  n'être  pas  défait  entièrement.  L'aâion  fut  rude  :  {^^  fol-- 
dats  légionnaires  furent  obligés  de  combattre  en  rond  ;  il  paroit  même  que 
Céfar  fit  quelque  perte ,  mais  il  ne  fut  point  battu  ni  rompu ,  &  fauva  le 
Çios  de  fes  troupes.  Cependant  il  fe  trouvoit  dans  une  pontion  très -dure  : 
lès  forces  étoient  infuffifantes,  &  il  foufïroit  de  la  difette  des  vivres*  Il  fe 
borna  pour  le  moment  à  fe  bien  retrancher  dans  fon  camp ,  (k  travailla 
\  fe  concilier  l'afFeâion  des  peuple^  de  la  Province  par  des  manières  plei- 
nes de  bonté  :  cette  conduite  lui  rendît;  un  grand  nombre  de  Gétuliens 
&  de  Numides  déferrèrent  le  camp  de  Métellus-Scipion ,  &  vinrent  dans  le 
camp  de  Céfar.  Dans  le  même  temps  les  forces  avec  lefquelles  il  étoit 

parti 


CÉSAR.    (C.  Jules)  i^t 

pard  de  Sicife  fe  réunirent  auprès  de  !ui,  &  les  troupes  âc  les  con* 
vois  qu'il  avoit  demandés  lui  arrivèrent  ;  tlés  ce  moment  il  ne  chercha  plut 
que  PoccafioQ  d'en  venir  à  une  aâion  générale. 


D 


Bataille  de  Thapfus^ 


Ans  cette  vue  il  s'avança  à  Thapfus  pour  en  faire  le  fiege.  Aufli^tôi; 
Scipion  &  Juba  Roi  de  Mauritanie ,  vinrent  fe  pofter  à  quelque  diftance  de 
cette  ville.  Les  troupes  de   Céfar  infiruites  de  Tes  intentions,  coururent  ^ 
l!^nnemi  avec  une  telle  ardeur ,  qu'il  ne  put  tenir  contre  leur  impétuofité, 
La  déroute  commença  par  les  élephans  qui  ^  accablés  de  flèches ,  prirent 
la  fuite,  &  écraferent  les  rangs  formés  derrière  eux.  Les  légions  de  Céfar 
pourfuivirent  les  fuyards  dans  leur  camp ,   &  s'en  emparèrent  :  dix  mille 
ennemis  relièrent  fur  la  place.  Le  vainqueur ,  pour  ne  pas  donner  le  temps 
aux  vaincus  de  fe  reconnoltre ,  marcha  contre  Utique.  Ce  fut  en  vain  que 
Caton  y  cet  homme  célèbre  par  fa  fermeté  inflexible ,  &  fou  ame  républt* 
caine ,  voulut  défendre  cette  place.  Ne  trouvant  perfonne  difpofé  à  le  fe* 
conder,  il  aima  mieux  fe  donner  la  mort  que  d'être  redevable  de  la  vie 
à  celui  qu'il  regardoit  comme  l'opprefleur  de  la  liberté.  Céfar  arrive  à  Uti- 
que qui  lui  ouvre  (es  portes ,  pardonne  au  fils  de  Caton  &  aux  habitans  ; 
xnais  leur  impofe  une  torte  taxe.  Les  villes  de  Thapfus  &  de  Thyfdrus  fe 
vendent  à  lui,*  Métellus-Scipion  eft  pourfuivi  dans  fa  fuite  par  la  flotte  de 
Sittius^  qui  enveloppe  Çts  vaiffeaux  :  prêt  à  être  pris ,  il  fe  perce  de  fon  épée. 
TTout  cède  au  vainqueur;  fes  ennemis  font  défaits  ou  diflîpés.  Céfar  enfin 
s-éduit  la  Numidie   en  Province   Romaine  :  il  part  pour  Rome,  n'ayant 
employé  que  cinq  mois  à  terminer  cette  guerre. 

Céfar  de  retour   à   Rome. 

^^ÉSAR  étant  arrivé  à  Rome,  trouva  que  le  Sénat  avoit  déjà  rendu 
^es  décrets  qui  lui  prodiguoient  les  plus  grands  honneurs,  &  ordonnoienc 
^es  réjouiffances  pour  u  viâoire  remportée  en  Afrique.  Comme  il  vie 
^u'il  ne  les  devoir  qu'à  la  crainte ,  il  voulut  ùfer  avec  douceur  du  pouvoir 
«1 


^eux  qu'on  a  aflujettis.  Dés  qu'il  jouit  de  quelque  repos ,  il  célébra  qua- 
^''e  triomphes  pour  les  viâoires  qu'il  avoit  remponées  dans  les  Gaules , 
^*n$  Alexandrie  &  contre  Pharnace  &  Juba  :  il  déploya  dans  ces  triom- 

E'i^s  toute  la  magnificence  que  pouvoient  porter  les  richefles  de  l'Empire. 
^  fommes  employées  à  fon  triomphe  montoient,  félon  Appien,  à  fbi- 
?^^txte  cinq  mille  talens,   c'eft-à-dire,  près  de  deux  cents  millions  de  nos 
^^esv  enfuite  il  donna  de  grandes  récompenfes  à  fes  Ofiiciers  &  à  fes 
Tome  XL  Ce 


^%  CE  s  A  R.    (C./«/b.) 

foldats^  &  fit  des  largefles  au*  ^eu^le  :  il  lui  donnai  m{tne  tm  repas  ;  & 
pour  venir  à  bout  de  régaler  une  h  grande  multitude ,  \\  y  eut  vingt^deux 
mille  tables  dreiTées  dans  les  rues,  qui  furent  fervies  avec  profiilion  :  il 
donna  en  outre  des  fpeâades  de  Gladiateurs  &  d'Âthletes ,  des  courfes 
du  cirque  ^  des  pièces  de  théâtre  ^  comédies  &  mimes  :  ces  dernières 
étoient  ce  que  nous  appelions  des  fitrces.  Toutes  ces  dépenfes  montèrent 
à  des  fommes  immenies.  Enfuite  il  s'occupa  des  moyens  d'augmenter  le 
nombre  des  citoyens  que  les  guerres  civiles  avoient  diminué  :  il  promit 
des  récompenfes  aux  citoyens  qui  auroient  pluûeurs  enfans,  fit  des  régle- 
mens  contre  le  luxe,  donna  droit  de  bourgeoifie  à  ceux  qui  viendroient  à 
Home  pour  y  enfeigoer  la  Médecine  &  les  Beaux-Arts,  &  fit  réformer  le 
calendrier  par  un  Af^ronome  d'Alexandrie  :  il  confentit  au  retour  de  Mar- 
cellus  qui  s'étoit  déclaré  ouvertement  contre  lui  dans  la  guerre  civile.  Ci« 
céron  célébra  cet  aâe  de  clémence  par  fa  belle  oraifon  pro  Marcello  :  il 
en  fit  une  femblable  pour  le  pardon  que  Céfar  accorda  à  Ligarius.  Malgré 
ces  aâes  de  générofité  &  de  douceur  ^  on  lui  fut  mauvais  gré  d'avoir  in« 
troduit  dans  le  3énat  beaucoup  de  fujets  indignes  ;  mais  Céfar  récompen*^ 
foit  quiconque  lui  avoit  été  utile  ^  &  d'ailleurs  il  vouloir  fe  faire  des 
créatures» 

Gu€m  d£  Céfar  cnEJpagnc. 


c 


Hpendant  Cneius  -  Pompée  étoit  devenu  fi  puifTant  en  Efpagne^ 
où  il  avoit  beaucoup  dVmis,  qu'il  fe  trouva  bientôt  à  la  tête  de  treize  lé- 
gions, &  en  état  de  tenir  tête  aux  Lieutenans  de  Céfar.  Ceux-ci  craignant 
de  ne  pouvoir  le  réduire,  prelferent  leur  Général  de  venir  en  Efpagne. 
Il  s'y  rendit  en  effet  avec  fa  diligence  ordinaire  ;  &  comme  on  le  croyoit 
fort  éloigné^  il  furprit  tout  le  monde.  Pompée  faifcût  aIcM-s  le  fiese  d'Ulia 
dans  la  Bétique  :  mais  Céfar  ayant  introduit  du  fecours  dans  la  place,  l'o« 
bligea  de  te  lever  :  enfiiite  après  avoir  effayé  envain  d'anirer  Sextus- 
Pompée  qui  fe  tenoit  fous  Cordoue,  il  afiiégea  Se  prit  la  ville  d^Atega»^ 
malgré  la  force  de  la  place  &  la  rigueur  de  la-  faifon. 


L 


Bataille  de  Munda» 

'Arm^b  du  jecme  Pompée  &  celle  de  Céfar,  après  s'être  harcelées 
quelque  temps ,  arrivèrent  près  de  Munda  :  ce  fiit  là  que  le  premier  fe 
détermina  à  rifquer  une  aâion,  &  prit  fon  pofte  fur  une  hauteur.  Céfar 
voyant  que  les  ennemis  étoient  rangés  en  bataille,  dtfpofa  fes  troupes  dans, 
kl  plaine;  &  comme  ils  demeuroient  dans  leur  pofte,  il  monta  pour  les 
attaquer.  Pompée  avoit  la  fupériorité  du  nombre  &  du  terrein;  ainfi  le 
combat  fût  d'abord  très- opiniâtre,  &  la  vi6K>ire  parut  fe  déclarer  pour. lui,. 
Céfar  ne  pouvait  venir  à  bout  par  fes  exhortations  &  fes  reproches ,  de 
ranimer  le  courage  de  fes  fdldats  qui  avoient  lâché  le  pied ,  fut  quelque 


Q  É  s  A  R.    (C.  Jules.)  ao^ 

tpmps  daof  la  plus  grande  perplexité.  Sel6n  <]uelqiies  Hiftorîens ,  il  dëli«^ 
béra  de  fe  tuer.  Dans  ce  défordre  il  s'avança  jufqu^à  dix  pas  de  rennemt  i 
le  danger  qu'il  couroic  réveilla  le  courage  des  fieos.  Un  mouvement  que 
-  fit  Labieous  changea  la  face  du  combat.  Céfar  crie  que  les  ennemis  pré«« 
aoient  la  fuite  :  les  geûs  de  Pompée  font  faifis  d'épouvante }  les  légions 
de  Céfar  en  profitem,  les  mettent  en  défordre,  &  remportent  une  viaoire 
complette  :  trente  mille  hommes  du  côté  de  Pompée  refterent  fur  la 
place,  &  fon  camp  fut  bientôt  forcé;  enfuite  Céfar  fit  le  fiége  de  Munda^ 
çii  une  grande  panie  des  vaincus  s'étoit  réfugiée ,  &  il  la  prît  au  bout  d'un 
mois.  La  fuite  de  Cneius-Pompée  ne  put  le  fauver  ;  ayant  été  trouvé  dans 
un  antre  écarté ,  il  y  fut  tué ,  &  fa  téce  portée  à  Céfar.  Sextus*Pompée , 
le  dernier  de  cette  famille,  &  qui  étoit  alors  à  Cordoue,  ayant  appris  le 
malheureux  fuccès  de  cette  bataille  pour  fon  parti ,  s'alla  cacher  dans  les 
montagnes  de  Celtibérie,  &  il  ne  reparut  qu'après  la  mort  de  Céfar  j  les 
feftes  du  parti  fubirem  la  loi  du  vainqueur:  ainû  fut  terminée  la  guerre 
civile. 

Cé/ar  de  retour  à  Rom6% 

V^ÉSAR,  après  avoir  terminé  les  affaires  d'Efpagne,  revint  à  Rome, 
où  le  Sénat,  par  une  flatterie  outrée  ,  ordonna  des  fêtes  pendant  cinquante 
jours  confécunfs  :  il  fut  déclaré  Imptrator ,  Conful  pour  dix  ans ,  &  Die-* 
tateur  perpétuel  ;  c'étoit  l'élever  au  plus  haut  degré  de  puiflance ,  &  If 
£iire  véritablement  Roi  :  fa  perfonne  fut  déclarée  facrée  &  inviolable.  O4 
inventa  en  fa  faveur  des  honneurs  nouveaux  &  extraordinaires ,  comme  le 
droit  de  porter  une  couronne  de  laurier  :  on  lui  décerna  tous  les  honneurs 
divins,  (acrifices,  temples,  autels.   Prêtres,  fêtes  fixées.;  enfin  le  furnom 
de  Jupiter-Julius  :  on  plaça  fa  ftatue  dans  le  capicole ,  à  côté  de  celles  des 
Rois.    Céfar  enivré  de  gloire,  ne  voyoit  pas  que  ces  honneurs  exceflifi; 
ne  pouvôient  qu'exciter  contre  lui  l'envie  &  l'indignation.    Bientôt  il  ne 
fiiivit  d'autre  règle  que  fa  volonté  pour  la  nomination  aux  charges  &  aux 
emplois;  il  diftribua  les  gouvernemens  fans  les  tirer  au  fort,  oc  créa  de 
nouveaux  patriciens.    Parvenu  au  point   où  rien  ne  pouvoit  lui   réfifler, 
cet  efprit  toujours  a^f ,  toujours  en  mouvement ,  fe  lalTa  du  repos  :  ton* 
jours  avide  de  gloire  &  des  grandes  entreprifes ,  il  fe  prépara  à  aller  porter 
la  guerre  chez  les  Parthes  :  le  prétexte  fut  de  venger  le  nom  Romain 
de  la  défiiite  de  Craflus  tué  en  trahifon  par  ces  peuples.   Après  la  défaite 
des  Parthes  il  fe  propofoit  d'embellir  Rome  par  de  fuperbes  édifices,  âc 
de  rétablir  Carthage  &  Corinthe  :  il  rouloit  enfin  dans  fon  efprit  quantité 
de  projets  tous  grands  &  magnifiques ,  plufieurs  même  au-deflus  des  forces 
humaines,  comme  celui  de  percer  l'ifthme  de  Corinthe  pour  joindre  la 
mer  Egée  avec  la  mer  Ionienne,  - 

D'un  autre  côté ,  comme  il  portoit  la  clémence  auffî  loin  qu'elle  peut 
aller,  &  qu'U  pardonna  même  à  ceux  qui  a  voient  fait  des  libelles  di&r 

Ce  a 


204  C  É  s  A  R.    (C.  Jutis.y 

matoires  contre  lui ,  il  crut  àvùiv  réuffi  à  fe  faire  aimar  dé  Tes  concitoyens; 
£c  dans  cette  opinion,  il  ne  voulut  jamais  confentir  à  prendre  une  garde 
pour  la  fureté  de  fa  perfonne  :  mais  il  auroit  dû  éviter  en  même-tempt 
tout  ce  qui   pouvoir  le  rendre  odieux ,  &  c^eft  ce  quM  ne  fit  pas.  Car 


perfonne  par  le  déHr  qu'il  témoigna  de  la  Royauté;  défir  qu 
en  bien  des  manières,  &  que  ne  put  réprimer  le  filence  des  Romains, 
lorfque  dans  une  entrée  qu'il  fît  à  Rome,  des  gens  apodes  le  faluerent 
Roi.  Bien  pins ,  aux  fètes  lupercales ,  &  dans  le  temps  qu'il  étoit  a({is  fur 
un  trône  dans  la  Tribune  aux  tiarangues  .  Antoine  s'approcha  ,  &  lui 
offrit  un  diadème  :  tout  le  peuple  pouffa  un  gémiffement.  Céfar  confus  1  i 
rejecta  le  bandeau  Royal ,  &  au(Ii-tôt  le  peuple  pouffa  des  cris  d'applaudit  1  < 
femcnt.  Antoine  ayant  ofé  réitérer  cette  même  ofEre ,  le  peuple  rentra  I  ' 
dans  un  morne  filence  :  alors  Céfar  envoya  le  diadème  au  Capitole,  en  \  ^ 
difant  que  Jupiter  étoit  le  feul  Roi  des  Romains.  Ne  pouvant  parvenir  ^ 
être  reconnu  Roi  dans  Rome,  il  conçut  le  deffein  de  fe  faire  donner  ce 
titre  dans  les  provinces  de  l'Empire  :  mais  enfin  fon  ambition  lui  devio^ 
fiinefle. 

Confpiration  contre  Céfar.  Sa  mort. 

xj  N  trouva  au-deffous  de  la  flatue  de  l'ancien  Brutu»,  ces  mots  écrite  • 
Plup^  aux  Dieux  que  tu  puffts   revivre  !   Le  jeune  Brutus  qui  étoit  al<^^* 
Préteur,  entendit  fou  vent  crier  autour  de  lui  :  //  nous  faut  un  Brutus  \  bi^*** 
plus ,  il  trouva  fur  fon  Tribunal  un  billet  où  il  lut  :  Tu  dors ,  Brutus  ;        ^ 
n'w  point  un  vrai  Brutus.  11  faut  ici  obferver  que  ce  Brutus  paffoit  pa      ? 
être  iffu  par  fon  père,  de  l'ancien  Brutus  qui  chaffa  les  Tarquins  ;  il  étcr:^)^ 
neveu  de  Caton  par  fa  mère  Servilie  ,   &  paflbit  même  pour  le  fils  i 
Céfar.  11   efl  repréfenté  dans  l'hifloire  comme  le  plus  vertueux   des  R< 
mains ,  &  qui  avoit  joint  à  la  vertu  l'étude  de  la  philofbphie  &  de  l'él( 


longue  main  des  motifs  perfonnels  

hommes  s'affocierent  donc  un  nombre  d'amis  sûrs  &  fidèles ,  &  fiirent 
réfervés  dans  le  choix  de  ceux  k  qui  ils  confioient  leur  fecret  :  ils  en 
rent  jufqu'à  foixante;  les  plus  connus  font  Servius-Galba ,  les  deux  Serv-**^^' 
lius-Cafca  ,  Tillius-Cimber,  Les  confpirateurs  après  avoir  long-temps  agi^^^ 
fur  le  lieu  où  ils  feroient  leur  coup ,  fe  déterminèrent  à  tuer  Céfar  en  pte^^ 
Sénat.  Les  Hifloriens  rapportent  divers  événemens  qui  auroient  pu  donn^^ 
quelque    alarme  à  Céfar  ,   ^  entr'autres  une  prédiaion  qui  lui  annonçcF^^ 
un  grand  danger  le  dernier  des  Ides  de  Mars  ;   mais  Céfar  n'en  fit  auciE  ^ 
cas,  il  fiit  feulement  ébranlé  du  fonge  de Calpurniei  fa  femnie,^  qui  ^'étcfif 


CÉSAR.     {C.Jules)  io^ 

lintgioée  le  tenir  entre  fes  braâ  percé  de  coups.  Mais  Decimus-Brutus  qui 
écoix  du  nombre  des  confpirateurs  ,  lui  reprëlènta  que  le  Sénat  sVcoit  af* 
femblé  dans  la  difpoficion  de  lui  accorder  le  nom  de  Roi  dans  toutes  les 
Provinces  :  cette  raifon  le  détermina,  &  il  fe  mit  en  marche.  Etant  en- 
tré au  Sénat,  &  conduit  à  fa  chaife  curule,  il  fut  auflî-tôt  environné  des 
confpirateurs.  Tillius^-Cimber  feignit  de  demander  pour  fon  frère  la  liberté 
de  revenir  à  Romie^  les  autres  lui  faifoient  les  mêmes  inftances,  &  pre« 
noient  fes  mains  cçmme  pour  tâcher  de  l'émouvoir.  Céfar  fe  voyant  trop 
preffé  ^  voulut  fe  lever  ;  en  même  temps  Cimber  lui  rabattit  la  robe  de 
deffus  les  épaules  :  c^étoit  le  iignal.  Cafca  lui  porta  le  premier  coup ,  & 
auffi-tôt  les  autres  le  percèrent  de  leurs  poignards.  Ayant  reconnu  Brutus 


&  tomba  fur  la  place  devant  la  ilatue  de  Pompée ,  percé  de  vingt-trois 
coups.  Il  étoit  dans  la  cinquante-fixieme  année  de  fon  âee.  Les  grandes 
aéUons  qui  ont  rendu  fon  nom  immortel ,  les  preuves  qu'il  donna  d'un  gé* 
nie  des  plus  extraordinaires ,  font  voir  qu'il  étoit  né  pour  commander  au 
genre  humain ,  fi  les  grandes  Qualités  fumfoient  pour  monter  fur  le  trône , 
&  qt^  le  droit  n'y  tut  pas  neceffaire  :  il  eft  du  moins  confiant  que  s'il 
«ût  acquis  l'autorité  fupréme  par  une  voie  légitime ,  on  pourroit  le  regâr^ 
der  comme  un  des  plus  illuftres  Souverains  du  monde.  Ajoutons  que  quoî»- 
que  Céfar  fôt  digne  de  mort ,  putfqu'érant  fimple  citoyen  il  avoit  uiurpë 
l'autorité  appartenant  en  commun  à  la  République,  nous  ne  faurions  ap<» 
prouver  Brutus  de  s'être  arrogé  le  droit  de  le  tuer  ,  droit  qui  n'appane- 
noit  qu'aux  Loix  &  à  la  République» 


p 


Parattclc  de  Jules-- Céfar  avec  Olivier  Cromwell. 


^^  ÉsBR  dans  la  balance  deux  caraâeres  qui  ont  à  peine  quelque  chofe 
de  commun ,  tirer  un  parallèle  entre  Jules-Céfar  &  Alexandre-le-Grand  » 
c'eft  une  chofe ,  ce  nous  femble ,  tout^à-fait  déplacée.  Celui  qui  veut  com- 
parer les  caraâeres  doit  imiter  Plucarque ,  il  doit  chcnfir  ceux  qui  ont  une 
reflemblance  frappante  dans  quelques-unes  des  circonftances  les  plus  remar- 
quables de  leurs  mœurs  &  de  leur  conduite.  Le  Critique  devroitàcet  égard , 
imiter  le  connoilleur  qui,  en  arrangeant  des  tableaux  dans  une  galerie,  fe 
gardera  bien  de  ranger  ceux  d'un  peintre  ordinaire  parmi  les  chefs-d'œuvre 
des  Titien  ou  des  Raphaël.  Il  placera  l'un  près  de  l'autre  deux  tableaux 
&its  par  deux  maîtres  également  habiles,  de  manière  que  les  ombres  & 
les  jours  fe  faflent  mieux  appercevoir  dans  tous  les  deux^  fans  que  l'un 
diminue  le  mérite  de  l'autre. 

U  fera  très-aifé  de  voir  que  nous  avons  fuivi  ftriâement  cette  métho« 
de  ^   en  fiûiànt  contrafter  les  caraâeres  de  Jules-Céfar  &  d'Olivier  Crom* 


^o5  G  É  S  A  R.    (  C.  Jules) 

well.  La  reflemblance  eft  auffi  forte  i^n'on  peut  le  défirer  ^  «u  égard  ï  la 
variation  que  la  diverficé  des  climats  fie  des  coutumes  produit  néceflaire^ 
ixienc  fur  les  corps  &  fur  les  efprits. 

Céfar  &  Cromvell  ont  commencé  leur  établiflTement  dans  le  monde  » 
4'une  manière  tout-à-fait  femblàble ,  foit  que  l'on  confidere  l'état  ou  fe 
trouvoient  alors  les  af&ires  publiques  dans  leur  patrie  ;  foit  qu'on  fafle  at« 
tentîon  aux  emplois  particuliers  qu'ils  polTédoient  avant  leur  élévation  ;  foie 
enfin  qu'on  rénéchiue  fur  les  circonftances  qui  accompagnèrent  leur  nai& 
fançe.  Quand  la  corruption,  après  avoir  gangrené  tous  les  Membres  de 
l'Etat  I  fàifoit  pencher  la  République  Romaine  vers  (à  ruine  ;  ou  plutôt, 
quand  il  ne  fubûftoit  plus  dans  Rome  que  l'ombre  de  la  liberté  ^  par  l'am^ 
bition  de  quelques  perfoiines  du  premier  rang^  qui ,  fe  i  difputant  à  l'envi 
b  fouveraineté  ,  femoient  la  di\riuon  parmi  les  :  citd yens ,  &  faifoient  de 
l'Italie  un  théâtre^  de  fang  &  d'honeur ,  Céfar  ne  le  diftinguoit  dans  fa 

I latrie  que  par  fes  débauches.  Ce  génie  fublime ,  qui  dans  la  fuite  étonna 
'univers  entier ,  &  auquel  on  rendit  les  honneurs  divins ,  ne  iaifoit  pref* 
que  en  ce  temps  aucune  fenfation,  Sylla  fut  le  feul  aux  yeux  duquel  il 
n'échappa  pas.  Sa  pénétration  lui  fit  découvrir  dans  ce  jeune  homme ,  à 
travers  tes,  étourderies  &  fon  libertinage,  les  ulens  les  plus  extraordinai- 
res, &  l'ambition  la  .plus  turbulente.  Dès-lors  il  prophétifa  l'élévadon  fiir 
ture  de  Céfar,  en  ces  paroles  remarquables  ;  maie  pnecincfum  juvtnem  ca^ 
vett.  »  Méfiez-vous  de  ce  jeune  homme  qui  porte  Ta  ceinture  lâche.  < 
Dans  le  temp^  que  Cromvell  faifoit  fes  études  à  l'untverfité  d'Oxford ,  & 

3ue  ,  femblàble  à  Céfar  »  il  fe  faifoit  remarquer  plutôt  par  le  relâchement 
e  fa  morale,  que  par  aucune  belle  qualité,  le  defpotiime  de  Jacques  & 
de  Charles  premier  donna  naiffance  à  cette  oppofition  qui  ne  cena  qu'à 
l'abolition  du  gouvernement  monarchique ,  &  qui  donna  la  Souveraineté  à 
Cromvell,  fans  lui  donner  le  titre  de  Roi.  A  Roine^  Marins  v  Sylla  &  les 
Triumvirs  avoient  fucceflivement  tyrannifé  leurs  compatriotes  ,  &  fait  gé« 
mir  fous  leurs  vexations  la  République  confternée,  auparavant  que  Jules- 
Céfar ,  en  s'iogérant  dans  les  affaires  publiques ,  eût  découvert  un  génie 
capable  d^enfanter  d'au(fi  grandes  révolutions.  En  Angleterre,  les  procédés 
arbitraires  de  la  Chambre  éroilée ,  Vimpofition  illégale  d'une  taxe  fur  la 
conftruâion  des  navires  &  d'autres  voies  oppredives  avoient  rendu  le  nom 
de  Roi  odieux.  Le  peuple  excité  par  Pym ,  Hamden  &  d'autres ,  ie  trou* 
voit  tout  difpofé  à  fecouer  le  joug  d'un  pouvoir  arbitraire  ,  avant  que 
Cromwell  devint  un  des  principaux  Chefs  de  l'oppofition  dans  la  Chambre 
4es  Communes ,  &  auparavant  qu'il  eût  fait  briller  les  talens  propres  à 
fermer  le  parti,  au  moyen  duquel  il  fe  rendit  fe  premier  homme  du 
Royaume.  Céf^r  &  Cromvell  fe  diftinguerent  d'abord  lun  &  l'autre  en 
qualité  d'Orateurs.  Céfar  étoit  regardé  comme  un  des  plus  grands  Orar 
teurs  de  fon  fiecle.  Son  éloquence  lui  procura  ce  crédit  o:  ce  grand  nom« 
bre  d'amis  qu'il  fit  fervir  à  l'exécution  de  (es  projets  ambitieux.  Crom^ 


C  É  s  A,R.  .  (C  JnUs)  107 

yett  y  <{ui  aToîc  piiifë  dans  lei  prédicateurs  fanatiques  de  fon  fiecle  tout  le 
feu  de  renthoufiafme  ,  poiTédoit  à  un  degré  extraordinaire  le  talent  de  la 
parole.  Rarement  il  manquoit  de  perfuader ,  parce  quM  s'exprimoit  tou« 
|ours  en  homme  pleinement  convaincu  de  ce  quM  difoir.  Ainfi  ces  deux 
hommes  fe  reflemblent  dans  une  circonftance  remarquable  ^  c'eft-à*dire  ^ 
en  ce  qu^U  commencèrent  à  s'acquérir  Tun  &  l'autre  ua  grand  afcendant 
fur  les  e(brits^  par  ta  force  de  leur  éloquence.  On  doit  croire  pourtant 
qu'à  cet  égard  le  Diâateur  de  Rome  furpafla  de  beaucoup  le  Héros  An-» 
glois ,  &  cela  par  rapport  aux  circonftances  des  diffêrens  pays  où  ils  vécu- 
lent.  En  Italie ,  Téloquenlre ,  la  poéfie  &  généralement  toutes  les  branchés 
de  la  linérature  tendoient  à  leur  perfeâion  du  temps  de  Céfar  ;  au  lieu 
qu'en  Angleterre  le  goût  s'étoit  corrompu  par  le  pédantifme  du  Roi  Jac« 
ques  ;  les  procédés  tyranniques  de  fon  fuccefleur  occafionnerent  des  diflen- 
tions ,  qui  s'oppofant  aux  progrès  des  arts  &  des  fcîences ,  étoient  près  de 
teplonger  P£ut  dans  cette  ignorance  crafle  d'où  l'on  avoir  eu  bien  de  U 
peine  à  le  retirer  fous  le  règne  d'Elifabeth. 

Si  l'on  fuit  Céfar  &  Cromwell  du  Sénat  aux  camps ,  fa  reflembîance  ne 
fera  pas  moins  frappante.  Ce  fut  dans  fon  expédition  des  Gaules  que  Jules- 
Céfar  gagna  l'afFeôion  de  Ces  (bldats ,  &  qu'il  s  acquit  cet  empire  &  cette 
iupériorité  qui  le  mirent  en  état  de  déclarer  la  guerre  au  Sénat  Se  à  tou^ 
les  plus  grands  Généraux  de  la  République.  Ce  fut  par  des  fuccés  inoiiis 
en  Irlande  &  en  Ecoilè  que  Cromvell  vint  à  bout  de  brider  ce  même 
Parlement  qui  Tavoit  revêtu  de  la  puiflance  fouveraine  ,  &  de  fup«* 
planter  tous  les  Généraux  qui  lui  portoient  envie  ,  ou  qui  s'oppofoient 
a  fes  prétentions.  -"    .       . 

Si  Ton  envifage  Céfar  &  Cromvell ,  comnoe  donnant  la  loi  à  leur  pays^ 
le  parallèle  fubfifte  en  fon  entier.  Tandis  V^u'tls  tenoient  les  rênes  du  gou- 
vernement 9  ils  montrèrent  l'un  &  l'autre ,  par  leur  conduite  ^  une  foibleffe 
dont  ils  parurent  exempts  dans  le  temps  qu'ils  s'efForçoient  le  plus  d'at- 
teindre au  pouvoir  fupréme.  Voici  une  particularité  fur-tout  qui  a  quelque 
chofe  de  bien  frappant.  Céfar  refiifa  le  diadème  ^  quoiqu^l  eut  toujours 
démontré  le  plus  ardent  défir  de  l'obtenir.  Croravell  refufa  d'accepter  la 
couronne  quand  elle  lui  fut  offerte  ;  &  l'on  dit  qu'il  mourut  de  chagria 
d^avoir  fi  mal  profité  de  cette  bonne  fortune. 

Si  l'on  examine  leur  tempérament,  leurs  difpofilions,  on  trouvera  tou- 
jours une  reflembiance  également  fenfible.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'étoient  d'utt 
raraâere  fangninaire  &  inhumain,  comme  la  plupart  de  ceux  qui,  n'étant 


ait  répandu  moins  de  fang  que  Céfar,  ni  l'hiftoire  moderne  d'un  hé-- 
xt>s  qui  ait  commis  moins  de  cruautés  que  Cromxrell.  Marius,  Sylla  &  Cinna 
exercèrent  des  barbaries  qui  euffent  révolté  l'ame  généreufe  de  Céfar  ;  on 
xie  peut  lire  fans  horreur  î'hifloire  de  leurs  prefcriptions  fanglantes.  Crom* 


lot  CÉSAR.    (C.  Jules) 

well  témoigna  la  même  averfîon  à  répandre  le  fang  humain ,  qnoiqu^on  l'ait 
rendu  refponfable  injudement  des  cruautés  qu'exercèrent  fes  foldats  dans  le 
faccage  de  certaines  villes  d'Irlande.  Mais  irn'eft  pas  difficile  de  démontrer 

3ue  cette  accufarion  eft  deftituée  de  tout  fondement.  Quelle  que  foit  l'autorité 
'un  Général  fur  fes  foldats ,  elle  a  toujours  fes  limites.  Il  fe  trouve  des  occa- 
fions  où  il  perd ,  pour  ainfi  dire,  tout  fon  afcendant;  par  exemple,  lorfqu'une 
ville  eft  prife  d'aflkut.  Envain  voudroit-il  prévenir  l'efFufion  du  fang  humain, 
réprimer  la  fureur  Aes  foldats  ne  refpirant  que  meurtre  &  carnage  v  il  fo 
trouve  en  quelque  forte  contraint  de  (oufFrir  les  plus  horribles,  cruautés, 
plutôt  que  d'expofer  fon  autorité ,  en  donnant  des  ordres  qui  certainement 
ne  feroient  pas  fiiivis.  ^ 

Ces  deux  hommes ,  comme  nous  l'avons  vu ,  fe  reflèmblent  dans  leurs 
vertus  &  dans  leurs  brillantes  qualités ,  mais  ils  ne  fe  reflèmblent  pas  moins 
dans  leurs  dé&uts.  On  ne  fauroit  difculper  Céfar  d'avoir  manqué  de  politi-> 
que  &  de  difcernement  en  quelques  occafions.  On  lui  reproche  entre  au? 
très  d'avoir  vécu  fans  cefle  au  milieu  de  fes  ennemis,  conjurés  à  fa  perte; 
&  d'avoir  répandu  les  plus  grandes  diftinâions  &  les  plus  grandes  faveurs 
fur  Brutus ,  qui  parut  eafuite  au  nombre  de  fe$  aflaflîns.  Cromxrell  commit 
de  même  la  plus  grande  indifcrétion ,  en  (aifant  condamner  le  Colonel  Lil* 
bum,  pour  avoir  tenu  des  difçours  injurieux  contre  fa  perfonne  &  contre 
fon  jrouvernement.  Cette  rigueur  mal  entendue  &  tou^à*fak  hors  de  faifon, 
ne  lervit  qu'à  démontrer  la  fbiblefTe  de  fon  pouvoir.  On  s'étonne  qu'il  fe 
foit  imaginé  qu'un  peuple ,  qui  venoit  de  fiiire  les  plus  vigoureufes  tenta* 
fives  pour  conferverfa  liberté,  pût  devenir  tout*à-coup  l'efclave  abjeâ  & 
craintif  d'un  ufurpateur  \  il  étoit  oien  plus  naturel  de  croire  que  les  Anglois 
iàifiroient  la  première  occafîon  de  témoigner  leur  mécontentement  de  l'au- 
torité fans  bornes  de  Cromvell ,  malgré  qu'il  ne  fut  guère  en  état  de  l'en 
dépouiller.  Cromvell  eut  agi  bien  plus  prudemment,  en  fe  contentant  de 
faire  enfermer  le  Colonel ,  fans  exiger  qu'on  lui  fit  ion  procès  ;  ce  fut  donc 
fans  contredit  une  grande  bévue  de  fa  part,  d'avoir  recours  aux  loix;  tandis 
qu'il  (entoit  que  fa  puiflance  n'étoit  fondée  que  fur  le  renverfement  de  tou- 
tes les  loix.  Ces  erreurs  de  la  part  des  grands  Politiques  fondent  la  jufte/Te 
de  l'obfervation  de  Mr.  Pope ,  lavoir  qu'en  prudence  &  en  conduite  ils  oe 
font  gueres  fupérieurs  aux  gens  les  plus  étourdis  &  les  moins  judicieux. 

'  On  pourra  nous  objeder  ici ,  qu'il  y  a  une  différence  effentiellé  entre 
Céfar  &  Cromxrell,  en  ce  que  l'un  fuivit  les  principes  d'£picure,  &  par 
conféquent  fut  très- indifférent  à  l'égard  de  la  religion ,  ou  plutôt ,  mécon* 
nut  entièrement  l'exiflence  d'une  divinité  ;  au  lieu  que  l'autre  parvint  à  foa 
but ,  en  mettant  à  profit  l'enthoufiafme  religieux  de  fon  fiecle.  Mais  cette 
objeâion  s'évanouira  d'elle-même,  fi  l'on  confldere  que  Tenthoufiafme  reli« 
gieux  de  Cromvol  n'étoit  qu'un  intérêt  perfonnel  déguifé  fous  le  mafque 
en  vogue  de  fon  temps.  Son  indifférence  réelle  pour  la  religion  augmenta 
à  mefure  qu'il  eut  plus  de  part  dans  les  affaires  publiques  \  6c  quoiqu'il  affec- 
tât 


CÉSAR.    (  C.  Mes  )  a^oij 

tAt  «quelquefois  avec  ceux  de  Ton  parti  les  fentimeus  &  le  langage  de  leur 
leâe  ,  c'étoic  endéremenc  par  des  vues  poUriques ,  &  non  par  relprit  de 
finatifme  qui  les  animoir.  11  s'en  ouvrir  au  Poëce  Waller,  Ton  parent,  avec 
lequel  il  entretint  toujours  la  plus  grande  amitié  &  la  plus  intime  correl^ 
pondance.  Âpres  avoir  compare  ces  perfonnages  célèbres  dans  les  pUis  re- 
snarquables  circonfiances  de  leurs  vies ,  comparons-les  maintenant  dam 
celles  qui  accompagneront  leur  mort;  Elles  nous  fourniront  des  réflexiotns 
non  moins  inflruâives  que  celles  qui  naiflent  de  la  confidération  des  plus 
'glorieux  événemens  de  leur  vie.  Il  s'y  trouve  une  particularité  peu  com- 
mune y  qui  complette  le  parallèle.  Leur  mort  fut  précédée  de  phénomènes 
extraordinaires;  Ton  eut  dit  que  la  nature  allôit  fe  dilToùdre  au\  moment 
que  ces  hommes  trop  célèbres  quittèrent  cette  demeure  mortelle,  &  qu'elle  eue 
voulu  les  difiinguer  du  refte  des  humains  dans  cet  inftant  qui  les  met  tous 
EU  niveau.  Virgile ,  dans  fon  premier  livre  des  Georgiques  nous  a  dépeint 
d'une  manière  admirable  les  phénomènes  qui  précédèrent  la  mort  de  Ju- 
les-Céfar,  &  Mr.  Waller  a  décrit  avec  beaucoup  de  feu  &  d'enthoufiafme 
la  violente  tempête  qui  fe  fit  fentir  au  moment  que  Crom^rell  expira , 
dans  les  vers  qu'il  dédia  à  la  mémoire  du  Proteâeur  de  la  Grande-Bretagne. 

»  Il  faut  nous  rédgner,  dit-il,  le  ciel  redemande  fa  »ande  ame  par  un 
»  ouragan  terrible  dont  le  bruit  éclatant  égale  celui  4e  m  réputation.  « 

Quant  à  leur  manière  d'envifager  la  mort ,  Cé(ar  a  de  beaucoup  l'avan* 
tage  fur  Cromwel.  Celui-là  mourut,  comme  il  avoir  vécu^  en  héros.  Aflaillî 
par  un  nombre  confîdérable  de  conjurés  »  il  en  tua  plufieurs  &  expira  avec 
autant  de  bravoure  dans  le  Sénat ,  qu'il  eût  pu  le  faire  fur  un  champ  de 
bataille.  Cromvelli  au  lit  de  la  mort,  ne  foutint  pas  le  caraâere  de  hé- 
ros ,  ni  même  de  guerrier.  L'cnthoûfiafme  auquel  il  s'étoit  adonné  pendant 
fa  jeunede ,  vint  reprendre  fon  pouvoir  fur  fon  ame«  Il  fit  paroitre  toute 
la  timidité  d'un  ReUgionnaire  qui  craint  la  mort,  dans  le  temps  même,  oit 
il  dit  qu'il  met  tout  fon  bonheur  dans  l'autre  vie.  Les  termes  dont  il  fe 
fervit  :  »  Je  ne  mourrai  pas  encore  ;  mon  heure  n^ed  pas  encore  venue  ^  • 
(ont  des  preuves  manifeftes  de  la  jufleffe  de  cette  remarque  d'un  Poète: 

n  Celui  qui  combat  courageufen\^nt  n'efl  pas  le  plus  brave  pour  cela  ;  il 
.»  craint,  au  lit  de  la  mprt^  comme  le  plus  vil  efclavie.  « 

Cette  fin  d'un  homme  qui  s'étoit  expofé  fans  craioçe  aux  plus*  grands  pé- 
rils 
d' 
fon 

tlus  utiles  &  des  plus  infîruâives  leçons  de  morale.  Elle  nous  prpuve  corn- 
ien  il  èft  vain  &  ridicule  de  prétendre  à  i'héroïfme;  elle  nous  démontre 
pleinement  la  vëric^  decetce  maxime  du  Sage  :  V^rgucil  r^xfi  pas  fait  pour 
Phommc  ;  ni  un  cœur  fier  pour  ç^elui  qui  eft  né  et  une  femme.  Souvent  il  ar^ 
rive  q^un  homme  célèbre  perd  au  lit  dé  la  mort  tout  le  luftre  de  Tes  ex<* 
ploits  glorieux.  La  mort  enlevé  le  mafque  qui  le  faifoit  paroitre  un  héros 
Tome  XL  P4 


ft,o  C  E  s  s  A  R  E  5.    {République  des) 

aux  yeœc  du  vulgaire;  &  robjet  de  radmiratiôn  publique  n'eft  plàs  quMn 
vil  efclave  des  fbiblefles  humiliantes  qui  nous  confondent  avec  la  populace. 
Ceux  donc  qui  regardent  les  hommes  illuftres  avec  des  yeux  d'envie  ou 
d'admiration ,  doivent  les  contempler  dans  les  derniers  infians  de  leur  vie  ; 
alors ,  contens  de  leur  fort ,  loin  de  fe  laifler  éblouir  par  la  gloire  des  hé- 
ros les  plus  Êimeux,  ils  conviendront  que  le  total  de  cette  réputation  ^— 
me ,  n'eft  que  le  produit  de  leur  gloire  &  de  leur  ignominie. 


énot* 


CESSARES.  (  République  des  )  Relation  du  premier  Etablijfement  ^ 
des  Loix  ^  du  Gouvernement  &  de  la  Police  des  Cejfares  ^  Peuples  de 
t  Amérique  méridionale  ;  en  neuf  lettres  de  Mr.  Van  der  Neck ,  Magifirat 
de  cette  nation ,  â  un  de  fes  amis  en  Hollande ,  ayec  des  notes  de  tE^ 
diteur.    {a) 

\J  U  A  N  D  on  confîdere  combien  Tes  fins  pour  lefqueltes  le  Gouverne^ 
^^meht  civil  a  été  înftitué,  font  fimples  &  fenfibles  à  tout  le  monde^ 
il  femble  étrange  que  parmi  tant  de  formes  de  police  établies  pour  y  par- 
venir ,  il  y  en  ait  fi  peu  qui  approchent  de  la  perfeâion ,  &  un  fi  grand 
nombre  qui  font  diamétralement  oppofées  au  but  de  leur  inflitution.  Mais 

Î[uand  on  vient  à  réfléchir  combien  la  méchanceté  humaine  a  d'influence 
ur  ces  établiffemens ,  &  combien  elle  eft  capable  de  les  corrompre ,  on 
ne  s'étonne  plus  qu'ils  refient  fi  imparfaits,  &  fi  vicieux. 

Ce  n'efl  pas  l'ignorance  des  légiflateurs  qu'il  faut  rendre  refponfable  de 
Tinfuflîfance  des  loiy.  Elle  vient  beaucoup  plus  d'un  vice  interne  dans  le 
plan  des  conflitutions  politiques,  ou  de  l'altération  qu'y  caufeùt  certaines 
révolutions  accidentelles  qui  élèvent  l'intérêt  dé  ceux  qui  gouvernent  au 
defTus  de  celui  de  la  nation  qui  eft  gouvernée. 

Lai  grande  fource  du  mal ,  c'efl  que  dans  la  première  inflitution  du 
gouvernement  civil  ,  quel  qu'il  foit ,  fondé  ou  fur  l'ufurpation  ou  fur  un 
contrat,  c'efl-à^dire ,  defpotique ,  ou  comparativement  libre ^  l'intérêt  des 
cheB  eft  toujours  l'objet  principal  des  réglemens ,  le  centrie  où  l'on  rap- 
pone  tout ,  lors  même  qu'on  femble  lui  préférer  l'intérêt  du  peuple.  Si  le 
gouvernement  efl  fondé  fur  l'ufurpation,  l'ufurpaceur  s'efforce  de  mainte- 
nir par  la  terreur  ce  qu'il  tient  de  la  force  :  ainfi  la  crainte ,  comme  l'c^ 
ferve  Montefquiea  ^  eft  le  principe  du  defpotifme.  Si  un  contrat  libre  fonde 
&  établit  l'Etat  y  le  peuple  bien  intentionné  juge  trop  avancigeufement 


■^■'■■^^■— — iW*—"— i"<— ^— ■*— — ^i— ^w»»  —i^l 


(a)  Ce  Roman  politique  onglnalea  Angtoîs^  parut  à  Londres  .en  1764;  fioafh^cryyoos 

pas  qu'il  ait  étc  traduit  en  aucune  autre  langue.  Ccil  iur  TAnglois  que  nous  avW  In.  que 
nous  alloûs  en  donnée  une  légère  idée» 


C  £  s  s  A  R  E  s.    { République  du  )  xn 

des  Magiftrats  qu'il  fe  choifit,  &  par  une  confiaqce  indifcrete  il  leur  doxme 
dne  étendue  de  pouvoir  dont  ils  abufenn 

Comme  il  eft  de  la  nature  du  pouvoir  d'être  entreprenant,  ceux  qui 
ont  la  puiflance  en  main  épient  les  occafions ,  &  tirent  avantage  de  toutes 
les  circonftances  propres  à  accroître  leur  empire.  Les  premières  entreprifès 
fe  font  fi  in(ènfiblement ,  que  la  multitude  ne  sVn  apperçoit  pas  ;  ainn  elle 
garde  le  filence;  &  quand  elle  commence. à  élever  la  voix^  les  ufurpa^ 
fions  font  reclamées  de  l'autre  côté  comme  des  prérogatives,  &  confir- 
mées comme  ^ifant  partie  de  la  conflitution ,  fous  la  fanâion  des  peines 
les  plus  fëveres. 

Voilà  conune  le  plus  grand  nombre  des  gouvernemens  font  établis  & 
fe  maintiennent  réellement  fur  ce  principe  de  Thrafymaque ,  qui ,  dans  la 
République  de  Platon ,  définit  la  jufiice  ce  qui  eft  conforme  à  l'intérêt 
du  fort ,  du  puiffant ,  du  fupérieur. 

Lorfque  ces  fyftêmes  qui  femblent  fi  étranges  aux  yeux  du  philofophe, 
font  une  fois  établis  ,  différentes  caufes  contribuent  à  les  maintenir  en 
palliant  le  vice  de  leur  inflitution.  Les  préjugés  de  l'éducation  portent  le 
grand  nombre  à  penfer  qu'il  faut  bien  que  ces  réglemens  foient  juftes  & 
utiles,  puifque  leurs  aïeux  les  ont  agréés,  &  que  leurs  pères  les  ont  ap- 
prouvés au  moins  tacitement ,  en  vivant  fous  une  telle  forme  de  gouver* 
nement  fans  en  murmurer.  Ces  préjugés  tiennent  lieu  d'examen.  La  timi- 
dité des  autres  &  leur  indifférence  pour  les  af&ires  publiques ,  font  qu'ils 
fe  foumettent  tranquillement  à  des  inftitutions  que  leur  jugement  con- 
damne. Quant  aux  hommes  d'une  trempe  philofophique ,  ils  cultivent  les 
arts  &  les  fciences  &  laiffent  la  machine  politique  fe  mouvoir  au  braille 
de  la  roue  de  fortune.  L'ambition  &  l'avarice  des  grands ,  font  qu'ils  s'ac- 
commodent aifément  d'un  fyfléme  qui  &vorife  leurs  vues ,  en  les  mettant 
à  même  de  s'engraiffer  de  la  fubftance  du  peuple.     . 

Les  paffîons  humaines  ont  jufqu'ici  empêché,  &  empêcheront  encore 
dans  la  fuite ,  l'établiffement  d'un  fyfléme  de  Gouvernement  fondé  fur  la 
bafe  du  bien  public ,  bafe  trop  grande  fans  doute  pour  des  têtes  à  petits 
fyfiêmes  d'intérêt  particulier.  Les  hommes  en  général  font  fi  bien  con- 
vaincus de  cette  vérité ,  fi  intimement  perfuadés  que  la  malice  l'emportera 
toujours  fur  la  bienveillance ,  qu'on  a  traité  de  projets  vains  &  chiméri- 
ques tous  ceux  qui-  fe  propofoient  une  fin  fi  glorieufe.  Platon ,  Monis  ^ 
Harrington ,  &  d'autres  n'ont-ils  pas  été  regardés  comme  des  vifionnaires, 
parce  qu'ils  ont  voulu  fonder  une  république  fur  les  principes  de  la  juf- 
tice?  Quoiqu'on  en  puiffe  dire,  que  leur  plan  foit  praticable  ou  non,  il 
contient  toujours  des  vues  dignes  d'une  férieufe  attention  de  la  part  des 
lëgiflateurs. 

Du  refte  nous  devons  regarder  comme  un  bonheur  que  le  ridicule  jette 
fi  mal  à  propos  fur  ceux  qui  ont  préfenté  aux  hommes  de  fi  bonnes  inf^ 
timtions,  n'empêche  point  de  parler  les  politiques  bien  intentionnés  qui 

Dd  2 


\ 


i 


1X1  C  E  s  s  A  R  E  s.     (  République  des  ) . 

Aéiîrene  fincérement  la  perfeôion  des  fociéiés  civiles,  Ceft  fous  ce  poi»t 
de  vue  qu'il  faut  envilager  Pouvrage  que'  fïous  analyfons,  c'eft-à-dire-, 
comme  un  Nouveau  plan  de  gouvernement. 

Qu'il  exifte,  ou  qu'il  n'exifte  pas,  un  peuple  tel  que  les  Ceflares;  que 
te  nom  même  de  Van  derNeck  foit  fuppofé  ou  non,  peu  importe  au  lec- 
teur. Il  lui  fuffit  pour  s'attacher  à  ces  lettres,  qu'elles  offrent  de  bons  ré- 
glemèns  pour  le  bien  de  la  fociété  &  le  bonheur  des  hommes.  Et  quoi-, 
que  plufieurs  de  ces  inftitutions  n'aient  pas  le  mérita  de  la  nouveauté,  & 
que  quelquefois  elles  ne  foient  pas  propofées  de  la  manière  la  plus  frap- 
pante ,  ni  la  plus  attrayante,  on  y  trouvera  néanmoins  des  principes  & 
dts  préceptes  de  légiflation  qu'on  pourroit  aifément  mettre  en  pratique, 
(inon  dans  les  Etats  policés  &  corrompus  de  l'Europe ,  .ati  moins  dans  lei 
nouvelles  Colonies  de  l'Amérique. 

Dans  la  première  lettre,  l'auteur  expofe  les  raifons  qui  l'ont  porté  i 
laifTer  fon  ami  en  Hollande,  pour  venir  s'établir  dans  un  pays  prefque 
inhabité.  Ce  détail  eft  un  peu  infipide,  &  on  peut  en  dire  autant  d'uoe 
partie  de  la  féconde  lettre. 

La  troiHeme  lettre  offre  la  forme  de  Gouvernement  établie  parmi  les 
Ceflares  :  elle  confifte  en  un  gouvernement  qui  efl  héréditaire  &  en  ua 
petit  nombre  de  Sénateurs  au  choix  dts  citoyens.  On  préfente  de  temps 
en  temps  des  objeâions  fenûbles  contre  les  gouvernemens  ariftocratique , 
démocratique,  monarchique; 

Les  lettres  fuivantes  entrent  dans  un  plus  grand  détail  des  loix  qui 
concernent  les  Magiftrats ,  le  droit  de  propriété  ,  la  punition  des  cri- 
mes, &  plufîeurs  autres- matières  importantes,  dont  nous  traduirons  feu* 
iement  ce  qui  regarde  le  luxe,  pour  faire  connoitre  la  manière  de 
l'Auteur. 

n  Le  Sénat  aura  foin  d'établir  des  loix  fomptuaîres,  &  de  veiller  it  ce 
»  qu'il  ne  s'introduife  aucune  forte  de  luxe,  fous  quelque  prétexte  que  ce 
91  u>it.  On  défendra  expreflément  toutes  fortes  d'arts  &  de  commerce  qui 
»  fourniflent  à  la  vanité  &  à  la  mollefTe  des  fuperfluités  que  l'homme  ne 
j)  fauroit  fe  procurer  qu'aux  dépens  des  biens  plus  réels.  Le  luxe  préfage 
»  la  ruine  d'un  Etat.  Il  eft  recommandé  d'être  propre ,  &  de  parcrïtre  dé- 
9  cemment  en  public  ;  mais  rien  n'eft  plus  déraifonnable  que  de  s'occu- 
»  per  avec  trop  d'fétude  de  l'extérieur   :  &  un  changement   fréquent  de 
»  mode  eft  la  marque  infaillible  d'un  efpritvain  &  petit:  en  conféquence 
»>  le  Sénat  a  réglé  l'habillement  de  chaque  citoyen  félon  l'âge  &  le  fexe. 

porter  de 
vanité, 
pompe  &  du  luxe  né  s'introduifent  imperceptiblement 
•  dans  la  Répu'blique..  Seulement  les  fous  &  les  idiots  font  feuls  excep- 
«^  tés^  de  ce  règlement  :  on  les  oblige  même  de  porter  des  habits  relevés 
»  d!ôr  &  d'argent  pour  Ijes  diftinguer  dei  citoyens  feofés  &  raifonnabies.. 


\C  E  s  s  I  O  N.  4IJ 

s>  Comme  chiîHeurs  Pamoiir  de  !a  parure  eft  une  paflion  particulière  au 
9>  fexe,  toute  feinme  qui  violera  quelqu'une  des  loix  fomptuaires  en  s'ha* 
3»  billant  d'une  manière  au-defHis  de  Ton  rang,  fera  condamnée  à  porter, 
»  pendant  une  année  entière,  un  habillement  au-*d^ous  de  fa  condition* 
»  pour  mortifier  fon  amour-propre.  ^ 

L'objet  du  luxe  termine  ainfi  la  feptiemè  lettre.  La  liuitieme  &  la  neu^ 
vieme  traitent  des  occupations  des  citoyens  :  elles  font  toutes  réglées  de 
manière  à  prévenir  la  mifère  &  Tindigence;  on  y  traite  aufli  des  mariages 
&  des  encourageipens  à  la  population ,  ainfi  que  de  plufieurs  autres  points 
fur  lefquels  nous  ne  nous  arrêtons  pas ,  parce  que ,  comme  nous  venons 
de  le  dire,  ce  Roman  politique  ne  contitat  rien  d-aflez  particulier  pour  y 
fixer  l'attention  du  le^ur.. 


m 


C    E    S    S    I    O    N^    C    £ 

Si  la  Cejfion  faiu  par;  un  État  des  biens  de  fes  Sujets  à  un  autrt  État^, 
ejt  valable  indépendamment  du  confentement  des  propriétaires?  , 


D 


ANS  les  Traités  de  paix,  de  limites,  d'échange,  &c.  Tune  des 
puiilànces  contraâantes  cède  fouvent  à  l'autre,  des  terres  particulières  qui 
appartiennent  à  fes  fujets.  C'eft  une  fuite  du  domaine  éminent  de  l'état,, 
qui,  dans. une  néceffité  preflànte,  ou  pour  procurer  l?avantage  public^ 
autorife  le  Souverain  à  di^pofer  du  bien  de  ceux  qui  vivet^t  fous  fes  loix, 
ikns  qu'il  ait  befoin  du  confentement  des  propriétaires.  Ces  particuliers 
doivetit  étr|9.  dédommagés  par  V£tat  de  ce  que  le  Souverain  leur  ôte  pour 
Pavantage  même  du  public ,  cela  n'efl  pas  douteux;  mais  qu'ils  le  foient 
ou  non,  le  Prince  qui  reçoit  le  domaine  particulier,  de  la  main  du  Souve- 
rain même  &  par  un  Traité  public,  en  devient  légitimement  propriétaire. 
Il  n'eft  pas  obligé  de  prouver  que  les  befoins  de  r£tat  ont  été  aflez  pref- 
fans,  ou  l'avantage  du  public*  allez  confidérable  ,,  pour  autori fer  l'autre 
PuifTance  \  céder  ce  domaine  particulier*  L'autorité  fouveraine  n'attend 
point  le  confentement  des  particuliers  dont  elle  eft  obligée  de  fâcrifîer  les 
intérêts  au  falut  de  l'Etat  ;  &  quicongue  a  le  droit  de  la  guerre  &  de  la 
paix.,  poflède  néceftairement  celui  de  taire  tout  ce  qui.  conduit  à  l'un.  &  à 
l'autrç  de  ces  objets* 

A  ne  confulter  que  l'équité,  tout  ce  qui  a  été  pris  dans  une  guerre 
injufte,  doit  être  rendu.  Le  prince  qui  en  a  été  dépouillé,  peut  prendre 
Les  armes,  pour  s'en .  remettre  en  pofleftion,  pourvu  qu'il  n'ait  .pas .  aban« 
donné  fon  droit,  par  un  aâe  ou  exprés  ou  tacite.  Mais,  s'il  a  laiffé  paf- 
&x  un  très-long. efpace  de  temps,  fans  avoir,. en  aucune  manière,  réclamé: 


^,^  CESSION. 

ce  qu^on  lui  a  pris,  ou  fi,  par  un  Traité  exprès,  il  a  cédé  les  pays  con« 
quis ,  il  ne  peut  raifonnablement  employer  les  voies  de  la  force ,  pour  fe 
foire' rendre  ce  qui  eft  polTédé  à  ce  titre-là.  Le  poflTeflTeur  eft  toujours  obligé 
à  la  reftitution,  dans  le  for  intérieur,  dès  ^ue  Pacquifition  a  été  injufte; 
mais  devant  les  hommes,  la  poiTeflion  eft  juridiqMe.  La  ceflion  volontaire 
prive  à  jamais  celui  qui  l'a  faite ,  du  droit  qu'il  avoit  à  la  chofe. 

Un  Jurifconfulte  François  (tf)  a  foutenu  que  le  Roi-Trés-Chrétien  nepou* 
voit  en  aucune  manière  obliger  fon  fuccefleur  à  l'exécution  des  Traités  de 
paix  qu'il  faifoit ,  par  la  raifon  qu'il  n  eft  qu'ufufruitier  de  fon  Royaume  ;  que 
ae  n'eft  pas  de  fa  volonté  que  fon  fuccefleur  tienc  la  Couronne,   &  <}u'il 

Ïeft  appelle  par  la  loi  fondamentale  de  l'Etat.  C'eft  une  erreur  qui  vient 
e  ce  que  ce  Jurifconfulte  raifonnoit,  dans  une  matière  du  droit  des  gens, 
fur  les  principes  du  droit  civil  qui  n'y  ont  aucune  application.  Mille  Écri- 
vains François  ont  copié  cette  erreur  de  Bodin.  Si  fon  •pinion  étoit  fon- 
dée ,  ceux  qui  ne  font  les  chefs  d'un  gouvernement  ariftocratique  ou  dé- 
mocratique ,  que  pour  un  temps ,  &  feulement  comme  fimpleâ  adminifba- 
teurs ,  pourroient  encore  moins  que  les  Rois  de  France  &  les  autres  Mo- 
narques abfolus,  obliger  leurs  fucceflfeurs;  mais  cette  opinion  eft  infbu- 
cenaole.  De  ce  qu'un  Souverain  a  le  droit  de  faire  la  guerre,  &  celui  de 
conclure  la  paix ,  il  fuit  que  toutes  les  ceffîons  qu'il  rait,  lient  &  fes  fo- 
jets  àc  fes  fucceflfeurs.  Dès  que  la  guerre  eft  déclarée,  tout  ce  dont  le  vain- 
queur s'empare  lui  appartient,  &  le  fucceffeur  du  vaincu ,  à  qui  elle  pou- 
voit  à  jamais  enlever  fes  Etats  ,  eft  obligé  de  fe  conformer  à  un  Traité 
de  paix  qui  lui  en  a  confervé  une  partie. 


D 


Des  Cejfwns  forcées.  Si  elles  font  obligatoires  T 


'Autres    Jurifconfultcs   jugent  auflî   des   Traités,   atnfî   que  des 

Contrats  particuliers  ;  &  quelque   différence  qu'il   y  ait  entre  ,  ces  fortes 
d'aâes ,  ils  appliquent  aux  Traités  la  maxime  du  droit  civil ,  qui  difpen& 
les  particuliers  (Texécuter  les  s^âes  faits  par  force;  mais  les    loix  civiles 
même ,  n'annullent  que  les  aâes  qui  tirent  leur  origine  d'une  force  réelle. 
Tous  les  Jurifconfultes  conviennent  que  la  crainte  qu'ils  nomment  révé- 
rentielle  ,  c'eft-i-dire  celle  qu'un  inférieur  peut  avoir  de  déplaire  à  fon  f*» 
périeur,  une  femme  \  fon  mari,  un  fils  à  fon  père,  un  fujet  à  fon  Roi, 
n'ôte  point  la  liberté,  &   par  conféauent  n'invalide  point  l'aâe.  Si  cette 
efpece  de  crainte  pouvoit  être  admire  dans  les  fociétés  civiles ,  on  la  fe- 
roit  feryir  de    prétexte  pour  anéantir  tous  les  ades  des  particuliers  ;  &  fi 
l'exception  tirée  de  la  crainte,  invalidoit  les  Traités  des  Souverains^  il  n'y 


(4)  Bodin* 


C    E    $    s    I    O    N. 


ai; 


en  a  pas  un  feol  qu'on  ne  pût  anauller  par  cette  vfMç.  €e  ne  fèroit  pas 
feulement  ériger  l'infidéHce  en  tna^ime  ^^'Ècat ,  &  élargir  ta  confcience  des 
Princes;  ce  feroît  bannir,  la  foi  ^t  toutes  leurs  nëgociations. 

Les  Princes  9  en  s^engageant  dans  une  guerre  réglée,  font  cenfës  être 
convenus  qiie  celui  pour  qui  la  fortune  fe  déclareroit,  impoferoit  au  vaincu 
les  conditions  qu^il  }ugeroi(  à  propos.  Dans  la  négociation  de  paix  qui  fuie 
cette  guerre,  les  puiflànpes  commeocept  ordinairement  par  fuppofer  qu'elle 
a  été   également  jufte  de$  deux  côté^-  Elles  fe  tienneixt  réciproquement 

Quittes  y  à  certaines  conditions,  des  pertes  qu'elles  fe  (ont  cauiées  de  part 
:  d'autre  y  comme  y  ayant  été  autorifées  par  la  réfolution  prife  de  niire 
dépendre  de  l'événement,  le  fort  des  parties.  Le  moment  où  le  Traité  eft 
figné ,  eft  le  moment  décifif  qui  règle  le  fort  des  vainqueurs  &  celui  des 
vaincus;  jufques-là,  les  conquêtes  des  uns,  &  les  pertes  des  autres,  font 
indécifes;  c'eft  le  Traité  de  paix  qui  les  fixe»  qui  alfure  aux  Princes  J^ 
fruit  de  leurs  yiôoîres ,,  ou  qui  les  en  dépouille  pour  toiijoursT 

Si  l'exception  tirée  de  la  crainte  pouvoir  être  écoutée  contre  une  ÇefHQQ 
formelle,  le  viâorieux  ne  fèroit  jamais  de  paix,  Si  acheveroit  peut*être 
de  dépouiller  le  vaincu;  mais  la  crainte  ne  (àuroit  jamais  invalider  un 
Traité.  La  violence ,  fuivie  du  confentement  de  celui  qui  la  fouffre^  change 
de  nom  comme  de  nature;  c'eft  un  aâei légitime.^  &  auffî  yalide  que  la 
volonté  du  cootraAant  efl  poHtive. 

Le  fort  des  armes,  qui  femble  avoir  reridu'Té'Traîfé,  'èn'quëtqQe 
forte  néceffaire,  n'en  a  pas  néanmoins^  exclu  la  liberté.  Elle  eût  pu  ne  pas 
agir  fans  une  forte  de  néceffîté  extérieure,  mais  elle  a  agi.  Elle  a  pu  ne 
fe  déterminer  que  par  le  danger  imminent;  mais  elle  s'eft  déterminée,  & 
fon  aâion  a  été  tout-à-fait  libre.  Rien  ne  peut  forcer  la  volonté  qu'elle 
même.  Un  aâe  ne  peut  pas  être  en  même-temps  libre  &  forcé  ;  mais  on 
peut  faire  librement  une  aâion  néceflaire  ,  relativement  au  bien  qu'on 
veut  s'aflurer,  ou  au  mal  qu'on  eft  réfolu  d'éviter.  La  Ceflion  que  le  vaincu 
fait,  eft  abfolument  volontaire  de  fa  part;  il  voudroit  continuer  la  guerre, 
mais  il  en  craint  les  événemens.  Delà,  diffêrentes  volontés.  Un  mouve- 
meoc  eft  iurmonté  par  un  autre  ;  &  celui  qui  porte  à  la  paix ,  demeure 
le  plus  fort.  Le  vaincu  «  à  qui  la  fortune  ne  laiflTe  plus  efpérer  de  retour  à 
la  viâoire,  demande  la  paix,  &  préfente  au  vainqueur  une  main  défar- 
raée.  Il  fe  détermine  librement  à  la  paix ,  en  jugeant  plus  à  propos  de  la 
faire  à  des  conditions  dures ,  que  de  continuer  la  guerre  avec  les  périls 
qu'il  y  prévoit. 

Ce  que  l'objeâion  que  je  réfute  fuppofe  néceflaire  ,  n'eft  en  effet 
quVile.  L'utilité  devient  le  motif  de  la  Ceflîon.  Un  Prince  qui  a  conclu 
un  Traité,  doit  confidérer  comme  un  gain  ce  qu'on* lui  a  laiffé,  &  non 
comme  une  perte  ce  qu'on  lui  a  ôté.  Il  n'a  fait  qu'imiter  le  Comman- 
dant d'un  vaiffeau  battu  de  la  tempête ,  qui  fait  jetter  des  marchandifes 
dans   la   mer  ,  pour  l'en  décharger ,  dans  la  crainte  du  naufrage  &  d'une 


2l6 


CESSION. 


perte  totale.  (^)  Un  'Souverain  qui,  après  avoir  ratifié  tin  Traité  de  poix 
conclu  par  (en  Miniftre,  le  rompt /fe  rend  coupable  de  parjure. 

Le  principe  que  j'établis  ici ,  &  que  je  crois  démontré ,  un  Auteur  cé- 
lèbre le  prouve  trés*bien  par  un  autre  raifonuenient.  »  La  liberté  confifte 
ji(  principalement  à  nd  pouvoir  être  forcé  à  faire  une  chofe  que  la  loi  n'or- 
V  donne  pas,  &  on  n'eu  dans  cet  état ,  que  parce  qu'on -^ft  gouverné  ptf 
»  des  loix  civiles.  Nous  fommes'donc  libres ,  parce  que  nous  vivons  fous 
»  des  loix  civiles?  Il  fuie  delà,  que  les  Princes  qui  ne  vivent  point  entre 
»  eux^  fous  des*  loix  civiles,  ne  font  point  libres,  ils  font  gouvernés  par 
9  la  force  \  ils  peuvent  continuellement  forcer  ou  être  forcés.  Delà ,  il  luit 
»  que  les  Traités  qu'ils  ont  faits   par  force  ,  (ont  au(fî   obligatoires  que 
n  ceux  qu'ils  auroient  fait  de  bon  eré.  Quand  nous,  qui  vivons  fous  des 
»  loix  civiles,  (bmmes  contraints  à  faire  quelque  contrat  que  la  loi  n'exige 
a»  past  nous  pouvons,  à  la  faveur  de  la  loi,  revenir  contre  la  violence; 
»  mais  un  Prmce  qui  eft  toujours  dans  cet  état,  dans  lequel  il  force  ou 
9  il  e(l  forcé,  ne  peut  pas  (è  plaindre  d'un  Traité  qu'on  .lui  a  fait  Êire 
»  par  violence.   C'eft  comme  s'il  fe  plaignoit  de  (on  état  naturel ,  c'efi 
9  comme  s'il  vouloit  être  Prince  à  l'égard  des  autres  Princes,  &  que  les 
»  autres  Princes  fuiTent  citoyens  à  fon  égard,  c'e(l-à-dire  choquer  Unir 
'  j»  lure  des  chofes.  "  De  VEfprit  des  Loix. 


(*) 


Cunâa  prius  tentanda,  fed  immedicafaîle  yulnus 
Eofe  jccidendufflj  ne  pars  fincera  trahatur. 


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h; 


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CHA- 


CHAGRIN.  2t7 


C  H. 


L 


CHAGRIN,    f.    m. 


E  Chagrin  eft  un  fentiment  pénible  que  Tame  éprouve ,  lorfque  l'état 
des  chofes  ^  fur  lequel  fon  imaginarion  avoit  compté  comme  fur  un  bien 
agréable  ,  vient  à  changer,  ou  lorfque  les  événemens  qu'elle  attendoit, 
comme  propres  à  contenter  quelques-uns  de  fes  penchans,  ne  répondent 
point  à  fes  efpérances  &  à  fes  défîrs^  fans  cependant  la  rendre  effen** 
tiellement  malheureufe. 


par  le  degré  d'impreflion  que  ces  obji 
fuppofe  des  événemens  qui  intéreflfent  plus  effentiellement  notre  fëlicitét 
en  nous  6tant  des  biens  que  nous  devons  naturellement  eilimer.  Le  Cha-* 
grin  Aippofe  des  faits  qui  laiflènt  fubfifter  les  fources  eflentielles  de  notre 
bonheur,  &  qui  n'attaquent  notre  fenfîbilité  que  par  la  perte  d'avantages 
ou  d'agrémens  dont  le  prix  eft  moins  réel  qu'imaginaire ,  &  dont  on  peut 
être  privé  fans  être  malheureux.  La  perte  de  ce  qui  eft  néceftaire  pouf 
iàtisfaire  les  penchans  naturels  d'un  cœur  vertueux  nous  afflige.  Ce  qui  cho^ 
que  nos  goûts  &  nos  pallions  nous  chagrine ,  en  s'oppofant  à  ce  qui  peut 
les  Iàtisfaire. 

Les  eftets  de  l'affliâîon  font  plus  forts  &  plus  durables;  elle  affeâe  l'ame 
entière,  elle  l'abat  &  nous  dégoûte  quelquefois  de  la  vie.  Le  Chagrin  nous 
irrite  dès  le  moment,  nous  donne  de  l'humeur,  &  nous  rend  mécontens 
des  objets  qui  nous  environnent.  La  mort  de  parens  chéris ,  la  perte  entière 
de  notre  fortune ,  le  déshonneur  des  perfonnes  qui  nous  incéreffent ,  la  vue 
des  défordres  moraux ,  nous  plongent  dans  l'affliélion.  La  perte  des  objets 
de  nos  goûts  frivoles  comme  équipages ,  meubles ,  tableaux  ;  l'infidélité 
d'une  maitreffe ,  le  manque  de  parole  d'un  proteâeur ,  le  mauvais  fuccès 
de  notre  ambition ,  font  des  chofes  qui  nous  chagrinent. 

La  trifteffe  naît  de  l'affliâion  ;  le  dépit  &  l'humeur  naifTent  du  Chagrin. 

Le  Chagrin  a  fa  fource  immédiate  dans  la  trop  grande  attention  que 
nous  donnons  à  la  privation  ou  à  l'abfence  de  l'objet  fur  la  pofTeflion  du* 
quel  nous  avions  compté.  Et  cette  trop  grande  attention  vient  du  cas  ex- 
ceftif ,  que  par  erreur  nous  faifons  des  objets  dont  la  perte  nous  chagrine. 
Voulons-nous  donc  nous  mettre  à  couvert  du  Chagrin  dont  les  caufes  font 
fi  nombreufes  &  agiffent  fl  fréquemment  >.  apprenons  à  connoltre  le  vrai 
prix  des  cho&s ,  ne  les  eftimons  que  ce  qu'elles  valent ,  &  en  nous  y  at- 
uchant  ^  n'oublions  jamais  qu'elles  ont  peu  de  folidité,  qu'on  ne  peut  comp* 
ter  fur  elles ,  &  que  mille  caufes  peuvent  nous  les  enlever. 

Tome  XI.  E  e 


ti»  C  H  A  L  O  N  O  r  s, 

•  Se  livrer  au  Chagrin  eft  une  preuve  de  la  foiUefTe  de  Tame ,  du  ntanqtie 
'd^habitude  de  réfléchir  ^  &  de  rabfence  de  ces  vertus  qui  forment  lesr  ca- 
raàeres  eftimables  fur  lefquels  on  peut  compter.  On  peut  voir  avec  peine 
ce  qui  n'eft  pas  bien;  mais  quand  le  mal  laifTe  fubfifter  toutes  les  four- 
ces  eflentieltes  d'un  bonheur  réel^  pourquoi  ferions-nous  uoublés  par  de 
légers  accidens,  &  nous  irriterions-nous  contre  notre  fort? 


CHALONOIS,     Contrée   de  la   Bourgogne   Province   de 

France^ 


L 


E  Chàlonoîs^  pays  fertile  &  abondant,  de  i^  lieues  d^étendue  eofon« 

gutut  fur  environ  autant  de  largeur,  &,  qui  avoit  jadis  fes  Comtes  parti- 
culiers. On  le  diflingue  en  Chàlonois  propre  &  en  BreiTe  Châlonoife  fépar^ 
Tun  de  l'autre  par  la  Saône ,  &  tous  deux  forment  un  bailliage  principal 

Le  Chàlonois  propre,  Ctuéàl'oueft  de  la  Saône,  &  qu'on  nomme aufli 
la  Montagne  ,  à  caufe  de  la  côte  ou  rideau  de  montages  qui  le  travcrfe 
&  s'étend  en  demi  cercle  ou  en  arc ,  depuis  Beaune  jufques  dans  le  Mà« 
connois,  efl  fertile  non-feulement  en  vins  délicieux  que  cette  même  côte 
fournit  en  abondance  \  mais  encore  en  bois  de  haute  nitaie  &  taillis,  four* 
rages  &  grains  de  toutes  fortes  qu'on  recueille  dans  les  belles  plaines  qui 
régnent  fur-tout  le  long  de  la  rivière»  Il  embraflè  156  paroilfes  ou  cam* 
munautés. 

La  Brefle  Châlonoife  eft  audî  fërtite  que  te  Chàlonois  prqpre  :  il  y  ^ 
quelques  montagnes  du  côté  de  Cuifeau  ;  mais  le  refte  conhfle  en  magoifi* 
ques  plaines  abondantes  en  grains  de  toute  efpece ,  en  bois  de  fiitaye  & 
taillis,  en  pâturages,  &c.  &  entrecoupées  d'une  infinité  de  rivières,  de 
ruiffeaux  &  de  petits  étangs  très-poiffonneux» 

Chàlon-fur-Saone  efl  un  Comté  fort  ancien» 

Varin  fut  établi  Comte  de  Châlon  par  Louis-le*Débonnaire»  Sa  poftéritè 
eft  peu  connue  jufqu'à  Lambert ,  qui  vivoit  prefque  au  temps  de  Hugues 
Capet ,  &  qui  fe  rendit  abfolu  y  comme  faifoient  alors  tous  tes  Seigneurs» 

L'hiftoire  de  ces  Comtes  eft  affez  obfcure  jufqu'à  Géofroi  de  Donzy,  qui 
pofledoit  moitié  de  ce  Comté ^  qu'il  vendit  en  1097  ^  Gaultier,  Evêcjue 
de  Châlon  ;  &  c'eft  à  ce  titre  que  tes  fucceffeurs  de  cet  Evéqu&  ont  joiû 
de  la  moitié  du  Comté  de  Châlon. 

L'autre  moitié  ^ippartenoit  à  un  Seigneur  nommé  Guillaume,  oui  poF- 
iëdoit  auifî  le  Charollois,  dont  la  fille  Béatrix  eut  d'Alexandre,  fils  d'Eu- 
des III  ,  Duc  de  Bourgogne  ^  Mathilde ,  qui  porta  ce  Comté  à  Jean  ,  fils 
d'Etienne,  Comte  d'Auftbne,  qui  prit  le  nom  de  Châlon,  &  qui  fut  \% 
tige  de  l'illuflre  maifon  de  ce  nom ,  d'où  font  fortis  les  Princes  d'Orange  ^ 
&  les  Comtes  d'Auxerre  &  de  Tonnerre. 


•   CHAMBRE    A  P  OS  TOUQUE.  1^9. 

}  Teaa,  en  12379  échangea  fan  Comté  contre  quelques  autres  terres,  avec 
Hu^es  IV ,  Duc  de  Bourgogne.  Dés-lori  il  fut  uni  à  la  Bourgogne ,  &  a 
fuivi  b  defîinée  de  ce  Duché. 


L 


C  H  A  M  B  R  E,  f.  f. 


E  mot  Ckdmhre  en  madère  de  Juftice  &  de  Police,  s'entend  ordi« 
Mîrement  du  lieu  où  fe  deonent  certaines  jurifdiâions  ou  afTemblées  pour 
le  fait  de  la  Juftice  ou  Police.  Quelquefois  le  mot  Chambre  fe  prend  pour 
la  compagnie  même  qui  s'aflemble  dans  la  Chambre.  II  y  a  pluueurs  jurif* 
diéHons  &  afiemblées  auxquelles  le  dtre  de  Chambre  efl  commun ,  &i  qui 
ne  font  diftinguées  les  unes  des  autres  que  par  im  fécond  dtre  qui  leur 
eft  propre  à  chacune. 


•r 


CHAMBRE    APOSTOLIQUE, 
Tribunal  Eccléfiajîiquc  à  Romté 

V^  E  Tribunal  efl  le  Confeil  des  Finances  du  Pape,  Le  Cardinal  Camer« 
lingue  en  eft  le  chef  i  les  autres  Officiers  font  le  Gouverneur  de  Rome  qui 
cft  Vice- Camerlingue,  le  Tréforier,  l'Auditeur  de  la  Chambre,  le  Préfi- 
dent,  l'Avocat  des  pauvres,  PAvocat-Fifcal ,  le  Fifcal*Général  de  Rome, 
le  Commiilaire  de  la  Chambre ,  &  douze  Clercs  de  la  Chambre  :  il  y  a  au(fi 
douze  Notaires  qui  prennent  le  dtre  de  Secrétaires  de  la  Chambre ,  &  quel- 
ques autres  Officiers. 

On  tr.aite  dans  cette  Chambre  les  affaires  qui  concernent  le  tréfor  ou  le 
domaine  de  l'Eglife  &  du  Pape,  &  ks  parties  cafueltes.  On  y  expédie 
auffi  quelquefois  les  lettres  &  oulles  apoftoliques  pour  les  bénéfices.  Cette 
voie  n'efl  pas  la  feule  pour  expédier  ces  lettres  6c  bulles;  on  en  expédie 
auffi ,  mais  rarement ,  par  voie  fecrete ,  &  plus  communément  en  Confif-* 
0oire  &  en  Chancellerie. 

La  voie  de  la  Daterie  &  de  ta  Chambre  Apoflolique  fêrt  à  faire  expé- 
dier toutes  provifions  de  bénéfices ,  autres  que  ceux  qu'on  appelle  Confijîo^ 


çiaufe  délicate. 

On  peut  faire  expédier  par  la  Chambre ,  c'efl-à*dire ,  par  la  voie  de  la 
Chambre  Apoftolique,  tout  ce  qui  s'expédie  par  Conflftoire  &  Chancelle- 
rie %  mais  il  en  coûte  un  tiers  de  plus. 

Les  minutes  àts  Bulles  font  dreâées  par  un  Prélat  appelle  Summijic. 
-  /  '      Ee  a 


iicT        CHAMIiRË  BASSE  ou  CHAMBRE  DES  COMMUNES. 

Tous  les  Brefs  &  Bulles  expédiés  par  la  Chambre,  font  mfcrîts  dans  un 
rcgîftre,  qui  eft  gardé  par  un  autre  Officier  appelle  Caflos  rtgiftri. 

Les  livres  de  la  Chambre  Apoftolique  contiennent  une  taxe  pour  le  coût 
^^^  Bulles  &  pfovifions  de  certains  Bénéfices  :  on  attribue  cette  taxe  à 
Jean  XXII,  qui  envoya  des  Conimiflaires  par  toute  la  Chrétienté,  pour 
s'informer  du  revenu  de  chaque  Bénéfice.  L'état  fait  par  ces  Commiflaires, 
eft  tranfcrit  dans  les  livres  de  la  Chambre  :  il  fert  à  exprimer  la  valeur  des 
Bénéfices,  &  à  en  régler  la  taxe  ou   annate. 

chAmërebasse 

r 

o   u 
CHAMBRE    DES    COMMUNES. 

V^'EST  ainfi  que  Ton  appelle  en  Angleterre  par  relation  à  la  ChamBre 
Haute,  Chambre  des  Pairs  &  des  Seigneurs,  la  portion  du  Parlement  de 
la  Grande-Bretagne,  qui,  depuis  cinq  fiecles,  en  compofe  le  Tiers-Etat; 
le  premier  confiftant  dans  la  perfonne  du  Roi ,  &  le  fécond  dans  rafTem" 
biée  des  Pairs» 

Conformément  à  fa  dénomination ,  cette  Chambre  eft  remplie  par  les  D^ 
pûtes  des  Provinces ,  ou  Comtés,  Villes,  Bourgs ,  &  Communautés  du  Royau- 
me, qui,  fin^guliérement  munies  du  droit  de  les  élire,  exercent  en  même" 
temps,  cdui  de  créer  elles  feules ,  tous  les  repréfentans  que  peut  avoir  la  nation. 
Au  moyen  de  cette  éledion,  ces  repréfentans  font  un  nombre  de  cinq 
cents  cinquante  huit  perfonnes ,  que  l'on  nomme  Chevaliers ,  Citoyens  & 
Bourgeois.  Les  Députés  des  comtés  portent  le  premier  de  ces  titres  ;  ceux 
des  villes,  le  fécond;  &  ceux  des  bourgs,  le  troifieme  :  on  qualifie  deBa« 
rons ,  les  Députés  qui  repréfentent  les  cinq  Ports.   Mais  il  eft  à  obferver , 
que  cette  diftérence  introduite  dans  les  titres  des  Députés,  n'en  admet  au- 
cune dans  leur  pouvoir,  ni  dans  leurs  privilèges;  OL  que  quant  au  rang 
qu'ils  doivent  tenir  entr'eux,  les  feuls  Députés  de  la  ville  de  Londres,  au 
nombre  de  quatre,  jouiflent  fimptement  du  droit  de  préféance ,  dont  mê« 
me  ils  ne  fe  prévalent,  que  dans  les  jours  d'aftemblées  folemnelles. 
Voici  l'indication  fommaire  des  Membres  de  la  Chambre  des  Communes. 
Pour  les  quarante  Comtés  d^Angleterre ,.  80 

Pour  fes  villes  &  bourgs,  ^g^ 

Pour  les  unîverfités  d'Oxford  ,  &  de  Cambridge ,  4 

Pour  les  cinq  Ports,  fàifant  huit  villes ,  .  j6 

Pour  tes  douze  Comtés  de  la  Principauté  de  Galles^  la 

Pour  fes  villes  &  bourgs ,  x  % 

Pour  les  trente-trois  Comtés  d^Ecoffe  ^  jo 

Pour  fes  villes  &  bourgs,  i  ç 


CHAMBRE  BASSE  ou  CHAMBRE  DES  COMMUNES.        aai 

L'on  conçoit  qu'avant  la  conquête  du  pays  de  Galles  par  Edouard  I ,  & 
avant  l'union  de  PEcofle  à  l'Angleterre  par  la  Reine  Anne  ,  ce  nombre 
n'étpit  pas  auffi  confidérable  qu'il  Teft  aujourd'hui  :  .&  Ton  fait,'  que  bien 
que  la  fondation  du  Parlement  d'Angleterre  puiffe  fe  dater  en  quelque  forte 
des  temps  même  de  l'heptarchie ,  &  qu'il  y  ait  grande  apparence  ,  que 
fa  forme  préfente  ait  été  méditée ,  avant  même  le  règne  orageux  de  Jean- 
lans-Terre,  qui  donna  la  grande  charrre ,  l'an  121 5,  ce  ne  fut  cependant 
que  pluHeurs  années  après  cette  dernière  époque  ,  &  fous  le  règne  d'E- 
douard I  ,  fécond  SucceflTeur  de  Jean  ,  que  les  Députés  des  Communes 
d'Angleterre ,  commencèrent  à  prendre ,  dans  le  Parlement  du  Royaume , 
une  place  confiante. 

A  juger  de  l'efpece  d'autorité  qui  fut  acquîfe  aux  Communes  par  cet 
événement  remarquable  ,  à  en  juger  ,    dis-jc\  par  le  flyle   des  aétes  du 
temps  y  l'on  feroit  tenté  de  croire,  que  leurs   Députés  ne   furent  d'abord 
admis  ail  Parlement  qu'en  qualité  de  fupplians,  &  non  point  en  qualité  de 
Sëoateurs  ou  de  Confeillers.    Accordé^  dit  la  formule  des  arrêts  parlemen- 
taires de  ce  temps-là ,    accordé ,  par  h  Roi  &  les  Seigneurs  fpirituels  & 
temporels,  aux  prières  &  aux  fuppl[çanons  des  Communes.  Ce  ftyle  même 
ne    paroit  pas  avoir  changé  pendant  les  règnes  confécutifs  d'Edoivard    I  ^ 
d'Edouard  II,  d'Edouard  III,  de  Richard  II,  d'Henri  IV,  d'Henri  V,  & 
d'Henri  VI.  Ce  ne  fut  que  fous  Edouard  IV,   en  1461  ,  qu'à  ces  mots, 
aux  prières  &  aux  pipplicàtions  des  Communes ,  furent  fubftîtués  ceux-ci , 
avec   rajpentiment  ou  confentement  des  Communes.    Mais  fi  l'on  confidere , 
que,  de  nos  jours  encore,  le  peuple  Anglois  eft  un  de  ceux  de  l'Europe, 
qui  foit  le  plus  humble  dans  ion  langage  à  fon  Souverain ,  fans  que  pour- 
tant il  faille  en  conclure ,  qu'il  foit  un  des  plus  aveugles  dans  fa  foumillioa 
à  ks  volontés;  fi. l'on  conlKdere  qu'encore  aujourd'hui,  les  Communes  ve- 
nant V  préfenter  au  Roi ,  fuivant  l'ufage ,  l'orateur  qu'ellt'S  ont  dû  fe  choi- 
fir,  le  même  ufage  veut  que  celui-ci,  parlant  en  leur  nom  à  Sa  Majefté, 
lui  dife ,  Ayei^ ,  Sire ,  Pindulgence ,  de  permettre  à  vos  fidèles  Communes  de 
fadreffer ,  fans  gène ,  à  Votre .  Majejli  pendant  le  cours  des  fiances  du  Par' 
lement ,  fuivant  les  occurrences  ;   Ô  de  fouffrir  que  dans  leurs  ajfemblées , 
xhacun  de  leurs  membres  puijfe  voter  avec  liberté ,  fans  que  fa  perfonne  foit 


ce  ftyle  des  XI Ile. ,  XlVe.  &  XVe.  hecles  :  peut-être  héfitera-t-on  d'en  ti- 
rer la  conféquence  rigoureufp ,  que  les  Députés  des  Communes  n'aHiftoienc 
alors  au  Parlement,  que  pour  y  demander  des' grâces,  &  non  point  pour 
y  concourir 
circonf 
lence 
naturel,  ni  de  plus  fenfé ,  que  le  confentement  des  peuples  ;  &  que  tout 


^2%        CHAMBRE  BASSE  ou  CHAMBRE  DES  COMMUNES 

ce  que  l'on  connoit  de  PAogleterfC ,  jufquejs  à  nos  jours,  perfii^d^  ; 
que ,  quand  la  chofe  a  été  poilible ,  le  bon  fens  n^a  jamais  manqué  de 
triompher. 

Quoiqu'il  en  foit  de  tout  ce  raifonnement ,  &  pour  en  revenir  à  la 
forme  préfence  de  la  Chambre  des  Communes  de  la  Grande-Bretagne  y  les 
Députés,  élus,  dans  les  comtés  par  tous  les  francs  tenanciers,  &  dans  les 
villes ,  bourgs  &  communautés ,  par  quiconque  en  efl  membre ,  le  font , 
dans  l'Angleterre  proprement  dite ,  &  dans  la  principauté  de  Galles  ,  en. 
vertu  d'ordres  royaux ,  appelles  writs ,  que  la  chancellerie  fait  expédier  en 
latin  aux  Shérifs  refpeâin ,  quarante  jours  avant  celui  qui  a  été  fixé  par  le 
Roi  êc  fon  Confeil  privé ,  à  l'ouverture  des  féances  du  Parlement.  Quant 
à  l'EcofTe ,  un  feul  writ  tuffit ,  pour  y  faire  procéder  à  l'éleâion  des  qua* 
rante-cinq  membres  qu'elle  doit  fournir;  &  ce  writ  s'adrelTe  au  Co^^eil 
privé,  fiégeant  dans  Edimbourg. 

Que  s'il  arrive ,  ainfî  que  cela  peut  fe  voir  quelquefois  dans  un  pays  ^ 
oii  les  talens  éminens  font  fi  peu  rares,  &  où,  par  conféquent  il  eft  fi  peu 
facile  d'obvier  aux  menées  de  l'efprit  de  parti  ;  que  s'il  arrive  ,  dis- je , 
qu'un  même  homme  ait  réuni  en  fa  fiiveur,  tes  fufirages  de  plus  d'un  lieu 
d'éleâion,  pour  fervir  en  Parlement;  alors,  par  une  forte  d'hommage  ren- 
due tacitement  au  mérite  de  l'homme  choifi,  &  pour  épargner  à  ces  di« 
vers  lieux  d'éleâion  ,  le  défagrément  &  l'embarras  de  fe  dilputer  entr'eux 
les  fervices  d'un  tel  homme  ,  la  règle  veut  que  l'on  s'en  remette  à  lui  ^ 
de  déclarer  à  la  Chambre  afTemblée  ,  quel  eft  le  lieu  ,  dont  il  défire  par 
préférence  d'écre  le  repréfentant  ;  &  cette  déclaration  une  fois  &ire ,  il 
s^expédie  de  nouveaux  writs  d'éleâion  ,  au  lieu  ,  ou  aux  lieux,  pour  lef-* 
quels  ce  membre  ne  s'eft  '  pas  déterminé  ,  afin  que  l'on  y  travaille  à  le 
remplacer, 

La  belle  confliiution  d'Angleterre  ,  chef  d'œuvre  de  l'efprit  humain  en 
fait  d^inventions  politiques  ^  n'a  pas  négligé  de  prefcrire  des  précaudons 
&  des  conditions  à  l'important  procédé  des  éleâions  parlementaires.  Elle 
a  défendu  la  brigue  aux  afpirans ,  avec  autant  de  force  qu'elle  a  condamné 
la  corruption  des  Eleâeurs  ;  &  fi  l'on  pouvoir  être  appelle  à  prouver ,  que 
cette  défenfe  &  cette  condamnation ,  n'ont  pas  toujours  l'efficace  qu'elles 
devroieot  avoir ,  on  le  feroit  éga^lement  à  foutenir ,  qu'à  l'honneur  de  1% 
nation  Angloife,  la  dépravation  dont  il  s'agiroit  ici,  ne  paroit  pas  avoir  en- 
core influé  beaucoup  contre  le  bonheur  &  tk  célébrité  de  cette  nation. 

Pour  devenir ,  au  parlement  d'Angleterre  ,  Chevalier  d'un  comté  ,  il 
dut  avoir  au  moins  600  livres  fterling  de  rentes;  &  pour  y  repréfenter^ 
une  ville f  &c.f  il  faut  en  avoir  au  moins  joo.  Cette  condition,  diâée^ 
fans  doute ,  dans  la  vue  faine  de  donner  pour  organes  aux  volontés  de  la 
nation^  des  bouches  dans  lefquelles  ks  intérêts  généraux  ne  foient  pas  abr 
folument  iéparés  des  intérêts  particuliers  ,  de  ceux  qui  la  repréfentent  ; 
cette  condition ,  dis-je ,   n'eft  pas  difficile  à  remplir  dans  un  Etat  tel  qu^ 


CHAMBRE  BASSE  ou  CHAMBRE  DESXOMMUNES.       423 

^Angleterre,  Des  trente  mille  gentilshommes ,  non  Seigneurs ,  que  ,  par 
une  fupputation  modérée ,  Ton  y  compte  ,  vivant ,  foit  de  leurs  rentes , 
foit  de  leurs  emplois,  il  en  eft  au  moins  dix  mille,  qui  vivant  unique- 
ment de  celles-li ,  jouiflent ,  par  appréciation  commune ,  d'un  revenu  an- 
nuel de  500  livres  fterling  :  &  fi  c'étoit  ici  le  lieu  d'entrer  dans  quelque 
détaU  fur  les  richefles  de  la  nation  Britannique,  Ton  pourroit  ajouter,  que 
parmi  ces  dix  mille  gentilshommes  ,  il  en  eft  beaucoup  qui  ont  au-delà 
de  5  &  de  6  mille  livres  fterling  de  rentes  ;  comme  parmi  fes  francs  te- 
nancierSi  il  en  eft  un  grand  nombre,  qui  en  ont  au-delà  de  mille. 

Le  même  bon  génie ,  qui  préddant  à  PétablifTement  de  la  conftitution 
d'Angleterre ,  ordonna  que  les  membres  de  la  Chambre  des  Communes 
fuflem  par  eux-mêmes  dans  un  état  d'aifance  .qui  les  dégageât ,  ftnon  du 
fbîn  d'augmenter  leur  fortune ,  au  moins  de  la  néceflité  de  chercher  à  la 
faire;  ce  même  bon  génie  voulut  encore,  que  pour  maintenir  dans  une 
diflinâion  intègre,  chacune  des  branches  de  tette  conftitution,  les  Députés 
au  Parlement  n'euftent  ni  charges  gênantes ,  ni  penfions  fufpeâes.  C'eft 
ainft  que  dés  le  règne  de  Guillaume  III  ,  on  a  pourvu ,  à  ce  que  les 
ëleâions  ne  tombaflfent  fur  aucun  des  Juges  du  Royaume  ;  fur  aucun  des 
Shéri6  ,  excepté  fur  ceux  de  la  ville  de  Londres ,  ni  fur  aucun  Eccléfiafti- 
que  :  que  les  Gouverneurs  des  plantations,  les  OfSciers  civils  de  Minor- 
que  &  de  Gibraltar ,  les  fecrétaires  ,  commis  &  agens  des  divers  bureaux 
de  la  guerre ,  de  la  marine ,  des  affaires  étrangères ,  &  des  finances  en  fe- 
Toient  exclus  ;  au(fi-bien  que  tout  munitionnaire  de  l'armée ,  &  tout  con** 
trôleur  de  fes  comptes ,  tout  penfionnaire  de  la  couronne  ,  &  tout  pour- 
voyeur des  hôpitaux  militaires.  L'on  fent  que  pour  avoir  des  membres 
àfTidus  au  Parlement ,  fans  que  le  fervice  aâuel  de  l'Ëtat  en  foufFi  it ,  il 
falloit  bien  en  fermer  l'entrée  à  tous  ceux  dont  l'affîduité  fe  trouvoit  déjà 
primordialement  engagée  par  devoir.,  dans  des  occupations  exigées  par  ce 
lervice  :  *&  c'eft  encore  dans  la  même  intention  raifbnnable  ,  que  tout 
membre  de  la  Chambre  des  Communes  eft  difpenfé  pendant  fa  tenue, 
d'aflifter  dans  aucune  cour  fubalterne  de  judicature ,  foit  en  qualité  de  Juré^ 
pourcaufes  criminelles,  foit  comme  plaideur,  pour  caufes  civiles. 
<  Tout  Membre  de  la  Chambre  des  Communes,  jouit  aufTi  Quant  à  fa  per*- 
fonne ,  &  à  celtes  de  fes  domeftiques ,  fervant  dans  fa  mailon ,  du  privi- 
lège de  ne  pouvoir  être  arrêté  ni  emprifonné  pour  dettes ,  ou  pour  faute 
quelconque  ,  excepté  pour  trahifon  &  pour  félonie ,  pendant  la  durée  des 
feances  du  Parlement.  Et  autrefois  ce  privilège  ne  s'étendoit  pas  feulement 
à  cette  durée,  mais  il  comprenoit  de  plus  les  quarante  jours  qui  la  précé*- 
doient  &  les  quarante  qui  la  fuivoient*  Depuis  un  certain  temps ,  cette 
extendon  eft  abolie,  &  on  l'a  même  reftreinte  aftez  rigoureufement  à  la 
durée  continue  des  féances  ;  car ,  fi ,  par  prorogation  ou  par  ajournement , 
il  s'écoule  au-delà  de  quinze  jours ,  entre  la  fin  d'une  féance  &  le  com- 
mencement d'une  autre ,  le  privilège  n'a  plus  lieu.  La  couronne  encore  eft 


224        CHAMBRE  BASSE  6v  CHAMBRE  DES  COMMTJNES. 

en  pofTeflîoQ  à  cet  ëgard  d'ane  prérogative  notable.  Dans  les  cas  ou  c'eff 
de  ùl  part .  qu'un  Membre  de  Parlement  eft  aâionné  pour  le  paiement 
d'une  dette  ,  ou  pour  le  recouvrement  d'un  droit ,  ce  membre ,  à  la  vérité» 
ne  peut  être  fujet  pendant  les  féances  à  aucune  contrainte  par  corps ,  mais 
il  peut  être  pourfuivi  an  banc  du  Roi ,  fans  retard ,  ni  délai ,  en  les  biens 
&  en  Tes  aveux. 

La  Chambre  des  Communes  uqe  fois  formée  &  convoquée  ^  fon  devoir 
eft  de  s'affembler  dans  tous  les  lieux   du  Royaume ,  oit  il  plait  au  Roi  de 
fïire  fiéger  le  Parlement.  Quand  des  circonftances  particulières ,  comme  ré- 
voltes, guerres  civiles,  peite,  famine,  &c.  ne  s*y  oppofent  pas,  c'eft  or^ 
dinairement  à  Londres  oi  dans  un  quartier  de  Weftminfter,  que  s'en  tien- 
nent les  féances.  Il  a  été  réfervé  pour  cet  effet  aux  Communes ,  un  appar- 
tement fpacieux,  mais  fans  décoratioci,  voiHn  de  celui  des  Seigneurs ,  dans 
une  partie  de  l'ancien  palais,  échappée  aux  flammes,  fous  Henri  VIII »  & 
appellée  la  Chapelle  de  St.  Etienne.  Là,  fans  éti(]^uette,  (ans  cérémonie, & 
fans  autre  habillement  que  leurs  vétemens  ordinaires ,  arrivent  &  fe  placent 
pêle-mêle,  tous  les  membres  de  cette  Chambre.  Des  Anglois,  non  titrés, 
ne  font  pas  gens  à  admettre  les  petiteffes  du  cérémoniel ,  dans  un  lieu  ou 
ils  n'ont  que  de  grandes  affaires  à  traiter  ^  &  il  n^eft  que  les  quajtre  Dé" 
pûtes  de  la  ville  de   Londres ,  qui ,  le  jour  feulement  de  Touverture  des 
féances,  font  en  robes  d'écarlate ,  & s'aueyent  à  la  droite  de  l'Orateur,  ou 
Préfiden t  de  la  Chambre.   Les  fieges  y  font  en  amphithéâtre ,  comme  ils 
doivent  l'être ,  pour  l'agrément  &  la  commodité  d'une  affemblée  auflî  noraf 
breufe,  dont  chaque  membre  eft  appelle  à  fe  faire  voir  &  a  fe  faire  enten- 
dre :  au  centre,  font  la  table  de  l'Orateur,  &  celle  du  Greffier  &  des  Se- 
crétaires de  la  Chambre.  C'eft  dés  le  matin  pour  l'ordinaire  que  fe  forment 
les  affemblées  ;  &  pour  peu  que  les  affaires  foient  importantes  &  preiTan^ 
tes  ,  la  féance  n'eft  interrompue ,  ni  par  les  heures  du  midi ,  ni  par  celles 
de  la  nuit. 

L^.  Chambre  des  Communes ,  fondamentalement  compofée  de  cinq  cents 
cinquante-huit  Membres ,  dont  il  ne  feroit  pas  aifé  de  raffembler  conftam«f 
ment  la  toulité,  n'en  agit  pas  moins  légalement,  quand  ce  nombre  neU 
•remplit  pas,  que  lorfqu'il  la  remplit  en  effet  :  trois  cents  membres  préfeos 
font  môme  cenfés  faire ,  ce  qu'ils  appellent  full  houfe ,  pleine  Chambre  \ 
&  quarante  fuffifent  à  la  rigueur ,  pour  entrer  formellement  en  délibération. 
Et  ce  que  l'on  peut  encore  ajouter  ici,  fans  empiéter  fur  l'article  Parle- 
ment ,  qui  indiquera  quels  font  les  objets  de  délibération  des  deux  Cham- 
bres,  la  manière  d'y  voter ,  Oc  ce  que  l'on  peut  ajouter ,  dis-je ,  comme 
particulier  à  la  Chambre  des  Communes,  c'eft  lo.  qu'aucun  de  fes  Mem- 
bres abfens,  n'a  le  droit  de  s'y  faire  repréfènter  par  un  autre,  mais  que 
chacun  doit  y  paroître  en  perfonne  &  parler  dans  l'affemblée,  fi  l'on  pré-« 
tend  que  l'on  y  compte  fa  voix  ;  2^  qu'il  eft  uniquement  de  la  compé- 
tence des  Communes, ^&  jamais  de  celle  des  Seigneurs,  de  commencer  à 

Axettre 


CHAMBRE  HAUTE ,  DES  PAIRS  BT  DES  SEIGNEURS,      ait 

mettre  fur  le  tapis  la  matière  des  fubfides,  de  la  débattre ,  &  de  la  réfou- 
dre, de  façon  que  venant  enfuite  à  être  préfentée  aux  Seigneurs,  ce  ne 
Ibit  que  pour  en  être  ou  agréée  ou  rejettée  abfolument,  fans  que  de  la  parc 
de  <?eux^ci ,  il  foit  loifible  d'apporter  ni  changement  ni  modification  à  l'ar- 
rêté des  G)mmunes.  Et  3^.  que  pendant  la  durée  des  féances ,  -c'eft  unique- 
ment chez  les  Communes  &  jamais  chez  les  Seigneurs ,  que  réfide  le  droit 
redoutable  d'accufer  &  de  pourfuivre  par-devant  ces  derniers ,  tout  Pair  du 
Royaume ,  dénoncé  à  l'Etat  comme  criminel ,  &  comme  devant  être  jugé 
][>ar  la  Chambre  Haute  ;  celle-ci  n'ayant  même  à  (on  tour  le  droit  de  pro- 
céder contre  aucun  Membre  de  la  Chambre  des  Communes ,  fi  cette  Cham- 
bre n'a  pas  été  la  première  à  porter  plainte  contre  lui. 

Enfin,  à  l'ilTue  des  féances  d^un  Parlement,  les  Membres  de  la  Chambre 
des  Communes,  députés  des  provinces,  villes  &  bourgs  du  Royaume,  ne 
font  point  coitiptables  à  leurs  conftituans  refpeâifs  des  réfotutions  de  cette 
Chambre  :  munis  tous  en  particulier  d'inftniâions  aâbrties,  ou  fuppofées 
«llbrties  à  l'Etat  des  divers  lieux  qui  les  envoient,  quel  qu^n  foit  reffë't, 
ils  (ont  cenfés  les  avoir  fuivies  :  leur  zèle  &  leur  fidélité  ne  font  non  plus 
mifes  en  queftion  que  leurs  lumières  ;  &  quand  leur  bouche  a  parlé ,  c'efl: 
la  nation  elle-même ,  qui  crott  s'être  faite  enteiidre ,  &  qui  par  conféquenc 
ne  peut  fe  croire  dans  le  cas  de  demander  à  la  fin ,  qu'a«t-on  dit  ? 


CHAMBRE    HAUTE 

bu 
CHAMBftÊ   î>tt   PAIRS   ET  DES  iSÉlCNËÛRS. 


C 


/Est  dans  la  Grande-Bretagne ^  l'aUTemblée  des  Lords  ou  Seigneurs 
du  Royaume ,  convoquée  &  formée  en  Parlement ,  conjointement  avec  teUè 
^es  Communes ,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut. 

Les  Lords  bu  Seigneurs  ^  Membres  exclufifs  de  la  haute  Noblefle  Britan*^ 
nique,  font  eia  langage  du  pays,  ou  fpirituels,  ou  temporels,  c'eft-à-dire^ 
Eccléuafliques ,  ou  Séculiers  ;  &  tous  fiegent  de  droit  dans  la  Chambre 
Haute  du  Parlement  ;  ceux-là ,  comme  Evêqires  ou  Archevêques  ,  Créés  telt 
par  le  Roi  ;  &  ceuk-ci ,  comme  Pairs ,  foit  de  naiflknce  ^  foit  de  créatioft; 

Dans  le  ilùmbre  de  ces  Pairs ,  lequel  ne  peut  être  fixe ,  vu  que  le  Roi 
4'augmente  quand  bon  lui  fémble,  entrent  néceilairement  tous  les  DuCs^  Mar- 
quis, Comtes,  Vicômtfcs,  &  Barons  d'Angleterre,  oui  obt  atteint  l'âge  de 
vingt-un  ans ,  qui  prôfeflent  la  Religion  de  l'Etat ,  oc  qui  ne  (ont  reconnus 
^i  pour  infenfés ,  ni  pour  flétris.  Il  y  entre  aulli  Ccizt  Pairs  d'Ecoflè,  en 
verm  de  l'aâe  d'union ,  paifé  l'an  1707  ;  &  ces  feize  Pairs  font  choift 
4dans  ce  but ,  par  le  Corps  àts  Pairs  leurs  çonipatriotes ,  ^nfuite  d'un  Oïdrè 

Tome  XL  Ff 


zi6      CHAMBRE  HAUTE,  DES  PAIRS  ET  DES  SjEIGNEURS. 

du  Roi  9  adrelTé  au  CoofeS-Privé  d'Edimbourg ,  à  chaque  fenouvellement 
du  Parlement  de  la  Grande-Bretagne. 

Dans  le  nombre  des  Archevêques  &  des  Evéques ,  lequel  eft  compoS 
de  deux  des  premiers ,  &  de  vingt-quatre  des  féconds ,  entrent  tous  ceux 
d'Angleterre,  à  l'exception  de  l'Evéque  de  Man,  qui  tient  fa  dignité  d'un 
particulier  &  non  du  Roi  :  mais  il  n'y  entre  ni  Archevêques,  ni  Evêques 
Ecoflbis,  qupique  nommés  par  le  Roi,  parce  que  la  religion  prefbjrtérien- 
ne,  &  non  l'épifcopale,  eft  cenfée  la  dominante  en  Ecofle. 

A  ces  deux  clafles  d'Eccléfiaftiques  &  de  Séculiers  ,  membres  de  la 
Chambre  Haute ,  s'affocient  le  grand  Chancelier  &  les  douze  Juges  d'An- 
gleterre y  qui  afliftent  aux  délibérations  des  Seigneurs ,  le  premier  en  qua- 
lité de  Prëiident ,  &  les  autres  en  qualité  de  Jurifconfultes.  I^  vocation 
de  ceux-ci  ne  leur  donne  point  voix  délibérative  dans  la  Chambre  j  ils  ne 
font  là ,  que  pour  opiner  çonfultativement ,  lorfqu'ils  en  font  requis  :  & 
celle  du  grand  Chancelier ,  qui  eft  en  même- temps  le  garde  du  Grand- 
Sceau,  le  borneroit  aux  feules  fondions  de  Préfident,  fi,  foit  de  création^ 
foit  de  naiflance,  il  ne  fe  trouvoit  pas  être  par  lui-même,  du  nombre  des 
Pairs  du  Royaume. 

Une  diftinâion  flatteufe  pour  la  Chambre  des  Pairs ,  c'eft  celle  de 
pouvoir  aulli  compter  parmi  fes  membres,  les  Princes  du  Sang  Royal, 
qui  font  d'âge  à  opiner,  &  qui  veulent  bien  en  y  affîftant  fe  mettre  dans 
le  cas  de  le  faire.  L'on  fait  qu'entr'autres  le  Prince  de  Galles,  père  de 
Georges  IH,  ne  dédaignoit  pas  d'aûifter  quelquefois  en  Parlement,  &  d^ 
donner  fa  voi;c.  Et  ce  qu'il  y  a  fur-tout  de  glorieux  pour  cette  Chambre  ^ 
dans  un  Etat  où  l'ufage  &  les  loix  concourent  à  féparer  avec  route  la 
précifion  poflible ,  la  facrée  perfbnne  du  Roi ,  du  refte  de  fon  Empire  » 
ce  qu'il  y  a  fur*tout  de  glorieux ,  dis- je ,  pour  la  Chambre  Haute ,  c'eft 
d'être  honorée  de  la  préfence  du  Roi,  chaque  fois  que  Sa  Majefié  va  faire 
elle-même  l'ouverture,  ou  la  clôture  des  féances  du  Parlement^  &  cha- 
que fois  qu'il  lui  plait  d'aller,  en  perfonne ,  donner  (a  fanâion  aux  aâes 
paffés  dans  les  deux  Chambres.  Dans  ces  divers  cas,Jes  communes  (ont 
-lommées  de  fe  rendre  dans  l'affemblée  des  Pairs,  &  la  femmation  £ûce  & 
efiêéhiée ,  la  Chambre  Haute  devient  alors  le  centre  augufte  de  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  grand  dans  la  Monarchie  Britannique. 

Cette  Chambre  s'aflemble  en  conformité  des  ordres  appelles  IVrits^ 
que  le  Roi,  de  Tavis  de  fon  Confeil-Privé,  fait  écrire  en  Latin,  &adref- 
fer  à  chacun  des  Seigneurs  fpirituels  &  temporels  quarante  jours  avant 
l'ouverture  du  Parlement.  Par  fon  rang  &  par  fa  dignité,  chacun  d'eux, 
étant  Confeiller  né  de  la  Grande-Bretagne,  va  fe  placer  dans  la  Chambre 
Haute,  non  point  comme  député  ou  fervitçur,  proprement  dit,  du  R<h 
&  du  Royaume ,  mais  comme  membre  aâu^l  &  naturel  de  l'Etat ,  ayant 
inbéremment  à  fa  perfonne  le  droit  QÇ  la  faculté  d'écouter,  d'examiner , 
.d'agréer,  de  rejctter^  de  propofer,  du  d'accepter,  tout  ce  qui  pouvant 


CHAMBRE  HAUTE  ,  DES  PAIRS  ET  DES  SEIGNEURS.      117 

éttt  iotéreflàot  poor  PEtu,  ell  en  même-temps  .de  la  compéteoce   du 

Parlemenr. 

De  ce  droit  &  de  cette  fàculïé  inhérente  à  la  perfonne  des  Pairs, 
dëcoule  un  privilège  qui  leur  eft  propre  &i  particulier,  à  l'exclufion  de 
ceux  que  peuvent  avoir  les  membres  de  la  Chambie  des  Communes;  c'eft 
celui  de  faire  opiner  en  leur  nom  dans  la  Chambre  Haute,  lorfqti'ils  ne 
peuvent  y  vaquer  en  perfonne ,  &  ainfi  de  pouvoir  y  Jléger  par  procu- 
reur. La  raifon  de  ce  privilège  eft  fenfible  :  comme  il  eft  évident  que  les 
députés  des  communes,  devenus,  par  éleflion,  porteurs  &  interprètes  dei 
volontés  &  des  fentimens  de  ceux  qu'ils  repréfenrent,  &  non  pas  des  leurs 
propres ,  ne  fauroient  d'eux-mêmes  fe  fubfiiiuer  dans  leur  commiflion  ;  il 
l'en  également  que  les  Seigneurs  n'ayant  que  leurs  propres  volontés  & 
fentimens  à  déployer,  &  non  ceux  d*autrui ,  ils  peuvent  par  une  parité 
de  droit,  qui  djtisce  cas  les  met  en  parallèle  avec  les  Provinces,  le  choifir 
à  eux-mêmes  des  porteurs  6e  des  interprètes,  &  ftire  ainfi  que  malgré  leur 
abfeace ,  la  Chambre  Haute,  compte  leurs  voix.  La  règle  du  Parlement 
veut  cependant,  que  pour  ne  point  dénaturer  l'a/Temblée  des  Seigneurs , 
ni  donner  lieu  i  des  incertitudes,  à  des  vacillations,  i  des  abus  en  un  mot, 
dont  l'indolence,  la  punilanimité ,  la  âuflè  honte,  la  fupercherie,  pour- 
roient  quelquefois  être  caufe,  la  règle  veut,  dis-je ,  qu'un  Pair  ne  piiifTe 
être  repréfenté  que  par  un  Pair,  &  que  le  repréfentant  une  fois  indiqué 
par  le  conftiluant  à  Fourerture  des  féances,  foit,  &  demeure  tel,  pendant 
toute  leur  durée. 

La  Chambre  Haute  étant  convoquée ,  fon  devoir ,  pareil  Si  celui  de  là 
Chambre  bafle ,  eft  de  s'affembler  dans  tous  les  lieux  du  Royaume ,  où  il' 
plait  au  Roi  de  ^ire  ftéser  le  Parlement  :  &  ainfi  qu'il  a  été  dit  ï  l'ar- 
ticle Chambre  Bajfc^  c'en  ordinairement  à  Weftminfter,  que  s'en  tiennent 
les  féances.  L'appai'temeni  des  Seigneurs,  un  peu  moins  fpacieux,  6c  un 
peu  moins  nud  de  décorations  que  celui  des  communes,  eft  une  Chambre 
en  quarré  long ,  à  l'un  des  bouts  de  laquelle  eft  placé  le  trône  du  Roi , 
élevé  fous  un  dais,  à  quelques  marches  au-defTus  du  parquet  de  la  Cham- 
bre, 6(  contigu,  de  droite  6t  de  gauche,  à  des  lièges  moins  exhaufTés*, 
defHnés  aux  Princes  du  Sang  Royal.  Le  long  des  murs  latéraux  de  la 
Chambre,  font  des  bancs  adoflés  &  garnis,  qui,  du  côté  droit  du  trône, 
font  occupés  par  les  Archevêques  &  par  les  Évéques;  &  du  côté  gauche, 
par  trois  des  grands  Oflîciers  de  la  Couronne,  puis  par  les  Ducs,  par  les' 
Marquis  &  par  les  Comtes.  De  côté  6t  d'autre,  ces  bancs  font  coupés  en 
deux  portions  inégales  :  la  plus  courte  de  la  droite ,  6c  la  plus  proche  des 
marches  du  trône  fert  de  fiege  aux  Archevêques  de  Cantorbery  &  d'York, 
&  la  plus  longue  aux  Evêques  de  Londres,  de  Durham  &  de  \Cinchefter, 
qui  en  prennent  toujours  les  premières  places ,  puis  aux  autres  Evéques 
d'Angleterre ,  fuivant  la  date  de  leur  coofécration.  La  plus  courte  portipti' 
ÀM  banc  de  la  gauche  ^   6c  la  plus  près  des  marches  du  trône ,  fert  de 

Ff  1 


228     CHAMBRE  HAUTE,  DES  JPAIRS  ET  DES  SEIGNEURS. 

fiege  au  grand  Tréforier ,  au  Préfîdent  du  Confeil-Prnréi  &  ra  garde  du* 
Petic-Sceau,  puis  viennent  les  Ducs,  les  Marquis  &  les  Comtes,  fuivant 
]a  date  de  leur  création.  Dans  le  plein  de  la  Chambré ,  &  en  commençant 
aux  pieds  du  trône»  fe  voient  d^abord  de  grands  ballots  de  laine,  allongés 
en  forme  de  facs,  de  couleur  rouge  :  le  grand  Chancelier  s'aflied  fur  le 
premier  de  ces  ballots,  &les  Juges  du  Royaume,  les  Maîtres  en  Chancel- 
lerie, le  Confeil  du  Roi,  compofé  des  Avocats,  Procureur  &  Solliciteur 
généraux ,  avec  les  Greffiers  &  Secrétaires  de  la  Couronne  &  du  Parle- 
ment, s'afTeyent  fur  les  autres.  A  la  fuite  de  ces  facs,  &  jufques  à-labarre 
de  la  Chamore ,  font  les  bancs  des  Vicomtes  &  des  Barons ,  qui  fe.  pla^ 
cent  chacun  dans  leur  ordre ,  félon  la  date  de  leur  création.  Enfin ,  il  eft 
on  efpace  vuide  entre  la  barre  &  le  mur  de  la  Chambre  qui  fait  (ace  au 
trône  ,  dans  lequel  efpace  fe  tiennent  à  Pordinaire  VHuiJJicr  à  la  vcrg$ 
noire  &  ks  fubalternes.  Officiers  fervans  à.  la  police  de  la  Chambre;  & 
oii  fe  rendent  &  s'arrêtent  dans  les  occasions  folemnelles ,  les  Députés-  de 
la  Chambre  des  communes,  fbmmés  de  pacoînre  à  la  Chambre  haute. 

Il  eft  de  la  police  de  cette  Chambre ,  que  toute  perfonne  y  (afle  en  en^, 
trant  une  forte  de  révérence  au  trône  \  que  dans  les  jours  de  cérémonie ^ 
\f^%  membres  y  affi^ftent  revêtus  des  habits  &  dés  ornemens  afieâés  à  la. 
qualité  de  chacun  \d^eux  ;  qu'en  préfence  du  Roi.  fiegeant  fur  fon  trône , 
chacun  y  fo^t  à  tête  découverte  ;  qu'en  l'abfence^,  oomme  en  la  préfence 
du  Roi 9  les  Juges,  les  maîtres  en  Chancellerie,  &  le  Confeil  de  SaMajefté, 
ne  s'afteyent  oc  ne  fe  couvrent  qu'au  moment ,  où  de  la  part  des  Sei? 
gneurs,  le  grand  Chancelier  leur  en  fignifie  la  permiffion;  oc  que  quant 
aux  Greffiers  &  Secrétaires  de  la  Chambre ,  ils  ne  s'y  couvrent  jamais , 
ces  derniers  même;  écrivant  à  genoux ,  fur  le  fac  de  laîne  le  plus  reculé  ^ 
dont  ils  fe  fervent  comme  d'une  table^ 

Telle  eft ,  en  ébauche ,  cette  Chambre  du  Parlement  de  ht  Grande-Bre* 
ugne ,  dont  la  nobleffe  &  la  dignité  font  Peffence  &  dont  la  pofition  in- 
termédiaire ,  &  la  vocation  importante ,  fopt  fi  admirablement  concertées 
pour  l'honneur  &.  l'avantage  réciproques  de  la  couronne  &  des  peuples, 
que  fuivant  l'expreffion  du  Roi  Charles  L  cette  Chambre  donne  à  la  fois 
le  plus  beau  des  tempéramens  à  l'éclat  du  trône,  &  le  plus  heureux  àt% 
felieBs  ^  la  condition  des  fujets.  Son  inftitution ,  ouant  à  fa  forme  préfen- 
te ,  n'a  p^s  de  date  précife  :  le  temps  &  les  circonftances  ,  moyens  fi 
jrarenlent  infru6hieux  entre  les  mains  des  Anglois ,  quand  il  s'agit  d'ajou- 
ter à  la  bonté  de  leur  conftitution  nationale  ;  le  temps  &  les  circonf- 
tances,  dis- je,  ont  fucceffivement  amené  la  forme  de  cette  Chambre,  au 
point  de  perfeâion  où  on  la  voit  aujourd'hui  :  mais  quant  à  fon  origine 
éc  à  fa  fpiendeur  continuelle ,  perfonne  ne  contefte  aux  affemblées ,  dites 
wittenagcmots ,  l'honneur  d'avoir ,  déjà  fous  l'heptarchie ,  figuré ,  pour  ainfi 
dire ,  les  membres  en  tout  temps  refpeâables  de  cet  illuftre  corps.  Vayei^ 
à  IVticIe  Parlement  ,  les  occupations  de  la  Chambre  Haute ,  &  la 
.manière  de  procéder 


•^v 


CHAMBRE    IMPÉRIALE.  219 


CHAMBRE. IMPÉRIALE,  Premier  Tribunal  de  PEmpirç 

Germ^ni^ue. 


c 


E  Tribunal  fiege  à  Wetziar,  depuis  Tan  1689,  &  il  eft  aujourd'hui 
compofé  d'un  grand  luge  ^  de  deux  Préfidens ,  &  de  dix-fept  Afleffëurs  ^ 
à  la  fuite  defquels  font ,  un  Fifcal  général ,  trente  Procureurs ,  &  nombre 
d'Avocats ,  dont  l'un  eft  uniquement  pour  le  fifc. 

L'autorité  de  ce  Tribunal  confifte  à  décider  en  dernier  refTort ,  &  fur 
preuves  produites  que  les  inftances  ordinaires  ont  été  faites  devant  les  Tri- 
bunaux inférieurs ,  à  décider ,  dis-je ,  de  toutes  les  caufes  civiles ,  que  les 
membres  de  l'Empire,  médiats  ou  immédiats,  peuvent  y  porter  par  ap- 
pel ,  6c  de  tous  les  cas  fifcaux ,  oii  la  paix  publique ,  dite  landfritdc ,  peut 
le  trouver  concernée  :  il  n'eft  que  les  difficultés  qui  furvieonent  dans  f^ 
fiefs  d'Italie ,  relevant  de  l'Allemagne ,  qui ,  réfervées  aux  jugemens  du 
Confeil  Aulique,  foient  fouftraites  à  (a  judicaturè.  Sa  jurifprudence  eft  tirée 
des  loix  germaniques,  proprement* dites ,  lefquelles  réfultent,  foit  des  dé- 
crets de  la  diète,  foit  des  ordonnances  reçues  dans  les  divers  Etats  de 
l'Empire I  {bit  èts  traités  de  paix,  foit  des  capitulations  Impériales  :  & 
au  fècours  de  ces  loix ,  toutes  nombreufes  &  toutes  diffufes  qu'eVIes  puif* 
fent  être,  furent  encore  appelles,  l'an  1555  par  la  Diète  d'Aùgfbourg,  le 
droit  féodal  des  Lombards,  &  le  code  civiV  de  Juftinien.  11  eft  à  obfer- 
ver,  que  toute  affaire  civile  portée  par  appel  devant  la  Chambre  Impé-f 
riale 
ces 

mais  l'un 
dant  devant 

La  Diète  de  Nuremberg,  tenue  fous  l^Bmpereur  Frédéric  III,  l'an  14^7, 
conçut  la  oremiere  idée  de  cette  Chambre  Impériale ,  mais  ne  la  réalifa 
pas  :  elle  (e  contenta  de  renouveller  la  paix  publique  pour  cinq  ans.  D'ail^- 
leurs  cette  diète  fiit  remarquable  à  plus  d'un  égard  :  Ton  y  vit  les  trois 
JEtats  de  TEmpire  s'aflembler  &  opiner  pour  la  première  fois,  féparé^ 
ment,  chacun  dans  fon  collège v  &  l*on  y  refufa  au  Pape  Paul- 11^  la  dou- 
ble croifade  qu'il  demandoit  contre  les  Turcs ,  ^  contre  le  Roi  Podie- 
brad  de  Bohême ,  chdF  des  Huftites  :  »  Nous  n'avons  ni  fang  ni  argent  à 
a»  vous  donner  contre  les  Turcs,  «  répondit-elle  au  Pape.,  &.  bien  loin 
»  de  fonger  à  feire  la  guerre  à  Podiebrad ,  nous  voudrions  l'avoir  pour 
at  Roi  o  Ce  Podiebrad  étoît  en  effet  un  grand  homme. 

Une  autre  Dicte ,  tenue  fept  ans  après  celle-là ,  dans  la  même  vîMe ,  & 
Ibus 
bre 
snem  de  travailler  k  termmer ,  par 


^r,  que  coûte  aiiaire  civiie  poaee  par  appei  cevant  la  v^namore  impe<? 
iale ,  peut  l'être  également  devant  le  Conleil  Aulique ,  l'un  &  l'autre  die 
zts  Tribunaux  faprémes,  étant  indiffëremment  ouverts  à  tout  l'Empire; 
m««c  Piin  Qç  pouvant  pourtant  évoquer  à  ibi ,  ce  qui  déjà  fe  trouve  pen- 
tit  rautre. 


ajo 


CHAMBRE    IMPÉRIALE. 


les  différefids  que  les  Princes  de  l'Empire,  &  non  les  particuliers»  pour- 
roient  avoir  entr'eux  ;  &  l'on  en  remit  la  direâion  à  l'Archevêque  de 
Mayence  :  mais  quelque  reflerré  que  fût  ainfi  ce  projet,  il  ne  put  en- 
core alors  fe  remplir  :  l'Empire  d'Allemagne  a  rarement  eu  le  bonheur 
de  donner  à  l'exécution  de  fes  delTeins,  une  célérité  proportionnée  à  la 
fagelTe  de  fes  réfolutions. 

Enfin  la  Diète  tenue  à  Worms,  en  1495  ,  la  troifîeme  année  du  règne 
de  Maximilien  I ,  eut  la  gloire  de  fonder  &  d'établir  la  Chambre  Impé« 
riale ,  aux  prefTantes  foUicitations ,  il  eft  vrai ,  &  par  Theureux  miniftere 
de  Berthold  »  Archevêque  de  Mayence ,  de  l'illuftre  Maifon  de  Henneberg. 
Ce  Prélat  d'un  mérite  reconnu  de  tous  les  hiftoriens ,  ayant  porté  la  Diète 
à  publier  de  nouveau  &  avec  plus  de  force  ^ue  jamais,  la  paix  pubUqut^ 
au  moyen  d'un  édit ,  qui  fupprimoit  &  interdifoit  à  perpétuité  les  voies* 
de  fût ,  entre  les  membres  de  l'Empire  en  contention ,  fous  peine  d'en 
être  mis  au  ban,  l'engagea  en  même  temps»  à  nommer  &  à  fixer  un  tri- 
bunal fupréme,  qui  veillant  au  maintien  de  la  paix  publique,  décideroit 
fans  appel ,  de  tous  les  différends  qui  pourroient  naître ,  foit  entre  les  Prin- 
ces, loit  entre  les  autres  membres  de  l'Empire.  le  mal  des  guerres  civi- 
les &  particulières  avoit  jufqu'alors  paru  fans  remède;  l'ére6Hon  de  ce 
tribunal  fit  efpérer  que  ce  mal  alloit  être  coupé  par  la  racine  :.les  évé- 
nemens  fubféquens  n^ont  pas  tous  jufiifié  cette  efpérance  ;  ce  Tribunal  a 
fait  des  fentes  ;  fes  reflbrtiifans  n'ont  pas  toujours  été  dociles.  L'Allemagne 
eft  une  République  de  Princes  \  mais  des  Princes  en  République  font  tou- 
jours des  hommes  ;  &  où  font  les  hommes  qui  ne  violent  pas  quelque- 
fois leurs  propres  inftitutions  ? 

Le  Tribunal  inftitué  fut  appelle,.  Kaiferlichc  kammcr-gericht ^  judicium 
cameraU ,  Chambre  dejuftict  Impériale.  Un  grand  Juge ,  tiré  de  la  haute 
noblelfe ,  &  feize  Aflèfleurs  ou  Confeillers ,  le  çompo^rent  d'abord  \  &  la 
ville  de  Francfort  fur  le  Meyii  »  en  fut  le  premier  fiege.  L'an  1507,  Maxi- 
milien I  fit  folémnellement  au  Grand-Juge  la  tradition  de  fon  fceptre, 
ou  bâton  de  juftice  :  c'eft  une  forte  de  relique,  très-précieufement  con- 
fervée ,  &  que  le  Grand- Juge  tient  encore  en  mains  de  nos  jours ,  lorf- 
qu'îl  prononce  fes  fentences. 

t.'£tat  préfent  de  ce  Tribunal ,  tel  qu'il  eft  indiqué  dans  le  début  de  cet 
article ,  fait  voir  que  depuis  fa  création  ,  il  a  fubi ,  quant  à  fon  fiege  & 
quant  au  tK>mbre  de  fes  membres ,  des  changemens  qu'il  convient  de  rap- 
porter ici. 

Dès  l'an  1495  à  l'an  1527,  il  fut  fucceflîvemcnt  transféré  de  Francfort, 
à  Worms,  à  Nuremberg,  à  Augft)ourg ,  à  Ratifoonne,  à  Efffingen  &  à 
Spire.  Une  loi  particulière  le  fixa  dans  la  dernière  de  ces  villes,  l'an  i53o. 
Mais  l'an  16&8,  les  malheurs  de  la  guerre  avec  la  France,  &  le  fac,  pour 
wnfi  dire,  de  la  ville  même  de  Spire,  le  forcèrent  d'en  forrir,  &  il  fiât 
placé  à  Wetilar,  petite  ville  Impériale,  où  il  eft  encore,  &  dont,^  par 


CHAMBRE    IMPÉRIALE.  x}i 

une  repréreotation  faite  à  la  Diète  en  175 1 ,  il  chercha  vainement  à  échan- 
ger le  féjour ,  contre  celui  de  Francfort  fur  le  Meyn. 

Quant  aux  changemens  arrivés  dans  le  nombre  de  fes  membres ,  on  ne 
leur  reconnolt  d'époques  principales^  que  la  paix  de  Weftphalie,.  de  Tan 
1648  }  &  le  décret  de  la  Diète  de  Ratifbonne,  de  l'an  1720.  Par  cette 
paix ,  la  Chambre  dût  être  /rompoiëe  d'un  grand  Juge ,  de  quatre  Préfi- 
dens ,  &  de  cinquante  Aflefleurs  ;  &  par  ce  décret ,  elle  fut  réduite  au 
grand  Juge,  à  deux  Préfidens,  &  à  vingt-cinq  AfTcflèurs  :  la  difficulté  de 
trouver  les  fi>nds  néceffaires  à  l'entretien  de  fes  membres  en  caufa ,  dit-on  » 
la  réduâion  de  l'an  1720;  &  c'eft  apparemment  la  même  difficulté  qui  fait 
qu'aujourd'hui^  }e  nombre  de  fes  AfTefTeurs  n'eft  plus  que  de  dix-fept. 

Mais  un  autre  changement  d'importance,  arrivé  dans  ce  tribunal,  depuis 
fa  créatîpn ,  c'eft  celui  qu'opéra  parmi  fes  membres  la  réfbrmation  du  fei« 
zleme  fiecle.  Dès  l'an  1520  la  doârine  de  Luther  ayant  (ait  des  progrès 
confidérables  dans  l'Empire,  Ton  convint  à  la  diète  de  Spire,  de  l'an  i;44, 
d'admettre  pour  affefleurs  à  la  Chambre  Impériale ,  des  Proteftans  avec  des 
Catholiques  :  le  traité  de  Faf&u,  de  1552,  ratifia  cette  admiffîon  »,&  celui 
de  WeUphalie  ayant  entr'autres  pleinement  confirmé  te  traité  de  PaflTauj 
régla  de  plus  que  des  cinquante  aireffeurs ,  membres  futurs  de  la  Cham-- 
bre  Impériale,  vingt-quatre  feroient  Protefians ,  &  vingt-fix  Catholiques 
c'ef}  au/fî  fur  ce  pied,  que  des  dix-fept  qui  la  compolent  aâuellement  |^ 
neuf  font  Catholiques ,  &  huit  font  Prx>teftans. 

Le  grand-Juge ,  qui  doit  toujours  être  ou  un  Prince ,  ou  un  Comte  du 
Saint  Empire ,  &  les  deux  préfidens  qui  ne  peuvent  être  pris  que  parmi  les 
Comtes  ou  Barons  immédiats  du  même  Empire ,  &  dont  il  xaut  que  l'un 
profeflela  Religion  Catholique,  &  l'autre  la  Proteftante,  font  tous  trois  à 
la  nomination  de  l'Empereur  :  quant  aux  afTeflfeurs,  c'eft  l'Empereur,  les 
neuf  Eleâeurs  &  tous  les  Cercles  de  l'Allemagne ,  à  la  réferve  de  celui  dtt 
Bas^Rhin^  qui  les  préfentent,  &  qui  vaquant  tour  à  tour  à  cette  préfenta* 
tion  ,  obfervent  la  règle  qui  veut  que  proteftans  &  catholiques  y  remplif- 
ient  chacun  leur  nombre.  Si  le  cercle  du  Bas-Rhin  ne  concourt  pas  à 
cette  préfentation  ,  ç^eft  qu'il  n'efl  compofé  que  de  quatre  Eleâeurs^ 
<}ui  par  leur  dignité  perfbnnelle,  font  déjà  cenfés  avoir,,  à  cet  égard  «  ufé  de 
leur  droit. 

Le  falaire  des  membres  de  la  Chambre  Impériale ,  efl  à  la  charge  de 
tous  les  Etats  de  l'Empire ,  excepté  de  l'Empereur.  L'on  appelle  kammcr-ifet 
le  contingent  que  la  matricule  fixe  à  chacun  dans  cet  objet.  La  fommeri- 
goureufe  en  montoit  l'an  1720 ,  à  103,600  rixdallers,  &  après  les  décour- 
temens  inévitables  à  78,783.  Mais,  foit  impuiffance ,  foit  négligence ,  à  peine 
s'en  paie-t-il  annuellement  {o  mille  rixdallers,  &  la  Chambre  avoir  l'aa 
1753  au  delà  de  600  mille  rixdallers  à  repéter.  Ces  arrérages  lui  font  be^- 
foin  fans  doute ,  &  peut-être  contribuent-ils  à  la  lenteur  que  l'on  repro* 
che  à  fes  procédés. 


432    CHAMBRE  DES  COMPTES^  FmANCES^  MOlrtïOIES,  &c. 

Un  vuide  pour  les  occupations  de  là  Chambre ,  &  ^eut-écre  auffi  pour 
(es  revenus ,  c'eft  celui  qu'encraine  le  privilège  de  non-appellando ,  accordé 
en  divers  temps  par  la  Cour  Impériale,  tant  aux  Eleâeurs,  qu'à  d'autres 
puiflkns  Princes  de  l'Allemagne  :  en  vertu  de  ce  privilège,  les  fujets  i^^• 
médiats  de  ces  Princes  font  difpenfés  de  porter  à  la  Chambre  aucune  caufè 
Guelconque ,  ou  de  n'en  appeller  à  elle ,  que  pour  les  cas  finguliéremenc 
H)écifîés  dans  le  privilège.  Il  eft  Vraifemblable  que  fcs  membres  fouf&enc 
fans  peine  cette  diminution  de  leurs  travaux .  &  que  fe  livrant  par  préfê- 
renée  à  la  difcuffion  des  matières  qui  intéreflent  plutôt  ies  Princes  que  les 
particuliers  ^  ils  font  plus  flattés  de  voir  leurs  fentences  exécutées  à  Tégard 
de  ceux-là ,  qu'ôfFenfés  de  les  voir  négligées  à  l'égard  de  ceux-ci% 

Enfin ,  comme  il  a  été  dit  d'entrée ,  il  ne  peut  y  avoir  appel  nulle  part 
&és  fentences  de  la  Chambre  Impériale  ^  &  comme  elles  font  cenfées  fè 
rendre  au  nom  de  tout  l'Empire ,  elles  font  exécutoires  dans  toute  (on  en- 
ceinte.  S'il  arrivoit  cependant ,  que,  d'une  ou  d'autre  part,  l'on  fe  trouvât 
léfé.par  le  jugement  prononcé^  la  conftitution  de  l'Empire  a  ménagé  une 
reflburce  au  plaignant;   c^ed  la  rèyijion  des  aâcs y   pardevant  l'Archevé* 
que ,  Eleâeur  de  Mayence ,  Archi-Chancelier  du  Saint  Empire  en  AUenu- 
rne.  C'^ft  àu(fî  cet  Eleâeur ,  qui ,  par  le  droit  de  fa  charge ,  préfide  aux 
formalités  annuelles  de  ce  que  l'on  appelle  viâtation  de  la  Chambre  Impé- 
riale ;  formalités  inftituées  dès  fa  formation ,  fuivies  régulièrement  jafquef 
en   1582,  fufpendues  dès   lors  ji^ques  en    1706,  reprifes   cette  année-U 
pour  quelqtie  tétns ,  mais  tombées  depuis  dans  une  forte  de  défuétude  :  le 
but  en  étoit  le  foutien  du  tribunal,  l'infpeâion  de  fa  conduite,  &  la  cor* 
reâion  de  Tes  fautes  :  c'eft  à  l'Empereur  &  à  la  Diète  à  ordonner  cette  vi* 
iitation  ;  &  dans  la  vacance  de  l'Empire ,  c'cft  à  fos  Vicaires. 


■ié 


<■  -r 


CHAMBRE  DES  COMPTES, 
CHAMBRE  DES  I^IÏ^ANCES, 
CHAMBRE  DES  MONNOIES» 

DE  LA  GÉNÉRALITÉ  DES   iPRÔVIIÎCÊS-tJNIEl 

T.  l^A  Chambre  des  Compresse  la  6éaëralité,  fut  ëublieTanaëç  iSori 
du  coofeotement  des  fept  Proviaces,  pour  foulager  le  confeil  d'État  dans 
U  direâion  des  finances.  Sa  commiflion  fiit  revue  &  confirmée  «n  i6i»» 
«  l^rt  étendue  par  PafTemblée  des  Etats-Généraux  en  i6^u 
,  Cette  Chambre  eft  compofée  de  deux  députés  de  chaque  Province ,  q*i 

font 


CHAMBRE  DBS  COMPTES  »  FINANCES,  MONNOIES,  &c.  i^j 

Ibnt  le  nombre  de  quân>r2e ,  &  qui  ordidairemeût  changent  de  trois  en 
Crois  ans,  fuivant  le  oon  plaifir  des  Provinces. 

Les  fondions  de  ce  collège  confident  à  examiner  &  à  arrêter  les  comp** 
tes  du  Receveur-Général,  des  autres  Receveurs  de  la  Généralité  &  de  tous 
les  comptables;  comme  aulli  ceux  de  tous  les  Minières  de  Leurs  Haucea 
Puillances  dans  les  pays  étrangers  ,  dès  commis  des  magafins  dans  les  pla- 
ces de  guerre  &  de  la  barrière ,  &  autres ,  fans  aucune  exception.  Cette 
Chambre  examine  &  arrête  auffi  les  comptes  de  tous  les  Collèges  de  IV 
mirauté,  &  enreeiftre  toutes  les  ordonnances  du  Confeil  d'État  fur  le  Re« 
ceveur-Général  &  autres ,  auflî  bien  que  tous  les  aâes  de  réquifition  de 
ce  Confeil  aux  Provinces  particulières.  Et  comme  le  Receveur  -  Général , 
par  ordre  du  Confeil  d'État ,  a(fîgne  certains  paiemens  fur  ces  Provinces, 
elles  en  rapportent  leurs  comptes  à  cette  Chambre ,  afin  d'en  être  déchar-* 
^jtK&  fur  la  répartition  générale. 

On  donne  aux  depuis  qui  compofent  cette  Chambre  les  titres  de  iVb« 
hits  &  Puijfans  Seigneurs.  Il  y  a  deux  Secrétaires,  qui  ont  fous  eux  un 
Commis,  &  quelques  Clercs  ou  Écrivains,  outre  deux  Huidiers,  qu-'on 
nomme  Gardes .  de  la  Chambre  des  comptes.  La  falle  où  ces  Députés  s'af- 
iëmblent  eft  dans  l'enceinte  de  la  Cour.  . 

II.  La  Chambre  des  Finances  de  la  Généralité  a  été  établie  avec  celle  it% 
comptes,  &  elle  eft  (iompofiée  de  quatre  Commis,  qui  font  nommés  par 
les  ÉtatS'Généraux.  Il  y  a  an  Clerc  jou  Ecrivain ,  avec  un  garde .  de  la 
Chambre.  Elle  efi,  comme  le  précédent  Collège,  fituée  dans  l'enceinte  de 
la  Cour. 

Cène  Chambre  e|l  chargée  de  régler  tous  les  comptes  qui  regardent  les 
frais  de  l'armée,  de  tous  les  hauts  &  bas  officiers,  de  ceux  de  l'artille^ 
rie,  des'  bateaux,  des  chariots,  des  chevaux ,  ùc.  ;  comme  auffi  de  ceux 
qui  ont  foin  des  munitions ,  àts  vivces  de  Tarmée ,  &  de  tout  ce  qui  fert 
à  fbn  entretien  &  à  fa  iubfifiance.  .  : 

Cette  Chambre  eft  fubordonnée  au  Confeil  d'Etat ,  de  même  qu'à  la  Cham* 
bre  des  Comptes,  quoique  celle-ci  foit  moins  ancienne  que  celle  des  Fi«* 
nances. 

III.  Toutes  les  Provinces  en  s'uniffant  pour  former  entr'elles  une  feule  Ré^ 
publique,  fe  font  réfervé  le  droit  de  battre  monnoie,  comme  une  marque 
eflentielle  dç  leur  Souveraineté  particulière,, qiais  elles  font  convenues  es* 
même  tems  que  la  monnoie  de  chaque  Province,  qui  aufoit  cours  dans 
toute  l'étendue  de  la  République ,  feroit  d'une  même  valeur  intrinfeque. 

Pour  l'obfervation  d'un  fi  jufte  règlement,  les  Provinces,  d'un  consen- 
tement unanime ,  réfolurent  au  commencement  de  la  République ,  d'établir 
à  La-Haye  une  Chambre  desmonnoies  de  la  généralité,  compofée- dé  trois 
Confeillers  înfpeâeurs-généraux ,  d'un  Secrétaire  À  d'un  Effayeur^généraK  . 
Ce  collège  s'aflemble  dans  upe  falle  de  la  Cour,  dont  l'entretien  eft  con- 
fié à  un  Ofiicier  qu'on  nomme  Garde  de  la  Chambre  de  la  monnoie.  :     : 

Tome  XI.  G  g 


134  CHAMBRE      M  I-P  A  R  T  I  B. 

Il  y  avoir  autrefois  un  plus  erand  nombre  de  Confeillers  dans- cette  |s 

Chambre  ;  on  appelloit  les  uns  Confeillers  ordinaires  ^  &  les  autres  Conr 
JeilUrs  eftraordimdres.  Les  premiers  étoient  nommés  par  les  Etats  -  Gêné* 
rauz ,  &  les  autres  par  les  Etats  de  Hollande  \  mais  depuis  environ  cent 
ans  il  n'y  en  a  point  eu  d'extraordinaires.  Tous  les'  membres  de  cette 
Chambre  font  encore  aujourd'hui  à  la  nomination  de$  Etats^énéraux. 

Du  temps  de  Maximilien  Roi  des  Romains ,  &  adminiftrateur  àzs  Pays» 
Bas  pour  fon  fils  Philippe*le-6el ,  Archiduc  d'Autriche  t  il  y  avoir  diver* 
fes  Chambres  de  la  monnoie ,  entr'autres  une  en  Brabant ,  une  en  GueldreSi 
une  en  Flandre,  une  en  Hollande  &  une  en  Hainault,  comme  on  peut 
le  voir  par  fon  ordonnance  &  inftruâion  fur  la  monnoie,  du  14.  Décem- 
bre 1489.  Philippe-Ie-Bel  en  publia  une  autre  fur  le  même  fujet  en  14.991 
que  Charles.  V ,  confirma  &  amplifia  le  4  Février  r  ^oa. 

Cette  Chambre  a  une  infpeâion  générale  fur  toute  la  monnoie  frappée 
au  nom  des  Etats-Généraux ,  ou  des  Etats  àts  Provinces  particulières ,  de 
même  que  fur  toutes  les  efpeces  étrangères.  Elle  a  foin  que  la  monnoie 
foit  de  raloi  &  de  la  valeur  intrinfeque  ordonnée  par  Leurs  Hautes-Fuif- 
lances ,  &  elle  procède  contre  les  maîtres  de  la  monnoie  qui  contre vieiH 
nent  aux  réglemens  de  l'Etat  fur  ce  fujet.  Sa  jurifdiâion  s'étend  aufli  fur 
les  Joailliers,  les  orfevi'es,  les  eflayeurs,  les  rafineurs,  les  changeurs  & 
autres  gens  de  cette  efpece.  Enfin  elle  termine  tous  les  différends  fur  l'aloi, 
l'eflai ,  le  poids  &  fur  tout  ce  qui  concerne  le  prix  de  l'or  &  de  l'argent, 
&  fes  jugemens  font  fans  anpel.  Cependant  tout  ce  qui  efl  criminel  dft  du 
reffort  du  confeil  d'Etat;  «  à  l'égard  des  faux-monnoyeurs ,  le  jugement 
en  appartient  aux  juges  des  Provinces  &  des  villes ,  où  le  crime  s'eft 
commis.  . 

Cette  Chambre  fuit  entièrement  l'infbvâiQn  qui  fut  publiée  par  la  Reino 
Douairière  de  Hongrie ,  gouvernante  des  Pays-Bas  »  fiir  le  fujet  de  U  mon* 
noie,  &  qui  efl  datée  du  premier  Mai  1535. 


CHAMBRE    MI-PARTIE. 

X^  A  R  l'article  XXI  du  traité  de  paix ,  conclu  \  Munfter  le  30  Janvier  1^48 , 
entre  Philippe  IV  ^  Roi  d'Efpagne ,  &  les  £tats*Généraux  des  Provinces* 
Unies,  il  fut  flipulé  que  Ton  nommeroit  des  juges  en  nombre  égal  de 
part^  d'autre,  qui  dévoient  fi>rmer  une  Chambre-mi-partie,  &  s'affem- 
oler  alternativement  dans  les  Etats  de  la  domination  de  l'une  &  de  l'autre 
Puiflance,  &  dans  les  lieux  dont  on  conviendroit  réciproquement. 

Ces-  juges  étoietit  chargés  de  décider  des  différends  entre  les  fujets  de 
part  &  dWrei  à  l'occafiQn  du  contmerce  &  des  droits  fur  les  marchant 


It 


< 

CHAMBRE    Dr  A  S  S  U  R  A  N  C  E.  %\% 

dties,  de  même  aue  des  contraventions  faites  à  ce  traité  de  paix,  &  enfin 
de  toute  autre  diipute  Q.nrrct  les  fujets  des  deux  Puiflances. 

Cette  Chambre  ëtoit  compofée  de  huit  juges  fubdélegués  de  la  part  du 
d'Ëfpagne ,  &  de  huit  autres  de  la  part  des  Etats*Généraux.  La  préfi« 
dence  étoit  alternative;  la  première  femaine  le  prëfident  ëtoit  un  des  juges 
fubdëleguës  de  rEfpagne ,  &  la  fuivante  c'étoit  un  de  ceux  des  Etats- 
Généraux. 

Il  y  avoit  aulli  des  Secrétaires  ou  Greffiers ,  nommés  par  Tune  &  Pautre 
Puilfance  qui  fignoient  conjointement  les  fentences  rendues  par  cette  Cham- 
bre ;  de  même  que  deux  Hui(fîers  de  part  &  d'autre ,  pour  Pexécution  de 
ces  fentences  dans  le  lieu  où  la  Chambre  rëfidpit.  Mais  danis  les  autres  eiH 
droits  les  exploits  fe  faifoientpar  les  Huiffiers  des  cours  de  juflicedes  Pro* 
vinces  refpeâives.  Les  jugemens  de  cène  Chambre  étoient  fans  appel  nt 
réviHon.  :  i        • 

Elle  fe  (ervoit  de  deux  fceaux  diftingués ,  l?un  avec  les  armes  d'Efpa* 

fne,  &  l'autre  avec  celles  de  la  République;  &  toifs  les  aâes  devoieqt 
tre  fcèllës  de  ces  deux  fceaux.  ^    » 

Cette  Chambre  réfidoit  la  première  année  à  Malines,  &  la  fuivante  à 
Dordrecht,  &  ainfi  d'année  en  année.  Les  deux  Puiflànces  dévoient  4ivonr 
foin  de  lui  affîgner  un  lieu  convenable  pour  s'affembler,  &  fubvenotent  à 
tous  les  frais. 

Les  juges  étoient  obligés  de' travailler  tous  les  jours,  le  nuitin  , pen- 
dant trois  heures ,  &  autant  l'après  -  midi ,  jufqu'à  ce  que  les  procès  in« 
tentés  fuffent  terminés.  Toutes  les  cours  de  juflice,  de  part  &  d'autre^ 
étoient  obligées  d'exëcuter  les  fentences  prononcées  par  cette  Chambre.  . 

Cette  Chambre  ne  fubfifte  plus  depuis  un  grand  nombre  d'années,  &  il 
n'en  eft  fait  aucune  mention  dans  le  traité  de  barrière ,  conclu  à  Anvers 
entre  l'Empereur  &  les  Etats-Généraux,  le  15  Novembre  171  $• 


I 


mm 


CHAMBRED' ASSURANCE, 

ou 

CHAMBRE    DES    ASSURANCES. 

N  donne  ce  nom  à  une  fociété  de  perfonnes  qui  entreprennent  des 
atflurances^  c'e(l*à-dire  qui  fe  rendent  propre  le  rifque  d'autrui  fur  tel  ott 
tel  objet  à  dés  conditions  réciproques.  Ces .  conditions  font  expliquées  dans 
on  contrat  mercantil ,  fotis  fignature  privée ,  qui  porte  le  nom  de  police 
JPaJfuranct.  Une  de  ces  conditions,  en  le  prix  appelle  prime  dPAffuranct* 
Les  affiirances  fe  peuvent  faire  fur  tous  les  objets  qui  courent  quelque 

Gg  a 


a^tf  CHAMBRE    D^  A  S  S  U  R  A  N  C  E. 

:  rifque  incertain.  En  Angleterre  on  en  £dt  même  fur  la  vie  des  hommes  : 
en  France,  on  .a  fagement  reftreinc  par  les  loix  la  faculté  d'être  affuré  à 
la  liberté  &  aux  biens  réels.  La  vie  des  hommes  ne  doit  point  être  un 
objet  de  commerce;  elle  eft  trop  précieufe  à  la  fociété  pour  être  la  ma« 
tiere  d'une  évaluation  pécuniaire  :  indépendamment  des  abus  infinis  que 

-cet  ufage  peut  occafionner  contre  la  bonne  foi,  il  feroit  encore  à  craindre 


de  rifque  où  ta  matière  du  rifque  n'exifte  pas  :  ainfî  le  profit  à  faire  fur 
une  marchandife  &  le  fret  d'un  vaiflèau,  ne  peuvent  être  affurés. 

Les  perfbnnes  qui  forment  une  fociété  pour  prendre  fur  elles  le  péril 
.  de  la  liberté  ou  des  biens  d'autrui  ^  peuvent  le  faire  de  deux  manières  j 
par  une  fociété  générale ,  ou  par  une  commendite. 

Dans  tous  les  cas  la  fociété  eft  conduite  par  un  nombre  d'affociés  ap- 
pelles dirc3curs ,  &  d'après  le  réfultat  des  aflemblées  générales. 

La  fociété  «ft  générale,  lorfqu'un  nombre  fixe  de  particuliers  s'engage 
folidairement  par  un  aâe  public  ou  privé  ,  aux  rifques  dont  on  lui  de- 
mandera, l'aflurance  ;  mais  l'aâe  de  fociété  reftreint  le  rifque  que  l'on  peut 
courir  fur  un  même  objet  à  une  fomme  limitée  &  proportionnée  aux  fa- 
cultés des  aflbciés.  Ces  particuliers  ainfi  folidairement  engagés  un  fi^ul  pour 
tous ,  n'ont  pas  befoih  de  dépofer  de  fonds ,  puifque  la  totalité  de  chaque 
fortune  particulière  eft  hypothéquée  à  l'affur^.  Cette  forme  n^eft  guère  ufitée 
jque  dans  les  villes  maritimes ,  parce  que  l^s  fitcultés  y  font  plus  connues. 
Elle  infpire  plus  de  confiance  ;  parce  qu'il'  eft  à  croire  que  éts  gens  dont 
tout  le  bien  eft  engagé  dans  une  opération,  la  conduiront  avec  prudence: 
&  tout  crédit  public  dépend  entr'autres  caufes  de  l'intérêt  que  le  débiteur 
a  de  le  conferver  :  V opinion  de  la  fureté  fait  la  fureté  même. 

Il  eft  une  autre  forme  de  fociété  d'Aflurance  que  l'on  peut  appetler  en 
tommenditt.  Le  fonds  eft  formé  d'un  nombre  fixe  d'aâions  d'une  valeur 
certaine  ,  &  qui  fe  paie  comptant  par  l'acquéreur  de  l'aâion  :  à  moins 
que  ce  ne  fpit  dans  une  ville  maritime  où  les  acquéreurs  de  l'aâioh  font 
iolidaires ,  par  les  raifons  que  l'on  vient  d'expliquer  ^  &  ne  font  par  con« 
féquent  aucun  dépôt  de  fonds. 

Le  crédit  de  cette  Chambre  ou  de  cette  fociété  dépendra  fur-tout  de 
fon  capital  y  de  l'habileté  des  directeurs,  &  de  l'emploi  des  fonds,  s'il  y  en 
a  de  dépofés;  On  deftine'le  plus  fouvent  ces  fonds  à  des  prêts  à  la  greffe 
aventure,  ou  à  efcomptes  des  papiers  publics  &  de  commerce.  Un  pareil 
emploi  rend  ces  Chambres  très-utiles  à  l'Etat,  dans  lequel  elles  augmen- 
tent la  circulation  de  l'efpece.  Plus  le  crédit  de  l'Etat  eft  établi ,  plus  l'ern* 
ploi  des  fonds  d'une  Chambre  d'aflurance  en  papiers  publics ,  donnera  de 
crédit  à  cette  Chambre;  &  la  confiance  qu'elle  y  aura,  augmentera  ré« 
ciproquement  le  crédit  des  papiers  publics.  Mais  pour  que  cette  confiaoçe 


CHAMBRE    D»  ASSURANCE.  137 


iieniens  où  cette  opinion  chancelle  &  varie.  Si  dans  cette  même  circons- 
tance une  Chambre  d'affarance  avoit  befoin  de  fondre  uhe  partie  de  (es 
papiers  publics  pour  un  grand  rembourfement,  cette  quantité  ajoutée  à  celle 
que  le  difcrédit  en  apporte  néceflairement  dans  le  commerce,  augmente- 
roit  encore  le  défordre  ;  la  compagnie  tomberoit  elle-même  dans  le  dif- 
crédit, en  proportion  de  ce  qu'elle  auroit  de  fonds  employés  dans  les  ef« 
(èts  décriés. 

L'un  des  grands  avantages  ^ue  les  Chambres  d'Affurance  procurent  à 
l'Etat,  c'eil;  d'établir  la  concurrence,  &  dès-lors  le  bon  marché  des  pri- 
mes ou  du  prix  des  aflurances  ;  ce  qui  favorife  les  éntreprifes  de  conunerce 
dans  la  concurrence  avec  les  étrangers.. 

Le  prix  des  aflurances  dépend  du  rifque  efieâif  &  du  prix  de  l'argent. 

Dans  les  ports  de  mer  ou  l'argent  peut  fans  cefle  être  employé  utile- 
ment ,  fon  intérêt  eft  plus  cher  ;  &  les  aflurances  y  mouteroient  trop  haut, 
fi  la  concurrence  des  Chambres  de  l'intérieur  n'y  remédioit.  De  ce  que  le 
prix  de  l'argent  inâue  fur  celui  des  aflurances,  il  s'enfuit  que  la  nation  la 
plus  pécunieufe ,  6c  chez  qui  les  intérêts  feront  les  plus  modiques,  fera, 
toutes  chofès  égales  d'ailleurs,  les  aflurances  à  meilleur  compte». Le  com- 
merce/ maritime  de  cette  nation  aura  4a  fupériorité  dans  ce  point  ;  &  la 
balance  du  commerce  général  augmentera  de  tout  l'argent  qu'elle  gagoera 
en  primes,  fur  les  étrangers  qui  voudront  profiter  du  bon  marché  de  fes 
aflurances. 

Le  rifque  efiêdif  dépend  en  temps  de  paix  de  la  longueur  de  ta  navi* 

Êation  entreprife,  de  la  nature  des  mers  oc  des  côtes  ou  elle  s'étend,  de 
i  nature  des  faifons  qu'elle  occupe,  du  retard  des  vaifleaux,  de  leurconfr 
iru^on,  de  leur  force,  de  leur  âge,  des  accidens  qui  peuvent  y  furvenir^ 
comme  celui  du  feu  ;  du  nombre  &  de  la  qualité  de  l'équipage  ;  de  l'habi«* 
leté  ou  de  la  probité  du  capitaine. 

-  En  temps  de  guerre  4  le  plus  erand  péril  abforbe  le  moindre  :  à  peine 
calcule- t-on  celui  des  mers,  &  les  faiions  les  plus;  rudes  font  celles  qui. 
donnent  le  plus  d'efpoin  Le  rifque  efFe£tif  eft  augmenté  en  proportion  Qe% 
ibrces  navales  réciproques^  de  l'ufage  de  ces  forces ,»  ^  :  des  qoriaires  qui. 
croifent  refpeâivement  :  mais  ces  derniers  n'ont  d'influeoce  &  ne  peuvent^ 
ejÂfter  qu'autant  qu'ils  font. foutenus  par  des  efcadres  répandues  en  di«: 
▼ers  parages. 

Le  rifque  efïbétif  a  dedx  effets  :  celui  de  la  perte ;.tot4le>  &  celui  dei' 
avaries.  Ce^  dernier  eft  le  plus  commun  en  temps  de  paix,.^  fe  mulriplie. 
dans  certaines  faifons  au  point  qu'il  eft  plus  à  charge  aux  aflurancQs  qMq  le 
preinier.  Les  réglemens!  qu'il  occafionne,  foQt  une  des  matière^  des  plus, 
épioeafes  des  aflurances  :  ils  ne  peuvent  raifoimablexneat  être  £uts,  que  fyt 


238  C  H  A  M  B  R  B    B'  AS  SV  K  K  NrC  B. 

les  lieux  mêmes ,  ou  au  premier  port  que  gagne  le  vailTeau  ;  8c  comme  ils 
font  fuiceptibles  d'une  infinité  de  conteftations ,  la  bonne  foi  réciproque 
doit  eh  être  la  bafe.  La  facilité  que  les  Chambres  d'Aflurances  y  appor-^ 
tent,  contribue  beaucoup  à  leur  réputation. 

Par  un  dépouillement  des  regiflres  de  la  marine,  on  a  évalué  pendant 
dix-huit  années  de  paix,  la  perte  par  an  à  un  vaifTeau  fur  chaque  nomlire* 
de  cent  quatre-vingts.   On  peut  évaluer   les  avaries  à  deux  pertes  fur  ce 
nombre ,    &  le  rifque  général  de  la  navigatjion  à   i  \  pour  cent  en  temps 
de    paix. 

Trés-peu  de  particuliers  font  en  état  de  courir  les  rifques  d'une  grande 
entreprile  de  commerce  ,  Se  cette  réflexion  feule  prouve  combien  celui 
des  affureurs  efl  recommandable.  la  loi  leur  donne  par-tout  la  préférence; 
moins  cependant  pour  cette,  raifon  ,  que  parce  qu'ils  font  condnuellemenc 
expofés  à  être  trompés,  fans  pouvoir  jamais  tromper. 

Là  concurrence  des  Chambres  d'Affurances  efl  encore  à  d'autres  égards 
très-précieufe  à  l'Etat  :  elle  divife  les  rifques  du  commerce  fur  un  plus 
grand  nombre  de  fujets ,  &  rend  les  pertes  infenfibles  dans  les  conjonâu« 
res  dangereufes.  Comme  tout  rifque  doit  être  accompagné  d'un  profit,  c'eft 
une  voie  par  laquelle  chaque  particulier  peut  fans  embarras  paniciper  \ 
l'utilité  du  commerce;  elle' retient  par  conféquent  la  portion  de  gain  que 
les  étrangers  retireroient  de  celui  de  la  nation  :  &  même  dans  des  cir* 
confiances  critiques ,  elle  leur  dérobe  la  connoiffance ,  toujours  dangereufe, 
des  expéditions  &  de  la  richefle  du  commerce. 

J.  Loccenius,  dans  fon  traité  de  Jure  Maritimo^  prétend  que  les  Anciens 
ont  connu  les  Aflurances  :  il  fe  fonde  fur  un  paflage  de  Tite-Live ,  liv.  XXIIL 
nâmb.  xlix.  On  y  voit  que  le  tréfbr  public  fe  chargea  du  i-ifque  Aes  vaiffeaux 
qui  portoient  des  bleds  à  l'arméed'Efbagne.  Ce  fut  un  encouragement  ac« 
càrdé  par  l'Etat  en  faveur  des  circonitances ,  &  non  pas  un  coàtrat.  C'efl 
dan^  le  même  fens  qu'on  doit  entendre  un  autre  paflage  de  Suétone,  qu'il 
cite  dans  la  vie  de  l'Empereur  Claude,  nomb.  xix.  On  voit  que  ce  Prince 

i)rit  fur  lui  le  rifque  des  bleds  qui  s'apportoient  à  Rome  par  mer,  afin  que 
e  profit  de  ce  commerce  étant  plus  certain ,  un  plus  grand  nombre  de  mar- 
diatids  Pentreprif ,  &  que  leur  concurrence  y  entretint  l'abondance. 

Le^  A nrloitf  prétendent  que  c^'efl  clfez  eux  que  le  commerce  ides  affiiran** 
Cds^a  pris'âàiffance,  ou  du  moins  que  fon  ufage  courant  s'efl  établi  d'a« 
bordi  que  les  habitans  d'Oléron  en  ayant  eu  connoiffance,  en  firent  une 
1(M  parmi  eux ,  &  que  la  coutume  s'introduifit  delà  dans  les  villes  marid* 
mes  de  France. 

'  '  Le  quàrame-t^oifieme  flatut  de  la*  Reine  Elifabeth  établiflbit  à  Londre 
tlir  bureau  {nibJlic,  o{^  toutes  lés  polices  d'affurances  dévoient  être  eoregil 
trëes  i.mais  aujourd'hui  'dies  fé  font  enti'e  parriculîers ,  &  font  de  la  mémr 
valeur  en  jufticé  que  fi  elles  étoient  enregiflréés:  :  la  feule  différence  ^  c'efi 
qfa'ea  perdant  aim  police'  ncw  enregifirée^  on  perd  le  titre  de  l'àfluiance. 


CHAMBRE    D'  A  S  S  TJ  R  A  N  C  E.  239 

Le  même  llatut  porte  ^ue  le  Lord  Chiincelier  donnera  pouiroii^  à  une 
commiffion  particulière  de  juger  toutes  difcuflions  au  fmet  des  polices  d'af^ 
furance  enregiftrées.  Cette  commiflion  doit  être  compofée  d'un  juge  de  PA^- 
mirauté ,  de  deux  doâeurs  en  droit ,  de  deux  avocats ,  &  de  huit  négocians  « 
au  moins  de  i  cinq  :  elle  doit  s'afTembler  au  moins  une  fois  la  femaine ,  au 
Greffe  des  aflurances,  pour  juger  fommairement  &  fans  formalités  toutes 
les  caufes  qur  feront  portées  devant  elle^  ajourner  les  parties,  entendre 
les  témoins  fur  '  ferment  1  r  &  :  punir  de  prifon  -  ceux  qui  reiuferont  d'obéir.  > 

On  peut  appeller  de  ce  Tribunal  à  la  Chancellerie  «  en  dépofant  la  fom- 
me  en  litige  entre  les. mains  des  Commifikires  :  fî  la  fentence  eft  confir* 
mée ,  les  dépens  font  adjugés  doubles  à  la  partie  qui  gagne  fon  procès. 

Ce  Tribunal  efl  tout  à  la  fois  une  Cour  de  droit  &  d'équité ,  c'efl-à-direp 
ou  l'on  juge  fuivant  l'efprit  de  la  loi  &  l'apparence  de  la  bonne  foi. 

Les  affurances  fe  font  long-temps  faites  à  Londres  par  des  particuliers 
qui  fignolent  dans  chaque  police  ouv^ecte  jufqu^  laifonfmié  que:  leurs  facul- 
tés leur  permettoient. 

En  i7;2,^o  plufieurs  particuliers  penfèrent  que  leur  crédit  ferait*  plus  confia 
dérable  s'il  étoit  réuni;  &  qu'une  afibciation  feroit  plus  commode  pour  les 
«flurés,  qui  n'aurpient  à  faire  qu'à /Une  feule  perfbn&e  au  nom  des  autres 

Deux  Chambres  fe  formèrent,  &  demandèrent  la  proteâion  de  l'Eut; 
,   Fai:  le  fixieme  flatut  de  Georges  I  oh  voit  que  le*  Parlement  l'autbrifa 
\  accorder  fous  le  grand  fceau  deux  chartes  à^ces  deux  Chambres;  l'nn^ 
connue  fous  le  nom  de  Bjoyal  exchange  Affurance  ;    &  l'autre ,  de  Londan 
Affurance. 

Il  eft  permis  à  ces  compagnies  de  s^aflembler,  d'avoir  refpeâivement  un 
fceau  commun,  d'acheter  des  fonds  de  terre,  pourvu  que  ce  ne  foit'paa 
au*deffus  de  la  fomme  de  mille  livres  par  an  ;  d'exiger  de  l'areent  Aes  in^ 
téreffés,  foii  en  foufcrivant,  foiten  les  ikiéùlt  contribuer  fralemat  aa 
befoin. 

Les  mêmes  chartes  défendent  le  commerce  des  affurances  &  de  prêt  à 
la  groffe  aventure ,  à  toutes  autres  Chambres  ou  aflbciations  dans  la  ville 
de  Londres ,  fous  peine  de  nullité  des  polices  ;  mais  elles  confervent  aux 
particuliers  le  droit  de  continuer  ce  commerce. 

Les  deux  Chambres  font  ténues  par  leurs  chartes  d'avoir  un  fonds  réel 
en  efpeces ,  fuffifant  pour  rénondre  aux  obligations  qu'elles  contraâent  :  en 
cas  de  refus  ou  de  retard  de  paiement,,  l'affnré  doit  intenter  une  aâion 

I^our  dette  contre  la  cohipagnie  dont  il  fe  plaint,  &  déclarer  la  fomme  qui 
oi  eft  due;  en  ce  cas  les  dommages  &  intérêts  feront  adjugés  au  demain 
deur,  &  tous  les  fonds  &  effets  de  la  Chambre  7  feront  hypothéqués. 

Le  Roi  fe  réferve  par  ces  Chartres  le  droit  de  les  révoquer  après  le  terme 
et  trente-un  ans,  fi  elles  fe  trouvent  préjudiciables  à  l'intérêt  public. 
Dans  le  deuxième  ftatut  du  même  Prince,  il  eft  ordonné  que  dans  toute 

«âion  intentée  contre  quelqu'une  des  deux  Chambres  d'Aflurence  ^  pour 


a^o  C  H  AMP  A  G  N  ÏÏ.  / 

caufedé  dettes  ou  de  validité  de  contrat  en  vertu  d'une  police  dWurance 
paflee  fous  fon  fceau  ;  elle  pourra  alléguer  en  général  qu'elle  ne  doit  rien 
au  demandeur,  ou  qu'elle  n'a  point  contrevenu  aux  clauses  du  contrat;  mais 
que  fi  l'on  convient  de  s'en  rapporter  au  jugement  des  Jurés ,  ceux-ci  pour* 
font  ordonner  le  paiement  du  tout  ou  de  partie,  &  les  dommages  qu% 
croiront  appartenir  en  toute  judice  au  demandeur. 

Le  même  ftatut  défend,  fous  peine  d'une  amende  de  cent  Kvres,  de 
diiBrer  de  plus  de  trois  jours  la  fignature  d?une  police  d'âfTurance  dont  on 
eft  convenu,  &  déclare  nulle  toute  promelTe  d'alTurer. 

Les  Chambres  d'afllurance  de  Londres  font  compo fées  de  négocians  :  elles 
choififlent  pour  direâeurs  les  plus  connus,  afin  d'augmenter  le  crédit  de  la 
Chambre  :  leurs  appointemens  font  de  ^600  liv.  Elles  fe  font  difiinguées 
l'une  &  l'autre  dans  les  temps  les  plus  critiqués,  par  leur  exaâitude  &  leur 
bonne  foi.  ,  . .'  »  •    .     »    *    i 

>  Sur  la  fin  de  la  der&iere  iguerre  il  leur  fut  défendu  de  faire  aucune  aflÎH 
rance  fur  les  vaifTeaux  ennemis  :  on  a  diverfement  jugé^  de  cette  loi;  les 
uh^  ont  prétendu  quec'étcHC  diminuer  le  profit  de  l'Angleterre;  d'autres  ont 
penfé ,  avec  plus  de  fondement ,  que  dans  la  pofition  où  étoient  les  chofes, 
ces  afliirances  faifoient  fbitir  de  l'Angleterre  la  majeure  partie  du  produit 
des:pnfes.     : 

^  Cette  défenfe  avoit  des  motifs  bien  fupérieurs  :  le  Gouvernement  Anglois 
penfoit  que  c^étoit>  interdire  à  la  <  France  tout  commerce  avec  fes  colonies , 
&  s'ea  faciliter  la  conquête. 

Les  loix  de  l'Angleterre  fur  les  afFurances  font  affez  femblables  à  celles 
de  France ,  que  l'on  trouve  au  tUre  vj.  de  VOrdon.  de  la  Marine  de  î€8i  : 
chtt  une  ;de  fes  plus  belles  loix. 


.  * 


CH  A  MF  AG  NE,  Province  &  Gouvernement  de  France. 
j 

XuA  Champagne ,  l'une  des  Provinces  les  plus  confîdérables  du  Royau* 
me ,  eft  bornée  au  feptentrion  par  le  Hainault  &  ui>e  partie  de  l'Evéché 
de  LÎËgé;  à  rôrtcht  par  le  Luxembourg  &  la  Lorraine  ;  au  midi  par  la 
Franche-Conué  &:là  Bourgogne,  &  à  l'occident  par  le  Gatinois,  l'ifle  de 
France  &  la  Picardie.  Sa  longueur  du  fud  au  nord  ,  ou  de  Ravieres  à 
Rocroy,  eft  d'environ  ^5  lieues,  &  fa  largeur  de  l'oueft  au  fud-eft,  ou 
de  Lagny  à  Boiirbonne-les-Balns  de  48  :  ce  qui  peut  être  évalué  à  iiit 
lieues  quarrées.  Le  terrein  y  èft  en  général  très- uni  ;  &  c'eft  des  plaines 
ifiimenies  qui  s'y  trouvent  qu'elle  a  pris  le  nom  de  Champagne,  H  y  a 
quelques  montagnes  &  quelques  collines  à  fes  extrémités,  mais  qui  ne  font 

Eas  coB(idérables.  fille  renferq:ie  au   moins  80  mille   arpens  de  fbréts  ou 
Qis  pleins;  &  le  bois  y  eft  néanmoins  rare  en  certains  ^endroits.  Son  fol 

eft 


2 won  pourroit  le  croire  a  cauie  de  la  rareté  ces  bonnes  vendanges 
ais  confidérables  qu^entralne  la  culnire  des  vignes.  Depuis  Tannée 
jnfqu'en  I752,  Parpenc.de  32,400  pieds  de  Roi  n'a  produit  que  2 


e  H  A  M  F  A  G  N  E«  jt^t 

eft  l'un  des  meilleurs  de  toute  la  France  :  il  abonde  en  grains  p  en  pâtu- 
rages, &  fur-tout  en  excellens  vins  rouges  &  blancs  dont  l'exportation  eft 
très-confidérable.  Les  haSicans  n'en  tirent  cependant  pas  autant  de  profit 
^u'on  pourroit  le  croire  à  caufe  de  la  rareté  des  bonnes  vendanges  ce  des 

petits 
tonneaux  du  poids  de  56  livres  environ  ;  &  une  pareille  étendue*  ne  fe  vend 
tout  au  plus  qu'à  raifon  de  1000  francs.  Les  autres  articles  du  commerce 
de  cette  Frovince ,  outre  les  grains  &  le  vin ,  confiftent  en  fers ,  bois  ^ 
befiiaux ,  foins  ,  étoffes  en  laine  &  en  demi-foie*,  toile  &c. 

Les  principales  rivières  dont  ce  pays  eft  arrofé  font  la  Meufe^  qui  prend 
fa  fource  dans  le  Baffîgny ,  près  du  village  de  Meufe  :  arrofe  une  partie 
des  Duchés  de  Lorraine  &  de  Bar  ;  commence  à  être  navigable  près  de  St. 
Thibault  ;  pafTe  dans  les  Evéchés  de  Toul  &  de  Verdun ,  la  Champagne , 
le  Luxembourg ,  le  Comté  de  Namur  où  elle  reçoit  la  Sambre ,  l'Evêché  de 
Liège ,  les  Pays-Bas«-Autriclûens ,  les  Provinces-Unies  ;  fe  joint  au  Wahall 
au-deflbus  de  l'ifle  de  Bommel ,  où  elle  quitte  fon  nom  pour  prendre  celui 
de  Meruve 
rend  qtf 

fi  le  vent  ne  s!y  oppofe  pas.  La  Seine  ,  dont  il  fera  parlé' 
France.  La  Marne ,  qui  a  fa  fource  dans  le  Baffîgny ,  au  pié  d'une  moce 
tagne ,  &  à  environ  500  pas  d'une  métairie  nommée  la  Marnotte.  Elle  a 
fon  cours  par  les  Généralités  de  Châlons ,  de  Soiffôns  &  de  Faris  ;  com- 
mence d'être  navigable  près  de  Vitry-le-François  ^  reçoit  un  grand  nombre 
de  rivières ,  &  fe  jene  dans  la  Seine  à  une  demi-4ieiie  au-deflbus  de  Cha* 
renton.  L'Aube,  qui  a  deux  fources,  l'une  à  Fraflai ,  paroiffe  duhaillagede 
Châtillon-fur-Seine  en  Bourgogne,  8c  l'autre  à  une  demi-lieue  plusàreft^ 


laiit  de  l'Argonne,  &  dont  la  principale  fource  eft  tout  proche  du  hameau 
^e  Somme-d'Aifne ,  à  4  lieues  un  tiers  fud*eft  de  h^  ville  de  Ste.  Mené-» 
Hould.  Elle  commence  à  porter  bateau  à  Châreau-Forcien ,  &  fe  jette  dans 
l^Oife  à  un  tiers  de  lieue  eft-nord-^eft  de  Compiegne* 

On  trouve  à  Bourbonne-Ies-Bains  ;  à  Attencourt ,  petit  endroit  à  une 
A^nii-lieue  de  la  ville  de  Valfy  \  à  Sermaife  ^  à  Hermanville  &c.  des  eaux 
'^^inéâales  qui  font  en  très-grande  réputation* 

Du  temps  de  Jules-Céfar ,  la  Champagne  étoit  habitée  par  les  Tricaffes , 
1^3  Renti ,  les  Catalauni ,  les  Senones ,  les  Lingones ,  &  par  une  partie  des 
^^«Ids.  Sous  Honorius  elle  étoit  comprife  en  partie  dans  la  féconde  Bel« 
S^i  ^ue ,  &  en  partie  dans  la  quatrième  Lyonnoife  ;  il  n'y  avoit  que  ce  qu'on 
^^pelle  aujourd'hui  le  Baflîgny ,  qui  dépendoît  de  la  première  Lyonnoife. 
'e  la  domination  des  Romains  elle  padà  fous  celle  des  François.  Vers 
Tome  XI.  H  h 


t^t 


CHAMPAGNE. 


Pan  4^5  Mërovée  fe  rendit  maitre  de  Rheims  &  de  Chàlons  ;  &  Clovis 
acheva  de  fiibjuguer  le  refte,  après  la  défaite  de  Siagrius,  dernier  Com- 
mandant des  Romains  dans  les  Gaules.  Lors  du  partage  de  la  Monarchie 
entre  les  fils  de  Clovis ,  la  plus  grande  partie  de  cette  Province  fut  corn- 

Îrife  dans  le  Royaume  d^Aimrafie ,  dont  Metz  ëtoit  la  Capitale ,  &  échut 
Thierry  I.  Les  limites  des  divers  Etats  qu'avoient  forniés  ces  Princes, 
ayant  varié  plufieurs  fois  dans  la  fuite  y  elle  fuivit  le  fort  de  la  Monarchie 
Françoife,  obéiifant  tantôt  aux  Rois  d^Auftrafie^  tantôt  à  ceux  de  Neuf^e, 
&  tantôt  à  ceux  d'Orléans  &  de  Bourgogne.  Sous  les  Rois  de  la  (èconde 
race  elle  tomba  à  des  Comtes  particuliers  ,  qui  la  pôilëdereoc  jufqu^à  h 
fin  du  1 3*"^  fiecle ,  qu'elle  pafla  à  la  Maifon  Royale  de  France  par  le  ma- 
riage de  Philippe-ie-Bel  avec  Jeanne  fille  unique  &  héritière  de  Henri  III 
Comte  de  Champagne  &  Roi  de  Navarre ,  mort  en  i  zy^.  Louis  X ,  qui 
avoit  joui  de  ces  Etats  du  chef  de  fa  mère ,  avant  &  après  avoir  fuccédé 
à  fon  père ,  ne  laifla  en  mourant  qu'une  fille  nommée  Jeanne  y  qui  les  ré- 
clama comme  un  bien  qui  lui  appartenoit.  Le  Roi  Philippe-le-Loog  qui 
les  avoit  ufurpés ,  refufa  de  déguerpir ,  &  ce  ne  fut  qu'au  décès  de  Char- 
ies  IV ,  que  cette  Princefle  put  jouir  de  (es  droits»  Elle  plaça  alors  la  Cou« 
Tonne  de  Navarre  fur  la  tête  de  Philippe  Comte  d'Evreux  qu'elle  i^vok 
époufé  ;  mds  par  convention  de  l'année  13^5»  elle  céda ,  conjointement 
-avec  fon  mari ,  tous  les  droits  qui  pouvoient  leur  appartenir  fur  la  Cham- 

Siagne  &  la  Brie  ,  à    Philippe-de- Valois  qui  en  prit  poifeflion  ;   &  Jean 
on   Succefleur  les  réunit  à   la  Couronne  en  1361    pour  n'en  plus  être 
féparées. 

Il  y  a  dans  toute  l'étendue  de  la  Champagne ,   pour  le  gouvememeat 
ecclénailique   2  Archevêchés  &  4    Evéchés  qui   ont  fous  eux    nombre 
d'Abbayes  de  l'un  &  de   l'autre  fexe;  &  un  des  3  grands  Prieurés  de 
l'ordre  de  Malthe  qui  divifent  la  langue  de  France ,  &  qui  eft  divifé  lui- 
même  en  I  ^  commanderies  pour  les  Chevaliers ,  &  5  jK>ur  les  Chape- 
Sains  &  Servans  d'armes.  Pour  le  civil ,  elle  dépend  abfolùhfient  du  Par- 
lement y  de  la  Chambre  des  Comptes  ,  &  de  b  Cour  des  Aides  de  Fa- 
ris^  ;  &  elle  renferme  9  bailliages  &  fieges  piiéfidiaux  ,  un  Grand-Maitre 
des  eaux  êc  forêts  ,   &  9  Maltrifes  particulières ,    4  jurifdiâions  confulai* 
res ,  2  hôtels  ou  chambres  desmonnoies,  &  une  généralité  féanteà  Chà« 
Ions,  &  divifée  en  ta  éleéHons.  Pour  le  gouvernement  militaire,  elle  a 
un  Gouverneur-Général,   4  Lieutenans-Généraux ,   l'un  pour  les  bailliages 
de  Langre,  de  Troye  &  de  Sezanne;  l'autre  pour  le  baillage  de  Rheims, 
le  troifiemé  pour  ceux  de  Vitry  &  de  Chaumont  ;   &  le  quatrième  pour 
ceux  de  Meaux ,  de  Provins  &  de  Château-Thierry  :  4  Lieutenans  de  Roi 
de  là  Province  :  6  Lieutenans  des  Maréchaux  de  France ,  &  nombre  d'au- 
tres Officiers  fubalternes  qu'il  eft  inutile  d'énumérer.  Enfin  ia  Champagne 
eft  divifée  en  plufieurs  petits   diftriâs  ,  dont  les  villes  principales  (ont , 
Rheims,  Troyés,  Châlons,  Rhetel,  Mezieres,  Charleville>  Sens  &  Meaux. 


CHAMPAGNE. 


Hi 


X 


Rheims  eft  une  des  plus  anciennes  ^  desplas  célèbres  &  desplas  grandes 
villes  du  Royaume  j  bien  peuplée,  allez  bien  bâtie,  &  fi  tuée  fur  la  Vefle 
dans  une  plaine  fertile  en  grains,  &* ceinte,  dans  Téloignement  de  deux 
ou  trois  lieues  de  collines  qui  produifent  du  vin  délicieux.  Ceft  le  chef- 
lieu  d'une  éleâion  de  fon  nom  &  le  fiege  d'un  Archevêché,  d'un  Gou«* 
verneur  particulier,  d'un  grand -.  Baillif  d'épée ,  d'un  bailliage  »  préfidial, 
hôtel  des  monnoies,  grenier  à  fel,  maitrife  particulière  des  eaux  oi  forêts, 
maréchaufCée ,  &  univerfité  fondée  en  1547»  par  Charles  Cardinal  de  Lor-* 
cainc ,  en  conféquence  des*"  Bulles  du  Pape  Paul  II  vérifiées  en  Parlement 
de  Paris  en  1549.  L'Archevêque  eft  premier  Duc  &  Pair  de  France,  Légat 
Dé  du  St.  Siège  ,  &  Primat  de  la  Gaule  Belgique.  Il  poflède ,  depuis  le 
Sacre  de  Louis-le-Jeune ,  le  droit  exclufif  de  couronner  les  Rois  de  France  ; 
&  Ces  Sufiragans  font  les  Evéques  de  Soiflbns ,  de  Chàlons  fur  Marne,  de 
LaoQ  ,  de  Senlis ,  de  Beauvais ,  d'Amiens ,  de  Noyon  &  de  Boulogne.  Son 
diocefe  renferme  477  paroifles  ,  36^  annexes,  7  chapitres,  24  abbayes, 
8  hôpitaux  &  grand  nombre  de  couvens  de  l'un  &  de  l'autre  fexe.  Ses  revenus 
annuels  montent  à'  80,000  livres ,  quoique  fa  taxe  en  Cour  de  Rome  ne 
foie  que  de  4750  florins.  L'Eglife  Cathédrale  de  Rheims,  dédiée  à  N.  D. 
&  conftruité  au  i2n«.  fiecle,  eft  un  édifice  d'une  architeâure  entièrement 
gothique,  mais  des  plus  belles  &  des  mieux  exécutées  qu'il  y  ait  en  France 
oc  peut-être  en  Europe.  Sa  longueur  eft  de  450  pieds,  fur  93  de  largeur, 
paifê  iio  d'élévation,  &  150  de  croifée  en  œuvre,  le  tout  couvert  de 
pk>mb.  Le  portail ,  qu'on  y  admire  fur-tout ,  eft  compofé  de  3  grandes 
portes ,  dont  la  principale  eft  furmontée  d'un  vitrage  en  rofe ,  d'une  exé** 
ctttîoa  &  d'une  délicatefle  furprenantes.  Deux  grofles  tours  quarrées ,  pla- 
cées de  chaque  côté  du  frontispice ,  lut  donnent ,  en  l'agrandiflant ,  un  air 
de  majfifté  qui  frappe ,  &  que  le  nombre  prodigieux  de  fculptures  de  toute 
efpece  dont  il  eft  furchargé  augmente  confidérablement.  C'eft  dans  cette 
EgUie  que  fe  fait  le  facre  des  Rois.  Le  maitre  autel,  qui  fert  à  cette  au - 

£fte  cérémonie ,  eft  revêtu  de  lames  d'or ,  &  tous  les  autres  ornemens  y 
it  d'une  magnificence  extraordinaire.  Le  tréfor  qu'elle  poffede  eft  rempli 
de  morceaux  riches  autant  que  curieux,  donnés  la  plupart  par  les  Rois  k 
leur  Couronnement.  On  range  parmi  les  plus  précieux  le  calice  du  fameux 
Archevêque  Hincmar,  le  plus  grand  &  le  plus  riche  qui  foit  dans  le 
Royaume;  &  le  reliquaire  que  Louis  XV  y  a  fait  dépofer.  Il  confifte  en 
on  foleil  d'argent  doré,  du  poids  de  125  marcs,  &  dont  la  hauteur  eft 
de  3  pieds  H  pouces,  &  fa  bafe  de  27  pouces  fur  18  de  largeur;  le  tout 
chargé  d'ornemens  &  de  fculptures  du  dernier  goût,  &  du  travail  le  plus 
exquis.  On  prétend  que  le  livre  des  Evangiles  fur  lequel  les  Rois  prêtent 
le  lermeot  eft  écrit  en  langue  Efclavonne  ;  il  eft  couvert  extérieurement  de 
lames  d'or  &  garni  de  pierreries  brutes.  Le  Palais  Archiépifcopal  eft  at-* 
tenant  cette  Eglife,  &  paiTe  à  jufte  titre  pour  un  des  plus  beaux ,  depuis 
les  r^aratioos  que  l'Archevêque  Le  *  Tellier  y  a  fait,  faire.  On  compte  de 

Hh  2 


/ 


244  C  H  A  M  P  A  G  N  £• 

plus  à  Rhdins  3  EgKfes  collégiales  très-belles  ;  5  abbayes,  dont  celle  de 
$t.  Remy  eft  la  plus  coofid^rable,  comme  aufli  Tune  des  premières  de  Por- 
dre  de  St.  Benoit  en  France;  un   grand  féminaire,   un  oeau  collège,  ci- 
devant  aux  Jéfaites  ;  3  grands  hôpitaux  ;  9  couvens  ;  une  commanderie  de 
l'ordre  de  Mâlthe  ;  &  une  de  Tordre  de  St.  Antoine  dont  les  revenus  font 
en  grande  partie  afFeâés  à  l'hôtel  des  Invalides  de  Paris.  PEglife  de  St. 
Remy  efl  grande  &  belle,  mais  ohfcure.  Le  pavé,   fait  en  compartiment 
de  marbre  &  de  pierre  cuite ,  préfente  une  infinité  de  figures ,  &  reflemble 
plutôt  à  une  belle  &  riche  tapiflërie  qu'à  tout  autre  chofe.  Le  devant  du 
grand-autel  eft  compofé  de  3  planches  d'or ,  enrichies  de  quantité  de  pier* 
reries ,  &  nommément  à€'  deux  grenats  prefque  dé^  la  groflfeur  d'un  œii£ 
Derrière  eft  le  tombeau  de  St.  Remy ,  de  20  pieds  de  longueur  fur  autafit 
de  hauteur ,  exécuté  en  marbre  blanc ,  &  décoré  de  colonnes  de  porphyre 
d'ordre  compofite ,  &  de  nombre  de  figures  fculptées  avec  autant  d'art  que 
de  goût.  Autour  font  les  ft^tues    en  marbre  &  de  grandeur  naturelle,  des 
X  2  Pairs  de  France  en  habits  de  cérémonie  \  &  celle   de  Clovis  que  le 
fculpteur  a  décoré  d'avance  de  l'ordre  de  St.  Michel;  licence  non  moins 
choquante  que  celle  de  ces    12  Pairs   qu'on  fait  aflifter  au  Sacre  de  ce 
premier  Roi  Chrétien.  Au  haut  bout  du  tombeau  eft  une  niche  où  Fon 
voit  la  ftatue  de  St.  Remy  aftis ,  &  ayant  devant  lui  celle  de  Clovis  à  ge- 
çoux  fur  un  prie-Dieu  :  celle  de  Thierry ,   aumônier  de  ce  Prélat,  eft 
derrière  lui  &  tient  la  croix.  La  porte  ou  ouverture  de  ce  monument  eft 
toute  brillante  de  perles ,  d'émeraudes ,  de  rubis ,  de  turquoifes ,  &  d'au- 
tres pierreries,  dont  les  Rois  &  d'autres  Princes  &  Princefles  l'ont  enri- 
chi }  &  c'eft  où  l'on  conferve  non  -  feulement  la  châffe  qui  renferme  k 
corps  du  St.  Patron ,  &  qui  eft  de  très-grand  prix  ;  mais  encore  la  célèbre 
phiole  connue  fous  le  nom  de  Sainte-Ampoule,  &  qui  fert  à  la  cérémo- 
nie 4u  Sacre.  Elle  eft  de  verre,  longue  comme  le  petit  doigt  à-peu-piist 
de  couleur  rouge  foncé ,  &  affez  reuemblante  pour  la  forme  aux  flaccoos 
dont  on  fe  fert  pour  les  eaux  de  fen^eur.  Son  embouchure  fe  ferme  pat 


pomt 

porta ,  ûit  -  on  ,  un  uei ,  lors  du  baptême  de  Uovîs ,  à  la  prière 
Remy ,  pour  fuppléer  au  dé&ut  du  crème  ordinaire  que  le  Prêtre  ne  put 
pas  apporter  à  caufe  de  la  trop  grande  foule  des  affiftans.  Toute  cette 
anecdote  ne  porte  au  refte  que  iur  Tautorité  tardive  de  l'Evêque  Hincmar. 
On  voit  encore  à  Rheims  plufieurs  ouvrages  &  monumens  curieux  des 
anciens  Romains  ^  tels  font  les  reftes  d'un  arc  de  triomphe  dans  la  rue 
près  de  l'univerfité  ;  ceux  d'un  amphithéâtre  pour  les  (peâacles,  à  200  pas^ 
de  la  ville }  les  veftiges  d'un  ancien  château  bâti  du  temps  de  Céfar  »  & 


CHAMPAGNE.  14c 

un  arc  de  triomphe  près  de  la  jporce  de  Mars ,  érigé  en  l'honneur  de  ce 
même  Céfar,  ou  félon  quelques  autres  en  celui  de  Julien  l'Apodat,  lorf- 

3u'après  fes  conquêtes  d'Allemagne,  il  paflk  par  cette  ville  pour  aller  à 
aris.  Il  eft  compofé  de  3  arcades  d'ordre  Corinthien.  Celle  du  milieu  a  35 
pieds  de  haut  fur  12  de  large.  Les  bas-reliefs  dont,  elle  eft  ornée  repréfen* 
tenc  une  femme  aflife  ;  &  tenant  une  corne  d'abondance ,  pour  marquer  la 
fertilité  du  pays.  Les  4  enfans  qui  (ont  auprès  d'elle  déiîgnent  les  4  fai-. 
fons;  &  Il  autres  les  12  mois.  Les  2  autres  arcades  ont  30  pieds  de  haut 
&  8  de  large.  Les  bas-reliefs  de  celle  qui  eft  à  droite  repré/èntent  Remus 
&  Romulus  qui  tettent  une  louve  :  le  berger  Fauftulus  ol  Acca  Laurentia 
là  femme  font  auprès.  Les  bas-reliefs  de  la  3»^.  arcade  font  Leda  qui  em- 
brade  Jupiter  métamorphofé  en  cygne ,  &  un  amour  qui  les  éclaire  de  fon 
flambeau.  Le  principal  commerce  de  cette  ville  confifte.  en  vins  ;  en  pains 
d'épices)  en  petites  étoffes  de  laine,  telles  que  les  razes  cordelières,  les 
camelots ,  les  étamines  p  les  bafins  ,  les  flanelles ,  les  crépons ,  les  fergettes 
ou  raz  de  Pologne  ;  &  en  étoffes  mêlées  de  foie  &  de  laine ,  comme  les 
dauphines  à  grandes  rayes ,  les  raz  de  Maroc  »  &c. 


L 


Réunion  de  la  Champagne  à  ta  Cpuronne^de  France. 


A  Champagne  fe  divifoit  en  haute  &  baffe. 

La  haute  comprenoit  le  territoire  de  Rhetms  &  de  Châlons. 

Et  la  bafle ,  le  territoire  de  Troy es.  * 

Robert ,  fils  de  Herbert  II ,  Comte  de  Vermandois ,  s'empara  de  la  Ville 
de  Troyes  en  953.  Son  frère  Herbert  ^  qui  avoit  eu  le  Comté  de  Meaux  en 
partage^  lui  fuccéda. 

Etienne ,  fils  de  ce  dernier  étant  mort  fans  enfans  en  i  o  1 9 ,  Eudes  II  ^ 
Comte  de  Blois,  de  Tours  &  de  Chartres,  comme  petit-^fils  de  Thibaut 
le  Tricheur  &  de  Leutgarde,  fceur  des  Comtes  Robert  &  Herbert,  s'em- 

!>ara  du  Comté  de  Champagne ,  malgré  le  Roi  Robert  »  qui  fut  obligé  de 
e  lui  laiffer. 

Le  domaine  des  Comtes  de  Champagne  confiftoit  à-peu-près  au  terri- 
toire de  Troyes,  au  Baflîgny^  à  Bar^-iur-Seine ,  à  Bar-fur-Aube ,  à  la  Voi- 
rie de  Molefme  &  à  la  Province  de  Brie.  Outre  cela  ils  poffédoient  plu- 
fieurs  terres  &  villes  tant  en  fief  qu'en  propriété  dans,  le  territoire  de  Toul  ^ 
pour  radfon  de  quoi  ils  rendoient  hommage  à  l'Empire  ;  ce  qui  a  caufé  les 
prétentions  des  Empereurs  fur  toute  la  Champagne ,  dont  parlent  les  Au* 
teiirs  Allemands. 

Ainfi  les  Villes  de  Rheims  ^  de  Châlons  &  de  Sens  ne  furent  jamais  de 
leur  domaine.  »  Les  Coitates  de  Vermandois .  occupèrent  4'abord  les  premiè- 
res} mais^  dès  le  commencement  de  la  troUîepie  race^.  elle  appartenoient' 
aux  Rois  de  France»  .  ^  ^ 

Thibault  II  |  qui  mourutten  11  $2»  partagea  fes  Etats^  entre  fes  trois  fils. 


-J 


^^  CHAMP  DE   MARS   OV  DE  MAI. 

Thibaut,  le  fécond ,  eut  les  Comtés  de  Blois  &  de  Chartres.  Ettenûe  ferma 
la  branche  des  Comtes  de  Sancerre.  Henri  I,  Painé,  fut  Comte  de  Cham* 
pagne  &  de  Brie. 

Thibaut  UI  Ton  fils,  ëpoufa  Blanche,  fille  de  Sanche,  Roi  de  Navarre* 

Thibaut  IV ,  fils  de  Thibaut  III ,  dit  le  faifeur  de  chanfons  ,  devint  Roi 
de  Navarre  en  1236 ,  après  la  mort  de  Sanche  II,  fon  oncle  maternel. 
'    Son  fils  Henri  III ,  qui  mourut  en  1 274 ,  laii&  Jeanne ,  qui  époufa  en 
1284^  Philippe  le  Bel,  Roi  de  France. 

Louis  Hutin,  leur  fils  aîné,  ne  laifla  qu'une  fille,  auifi  nommée  Jeanne, 
à  qui  les  Comtés  *&  le  Royaume  de  Navarre  appartenoient  ;  mais  Philippe 
le  Long  &  Charles  le  Bel ,  frères  &  fuccefleurs  de  Louis  Hutin ,  les  re- 
tinrent. 

A  la  mort  de  ce  dernier,  arrivée  en  13 28^,  le  Royaume  de  Navairefut 
reftitué  à  Jeanne,  qui,  en  1336,  céda  la  Champagne  &  la  Brie  à  Philippe^ 
de  Valois ,  Roi  de  France.  Et  en  13^1»  Jean  nls  de  Philippe  »  les  réunit 
iblemnellement  à  la  couronne. 

Meaux,  capitale  de  la  Brie  ^  tomba  au  pouvoir  d'Herbert  de  Vermandois, 
dans  le  dixième  fiecle.  Elle  fut  unie  enMte  au  Comté  de  Troyes.  Depuis 
ce  tems  les  Comtes  de  Champagne  prenoient  fouvent  le  titre  de  Comtes 
de  Meaux. 

Les  Comtes  de  Champagne  s'étoient  arrogé  lé  droit  d'avoir  dés  Pairs ,. . 
comme  les  Rois  de  France  :  ils  en  comptoient  fept ,  favoir ,   les  Comtes 
de  Joigny ,  de  Brienne ,  de  Braine ,  de  Rethel ,  de  Roucy ,  de  Chateau- 
porcien  oc  de  Grandpré. 


CHAMP    DE    MARSou    DE    MAL 

JLiE  Champ  de  Mars  étoit  une  afTemblée^  où  tous  les  Francs  |de  la  même 
Tribu  fe  rendoient  annuellement  au  premier  jour  du  mois,  qui  donna  fon 
nom  à  ces  Diètes  folemnelles.  C'étoit  de  ce  jour  que  la  nation  datoit  fon 
année.  Les  Carlo vîngiens  la  commençoient  àrNoël,  &  ce  n'efl  que  depuis 
Charles  IX  qu^on  la  commence  du  premier  de  Janvier.  Cette  aflêmblée 
fe  tenoit  indifieremment ,  tantôt  dans  un  lieu  &  tantôt  dans  un  autre ,  &  félon' 
l'indication  qui  en-^éct>it  faite ,  lorfqu'elte  étoit  prête  à  fe  f<^par^r«  Quoique 
les  réglemens  qui  y  étoient  faits  foient  datés  du  nom  des  villes,  auprès 
defquelles  la  Diece  étoit  convoquée ,  tous  les  monumens  atteftent  que  c'é^^ 
toit  fous  la  tente  &  en  ra/e  campagne  que  la  nation  diâoit  Tes  arrêts,  au 
milieu  de  Pkrliiée  dont  la  préfence  rele voit  la- majefté  de  ta^  nation  réunie. 
Le  Roi -y  àfliidoit  fo^s^un^^  tente*  ouverte  ;t&'ptacée  fur  ^iné  élévation  qui 
étoit  le  fymbole  d^u  Trône  &  de  fa  fupériorité.  C'étoit  là  q^iLndcevoîtvn  nou« 
veau  fern^ent  de  fidélité^  comnc^  il  n^av^it  d'autre  revenu^, que  Ton  domai- 


K 


CHAMP    DE    MARS    b  v    DE    MAI.  247 

fie,  le  qu^il  étok  plus  comblé  d'honneurs  que  de  biens,  (es  fujets  lui  fai- 
ibicnt  des  préfens  de  meubles,  de  chevaux ,  de  chiens  &  de  bétail  ;  mais 
quand  la  nation  eut  perdu  le  droit  de  nommer  aux  dignités  de  l'Etat,  & 
que  le  Prince  fit  le  difpenfafêur  des  grâces,  l'efpoir  devoir  part  à  fes  lar- 
gefles  9  introdoifit  la  coutume  de  lui  offrir  des  armes  artiftement  travaillées , 
des  vafef  précieux ,  de  riches  tentes  &  de  la  vaiflelle  d'or  &  d'argent.  Ces 
dons  qui  n'étoient  que  volontaires  devinrent  dans  la  fuite  des  trmuts  for* 
ces  p  parce  que  les  fervices  rendus  à^l'homme  armé  du  pouvoir ,  dégénè- 
rent toujours  en  fervitude.  Il  y  paroillbit  fans  garde  &  fans  efcorte ,  &  ce 
fut  St.  Louis  qui  le  premier  marcha  avec  une  armée ,  au  milieu  d'un  peu^ 
pie  dont  l'amour  eft  l'impénétrable  bouclier  de  fes  Rois.  Au  lieu  d'une  fbl« 
datefque  menaçante  qui  aflure  .moins  le  Trône  qu'elle  ne  femble  calom« 
nier  la  fidélité  de  la  nation ,  it  venoit  accompagné  du  Connétable ,  du  grand 
Echaiifon ,  du  Chancelier  Si  de  tous  les  grands  Officiers  de  la  Couronne , 
qui  tous  croyoient  appartenir  à  la  nation ,  &  être  aflbciés  au  droit  de  Sou* 
veraineté  qui  réfidoit  encore  en  elle.  Sa  qualité  d'Officier  du  Prince  leur 
eut  paru  un  titre  de  domeflicité,  dont  leur  fierté  encore  barbare  eût  été 
humiliée.  Ainfî,  on  ne  doit  pas  jueerde  la  fplendeur  des  gentilshommes, 
par  le  rang  qu'ont  tenu  leurs  ancénres  à  la  Cour  des  Rois ,  mais  par  les 
dignités  de  la  Couronne  dont  ils  ont  été  revêtus ,  lorfqu'ils  fe  font  mon^ 
très  dans  les  aflemblées  de  la  nation. 

C'étoit  dans  cette  Diète  refpeâable  que  l'on  fiiifbit  des  réglemens  à  qui 
le  confentement  -^-^— ■  ^-  •-  — - — ' — -  ^         .     .  .     -^ 

recevoit  les 

preffeur ,  mais  c'étoit  ordinairement  aux  Rois  qu' 

ment  des  coupables,  parce  que  c'étoit  en  eux   aue  réfidoit  la  puifTancef 

exécutrice.  Quoique  dans  l'origine  tous  les  crimineîs  flifTent  cités  indiftini^e- 

ment  à  ce  Tribunal ,  la  difficulté  de  les  y  J&ire  comparoltre ,  lorfque  la  nation 

fut  '      '    '  -•    .     .  .  .       ^ 

en 
Le 
noient 


pables  de  le  conduire. 

On  réfbrmoit  dans  ces  afCemblées  les  abus  introduits  dans  l'adminiflra- 
tton  des  Finances  &  de  la  Juflice  ;  on  établiffoit  de  nouvelles  loix  pour  fup« 
pléer  à  Tinfuffifance  des  anciennes.  L'attachement  des  François  aqx  cou- 
tumes dans  lefquelles  ils  avoient  été  élevés,  perpétua  bien  des  ufages  vi*- 
cieux  &  bifarres ,  dont  plufieurs  même  font  deftruâeurs  de  l'ordre  fociat. 
Ils  étoient  trop  ignorans  pour  favoir  qu'ils  étoient  barbares.  Il  efl  donc  éton- 


t 


^48  C  H  A  M  T    D  E    M  A  R  S    on    D  E    M  A  ï. 

tiant  de  voir  des  cenfeurs  chagrins  &  mécontens  qui  s'obfttneat  à  regarder 

comme  loix  fbndamenules  couc  ce  qui  fut  arrêté  dans  raflèmblée  d'un 

leuple  iauvage  dont  la  pofîtion  &  les  befoins  n'ont  rien  de  conforme  avec 

is  nôtres.  Réclamer  les  inftitutions  des  Saliens  &  des  Ripuàires ,  c'eft  vou- 
loir nous  afTu jetir  à  vivre  CQmme  eux  de  brigandages.  Les  Ibix  fuivies  par 
une  nation  fortant  de  Penfance,  ne  doivent  point  fermer  fa  conftitution, 
lorfqu'elle  eft  parvenue  à  fa  maturité.  Un  peuple  fauvage  ne  doit  point  être 
regardé  comme  le  Légiflateur  d'un  peuple  policé.  Les  loix  nouvelles  ne  dé- 
truifent  point  les  principes  fondamentaux,  tant  qu'elles  ne  font  pas  d'un 
peuple  libre ,  un  peuple  d'efclaves  p  &  qu'elles  n'attentent  point  au  droit 
facré  de  propriété. 

Il  eft  une  inftitution  qui  fait  honneur  à  la  fagefie  de  nos  ancêtres.  Les 
Rois  pouvoient  de  leur  autorité  privée  faire  la  paix  ;  mais  il  falloir  le  con* 
fentement  de  la  nation  pour  entreprendre  la  guerre.  Rien  n'eft  plus  con- 
forme au  droit  naturel ,  puifque  c'eft  le  peuple  qui  verfe  fon  fang  &  qui 
prodigue  (es  biens»  dont  le  chef  a  feul  toute  la  gloire  &  les  avantages. 
Les  inftrumens  de  fes  paffîons  chantent  les  hymnes  de  la  viâoire  fans  en 
retirer  le  fruit,  &  fouvent  le  plbs  brillant  fuccés  eft  un  nouveau  titre  d'op- 
preflion.  Annibal ,  vainqueur  a  Canne ,  demandoit  au  Sénat  de  Carthage , 
de  iWgent  &  des  troupes. 

Malgré  l'étendue  du  pouvoir  de  la  nation ,  il  eft  impodible  que  les  Rois 
n^eufTent  la  principale  influence  dans  les  délibérations.  Leur  ambition  devoit 
être  plus  vive  &  plus  féconde  en  reffources,  parce'  qu'ils  avoient  le  plus  à 
efpérer;  le  peuple  ne  devoit  pas  avoir  la  même  aâivité ,  parce  que  chaque 
particulier  en  fè  relâchant  de  fon  droit ,  faifoit  une  perte  légère.  On  ignore 
quelle  étoit  la  ferme  des  délibérations,  &  il  eft  probable  que  chez  un  peu- 
pie  libre,  il  n'y  a,voit  4^e  l'âge  ou  les  dignités  que  la  nation  confioit, qui 
fuilênt  un  titre  de  prééminence.  Tout  fe  décidoit  à  la  pluralité  des  fuiïra* 
ges,  &  le  Prince  qui  n'avoit  que  le  fieny  étoit  chargé  de  la  puiflànce  exé* 
cutrice  :  lorfqu'à  la  faveur  des  diftentions  civiles ,  fon  autorité  fe  trouvoit 
aftèz  ferte  pour  régler  les  délibérations ,  toute  l'aftemblée  donnoit  fon  con» 
lentement  par  voie  d'acclamation  oj  bien  en  élevant  les  mains.  Quand  il 
^^élevoit  >des.conteftations,  on  comptdit  les  voix  par  centaine,  mais  les  af* 
femblées  étant  devenues  dans  la  fuite  trop  nombreufes,  chaque  Duché  ou 
Comté  ne  forma  plus  qu'une  voix. 


nation 

qi  cultivateurs ,  u  ne  devioiQ  seiever  de  conteltanons  que  lur  le  parrai 
butin.  Habitans  dans  des' )  demeures  fouterraines  où  ils  vi voient  conrondus 
avec  leur  bétail ,  dont  ils  faifoient  leur  pâture ,  ils  n'avoient  point  de  pof- 
fefGons  à  défendre  ûi  d'intérêt  à  difcutër.  Un  calme  profond  régnoit  dans 
leurs  antres  &  dans  leurs  feréts  ;  ils  tranfportoient  les  tempêtes  fur  les  ter- 
res de  leurs  votfîns. 

Tout 


CH  A  M.Pi  DR    M  A  |l&  Oi?:  DiB    MAI       Hf^ 

Tout  homme  libre  I  foit  Gaulois  ou  Barbare ,  qtii  Tiroic  fous  la  loi  Saln^ 

2ue  ou  Ripuaire»  eur,  après  la  conquête,  le  droit  de  donner  fa  voix  au 
!hamp  de  Mars.  Ce  privilège  accordé  au  vaincu  étoic  une  politique  nécef-  > 
faire  au  vainqueur.  Les  Francs ,  après  le  partage  des  terres ,  vivoient  éloî- 

Jpés  les  uns  des  autres,  &  leur  fjifperfion  les  rendant  par*tout  les  plus 
oîbles,  ils  remirent  le  befoin  dWocier  à  leurs  prérogatives;  des  hommes 
trop  .nombreux  pour  fç  laifTer  dégrader  impunément.  Celui  qui  demeu« 
roit  à  Cologne  auroit  eu  trop  de  chemin  à  taire  pour  (ecourir  celui  qui 
étoit  tranfporté  fur  les  bords  de  la  Loire. 

Dès  que  les  François  eurent  établi  leur  domination  dans  les  Gaules ,  ils 
admirent  ii  leur  Champ  de  Mars  les  Evêques  &  les  Abbés.  La  reconnoif- 
lance  leur  mérita  cette  prérogative.  Clovis  n'eût  jamais  trouvé  tant  de  fk- 
oilité^dans  Tes  conquêtes,  fi  i>t.  Rémi,  St.  Vafl  &c  tes  Prélats  les  plus  ref- 
peâables  n'euflent  difpofô  les  Gaulois  ï  le  regarder  moins  comme  un  con- 
quérant que  comme  un  libérateur.  Le  titre  d'Ëvéques  &  d'Abbés  qui  oatu- 
ralifoient  François  tous  ceux  qui  en  étoient  revêtus ,  les  rendoit  par  là  fu{^ 
ceptibles  de  toutes  les  prérogatives  de  citoyen.  Le  préambule  de  la  loi  Sa« 
lique,  corrigée  fo^s  te  règne  de  Clotaire  II,  fait  mention  d'un  Champ  de 
Mars  ,  où  trente-t;x>is  Evéques  font  nommés  avant  les  Ducs  &  les  Com<" 
tes.  On  fait  quç  c'eft  dans  les  afTemblées  repréfentatives  de  la  nation  que 
le  cérémonial  a  toujours  été  le. plus  fcrupuleufement  obfervé;  ainfi  ceft. 
une  forte  préfomption  qu'auffî-tôt  que  les  Evéques  eurent  entrée  au  Champ 
de  Mars,  ils  eurent  les  honneurs  du  pas.  Cette  probabilité  reçoit  le  ca- 
raâere  d^une  certitude  quand  on  voit  que  les  compofitions  ou  amendes  in- 
fligées aux  coupables  étoient  beaucoup  plus  fortes,  lorfqu'on  avoit  attenté 
k  la  perfoiine  d'un  Prélat ,  que  quand  on  avoit  tué  un  François  :  le  meur- 
trier d^un  Evêquç  étoit  condamné  à  payer  neuf  cents  fols ,  celui  d'un  Leude 
ou  fidèle  n'en  payoit  que  fix  cents,  &  enfin  celui  d^un  François  libre  en 
ëtoit  quitte  pour  deux  cents.  Ces  réparations  étoient  toujours  proportionnées 
à  la  qualité  des.  perfonnfs  tuées  ou  ofTenfées.  Ainfi  le  fait  &  la  loi  dépo- 
fent  que  le  Clergé  date  fa  priorité  iPorJrc  de  l'établiffement  de  Clovis  dans 
les  Gaules.  C'eft  en  vain  qu'on  s'écrie  qu'il  efl  fcandaleux  de  voir  les  Mi* 
niflres  de  l'Autel  abandonner  leurs  fondions  fublimes  pour  s'initier  dans 
les  myfteres  de  la  politique  du  fîecle,  &  déferrer  la  milice  facréc  pour  fe 
ranger  fous  les  drapeaux  des  enfans  de  la  terre ,  il  n'en  fera  pas  moins  dif- 
ficile de  réfuter  iin  fait  qui ,  à  la  vérité ,  peut  bien  être  deftruâeur  du  droit. 

Lorfque  les  bornes  de  l'Empire  François  furent  reculées,  on  fut  effrayé 
de  la  confufion  qui  devoir  naître  de  ces  afTemblées  trop  nombreufes  :  l'é- 
loignement  des  lieux ,  la  dépenfe  des  voyages  rendirent  infenfible  au  pri- 
Iviiege  de  s'y  trouver.  On  avoit  peine  )l  fe  déterminer  à  dire  cent  cinquante 
lieues  pour  délibérer  fur  des  affidres  qui  n'intéreffoîent  oue  foiblemçnt  chaf 
que  particulier.  Il  n'y  avoit  que  l'amour  de  la  patrie,  la  confervation  du 
^oit  de  citoyen  qui  pût  engager  au  facrifice  de  fon  repos  &  de  fescom*' 

Tome  XJ.  li 


,^ 


xnodités.  Des  fentîmens  fî  purs  n'animent  jamais  que  \t  petit  nombre.  Dès 
qu'il  y  eut  moins  de  SuiFragans,  la  corruption  &  la  vénalité  eurent  plus  de 
âcillté'à  s'introduire.  Cette'  première  atteinte  portée  à  la  conftitution  prt« 
mitivie  n'alarma  point  les  François  qui  regardoient  le  droit  de  fe  trouver 
aux  aflemblées,  moihs  comme  W  plus  beau  de  leurs  privilèges  que  comme 
une  gêne.  Ce  dégoût  leur  étoît  commun  avec  tous  les  Germains ,  qui  n'ayant' 
point  de  propriété  &  attendant  tout  de  la  viâoire»  prenoient  peu   d'intérêt 
a  la  légiflation ,  &  préfëroient  de  bonnes  épées  &  des  francifques  à  un  code 
national.  Tout  peuple  qui  n'a  rien  à  perdre ,  &  qui  ^  quoique  pauvre ,  eft 
fans  befoins ,  voit  avec  plaifir  l'abolition  des  loix  dont  il  n'éprouve  jamais 
que  la  févérité  &  rarement  la  fevcur.  Un  autre  motif  élmgnoit  les  Fran-^ 
çois  du  Champ  de  Mars;  ils  éroient  obligés  de  favoir  les  loix  falîques  &  rh 
puflires  pour  avoir  part  aux  délibérations.  Il  enétoitpen  qui  fuflentlire  & 
écrire.  Ainfi  ils  aimoient  mieux  aiguifer  leur  fabre  auprès  de  leurs  foyers,, 
que  d'aller  étaler  leur  ignorance  aux  regards  publics.  Satis&its  d'être  libres, 
dédaignant  la  vie  s^iU  ceffoient  de  l'être ,  l'habitude  de  jouir  de  leur  indé- 
pendance ne  leur  laiflToit  pas  foupçonner  qu'on  pût  les  en  priver.  Cette  or^ 
gueilleufe  fécurité  favoriia  les  defleins  de  l'ambition  qui  ri'aime'  qu'à  former 
des  chaînes  &  à  fe  repofer  fur  des  débris.  Les  petits  ifils  de  Cfovis  furent 
Habiles  à  profiter  de  cet  aflbupifTement  national  pour  engloutir  tous  Tes  pri- 
vilèges. Ils  ceflèrent  impunément  de  convoquer  le  Champ  de  Mars  ;  on  nt 
peut  déterminer  avec  précifion  quelle  fut  la  dernière  de  ces  aiTemblées,!! 
efl  confiant  qu'on  les  voit  reparoître  de  temps  en  temps ,  mais  fous  des  fof 
mes  nouvelles,  qui  toutes  font  méconnoître  leurs  traits  primitifs.  Se  Voû 
donne  ce  nom  refpeâable  à  des  colloques  tumultuàires ,  où  les  Rois  £** 
âbient  la  loi  à  une  faétion  turbulente ,  ou  la  recevoient  d'elle. 

ILes  Mérovingiens  en  voulant  tout  envahir  ne  prévirent  pas  qu'ils  fe  crea^ 
fbient  Vn  précipice.  Le  defpotifme  fe  cache  dans  l'ombre  &  les  ténèbres, 
Aiais  auffi-tôt  qu'il  montre  fa  tête  altiere,  l'humanité  infultée  prépare  de< 
poifons  &  forge  des  poignards  pour  rentrer  dans  fes  droits.  Les  Mérovifl" 
giens ,  encore  mal  affermis  dans  leurs  ufurpations,  n'eurent  point  l'imprudence 
de  prétendre  qu'ils  réuniifoient  la  puifTance  légiflative  &  exécutrice  ;  mais 
pour  fe  l'apptoprier  fans  murmure  &  fcandale,  ils  fubftituerent  un  fantô- 
me à  la  réalité  du  Champ  de  Mars  ;  &  d'ailleurs  toute  fociété  a  befoin  d^ufit 
puiffance  toujours  fubfîftante  pour  en  maintenir  la  police.  Ils  eurent  donc 
la  politiaue  d'établir  un  Confeil  pour  repréfenter  la  nation.   Il  fut  compofS 
du  Roi  oi  de  fes  Courtifans  qui  n'eurent  pas  de  peine  à  s'emparer  de  la  puif« 
fance  légiflative  &  exécutrice,  oue  la  nation  indolente  laiffoit  à  leur  di(^ 
pofirion.  Ce  fut  moins  une  affemblée  nationale  qu'un  confeil  de  guerre  oÀ 
la  force  donna  la  loi.  Cet  abus  étoit  inévitable ,  puifque  ce  Tribunal  ne  con- 
noiffoit  ni  l'étendue  ni  les  bornes  de  fôn  pouvoir.  Ce  nouveau  Champ  de 
Mars  qui  n'a  voit  aucun  caraâere  légal ,  ne  fut  compoféque  d'honunes  prêts 
i  ceffer  d'être  citoyens  pour  s'ériger  en  tyrans  fubalternes.  Les  Rois  firent 


CRAUr  I> E  UARS    o  jj  B  X'  M  A  1       ^51 


Ifi  fti(rifee  dViofr  |(0r|ion  4e  leurs  domaines  pour  jLdseter  leuis  fuficaaM.  Il 
iè  ferma  eotre  ^^  Sommes  corrompu^  &  Mur  corrupteur  une  confédéra- 
tion cpmi^e  le  droit -pnhlic.  Les  Mérovingiens  plus  ambitieux  qu'avares,  leur 
confêreneiMt dtt  ibéoéfioes^  ffm  en  aliéner  la  propriété,  &  |iar  cette  adroite 
r^êrve  ils  oonteooieiir  lésons  par  la  erj^inte  d'en  êsre  d^poutU^i^  1  6c  s'atta^ 
choient  les  autres  \pi^  l'ébloiiiflànte  proniefle  d'y  ^ptnîç^pen  Dès  çp  x^momen^ 
la  nation  ne  fiit  plus  confultée  pour  défërer  le  /commandement  des  armes* 
Les  Bois  nommèrent  de  leur  autorité  privée  aux  premières  dignités  ^  r£« 
tat,  &  ils  n'allèmblerënt  plus  te  Champ  de  Mars  pour  faire  la  paix  ou  la 
guerre.  Les  Ducs,  les  Comtes  &  leurs  Vicaire  compoferent  toute  la  na- 
tion,  &  :  fi  elle  ië  ttouveit  tencore  aux  délibérations.,  c^étoit  pour  y  fiure 
tes  acclacnations  que  l'iilàge  cendoit  néceflàires,  parce  qu'elles  ^onnoiei^ 
iur  arrêtés  force  de  iUn. 


LVmée  qurfàifoit,  pour  aitifi  ^re  ,  un  corps  fi{piu*é  dati$  l'Etat  j  pi^& 
qu'Ole  n'éfpic  afll^et€ie.à  tme  difciptine  p^rticiitiere,  ie  nuûntint  plus  lon^^ 
temps  dans  la  jouiflance  ^t  fes  droits.  Les  lofficiers  ôc  les  ibldats  conti^ 
BuerentÀ  délibérer  fur  l'^leâston  des  Ohels,  fur  les  départemens  annuels  ^  fur 
les  routes  &  fur  les  opérations  de  la  guêtre.  B^ien  ne  fe  ^éi^^doit  fans  léujr 
approbation.  Il  eft  vr|ki  que  les  principaux  ^fiicie^s ,  acicefliblea  à  la  corrupi- 
tioQ,  i^ndirent  chèrement  leurs  feryiçes  à  t'umbitipn,  mais  à  U  fin  ils  de- 
vinrent fi  ipiiiilàos  que  leur .  général  .enleva  U^courop^e  à  la  première  £àr 
tnilte  de  noj^  JRois. 

Le^  Mérovingiens ,  difpenfateurs  dea  dignités  de  l'Etat^  trpyverent  bienr 
tôt  des  complices  qui  briguoient  à  Tenvi  la  honte  de  trahir  les  droits  de 
ia  nation.  Mais  ces  {^rinces ,  pour  eufichir.  les  4MÎdes  ai:tifans  de  leur  gmqr 
deur^  épuiferent  bientôt. leur$  tréfors;>/k^VfFQibjifl(à^tjen  voulant  trop  s'éé 
tradre ,  ils  fe  donp^rent  des  rivaux  que;  l?habiti^  4(|  la  douceur  de  coç^ 
mander  rendit  inci^pables  1  d^béiATaiw^  ;  ils  fij^enit  1^  iiqifte  expérience  que 
le  peuple  n'eft  jamais  plus  fournis  aux^loix  que  Içrfqàfil  eft  fon  propre  Lé» 
giflateur.  L'ambitieufé  politique  qui  avoit /anéanti  Jes  droits  du  Champ  de 
Mars  ^  prépara  la  ruine  de  l'autorité,  .Royale  Lés  Svêques  &  les  Leudes 
envahirent  tous  les  .privilèges  de  la  nation ,  6t  p<>ur  n^4(re  plys  dans  la  dé- 
pendance des  Roi^^uia'étotent  dépouillés  pour  )es  revêtir ,  ils  écartefeqc 
]e  peuple  des  aflemblées  générales  ^  &  par  ce  divorce  humiliant  à  1^  pois- 
tton  la  plus  nombreufè  des  citoyens ,  ils  fe  rendirent  les  arbitres  de  toor 
tes  les  délibérations.  S'ils  eulfent  mieux  fenti  la  néceflité  de  leur  union^ 
leur  marche  eût  été  plus  rapide  dans  le  chemin  de  la  tyrannie^  mais  k 
jdiverfité  de  leurs  intérêts  retarda  la  dégradation  des  Mérovingiens  &  de 
leurs  fujets.  ^         . 

Dès  que  l'autorité  de  la  mtion  ne  balani^  plus  leur  pouvoir ,  ils  marchè- 
rent les  égaux  des  Rois;  ces  nouveaux  Tyrans,  dans  l'affemblée  qu'ils 
tinrent  à  Paris  en  615^  fous  le  nom  imppfant  de  Champ  de  Mars,  dé- 
cidèrent que  les  bénéfices  qui,  jufqu'alors  n Voient  été  que  précaires ^  fe- 

fi  2 


i^£        t  H  A  Mf  P    D  E    M  À  E  sr  d  0:  D  I    MAI. 

fôient  traiifmte  aux  enhns  par  leur^  pères  comme  tiQ  ktfrkage  :  ce  fut  dé 
ce  moment  que  la  noblefle  qui  n'avoit  été  que  perfonnelle  devint  héré- 
ditaire. Xa  Reine  Brunehaud  eut  la  témérité  de  revendiquer  des  biens  arra* 
chés  par  la  force,  mais  les  ufurpateurs  la  firent  périr  par  la  main  du, bour- 
reau. L'atrocité  d'écrafer  une  tête  couronnée  devoir  les  rendre  plus  odieux; 
ils  n'en  devinrent  que  plus  redoutables.  Les  Rois  s'apperçurent  trop  tard 
Qu'en  écartant  le  peuple  des  aiffemblées,  ils  s'étoient  ^ivés  de  leur  plus 
i^rmé  appui  &  que  tout  trône  chancelle  &  s'écroule  s'il  n'eft'  foutenu  par 
la  loi.  Childeric,  le  deirnier  rejetron  des  fondateurs  dé  l'Empire  François, 
fut  dégradé  &  enfeveli  dans  l'obfcurité  d'un  cloître  par  ta  fkétion  même 
ti)tie  fes  prédécelleurs ,  plui?  ambitieux  que  politiques,  >avoient  armée  pour 
établir  leur  pouvoir  arbitraire;  ils  femUerent  ignorer'  que'  quiconque  eff 
^affez  lâche  pour  trahir  fa  nation,  n'attend  que  des  circônftancès  &vorables 
pour  être  infideie  à  fon  Roi  avec  impunité. 

"  Après  l'êxtînâion  des  Mérovingiens,  le  peuple  devoît  fe  flatter  de«^tf^ 
trer  dans  la  jouiflànce  de  Tes  droits  primitifs!  Il  falloit  élire  un  Roi;  on 
Vèn' avoit  jamais  choifi  que  dans  la  femille  régnante,  &  l'on  exigeoit 
trois  conditions  préliniinaires  pour' établir  le  droit  au  trône,  i-^.  La  naiP 
fànce,  & ;it  écoit  indifFérent  quW'fiit  né  de  l'époufe  légitime  ou  dWecOD* 
cùbine.  a?.  ï.k  volonté  dU  Roi  mourant  qui  âvoit  coutume  de  ^défignef 
lui-même  fon' (uc^eflëur.'^^-v  Le  confentement  de  la  nation  dans  l'aflem* 
blée  du  Champ  de  Mars  où  il  étoit  élevé  fur  un  bouclier.  Pépin  n'àvoit  tA 
le  privilège  de-la  naiflance^  ni  la- volonté  du  dernier.  Roi  qu'il  avoir  lui- 
même  dégradé;  il  ne  pouvoit  donc  légitimer  fon  ufurpation  que  par  le 
lliffrage  de  la  nation  ailelUblée  aU^lChâmp  d^  Mars;  Il  eût  eu  alors  le  plus 
-ï^éau  de  tous  les^  tîffes^  f^our  s'aifeôit<fur  le  Ti-on^  .<  il  écoit  trop  Aûi- 
irdyant  pour  n'en  <' pd^  %pj^rcekroi#>  fous  les  àv^antages;  mais'il  pré^yoîl 
^u'il  ne  pourroit  fâFiréî  mpeâer  là.  {>«ideur  des^lôix  qu'Mtant  que  toute  h 
nation  verrat  en  «U^  fon  ouvrage/ Il  tâcha  Ue  relever  4in  édihce  enfevdi 
fous  Ces  ruines;  rpais  te  crainte  d'irgfir  le  Clergé  &  les  Grands  l'arrêta  dam 
fa  marche.   Les  (èrvices  qu'il 'en    avoit  reçus  pour  uforper  le  Trône  lui 


toit-  point  appelle.  Pépin  eut  bien  dëfiré  le  rétablir  dans  fes  prérogatives, 
«laîs  il  crut  ne  devoir  entreprendre  que  ce  qu'il  pouvoir  exécuter.  Il  vît 
tous  les  abus^  &  il  ne  fut  pas  aflëz  puifTant  pour  les  corriger.  Un  gouver- 
nement mal  affermi  ne  peut  employer  que  des 'palliatifs  aux  maux  qui  ne 
peuvent  Te  guérir  que'  par  dôs  remèdes. 

L'ouvrage  commencé  par  Pépin  fut  enfin  achevé  par  Charleinagtie;  ce 
Prince  qui  fut  un  grand  Roi  parce  qu'il  n^oublia  jamais  qu'il  écoit  homme 


C  H  A  Mr  P    D  B    M  hKSr   oy&    D  E    M  A  I. 


*53 


&  cltbyen ,  paètut  fenfible  à  raviUffement  de  dà  portion  la  plus  nombreiife 
de  fes  fujets  i  il  lui  parut  plus  beau  de  commander  à  un  peuple  libre  que 
de  conduire  la  verge  à  la  main  des  efclaves  flétris  par  leurs  chaînes.  En 
rendant  à  la  nation  fa  dignité  primitive ,  il  apprivoiU  Torgueil  féroce  des 
auM  fil  confentir  à  l'admidion  du  Tiers-État  d^ 


jneurs  qu'il  ht  confentir  à  radmiflion  du  Tiers-Etat  dans  l'aflemblée  da 
Champ,  qui  depuis  k>ng:temps  n'en  avoit  que  le  nom  puifqu'elle  n'en  a^oit 
point  les  privilèges.  Lp  Clergé  qui  aimoit  à  régner  fans  rivaux ,  témoignai 
le  plus  de  répugnance  à  partager  le  pouvoir  légiilàtif  avec  des  l^>mmes? 
ignobles  &  vils  qu'il  pouyoit  flétrir  de  fes  anathémes ,  &  qu'il  avoit  accou- 
cuniés  à  trembler  au  bruit  de  fes  foudres.  Enfin  il  fe  laifia  fiibjuguer^  & 
les  pafteurs  ne  furent  plus  les  loups  du  troupeau.  Il  fut  arrêté  que  Paflem- 
bléerfe  tiendroit  tous  les* ans  en  automne  &  au  mois  de  Mai,  c^eft  ce  qur 
lui  fit  donner  le  nom  de  Champ  de  Mai 't  ce  mois  paruttplus  commode  pouiJ 
È^y  rendre  des  Provinces  éloignées. 

*  L'a&mblée  d'automne  n'éroit  compofée  que  de  Seigneurs  d'une  intelli'* 
gence  &  d'une  intégrité  éprouvées  dans  l'admîniflration  des  affaires.  Rien 
ne  s'y  décidoit ,  mais  on  y  préparoit  les  matières  fur  lefquelles  on  dévoie 
délibérer  dans  raflemblée  générale  du  Champ  de  Mai.  Tout  ce  qui  sy 
psitCoit  ne  tranfpiroit  point  au-dehors,,  &  la  curiofité  jamais. fàtis&ite  étoir 
dans  l^mpuiffance  d'en  révéler  les  fecrets  à  l'étranger.  On  examinoit  s'il 
écoit  avantageux  de  faire  la  paix  rOU  la  guerre;  $'il,  s'étoit  gUlfé  dés  abus 
dans  l'adminiflration ;  de  la  juflice:&  des  finances ,  quelle  en, avoit  été  , la 
fource ,  &  quels  remèdes  on  pouvoit  y  oppolèr.  Quand  tout  étoit  bien  pré* 
paré,  les  Evéques^les  Abbés,  les  Seigneurs  &  le  Tiers-État  fe  rendoienc 
au  Champ  du  mois  de. Mai  fuivaot.  Les  députés  des  villes  y  paroifloient 
avec  tes:  avoués  des  Evéques  qui  n'étoieat  qi|^  les  s^dminiftrateurs  des<  biens 
d'un.Evêché  ou  d'un  MonafteriB;:-  les  Seigneurs. daps  la  fuite  brigueient  ce 
ôtre^qui  les  mettoit  à  la  tiête  des  milices  de  l'Eglife  dootJU  étoient  les 
avoués.  Ainfi  le  motif  d'étendre  leur  pouvoir  les  fit  confentir  à  leur  dé^ 
gradation  en  fe  chargeant  d'un  office  qui,  dans  fa  première  inflitution  n'é* 
toit  exercé  que  par  des  honmies  tirés  de  la  çlaffe  du  peuple  ;  mais  l'ambi^ 
don  &  l'avatiice  font  ingéoieufe^  à  tout  ennoblir. 

Charlemagne  qui  vouloit  fincérementi  le  bien ,  >  n'abufa  jamais  de  fon 
pouvoir  pour  corrompre  le^  fufïragés.  Il  étoit  trop  habile  pour  ne  pas  voir 
qiie  fa  grandeur  étpit.  attachée  à  la: pr^foériié  publique.  Ce  Prince,  pour  ne 
point  gétier  U  liberté, r  avoit  la  circonfi^edion  de  ne  point  aflifler  aux  ;dé- 
libérltioûs  dont  fes.  lumières  auroient  dirigé  la  fageue;  mais  Quoique  in-  . 
^fible,  fon  génie  y  préfidoit  par  les  confeils  défmtérefles  (|u^l  donnoit  aut 
Seigneurs,  aux*  Prélats  &  aux  Bourgeois  qu'il  fav.oit  avoir  des  intentions 
fines  ârun  difcernement  éclairé.  11-  ne  paroiffojt'dans  l'aitëmblée  quelorf^ 
qu'il  en  étôit:  foUicité,}  f^it  pour  y  fixer  Jes  limites  de,  la  puiflance  fpirir 
jnelle  &  lemporellev  qui:excitoit  des  débats  toujours  renaiuans ,  foitpour 
ddtermtiier  Frétëadue  du  ppuvoir,  de  chaque  prdre^  foit  enfin  pour  £iire  ref- 


CHAMP    O  B>  M  A  A  5    ô  n    D  S   MA  X 


peder  tes  droits  du  Tt^iie.  Sa  |véfe»oe  ëicriit  eiKoné  re^uHe  lorfqu^  &1- 
lok  imprimer  le  Sots^  de  ftn  «pprdbâtboR  ^  ce  qui  avcMt  dié  arrêté.  Ceft 
delà  i]fie  fontvenas  ces  CapituIaiFes  qui  portent  le  nom  de  oe  Prince  bien- 
&ifant^  non  parce  qn'ilt  font  émanés  de  lui  »  mais  parce  qu'il  (ut  ie  pnB* 
mier  cm  fit  publier  fous  fon  nom  tous  ces  rëglemens.  Ils  n*avoie«  d'cxif- 
tence  légale  que  quaid  laf  nation  les  avoic  adoptés.  Il  y  en  a  plufieirs  qui 
n'ont  point  ce  caraâere  facré  &  qui  ^^n  font  pas  moins  Ton  ouvrage,  il 
ne  les  doniioit  que  provifioooellement  &  dam  des  cas  ùrgens  :  il  les  fonmec^ 
toit  A  ia  réferme  dans  le  Champ  de  Mai  iuivafft, 

.  Les.  loix  Saliques  &  Ripuaires,  les  rëglemens  &its  fous  la  première 
race  n'ont  point  été  publiée  fous  le  nom  des  Rois  Mérovingiens.  Ils  n'ao- 
rotent  ofé  prendre  4a  <]ua1ité  de  Juges  fuprémes.  Charlemagne ,  qui  ^méri- 
toittre  titre ,  n'4sut  jamais  rambitîon  de  le  prendre,  &  fi  dans  les  Capitulai- 
res  qui  portent  fon  nom  il  emploie  cène  formule ,  Nous  voulons^  Nùbm 
ordonnons  ^  Nous  ^commandons  ,  c'eft  qu'on  n'attàchoit  point  à  ces  mots  les 
idées  qu'elles  préfentent  aujourd'hui.  Il  parloir  au  nom  de  la  nation  ;  c'é- 
toit  donc  die  qui  vouloir,  ordonnoit,  commandoit.  Ce  Prince  n'avoit  pas 
honte  d'avouer  que  la  pniflance  légifiative  réfidoit  dans  le  corps  de  la  na- 
tion a&mblée.  Il  déclare  avec  candeur  dans  fes  Capitulaires  que  la  loin'eft 
autre  chofè  que  la  volonté  de  la  nation  publiée  k>us  le  nom  du  Prince  : 
Louis  le  Dâ>onnaire  fiût  le  même  aveu ,  &  fous  tous  les  Rois  de  la  feconde 
race  aucun  règlement  provifbire  n'acquit  force  de  loi  que  lorfque  la  na« 
tion  aflemblée  lui  eut  imprimé  fon  cônfentement. 

Charlemagne^n  rémblmàiit  les  principes  du  gouvernement  apportés  Je 
Germanie,  sNitok  propofé ,  en  rapprochant  les  trois  ordres,  de  ne  niire  qu'oa 
feul  i&  même  peuple  dont  4es  icrtérêts  ^auneient  été  communs ,  pofitiqoe 


prévit  pas  que   la  portion  du  pouvoir  qu^il  s'^éfoit  tiittviUt  pouvoit 
devenir  une  tyrannie  emre  les  mains  de  les  (ucceffeurs  <^\\  préfuma  de- 
voir être  les  héritiers  de  ies  inclinatiotis  bienfai&ntes.  La  puiflànoe  exé- 
cutrice qu'il  leur  laiflbit  •  les  expofoit  à  la  tentation  d'envahir  la  puiflàoce 
légiflacive.  En  cefiant  de  convoquer  le  Champ  de  Mai' 'feus^der  prétextes 
fpécieux  leurs  ordres  particuliers,  oc  leurs  réglemehs  particuliers  acquéroienc 
^vec  le  temps  force  de  loi,  Air-tout  che^  un  peuple  nourn- dans  le  mé- 
pris barbare  de  la  légîflation.  C'eft  ce  qui  ai-riva  x  les  François  s^aTOOutu-- 
merent  infenfiblement  à  regarder  comme  légiflateur  le  Prince  qui  pubUoit 
la  loi ,  &  qui  étoit  chargé  de  la  protéger. 

Il  en  réfulta  un  autre  abus  :  le  droit  dont  jouiffoit  tout  François  libre 
de  fe  trouver  au  Champ  de  Mars  fiit  reftreint  pour  éviter  la  confufion;» 
Chaque  Comte  n'eut  que  douze  rejpréfentam  W  champ  de  Mai  »  &  dès 
qu'il  y  eut  moicts  de  SuiFragans,  il  tut  plus  fecile  •  d'acheter  de$  ^akres.  \jA 
Ducs  &  les  Comtes  arbitres  des  délibératiims  deletir  difiriâ  firent  un  vil 


Ç  n  A  M  9    DE    MARS   un    D  B    M  A  £         tf  f 

trafic  de  leur  crédit  pour  nostmer  des  dépmés  anffi  currempàs  ^'edx  ;  pitts 
its  étcnent  kidigeny,  phas  ils  étotent  faciles  à  fécknre^  &  pour  un  modiqiif 
ffthiire  douze  mercenaires  attentoieoc  2k  la  fortune  &  anx  privilèges  de  toute 
une  province.  Malgré  tous  ces  déiordres,  le  Champ  de  Mai  cooferva  mte 
ombre  de  fa  digniré  fous  ixms^te-Dëbonfiaire.  Charlemagne ,  arbitre  de  L'Eu^ 
rope ,  lui  avoir  donné  Pexemple  des  égards  qu'on  dévoie  à  cette  augnAe 
âflemUée  dans  le  procès  &if  à  Taflillon  Duc  de  Bavière ,  condamné  à  mort 

J>ar  le  Champ  de  Mai.  Charles  oui  pouvoir  rabfoudre  fans  redouter  la  cen- 
tire  refpeâe  la  loi.  Il  prie,  il  Sollicite  &  obtient  de  la  nation  la  grâce  du 
Duc  inrortuné.  Louis  ufa  de  la  même  modération  dans  l'aflàire  de  Bernard 
Roi  d^talie  qui ,  pour  avoir  entrepris  de  faire  valoir  fes  droits  an  Trône  ^ 
fut  condamné  à  mort  par  la  nation  ,  &  il  a^obsint  la  commutation  de  peine 
^e  fur  les  preffantes  fbllicitations  de  Louis. 

Louis  le  Débonnaire  s'écarta  bientôt  des  principes  &  des  exemples^  que 
lui  avoir  lailTé  (on  père ,  dont  il  n'avoir  ni  les  lumières  ni  la  magnanimité. 
Cèft  toujours  fous  l'es  Rois  Ibible»  ou  méchant  <jue  les  privilèges  des  peu- 

i>  du  glaive 

phis  grand 

troéoiHt  plufieurs  nouveautés.  Les  prérogatives  du  Champ  de  Mai  forem 
altérées  &  prefque  détruites.  Les  vexations  exercées  iîir  fei  domaines  n'ex- 
citèrent que  des  plaintesr  flériles.  Les  Prélats  &  fes  Se%neurs  furent  les 
ipeâateurs  tranquilles  de  ces  excès  dont  l'exemple  les  autorifoit  à  rendre 
leur  pouvoir  arbitraire  fur  leurs  terres.  Le  Tiers- État  fut  encore  appelle  à 
TaflemUéé  générale  tenoe  à  Nimegue  en  831  ;  mais  9  nes'agifToit  point 
d^  délibérer  fur  le»  affaires  publiques.  On  n'étcHt  aflèmblé  que  pour  paci^ 
fier  tes  troubles  qui  divifbient  la  fimiifle  Royale.  Sous  Charles-Ie-Chauve 
le  Chanip  de  Mai  ne  fut  plus  convoqué.  Ce  Prince  s'érigeant  en  légiflateur 
&  en  Miniftre  de  la  loi  confofl^it  le  pouvoir  ftipréme  avec  te  pouvoir  arbi^ 
traire;  le  cri  de  la  nation  retentit  jufi^u'au  pied  du  Trône  &  quand  on  te 
vit  tout  ofer ,  on  fe  crut  err  droit  de  lui  défooéir.  Le  feu  de  la  révolte  s'al- 
luma^ dans  toutes  les  Provinces.  Le  fentiment  de  la  liberté  qu'on  croyoit 
éteint ,  fe  manifefla  dam  totfs  tes  ordres  de  PEtaf .  Charles  après  avoir,  agi 
en  deipote  ne  fut  plus  qu'un  bas  feppliant.  Il  convoque  une  aflembl^ 
générale  où  le  peuple  n^eft  point  appelle.  Les'  Sei|neur5  ne  daignent  pas  s'y 
rendre,  il  ne  s'y  trouve  que  quelques  Prélats  qui  lemblent  n^étre  venus  que 
pour  kri  donner  des  leçons  &  lui  faire  des  réprimandes.  Il  fe  relâche  de  fes 
prétentions  en  faveur 'des  Evéqucs  &  des  Seigneurs;  &  plus  il  s'humilie 
devant  eux ,  plus  ils  exigeod  de  fa  foiblefle.  Il  s'étoit  privé  de  fon  plus 
ferme  appui  en  écartant  Te  Tiers-Etat  qui  lui-même  par  fa  nature  a  tou- 
jours befoin  du  Trône  contre  Toppreffion.  Charles  cédant  à  la  néceflité  con- 
fentît  à  rendre  pour  la  féconde  fois  les  biens  &  les  Comtés  héréditaires  ; 
&  dès  que  ces  biens  furent  devenus  un  patrimoine,  il  ne  refla  plus  aucune 


t.$i         C  H  A  M  F    D  B    M  A  R  s    Q  v    D  B    MA  I- 

trace  de  Paocien  gouvernement.  Chaque  Seigneur  rendit  fa  jufiice  foure-^ 
taine  ;  les  loix  faliques  ou  ripuaires  tombèrent  dans  l'oublK  Les  loix  Ro- 
maines ne  furent  pas  plus  reTpeâées.  La  volonté  arbitraire  des  Comtes  fut 
Punique  loi.    Les  caprices  de  ces  nouveaux  Tyrans  formèrent  le  droit  pu* 
blic.  Ils  fe  cantonnèrent  dans  leurs  terres,  ils  exigèrent  des  droits  Seigneu- 
riaux ,  ce   qui  devint  un  titre  de  leur  fouveraineté  &  de  la  fervitud'e  des 
peuples.  C^eft  delà  qu'ont  pris  naiffance  tant  d'ufages  locaux  refpeâés  par 
le  temps ,  quoiqu'ils  femblent  avoir  été  diâés  par  un  légiflàteur  en  délire. 
Mais  tous  ces  ulurpateurs  fe  croyoient  plus  grands  à  mefure  qu'ils  étoient 
plus  bifarres  &  qu'ils  exerçoient  le  plus  de  violence.  Comme  il  leur  eut 
été  impoflible  de  )ufHfier  leurs  titres,  ils  avançoient  fans  pudeur  qu'ils  ne 
relevoient  que  de  Dieu  &  dé  leur  épce.  Ce  fut  l'extinâion  des  privilèges 
du  Tiers-Etat  au  Champ  de  Mai  qui  enfanta  cet^e  confuiion  anarchique. 
Sa  les  diffêrens  corps  de  la  nation  eulTent  délijbéré  dans  une  aflemblée  gé- 
nérale de  leurs  intérêts  communs ,  on  eut  corrigé  les  vices  qui  défuniflfoieat 
les  parties  de  l'Etat ,  &  Pon  ^  auroit  fubftirué  un  gouvernement  uniforme  ï 
cette  bigarrure  d'ufages  qui  ufurperent  le  nom  &  la  force  de  loix.  La  ca- 
tion fut  tellement  dégradée  queHugue  Capet  ne  daigna  pas  même  demander 
fonfulFrage  pour  appuyer .  ion  ufurpation.  Eh.rde  quel  droit  l'eut-ii  coo" 
voquée,  lui  qui  n'étoit  qu'un  vall^l  de  la  Couronne?  Il  fe  contenta  de  fe 
faire  reconnoitre  dans  une  affemblée  cotnpofée  de  Tes  parens,  de  Tes  amîs 
&  de  fes  vafTaux.  S'il  fut  ufurpateur  tranquille,  ç'efl  que  les  privilèges  da 
Trône  étoient  tellement  reiferréSy  qu'il  étoit  indiâërent  aux  François  qud 
fiit  leur  RoL 

Philippe-le-Bel  fut  le  feu!  Prince  depuis  Charlemagne,  qui  crut  trouver 
des  avantages  à  Ëiire  revivre  les  aflemblées  de  la  nation.   M  n'en  ayoit 
rien  à  redouter;  tous  les  courages  étoient ^.étris.  Les  cœurs  delféchés  n'é- 
prouvoient  plus  le  fentiment  généreux  de  la  liberté.  Il  profita  de  cet  af- 
ioupiffement  ffaipide  pour  convoquer  le  Champ  de  Mai  fous  le  nom  d'Etats- 
Généraux ,  &  ce  qui  fembloit  devoir  limiter  fa  puiffance ,   ne  fervît  qu'à 
l'étendre.  Les  haines  éclatèrent  entre  les  Seigneurs,  les  Prélats  &  le  Tien- 
Etat  :  chaque  ordre  voulant  s'élever  fur  les  débris  des  deux  autres,  tous 
tombèrent  dans  l'abaiffement.   A  mefure  que  la  puiflance  Royale  prit  de;i 
accroifliemens ,   on  éprouva  l'inutilité  des  diètes  de  la  nation  qui  étoient 
plutôt  des  femences  de  troubles  que  des  remèdes  aux  maladies  de  l'Etat 
Quelques-uns  prétendent  que  les   Etats-Généraux  tenus  fous  Philippe-le- 
Bel,  n'étoient  qu'une  contmuation  des  affemblée^  du  Champ  de  Mars  ou 
de  Mai.  Mais  comme  on  ignore  quelle  en  fut  la  forme ,  les  prétt>gatives 
&  les  ioftitutions,  on  ne  peut  rien  dire  fur  la  conformité  de  cette  aflemblée 
avec  ceHes  des  premiers  Francs.  Voyer  États-Généraux;  Parlement. 

Un  écrivain    François  (a)  prétend  ,  que    l'autorité  légiflativc    ne  fut 

(a)   M.  Moreaui  Leçons  de  morale,  de  politique  y  &  de  droit  public,  puifées^  dans  VHif* 
âvire  de  notro  Monarchie^  ou  nouveau  plan^^  &c»  Paris,  chez  Moutard,  1773,  &.  ^^^* 

jamais 


CHAMP    DE    MARS    ou    DE    MAI,         ^57 

jamais  placée  dans  les  Champs  de  Mars  &  les  aifemblées  qui  leur 
luccéderenr.  II  foutienc  que  le  Monarque  pofTédoic  feul  cette  autorité; 
c'eft  une  conféquence  nécefTaire  de  la  première  propofition  ;  que  le 
Cheffuprême  appcllou  &  excluait  qui  il  vouloit  de  ces  afTemblées,  &  que 
chacun  des  membres  qui  y  aflîftoient,  rî^avoit  que  des  eonfeils  à  don^ 
ner   &  non  des  fuffrages. 

Bien  des  monumens  contredirent  ces  alertions;  &  il  n^eft  pas  aifé  de 
faire  pafler  pour  des  erreurs  ou  des  pféjugés  ce  qu'on  a  regardé  jufqu'ici 
comme  des  principes  avoués^  &  des  faits  confiâtes.  On  a  cru  que  le  pre- 
mier aâe  de  légiflatîon  de  nos   Rois    datoit  de  la  fin  du  Xlle.  fiecle ,  & 
l'ordonnance  de  Philippe- A ugufte  de  1190,  paffoit  pour  le  premier  monu- 
ment de  leur  pouvoir  légîflatif  :  il  faudroit  donc  qu'elle  eut  été  précédée  de 
beaucoup  d'autres  édits.  Comment  expliquer  ces  mots  de  Clotaire,  qui  dit ,  en 
nous  parlant  des  afTemblées  du  Cha^mp  de    Mars ,  on  les    convoque  parce 
que   tout  ce  qui  regarde  la  fureté  commune  doit  être  examiné  &  réglé  par 
une  délibération  commune'^  &  je  me  conformerai  à  tout  et  quelles  ont  réfolu  ? 
£t  ailleurs  Clotaire  répond  aux  Ambaffadeurs  de  la  Reine  Brunëhaut,  qu^il 
faut  convoquer  une  ajfemblée  de  la  Noblejfe  &  délibérer  en  commun  des  affai" 
wxs  communes,  {a). 

Comment  entendre  ces  mots  qui  fe  trouvent  dans  une  ordonnance  de 
Childebert  de  ^32  :  nous  avons  traité  quelques  affaires  à  Pajfemblée  de  Mars 
^vec  nos  Barons ,  ($  nous  en  publions  aujourd'hui  leréfultatj  afin  qu^il  par* 
tienne  à  la  connoijfance  de  tous.  [b). 

Comment  renverfer  le  témoignage  du  favant  Bouquet  qui  travaillant  par 
^rdre  &  fous  les  yeux  du  gouvernement,  s'explique  ainu  dans  la  préface 
des  loix  faliques?  (c)  diclaverunt  falicam  legem  prokeres  ipfius  gentis  ^  qui 
tune  temporis  apud  eam  erant  reàores  :  funt  elecli  de  pluribus^  viri  qua* 
tuor ,  qui  per  très  mallos ,  convenientes ,  omnes  caufarum  origines  follicitè 
difcurrendo  tractantes  de  Jîngulis  y  judicium  decreverunt  hoc  modo. 

Un  autre  pafTage  auffî  formel  &  relatif  aux  Champs  de  Mars ,  fe  trouve 
dans  les  annales  des  7vz,ncs  ^  fedcbat  in  fella  regia^  circumftantc  exercitu  ; 
prtrcipiebatque  is  die  illo  quidquid  à  Francis  decretum  erat. 

Pourquoi  Pépin ,   l'habile ,   l'audacieux   Pépin  (  qui   une  fois  arrivé  au 


f  tfl   Atmoinde  GeJI.  Franc.  Z.  4.  C.  /.  apud  Bouquet^  recueil  II L 
ih)  Bouquet,  (ibid.  Tom.  6.p*  j.)  &  dans  une  autre  ordonnance i nous  fommes  conver 
nus  avec  le  confentement  de  nos  Vajfaux  ÔCc-  ibid.  §.  II. 

(c)  ibid.  p.  22  (& ailleurs  idem  p.  124)  Hoc  decretum  ejl  apud  regem  &  principes  ejuSj  & 
'érpud  cunêlum  populum  chrijlianum ,  qui  infrà  regnum  Merwmgorum  confiflunt.  Voyez  dans  M. 
de  Mably ,  (ohjerw.  fur  VHift.  de  France)  dans  des  Chartres  accordées  par  des  Rois  de  la 
Jrc  race  :  Ego  Childebertus  rex  unàcum  confenfu  6»  voluntate  Francorum  ^  &c.  (annal.  558 
ibid.  622  )  Clotarius  III ,  unâ  cum  patribus  noflris  epifcopis  optimatibus ,  caterifque  palatii 
nofiri  miniftris ,  (.  ann.  664  )  de  confenfu  fidclium  nofiiorum^     . 

Tome  XL  K  k 


a^8         CHAMP    DE    MARS    ou    DE    MAL 

trône  polTédoit  abfolument  l'autorité  tëgiflative  puifqu'elle  étoit  Papanage 
de  la  louveraineté  ;  )  pourquoi  Pépin,  dis-je,  quand  il  aflbcia  Charles  àz 
Carloman  fes  deux  fils  à  la  Couronne  fous  le  confentement  de  Taflemblée 
nationale ,  fe  fervit-il  de  cette  formule  fi  connue  unà  &  cum  conjenfu  Sic. 
Vufage  le  plus  ordinaire  des  Rois  n'efl  pas  de  céder  dans  la  forme  ce  qui 
leur  revient  dans  le  droit.  Eginhart ,  fécrétaire ,  hiftoriographe  &  gendre  de 
Charlemagne,  &  par  conféquent  fi  à  portée  d'être  bien  inftruit  de  la  conf-  . 
titution,  die  exprelTément  ;  que,  les  Francs  confirmèrent  le  choix  de  Pépin 
à  fa  mort^  &  ce  qui  eft  bien  plus  concluant,  quHls  limitèrent  leurs  états 
Tcjpeclifs.  {a) 

Comment  le  plus  grand  &  le  plus  puiflant  Prince  qui  ait  jamais  exifié, 
comment  Charlemagne ,  (  s'il  avoit  cru  toute  l'autorité  légiflative  conceD- 
trée  dans  fes  mains ,  auroit*il  dit  dans  la  charte  qu'il  donna  pour  le  par« 
tage  de  fes  domaines ,  dans  le  cas  oii  il  y  auroit  incertitude  fur  le  droit  . 
des  difFérens  compétiteurs  à  la  Couronne ,  celui  (Pentr\ux  que  le  peuple 
choijtra ,  fuccédera  i  la  Couronne  ?  Car  c'eft  une  anecdote  bien  fingulierc 
pour  l'hiftoire  philofophique  de  ce  Prince  &  de  ce  fiecle.  Pourquoi  ce 
Prince  afTembla-t-il  fi  exaâement  une  ou  deux  fois  l'an  les  convcntus  molli 
ou  placita  {b)  qui  fe  tinrent  régulièrement  fous  cette  dynaftie,  lui  donc  le 
génie  pouvoit  fans  doute  fupporter  feul  tout  le  faix  de  la  légiflatioû? 

Que  deviendra  le  favant  Traité  d'Hincmar ,  Archevêque  de  Rheimii 
de  ordine  palatii ,  important  &  précieux  monument  de  nos  antiquités  » 
receuil  de  faits ,  que  l'on  n'a  jamais  révoqués  en  doute  >  C'eft  dans  ce  Tiaicé 
que  l'on  trouve  la  preuve  de  l'exaâitude  avec  laquelle  Charlemagne  con- 
voqua toujours  les  affemblées  de  la  nation  deux  fois  par  an«  Dans  Tune 
fe  régloit  l'Etat  de  tout  le  Royaume  ;  dans  l'autre  on  fixoit  les  dons  gé- 
néraux. Confuetudo  autem  tune  temporis  talis  erat  ut  non  Jctpiùs  fed  t^ 
in  anno  placita  duo  tenerentur^  unum  quando  ordinabatur  ftatus  totius  ttf; 
ni  .  • . .  propter  gêner  aliter  danda^  aliud  placitum  ,  &c  &c.  (c). 


& 

lie  entre  les  fujets  &  le  fouveraîn ,  Hincmar  rend  témoignage 
dination  confiante  de  ceux-là  lorfque  le  Prince  les  avoit  entendus,  au^^ 
long-temps  qu^ils  vouloient  lui  parler  ^  lorfqu'il  avoit  admis  leurs  raifons ,  leurs 
çontradidions ,  leurs  confeils.  Qiianto  fpatio  voluijfent^  cum  eis  confifitntf 
&  cum  omni  familiaritate ,  qualiter  Jingula  reperta  habuijfent  referehant^ 
qiiantâcumque  mutuâ  difputatione ,  feu  amicâ  contentione  decertajfent^  apcf* 
tiùs  recitabant . . . .  donec   res  fingulœ  ad  effeSum  pcrdu3œ  gloriofi  princi* 


(a)  Capitul.  vol.  I.  p.  442. 

\b)  Noms  des  afTemblées  de  la  nation  fous  la  i^»  race, 

Ce)   Dt  ordinê  palatii^  Chap,  ig» 


\ 


CHAMPDEMARS    ouDE    MAL  259 

pis  auditui  in  facrisqut  ohiutlbus  expontrentur  ^  &  quidqiiid  fapicntia 
€Jus  digcrct^  omncs  fequcrcntur  {a).  Le  Leâeur  remarquera  que  ç'eft  à  la 
fagtffc-àt  Charlemagoe  que  les  François  s^en  rapportoient. 

Les  capîtuTaires  même  offrent  de  nouvelles  difficultés  contre  le  fentî- 
ment  de  ce  nouveau  publicifle.  On  trouve,  par  exemple,  une  loi  de  Tan  80} 
qui  ordonne  que  lorfqu^il  s*agira  d^établir  une  nouvelle  loi,  la  propofi* 
.  tion  en  foit  foumife  à  la  délibération  du  peuple ,  &  que  s* il  y  a  donné 
fon  eonfentement  ^  il  la  ratifiera  par  la  fignature  de  fis  reprcfintans,  (b)  ^ 
On  trouve  dans  un  édit  de  Phîlippe-le-Bel ,  (c)  par  lequel  ce  Roi  pro- 
met d'établir  deux  Parlemens  à  Paris,  ces  propres  mots  qui  méritent  at;- 
teniion  :  pratereà  propter  commodum  fiibjeSorum  expeditionem  cauffaruv?, 
proponimus  ordinare  quod  duo  Parlamenta  Parifiis  y  &  duo  fiataria  Ro-^ 
thomagenfia ,  &  dies  trecenfis  bis  tenebuntur  in  anno ,  &  quod  Parlamen^ 
tum  apud  Tholofiim  tenebitur^  fi  gentes  prcediSct  terrœ  confintiant^  quàd 
non  appelletur  à  prcefintibus  in  parlamento. 

On  trouve  dans  le  recueil  des  hiftoriens  de  France  (d)  une  lettre  de 
Hugues  Capet  à  l'Archevêque  de  Sens  où  fe  lifent  ces  propres  termes; 
que  ne  voulant  point  abufir  de  la  Puiffance  Royale ,  il  règle  toutes  Us  af^ 
foires  de  la  chofi  publique  par  le  confiil  &  Cavis  de  fis  fidèles.  (  Reguli 
potentiA  in  nullo  abuti  volentes  omnia  negotia  reipublicœ  in,  confiiltation€ 
€r  finténtia  fidelium  nofirorum  difponimus.  )  . 

On  trouve  beaucoup  d'ordonnances  de  la  troifieme  race  (  fous  Louis  VI; 
l.ouis  Vn,  Philippe^Augufte ,  St.  Louis  )  qui  fpécifient  très^clairement 
le  confiil^  confintement  ^  volonté  ^  concours  des  Prélats  &  Seigneurs  y  des 
Barons  y  des  Fidèles^  (e)  comme  nécelfaireis  à  la  fanâion  des  aâes  lé- 
giflatifs. 

Mais  on  trouve  fur-tout  dans  le  code  des  loîx  Normandes ,  (/)  confer* 
▼ées  pour  la  plupart  dans  la  coutume  de  Normandie ,  &  qu'on  peut  re-* 
garder  comme  le  recueil  légiflatif  où  (ont  confignées  les  loix  &  coutu- 
mes anciennes  de  PEurope,  on  trouve,  dis-je,  dans  ce  code,  ce  texte 
précis,  &  qui  parolt  n'admettre  aucune  réplique  contradifbire. 

Quoniam  ergo  leges  6  infiituta^  quœ  Normanorum  principes  ^  non  fine 
wagnâ  provifionis  indufiriâ  Prœlatorum  ,   Comitum  &  Baronum  ,  nec  non 
&  cœterorum  virorum  prudentium  concilio  &  confinfii  ad  falutem  humanam 
fœderis  ftatucrunt^  &ç.  &c. 


{a)  Ihid.  anno  88 z*  Cap,  34  fr  3J. 
ib)  CapituL  vol.  I.  p.  194* 
(c)    1302. 

{d)  Tom.  10.  p.  391, 

W    Ordonnances  des  année»  1118,  1118,  1137»   X1581  ^^59*  xiaS,  1246,  6^c.  &el 
(f)  Codex  legum  Normanicarum ,  cdente  Ludwig  j    eap,  prim,  ^  x«    Tomo  y  De  reliquia 
manu  Jcriptorum  &c.  (  in  prafatione  notât  Ludwig  has  leges  /ecuïi  decimi  tenii  coctvas^ 

K  k2 


atfo,        CHAMP    DE    MARS    ou    DE    MAL 

Il  efl  à  remarquer  que  Ludwig ,  éditeur  de  ce  code  ^  célèbre  jurifcoo^ 
fuite,  défènieur  de  Frédéric  premier,  (a)  qui  ne  déguifoit  pas  fon  goût 
pour  le  defpotifme  ;  que  Ludwig,  dis-je,  établit  comme  bafe  du  droit  ger« 
mmique,  la  néceflîté  du  confentement  des  trois  ordres.  Voici  les  propres 
termes  de  fon  commentaire  :  cji  hoc  homini  Germano  omnino  difctndum 
0  notandum  qiiod  Icgijlatoria  potcjtas  uti  in  Imperio  non  pcnès  impcra-* 
torctn  Jolùm  ;  veràm  ctiam  ordincs  in  conùtiis  :  ita  in  provinciis  quoquc 
principi  Jolis  non  licuit  condcrc  Itgcs  ^  nifi  in  conctjfii  confcnfuqiic  procc^ 
rum  provincialium  (  dcr  Lanjlacndc ,  )  ut  adeà  provinciales  legcs  nomcn  Jup' 
tinerent  provificialium  nccejjuum ,  in  ycrnacula  :  (  der  Lantags  abfchic^ 
de  )  &c.  &c.  • 

On  pourroic  conclure,  ce  me  femble^  fans  fortir  des  règles  de  I^analo- 
gie^  pour  la  France  occidentale ,  d'après  les  loix  de  la  France  orientale.  {B) 

Il  feroit  trop  long  de  parcourir  la  centième  partie  des  difHcuIcés  qui  fe 
préfentent  contre  le  fentiment  qui  attaque  les  anciens  privilèges  de  la 
nation  Françoife.  Mais  je  ne  puis  m'empêcher  de  citer  ces  mots  de  Faf* 
€[uier,  qu'il  n'eft  pas  ailé  de  réfuter. 

Tf>  Pourquoi  Capet ,  plus  fin  que  vaillant ,  qui  par  aftuce  feulement  étoic 
9  arrivé  Jl  la  couronne ,  fit ,  au  moins  mal  qu'il  put ,  une  paix  avec  tous 
m  les  Grands ,  Ducs  &  Comtes ,  qui  commenceront  dés-iors  à  le  reconnoitre 
9  feulement  pour  Souverain ,  ne  s'eflimant  au  demeurant  guère  moins  ea 
fï  grandeur  que  lui  ;  &  certes  quelques-uns ,  non  fans  grande  apparence 
a>  de  raifon ,  font  d'avis  que  la  première  iiiftitution.  des  pairs  commença 
»  adonc  entre  nous,  (c)  « 

Je  n'ignore. pas  que  le  Préfident  Henault,  (ou  celui  que  ce  Magiftrata 
copié  )  a  traduit ,  au  grand  fcandale  de  la  nation ,  ces  mots  :  ex  confenfa 
popiili  y  par  ceux-ci  :  dans  Vajfemblée  du  peuple  :  tradu^ion  certainement 
intolérable  à  ne  confiderer  que  littérairement  le  feul  mot  confenfus\  mais 


(tf)  Dans  fes  difcui&ons  pour  la  Principauté  de  Neuchâtel. 

(W  L'Europe  offre  par-tout  les  mêmes  loix.  En  Danemarc,  oîi  Ton  a  touîours  affenr* 
les  hommes,  je  troure  cette  infcription  des  Loix  Danolfes  Ugts  Danicœ  à  Woldctna 
€dita  anno  iioo  ,  Parlamento  Danico  ex  confenfu  meliorum  regni  (  Ludwig,  nlîquia  nuum 
fcr'iptorum*  Tom.   ii. 

(0  Voici  un  paffage  de  Montaigne ,  bien  analogue  à  eelui  de  Pafquîer.  «  Cifar  appelle 
n  roitelets    tous  les  Seigneurs  ayant  juilice  en.  France  de  fon  temps.  De  vrai ,   fauf  le 


teneur , 

tt  valets ,  &  voyez  auffi  le  vol  de  fon  imagination ,  il  •  n'eft  rien  plus  Royal .  Il  oit  par* 
m  ïtT  de  fon  maître  une  fois  Tan ,  comme  du  Roi  de  Perfe ,  &  ne  le  reconnoît  que 
»  par  quelques  vieux  coufinages  ,  que  fon  Secrétaire  tient  en  regirtre.  A  la  vérité ,  no» 
»  loix  font  libres  aflei,  &  le  poids  de  la  fouveraincté  ne  touche  un  gentilhomme  Fraa- 
»  çou  a  peinç  deiu  foii  en  fa  vîe^  << 


CHAMPDE    MARS    oxrDE    MAI. 


z6i 


dont  le  mot  ex  découvre  bien  évidemment  la  lâche  intention  ;  (a)  car  les 
mots  ex  &  in  n'eurent  jamais  la  même  fignifîcacion ,  &  il  efl  impofUble 
de  s'y  tromper  de  bonne  foi. 

Il  faut  être  en  garde  aufli  contre  les  £iI(lfications  faites  en  plufieurs  en- 
droits dès  les  Capitulaires  de  Charlemagne,  dans  les  nouvelles  éditions 
des  ordonnances ,  dont  heureufement ,  on  trouve  le  vrai  texte  dans 
Baluze. 

Enfin  eft-il  poflîble ,  vu  les  mœurs  connues  des  premiers  Francs ,  tous  les 
monumens  qui  nous  refient  de  leurs  anciennes  înflitutions ,  de  leurs  ufages^ 
de  leurs  maximes ,  des  principes  féodaux  qui  leur  fervirent  fi  long-tems  de 
code  ;  eft-il  poflible,  dis-je  (b)  que  le  pouvoir  légiflatif  abfolu  fe  foit  trouvé 
uniquement  placé  fur  la  tété  du  chef  fans  nulle  efpece  de  modification  ^ 
aucune  fimple  confulte  ^apparat  &  non  de  réalité  ;  puifqu'au  droit  de  con^ 
jeil  ne  fe  réunifibit  jamais  celui  de  fufirage?  Comment  cet  antique  defpo- 
rifme  4uroit«il  pu  s'établir  &  fe  foutenir  ;  ne .  contredir-il  pas  évidemment 
les  coutumes  des  Germains ,  les  taxes  des  plus  anciennes  Loix  Septentriona- 
les y  Ripuaires , .  Bourguignones ,  &c.  les  Capitulaires  ,  les  Loix  Saxones  Se 
Germaniques ,  bafe  des  Loix  Angloifesi,  Françoifes ,  Ton  peut  dire  même  ,Eu- 
ropiéennes,  car^  ob.ferve  trèsrbien » L^dvig ,  l'Europe  n'avoir  dans  l'ancien 
tems  qu'une  langue  &  une  loi  :  In  Europa.  • .  •  fuijfe  unam  Grammaticam  6f 
Legijtaiorem.    - 

Du  refle  nous  donnerons  une  ample  analyfe  de  l'ouvrage  de  M.  Moreau^ 
en  traitant  .du  droit  public  François  au  titre  Frai^ce. 


i^ 


^" 


{a)  Il  eft  une  autre  preuve 't>îen  plus  formelle  «ncore;  de  cette  intention  :  c'eft  que  les 
mots  ex  €onftnfu  font  précédés  de  ceux-ci  :  in  parlamento. 

{b)  Tacite  dit  exprèifeinent  \QiU  le  çonfentemeht  de  tous  les  membres-  de  la  focUté  'étoit 
nictjfaire  dans  les  délibérations  prifes  par  les -Germains.;  de  mînoribus  rehus  principes  con- 
fultant^  de  majoribus  omnes  :  &  Ton  trouve  {mor.  germ.)  ces  propres  mots ,  que  je  fuis 
bien-aile  de  citer ,  dans  la  crainte  qu'ils  n'échappent'à  M.^Moreau.  M6x  res,  vel principes 
p/vut  atas  cuique^  prout  nobiittas ,  prout  deeus  bellontm^  pr^ut  facundia  efi  ^  audiuntur  ^  attc-* 
toritste  fuadendi  maf^s  quàm  jubendi  potefiate.  Que  M,  d*Alembert  traduit  ainfi ,  prefque 
littéralement  :  Alors  le  Roi ,  ou  le  çftef,  ôk  touï  autre  font  écoutés  felori  le  rang  que  lekr 
donne  Vage^  la  noblejfe^  la  gloire  des'  afmes^  CéUqttsnce*  L'autorité  de  la  per/uafion  eft  plus 
font  que  celle  du  compiandement. 

On  lit  dans  ce  mime  paffage  de  Tacite  ces* propis»  mots  :  me  regibus  Jn/lHta  aut  libéra 

pottftas^  )J^  duces ^cxtmplo  potius  quàm  itnperio^  . 


0,6±  C  H  AN  C.EX  I  E'R. 


e 


CHANCELIER,    f.    m. 


Ë  mot  chez  les  anciens  ne  défi^soit  qu'un  petit  officier  de  très -peu 
•^e  cohfKlération,  un  portier;,  un  huUfîer,  qui  fe  tenoit  à  une  porte  à 
'  barreaux  ^  grilles  ou  cancclli ,  laquelle  féparoit  le  Magiftrat  qui  rendoit  U 
^uftice,  où  TEmpereùr  qui  donnoit  fes  audiences^  du  peuple  qui  étoit  pré- 
lent \  Sic  dlâus  à  canccUis  qui  pro  oftio  erant.  Ce  Chancelier  étoit  li 
pour  prendre  les  requêtes ,  les  préfenter  ,  &  empêcher  qu'on  ne  fit  du 
bruit.  Cette  charge  étôit  encore  li  peu  confidérable  du  temps  de  Vopifcus, 
4]|uè  cet  ^Hiftorien  reproche  comme  une  aâion  honteufe  à  l'Empereur, 
*d'avoir  ëlevé  à  la  dignité  de  Gouverneur  de  Rome,  un  homme  qui  en 
étoit  revêtu.  Ihfenfiblement  ces  Chanceliers  devinrent  quelque  choie ,  & 
tlu  temps  de  Caffîodore,  ce  n'étoient  plus  -des  '  huidîers  ni  des  portiers, 
mais  ils  faifoient  la  fonâion  de  fecrétaires  des  Princes ,  &  de  maîtres  des 
requêtes.  On  étendit  depuis  ce  nom  à  ceux  qui  plaidoient  dans  le  barreau  i 
&  on  les  appeRoit  canceUiforcnfts  ^  «à  caufe  de  ces  bahiftrades  grillées  dont 
les  barreaux  étoient  revêtu».  On  le  donna  auffi  à  ceux  qui  tormoient  le 
confeil  fecret  du  Prince. 


•  '  I  •  •  • 


Les  principales  difpofitions  des  loix  Romaines,  par  rapport. à  ces  Chaa- 
celiers,  font  qu'on  les  pouvoir  accilfei'  en  Cas  de  feux,  que  leur  emploi 
n'étoit  pas  perpétuel-;  qu'après  l'avoir^ quitté  ^ils'-'devoient  demeurer  encore 

cinquante  jours  dans  la  Province  ,  ann  que  chacun  eût  le  temps  &  li 
liberté  de  faire  fes  plaTntés*  contr'eûx'",  s'a  y  àVoît  lîéû'  \  que  ceux  qui 
avaient  Élit  cette  .fon^on ,.  ne  devoiçnt  point  y  rentrer  après  leur  com* 
miffion  finie.  :      ' 

■  Au  conimencèment ,  les  Préfldiwis  &  autres  Gouverneurs^  des  Provinces 
fe  fervoient  de  leurs  clercs  domeftiques  pour  Chanceliers  ou  Greffiers,  ou 
bien  ils  les  choififfoiem ^  à  volonté;  .ce  qui  fut  changé  par  Jes  Empereurs 
Honorius  &  Théodofe  dahj  une  loi  oii  ces  Greffiers  font  appelles  canccUatiu 
Il  eft  dit  que  dorénavant  :  ils  ferqnt  pris  par  éleâîon  fplemnejle  de  Tof-^ 
fîce,  c'efl-à-dlre ,  du  coirps  À  compagnie  des  Officiers  Miniflres  ordonnés 
à  la  fuite  du  Gouverneur,  à  la  charge  que  ce  corps  &  compagnie  répon» 
droient  Civilement  dd$  fautes  de  oetui^qui  aiiroit  été  élu  Chancelier. 

Les  Chanceliers  n'étoient  pas  les  feuls  fcribes^  attachés  aux  Juges  ;  il  y 
avoit  avant  eux  ceux  qu'on  appelloit  exceptons  &  rtgtrtndariu  Les  pre- 
miers étoient  ceux  qui  reccvoient  le  jugement  fous  la  didlée  du  juge  ;  les 
autres  tranfcrivoîent  les  aôes  judiciaires  dans  dej  regiftres.  Le  propre  du 
Chancelier  étoit  de  foufcrire  les  jugemens  &  autres  ades ,  &  de  les  dé- 
livrer aux  parties.  Il  y  avoit  auflî  ceux  que  l'on  appelloit  ah  aSis  ou  ac^ 
tuarii ,  qui  étoient  prépofés  pour  les  ades  de  jurifdi6tion  volontaire ,  comme 
(émancipation ,  adoptions ,  contrats  6c  teftamens. 


GRAND-CHANCILIER  D» ANGLETERRE.     ,a^j 

Quoique,  le  Chancelier  fût  d'abord  le  dernier  dans  Tordre  de  m\ls  lç$ 
fçribçs  du  juge,  comme  il  paroit  au  livre  de  la  notice  de  P Empire^  iSc 
au  titre  du  code  de  ajfcjjbribus ,  domejlicis  &  cancellariis  judicum  ;  il  fut 
Qéanmoin%  daos  la  luite  en  plus  grande  confidération  que  les  autres,  parce 
que  c'étoic  le  feul  auquel  les  parties  euifenc  affaire.  On  en  peut  juger  par 
ce  que  dit  Cafliodore  à  Ton  Chancelier ,  dans  fa  première  épitre  du  fécond 
livre.  Qiiamyis  Jlatutis  gradibus  omnis  militia  peragatur^  tuus  honor  cog^ 
nofcitur  foUmni  ordine  non  ttntri ,  qui  fuis  primatibus  mcruit  annponi: 
Tibi  enim  reddunt  obfequia ,  qui  u  prceire  nojcuntur ,  &  rejîexa  conditionc 
juftitice ,  ilUs  reverendus  afpiccris ,  quos  fubfequi  pojfe  monflraris^  Cafliodore 
ajoute  que  l'honneur  du  juge  dépendoit  de  lui ,  parce  qu^il  gardoir ,  fignoic 
&  délivroit  aux  parties  les  expéditions  ;  Jujfa  nofira  fine  ftudio  venalitatis 
expédias ,  omnia  ficque  gcras^  ut  nojlram  pojjis  commendare  jujlitiam  ;  aclus 
enim  tui^  judicis  opinio  tfi;  &  Jicut  penctrale  domus  deforihuspotejl  con^ 
grucnttr  inteUigi ,  fie  mens  prajulis  de  te  probatur  agnofci. 

Dans  la  première  épitre  du  livre  douze ,  il  dit  encore  à  (on  Chancelier  : 
Fafces  tibi  judicum  parent  ;  &  dum  jujfa  prœtorianœ  fiidis  portare  crederis  ^ 
ipjam  quodam  modo  potefiattm  reverendus  ajfumis.  Cette  même  épitre  nou$ 
apprend  que  c'étoit  alors  le  préfet  du  prétoire ,  qui  choififToit  les  Chance- 
liers  des  Gouverneurs  des  Provinces^  qu'il  leur  donna  comme  des  contrô^ 
leurs  de  leurs  aâions;  ce  qui  augmenta  beaucoup  la  confîdération  dans  Ia« 
quelle  étoit  déjà  TofRce  de  Chancelier  ;  de  forte  qu'enfin  on  entendit  fou$ 
ce  nom ,  ceux  qui  faifoient  toutes  les  expéditions  des  grands  M agtflrats. 


GRAND-CHANCELIER  D'ANGLETERRE. 

V.^'EsT  un  grand-officier  de  la  Couronne  Britannique^  lequel  depuis 
prés  de  400  ans,  ne  voitaudeffus  de  lui  dans  le  Royaume,  que  le  Sou- 
verain ,  les  membres  de  la  famille  Royale ,  &  l'Archevêque  de  Cantorbéry. 
L'an  1399,  il  cédoit  encore  le  pas  au  grand  Sénéchal  [the  Lord  high  S  ter* 
ward)'i  mais  à. cette  époque,  là  charge  de  celui-ci,  jufques  là  hérédii- 
taire,  &  alors  exercée  par  Henri  de  Bolingbroke,  qui  monta  fur  le  Trône 
ibus  le  nom  d'Henri  IV;  à  cette  époque,  dis- je,  la  charge  de  grand  Sé^ 
néchal  ayant  été  abolie ,  pour  ne  plus  revivre  que  dans  certains  jours  rare» 
&  folemnels,  celle  de  Grand-Chancelier  devînt  la  première.  Elle  cfl,  quant 
à  fes  fondions,  de  la  plus  ancienne  date.  La  Monarchie  Angloife  une  fois 
fixée  par  Egbert  dans  le  IX«.  ficcle ,  &  les  fujets  de  l'Etat  une  fois  fournis 
âk  des  loix  publiques  par  Edouard  le  ConfcfTeur  dans  l'onzième  ,  l'on  ne  voit 
aucun  tems  dans  les  Annales  de  ce  pays ,  où  la  charge  de  Chancelier  n'ait 
cxiflé.  L'on  n'en  voit  aucun  non  plus ,  jufques  au  régne  d'Henri  VIII ,  oii 
elle  n'ait  été  remplie  par  des  gens  d'Eglife ,  tant  à  raifon  du  long  afcear 


26^  GRAND^CHA^CÈLÏER  P'ANÔLETERRE. 

dant  de  ces  gens  là ,  fur  refprit  des  Rois  &  des  Nations ,  que  parce  qu^èa 
vérité  les  laïques  d'un  certain  rang  croupifToient  prefque  par-tout  dans  l'i- 
gnorance ,  ou  n^avoient  de  goût  &  de  talons ,  que  pour  le  métier  des  ar« 
mes.  L'on  fait  quel  effet  produiiît  en  Europe ,  le  mélange  bizarre  des  mo- 
des gothiques ,  lombardes.  &  religieufes ,  mis  à  la  place  des  anciens  ufages 
romains  :  là  capacité  individuelle  de  chaque  homme  laïque  en  parut ,  pour 
ainfi  dire^  mutilée;  il  y  eut  comme  un  fchifme  dans  les  emplois  néceflai- 
res  aux  Etats  ;  il  y  eut  églife  »  il  y  eut  robe ,  il  y  eut  épée  :  un  même 
homme  ne  fut  plus  à  la  fois  juge  ^  prêtre  &  foldat  ;  &  le  feul  adouciflè* 
ment  apporté  à  la  rigueur  du  fchifme,  fut  la  réunion  affez  fréquente ^  à  la 
vérité ,  des  emplois  de  la  robe  avec  ceux  de  l'Eglife. 

Sous  Henri  VIII,  comme  on  l'a  dit,  les  chofes  changèrent  en  Angleter- 
re, à  cet  égard,  comme  à  bien  d'autres  :  &  fi  ,  comme  quelques  uns  l'ont 
écrit,  la  célébrité  n'eft  devenue  fon  partage,  qu'après  avoir  été  celui  ^e 
toutes  les  autres  contrées  de  l'Europe ,  l'on  peut  bien  conclure  de  l'illuftra- 
tion  qui  couvre  aujourd'hui  cet  Etat,  que  pour  l'établiffement  de  fa  ré- 
putation ,  il  n'y  a  pas  eu  de  péril  dans  le  retard  :  mais  enfin ,  le  Cheva- 
lier More,  plus  connu  fous  le  nom  de  Thomas  Mo  rus  ^  fut  en  Angleterre, 
le  premier  laïque  revêtu  de  la  charge  de  Chancelier  ;  il  fuccéda  à  l'ambi- 
tieux cardinal  wolfey,  qui  fans  mourir  fur  un  échafFaud,  comme  lui,  fiit 
beaucoup  plus  malheureux,  parce  que  dans  la  difgrace  où  tous  deux  tom- 
bèrent ,  on  ne  pouvoit  pas  dire  de  Wolfey  comme  de  Morus  /î  fraâus 
iUabatur  orbis  ,  impavidum  ferlent  ruinœ.  Ce  Morus  n'eft  pas  le  feul  grand 
homme  qui  ait  été  Chancelier  d'Angleterre  :  Bacon  &  Clarendon  l'ont  été; 
Sommers  l'a  été,  &  de  nos  jours  on  en  a  vu,  dont  nos  neveux  diront, 
fans  doute ,  le  bien  que  nous  en  penfons. 

Depuis  Tunion  de  l'Ecoffe  Hi  l'Angleterre^  .le  Grand-Chancelier  de  ce 
dernier  Royaume,  a  pris  le  titre  de  Grand-Chancelier  de  la  Grande-BrC" 
tagne.  On  l'appelle  en  \7LXÏnfummus  Cancellarius  ;  &  comme  il  eft  en  même 
tems  garde  du  grand  fceau ,  on  l'appelle  auflî  magni  figllli  cuftos  :  on  l'ap- 
pelle encore ,  garde  ou  dépofitaire  de  la  confcience  du  Roi ,  &  cela  relati- 
Arement  à  la  belle  ,  gracieufe,  &  majeftueufe  fonâton  de  juge  d'équîré, 
qu'il  a  quelquefois  à  remplir,  &  qui  le  fuppofant  exercer  l'autorité  Roya- 
le ,  dans  fes  devoirs  les  plus  importans ,  le  met  en  droit  de  mitiger  le  (ens 
des  loix ,  &  d'en  foulager  le  fardeau ,  en  faveur  des  fujecs  .qui  font  admis 
à  s'en  plaindre. 

La  réunion  des  charges  de  Chancelier  &  de  Garde  du  grand  Sceau  d'An- 
gleterre ,  eft  ordinaire  dans  la  même  perfonne ,  fans  cependant  être  conf- 
tante  :  l'on  n'y  voit  jamais  de  Chanceliers  qui  ne  foient  en  même  tems 


fxiiflion,  ou  exercées  par  ComtnilTaires }  le  cas  a  eu  iiçu  l'an  1770 ,  avec 

des 


ÇRAND-CHANCELIER  D^ANGLETERRR  1^5 

fles  circonftances ,  qui  occuperont  fans  doute  un  jour  les  faifêurs  d^anec- 
dotes. 

Ces  deux  charges  font  de  la  plus  grande  importance ,  &  s^exercent  du^ 
rantthtnt  placito  régis.  Elles  font  les  mêmes  quant  au  pouvoir ,  aux  préé* 
mioences  &  à  Pautorité  qu'elles  donnent  ;  mais  elles  femblent  différer 
quant  à  la  dignité  qu'elles  (uppofent.  Le  Garde  du  grand  Sceau  e(l  (impie- 
ment  créé  par  l'adminiftration  du  ferment,  &  pcr  traditiontm  magni JigiUi 
fihi  pcr  dominum  rcgcm  ;  au  lieu  qu'indépendamment  de  ces  deux  forma-* 
lités,  l'élévation  à  la  charge  de  Chancelier  »  efl  encorç  accompagnée  de 
lettres-patentes ,  qui  la  confirment. 

Unies  ou  féparées ,  ces  deux  charges  donnent  place  dans  le  Confeil  Privé 
du  Roi,  &  dans  la  Chambre  haute  du  Parlement  :  ici,  comme  orateur  ou 
président  de  cette  Chambre ,  &  là ,  comme  premier  membre  laïque.  Celui 
qui  en  eft  revêtu  ne  fe  montre  jamais  en  public  fans  la  malTe  &  le  grand 
oceau ,  fymbole  de  fon  office  ;  il  tient  la  cour  de  Chancellerie  dont  on  va 
parler  ;  il  munit  de  fa  fanâion  toute  patente ,  commiffion  »  conceffion ,  & 
autres  aâes  émanés  de  la  part  du  Roi  ;  &  par  un  attribut ,  dont  on  fent 
bien  que  l'origine  eft  antérieure  au  rems  de  Thomas  Morus ,  il  difpofe  de 
ceux  d'entre  les  Bénéfices  Eccléfiaftiques  dépendans  de  la  Couronne,  qui^ 
dans  la  feuille  du  Roi ,  ne  font  pas  évalués  à  plus  de  vingt  livres  fferiing 
par  an.  Son  falaire  annuel  efl  de  fept  mille  livres  flerling ,  &  (es  autres 
avantages  lucratifs  confiflent  dans  une  gratification  pécuniaire  que  le  Roi 
lui  fait  en  le  créant,  &  dans  une  penfion  que  fa  Majefté  lui  afligne,  lors 
qu'elle  le  congédie. 

La  Cour  de  Chancellerie  d'Angleterre ,  le  premier  &  le  plus  ancien  des 
Tribunaux  civils  de  ce  pays-là ,  eft  à  la  fois  une  cour  de  juflice ,  &  une 
cour  d'équité.  Comme  cour  de  juftice ,  elle  exige  dans  la  plaidoierie  à-peu- 
prés  les  mêmes  formalités  que  les  autres  Tribunaux.  L'on  y  procède  par 
plainte  formée ,  examen  ou  audition  de  témoins ,  &  citations  ;  &  fi  une 
première  citation  n'eft  pas  écoutée,  il  s'en  fait  une  féconde ,  avec  menace 
de  faifir;  &  fi  cette  dernière  encore  eft  vaine,  alors  la  cour  proclame  le 
refraâaire  comme  rebelle ,  &  des  ordres  font  donnés ,  pour  qu'il  foit  pris 
par-tout  où  on  le  trouvera ,  &  conduit  à  la  prifon  civile  :  cette  cour  pro« 
nonce  fuivant  les  ftatuts  &  coutumes  du  Royaume.  Comme  cour  d'équité, 
la  cour  de  Chancellerie  modifie  &  tempère  le  fens  rigoureux  des  loix ,  & 
prononce  abfolument  en  confcience ,  mais  en  confcience  Royale ,  c*eft-à« 
dire ,  bonne ,  fans  affeétion ,  fans  haine ,  fans  partialité.  Une  obfervation 
à  faire  fur  cette  cour  de  Chancellerie  en  général ,  c'eft  que  les  fentences 
qui  en  fortent ,  n'ont  force  que  fur  les  perfonnes ,  &  nullement  fur  lea 
biens  ou  les  terres  de  ceux  qu'elles  concernent;  enforte  que  s'il  s'agit  de 
les  fiiire  exécuter  par  contrainte,  il  n'y  a  point  d'autre  voie  à  fuivre  que 
la  prifon.  Du  refte ,  il  y  a  appel  de  ces  fentences ,  comme  de  celles  des 
autres  Tribunaux  (kl  Royaume ,  par* devant  la  Chambre  haute  du  parle-* 

Tome  XI.  L  l 


266  GRAND-CHANCELIER  D^ANGLETERRE. 

ment  de  la  Grande-Bretagne.  Mais  une  différence  eflentielle  entre  ces  au« 
très  Tribunaux  &  celui  de  la  Chancellerie,  c'eft  que  ceux-là,  compofés 
chacun  de  pluHeurs  juges ,   ne  font  acceflibles  qu'aux  quatres  termes  an- 
nuels  fixés  par  les  loix;  au  lieu  que  celui-ci,  qui  n'eft  que  d'un  feul  juge, 
favoir  le  Grand  Chancelier,  efl  d'un  accès  confiamment  ouvert,  dans  les 
tems  de  vacances  ou  de  fériés,  comme  dans  tout  le  refte  de  l'année  :  inf* 
ticué  pour  l'avantage  commun  &  particulier  de  tous  les  fujets  de  l'Ëtat^ 
il  efl,  de  fa  nature,   le  recours  perpétuel  de  quiconque  fe  trouve  prefTé, 
foît  de  vuîder  un  différend ,  foit  de  fe  relever  d'une  informalité ,  loit  de 
fe  prévaloir  de  la  loi  dite  habcas  corpus.  Le  Grand  Chancelier ,  dans  tous 
ces  cas,  efi  en  droit  de  prononcer  tels  jugemens,  de  faire  telles  prohibi- 
tions ,  &  d'accorder  telles  allibérations ,  qu'il  juge  convenables.  Il  eft  en- 
core en  droit,  &  ce  n'efl  pas  la  portion  la  moins  éminente  &  la  moins 
importante  de  fon  autorité ,  il  eft  en  droit  de  donner  des  commiffions  dans 
tout  le  Royatmie,  pour  les  levées  de  deniers  deflinés  à  des  ufages  chanta* 
blés;  &  infpeôeur  fuprême  de  lu  conduite  des  commis  à  ces  levées,  c'eft 
à  lui  de  connoitre  de  la  fraude  &  des  abus  qui  s'y  commettent.  Enfin  c'eft 
à  lui,  ou  à  fa  cour,  que  font  comptables  de  leur  geltion,  tous  ceux  qui 
par  la  volonté  particulière  de  quelques  donateurs ,  font  connus  pour  dépo* 
fitaires,  ou  pour  adminiftrareurs  de  quelques  donations* 

Tant  de  droits  ,  tant  d'autorité ,  tant  d'importance ,  dans  la  cour  de 
Chancellerie  d'Angleterre,  lui  fuppofent  des  lumières  fans  bornes ,  un  tra- 
vail fans  relâche  ,  &  une  intégrité  fans  tache.  L'on  a  lieu  d'y  cherchera 
merveille  de  Jurificonfultcs  conlommés,  d'Avocats  que  rien  n'étonne,  &d« 
Jugés  que  rien  ne  dévoie  ;  &  (i  cette  merveille  doit  être  quelque  part  fous 
les  cieux,  les  loix  d'Angleterre  ont  voulu  qu'elle  fe  trouvât  dans  cette  cour 
de  Chancellerie  :  mais  â  côté  de  ce  qu'il  peut  y  avoir  d'hypothétique  daos 
la  chofe ,  fe  place  un  fait  qui  réellement  tient  du  prodige  ,  c'eft  qu'un 
feul  homme  foit  Juge  dans  cette  cour^  le  Grand-Chancelier  d'Angleterre 
eil  ce  feul  Juge  ,  &  les  afliftans  qu'on  lui  donne  n'ont  pas  même  le  titre 
de  Confeillers  :  ils  ne  font  appelles  que  maîtres  en  Chancellerie ,  &  bien 
que  cenfés  Doéleurs  en  droite,  les  fondions  de  détail  dont  chacun  d'eux 
e(l  chargé ,  ne  les  réduifent  guère  qu^au  pied  de  (impies  rapporteurs  :  ils 
font  au  nombre  de  douze ,  &  à  leur  tête  eft  le  maître  des  rôles ,  dont 
l'office  efl  de  tenir  la  cour,  quand  le  Chancelier  s'en  abfente.  11  y  a  iîx 
clercs  principaux  pour  l'expédition  des  aâes  ,  quatre-vingt-dix  pour  les  en- 
regiftremens.,  &  une  multitude  d^autres  fubal ternes  fervant  la  cour,  &l'eni- 
barraflTant  :  comme  toute  armée  a  fes  bagages ,  toute  cour  de  juftice  a 
les  valets. 

Il  y  a  auffî  en  Ecofle  &  en  Irlande  un  Chancelier  qui  a  la  garde  du 
Grand  Sceau  du  Royaume,  Ces  Chanceliers  font  établis  à-peu- prés  fur  le 
même  pied  que  celui  d'Angleterre, 


.CHANCET.IFR  DE  UARCHIDUC  IVAUTRICHE.      x^j 


CHANCELIER   DE   L»ARCHIDUC   D'AUTRICHE. 

X  L  porte  le  fceau  de  l'Archiduc ,  &  hxt  auprès  de  lui  toutes  les  autres 
fonâioQs  que  font  les  autres  Chanceliers  des  Princes  fouverains.  Cet  office 


que  quand  l'Archiduc  vint  à  Arras  pour 
Chancelier  de  France  la  foi  &  hommage  qu'il  devoir  au  Roi  pour  fes  Pai- 
ries &  Comtés  de  Flandres ,  d'Artois  &  de  Charolois  ,  le  Chancelier  de 
France  étant  à  une  lieue  d'Arras ,  meffire  Thomas  de  Pleurre ,  Evêque  de 
Cambrai ,  Chancelier  de  PArchiduc ,  accompagné  du  Comte  de  Nauau  Se 
de  plufieurs  autres  Seigneurs  de  marque ,  vinrent  faluer  le  Chancelier  de 
France  de  la  part  de  leur  maître. 


I 


CHANCELIER    DE    BOHÊME, 


L  a  la  garde  du  fceau  du  Roi  de  Bohême.  La  Chancellerie  eft  toujours 
à  la  fuite  de  la  cour.  Il  y  a  aufli  un  Grand-Chancelier  en  SiléHe ,  qui  efl 
piréiident  du  confeil  fupérieur.  En  1368,  le  Chancelier  de  Bohême  avoit 
un  hôtel  à  Paris. 


*. 


CHANCELIER    DE    D  A  N  E  M  A  R  C. 

v^  'EST  un  des  grands  Officiers  de  la  couronne ,  qui  a  la  garde  du  fceau 
Royal.  11  efl  le  chef  d'un  confeil  appelle  la  Chancellerie  ;  &  en  cette  qua-* 
iité  il  a  entrée  au  confeil  d'Etat,  de  même  que  tous  les  chefs  des  autres 
confeils.  Le  Chancelier  particulier  du  Duché  d'Holftein  y  a  auffi  entrée* 
L'appel  des  Juges  Royaux  de  Danemarc  reflbrtit  au  confeii  de  la  Chan- 
cellerie. On  appelle  enfuite  du  Chancelier  au  confeil  du  Roi  ou  d'Etat, 
auquel  le  Roi  préfide.  Il  y  a  auffi  un  autre  confeil ,  appelle  le  confeil  de 
jvftict ,  qui  a  pour  chef  le  Grand- Juflicier  ,  Officier  dilBFérent  du  Chance- 
lier. Quand  il  y  a  quelque  plainte  contre  un  Juge,  on  le  fait  citer  par  un 
Officier  de  la  Chancellerie  aux  grands*jours  que  le  Roi  tient  de  temps  en 
temps ,  pour  examiner  la  conduite  des  Juges  fubalternes. 


Ll  2 


a6S 


CHANCE  tIBR    DE    L»  ECHIQUIER. 


CHANCELIER    DEL»  ECHIQUIER 


o  u 


GRAND-CHANCELIER  DE  LA  COUR  DE  L'ECHIQUIER. 

C^  *EST  un  des  Juges  de  la  cour  des  finances  d'Angleterre  qu'on  appelle 
Aufli  cour  de  F  Echiquier.  Le  Chancelier  y  fiége  après  le  Grand-Tréforier  ; 
nuûs  ces  deux  Officiers  s*y  trouvent  rarement.    Voyc{^  ECHIQUIER. 


CHANCELIER, 

O    u 

GRAND-CHANCELIER 

O    V 

ARCHICHANCELIER    de  PEmpin  ou  du  Sairu-Empat 

Romain. 


U 


'  N  Archevêque  de  Saitzbourg,  nommé  Théotmar,    eft  le  premier 
Archichincelier  de  l'Empire,  dont  il  foit  fiiit  mention  dans  Thiftoirc.  11  vi- 
▼oit  dans  le  IX*.  &  X«.  fiecle ,  &  officia ,  comme  Archichancelier ,  foui 
les  Empereurs  Arnoiild  &  Louis  IV,  dit  l'Enfant.   L'on  donne  à  ce  grand 
Officier  un    nom  &   une  époque;   mais  voilà  touc  :  on  ne  dit  point  en 
quoi  confiftoit  (a  charge.   Et  c'eft  ainfi  que  ces  temps  reculés  &  obfcurs, 
quant  aux  détails  du  Gouvernement  Germanique,  nous  laiflent  ignorer,  ou 
en  tout  ou  en  partie ,   les  premiers  attributs  de  la  plupart  des  offices  & 
dignités  de  l'Eut.  Ils  nous  font  voir  des  Rois ,   des  Empereurs ,  des  mai* 
très,  &  quelquefois  auffi  des  peuples  en  afKon;  mais  les  minières  ou  fêr«> 
viceurs  de  pes  maîtres ,  les  snftrumens  de  leurs  volontés ,  font  derrière  le 
rideau ,  &  nous  font  cachés  comme  des  machines  d'opéra.  L'on  diroit  que  i 


CHANCELIER    DE    L' EMPIRE.  %6f 

Bâles  de  Meczy  foie  celles  de  Fulde,  (bit  les  chroniques  de  Reginon  Abbé 
de  Pnim ,  ou  celles  de  S.  Gall ,  ou  celles  de  Corbie ,  ou  celles  de  Wirtz- 
bourg,  non  plus  que  les  œuvres  de  Luitprand.  Il  eft  pourtant  une  forte  de 
gens  fubahernes  ^  que  le  théâtre  de  ces  temps-  là  nous  montre  affez  conf» 
tamment  à  côté  des  Souverains;  ce  font  les  Moines  &  les  Eccléfiaftiques , 
it  la  perfbnne  defquels  sVtachoient  au(fî  pour  l'ordinaire,  la  plupart  des 
emplois  considérables ,  que  les  Princes  avoient  pour  lors  à  confërer  :  No 
Bishop  ,  ne  King  ;  s* il  rùtft  point  {tEvéque ,  il  ne  fera  point  de  Rois  ,  di« 
Ibit  Jacques  I  d'Angleterre,  homme  favant,  &  rien  de  plus;  &  quand  il 
difoit  cela,  il  avoit  fans  doute  préfente  à  Pefprit,  lliiftoire  de  l'Europe  mo« 
derne,  dans  fes  premiers  (iecles. 

Nous  n'avons  donc  que  peu  de  lumières  fur  la  charge,  TofHce  &  lâ 
dignité  d'Archichancelier  de  l'Empire  dans  fon  origine  ;   &  s'il  eft  quel*- 

2ue  conjeâure  à  former  à  cet  égard,  c'eft  que  celui  qui  en  étoit  revêtu, 
jfoit  apparemment  les  fon£Kons  de  premier  Secrétaire  d'Etat. 
De  Théotmar,  \  Hildeberg»  Archichancelier  fous  Othon- le -grand,  la 
charge  dont  il  s'agit ,  pafla  indifféremment  à  d'autres  Archevêques  de  Saltz- 
bonrg,  de  Trêves  &  de  Mayence.  Sous  le  même  Ochon,  &  l'an  940,  k 
la  difgrace  dé  Frédéric  Archevêque  de  Mayence,  elle  fut  mife  en  corn* 
miffîon ,  entre  les  mains  des  Archevêques  de  Trêves ,  de  Saltzbourg ,  Se 
de  Cologne;  mais  dès  l'an  96$  elle  fut  rendue,  &  pour  toujours,  au  fîege 
de  Mayence,  qui  en  rempliflbit  alors  les  fonâions,  pour  la  Germanie , 
pour  l'Italie ,  &  pour  les  Gaules.  Sous  l'Empereur  Henri  II ,  il  fe  fît  «a 
démembrement  dans  cette  charge;  Tltalie  eut  fon  propre  Archichancelier, 
6c  l'on  vit  d'abord  deux  Evéques  de  Bamberg  le  devenir  fucceffîvement  : 
ï  la  mort  du  dernier  de  ces  Evéques ,  l'Archevêque  de  Cologne  fut  pour 
jamais  pourvu  de  l'emploi.  Sous  Frédéric  Barberouffe,  un  autre  démem* 
brement  eut  lieu  :  ce  Prince ,  rénovateur  du  Royaume  d'Arles ,  voulut  y 
avoir  un  Archichancelier,  &  pour  cet  effet,  il  créa  tel,  l'Archevêque  de 
Vienne  dans  les  Gaules,  l'an  11^6.  Mais  fous  Rodolphe  d'Habfbourg,  vers 
û  fin  du  XIII^.  (iecle  ,  le  Royaume  d'Arles ,  quant  à  fa  réalité ,  s'étant  peu- 
è-peu  détaché  de  l'Empire,  &  là  majefté  de  celui-ci  ne  lui  ayant  pas  per- 
mis d^en  abandoiner  l'honorifique ,  l'Archevêque  de  Trêves  prit  la  place' 
de  celui  de  Vienne,  &  il  n'a  pas  ceffê  dés-Iors,  de  fe  dire  Archichance- 
lier de  l'Empire  dans  les  Gaules.  Enfin ,  la  bulle  d'or ,  donnée  par  Char- 
le$  IV,  l'an  13;^,  confirma  pleinement  les  Archevêques  de  Mayence  ^ 
de  Trêves  &  de  Cologne ,  dans  leurs  charges  refpeâives  d'Arcfaichanceliers 
do  St.  Empire ,  en  Allemagne ,  dans  les  Gaules  &  en  Italie. 

Depuis  long- temps ,  la  charge  des  deux  derniers  n'efl  plus  que  titulaire  ; 
elle  n'exifte  plus  dans  les  qualifications  des  Eleâeurs  de  Trêves  &  de  Co« 
logne ,  &  c'eft  cotnme  chez  bien  d'autres  Princes  ,  l'indice  de  ce  qu'ils 
ont  été  9  &  non  point  la  marque  de  ^e  qu'ils  font  ;  car  c'efi  une  obfer- 

vadoo  aflez  générale,  que  foie  méfiance  de  ce  que  l'on  efi  aâueUement, 


^70  C  H  A  N  C  E  L  I  E  R    D  E    r  E  M  P  r  R  £• 

(bit  fouvenir  flatteur  de  ce  que  Ton  a  été  autrefois ,  Ton  fe  difpenfe  r^te^ 
ment  d'appeller  le  pafTé  au  (ecours  du  préfent ,  quand  il  s'agit  de  fe  &ire 
confîdérer.  Mais  enfin ,  l'Archevêque  Êleâeur  de  Mayence  ,  eft  en  effet 
depuis  plufieurs  fiecles,  le  fcul  Archtchancelier  du  St.  Empire,  en  Aile* 
magne,  dans  les  Gaules  &  en  Italie.  Les  réfidus  qui  peuvent  encore  fe 
trouver  des  anciens  Royaumes  d'Arles  &  d'Italie  y  reflbrtiffent  de  la  charge 
de  ce  Prince,  tout  aum  bien  que  les  Etats  aâuels  de  l'Allemagne;  &  il 
eft  à  perpétuité  en  vertu  de  cette  charge ,  le  direâeur-général  de  la  diète 
de  l'Empire,  le  doyen  &  le  direéleur  particulier  du  collège  Ëleâoral,  l'inf» 
peâeurou  vifitateur  de  la  Chambre  Impériale,  &  du^Confeil  Auliquè ,  le 
garde  fuprême  des  Archives  Impériales,  &  le  proceâeur  des  poftes  de  l'Em- 
pire ,  pour  l'ufage  defquelles  aufli ,  les  Confeillers  qui  font  au  fervice  de 
ce  Prince,  n'ont  rien  à  payer. 

Far  cette  charge ,  plutôt  que  par  fa  dignité  d'Archevêque ,  l'Eleâeur  de 
Mayence  eft  la  première  perfonne  de  l'Empire ,   après  l'Empereur.   A  la 
mort  de  l'Eleâeur  Lothaire  François  de  Schonborn,  arrivée  l'an  1729,  il 
s'éleva  des  doutes  dans  l'Empire  ,   &  des  difficultés  particulières  entre  le 
chapitre  de  Mayence ,  l'Eleôeur  de  Trêves ,  &  l'Eleâeur  de  Saxe ,  au  fu-^ 
jet  de  la  préféance  ,  &  des  fondions  attachées  à  cette  charge ,  pendant  la 
vacance  du  fiege.  Le  chapitre  de  Mayence  qui  envifageoit  ces  choies  comme 
àes  attributs  de  fon  Eglife ,  vouloit  conféquemment  avoir  l'une  &  faite  les 
autres.  L'Elefleur  de  Trêves  y  prétendoit ,  comme  ayant  le  pas  immédia* 
tement  après  Mayence  ;  &  l'Eleâeur  de  Saxe  de  fon  côté ,  foutenant  que 
I4  charge  d'Archichancelier  du  St.  Empire^  n'étoit  attachée  ni  à  l'Eleâo- 
rat,  ni  à  l'Archiépifcopat  de  Mayence,  mais  à  la  perfonne  même  de  l'Ar-* 
chevêque  Eleâeur,  en  concluoit,  qu'à  défaut  de  cette  perfonne,  l'exercice 
de  la  charge ,  &  tous  fes  droits ,  ne  dévoient  être  remis  qu'à  lui  feul ,  i 
caufe  de  fa  qualité  d'Archimaréchal  du  St.  Empire.  La  diète,  indécifefur 
la  queftion,  laifla  écouler,   en  proteftations  réciproques,  le  temps  que  le 
chapitre  de  Mayence  mit  à  fe  donner  un  nouveau  chef,  &  ce  chef  une 
fois  élu ,  la  difpute  tomba. 

C'eft  l'Archichancelier  de  l'Empire,  qui,  à  la  mort  de  l'Empereur,  fait 
les  notifications  ufitées  aux  ]Eleâeurs  fes  collègues ,  &  qui  les  convoque  à 
une  diète  d'éleâion ,  pour  remplacer  le  décédé.  C'eft  lui  encore  qui  pré- 
iidant  à  cette  éleâion ,  fait  prêter  les  fermens  accoutumés ,  recueille  les 
voix ,  &  annonce  enfuite  l'Empereur ,  que  la  pluralité  des  fufirages  vient 
de  nommer  ;  fa  propre  voix  n'eft  pas  omife  dans  l'éleâion ,  &  l'ufage 
veut  que  ce  foit  l'Eleéleur  de  Saxe,  qui  la  lui  demande. 


qui  reçoit  les  propofitioi 
l'Empereur,  &  qui  les  préfente  aux  Etats;  &  cette  tache  remplip,  il  co 


CHANCELIER    DE    U  EMPIRE.  ayi 

peut  présenter  d^autres  de  Ton  chef ,  ou  de  la  part  de  quelqu'autre,  membre 
de  la  diète,  fans  que  TEmpereur,  ou  fes  CommifTaires ,  aient  la  &culté  de 
le  reflreindre  ou  de  le  gêner  en  manière  quelconque.  Enfin  c'eft  auprès  de 
lui,  ou  auprès  de  fes  envoyés,  que  tout  Ambafladeur,  Miniftre,  ou  Député 
ii  la  diète,  foie  étranger,  foit  de  l'Empire,  doit  fe  légitimer  »  par  l'exhi- 
bition formelle  des  lettres  de  créance  ordinaires. 

Quant  à  la  chambre  impériale,  &  au  confeil  aulique,  l'Archichancelier 
en  fait  les  vifites,  quand  il  y  a  lieu,  &  y  rétablit  Tordre,  lorfqu'il  le 
faut.  Son  autorité  s'étend  à  revoir  les  aâes  de  la  chambre  dans  les  cas  de 
plaintes ,  &  à  remplir  à  Ton  choix  toutes  les  places  qui  viennent  à  vaquer 
dans  la  chancellerie  de  ce  tribunal.  C'eft  aufli  lui  qui,  dans  le  confeil  auli- 
que ,  nomme  le  vice-Chancelier  de  l'Empire ,  &  tous  les  fecrétaires ,  re«> 
giftrateurs ,  &c.  de  ce  confeil ,  lefquels  pleinement  fournis  à  fa  jurifdiâion^ 
lui  prêtent  tous  en  conféquence  un  ferment  particulier. 

Enfin  l'Archichancelier  de  l'Empire  fut  fait  proteâeur  ou  fur-intendant 
des  pofles  de  l'Empire  l'an  i6i{,  jufqu'à  l'époque  oii  le  Prince  de  la  Touc 
&  Taxis  en  devint  Grand- Maître  héréditaire. 

La  chancellerie  de  l'Empire ,  étant  un  bureau  d'expéditions ,  Se  non  point 
une  cour  de  jufiice,  elle  n'a  pour  membres,  après  FArchichancelier  &  le 
vice-Chancelier,  qui  font  fes  chefs,  que  des  référendaires,  des  fecrétaires ^ 
des  regiflrateurs  &  des  copifles.  Ce  bureau  eft  cenfé  toujours  ouvert  dans 
le  lieu  où  réfide  l'Empereur;  &  voilà  pourquoi  l'Archichancelier,  qui  ne 
peut  être  fédentaire  dans  ce  lieu ,  s'y  fait  conftamment  repréfenter  par  un 
vice-Chancelier,  lequel  ne  quitte  pas  la  cour  impériale,  &  eft  toujours  un 
feigneur  du  premier  rang  :  c'eft  aujourd'hui  un  Comte  Je  Colloredo^  &  c'eft 
la  (èconde  perfonne  du  confeil  aulique.  Tout  ce  qui  fort  de  la  chancellerie 
de  l'Empire ,  à  titres  de  lettres ,  de  patentes  ,  de  diplômes ,  de  conceffîons , 
ou  autres  aâes ,  doit  paflTer  fous  les  yeux  du  vice-Chancelier.  La  diète  de 
Spire  de  l'an  1^70  fit  pour  cette  chancellerie,  &  pour  fes  émolumens,  un 
règlement  qui  fubfifte  encore  dans  fa  forme ,  mais  donc  on  ne  croit  pas  que 
la  teneur  ait  toujours  été  inviolablement  fui  vie.  L'on  fait  au  moins ,  qu'à 


ceux  qui  ont  de  quoi  les  payer. 


A7»     CHANCELIER  ou  GRAND  CHANCELIER  D'ESPAGNE. 


CHANCELIER 

te 

o  u 

GRAND    CHANCELIER    D' ESPAGNE. 

V^ETTE  dignité  a  dans  ce  royaume  la  même  origine  qu^en  France, 
&  le  Chancelier  d'Efpagne  jouifToit  autrefois  des  mêmes  honneurs  &  préro- 
gativeis,  c'eft*à-dire ,  qu'il  préfidoit  à  tous  les  tribunaux  fouverains^  dont 
quelques*uns  ont  même  emprunté  le  titre  de  chancellerie  qu'ils  conferveot 
encore.    Voye^  Chancellerie. 

Sous  les  rois  Goths,  qui  commencèrent  à  établir  leur  domination  en  Es- 
pagne vers  le  milieu  du  cinquième  iiecle,  celui  qui  faifoic  la  fonâion  de 
Chancelier  étoit  le  premier  des  notaires  ou  fecrétaires  de  la  cour;  c^eft 
pourquoi  on  l'appelloit  Comte  des  notaires  ^  pour  dire  qu'il  en  étoit  le  chefi 
c'ell  ce  qu'indiquent  divers  aâes  des  conciles  de  Tolède. 

Ce  même  titre  de  comte  des  notaires  fe  perpétua  dans  le  royaume  de 
Cafiille,  &  dans  ceux  de  Léon  &  d'Oviede,  jufqu'au  règne  de  dom  Alphonfe 
furnommé  lefaint^  lequel  en  ii){  ayant  pris  le  titre  d'Empereur,  appella 
ies  fecrétaires  chanceliers ,  à  Vinjlar  de  ceux  des  Empereurs  Romains  qui 
^toient  ainfi  appelles.  On  en  trouve  la  preuve  dans  plufieurs  anciens  privi- 
lèges I  qui  font  fcellés  par  des  Chancelliers. 

Le  doâeur  Salazar  de  Mendoza,  (  ch.  vj.  de  fon  traité  des  dignités  fécu" 
Itères  )  attefte  que  les  premiers  qui  prirent  ce  titre  de  Chancelier  étoient 
des  François,  &  il  en  nomme  plufieurs. 

L'office  de  Chancelier  étoit  autrefois  en  une  telle  conHdération ,  que  le 
roi  dom  Alphonfe  {  %  loi  de  la  L  partie  tit.  ix.  )  dit  que  le  Chancelier  eft 
le  fécond  officier  de  la  couronne  ;  qu'il  tient  la  place  immédiate  encre  le 
Roi  &  fes  fujets  ^  parce  oue  tous  les  décrets  qu'il  donne  doivent  être  vus 
par  le  Chancelier  avant  d'être  fcellés ,  afin  qu'il  examine ,  s'ils  font  contre 
le  droit  &  l'honneur  du  Roi ,  auquel  cas ,  il  les  peut  déchirer.  Ce  même 
prince  l'appelle  masifier  facri  fcrinii  libcllorum. 

Les  archevêques  de  Tolède  étoient  ordinairement  Chanceliers  de  Caitillei 
&  ceux  de  S,  Jacques  l'étoient  de  Léon, 

Le  Chancelier  fut  le  chef  des  notaires  ou  fecrétaires  jufqu^au  règne  d'Al- 
phonfe*le*bon ,  lequel  en  n8o  fépara  l'office  de  notaire-mayor  de  celui  de 
Chancelier,  donnant  à  celui-ci  un  fceau  de  plomb  au  château  d'or  en  champ 
de  gueules  aux  aâes  qu'il  fcelloit,  au  lieu  du  feing  &  paraphe  dont  fes  pré- 
déceffeurs  ufoîent  auparavant  :  il  laiffa  au  notaire-mayor  le  foin  d'écrire  & 
de  compofer  les  aâes;  &  depuis  ce  temps  ces  deux  offices  ont  toujours 
été  diftingués ,  quoique  quelques  hifloriens  ayent  avancé  le  contraire. 

Dans 


•  f 


C  H  A  N  Q  E  L  I  B  R     DE     FRANCE. 


*73 


DâUtt  la  fuite  its  temps,  les  rois  de  Caftille  &  de  Léon  diminuèrent  peu 
à  peu  la  trop  grande  autorité  de  leurs  Chanceliers^  &  enfin  ils  Téteignirenc 
totalement  ;  de  forte  que  depuis  plufieurs  fiecles  la  dignité  de  ces  deux  Chan«- 
celiers  n'eft  plus  qu'un  titre  d'honneur  fans  aucune  fonâion.  Cependant  les 
Archevêques  de  Tolède  continuent  toujours  de  fe  qualifier  Chanceliers  nés 
de  Caftille.  A  l'égard  des  Chanceliers  des  royaumes  de  Léon  &  d'Oviede, 
on  n'en  fait  plus  mention ,  parce  que  ces  deux  royaumes  ont  été  unis  à  celui 
de  Caftille. 

Le  confeil  fuprême  &  royal  des  Indes  eft  compofé  d'un  préfident,  d'un 
grand-Chancelier,  de  douze  confeillers  ,  &  autres  officiers ,  &  d'un  vice* 
Chancelier. 


CHANCELIER    D  E    FRANCE. 

V^  'EST  le  chef  de  la  juftice  &  de  tous  !es  confcils  du  roi.  II  eft  le 
i>remier  préfident  né  du  grand-confeil  :  il  peut  auflî ,  quand  il  le  juge  à 
propos,  aller  préfider  dans  tous  les  parlemens  &,  autres  course  c'eft  pour- 
quoi fes  lettres  font  préfentées  &  enregiftrées  dans  toutes  les  cours  fou* 
veraines. 

Il  eft  la  bouche  du  roi,  &  l'interprète  de  fes  volontés  :  c'eft  lui  qui 
les  expofe  dans  toutes  les  occafions  où  il  s'agit  de  l'adminiftration  de  la  juftice. 
Lorfque  le  roi  va  tenir  fon  lit  de  juftice  au  parlement ,  le  Chancelier  eft 
au-deflbus  de  lui  dans  une  chaife  à  bras ,  couverte  de  l'extrémité  du  tapis 
femé  de  fleurs-de-lys,  qui  eft  aux  pieds  du  roi  :  c'eft  lui  qui  recueille  les 
fulFrages ,  &  qui  prononce.  Il  ne  peut  être  récufé. 

Sa  principale  fonâion  eft  de  veiller  à  tout  ce  qui  concerne  l'adminiftration 
de  la  juftice  dans  tout  le  royaume,  d'en  rendre  compte  au  roi,  de  préve- 
nir les  abus  qui  pourroient  s'y  introduire ,  de  remédier  à  ceux  qui  auroienc 
déj^  prévalu ,  de  donner  les  ordres  convenables  fur  les  plaintes  qui  lui  font 
adreffêes  par  les  fujets  du  roi  contre  les  juges  &  autres  officiers  de  juftice, 
&  fur  les  mémoires  des  compagnies  ou  de  chaque  officier  en  particulier, 
par  rapport  à  leurs  fenâions ,  prééminences ,  &  droits. 

C'eft  encore  une  de  fes  fondions  de  dreffer,  conformément  aux  inten- 
tions du  roi ,  4es  nouvelles  ordonnances ,  édits  &  déclarations ,  &  les  lettres 
patentes,  qui  ont  rapport  à  l'adminiftration  de  la  juftice.  L'ordonnance  de 
Charles  VII  du  mois  de  Novembre  1441  ,  fait  mention  qu'elle  avoit  été 
faite  de  l'avis  &  délibération  du  Chancelier,  &  autres  gens  du  grand- 
confeil ,  &c. 

C'eft  à  lui  que  l'on  s'adreflè  pour  obtenir  l'agrément  de  tous  les  offices 
de  judîcature;  &  lorfqu'il  a  la  garde  du  fceau  royal,  c'eft  lui  qui  nomme 
mux  offices  de  toutes  les  chancelleries  du  royaume ,  &  qui  donne  toutes  les 

Tome  XI.  Mm 


2174  CHANCELIER     DE     ï  A  A  N  G  B. 

provifiôns  des  offices ,  tant  de  judicature ,  que  de  finance  ou  municipaux. 
Les  charges  d'avocats  au  confeil  tombent  dans  fes  parties  cafuelles  ;  il  eft 
le  confervateur  né  des  privilèges  des  fecrétaîres  du  roi. 

La  foi  &  hommage  des  fie^  de  dignité  mouvans  immédiatement  du  roi 
à  caufe  de  fa  couronne ,  peut  être  faite  entre  les  mains  du  Chancelier ,  ou 
en  la  chambre  des  comptes.  Le  Chancelier ,  comme  repréfentant  la  perfonne 
du  roi,  reçut  à  Arras  en  1499 ^  l'hommage  de  l'archiduc  d'Autriche,  pour 
fes  pairies  &  comtés  de  Flandre,  d^Artois,  &  du  Charolois.  L'archiduc  fe 
mettant  en  devoir  de  s^agenouiller ,  il  le  releva  en  lui  difant  :  ilfuffitdt 
votre  bon  vouloir;  en  quoi  il  en  ufa  de  même  que  Charles  VII  avoit  ^t 
à  l'égard  du  duc  de  Bretagne. 

Ce  fut  le  Chancelier  Duprat  qui  abolit  Tufage  des  hommages  que  les 
fois  de  France  faifoient  par  procureurs  pour  certaines  i^igneuries  qui 
étoient  mouvantes  de  leurs  fujets.  Il  établit  à  cette  occafîon  le  principe^ 
que  tout  le  '  monde  relevé  du  Roi  médiatement  ou  immédiatement ,  & 
que  le  Roi  ne  relevé  de  perfonne.  ^ 

Mr.  Thomas  nous  a  donné  une  }uf{e  idée  des  fonftions  du  Chancelier, 
dans  l'éloge  qu'il  a  fait  du  grand  d'Agueflcau.  Ce  vrai  Ifocrate  de  la  France 
dit  :  i>  qu'un  Chancelier  eft  un  homme  qui   eft  dépofîtaire  de   ta  partie 


toujours  a  sattoiDur;  rammer  les  loix  utiles  que 

»  pallions  des  hommes  ont  anéanties  ;   en  créer  de  nouvelles,  iorfque  la 

ji  corruption  augmentée ,  ou  de  nouveaux  befoins  découverts ,  exigent  de 

»  nouveaux  remèdes  ;  les   (aire  exécuter,  ce  qui   eft  encore  plus  difHcOe 

j»  que  de  les  créer  ;  obfervcr  d'Un  œil  attciitif  les  maux  plus   ou  moins 

»  graves ,  qui  dans  l'ordre  politique  fe  mêlent  toujours  au  bien  ;  corriger 

»  ceux  qui  peuvent  Tétre  ;  foufirir  Ceux  qui  tiennent  à  la  conftitutioo  de 

»  l'Etat^  mais  en  les  fouf&ant  lés  relTerrer  dans  les  bornes  de  la  pure  oé- 

»  ceflîté  ;  connoître  &  maintenir  les  droits  de  tous  les  Tribunaux  ;  diflri- 

»  buer  toutes    les  charges  ât  dès  hommes  dignes  de  fervir  l'Etat;  jagcf 

»  ceux  qui  jugent  la  terre  ;  favoîr  ce  oull  raut  *  pardonner  &  punir  dans 

»  les  hommes  dont  la  nature  eft  d'être  foibles,  &  dont  le  devoir  eft  de  ne 

»  l'être  pas  ;  préfider  à  tous  les  conftils  où  fe  pefent  les  deftins  de  l'Em- 

»  pire  ;  oalancer  avec  fagefle  la  clémence  du  Prince  &  Tîntérét  de  la  juf- 

9  tice  ;  être  auprès  du  fouverain  le  proteâeur ,  &  non  pas  le  calomniateur 

3»  de  la  nation.  A  l'imitation  de  l'Être  fuprême ,  Mr.  d'Agueflfeau  veut  que 

9  la  juftice  qu'il  porte  dans  fon  cœur,  régne  autour  de  fui.   Il  ofe  croire 

»  que  ce  qui  eft  utile  n'eft  pas  toujours  jufte;  M.  d'^Agueffeau  qui  voit 

»  le  défordre  caufé  par  nos   coutumes,  ofe  entreprendre  d'y  remédier: 

n  mais  il  penfe  qu'un  fi  grand  changement  ne  doit  être  &ît  que  par  de- 

9  grés,  que  les  loix  font  pour  le  peuple  auflî  facrées  que  la  religion,  & 

»  qu'elles  touchent  aux  fondemens  des  EtatSr  Au  lieu  de  renverfer  tout-1^ 


CHANCELIER    DE    FRANCE, 


^1 


»  coup  ce  grand  corps,  il  forme  le  projet  de  le  réparer  infenfîblement 
n  fut  ûn  pian  uniforme  &  combiné  dans  toutes  fes  parties.  Ce  feroit  i 
s>  Platon  à  peindre  d'Aguefleau.  Vous  le  verriez  parcourir  d'un  coup-d'œil 
j»  tous  les  avantages  qu'une  loi  peut  offrir  »  tous  les  abus  qui  en  peuvent 
9  naitre,  toutes  les  difficultés  qui  peuvent  en  retarder  l'effet ,  tous  les 
»  moyens  par  où  l'artifice  peut  l'éluder,  tous  les  rapports  qu'elle  peut 
B  avoir  avec  les  mœurs ,  avec  les  préjugés ,  avec  les  autres  loix  ;  compa*- 
n  rer  les  avantages  avec  les  abus;  chercher  le  terme  où  le  bien  efl  le 
»  moins  altéré  par  le  mélange  du  mal  :  car  c'efl  là  toute  la  perfeâioU 
»  dont  efl  capable  notre  foiblef!e«  a 

On  trouvera  auffi  des  notices  trés-utiles  fur  cette  matière  dans  les  Orai^ 
fons  funèbres  de  Mr.  le  Chancelier  Le-Tellier,  prononcées  par  Mr.  Flé-« 
chier,  Evéque  de  Nifme,  &  par  M.  Boffuet,  Evêque  de  Meaux.  On  doit 
lire  auffi  la.  Vie  du  Chancelier  de  l'Hôpital. 

Il  feroit  difficile  de  détailler  ici  bien  exaâement  toutes  les  fondions  & 
les  droits  attachés  à  la  dignité  de  Chancelier  de  France;  nous  rapporte- 
rons feulement  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable. 

L'office  de  Chancelier  de  France  revient  à-peu-près  à  celui  ou'on  appel- 
loit  Quêteur  du  Jacré  palais  chez  les  Romains ,  &  qui  fut  établi  par  Conf* 
tancin-le-Grand  :  en  effet  e'étoit  ordinairement  un  jurifconfulte  que  l'on 
honoroit  de  cette  place  de  Quefleur  ;  parce  qu'il  devoit  connoitre  les  lois 
de  l'Empire,  en  dreffer  de  nouvelles,  quand  le  cas  le  requéroit,  les  faire 
exécuter  :  elles  n'avoient  de  force  que  quand  il  les  avoit  fignées.  Il  jugeoit 
les  caufes  que  l'on  portoit  par  appel  devant  l'Empereur,  foufcrivoit  les  ref^ 
crits  &  réponfes  du  Prince ,  enfin  il  avoit  l'infpeâion  fur  toute  l'adminif-* 
tratidn  de  la  juflice. 

En  France ,  l'office  de  Chancelier  efl  prefque  auffi  ancien  que  la  mo« 
narchie  ;  mais  les  premiers  qui  en  fkifoient  les  fondions ,  ne  portoient  pas 
le  titre  de  Chancelier;  car  on  ne  doit  pas  appliquer  au  Chancelier  de 
France  ce  qui  efl  dit  de  certains  Officiers  fubalternes»  que  l'on  appelloit 
anciennement  Chanceliers ,  tels  que  ceux  qui  gardoiept  l'enceinte  du  tribu* 
nal  appelle  cancelli ,  parce  qu'elle  étoit  fermée  de  barreaux. 

On  donna  auffi  en  France ,  à  l'imitation  des  Romains ,  le  nom  de  Chan* 
celier  à  ceux  qui  fiiifoient  la  fonâion  de  Greffiers  &  de  Notaires,  parce  qu'ib 
travailloient  dans  une  femblable  enceinte  fermée  de  barreaux. 

Les  Notaires  &  Secrétaires  du  Roi  prirent  auffi ,  par  la  même  raifon , 
le  nom  de  Chanceliers. 

Le  Roi  avoit  en  outre  un  premier  Secrétaire  qui  avoit  infpe^ion  fur 
fous  les  autres  Notaires  &  Secrétaires  :  le  pouvoir  de  cet  Officier  étoit 
fert  étendu  ;  il  fàifoit  les  fondions  de  Chancelier  de  France  :  mais  avant 
d'en  porter  le  titre,  on  lui  a  donné  fucceffivement  différens  noms. 

Sous  la  première  race  des  Rois  de  France ,  ceux  qui  faifoient  les  fonc- 
tions de  Chanceliers  ont  été  appelles  différemment. 

M  m  z 


a7<  CttANCELIER    DE    FRANCE. 

Quelques  auteurs  modernes  font  Widiomar  Chancelier  ou  référendaire 
de  Childéric ,  mais  fans  aucun  fondement  :  Grégoire  de  Tours  ne  lui  donne 
point  cette  qualité. 

Le  premier  qui  foit  connu  pour  avoir  rempli  cette  fonâion  ^  eft  Auré- 
lien,  tous  CÏovis  I.  Hincmar  dit  qu'il  portoit  Panneau  ou  le  fceau  de  ce 
Prince;  qu'il  étoit  confiliarius  &  Icgatarius  Régis ^  c'eft-à-dire,  le  député 
du  Roi.  L'auteur  des  geftes  des  François  le  nomme  aufli  Ugatorium  &  mif- 
fum  Clodovoti  :  Aymoin  le  nomme  familiarijfimum  Régi ,  pour  exprimer 
qu'il  avoit  fa  plus  intime  confiance. 

Valencinien  eft  le  premier  que  l'on  trouve  avoir  (igné  les  chartes 
dés  rois  de  France,  en  qualité  de  Notaire  ou  Secrétaire  du  Roi,  Nota* 
rius  &  Amanuenfis  :  il  fit  cette  fonâion  fous  Childebert  I. 

Baudin  &  plufieurs  autres,  fous  Clotaire  I  &  fes  fuccefleurs,  font  appel* 
lés  Référendaires  par  Grégoire  de  Tours,  qui  remarque  aufli  que  fous  le 
référendaire  qui  fîgnoit  &  fcelloit  les  chartes  des  rois  de  France ,  il  y  avoit 
plufîeurs  Secrétaires  de  la  Chancellerie ,  qu'on  appelloit  Notaires  ou  Chan^ 
celicrs  du  Roi,  Cancellarii  regales. 

'  On  trouve  une  charte  de  Thierri,  écrite  de  la  main  d'un  Notaire,  & 
icellée  par  un  autre  Officier  du  Sceau  Royal.  Sous  le  même  Roi ,  Agreflia 
fe  difoit  Notarius  régis. 

Sous  le  règne  de  Chilpéric  I ,  il  eft  fait  mention  d'un  Réfërendaire  &  d'im 
Secrétaire  du  palais ,  Palatinus  fcriptpr. 

St.  Ouen,  en  latin  Audoenusy  &  Dado^  fut  Réfërendaire  du  roi  Dago- 
bert  I.  &  enfuite  de  Clovis  II.  Aymoin  dit  qu'il  fut  ainfi  appelle ,  parce 
que  c'étoit  à  lui  que  l'on  rapportoit  toutes  les  écritures  publiques ,  ^  qu'il 
les  fcelioit  du  fceau  du  Roi  :  il  avoit  fous  lui  plufieurs  Notaires  ovk 
Secrétaires,  qui  fignoient  en  fon  abfence  ad  vietm.  Dans  des  Chartes 
de  l'abbaye  de  Saint-Denis  ,  il  eft  nommé  Regiœ  dignitatis  CancelU* 
rius  :  c'eft  la  première  fois  que  le  titre  de  Chancelier  aie  été  donn^  à  ' 
cet  office. 

La  plupart  de  ceux  qui  firent  les  fondions  de  Chancelier  fous  les  autres 
Rois  de  cette  première  race,  font  nommés  fimplement  référendaires^  excepté 
(bus  Clotaire  IIL  que  Robert  eft  nommé  Garde  du  fceau  Royal ,  Ceru^ 
lus  annuli  regii  ;  &  Grimaud  fous  Thierri  II  «  qui  (igné  en  qualité  de 
Chancelier  ;  ego ,  Cancellarius ,  recognovi. 

Sous  la  féconde  race  des  rois  de  France ,  ceux  qui  &ifoient  la  (bnâ^n 
de  Chanceliers  ou  Référendaires,  reçurent  dans  le  même  temps  difiëreos 
Qoms:  on  les'appella  Archi-»  Chanceliers  ^  ou  grands  Chanceliers  ^  fouy crains 
Chanceliers ,.  ou  Archî  -  Notaires  ,  parce  qu'ils  étoient  prépofés  ati-def- 
fus  de  tous  les  Nouires  ou  Secrétaires  du  Roi,  qu'on  appelloit  encore 
Chanceliers. 

On  leur  donna  auffi  le  nom  à^apocrifaires ,  ou  apocrifiaires ,  mot  dérivé 
4u  grec ,  qui  fignifie  cdui  qui  r^nd  Us  réponfis  £un  autre  \  parce  que  le 


CHANCELIER    DEFRANCE, 


27> 


Grand  -  Chancelier  r^pondoit  pour  le   Roi  aux   requêtes  qui  lui   étoient 
prëfencées. 

Hincmar ,  qui  vivoit  du  temps  de  Louis-le*Débonnaire ,  diftingue  néan* 
moins  Toffice  d'Apoçrifaire  de  celui  de  Grand-Chancelier  ;  ce  qui  vient  de 
ce  que  le  Grand-Aumônier  du  Roi ,  faifoit  quelquefois  la  fonâion  d'Apo- 
crifaire ,  &  en  portoit  le  nom. 

On  les  appella  aufli  quelquefois  Archichapelains  ;  non  pas  que  ce  terme 
exprimât  la  fonâion  de  Chancelier,  mais  parce  que  PArchichapelain  ou 
Grand- Aumônier  du  Roi  étoit  fouvent  en  même*temps  fon  Chancelier ,  & 
ne  prenoit  point  d'autre  titre  que  celui  d'Archichapelain.  La  plupart  de 
ceux  qui  firent  cette  fbnâion  fous  la  première  Se  féconde  race ,  étoient 
eccléfiaftiques. 

Sous  la  troifieme  race  ,  les  premiers  fecrétaires  ou  référendaires  furent 
appelles  Grands*Chanceliers  de  France ,  premiers  Chanceliers  ,  &  depuis 
Baudouin  premier  qui  fut  Chancelier  de  France  fous  le  roi  Robert ,  il  pa« 
roit  que  ceux  qui  firent  cette  fonâion  ne  prirent  plus  d'autre  titre  que  ce- 
lui de  Chancelier  de  France  ;  &  que  depuis  ce  temps ,  ce  titre  leur  fut 
réfervé ,  à  Texclufion  des  Notaires  &  Secrétaires  du  Roi ,  Greffiers ,  &  au« 
très  Officiers  fubalrernes ,  qui  prenoient  auparavant  le  titre  de  Chanceliers. 

Le  Chancelier  fut  d'abord  nommé  par  le  Roi  feul. 

Gervais,  Archevêque  deRheims,  &  Chancelier  de  Philippe  I,  prétendit 
que  la  place  de  Chancelier  étoit  attachée  à  celle  d'Archevêque  de  Rheims  : 
ce  qu'il  obtint ,  dit-on  ,  pour  lui  &  fon  églife.  Il  étoit  en  effet  le  troi- 
(îeme  depuis  Hervé  qui  avoit  poffédé  la  dignité  de  Chancelier;  mais  de- 
puis lui  ,  on  ne  voit  point  que  cette  dignité  ait  été  attachée  au  fiege 
de  Rheims. 

Dans  la  fuite  le  Chancelier  fut  élu  en  Parlement  par  voie  de  fcrutin  , 
en  préfence  du  Roi.  Guillaume  de  Dormans  fut  le  premier  élu  de  cette 
manière  en  137Î.  Louis  XI  changea  cet  ordre;  &  depuis  ce  temps,  c'efl 
le  Roi  feul  qui  nomme  le  Chancelier ,  le  Parlement  n'a  aucune  jurifdic- 
tion  fur  lui. 

Cet  office  n'efl  point  vénal  ni  héréditaire,  mais  à  vie  feulement.  Le 
Chancelier  efl  reçu  fans  information  de  vie  &  de  mœurs ,  &  prête  ferment 
entre  les  mains  du  Roi  ;  &  fes  provifions  font  préfentées  par  un  Avocat 
dans  toutes  les  cours  fouveraines ,  l'audience  tenante  i  &  y  font  lues ,  pu- 
bliées &  enregiftrées  fur  les  conclufions  des  gens  du  Roi. 

Quoique  l'omce  de  Chancelier  ait  toujours  été  rempli  par  des  perfonnes 
diftinguées  par  leur  mérite  &  par  leur  naiffance ,  dont  la  plupart  font  qua- 
lifiées de  Chevaliers;  il  efl  cependant  certain  qu'anciennement  cet  o^ce 
n'annobliflbit  point  :  en  effet,  fous  le  Roi  Jean,  Pierre  de  Laforêt,  Chanr 
celier,  ayant  acquis  la  terre  de  Loupelande  dans  le  Maine,  obtint  du  Roi 
des  lettres  de  nobleflfe  pour  fouir  de  l'exemption  du  droit  de  francs-fiefs. 
Les  Chanceliers  nobles  fe  qualifioieat  Meifire ,  &  les  autres ,  Maître.  Pré- 


l^a  C  H  A  N  C  B  L  I  E  R    D  E    FRANCE. 

fcntement  le  Chancelier  eft  toujburs  qualifié  de  Chevalier,  &  de  Monfcî-f 
gncun  M.  le  Chancelier  Seguier  fut  fait  Duc  de  Villemor  &  Pair  de  Fran^ 
ce ,  &  conferva  toujours  l'office  de  Chancelier ,  outre  celle  quM  avoit  tou- 
jours de  figner  &  fceller  les  lettres  du  Prince.  Charlemagne  conflitua  le 
Chancelier  dépoficaire  des  loix  &  ordonnances  ;  &  Charles -le -Chauve  lai 
donna  le  droit  d'annoncer  pour  lui  les  ordonnances  en  préfence  du  peuple* 
*  Sous  le  règne  d'Henri  premier  &  de  fes  fuccefleurs  ,  jufqu'à  celui  de 
Louis  Vin  il  foufcrivoit  toutes  les  lettres  &  chartes  des  rois  de  France, 
avec  le  Grand-Maître,  le  Chambrier,  le  Grand-Boutillier ,  &  le  Connéta- 
ble. Depuis  1320,  ils  ceflèrent  de  figner  les  lettres,  &  y  appoferent  feu- 
lement le  fceau.  Il  ëtoit  aufli  d'ufage  dès  l'an  1365,  qu'ils  mettoient  de 
leur  main  le  mot  yifa  au  bas  des  lettres  ,  comme  ils  font  encore  pré** 
fentement. 

Le  pouvoir  du  Chancelier  s'accrut  beaucoup  fous  la  troifieme  race  :  on 
voit  que  dès  le  temps  de  Henri  premier ,  il  ngnoit  les  chartes  des  Rois  de 
France  ,  avec  le  Connétable  ,  le  fioutillier ,  &  autres  grands  Officiers  de 
la   couronne. 

Frère  Guerin ,  Evêque  de  Senlis ,  fut  d'abord  Garde  des  fceaux  fous  Fhi« 
lippe-Augufie  y  pendant  la  vacance  de  la  Chancellerie  j  il  fut  enfuiteChan* 
celier  foys  le  règne  de  Louis  VIII  &  releva  beaucoup  la  dignité  de  cette 
charge; 'il  abandonna  la  fonâion  du  iècrétariat  aux  notaires  &  fecrétaires 
du  Roi  ,  fe  réfervant  feulement  fur  eux  l'infpeâion  :  il  afiifla  avec  les 
Pairs  au  jugement  qui  fut  rendu  en  1224  contre  la  Comtefle  de  Flandres. 
Dutillet  rapporte  que  les  Pairs  voulurent  contefterce  droit  aux  Chancelier, 
Boutiller,  Chambrier  &  Connétable;  mais  la  cour  du  Roi  décida  en  h* 
veut  de  ces  Officiers.  Au  facre  du  Roi«  c'efl  le  Chancelier  qui  appelle  les 
Pairs  chacun  en  leur  rang. 

D^s  le  temps  de  Philippe- Augufte ,  le  Chancelier  portoit  la  parole  pour 
le  Roi ,  même  en  fa  préfence.  On  en  trouve  un  exemple  dans  la  harangue 
que  frère  Guerin  fit  à  la  tête  de  l'armée ,  avant  la  bataille  de  Bouvines  eo 
1214,  &  la  vidoire  fuivit  de  près  fon  exhortation. 

On  voit  auflî  dans  Froiflart  que  dès  135c  le  Chancelier  parloir  pour  le 
Roi ,  en  fa  préfence ,  dans  la  chambre  du  Parlement  \  qu'il  expofa  l'état 
des  guerres ,  &  requit  que  l'on  délibérât  fur  les  moyens  de  fournir  au  Roi 
des  lecours  fuififans. 

Le  Chancelîçr  étoit  alors  précédé  par  le  Connétable  &  par  plufieurs  au- 
tres grands  Officiers  dont  les  offices  ont  été  dans  la  fuite  fupprimés  \  au 
moyen  de  quoi  celui  de  Chancelier  eft  préfentement  le  premier  office  de 
la  couronne  y  &  le  Chancelier  a  rang,  léance,  &  voix  délibérative,  après 
les  Princes  du  fang. 

Dans  les  états  que  le  Roi  de  France  envoyoît  autrefois  de  ceux  qui  dé- 
voient compofer  le  Parlement ,  le  Chaiicelier  eft  ordinairement  nommé  en 
tête  de  la  grand'chambre  ;  il  venoit  en  effet  y  fiéger  fort  fouvent.  Le  Car- 


ÔHANCELIER    DE    FRANCE. 


a79 


dinal  de  Dormans ,  Evéqae  de  Beauvais  &  Chancelier ,  fie  Tonverture  des 
Parlemens  des  12  Novembre  1369  &  1370 ,  par  de  longs  difcours  &  re- 
montrances ,  ce  qui  ne  s'étoit  pas  encore  pratiqué.  Arnaud  de  Corbie  fie 
auffî  l'ouverture  du  Parlement  en  1405  &  1406,  le  12  Novembre,  &  re- 
çut les  fermens  des  Avocats  &  des  Procureurs.  Pierre  de  Morvilliers  reçut 
aufïï  les  fermens  le  11  Septembre  1461.  ,  .       * 

Dans  la  fuite  les  Chanceliers  fe  trouvant  furchargés  de  différentes  affaires ^ 
fiMloient  plus  q^ue  rarement  au  Parlement ,  excepté  lorfque  le  Roi  y  alloic 
tenir  fon  lit  de  juftice.  Le  jeudi  14  Mars  171^,  M.  le  Chancelier  Voifîn  prit 
en  cette  qualité  féance  au  Parlement  ;  il  étoit  à  la  petite  audience  en  robe 
violette  ,  &  alla  à  la  grande  audience  en  robe  de  velours  rouge  dou« 
blée  de  fatin.  On  plaida  devant  lui  un  appel  cooune  d'abus ,  &  il  pto* 
Bonça  *  l'arrêt. 

Philippe  VI,  dit  de  Valois,  ordonna*  en  1342  ,  que  quand  le  Parlement 
feroit  fini  ^  le  Roi  manderoit  le  Chancelier ,  les  trois  Préfîdens  du  Parle* 
ment,  &  dix  perfonnes  du  confeil,  tant  clercs  que  lais,  lefquels fuivant fà 
volonté  nommeroient  des  perfonnes  capables  pour  le  Parlement  à  venir. 
On  voit  même  qu^en  1370  le  Cardinal  de  Dormans ,  Chancelier  ,  inflitua 
Guillaume  de  Sens  premier  préfident. 

Le  Chancelier  nommoit  auffi  anciennement  les  confeillers  au  Châteler^ 
conjointement  avec  quatre  confeillers  du  Parlement ,  &  avec  le  prévôt  de 
Paris  ;  il  inflituoir  les  notaires  &  les  examinoit  avant  qu'ils  fuffent  reçus. 

Son  pouvoir  s'étendoit  auffî  autrefois  fur  les  monnoies ,  fuivant  un  man- 
dement de  Philippe  VI,  en  1346,  qui  enjoint  aux  maîtres  généraux  des 
monnoies  de  donner  au  marc  d'argent  le  prix  que  bon  fembleroit  au  Chan* 
celier  &  aux  Tréforiers  du  Roi. 

Maïs  Charles  V,  étant  Dauphin  de  Viennois  &  Lieutenant  du  Roi  Jean, 
ordonna  en  135^  que  dorénavant  le  Chancelier  ne  fe  mêleroit  que  du  fait 
de  la  Chancellerie ,  de  tout  ce  qui  regarde  le  fait  de  la  juflice  ^  &  d'or- 
donner des  offices  en  tant  qu'à  lui  appartient  comme  Chancelier. 

Philippe  V  défendit  au  Chancelier  de  pafler  aucunes  lettres  avec  la 
caufe  nonohjiant  toutes  ordonnances  contrains  \  il  ordonna  que  fi  l'on  en 
préfentoit  de  telles  au  fceau ,  elles  feroienc  rapponées  au  Roi  ou  à  celui 
qui  feroit  établi  de  fa  part  \  &  par  une  autre  ordonnance  de  1 3 1 8 ,  il  ne 
devoir  appofer  le  grand  fceau  qu'aux  lettres  auxquelles  le  fcel  du  fecret 
avoir  été  appofé  ;  c'étoit  celui  que  portoit  le  Chambellan ,  à  la  difiërence 
du  petit  fignet  que  le  Roi  portoit  fur  lui. 

Charles  V  ordonna  aufïî  en  13  $6,  que  le  Chancelier  ne  feroit  point 
iceller  les  lettres  pafTées  au  confeil  qu'elles  ne  fufïent  fîgnées  au  moins  de 
trois  de  ceux  qui  y  avoîent  aflîflé ,  &  de  ne  fceller  aucunes  lettres  por- 
tant aliénation  du  domaine,  ou  don  de  grandes  forfaitures  &  confîfcations , 
quM  n'eût  déclaré  au  Confeil  ce  que  la  chofe  donnée  pouvoit  valoir  de 
rente  par  an. 


28o  CHANCELIER    D  E  \F  R  A  N  C  B. 

Suivant  des  lettres  du  14  Mars  1401  ,  il  poavoit  tenir  au  lieu  du  Roi 
les  requêtes  générales,  avec  tel  nombre  de  Confeillers  au  Grand-Confeil 
qu'il  lui  plairoit ,  y  donner  grâces  &  rémillîons ,  &  y  expédier  toutes  autres 
affaires ,  comme  u  le  tout  étoit  fait  en  préfence  du  Roi  &  de  Ton  Confeil  : 
il  fàifoit  ferment  de  ne  demander  au  Roi  aucun  don  ou  grâce,  pour  lui 
ni  pour  fes  amis ,  ailleurs  que  dans  le  grand-Confeil. 

Charles  VI  ordonna  en  1407,  qu'en  cas  de  minorité  du  Roi,  ou  lorf- 
qu'il  feroit  abfent,  ou  tellement  occupé  qu'il  ne  pourroit  vaquer  aux 
affaires  du  gouvernement,  elles  (eroient  décidées  à  la  pluralité  des  voix 
dans  un  Confeil  compofé  de  la  Reine ,  des  Princes  du  fang ,  du  Connéta- 
ble, du  Chancelier,  &  des  gens  de  fon  confeil  :  après  la  mort  de  ce 
Prince ,  on  expédia  quelques  lettres  au  nom  du  Chancelier  ^  du  confeil. 
Louis  XIV,  en  partant  de  Paris  au  mois  de  Février  1678,  pour  aller  ea 
Lorraine,  dit  aux  députés  du  parlement  qu^il  laiffoit  fa  puiffance  entre 
les  mains  de  M.  le  Chancelier ,  pour  ordonner  de  tout  en  fon  abfence 
fuivant  qu'il  le  jugeroit  à  propos. 

François  I  déclara  au  parlement  qu'il  n'avoit  aucune  jurifdiâlon  ni  pou- 
voir fur  le  Chancelier  de  France.  Ce  fut  auffi  fous  le  règne  du  même 
Prince  qu'il  reçut  le  ferment  du  connétable ,  &  qu'il  fut  gratifié  du  droit 
d'induit  comme  étant  chef  de  la  juftice. 

Quoique  le  Chancelier  ne  foit  établi  que  pour  le  &it  de  la  judice,  on 
en  a  vu  plufieurs  qui  étoient  en  même  temps  de  grands  capitaines  ,  & 
qui  commandoient  dans  les  armées.  Tel  fut  Saint- Oiien  ,  référendaire  du 
Roi  Dagobert  I  \  tel  fut  encore  Pierre  Flotte ,  qui  fut  tué  à  la  bataille  de 
Courtrai  les  armés  à  la  main,  le  11  Juillet  1302.  A-  l'entrée  du  Roi  à 
Bourdeaux  en  14^1 ,  le  Chancelier  parut  à  cheval  armé  d'un  corfelet  d'a- 
cier, Se  par-deffus  une  robe  de  velours  cramoifi.  M.  le  Chancelier  Seguier 
fut  envoyé  à  Rouen  en  1^39»  à  l'occafion  d'une  fédition;  il  commandoit 
les  armées ,  on  prenoit  le  mot  de  lui.  Voy€[  P Abrégé  chronoU  de  M.  U  pri- 
fidtnt  Henault. 

L'habit  de  cérémonie  du  Chancelier  efl  l'épitoge  ou  robe  de  velours 
rouge  doublée  de  fatin ,  avec  le  mortier  comblé  d'or  &  bordé  de  perles  ; 
il  a  droit  d'avoir  chez  lui  des  tapifferies  femées  de  fleurs-de*lis ,  avec  les 
armes  de  France ,  &  les  marques  de  fa  dignité. 

Quand  il  marche  en  cérémonie ,  il  eft  précédé  de  quatre  huiffîers  de  la 
Chancellerie  portant  leurs  maffes ,  &  des  huifliers  du  confeil  appelles  vuN 

Sairement  huiflîers  de  la  chaîne  \  il  eft  aufli  accompagné  d'un  lieutenant 
e  robe  courte  de  la  prévôté  de  l'hôtel,  &  de  deux  gardes,  ce  qui  paroît 
avoir  une  origine  fort  ancienne  ;  car  Charles  VI,  ayant  réduit  en  1387, 
le  nombre  des  fergents  d'armes ,  ordonna  que  l'un  d'eux  demeureroit  au* 
près  du  Chancelier. 

Anciennement  ,1e  Chancelier  portoit  le  deuil  &  aflifloît  aux  obfëques 
des  Roif.  Guillaume  Juvénal  des  Urfins ,  Chancelier ,   aHîfta  ainfi  aux  fu- 

nérailles* 


CHANCELIER    DE    FRANCE.  agi 

fiéraîlles  de  Charles  VI ,  VII  &  VIII  ;  mafe  depuis  long*temps  Tufage 
eft  que  Ie~  Chancelier  ne  porte  point  de  deuil ,  &  n'aflifle  plus  à  ces  fortes 
de  cérémonies.  On  a  voulu  marquer  par-là  que  la  judice  conferve  toujours 
la  même  férénité. 

Suivant  une  cédtile  fans  date  qui  fe  trouve  à  la  chambre  des  comptes 
de  Paris,  Philippe  d^An^ogni,  oui  portoit  le  grand  fceau  du  Roi  S.  Louis, 
prenoit  pour  foi ,  fes  chevaux  oc  valets  à  cheval ,  fept  fols  parifis.  par  jour 
pour  l'avoine  &  pour  toute  autre  chofe»  excepté  fon  clerc  &  fon  valet- 
de-chambre  qui  mangeoient  à^  la  cour.  Leurs  gages  étoient  doubles  aux 
quatre  fêtes  annuelles  ;  le  Chancelier  avoit  des  manteaux  comme  les  autres 
clercs  du  Roi ,  &  livrée  de  chandelle ,.  comme  il  convenoit  pour  fa  cham- 
bre &  pour  les  notaires  \  quelquefois  le  Roi  lui  donnait  pour  lui  un  pale- 
Froi,  pour  fon  clerc  un  cheval ,  &  pour  le  regiftre  fommier.  Sur  60  fols 
d'émolument  du  (ceau  ,  il  en  prenoit  dix ,  &  en  outre  fa  portion  du  fur- 
plus,  commp  les  autres  clercs  du  Roi,  c'eft-à-dire,  les  fecrétairés  du  Roi; 
enfin  quand  il  étoit  dans  des  abbayes  ou  autres  lieux,  où  il  ne  dépen- 
Toit  rien  pour  fes  chevaux,  cela  étoit  rabattu  fur  les  gages. 

En  11190  il  n'avoit  que  iix  fols-par  jour  avec  bouche  à  cour  pour  lui  fie 
les  (lens  ;  &  20  fols  par  jour,  lorfou'il  étoit  à  Paris  &  mangeoit  chez  lui. 

Deux  états  de  la  maifon  du  Roi  des  années  1316  &  13 17  nomment  le 
Chancelier  comme  le  premier  des  grands  Officiers  qui  avoient  leur  cham- 
bre ,  c'eft-à-dire ,  leur  logement ,  en  Thôtel  du  Roi.  Il  y  eft  dit  que  fi  le 
Chancelier  eft  prélat,  il  ne  prendra  rien  à  la  cour;  que  s'il  eft  (impie 
clerc ,  il  aura ,  comme  me(Tire  de  Nogaret  avoit ,  dix  foldées  de  pain  par 
jour,  trois  feptiers  de  vin  pris  devers  le  Roi;  &  les  autres  du  commun  , 
iix  pièces  de  chair ,  fix  pièces  de  poulailles  ;  &  au  jour  de  poiffon ,  qu'il 
aura  h  l'avenant  ;  qu'on  ne  lui  comptera  rien  pour  cuiflTon  qu'il  falfe  en 
cuifine  ni  en  autre  chofe;  qu'on  lui  fera  livraifon  de  certaine  quantité  de 
menues  chandelles  &  torches ,  mais  que  l'on*  rendroit  le  torchon ,  c'eft- 
à*dire ,  les  reftes  des  flambeaux.  Ces  détails  qui  alloient  jufqu'aux  minu- 
ties, marquent  quel  étoit  alors  le  génie  de  la  nation. 

Une  ordonnance  de  1318  porte  qu'il  devoit  compter  trois  fois  l'année 
en  la  chambre  des  comptes,  de  l'émolument  du  fceau;  &  en  1320  il 
n'avoit  encore  que  1 000  livres  pariHs  de  gages  par  an ,  fbmme  qui  paroît 
d'abord  bien  modique  pour  un  office  fi  confîdérable  «:  mais  alors  le  marc 
d'argent  ne  valoit  que  trois  livres  fept  fols  fix  deniers ,  enforte  que  1,000 
livres  parifis  valoîent  alors  autant  qu'aujourd'hui  22,000  livres. 

Les  anciennes  ordonnances  ont  encore  accordé  aux  Chanceliers  plufieurs 
droits  fie  privilèges,  tels  que  l'exemption  du  ban  fie  arriere-ban,  le  droit 
de  prife  pour  les  vivres ,  comme  le  Roi ,  fie  à  fon  prix  ;  l'exemption  des 
péages  fie  travers  pour  les  provifions  de  fa  maifon ,  fie  de  tous  droits  d^aî- 
des  ;  droit  de  chauffage ,  qui  ne  confiftoit  qu'en  deux  moules  de  bûcher  ^ 
c'eft*à-dire,  deux  voies   de  bois,   fie  quatre  quand  les   notaires  du  Roi 

Tome  XL  Nn 


\ 


^z    GRAND    CHANCELIER    DERUSSIE.      . 

étoient  avec  lui;  enfin  il  a  encore  plufieurs  autres  droits  &  privilèges  qu^il 
ferôit  trop  long  de  détailler. 


c 


CHANCELIER, 

En  Portugal. 


'EST  un  Magiftrat  qui  a  la  garde  du  feau  dont  on  fcelle  les  arrêts  du 
parlement  ou  cour  Souveraine  :  il"  y  en  a  deux  ;  un  dans  le  parlement  ou 
cour  fouveraine  de  Liibenne ,  l'autre  dans  le  parlement  de  Porto.  Le  Chan- 
celier a  rang  immédiatement  après  le  préCdent  &  avant  les  confeillers. 


t 


GRAND-CHANCELIER    DE    RUSSIE. 

JLL  a  la  garde  de  la  couronne,  du  fceptre,  &  du  fceau  Impérial.  La  cou- 
ronne &  le  fceptre  font  gardés  dans  une  chambre  k  Mo(cou»  dont  il  a  la 
clef  &  le  fceau  ;  on  n'y  entre  qu'en  fa  préfence.  11  y  a  auflî  dans  cet  En- 
pire  des  Chancelleries  particulières  auprès  des  juges  des  principales  Villes 
de  Ruffie ,  comme  à  Peterfbourg. 


G  R  A  N  D-C  HANCELIER    DE    SUEDE. 

v^'EST  le  quatrième  des  cinq  grands  officiers  de  la  couronne ,  qui  font 
les  tuteurs  du  Roi ,  &  gouvernent  le  Royaume  pendant  fa  minorité. 

U  eft  le  chef  du  confeil  de  la  Chancellerie  où  il  préfide ,  affifté  de  qua* 
tre  fénateurs ,  &  des  fecrétaires  d'Etat ,  &  de  la  police  ;  en  corrige  les 
abus ,  &  fait  tous  les  réglemens  néceffaires  pour  le  bien  &  l'utilité  publi- 
que. Il  eft  le  dépofitaire  des  fceau  x  de  la  couronne  ;  il  exp^ie  toutes  les 
affaires  d'Etat,  &  c'eft  lui  qui  expofe  les  volontés  du  Roi  aux  Etats-Géné- 
raux ,  avant  la  tenue  defquels  les  nobles  font  obligés  de  faire  infcrire  leurs 
noms  pour  être  portés  à  \i  Chancellerie. 

Enfin  il  préfide  au  confeil  de  police ,  &  c'eft  en  fes  mains  que  le  Roi 
dépofe  la  juftice  pour  la  diftribuer  &  la  faire  rendre  à  fes  fujets. 

Il  y  a  cependant  ay  deflus  de  lui  le  droffart  ou  grand  jufticier ,  qui  eft 
le  premier  officier  de  la  couronne,  qui  préfide  au  Confeil  de  juftice  auquel 
on  appelle  de  tous  les  autres. 

U  y  a  un  Chancelier  de  la  cour  différent  du  Chancelier  de  Juftice. 


CHANCBIIBRS    DES   ACADÉMIES,  ««.  ttj 


CHANCELIERS  DES  ACADÉMIES,  DES  UNIVERSITÉS, 
DES  ÉGLISES,  ORDRES  DE  CHEVALERIE. 


L 


ES  Chanceliers  des  Académies  font  ceux  de  leurs  membres  qui  ont  la 
garde  du  Sceau  de  P Académie  dont  ils  fcellentles  lettres  des  Académiciens , 
&  autres  ades  émanés  de  ce  corps  littéraire.  Ils  font  auffi  chargés  d^en  faire 
obferver  les  flatuts. 


ifpeâion  pour  empêcher  qi 
mie ,  qu^on  ne  donne  les  places  de  profeffeurs  à  des  perfonnes  incapables 
de  les  remplir ,  &  que  Ton  ne  confère  les  degrés  de  bachelier ,  licentié  & 
maitre-és-arcs ,  à  des  fujçcs  qui  en  font  indignes ,  foit  par  leur  incapacité, 
ou  par  leurs  mauvaifes  mœurs.  II  a  aufli  la  garde  du  Sceau  de  runiverficé 
dont  il  fcelle  les  lettres  des  différens  grades ,  provifions  &  commifliQns  que 
Ton  donne  dans  les  univerfîcés. 

De  même  dans  les  ordres  de  Chevalerie,  le  Chancelier  a  la  garde  du 
Sceau  de  Tordre  dont  il  fcelle  çn  cire  blanche  les  lettres  des  Chevaliers  & 
officiers  de  Tordre,  &  les  commif&ons  &  mandemens  émanés  du  Chapitre 
ou  affemblée  de  l'ordre.  Il  tient  regiflre  des  délibérations  &  en  délivre  les 
aâes  fous  le  Sceau  de  Tordre. 

Le  Chancelier 9  dans  une  Cathédrale,  ou  Collégiale,  eft  un  Dignitaire^ 
qui  faifoit  autrefois ,  pour  foii  Eglife ,  la  fonétion  de  Notaire ,  ou  de  Se* 
crétaire ,  qui  fceltoit  les  aâes  du  fceau  du  Chapitre ,  dont  il  étoit  dépo* 
fitaire ,  &  avoit  la  fur-Intendance  des  étudçs,  &  des  différentes  Ecoles.  Ce 

2ui  eft,   en    d'autres  Eglifes,   du  reffort  de  TEcolâtre,  ou   du  Grand- 
hantre. 

Sa  place  lui  donne  la  préféance ,  fuivant  le  rang  marqué  d'ancienneté  ^ 
par  les  ftatuts  ,  &  les  ufages  ,  &  le  droit  de  porter  la  couleur  affcâée 
aux  Dignités. 

Pour  être  Chancelier ,  il  faut  être  Doâeur  en  Théologie ,  ou  au  moins 
Licencié ,  quand  il  eft  en  même  tems  Chancelier  d'une  Univerfité  dans 
les  autres  Chapitres  ,  on  fuit  l'ufage ,  qui  exige  des  degrés ,  ou  non.  {a) 

Le  Chanoine,  qui  polTede  la  Dignité  de  Chancelier,  en  eft  pourvu,  ou 
par  la  nomination  de  l'Archevêque,  comme  àRheims,  ou  par  la  collation 
du  Chapitre  comme  à  Paris ,  &  toujours  de  l'aveu  du  Provifeur ,  &  de  la 


«*■ 


U)  LeChaocelier  d'une  EgUfe  eft  ordinairement  Chanoine,  à  moins  que  fa  Dignité  Qe 
(bit  poftérieure  au  partage  des  Ptébeadesà^  alors  il  n'çfl  da  corps  du  Chapitre,  qu'autaac 
qu'il  poflede  un  Caoonicat. 

N  n  2 


i 


ft84  CHANCELIERS    DES  ACADÉMIES,   &r. 

faculté  de  Théologie.  Le  Reâeur  de  l'uni verfité  eft  appelle  au  Chapitre  de 
notre  Dame  de  Paris  ,  lors  de  rinftallation  du  Chancelier. 

Le  Chancelier  a  des  droits  utiles  &  pécunieux»  à  recevoir,  à  chaque 
bénédiâion  de  licence,  fuivant  les  ftatuts  de  l'univerfité^  de  laquelle  il  a 
les  Sceaux. 

Le  Chancelier  de  l'Eglife  de  Paris  eft  aufli  Chancelier  né  de  Puniverficé , 
comme  dans  celles  d^Orléans  &  d'Angers.  11  donne  la  bénédiâion-  de  licence 
de  l'autorité  apoflolique ,  &  le  pouvoir  d'enfeigner  par-tout.  Quand  je  dis 
qu'il  donne  la  bénédiâion  de  licence  ,  j'en  excepte  la  faculté  des  arts, 
qui  eft  de  la  compétence  du  Chancelier'  de  iSte.  Geneviève ,    dont    nous 

Î)arlon$  plus  bas ,  &  la  faculté  de  droit ,  qui ,  fuivant  un  accord  fait  avec 
e  Chancelier  de  l'Eglife  de  Paris ,  eft  en  poftellion  de  donner  elle-même 
cette  bénédiâion  jufqu'au  doâorat  inclufivement  :  la  jurifdiéUon  du  Chan- 
celier de  Notre-Dame  eft  donc  aâuellement  bornée  aux  deux  facultés  de 
Théologie  &  de  Médecine  ;  la  première ,  la  plus  élevée ,  à  caufe  de  Ton 
objet:  la  féconde,  la  plus  utile,  à  caufe  de  fa  fin. 

C'eft  le  Chancelier  de  l'Eglife  de  Paris,  qui,  en  qualité  de  gardien  du 
fceau,  fcelle  les  provifions  »  les  commiftions  &  les  lettres  des  difFérens 
degrés  qu'on  prend  dans  les  facultés  qui  font  de  fon  reftort,  parce  qu'en 
cas  de  conteftation ,  pour  l'antériorité  ,  la  concurrence ,  ou  les  qualificadoos 
des  grades,  il  faut  qu'il  y  ait  des  officiers  publics  qui  foient  en  droit  d'exhi- 
ber des  regiftres  &  des  monumens  vifibles  d'authenticité,  comme  le  fceau, 
qui.conftatent  la  vérité  &  la  réalité  des  degrés. 

Le  Chancelier  avoit  ci-devant  le  droit  de  viftte  dans  les  collèges  de 
Ste.  Barbe,  Cambray,  Bourgogne,  Boîffy  &  Autun  :  c'étoit  apparemment 
des  détachemens  de  fon  école  de  théologie  qu'il  envoyoit  dans  ces  collè- 
ges ,  dans  le  temps  de  fa  réunion  au  corps  de  l'univerdté ,  en  1 344.  Depuis 
que  les  petits  collèges  ont  été  fondus ,  avec  toutes  les  bourfes ,  dans  le 
collège  de  Louis-le-Grand ,  a-t-il  confervé  ces  mêmes  privilèges? 

Il  avoit  l'infpeâion  fur  toutes  les  régences ,  bourfes,  principalités&  cha- 
pelles des  collèges,  fur  les  mœurs  &  difcipline  fcholaftique,  &  tout  ce  qui 
les  concerne  :  toutes  les  conteftations  qui  auroient  pu  naître  à  ce  fujet, 
étoient  du  refibrtde  fa  jurifdiâion  contentieure;*il  a,  à  cet  eftbt,  des  oA- 
ciers,  avocats,  juges,  &c.  Au(E  a-t-il  revendiqué  ces  prérogatives  au  par* 
lement  en  1763  &  17^4  9  avant  l'extinâion  :  on  ne  fait  pas  où  cela  en 
eft,  depuis  la  réunion  à  Louis-le-Grand. 

Il  y  avoit  autrefois  à  Paris  deux  écoles  célèbres  &,  publiques.,  Pune  dans 
la  ville ,  gouvernée  par  l'Evêque ,  pour  la  théologie ,  fous  la  direftion  du 
Chancelier  de  fou  Eglife  ;  l'autre  fur  la  montagne  Ste.  Geneviève ,  régie 
par  l'Abbé,  oui  inftituoit  un  de  fes  chanoines  réguliers  pour  en  être  te 
grand-maitre  6c  l'infpeâeur,  en  tout  ce  qui  a  trait  à  la  acuité  des  arts; 
qui ,  avec  celle  de  médecine ,  compofoit  toute  l'univerfîté  :  c'étoit  là  feule^ 
iQent  qu'on  prenoit  des  degrés  ;  le  Chancelier  de  Ste»  Geneviève  a  été  te 


^    C  HA  N  C  E  L  Ê  B  R  I  E.  ^8$ 

feul  dans  Puniverfité  de  Paris  jufqu'en  1^44,  que  le  Chancelier  de  l'Eglife 
de  Paris  a  été  admis  dans  le  corps  de  l'univerfité ,  par  la  grâce  du  Pape 
Benoit  XI,  &  réuni  avec  la  faculté  des  arcs. 

Les  pouvoirs  du  Chancelier  de  Ste.  Geneviève ,  font  bien  antérieurs  à 
répoque  <iu  quatorzième  iiecle  ;  puifque  les  chanoines  y  qui  avoient  confervé 
la  vie  commune ,  établie  fous  la  féconde  race  de  nos  Rois ,  fe  trouvoient 
en  pofleffion  de  conférer  des  degrés ,  ce  que  ne  pouvoient  pas  &ire  ceux 
qui  l'avoient  abdiquée,  en  fe  formant  des  prébendes,  &  où  ils  ne  font 
parvenus  qu'en  recevant  du  Pape  la  même  puilfance  dont  ceux-là  jouiilbient 
depuis  cinq  fiecles  ou  environ. 

Le  chanoine  régulier  de  Ste.  Geneviève,  nommé  par  Pabbé,  pour  être 
Chancelier  de  Puniverficé ,  donne ,  dans  la  faculté  des  arts  ^  la  bénédiâiori 
de  licence,  à  l'effet  d'enfeigner  par-tout,  notamment  à  Paris,  d'y  pouvoir 
tenir  des  penftons ,  fournir  des  maîtres  de  toute  efpece,  indépendamment 
de  l'attache  &  de  l'autorité  du  grand-chantre ,  qui  l'exerce  fouverainement 
fur  tous  les  maîtres  Çi  maîtreffes  des  petites  écoles. 

La  nomination  de  l'abbé  de  Ste.  Geneviève ,  fait  feule  la  qualité  néi^effaire 
i  cette  place  ;  c'eft  par  ce  feul  titre  qu'on  eft  mis  en  pofTeflion ,  avec  le 
confeotement  préfumé  des  prociveni^s  des  quatre  nations ,  qui  compofent  la 
faculté  des  artJ  :  cette  place  eft  à  vie ,  très-belle  dans  l'exercice,  &  lucra- 
tive ;  car  il  y  a  des  revenans  bon  attachés  qui  fe  perçoivent  très-exaâe- 
ment  par  le  greffier  &  les  bedeaux ,  à  chaque  bénediâion  de  licence  :  ils 
en  rendent  compte  entre  les  mains  du  Chancelier  de  Sce.  Geneviève ,  qui  a 
réglé  fes  droits  avec  celui  de  Notre-Dame  ,  &  partagé  ei^  deux  lots  tous 
les  collèges  de  l'univerlité  de  Paris,  par  tranfaéÙon  homologuée  au  par<^ 
lement,  fur  arrêt  du  mois  de  Mars  1687. 


CHANCELLERIE,  f.  f.   Chambre  oà  Pon  écrit,  où  tonfccUc, 

oà  Pon  expédie  les  aâes. 

V^  E  mot  fe  prend  aufli  quelquefois  pour  le  corps  des  *  officiers  de  la 
Chancellerie.  Il  ûgniRe  encore  un  tribunal ,  ou  une  cour  de  juftice,  comme 
00  le  verra,  par  quelques-uns  des  articles  fuivans. 

En  France  on  diftingue  la  grande  Chancellerie,  &  la  petite  Chancellerie. 

les  Officiers  qui  compofent  la  grande  Chancellerie  font ,  M.  1»  Chan* 
celier  ;  M.  le  Garde  des  Sceaux ,  quand  le  Chancelier  n'a  pas  les  Sceaux  ; 
les  deux  grands  Rapporteurs  ;  le  Procureur-général  ;  quatre  grands  Audien- 
ciers  ;  quatre  Contrôleurs-généraux  ;  quatre  Confervateurs  des  hypothèques 
liir  les  rentes;  quatre  Gardes  des  rôles;  quatre  Scelleurs;  un  Tréfbrier- 
général  du  Sceau  ;  un  Caiffier  ;  deux  Tréforiers  du  marc  d'or;  deux  Con- 
trôleurs defdits  Tréforiers  ;  quatre  Secrétaires  du  Roi  Gardes-Minutes  ;  quatre 


9X6       C  H  A  N  C  E  C  L  E  R  t  &  S    D*  E  I  P  A  G  N  E. 

ContrMeurs  des  Expéditions  du  ^ceau  ;  un  premier  Secrétaire  de  M.  le 
Gtiadceltér  ;  un  premier  Secrétaire  du  Sceau  &  de  la  Chancellerie  ;  quatre 
Huilliers  ordinaires;  un  Chauffe-cire  ;  un  Courier  ;  un  Cirier;  deux  Portes* 
coffres ;  un  Meflàger  de.  la  grande  Chancellerie;  un  Aumônier  de  U  Chan- 
cellerie; un  de  M.  le  Chancelier; 'un  Médecin;  un  Apothicaire;  un  Rt* 
ceveur  des  Finances  ^  Droits  de  mutation ,  &  autres  attachés  à  t'ofice  de 
Garde -des  Sbeaux. 

Les  Officiers  qui  compofent  la  petite  Chancellerie  font^  te  Garde  des 
Sceaux;  un  Audiencier;  un  Contrôleur;  deux  Secrétaires  du  Roi;  deux 
Référendaires  ;  un  Tréforier  Receveur  des  émolumens  du  Sceau  ;  un  Gref- 
fier GMrde-Minutè6/  Expéditionnaire  des  Lettres  du  Sceau;  un  Scttleur;  un 
ChaufFe-cire  ;  un  PorteTcotfre ,  &  deux  Huifliers. 


CHANCELLERIES     D' E  S  P  A  G  N  E ,    Tribunaux  Souverains  yw 

connoijftnt  dt  ctrtainti  affaires  dans  leur  rcffort. 

ES^  Chancelleries  doivent  leur  établifTement  à  Don  Henri  II ,  lequd 
voyant^ que  le  eonfeil  royal  de  Cafiilie  étott  furchargé  d'affaires  ,  &  que 
les  ^  parties  fie,  confumoient  en  frais  ^  fans  pouvoir  parvenir  à  les  faire  finir, 
propofa  aux  Etats-Généraux ,  qui  furent  convoqués  à  Toro  »  d'établir  un 
tribunal  fouvecain  à  Médina  del  Campo ,  fous  le  nom  de  Chancellerie  royaki 
pour  décharger  le  confeil  d'une  partie  des  affaires. 

Don  Jean  I ,  lors  des  Et^rs  par  lui  convoqués  à  Ségovie ,  fit  quelques 
chaogemens  par  rapport  à  cette  Chancellerie. 

Aux  Etats-Généraux ,  tenus  à  Tolède ,  fous  Ferdinand-le-Catholique  & 
Ifabelle  fon  époufe ,  ils  perfeâionnerent  encore  ces  écabliffemens  ;  enfin 
aux  Etits  qu'ils  convoquèrent  à^  Médina.  deT  Campo,  en  1494.,  ils  réglèrent 
la  Chancellerie  comme  elle  eft  aujourd'hui ,  &  fixèrent  le  lieu  de  fa  féance 
\  ValladoUd,  comme  plus  proche  du  centre  de  TEfpagne^ 

Quelque  temps  après ,  confidérant  qu'il  y  avoit  beaucoup  de  plaideurs 
éloignés  de  ce  lieu ,  ils  établirent  une  féconde  Chancellerie  ^  d'abord  à 
Ciudàd  Realf  &  en  1494  ils  la  transftirerent  à  Grenade  dont  le  relTort 
$'éteod  fur  tout  ce  qui  eft  au  delà  du  Tage,  celle  de  Valladolid  ayant  pour 
territoire  tout  ce  qui  t{k  en  deçà|  à  la  réferve  de  la  Navarre,  où  il  y  ^ 
un  confeil  fouverain. 

La  Chancellerie -de  Valladotid  efl  con;ipofée  d'un  Préfident,  qui  doit  être 
homme  de  rel)e/de  Ceize  Auditeurs,  de  trois  Alcades  criminels,  &  de  deuï 
*  autres  pour  la  confervation  des-  privilèges  des  gemils-hommes ,  d'un  Jugo 
confervateur  des  privilèges  do  Bifcaie ,  d'un  Fifcal,  un  IVoteâeur,  deux 
Avocats,  un  Procureur  des  pauvres,  un  Alguazil  mayor,  un  Receveur  de( 
gages  ,  quarante  Ecrivains  ,  &  de  quatre  Portiers.  Elite  eil  divifée  en  quatre 
Salles ,  qu'on  appelle  Salk  des  Auditturs. 


CHANCE  L  I  E  R  I  S  .  R  0  M  A  I  N  B;  kî^ 

Celle  de  Grenade  n'eft  compofte  que  d^un  Prëfideoti  feize  Audirêur»^ 
deux  Alcades  criminels ,  deux  autres  pour  la  confervation  des  privilèges  des 
gentils- hommes,  un  Fifcal^un  Avocat,  un  Procureur  pour  les  pauvres,  (ix 
Receveurs  de  l'audience,  un  Receveur  des  amendes,  fix  Ecrivains,  un 
Alguaail,  &  de  deux  Portiers. 

Le  pouvoir  de  ces  deux  Chancelleries  eft  égal  :  elles  cof^noiflèht  en  pre^ 
Hiiere  inftance  de  tous  les  procès  appelles  de  cofit ,  ce  qu'on  appelle  eh 
France  cas  rcymix  (  à  moins  que  le  Roi  n'en  ordonne  autrement  ).  de  tous 
ceux  qui  font  à  cinq  lieues  de  la  ville  où  réHde  la  Chancellerie,  &  de 
tous  ceux  qui  concernent  les  cor^égidors ,  les  aleades  &  autres  ofHciers  de 
juftice ,  qui  y  ont  leurs  caufes  commifes ,  de  même  que  les  ^entils^hom- 
mes ,  lorsqu'il  s'agit  de  leurs  privileees. 

Elles  connoiflent  par  apnél  des  ^ntences  des  juges  ordinaires  &  diélë- 
gnés,  il  la  réferve  des  redditions  de  compte^  des  lettrés  exécutoires  du 
confeil  fur  les  matières  qui  y  ont  été  jugées,  foit  iiiteriècutoirement  ou 
définitivement ,  des  informations  &  enquêtes  faites  par  ordre  du  Roi ,  des 
fentences  des  alcades  de  la  cour  en  matière  criminelle,  &  des  affaires 
commencées  au  civil ,  au  confeil  Royal ,  fuppofô  que  la  cour  foit  féfidente 
à  vingt  lieues  de  la  demeure  des  parties. 

Les  juges  y  donnent  leur  fuflrage  par  écrit,  fur  un  regîftre  fur  lequel 
le  Pr^fident  doit  garder  le  fecnet. 


CHANCELLERIE    ROMAINE. 

J^  A  Chancellerie  Romaine  eft  le  lieu  où  on  expédie  les  ades  de  toutes 
les  grâces  que  le  Pape  accorde  dans  le  confiftoire ,  &  iînguliérement  les 
bulles  des  Archevêchés,  Evéchés,  Abbayes,  &  autres  bénéfices  réputés 
confiftoriaux. 

L'origine  de  cet  établiffement  eft  fort  ancien  ;  car  l'office  de  Chancelier 
de  l'Eglife  Romaine»  qui  étoit  autrefois  le  premier  Officier  de  la  Chan« 
cellerie  ,  étoit  connu  dés  le  temps  du  VI«»e.  concile  (Ecuménique^ 
tenu  en  68a. 

On  prétend  néanmoins  que  la  Chancellerie  ne  fut  établie  qu'après  le 
Pape  Innocent  III ,  c'eft-à-dire  vers  le  commencement  du  XIII«.  fiecle. 

L'office  de  Chancelier  ayant  été  fupprimé,  les  uns  difent  par  Boni* 
fiice  VIII,  les  autres  par  Honoré  III,  le  vice-Chancelier  eft  devenu  le  pre- 
mier Officier  de  la  Chancellerie.  C'eft  toujours  un  Cardinal  qui  remplit 
cette  place. 

Le4>remier  Officier  après  le  Vice-Chancelier,  eft  le  Régent  de  la  Chan- 
cellerie ;  c'eft  un  des  Prélats  du  grand  parquet  :  fon  pouvoir  eft  grand  dans 
la  Chancellerie.  11  eft  expliqué  fort  au  long  dans  la  dernière  des  règles  de 


aSS  en  A  N  G  5  L  L  E  R  I  E    R  O  M  AI  NI. 

Chancellerie  de  pçuftaie  R.  Viée^^CancelUiru  &  cànéellariam  repentis.  C'eft 
lui  qui  met  la  main  à  tomes  les  réngnations  &  cédions ,  comme  matières 
qui  doivent  être  diftribuées  aux  Prélats  du  grand  parquet.  Il  met  fa  mar« 
que  à  la  marge  du  côté  gauche  de  la  fignature ,  ^u-deffus  de  Pextenfion  de 
la  date  en  cette  manière,  N.  Regens.  C'eft  avfli  lui  qui  corrige  les  erreurs 
qui  peuvent  être  dans  les  bulles  expédiées  &  plombées  ;  &  pour  marque 
qu'elles  ont  été  corrigées ,  il  met  de  fa  main  en  haut  au-deflus  des  let- 
tres majufcules  de  la  première  ligne , -ccir/i^mr  in  regiftro  praut  jacci^  & 
(igné  fon  nom. 

Les  Prélats  abrévjateurs  de  la  Chancellerie  font  de  deUx  fortes  :  les  uns 
fgrnonimés  du  grand  parquet  «  qui  eil  le  lieu  où  ils  sWemblent  en  la 
Chancellerie  ;  les  autres  du  petit  p^urquet. . 

.Ceux   du  grand   parquet  dreflènt  toutes    les  bulles  qui  s'expédient  en 
Chancellerie,  dont  ils  lont  obligés  de  fuivxe  les  règles,  qui  ne  fouf&ent 
point  de  narrative  conditionnelle ,   ni  aucune  claufe  extraordinaire  :  c'en 
pourquoi  lorfqu'il  eft  befoin  de  difpenfe  d'âge  ou  de  quelqu'autre  grâce 
iemblable,    il  faut  faire  çxpédier  les  bulles  par   la  chambre  apofioUqae. 
Le  Vice-Chancelier  ayant  dreffé  en  peu  de  mots  une  minute  de  ce  qui  a 
été  réglé ,  un  des  Prélats  du  grand  parquet  dreflfe  la  bulle  ;    on  Penvoie  à 
un  autre  Prélat  qui  la  revoit,  &  qui  la  met  enfuice  entre  les  mains  d'uo 
defcripteur  des  bulles.   Les  abréviateurs    du   grand  parquet  examinent  & 
les  bulles  font  expédiées  félon  les  formes  prefcrites  par  la  Chancellerie,  & 
fi  elles  peuvent  être  envoyées  au  plomb,  c'efl-à-dire ,  fi  elles  peuvent  être 
fcellées;  car  Pufage  de  la  cour  de  Rome  eil  de  fçeller  toutes  les  bulles 
en  plomb. 

Les  Prélats  du  petit  parquet  ont  peu  de  fondions  ;  ce  font  eux  qui  por* 
tent  les  bulles  aux  abréviateurs  du  grand  parquer. 

Le  difiributeur  des  figuatures,  qu'on  appelle  aufli  le  Secrétaire  des  Tri* 
lats  de  la  Chancellerie ,  n'efl  pas  en  titre  d'office  comme  Jes  autres  Ofi* 
ciers  dont  on  vient  de  parler.  Il  eft  dans  la  dépendance  du  Vice-Chance* 
lier  :  fa  fbnâion  confiée  à  retirer  du  regiftre  toutes  les  fignatures,  pour 
les  difiribuer  aux  Prélats  du  grand  ou  du  petit  parquet  9  félon  qu'elles  leur 
doivent  être  diflribuées^  &  à  cet  efiet,  il  marque  fur  un  livre  le  jour  de 
]a  diflribution ,  le  Diocefe,  &  les  matières,  en  ces  termes,  rejignatio  Par 
rifienfis.  Il  fe  charge  des  droits  qui  font  du  petit  parquet,  &  configne  ceux 

2ui  appartiennent  aux  abréviateurs  du  grand,  entre  les  mains  de  chacun 
'eu3(  ou  à  leurs  fubflituts,  après  qu'il  a  mis  au  bas  de  la  fignature  le  nom 
de  celui  à  qui  elle  eil  difiribuée.  Avant  de  faire  la  diflribution  »  il  préfeote 
les  fignatures  au  Régent  ou  à  quelqu'autre  des  Prélacs  de  la  Chancellerie, 
qui  y  mettent  leur  nom  immédiatement  au-deffus  de  la  grande  date. 

Il  n'y  a  qu'un  feul  Notaire  -en  la  Chancellerie  qui  fe  qualifie  député. 
C'eft  lui  qui  reçoit  les  aâes  de  confens  &  les  procurations  des  réfignarioos, 
révocations,  &  autres  a6tes  femblables,  &  qui  fait. l'exrenfioa  du  con/èns 

•  au 


CHANCELLËRIB    AUX    CONTRATS.  189 

mo  dos  de  la  fignature  qu^l  date  ab  anno  incamationis ,  laquelle  aunée  fe 
compte  du  mois  de  Mars;  de  forte  que  (i  la  date  de  la  fignature  fe  ren- 
contre depuis  le  mois  de  Janvier  jufqu'au  25  Mars,  il  femble  que  la  dace* 
du  confens  (bit  poftérieure  à  celle  de  la  fignature. 

Jean  XXII,  le  lendemain  de  fon  éleâion,    avoit  fait  dreifer»  félon  la 
coutiune  de   fes  prédéceiTeurs  des  règles   pour  la  Chancellerie  Romaine. 
M.  von  der  Hardt  a  inféré  ces  règles  dans  le  premier  tom.  de  fon  Recueil. 
Il  les  avoit  tirées  d'un  manufcrit  drHelmftadt.  Ces  règles  de  la  Chancellerie 
Papale  étoient  un  des  plus  grands  griefs  des  Princes ,  des  Prélats ,  des  £c- 
cléfiafliques  &  des  peuples   contre  les  Papes.  On  fe  plaignoit  hautement 
que  par  lès  réfervations  des  Papes,  les  grâces  expeâatives,  les  vacances, 
les  confirmations,  les  difpenfes,  les  exemptions,  les  unions  &  les.  incor- 
porations, les  cotnmandes,  les  annates,  les  décimes,  les  indulgences,  & 
les  autres  charges  fèmblables ,  autorifées  par  ces  règles ,  tout  l'argent  alloit 
à  Rome,  que  les  Eglifes  étoient  dépouillées  de  leur  droit  de  fe  pourvoir 
de  pafteurs,  &  que  la  cour  de  Rome  leur  envoyoic  à  fon  gré,  des  igno- 
raas  &  des  vicieux,  qui  fcandalifoient  &  qui  opprimoient  l'Eglife.  C'étoit 
en    partie  fur  ces  plaintes  générales  qu'on   avoit  afTemblé  le  concile  de 
Confiance.    Les  députés  de  chaque  nation  qui  avoient  été  nommés  par  le 
concile  pour  travailler  à  la  réfbrmation,  avoient  fait  leur  capital  de  Pabp**; 
lition  de  ces  règles  de  là  Chancellerie  Romaine.  Cependant  Martin  V^  qui 
&t  élu,  fit  drcfler,  dés  le  lendemain  de  fon  éleâion,  des    règles  de. la. 
Chancellerie  fur  le  même  pied  que  Jean  XXII  ^  ou  avec  trés-peu  de  di& 
iërence.    Von  der   Hardt  a  aufii  donné  ces  règles   de   la  Chancellerie  de 
Kartin  V.  Elles  ont  été  tirées  de  manufcrits  de  Vienne  &  de  Leipfick.  Le 
livre  qui  a  pour  titré  la  taxe  de  la  Chancellerie  de  Rome^  e&  fort  connu  ^ 
A  il  a  été  traduit  en  diverfes  langues. 


^ 


L 


CHANCELLERIE  AUX  CONTRATS. 


A  Chancellerie  aux  Contrats  eft  une  jurifdiâion  fpéciale  à  la  Bourgo- 
gne :  fon  objet  eft  de  connoitre  en  première  inftance  de  l'exécution  des. 
aftes  pafles  fous  le  Scel  Royal ,  fauf  Tappel  au  Parlement. 

Sous  les  Ducs  de  Bourgogne,  elle  avoit  pour  chef  leur  Chancelier ^ 
qui  étoit  en  même  -  temps  garde  du  grand  &  petit  -  icel ,  &  du,  fcel  aux 
contrats. 

Un  extrait  d'un  ancien  regiftre  de  la  Chambre  des  Comptes ,  imprimé 
dans  le  recueil  d'arrêts  de  M.  Raviot,  tom.  i  ,  p.  470,  prouve  que  le, 
Chancelier  de  Bourgogne  avoit  fix  fieges  ;  à  Dijon ,  Beaune ,  Châlon , 
Autun,  Semur  flr  Châtillon,  où  il  exerçoit  par  lui-même  une  ou  deux  fois 
Pan  cette  jurifdiâion.  Les  notaires  &  leurs  coadjuceurs ,   chacun  dans  leur 

Tome  XI.  .Oo 


290  CHANCELLERIE  AUX  CONTRATS. 

détroit  I  étoient  obligés  de  porter  tous  lès  contrats  qu^ils  recevoieot  à  des 
gardes-fceU  j  qui  les  fcelloient  à  double  c^ueue  de  parchemin  pendant  du 
icel  Se  du  concre*fcel  ;  ils  repréfentoient  aufli  deux  fois  l'année  leurs  regiftres 
fur  iefquels  les  gardes  des  Iceaux  percevoient  les  émolumens  du  kel  ^  donc 
ils  renietcoient  tous  les  ans  le  produit  au  Chancelier ,  qui  retenoit  par  fes 
mains  200  liv.  pour  fa  penfion ,  &  portoit  le  furplus  à  l'épargne  du  Prince. 
Fhilippe-le-Hardi  y  premier  Duc  de  la  féconde  jrace ,  établit  un  Gouver- 
neur de  la  Chancellerie  à  Dijon  (Mathieu  de  Vezon)  en  1^9$^  &  des 
Lieutenans  dans  les  autres  fieges.  Leurs  fondions  furent  confervé'es  après 
la  réunion  de  la  Province  à  la  Couronne ,  &  depuis  ils  furent  érigés  en 
titre  d'office.  Ils  préfident  aux  audiences  de  la  Chancellerie  ^  &  jugent  avec 
les  Officiers  du  bailliage  les  procès  de  la  compétence. 

Un  regiflre  de  la  Qiambre  des  Comptes  nous  apprend  quels  étoient  les 
fceaux  dont  fe  fervoit  le  Gouverneur  de  la,  Chancellerie  fous  Philippe4e« 
Hardi  en  1391.  »  Jacques  Paris  ^  Bailli  de  Dijon ,  ayant  en  garde  le^  fceaux 
3»  de  la  Chancellerie ,  a  baillé  lefdits  fcels  :  c'eft  a  favoir  Te  grand^fcel  & 
»  contre-fcel,  &  le  fcel  aux  caufes^  tous  d'argent  &  enchaînés  d'argent; 
9  enfemble  plusieurs  autres  yiez  (  vieuxj  icels  de  cuivre  &  un  coffiret  ferré 
»  de  leton ,  auquel  on  met  les  petits^fcels  à  maître  Jehan  de  Verranges  » 
9  inftitué  Gouverneur  de  la  Chancellerie  a. 

Les  Lieutenans  de  la  Chancellerie  de  chaque  bailliage  de  la  Province 
avoient  des  fceaux,  comme  il  paroit  par  un  mémoire  de  la  Chambre  dei 
Comptes  de  139^*  Dans  quelques  villes  particulières  il  y  avoit  un  garde 
des  fceaux  aux  contraux ,  leauel  £iifoit  le  ferment  entre  les  mains  des  Mal* 
fres  des  Comptes  qui  lui  délivroient  trois  fceaux  de  cuivre.  Dans  chaque 
bailliage  le  Chancelier  avoit  des  Secrécaires,  LibtlUnfes^  qui  percevokot 
certains  droits  pour  les  écritures  qu'ils  feurniffoienr. 

Aujourd'hui  l'office  de  Gouverneur  de  la  Chancellerie  efl  uni  k  celui  de 
Lieutenant  -  Général  du  bailliage  de  Dijon  ^  &  les  principaux  Officiers  de 
la  plupart  des  autres  bailliages  ont  pareillement  obtenu  la  réunion  à  leurs 
charges  de  celles  dé  Lieutenant  de  la  Chancellerie  ^  créées  dans  leon 
iieges. 

Après  la  mort  du  dernier  Duc,  les  Baillis  Royaux,  fécondés  des  Sa' 
gneurs  haut-JufHciers ,  firent  tous  leurs  efforts  pour  anéantir  la  jurifiliâioo 
de  la  Chancellerie  ;  le  Gouverneur  porta  fes  plaintes  à  Charles  VIII ,  qui 
lui  accorda  en  Juillet  1489 ,  un  édit  qui  le  maintenoit  dans  le  droit  de 
connoltre  de  toute  matière  provenante  du  Scellé,  circonflances  &  dépeir 
dances.  Cet  édit  préfenté  au  Parlement  de  Dijon ,  les  faillis  Royaux  &  1^ 
Seigneurs  haut  -  Jufliciers  s'oppoferent  à  l'enregiftrement  ;  enforte  qu'il  o^ 
fut  point  exécuté  ,  mais  François  I ,  ayant  nommé  des  maîtres  de  requ^ 
tes  &  des  confèillers  du  Parlement ,  pour  entendre  les  parties ,  rendic  ^ 
Màcon  en  Janvier  t  f  9  ^ ,  un  édit  qui  confirme  le  Gouverneur  de  la  ChaO' 
cellerie  &  les  Lieutenans  dans  leur  jurifdiâioo ,  comme  Us  faifoient  avatf 


C  H  A  N  D  E  R  N  A  G  0  R^  &91 

let  entrepnlfes  de  BaUli»  Royaux.  Cet  édic  particulier  pour  la  Bourgogne  « 
iert  de  règle  pour  la  compétence  des  jurifdiétions  entre  le  Gouverneur  de 
la  Chancelierie  &  les  juges  ordinaires  :  il  fut  confirmé  par  une  déclara« 
tioo  du  1 5  Mai  i  $44.  On  les  trouve  dans  les  conunentaires  de  Taifaod  fur 
b  coutume. 

C'eft  aux  Officiers  de  la  Chancellerie  que  font  adreflëes  les  provifions 
des  Notaires  Royaux ,  &  ils  procèdent  à  leur  réception. 

Du  nombre  des  caufeis  qui  font  portées  à  ce  tribunal ,  celles  qui  n'exce-» 
dent  point  les  fommes  fixées  par  le  premier  chef  de  l'édit  des  préfidiaux  ^ 
font  )ugées  fans  appel ,  &  alors  il  prend  le  titre  de  ÇhanccUeric  Préfidialt  : 
lorfaue  la  fomme  qui  fait  l'objet  de  la  conteftation  excède  le  dernier  chef 
de  redit ,  alors  le  procès  eft  jugé  par  la  Chancellerie  ordinure  »  &  l'appel 
le  porte  au  Parlement. 


S 


CHANDERNAGOR»    vilU  des  Indes,  dans  h  Bengale,  fur 

la  rivierre  d'Ougly  ^  appartenant  aux  François. 

J-uE  port  de  Chandemasor^  quoiqu'un  peu  dominé  du  c6té  de  TOueft^ 
•ft  excellent ,  &  l'air  y  eft  auffi  pur  qu'il  peut  l'être  fur  les  bords  du  Gange. 
Cette  ville  qui  comptoit  ci-devant  eaviron  foixante  mille  »nes,  n'en  a 
pas  aujourd'hui  la  moitié.  C'eft  &  ce  fera  toujours  un  lieu  entièrement 
ouvert  9  quoique  foa  entretien  coûte  trois  cents  cinquante  mille  roupies ,  Ôc 
que  fon  revenu  ne  foit  que  de  trente  mille.  La  France  s'eft  obligée  par 
le  traité  de  1763  ,  à  ne  point  y  ériger  de  (bnifications ,  &  à  n'y  entretenir 
aucunes  troupes  réglées ,  non  plus  que  dans  le  refte  de  cette  riche  &  vafte 
contrée.  Les  Anglois,  qui  fous  le  titre  modefte  de  fermiers ,  y  exercent 
la  fouveraineté ,  ne  permettront  jamais  qu'on  s'écarte  de  cette  dure  loi 
qu'ils  ont  impofée.  A  ce  malheur  d'une  fituatioa  précaire ,  fe  joignent  des 
vexations  de  tous  les  genres.  Peu  contens  des  préférences  que  leur  aifure 
une  autorité  ûins  bornes  ^  }e$  Anglois  fe  font  portés  à  des  excès  crians.  A 
leur  inftigation  ^  les  naturels  du  pays  ont  inuilté  les  loges  Françoifes.  Ils 
en  ont  nit  enlever  les  ouvriers  qui  leur  convenoient.  I^  toiles  deftinée^ 
à  la  compagnie  de  France,  ont  été  déchirées  fur  le  métier  même.  Il  a 
été  publiquement  ordonné  à  toutes  ces  manufàâures  de  ne  travailler  que 
pour  eux  pendant  trois  mois.  Leurs  cargaifons  ^  qui  deviennent  tous  les 
jours  plus  confidérables ,  doivent  ^  difent*ils ,  être  choîfies  &  complétées 
avant  qu'on  ne  puiffe  rien  détourner  des  atteliers.  On  a  forcé  le  Souba  de 
défendre  aux  paiticuliers  des  autres  nations  de  faire  aucun  commerce  ^  ^utn- 
que  toutes  les  capitulations  leur  en  euflent  aflliré  le  droit.  Le  projet  ima« 
giné  par  les  François  &  les  Hollandois  réunis  ^  de  &ire  un  dénombrement 
eiaâ  des  tilTeranas  &  de  fe  contenter  enfemble  de   la  moitié  »  tandis 

O  o  » 


^ 


i^i  CHANGE. 

• 

que  TAngtois  jouiroit  feut  du  relie ,  a  été  regardé  comme  un  outrage.  Ce 
peuple  dominateur,  a  pouffé  fes  prétentions  jufqu'à  vouloir  que  fes  fac- 
teurs puffent  acheter  dans  Chandernagor  m^ie,  &  il  a  £iUu  fe  plier  à 
cette  hauteur  pour  ne  fe  pas  voir  exclu  des  marchés  de  tout  le  Bengale. 
En  un  mot,  il  a  tellement  abufé  de  l'injufte  droit  de  la  viâoire.  qu'il 
fembleroit  intérefler  les  gouvernemens  à  faire  des  efforts ,  &  les  pnilofb- 
phes  mêmes  des  vœux  pour  la  ruine  de  fa  liberté ,  fi  les  peuples  n'étoient 
cent  fois  plus  oppreffeurs  &  plus  cruels  encore  fous  Pautorité  d'un  feul 
hoitime,  que  dans  les  propriétés  d'un  gouvernement  tempéré  par  Pin-* 
fiuence  de  la  multitude. 

Les  moyens  que  les  agens  de  la  compagnie  de  France  mettent  en  ufage 
pour  lutter  contre  tant  de  difficultés,  lonr  .aHurément  trés-fages^.  Ils  ont 
j'éformé  les  marchands  Indiens,  avec  lefquels  on  contraâoit  à  des  condi- 
tions énormes ,  &  leur  ont  fubflitué  des  hommes  de  confiance  qui  fournil^ 
fent  les  marchandifes  au  prix  des  manufaâures ,  moyennant  une  commif^ 
fîon  de  trois  pour  cent.  Ils  ont  affuré  au  corps  dont  ils  conduifent  les  af^ 
feires,  les  toiles  qui  fe  fabriquent  dans  Chandernagor  même»  &  qui  étoienc 
autrefois  abandonnées  aux  particuliers ,  quoique  ce  fut  un  objet  de  grande 
importance.  Enfin,  ils  ont  cherché  à  diminuer  les  vexations  &  à  remplir 
les  ordres  qui  leur  venoient  d'Europe  en  achetant  des  chefs  mêmes  des 
comptoirs  Anglois,  une  partie  de  ce  qui  devoit  entrer  dans  leurs  envoie. 
Malgré  ces  précautions ,  les  cargaifons  qui  arrivent  en  France ,  (ont  chè- 
res, foibles,  tardives,  de  mauvaife  qualité,  &  il  faut  que  fa  compagnie 
abandonne  le  Bengale  ou  qu'elle  y  périfTe,  à  moins  qu'elle  ne  change 
Chandernagor  contre  Chatigam.  Voyei^  C  H  A  T  l  G  A>  M. 


CHANGE,  f.  m.  Le  prix  ou  h  droit  que  Von  donne  en  changeant  da 

monnoies  contre  étautres  monnoies. 

V-j  E  T  T  E  forte  de  Change  fe  nomme  communément  Change  menu  & 
quelquefois  Change  pur  „  Change  naturel ,  Change  commun  ou  Change  mzr 
Buel  :  c'efl  le  dernier  qui  a  été  le  premier  en  ufage.  Ceux  qui  exercent 
ce  négoce  font  appelles  changeurs.  Il  confifle  à  prendre  des  monnoies  dé- 
fcdueufes,  ou  étrangères,  ou  hors  de  cours,  pour  des  monnoies  du  pays 
&  courantes. 

On  nomme  encore  Change  l'intérêt  des  trois  mois  qu'exige  un  banquier 
qui  donne  de  l'argent  pour  un  billet  payable  dans  une  autre  place  î  «  la 
différence  qu'il  y  a  entre  l'argent  de  banque  &  l'argent  courant. 

Le  Change  eft  une  fixation  de  la  valeur  aéhielle  &  momentanée  des 
monnoies. 

C'efl  l'abondance  &  la  rareté  relative  des  monnoies  des  divers  pays  qui 
forment  ce  qu'on  appelle  le  Change; 


l 


CHANGE.  a93 

Uargenr,  comme  métal,  a  une  valeur  comme  toutes  les  autres  mar^ 
chandifes  ;  il  a  encore  une  valeur  qui  vient  de  ce  qu'il  eft  capable 
de  devenir  le  iigne  des  autres  marchandifes  ;  &  s'il  n'étoit  qu'une  fîm- 
!e  marchandife  |-  il  ne  £iut  pas  douter  qu'il  ne  perdit  beaucoup  de 
on  prix.  ^ 

L'argent ,  comme  monnoie ,  a^  une  valeur  que  le  Prince  pput  fixer  dans 
quelques  rapports,  &  qu'il  ne  fauroit  fixer  dans  d'autres. 

i^.  Le  Souverain  établit  une  proportion  entre  une  quantité  d'argent  com- 
me métal ,  &  la  même  quantité  comme  monnoie. 

20.  Il  fixe  celle  qui  eft  entre  divers  métaux  employés  à  h  monnoie. 

3^  Il  établit  le  poids  &  le  titre  de  chaque  pièce  de  monnoie. 

40.  Enfin ,  il  donne  à  chaque  pièce  une  valeur  idéale. 

Pour  bien  entendre  ceci,  il  faut  fe  rappeller  qu'il  y  a  des  monnoies  réel- 
les &  4es  monnoies  idéales.  Les  peuples  policés  qui  fe  fervent  prefque  tous 
de  monnoies  idéales ,  ne  le  font  que  parce  qu'ils  ont  converti  leurs  moa- 
noies  réelles  en  idéales.  D'abord  leurs  monnoies  réelles  font  un  certain 
poids  &  un  certain  titre  de  quelque  itiétal  :  mais  bientôt  la  mauvaifefbi^ 
ou  le  befoîn,  font  qu'on  retranche  une  partie  du  métal  de  chaque  pièce 
de  monnoie  à  laquelle  on  laiffe  le  même  nom  :  par  exemple/  d'une  pièce 
du  poids  d'une  livns  d'argent  on  retranche  la  moitié  de  l'argent  &  on  coa« 
tinue  de  l'appeller  livre  ;  la  pièce  qui  étoit  une  vingtième  partie  de  la  livre 
d'argent  on  continue  de  l'appeller  fol ,  quoiqu'elle  ne  foit  plus  la  vingtie* 
me  Dartie  de  cette  livre.  Pour  lors  la  Uvre  eft  une  livre  idéale  &  le  fol 
un  fol  idéal ,  ainfi  des  autres  fubdivifions  :  &  cela  peut  aller  au  point  que 
ce  qu'on  appellera  livre,  ne  fera  plus  qu'une  très-petite  portion  de  la  li- 
vre ,  ce  qui  la  rendra  encore  plus  idéale  ;  il  peut  même  arriver  que  l'oa 
ne  fera  plus  de  pièce  de  moifnoie  qui  vaille  précifément  une  1  ivre ^&  qu'on 
ne  feira  pas  de  pièce  qui  vaille  un  fol;  pour  lors  la  livre  &  le  (bl  feront 
des  monnoies  purement  idéales. .  On  donnera  à  chaque  pièce  de  monnoie 
la  dénomination  d'autant  de  livres  &  d'autant  de  fols  que  l'on  voudra  :  la 
variation  pourra  être  continuelle,  parce  qu'il  eft  aufli  aifé  de  donner  ua 
autre  nom  z  une  chofe,  qu'il  eft  difficile  de  changer  la  chofe  même. 

J'appelle,  dit  Mr.  de  Montefquieu,  la  valeur  de  U  monnoie  dans  cea 
quatre  rapports  valeur  pofiiive^  parce  qu'elle  peut  être  fixée  par  une  loi. 

Les  monnoies  de  chaque  Etat  ont  de  plus  une  valeur  relative  dans  le 
lèns  qu'on  les  compare  avec  les  monnoies  des  autres  pays  ;  c'eft  une  va«^ 
leur  relative  que  le  Change  établit  ;  elle  dépend  beaucoup  de  la  valeur  po« 
fitive.  Elle  eft  fixée  par  l'eftime  la  plus  générale  des  négocians ,  &  ne  peut 
Pêtre  par  l'ordonnance  du  Souverain ,  parce  qu'elle  varie  fans  ceflfe  &  dé-** 
pend  de  mille  circonftances. 

Pour  fixer  la  valeur  relative ,  les  dîvcrfes  nations  fe  régleront  beaucouj^ 
fur  celle  qui  a  le  plus  d'argent  :  fi  elle  a  autant  d'argent  que  toutes  les 
autres  enfemble ,  il  £tudra  bien  que  chacun  aille  fe  mefurer  avec  elle  ^  ce: 


»94 


CHANGE. 


qui  fera   quMIes  fe  régleront  à  peu  près  eotr'elIe$|  comme  eUe^  fe  (ont 
medirées  avec  la  nation  principale. 

Dans  Pétat  aâuel  de  l'univers ,  c'eft  la  Hollande  qui  eft  cette  nation  donc 
nous  parlons;  examinons  le  Change  par  rapport  à  elle. 
,  Il  y  a  en  Hollande  une  monnoie  qu'on  appelle  un  florin,  ce  florin  vaut 
.vingt  fols,  ou  quarante  demi  fols  ou  gros.  Pour  fimplifler  les  idées ,  imaginont 
qu'il  n'y  ait  point  de  florins  en  Hollande  &  Qu'il  n'y  ait  que  des  gros;  un 
homme  qui  aura' mille  flori⧠ aura  quarante  mille  gros,  ainn  du  refte.  Qr^  le 
Change  avec  la  Hollande  confifte  à  favoir  combien  vaudra  de  gros  chaque 
pièce  de  monnoie  des  autres  pays;  &  comme  l'on  compte  ordinairement 
en  France  par  écu  de  trois  livres ,  le  Change  demandera  combien  un  écu 
de  trois  livres  vaudra  de  gros.  Si  le  Change  efl  à  cinquante-quatre^  Pécu 
de  trois  livres  vaudra  cinquante*quatre  gros  ;  s'il  eft  à  foixante ,  il  vaudra 


Change 

pas  la  rareté  ou  Tabondancè  réelle  :  c'eft  une  rareté  ou  une  abondance 
relative.  Par  exemple ,  quand  la  France  a  plus  beibin  d'avoir  des  fonds  en 
Hollande ,  que  les  Hollandois  n'ont  befoin  d'en  avoir  en  France ,  l'argent 
eft  appelle  commun  en  France  &  rare  en  Hollande,  &  vice  versé. 

Suppofons  que  le  Change  avec  la  Hollande  foit  à  cinquante*quatre  :  fi 
la  France  &  la  Hollande  ne  compofoient  qu'une  ville ,  on  feroit  comme 
l'on  fait  quand  on  donne  la  monnoie  d'un  ecu  :  le  François  tireroit  de  fa 
poche  trois  livres,  &  le  Hollandois  tireroit  de  la  fienne  cinquante-quatre 
gros;  mais  comme  il  y  a  de  la  diftance  entre  Paris  &  Amfierdam,  n  fzix 
que  celui  qui  me  donne  pour  mon  écu  de  trois  livres  cinquante-quatre  gros 
qu'il  a  en  Hollande ,  me  donne  une  lettre  de  Change  de  cinquante-*quatre 
gros  fur  la  Hollande  :  il  n'eft  plus  ici  queftion  de  cinquante-quatre  gros» 
mais  d'une  lettre  de  Change  de  cinquante-quatre  gros  ;  ainfi  pour  juger  de 
la  rareté  ou  de  l'abondance  de  l'argent,  il  faut  lavoir  s'il  y  a  en  France 
plus  de  lettres  de  cinquante-quatre  gros  defiinées  pour  la  France,  qu'il  n^ 
a  d'écus  deftioés  pour  ta  Hollande.  S'il  y  a  beaucoup  de  lettres  offertes  par 
les  Hollandois  &  peu  d'écus  offerts  par  les  François,  l'argent  eft  rare  en 
France  ,  &  commun  en  Hollande ,  &  il  faut  que  le  Change  hauffe ,  &  que 
pour  mon  écu  on  me  donne  plus  de  cinquante-quatre  gros^  autrement  je 
ne  le  donnerai  pas,  &  vice  versé. 

On  voit  que  les  diverfes  opérations  de  Change  forment  un  compte  de 
recette  &  de  dépenfe  qu'il  faut  toujours  fblder;  &  qu'un  particulier  qui 


divers  particuliers  d'Efpagne  dulfent  en  France  la  valeur  de  cent  miUe 
marcs  d'argent ,  &  que  divers  particuliers  de  Franœ  duttSsoi  en  Efpagne  cent 


CHANGE;  295 

dix  miUe  marcs ,  &  que  Quelque  circooftaoce  fit  que  chacun  en  Efpagne 
&  en  France  voulût  tout-a-coup  recirer  fon  argent  :  que  feroient  les  opé« 
cations  du  Change?  Elles  acquicterotent  réciproquement  ces^eux  nations 
de  la  fomme  de  cent  mille  marcs  ;  mais  la  France  devroit  toujours  dix 
mille  marcs  en  Efpagne,  &  les  Efpagnols  auroient  toujours  des  lettres  fur 
la  France  pour  dix  mille  marcs,  &  la  France  n'en  auroit  point  du  tout  fur 
TEfpagne. 

Que  fi  la  Hollande  ëtoit  dans  un  cas  contraire  avec  la  France ,  &  que 
pour  folde  elle  lui  dût  dix  mille  marcs ,  la  France  pourroit  payer  l'Efpa** 
gne  de  deux  manières,  ou  en  donnant  à  fes  créanciers  en  Efpagne  des  let« 
très  fur  les  débiteurs  de  Hollande  pour  dix  mille  marcs ,  ou  bien  en  en« 
voyant  en  Efpagne  dix  mille  marcs  d'argent  en  efpeces. 

Il  fuit  delà ,  que  quand  un  Etat  a  befoin  de  remettre  une  fomme  d'ar» 
gent  dans  un  autre  pays,  il  eft  indifférent  par  la  nature  de  la  chofe  que 
Ton  y  voiture  de  l'argent,  ou  aue  l'on  prenne  des  lettres  de  Change} 
l'avantage  de  ces  deux  manières  de  payer  dépend  uniquement  des  circonf-- 
tances  afhielles.  Il  faudra  voir  ce  qui  dans  ce  moment  donnera  plus  de 

E-os   en  Hollande ,  ou  l'argent  porté  en  efpeces ,  ou  une  lettre  fur  la. 
ollande  de  pareille  fomme,   les  frais  de  la  voiture  &  de  l'aflurance 
déduits. 

Lorfque  même  titre  &  même  poids  d'argent  en  France  rendent  même 
poids  &  même  titre  d'argent  en  Hollande ,  on  dit  que  le  Change  eft  au 
pair.  Dans  l'état  aâuel  des  monnoies  le  pair  eft  alfez  ordinairement  à  peu 
prés  à  cinquante-quatre  gros  par  écu.  Lorfque  le  Change  fera  au-de(fus 
de  cinquante-quatre  gros,  on  dira  qu'il  eft  haut  }  lorfqu'iî  fera  au  dellbus^ 
00  dira  qu'il  eft  bas. 

Pour  (avoir  fi  dans  une  certaine  fituation  du  Change ,  l'Etat  gagne  ou 
perd ,  il  Eut  le  confidérer  comme  débiteur ,  comme  créancier  ; .  comme 
vendeur ,  conmie  acheteur.  Lorfque  le  Change  eft  plus  bas  que  le  pair  ^ 
il  perd  comme  débiteur ,  il  gagne  comme  créancier ,  il  perd  comme  ache« 
tenr ,  &  il  gagne  comme  vendeur. 

On  fent  bien  qu'il  perd  comme  débiteur  :  par  exemple ,  la  France  de« 
▼ant  à  la  Hollande  un  certain  nombre  de  gros ,  moins  fon  écu  vaudra  dei 
gros ,  plus  il  y  faudra  d'écus  pour  payer  ;  au  contraire ,  fi  la  France  eft 
créancière  d'un  certain  nombre  de  gros ,  moins  chaque  écu  vaudra  de  gros^ 
plus  elle  recevra  d'écus  :  l'Etat  perd  encore  comme  acheteur,  car  il  faut 
toujours  le  même  nombre  de  gros  pour  acheter  la  même  quantité  de  mar« 
cbandifes ,  &  lorfque  le  Change  baifte ,  chaque  écu  de  France  donne  moina 
de  gros  ;  par  la  même  raifon  TEtat  gagne  comme  vendeur  :  je  vends  ma 
marchandife  en  Hollande  le  même  nombre  de  gros  que  je  la  vendois| 
î^aurai  donc  plus  d'écus  en  France ,  lorfqu'avec  cinquante  gros  je  me  pro« 
curerai  un  écu ,  que  lorfqu'iî  m'en  faudra  cinquante  -  quatre  pour  avoir  co 

même  éai  ;  k  contraire  de  tout  ceci  arrivera  à  l'autre  Etat,  fi  la  Hol« 


%^6  CHANGE. 

lande  doit  un  certain  nombre  d'ëcus ,  elle  gagnera,  &  fi  oa  les  lui  doit^ 
elle  perdra;  fi  elle  vend  elle  perdra ,  fi  elle  acheté,   elle  gagnera. 

Lorfque  le  Change  eft  au-deflbus  du  pair,  par  exemple  ,  s'il  eil  à  cin- 
quante au*lieu  d'être  à  cinquante  -  quatre ,  il  devroi t  arriver  que  la  France 
envt>yant  par  le  Change  cinquante-quatre  mille  écus  eh  Hollande,  n'^acheteroic 
de  marchandife  que  pour  cinquante  mille  écus  ;  &  que  d'un  autre  coté  la  Hol- 
lande ,  envoyant  la  valeur  de  cinquante  mille  écus  en  France ,  en  acheteroit 
pour  cinquante-quatre  mille  ,  ce  qui  feroit  une  difFérence  de  huit  cinquante- 
quatrièmes,  c'en*  à-dire ,  déplus  d'un  feptieme  de  perte  pour  la  France,  de 
forte  qu'il  éiudroit  envoyer  en  Hollande  un  feptieme  de  plus  en  argent  ou  en 
marchandifes  qu'on  ne  faifoit  lorfque  le  Change  étoit  au  pair ,  &  le  mal  aug- 
mentant   toujoiu-s,  parce  qu'une  pareille  dette  feroit  encore  diminuer  Te 
Change,  la  France  feroit  à  la  fin  ruinée.  Il  femble  que  cela  devroit  être, 
&  cela  n'efl  pas ,  parce  que  les  Etats  tendent  toujours  à  fe  mettre  dans 
la  balance,  &  à  fe  procurer  leur  libération;  ainfi  ils  n'empruntent  qui 
proportion  de  ce  qu'ils  peuvent  payer ,  &  n'achètent  qu'à  mefure  qu'ils  ven- 
dent :  &  en  prenant  l'exemple  ci-delTus ,  fi  le  Change  tombe  en  France  dé 
dnquante-quatre  à  cinquante,  le  Hollandois  qui  achetoit  des  marchandises 
de  France  pour  mille  écus,  &  qui  les  payoit  cinquante-quatre  mille  gros, 
ne  les  payeroit  plus  que  cinquante  mille  fi  le  François  vouloit  y  confentir  : . 
mais  la  marchandife  de  France  hauffera  infenfiblement ,  le  profit  fe  partar 
gera  entre  le  François  &  le  Hollandois  :  car  lorfqu'un  négociant  peut  ga« 
gner ,  il  partage  aif'ément  fon  profit;  il  fe  fera  donc  une  communication  de 
profit  entre  le  François  6c  le  Hollandois  ;  de  la  même  manière  ;  le  Fran- 
çois qui  achetoit  des  marchandifes  de  Hollande  pour  cinquante- quatre  raillé 
gros  &  qui  les  payoit  avec  mille  écus ,  lorfque-le  Change  étoit  à  cinquante- 
quatre  ,  feroit  obligé  d'ajouter  un  feptieme  de  plus  en  écus  de  France  pour 
acheter  les   mêmes  marchandifes  :  mais  le  marchand  qui  fentira  la  perte 
u'il  feroit ,  voudra  donner  moins  de  la  marchandife  de  Hollande  ;  il  Te 

ra  donc  une  communication  dp  perte  entre  le  marchand  François  &  I0 
marchand  Hollandois  :  TEtat  fe  mettra  infenfiblement  dans  la  balance ,  & 
Pabaifièment  du  Change  n'aura  pa»  tous  les  inconvénieins  qu'on  dévoie 
craindre. 

Lorfque  le  Change  efi  plus  bas  que  le  pair,  un  négociant  peut  fans  di- 
minuer fa  fortune  remettre  fes  fonds  dans  les  pays  étrangers,  parce  qu'ea 
les  faifant  revenir ,  il  regagne  ce  qu'il  a  perdu  :  mais  un  Prince  qui  n'en- 
Toie  dans  les  pays  étrangers,  qu'un  argent  qui  ne  doit  jamais  revenir,  per' 
toujours. 

Lorfque  les  négocians  font  beaucoup  d'af&ires  dans  un  pays ,  le  Change 

y  haufie  infailliblement;  cela  vient  de  ce  qu'on  y  prend  beaucoup  d'enga- 

gemens ,  &  qu'on  y  acheté  beaucoup  de  marchandifes  ,  &  l'on  tire  furl^  • 

pays  étranger  pour   les  payer. 

Si  an  Prince   ait  de  grands  amas  d'argent  dans  foa  Etat ,  l'argeot  y 

pourra 


a' 


CHANGE-  297 

xioum  être  rare  réelkment  &  commuû  relativement  :  par  exemple ,  fi  dans 
le  même  temps  cet  £rat  avoir  à  payer  beaucoup  de  marchandiles  dans  les 
pays  étrangers ,  le  Change  baifleroic,  quoique  l'argent  fût  rare. 

Le  Change  de  toutes  les  places  tend  toujours  à  fe  mettre  à  une  certaine 

I proportion  ^  &  cela  tH  dans  la  nature  de  la  chofe  même.  Si  le  Change  de 
'Irlande  à  l'Angleterre  e(l  plus  bas  que  le  pair,  ceint  de  l'Irlande  à  la 
flollande  fera  encore  plus  ba^ ,  c'e(l-à-dire ,  en  raifon  compofée  de  celui 
de  l'Irlande  à  l'Angleterre^  &  de  celui  de  l'Angleterre  à  la  Hollande;  car 
un  HoUandois  qui  peut  faire  venir  (es  fonds  indireâement  d'Irlande  par 
l'Angleterre ,  ne  voudra  pas  payer  plus  cher  pour  les  faire  venir  direâe- 
ment.  Quoique  cela  dût  être  ainfi,  cela  n'efl  pourtant  pas  exaâement,  il 
y  a  toujours  des  circonftances  qui  font  varier  ces  chofes  ;  &  la  différence 
du  profit  qu'il  y  a  à  tirer  par  une  place ,  ou  à  tirer  par  une  autre ,  fiiit 
i'habileté  particulière  des  banquiers. 

Lorfqu'un  Etat  haude  fa  monnoie^  par  exemple,  lorfqu'il  appelle  fix  li* 
vres,  ou  deux  écus,  ce  qu'il  nappelloit  que  trois  livres  ou  un  écu,  cette 
dénomination  nouvelle  qui  n'ajoute  rien  de  réel  à  l'écu  ,  ne  doit  pas  pro- 
curer un  feul  gros  de  plus  par  le  Change  ;  on  ne  devroit  avoir  pour  les 
deux  écu$  nouveaux  que  la  même  quantité  de  gros  que  l'on  recevoir  pour 
l'ancien  ;  &  fi  cela  n'efl  pas ,  ce  n'eft  point  l'effet  de  la  fixation  en  elle* 
même,  mais  de  celui  qu'elle  produit  comme  nouvelle,  &  de  celui  qu'elle 
a  comme  fubite.  Le  Change  tient  à  des  affaires  commencées,  &  ne  fe  met 
en  règle  qu'après  un  certain  temps. 

Lorfqu'un  État,  au-lieu  de  hauffer  fimplement  fa  monnoie  par  une  loi, 
&it  une  nouvelle  refonte,  afin  de  faire  d'une  monnoie  forte  une  monnoie 
plus  foible ,  il  arrive  que  pendant  le  temps  de  l'opération ,  il  y  a  deux  for* 
tes  de  monnoie,  la  forte  qui  èfi  la  vieille,  &  la  foible  qui  efl  la  nouvelle; 
&  comme  la  forte  efl  décriée  &  ne  fe  reçoit  qu'à  la  monnoie,  &  que  par 
conféquent  les  lettres  de  Change  doivent  fe  payer  en  efpeces  nouvelles , 
il  femble  que  le  Change  devroit  fe  régler  fur  l'efpece  nouvelle  :  fi  par 
exemple ,  l'afFoiblifTement  en  France»  étoit  de  moitié ,  &  que  l'ancien  écu 
de  trois  livres  donnât  fbixante  gros  en  Hollande ,  le  nouvel  écu  ne  devroit 
donner  que  trente  gros  :  d'un  autre  côté ,  il  femble  que  le  Change  devroit 
fe  régler  fur  la  valeur  de  l'efpece  réelle,  parce  que  le  banquier  qui  a  de 
l'argent  &  qui   prend  des  lettres ,  efl    obligé   d'aller  porter  à  la  monnoie 
des  efpeces  vieilles  pour  en  avoir  de  nouvelles ,  fur  lefquelles  il  perd.  Le 
Change  fe  mettra  donc    entre   la  valeur  de  l'efpece  nouvelle  &  celle  de 
l'efpece  vieille  :  la  valeur  de  l'efpece  vieille   tombe,  pour  aînfi-dire,  & 
parce  qu'il  y    a  déjà  dans  le  commerce  de    l'efpece  nouvelle,   &  parce 
^ue  le  banquier  ne  peut  pas   tenir  rigueur,   ayant  intérêt  de  fiiire  fortir 
promptement  l'argent  vieux  de  fa  caiffe  pour  le  faire  travailler,  &  y  étant 
lUême  forcé  pour  faire  fes  paiemens.  D'un  autre  côté,  la  valeur  de  l'efpece 
nouvelle  s'élève .  pour  ainfi-dire ,  parce  que  le  banquier  avec  de  l'efpece 
Tome  XI.  P  p 


198  C    H    A    N    G    s. 

nouvelle  fe  trouve  dans  une  circonftancc  où  il  peut,  avec  un  grand  avantage, 
s'en  procurer  de  la  vieille  :  le  Change  fe  mettra  donc  entre  l'efpece  nouvelle 
&  refpecè  vieille  ;  pour  lors  les  banquiers  ont  du  profit  à  Ikire  fortir  l'ef- 
pece vieille  de  l'État,  parce  qu'ils  fe  procurent  par- là  le  même  avantage 
Sue  donneront  un  Chaoge  réglé  fur  l'efpece  vieille,  c'eft-à-dire  beaocoM 
e  gros  en  Hollande ,  &  qu'ils  ont  un  retour  en  Change  réglé ,.  encre  Ytt 
Eece  nouvelle  &  l'efpece  vieille,  c'eft-à-dire  plus  bas  z  ce  qui  procure 
eaucoup  d'écus  en  France. 

Je  fuppofe  que  trois  livres  d'efpeces  vieilles  rendent  par  le  Change  ac- 
tuel quarante*cinq  gros,  &  qu'en  tranfportant  ce  même  écu  en  HoUandei 
on  en  ait  foixante,  mais  avec  une  lettre  de  quarante-cinq  gros,  on  fe  pro- 
curera un  écu  de  crois  livres  en  France ,  lequel  tranfporté  ea  efpeces  vieilles 
en  Hollande,  donnera  encore  foixaate  gros;  toute  efpece  vieille  fortin 
donc  de  l'État  qui  fait  la  refonte  ,  &  le  profit  en  fera  pour  les 
banquiers. 

Four  remédier  à  cela ,  on  fera  forcé  de  &ire  une  opération  nouyelle. 
L'Étac  qui  fait  la  refonte  enverra  ki-méme  une  grande  quantité  d'efpeces 
vieilles  chez  la  nation  qui  règle  le  Change ,  &  s'y  procurant  un  créait,  il 
fera  monter  le  Change  au  point  qu'on  aura,  à  peu  de  chofes  prés,  au«* 
tant  de  gros  par  le  Change  d'un  ecu  de-  trois  livres  qu'on  en  auroit,  ea 
faifant  fortir  un  écu  de  trois  livres  en  efpeces  vieilles  hors  du  pays  :  je  dis 
à  peu  de  chofes  prés,  parce  que  lorfque  le  profit  fera  modique,  00  ne 
fera  point  tenté  de  faire  fortir  l'efpece  à  caufb  des  frais  de  la  voiture  & 
des  rifques  de  la-  confiscation» 

Un  exemple  donnera  une  idée  ptus  claire  de  ceci.  Le  .Sieur  Bernard  pro- 
pofe  fes  lettres  fur  la  Hollande,  &  les  donne  à  un ,  deux  ^  trois  gros  plus 
haut  que  le  Change  aftuel;  il  a  fait  une  provifîbn  dans  les  pays  étrange» 
par  le  moyen  des- efpeces  vieilles  qu'il  a  fait  continuellemenc  voiturer^il 
a  donc  fait  hauffer  le  Change  au  point  que  l'on  vient  de  dire  :  cependant 
à  force  de  donner  de  fes  lettres ,  il  fè  faiut  de  toutes  les  efpeces  nouvelles» 
&  force  les  autres  banquiers  qui  ont  ides  paiemens  à  faire,  à  porter  leurs 
efpeces  vieilles  à  la  monnoie  v  &  de  plus ,  eomme  il  a  eu  infenfiblemeot 
tout  Pargent ,  il  contraint  à  leur  tour  les  autres  banquiers  à  lui  donner 
des  lettres  à  un  Changie  très-haut  ;  le  profit  de  ta  fin  l'indemnife  en  grande 
partie  de  la  perte  du  commencement. 

On  fent  que  pendant  toute  cette  opération,  l'État  doit  (buffiîr  une  vîo^ 
lente  crife,  l'argent  y  deviendra  très-rare. 

i^.  Parce  qu'il  £iuc  en  décrier  la  plus  grande  partie. 
z^.  Parce  qu'il  en  faudra  tranfporter  une  partie  dans  tes  pays  étrangers» 
3^.  Parce  que  tout  le  monde  le  reffefrera,  potrfonne  ne  voulant  laiffer 
au  Souverain  un  profit  qu'on  efpere  avoir  fbi-méme.  Il  efl  dangereux  de  la 
faire  arec  lenteur ,    il  eft  dangereux  de   la  faire    avec  prompc  itude.  Si 
le  gain   qu'on   fuppofe  efl  immodéré  «  les  incpnv^niens  augmentent    U 
meture. 


CHANGE.  ^99 

Qb  a  va  ci-deATus*  que  quand  le  Chaoge  eft  plus  bas  que  Ten^ece,  «1 
y  avok  du  profit  à  faire  fortir  l'argent  :  par  la  même  raifon ,  lorlqu^ii  eft 
plus  haut  que  l'efpece  ^  il  y  a  du  profit  à  le  &ire  revenir. 

Mais  il  y  a  un  cas  où  Ton  trouve  du  profit  à  faire  fortir  Tefpece,  quoi* 
que  le  Change  foit  au  pair,  c'eft  lorfqiron  l'envoie  dans  les  pays  écran* 

J^erSy  pour  la  faire  remarquer  ou  la  fondre.  Quand  elle  eft  revenue ,  on 
aie ,  toit  qu'on  l'emploie  dans  le  pays ,  foit  qu'on  prenne  des  lettres  pour 
l'étranger ,  le  profit  de  la  monnoie. 

S'il  arrivoic  que  dans  un  Etat  on  fit  une  compagnie  qui  eût  un  nombre 
tfès-confidérable  d'aâions ,  &  qu'on  eût  &it  dans  quelques  mois  ie  femps 
luiuflèr  ces  aâions  vingt  ou  vingts-cinq  kis  au*delà  de  la  valeur  du  premier 
rachat ,  &  que  ce  même  Eut  eût  établi  une  banque  dont  les  billets  duf- 
fent  fiiire  la  fbnâion  de  monnoie ,  &  que  la  valeur  numéraire  de  ces  bil- 
lets fût  prodigieufè  pour  répondre  à  la  valeur  numéraire  des  adions  (c'eft 
le  fyfléme  de  M.  Lxw)  \  il  fuivroit  de  la  nature  de  la  chofe  que  fes  ac- 
tions &  fes  billets  s'anéantiroient  de  la  même  manière  qu'ils  fe  feiroienc 
établis  :  on  n'auroic  pu  faire  monter  tout-à*coup  les  aétions  vingt  ou  vingt- 
cinq  fois  plus  haut  que  leur  première  valeur,  fans  donner  à  beaucoup  de 
gens  le  moyen  de  fe  procurer  d'immenfes  richeilës  en  papier  :  chacun 
chercherait  a  affurer  (a  fortune  ;  &  comme  le  Change  donne  la  voie  la 
plus  fiicile  pour  la  dénaturer,  ou  pour  la  tranfporter  où  l'on  veut,  on  re- 
mettroit  fans  celfe  une  partie  de  ces  effets  chez  la  nation  qui  règle  le 
Change.  Un  projet  continuel  de  remettre  dans  les  pays  étrangers,  ferait 
bailfer  le  Change. 

Suppofons  que  du  temps  du  fyftême  dans  le  rapport  du  titre  &  du  poids 
de  la  monnoie  d'argent ,  le  taux  du  Change  fût  de  quarante  gros  par  écu  ; 
lorlqu'un  papier  innombrable  fut  devenu  monnoie,  on  n'aura  plus  voulu 


papier 
de  troia  livres  en  argent 


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CHANGE. 


TABLE  DU  COURS  DU  CHANGE  de  HoUande,  depuis  $4  jvîijalt  %t 
deniers  de  gros  de  Hollande  pour  l'écu  de  trois  livres  ^  avec  toutes  les 
fraâiôns  jufqu'aux  feizîemes  ^  comme  ils  fe  trouvent  dans  le  Commerce 
de  Banque. 

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Vayc{^  à  la  fin  Tobfervatioo  néceflaire  pour  Tiatelligence  de  cette  Table» 


tant  à 

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Par  cette  table  qui  eft  le  cours  de  Change  d'Hollande  depuis  (4  Jufqu^ 
<8  deniers  de  gros  de  Hollande  pour  Pécu  de  trois  livres  avec  toutes  les 
fcaâions ,  jufqu'aux  feiziemes  comme  ils  fe  trouvent  dans  le  commerce  de 
banque ,  on  voit  ce  que  vaut  un  florin  de  Hollande  argent  de  France ,  & 
for  la  même  ligne  on  voit  ce  que  vaut  une  livre  de  France ,  argent  de 


3o8  C    H    A    N    G    Ei 

HoUaoâ6  :  aiofi  on  pourra  voir  par  une  fimple  multiplication  ce  que  rm^ 
dront  argent  de  France  ^  quelque  nombre  que  ce  foit  de  florins  de  Hol- 
lande ;  de  même  ce  que  vaudront  argent  de  Hollande  quelque  fomme  de 
France  que  ce  fbit.  Exemple,  fi  Ton  veut  favoir  ce  que  vaudront  ai^enc 
de  France  178  florins  de  Hollande  argent  courant ,  1& Change  étant  à  5^  f  de- 
niers de  gros  pour  Técu  de  trois  livres  ;  il  faut  chercher  en  la  table  ci« 
deflus  ^<  i  où  l'on  voit  qu'un  florin  vaut  2  Itv.  3  f.  i  d.  H  àt  France, 
ainfi  il  faut  multiplier  les  178  florins  par  ta  fomme  de  i  liv.  3  f.  i  d.  U  & 
on  trouvera  384  liv.  tpurnoisque  vaudront  les  178  florins,  le  Change  étant 
au  prix  ci-deflfus  :  &  pour  preuve ,  il  faut  voir  fur  la  même  ligne  de  6  5  f  de- 


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florins  propqfés.  H  faut  faire  attention ,  en  faifaAt  cette  dernière  mukîplica^ 
tion ,  que  4  pennins  font  le  qu2l^t  d'un  fluiver ,  parce  qu'il  faut  1 6  pennins 
pour  un  fluiver,  .&  que  le  |  que  l'on  a  au  multiplicateur  n'efl  que  le  tiers 
d'un  pennin.  11  en  fera  de  même  à  l'égard  de  toutes  fommes  de  France 
que  l'on  voudra  changer  en  monnoie  de  Hollande ,  de  même  que  de 
toutes  les  fommes  de  Hollande  que  l'on  voudra  changer  en  argent  de 
France  ,  ayant  ^ttent;on  de  chercher  dans  la  table  le  prix  du  Change 
en  deniers  de  gros. 

ÂGBNS    DB    Change. 

\^  E  font  des  Officiers ,  ou  perfonnes  publiques ,  qui  font  le  commerce 
d'argent ,  c'eft-à*dire ,  qui  négocient  les  lettres  de  change ,  billets  ou  au* 
très  effets  payables  au  porteur ,  ou  à  ordre ,  êc  auxquels  on  paie  un  cer- 
tain droit  pour  leur  entremife.   Depuis  que  le  papier  commerçable  s'eft 
multiplié  à  l'inflni  dans  les  Etats  policés,  les  perfonnes,  qui  fe  chargent 
de  le  négocier,  font  devenues  de  la  plus  grande  utilité.    Auffi  a*t-on  eu. 
foin  d'en  établir  dans  prefaue  toutes  les  villes  de  l'Europe ,  fur-tout  dan 
les  villes  où  le  commerce  fleurit  davantage  ;  leur  miniflere  fefnble  lui  don< 
ner  une  nouvelle  vigueur,  une  aâivité  pUis  grande  en  facilitant  aux  n( 
cians  &  autres  la  vente  de  leurs  effets  &  marchandîfes ,  dont  le  prii^  ù 
promptement  ou  du  moins  affuré  les  met  dans  le  cas  de  faire  de  nouvelli 
entreprifes ,  &  de  ne  point  interrompre  leurs  affaires.  En  France  l'emploi 
d'Agent  de  Change  a  été  érigé  en  titre  d'office  du  moins  pour  les  prin^^^* 
cipales  villes  de  ce  Royaume.  Ce  fut  fous  Charles  IX  que  fe  fit  cett^r^e 
nouvelle  création  d'Officiers.  Son  Edit  du  mois  de  Juin  1572  porte,  qu»^ 
c'efl  pour  remédier  aux  abus  fans  nombre  qu'entraluoit  l'exercice  du 
tage ,  qu'il  s'eft  déterminé  à  établir  en  titre  d'office  tous  ceux ,    qui  voi 
dront  déformais  l'exercer  dans  fes  Etats ,  &  à  les  aflreindre  à  prendre  pooKr       /* 
cet  effet  des  provifîons  du  Sceau ,  ainfi  qu'à  fe  Ëiire  recevoir  en  qualité  9f      y  ^ 


C    H    A    N    G    E. 


309 


Courâers  ou  d^Agens  de  Change  par  les  Baillis ,  Sénéchaux  &  autres  Ju- 
ges Royaux  des  lieux  de  leur  réfideoce.  Le  dëfir  de  remédier  aux  abus  eft 
toujours  le  prétexte  vrai ,  ou  fuppofé ,  dont  on  s'authorife  pour  faire  agréer 
toutes  ces  nouvelles  créations  d'offices,  qui  tendent  fans  cefle  à  refferrer 
la  liberté  du  citoyen.  Jufqu'au  règne  de  Charles  IX  le  courtage  avoir  été 
libre  «n  France,  &  pouvoir  l'exercer  qui  vouloir.  Cependant  TEdit  de  ce 
Prince  demeura  fans  effer.  Henri  IV  le  remit  en  vigueur  en  159^,  &  créa 
des  Courtiers  de  Change  pour  différentes  villes  de  fon  Royaume  ,  favoir 
pour  Paris,  Lyon,  Marfeille,  Tours,  la  Rochelle  ,    Bordeaux,  Amiens, 
Dieppe ,  &  Calais.  Il  fixa  le  nombre  deldits  Officiers ,  qu'il  défiroit  éta- 
blir dans  chacune  de  ces  villes ,  &  défendoit  en  même  temps  à  toute  au- 
tre perfonne  d'y  exercer  le  courtage  fous  peine  de  punition  corporelle ,  de 
crime  de  faux^  &  de  ^00  écus  d'amende.  L'état  de  ces  Officiers  a  éprouvé 
depuis  de  grandes  variations  fous  les  règnes  de  Louis  XIII ,  de  Louis  XIV 
&  de  Louis  XV.   Leur  nombre  a  été  fucceffivement  réduit  ou  augmenté. 
On  les  a  plufieurs  fois  fupprimés,  &  enfuite  recréés  toujours  avec  un  ac** 
croilTement  de  finance.  Louis  XIV  les  fupprima.  tous  par  un  Edit  du  mois 
de  Décembre  170$  à  l'exception  de  ceux  de  Marfeille  &  de  Bordeaux ,  & 
par  le  même  Edit  en  créa  iitT  autres  pour  être  répartis   dans  les  princi- 
pales villes  du  Royaume.   Il  leur  donne  dans  cet  Edit  la  qualité  de   Co/z- 
Jeillcrs  du  Roi ,  Agens  de  Banque ,  de  Change ,  de  Commerce  &  de  Finan* 
^es.  Qualité  qu'ils  ont  toujours  prife  depuis  au  lieu  de  celle  de  Courtiers, 
laquelle  eft  demeurée  à  ceux ,  qui  font  encore  le  commerce  d'argent  dans 
les  villes  où  il  n'y  a  point  d'Âgens  de  Change.  Ces  derniers  n'ont  pas  be- 
Coin  de  provifîons  pour  exercer  le  courtage ,    il  fuffit  qu'ils  foient  d'une 
probité  reconnue.  Il  y  a  même  des  villes ,  où  ils  font  choifis  pour  ce  négoce 
par  les  Maires  &  Echevins  ,   par  les  Juges*Confuls  ou  par  les  Gardes  & 
Syndics  des  Marchands. 

A  l'égard  des  Agens  de  Change  établis  en  France  avec  provifîons  ,  il 
^aut  qu'ils  ayent  2{  ans  accomplis  avant  de  pouvoir  être  pourvus  de  leur 
«office ,  &  ils  doivent  prêter  ferment  devant  le  Juge  Royal  du  lieu  où  ils 
^ont,  de  s'acquitter  fidèlement  de  leur  charge.  Ceux  de  Paris  avoient  au- 
vefois  des  gages  &  leur  franc-falé ,  ils  étoient  auffi  exempts  de  tailles  & 
^es  charges  publiques ,  comme  tutelle ,  curatelle ,  &c.  mais  ces  privilèges 
-leur  ont  été  ôtés  par  l'Edit  de  1723.  Ceux  qui  leur  ont  été  confervés^ 
«'eft  de  pouvoir  joindre  à  leurs  fondions  celles  de  Secrétaires  du  Roi , 
^ans  avoir  befoin  de  lettres  de  compatibilité ,  &  par  conféquent  de  pou- 
voir jouir  de  la  NoblefTe.  C'eft  en  outre  que  leur  état  exige  une  probité  fi 
liévere  &  fi  grande ,  que  quiconque  a  eu  le  malheur  de  faire  faillite ,  d'à- 


\ 


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C    H    A    N    G    E. 


A  gens  de  Change,  c^eft  la  confiance  du  public  &  l'importance  des  affiûitf; 
dont  il  les  charge.  Aufli  exlgenr-elles  de  lear  part  la  difcrétion  la  plus 
grande  $  &  telle ,  qu'ils  né  peuvent  »  fous  peine  de  privation  de  leur  office 
&  de  trois  mille  livres  d^amende ,  fe  fervir  d'aucun  commis ,  Êiâeur  ou 
entremetteur,  ni  même  de  leurs  enfans  pour  quelque  négociation,  que  ce 
foit.  Cependant  fi  un  Agent  de  Change  venoit  à  tomber  malade,  ilpourroit 
£lire  achever  par  fes  en&ns  les  négociations  commencées ,  mais  il  ne  lui 
ièroit  pas  permis  d^en  entamer  de  nouvelles. . 

Henri  IV,  dans  un  arrêt  de  fon  confeil  de  159$,  adrelTé  auFrévdtde 
i^aris,  avoit  déclaré  expreffément  qu'en  créant  des  A  gens  de  Change,  fon 
intention  n'étoit  pas-qu'aucun  particulier  pi\t  être  contraint  à  fe  fervir  de  leur 
miniftere  dans  les  négociations  de  banque  &  de  Change  ou  de  vente  de 
marchandifes  ;  cette  déclaration  a  été  répétée  dans  tous  les  Edits  pofté' 
rieurs,  par  lefquels  on  a  créé  de  nouveaux  Agens  deChanee  jufqu'en  17241 
où  Louis  XV ,  en  établiffànt  par  un  arrêt  de  Ton  confeil  du  14  Septembre, 
une  bourfe  dans  la  ville  de  Paris ,  déclara  que  tout  papier  commerçable  de 
quelque  nature  qu'il  fût ,  ne  pourroit  fe  négocier ,  que  par  l'entremifè  des 
Agens  de  Change,  à  l'exception  néanmoins  des  lettres  de  Change,  billeti 
au  porteur,  ou  à  ordre,  de  même  que  les  marchandifes,  pour  lefquels  les 
marchands ,  négocians ,  banquiers  &  autres  admis  à  la  bourfe  peuvent  trai* 
ter  entre  eux  fans  recourir  aux  Agens  de  Change.  Four  tous  les  autres 
papiers ,  comme  adtons  de  la  Compagnie  des  Indes ,  contrats  de  rente  &c. 
s'ils  fe  mêloienc  d'en  négocier  par  eux-mêmes  ,  les  articles  17  &  18  de 
l'arrêt  du  confeil  cité  plus  haut ,  déclarent  nulles  leurs  négociations  en  eu 
de  conteftation  ,  &  en  condamnent  les  auteurs  à  la  prifon  &  i  ofl^ 
amende  de  fix  mille  livres  payable  par  corps,  dont  une  moitié  eft  attri* 
buée  au  dénonciateur  des  contrevenans ,  &  l'autre  à  l'hôpital  général. 

Il  eft  défendu  aux  Agens  de  change  de  faire  le  commerce  de  quelque 

genre  que  ce  Toit,  pour  leur  propre  compte,  fous  peine  de  deftitution  de 

leur  charge  &  de  trois  mille  livres  d'amende.  Comme  ils  font  dans  le  cis 

de  connoitre  les  affaires  de  tous  les  négocians  &  banquiers  de  la  ville  oii 

ils  réfident,  rien  ne  leur  feroit  plus  facile  que  d'abufer  de  cette  conooiT' 

fance  pour  leur  avantage.  Il  leur  eft  défendu,  fous  les  mêmes  peines ,  de 

.négocier  des  lettres  de   change ,  billets ,  marchandifes ,  papiers  &  autres 

effets  apparténans  à  des  gens,  dont  la  faillite  eft  connue.  Ce  feroit  induire 

Je  public  en  erreur,  &  lui  caufer  le  plus  grand  préjudice.  Les  niêmesdé* 

fenfes'&  fous  les  mêmes  peines  leur  font  faites,  de  contraâer  aucune  fo- 

ciété  entre-eux,  ni  avec  aucun  marchand  ou  négociant,  fbit  en  commao* 

•dite  ou  autrement,  même  de  faire  aucune  commiflion  pour  le  compte  des 

étrangers,  ou  forains,  à  moins  que  ces  derniers  ne  fe  trouvent  fur  les  liens 

dans  Je  temps  de  la  négociation.  Ils  ne  peuvent  non  plus,  fans  encourir 

les  peines 'énoncées  ici-deifus,  endoffer  aucune  lettre  de  change,  &  billet 

.  au  porteur  ou  à  ordre  ^  &  pour  nous  fervir  des  termes  de  banque ,  to 


CHANGÉ. 


311 


figner  par  cyal^  c'e(l*!É-dire ,  fe  rendre  cautions  des  tireurs  ou  endofleurs. 
Tout  ce  que  la  loi  leur  permet  à  cet  égard,  c'eft  de  certifier  les  fignatu- 
res  des  tireurs ,  acquéreurs ,  ou.  enâpifeurs  des  lettres  de  change ,  &  de 
ceux  qui  ont  fait  les  billets  ;  mais  cette  prohibition  ne  les  prive  pas  du 
droit  naturel  de  tirer,  des  lettres  de  change  fur  leurs  débiteurs ,  ou  d'en 
prendre  fur  les  lieux  pour  lefquels  ils  en  ont  befoin ,  relativement  à  leurs 
affaires. 

Les  (bnâions  des  Agens  de  Change,  confîftent  à  fe  trouver  tous  les 
jours  \  la  bourfe ,  ou  place  de  change ,  loge  ou  collège  des  marchands  ; 
car  on  donne  indifféremment  tous  ces  noms  au  lieu  public  où  fe  raffem*^ 
blent  les  banquiers,  les  marcHands  négocians  &  autres,  pour  y  traiter 
des  affaires  relatives  à  leur  commerce  ;  ils  doivent  s'y  rendre  à  dix  heu-! 
res  du  matin ,  &  refier  jùfqu'à  une  heure  après-midi ,  excepté  les  jours  dé 
Dimanches  &  de  fêtes. 

Ils  font  tenus  d'avoir  un  regiflre-journal  cotté  &  paraphé  par  les  Juges 
&  Confuls  dans  les  villes  où  il  y  a  jurifdi£tion  confulaire  ,  comme  à  Pa« 
ris  ,  à  Lyon  &c.  &  dans  les  autres  par  le  Juge  Royal  du  lieu.  Sur  ce  re- 
giftre ,  qui  fait  foi  en  juftice,  ils  font  obligés  d'infcrire  toutes  les  lettres 
de    change,  billets,  &  autres  papiers  commerçables ,  marchandifes  ou  ef« 
fers ,  qu'on  leur  donne  à  négocier ,  fans  y  mettre  aucun  nom  des  perfon- 
nes  qui  |es  leur  ont  confiés  pour  ne  pas  trahir  leur  fecret.    Ils  fe  conten-^ 
tent  d'y  diflineuer  chaque  partie ,  par  une  fuite   de   numéros  :  lorfque  la 
négociation  eft  terminée  ,   ils  en  délivrent  un  certificat ,  lequel  doit  por- 
ter le  No.,  Se  être  timbré  du  folio  du  regiflre  fur  lequel  la  partie  a  été 
infcnte. 

L'Article  29  de  l'arrêt  du  14  Septembre  1724,  défend  expreffément  & 
fous  peine  de  deflitution  &  de  trois  mille  livres  d'amende,  aux  Agens  de 
Change  de  recevoir  à  la  bourfe  les  papiers" commerçables  ou  l'argent  des 
particuliers.  Ainfi  ces  derniers  doivent  les  leur  remettre  en  main  avant 
l'heure  de  la  bourfe;  les  Agens  de  Change,  leur  en  donnent  leur  recon- 
noiffance  avec  promeffe  d'en  rendre  compte  dans  le  jour. 

Lorfque  deux  Agens  de  Change  font  d'accord  d'une  négociation ,  ce 
font  les  termes  de  l'arrêt  dé)à  cité,  ib  doivent  fe  donner  réciproquement 
leurs  billets  ,  par  lefquels  l'un  promet  de  fournir  dans  le  jour  les  efièts 
négociés,  &  l'autre  le  prix  des  mêmes  effets.  Chaque  billet  doit  être  non- 
feulement  timbré  du  No.  fous  lequel  la  négociation  eft  infcrite  au  regif- 
tre  de  l'Agent  de  Change  qui  le  fournit ,  mais  il  faut  encore  qu'il  rappelle 
le  No.  du  billet  fait  par  l'autre  Agent  de  Change,  afin  que  ces  billets 
fervent  de  renfeignemens  &  de  contrôle  l'ur^  à  l'autre.  Enfin  quand  leuçs 
négociations  font  confommées ,  ils  font  tenus  de  repréfenter  à  leurs  çom-; 
mettans  le  billet,  au  dos  duquel  doit  être  l'acquit  de  l'Agent  de  Change 
avec  lequel  la  négociation  a  été  faire ,  &  de.  rappeller  dans  le  certificat  de 
négociation  le  nom  de  cet  i^gent,  les  deux  numéros  du  billet,  la  nature 


JU 


CHANGE. 


&  la  quantité  des  etkts  vendus  ou  achetés,  avec  (e  prix  des*  mêmes  efits, 
La  loi  ne  ^ou voit  porter  plus  loin  les  précautions  pour  prévenir  la  frauda 
Cette  même  loi  veut,  que  lés  noms  des  A  gens  de  Change  en  titre  d'of* 
fîce,  foient  expofés  dans  un  tableau  à  la  bourfe;  qu'ils  foient  coitraigna- 
blés  par  corps. pour  la  reftitution  des  billets,  lettres  de  Change  &  autrei 
effets ,  qui  leur  ont  été  confiés  v  qu'on  puiffe  même  les  pourfuivre  extraor* 
dinairement  en  cas  de  divertiffement  des  deniers  ou  effets  ;  enfin  qu'ils 
foient  tenus  à  réparer  le  tort ,  qu'ils  auront  fait  ajux  particuliers  par  leur 
infidélité  ou  leur  indifcrétion ,  &  deflitués  de  leur  charge  outre  l'ameode 
de  trois  mille  livres. 

Les  droits  qui  leur  font  attribués  font  de  $o  fols  par  mille  livres  pour  les 
négociations  en  argent  comptant ,  lettres  de  Changes ,  billets  au  porteur  ou 
^  ordre  &  autres  papiers  commerçables  ;  ces  fo  fols  font  payés  la  moitié 
par  le  vendeur  &  l'autre  moitié  par  l'acheteur.  Quant  aux  négociations  de 
marchandifes  ils  perçoivent  demi  pour  cent  de  la  valeur  des  mArchandifeSi 
payable  également  par  l'acheteur  oc  le  vendeur.  Ils  ne  peuvent  rien  exiger 
de  plus  fous  peine  de  concuffîon. 

Telle  efl  en  France  la  jurifprudence  du  commerce  de  Change.  Elle  e$ 
à  peu  près  la  même  chez  tous  les  peuples,  où  il  exifle  des  Courtiers  oa 
A  gens  de  Change,  foit  libres,  foit  érigés  en  office.  S'il  y  a  quelque  di& 
rence ,  c'efl  dans  les  droits ,  qui  peuvent  varier  félon  les  pays. 

A  Amflerdam  il  y  a  de  deux  efpeces  de  Courtiers  de  Change ,  qu'on  nom* 
me  Makclacrs ,  les  uns  font  des  Courtiers  jurés ,  parce  qu'ils  font  ferment 
entre  les  mains  du  Bourguemeflre.  Les  autres  font  des  Courtiers  ambulaosi 
qui  ne  font  obligés  par  aucun  ferment.  Il  n'y  a  que  leur  bonne  fbi  &  leur 
probité  qui  puiffent  leur  attirer  la  confiance  du  public  ;  mais  leurs  livres 
nç  font  point  preuve  dans  les  Cours  judiciaires.  Cet  avantage  efl  réfervé 
aux  feuls  Courtiers  jurés ,  de  même  qu'en  France  il  l'efl  aux  (euls  Agens 
de  Change.  Revêtus  de  provifions  ou  aux  Courtiers  choifis  &  avoués  pst 
les  Juges  &  Confuls,  les  Maires  &  Echevins ,  ou  Syndics  des  Marchands.  M.  R* 


L 


Mémoire  fur  roriginc  de  la  nature  des  Changes  itrangers. 


'Intelligence  des  Changes  n'eflpas  fî  difficile  à  obtenir  qu^on  fe  1*^ 

magine  ;  &  malgré  l'obfcurité  ^ue  le  jargon  des  négocians  a  jettée  fur 
cette  matière ,  on  parviendra  facilement  à  la  connoltre ,  fi  on  la  réduit  stf 
point  de  fîmplicité ,  dont  elle  efl  fufceptible. 

Sans  examiner  ce  que  l'hifloire  fournit  fur  les  premières  origines  des  let- 
tres de  change ,  chacun  s'accorde  à  convenir  que  les  cruautés  exercées  C0 
Angleterre  contre  les  Jui&,  ÔL  les  injuflices  qu'ils  ont  effuyées  en  FraocCt 
ont  fait  inventer  \  ce  peuple  cette  reffource ,  pour  fauver  leurs  biens  ^ 
l'avidité  des  Monarques.  En  fortant  de  France ,  ils  fe  retirèrent  en  Lombaf' 
die  I  &  y  mirent  en  ufage  cette  nouvelle  manière  de  tirer  en  fecret  Vt^ 

.  leur 


CHANGE    ETRÀ    N  G  E  R.  313 

leur  de  leurs  biens ,  qu'ils  avoieûc  laifTés  encre  les  mains  de  leurs  amis. 
Un  moyen  fi  peu  coûteux  &  fi  peu  embaraflant ,  pour  faire  les  échan- 
ges les  plus  confidérables ,  ne  pouvoit  manquer  decre  goûté  par  les  négo- 
cians,  dont  la  difficulté  des  remifes  avoit  dû  jufques-là  refTerrer  le  com- 
merce. Les  Italiens  au  milieu  defquels  cette  nouveauté  avoit  paru  »  furent 
les  premiers  qui  Tintroduifirent  en  Europe.  Lyon  fut ,  dit-on ,  la  première 
ville  dans  laquelle  les  lettres  de  change ,  furent  mifes  en  crédit ,  les  Gé- 
nois &  les  Vénitiens  furent  les  peuples  de  Tltalie  qui  s'en  fervirent  avec  le 
plus  d'ardeur ,  parce  que  l'ufage  leur  en  étoit  plus  nécefTaire. 

Les  premiers  faifoient  autrefois  prefque  tout  le  commerce  du  Levant  ;  & 
les  féconds  étoietit  totalement  en  pofleflion  de  celui  d'Egypte  par  Alexan- 
drie ,  où  ils  prenoient  toutes  les  marchandifes  des  Indes-Orientales  &  de 
l'Arabie ,  qui  arrivoient  par  la  mer  rouge ,  &  qu'ils  diftribuoient  enltiice 
dans  toutes  les  parties  de  l'Europe. 

Les  Portugais,  qui^en  1497*  fous  la  conduite  de  Vafquès  &  de  Paul 
Gamma,  pénétrèrent  les  premiers  dans  les  Indes-Orientales,  &  qui  pouffè- 
rent leurs  difFérens  établilfemens  jufques  aux  ifles  Moluques  ,  qui  décou- 
vertes d'abord  en  i^ii  par  Francifco  Sirano  ne  furent  réunies  fous  leur 
domination  qu'en  IÇ29;  ces  Portugais,  dis- je,  commencèrent  à  détourner 
tme  grande  partie  du  commerce  de  la  mer  rouge;  &  au  préjudice  des  Vé^ 
nitiens ,  portèrent  des  épiceries  &  les  autres  marchandifes  des  Indes  direâe» 
^lent  à  Lifbonne  d'où  elles  paflbient  à  Anvers  &  dans  les  autres  villes  des 
Pays-Bas ,  pour  fe  communiquer  enfuite  à  toutes  les  villes  Anféatiques. 

Les  Efpagnols  qui  avoient  (ait  reconnoitre  l'Amérique  en  1492  par 
Chriftophe  Colomb,  &  qui  en  1497  y  avoient  pris  terre  fous  Améric 
Vefpuce,  n'eurent  pas  fait  la  conquête  du  Mexique  &  enfuite  celle  du 
Pérou  ,  fous  Charles  V  &  Philippe  II,  que  les  richefles  &  les  mines  de  l'A- 
mérique répandirent  en  Europe  une  quantité  prodigieufe  d'or  &  d'argent. 

L'Italie  &  la  Flandre  profitèrent  fur-tout  de  ces  nouvelles  richefles ,  à 
caufe  de  leur  grand  commerce.  Le  produit  de  leurs  propres  manufactures 
&  les  'marchandifes  des  autres  Etats  dont  ils  chargeoient  les  flottes  d'Efpa- 
gne,  leur  occafionnoient  des  retours  en  matières  d  or  &  d'argent,  qui  paf- 
-foient  ainfi  pour  la  plupart  entre  les  mains  des  Génois  6c  des  Flamands. 

Le  commerce  étant  devenu  par-là  plus  général ,  &  s'étant  fait  avec  plus 
d'étendue  &  de  correfpondance  de  nations  à  nations ,  pour  opérer  &  facif- 
liter  de  pays  à  pays  ,  les  paiemens  &  les  compenfations  néceflaires ,  l'u- 
fege  des  lettres  de  Change  devint  comme  indifpenfable ,  &  s'établit  pref* 
qu'univerfellement  par-tout. 

L^or  &  l'argent  ièrvant  alors ,  comme  aujourd'hui ,  de  prix  commun  à 
toutes  tes  marchandifes;  &  ces  matières  étant  monnoyées  à  difFérens  titres,, 
poids  &  valeur,  félon  la  diverfité  des  Etats,  Royaumes,  Provinces,  Répu- 
bliques, Principautés  ou  Villes  libres,  il  a  fallu- trouver  une  jufle  propor- 
tion entre  toutes   ces  monnoies  ;  ce  qui  a  produit  la  multiplicité  des  cal- 

Tome   XL  -  Rr  ^ 


/ 


f 
314  CHANGE    ÉTRANGER. 

culs ,  d'où  réfulte  aujourd'hui  toute  la  difEculté  de  rintelligence  des  CftaiH 
ges.  Difficulté  qui  naît  de  ce  que  »  la  plupart  des  anciennes  monnoies  ne 
iubfiftant  plus  en  beaucoup  d'endroits ,  on  n'a  pas  laifTé  de  continuer  les  caU 
culs  fur  le  pied  de  ces  mêmes  monnoies ,  qui  font  devenues  fî£tices  &  ima« 
ginaires,  &  qu'il  faut,  par  des  opérations  réitérées ,  réduire  à  U  valeur  dés 
monnoies  réelles  &  courantes. 

C'eft  ainfî  qu'en  France  la  livre  Tournois,  qui  ne  fubfide  plus  réefle- 
ment  en  efpeces ,  ayant  précifément  cette  valeur ,  (ert  pourtant  toujours  de 

f>oint  fixe  dans  la  manière  de  compter,  &  de  pièce  de  comparaifon  dans 
es  Changes. 

L'ufage  des  lettres  de  Change  ne  commença  à  devenir  confidérable  en 
France  que  fous  Henri  IV.  Le  Royaume  n'étoit  auparavant  qu'un  État  pure* 
ment  militaire  dont  le  commerce  étoit  très-borné ,  &  dans  lequel  les  con- 
quêtes de  l'£fpagne  aux  Indes  n'avoient  prefque  point  encore  eu  d'influence. 

Mais  les  fommes  immenfes,  que,  depuis  1576  jyfqu'en  1^94  Philippe 
II  y  fit  pafTer ,  pour  le  foutien  de  la  ligue ,  l'enrichirent  tellement  en  peu 
d'années ,  que  ce  Royaume  fut  plus  en  état  qu'aucun  autre  pays  de  mul- 
tiplier &  de  perfèéHonner  fes  manufaâures;  &  d'avoir  un  commerce  plus 
étendu  qu'aucune  autre  nation  dé  l'Europe.  Cet  état  floriffant  de  la  France 
dura  jufqu'en  i68{  ,'^  temps  où  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  commença 
l'époque  de  la  décadence  de  fon  commerce. 

L'Angleterre  vit  auflî  conCdérablement  augmenter  chez  elle  le  trafic 
des  lettres  de  Change,  fous  le  règne  de  la  Reine  Elifabeth,  à  caufe  de 
l'établilTement  de  différentes  manufadures ,  que  les  Flamands  réfogiés  y  tranf- 
portèrent  lors  de  la  perfécution  qu'ils  foufFrirent  fous  Philippe  II,  qui  en  158a 
avoit  réuni  fous  fa  domination  le  Portugal,  qui  ne  parvint  qu'en  1640  à  en 
fecouer  le  joug  fous  le  règne  de  Philippe  IV.  Le  commerce  Anglois  reçut  ua 
nouvel  accroiffement  (bus  Cromwel ,  &  fe  foutient  aujourd'hui  avec  hon« 
neur  &  réputation. 

La  Hollande  eft  devenue  par  degré  comme  le  centrç  du  commerce 
des    négociations    de  Change ,  depuis   que  Philippe  II  ayant  refofé  au 
▼aiffeaux  marchands  de  cette  République  l'entrée  des  ports  d'Efpagne  l 
de  Portugal,  elle  entreprit  de  s'emparer  des  établiffemens  Portugais  dan 
les  Indes-Orientales,  &  que  fa  compagnie  pour  les  grandes  Indes  établii 
en  1602,  fut  venue  à  bout  de  s'approprier  tout  le  commerce  d'épiceries  ^^^     / 
que  faifoient  autrefois  les  Vénitiens,  &  prefque  tout  celui  des  Portugais  r 
de  manière  que  les  Hollandois ,  en  trafiquant  aujourd'hui  dans  toutes  le^  ^^s 
mers  &  dans  les  pays  les  plus  reculés ,  ont  mis  leur  ^ille  d'Amfterdam  ei 
fituation  de  fournir  &  de  prendre  des  lettres  de  Change  pour  tous  les  en 
droits  des  quatre  parties  du  monde. 

S'il  falloît  ici  traiter  à  fond  la  matière  des  Changes,  tels  qu^ls  fe  pra 
tiquent  dans  tous  les  dîfFérens  États ,  dans   les  Républiques  ou  les   Ville  2 
libres,  il  faudroit  en  venir  à  des  calculs  &  des  difcuflions,  qui  conipcf^** 


«1 


CHAKGB    ETRANGER.  3iy 

roient  des  volumes  entiers ,  ou  plutôt  qui  ne  ieroient  qu'une  répétition  de 
tous  les  livres  qui  ont  été  faits  (iir  ce  fujet. 

Pour  parler  de  cette  matière  avec  autant  de  fimplicîté  que  de  netteté^ 
on  conçoit  aifément  que  le  tranfpôrt  &  l'envoi  des  marchandifes  d'un  pays 
à  l'autre  établifTent  d'abord  la  néceflité  des  retours  &  des  paiemens  :  or  ces 
paiemens  ne  peuvent  fe  faire  que  par  Tenvoi  efFeâif  des  matières  d'or  Se 
d'argent  qui  en  peuvent  former  la  valeur,  ou  par  compenfation  avec  d'au« 
cres  marchandifes, 

ParEzemflb.- 

Un  marchand  de  Paris  donne  à  un  marchand  d'Amfterdam  commiflSoa 
de  lui  envoyer  pour  trois  cents  mille  livres  d'épiceries  ;  &  le  marchand  d'Amf- 
terdam fait  venir  de  Paris  pour  trois  cents  mille  livres  de  galons  d'or  &  d'argent. 

Le  marchand  de  Paris ,  au  lieu  d'envoyer  en  Hollande  trois  cents  mille 
livres  d'efpeces ,  s'adrefle  fur  la  place  à  celui  de  Paris  à  qui  il  eft  dû  trois 
cents  mille  livres  pour  fes  galons.  Ce  dernier  fournit  à  l'autre  une  lettre  de 
Change  fur  fon  correfpondant  en  Hollande ,  pour  laquelle  il  reçoit  à  Paris 
du  premier  les  trois  cents  mille  livres  en  efpeces  ou  la  valeur,  oc  cette  let- 
tre de  Change  fert  à  payer  les  trois  cents  mille  livres  d'épiceries  qui  étoient 
dues  à  Amfterdam.  Cet  échange  &  cette  compenfation  doivent  naturellement 
ie  faire  au  pair ,  c'eft-à-dire ,  fans  frais  ai  bénéfice  de  part  ni  d'autre , 
parce  que  la  balance  eft  égale. 

Suppofbns  maintenant  qu'il  (bit  queftion  de  recevoir  à  Amfterdam  en 
«fpeces  la  valeur  des  trois  cents  mille  livres  données  à  Paris ,  en  prenant 
pour  mefure  commune  des  efpeces  courantes  de  l'une  &  de  l'autre  place, 
fe  marc  d'argent  de  onze  deniers  de  fin ,  fi  on  ne  touche  pas  en  Hollande 
les  mêmes  efpeces  ou'on  a  débourfé  en  France ,  parce  que  la  taille ,  le 
fitre  &  le  poids  y  font  differens  ;  attendu  cependant  que ,  dans  notre  hi- 
pothefe ,  les  trois  cents  mille  livres ,  efpeces  de  France ,  font  en  argent  ef- 
feâif  fept  mille  cinq  cents  marcs  &  onze  deniers  de  fin  ,  il  &ut  qu'en 
Hollande  on  touche ,  ou  la  même  quantité  de  marcs  d'argent  de  onze  de- 
niers de  fin,  ou  l'équivalent  en  telles  efpeces  que  ce  puiffe  être,  &  dont 
la  quantité  produife  en  effet  la  valeur  defdits  fept  mille  cinq  cents  marcs 
d'argent  de  onze  deniers  de  fin  ;  &  voilà  cette  proportion  qu'on  appelle  le 
pair  en  hit  de  lettres  de  Change. 

D'où  il  fuit  naturellement  que ,  fi  la  balance  des  marchandifes  envoyées 
réciproquement  d'un  pays  à  un  autre  n'eft  pas  égale,  celui  des  deux  pays 
oui  doit  le  plus  trouvera  toujours  le  Change  à  fon  défavantage,  parce  que, 
iuute  de  compenfations  fufiifantes ,  il  eft  obligé  de  fupporter  les  frais  de 
voiture  pour  l'argent  effeftif  qu'il  faudroit  qu'il  envoyât  pour  s'acquitter. 

Amfterdam ,  par  exemple ,  tire  de  Paris  pour  fix  cents  mille  livres  de 
marchandifes ,  «  Paris  n'en  a  tiré  d'Anifterdam  que  pour  trois  cents,  mille 

Rr  X 


/ 


31^  Ç  H  A  N  OE    ÉTRANGER; 

livret  :  Amfterdim  redoit  donc  à  Paris  trois  cents  mille  livres.  Pour  payer 
cette  fomme  en  efpeces,  il  en  coûteroit  naturellement  à  Amfterdam  eor 
viron  trois  pour  cent  de  voiture,  c'eft-à-dire,  neuf  mille  livres  de  perte, 
monnoie  de  France ,  ou  deux  cents  vingt  -  cinq  marcs  fur  les  fept  mille 
cinq  cents  marcs ,  argent  qui  fait  la  fomme  dé  trois  cents  mille  livres  en 
efpeces ,  argent  de  France ,  fuivant  le  calcul  ci-deflus. 

Il  efl  vrai  que ,  pour  éviter  cette  perte ,  le  Holiandois ,  après  avoir  coq- 
fuite  le  change  de  Paris  avec  quelqu'autre  pays ,  comme  pourroit  être  Ylr 
talie  à  qui  la  France  doit  prefque  toujours,  à  caufe  des  foies  qu'elle  en 
tire  ou  des  bulles  qu'il  faut  payer  à  Rome ,  &  avec  qui  par  conf équent  le 
change  efl  prefque  toujours  défavantageux  pour  la  France;  le  Holiandois, 
dis-je ,  trouve  aifément  des  lettres  de  change  fur  l'Italie ,  qui  redoit  à 
Amfterdam  à  caufe  des  marchandifes  que  cette  ville  y  envoie  :  &  il  doDoe 
au  marchand  de  Paris ,  en  compenfation  de  ce  qu'il  lui  doit ,  des  lettres 
fur  l'Italie  à  négocier ,  en  forte  que  ^  fi  le  change  de  France  ne  perd  plus 
fur  l'Italie  que  les  trois  pour  cent  ci-deffus,  le  Holiandois  ne  s'acquitte 
pas  feulement  avec  Paris,  mais  gagne  encore  le  furplus. 

C'eft  cette  méthode  qui ,  en  ^établiflant  une  compenfation  indireâe ,  fait 
la  matière  de  ce  qu'on  appelle  arbitrage  en  fait  de  lettres  de  change ,  &  ea 
quoi  confifte  laplus  grande  attention  &  la  plus  parfaite  induftrie  des  négociant. 

Quant  aux  différentes  évaluations  des  efpeces  d'un  pays  à  un  autre ,  foit 
réelles  foit  imaginaires,  comme  elles  dépendent  uniquement  des  calculs 
qu'on  eft  obligé  de  faire ,  ce  détail  eft  moins  l'ouvrage  d'un  miniftre  que 
celui  d'un  calculateur  de  profeflion. 


connoltre  les  pays  où  le  change  eft  profitable  ou  défavantageux  pour  lui; 
c'eft-à-dire ,  pour  un  miniftre  de  France ,  c'eft  de  favoir  quand  il  eft  pour 
elle  au-deftbus  ou  au-defTus  du  pair,  &  de  juger  par-là  du  véritable  état  de 
fon  commerce  avec  les  autres  nations. 

Dans  le  Traité  général  du  commerce  par  Samiiel  Ricard,  imprimé  à  Amf- 
terdam en  1700,  puis  en  1724,  on  trouvera  tous  les  détails  &  toutes  les^ 
opérations,  qui  peuvent  regarder  la  matière  des  changes  étrangers,  avec 
des  obfervations  très-curieufes  fur  d'autres  fujets  qui  peuvent  y  avoir  un 
rapport  indireft. 

On  finira  ce  mémoire  en  faifant  remarquer  que  les  changes  avec  Iw 
pays  étrangers  ne  fauroient  être  au-delTus  du  pair,  pour  la  France,  que  pa^ 
deux  raifons  :  ou  parce  que  les  pays  étrangers  lui  doivent ,  ^  caufe  deb 
quantité  des  marchandifes  qu'ik  en  ont  tirées,  au-delà  de  celles  qu'elle* 
prifes  de  chez  eux ,  &  dont  ils  font  obligés  de  payer  l'excédent  :  ou  parc^ 
que  les  particuliers  &  les  négocians  de  France,  en  des  temps  oà  Padini' 
.niflration  des  affaires  publiques  produit  la  crainte  &  la  défiance,  ontf^V 


CHANGE    ÉTRANGER.  317 

pafler  hors  du  Royaume  la  plus  grande  partie  de  leurs  fonds ,  9u  moyen 
defquels  ils  renoncent  pour  un  temps  au  commerce  de  leur  patrie  ,  afin 
de  s'aflbcier  à  celui  des  étrangers,  &  faire  valoir  par-là  ces  mêmes  fonds; 
ce  qu^iL  leur  eft  facile  de  faire  par  les  furetés  &  les  lumières  qu'ils  trou- 
vent dans  la  capacité  &  la  bonne  foi  de  leurs  correfpondans. 

On  diftingue  aifémènt  fî  la  France  éfl  dans  le  premier  cà$  ou  dans  le 
fécond. 

Dans  le  premier ,  on  voit  fleurir  le  commerce  ,  les  manufaâures ,  la 
confiance  &  la  circulation  :  alors  cette  (ituation  eft  une  preuve  certaine 
de  la  bonne  adminiftration  de  l'Etat. 

Dans  le  fécond ,  quoique  le  Change  foit  au-defHis  du  pair  pour  la  Fran- 
ce, on  voit  néanmoins  dans  le  Royaume  une  interruption  prefque  géné« 
raie  dans  le  commerce,  une  extrême  rareté  d'argent,  un  défaut  de  con- 
fiance &  de  circulation ,  &  la  cefOition  des  manufaâures ,  d'où  il  réfulte 
néceffairement  que  l'argent  &  le  commerce  fe  font  portés  ailleurs  ;  &  que , 
dans  le  cas  où  les  fujets  du  Royaume  font  obligés,  par  quelque  befoia 
preffant ,  de  retirer  une  partie  de  leurs  fonds  des  pays  étrangers ,  il  arrive 
que  le  fujet  qui  fournit,  par  exemple ,  fa  lettre  de  Change  fur  la  Hollande 
à  celui  qui  lui  en  fait  les  fonds  à  Paris,  perd  comme  s^il  étoit  étranger, 
tandis  que  l'autre  fujet ,  preneur  de  la  lettre ,  profite  de  l'avantage  du 
Change. 

Tuic|ucs-là  le  Royaume  n'y  perd  rien  quant  aux  Changes ,  puifque  c'eft 
un  fujet  qui  profite  fur  l'autre  :  mais  lorlque  la  confiance  étant  revenue^ 
les  François  retirent  la  totalité  de  leurs  fonds  des  pays  étrangers,  alors  te 
Royaume  perd  réellement ,  foit  par  la  diminution  des  Changes  qui  arrive 
néceffairement,  foit  par  les  frais  de  voiture  que  fupporte  le  retour  des  fonds 
en  efpeces. 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  la  France  fe  trouve  aujourd'hui  précifé- 
ment  dans  ce  dernier  cas ,  puifque  tous  les  Changes  font  pour  elle  au- 
deffus  du  pair,  même  pour  l'Italie  oii,  félon  le  cours  de  fon  commerce , 
elle  doit  prefque  toujours  \  ce  qui  joint  à  la  ceffation  du  commerce  &  aux 
autres  inconvéniens  qui  frappent  les  yeux  de  chacun,  prouve  évidemment 
que  les  François  ont  mis  une  grande  quantité  d'argent  à  couvert  dans  les 
pays  étrangers. 

On  doit  conclure  de  tout  ce  que  je  viens  de  dire  au  fujet  des  Changes^ 
que  le  commerce  eft  le  principe  &  le  mobile  de  toutes  les  variations  ef* 
fentielles  qui  y  arrivent,  &  cette  vérité  deviendra  plus  fenfible  par  quel- 
ques exemples. 

Il  femole  que ,  dans  l'étendue  d'un  même  Royaume  où  les  efpeces 
font  par-tout  les  mêmes ,  les  lettres  de  Change  de  province  à  province  de* 
vroient  toujours  être  au  pair  :  il  arrive  cependant  qu'on  donne  fouvent  à 
Paris  cent  deux  mille  livres  pour  toucher  cent-mille  livres  à  Bordeaux,  & 
quelquefois  on  voit  le  contraire ,.  &  ainfi  plus  ou  moins  pour  toutes  les 


jig  CHANGE     ÉTRANGER. 

villes  du  Royaume  etitre-elles.  Cela  ne  vîeat  que  du  dé&ut  d'égalitë  ie 
balance,  entre  ces  mêmes  villes,  pour  la  valeur  des  marchandifes  &  des 
denrées  qu'elles  fe  fournifTenc  mutuellement  ;  de  forte  que  celle  qui  redoic 
eft  toujours  dans  le  cas  de  payer  les  frais  de  la  retiûfe  ou  de  la  voiture 
des  cfpece^.  . 

De  pareilles  variations  ont  également  lieu  dans  les  provinces  qui  corn- 
pofenc  les  Royaumes  d'Angleterre ,  où  les  mêmes  efpeces  ont  également 
eours. 

Il  en  eft  de  même  à  l'égard  de  l'Efpagne,  de  la  Suéde ,  de  la  Hollan- 
de,  &c. 

Quaht  à  l'Allemagne  &  à  l'Italie ,  comme  ces  pays  (ont  compofés  de  dif' 
fërens  Etats,  qui  ont  tous  leurs  monnoies  particulières,  les  mêmes  varia* 
rions  y  arrivent  aufli  ;  outre  que  les  combinaifons  y  deviennent  plus  em* 
baraflantes,  parce  qu'il  faut  faire  pour  chaque  endroit  des  calculs  diflërens, 
qui  tous  néanmoins  reviennent  au  premier  principe  d'un  marc  d'argent  pour 
un  marc  d'argent  du  même  titre ,  ou  de  l'équivalent  plus  ou  moins ,  fui- 
vant  que  le  commerce  gouverne  les  Changes. 

Pour  dire  aufli  quelque  chofe  des  Changes  par  rapport  à  des  pays  biea 
plus  éloignés  que  celui  de  l'Europe,  on  citera  feulement  deux  exemples, 
qui  feront  connoître  que,  pour  avoir  de  l'argent  dans  les  Indes  Orienta* 
les,  il  y  a  confidérablement  à  perdre,  comme  il  y  a  confidérablemeot  à 
gagner  pour  en  avoir  en  Amérique. 

Si  un  particulier  de  Paris  vouloir  toucher  cent  mille  livres,  par  exem- 
ple ,  dans  le  Royaume  de  Golconde  pour  acheter  des  diamans ,  &  qu'il 
les  donnât  à  la  compagnie  des  Indes,  pour  avoir  une  lettre  de  Change  fur 
Fondicheri ,  elle  lui  feroit  perdre  confîdérablement,  parce  que  la  compagnie 
eft  obligée  elle-même  d'y  envoyer  une  grande  quantité  de  piaftres,  dont 
-  le  retour  ne  lui  vient  qu'en  marchandifes  ;  ainfi  il  faudroit  que  ce  particu- 
lier payât  néceffairement  les  frais  de  voiture  &  les  rifques  de  la  mer. 

Si  au  contraire  un  Efpagnol  vouloir  s'établir  au  Mexique,  &  qu'il  don- 
nât à  Madrid  cent  marcs  d'argent  â  un  Vice-Roi ,  qui  feroit  fur  fon  départ 
pour  aller  prendre  pofleflîon  de  fon  gouvernement ,  &  qui  auroit  befoin 
de  cet  argent  en  El  pagne,  pour  fournir  aux  frais  de  fon  embarquement  i 
le  Vice-Roi  rendroit  deux  cents  marcs  pour  les  cent  qu'il  auroit  reçus  du 
particulier,  dés  qu'il  feroit  arrivé  au  Mexique;  &  la  raifon  de  ce  gain  eft 
que  le  retour  des  marchandifes  qu'on  envoie  de  l'Europe  en  Amérique 
fe  &it ,  pour  la  plus  grande  partie ,  néceflairement  en  matières  d'or  & 
d'argent. 

Pour  faciliter  la  connoiflance  des  Changes  étrangers,  on  a  cru  devoir 
en  réduire  les  principes  à  ce  point  de  Hmpiicité  &  de  précifion ,  ce  qui  eft 
le  moyen  d'en  faire  mieux  «  plus  aîfément  développer  les  reflbrts  ;  en 
renvoyant,  pour  l'exécution  des  calculs,  aux  opérations  qui  font  contenues 
en  détail  dans  le  traité  du  Sr.  Ricard ,  dont  il  fuffit  qu'un  Minifire  fe  fâfle 
rendre  compte  dans  le«  occafions. 


CHANGE  ROYAL.   CHANGEMENT.  119 


CHANGE    ROYAL,     Bourft  de  Londres  ,  oà  les  marchands 

s'ajfemblent* 

I  1  A  bourfe  de  Londres  fut  conftruite  pour  la  première  fois  en  1^66^ 
par  les  foins  de  Thomas  Gresbam  ;  le  nom  de  Change  Royal ,  Royal  ex- 
change ,  lui  fut  donné  folemnellement  à  fon  de  trompe  par  un  Héraut , 
en  préfence  de  la  Reine  Elifabeth.  Jufqu'à  cette  année,  les  marchands 
s'étoîent  aflemblés  dans  le  lomb^^rd  flrtat ,  rue  des  Lombards.  La  bourfe 
ëtoit  bâtie  de  brique,  &  on  la  regardoit  alors  comme  la  plus  belle  de 
TEurope.  Cent  ans  après ,  elle  fut  entièrement  brûlée  dans  le  grand  in<< 
cendie  de  Londres  \  mais  elle  fut  reconftruite  aufli-tôt  avec  encore  plus  de 
magnificence  qu'auparavant,  La  dépcnfe  pour  la  rebâtir  monta  à  50,000  liv. 
fterling.  La  moitié  de  cette  fomme  fut  donnée  par  la  chambre  de  Lon- 
dres ,  Tautre  moitié  par  la  compagnie  des  merciers  qui ,  pour  le  rembour** 
fement  de  leurs  avances,  eurent  la  permiflfion  de  louer  190  boutiques  fur 
les  degrés  \  20  liv.  chacune ,  ce  qui  joint  aux  autres  boutiques  élevées  fur 
le  terrain  où  la  bourfe  eft  conflruite,  produit  un  revenu  annuel  de  4^000 
livres  fterling,  quoique  ce  terrein n'excède  pas  les  trois  quarts  d'un  arpent; 
au(fî  peut- on  dire  que  c'eft  le  morceau  de  terre  le  plus  cher  qu'il  y  aie 
dans  le  monde. 


CHANGEMENT,    f.    m. 

Des    Change  mens    Politiques;. 

\j  N  homme  d'un  efprit  médiocre  ne  marche  guère  que  dans^  des .  rou- 
tes battues,  &  n'entreprend  pas  d'ordinaire  de  faire  des  Changemens; 
mais  un  homme  de  génie  haiarde  beaucoup  &  échoue  aufli  plus  fouvent 
dans  fes  entreprifes;  fa  vue  qui  porte  toujours  loin  ,  lui  fait  voir  des  ob- 
jets qui  font  à  de  trop  grandes  diftances  ;  &  lorfqu'il  a  conçu  un  projet , 
il  tSt  moins  frappé  des  difficultés  qui  viennent  de  la  chofe ,  que  des  reme* 
des  qui  font  de  lui  &  qu'il  tire  de  fon  propre  fonds  ;  il  donne ,  plus  fou- 
vent  Que  l'efprit  médiocre ,  dans  les  erreurs  de  la  fpéculation. 

Quel  n'eft  pas  l'attachement  d'un  peuple  pour  fes  loîx ,  pour  fes  ufa* 
ges  !  Jamais  fous  Alexandre  les  Grecs  ne  purent  prendre  les  mœurs  des 
perfes ,  ni  les  Ferfes  les  mœurs  des  Grecs.  Jamais  Darius  ne  put  détour- 
ner certains  peuples  de  l'Inde  de  dévorer  les  corps  de  leurs  parens  morts 
comme  pour  leur  donner  la  fépulture  \  rarement  les  idées  de  juHice  6c  de 


320 


CHANGEMENT. 


bienfëance  peuvent  changer  les  mœurs  des  peuples.  Quoique ,  éuts  Vim 
aâuel  de  TEurope ,  les  caraâeres  &  les  ufages  des  différentes  nations  coo- 
traftenc  moins  que  dans  Tantiquité ,  les  mœurs  Allemandes  ne  çonviendroient 
point  en  France ,  &  les  Anglois  n'adopteroQt  jamais  les  loix  &  les  coutu- 
mes Françoifes. 

.  L'antiquité  d'an  établiflcment  le  rend  vénérable,  elle  n^imprime  guère 
moins  de  refpeâ  pour  les  mauvais  ufages  que  pour  les  bons. 

Ce  que  les  hommes  ont  coutume  de  faire ,.  ils  le  font  avec  plaifir  :  de 
Ibrte  que  fi  le  Souverain  les  lailTe  dans  leurs  ufages  »  il  contente  leur  incli- 
nation naturelle ,  il  témoigne  du  refpeft  pour  la  forme  du  Gouvernement , 
&  il  difpofe  fes  fujets  à  ne  pas  examiner  fa  conduite.  Si  au  contraire  le 
Prince  les  trouble  par  des  nouveautés ,  il  excire  leurs  murmures ,  &  s'ex- 
pofe  à  leur  mécontentement.  Il  y  a  plus ,  les  mêmes  raifons  fouvent  com- 
pliquées &  inconnues ,  qui  font  qu'un  Etat  a  fubfifté ,  feront  auffi  qu'il  fe 
maintiendra;  mais  en  changeant  le  fyftême  du  Gouvernement,  oa  ne  peut 
remédier  qu'aux  inconvéniens  qui  fe  préfenient  dans  la  théorie ,  &  on  en 
laiffe  fubdfter  d'autres  que  la  pratique  feule  peut  découvrir. 

On  perd  la  vénération  pour  les  loix,  quand  on  les  voit  fi  fouveat 
changer^  c'cft  l'état  d'un  malade  inquiet  qui  ne  fait  quel  mouvement  fe 
donner. 

Lors  même  que  les  ufages  ont  quelque  chofê  de  vicieux ,  il  eft  dange- 
reux de  les  changer  (a).  Le  luxe  des  Romains  étoit  exceflif  fous  l'empire 
de  Tibère ,  il  for«ia  le  deffein  de  le  réprimer  ;  mais  après  y  avoir  penfé 
mûrement  (  dit  l'hiftorien  }  il  fè  d^étermina  à  le  foufFrir ,  pour  ne  pas  remplir 
Rome  de  tumulte.  Des  maladies  font  quelquefoiis  11  défefpérées ,  que  les 
remèdes  ne  font  qu'avaiurer  la  mort  àcs  malades  ;  &  des  défordres  (i  in- 
vétérés ,  que  de  tenter  alors  une  réforme ,  n'aboutit  qu'à  faire  fentir  la  foi- 
bleffe  des  Loix  &  celle  des  Magiftrats« 

Titus  avoit  un  fi  grand  refpeâ  pour  tous  les  réglemens  de  fes  prédé- 
cefleurs,  qu'il  ne  voulut  pas  même  permettre  qu'on  lui  demandât  la  rati* 
lication  de  leurs  dons  ;  &  Nerva  publia  un  édit  conçu  en  termes  remarqua** 
bles  (&).  Fertinax  gagna  tous  les  cœurs,  par  la  proteftation  qu'il  fit,  à  (on 
avènement  à  l'Empire  ^  d'obferver  les  loix  ôc  de  rétablir  les  anciens  ufages 
que  les  tyrans  avoient  abolis. 

Quelque  raifonnables  &  utiles  que  foient  des  loix  nouvelles,  il  y  > 
toujours  du  danger  à  les  établir.  Quelque  peu  fenfées  que  foient  certaines 


(a)  Qutt  In  fuo  flatu  eodemque  manent ,  etfi  détériora  fint ,  tamtn  utlliora  funt  reipukli^^i 
iU  quit  fer  innovationem  vel  meliora  inducuntur,  Tacit.   " 

(^)  Noîo  exijlïrnet  quifquam  qua  ab  afio  principe  vel  privatim  vel  publiée  eft  conftct0\^ 
14^0  faltem  à  me  refcindi  ut  potiùs  fnihi  debeat ,  fi  ilia  rata  &  certa  fectro  ;  nec  tnim  patuU^ 
ullis  injlauratis  eget  precibus. 

coutumes  i 


CHANGEMENT.  .321 

coutumes ,  on  les  détruit  rarement  fans,  rifque.   Le  commun  dei  hommes 
fe  conduit  bien  plutôt  par  l'habitude  que  par  le  jugement. 

L'attachement  des  peuples  pour  les  ancîennejs^.loix ,  efl  fi  grand,  qu'ils 
ont  fouvenc  combattu  pour  les  maintenir ,  avec  la  même  ardeur  que  s'il 
s'étoit  agi  de  défendre  leurs  foyers  (a). 

La  licence  triomphera-t*elle  donc  dans  les  fociétés  ?  Le  défordre  y  ré* 
gnera-t-il  impunément  ?  Non ,  fans  doute.  Il  efl  quelquefois  indifpenfable 
de  changer  les  loix  &  les  uiages,  &  c'eft  lorfqu'ils  font  abfolument  con7 
traires  à  la  droite  raifon ,  &  qu'ils  nuifent  eflentieUement  au  bien  public  \ 
mais  il  faut  faire  ce  changement  avec  une  grande  circonfpe^on. 

Les  mœurs  des  peuples  ont  befoin  du  fecours  des  loix  pour  être  main- 
tenues, les  loix  ont  befoîn  des  mœurs  des  peuples  pour  être  obfervées. 
De-là  il  fuit  que  lôrfqu'il  eft  arrivé  quelque  grand  changement  dans  les 
mœurs  des  peuples,  les  loix  doivent  être  changées  (i).  Les  États  ont  leurs 
TÎciffitudes ,  comme  les  particuliers  leurs  deftinées« 

Les  Changemeas  doivent  fe  faire  peu-à-peu.  Il  ne  ferolt  pas  moins 
dangereux  de  changer  tout  d'un  coup  les  loix  d'un  état  qui  s'eft  maintenu 
long-temps  fur  le  même  pied ,  que  d'entreprendre  de  changer  fans  précau* 
tion  les  pierres  angulaires  ou  les  fondemens  d'un  bâtiment. 

Il  faut  bien  prendre  garde  de  fe  laifler  tromper  par  l'apparence  des  chofe« 
que  le  premier  coup-(l^œil  repréfente  comme  abuHves ,  &  qui  pourtant  ne 
pourroient  être  réformées  fans  donner  lieu  à  des  inconvéniens  encore  plus 
grands.  Les  hardiefles  en  fait  de  politique  font  dangereufes,  comme  en  fait 
de  religion  ;  &  fbuvent  malgré  les  déclamations  des  frondeurs ,  nous  fom* 
mes  réduits,  par  l'imperfèâion  des  hommes  &  des  chofes,  à  reconnoître 
la  fagefTe  de  cette  maxime  :  nous  fommes  peut-être  mal,  mais  tenons^* 
nous-y  de  peur  d'être  pis. 

Du  refte  le  Souverain  qui  voit  quelque  chofe  de  mieux  à  faire  que  ce 
qui  efl: ,  doit  encore  attendre ,  pour  faire  quelque  Changement ,  qu'il  ait  ac^ 
quis  de  la  réputation ,  &  qu'il  ait  accoutumé  les  peuples  à  fon  obéiffance. 
Il  doit,  autant  que  cela  eft  poffîble,  amener  imperceptiblement  les  chofes 
au  point  où  il  faut  qu'elles  foient,  Lorfque  les  défordres  ne  cefTent  que 
peu  «-à- peu,  ils  finiffent  fans  violence;  &  les  Changemeas  paroifTant  être 
plutôt  le  fruit  du  hazard  que  de  l'autorité  du  Souverain ,  trouvent  les  ef« 
prits  plus  préparés ,  &  font ,  pour-ainfi-diré ,,  dans  leur  naiflànce  même  ^ 
déjà  affermis  par  l'habitude.  Médecins  des  Etats ,  les  Princes  doivent  imiter 

•  •  • 

t 

{^a)  Cives  débite  pugn^re  pro  iegitus  non  minus  quàm  pro  manibus.  tteraclitus  Ephefiu^ 
apud  Diogen.  Laërt.  in  9,  i.  Morituros  fe  affirmabant  citihs  quàm  immijli  brutis  in  alienos 
ritus  legejque ,  ae  mox  Unguam  etiam  verterentur,  Livius ,  lib.  XXIV. 

(b)  Ceft  en  ce  fens  que  Tacite  dit  :  Placuijfe  qmndam  Oppias  leges  ^fic  temporibus  reîpa* 
blicee  poftulantibus  :  remijfktn  aUquid  poftU  &  miiigatwn,  quia  expédient.  Annal.  )• 

Tome  XI.  ^  ^  Sf 


3„  CHANGEMENT. 

les  médecins  ordinaires  qui ,  voyant  que  l'habitude  d^un  corps  eft  déréglée 
&  qu'il  eft  nécefTaire  de  la  changer ,  emploient ,  pour  empêcher  que  le 
malade  ne  périfTe,  d^s  remèdes  dont  l'effet  eft  d'autant  plus  certain,  qu'ils 
font  plus  lents  à  opérer* 

En  changeant  les  chofes ,  il  convient  fouvent  de  retenir  les  noms  dont 
on  les  appelle.  Lé  peuple  ne  fe  dé&it  pas  aifément  de  fes  vieilles  coutu- 
mes )  il  ne  doit  être  conduit  à  de  nouveaux  ufages ,  que  par  des  circnirs 
qui  lui  font  inconnus.  Il  fe  repait  plus  de  l'apparence  que  de  la  vérité  « 
ce  il  fera  plutôt  ému  par  un  nom  nouveau  qui  déGgnera  une  autorité 
ancienne ,  que  par  une   autorité  nouvelle  qui   fera  défignée  par  un  nom 

ancien. 

Mécène  confeilla  à  Augufie  de  continuer  aux  Magifirats  les  mêmes  noms, 
les  mêmes  ornemens ,  &  tout  l'extérieur  de  la  puiiTaoce  dont  cet  Empe* 
ttur  les  dépouilloit.  Lui-même  rejetta  tous  les  titres  qui  pouvoient  déplaire , 
^  fur-tout  la  qualité  de  diâateur  que  Sylla  &  Céfar  avotent  rendue  odieufe. 
H  cacha  une  puiflance  nouvelle  &  fans  bornes  fous  des  noms  connus  ;  il 
£e  fit  appeller  Empereur ,  pour  conferver  fon  autorité  fur  les  légions  ;  il  fe 
fît  créer  Tribun  pour  difpofer  iu  peuple ,  fous  prétexte  de  le  défendre. 

Des  Changemcks   qui   arrivent   dans  la   fqrmb 

bugouvernement. 

\^  Omme  il  n'y  a  point  de  Gouvernement  parfait ,  il  n'y  en  a  point  qui 
Ibit  permanent.  Il  n'eft  pas  pof&ble  qu'aucun  Gouvernement  le  ibit.  Lei 
tentatives  qu'on  fait  pour  le  perfeâionner  lui  font  quelquefois  funefies.  Ls 
fociété  eft ,  de  même  que  la  vie ,  fu jette  à  déchoir  i  l'une  &  l'autre  fub- 
fiftent  par  des  reflburces.  Les  loix ,  de  même  que  les  remèdes ,  dépendent 
des  événemens  ,  ôc  peuvent  caufer  du  bien  comme  du  mal.  Les  plus  habi« 
les  médecins  ne  peuvent  non  plus  être  certains  du  fuccès  des  meilleurs  re* 
medes  ,  que  les  légiflateurs  les  plus  prudens ,  &  les  politiques  les  plus  cour 
fommés  ne  fauroient  l'être  des  meilleures  Loix  :  elles  peuvent  même  per- 
vertir ,  &  devenir  ce  qu'il  y  a  de  pire.  Les  plus  excellens  remèdes ,  don- 
nés hors  de  faifon,  ou  en  trop  grande  quantité,  peuvent  caufer  la  mort» 
&  les  meilleures  loix  peuvent  être  un  poifon  dans  l'Etat.  Les  loix  &  la  mé- 
decine, appliquées  maJ-à*  propos ,  font  pires  que  s'il  n'y  en  avoit  point  da 
tout  :  les  .maux  qu'elles  caufent,  venant  de  leur  autorité,  autorifent  &  pré* 
cipitent  la  perte  de  la  vie  ëc  celle  de  la  fociété  civile. 

11  y  a  par- tout  phis  d'hommes  déréglés  que  de  fages ,  plus  d'étourdis 
que  de  prudens  ;  les  gens  rufés  ont  toujours  trompé  les  gens  fimples  ;  les 
ambitieux  ne  manqueront  jamais  de  trouver  des  fots  à  conduire.  Nul  Etat 
ne  fera  jamais  dépourvu  de  ces  fortes  d'artifans,  &  ceux-ci  ne  manquerooc 
jamais  d'inflrumens  &  de  matériaux  pour  travailler.  La  multitude  trouvera 
Uns  cefle  des  féduâeurs  ambitieux  qu'elle  fuivra  aveuglément*  Il  ne  6ut 


CHANGEMENT.  jij 

fouvent  que  des  qualités  médiocres  pour  être  chef  dfi  parti  ;  il  n'r  a  fi  pe- 
tit génie  qui  ne  voie  ,  ou  qui  ne  croie  voir  des  gens  qui  lui  tont  infô« 
rieurs  ;  &  comptant  fur  fa  fupériorité  vraie  ou  prétendue ,  il  elTayera  de  lea 
gouverner.  11  eft  certain  que  plufieurs  perfonnes  de  tout  ordre  fe  laiffcnc 
conduire  par  tel  homme  qui  ne  les  furpafle  pas  en  capacité  ,  mais  feule* 
ment  en'audace&en  rufe.  Je  ne  doute  point  que  les  gueux,  quoiqu'ils 
iemblent  être  au  même  niveau;  n'aient  parmi  eux  des  degrés  de  fubordi*^ 
nation.  Il  y  en  a  d'impérieux ,  &  d'humbles  ;  on  y  voit  les  diredeurs ,  de 
ceux  qui  K>nt  dirigés  ;  les  impofteurs ,  &  les  crédules  :  telle  eft  la  nature 
de  l'homme  y  les  uns  guident,  les  autres  fuivent;  les  uns  commandent, 
&  les  autres  obéiflènt  ;  les  uns  font  trompeurs ,  &  les  autres  dupes. 

Quel  Eut  peut  conferver  fa  tranquillité  intérieure,  quand  il  contient  en 
lui-même  de  pareils  principes  de  troubles?  Peut-il  être  durable,  lorfqu'on 
y  trouve  tant  de  caufes  de  Changement,  &  tant  d'hommes  qui  en  peu* 
vent  employer  les  matériaux }  Nul  Gouvernement  n'en  eft  dépourvu.  Les 
Etats  les  plus  libres,  &  par  conféquent  les  plus  heureux,  en  contiennent 
plus  que  ceux  qui  le  (ont  moins.  La  liberté,  de  métne  que  bien  d'autres 
avantages  précieux,  porte  avec  foi  les  principes  de  fa  deftruâion  :  elle  eft 
(b jette  k  dégénérer  en  licence,  &  par  conféquent  à  être  en  danger  de  ïè 
perdre.  Pluheurs  en  abufent ,  parce  qu'ils  le  peuvent  ;  quelques  autres  en- 
couragent l'abtis  dans  le  deflein  de  la  détruire.  La  liberté  étant  ce  qu'elle 
eft ,  protège  ceux  qui  l'attaquent  &  qui  la  minent ,  &  les  met  à  couvert 
du  fupplice  pour  le  plus  grand  de  tous  les  crimes.  Comme  elle  fubfifte  au 
moyen  de  certaines  loix  fixes  »  celui  qui  peut  échapper  à  ces  loix ,  peut  la 
renverfer  ;  &  oii  la  liberté  eft  la  plus  grande ,  c'eft-là  même  qu'il  eft  le' 
plus  aifé  de  fe  dérober  à  la  rigueur  des  loix. 

Sous  un  Gouvernement  libre,  un  homme  peut  éviter  le  châtiment  que 
la  loi  ordonne  contre  on  crime  d'Etat,  parce  que  cette  même  loi  requiert 
des  preuves  fi  claires ,  qu'un  innocent  ne  fauroit  périr ,  &  que  le  coupa- 
ble n^fé  peut  fou  vent  fe  dérober  au  fupplice.  Tel  eft  l'encouragement 
S 'tan 'Etat  libre  donne  contre  lui-même,  &  qui  fouvent  produit  (on  efièt^ 
nblable  ï  une  maladie  oui  vient  d'un  excès  de  fanté.  Ce  n'eft  pas  une 
chofe  étonnante^  qu'un  mal,  que  l'on  entretient  continuellement,  devienne 
4  la  fin  monel ,  fouvent  même  en  peu  de  temps. 

Sous  un  Gouvernement  arbitraire ,  un  homme ,  tout  innocent  qu'il  efty 
peut  être  puni  félon  la  ferme  des  loix,  parce  que  le  même  pouvoir  qui 
qualifie  le  crime ,  en  trouve  les  preuves.  C'eft  une  commodité  Se  une  ten* 
tation  à  laquelle  un  maître  abfelu  ne  fuccombe  que  trop  fou vetit,  queicelle 
de  fiiire  périr  fes  meilleurs  fujets.  Doit-on  être  furpris  que  fous  un  pareil 
Gouvernement  il  y  ait  fi  peu  de  grands  hommes  ?  Et  s'il  y  en  a ,  que 
leur  profpérité  &  leur  vie  foient  de  fi  courte  durée  ? 

'  Dans  les  pays  eouvernés  defpotiquement ,  c'eft  une  maxime  conftante , 
qu^il  vaut  mieux  aire  périr  plufieurs  innocens  que  de  lai(rer  échapper  un 

k)  1    2'      . 


324  G  H  A  N  C  E  M  E  K  T. 

feul  coupable.  Maxime  qui^,  étant  généralement  fiiivie  i  fait  craindre  \  tous 
les  fujets  une  prompte  deftruâion.  Il  arrive  quelquefois  qu'un  aflez  grand 
nombre  de  fujets  eic  facrifié  aux  cruels  foupçons  d'une  puiflànce  fans  bor- 
nes ,  quoiqu'il  n'y  ait  abfolument  point  de  crime  réel.  Celui  que  le  ty- 
ran craint  eft  toujours  coupable.  Un  Roi  de  Siam  ayant  eu  le  malheur  de 
perdre  fa  fille ,  fe  mit  dans  l'imagination  qu'elle  avoit  été  empoilonnée  : 
-ce  cruel  foupçon  le  porta  à  faire  niettre  à  mort  plufieurs  perfonnes  de  fa 
Cour  y  après  leur  avoir  fait  fouf&ir  les  tourniens  les  plus  douloureux  &  les 
plus  recherchés  :  il  penfoit  qu'il  y  avoit  de  l'apparence  que  quelqu'un  d'en- 
tr'eux  avoit  donné  du  potfon  à  cette  Princeffe.  Ainfi  ce  Prince  fëroce  & 
barbare  fît  mourir  plus  de  deux  mille  perfonnes,  la  olupart  du  plus  haut 
rang ,  les  grands  Mandarins ,  leurs  femmes  &  leurs  enfans ,  après  leur  avoir 
Ëiit  auparavant  foufFrir  le  fer  &  le  feu ,  avant  que  de  les  livrer  par  grâce 
aux  éléphans ,  pour  être  écrafés  ou  démembrés ,  ou  avant  que  de  les  en* 
fevelir  tout  vifs ,  à  la  réferve  de  la  tête  qui  s'élevoit  fur  la  terre. 

Cette  cruelle  politique  fait  trouver  des  moyens  pour  fatisfaire  &  pour  aC- 
furer  un  Prince  de  ce  caraâere.  Celui  qui  n'a  d'autre  but  fur  le  trône  que 
la  tranquillité ,  la  confervation  &  la  fureté  de  fa  feule  perfonne ,  fait  iofl 
unique  étude  &  fon  plaifir  d'exterminer  tout  homme  qui  lui  fait  le  moin* 
dre  ombrage.  S'il  croit  ne  pouvoir  bien  fonder  fon  trône  que  fur  le  iang, 
il  ne  fe  fera  aucune  peine  de  le  répandre  :  &  confondant  les  foupçons 
avec  les  preuves,  il  n'aura  garde  de  demeurer  long-temps  dans  les  crain« 
tes  &  le  danger  où  il  croit  être,  par  les  formalités  &  les  procédures.  Un 
attentat  fur  fa  perfonne  fera  puni ,  non-feulement  par  le  fupplice  des  con* 
jurés,  mais  fouvent  par  le  mafTacre  de  leur  famille  entière^  de  leur  paren* 
té,  &  par  l'extinâion  de  toute  la  race.  Le  Vifir  Kuprogli  voulant  punir 
les  émeutes  des  Janiffaires,   en  fit  périr,  à  ce  ^u'on  croit»  plus  de  qoa^ 
rante  mille,  qu'il  fit  maflàcrer  de  diffêrentes  manières  &  en  difrérens  temps  ^ 
il  afibiblit  de  cette  manière  la  Monarchie  pour  la  confervation  du  Monar--^ 
que.    Ce   que  raconte  Mr.   de  l'Ëftoile»    de  la   juftice  fanguinaire    d'u^^ 
Monarque  des  Indes ,  eft  furprenant  ;  pour  punir  deux  ou  trois  vols ,  il  £:  '^ 
pendre  à  des  arbres  plus  de  cent  mille  hommes  ;  &  ce  voyageur  vit,  pei 
dant  plufieurs  journées ,  des  pays  entiers  oii  l'on  trouvoit  des  cadavres  fu 
pendus  à  des  arbres.  C'efi  ainfi  qu'un  Prince ,  dont  le  pouvoir  eft  arbitra 
re,  fait  périr,  de  gaieté  de  cœur,  tout  ce  qui  lui  donne  de  la  peine, 
qui  lui  caufe  le  plus  léger  foupçon ,  &  cela  fans  forme  de  procès ,  &  (axr^ 
qu'il  y  ait  aucun  retardement  à  l'exécution  de  fes  fantaifies ,  quelque  crué3' 
les  qu'elles  foient. 

Il  n'eft  pas  facile  qu'un  certain  nombre   de  perfonnes   fe  hafardent     i 
fermer  une  confpiration  contre  une  puiffance  aufli  violente ,  armée  de  t&sr 
de  forces  &  de  refiburces  pour  fa  propre  fureté.  On  ne  voit  point  d'app^* 
rence  qu'une  pareille  confpiration  puiflè  tarder  de  fe  découvrir.  Si  la  main 
d'un  feul  particulier  au  défefpoir  peut  faire  périr  le  tyran ,  elle  ne  pcor 


CHANGEMENT.  325 

pas  éteindre  là  tyrannie  :  celui  qui  Pexerçoit  a  un  luccèflèur  tout  prêt  ; 
peut-écre  même  c'eft  celui  qui  a  armé  le  bras  de  l'aflaflin ,  qui  cherche 
à  recueillir  le  fruit  de  fon  attentat ,  qui  témoigne  ne  pas  approuver  cet  aâe 
&  qui  en  fera  périr  Tauteur.  Il  peut  arriver  qu'on  ne  penle  à  aucun  Chan- 
gement dans  la  forme  de  l'adminiilration  publique  ;  on  veut  feulement  fe 
défaire  de  celui  qui  gouverne.  Biôn  peu  de  pays  foet  fufceptibles  d'un  au-» 
cra  Changement;  &  l'on  ne  voit  nulle  appaKencë  à  faire  d'autre  tentative. 
Trouveroit-on ,  fous  un  Prince  defpotique ,  un  nombre  affez  confidérable 
de  gens  réfolus ,  quoique  défarmés ,  qui  voulufTent  fe  confier  les  uns  aux 
autres ,  s'afTembier  pour  concerter  enfemble  une  autre  forme  de  Couver-* 
nement,  &  abolir  celle  qui  eii  établie  :  ils  pourroient  compter  de  périr 
eux-mêmes  d'abord;  &  lors  même  qu'un  pareil  projet  feroit  concerté  avec 
toute  la  fageffe  podible^  il  y  a  très-peu  d'apparence  qu'on  en  pûc  venir  à 
l'exécution.  Ces  fortes^d'Ecats  ne  fauroient ' être  fans: des  armées^  compof? 
fées  fur- tout  d'étrangers  mercenaires,  &  les  Changemens  qu'apportent  de 
pareilles  armées  ne  (ont  que  perfonnels;  elles  fe  bornent  à  mettre  un  Prince 
a  la  place  d'un  autre.  Ce  n'eil  pas  leur  intérêt  d'établir  un  Etat  libre,  un 

{rouvernement  réglé-^  où  i'épée  obéiffe  aux  loix  :  là  où  ellps.crouvent  qu'd- 
es  peuvent  établir  &  dépofer  le  Souverain  (  leçon  qu'elles  apprennent  fort 
vite),  elles  apprendroient  auffî-tôt  à  &ire  &  à  dé&ire  les  loix. 

Difom  mieux;  on  ne  fauroit  établir  un  Gouvernement  libre,  fans  des 
matériaux  qui  y  fbient  propres ,  je  veux  dire ,  fans  un  peuple  difpofé  ^  eh 
recevoir  le  plan ,  &  à  s'y  foumettre.  Toute  la  fkgelTe  humaine  ne  fauroit 
changer  la  Monarchie  Turque  en  un  Etat  libre  ;  un  Parlement  ou  des  Etats* 
Généraux  y  paroitroient  un  monftre  :  quand  même  les  peuples  pourroien^ 
l'avoir ,  ils  ne  fauroient  le  foufTrir.  Les  mêmes  fujets  qui  peuvent  récon<^ 
noitre  &  refpeder  tout  aâe  d'autorité  de  la  part  du  ^ultan,  ou  fait  fous 
fon 
dre 
un 
cenam 

3ui  ne  font  pas  plus  qu'eux ,  &  qui  n^ont  pas  été  au-deffus  d'eux  ^  faire 
es  loix,  régler  tout,  &  appeller  les  gens  à  repdre  compte.  Il  ne  peut  fe 
faire  daûs  cet  Etat ,  en  ce  qui  regarde  le  public ,  aucun  Changement  que 


^  •• 


détruit  la  tyrannie.  Ils  ont  fouvent  facrifîé  dés  Princes  qui  ne  vouloient 
pas  être  tyrans,  ni  afiu jettirj l'Erat ,  &  tout  ce  qui  en  dépend,  aux  fàntai- 
iies  de  l'armée.  Ils  dépofereiût  Néron ,  &  ils.  fe  défirent  au(B  de  Galba. 

11  me  parole  impoflible  qu'une  grande  Monarchie,  qui  étend  fon  em** 
pire  fiir  plufieurs  nations ,  au  moyen  de  puiflantes  armées,  puiffe  jamais 
devenir  une  République,  Je  conçois  pourtant  qu'il  efl  pofQble  qu'un  pa^ 


3i<  CHANGEMENT. 

reil  Etat  puiffe  (e  démembrer  en  plufieiirs  Etats  ^  dont  quelques-uns  peut* 
être  pourront  devenir  des  Républiques.  La  foibleflè  du  Chef,  ou  une  grande 
révolution,  peuvent  caoTer  une  divifion  dans  les  portions  d'un  Empire  trè^ 
étendu,  qui)  faifant  des  régîemens  en  leur  particulier»  produiront  diver- 
iès  Principautés  réparées ,  peut^tre  même  quelques  Républiques.  Les  gran* 
des  Provinces,  qui  font  datis  le  cœur  du  pays»  conferveront  vraifembla* 
blement  la  même  formé  de  Gouvernement  d'un  feul ,  foutenu  par  un  corps 
d'armée.  Les  grandes  villes  maritimes  ou  commerçantes  doivent  naturelle- 
ment tâcher  de  fe  gouverner  elles-mêmes  fur  les  principes  de  la  liberté 
&  du  commerce  \  elles  feront  peut-être  encouragées  &  foutenues  dans  leur 
gouvernement  libre  par  des  Princes  voifins,  qui  ne  pouvam  s'en  rendre  les 
maîtres  les  défendront  contre  toute  autre  puiuance. 

C'eft  1  ces  caufes  que  quelques  Républiques  en  Europe  dcHvent  leur 
confervation  &  leur  indépendance  :  Genève ,  les  yilles  Hanfëatiques  en  AU 
lemagne,  &  même  la  Hollande  ou  les  Etats-Généraux  dts  Provinces-Unies. 
Je  dis  cela  de  cette  puiflante  République  ou  Républiques  confédérées,  fans 
vouloir  faire  aucun  tort  à  leur  courage ,  à  leur  fermeté  &  à  leur  valeur  i 
maintenir  lei»$  privilèges  &  leurs  franchifes  ^  contre  Philij^  II  ^  Roi 
d'Efpagne. 

r 

f 

Des  dangers  .auxquels  les  maximes  favorables  au  peuple  &  Us  citoyens 
populaires  expojent  •^in  Gouvernement  libre  ;  &  Us  armes  qiûil  fournit 
contre  fon  etablijfement 

\^Esx^  comme  nous  ^vons  dit ,  une  maxime  dans  les  pays  libres ,  qu'il 
vaut  mieux  ne 'pas  punir  plufieurs  coupables  que  de  punir  un  feul  innocent} 
maxime  pleine  d'humanité,  mais  qui  fert  à  encourager  les  efprits  iaâieux, 
les  traîtres  à  la  patrie  ^  &  les  autres  criminels.  Toutes  les  Loix  &  toutes 
les  procédures  de  VEtat  étant  établies  fur  cette  maxime  pleine  de. douceur, 
les  procédures  qu'on  fera  contre  un  criminel  d']Stat  devront  être  lentes  & 
pleines  de  formalités;,  eu  égard  aqx  preuves  y  au  caraâere  des  témoins, 
aux  loix  &  kux  préjugés  que  l'on  doit  examiner  férieulement  &  de  fang- 
£roid.  Il  peut  arriner  quç  le  crédit  de  l'accufë,  l'amour  du  peuple  pour 
lui ,  la  douceur  des  loix  &  :  des  Magiftrats ,  feront  qu'il  y  aura  du  danger 
à  l'arrêter  &  de  la  difficulté  ï,  le  garder  :  ainfi  un  traître  habile  peut  exé- 
cuter fa  trahiion,  .avant  qu'on  puiife  .prouver  qji'il  l'a  jMrojettée.  Il  peut 
encore  jouir  de  fa  propre  libérée  ^  tandis  qu'il  travaille  aux  moyens  de 
détruire  :  celle  du  public:  il  peut  fe  rendre  pop^we,  tanidis  qu'il  pourfuit 
des.  deflfeins  &  qu'il  .prend  desi  /mèfures  perqîckafe^  au  peuple.  Si  parmi 
plufieurs  autres  avantages  que  produit  la  :  liberté  y  t'en  .  eft  |ifi  de  produire 
de  grands  hommes,  on  peut  dire  d'un  autre  côté  que  c'efi  ^n  de^s  dé- 
favantages  d'être   fouvent  aâSbiblie  &  quelquefois   éteinte  par  ^des  Héroi 


CHANGEMENT.  317 

3iuMIe  a  élevés  dans  fon  fein.  La  liberté  fournit  de  feux  citoyens  comme 
îe  véritables,  &  fouvent  les  premiers  remportent  fur  les  derniers. 

C'étoit  une  étrange  ^  déclaration  de  ta  part  d^un  Romain ,  de  dire 
9  mi'il  avoit  pitié  de  Terreur  de  ceux  qui  croyoient  que  le  Sénat  (  celui 
»  de  Rome  )  fût  encore  quelque  chofe  dans  la  République  Romaine,  a 
Cela  étoit  encore  plus  étrange  dans  la  bouche  d'un  Sénateur  &  d'un  ConfuK 
Cependant  le  Conful  Gabinius  n'eut  point  de  home  de  s'exprimer  ainfi  ei| 
public  ;  la  vérité  eft  que  c'étoit  une  créature  de  Céfar  »  l'aflbcié  de  Clo- 
dius,  qui  Ta  voit  attiré  dans  une  ligue  contre  fa  patrie  par  l'amorce  d'un 
grand  &  important  Gouvernement.  On  ne  doit  pas  s'étonner  ajprès  cela  ^ 
que  le  même  Gabinius,  conjointement  avec  Pifon  fon  collègue,  qui  ne 
valoit  pas  mieux  que  lui ,  parlât  honorablement  dans  fes  feftins ,  &  célé- 
brât la  mémoire  des  hauts  faits  de  Catilina  fon  ancien  ami  ^  de  Cethegus 
&  des  autres  conjurés  qui  avoient  été  exécutés  à  mort. 

Dans  un  Etat  libre,  &  même  dans  ceux  qui  ne  le  font  pas,  tout 
homme  qui'  eft  capable  de  bien  fervir  fa  pâme ,  eft  auflî  capable  de  lui 
nuire.  Ceux  qui  ont  l'adminiftration  du  Gouvernement  font  (buvent 
portés  à  affbiblir  l'autorité  de  l'Etat»  pour  garder  ou  augmenter  la  leur 
propre  :  ils  aiment  mieux  perdre  l'Etat  que  le  crédit  qu'ils  y  ont/  A.Rome,, 
le  collège  des  Décemvirs,  établi  pour  un  temps  limité,  avec  une* autorité 
abfolue  pour  établir  un  corps  de.  Loix ,  fit  des  tentatives  pour  changer  ce 
dépôt  d'une  autorité  à  temps  en  une  tyrannie  perpétuelle.  Les  Tribuns 
créés  pour  un  an  commirent  fouvent  de  pareils  attentats ,  &  cherchèrent 
à  fe  faire  continuer  dans  leurs  offices.  La  Nobleffe  pendant  long-temps 
s'attribua  toute  l'autorité,  &  en  abufa  ;  \es  Patriciens  firent  les  maîtres^ 
&  traitèrent  les  Plébéiens  en  efclaves  :  les  Plébéiens  à  leur  tpur  s'empare* 
rem  de  tout  le  pouvoir  de  la  République,  &  l'exercèrent  avec  licence; 
il  étoit  bien  difficile  que  les  chofes  allaffent  autrement.  Dans  les  Gouverr 
nemens  populaires,  comme  font  ceux  dans  lefquels  on  reçoit  les  appels 
au  peuple,  il  n'eft  guère  poffible  qu'il  y  ait  un  état  de  çonfiftance»  à  caufe 
de  l'inconftance  du  peuple ,  qui  eft  toujours  porté  à  fe  laifler.  conduire , 
tromper  &  enflammer  par  des  Démagogues,  dont  on  ne  manque  jamais 
dans  toute  forte  de  Gouvernement. 

A  Rome  ,  pendant  long-temps  ,  il  n'y  avoit  aucune  ordonnance  dtr  peuple 
qui  pât  avoir  force  de  Loi ,  fans  l'autorité  &  la  ratification  du  Sépat;  c'étotc 
une  barrière  fort  fage  pour  retenir  la  paffion  &  la  fbugUe  du  peuple.  Dans 
la  fuite  cette  fage  précaution  (ut  enlevée  par  la  violence  des  Ctâions 
populaires;  le  peuple  eut  le  crédit  &  le  pouvoir  de  faire  des  loix  fans  la 
participation  du  Sénat ,  tandis  que  le  Sénat  n'en  pouvôit  point  faire  fans  le 
confentement  du  peuple.  Depuis  ce  temps-lâ  celui  qui  jpouvoit  jettet  l'a> 
larme  &  les  foupçons  parmi  le  peuplé,  ce  le  mener  à  fa  fantaifie,  goui» 
verooit  l'Etat ,  ou  ,  pour  mieux  dire  ,  eA  abufoit* 

Les  Loix  qui  s'étec^oient  fur  tout  l'Empire ,  qui  avoient  force  &  (.qui 


328  Changement. 

6bligeoient  tout  le  peuple  Romain ,  étoient  quelquefois  formées  par  une 
populace,  &  une  multitude  de  miférables  qui  nWoient  d'autre  règle  que 
leur  fantaifie;  telle  fut  la  Loi  qui  ordonna  le  banniflement  de  Ciceron  :  le 
titre  de  Loi  venoit  d'un  miférable  qui  n'avoit  ni  feu  ni  lieu.  C'étoit  une 
femblable  racaille  qui  difpofoit  du  commandement  des  Armées,  de  l'ad- 
miniilration  des  Finances  »  &  du  gouvernement  des  Provinces  en  faveur  de 
fes  favoris;  qui  que  ce  fût  qu'un  Tribun  capricieux  &  turbulebt  recom- 
mandât dans  les  Eleâîons ,  tout  bon  &  fage  citoyen  étolt  écarté  dans  cène 
eccafîon  par  la  force  des  armes. 

Le  gouvernement  de  Carthage  fût  bien  entendu  &  appuyé  (ùr  des  fon^ 
démens  folides ,  tant  qu'il  ne  tomba  pas  entre  les  mains  du  peuple.  Depuis 
ce  moment  il  devint  violent ,  flottant ,  &  tendit  vers  fa  décadence  :  le 
Sénat  tomba  dans  le  mépris,  &  il  en  arriva  ce  qu'Anacharfis  avoir  jug^ 
de  tous  les  gouvernemens  populaires;  »  C'éroient,' dit-il,  les  fag^squipro- 
»  pofoieitt,  oc  les  foux  qui  difpo (oient.  «  Lycurgue  fit  une  réponfe  pleine 
d'efprit  &  de  bon  fens,  à  un  de  fes  citoyens  qui  propofoit  d'établir  un 
gouvernement  populaire  à  Sparte:  »  Faites-en  l'efTai,  dit  Lycurgue,  dans 
»  votre  propre  maifbn.  a    Ce  grand  homme  prit  des  mefures  très-fagcs 
fur  ce  fujet,  afin  de  réfermer  l'Etat  oii  il  étoit  né,  le  voyant  tombé  en 
décadence  &  dans  la  fbibleflè  par  la  licence  du  peuple.  Il  eut  la  politique 
de  fe  procurer  le  jugement  de  l'oracle  de  Delphes,  qui  accordoit  aux  ha^ 
bitans  de  Sparte  le  droit  de  donner  leur  fuf&age,  mais  non  celui  de  dé^ 
battre  &  de  difcuter  les  affaires.  Lycurgue  conndéroit  la  populace  comme 
incapable  de  faire  des  loix  ;  il  favoit  combien  peu   elle  eft  propre  à  les 
propofer  ou  à  les  abroger  ;  par  cette  prudente  négative ,  oppolée  aux  pr^ 
tendons  du  peuple  ,  la  République  de  Sparte  fut  pendant  long-temps  dans 
un  état  glorieux  &  floriflant  ;  &.  faute  de  cette  précaution ,  celle  d'Athènes 
fut  toujours  dans  un  état  tumultueux  &  chancelant.   Lycurgue  profita  pnh* 
demment  du  fort  funefte  du  Roi  fon  père,  maffacré  par  fes  propres  fojeti 
dans  un  tumulte  qu^il  vouloir  appaifer  :  les  Spartiates  s'étoient  accoutumés 
à  braver  le  Gouvernement  ;   leurs  précédens   Rois  les  avoient  fouteous  en 
cela ,  ou ,  ce   qui   eft  la    même    chofe  ,   ne   les  avoient   pas   réprimés. 
»  Le  Peuple ,  dit  Flutarque ,  loin  de  devenir  plus  traitable  par  une  pareille 
%  indulgence,  &  par  cette  fauïlè  douceur,  (  comme  ces  Princes  s'en  flat- 
»  toient,  )  ne  fir  que  fe  jouer  de  plus  en  plus   du   Gouvernement.  <  t^ 
principale  affaire  de  Lycurgue,  &  celle  qui  pouvoit  lui  donner  le  plus  de 
gloire  y  confiftoit  à  recouvrer  cette  autorité  perdue  ;  puifque  tout  Gouver- 
nement fans  autorité  ne  (àuroit  fe  maintenir. 

Il  en  eft  du  peuple  comme  des  Princes  ;  plus  ils  gagnent  l*un  fur  Pau- 
trè ,  plus  ils  veulent  gagner j  ils  font  tous  leurs  efforts  pour  accroître,  o" 
leur  liberté ,  ou  leur  pouvoir ,  aurdelà  de  ce  qu'ils  en  peuvent  employ^ 
avec  fagefTe  ;  &  ils  perdent  réellement ,  dans  le  temps  même  qu'ils  paroi'- 
fent  gagner,  La  Monarchie  produit  quelquefois  la  tvranhie ,  &  la  tyrannie 

(;|UlC 


CHANGEMENT.  ja, 

Mufe  fouveot  la  deftruâion  du  tyraû.  Le  Gouvernement  populaire  eft  fu<« 
jet  à  produire  la  licence ,  &  la  licence  détruit  le  Gouvernement  populaire* 
Toute  puiflànce ,  de  même  qu^une  corde  trop  bandée  qui  fe  rompt ,  périt 
luflî  quand  elle  eft  pouflëe  trop  haut ,  &  coule  à  fond  quand  on  ra  laiilëe 
defcendre  trop  bas. 

Il  y  a  toujours  quelque  chofe  à  corriger ,  même  dans  les  Gouveraemens 
les  plus  parfaits  ;  &  bicfn  des  fujets  qui  prétendent  que  plufieurs  griefs  ont 
befoin  d'être  redreffés ,  quoique  cela  ne  foit  pas  vrai ,  ou ,  ce  qui  eft  la 
même  chofe ,  lorfqu'il  n'eft  pas  poffible  d'y  mettre  un  meilleur  ordre  &ns 
péril  &  fans  rifquer  la  perte  du  toikt.  Les  plus  habiles  politiques ,  les  plus 
grands  nommes  d'Etat  &  les  mieux  intentionnés  ,  peuvent  n'avoir  pas 
l'habileté  néceffaire  pour  le  choix  &  pour  l'application  des  remèdes  ;  les 
Etats  Républicains,  en  particulier,  font  fujets  à  périr  &  ont  péri  en  effet 
par  les  efforts  que  Ton  a  £iits  pour  les  rérormer  &  les  rendre  parBiits ,  ou 
du  moins  par  des  tentatives  qui  avoient  pour  prétexte  la  réforme.  Ajou** 
tons  que  ces  tentatives  qui  font  au  goût  du  peuple  &  dont  le  fuccèsjpa* 
rolt  inhiillible  à  ceux  qui  les  entreprennent,  ne  manquent  pas  d'être  (ou- 
vent  faites  &  répétées.  Si  quelques-unes  ont  échoué ,  cela  ne  décourage 
pas ,  on  ne  laiffe  pas  que  d'en  nire  de  nouvelles  :  les  contre-temps  qu'on 
a  eftliyés  fuggerent  feulement  des  mefures  différentes  qu'on  cherche  à  coa« 
dnire  avec  plus  de  précaution.  Les  Romains ,  qui  faifoient  fréquemment 
des  Changemens  dans  la  conftitution  de  leur  Gouvernement ,  travaillèrent 
enfin  ï  un  projet  qui  leur  fut  fatal  ;  ils  perdirent  leur  liberté  par  les  fauffes 
mefures  qu'ils  prirent  pour  lui  donner  plus  d'étendue  :  ces  mefures  avoient 
été  propofées  ce  appuyées  par  les  plus  grands  Républicains  de  Rome. 

Ce  font-là  les  avantages  qu'un  Gouvernement  libre  fournit  contre  lui- 
même.  Sous  un  Gouvernement  arbitraire  &  defpotique ,  toute  tentative  faite 
pour  le  corriger  eft  un  crime  d'Eut  :  le  pouvoir  arbitraire  fe  conferve  par 
de  continuelles  jaloufies  &  par  des  exécutions  foudaines  ,  comme  je  l'ai 
déjà  obfervé. 

Il  vaut  donc  mieux ,  dans  un  Etat ,  foufFrir  quelques  inconvéniens ,  & 
même  des  défauts  palpables  ,  que  d'en  introduire  de  plus  fâcheux  &  de 
plus  confidérables ,  en  tâchant  de  remédier  aux  premiers.  Plufieurs  plans 
de  réformation  fuppofent  un  danger  à  venir,  en  luppofant  des  défeéniofi-^ 
tés  &  de  la  corruption,  i  Celui  qui  peut  corriger  un  Etat  ,  peut  auffî  lui 
autre ,  &  le  faire  même  fans  en  avoir  le  deflèin.  Les  réformateurs ,  d'en- 
tre la  populace  en  particulier ,  ont  très-peu  d'habileté  &  beaucoup  de  té- 
mérité; &  nul  Etat  ne  fauroit  être  dans  une  fituation  ferme  &  fupjporta-, 
ble  ,  quand  le  bas  peuple  s'ingère  de  le  gouverner  ;  car  outre  que  les  lu-^ 
mieres  font  courtes,  fes  tentatives  brufques  &  foudaines,  il  eft  d'ailleurs 
fujet  à  fe  laiflèr  enflammer»  enforceler  oc  féduire  par  quelque  inftigateur^ 
qui  ne  fonge  qu'à  fon  propre  intérêt  ,  lorfqu'il  fait  tonner  très-haut  IC; 
bien  public ,  lequel  ne  fauroit  s'accorder  avec  celui  de  ce  boute-feu. 
Tome  XI.  Tt 


Ijé  >C  H  A  N  G  E  M  E  N  T. 

Il  eft  certain  que  fi  Ton  confidere  la  fragilité,  l'imprudence  &  Pamom^ 
propre  des  hommes,  l'artifice  de  quelques-uns  &  la  fiupidité  des  autres, 
il  paroitra  merveilleux  qu'un  bon  Gouvernement  puifle  être  de  quelque 
durée.  Le  feul  moyen  de  le  conferver ,  ferqit  de  démontrer  à  chaque  par*, 
ticulier  qu'il  eft  plus  de  Ton  intérêt  de  le  conferver ,  que  de  l'endomma- 

Î;er,  ou  de  le  détruire;  mais  c'eft  un  bonheur  dont  je  doute  qu'on  puiflè 
e  flatter  dans  aucun  Gouvernement.  Il  n'y  en  a  aucun  qui  puifle  con* 
vaincre  tous  les  particuliers  de  fa  perfeéBon,  &  qui  foit  capable  déplaire 
à  tout  le  monde  ;  tous  ceux  qui  efluient  des  contre-temps  dans  un  Etat 
font  fort  portés  à  y  trouver  plufîeurs  défiiuts. 

Toutes  les  fisis  qu'avec  une  confiance  mutuelle  des  fujets  &  des  Magif> 
trats  ,  un  Etat  traitera  les  fujets  aufli  favorablement  qu'ils  prétendent  le 
mériter ,,  &  les  récompenfera  de  même ,  alors  nous  pouvons  nous  attendre 
de  voir  ce  qu'on  n'a  jamais  vu ,  favoir ,  un  Gouvernement  exempt  de  dé* 
fauts  &  de  plaintes.  Chaque  Etat   a  befoin    de  réforme   du  moins  aux 

Îreux  de  ceux  qui  ne  font  pas  contens  de  l'Etat  :  ceux  même  qui  travail- 
er.t  à  le  détruire  prétendent  travailler  à  le  réformer.  C'étoit  le  but  dé« 
teftable  &  le  prétexte   plaufible  de   Catilina  &  de  fes  fuppôts. 

Celui  qui  fait  le  mieux  tromper  le  peuple  eft  aufli  le  plus  populaire  & 
a  le  plus  d'influence  fur  le  Gouvernement.  Les  faux  citoyens  crient  le  plus 
haut ,  &  fouvent  fe  font  mieux  écouter  que  ceux  qui  font  fincérement  atta- 
chés au  bien  public.  Dans  la  concurrence  des  Candidats  pour  les  charges 
publiques  à  Rome ,  de  très-indignes  citoyens  étoienc  fouvent  préférés  ^  ceux 
qui  le  méritoient  le  mieux.  Dans  tous  les  projets  formés  par  le  peuple, 
dans  toutes  les  émeutes  générales ,  il  y  a  toujours  quelque'  perfonne  à  qui 
l'on  a  plus  de  confiance  qu'à  toute  autre  ^  &  même  qu'à  toutes  les  aun-es. 
Cet  homme  peut  alors  diriger  le  bien  public  félon  ^s  vues  particulières 
&  fon  propre  intérêt.  Ce  devroit  être  une  confidération  de  la  plus  grande 
force ^  quand  il  n^  en  auroit  point  d'ailleurs,  pour  craindre  une  guerre 
civile ,  &  faire  tout  fon  poflible  pour  l'éviter  :  car  tout  ce  qui  tend  à  l'al- 
lumer tend  aufli  à  livrer  l'Etat  a  la  difpofition  d'un  feul  homme,  d'un 
Marius  ,  d'un  Sy lia ,  d'up  Céfar ,  d'un  Cromwel. 

Je  doute  qu'il  y  ait  aucun  gouvernement  civil,  qui  dans  fon  origioe 
ait  été  formé  fur  un  plan  bien  conçu  &  arrangé  par  des  gens  fages,  ptf 
des  juges  habiles  &  défintéreflës.  Je  fuis  perfuadé  au  contraire  que  les  é^ 
nemens ,.  &  certains  befoins ,  auxquels  il  a  fallu  pourvoir ,  ont  corrigé  ce 
qu'il  y  avoir  de  défeftueux  dans  l'établiflement  des  premières  fociétés,  & 
en  ont  perfèâionné  le  gouvernement  par  accident  ;  ainfi  il  eft  fujet  a  fouf" 
Irir  des  accidens ,  &  à  être  détruit  par  des  accidens.  Ceux  de  Théfée  & 
dé  Romulus  furent  accommodés  au  génie  ruftique  àe  ceux  qui  s'y  raDg^ 
rent  ;  on  fe  conforma  à  leurs  humeurs ,  à  leurs  inclinations  &  à  leurs  ha- 
bitudes î  tout  cela  y  fût  confi^rvé.  On  n'eût  pas  dû  efpérer  fans  cela  qu'ils 
fe  fbflènt  volontairement  privés  d'une  liberté  qui  n'étoit  gênée  en  rien» 


CHANGEMENT.  3j« 

Îu^ils  eufTent  obéi  a  un  Confeil  d'Etat ,  ou  fe  fuflènt  fournis  aux  règlement 
e  ces  légiflateurs,  ou  d'aucun  autre.  On  ne  fauroit  même  fuppofer  que 
ces  mêmes  légiflateurs  aient  été  exempts  d'ambition  &  n'aient  pas  eu  leurs 
vues  particulières  :  ils  fe  plurent  à  commander  &  à  civilifer  leur  peuple; 
ils  étoient  hommes ,  ils  étoient  héros ,  ^  les  héros  ne  font  pas  les  faorn** 
mes  les  plus  défintérefTés  ou  les  plus  portés  à  la  compaffîon. 

Les  hommes,  pour  la  plupart,  aiment  mieux  ce  à  quoi  ils  ont  été  ac« 
coutumes,  &  ne  fe  défont  pas  volontiers  de  ce  qui  a  été  l'objet  de  leur 
vénération.  Les  Turcs  s'atuchent  à  une  Monarchie  abfolue,  à  caufe  qu'ils 
y  ont  été  nourris;  ils  aiment  la  Religion  Mahométane,  parce  qu'ils  y  ont 
été  élevés.  Il  en  efl  de  même  de  la  plupart  des  hommes,  tout  au  moins 
de  ceux  qui  font  nés  dans  les  fauffes  religions,  &  de  plufîeurs  auffî  de 
ceux  qui  profèfTent  la  véritable. 

Dans  l'établiflement  des  Colonies,  les  nations   qui  s'y  vont  établir,  y 

{>ortent  leurs  coutumes  &  leurs  ufages,  tant  pour  le  particulier  que  pour 
e  public  :  le  nouvel  Etat  e(l  fondé  fur  le  modèle  de  l'ancien  que  l'on 
vient  de  quitter.  Les  Républiques  Athéniennes  d'Afie  étoient  gouvernée^ 
démocratiquement,  comme  Athènes  leur  Métropole.  Cell&s  de  Sparte  étoient 
établies  fur  le  pied  de  Lacédémone.  Les  Tyriens  qui  bâtirent  Carthage .  y 
établirent  le  Gouvernement  de  Tyr  :  &  la  plupart  des  établiflemens  des 
Goths  furent  de  même  Gothiques. 

La  Monarchie  abfolue  étant  toujours  la  même  &  inaltérable  dans  (a 
conflitution ,  produit,  par  (on  état  de  confiftance,  une  inclination  conf* 
tante  des  peuples  pour  cette  forte  de  Gouvernement.  Les  Etats  libres  font 
plus  fujets  à  changer  &  à  fouffrir  quelques  altérations  dans  le  plan  de  leur 
gouvernement.  Rien  n'eft  parfait  tout  d'un  coup  dans  les  régletiiens  hu<- 
mains  :  il  fera  fouvent  néceffaire  de  £iire  de  nouvelles  loix  ;  chaque  lot 
nouvelle  eft  en  effet,  ou  eft  regardée  comme  une  altération  dans  l'Etat. 
Il  n'y  a  pas  d'apparence  que  les  peuples  aient  de  l'attachement  pour  ce 
qui  ne  leur  paroit  pas  fixé.  Outre  cette  confidération ,  on  peut  leur  faire 
accroire,  que  les  meilleures  loix  &  les  Changemens  les  plus  convenables 
&  les  plus  fages  font  à  craindre ,  &  même  pernicieux  ;  on  peut  leur  fùg« 
gérer  d*en  demander  qui  foient  en  effet  dommageables }  &  ils  en  viennent 
âinfi  à  miner  leur  précieufe  liberté  ,  foit  en  prenant  de  fauffes  mefurçs 
pour  la  perfeâionner  &  la  fortifier^  foit  en  s'oppofant  &  faifant  échoucc 
des  projeu  ialutaires  &  d'une  néceffité  abfolue. 


T  t  4 


,32  CHANGEMENT. 

Vu  pouvoir  éclatant  qiûontVcnthoufiafmt  &  tes  fraudes  pieufcs,  pour  établir  p 
pour  changer ,  ou  pour  rendre  la  forme  du  Gouvernement  durable. 

JLiE  moyen  qui  paroit  le  plus  efficace  pour  changer  entièrement  les  hom« 
mes,  &  par  confèquenc  pour  établir  un  nouveau  gouvernement  abfolu, 
c'eft  l'impofture ,  qui  fe  couvre  du  prétexte  de  la  Religion.  Celui  qui  peut 
jetter  au  moule  la  confcience  de  Thomme ,  donne  aufli  à  l'homme  la  forme 

Su'il  veut.  Ce  fut  la  route  que  prit  Mahomet,  ce  fut  par-là  qu'il  réufOti 
c  qu'après  avoir  été  conduâeur  de  chameaux,  il  parvint  à  fonder  un 
Empire.  Qui  pourroit  réfifter  à  l'enthoufiafme  armé ,  lorfque  l'enthoufiafle 
croit  avoir  droit  à  la  pofleflion  de  ce  monde  &  de  l'autre ,  &  que  s'étant 
afliiré  du  paradis ,  il  fait  valoir  le  droit  qu'il  tire  du  ciel  pour  gouverner 
la  terre?  Celui  qui  manie  l'épée  du  Seigneur  »  6c  celle  de  Gédéon,  doit 
l'emporter  fur  ceux  qui  n'ont  pas  des  armes  fi  refpeâables  :  c'eft  ce  qui 
rendit  les  Sarrazins  invincibles.  Les  Têtes  rondes  d'Angleterre  l'étoient  auffi; 
ils  attaquoient  les  Cavaliers  avec  la  même  impétuofité  en  entonnant  un 
Pfeaume,  que  le  faifoient  les  Arabes,  qui  maj'çhoient  contre  les  Grecs 
&  les  ^fiatiques  en  faifant  retentir  leur  Allah  (a)  &  Ton  Prophète.  On  vit 
du  temps  des  guerres  civiles  d'Angleterre  autant  d'intrépidité  &  de  fureur, 
pour  former  une  cinquième  Monarchie,  quoique  moins  étendue  que  celle 
des  Sarrazins,  que  l'on  en  avoit  vu  pour  exécuter  le  plan  de  Mahomet. 
Ce  que  cet  impofteur  gagna  d'abord  par  la  force  de  l'illufion,  il  le  con- 
ferva  &  l'accrut  par  la  force  des  armes.  Les  plus  belles  &  les  plus  riches 
parties  de  l'ancien  monde ,  l'Afie ,  les  Indes ,  l'Egypte ,  &  les  c6tes  d'A' 
firique ,  jufques  aux  colonnes  d'Hercule  avec  les  plus  belles  Provinces  de 
l'Europe,  furent  fubjuguées  par  la  force  toute-puiflante  d'une  impofture 
groffiere,  mais  accommodée  au  génie  des  peuples. 

L'erreur  n'a  pas  moins  de  force  pour  être  extrêmement  groffiere;  aa 
contraire  elle  doit  avoir  plus  d'effet  par  la  même  raifon.  Une  erreur  me* 
diocre ,  ne  s'écartant  pas  beaucoup  de  la  raifon ,  rifque  d'être  guérie  par  h 
raifon;  mais  lorfque  l'erreur  efl  tout-à-fait  extravagante ^  monflrueufe,  com- 
me elle  efl  alors  hors  des  atteintes  de  la  raifon ,  elle  en  efl  à  couvert ,  & 
ne  manque  pas  de  fe  maintenir.  Plus  elle  efl  merveilleufe ,  plus  elle  eft 
refpeâée  ;  &  plus  elle  efl  incroyable ,  plus  on  la  croit  fermement.  Un  im* 
'  pofteur  conduit  Ces  feâateurs  hors  des  réeions  de  la  nature  ;  il  les  gouverne 
en  fe  cachant  dans  les  nues ,  par  des  vinons  trop  éclatantes  pour  des  yeux 

3ui  ne  peuvent  foutenir  qu'une  lumière  médiocre   pour  eux  ^  &  par  des 
ogmes  trop  rafinés  pour  la  Philofophie  &  le  fens  commun.    Ceft  aiofi 
qu'il  forme  fes  fidèles  dupes ,  c'efl  ainfi  qu'il  fe  les  attache  :  ils  font  tranf' 


{d)  Ceft  le  oom  de  Dieu  en  Arabe  &  en  Turct 


N 


CHANGEMENT. 


3Î3 


4 

portés  de  Joie,  ie  voyant  dans  cet  état,  &  ne  changeroîent  pas  leur  aveu- 
glement &  leur  prétendu  bonheur,  pour  une  clarté  &  une  conviâîon  vé- 
ritables. Celui  qui  voudroit  les  rendre  plus  avifés  &  plus  libres ,  feroit  leur 
mortel  ennemi ,  ennemi  de  Dieu ,  &  de  Ton  élu  i  &  ainfi  ils  deviennent 
fes  ennemis. 

Un  gouvernement  établi  de  cette  manière,  eft  le  plus  infortuné  &  le 
plus  pernicieux  pour  le  genre  humain,  &  cependant  le  plus  puifTant  8c  le 
plus  durable  de  tous  les  gouveruemens ,  fur-tout  fi  la  même  influence  fe 
maintient,  &  fi  la  force  fe  joignant  aux  impreffîons  frauduleufes ,  on  fup<« 
pofe  que  le  ciel  &  la  terre  confpirent  pour  foutenir  la  même  caufe.  Ceft 
pourtant  une  vérité  affligeante  que  les  moyens  de  nuire  aux  meilleurs  gou«- 
vernemens ,  font  plus  &ciles  à  trouver ,  &  ont  plus  de  fuccés  que  ceux  qui 
feroient  propres  à  réprimer  les  gouvernemens  les  plus  mauvais. 

JNoiivtUts  confidcrations  fur  la  durit  des  gouvernemens  Monarchiques ,    & 
fur  la  nature  changeante  &  variable  de  ceux  qui  font  populaires  &  libres. 

Ol  la  vertu  &  le  bon  fens  étoient  plus  communs  dans  le  monde  que  le 
vice  &  la  folie,  on  devroit  être  furpris  de  voir  le  plus  mauvais  des  gou- 
vernemens plus  permanent  que  le  meilleur.  Les  hommes  font  en  général 
Î|lus  conftans  dans  les  mauvaifes  habitudes  que  dans  les  bonnes  j  ils  per- 
éverent  davantage  dans  la  grolfîéreté  &  dans  la  ftupidité ,  que  dans  l'exer- 
cice de  la  raifon  &  dans  la  recherche  des  chofes  utiles.  Il  eft  certain  que 
plus  les  coutumes  font  extravagantes,  &  les  dogmes  fiintafliques,  plus  les 
peuples  y  ont  de  l'attachement.  les  ufages  abfurdes  &  les  idées  folles  qui 
régnent  prefque  par  tout  le  monde,  font  voir  que  c'eft  en  général  le  ca- 
raâere  de  la  plupart  de  fes  habitans.  Ils  font  rarement  portés  à  changer 
en  mieux  ;  &  s'ils  le  font ,  ils  fe  trompent  prefque  toujours  fur  les  moyens. 
Quand  même  cela  ne  feroit  pas ,  ils  rencontreroient  des  difficultés  infur- 
montables  qui  leur  feroient  opppfëes  par  ceux  qui  ont  le  pouvoir  &  l'in- 
térêt de  le  faire.  Tout  homme  qui  fouffre  par  le  changement  s'y  oppo- 
fera ,  quelque  avantageux  qu'il  fût  à  tout  le  public.  Ceux  qui  gagnent  au 
plus  mauvais  changement  poffîble,  ne  manqueront  pas  de  pouffer  à  la  roue 
pour  qu'il  ait  lieu.  Dans  ces^deux  cas,  les  peuples  peuvent  être  quelque- 
ibis  fi  intimidés,  qu'ils  ne  fauroient  tenter  un  changement  avantageux;  ou 
fi  fort  trompés  y  qu'ils  n'en  forment  pas  même  le  défir.  En  d'autres  temps 
on  peut  les  conduire ,  tes  féduire ,  &  enflammer  leurs  pallions  de  maniéré 
qu'on  les  pouffe  au  plus  mauvais  des  changemens. 

Lorfque  ces  fortes  d'agitations  régnent,,  ce  qui  arrive  infiniment  plus 
fouvent  dans  les  Gouvernemens  libres,  on  peut  dire  que  le  Gouvernement 
cfl  menacé  d'une  révolution,  &  enfin  de  fa  perte  entière  ;  comme  il  arriva  à 
celui  de  Rome,  &  étoit  arrivé  auparavant  à  celui  d'Athènes.  Ce  dernier ,  après 
toutes  les  loix  &  les  réglemeds  que  Solon  y  avoit  établis ,  continua  d'être  lu  jet 


5J4  CHANGEMENT. 

à  des  troubles  qui  fembloient  hâter  fa  chute.  Solom  luî*m|me  reco&noUlbit 
que  le  Gouvernemenc  étoit  mauvais  :  mais  il  ajoutoit  que  le  peuple  n'en 
pouvoir  pas  foufFrir  un  meilleur.  Il  eft  furprenanc  que  celui  de  Rame  pik 
tenir  Ci  long-temps,  maigre  un  enchaînement  &  une  fuire  continuelle  de 
débats  entre  les  chefs  du  Sénat  &  ceux  du   peuple.  Sallufte  dit  expreffé'* 
metit,'»  que  le  Tribuhat  ayant  été  rétabli  dans  tous  fes  droits,  ceux  qui 
»  remplifloienc  cette  place ,  aimoient  mieux  voir  r£tat  dans  des  étran^ 
»  convulfions  que  de  perdre  rautoriré  qu'elle  leur  donnoic  &  qu'ils  avoieot 
»  dans  l'Etat  :  ainfi  les  Tribuns  ameutoient  le  peuple ,  imputoient  diverfes 
»  chofes   au  Sénat}  &  enfuite  par  leurs  largeifes  &  leurs   promefles  ils 
»  augmentoient  l'animofité  &  la  haine  du  peuple  contre  le  Sénat ,  le  tout 
n  pour  avoir  du  crédit  &  de  la  confiance.    La  Noblelfe  de  fon  côté  dé- 
•>  ployoit  toutes  fes  forces  contre  les  Tribuns  }*  elle  cherchoit  à  leur  faire 
»  perdre  leur  crédit ,  fous  prétexte  de  maintenir  &  conferver  l'autorité  du 
j»  Sénat,  &  dans  le  fond  pour  fa  propre  élévation.  D'un  côté  on  fe  fkifoit 
f»  valoir  comme  défenfeurs  des  droits  du  peuple,  &  de  l'autre  on  préten- 
»  doit  foutenir  la  dignité  du  Sénat.    Chacun  avoit  pour  prétexte  le  bien 
o  public  ,  &  chacun  travailloit  pour  acquérir  la  fupériorité  ;  il  n'y  avoir  Joi 
»  nù ,  ni  bornes  y  ni  modeftie  dans  cette  terrible  rivalité,  «c 

La  faâion  qui  l'emportoit,  devoit,  en  bonne  politique,  mettre  fa  rivale 
hors  d'état  de  recouvrer'  fes  forces  ;  elle  devoit  ainfi  tâcher  d'établir  un 
iiouveau  plan ,  c'eft-à*dire  un  nouveau  gouvernement ,  plutôt  que  de  courir 
le  rifque  de  voir  rétablir  ceux  qui  avoient  gouverné  en  dernier  lieu  ;  ili 
dévoient  dans  cet  efprit  aimer  mieux  voir  TEtat  bouleverfé  que  de  cefTer 
d'être  les  maîtres. 

Les  Romains  fe  délivrèrent  de  la  tyrannie  des  Rois ,  pour  tomber  fous 
celle  des  fàâions.  L'hiftoire  de  la  République  Romaine  n'eft  prefque  autre 
chofe  que  l'hiftoire  de  leurs  divifions.  Les  guerres  étrangères  même ,  & 
leurs  conquêtes  étoient  caufées  par  la  difcorde  continuelle  des  partis  qui 
déchiroient  Rome';  difcorde  qui  préfageoit  de  bonne  heure  le  renverfement 
de  la  République.  Elle  tomba  à  la  nn  (bus  le  pouvoir  de  ce  grand  Chef 
de  parti ,  Jules*Céfar ,  qui  par  la  force  &  le  crédit  qu'il  fut  donner  à  k» 
créatures ,  mit  fin  à  la  liberté.  Sylla  &  Marins  avoient  montré  que  cela 
ëtoit  praticable  ;  plufieurs  autres  l'avoient  tenté  ;  Céfar  en  vint  a  bout; 
il  opprima  la  liberté ,  &  l'opprima  pour  toujours.  C'eft  un  trifte  fujet  de 
réflexion ,  que  lorfque  la  liberté  eft  une  fois  perdue ,  il  eft  très-difficile  de 
la  recouvrer  ;  il  elt  encore  plus  trifte  de  cônfidérer  que  la  liberté  fournit 
des  armes  &  des  ennemis  contre  elle  -  même.  Une  grande  liberté  produit 
la  &6lion ,  ^  la  iàâioii  el|  toujours  dangereufe ,  fouvent  funefte  à  I^ 
liberté. 

Si  U  faôion  n'eft  pas  formée  par  un  chef  particulier ,  elle  trouvera , 
du  moins  à  la  fin ,  un  chef;  ou  bien  un  chef  trouvera  bientôt  une  &c- 
tÎQa  i  &  ^nime  U  ne  fe  fera  point  de  difficiUté  d'avoir  toute  forte  d0 


CHANGEMENT;  Î5^ 

complaifance  pour  Tes  membres ,  les  faâieux  de  leur  c6të  ae  k  feroDii 
aucune  peine  de  faire  tout  pour  fon  élévation ,  pour  lui  donner  des  moyei^ 
de  détruire  TEtat  &  eux-mêmes  en  même -temps.  Si  Catilina  tombe  ^  il, 
faut  que  fes  adhérens  tombent  auffi  avec  lui  ;  c'efl  pour  cela  qu'ils  con<- 
courent  avec  lui ,  en  défefpérés  dans  les  entreprifes  les  plus  téméraires ,  £c 
les  plus  criminelles ,  pour  détruire  TEtat  par  le  fer  &-  par  le  feu  ;  &  par 
ces  terribles  moyens  mettre  fur  pied  un  nouveau  Gouvernements  Toute  la 
faâion  étoit  ù  fortement  déterminée  y  que  nul  d'entr'eux ,  parmi  tant  de 
milliers ,  tous  gens  perdus  &  miférables ,  ne  voulut  trahir  les  complices , 
quoiqu'on. leur  offrit  le  pardon ,  &  une  grande  récompenfei  comme  on  Vs^ 
remarqué  ailleurs.  Ils  blafphémoient  contre  ce  faCré  nom  de  liberté ,  âç 
s'en  fervoient  comme  d'un  infiniment  à  leur  détefiable  trahifon  ;  ils  la  prof* 
tituoient ,  &  fe  plaîgnoient  d'en  être  privés  :  ils  prétendoient  la  rétablir  j 
lorfqu'ils  l'extirpoient  entièrement.  Voyc[  Catilina 

Il  efi  certain  que  fous  ce  nom  de  liberté ,  tout  Tribun  entreprenant  pou^ 
voit  ébranler  l'Etat,  &  le  mettre  en  danger;  les  projets  les  plus  perni- 
cieux étoient  fouvent  les  plus  agréables  au  peuple.  Sicinius  Dentatus  pro- 
Î^ofa ,  après  la  conquête  de  la  ville  &  du  territoire  de  Veïes ,  de  divifer 
e  peuple  Romain  ,  &  d'en  envoyer  une  moitié  de  toute  forte  de  condi- 
tion ,  pour  habiter  cette  nouvelle  conquête.  Si  cette  propofition  eût  réufli , 
elle  eût  mis  fin  à  la  République  Romaine  ;  &  cependant  le  peuple ,  tou- 
jours avide  de  nouveautés ,  &  de  projets  populaires ,  goûta  cette  propofi- 
tion, &  Ton  eut  bien  de  la  peine  à  l'empêcher  de  l'exécuter. 

C'eft  ainfi  que  les  plus  mauvais  citoyens  fe  rendoient  populaires,  en 
propofant  des  loix  qui  flattoient  le  peuple ,  &  en  faifant  des  lamentations 
fur  les  griefs  dont  il  pouvoit  avoir  lieu  de  fe  plaindre.  Ces  loix  étoient 
en  effet  néceflaires,  mais  on  n'auroit  pu  les  obtenir,  ni  même  tâcher  de 
les  avoir  de  cette  manière,  à  ces  conditions,  &  par  le  moyen  de  pareils 
inflrumens.  Ils  en  rendoient  l'exécution  plus  pernicieufe  que  la  privation; 
c'étoient  des  griefs  auxquels  on  ne  pouvoit  remédier  fans  en  introduire  de 
plus  fâcheux.  Qu'y  avoit-il  de  plus  raifonnable  en  apparence?  Que  pou- 
voit-on  fouhaiter  de  mieux ,  que  la  difiribution  des  terres  parmi  le  peuple 
Romain  qui  les  avoit  xoflquifes  ?  Y  avoit-il  rien  de  plus  jufte  qu'une  loi 
Agraire  ,  pour  limiter  la  richeffe  immenfe  de  quelques  particuliers ,  &  pour 
fournir  aux  befoins  indifpenfables  de  la  multitude  ?  Mais  outre  la  grande 
difficulté  d'obtenir  une  pareille  loi  &  de  la  mettre  en  exécution ,  ceux  qui 
crioient  le  plus ,  &  qui  pouffoient  le  plus  à  la  roue ,  ne  fongeoient  qu'à 
leur  propre  grandeur ,  &  tâchoient  d'affervir  Te  peuple ,  &  d'avoir  fon  con- 
fentement  pour  Tefclavage.  Ils  favoient  que  les  plaintes  en  faveur  du  "peu* 
pie  feroient  fuivies  des  applaudiffemens  populaires,  de  la  confiance  de  ce 
même  peuple ,  &  de  l'autorité  que  l'on  gagneroit  fur  lui. 

Le  projet  extravagant  du  Tribun  Rullus,  projet  qui  étoit  très-propre- à 
établir  la  fervitude ,  fut  applaudi  par  le  peuple ,  à  caufe  qu'il  déclaroic  qu'il 


33^  CHANGEMENT. 

le  (brmoit  pour  PavAntage  du  peuple,  (quoiqu'il  fut  vifible  que  rien  ne 
fiouvoit  être  plus  pernicieux  &  plus  préjudiciable  à  la  liberté  &  à  rEcat 
même.  Par  ce  plan  »  lui  &  neuf  alTociés  dévoient  être  revênis ,  pendant 
»  cinq  ans ,  d'un  pouvoir  abfolu  fur  la  République ,  fur  toutes  les  forces 
»  &  tous  les  revenus ,  fur  toutes  les  terres  &  biens  des  fujets  de  PEtat  ; 
»  avec  le  pouvoir  d'établir  des  colonies  &  de  faire  au  peuple  des  diftribu- 
9  tions  tirées  du  tréfor  public  à  leur  difcrétion.  {a)  «  Ce  plan ,  à  la  pre- 
mière vue,  rendoit  ces  dix  hommes  des  tyrans,  auxquels  on  n'eût  jamais 
pu  faite  rendre  aucun  compte;  &  cependant  la  propofition  en  plut  fi  fort 
mx  peuple ,  qu'il  fallut  tout  le  crédit ,  toute  Thabileté ,  la  dextérité  &  toute 
l'éloquence  de  Cicéron  pour  détromper  le  peuple  &  la  lui  &ire  rejetcer. 
Il  n'y  a  jamais  eu  de  fociété  parmi  les  honunes  qui  ne  foit  défeâueufe 
par  quelques  endroits  ;  nous  l'avons  dît  plus  haut«  Dans  chacune  il  y  aura 
plufieurs  particuliers  qui  feront  privés  de  bien  de  -choies ,  &  qui ,  étant 

iiortés  à  le  plaindre^  prendront  du  goût  pour  ceux  qui  font  touchés  de 
eurs  maux  &  qui  fe  plaignent  aufli-bien  qu^eux.  Ceux  qui  entrepreiment 
de  les  foulager ,  leur  font  encore  plu«  chersu  Le  même  efpric  &  les  mêmes 
matériaux  qui  forment  les  chaiiatans  <]ui  courent  le  pays ,  &  les  faux  doc 
teurs ,  produifent  aufli  de  faux  citoyens  &  de  faux  réformateurs ,  qui , 
pour  gagner  le  peuple ,  pour  avoir  de  l'influence  flir  lui ,  pour  s'en  attirer 
la  confiance.,  pratiquent  &  favorifent  l'impofture  populaire. 

A  tout  confidérer ,  les  Etats  libres  font  à  la  vérité  difficiles  ï  foumettre; 
mais  ils  font  fujets  à  des  révolutions ,  &  il  eft  à  peine  poflible  d'en  former 
ou  même   d'en  concevoir  qui  foient  exempts  d'un  ferment  intérieur  tout 
prêt  de  les  altérer  &  de  les  diflbudre.  Ils  peuvent  fe  rendre  les  maîtres  de 
grandes  &  puiifantes  Monarchies  ;  la  Répuolique  Romaine  en  conquit  plu- 
fieurs,; mais  enfin  elle  fe  vainquit  elle-même,  par  les  moyens  &  les  iflf- 
trumens  de  fss  conquêtes ,  fes  armées  viâorieufes  &  leurs  che&*  Cet  Etat, 
de  même  que  d'autres  également  populaires  &  libres,  produifit  de  grands 
hommes  \  ces  mêmes  grands  hommes  firent  craindre ,  &  à  la  fin  cauferest 
la  ruine  de  l'Etat.  Ils  le  montrèrent  aufli  dangereux  à  leurs  concitoyens  à 
la  tête   des  fkâieux ,    qu'ils  l'étoient  aux  ennemis  à  la  tête  des  armées  : 
ils  parvenoient  fouvent  au  commandement  des  ailnëes  après  avoir  gouverna 
des  faâions.  ^ 

Les  grandes  Monarchies ,  dont  le  Gouvernement  eft  abfolu ,  ne  fauroieot 
s'appeller  gouvernement  dans  un  fens  propre;  on  ne  fauroit  les  adminif* 
trer  d'une  manière  jufte  &  équitable ,  quand  même  le  Monarque  en  auroit 
la  volonté  la  plus  nncere ,  ce  qui  arrive  rarement  &  à  quoi  Ton  ne  doit 
pas  s'attendre.  Celui  qui  dirige  tout  à  fa  volonté  ne  fauroit  être  exafteracnt 
informé  comme  tout  eft  exécuté ,  &  ne  peut  point  répondre  de  la  probité 


mtmmmmmmm 


(is)  Ciccro  Orat,  XV.  dt  Lege  Agrari^. 


\ 


CITA  NGEHTEÎTT.  337 

,&  de  ta  capacité  du  nombre  infini  dMmns  qui  lui  font  fubordonn&.  Le 
poiim>ir  ahfolu  eft  en  général  un  défordre  abfolu  ;  une  bande  de  voleurs 
.publics  qui  fe  pillent  mutuellement  «  ou  qui,  tout  au  moins  ^  pillent  les 
autres  I  qui  les  dévorent  ^  qui  les  confument,  en  (e  donnant  pour  leurs  pro* 
teâeurs.  Cependant  cette  lotte  de  Monarchie  eft  en  général  durable  ;  elle 
cft  expofée  à  être  conquife ,  mais  n^eft  pas  fujette  en  elle-même  à  des 
Changemens  eflentiels.  Le  Monarque  lui-même  eft  fouvent  changé ,  &  tou* 
jours  expofé  à  l'être  i  il  peut  être  détrôné ,  emprifonné ,  tué  i  mais  ces 
Changemens ,  quelque  fréquens  qu'ils  foient ,  font  perfonnels  ;  la  puiflknce 
&  la  politique  font  toujours  les  mêmes  &  contmuent  les  mêmes.  Les 
•guerres  civiles  &  tes  révolutions  ont  été  fréquentes  dans  les  Indes,  dans 
la  Perfe  &  dans  la  Turquie  \  mais  dans  tous  ces  pays ,  la  conftitution  de 
•l'Etat  ne  fouftre  point  (Taltération  ni  de  Changement.  Le  fuccefleur  d'un 
Empereur ,  dépofe  pour  avoir  abufé  de  (on  pouvoir ,  a  encore  la  liberté 
d'en  abufer  autant  que  le  faifoit  ibn  prédécefleur. 

On  n'a  jamais  vu  de  peuple  oui  eût  plus  d'amour  pour  fa  liberté  &  plus 
de  bravoure  que  les  Cofaques.  L'oppreflion  que  leur  feifoient  (èntir  leurs 
Seigneurs  Folonois  9  les  força  d'aHer  chercher  un  afyle  dans  l'Ukraine  :  ils 
l'y  trouvèrent  par  leur  courage ,  s'étaut  ligués  pour  leur  commune  défen- 
fe.  On  doit  admirer  comment  de  trés*petites  troupes  d'entr'eux  ont  défiiit 
de  grandes  armées,  &  les  exploits  furprenans  qu'ils  ont  exécutés  contre 
les  Turcs  fur  la  mer  noire.  Les  Cofaques  n'avoient  oue  de  petits  bateaux 
découverts ,  où  il  n^étoit  pas  poffîble  de  mettre  de  ranillerie  ;  &  malgré 
cela ,  ils  ont  tenu  en  échec ,  furpris  &  battu  la  flotte  Turque  :  ils  ont 
fouvent  pris  &  détruit  leurs  fuperbes  galères,  fournies  d'hommes  &  d'ar- 
tillerie. Mais  leur  Gouvernement  eft  trop  libre  pour  être  durable  &  ferme. 
Le  Hetman,  ou  Chef,  eft  éleâif;  &  fon  pofte  eft  bien  dangereux,  puis- 
que s'il  arrive  quelque  défaftre  public ,  ou  quelque  mauvais  fuccès ,  ce 
qui  doit  fouvent  arriver ,  à  caufe  de  leurs  courfes  fréquentes  &  défefpé-* 
fées ,  ce  Chef  doit  compter  d'être  mis  en  pièces ,  quelque  habile  &  irré« 


prochable  qu'il  foit  :  cependant   cet  honneur ,  qu'aucun  homme  prudent 
ne  fouhaiteroit  d'obtenir ,  n'eft  pas  refufé  par  les  plus  fages  ;  ils  n'oferoient 


par  fon  reflentiment  ou  par  fon  ambition,  propofe  fon  ennemi,  ou  fon 
rival  pour  chef,  afin  de  le  faire  maftacren  De  cette  manière,  on  doit  s'at- 
tendre à  voir  parmi  eux  des  émeutes  fréquentes  &  des  événemens  tra- 
giques. 

Crotone ,  ville  Grecque  en  Italie ,  ancienne  &  fameufe  par  le  féjour 
4}u'v  fit  Pythagore,  éioit  une  République  gouvernée  par  un  Confeil  com« 
.po(c  de  mille  membres  :  celle  de  Locres  en  avoir  un  aufti  nombreux,  les 
5eres,  nation  de  Scythie ,  en  avoit  un  de  cinq  mille  perfonnes.  Quelle  union  | 

Tome  XL  V  V 


3^8  CHANGEMENT. 

Suelle  paix^  quel  (ecret  peut-on  attendre  de  ces  aflembltjes  nombretfes  ; 
^  par  confëouent  cumulcueufes  ?  On  peut  conjeâurer^  &  même  trouver 
dans  leurs  hiitoires ,  à  quelles  faâions ,  à  quelles  conteftations ,  &  à  quel*- 
les  altérations  inteftines  ces  Etats  populaires  étoient  fujets  ;  on  y  peut  dé- 
couvrir rencourageqient  donn^  à  leurs  condpâeurs,  &  le  but  quHis  pou^ 
voient  fe  propofer;  à  quel  danger  étoteot  expofés  leurs  meilleurs  Magis- 
trats ;  le  mauvais  fens  qu'on  pouvoir  donner  à  leurs  mefures  les  plus 
fages ,  &  la  tentarion  où  Ton  expofbit  ces  mêmes  Magiftrats  ,  de  fe 
rendre  indépehdans^  &  d'introduire  la  tyrannie  d'un  feul  ou  d'un  petit  nom- 
bre de  chefs. 

Syracufe  étoit  la  plus  opulente  &  la  plus  fuperbe  des  villes  Grecques: 
fon  peuple ,  devenu  infolent  par  l'abondance  &  par  la  profpérité ,  ne  pou* 
voit  foufFrir  qu'on  donnât  des  bornes  à  fa  liberté ,  quoique  la  liberté  oe 
puilTe  fe  foutenir,  fans  être  contenue  par  des  loix.  Le  peuple  perdit  fa 
liberté  &  l'Etat ,  en  y  établiffant  un  gouvernement  populaire ,  lequel  p 
pendant  tout  le  temps  qu'il  dura ,  n'étoit  guère  autre  chofe  qu'une  Anar» 
cfaie  :  elle  produifit  ce  qu'elle  menaçoit  de  produire  dès  fon  commeoce- 
ment ,  favoir  la  tyrannie  d'un  feul.  La  multitude  (kifoir  la  guerre  &  h 
paix,  donnoit  &  ôtoit  les  gouvernemens  &  les  commandemens  militai- 
res ,  faifoit  &  aboliflbit  les  traités ,  difpofoit  de  la  vie  &  de  la  mort  itB 
dtoyens,  condamnoit  les  criminels  &  leur  pardonnoir,  méprifbit  le  vni 
mérite  &  élevoit  fes  favoris  qui  en  étoient  dépourvus. 

Cette  liberté  populaire  »  ou  plutôt  cette  fureur ,  ce  pouvoir  étrange  dans 
la  multitude ,  ne  pouvoit  pas  fubfifter  long  -  temps.  Le  moindre  criaiileur 
d'entre  la  foule  étoit  le  premier  à  fe  faire  entendre  ;  &  le  peuple  n'ayant 
que  fon  petit  intérêt  en  vue,  fe  confîoit  en  ceux  qui  le  flattoient  davan- 
tage ;  tous  les  membres  de  la  République  vivoient  dans  un  commerce 
mutuel  de  tromperie ,  dupes  &  impofteurs  tour-à-tour.  Celui  qui  pouvoit 
les  tromper .  tous  avec  le  plus  d'habileté ,  étoit  celui  qui  avoit  le  plus  de 
facilité  à  fe  rendre  maître  des  autres  :  Deni^  fîit  cet  homme  12é^  &  depuis 
ce  temps  il  a  été  célèbre^  &  eft  détefté  fous  le  nom  de  Tyran.  Il  flatti 
&  cajola  la  multitude ,  &  il  en  fut  adoré.  En  vertu  de  l'amour  qu'il  avoit 
pour  eux  &  à  caufe  de  l'attachement  qu'ils  avoient  pour  lui,  Se  qui  étoit 
fuffifant  pour  qu'ils  ajoutaflent  foi  à  tout  ce  qu'il  leur  difoit ,  il  leur  affor» 
qu'il  étoit  dans  un  péril  continuel  de  perdre  la  vie ,  &  il  les  pria  de  voth 
loir  lui  donner  une  garde  \  ils  la  lui  accordèrent  d'abord  Se  fans  difficultéi 
&  il  ne  manqua  pas  de  fe  faifîr  de  ce  qu^ils  Taidoient  à  prendre,  &  mêm^ 
de  les  charger  de  chaînes  ;  il  fît  de  plus  fuccéder  fon  fils  à  fa  tyrannie. 
Lôrfqu'ijs  furent  affranchis  de  ce  fécond  tyran,  qui  étoit  un  homme foi- 
ble  &  méprifable ,  &  cela  par  le  ftcours  de  rilluftre  Tîmoléoh ,  le  peu- 
ple ,  enforcelé  par  les  idées  d'une  liberté  fans  bornes ,  liberté  qui  ne  fauroit 
être  de  durée  &  qui  confpire  fans  çeflfe  contre  elle-même,  qui  travaille 
continuellement  à  fa  propre  deftruâion  ;  le  peuple  ^  dis- je  ^  faiiaht  des  ef* 


C  H  ANGE  ME  N  T,  339 

forts  pour  établir  l'ancien  gouvernement  populaire ,  Âêatocles  ^  homme 
abandonné  aux  plus  infâmes  débauches ,  auparavant  fimpîe  foldat,  &  alors 
ofBcier,  adoptant  ce  cri  de  liberté,  qui  étoit  à  la  mode  parmi  le  peuple^ 
les  enchanta  tous ,  les  trompa ,  les  afiervit ,  &  enfuite  les  malTacra  par 
centaines. 

Sibaris  étoit  la  capitale  d'un  Etat  peuplé  &  âorîflânt  ;  cette  ville  pouvoit 
contenir  trois  cents  mille  âmes;  le  gouvernement  en  étoit  populaire  & 
chancelant.  Telys^  citoyen  brouillon  &  ambitieux,  trouva  le  moyen  de 
pouflèr  le  peuple  dans  l'irritation  &  de  le  tromper ,  au  point  de  £dre  bannir 
cinq  cents  citoyens  d'une  feule  fois  :  c'étoient  ceux  qui  étoient^les  plus 
opulens ,  ihais  qui  étant  défagréables ,  lui  avoient  donné  lieu  de  travailler 
£ir  l'efprit  du  peuple  pour  le  porter  à  les  haïr,  ce  qu'il  avoit  fiiit  avec 
fuccés.  Ces  exilés  furent  protégés  par  4es  Crotoniates ,  qui  prirent  leur  dé'- 
fënfe  ;  ce  qui  occafionna  une  guerre  dans  laquelle  une  armée  de  trois  cents 
mille  Sibarites  fut  mife  en  déroute  &  paflee  au  fil  de  l'épée  par  celle  des 
Crotoniates,  qui  ne  fe  montoit  au'au  tiers,  &  qui  étoit  commandée  pjir 
le  fameux  Athlète  Milon.  La  ville  de  Sibaris  fut  enAiite  faccagée  &  dé«* 
truite  ;  elle  demeura  dans  cet  état  de  défolatîon ,  pendant  prés  de  foixante. 
ans  ;  après  quoi  elle  fut  de  nouveau  rafée  par  les  Crotoniates.  Les  Sibarites 
fugitifs,  s'étant  fortifiés  d'une  colonie  envoyée  d'Athènes,  bâtirent  une  nou- 
velle ville  fous  un  autre  nom  ;  &  traitant  infolemment  les  nouveaux  venus , 
perdirent  la  fupériorité  qu'ils  avôient  for  eux.  Voilà  ce  qu'ils  gagnèrent  & 
ce  qu'ils  perdirent  par  l'ufage  licentieux  de  leur  liberté ,  &  leur  confiance 
en  Telys  leur  chef  populaire. 

Là  populace  d'Argos  fît  périr  dans  une  violente  fëdition  la  plupart  de 
fos  habitans ,  de  ceux  qui  étoient  les  plus  confidérables ,  fans  aucune  autre 
preuve  contre  eux  que  les  flatteries  &  les  calomnies  effrontées  de  leurs 
orateurs.  Tous  les  riches  furent  accufés ,  tous  furent  trouvés  coupables ,  & 
tous  les  prétendus  coupables  forent  mis  à  mort.  Les  cruels  &  barbares  ora- 
teurs forent  même  à  la  fin  épouvantés  d'un  fi  grand  nombre  d'exécutions, 
nV  en  ayant  pas  eu  moins  de  feize-cents  d'exécutés  tout  de  fuite  :  ils  fe 
ralentirent  dans  leurs  pourfoites ,  &  par-là  ils  devinrent  fufpeâs  au  peu^ 
pie }  ce  foupçon  les  rendoit  affez  coupables  ;  ils  forent  mallacrés ,  eux  qui 
avoient  été  la  caufe  de  tant  de  fang  répandu. 

Le  gouvernement  ariftocratique ,   ou  de  la  nobleffe,    eft  plus  affuré  Se. 

{A\xs  folide  que  le  gouvernement  démocratique ,  ou  populaire  ;  &  quoique 
e  premier  ibît ,  généralement  parlant ,  plus  rude ,  il  n'y  a  cependant  rien 
de  plus  redoutable  qu'une  Monarchie  abfolue  &  defpotique.  Le  gouverne- 
ment de  Sparte  dura  plufieurs  fîecles,  après  que  cette  ville  eut  été  délivrée 
de  la  foibleffe  où  elle  avoit  été  réduite  par  la  violence  du  peuple,  ce  qui 
fot  l'ouvrage  de  la  fagefTe  &  du  courage  de  Lycurgue  :  il  garantit  cette 
République  d'une  ruine  prochaine  qui  la  menaçoit ,  comme  je  l'ai  déjà 
remarqué.  Un  article  de  la  politiqbe  de  Sparte  paroit  extrêmement  injufle 

Vv  2 


34tT  C  H  A  NGEMENT. 

&  cruel  :  les  v^mables  Spaiîîates  àoient  en  petit  nombre,  &  élevés  uni^ 
quemabt  à  manier  &  à  porter  les  armes  i  la  culture  "de  la  terre ,  &  lea 
autres  offices  fervile»  ^toient  le  paruge  des  liâtes  leurs  efclaves,  natifs  du 
pays  conquis  la  première  fois  par  les^  HéracKes^   Ces  jpfclaves  écoient  en 

{^rand  nombre ,  &  on  ne  les  regardoit'  pas  comme  bien  afièâionnés  pouc 
eurs  orgueilleux ^  maîtres,  qui  pour  cette  raifon  choififlbienc  de  temps  en 
temps  les  plus  hardis  de  leurs  jeunes  citoyens ,  &  après  les  avoir  armés  de 
poi^ards,  leur  donnoient  la  commiffion  d'exterminer  ceux  de  ces  malheu* 
reux  efcUves  qui  étoient  les  plus  rufpeds  à  la  République ,  par  leur  force , 


|onr ,  pendant  ci 

jufqu'à  deux  mille  d'une  feule  fois.  .  .        , 

Les  Vénitiens ,  avec  toute  leur  expérience ,  les  rafinemens  de  leur  p<H 
litique  dans  Tadminiflration  du  Gouvernement ,  leur  grand-confeil ,  leur 
fénat ,  &  leur  collège  %  leurs  précautions  dans  le  fcrutin  &  dans  l'ufage 
des  balottes,  leurs  maximes  merveilleufes  &  leur  jaloufie  ^  ne  fauroient  ie 
vanter  d'être  dans  un  état  affuré  &  permanent ,  n'étoit  l'étrange  autorité 
fupréme  du  confeil  des  Dix  ;  c'efl  la  terreur  confiante  des  fujets  brooil'*. 
Ions,  &  le  grand  boulevart  de  la  République. 

Le  Çouvemement  d'Argos  étoit  à  plufieurs  égards  &  en  bonne  partie  le 
même  que  celui  de  Sparte  ;  il  y  manquoir  un  article  confîdérable  :  c'étoiç 
un  f^nat  tel  que  celui  des  Ephores  ;  ce  qui  l'expofoit  à  de  terribles  nir 
multes  &  à  des  fëditious.  Faute  d'un  pareil  fénat ,  pour  traverfer  les  cabi- 
ks  d'Etat ,  ks  jaloufîes  populaires ,  &  la  fureur  des  citoyens ,  allumées  par 
des  fcélérats  parmi  la  populace  ,  fe  déchargeoient  direâement  fur  le  Roi , 
&  ne  finifToient  que  par  fa  mort  ou  par  fa  dépafîtion;  ce  fôt  une  polid* 


à  fes  enfans  dans  un  état  bien  différent  de  celui  oi!i  il  Tavoit  reçue  ;  aux- 
quels il  répondit  fagement ,  que  bien  loin  d'avoir  diminué  Tautorité  Roya- 
le ,  il  l'avoir  affurée,  parce  que  le  peuple  feroit  moins  porté  à  fe  foule* 
ver  contre  loi.  On  peut  dire  que  le  Gouvernement  de  Sparte ,  qui  dura  fi 
long-temps  ,  auroit  continué  encore  plus , .  n'eulTent  été  les  tentatives  que 
firent  les  Spartiates  pour  faire  des  conquêtes  ;  ce  qui  donna  lieu  à  Tintro- 
dnâion  de  nouvelles  maximes ,  des  exemples  de  luxe ,  Se  les  moyens  àt 
le  fatis&ire.  La  bride  fut  lâchée  à  l'ambition  des  membres  de  cet  Etat ,  & 
en  ébranla  tous  les  réglemens.  Il  avoir  été  établi  d'une  manière  propre  ^ 
fa  confervation ,  mais  non  pas  à  fbn  agrandiflement. 

La  République  Romaine  fut  affervie,  &  réduite  fous  la  puiffance  d'un 
fèul ,  par  le.  même  efprit  &  par  les  mêmes  moyens  dont  il  avait  aflervi 


CHANGEMENT.  341 

plofieurs  autres  nations ,  je  veux  dire  par  les  grands  hommes  populaires  & 
par  les  armées.  Dans  la  fuite  le  Gouvernement  Romain  ne  pou  voit  pas 
être  cenfé  fub(îfter  ^  même  avec  un  Empereur  à  la  tête.  Ce  Gouvernement 
le  perdit  dans  les  £intai(ies  &  la  fureur  des  Empereurs  ;  il  étoit  le  jouet 
de  l'humeur ,  des  boutades^  ou  des  appétits  d'un  furieux  ou  d'un  infenfé  « 
d'un  Claude  »  d'un  Néron.  Il  n'étoit  pas  poflible  au  Prince  le  plus  fage  & 
le  mieux  intentionné  de  changer  ce  Gouvernement,  &  encore  moins  de 
le  rétablir  :  cela  étoit  impoffible,  &  il  en  coûta  la  vie  ï  ceux  qui  le  ten- 
tèrent. Les  meilleurs  Princes  .ne  pouvoient  que  montrer  de  la  compadion 
&  de  la  générofîtéy  par  des  aâes  particuliers  de  juftice  &  de  bonté,  qui 
étoient  enfevelis  avec  eux.  Les  meilleurs  règnes  étoient  des  bons  intervalles 
feulement ,  des  trêves  de  .violence ,  de  rapine  &  d'effufion  de  fang.  11  ar-- 
riva  cependant  que  cette  tyrannie,  cette  fubverfion  &  fuppreflion  deGou- 
yemement  fqt  durable  ;  les  tyrans  étoient  fréquemment  détruits  &  maffa^ 
crés,  mais  la  tyrannie  fubdftoit  toujours. 

j  C'eft  le  lot  ce  la  malédiâion  inféparable  des  tyrans ,  qu'ils  n'apportent 
jamais  aucun  foulagement  au  peuple ,  fi  ce  n'eft  peut-être  la  fatisfaâion  de 
voir  que  leur  orgueilleux  &  cruel  opprefleur  mené  une  vie  expofée  à  bien 
des  dangers ,  &  eft  à  tout  moment  menacé  d'une  mort  plus  ignominieufe 
que  l'elclave  le*  plus  vil  &  le  plus  abjeâ.  Il  y  a  des  Changemens  conti- 
nuels dans  ce  GQuvernement  qui  ne  change  pas  de  nature.  Les  mêmes 
moyens,  qui  maintiennent  la  Monarchie  inaltérable,  en  peuvent  changer 
le  Monarque  tous  les  jours. 

Les  Cohortes  Prétoriennes ,  les  Janiflàires  Turcs ,  les  Strelirz  en  Ruflie , 
avec  le  pouvoir  de  &ire  &  défaire  des  Souverains ,  font  plutôt  les  maîtres 
que  lés  fujets  de  leurs  Monarques.  Un  Prince ,  qui  eft  ainfi  à  la  merci  de 
la  foldatefque  ,  eft  forcé  pour  fa  confervation  d'abandonner  tout  à  leur 
di(crëtion. ,  fes  fujets ,  ks  revenus ,  fes  prérogatives ,  fes  Miniftres  &  fes 
favoris.  11  arrive  quelquefois  qu'ayant  tout  facrifié  il  devient  la  dernière 
viâime  :  fituation  terrible  tant  pour  le  Prince  oue  pour  les  fujets ,  &  qui 
l'eft  d'autant  plus  qu'elle  eft  fans  remède.  C'eft  une  forte  de  Gouverne- 
ment  qui  détruit  le  vrai  Gouvernement ,  &  tout  ce  qui  en  dépend  ,  les 
Princes  de  même  que  les  fujets  ;  mais  il  n'eft  jamais  éteint  jufquVce  qu'il 
ait  tout  exterminé;  il  peut  changer  de  nom,  pafler  du  Romain  au  Grec, 
du  Grec  au  Sarrafin ,  du  Sarratin  au  Turc  ,  du  Turc  au  Perfan ,  du  Perfan 
au  Parthe;  mais  il  ne  change  pas  de  nature;  le  Gouvernement  eft  toujours 
niilitaire  &  violent ,  perpétuel  &  inaltérable. 

Un  peuple  libre  peut  conquérir  une  Monarchie  abfolue  ;  les  Romains  fi- 
rent la  conquête  de  plufieurs ,  on  peut  même  dire  qu'ils  conquirent  toutes 
celles  qu^ils  attaquèrent  ;  mais  la  même  route  ,  les  mêmes  moyens ,  qui 
mènent  apx  conquêtes  étrangères  ,  mènent  auffi  à  l'efclavage  domeftique  j 
&  là  où  l'efclavage  eft  ainfi  une  fois  établi,  il  l'eft  pour  toujours,  comme 
il  le  fut  à  Rome,  Il  n'y  a  pas  d'apparence  que  les  foldats  permettent  aux 


34* 


CHANGEMENT. 


loix  de  gouveroer  le  R6i|  qmnd  ils  ne  peuvent  pas  ^eux^^mémes  gôatrerner 
les  loix  :  pour  les  foldats  ,  la  facilité  qu'ils  o.nt  de  faire  des  Souveraim 
amené  le  droit  de  les  ùirt  ;  le  pouvoir  devient  un  droit ,  &  le  droit  eft 


perpétuel  &  facré.  Les  Empereurs  Romains  continuèrent  d'être  créés  par 
les  foldats  ,  qui  les  dépofcrent  auffi  ou  les  poignardèrent .  juiqu'à  la  no. 
Lorfque  le  fils  fuccéda  au  père  ,  ce  fut  par  leur  confentement  &  ap 
probation. 

La  fuperflition  Turque  ne  permet  pas  que  les  Janiflaires  choififlent  leur 
Souverain  hors  de  la  ligne  Ottomane  :  mais  il  leur  eft  arrivé  de  détrô- 
ner ,  d'emprifonner,  de  maflacrer  leurs  Princes,  avec  auffi  peu  de  céré- 
monie ,  que  s'ils  avoient  été  choifis  dans  l'armée  ou  dans  la  populace.  H 
faut  avouer  auflî  que  l'hifloire  ne  nous  montre  point  une  race  plus  habile 
&  plus  brave  que  celle  des  Princes  fortis  de  cette  ligne ,  pendant  trois  ceati 
ans  confécutifs  :  c'étoient  de  grands  hommes.  On  peut  dire ,  à  la  lettre , 
la  même  chofe ,  de  Céfar ,  ce  Séfofiris ,  de  Cyrus ,  de  Tamerlan  &  de 
Charlemagne  :  cependant  durant  le  règne  des  fucceffeurs  de.  ces  grands  Prin- 
ces ,  on  ne  vit  aucun  Changement  à  leur  Gouvernement  impitoyable p 
quoique  plufieurs  d'entr'eux  ayent  été  mis  hors  de  leur  place.  Quelquefbii 
le  fuccefleur  immédiat  s'eft  rendu  remarquable,  pour  s'être  rendu  indigne 
de  Ton  prédécefTeur  :  témoin  Edouard  II ,  foi}>lte  &  malheureux  fils  d'E- 
douard I  ;  Richard  II ,  héritier  d'Edouard  III,  &  Henri  VI ,  infortuné  fils 
&  fuccefleur  de  Henri  V.  . 

Cette  feule  confidérarion  fuffiroit  pour  décrier  la  prétention  du  pouvoir 
abfolu ,  confié  a  un  feul  homme.  Pour  une  fois  qu'il  tombe  entre  les 
mains  d'un  Prince  habile  &  digne  de  commander  aux  hommes ,  il  peot 
tomber  dix  fois  entre  les  mains  d'un  fou ,  qui  regarde  le  Royaume  coniine 
fon  propre  patrimoine  &  les  fujëts  comme  fon  bétail.  C'efl  lur  ce  pied  que 
l'£nipereur  Sévère ,  un  des  meilleurs  Princes  que  les  Romains  aient  jamais 
eu ,  paroit  avoir  regardé  l'Empire  Romain  ,  &  les  Romains  mêmes.  le 
dernier  avis  qu'il  donna  à  fes  deux  fils  étoit  de  remplir  leur  tréfor,  faos 
leur  en  prefcrire  des  moyens  honnêtes  :  d'entretenir  &  de  récompenfer  h 
foldatefque^  &  de  ne  fe  foncier  d^ aucune  autre  chofe.  Il  ne  daigna  pasmtoie 
nommer  le  peuple  Romain  ,  ni  le  fénât.  Il  n'ignoroit  pas  que  ces  deox 
jeunes  Princes ,  félon  toutes  les  apparences  ,  déchire^oient  &  ravageroient 
TËmpire  ;  car  ils  fe  haiiToient  morcellement ,  &  étoient  déjà  dans  uo  tot 
de  guerre  ;  l'ainé  même  avoir  tenté  d'empoifonner  &  enfuite  d'aflàf&ner  fon 
père.  Peu  après  la  mort  de  ce  Prince ,  il  poignarda  fon  frère ,  &  cela  en« 
tre  les  bras  de  leur  commune  mère.  Il  devint  le  tyran  &  le  bourreau  des 
Romains  ;  mais  en  même  temps ,  conformément  à  l'avis  de  fon  père ,  il 
étoit  l'efclave  de  l'armée  à  qui  il  faifoit  beaucoup^  de  libéralités.  Il  nioiirut 
dans  le  fang ,  comme  il  convenoit  à  un  homme  auffi  faîitguinaire.  Son  fuc- 
cefleur fe  montra  pire  que  lui ,  &  eut  le  méitie  fort,  qUe  fubirent  prefquC 
tous  les  autres ,  durant  une  longue  fucceffion.    ' 


CHANGEMENT.  343 

.  Remïrqwonsque  ces  tyrans ,  élevés  ï  PEmpire,  venante  P^^îf*  la  tyran- 
nie impériale  rubfiftoit  toujours  la  même.  Lei  foldars  ne  vouloiept  pas  d'au- 
tre gouvernenienr ,  c'étoit  celui  qui  leur  conveooit  le  mieux.  Qu*auroient- 
ils  fait?  Toutes  les  fois  qu'ils  poignardoient  un  Empereur  ,  ils  étoient  fûrs 
d'érre  bien  payés  pour  en  créer  un  autre,  dont  ils  fe  débarraflbient  aufli , 
lorfquM  n'avoir  plus  rien  à  leur  donner.  C*étoit  un  excellent  gouvernement 
pour  eux  i  il  leur  procuroir  les  dépouilles  du  monde  entier. 

D'oii  vient  que  les  Romains  libres,  les  Grecs  libres,  avoïent  de  Paver- 
Con  pour  U  Monarchie,  Ôi  du  mépris  pour  les  Monarques,  fînon  parce 
que  cVioient  des  tyrans  effrénés  &  abfblus  ,  leurs  fujets  des  efclaves  par- 
faits ,  &  leurs  grandes  armées  toujours  défaites  par  une  poignée  d'hommes 
libres?  Difcours  hijîoriqucs  0  politiques  de  Thomas  Gordûh  fur 
Sallu  STE, 

Nouvelles  Considérations  SUR  iSs  Changemeks  politiques. 

J_jN  réfumant  les  difcuflions  précédentes,  on  peut  diftinguer  différentes 
efpeces  de  Changemens  politiques:  des  Chingemens  abfolus,  d'autres  qui 
font  imparfaits  ,  &  une  troifieme  forte  qu'on  peut  appeller  de  fimples  alté- 
rations de  la  conftitution  fondamentale  de  l'Etat. 

Lorfqu'un  Prince  détrône  un  Roi,  quM  occupe  la  place,  &  laifTe  fub- 
fifter  l'ancienne  confiitution;  la  domination  change,  l'Etat  ne  change  pas: 
c'efl  un  Roi  qui  fuccede  à  un  autre  \  mais  la  République  cefle  d'être , 
lorfqu'on  change  fa  nature,  que  de  populaire  elle  devient  arifîocratique  ou 
monarchiqae ,  ou  de  monarchique  populaire ,  ainfî  des  autres  manières  de 
n'être  plus  ce  qu*oti  éioit  autrefois  :  ce  font  alors  des  Changemens  abfolus. 

Si  un  Etat  eïl  démembré ,  (î  de  pIuHeurs  Provinces  qui  compofoient 
lin  Royaume,  il  fe  forme  plufteurs  Républiques  ou  plufieurs  Monarchies. 
l'ancien  Royaume  ne  fubfifle  plus  \  c'efl  encore  un  Changement  abfolu. 
Autn  la  durée  d'un  Etat  ne  doit  pas  fe  compter  par  la  durée  de  la  capi- 
tale dont  il  porte  le  nom ,  mais  par  celle  de  chaque  conflitution  qui  a 
dominé.  Paul  Manuce.  n'auroît  pas  dQ  dire  que-  la  République  de  Venife 
duroit  depuis  douze  cents  ans. 

Lorfque  Ja  forme  de  la  République  demeure,  &  que  l'on  change  feu- 
lement la  manière  de  gouverner,  c'efl  un  Changement  imparfait.  C'efl  ce 
qui  arrive  lorfque  la  monarchie  royale  fe  convertit  en  defpotîfme  décidé; 
raridocratie  en  oligarchie  •■,  &  quand  le  peuple  accoutumé  à  gouverner 
lui-même ,  abandonne  le  gouvernement  à  fes  repréfentans. 
.  On  en  peut  dire  autant ,  lorfqu'on  introduit  dans  une  Monarchie  ordinaire 
un  gouvernement  mixte ,  en  lailTant  fubfiiler  les  noms  de  Royaume  & 
de  Roi. 

On  remarque  que  les  Changemens  imparfaits  font  le  plus  fouvent  les 
avant- coureurs  des  Changemens  abfolus;  on  ne  doit  pas  juger  de  même 


i 


344  C  H  A  N  G  E  M  E  N  T. 

des.  altérations.  On  donne  ce  nom  à  la  fuppreffion  de  aaelques  loir , 
quelques  coutumes  générales ,  ou  à  l'exercice  d'une  nouvelle  religion* 

Il  ne  refte  bIus  aucune  des  loix  civiles  qui  exiftoient  dans  l'origine  de 
la  Monarchie  nançoife ,  on  a  changé  quelques-unes  des  politiaues  ;  la  reli- 
gion chrétienne  s'eft  établie  dans  l'£mpire  &  dans  les  Gaules  iaos  ébranler 
fes  Etats  ^  un  grand  nombre  des  Provmces  de  l'Europe  a  abandonné  la  re- 
iigion  catholique ,  les  Etats  n'ont  point  changé. 

On  ne  doit  pas  confondre  le  Changement  abfolu  des  Etats  &  leur  ruine: 
Dans  le  Changement  abfolu ,  l'inftant  qui  voit  changer  un  Gouvememenr, 
eft  aufli  le  moment  de  la  naiffance  d'un  autre  :  qu'une  portion  fe  fépare , 
^  ce  qui  doit  être  mis  au  nombre  des  fimples  altérations  )  l'ancien, Etat 
ubfifte ,  la  partie  féparée  en  fait  naître  un  lecond.  Mais  lorfque  l'Etat  ou 
entier  ou  démembré  va  fe  perdre  dans  d'autres  Etats  déjà  exiflans ,  il  eft 
détruit. 

C'efl;  au  droit  de  fouveraineté  qu'eft  attachée  la  vie  des  fociétés  politî* 

Sues.  Si  la  fouveraineté  paffe  du  peuple  à  un  feul,  d'un  feul  à  plufieun; 
u  plus  petit  nombre  au  plus  grand  \  ce  n'eft  qu'un  Changement  abfolu  :  fi 
elle  fe  perd  ^  c'eft  une  deftruâion. 

Les  Changemens  abfolus  dans  les  Etats  peuvent  faire  fuccéder  toutes  les 
natures  des  fociétés  politiques  ;  mais  les  plus  ordinaires  font  de  l'Etat  po-^ 
pulaire  en  monarchique ,  &  de  monarchie  en  Etat  populaire.  Comme  les 
corps  puiffans  ne  peuvent  être  abattus  fans  les  fecoufles  les  plus  fortes,  lef 
Changemenis  n'arrivent  guère  que  par  la  fermentation  la  plus  vive.  On 
^'arrête  rarement  à  l'ariftocratie ,  elle  efl  un  milieu;  la  rapidité  de  l'ei&r* 
vefcence  emporte  à  l'un  des  extrêmes. 

Avant  que  d'entrer  dans  le  détail  des  caufes  des  Changemens ,  je  dirai 
qu'elles  font  extérieures  ou  intérieures.  Les  extérieures  font  ou  une  con^ 
quête  qui  détruit  l'ancienne  forme;  ou  un  accord  avec  des  étrangers, 
comme  celui  par  lequel  la  Lorraine  efl  devenue  Province  ;  enfin ,  tous  ceux 
ui  arrivent  fans  la  coopération  des  citoyens.  Ces  caufes  font  mifes  au  rang 
es  violentes,  &  on  les  appelle  furnaturellés. 

Celles  qui  proviennent  de  l'intérieur ,  font  nommées  naturelles  ;  comme 
les  maladies  des  corps.  On  peut  y  ajouter ,  la  délibération  que  prendroit 
un  peuple  de  changer  fa  conflitution  :  ce  qui  fuppofe  cependant  un  état 
de  maladie  aâuel.  Quoique  naturelles ,  ces  caufes  peuvent  être  encore  plus 
violentes  que  quelques-unes  des  extérieures  ;  &  les  unes  &  les  autres  peu- 
vent être  douces. 

Les  caufeç  extérieures  des  Changemens  font  plus  à  craindre  dans  Tcn- 
Ênce  des  Républiques  que  dans   tout  autre  âge,  &  les  caufes  intérieures^ 
font  plus  communes  dans  leur  vieilleffe. 

La  Monarchie  ^  par  fa  conflitution  ,  pourroît ,  abfolument  parlant ,  être 
exempte  de  ces  dernières.  Si  cet  Etat  change  ou  périt  par  un  vice  interne, 
c'efl  toujours  la  faute  du  Monarque  ou  de  ceux  qui  le  gouvernent. 

Une 


i 


CHANGEMENT.  34^ 

# 

Une  Monarchie  pourroit  ne  jamais  vieillir;  l'équilUire  des  forces  agif- 
Tantes  peut  toujours  fubfiiler  le  même,  parce  qu'elles  font  dé  la  main  d'un 
ieul  agent.  Cet  état  ne  devroit  par  conféquent  être  fujet  à  aucune  infir- 
mité confidérable.  SI  on  fuppofe  qu'il  en  (bit  attaqué ,  il  fufEt  de  le  rame* 
ner  1  fa  première  inft|tution  ;  il  reprendra  fa  première  fleur* 

La  Monarchie  ne  fouffre  pas  del'ufé  des  reflbrts,  comme  les  autres  Ré* 
publiques,  parce  que  le  Souverain  eft  l'unique  reffort,  &  qu'un ^  tout  nou- 
veau ,  fuccede  à  l'ancien.  Si  la  trempe,  eft  telle  qu'on  doit  la  défirer,  il  ne 
reftera  aucune  apparence  de  la  défeâuofité  du  précédent.  On  peut,  pour  fe 
convaincre  de  cette  vérité ,  jetter  les  yeux  fur  l'Empire  Romain ,  fous  le 
règne  d'Alexandre  Se  ver  e,  fucceffeur  immédiat  d'Heliogabale. 

Les  fibres,  le  fang,  tout  fe  peut  rajeunir  avec  un  nouveau  Monarque; 
de  même  qu'une  rolée  ote  aux  plantes  la  langueur  de  la  fécherefle.  Au(S 
voit-on  les  Monarchies  vivre  plus'  long-temps  que  les  Républiques.  Le  rai- 
fonnement  eft  d'accord  avec  les  &its. 

Les  caufes  intérieures  font  d'une  plus  grande  importance  que  les  exté* 
rieures.  Le  dérangement  de  l'intérieur  augmente  le  pouvoir  relatif  des  caufes 
étrangères  ,  &  diminue  la  force  propre.  Si  la  providence  donne,  d'uii  temps 
i  un  autre,  à  la  Monarchie  un  de  ces  reflbrts  puiflans  qui  affujettiffenc 
l'intérieur  à  un  mouvement  réglé ,  il  éloignera  les  caufes  extérieures  ,  âc 
elle  fera ,  pour  ainfî  dire ,  immortelle. 

Je  ne  parlerai  ici  que  des  caufes  intérieures  des  Changemens  abfolus  ; 
encore  font-elles  trop  infinies  pour  entreprendre  de  les  expofer  toutes.  Il 
feroit  néceffaire  d'entrer  dans,  le  détail  de  tous  les  événemens  que  peut 
produire  le  hazard  ;  de  ceux  qui  font  amenés  par  les  caufes  les  plus  éloi- 
gnées, &  de  tout  ce  qui  peut  porter  les  paffions  humaines  à  entreprendre 
&  exécuter ,  fans  oublier  les  plus  minces  caufes  fréquentes  des  plus  grandes 
révolutions. 

Il  y  a  des  caafes  de  Changement  communes  à  tous  les  Gouvernemens; 
il  y  en  a  de  plus  particulières  à  une  efpece  &  fur-tout  à  la  Monarchie. 
Les  générales  font ,  la  pauvreté  des  peuples ,  &  les  richeffes  verfées  d'un 
feul  côté,,  les  honneurs  déplacés  &  les  dignités  mal  diftribuées;  l'ambition, 
le  reflèntiment  des  affronts,  les  bons  ou  mauvais  fuccès  des  guerres,  les 
divifions  inteftines,  l'oppréftîon  fans  mefure,  la  corruption  générale  des 
mœurs.  Il  y  en  a  d'autres  qui  font  plus  particulières  à  la  Monarchie ,  j'en 
parlerai  féparément.  J'aurois  toujours  befoin  de  fubdivifer. 

On  ne  doit  pas  penfer  qu'une  feule  de  ces  caufes  fût  capable  de  ren- 
verfer  une  République,  mais  il  ne  fe  peut  guère  que  plufieurs  ne  fe 
réuniffent. 

Si  la  pauvreté  étoit  générale ,  bien  loin  qu'elle  fût  une  maladie  dans  un 
Etat ,  elle  eft  le  germe  des  vertus  ;  c'eft  l'ancienne  Rome ,  c'eft  Lacédé«- 
mone.  Mais  lorfque  le  peuple  eft  dans  la  mifere ,  &  qu'il  a  devant  les 
yeux  le  ft)eâacle   affligeant  de  l'opulence ,  il  coinpare  fes  befoins  6c  la 


146  CHANGEMENT. 

pro(u(îon  des  riches  ;  (on  hunutiarion  &  leur  orgueil  ;  cette  inégalité  IVi* 
grit  V  il  défire  un  Changement,  il  ea  faifit  l'occalion. 

Cette  Situation  doit  être  commune  dans  l'ariflocratie,  &  peut  (e  trouver 
dans  la  Monarchie ,  lorsqu'elle  eft  en  proie  aux  traitans.  Elle  doit  être  rare 
dans  l'Etat  populaire,  malgré  l'exemple  de  Rome,  que  je  veux  bien  re* 
g;arder  comme  pure  démocratie,  pour  ce  moment. 

Les  richefles  du  Sénat  &  de  l'ordre  des  chevaliers  étoient,  à  Rome,  de 
beaucoup  fupériéures  à  celles  du  peuple  %  mais  le  peuple  h'étoit  pas  dans 
la  pauvreté.  Après  la  guerre  de  Macédoine  »  il  cefla  de  payer  toute  efpece 
d'impôt.  II  profitoit  même  des  richelTes  des  Sénateurs ,  non  comme  récom"* 
penfe  de  fon  travail  8c  de  la  Tueur  de  fon  front  ;  mais  par  les  fpeâaclcs 
&  les  fètès  que  l'on  lui  donnoit.  Le  luxe' fait  vivre  le  peuple  de  u  peine; 
à  Rome,  on  l'amufoit,  on  l'entrelenoit  dans  les  plaifirs. 

Qn'  dira  cependant  que  le  panage  des  terres  &  l'abolition  des  dettes  fie 
ceflerent  d'être  demandés  avec  fuieur  :c'étoient  des  prétextes  mis  en  an* 
vre  par  des  tribims  entrepreoans ,  riches  eux-mêmes.  Le  fond  du  projet 
ëtoit  d'abattre  le  Sénat  ;  d'éteindre  les  difirnâtons  &  les  prééminences  de 
la  nobl^lle ,  toujours  odieufes  &  injuiles  dans  un  Etat  populaire  ;  l'eovie 
&  la  jaloufie  agiflbient  plus  que  la  cupidité.  Ces  tribuns  trouvoient  affez 
de  gens  que  leurs  vices  avoient  rendus  miférables  »  qui  fouffloient  le  fèa 
qu'ils  vouloient  répandre  parmi  le  peuple^ 

Si  vous  joignez  à  ces  motifs  une  privation  de  commerce  ^  un  abandon 
des  arts  de  la  part  du  citoyen ,  &  par  conféquent  une  oifiveté  entière,  vous 
connoitrez  les  caufes  réelles  des  débats  fi  fréquens  dans  Rome. 

Il  eft  fenfible  que  l'on  détruit  le  bon  ordre»  &  la  fociété  politique  par 
isonféquent,  lorfque  l'on  donne  les  charges  à  des  fujets  incapables  ou  mé- 
chans  ;  quelquefois  l'un  &  l'autre  enfemble  ;  ou  lor(que  l'on  commet  des 
injuftices  dans  leur  diftribution.  Mais  on  choque  en  même  temps  l'am* 
bition  :  un  cœur  élevé  regarde  comme  une  injure  la  préférence  donnée 
à  un  autre  citoyen;  ces  trois  cauïès  fe  réunifient  fouvent,  on  les  trouve 
rafTembléet  dans  Texemple  que  fournit  Sylla  :  il  étoit  ambitieux  :  on  donna 
à  Marins  le  confulat  fous  lequel  fe  devoit  terminer  la  guerre  de  Mithrida- 
te,  &  Sylla  l'avoit  mérité. 

^  Quoique  l'ambition  paroiffe  le  mobile  le  plus  universel  de  la  defiruc- 
tion  des  républiques  ariftocratiques  &  populaires,  elle  ne  pourroit  rien  i 
elle  n'étoit  aidée  par  d'autres  caufes  ;  la  corruption  des  mœurs ,  l'oubli  des 
bonnes  inftitntions,  s'y  joignent  &  la  favorifent. 

^  Si  le  peuple  eft  foumis  à  la  loi  &  par  conféquent  vertueux  ;  fi  la  fabor* 
dination  eft  obfervée;  fi  une  faine  politique  donne  moins  de  pouvoirs  qu^ 
d'honneurs  aux  chargea  éminentes ,  &  divife  autant  qu'il  fera  poffible  les 
pouvoirs  efFefKfi  ;  fi  on  n'en  laifle  l'exercice  que  pour  un  temps  très- 
court  ,  les  efFons  du  citoyen  ambitieux  feront  inutiles.  Céfar  auioit  échoué 
au  temps  de  Manlius  ;  Manlius  auroit  réulfî  dans  celui  de  Céfar. 


/ 
CHANGEMENT.  547 

Le  relâchement  dans  les  devoirs,  la  corroprion  /  feronr  toujoui^  des 
circonftances  néceflaires  au  fuccès  des  projets  de  l'ambirion  \  la  matière  efl 
préparée,   une  étincelle  l'embrafe. 

On  tranfgrefla  en  faveur  de  Céfar  la  loi  Sempronia^  qui  dëfendoit  de 
laifler  les  provinces  ait  même  général  au  delà  de  cinq  ans  ;  on  lui  foudoya 
pendant  toute  la  guerre  les  mêmes  légions  qui  s^accoutumerent  à  obéir 
aveuglément  à  fes  ordres.  Ces  dérogeances  aux  loix,  accordées  à  un*  citoyen 
fans  ambition,  n'auroient  point  produit  de  Changement;  l'ambition  d'un 
citoyen  fans  ces  dérogeances,  fe  leroit  éteinte  fans  caufer  des  troubles  im«> 
portans. 

Ces  caufes  fe  réunirent  parce  que  Célar  avide  des  grandeurs ,  &  dont 
le  caur  étoit  corrompu,  népahdit  des  richefles  dans  un  fénat  &  fur 
un  peuple  que  le  relâchement  des  mœurs  avoient  rendus  faciles  i  cor- 
rompre. 

Par-tout  ou  il  y  a  une  barrière  qui  met  urie  diftance  infinie  -  entre  les 
ordres  de  la  République,  comme  dans  Pàriftocratie ,  ou  dans  une  démo- 
cratie qui  laifle  à  fa  nobleflè  un  rang  diflingué ,  qui  foufFre  qu'un  ordre 
ne  puide  s'allier  à  l'autre  ordre ,  les  Changemens  font  plus  prochains.  Alors 
les  bons  ou  les  mauvais  CiUicèt  peuvent  changer  l'£tat  de  populaire  en  arif- 
tocratique,  ou  au  contÉ'aire.  Les  matheurs -confternent  le  peuple  &  l'étour- 
diflent;  il  laifle  le  gouvernement  entre  les  mains  de  ceux  qui  te  veulent 
prendre  :  fi  la  noblefle  alors  a  de  l'ambition  ,•  il  lui  eft  facile  de  $*en  fai<- 
ur  pour  ne  le  plus  rendre. 

L'abattement  du  peuple  Romain! après  les  vtâofres  de  Pîrrhûs  &  celles 
d'Annibal ,  prouve  la  vérité  de  cette  maxime.  Le  Sénat  fiit  maître'  abfô*- 
lu  :  s'il  eût  établi  pour  lors  une  ariftocratie ,  s'il  eût  confervé  l'armée 
viâorieufe  de  Scipion  ou  les  Romains  nattirels  étoient  en  petit  nombre  ^ 
)e  peuple  n'auroit  jamais  repris  fon  autorité. 

hkàs  au  contraire  les  prolpéricês  l'enorgueitlifTent  ;  &  après  la  conqiMre 
de  la  Macédoine  &  la  ruine  de  Cârthâge ,  le  crédit  du  Sénat  tomba  pour 
ne  plus  fe  relever. 

On  voit  l'oppofé  dans  les  Monarchies.  Les  viâoires  remportées  par  lè 
Monarque  fur  les  ennemie  étranger^  âffermiflenf^  étendent  fon  autorité 
fur  les  peuples  qui  l'ont  aidé  à  vaincre  ;  6c  fes'  défaites  favorifent  le  peu^ 
pie  qui  veut  fecouer  le  joug.  Les  heureux  fuccès  Ibnt  tous  pour  la  fouve- 
râineté;  jamais  la  fituation  da  fujets  n'en  eR  devenue  meilleure  :  mais 
une  tyrannie  eft  facilement  abattue  par  le  peuple,  fi  le  tyran  éprouve  de 
l'adverfité  au  dehors. 

Les  Changemens  de  l'ariftocratie  arrivent  le  plus  fbuvent  de  la  divifion 

Jui  fe  glifle  entre  les  nobles  :  leur  autorité  s'aftoiblit ,  le  peuple  prend  le 
efTus.  Il  feroît  ennuyeux  de  raconter  les  minuties  qui  ont  donné  lieu  aux 
dtffentions  les  plus  (uneftes  dans  cette  nature  de  conflitution.  La  propriété 
d'un  brigantin  ^  une  bure  de  fangUer,  ont  commencé  la  chute  de  quelques 

Xx  a 


34«  CHANGEMENT, 

Républiques  de  cette  efpece  :  ane  difpute  y  eft  de  conféquence.  Ce  n'eft 
pas  la  minutie  qui  caufe  le  Changement  ;  les  difpoûtions  ont  précédé ,  le 
moment  arrive  où  le  feu  qui  couve  fous  des  matières  combuftibles,  s^en* 
flamme  fubitément  avec  éclat. 

L'ariftocratie  peut  encore  fe  changer  en  Etat  populaire ,  par  une  deftruc- 
tion  de  la  .noblefle  dans  une  bataille.  Un  pareil  événement  ne  doit  pas 
paifer  pour  liiiiaginaire.  La  plus  grande  partie  de  la  nobleflè  Françoife  pé- 
rit à  la  bataille  de  Fontenay ,  donnée  entre  Lothaire  d'un  côté ,  &  Louis 
&  Charles  fes  frères,  de  Tautre  ;  la  Champagne  fur-tout  en  fut  fi  épuifée, 
que  l'on  donna  pour  quelque  temps  aux  demoifelles  de  cette  province^ 
le  privilège  d'ennoblir  leurs  maris. 

On  a  vu  encore  les  Républiques  fe  perdre  par  le  foin  d'attirer  les  étran- 
gers ;  &  l'attentibn  de  les  écarter  à  jamiais  des  charges  ;  ils  forment  alors 
une  République  féparéé ,  dans  une  autre  République  i  c'eft  introduire  un 
ennemi  dans  fon  iein.  C'eft -ainfi*  qu'ont  péri  les  Etats  des  Samiens,  des 
Sybarites ,  des  Gnidiens  &  plufieurs  autres.  Ces  événemens  font  arrivés 
flus  récemment  à  Sienne,  à  Gènes,  à  Zurich,  à  Cologne.  On  doit  donner 
peu-à-peu  le  rang  de  citoyens  aux  étrangers  ;  lorfque  Theureufe  fituation 
les  attire  en  foule , .  il  £iut  faire  enforte  qu'ils  -  fe  confondent ,  qu'il  dtvien* 
nent  naiurels  par .  les  alliances.  La  politique  de  .Venife  eft  trop  dure  & 
trop  pénible. 

-  L'oppreflion  extrême  des  fujets  ne^  peut  guère  fe  rencontrer  que  dans 
l'ariftocratie  &  la  monarchie  :  lorfqu'elle  prive  dfes  biens ,  elle  entraine  la 
pauvreté  du  plus  grand  nombre  avec  les  inconvéniens  dont  j'ai  déjà  parlé. 
Si  elle  y  ajoute  une  gène  rigoureufe.de  la  liberté ,  le  Changement  devient 
plus  prochain.  La  mifer'e  &  l'efcUvage,  font  des  aiguillons  qui  font  cou« 
rir  avec  effort  vers  les  biens  &  la  liberté.  ^ 

On  peut  compter  parmi  les  caufes  intérieures>  les  plus  ordinaires ,  qm 
concourent  à  renverfer  les  monarchies ,  l'inexécution  &  le  mépris  des  loix 
fondamentales;  la  cruauté  du  Prince',  la  diflblution  de  fes  mœurs,  les  sf* 
fronts  dont  il  accable  quelqu'un  de  fes  fujets ,  l'extinâion  de  la  famille  du 
fOuveraïUé  i    . 

Les  Changemens  abfolus  font  plus  communs,  plus  faciles  à  exécuter 
dans  1er  petits  Etats  que  dans  ceqx  de  quelque  étendue;  il  n^eft  perfoooe 
qui  n'en  fente  les  rations.  La  mouftrchie  eft  encore  moins  fu  jette  à  ces  re- 
vers que  les  Républiques  d'un  aUû-e  gehi'e.  Tous  les  rayons  de  l'autorité 
Îf  font  réunis,  dans,  un  ^méme  cedtre^  elle  a  une  toute  autre  force  que  dans 
es  Etats  républicains.  Âinfi  il  faut  encore  plus  ;  que  les  caufes  s'y  réunif* 
feât ,  &  que  celles  qui  folnt  prarticuUeres  à  cet  Etat,  fe  joignent  à  quelqu'une 
de  celles  que  l'on  a  vues  précédemment. 

r  II  eft  naturel  que  fi  on  fecoue  les  fondemens  d'un  édifice ,  il  perde  de 
fon  équilibre,  &  que  du  moins  il  panche  vers  fa  ruine,  fi  l'ébranlement 
fi'a  pas  çaufé  fa  chute.  Tel  eft  l'effet  du  mépris  des  loix  conftitutives  dans 
un  Etat. 


CHANGEMENT. 


3+9 


Il  n^yr  a  que  Pautorité  réunie  capable  de  cet  effort.  Lorfque  les  attri« 
buts  en  font  divifés;  chacun  eft  trop  (bible;  &  û  on  abroge  quelqu'une 
de  ces  loix  fondamentales  dans  les  Etats  ou  plufieurs  ont  part  au  gouver- 
nement, ce  ne  peut  être  que  du  confentement  de  tous  &  avec  réflexion} 
ce  n'eft  plus  alors  les  méprifer ,  fe  refufer  à  leur  exécution  ;  c'eft  au  con- 
traire un  père  de  famille  qui  répare  les  fondemens  de  fa  maifon  avec  les 
précautions  convenables. 

Mais  lorfque  le  Monarque  heurte  ces  loix  fans  le  concours  de  la  vo- 
lonté des  peuples I  il  fait  tomber  des  fondemens,  la  liaifon  qui  fait  toute 
leur  folidité. 

Les  vices  perfonnels  des  Princes ,  féparés  des  autres  caufes ,  font  plutôt 
capables  de  caufer  les  Changemens  imparfaits  que  les  abfolus;  la  cruauté 
révolte  les  efprits;  la  vie  difTolue  du  Monarque  le  fait  méprifer;  l'oppro- 
bre dont  il  aura  couvert  un  de  fes  fujets  excite  (a  vengeance  contre  fa  per» 
fonne  \  mais  fi  le  Général  efl  d'ailleurs  fatisfait  de  la  conflitution ,  on  ne 
détrônera  le  Prince  que  pour  lui  donner  un  fucceffeur  ;  l'Etat  ne  perdra 
rien  de  fa  fiabilité. 

Juftin  III  fut  tué  par  Atelius  dont  il  avoit  tué  le  fils  &  livré  la  femme 
à  la  proftitution  ;  Childeric  fut  affaffîné  par  Bodile  qu'il  avoit  fait  frapper 
de  verges  :  des  Princes  efféminés  font  jettes  dans. des  cloîtres  :  la  révolu- 
tion ne  va  pas  plus  loin.  Si  l'incontinence  du  jeune  Tarquin  décida  le 
Changement  de  la  conflitution  dans  Rome  ,  c'eft  parce  que  les  cruautés 
&  les  injuftices  du  père  l'avoient  déjà  ébranlée ,  &  que  l'affront  fut  ajouté 
à  l'incontinence. 

Mais  il  efl  rare  que  l'un  de  ces  vices  fe  rencontre  feul,  &  n'entraine 
d'autres  caufes.  Il  efl  vrai  que  l'on  a  vu  des  Princes  portés  par  leur  tem* 
pérament  aux  foibleffes  de  l'amour  ^  &  n'avoir  que  ce  défaut  ;  ce  n'efl  pas 
auffî  ce  que  l'on  entend  par  la  diffolution  des  mœurs.  Ce  terme  exprime 
beaucoup  au-delà  ;  il  comprend  plufieurs  indignités ,  &  les  comprend  dans 
leur  excès.  Un  Monarque  diffolu  ne  refpeâe  ni  les  bienféances ,  ni  les 
rangs ,  ni  les  loix  ;  fi  la  forme  de  l'Etat  ne  change  pas ,  des  circonflances 
paniculieres  s'y  oppofent. 

Tibère ,  Néron ,  Heliogabale  périrent ,  &  la  forme  de  l'Etat  fe  confer^ 
va  ;  la  raifon  efl  fimple ,  le  gouvernement  étoit  militaire  ;  jamais  une  ar- 
mée n'a  fu  que  nommer  un  Général.  La  paffion  de  Roderic  réduifit  à  rien 
le  trône  des  Efpagnes,  il  fit  changer  la  face  du  gouvernement;  il  détruifit 
la  religion,  parce  que  le  Comte  Julien  &  fa  fille,  offenfés,  furent  des  ef- 
vindicatifs  &  encore  ambitieux. 

nme  l'ariflocratie  fe  rapproche  de  la  royauté,  ces  mêmes  inconvé- 

peuvent   abfolument  s'y  rencontrer.   On  y  peut   méprifer  les  loix 

utives  au  préjudice  du  peuple.  La  portion  dominante  peut  être  plpn- 

dans  les  vices  ;  alors  la  conititution  fera  plus  facilement  détruite  ;  là  il 

ne      mt  y  avoir  de  Changement  imparfait  i  il  faut  qu'il  foit  abfolu. 


^^o  C  H  A  N  G  E  M  E  N  T, 

Les  Royaumes  ëleâifs  ont  leurs  caufes  de  Changement  particulières  j 
ce  font  les  divifions ,  &  la  fbiblefle  de  l'interrègne.  Mais  ils  ne  font  pas 
autant  fufceptibles  des  autres.  On  n'a  pas  communément  recours  aux  re- 
mèdes violens,  lorfqu'on  en  a  de  doux  &  de  naturels.  La  mort  de  chaque 
Roi  donne  à  chaque  citoyen  refpérance  de  choifir  un  Prince  exempt  àcs 
défauts  de  celui  qui  règne  ;  on  fupporte  les  défordres  avec  plus  de  patience. 
La  fermentation  s'appaife  dans  les  commencemens  d'un  nouveau  règne , 
qui ,  pour  l'ordinaire ,  donne  d'heureufes  efpérances. 

Ces  Etats  font,  pour  la  plupart,  plus  modérés.  Chaque  éleétion  fournit 
l'occafîon  d'une  nouvelle  convention.  L'Etat  peut  faire  des  loix  qui  anê- 
tent  le  cours  des  maux  que  l'on  a  reflentis.  Il  n'eft  pas  douteux  que  les 
concurrens  ne  fe  foumettent  à  en  promettre  Pobfervation. 

II  eft  naturel  que  fi  l'éleâion  eft  entre  les  mains  de  la  nobleflè ,  la  conf- 
titution  devienne  approchante  de  l'ariftocratie  :  (i  le  peuple  partage  le  droit 
d'élire ,  ir  en  doit  réfulter  une  République  compofée  des  trois. 

Les  Royaumes  héréditaires  peuvent  auflî  changer  légitimement  leur  conf* 
titution  ou  la  modifier,  lorfque  la  maifon  qui  règne  s'éteint.  Alors  le  droit 
d'éleâion ,  ou  celui  de  faire  un  Changement  abfolu ,  eft  inconteftablemeot 
dévolu  à  la  nation. 

L'Empire  d'Allemagne  en  eft  un  exemple.  Il  étoit  autrefois  héréditaire, 
&  purement  monarchique.  Après  l'extinaion  de  la  branche  régnante,  il 
devint  fœdératif ,  plus  ariftocratique  que  monarchique  ,  &  la  dignité  it 
Monarque  ,  éleâive.  Ce  dernier  Etat  n'a  pas  éprouvé  depuis ,  de  change- 
ment ablolu  ;  mais  il  n'a  pas  été  exempt  d'altération.  Le  gouvernement 
>'eft  rapproché  du  royal  pour  avoir  été  continué  long- temps  dans  la  même 
maifon. 

Les  révolutions  font  douces,  lorfqu'elles  font  amenées  par  des  événe^ 
mens  naturels  ;  elles  font  légères  lorfqu'elles  marchent  lentement  &  à^ 
degrés  en  degrés,  à  peine  font-elles  fenfation  :  elles  n'en  font  pas  moins 
réelles. 

il  eft  dans  l'ordre  des  chofes  que  le  pouvoir  augmente  par  la  longue 
habitude  de  recevoir  le  commandement  de  la  même  main  &  du  mém^ 
fupérieur.  Si  les  Eleâeurs  avoienc  choifî  leur  chef  tantôt  dans  une  niairoa 
tantôt  dans  une  autre ,  fon  autorité  feroit  à  préfent  auffî  limitée  que  cell^ 
du  Doge  de  Venife  ;  on  l'auroit  retranchée  à  chaque  capitulation. 

Les  Ëleâeurs  ont  agi  comme  autrefois  les  Cardinaux ,  qui  avoient  r^folu 
dans  le  conclave ,  tenu  après  la  mort  de  Jules  II ,  de  borner  la  puifTance 
temporelle  des  Papes.  Ayant  réfléchi  que  chacun  d'eux  pouvoir  être  élu» 
ils  abandonnèrent  ce  projet. 

Les  Eleâeurs  ne  s'y  font  point  attachés ,  quoique  leur  conftance  à  hir^ 
tomber  leur  choix  fur  la  même  maifon  pendant  une  fuite  de  (iecles,  pc^' 
fuade  qu'ils  ont  perdu  le  défir  de  parvenir  k  la  dignité  Impériale. 

Des  objets  qui  Ifxuc  ont  paru  plus  important  les  t)nt  fans  doute  détef* 


C    H    A    N    U    T.  3^1 

minés.  Ils  ont  confidérë  qu^ils  ont  befoin  d'un  Prince  pui/Tant ,  &  intérefTë 
perfonnellemenc  à  veiller  fur  la  puiffance  Ottomane.  Peut-être  ils  ont  été 
fëd'iits  par  le  fpécieux  prétexte  de  Péquilibre  en  Europe,  &  quMs  comp- 
tent fur  des  moyens  fufHfans  pour  aflurer  leur  indépendance. 

Des  membres  fouverains  la  peuvent  conferver,  vis-à-vis  d'un  chef  qui 
fe  perpétue,  par  leur  liaifon  &  leur  attention  :  leur  intérêt  principal  eft 
que  la  conftitution  ne  reçoive  ni  altération,  ni  Changement;  tous  les  au- 
tres objets  doivent  leur  être  moins  précieux  que  leur  confédération. 


C  H  A  N  U  T ,    Ambajfadtur   de   France    en    Sutdc  ,  fous  U   règne  de 

Chriftine. 


p 


IRRRE  CHANUT,  Confeiller  d'État ,  né  à  Riom  en  1601,  mort  à 
Paris  en  1662,  parloic  la  plupart  des  langues,  &  fut  l'un  des  plus  favans 
liommes  de  fon  temps.  Il  étoit  Tréforier  de  France  à  Riom ,  lorfqu^il  fut 
nommé  Réfident  de  France  en  Suéde,  (a)  Le  Roi  l'envoya  (b)  à  raffem- 
blée  de  Lubeck  en  qualité  de  fon  Ambafladeur,  pour  y  faire  l'office  de 
Médiateur  entre  la  Pologne  &  la  Suéde.  De  cette  affemblée ,  Chanut  re- 
tourna à  la  cour  de  Sucde  avec  le  caraâere  d'AmbafTadeur.  Il  paffa  de- 
puis en  Hollande  avec  le  même  caraâere;  &  fut  enfin  rappelle,  (c) 
pour  fèrvir  au  confeil.  Piques,  Confeiller  en  la  cour  des  Aydes  de  Paris^ 
tut  Réfident  à  Stockholm,  à  ta  place  de  Chanut. 

Nous  avons  les  négociations  de  Chanut  &  de  Piques  fous  ce  titre  : 
li  Mémoires  de  ce  qui  s'efl  paflë  en  Suéde  &  aux  Provinces-Unies  depuis 
s»  l'année  164^,  jufqu'en  l'année  165$,  enfemble  le  démêlé  de  la  Suéde 
3»  avec  la  Pologne,  tirés  des  dépêches  de  M,  Chanut,  Ambaffadeur  pour  le 
»  Roi  en  Suéde  ,  par  P.  Linage  de  Vauciennes.  "  j  vol.  in- 12  Paris, 
Xouis  Billaine,  167^.  Les  deux  premiers  volumes  contiennent  le  récit  des 
négociations  de  Chanut  ;  &  le  troifieme ,  celles  de  Piques. 

Chanut  a  été  l'un  des  bons  négociateurs  que  la  France  ait  eus.  L'Hifloîre 
^ue  Linage  de  Vauciennes  a  faite  des  négociatibhs  de  ce  Miniflre ,  ne  laiffe 
pas  d^en  être,  en  quelque  forte ,  la  preuve ,  toutes  défigurées  qu'elles  font; 
car  les  pièces  y  font  tronquées.  Je  ne  dois  pas  oublier  de  remarquer  que 
Chanut  qui ,  à  titre  d'homme  de  lettres ,  avoit  eu  de  fréquens  entretiens 
avec  Chriftine ,  Reine  de  Suéde ,  entretint  toujours  un  commerce  de 
lettres  avec  cette  PrincefTe,  depuis   qu'elle  eut  abdiqué  la  couronne,  & 


(il)  En  164^. 
{k)  Avril  164$. 
(c)  Eo  i655. 


3$2 


CHARGE. 


que  Chriftine   le  traitoit  comme  un  ami  pour  lequel  elle  écoit  pleine 
d'eftime. 

Chanut  étoit  parent  &  élevé  de  M.  de  la  Tuillerie^  dont  il  fera  parlé 
dans  la  fuite.  Ce  fut  la  Tuillerie  qui  le  mena  en  Suéde  &  lui  fie  donner  la 
qualité  delléfident  :  cela  fuffiroit  pour  recommander  la  perfonn^  de  tout 
autre  Âmbafladeur  que  celle  de  Chanut;  mais  il  devoit  quelque  chofe^e  plus 
à  lui-même  qu'à  fon  parent  &  à  fon  patron.  Il  avoit  beaucoup  voyagé, 
&  ayant  pronté  de  Tes  voyages,  il  y  avoir  acquis  une  connoiflànce,  qm 
lui  donna  d'abord  non-feulement  Peflime,  mais  auffi  la  confiance  de  la 
Reine  Chriftine  de  Suéde.   H  avoit  avec  cela  de  l'iionneur ,  &  beaucoup 

;  la  Reii 
prit  pas 

nité ,  &  fi  cette  nouvelle  qualité  fit  quelque  changement  dans  fon  train  & 
dans  fa  fuite ,  die  n'en  fit  point  dans  fa  perfonne  ni  dans  fa  conduite.  N'é- 
tant encore  que  Réfident ,  il  avoit  négocié  avec  une  habileté  d'Ambafladeur , 
&  étant  Amoalfadeur,  on  voyoit  en  lui  une  modeftie  de  réfident,  quoi 
qu'en  plufieurs  rencontres ,  il  fût  bien  fe  faire  rendre  ce  qui  étoit  dà  ï  la 
dignité  de  fon  caradere.  La  Suéde  &  les  Provinces-Unies  fe  fbuviennent, 
&  fe  fouviendront  long- temps  du  mérite   de  ce  grand  perfonoage.  Il  fe 
trouva   comme  médiateur,  de  la  part  de  la  France,  aux  deux  alfemblées 
de  Lubec  en  l'an  1651  &  1652,  &  on  peut  dire  que  de  tous  lesMioiftres 
de  ce  congrès,  il  n'y  eut  que  Chanut  qui  y  fit  figure,  tous  les  autres  ëtaoc 
comme  des  perfounages  muets.  On  peut  dire  que  c'étoit  un  Ambaffadeur 
de  la  première    clafle ,  &  qu'il  y  en  avoit  fort  peu  qui  puflent  prendre 
rang  fur  lui.  Ses  négociations,  toutes  eftropiées  &  défigurées  qu'elles fonr, 
ne  laiflènt  pas  de  porter  des  marques  de  ce  qu'il  étoit  en  effet  ;  quoique 
celui   qui  les  a   publiées  &  mutilées,   lui  ait    fait   un   tort    irréparable. 
Ceux  qui  fe  donnent  l'autorité  de  retrancher  ainfî  des  ouvrages  de  ces 
grands  hommes  ce  qu'ils  jugent  ne  devoir  pas  être  communiqué ,  fi^oieot 
bien  mieux  de  ne  rien  donner  au  public,  que  de  produire  leurs  extraits 
imparfaits  &  peu  judicieux,  oii  on  ne  voit  ni  l'air  ni  le  génie  duMiniflre. 


L 


CHARGE,    f.  f.  Office,  Dignité. 


ES  deux  mots.  Charge  &  office,  qui,   dans  l'ufage  vulgaire  paroif- 

fent  fynonimes  ne  le  font  cependant  pas  à  parler  exaâement  ;  l'étymolo- 
gie  du  mot  Charge  pris  pour  office ,  vient  de  ce  que  chez  les  Rojmains 
toutes  les  fonâions  publiques  étoient  appellées  d'un  nom  commun  muncra 
publica  ;  mais  il  n'y  avoit  point  alors  d'office  en  titre ,  toutes  ces  fonÔions 
n'étoient  que  par  commiffiôn ,  &  ces  conimiflîons  étoient  annales.  Entre  les 

commiflîons 


f  ■  . 
1 


C    H    A    R    G    B: 


3U 


Von  appliquoit  finguliéremrât  le  titre  de  mimera  publica ,  quafi  onera  ;  & 
c'eft  en  ce  fens  que  nous  avons  appelle  Charges  en  notre  langue ,  toutes  les 
fonâions  publiques  &  privées  qui  ont  paru  onéreufës,  comme  la  tutelle , 
les  Charges  de  police ,  les  Charges  municipales.  On  a  aulfi  donné  aux  offices 
le  nom  de  Charges,  mais  improprement.  Quelques-uns  prétendent  que  l'on 
doit  diftinguer  entre  les  Charges  &  offices  ;  ,que  les  Charges  font  les  pla- 
ces ou  commiffions  vénales ,  oc  les  offices  celles  qui  ne  le  font  pas  :  mais 
dans  Tufage  préfènt  on  confond  prefque  tou^urs  ces  termes  Charges  & 
offices ,  quoique  le  terme  d'office  foit  le  feul  propre  pour  exprimer  ce  que 
oous  entendons  par  un  état  érigé  en  titre  d'office ,  foit  vénal  ou  non  vénal. 

C'eft ,  dit  Bacon ,  fe  fiûre  l'efclave  du  public  &  du  Prince ,  de  la  renom- 
mée &  des  affaires ,  que  de  prendre  une  Charge.  Etrange  ambition  de  ven- 
dre fa  liberté  pour  une  ombre  de  pouvoir,  &  de  confentir  à  n'être  plus 
maître  de  foi-méme ,  pour  le  plaifir  de  commander  aux  autres }  Qu'eft-ca 
donc  que  la  route  des  honneurs?  des  peines  qui  conduifent  à  d'autres  pei- 
nes :  hmefle  enchaînement!  Encore  e(l-ce  par  les  degrés  de  l'in&mie  qu'on 
parvient  au  faite  des  dignités.  Le  chemin  efl  raboteux ,  le  terme  gliffimt , 
&  le  retour  un  précipice  :  quand  même  on  pourroit  fans  honte  revenir  fur 
les  pas,  en  art- on  le  courage?  Des  hommes  accoutumés  à  une  vie  aéti- 
ve,  (ont  inquiets  dans  le  repos.  Il  leur  faut  encore  du  mouvement  au 
déclin  de  l'âge  ;  &  des  vieillards  flétris  &  défigurés  par  les  ans ,  vont  bra- 
ver fur  leur  porte  les  railleries  des  pailans  :  que  nire  ?  Ils  n'exifteroient 
plus  à  leur  gré,  fi  on  ne  les  voyoit 

Il  feroit  à  fouhaiter  qu'un  homme  en  place  jugeât  de  fon  état  par  l'o« 
pinion  du  vulgaire  ;  il  fe  croiroit  heureux  ;  au  lieu  que  ,  s'il  fe  confulte , 
il  n'eft  rien  moins  fans  doute.  Nous .  fommes  les  premiers  à  fentir  nos  pei- 
nes ,  &  les  derniers  à  appercevoir  nos  défauts.  Les  af&ures  dérobent  le  tems 
de  pourvoir  à  la  fanté  &  au  repos  du  cœur  \  on  ne  peut  ni  sMtudier ,  ni 
fe  connoitre,  ni  jouir  de  foi^même. 

C'eft  un  grand  bonheur  de  ne  pouvoir  pas  faire  du  mal  ;  mais  qu'il  efl 
beau  de  ne  le  vouloir  jamais  !  L'avantage  de  faire  du  bien  doit  être  la  re- 

Îrle  8c  le  terme  de  Tambition  ;  des  bonnes  intentions  fans  aucun  effet ,  ne 
eront  que  des  (bnges  agréables. 

L'élévation  d^  dignités  efl  un  point  de  vue  avantageux ,  qui  nous  met  â 
portée  de  difcemer  les  maux  &  les  befoins  des  hommes  pour  y  porter  du 
fecours  :  les  bienfaits  &  les  fervices  d'une  ame  généreufè  &  ^ompatiflknte , 
font  la  véritable  récompenfe  de  fes  travaux. 

L'imitation  eft  la  traduéUon  des  préceptes  en  exemples.  Un  homme  qui 
commence ,  doit  fe  propofer  des  modèles  ;  mais  avec  le  tems  il  doit  deve^ 
nir  lui-même  fon  modèle ,  c'e(l-à*dire ,  régler  fes  aâions  par  fes  aâionf , 

Tome  XI.  Yy 


\ 


\ 


354  C    ti    A    H    G    !• 

&  dojnoer  des  exemples  après  en  avoir  fuivis.  Les  exemples  ne  tirent  Dokt 

à  conféquence,  parce  que  les  tems  changent  Tordre  des  cirfeonftances  c^  des 

opérations  qui  en  dépendent  :  combinez  donc  le  paflë  avec  l'état  préfent  j 

par  ce  qui  a  été  fzit  vous  verrez  ce  oui  vous  relie  à  faire. 

i      Chargez-vous  de  vues  générales ,  laiuèz  le  détail  aux  fubaltemes.  Ne  re« 

jettez  ni  iecours,  ni  conleils,  (uirent-ils  inutiles  :  mais  recueillez  tout,  & 

.  choifilTez.  Que  Texercice  de  votre  pouvoir  ne  foit  jamais  arbitraire  ;  ayez 

{  des  regles^  confiantes,  faites-les  connoitre,  &  fi  vous  vous  en  écartez,  se 

laiiTez  pas  ignorer. les  motifs  de  cette  dérc^ation  à  votre  conduite  or* 

,  dinaire. 

Un  homme  en  place  doit  être  en  garde  contre  lui-même  &  contre  le$ 
•  autres.  Il  doit  craindre  ces  inégalités  d'humeur  oui  font  traîner  les  affaires 
.  par  des  délais  &  des  renvois  étemels.  L'affîduité  à  Tes  heures  d'audieocf , 
^  efl  une  partie  eflëntielle  des  fbnâions  du  Magiflrat  ;  n^entamez  point  plufieurs 
affaires  /  fi  vous  voulez  en  finir  une.  La  corruption  d'un  homme  public  vient 
'.  de  Tes  cliens  ;  liez-leur  les  mains ,  &  fermez  les  vôtres  aux  préfens.  Od 
appaife  les  Dieux  par  des  of&andes,  parce  qu'il  s^agit  d'en  obtenir  grâce; 
.mais  comme  on  ne  doit  attendre  des  Magiflrats,  que  la  juftice^  toutes  les 
,  offres  de  la  féduâion  font  des  attentats  contre  leur  équiiâé. 

Qu'on  ne  vous  fbupçonne  pas  même  ;  le  bien  public  dépend  autant  de 
l'opinion  qu'on  aura  de  vous ,  que  de  votre  probité  réelle.  Un  homme  qui 
.  changeroît  de  réfolution  fans  des  raifons  manifefles  ^  fe  renéroit  fiifpeél  de 
paffion  ou  d'intérêt;  n'efpérez  pas  en  impofer  toujours.  Un  confident,  m 
favori  qui  fe  laiffe  aller  à  des  offres  brillantes ,  donne  attetnte  à  votre  ri* 
:  putation  ;  c'efl  la  &uff&-porte  de  la  corruption  :  foyez  également  ferme  con- 
tre les  fbllicitations  ;  car  fi  l'on  s'apperçoit  que  vous  cédez  à  l'importumté , 
on  ne  fe  laflera  pas  de  vous  accabler. 

La  févérité  rend  la  juflice  redoutable  ;  mais  la  fierté  ht  rend  odieufe. 
L^  afironts  qui  partent  de  fi  haut  ^  abattent  &  défefperent  ;  applaniâez  h 
roideur  de  votre  élévation. 

Ou  l'on  reclame  un  droit,  ou  l'on  folticite  «ne  faveur;  c*efl  donc  h 
jufiice  ou  le  mérite  qu'il  vous  faut  confulter.  Si  le  mérite  étoit  égal,  ne 
raudroît*il  pas  mieux  le  fevorifer  dans  une  condition  médiocre,  que  dans 
un  homme  déjà  diflingué  par  la  naiflance,  ou  les  richeffes?  Cependant 
comme  le  mérite  eA.  plus  rare  chez  les  gratids  y  que  pamii  les  hommes 
d'une  extraftion  commune ,  foit  que  la  vertu  ne  s'allie  pas  avec  la  fortu- 
ne i  ou  que  le;s  talens  ne  foient  pas  un  héritage  purement  gratuit  de  la 
nature ,  comme  la  nobleffe  efl  un  grand  don  ;  le  mérite  tout  acqws  & 
perfonnel ,  ne  fauroit  être  trop  élevé ,  aux  yeux  des  hommes  t  il  dedam- 
mage  la  terre  de  toutes  les  indignités  de  ceux  de  fa  condition. 

^  Les  hauts  rangs  font  la  place  naturelle  de  la  verm  ;  cependant  il  feroit 
bien  étrange  qu'un  homme  devint  meilleur  au  milieu  des  honneurs  ^  c'efi*!^ 
qu'on  coanoitroit  le  plus  éminent  de  tous  les  caraâeres» 


CHARGE.  551 

Ménager  la  mémoire  de  fes  ^ rëdécefleurs ,  c'eft  aflurer  fa  réputation  au« 
prés  de  fes  fuccefTeurs,  &  les  gagner  d'avance.  Enfin  plus  vous  paroitrez 
oublier  les  droits  de  voore  rang ,  plus  les  autres  s'en  ibuviendronc 

Extrait  des  (Euvns  du  Chancelier  BACON. 


u 


De  la  durée  ù  de  la  vénalité  des  Charges. 


Nb  des  choCes  qui  contribuent  le  plus  au  maintien  des  fociétés  jpiH 
litiques ,  eft  fans  doute  la  conduite  &  la  capacité  des  Magiftrats  qui  com- 
mandent fous  l'autorité  fouveraine. 

Mais  outre  cette  partie  intéreflante,  la  maxime  de  perpétuer  ou  de  chan« 
ger  leurs  Charges ,  étant  elle-même  une  diflFérence  (enfible  de  la  conftitu- 
cion,  elle  mérite,  autant  qu'aucune  autre  ^  d'être  dKçutée,  &  qu'on  en 
connoiife  l'utile  &'  le  défefhiéux.  Je  commencerai  par  rapporter  les  raifons' 
pour  l'une  ou  pour  l'autre  des  deux  méthodes  ;  elles  fe  prefentent  en  foule. 

Si  la  vue  principale  de  toute  fociété  civile  doit  être  de  former  des  ci- 
toyens vertueux,  l'ufage  des  moyens  qui  pourront  concourir  à  cet  objet 
(fl  précieux  :  dans  cette  idée  le  légiflateur  doit  offrir  k  tous  les  yeux  1er 
récompenfes  du  mérite;  ce  /peâacle  aiguîHonne  les  fujets,  il  les  élevé» 

Les  dignités^  les  Charges  font  cette  récompenfe  :  il  en  efl  pour  tous  les 
hages;  «quoique  l'honneur,  en  oppoiîtion  avec  l'intérêt,  foit  le  prix  le 
plus  analogue  à  la  vertu,  cependant  il  réfuUe  du  mélange  de  ces  deux 
rontraires,  un  tout  fouvent  neceflaire,  parce  qu'il  eft  ordinaire  de  trouver 
snfemble  le  mérite  &  les  besoins. 

Or,  feîre  renaître  plufieurs  fois  l'occafion  de  ces  récompenfcs,  c'eft , 
Jour  ainfî  dire,  en  multiplier  le  nombre;  c'eft  centupler  l'efoérance  qui» 
eule  anime  ;  c'eft  centupler  ]cs  efforts  pour  mériter  :  tel  eft  l'effet  des 
Charges  à  temps.  Les  perpétuelles  éteignent  l'efpoir  :  il  ne  peut  languir 
)ue  l'émulation  ne  s'attiédifte  ;  elle  laine  revenir  la  nonchalance  qui  nous 
;ft  fi  naturelle  &  fi  préjudiciable  au  bien  de  la  fociéré  civile. 


Iroit 

rit 

e  livre  à  i'enviê,  à  la  jaloufie,  à  la  haine  contre  les  préférés  &  le  gou- 

rernemenr.  Les  récompenfes  rares  rendent  le  mérite  peu  commun. 

Ces  raifons  paroiflent  frapper  plus  direâement  fur  les  fujets  à  talens  ;  ob  ' 
\n  trouve  d'autres  qui  intéreflent  la  mafte  générale.  ' 

Il  eft  dans  Tordre  des  chofes  que  la  perpétuité  de  la  Mag;iftrature  y  intro- 
luife  la  corruption.  On  en  peut  voir  un  exemple  dans  le  portrait  que  fàit^ 
rite-Lîve  de  celle  de  Carthage,  »  Dans  ce  temps-là,  dit  cet  auteur,  l'or- 

>  dre  des  Magiftrats  dominoit  à  Carthage ,  principalement  parce  qu^ils  étoient 

>  juges  perpétuels.  Les  biens ,  la  réputation  6c  la  vie  étoient  en  leur  puif-  ' 
*  faace }  celui  qui  avoit  l'un  d'eux  pour  ennemi ,  les  avoit  tous  «. 

Yyi 


i^$  CHARGE. 

La  FaiCon  de-  ce  HCorirt  eft  bien  naturelle^  Une  çoofermité  de  Mwir- 
trature ,  fur-toût  danf*  un  même  tribunal  ^  forme  des  liaifbns  d'amitié ,  d'al- 
liance ,  de  bienféance  ou  d'habitude  ;  la  perpétuité  les  rend  comme  nécef- 
faires.  Qui  accuferâ  le  Magîftrat  étayé  de  les  collègues?  qui  le  condamnera? 
Les  alliés  de  fes  parens^  leurs  amis  &  les  liens  feront  fes  juges  &  ceux  de 
fon  accufateur. 

L'efpérance  dé  l'impunité  eft  la  mère  du  crime ,  &  la  crainte  de  lac- 
çu&tion  la  ^onfervatrice  du  bon  ordre.  Flutarque  loue  hautement  la  cou- 
tume des  Romains  qui  excitoient  les  jeunes  gens  à  accufer  ceux  qui  avoient 
géré  qudcjue  Magiftrature.  Les  malverfatîons  recevoient  la  punition  qui  leur 
^coicdue;  &  lorfque  ceux  qui  avoient  accufé  devenoient  Magiflrats  II  leur 
tour ,  ils  étoient  éclairés  de  Ti  prés  par  ceux  qu'ils  avoient  accufés  ^  qu'ils 
i^'auroient  ofé  en&eindre  ni  négliger  leurs  devoirs ,  quelque  penchant  qui 
les  y  eût  portés. 

Si  la  MagiHrature  étoit  annuelle  ^  les  juges  &  tous  ceux  qui  ont  en  maia 
Tautorité  craindroient  ce  que  les  Tribuns  difoient  à  Manlius  :  9  qu'on  lut 
»  feroit  rendre  compte  de  fes  aéb'ons  ^  lorfqu'il  fer  oit  homme  privé ,  puif- 
9  qu'il  ne  vouloit  pas  le  rendre  étant  Conful  ^.     ^ 

Les  Magiftrats  fubalternes  échapperoient  de  même  à  la  ^punition.  Feu 
d'hommes  ont  le  front  de  punir  dans  les  autres  les  fautes  pareilles  à  celles 
dont  ils  font  eux-mêmes  coupables. 

On  ajoute  que  la  confervation  des  biens  publics  recommandée  par  fa 
nature  à  tous  les  citoyens ,  fouffre  auffi  de  la  perpétuité.  Ceux  qui  n'y  ont 
&  qui  n'y  efperent  aucune  part ,  n'en  prennent  aucun  foin.  Ceux  qui  font 
parvenus  pour  toute  leur  vie  aux  honneurs  qu'ils  ont  ambitionnés  «  la  aé- 
gligenr.  ,  ^       ^ 

Ces  raifons  ont  paru  autrefois  affez  puiflantes  pour  donner  lieu  i  iu 
loix  qui  enécoient  les  conféquences.  On  lit  dans  les  commentaires  de  Cé(àr 
que  la  ville  d'Autun,  une  des  plus  conlidérables  des  Gaules,  avcmunc 
loi  inviolable  qui  défendoit  la  continuation  des  Magiffra^s  au-delà  d'une  année. 

,  Cette  loi  ne  s'écoit  pas  arrêtée  aux  perfonnes  ^  elle  avoît  prévu  l'incon* 
vénient  de  perpétuer  les  Charges  dans  les  &milles  ;  elle  ne  permettoir  pas 
qu'un  frère ,  qu'un  proche  parent  pût  être!  Magiftrat ,  ni  même  Sénateur , 
pendant  la  vie  du  premier  qui  l'avoit  été.  On  craignoit  que  la  longue  pof' 
feffîon  ne  donnât  trop  d'autorité  i  cette  autorité  trop  de  crédit  parmi  les 
autres  Magiftrats  ;  ce  crédit  une  efpéraoce  de  l'impunité  v  &  cette  efpérance, 
de  la  hardieffè  à  faire  le  mal. 

.  C'eft  dans  ces  n^êmes  vues  d'éviter  ce  qui  pourrait  tendre  à  k  corrupnaflt 
que  Charles  V ,  &  avant  lui ,  Philippe-le^Bel  »  avoit  ordonné  en  France  que 
perfpnne  ne  fût  juge  dans  le  lieu  de  fa  naiffance.  Les  Etats  du  Languedoc , 
animés  du  même  efprît,  demandèrent  en  i^^6  que  deux  proches  parens  ne 
puffent  être  Magiftrats  dans  un  même  tribunal  ;  &  les  Etats-Géi^aux  du 
Royaume  de  France  tenus  à  Orléans  ^  quatre  ans  après,  firent  la  même  demande. 


C    If    A    R    G    $«  3^7 

^  Ctci  ài&tt  à  la  vérité  de  la  perpétuité^  mais  on  y  voit  une  jufte  crainte 
/d^migmenter  l'autorité.  Si  on  la  regarde  comme  pernicieufe  au  public^  lé 
^rpétuité  dans  les  Charges  la  donne  bien  plus  grande» 

Ces  demandes  des  Etats  donnèrent  lieu  a  des  loix  conformes  pour  tout 
le  Royaume.  Ces. loix  n'ont  point  fubfiflè;  û  on  en  d^rche  les  railbns,  on 
s'a£u>ercevra  que  c'eft  parce  que  les  Charges  font  perpétuelles.  i 

En  eflèt,  il  n'eft  pas  jufte  que  le  citoyen  rempli  de  mérite  devienne 
inutile  à  la  république  &  ne  puifTe  afpirer  à  une  récompenfe  de  Ton  Etat , 
parce  qu'un  de  fes  parens  en  aura  obtenu  une  pareille.  S'il  ne  la  poftëdoit 

Sue  pour  un*temps,  l'obftacle,  ne  feroit  pas  de  durée.   Les  ordonnances 
onnées  fur* la  requête  des  peuples^  &  fondées  fur  des  confidérations  légi-^ 
times ,  feroient  encore  en  vigueur. 

Les  maux  qu'ont  caufë  la  longueur  des  nxsigîftratures  &  le  défîr  de  s^y 
perpétuer ,  font  des  leçons  bien  frappantes  pour  faire  éviter  cet  abus.  La 
continuation  des  décemvirs  ^  changea  à  Rome  le  gouvernement  Démocratie 
que  Cfn^  Oligarchie  V  &  la  foif  des  honneurs  qui  dévora  Marius^  fut  le  pre^ 
mier  mobife  qui  le  changça  enfin  en  Mpnarchie.  Six  Confulats  obtenu;^ 
lui  firent  efpérer  le  feptieme  v/pûMt  y  parvenir  ^  il  fit  décréter  par  le  peu- 
ple qu'il  cominueroit  la  guerre  de  mithridate  échue  par  le  fort  i  Sylla« 
Telle  fut  la  iburce  des  malheurs  de  la  République,  &  d'où  découlèrent 
des  fleuves  de  fang  du  genre  hun^un. 

.   Il  fetx>it  trpp  long  de  détailler  les  noms  de  ceux  que  la  prorogadon  des 
Charges  a  porté  à  la  tyrannie. 
Àmfi  ,on  compte  dans  les.  effets  funeftes  de  l'autorité  perpétuée  dans  les 


verfement  des  États. 

5'il  éfoit  néceflaire  d'ajouter  à  des  motifs  fi  puiflans  de  rendre  les  Char* 
ges  annuelles,  des  exemples  &  des  autorités ,  on  trouveroit  l'un  &  l'autrç 
dans  toutes  les  ancietmes,  Républiques ,  da^s  la  plupart  des  modernes ,  <& 
chez  tous  les  fameux  légiflateurs,  philofophes  &  jurifconfultes. 
.  Le  fentiment  :c'ontraire  a  fes  nartifans  &  fes  raifons.  On  dit  qu'il  eft  plus 
cooîorme  au  bien  public  de  laiiTer  les  Magifirats  pendant  leur  vie,  que  de 
les  déplacer^  lorfqu^ils  commencent  à  peine  à  connoître  quelles  font  leurs 
véritables  fondions  ;  que  le  commandement  fe  trouvera  toujours  dans  des 
mains  peu  capables  &  peu  expérimentées ,  fi  celui  qui  *le  prend  ne  le  çon« 
nokpas  &  le  quitte  avant  même  de  l'avoir  bien  coniui  ;  la  vie  de  l'homr 
me  iufiît  if  peine  pour  apprendre  à  commander.  .^ 

Outré  l'art  de  commander,  chaque  nature  de  Charge  a  un' objet  parti- 
culier de,  commandement  qui  demande  des  connoiiTances  particulières  :  un 
coup-d'œil ,  un  moment  de  réflexion  de  l'homme  confommé  .dans  l'exer- 
cice ,  voit  plus  de  chofes  »  trouve  plus  de  reflburces ,  que  le  nouveau  ma* 


3^8  C    tt    A    R    G    E. 

piftrat,  avec  plus  de  capacité  &  moins  d'expérience ,  fte  feroit  en  plufieon 
]ours«  Le  génie  ne  fumt  pas  :  être  bon  magiftrac  ou  bel-e(prit ,  lont  des 
chofes  bien  diffërentes.  Les  plus  fages  tâtent  le jerrein }  c'eit  le  temps  & 

apprend  Ici 

lu'ii  en  exa« 

conduit  par 

degrés  à  acquérir  les  lumières  les  plus  convenables  ;  fi  Ton  fuppofe ,  en  un 
mot ,  qu^il  a  les  talens  &  Texpérience  que  Pon  doit  défirer  ^  c'eft  un  mal* 
keur  pour  la  république  qu'il  exerce  peu  de  temps. 

Une  année  ne  iuflit  pas  pour  des  changemens  utiles  au  public  ;  on  ne 
peut  achever,  dans  un  fi  court  efpace  Tentreprife  l'a  plus  commune.  Ce 
terme  eft  quelquefois  trop  court' pour  terminer  les  choies  ordinaires  &  de 
légère  conléquence;  les  meilleurs  projets  font  avortés,  les  afBdres  demeu- 
rent indécifes ,  les  adcufatioos  abolies ,  les  peines  fi>nt  remifes  ou  du  moios 
différées;  les  nouvelles  vues  de  celui  qui  fiiccede^  font  détruire  ou  aban- 
donner des  ouvrages  commencés.  Changer  fouvent  les  magiflritts  »  c'eft 
enfemencer  des  terres  &  les  retravailler  .dé  nouveau ,  fans  attendre  la  ma^ 
curité  des  fruits. 

Si  le  pouvoir  de  commander  donne  celui  de  fouler  les  peuples,  ils  fou( 
friront  encore  plus  du  changement  des  magifirats,  que  de  leur  perpétuité. 
Tibère  fut  le  premier  qui  prolongea  la  durée  des  Charges  chez  les  Ro^ 
mains.  L'hiftoire  qui  rend  compte  des  qualités  odieufes  de  ce  Prince,  ap* 
prend  en  même  temps  que  PEmpire  n'en  eut  ppint  de  pliis  habile  dans 
Tart  de  gouverner.  Ce  changement  fut  la  fuite  de  fes  ré0éxions  &  isî 
exemples  qu'il  avôit  fous  les  yeux.  Il  dtibit^  qu'il  valpit  mieux  laiflèr  lei 
fang-fùes  pleines  de  fang,  que  d'en  attacher  n'afFamées. 

Où  Pobéilfance  n'eft  point  établie ,  on  x^t  peut  trouver  le  bon  gouve^ 
nement.  5i  on  confidere  la  durée  des  Charges  dans  ce  point  de  vue,  on 
ne  peut  admettrç  les  changemens  continuels. 

L'obéiflance  ne  fera  pas  la  même  pour  les  ordres  de  celui  qui  doit 
redevenir  incelTan^meht  une  perfonne  privée.  Le  magiftrat  lui-même  ne 
voudra  pas  commander  avec  la  fëvérité  convenable  ppur  fe  faire  obéir,  & 
fouvent  il  nç  voudra  point  du  tout  commander.  Il  craindra  de  s'attirer  d^f 
ennemis  dont  il  pourroit  éprouver  le  reffentiment ,  lorfque  l'autorité  li)^ 
manquera  pour  s'en. mettre  à  l'abri. 

Si  fon  éizi  eft  perpétuel ,  il  commandera  avec  dignité ,  il  méprifera  d» 
inimitiés  dont  il  n'appréhendera  pas  les  atteintes.  Un'pouvoii:  qui  i^/^ 
durer  autant  que  la  vie  ^  donnç  d'autrçs  fentimens  qijé  Iç  pouvoir 
paflâger^  .       ^ 

Lés  nouveaux  projets,  les  nouveaux  plans  de  gouverner,  lès  nouvelles 
loix  accompagnent  pour  l'ordinaire  les  nouveaux  magîftrats..  Quelle  q«^ 
foir  la  fagelTe  d'un-  projet  commencé ,  la  gloire  de  le  finir  n'âft  pas  bien 


C    HA    R    G    e: 


81f 


•grande;  Il  ne'refte  au  magiftfat,  dont  la  fotiâion  ne  doit  avoir  qu'une 
courte  durée,  que  l'ambition  de  perpétuer  la  mémoire  de  fa  magiftrature. 
Des  établiffemens  qui  y  auront  pris  leur  origine,  des  monumens  auxquels 
on  donnera  fon  nom,  font  les  feules  manières  d'y  parvenir.  Le  public 
en  fera  accablé. 

On  a  vu  des  magtftrats  pour  un  tethps,  commencer  tout  ce  qu'ils  ont 
cru  pôffîble^  bon  ou  mauvais,  pour  empêcher  leurs  fucce(teurs  d'entre^ 
prendre  rien  de  nouveau ,  &  les  forcer ,  pour  ainfi  dire ,  de  continuer  des 
deffeins  dont  l'idée  ne  leur  appartiendront  pas.  Leur  erreur  eft  bien  grande 
&  bien  préjudiciable  aux  peuples.  L'efprit  de  l'homme  ^  ne  tarira  jamais 
pour  trouver  des  imperfeâions  dans  les  ouvrages  commencés  &  de  pré- 
textes pour  former  de  nouveaux  projets. 

Ce  n'étoit  point  l'amour  de  l'égalité ,  ni  un  défir  fincere  de  foulager  les 
peuples ,  qui  portoienc  les  nouveaux  tribuns  à  renouveller  la  proportion 
des  loix  agraires  &  de  l'abolition  des  dettes.  C'étoit  l'envie  d'éternifer 
leur  nom  &  de  réuffir  où  leurs  prédéceffeurs  avoient  échoué.  Cette  ma-* 
nie  leur  fàifoit  braver  les  dangers  auxquels  ils  expofoient  leur  perfonne  te 
leur  patrie. 

La  coutume  de  donner  aux  loix  le  nom  de  ceux  qui  les  avoient  pro*- 
pofëes ,  en  inonda  la  République  &  fit  abroger  les  anciennes  &  les  meil- 
^leures.  Plus  l'exercice  de  la  magiflratiire  efl  court,  plus  on  voit  le  bien 
public  fouflrir  de  ces  abus. 

On  ne  manque,  pour  ce  fentiment,  ni  d'exemples,  ni  d'autorités;  les 
monarchies  en  fbnrnifTent  un  grand  nombre ,  &  le  célèbre  Platon  a  aie 
les  officiers  perpétuels  dans  fa  République. 

Deux  écueils  font  fouvent  échouer  ceux  qui  cherchent  des  règles  pour 
établir  des  fociétés  politiques  ou  les  raflTurer  :  l'un  efl  de  s'arrêter  aux  in^ 
eonvéniens  d'une  loi,  fans  en  pefer  le  bien;  l'autre  eft  de  courir  aux 
extrémités ,  fans  s'arrêter  dans  les  milieux.  Platon  a  voulu  que  les  Magif^ 
trats  fuflent  perpétuels,  c'eft  une  extrémité:  Ariflote,  Ton  difciple  &  fon 
rival ,  qui  a  apperçu  des  inconvéniens  dans  cette  infHtution ,  n'a  pas  cher- 
'  ché  à  les  diminuer  ;  il  s'eft  précipité  dans  l'extrémité  oppofée ,  il  a  voulu 
que  les  Charges  fufTent  annuelles. 

Mais  aucun  des  deux  n'a  fait  une  attention  afiez  fërieufe  à  ta  diftinâioa 
ée  l'efpece  des  fociétés  civiles,  d'où  dépend  l'avis  le  plus  probable  fur 
cette  queflion.  On  ne  fàuroit  nier  que  les  Républiques  contraires  ne  doi- 
vent gouverner  par  des  principes  contraires.  Les  loix  qui  font  propres  à 
l'fitat  populaire,  détrmroient  la  Monarchie.  Ce  n'eft  pas  qu'il  ne  puiffey 
avoir  des  règles  communes  à  tous  les  États  pour  leur  ftabilité^  mais  il 
efl  néceffaire  qu'on  en  établiflë  qui  foient  entièrement  dtffemblables. 

Dans  l'État  populaire ,  chaque  citoyen  participe  à  la  fbuveraioeté  ;  par 
une  conféquence  légitime,  chacup  y  a  un  droit  égal  aux  Charges,  aux 
honneurs,  aux  difiinâions.  On  ne  peur  les  rendre  perpétuelles,  faniôtfer 


3^0  C  *H   ^    R    G    R 

à  plusieurs  rdpértnce  i\  parvenir,  &  en  mème^teii^  ftni  les  fnytt 
4'ua  droit  qui  leur  appartient  à  jufte  titre.    . 

Il  eft  donc  de  la  |y(lice  que  les  Magiflrats  foiene  changés ,  afin  que 
chacun  félon  Tes  talens  exerce. le  pouvoir  de  cpnuaander  donc  il  eft  co- 

[propriétaire.  Inégalité  eft  la  bafe  de  la  démocratie  ;  elle  feroit  détruite ,  fi 
'autorité  étoit  permanente  ;  elle  doit  circuler. 

Les  mêmes  railbns.  Ou  fernblables  à-pep-près ,  autorifent  le  même  ufiiae 
dans  Tariftocratie  :  le  nombre  des  fouverains  y  eft  très-grand  ;  il  eft  jufte 
que  le  pouvoir  roule  entr^eux  \  il  feroit  d'ailleurs  dangereux  dans  Tun  & 
dans  Tautre  que  de  trop  longues  magiftratures  oe  pulfenc  conduire  ï  la 
fouverainecé. 

La  Monarchie  (  je  ne  parlerai  ni  de  la  fiîigneuriale  ni  de  la  tyrannique) 
n^of&e  point  de  raifons  pareilles.  Nulle  ombre  de  fouveraineté  ne  donne 
un  droit  au  fujet  fur  les  Charges ,  &  l'égalité  n'eft  pas  le  principe  de 
cette  forte  d'État  :  les  Charges  y  peuvent  être  ^perpétuelles  lans  iQJufti- 
ce  ;  mais  il  refte  toujours  à  examiner  s'il  eft  utile  au  bien  public  qu*ellei 

le  foient. 

Comme  on  doit  diftinguer  les  fbclétés  civiles,  on  doit  aufli  diftioguer 
les  Charges.  Il  y  a  peu  de  danger  dans  toutes  fortes  d'Ëtats^  d'en  rendre 
quelques-unes  perpétuelles.  Telles  font  celles  qui  n'ont  point  de  comman- 
dement ,  qui  ont  des  fupérieurs  pour  veiller  à  leur  conduite  ;  pour  écou- 
ter les  plaintes  auxquelles  les  titulaires  doimeroient  lieu^  &  y  mettre  or- 
dre; &  dans  lefquelle^  cependant  une  certaine  expérience  rend  plus  habile 
&  plus  utile  au  public. 

On  pourroit  ranger  dans  cette  clafle  les  Charges  de  judicamre  fubal- 
terne  :  quoiqu'elles  jouiflent  du  droit  de  commander;  elles  font  (1  fubor- 
données,  que  la  perpétuité  n'y  peut  être  nuifible. .  La  difiiculcé  ne  peoc 
router  que  fur  les  Charges  copudérables  &  qui  méritent  le  nom  de 
dignités. 

Le  Monarque  doit  des  Magiftrats  à  fes  peuples  ;  mais  il  ne  doit  de 
Charge  à  aucun  de  fes  fujets.  Le  feul  mérite  y  donne  des  prétentions  de 
convenance  9  &  Tintérêt  du  bon  ordre  &  du  bien  public  ne  doit  pasper* 
mettre  que  des  prétentions  fondées  fur  ce  titre  foient  chimériques^ 

Si  l'on  fuppoie  des  Charges  remplies  fur  ce  principe ,  un  honneur  n'eft 
pas  une  trop  grande  récompenfe  de  la  vertu ,   quoi  qu'il  doive  durer  aor 


à  commander  apprendra  toujours  le  chemin  qui  doit  y  conduire.  La  verto 
ne  périra  que  lôrfque  l'on  verra  donner  des  Charges  fiins  difcernement. 

Ainfi  ^  dans  la  Monarchie,  la  perpétuité  des  offices  n'eft  point  une  in*; 
juftice ,  elle  n'eft  point  nuifible  à  la  vertu  ;  elle  ne  doit  caufer  ni  haines  ni 
jaloufies^  encore  moins  le  renverfement  de  l'£tac  :  ce  font  des  craintes 

particulières 


K 


CHARGE.  36t 

particulières  aux  républiques  :  il  eft  vrai  qu'il  faut  fuppofêr  que  le  mérite 
règle  le  choix  ;  c'en  un  fyfléme  qui  n'eft  pas  toujours  fuivi. 

Quoique  ceci  regarde  les  Charges  de  diilinâion  en  général ,  il  efl  ce« 
pendant  convenable  d'en  Hiire  encore  réparation*  Suivant  cette  maxime , 
qui  doit  être  obfervée  dans  les  trois  républiques ,  que  plus  le  pouvoir  eil 
grand,  plus  il  doit  être  limité  pour  le  temps,  les  grandes  Charges ,  j'en- 
tends celles  dont  toute  l'autorité  réfide  fur  une  feule  tête  &  où  elle  eft 
grande,  ne  doivent  être  données  dans  la  Monarchie  que  comme  des  com- 
miflîons.  La  politique  du  Monarque  &  l'intérêt  des  peuples  le  veulent 
ëgaleme^it. 

Mais  ce  feroit  une  chofe  préjudiciable  aux  citoyens,  fi  les  Charges  oii 
Ton  attache  le  droit  de  juger  en  dernier  reflbrt,  &  que  je  place  dans  le 
fécond  ordre,  étoient  fu jettes  à  des  deftitutions  &  des  remplacemens  con- 
tinuels. C'eft-là  où  l'étude  &  l'habitude  de  la  vie  la  plus  longue  fuffifent 
à  peine  pour  apprendre  à  fervir  dignement  le  public. 

S'il  e(t  utile  que  cette  Magiftrature  foit  donnée  pour  la  vie,  il  eil  en« 
core  plus  effentiel  que  la  Charge  n'en  foit  point  unique  dans  chaque  di(^ 
tria  :  un  feul  homme  peut  être  corrompu;  il  n'eft  pas  facile  d'en  corrom- 
pre plufieurs.   Un  homme  feul  fe   pervertit  lui-même ,  il  demeure  intègre 
orfqu'il  a  des  témoins. 

Le  nombre  fert  de  plufieurs  manières.  Des  raifons  débattues,  des  lu^ 
mieres  communiquées  produifent  un  jugement  plus  judicieux.  On  a  tou- 
jours connu  la  différence  ,  cùm  univcrfi  judiccs  conftituunt ,  ou  lorfV 
que  finguli  fcnttntiam  fcrunt.  Le  nombre  attire  la  confiance ,  il  imprime 
le  refpeâ. 

Si  ces  Charges  doivent  être  à  vie,  fi  le  plus  grand  malheur  qui  pour- 
roit  accabler  les  peuples ,  feroit  qu'elles  fufTent  uniques ,  il  réfulte  de  ces 
deux  objets  la  néceffité  de  confier  la  juftice  à  des  corps  perpétuels.  Tout 
doit  être  fixe  oii  il  s'agit  de  faire  régner  l'ordre  ;  rien  ne  doit  être  incertain 
où  il  ^ut  affurer  la  paix  des  familles  &  des  citovens  :  il  faut  que  les  peu- 
ples fâchent  irrévocablement  où  ils  doivent  s'adreffer  pour  réclamer  la 
luflice.  Rendre  fon  fiege  variable ,  indéterminé ,  c'eft  à  peu  de  chofe  prèg 
la  refiifer. 

Cet  ufage  des  corps  de  Juftice,  admirable  dans  toutes  les  natures  de 
irépubliques,  fera  d'une  abfolue  néceffité  dans  les  monarchies.  Aucun  Etat 
«le  peut  fubfifter  s'il  ne  pofe  fur  des  fondemens  folides;  ces  fbnden>ens 
ue  peuvent  être  que  les  loix.  Elles  doivent  établir  une  forme  de  gouver- 
nement conforme  aux  génies  des  peuples  &  au  local  ou  territoire ,  qui 
différencie  le  commerce  &  les  befoins.  Toutes  ces  chofes  influent  dans 
les  loix  fondamentales.  Les  Monarchies  ne  peuvent  être  uniformes,  & 
leurs  différences  doivent  être  conftatées. 

La  conflitution  du  gouvernement  ne  peut  être  maintenue  qu'autant  que 
les  loix  particulières  qui  l'établiifent  feront  confervées  dans  un  corps   qi^ 
Tome  XI.  Z  z 


j^x  CHARGE.  ^ 

en  ferft  It  ^épofitaîre.  Son  devoir  fera  de  les  reprëfenter  toutes  les  fois  que 
par  oubli  ou  par  quelqu^antre  motif,  le  Monarque  ou  les  peuples  les  per- 
droient  de  vue.  Si  cette  ptécaution  eft  fupprimée.  ce  n'eft  plus  la  même 
ferme  de  gouvernement;  c'ell  un  delpotiime^  on  perd  de  vue  la  Monar- 
chie Royale. 

Dans'  les  républiques  populaires  &  ariftocrattques  ^  les  fénats,  les  con- 
seils perpétuels  conferveront  la  mémoire  de  ces  loix.  11  paroit  convenable 
de  charger  de  cet  ofHce  les  cours  de  juftice  dans  la  Monarchie  »  &  par 
conféquent  qu'elles  foient  permanentes  comme  les  loix  mêmes.  On  pour*» 
roit  abiolument  ériger  un  collège  uniquement  chargé  de  ce  foin,  mais  ce 
feroit  multiplier  les  êtres  fans  néceilité;  &  ce  corps  feroit  comme  le  Ma- 
giftrat  unique  qui  rendroit  la  juftice  feul  &  fans  appel ,  d'où  découleroieot 
des  abus  énormes. 

La  durée  d'un  corps  perpétuel  ne  fuppofe  pas  que  les  membres  qui  le 
compofent  y  foient  attachés  pour  toute  leur  vie.  Il  feroit  mieux  en  effet 
de  les  changer  dans  les  républiques.  La  Monarchie  doit  encore  avoir  ici  fec 
règles  à  part. 

Si ,  comme  je  l'ai  déjà  fuppofé ,  les  places  font  données  au  mérite  ;  ù 
les  chofes  font  bien,  il  eft  inutile  de  les  changer,  &  il  y  a  un  inconvé- 
nient fenfible  à  le  faire.  Un  Roi  environné  de  couràfans  ne  fauroit  répon* 
dre  de  lui-même;  le  Magiftrat  vertueux,  pour  récompenfe  de  fes  fervices» 
fera  forcé  de  céder  fa  place  à  celui  qui  aura  eu  l'ame  aflez  baffe  pour 
acheter  de  la  proteâion.  Ce  feroit  un  malheur  inévitable ,  fi  les  Charges 
ëcoient  en  commiffîon  :  cette  réflexion  trouvera  encore  fa  place. 

Chaque  forme  de  gouvernement  doit  donc  avoir  fes  différences.  Dam 
la  Monarchie ,  il  eft  convenable  que  les  Magifirats  ne  foient  point  deftttués 
lorfqu'ils  n'auront  pas  mérité  de  l'être ,  parce  que  cet  Etat ,  à  la  différence 
du  defpotique,  fe  conduit  par  la  jufticé  oc  par  les  loix,  autant  qne  les  loii 
peuvent  s'étendre.  H  Y  a  un  gouvernement  pour  les  efclaves  ;  il  en  faut 
un  autre  pour  les  enrans. 

Dans  les  Républiques ,  les  Charges  ne  doivent  pas  être  perpétuelles , 
^arce  que  chaque  citoyen  a  un  droit  de  les  exercer  à  fon  tour. 

Il  reftera  çncore  à  évitçr  les  extrêmes  &  les  maux  qui  réfultent  et 
l'autorité  donnée  pour  trop  long-temps ,  ou  pour  un  intervalle  trop  abrégé. 
On  ne  peut  fe  refufer  à  convenir  qu'ils  font  palpables  des  deux  côtés;  on 
doit  rechercher  les  milieux.  Dans  les  Etats  répuolicains ,  il  faut  fe  rappro- 
cher de  la  perpétuité  autant  qu'il  fera  poffîble ,  &  dans  la  Monarchie  dooficr 
à  la  perpétuité  même  les  allures  du  changement. 

On  réuflira  dans  les  Républiques  par  l'établiffement  des  corps  perpétuels* 
Il  faut  au  milieu  du  mouvement  quelques  points  fiables,  qui,  comme  les 
pivots  fur  lefquels  roulent  fans  ceffe  les  gros  fardeaux ,  doivent  être  in»- 
mobiles.  Les  membres  de  ces  corps  ne  feront  pas  perpétuels,  mais  ils  peu- 
vent ne  pas  changer  chaque  année.  Il  eft  utile  de  fixer  un  plus  long  tera^ 
à  la  magiffarature. 


CHARGE.  363 

Si  ces  corps  ne  font  pas  renouvelles  à  la  fois ,  ni  même  la  majeure  partie , 
le  même  elprit  s^  confervera  ;  ils  agiront  fur  les  mêmes  principes  ,  & 
oblieeront  le  Magifirat  particulier  ,  fur  lequel  ils  auront  une  infpeâion , 
de  le  conformer  à  leurs  vues  &  de  fuivre  les  projets  entrepris. 

La  République  encore  fe  réfervera  la  faculté  de  proroger  le  terme  fixé  à 
chaque  Magiftrat.  Les  occafions ,  les  circonftances  peuvent  rendre  cette 
pratique  utile  ;  elle  efl  quelquefois  néceflaire. 

Mais  comment  pouvoir  éviter  dans  la  Monarchie  la  corruption ,  l'impu- 
nité ,  l'oubli  ou  la  malverfation  dans  la  chofe  publique ,  vices  qui  paroifTenc 
dériver  de  la  longueur  de  l'autorité.  J'ai  déjà  remarqué  que  l'on  peut  & 
que  l'on  doit  y  laiilèr  plufieurs  Charges  révocables  :  comme  ce  font  les 
principales ,  fi  on  parvient  par  ce  changement  à  les  remplir  de  perfonnes 
qui  en  feront  dignes  ^  ce  choix  ne  contribuera  pas  peu  au  bon  ordre 
général. 

Les  Charges  du  fécond  rang ,  comme  on  vient  de  le  voir ,  font  plus  par- 
ticulièrement les  Charges  de  juftice.  Leurs  opérations  s'étendent  à  des  objets 
qui  peuvent  facilement  être  féparés  &  qui  le  font  le  plus  fou  vent.  La  juf- 
Qce,  même  la  diftributive  »  regarde  les  afikires  civiles  &  les  criminelles  » 
la  police  générale  &  particulière.  On  y  peut  divifer  les  difcufliions  que  font 
naître  le  commerce  ,  les  aides  &  finances ,  le  domaine  de  la  couronne.  On 
pourroit  diflequer  à  l'infini. 

Je  fuppofe  d'abord  un  nombre  de  Magiilrats  du  même  ordre,  fufHfanc 
pour  juger  définitivement  fur  toutes  ces  matières  ;  que  l'on  imagine  enfuite 


bliques,  de  ne  point  changer  un  tribunal  à  la  fois;  que  ceux  qui  auront 
iervi  enfemble  dans  le  même,  foient  repartis  dans  les  autres  féparément^ 
&  que  jamais  le  même  tribunal  n'admette  ceux  entre  lefquels  il  y  aura  de 
la  parenté  »  on  aura  des  oâSciers  perpétuels  dans  un  fens  &  amovibles  dans 
tin  autre. 

On  évitera  encore  Tinconvénient  de  l'autorité  perpéraée,  fi  ceux  qui  fe« 
ront  à  la  tête  de  ces  tribunaux ,  ceux  qui  y  préfideront ,  n'occppent  ces 
places  que  pour  un  temps  limité  ;  fi ,  tirés  du  nombre  de  leurs  confrères , 
ils  reprennent  au  bout  d'un  certain  temps  leurs  fondions  fimples  &  ordi- 
naires. Cette  règle  eft  à  mon  avis  auffi  effentielle  qu'aucune  autre. 

La  délicatefie  trop  répandue  de  regarder  comme  une  honte  d'occuper 
un  emploi  inférieur  à  celui  auquel  on  a  été  une  fois  élevé ,  prouve  que  l'a- 
xnour-propre  prend  le  deffus  fur  l'amour  du  bien  public  :  dès-lors  il  eft 
mal-entendu ,  déréglé  i  c'efl  une  dégradation  dans  les  mœurs.  Ce  fentiment 
fîit  ignoré  dans  Rome  jufques  au  temps  de  Marius.    • 

Les  différentes  occupations  dont  j'ai  parlé  plus  haut ,  ne  demandent  point 
des  connoifiances  univerfelies  ;  les  matières  font  liées  l'une  &  l'autre ,  & 

Zz  a 


3^4  CHARGE. 

Texpérience  dans  un  de  ces  tribunaux  fourniroit  des  lumières  pour  le  (êr- 
vice  des  autres. 

Si  on  veut  réfléchir  fur  ce  qui  a  été  relevé  ci-devant  des  dangers  de  la 
perpétuité  des  Charges,  on  les  trouvera  extrêmement  diminués  par  cet 
arrangement.  Je  ne  difconviendrai  pas  qu^il  en  laifle  fubfifier  ;  les  hom- 
mes ne  connoifTent  point  de  loi  qui  en  foit  exempte. 

Si  on  ajoure  à  ces  précautions  des  préfets  de  province,  des  infpec- 
teurs ,  ou  ,  fi  Ton  veut  ,  des  commifTaires ,  pour  éclairer  la  conduite  des 
inagiflrats,  &  fi  l'on  autorife  une  manière  de  donner  des  plaintes  qui  ne 
fera  pas  connoitre  Taccufateur ,  les  inconvéniens  feront  bien  radoucis }  oa 
aura  peu  de  chofe;  à  craindre  de  la  perpétuité  des  Charges. 

Ce  que  l'on  a  vu  jufqu'à  préfént  fur  la  perpétuité  des  Charges ,  fëm* 
ble  ne  laiflfer  rien  à  dire  contre  leur  vénalité.  Si  elles  font  vénales,  elles 
font  perpétuelles  &  peut-être  encore  héréditaires.  Ces  deux  circonftancei 
ajoutent  aux  maux  qui  réfultent  de  la  perpétuité. 

Si  les  talents  ,  fi  le  mérite  ne  mènent  plus  aux  récompenfes ,  les  ci- 
toyens ne  fongeront  plus  à  les  cultiver.  Si  les  richefles  feules  conduifent  aux 
honneurs ,  le  feul  fouci  des  hommes  fera  d'en  amafler.  L'avarice ,  Vuhte^ 
la  mauvaife  foi  feront  les  moyens  les  plus  prompts  &  les  plus  affurés  de 
fe  faire  confidérer. 

Quelle  peut  être  la  pofition  d'un  Etat  où  les  vices  feront ,  pour  aiflli 
dire 9  de  principe,  dés  lors  qu'ils  feront  des  degrés  pour  fe  conduire) 
l'élévation  ? 

On  ne  fauroit  nier  la  jufteflfe  de  ces  réflexions  ;  les  précautions  ne  peu- 
vent trop  fe  multiplier  dans  un  corps  politique  que  l'on  voudroit  former ,  & 
dans  ceux  qui  le  font  garantis  du  malheur  de  la  vénalité  des  Charges. 
Mais  lorfque  des  befoins  quelconques  ont  obligé  une  fois  de  recourir  à 
cette  reflource,  on  n'y  doit  plus  efpérer  de  remèdes. 

Cependant  il  eft  des  vérités  certaines  dans  la  fpéculation ,  qui  fe  trouè- 
rent douteufes  dans  la  pratique ,  ou  du  moins  qui  font  inapplicables  à  de 
certaines  circonflances.  Il  faut  pourvoir  aux  Charges;  on  en  cooDoit 
quatre  manières  ,  le  fort ,  l'éleâion  faite  par  plufieurs ,  le  choix  qui  dé- 
pend d'un  feul  &  la  vénalité.  Le  fort  &  l'éleâion  paroiflènt  appar- 
tenir plus  particulièrement  aux  républiques  i  le  choix  &  la  vénalité  aux 
monarchies. 

Je  demanderai  que  l'on  diftîngue  les  grands  royaumes  des  petits.  Ces 
derniers  peuvent  être  d'une  étendue  aflez  médiocre,  pour  que  le  Prince 
connoifle  par  lui-même  la  claffe  des  fujets  propres  à  remplir  les  Chargci 
de  quelque  importance  ;  il  eft  alors  en  état  de  faire  de  bons  choix.  Mais 
il  eft  fi  rare  que  de  petites  monarchies  puîflTent  fubfifter ,  qu'il  eft  inutile 
de  s'arrêter  aux  règles  qui  leur  feroient  convenables  :  c'eff  fur  celles  de 
quelque  étendue  qu'il  faut  raifonner.  J'ofe  dire  que  la  vénalité  des  Char- 
ges eft  alors  préférable  au  choix:  je  ne  crains  point  d'avancer  ici  ^ 
p2iradoxe. 


CHARGE.  ^6% 

Le  monarque  ne  peut  nommer  que  fur  le  rapport  de  fes  miniftres  :  le 
inîniftre  connoit  aufli  peu  les  fujets  que  le  monaraue;  il  préfente  ceux 
qui  lui  font  préfencés  par  ceux  qui  l'environnent  j  oc  ceux-ci  parlent  fou- 
vent  fur  d'autres  recommandations  plus  éloignées  ;  il  eft  difficile  que  dans 
autant  de  mains  il  ne  s'en  trouve  que  de  pures. 

On  n'a  d'autre  témoignage  du  mérite  que  celui  des  perfonnes  qui  s'in-- 
térelTent  &  qui  protègent  ^  c'efl  fur  eux  que  la  bonne  foi  du  monarque 
eft  obligée  de  fe  décider.  Ces  témoignages  font-ils  gratuits?  Eft-ce  la  vé* 
rite  qui  les  détermine  ? 

Si  c'eft  ce  qui  compofe  la  cour  du  Prince  qui  difpofe  indireâement 
des  Charges ,  je  renvoie  le  leâeur  au  portrait  des  courtilans  que  l'on  trou- 
ve dans  l'£fprit  des  Loix  &  à  fes  propres  connoiflances  ^  pour  qu'il  juge 
de  l'équité  de  cette  diftribution. 

Lorique  le  miniftre  plus  circonfpeâ  voudra  puifer  des  lumières  fur  les 
qualités  des  fujets ,  chez  ceux  auxquels  la  principale  autorité  eft  confiée  dans 
l'Etat ,  il  paroit  d'abord  qu'il  pourra  faire  un  meilleur  choix  :  mais  fi  celui 
qui  s'enorgueillit  de  repréfenter  en  quelque  manière  le  Prince ,  a  auffi  fes 
courtifans ,  qui  repréfentent  ceux  du  monarque  ;  fi  des  gens  avides  poflè'" 
dent  fon  oreille  &  fii  faveur ,  les  chofes  demeureront  dans  le  même  état« 

Si  d'ailleurs,  par  une  fatalité  attachée  aux  poftes  éminens,  le  princi- 
pal objet  de  ceux  qui  les  rempliffent ,  eft  de  franchir  les  bornes  légitimes 
de  leur  autorité,  pour  l'attirer  à  eux  auili  abfolue  qu'il  leur  eft  pofllible, 
ils  regarderont  le  mérite  dans  les  magiftracs  ,  comme  un  obftacle  à  cette 
ambition ,  &  le  mérite  fera  une  exclufion  pour  parvenir  aux  Charges.  Il 
n'eft  pas  poflible  que  les  hommes  aient  toujours  "été  affez  vertueux  pour 
qu'on  n'en  ait  pas  vu  plus  d'un  exemple. 

La  vénalité  publique  n'a  pas  à  beaucoup  près  les  mêmes  inconvéniens/ 
On  ne  doit  pas  croire  qu'elle  éteigne  entièrement  la  vertu. 

Ceux  que  leur  état  invite  à  afpirer  aux  Charges  ,  &  auxquelles  leur 
fortune  le  permet,  peuvent  chercher  à  s'en  rendre  dignes.  L'amour-propre 
bien  entendu  doit  feul  *  infpirer  ce  fentiment.  On  eft  natté  d'être  diftingué 
entre  fes  collègues  :  où  les  honneurs  &  les  fondions  font  les  mêmes,  le 
mérite  forme  toute  la  diftinâion.  Il  eft  vrai  que  l'aiguillon  n'eft  pas  auffî 
vif  que  lorfque  les  talens  cultivés  &  bien  employés  peuvent  élever  plus 
haut;  mais  enfin  ce  fentiment  ne  laiffe  pas  languir  dans  une  entière 
léthargie. 

Le  choix  entraine  la  vénalité  couverte,  c'eft  le  comble  des  maux  dans^ 
ce  genre.  Lorfqu'on  ne  peut  parvenir  aux  dignités  que  par  la  faveur,  il  eft 
rare  que  le  défir  de  l'obtenir  ne  conduife  à  des  bafteffes.  La  vertu  ne'  fait 
point  marcher  par  des  fentiers  ignobles.  Elle  ne  rougira  pas  d'acquérir  les 
honneurs,  lorfque  l'acquifitioo  en  eft  autorifée  par  un  ulage  ouvertement 
approuvé  \  mais  l'honnête  homme  dédaignera  la  charge  à  laquelle  il  ne 
pourra  parvenir  que  par  des  voies  qu'il  n'ofera  pas  avouer  publiquement^ 


3J5(5-  CHARGE-  ' 

Si  le  fhérice  fe  retire,  la  magiftraciire  fera  abandonnée i  des  âmes  vitesr; 
elle  fera  la  preuve  d'un  défiiut  de  fentiment.  Le  public  ne  tardera  pas  d^é* 
prouver  ce  que  difoic  l'£ii^>ereur  Alexandre  :  que  des  perfonnes  de  cette 
trempe  »  vendent  en  détail  le  plus  chèrement  qu'ils  le  peuvent  ce  qu'ib 
»  auront  acheté  en  gros,  a 

La  vénalité  publique  laifle  à  la  vertu  quelque  accès  aux  Charges.  La  vé- 
nalité clandeiline  l'en  écarte  &  l'en  exclut. 

Les  mêmes  réflexions  conduifent  à  donner  la  préférence  aux  Charges 
perpétuelles.  Si  le  choix  entraîne  autant  de  défordres,  c'eil  encore  un  mal 
d'en  multiplier  les  occafions.  La  perpétuité  des  offices  les  rend  plus  rares , 
elle   conviendra  mieux  à  la  monarchie  que  le  changement. 

Lorlque  j'ai  dit  que  dans  un  royaume  étendu ,  le  monarque  ni  fes  mioif- 
très  ne  pou  voient  ikire  de  choix  fur  leurs,  propres  connoiflances  ;  que  la 
faveur  &  la  protection  du  minifire  &  des  grands  étoient  le  plus  fouvent 
achetées,  même  à  leur  infçu;  que  ces  derniers  éloignoient  le  mérite  de 
la  magiftrature  plutôt  que  de  l'y  placer  ;  que  l'honnête  homme  ne  voudroic 
pas  devoir  l'honneur  d'une  Charge  à  des  intrigues  fourdes,  &  que,  par 
une  conféquence  nécefTaire ,  elles  feroieiK  dévolues  à  des  gens  capables  de 
les  acquérir  par  toutes  fortes  de  moyens  ;  je  n'ai  point  confulté  l'expérien* 
ce.  Ces  réflexions  font  prifes  dans  les  lumières  naturelles  &  dans  la  con- 
DoifËince  du  germe  de  corruption  placé  dans  le  cœur  humain.  Sa  pente  le 
porte  vers  le  vice,  il  la  fuivra  toujours,  fi. on  ne  l'arrête  par  des  entraves. 
Ces  entraves  feront  les  bonnes  loix  qu'il  faut  prendre  de  même  dans  la 
connoiflknce  des  hommes. 

Il  efl  un  juge  intègre  qui  difceme  parfaitement  le  mérite,  qui  l'aime 
&  qui  lui  rend  ju(lice  :  c  efl  le  public.  Ce  feroit  au  peuple  que  devroit 
appartenir  le  choix  de  fes  magiftrats  ;  pluiîeurs  républiques  jouiffent  de 
cet  avantage.  Il  conviendroit  encore  mieux  à  la  monarchie  avec  laquelle 
on  a  tort  de  croire  qu'il  foit  incompatible. 

Le  droit  de  commander,  quel  qu'il  foit,  eft  important  dans  les  répu- 
bliques. Les  grands  emplois  auxquels  le  peuple  nomme  comme  aux  moin- 
dres, font  d'une  confèquence  alTez  grande  pour  mériter  des  brigues  qui 
vont  jufqu'à  le  corrompre  &  le  gâter.  Dans  la  monarchie ,  toute  autorité 
eft  obfcurcie  par  l'autorité  royale  ;  encore  plus  les  féconds  pouvoirs  qui 
font  les  feuls  dont  je  parle  ici.  L'objet  en  trop  peu  confidérabie  pour 
diminuer  l'éclat  de  l'autorité  fouveraine,  &  pour  faire  craindre  des  brigues 
qui  puiflent  tendre  à  la  corruption. 

Les  Charges  devroienc  être  encore  alors  perpétuelles  pour  deux  raifoos. 
Il  ne  faut  pas  tenir  le  peuple  toujours  en  mouvement  ^  &  fi  la  magiftra* 
ture  avoit  un  tems  limité ,  les  intrigues  &  les  cabales  pour  remplacer  I^ 
magiftrat  au  bout  de  fon  terme ,    commenceroient  le  jour  qu'il  (eroit  élu* 

J'ai  dit  que  les  brigues  ne  feroient  point  dangereufes.  Leur  inconvénieoJ 
confifle  uniquement  en  ce  qu'un  choix  de  cabale  n'eft  pas  libre ,  &  qu'il 


^ 


CHARGES     M  U  N  I  C  I  P  A  L  E  S,  -;^7 

«ft  rarement  im  bon , choix.  Une  éleâion  faite  dans  les  pi^nners  momenir 
de  la  mort  du  magifirat,  laifTeroot  peu  de  loifir  à  la  cabale  pour  la 
fidre  prévaloir. 

Dans  un  gouvernement  déjà  fomSé  ^  le  Souverain  ponrroit  ^  par  (à  bonté , 
condefbendie  j  cet  ufage;  on  en  pourroit  faire  une  loi  dans  une  conftitu*- 
tion  nouvelle  qu'on  étabiiroit.  fille  feroic  un  des  bons  moyens  pour  rap* 
peller  la  monarchie  à  la  venu. 

Mais  cette  loi  feule  ne  fuâiroit  pas  pour  donner  les  Charges  au  mérite. 
II  faudroic  encore  ,  par  des  règles  féveres  ,  interdire  toute  influence  à 
ceux  qui  exercent  l'autorité  royale  dans  les  proviiH:es.  Il  eft  comme  déi- 
cide qu'ils  chercheroient  à  fe  rendre  maîtres  des  éleâions  par  cous  les 
moyens  poflibles.  Si  la  liberté  du  peuple  écoit  gênée ,  la  loi  deviendf  oit 
inutile  ;  le  choix  dépendroit  de  la  proteâion  (>rivée  ;  la  vénalité  publique 
vaut  encore  mieux. 


m 


L 


CHARGES    MUNICIPALES. 


E  S  Charges  Municipales  font  celles  qui  obligent  à  remplir  pendant 
un  lemps  certaines  fbnâtons  publiques,  comme  à  l'adminiftration  des  affai- 
res de  la  communauté»  à  la  levée  .des  deniers  publics  ou  communs,  &  su- 
cres choies  femblables. 

Elles  ont  été  furnommées  Municipales^  du  latin  Munia^  qui  (ignifie  des 
ouvrages  dûs  par  la  loi ,  &  des  fondions  publiques  ;  ou  plutôt  de  Muni- 
tipium  »  qui  fignifioit  chez  Ids  Rcmiains  une  ville  qui  arvoit  droit  de  fe 
gouverner  elle-même  fuivant  fes  loix ,  &.de  nommer  fes  MagiArats  &  au- 
tres Officiers. 

Ainfi  dans  Torigine  on  n^appelloit  Charges  Municipales  ^  que  celles  de$ 
villes  auxquelles  convenoit  le  nom  de  Municipium. 

Mais  depuis  que  les  droits  de  ces  villes  municipales  ont  été  abolis  ^  & 
que  l'on  a  donné  indifféremment  à  toutes  fortes  de  villes  le  titre  de  Âfi/- 
nicipium ,  on  a  auffi  appelle  Municipales  toutes  les  Charges  ^  fonâions 
publiques  des  villes,  bourgs,  &  communautés  d'habitans ,  qui  ont  confervé 
le  droit  de  nommer  leurs  Officiers. 

On  comprend  dans  le  nombre  des  Charges  Municipales  ,  les  places  de 
Prévôt  des  marchands ,  qu'on  appelle  ailleurs  Maire  ,  celle  d'Echevins  , 
qu'on  appelle  à  Touloufe  Capitouls ,  à  Bordeaux  Jurats ,  &  dans  plufieurs 
villes  de  Languedoc^  Boy  le  &  Confuls. 

La  fonâion  de  ces  Charges  contifte  à  adminiflrer  les  affaires  de  la  com- 
munauté ;  en  quelques  endroits  on  y  a  attaché  une  certaine  jurifdiâion  plus 
ou  moins  étendue. 

Il  y  a  encore  d'autres  Charges  que  l'on  peut  appeller  Municipales  ^  telles 


3^8  CHARITÉ. 

que  celles  de  fyndic  d^une  communauté  d%abitan&,  &  de  colleâear  doi 
tailles;  celles-ci  ne  confident  qu'en  une  (impie  fbnâion  publique,  fans  au« 
cune  dignité  ni  jurifdiâion.  ^ 

L'éleâion  pour  les  places  Municipales  qui  font  vacantes ,  doit  fe  faire 
fuivant  les  ulages  &  réglemens  de  chaque  pays ,  &  à  la  pluralité  des  voix. 

Ceux  qui  font  ainfi  élus  peuvent  être  contraints  de  remplir  leurs  fonc- 
tions, à  moins  qu'ils  n'aient  quelque  exemption  ou  excufe  légitime. 

il  y  a  des  exeîïiptions  générales ,  &  d'autres  particulières  à  certaines  per- 
fonnes  &  à  certaines  charges  ^  par  exempte»  les  gentilshommes  fon^€xempcs 
de  la  colleâe  &  levée  des  deniers  publics  :  il  y  a  auffi  des  offices  qui 
exemptent  de  ces  Charges  Municipales. 

'  Outre  les  exemptions ,  il  y  a  plufieurs  caufes  ou  excufes  pour  lefquelles 
on  eft  difpenfé  de  remplir  les  Charges  Municipales  ;  telles  font  la  mioo- 
ricé  &  l'âge  de  foixante-dix  ans ,  les  maladies  habituelles ,  le  nombre  d'en- 
fans  prefcrit  par  les  loix ,  le  fervice  militaire ,  une  extrême  pauvreté ,  & 
autres  cas  extraordinaires  qui  mettroient  un  homme  hors  d'état  de  remplir 
la  Charge  à  laquelle  il  feroit  nommé. 

Les  indignes ,  &  perfonnes  notées  d'infamie ,  font  exclus  des  Charges  Mu- 
nicipales  ,  fur-tout  de  celles  auxquelles  il  y  a  quelque  marque  d'honneur 
attachée. 


mifmmm 


CHARITÉ,   f.f.  amour  du  prochain. 

ORSQUE  le  mot  Chanté  défîgne  la  difpofition  de  notre  cœur  en  fa- 
veur de  nos  femblables ,  qui  edle  fens  fous  lequel  nous  le  confidérons 
ici ,  on  veut  marquer  par- là  cette  branche  de  l'amour  du  prochain ,  qui 
confifte  fpécialement  dans  le  défirfincert  &  aclif  de  U  mettre  à  couvert  oa 
de  le  délivrer  des  maux  auxquels  il  efl  expofé ,  quelle  qu'en  foit  la  caufe  :  au 
lieu  que  l'amour  du  prochain'  eft  en  général  le  défir  uncere  &  aâif  de  ren* 
dre  nos  femblables  heureux  ;  ainfi  la  Charité  eft  une  branche  de  l'amour 
du  prochain  \  elle  s'exerce  envers  ceux  de  nos  iismblables  qui  ont  des  be* 
foins  ou  des  douleurs ,  qui  fouf&ent  de  quelque  manière  que  ce  foit. 

La  Charité  fe  prend  aufli  par  plufieurs  moraliftes ,  dans  un  fens  plus  éteoda 
que  nous  ne  lui  donnons  ici ,  pour  défigner  la  difpofition  qui  nous  fait  rem- 
plir envers  nos  femblables  tous  les  devoirs  non  rigoureux  qui  découlent  de 
nos  relations  mutuelles  :  fous  ce  point  de  vue ,  on  met  la  Charité  en  rap» 
port  avec  la  juftice,  pour  défigner  .par  ces  deux  termes  >  les  deux  principi» 
de  tout  ce  que  nous  Tommes  appelles  à  faire  envers  les  autres  hommes  :U 
juftice  ne  nous  permet  jamais  de  leurjiuire  fans  néceffité  ;  &  la  Charité  nous 
porte  à  leur  faire  tout  le  bien  que  nous  pouvons  ;  c'eft  dans  ces  deux  points 
que  çonfiftç  toute  la  morale  de  l'Ëvangile  relativement  aux  devoirs  mu- 

wcls 


CHARITÉ.  3^9 

.   tuels  des  hommes  entr'eux.  Jefus-Chrift  nous  donne  le  précepte  général  de 
.   la  juftice ,  dans  cette  fentence  admirable  :  ne  faites  pas  à  autrui   ce  que 
vous  ne  voudriez  pas  que  Pon  vous  fît.  Il  nous  donne  le  précepte  général 
de  la  Charité  dans  ces  paroles  dignes  du  miniftre  de  Dieu»  qui  eft  la  bonté 
rnôme  :  tout  ce  que-  vous  voulez  que  les  hommes  fajfent  en  votre  fayeur , 
faites-le  auffi  de  même  à  leur  égard \  précepte  qui  fert  de   commentaire 
parfait  à  cette  loi  évangelique ,  que  le  nls  de  Dieu  donnoit  à  Tes  difciples , 
4iime\^  votre  prochain  comme  vous'mfmes.  On  peut  même  dire  ^  qu% ,  pren^ 
dre  le  mot  Charité  dans  fon  fens  le  plus  étendu ,  comme  (ignifiant  Vamour^ 
toute  la  morale  de  l'Evangile  fera  comprife  (bus  le  feul  précepte  de  la  Cha- 
rité :  Tu  aimeras  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  qaur ,  de  toute  ton  ame 
&  de  toute  ta  penfée  ;  c'^eR-là  le  premier  &  le  plus  grand  commandement^ 
dit  Jefiis-Chrift  :  il  en  ejt  un  fécond  qui  eft  femblable  à  ce  premier  y  favoir  : 
tu  aimeras  ton  prochain  comme  toi-même;  ces  deux  commandemens  com" 
prennent  tous  les  préceptes  de  la  loi  &  des  Prophètes.  C'eft  bien-là  en  effet 
l'abrégé  de  tous  nos  devoirs.  Aimons-nous  Dieu  de  tout  notre  cœur  ,    & 
par-defTus  toutes  chofes  >  nous  rempliflbns  envers  lui  tous  les  devoirs  qui 
découlent  de  ce  qu'il  eft  &  de  ce  que  nous  fommes  :  fy.  quels  font  ces 
devoirs,  ce  font  ceux  que  nous  diâê   naturellement  un  amour  fupréme, 
un  amour  de  préférence  qui  nous  fait  défîrer  de  plaire  à  Dieu ,  plutôt  qu'à 
tout  autre  être.    Aimons-nous  notre  prochain  comme  nous-mêmes  ?  nous 
ne  violons  aucune  de  nos  obligations  envers  les  autres  hommes  :  &  quelle!? 
font  ces  obligations?  celles  que  nous  diâe  pour  nous-mêmes  l'amour  que 
nous  nous  portons.  Nous  voulons  être  heureux  ,  nous   le  défîrons  fîncére- 
menr ,  nous  y  travaillons  avec  zele ,  nous  employons  pour  cela  tous   les 
moyens  (][ue  nous  croyons  propres  à  afTurer  notre  bonheur;  voilà  la  réglé 
de   l'amour   que  nous  devons  à  nos  femblables ,   nous  devons  les  aimer 
comme  nous-mêmes.' La  juftice  eft  ainfi  comprife  fous  la  Charité,  elle  fe 
trouve  n*en  être  qu'une  branche.  Quiconque  connoîtra  l'Evangile ,  Convien- 
dra qu'il  eft  véritablement  la  doârine  de  la  Charité  ^  c'eft  à  quoi  il  veut 
ramener  les  hommes  ;  par-rtout  il  nous  préfente  un  Dieu  plein  de  Charité  ^ 
^ui  aime  toutes  les  créatures ,  qui  veut  leur  bonheur  ,  èc  qui  le  procure 
par  tous  les  moyens  convenables  &  a/Ibrtis  à  fes  perfeâions  oc  au  caraâere 
des  hommes  envifagés  conlme  des  êtres  moraux«  Par-tout  l^yangile  ne 
demande  des  hommes,  en  retour  de  la  Chanté  que  Dieu  leur  témoigne , 
cju^un  amour ,  une  Charité  fans  bof nés  pour  cet  être  fuprême  ;  un  amour 
\endre,  une  Charité  fîncere  pour  leurs  femblables;  uti  amour  éclairé,  fage 
&  prudent  pour  eux-mêmes.  Par-là  l'Evangile  fe  diftingue  avantageufement 
de  toutes  les  autres  religions,  &  acquiert  le  droit  de  plaire  à  toute  ame 
capable  de  Chanté  ,   à  tour  cœur  dont  la  bonté  fait  le  caraftere  ,  à  tout 
homme   qui  à  de  la  douceur  &  qui  eft  capable  d'aimer.    La  Charité  eft 
ainfî  la  vraie  vertu  du  chrétien;  l'Evangile  veut  que  tout  fe  fafle   par  un 
motif  de  Charité.  Ce  ne  font  ni  de  la  fcience,  ni  des  jeûnes,  ai  des  nu* 
Tome  XL  ^  Aaa 


370   CHARLATA.  N  GHARLATANERIE, 

céradons ,  ni  le  martyre ,  ni  les  dons  miraculeux ,  qtn  fent  la  gloire  du 
chrétien;  c'eftla  Charité  :  toute  autre  efpece  de  mérite  n^eft  rien,  tant  que 
la  Charité  n^en  eft  pas  le  principe.  Le  but  de  TEvangile  a  donc  été  le 
bonheur  des  honmies  &  le  moyen  de  ce  bonheur ,  c'eft  d^airaer  Dieu  par 
deflus  tout,  &  notre  prochain  comme  nous-mêmes.  Toutes  les  vertus  naî- 
tront de  cène  Charité.  Voye^^  le  détail  des  règles  &  des  aâes  de  la  Cha- 
rité envers  nos  femblables,  fous  le  mot  Prochain* 


C  H  A  R  L  A  T  A  N,  f.  m, 

CHARLATANERIE.f.  f. 

Charlatanerit  des  Savans  ; 
Charlatahcrit  des  Hommes  lUuftrcs  ; 
Charlatancrie  RcUgieufc; 
Charlatanerit  des  Médecins  ; 
Charlatanerie  des  Artifies  ; 
Charlat'anerie  de  la  Vertu. 

\^  N  Charlatan  eft  celui  qui  en  imgofe  par  beaucoup  de  dilcouniptf 
un    babil   effronté   &   fans  vérité. 

Dans  Ton  acception  la  plus  générale  un  Charlatan ,  eft  celui  qui  fe  vante 
4e  fa  voir  ce  qu^l  ignore ,  d^avoir  une  habileté  qu'il  n^a  point  y  qui  s^at- 
tribue  des  talens  qui  lui  manquent,  &  qui  à  force  de  fe  louer  hii-mème, 
&  de  fe  parer  avec  effronterie  de  trompeufes  apparences ,  parvient  ï  per- 
fuader  aux  perfonnes  iinprudentes  &  peu  éclairées  qu^il  a  un  mérite  réd 
dont  il  eft  abfolument  dépourvu.  La  Charlatanerie  eft  ainfi  le  vice  de  celui 
qui  travaille  à  fe  faire  valoir  lui-même  ,  ou  à  faire  éftimer  ce  quM  poffede 
ou  ce  qu'il  fiiit,  par  des  qualités  fmiulées^  c'eft  proprement  une  hypo* 
crifie  de  talens  ou  d'état. 

Il  n'eft  point  de  {y-ofëftion,  ou  d'état,  qui  n'ait  fès  Charlauns , &  & 
Charlatanerie.  Dans  quelque  pofte  que  l'on  foit  placé  on  voudroit  y  êcre 
confidéré ,  quelaue  rôle  que  l'on  joue ,  on  défire  de  s'y  diftinguer  &  ^ 
fe  concilier  l'eftime ,  la  confiance  &  les  regards  du  puolic  ;  foit  orgueS, 
foit  intérêt ,  on  veut  être ,  s'il  eft  poflible ,  préféré  à  ceux  qui  courent  U 
même  carrière.  Mais  pour  mériter  ces  diftinâions  flatteufes ,  il  fiiudroit 
s'en  rendre  digne  par  des  connoiflances  approfondies,  .par  une  habileté 
fupérieure  ^  en  un  mot ,  par  un  mérite  tranfcendant.  Pour  acquérir  te 
mérite  \  il  &uc  du  travail^  des  efforts ,  de  l'application  *,  la  parefle  refufc 
ces  moyens  :  il  y  faut  joindre  les  talens  naturels,  &  les  circoaftauc^ 
heureufès  dont  nous  ne  difpofons  pas.  Quel  parti  prendre ,  quand  »  ^ 


CHARLATAN.     C  H  A  R  L  A  T  A  N  E  tll  E.      ^y% 

fcience ,  fans  habileté,  fans  talens ,  fans  travail  on  reut  briller  ^  s'élever 
au  deffus  des  autres ,  fe  concilier  Peilime ,  les  égards  ^  la  confiance ,  s'emr 
parer  des  récompenfes  dues  au  mérite  réel,  raire  la  fortune  réfervée  à 
i%abileté  reconnue?  Il  ne  refte  de  reflburce  à  cet  homme  inepte  qui  ne 
laide  pas  d^étre  vain  ,  orgueilleux ,  intéreflé ,  que  de  faire  croire  par  de 
fauflès  apparences  ouMl  a  tout  le  mérite  qui  lui  manque.  L'entreprifè  pa- 
rott  difficile,  cependant  le  Charlatan  en  vient  à  bout.  La  bonne  toi  ou  la 
ftupidité  de  bien  des  gens  les  empêchent  de  foupçonner  qu'un  homme  qui 
fe  vante  avec  hardielie  d'être  pourvu  de  favoir ,  d'habileté ,  de  capacité ,  * 
s'en  vante  fans  raifon  :  ils  le  croient  fur  fa  parole  revêtu  de  tout  le  mé* 
rite  qu'il  s'attribue.  L'ignorance  dans  laquelle  font  tant  de perfbnnes  fur  ce  qui 
concerne  les  fciences  &  les  arts,  dont  les  termes  leur  (ont  pour  la  plupart 
inconnus,  fournit  à  ua  impofteur  ef&onté  un  fécond  moyen  d'en  impofer 
au  public ,  &  de  s'aequérir  une  réputation  dont  rien  ne  le  rend  digne.  Il 
parle  avec  hardiefle  de  ce  qui  n'eft  pas  connu  de  fes  auditeurs  ;  il  em-* 
ploie  fanS'héfiter  des  termes  d'art,  dont  il  ne  connolt  pas  plus'  la  (igni«» 
fication  que  ceux  qui  l'écoutent  ;  bientôt  l'ignorance  admire  l'impofteur^ 
&  (e  peruiade  qu'il  fait  tout  ce  qu'elle  ignore.  La  multitude  fait  les  éloget 
du  Charlatan  :  toujours  prête  à  admirer ,  elle  lui  accorde  toute  la  fcience  | 
toute  l'habileté,  tout  le  mérite,  non-feulement  qu'il  s'attribue  à  lui* 
même,  mais  qu'elle  imagine  pouvoir  fe  trouver  chez  lui,  &  devoir  s'y 
rencontrer  pour  juftifier  Teftime  qu'elle  en  fait,  &  la  préférence  qu'elle 
lui  donne.  Nombre  de  perfonnes  qui  ne  font  vpas  peuple ,  ni  abfolu- 
ment  ignorantes,  fe  laiflënt  féduire  par  les  difcours  du  peuple,  &  afiêr* 
miifént  par  leur  imprudent  témoignage  la  réputation  qu'ufurpe  un  impof* 
teur.  On  cite  des  faits ,  on  raconte  des  hiftoires  pour  fe  juftifier  ;  on  ne 


vendeur  d'orviétan  ;  depuis  le  héros ,  jufqu'au  danfeur  de  corde. 

Tout  homme  qui  veut  &ire  eftimer  la  fcience  qu'il  cultive,  ou  l'art 
qu'il  profelTe ,  ou  les  chofes  qu'il  dit,  ou  ce  qu'il  poffede,  au  delà  de  ce 
qu'il  leur  connolt  de  valeur  ;  de  même  que  celui  qui  de  qudque  manière 
que  ce  foit ,  cheixhe  à  fe  faire  pafler  pour  plus  inftruit  &  pour  plus  ha* 
bile  qu'il  n'eft  en  efiet ,  font  des  Charlatans  qui  en  impofent« 

Charlatancrie  des  fciences» 

1 L  n'eft  pas  de  fcience  qui  n'ait  fa  Charlatanerie.  Four  peu  que  Pou 
connoiife  en  détail  la  République  des  lettres ,  on  a  bientôt  le  déplaifir  de 
voir  de  combien  de  Chariatans  elle  eft  peuplée.  Combien  de  gens  de 
lettres  vantent  avec  une  emphafe  ridicule  le  mérite  de  la  fcience  qu'ils 
profeflent ,  &  font  les  vrais  originaux  du  makre  à  danfer ,  du  muûcten  ^ 

A  a  a  z 


371     CHARLATAN,    C  H  A  R  L  A  T  A  N  ER  I  E. 

du  maître  d'armes ,  &  du  maître  de  philofopie ,  que  Molière  a  mis  fur 
la  fcene  dans  la  comédie  du  Bourgeois-gentilhomme. 


penfëes  n'auront  du  prix  que  quand  il  aura  daigné  les  embellir  :  ce  ma- 
thématicien qui  me  fouténoit  un  jour ,  qu'il  n'y  avoic  de  fcience  utile  & 
réelle  que  celle  du  calcul,  qui  prétendoit  prouver  fans  repUque,  que  fans 
elle  il  ne  pouvoit  point  y  avoir  d'autre  fcience ,  &  que  les  madiémati- 
ques  pouvoient  fuppléer  à  la  connoilTaoce  de  tous  les  autres  objets  dont 
les  hommes  s'occupent;  tant  d'autres  encore  qui  donnent  dans  le  même 
travers,  fe  rendent  coupables  d'une  méprifable  Charlatanerie.  Quelquefois 
il  eft  vrai ,  ces  éloges  outrés  dé  la  fcience  que  l'on  profeffe  font  don* 
skés  de  bonne  foi,  &  ce  qui  diftingue  le  pédant  ftupide  du  Charlataa 
fourbe ,  celui«ci  en  impofe  à  l'ignorance ,  celuirlà  eft  dupe  de  fa  propre 
ilupidité. 

.  Toutes  les  fciences  peuvent  avoir  leur  utilité;  mais  leur  valeur  fë  me- 
fure  fur  l'influence  plus  ou  moins  direâe  &  effentielle  qu'elles  ont  (iir  h 
çonfervation ,  la  perteâion ,  la  commodité  &  le  plaifîr,  ou  tout  en  un  mot, 
fur  le  bonheur  de  l'homme. 

Il  tmporteroit  peu  à  l'homme  de  lettres  Charlatan,  d'avoir  vanté  le  prix 
de  l'objet  dont  il  s'occupe  ,  s'il  ne  perfuadoit  en  même  temps  qu^  le  coo- 
noit  mieux ,  qu'il  en  eft  plus  inftruit ,  &  qu'il  le  traite  bien  plus  parfaite- 
ment que  tout  autre  qui  a  couru  la  même  carrière.  Delà  le  ton  d'sûffiinioce 
avec  lequel  i[  s'expnme ,  les  critiques  ameres  &  injuftes  qu'il  fait  de  tous 
les  écrits  des  autres  auteurs ,  les  éloges  qu'il  fe  donne  à  lui-même ,  ou  qu'il 
a  l'art  de  fe  faire  donner ,  les  citations  nombreufès ,  mais  haiardées  dont  il 
char^  fes  marges ,  comme  s'il  avoit  lu  tous  les  auteurs  dont  il  cite  les 
paffages ,  quoiqu'ils  lui  foient  prefque  tous  inconnus  ;  les  catalogues  pom- 
peux qui  paroiflfent  à  la  tête  de  fon  livre  de  tous  les  auteurs  qu'il  a  coo^ 
lultés ,  tandis  qu'affez  fouvent  il  n'en  conçoit  que  le  titre.  Delii  tant  de 
penfées  données  comme  neuves  &  qui  font  copiées  mot  à  mot  d'auteors 
connus  dés  long-tems  ;  &  dont  on  fe  garde  bien  de  parler.  N'eft-ce  pas 
aufli  une  Charlatanerie  d'auteur  que  la  hardiefle ,  avec  laquelle  on  affirme 
un  fait  fans  en  fournir  d'autre  garant  que  tes  mots ,  il  efl  certain ,  chacufl 
fait ,  ou  l'afTurance  avec  laquelle  on  apporte  en  preuve  les  difcours  qu'on 
prétend  avoir  entendus  de  la  bouche  des  perfonnages  refpeâables  qui  vA 
vivent  plus ,  &  qui  n'ont  rien  écrit  \  l'afFeftation  de  citer  à  tout  propos  ou 
âu  moins  de  nommer  comme  étant  du  même  avis  que  nous ,  des  auteurs 
refpefUbles ,  dont  le  témoignage  eft  une  autorité ,  quoiqu'on  ne  conriotiTe 
point  leur  doârine  ?  Au  moyen  de  ces  apparences  (de  fcience  &  d'habile^ 
té,  on  en  impofe  à  la  multitude  qui  n'examine  pas  ,  qui  ne  vérifie  rient 
qui  n^  pas  les  livres  cités  pour  les  comparer  avec  ce  qu'on  leur  édtdire} 


C  H  A  R  L  A  T  A  N^.  C  H  A  R  L  A  T;A  N  E  R  I  E.     373 

on  Sût  recevoir  Popinion  pour  laquelle  on  fe  déclare  ;  chacun  bâtit  fbn 
fyftéme.  de  phyfique,  de  métaphyfique ,  de  théologie,  d'hifloire,  &c.; 
c^eft  à  qui  fera  mieux  valoir  fa  marchandife }  vous  avez  des  courtiers 
qui  la  vantent;  des  fots  qui  vous  croient,  &  des  proteâeurs  qui  vous 
appuient. 

L'erreur  s'établit ,  le  plus  grand  nombre  la  profèfTe ,  le  petit  nombre  des 
fages  rit  ou  s'afHîge  de  voir  l'impudence  du  Charlatan  &  la  Aupidité  des 
dupes. 

A  la  Charlatanerie  des  auteurs,  on  peut  joindre  celle  des  libraires.  Il 
n'eft  pas  de  vendeur  de  drogues  qui  fe  donne  en  fpeâacle  dans  les  foires' 
qui  l'emporte  fur  les  libraires  dans  l'art  de  duper  le  public  ;  nouvelles  édi-* 
tions  revues  &  corrigées  ;  abrégés  de  grands  ouvrages  ;  livres  nouveaux  qui 
exiftent  depuis  long-tems,  dont  on  a  changé  le  titre  &  l'ordre;  ici  les  au- 
teurs &  les  libraires  poulTent  à  la  même  roue  pour  multiplier  les  livres^ 
fans  multiplier  les  penfées ,  fans  éclaircir  les  vérités ,  pour  faire  débiter  des 
écrits  de  nulle  valeur  avec  le  fecours  d'une  préface ,  d'une  épitre  dédîca- 
toire  I  ou  d'un  titre  piquant  &  fîngulier.  Vous  croyez  lire  du  neuf,  &  vous 
ne  trouvez  que  des  chofes  plates ,  froides ,  inutiles ,  mille  fois  dites  &  redî* 
tes,  ou  bien  vous  rencontrez  des  méchancetés,  des  impiétés,  des  fatyres, 
des  obfcurités  mifes  là  exprès ,  pour  piquer  la  malignité.  &  flatter  les  vi^ 
ces  du  leâeur,  &  procurer  plus  rapidement  la  vente  d'une  fi  mauvaife 
marchandife.  N'efl-il  point  arrivé  fouvent  que  l'on  a  déféré  au  magiftrat 
un  ouvrage  comme  mauvais ,  &  qu'on  l'a  fait  flétrir  uniquement  pour  lui 
procurer  une  réputation  qui  engage  tous  les  curieux  à  en  faire  l'emplette 
au  grand  profit  du  libraire?  On  ne  .finiroit  pas,  fi  l'on  vouloit  détailler 
tous  les  traits  de  Charlatanerie,  par  lefquels  la]  république  des  lettres  fiS 
déshonore.  Heureux  le  fiecle  dans  lequel  perfonne  n'écrira  pour  le  public, 
que  pour  l'inftruire  de  vérités  utiles;  où  nul  livre  ne  fe  répandra  que 
quand  il  apprendra  des  chofes  mal  connues  encore ,  mais  dignes  d'être  con« 
nues  exaâement;  où  nul  auteur  ne  cherchera  à  prouver  que  ce  dont  îl 
fera  convaincu  lui-même,  &  n'employera  de  preuves  que  celles  fur  lef- 
quelles  lui?méme  fe  décideroit  quand  il  s'agiroit  de  Ces  plus  grands  intérêts  ; 
ou  perfonne  n'afleétera  de  favoir  ce  qu'il  ignore  »  Si  ne  fe  hafardera  d'ea^ 
ieigner  que  ce  qu'il  aura  bien  appris  i 

Ckarlatanerie  des  hommes  iltupres^ 

I^OuvSNT  pour  conduire  les  peuples,  on  a  été  forcé  de  recourir  à  queN 
oue  Charlatanerie.  Quand  les  hommes  ne  font  pas  aflfez  éclairés  pour 
lentir  les  raifons  de  la  fage0e ,  &  pour  y  céder  »  parce  que  de  fàu0es  opi-- 
fiions , .  ou  des  pailions  aveugles  s'y  oppofent  :  les  chefs  ont  dû  profiter 
des  erreurs  mêmes  des  peuples  pour  les  déterminer  à  prendre  le  meilleur 
parti:  plus  éclairés  que  la  multimde, ignorante ,  ils  ont  trouvé  le  moyen 


374    C  H  A  R  L  A  TAN.    CHARLATANERIH. 

de  lui  perfuader  quMls}  étoienc  plus  favans  qu'ils  ne  Pétoient  en  effet; 
qu'ils  avoient  une  habileté  fupérieure  à  celle  des  hommes;  qu>n  eux 
étoit  quelque  chofe  de  divin  ,  foit  à  Tégard  de  leur  origine  perfonnelle  ,  (bit 
à  regard  de  leurs  lumières  &  de  leur  pouvoir.  Qu^ëtoîent  la  plupart  des 
héros  de  la  &ble ,  de  ces  grands  hommes  qui  ont  donné  des  loix  aux 
peuples  y  de  ces  chefs  de  feâe  qui  ont  eu  des  difciples  ehthoufiaftes? 
Romulus  fe  donna  pour  fils  de  Mars;  Numa  prétendit  tenir  les  loix  qu'il 
donna  aux  Romains ,  de  la  nimphe  Egerie  que  Jupiter  dirigeoit  :  Alexandre 
voulut  pafTer  pour  fils  de  Jupiter  :  .>cipion  fkifoit  croire  à  Tes  foldats  que 
les  dieux  lui  révéloient  l'avenir ,  ou  les  chofes  fecretes  ;  Socrates  vouloit 
que  l'on  crût  qu'il  avoit  un  démon  familier  qui  l'infpiroit  dans  plufieurs 
occafîons;  Pythagore  fe  vantoit  de  fe  fou  venir  de  fes  diverfes .  tranfmi- 
grations  ;  Mahomet  fe  donna  pour  le  favori  du  ciel  qui  commerçoit  avec 
Dieu  par  le  miniftere  de  l'ange  Gabriel  :  Cromvel  parvint  à  l'autorité  fu-> 
préme  en  fe  fàifant  envifager  comme  un  faint  par  les  fanatiques  de  foo 
parti. 

On  eft  bien  tenté  de  pardonner  à  de  grands  hommes  une  Charlata- 
nerie  dont  l'effet  eR  l'ordre  dans  la  fociété,  l'obéiflance  aux  loix,  des 
réfolutions  qui  fauvent  la  patrie  de  fa  perte.  Les  hommes  que  Von 
trompe  dans  ces  cas ,  font  comme  des  furieux  ou  des  imbécilles  qui  ne 
recevroient  pas  la  vérité ,  &  qui  fe  perdroient  eux-mêmes  &  leurs  voifîos, 
fi  par  une  tromperie  utile,  on  n'arrécoit  pas  la  fougue  de  leurs  paflions. 
Mais  qui  peut  pardonner  à  des  fourbes ,  qui  n'emploient  la  Charlatanerie 
que  pour  favorifèr  leurs  vues  ambitieufes  &  criminelles ,  qui  s'en  fervent 
pour  perpétuer  les  erreurs  &  les  enraciner  davantage  dans  l'efprit  de 
ceux    fur  lefquels  ils  ne  dominent  que   parce  qu'ib  .les  égarent  ! 

Charlatanerie  religîeufe. 

JLL  eft  peu  d^objet  fur  lequel  on  ait  plus  généralement  exercé  la  Charh'* 
tanerie  oc  l'impofture  que  la  religion  ,  c'eft*^-dire  l'art  de  fe  rendre  fa 
divinité  favorable.  Les  hommes  ont  toujours  fentr  naturellement  qa^il  y 
avoit  un  pouvoir  fuprême ,  de  qui  leur  fort  doit  néceflairement  &  àfolu- 
ment  dépendre  :  des  impofteurs  dan^  tous  les  tems  ont  profité  du  fond  vrai 
de  cette  idée  ,  défiguré  par  l'ignorance ,  &les  faufTes  imaginations  des  hom- 
Inès  pleins  de  préjugés.  On  a  abufé  de  la  crédulité  des  mortels  pour  les 
rendre  fuperftitieux  ;  quelques  révélations  vraies ,  quelques  miracles  réels» 
Qg^  fourni  à  des  Charlatans  impofteurs ,  l'idée  de  révélations  fuppofées  & 
de  miracles  faux.  La  vertu  devoit /plaire  à  la  divinité;  on  a  vouhi  avoir 
plus  que  dés  vertus;  on  a  donné  ce  nom  à  des  aétes  indiffêrens  ,  mais 
pénibles,  &  l'on  s'eft  feit  paffer  pour  des  perfonnes  qui  étoient  certaine* 
ment  plus  l'objet  de  la  bienveillance  célefte ,  &  dont  le  crédit  auprès  de 
Dieu  feroit  de  la  plu$  grande  efficace  :  par- là  on  en  a  impofë  à  la  muld- 


ÈHa'RLATAN.  CHARLATAÎfER  1  E.  .37^ 

tude  ignorante  &  imbécille ,  parce  qu'elle  ne  raifoone  pas  ,  &  ne  fait 
qu'admirer  tout  ce  qui  n'eft  pas  ordinaire,  &  dans  la  fphere  de  Tes  idées. 
Mais  on  doit  faire  ici  une  remarque  importante  ;    jamais  la   Charlata- 


roit  pas  réufli  fous  l'empereur  Augufte  comme  fous  le  règne  de  Tarquin. 
Mahomet  n'auroit  pas  eu  les  mêmes  fuccès  à  Rome&  dalis  la  Grèce,  ior(!- 


que  la  religion  chrétienne  s'établit,  comme  il  les  eut  fix  cents  ans  après 
en  Arabie.  Quelle  fenfàtion  fit  de  foa  tems  Apollonius  de  Thiane } 

Si  les  admirateurs  de  l'abbé  Paris  firent  quelque  bruit  en  France ,  ce 
fût  plutôt  par  le  mépris  que  le  public  fit  de  leur  Charlatanerie  ,  que  par 
le  nombre  des  feâateurs  qu^ils  abuferent  pat  leurs  impoftures  &  leurs 
Ikux  miracles.  Difficilement  aujourd'hui  faint  Ignace  fenderoit  fa  fociété^ 
&  on  ne  réufliroit  pas  dans  ce  fiecle  à  établir  pour  la  première  fois  ^  là 
loi  qui  pre(crit  le  célibat  comme  un  eut  de  perfeâioo» 

Charlatanerie  des  médecine. 

/\Utant  la  médecine  fondée  fur  de  vraies  expériences ,  fur  d'exade» 
obfervations  efl  une  fcience  refpeâable ,  autant  dditrqn  de  mépris  à  ces 
impofleurs  qui  fans  autre  talent  que  l'eflronterie,  fans  autre  connoiflance 
que  celle  de  la  fbibleiTe ,  que  tes  hommes  témoignent  pour  tout  ce  qui 
s'annonce  comme  propre  à  conferver-leur  famé  &  leur  vie^  s'hafardent  à 

donner  des  remèdes  ot  à  guérir  tous  les  maux. 

* 

Charlatanerie  des  prafejfwns  des  arts  ou  métiers. 

JLl  en  efl  des  profbflîons  des  arts  &  des  métiers,  comme  de  toutes  tes 
fciences  &  de  toutes  les  vocations  particulières  :  nous  ne  les  connoiâb&s 
pas  en  naiflant  v  il  faut ,  pour  réuflir  à  les  pratiquer ,  des  connoifiànces 
acquifes,  des  habitudes  contraâées  par  l'exercice;  il^  offrent  donc  toi»- 
jours  quelque  chofe  d'inconnu  à  celui  qui  ne  s'y  eft  pas  appliqué ,  quelque 
chofe  par-là  même,  fur  quoi  la  perfonne  qui  en  a  fitit  Ion  étude  &  iom 
occupation  l'emporte  fur  celui  qui  ne  s'en  efl  pas  occupé:  chacun  veut  fe 
&ire  valoir^  &  pour  cela  chacun  donne  la  plus  grande  knportance  qu'il 
peut,  à  ce  qu'il  fait,  &  à  ce  qu'il  peut  exécuter  de  plus  que  les  autres^ 
il  en  fait  un  fecret  à  ceux  qui  ne  font  pas  de  fa  profèflîon  ;  il- vante  fa 
capacité  comme  quelque  choie  de  rare ,  &  voudroit  £ûre  croire  que  pett 
de  perfonnes  font  en  état  d'exécuter  ce  qu'il  fait  faire  ;  tandis  que  fbuvent 
fon  fecret  eft  une  chofe  très-fimple  dont  il  doit  d'autant  moins  fe  glorifier 
qu'il  n'en  eft  pas  l'inventeur,  ou  que  fi  c'cft  lui  qui  a  trouvé  ce  procédé 
utile  ^  c'eft  au  hazard  qu'il  en  bft  redevable  &  noa  à  fes  recherches  &  à  fes 


37«     C  H-  A  R  L  A  T  A  N.   C  H  A  R  L  A  T  A  NE  R  I  B; 

méditations.  Il  eft  même  plus  d?uii  artifte,  qui  accompagnent  leur  manière 
d'agir  d'une  quantité  de  cérémonies ,  &  de  précautions  inutiles ,  unique- 
ment deflinées  à  mafquer  mieux  ce  qu'ils  appellent  le  fecret  de  leur  art. 
C'eft  là  véritablement  une  Charlacanerie  :  mais  d'un  coté  on  doit  la  par^ 
donner  à  ceux  qui  n'ayant  que  ce  moyen  de  gagner  leur  vie,  le  per- 
droient  fi  leur  fecrèt  étoit  connu  de  tout  le  monde  \  d'un  autre  coté  quand 
il  eft  prouvé  que  ce. fecret  eft  utile,  il  ieroit  du  devoir  des  princes  de  l'a- 
cheter pour  le  bien  public  à  qui  on  en  donneroit  la  connoiftance. 

Charlatancrit  de  la  ytrtu.         ^ 

^Ë  tput  ce  dont  s'occupent  les  hommes  pour  fe  rendre  confidérable^, 

rien  ne  fembloit  devoir  moins  être  fujet  à  l'impofture  que  la  vertu;  elle 
a  cependant  auffi  fes  ^  Charlatans.  Les  uns  ie  vantent  de  leur  fagefle ,  de 
lèiirs  aâioDs .  vertueufes ;  ils  célèbrent  leur  droiture,  leur  probité,  &c.; 
d'autres  cherchent  à  fe.dHHnguer  par  des  aâe$  qui  femblent  être  la  per- 
feâion  de  la  fagefle,  de  la  piété,  de  la  juftice,  de  la  tempérance,  taodis 
qu'ils  ne  font  que  fimagréê^  apparence ,  vanité  &  impofture. 

1.^%  premiers  à  force  de  vanter  leur  vertu  donnent  droit  d'en  révoquer 
en  doute  la  réalité.  Xelut* là  ie  dit^  ;  un  :  héros  el)  courage^  çeUe>ci  une  Lu- 
rcrecé  en  chafteté,  tel>  autre  un  Çrutus  en  .patrîotifme  :  Charlatanerie  tou- 
iterpure  !  On  ne  fec»>it  obligé  de, fe  louée. foirmême,  que  quand  on  fent 
Inen  qu'on  a  fourni  plus  d'un  fujet  de  nous  regarder  comme  dignes  de 
.mépns -par .  des  vices  oppofës  aux  vertus  dont  nous  dous  parons. 

Si  les  vertus  que  je  vois  pratiquer,  font  réellement  celles  que  la  faine  mo- 
rale prefcrit ,  que  les  circonftances  exigeoient  réellement  dans  ce  moment 
d'un  homme  de  bien^  &  qu'on  les  pratique  fans  afFeâation,  il  y  auroitde 
l'injuftice  à  foupçonner  la  réalité  de  ïa  vertu  intérieure  qui  diâe  ces  aâes 
'extérieurs  dignes  d'eft^nei  Mais  ne  yois-je  pas  la  Charlatanerie  toute  pure 
^ans  celui  qui  fait  fans  néceflîté  &  hors  de  propol^-des  aâes  pénibles, 
^ui^  veut  fe  faire  eftimer ,  parce  qu'il  fe  prive  de  chofes  permifes  &  par  la 
nature  &  par  la  loi  ?  Vous  portez  un  eilice  fur  votre  peau ,  vous  traioez 
une  croix  pefante ,  ou  une  chaiire  incommode  ;  vous  vous  priver  des  dou- 
ceurs du  mariage  pour  vivre  dans  un  célibat  que  rien  n'exige  de  vous; 
vous  allez  vivre  en  hermite  dans  un  -défert  ou  en  folitaire  dans  un  coi^- 
irent,  où  vous  devenez  inutile  à  vos  femblables^  vous  vous  levez  la  nuit 
pour  prier,  comme  fi  la  journée  ne  vous  en  avoir  pas  donné  le  temsî 
vous  couchez  fur  la  dure ,  vous-  portez  des  habits  finguliers  &  hors  d'ufa- 
e ,  6c.  ;  forfanterie  que  tout  cela ,  Charlatanerie  de  la  vertu  ,  pure  hypocri- 
ie  !  nous  avoûs  aifez  de  vertus  réelles  à  pratiquer  pour  nous  occuper  tout 
entiers  ,  fans  nous  forger  encore  des  vertus  arbitraires.  Ainfi  dans  tous 
les  états,  la  parefte  qui  fait  fuir  le  travail,  l'orgueil  qui  veut  s'élever i 
l'intérêt  qui  veut  s'enrichir  »    conduifent  les  hommes  à  la  Charlatanerie^ 

l'igHO- 


i 


C  H  A:R  L  E  M  A  G  N  E.  ^77 

Pignoraoce»  l'imbécillité,  le  défaut  de  réflexion ,  la  foiblefle  des  âmes  cré- 
dules fkvorifent  les  Charlatans  dans  toutes  les  profeifions ,  dans  tous  les 
états  9  depuis  le  trône  jufijues  dans  les  cabanes  des  bergers  ,  depuis  le  fie- 
ge  épifcopal  de  Rome,  jufqu'à  la  grote  de  Thermice.  11  faut  avouer  ce- 
pendant qu'à  mefure  que  les  hommes  s'éclairent,  que  les  lumières  (e 
répandent  parmi  le  peuple ,  les  diverfes .  efpeces  de  Charlatans  dimiouenc 
en 'nombre  6c   ont  moins  de  fuccès. 

.  Mais  qu'il  eft  à  craindre  que  fi  notre  fiecle  continue  à  négliger ,  com- 
me il  le  fait,  les  fciences  folides,  les  études  approfondies,  pour  ne  courir 
qu'après  l'efprit,  on  ne  fburnifle  pour  la  génération  qui  nous  fuivra,  un 
champ  facile  à  la  Charlatanerie  de  toute  efpece  !  c 


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33 

CHARLEMAGNE. 

E  feul  nem  de  ce  célèbre  Empereur  réveillé  Pîdée  d^un  Conquérant 
&  d'un  Prince  qui  étendit  lès  limites  de  l'Empire  François,  de  telle  forte 
qu'elles  ne  furent  jamais  portées  plus  loiti.  ^Sorf  règne  eft*- l'époque  la 
plus  brillante  de  la  Monarchie  Françoîfe  :  &  s'il  cft  vrai  que-  le  premier 
but  de  l'hifloire  a  été  d'encourager  les  hommes  à  la  verte-  par- le  récit 
des  grandes  aâions  de  leurs  ancêtres,  on  peut  dire  que  nulle  hifloire  ne 
remplit  mieux  fon  objet  qpe  celle-ci. 

Ce  pTincë  naquit  l'an  742  à  Ingelheîm,  de' Pépin  qui  n'étoît  encore 
que ^ Maire  du  Palais,  &  de  BertraSé  ftlle  de  CHaribért,  Comte  de  Laôn, 
On  At  fait  rien  de  fon  <  enfance  ni  de 'fa!  première- jeuiielTe  :  ainfi  l'hiftoiro 
de  fa  vie  commence  avec  celle  de  fon  règne. 

EiTayons   d'abord   de  crayonner   les  principaux  tiJaits   de  fa   peffonile, 

yeux 
en  n 

&i  aifée ,  doué  d^une  fbrde  de  corps  peu  commune ,  &  d'un  tempéramenc 
des  plus  robufies;  &  l'on  aura  une  àflèz'juftéMdée  du  Héros  dont  nous  par- 
lons 


agremens 
comme 

de  lin,  une  fayon  dft  laine  bordé  de  foie,  en  hiver  un  pourpoint  fourré  de 
peau  de  loutre  \  pouf  chauffure  il  fé  fervoît  de  bandes  de  diverfes  cou- 
leurs croifée^  les  unes  fur  les  autres.  Dans  les  jours  de  fêtes  folemnelles 
ou  deflinés  aux  réceptions  des  Ambaffadeurs ,  il  prenoit  des  habits  plus 
magnifiques  ,&  paroiffoit  la  couronne  fur  la  tête ,  revêtu  d'une  robe  bro- 
chée. Il  avoit  toujours  l'épée  ati  côté  :  C^eft  avec  le  pommeau  qu'il  fcelr 
Tome  XI.  Bbb 


57»  C  H  A  R  LEH  A  G  N  E; 

loit  qoelquefii»  les  traités  ;  car  3  avoit  coMome  âe  dire'  r  Tm:  Pm  figni 
du  pommeau  de  mon  ipu ,  ^  jt  U  foatundrài  avec  U  pointé, 

Cefi  l'extérieur  de  ce  Prince  que  nous  venons  de  montrer  :  donnons 
une  idée  de  fou  àme.  It  avoit  refprît  élevé,  étendu  y  embraflant  d'im  cou{h 
d'œil  tous  fes  objets  &  les  plus  vailes  delfeins ,  le  cœur  eKeHentide  cet 
lieareiix  fond  naii&it  un.  caraâere  btenfaifant  &  gécféreux  , .  un  amour  teo^ 
dré  pour  fes  enfans,  une  charité  fans  bornes  pour  fes  peuples,  une  me« 
dération  héroïque  dans  les  momens  de  la  plus  jufte  émotion,  une  applica- 
tion à  rendre  la  juftice  à  fts  fumets  ;  en  un  mot ,  des  yeux  toujours  oo« 
verts  fur  fes  vaftes  Estes  pour  y  maintenir  la  tranquillité  &  le  bon  ordre. 

Pour  achever  le  portrait  dé  ce  Prince,  il  faut  nous  le  repréfeoter  coni>» 
me  un  Guerrier  infatigable ,    prefque  toujours   les  armes  à  la  main  pen- 
d8H|t  phffs  de  'qiitMuie'  ws)  ffanant  «vec  une  rspîtité  <pn  nous  étonne ,  yia 
Pyrénées  en  Allemagne,   d'AHemagne  en  Italie,  emporté  fur  les  ailes  de 
la  viâoire  d'un  bout  de  l'Europe  à  l'autre»  ne  paflant  prefque  aucun  jour 
fans  livrer  de  combat ,  rempliuant   le  monde  de  la  gloire  de  fon  nom  : 
&  ce  qu'il  y  a  d'admirable ,  trouvant  toujours  du  tems  au  milieu  des  o^ 
cupadons- guerrière^  pour  remplira  les  foins  djir  Gouvernement,  rendre  juf- 
tice à  fes  peuples/ faire  des  lo^,,  décider  des  queftioos,  &ire  des  éi^ 
blilfemens  en  faveur  de  la  religion  &  en  faveur  4es  lettres ,  &  régner 
pour  le  bien  des  hommes  ;  tel  le  montre  à.  nos  yeux  Charlemagne  quand 
on  parcourt  fa  vie. 

PnmUres  années  de  fon  Rignc. 

Harx.es,  en  vertu  du  partage  que  Pépin  ûk  du  Royaupie^  fe  trouva 
maître  du  Royaume  d'Au(tra6e  &  dç  l'AquitaïQe  : .  Carl^man  fon .  (me 
avoit  la  Bourgogne,  k.  Languedoc, /la  Prx>ireqçe,   î^^  le^  pays  des 

Allemands;  mais  ce  Prince  mourut  l'année  fuivame,  laiflant  deux  eûfàns 
en  bas  âge.  Charles  fe  vit  par  la,  mort  de  Carloman,  in^tre^de  toutes  les 
Provinces  qui  compofoient  alors  la  Monarchie  :  or  la  France  s'étendpit  d^ 
puis  la  Méditerranée  jufqu'ïu  Rhin ,  &  depuis  les  Alpe^  juf qu'aux  Fyré* 
nées.  Ce  Prince  fuiyit  la  fortune  qui  l'appellpit,  &  fe.,bàta  de  paroicre 
dans  les  Etats  de  fooi  frère,  afin  de  (déterminer  par  f^  préfence  ceux  qui 
auraient  pu  balancer.  Il  avoit  déjà  &i(  voir  de  quoi  il  étoir  capable  dans 
une  guerre  qu'il  eut  à  foutenir  contre  Hunaud,  jadis  Duc  ;  d'Aquitaine, 
qui  étant  forti  du  Monaflere  ob  il  s'étoit  renfermé ,  vpuloit  tenter  une 
révolution  dans  cette  Province.  Cène  expédition  terminée  avec  la  plus  gr^ 
de  célérité,  avoit  annoncé  aux  François  quel  Roi  ils  avoient  à  leur  tête» 
&  ce  qu'ils  en  pouvoient  attendre.  Charles,  après  avoir  réduit  Hunaud  à 
a'ofer  plus  rien  tenter ,  donna  fes  premiers  foiqs  à  fogmettre  les  Saxooi 
lévoltés.  Pour  comprendre  quels  étoient  ces  Saxons  avec  qui  Charles  fot 
en  guerre  pendant  trente-trois  ans,  il  efl  bon  de  favoir  que  les  François 
avoient  de  vafles  poflefEons  aurdelà  du  Rhin  i  car  lorfqu'ils  vinrent  s'édr 


.Ç  9:  4c  flt.  l^-Br/M  Ar  <?  H  ?>  87? 

|)lir  ibib  Ut  l&mtes^  f|^6e;ju|fi  ^cifi^sefic  4utf;^.:Ç;«ri|«l«ÂCr  partiçulifére- 
œrot  fur  J«  ùve  4u  RIhq.    t  [ 

-  Les  Saxons ,  les  Frifoiis ,  les  Th^riDgieDS ,  4e  la  mèwfi  piîgine  que  le; 
JFnmcs^  s'iceodirent  4ans  les  pays  que  ceux-ci  avoienc  abandonnés,  MaU 
une  fois  que  les  Francs (furept  écabjiis  dans  les  Gaules,  ils  réunirent  à  la 
if ooarclûe  toute  la  rive,  4il  Rhiou  Les  fiav^roijs  fe  founûrent  volontairer 
Jnent  ;  nuis  ils  eonfervecem:  If^urs  loiz  &  leqr  Souverain  particulier  :  ils  do- 
Tinrent  ainG  vaflwx  &  non  fqjets.  A  l'égard  des  Saxons  ^ .  ils  formoient , 


le  pays  qui  pone  wjourd'hui  le  nom  de  Weftphalie.  Les  Saxons  plus 
•orientaux  étoienc^ placés  enireJe  Véfer,&  l'Elbe,  dans  le  pavs  qu'on  ap* 
|>eUe  la  Baife-Sâdie.rCettev  Nation,  ,  eonfidérable  par  le  nompre ,  la  force 
âc  le  courage! :de  lîes  faontOJBs ,  lauroit  formé  un  corps  redoutable,  fi  diç 
n'avoit  pas  été  ditf ifée  en,  phiûeurs  cantons  ^  qui  formaient  autant  de  Rér 
publiques.  Les  Saxons  étoient  tributaires  de' la  France  :  ce  joug  irritoit  leur 
orgueil. Ils  a'jétpient  fouvent  révoltés,  &  depuis  la  mort  de  Pépin,  i^ 
avoient  recommencé  à  faire  des  cowfes  fur  les  terres  des  Francs.  Tels 
étoietit  les  peuples  que  Charles  enireprit  de.fouipettre.  Il  .alTembla  pour 
ce  fujet  à  Worms  le  Paclemwt^  qu'on  jappeùoit  auili  cixamp  de  Mai  i  <Sc 
Evant  Pépin,  champ  de  Mars:  la  gueci^  y  fut  réfoluei 

Cu<m  4c  CharUmagnc  contm  Ips  Saxons^ 

C'    '  .■        ■  .    .  .  • 

Ha  RLUS  entra  enr  Weflphalie  avep  des  forces  confidérables.,  &  mk 
tout  à  fbii  &  à  fang  fui*  ilbn  paflàge  ;  il  afllégea  &  prit  le  Château  d'Eres» 
tKiurg,  la  plus  codfidérable  fbrterefTe  des  Saxons,  &  détruifit  le  Temple 
oii  il  y  avoir  une  idole  que  ces  peuples  adoroient.  Il  s'avança  jufqu'aux 
1>ords'du  V^fer ,  &  les  Saxons  effrayés ,  iefoumirent«  De  retour  en  France, 


Carloman  s'étoit  redrée  avec  fes  deux  enfims  auprès  de  Didîer^  Celui-ci 
croyant  avoir  trouvé  l'^>ccafion  de  fufciter  une ^^uerre  civile,  voulut  en«- 
gager  le  Pape  Adrien  à  couronner  ces  deux  Princes  ;  mais  le  Pontife , 
prudent,  le  refufa.  Didier  vint  camper  prés  de  Rome  avec  des  troupes 
confidérables,  Charles  ne  fut  point  troublé  de  ces  nouvelles  :  après,  avoir 
fait  réfoudre  la  guerre  contre  Didier,  il  pallè  Jès  Alpes,  met  en  &ite 
t'armée  de  ce  Prince,  qui  fe  voit  obligé  defc  cénfermér  dans  Pavje  ;  il 
^(liége  Vérone  :  la  place  ouvre  fes  portes.  Geberge  ^6^  fès  deux  fils  font 
iremis  enore  les  mains  du  Roi,' envoyés  en  France,  &  ,on  n'ra  entend 

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38o  CHAR  i  E  M  A  G  îf  E 

plus  parler.  Charles  revint  ati  fiége  de  Pavie  :  comme  là  vflle  était  tarte  ; 
&  qu'elle  faifoit  une  vive  réfiftance ,  il  prit  le  parti  de'  Pa(Famer.  Dans  cet 
intervalle  le  tems  de  Pâques  approcha  ;  Charles  voulut  aller  à  Rome  pour 
y  pafler  les  fèces  :  la  politique  avoir  quelque  part  à  ce  voyage.    Les  Ro» 
de  France,  comme  Souverains  de  l'Exarchat ,  avoient  des  droits  fondés  fur 
cette  viHe.  II  y  fut  reçu  avec  tous  les  honneurs  que  méritoit  fon  rang  & 
fa  fortune  prélénte  :   les  Grands  &  le  Clergé  allèrent  àu-devant  de  luî« 
Il  embraffa  le  Pape  '  Adrien  ,    qui  l'attendoit  à  l'entrée  de  TEglife.  Ils  j 
entrèrent  enfemble  aux  acclamations  du  Peuple  &  du  Clergé ,  qui  chantoit 
ces  paroles  :  Béni  foit  celui  qui  vient  au  n^m  du  Seigneur.  Les  Romains 
regardoient  Charles  avec  étonnement  ;  ils  admiroient  en  lui  le  vainqueur 
des  Lombards,  l'arbitre  de  l'Italie,  &  le  Souverain  de  cette  Nation  guer« 
riere ,  dont  la  valeur  faifoit  du  bruit  dans  l'Europe.    Ce  Prince ,  à  la  prière 
du  Pape,  renouvella  la  donation  faite  à  S.  Pieiw  par  iPepin,  &  retourns 
enfuite    à   Pavie.    Cette  ville,   que  la  famine  avoit  réduite  aux  extrême 
tés ,  fe  rendit  à  lui.    Didier  fut  livré  au  vainqueur ,  envoyé  en  France 
pour  achever  fes  fours  dans  un  Monailere.    Charles  fut  couronné  Roi  de 
Lombardie,  &  prit  ce  titre  dans  les  z6bcs  publics.  ^ 

Une  nouvelle  Monarchie  s'éleva  &  prit  dans  la  fuite  le  nom  du  Royaum» 
d'Italie.  Charles  étant  revenu  eft  France^  apprit  que  les  taxons  recoin* 
mençoieitt  leurs  courfes ,  -qu'Us  ravageoient  le  pays  de  Heffe  :  il  donna 
(es  ordres  pour  marcher  en  Saxe.  Les  François  animés  par  l'exemple  du 
Monarque,  le  fuifvirent  avec  joie  &  battirent  l'ennemi.  L'année  fuivante  les  ' 
Saxons  s'étant  révoltés  pour  la  troifieme  fois ,  Charles  entra  en  Saxe  avec 
une  armée  formidable ,  &  marcha  droit  à  eux.  Epouvantés  de  fon  arrivée 
imprévue ,  ils  vinrent  fe  jetter  à  fes  pieds  au  lieu  de  combattre.  Ce  Prtnea 
ne  leur  fît  grâce  qu'à . condition  qu'ils  (e  feroieot  Chrétiens,  &  un  grand 
nombre  reçut  le  baptême.  Ces  ^peuple5  étoient  fort  grofliers  ^  Charles 
crut  qu'on  ne  pouvoir  les  foumettre  qu'en*  adoMciflam  leyrs,  mœurs,  &  que 
c'étoît  à  la  Religion  feule  qu'il  appartenoit  de  plier  ces  efprits  inflexibles; 

Ces  peuples  ayant  demeuré  tranquilles  quelque  tems ,  Charles  leur  fit 
annoncer  qu'il  tiendroit  le  champ  de  Mai  en  Saxe ,  à  Paderborn ,  avec  or- 
dre de  s'y  trouver.  11  s'y  rendit  avec  j(bn  armée ,  &  vit  bientôt  arriver  les 
Saxons  ccmduits  par  leurs  Ducs.  Mais  Witikindi  un  des.pfus  rerionuiiés, 
fut  le  feul  qui  ne  &'y  trouva  point  :  il  s'étoit  déjà  diftingué  par  fon  courage , 
&  encore  plus  par  fa  haine  contre  les  François  ;  Charles  fit  donner  le 
l>aptême  à  ceux  qui  ne  Tavoient  pas  reçu  l'année  précédente.  Tous  pro- 
mirent d'être  fidèles  à  Dieu  &  au  Roi. 

Vers  le  même  tems  Ibinalarabi,  Roi  de  Saragofle,  chaffé  de  fon  Etat 
par  Abderame^.Chèf  :de  la  race  des  Califes,  qui  s'étoit  (emparé  de  Cor* 
doue,  vint  implorer  le  fecoursde  la  France.  Charles Vqui  vouloit  em- 
pêcher ,'  que  l'Éfpagne  ne  fe  réunit  fous  un  même  maître ,  lui  fit  un  ac- 
cueil favorable  ^  &  après  s'être  préparé  à  la  guerre,  il  fit  marcher  deus 


CHARLEMAGKE;  g«r 

pmflantes  armées  :  l'une  entra  dans  la  Cafalogne ,  &  fournît  cette  Pro- 
vince fans  trouver  de  réfiftance^  toutes  les  villes  ouvrirent  leurs  portes  aut 
François  :  Tautre  fut  conduite  par  Charles.  Ce  Prince  porta  la  guerre 
dans  la  Navarre ,  fit  le  fîége  de  Pampelume  ,  qui  fut  long  &  opiniâtre  ; 
niais  enfin  la  ville  fe  rendit  àdifcrition  :  il  en  fut  de  même  de  Saragonb. 
La  fortune  fembloit  promettre  au  Roi  la  conquête  entière  de  PEPpagne'; 
il  ne  fe  laifla  point  éblouir  par  cette  efpérance  :  il  fe  contenta  dés  tro- 
phées qu'il  laiffoit  fur  le  bord  de  PEbre,  &  reprît  la  route  de  France; 
mais  il  reçut  un  fâcheux  échec  au  paffage  des  Pyrénées.  Son  arriere-gardé 
fut  attaquée  à  la  defcente  par  des  troupes  que  le  Duc  de  Gafcoene  avoit 
mtfes  en  embqfcade  fur  les  hauteurs  d'un  défilé ,  &  elle  fut  prefque  toute 
taillée  en  pièces  :  plufieurs  Seigneurs  y  périrent,  flcèntr'autres  le  fameux 
Roland  dont  il  eft  tant  parlé  dans  les  Romans  :  c'eft  ce  qu^on  appelle  la 
journée  de  Roncevaux.  Le  Duc  de  Gafcogne  ne  jouit  pas  long-tems  de  fa 
perfidie ;. Charles  entra  dans  fon  pays^  atteignit  le  Duc,  &  le  fît  pendre. 
Cependant  Witikind  ayant  fu  que  le  Roi  étoit  occupé  en  Efpagne ,  par-- 
courut  la  WeftpHalie  &  foufHa  dans  tous  les  cœurs  la  haine  qui  Panimôit. 
Les  Saxons  courent  aux  armes  de  tous  côtés,  ils  rafent  les  torts  que  les 
François  avoient  bâtis ^,  fe  jettent  fur  les  terres  de  France,  maflfacrent  tout 
ce  qu'ils  rencontrent,    brûlent  les  villes  &  les  campagnes,   &  avancent 

5*ufqu'aux  bords  du  Rhin;  mais  la  rigueur  de  la  faifbn^Ies  fît  retourner  dans 
eur  pays. 

Le  printems  venu,  Charles  marcha  contre  les  Saxons,  les  battit  & 
s'avança  jufqu'au  Vefer,  où  les  Députés  de  la  Nation  vinrent  réitérer  les 
fermens  de  fidélité.  Le  Roi  leur  pardonna,  &  indiqua  une  Diète  en  Saxe 
pour  le  printems  prochain.  Il  s'y  rendit  en  effet. •  Les  Ambafladeurs  des 
Danois  &  des  Huns  vinrent  demander  la  paix  &  fon  amitié  :  elle  leur  fut 
accordée.  ' 

Il  avoit  à  peine  repaffê  le  Rhin ,  que  ^ititcind  les  fit  foulevér  de  nou- 
veau. Charles  envoya  contre  eux  trois  de  fes  Lieutenans  :  ceux-ci  jaloux  de 
la  réputation  d'un  d'entr'eux  ,  nommé  Leuderic ,  ne  voulurent  pas  fe  con- 
certer avec  lui ,  préfenterent  la  bataille  à  Pennemi ,  &  la  jperdirent  :  quan* 
tité  de  gens  de  marque  y  périrent.  Exemple  trop  fréquent  des  malheurs 
où  une  bzffk  jaloufie  a  (ou vent  entraîné  PEtat  en  facrifiaût  les  troupes, 
Charles  fenfible  à  la  perte  de  fes  Généraux ,  ma)-cha  aveé  une  nouvelle 
armée  :  les  Saxons  effrayés  fe  difllîperent.  Cependant  il  fe  fit  irvrei:  qua- 
torze mille  des  plus  mutins  ,  &  il  leur  fît  couper  la  tête*  Après  cette  ter- 
rible vengeance ,  il  alla  palier  Phyver  à  Thionville  oii  il  perdit  la  Reine 
Hildegarde,  qu'il  regretu  beaucoup,  &  peu  après  il  ^poufa  Fufirade,.fille 
d'un   Seigneur  François. 

Les  Saxons  concernés  de  la  févérîté  de  Charles,  deviennent  furieux. 
Witikind  fe  met  2^  leur  tête  :  toute  la  Saxe  fe  révolte  :  trois  batailles  per- 
dues coarécutiveoient  ne  peuvent  foumettre  ce  fier  peuple,  Chatks  prit  te 


og.  C'H  A  R-L  «  M  A  C  N  E. 

parti  de  U  clémence  :  touché  de  la  valeur  de  Wûîkifid»  il  lui  fir  ofllir  1c 
pardon  de  (a  rébellion  6c  des  otages  pour  garant  de  fa  parole.  Witikiod  fe 
rendit  à  PafTemblée  de  Paderborn  :  les  bontés  du  Roi  le  gagnèrent  :  il 
lui  promit  fidélité,  abjura  Tes  erreurs,  &  reçut  le  baptême. 

Enfuite  Charles  marcha  en  Italie  :  y  diffipa  par  fa  préfence  les  &âioas 
^e  le  Duc  de  Bénévent  y  entretenoit  i  &  après  *  avoir  pafTé  Thyver  i 
.Pavie,  il  alla  à  Rome  avec  les  Princes  fes  fils  célébrer  les  fètes  de  NoëL 
Le  Papebaptifa  Pépin,  le  couronna  Roi  d'Italie.  Le  nouveau  Roi  refta  dans 
fes  Etats,  &  Louis,  qui ^n'avoit  que  trois  ans,  revint  avec  £bn  père. 

On  rapporte  à  ce  tems-là  les  établiflèmens  que  fit  Charlemagne  pour  le 
renouvellement  des  Lettres  &  des  Etudes.  Ce  lujet  mérite  que  nous  nous  y 

arrêtions  un  moment. 

..?■•..  ,  •  .  •     ■ 

Zelc   de   Charkmagnc  pour  feure  revivre  les  lettres  £t  les-ionnes  Etudes. 

Jl  Epin,  père  de  Charlemagiie ,  quoique  grand  par  lui-même,  nVoit 
eu  le  temps  que  de  (butenir  l'Empire  François  &  non  pas  de  l'éclairer: 
il  s'étoit  vu  obligé  de  tourner  tous  fes  foins  à  le  maintenir  fur  le  tront 
où  il  s'étoit  placé.  Charlemagne  fon  fils  s^  trouva  affermi ,  &  ce  Frioc^ 
voulut  y  faire  fleurir  &. revivre  les  Lettres.  Avec  Pefprit  &  le  goût  qu'il 
avoit  reçu  du  Ciel ,  avec  ce  penchant  admirable  à  procurer  le  bien  de  i9 
fuiet&é  ii  de  voit  naturellement  aimer  les  fciehces.  Il  voulut  donc  en  être 
\^  reltaurateur.  Au  milieu  des  ténèbres  épaifles  qui  couvroient  fon  Empire.! 
oii  l'ignorance  &  le  mauvais  goût  régnoient ,  il  entreprit  de  tirer  les  Let* 
très  de  là  barbarie  où  letlos  (étoiènt  plongées.  .En  revenant  :d€  Rome  il 
avoir  amené  Alcuin,  moitié  Anglois,  homme /d'un  efprit  folide  &  éclairéi 
&  fort  habile  pour  le  fiecle  où  il  vivoit.  Ce  Monarque ,  en  l'attirant  au* 
.prés  «de  lui ,  avoit  un  obj^t  plus  grand  que  xelid  de  iktislaire  fon  goût 
pour  l'étude  :  il  avoit  rendu  la  France  redoutable  par  fa  valeur  ;  mais  il 
vouloir  en  augmet;iter  la  puilTance  d'une  façon  plus  avantageufe  à  la  Natioa. 
La  France  étoit  plongée  dans  la  barbarie.  Les  gens  de  guerre  &ifoienc 
gloix'e  de  leur  ignorance  ,  &  auroient  rougi  d'être  plus  inftniits  :  ce  pr^ 
)ugé  avoit  éçé  commun  v  2k  toutes  les  Nations  t^rbaras.  Ces  peuples  ayant 
vaincu  les  Romains,  chez  qui  fleuriflbient  les  arts ,  s'imaginèrent  que  te 


i 


groffiets.  Les  Franç< 
ue  la  guerre;  &  quoiqu'ils  ignoraflent  les  arcs,  ils  étoient  cependant  re- 
outables  pour  leurs  ennemis  qui  n'en  favoient  pas  plus  qu'eux.  Charlei 
fenioit  combien  ferait  utile  la  retiaiKTance  des  Lettres ,  toujours  fuiviesdes 
Artsiîl  jugeoit  que  rendre  fes  fujets  plus;  indiiftrieux ,  c'étoit  en  quelque 
force  en  muhiplier  le  nombre  &  acquérir  un  nouvel  Empire.  Les  bicnbiv 


C  H  A  R  L  £M  A  G  N  E.  383 

9c  Vtxeoïple  du  Mofian|ae  encouragèrent  tous  ceux  qui  pouvoieoi  entrer 
dans  fcs  vues:  il  n'y  avoit  d'écoles  que  dans  les  Palais  des  Evêques  ou 
dans  les  Monaflercs  pour  inftruire  les  Clercs.  &  les  Moines*  Mais  ces  écoles 
groflieres  dans  leur  origine  étoient  encore  déchues  par  les  troubles  conti- 
Buels  de  l'Etat ,  &  fur-tout  par  l'habitude  d'aller  à  la  guerre  qu'avoient 
contraâé  les  Ecdéiîaftiques.  Charles  en  rçlçva  les  débris,  &  il.  en  fonda  de 
nouvelles  pour  les  Laïcs  :  il  avoit  amené  de  Rome  des  maîtres  de  Gram- 
maire ;  il  les  difperfa  en  différentes  villes  de  fes  Etats ,  &  il  établit  par<p 
tout  dûs  écoles.  Il  y .  en  avoit  une  à  la  fuite  de  fa  Cour ,  dans  un  grand 
nombre  de  Monafleres  &  dans  les  Eglifes  Cathédrales.  On  y  viiit  en  foulf 
apprendre  là  Théologie  &  les  Humanités.  Cet  établiflement  fut  même  » 
ielon  quelaues  Ecrivains ,  le  premier  fondement  de  l'Univerfité  de  Paris. 
la  plus  célèbre  de  ces  écoles  étoit  alors  celle  de  Ful^e ,  comme  on  voie 
par  une  lettre  que  ce  Prince  écrivit  à  l'Abbé  de  cette  maifbn.  Alcuin  ap** 

}>rit  à  ce  Prince   les  principes  de  la  Rhétorique,   de  la  Dialedique,    de 
'Aftronomie.  Charlemagne  recueillit  bientôt  le  fruit  de  ces  inflruâions  :  car 
les  Hiftoriens  remarquent  que  ce  Prince  étoit  éloquent  $  qu'il  s'exprimoit 
avec  âcilité,  qu'il  parloit  le  Latin  aufli  biçn  que  le  Tudefque,  qui  étoit 
là  langue  maternelle,  &  qu'il  entendoit  affez  bien  le  Grec.  Par  les  con^ 
feils  d'Alcuin,  il  établit  dans  fbn  propre  Palais  une  Bibliothèque  &  unf 
Académie.  Il  y  raffembloit  tous  les  Savans  qu'il  pouvoit  découvrir,  foiten 
France ,    foit  en  Angleterre ,  foit  en  Efpagne  :  il  affîftoit  à  toutes  les  af» 
femblées,  &  donnoit  fpn  avis  fur  toute  forte  de  matières.  Dans  toutes,  fef 
Ordotmances ,  il  recommandoit  les  bonnes  études.  Il  faifoit  fentir  les  maux 
que  produit  l'ignorance ,  &  n'épargnoit  rien  pour  la  bannir  de  ks  Etats.  Il 
comjprenoit  que  rien  ne  fait  tant  d'honneur  à  une  Nation  que  les  lettres  & 
les  iciences,  &  il  aidoit  lès  delfeinsde  ceux  qui  étudioient,  les  diftinguoit 
dans  les  occafions,  les  choififlToit  pour  les  emplois,  les  animoit  par  des  ré* 
compenfes  :   il  les  regardoit  comme  la   gloure  de  fbn  Royaume,  &  la 
iburce  d'un  bien  folide  &  durable.  Il  mettoit  en  crédit  les  expériences  de 
Fhyfique  &  de  Médecine ,  comme  utiles  au  bien  public.  La  oonté  qu'on 
lui  corinoi0bit  pour  les  hommes  de  lettres  étoit  une  recommandation  pu- 
blique pour  les  fciences.  Il  portoit  fon  zèle  jufqu'à  vouloir  être  inftruit  de 
la  manière   dont  la  jeunefle  étoit  élevée ,   periuadé  qu'étant  la  pépinière 
de  l'Etat ,  le  bonheur  ou  le  malheur  d'un  Royaume  dépend  de  la  bonne  ou 
mauvaife  éducation  que  reçoivent  les  enfans.  Enfin ,  le  talent  de  la  guerre 
&  l'amour  des  fciences  étoient  relevés  dans  Charlemagne   par  une  attenr 
lion   continuelle  à  procurer  le  bien  de  fes  fujets,  perfuadé  qu'ils  étoient 
confiés  à  fes  foins  par  la  Providence. 

Les  orages  des  règnes  fuivans  étouffèrent  en  bonne  partie  les  germes 
{bibles  que  ce  Prince  avoit  développés  :  mais  quelqu'ait  été  le  fuccès ,  les 
fi>ins  de  Charlemagne  pour  le  rétablifTement  des  lettres  n'en  font  pas 
moins  l'époque  la  plus  remarquable  de  fon  règne. 


384  C  H  À  R  L  E  M  A  G  N  fi. 

II  fit  voir  le  goût  qu'il  avoit  pour  les  arts ,  par  les  foins  qu'il  fe  donàa 
pour  la  conftmâion  de  plufieurs  beaux  édifices.  Le  plus  remarquable  eft 
le  Palais  qu'il  fie  bâtir  à  Aix-la-Chapelle  :  les  fources  chaudes  que  Ton  7 
voit  encore  lui  avoiem  donné  beaucoup  de  goût  pour  cette  ville  :  il  vou- 
lut avoir  un  Palais  digne  de  lui  dans  un  lieu  où  il  faifoit  (à  principale  ré- 
fidence.  L'étendue  en  étoit  immenfe:  non-feulement  les  grands  Officiers  de 
4a'  couronne  y  étoient  logés ,  mais  même  les  foldats  deftinés  à  la  garde  dtt 
Prince.  On  y  voyoit  des  bains  fpacieux  magnifiquement  ornés ,  entourés 
de  plufieurs  degrés  de  marbre  :  une  fuperbe  chapelle  qui  joignoit  le  Fa- 
lais  en  écoit  la  partie  la  plus  curieule. 

Les  occupations  de  Charlemagne  fuivoient  les  fitifons.  L'été  &  l'automne 
étoient  deftinés  aux  expéditions  militaires  \  l'hyver  &  le  printems  à  régler 
les  affaires  de  l'Etat  auxquelles  il  s'appliquoit  foigneufemeot.  En  tout  temps 
il  écoit  prêt  de  rendra  la  jaftice  à  fes  peuples  ,  devoir  qu'il  regardoit  comme 
le  plus  effentiel  des  Rois.  Pendant  qu'il  étoit  à  table  il  fe  faifoit  lire  quel^ 
que  endroit  choifi  des  Pères  de  l'Eglife  &  de  l'Ecriture  Sainte  :  à  regard 
de  fes  amufemens  ,  la  chafie  &  la  courfe  étoient  ceux  où  il  fe  plaifoit 
davantage ,  comme  Conformes  à  fon  humeur  guerrière  :  il  aimoit  encore 
à  ^fe^  baigner  dai>s  ces  vaftes  &  magnifiques  thermes  qu'il  avoit  fitit  cod(< 
truire  près  de  foh  Palais  à  Aix-la-Chapelle.  On  y  faifoit  couler  des  eaux 
chaudes  en  grande  abondance ,  &  plus  de  cent  perfonnes  y  pouvoient  na** 
ger  à  la  fois.  Charles  étoit  excellent  nageur,  ainfi  cet  exercice  étoit  un  de 
tes  plaifirs ,  &  il  le  prenoit  fouvent  avec  les  Princes  fes  enfans« 

...  4  ^  i 

Suite  des  principaux  faits  de  Charlemagne, 

XT  E  N  D  A  N  T  que  Charles  foumettoit  la  Saxe ,  les  Bretons ,  enhardis  paî 

de  Germanie  ,  eflayerent    de    fecouer  le    joug  :  ils  oca>- 
^    t   nous  appelions  aujourd'hui  la  Bretagne.   Audulfe  »  général 
de  Charles  ,   entra  dans  leur  pays  avec  une  armée ,  &  ils  fe  fournirent 
auffi-tôt. 

Taffilon,  Duc  ^e  Bavière,  engagea  les  Huns  à  faire  iine  irruption  en 
Germanie.  Charles  inftruit  de  fes  menées ,  le  manda  au  Parlement  dln- 
gelheim ,  où  tous  les  Seigneurs  de  France ,  de  Saxe  &  de  Bavière  avoient 
été  invités.  Le  Duc  sy  rendit  fans  défiance  :  il  fut  arrêté  &  condamné 
d'une  voix  unanime  à  perdre  la  tête.  Le  Roi  touché  de  compaffion,  com- 
mua la  peine ,  il  le  dépouilla  de  fes  Etats  &  le  fit  enfermer. 

Les  Huns  qui  s'étoient  jettes  dans  le  Frioul ,  &  y  avoient  fait  le  dé- 
gât, ne  furent  pas  plus  heureux  :  ils  furent  battus  &  contraints  de  fe  re- 
tirer avec  perte  de  toute  leur  armée.  Une  féconde  tentative  eut  le  même 
fort  :  ce  qui  échappa  à  la  pourfuire  des  vainquetirs  pérît  dans  le  Danube. 
Les  troupes  des  Grecs  qui  s'étoient  jettées  dans  la  Calabre  furent  battues 
par  Vinichife,  gé.iéral  François:  ils  perdirent  une  bataille  fanglante,  Jean, 

Uuc 


les    troubles 
poient  ce  que 


C  H  A  R  L  E.M  A  G  N  E.  38$ 

leur  général ,  fut  pris  &  tué.  Ain(t  l'habileté  &  la  fortune  de  Charles  ren«^ 
t^erferent  les  projets  de  fes  ennemis. 

Les  Vil  fes  qui  habitoient  la  marche  de  Brandebourg,  faifoient  de  fré-» 
quentes  incurfions  fur  les  Abrodites  qui  habitoient  le  Mekelbourg.  Ceux-ci 
étant  alliés  des  François  demandèrent  du  fecours  à  Charles.  Ce  Prince  pafla 
aufli-tôt  le  Rhin  à  Cologne ,  traverfa  la  Saxe ,  pafla  l'Elbe ,  pénétra  dans 
les  terres  des  Vilfes ,  les  battit ,  &  les  contraignit  de  fe  foumettre. 

Les  Huns  qui  habitoient  la  Fannonie,  aujourd'hui  la  Hongrie,  craignant 
d'éprouver  à  leur  tour  le  fort  de  tant  de  peuples  que  Charles  avoir  vaincus» 
fongerent  à  la  paix  :  ils  envoyèrent  deifi  Ambafladeurs  à  ce  Prince ,   qui 
en  envoya  de  foncôté  à  leur  Roi;  mais  il  fut  impoflîble  de  convenir  de 
rien ,  ôc  les  conférences  finirent  par  une  rupture  ouverte.  L'année  fe  con* 
fuma  en  négociations  &  fe  pafla  fans  guerre.  Les  Hiftoriens   remarquent 
cette  année  comme  on  obfervoit  à  Rome  celle  où  l'on  fermoir  le  temple 
de   Janus.  Charles  la  confacra  au  foulagement  des  peuples.  Il  avoit  fait 
mmafler  des  magafins  de  bled  :  il  le  fit  diftribuer  aux  pauvres  à  un  prix 
très-modique.  Il  envoya  des  Seigneurs  de  fa  Cour  porter  des  fommes  con-* 
iîdérables  aux  Chrétiens  d'Afiique ,  d'Egypte  &  de  Syrie ,  qui  gémiflbient 
ibus  le  joug  des  infidèles.  Le  Patriarche  de  Jérufalem  envoya  un  dé  (es 
Moines  à  la  Cour  de  France  préfenter  au  Roi  les  hommages  des  Chrétiens 
ée  la  Palefline.  Les  lieux  faints  étoient  fous  la  domination  du  Calife  de 
Per(e;  c'étoit  Aaron,  grand  conquérant  &  fage  politique.  Dès  qu'il  fut 
que  Charles ,  pour  qui  il  avoit  conçu  la  plus  haute  eflime  ,  prenoit  intérêt 
aux  Chrétiens  de  ce  pays ,  il  prévint  fes  prières  :  il  lui  céda  les  faints  lieux 
en  toute  fouveraineté.   Un  Prêtre  nommé  Zacharie,  vint  trouver  Charles 
à  Rome ,  &  lui  apporta  les  clefs  du  faint  Sépulchre  avec  l'étendard  de  la 
ville  de  Jérufalem  ;  le  même  Calife  lui  envoya  de  magnifiques   préfen» 
&  une  horloge  nommée  Clepfidre   que  l'eau  fiûfoit  aller ,    ouvrage  très- 
curieux. 

L'année  fuîvante  ce  Prince  découvrît  une  confpiration  contre  fa  perfonne. 
Pépin  y  Ion  fils  aine,  mais  qu'il  avoit  eu  d'une  concubine,  jaloux  de  voir 
fes  jeunes  fi-eres  élevés  fur  les  trônes  d'Italie,  négocia  avec  les  mécontens) 
&  ceux-ci  entretenant  les  femences  de  haine  &  de  révolte  qui  Tagitoient , 
formèrent  le  deflein  d'aflafliner  le  Roi  &  fes  trois  fils.  Ainfî  ce  grand 
Prince,  qui  avoit  porté  fi  loin  la  gloire  du  nom  François,  fut  prêt  à 
périr  par  la  perfidie  d'un  fils  dénaturé  &  de  quelques  faâieux  :  mais  un 
coup  de  la  providence  le  fauva  de  ce  danger.  Comme  les  conjurés  confë* 
roient  un  jour  dans  une  Eglife  fur  leur  entrêprife,  ils  furent  entendus 
par  un  Prêtre  caché  fous  l'autel ,  nommé  Fardulte.  Cet  homme  faifi  d'hors* 
reur,  alla  aufli«tôt  révéler  la  chofe  au  Roi.  Les  coupables  furent  condam- 
nés à  la  mort  &  décapités  :  Pépin  feul  échappa  à  la  condamnation.  Chsgries 
ne  put  fe  réfoudre  à  verfer  fon  propre  fang  :  il  fut  rafô  &  confiné  dans 
le  Monaftere  de  Prum. 

Tome  XL  C  c  0 


385    ^  C  H  A  R  L  K  M  A  G  N  E. 

Cepeodanc  le  Roi  donna  fon  attennon  à  la  police  intérieure  de  TEtar. 
Tour-à-cour  lëgiflateur  &  conquérant ,  en  foumettant  de  nouveaux  peu- 
ples ,  il  veilloit  fur  ceux  qui  lui  étoienc  déjà  fournis  avec  la  plus  grande 
exaâicude.  Il  fit  tenir  le  concile  de  Francfort ,  (i  connu  dans  l'hiftoire  ec« 
cléfiaftique,  pour  la  condamnation  de  l'héréfte  d'Elipand ,  Archevêque  de 
Tolède ,  &  de  Félix ,  Evêque  d'Urgel ,  qui  renouvelloient  les  erreurs  de 
Nehorius.  Trois  cents  Evoques  s'y  trouvèrent,  &  profcrivireat  imanime- 
ment  cette  opinion  impie. 

Piété  et  Charlemagne. 

JjjNtre  toutes  les  vertus  qui  ont  diftingué  ce  grand  Prince ,  fa  piété 
eft  celle  qu'il  a  Ëiit  le  plus  éclater ,  &  dont  il  a  donné  les  témoignages 
les  plus  autentiques  par  les  fervices  qu'il  a  rendus  à  l'EgUfe  &  à  la  Religion. 
Dans  tous  les  voyages  qu'il  fit  à  Rome  il  donna  des  marques  de  fon  ref- 
peâ  pour  les  chofes  faintes.  Lorfque  le  Pape  Adrien  célébra  le  baptême 
iblemnel  en  fa  préfence ,  ce  Prince  édifia  tous  les  affîftans  par  fa  fHécé  ; 
il  fe  donna  les  foins  nécelTaires  pour  faire  corriger  les  livres  de  l'ancien 
&  du  nouveau  teftament  altérés  par  des  copiftes.  Il  fit  compofer  un  recueil 
des  ^  plus  beaux  morceaux  des  Pères  de  l'Eglife  :  car  il  fe  plaifoit  beaucoup 
à  les  lire  j  &  fur-tout  le  livre  de  S.  Auguftin  de  la  cité  de  Dieu.  De  plus, 
il  &ifoit  célébrer  l'office  avec  beaucoup  de  décence  &  d'exaditude .  dam 
l'Eglife  qu'il  avoit  fait  bâtir  à  Aix-la-Chapelle  :  il  y  affiftoit  régulièrement, 
même  aux  offices  qui  fe  difent  la  nuit,  &  la  préfence  du  Monarque  en- 
tretenoit  la  vigilance  &  l'émulation  des  eccléfîaftiques. 

On  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  ici  que  Charlemagne  ait  fu  allier 
dans  fa  perfonne  les  vertus  d'un  des  plus  grands  guerriers  qu'il  y  ait  eu  for 
k  terre  ^  &  celles  d'un  Prince  religieux  ;  on  peut  dire  même  d'un  Souve- 
rain Pontife  des  premiers  fiecles.  En  effet ,  ce  Prince  fit  voir  par  toute  (a 
conduite  qu'il  cherchoit  \  faire  régner  la  Religion  dans  fes.  Etats.  Sa  plus 
grande  joie ,  quand  il  avoit  vaincu  une  nation  infidèle ,  étoit  de  l'engager 
à  recevoir  l'évangile.  11  cherchoit  par«tout  de  zélés  miflionnaires  pour  les 
engager  à  travailler  à  la  converfion  des  Payens;  il  les  encourageoit  pat 
&s  exhortations  &  les  appuyoit  de  fon  autorité.  11  fonda  les  Eglifes  d^Oi^ 
sabruck,  de  Paderborn  ce  de  Brème.  Après  s'être  rendu  maître  de  la  Saxe, 
U  y  fit  bâtir  des  Eglifes  &  des  Monafleres  qu'il  dota  magnifiquement  :  foa 
zèle  pour  la  prédication  de  l'évangile  &  fes  bienfaits  attirèrent  un  grand 
nombre  de  miifîonnaires  qui  vinrent  travailler  avec  ardeur  à  la  converfioo 
des  idolâtres. 

Mais  l'œuvre  principale  de  Charlemagne  fut  le  rétabliflèment  de  la  dis- 
cipline en  Occident.  U  publia  pour  cela  plufieurs  capitulaires  ou  édits  qui 
fi>nt  un  témoignage  éclatant  de  fa  lumière  &  de  fa  piété.  Il  ordonna  la 
réforme  des  Monafleres  &  du  Clergé ,  défendit  toute  lorte  de  fuperftitiooSy 


CHARLEMAGNE.  387 

réprima  les  défordres  &  les  fcandales,  intimida  les  mëchanS|  mit  eo  hon- 
neur les^  gens  de  bien.  Il  exhortoit  les  Evoques  &  le  Pape  même  à  tra- 
vailler avec  zèle  à  Tœuvre  de  Dieu  &  à  tout  ce  qui  pouvoit  contribuer"  à 
^re  refpeâer  la  religion.  Pour  pofer  les  fondemens  d'une  (blide  réforme , 
il  fit  aiTembler  foavent  des  conciles  dans  toutes  les  Provinces ,  &  conjuroît 
les  Evêques  de  fuivre  dans  leurs  décifions  l'Écriture-Sainte,  &  les  faints 
Canons.  Le  fuccès  répondit  à  Tattente  de  ce  grand  Roi ,  &  l'on  vit  bien- 
tôt l'Ëglife  d'Occident  changer  de  face. 

Suite  des  opérations  militaires  de-  CAarlcmagne. 

L. 
'Ak  79^,  Charles  marcha  contre  les  Saxons  :  il  entra  par  laThuringe 
dans  la  partie  méridionale  de  leur  pays,  tandis  que  l'ainé  de  fes  trois  ms 
traverfoit  le  Rhin  à  Cologne ,  &  fe  prefentoit  à  l'occident  de  la  Weftphalie. 
Les  Saxons  fe  voyant  inveitis  par  deux  armées  ^  eurent  recours  à  la  fou- 
miflion.  Ils  furent  Quelque  temps  tranquilles  ;  mais  au  printemps  de 
l'an  798  les  NortUeudes,  Saxons  qui  habitoient  au-delà  de  l'Elbe,  mafTa- 
crferent  les  envoyés  de  Charles  &  leur  fuite.  Les  Oflphaliens  les  imitèrent 
avec  la  même  cruauté.  Ces  nouvelles  mirent  Charles  en  fureur.  Dès  que  la 
faifon  le  permit,  il  parcourue  le  pays  qui  eft  entre  l'Elbe  &  le  Vefer,  &, 
laifla  par-tout,  des  traces  terribles  de  fon  paflàge.  Enfin  ces  peuples  fe  fou- 
rnirent :  ils  donnèrent  des  otages,  &  le  Roi  leur  fit  grâce. 

Les  viâoires  de  Charles  &  ion  attention  au  Gouvernement  rendoient  de 
jour  en  jour  le  Royaume  plus  florillant.  Le  nom  François  étoit  en  confi- 
dération  chez  tous  les  peuples  de  la  terre.  Cependant  les  Normands ,  peu- 
ples qui  habitoient  le  Danemark  la  Suéde  &  la  Norvège,  piratoient 
depuis  quelque  temps  fur  les  cotes  de  l'Océan ,  &  commençoient  ces  cour- 
fes  qui  furent  depuis  fi  funeftes  à  la  France.  Les  mouvemens  de  ces  Pira- 
tes attireretit  la  plus  férieufe  attention  du  Souverain.  Il  fit  travailler  à  une 
flotte,  donna  des  ordres  pour  que  tous  les  gens  de  guerre  puffent  être  raf- 
femblés  au  premier  fignal  :  il  alla  lui-même  vifiter  les  côtes  de  l'Océan, 
&  les  mit  en  état  de  ëûre  une  vigoureufe  réfiilance* 

CharUmagnc  déclaré  Empereur  d^Occident.  An  de  h  C  Soo. 

JLjE  Pape  Adrien  étoit  mort,  &  Léon  III,  fon  Succefleur,  avoit  été  éla 
par  le  concert  unanime  du  Clergé  &  du  peuple  Romain.  Pafchal  &  Càm* 
pule,  neveux  du  dernier  Pape,  jaloux  de  Texaltation  de  Léon,  réfoturent 
de  le  faire  périr.  Us  l'attaquèrent  à  la  tête  d'un  grand  nombre  de  conjurée 
dans  une  proceffiop  folemnelle,  le  traînèrent  dans  TEglife  du  Monaileré 
de  St.  Sylveftre ,  &  s'efforcèrent  de  lui  crever  les  yeux  &  de  lui  arracher 
la  langue;  le  voyant  couvert  de  fang  &  à  demi-mort,  ils  l'enfermèrent 
dans  le  Monaftere;  mais  il  eut  le  bonheur  de  s'échapper,  &  de  fe  réfugier 

C  ce  2. 


38«  CHÂRLE  MAGNE. 

à  Spolette,  d'où  il  écrivit  au  Roi  pour  le  prier  de  lui  permettre  de  Tatler 
trouver  pour  l'informer  de  cet  attentat.  L'entrevue  fe  fit  à  Paderborn. 
Charles  rut  touché  du  trifle  état  où  il  voyoit  ce  Pape ,  qui  portott  encore 
des  marques  de  la  cruauté  de  Tes  ennemis.  Il  envoya  à  Rome  des  Corn- 
miflaires  pour  informer  de  Paflaire.  Après  qu'on  l'eut  examinée ,  Léon  fut 
déclaré  innocent^  fes  ennemis  arrêtés  &  envoyés  en  France. 

Mais  comme  il  reftoit  toujours  des  femencès  de  révolte  en  Italie , 
Charles  crut  devoir  y  aller.  Les  Romains  défiroient  s'alTurer  de  la  protec- 
tion de  ce  Prince,  &  réfolurent  de  renouveller  en  fa  perfonne  l'ancien 
Empire  d'Occident  ^  qui  avoit  été  éteint  pendant  350  ans  depuis  la  dépofi- 
tion  d'Auguftule  y  dernier  Empereur.  Dans  le  fonds  Charles  étoit  alors 
xtialtre  de  la  plus  grande  partie  de  cet  Empire ,  car  il  poflëdoit  toute  la 
Gaule;  en  Efpagne  le  Comté  de  Barcelone;  le  continent  de  l'Italie  jufqu^à 
Bénévent;  toute  l'Allemagne,  les  Pays^^Bas,  &  une  partie  de  la  Hongrie. 
L'Impératrice  Irène  chancelante  fur  le  trône  d'Orient,  n'étoit  pas  en  état 
de  lui  rien  difputer.  Cependant  quoique  ce  titre  d'Empereur  n'ajoutât  rien 
à  fa  puiflknce  ;  il  n'étoit  pas  un  fimple  titre  d'honneur  dépourvu  d'utilité: 
il  devoir  donner  au  Roi  de  France  lur  Naples  &  Sicile,  &  fur  tout  ce  qui 
reftoit  aux  Grecs  des  débris  de  l'Empire  d'Occident,  des  prétentions  qui 
font  pour  un  Prince  une  fource  réelle  d'autorité.  Non-feulement  ce  titre 
devoit  rendre  inconteftable  fa  fouveraineté  fur  les  Romains,  accoutumés 
à  obéir  aux  Empereurs  d'Occident,  mais  même  l'aiFermir  dans  la  Germai* 
nie.  En  outre,  les  peuples  d'Occident  avoient  toujours  regardé  la  dignité 
Impériale  comme  la  première  de  l'univers.  On  prétend  que  le  Pape  fit  U 
pràpofition  au  Roi  de  ce  nouveau  titre,  &  que  ce  Prince  le  refufaffoit 
par  modefiie  ou  par  prudence.  Quoi  au'il  en  foit,  Charlemiagne  étant 
.venu  à  Rome  dans  le  mois  de  Décemore,  on  fit  de  grands  préparatifs 
pour  célébrer  avec  éclat  les  fêtes  de  Noël.  Ce  jour  arrivé ,  il  fe  rendit 
dans  l'Eglife  de  St.  Pierre ,  revêtu  de  Thabit  des  anciens  Patricés  :  c'étoit 
une  longue  tunique  avec  un  grand  manteau  traînant,  dont  un  des  côtés 
étoit  rattaché  fur  l'épaule  droite.  Le  Pape  l'avoit  devancé  accompagné  d'un 
grand  nombre  de  Seigneurs  &  de  Prélats.  L'Office  ayant  commencé  p^n* 
dant 
à 

fur  la  tête  une  couronne  précieufe.  En  même  temps 
cria  :  Vive  Charles  Augufie^  couronné  de  la  main  de  Dieu.  Vie  &  ViSoin 
au  grand  &  pacifique  Empereur  des  Romains.  Enfuite  le  Pape  vint  lui  ren* 
dré  les  hommages  que  les  Pontifes  avoient  coutume  dé  faire  aux  Emp^ 
reurs,  quand  il  les  laluoient  à  Rome  en  cette  qualité  :  c'efl-à-dire  qu'il  fe 
«lit  à  genoux  devant  lui,  le  reconnoiffant  pour  fon  Souverain.  Après 
quoi,  il  l'oignit  de  l'Huile  fainte  ;  6c ,  après  le  fervice,  le  Prince  retourna 
à  fbn  palais  ainfi  revêtu.  Eginhard  afTure  que  Charles  parut  étonné  & 
mortifié  de  ce  qui  venoit  de  fe  palTer  j  &  que ,  s'il  l'eût  prévu  ^  il  fe  fe* 


C  H  A  R  L  E  M  A  G  N  E.  3«9 

roit  difpenfé  de  venir  à  PEglife.  Mais  la  x^hùfe  paroit  difficile  à  croire  ; 
car  le  Pape  eût-il  ofé  exécuter  ce  qu'il  projettoit  fans  l'aveu  du  Roi  ? 
Bien  plus,  ce  Prince  parut  retenir  fort  volontiers  le  titre  qu'il  reçut  dans 
cette  cérémonie  :  il  eut  même  peu  d'égard  au  reflèntiment  qu'en  firent  pa- 
roitre  les  Empereurs  Grecs ,  mais  il  les  appaifa  par  des  ambafTades.  Dans 
le  fond ,  les  Romains  ,  en  donnant  à  Charlemagne  la  qualité  d'Empereur  ^ 
ne  prérendoient  pas  l'ôter  aux  Princes  qui  régnèrent  depuis  fur  le  trône 
de  Conftantinople.  Ce  ne  fut  qu'une  communication  de  cette  dignité,  telle 
qu'elle  s'étoit  faite  autrefois  lorfque  le  monde  fe  panageoit  entre  deux 
Empereurs,  dont  l'un  étoit  Empereur  d'Orient  &  l'autre  Empereur  d'Occi^ 
dent  :  &  les  Romains  ne  faifoient  que  rentrer  dans  le  droit  qu'ils  avoient 
eu  autrefois ,  aufli  bien  que  l'Orient  ,  de  fe  choifir  un  Empereur.  Au 
refle ,  il  eft  bon  d'obferver  en  pafTant  que  les  Rois  de  France  conferverent 
cent  ans  la  poffeflion  de  l'Empire  ;  &  c'eft  par  eux  que  le  corps  Germani^ 
que  jouit  aujourd'hui  de  cet  honneur  &  de  cet  avantage. 


c 


1 

Idée  d<  la  Cour  de  CharUmagnc. 


Harlemagkb  ne  tarda  pas  à  envoyer  des  AmbafTadeurs  en  Orient  : 
ceux-ci  furent  témoins  à  leur  arrivée  de  la  révolution  qui  fe  paffa  à  Conf- 
tantinople.  La  célèbre  Irène  étoit  alors  fur  le  trône  :  cette  Princefle  étoit 
née  avec  les  plus  grands  talens  ,  mais  fon  ambition  lui  avoit  fait  com- 
mettre les  plus  grands  crimes.  Elle  avoir  dépouillé  fon  fils  Conflantin  de 
la  couronne  &  lui  avoit  fait  crever  les  yeux.   Mais  Nicephore  ayant  été 

Îroclamé  Empereur  ^  il  la  fit  defcendre  du  trône  &  la  relégua  à  Lefbos. 
,e  nouvel  Empereur  déclara  aux  Ambafladeurs  de  France  qu'il  défiroit  de 
vivre  en  bonne  intelligence  avec  leur  maître ,  qu'il  étoit  prêt  à  le  recon- 
noitre  Empereur  d'Occident ,  &  qu'il  eriverroit  inceflamment  des  Ambafla- 
deurs  à  la  cour  de  France  pour  régler  les  limites  des  deux  Empires.  Bien^ 
tôt  après  ,  les  Miniftres  François  quittèrent  Conflantinople  &  turent  fuivis 
àts  Ambafladeurs  de  Nicephore. 

Charlemagne  reçut  cette  Ambaffade  à  Selts  en  Alface  ;  &,  .profitant  de 
cette  occafion  pour  réprimer  la  vanité  des  Grecs ,  il  voulut  qu'ils  fiiffent 
introduits  à  fon  audience  avec  une  magnificence  furprenante  (  a  }.  On  les 
fit  d'abord  traverfer  quatre  falles  fuperbes ,  où  étoient  diflribués  les  Offi- 
ciers de  la  Maifon  de  l'Empereur  ,  tous  dans  une  contenance  refpeâueufe 
devant  l'Officier  qui  les  commandoit.  A  chaque  falle ,  ils  fe  profternoient, 
croyant  que  c'étoit  le  Souverain.  On  les  détrompoit ,  &  on  leur  difoit  que 
ce  n'étoient  que  les  Officiers  de  la  couronne.  Après  être  tombés  de  nié- 
prife  en  méprife  ,  deux  Seigneurs  les  introduifirent  à  l'audience  de  l'£m« 


wmmitmKmmmmmtmmmÊmmmÊÊmÊmÊÊamÊmmtmmmmmmmmmmmHmm 


(4)  Mézerai. 


39»  Ç  H  A  RL  E  M  A  G  N  E. 

t 

f 

pereur.  Ce  Prince  éçoic  debout,  &  environné  des  principaux  Seigneurs  & 
des  Rois  Tes  enfans  (a)^  des  FrincefTes  fes  filles ,  tous  fuperbement  parés. 
Une  AfTemblée  fi  augure  les  avoit  déjà  intimidés;  mais  ce  qui  acheva  de 
les  déconcerter  fut  la  bonté  avec  laquelle  l'Empereur  traitoit  TEvêque  Hel- 
ton,  fur  répaule  duquel  il  étoit  appuyé.  Cet  Evéque  avoit  reçu  mille  hu- 
miliations des  Grecs  dans  fon  Ambaf&de  k  Conflantinople.  Charlemagne, 
après  avoir  joui  un  inftant  de  leur  embarras,  les  raflTura  en  leur  difant 
qu'Helton  leur  pardonnoit  ;  & ,  que ,  pour  lui  ,  à  la  prière  du  Prélat ,  il 
vouloit  bien  oublie^  le  pafTé.  Le  traité  fut  bientôt  conclu.  Charlemagoe 
fut  reconnu  Empereur  d'Occident. 


p 


Fin  de  la  Guerre  des  Saxons. 


Enbant  que  tout  étoit  fournis  à  la  fiuiflance  4e  l'Empereur  des  Fran- 
çois, les  Saxons  feuls  oferent  lui  réfifler.  Ceux  qui  habitoient  à  l'embou- 
chure de  l'Elbe ,  placés  dans  des  marais  inacceffinles ,  &  fe  croyant  ilks 
de  l'impunité  «  excitoient  fans  çefTe  leurs  voifins  à  la  révolte.  L'Empereur 
voulut  extirper  cette  racine  des  troubles.  Il  conduifit  une  puiflante  armée 
dans  le  pays  des  faâieux ,  &  il  en  tranfporta  dix  mille  ramilles  dans  la 
Flandre  oc  le  Brabant  ;  il  difpofa  des  héritages  de  ceux  qui  demeurèrent 
dans  leur  pays.  Les  Saxons  terralfés  fans  reffource  ne  fe  relevèrent  plus  de 
leur  chute.  Ainfi  finit  cette  guerre  cruelle  qui  avoit  duré  trente- trois  ans. 

Après  avoir  réduit  les  Saxons,  Charlemagne  voulut  réduire  les  Bohé* 
miens ,  &  joindre  la  Bohême  à  fes  autres  conquêtes.  Il  confia  l'exécution 
de  ce  defTein  à  fon  fils  Charles  qui  en  vint  à  bout  heureufement. , 

Fendant  les  dernières  années  de  la  vie  de  Charles ,  de  nouveaux  enne- 
mis plus  redoutables  que  les  Bohémiens  ,  s'élevèrent  contre  la  France. 
L'Empereur  reçut  avis  que  des  Pirates  Normands  avoient  paru  dans  U 
Manche ,  &  qu'il  étoit  à  craindre  qu'ils  n'infultalTent  les  côtes  d'Aquitaine. 
Ces  corfaires  entroient  par  l'embouchure  des  grands  fleu^ves,  defceadoient 
à  terre ,  pilloient  le  pays  &  fe  retiroient  avec  leur  butin.  Eginhard  qui  a 
écrit  la  vie  de  Charlemagne,  rapporte  que  cet  Empereur  étant  un  jour 
dans  une  ville  de  Languedoc ,  .vit  du  château  où  U  étoit  quelques  vaiffeaui 
qui  arrivoient.  Ce  Prince  jugea,  à  la  forme  de  cps  bàtimens,  que  c'é^ 
toient  des  corfaires  Normands,  On  envoya  quelques  barques  pour  les  re- 
connoitre.  Les  mouvemens  qui  fe  faifoient  fur  le  rivage,  &  la  fuite  de  l'Em- 
pereur qui  étoit  répandue  de  tous  côtés ,  firent  juger  aux  Normands  que  le 
Monarque  étoit  dans  cette  ville ,  Se  ils  fe  retirèrent  avec  précipitation.  Cet 
événement  fit  faire  à  Charlemagne  de  trifles  réflexions  pour  l'avenir.  Si  ces 
peuples,  dit-il,  ofet^t  menace  l^  France  pendant  que  ]e  vis   encore,  que 

(a)  Charles,  Roi  d'Aquitaine;  Pépin,  Roi  dltalie. 


C  HA  RLEMAGNE.  391 

fërofiMIs  donc  après  ma  mon?  PrefTentiment  qui  ne  fut  que  trop  confir- 
mé par  tous  les  ravages  qu^on  éprouva  fous  les  AiccefTeurs  de  Charles. 


D 


Couronnement  de  Louis  ,  fuccejjcur  dt  CharUmàgne , 

An,  de  /.   C.  8ij. 


Epuis  quelque  temps,   la  fanté  de   l'Empereur  étoit  afFoîblîe.   La 

muii  de  fon  nls  Pépin,  Roi  d'Italie,  le  plongea  dans  la  plus  grande  doub- 
leur ,  car  il  avoit  pour  fes  enfàns  la  plus  vive  tendrefle.  Mais  ranaée  fui- 
vance ,  ayant  encore  perdu  Charles  fon  fils  aîné  ,  toute  fa  fermeté  ne  put 
être  à  l'épreuve  d'un  coup  fî  rude.  Ces  fecoufles  réitérées  achevèrent  de  rui- 
ner fon  tempérament.  Cependant  il  continuoit  à  veiller  fur  toutes  les  par- 
ties du  Gouvernement  avec  fon  exaâimde  ordinaire  ;  mais  on  s'apperce- 
voit  que  fes  forces  diminuoient  de  jour  en  jour.  Cotnme  ce  Prince  nç 
diflimuloit  point  fon  état,  il  voulut  régler  l'ordre  de  fafucceffîon  avant  que 
d'être  furpris  par  la  mort.  U  fît  afièmbler  les  Grands  de  fes  Etats  à  Aix-- 
la-Chapelle ,  oc  leur  déclara  le  deffein  qu'il  avoit  fçrmé  d'afibcier  fon  fils 
Louis,  à  l'Empire ,  &  de  nommer  le  jeune  Bernard  ,  fils  de  Pépin ,  Roi 
d'Italie.  La  cérémonie  du  couronnement  fe  fit  le  Dimanche  fuivant.  L'Em- 
pereur étoit  revêtu  des  ornemens  impériaux ,  &  portoit  la  couronne  fur  la 
tète  :  une  autre  couronne  étoit  placée  fur  l'Autel.  Tous  les  Grands  étoient 
attentifs  à  ce  qui  alloit  fe  paffer. 

L'Empereur ,  fuivi  de  fon  fils  ,  fe  proflerna  aux  pieds  de  l'Autel  ;  &  « 
après  avoir  prié  quelque  temps,  il  fe  releva,  &  adrefîant  la  parole  à  Louis: 
»  Mon  fils ,  lui  dit-il ,  n'oubliez  jamais  que  le-premier  devoir  d'un  Empe- 
»  reur  efl  d'aimer  &  de  craindre^  Dieu ,  &  d'obferver  exaâement  tout  ce 
»  qu'il  a  commandé.  Veillez  fur-tout  fur  les  Eglifes  :  ne  fouffrez  pas  que 
»  les  Miniflres  de  la  Religion  négligent  leurs  devoirs ,  &  fbyez  leur  Pro- 
»  teâeur  ,  fi  l'injuflice  cherche  à  les  opprimer.  Que  le  bonheur  de  vos 
9  peuples  foit  l'objet  continuel  de  vos  foins.  Souvenez-vous  fans  cefle  que 
»  vous  êtes  leur  père ,  que  c'efl  à  vous  de  foulager  la  mifere  du  pauvre , 
»  de  défendre  l'opprimé ,  &  de  punir  l'ufurpateur.  Ne  confiez  les  emplois 
9  qu'à  des  gens  éprouvés  &  connus  pour  incorruptibles.  Ne  déplacez  ja* 
s»  mais  fans  aucun  motif  aulfi  important  que  légitime ,  ceux  que  vous  aurez 
-9  élevés.  Je  vous  recommande  vos  jeunes  frères  &  vos  fœurs  &  les  enfàns 
9  de  votre  frère  :  aimez-les,  refpeâez  mon  (ang  qui  coule  dans  vos  vei* 
9  nés  ;  &  qu'ils  me  retrouvent  en  vous,  «c 

Louis  jura  folemnellement  d'obferver  les  règles  de  conduite  que  fon 
père  lui  prefcrivoit.  Alors  l'Empereur  lui  ordonna  d'aller  prendre  la  cou- 
ronne qui  étoit  fur  l'Autel  &  de  fe  couronner  lui-même;  circonflance  im- 
{>ortante ,  qui  montre  combien  Charlemagne  étoit  perfuadé  qu'il  ne  tenoic 
'Empire  que  de- Dieu  &  de  fon  épée.  L'Eglife  retentit  des  acclamations 


39* 


CHARLEMAGNE, 


des  Grands  &  du  peuple  ;  &  Charles ,  comblé  de  joie ,  prononça  ces  pa- 
roles que  David  avoic  dites  en  faifant  facrer  Salomon  :  Béni  Joye^vous  \ 
mon  Seigneur  &  mon  Dieu  ^  par  qui  p ai  la  confolation  de  voir  mon  fils  ajfis 
fur  mon  trôiUn 

Feu  de  tems  après  ^  le  jeune  Empereur  reçut  ordre  de  retourner  ea 
Aquitaine  :  les  adieux  des  deux  Princes  furent  des  plus  tendres ,  &  ils  fe 
réparèrent  avec  une  triftefTe  qui  annonçoit  qu'ils  ne  fe  verroîent  plus.  Char- 
lemagne  fe  Tentant  près  de  la  fin ,  cônfacra  le  refte  de  Tes  jours  à  régler 
l'Ëtat  :  il  afTembla  nombre  de  Parlemens  pour  rétablir  la  difcipline  Ecclé- 
fiaftique  que  la  guerre  avoir  altérée ,  &  pour  régler  diffîrentes  af&ires  : 
il  ne  s'occupa  plus  que  de  la  prière,  de  l'aumône  &  de  la  correâion  de 
quelques  exemplaires  des  Livres  facrés ,  auxquels  il  cravailloit  avec  des 
Orecs  &  des  Syriens. 

Le  20  janvier  de  l'an  814.,  la  fièvre  le  prit  :  il  crut  d'abord  qu'une  diète 
auflere  ,  quiétoit  fon  remède  ordinaire,  luffiroit  pour  le  guérir;  mais  une 
douleur  de  côté  qui  fe  joignit  à  la  fîevrê  fit  connoitre  que  ce  Prince  étoit 
attaqué  d'une  pleuréfie.  Bientôt  il  jugea  lui-même  que  fa  fia  n'étoit  pas 
éloignée  :  il  vit  approcher  avec  fermeté  le  moment  de  la  mort.  Il  de* 
manda  l'Extrême-  Onâion  &  le  Viatique  qu'il  reçut  avec  les  marques  de  It 
piété  la  plus  iincere.  Enfin  le  feptieme  ]our  de  fa  maladie,  fe  feotant  à 
l'extrémité,  il  fit  le  figne  de  la  Croix  fur  fon  front  &  fur  fon  cœur»  & 
mourut  en  difant  ces  paroles  :  Seigneur  ,ye  remets  mon  ame  entre  vos  mains. 
Il  étoit  âgé  de  foixante*douze  ans;  il  en  avoit  régné  quarante-cinq  comme 
Roi  de  Frarice,  &  treize  comme  Empereur.  Il  fut  regretté  non-feulement 
des  gens  de  bien  &  de  tous  fes  Sujets ,  mais  des  Etrangers  &  des  Payens 
mêmes.  Ce  grand  Prince  eft  digne  par  &s  conquêtes  d'être  égalé  aux  plus 
fameux  conquérans.  Il  eut  toutes  leurs  grandes  qualités  ,  &  il  n'en  eut 
point  les  vices.  Après  avoir  foumis  l'Aquitaine  ,  l'Italie,  la  Fannofiie»  U 
<?ermanie  &  une  partie  de  l'Ëfpa^ne ,  il  ne  fut  point  ébloui  de  fa  gloire, 
&  réfifta  aux  illuhons  de  la  profpérité.  S'il  eut  de  l'ambition ,  il  fut  la 
fubordonner  au  bien  public.  Sa  vie  fut  un  enchaînement  continuel  d'occupa- 
tions dont  le  bonheur  de  la  Nation  étoit  l'objet.  Né  avec  un  cfpric  valle 
&  un  cœur  droit,  il  connut  toute  l'étendue  des  devoirs  d'un  Souverain  &lcs 
remplit  avec  ponâualité  :  il  aima  la  juflice ,  ôc  rechercha  la  vérité.  En  un 
mot ,  on  peut  dire  qu'il  fut  à  la  fois  un  grand  Capitaine ,  un  grand  Roi 
&  un  grand  homme.  Charlemagne  fut  inhumé  dans  un  caveau  de  la  ma- 
gnifique Chapelle  d'Aix,  que  ce  Prince  avoit  fait  bâtir  en  l'honneur  del» 
Sainte  Vierge.  Son  corps  rut  revêtu  des  habits  &  ornemens  impériaux  & 
affîs  fur  un  fîege  d'or.  On  éleva  fur  fon  tombeau  un  arc  de  triomphe  avec 
cette  infcription  :  Ici  repofe  le  corps  de  Charles ,  grand  &  orthodoxe  Et^' 
pereur ,  qui  étendit  glorieujement  le  Royaume  des  François ,  &  le  gouverna 
Aeureujfement  pendant  quarante-cinq  ans,  ' 

Ce  Prince  eut  quatre  femmes  fuccefTivement  ^  Hermengarde ,  fîlle  du  R<h 

Lombard  ; 


CHARLEMAGNE.    (  CaraStn  dt  )  393 

Lombard  ;  Ifildegarde  dont  il  eut  quatre  fils ,  Charles ,  Pépin  ;  Louis  & 
Lochaire  ,  &  cinq  filles  ;  Fuflrade  dont  il  eut  deux  filles ,  &  Luirgarde. 
Après  la  mort  de  cette  dernière,  il  ne  voulut  point  de  femmes  qui  eufTent 
le  titre  de  Reine,  &  prit  quatre  concubines^  mais  fucceitivement  :  cette 
union  étoit  regardée  dans  ce  tems  comme  légitime ,  en  fuppofant  qu'on 
n'en  eût  qu'une  à  la  fois  ;  &  tel  eft  le  cas  où  fut  Charlemagne. 


CARACTERE 

CHARLEMAGNE, 

Par  M.  Cka  ME  Ky  dans  fon  Hifioin  UnivcrftUc^  en  Allemand ^ 

étoit  et  morceau  cft  tiré. 

un  vafte 
La  con*- 
qu'il  n'y  avoir  qu'un  génie  aufli 
extraordinaire  que  le  fien ,  qui  pût  foutenir  cette  monarchie  dans  le  degré 
de  fplendeur  auquel  elle  étoit  montée.  Il  avoit  fous  fa  domination  un 
nombre  infini  de  peuples  ^  qui  fè  méprifoient  &  fe  portèrent  envie  réci*' 
prôquement.  La  concorde  avoit  difparu  du  milieu  des  Francs  ^  &  la  jaloufîe 
régnoit  entre  les  habitans  de  l'Auftrafie  &  les  Neuftriens.  Les  autres  peu- 
ples qui  anciennement  étoient  libres ,  n'avoient  été  foumis  la  plupart  que 
Ear  la  force  vidorieufe  de  fts  armes.  Les  Lombards  &  les  Bavarois  n'o- 
éiffoient  qu'à  contre-cœur.  11  n'y  eut  jamais  de  guerre  plus  fanglante  & 
plus  ruineufe  que  celle  qu'il  fit  aux  Saxons.  Wittiking  ne  mérita  pas  moins 
que  Charlemagne  le  nom  de  héros  :  il  ne  lui  manquoit  que  d'être  aufli 
prudent ,  auffi  heureux  ^  &  aufli  puifTant  que  lui.  On  pouvoir  regarder  les 
Danois  comme  des  voifins  d'autant  plus  dangereux ,  que  Geodfroy  leur  Roi 
étoit  intrépide  &  grand  politique.  Le  caraâere  belliqueux  &  les  excès  des 
Huns  &  des  Sarrafins  les  rendoient  redoutables.  La  Nobleife  de  l'Etat' 
étoit  brave  à  la  vérité ,  mais  inquiète  &  accoutumée  à  prendre  part  au 
gouvernement.  Le  pouvoir  dont  jouiffoient  les  Ducs  &  les  Comtes  qui 
gouvernoient  les  Provinces»  les  fiufoient  penfer  fouvent  à  l'indépendance. 
Le  Monarque  avoit- il  befoin  d'une  armée ,  il  étoit  à  certains  égards  fou- 


Tome  XI.  Ddd 


A 


)9^  C  H  A  R  L  B  M  A  G  N  E.    (  Ctiritaerc  4*) 

jdes  armëe^  qui  ne.  dépendent  pas  des  autres  parties  At  TEtat ,  Cr  quH  y 
A  des  loix  qui  non-feulement  les  foumettent  au  Prince  ^  mais  qui  les  ibnt 
nème  fervir  à  contenir  dans  robéif&oce  le  refte  des  fujêts.    Telle  n^ëtoit 
pas  Tarmée  de  Charlemagne,  Il  fut  obligé  de  partager  l'autorité  fbuveraine 
avec  la  Nobleffe  &  le   Clergé  ;  &  malgré   cela ,    perfonne ,    ni  avant  ni 
'après  lui,  n'a  gouverné  l'Occident  avec  plus  de  bonheur,  &  n'a  joui  d'un 
pouvoir  plus  ilUmiré  que  le  fien.  Outre  ces  obftacles  qui  s'oppofoienc  à  là 
domination ,  il  eut  encore  l'ignorance  &  la  barbarie  de  fbn  fiecfeà  fiirmoo- 
ter.  Les  arts  &  les  fciences  avoient  été  inconnus  jufqu'à  lui)  mais  de  tout 
l'qfpace  des  fix  premiers   ficelés  qui  s'écoulèrent  depuis  ce  Prince  &  fous 
fts  defcendans,  le  temps  de  fon  règne  fut  fans  contredit  celui  où  l'oo 
vit  le  plus  de  lumières  &  de  favoir.  Quant  à  fon  père  &  à  fes  conquêtes, 
on  peut  comparer  Pépin  à  Philippe  de  Macédoine ,  &  Charles  à  Alexandre. 
Ses  talens  &  fes  aâions  l'éleverent  même  en  quelque  forte  au-defTus  de 
Louis  XIV.  Car  il  exécuta  par  lui-même  ce  que  Louis  a  fait  par  Colberr. 
On  a  coutume ,  lorfqu'on  veut  louer  de  grands  Princes  y  de  les  mettre  ea 
pai;allele  avec  AuguAe^  le  fondateur  de  la  monarchie  Romaine,  dont  Ho- 
race &  Virgile  ont  tranfmis  le  nom  à  la  poftérité.    La  comparaifon  avec 
Charlemagne  feroit  peut-être   plus  noble  oc  plus  fouvent  employée ,  sH 
avoit  eu  de  pareils  honmies  pour  panégyriftes ,  ou  fi  on  lifoit  un  Egifl- 
hard,  les  Chroniques  du  Moyen  Age^  cl  les  Capitulaires  ^  avec  autant  de 
plaifir  qu'on  lit  Dion  &  Suétone. 

Charles  poflédoit  tout  ce  qui  peut  concilier  à  un  Prince  la  confidératioa 
&  le  refpeéè.  La  nature  ne  lui  avoit  refufé  aucune  des  qualités  extériea* 
ces  qui  font  fur  les  peuples  une  impreifion  favorable.  Il  étoit  fort  & 
jEobufte  ;  fa  taille  (ans  être  trop  haute  ,  étoit  avantageufe  ;  il  avoit  l'oeil 
vif,  &  le  nez  beau.  Les  fa  vans  ont  prefqu'autant  parlé  de  fa  barbe  qae 
de  fon  caraâere.  Monter  à  cheval ,  nag;er ,  chaifer ,  c'étoient  ies  occu- 
pations auxquelles  des  peuples  aufiî  belliqueux  que  les  Francs ,  troavoieot 
un  plaifir  infini.  Il  les  furpafîbit  tous  dans  ces  exercices.  Autant  fa  Cour 
étoit  brillante,  autant  y  avoit-il  de  fimplicité  dans  fes  vêtemens;  j'en  ex* 
cepte  ces  jours  de  cérémonie  ,  où  il  convenoit  que  le  chef  fourint  la  gloire 
de  FEtat.   Il  fe  rendit  fur-tout  recommandable  aux  peuples  par  (on  goût 

êour  leurs  vêtemens  nationaux  \  il  ne  porta  des  habits  à  fa  Romaine  qu^ 
Lomé ,  deux  fois  feulement ,  &  pendant  peu  d'heures ,  uniquement  pour 
déférer  aux  inftances  du  Pape. 

Il  fut  héros  dès  fon  enfance.  Il  triompha  par^tout  où  il  fe  trouva  eo 
perfonne  ;  &  ce  qui  eft  plus  remarquable  encore  ,  c'eft  que  la  viftoire 
accompagna  toujours  fes  généraux.  Aucun  Prince  ne  paya  mieux  de  ft 
perfonne  dans  le  danger;  aucun  ne  fut  l'éviter  avec  plus  de  fageflè.  Il 
furmonta,&  même  fans  efforts,  ces  .dangers  auxquels  les  grande. jÉnqué" 
rans  ne  font  oue  trop  expofés ,  je  veux  dire ,  les  conjurations.  SÏPprojecs 
éfoient  vaftes  oi  les  moyens  qu'il  employoic  pour  les  exécuter  étoientfiai' 


Û  H  A  R  I  E  M  A  G  N  E.    (  CaraOere  it  )  39^ 

pies.  Il  coDduiroit  les  pliis  grandes  entreprifes  avec  une  fitdlfté  admira* 
Ue  y  &  achevoic  les  plus  difficiles  avec  une  rapidité  étonnante.  Son  regnt 
vît  naiore  de  toute  part  de$  troubles  fans  nombre ,  &  cependant  il  paci^ 
£a  tout. 

Il  mit  des  bornes  au  pouvoir  des  nobles  qui»  à  l'exemple  de  leurs  an^ 
cétres ,  cherchoient ,  en  opprimant  le  clergé ,  à  s'élever  toujours  plus.  Il 
les  employa  dans  toutes  Tes  entreprifes  ,  &  ne  leur  laiflant  pas  affez  de 
loifir  pour  former  des  projets  ^  il  les  obligea  à  n'être  occupés  que  de  feft 
intérêts.  Comme  Ton  Empire  étoit  d'une  extrême  étendue,  il'avoit  à  crain^ 
lire  que  ceuiT  qu'il  établiflbit  fur  les  frontières ,  ne  fuflfent  tentés  de  fe  ré« 
▼olter.  Par  cette  raifon  il  efpéra  trouver  plus  de  zele  &  de  fidélité  dan^ 
le  clergé.  De-là  vient  qu'il  fonda  en  Allemagne  plufieurs  Evêchés  qu'il 
combina  avec  des  fiefs  itîiportans.  Les  Evêques  n'étoient  pas  fîmplement 
des  Pafteurs  dans  leurs  Evéchéi;  c'étoient  encore  des  Seigneurs  &  des 
Juges  qui  jouifloient  de  tous  les  droits  anciennement  attachés  aux  fiefs.  Il 
avoir  principalement  en  Saxe  un  grand  nombre  de  pareils  vaffaux.  Il  ne 
craignoit  pas  non  plus  que  ces  peuples,  ennemis  jurés  du  Chriftianifmè , 

J^agnafTent  les  Evêques ,  &  fiflent  entrer  dans  quelque  conjuration  des  Pré- 
ats  qui  avoient  un  trop  grand  befoin  de  fon  fecours  pour  fe  maintenir 
contre  les  infidèles  ;  d'ailleurs ,  outre  l'attachement  qu'il  avoit  droit  de  fe 
promettre  de  ces  Miniftres ,  il ,  pouvoit  encore  fe  flatter  que  leurs  inf^ 
truâions  rendroîent  infenHblement  cette  nation  plus  docile,  &  moins  fauvage. 
S'il  étoit  demeuré  toujours  renfermé  dans  fa  chère  ville  d'Aix ,  les  efforts 
&  les  rebellions  de  tant  de  peuples  inquiets  auroient ,  (inon  renverfé  ,  du 
moins  confidérablement  ébranlé-  (on  trône  ,  mais  ceux  de  fes  vaflaux  qui 
penchoient  à  la  révolte ,  n'ofoient  que  bien  rarement  faire  parolcre  leurs 
difpofitions  y  ayant  fa  préfence  à  craindre  à  chaque  inftant.  Sa  Cour  n'a- 
▼oit  point  de  réfidence  fixe;  il  étoit  préfent  par-tout,  &  faifeit  lui-même 
les  arrangemens  nécefTaires ,  par-tout  où  une  partie  du  corps  immenfe  dé 
l'État  menacoit  de  s'écrouler. 

De  fon  temps  les  Danois ,  redoutables  fur  mer ,  pilloient  les  vaifleaux  & 
dévafloient  prefque  toutes  les  côtes  de  l'Europe.  Celles  de  fes  Etats  fouf* 
frirent  beaucoup  de  leurs  pirateries.  Mécontent  de  n'être  pas  auflii  refpeâé 
fur  mer  que  fur  terre ,  il  réfolut  de  fe  rendre  maître  de  l'Océan.  Le  pro- 
jet étoit  hardi ,  les  forces  des  Normands  étant  aufli  confidérables  qu'elles 
l'étoient.  Mais  chez  ce  Prince ,  réfoudre  &  exécuter  étoit  la  même  chofe. 
Son  courage  &  fon  génie  triomphoient  de  tous  les  obftacles.  On  ignoroit 
alors  l'art  de  conftruire  de  gros  vaiffeaux  ;  il  trouva  le  moyen  d'en  faire 
de  cinq  ou  fix  rangs  de  rames.  Lui-même  apprit  aux  matelots  \  lancer,  à 
Paide  des  leviers,  les  vaiffeaux  en  mer,  à  côtoyer  le  rivage,  à  attaquer,  à 
fe  défendre  ;  &  bientôt  il  eut  une  flotte  de  quatre  cents  galères.  Peut-être 
même  auroit-il  fubjugué  tout  le  Nord ,  fi  les  invafions  des  Sarrafins ,  & 
de  nouveaux  troubles  en  Italie  ne  l'en  euffent  empêché. 

Ddd  % 


39^  C  H  A  R  L  E  M  Al  G  N  E.    (  CafaStn  dt  ) 

Il  ne  fe' contenta  pas  de  rendre  fes  fujets  redoutables }  il  irouluc  encore 
les  enrichir.  Dans  cette  vue,  il  réfolut  de  faire  avec  le  temps  de  l'Alle- 
magne &  de  TAuflrafie  le  centré  du  commerce  de  PAfie  &  de  l'Europe.  Il 
fit  lui-même  des  plans  de  canaux  qui  dévoient  réunir  le  Danube,  le  Rhin, 
&  le  Rhône.  II  fe  propofa  d'ouvrir  de  nouveaux  chemins  par  la  Mer  du 
'Nord  dans  la  Mer  Npire,&  de  ces  deux  mers  dans  la  Méditerranée.  Le 
canal  par  lequel  il  vouloit  réunir  le  Rhin  &  le  Danube  devoit  avoir  trois 
cents  pieds  de  largeur ,  &  aflez  de  profondeur  pour  porter  des  vaifTeaux 
de  guerre ,  mais  le  terrein  par  lequel  il  devoit  paffer ,  fe  trouva  mou ,  trop 
marécageux,  &  comme  l'art  de  deffécher  les  terres  &  de  les  affermir, 
ëtoit  encore  inconnu ,  îl  fallut ,  après  avoir  pouffé  l'entreprife  jufqu'à  mille 
pas ,  s'en  défîfter. 

Quelque  peu  de  fuccès^ qu'ait  eu  ce  projet,  il  prouve  pourtant  la  force 
du  génie  de  fon  auteur,  &  mérite  d  autant  plus  l'admiratioQ ,  que  les 
fomnies  immenfes  qu'il  abforba ,  ne  chargèrent  point  les  fujets  de  Charte* 
magne ,  &  ne  portèrent  aucune  atteinte  aux  avantages  qu'il  fut  leur  pro- 
curer par  des  voies  plus  heureufes.  Les  tréfors  que  le  butin  qu'il  fit  ï  la 
guerre,  mit  entre  ^ts  mains,  contribuèrent  fans  doute  beaucoup  à  lui  faire 


à  leurs  tréfors,  que  quand  c'efl  de  fa  bonté  qu'ils  les  tiennent;  c'eft  pour^ 
quoi  il  répandit  au  milieu  de  fes  peuples^  avec  la  plus  grande  généroiité, 
les  fommes  immenfes  qu'il  avoit  ramaflées  en  Italie ,  &  celles  que  foa 
iils  Pépin  trouva  dans  le  camp  des  Huns  vaincus.  Peut-être  auffi  avoit*ii 
en  vue  d'adoucir  un  peu  par  l'abondance,  l'humeur  trop  guerrière  des  Al* 
lemands  ;  mais  il  manqua  fon  but.  L'or  des  Pannoniens  fit  éclore  le  goftc 
du  luxe  &  de  la  volupté  dans  les  divers*  Etats  de  l'Empire.  La  pauvreté 
qui  en  avoit  fait  de  fi  vaillans  foldats,  devint  méprifable.  Ces  maux  ce- 
pendant ,  qui  font  toujours  inféparables  de  la  profpérité ,  ne  pouvoient  gagner 
beaucoup  fous  un  Prince  qui  favoit  les  réprimer  par  de  fages  ordonnancés 
foutenues  de  fon  propre  exemple.  Ce  ne  fut  que  fous  des  Rois  foibles  que 
la  Monarchie  trouva  fa  perte  dans  ce  qui  &t,  fous  des  Princes  fages, le 
bonheur  &  la  gloire  d'un  Etat.  Les  Allemands ,  ces  peuples  autrefois  in- 
^;^  vincibles ,  ne  furent  enfevelis  fous  leur  propre  grandeur ,  que  fous  la  do* 
''      mination  d'un  Louis-le-Débonnaire  &  de  Tes  delcendans. 

Charles  étoit  auffi  économe  que  libéral.  Un  père  de  famille  peut  appren* 
dre  dans  fes  loix  l'art  de  gouverner  fa  maifon.  On  y  voit  les  fources  pures 
&  facrées,  dans  lefquelles  il  puifa  les  richeffes.  Le  foin  avec  lequel  il  o^ 


F 


C  H  A  R  L  E  M.À  G  N  I^.     (CaraSert  de)  397 

qu^iin  Monarque  qui  comtnlDdoit  depuis  la  Baltique  jufqu^aux  Pyrénées, 
&  qui  eut  prefque  toujours  des  guerres  à  foutenir  ^  ait  pris  foin  de  Tes 
forèt$ ,  des  pâturages  y  des  ruches ,  de  la  pêche ,  du  jardinage ,  de  Tàgriculr 
ture,  en  un  mot,  de  tout  ce  qui  appartient  à  Téconomie  rurale,  au  point 
qu'on  étoit  obligé  de  lui  en  faire  le  rapport  le  plus  exaâ  &  le  plus  cir- 
conftancié?  Il  nommoit  jufqu'aux  fleurs  &  aux  herbes  qu'il  vouloir  qu'on 
cultivât  dans  fes  jardins.  Charlemagne ,  (  qui  le  croiroit  !  )  s'occupoit  de  la 
rue ,  de  la  fauge ,  du  romarin  ,  &  de  bien  d'autres  plantes  femblables.  Il 
ordonna  de  vendre  les  poiflbns ,  &  les  œufs  de  fts  métairies ,  les  herbes 
ruperflues  de  fts  jardins ,  &  de  les  porter  en  compte.  On  dira  peut-être 
qu'il  avoit  fait  dans  la  fcience  de  l'économie ,  plus  de  progrés  qu'il  ne 
convient  à  un  Empereur  ,  mais  qu'on  fe  fouvienne  que  cet  Empereur 
ui  gouvernoit  avec  tant  de  foin  fes  domaines  ,  répandit  parmi  les 
Vancs  les  richefles  des  Lombards ,  &  les  tréfors  des  Huns  qui  avoient  pillé 
la  terre. 

Grand  Légiflateur,  il  fit  d'excellens  réglemens  ;  il  fit  plus  encore,  il 
les  fit  obferver.  Les  Rois  fes  fils  étoient  fes  premiers  fu jets ,  minifires  de 
fon  pouvoir  &  modèles  de  l'obéiflance  qu'il  exigeoit.  On  trouve  dans  fes 
loix  un  efprit  de  prudence  qui  embraffe  tout,  &  une  force  de  perfuafion 
qui  entraine  les  cœurs.  I!  obvie  aux  prétextes  que  les  hommes  inventent  A 
pour  fe  difpenfer  de  leurs  devoirs.  Les  négligences  furent  réparées,  les 
abus  ou  abolis ,  ou  prévenus ,  ou  étouffés  dès  leur  naiffance.  Charles  favoit 
punir  les  violateurs  des  loix  \  il  favoit  auffi  pardonner  à  propos.  Enfin  il 
porta  fi  loin  Part  de  gouverner ,  qu'il  adoucit  le  caraâere  des  peuples  Bar^- 
bares  de  fon  Empire,  peuples  qui  ne  connoifToient  avant  lui  d'autre  féli- 
cité que  celle  de  vivre  dans  une  liberté  fauvage^  il  les  foumit  au  joug  de 
la  railon,  à  celui  des  loix  &  de  la  religion. 

La  différence  des  droits  &  des  coutumes  de  fes  Etats  étoit  un  vice  caché  ^ 
&  funefte  à  la  Monarchie.  Il  comprit  l'embarras  qui  réfultoit  des  déci- 
fions  contraires  des  loix  Romaines ,  Allemandes ,  Saliennes  ,  Ripuariennes , 
Bavaroifes,  Saxonnes  &  Lombardes.  Il  réfolut  en  conféquence  de  faire  un 
code  commun  pour  tous  fes  peuples.  Il  voulut  tirer  des  loix  déjà  connues  ce 
qu'il  y  avoit  de  meilleur ,  corriger  ce  qu'elles  renfermoient  de  défeâueux  » 
ajouter  ce  qu'il  y  manquoit ,  &  en  faire  difparoitre  les  contradiâions.  Il 
lit  rafTembler  pour  cet  effet  les  loix  qui  étoient  déjà  écrites  ,  &  écrir* 
celles  qui  ne  l'étoient  pas.  Il  efl  fâcheux  qu'il  n'ait  pu  conduire  à  fa  fin 
une  auffi  belle  entreprife.  Les  Francs  auroient  fans  doute  été  heureux  d'a- 
voir un  pareil  code,  dont  les  différentes  parties  fe  feroient  foutenues.  Se 
confervées  dans  une  intime  liaifbn  ;  mais  quoique  Charles  n'ait  pu  ache- 
ver cet  ouvrage  par  des  raifons  qu'Eginhard  n'indique  pas  ;  il  donna  ce- 
pendant de  temps  en  temps  les  loix  les  plus  falutaires  &  dont  la  fagefle 
fe  manifëfie ,  fur-tout  lorfqu'on  penfe  aux  trifles  conjonâures  de  ces  temps- 
là.  Ce  Monarque  étoit  fi  occupé  du  foin  de  fon  Empire ,  qu'il  avoit  toutes 


/, 


}98  C  H  A  R  L  E  l)  A  G,N  E.    (  CaraSen  de) 

les  nuits  des  tablettes  (bus  fon  chevet  pour  y  marquer  ce  qu'il  ittaginott 
d'utile ,  dans  les  momens  où  il  ne  dormoit  pas« 

A  l'exemple  d'Alexandre  Sévère»  il  confèroit  de  tout  avec  les  plus  ha- 
biles de  fes  Confeillers.  Il  minutoit  lui-même  les  loix  qu'on  foumettoit 
enfuite  au  jugement  des  Etats  civils  &  eccléfiaftiques,  après  Tapprobatioa 
defquels  elles  étoient  rendues  publiques.  Le  but  principal  de  ces  loix  étoit 
de  corriger  les  défordres  qui  régnpient  parmi  le  clergé.  Outre  les  régie» 
mens  généraux  qui  concernoient  tous  fes  fujets,  il  améliora  les  loix  des 
Saiiens ,  des  Ripuaires ,  des  Saxons ,  des^  Lombards ,  &  y  ajouta  de  bons 
fupplémens.  Charles  avoit  des  Ducs  &  des  Comtes.  Les  premiers  condui* 
/oient  les  armées ,  &  les  féconds  rendoiem  la  juflice  dans  les  Provinces; 
Afin  qu'on  pût  appeller  de  leurs  arrêts  »  il  établit  à  fa  Cour  divers  tri* 
bunaux  qui  conflrmoient  ou  cafToient  ces  featences«  Ces  Juges  fupérieurs 
s'appelloient  Comtes  Palatins ,  parce  qu'ils  étoient  Officiers  du  Palais  de 
l'Empereur, 

Charles  avoit  d'excellens  Généraux ,  &  de   prudens  Confeillers  ;  mais  ce 
qui  mérite  encore  plus  d'admiration,  il  n'avoit  point  de  favori.  Il  régnoit 
.         par  lui-même.  Fauftrade  fut  de  toutes  {^%  femmes  la  feule  qui  eut  un  peu 
trop  de  crédit  auprès  de  lui.  Théodulfe,  Evêque  d'Orléans.,  exalte ,  il  eft 
vrai ,  la  piété  de  cette  Princeffe  ;  mais  ces  éloges  fe  trouvent  dans  une  épi* 
caphe  &  le  Panégyrifte  étoit  Poète.  Fierc  &  cruelle,  elle  prit  une  fois  l'aA 
'       cendant  fur  fon  époux  au  point  de  le  faire  entrer  dans  (es  fureurs ,  con<« 
tre  quelques  grands  de  l'Empire*  Audi  cette  démarche  penfa-t-elle  perdre 
l'Empereur  \  car  il  fe  trama  une  confpiration  fecrete  &  dangereuse ,  qui  ne 
tendoit  pas  à  moins  qu'à  lui  ôter  la  vie  \  mais  elle  fut  découverte  &  diT* 
fipée  peu  avant  le  terme  où  elle  devoit  éclater. 

La  piété  de  Charles  étoit  plus  éclairée ,  qu'on  n'auroit  lieu  ,  vu  la  fuperA 
tition  &  les  ténèbres  de  ce  temps,  de  l'attendre  d'un  Prince  qui  peôdant 
tout  fon  règne  fut  occupé  de  guerres  continuelles.  Il  exigea  des  eccléfiaiti- 
\  ques  qu'ils  donnaient  à  leurs  difciples  des  idées  raifonnables  de  la  reli'* 
gion  ;  il  écrivit  lui-même ,  ou  fît  écrire  fous  fon  nom ,  contre  le  culte  i^ 
images.  11  ordonna  expreflëment  par  un  Capitulaire ,  qu'on  n'employeroit 
que  des  hommes  raifonnables  &  d'un  âge  mûr ,  pour  copier  les  faintes  Ecri* 
fures«  Il  fit  revoir  &  corriger  avec  grand  foin  le  vieux  &  le  nouveau  tef- 
ument.  II  écrivit  à  fès  Abbés  &  \  {t.^  Evêques,  les  exhortant  à  s'ap{)Ii- 
/  quer  à  l'étude  des  fciences  humaines.  11  vaut  mieux,  dit-il,  faire  le  bien 
/  '  que  le  connoltre ,  mais  il  faut  le  connoitre  pour  le  faire.  Il  adiftoit  avec 
^ele  au  fervice  Divin.  Il  ne  négligeoit  pas  même  les  exercices  qyi  fe  ^* 
foient  alors  de  nuit.  J'avoue  que  les  voles  qu'il  employa  pour  &ire  em* 
braffer  le  Chriftianifme  aux  Saxons  vaincus ,  font  peu  conformes  à  l'ef«' 
prit  de  notre  fainte  religion.  On  peut  dire  qu'il  les  força  à  changer  une 
fuperftition  contre  une  autre ,  puifqu'on  les  conduifit  au  baptême  l'épée  \ 
U  main.  Mais  qui  oferoit  exiger  avec  équité  d'un  génie ,  quelque  graod 


?. 


G-H  A  R  1  E  M  A  G  N  Ê.     (  Carackn  dé)  ^99 

^u^il  foie  9   ^bs  quHI  appartient  au  fiuitieme  fîecle ,  qu'il  égale  dans  toutes 

es  parties  un  génie  même  médiocre  du  dix-^huitieme? 

Riçn  ne  mérite  plus  Padmiration  de  la  poftérité  que  (on  amour  pour  les 
connoifTances  folides  &  pour  les  arts  utiles.  Les  fcrences  avoient  été  en« 
Hérement  bannies  de  rAlIemagne  depuis  les  défordres  bccafionnés  par  les 
Barbares  qui  inondèrent  tout  l'Occident.  Comment  auroient-elles  pu  fleu- 
rir/ ou  feulement  fe  fbutenir,  les  peuples  n'ayant  pas  d^occupation  plus 
fireffante  que  celle  de  conferver  leur  vie  &  de  défendre  leurs  pofleflîons} 
1  s'élevoit  de  tems  en  tems  ,  il  eft  vrai ,  de  grands  hommes ,  pour  difliper 
ces  ténèbres  prefqu'univerfelles  ;  mais  leurs  efforts  ne  produifoient  que 
âes  eiFets  pafTagers.  Les  eccléflafiiques  étoient  aflez  habiles  lorfqu'ils  favoient 
lire  &  écrire.  Charles ,  qui  fe  portoit  à  tout  ce  qui  eft  véritablement  grand  ^ 
mit  fin  à  cette  éclipfe  générale  des  fciences  &  des  arts.  Il  les  ranima  dani 
fes  États;  il  appella  tou$  les  hommes  à  talent  qu'il  put  découvrir;  ils  les 
combla  de  bienfaits  ;  &  l'intimité  dans  laquelle  il  vivoit  avec  eux ,  réveilla 
le  goût  &  Tamour  de  l'étude.  En  ceci  il  fut  encore  le  premier  qui  donna 


i 


qu'il  cheriffoit  le  plus.  Il  fut  à  nlaindre  de  ce  que 
providence  ne  jugea  pas  à  propos  de  faire  naître  fous  fon  règne  de  plus 
grands  hommes  qu'un  Alcuin ,  un  Pierre  de  Prie,  un  Téodulfe,  &  d'autres 
ieml>lables.  Auffi  s'écria-t-il  avec  raifon ,  vu  cette  difette  d'heureux  génies . 
àh  !  (i  j'avois  une  douzaine  d'hommes  anflî  doQes  qu'Auguftin  &  Jérôme  î     . 
Peut-être   auroit-il  plus  fait  avec  eux  qu'Augufïe  avec  (es  Horaces  &  fes    A 
Virgiles ,  ou  Louis  XIV  avec  toutes  (es  académies.  C'eft  ce  qu'on  peut  /  ^ 
conclure  de  la  réponfe  que  fit  Alcuin  avec  un  peu  de  dépit  à  ce  vœu  (i 
lage.  Quoi ,  Sire ,  le  maître  des  cieux  &  de  la  terre ,  n'a  eu  que  deux  hom« 
ines  de  ce  mérite  tranfcendant ,  &  vous  en  voulez  douze. 

Malgré  cela  il  fe  forma  bientôt  deux  académies  à  fa  cour;  on  élevoit 
dans  l'une  de  jeunes  nobles  auxquels  il  dtftribuoit  des  récompenfes ,  fui- 
vant  les  progrès  qu'ils  avoient  faits  dans  les  fciences.  L'autre  confîftoit  en 
(avans  qui  &'a(reny>loient  dans  fon  palais  pour  s^y  entretenir  fur  des  matiè- 
res relatives  aux  arts  &  aux  belles-lettres.  Quelque  nombreufes  que  fuffent 
fcs  occupations ,  il  fe  ménagoit  toujours  Mez  de*  loi(ir  pour  aflifter  à  ces 
conférences.  Chacun  des  membres  de  cette  célèbre  affemblée  avoit  pris  un 
nom  difFérént  du  (ien  propre.  Charles  s'appelloit  David ,  Alcuin  Flaccus  A1-- 
bianus  ;  l'Archevêque  de  Mayence  Dameras ,  &  celui  de  Trêves  Macérias  ; 
Vala  étoit  Arfenes  ;  A  délard ,  Abbé  de  Corbie,  Auguftin;  &  Angilbert, 
jeune  Cavalier ,  élevé  I  la  cour ,  Homère.  Charles ,  pour  infpirer  le  goût  des 
fciences  à  fes  fujets ,  &  leur  en  donner  l'exemple ,  pouflfa  la  complaifance 
jufqu'à  apprendre  dans  fa  vieilleffe  l'art  de  bien  former  les  lettres.  Il  com- 
prit que  pour  didiper  l'ignorance  de  fon  (îecle ,  il  falloir  qu^il  fût  non  feu-* 
lemem  le  Monarque ,  mais  encore  le  Doâeur  de  fes  fnjets  ^  &  il  le  fut 


409  C  H  A  R  L  E  M  A  G  N  E.    (CaraSere  de) 

^      en  effet.  Non  content  de  reprocher  aux  Moines  &  aux  Abbés  qui  lui 

voient ,  la  grofliéreté  dé  leur  (lyle  &  la  barbarie  du  Latin  de  leurs  lettres  ^ 
il  entreprit  de  faire  une  Grammaire  pour  Ton  peuple  ,  dans  laquelle  il 
corrigea  plufieurs  mors  francs  qui  étoient  moitié  étrangers  &  moitié  latins. 
Il  parloit  au(G  bien  cette  dernière  langue  que  fà  langue  maternelle.  Peut- 
être  étoit-il  avec  cela  le  meilleur  Poëte  de  Tes  immenfes  États.   Un  aufH 
bel  exemple  fit  naître  le  goût  de  l'imitation,  chez  les  Moines,  chez  les 
Laïques ,  chez  les  Courtifans  »  &  même  chez  le  beau  fexe  ;  parmi  lequel 
on  compta  dts  Agronomes.  L'amour  des  fciences  devint  dans  l'efpace  de 
vingt  ans  la  mode  de  la  cour  :  &  comment  cela  n'auroit-il  pas  été  ;  puiP 
A    que  Charles  s'occupoit ,  même  pendant  les  heures  de  Tes  repas ,  à  enten* 
/        dre  la  leâure  des  anciens?  Il  petfeâionna  la  Mufique  dans  le  fervice  di via ^ 
&  fit  venir  pour  cela  les  meilleurs  chantres  d'Italie.  Les  édifices  qu'il  fie 
conflruire ,  prouvent  Ton  goût  pour  les  arts«  Aix  étoit  Ton  féjour  favori ,  il 
y  fit  bâtir  un  temple  &  un  palais  fuperbe ,  où  les  règles  alors  connues, 
furent  exaâement  obfèrvëes. 

Du  moins  efl-il  certain  qu'il  lifoît  Vîtruve.  On  lui  fît  préfent  d'un  cabinet 
dont  les  colonnes  d'ivoire  étoient  travaillées  d'après  les  principes  de  cet  Avf 
teur ,  &  Eginhard  affure,  que  cet  ouvrage  étoit  réellement  dans  le  gourdes 
anciens  Romains.  Les  bains  chauds  furent  une  des  raifons  principales  ^ui 
portèrent  Charles  à  préférer  Aix  aux  autres  villes ,  &  ^  l'embellir.  Ceshuni 
ornés  de  Heges  magnifiques  &  de  degrés  de  marbre,  étoient  fi  vafles  que 
cent  perfonnes  pouvoient  s'y  baigner  à  la  fois.  L'Allemagne ^  la  France,  llta* 
lie  montrent  encore  bien  des  relies  des  édifices  conflruits  fous  cet  Empereur. 
Si  le  Monarque  étoit  grand ,  l'homme  ne  l'étoic  pas  moins.  Charles  fût 
prefque  conflamment  maître  de  fes  paflions.  Sa  tempérance  étoit  grande: 
il  lui  devoit  cette  famé  ferme  que  ni  fcs  campagnes,  ni  les  foins  du  gou- 
vernement, ni  fes  favantes  occupations  n'avoient  pu  altérer.  Il  avoir  l'art 
de  defcendre  jufqu'à  la  familiarité  »  fans  avoir  à  craindre  qu'on  s'écartât 
du  refpeâ  qui  lui  étoit  dû.  Il  n'y  eut  que  lui  qui  ofa  ^'expofer  à  fe  met- 
tre à  la  nage  avec  les  foldats  de  fa  garde  ^  dans  les  bains  chauds  dMix* 
A  la  guerre  il  fembloit  n'être  qu'un  fofdat,  quoiqu^il  ^t  un  grand  Capi" 
taine.  Sans  oublier  fon  tznZf  il  converfoit  avec  les  ccrartifans  comme  s'il 
eût  été  leur  égal.  On  ne  fauroit  difconvenir  qu'il  n'aimât  la  gloire  &  l^ 
éloges ,  mais  c'étoit  de  manière  qu'aucun  flatteur  ne  pouvoir  le  corrom- 
pre. Inconfiant  dans  fes  amours ,  il  manqua  quelquefois  à  la  fidélité  coo^ 
jugale;  aufli  fut*ce  prefque  là  l'unique  tache  de  la  vie  :  mais  qui  n'auroit 
quelqu'indulgence  pour  un  Charlemagne?  On  n'a  pas  befoin  de  demander 
à  préfent  Comment  la  Monarchie  des  Francs  s'éleva  vers  la  fin  du  huitième 
(iecle  à  un  fi  haut  degré  de  grandeur,  &  acquit  tant  d'éclat.  La  Providence 
fufcita  Charles  qui  fut  digne  du  nom  de  grand  \  elle  le  doua  d'un  génie  fu- 
périeur  &  enchaîna  la  viâoire  à  fon  char,  pour  montrer  que  les  talens 
&  les  vertus  des  Princes  font  les  feules  caufes  du  bonheur  des  peuples. 

CHARLES  V, 


CHARLES    V,    Roi  de  France.  40 1 


CHARLES  V,  furnommé  Le  Sage,  Roi  de  France^  né  au  bois 
de  Vincennts  le  zt  Janvier  133'/  ^  Roi  depuis  z^Sj^  jufqu'cn  1380, 
&  regardé  comme  le  rejlaurateur  de  la  Monarchie  Frangoije. 


s 


)^  I  la  voix  puiflante  qui  appelle  tous  les  êtres  de  la  nuit  du  néant ,  en 
créant  Tame  d^un  Monarque,  lui  dévoiloit,  en  même-temps,  les  dangers 
qui  Pactendenr;  Ci  elle  daignoit  lui  dire  :  d  O  toi,  qui  vas  mouvoir  un 
V  corps  mortel,  je  te  laiflè  maitrefTe  de  tes  deftins,  veux-tu  ceindre  le 
»  bandeau  des  Rois,  ou  traîner  le  foc  de  la  charrue?  Examine  &  prb- 
»  nonce.  "  Je  crois  entendre  cette  ame  éclairée  répondre  au  Créateur  : 
»  O  Dieu,  éloigne  de  moi  ce  trifte  diadème.  Qui,  nioil  foutenir,  entre 
o  mes  foibles  mains,  l'immenfe  fardeau  de  la  royauté,  pourvoir  à  la  fû- 
s>  reté,  à  la  fubnftance  ,  aux  befoins  politiques  d^un  peuple  nombreux, 
»  être  l'adminiftrateur  de  la  juftice,  le  maître  des  opinions,  Tarbitre  da 
»  mœurs ^  ne  pouvoir  rien  faire  d'indifférent?  Accorde-moi  donc,  ô  Dieu^ 
»  un  double  degré  d'intelligence  ;  préferve-moi  de  cette  ivreffe  qui  ne  fur- 
«  prend  que  trop  dans  un  état  d'élévation  ;  fauve^moi  de  mon  propre 
s>  cœur,  ou  plutôt,  permets  à  un  atome ,  pénétré  du  fentiment  de  ià  roi- 
»  bfefle,  de  vivre  caché  dans  la  foule,  ann  que  je  ne  fois  un  jour  conip'^ 
p  table  devant  ton  trône ,  que  des  devoirs  d'un  homme ,  &  non  de 
»  ceux  d'un  Roi.  '* 

Mais  nous  naifibns  fans  choifir  notre  fort,  &  l'être  éternel  nous  impofe 
;\  fon  gré  les  devoirs  du  pofle  où  il  plaît  à  fa  Providence  de  nous  placer. 
IViftes  &  malheureufes  viâimes  du  bonheur  des  Etats,  vous  qui  êtes  liéf 
il  leurs  révolutions.  Princes  de  la  terre ,  (i  quelqu'un  a  droit  de  prétendre 
aux  éloges  des  honneurs ,  c'eft  vous  fans  doute.  Tous  les  cris  de  notre 
amour  &  de  notre  reconnoiffance,  peuvent-ils  vous  payer  des  foins  con- 
tinuels attachés  à  l'Empire;  &  lojfque  nous  voulons,  foibles  orateurs, 
louer  ce  Roi  qui  mérita  le  nom  de  Sage^  que  pouvons-nous  ajouter  à  la 
vénération  dont  jouit  fa  mémoire  ?  Ses  bienfaits  lubHftent  après  quatre  fîe- 
clés,  la  poftérité  a  parlé,  notre  admiration  devient  un  tribut  vulgaire. 
Cependant  quel  François  n'aime  point  à  (ignaler  fon  amour  pour  fes  Rois  ? 
Quel  ami  de  la  fageffe  ne  chérira  point  le  Monarque  qui  la  fit  afleoir 
fur  fon  trône?  Platon  (ixoit  l'époque  de  la  fëlicité  des  peuples  au  moment 
où  les  Sages  porteroient  la  couronne.  Sous  le  règne  de  Charles  V,  nos 
Pères  ont  vu  s'accomplir  cet  oracle  de  Platon.  11  faut  fe  repréfenter  la 
grandeur  des  obftacle^  que  Charles  eut  à  furmonrer,  pour  apprécier  digne- 
ment les  qualités  de  ce  Monarque.  Les  dangers  éprouvèrent  fa  jeunefle , 
il  fentit  de  bonne  heure  qu'il  étoit  né  pour  les  autres  &  non  pour  lui- 
même;  qu'efclave  honorable  de  fon  rang  il  devoir  en  refpeéler  les  fonc- 
tions, en  méditer  les  devoirs,  en  pratiquer  les  vertus.  Dans  un  corps  lan« 

Tome  XI.  Eec 


ijoi  CHARLES    V,   Roi  de  France. 

gaiiTant  il  portoit  .une  ame  fone,  intrépide ,  éclairée.  Il  craignoit  Dieu , 
il  aimoic  fon  peuple,  fon  temps  étoit  un  tréfor  ouvert  à  tous  fes  fujers; 
fes  occupations  ne  dépendirent  point  de  fon  goût  &  de  fon  caprice ,  elles 
furent  toutes  engagées  à  la  juftice  &  à  l'Ëtat. 

Apprenons  à  connoître ,  à  chérir  la  Royauté ,  en  voyant  le  fceptrè  dans 
les  auguftes  mains  de  Charles ,  atteindre  avec  force  d'une  extrémité  du 
Royaume  à  l'autre ,  difpofer  tout  avec  fagefle  &  douceur ,  être  le  point 
fixe  où  fe  rapportèrent  tous  les  intérêts  de  Tordre  civil.  Il  enchaîna 
toutes  les  paflions  particulières ,  il  les  fit  fervir  au  bien  général.  Il  fie 
plus  du  fond  du  cabinet,  que  n'eut  ofé  tenter  un  conquérant.  Il  rendit 
la  France  viâorieufe  au  dehors ,  &  floriffante  au  dedans ,  de  foible  & 
malheureufe  qu'elle  étoit.  Enfin  fa  fageffe  fut  rétablir  la  grandeur  de  la 
nation  dans  la  guerre,  &  fa  félicité  dans  la  paix. 

C'eft  fous  ces  deux  rapports  que  je  vais  l'envifager.  Que  les  Rois  font 
grands  lorfqu'ils  ont  ainfi  régné  !  Qu'il  eft  doux  de  leur  offrir  un  ju/le 
tribut  de  louanges ,  lorfque  leur  propre  exemple  a  conduit  les  hommes  ï 
la  vertu  ;  tandis  que  leur  autorité  contenoit  l'audace  &  la  rébellion. 

T.  Ce  fut  la  valeur ,  qui  de  fes  mains  triomphantes  éleva  le  Trône  des 
François.  On  avoir  vu  les  premiers  Capets ,  imitateurs  des  defcendans  de 
Mérovée ,  s'abandonner  tout  entiers  à  leur  courage  belliqueux  »  &  plus 
foldats  que  généraux ,  porter  à  l'excès  une  ardeur  téméraire  que  ferti- 
fîoient  encore  les  idées  gigantefques  de  la  chevalerie.  Ne  diflimuloos  pas 
qire  ces  (iecles  héroïques  étoient  barbares.  Inftruit  par  les  fautes  de  m 
père  &  de  fon  ayeul ,  Charles  comprit  que  le  titre  augude  de  chef  de  l'Etat 
avertit  les  Rois  que  c'eft  moins  du  bras  que  de  la  tête  qu'ils  doivent  fe  fervir , 
que  leur  valeur  confifte  à  voir  le  péril  de  fang-froid ,  fans  s'y  précipiter  avec 
hirie.  Il  comprit  qu'étant  l'âme  de  cent  mille  combattans  y  c'^toit  aifei 
pour  lui  de  tracer  le  plan  général  de  leurs  opérations ,  &  de  diriger  ï 
une  même  fin  tous  les  relforts  divers  qu'il  étoit  maître  de  faire  mouvoir. 

Rarement  les  Princes  reçoivent  une  éducation  conforme  à  leur  impor^ 
tante  deftinée.  Charles  fut  formé  par  l'adverfité  ;  ce  maître  terrible  & 
fublime  lui  mit  fous  les  yeux  la  chaîne  immenfe  de  fes  devoirs  ;  &  en 
même  temps  il  le  doua  de  cet  efprit  de  confeil  &  de  pénétration,  plus 
fort  que  le  torrent  paffager  des  armes.  Il  falloit  favoir  manier  le  génie  d'une 
nation  belliqueufe  &  fîere.  Charles  reconnut  qu'il  avoit  à  conduire  un  peu- 
ple indocile  &  malheureux.  Au  milieu  d'une  régence  orageufe  ^  il  fe  troo^ 
voit  parmi  les  écueilt  les  plus  terribles.  La  France'  épuifée  par  une  dé- 
faite fanglante ,  confiemée  par  la  captivité  de  fon  Roi ,  déchirée  par  fei 
Princes ,  livrée  tour-à-tour  à  la  foreur  du  peuple ,  &  à  l'ambition  des 
grands,  touchoit  à  fa  ruine.  Les  rênes  du  Gouvernement  flottoient  aban- 
données; chacun  s'empreffoit  à  les  faifir  :  on  vit  alors  un  Prince  de  dix* 
neuf  ans  créer,  pour  ainfi  dire,  fes  droits,  s'élancer  fur  le  timon  ,  arracher 
ces  rênes,  avec  fermeté,  des  mains  facrileges  qui  vouloient  les  ravir,  & 


l 


CHARLES     V,  Roi  de  France  403 

empêcher  les  faâieux  d'achever  l'ouvrage  de  l'ennemi.  Un  vainqueur  or* 
gueilleux  menaçoit  nos  frontières  entr'ouvertes  :  te  jeune  Dauphin  ,  fans  finan- 
ces, fans  vaiflèaux ,  fans  croupes  réglées ,  tenta  d'infpirer  un  nouveau  courage  à 
la  nation  entière ,  prefque  avilie ,  &  lui  découvrit  fes  refTources  lorsqu'elle 
fembloit  défefpérer  d'elle*même. 

A  cet  état  de  foibleffe  &  d'humiliation  ,  l'Angleterre  oppofoit  &  fa  puif* 
fance  &  fa  gloire.  Ayant  forcé  l'EcoiTeau  (ilence ,  fournis  l'Aquitaine  à  fon 
joug  &  la  Bretagne  à  fon  allié,  le  vainqueur  de  Calais  venoit  déjà  de  démem- 
brer &  fe  hâtoic  d'envahir  ce  Royaume ,  dont  la  loi  fondamentale  excluoit 
tout  maître  étranger.  Mais  le  bruit  des  armes  étouflknt  la  voix  de  la  juf- 
tice,  la  force  pouvoir  réalifer  ce  que  ces  prétentions  avoient  de  chiméri* 
ue.  Deux  fois  il  s'étoit  montré  téméraire ,  fans  en  porter  la  peine  :  deux 
bis  l'impatience  aveugle  de  nos  Rois  s'étoit  précipitée  dans  l'abîme  ou^ 
vert  pour  l'engloutir  ;  Edouard  étoit  triomphant ,  &  la  formne  avoir  cou- 
ronné jufqu'aU  noble  défefpoir  de  Ton  fils. 

Tandis  que  la  valeur  heureufe  de  ces  guerriers  attaquoit  à  découvert  le 
trône  des  Valois ,  la  fombre  politique  du  Roi  de  Navarre  en  fappoit  en 
fecret  les  fondemens  ébranlés.  Ce  tyran  farouche,  tranfplanté  fur  les  terres 
d'Efpagne,  tenoit  encore  à  la  France  par  des  riches  domaines,  plus  im- 
portans  par  leur  fîtuation  (a)  autour  de  la  capitale,  que  par  leur  éten- 
due. Plus  prés  du  trône  {b)  qu'Edouard  même  fi  la  loi  ne  les  en  eût 
également  écartés,  il  cherchoit  à  éluder  cette  loi  facrée  par  tous  les  arti- 
fices d'un  efprit  intrigant  &  d'un  cœur  corrompu  :  trahifons ,  parjures  , 
aflailinats ,  poifon  même ,  tout  crime  utile  lui  étoit  familier  ;  d'autant 
plus  dangereux  que  des  qualités  brillantes  trop  communes  aux  grands 
fcélérats,  mafquoient  fes  vices  monftrueux.  Cette  fineffe  qui  reffemble  à 
la  prudence ,  cette  affabilité  féduifante ,  cette  libéralité  intéreffée  ,  cette 
éloquence  naturelle  &  dont  il  p'efl  que  trop  facile  d'abufer,  cette  ougue 
impétueufe  que  le  vulgaire  confond  avec  le  courage;  tout  lui  fervoit  à 
déguifer  fa  marche  criminelle  ;  &  il  a  fallu  l'œil  de  la  poftérité  &  (a  voix 
foudroyante  pour  frapper  d'opprobre  ce  tyran. 

Preflë  de  toutes  parts,  environné  de  tant  d'ennemis,  Charles  apprit  à 
s'obferver ,  à  mefurer  fes  aflions,  ks  paroles  ,  fei  regards  ,  &  même  fon 
fllence.  Il  prit  pour  règles  invariables  de  fa  conduite ,  la  patience  &  cette 
prudence  qui  fait  diffimuler  fans  duplicité ,  ni  trahifon.  La  patience  du 
chef  d'un  Etat  ébranlé  confifte  dans  cette  circonfpeâion  qu'\  ^  pour  fauver 
l'honneur  d'un  gouvernement  foible,  compofe  avec  des  fujets  féditieux  ou 
des  voifins  injuUes,  dont  les  révoltes  &  les  entreprifes  mériteroient  d'être 


(<s)  Outre  fes  prétentions  fur  la  Brie  &  la  Champagne,  il  tenoit  plufleurs  places. ea 
Normandie  &  en  Picardie. 

{b)  l\  étoit  petit-fils  de  Louis  Hutîo,  au  lieu  qu'£douard  n'étoit  petit-fils  que  de- Philip- 
pe-ie-Bel, 

E  e  e  z 


404  C  H  A  R  L  E  S    V,    Roi  de  France. 

punies  hautement  par  uo  Prince  dont  la  force  appuieroit  les  droits  légi- 
times. Elle  dérive  de  cette  modération  qui,  comprimant  le  courroux  le 
mieux  fondé ,  laifTe  aux  coupables  la  reflfource  du  repentir ,  ou  ménage  à 
la  jufUce  la  poflibilité  de  fa  vengeance  :  enfin ,  loin  d'erré  une  qualité 
purement  paflîve  (  comme  elle  le  paroitroit  à  ceux  qui  n'approfbndiiTent 
rien  )  la  patience  eft  peut-être  le  plus  noble  effort  d'une  ame  ferme  &  vi- 
goureufe  ,  puifqu'elle  l'élevé  jufqu'à  fe  dompter  elle-même.  La  juftice  la 
plus  exaâe  peut  encore  autorifer  dans  un  Roi  la  diffîmulation ,  c'eft-à-di* 
re,  cet  art  qui  opère  à  propos  un  effet,  tandis  qu'il  en  paroît  un  autre; 
art  innocent  &  néceffaire ,  qui  obtient  par  adreue  ce  qui  lui  échapperoir 
fans  cet  heureux  détour.  La  prudence  en  fait  même  un  précepte  pofiiif 
aux  Rois  qui  font  affez  inftruits  pour  gouverner  par  eux-mêmes ,  affez  zé- 
lés pour  fe  livrer  aux  laborieufes  difcuffions  des  affaires  d'Etat,  aflèz  fer- 
mes pour  contenir  leurs  minières  dans  une  jufte  dépendance,  &  c'eil 
de-là  que  fuit  le  maintien  des  loix ,  le  bonheur  des  peuples ,  leur  amour 
pour  le  fouverain ,  &  la  vraie  gloire  du  monarque, 

La  pratique  de  ces  vertus  devenoit  à  Charles  d'une  néceffîté  plus  abfo- 
lue  au  milieu  du  feu  des  guerres  civiles,  où  il  eut  befoin  de  tant  de  po- 
litique ,  de  tant  de  prudence  &  de  tant  d'aâivité.  L'armée  Françoife  éroit 
défaite;  fon  Roi  portoit  des  fers,  &  l'aflemblée  tumuhueufe  des  Etats 
préfentoit  un  écueil  formidable,  où  devoit  fe  brifer  l'autorité  mal  affer- 
mie d'un  Prince  dont  on  ne  voyoit  que  la  jeuneffe ,  &  d'un  miniftere  dont 
on  ne  fentoît  que  trop  les  vexations  Se  l'imprudence. 

Auffî  ce  peuple  C\  prompt  à  trouver  des  reffources  dans  fes  facrifices, 
lorfque  l'amour  pour  fes  Rois  établit  fa  confiance ,  alors  plus  aigri  parl'op* 
premon  que  découragé  par  l'infortune ,  trop  emporté  pour  fe  contenir  dans 
les  bornes  raifonnables ,  croyoit  ne  pouvoir  fortir  d'efclavage  qu'en  fe 
précipitant  dans  l'anarchie.  Les  cris  féditieux  n'annonçoient  que  des  pro- 
jets de  révolte»  tandis  que  les  malheurs  préfens  exigeoient  les  plus  rares 
efforts  d'un  zèle  généreux ,  &  fur* tout  le  plus  parfait  concert  entre  les  di- 
yers  ordres  ;  concert  qui  ne  pouvoir  fubfifter  que  par  la  fubordination. 

Forcé  d'orner  entre  quelques  fubfides  infuffifans  &  le  maintien  de  fon 
autorité  fi  néceffaire  à  la  confervation  de  la  Monarchie ,  le  Dauphin  rom- 
pit les  Etats,  réfolu  de  tout  tenter  avant  que  d'acheter  leurs  dangereux 
fecours.  Il  parcourt,  il  follicite  les  provinces,  il  attend  plus  de  fenfibilité 
de  ces  cœurs  moins  dépravés  par  le  luxe;  par-tout  il  voit  éteintes  les  no- 
bles flammes  du  ^atriotifme;  par-tout  la  rigueur  des  impôts  avoir  brifé 
les  liens  facrés  qui  doivent  unir  les  fujets  au  fouverain;  &  cependant  le 
Roî  Jean  avoît  pour  fes  peuples  des  fentimens  de  père.  Mais  que  peut 
la  bonté  du  cœur  fans   la  force  de  l'ame?  La  molleffe  dans  un  Monar^ 


\ 


CHARLES    V,    Roi  de  France.  4/5Ç 

guedoc  avoit  été  ménagée  par  crainte;  elle  fuppofa  l'avoir  été  par  amour. 
Elle  (ignala  fà  reconnoiffknce  par  des  facrifices  mémorables.  Foibles  moyens , 
trop  difproportionnés  aux  befoins!  Le  Dauphin  eut  la  fagelfe  de  le  fen* 
tir,  êc  la  générofîté  de  fe  remettre  à  la  difcrétion  des  Etats^  réfolu  de  tout 
fouSrir  d'eux,  pour  les  fauver  d'eux-mêmes,  adoptant  cette  maxime  anci-* 
que  Se  fainte  que  le  falut  du  peuple  eji  la  loi  fu prime. 

Dans  ces  cruelles  circonflances  le  Navarrois  rurieux  s'échappe  de  fa 
prifon ,  comme  un  tigre  du  fond  de  fon  repaire.  Il  s'élance  fur  la  capi- 
tale ,  prêt  à  la  déchirer.  On  vit  un  Minifire  du  Dieu  de  paix ,  {à)  on  vit 
un  chef  refpeâé  des  citoyens,  {b)  fomenter  une  ligue  qui  n'avoit  le  bras 
levé  que  pour  renverfer  le  trône.  Afin  de  s'alTurer  l'impunité  de  leurs  at« 
tentats,  les  faâieux  effayerent  d'abord  de  faire,  taire  les  loix,  en  détrui- 
iant  leurs  fidèles  organes.  Ils  vouloient  anéantir  ce  fénat,  fource  antique 
&  précieufe  de  la  confiance  nationale ,  tantôt  le  refuge  des  peuples ,  tan- 
tôt le  foutien  des  Rois ,  &  toujours  le  lien  de  l'harmonie  publique.  Âu(ii 
\ts  féditieux  crurent-ils  ne  pouvoir  fàpper  l'autorité  qu'après  en  avoir  ren- 
verfé  les  fbndemens. 

O  jours  de  vertige  !  ô  fpeâacle  monftrueux  !  une  populace  effrénée  for- 
çant le  palais  de  fes  Rois,  montant  jufques  fur  les  marches  du  trône, 
égorgeant  fes  peuples ,  zélés  défènfeurs  dont  le  fang  réjaillit  fur  leur  maî- 
tre !  Aufli  ferme  a  l'afpeâ  de  la  mort ,  qu'indigné  de  devoir  la  vie  aux 
ménagemens  timides  du  chef  de  la  révolte ,  le  Dauphin....  Mais  c^eft  en- 
trer dans  les  fentimens  de  mon  héros ,  que  de  lui  dérober  ici  une  partie  de 
fa  gloire.  -Périffe  à  jamais  la  mémoire  de  ces  excès  honteux  ;  ils  ont  été 
trop  bien  réparés  par  ce  même  peuple ,  devenu  le  plus  fidèle  &  le  plus 
înviolablement  attaché  à  fes  Rois. 

Paris  étoit  livré  aux  fureurs  du  carnage  ;  Charles  céda  aux  temps ,  & 
fa  fuite  fut  un  trait  rare  de  politique  &  de  prudence.  N'oublions  pas  la 
Province  qui  la  première  eut  l'honneur  de  lui  tendre  les  bras.  La  Brie 
donne  un  grand  exemple  à  la  France  :  Provins  enlevé  aux  villes  les  plus 
renommées  l'avantage  de  relever  la  Monarchie.  Là ,  fe  tiennent  des  Etats 
où  le  patriotifme  élevé  fa  voix  pure  &  magnanime  ;  là  les  peuples  pré- 
fèntent  des  dons  volontaires ,  &  leur  amour  furpafle  ce  qu'on  en  pouvoit 
attendre.  La  Picardie  imite  la  Champagne  *  &  fe  diflingue  par  le  même 
zele.  Rois ,  foyez  attentifs  !  confidérez  les  François  qui  compofoient  les 
Buts  de  Compiegne ,  femblables  à  ces  Romains  qui  favoient  fi  bien  ap- 
précier les  afUons  héroïaues,  venir  remercier  le  Dauphin  au  nom  de  la 
nation  de  n'avoir  point  défefpéré  du  falut  de  l'Etat.  Quel  peuple  !  &  qu'il 
efl  digne  d'avoir  des  Charles  V  pour  maîtres  ! 


(tf)  Robert  le  Coq,  Evêquc  de  Lion.       ,^,.       ,•«!?*        ,»         i* 
ik)  Etienne  Marcel .  Prévôt  des  marchands.  Ce  Marcel  &  rEyéqae  de  Laon  étoicni 
chctt  de  la  &âion  des  chaperons  mi-paitis. 


4o5 


CHARLES     V  ^   Roi  de  France. 


en 


i  ce  cri  de  Thonneur  François  ,   la  Nobleffe  fe  réveille  ;   elle  actourt 

foule  fe  ranger  autour  de  l'héritier  de  la  couronne  \  enflammée  par  les 
regards  de  Charles ,  elle  fe  fouvient  qu'elle  eft  le  rempart  du  trône  ,  & 
qu'elle  doit  le  foutenir  lorfqu'il  Chancelle ,  ou  s'enfevelir  fous  fes  ruines  ; 
elle  fe  dévoue  à  une  guerre  plus  jufle  &  plus  glorieufe  que  celle  qu'elle 
venoic  de  foutenir  contre  les  laborieux  habitans  des  campagnes  ^  rendus 
furieux  par  fes  vexations ,  &  fon  arrogance  plus  cruelle  encore. 

Il  étoi't  réfervé  à  la  fageffe  du  Dauphin  de  calmer  ces  troubles  af&euz. 
Parmi  tant  de  tourbillons  oppofés,  il  parut  comme  un  aftre  élevé  au-defTus 
des  orages ,  qui  alloit  faire  lever  des  jours  plus  fereins. 

Il  maitrife  la  férocité ,  il  fait  tirer  parti  des  plus  indomptables  paflions  ; 
il  fait  fervir  au  bien  public  le  courage  indépendant  de  ces  avanturiers  qui , 
errans  &  vagabonds  ,  dévoroient  la  fubfiflance  des  cultivateurs.  Lts  bras , 
qui  déchiroient  la  patrie  ,  combattent  pour  fa  défenfe.  Les  révoltés  trem- 
blent darls  la  capitale  inveflie;  la  foudre  vengereflfe  gronde  à  leurs  portes; 
la  famine  défolanre  introduit  dans  leurs  murailles  le  défefpoir  &  la  mort; 
les  coupables  font  conflernés;  les  vrais  citoyens  reprennent  cet  afcendant 
que  donne  la  vertu.  L'univerfité  joint  les  charmes  de  l'éloquence  aux  grands 
motifs  de  la  religion  ;  elle  parle  aux  cœurs  &  les  entraîne ,  elle  parle  aux 
efprits  &  les  fubjugue.  Le  Roi  de  Navarre  efl  chaffé  ;  mais  fon  complice 
fe  maintient  &  levé  encore  une  tête  rebetfe  ;  &  tandis  que  Charles ,  en 
père  tendre  ^  fufpend  les  affauts  ,  pour  ouv^r  à  des  enfans  égarés  le  che- 
min  du  repentir  ,  le  perfide  Marcel  prépare  fourdement  le  retour  &  le 
triomphe  du  tyran.  Vis  éternellement  dans  nos  fafles,  ô  toi  ,  illuftre  ci- 
toyen ,  digne  rival  des  Harmodius  &  des  Ariflogiton  ,  toi  qui  ordonnas 
le  fupplice  du  traître ,  qui  ouvris  à  l'héritier  du  fceptre  ces  mêmes  portes 

qui  alloient  être  livrées  à  l'étranger  ;  &  vous  ,  qui  m'écoutez que  le 

refpeâ  dû  à  la  mémoire  de  Simon  Maillard  prête  de  la  noblefie  &  de  l'é- 
nergie aux  fyllabes  ^onfacrées  à  graver  fon  nom  dans  tous  les  cœurs 
François  ! 

Le  Dauphin  efl  rentré  triomphant  dans  la  Capitale.  Ses  vertus  ont  réuni 
les  partis  divifés ,  tous  d'accord  pour  l'admirer  &  le  bénir.  Sa  fageffe  a  voit 
laiffé  courir  le  torrent  qu'il  eut  été  dangereux  d'arrêter  &  l'emportement 
du  peuple ,  comme  il  l'avoit  prédit ,  s'étoit  exhalé  en  fumée.  Je  louerai 
Charles  d'avoir  fu  apporter  des  remèdes  fans  violence.  Ménager  ainfi  le 
fang  d'un  peuple  rebelle,  efl  fans  doute  le^plus  haut  degré  de  rhéroïfmc. 

Une  nouvelle  fcene  s'ouvre,  fcene  brillante  &  glorieufe.  Les  défcnfcurs 
de  fa  patrie  marchent  fous  le  même  étendard.  La  France  oppofe  la  pru- 
dence de  fon  chef  à  la  multitude  de  ks  ennemis.  Des  fuccès  rapides  pu- 
nifTent  le  Navarrois  de  fes  fureurs  &  de  fes  parjures.  Forcé  d'accepter  la 
paix ,  il  va  cacher  au  centre  de  fes  montagnes  &  fa  haine  &  fa  rage  im* 
puîfTante. 

Mais  d'un  autre  côté  le  redoutable  Edouard  ,   qui  n'avoit  fufpendu  lc$ 


CHARLES     V,    'Roi  de  Franc/^.  407 

attaques  que  pour  lailTer  fes  ennemis  fe  détruire  d'eux-mêmes,  alarmé  de 
cette  réunion  inattendue,  faifit  le  moment  de  leur  plus  grande  foibleffe 
pour  les  accabler  du  poids  de  toutes  fes  forces.  Charles  voit  les  dangers 
que  doit  entraîner  cette  guerre  fatale ,  &  il  a  le  courage  de  la  préférer  à 
une  paix  ignominieufe.  Cependant  ira-t-il ,  pilote  téméraire ,  livrer  à  toute 
la  violence  de  la  tempête  le  frêle  vaifTeau  dont  il  dirige  le  gouvernail  > 
c'eft  ici  le  triomphe  de  fa  fagellè;  c'eft  ici  qu'il  faut  admirer  le  plan  ap- 

{ profond! ,  ce  fyflême  admirable  de  défeofe,  cette  chaîne  d'opérations  liées 
es  unes  aux  autres  :  c'efl  l'intelligence  prudente  de  Fabius,  c'efl  fa  vigi- 
lance infatigable.  Il  fait  de  la  France  un  boulevard  capable  de  réHfler  aux 
invafions  de  l'Angleterre.  Il  tempère  l'ardeur  précipitée  de  cette  milice  im- 
patiente qui  porte  aux  combats  une  fuperbe  imprudence.  Edouard ,  comme 
un  lion  qui  rugit  dans  des  plaines  défertes ,  oii  fon  œil  allumé  n'apperçoit 
que  d'infenfibles  objets  de  fes  fureurs ,  frémit  de  fe  voir  arracher  fa  proie  : 
il  fe  confume  en  vains  efforts.  Rheims  le  repoulfe ,  Paris  le  brave  ;  les 
moindres  villes  lui  échappent.  L'Europe  admire  les  reflburces  de  la  France , 
toujours  préfentes  au  génie  étendu  &  puiffant  de'  fon  proteâeur.  Le  ciel 
même  fe  déclare  &  tonne  ;  la  flotte  d'Edouard  qui  avoit  promené  l'épou* 
vante  &  la  terreur ,  frappée  de  cette  main  qui  ébranle  les  Empires  ,  vint 
expirer  fur  nos  bords;  comme  les  vagues  niugilfantes  de  la  mer  ,  qui 
femblent  devoir  tout  engloutir,  après  s'être  élevées  jufqu'aux  cieux,  tom- 
bent ,  fe  brifent  fur  les  rochers ,  &  battent  iios  côtes  d'un  courroux  im- 
puiffant. 

O  joie!  ô  triomphe  dans  des  circonflances  audî  malheureufes  !  Charles  a 
brifé  les  chaînes  de  fon  père  &  de  fon  Roi ,  &  il  dépofè  entre  fès  mains, 
avec  autant  de  tendreffe  que  de  refpeâ  ,  cette  autorité  Royale  dont  il 
n'avoit  été  que  le  dépofitaire  :  il  compte  pour  rien  tous  lès  travaux  qui 
ont  acheté  un  tel  moment.  O  jours  d'un  plus  grand  exemple  !  L'hon- 
neur ramené  le  Roi   en  Angleterre,    ou  il  meurt  viéKme  de  fa  parole. 

Charles  avoit  fu  régner  avant  que  de  monter  fur  le  trône ,  il  s'y  affîed 
avec  cet  œil  affuré  qui  juge  &  qui  voit ,  avec  le  bras  tout  formé  aux 
pénibles  fondions  du  gouvernement.  Il  reçoit  de  fon  peuple  les  gages  les 
plus  flatteurs  de  fon  eilime  &  de  fon  amour.  Ce  n'étoit  point  les  accla- 
mations paflageres  d'une  turbulente  ivreffe  \  c'étoit  le  cri  du  fentiment 
profond  &  durable  qu'infpiroit  l'ufage  de  fes  vertus.  Déjà  la  viâoire  lui 
donne  le  brillant  augure  des  triomphes  de  fon  règne.  Le  Navarrois  toujours 
furieux,  venoit  de  renpuveller  la  guerre.  Charles-le-Sage  ayant  à  combattre 
de  nouveau  ce  cruel  ennemi ,  fuivit  un  autre  plan  ;  il  permit  à  fon  gé- 
néral de  fe  livrer  à  toute  la  force  &  l'aâivité  de  fon  courage.  Il  eft  enfin 
Ibumis  à  Cocherel  fous  les  armes  d'un  vainoueur  juftement  inexorable* 
La  perte  de  fes  places  les  plus  importantes ,  fa  défaite ,  fa  fuite ,  durent 
lui  faire  fentir  combien  étoit  fauffe  une  politique  fondée  fur   la  perfidie. 

Charles  n'avoit  point  remis  le  commandement  de  fes  troupes  à  un  homme 


4c8  CHARLES    V,    Roi  de  France. 

maitrifé  par  rorgueil  oq  la.  cupidité ,    anffî  incapable  de    gouverner  les 
autres  que  de  fe  gouverner  lui-même.  Il  les  avoit  confiées  à  Duguefclin, 
A  ce  nom,   le  reipeâ  &  la  fenfibilité  fe  réveillent  dans  tous  les  cœurs; 
il  retrace  à  la  fois ,  la  valeur ,  la  généroHté ,  la  candeur ,  la  folidité  des 
vertus  morales ,  Téclat  des  talens  miliraires.  C'étoit  un  de  ces  Héros  que 
la  providence   accorde  aux  grands   Rois,   pour  les  récompenfer  de  leurs 
travaux  ;  Sc  lorfqu'un  Empire  chancelle  ou  penche  vers  fa  ruine ,  ce  font 
eux  qui  oppofent  une  main  forte  &  le  rafFermifTent  fur  fes  amiques  fende- 
mens.  Tel  fut  ce   vaillant  connétable ,   dont  Tame  répondoit  à  Tame  de 
Charles.  Elles  fe  démêlèrent ,  fe  connurent  &  s'aimèrent ,  également  ani- 
mées de  cet  amoqr  facré  du  bien  public ,  qui  opère  les  plus  grandes  cho- 
fes.   Quelles  gardes  ,   quelles  défenfes  ,  quelles  armes  plus   puiflames  & 
plus  fûres  que  celles  de  Tamicié?  Elle  procure  le  même  avantage  que  fi  la 
divinité  unilfoit  à  un  feul  corps  pluHeurs  âmes  douées  de  diverles  qualités. 
Aujourd'hui  encore  leurs  cendres  repofent  fur  la  même  tombe;  leur  gbîrt 
fe  partage  fans  s'afFoibliri  leurs  noms  vivent  enfemble,  tandis  que  leurs 
âmes  fe  trouvent  réunies  dans  le  feîn  du   Dieu  des  armées. 

Un  Prince  cruel  régnoit  alors  &  défoloit  l'Efpagne,  il  rendoit  odieux 
le  pouvoir  des  Rois.  Duguefclin  part  \  il  entraîna  hors  de  la  France  ces 
légions  qui  la  ravageoient ,  &  qui  maintenant  foumifes  &  difctplinées  s'é- 
tonnent peut-être  de  marcher  contre  un  oppreffeur  ,  &  de  défendre  la 
caufe  des  peuples.  Le  tyran  eft  frappé,  mais  il  fe  relevé;  fecoura  d'un 
allié  puifTant,  il  combat,  il  enchaîne  fon  vainqueur.  Mais  Pinjufle  Monar- 
que devient  bientôt  lâche.  Pierre-le-cruel ,  par  fon  ingratitude ,  écarte  foa 
protefteur;  ç'eft  alors  qu'il  revoit  Duguefclin  plus  terrible  courir  à  la  ven- 
geance. Pierre-le-cruel  fuccombe  en  frémiflant  ;  le  fceptre  échappe  de  fa 
main ,  &  pafle  au  pouvoir  de  Henri  Ci,  de  fa  poftérité.  L'humanité  eft  dé- 
livrée d'un  fléau.  La  France  &  la  Callille  font  cette  alliance  mémorable, 
auifî  glorieufe  qu'utile  aux  deux  Rois, 

Quelques  avantages  qu'Edouard  eût  retirés  du  traité  de  Bretigny ,  il  éta- 
doit  l'exécution  des  feuls  articles  favorables  à  la  France ,  dont  il  perfiHoit 
à  fe  dire  Roi.  Charles,  fidèle  à  tous  fes  engagemens,  mais  réfolu  de  fou^ 
tenir  l'honneur  de  fa  couronne ,  diflîmuloit  les  infraâions  de  fon  rival.  H 
combine  les  temps,  médite  &  prépare  en  (îlence  le  moment  ou  il  pourra 
(aire  valoir  fes  droits  ^  armés  d'une  force  qui  les  rendra  refpeâables. 

Cependant  l'avarice  &  la  dureté  du  gouvernement  Ânglois  indignèrent 
&  laflërent  les  grands  Vaflaux  de  la  couronne  de  France,  annexés  par  1* 

fmx  au  Duché  de  Guyenne  j  ils  réclamèrent  les  droits  imprefcriptibles  d« 
a  nature  &  des  gens,  &  xes  principes  évidens  &  facrés  qui  condamnent 
le  defpotifme  odieux  qui  ofe  difpofer  des  peuples  fans  leur  aveu ,  comme 
4'un  vil  bétail  attaché  à  la  terre ,  &  que  l'on  échange  arbitrairement.  Ik 
portèrent  leurs  plaintes  &  le  cri  de'  l'humanité  aux  pieds  de  ce  trône  qui 
pouvoir  ça  être  regardé  comme  l'inviolable  afylp,  Charles  prend  l'épée  des 

mains 


CHARLES    V9    Roi  de  Ttanet.  ^9 

nutiis  de  la  juftice  :  Légiflateur  facré ,  il  ilipule  pour  le  genre  humain  & 

r^ur  fa  liberté.  Le  Prince  de  Galles  ajourné  à  la  Cour  des  Pairs ,  répond 
Ton  Suzeraui  avec  cette  hauteur  qui  n'annonce  que  Taudace.  La  guerre 
efi  réfolue,  fur  un  plan  qui  à  la  fois  difppfoit  &  embralToit  Tavenir.  La 
confiance  a  fait  tous  les  préparatifs.  Charles  recueille  le  fruit  de  fes  vertus  : 
ces  mêmes  Etats  »  autrefois  n  indociles ,  touchés  de  Ton  amour ,  convaincus 
ëe  fa  fagefle ,  attendris ,  pénétrés ,  dévouent  d'eux-mêmes  &  fans  réferve 
leur  fortune  &  leurs  vies ,  au  fervice  d'un  Prince  devenu  invincible ,  en 
commandant  à  de  tels  fujets. 

C'eft  à  nos  Annales  de  tranfmettre  à  la  poftérité  les  fuccès  d'une  guerre 
cil  les  maux  inévitables  furent  rachetés  par  de  plus  grands  biens.  On  verra 
le  bras  du  connétable  exécuter  ces  grands  projets  conçus  dans  la  tête  du 
Monarque.  On  verra  les  frères  du  Roi  toujours  fournis ,  malgré  leur  ambi- 
rion ,  rapponer  à  fes  belles  difpofitions  les  plus  heureux  efrets  de  leur  va* 
leur.  On  verra  trois  armées  Angloifes  fe  confumer  fucceflîvement ,  dépérir 
en  détail ,  toujours  harcelées  dans  leur  courfe ,  &  finir  par  être  écrafées. 
On  verra  nos  Provinces  reconquifes ,  glorieufes  de  fe  réunir  au  fein  de  la 
Monarchie  ;  le  Roi  créer  une  marine  qui ,  jointe  aux  efcadres  de  Caftille  ^ 
détruit  &  difperfe  les  flottes  Angloifes  frémiflantes  de  céder  l'Empire  des 
mers,  pourfuivies  jufques  dans  leurs  ports,  où  les  François  portèrent  à  leur 
tour  &  le  fer  &  les  feux  vengeurs.  On  verra  le  Navarrois  confondu,  mal- 
gré  toutes  les  reffources  de  fon  génie  criminçl  ;  Edouard  &  fon  fils  flétris 
par  la  honte ,  expirer  dans  les  chagrins,  dévorans.  Enfin  on  verra  Charles 
toujours  fage ,  toujours  grand ,   joindre  toutes  les  parties  de  fon  Etat  par 


IL  O  fcience  profonde  de  régner,  qui  connoltra  tous  tes  fecrets?  Qui 
ytillera  fur  tant  de  reflbrts  compliqués  qu'une  main  favante  doit  faire 
jouer  fans  trouble  &  fans  confufion  >  Qui  foutiendra  dignement  le  elaive 
facré  des  loix»  fans  ces  alternatives  dangereufes  de  rigueur  &  de  moileflè} 
Ce  fera  le  Monarque  qui,  comme  Charles,  prendra  pour  guides  la  fagefle 
A  la  juftice. 

La  fiigefle  n'eft  point  proprement  une  vertu  particulière,  elle  eft  le  ré'- 
fultat  de  toutes  les  venus,  elle  eft  fille  de  la  recherche  du  vrai,  elle 
marche  à  la  fuite  des  connoiflances ,  elle  nous  impofe  la  loi  de  concourir 
i  l'ordre  univerfel  dans  la  fphere  où  l'auteur  du  grand  tout  nous  a  pla- 
cés, &  undis  qu'elle  difpofe  toutes  chofes,  la  juftice,  comme  un  principe 
de  vie  aâif ,  defcend ,  coule  dans  les  nerfs  d'un  Etat ,  lui  donne  la  force 
&  la  famé;  elle  veille  à  la  porte  de  chaque  maifon,  elle  y  établit  une 
douce  fécurité  ;  elle  épouvante  le  méchant  qui ,  environné  a  une  lumière 
odieufe,  redoute  fon  œil  ouvert  &  fa  main  armée. 

Le  fanâuaire  de  ces  vertus  doit  réfider  dans  la  haute  région  des  trônes  ; 

TomtXI.  Fff 


^xo  C*H*A  R  L  E  S    V,     Roi  de  France. 

c^efl  delà  que  les  Rois  voyant  rouler  à  une  diftance  immenfe  leurs  fîi- 
jets»  tioivenc  comme  le  foleil,  en  féconder  cous  les  ordres  d'une  chaleur 
pénétrante;  ou  plutôt  ils  doivent  imiter  le  modèle  de  perfeâion,  cet  £n 
Souverain  qu'ils  repréfentent ,  lui  qui ,  embraffant  toutes  les  parties  de 
l'univers,  iren  facrifie  aucune  ,  n'abandonne  point  les  détails  au  hafardi 
&  veille  fur  le  vermifleau  raippant  fous  la  mouffe ,  comme  fur  les  globes 
étincellans  qui  font  circuler  les  mondes. 

Juftice,  bonté,  intelligence,  les  principaux  attributs  de  la  divinité ^  font 
les  types  auxquels  les  Rois  doivent  fe  conformer ,   comme  (es  vivantes 
images.  Il  n'eft  que  les  bons  Rois  qui  régnent  véritablement.  L'homme  en 
proie  au  fafte,   à  l'orgueil,  à  la  volupté,  aux  courtifans,  ne  peut  être  te 
fouverain,  ni  de  lui-même  ni  de  perfon ne,  quand  l'univers  lui  feroitfoumis: 
il  ne  feroit  pas  Roi;  vil  efclave  fur  le  trône,  il  obéira  aux  paflionsd'au- 
trui,  &  il  ne  fauroit  commander  aux  fiennes;   alors  fes  honteux  favoris 
écrafcnt  les  peuples   de  ce  même  fceptre  qu'il  ne  peut  porter.  Peignons 
donc  le  Roi  véritable,  traçons  d'un  pinceau  rapide  le  caraâere  &  les  ver- 
tus d'un  Monarque  qui  tenoit  le  fceptre  d'une  main  ferme,  qui,  Paftegr 
de  fes  peuples ,  ne  donnoit  point  au  fommeil  la  nuit  entière ,  veilloit  fans 
cefle  fur  eux  &  fur  lui-même ,  regardoit  fes  bienfaits  comme  fes  (euls  aâes 
volontaires ,    les  feuls  qui   pourroient  faire  fa  fôltcité  ;  d'un  Roi ,  qui  ne 


tout  le  prix«  gémifToit  fur  le  fléau  horrible  de  la  guerre,  &  comptoit  cette 
fatale  néceffîte  au  rang  des  malheurs  des  Rois. 

Pour  réprimer  la  miférable  ambition  du  vulgaire  des  fouverains,  -&  pour 
éteindre  dans  leur  cœur  la  foif  de  s'agratklir,  peut-être  fuffiroit-il  qu'ils 
euflent  aflTez  de  jufteffe  d'efprit ,  pour  bien  concevoir  que  la  chaîne  de 
leurs  obligations  s'étendant  à  toutes  les  limites  de  leurs  États,  ils  ne  peu- 
vent, en  les  reculant,  que  multiplier  les  difficultés  qu'entraînent  les  péoi- 
blés  devoirs  de  la  royauté.  Auflii ,  ce  qui  diflingue  Charles  avec  le  plus  de 
gloire,  c'eft  que  jamais  l'éclat  de  fes  viftoires  ne  fut  terni  par  rinjufticc. 
Loin  d'être  uuirpateur^  il  ne  fit  que  réunir  les  membres  épar s  que  la  force 
avoit  diftraits  du  corps  de  la  Monarchie  ,  &  arracher  les  fujets  ï  Top- 
predion  de  l'énranger,  pour  les  rendre  heureux  fous  l'empire  des  loix. 

11  fentoit  que  ces  loix  ne  feroient  facrées  qu'autant  qu'il  les  honoreroit 
lui-même.  Il  rétablit  l'autorité  des  Parlemens ,  &  crut  devoir  récompenfcf 
le  zèle  noble  &  défintéreffé  des  -Magiftrats  par  des  privilèges  8c  des  exemp- 
tions, afin  que,  dégagés  des  embarras  du  (iecle,  ils  femblafTent  partager 
l'indépendance  du  juge  fuprême.  La  vénalité  n'excluoit  point  alors  la  vertu 
privée  des  dons  de  la  fortune,  ni  ne  l'expofoit  à  la  dangereufe  tentation 
de  s'indemnifen  Le  choix  du  Prince,  choix  Ci  capable  d'élever  les  anies, 
ne  tombant  que  fur  des  âmes  déjà  grandes ,  Si  les  droits  de  la  oaiflànce  ce* 


CHARLES    V,  Roi  de  France.  41  r 

dant  aux  droits  du  mérite,  la  modération,  meré  de  rintégrité,  formait 
elleimellement  le  caraâere  de  ces  vertueux  Magiftrats,  tandis  que  l'hon* 
peur  ëtoît  le  reflbrt  unique  &  fécond  de  leurs  généreux  travaux.  Que 
j'aime  à  voir  ce  grand  Roi  connoitre  de  quel  prix  étoit  cet  honneur  pour 
des  cœurs  François,  ne  point  craindre  de  fe  dégrader  par  l'exercice  des 
plus  importantes  fonéHons  de  la  royauté ,  s*a(Ieoir  parmi  les  anciens  du  peu* 
pie,  préHder  au  confeil  des  juftes,  non  pour  y  difcurer  de  vains  ou  de 
frivoles  droits,  mais  pour  tirer  plus  de  lumière  du  fecours  du  raifonne- 
raeht  &  de  l'expérience!  Le  fublime  intérêt  qui  l'anime,  paflfe  dans  ceux 
ou'il  admet  à  fa  confiance,  &  la  fagefTe  répandoit  fes  rayons  fur  ces  a(^ 
Semblées  auguftes,  où  la  majefté  du  trône  ne  confultoit  pas  pour  elle** 
même,  mais  pour  l'avantage  des  peuples.  Tel  jpréfidoit  Saint  Louis,  tel 
préfidoit  Charlemagne;  tel  l'écriture  nous  peint  rEtrç  Eternel,  environné 
des  puiffances  du  Ciel,  lori qu'il  s'aflîed  pour  juger  la  terre. 

C'eft  de-là  qu'émanoient  ces  belles  ordonnances  qui  rendoient  aux  loix 
leur  (implicite  &  leur  uniformité  primitives ,  accéléroienc  les  jugement , 
abrégeoient  les  fotmes  juridiques ,  écrafoient  l'hydre  de  ta  chicane ,  (a) 
ce  monftre  deftruâeur  des  familles ,  alimenté  par  cette  efpece  d'hommes 
vils ,  qui  fe  nourriflbient  de  fes  odieiifes  rapines  après  s'être  abreuvés  de  (on 
fiel.  C'eft  de-là  que  la  voix  de  la  patrie  rappelloit  l'ordre  des  avocats  à  la 
DobIe(re ,  &  à  l'excellence  de  fon  inftitution ,  alfuroit  au  pauvre  &  à  l'or- 
phelin des  défènfeurs  fenfîbles  &  dé(intére(rés.  (b)  O  mémorable  exemple 
&  fait  pour  être  fuivi  !  Le  Légiflateur  lui-même ,  trop  éclairé  pour  ne  pas 
favoir  combien  le  cœur  des  Rois  eft  expofé  à  de  fréquentes  furprifes ,  s'a(^ 
furoic  d'une  barrière  utile  en  ordonnant  aux  dépofitaires  des  loix  de  ne  s'en 
écarter  jamais ,  lors  même  qu'un  ordre  de  fa  main  paroitroit  y  déroger. 

Cette  main  n'étoit  point  faite  pour  tracer  àes  ordres  précipités  ou  peu 
réfléchis;  cette  main  prudente,  attentive  à  tous  les  mouvemens  du  corps 
politique,  répara  ou  plutôt  créa  cette  machine  immenfe,^  rendit  fon  jeu^ 
plus  (ur ,  plus  aâif,  &  le  (împlifia  fans  nuire  à  fon  étendue.  C'eft  elle  qui 
par  une  loi  admirable  &  refpeâée  diminua  les  dangers  des  longues  mino- 
rités, tems  orageux  où  les  difcordes  &  l'ambition  des  Princes  n'ont  que 
trop  fouvent  bouleverfé  le  Royaume ,  où  l'on  vit  les  Régences  réunir  à 
la  fois,  &  les  troubles  de  l'anarchie  &  les  attentats  du  defpotifme.  C'eft 
elle  qui  balançant  les  droits  délicats  de  l'autel ,  &  du  trône ,  pofa  des  bor« 
nés  entre  ces  deux  pui(rances  amies  &  rivales ,  Se  fut  avec  autant  de  re*-; 
ligion  que  de  fermeté  jégler  les  prétentions  de  Rome  &  les  libertés  Galli- 
canes :  c'eft  elle  qui  réprima  l'efprit  d'intolérance ,  comme  le  fléau  le  plus 


(if)  Les  Procureurs  réduits  à  quarante. 

(^)  loioaàion  aux  Avocats  de  plaider  grads  pour  les  pauvres. 

Fffl 


^1%  CHARLES    V  ,  Roi  de  France. 

horrible  &  le  plus  deflruâeur  oui  puifle  entrer  dans  une  monarchie;  c'eft 
elle,  enfin,  qui  voulant  bâtir  fur  la  bafe  inébranlable  des  bonnes  mœurs ^ 
remonta  au  principe  de  toute  corruption,  au  luxe,  ce  protée  dangereux, 
toujours  prêt  à  fe  changer  en  flamme  deftru ai ve,  qui  ayant  tant  de  fec- 
tateurs  ne  trouve  plus  d^apologifte.  Il  pourfuivit  ce  monftre  qui  defleche 
de  fon  haleine  les  racines  de  la  population ,  qui  boit  Tor  ou  plutôt  le  fang 
des  malheureux ,  &  qui  »  bourreau  des  riches  auunt  qu'il  eft  funefte  aux 
peuples ,  n'eft  jamais  plus  altéré  que  dans  leur  épuifemeot. 

La  cour  des  Aides  tut  érigée  comme  un  afyle  ouvert  au  peuple  ^  contre 
les  entreprifes  &  la  rapacité  des  gens  de  finance;  mais  convaincu  que  la 
crainte  des  loix  n'eft  point  une  digue  alTez  forte  contre  leur  infàtiable  cu^ 
pidité ,  Charles  porta  la  prévoyance  jufques  à  remonter  à  la  fource  de  Tim- 
punité.  O  douleur,  il  vit  les  grands  proftituer  leur  crédit  à  ces  hommes 
avilis  ,  fe  rendre  eux-mêmes  les  complices  de  leur  bafTcfTe  &  participer 
fans  honte  à  leurs  eains  illégitimes.  Si  Charles  ne  put  changer*  de  tels 
cœurs,  Charles  les  m  rougir.  Dès-lors  le  prince  reftre^nit  les  demandes 
aux  befoinsy  &  régla  les  befoins^  non  fur  une  oflentation  faflueufe,  mais 
d'après  une  économie  vraiment  paternelle  ;  &  ce  qui  mérite  tous  nos  âo- 
ges,  il  trouva  Tare  peu  connu  de  groflîr  l'épargne  fans  exténuer  les  Fro- 
vinces. 

Il  fufïit  quelquefois  de  retrancher  un  feul  abus  pour  faire  tomber  les 
autres;  comme  dans  un  édifice  hardi,  un  feul  déraut  apperçu  &  réparé 
prévient  une  ruine  totale.  La  fixation,  arbitraire  &  les  refontes  illufoires 
des  monnoies,  avoient  fappé  jufques  dans  les  fondemens  les  principes  io'- 
violables  de  la  propriété.  Le  Monarque  éclairé  fentit  que  le  trône  étaot 
porté  fur  la  même  bafe  que  les  poffeffîons  particulières  ^  elles  dévoient,  ï 
fon  exemple,  être  à  jamais  facrées  &  que  c'étoit  leur  ébranlement,  qui 
par  un  contre-coup  néceffaire  &  funefle  avott  fait  chanceler  le  trône  do 
les  pères.  La  proportion  fut  donc  fcrupuleufement  rétablie  entre  la  valeur 
intrinfeque  &  la  valeur  numéraire.  Dégagés  d'un  alliage  impur,  les  mé- 
taux précieux  ^  tels  qu'un  beau  fang  qui  vivifie  les  canaux  où  il  coule,  firent 
circuler  fans  obflacle  ce  commerce  égal  de  bienfaits ,  qui  defcend  du  Prince 
aux  fujets ,  remonte  des  fujets  au  Prince ,  &  répand  )ufque  dans  les  fibres 
les  plus  cachées  les  tréfors  de  la  fécondité. 

O  fruits  heureux  d'une  fage  adminiflration  !  reffources  étonnantes  de  l'é- 
conomie !  Ce  n'étoit  point  afièz  d'avoir  acquitté  la  rançon  d'un  Roi  & 
les  dettes  immenfes  de  fon  malheureux  règne ,  d'avoir  fourni  aux  frais 
de  tant  de  guerres  &  à  la  folde  de  ces  troupes  réglées  qui  remplaçoient 
^  des  compagnies  de  brigands  ;  ce  n'étoit  point  affez  d^avoir  rendu  la  ferd' 
lité  à  nos.  plaines ,  à  leurs  cultivateurs  la  fécurité ,  &  cette  aifance  fi  légi* 
time  que  leur  difpute  une  politique  fauffe  &  barbare  :  c'étoit  peu  àlrf(M 
métamorphofé  en  vaiffeaux  les  antiques  fardeaux  de  nos  forêts ,  d'avoir  d^ 
gagé  &  même  augmenté  le  domaine  de  la  couronne,  Charles  voit  encore 


C    H  A  R  L  E  s     V  ,  Roi  de  France.  413 

au-delà  ;  il  à  relevé  le  royaume  d'une  main  forte  &  infatigable ,  il  l'em- 
bellit aujourd'hui  de  cette  utile  magnificence  qui  imprime  le  refpeâ  à  Vé^ 
franger.  Le  trône  reçoit  cette  pompe  qui  lui  efl  nécefTaire  pour  frapper 
Vml  au  peuple  qui  ne  connoit  guère  que  ce  genre  impofant  d'éloquence. 
La  religion  voit  élever  des  temples ,  donc  les  voûtes  auguftes  répètent  avec 
éclat  les  vœux  d'un  peuple  immenfe.  Des  monumens  publics  annoncent  la 
future  fplendeur  de  la  capitale.  Là ,  des  remparts  &  les  arfenaux  de  la  guer- 
re ,  ici  les  Dorts  &  les  magafins  du  commerce.  Les  fciencts  &  les  beaux- 
arts  y  qui  font  la  gloire  &  les  lumières  d'une  nation ,  reçoivent  d'honora* 
blés  afyles.  Par-tout  enfin  des  établiflemens  utiles,  qui  tranrmettront  à  la 
poftérité  les  fécondes  produâions  de  Ton  génie  bienfaifanr. 

Il  eft  une  vertu  que  Thomme  feniible  a  droit  d'envier  aux  Monarques , 
c'efl  la  clémence ,  cette  clémence  qui  pardonne  &  qui  efl  le  plus  bel  or« 
nement  de  l'humanité  &  du  trône ,  ce  pouvoir  jheureux ,  &  prefque  divin , 
qui  va  jufqu'à  rendre  ta  vie  aux  viâimes  dévouées  à  la  mort. 

Bénis  foient  les  Rois  qui  comme  Charles ,  laiffent  quelquefois  défarmer 
le  glaive  terrible  de  la  Juflice  !  Tournai ,  ce  berceau  de  la  Monarchie  ; 
Montpellier ,  cette  belle  ville  arrachée  au  Navarrois  ;  Paris ,  qui  leur  avoit 
donné  l'exemple  de  la  rébellion ,  toutes  les  villes  fubjuguées  par  fon 
courage  ne  trouvèrent  dans  leur  vainqueur  que  l'indulgence  d'un  père. 
Henri  IV  n'agit  pas  mieux  depuis.  Ce  fut  moins  fon  héroïfme ,  ce  fut 
moins  fa  fagefle ,  que  fa  bonté ,  qui  toucha  tous  les  cœurs ,  &  qui  étouflk 
jufqu'au  dernières  étincelles  des  guerres  civiles. 

Paris  fur- tout  lignale  fon  repentir  avec  unt  de  nobleffç  que  le  Roi 
accorde  à  tous  fes  citoyens  les  prérogatives  les  plus  flatteufes.  S'il  diflin- 
gue  la  capitale,  Provinces,  n'en  foyez  point  jaloufes!  Si  toute  l'Egypte 
étoit  noble  autrefois ,  on  peut  dire  que  Charles  ennoblit  tous  fe;s  fujets , 
par  la  confidération  qu'il  leur  rendit  dans  toute  l'Rurope. 

La  Renommée  fidelle  appelloit  à  la  Cour  de  France  le  petit  nombre 
de  contemplateurs  dignes  d'apprécier  tout  ce  qu'avoit  £iit  un  Roi  fage 
pour  rendre  un  peuple  heureux.  Eh  !  quel  fpeâacle  plus  rare  &  plus  digne 
des  regards  d'un  Philofophe ,  qu'un  Prince  qui  veut  faire  du  bien  à  tous  , 
&  qui  le  peut)  11  lui  paroiffoit  eflTentiel  à  fon  rang,  non  de  jouir  de 
plus  de  richeffes  &  de  plaifirs  que  les  autres  hommes ,  mais  de  fe  livrer 
à  plus  de  foins  &  de  travaux.  Il  ne  craignoit  pas  qu'on  lui  reprochât  un 
jour  que  le  trône  eût  été  établi  pour  fon  avantage  perfonnel  ;  il  avoit 
fu  le  faire  fervir  au  bien  général.  Audi  ne  redoutoit-il  point  l'afpeâ  d9 
ces  hommes  vraiment  libres^  qui  confervent  même  au  milieu  des  cours, 
cette  penféc  indépendante  qui  juge  les  événemens  &  les  fiedes  :  il  tes 
invitok  à  fe  repofer  à  l'omore  de  fon  trône.  Loin  de  reflèmbler  à.  ces 
Jàches  tyrans  qui  craignent  avec  raifon  la  lumière  des  arts,  il  favoit  que 
les  découvertes  des  hommes  de  génie  font  les  conquêtes  du  genre- 
humain. 


I 


414  CHARLES    V,  Roi  de  France. 

Je  me  plais  à  le  confidérer  comme  le  père  des  fciences ,  comme  celui 
ui  donna  la  première  impuUîon  au  génie.    Au  moment  de  fbn.  réveil , 

a  peut-être  plus  à  lutter ,  lorfqu'il  fe  dégage   des  ténèbres  de  Tigno- 
rance  :  que  lorfqu'au  milieu  de  fa  coùrfe  il  s'élance  d'un  pas  afluré  dans 
une  carrière  libre  &  brillante.   Le  précurfeur  de  l'imprimerie,  le   papier 
eft  inventé;  il  remplace  cette  plante  de  Memphis,  cette  peau  grofliere, 
dont  l'imperfeflion  &  la  rareté  avoient  fans  doute  borné  depuis  vingt  fie* 
clés  les  progrès  de  l'efprit  humain.   Les  excellens  modèles  de  l'antiquité 
revivent  dans  notre  langue ,  ils  deviennent  la  règle  du  goût  &  le  germe 
heureux  qui  devoit  un  jour  porter  de  fi  beaux  fruits.  On  entrevoit  l'au- 
rore de  notre  Littérature ,  fbible,  il   eft  vrai,  mais  qui   déjà  pouvoir  iof> 
pirer  une  douce  efpérance.  Ainfi ,  lorfque  les  premiers  feux  de  Tafire  qui 
vivifie  la  nature  tombent   fur  la   terre,  l'œil  eft  réjoui  de    cette  verdure 
rendre  &  renaiflante,  beaucoup  plus  touchante  peut-être,  que  ne  le  font 
les  tréfors  qu'amènent  des  faifons  plus   riches ,  mais  plus  tardives. 
'    On  voit  naître  les  élémens  de  la  jurifprudence ,  de  la  philofophîe,  éc 
l'éloquence,  de  la  poéfie,  de  la  mufique  ,  de  l'hiftoire.  Le  cahos  de  la  bar* 
barie  fe  débrouille  :  c'eft  le  tempsjxi'une  nouvelle  création ,  tout  s'anime  :  la 
boufible  découvre  les  terres  immenfes  du  nouveau  monde ,  tandb  que  des 
cartes  ingénieufement  drellëes  facilitent  la  connoiflànce  de   l'ancien.  Its 
lunettes  annoncent  le  télefcope ,  dont   bientôt  la   magie  furprendra  daos 
l'immenfité  des  Cieux ,  ces  corps  innombrables  qui  étonnent  &  agraDdif- 
fent  l'imagination  de  l'homme ,  &  lui  impriment  une  plus  fublime  idée 
de  la  puinance  du  Créateur. 

Vingt  volumes  épars  formoient  la  Bibliothèque  du  Roi   Jean.  Charles 
pofa  les  fondemens  de  ce  monument  immortel ,  qui  raftemble   dans  (on 
lein  tout  ce  que  l'efprit  humain  a    penfé  :  dépôt  vafte  &  merveilleux, 
ui  attefte  à  la  fois  fa  grandeur  &  fa  fbiblefte  ;  tréfbr  unique ,   qui  ren- 

rme  la  flamme  précieufe  &  cachée  qui  doit  embraffer  des  génies  nou' 
veaux  ou  plus  heureux ,  tant  par  la  facilité  des  rapports  variés  qu'ils  pour* 
font  faifir,  que  par  le  coup-d'œil  étendu  &  rapide  qu'ils  pourront  jetter 
&  fur  les  terreins  qui  paroiffant  les  plus  incultes  font  en  effet  les  plus  ri« 
ches ,  &  fiir  ceux  qui  fe  trouvant  épuifés ,  ne  demandent  que  du  repos. 
La  révolution  qui  s'eft  faite  datis  nos  idées,  en  prépare  fans  douce  une 
autre,  plus  étonnante  encore  :  tous  les  arts  font  liés,  &  tous  fe  trouvent 
enchaînés  avec  ordre  dans  cet  édifice  qui  n'attend  plus  qu'un  homme 
fait  pour  le  parcourir,  un  homme  qui  fâche  fe  connoître,  oc  ofèr.  Peut* 
être  que  la  nature,  après  avoir  produit  tant  de  matériaux  ifblés,  s'ap* 
prête  à  créer  Tarchitefte  qui  doit  en  former  un  corps  régulier.  Que  nc 
peut  la  génération  des  idées  de  l'efprit  humain ,  foutenu  d'un  aliment  aulfi 
mépuifable!  C'eft  un  fleuve  vafte,  accru  du  tribut  de  cent  rivières,  qui 
un  jour  pourra  fertilifer  le  monde ,  mais  dont  la  poftérité  recoonoiflàote 
n'oubliera  jamais  la  fource. 


1 


CHAR  L  E  S    V,   Hoi  tic  Trarxc.  4(5 

Telle  fut  la  prévoyance  de  Charles.  Il  fentoit  que  les  (ciences  pour- 
roienc  •  avoir  un  |our  une  grande  influence  fur  les  fiecles ,  &  peut-être  fur 
l'univers  ;  il  eut  la  fagefle  d'encourager  les  plus  nobles  efforts  de  l'hom- 
me ,  parce  qu'il  les  crut  utiles  à  la  félicité  des  peuples  &  à  la  grandeur 
des  Empires.  Mais  cette  fageffe  fi  fëconde,  fi  attentive,  n'avoir  point  pour 
but  les  vains  applaudiffeniens  du  monde  :  fupérieur  à  la  gloire,  éclairé 
du  flambeau  de  la  religion ,  Charles  portoit  fes  reeards  vers  l'Être  Suprâr- 
me  t  il  lui  rapportoit  fts  travaux ,  fes  défirs  &  ion  amour  :  il  aimoit  \ 
contempler  dans  ce  fublime  modèle  la  venu  par  excellence,  il  s'enflam^ 
rooit  pour  (a  beauté,  il  lui  offroit  des  vœux  purs  &  finceres.  Jufle  ^c 
bon ,  il  élevoit  avec  tranfport  fon  cœur  &  fes  mains  vtts  le  Dieu  4e 
bonté  &  de  juflice;  il  fe  plaifoit  en  fa  préfence* 

Si  quelquefois  le  fpeâacle  du  crime  &  du  malheur  laffoit  fon  courage , 
fi  l'ingratitude  des  méchans  fatiguoit  fa  confiance ,  s'il  gémiffoit  en  Tentant 
tout  le  poids  du  fceptre ,  la  religion  confolante  lui  difoit  d'une  voix  douce 
&  majeftueufe  :  »  Mon  fils  !  ne  te  laiffe  point  abattre  ;  fonge  que  tu  tiens 
»  entre  tes  mains  le  bonheur  d'un  grand  peuple  que  cette  noble  idée  t'é- 
»  chauffe.  Fourfuis  la  carrière  pénible  de  tes  bienfaits.  L'homme  mécoh- 
»  noit  tes  fervices.  Ah  l  n'en  fois  pas  moins  l'ami  des  hommes  ;  pardonne 
»  à  leur  aveuglement,  à  leur  fiiibleffe  :  tu  es  leur  père  ici-bas;  fois  tou<- 
»  jours  plein  de  douceur  &  d'humanité;  enlevé  de  force  leur  amour.  Mon 
n  fils  !  Dieu  te  voit ,  Dieu  te  foutiendra ,  Dieu  fera  ta  récompenfe.  « 

Tel  fut  Charles  dans  tous  les  infians  de  fa  vie.  On  fait  quel  afcendant 
a  l'exempte  du  Prince  fur  l'efprit  des  peuples.  Rois  qui  aimez  la  vertif, 
voulez-vous  la  faire  régner  fans  efforts  dans  votre  Cour  &  dans  votre  Em- 
pire ,  donnez  l'exemple ,  il  fera  plus  fort  que  les  loix.  Le  luxe  ne  paffera 
plus  pour  la  décoration  de  la  grandeur,  l'orgueil  infolent  pour  élévation  4e 
fentimens  ,  la  calomnie  &  la  vengeance  pour  des  moyens  utiles.'  Votre 
conduite  fera  la  règle  des  mœurs^  &  une  parole  en  (era  la  cenfure.  On  dit 
ue  la  flatterie  environne  les  trônes;  c'efi  quand  l'œil  du  Souverain  l'invite 
c  la  careffe  ;  mais  un  regard  févere  la  fait  difparoitre.  Il  en  efi  de  même 
de  la  licence  &  ^e  l'impiété ,  de  cette  dérifion  :amere  des  vertus  &  des 
talens.  Les  courtifans  vont  jufqu'au  bien  ,  lorfqu'ils  ne  voient  plus  leur 
intérêt  dans  la  route  oppofée.  Que  le  Monarque  réforme  fa  cour ,  &  la 
nation  fe  réformera  d'elle-même.  Un  homme  de  cour  ofe  fouiller  d'uqe 
parole  licencieufe  l'oreille  chafte  de  l'héritier  deja  couronne,  Charlea , 
par  fa  difgrace  prompte  &  irrévocable ,  bannit  à  jamais  la  licence. 

Fils  foumis ,  époux  fidèle ,  père  tendre ,  il  crut  relever  la  Majefié  Royale 
par  ces  noms  fi  faints  à  la  nature ,  par  ces  vertus  privées ,  fondemens  des 
vertus  héroïques.  IL  fut  régner,  puifqu'il  connut  cette  vérité  importante, 
que  T amour  des  peuples  tfiVaniquc  joutitn  de  la  couronne  des  Rois.  À\ 
vit  tout  en  grand  ,  fans  négliger  les  détails  ;  il  fut  commander ,  fans 
laifier   entrevoir   ce    qui    ne    devoit   être  connu  que  de    lui  feuK  II  f:t 


t 


4i5  CHARLES    V.Itoi  de  France. 

tout  avec  douceur  &  dignité,  &  il  fut  en  méme-temos ,  loifqu^il  le  fiilloit, 
ferme  ^  inexorable  comme  la  loi  :  foie  au'il  roulât  les  deftins  de  l'Etat 
dans  fa  tête,  foit  que  la  douleur  dont  il  fut  prefque  à  chaque  infiant  la 
viâime,  attaquât  Ton  ame ,  fon  vifage  étoit  toujours  tranquille  &  férein. 
En  faifant  tout  obéir,  il  obéit  à  la  jufiicel  11  ne  trompa  point;  &  il  fat 
employer  une  politique  néceflaire  &  jufie.  Enfin  ^  il  fur  pardonner ,  &  oe 
fut  point  fe  venger. 

Hélas  !  que  le  paflage  de  Thomme  eft  rapide  fur  la  terre  !  S^il  efl  per" 
mis  à  notre  fbiblefle  de  murmurer  contre  cette  loi  terrible,  c'eft  torique 
des  Rois  tout  formés  pour  le  bonheur  des  Etats,  meurent  avant  le  temps, 
&  laiflent  tout-à-coup  les  Empires  privés  de  leur  Dieu  tutélaire.  Le  pria* 
cipe  de  mort  que  Charles  portoitdans  fon  fein,  acheva  de  fe  développer; 
il  le  fentit  entraîner  dans  la  tombe,  &.  il  vit  la  France  prête  à  retom- 
ber dans  les  troubles  affreux  dont  il  l'avoit  tirée  ;  il  pleura  fur  un  peuple 
immenfe  qui  avoir  befoin  de  lui,   comme  un  père  gémit  en  voyant  les 
avides  ennemis  de  fa  trifte  famille  entourer  déjà  fon  lit  funèbre  &  s'ap« 
prêter  au  pillage  ;  il  pleure  fur  fes  fils  adolefcens  bien  plus  que  fur  lui- 
même.  En  ces  momens,  Charles  fit  ouvrir  les  portes  du  Palais;  il  voulut 
voir  fon  peuple  pour  la  dernière  fois,  &  lire  fur  le  front  de  cette  muiri* 
rude  affemblée  le  témoignage  de  fa  vie  pafTée.  Placé  entre  ce  peuple  & 
Dieu ,  un  faint  frémiffement  pénètre  fon  ame.  C'eft  la  patrie  qui  l'environne, 
&  c'eft  fa  voix  fecrette  qui  va  tout  à  l'heure  monter  aux  cieux ,  &  àé* 
pofer  au  tribunal  fuprême^  Les  entrailles  de  Charles  s'émurent ,  fon  ame 
vertueufe  fut  confternée ,  fa  grande  ame  s'ignoroit  elle-même  ;  il  crut  n'a- 
voir rien  &it  pour  ce  peuple  refpeâable  qui  pleuroit  &  le  bénifToit.  Sa 
cour,  que  dis -je?  fa  couronne,  lui  parurent  peu  de  chofes,  auprès  de 
cette  foule  nombreufe  qui,  à  la  lueur  non<-menfongere  du  flambeau  delà 
mort,  imprimoil  une  certaine  majefté  fentie  du  Monarque  &  des  courd- 
fans  eux-mêmes^  Je  mettrai  les  remords  de  Charles  au  nombre  de  ces  ver- 
tus ;  il  fe  reprocha  quelques  impôts ,  il  les  anéantit  ;  il  ferma  les  cicanîces 
légères  faites  malgré  lui  au  cœur  de  fes  fujets  :  fes  paroles  expirantes  fo* 
rent  autant  de  bienfaits  {  Roi  jufqu'à  fon  dernier  foupir ,  fans  avoir  oublia 
|in  inftant  qu'il  étoit  homme.  (4) 

Chez  les  anciens  Egyptiens ,  parmi  tant  de-  loix  admirables ,  il  en  étoit 
une  qui  doit  nous  étonner.  Lorfque  leurs  Souverains ,  fi  fiers,  û  fuperbes, 
fi  pompeufement  adorés ,  après  avoir  régné  en  Dieux  ^  marchoieot  d'ofl 
pas  égal  au  tombeau ,  comme  le  dernier  de  leurs  fujets ,  l'adulation  ne  ai- 
toit  point  entendre  une  voix  fauftement  éloquente  fur  leurs  reftes  ioam* 
mes  :  la  vérité  long -temps  cachée,  la  vérité  terrible  s'avançoit  ;  d'uos 


^■•■^— ■^'^^■■«^^-■^■■■ii^wp 


(4)  Charles  mourut  à  Paris  )e  16  Septembre  1380 ,  âgé  de  4%  ans,  dans  la  dix-fe^ 
Mmt  année  de  fon  réj^ne, 

snaia 


CHARLES    VII,    Roi  de  France.  417 

main  elle  arfêtoit  leur  cercueil ,  &  de  l'autre  elfe  déployoît^  les  fkfles  de 
leur  règne.  Des  juges  féveres  prononçoient  les  peines  ou  les  récompenfes 
dues  à  la  mémoire  de  ce  Monarque ,  qui  n'étoit  plus  que  pouffîere.  Que 
les  fages  qui  m'écoutent  &  qui  ont  confacré  leur  votx  à  la  vertu  &  au  bien 
public,  que  ces  hommes  vrais,  arbitres  des  Rois,  révèlent  leur  penfée; 
ah  !  fi  je  fais  y  lire,  ilS'  diront  d'une  voix  unanime  :  »  Cendres  glorieufes 
n  du  plus  fage  des  Rois ,  allez ,  repofèz  en  paix  ;  prenez  place  auprès  du 
n  petit  nomore  de  ceux  qui  ont  bien  mérité  de  leurs  fujets  :  vous  nV 
»  vez  poinr  coûté  de  larmes  ^  la  terre  ;  vous  avez  entretenu  l'abondance 
9»  &  l'harmonie  dans  vos  Etats  :  dormez  en  paix!  Les  obélifques ,  les 
»  ftatues,  les  temples  feront  démolis  par  le  temps;  votre  gloire  fera  inal- 
^  térable  ;  elle  eit  pure  \  elle  a  eu  pour  objet  le  bonheur  des  hommes. 
B  Au  jour  ou  l'Eternel  viendra  juger  l'univers  ,  votre  réveil  ne  fera  point 
»  horrible  ;  une  multimde  de  tout  fexe  &  de  tout  âge  s'écriera  :  Dieu  de 
B  juftice  &  de  bonté  !  le  voilà  celui  qui  fut  ici-bas ,  ton  image  ,  il  a  été 
B  juile  &  clément ,  il  nous  a  fait  tout  le  bien  qui  étoit  en  fon  pouvoir  : 
B  Dieu  magnifique  !  récompenfe-le ,  acquitte  la  dette  immenfe  que  nous 
3i  lui  devons,  nous&  notre  poilérité!  <^  M.  M — r. 


CHARLES     VII ,    Roi  de  France. 


c 


_  E  Prince  s'eft  acquis  à  jufte  titre  le  glorieux  furnom  de  Reftaurateur 
de  la  Monarchie  Françoife  :  car,  depuis  Hugues  Gapet,  elle  n'avoît  point 
été  fi  près  de  fa  chute*  que  lorfqne  Charles  VU  monta  fur  le  Trône.    Les 
Ai^lois  étoient  maîtres  de  toute  la  Normandie ,  d'une  bonne  partie  de  la 
Guienne,  de  la  moitié  dé  l'Anjou  &  du  Maine,  de  la  capitale  du  Royau- 
me ,  &  de  plus  de  vingt  lieues  de  pays  à  Pentour.  Le  Languedoc ,  le  Dau- 
phiné  &  le  Lyonnois  étoient  les  feules  Provinces  dont  ce  Prince  jouk  paî- 
fiblement.    Charles    VII  ,   étoit    refté   le  feul   des   fix    fils   qu'avoir    euf 
Charles  VI  fon  père.  Le  meurtre  de  Jean  Duc  de  Bourgogne,  dans  lequel 
la  Reine  Ifabeau  crut  qu'il  avoit  trempé,  lui  attira  la  haine  de  cette  mère 
dénaturée.    Elle  profita  de  l'état  de  démence  où  étoit  le  Roi  fon  époux , 
pour  faire  marier  Catherine  fa  fille  avec  Henri  Roi  d'Angleterre.  Elle  fit 
ilatuer,  par  le  traité  de  Troyes,  qu'après  la  mort  de  Charles  VI,  Henri 
feroît  Roi  des   deux  Royaumes.  Ce  Prince  vint  à  Paris,  époufa  la  Prin- 
ceflè,  &  fet  reçu  avec  les  plus  grands  honneurs.  Le  nouveau  Duc  de  Bour- 
gogne ,  de  concert  avec  la  Reine ,  accufa  le  Dauphin  de  la  mort  de  fon 
père.  Ce  Prince  fîit  cité  à  la  table  de  marbre ,  &  n'ayant  pas  comparu ,  il 

lut,  en  vertu  d'un  arrêt ,  banni  du  Royaume  &  déclaré  indigne  de  fuccé- 
Tome  XI.  Ggg 


4i8  CHARLES    VII,    ^ot  dt^ France.    • 

der  à  la  couronne.   Charles,  indigné  d'une  telle  injuftice,  en  apfclla  à  h 
loi  fondamentale    de  TEtat ,  &  à  fon  épée.  11  prif  la  qualité  de  Régent , 
transféra  le  Parlement  &  TUniverfité  à  Poitiers  ^  ,&  créa  de  grands  Offi- 
ciers. Il  courut  d'unç  Province  à  une  autre ,  pour  retenir  la  noblefle  dans 
îbn  parti  :  mais  il  étoit  fans  argent,  &  on  avoif  çpnfifqué  le.  revenu  de 
fes  terres.    Il  falloir  un  grand  courage  dans  ce  jeyne  Prince  pour  ne  pas 
fuccomber  fous  de  telles  extrémités.  11  en  donna  des 'preuves.  Le  Comte 
de  Boukan,  Ecofïois,  lui  amena  quatre  mille  hommes.  Avec  ce  fecours, 
&  fécondé  du  Maréchal  de  la  Fayette  ,   il  battit   les  Anglois  auprès  de 
Baugé  en  Anjou,  Sur  ces  entrefaites  le  Roi  d'Angleterre  mourut  à  Vin- 
cehnes,  &  fa  mort  fut  fuivie  de  celle  .du  Rpi  Charles  VL  Ainfi  le  Trône 
de  France  appartint  inconteftablemerit  à  Charles  VIL  Mais  il  avoir  fur  les 
bras  un  monde  d'ennemis.  Il  fut  obligé  de  lever  le  fiege  de  Crevant,  & 
deux  batailles  qu'il  perdit  conlécutivement  diminuèrent  tellement  fes  for- 
ces ,  qu'il  fut  contraint  de  fe  retirer  à  Bourges ,  &  d'y  vivre  fort  à  l'étroit. 
La  guerréquî  s'éleva  en  Angleterre  entre  les  Ducs  de  Brabant  &  de  Glo- 
ceftre ,  lai(ïa  refpirer  quelque  temps  Châties  VII ,  &  lui  dpnna  lieu  de  fé- 
tablir  peu-Vpeu  le  malheur  de  fes  ajSairçs.  On- uavailla, à  détacher  les  D^cs 
de  Bourgogne  &  de  Bretagne. 

.  • .  .  >  -     ■  -   .      .    .  ^  ..    ,.  ^ .  -.    .  - 

AmoUr  dt  Charles  VII  pour  Agnès  SorcL 

V^E PENDANT  ce  Prince  retiré  à  Bourges^  &  fe  repofant  fur  la  fidé- 
lité ik  la  valeur  de  fes  Généraux,  s'endormit  quelque  temps  dans  le  repos 
&  fembla  négliger  le  foin  de  fa  gloire  :  H  fe  livra  à  fes  plaifirs,  &  à  l'a- 
mour qu'il  avoir  conçu  pour  la  belle  Agnès  Sorel.  Cette  fille  étoit  née  en 
Touraine,  près  de  Loches,  de  Jean  Sorel,  Seigneur  de  Saint  Geran  &dc 
Fromenteau,  Etant  refiée  orpheline  à  dix-huit  ans,  le  bruit  de  fa  beauté 
vint  jufqu'aux  oreilles  du  Roi.  Ce  Prince  fut  curieux  de  la  voir  :  il  la  vit, 
&  l'aima,  jufqu'au  point  de  ne  pouvoir  plus  vivre  fans  elle;  &  voulut 
qu'elle  vînt  dans  fa  cour.  Sa  fagefle ,  la  douceur  de  fon  caraâere ,  fes  fco- 
timens  nobles,  élevés,  la  firent  ai'raer  de  la  Reine  même.  L'attachement 
que  Charles  eut  pour  elle  dura  pendant  toute  la  vie  d'Agnès.  Dans  ce  lonj 
efpace ,  elle  fe  montra  toujour!^  aufli  jaloufe  de  la  gloire  du  Roi  que  de 
la  poffefnon  de  fon  cœur.  Elle  en  donna  une  preuve  bien  fenfible  dans  le 
temps  dont  nous  parlons  où  les  af&ires  de  ce  Prince  étoient  dans  la  plus 
grande  extrémité;  car  elle  contribua  plus  que  perfonne  à  raffermir  fon 
courage  ébranlé,  &  à  le  retirer  des  plaifirs  oii  le  portoient  fon  âge  &  hn 
penchant.  En  effet ,  pendant  que  les  Anglois  parcouroient  fes  Etats ,  U 
craie  à  la  main,  comme  dit  Duhaillan ,  ce  Prince  fe  divertiffoit  avec  & 
petite  cour ,  il  s'occupoit  à  imaginer  des  ballets ,  fans  penfer  qu'il  n'alloît 
être  Rot  que  de  nom.  Fothon  de  Saintrailles  &  Etienne  de  Vignoles  étant 


CHAH  LE  S^  VII,   Roi  de  France,  41^ 

àll^s  i  Bourges  jioiir  lui  parler,  le  trbuvereni:  au-milîeu  de  ces  vains  amu- 
femew.  Dès  que  ce  Prince  les  vit,  il  leur  demanda  Ce  qu'ils  penfoient  de 
la  fere  qu^l  donnoir.  Ne  trouvai-je  pas ,  leur  dic-il ,  le  moyen  de  me  bien 
divertir  ?  Oui  Site ,  lui  répondit  l'un  d'eux  ,  il  faut  convenir  qiûon  ne  fau- 
roit  perdfe  une  couronne  plus*  gaiement.  Ces  paroles  firent  quelqu'impreflîon 
fur  Charles.   Mais  ce  Fut  Agnès  Sorel  qui  réveilla  ce  Prince  de  Ton  affou- 
piflemenr.  Cette  belle  pérfonne ,  fe  reprodiant  de  le  voir  dans  une  efpece 
d'infénfibiliré  pour  là  gloire ,^ chercha  à  l'en  retirer,  &  ufa  pour  cela  d'un 
tour  ingénieux.  Elle  parut  un  jour  afftz  trifle  auprès  de  lui.   Charles  lui  en 
demanda  la  raifon.  »  Sire,  lui  dit-elle,  peut-être  fuis-je  à  la  veille  de  m'é- 
»  loigner  de  vous.   J'ai  fiiit  tirer  mon  horofcope  :  on  m'a  prédit  que  je 
»  ferois  aimée  d'un  grand  Roi.   Ce  ne  peut  êrrc  vous,  qui  allez  bientôt 
»  être  entièrement  dépouillé  de  vos  Etats.  Pour,  remplir  mon  fort,  il  faut 
»  que  je  pafle  à  la  cour  du  Roi  d'Angleterre  qui  va  joindre  votre  Royau- 
»  me  au  fien.  "  Ces  paroles  furent  comme  un  trait  qui  ralluma,  dans  le 
cœur  de  Charles  »  l'amour  de  la  gloire  :  il  ne  vouloir  pas  qu'an  autre  que 
lui  fût  ce  grand  Roi  dont  parloit  l'horofcope.   Il  s'appliqua  à  mériter  ce 
titre ,  en  travaillant  au  rétabliflement  de  Ces  affaires.  Il  e(l  vrai  de  dire  que 
ce  Prince  ne  reçut  jamais  d'Aghés  Sorel  que  des  impreHions  convenables 
à  (on  rang  &  avantageufes  à  l'Etat.   Elle  n'abufa  jamais  de  l'attachement 
que  Charles  eut  pour   elle.'  La  Reine  même ,  qui  donnoiflbit  le  cara'derç 
de  fon  époux,  âîma  mieux  avoir  une  rivale  dont  les  inclinations  étoîeni 
portées  au  bien  de  l'Etat,  qu'une  femme  ambitieufe  qui  en  auroit  diffipc 
les  fînàuces  :  Charles  fe  cônfoloît  avec  elle  de  tous  les  foucis  qui  accom- 
pagnent fouvent  la  royauté;  &,  lorfqu'il  eut  reconquis  Paris,  il  lui  fit  don 
du  château  de  Beauté  fur  Marne.     '      * 


La  Pueelle  dP.Orléans^'  ^ 

* 


pour  en   faire  le  fiege  ;  il   favôir  qu'en!  prenant   cette  *>^ille,  il  téduiroir 


Parîs^'at  le  Duc  de  Bourgogne  ,"&*il  avoir  dé^* fait  co^noître  fes  talens; 
iTiîUtaires  par  p!uGeùrs  exploits   :  i\  i^ùit'ûx^qué.le  qxïîr^^  dé 

îufFolc,  taillé  en  pWes  plus' de  qufnie' cents :fibmmçs^      HélivWEJJVIonraN' 
jisi'  ces  àvanta'ges  àvbient -relevé*  Itr  Courage"  déf  Françmi.  Tout^xc  qu'il" 

Ggg  2 


4ie  CHARLES    VII,   Roi  ék  France. 

y  avoit  alors  de  vaillaos  hdmmes  e»  France ,  s'étoit  renfermé  avec  le 
Comte  de  Dunois  dans  Orléans  ,  &  encr^aucres  Saintrailles  ,  la  Hire, 
Thouars,  Chabannes,  la  Fayette.  Jaucour  en  ëtoit  Gouverneur,  &  le  Roi 
y  avoit  envoyé  le  peu  de  croupes  qui  lui  refloient.  Cependant  les  Anglois 
preflbient  le  fiege  avec  la  plus  grande  vigueur.  Ils  élevèrent  autour  de  la 
ville  foîxante  forts ,  &  tirèrent  des  lignes  de  circonvallation  pour  empêcher 
qu'aucun  fecours  n'y  pût  entrer.  Ce  fiege  fut  une  fuite  continuelle  d'atta* 
ques  &  de  combats  dans  les  fojrties,  d'avantajges  ou  de  pertes^  de  convois 
enlevés,  de  pofles  pris  ou  défendus.  Mais  malgré  la  brave  défenfe  des  aflié- 
gés,  les  Anglois  gagnèrent  infenfiblement  du  terrein  ;  les  convois  commen* 
cerent  à  ne  pouvoir  entrer  que  difficilement,  le  peuplé  fouffroit.  Les  Fran- 
çois avertis  qu'on  amenoit  un  convoi  de  ^harengs  pour  le  camp  des  An- 
glois, voulurent  l'enlever,  ils  furent  batms.  Charles  étoit  alors  il  Chinon 
en  Touraine ,  incertain  s'il  ne  fe  retireroit  pas  en  Dauphiné  :  cependant  il 
travaiUoit  à  tirer  de  l'argent  des  principales  villes,  pour  lever  des  foldats 
&  les  envoyer  au  fecours  d'Orléans. 

Les  chofes  en  étoient  à  ces  extrémités,  lorfqu'une  fîUe  de  dix-huit  ans, 
née  d'une  famille  obfcure  en  Lorraine ,  appellée  Jeanne  d'Arcq ,  crut  feu- 
tir  une  infpiration  qui  l'appelloit  au  fecours  d'Orléans  &  du  Roi.   On  l'a- 
mené d'abord  à  Baudricourt ,  Gouverneur  de  Vaucouleurs.  Cet  Officier  U 
craite  de  viflonnaire  ^  cependant  il  lui  fait  ies  queflions ,  elle  v  répond  avec 
bon  fens  &  fageffe.  Frappé  de  la  nouveauté  de  la  choie ,  il  envoie  ^  cette 
fille  à  Charles  avec  un  habit  d'homme ,  des  armes  &  des  chevaux.  Jeanne 
d'Arcq   reconnoit  le   Roi  qui  s'étoit   confondu  avec  les  Seigneurs  de  fa 
cour,  quoiqu'elle  ne  l'eût  jamais  vu.  Charles  la  fait  examiner  par  des  Doc- 
teurs &  des  Magiflrats.  Leur  avis  eft  qu'elle  efi  envoyée  de  Dieu.  Le  Roi 
lui  confie  le  foin  de  fecourir  Orléans.  Cette  nouvelle  attire  tous  fes  éteih 
dards  un  grand  nombre  de  foldats.  Elle  arrive  devant  cette  ville  à  la  tête 
de  cinq  cents  hommes  ;  le  bâtard  d'Orléans  fait  une  grande  fbrtie ,  pour  br 
vorifer  fon  entrée.  Elle  y  entre  en  effet ,  &  comme  en  triomphe.  Son  ar- 
rivée répand  b  joie  &  ranime  le  courage.   On  ne  fe  flattoit  pas  en  vain. 
Secondée  du  Comte  de  Dunois,  elle  attaqua  les  poftes  des  Anglois,  &  tout 
les  jours  furent  marqués  par  autant  d'exploits ,  qui  convainquirent  les  plul 
incrédules  de  la  valeur  de  cette  Héroïne.   S'il  y  avoit  dans  fon  ame  quel- 
que  choie  de  furnaturel ,  il  paroît  que  fon  corps  n'étoit  pas  à  l'épreuve  du 
Kt  ou  du  feu  i  on  vit  couler  le  fang  de  fts  habits  d'un   coup  de  flèche 
qu'elle  reçut^,  mais  fa  bleffure  n'eut  aucune  fuite  fàcheufe.    Elle  attaqua 
Uicceffivement  les  forts  des  Anglois  :  le  plus  confidérable  fût  vaillamment 
défendu;  l'attaque  dura  quatorze  heures,  les  François  y  furent  repouffiff 
jufqu^  quatre  fois  ;  la  Pucelle  les  ramena  autant  dé  fois  à  la  charge,  &fe 
fignala  par  des  aâions  de  valeur  qui  la  firent  admirer  des  deux  partis: 
eâin  le  fort  fut  pris  d'aflaut,  &,  de  douze  cent^  hommes  qui  le  défèo- 
doient,  il  y  en  eut  plu^  de  fix  cents  taillés  en  pièces.  Les  Anglois^  voyant 


CHARLES    VII,  Jîoi  dt  France.  4x1 

qu'il!  ne  pouroienc  plus  empêcher  que  les  vivres  n'entrafTent  dans  la  ville , 
levèrent  le  fiege  qui  duroic  depuis  lept  mois.  Dès-lors ,  la  Pucelle  fut  re- 
gardée comme  l'Apge  rutélaire  de  la  France  &  la  Libératrice  de  l'Ëtat. 
Enfuite  elle  alla  trouver  le  Rpi,  à  Chinon,  avec  les  troupes  qui  avoient 
défendu  cette  ville  :  Ce  Prince  la  reçut  avec  les  témoignages  de  la  plus 
vive  reconnoiflànce  ;  il  Tennoblit  elle  &  fa  famille.  Après  avoir  reçu  tous 
ces  honneurs  avec  la  plus  grande  modefiie,  elle  déclara  à  Charles  que  le 
fécond  objet  de  fa  million  étoit  de  le  mener  à  Rheims ,  pour  être  facré  ; 
ce  qu'elle  exécuta  avec  beaucoup  de  prudence  &  de  courage,  car  il  i&Uoit 
traverfer  plus  de  quarante  lieues  de  pays  ennemi.  Dans  cet  intervalle  « 
Charles  fécondé  de  la  Pucelle  &  du  Connétable  de  Richemont,  prit  pla- 
ceurs places ,  entr'autres  Gergeaux  &  Meun  ;  il  fit  le  fiege  de  Beaugency  ^ 
ce  qui  occaiionna  la  bataille  de  Fatay  en  Beauce  ,  oit  les  François  rem- 
portèrent une  viâoire  complette  fur  les  Anglois.  Ce  retour  de  fortune  ra* 
mena  à  Charles  la  plus  grande  partie  de  la  Noblefle  ,  que  fon  adverfîté 
avoit  écartée.  Ce  Prince  arriva  à  Rheims  à  la  tête  de  fon  armée  viâorieu- 
fe  9  il  y  fut  facré  avec  toute  la  pompe  convenable  à  cette  cérémonie. 
Après  quoi  ,  la  Pucelle  expofa  au  Roi  que  fa  miflion  étoit  finie ,  &  de* 
manda  a  fe  retirer  dans  fon  pays ,  mais  ce  Prince  s^  oppofa ,  &  la  pria 
de  continuer  à  l'aider  de  fa  valeur. 

Elle  accompagna  le  Roi  à  fon  retour  de  Rheims;  elle  partagea  la  gloire 
de  fes  exploits  à  Senlis ,  à  fieauvais^  à  Compiegne ,  à  Saint-Denis  ;  elle  le 
fecourut  lorfque  ce  Prince  voulut  fe  rendre  maître  de  Paris  &  qu'il  attaqua 
le  £iuxboi|^  Saint-Honoré  ;  elle  fut  même  bleifée  en  cette  occafion ,  &  xx^ 
rée  du  milieu  des  morts. 

Après  que  le  Roi  eut  levé  ce  fîege ,  &  qu'il  fut  retourné  à  Bourges  ^ 
Jeanne  d'Arcq  fe  renferma  dans  Compiegne^  alors  afliégé  par  le  Duc  de 
Bourgogne  >:  mais  elle  fut  prife  dans  une  fortie ,  &  vendue  aux  Anglois. 
Ceux-ci  ravis  de  joie  d'avoir  entre  leurs  mains  cette  Héroïne  à  qui  ils  im- 
putoient  toutes  leurs  piertes,  la  traitèrent  avec  la  dernière  indignité.  Ils 
l'enfermèrent  à  Rouen  dans  une  rude  prifbn ,  ils  voulurent  que  (on  procès 
lui  fût  &it  dans  les  formes.  Elle  fut  accufée  de  fortilege,  de  féduâion  & 
d'héréfie  ;  elle  eut  beau  convaincre  les  Juges  de  fon  innocence  par  la  force 
de  (es  réponfes ,  elle  fut  condamnée  à  être  brûlée  fous  de  vains  prétextes. 
L'Arrêt ,  dit-on ,  kt  exécuté  :  cependant ,  des  Auteurs  modernes  ont  en* 
trepris  de  prouver  le  contraire,  ^  foutiennent  que  l'exécution  ne  flit  qu'en 
effigie ,  que  la  Pucelle  eut  la  vie  fauve ,  &  qu^elle  vécut  plufieurs  années 
depuis  cet  événement. 


4aa    .  C  H  A  R  L  E  5    V 1 1 ,    Roi  de  Fran0&. 

La   paix   avec   le   Duc  de   Bourgade  ,    It   traité  d^Arras ,   lés    Angipis 

chaJJ'cs  de  Paris. 

Ann.  t4yj. 

J[\jL  Aigre  les  avantages  que  Charles  VII  venoît  de  remporter  ^  il  lui 
eût  fallu  une  longue  fuite  d^années  pour  conquérir  fur  les  Anglois  ce  qu'ils 
avoîent  ufurpé.  Le  feul  moyen  de  produire  une  révolution  étoit  de  déta- 
cher de  leur  parti  le  Duc  de  Bourgogne  ^    qui  ne  pouvoir  fe   réfoudre  i 
faire  la  paix  avec  la  France ,  depuis  que  fon  père  avoir  été  tué  à  Mon- 
treau.  Le  Connétable  de  Richemont ,  homme  de  fens ,  &  de  grande  expé- 
rience y  Rit  le  médiateur  de  cette  affaire  importante.   Ayant  obtenu  une 
entrevue  du  Duc  y  il  employa  auprès  de  lui  les  motifs  les  plus  puiflàns 
pour  le  porter  à  la  paix^  il  lui  fit  remarquer  que  les  raanes  de  fon  père 
dévoient  être  appaifés  par  tout  le  fang    qui  avoit   été  répandu ,  que  la 
grande  jeuneffe  oii  étoit  le  Roi^  lors  de  ce  trifte  événement,  devoir  lui 
fervir  d'excufe  ,  &  qu'il  devoir  par  honneur  &  par  religion  accorder  la 
paix  à  la  France.  Le  Duc  ébranlé  par  ces  raifons ,  promit  de  rentrer  dans 
le  parti  du  Roi ,  pourvu  qu'on  fatisflt  aux  conditions  qu'il    demanderoit 
dans  l'affemblée  qui  feroit   tenue  à  cet  ef&t.   Il  propofa  la  ville  d'Arras; 
elle  fut  acceptée.  Charles  y  envoya  fes  Ambaffadeurs;  ceux  de  la  plupart 
des  Princes  de  l'Europe  s'y  trouvèrent ,  &  jamais  aflemblée  ne  fur  plus  il- 
luflre.  Les  Ambaffadeurs  du  Roi  accordèrent  tout  ce  que  demanda  le  Duc. 
II  y  fut  arrêté  que  Charles  défavoueroit  le  meurtre  de  Jean  de  Bourgogne, 
qu'il  fbnderoit  une  Chapelle  à  Montreau  &  une  Meffe  annuelle  ^   que  le 
Roi  payerait  une  fomme  de  fôix^nte  mille  écus  d'or  ;  qu'il  céderoit  au  Duc 
les  villes  de  Mâcon,  Auxerre,  Bar-fur-Seine,  Peronne,  Montdidier,  Roye, 
le  Comté  d'Artois,  &c.  A  ces  conditions,  le  Duc  de  Bourgogne  recomiut 
Charles  pour  fon  légitime  Roi. 

Cette  paix  produifit  les  plus  heureux  ^fffts.  Les  troupes  du  Duc  groffi- 
rent  celles  de  Charles.  Le  bâtard  d'Orléans  &  le  Maréchal  de  Rieux,  firent 
des  courfes  jufqu'aux  portes  de  Paris,  &  fournirent  au  Roi  une  infinité  de 
places.  Le  Connétable  dé  Richemont  ayant  mis  fur  pied  une  armée ,  & 
liiivî  de  quantité  de  Kfobleffe ,  s'avança  vers  Paris.  Le  peuple  y  étoit  las  de 
la  domination  des  Anglois.  Après  avoir  pris  de  jufles  mefures,  on  cria  dans 
les  halles  t  Vive  le  Roi,  &  dans  le  même  temps,  le  bâtard  d'Orléans  & 


tude  fans  nombre  de  citoyens ,  &  fe  réfugia  à  la  Baflille.  Bientôt  le  Con- 
nétable l'obligea  de  fe  rendre  à  difcrétion  ,  &.  lui  permit  de  fe  retirer  avec 
le  refle  des  Anglois. 


CHARLES    VII,    Roi  de  France.  423 

Conduites  de   Charles  VIL 

Ann.    1437. 

V^HarlES  ayant  appris  ces  heureufes  nouvelles,  s'approcha  de  Paris; 
il  ne  voulut  plus  être  fimple  fpeâaceur  des  exploits  de  fes  Généraux ,  & 
il  réfolut  de  fe  mettre  à  leur  tête  ;  il  commença  par  le  fiege  de  Mon- 
treau  I  place  forte.  Le  Connétable  y  ayant  amené  dix-huir  mille  hommes, 
le  Roi  prie  la  conduite  de  ce  fiege ,  &  il  y  paya  de  fa  perfonne.  Il  monta 
un  des  premiers  fur  les  remparts,  combattit  main  à  main  avec  les  An- 
glois ,  &  fe  fit  admirer  par  Ion  intrépidité.  Il  défabufa  bientôr  les  efprits 
des  impreflions  défavantageufes  qu^on  avoit  conçues  de  lui  :  rien  n'égaloit 

fon  aftivitÉ'  ''    "^  "    ^'"' **"  ^'  ^'    ^ •-     '^ 

pellée  U  l 
qu'il  parut 

pie  y  aucune  ville  ne  lui  réfiAoit  :  en  peu  de  temps  il  diffîpa  l'armée  des 
ligués.  Il  s'avança  en  Auvergne ,  &  fournit  à  (es  loix  cette  province.  De- 
là il  paflà  dans  la  Champagne  pour  arrêter  les  défordres  des  pillards ,  qu'on 
appelloit  écorcheurs  à  caufe  de  leur  cruauté,  il  les  chaffa  de  leurs  torts; 
il  entreprit  le  fiege  de  Fontoife  que  les  Anglois  avoient  fortifié,  il  fe  trouva 
en  perfonne  à  tous  les  travaux  \  on  le  vit  monter  fur  la  muraille ,  donnant 
les  ordres  au  milieu  du  feu  &  du  carnage.  On  a  de  la  peine  à  fuivre  ce 
Prince  dans  fes  expéditions.  De  Fontoife,  qu'il  venoit  de  prendre,  il  re- 
tourne en  Poitou  pour  arrêter  les  progrès  des  Anglois  &  y  faire  refpeâer 
fon  autorité;  aflîege  Taillebourg,  le  prend  d'affaut,  entre  dans  la  Guien^ 
ne,  fe  rend  maitre  de  Tarbes,  Saint-Sever,  Acqs,  la  Reole,  &  revient  à 
Tours  fe  montrer  à  Agnès  Sorel ,  couronné  .de  lauriers. 

Les  Anglais  chajjcs  de  la  UormandU. 

Ann.  1449. 

i  JEs  Anglois  avoient  pillé  les  havres  de  Dieppe  &  de  la  Rochelle.  Char- 
Jjss  réfolut  de  les  chaiTer  entièrement  de  la  Normandie,  &  il  exécuta  ce 
deilbin  avec  la  plus  grande  vigueur.  Après  avoir  fait  tous  fes  préparatifs , 
il  raffembla  toutes  les  forces- de  la  France  dans  cette  province,  il  les  di« 
vifa  en  quatre  armées,  &  fit  Généraliffime  le  Comte  de  Dunois.  Bientôt 
toutes  les  villes  fe  fournirent.  Se  voyant  à  la  tête  de  cinquante  mille  hom- 
mes ,  il  marcha  vers  Rouen ,  &  la  ville  capitula.  Sur  ces  entrefaites ,  le 
Connétable  de  Richemont  gagna  la  bataille  de  Fourmigni ,  ài  cette  vie* 
loire  acheva  la  conquête  de  la  Normandie. 


41^  CHARLES    VII,   Roi  de  France. 

% 

Les  Anglais  chaffcs  de  U    Guienne. 

Afin,   14^1» 

X^  Es  Anglois  étoîent  en  poflefllîon  de  la  Guienne  depuis  trois  cents  ans  ; 
il  s'agiflbit  de  la  leur  enlever.  Charles  fe  porta  à  cette  entreprife  avec  la 
même  ardeur  aù'il  les  avoit  chaflës  de  la  Normandie.  Son  armée  montoit 
à  quarante  mille  hommes ,  il  voulut  que  le  même  Comte  de  Dunois  en 
eût  le  commandement.  Les  places  ne  tinrent  pas  long-temps.  Bordeaux 
ouvrit  Tes  portes  &  le  Général  François  y  fit  ion  entrée  le  29  Juin.  Le 
Roi  confirma  à  toutes  les  villes  de  la  Guienne  leurs  anciens  privilèges,  & 
réunit  cette  Province  à  la  Couronne.  L^année  fuivante^  les  Etats  de  Guienne 
firent  une  ligue  avec  les  Bordelois  pour  rappeller  les  Anriois.   Le  Géné- 
ral Talboty  avec  qui  ils  pratiqùoient  des  intelligences,   nt  une  defcente 
dans  cette  Province ,  &  reprit  les  places  que  les  François  avoient  conqui- 
fes.  Charles ,  pour  réprimer  cette  rébellion ,  fît  avancer  des  troupes.  On 
inveftit  Caftillon  fur  la  Dordogne  9  on  y  pratiqua  des  lignes  pour  la  pre- 
mière fois,  &  on  y  éleva  des  batteries  de  canon.  Talbot  voulut  attaquer 
ces  lignes ,  les  François  fe  préparèrent  à  les  défendre.  On  combattit  de  part 
&  d'autre  avec  beaucoup  d'acharnement ,  mais  les  Anglois  ne  purent  knk 
tenir  l'effort    des  François  :  ils  furent   rompus  &    perdirent    deux  mille 
hommes ,  du  nombre  defquels  fut  le  fameux  Talbot ,  qui  foutint  jufqa'à 
rage  de  quatre-vingts  ans  la  réputation  d'un  des  plus  grands  Capitaiôes 
d'Angleterre.  Les  François  viâorieux  ne  trouvèrent  plus  de  réfiftance.  Ui 
villes  rebelles  ouvrirent  leurs  portes.  Bordeaux  n'ola  pas  tenir  devant  îe 
Roi.  Ce  Prince  condamna  les  habitans  à  une  amende  de  cent  mille  écus; 
&  pour  s'affurer  de  leur  fidélité ,  il  fît  élçver  à  côté  de  la  ville  les  deux 
«hâteaux  de  Trompette  &  de  Ha. 

Ltahliffemens  utiles  de  Charles  VIL 

Ann.    14^2 

V^  Harlcs  ,  après  avoir  chaffé  les  Anglois.  de  prefque  tout  le  Royaumej 
ne  fongea  plus  cju'à  goûter  le  fruit  de  Ces  vidoires  dans  les  douceurs  de 
la  paix  )  &  à  faire  un  grand  nombre  de  réglemens  pour  la  difcipline  mi- 
litaire. 

C'efl  ici  le  lieu  de  parler  de  la  Pragmatique  Sanfidon,  que  ce  Prince 
avoit  établie  plufieurs  années  auparavant  :  ce  fijt  un  règlement  deftioé  k 
remédier  aux  abus  qui  s'étoient  gliffîs  depuis  long*temps  dans  les  éleâioos 
des  Evéques  &  des  Abbés ,  &  qui  caufoient  une  étrange  confufion  dao^ 
l'Eglife.  Charles  VU ,  pour  y  mettre  fin  ^  convoqua  une  affemblée  à  Bou^ 
ges.  Ce  Prince  s'y  trouva  en  perfonne,  &  plufieurs  Princes  du  Sang,l» 

Prélacs 


en  A  RLE  s    vu  ^  Roi  de  France.  425 

Prélats  du  Royaume ,  les  Députes  des  Farietnens  &  des  Unîverfités  :  ceux 
du  Concile  de  Bâfle  s'y  rendirent  Comme  le  Clergé  de  France  avoit  en- 
voyé des  mémoires  à  ce  Concile,  les  Pères  qui  le  compofoient  envoyé- 
rent  au  Roi  les  décrets  qu'ils  avoient  faits  touchant  la  liberté  des  éleâions. 
En  conféquence ,  l'aflemblée  de  Bourges  dreffa  des  articles  conformes  à 
ces  décrets^  &  pria  le  Roi  de  les  autorifer  par  une  loi.  Charles  accorda 
ce  qu'on  lui  demandoit ,  il  déclara  qu'après  avoir  ^t  examiner  les  décrets 


Royaume,  Cette  loi  fut  appellée  Pragmatique,  Elle  ôtoit  aux  Papes  prel- 

3ue  tout  le  pouvoir  qu'ils  s'étoient  attribués  de  conférer  les  bénéfices  & 
e  juger  des  caufes  eccIéHaftiques  de  France  ;  elle  vouioit  que  les  élec- 
tions fulTent  faites  avec  liberté  &  par  ceux  qui  ont  droit,  &  déclaroit  la 
fupériorité  des  Conciles  généraux  au-defTus  du  Pape.  C'étoient  là  du  moins 
les  principaux  articles  de  la  pragmatique,  qui  fubfifta  jufqu'au  temps  que 
le  concordat  lui  fut  fubflitué  fous  François  premier. 

Les  réglemens  que  Charles  VU  fit  dans  la  partie  militaire ,  font  Pépo- 

3ue  la  plus  remarquable  de  fbn  règne.  Il  abolit  les  compagnies  des  Gen- 
armes  qui  fàifoient  le  gros  des  armées  ;  c'étoient  des  troupes  fans  difci- 
pline ,  qui  ne  combattoîent  que  félon  leur  caprice.  Il  fit  un  nouvel  état 
de  guerre  ;  il  établit  les  compagnies  d'Ordonnance  qui  furent  des  troupes 
réglées;  il  inftitua  les  francs-archers;  il  obligea  chaque  village  de  lui  en- 
tretenir un  archer  qui  devoir  marcher  au  premier  ordre  ^  toutes  les  compa* 
gnies  furent  compfettes  ,  &  toutes  les  troupes  étoient  payées  dans  les 
montres  qu'on  faifoit  tous  les  mois.  Il  fit  des  réglemens  pour  bannir  les 
défordres  dans  lès  armées,  &  défendit  toute  violence  dans  la  campagne, 
jfous  peine  de  punition.  Il  donna  fes  (oins  pour  avoir  une  belle  &  noni- 
breufe  artillerie  &  les  charrois  néceflaires  pour  les  munitions  :  en  quoi 
le  (ire  Bureau  de  la  Rivière ,  très-entendu  dans  cette  partie ,  lui  fut  d'un 
grand  fècours.  Au  moyen  de  ces  fages  établiffemens ,  tout  changea  de  fa- 
ce,  &  la  guerre  fe  fit  avec  régularité  &  avec  fuccès.  Aiofî  on  peut  dire 
3ue  les  Rois  fes  fucceflèurs  furent  redevables  à  ce  Prince  d'une  infinité 
e  fages  établiffemens ,  &  durent  lui  favoir  gré  d'avoir  trouvé  les  chofes 
fur  un  aulli  bon  pied  que  les  mit  Charles  VII  :  c'efl  ce  qui  rend  fon  règne 
un  àes  plus  mémorables  dans  l'hiftoire  de  France. 

Si  Charles  VII  eut  quelques  défauts ,  il  eut  de  grandes  qualités  ;  \eé  hits 
que  nous  avons  rapportés  en  font  une  preuve.  Malgré  les  embarras  d'un 
règne  agité  de  troubles,  fon  amour  pour  la  juftice  n'en  fut  pas  moins  vif. 
On  lui  doit  la  rédaâion  par  écrit  des  Coutumes  de  France,  qu'il  fit  faire 
en  14^4.  Ses  fucceffeurs  n'ont  fait  que  fuivre  fon  projet  dans  l'exécution. 
11  eut  l'adreire  &  la  politique  de  lever  les  tailles  fans  le  confentement  des 
Etats  du  Royaume .  o(  de  les  réduire  en  forme  d'impôt  ordinaire.  Four  en 
Tome  XI.  Hhh 


426  C  H  A  R  L  E  S    IX,    Roi  de  France. 

venir  à  bouc ,  il  profita  des  befoins  preflans  de  PEtat ,  &  de  la  néceflité 
de  payer  les  troupes  qu'il  fàlloic  licencier.  On  gagna  les  uns  par  des  pen- 
fions ,  d'autres  par  des  privilèges.  Charles  fe  conduifit  en  tout  cela  avec 
beaucoup  de  modération.  Il  témoigna  un  amour  fingulier  pour  les  Lettres , 
&  tenta  d'introduire  les  Sciences  dans  le  Royaume.  C'eit  à  lui  que  nous 
devons  les  Chroniques  de  France,  ou  le  premier  plan  d'une  hifloire  géné- 
rale de  la  Monarchie  :  il  fufEfoit  d'annoncer  quelque  talent  ou  difpoficioti 
aux  Sciences  pour  mériter  l'attention  &  la  faveur  de  ce  Prince. 

La  fin  de  fa  vie  fut  troublée  par  les  chagrins  que  lui  donna  l'humeur 
impérieufe  de  fon  fils ,  qui  fut  depuis  Louis  XL  Ce  Prince ,  fur  quelques 
reproches  que  lui  fit  fon  père ,  s'étoit  retiré  en  Dauphiné ,  où  il  gouver- 
noit  avec  cet  air  abfolu  qu'il  fut  depuis  fi  bien  étendre;  &  il  y  époufa, 
fans  fa  participation ,  la  PrinceiTe  de  Savoie.  Charles  l'ayant  mandé  à  la 
Cour,  il  refiifa  d'obéir,  &  fe  retira  chez  le  Duc  de  Bourgogne,  C'eft  aidi 
que  par  fa  dureté ,  il  empoifonna  la  joie  que  le  Roi  fon  père  auroit  po 
goûter  de  l'état  florifiant  où  il  avoit  mis  le  Royaume.  Charles  foupçonoa 
fon  fils  d'ofer  tout  entreprendre  pour  régner   :  bientôt  tout  lui  fit  ombra« 
ge  i  cette  défiance  vint  à  un  tel  point ,  que ,  dans  l'appréhenfion  d'être  em- 
poifonné,  il  fut  près  de  fix  à  fept  jours  lans  manger.  Au  bout  de  ce  terme  « 
vaincu  par  les  inftances  &  les  larmes  de  fon  fils ,  le  Duc  de  Berry  ^  il  vou- 
lut prendre  de  lanourrimre;  mais  les  conduits  étoient  reflerrés ,  il  ne  put 
rien  avaler ,  enfbrte  que  la  crainte  de  mourir  lui  caufa  la  more. 


CHARLES    IX,    Tloi  de  France. 

Extrait  de  P Abrégé  de  fa  vie  &  de  fon  règne ,  traduit  du  Latin  de  Papin 
Majfo ,  Auteur  contemporain ,  par  PAbbé  le  Laboreur. 

L  Naijance  de  Charles  IX. 

V^ H  ARLES  naquit  au  château  de  S.  Germain  en  Laye,   petit  bourg 
fitué  (iir  le  bord  de  la  rivière  de  Seine ,  proche  Paris ,  le  27  de  Juin ,  Pao 


,  qu'il  changea  depuis, 
Michel  de  Salon  (c'eft  le  Michel  de  notre  Dame,  autrement  appelle  i^of^ 
tradamus ,  natif  de  la  ville  de  Salon  en  Provence  ) ,  '  ayant  fait  f on  hoitn- 
cope,  prédit  que  fa  domination  feroit  fanglante  &  malheureufe  ;  ce  que 
le  fùcces  ne  fit  reconnoltre  que  trop  véritable. 


^CHARLES    IX,  Roi  de  France.  417 

II,  Des  ffierres  civiles  arrivées  fous  fin  règne. 

JLjEs  guerres  civiles  nées  fous  le  (bu  Roi  (on  prédécefleur ,  de  la  haine 
des  dçux  xnailbns  de  Guife  &  de  Montmorenci ,  ruinèrent  la  France  fous 
fon  règne.  Flufieurs  villes  furent  prifes ,  les  bourgades  brûlées ,  les  villa* 
ges  réduits  en  cendres  ;  &  il  en  coûta  bien  à  l'Etat  prés  de  quatre  cents 
mille  hommes,  qui  périrent  par  le  fer,  la  faim,  le  feu  &  la  pefie. 

II L  Les  viâoires  de  CRarles. 

JLL  (e  donna  quatre  batailles  ;  la  première  au  pays  Chartrain ,  près  la  ri-* 
viere  d'Eure,  ou  il  fut  tué  douze  mille  hommes,  (c'eft  la  bataille  de  Mar« 
ville ,  dite  de  Dreux  )  \  la  féconde  à  la  vue  de  Paris ,  (  c'eft  la  bataille  de 
S.  pénis ,  oii  Anne  de  Montmorenci ,  connétable  de  France ,  fut  blelTé  à 
mort  )  ;  la  troifieme  au  pays  de  Xaintonge ,  fur  les  bords  de  la  Charanre , 
(c'efl  la  bataille  de  BalTac,  dite  de  Jarnac),  où  demeura  Louis  de  Bour^ 
bon ,  chef  de  fon  parti  \  &  la  dernière  auprès  de  Montcontour ,  en  Foi- 
tou ,  où  il  y  eut  feize  mille  hommes  défaits*  Il  gagna  ces  quatre  viâoi- 
res  par  fes  Lieutenants-Généraux  ;  &  outre  cela  il  fe  fit  encore  plufieurs 
autres  combats  de  moindre  marque  dans  toutes  les  Provinces ,  &  il  y  eut 
des  (bulevemens ,  des  maffacres,  des  brigandages  prefque  par  tous  les  lieux, 
&  les  plaines  cultivées  ou  déferres,  de  ce  Royaume  :  tout  cela  pour  la 
Religion  ;  une  grande  partie  des  François  voulant  maintenir  les  anciennes 
cérémonies  de  FEglife ,  que  d'autres  vouloient  abolir  pour  introduire  de  nou- 
veaux ufages ,  fuivant  Théréfie  de  Calvin.  Cette  difcorde ,  la  plus  pernicieufe 
de  toutes  celles  qui  peuvent  troubler  le  repos  d'un  Etat,  ayant  rompu  par 
toute  la  France  les  plus  étroits  liens  de  ramitié ,  de  U  parenté  &  de  la 
fociété  civile. 

W.  Le  majfacre  de  Paris  (  la  S.  Barthélémy.  ) 

Nfin  le  mal  étant  fi  défefpéré  qu'il  en  fallut  venir  au  remède,,  & 
fuccéder  la  finefle  &  la  rigueur  à  la  force  ouverte  ;  il  fe  fervit  adroi* 
cernent  de  l'occafîon  &  du  prétexte  du  mariage  de  Marguerite  fa'  fœur 
avec  Henri  de  Bourbon ,  Prince  de  Béarn.  Cette  cérémonie  attira  à  Paris 
les  cheB  du  parti  ;  les  plus  nobles  de  la  fuite  &  de  la  maifon  du  Prince 
en  voulurent  être  \  fes  plus  braves  Capitaines  y  accoururent  tous  pour  faire 
leur  cour  auprès  du  Roi ,  &  pour  témoigner  leur  joie  de  l'avantage  Qu'ils 
fe  promettoient  de  cette  alliance  :  mais  comme  après  les  noces  chacun  d'eux 

Sréparoit  fon  retour,  le  jour  de  S.  Barthelemi,  de  très-grand  marin,  le 
Loi  donna  le  fignal  pour  les  maffacrer  :  les  bourgeois  de  Paris  aufli-tôt  txé* 
cuteiit  cet  ordre  fur  tout  ce  qui  fe  put  rencontrer  de  Huguenots  dans  la 

Hhh  2 


X 


^a8  C  H  A  KLE  S    IX  ^  Roi  de  FranU. 

ville ,  &  Gafpard  de  G>lligny ,  le  flambeau ,  ou  plutôt  Tembrafenient  même 
de  {â  patrie,  K{xxi  trois  jours  auparavant  avoit  été  blefTé  d'une  arquebufe^ 
au  retour  du  Louvre  y  fut  tué  de  plufieurs  coups  dans  fou  lit.  Il  y  mourut 
environ  deux  mille  hommes,  dont  les  corps  furent  traînés  à  la  rivière  de 
Seine  :  &  ce  carnage  arriva  le  24  Août  Tan  1 572 ,  à  la  vue  du  Roi ,  qui 
le  regardoit  du  Louvre  avec  beaucoup  de  joie.  Peu  de  jours  après  il  alla 
lui-même  voir  au  gibet  de  Montfaucon  le  corps  de  CoUigny ,  qui  y  étott 
pendu  par  .les  pieds  ;  comme  quelques-uns  de  fa  fuite  craignoient  ae  s^eo 
approcher,  à  caufe  de  la  puanteur  du  cadavre ,,  Podeur  d'un  ennemi  mort, 
1»  dit-il ,  eft  toujours  douce  &  agréable.  ^ 

V.  Lettre  du  Roi  aux  Gouverneurs  des  Provinces. 

/V^USSI'TOT  cette  exécution  faite,  il  envoya  ordre  par  écrit  à  tous  les 
Gouverneurs  des  Provinces  de  faire  pafTer  les  refies  du  parti  au  fil  del'épée; 
il  fut  fi  bien  obéi,  qu'à  peine  eût- on  reçu  fes  lettres,  qu'il  en  coûra  la 
vie  à  plus  de  dix  mille  perfonnes ,  fans'  aucun  égard  de  l'âge,  ni  du 
fexe  ;  ta  populace ,  irritée ,  n'oubliant  aucun  genre  de  cruauté  pour  fatif- 


venta 

des 

cette 


même  année  auroit  été  la  fin  des  guerres  civiles  &  le  commencement 
d'une  longue  paix.  Mais  Dieu  en  avoit  autrement  difpofé  ;  foit  pour  ven<* 
ger  le  fang  de  quelques  gens  de  bien  qu'on  avoit  mêlé  avec  celui  des 
hérétiques  \  ou  pour  quelque  autre  caufe. 

VL  La  dcvife  de  Charles. 

y" 

JLi  E  s  Officiers  du  Roi  portoient  fa  devife  fur  leurs  cafaques ,  qui  étojt 
compofée  de  deux  colonnes ,  avec  ces  mots  :  Pietate  &  Jujiitid ,  figoi' 
fiant  que   ces  vertus  font  les  colonnes   &  l'appui  des  grands  Empires.  U 


bouche  de  l'Empereur  Augufte ,  que  la  piété  &  la  jufHce  font  les  Dieux  : 


hérétiqi 

clémence ,  il  fe  fervit  de  la  févérité  ;  toutes  les  fois  qu'on  lui  parloit  en 
faveur  des  coupables ,  on  lui  entendit  répéter  ces  paroles  :  »  C'efl  cruauté 
d'être  clément  i  c'efl  clémence  d'être  cruel.  0  Four  ce  qui  efl  de  la  jufii* 


CHARLES    IX,  Roi  de  France:  429 

ce ,  il  n'y  fut  pas  fi  religieux  dans  la  déceflité  où  il  fe  vit  contraint  de 
rendre  tout  véçal,  d'impofer  de  nouvelles  charges  fur  (on  peuple,  & 
d'exiger  des  tributs  extraordinaires  pour  la  fîibfiftance  de  fes  armées,  & 
pour  fournir  aux  dëpenfes  journalières  de  fa  Maifon  &  de  fa  Cour. 

VIL  Son  plus  grand  Favori. 

1  L  eut  pour  principal  favori  Albert  de  Gondi ,  fils  d'un  Banquier  de 
Lvon ,  qui  lui  apprit  à  jurer  le  nom  de  Dieu.  Préférant  celui-ci  aux  plus 
illudres  de  fa  Cour ,  il  Téleva  infiniment  en  biens ,  en  faveurs  &  en  hon-i, 
neurs ,  &  il  l'auroit  encore  fait  plus  grand ,  s'il  eût  plus  longuement 
vécu.  Il  le  voulut  faire  Maréchal  de  France ,  qui  eft  l'une  des  premières^ 
dignités  du  Royaume  ;  il  le  fit  Gouverneur  de  Provence  :  enfin  il  lui  mie 
à  même  les  grandes  charges  &  les  richefTes  :  c'eft  une  chofe  certaine 
qu^il  tira  de  lui  en  cinq   ans  fix  cents  mille  écus  d'or. 

VIII.  Son  Précepteur  &  Ja  Nourrice. 

Xl  eflima  pareillement  beaucoup  Jacoues  Amiot  fon  Précepteur,  qu^ 
gratifia  de  plufieurs  riches  bénéfices,  oc  enfin  le:  pourvut  de  l'Evéché 
d'Auxerre.  Il  étoit  natif  de  Melun,  fils  d'un  boucher,  mais  d'ailleurs 
homme  d'un  efprit  excellent ,  &  né  favant  dans  les  langues  Grecque  & 
Latine.  Le  Roi  Charles  Tappelloit  toujours  fon  Maître  \  il  lui  Àifbit  fbrc 
la  guerre  de  fon  avarice,    &  le  railloit  de   l'appétit  qu'il  avoit  poiir  les 

"  •^        "    "       ^'  ^^    -     .        .^  Pierre- Vive)  il 

autre  chofe  d'elle 
qu'elle  fe  reconnût;  &  il  l'obtint  enfin  par  la  firayeur   qu'elle  eut 
de  la  S.  Barthélemi ,    encore  cju'il  n'y  eût  employé  que  des  prières  fans  au- 
cune menace.  Jamais  il  ne  lui  refufa  rien  de  tout  ce  qu'elle  lui  demanda 
pour  foi  ou  pour  les  fiens. 

IX.  Sa  libéralité. 

JL  L  étoit  trés*libéral  envers  toutes  fortes  de  gens ,  difant  fouvent ,  qu'un 
Roi  devoit  d'autant  plus  donner  volontiers,  que  les  peuples,  en  cela  com- 
parables aux  fleuves  qui  charrient  toutes  leurs  eaux  à  la  mer,  rapportent 
perpétuellement  leur  argent  au  tréfor  du  Prince. 

X.  Ses  exercices. 

XL  fe  divertifToit  à  divers  exercices ,  comme  de  danfer ,  jouer  à  la  paume, 
piquer  des  chevaux,  leur  forger  des  fers»  &  même  il  enteodoit  à  mener 


439  C  H  A  R  L  E  S    IX,    Roi  de  France. 

le  carroflê  &  le  charriot;  &  favoît  encore  parfaitement  le  métier  d'armo- 
rier, aufli  bien  que  celui  de  canonnier.  Il  étoit  bon  pécheur,  fort  adroit  à 
la  prife  des   béces  farouches  ;  &  dès  fa  jeuneffe ,  il  s'adonna  fi  fort  à  la 
chafTe,  qu'on  peut  dire  qu'il  étoit  fou  de  ce  pénible  exercice,  qui  le ren« 
doit  errant  nuit  &  jour  dans  les  forêts ,  jufqu'à  perdre  le  boire  &  le  man- 
ger, auffî  bien  que  le  repos  du  fbmmeil^  pour  fatisfstire  fa  paffion.  On 
voit  un  livre  qu'il  compofa  des  armes  &  des  eqgins  néceffidres  à  la  véne^ 
rie ,  comme  aufli  des  moyens  de  prendre  les  bêtes ,  &  de  les  forcer  dans 
leurs   retraites  ;  lequel  il  donna  à  traduire  en  Latin  à  un  favant  de  fa 
cour.  Ce  continuel  acharnement  après  les  bêtes  le  rendit  fanguinaire ,  mais 
contre  les  feuls  animaux  ;  car  on  ne  remarque  point  qu'il  ait  jamais  tué 
peribnne  de  fa  main  ;  mais  bien  qu'il  coupa  le  col  en  préfence  de  ceux 
de  fa  fuite ,  à  quelques  ânes  qu'il  rencontra  en  fon  chemin ,  encore  lei 
payoit-il  à  ceux  auxquels  ils  appartenoient.  Il  tuoit  aufli  des  pourceaux, 
&  fans  épargner  fes  mains  dans  leur  fang,  leur  arrachoit   les  entrailles, 
&  les  habilloit  avec  autant  d'adrefle  qu'auroit  fait  un  garçon  chûrcuitier. 
Un  jour  qu^il  voulut  aufli  tuer  le  mulet  du  Sieur  de  Laumic,  l'un  de  fes 
plus  Êtvoris  :  j>  Quel  différend  ,  Roi  Très-Chrétien  ,  lui  dit-U ,  peut  être 
»  furvenu  entre  vous  &  mon  mulet  ?" 

XL  Son  amour  pour  la  mufique. 

xIjNtre  toutes  les  fciences,  il  s'attacha  d'affeâion  à  celle  que  le  Roi 
fon  père  chériflbit  davantage,  je  veux  dire  la  mûiique,  en  faveur  de  la- 
quelle il  fit  eftime  des  bons  chantres ,  &  entre  tous ,  d'un  châtré  nommé 
Leroi  ;  lequel  non-feulement  il  ne  fè  contentoit  pas  d'entendre ,  mais  lui- 
même  fe  mêloit  dans  le  chœur  des  muficiens  pour  chanter  en  partie  :  il 
leur  donnoit,  outre  leurs  gages ,  des  bénéfices  de  grand  revenu,  &  fâvoic 
bon  gré  à  ceux  de  ce  métier  qui  fe  faifoient  valoir. 


A 


XII,  Rencontre  particulière  oà  il  refufa  juftice. 


^  ^^  F  R  è  S  la  première  guerre  civile ,  il  vifita  toutes  les  Provinces  de 
Ion  Royaume.  Le  Sieur  Boumazeau  ,  l'un  des  puiffans  du  pays  de 
Guyenne,  avoir  été  condamné  à  mort  pour  avoir  fait  afîàfliner  le  Sieot 
de  la  Tour  ;  &  comme  fes  parens  employoient  tout  le  crédit  de  la  coiff 

{»our  lui  faire  avoir  abolition  du  Roi  ;  la  veuve  lui  demandant  juftice ,  il 
a  pria  de  vouloir  pardonner  au  coupable,  &  lui  ofiHt  telle  réparation  quHl 
lui  plairoit  fur  fes  biens.  Je  n'en  ferai  rien ,  lui  dit-elle  ;  mais  puifque  U 
faveur  l'emporte  fur  les  loix  &  fur  la  juftice ,  accordez-moi  feulement  U 
grâce  de  cet  enfant,  lui  montrant  fon  fils  encore  fort  jeune,  que  j'élèverai 
dans  la  paffion  de  venger  le  fang  de  fon  père  dans  celui  de  fon  aftaffinî 


CHARLES    IX,    Roi  de  France.  431 

auffi  bien  avez-vous  fait  une  juftice  de  le  tirer  des  prifonff.  J'ai  voulu  re« 
tnarquer  cela,  pour  laifTer  une  mémoire  înmiortelle  de  la  générofité  Ro- 
maine de  cette  fenune  forte  &  courageufe. 

Xin.  Difcours  par  lui  fait  en  plùn  Parlement. 

Il  fit  un  difcours  à  Paris  devant  le  Parlement  aflemblë ,  qu'il  comment 
par  les  louanges  de  fa  mère,  proteflant  lui  être  obligé  de  la  couronne  < . 
de  la  vie.  La  féconde  partie  fut  pleine  de  reconnoiflance  des  fervices  & 
de  l'afFeâion  de  Henri  ion  frère  envers  lui  ;  &  en  la  troifîeme,  il  fe  plai-* 
gnit  de  la  corruption  des  loix ,  &  de  la  difcipline  ;  du  droit ,  &  refus  que 
la  cour  faifoit  ae  paffer  ks  édits.  C'eft  à  vous,  dit-il,  à  obéir  à  mes  or« 
donnances,  fans  entreprendre  de  les  examiner;  car  je  fais  mieux  que  vous 
ce  qui  eft  de  Pufage  du  Royaume ,  &  ce  qui  fe  doit  faire  dans  rordre  & 
dans  la  bienféance.  C'étoit  un  jeune  hohmié  fans  barbe  qui  parloit  ainii 
fortement  devant  une  grande  &  célèbre  compagnie  de  vieux  Magifirats 
très-favans.  Cette  harangue,  pleine  de  paroles  dures  &  peu  dignes  d'un 
lieu  (i  faint,  &  d'un  efprit  de  defpotifine,  avoit  été  écrite  de  la  main  de 
Charles,  Cardinal  de  Lorraine. 


o 


XIV.  VÉtat  EccUfiaftique  maltraité. 


N  ne  fauroit  dire  qui  de  Charles  ou  des  huguenots  affligea  davantage 
l'Etat  Eccléliaftique  ;  car  ceux-ci  à  la  vérité ,  tuèrent  bien  quelques  Pré* 
très ,  &  pillèrent  quelques  Eglifes ,  mais  lui ,  fît  fondre  en  monnoie  Por 
&  l'argent  des  vaiuèaux  facrés  ;  il  donna  les  Prélatures  &  les  Abbayes  & 
des  enfans ,  à  des  gens  de  guerre  &  à  des  femmes  ;  il  exigea  le  quatrie* 
me  des  revenus  du  bien  de  l'Eglife  ;  il  aliéna  une  partie  des  fonds  des 
bénéfices,  &  en  tira  jufqu^  deux  millions  d'or. 

XV.  Son  étude  des  bonnes  lettres. 


I 


L  apprit  la  grammaire  en  fa  jeuneiTe ,  &  prenoit  afièz  de  plaiHr  aux 
lettres  ;  mais  d^bord  qu'il  fut  Roi ,  il  renonça  aux  fciences ,  comme  coq« 
traires  aux  chofes  qu'il  devoir  ordonner ,  auffi  *  bien  qu'à  la  Royauté ,  aa 
dire  des  gens  de  Cour,  qui  font  gloire  de  leur  ignorance.  Il  les  aima  pour- 
tant ;  &  comme  il  avoit  inclination  à  la  poéfie ,  il  compofa  quelques  vers 
François.  Entre  les  poètes,  il  chérit  Dorât  pour  les  vers  Latins;  &  entre 
les  François ,  le  fieur  de  Ronfard  Vendomois ,  &  (  Jean  Autrine  )  Baïf ,  fils 
de 


vrages. 

dnlTent  compte  de  continuer  ï  coihpofef  »  &  afin  que  l'argent ,  venant  à 


431  CHARLES    IX^    Roi  de  France. 

manquer  »  ils  apportaflent  quelque  chofe  de  nouveau  pour  en  avoir  d^aotre  : 
comparant  les  poètes  aux  bons  chevaux  qu'il  Eut  nourrir  j  mais  qu^il  (ml 
fe  garder  d^engraiflèn 

XVI.  Sa  mort  &  fort  tcjlamtnt. 

JLi  E  30  Mai  I  {74 ,  jour  de  la  Pentecôte,  ayant  fait  appeller  le  Chance- 
lier de  Birague  &  le  fieur  de  Fizes ,   Secrétaire  d^Etat ,  il  déclara    Henri 
fon  frere  fon  fucceflèur,  en  préfence  de  François  fon  frère,  de  Henri  Ton 
beau-frere ,  de  Charles  Cardinal  de  Bourbon ,   &  de  pluileurs  des   grands 
de  la  Cour,  fuivant  la  loi  Salique;  ordonnant  la  Reine  Régente  en  fbn 
abfence  :  &  ce  teftament  aufli-tot  porté  au  Parlement  de  Paris  »  fut  lu  & 
vérifié  fuivant  les  coutumes  du  Royaume.  Il  exhorta  fbn  firere  de  ne  point 
troubler  Tordre,  &  de  ne  rien  entreprendre  au  contraire,  parce  qu'aufli- 
bien  les  Royaumes  ne  s'acquièrent  .que  par  le  mérite  &  par  droit  d^héré- 
*  dite ,  &  que  tous  ceux  qui  y  afpirent  par  de  mauvais  moyens ,  périment 
miférablement.  Il  lui  confeilla  encore  de  fuivre  les  bons  avis  de  (a  mère, 
&  TalTura  que  demeurant  dans  le  refpeâ  qu'il  lui  devoit ,  il  auroit  d'elle 
tout  ce  qu'il  en  pourroit  efpérer.  Il  ordonna  de  plus  aux  autres  Princes  & 
Miniftres  là  préfens  de  jurer  fidélité  au  Roi  Henri  (on  frere  ;  &  enfio  le 
même  jour,  fur  les  trois  heures,  il  mourut  au  château  de  Vincennes  près 
Paris ,  à  l'âge  de  vingt-quatre  ans  moins  vingt-huit  jours. 

Le  lendemain  fon  corps  fut  ouvert  en  préfence  des  Magiflrats  de  Paris, 
'&  on  n'y  trouva  aucune  noirceur  ou  corruption  qui  put  appuyer  le  niau- 
vais  bruit  qu'on  faifoit  courir  que  fon  frere  l'avoit  empoifonné.  Tout  le 
mois  d'Avril  &  de  Mai  enfuivant ,  la  Reine  retint  fous  bonne  &  f&re  garde 
fon  fils  &  fon  gendre  ,  afin  d'empêcher  qu'ils  n'échapaflent  pour  excit^ 
quelque  foulévement ,  &  cependant  elle  envoya  des  couriers  pour  avertir 
le  Roi  Henri  de  la  mort  de  fon  frere ,  qui ,  en  treize  jours  de  poftes ,  ar* 
rivèrent  à  Cracovie, 


I 


XVII.  De  fa  taille  &  rcmemhranee. 


L  étoît  grand  de  taille ,  mais  un  peu  voûté,  ayoit  le  vifage  pâle,  les 

yeux  jaunâtres ,  bilieux  ,  &  menaçans  ;  le  nez  aquilin ,  &  le  col  un  peu 
de  travers.  Il  étoit  naturellement  impétueux ,  impatient ,  furieux  dans  fa 
colère  ;  maigre ,  &  non  trop  crédule  ;  il  étoit  allez  ferme  &  entier  dans 
fon  amitié  ;  &  quand  il  vouloit,  c'étoit  un  maitre  diflimulé.  Il  n'étoit  pas 


pour  cela  auflî  qu'il  violoit  aifément  la  foi  de  fes  promeHes ,  oii  il  juroit 
le  plus ,  c'étoit  dans  fes  entretiens  familiers, 

Obferyatiorj 


CHARLES    IX,  Roi  de  Tranee,  433 

Obfcrvations  fur  Us  droits  que  Charles  IX y  Roi  de  France ,  réclama  con^ 

trc  le  Roi  d^Efpagne  dans  Us  Pays-Bas. 

JLi  E  S  podefllons  des  deux  Monarques  dans  l'Artois  y  &  dans  les  Pays- 
Bas  avoienc  été  réglées  par  le  Traité  de  Cateau-Cambrefis  en  15^9;  le 
Roi  Charles  IX  ne  pouvoit  renouveller  les  antiques  prétentions  de  Henri 
II  fon  père ,  de  François  I  fbn  aïeul ,  &  de  leurs  devanciers  ,  qu'en  vib* 
lant  ouvertement  cette  paix  folemnelle ,  jurée  de  part  &  d'autre  onze 
'  ans  auparavant. 

C'en  un  étrange  fléau  dans  le  monde  que  cette  politique  des  Rois ,  bu 
plutôt  de  leurs  confeillers ,  qui  ne  reconnoilTent  point  la  force  des 
traités  de  paix. 

Ceft  à'peu-près  aux  règnes  de  Charles-Quinc  &  de  François  I,  qu'il 
fiut  rapporter  le  développement  plus  marqué  de  ces  principes  (i  funefles 
au  genre-humain;  Louis  XIV  leur  donna,  peut-être ,  plus  de  vigueur 
encore  \  & ,  par  un  accroiflement  plus  incroyable ,  nous  avons  vu  de  nos 
jours  la  force  militaire  chercher  des  prétextes,  jufques  dans  les  préten- 
rions  les  plus  problématiques  du  douzième  &  du  treizième  fificles; 

En  effet,  fi  les  derniers  traités  ne  font  pas  la  loi  entre  les  Souverains, 
comme  les  dernières  tranfàâions  fur  proeés  la  font  entre  particuliers  ;  fi 
l'on  admet ,  pour  maxime  fondamentale ,  cette  imprefcriptibilité  des  droits 
du  plus  fort ,  on  n'a  plus  aucun  point  fixe  pour  diftinguer  leû  poflefleurs 
légitimes  d'avec  les  uuirpateurs. 

Mais  quand  on  reconnoit  ainfi  pour  unique  droit  des  gens  ou,  pour 
mieux  dire,  des  Princes,  la  force  aâuellement  prépondérante,  qu'efl-îf 
befoin  de  recourir  à  des  titres,  &  de  reculer  d'époque  en  époque,  juf- 
qu^à  ce  qu'on  ait  trouvé  quelque  traité  plus  ou  moins  favorable  à  fes 
prétentions  ? 

Cette  politique  a  mis  toute  l'Europe  dans  l'état  affreux  d'une  guerre  con- 
tinuelle. Tant  qu'jelle  fubfifterofti  il  feroit  trop  vrai  de. dire  qu'il  n'y  a 
point  de  paix  réelle ,  mais  feulement  des  intervales  de  trêves  armées ,  en«- 
tre  les  Souverains. 

La  néceflité  d'entretenir  fur  pied  des  troupes  formidables,  qui  réfiilte 
néceflàirement  de  ces  difpofitions  infpirées  aux  Princes,  eft  la  funefte  caufe 
du  régime  fifcal ,  prohibitif,  réelemencaire  qui  ^  accable  par-tout  l'agri-* 
culture,  les  arts,  le  commerce;  &  qui  défoie  en  mille  &  mille  manières 
la  malheureufe  humanité. 

Ces  fyftêmes  dévaAeurs  font  appuyés  l'un  fur^  l'autre  :  c'eft  pour  le  pro- 
duit du  fifc  que  les  Conquérans  voudroient  ufurper  des  Provinces  i  c'eft 
pour  défendre  ce  produit  contré  les  autres  qu'on  multiplie  les  foldats  ;  & 
c'eft  pour  entretenir  les  foldats  qu'on  multiplie  les  reflources  de  finances. 

La  formne  &  l'illuftration  d'une  foule  d'honmies  employés  à  la  défenfe 
militaire  ou  à  l'adminiftration  fiCcale ,  font  l'effet  néceffaire  des  inflruâions 

Tome  Xr.  I  i  i 


434  CHARLES    IX  ,  Roi  de  Frmcs. 

qu'a  produites  cet  état  violent  Si  <:ontre  sature  auquel  fe  trouve  réduiie 
rEurope  entière  malgré  la  cîvîlifatîon  qui  devroît  l'en  préferver. 

S'il  eft  avantageux  pcHir  ces  deux  clafles  trop  nombreufes  d'hommes 
privilégiés  I  il  n'eft  pas  moins  vrai  qu'il  eft  ruineux  pour  les  peuples  & 
pour  leurs  Princes,  dont  les  intérêts  ne  font  jamais  féparés  de  ceux  des 
nations,  puifqu'ils  ne  font  riches  que  de  l'opulence  de  leurs  fujets,  & 
puifTans  que  de  leurs  forces. 

Li  méthode  aâuelle  de  guerroyer  eft  tellement  difpendieufe ,  que  les 
conquêtes  les  plus  brillantes  pourroient  à  peine  dédommager  des  frais  dé 
deux  ou  trois  campagnes.  Si  les  Souverains  qui  s'imaginent  avoir  le  plus 
acquis  par  leurs  armes  viâorieufes  dans  notre  fîecle ,  vouloient  compter 
exaâement  la  dépenfe  &  le  produit,  ils  trouveroient  certainement  qu% 
font  bien  loin  de  s'êtrç  enrichis  &  fortifiés  par  de  tels  fuccès. 

Mais  on  a  grand  foin  de  cacher  aux  Princes  les  élémeas  de  ce  calcul  : 
on  tourne  ordinairement  toute  leur  attention  vers  deux  objets  qui  leur 
font  illufion;  la  renommée  brillante  des  Héros,  &  Textenfion  de  leur  Empire.. 

Conquérir  un  plus  vafte  territoire ,  n'eft-ce  p^s  évidemment  augmenter 
fa  puiuanc^  ?  N'eft-ce  pas  acquérir  des  hommes  &  des  richeffes  !  Il  fem- 
ble  que  ces  queftions  ne  foieot  pas  problématiques  ;  on  ne  &  donne  pas 
même  la  peine  d'y  réfléchir. 

Examinons  cependant ,  &  comptons.  S'il  vous  a  fallu  plufîeurs  ano^o 
de  préparatifs  diipendieux  ;  Ci  l'exécution  a  été  très-coûteu(e ,  &  fi  le  fob 
de  conferver  vous  oblige  encore  à  des  frais  confidérables  ;  il  eft  vrai  de 
dire  que  vous  n'avez  pas  conquis  gratuitement  ce  territoire,,  mais  que 
vous  l'avez  acheté. 

Si  l'on  pouvoit  citer  un  Prince  mort  avec  plus  de  quatre  milliards  de 
notre  monnoie  aâuelle  de  dettes ,  après  avoir  tiré  des  anciens  domaioet 
de  fes  aïeux ,  par  toutes  les  inventions  fîfcales ,  plus  de  quatre  autres  mil* 
liards  au  delà  du  produit  qu'en  retiroient  fon  père  &  fon  aïeul;  pour 
favoir  s'il  acheta  réellement  trop  cher  les  territoires  qu'on  appelle  fei 
conquêtes,  on  feroit  tenté  de  demande]^  à  celui  de  fes  defcendants  qui 
les  poiTede  aujourd'hui,  en  pleine  paix,^  (î  ces  Provinces,  améliorées  au* 
tant  qu'elles  ont  pu  l'être  par  plus  de  foixante  ans  de  cette  jouifTance  paifi* 
ble,  depuis  l'acquifition ^  lui  produifent  en  effet  une  telle  augmematioo de 
revenu  clair  &  liquide ,  qu'elle  foif  bien  fagement  achetée ,  en  y  mettant 
plus  de  huit  milliards. 

A  un  pour  cent  d'intérêt ,  huit  milKards  devroient  produire  quatre-vingts 
millions  de  revenu  quitte  &  :  net.  A  deux  pour  cent  ^  ils  en^  produûroient 
cent  foixante. 

Si  le  fuccefleur  4»'  préte^u  Conquérant  ne  tiroît  pas  même  ces  cents 
foixante  millions  de^  revenu  quitte  &  net  de  tous  fes  Etats  anciens  &  nou* 
vellement  occupés ,  il  feroit  difficile  de  prouver  que  fon  ancêtre  eût  bk 
àt  bonnes  &  utiles  acquittions^ 


CHARLES    IX,  Roi  de  France.  434 

Ce'  calcul  ne  feroit  même  qu^un  premier  appercu ^  on  pourroit  lui  dire  : 
liuit  milliards  attirés  au  tréfor  de  ce  Prince ,  &  par  lui  dépenfés  pour  pré- 
parer y  opérer  &  conferver  fes  conquêtes ,  en  ont  coûté  beaucoup  plus  à 
ton  peuple ,  c'çft-à-dire  aux  propriétaires  fonciers  de  fes  anciens  Etats  ;  car 
ce  (ont  les  propriétaires  fonciers  qui  paient  tout ,  &  les  fommes  que  Ton 
reçoit,  &  les  frais  &  les  profits  intermédiaires,  fans  compter  les  per- 
tes qui  réfulcent  néceflàiremenr  des  formes  vicieufes  &  deftruâlves  de  la 
perception  fifcale. 

On  peut  donc  évaluer  pour  le  moins  à  douze  milliards  la  mafle  des  exac- 
tions accumulées  fur  ces  propriétaires,  au  delà  des  bornes  antiques,  pour 
opérer  ces  brillantes  conquêtes. 

^  Douze  milliards ,  laifTés  entre  les  mains  de  ces  propriétaires  fonciers ,  pen« 
dsLtkt  cette  époque ,  produiroient  aujourd'hui  peut-être  un  milliard  de  re- 
venu territorial  quitte  &  net ,  les  frais  acquîtes  ;  &  fans  forcer  nulle  per- 
ception, le  dixième  feul  de  ce  revenu,  clair  &  liquide  «  vaudroit  cent 
millions  de  plus  au  Souverain, 

Voilà  ce  qu'on  déguife  aux  Princes ,  ou  peut-être  ce  qu'ignorent  ceux 
qui  les  environnent  &  qui  les  confeillent.  Comment  ne  tomberoient-ib 
pas  dans  Tillufion  ,  les  particuliers  y  donnent  très-fouvent  eux-^mêmes  ! 

On  voit  communément  des  propriétaires  jaloux  d'étendre  leurs  domai- 
nes acheter,  &  même  très- chèrement ,  les  terres  de  leurs  voifins,  au  lieu 
d'améliorer  leur  propre  héritage  :  leurs  capitaux,  employés  de  cette  ma- 
nière ,  produifent  trois  ou  quatre  pour  cent  »  au  lieu  qu'ils  en  auraient  fou- 
vent  huit  ou  dix  de  ceux  qu'ils  mettroient  en  améliorations ,  de  leur  pre- 
mier fonds. 

Cefl  par  la  même  erreur  qu'on  perfuade  aux  Princes  d'étendre  leurs 
États  au  lieu  de  les  bonifier  ;  &  c'eft  cette  foif  continuelle  d'une  exten- 
sion illufoire ,  qui  nous  a  produit  la  réduâion  trop  fenfible  &  trop  funefte 
du  droit  des  nations  à  celui  du  plus  fort  ou  du  plus  artificieux. 

Dans  cette  «guerre  fourde  &  continuelle  de  tous  contre  tous ,  il  en  coûte 
pour  conferver  prefque  autant  qu'il  en  coûteroit  pour  conquérir;  &  par 
la  nature  des  renources  que  le  régime  fifcal  emploie  dans  tous  les  Etats 
.pour  entretenir  les  moyens  de  puiflance ,  il  eft  peut-être  vrai  de  dire  qu'on 
le  ruine  foi-même,  pour  ruiner  les  autres,  &  pour  éviter  d'être  ruiné 
par  eux.  > 

Quand  viendra  le  temps  où  les  trois  ou  quatre  grandes  familles  de  fou- 
verains  qui  régnent  en  Europe ,  après  avoir  fenti  la  néceflfîté  de  garantir , 
par  des  paâes  de  Sunilles ,  les  États  que  pofledent  leurs  branches  refoeâi- 
ves,  feront  encore  un  fécond  pas  en  bonne  pcdltioue  vers  la  profpérité 
générale  de  leurs  Empires ,  &  le  bonheur  de  toute  l'humanité ,  en  renon- 
çant pour  jamais  aux  projets  de  fkuffes  conquêtes ,  en  éublilfant  le  règne 
de  la  juflice  &  de  la  paix. 
Quoi  4b'ii  en  foit  du  temps  oii  ce  projet  favori  de  Henri  IV  &  de  Sul- 

I  il   2 


43*  CHARLES-QUINT,    Empereur. 

ly,  pourra  s^èxécuter,  nous  pouvons  dés  à  préfent  calculer  les  effets  du 
projet  annoncé  par  Charles  IX ,  de  revendiquer  Tes  fëodalités  de  Flandre 
&  d'Artois. 

Louis  XIV  les  a  reprifes  avec  d'autres  pays  fur  les  Efpagnols  ;  Louis  XV 
les  a  toujours  pofTédées  \  les  moyens  pour  la  conquête  &  pour  la  confer- 
varion  nous  font  aflez  connus. 

François  I  y  qui  les  avoir  facrifiées  au  bien  de  la  paix ,  n'en  écpit  pai 
moins  un  Prince  redoutable  à  toute  l'Europe  \  fa  Cour  n'en  étoit  pas  moins 
brillante;  il  n'en  a  pas  moins  laifTé  de  grands  &  d'utiles  monumens  :  on 
peut  même  ajouter ,  avec  juftice  &  vérité ,  que  dans  l'intérieur  il  outra  la 
magnificence ,  &  qu'il  ne  s'en  tint  pas  au  dehors  à  la  (impie  défenfive  ; 
cependant  à  fa  mort  il  ne  devoit  rien;  il  fe  trouva  quatre  cent  mille  écus 
d'or  en  efpeces  dans  fon  épargne ,  un  quartier  de  tous  fts  revenus  échu 
&  prêt  à  recevoir. 

Henri  IV ,  qui  ne  les  avoir  point  reconquifes ,  éroit  encpre  plus  à  l'abri 
de  toute  invaiion ,  quand  il  mourut  ;  fon  règne  étoit  encore  plus  marqué 
au  fceau  d^une  bonne  adminiftration  ;  fa  cour  étoit  encore  plus  brillante  : 
il  avoit  payé  les  dettes  de  fes  prédéceffèurs ,  &  il  laifla  plus  de  quarante 
millions  de  notre  monnoie  aâuelle  dans  les  chambres  de  la  Baftille.  M.  tJbU 
Baudeav. 


CHARLES-QUINT,    EmpercunT AUcmugnt  &  Roi  iTE/pagm. 

Vy  H  ARLES-QUINT,  homme  de  çuerre  &  homme  de  cabinet,  miîof 
de  plulieurs  Royaumes,  aurott  pu  fubjuguer  l'Europe»  fi  François  I,  Roi 
de  France  n'y  eut  apporté  des  obftacles.  Différentes  circonftances  mirent 
une  rivalité  continuelle  entre  ces  deux  Princes.  La  fortune  fe  déclara  pref^ 
que  toujours  en  faveur  de  Charles- Quint.  On  a  attribué  cette  efpece  d'af- 
cendant,  d'abord  à  la  fupériorité  des  forces  du  Monarque  Autrichien,  & 
à  l'adreflè  avec  laquelle  il  fbmioit  des  ligues  plus  nombreuîes  &  pto 
puifTantes  que  celtes  de  fon  ennemi ,  &  emuîte  à  la  mauvaife  conduite  du 
Confeil  de  France  où  l'op  faifoit  plus  de  fautes  que  la  valeur  des  troupes 
jPrançoifes  n'étoit  capable  d'en  réparer. 

Charles-Quint  naquit  à  Gand  le  24  Février  de  l'an  i  çoo.  Il  étoit  fl$ 
de  Philippe,  dit  le-Beau,  Archiduc  d'Autriche,  lequel  étoit  fils  de  rEitt- 
pereur  Maximilien,  &  de  Jeanne,  Infime  <l'£fpagne,  fille  de  Ferdinand- 
le-Catholique ,  Roi  d'Arragon  &  de  Caftille.  11  tfavoit  que  fix  à  fept  ans  . 
lorlqti'il  perdit  fon  père.  La  Reine  Jeanne  fa  mère  fut  fi  affligée  de  la  mort 
de  (on  époux,  qu'elle  en  perdit  l'efprit.  L'éducation  du  jeune  ArcÉduc  au^ 


CHARtES- QUINT,     Fmperatr.  437 

les  fut  commife  à  Adrien  Florent,  Flimand ,  qui  fut  dans  la  fuite  Pape,  & 
au  Duc  de  Chicvres ,  de  la  Mail'on  de  Croy.  L'Empereur  Maxiniilien  prît  lui- 
même  de  grands  foins  pour  que  fon  p.tît-fils  appnc  tout  ce  qui  peut  fervir 
i  former  un  héros  &  un  guerrier ,  comme  prévoyant  que  PKiiipire  feroit 
encore  long -temps  dans  l'a  famille.  Il  fut  réglé  que  Ferdinand  auroit  la 
Régence  de  Cailille  pendant  la  tutelle  de  l'Archiduc  ,  &  qu'il  lui  four- 
niroit  chaque  année  deux  cents  mille  dttcats  pour  l'entretien  de  fa  maifon. 
Charles  témoigna  beaucoup  d'inclination  pour  les  langues  vivantes  & 
d'ufage  :  la  Françoife,  l'Efpagnole ,  l'Italienne,  l'Angloife  ,  la  Flamande; 
&  il  avoit  coutume  de  dire  qu'il  vouloir  fe  fervir  de  la  langue  Iralienne 
pour  parler  au  Pape ,  de  l'Efpagnole  pour  parler  à  la  Reine  Jeanne  fa 
mère,  de  l'Angloife  pour  parler  à  la  Reine  Catherine  fa  tante,  de  la 
Flamande  pour  parler  à  fes  amis,  &  de  ta  Françoife  pour  s'entretenir  avec 
lui-même.  Mais  fa  plus  grande  inclination  éioK  pour  l'art  de  monter  à 
cheval,  jufques-U  que  l'on  étoit  obligé  de  la  modérer,  de  peur  qu'il  n'al- 
térât fà  fanté  dans  cet  exercice.  Dés  l'àge  de  dix  ans  il  montoit  mieux 
un  cheval  que  d'autres  à  vingt  ;  il  tiroir  auflî  (brt  adroitement  du  piftolet 
&  de  l'arbalète.  Ponr  ce  qui  regarde  les  mathématiques,  la  géographie, 
la  marine,  la  méchanique ,  (es  maîtres  étoient  étonnés  de  fes  progrés. 

En  1^1^  ,  Charles  fut  déclaré  majeur,  &  l'Empereur  lui  remit  le  gou- 
vernement des  Pays-Bas.  Le  jeune  Souverain  conclut  d'abord  une  alliance 
avec  François  I ,  qui  venoit  de  fuccéder  à  Louis  XIL  L'année  fuivante  il 
fit  un  traité  à  Noyon  avec  le  même  Prince  ,  par  lequel  il  fut  arrêté,  que 
François  I  garderoic  le  Duché  de  Milan ,  &  que  la  Navarre  feroit  rendue 
à  Jean  d'Albret.  La  même  année  Ferdinand-le-Catholique ,  Roi  d'Efpagne, 
étant  mort ,  Charles  fon  petit-fils  lui  fuccéda  au  défaut  de  ia  raere  Jeanne , 
qui  étoit  incapable  de  fe  charger  du  gouvernement. 

Auifi-iôi  il  partit  pour  l'Efpagne  :  Maxîmilien  voulut  qu'il  fît  ce  voyage 
avec  une  fuite  pompeufe ,  &  accompagné  de  plulleurs  grands  Seigneurs 
du  pays.  Charles  s'embarqua  à  Ofïendo  avec  les  flottes  de  Hollande  &  de 
Zélande,  &  lailla  i  fa  place,  pour  gouverner  les  Pays-bas,  la  Princefi'e 
Marguerite  ia  tante.  Arrivé  en  Efpagne ,  il  fit  bientôt  connoîire  les  talens 
qu'il  avoic  reçus  de  la  nature  pour  régner  avec  gloire  &  avec  fagelTe  :  il 
établit  en  peu  de  temps  fon  autorité  ;  mais  il  fut  ufer  de  tous  tes  ména- 
gemcns  convenables,  ayant  affaire  à  une  nation  fîeie,  &  délicate  fur  tout 
ce  qui  peut  bleffer  fes  ufages.  Il  femble  que  c'eft  ici  le  heu  de  donner 
une  idée  de  l'extérieur  de  ce  Prince.  Charles  étoit  d'une  taille  ordinaire , 
mais  un  peu  ati-defltis  de  la  médiocre.  Son  tempérament  tenoit  le  milieu 
eotre  l'embonpoint  &  le  défaut  oppofé  :  il  avoit  le  nez  aquilin  Sx.  le  front 
large.  Il  étoit  nerveux  &  robul^e  ;  fa  complexion  étoit  fanguine»  mêlée 
d'un  peu  de  mélancolie ,  ce  que  les  phyfionomtfles  croient  être  des  Hgnes 
d'un  efprit  induflrieux  &  fin  :  en  quoi  ils  avoient  deviné  jufte;  ils  pou- 
voient  même  ajouter  d'un  caraâere  foupçonoeux  &  trop  obHiné  dans  fes 


an* 
âge 


438  CHARLES-QUINT,    Empcnur. 

defleins.  Ses  lèvres  ëtoient  un  peu  pendantes ,  défaut  ordinaire  aux  Princes 
de  la  Maifon  d'Autriche.  Il  porta  peu  de  barbe  ;  Tes  cheveux  étoienc  blonds  , 
&  il  les  faifoic  couper  jufqu'au-delTous  de  l'oreille,  à  la  manière  des 
ciens  Empereurs  Romains  :  il  fut  d'une  complexion  fort  faine  jufqu'à  1'; 
de  quarante  ans ,  qu'il  commença  à  fentir  les  attaques  de  la  goutte. 

Venons  au  fonds  de  fon  caraaere ,  d'après  le  portrait  qu'en  ont  £dt  de 
grands  maîtres ,   qui ,   à  la  vérité ,  ne  Tout  ^point  flatté ,  mais  qui  n'ont 
parlé  que  fur  le  témoignage  de  tous  les  htftoriens.   Charles  -  Quint  écott 
d'un  caraaere  férieux  &  réfléchi  ;  il  avoit  moins  de  vivacité  d'imagination 
que  de  fagacité  d'efprit  :  aimant  à  s'occuper  des  affidres  ,  il  en  combinoit 
le  plan  avec  habileté ,  &  il   en  préparoit  le  fuccès  par  la  diflimulation  & 
Tartifice.  Lent  à  former  des  defleins ,  il  les  fuivoit  avec  une  confiance  iné« 
branlable  \  il  n^accordoit  fes  faveurs  qu'aux  hommes  en  qui  il  reconnoiflbit 
de  la  finefle  d'efprit  &  des  talens  pour  la  guerre  :  il  avoit  dans  le  cœur 
une  ambition  dëmefurée^  mais  il  la  voiloit  par  des  apparences  de  modéra- 
tion &  d'honnêteté  :  parlant  peu ,   &  toujours  d'une  manière   grave  & 
"  fenfée ,  invitant  par  un  air  doux  &  infinuant  les  autres  à  s'ouvrir ,  &  ne 
s'ouvrant  jamais  lui-même  :  n'agiflant  que  pour  fon  intérêt,  impénétrable 
dans  fes  defleins ,   ne  .perdant  jamais  de  vue  les  différentes  difpofitions  de 
tous  les  Princes  de  l'Europe  ;   plus  habile  que  tous  fes  Miniftres ,  ne  le 
trompant  point  dans  le  choix  de  fes  Généraux  ^   ayant  en  un  mot  toutes 
les  qualités  d'un  des  plus  grands  politiques  de  fon  fiecle.  Infenfible  d'ail» 
leurs  aux  plaifirs  de  la  table  ;  car  ceux  qui  fe  font  occupés  des  phis  légè- 
res cirçonflances  de  fa  vie  privée ,  ont  remarqué  qu'il  ne  buvoit  que  trois 
fois  en  chaque  repas  :  mais  fenfible  à  ceux  de  l'amour ,  quoiqu'avec  re- 
tenue 6c  hors  de  tout  fcandale  ;  on  ne  lui  donne  que  deux  enfàns  natu- 
rels (  tf  )  i  il  prenoit  même  autant  de  précautions  pour  dérober  fes  galan- 
teries aux  yeux  des  courtifans ,  que  ptufieurs  autres  Princes  de  fon  temps 
afleâoient  de  les  faire  éclater.  Du  refle  ayant  peu  de  ces  vertus  du  cour 
qui  honorent  un  particulier,  ne  fe  faifant  aucun  fcrupule  d'aller  contre  U 
bonne-foi,  de  manquer  à  fa  parole  &  aux  engagemens  les  plus  formels, 
&   aflëdant  néanmoins  par  (es  difcours,    tous   les  dehors  de  ces  vertus. 
Charles ,  dit  Mézerai ,  étoit  févere ,  grave ,  taciturne  ,  couvert ,  diflimuléf 
grand  imitateur  des  rufes  &  des  voies  obliques  de  Louis  XI,   ayant  d^ 
vices  utiles,  &  des  vertus  politiques. 

Il  faut  cependant  rendre  juflice  à  (es  grandes  qualités ,  il  eut  en  bonne 
partie  celles  qui  conviennent  à  un  grand  Prince  :  il  iavoit  commander, 
menacer ,  prier  à  propos  &  avec  grâce.  In&tigable  dans  les  travaux  de  la 
guerre ,  il  demeuroit  quelquefois  dix  heures  entières  ï  cheval  les  armes 
fur  le  dos,  fkifant  toutes  les  fondions  d'un  Général;   intrépide  &  hardi 


I  ■  Il 


{0)  Marguerite,  Ducbeffe  de  Parme ,  &  Jeaa  d'Autriche. 


C  H  A  R  L  E  s-  Q  U  I  N  T,    Empereur.  43^ 

dans  les  enti^prifes,  il  afîronioit  les  plus  grands  périls,  jamais  il  ne  fut  ce 
que  c'ëtoit  gue  de  reculer  &  de  pâlir.  On  ne  peut  s'empêcher  d'être 
éronnë  en  lifant  Ton  hiiîoire,  quand  on  le  voit  fi  fouvenc  ie  traofporter 
d'un  Etat  à  un  autre ,  quoiqu'ils  fuiFent  féparés  par  des  diftances  de  deux 
cents  &  de  trois  cents  lieues  :  il  fufïit  de  dire  à  cet  égard  qu'il  fit  neuf  fols 
le  chemin  d'Elpagne  en  Allemagne  ,  fept  fois  celui  d'Italie,  dix  fois 
celui  de  Flandtes  ,  quatre  fois  celui  de  France  ,  deux  fois  celui  d'A- 
frique à  d'Angleterre  ,  il  pafia  quatre  fois  l'Océan  &  huit  fois  la  Mé- 
diterranée. 

11  eut  pour  Contemporains  trois  Monarques  puiflans  &  glorieux,  favoir 
François  ï,  Henri  VIII  Roi  d'Angleterre  ,&  Soliman  Empereur  des  Turcs: 
il  eut  à  lutter  contre  tous  leurs  efforts,  leurs  ligues,  leurs  Uratagémes,  & 
la  force  de  leurs  troupes.  Non-feulement  il  leur  tînt  tête,  mais  il  vit 
leurs  armées  fuir  plus  d'une  fois  devant  lui;  &  par  Thabileté  de  fa  po- 
litique, il  leur  donna  de  telles  entraves,  qu^l  les  tint  toujours  en  haleine 
&  fe  rendît  enfin  le  plus  redoutable  de  Tes  concurrens. 

Avanc  de  le  montrer  dans  les  armées ,  préfentons-le  dans  fon  palais , 
&  dans  les  intervalles  que  la  guerre  lui  laifloic. 

Il  établit  toujours  fon  Gouvernement  fur  ces  deux  grandes  bafes  qui  feules 
peuvent  foutenir  &  agrandir  les  Etats ,  favoir  la  récompenfe  &  la  peine , 
n'ayant  jamais  lailTé  aucun  fervice  fans  rétribution  ,  ni  aucune  faute  fans 
châtiment.  Il  fut  extrêmement  fobre  dans  fon  manger  ^  &  depuis  l'âge  de 
vingt-cinq  ans  qu'il  commença  \  prendre  connoiflance  des  grandes  affaires, 
il  ne  mangeoit  ordinairement  qu'une  fois  le  jour  &  quelquefois  le  foir  : 
ayant  accoutumé  de  dire  qu'il  fatloit  qu'un  Prince  réglât  fes  appétits  par- 
ticuliers félon  que  les  afltaires  publiques  pourroient  plus  ou  moins  preflèr  :  («i) 
il  ne  buvoit  que  fort  peu  de  vin;  &  quoiqu'il  fréquentât  beaucoup  les 
Allemands,  il  eut  toujours  une  extrême  horreur  de  l'ivrognerie.  Le  matin, 
après  avoir  fait  fa  prière  &  entendu  la  Meflè ,  il  tenoit  fon  Confeil,  &  le 
Confeil  fini ,  il  donnoit  quelqu'audieoce  particulière.  Après  le  dîner  ,  il  don- 
noit  audience  publique,  écoutant  avec  bonté  toute  forte  de  perfonnes ,  de 
quelque  condition  qu'elles  fufTeQt ,  &  recevant  de  fa  prope  main  tes  placets 
qu'on  lui  préfentOTt ,  auxquels  il  répondoit  avec  autant  de  promptitude 
que  d'humanité,  jufqu'à  recommander  lui-même  qu'on  expédiât  diligemment 
les  affaires.  Il  donnoit  toujours  audience  debout  jufqu'au  tems  oi^  il  fut 
attaqué  de  la  goutte,  &  Ëiifoit  paroltre  dans  cette  fonéHon  une  patience 
admirable  ,  fans  jamais  témoigner  de  l'ennui.  II  dormoit  peu ,  s'étant  accou- 
tumé à  fe  coucher  tard  &  à  fe  lever  matin.  A  fon  lever  &  à  fon  coucher, 
il  donnoit  ordinairement  audience  aux  gens  de  guerre  qu'il  appetloît  fes  con- 
fidens  amis.  Il  defcendoit  jufqu'à  la  familiarité  avec  eux  :  U  fe  plaifoît 
• 

(«)  Greg.  Let. 


44Q  CHARLES  -  QU  I  N  T,    Empereur. 

beaucoup  à  fe  voir  entouré  d'une  foule  de  guerriers,  &  il  &ut  avouer  qu'il 
eut  le  honheur  de  voir  fous  fon  règne  un  grand  nombre  d'exceUens  ca* 
pitaines. 

Les  Htfloriens  de  fa  vie  afTurent  qu^il  étoit  un  Prince  charitable  :  il  fe 
plaifoit  à  aflifter  de  pauvres  faniîlles  ruinées  &  à  maner  de  pauvres  de- 
moifelles.  Il  avoit  accoutumé,  lorqu'il  alloità  pied,  ^e  faire  marcher,  de-' 
vant  lui  quelqu- Aumônier  pour  diftribuer  des  charités  aux  pauvres  qui  fe 
rencontroient  \  il  haïifoit  la  flatterie ,  de  forte  que ,  quand  il  recevoit  à  la  G>ur 
quelque  nouveau  courtifan ,  il  le  menoit  dans  fa  chambre  &  lui  fkifoit  cette 
leçon  :  »  Je   vous  donne    avis  que  je  fuis  ennemi  juré  des  flatteurs.  « 

Au  commencement  de  l'année  i$i7y  TEmpereur  Maximilien  étant  mort, 
deux  rivaux  puiflans  fe  mirent  fur  les  rangs  pour  demander  la  Couronne 
Impériale.. Charles  fon  petit  fils,  &  Roi  d'Efpagne,  y  prétendit;  le  Roi 
François  I  y  prétendit  aufli.    Cette  rivalité  de  droits  &  de  prétentions , 
Ndonf  les  Souverains  ne  manquent  guère  quand  ils  ne  manquent  pas  de  forces, 
excita  entre  ces  deux  Princes  une  forte  émulation  de  gloire.  Ils  ne.  firent 
point  myflere  ni  Tun  ni  l'autre  de  leur  deffein  ;  &  François  I  dit  un  jour 
affez  agréablement  à  l'Ambaflâdeur  d'Efpagne ,  fur  ce  fujet ,  qu'ils  faifoient 
leur  cour  à  la  même  maitrefië ,  &  que  le  plus  heureux  l'emporteroit.  Les 
Princes  Allemands  avoient  une  exclufîon  commune  pour  les  deux  Rois  :  celle 
qui  regardoit  le  Roi  d!£fpagne  étoit  fondée  fur  le  danger  qu'il  y  avoit  que 
l'Empire 9  ayant  déjà  été  depuis  fi  long-tems  dans  la  Maifbn  d'Autriche,  n'y 
devint  héréditaire.    A   l'égard  de   François  I,  ces  Princes   ne   vouloieot 
pas  que  la  Couronne  Impériale  rentrât  dans  la  Maifon  de  France ,  qui  originaire- 
ment étoit  fon  bien  patrimonial ,  &  qui  lui  avoit  été  enlevé  par  la  foiblefle 
des  fuccefTeurs  de  Cnariemagne  ;  &  ils  craignoient  que ,  ii  une  fois  elle  en 
étoit  remife  en  pcffedion ,  elle  n'employât  toute  forte  de  moyens  pour  oe 
la  pas  laiffer  échapper. 

Cependant  les  deux  concurrens  mirent  en  œuvre,  chacun  de  leur  coté, 
toutes  les  voies  qu'ils  crurent  propres  pour  réudir.  La  Diète  ayant  été 
ouverte  â  Francfort ,  les  Ambafladeurs  des  deux  Princes  concurrens  y  eo- 
voyerent  par  écrit  la  demande  de  leur  Maître.  On  y  agita  les  avantages  & 
les  inconvéniens  qu'il  y  auroit  de  nommer  l'un  ou  l'autre  Prince.  Comme  les 
fentimens  étoient  partagés,  Frédéric,  Eleâeur  de  Saxe,  qui  étoit  le  plus 
âgé  de  l'afTemblée ,  ayant  été  prié  de  dire  fon  avis,  fe  déclara  pour  Charles; 
il  allégua  la  conftitution  de  l'Empire  en  fa  faveur,  qui  détendoit  d*élire 


Charles  fut  élu  Roi  des  Romains ,  enfûite  proclamé  Empereur  fous  le  nom 
de  Charles  V,  &  reconnu  par  toute  l'Europe. 

Dès  que  ce  Prince  eut  appris  fon  éleâion ,  il  quitta  l'Efpagne ,  vînt  à 
Aix-la-Chapelle  où  il  fut   facré  par   l'Eleâeur  de  Cologne,  oc  courofloé 

par 


C  H  A  R  L  E  s  -  Q  U  I  N  T,    Empereur.  4^1 

par  les  trois  Eleéleurs  Ecclëfiaftiques.  Dans  la  Diète  de  Worms,  qui  fe  tînt 
l'année  fuivante ,  on  lui  accorda  une  armée  de  vingt-quatre  mille  hommes 
pour  l'accompagner  dans  le  voyage  de  Rome. 


I 


Guerre  de  Charles- Quint  contre  la  France. 

An.  1^21* 


L  étoit  bien  difficile  que  deux  Princes ,  tous  deux  ambitieux ,  tous  deux 
puiflans ,  demeuraflent  long-tems  en  paix.  Les  intrigues  commencèrent  de 
part  &  d'autre  ;  elles  fervirent  d'aliment  à  une  haine  réciproque  qui  s'en- 
racinoit  de  plus  en  plu57.  Charles  fe  ligua  avec  le  Pape  Léon  X,  pour 
chalTer  les  François  d'Italie.  Le  prétexte  (ut  que  les  François  avoient  prêté 
du  fecours  à  Jean  d'Albret,  Roi  de  Navarre,  &  à  Robert  de  la  Marck, 
Duc  de  Bouillon ,  qui  venoit  de  faire  une  invafion  dans  les  Pays-Bas.  Dans 
cet  intervalle,  le  Pape  Léon  X  mourut;  &  Charles,  qui  vouloit  fe  mon* 
trer  reconnoiflant  envers  Adrien,  jadis  (on  Précepteur,  favorifa  fi  bien 
fon  éleâion  qu'Adrien  fiit  élu.  Ce  fut  vers  ce  tems-là  qu'il  abandonna  à 
l'Archiduc  Ferdinand ,  fon  frère ,  tous  les  Etats  que  la  Maifon  d'Autriche  pof« 
fédoit  en  Allemagne,  à  l'exception  des  Pays-Bas. 

Cependant  il  ne  tarda  pas  à  entrer  en  Italie ,  &  fon  armée  battit  celle 
des  François ,  commandée'  par  Lautrec ,  au  combat  de  la  Bicoque  :  cette 
défaite  fît  perdre  à  François  I  le  Duché  de  Milan.  Vers  le  même  tems , 
le  Connétable  de  Bourbon ,  pouffé  à  bout  par  l'animofité  de  la  mère  de 
François  I,  pafla  au  fervice  de  Charles  V,  &  remplaça  Profper  Co- 
lonne. Celui-ci  venoit  de  mourir  à  l'âge  de  quatre- vingt  ans,  après 
avoir  eu  la  gloire  de  défendre  le  Milanois  contre  les  armées  de  France. 
Le  Connétable  voulant  exécuter  fes  projets  de  vengeance,  intéreffa  Char- 
les^Quint  dans  la  fureur  qui  l'animoir.  Il  entra  en  Provence  à  la  tête  de 

2uinze  mille  hommes  de  pied  &  de  deux  mille  chevaux  :  il  s'engagea  au 
ege  de  Marfeille  ;  mais  François  I  le  lui  fit  lever  avec  honte  :  pourfuivi 
par  les  Généraux  François ,  il  fît  fa  retraite  dans  le  plus  grand  défordre. 

Les  ImpéWaux  ayant  gagné  la  bataille  de  Pavie  contre  l'armée  de  France , 
le  Roi  François  1  fut  faic  prifonnier  :  cette  nouvelle  répandit  la  confier- 
nation  dans  tous  les  Etats  alliés  de  la  France.  Charles-Quint ,  en  apprenant 
ce  qui  venoit  de  fe  pafler  à  Pavie,  afFeâa  de  cacher  la  joie  qu'il  fentoit 
au  fond  de  fon  coeur  :  il  ne  voulut  pas  que  l'on  fît  dans  fes  États  les  ré- 
jouiffances  qui  font  d'ufage  dans  ces  occafions.  Il  afFeâa  de  dire  qu'il  n'ufe- 
roit  de  la  grâce  que  Dieu  venoit  de  lui  faire ,  que  pour  rendre  le  repos 
à  la  Chrétienté.  On  connoifToit  le  caraâere  de  ce  Prince ,  &  on  le  favoic  ' 
trop  ambitieux  pour  qu'on  fe  laifsât  prendre  à  la  modération  qu'il  affbâoir. 
En  effet ,  il  affembla  fon  Confeil ,  oc  après  avoir  écouté  les  avis  des  uns 
&  des  autres ,  il  ne  donna  aucun  fîgne  qu'il  les  approuvât  ou  défapprouvât. 

Tome  XI.  Kkk 


44-2  C  H  A  R  L  E  s  -  Q  U  I  N  T,  Empereur. 

Mais  il  parut  ^  par  fa  conduite ,  qu'il  fuivit  celui  du  Duc  d'Albe.  Selon  cet 
homme  dur  &  aider ,  TËmpereur  devoit  tirer  tout  l'avantage  poilible  de  la 
conjonâure  où  il  fe  trouvoit,  &  ne  pas  interrompre  le  cours  de  fa  belle 
deftinée  par  tme  générofité  mal  entendue  ;  qu'ainfi  il  falloir  prefcrire  au 
Roi  de  France  des  cohdidons  plus  oU  moins  dures  «  félon  qu'il  conviendroit 
à  l'étabnifement  dé  la  Maifon  d'Autriche.  En  conféquence  l'Empereur  fit 
faire  à  François  I  des  propoûtions  touchant  fa  liberté.  Ce  Prince  en  fut  fi 
indigné ,  qu^il  répondit  à  l'Envoyé  de  Charles  V ,  qu'il  étoit  réfolu  de  paf- 
fer  toute  fa  vie  dans  fa  prifon ,  plutôt  que  de  rien  démembrer  de  fes  Etats. 
Comme  on  lui  confeilla  de  fe  laifler  mener  en  Efpagne  pour  obtenir  plus 
promptement  fa  délivrance,   il  agréa  ce  parti. 

Cependant  le  Pape  Clément  VU,  les  Vénitiens,  &  François  Sforce» 
Duc  de  Milan ,  jaloux  de  la  trop  grande  puifTançe  de  Charles  V ,  fè  ligue* 
rent  en  fecret  pour  l'anéantir.  Il  y  eut  en  même-tems  une  confpiràtion  à 
Milan  en  faveur  de  Sfbrce ,  pour  chalfer  les  Impériaux  du  Milanez  ^  &  leur 


pereur.  Cette  découverte  mettoit  Charles-Quint  dans  la  pofition  la  plus  avan- 
tageufe  pour  l'accompliffement  de  ks  vaftes  deffeins  :  d'une  part  le  Roi 
de  France  fon  prifonnier ,  lui  donnoit  la  facilité  d'exiger  pour  prix  de  fa 
rançon  la  ceflion  du  Duché  de  Bourgogne ,  ancien  patrimoine  de  foo 
ayeule  maternelle  ;  ce  qui  ouvroit  tout  le  Royaume  de  France  à  fes  e&- 
treprifes^  :  de  l'autre ,  le  Duc  de  Milan ,  coupable  de  félonie ,  le  mettoit  ea 
droit  de  fe  faifir  de  fon  Duché ,  &  dès-lors  toute  l'Italie  lui  étoit  aflèrvie. 
Il  réfolut  de  profiter  de  ce  double  avantage ,  &  commença  par  s'affurer  du 
dernier.  D'abord  il  fît  mettre  des  garnifons  dans  les  places  fortes  du  Duché 
de  Milan,  permit  aux  Colonnes  que  le  Pape  avoit  chaffés  de  Rome ,  de 
lever  des  troupes  avec  lefquelles  ils  ravagèrent  les  terres  du  St.  Siège  »  & 
obligèrent  le  Pape  à  les  rétablir  dans  leurs  biens.  Pefquaire ,  fur  les  lettres 
qu'il  reçut  de  Madrid ,  entra  daRS  Milan  à  la  tête  de  trois  cents  hommei 
d'armes  &  de  trois  mille  fantaflins ,  demanda  à  Sforce  de  lui  remettre  les 
châteaux  de  Milan  &  de  Crémone  ;  &  fur  fon  refus ,  il  les  fit  bloquer , 
obligea  les  habitàns  de  la  capitale  de  prêter  ferment  de  fidélité  à  PEmpe- 
reur ,  &  fît  lever  les  impots  à  fon  profit. 

François  I  ne  fut  pas  plutôt  arrivé  \  Madrid ,  qu'il  reconnut  la  finite 
qu'il  avoit  faite.  L'Empereur  refiifa  long  -  tems  de  le  voir  ,  fous  pré* 
texte  que  cette  entrevue  étoit  embarraffante  pour  tous  deux.  Cette  conduite 
caufa  à  ce  Prince  un  chagrin  qui  le  fit  tomber  malade.  L'Empereur  feo- 
tant  de  quelle  conféquence  étoit  pour  lui  la  rie  d'un  prifonnier  de  cette 
importance;  puifque  s'il  étoit  mort,  il  perdoit  tout  le  fruit  de  fà  viâoire, 
rabattit  de  fa  fierté  ^  &  le  vint  voir.  L'entrevue  fe  pafla  en  compliœens^ 


CHARLES-QU  IN  T,    Empereur.  443 

fans  entrer  autrement  en  matière.  Cependant  le  traité  de  Madrid  fut  con- 
clu le  14  Janvier  j%%6.  François  I  s'engagea  à  la  ceffion  du  Duché  de 
Bourgogne ,  de  la  Flandre ,  de  l'Artois ,  du  Milajnez  :  fes  deux  fils  dé- 
voient lervir  d'otage ,  &  refter  en  la  puiflance  de  TEmpereur  jufqu'à  l'en- 
tier accompliflement  du  traité.  Ce  Prince ,  après  avoir  promis  de  les  rem- 
plir^ fut  délivré  de  fa  prifon»  &  fe  mit  en  route  pour  revenir  en  France  : 
mais  à  peine  fut-il  fur  les  frontières  y  qu'il  protefla  de  nullité  contre  ce 
qu'on  avoit  exigé  de  lui^  &  repréfenta  aux  Miniftres  de  l'Empereur  qui 
le  fuivoient ,  que  les  Etats  du  Royaume  ne  confentiroient  pas  aux  aliéna- 
tions qu'il  avoit  fiipulées  par  ce  traité.  Dans  le  fond  il  y  avoit  défaut  de 
liberté  &  léfion  énorme.  D'ailleurs  les  Princes  tiennent  rarement  leurs  en- 
gagemens  lorfqu'ils  ont  intérêt  de  les  rompre.      . 

Cependant  la  guerre  continuoit  en  Italie,  &  les  Impériaux  réunis  au-delà 
du  Po ,  ruinoient  tout  le  pays.  Le  Pape  fit  fon  accommodement  avec  l'Em- 
pereur I  renonça  à  U  ligue ,  .&  s'engagea  à  fournir  foixanre  mille  écus  pour 
la  folde  des  troupes  Impériales.  Le  Connétable  de  Bourbon  afFeâa  d'ignorer 
la  chofe ,  foit  par  ordre  de  l'Empereur  qui  étoit  bien  aîfo  de  fe  vengée 
du  Pape ,  foit  ae  fon  propre  mouvement;  car  on  prétend  qu'il  étoit  mé- 
content de  l'Empereur ,  o^  on  l'accufoit  d^avoir  voulu  fe  former  un  Etac 
Souverain  de  la  ville  de  Rome  &  du  Royaume  de  Naples.  Quoi  qu'il  en 
foit,  il  ne  fu/pendit  point  fa  marche  ni  fe;  hoftilités  :  les  foldats  vouloienc 
abfolument  de  l'argent  pu  le  pillage  des  villes.  Le  Duc  d^Urbin  &  le  Mar- 
quis de  Saluces  qui  commandoient  les  troupes  des  Confédérés,  étendoient 
leurs  quartiers  pour  ferrer  les  Impériaux ,  rompre  lexnrs  communications  ^ 
&  leur  rendre  la  fubfiftance  de  plus  en  plus  difGcile. 


L 


Rome  faccagée  par  tes  Impériaux. 

Ann.  1^26. 


fE  Connétable  marchant  à  grandes  journées,  arriva  le  25  Avril  à  Viteibe  j 

delà  il  dépêcha  un  courier  au  Pape  pour  lui  demander  le  paffage  au  tra- 
vers 4^  Rome,  d'où  il  fe  propoioit  de  fe  rendre  à  Naples,  &  d^échapper 
ainfi  à  la  pourfuite  des  Confédérés.  Clément  Vit  le  rerufa  avec  beaucoup 
de  fermeté.  Piqué  de  fon  refus ,  le  Connétable  paroit  devant  Rome  le  6  Mai  : 
il  fait  efcalader  le  fauxbourg  du  Vatican;  mais  dans  le  itths  qu^il  appuie  lui- 
même  une  échelle ,  il  reçoit  un  coup  de  moufquet  qui  ne  lui  laifTe  que  deux 
heures  de  vie  :  il  fe  fait  tranfporter  au  camp ,  &  il  y  exjjire  -4  l'âge  de 
trente-huit  ans.  Il  mourut  les  armes  à  la  main ,  mais  il  mourut  fans  gloire  / 
parce  qu'il  fervoit  contre  fa  patrie ,  &  qu'il  faifoit  la  guerre  en  brigand. 
Sa  mort  n'interrompit  point  les  attaques  :  fes  foldats  mrieux  de  la  perte 
de  leur  Général,  forcèrent  ceux  qui  défëndoient  la  muraille,  fe  jetterent 
dans  la  ville  Tépée  à  la  main ,  &  tuèrent  tout  ce  qui  fe  préfenta  devanc 

Kkk  2 


'444  C  H  A  R  L  E  S  -  Q  U  I  N  T,     Empveur. 

eux.  Ils  fe  répandirent  enfuite  dans  cette  capitale  du  monde  chrétien ,  ils 
entrèrent  dans  les  maifons;  &  fans  égard  pour  la  dignité,  l'âge  ou  le 
fexe,  ils  y  commirent  des  cruautés  &  des  violences  qu'à  peine  on 
auroit.pu  craindre  des  nations  les  plus  barbares.  Cette  affreufe  fcene  ne 
dura  pas  feulement  vingt-quatre  heures ,  comme  il  arrive  ordinairement 
dans  les  places  emportées  d'afTaati  mais  pendant  plus  de  deux  mois.  Lts 
-Impériaux  renouvel loient  tous  les  jours  les  mêmes  violences;  &  pour  fatis-. 
faire  leur  avarice  &  leur  lubricité,  ils  n'épargnèrent  ni  les  facrileges ,  ni  le 
viol ,  ni  les  meurtres  de  fang-froid.  En  un  mot ,  on  prétend  que  les  ravages 
d'Alaric  &  de  Totila,  &  tout  ce  que  les  peuples  les  plus  barbares  ont  raie 
dans  Rome,  n'approche  point  des  excès  que  l'armée  des  Impériaux  y 
commit. 

Le  Pape ,  avec  treize  Cardinaux ,  s'étoit  réfugié  dans  le  château  St.  Ange, 
&  il  s'y  vit  bientôt  invefli.  Toute  l'Europe  frémit  en  apprenant  que  Rome 
avoit  été  inhumainement  faccagée,  &  que  le  Pape  étoit  aflîégé.  Les  Roû 
de  France  &  d'Angleterre  vivement  touchés  du  fort  de  Clément ,  réfolu- 
rent  de  remédier  à  fes  malheurs;  le  premier,  en  faifant  marcher  ea 
Italie  une  armée  de  trente  mille  hommes;  le  fécond,  en  portant  fes  for- 
ces dans  les  Pays-Bas  :  mais  leurs  vues  ne  furent  pas  fitôt  remplies ,  & 
le  Pape  n'en  demeura  pas  moins  invefli.  Charles-'Quint  fut  ravi  de  voir 
un  de  fes  grands  ennemis  tombé  dans  fes  fers;  bien  loin  de  fe  laiifer tou- 
cher fur  le  fort  de  ce  Pontife ,  par  refpeâ  pour  la  religion ,  il  couvrit  fes 
fentimens  des  apparences  de  l'amiâion  :  il  prit  publiquement  le  deuil  ;  il 
fît  faire  dans  toute  l'Ëfpagne  des  procédions  pour  demander  à  Dieu  fa 
liberté ,  pendant  que  d'un  feul  mot  il  pouvoit  la  lui  rendre  ;  mais  il  n^ 
eut  que  le  petit  peuple  qui  en  fut  la  dupe. 

Pendant  qu'il  jouoit  cette  comédie  en  Efpagne  d'une  manière  ù  iodé* 
cente ,  il  envoya  des  ordres  à  Rome  pour  qu'on  gardât  le  Pape  avec  foifl* 
Il  prépara  de  nouveaux  renforts,  &  fes  troupes  reflètent  dans  Rome.  U 
Pape,  après  avoir  tenu  plus  d'un  mois  dans  le  château  avec  ce  qu'il  avoit 
de  troupes,  voyant  que  les  vivres  lui  manquoient,  fut  obligé  de  capiniler 
avec  fts  ennemis  ;  mais  il  ne  put  avoir  la  paix  qu'en  s'obligeant  à  payer 
aux  Impériaux  quatre  cents  mille  ducats,  à  leur  livrer  le  château  St.  Ange 
avec  les  villes  d'Oftie,  de  Civitta-Vecchia,  Parme  &  Plaifance,à  fe  liifla 
enfuite  transférer  dans  le  château  de  T^aples  pour  y  attendre  ce  qu'il 
plairoit  à  l'Empereur  d'ordonner  de  fa  perfonne.  Le  jour,  de  fa  délivrance 
fut  fixé  au  9  Décembre  ;  mais  il  eut  le  bonheur  de  s'évader  la  nuit  d'au- 
paravant déguifé  en  marchand,  &  fe  rendit  â  Orviette  à  la  faveur  d'une 
cfcorte. 


p 


C  H  A  R  L  E  S-Q  U  I  N  T,    Empereur.  44^ 

Suite  de  la  guerre. 


EndAKT  ce  temps,  l'armée  Françoife  commandée  par  Lautrec,  en- 
tra en  Italie,  s'empara  de  Gênes  &  d'*une  partie  du  Milanez;  delà  elle 
marcha  vers  Naples  :  plufîeurs  villes  de  i'Abruzze  ouvrirent  .leurs  portes  aux 
François.  Cette  iovauon  détermina  le  Prince  d'Orange  à  faire  fortir  de 
Rome  l'armée  Impériale,  réduite  par  les  maladies  &  les  défertioos  à  qua- 
torze mille  hommes  d'infanterie.  Mais  dans  le  temps  que  Lautrec  ^ifoit  le 
(îege  de  Naples  ,  la  pelle  fe  mit  dans  fon  camp ,  &  Tenleva  lui-même 
après  avoir  ruiné  l'armée.  André*  Doria,  à  qui  François  I  avoir  refufé  la 
reftitudon  de  Savonne,  quitta  le  parti  de  ce  Prince,  &  fit  foulever  les 
Génois  contre  leur  Souverain.  Cependant  le  Pape  fit  fon  accommodement 
avec  l'Empereur  :  ce  Prince  lui  promit,  par  un  nouveau  traité,  le  rétabliflè- 
ment  de  fa  maifon  dans  Florence,  ce  que  le  Pape  avoit  fort  à  cœur;  il 
lui  offrit  Marguerite  d'Autriche  fa  fille  naturelle,  pour  Alexandre  de  Mé- 
dicis  petit  neveu  de  Clément.  Le  Pape  promit  de  donner  à  l'Empereur  l'in- 
vefiiture  du  Royaume  de  Naples,  &  de  fe  tranfporter  inceffamment  à  Bou- 
logne pour  couronner  folemnellement  ce  Prince. 

La  paix  entre  l'Empereur  &  la  France  fe  traitoit  alors  à  Cambrai.  La 
Reine,  mère  de  François  I,  &  Marguerite  d'Autriche  s'y  étoient  rendues 
pour  ouvrir  les  conférences.  Sur  ces  entre&ites,  Charles-Quint  rçpalfa  en 
Italie  :  il  arriva  à  Gênes  avec  une  flotte  de  prés  de  deux  cents  voiles,  & 
fit  defcendre  à  Savonne  neuf  mille  hommes  de  débarquement  ;  fon  deffein 
étoic  de  pa(fer  à  Plaifance ,  où  il  avoit  donné  rendez-vous  à  toutes  fes 
troupes.  Antoine  de  Levé  devoit  y  amener  douze  mille  hommes  du  Mi- 
lanez.  Le  Prince  d'Orange  s'étoit  avancé  jufqu'à  Spolette  avec  fept  xpille 
hommes  ,  &  y  avoit  joint  les  troupes  du  Pape.  Dix  mille  Lanfquçnets 
étoient  partis  du  Tirol  pour  groffir  cette  armée,  qui  réunie,  auroit  été 
forte  de  quarante  mille  hommes  de  pied ,  &  de  plus  de  dix  mille  hommes 
de  cavalerie. 

L'effroi  fax  général  dans  l'Italie.  Les  Florentins ,  qui  craignoient  pour 
leur  liberté  ,  fe  hâtèrent  de  lui  envoyer  leurs  députés,  pour  tâcher  de  fe 
concilier  fa  bienveillance.  Mais  PEmpereur  leur  (ignifia  qu'il  avoit  promis 
au  Pape  de  réparer  l'outrage  qu'ils  avoient  fait  à  fa  famille ,  &  qu'ils  n'a- 
voient  point  de  grâce  à  efpérer ,  à  moins  qu'il  ne  fût  fatisfait.  Tous  les 
autres  Princes  envoyèrent  leurs  Ambaffadeurs  à  Gênes  pour  demander  fon 
amitié.  Dans  ces  circonftances  parut  le  traité  de  Cambrai,  qui  donna  lieu 
\  la  paix  dite  des  Dames.  Par  ce  traité,  François  I  fit  fa  paix  avec 
Charles- Quint ,  &  facrifia  toutes  fes  prétentions  pour  retirer  fes  enfàns  qui 


^Empereur.  De  cette  manière  Charles- Qumt  fe  voyoït 
des  forces  fupérieures  ;  il  avoit  le  Pape  pour  ami    il  avoit  fait  fa  paix 


44^  C  H  A  R  L  E  S-Q  U  I  N  T,    Empenur. 

avec  la  France ,  &  retenoic  tous  les  Princes  d'Italie  dans  la  crainte.  Telles 
furent  les  fages  mefures  que  prit  ce  Prince  politique  pour  détruire  U  li- 
gue qui  s'étoit  formée  contre  lui.  Mais  dans  le  temps  que  Pitalie  étoit  dans 
la  crainte  de  fubir  le  joug  de  ce  Prince,  un  événement  la  tira  d'inquié* 
tude.  Soliman  II  étoit  entré  en  Hongrie  avec  une  puiffante  armées  Tes 
partis  défoloient  les  Etats  de  l'Archiduc  Ferdinand  :  il  avoit  fournis  Bude, 
&  menaçoit  Vienne.  L'Empereur  ,  oui  craignit  les  progrès  des  Turcs , 
fbngea  à'  fe  débarrafler  des  affaires  d'Italie,  afin  que  rien  ne  s'opposât  à 
fon  retour  en  Allemagne,  où  fa  préfence  étoit  très-néceffaire.  Il  fe  hâta  de 
faire  fon  accommodement  avec  les  Vénitiens.  La  paix  d'Italie  fut  le  prin- 
cipal objet  des  conférences  qui  fe  tinrent  pour  cet  effet  à  Boulogne.  Ce 
Prince  s'étoit  rendu  dans  cette  ville  quelques  jours  après  le  Pape.  On  y 
convint  que  le  Duché  de  Milan  appaniendroit  à  François  Sfùrce ,  moyen- 
nant cinq  cents  mille  ducats  qu'il  paieroit  pour  l'inveftimre ,  &  cent  autres 
mille  en  dédommagement  des  frais  de  la  guerre.  Florence  fut  foumife 
aux  Médicis.  Les  Vénitiens  rendirent  au  Pape  Ravenne  &  Cervia,  &  à 
l'Empereur  Monopoli  &  les  autres  places  qu'ils  occupoient  fur  les  côtes  de 
la  Fouille.  On  comprit  dans  ce  traité  tous  les  alliés  de  part  &  d'autre.  En* 
fuite  Charles-Quint  fut  couronné  â  Boulogne  par  le  Pape ,  comme  Roi 
d'Italie  &  Empereur  Romain  :  cette  cérémonie  fe  fît  avec  beaucoup  de 
{blemnité. 

Ce  fut  en  cette  année  que  Charles-Quint  donna  l'Ifle  de  Malthe,  Tri- 
poli &  Goze  aux  Chevaliers  de  St.  Jean  de  Jérusalem ,  qui  huit  ans  aupa- 
ravant avoient  été  dépouillés  par  Soliman  de  Tlfle  de  Rhodes ,  où  ils  do- 
minoient  en  Souverains  :  ils  avoient  foucenu  un  fiege  où  ils  firent  éclater 
des  traits  de  valeur  dignes  des  temps  héroïques.  Cependant  Soliman  fut 
forcé  da  lever  le  fîege  de  Vienne ,  après  avoir  déclaré  hautement  qu'il 
reviendroit    au   printemps. 

Dicte  ^Aushourg.    ^ 

X^H  fut  dans  cet  intervalle ,  que  Charles-Quînt  tînt  à  Aufbourg  la  Dîctc 
générale  de  l'Empire ,  pour  reinédier  aux  troubles  occafionnés  par  les  dif- 
putes  de  Religion.  Les  Proteflans  demandoient  l'affëmbîée  d'un  Concile 
où  leurs  opinions  pufTent  être  examinées  Sk  dîfcutées.  L'Empereur  fit  pro- 
pofer  au  Pape  d'a(fembler  ce  Concile.  La  propofîtion  déplut  au  Pape  :1e 
fouvenir  de  ce  oui  s'étoit  paffé  à  ceux  de  Confiance  âr  de  Bafle ,  loi  6î- 
ibit  craindra  qu'il  ne  fût  queftion,  dans^  un  nouveau  Concile,  d'examiner 
&  de  réformer  les  privilèges  abufifs  de  fon  Siège;  &  cet  intérêt  particu- 
lier l'emportant  fur  le  zèle  qu'il  devoir  à  la  religion,  il  imagina  divers 
prétextes  pour  s>xempter  de  le  convoquer.  Les  Rrotelfans  ne  laifferent 
pas  de  propofer  à  la  Diète  leur  confèflfîon  de  foi ,  dite  d'Aufbourg.  L'Em- 
pereur la  nt  examiner  :  on  dii^uta  beaucoup ,  &  on  finit  par  ne  rien 
conclure. 


CHARiES-QÙINT,    Empereur.  447 

Les  Proteftans  afTemblés  à  Smalkade  convinrent  d^une  confédération  pour 
leur  défènfe  commune  &  celle  de  leur  religion.  La  même  année  PËmpe* 
reur  convoqua  une  aflemblée  d'EIeâeurs  ^  Cologne  :  ils  s'y  rendirent  tous, 
excepté  i'£leâeur  de  Saxe ,  &  ils  élurent  Roi  des  Romains  PArchiduc  Fer- 
dinand, qui  fut  enfuite  facré  à  Aix-la-Chapelle.  L'filedeur  de  Saxe  proteffà 
contre  fon  éleâion,  comme  prématurée. 

Cependant  Jean ,  Roi  de  Hongrie ,  qui  étoit  redevable  de  fa  Couronné 
aux  Turcs,  après  avoir  tenté  inutilement  toutes  les  voies  d'accommodement 
avec  Charles-Quint  &  l'Archiduc  Ferdinand,  implora  le  fecours  de  la  For- 
te. Soliman ,  réfolu  de  protéger  un  Roi  qui  étoit  fon  allié ,  fît  un  grand 
arfnement ,  il  admit  au  nombre  de  fes  Capitaines  de  mer ,  le  fameux  Cor- 
faire  BarberoufTe  :  mais  tout  cet  appareil  n'aboutit  à  rien.  La  flotte  Im- 
périale^ aux  ordres  de  Doria, &  la  flotte  Ottomane,  employèrent  tout  l'été 
à  s'obferver. 

.  Sur  la  fin  de  cette  année  Charles-Quint  fe  rendit  en  Italie,  &  alla  à 
Boulogne  012  le  Pape  lattendoit.  Tous  les  Ambaffadeurs  Vy  trouvèrent  réu-^ 
nis  ;  &  on  y  fit  une  ligue  de  tous  les  Etats  d'Italie  contre  les  Turcs.  So- 
liman en  fut  inftruit  :  fa  flotte  afliégea  Coron  ;  mais  Doria  vint  au  fecours 
de  la  place,  &  flt  lever  le  fiege.  Le  Sultan,  piqué  de  cet  af&ont,  fit  équi- 
per une  flotte  formidable  à  Conflantinople ,  &  en  donna  le  commande- 
ment à  Barberouffe  :  celui-ci  fit  armer  en  guerre  tous  les  vaiffeaux  qùf 
étoient  à  Alger ,  pour  lui  fervir  de  renfort.  L'Empereur ,  qui  étoit  retourné 
en  Efpagne,  fit  armer  dans  ce  Royaume,  ainfl  qu'à  Gênes.  Cependant  Bar- 
beroufTe, après  avoir  mis  en  mer  une  flotte  de  cent  voiles,  fit  une  def- 
cente  fur  les  côtes  de  la  Calabre,  &  ravagea  cruellement  le  pays^  de-là 
il  rabattit  fur  les  côtes  d'Afrique  :  il  en  vouloit  au  Roi  de  Tunis;  il  af- 
liégea fa  Capitale  &  s'en  rendit  maître. 

Expédition  de  Charles*  Quint  en  Afrique, 

Afin,    ifyj, 

\^Omme  les  progrès  de  Barberoufle  fembloient  menacer  les  Royaumes 
d'Efpagne  &  de  Navarre,  Charles-Quint  réfolut  de  les  réprimer  :  la  cir-. 
confiance  étoit  favorable.  La  guerre  de  Perfe  laifToit  refpirer  la  Hongrie, 
&  Soliman  occupé  au  fiege  de  Babylone ,  n'aVoit  point  dé  diverfion  à  faire 
qui  pût  croifer  l'entreprit  de  l'Empereur,  pour  rendre  Tunis  à  fon  pre- 
mier maître.  Dès  les  premiers  jours  du  printems ,  ce  Prince  s'embarqua  à 
Barcelone.  Sa  flotte,  commandée  par  André  Doria,  étoit  forte  de  trois  cents 
voiles ,  &  portoit  quarante  mille  hommes  de  troupes  de  débarquement  : 
étïCr  dirigea  fa  route  fur  la  Sardaignc ,  &  mouilla  au  port  de  Cagliari.  En- 
fuite  elle  partit  pour  l'Afrique ,  parut  devant  le  fort  de  la  Goulette ,  &  dé- 
barqua fes  troupes  à  peu  de  diilance  de  cette  place.  L'Empereur  en  or- 


448  CHARLES-QUINT,    Empereur. 

donna  le  ficge  pour  ouvrir  à  fa  flotte  l'entrée  du  canal  de  Tunis ,  que 
cette  place  défend.  La  garnifon  réfifta  quelque  temps  \  mais  le  feu  du  ca- 
non ayant  prefque  ruiné  le  fort,  elle  tut  obligée  de  fe  rendre.  La  flotte 
Impériale  entra  dans  le  canal ,  &  y  prit  fans  réfiftance  plus  de  cinquante 
galères,  galiotes  ou  flûtes.  Cène  perte  déconcerta  tellement  Barberouffe, 
que ,  quoiqu'il  fut  forti  d'abord  de  Tunis  pour  livrer  bataille  à  l'Empe- 
reur ,  a  fe  retira  à  Bonne;  &  ne  s'y  croyant  pas  encore  en  fureté  »  il  con- 
tinua fa  retraite  jufqu'à  Alger.  Lts  garnifons  qu'il  avoit  lailfées  à  Tunîi 
&  à  Bonne  ne  firent  qu'une  foible  réfiftance.  Charles- Quint ,  maître  de  ces 
deux  places,  entra  dans  Tunis.  Ses  troupes  s'étant  répandues  dans  cette  vil- 
le ,  y  commirent  les  excès  les  plus  affreux  :  plus  de  deux  cents  mille  per- 
fonnes  périrent  ou  furent  efclaves.  L'Empereur  rendit  la  ville  à  Muley 
Hafcen ,  Roi  de  Tunis ,  à  condition  de  lui  en  faire  hommage ,  de  lui  don- 
ner douze  mille  écus  tous  les  ans  pour  l'entretien  de  douze  mille 
ibldats  Efpagnols ,  à  qui  il  confia  la  garde  de  la  Goulette ,  douze  chevau^ 
barbes   &  douze  faucons. 

Guerre  pour  le  Duché  de  Milan. 

jtVFrÈS  avoir  ainfi  heureufement  terminé  cette  expédition  ,  Charles* 
Quint ,  pafla  en  Sicile  où  il  licencia  fon  armée  :  il  ne  retint  qu'un  corps 
de  deux  mille  Allemands  pour  fa  garde ,  &  fe  rendit  à  Kaples  pour  affif- 
ter  au  mariage  de  Marguerite ,  fa  fille  naturelle ,  avec  Alexandre  de  Mé* 
dicis.  n  y  pafla  une  partie  de  l'hiver ,  &  il  y  reçut  les  Ambaffadeurs  de  tous 
les  Prifices  d'Italie.  Mais  dans  le  temps  qu'il  étoit  dans  cette  ville ,  il  ap- 
prit que  François  Sforce  venoit  de  mourir  fans  laiffer  de  poftérité. 

Cette  mort  réveilla  toutes  les  anciennes  vues,  de  François  I  fur  le 
Milanez  \  il  négocia  aufli-tôt  avec  l'Empereur ,  pour  que  le  Duché  de  Mi- 
lan fût  donné  au  Duc  d'Orléans  fon  fécond  fils.  Charles-Quint ,  fans  fe 
montrer  trop  contraire  à  la  propofition  du  Roi ,  fit  naître  des  diflicoltéf 
pour  éviter  de  conclure.  Le  Roi  de  France  fentit  que  l'Empereur  ne  voa- 
loit  que  l'amufer,  &  fe  prépara  à  obtenir,  par  la  voie  des  armes  »  ce  qu^ 
demandoir. 

Son  armée,  commandée  par  l'Amiral  de  Chabot,  s'empara  de  Turio, 
&  le  Duc  de  Savoie  fut  obligé  de  fe  retirer  à  Verceil.  L'Empereur,  qui 
étoit  alors  à  Rome,  piqué  de  l'invafion  des  troupes  Françoifes  dans  le 
Piémont ,  parla  du  Roi  en  plein  confiftoire  dans  les  termes  les  plus  of* 
fenfans ,  &  pouffa  l'imprudence  jufqu'à  le  défier ,  pour  vuider  leur  que- 
relle dans  un  combat  fingulier.  Le  Pape  Paul  III  défapprouva  hautement 
ce  défi ,  &  propofa  divers  moyens  d'acconunodemem ,  mais  ils  ne  purent 
avoir  lieu. 

L'année 


C  H  A  R  L  E  S^Q  U  I  N  T  ,    Empereuf.  449 

Vènnét  fuivance  y  Charies-Quinc  fe  difpofa  à  entrer  en  Provence  avec 
une  armée,  &  donna  ordre  à  André  Doria  de  faire  voile  vers  les  côtes  de 
cette  Province  avec  cinquante  galères.  Il  s'y  rendit  lui-même  par  le  Comté 
ée  Nice;  il  avoit  à  fa  fuite  le  Duc  de  Savoie  fon  neveu,  Ferdinand  de 
Tolède  Duc  d'AIbe ,  &  le  Marquis  du  Guaft.  Après  avoir  &it  la  revue  de 
fon  armée ,  il  arriva  à  Nice  à  la  tête  de  quarante  mille  hommes  d'infan* 
terie  &  de  deux  mille  cinq  cencs  hommes  d'armes«  Enfuite  il  fe  préfenta 
devant  Marfeille,  &  envoya  contre  Arles  le  Marquis  du  Guaft.  L'armée  du 
Roi  étoit  alors  fous  Avignon.  Les  troupes  de  PEmpereur  qui  avoient  beau- 
coup foufFert  dans  le  paflage  des  Alpes ,  &  qui  trouvèrent  tout  fourragé , 
après  avoir  fait  de  vains  efforts  contre  Arles  &  Marfeille ,  furent  obligées 
de  retourner  fur  leurs  pas,  &  l'Empereur,  qui  avoit  perdu  un  monde  infini 
dans  fa  retraite ,  rentra  dans  le  Piémont.  Piqué  d'avoir  échoué  dans  cette 
expédition ,  il  voulut  fufciter  toute  l'Italie  contre  la  France  ;  mais ,  après 
avoir  tenté  inutilement  d'entraîner  le  Pape  contre  le  Roi,  il  s'embarqua  à 
'Gènes  pour  l'Efpagne. 

.  r  Les  Proteftans ,  mécontens  des  Décrets  de  la  Chambre  Impériale  de  Spi- 
re y  renouvellerent  leur  confëdération ,  &  élurent  l'Ëleâeur  de  Saxe  &  le 
L^dgrave  de  Hefle  pour  leurs  Capitaines- Généraux.  Cependant  l'Empereur 

Îyvftffoxt  les  Princes  Proteftans  d'affifler  au  Concile  de  Mantoue  indiqué  par 
e  Pape ,  mais  ils  refuferent  fous  prétexte  du  trop  grand  éloignemenr. 

L'an  15^8  ,  Charles-Quint  entra  dans  la  ligue  du  Pape  Paul  III  &  dés 
^Vénitiens  contre  les  Turcs.  Ce  Pontife  négocia  une  trêve  entre  l'Empereur 
.&  le  Roi  de  France;  il  voulut  même  les  attirer  à  une  entrevue  à  Nice  en 
fa  préfence,  &  il  les  invita  à  s'y  rendre  :  ils  refuferent  fous  divers  pré-* 
textes ,  quoiqu'ils  (e  fuflent  tous  deux  approchés  de  cette  ville.  Cependant 
un  coup  de  vent  ayant  forcé  l'Empereur  à  fon  retour  de  relâcher  aux  ifles 
Sainte  -  Marguerite ,  il  envoya  à  François  I ,  qui  étoit  fur  les  bords  du 
Var ,  un  Officier*,  pour  lui  témoigner  le  dédr  extrême  qu'il  avoit  de  le 
voir  &  de  l'entretenir»  &  que,  s'il  le  vouloit  bien,  il  lui  donnoit  rendez* 
vous  à  Aiguemortes.  François  l'y  confentit.  Les  deux  Princes  fe  virent , 
&  fie  conclurent  rien, 

'  •  -  •"     . 

Charles*  Quint  à  la  Cour  de  France. 

JL  A'  rebeUion  des  Gantois  qui  arriva  cette  année ,  détermina  l'Empereur 

%^   /Vî -  _    _       T? •.__ îr_  .   f-_  ^ i_f \fl- :-.  1-^-  -.^ .^ 


^  faire  un  voyage  en  France  pour  appaifer  les  troubles  &  punir  les  coupa- 
bles. Dans  ce  deffein ,  il  demanda  à  François  premier  la  liberté  de  traverfer 
la  France ,  &  lui  propofoit  une  entrevue  pour  traiter  d'aflàires  importantes. 
Xe  Roi  lui  accorda  le  paffage  avec  une  grandeur  d'ame  vraiment  royale  & 
dans  les  termes  les  plus  honnêtes,  Charles-Quint  ne  mena  avec  lui  que 
Tome  XI.  LU 


4^0  C  H  A  il  L  E  S-<5  U  I  N  T^   Eniptrtur. 

^u^  Hoent«  ^«rdes,  cinquante  geotilshamhies ,  cinqnapte  pages  ,  &  autrei 
£ens  dç  fervice  ;  il  étoic  accompagné  de  Granvelle  ^  qu'il  regardoic  comme 
le  plus  grand  génie  de  TEurope.  François  I  alla  luirmême  jufqu'à  Châ- 
telleraut  pour  le  recevoir.  L'Empereur  fit  fon  entrée  à  Paris  le  premier 
janvi^  I  J4.0  par  la  porte  Sainte-Antoine  :  le  Parlement  &  tous  les  ordres 


'Europe  vit  avec  éconnement  la  confiance  du  premier  &  la  généro- 
ùxé  du  fécond.  Mais  Charles-Quint  connoifToit  fon  rival,  &  il  ne  couroit 
aucun  rifque  de  fe  livrer  entre  fes  mains,  ayant  fa' parole  pour  fauve^ 
igarde.  François  I ,  toujc^urs  prêt ,  malgré  tant  d'expériences  contrai- 
res,  à  croire  (iiiceres  les  offres  de  réconcilktion  de  fen  ennemi  \  fe  fit  un 
j)oint  d'honneur  de  rejetter  les  cpofeils  des  plus  habiles  de  fa  cour  ,  qui 
vouloient  qu'il  s'affurât  de  l'Empereur  tandis  qu'il  l'avoit  en  (a  dtfpofition. 
Peu  de  Princes  euiiènt  réfifié  à  une  tentation  fi  délicate ,  s'ils  avoient  été 
retenus  prifonnîers  par  Charles  -  Quint ,  comme  il  étoit  arrivé  à  François  I. 
Jlais  ce  Prince  crût  qu'il  étoit .  de  fa  gloire  de  ne  point  violer  l'hofpita'- 
lire  qu'îL  ayoit  promife  ,  &  il  fe  flatta  qu'en  le  traitant  plus  généreu- 
sement <,  il  Tengageroit  à  garder  la  promeffe  qu'il  lui  avoir. fiiire  de  don* 
ner,  à  quelqu'un  de  fes  fils  ,  l'inveftiture  du  Duché  de  Milan.  Charles- 
Quint,  il  eft  vrai,  ne  fut  pas  dans  une  petite  inquiétude,  lorfqu'il  apprît 

Î|Qe  la  OuchefFe  d'Etampes ,  '  favorite  du  Roi ,  étoit  du  nombre  des  per- 
onnes  qui  (bllicitoient  ce  Prince  de  ne  pas  laifler  échapper  one  fi  belle  oc- 
;Cafion ,  ne  fût-ce  que  pour  modérer  le  rigoureux  traité  de  Madrid  ;  il  ▼oiP' 
lut-effayer  de  fe  la  rendre  favorable.  Le  fôir  même  qu'il  reçut  cet  avis, 
^entretenant  avec  elle  comme  on  étoit  fur  le  point  de  ft  mettre  à  tabife 
&  qu'il  fe  lavoit  \ts  mains ,  il  feignit  de  laifTer  tomber  aux  pieds  de  11 
Duchelfe  un  anneau  de  très-^frand  prix  qu'il  port<Mt  au  doigt.  Cette  Dame 
l'ayant  ramafFé,  le  préfenta  à  l'Empereur,  en  lui  difant  :  Voilà  l'anneau  de 
Votre  Majefté  Impériale.  Point  du  tout  y  lui  répondit  Charles-Quint  ;  c^r 
je  connois  bien  qu^il  veut  changer  de  maître ,  c*eji  pourquoi  je  vous  prie  et 
le  garder.  Cette  rufe  lui  réuflit  :  car,  dès  ce  moment,  la  Ducheife chan* 
gea  de  langage ,  &  afièrmit  François  I  dans  la  réfolution  oii  il  étmt  de 
garder  la  parole  qu'il  avoir  donnée  à  l'Empereur.  Charles-Quint  féjouma 
Sx  jours  à  Paris  :  il  y  fut  traité  avec  toute  la  magnificence  qu'on  pouYoit 
attendre  d'un  Roi  généreux  &  puiifant.  Lorfqu'ils  s'embrafferent  pour  pren- 
dre congé  l'un  de  l'autre  ,  François  dit  à  Charles  :  Mon  fret e  ^  pattens'^ 
^otre  généreux  coeur  t acCompliffement  de  votre  ptamejfe.  Mon  firere ,  lui  ré- 
4)ondit  Charles-Quint ,  en  mettant  le  pied  à  l'étrier  ,  vous  tri  verre?  bientti 
les  effets.  Le  fens  dans  lequel  il  entendoit  ces  paroles  étoit  fort  différent  de 
celui  qu'elles  préfentoient  ;  car  il  ne  fut  pas  plutôt  forti  de  France ,  qu'ï 
fe  joua  de  la  franchife  du  Roi ,  &  ne  tint  rien  de  ce  qu'il  lui  a  voie  proaûi» 


CHARLES. QUINT,   Empenur.  4j< 

Entrepriji  malheureiifi  fur  Alger. 


J_^'ÉI.0IGNFMENT  de  Barberouffe  qui  ëtoit  pan'ë  à  Confiant! nople 
fiï  croire  îi  Charles-Quint  qu'il  pourroit  tenter  facilement  la  conquête 
d'Alger.  En  conféquence,  il  fie  des  préparatifs  conformes  à  la  grandeur  de 
l'entreprife.  Ferdinand  Cortès ,  qui  avoit  acquis  tant  de  gloire  à  la  con- 
quête du  Mexique ,  fut  chargé  de  l'armement  qui  devoit  fe  faire  en  EI^ 
pagne.  On  tira  de  l'Allemagne  un  corps  de  cavalerie ,  &  on  fit  des  levées 
d'infanterie  dans  l'Italie  :  le  Grand -Maître  de  Malthe  lui  envoya  quatre 
cents  Chevaliers.  Cependant  la  faifon  éioit  avancée,  &  André  Doria,  le 
plus  grand  homme  de  mer  qui  fût  dans  ce  fiecle  ,  lui  repréfenta  les  pé- 
rils ou  il  s'expofoit.  Mais  l'Empereur,  qui  avoit  à  cœur  cette  expédition  , 
ne  voulut  point  changer  de  réfolution  ;  il  s'embarqua  pour  Alger ,  com- 
mandant la  flotte  en  perfonne ,  &  arriva  le  24  Oftobre  à  la  rade  de  cette 
ville.  Le  débarquement  étant  achevé  ,  l'armée  de  terre  fe  trouva  com- 
pofée  de  vingt  mille  hommes  de  pied  fit  de  fix  mille  chevaux.  Charles- 
Quint,  avant  d'attaquer  la  place,  dépécha  un  Officier  au  Gouverneur  que 
BarberoufTe  y  avoit  laide  ,  pour  le  porter  à  lui  ouvrir  les  portes,  mais  il 
refufa  ;  c'éioit  un  vieil  Eunuque,  nommé  Hafcen,  grand  homme  de  mer  i 
il  avoit  dans  la  place  huit  cents  Turcs  fort  aguerris  &  environ  fix  mille  ha- 
bitans  qui  déteftoîent  la  domination  des  Efpagnols;  il  engagea  différens 
Capitaines  Arabes  à  fe  répandre  dans  la  campagne  &  à  harceler  le  camp 
des  Chrériens  :  ce  qu'ils  exécutoienr  avec  tant  d'adrefle  ,  que  les  Elpagnols 
ayoient  bien  de  la  peine  i  parer  leurs  coups. 

Pendant  ces  efcarmouches ,  il  5*élev»,  îi  l'entrée  de  la  nuit,  une  fu- 
rieufe  tempête  mêlée  d'une  pluie  fi'oide  qui  remplit  d'eau  tout  le  camp 
des  Chrêtitns.  Comme  on  n'avoit  pas  eu  le  tems  de  débarqwer  les  tentes , 
toute  l'armée  i>*ayoit  encore  que  le  ciel  pour  couvert ,  fie  les  poudres  des 
fôldats  étoient  mouillées.  Le  GouFCrneur  profita  de  ce  défordre  :  il  fit  faire 
une  foriie  au  point  du  joue  par  une  panîe  de  la  garnifon.  Les  infidèles  tom- 
bèrent fur  trois  compagnies  poftées  fur  un  pont  de  pierre  qui  aboutifToit  à 
une  des  portes  de  la  ville  î  &  ayant  affaire  à  des  foldats  tranfis  de  froid  , 
ils  let  taillerem  en  pièces.  Ce  fuccès  les  porta  jufqu'à  fe  jetter  fur  le  quar- 
tier de  l'Empereur,  mais  plufieurs  régimens  étant  accourus,  ils  furent  re- 
poulTés  avec  perte.  Le  Gouverneur  fil  faire  une  nouvelle  fortie  :  ils  atta- 

Îiuerent  les  Italiens  qui,  n'ayant  jamais  vu  la  guerre ,  prenoient  la  fuite,  ou 
e  laiïToient  égorger.  Ce  n'étoït  encore  là  que  le  prélude  des  maux  :  il  s*é- 
leva  le  même  jour  une  fi  furieufe  tempête,  mêlée  de  vents,  de  tonnerre 
&  de  pluie ,  qu'il  fembloit  que  tous  les  élémens  concourul^nt  pour  faire 
périr  l'armée  chrétienne.  Les  vaîffeaux  arrachés  de  deflus  leurs  ancres,  fe 
bitfoient  les  uns  contre  les  autres ,  plulieurs  échouèrent  contre  les  écueîls: 

LU  a 


fé 

tes 


4Ç2  C  H  A  R  L  E  S-Q  U  I  N  T,  Empereur. 

en  moins  de  deux  heures,  il  périt  quatre-vingt-fix  vaifleaux  &  <|uinze  ga- 
lères ;  &  ce  qu^l  y  avoit  encore  de  déplorable ,  c'eft  qu'ils  étoient  char- 
gés de  vivres.  Quelques  Officiers  ayant  tâché  d'échouer  le  long  de  la  côte 
{>our  être  plus  près  de  terre ,  périrent  miférablement ,  ou  durent  tués  par 
es  Arabes  qui  bordoient  le  rivage.  Plus  de  huit  mille  foldats  ou  matdott 
furent  enveloppés  dans  ce  défaftre  ;  la  mer  étoit  couverte  de  navires  bri- 
^'s ,  de  corps  d'hommes  &  de  chevaux  :  l'armée  de  terre  étoit  fans  ten- 

s ,  fans  munitions ,  fans  vivres.  L'Empereur  fe  vit  obligé  de  lever  le  fic- 
ge ,  &  fbn  armée  fe  rembarqua  fur  les  malheureux  refies  de  la  flotte.  Maïs 
ii  peine  étoi^on  en  mer,  qu'il  s'éleva  une  nouvelle  tempête,  la  flotte  fur 
dilperfée  de  nouveau ,  plufieurs  vaiffeaux  périrent ,  &  ce  ne  fut  qu'aprèt 
bien  des  périls  qu'on  arriva  au  port  de  Bugie ,  dont  les  Efpagnols  étoieat 
maîtres ,  &  où  l'armée  trouva  un  afyle  &  des  rafraichiffemens.  Charles- 
Quint  fe  rembarqua  de  là  pour  Carthagene. 

Peu  de  tems  après ,  ayant  appris  que  le  corfaîre  Dragut ,  à  qui  Soliman 
avoit  donné  l'autorité  d'un  Amiral,  venoît  de  s'emparer  d'Afrîca,  ville  bâ- 
tie entre  Tunis  &  Tripoli,  ce  Prince  en  fut  alarmé,  &  réfolut  de  faire  le 
fiege  de  cette  ville.  Doria ,  par  fon  ordre ,  mit  en  mer  la  flotte  qu'il  com- 
mandoit,  le  Pape  y  joignit  les  galères  de  l'Eglife,  &le  Grand  Maître  ce!* 
les  de  Malthe}  ce  liège  fut  long  &  meurtrier,  mais  enfin  la  viUe  fiic 
prîfe. 

Comme,  les  armes  de  Soliman  répandoient  encore  la  terrem*,  PEmpe- 
reur  demanda  à  la  Diète  de  Spire  du  fecours  contre  les  Turcs.  Lés  Protef^ 
tans  le  lui  accordèrent ,  après  avoir  reçu  des  aflurances  pour  leur  coofer- 
vation  &  leur  tranquillité.  Il  flitréfolu  qu'on  lui  payeroit  le  dixième  de  tous 
les  revenus  »  &  le  cinquantième  de  la  valeur  dés  biens  dont  le  rapport  étoic 
incertain. 

La  guerre  recommença  bientôt  "entre  Charles-Quint  &  François  I,  ï 
l'occafîon  du  meurtre  de  Rincon  &  de  Fregofe ,  Ambaffadeurs  (le  Fran- 
ce. Les  François  s'emparèrent  du  Duché  de  Luxembourg.  D'un  autre  côté, 
Henri  VIII ,  Roi  d'Angleterre ,  fe  ligua  avec  l'Empereur  contre  la  France 
&  afliésea  Boulogne.  L'armée  de  Charies  fit  une  invafion  dans  la  Cham- 
pagne oc  prit  Saint-Didier  ;  mais  fe  trouvant  réduite  ^  par  la  fiiim  ^  aux  der- 
nières extrémités,  elle  fe  retira. 

Charles-Quint  dont  les  finances  ëtoient  épuifées,  fentoit  la  néceffîté  de  la 
paix ,  &  fe  prêta  aux  propofitions  de  François  I.  Elle  fiit  faite  à  Cref- 
pi  en  Laonois.  L'Empereur  voyant  le  Pape  Paul  III  décidé  à  fe  liguer 
avec  la  France ,  fe  ligua  avec  Maurice  de  Saxe  contre  les  Proteflans ,  &  ré- 
folut de  s'afTervir  l'Allemagne.  Il  les  fomma  à  la  Diète  de  Ratifbonne  de 
fe  foumettre  au  Concile  de  Trente  :  mais  ils  refùferent ,  &  fe  retirèrent  de 
la  Diète. 

Les  Alliés  de  Smalkade  ayant  à  leur  tête  Frédéric ,  EleAeur  de  Saxe ,  & 
le  Landgrave  de  Hefle ,  raffemblerent  leurs  troupes  :  ûs  étoient  fécondés  par 


CHARLES-QUINT,  tmpenur.  4^3 

le  Comte  Palatin ,  le  Duc  de  Virtemberg ,  les  villes  Impériales  de  Straf- 
bourg ,  de  Francfort,  d'Ulm  ,  d'Auftiourg  &  de  Nuremberg  :  ayant  ainfi 
formé  une  armée  de  quatre-vingt  mille  hommes  d'infanterie  &  de  douze 
mille  chevaux,  ils  fe  [encrent  dans  le  Tirol  pour  couper  le  pafïàge  aux 
troupes  du  Pape.  Oflave  Farnefe  ,  qui  les  commaodoit,  déguifa  habile- 
ment fa  marche,  joignit  l'armée  Impériale  à  Infpruck,  &  alla  camper  fous 
Ratifbonne.  Les  Proteftans  cherchoient  à  engager  la  bataille ,  mais  Char- 
les, dont  l'armée  étoit  fort  inférieure,  eut  la  fagefle  de  l'éviter.  Cependant 
il  prononça  la  Sentence  du  ban,  contre  l'EIeéleur  de  Saxe  &  le  Landgrave. 
L'Ëleâeur  Palatin  &  les  villes  Impériales  de  Souabe  renoncent  à  la  li- 
gue de  Smalkade ,  &  fe  foumettent  à  l'Empereur.  Ce  Prince  pénètre  dans 
la  Saxe  ;  l'Ele£teur  de  Saxe  eft  trahi  par  fcs  Minifîres  que  l'Empereur  avoic 
corrompus;  il  eft  furpris ,  &  fait  prifonnier.  L'Empereur  le  condamne  à 
mort  fans  confulter  les  Etats  de  l'Empire^  il  commue  la  peine,  à  condi- 
tion que  Frédéric  renonce  à  la  dignité  Eleâorale,  qu'il  remette  le  Duché 
de  Saxe  entre  les  mains  de  Charles-Quint  :  il  y  confent,  &  il  eft  retenu 
en  prîfon  auprès  de  la  perfonne  de  ce  Prince. 

Le  Landgrave  fe  fournit  pareillement  par  l'entremife  de  Maurice  fon 
gendre  :  il  fe  profterna  devant  l'Empereur ,  lui  demanda  pardon  du  palfé ,  pro- 
mit de  réformer  fes  troupes ,  de  rafer  fes  fortifications  :  à  ce  prix  ,  ce  Prince 
lui  promit  de  ne  pas  le  retenir  en  prifon.  Le  Landgrave  fatisfit  à  tous  ces 
articles;  mais,  quand  il  voulut  retourner  dans  fes  Etats,  le  Duc  d'Albe 
l'arrêta  prifonnier  au  nom  de  l'Empereur.  Le  Landgrave  en  appella  à  fon 
fauf-conduit  ;  &  il  fe  trouva  que,  par  un  changement  léger,  on  y  lifoît 
que  l'Empereur  ne  le  retiendroit  pas  dans  une  perpétuelle  prifon, 

La  profpérité  de  Charles-Quint  croilToit  de  plus  en  plus  :  il  venoit  de  faire 
prifonniers  les  deux  principaux  Chefs  de  la  ligue  Proteftante.  La  mort  de 
François  I  fembloit  lever  les  obftacles  aux  vues  ambicïeufes  de  cet  Empe- 
reur.'ll  aflembla  une  nouvelle  Diète  Ji  Augftourg  :  il  y  obtint  des  Etats  de 
l'Empire  tout  ce  qu'il  voulut.  1!  ne  dilTimula  plus  le  delTein  de  réunir  le 
Milanez  à  fes  autres  domaines  ;  il  déclara  que  le  Prince  Philippe  fon  fils 
pafTeroit  înceflamment  en  Italie  pour  prendre  pofleflîon  du  Duché  de  Mi- 
lan :  il  fit  bâiir  une  citadelle  dans  Sienne ,  &  s'empara  de  Piombino,  Ce  fut 
alors  qu'il  fît  drefler  pir  deux  Evêques  un  formulaire  de  foi  appelle  Intérim^ 
parce  qu*il  devoir  fervir  de  règle  eo  attendant  qu'un  Concile  eût  décidé  fur 
la  doârine.  Il  portoit  en  fubftance  que  les  Prêtres  aâuellement  mariés  gar- 
deroient  leurs  femmes,  &  que  les  laïcs  qui  avotenc  communié  fous  les  deux 
efpeces  ,  contiuueroient  de  recevoir  le  calice.  L'Intérim  fut  reçu  par  la  plu- 
part des  Princes  &  Etats  Proteftans.  Quelques-uns  refuferent,  comme  la 
ville  de  Magdebourg  &  de  Cooftance  :  ils  fureilt  mis  au  ban  de  l'Empire. 
Cette  Diète  eft  mémorable  eti  ce  qu'au  grand  préjudice  de  l'Allemagne , 
Chartes-Quint  obligea  les  Etats  à  confentir  ï  l'Incorporation  des  Pays-Bas 
au  corps  Germstûque ,  fous  le  nom  de  cercle  de  Bourgogne  ;  Si  pai-Ià  l'ÂI- 


k^^^  C  H  A  R  X  £  S-Q  U  I  N  T,  Empereur. 

lemagne  fut  çngagéev  dao^  la  plupart  des  guçrr^s  qjie  la.  Frapce  ibutiat  con^ 
tre  les  Rois  d'Efpàgne ,  oouvetains  du  Cercle  de  Bourgogne. 

L'Etnpereur  retourna  dans  la  FJandre ,  traînant  à  fà  fuite  les  deux  Prin- 
ces prifonniers,  &  fit  reconnoitre  Ton  fils  Philippe  Souverain  des  Pays- 
Bas.  11  donna  la  Bulle  d'or  fur  la  fucceflion  au  Duché  de  Milan,  par 
laquelle  il  établit  le  droit  de  primogéniture ,  &  fubfiitua  les  femmes  au  dé« 
faut  de  tous  les  hoirs  mâles.  Il  fît  tenir  enfuite  la  Diète  d'Augsbourg  au 
milieu  de  l'armée  Impériale  ;  &  il  voulut  obliger  les  Proteflans  à  fe  fou- 
mettre  aux  décrets  du  Concile  de  Trente  &  aux  tiens  propres  «  pour  la 
rëftitution  dès  biens  Eccléfiafiiques.  . 

'  Maurice ,  qui  avoir  été  fait  Eleâeur  de  Saxe ,  fe  voyant  à  la  tête  d'une 
armée  nombreufe,    pria  Charles-Quint  de  rendre  la  liberté  aux    Princes 
prifonniers  :  fur  fon  refus,  il  conclut  une  alliance  avec  Henri  II  &  plu- 
iîeurs  autres  Princes.  La  ligue  du  Roi  de  France  &  des  Proteftans  d^Al* 
lemagne  contre  PEt^ipereur,  éclata  en  i;{2.  Henri  IJ  entra   en  Lorraine 
à  la  tête  de  cinquante  mille  hommes,  fe  faifit  de  Metz,  Toul   &  Ver- 
dun ,  &  pénétra  en  Âlface.  Maurice  s'étant  mis  à  la  tête  des  Confédérés 
du  Corps  Germanique ,  déclara  la  guerre  à  l'Empereur.  Il  s'empara  d'Âugs- 
tiourg,  traverfa  la  Bavière,  &    marcha  à  Infpruck.   Charles- Quint ,  pris 
au  dépourvu ,  &  n'ayant  avec  lui  qii^uoe   petite  gamifbn ,  fe  vit  obligé 
de  mettre  fà  perfbnne  en  fureté.  Il  s'enfuit  pendant  la  nuit  dans  la  Ca- 
rinthie,  accompagné  de  Ferdinand  fon  frère.  On  le  blâma  d'avoir  trop 
compté  fur  la  foibleffe   de   fes  ennemis,   &  d'avoir  cru  qu'ils  n'étoienc 
pas  en  pouvoir  de  lui  faire  la  guerre  :  ce  qui  lui  attira  un   affront ,  donc 
il  dût  être  fort  humilié.  U  s'appliqua  donc  à  fe  tirer  d'embarras  :  il  con- 
voqua la   Diète  à   Paffau;  &    fe  voyant  hors  d'état  de  réfîfler  à  Mau* 
rice,    il    mit  en  liberté,   Frédéric,  le  rétablit  dans    fes  Etats,    excepté 
dans  le   Duché  de  Saxe  &  la  dignité   éleâorale  :  il    donna    pouvoir  à 
Ferdinand  de  traiter  avec  les  Proteftans  d'une  trêve.  Par  cette  trêve,  con- 
clue à  Pafraû ,  Vinterim  fut  annuité ,  &  il  fut  dit  que  les  Proteftans  joui* 
roient  d'une  pleine  liberté  de  confcience.   Charles-Quint  s'étant  ainfi  ré« 
Concilié  avec  les  Proteftans  d'Allemagne ,  &  en  ayant  reçu  des  fecours , 
réfolut  d'entreprendre  le  fîege  de  Metz. 

Siège  de  Met^. 

JLf  E  Roi  Henri  II ,  inftruît  des  deftems  de  l'Empereur,  avoir  envoyé  ï 
Metz  François  de  Lorraine,  Duc  de  Guife,  pour  y  faire  une  vigoureafe 
défenfe.  Un  grand  nombre  de  Princes  &  de  Seigneurs  s'y  étoient  rendus 
po\j^  y  fçrvir  en  qualité  de  volontaires ,  &  la  garnifon  étoit  de  cinq  noillc 
hommes  d'infanterie  &  de  fept  à  huit  cents  chevaux  Le  Duc  d'Albe ,  qui 


> 

commandoit  Pannée  tt  l'Empereur ,  s'étant  avancé ,  établit  ton  camp 
autour  de  la  place.  On  fait  monter  le  nombre  de  Tes  troupes  à  foixante- 
quatre  mille  hommes ,  &  à  treize  mille  chevaux.  Les  efcarmouches  com- 
mencèrent bientôt}  mais  les  bàVtëties  de  canon  que  le  Duc  de  Guiif 
avoir  fait  élever,  tuoient  beauroup  de  monde  aux  Iippériaux  :  en  outre 
le  Duc  de  Guife  faifoit  tkire  de  fféquentes  forties  qui  retardoient  beau- 
coup les  attaques.  Le  mauvais  temps  &  la  réfiftance  des  afliégés  com- 
mença à  rebuter  les  aiTaillans.  L^Ëmpereur  inftruit  de  l'état  des  chofes ,  fie 
de  la  jaloufie  qui  régnoit  parmi  fes  Généraux ,  voulut  lui-même  venir  à 
ce  (iege,  pour  y  commander  en  perfohne.  Il  arriva  le  ^i  Novembre,  St 
après  avoir  eiborté  les  trois  cheis  à  facrifier  •  leurij  reflentîmens  partîcur 
liers  au  bien  public  ,  il  alla  vîfiter  lès  quartiers,  tâcha  d'encourager  les  fôlf^ 
dats  parlés  exhortations Jes  plus  efficaces,  leur  pàrlaTnt' avec  des  manières 
pleines  de  bonté ,  &  promettant  des  récompenfes  proportionfaées  au  mé- 
rite des  aâions  :  en  un  mot  il  mit  tout  en  ufage  pour  les  engager  à  faire 
de  leur  mieux.  Comme  ils^agiffoit  de  rîfquer  toute  fa  réputation  dans 
cette  entrèprife  ,1  il  déclara  hautement  qu'il  étoît  réfolu  ,  dû  de  prèhdrè 
Metz,  ou  de  ftipurir  devant  Metz.  Ni  Tan  hi  Pauti^e  n'anffva.  A  mefurb 
que  le  canon  des  Impériaux  faifoit  ime  brechte ,  le  Dilc  de  Guife  la  fai- 
ifoit  réparer.  Ses  arquebufîers  placés  fut  un  i^mpàit  qui  avbît  vue  fur  les 
tranchées  des  ennemis,  tîroîent  fur  eux  avec  furie,  &  Ifeur  tuorent  quan- 
tité de  monde.  En  t>utre  le  camp  des  Impériaux  étant  couvert  de  neige, 
les  expofoit  aux  plus  dures  incommodités;  il  périflïiit  tous  lés  jours  un  grand 
nombre  de  foldats.  Charles-Qùint  voyant  l'état  dfes'  chofes,  &  qq'il  avoît 
déjà  perdu  près  de  trente  mille  hoitimes,  leva  \é  ftegei  'niais  ce  fut  une 
des  plus  rudes  mortifications  qu'il  eût  efluyée  pendant  toute  fa  vie':  c'efi 
\  cette  occafion  qiî^on  lui  fair  dire  un  bon  mot  fijr  l'afcehàant  que  Ter 
toile  de  Henri  II  prenoit  fur  lui  :  Je  vois  bien  yà\t^\\  ^  ^ut  ta  fof tant  rc^^ 
aux  femmes  ^  &  qii^elle  préfère  les  jeunes  gens  aux  hommes  avancés  en  ^igc. 
On  ne  lui  épargna  pas  les  fatyres;  car  les  Princes  qui  fe  rendent  redou- 
tables, fe  font  haïr  naturellement  de  toutes  les  Puiflances.  qui  les  envi- 
ronnent. On  frappa  une  médaille  fur  cet  événement.  On  fe  fervît  pour 
cela  de  la  devife  faftueufe  que  Charles-Quint  avbît  prîfe  :  c'étoîent  les  co- 
lonnes d'Hercule ,  avec  le  mot  latin  ultra ,  pour  feire  entendre  qn*en  paf- 
fant  en  Angleterre,  il  avoît  pouffé. fes  conquêtes  plus  Ipin  que  ce  Héros 
de  la  fable.  On  mit  fur  le  corps  de  la  nouvelle  deVife  un  aigle  attaché 
aux  colonnes  d'Hercule,  avec  ces  feiots  latins,  non  ultra  Mctas ,  pont 
marquer  que  ce  Prince  b'avoit  pu  pafler  au-delà  de  }/Lttz,  -v 


4%S  CHARLES  rQ  U  I  K  T,    Empatur, 


I  »       • 


jihdieâtion  de  Charles  •Quint. 

X  Rois  ans  après ^  ce  Prince  efFeSua  le  projet  qu'il  avoic  formé  depuis 

Î'|uelque   temps  d'abdiciuer   le   gouvernement  de  (es  Etats  :  il  voyoit  fa 
ortune  vieillir  &  fes  infirmités  augmenter.  Il  commença  par  céder  à  fon 
fils  Philippe  les  Pays-Bas  &  les  Etats  qu'il  poflTédoit  en  Italie.   U  aflembla 
pour  cela  les  ^cacs  à.  Bruxelles  :  il  expôfa  tout  ce  qu'il  avoit  fait  depuis 
l'âge  de  dix-fept  ans,  &  £t.le  dénoipbrement  de  fes  voyages.    Il  avoua, 
conime, un  autre  Salomon  ,  que  fes  plus  grande^  profpérités   avoient  été 
mêlées  de  tant  d'adverfités|  qu'il  ppuvoit  dire  qu'il  n'avoit  jamais  eu  au- 
cun parfait  contentement  :  il  ajouta  qu'il   ne  s'étoit  propofé  dans  toutes 
fes  guerres  &  alliances  ,   d'autre  fin  que  la  défenfe  de  la  Religion  &  de 
l'Etat;  mais  comme  les  forces  me  manquent,  continua-t-il,  &  que  j'ap- 
jproche  de  ma  .fin,,  au- lieu  d'un  hqmme  infii^e  &  âgé,  je  vous  donne  un 
Prince  jeune.  &  d'pn, mérite  dii^ingisévi  Enfuite  adreffant  la,  parole  à  fon  fils, 
11  lui  dit  :  »  Si  vous  fufîiez  entré  p^  ma  ;mort  en  pofieffioii  de  tant  de 
>>  Provinces,  j'aurois,  Xans'  doute  mérité  quelque  jchofe  d'un  fils  pour  lui 
9>  avoir   laifTé  un  fi  riche  héritage  ;   mais  puifque   je  vous  fais  jouir  par 
3>  avance    d'une  ii  riche  fucceffîon  ,  je  vous  demande  que  vous  donniez 
^  au  foin  &  à  l'amour  de  vos  peuples ,  ce  que  ,  vous  .  me  devez.  "  Sur  11 
jfifi  de;  fpo  difcours,  Philippe  fe  jçtta  <aux  genoux  de  fon  père,  &  lui  de- 
nlandâ  fa  itiaiti  pour  la  baifer;  rnais  PEmpereur  la  lui  mettant  fur  la  tête, 
demanda    à^I^içu '.  fon   fecours  pour   ce  Prince  :  après  quoi   il  demeura 
quelque- temp^   fan^  ç'expritmer  autrement  que  par  it%  larmes.  Enfuite  il 
laiffa  au  Prince  une  longue  inftruâion   fur  la  manière  dont  il  dévoie  fe 
gouverner.  Entre  autres  confeils,  il  lui  donne  celui-ci  :  de  caler  la  voile 
quand  U  tempête  eft  trop  forte' ,  de  ne  s'oppofer  point  à  la  violence  du 
dëftin  irrité^   d^efquiver  avec  adrefle  les  coups  qu'on  ne  peut  foutenir  de 
clrbit  fiï,  de  les  laiffer ■  pafler ,  de  fe  jetter  à  quartier,.  &  d'obferver  l'oc- 
càfiotl  de  quelque  favorable  révolution  &  d'une  meilleure  aventure. 

peux  ans  après ,  dans  i^ne.  affemblée  encore  plus  nombreufe,  il  abdi- 
qua l'Empire  en  faveu^  de  Ferdinand  fon  frère,  &  il  envoya  en  Allema- 
gne le  Prince  d'Orange  faire  part  aux  Eleâebr^  de  ion  abdication  ;  enfuite 
\\  s'embarqua  en  Zéelande,  &  pafla  en  Efpagne. 

On  a  fort  raifonné  fur  les  motif^  de  fbn  abdication.  Les  uns  ont  dit, 
que  ne  fe  fentant  plus  capable ,  à  caufe  de  fes  infirmités  \  de  foutenir  le 
poids  de  fa  domination,  il  voulut  prévenir  la  honte  d'une  plus  grande 
décadence  de  réputation*,  qu'en  terminant  ainfi  fa  carrière,  il  mettoit  fa 
gloire  à  couvert,  &  forçoit  la  pofiérité  d'admirer  en  lui  un  homme  fupé^ 

rieur  à  fa  puiifance.  D'autres  plus  charitables ,  difent  que  fon  vrai  motif 

fiic 


CH  A  RLÎS-Q  UINT,    Emptrem.      ,  417 

fijt  pour  fe  préparer  de  bonne  heure  &  utilement  \  la  mort,  &  pour  ex- 
pier par  des  exercices  de  pénitence  les  maux  qu^il  avoit  caules  à  la  Chré- 
tienté. Il  feroit  difficile  de  décider  là-deflus.  On  fuppofe  rarement  à  ua 
Prince  le  degré  de  Philofophie  qui  fait  apprécier  au  fage  la  jufle  valeur 
d'une  couronne;  encore  moins  à  Charles-Quint  qui  avoit  donné  tant  de 
preuves  d'une  ambition  qui  fe  jouoit  de  toutes  les  loix.  Mais  le  cœur  de 
l'homme  eft  fi  inconféquent  &  fi  bizarre ,  qu'on  ne  peut  ici  que  conjec- 
turer au  hafard. 

Plufieurs  prétendent  qu'il  fe  repentit  bientôt  d'avoir  cédé  fes  Etats  :  ils 
rapportent  qu'une  des  caufes  fur,  qu*en  traverfanc  les  Provinces  d'Efpagne, 
il  vit  très-peu  de  noblefTe  venir  au-devant  de  lui;  de  plus,  qu'étant  arrivé 
à  Burgos,  il  fut  obligé  d'y  attendre  aflez  long-temps  la  penfion  qu'il  s'étoit 
réiervée.  D'autres  citent  la  réponfe  faite  par  Philippe  II  au  Cardinal  de 
Granvelle  :  car  ce  Cardinal  ayant  dit  à  ce  Prince,  II- y  a  aujourd'hui  un 
an  que.  V  Empereur  fe  démit  de  fes  Etats  ;  &  il  y  a  auJ/1  aujourd''hiù  ua  an, 
reprit  Philippe  ,  qu'il  s'en  repentit.  Quoi  qu'il  en  loir,  Chailes-Quint  fe 
recira  au  Monaflere  de  5t.  Juft  de  l'ordre  des  Hiéronimites ,  fitué  dans 
PEfiramadure. 

On  a  dit  de  ce  Prince,  qu'afin  de  goûter  toute  forte  de  dominations, 
il  avoit  afpiré  à  être  Pape.  Voici  fur  ce  lujet  les  propres  paroles  de  Brantôme. 
>  J'ai  ouï  dire  que  s'il  avoit  eu  encore  des  forces  du  corps  comme  de  fou 
»  efprit  ,    il  filr  allé  jufqu'à  Rome  avec  une  puiflante  armée  pour  Ce  faire 

i>  élire  Pape,    par  amour  ou  par  force Mais  il  tenta  ce  delfein  trop 

»  tard,    n'étant  Ci  gaillard    comme  d'autres    fois Quel  trait    &    quel 

H  homme  ambitieux  que  voilà!  AulTî  Dieu  ne  le  permit.  Ne  pouvant  donc 
»  être  Pape ,  il  fe  fît  Moine  :  c'écoit  bien  s'abaifïèr  !  Brantôme ,  Hommes 
»  Illujlres. 

Retraite  £?  mort  de  Charles-(^uint. 

Ânn.  i$iS. 

V^Harlhs  -Quint  fit  bâtir  auprès  de  ce  Monaflere  un  petit  ap- 
partement compofé  de  fîx  à  fept  pièces ,  avec  un  jardin  :  il  ne  retint 
auprès  de  fa  perfbnne  qu^une  douzaine  de  domeflîques  &  un  cheval.  Ré- 
duit à  cette  folitude,  il  voulut  pratiquer  tous  les  exercices  des  Religieux, 
fe  levant  à  U  même  heure  qu'eux,  &  afliflant  à  leurs  offices;  jufques-là 
qu'il  alloit  éveiller  à  fon  tour  les  Moines.  Sur  quoi  on  raconte  que  faîfani 
iin  jour  cette  fônâion,  &  voulant  éveiller  un  jeune  religieux  enleveli  dans 
un  profond  fommeil  ;  celui-ci  fe  levant  à  regret  &  à  moitié  endormi ,  lui 
dit  hardiment  dans  fa  mauvaifs  humeur,  qu'u  devoit  bien  fe  contenter  d*a- 
voir  troublé  le  repos  du  monde  tant  qu'il  y  avoit  été ,  fans  venir  encore 
troubler  le  repos  de  ceux  qui  en  étoîent  fortis.  Au  refte  ce  Prince  ne 
s*occupoit  pas  tellement  aux  exercices  de  la  dévotion ,  qu'il  ne  s'amuf  àt 
7onu  a/  Mmm 


r\  "  t^*,  ,Vi  T   w  '     "»-  »'  '  •  Vi^  li  *J' 


4 5«  CHAR  «L  £  S  •  ï ,    Ite*  lPAn§Uitrfii    ' 

encore  à  plufieurs  autits  \  tomitiè  \  la  promenade  &  cKèvfct ,  à  ta  Ctttture 
de  fon  jardin,  à  faire  des  horloges  &  des  expériences  de  méchaniques.  Sa 
retraite  ne  fiit  que  de  deux  ans.  Peu  de  temps  avant  Ta  mort,  il  conçut 
le  bizarre  deflfeia  de  faire  célébrer  fes  propres  funérailles.  On  éleva  une 
repréfentation  funèbre  dans  l'Eglifé ,  on  alluma  des  cierges  autour;  oa 
étendit  fur  lui  un  drap  mortuaire ,  Tous  lequel  il  demeura  couché  pendant 
le  temps  qu'on  faifoit  le  férvice  ;  mais  foit  que  fbn  heure  fût  venne»  foit 
que  cette  cérémonie  lui  eût  fait  une  révolution  ^  il  fut  faifi  de  la  fiévré 
peu  de  temps  après,  &  mourut  au  bout  de  huit  jours,  le  21  Septembre  i  {{8^ 
âgé  de  ciqquante*neuf  ans  «  après  avoir  régné  quarante-quatre  ans ,  dans 
ïefquels  il  fut  Empereur  ^petidant  trente-huit; 

LVrt  de  la  guerre  fut  piqs  approfondi  fous  ChàtFes^Quînt  qti'd  ne  Pavoît 
été  encore.  Ses  grands  fuccès  ^  le  progrès  des  beaux-arts  en  îtalte ,  le  chaii;^ 
gement  de  religion  dans  titie  partie  de  PEurôpè ,  ie  gtattd  commerce  des 
Indes  par  l'Océan ,  la  conquête  du  Mexique  &  du  Pérou  rendent  (e  fieçle 
un  des  plus  mémorables;'^  ^   ' 


Un 


CHAR  LES     I,   Koi  (CAngUurn. 


Roi  condamné  juridiquement  à  mort  par  la  nation  qu'il  goover^ 
Àa,  &  expirant  fur  un  échafFatid ,  efl  un  grand  fpeâacle  pour  le  monde  » 
&  une  grande  leçon  pour  les  fouverains.  Si  les  honneurs  qn^on  rend  au* 
jburd^ui  à  la  mémoire  de  Tinfontmé  Charles  I ,  le  vengent  aux  yeux  de 
la  poflérité  du  jugement  trop  févere  qu^l  fbbit*,  fi  la  nation  femble  rtyu« 
gir  des  excès  auxquels  elle  te  porta  contre  fon  Roi  \  il  n'en  efl  pas  moiol 
vrai  qu'un  Prince  rifque  tout,  fa  couronne  &  iâ  vie ,  lorfque  foit,  par 
l'ambition  indifcrete  d'un  pouvoir  abfolu ,  foit  par  les  confeils  pernicieux 
des  courtifans  auxquels  il  s'eft  livré ,  il  indifpofe  contre  lui  une  nation  trop 
fenfible  fur  l'article  de  ^^%  droits  &  de  fes  privilèges ,  facile  à  prendfl 
Palarme  fur  les  moindres  entreprifes  de  la  cour ,  extrême  dans  fes  foup- 
çons  comme  dans  fon  amour  pour  la  liberté ,  &  fur-tout  incapable  de  re* 
venir  de  k.^  préventions. 

La  première  faute  de  Charles  I ,  fut  de  donner  fa  confiance  au  Duc  d($ 
Buckingham ,  homme  vain ,  fier ,  emporté  dont  il  avoit  des  raifbns  per- 
fonnelles  d'être  mécontent ,  &  qui  d^ailleurs  étoit  (î  odieux  à  fa  nation  » 
qu'un  Gentilhomme  Anglois  Tafladina  prefque  pubHquemem,  &  ofa  s^ 
glorifier.  Cependant  cet  indigne  favori  avoït  pris  un  tel  afcendant  fur  TeT- 
prit  de  fon  maître ,  que  Charles  eut  la  foiblelle  de  dire  en  apprenant  fa 
mort  :  Le  Duc  a  perdu  la  vit ,  &  moi  un  œil.  Ce  grand  attachement  du 
Roi  pour  un  homme  qui  avoit  mérité  l'indignation  publique  ^  aliéna  de  lui 
tous  les  cfprits. 


CHARLES    l:,  RoL  tt^gUtem.  4^9 

Une  féconde  faute  qui  fervit;à  entretenir  Ie$  Aliglois  dans  leurs  mau^ai- 
fes  difpontioos  pour  leur  monarque ,  fut  fou  mariage  avec  Henriette  de 
France  »  qui  ne  pouvoit  plaire  à  les  fujets,  étant  Gttholiaue  &  Françoife, 
Cène  démarche  jointe  à  la  faveur  que  Charles  accorda  vifiblement  aux  Ca- 
Coliques,  fît  murmurer  hautement.  On  accufoit  le  Roi  dé  vouloir  ruiner 
le  PrQteftantifme  &  rétablir  la  Religion  de  Rome. 

Charles  demanda  au  Parlement  des  fubfides  qui  lui  furent  refufés  eik 
partie  f  parce  que  fa  demande ,  toute  juAe  quelle  étoit  »  ne  parut  poinç 
telle  ii  des  efprits  aigris ,  inquiets ,  foupçonneux.  Le  Roi  cafla  le  Parlement, 
eut  recours  à  dos  emprunts  forcés,  les  fit  fervir  à  une  expédition  contre 
r£(pagne ,  qui  ne  réuflit  pas ,  &  la  nation  fbt  foMlevée.  Charles  convoqua 
un  fécond  Parlement  qu'il  cafla  comme  le  premier,  parce  qn'il  n'entra 
pas  davantage  dans  f^s  vues.  Un  troifieme  Parlement  eut  le  même  fort 
avec  cette  diffërence  qu'après  la  diflblution  de  celui-ci ,  plufieurs  mem?- 
bres  des  communes  qui  s'étoient  pppofés  aux  intérêts  de  la  Cour,  fu- 
rent emprifonnés.  Ce  n'étoit  pas-là  les  moyens  de  ramener  des  efprits  obflinés. 

Si  Charles  avoir  eu  de  plus  heureux Tuccès  au  dehors,  il  auroit  pu  les 
faire  valoir;  mais  il  étoit  aufli  malheureux  dans  fcs  démêlés  avec  les  pui& 
fances  étrangères  que  dans  fes  différends  avçc  fes  fujets.  Il  avoit  déclaré 
ta  guerre  à  la  France  ;  fon  expédition  malheureufe  à  la  Rochelle  le  força 
à  une  paix  onéreufe. 

Après  la  mort  tragique  de  Buckingham ,  le  Roi  crut  complaire  à  la 
Nation  en  choififlant  pour  Minifire  le  Comte  deStraiford,  l'un  des  chefs 


fant ,  pafla  d'un  excès  à  l'autre  &  devint  aufli  violent  Royalifte  qu'il  avoir 
été  Républicain  outré.  La  haine  nationale  fut  enflammée  de  nouveau.  Tout 
(e  tournoit  contre  Charles;  il  fut  ^ccufé  d'avoir  corrompu  l'intégrité  de 
cet  excellent  citoyen,  ainfi  s'exprimoient  les  Puritains;  &  Strafford  expia 
fur  un  échafFaud  le  crime  d'avoir  trop  bien  fervi  fon  Roi. 

Tous  ces  préludes  d'une  guerre  civile  étoient  fomentés  par  la  violente 
de  Lavd,  Archevêque  de  Cantorbery,  par  qui  Charles  fe  laiffoit  eouvetp 
lier ,  parce  que  celui-ci  fe  montroit  ardent  défenfeur  de  l'autorité  abfo-^ 
lue,  contre  les  principes  de  la  Conflitution  Angloife.  Ce  Prélat  bouillanjC 
exerçoit  lui*même  un  empire  arbitraire  fur  les  confciences.  Une  chambre 
étoilée,  efpece  d'inquifition,  fervoit  fon  zèle  fanatique  pour  l'Eglife  An* 
glicane,  &  perfécutoit  à  outrance  lés  Puritains.  Le  Roi^  qui  n'avoir  au* 
près  de  fa  perfonne,  aucun  homime  fage  qui  lui  donnât  de  bons  confeils^ 
fuivoît  trop  bien  le  plan  dç  Gouvernement  dont  Buckingham  &  fes  pa^ 
reils  l'avoient  infatué.  Il  exigeoit  d'anciennes  importions  arbitraires,  il 
en  créoit  de  nouvelles,  &  la  perception  s'en  faifoic  de  la  manière  la 
pins  dure. 

Mmm  % 


4^  CHARLES   J\    IRoi  (tJn^um, 

L^CôiTe  ié  révolta  ;  &  un  traité  équivoque  aîToupic  cette  révolte  £ias 
Tétouflèn  Les  Irlandois,  prefque  tous  Catholiques ,  réfolurent  de  fe  délivrer 
des  Anglois  Proteftans  ,  i&  ils  en  fitent  un  mafTacre  horrible  à  Kil- 
keni  dans  la  province  de  Leiiier  ;  la  Cour  fut  encore  chargée  de  ce 
fbrfiiit.  . 

Tout  annonçoit  une  guerre  ouverte  entre  te  Roi  &  le  Parlement.  La 
Reiiie,  que  fon  zefe  pour  le  Catholicifme  rendoit  odieufe,  quitta  l'An* 
gleterre  &  fe  retira  en  France.  Charles  avoit  de  la  peine  à  lever  une  ar« 
mée.  LnJniverfité  de  Cambridge  Iqi  facrifia  fes  tréfors ,  &  il  fut  en  état 
de  combattre  avec  avantage  les  troupes  du  Parlement.  Ce  premier  fuccès 
fut  le  dernier.  Cromwel,  deftiné  à  jouer  le  principal  rôle  dans  cette  fceoe 
ianglante,  ]fe  mit  à  la  tête  des  Indépendans  \  ce  qui  fit  dire  à  un  membre 
de; la  Chambre-balTe,  par  une  efpece  de  préfage  :  maintenant  qw  Crom* 
wcl  eji  indépendant  ^  nous  dépendrons  tous  de  lui. 

La  perte  de  la  bataille  de  Naëfby ,  en  164; ,  taifla  le  Rtoi  fans  re(!bur« 
ces.  Défefpéré ,  il  fe  retira  en  Ecoile.  Le  Parlement  faifit  cette  occafion  de 
regarder  la  retraite  de  Charles  ,  comme  une  renonciation  au  trône  ;  ea 
conféquence  ^  il  fut  déclaré  à  fon  de  trompe  déchu  de  tous  les  droits  qu'il 
pou  voit  avoir  à  la  Couronne  d^Angleterre.  Ce  décret  fut  fuivi  peu  après 
d!un  autre  qui  aboliflbit  entièrement  la  Royauté.  Le  nom  du  Roi  fut  efliicé 
de  tous  les  monumens  publics  «  fesHatues  furent  abattues»  &  fes  armes 
ôtéés  de  tous  le$  endroits  où  elles  étoient. 

Fairfax ,  Général  de  l'armée  du  Parlement ,  fe  démit  de  fa  charge  ;  Crom- 
wet  fe  la  fit  donner.  Cependant  lés  Ecoflfois  fe  repentoient  déjà  d'avoir 
donné  retraite  au  Roi.  Ils  eurent  la  bafleffe  de  le  livrer»  ou  plutôt  de  le 
vendre  poiir  deux  millions  au  Parlement.  Charles  inftruit  de  cette  lâcheté, 
dit  qu'il  aimoit  encore  mieux  être  avec  ceux  qui  Pavoîent  acheté  fi  cbé* 
rement ,  qu'avec  ceux  qui  l'avoient  fi  lâchement  vendu.  Ce  Prince  en« 
core  plus  malheureux  que  coupable  »  ignoroit  lé  fort  qui  fattendoit  en 
Angleterre. 

11  paroit  que  l'ambitieux  Cromwe!  projetta  dès  ce  moment  tout  ce  qu'il 
ekécutà  dans  la  fuite.  Il  étoit  adoré  des  foldats.  11  s'en  fervit  pour  porter 
la  terreur  dans  le  Parlement ,  &  le  réduire  à  une  obéifTance  fervile.  11  traita 
cette  augufte  aflfemblée  avec  la  dernière  hauteur  ;  il  en  fit  emprifonoer 
plufieurs  membres.  La  plupart  fe  retirèrent  chez  eux,  ne  pouvant  fuppor- 
.  ter  un  fi  indigne  traitement.  II  ne  refta  que  des  âmes  bafies  propres  à 
iëconder  les  defleins  de  Cromwel.  Ces  ^ens  formèrent  la  chambre  des 
communes,  à  laquelle  ce  chef  de  l'armée  joignit  une  chambre  haute  corn- 
pofée  d'Officiers  à  fes  ordres.  Tel  fut  le  prétendu  confeil  de  la  nation 
oui ,  le  jour  même  de  Noël  de  l'année  1 648  ,  nomma  des  Juges  commif-* 
iaires  pour  faire  le  procès  au  Roi  Charles.  On  penfe  bien  que  Cromwel 
&fon  gendre  furent  du  nombre  des  Juges.  Jean  Bradshair  |  premier  Huifr 
fier  de  la  chambre-bafie ,  fut  Fréfident  de  ce  tribunal. 


C  H  A  11  I  E  s    I.    Roi  ePJngletem.  ^i 

Charles  comparut  quatre  fois  devant  cette  cour  de  jiiftice  que  Crom\pel 
animoic  de  fon  erprit.  Quatre  fois  il  fut  accufé  d'avoir;  »  voulu  rendre  fa  puif- 
»  lance  arbitraire ,  contre  le  ferment  qu'il  avoir  fait  ^  fon  facre  de  gouverner 
»  félon  les  loix  du  Royaume  ;  d'avoir  cherché  à  faire  entrer  des  troupes 
»•  étrangères  dans  le  Royaume  pour  y  allumer  le  fen  de  la  guerre  ;  d'avoir 
»  réfolu  de  rétablir  le  Fapifmc  «  dedécruire  la  Religion  Anglicane  ;  d'avoir 
»  donné  des  commilîions  pour  fdire  maffacrer  les  Proreflans  en  Irlande;  d'a- 
»  voir  été  la  principale  caufedufang  répandu  en  Angleterre  depuis  dix  ans  par 
»  les  guerres  civiles  qu'il  y  avoif  excitées  «.  Quatre  fois  Charles  recufa  le  tri- 
bunal devant  lequel  on  !e  contraignoit  de  comparoitre,  comme  étant  in- 
compétent, &  proteda  qu'il  é[oic  innocent  de  tous  les  crimes  dont  on  le 
chargeoir.  Quant  à  la  compétence  du  tribunal ,  le  Préfideiit  Bradshau  lui 
répondit  qu'il  étoit  établi  par  le  peuple  d'Angleterre  de  qui  il  tenoit  lui- 
même  fa  couronne.  Du  refte  quelques  témoins  dépoferent  en  préfence  de 
Charles,  l'avoir  vu  les  armes  à  la  main  contre  les  troupes  du  Parlement; 
&  une  foule  de  gens  apoHés  par  Cromwel ,  fuivant  le  rappoW  de  plufîeurs 
hiftoriens ,  fe  mirent  à  crier  :  il  efl  coupable  ,  //  ejl  coupable ,  qii^il  meure  ! 
la  mort  du  Roi  étoit  réfolue,  Cromwel  le  facrifioit  à  ion  ambition,  fous 
le  beau  prétexte  de  venger  la  liberté  publique  &  la  Religion  Anglicane. 
Quelques-uns  da  juges  ,  plus  modérés  que  les  autres,  étoîent  d'avis  de  con- 
damner Charles  à  une  prifon  perpétuelle,  comme  autrefois  Edouard  II  & 
Richard  If.  Cromwel  n'auroic  pas  pu  achever  de  jouer  fon  rôle,  fi  en 
ôtant  la  couronne  au  Roi ,  on  lui  eut  laifTé  la  vie.  II  opina  fortement  3i  la  morr, 
St  fon  avis  prévalut.  Le  greffier  lut  à  haute  voix  la  fentence  qui  portoic 
que  »  Charles  Stuart  ayant  été  accufé,  par  le  peuple  ,  de  tyrannie ,  de  tra- 
»  hifbn,  de  meurtre,  de  malverfation ,  &  ayant  toujours  refufé  de  répondre 
»  à  ces  accufatioDs  ,  étoic  coadamné  à  avoir  I^  tête  -tranchée  ».  On  lui  ac- 
corda un  délai  de  trois  jours,  pendant  lequel  Charles  parut  d'une  humeur 
douce  &  tranquille.  Cette  fermeté  ne  l'abandonna  pas  fur  l'échaf&ud.  11 
falua  civilement  &  fans  affeâation  les  perfonnes  qut  étoient autour  de  lui, 
pardonna  à  fes  ennemis ,  exhorta  la  nation  à  renner  dans  les  voies  de  la 

Îtaix,  retrouffa  fes  cheveux  fous  un  bonnet  de  nuit  qu'on  luipréfenta,  pofa 
ut-méme  fa  tête  fur  le  billot,  &  l'exécuteur,  qui  étoit  mafqué,  la  lui 
trancha  d'un  feul  coup. 

Ainfi  périt  ce  Prince  infortuné,  qui  eut  des  dé&uts,  qui  fit  des  &otes, 
mais  qut  étoit  loin  de  mériter  ce  traitement  atroce,  fion  ami ,  bon  pçre  , 
bon  époux,  il  ne  lut  manqua  pour  être  bon  Roi,  que  de  mieux connoltre 
Fétendue  réelle  du  pouvoir  que  la  conftitution  Angloife  lui  donnoît,  fc  d« 
ne  pas  fiiivre  les  coofeils  dangereux  de  fes  &voris. 


4^^  CHARLES    II,   Roi  d'AngUierrc 


CHARLES    II,  Roi  d'Angleterre. 

VyH ARLES  II,  fils  de  Charles  I,   ne  monta  fur  le  trône  qu^aprés  la 
mort  de  Cromwel.  Fendant  tout  le  temps  du  Proteftorat,  il  promena  Tes 
malheurs  dans  difïërentes  contrées  de  l'Europe ,  tour-à*tour  accueilli  &  re- 
poulTé  par   les  puiflances  qu^l  incéréflà  en  fa  fitveur,   fkifant  toujours  de 
nouveaux,  efforts  pour  remonter  fur  le  trône  de  Ton  père,  &  trouvant tou* 
jours  des  obftacles  qui  fembloiçnt  l'en  éloigner  davantage.    Enfin  la  mort 
4u  Proteâeur  &VinhabiIeté  de  (on  fils  Richard ,  incapable  de  porter  le  poids  de 
la  grandeur  que  fon  père  lui  laifToit,  permirent  à  Charles  de  concevoir  de  nou« 
velles  efpérances.  Monk,  général  de  rarméed'EcofTe,  bon  citoyen  &  fidèle  fii* 
jet,  entreprit  de  le  rétablir,  6i  y  réuffit.  Il  fit  figner  au  Prince  uneamniftié 
générale  poi#  tous  ceux  qui  dans  quarante  jours ,  à  compter  de  celui  dç 
cette  publication,  rentreroient  fous  fon  obéiflànce.   Monk ,  avec  cette  dé- 
claration ,  lui  réconcilia  tous  les  efprits  :  Charles  fiit  rappelle  de  Hollande 
qik  il  étoit,  &fit  fon  entrée  dans  Londres  le  8  de  Juin  1659,  ^^  milieu 
des  acclamations  du  peuple.  Ce  changement  fut  fi  précipité,  qu^on  ne  prit 
pas  même  la  précaution  de  régler  les  conditions  auxquelles  on  recevroit  le 
nouveau  Monarque  :  ce  qui  penfa  replonger  1^  nation  dans  les  guerres  ci« 
viles  qu'avoient  occafionnées  le  prétexte  de  la  trop  grande  autorité  affeâée 
par  le  Souverain.  En  efièt  Charles  II  avoit  les  défauts  de  fon  père ,  il  en 
avoit  même  davantage ,  fans  avoir  fes  talens  ni  fes  vertus.  Quelques  traits 
^e  fagefle  &  de  modération  fignalerent  le  commencement  de  fon  regoe  : 
il  fit  publier  )a  liberté  de  confcience,  fufpendit  les  loix  pénales  contre  les 
non-confi>rmiftes,  fonda  la  fociété  royale  de  Londres,  éleva  aux  dignités 
quelques  citoyens  vertueux.  Mais  bientôt  ce  Monarque  livré  à  fes  maltrefles, 
^auxquelles  il  prodigua  tout  Pargent  que  le  Parlement  lui  accordoit,  aban» 
donna  les  rênes  de  PEtat  au  Duc  d^York  fon  fi-ere  qui ,  ayant  abjuré  la 
Religion  Protefiante ,  étoit  fufpeâ  au  Parlement.  Le  Comte  de  Clarendon , 
.peqt*être  le  feul  homme  vertueux  qu'il  y  eut  alors  à  la  cour ,  en  fut  banni. 
Charles  vendit  Dunkerque  à  la  France  pour  quatre  millions  qui  furent  auffi* 
tôt  4i(fipés  que  reçus;  &  plus  jaloiix  encore  que  (on  père,  de  rendre  fon 
autorité  abfolue ,  il  négocia  un  traité  fecret  avec  Louis  XIV ,  par  lequel 
ils  dévoient  travailler  de  concert  à  détruire  la  forme  du  gouvernement  & 
la  Religion  Anglicane,  &  introduire  le  Catholicifme  &  le  pouvoir  arbi- 
traire. Le  Roi  n'eut  befoin  que  du  Duc  d'York  pour  étendre  les  bornes 
de  fon  autorité;  il  trouva  le  moyen  d'àbaiffer  la  puiflTance  du  Parlement, 
ou  plutôt  il  anéantit  le  Parlement  autant  quil  le  put  ;  car  ayant  caffé  ce* 
lui  qui  vouloit  exclure  le  Duc  d'York  de  la  couronne,  il  n'en  afièmbla 
plus  depuis.  Il  fit  annuller  les  privilèges  Sa  les  firanchifes  des  difïërentes 


CHARLES    IL    {Cara3crc  de)  461 

vlHes  du  Royaume.  Londres  lui  remît  (es  Chartres  ;  (on  exemple  fut  fuivi 
par  les  autres  qui  con(èntirent  à  n'avoir  plus  d'autres  privilèges  que  ceux 
au'il  plairoit  au  Roi  de  lui  accorder.  L'oubli  de  la  liberté ,  &  Tadulatioa 
tarent  portés  à  un  tel  point  que  la  (bciété  des  marchands  de  Londres  lui 
érigea  une  ftatue  de  marbre  avec  une  iiifcription  pompeufe  qui  annoof 
çoit  moins  la  grandeur  du  Prince,  que  Paviliflement  des  âmes.  Quand  une 
îiationa  renoncé  à  fes  droits  &  à  Tes  privilèges,  il  ne  lui  refte  plus  que 
la  flatterie  pour  mériter  la  bienveillance  d'un  maître  impérieux.  Ainii  le 
peuple  pafle  d'une  extrémité  à  l'autre  ^  de  la  licence  à  la  fervitude.  Ainfi 
Charles ,  fans  fonir  du  fein  de  l'indolence ,  de  la  moUdfe  &  de  la  plut 
coupable  volupté ,  parvint  à  ce  pouvoir  arbitraire ,  dont  Tombre  feule  avoit 
tant  alarmé  les  Anglois  moins  de  quarante  ans  auparavant,  qu'ils  avoienc 
éprouvé  toutes  les  horreurs  des  guerres  civiles  pour  s'y  fouflraire ,  &  lui 
avoient  enfin  immolé  un  Monarque  fort  au-^eflus  de  celui  fous  lequel  ilt 
ramppient  alors.  Charles  mourut  en  1685  <^S^  ^^  S$  ans^  &  laifla  à  fon 
Irere  une  puifTatice  exorbitante  qui,  manquant  d'une  bafe  folide,  devoit  IVa*^ 
traîner  dans  fa  chute. 


C    A    R    A    C    T    £    R    B 

DE 

«  -  «  •  • 

C  H  A  R  L  E  S    II. 

Tracé  par  George  Savilk ,  Marquis  d^Halifax. 

JLiE  portrait  des  Souverains  eft  rarement  (idele.  L'élévation  où  ils  fe 
trouvent  dérobe  au  public  leurs  principaux  traits ,  &  le  refpeâ  eft  potir 
eux  le  fruit  de  l'éloignement.  Les  gens  de  cour  feroient,  ce  (èmble,  plus 

{propres  à  faire  connoître  les  Rois  ,  qu'ils  ont  tant  d'intérêt  d'étudier,  & 
ur  lefquels  ils  fe  moulent.  Mats  ou  trop  fuperficiels  pour  approfondir 
leur  caraâere .  ou  trop  efctaves  pour  ofer  les  peindre ,  ou  trop  fàvorifiis 
'  pour  ne  pas  leur  faire  grâce ,  ils  ne  tracent  que  des  portraits  flatiés. 
Quelques  génies  trop  fins  prêtent  leurs  vues  à  leurs  maîtres,  &  foupçon^ 
tiem  du  myflere  dans  les  aâions  les  plus  (impies.  Enfin  la  pdftérité  venge 
fes  ancêtres  de  l'eiHme  peu  méritée  que  s'attirèrent  letirs  Princes ,  âc 
outre  pour  eux  la  cenfure  autant  qu'on  outra  l'éloge.  Tous  oublient  que 
les  Rois  furent  des  hommes ,  que  les  vertus  pures  &  les  vices  extrêmes 
(ont  également  rares,  &  que  le  hafard  décide  fonvent  dé  la  gloire,  de 
même  que  des  aâions  des  Princes»  , 


4H  C  H  A  R  L  Ë  S    I  I.    (CaraScre  de) 


Rapin  en  a  comparé  deux  des  principaux  (a).  Ils  furent  compofés  par 
deux  hommes ,  qui  n^eurenc  pas  pour  ce  Prince  les  mêmes  fencimens; 
mais  malgré  cette  dlfFérepce  on  y  découvre  une  furprenante  conformité. 
En  voici  un  troifieme  forti  également  de  main  de  msdtre ,  &  dont  je  doi« 
çerai  une. idée,  après  en  avoir  £dt  connoitre  l'Auteur. 

Le  Chevalier  George  Saville  ^  depuis  Vicomte ,  Comte ,  &  Marquis 
d'Halifax  »  fut  un  de  ces  hommes  ^  qui  nés  avec  des  talens  finguliers  trou- 
vèrent Part  de  les  rendre  nuifibles«  A  la  force  d'efprit  d'un  Fhilofophei  il 


narque  indolent.  Les  titres  &  les  honneurs  lui  parurent  des  jouets  d'en- 
fimt  9  &  pour  s'accommoder  à  la  foiblefTe  de  fon  fîecle,  il  confentit  ï  s'en 
parer.  En  cootradi£Uon  avec  lui*même ,  il  fit  des  maximes  de  la  liberté  Se 
de  l'honneur,  le  fujet  de  Tes  difcours,  &  la  règle  de  fa  vie  privée }  il  s'en 
moqua  avec  fbn  Prince,  &  les  facrifîa  dans  fa  conduite  publique.  Incer- 
tain dans  Tes  idées  de  Religion  autant  que  dans  fon  fyftéme  de  Politique^ 
il  changea  de  parti  dans  les  diverfes  circonftances  de  fa  vie  &  fe  repentit 
-de  fon  inconftance.  Son  efprit  fécond  en  faillies  négligea  le  fëcours  de  la 
réflexion  &  du  jugement;  &  fidèle* imitateur ,  dirai-je,  où  corrupteur,  d'un 
maître  qu'il  méprifoit,  nul  ne  fut  plus  propre  à  le  peindre,  parce  que  nul 
ne  lui  reffembla  mieux. 

Notre  Auteur  a  divifé  en  fix  articles  le  caradere  qu'il  trace  de  fbn  Rm. 
Eflàyons  de  le  fuivre  en  abrégeant  ce  qu'il  nous  dit  de  fà  religion,  de  fa 
diflimulation ,  de  fes  amours,  de  fa  conduite  à  l'égard  de  fes  Miniflres,  de 
4bn  efprit,  &  enfin  de  fes  talens. 

I.  L'école  de  Tadverfité  ne  fut  pas  pour  ce  Prince  au/H  utile  qu'elle  Peft 
d'ordinaire.  11  y  a  lieu  de  croire  que  les  mauvais  procédés  des  Prefbytérieos 
d'Ecofle,  &  le  ridicule  qu'on  donnoit  à  St.  Germain  aux  foibles  refies  de 
l'Eglife  Anglicane,  firent  imprelfiqu  fur  fon  efprit.  En  paffant  d'une  reli*- 
gion  à  l'autre ,  il  efl  naturel  qu'il  fut  quelque  temps  indécis.  II  ne  nrda 
pas  cependant  à  fe  déterminer,  &  les  pâmons  furent  en  lui  le  principal 
organe  de  la  eonvi^ion.  Le  Cardinal  de  Retz  en  a  déterminé  l'inflant 
•critique ,  mais  il  l'a  fait  avec  d'autant  moins  de  certitude ,  que  le  parti  au- 
:quel  fe  rangea  le  profélyte  ne  voulut  pas  s'en  faire  honneur.  Il  fuffit  de 
mre  qu'avant  que  de  monter  fur  le  Trône  il  avoir  fait  un  choix.  La  répo* 


■•i^BMMHaihM^^iiBMi^ 


[a)  L'unde  ces  Portraits eft  de  la  main  de  l'Evéque  Burnet.  \7hîg  &  Protefiant 
L'autre  a  eu  pour  Auteur  Milord  Mulgrave,  depuis  Duc  de  Buckingham*  Il  fut  toi 
vie  ardent  T^y ,  &  on  le  foupçanna  d'AtMifiae, 


tonte  (a 


gnance 


CHARLES    IL    {CaraStn  de)  45f 

gnaoce  qu^il  marqua  toujours  à  époufer  des  ÎPrinceiles  Allemanâes ,  let 
railleries  qu'efluyerent  de  la  part  les  Proteftans  zélés ,  fa  conduite  dans  fei 
maladies,  mille  autres  circonftances  où  (on  cœur  s'ouvrit  malgré  lui,  dé« 
celèrent  Ton  changement.  S'il  compofa  en  faveur  de  la  caufe  qu'il  avoit 
embraiTée,  les  deux  Ecrits  .qu'on  trouva  dans  fa  cadette,  &  que  Ton  Suc« 
cefleur  publia ,  il  eft  moins  furprenant  ^qu'il  ait  choifi  le  fu jet  qui  lui  pro- 
curoit  une  douce  tranquillité ,  qu'il  ne  l'eft  que  peu  difpofé  à  écrire  quoi 
que  ce  foit ,  il  ait  pu  (e  réfoudre  à  le  faire  avec  tout  l'appareil  d'ua 
Cafuifte,  j 

IL  Ce  qu'on  reproche  le  plus  à  ce  Prince ,  c'efi  fa  profonde  difGmula- 
tion.  Rarement  la  nature  humaine  obferve-t-elie  un  jufte  milieu.  Plus 
Charles  II  eut  lieu  de  fe  contraindre ,  &  plus  il  eft  excufable  d'en  avoir 
pouflfé  l'habitude  trop  loin.  En  France  il  eut  des  raifons  pour  diflimuler 
des  injures  &  des  mépris  :  il  eut  en  Angleterre  des  raifons  pour  cacher 
de  même  des  reiTentimens  &  des  dégoûts.  Un  Roi  fur  le  Trône  a  d'aufli 
violentes  tentations  de  fe  déguifer  qu'un  Monarque  en  exil.  St%  excès 
dans  cet  art  le  lui  rendirent  inutile.  Son  vifage  trahit  (buvent  les  fecrets 
de  fon  cœur ,  &  l'on  en  croyoit  (ts  yeux  plutôt  que  fa  bouche.  Tout  le 
monde  eut  été  fur  iès  gardes,  fi,  comme  le  dit  ingénieufemetit  notre  Au<- 
teur ,  la  bonne  opinion  que  les  hommes  ont  d'eux-mêmes  a'entretenoit  U 
Société.    ^ 

IIL  Les  amours  de  ce  Roi  furent  les  efforts  du  tempérament.  Il  pré-* 
fera  les  conquêtes  durables.  Il  céda  à  l'influence,  dirai-je,  ou  à  l'importunité 
de  fes  maitreflës,  choifit  par  leurs  yeux  pouvant  le  faire  par  les  fiens, 
&  ne  fe  vengea  de  leur  tnconftance  qu'en  l'imitant  lui-même.  Une  pafliton 
réelle  ne  pardonne  point  l'ombre  d'une  infidélité.  La  nature  plus  traitable 
l'uggere  qu'un  rival  n'enlevé  que  le  cœur ,  &  qu'il  laiffie  tout  le  refte. 

Dans  les  dernières  années  de  fa  vie ,  Charles  n'eut  plus  d'inclinaxions  , 
mais  fes  liens  étoient  devenus  trop  forts  pour  les  rompre.  Un  homme 
qui  a  beaucoup  de  fecrets  doit  des  ménagemens  extrêmes  à  qui  il  les  a 
confiés.  La  chambre  des  Maitrefles  de  Charles  étoit  véritablement  celle  du 
Cabinet,  &  il  en  agifibit  dans  fes  Confeils  comme  dans  fes  repas  ;  il  pa- 
roillbit  en  public  à  la  uble  de  la  Reine,  &  foupoit  dans  l'appartement 
dérobé. 

IV«  Les  Miniftres  de  ce  Prince  n'étoient  pas  mieux  traités  que  fes  mat^ 
trelfes.  Il  s'en  fervoit  fans  les  aimer,  &  ne  fe  livroit  pas  plus  à  eux  qu'ils 
ne  s'attachoient  à  hà.  Ses  récompenfes  n'étoient  abondantes  qu'à  mefure 
que  les  chofes  qu'il  exigeoit  étoient  déraifonnables ,  &  il  fe  fouvenoit  du 
moins  des  fautes  autant  que  des  fervices.  L'empire  paffager,  que  quelques 
perfonnes  purent  avpir  fur  lui,  fut  dû  à  fa  molleife,  &  pour  éviter  l'em- 
parras  il  fouf&it  d'être  éclipfé.  Son  frère  fut  fon  Miniftre,  &  il  fut  jaloux 
de  fon  frère.  En  l'élevant  il  aimoit  à  le  voir  déprimé.  Le  Duc  d'Yorck 
régnoit  au  Confeil,  &  on  le  jugeoit  au  petit  fouper.  La  difpofition  du  Mo^ 

Tome  XL  Nnn 


^66  CHARLES    IL    (CaraScrc  de) 

narque  à  écouter  les  rapports  tenoit  Tes  Confeillers  dans  la  crainte.  Jamais  il 
ne  le  fia  aflez  à  un  homme  ou  à  un  parti  pour  n'avoir  pour  lui  rien  de  caché; 
&  fi  par  cette  défiance  il  fe  vit  moins  bien  fervi,  peut-être  f\it-il  moins  ex- 
pofé  à  être  trompé.  Le  Confeil,  le  Cabinet  &  la  Ruelle,  avoient  des  Mi- 
niftres  particuliers  j  mais  le  dernier  appel  étoit  à  la  Ruelle.  Le  Roi  vouloit 
qu'on  lui  déguifât  les  affaires  comme  les  remèdes  fous  une  enveloppe 
agréable;  fes  plus  graves  Miniflres  s'accommodoient  à  fon  humeur,  & 
devenoient  pour  lui  plaire  les  plus  groffîers  bouffons. 

V.  L'efprit  de  ce  Prince  confifloit  principalement  dans  fa  fagacité  it 
faifîr  les  ridicules.  Il  oublioit  en  raillant  les  égards  d'un  homme  poli ,  & 
aimoit  à  parler  plus  que  le  jugement  n'eut  dû  le  lui  permettre.  La  na- 
ture de  fes  goûts  fe  manifeftoit  dans  fes  converfations ,  &  il  fit  à  la  fin 
par  coutume  ce  qu'il  avoit  d'abord  fait  par  choix.  Sa  manière  de  conter 
étoit  agréable,  mais  il  abufoit  de  fa  facilité.  Il  aimoit  les  gens  d'efprit, 
&  foumoit  volontiers  ceux  qui  en  manquoient.  Son  affabilité  fut  un  t^ 
de  l'art  auunt  que  de  la  nature  ;  mais  l'habitude  la  lui  rendit  naturelle , 
fans  y  joindre  la  fincérité,  qui  la  lui  auroit  rendue  plus  utile. 

VL  Le  goût  de  Charles  II  pour  la  méchanique  le  porta  à  cultiver  l'é- 
tude de  la  marine,  des  fortifications,  &c.  Il  auroit  pu  fe  fixer  aux  affai* 
res^  s'il  s'étoic  moins  livré  aux  plaifirs.  La  chaîne  de  fa  mémoire  furpaf* 
foit  celle  de  fes  penfées.  L'âge  rendit  le  Prince  œconome  de  fon  temps. 
11  avoit  fes  heures  pour  fes  affaires,  pour  fes  exercices,  &  pour  fes  plai- 
firs. Souvent  il  agiuoit  comme  particulier  contre  fes  intérêts  en  qualité 
de  Roi ,  &  il  partageoit  avec  ceux  qui  s'engraiffoient  à  fes  dépens.  II  ne 
fut  ni  avare  ni  libéral  ;  il  n'acquit  point  pour  s'enrichir ,  ni  ne  donna 
pour  obliger.  L'amour  du  repos ,  le  foin  de  fa  fanté ,  devinrent  fes  paflions 
favorites,  mais  il  ne  choifit  pas  toujours  la  meilleure  voie  pour  les  con- 
ferver.  En  un  mot  ce  Prince  eut  plus  de  talens  que  de  vertus  »  &  dut 
plus  à  la  nature  qu'à  la  leâure  ou  à  la  réflexion. 

Telle  eft  l'idée  que  Mvlord  Halifax  nous  donne  de  fon  maître;  mab 
ce  maître  fut  fon  ami,  oc  après  l'avoir  peint,  il  s'attache  dans  fa  con- 
clufion  à  adoucir  les  traits  trop  forts  de  fon  pinceau.  Comme  Prince ,  dit-il , 
&  comme  Prince  malheureux ,  Charles  mérita  l'indulgence  de  tout  homme 
qui  a  des  fentimens.  Il  ne  fut  ni  aigri  par  fes  revers ,  ni  enflé  par  fa  pros- 
périté. Si  tous  ceux  qui  eurent  fes  foibleffes,  pleuroient  fur  fon  tombeau, 
il  n'y  en  auroit  point  de  plus  honoré ,  &  fi  ceux-là  feuls  qui  en  font 
exempts ,  jettoient  la  pierre  contre  lui ,  la  grêle  ne  feroit  pas  abon- 
dante. Ce  qu'un  philofophe  qualifieroit  d'un  nom  plus  dur  j  fera  par  des 
hommes  plus  foibles,  appelle  douceur  de  tempérament  &  épanchement 
de  bonté.  S'il  manqua  de  fermeté,  cherchons-en  la  caufe,  cherchons-en 
du  moins  l'excufe  dans  le  défîr  d'être  heureux  &  de  rendre  tels  ceux 
qui  l'approchoient.  S'il  abandonna  fes  favoris,  étoient-ils  dignes  qu'il  les 
foutint?  Quel  particulier  le  blàmeroit  d'avoir  connu  l'amour;  quel  Prince 


CHARLES    II,    Roi  itEfpagne.  4(7 

d'avoir  dtifîmulë  >  Il  gouverna  mal  Tes  fujecs  ;  mais  fes  fujets  ëroient-ils 
propres  à  écre  mieux  gouvernés  ?  Le  fort  d'un  Roi  eft  plus  digne  de  pitié 
que  d'envie  I  &  celui-ci  a  mérité  qu'on  couvrit  de  fleurs  plutôt  qu'on 
T?^%%twkt  les  fautes  qu'il  a  commifes.  Que  fa  cendre  Royale  repofe  donc 
avec  tranquillité  à  couvert  de  reproches  cruels  »  qui  s'ils  ne  font  pas  en* 
fièrement  injuftes,  font  du  moins  fort  indécens. 


CHARLES    II,    Roi  iPE/pagnc. 

V^  H  A  R  L  E  S  II  n'a  voit  guère  plus  de  quatre  ans  lorfqu'il  monta  fur 
le  trône  de  fon  père  Philippe  IV,  en  i66^.  Sa  minorité  fut  tout-à-la-fois 
malheureufe  au  dehors,  &  orageufe  au  dedans.  Anne  d'Autriche,  régente 
du  Royaume,  jaloufe  d'une  autorité  dont  elle  ne  favoit  pas  faire  ufage, 
indifpofa  les  Gratids  contre  fon  adminiftranon ,  &  invita,  par  fon  inex* 
périence ,  les  ennemis  de  l'Efpagne  à  la  dépouiller  d'une  partie  de  fes 
Provinces.  Elle  figna  la  paix  avec  le  Portugal ,  qui,  jadis  Province  Efpa- 
gnole,  fut  reconnu  pour  un  Royaume  libre  &  indépendant.  Par  le  traité 
d'Aix-la-Chapelle,  Louis  XIV  conferva  toutes  les  conquêtes  qu^il  avoic 
faites  dans  les  Pays-Bas  Efpagnols ,  &  ne  rendit  que  la  Franche-Comté 
qu'il  eut  peut-être  encore  gardée  s'il  eut  voulu  tirer  tout  l'avantage  poffî- 
ble  de  la  foibléfle  de  TEfpagne. 

Charles ,  devenu  majeur ,  n'eut  prefque  pas  de  part  au  Gouvernement. 
Ce  Prince ,  d'une  complexion  débile ,  d'un  efprit  foible ,  &  dont  l'éduca- 
tion avoit  encore  été  négligée  à  deiïein ,  laifla  toute  l'autorité  à  fa  mère 
&  à  fou  favori  Valenzuéla.  Cependant  ils  ne  la  gardèrent  pas  long-temps. 
D.  Juan  d'Autriche,  fils  naturel  de  Philippe  IV,  nt  fentir  à  Charles  l'efpece 
de  fervitude  où  on  le  retenoit ,  le  défordre  où  étoient  les  affaires ,  l'Efpagne 
épuifée  par  des  guerres  malheureufes,  &  déshonorée  par  des  paix  honfeufes. 
Le  Monarque  fecoua  le  joug.  La  Reine  fut  reléguée  dans  un  Couvent  de 
Tolède,  &  D.  Juan  déclaré  premier  Miniftre.  Mais  il  répondit  mal  aux 
efpérances  que  l'on  avoit  conçues  de  fes  talens.  La  guerre  avec  la  France 
ne  ceifa  pas  d'être  une  fource  de  revers ,  &  l'Efpagne  perdit  encore  à  la 
paix  de  Nimegue  la  Franche-Comté  &  feize  Villes  confidérables  des 
j?ays-Bas. 

En  1 679 ,  Charles  époufa  la  Princeffe  Marie-Louife  d^Orléans ,  fille  de 
Monfieur  &  d'Henrrette  d'Angleterre.  L'Efpagne  continua  de  languir.  Une 
guerre  de  deux  ans ,  terminée  par  une  trêve  de  vingt  ans ,  fîgnée  à  Ra- 
tisbonne  en  16S4 ,  lui  coûta  Luxembourg  ,  &  toutes  les  Villes  dont  les 
François  s'étoient  emparés,  excepté  Cpurtrai  &  Dixmude  que  Louis  XIV 
confentit  de  rendre.  La  Reine  d^Efpagne  étant  morte ,  le  Roi  époufa  en 
fécondes  noces  Marie- Anne  de  Nêubourg ,  fille  de  l'Eleâeur  Palatin.   I^ 

Nnu  % 


i 


458  C  H  A  R  L  E  S    II,    Roi  (PEfpagne. 

fett  de  la  guerre  s^allunia  dé  nouyeau  entre  la  France  &  rafpagne.  Cetle-ci 
eut  prerque  toujours  du  défavantage.  Le  Roi  n'avoic  point  d'eofàos  :  il 
tomoe  malade  &  fait  un  tefiament  en  faveur  de  fon  neveu  le  Prince  de 
Bavière,  comme  fon  plur  proche  héritier,. attendu  la  renonciation  de  Ma- 
fe  d'Autriche.    Cette  difpofition  n'eut  pas  lieu ,  le  jeime  Prince 


rîe-Thérefe 

étant  mort  à  Page  de  fept  ans.  La  paix  fe  négocioit  depuis  trois  ans  à 
Rifwick.  Elle  fut  avantageufe  à  l'Efpagne  par  les  facrifices  que  fit  Louis  XIV, 
qui  annoncoient  aflezque  la  mort  prochaine  de  Charles  II  en  étoit  le  moti£ 
Ce  Monarque  fit  un  fécond  tefiament  en  1700,  par  lequel  il  déclaroit 
Philippe  de  France ,  Duc  d'Anjou ,  héritier  de  toute  la  Monarchie  Efpagnole. 
Charles  mourut  la  même  année ,  âgé  de  49  ans.  Louis  XIV  accepta  ce 
tefiament  qui  caufa  un  embrafement  général  en  Europe  ,  comme  nous 
Pallons  voir. 

Teflamtns  de  CHARLES  11^  en  t6s8^  &  tjoo. 

JLiE  Roi  d'Efpagne  n'en  étoit  point  cru  fur  les  efpérahces  qu'il  donnoit, 
de  vivre  encore  long* temps,  &  de  ne  pas  mourir  fans  laiiier  poftérité. 
'Malgré  îts  ejffbrts  pour  cacher  le  mauvais  état  de  fa  fanté,  on  perfiftoit  \ 
croire  que  fa  mort  n'étott  pas  éloignée;  &  les  Prétendans  à  fa  fucceffion» 
facrifiant  à  la  crainte  de  la  perdre  les  égards  qu'ils  dévoient  à  fa  perfbnne, 
prenoient  hautement  leurs  mefures ,  pour  éloigner  leurs  compétiteurs. 
L'Empereur  Léopold ,  dont  la  politique  étoit  la  moins  bruyante,  fe  pro«* 
mettoit  que  la  difpofition  du  Roi  mourant  régleroit  le  fuf&age  de  la  Na- 
tion; &  comptant  que  l'un  &  l'autre  lui  donneroit  la  fupériorité,  à  la« 
quelle  il  n'oloit  afpirer  par  les  ^rmes ,  il  faifoit  agir  la  Reine  fâ  belle-lœur 
auprès  du  Roi  fon  mari,  en  même-temps  que  ^s  Miniflres  mettoient  en 
œuvre  tout  le -crédit  qu^ils  avoient  acquis  dans  le  Confèil.  Louis  XIV, 
accoutumé  à  tout  vouloir  emporter  de  hauteur,  négligeoit  la  Cour  de  Ma- 
drid. Mais  intimidant  la  Nation  Efpagnole  par  la  montre  de  fes  meîllenret 
troupes,  répandues  fur  la  frontière,  il  faifoit  demander  fièrement  au  Roi, 
qu'il  abandonnât  la  fucceflion  à  celui  des  Prétendans ,  qui  fauroit  y  &ire 
valoir  fes  droits.  Le  Roi  Guillaume,  affermi  fur  le  trône  d'Angleterre, 
&  plus  maître  encore  en  Hollande,  que  dans  les  trois  Royaumes,  n'avoii 
plus  befoin,  pour  fa  Candeur  particulière,  des  troubles  de  l'Europe.  Vieilli 
avant  le  temps  ,  il  ne  pou  voit  plus  remplir  que  dans  le  cabinet  le  rôle 
glorieux  qu'il  avoît  pris  ;  &  pour  qu'il  continuât  à  être  l'am'e  du  parti 
oppofé  à  Louis  XIV ,  le  Protcfteur  de  l'équilibre  de  l'Europe ,  il  hWckt  que 
l'Europe  fût  en  paix.  Il  voyoit  Léopold  &  Louis  XIV  également  rélblus  de 
ne  point  relâcher  de  leurs  prétentions  ;  &  il  étoit  elfentiel  à  la  liberté  pu- 
blique que  la  Couronne  d'Efpagne  ne  fût  pas ,  avec  celle  de  Trance ,  ou 
llmpérîale ,  fur  une  même  tête.  Une  guerre  générale  étoit  inévitable ,  à 
moins  qu'un  tiers  parri  ne  fè  formât ,  aflèz  puifTant ,  pour  obliger  les  deux 
principaux  prétendans  i  lui  déférer  Tarbitrage.  ^ 


CHARLES    II,    Roi  d^M/pagfW.  ^         4^9 

Dans  la  dilbofidon ,  où  ëtoit  le  Roi  Guilltume^y  de  jouir  en  pwr  d9  (a 
sloire  &  de  la  fortune ,  il  conçut  le  plan  d'un  partage  de  la  lucceflioo  » 
luivant  lequel^   fans  ébranler  Péquilibre,  les  prétendaos  auroienc  quelque  / 

fatisfkâion.  11  avoit  aflez  étudié  Louis  XIV,  pour  ne  pas  douter  de  lui 
faire  agréer  la  part  qu'il  lui  afligneroit^  pourvu  qu'elle  fôt  une  acquifitioa 
brillante.  11  devoir  peu  s'inquiéter  des  plaintes ,  qui  étoient  les  feules  ar*^ 
mes,  dont  la  Cour  de  Vienne  pouvoit  combattre  Ton  plan.  Cependant^ 
quoique  les  prétentions  de  l'Bmpereur  n'euflent  guère  d'autre  fondement 
que  Ion  ambition  :  quoique  le  Corps  Germanique  fût  difpofé  à  foufFrir 
que  la  Maifon  d'Autriche  fut  confinée  en  Allemagne  ;  Guillaume  eut  égard 
aux  clameurs  des  Princes  Autrichiens;  &  fi  le  Prétendant  ,  qu'il  plaçoic 
entre  les  Princes  François  &  les  Archiducs  avoit  vécu ,  il  efl  fort  probable 
que  le  partage  auroic  eu  fon  exécution. 

Maintenant  que  la  Maifon  de  Bourbon  eft  en  paifible  poflefllon  du* trône 
d'Efpagne ,  les  droits ,  que  Tes  Princes  y  avoient ,  ne  font  plus  problémar 
tiques.  Entre  les  Souverains-,  la  pofTeflîon  eft  un  titre,  qui  prévaut  fur 
tous  les  autres.  On  ne  contefte  plus  que  la  renonciation  de  Louis  XIV, 
au  nom  de  l'In&nte  qu'il  époufoit,  fut  un  aâe  fans  conféquence,  accordé 
pour  le  bien  de  la  paix  ;  &  qui  ne  devoir  avoir  de  validité ,  qu'autant  qu'il 
«uroit  afiigné  un  équivalent  capable  de  tenir  lieu  aux  fruits  de  ce  mariage 
de  leur  matrimoine ,  dont  il  n'étoit  pas  au  pouvoir  de  leur  ayeul  de  tes 
fruftrer.  Le  teftament  de  Philippe  IV ,  qui  confirmoit  la  renonciaiioti ,  étoic 
nul  à  cet  égard,  de  quelque  côté  qu'on  confidere  le  teftateur,  Qc  le  bien 
dont  il  difpofoit. 

Si  une  Couronne  eft  mife  au  même  rang  que  des  Propres;  &  fi  un 
Roi  eft  regardé  comme  un  Citoyen ,  qui  marque  à  fes  enfans  leur  légitime  : 
les  Loix  ne  lui  permettent  l'exhérédation ,  qu'en  lui  fuppofant  quelqu'un 
des  motifi ,  qu'elles  ont  fixés.  Or  Philippe  n'en  avoit  aucun  de  cette  eipece 
&  produire  contre  la  Princefle  fa  fille.  Un  pere^peut  avantager  fes  puînés 
aux  dépens  d'un  aine ,  s'il  a  fait  à  ce  dernier  des  cédions  en  avance 
d'hoirie  ;  ou  fi ,  par  préférence ,  il  l'a  fait  appeller  à  quelque  fuccefliofi 
collatérale  y  qu'il  auroit  dû  partager  avec  fes  puînés.  Mais  la  première 
Infante  que  Louis  XIV  époufa ,  ne  porta  à  fon  mari  que  la  dot  ordinaire 
des  In&ntes ,  la  même  que  l'Empereur  reçut  de  fa  fimir.  Elle  ne  reçi|t  ni 
équivalent,  ni  compenfation ,  de  ks  droits  d'ainellè»  auxquels  on  vouloir 
qu'elle  renonçât. 

Si  on  confidere  une  Couronne  comme  un  Propre  fubjiitué ,  &  un  Roi 
comme  un  ufufruitier ,  qui  n'a  d'autre  droit  fur  fon  Royaume ,  que  celui 
de  jouiflance  :  il  n'appartient  point  au  Monarque  pofTefleur  de  troubler 
l'ordre,  dans  lequel  la  poffeflion  lui  a  été  dévolue.  Cefl  aux  Loix,  qui 
l'ont  appelle  à  la  fucceffion,  de  lui  marquer  fon  héritier  :  ou  fi  les  Loix 
doivent  céder  à  l'intérêt  préfent  de  la  Nation  ,  if  n'y  a  que  la  Nation  elle- 
même  9  qui  puifle  en  juger ,  &  leur  donner  atteinte. 


\ 


47«  CHARLES    II,    Roi  (PEfpagni. 

L'Empereur  Léopold  réclamoir  la  Succéflion  d'Bfpagne  à  plufîeiirs  titres; 
dont  le  moins  mauvais  n'étoit  aucunement  recevable.  Seul  mâle  defcendant 
de  Maximilien  I ,  il  auroit  pu  faire  valoir  la  loi  Salique ,  c^eft-  à-dire  la  pré- 
férence  abfolue  des  mâles ,  fi  cette  loi  avoit  eu  lieu  en  EfpagQe.  Mais  ce 
n^écoit  point  du  chef  de  cet  Empereur  que  les  Couronnes  d'Efpagne  étoient 
tombées  dans  la  Maifon  d'Autriche;  &  en  prétendant  y  faire  valoir  fon 
fexe ,  Léopold  infirmoit  le  titre ,  auquel  les  Princes  Autrichiens  les  avoient 
pofledées  :  leur  pofleflion  étoit  dès-lors  une  véritable  ufurpation.  Jeanne, 
la-FoÙe ,  fille  de  'Ferdinand  &  d'Ifabelle ,  avoit  apporté  les  Efpagnes  en 
dot  à  l'Archiduc  Philippe  fon  mari ,  fils  de  Maximilien  ;  &  Charles-Quint 
leur  fils  aîné  repréfentant  fa  mère ,  avoit  eu  la  préférence  fur  les  différentes 
Maifons  des  Princes  du  Sang  de  Caflille  &  d'Arragon,  qui  avoient  pour  eux 
la  defcendance  niafculine.  Les  droits  du  Dauphin ,  fils  de  Louis  XIV, 
étôient  précifément  lès  mêmes  que  ceux  de  Charles-Quint.  Si  Léopold  fe 
produifoit  avec  les  titres  de  fa  mère,  fille  de  Philippe  III;  il  étoit  encore 
moins  fondé  que  Louis  XIV,  fils  de  l'ainée:  &  d'ailleurs ,  c'eut  été  admettre 
l'ordre  de  Succeflion  en  ligne  majeure,  que  les  Juriftes  appellent  i  Stipite; 
&,  fui  vaut  cet  ordre,  Léopold  &  Louis  XIV  dévoient  céder  au  Duc  de 
Savoye,  qui  repréfentoit  fa  bifaïeule  Catherine,  fille  de  Philippe  II.  Dés 
que  la  Succeflion  n'efl  point  purement  mafculine,  la  poftérité  de  Charles- 
Quint  primoit  toujours  celle  de  Ferdinand  fon  puiné.  Léopold  ne  devoit 
point  profiter  de  la  renonciation  de  Louis  XIV,  qu'il  s'eflTorçoit  de  faire 
valoir.  Les  droits  de  llnfante  Reine  paffoient  à  fa  fœur  puinée.  Impéra- 
trice, dont  la  fille  unique,  mariée  à  l'ÉIeâeur  de  Bavière  Maximilien,  étoit 
repréféntée  par  le  Prince  Eleftoral,  fon  fils. 

Le  Roi  Guillaume  prit  avantage  du  foible  de  chacun  des  prétendans ,  pour 
fuftifier  un  partage  entr'eux.  Aucun  n'avoit  à  la  fucceffîon  un  droit  clair  & 
viâorieux.  11  leur  demanda  de  fe  faire  grâce  l'un  à  l'autre.  Il  oppofa  aux 
prétentions  de  l'Empereur  les  prétentions  du  Prince  de  Bavière;  &  andii 
qu^il  objeâoit  à  Louis  XIV  fa  renonciation ,  il  épouvantoit  fes  deux  com* 
pétiteurs  de  fa  nullité.  Le  premier  Traité  de  partage ,  qu'il  préfenta  le  ii 
d'Oâobre  1^9^ ,  fut  dreffé  dans  cet  efprit.  Le  Prince  de  Bavière  dût  hé* 
riter  de  la  Monarchie  Efpagnole  ,  proprement  dite ,  en  l'un  &  l'autre 
Continent,  fans  autre  annexe  que  les  Pays-Bas.  L'Empereur  Léopold  dut 
avoir  le  Mitanez;  &  Louis  XIV  dut  unir  à  fa  Couronne  Naples  &  Sicile  1 
avec  les  Places  de  la  côte  de  Tofcane ,  le  Marquifat  de*  Final ,  &  la  partie 
du  Guipufcoa ,  fituée  en  deçà  des  Pyrénées. 

Ce  partage  fut  goûté  de  l'Eleéleur  de  Bavière,  qui  fe  trouvoît  trop  heu- 
reux que  les  prétentions  de  fon  fils  ne  fuffent  pas  étouffées  par  celles  de 
fes  compétiteurs.  Louis  fe  hâta  d'appuyer  le  projet  de  fonfufFrage.  Il  n'apper- 
cevoit  point  le  piège  que  lui  tendoit  la  profonde  politique  de  Guillaume. 
La  Marine  FrançoiTë  étoit  déjà  fort  avancée  dans  la  décadence  ;  &  le  Roi 
de  France  s'applaudifToit  de  i'acquifition  de  nouveaux  Etats ,  dont  la  conr 


L_ 


CHARLES,   II,    Roi  dPEfpagne:  471 

fervarioo  eut  exigé  qu^il  doublât  fes  forces  de  mer.  Il  fembloît  avoir  ou- 
blié que  des  pofTemons  en  Italie  avoient  fait  le  malheur  des  règnes  de 
Louis  XII ,  &  de  François  I.  Il  avoir  éprouvé  que  la  France  n^a  de  fupé- 
riorité  fur  fes  ennemis,  que  parce  qu^elIe  leur  oppofe  la  mafle  entière  de 
fes  forces  ;  &  il  ne  voyoit  pas  que  leur  divifîon  leur  prépareroit  fa  ruine , 
comme  la  divifion  de  celles  de  l'Efpagne  avoit  produit,  la  ruine  de  la 
Monarchie  Efpagnole.  Enfin  Louis  XIV  ne  confidéra  que  de  nouveaux  titres 
&  de  nouveaux  Etats. 

Les  Puiflances  Maritimes,  &  fur-tout  l'Angleterre,  pouvoient  efpérer  de 
s'emparer  du  commerce  d'Efpagne ,  fous  un  Roi ,  pour  qui  ils  feroient  des 
Alliés  néceffaires.  Les  Hollandois  fe  confervoient  la  barrière,  dont  ils 
avoient  pris  le  fyftéme  ^  &  la  foibleflè  du  nouveau  Rpi  leur  garantiflbic 
fon  attention  à  ne  pas  les  indifpofer  ,  comme  il  eut  £iit ,  en  tirant  parti 
de  fes  ports  de  Flandres,  &  du  firabant. 

L'Empereur  Léopold  ,  dont  l'ambition  raifonnée  mettoi;  à  bien  plus  haut 
prix  un  morceau  tel  que  le  Milanez ,  qui  feroit  corps  avec  fes  Pays  héré* 
ditaires,  qu'une  multitude  de  Royaumes ,  qui  dévoient  faire  un  Ëtatféparé, 
dont  la  branche  ainée  partageroit  la  défenfe,  ne  fe  platgnoit  point  que  le 
Prince  Eleâoral  de  Bavière  fût  appelle  au  Trône  d'Efpagne.  C'étoit  beau* 
coup  4)our  un  ennemi  de  Louis  XIV ,  aufli  jaloux  de  la  puilfance  de  la  France , 
de  voir  la  maifon  de  Bourbon  déchue  de  i'efpérance  de  faire  tomber  tant  de 
Couronnes  fur  la  tête  d'un  de  fes  princes.  Seulement ,  il  auroit  voulu  grof« 
(ir  fa  portion  des  autres  Etats  Efpagnols  d'Italie  ;  &  il  fe  réfervoit  de  faire 
fes  diligences  à  cet  égard ,  quand  il  auroit  vu  le  fruit  des  folli citations  de 
la  Reine  fa  belle*fœur  ,   &  de  la  brigue  de  fes  Miniftres  à  Madrid. 

La  nouvelle  du  Traité  de  partage  détermina  Charles  à  faire  un  Tefla- 
ment.  Quelle  que  fut  fa  difpofition  ,Jl  étoit  certain  que  la  Nation  la  con* 
firmeroit ,  pourvu  qu'elle  ne  démembrât  point  la  Monarchie.  Mais  il  îgno- 
roit,  &  fon  Confeil  parut  ne  pas  voir,  que  Louis  XLV,  &  Léopold^  a'é-* 
toient  pas  de  ces  Prétendans ,  qu'on  réduit  au  /ilence ,  en  leur  préférant  un 
troiHeme.  Tous  deux  furent  trompés ,  il  efl  vrai ,  par  le  Teftateur.  Mais  ce 
dernier  s'abùfa  fort ,  s'il  efpéra  de  la  furprife ,  qu'il  leur  ménageoit ,  autre 
chofe ,  que  la  fatisfàâion  de  la  leur  avoir  faite.  Louis  XIV ,  qui  croyoit 
Léopptd  fon  plus  dangereux  concurrent ,  apprit  avec  étonnement  que  Charles 
ne  prenoit  point  fon  héritier  dans  fa  maifon ,  &  la  Cour  de  Vienne  eue 
peine  à  croire  que  le  Confeil  d'Efpagne,  qu'elle  s'imaginoit  gouverner; 
&  que  la  Reine ,  qu'elle  étoit  en  poffeilion  de  diriger ,  euffent  £ait  préfé- 
rer le  Prince  Eleâoral  de  Bavière  à  fes  Archiducs. 

Avec  des  forces  capables  de  foutenir  le  reffentiment  des  deux  compétiteurs 
qu'elle  rejettoit ,  la  Nation^  Efpagnole  n'auroit  eu  qu'à  s'applaudir  du  Tefta^- 
menr  de  fon  Roi.  Mais  la  Reine  &  le  Confeil ,  qui  le  diâerent,  fe  repofoieot 
fur  la  fortune  du  foin  de  le  faire  valoir  ;  &  leur  intérêt  particulier  fut 
uniquement  ce  que  l'un  &l  l'autre  confidéra  dans  la  teneur  de  Taâe,  Le 


/ 


47X  C  H  A  R  t  £  S    II»    Roi  dPEfpAgne. 

Gonfeil  foufEroit  impatiemment  fa  dépendance  de  la  Cour  de  Vienne;  & 
la  Reine  étoit  fenfiole  au  piaifir  de  donner  à  la  Nation  un  Roi*  qui  lut 
fçftt  gré  de  Tes  bons  offices.  Elle  devoit  attendre  plus  de  reconnoiflance 
de  la  part  de  Tfileflorat  de  fiaviore ,  que  de  la  part  de  l'Archiduc.  Celui- 
là  ayant  déjà  l'agrément  d'une  panie  de  r£urope ,  lui  auroit  obligation  de 
l'avoir  itûs,  par  l'aveu  du  Roi,  dans  la  paiuble  pofle(fion  du  Trône,  C\ 
le  Teftament  avoit  lieu  :  tandis  que  l'Archiduc,  ayant  à  vaincre  mille 
cbflaclesy  pouvoit  ne  pas  réudîr  malgré  la  difpodtion  du  Roi;  ou^  s'il 
réudiilbit ,  s'imaginant  devoir  la  G>uronne  à  fts  droits ,  &  à  (a  conduite  , 
il  ne  fauroit  gré  à  la  Reine  Douairière ,  que  de  IV  avoir  appelle.  Charles  II , 
<jui  fuivoit  l'impreffion,  que  lui  donnoient  ia  femme  &  fes  miniftres, 
inititua  le  Prince  de  Bavière  Ton  héritier  univerfèl  ;  &  l'Empereur  ne  s'en 
montra  pas  au(fi  irrité  ^  qu'on  le  devoit  attendre  de  fa  paffîon  pour  la 
grandeur  de  fa  maifon.  L'Hiftdire  lui  a  reproché,  &  fans  doute  injufte- 
ment ,  d'avoir  compté  que  l'étoile  d'Autriche ,  toujours  funefte  à  ceux  qui 
faifoient  obftacle  à  fon  agrandiflement,  délivreroit  les  Archiducs  du  corn" 
pétiteur  qui  leur  avoit  été  préfëré. 

Le  traité  de  partage  &  le  teftament  étant  anéantis  par  la  mort  du 
Prince  Éleâoral,  le  Roi  Guillaume  n'en  perdit  point  fes  vues  d'accommo- 
dement. Il  éio\t  perfuadé  que  la  répugnance  des  Efpagnols,  pour  le  dé- 
membrement de  leur  Monarchie ,  devoit  céder  au  bien  général  de  l'Eu- 
rope ,  &  y  feroit  inutilement  obftacle.  Il  propofa  un  fécond  partage ,  qu'il 
lit  fîgner  à  Londres  aux  Plénipotentiaires  de  France,  te  3  de  Mars  1700; 
&  que  les  Ambaffadéurs  d'Angleterre ,  de  concert  avec  eux ,  firent  ratifier 
&  garantir  aux  Etats-Généraux.  L'Archiduc  Charles,  fécond  fils  de  Leo- 
pold ,  y  étoit  fubftitué  au  Prince  de  Bavière.  La  France ,  qui  demandoit 
quelque  nouvelle  piece-Kjui  la  mit  en  proportion  avec  fon  co*héritîer, 
recevoir,  avec  le  pays  que  le  premier  partage  lui  adjugeoit,  les  Ëtats  de 
Lorraine,  pour  être  unis  ^  perpétuité  au  Royaume;  &  le  Duc,  qu'on  ne 
cbnfultoit  point  fur  le  don.  de  fon  bien  ,  étoit  fuppofé  y  confentir,  & 
agréer  pour  échange  le  Duché  de  Milan. 

Ce  n'étoit  pas  là  ce  que  l'Empereur  s'étoit  promis  de  la  mort  du  Prince 
de  Bavière.  Les  États  d'Italie  valoient  à  fes  yeux  toute  la  Monarchie  Es- 
pagnole; &  fi  jamais  il  confentoit  qu'ils  en  fuffem  démembrés^  ce  ne 
devoit  être  que  quand  on  en  difpoferoit  de  m^miere  à  lui  laidèr  l'efpé* 
rance  de  les  unir  aux  pays  héréditaires  de  la  branche  Impériale.  Il  remplit 
foutes  les  cours  de  fes  plaintes  :  il  fit  exagérer  à  Charles  i'infulte  que  les 
irois  Puiffances  lui  faifoient ,  en  déchirant  fa  fucceftîon  de  fon  vivant, 
ians  fa  participation.  Comme  il  ne  concevoir  pas,  (&  réellement  il  n'y 
avoit  pas  alors  d'apparence  )  que  l'Europe  fouffrît  jamais  un  Prince  Fran- 
çois fur  le  Trône  d'Efpagne  :  il  croyoic  que  Charles  étoit  néceflité  dans 
fon  teftament,  comme  Guillaume  dans  (on  partage,  d'appeller  l'Archiduc 
^  la  couronne^  &  il  lui  parut  fuperflu  de  prendre  des  mefures  à  cet  égard. 

Sourd. 


CHARLES    II,    Roi  iPFfpagm.  473 

Sourd  zixK  inftahcès,  qui  Ibi  ëtoieût  ^  faites  par  la  cour  de  Madi^id ,  d'en^ 
voyer  le  jeune  Prince  en  Efpagnei  avec  un  corps  de  troupes  AUemandes, 
il  demandoit  qu'on  le  mit  d'avance  en  pofleflion  des  Etats  d'Italie ,  qui 
dévoient  un  jour  lui  être  plus  difficiles  à  retenir.  Son  intention  étoit,  au 
cas  que  Charles  fit  cette  réfignation ,  de  mettre,  dans  toutes  les  places^ 
des  troupes  Impériales ,^  que  l'Archiduc,  devenu  Roi  en  vertu  du  tdfta*- 
ment ,  n'en  auroit  pas  chaflëes ,  &  dont*  (on  frère  aîné  fe  feroit  fervi  pour 
retenir  le  pays ,  comtne  fa  portion ,  eniant  qu'héritier  naturel. 

Cependant  les  trois  Puiflknces  agiffoient  dans  les  principales  Cours,  pour 
faire  ratifier  &  garandr  le  partage  ;  tandis  que  l'Empereur  &  le  Roi  d'Ef*- 
pagne  y  faifoient  contre  lui  les  plaintes  les  plus  ameres.  Les  41ns  &  les 
autres  eurent' lieu  de -fe  flatter  d'avoir  des  partifaos.  La  Cour  de  Rome 
refiifa  à  la  France  l'invefliture  provifionnelle  qu'elle  lui  demandoit  dit 
Royaume  de  Naples,  pour  un  de  les  Princes;  &  elle  s'excùiadeJa  don-»» 
ner  à  l'Archiduc,  pour  qui  le  Roi  d'Efpagne  la  faifoit  foUiciter.  Le  1  Duc 
de  Savoye ,  qui  avoit  fujet  d'efpérer  qu'il  ièroit  fubflitué  au  Prince  de  Ba«. 
viere ,  attendoit  les  circonftances ,  pour  fe  déclarer  contre  lé  partage  ;  & 
il  faifoit  propofcr  en  fecret  une  ligue  aux  Puiflànces  d'Italie.  Le  Duc  de 
Lorraine,  qui  auroit  peut-être  goûté  la  cranfplantation ,  fi  on  ne  lui  avoit 


doit  un  fécond  teflament»  Toutes  deux  confîdéroieot  leur  intérêt  particu- 
lier. Celle-là  trouvoit  fbn  avantage  à  avoir  pour  voifin  un  puiffant  Monar* 
que,  capable  de  l'aider  à  rechaffer  le  Turc  dans  l'Archipel.  Celle-ci,  ja^ 
loufe  de  fon  indépendance,  jugeoit  que  pour  l'Italie  un  Roi  d'Efpagne 
ëtoitunJiôte  moins  dangereux,  qu'un  Roi  de  France,  Des  Puiflànces  du 
Nord,  les  unes ,  eCX>mme  la  Suéde  &  le  Danemarc ,  étoient  trop  ^éloi^ 
gnées,  pour  entrer  direâement  dans  cette  querelle  :  les  autres,  comme  H 
Pologne  &  la  Pruffe,  avoient  leurs  yues  particulières  qui  ne  4êur  pèrmet- 
toient  pas  de  prendre  parti  contre  l'Empereur.  Le  corps  Helvétique ,  inac- 
ceflibljî  à  la  paflion  de  s'agrandir,  avoit  habilement  éludé  la  garantie  du 
traité  <ie  partage.  Eclairé  par  l'expérience ,  il  avoit  méprifé  la  gloire  lui- 
neufe  d'être  le  Protefteur  &  l'Arbitre  de  l'Italie, 

L'Empereur  Léopold ,  attentif  à  l'impreflion  ,  que  le  traité  de  partage  & 
fds  plaintes  faifoient  dans  les  différentes  cours ,  connut  que  la  ibrtune  dit 
(econd  Archiduc  faifoit  obflacleaux  avantages,  qu'il  recherchoit  pour  fon 
aine;  &  par  un  trait  admirable  de  la  politique  la  plus  hardie,  &  la  plus 
profonde ,  il  entreprit  de  les  fervir  tous  deux,  en  fàifant  tout  pour  leur 
concurrent:  Il  fui  fallut  prévenir  la  Reine,  fiiture  Douairière  d'Efpagne  « 
fur  cette  finguliere  manœuvre.  Cette  FrincefTe ,  nourrie  dans  la  haine  de 
la  France ,  ne  pouvoir  être  déterminée  en  faveur  dé  cette  couronne  par  les 
raifbiis ,  dont   ou^  etpéroit  faire  iliufioa  aa  Coafeil  Ëfpaguoh  L'inccréx  de 

Tome  XL  O  t)  o 


474  CHAR  X  E  ?    1 1,  :  Rôi  à'Efpagnt. 


rnnce ,  oue  i  jcurope  pue  oooner  :pour  xtoi  aux  ^.ipaçnois ,  u  lui  impor- 
toic  peu  de  la  dirpoûdon ,  <iue  le  Roi  moribond  feroic  de  Tes  Etats.  £a«* 
iuite  il  lui  fit  comprendre  quUl  écoit  efTentiel  pour  }a  Maifon  d'Autriche 
de  tenter  fi  la  France  ^  éblouie  par  un  teftament,.  qui  dooneroit  toute  la 
Monarchie  à  un  de  fes  Princes^  ne  le  préfèrçroit  point  a^  aaicé  de  partage. 
Il  n'ëtoic  point  douteux  qu^en  optant  pour  un  pareil  teftàfnent,  Louis  XIV 
ibuleveroic  contre  lui  toute  TEurope.  Alors  les  troupes  Impériales,  com- 
binées avec  celles  de  la  plupart  à^s  Princes  d'Italie ,  &  fàvorifées  par  les 
efcadres  des  Puiflances  maritimes,  pourroient  s'emparer  des  deux  Sîciles, 
de  la  Sardaigne,  &  des  places  de  la  Côte  dç  Tofcane^  &  partager  U  Lom- 
hardie  avec  le  Duc  de  Savoie.  Les  alliés,  que  la  Frapce  auroit  irrités  par 
cette  nouvelle  levée  de  bouclier,  n'entend roient  à  I4  paix,  qu'après  s'être 


dédommagement  des  firais  de  \%  guerre* 

Telles  étoient  les  vues  de  Léopold ,  dirigé  par  l'habile  Priiice  Eugène, 
On  ea  trouve  la  démonftrarion  dans  fà  conduire  avant  Sl  après  la  mort  de 
Charies  IL  II  n'étoit  pas  difficile  de  fidre  goûter  au  Confeil  d'Efpagne  dont 


François.  Quelque  vifibles  que  fuflènt  l'épu 
de  la  France ,  &  le  coup  que  lui  portoit  le  changement  de  Ton  Minifiere, 
ils  ne  l'étûient  point  aflez ,  pour  que  des  ErpagooTs  les  apperçuflënt.  Ac« 
coutumes  à  voir  leur  propre  décadence  ,  (ans  la  (aifir.,  ils  jngeoient  de 
-  Louis  XIV  &  de  fes  Miniftres  fiir  leur  ancienne  répuution.  L'Angleterre  ^ 
.  la  Hollande ,  &  la  France  ,  s'étant  unies  »  pour  faire  valoir  ie  Traité  de 
partage ,  le  meilleur  moyen  d'en  prévenir  l'exécution  écoit  d'intéreflër  une 
de  ces  Fuiflances  à  le  rompre  ;  oc  s'il  avoir  été  pofilble  qu'un  Légataire 
nniverfel  fe  fût  maintenu  en  dépit  des  oppofans  ^  un  Prince  du  Sang  de 
France  y  devoit  trouver  moins  de  difficulté  qu'aucun  autre. 

Charles  U  rendoit  les  derniers  fbupirs  ;  &  on  avoit  encore  à  peine  le 
foupçon  qu'il  eut  firit  un  fécond  Teftamem.  Au(fi*tôt  afH'ès  fa  mort,  00 
en'produiut  un,  daté  du  10  d'Oâobre  1706,  où  le  Duc  d'Anjou,  fécond 
fils  de  France ,  étoit  infiitué  fon  unique  héritier  ^  fous  condition  de  ne 
fouffiir  aucun  démembrement  de  la  Monarchie.  L'illuftre  Hiftorien  du  fie- 
cle  de  Louis  XIV  dit  que  le.  Miniftre  de  l'&npereur  fe  flatroit  que  l'Ar- 
chiduc étoit  le  Succeffeur  défigné ,  tandis  que  le  Confeil  fiiifoit  les  dépé* 
ches  à  Çon  heureux  rival.  Cet  élégant  Ecrivain  n'a  pas  l'expérience  des  four- 
beries politiques  y  que  le  bien  de  l'Etat  autorife.  La  Reine  Douairière^ 


C  H  A  R  L  £  s  .  II ,    Roi  iPEfpagne.  475 

dont  le  cœur  &  refprit  écoient  dévoués  à  la  Maifon  d'Autriche ,  &  qui  ^ 
depuis  la  mort  du  Prince  de  Bavière,  avoit  reflërré  fon  intelligence  avec 
la  Cour  de  Vienne ,  figna  la  lettre  ^  que  la  Junte  de  Régence  écrivoit  à 
Louis  XIV.  Elle  fe  jo^nit  au  Confeil  Efpagnol ,  pour  notifier  à  la  Cour 
de  Verfailles  la  difpofition  du  feu  Roi ,  pour  annoncer  au  Duc  d'Anjou 
l'impatience,  611  étoic  la  Nation,  de.  voir  fon  nouveau  Souverain  :  Elle 
confirma  ,au  jeune  Légataire  la  réfolution ,  que  témoigooient  la  Cour  &  le 
Peuple ,  d'expofer  pour  lui  .fon  fkng  &  Ces  biens.  Voilk  une  contradiâion  ^ 
qui  fuffiroit  feule  pour  démontrer  que  Léopold  en  impofa  à  toute  l'Euro-" 
pe  ;  &  que  fon  Miijiâre  i^i Madrid ,  par  fon  %norance.  nffe&ée  ,  dupoit  le 
Confeil  d'Efpagoe,^ lors  même  que  ce  dernier  infëroit  de  fa  furprKë  qu'il 
en  fàifoit  fa  dupe.  Le  Duc  d'Anjou  n'étoit  point  pour  la  Reine  Douairière 
ce  que  lui  proifaettoic  :  d'être  le  Prince  de  Bavière.  Elle  n'avoit  point  à  mé-^ 
nager  le  Confeil  de  Régence  ;  &  fes'  menées  jufques  à  l'arrivée  du  jeune 
Roi,  qui  fut  obligé  de  lui  ordonner  la -^retraite  ,  avant  que  de  l'avoir 
vue ,  font  preuve  qu'elle  n'attendoit  rien  ^  ni  de  la  Cour  de  Verfailles  ,  ni 
de  lui.  Il  femble  démontré  à  qui  pefé  ces  faits  'éonftammént  vrais  ^  qu'elle 
a'auroit  point  fîgné  une  lettre*  fi  capable  de  déterminer  Louis' XIV  à  pré- 
férer le  Teflament  au  Traité  de  partage^  fi 'la  Cour  de  Vienne  ne  le  lui 
avoit  demandé ,  comme  un  bon  office. 

Qu'on  fkfie  attention  à  la  conduite  de  Léopold,  avant,  &  après  que 
Louis  XIV  fe  fut  décidé.  Elle  prouve  la  politique  que  nous  lui  attribuons , 
&  en  efl  le  chef-d'œuvre.  Il  s'infcrivit  d'abord  en  faux  contre  leTefla- 
mmt,  &  protefïa  de  fa  fuppofition;  comme  fi  c'eût  été  une  pièce  vido« 
rieufe»  dont  il  n'y  avoit  que  le  défaut  d'authenncicé  qui  pût  arrêter  les  ef^ 
fets.  Ce  n'étoit  point  une  objeâion  dont  il  put  faire  ufage  long-temps, 
puifque  rien  n'étoit  plus  &cile  que  de  le  convaincre  de  la  bonté  de  l'aâe. 
Auffi ,  dès  que  Louis  XIV  l'eut  accepté ,  il  ne  lui  oppofa  plus  que  la  re- 
nonciation du  Traité  des  Pyrénées.  Comme  un  voyageur  ,  que  l'inquiétude 
de  fa  marche,  dans  une  nuit  obfcure,  a  fetenu  de  prendre  haleine  jufqu'à 
l'afpeâ  de  fon  terme  :  on  lé  vit  tranfporté  de  joie,  à  la  leâure  de  la  dé- 
pêche, qui  lui  annonçoit  la  proclamation  de  Philippe  à  VerfaiHes^  fe  fëli- 
citer  d'être  enfin  parvenu  à  fon  but.  Tout  va  bien  maintenant ,  dit-il. ^  la 
France  a  mis  les  Puijfances  Maritimes  de  mon  côté.  Elle  ne  peut  plus  re^ 
venir  an  partage  ;  &  toute  P Europe  fe  joindra  à  moi ,  pour  Vemptcher  é^a^^ 
voir  la  Monarchie -L'événement  auroit  juflifié  les  èfpérances  de  Léo- 
pold, fi  l'Archiduc  Charles  n'étoit  devenu»  par  la  mort  de  fon  aîné,  l'u« 
nique  héritier  de  fa  maifon. 

Louis  XIV  ne  s^attendoit  point  à  voir  Charles  II  appeUer  un  fils  de 
France  \  lui  fuccéder  ;  &  il  n'avoir  pris  aucune  dés  mefures  néceflàires  pour 
foutenir  cette  difoolition.  Il  l'accepta  par  un  mouvement  de  tendreflfe 
paternelle  :  &  fes  Miniftres  lui  en  donnèrent  l'avis  ,  les  uns  parce 
qu'ils  s'y  feroicnt  oppofés  inutilement  ^    les  autres  parce   qu'ils  étoient 

Ooo  2 


4/6  C  H  A  RLE  S    II,    Roi  iPi:jpagne. 

gens  à  fe  régler  plutôt  fur  ^inclination  du  Roi ,   que   fiir  l'intérêt  du 
Royaume. 

Depuis,  la  paix  de  Rifwick,  à  laquelle  il  eft  dit,  dans  les  deux  premiè- 
res éditions  de  l'hiftoire  du  fiecle  de  Louis  XIV ,  que  le  Monarque  n'enten- 
dit,  qu'afin  de  fe  donner  le  temps  d'acquérir  de  nouveaux  Alliés  :  loin  de 
travailler^  à  ramener  fes  ennemis  &  fes  jaloux ,  Louis  XIV  donna  de  nou- 
veaux griefs  aux  Princes  les  .moins  bppofés  à  fon^  agrandifiement  ;  il  aliéna^ 
ceux  der Tes  voifins ,  dont,  l'afièâion  lui  devoit  être  la  plus  précieufe.  Dans 
un  ten)ps  oit  il  auroit  dû  éluder  les  diicuifîons  les  plus  néceflairesy  il  en 
€ntre{Mri^  une  y  qui,  n'incéreflant  quQ  foii  Defpotifme  ,  ^ ne  pouvoir  que  le 
rendre  odieux ,  foit  que  l'avantage  lui  en  denieuràt  v  cm  non.  Pendant  la 
guerre  ,  il  s'étoit  emparé  du  Montbelliard  ;  &  fes  troiipes  y  a  voient  avec 
elles  leurs  Chapelains  &  leurs  Aumôniers,  qui  firent  leurs  tonâions  :  fous 
prétexte  que  le  fervice  catholiqu^  s'étoit  fait  alors  dans  le  Montbelliard , 
il  y  envoya ,  le  i6  de  Janvier  1699 ,  un  détachemenf  de  Grenadiers  & 
de  Dragons,  avec  des  Prêtres ,  qui .  s'étant  emparés  de  vive  force  du  tem- 
ple Luthérien»  y  dirent  la  me(&.  En  verm  du  quatrième  article  de  la 
paix  de  Riftrick  ,  dont  il  fe  donnbit  pour  1  fidèle  exécuteur,  il  fomma  le 
Prince  de  rétablir  ^exercice  de.  1^  religion  romaine ,  en  le  menaçant  d'y 
procéder  fur  fon  refus.  Le  Prince  fut  obligé  d'afltgner  une  chapelle  aul  tac 
familles  catholiques  de  fon  pays,  qui  avoient  un  fi  puiflant * interceffeur  : 
Mais  la  chapelle  coûta  à  Louis  XIV- fa  plus  fure  reflburce  dans  la  prochaine 
guerre;  elle  lui  aliéna  les  Princes  &  Etats  proteftans,  qui  étoient  les  feuls 
alliés  utiles  ^  fur  lefquels  il  pût  compter  contre  la  Mailbn  d'Autriche.  Ce 
cathoUcifme  peu  mefùré  lui  ht  perdre  le  fruit  de  la  {a)  confédération  con- 
tre le  neuvième  Eleâorat. 

Le  Duc  de  Lorraine,  que  Louis  XIV  avoir  fouhaité  s^attacher,  en  loi 
faifant  époufer  fa  nièce ,  n'étoit  pas ,  il  eÛ  vrai ,  un  allié  bien  puillant  con- 
tre toute  l'Europe  conjurée.  Mais  ce  pouvoir  être  un  ennemi  de  plus,  qui 
n'étoit  pas  à  méprifer.  Comme  fi  l'honneur  d'être  neveu  du  Roi  de  France 
avoir  dû  rendre  le  Duc  Léopold  infenfible  à  la  mortification  d'être  fon 
Vaflàl  ;  la  Cour  de  Verfailles  reffufcita  les  anciens  droits  de  la  couronne 
fur  le  Duché  de  Bar.  Charles  IX,  &  Henri  III,  y  avoient  renoncé  en  fa- 
veur des  Ducs  :  Henri  IV ,  &  Louis  XIII  »  s'étoient  contentés  de  la  pro- 
teftatiôn  de  leur  Procureur-Général  ;  Louis  XIV  n'auroit  rien  perdu ,  en  s'en 
tenant  à  la  précaution  des  Rois  fon  père ,  &  fon  aïeul  ;  &  les  circonfbn* 
ces  vouloient,  que,  s'il  n'avoit  pas  eu  l'exemple  de  leur  tolérance >  il  fe 
fit  un  mérite  de  le  donner.  Non,  il  fit  citer  le  Duc  à  venir  en  peifonne 


{a)  Auffi-tdt  qu'on  parla  dans  rEmi>ire  de  la.  création  d'un  nouvel  Eleâorat  en  fi* 
▼eur  de  la  Maifon  de  Hanovre  ;  les  Princes  des  anciennes  Maifons ,  juiqu'auz  Ducs  de 
Brunfwick ,  fe  liguèrent  pour  la  traverfer. 


CHARLES    II,    Roi  iPEfpagnt.  477 

lui  rendre  un  hommage ,  contre  lequel  il  ne  pouvoir  y  avoir  de  prefcrip* 
tion  ;  &  dans  le  temps  qu^il  avoit  à  folliciter  fon  confentement  à  l'article 
du  Traité  de  partage ,  le  plus  avantageux  à  la  France,  il  refufa  de  lui  faire 
grâce  d'une  pure  cérémonie.  Le  Doc  fut  obligé  de  venir  à  Paris ,  &  d'al- 
ler à  Verfailles ,  promettre  avec  folemnité  la  dépendance ,  dont  la  fitua- 
tion  de  fes  Etats  étoit  une  bien  meilleure  caution  que  fon  ferment. 

Le  teftament  de  Charles  II  avoit  également  furpris  le  Roi  Guillaume  & 
les  Etats-Généraux.  Ni  l'Angleterre,  ni  la  République,  n'étoient  préparées 
à  la  guerre ,  dont  la  déclaration  devoit  fuivre  leur  proteftation  contre  les 
droits  du  Légataire  univerfel.  Les  Etats  &  le  Roi  s'accommodèrent  au  temps. 
Ceux-là  reconnurent  hautement  le  Duc  d'Anjou  dans  toutes  les  qualités 
qu'il  prenoit;  &  le  Roi  Guillaume,  qui  avoit,  pour  différer  de  fe  décla-* 
rer,  le  prétexte  de  Talfemblée  de  fon  Parlement,  jugea,  pourtant  devoir 
écrire  au  jeune  Prince,  comme  à  l'héritier  de  Charles  II.  Ces  démarches 
étoient  une  avance,  dont  Louis  XIV  pouvoit  tirer  de  grands  avantages,  ù 
fes  Miniftres  y  avoient  répondu.  Guillaume  fouhàitoit  la  paix  :  il  n'auroit 
point  tenu  contre  les  égards,  &  la  défèrçnce,  qu'on  lui  auroit  marqués. 
On  fe  le  feroit  rendu  favorable ,  ou  du  moins  on  l'auroit  retenu  de  pren- 
dre fi-tôt  ps^rti  pour  l'Empereur ,  en  feignant  de  lui  remettre  l'arbitrage  des 
furetés,  que  l'Europe  demandoit  contre  l'union  des  deux  Couronnes,  & 
celui  de  la  fatis&6tion ,  que  l'Empereur  prétendoit.  '   . 

Les  Etats-Généraux  n'étoient  point  uniquement  jaloux  de  la  grandeur  de 
la  Maifon  de  Bourbon.  Leur  paflion  dominante  étoit  l'amour  de  la  liberté  : 
leur  commerce  £iiibit  leur  plus  grande  inquiétude  ;  &  l'acceptation  pure  & 
fimple  du  teftament  les  alarmoit  avec  raifon  pour  l'un  &  l'autre.  Le  nou- 
veau Roi  d'Efpagne  feroit  devenu  l'allié ,  l'ami  de  la  République ,  fi  »  dai- 
gnant entrer  avec  elle  dans  une  explication  fur  les  Pays-Bas  Efpagnols, 
il  lui  avoit. donné  des  (iiretés  pour  la  barrière:  fi,  lui  faiiànt  valoir  l'im- 
portance des  Ifles  Philippines  pour  (on  commerce  des  grandes  Indes,  il 
l'avoit  leurrée  de  la  promefle  de  lui  céder  cet  inutile  fleuron  de  fa  couron- 
ne, lorfqu'il  feroit  affermi  fur  le  trône.  Les  Etats-Généraux  auroient  foi- 
gneufement  gardé  le  fecret  de  cet  article,  &  U  jalôufie  des  A nglois  auroit 
fourni ,  au  temps  de  fon  exécution ,  mille  moyens  de  fe  difpenier  de  l'ac- 
complir. 

Au  lieu  de  ces  ménagemens,  dont  la  circonfpe6tion  ne  compromettoit 
ni  les  droits ,  ni  la  gloire  des  deux  Rois ,  le  miniftere  François  reprit  fes 
anciens  procédés ,  dont  la  hauteur  étoit  capable  de  changer  des  alliés  mê- 
mes en  ennemis.  Sans  donner  aucune  explication  à  la  République, Louis  XIV 
lui  enleva  les  places  du  Pays-Bas  Autrichien ,  dont  la  garde  lui  avoit  été 


£tats  de  fe  tenir  défarmés}  &  il  ne  leur  offiroit  que  ia  parole ,  pour  les 


47»  C  H  A  R  L  E  S    II ,    Roi  ^Efpagne. 

raflTurer  fur  rapproche  des  troupes  Fraoçoifes ,  &  fur  leur  ehtrée  dans  les 
principales  villes  de  la  Flandres  &  du'  Brabant.  Lts  Etats  eulTent-ib  été 
auflî  certains  de  fuccomber  dans  cette  guerre ,  qu'ils  dévoient  Têcre  d'em- 
barralTer  Içur  puiflant  voiiin  :  ils  ne  pouvoient ,  fans  trahir  la  Républi* 
que  9  opter  pour  la  paix.  Tout  leur  ^foit  que  Louis  XIV  garderoit  les 
Pays-Bas,  dont  il  s'annonçoit  pour  le  dépofitaire.  Les  frais  immenfes,  aux- 
quels i'engageoit  l'afibrmiiïëment  de  Philippe ,  demandoient  une  récomr 
penfe  \  &  tout  fon  règne  avoit  afiez  fait  connoltre  fon  génie ,  pour  qu'on 
n'en  crût  pas  les  promefles  ,  que  ks  Miniftres  Ëiifoient»  de  fon  déunté* 
reflèment.  . 

Au(fî  peu  complaifant  pour  le  Roi  Guillaume ,  Louis  XIV  fèmbroit  avoir 
oublié  l'afcendant  que  ce  Prince  avoit  fur  lui  dans  le  cabinet,  il  entreprit 
de  corrompre  le  Parlement  d'Angleterre^  fans  prévoir  que  fa  brigue  ne 
pouvant  être  cachée  à  Guillaume ,  elle  réveilleroit  toute  fa  haine,  &  le  dé- 
rermineroit  à  faire  ufage  des  prérogatives  de  la  royauté ,  en  faveur  de 
l'Empereur.  Quelles  que  fufjfent  les  difpofitions  des  deux  chambres  y  il  étoit 
le  maître  de  déclarer  la  guerre  y  &  de  faire  des  alliances ,  félon  fon  bon 

J>laifir.  L'argent  de  France  pouvoit  former  de  petites  intrigues,  animer  de 
ongs  débats.  Mais  Guillaume  étoit  aflliré  de  dilfiper  les  unes ,  &  de  cal- 
mer les  autres ,  par  le  feul  nom  de  l'intérêt  de  la  nation ,  par  celui  de  l'é« 
quilibre  de  l'Europe. 

Louis  XIV  fe  priva  lui-même  du  fruit  qu'il  fe  promettoit  de  fes  fix  rail- 
lions, répandus  à  propos  dans  les  deux  chambres.  L'hiftoire  ne  donne  pas 
grande  créance  aux  anecdotes  révélées  par  des  minières  à  des  hiflorieiis  : 
&  d'ailleurs  le  reflbrt ,  qui  détermina  Louis  XlV  à  reconnoitre  pour  Roi 
d'Angleterre  le  fîls  de  Jacques  (econd^  tft  une  de  ces  petites  particulari*" 
tés,  qui  importent  peu.  Que  c'ait  été  par  complaifance  pour  les  Danes, 
ou  par  égard  pour  fa  gloire,  que  le  Monarque  fe  foit  réfolu  à  ce  coup 
d'éclat  :  c'efl  ce  que  dira  quelque  courtifan  inftruit  de  fa  vie  privée.  Il 
fufHt  ici  de  pouvoir  mettre  en  fait  cette  fauffe  démarche.  Le  Traité  de  la 
grande  Alliance  venoit  d'être  (igné  par  Guillaume,  dont  il  étoit  encore 
un  engagement  particulier.  Au  lieu  de  le  rendre  fufpeâ:,  odieux  même» 
aux  peuples  des  trois^  Royaumes,  qu'il  menaçoit  de^ nouveaux  impôts  :  on 
en  fit  l'affaire  de  toute  la  nation,  en  violant  de  propos  délibéré  l'article 
du  Traité  de  Rifvick ,  donc  l'obfervation  lui  étoit  le  plus  à  cœur.  Ce  fut 
en  vain  que  Louis  XIV»  qui  n'eut  pas  plutôt  falué  le  fantaftique  Jacques  III, 
|u'il  s'en  repentit,  fît  donner  à  la  Cour  de  Londres  une  interprétation  de 
a  proclamation ,  qui  la  mettoit  au  nombre  des^  cérémonies  fans  conféquen* 
ce  :  là  nation  Angloifô  s'obftina  à  y  voir  un  trait  de  l'ancien  defpotilme, 
qu'il  avoir  afFeâé  en  Europe  ;  &  elle  avoua  fon  Roi  des  mefures  qu'il 
concerteroit  avec  fes  j\lliés  contre  ^xh  Prince ,  qui  fembloit  prétendre  lui 
défigoer  fes  fouveràinSé 
Là  politique  Franfoife  ne  fot  pas  plus  heureufe  par  rapport  à  l'Empire. 


i 


CHARLES    II,    Roi  dEfpagnt.  47^ 

Les  Cercles  goûtoienç  aiTez  la  dîfiinâion  entre  l'Empereur  &  le  Chef  do 
la  Maifon  d'Autriche.  Il  n^auroit  pas  été  impoflible  de  les  amener  à ,  ne 
prendre  aucune  part  dans  une  querelle ,  qui  n'intéreflbic  que  le  dernier. 
Mais  ils  furent  indignés  qu'on  les  eftimât  alTez  peu,  pour  efpérer  de  les 
contenir  ^  par  des  menaces.  La  hautçur  ^  avec  laquelle  le  Miniftre  de 
France  iignifia  celles  de  foo  maître  à  la  Diétine  de  Nuremberg,  fit  ce. 
que  les  Miniftres  de  Leopold  auroient  peut-être  tenté  inutilement.  La  dé^ 
claration  d'envoyer  dans  les  Etats  de  l'Empire  »  qui  prendroient  parti  contre 
la  France,  une. armée  Françoife,  qui  mettroit  tout  à  feu  &  à  fang,  rap- 
pella  la  défolation  des  Provinces  du  haut  Rhin  en  16S8;  &  loin  que  le 
fouvenir  de  leur  faccagement  intimidât,  on  fut  excité  à  &ire  les  plus 
grands  efforts  pour  le  venger ,  &  le  prévenir. 

La  France  ne  pouvoit  compter  fur  l'alliance  qu'elle  reflerroit  avec  le 
Duc  de  Savoye ,  par  le  mariage  de  fon .  autre  fille  avec  le  nouveau  Roi 
d'Efpagne  :  à  moins  que  de  lui  fiiire  des  avantages,  qui  le  touchaflènf 
de  plus  près^  dans  fa  qualité  de  Souverain.  Il  avoit  fUr  le  Miiaoez  d'an-* 
ciennes  prétentions,  auxquelles  il  ne  renonçoit  qu'avec  chagrin  :  il  étoit 
certain  de  recevoir  des  Puiflances  Maritimes  les  mêmes  fubfides,  peut-^ 
être  même  de  plus  coafidérables ,  que  ceux  que  les  deux  Rois  lui  promet-* 
toient  :  en  Quittant  le  parti  de  fes  gendres ,  il  n'enlevoit  point  à  £ts  filles  la 
qualité  de  leurs  époufes.  C'étoic  donc  une  néceffîté  de  lui  donner  quelques 
morceaux  de  la  Lombardie ,  pour  prix  de  fon  alliance ,  ou  de  le  voir  fe 
ranger  un  jour  du  côté  de  l'Empereur  ^  qui  les  lui  of&iroit.  Sa  défèâion 
étoit  fon  véritable  intérêt ,  dès  que  les  deux  Rois  s'en  tenoient  à  des 
fubfides  pécuniaires.  Mais  la  dépendance,  oii  la  Cour  de  Verfailles  le  vou- 
loit  tenir ,  le  dut  décider  pour  celle  de  Vienne  :  il  lui  falloir  devenir  l'en- 
nemi de  iès  gendres^  pour  ne  pas  expofer  fes  fuccefleurs  à  devenir 
leurs  fiyets. 

Le  Grand  Duc  &  le  Pape  fe  réfervoient  de  s'accommoder  aux  événe-* 
mens  de  la  guerre.  Neutres  par  inclination,  autant  que  par  intérêt ,  ils 
n'étoient  redoutables  qu'au  pani  qui  auroit  du  deflbus.  Il  n'en  étoit  pas 
de  même  des  Vénitiens ,  aifez  puiflans  ,  pour  opter  de  la  guerre ,  ou  de 
la  paix.  Leur  neutralité  étoit  de  la  dernière  imporunce  pour  les  deux 
Couronnes ,  &  quand  elles  l'eurent  obtenue ,  il  n'y  avoit  rien  qu'elles  ne 
du(&nt  fiiire,  pour  fe  la  conferver.  Le  Miniftre  de  France  rut  encore 
fidèle  aux  principes  de  ce  règne.  Pour  le  fi-ivole  intérêt  du  point  d'hon«- 
neur  ^  il  fit  à  Louis  XIV  un  enq^mi  de  cette  fa^e  République ,  &  un 
ennemi  d'autant  plus  dangereux,  qu'il  eft  du  génie  de  ce  climat  de  fe 
venger  par  des  voies  fourdes ,  &  de  haïr  fous  le  mafque.  On  vit  le  Roi 
ériger  de  Venife  qu'elle  refpeâât  l'habit  de  foldat  François,  dont  deux 
bandits,  qu'elle  avoit  condamnés  au  dernier  fupplice ,  étoient  couverts; 
&  prétendre  qu'elle  fe  laiflàt  braver  impunément  fur  k%  terres  par  deux 
fcélérats ,  déjà  profcrits.  Le  Sénat ,  dont  les  droits  fur  ces  deux  hommes 


480  C  H  A  R  X  E  s    II,    Roi  cPEfpagne. 

^toienc  antérieurs  à  ceux  que  le  Capitaine  François,  qui  les  avoit  enrô- 
lés ,  y  avoit  acquis  au  Roi ,  n'avoit  pas  eftimé  qu'un  billet  d'engagement 
annulât  fa  fencence  ;  &  il  avoit  fait  pendre  les  deux  bandits,  devenus 
foldats  de  Sa  Majefté  Très-Chrétienne.  La  Cour  de  Verfailles  trouva  dans 
leur  fupplice  un  attentat  contre  la  gloire  du  Roi.  Les  excufes ,  que  la  Ré- 
publique en  daigna  &ire ,  furent  rejettées  avec  colère.  Jamais  François  I 
ne  parla  avec  plus  d'indignation  (a)  du  mafTacre  de  fes  Envoyés.  Louis 
XIV  demanda  qu'un  Ambaffadeur  extraordinaire  vint  lui  faire  fatisfaâion  \ 
&  le, Cardinal  d'Etrées  menaça  le  fénat,  qui  hélitoit  de  renouveller 
l'exemple,  que  fôn  maître  avoit  donné  dans  le  voyage  du  Doge  &  des 
Sénateurs  de  Gènes  à  Verfailles ,  de  la  réparation  qu'il  favoit  exiger  des 
Républiques ,  qui  lui  manquoient  de  refpeâ. 

La  prudente  République,  qui  avoit  à  fes  portes  une  armée  Françoife, 
diilîmula  fon  jufte  dépit.  Ayant  titré  Ambaffadeur  eictraordinaire ,  pour  un 
jour ,  fbn  Miniftre  en  France  ,  elle  lui  fit  fubir  rhumiliante  cérémonie  que  le 
Monarque  irrité  lui  impofoit.  Mais  elle  fe  réferva  de  faire  payer  cher 
au  nouveau  Roi  d'Efpagne  la  faftueufe  imprudence  des  Miniftres  de  fon 
allié.  Oe-là  cette  frauduleufe  neutralité,  qui  fît  la  plus  grande  reflburce 
des  armées  Impériales  en  Italie. 

La  guerre  étant  enfin  réfolue ,  Louis  XIV,  avec  de  bien  moindres 
reffources ,  qu'en  1688 ,  eut  un  plus  grand  nombre  d'ennemis ,  &  de  plus 
grands  défavantages.  Le  Roi  de  Portugal ,  que  le  Miniflere  François  ne 
raffuroit  que  par  des  paroles  vagues ,  dont  les  alliés  lui  difoient  de  fe  dé- 
fier, ne  balançoit  plus  que  fur  les  conditions  de  fon  aoceflion  à  la  grande 
alliance.  Le  Nord ,  occupé  de  fes  propres  af&ires ,  étoit  fans  zSkdàon 
pour  la  France.  Les  Eleâeurs  de  Bavière  &  de  Cologne  étoient  fes  uni- 
ques alliés  \  &  tous  deux  demandoient  inutilement  à  Tes  pnnemis  qu'ils 
leur  permiiTent  d'être  neutres.  Ainfi ,  au  lieu  d'ajourer  à  fes  forces ,  en  fe 
déclarant  en  fa  faveur,  ils  donnoient  à  k%  armées  de  nouveaux  Etats  ï 
défendre ,  &  à  l'Empereur  de  nouveaux  pays  à  abandonner  à  fes  troupes. 

Il  ell  encore  problématique  fi- Louis  XIV  dut  préférer  le  teilament  ao 
fécond  Traité  de  partage.  Cependant  la  Lorraine ,  que  le  Roi  Guillaume, 
par  goût  pour  la  paix,  confentoit  qu'il  unit  à  la  Couronne,  étoit  une 
acquifition  fi  avantageufe,  qu'on  croit  communément  que  le  partage 
étoit  le  choix  du  Roi  de  France ,  &  le  teflament  celui  du  père  du  Duc 
d'Anjou.  D-  B.  M. 


•  (tf)  Rincon,  &  Fregofc,  Envoyés  de  ce  Roi  à  la- Porte,  travcrfapt  l'Italie  degui&» 
furent  affai&a^s  par  IVrdre  fecret  de  IXmpcrçur^Ch^rles-Qum^^^ 


CHARLES  XIL 


CHARLES    XI T,    Bdi  de  Siïtdè.  4«x 


CHARLES    XII»    Bût  de  Suéde. 


E  Roi  Charly  XII ,  a  été  Fhomme  le  plus  extraordinaire  qui  ait 
peut-être  jamais  paru  fur  la  terre  :  il  a  réuni  en  lui   toutes  les  grandes 

2ualités  qui  peuvent  combler  de  gloire  un  Prince ,  &  il  n^a  eu  d'autre  dé- 
lut  &  d'autre  malheur  que  de  les  avoir  toutes  outrées.  Il  étoit  fils  de 
Charles  XI  »  Prince  guerrier  comme  tous  fes  ancêtres;  &  d'Ulric  Eléonore, 
fille  de  Frédéric  III ,  Roi  de  Danemarc.  Charles  XII ,  eut  dans  fa  jeu*- 
nèfle  pour  Couvefneur,  un  homme  fage  &  inftruit.  Le  goût  qu'il  témoi«- 

Snoit  pour  tous  les  exercices  violens ,  découvrit  fes  inclinations  martiales^ 
c  il  fe  forma  de  bonne  heure  une  coniHtution  vigoureufe.  QuoiquHl  f&t 
d'un  caraâere  doux,  il  n'en  étbit  pas  moins  d'une  opiniâtreté  extrêriie  : 
le  feul  moyen  de  le  plier  étoit  de  le  piquer  d'honneur.  C'eft  aînfi  qu'on 
vint  à  bout  de  lui  faire  apprendre  l'Allemand ,  6c  aflez  de  Latin  pour  le 
parler  dans  l'occalîon.  On  lui  fit  lire  l'ouvrage  de  PufTendorf ,  ann  qu'il 
lût  connoltre  de  bonne  heure  fes  Etats  &  ceux  de  fès  voifins.  Il  fe  plut 
beaucoup  à  la  traduâion  de  Quintecurce  :  les  conquêtes  d'Alexandre  excir 
toieat  une  noble  jaloufie  dans  ce  cœur  déjà  avf  de  de  gloire  ;  il  ne  le  plair 
gnoit  pas  d'être  mort  à  trente-trois  ansi  puifque,  ditoit-il^  il  avoir  con* 
quis  tant  de  Royaumes.  A  onze  ans  il  perdit  fa  mère ,  &  il  n'en  avoit 

Sue  quinze  lorfqu'il  perdit  le  Roi  fon  père.  Charles  XI,  en  mourant  avoit 
éclaré  Eléonore  de  HoUlein  fa  mère  ^  Régente  du  Royaume  &  Tutrice 
de  fon  petit-fils. 

Charles  XII ^  à  fon  avènement  ï  la  Couronne,  fe  trouva  maître  abfolu 
4e  la  Suéde ,  de  la  Finlande ,  de  la  Livonie ,  &  de  toutes  les  conquêtes 
de  fes  ancêtres.  Il  ne  fit  d'abord  paroitre  aucune  peine  de  voir  toute  l'atf- 
torité  entre  les  mains  de  fon  ayeule,  &  jpaflbit  le  temps  aux  exercices 
de  fon  âge.  Mais  l'année  de  la  mort  de  fon  père  n'étoit  pas  excore  ex* 

Î|irée,  qu'il  témoigna  le  défir  d'être  le  maître.  Un  jour  qu'il  venoit  de 
aire  la  revue  de  fes  troupes  ,.  ayant  paru  fort  rêveur  au  Comte  Piper  ^ 
Confeiller  d'Etaf ,  &  celui-ci  lui  en  demandant  la  caufe  :  Je  penfe^  dir-lt^ 
^ue  je  me  fens  digne  de  commander  à  ces  braves  gins^  &  je  vôudrois  bien  que 
ni  eux  ni  moi  ne  reçujftons  Vordre  dune  femme.  Piper  qui  vouloir  monter 
à  une  fortune  plus  élevée ,  flatta  les  défirs  du  Prince.  Les  Confeillers  de 
la  Régence  furent  gagnés  yle  pouvoir  de  la  Reine  tomba  promptement, 
&  les  Etats  défërerent  le  Gouvernement  au  jeune  Charles.  Ce  Prince  fiit 
couronné  peu  de  temps  après^  &  fit  fon. entrée  à  Stockholm  aux  accla* 
mations  de  tout  le  peuple. 

Dans  les  premiers  temps  de  fon  adminiflration  qui'  fut  un  temps  de 
paix  ^  on  ne  connut  pas  ce  que  Charles  devoit  être  un  jour  :  il  ne  parpif- 
Tome  XI.  Ppp 


4Sa  CK  A  R  t  ÎB,  S    X  II,    Roi  d*  Suedi. 

'v 

foit  dans  fa  condiûte  que  des  cmportemens  de  jeunefTe;  mais  Porage  qui 
fe  formoit  dans  le  Nord,  donna  bientôt  à  fes  talens  cachés  l'occauon  de 
fe  déployer.  Le  célèbre  Czar  de  Mofcovie^  Pierre  Âlexiowitz^  crut  devoir 
fe  prévaloir  de  Textréme  jeune(fe  de  Charles  r  il  voulut  faire  revivre  les 
droits  de  fes  ancêtres  fur  l'Ingrie ,  Province  au  Nord  de  la  Livonie  ^  &  it 
conclut  pour  cet  effet  une  ligue  avec  le  Roi  dé  Pologne:  Charles  inftruit 
des  préparatifs  du  Czar  pour  la  guerre,  déclara  ^  fon  Confeil  avec  Pair 
du  monde  le  plus  décidé ,  que  fon  parti  étoit  pris  ;  qu'il  iroit  attaquer  le 
premier  de  Cqs  ennemis  qui  fe  déclareroit,  &  qu'il  ne  poferoit  les  armes 
qu'après  l'avoir  vaincu  :  en  conféquence  il  donna  (es  ordres  pour  la 
guerre.  * 

Dès  ce  moment  il  prit  un  genre  de  vie  tout  différenT,  &  il  ne  s'en  dé- 
'partit  jamais.  »  Plein  de  l'idée  d^Alexandre  qu^l  fe  propofoit  d'imiter,  it 
»  ne  connut  plus  ni  jeux,  ni  délaflemens  :  il  réduifit  fa  table  à  la  (iruga- 
»  lité  la  plus  grande  :  il  a  voit  aimé  le  fafie  dans  les  habits,  il  ne  (itt^de- 
p  puis  vém  que  comme  un  fimple  foldat.  Quoiqu'on .  ne  pinflë  pas  affurec 
»  qu'il  n'e&t  eu  jusqu'alors  quelque  intrigue  de  galanterie ,  ce  qui  prouve 
9  du  moins  que  (es  amours  étoient  fans  éclat  &  ne  &ifoient  pomt  de  toit 
a»  aux  mœurs  publiques ,  il  eft  certain  qu'il  renonça  aux  femmes  pour  ja- 
»  mais ,  non-leulement  de  peur  d'en  être  gouverné ,  mais  pour  donner 
3»  l'exemple  à  fes  foldats  qu'il  vouloit  contenir  dans  la  difcipline  la  plus 
n  rigoureufe  ;  il  réiblut  même  de  s'abfienir  de  vin  le  refte  de  (k  vie,  car 
m  il  avoir  remarqué  que  le  vin  allumoit  trop  fon  tempérament  tou^de 
>  feUé  De  plus  la  (bbnété  étoit  une  vertu  dans  le  Nord ,  &  il  vouloit  être 
n  le  modèle  de  fes  Suédois  en  tout  genre.  ^  (a)  Il  portoit  ordinairement 
un  habit  de  gros  drap  bleu  avec  des  boutons  de  cuivre  doré ,  de  groflès 
bottes  qu'il  ne  quitta  pendant  fix  ans  que  pour  fe  coucher,  des  gants  de 
bufHe^  ayant  pour  cravane  un  tafletas  noir  autour  du  col,  &  portant  UflC 
longue  épée,  fur  le  pommeau  de  laquelle  il  s'appuyoit  fouvent. 


I 


Pnmicn  campagne  de  Charles  XII  contre  les  Danois^ 

Ann.  lyoc^. 


.^L  envoya  d'abord  un  fecours  de  huit  mille  hommes  en  Poméranie  au 
Duc  de  Holftein ,  fon  beau-ftere ,  contre  tes  attaques  des  ï>anois.  Âvaoc 
de  for  tir  de  Suéde,  il  établit  un  Confeil  pour  régler  les  af&ires  de  fei 
Etats  en  fon  abfence,  &  pour  ne  s'occuper  plus  que  de  la  guerre.  Sa 
flotte  étôit  compofëe  de  quarante  trois  vaiflleaux  :  celui  qu'il  montoit  étoit 
de  cent  vingt  jueces  de  caoon^  H  partit  donc  de  Stockholm  pour  ùl  pre- 


•  T 


(«)  Hia.  dk  Clurk*  XII. 


\ 


C  H  A  R  L  ]g  s    XII»    Roi  de  Suetk.  ^j 


«ftHere  Câtnjpigoe  »  le  S  Mai  1700,  &  il  n'y  revint  jamais^  Voyons  d'abord 

3uel  fut  ion  début  à  fa  première  campagne.  Charles  joint  dans  la  mer 
alcique  les  deux  efcadres  de  fes  alliés»  Tune  d'Angleterre^  l'autre  de 
Hollande.  Les  ennemis  évitent  le  combat,  il  fait  une  defcente  à  quelques 
milles  de  Copenhague  :  les  Danois  rafTemblent  leurs  troupes  en  cet  en» 
droit ,  &  s'y  retranchent.  Charles  avec  fes  Suédois  s'avance  au*milieu  d'une 

Î^rêle  de  moufquetades.  Les  Danois  étonnés  de  l'intrépidité  du  jeune  Roi^ 
ortent  de  leurs  lignes  &  prennent  la  fuite  :  les  habitans  de  Copenhague 
lui  envoient  des  députés  »  &  implorent  &  bonté.  Il  £iit  payer  à  la  ville 
quatre  cents  mille  rixdales* 

Pendant  qu'il  étoit  campé  près  de  Copenhague ,  ce  Prince  augmenta  la 
iHvérité  qui  régnoit  depuis  long-temps  dans  les  croupes  Suédoifes.  Un  foldal 
n'eût  pas  ofé  refufer  le  paiement  de  ce  qu'il  achetoit  »  encore  moins  aller 
en  maraude.   On  fkifoit  toujours  dans  fon  camp   la  prière  deux  fois  par 

{*our»  &  il  ne  manquoit  jamais  d'y  aflifler  :  il  vouloit  donner  à  fes  foldats 
'exemple  de  la  piété  comme  de  la  valeur.  Frédéric ,  Roi  de  Danemarc^ 
voyant  la  mer  Baltique  couverte  de  vaiflèaux  ennemis  ^  &  un  jeune  Con«* 
quérant  prêt  à  s'emparer  de  fa  capitale ,  fit  fa  paix  avec  Chades  :  ainfi 
^ette  guerre  fut  finie  en  moins  de  fix  femaines. 


D 


Bataille  de  Narva. 


t 


Ans  le  même  temps  le  Czar  ravageoit  PIngrie  avec  cent  mille 
hommes.  II  parut  devant  N^rva  le  premier  Oâobre  à  la  tète  dé  cette 
grande  armée  ,  &  il  en  entreprit  le  fiege  dans  les  formes  :  là'  il  apprit 
ue  le  Roi  de  Suéde  Venoit  au  fecours  de  cette  ville.  Loin  de  méprifev 
m  ennemi 9  il  employa  tout*  ce  qu'il  avoît  d'art  pour  l'accabler  :  non  con** 
tent  de  cent  mille  hommes  ^  il  voulut  lui  oppofer  une  autre  armée  ;  il  alla 
lui-même  hâter  la  marche,  afin  de  pouvoir  enfermer  le  Roi.  Charles  avoir 
débarqué  dans  le  golfe  de  Riga  avec  feize  mille  hommes,  &  environ  qua- 
tre mille  chevaux  :  il  avoit  précipité  fa  marche ,  fuivi  de  toute  fa  cavalerie 
&  de  quatre  mille  (àntanîns.  Il  marchoit  toujours  en  avant  fans  attendre' 
le  rëfte  de  fes  troupes.  Il  fe  trouve  bientôt  avec  fes  huit  mille  hommes  dd^ 
vaut  les  premiers  poftes  des  ennemis  :  il  ne  balance  pas  à  les  attaquer. 
ije%  Mofcovites  croyant  avoir  tous  les  Suédois  à  combattre ,  prennent  la 
fiiite;  vingt  mille  qui'étoient  derrière  eux  en  font  autant.  Après  ai^oir  em- 
porté ces  deux  poftes  en  trois  jours  «  il  continue  fa  marche,  &  arrive  enfin 
devant  un  camp  de  cent  mille  Mofbovites,  bordé  de  cent  cinquante  pièces 
de  canon.  A  peine  a- 1- il  donné  quelque  repos  à  fes  troujpes,  qu'il  ordonné 
Pattaque.  Les  Suédois,  après  avoir  &it  brèche  aux  retranchemèns  avec  leur 
canon,  s'avancent  la  bayonnétte  au  bout  du  fufil.  Les  Mofcovites  fe  font 
tuer  pendant  une  demi-heure.  Charles  reçoit  une  balle  dans  le  bras  gau- 
che»  mais  eQe  n'endommage  que  les  chairs  :  fon  cheval  eft  tué  fous  lut 

Pppa 


V 


^84  CHARLES    X  11  ^    Rôi  Je  S  utJe. 

Jmfque  auffi^tôt  ;  un  fécond  a  la  tète  emportée  d'un  coup  de  canon  :  il 
aute  fur  un  troifieme  ^  &  donne  fes  ordres  avec  la  même  préfence  d'ef- 
prie.  Après  trois  heures  de  combat,  les  Mofcovites  font  forcés  dans  leurs 
retrancbemens  :  le  Roi  les  pourfuit  jufqu'à  la  rivière  de  Narva  avec  fba 
aile  gauche.  Le  pont  rompt  fous  tes  fuyards  :  la  rivière  eft  couverte  de 
morts.  Les  autres  défefpérés  retournent  à  leur  camp  :  les  Généraux  Mof- 
covites viennent  fe  rendre  au  Roi;  ce  Prince  les  reçoit  avec  humanité. 
Cependant  la  droite  des  ennemis  fe  battoit  encore  :  &  quoique  diz-hnit 
'  mille  eulfent  été  tués  dans  leurs  retrancbemens  ^  il  en  refioit  encore  affez 
pour  exterminer  jufqu'au  dernier  Suédois.  9  Mais  ce  n^eft  pas  le  nombre 
»  des  morts ,  c'eft  l'épouvante  de  ceux  qui  furvivent  qui  ùlt  perdre  les 
»  batailles.  Charles  profita  du  peu  de  jour  qui  reiloit  pour  faifir  l'artille- 
»  rie  ennemie.  Il  fe  pofta  avantageufement  entre  leur  camp  &  la  ville: 
^  là  R  dormit  quelques  heures  fur  la  terre  enveloppé  dans  fon  manteau^ 
9  en  attendant  qu'il  pût  fondre  au  point  du  jour  fur  TaHe  gauche  des  en* 
p  nemts  qui  a'étoit  pas  encore  tout-à*fàit  rompue.  "  Mais  Te  Général  qui 
commandoit  cette  gauche ,  ayant  fu  l'accueil  gracieux  que  le  Roi  avok 
£iit  aux  autres  Généraux ,  l'envoya  fupplier  de  lui  accorder  la  même  grâce. 
Le  vainqueur  lui  fît  dire  qu'il  n'avoit  qu'à  s'approcher  à  la  tête  de  fet 
troupes  I  &  venir  mettre  bas  les  armes.  Ce  Général  parut  bientôt  après 
avec  fes  Mofcovites  qui  étoient  au  nombre .  d'environ  trente"  mille  :  ils 
marchèrent  tête  nue  à  travers  moins  de  fept  mille  Suédois ,  jettant  à  terre 
leurs  fufils  &  leurs  épées  en  paffant  devant  le  Roi.  Ce  Prince  donna  fa  li- 
berté à  toute  cette  multitude  qui  l'eût  embarraifé^  &  leur  ordonna  de 
repaffer  la  rivière.  Alors  il  entra  viâorieux  dans  Narva  i  enfuite  il  fit  rea^ 
dre  aux  Généraux  Mafcovites  leurs  épées;  &  fâchant  qu'ils  manquoieot 
d'argent,  il  envoya  cinq  cens  ducats  à  chacun  d'eux,  les  laiflànt  dans  l'ad- 
miration d'un  tel  traitement  dont  ils  n'avoient  pas  même  d'idée« 

Suiu  des  canguétes  de  Charles  XIl^ 

V^E PENDANT  le  Czar  approchoit  avec  fes  quarante  mille  RufTes,- 
comptant  envelopper  fon  ennemi  :  mais  ayant  appris  en  chemin  la  bataille 
de  Narva  &  la  difperfion  de  tout  fon  camp,  il  n'ofa  pas  attaquer  avec 
des  foldats  fans  expérience  &  fans  difcipline,  un  vainqueur  qui  avec  huit 
mille  hommes  venoit  d'en  détruire  cent  mille;  il  retourna  fur  fes  ptf^ 
D'un  autre  côté,  le  Roi  de  Pologne  craignant  que  le  vainqueur  des  Mof- 
covites ne  vint  fondre  fur  lui,  fe  ligua  avec  le  Czar,  ce  s'engagea  de 
lui  fournir  cinquante  mille  hommes.  Charles  voulut  prévenir  l'efièt  de  cette 
Ugue.  Dés  le  printemps  fuivant  il  paroit  en  Livonie,  il  paflë  la  Duna» 
il  eft  anaqué  par  les  troupes  Saxonne^  qui  étoient  à.  l'autre  oord  du  fleuve: 


CHARLES    XII,    Roi  de  Suéde.  48c 

fés  troupes  font  mifes  en  dëfordre ,  il  les  rallie ,  il  attaque  les  Saxons 
quoique  poftés  dans  un  lieu  avantageux.  Le  combat  eft  rude  &  ianglant  : 
mais  enfin  Charles  remporte  la  viaoire.  Il  court  à  Mittau,  capitale  de  U 
Courlande ,  la  prend  :  toutes  les  villes  de  ce  Duché  fe  rendent  ii  lui  à 
diicrétion.  U  s^ivance  en  Lithuanie,  &  foumet  tout  fur  fon  paflage.  It 
conçoit  le  deflein  de  détrôner  le  Roi  de  Pologne.  Ce  Prince  avoir  un 
grand  parti  contre  lui  :  ne  pouvant  obtenir  la  paix  du  Roi  de  Suéde ,  il 
quitta  Varfovie,  &  alla  de  Palatinat  en  Patatinat  raffembler  la  noblefle 
qui  lui  étoit  attachée.  Il  fit  venir  de  fon  Eledorat  de  Saxe  environ  dix-huit 
mille  Saxons,  &.  aflëmbla  Tes  forces  à  Cracovie. 

Cependant  Charles  arriva  devant  Vajfovie  le  ^  Mai.  A  la  première 
fommacion  les  portes  lui  furent  ouvertes  :  il  déclara  en  même-temps  qu^il 
ne  donneroit  point  la  paix  aux  Polonois  qu'ils  n'euflent  élu  un  aun-e  RoL 
Augufte  comprit  qu'il  faltoit  perdre  ou  conferver  fon  trône  par  une  ba« 

aille  hommes^ 

^ qui  s'avançoic 

Ters  Cracovie.  Les  deux  armées  fe  trouvèrent  en  préfence  dans  une  plame 
entre  Varfbvie  &  Cracovie.  Le  combat  fut  d'abord  très- vif,  &  le  Roi  de 
Pologne  fit  tout  ce  qu'on  devoit  attendre  d'un  Prince  qui  combattoit  pour 
£1  Couronne  :  it  ramena  lui-même  trois  fois  (es  troupes  à  la  charge  ; 
mais  l'afcendant  des  Suédois  l'emporta.  Charles  eagna  une  viâolre  com- 
plene.  Augufle  fe  recira  en  Saxe  avec  les  débris  de  fon  armée. 

^Augufie  y   Bûi   de  Pologne^   ejl  détrôné  ;    Sanijtas    Lecjjnski    ejl  mis  à 

fa  place. 


t 


'Anru  1704. 


O  U  T  réuffîiToit  à  Charles  XII ,  &  fes  négociations  &  (es  armet 
étoient  égaleraient  heureufes.  Renchild,  (on  Grand- Maréchal ,  étoît  au  cœur 
de  la  Pologne  avec  un  grand  corps  d'armée.  Prés  de  trente  mille  Suédois 
feus  diverles  Généraux ,  répandus  au  Noi'd  &  à  l'Orient  fur  les  fi-ontieret 
de  la  Mofcovie,  arrétoient  les  ef&rts  des  Rufles  :  (es  vaiffeaux  étotent 
maîtres  de  la  mer  Baltique.  Tous  les  efprits  étoient  dans  l'attente  d'uner 
révolution  entière.  Dans  ce  filence  général  du  Nord  devant  les  armes  de 
Charles,  la  ville  de  Dantzic  ofa  retufer  le  paflage  à  un  renfort  qui  lui 
venoit  de  Suéde.  Steinbok ,  Général  Suédois ,  punit  cette  ville  de  fon  im* 
prudence  par  une  contnburion  de  cent  mille  écus  qu'il  <e  fit  payer.  Char- 
les ayant  reçu  ce  renfc  t ,  fit  le  fiege  de  Thorn ,  ville  de  la  Pruflè  Royale 
&  fous  la  proteâton  des  Polonois.  Le  Gouverneur,  après  s'être  défendu 
pendant  un  mois ,  fut  forcé  de  fe  rendre  à  difcrérion  ,  &  la  ville ,  quoi- 
que pauvre ,  fut  obligée  de  payer   quarante  mille  écus  de  C0Aarà)ution. 


^85  CHARLES    XII,  Hoi  de  Suedi. 

Fendant  que  divers  intérérs  agicoieat  k  Pologne  ^  le  parti  du  Roi  de  Suéde 
l^emporta.  ^e  réfulcât  de  i'aflemblée  de  Varibvie  fut  la  dépolicion  ê^AvH 
gufle  :  il  fut  déclaré  inhabile. à  porter  la  Couronne^  on  déclara  que  le 
trône  ëtoit  vacant*  Le  Cardinal  primat  vint  trouver  Charles  XII  pour  Tin-* 
former  de  ce  qui  s'étoit  paiTé  ^  &  lui  demanda  quel  homme  il  croyoic 
digne  de  régner.  Ce  Prince  fe  déclara  pour  Stanillas  Leczinski  ^  Palatin 
de  Pofnanie.  Ce  jeune  Seigneur  étoit  déjà  connu  du  Roi  de  Suéde  :  fa 
phifionomie  heureufe  ^  pleine  de  hardieue  &  de  douceur  avec  un  air  de 
probité  &  de  franchife ,  fa  bravoure  y  fa  manière  de  vivre  qui  avoir  quel*^ 
que  rapport  avec  celle  de  Charles  XII  ^  toutes  ces  chofes  déterminèrent 
ce  Prince  à  '  mettre  Staniflas  fur  le  trône  de  Pologne»  Le  Cardinal  voulut 
alléguer  que  ce  Palatin  étoit  trop  jeune  :  il  eft  a^peu*près  de  mon  âge  ^ 
répliqua  le  Roi  ^  &  il  tourna  en  même  temps  le  dos  au  Prélat.  Ce  Prince 
fe  rendit  à  Varfovie  v  &  le  jour  de  Péleâion  étant  arrivé ,  Stanillas  fiit  élu. 

Dès  le  lendemain,  Charles  partit  pour  faire  le  fiege  de  Léopold,  capi« 
taie  du  grand  Palatinat  de  Ruffié,  &  la  prit  d'allaut  :  tout  ce  qui  ofaré(ifter 
fut  paffê  au  fil  de  Pépée.  Mais  dans  le  même  temps  le  Roi  Augufle  pro- 
fitant de  l'éloignement  de  Charles ,  vint  fondre  dans  Varfovie  avec  vingt 
mille  hommes  pour  enlever  fon  rival.  Stanillas  fe  vit  obligé  de  quitter 
fa  capitale  fix  femaines  après  y  avoir  été  élu  Souverain,  &  de  fe  rendre 
en  diligence  auprès  du  Roi  de  Suéde.  Âugufte  entra  dans  Varfovie  en 
Souverain  irrité  &  viâorieux  :  chaque  habitant  fut  taxé  au-delà  de  fes 
fbrces;  mai$  c'étoit  le  dernier  effort  qu'il  venoit  de  tenter.  En  efiet,  le 
Roi  de  Suéde ,  accompagné  de  Staniflas ,  alla  chercher  fon  ennemi  à  la 
tête  de  fes  troupes.  L'armée  Saxonne  n'ofa  l'attendre  :  tout  fiiyoit  devant 
lui.  Augufte  fe  vit  obligé  d'abandonner  encore  une  fois  la  Pologne  à  fes 
ennemis ,  &  fe  retira  en  Saxe.  Staniflas  rentra  dans  Varfovie  ^  &  y  fût 
couronné  avec  pompe. 

Mais  pendant  que  Charles  XII  donnoit  un  Roi  à  la  Pologne ,  le  Czat 
pierre  devenoit  de  jour  en  jour  plus  redoutable.  Profitant  de  l'abfence  du 
Roi  de  Suéde  ^  il  prit  Narva  d'affaut  :  cent  mille  Mofcovites  divifés  enplu« 
iieurs  petits  corps ,  raVageoient  les  terres  des  partifans  du  Roi  Stanulaii 
La  fortune  des  Suédois  diffipa  bientôt  ces  troupes.  Charles  XII  &  Sia«> 
niflas  attaquèrent  ces  :  corps  féparés ,  &  les  battirent  l'un  après  l'autre  : 
9ul  obfiacle  n'arrètoit  le  vainqueur.  S'il  fe  trouvoit  une  rivière  entre  les 
ennemis,  Charles  &  fes  Suédois  la  paflbient  ï  la  nage  :  les  Mofcovites 
épouvantés  fuyoient  en  défordre. 

Charles  XII  dans  la  Sa:». 

JLtfE  premier  Septembre  1706  ce  Prince  entra  en  Saxe  :  il  choi£t  fon 
camp  à  AlranfUd  près  la  Campagne  du  Lutzen ,  champ  de  bataille  ht» 
meux  par  la  viâoire  &  par  la  mort  de  Guflave^Adolphe.  U  aUa  voir  la 


CHARLES    XII,  Roi  de  Stade.  487 

Îlace  oit  ce  grand  homme  avoic  été  tué.  Quand  on  Peut  conduit  fur  le 
ieu  :  Vai  tâche ,  dit-il ,  de  vivre  comme  ^lui ,  Dieu  trC accorder^  peut-être 
un  jour  une  mort  aujji  g^rieufe.  De  retour  à  fon  camp  »  il  s'informa  de 
ce  que  la  Saxe  pouvoir  fournû:^  :  il  la  taxa  à  fix  cents  vingt-cinq  mille 
rixd^es  par  mois ,  &  régla  la  coùtribution  que  les  Saxons  étoienr  obligés 
de  fournir  à  chaque  fbldât  Suédois  \  en  même  tenips  il  établit  une  po*» 
lice  pour  garantir  les  Saxons  des  infultes  de  fes  foldats.  Rien  n'eft  plus 
admirable  que  la  difcipline  févere  que  ce  Prince  faifoit  obferver.  La  foire 
de  Leipiick  fe  tint  comme  à  l'ordinaire;  les  marchands  y  vinrent  avec 
une  fureté  entière  :  on  ne  vit  pas  un  foldat  Suédois  dans  la  feire.  * 

Cependant  le  Roi  Augufte  errant  dans  la  Pologne ,  fe  vit  réduit  à  de- 
mander la  paix  :  pour  l'obtenir  y  il  fut  obligé  de  renoncer  pour  jamais  à 
la  Couronne  de  Pologne ,  &  de  reconnoltre  Staniflas  pour  légitime  Roi. 
Charles  XII  recevoit  alors  dans  fon  camp  d'Alranftad  les  Ambafladeurs  de 
prefque  tous  les  Princes  de  la  Chrétienté.  Les  uns  venoient  le  fupplier  de 
cuitter  les  terres  de  l'£mpire  \  les  autres  eud^nt  bien  voulu  qu'il  eût  tourné 
les  armes  contre  l'Empereur  Jofeph.  Charles  fe  déclara  le  rroteâeur  des 
lu  jets  Proteftans  de  l'Empereur  en  Siléfie,  &  il  voulut  que  Jofeph  leur  ac- 
cordât des  privilèges.  L'Empereur  qui  ne  cherchoit  qu^  éloigner  un  voi«- 
fin  fi  dangereux ,  accorda  tout  ce  qu'on  voulut  ^  &  figna  le  traité.  :  alors  le 


comme  elle.  Il  fit  avertir  le  Pape  qu^il  lui  redîêmanderoit  un  jour  les  effets 

Zue  la  Reine  Chrifline  avoit  laides  à  Rome.  On  ne  fait  jufqu'oii  ce  jeune 
Conquérant  eût  pouffé  fes  reflentimens  &  fes  armes  ^  fi  la  fortune  eût  fé- 
conde fes  deffeins.  Rien  ne  lui  paroiflbit  impoffîble  :  il  étoit  auflî  jeune 
qu'Alexandre,  aufli  guerrier,  auffî  entreprenant,  plus  infatigable,  plus  ttim 
bufte  ;  &  les  Suédois  valoient  peut-être  mieux  que  les  Maâdoniens.  Mat^ 
le  véritable  deflein  du  Roi  de  Suéde  &  fà  feule  ambition  étoient  de  dé- 
trôner le  Czar.  En  effet ,  Charles  après  avoir  donné  la  loi  dans  l'Empire  . 
détrôné  un  Roi,  couronné  un  autre,  fe  prépara  à  partir  pour  laMofcovle; 
nuis  fans  rien  dire  de  fon  deffein.  Quoiqu'il  eût  paffé  un  an  dans  la  Saxe  \ 
les  douceurs  du  repos  n'avoient  point  adouci  fa  manière  de  vivre.  Il  f^  Ie«» 
Voit  tous  les  jours  à  quatre  heures  du  marin ,  s'habi^loit  feul ,  montoit  à 
cheval  trois  fois  par  jour ,  ne  refioit  qu'un  quart  d'heure  à  table ,  exer^oit 
fes  troupes^ 


4SS  C  H  A  R  t  B  S    Xtl,    Xoi  Je  Suede^ 

//  quitte  ta  Saxe. 

Ann,  i^Of. 

^^HarlBS  partît  de  la  Saxe  en  Septembre ,  fuivi  d'une  armée  de  qnâ* 
rante-trois  mille  hommes ,  enrichie  des  dépouilles  de  la  Pologne  &  de  la 
Saxe^  &  toute  brillante  d'or  &  d'argent.  Outre  cette  armée,  le  Comte  Le- 
venhaup,  l'un  de  fes  meilleurs  Généraux,  l'attendoit  en  Pologne  avec  vingt 
mille  hommes  ;  &  il  avoir  encore  une  autre  armée  de  quinze  mille  homn 
mes  en  Finlande.  Les  Suédois  ne  favoient  pas  encore  oii  le  Roi  vouloitles 
mener;  on  fe  doutoit  feulement  qu'il  pourroit  aller  à  Mofcou.  Charles  ma^ 
cha  vers  Grodoo  en  Lithuanie  par  un  temps  déjà  très-froid.  A  fon  appro^ 
iChe  tous  les  corps  des  Mofcovites  répandus  dans  cette  Province ,  fe  retirè- 
rent en  hâte  vers  les  frontières  de  Mofcovie  t  les  Suédois  fe  mirent  à  leur 
pourfuite ,  &  firent  des  marches  forcées  prefque  tous  les  jours.  Après  avoir 
craverfé  des  forêts  &  des  montagnes  dans  le  Palatinat  de  Minski ,  ce  Prince 
s'avança  vers  le  Boriflhene»  Ayant  rencontré  fur  fa  route  un  corps  de  vingt 
mille  Mofcovites  retranchés  derrière  un  marais  ,   il  ne  balança  pas  de  les 
attaquer  ;  il  les  enfonça  &  les  mit  en  dérolite  :  il  fit  voir  dans  ce  combat 
la  plus  grande  habileté  î    mais  il  y  courut  auHî  les  plus  grands  dangen. 
Après  avoir  obligé  les  Mofoovites  de  paflèr  le  Borifthene,  il  repaffa  ce  grand 
fleuve  après  çux.  Le  Czar  voyant  fon  Empire  menacé ,  fit  faire  des  propo* 
filions  de  paix  :  mais  Charles  répondit  ;  Je  traiterai  avec  U  C^ar  à  Mofcou. 
Cette  fiere  réponfe  piqua  vivement  le  Czar.  Charles  y  jdit-il ,  prétend  foin 
toujours  V Alexandre  ;   mais  je  me  flatte  qiûil  ne  trouvera  pas  en  moi 
un    Darius, 

Cependant  le  Roi  de  Suéde  continuoit  de  fuivre  le  Czar  qui  fe  retiroîc 
«n  hâte  vers  Mofcou.  Etant  entré  dans  le  pays  de  Smolensko ,  il  rencontra 
auprès  de  la  ville  de  ce  nom ,  un  corps  de  dix  mille  hommes  de  cavale- 
rie &  de  fix  mille  Kalmoucs.  Charles  fondit  fur  cette  armée  :  il  enfonça 
d'abord  les  Mofcovites  ;  mais  s'étant  avancé  par  des  chemins  creux  où  les 
Kalmoucs  étoient  cachés  ^  ceux-ci  fe  jetterent  entre  le  régiment  oii  le  Roi 
combattoit  ^  &  le  refle  de  fon  armée.  Charles  y  courut  le  plus  grand  péril  : 
la  plupart  de  ceux  qui  étoient  auprès  de  lui  furent  tués  ou  bleffés.  U  fût 
obligé  de  combattre  à  pied ,  &  de  faire  ufage  de  toute  fa  valeur  ;  fe  dé- 
fendant comme  un  lion ,  il  renverfoit  ce  qui  fe  préfentoit  devant  lui,  il 
tua  plus  de  douze  ennemis  de  fa  main.  Il  commençoit  à  être  épuifé  de  fih 
tîgue  y  lorfqu'un  Colonel  Suédois  avec  fon  régiment  fe  fit  jour  à  travers  des 
Kalmoucs,  &  dégagea  le  Roi  ;  le  refle  des  Suédois  fit  main  baffe  fur  les 
Tartares ,  &  les  mit  en  fuite.  Mais  tous  ces  combats  affoibliffoient  fon  ar« 
mée  à  force  de  vaincre.  Cependant  l'hiver  approchoit.  Le  Général  Leven- 
haup  qui  devoir  lui  amener  des  provifions  &  quinze  mille  hommes  de  ren- 
fort» 


CHARLES    XLÏfl  Hoi  Je  SuHc.  489 

forf/nevenoit  ^àXni*^  il  ne  téftoît  9e  vivrez  que  pdiif  quinte  jours.  Dans 
ces  embarras ,  Charles  crut  devoir  quitter  le  chemin  de  Mofcou  ,  &  tourna 
▼ers  l'Ukraine  dans  le  pays  des  Cofaques^ 

Malheur  de  Charles  Xlï. 

•.■-  '■   :  r     :    Ann.iyo^   ',■■■'  >     >   ;■J• 

N  a  vu  jufqu'ici  le  Roi  de  Suéde  accompagné  d'un  bonheur  confiant 
&  fuivi  de  la  viaoire  :  mais  c'eft  ici  le  terme  de  (es  profpérités.  On  va  le 
voir  livré  à  toute  fa  mauvaife  fortune  :  ainfî  c'eft  le  tableau  de  fes  mal-- 
heurs  que  nous  allons  expofer.  Charles  s'enfonce  4ans  PUkraine;  A  mefure 
qu'il  avance ,  les  obftacles  croiflènç  : .  il  s'engage*  dans  une'^  vafle  forêt  pleine 
de  marécages.  Après  quatre  jours  de  marche  on  reconnbic  Terreur,  on  fe 
remet  dans  le  chemin  ;  mais  une  Sonne  partie  de  l'artillerie  &  de^  cha- 
riots reftent  embourbés  dans  les  marais*  Cnarles  attendoit  Mazeppa  y  Chef 
des  Ukraniensy  avec  lequel  il  s'étoit  ligué  fecrétement,  &  qui  devoit  lui 
-amener  trente  mille  homhies  &  des  provîfions  de  bouché.  Mais  Mazeppa 
'avoit  été  battu  par  lès  Mofcovites  :  Levenhaup  qui  étoit  en  marche  pour 
joindre  le  Roi  de  Suéde,  avoir  été  obligé  de  foutenir  cinq  combats  contre 
-cinquante  mille  hommes  ,  &  n'amena  ni  munittons  ni  armées.  Dans  cette 
extrémité,  arriva  l'hiver  de  1709  le  plus  terrible  qu'on  eût  vu.  Charles  ac- 
coutumé à  braver  les  faifons ,  voulut  contipuer  fa  marche  :  deux  mille 
hommes  périrent  de. froid  à  fes  yeux.  Ses  fsintaffîns  étoient  fansfouUers& 
prefque  fans  habits.  Son  armée  étoit  réduite  à  vingt-quatre  mille  hommes 


dans  l'Ukraine  ^  &  on  recommença  à  fe  battre  au  milieu  des  glaces» 

Bataille  de  Pultava. 

Arm,   t^og. 

Ur  la  fin  de  Mai  Charles  alla  faire  lé  (iege  dePultava,  dont  le  Czar 
avoit  fait  un  Magafin.  Ses  foldats  regardoient  la  prife  de  cette  ville  comme 
la  fin  de  leurs  miferes.  Il  poufla  le  Hege  avec  vigueur  ;  mais  s'étant  avancé 

{»our  reconnoitre  quelqu'ouvrage ,  il  fut  blefTé  d'un  coup  de  carabine  qui 
ui  fracafTa  l'os  du  talon.  On  l'emporta  dans  fa  tente  :  on  fut  obligé  de  lui 
£ûre  des  incitions  à  la  jambe,  qu'il  fupporta  avec  une  fermeté  fans  exem- 
ple. Dans  le  temps  qu'il  étoit  réduit  à  ce  trifte  étatj_&  inçApi^ble  d'agir, 
il  apprit  que  le  Czar  approchoit  avec  une  armée  de  plus  de  foixante  mille 
hommes.  Charles  fe  voyoit  dans  un  pays  défert ,  fans  placer  de  fureté ,  fant 
Jome  XI.  Qqq 


490  C  H  A  R  X  S  6    XU,    Roi  dk  Skuic. 

munitioQs  :  mais  foa  :  courage  ôe  Fabandonoa  fu.  Il  ofdppae  aa  Wék 
Maréchal  Renchil4  de  tout  difpofer  pour  attaquer  le  Omx  le  lendemaÎB. 
A  la  pointe  du  jour  Tannée  Suédoife  marche  aux  ennemis  :  elle  b^avqh 
Gue  quatre  canons  de  fer  pour  toute  anillerie.  Le  Roi  de  Suéde  conduis 
ioit  la  marche  ,  porté  .fuf  un  bi^aUcard  à  là  léte  de  fon  infanterie ,  te« 
nant  (on  épée  d'une  main^  &  un  piftolet  de  Vautre.  Une  partie  de  (a 
cavalerie  attaque  celle  des  ennemis.  L'aâion  s'engage  :  les  troupes  Sué- 
doifes  rompent  les  efcadrons  Mofcovites  ^  &  les  etifbncent  :  la  viâoîre 
femble  fe  dédârer  |>oar  eux.  Mais  le  Czar  rallie  (a  cavalierie  y  fond  (ar 
celle  du  Roi  ^  qui  n'étant  pas  fbutenae ,  eft  rompue  à  fon  tour.  En  mê« 
me  temps  fbixante  &  douze  canons  tiroient  fur  l'armée  SuédoKè  :  une 
volée  emporta  les  deux  jchevaux  du  brancard;  Charles  eft  rcnverfié.  On 
le  croit  mort.  Les  Suédois  conftemés  ,  s'ébranlent.  Le  canon  conthiuoît 
de  les  écrafer  :  ils  plient;  ce  n'eft  plus  qu'une  déroute.  Le  Général^ Fo- 
nia^oski  fonge  à  iauver  le  Roi  :  il  le  &it  mettre  fur  im  cheval  ^  mateié 
les  douleurs  de  fa  bleflîire  :  il  rallie  cinq  cents  cavaliers ,  &  conduit  ton 
Prince  au  milieu  des  ennemis  jùfqu'au  bagage.  On  le  met  dans  une  voi« 
ture  :  on  prend  la  roUte  du  Boriflhene.  On  embarque  le  Roi  dans  un  pe- 
tit bateau  :  trois  c6nts  cavaliers  de  fa  garde  haiardent  de  le  pafièr  à  k 
nqge.  Pendant  ce  ttaips  les  débris  de  fon  armée,  momant  à  dix*hoi^ 
mille  hommes,  font  laits  priibnniers  de  guerre.  Le  bagage  &  la  caifib 
mUitaire  font  pris.  Cependant  Charles  fiiyoit  dans  une  petite  calèche, 
fuivi  du  refte  de  (a  troupe  ,  les  uns  à  pied,  les  autres  à  cheval,  à  tra- 
vers un  défert  où  on  ne  voyoit  ni  hommes  ni  animaux.  Après  cinq  joun 
de  marche ,  il  arriva  &  la  petite  ville  d'Oczakou  ,  frontière  de  l'empire 
des  Turcs.  Il  fit  fâvoir  fon  arrivée  au  Commandant  de  Bender  ,  qui  eft 
à  trente  lieues  au-deli.  Celui-ci  envoya  ordre  de  rendre  au  Roi  de  Suéde 
tous  les  honneurs  dus  à  un  Monarque  ami  de  la  Porte.  Il  lui  envoya  un 
Aga  pour  le  complimenter  &  lui  offi-ir  toutes  les  provifions  néceffiûrcs 
pour  le  conduire  jufqu'à  Bender  :  ce  qui  fîit  exécuté. 


D 


Séjour  dt  Châties  XII  à  Btndtn 


'ES  cjue  le  Roi  de  Suéde  fut  fur  les  terres  de  l'Empereur  des  Tdrcs," 
il  lui  écrivit  pour  lui  demander  un  afyle,  &  les  moyens  de  retourner  ea 
Pologne.  Achmet  III  laifTa  long-temps  Charles  fans  réponfe  :  il  lui  écrivit 
enfin,  &  lui  dît  que  la  prop^tion  qu'il  lui  avoit  &ite,  demaodoit  oa 
mûr  examen,^  &  qu'il  s'en  rapporteroit  î  la  prudence  du  Divan;  mais  ea 
même- temps  il  ajouta  que  le  Pacha  ou  Seraskier  de  Bender,  avoit  ordie 
de  lui  fournir  cinq  cents  dollars   {d)  par  jour ,  pour  pouvoir  fubfifler  ea 


■        '  •         •  I     i  I  I        H  ,       ,  I  .!■,,■ 


W  C*€ft-à*dîr^  «aviron  ciaq  ccfits  écai^ 


C  H  A  R  L  E  S    XII f    HùÎ  HtSimfe.  491 

Roi.  Chtff ei  (e  voyant  retiré  fur  les  terres  des  Turcs  »  avoh  conçu  le  def* 
fein  d'armer  PEmpire  Ottoman  contre  fes  ennemis.  Il  (è  flattoit  déjà  de 
fe  voir  à  la  tête  d'une  armée  de  Turcs,  ramenant  la  Pologne  fous  le  joug^ 
&  foumqttant  la  Môfcovie.  Beaucoup  de  Suédpis  &  de  Polonois  échappés 
4e  la  bataille  dePuluva,  vinrent  Je  joindre  par  diffëreps  chemins,  &  grof- 
firent  fa. fuite.  <^uand  il  fut  à  Bender,  elle  fe  trouva  de  1800  hommes. 
Tout  ce  monde  étoit  logé  &  nourri  aux  dépens  du  Grand-S»eigneur.  Char* 
les  fit  bâtir  une  mai(bn  hors  de  Bender  ^  ne  voulant  pas  demeurer  dans 
U  ville  :  fes  Officiers  en  firent  autant  :  fes  Ibldats  dreflerent  des  baraques  » 
de  forte  ouè  ce  camp  devint  une  petite  ville.  X>é$  que  ce  Pripçe  fut  guéri 
de^  fit  blefliire  ^  &  qu'il  fût  monter  à  cheval ,  il  reprit  fes  fougues  ordi« 
«aires,  (e  levant  avant  le  fpleil  ;  &  lafTant  trois  chevaux  par  jour.  Apré« 
quM  eut  concerté  le  plan  de  ks  delfeios,  il  fit  partir  pour  Confiantinople . 
un  de  Çts  Officiers ,  en  qualité  d'Envoyé  extraordinaire.  Le  Comte  Fonia- 
foski ,  homme  aufii  habile  qu'intrépide ,  &  né  avec  le  don  de  perfijader , 
accompagna  Pamba(&de;  mais  fans  csMraâere ,  pour  ppu voir  fonder  le» 
difpofitiona  du  Minifirp  de  Conftantinople#  Il  g^gna  en  peu  de  temps  la 
bienveillance  du  Grand- Vifir,  U .  eut  l'adreife  de  taire  tenir  une  lettre  du 
Roi  fon  Maître,  à  la  Sultane  Validé  ^  mère  de  l'Enipereur.  Cette  Frinceffe 
i  qui  on  racontoit  les  exploits  du  Roi  de  Suéde ,  prévenue  d'une  fecrete 
inclination  pour  ce  Prince ,  prenoit  hautement  fon  parti  dans  le  (errail  % 
elle  ne  l'appelloit  que  fon  lion.  Quand  vaulei^vous ,  difoit-elle  au  Sultan 
(on  fils,  aider  mon  lipn  à  dévorer  ce  C^ar?  Le  Grand- Vifir  Chourlou-y** 
Ali-rPacha  paroiflbit  aufli  emprelTé  à  fervir  le  Roi  de  Spede«  &  difoit 

2u'Û  le  conduirait  à  Mofcow ,  à  la  tête  de  deux  cents  mille  hommes.  En^ 
n  le  parti  de  ce  Prince  étoit  très-puiflant  à  Confiantinople.  Charles  fe 
trouvoit  alors  dans  l'abondance  de  toute*  choies.  Outre  la  forte  fomme 
qu'il  recev 
marchands 

ménager  des  intrigues  dans'  le  ierrail ,  &  il  répi  ^  

ficiers.  Cette  générofité  fans  bornes  le  réduifit  fouyent  à  n'avoir  pas  de 
quoi  donner. 

Dans  ce  loifir  de  Bender ,  il  prît  infen(îblement  du  goût  pour  la  leâure 
de  toutes  les  Tragédies  Françoifes  :  Mithridate  étoit  celle  oui  lui  pf-^-^ 
davanugei  P^ee  que  la  fituation  de  ce  Roi  vaincu  ^  &  refphrant  la 
geancoj  étoit  conforme  à  la  fienne. 

Pendant  ce  temps-là  leXzar  répandoit  Pargeiit  \  pleines  mains,  &  ga* 
gnoit  les  Miniftres  de  la  Porte.  U  vint  à  bout  de  mettre  dans  fes  intérêts 
U  Grand*Vifir  lui-même.  Chourlou  avoir  été  dépofé ,  &  Comourgî  mis,  à 
&  place.  Celui-ci  ne  vouloit  point  entendre  parler  de  la  guerre  contre  les 
Mofcovites,  qu'il  traitoit  d'injufie.  11  fit  tenir  à  Charles  huit  cents  bour^ 
fe$  (  une  bourie  vaut  cinq  cents  écus  ) ,  &  lui  confeilla  de  s'en  retour* 
Mt  paifiblement  dans  îès  £uts  par  les  teirçs  de  l'Empereur,  ou  par  des 


ven- 


491.  C  H  À  *'it  E  Si  ^XII,    Jloi  de  Suedt. 

vaîfleatix  François.  Charles  refufa  avec  hauteur  ces  deux  voies ,  &  fie  dire 
act  VUir  qu^il  s^en  cenoît  à  la  promefle  du  Grand-^Seigneur ,  &  qu^il  efpé« 
roit  rentrer  en  Pologne  avec  une  armée  de  Turcs. 

Tandis  qiie  Charles  écoit  réduit  à  dépendre  des  caprices  des  Vifirs,  fes 
ennemis  actaquoient  fes  Etats.  Lé  Roi  Augufte  après  avoir  proteilé  contre 
fon  abdication ,  écoit  retourné  à  Varfovie.  Le  Roi  de  Danémarc  *  fe  rendit 
maître  des  Duchés  de'  Holfteio  &  <le  Brème.  Le  Czar  prit  tonte  la  Care« 
lie ,  &  mit  le  fiege  devant  Riga.  D'un  autre  côté  Baltagi  Mehemet ,  nou- 
veau Yifir,  craignant  les  intrigues  &  les  plaintes  du  Roi  de  Suéde  à  la 
Forte,  lui  envoya  trois  Pachas  pour  lui  ngnifier  qu'il  falloir  quitter  letf 
terres  de  PEmpire  Turc.  Charles  fît  expliquer  fon  refus  par  ion  Chance-» 
lier  Mullem.  le  Grand*- Vifir  ne  fe  rebuta  pas;  il  fit  menacer  ce  Prince 
de  Pindignation  du  Sultan,  Vil  ne  fe  décerminoit  pas  fans  délaii  ;Charle9 
perfifta  à  demander  cent  mille  hommes  pour  retoarner  en  Pologde.  Le 
Vifir  lui  retrancha  les  cinq  bourfes  &  les  prpvifibns^  Charles  fut  obligé 
d'emprunter  à  un  très* haut  intérêt;  mais  on  lui  rendit  peu  de  temps  ap^» 
les  libéralités^  ordîdaire^.  Il  dît  au  Bâcha  de  Bender,  qu'il  ne  f pouvoir  par«^ 
tir  fans  avoir  auparavant  de  quoi  payer  fes  dettèsir  Le  Pachâ  lui  demanda' 
ce  qu'il  vôulok.  Ce  Prince  répondit  au   hafard  mille  bourfes,  qoi  font 
quinze  cents  mille  francs^  Le  Pacha  en  écrivit  à;  la  Force*  :  Le  Sultan  en 
accorda  douze  cents.  Cependant  quoique  Charles  eût*  reçu  encore  cette  forte 
fbmme,  il  ne  pouvoit  digérer  de  fe  voir,  pour  ainfi  dire,  chaflë  des  ter* 
res  du  Grand-Seignèur ,  &  réfolut  de  ne  pomt  partir.  Il  allégua  que  le  Pa* 
cha  vouloir  le  livrer  à  fes  ennemis.  Le  Sultan  indigné,  fie  déclarer  par  le 
Divan  ,  qu'il  agiroit  avec  juflice  s'il  employoit  la  force  pour  faire  partir 
le  Roi  de  Suéde.  L'ordre  lui  fut  porté  par  le  Grand-fMakre   des  Ecuries. 
Charles,  tranfpbrté  dé  colère^  lui  ordonna  de  fe  retirer.   Aufli-tôt  on  lut 
èta    fa   garde  des   Janiffaires,  Se  il  fe  vit  réduit  aux  Oâîciers  de  faMai* 
fon ,  &  à  trois  cents  Suédois. 

Charles  Xirfouticnt  un  Jîtgc  èans  fa  maîfon  contre  une  armée  de  Turci 

•  '  •   ♦  r-  ,  .  ,  . 

A/tn»    i^iy,  .       ,  - 


Vi 


Ingt  mille  Turcs  inveftiffent  en  un  moment  fon  petit  camp.  Charles 
fans  s'étonner  fait  faire ,  des  retranchemens  réguliers  par  fes  trois  cents  Su^ 
dois  :  il  fe  barricade  dans  la  maifoh.  Les  Turcs  fe  préparent  pour  l'aflauc 
L'ordre  du  Grand-Seîgneur  j)ortoit  de  pàiffe?  au  fildc^répée  tous  lés  Sué^ 
dois,  &  de  tie  pas  même  épargner  la  vie  du  Roi.  Les  Ofiiciers  de  Char- 
les &  fes  Chapelains  fe  Jettent  à  fes  |)iéd$  pour  tâcher,  de  vaincre  fon 
opiniâtreté  :  il  idemem^-  inflexible^  il  aimciit  mteuk  :môur|r  de  la  main 
des  Turcs,  que  d'être  en  quelque  fOrte  leur  prifbnmer:  Il  pl,icç  chacun 
à  foh  pofte.  L'armée  des  Turcs  parok  ;  à^x  pièces  de^  canon  CDznmeqceoi 


*  i  ^ 


C  ir  A;  R  CE  s    XIÎ,   li0t  de  Sùeie,  4$| 

•  •  ■  ■  ■  * 

à  tirer.  les  petits  retranchemens  quMl  avoit  (airs  font  forces  dans-  un  inP 
tant  :  les  trois  cents  foldats  font  enveloppés  &  faits  prifonniers.  Charles 
qui'  éfoit  alors  entre  fa  maifon  &  fbn  camp,  accourt  pour  la  défendre  { 
deux  cents  Turcs  y  étoîebt  déjà  entrés  par  une  fenêtre.  A  peine  y  ,e(l-il  etf^ 
tré  avec  fa  petite  tfotipe ,  que  les  JanîÂaîres  tombent  fur  lui  de  touis  eârésu 
It  Uelfe ,  il  tue  tous  ceux  qui  rapprochent.  Le  Fâcha  qui  voulait  preîldr^ 
le  Roi  en  vie  ,  honteux  de  perdre  du  monde  contre  foixante  perfonn'és|^' 
fait  lancer  des  feux  fur  la  maifon  pour  obliger  Charles  à  en  fonir  :  la  niai*^ 
fon  eft  bientèt  embrafée.  Tout  d'un  coup  on  voit  le  Roi  ouvrir  les  por^^ 
te5,  &  fondre  fur  les  Turcs  avec  fon  monde  ;  mais  fa  petite  troupe  ed 
aiifli*tôt  erivironnée.  Charles  s'embarrafle  dans  fes  éperons,  &  tomj^e  : 
vingt  Janii&ires  fe' jettent  fur  lui ,  le  défarment,  &  le  portetit^au  qdahiér 
du  Pacha  en  criant  alla  avec  une  indignation  mêlée  de  refpeâL  '  '*  ' 
.  Charles  fut  reconduit  à  Bender  :  fes  Suédois  ëtbient  ou  tués ,  ou  prîs  \  kk 
meubles  pillés.  Le  lendemain  on  le  transféra  à  Démotica ,  petite  ville  à 
iix  lieues  d'Ândrinople.  La  Porte  lui  alfîgna  des  provifions  pour  lui  &  fa 
fiiite,  mais  la  bourie  de  cina  cents  écus  par  jour  fut  retranchée.  Ce  Prince 
étant  arrivé  à  pemotica ,  (e  mit  au  lit ,  &  réfblut  de  n^en  point  fortii' 
tant  qu'il  feroic  en  ce  lieu  :  il  feignoit  d^être  malade,  de  peur -que  Ie$ 
Turcs  ne  lui  manquaflent  de  refpeâ  en  le  forçant  de  commettre  fa  dij^ni4 
té.  Comme  il  étoit  extrême  en  tout ,  il  refla  dix  mois  couché ,  fe  repaiP 
faut  de  Pefpérance  de  ce  fecours  des  Turcs,  fur  lequel  il  ne  devoir  plus 
compter.  Pendant  qu'il  paffoit  ainfi  fa  vie ,  il  apprit  la  défolation  de  tour 
tes  les  provinces  fitu'ées  hors  de  la  Suéde.  .    ^ 

Charles  XII  quitte  la  Turquie  y  &  retourne  dans  fes  Etats.  ^ 

.,       '       .  .  '    i  t 

jnLPï^^S  avoir  été  onze  mois  à  Démotica  ^  il  comprit  qu'il  n'avoît  plus 
rien  ii  opérer  de  la  Porte,  &  ne  compta  plus  que  fur  lui  feul  pour  défendra' 
fes  Etats  attaqués.  Il  fit  (lénifier  au  Grand- Vifir  qu'il  fbuhaitoit  de  partir.' 
On  te  {M'ia  de  marquer  le  |our  de  fon  départ.  Il  le  fixa  au  premier  Oâobre^ 
&  déclara  qu'il  vouloir  s'en  retourner  par  l'Allemagne.  Le  Grand- Seigneur* 
lut  envoya  de  magnifiques  préfens,  &  voulut  qu'une  efcorté  de  Turcs^ 
l'accompagn&t  jufqu'aux'frontieres  de  la  Turquie  :  foixante  chariots  chargés' 
de  provifions  ,&  trois  cents  chevaux  fbrmoient  le  convoh  Charles  étant 
arrivé  for  les  frontières  de  la  Tranfilvanie/  congédia  Tefcorte  Turque  ^| 
iflèmbla  fk  fuire ,  ieur  àvc  de^  ne. point  fe  mettre  en  beine  de  fa^perfbhnè . 
&  de  fe  trouver  le  plutôt  qu'ils' pourroient  Si  Stralfund  eh  Ppmérante.  It 
prit  feulement  un  jeûne  homni&  nommé  During  qu^  avoir  fèlt  Colohéf; 
pouir  courir  la  pofle  avec'Iui,  &  fe  déguifa  en  Officier  Alleitiand.  Après 
ieize  Jour^  de  courfeV  ils  arrivent  à  Stralfund  :  la  fiouvelle  s'en  irepaod  ,  ^& 


04  C  H  A  RLE  S^XH't    Roi  de  Sutdi. 

remplit  cette  ville  d^un  joie  inexprimable.  Ce  Prince  après  avoir  pris  qud« 

Zue  repos ,  alla  &ire  la  revue  de  fes  troupes  ^  &  vificer  les  ferttficadoDs» 
ette  place  écoit  alors  menacée  :  en  même-tems  il  envoya  par-tout  des 
ordres  pour  recommencer  la  guerre  contre  fes  ennemis.  Stralfund  fiit  en 
effet  amégé  par  les  Rois  de  Danemarc  &  de  Prufle  au  mob  d'Oélobre  :  le 
fiége  fut  pouffô  avec  la  plus  grande  opiniâtreté.  Charles  XII  y  fit  la  plus 
belle  défenfe  qu'on  devoir  attendre  de  lui.  Dès  le  commencement  du  uége 
il  eut  deffeinde  fe  rendre  maître  de  l'ifle  de  Rugen  dans  la  mer  Baltioue^ 
&  qui  eA  vis-à-vis  de  Stralfund.  Cette  iile  étoit  daine  conféqueoce  extrême 
pour  Charles  ;  mais  le  malheureux  état  de  fes  affaires  ne  lui  avoit  pas. 
permis  de  mettre  dans  Rugen  une  garnifon  fufifante.  Ainfi  dans  le  temt 

2u'il  étoit  occupé  de  ce  projet  ^  les  Danois,  au  nombre  de  douze  mille 
ommes,  y  firent  une  defcente.  A  cette  nouvelle,  Charles  part  de  noit^ 
aborde  à  cette  ifle ,  joint  les  deux  mille  Suédois  qui  y  éloient  en  garnifon. 
Il  marche  à  deux  heures  du  matin  aux  ennemis  \  il  eft  arrêté  par  des  che- 
vaux de  frife,  on  les  arrache  :  il  trouve  un  large  fbflë,  il  s'y  jette ,  & 
entreprend  d^attaquer  les  ennemis  qui  étoient  de  l'autre  côté.  L'aétion  fût 
(èmblable  à  un  alfaut  :  mais  le  nombre  des  Suédois  étcnt  trop  inégaL  Ils 
furent  repoufles  après  un  quart  d'heure  de  combat ,  &  repaflërent  le  feflé. 
pelà  le  Roi  s'alla  renfermer  dans  Stralfund  :  il  s'occupoit  pendant  le  jour 
à  Êdre  des  retranchemens  ^  ,&  la  nuit  des  forties  fur  l'ennemi.  Mab  lès 
efforts  furent  inutiles.  Les  ennemis  bombardèrent  la  ville,  &  réduifirent 
^n  cendres  une  bonne  partie  des  maifons.  Charles  foutint  un  afiàut  pour 
la  défèniè  de  Touvrage  à  corne  : .  il  chaffa  deux  fois  les  ennemis  ;  mais  le 
nombre  prévalut,  &  ceux-ci  demeurèrent  les  maîtres.  Enfin  follicité  par 
fes  Officiers  qui  le  conjurèrent  de  ne  plus  refter  dans  une  place  qu'on  ne 
pouvoit  plus  défendre ,  il  s'embarqua  oc  fe  rendit  à  Carelfcroon ,  non  fans 
avoir  rifqué  de  périr,  car  les  ennemis  firent  tirer  le  canon  fur  (on  vaif« 
feau ,  &  deux  hommes  furent  tués  à  côté  de  lui.  Il  étoit  alors  affez  pfès 
de  fa  capitale ,  mais  il  ne  voulut  point  y  aller  :  fon  d^ffein  étoit  de  n^ 
lientrer  qu'après  des  viâoires.  Il  paffà  ainfi  l'hiver  à  Carelfcroon ,  &  s'oc- 
cupa à  ordonner  de  nouvelles  levées  d'hommes  dans  fon  Royaume. 

Dés  le  mois  de  Mars  fuivant ,  Charles  palla  en  Norvège  avec  râigt 
itiille  hommes ,  dans  le  deffein  d'en  faire  la  coqquête  :  il  étoit  accom* 
pagné  du  Prince  de  Heffe.  Onze  mille  Danois  divifés  en  petits  corps, 
gàrdoient  cette  Province  :  ils  furent  attaqués  les  uns  après  les  autres,  & 
paflës  au  fil  de  répée,  Charles  s'avança  jufqu'à  Chriftiania  :  mais  comme 
il  ne  prenait  jamais  affez  de  précautions  pour  fidre  fubfîfler  fes  troupes, 
I^s  vivres Jui  manquèrent;  il  te  vit  obligé,  de  retourner  en  Suéde.  liil 
4uendit  TilTue  des  vafles  entreprifes  du  Baron  de  Goerts ,  qui  étoit  alors 
fon  Favori  &  fon  premier  Minîflre.  C'étoit  l'homme  le  plus  hardi  dans  (es 
projets ,  &  qui  avoir  le  plus  de  reffources  dans  les  difgnces  :  rien  ne  l'e^ 
firayoit  ^  il  eût  été  capablfs  d'ébranler  l'Europe.  Nous  n^tùUtxou  point  dans 


C  H  A  R  I  £  s    X II /  JZ^i  £/^  Sacdi.  ^^^ 

le  détail  des  moyens  qu'il  «voit  imtgîoés  pourfaire  réuKGr  ta  révolutioti  quM 
fe  propolbit.  Le  point  eflentiel  de  fon  fyfiême  étoit  que  le  Roi  de  Suedb 
Revoit  bxx»  fa^paix  avec  le  Czar  à  quelque  prix  que  ce  fôt  :  il  prétendoic 
que  fi  ces  deux  Princes  étoient  une  rois  réunis ,  ils  pourrcnent  faire  trembler  * 
toute  l'Europe.  Charles  flatté  de  ces  grandes  idées  donna  carte  blanche  S 
.ton  Miniftre^  &  jcelûi^d  illa  fecrétement  £n  France ,  .&  de-là  en  Hollande  » 
pour  £iire  jouer  les  reflbrts  du  delTein  qu'il  projettoit  ;  il  eut  même  à  la 
ilaye  un  entretien  a^vec  le  Czar  en  1717. 

Charles  ennuyé  de  la  longueur  des  négociations  du  Baron  de  Goerrs ,  partît 
une  féconde  fois  pour  la  conquête  de  la  Norvège  au  mois  d'Oâobre  1718  ; 
^  malgré  le  froid  rigoureux  qui  régnoit  alors ,  il  voulut  Êiire  le  fiége  de 
Frideriks-Hal   près  de  la  Manche  de  Danemarc  ,  place  importante  &  re« 

gardée  comme  la  clef  du  Royaume.  Le  11  Décembre^  étant  allé  pendant 
i  nuit  vifîter  la  tranchée,  pendant  que  le  canon  des  ennemis  tiroic;  il 
s'avança  fur  le  talus  intérieur  du  parapet ,  &  s'arrêta  à  confidérer  les  tra« 
vailleurs ,  fans  penfer  que  dans  cette  fituation  il  avoit  le  corps  expofë  au 
feu  des  ennemis  ;  mais  c'étoit  une  fuite  de  cet  excès  de  courage  qui  lui 
iâifoit  braver  tous  les  dangers ,  &  dont  ce  Prince  téméraire  porta  enfin  la 
peine  ;  car  dans  le  même  moment  il  fut  atteint  d'un  coup  de  coulevrine 
oui  le  renverfa  fur  le  parapet.  On  Pentendit  Ëiire  un  grand  foupir  :  oa 
s'approcha ,  il  étoit  déjà  moru  Une  balle  pefant  demi-livre  l'avoit  atteint 
à  la  tempe  droite.  On  emporta  Ton  corps  enveloppé  dans  un  manteau,  4c 
on  le  paffa  à  travers  les  troupes ,  qui  ignoroient  que  ce  f&t  leur  Roi.  Dès 
le  lendemain  on  leva  le  fiége,  &  on  reprit  le  chemin  de  la  Suéde. 

»  Ainfi  périt  à  l'âge  de  trente-fix  ans  &  demi  le  Roi  Charles  Xlt^ 
%  après  avoir  éprouvé  ce  que  la  profpérité  a  de  plus  grand,  &  ce  que 
9  Tadverfité  a  de  plus  cruel ,  fans  avoir  été  amolli  par  l'une ,  ni  ébranlé 
s>  un  moment  par  l'autre.  11  porta  toutes  les  vertus  des  Héros  à  un  excès 
»  où  elles  deviennent  des  dérauts,  où  elles  font  aufii  dangereufes  que  les 
9>  vices  oppofés.  '  Sa  fermeté ,  devenue  opiniâtreté ,  fit  Çts  malheurs  dans 


'P  guern 
»  de  la 


9  années,  dans  le  temps  que  fon  pays  étoit ^puifé  d'argent,  à  caufe  des 
rerres  continuelles ,  &  qu'il  lui  en  &lioit  encore ,  (on  autorité  approcha 
I  la  tyrannie.  Ses  grandes  qualités,  qui  auraient  pu  immortaliler  un 
31  autre  Prince ,  firent  le  malheur  de  fes  lujets.  Sa  pamon  pour  la  gloire , 
i>  pour  la  guerre,  pour  la  vengeance,  l'empêchèrent  d'être  bon  politique^ 
»  qualité  fans  laquelle  on  n'a  )amais  vu  de  grand  Prince.  Il  a  été  le  pre- 
»  mier  qui  eût  Pambition  d'être  Conquérant ,  fans  avoir  l'envie  d'agrandir 
j%  fes  Etats  :  il  vouloit  gagner  des  Empires  pour  les  donner.  Avant  la  ba- 
31  taille  il  avoit  une  extrême  confiance  :  après  la  viâoire  il  n'avoit  que  de 
9  la  modeftie  )  après  la  défiiite  que  de  la  fermeté  :  dur  pour  les  autres 


496       CHAB.IJ  A  S  SE.  (Hercule  Baron  ae)   CHAROLOIS. 

9^  comme  pour  lui-même ,  comptant  pour  rien  la  pdne  &  la  vie  de  ftt 
»  fujets  :  homme  unique  plutôt  que  grand  homme,  &  admirable  plutôt 
s»  qu'à  imiter.  Sa  vie  doit  apprendre  aux  Rois  combien  un  gouvememeot 
»  pacifique  efl  au-deflus  de  tant  de  gloire.  « 


CHARNâSSÉ,(  Hercule  Baron  de  )  Ambaffadeur  de  France  en  Suéde 

fous  le  règne  de  Gujîave  Adolphe. 


H 


ERCULE,  Baron  de  ChamafTé ,  étoit  fort  eftimé  du  Cardinal  de 

Richelieu  :  ce  qui  doit  d^àbord  donner  une  opinion  très-avantageufe  de  cet 
.  AmbaflTadeun   Mais  il  n'a  voit  pas  befoin  de  ce  jpréjugé.   Les  négociations 
qu'il  a  faites  avec  Guilave- Adolphe,  Roi  de  Suéde,    qui   produifirent  le 
traité  de  Benralde,  le  23  Janvier  1531  ,  &  qui  firent  un  fi  grand  effet  en 
Allemagne ,  en  font  des  preuves  bien  convaincantes ,  quand  il  n'y  eh  auroit 
point  d'autres.  C'eft  lui  qui  fit  pafièr  les  armes  de  Suéde  dans   l'Empire , 
&  qui  jetta  les  premiers  fi>ndemens  de  l'alliance  ,  qui  a  été  fi  utile  &  fi 
glorieufe  aux  deux  couronnes ,  &  qui  l'eft  encore  à  celle  de  Suéde.  Il  con- 
tinua de  négocier  avec    le  même  Roi  &  avec  le  Chancelier  Oxenfiirn, 
jufqu'aprés  la  bataille  de  Lutzen,  qui  le  fit  retirer  en  France.  Il  avoir  auffi 
ilégôcié  avec  l'Eleâeur  de  Bavière  à  Munich  ,  mais  avec  peu  de  fiiccés,  à 
caufe  de  la  mauvaife  humeur  de  St.  Etienne,  parent  du  Fere  Jofeph, 
qui  étant  jaloux  de  voir  en  cette  Cour-là  un  plus  habile  homme  que  lui , 
ftrat^rfoit  routes  (es  négociations  au  grand  préjudice  des  affaires  du  Roi 
tefir  niaitre.  Ce  fut  Charnaffé ,  qui  figna  le   15  d'Avril  1634  le  traité  de  la 
^Hâye,  après  lequel  on  jugea  à    propos  de  faire  celui  du    8  Janvier  de 
l'année  fuivante ,  où  il  intervint  comme  un  des  Commiffairés  du  Roi.  Par 
le  traité  de  1634  le  Roi  promit  de  faire  lever  &  d'entretenir  au  (ervice  des 
Etats  un  régiment  d'infanterie  &   une  compagnie  de  cavalerie ,  dont  le 
^commandement  fut  donné  à  Charnaffé,  qui  unilTant  la  profeffion  de  Colonel 
iavec  la:  fonâion  d'Ambaffadeur,  voulut  fe  trouver  au  fiege  de  Breda  où 
il  fiit  tué  dans  la  tranchée. 


CHAROLOIS,   Comté  dépendant  du  Duché  de  Bourgogne. 

JLiE  Charoloîs  n'étoît  d'abord  qu'une  fîmple  CMàtellenie  dépendante  du 
Xlomté  de  Chalon.  Ce  Comté  ayant  été  réuni  au  Duché-de  Bourgogne  par 
Hugues  IV,  ce  Prince,  à  fa  mort,  donna  le  Charolois  à  Béarrix  fa  petite 
fille ,  époufe  de  Robert  de  France ,  tige  de  la  Maifon  de  Bourbon. 

Une 


CHARONDAS. 


497 


Une  autre  Bëarrix,  leur  petite- fille ,  en  faveur  de  laquelle  le  Charolois 
fut  érigé  en  Comté ,  ëpoufa  Jean  Comte  d'Armagnac ,  dont  les  defcendans 
vendirent  le  Charolois,  vers  l'an  rjgo,  à  Philippe,  premier  Duc  de  Bour- 
gogne de  la  féconde  branche  Royale.  Il  fit  depuis  ce  temps  le  titre  des 
héritiers  préfomptifs  des  Ducs  de  cette  Maifon. 

A  la  mort  du  dernier  Duc ,  Charles-le-Guerrîer ,  Louis  XI  s'en  empara 
comme  du  refle  de  la  Bourgogne. 

Charles  VIII ^  par  le  traité  de  Sentis  de  1493 ,  le  céda  à  Philippe,  Ar- 
chiduc d'Autriche,  fous  la  condition  de  la  foi  &  hommage  :  il  paflà  enfuite 
à  Charles-Quint  fon  fils,  &  à  fes  SuccefTeurs  les  Rois  d'Efpagne. 

Louis  de  Bourbon,  Prince  de  Condé,  à  qui  Philippe  IV,  Roi  d'Efpagne, 
iievoit  de  grandes  fommes ,  fitfaifir  le  Comté  de  Charolois  &  s'en  fit 
adjuger  la  pofTeffîon,  qui  n'a  point  été  reclamée  par  les  traités  qui  ont  fuivi. 
Le  Roi  s'en  eft  réfervé  le  haut  domaine. 

Du  refle  ce  pays  n'a  pas  plus  de,  neuf  lieues  de  longueur  fur  fept  de 
largeur  :  il  efl  parfemé  de  collines  &  d'étangs  ;  &  d'ailleurs  très-fertile  en 
froment ,  feigle ,  vins ,  pâturages  Se  bois.  Il  forme  un  Bailliage  principal 
de  84  Faroiffes. 


c 


CHARONDAS,  un  des  Lcgljlatcurs  de  la  Grèce. 


HARONDASi  difciple  de  Pythagore,  eut  cette  auftérité  de  mœurs 
qui  caraâérifbit  tous  les  élevés  de  ce  Philofophe  rigide  ,  &  qui  eft  plus 
propre!à  décréditer  la  vertu  qu'à  lui  acquérir  des  parcifans.  Charondas  fe 
joignit  à  cette  colonie  de  Theflaliens ,  qui  bâtit  la  Ville  de  Thurium , 
près  de  l'ancienne  Sybaris,  dans  la  grande  Grèce.  Ces  émigrans,  fortifiés 
de  l'alliance  des  Crotoniates,  prirent  de  rapides  accroiiTemens.  Comme 
leur  République  naiffante  étoit  compofée  de  difFérens  peuples ,  ils  fe  parta- 
gèrent en  dix  tribus ,  dont  chacune  prit  un  nom  qui  lui  rappelloit  fon  ori- 
gine. Leur  gouvernement  fut  populaire ,  comme  il  convenoit  à  une  fociété 
fermée  d'hommes  qui  avoient  tous  également  confpiré  à  en  jetrer  les  fon- 
demens.  Mais  il  fàlloit  des  loix  pour  aflurer  la  durée  de  leur  conflicution  ; 
tous  jetterent  les  yeux  fur  Charondas ,  dont  le  maintien  grave  &  les  mœurs 
feveres  annonçoient  qu'il  étoit  dégagé  de  la  fervitude  des  fens  :  fes  infti* 
Mutions  fe  reffentoient  de  l'auftérité  de  fon  caraâere  ;  plufieurs  avoient  le 
fceau  de  la  fagefle,  plufieurs  fembibient  avoir  été  diâées  par  l'hunieur. 
Tout  citoyen  qui,  ayant  des  en&ns,  contraâx>it  un  fécond  mariage,  étoit 
exclu  des  emplois  publics:  Le  Légiflateur  fuppofa  que  celui  qui  ne  veilloit 
point  aux  intérêts  de  fes  propres  '  enfans  ,  feroit  indifférent  aux  profpérités 
de  la  patrie ,  &  qu'un  mauvais  père  ne  pouvoir  être  un  bon.  Magiflrat  ; 
politique  trop  rafnnée ,  puifque  l'expérience  dépofe  que  des  hommes  né- 
Tome  A7.  Rrr 


4^  C  H  A  R  O  N  D  A  S. 


gligent  lears  propres  affaires  pcwr  ne  sWcuper  que  des  intérêts  publics. 

Les  caloQsniateurs ,  dont  les  peuples  civilifës  ne  puniflent' point  afTez  ri- 
goureufement  U  malignité,  méritèrent  l'attention  du  nouveau  Légiftateur, 
qui  les  condamna  à  être  traînés  ignominieufement  dans  les  places  publiques 
pour  y  être  expofés  aux  outrages  de  U  multitude.    Quiconque  étoit   con- 
vaincu d'avoir  été  l'ami  d'un  criminel ,  étoit  puni  comme   Ton    complice. 
La  loi  fuppofoit  que  c'eft  la  conformité  des  penchans  qui  lie  les  hommes, 
&  que  chacun  prend  Tempreinte  de  tout  ce  qui  l'environne  ;  c'étoit  trop 
prévoir.  On  fait  que  le  coupable  féduit  fouvent  en  empruntant  le  mafque 
des  vertus  ;  s'il  fe  montroit  dans  toute  fa  difformité ,  il  parokroit  trop  re- 
butant. La  plus  fage  de  fes  inftitutions  intéreffoit  les  orphelins  :  il  voulut 
que  leur  éducation  fût  confiée  aux  parens  maternels ,  parce  que  n'ayant  au- 
cune prétention  à  leur  héritage,  ils  feroient  plus  attentifs  à  fa  coniervatioo 
de  leurs  jours.   L'adminiflration  de  leurs  biens  fot  confiée  aux  parens  pa- 
ternels, qui,  par  le  titre  d'héritiers  ,  étoient  intéreffés  à.  ne  pas  les  dété- 
riorer, n  eut  afièz  d'humanité  pour  ne  pas  décerner  peine  de  mort  contre 
le  lâche  &  le  déferteur ,  qui  tous  deux  agiifent  par  le  même  [principe  de 
foibleffe^  il  abandonna  cette  légiflation  féroce  aux  peuples  ^  qui  ie  piauoieot 
d'être  humains  &  policés  ;  mais  ne  voulant  pas  que  les  déferteurs  reftaflèot 
impunis  »  il  ordonna  de  les  expofer  dans  les  places  publiques  vêms  d'habia 
de  femmes,  putiition  cruelle  pour  ceux  qui  avoient  un  reftede  fentiment, 
&  qui  avoit  l'avantage  de  conierver  des  citoyens  qui  pouvoient  encore  être 
utiles.  C'étoit  leur  ménager  la  reffource  d'effacer  leur  honte ,  au-lieu  que  la 
peine  de  mort  eft  un  attentat  contre  l'humanité  &  contre  la  patrie  qu'oa 
mutile.  Charondas  établit  des  écoles  publiques  où  la  jeunefïe  étoit  infl^te 
dans  les  Sciences  &  les  Arts«   11  étoit  perfuadé  que  l'efprit  fans  lumieie 
entrainoit  le  cœur  dans  fes  égaremens,  &  qi^on  eft  fans  celTe  expofés  à 
trahir  fes  devoirs  quand  on  ignore  combien  ils  font  facrés.   Les  fbnâioDS 
des  maîtres  furent  eimoblies  par  la  défenfe  d'exiger  aucim  falaire  de  leurs 
difciples.  Ce  fut  le  tréfor  de  l'Etat  qui  (ut  chargé  d'acquitter  la  reconnoif- 
fance  publique.  On  fentit  que  des  mercenaires  n'étoientpas  &its  pour  élever 
le  fentiment.  L'amour  de  Charondas  pour  fes  infUtutions  loi  fît  prendre  une 
précaution  cruelle  qui  en  affiiroit  la  perpétuité.  Il  crut  prévenir  toute  révo- 
lution en  flatuant  que  celui  qi|i  voudroit  introduire  quelque  changement, 
ccmiparoitroic  dans  l'affemblée  publique  la  corde  au  cou  pour  être  étranelé  i 
en  cas  que  la  réforme  qu'il  propofoit  fï^t  regardée  comme  inutile  ou  dan- 
gereufe. 

Charondas,  pendant  toute  fa  vie,  fôt  refpeâé  du  peuple  »  qui  contemple 
une  intelligence  divine  dans  celui  qui  le  châtie ,  &  qui  ne  voit  qu'un  homme 


U  fè  rend  i  l'aiTemblée  fans  dépoicr  fes  armes  \  ce  qui  étoic  une  infraâioo 


CHARPENTERIE,    CHARPENTIEIL  4^ 

à  là  loi.  Un  particulier  lut  reproche  de  violer  une  loi  qu'il  impofôit  aux 
autres.  Point  du  tout ,  répond  le.  Légiflateur ,  je  vais  en  fceller  la  fainteté 
de  mon  propre  fang,  &  auifitôt  il  tire  Ton  epée  &  fe  la  plonge  dam 
te  fein. 


c 


CHARPENTERIE,  f.f. 
CHARPENTIER,  f.  m. 


E  n'eft  que  depuis  1303,  que  les  métiers,  auparavant  fubordonnës  au 
maître  général  de  Charpenterie ,  fe  font  rangés  en  corps  ou  communautés , 
&  que  les  Prévôts  de  Paris  leur  ont  donné  des  fiatuts  léparément  :  ceux  des 
maîtres  Charpentiers  (ont  de  Robert  d'Ëftouteville ,  arrêtés  le  1 3  Novem-* 
bre  1 447 ,  confirmés  par  les  Rois  Louis  XI ,  Henri  II  &  Charles  IX, 

Les  maîtres  Charpentiers  ayant  reconnu  depuis  que  ces  fiatuts  n'étoient 
point  aiTez  décifiB  dans  toutes  les  fbnâions  de  leur  Art,  parce  que  les 
termes  en  étoient  ambigus ,  maj*aifës  à  entendre  &  difficiles  dans  la  prati- 
que ;  que  l'obfcurité  répandue  dans  ces  ordonnances  fervoit  de  prétexte  à 
piufieurs  d'entr'eux  pour  en  éluder  le  vrai  fens  ;  même  aux  étrangers  pour 
entreprendre  fur  la  profë(fion;  ces  ftatuts  furent  corrigés  ,  augmentés  & 
enfiiite  confirmés  par  Louis  XIV ,  fuivant  les  lettres-patentes  du  1 1  Août 
1649;  On  ne  peut  trouver  ailleurs  une  connoiflance  plus  circonflanciée  de 
Pétat  &  de  la  difcipline  de  la  communauté  des  maîtres  Charpentiers.  Elle 
cft  compofée  d'un  Doyen»  d'un  Syndic,  des  Jurés  &  des  Maîtres  :  nous 
donnons  ci-deflbus  les  articles  du  Doyen ,  du  Syndic  ;  nous  nous  bor« 
Dons  ici  à  ce  qui  regarde  les  maîtres  &  les  afpirans. 

Les  afpirans  à  la  maîtrife  font  tenus  de  travailler  Pefpace  de  fix  mois 
avant  qu'ils  y  puiffent  être  admis  ;  favoir ,  trois  mois  chez  l'un  des  Jurés 
&  trois  mois  chez  l'un  des  anciens  maîtres  Charpentiers.  Celui  des  maîtres 
fous  lequel  l'afpirant  aura  travaillé  pendant  trois  mois  avertira ,  immédiate* 
ment  après ,  le  Juré  en  la  maifon  duquel  l'afpirant  aura  travaillé  les  trois 
premiers  mois,  des  ouvrages  qu'il  aura  &its  &  de  la  conduite  qu'il  aura 
tenue ,  afin  que  le  Juré  en  fafle  fon  rapport  à  la  compagnie  des  Jurés  dans 
la  maifon  du  Doyen.  Dès  que  les  afpirans  auront  été  préfentés  à  la  com- 
pagnie ,  il  leur  fera  ordonné  de  faire  un  trait  géométrique ,  que  le  Doyen 
&  les  Jurés ,  après  l'avoir  vu  faire ,  recevront ,  figneront  &  parapheront 
tous,  pour  éviter  les  fraudes  ;  &  qui  fera  confervé  par  le  Syndic  ,  pour 
être  repréfenté  en  cas  de  befoio. 

L'afpirant  demandera  enfuite  par  la  bouche  du  Juré  fon  conduâeur  à 
£iire  un  chef-d'œuvre ,  fur  quoi  les  Jurés  délibéreront  à  la  pluralité  des  voix 
en  préfence  du  Doyen.  Le  chef-d'œuvre  fe  fera  chez  un  des  Jurés  nonuné 

Rrr  2 


çoo  tHARPENTERIE,    CHARPENTIER. 

fucceffîvement  (elon  l'ordre  de  fa  réception ,  '  afin  qu'aucun  ne  foît  privf 
de  cet  honneur.  Nul  ne  peut  fe  préfenter  pour  demander  chef-d'œuvre ,  qu'il 
n'ait  &it  apprentiflage  pendant  ùx  années  entières  chez  un  des.  Jurés  ou 
maîtres  dp  l'Art,  dont  il  tirera  certificat  en  bonne  forme ,  a\rec  fon  brevet 
paffé  pardevant  Notaires  du  châtelet.  Les  pourvus  par  le  Roi ,  qui  pré- 
tendront à  la  maîtrife ,  feront  aufli  les  expériences  &  chef-d'œuvre.  Les  fils 
de  maîtres  n'en  feront  pas  exempts. 

Chaque  maître  n'aura  qu'un  apprentif  ;  les  trois    premières  années  de 
l'àpprentiffage  étant  révolues ,  le  maître  pourra  en  prendre  un  fécond.  Cepen- 
dant les  maîtres  pourront  avoir  avec  leurs  apprentifs,  leurs  enfans,  ceux  de 
leurs  femmes  &  leurs  neveux.    Les  compagnons  ne  peuvent  faire  aucune 
enrreprife  ou  aAion  de  Juré  ou  maître  de  l'Art,  ni  avoir  fous  eux  des 
apprentis  ;  il  eft  défendu  aux  maîtres  d'affocier  avec  eux  les  compagnons 
dans  leurs  entreprifes.  Les  bourgeois  peuvent  fe  fervir  des  compagnons  ,  h 
la  charge  de  leur  fournir  du  bois.     Les  compagnons  Charpentiers  étoieot 
autrefois  dans  l'habitude  d'emporter  les  coupeaux  provenans  des  bois  qu'ils 
avoient  travaillés  dans  les  chantiers  des  maîtres  ou   dans  les  maifons  des 
bourgeois  ;  cette  tolérance  qui  ne  devoir  tout  au  plus  avoir  lieu  que  dans 
les  bouts  de  bois  de  nulle  valeur,  vint  par  degrés  jufqu'à  la  déprédation i 
&  enfin  dégénéra  en  abus  exceflifs.  En  conféqqence,  par  jugement  de  police, 
rendu  le  14  Juin  1630,  confirmé  par  arrêt  du  30  Août  1631  ,  détenfes  ï 
tous  compagnons  Charpentiers,  d'emporter,  en  quelque  façon  que  ce  foit, 
des  chantiers  des  maîtres  Charpentiers ,  même  des  logis  des  bourgeois  qui 
feroient  travailler  en  leurs  maifons,  les  coupeaux ,  bouts  de  bois  &  billots, 
à  peine  de  punition  corporelle;  item,  par  jugement  du  i  Août  1698,  dé^ 
fenfes  à  toutes  pérfonnes,  de  quelque  qualité  ou  condition  qu*elles  foient, 
d'acheter  des  conipagnons  Charpentiers  ou  autres  de  leur  part ,  aucuns  cou* 
peaux ,  bouts  de   bois  ou  billots  qu'ils  pourroient  expoier   en  vente,  ni 
même  de  les  recevoir  &  retirer  dans  leurs  maifons ,  à  peine  de  30  livret 
d'amende  contre  chacun  des  contrevenans. 

Pour  éviter  les  fraudes  &  malfaçons ,  il  eft  défendu  aux  maîtres  d'entre- 
prendre des  batimens  pour  les  rendre  la  clef  à  la  main.  Les  maîtres  peuvent 
être  contraints  par  prifts  de  corps  d'exécuter  les  marchés  qu'ils  ont  fiiits  pour 
des  ouvrages  de  leur  métier.  Permiûion  aux  propriétaires  de  faire  achever 
les  ouvrages  dont  on  eft  convenu,  aux  dépens  de  ceux  qui  ont  abandonné 
l'entreprile.  Il  eft  défendu  aux  Charpentiers  d'entreprendre  aucuns  ouvrages 
concernant  la  maçonnerie  ou  autre  profeffion.  Défenfes  aux  maîtres  &  à 
leurs  compagnons  de  travailler  les  Dimanches  &  les  Fêtes,  à  peine  de  100  liv. 
d'amende ,  adjugée  pour  fubvenir  aux  frais  de  la  compagnie.  Pour  entre- 
tenir Jes  anciennes  obfervances  des  chofes  facrées,  le  Roi  entend  que  les 
maîtres  obfervent  religieufement  entr'eux,  ce  qu'ils  ont  toujours  obfervé 
en  l'adminiftration  de  leur  confrairie. 

Afin  que  les  étrangers ,  par  leur  établiflèment ,  ne  puifTent  profiter  du  gain 


CHARPENTERÏE,.   CHARPENTIIRi  i^% 


duenienc  vérifiée  où  befoin  fera.  Il  eft  permis  aux  maîtres  Charpentiers 
qui  n'auront*  pas  fait  leur  provifîon  fuilifante  dans  les  forêts  à  la  campagne , 
d'acheter  toute  forte  de  bois,  auffi-tôt  qu'ils  feront  arrivés  &  déchargés 
fur  les  ports,  même  dans  lès  trois  jours  réfervés  par  les  ordonnances. 

Après  l'apprentiffage  fait  &  le  chef-d'œuvre  accepté,  l'afpirant  prête  le 
ferment  devant  le  Procureur  du  Roi  au  chàtelet ,  qui  lui  &it  expédier  fesr 
lettres  de  maitrife.  Il  faut  préalablement  payer  les  droits  du  Roi ,  ceux  des 
Jurés;  &  mettre  entre  les  mains  du  Syndic  lo  livres  pour  les  affaires  de 
la  compagnie,  &  lo  livres  pour  la  confirairie.  Douze  anciens  maîtres  doi-^ 
▼ent  afliifter  aux  réceptions  des  afpirans,  ainfi  qu'il  s'eft  toujours  pratiqué. 
Ceux  qui  ont  été  repris  de  juftice  ou  atteints  de  quelque  crime ,  ne  peuvent 
pas  être  admis  à  la  maitrife. 

Maître  général  de   CAarpcnterU ,  ou  Doyen  des  Maîtres  Charpentiers. 

\^'EST  celui  qui  a  jurifdîâion  fiir  tout  ce  qui  concerne  la  Charpen-» 
terie ,  &  qui  eft  chargé  d'ep  faire  obferver  les  réglemens. 

D'anciennes  ordonnances,  qu'on  rapporte  au  temps  de  St.  Louis,  prouvent 
que  le  Roi  avoir  donné  l'office  de  Maître  Génénd  de  la  Charpenterie  à 
foh  Maître  Charpentier ,  nommé  Foulques  Dutemplo.  On  y  voit  que  les 
Charpentiers ,  huchiers ,  tonneliers ,  charrons ,  couvreurs  de  maifons  &  tous 
ouvriers  qui  travailloient  du  tranchant  &  en  merrain  étoient  fournis  à  fa  ju<- 
nfdi6tion.  Il  établiffoit  la  difcipline  fur  plufieurs  métiers ,  recevoit  les  fer* 
mens  des  maîtres  ,  ju^eoit  fur  des  rapports,  puniflbit  les  abus  par  con'« 
damnation  d'amende,  jouilfoit  des  gages  &  des  droits  honorifiques.  Rien 
ne  caraâérife  mieux  un  Officier  public.  En  1303  le  Roi  par  arrêt  de  fon 
Parlement  ôta  cette  petite  juilice  à  fon  maître  Charpentier  &  la  rendit 
aux  Officiers,  du  Chàtelet.  Ce  n'eft  aufli  que  depuis  1303,  que  les  métiers 
auparavant  fubordonnés  au  maître* général  de  Charpenterie  le  font  rangés 
en  corps  ou  Communautés ,  &  que  Tes  Prévôts  de  Paris  leur  ont  donné  des 
flatuts  féparément.  Ceux  des  maîtres  Charpentiers  furent  corrigés ,  augmen* 
tés  &  enfuite  confirmés  par  Louis  XIV,  fuivant  les  lettres-patentes  du 
XI   Août  1649. 

Par  l'ordonnance  de  1^49,  le  Roi  entend  que  le  plus  ancien  reçu  eo 
l'une  des  charges  des  maîtres  Charpentiers  foit  réputé  Doyen  de  toute  la 
Compagnie,  pourvu  qu'il  n'ait  été  atteint  d'aucun  crime;  il  rient  le  pre* 
mier  rang  en  toutes  aflemblées,  foit  pour  la  révifion  des  lettres  de  pro-» 
vifion,  foit  par  l'examen  des  Récipiendaires,  foit  pour  toute  autre  occa^ 
fion.  Il  donae  le  premier  fon  avis  fur  \t%  propofitioos  que  le  Syndic  Êiit 


5<«|  CHAlïHNTERrE,.  J  î  VlARPENTlElt 

des  flffiûres  lUtilSintes.  Les  ftimits  &  réglemens  qui  concernent  la  Cli«rpen« 
terie  fok  pour*  les  vifitet  des  bitimens,  foie  pour  les  rapports,  foit  pour 
Téledion  d'un  Syndic ,  ou  la  réception  des  Jurés ,  ou  Tacceptatton  du  chef- 
d'cnivre  des  afpirans ,  èfc.  font  contenus  en  détail  dans  Tordonnance  de  1 647. 
Le  Doyen  doit  en  avoir  une  parfaite  connoif&nce  &  tenir  la  main  à  leur 
exécution. 

Pour  fureté  de  Texécutton  des  délibérations  de  la  compagnie ,  elles  doi- 
vent être  écrites  en  un  regiftre  relié ,  expreflément  deftiné  à  cet  efiët  par 
le  Doyen  ou  en  cas  d'indifpofition  &  autre  empêchement  légitime  ^  par  le 
Syndic  ,  qui  en   demeurera   dépofitaire   pendant  les   deux  années  de  fa 

geftton. 

Le  Doyen  préfide  à  toutes  les  affemblées  <^ui  ne  peuvent  (b  tenir  quVn 
fa  maifon  pour  les  affaires  de  la  compagnie.  Aucun  de  ceux  qui  fera 
mandé  à  la  diligence  du  Syndic  pour  fe  rendre  en  la  maifon  du  Doyen 
pour  les  aflemblées  ne  pourra  s'en  difpenfer  que  par  maladie  ou  autre 
excufe  raiibnnable ,  à  peine  de  3  liv.  d'amende.  Le  Doyen  a  droit  de  faire 
publi(Hiement  les  réprimandes  à  tous  ceux  que  la  malice  pourroit  porter 
à  qu^que  injufle  entreprife  contraire  aux  ordonnances. 

t 

Syndic  des  Maîtres  Charpentiers. 

^^'EST  un  Officier  des  maîtres  Charpentiers  qui  efl  chargé  du  détail 
des  affaires  pour  agir  au  nom  du  corps. 

St.  Louis,  Charles  VI,  Louis  XI,  Henri  II,  &  Charles  IX  firent  plu* 
fieurs  réglemens  pour  les  maîtres  Charpentiers.  Leurs  flatuts  furent  corrigés, 
augmentés  &  enfuire  confirmés  en  1649  9  P^^  ^^^  lettres  -  patentes  de 
Louis  XIV,  qui,  au-lieu  d'un  maître-général  de  Charpenterie ,  mflituadeux 
Officiers,  un  Doyen  &  un  Syndic  pour  la  Communauté  des  maîtres  Char* 
pentiers.  Le  Syndic  doit  être  pris  entre  les  jurés  maîtres ,  &  nommé  à  la 
pluralité  da  voix  le  lendemain  de  la  St.  Xbfeph  en  la  maifon  du  Doyen, 
où  tous  les  Jurés  font  tenus  de  s'aflèmbler,  fans  autre  mandement  fp^ial, 
finon  en  cas  d'indifpofition  ou  autre  légitime  empêchement,  à  peme  de 
lix  livres  d'amende. 

Le  Syndic  pendant  deux  années  entières  doit  veiller  à  la  défènfe  des 
intérêts  de  toute  la  compagnie ,  rendre  fes  affiduités  journellement  à  la 
follicitation  des  difFérens  qui  peuvent  furvenir;  donner  avis  au  Doyen  de 
toutes  affaires  généralement  quelconques;  fe  comporter  dignement  en  tout 
conformément  aux  délibérations  conclues  à  la  pluralité  des  voix  ;  &  convo* 
quer  les  affemblées  en  la  maifon  du  Doyen.  II  fera  receveur  des  deniers 
communs.  En  fortant  de  charge  après  les  deux  années ,  il  efl  tenu  de  ren- 
dre compte  fommairement  &  fans  aucun  frais  par-devant  le  Doyen  &  les 
}urés  &  ceux  des  anciens  maîtres  qu'ils  voudront  appeller.  Il  mettra  les 
tonds  entre  les  mains  de  fon  fucceffeur;  &  s'il  fe  trou  voit  créancier  pour 


«voir  plus  débourré  que  reçu,  il  fera  rembourfé  par  fon  fuccdiHi—  -i--* 
il  doit  remettre  le  regiftre  des  délibérations,  s'il  en  eft  dér^^*^''^-  Pen- 
dant les  deux  années  de  fa  geftion  ,  s'il  eft  trouva  "^^^  quelque  abus> 
malverfation  ou  monopole  au  préjudice  de  h  compagnie  i  &  qu'il  fait 
repris  de  juftice,  il  en  fera  démis  fans  ^«ife  formalité  de  procès,  &  il 
fera  procédé  à  la  nomination  d'un  autre  en  fa  place  ^  en  la  maifon  du 
Doyen,  par  la  pluralité  des  voix. 

Par  la  déclaration  du  28  Juin  1705 ,  le  Roi  a  réuni  à  la  Communauté 
des  Charpentiers  l'office  de  Tréforier-Receveur  &  payeur  de  leurs  deniers 
communs ,  &  l'a  confirmée  dans  l'hérédité  des  offices  de  Syndic  juré  Se 
d'Auditeur  de  leurs  comptes.  Les  anciens  qui  affifteront  aux  réceptions  des 
maîtres  n'auront  que  la  moitié  des  droits  attribués  aux  jurés  Syndics  ^ 
les  anciens  ne  pourront  excéder  le  nombre  de  douze  à  chaque 
réception. 

Le  Roi  permet  aux  jurés  Syndics  de  fidre  leurs  vifites  dans  tous  atte- 
liers  &  chantiers  ,  même  dans  les  lieux  privilégiés  ;  &  en  cas  qu'ils  y 
.trouvent  des  mal-façons,  des  bois  défeâueux,  ou  des  ouvrages  contraires 
aux  réglemens  de  police  &  à  l'art  de  Charpenterie ,  ils  en  dreflèront  pro- 
cés-verbal  &  fe  pourvoiront  par-devant  le  Lieutenant-Général  de  poUcç. 
Cette  déclaration  fut  regiflrée  au  Parlement  le  17  Août  iyc6 ,  k  la  charge 
que  les  jurés  en  exercice  continueroient  de  faire  leurs  rapports  par-devant 
le  Procureur  du  Roi  au  Châtelet^  de  toutes  les  contraventions  &  abus 
qu'ils  découvriroient ,  pour  donner  fbn  avis  en  la  manière  accoutumée  & 
être  enfuite  procédé  par-devant  le  Lieutenant- Général  de  police.  C'eft 
encore  aujourd'hui  la  manière  dont  s'exerce  la  police  de  la  Charpenterie. 


p*i 


CHARRON,    (  Pierre  )   Moralijic  célèbre. 

X  lERRE-CHARRON  naquît  à  Paris  en  1541 ,  &  il  y  mourut  le  16 
4e  Novembre  1603.  Il  fut  fucceffivement  Doâeur  en  Droit  de  l'Univer^ 
Cité  de  Bourges,  Avocat  au  Parlement  de  Paris,  Prêtre,  Prédicateur,  Théo- 
logal de  Bazas ,  d'Acqs ,  de  Leiâoure ,  d'Agen  &  de  Cahcirs ,  Chanoine 
de  Bordeaux,  Secrétaire  de  TAffembiée  générale  du  Clergé  tenue  à  Paris 
en  1595,  &  enfin  Chanoine,  Chantre  &  Théologal  de  Condom.  Il  efl 
auteur  d'un  traité  de  Morale ,  dont  je  dois  donner  une  idée.  Il  eft  intitulé 
De  la  Sageffk^  &  divifé  en  trois  livres. 

Le  premier  donâe  des  leçons  aux  hommes  pour  fe  connoitre.  Le  fé- 
cond ,  des  règles  générales  pour  fe  conduire.  Le  troifieme  ,  des  avis 
plus  particuliers  de  fageflê,  par  la  méthode  des  quatre  vertus  cardinales. 

Le  fécond  livre ,  pour  faire  connoitre  l'homme ,  le  montre  d'abord  par 
fes  qualités  méprifables  ^  vanité  ,  foibleffe ,  inconfiance ,  préfomption ,  &c. 


^^  C  H  A  R  R  O  N.  (J>«m) 


j,M..  jr-  les  choïes  dont  il  eft  compofé ,  telles  que  le  corps  9c  tout  ce 
qui  en  dépw^  ^  comme  la  beauté ,  la  fanté  »  &c.  le  fens ,  Tame  humaine 
&  fes  facultés,  ii*^nu)ire,  volonté,  paffîon,  &c.  la  vie  dont  il  jouit,  la 


diverfité  qui  fe  trouve  û<»«<;  les  tempéramens,  la  capacité,  les  états  &  les 
fituations  des  hommes,  &c.  1.0  fécond  livre  traite  de  rafFranchiffemenr 
des  erreurs  &  des  vices ,  de  la  liberté  du  jugement  &  de  la  volonté ,  du 
règlement  des  ,plai(îrs ,  de  l'égalité  &  modération  dans  Tune  &  dans  l'au- 
tre fortune  durant  la  vie  &  à  la  mort,  du  foin  de  fe  conformer  aux  cou* 
tûmes ,  aux  inclinations ,  à  la  difpodtion  de  ceux  avec  qui  Ton  vit. 

Le  troifieme  livre  montre  la  pratique  de  chacune  des  quatre  vertus  Car- 
dinales, la  prudence,  la  charité,  la  force  &  la  tempérance. 
'    L'ouvrage  a  été  fort  eflimé  dans  le  temps,  mais  il  eft  fort  tombé,  & 
'Charron   pafTe  aujourd'hui   pour  un  verbiageiir  &  pour   un  aflez  mauvais 
Philofophe.  Il  y  a  dans  cet  ouvrage  des  réflexions  qui  regardent  la  piété, 
'&  qui  font  peu  judicieufes ,  à  n'en  juger  que  par  la  pure  &  faîne  Philo- 
fophie  ;  ce  font  celles  qui  rendirent  l'ouvrage  fufpea  en  fon  temps ,  & 
qui  firent  appeller  l'auteur  par  quelques-uns  k  Patriarche  des  efprits  forts. 
'Audi  l'auteur  a-t-il,  en  beaucoup  d'endroits,  adopté  les  maximes  répan- 
dues dans  les  effais  de  Montaigne,   (on  ami  particulier.  Une  infinité  de 
{>enfées  qui  avoient  paru  dans  les  Effais^    fe    trouvent  datis  le  livre   de 
a  SageiTe.    Traiter  d'athée  Charron ,  comme  quelques  écrivains  ont  fait  y 
c'eft  le  juger  trop  févérement,  lui  qui  a  préciiément  écrit  contre  l'athéif- 
me  ;  mais  on  ne  peut  nier  que  quelquefois  il  ne  fe  foit  expliqué  d'une  ma- 
nière trop  libre  «peu  exaae. 

•  La  première  édition  de  fon  ouvrage  fut  faîte  à  Bordeaux  en  i6or, 
în-8^.  L'auteur  étoit  à  Paris,  pour  en  donner  une  nouvelle  édition  corri- 
"gée  &  augmentée,  lorfqu'il  mourut.  Il  ne  vit  que  Tes  trois  ou  quatre  pre^ 
mieres  feuilles  de  cette  féconde  édition.  Après  fa  mort,  le  Reâeur  de 
l'Univerfité  de  la  Sorbonne,  &  les  Gens  du  Roi,  tant  du  Parlement  que 
du  Châtelet,  voulurent  faire  fupprimer  cette  édition;  on  en  faifit  jufqu'S^ 
trois  fois  les  feuilles  imprimées  ;  mais  ceux  qui  en  prénoient  foin ,  repré- 
sentèrent qu'il  ne  s'agiflbit  dans  l'ouvrage  que  de  ia  fàgefle  humaine  qui  y 
étoit  traitée  moralement  &  philofophiquemênt ,  fans  àncun  rapport  à  la 
religion ,  &  que  l'auteur  avoit  éiclairci  &  corrigé  plufieurs  chofes  qui  avoient 
d'abord  déplA.  Toutes  les  pourfuites  cefferent ,  &  le  Gouvernement  permit 
d'imprimer  &  de  vendre  cet  ouvrage.  H  parut  à  Paris  en  1604  avec  les 
retranchemens  que  le  Préfident  Jeannin ,  commis  par  le  Chancelier  de 
France  à  cet  examen ,  jugea  devoir  y  être  faits  ;  mais  comme  cette  édi- 
tion'fut  par-là  même  peu  recherchée;  les  libraires  qui  imprimèrent  dans 
la  fuite  cet  ouvrage,  y  ajoutèrent  lés  endroits  de  la  première  édition  qui 
avoient  été  Supprimés  dans  la  féconde.  C'eft  avec  ces  augmentations  qu'il 
a  paru  dans  les  éditions  de  160^  6c  de  1608,  ai  dans  toutes  celles  qui 
ont  été  faites  depuis,  .  * 

Mais 


CHARRON.    (  Pierre  )  50J 

Mais  Pimportafice  de  cet  ouvrage  ne  nous  permet  pas  de  nous  borner 
à  cette  idée  fuccinâe.  Nous  allons  en  donner  une  analyfe. 


L 


Analyft  de  la  Sagtjfc  de  Charron. 


A  fource  de  toutes  les  vertus  réfide  dans  la  (agefle.  Elle  eft  Tart  de 
fe  régler  &  de  fe  modérer  conftamment  en  toutes  chofes.  Pour  l'acquérir, 
il  faut  commencer  par  (è  bien  connoltre;  car  il  eft  impoffible  de  tempé- 
rer, comme  il  convient,  (es  défirs  &  fes  paflîons,  fi  on  ne  fait  ce  dont 
on  peut  être  capable^  foit  en  bien,  foit  en  mal.  Le  premier  pas  dans  le 
chemin  de  la  (agefle^  confifte  donc  à  faire  une  étude  longue  &  aifîdue  de 
foi-même ,  &  à  fe  livrer  2l  un  examen  fërieux  &  refléchi ,  non^feulement  de 
fes  paroles  &  de  fes  aâions  ,  mais  de  fes  penfées  les  plus  fecrettes ,  de 
leur  naiffance ,  de  leur  progrès ,  de  leur  durée  &  de  leur  retour ,  en  s'é-* 
piant  de  près,  &  en  fe  tàtant  avec  foin  &  à  toute  heure.  Cet  examen 
important  doit  être  fait  avec  ordre,  &  c'eft  en  diftinguant  les  paflîons 
^communes  à  tous  les  hommes,  qu'on  peut  Pobferver.  Ces  paillons  font 
la  vanité ,  la  foibleffe ,  l'inconfiance ,  la  mifere ,  &  la  préfomption. 

La  vanité  efl  ce  penchant  général,  que  l'homme  a  d'établir  fon  hon- 
neur dans  la  poflè(iion  des  biens  vains  &  frivoles ,  fans  lefquels  il  peut 
▼ivre  commodément ,  &  à  méprifer  les  vrais  biens ,  qui  peuvent  le  ren<- 
dre  heureux.  Nous  étendons  nos  défits  au-delà  de  nous  &  de  notre  exif^ 
tance,  &  nous  nous  tourmentons  pour  des  chofes,  dont  nous  ne  pouvons 
pas  jouir.  Nous  défirons  être  loués  après  notre  mort,  &  pour  uttisfaire 
cette  folle  ambition,  nous  fuons  fang  &  eau  dans  cette  vie. 
'  L'envie  d'être  loués  fait  que  nous  ne  vivons  pas  pour  nous ,  mais  pour 
le  monde.  Nous  gênons  nos  inclinations  &  nos  penchass,  afin  de  nous 
conformer  aux  apparences  de  l'opinion  commune;  &  le  refpeâ  humain 
J30US  porte  prefque  toujours  à  nous  priver  de  nos  commodités  &  de  nos 
plaifirs.  Cette  eflime  nous  tient  fi  fort  au  cœur ,  que  nous  nous  mafquons 
dans  nos  vifites.  Que  de  vanités  dans  nos  faluts,  nos  accueils,  nos  entre- 
tiens, nos  offices  de  courtoifie,  nos  harangues, cérémonies,  offres,  promef- 
{t%  &  louanges  !  Combien  d'hyperboles ,  d'hypocrifie ,  dé  fàuffetés  &  d'im- 
poflures  au  vu  &  au  fu  de  chacun  ,  &  de  celui  qui  les  donne ,  &  de  ce- 
lui qui  les  reçoit ,  &  de  celui  qui  les  entend  ;  tellement  que  c'eft  un  mar- 
ché oc  une  efpece  de  convention  de  fe  moquer ,  mentir  &  piper  les  uns 
les  autres  !  Ce  qu'il  y  a  encore  de  .plus  extravagant ,  c'efl  qu'il  feut  que 
celui  qui  fait  qu'on  lui  ment  impudemment,  dife  grand  merci,  &  que 
celui  qui  fait  que  l'autre  ne  le  croit  pas,  fàffe  bonne  contenance.  On  hit 
plus  :•  on  trouble  fon  repos  &  fa  vie  pour  ces  vanités  courtifânes  ;  &  on 
laiffe  des  af&ires  de  confëquence  pour  du  vent.  Qui  fèroit  autrement  feroit 
tenu  pour  un  fot ,  fans  éducation  &  fans  favoir  vivre.  C'eft  habileté  &  da 
l^on  air  de  bien  jouer  cette  farce ,  &  c'eft  fottife  de  n'être  pas  vain. 
-   Tome  XI.  Sff 


50^  C  H  A  R  R  0  N.   (  PUm  > 

La  fecQpde  paSioa  de  l'homme  \  c'eft  la  foiblefle.  £Ue  ki  eft  encore 
plus  préjudiciable  que  la  vanité  ;  c^r  elle  le  trouble  tellement ,  que  rien 
ne  peut  le  contenter.  Les  chofes  futures  TafFedent  plus  que  les  préfentes. 
Il  ne  fait  jouir  de  celles  qu'il  poflede,  après  les  avoir  long-temps  défirées, 
fans  les  altérer.  Un  mélange  de  mal  &  d'incomriiodités  empoilonne  pre€^ 
que  toujours  fes  biens,  fes  voluptés  &  fes  phiCits.  Touœs  chofes  font  mê- 
lées &  détrempées  avec  leur  contraire.  Nul  mal  fans  bien  ;  nul  bien  (ans  maL 
L'homme  ne  peut  être ,  quand  il  le  vou^roit ,  du  tout  bon ,  ni  du  tout 
méchaQt.  Il  eft  impuilfant  àa:out.  U  ne  peut  faire  tout  bien,  ni  exercer 
toute  verm,  parce  que  plu/leurs  font  incompatibles.  La  charité  &  la  jufr 
tice  fe  contredirent  fouvenr«  Ce  feroit  une  charité  de  fauyer  à  la  guerre 
un  ami|  &  ç'efl  une  injuflice  de  le  tuer.  On  eR  même  fouvent  obligé 
d'ufer  de  mauvais  moyens,  pour  fo^tir  d'un  plus  grand  mal. 

Cette  foiblefTe  dans  la  pratique  de  U  vertu ,   fe   manifbfle  encore  plus 
lorfqu'il  s'agit  de  la  vérité  :  l'homme  efl  fort  \'  défirer ,  &  foible  à  re- 
cevoir. Les  deux  moyens  qu'il  emploie ,  pour  parvenir  à  la  connoilfance 
de  la  véritéi  font  la  raifon  &  l'expérience.  Ôr  tous  les  deux  font  fi  foi^ 
blés  &  fi  incertains ,  que  nous  ne  pouvons  en  rien  tirer  de  véritable.  La 
raifon  fe  transforme  en  mille  façons.  Et  il  y  a  d'autant  moins  à  compter 
fur  ^'expérience,  que  les  événemens  font  toujours  diflèmblables.  Il  n'efl 
rien  de  fi  univerfel  en  la  nature  que  la  diyerflté  :  rien  fi  rare  ni  fi  di& 
ficile,   (fi  la.chofe   n'efl   pas   abfolument  impofllble)  que  la  fimilitude» 
Or  fi  l'on  ne  peut  remarquer  cette  diffemblance ,  qMelle    vérité    peut-oa 
déduire? 

Enfin  pour  faire  çonnoitre  ep  peu  de  mots  la  foiblefle  de  l'homme, 
c'eft  qu'il  n'eft  capable  que  de  chofes  médiocres ,  &  qu'il  ne  peut  fouf- 
frir  les  extrêpies.  Car  fi  elles  font  petites,  il  les  mépriie  &  les  dédaigoei 
Si  elles  font  grandes  &  éclauntes,.  il  les  redoute  &  les  admire. 

Ce  ne.  feroit  encore  rien,  fi  l'homme  étoit   confiant  dans   fes  choix; 
niais  la  plupart  de  fes  aâions  ne  fpnt  que  des  faillies  &  des  boutades  que  les 
occafions  déterminent.  L'irréfolution  d'une  part  ^  i'inconflance  &  l'inflabilité 
de  l'autre ,  voilà  le  vice  le  plus  commun  de  la  nature  humaine.  Nous  fuivons 
les  inclination^  de  uQtre  appétit ,  félon  que  le  vent  des  circonflances  nous  em« 
porte ,  &  non  fuivant  la  rs^i(oi\.  La  vie  efl  un  mouvement  inégal ,  irrégu* 
lier,  multiforme.  De  tous  les  animaux  l'homme   efl  le  plus  double  &  le 
plu$  contrefait,  le  p)us  couvert. &  le  plus  artificiel.  Il  y  a  chez  lui  tant 
de   cabinets,  tant  d arrieres*boutiques ,  d'où  il  fort  tantôt   homme  tantôt 
(atyre;  tant  de  foupiraux,  par  lefquels  il  foufHe  le  chaud  &  le  froid,  que 
rien  n'efl  fi  difHcile  à  fonder  &  à  connqitre.   Tout   ce  qu'il  fait  efl  m 
cours  perpétuel  d'erreurs.    11  rit  &  pleyre  d'une  même  chofe.  Il  efl  con- 
tent &  mal  content.  Enfin  il  veut  &;  ne  fait  ce  qu'il  veut. 
.  Si  l'homme  efl  fort ,  robufle ,  confiant  &  endurci ,  c'efl  à  la  mifere.  Il 
efl  miférable  par  effence.  Son  entrée  dans  le  monde  eft  honteufe^  vile. 


C  H  A  R  R  O  N.    (  Pierre  )  507 

meprifée  :  fa  fortie  oa  fa  mort  eft  au  contraire  glorieufe  &  honorable; 
n^  j  o«  L'aâion  de  planter  Si  faire  l'homme  eft  honteule ,  &  toutes  fes  par- 
9  lies,  les  approches  y  les  apprêts,  les  outils  &  tout  ce  qui  y  fert,  eft 
9  tenu  &  appelle  honteux  oc  n'y  a  rien  de  fi  honteux  en  la  nature  hu« 
9  maine.  L'aaion  de  le  perdre  oc  tuer  .honorable,  6c  ce  qui  y  fert  eft 
9  glorieux  :  on  le  dore  &  enrichit  ;  on  s'en  pare ,  on  le  porte  au  côté  ^ 
9  en.  la  main ,  fur  les  épaules,  a^.  On  fe  dédaigne  d'aller  voie  naitre  un 
»  homme  :  chacun  court  &  s'affemble  pour  le  voir  mourir ,  foit  au  lit , 
»  foit  en  place  publique ,  foit  en  la  campagne  rafe.  3^.  On  fe  cache ,  on 
»  eue  la  chandelle,  on  le  fait  à  la  dérobée  :  c'eft  gloire  &  pompe  de  le 
»  délire  :  on  allume  les  chandelles  pour  le  voir  mourir,  on  l'exécuts 
9  en  plein  jour.  On  fonne  la  trompette ,  on  le  combat ,  &  on  fait  un  car* 
9  nage  en  plein  midi.  4^.  Il  n'y  a,  qu'une  manière  de  ^re  des  hommes  ; 
9  pour  les  ruiner  mille  &  mille  moyens ,  inventions ,  artifices.  50.  Il  n'y 
9  a  aucun  loyer ,  honneur ,  ou  récompenfe  aflignée  pour  ceux  qui  favenc 
9  faire ,  multiplier ,  conferver  l'humaine  nature  ;  tous  honneurs ,  grandeurs , 
9  richefTes ,  dignités ,  empires  ^  triomphes ,  trophées ,  font  décernés ,  à 
m  ceux  qui  la  lavent  affliger ,  détruire.  « 

L'homme  natt  enfin  &  fe  forme.  Mais  de  quoi  jouit-il  lorfqu'il  eft  for« 
nié  ?  Ses  pUifirs  font  fi  petits  &  fi  chéti6 ,  qu'il  aime  fouvent  mieux  la 
peine.  Il  y  a  des  mortels  qui  évitent  la  fanté ,  l'allégrefle ,  la  joie ,  comme 
une  nuuvaife  chofe.  Ils  lelafTent  de  tout.  En  général  nous  ne  fommes 
ingénieux  qu'à  nous  mal  mener  :  c'eft  le  vrai  gibier  de  la  force  de  notre 
efprit.  Quand  les  maux  nous  manquent ,  nous  nous  en  forgeons.  Nous  vou- 
lons être  avancés  en  honneur ,  en  dignité ,  en  biens  ;  &  ce  défir  eft  un  ver 
rongeur,. qui  nous  déchire  fans  cefle.  Cependant  il. n'y  a  de  mal  que  la 
douleur,  le  refte  o'eft  que  fantaifie  ,  forte  d'être  chimérique ,  lequel  ne 
loge  qu^en  la  tête  de  l'homme,  qui  fe  taille  de  la  befogne  pour  erre 
miférable ,  &  qui  imagine  pour  cela  de  ^x  maux  outre  les  vrais ,  éten- 
dant ainfi  fa  mifere  au  lieu  de  la  raccourcir. 

Quant  à  la  douleur ,  qui  eft  le  feul  vrai  mal ,  l'homme  y  eft  tout  né  & 
tout  propre*  Lorfque  les  Mexicaines  mettent  un  enfant  au  monde  &  qu'il 
crie ,  elles  te  faluent  &  lui  difent  :  enfant  m  es  venu  au  monde  pour  fouf- 
frir  :  ainfi  fouffi-e  &  tais-toi.  En  effet  toutes  les  parties  de  l'homme  font 
capables  de  douleur,  &  fort  peu  capables  de  plaifir.  Les  parties  même 
capables  de  plaifir ,  n'en  peuvent  recevoir  que  d^une  ou  de  deux  fortes  ; 
mais  toutes  font  fufceptibles  d'un  grand  nombre  de  douleurs ,  comme  chaud, 
froid,  piqûre,  froifTure,  foulure,  égratignure,  meurtrifTure ,  cuiffon,  lan- 
gueqr ,  extenfion ,  relaxation ,  &c.  fans  compter  les  maux  de  l'ame  \  tellement 
que  l'homme  a  mille  maux  pour  une  fatisfaction.  D'ailleurs  il  ne  peut  réfiftèr 
au  plaifir  \  car  le  plaifir  du  corps  eft  un  feu  de  paille  :  s'il  duroit ,  il  ap- 

{>orteroit  de  l'ennui   &  du  dégoût.   Les  douleurs  au  contraire  durent  fort 
ong*temps ,  &  n'ont  point  leurs  faifons  comme  les  plaifirs.  Ce  n'eft  pas 

Sfi  a 


{c8  CHARRON.   (  Pierre  ) 

tout 9  le  plaifir  eft  encore  rare  :  il  ne  vient  point  volontiers,  &  fe  fait 
rechercher  &  fouv^nt  acheter  plus  cher  qu'il  ne  vaut  ;  au  Heu  que  le  mal 
viei^t  ^cilemenc  de  lui-même,  fans  qu'on  Taille  quérir.  Celui-là  n'eft  ja- 
mais pur  :  il  eft  toujours  détrempé  avec  quelque  aigreur.  Celui-ci  eft  fan» 
mélange ,  tout  entier  &  tout  pur.  Sur  tout  cela ,  le  pire  de  notre  mar«» 
ché  &  qui  montre  évidemment  la  mifere  de  notre  condition,  eft  que 
l'extrême  volupté  ne  nous  touche  point  tant  qu'une  légère  douleur.  Nous 
ne  fentons  point  l'entière  famé  ^  comme  la  moindre  des  maladies. 

Quand  les  maux  du  corps  manquent,  nous  appelions  ceux  de  Pefprit, 
tant  la  mifere  eft  notre  partage.  Nous  nous  mêlons  dans  les  afSiires  de 
gaieté  de  cœur,  quoique  nous  duflîons  leur  tourner  le  dos  quand  elles 
s'ofFriroient  à  nous.  Ou  bien  par  une  inquiétude  pitoyable  de  notre  ef- 
prit,  ou  pour  faire  l'habile  &  l'entendu,  c'eft-à-dire  le  fot  &  le  miférable, 
nous  entreprenons  &  remuons  de  nouvelles  affaires ,  ou  nous  nous  entrer 
mêlons  de  celles  d'autrui.  Bref,  l'homme  eft  fi  fort  agité  de  (oins ,  non- 
feulement  inutiles  &  fuperfius,  mais  épineux,  nuifibles  &  doriimageables , 
qu'il  femble  ne  rien  craindre  de  plus ,  que  de  ne  pouvoir  pas  être 
aflez  miférable.  Il  eft  tourmenté  par  le  prêtent,  ennuyé  du  paffé,  in- 
quiet de  l'avenir.  O  pauvre  créature ,  combien  enduré-tu  de  maux 
volontaires  ,  outre  les  néceflaires  que  la  nature  t'envoye  !  Mais  quoi! 
L'homme  fe  plait  à  la  mifere.  Il  s'opiniâtre  à  remâcher  &  i  remet* 
tre  en  mémoire  les  maux  paflës.  Il  aime  à  fe  plaindre  &  enchérit  quel- 
quefois le  mal  &  la  douleur. 

Toutes  ces  miferes  font  corporelles  ou  mixtes  &  commune^'  à  refprit  & 
au  corps.  Mais  fi  on  confidéroit  les  maux  de  l'efprit  pur,  il  fandroit  en- 
trer  dans  un  détail  infini.  Les  erreurs  qui  proviennent  des.  fens,  tes  paf- 
fions  &  les  inclinations  déchirent  perpétuellement  le  cœur  de  l'homme  & 
le  rendent  le  plus  malheureux  de  tous  les  êtres.  Abrégeons  &  paftbns  à  la 
dernière  infirmité  de  l'homme  :  c'eft  la  préfompnon. 

S'eftimer  trop  &  ne  pas  aftèz  eftimer  autrui,  voilà  la  fource  de  cette 
infirmité.  Cette  eftime  que  nous  avons  de  nous ,  eft  ordinairement  fi  haute 
&  fi  téméraire,  qu'elle  nous  porte  à  nous  comparer  à  Dieu  même.  Nous 
nous  formons  une  idée  très-baffe  de  cet  Être  fuprême.  De-là  vient  que 
nous  le  fervons  très-indignement ,  &  que  nous  agifibns  plus  mat  avec  lui 
qu'avec  certaines  créatures.  Nous  parlons  non- feulement  de  fes  œuvres ,  mair 
de  fa  divinité  &  de  fes  jugemens ,  avec  plus  de  confiance  &  de  hardieffe 

Î|ue  nous  ne  parlerions  d'un  Prince  ou  d'une  perfonne  en  place.  Il  nous 
emble  aufii  c^ue  nous  importons  fort  à  Dieu,  qu'il  prend  beaucoup  de 
part  à  nos  afiàires ,  &  qu'en  général  la  nature  ne  travaille  que  pour  nous. 
Après  cela  l'homme  croit  que  le  ciel ,  les  étoiles ,  ne  font  faits  que  pour 
lui ,  &  que  tout  eft  en  mouvement  pour  fon  fervice.  Quelle  folie  !  le  pau- 
vre miférable  eft  logé  ici-bas  au  dernier  étage ,  infiniment  éloigné  de  la 
voûte  célefte ,   barbotant  dans  le  sloaque  6c  fentine  de  l'univers  avec  les 


C  H  A  R  R  O  N.   (  FUrrc)  ^09 

animaux  le^  plus  vils  ;  expofës  à  recevoir  toutes  les  ordures  4  qui  lui  tom- 
bent fur  la  téte^  ne  vivant  même  que  de  cela,  &  il  s'imagine  qu'il  eft 
le  maître  de  toutes  chofes&  le  chef-d'œuvre  du  Créateur. 

Dans  fa  conduite  cette  infirmité  qui  nous  occupe  ici ,  jette  l'homme 
dans  des  écarts  fans  nombre.  D'abord  nous  croyons  ou  nous  refufons  de. 
croire ,  félon  que  notre  préfomption  y  trouve  (on  compte.  Le  petit  peuple 
&  les  efprits  effêminés  reçoivent  indiftinâement  tout  ce  qu'on  leur  pro-* 
pofe ,  s'il  eft  revêm  de  quelqu'apparence  d'autorité.  Semblables  à  la  cire , 
ils  reçoivent  aifément  la  première  impre(fion.  Gens  malades,  fuperfiitieux , 
niais  à  l'excès ,  ils  fe  laiflent  prendre  &  mener  par  les  oreilles ,  fans  en 
être  moins  préfomptueux  \  car  le  même  efprit  qui  porte  prefque  tous 
tes  hommes  à  croire  des  chofes  fans  examen,  leur  fait  rejetter  &  condam^^ 
ner  comme  fauffes  toutes  celles  qu'ils  n'entendent  pas  ou  qui  ne  font  pas 
de  leur  goût.  Ce  vice  efl  beaucoup  plus  grand  que  le  premier.  C'eft  en 
efFet  une  folie  extrême  de  vouloir  ranger  à  foi  &  de  décider  abfolumenc 
par  fes  propres  lumières  du  vrai  &  du  faux  des  chofes. 

Cependant  on  s'entête ,  &  la  préfomption  gagnant  ainfi  de  nouvelles 
forces ,  on  veut  perfuader  aux  autres  ce  que  l'on  croit ,  &  les  obliger  à  le 
croire.  Quiconque  adopte  quelque  chofe,  eftime  que  c'eft  ceuvre  de  charité 
que  de  le  faire  adopter  par  un  autre.  En  général  il  n'eft  rien  dont  les  hom« 
mes  foient  plus  jaloux,  que  de  donner  cours  à  leurs  opinions.  Quand  les 
raifbns  manquent ,  ils  emploient  la  force ,  &  tâchent  ainfi  de  reniplir  le 
monde  d'erreurs  &  de  menfonges.  Aufli  la  préfomption  pafle  à  jufte  titre 
pour  la  perte  de  l'homme,  l'ennemi  capital  de  la  fageffe,  la  vraie  gangrené 
de  l'ame.  C'eft  un  excès  de  confiance  en  nos  forces.  Il  eft  pourtant  cenain 
que  quelque  faverifés  que  nous  foyons  de  la  nature ,  nous  ne  faurions  être 
en  plus  dangereufes  mains  que  dans  les  nôtres.  L'Efpagnol  a  la  réputarion 
d'être  fier;  mais  il  a  fiiit  cette  belle  &  courte  prière  :  Dieu  gardc^moi  de 
moi ,  qui  prouve  évidemment  combien ,  malgré  fa  fierté ,  il  compte  peu 
fur  fes  forces. 

Telles  font  donc  les  infirmités  de  l'efprit  humain ,  vanité ,  inconftance , 
mifere&  préfomption,  quatre  obftacles  à  vaincre  pour  devenir  fage,  c'eft-> 
à*dire ,  pouf  gagner  pendant  toute  fa  vie  une  vraie  tranquillité  d'efprit , 
en  quoi  confifte  la  fagefie  &  le  fouverain  bien.  II  s'agit  de  favoir  main- 
tenant comment  on  peut  fe  délivrer  de  ces  infirmités ,  &  acquérir  cette 
tranquillité  d'efprit. 

II.  La  première  difpofition  à  la  fagefle  confifte  à  fe  garantir  de  deux 
maux  ;  Tun  externe ,  ce  font  les  opinipns ,  les  vices  populaires  &  la  con^ 
tagion  du  monde  ;  l'autre  interne ,  ce  font  les  paftions.  Ainfi  il  faut  fe  gar- 
der du  monde  &  de  foi.  ^ 

Le  grand  chemin  battu  trompe  facilement  ;  &  néanmoins  nous  allons  les 
uns  après  les  autres  comme  les  moutons  ou  les  bêtes  de  compagnie.' Nous 
ae  fondons  jamais  la  raifon ,  le  mérite ,  la  juftice.    Nous  fuivons  l'exem^ 


fip  CHARRON.   (PUrre) 

pie  &  la  coutume ,  Se  oouy  trébuchons  comme  à  resvi ,  co  tombent  lei 
uns  fur  le$  zmrts.  Or  celui  qui  veut  devenir  fage,  doit  temr  pour  fii%eâ 
tout  ce  qui  plaît  &  eft  approuvé  du  peuple  &  du  plua  graad  nombre.  Il 
doit  regârdisr  à  .ce  qui  wvon  9i  yrai  en  foi,  &  M  point  «^arrêter  à  ce 
qui  eft  le  plu^  Wité,  fans  fe  lailTer  çùèScr  ô(,  emporter  par  la  multioide. 
Fhoeion  fiiivoic  /}  exaâement  cette  règle ,  q^e  tout  le  monde  ayant  ap- 
plaudi tout  haut  à  quelque  chofe  qi)'il  avoir  prononcé  t  il  Te  tourna  vers 
fês  amis  &  leur  dit  :  m^  fcroit-il  échappé  ^  f^^^  Y  P^^fi^^  quelque  fqHift^ 
que  le  peuple  tr^ approuve  ?  Queflion  tté^'\\xixQ\^\ito  \  car  rien  n^eft  plus  fuf- 
peâ  que  fes  jugemens  &  Tes  opiniona.  Sa  foçiété  eft  également  pernicieu- 
fe  r  &  le  ^age  doit  fuir  fur  toutes  chofes  fa  compagnie.  Quelque  feraie 
qu'il  puiife  être ,  il  eft  impQflible  qu'il  foit  capable  de  foutenir  la  charge 
4e  fes  vices  innombrables. 

.  La  féconde  difpo(ition  à  la  fagefte  eft  une  pleine,  entière  &  généreufe 
liberté  d'efprit.  11  faut  pour  cela  retenir  fon  jugement  en  furféance ,  c*eft^ 
à-dire ,  contetiir  &  arrêter  fon  efprit  dans  les  barrières  de  la  confidération ; 
pefer  mûrement  toutes  chofes,  &  ne  point  s'engager  dans  aucune  opinion, 
Gu'cn  ne  la  connoifte  à  fond.  Far  ce  moyen  Pefprit  demeure  &rme ,  in- 
flexible &  fans  la  moindre  agitation. 

Une  autre  maxime  de  conferver  la  liberté  de  jugement,  c'eft  d'avoir 
un  efprit  univerfel ,  c'eft^à-dire,  de  jetter  fa  vue  fur  tout  l'Univers,  & 
non  la  fixer  en  certain  lieu  ;  être  citoyen  du  mondé  comme  Socrate ,  & 
non  celui  d'une  ville  feule  ,  en  embraflànt  par  afFeâion  tout  le  genre 
humain.  C'eft  fottife  &  foibtefte  que  d6  penfet  qu'on  doit  croire  &  vivre 
par- tout  comme  en  fon  village  (on  excepte  la  Religion)  &  que  les  acci- 
dens  qui  adviennent  ici,  font  communs  au  refte  du  monde.  Chacun  ap- 
pelle, barbarie  ce  qui  n'eft  pas  de  fon  goût  &  de  fon  ufage.  Il  femble 
que  nous  n'avons  d  autre  bouche  de  la  vérité  &  de  la  raifon ,  que  l'exem- 
ple des  opinion$  &  coutumes  du  pays  où  nous  fommes.  Or  il  faut  s'af- 
franchir de  ce  préjugé ,  &  fe  repréfenter  comme  en  un  .tableau  cette 
grande  image  de  notre  mère  nature  en  fon  entière  majefté;  regarder  un 
Royaume ,  un  Empire ,  &  même  la  terre  que  nous  habitons ,  comme  le 
(rait  d'une  pointe  très-délicate,  &  y  lire  cette  conftante  variété  en  toutes 
chofes,  les  jugemens,  les  croyances,  les  coutumes,  les  loix ,  les  mou- 
Ycmens  des  Etats  ,  les  chaneemens  dé  fortune  ,  tant  de  viâoires  éva- 
nouies ,  &  tant  de  pompes  &  grandeurs  enfevelies.  Par-là  on  apprend  ï 
fe  connoitre ,  à  ne  rien  admirer ,  à  ne  trouver  rien  de  nouveau  ni  d'é- 
trange, à  s'affermir  &  à  vivre  par-tout. 

Tout  ceci  ne  regarde  que  la  liberté  de  jugement.  Nous  avons  encore 
une  liberté  de  volonté ,  qui  eft  aufti  précieufe  que  l'autre.  Elle  confifte  à 
n^âfteâionner  que  des  chofes  juftes ,  c'eft-à-dire ,  que  peu  de  choies  ;  car 
les  juftes  font  en  petit  nombre,  &  encore  faut^-ille  faire  fans  violence 
&  fans  enxêtement.  La  principale  &la  plus  légitime  charge  que  nous  ayons 


CHARRON.    (  Pi0fré)  ^ix 

c^eft  notre  propre  conduite.  Nous  devons  bien  nous  prêter  à  autrui;  mais 
il  ne  &UC  fe  donner  qu'à  foi.  Il  eft  bon  de  prendre  les  af&ires  en  main , 
&  non  à  cœur  ^  de  s'en  charger ,  &  non  fe  les  incorporer ,  de  les  fbigner  ^ 
&  non  de  les  paifîonner,  enfin  de  s'attacher  à  quelque  chofe,  mais  de  fe 
tenir  toujours  à  foi.  Au  refie,  il  faut  bien  favoir  fëparer  nous-mêmes  de 
nos  charges  pubiiqiues;  Chacun  de  nous  joue  ou  doit  jouer  deux  perfonnâe- 
^es,  l'un  étranger  &  apparent,  l'autre  propre  &  ef!èntiel.  IL  niut  favoir 
difcecner  la  peau  de.  la  chemiie.  Le  Sage  fait  bien  fa  charge ,  &  né  laiflb 
pas  de  juger,  comme  il  convient,  la  lottife ,  le  vice  âc  la  fourbe  qui  y 
font.  Il  l'exerce,  parce  qu'elle  efl  en  ufage  dans  fon  pays  ,  qu'elle  eft 
utile  au  public.  Le  monde  vie  ainfi  :  à  la  bonne  heure  :  il  ne  faut  rien 
gâter.  Il  faut  (e  fervir  &  fe  prévaloir  du  monde  tel  qu'on  le  trouve,  & 
cependant  le  con(idérer  comme  chofe  étrangère  de  fon  favoir  ^  bien  jouir 
à  part  de  foi  ;  ne  fe  commuiûquer  qu'à  un  bon  confident  »  &  au  pis  aller 
à  foi-même. 

IIL  Après  ces  difpofittons ,  la  première  qualité  qui  conflitue  eflentidle-* 
ment  là  fageflë,  c'eft  la  vertu,  c'eil'^dire,  une  droite  &  ferme  dirpoti*^ 
tion  de  la  volonté  à  fuivre  le  confeil  de  la  raifon.  Car  le  bien,  le  but 
&  la  fin  de  l'homme,  en  quoi  gît  fon  repos,  fa  liberté,  fon  contente*» 
ment ,  en  un  mot  fa  perfeâion  en  ce  monde ,  eft  de  vivre  &  d'agir  félon 
la  raifon.  Or  ceci  eft  en  la  puiffance  de  Thomme ,  qui  étant  itiaitre  de  fa 
volonté  t  peut  la  difpofer  &  contourner  félon  qu'il  lai  plaie ,  &  par  conf^^ 
cjuent  l'anèrmir  à  fuivre  toujours  la  raifon ,  ou  autrement  à  pratiquer  tou* 
jours  la  véritable  vertu,  laquelle  eft  toujours  franche,  mâle,  genéreufeV 
riante,  égale,  uniforme  &  conftante,  marchant ' d'un  pas  forme,  fier,  & 
hautain ,  allant  toujours  fon  train  fans  regarder  de  côté  ni  derrière ,  (ans 
s'arrêter  &  altérer  Ion  pas  &  fes  allures,  pour  le  vent,  le  temps  &  tefi 
drconftances.  En  fe  comportant  ainfî ,  on  eft  homme  de  bien  perpétuel^ 
lement  &  également  en  tout  temps  &  en  tous  lieux.  On  agît  félon  foi  y. 
car  on  agit  félon  ce  qu'il  y  a  de  jplus  noble  de  de  plus  excellent  en  foi  ^ 
la  raifon  étant  uiie  lumière  naturelle,  un  rayon,  un  éclair  de  la  Divinité , 
une  dépendance  de  la  loi  naturelle  &  divine. 

On  doit  enfuite  régler  fa  vie,  je  veux  dire  fe  former  un  certan  train 
de  vivre ,  prendre  une  vocation ,  à  laquelle  on  foit  propre ,  &  qui  s'ac«- 
commode  &  s'applique  volontiers  à  tiotre  naturel  particulier.  Four  ne  pas 
fe  tromper  dans  le  parti  qu'on  a  à  prendre,  il  faut  connoitre  fa  corn- 
plexion,  fa  portée,  fa  capacité,  fon  tempérament,  favoir  en  quoi  on  eft 
propre  &  en  quoi  on  eft  inepte.  Car  aller  contre  fon  naturel ,  c'eft  fo 
tailler  de  la  befogne  pour  ne  la  pouvoir  faire. 

La  piété  eft  le  troiuème  fondement  de  la  Sageffe.  C'eft  ici  la  chofe  la 
plus  efTentielle  &  peut-être  la  plus  difficile.  Toutes  les  Religions  fe  ref»- 
lèmblent  en  cela ,  qu'elles  font  étranges  au  fons  commun.  Elles  font  conv- 
pofées  de  pièces,  qui  au  jugement  humain,  femblent  ou  baffes,  indignes 


çia   •  C  H  A  R  R  O  N,    (Pierre) 

&  meflTëantes  \  &  dont  l'efprit  un  peu  fort  &  vigoureux  le  moque  ;  o«' 
trop  hautes,  éclatantes  &  myftérieufes,  où  ce  même  efprit  ne  peut  rien 
connoitre ,  &  dont  il  s'offënfe.  Mais  l'entendement  humain  n'eft  pas  capa- 
ble que  de  chofes  médiocres  ;  méprife  &  dédaigne  les  petites ,  s'étonne  & 
s'ébahit  des  grandes  :  il  eft  donc  naturel  qu'il  fe  dépite  de  toute  Reli- 
gion ,  qui  ne  contient  rien  de  médiocre  ni  de  commun.  Delà  tant  de  mé* 
créans  &  d'irréligieux  ,  parce  qu^on  confulce  trop  Ton  propre  jugement, 
&  qu'on  veut  juger  des  affaires  de  la  Religion  félon  fa  portée,  &  la  traiter 
avec  des  outils  propres  &  naturels.  Cependant  la  première  chofe  qu'on 
doit  faire  dans  la  Religion,  c'eft  d'être  (impie,  obéiflànt  &  débonnaire i 
croire  &  fe  maintenir  fous  les  loix  par  obéiflfance  ;  aflujettir  fon  jugement 
&  fe  laifler  mener  &  conduire  par  l'autorité  publique.  Autrement  la  Reli- 
gion ne  feroit  pas  refpeétée  &  admirée  comme  elle  le  doit  être.  Si  elle 
étoit  du  goût  humain  &  naturel ,  fans  myilere ,  elle  feroit  fans  contredit 
plus  facilement  reçue ,  mais  infiniment  moins  eflimée. 

Le  Sage  dok  enfuite  régler  ks  déflrs  &  fes  plaifirs.  Il  efl  beau  de  £iire 
dueinent  l'homme ,  &  de  partager  convenablement  tous  les  inflans  de  fa 
vie.  C'eft  une  fcience  toute  divine  que  de  favoir  jouir  de  (on  être ,  fe 
conduire  félon  le  modèle  commun  &  naturel ,  félon  fa  propre  condition , 
.fans  chercher  des  chofes  étrangères.  Toutes  ces  extravagances,  tous  ces 
efforts  artificiels  &  étudiés ,  ces  vies  écartées  du  naturel  &  commun ,  par- 
tent de  folie  &  de  pafiion.  Ce  font  de  véritables  maladies.  Ceux  qui  veu- 
lent fortir  hors  d'eux-mêmes*  &  échapper  à  l'homme ,  s'imaginent  faire 
les  divins,  &  ils  font  les  fbts.  Ils  veulent  fe  transformer  en  anges,  & 
ils.fe  transforment  en  bêtes.  L'ho;nme  efl  compofé  d'une  ame  &  d^an 
corps.  Il^^ne  faut  point  chercher  à  démembrer  ce  bâtiment,  mais  en  en- 
tretenir l'union  ôi  l'harmonie.  L'efprit  doit  éveiller  le  corps  qui  eft  pefanr, 
&  le  corps  arrêter  la  légèreté  de  l'efprit.  L'homme  doit  affîfter  &  fàvorifer 
fon  corps,  &  non  le  rebuter  &  le  haïr.  Il  ne  doit  point  refufer  de  participer 
à  fes  plaifirs  naturels,  qui  font  juftes;  mais  s'y  complaire  conjugalement,  y 
apportant,  comme  le  Sage,  de  la  modération.  Ennn  l'homme  doit  étudier 
&  favourer  cette  vie  pour  en  rendre  grâces  à  celui  de  qui  il  la  tient. 
Il  n'y  a  rien  qui  fpit  indigne  de  notre  (pin  en  ce  préfent  que  Dieu  nous 
a  fiiit. 

C'eft  donc  une  opinion  malade,  fantafque  &  dénaturée ,  que  de  re- 
jetter  &  de  concHîmner  généralement  tous  défirs  &  plaifirs.  L'Etre  Suprême 
eft  auteur  du  plaifir;  &  tout  ce  que  nous  devons  faire  c'eft  d'en  favoir 
bien  ufer.  Or  cela  confifte  en  quatre  points ,  qui  font  :peu,  naturellement, 
modérément,  &  par  rapport  à  foi. 

Peu.  Il  faut  défîrer  peu.  Un  moyen  affuré  de  braver  la  fortune  &  de 
lui  couper  toutes  les  avenues  facheufes ,  c'eft  de  retrancher  fort  court  fes 
défirs,  &  ne  fouhairer  que  bien  peu  ou  rien,  équivaut  à  celui  qui  eft 
riche    &   qui  jouit    de    tout.    On   eft    toujours  riche   en   cpntenteroent 

quand 


CHARRON.    (Pierre)  513 

ouand  00  eft  pauvre  en  défirs.   Ils  reiTemblént  aux  bienheureux ,  qui  ne 
&c heureux  ,  non  par  ce  qu'ils  ont,  mais  parce  qu'ils  ne  défirent  rien. 

Naturellement.  Il  y  a  deux  forces  de  déurs  &  de  plaifirs ,  les  uns  natu- 
rels, les  autres  artificiels  ou  de  fantaifie.  Les  premiers  font  juftes  &  légi* 
times.  C'eft  ce  que  la  nature  demande  pour  la  confervation  de  fon  être , 
&  qu'on  trouve  par-tout  fous  (a  main.  Les  autres  plaifirs  ne  font  que  des 
opinions  j  qui  dépendent  de  notre  opinion  éc  de  nos  préjugés ,  &  que  le 
fage  ne  doit  pas  connoître. 

•  Modérément.  Jouir  des  plaifirs  modérément,  c'eft  en  jouir  fans  dom« 
mage  d'autrui  ni  de  foi;  d'autrui  fans  fcandale  &  fans  préjudice;  de  foi, 
fans  déranger  fa  fanté,  abufer  de  fon  loifir,  troubler  fes  af&ires,  donner 
«tteinte  à  ion  honneur ,  &  manquer  à  fon  devoir. 

!  Par  report  à  foi.  Cela  fignifie  que  la  carrière  de  nos  défirs  &  plaifirs 
doit  être  circonfcrite ,  bornée  &  courte»  &  que  leur  courfe  doit  aller  non 
en  ligne  droite ,  mais  en  rond ,  de  manière  que  les  deux  pointes  fe  tien* 
nent  &  fe  terminent  en  nous.  . 

Quand  on  fait  bien  régler  fes  défirs ,  on  eft  préparé  à  obferver  cette 
grande  règle  de  la  fàgelle ,  de  fupporter  également  l'adverfité  &  la  pro(^ 
périté.  Il  y  a  deux  fortunes  à  craindre ,  la  bonne  &  la  mauvaife.  La  prof- 
périré  que  le  vulgaire  ambitionne  tant ,  eft  un  fardeau  dont  le  fage  doit 
^abftenir.  C'eft  à  tort  qu'on  appelle  biens ,  honneurs ,  richeftes ,  les  faveurs 
de  la  fortune ,  puifau'elles  ne  forment  -  point  l'homme  bon ,  ne  réforment 
point  le  méchant  &  font  communes  à  l'un  Se  à  l'autre.  Aufii  doit-on  s'en 
défier.  Le  fage  doit  le  regarder  comme  un  venin  emmiellé ,  &  flatteur  à 
la  venté,  mais  très-dangereux.  La  profpérité  enfle  le  cœur ,  fait  naître  l'en- 
vie des  plus  grandes  chofes,  &  nous  emporte  au-delà  de  nous.  L'ame 
perd  ainu  fon  affîette ,  fon  éqqilibre ,  en  quoi  confifte  le  véritable  bonheur 
&  la  tranquillité.  Pour  prévenir  ce  malheur,  il  faut  être  fans  cefle  atten- 
nf  à  modérer  ce  qui  trouble  le  repos  &  le  contentement  qu'on  trouve 
dans  la  médiocrité. 

-  L'adverfité  eft  encore  plus  difficile  à  fupporter  que  la  profpérité.  Il  y  a 
deux  fortes  de  maux  dans  la  vie  :  les  uns  vrais  oc  naturels  ,  comme  les 
maladies ,  les  douleurs ,  la  perte  des  chofes  que  nous  aimons  :  les  autres 
faux  &  imaginaires.  Les  premiers  font  inévitables.  Endurer  &  fouffi  ir  c'eft 
le  propre  de  l'homme  :  mais  la  nature  y  a  pourvu  en  nous  difpofant  à 
recevoir  le  mal  &  à  le  tourner  à  notre  contentement.  Il  n'y  a  point  d'ac- 
cident fi  fâcheux  qui  n'ait  quelque  foulagement  ;  &  la  prifon  la  plus  obf- 
cure  n'interdit  point  les  chanfons,  pour  défennuyer  les  prifonniers.  Âpres 
tout,  la  fortune  peut  bien  nous  rendre  pauvres,  malades ,  affligés,  mais  non 
pas  vicieux ,  lâches ,  ni  abattus.  Elle  ne  fauroit  nous  ôter  la  probité ,  le 
couraee  &  la  vertu. 

.   Voilà  déjà   une  première  réflexion  ,  qui  doit  tempérer   beaucoup  nos 
douleurs.  La  féconde ,  aulfii  importante  à  £are ,  c'eft  d'en  venir  à  la  bonne 
Tome  XI.  Ttt 


514  CHARRON.   (PUrti) 

foi ,  à  la  Juftice»  à  la  raifon,  lorfque  nous  foùfFrons.  Soaveot  nous  aoui 


i  nous  lover  des  bons  fuccès,  que  nous  n'avons  à  nous  plaindre  àci  nuu- 
vais.  Mais  nous  fommes  ingénieux  à  nous  tourmenter.  Semblables  aux  £u)g« 
fuçs,  nou$  tirons  le  mauvais  fang  &  nous  lapons  le  bon.  S'il  nous  arrive 
quelque  malheur,  nous  nous  tourmentons  &  oublions  tout  le  refle.  Dans 
ce  fâcheux  mometit,  nous  nous  difons  malheureux  en  toutes  choies;  telle- 
ment qu'une  once  d'adverfîté  nous  caufe  plus  de  déplaUîr\  que  dix  mille 
ip  prolpérité  ne  nous  caufent  de  plaifir. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  Iç  grand  emplâtre  à  tous  les  maux  c'eft  l'haUtude 
&  la  méditation.  L'habitude  eft  pour  le  vulgaire  ;  la  méditation  pour  le 
fage.  La  méditation  eft  ce  qui  donne  la  trempe  à  l'ame,  qui  la  prépare^ 
l'iiFermit  contre  tout  aflaut ,  la  rend  dure  &  impénétrable  à  tout  ce  qui 
veut  l'entamer  ou  pouffer.  Les  accidens  ,  quelque  confidérables  qu'ib 
foient,  ne  peuvent  donner  un  grand  coup  à  celui  qui  fe  tient  far  Tes  gar« 
des ,  &  qui  eft  prêt  à  les  recevoir.  Or  ^  pour  Avoir  cette  prévoyance ,  û 
faut  favoir  que  la  nature  nous  a  mis  ici  ea  un  lieu  fort  fcabreux  où  t^ut 
branle;  que  ce  qui  eft  arrivé  à  un  autre  nous  peut  arriver  aufli;  que  ce 
qui  penche  fur  nous  peut  tomber  fur  tout  le  monde  ;  éi  enfin  qu'en  toute» 
les  affaires  qu'on  entreprend ,  on  doit  s^attendre  aux  inconvéniens  qui  peu- 
vent  arriver,  afin  de  n'être  point  furpris. 

IV.  Tout  ceci  regarde  la  conduite  intérieure  du  fage;  &  comme  il  ne 
vit  pas  feul ,  il  faut  qu'il  fâche  ce  qu'il  efl  obligé  de  pratiquer  en  fociété 
avec  les  autres.  Or  la  première  chofe  qu'il  doit  obferver ,  ce  font  les 
loix  &  coutumes  du  pays  où  il  efl  ;  parce  que  les  loix  fe  maintiennent  es 
crédit  »  non  parce  qu'elles  font  jufles,  m^Ms  parce  qu'elles  font  loix  &  cou* 
tûmes  ;  c'efl  le  fondement  myfHque  de  leur  autorité  :  elles  n'en  ont  poiot 
d'autres.  Car  celui  qui  obéit  à  la  loi  parce  qu'elle  efl  jufle ,  ne  lui  obéit' 
pas.  II  foumet  la  loi  à  fon  jugement  ^  &  lui  fait  fon  procès.  Si  cela  pou* 
voit  être  permis ,  on  mettroit  en  doute  &  en  di(pute  l'obéiflànce ,  &  par 
conféquent  l'état  &  la  police ,  félon  la  foupleffe  &  diverfué  non-feulemcsc 
des  jugemens,  mais  du  même  jugement.  Combien  de  loix  au  monde  in- 
jtifles,  impies,  extravagantes  au  jugement  de  la  raifon,  avec  iefquelles  le 
'monde  a  vécu  long- temps  en  profonde  paix  &  repos  &  avec  la  même 
faiisfaâion  ,  que  fi  elles  euffent  été  très-jufles  &  raifonnables  ?  La  nature 
humaine  s'accommode  à  tout  avec  le  temps ,  &  lorfqu'elle  a  une  fois  pris^ 
fon  pli,  c'efl  aâe  d'hoflilité  de  vouloir  y  changer.  Il  faut  laifTer  le  monde 
où  il  efl  :  les  brouillons  &  remueurs.de  ménage,  fous  prétexte  de  réfomieri 
gâtent  tour. 

Je  dis  en  fécond  lieu ,  qire  dans  la  fociété  le  fage  doit  favoir  fe  com* 
porter  avec  aunrui  ;  ce  qu'il  fera  en  pratiquant  les  xçgles  foivantesb 


..y 


CHARRON.  (Pimt)  \x% 

2?.  Etre  modefte  &  garder  le  filence. 

2^.  Ne  poinç  fe  fermalifer  des  fbctifes,  indifcrëtioDS  &  légèretés  qui  fe 
lèronc  &  commettront  eo  fa  préfence}  car  ç^eft  importunité  de  choquer  tout 
ce  oui  n'eft  pas  fie  notre  goût. 

y.  Epargner  &  ménager  ce  que  Ton  fait,  &  les  connoîflances  que  Ton 
ftiacquiles,  &  être  plus  attentir  à  écouter  qu'^  parler,  à  apprendte  qu'à 
enfeigner.  Ceft  un  vice  d'être  prompt  à  fe  faire  coonoitre ,  de  parler  de 
foi  &  de  fe  produire. 

4^.  N'entrer  en  conreftation  avec  perfbnne. 

5^.  Avoir  une  douce  &  honnête  curiofité  de  s'enquérir  de  toutes  cho- 
fes  ;  &  lorfqu'op  les  fait  ménager  &  faire  fon  profit  de  tout. 

6^.  Employer  en  toutes  choies  fon  jugement. 

7^;  Ne  parler  jamais  affirmativement,  magiftralement  &  impérieufement. 
L'affirmation  &  Popiniàtreté  font  des  fignes  de  bétife  &  d'ignorance.  Le 
ftyle  des  anciens  Romains  portoit  que  les  témoins  dépofans  &  les  juges  or- 
donnans ,  s'exprimeroient  par  ces  mots  :  il  femble ,  ita  vidctwr. 

8^.  Avoir  le  vifage  ouvert  &  agréable  à  tous ,  Tefprit  &  la  penfée  cou- 
verte .&  cachée  à  tous ,  la  langue  (bbre  &  difcrete ,  &  fe  tenir  toujours  à 
foi  &  fur  fei  gardes.  En  un  mot,  voir,  ouïr  beaucoup ,  parler  peu,  &  ju- 
ger de  tout.  Vide ,  audi ,  judica. 

Voilà  '  comment  on  doit  fe  comporter  avec  les  hommes  en  général. 
Quant  aux  particuliers,  la  première  chofe  qu'il  faut  obferver  ell  de<:hoifir 

fiour  fa  compagnie,  des  hommes  fermes,  habiles  &  d'un  bon  efprit;  car 
'ame  fe  fortifie  avec  eux ,  au  lieu  qu'elle  s'abâtardit  &  fe  perd  avec  les  ef- 
prits  bas  &  foibles.  La  féconde  eft  de  ne  point  s'étonner  des  opinions  d'au- 
cmi,  quelque  frivoles  ou  extravagances  qu'elles  paroiflènt,  (i  elles  font 
fortables  à  l'efprit  humain.  La  troifieme  efl  de  ne  point  craindre  les  cor* 
régions  &  les  paroles  aigres.  Il  faut  une  fociété  forte  &  virile  :  il  faut 
être  mâle,  courageux  à  corriger,  &  à  fouf&ir  à  l'être.  C'eft  un  plaifir  &de 
d^avoir  à  faire  à  des  gens  qui  cedeut,  flattent  &  applaudiflènt;  Là  qua- 
trième, de^ifer  &  tendre  toujours  à  la  vérité,  la  reconnoltre,  &  lui  cé- 
der ingénuement  &  gayement,  de  quelque  ps^rt  qu'elle  vienne.  C'eil  une 
plus  belle  viâoire  de  fe  bien  ranger  à  la  raifon,  &  de  fe  vaincre  foi-mê- 
me, que  de  vaincre  fa  partie.  La  cinquième,  de  n'employer  dans  la  difpute 
que  les  meilleurs  moyens ,  les  plus  pertinens  &  les  plus  prefTans^  La  fixie- 
me ,  de  garder  par-tout  la  forme  &  l'ordre.  Enfin  la  dernière ,  de  prendre 
garde  que  la  conrradiéHon  ne  foit  ni  hardie ,  ni  opiniâtre ,  ni  aigre. 

Tout  ceci  conduit  naturellement  à  la  manière  dont  on  doit  fe  conduire 
dans  les  affaires.  Il  s'agit  d'abord  de  bien  connoitre  les  perfonnes  avec  lef- 
quelles  on  traite ,  leur  naturel  propre  &  particulier ,  leur  humeur ,  leur  ef- 
prit ,  leur  inclination ,  leur  deflèin  &  leur  intention.  Il  faut  enfuite  bien 
connoitre  les  affaires  que  l'on  a  ,  voir  non-feulement  les  chofès  en  ^oi , 
mais  encore  les  accidens^  les  conféquences  &  les  fuites.  Le  vulgaire  n'ef- 

Ttt  2 


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ii6  CHARRON.    (Piim) 

time  point  les  chofes,  fi  elles  iie  font  releviées  par  Part ,  fi  elles  ne  font 
pointues  ou  enflées.  Les  fimples  &  naïVes ,  de  quelque  valeur  au^elles  foient, 
il  ne  les  apperçoit  pas  feulement ,  ou  sM  y  fait  attention  y  il  les  eftime 
bafles  &  niaifes ,  grand  cémoienage  de  la  vanité  &  de  la  fbibleffe  humai- 
ne, qui  fe  paie  de  vent,  de  fard  &  de  ^ulTe  monnoie.  De-là  vient .qu^oa 
préfère  l'art  à  la  nature,  Tacquis  au  naturel,  le  difficile  à  Taifé,  l,*extra- 
ordinaire  à  l'ordinaire ,  la  pompe  à  la  vérité,  l'étranger  &  l'emprunté,  au 
fien  propre.  Mais  la  règle  du  fage  e&,  de  mefurer,  juger  &  efHmer  les 
chofes ,  premièrement. par  leur  vraie,  naturelle  &  efientielle  valeur,  qui 
eft  fouvent  interne  &  fecrete }  enfuite  par  l'utilité. 

Quant  au  choix  qu'on  peut  faire  de  différentes  chofes  ,  il  faut  toujours 
prendre  le  parti  oil  il  y  a  plus  d'honnêteté  &  de  jufiice.  Et  lorfqu'oo  fe 
trouve  embaraflfé  à  cet  égard ,  la  fagefle  veut  qu'on  prenne  avis  &  confeil 
d'autrui  ;  car  il  efl  très-dangereux  de  fe  fier  à  foi.  Mais  à  qui  fe  fier  >  c'eft 
à  des  gens  qui  ont  d'abord  de  la  probité;  qui  font  outre  cela  feafës,  far  . 
es  &  expérimentés  ,  &  qui  n'ont  aucun  intérêt  à  l'af&ire  fiir  laquelle  oa 
es  confulte. 

Il  ne  faudroic  pas  cependant  adopter  aveuglément  ce  qu'on  confèilleroir. 
Trop  fe  fier  nuit  fouvent.  Il  ne  faut  jamais  dire  tout;  mais  il  faut  que  ce 
que  l'on  dit  foit  vrai.  Il  ne  s'agit  pas  de  tromper  ni  de  rufer^  mais  de  fe 
garder  de  l'être.  Le  point  de  l'art  efl  de  marier  l'innocence  &  la  fimpli- 
cité  en  n'ofFenfant  perfbnne  ;  avec  la  prudence ,  en  fe  tenant  fur  fes  ga^ 
des  ,    pour  fe  préfèrver  des  fineffes ,  trahifons  &  embûches  d'autrui.  Le 
temps  peut  beaucoup  ici.   La  précipitation  eft  ennemie  de  la  fagefle.  C'eft 
la  conduite  d'un  habile  homme  de  favoir  bien  prendre  les  chofes  à  leur 
point ,  de  bien  ménager  les  occafions  &  commodités ,  &  de  fe  prévaloir 
du  temps  &  des  moyens.  Toutes  chofes  ont  leur  faifon ,  les  bonnes  mê- 
me, que  l'on  peut  prendre  hors  de  propos.  Pour  connohre  Poccafion&h 
faifir,  il  faut  avoir  l'efprit  fort,  éveillé  &  patient,  afin  de  la  guetter,  de 
l'attendre ,   de  îa  voir  venir ,  de  s'y  préparer  &  de  la  prendre  au  point 
convenable.  Par-defTus  tout,  la  difcrétion  eft  une  chofe  abfolument  recom- 
mandabte.  Elle  affaifonne  &  donne  bon  goût  à  toutes  chofes. 

Voici  le  chef-d'œuvre  de  la  fagefle  :  c'eft  de  nous  apprendre  à  mourir; 
Çeft  le  maitre«-jour  que  celui  de  la  mort.  Il  décide  de  toutes  les  aâions 
de   notre  vie.  On  peut  s'être  mafqué  dans   le  rôle  qu'on  a  joué  en  ce 


f. 


pas  bien  achever.  L'art  de  mourir  confifte  à  ne  pas  perdre  de  vue  nos  vi- 
ces &  nos  défauts,  à  fe  tenir  toujours  prêt,  &  à  quitter  ce  monde  volon* 
tiers.  Oh  la  belle  chofe  que  de  pouvoir  achever  fa  vie  avant  fa  mort; 
♦tellehient  qu'il  n'y  ait  plus  rien  à  faire  qu'à  mourir,  que  l'on  n'ait  plus 
befoio  de  rien ,  ni  du  temps ,  ni  de  foi-même  j  mais  que  pleinement  &- 


^- 


en  A  RT.E    »T    C  H  A  R  T  RX  517 

tisfair,  Von  s^en  aille  content!  Eh!  qui. pouitoit  troubler  cette  fatisfaâion? 
La  mort  eft  l'afiranchiflement  de  tous  maux  &  le  port  de  la  vie.  »  Jamais 
»  la  mort  préfeate  ne  fit  mal  à  perfonne  ;  &  aucun  de  ceux  qui  l'ont  e&. 
D  fayé  6t  (a vent  ce  que  c'eft  ,  ne  $'en  eft  plaint  :  &  Ci  la  mort  eft  4ite 
t>  mal ,  c'eft  donc  de  tous  les  maux  le  feul  qui  ne  fait  point  de  mal..«. 
»  Au  refte ,  il  ne  peut  y  avoir  aucune  raifon  de  la  craindre  ;  car  Ton  ne 
i>  fait  ce  que  c'eft.  Pourcjuoi  &  comment  craindra- 1- on  ce  que  l'on  ne 
»  fait  ce  que  c'eft?....  Craindre  la  mort^c'eft  faîre  l'entendu  &  le  Tuffifant, 
9)  c'eft  feindre  jde  favoir  ce  que  perfonne  ne  Tair.  <«  D'ailleurs  inutilement 
fe  fàcheroit-on  de  mourir;  puifque  la  mort  eft  naturelle,  néceflfaire,  inévi-^ 
table ,  jufte  &  raifonnable.  Elle  eft  naturelle  ;  car  tout  homme  efl  mor- 
tel,  &  fc  fâcher  de  mourir ,  c'eft  fe  fâcher  d'être  homme.  Elle  eft  nécef- 
iaire  &  inévitable  par  la  nature  de  l'homme.  Enfin  elle  eft  jufte  &  raîr 
fbnnablé;  parce  qu'il  convient  d'arriver  où  l'on  ne  cefte  d'afler.  Si  l'on 
train t  d^y  arriver  ,  il  ne  faut  pas  cheminer,  mais^  s'arrêter  ou  rebroaflèr 
chemin  :  ce  qui  eft  impoftible.  Si  nous  ne  voulions  pas  mourir^  il  nefal«- 
loit  pas  naître.  On  ne  vient  point  à  d'autre  marché  dans  ce  monde  que 
pour  en  fbrtir.  Le  premier  jour  de  la  naiftance  eft  le  premier  pas  que  l'oit 
tait  vers  la  mort.  Quel  parti  doit  donc  prendre  le  fagé  à  cet  égard?  c'eft 
de  vivre  fans  s'inquiéter  de  la  ntorr  ;  de  fè  tenir  prêt  à  la  recevoir  à  tou^ 
tes  heures  ;  de  ne  point  la  chercher ,  mais  de  l'attendre. 

f 

c  H  A  R  T  E    E  T   .c  H-A  R  T  R  E.    f.  f.  [ 

C.  . .  .      ■ 

E  mot  (4)  défigne.  ordinairement  des  titres  fort  anciens,  comme 
du  X,  XI,  XII  &  XIII^-  Hecles,  ou  au  moins  antérieurs  au  XV^*  fiecle. 
A  la  tête  de  l'excellent  ouvrage  qui  a  pour  titre ,  l'^rr  de  vérifier  Us 
dates ,  par  r  des  religieux  Bénédi^ns  de  la  congrégation  de  St.  Maur ,  on 
trouve  une  differtation  trés*utile  fur  la  difGcuké  de  fixer  les  dates  des 
Chartes  &  des  chroniques.  Les  difficultés,  viennent  de  plufieurs  caufesi 
1^.  .de  la  manière  de  compter  les  années,  qui  a  fort  varié;  ainfî  que  les 
divers  jours  où  l'on  a  fait  commencer  l'année  ;  2^.  de  l'ére  d'Efpagne , 
;qpi  con^mence  38  ans  avant  notjre  ère  Chrétienne,  &  dont  on  s'eft.iervi 
long-temps  dans,  plufieurs  Royaumes;  3^.  des  différentes  fortes  d'indiç- 
tions;  4^.  des  diffêrens  cycles  dont  on  a  fait  ufage,  &  de  plufieurs  au- 
tres caufes.  Nous  renvoyons  nos.  leâeûrs  à  ces  difierens  mots ,  &  nous  les 
exhortons  fort  l  lire  la  diftèrtation  dont  nous  parions.  Elle  a  été  compofée, 
aiofi  que  tojut  le  refte  de  l'ouvrage  ^^  dans  la  vue  de  remédier  à  ces 
încopyénîens^    '  '  '  * 


mm 


(éi }  Le  mot  Càartrc  a  priyalu ,  quoiqu'il  ne  foxt  que  la  cotruptiotaUe  CIuM€^  en  Latio  Chana. 


S'. 


^t«  CH  A  RTE    HT    C  H  A  RTR  It 

CHAItTÈ.ÈDfiCOM  MU  TS  È. 


o 


\^  N  appelle  ainH  en  France  les  lettres  par  léfquelles  le  Roi ,  ou  quel- 

gu'autre  Seigneur»  érigeoit  les,  habitans  d'une  ville  ou  bourg  en  corps  & 
dmmunauté.   Ces  lettres  furent  une  fuite  de  raiTranchifTement  que  quel- 
ques-uns des  premiers  Rois  de  la  ti-oifieme  race  Commencèrent  à. accorder 
aux  ferfs  &  mortaillables  ^  car  les  ferfs  ne  formoieht  point  entr'eùx  de 
communauté.  Les  habicans  %^xquels  ces  Chartres  de  commune  étoient  ac« 
cordées^  étoient  liés  réciproquement  par  la  religion  du  ferment ,  &  par  de 
çertsunès  loix.  Ces  Chartres  de  commune  furent  beaucoup  multipliées  par 
Louis  Vit,   &  furent  confirmées  par  Louis  VIII.   Philippe- A ugu (le ,   & 
}eurs  fucceffeurs*   Les  Evêques  Se  autres  Seigneurs  en  établirent  aufli  avec 
|a  permilHon  du  Roi.  Le  principal  objet  de  Tétabliflement  de  ces  commu- 
nes ^   fut   d'obliger  les  habitans  des  villes  &,  bourgs  érigés  en, commune^ 
(de  fournir  du  fecours  au  Roi  en  temps  de  guerre ,  foit  direâement>  foit 
médiatenîent ,  en  le  fôurniflant  \  leur  Seigneur,  qui  étoit  vaffal  du  Roi, 
&  qui  étoit  lui-même  obligé  de  fervir  le  Roi.  Chaque  Curé  des  villes  & 
bourgs  érigés  en  commune  venoit  avec  fa  bannière  à  la  tête  de  fes  pa- 
roilHens.  La  commune  étoit  auifî  inftituée  pour  la  confervation  des  droits 
refpeâifs  du  Seigneur  '&    des  fujets.   Les  principaux  drpits  de  commune 
font>.celui  de  mairie  &.échevinage^  de  collège,  c'efl-à-dire ,  de  (btraer 
fin  corps^  qui  a  droit  de  s'aflTembier;  le  droit  de  (^e«U:^de  cloche^  bef&oi 
&  jurifdiâion.  Les  Chartres  de  commune  expliquoient  aufli  les  peines  que 
dévoient  fubîr  les  délinquans,  &  les  redevances  que  les  habitans  dévoient 
payer  au  Roi   ou   autre  leur  Seigneur.  Mr.  Caterinot,  en  fa  Diffirtatiûn^ 
que  les  coutumes  ne  font  point  de  droit  étroit,  dit  que  ces  Chartres  de 
commune  font  les  ébauches  des  Coutumes. 


c 


LA    OEANPE    CHARTRE    dM  N  G  L  B  t  E  R  R  Ê. 


'Est  une  ancienne  patente  contenant  les  privilèges  de  la  nation, 
accordée  par  le  Roi  Jean- fans^^terre ,  la  neuvième  année  de  fon  règne,  & 
confirmée  par  Edouard  L 

La  raifon  pour  laquelle  on  TappeHe  tnagna ,  grande ,  eft  parce  qu'elle 
'contient  des  fi-anchifes  &  de^  prérogatives  grandes  &  précieufes  pour  la 
nation  ;  ou  parce  qu'elle  eft  d^ine  plus  grande  étendue  qu'une  autre 
Chartre  qui  rut  expédiée  dans  le  même  tenip^,  que  les  Anglois  appellent 
Chartre  de  fofêt;  ou  parce  qu'elle  coiitient  plus  d'articles  qu'aucune  au- 
tre Chartre;  ou  à  caùfe  des  guert-es  &  des  troubles  qu'elle  a  caufés,  & 
du  fang  qu'elle  a  fait  verfer  ;  ou  enfin  à  caufe  de  la  grande  &  remarqua* 
^bie  iolemnité  tjui  fc  *  pi^trqua  iors  'dc^l'excommunicatiuii  îles  infraûcuis  6c 
vioUteur^  de  cette  Chartre. 


CHARTE  -^ET   GHARTRE» 


VS 


Les  Anglois  font  remonter ,  Torigine  de  lear  graqde  Chartre  à  leur  Roi 
Edouard-le-confelTeur ,  qui  par  une  Chartre  exprefle  accorda  à  la  hation 
plufîeurs  |>rivileges  &  iranchifes  ^  tant  civiles  qu'eccléfiafliques.  Le  Roi 
Henri  I,  accorda  les  mêmes  privilèges;  &  confîm^a  la:  Chartre  de  faint 
Edouard  par  une  femblabie  qui  n^exifte  plus.  Ces  mêmes  privilèges  furent 
confirmés  &  renouvelles  par  fcs  fuccefleurs  Etienne,  Henri  II,  &  JeaUé 
Mais  celui-ci  par  la  fuite  ^enfreignant  lui-même,  les  Barons  du  Royaunid 
prirent  les  armes  contre  lui  les  dernières  années  de  fon  règne. 

Henri  III,  qui  lui  fuccéda,  après  s'être  fait  informer  par  des  Commif- 
faires  nommés  au  nombre  de  douze  pour  chaque  province  ^  des  libertés 
des  Anglois  du  temps  de  Henri  I,  confirma  la  grande  Chartre  que  fes 
prédécelTeurs  avoient  faite;  confirmation  qu'il  fit  autant  de  fois  qu'il  l'en^ 
fréignit,  jufqu'enfin  à  la  trente- feptieme  année  de  fon  règne*,  qu'il  alla 
au  Palais  de  Weftminfter  ^  ou  en  préfence  de  la  noblefle  &  des  Evêques , 

2ui  tenoient  chacun  une  bougie  allumée  à  la  main,  il  fit  lire  la  grande 
.hartre  ,  ayant,  pendant  qu'on  la  lifoit ,  la  main  fur  la  poitrine;  après  quoi 
il  jura  folemnellement  d'en  obferver  île  contenu  avec  une  fidélité  inviola-* 
ble^  en  qualité  d'homme,  de  chrétien,  dé  foldat  &  de  Roi,  Alors  left 
Evêques  éteignirent  leurs  bougies,  &  les  jetterent  à  terre,  en  criant, 
qu'ainfi  foit  éteint  &  confondu  ilàns  les'  enfers  quiconque  violera  cette 
Chartre. 

La  Grande  Chartre  eft  la  bafe  du  droit  &  des  libertés  du  peuplé  Anglois. 
Voyei  Droit  &  Statut. 

On  la  jqgea  fi  avantageufe  aux  fujets,  &  remplie  de  difpofitions  fi  juftef 
&  fi  équitables,  en  comparaifon  de  toutes  celles  qui  avoient  été  accordées 
jufqu'alors^,  que  la  nation  confentit,  pdur  Tobtenir,  d'accorder  au  Roi  le 
quinzième  denier  de  tous  fes  biens  m^bles. 

Cette  pièce  eft  trop  importante  pour  ne  pas  la  domner  ici  en  entier, 

Chartre  des  communes  libertés,  ou  la  grande  Chartre  accordée  par  le  Raif 

Jean  à  fes  fujèts  l'an  zxzs* 

»  Ie AN,  par  la  grâce  de  Dieu,  Roi  d'Angleterre^  Çfc.  Il  tous  les  Ar« 
^  chevêques ,  Evêques ,  Comtes ,  Barons  ,  &c.  ;  qu'il  vous  foit  notoire , 
que  nous ,  en  préfence  de  Dieu ,  pour  le  falut  de  notre  ame ,  &  de  celle 
de  nos  ancêtres  ât  defcendans,  à  l'honneur  de  DieU|  à  l'exaltation  de 
l'Eglife^  &  pour  la  réformation  de  notre  Royaume ,  en  préfence  des  vér 
nérables  pères  Etienne  Archevêque  de  Cantorbéry,  primat  d'Angleterre^ 
&  Cardinal  de  la  fainte  Eglife  Romaine;  Henri  Archevêque  de  Dublin^ 
iGuillaume,  Evêque  de  Londres,  &  autres  no»  vaiCiux  &  hommes-liges^ 
avons  accordé,  &  par  cette  préfente  Chartre  accordons^  pour  npu$  & 
pour  nos  héritiers  &  fucceifeurs  à  jamais. 


^ 


{id  C  H  A  R  T  E    E  T    C  H  A  R  T  R  B. 

I.  »  Que  l'Ëglife  d^Angleterre  fera  libre ,  jouira  de  tous  Tes  drotti  & 
libertés,  fans  qu'on  y  puiflè  toucher  en  &çon  quelconque.  Nous  vouloitt 
que  les  privilèges  de  l'Eglifé  fbieht  t>ar  elle  polTédës,  de  telle  manière 
qu'il  paroifle  que'  la  liberté  des  éleâions ,  eftiméé  très-néceflaire  dans  PE«  * 
glife  Anglicane ,  &  que  notis  avons  accordée  &'  confirmée  par  notre 
Chartre,  avant  nos  «différends  avec  nos  barons,  a  été  accordée  par  un  aâe 
libre  de  notre  volonté ,  &  nous  entendons  que  ladite  Chaitre  foit  obfervée 
par  nous  &  par  nos  fuccefleurs  à  jamais. 

*  II.  »  Nous  avons  auffî  accordé  à  tous  nos  fujets  libres  du  Royaume 
d'Angleterre ,  pour  nous  &  nos  héritiers  fuccefleurs ,  toutes  les  libertés 
fpécinées  ci^denTous,  pour  être  poflëdées  par  eux  &  par  leur»  héritiers  | 
comme  les  tenant  de  nous  &  de  nos  fucceifeurs. 

III.  »  Si  quelau'un  de  nos  Comtes,  Barons,  ou  autres  qui  tiennent  des 
ferres  de  nous ,  fous  la  redevance  d'un  fervice  militanre ,  vient  à  mourir , 
làifTant  un  héritier  en  âge  de  majorité,  cet  héritier  ne  payera  pour  en- 
trer en  pofTeflion  du  fief,  que  félon  l'ancienne  taxe,  favoir,  l'héritier  d'an 
Comte ,  pour  tout  (on  nef  cent  marcs  ;  l'héritier  d'un  Baron ,  cent 
fchellings,  &  tous  les  autres  à  ^proportion,  félon  l'ancienne  taxe  des  fitk. 

IV.  »  Si  1  héritier  fe  trouve  en  âge  de  minorité,  le  fei^eur  de  qui  foa 
fief  relevé^  ne  pourra  prendre  la  garde-noble  de  fa  perlonne,  avant  que 
d'en  avoir  reçu  l'hommage  qui  lui  eft  dû.  Enfuite,  cet  héritier  étant  par- 
yéhu  à  i^ge  de  vingt-un  ans^  &ra  mis  en  pof&(Hon  de  fon  héritage, 
fans  rien  payer  au  feigneur.  Que  s'il  eft  fait  Chevalier  pendant  fa  mino- 
rité ,'  fon  fief  demeurera  pourtant  fous  la  gardé  du  feigneur  ^  jufqu'au  temps 
marqué  ci-deiTus.  a  ?     , 

V  V.  p  Celui  qui  aura  en*  garde,  les  terres  d'un  minetir,  ne  pfmrra  preih 
dre  fur  ces  mêmes  terres ,  que  des  profits  &  des  fervtces  raifoonaoles, 
fans  détruire  ni  détériorer  les  biens  de  tenanciers,  ni  rien  de  ce  qui  ap- 

f>artient  à  l'héritage.  Que  s'il  arrive  que  nous  commettions  ces    terres  à 
a  garde  d'un  Shérif,  ou  de  quelqu'autre  perfonne  que  ce  foit ,  pour  nous 
*     en  rendre  compte,  &   qu'il  y  faflc  quelque  dommage,  nous  promettons 
de  l'obliger  à  le  réparer ,  &  de  donner  la  garde   de  l'héritage  à  quelque 
tenancier  dtfcret  du  même  fief,  qui  en  fera  refponfable  envers  nous  de 
fa  même  manière,  a 

'  VI.  n  Les  gardiens  des  fiefs  maintiendront  en  bon  état,  tant  les  mai- 
fôns,  parcs ,  garennes ,  étangs,  moulins,  &  autres  chofes  en  dépendant, 
que  les  revenus,  &  les  rendront  à  l'héritier  lorfqu'il  fera  en  âge,  avec  la 
terre  hien  fournie  de  charriies  &  autres  chofes  néceffaires ,  ou  du  moins 
atitant  qu'ils  en  aurdn»  reçv,  La  même  chofe  fera  obfervée,  dans  la  garde 
qui  nous  appartient,  des  Archevêchés ,  Evéchés,  Prieurés,  Abbayes, 
Eglifes,  &c.  excepté  que  ce  droit  de  garde  ne. pourra  être  Vendu.  » 

*  VIL  »  Les  héritiers  feront  mariés  félon  leur  état  &  condition  ,  &  lei 
parens  en  feront  informés  avant  que  le  mariage  {bit  coatraâé.  « 

Vffl. 


CHARTE    ET    C  H  A  R  T  R  Bé  i%% 

VIIL  »(  Aufli-tôt  qu'une  femme  fera  veuve ,  on  lui  rendra  ce  qu'elle: 
aura  eu  en  dot,  ou  fon  héritage,  fans  qu'elle  foit  obligée  de  rien  payer 

I»our  cette  reflicution,  non  plus  que  pour  le  douaire  qui  lui  fera  dû  fur 
es  biens  qu'elle  &  fon  mari  auront  pofTédés,  iufqu'à  la  mort  du  mari. 
Elle  pourra  demeurer  dans  la  principale  maifon  de  fon  défunt  mari ,.  qua* 
rante  jours  après  fa  mort ,  &  pendant  ce  temps-là ,  on  lui  aflignera  fon 
douaire,  en  cas  qu'il  n'ait  pas  été  réglé  auparavant.  Mais  fi  la  princi**^ 
pale  maifon  étoit  un  château  fortifié,  on  pourra  lui  afiigner  quelqu'auue 
demeure  où  elle  foit  commodément,  jufqu'à  ce  que  ce  douaire  foit  réglé. 
Elle  y  fera  entretenue  de  tout  ce  qui  fera  raifonnablement  nécefiaire  pour 
fa  fuofiftance,  fur  les  revenus  des  oiens  communs  d'elle  &  de  fon  défiint 
mari.  Le  douaire  fera  réglé  à  la  troifieme  partie  des  terres  poflëdées  par 
ion  mari  pendant  qu'il  étoit  en.  vie,  à  moins  que  par  fon  contrat  de  ma* 
nage ,  il  n'ait  été  réglé  à  une  moindre  portion.  ^ 

IX.  SI  On  ne  pourra  contraindre  aucune  veuve ,  par  la  faifie  de  fes  meu- 
bles, à  prendre  un  autre  mari,  pendant  qu'elle  voudra  demeurer  dans 
l'ëcat  de  viduité  :  mais  elle  fera  obligée  de  donner  caution  qu'elle  ne  fe 
remariera  point  fans  notre  conlentement ,  fi  elle  relevé  de  nous ,  ou  fans 
celui  du  feigneur  de  qui  elle  relevé  immédiatement.  « 

.X«  »  Ni  nous,  ni  nos  bailli&,  ne^ ferons  jamais  faifir  des  terres,  ou  les 
rentes  de  qui  que  ce  foit  pour  dettes ,  tant  que  le  débiteur  aura  des  meu-  ^ 
blés  pour  payer  fa  dette,   &  qu'il  pàroitra  prêt  à  fatisfaire  fon  créancier. 
Ceux  qui  l'auront  cautionné,  ne  feront  point  exécutés,  tant  que  le  débU 
teur  même  fera  en  état  de  payer.  «  . 

XL  »  Que  fi  le  débiteur  ne   paie  point ,  foit  par  impuiflfance ,  foit  par 
défwt  de  volonté ,  on  exigera  la  dette  des  cautions ,  lefquelles  auront  une 
hypothèque  fur  les  biens  &  rentes  du  débiteur ,  jufqu'à  la  concurrence  de  : 
ce  qui  aura  été  payé  pour  lui  ;  excepté   qu'il  fafle  voir  une  décharge  des 
cautions.  . 

XII.  n  Si  quelqu'un  a  emprunté  de  l'argent  des  Juifi  &  qu'il  meure 
avant  que  la  dette  foit  payée ,  l'héritier ,  s'il  eft  mineur ,  ne  payera  point 
d'intérêt  pour  cette  dette,  tant  qu'il  demeurera  en  âge  de  minorité,  de 
qni  que  ce  foit  qu'il  relevé.  Que  fila  dette  vient  à  tomber  entre  nos  mains» 
nous  nous  contenterons  de  garder  le  gage  livré  par  le  contrat  pour  fureté  > 
de  la  même  dette.  «  . 

XIIL  »  Si  quelqu'un  meurt  étant  débiteur  des  Juifs ,  fa  veuve  aura  fon 
douaire,  fans  être  obligée  de  payer  aucune  partie  de  cette  dette.  ^Et  fi 
le  défunt  a  laiflë  des  emPans  mineurs ,  ils  auront  la  fubfîflance  proportion- 
née ,  au  bien  réel  de  leur  père ,  &  du  furplus ,  la  dette  fera  payée ,  fauf 
toutefois  le  fervice  dû  au  leigneun  Les  autres  dettes  dues  à  d'autres  qu'à 
des  Juifs ,  feront  payées  de  la  même  manière,  a 

XIV.  »  Nous  promettons  de  ne  fiiire  aucune  levée  ou  impofition  foit 
pour  le  droit  de  fcutage,  ou  autre,  fans  le  confentement  de  notre  corn* 

Tome  XL  Vvv 


^z%  .   C  H  A  R  T  E    1  T    C  H  A  R  T  R  B. 

ttùn  con(«il  du  Royauoie  ^  à  moins  que  ce  ne  f(nt  pour  le  rachat  de 
notre  perfonoe  y.  ou  pour  faire  notre  fils  tiné  Chevalier  ^  ou  pour  marier 
une  fois  feulenoieac  notre  fille  ainée  ^  dans  cous  lefquels  cas  noua  levexoas 
feulement  une  aide  raiibnn^ble  &  modérée.  ^ 

XV.  9  II  en  fera  de  même  à  Tëgard  des  fubâdes»  que  nous  lèverons 
fur  la  ville  de  Londres ,  laquelle  jouira  de  fes  anciennes  libertés  &  coutu-» 
mes  ^  tant  fur  eau  que  fur  terre.  <t 

:  XVI.  3^  Nous  accordons  encore  à  toutes  tes  autres  villes ,  bourgs  ^  vtlla^ 
^es,  aux  barons  des  cinq  ports,  &  à  tous  autres  ports ^  qu'ils  puiflèot 
jouir  de  leurs  privilèges  &  anciennes  coutumes,  &  envoyer  des  députés  au 
cpnfeil  commun  pour  y  régler  ce  que  chacun  doit  fisumir ,  les  trois  cas  de 
IVticIe  XIV  exceptés.     . 

XVII.  »  Quand  il  fera  quefiion  de  régler  ce  que  diacun  devra  payer 
pour  le  droit  de  fcutage ,  nous  promettons  de  faire  fommer  par  des  or* 
dres  particuliers»  les  Archevêques ,  les  Evêques,  les  Abbés ^  les  Comtes 
&  les  «rands  Barons  du  Royaume  chacun  en  fbn  particulier.  « 

XVIIL  »  Nous^promettons  encore  de  faire  fommer  en  général  par  nor 
fliérifs  ou  baillifs ,.  tous  ceux  qui  tiennent  des  terres  de  nous  en  chef,  qoa* 
rante  jours  avant  la  tenue  de  Taflièmblée  générale ,  de  fe  trouver  au  lie» 
aflîgné,  &  dans  fes  (bmmations  sous  déclarerons  les  caufes  pour  lefquelles 
l'affemblée  fera  convoquée.  « 
.  XIX.  I.es  fommatibns  étant  faites  de  cette  manière  ^  on  procédera  fans 
délai  à  la  décifion  des  a&ires  félon  les  avis  de  ceux  qui  fe  trouveroot 
préfens  ^  quand  même  tous  ceux  qui  .  auroient  été  fommés  n'y  fe* 
roient  pas.  » 

XX.  »  Nous  promettons  de  n^accocder  à  aucun  feigneur  que  ce  îbit ,  h 
permiflioa  de  lever  aucune  fomme  fur  fes  vaflaux  &  tenanciers  ^  fi  ce  n'eft 
pour  le  délivrer  de  prifos,  pour  faire  fon  fils  aîné  Chevalier,  ou  pour 
marier  fa  fille  aînée ,  dans  lefquels  cas  il  pourra  feulement  lever  une  taxe 
modérée.  « 

XXI.  »  On  ne  fatfira  les  meubles  d'aucune  perfonne  pour  l'obliger  ï 
raifon  de  fon  fief,  à  plus  de  fervice,  quHl  n'en  doit  namrelleaient.  » 

,  XXII.  »  La  cour  des  communs  pIaido3rers , .  ne  fuivra  phiâ  notre  psr« 
fpnne;  mais  elle  demeurera  fixe  en  un  certain  lieu.  Les  procès  tMchaot 
rexpulfion  de  pofreflion ,  la  mort  d'un  ancêtre ,  ou  la  préfenutioa  anx  bé* 
néfices,  feront  jugés  dans  la  Province  ^  dont  les  parties  dépendent ,  de  cette 
manière.  Nous  ou  notre  ^and  juflicier,  envoyerons  une  fais  tous  les  ans^ 
dans  chaque  Comté,  des  juges,  qui,  avec  les  Chevaliers  des  mêmes  Com- 
tés, tiendront  leurs  aflifes  dans  la  Provincç  même,  a 

XXIII.  n  Les  procès  qui  ne  pourront  être  terminés  dans  une  felfion; 
ne  pourront  être  jugés  dans  un  autre  Uett  du  circuit  des  mêmes  juges,  & 
les  affaires  qui,  pour  leurs  difficultés,  ne  pourront  pas  être  décidées  ptf 
us^  mêmes  juges,  feront  portées  à  la  cour  du  banc  du  Roi».  « 


CHARTE    ftT.CHARTRÊ  ftj 

JC^V.  »  Toutes  les  a^6&tres  t{m  regftrdefii;  h  4imiîere  pné&atsttîon  aux 
églifes ,  fieraiit  portées  à  U  cour  du  bftnç  dii  Roi^&  y  feroat  termioéjes.  à 

XXV.  »  IJn  iBoancicr  libre  ne  poiura  pas  être  ms  ï  ramenje  pout  de 
petites  fautes ,  mais  feulement  pour  les  grandes^  &  l^amMde  fora  ptopon^ 
rionnée  au  crkne,  fâuf  U  iuh&ftaoce,  dopt  il  ne  pOiura  être  privé.  II  en 
feniufëde  même  k  l'égard  dos  marchaod^  j  auxqueb  im  fet»  teniàide  laîflèif 
ce  qui  leur  fera  néceifaire  pour  "^eatreceiiir  leur  eCommerce,  ce    ;, 

XXVf «  y>  Semblablemeut  un  payfan ,  ou  autre  perfoooe  à  nous  apparte* 
fiant ,  ne  pourra  être  mis  à  l'ameode  qu'aux  mêmes  cooditio0&.  C'efi«*à^dire  i 
qu'on  ne  pourra  point  toucher  aux  infirumeiu  lerv.anf  ^au  labom^ge.  Aucune 
des  fufdices  amendes  ne  fera  isnpofiie  xjue  fiir^  ihrmenidfi  douze  hommes 
du  voîfinage  recomuta  pour  gqns  de  honne  réputation.  « 

XXVII.  »  Les  conuses  &  les  barons,  pe  feront  mis  à Tameode^  que  par 
leurs  pi^irs  &  félon  la  qualité  de  Pofîeafe.  fc 

XXVIII.  »  Aucun  eccléfiaftique  ne  fera  mis  ï  une  amende  proportionnée 
au  revenu  de  fon  bénéfice ,  mais  feulement  aux  btâis  laïques  qu^U  pofTede  | 
&  félon  la  qualité .  de  fa  &ute.  a 

XXIX.  »  On  ne  contraindra  auCuhe  Vitle ,  ni  aucune  fierfonfte  par  la  (ait' 
fiede^  meubles,  k  faire  conftmtre: des  ponts  for  lits  rivitresi  à  Aïoiiis  qu'elles 
n'y  foienc  obligées  par  un  ancien  droit.  « 

XXX.  D  On  ne  fera  aucune  digue  aux  nvieres ,  :  qu'à  celles  qui  l^n  ont 
eu  àxï  tems  d'Henri  I.  « 

XXXI.  »  Aucun  fchérifi  cotmétaMe ,  colonel ,  ou  autre  officier,  ne  pourra 
tenir  les  plaids  de  la  couronne.  <c 

XXXII.  »  Les  comtés,  centaines ,  Trapentaks ^  dixaines,  demeureront  fixés 
felon  l'ancienne  forme ,  les  terres  de  notre  domaifie  paitKulier^  exceptées.  « 

XXXIII.  »  Si  quelqu'un  tenant  de  nous  ya  iief  làiqîie  meurt ,  &  que  le 
fchérif ,  ou  baillir  produife  des  preuves  pour  faire  voir  que  le  défunt  étoit 
notre  débiteur,  il  fera  permis  de  faifîr  &  d'enregifirer  des  meubles  trou* 
vés  dans  le  même  fief,  jufqu'à  la  concurrence  de  la  fomme  dute,.&  cela 
par  Tinipeâion  de  quelqiics  voifins  répiMjés  gens  d'honneur,  afin  que  rtesi 
ne  foit  détourné  jufqu'à  ce  que  la  dette  feit  payée^  Le  furplus  fer;i  lai^ 
entre  les  mains  des  exécuteurs  du  tefiament  du  définit.  Que  «'il  fe  trouve 

3ue  le  défiint  ne  nous  devoit  rien,  le  tout  fei^laifië  à  l'héritier,  fauf  fes 
roits  de  la  veuve  &  des  enfitns.  a  ^ 

XXXIV.  »  Si  quelque  tetumcier  meurt  fans  faire  teftametit ,  fes  effets 
nobiliaires  feront  diftribués  par  les  plus  proches  parens  &  amis ,  avec 
l'approbation  de  l'égUfe,  fauf  ce  qui  étoit  dû  par  le  défiint.  <c 

XXXV.  »  Aucun  de  nos  baiUifs  ou  connétables ,  ne  prendra  le  grain , 
ou  autres  effets  mobiliaires  d'une  perfonne  qui  ne  fera  pas  de  fa  jurifdic*- 
tion ,  à  moins  qu'il  ne  le  paie  comptant ,  ou  qu'il  n'ait  auparavant  con^* 
venu  avec  le  vendeur  du  tems  du  paiement.  ■  Mais  fi  le  vendeur  cfl  de  la 
Ville  même,  il  fera  payé  dans  quarante  jours.  « 

Vvv  a 


524  CHARTE    IT    CHART/RE. 

XXXVI.  »  0|i  ne  pourra  faifir  les  meubles  d'aucun  chevalier  Tous  piécette 
de  la  garde  des  châteaux^  s'il  of&e  de  lui-même  le  fervice  ou  de  donner 
un  homme  en  fa  place ,  en  ca$  qu'il  ait  une  excufè  valable ,  pour  s'en 
di(penfer  lui-même,  a 

XXXVIL  »  S'il  arrive  qu'un  chevalier  foit  commandé  pour  aller  fervir  ï 
l'armée,  il  fera  difpenfé  de  la  garde  des  châteaux  tout  autant  de  tems 
qu'il  fera  fon  fervice  à  l'armée,  pour  raifon  de  fon  fie£  a 

XXXVIIL  B  Aucun  fchérif  ou  baillif  ne  prendra  par  force,  ni  chariots, 
ni  chevaux ,  pour  porter  notre  bagage ,  qu'en  payant  le  prix  ordonné  par 
les  anciens  réglemens ,  favoir ,  dix  lois  par  jour ,  pour  un  chariot  à  deux 
chevaux,  &  quatorze  fols  pour  un  1  trois  chevaux.  « 

XXXIX.  »  Nous  promettons  de  ne  Êiire  point  prendre  les  chariots  des 
ecçléfi^af^ques ,  ni  des  chevaliers ,  ni  des  dames  de  qualité ,  non  plus  que  du 
bois,  pour  l'ufage  de  nos  châteaux,  que  du  conientement  des  proprié* 
taires.   « 

,  XL.  B  Nous  ne  tiendrons  les  terres  de  ceux  qui  feront  convaincus  Je 
félonie,  qu'un  an  &  un  jour  :  après  quoi  noUs  les  mettrons  entre  les 
mains  du  6eigneur.  a 

XLI.  9  Tous  les  filets  à  prendre  des  faumons  ou  autres  poillbns ,  dans 
les  rivières  de  Midvay,  ou  dans  la  Tamife,  &  dans  toutes  les  rivières 
d'Angleterre,  excepté  fpr  les  cotes ,  feront  ôtés.  ^ 

XIJJ.  9  On  n'accordera  plus  aucun  vrrit  ou  ordre  appelle  pracipe  par 
lequel  un  tenancier  doive  perdre  fon  procès.  « 

aLÎII.  »  Il  y  aura  une  même  mefure  dans  tout  le  Royaume  pour  le  vis 
&:  pour  la  bieré»  auffi-bien  que  pour,  le  grain ,  &  cène  mefure  fera  con- 
ferme  à  celle .  dont  on  fe  fert  à  Londres.  Tous  les  draps  auront  une 
même  largeur,  favoir  deux  vetges^  entre  les  deux  lifieres.  Les  poids  feront 
àudi  les  mêmes  dans  tout  le  Royaume.  « 

XLIV.  »  On  ne  prendra  rien  à  l'avenir  pour  les  writs ,  ou  ordres  d^ 
former,  de  cekii  qui  défirera  qu'information  foit  iaite,  touchant  la  perte 
de  la  vie  ,  ou  des  membres  de  quelque  peribnoe  :  mais  ils  feront  accordés 
gratis ,   &  ne  (eront  jamais  refulés.  a 

XLV.  »  Si  quelqu'un  tient  de  nous  une  ferme ,  (bit  fbccage  ou  burgage,  & 
quelques  terres  d'un  autre ,  fous  la  redevance  d'un  fervice  militaire ,  nous 
ne  prétendons  point ,  fous  prétexte  de  cette  ferme ,  avoir  la  garde  de  l'hé- 
ritier mineur ,  ou  de  la  terre  qui  appartient  au  fief  d'un  autre.  Nous  ne 
prétendons  pas  même  à  la  garde  de  la  ferme ,  à  moins  qu'elle  ne  foit  Tu- 
jette  à  un  fervice  militaire,  a 

,  XLVL  »  Nous  ne  prétendons  point  avoir  la  garde  d'un  enfent  mineur, 
ou  de  la  terre  qu'il  tient  d'un  autre ,  fous  l'obligation  d'un  fervice  militaire, 
fous  prétexte  qu'il  nous  devra  quelque  petite  redevance,  comme  de  nous 
fournir  des  épées ,  ou  des  flèches ,  ou  quelque  chofe  de  cette  nature.  < 

XLVII.  »  Aucun  baillif  ou  autre  de  nos  officiers ,  n'obligera  perfonne  à 


C  H  A  R  T  E    Hï    C  H  A  R  T  R  E.  $25 

le  purger  par  ferment^  fur  fa  fimple  accufatîon  ou  témoignage,  à  moins 
que  ce  témoignage  ne  fpit  confirmé  par  des  gens  dignes  de  foi.  a 

XLVIII.  »  On  nVrétera,  ni  emprifonnera ,  ni  ne  dépoffédera  de  fes 
biens ,  coutumes  &  libertés  ^  &  on  ne  fera  mourir  perfonne ,  de  quelque 
manière  que  ce  foit,  que  par  le  jugement  de  fes  pairs ,  ielon  les  loix  du  pays.  « 

XLIX.  o  Nous  ne  vendrons,  ne  refuferons,  ou  ne  différerons  la  juftice 
à  perfonne.  « 

L.  »  Nos  marchands,  s^ils  ne  font  publiquement  prohibés^  pourront  libre* 
ment  aller  &  venir  dans  le  Royaume ,  en  forrir ,  y  demeurer ,  le  traverfer 
par  terre  ou  par  eau ,  acheter ,  vendre  félon  les  anciennes  coutumes ,  fans 
qu'on  puiiTe  impofer  fur  eux  aucune  maltote ,  excepté  en  tems  de  guerre  ^ 
ou  quand  ils  feront  d'une  nation  en  guerre  avec  nous.  « 

LI.  i>  S'il  fe  trouve  de  te^s  marchands  dans  le  Royaume  au  commence* 
ment  d'une  guerre,  ils  feront  mis  en  fureté  fans  aucun  dommage  de  leurs 
perfonnes  ni  de  leurs  effets,  jufqu'à  ce  que  nous, ou  notre  grand  jufticier^ 
soyons  informés  de  la  manière  dont  nos  marchands  font  traités  chez  les 
ennemis ,  &  fi  les  nôtres  font  bien  traités ,  ceux-ci  le  feront  aufli  parmi  nous.  « 

LIL  9  II  fera  permis  à  l'avenir  à  toutes  perfonnes  de  fortir  du  Royaume, 
&  d'y  -retourner  en  toute  fureté ,  fauf  le  droit  de  fidélité  qui  nous  efl  dû , 
excepté  toutefois  en  temps  de  guerre,  &  pour  peu  de  temps  quand  il  fera 
néceflaire  pour  le  bien  commun  du  Royaume  ;  excepté  encore  les  prifbn* 
niers  &  les  profcrits  ,  félon  les  loix  du  pays ,  &  les  peuples  qui  feront  en 
guerre  avec  nous ,  auffî-bien  que  les  marchands  d'une  nation  ennemie , 
comme  en  l'article  précédent.  « 

LUI.  »  Si  quelqu'un  relevé  d'une  terre  qui  vienne  )  nous  échoir,  foit 
pour  coflfifcatioo  ou  autrement,  comme  de  Wallingfbrd ,  de  Boulogne ,  de 
riotttngham,  de  Lencafter,  qui  font  en  notre  poffdlîon,  &  qui  &nc  des 
baronnies  ,  &  qu'il  vienne  à  mourir ,  fon  héritier  ne  donnera  rien ,  Se  ne 
fera  tenu  de  fiiire  aucun  autre  fer  vice,  que  celui  auquel  il  feroit  obligé,  fî  la 
baronnie  étoit  pn  la  poife^Iion  de  l'ancien  baron  &  non  dans  la  nôtre.  Nous 
tiendrons  ladite  baronnie  de  la  même  manière  que  les  anciens  barons  la  te« 
noient  avant  nous.  Nous  ne  prétendrons  point  pour  raifon  de  ladite  baronnie 
tombée  entre  nos  mains  ,  avoir  la  garde  noble  d'aucun  des  vaffaux  à 
moins  que  celui  qui  poflède  un  fief,  relevant  de  cène  baronnie,  ne  relevât 
auffi  de  nous  pour  un  autre  fief,  fous  l'obligation  d'un  fervice  militaire,  a 

LIV.  »  Ceux  qui  ont  leur  habitation  hors  de  nos  forêts  ne  feront  point 
obligés  de  comparoitre  devant  nos  juges-  des  forêts  ,  fur  des  fommations 

Î générales ,  mais  feulement  ceux  qui  font  intéreflës  dans  le  procès  ;  ou  qui 
ont  cautions  de  ceux  qui  ont  été  arrêtés  pour  malverfatiens ,  concernant 
nos  forêts.  « 

LV.  i>  Tous  les  bois  qui  ont  été  réduits  en  fpi^ts  par  le  Roi  Richard  notre 
frère ,  feront  réublis  en  leur  premier  état ,  les  bois  de  nos  propres  domaines 
exceptés,  a 


{2^  €  R  A  11  r  Ê    ST    C  H  A  R  t  It  & 

LVT.  9  Pcrfonne  ne  pourra  vendre  ou  donner  aucune  partie  de  (k  tene 
au  préjudice  de  fon  Seigneur.  C^eft<-à^ire ,  it  moini  qu'il  ne  lut  en  refie 
aflez  pour  pouvoir  faire  le  fenriee  dà  au  Seigneur,  a 

LViJ.  »  Tous  patrons  dVibbayes  i|ui  ont  de^  Chartres  de  quel<{u^un  des 
Rois  d'Angleterre ,  contenant  droit  de  patronat ,  ou  qui  poflèdent  ce  droit 
de  temps  immémorial  ^  auront  la  garde  de  ces  abbayes  pendant  k  vacance, 
comme  ils  doivent  Tavoir  félon  ce  qui  a  été  déclaré.  « 

LVIII4  »  Perfonne  ne  fera  mis  en  prifon  fur  Pappel  d^une  femme ,  pour 
la  mort  d^aucun  autre  homme ,  que  du  propre  mari  de  la  femme.  « 

LIX.  n  On  ne  tiendra  le  shire*gemot  ou  la  cour  du  comt4 ,  quNine  fbii 
par  mois ,  à  moins  que  ce  ne  foit  dans  les  lieux  où  la  coutume  eft  de 
mettre  un  plus  grand  intervalle  entre  les  feffions ,  ou  Pdn  contmuem  dt 
même  feion  l'ancienne  coutume.  « 

LX.  •>  Aucun  shérif  ou  baîllif.  ne  tiendra  fon  tour  ou  (a  cour  que  dent 
fois  Tan  ;  favoir ,  la  première  après  les  Féres  de  Pâques  ;  la  féconde  aprél 
la  S.  Michel  &  dans  les  lieux  accoutumés.  Alors  Pinfpeâion  ou  examen 
des  cautions  ou  furetés^  dont  les  hommes  libres  de  notre  Royaume  fe  (oc^ 
vent  mutuellement ,  fe  fera  au  terme  de  S.  Michel ,  fans  aucune  oppref&on  : 
de  telle  manière  que  chacun  ait  les  mêmes  libertés,  dom  il  joui<lbit  fooi 
le  règne  d*Henri  I ,  &  de  celles  qu'il  peut  avoir  obceoues  depuis.  « 

LXI.  »  Que  ladite  tnfpeéHon  fe  hffe  de  telle  forte  qu^elle  ne  porte  aucua 
préjudice  à  la  paix,  Si  que  la  dixaine  foit  remplie  comme  elle  le  doit  être.  < 
.  LXII.  «>  Que  le  «hérir  n^opprime  &  ne  vexe  perfonne,  mais  qn'il  fe  coo* 
tente  des  droits  que  les  fhérifs  avoient  accomumés  de  prendre ,  fous  le 
règne  d^Henri  h  v 

LXIII.  »  Qu'à  l'avenir  il  ne  (bit  permis  à  qui  que  ee  foit  de  donner  ft 
terre  ii  une  maifon  religieufe,  pour  la  tenir  enfuite  en  fief  ^e  cette  maifoa.s 

LXIV.  o  II  ne  fera  point  permis  aux  maifons  religieufes  de  recevoir  des 
ferres  de  cette  manière,  pour  les  rendre  enfuite  aux  propriétaiita ,  &  i 
condition  de  relever  des  monafleres.  Si  à  l'avenir  quelqu'un  entreprend  di 
donner  fa  terre  à  un  monaflere ,  &  qu^il  en  (bit  convaincu ,  le  don  fera 
nul ,  &  la  terre  donnée  fera  confîfquée  au  profit  du  Seigneur.  « 

LXV.  »  Le  droit  de  fcutaee  fera  perçu  à  Pavenir ,  ièlon  la  coutume  pri* 
tiquée  fous  Henri  I.  Que  les  fhérifs  nVntreprennent  point  de  vexer  qui 
que  ce  (bit ,  mais  ûu'ils  fe  contentent  de  leurs  droits.  « 

1.XVI.  »  Toutes  les  libertés  (k  privilèges  que  nous  accordons  par  cette 
préfente  Chartre ,  à  l'égard  de  ce  qui  nous  eft  dû  par  nos  vaflfaux ,  feront 
obfervés  de  même  par  les  clercs ,  Se  par  les  laïques ,  à  l'yard  de  leur? 
tenanciers.  « 

^  LX VII.  »  Sauf  le  droit  des  archevêques ,  abbés ,  prieurs ,  templiers ,  hoP» 
pitaliers,  comtes,  barons,  chevaliers,  &  de  tous  les  autres  tant  laïques 
qu'eocléûafliques ,  dont  ils  jouifToient  avant  cette  Chartre  :  témoins ,  &€.  • 


C    H    A    s    s    s. 


T»7 


L 


C    H    A    S    S    E ,    f.  £ 


fE  droit  de  Chafle^  ou  de  la  pourfuitd  du   gibier  gros  &  menu,  au 
poil  &  à  la  plume ,  appanienc  au  Souverain ,  ou  aux  Seigneurs  qui  font 
propriétaires  des   biens  de    campagne^    chacun    fur   fon   territoire.    Ceft 
un  arrangement  bien  fage  que  ce  droit  n'ait  p^s  été  accordé  à  des  perfon* 
nés  de  toute  condiricM) ,  vu  l'abus  qu'ils  n'ânroient  pas  manqué  d'en  faire 
dans  la  deftruâion  du  gibier.  Les  loîx  particulières  de  chaque  pays  déter- 
minent i^.  quelle  partie  de  la  haute-Chaffe  eft  réfervée  excluuvement  au 
Souverain,  2^.  jufqu'où  il  peut  l'exercer  même  fur  les  terres  de  fes  vaf- 
fàux  I  )^*  jufqu'où  s'étendent  les  limites  &  les  droits  de  parcs ,  4^.  quelle 
partie  de  la  haute ,  moyenne  &  petite  ChaflTe  e(t  accordée  à  chaque  terre 
leigneuriale ,  %^.  quel  eft  le  droit  du  Seigneur  de  chafler  fur  les  terrés  de 
fes  payfans  &  autres  fujets ,  6^.  quelle  efpece  de  ChafTe  eft  permife  ou 
défendue  dans  tous  les  pays  ^  7^.  quelle  forte  de  gibier  il  efl  permis  ou 
défendu  de  prendre  dans  des  pièges  ou  des  filets ,  8^.  quels  font  les  chà- 
timens  de  ceux  qui  contreviennent  à  ces  réglemens ,  &  qui  abattent  furti- 
vement le  gibier.  La  Vénerie  doit  veiller  à  l'obfervation  de  ces  loix  ;  & 
les  Gardes-Chaffes  doivent,  pour  ainfi  dire»  habiter  les  forêts^  pour  garder 
tant  le  eibier  que  le  bois  :  il  faut  les  obliger  à  être  exaâs  à  leur  devoir  ;  car 
la  conservation  du  gibier  eft  un  objet  important.  C'eft  ainfi  pour  la  même 
raifon  que,  dans  prefque  tous  les  pays  policés  de  l'Europe,  la  Chafle  n'éft 
pas  ouverte  en  toute  iaifon ,  mais  quil  eft  défendu,  tant  aux  chafleurs  du 
Souverain  ,  qu'aux  Gentilshommes ,  de  chafter  depuis  le  premier  de  Mard 
jttfqu'au  premier  Septembre,  pour  donner   au  gibier  de  toute  efpece  le 
temps  de  faire  paifiblement  leurs  petits,  &  de  les  élever  pendant  les  mois 
d'été.   On  a  aufli  très-fagement  défendu  les  Chafles  meurtrières,  par  lef« 
quelles  les  Seigneurs ,  pçiur  fatisfiire  à  un  plaifîr  brutal ,  maftacroient  le  gi- 
bier fans  diftinâion,  &  en  détruifoient  l'efpece.  D'un  autre  Côté,  il  n'eft 
pas  prudent  non  plus  de  laifler  les  bêtes-fauves  fe  multiplier  au  point  qu'el- 
les défolent  les  champs  des  habitans  de  la  campagne,  pour  trouver  leur 
pâture  hors  des  bois.  Il  règne,  en   bien  des  pays,  de  grands  abus  à  cet 
égard.  Lts  Princes,  pour  ê  procurer  le  frivole  &  dangereux  amufement 
de  la  Chaffe  forcée ,  font  conferver  plus  de  cerfs ,  de  biches ,  de  daims  ^ 
de  chevreuils  ,  de  fangliers  ,  &c.  qu^l  n'en  eft  befoin.  Ces  animaux  fortant 
des  bois  ruinent  les  moilfons  ;  &  l'infortuné  payfan  n'oferoit  les  tuer  fans 
encourir  les  plus  terribles  châtimens.  Que  gâgne-t-on  par-là  ?  On  fait  un 
tt>rt  conddérable  à  la  récolte  générale  du  pays ,  on  punit ,  on  ruine  un  fu- 
jet  honnêre  homme ,  qui  eft  plus  utile  à  l'Etat  que  rous  les  cerfs ,  &  on 
veut  le  forcer  à  voir  d'un  œil  tranquille  le  fruit  de  fes  travaux  abymé  par 
les  bêtes  fauvages.  Une  femUable  conduite  eft  telle ,  qu'on  n'a  qu'à  en 


528  CHASSE.^ 

pjrëfenter  le  tableau  pour  en  Ëûre  featir  l'abfurdité.  On  ^che  par  touter; 
fortes  de  moyens  de  détruire  les  ours  ^  les  loups ,  les  renards  ^  les  niar« 
tes,  les  loutres,  les  vipères,  &  tous  les  aoimaux  voraces   &  dangereux» 
tandis  qu'on  peuple  les  forêts  d'une  quantité  prodigieufe  de  bêtes-Ëiuve^ 
qui  mettent  le  campagnard  au  défefpoir. 

La  ChalTe  n'eft  devenue  un  droit  que  par  convention  ^  ou  par  une  loi 
de  la  fociété  politique.  Mais  la  loi  qyi  défend  de  nuire  aux  autres  eft  une 
loi  naturelle  »  à  laquelle  les  loix  humaioes  doivent  être  fubordonnées.  La 
loi  des  hommes  permet  aux  Seigneurs  d'avoir  du  gibier  ;  m^s  la  loi  pri- 
mitive y  met  cette  reftriâion  :  autant  qu^il  ne  nuira  à  pcrfonnt^  Dans 
le  cas  où  il  nuit ,  elle  abolit  la  loi  humaine.  Ce  principe  doit  être  la  bafe 
du  code  des  Chafles. 

Machiavel  recommande  la  Chafle  aux  Princes  »  comme  un  vaoje^,  de 
connoitre  les  fituations  &  les  paflTages  de  leur  pays.  On  fent  bien  que  cette 
raifbn  ne  peut  regarder  que  de  très-petits  Princes  dont  les  Etats  font  très* 
peu  étendus.  Mais  »  dit  rort  bien  l'auteur-Roi  qui  a  pris  à  tâche  de  réfù* 
ter  Machiavel ,  fi  un  Roi  de  France ,  fi  un  Empereur ,  ptétendoient  ac- 
quérir de  cette  manière  la  connoifTance  de  leurs  Etats ,  il  leur  faudroit  au^ 
tant  de  temps  dans  le  cours  de  leur  Chafle,  qu'en  emploie  l'Univers  dans 
la  grande  révolution  des  aftres.  Entrant  enfuite  dans  un  plus  grand  détail 
fur  la  ChafTe ,  il  ajoute  :  puifque  ce  plaifii"  eft  la  pa(Tîon  prefque  générale 
des  Nobles ,  des  grands  Seigneurs ,  &  des  Rois  ^  fur-tout  en  Allemagne  ^ 
il  me  femble  qu'elle  mérite  quelque  difcuflion. 

La  Chafle  eft  un  de  ces  plaifirs  fenfuels ,  qui  agitent  beaucoup  le  corps, 
&  qui  ne  difènt  rien  à  l'eiprit  ;  c'efl  un  déur  ardent  de  pourfuivre  quel* 
que  bête,  &  une  fatisfàâion  cruelle  de  la  tuer;  c'efl  un  amufement  qui 
rend  le  corps  robufle  fie  difposy  &  qui  laifTe  l'efprit  en  firiche  &  fans 
culture. 

Les  chafleurs  me  reprocheront ,  fans  doute ,  que  je  prends  les  chofes 
fur  un  ton  trop  férieux ,  que  je  fais  le  critique  févere ,  &  que  je  fuis  dans 
le  cas  des  Prêtres ,  qui ,  ayant  le  privilège  de  parler  feuls  dans  les  chai- 
res ,  ont  la  facilité  de  dire  tout  ce  que  bon  leur  femble ,  fans  appréhender 
d'oppofition. 

Je  ne  me  prévaudrai  point  de  cet  avantage;  j.'allégueraî  de  bonne  fbi 
les  raifons  fpécieufes  qu'allèguent  les  amateurs  de  la  Chaflè.  Ils  me  diront 
di'abord  que  la  ChafTe  eft  le  plaifir  le  plus  noble  &  le  plus  ancien  des 
hommes;  que  des  Patriarches ,  &  même  beaucoup  de  grands  hommes, 
ont  été  chaffeurs;  &  qu'en  chafGmt,  les  hommes  continuent  à  exercer  ce 
même  droit  fur  les  bêtes  ^  que  Dieu  daigna  lui-même  donner  à  Adam. 

Mais ,  ce  qui  eft  vieux  n'en  eft  pas  meilleur ,  fur-tout  quand  il  eft  ou* 
tré.  De  grands  hommes  ont  été  paffîonnés  pour  la  Chaue,  je  l'avoue: 
ils  ont  eu  leurs  défauts  comme  leurs  foibleffes  ;  imitons  ce  qu'ils  ont  eu 
de  grand  %  ii  ne  copions  point  leurs  nânuties» 

Les 


C    H    AS    S    B*  ^29 

Les  Patriarches  ont  chafTé,  cVll  une  vérité  ;  inavoué  encore  qu^its  ont 
ëpoufé  leurs  fœurs ,  que  la  poligamie  étoit  en  u(age  de ,  leur  temps  :  maig 
ces  bons  Patriarches ,  en  chaffiint  ainfi ,  fe  refTentirent  des  fiecles  barbarei 
dans  lefquels  ils  vivoient;  ils  éroient  trés-groffîers  &  trés-ignorans  ;  c^ë« 
toient  des  gens  oifîfs ,  qui ,  ne  fâchant  point  s'occuper ,  &  pour  tuer  \t 
temps  qui  leur  paroiflbit  toujours  trop  long,  promenoient  leurs  ennuis  à 
la  Chafie  :  ils  perdoient  dans  les  bois,  à  la  pourfuite  des  bétes,  les  mo«« 
mens  qu'ils  n'avoient  ^  ni  la  capacité ,  ni  l'elprit ,  de  paifer  en  compagtiie 
de  perionnes  raifonnables. 

Je  demande  fi  ce  font  des  exemples  à  imiter  ?  Si  la  grofliéreté  doit 
inftruire  la  politefle  ?  Ou ,  fi  ce  n'eft  pas  plutôt  aux  fiecles  éclairés  ï  fer- 
vir  de  modèle  aux  autres. 

Qu'Adam  ait  reçu  l'empire  fiir  les  bêtes ,  ou  non  ,  c'eft  ce  que  je  ne 
recherche  pas  ;  mais  je  fais  bien  que  nous  fommes  plus  cruels  &  plus  ra« 
paces  que  les  bêtes  même ,  &  que  nous  ufons  tyranniquement  de  ce  pré- 
tendu empire  i  fi  quelque  chofe  devoit  nous  donner  de  l'avantage  fur  les 
animaux ,  c'eft  alfurément  notre  raifbn ,  &  ceux  pour  l'ordinaire  qui  font 
profeifion  de  la  Chafle,  n'ont  leur  cervelle  meublée  que  de  chevaux,  de 
chiens,  &  de  toutes  fortes  d'animaux.  Ils  font  quelquefois  trés-grofiiers ^ 
&  il  efl  à  craindre  qu'ils  d^viemient  aufiî  inhumains  envers  les  hommes  ^ 
qu'ils  le  font  à  l'égard  des  bêtes ,  ou-  que  du  moins  la  cruelle  coutume 
de  faire  fouf&ir  avec  indifférence,  ne  les  rende  moins  compatiffans  aux 
malheurs  de  leur  femblables.  E(l-ce  là  ce  plaifir  dont  on  nous  Vatite  tant 
la  nobleffe?  Efl-là  cette  occupation  fi  digne  d'un  être  penfant  ?  On  m'ob- 
jeâera  que  la  Chaflè  .eil  Tàlutàire  à  la  kmté,  que  l'expérience  a  fait  voir 
que  ceux  qui  chaffent  deviennent  vieux ,  que  c'efl  un  plaifir  innocent  & 
qui  convient  aux  grands  Seigneurs,  puifqu'il  étale  leur  magnificence,  puif- 
qu'il  -diffipe  leurs  chagrins,  &  qu'en  temps  de  paix  il  leur  prélente  les 
images  de  la  guerre. 

Je  fuis  bien  éloigné  de  condamner  un  exercice  modéré;  mais  qu'on  y 
prenne  garde ,  l'exercice  n'eft  néceffaire  qu'aux  intempérans.  Il  n'y  a  point 
de  Prince  qui  ait  vécu  plus  que  le  Cardinal  de  Fleury,  ou  le  Cardinal  de 
Ximenés  &  d'autres  qui  n'étoient  point  chafTeurs.  Faut-il  d'ailleurs  choifilr 
la  profeffiori*  qui  n'a  de  mérite  que  celui  de  promettre  une  longue  vieî 
Les  Moines  vivent  d'ordinaire  plus  long-temps  que  les  autres  hommes  ; 
&ut'il  pour  cela  fe  faire  Moine? 

Il  ne  s'agît  point  qu'un  homme  traîne  jufqu'à  Page  de  Mathufalem  le 
fil  indolent  &  inutile  de  ks  jours  ;  mais  plus  il  aura  réfléchi ,  plus  il  aura  fiiit 
d'aéKons  belles  &  utiles ,  &  plus  il  aura  vécu. 

D'ailletsrs ,  la  Chaffe  efl  de  tous  les  amufemens  celui  qui  convient  le 
moins  aux  Princes;  ils  peuvent  manifefter  leur  magnificence  de  cent  ma- 
nières beaucoup  plus  utiles  pour  leurs  fujets:  s'il  le  trouvoit  que  l'abon- 
dance du  gibier  ruinât  les  gens  de  la  dampagne ,  le  foin  de  détruire  ces 

Tome  XL  Xxx 


53® 


CHASSE- MARÉE. 


animaux  pourroit  très-bien  fe  commettre  aux  chàfleurs  payés  pour  cela. 
Les  Princes  ne  devroient  proprement  être  occupés  que  du  loin  de  s'inflruire 
t&  de  gouverner  afin  d^acquérir  d'autant  plus  de  connoiflkncés ,  &  de  pou- 
voir d'autant  plus  fe  former  une  idée  de  leur  profeifîon  pour  agir  bien  en 
tonféquence. 

Je  dois  ajouter  ^  fur-tout  pour  répondre  à  Machiavel ,  au'il  n'eft  point  né- 
cefTaire  d'être  ChalTeur  pour  être  grand  Capitaine.    Guftave-Adolphe ,  Tu- 
^enne  ,  Marlborough ,  le  Prince  Eugène ,  à  qu;  on  ne  difputera  pas  la  qua- 
lité d'hommes  illuftres  &  d'habiles  Généraux,    n'ont   point  été  chàfleurs î 
nous  ne  lifons  point  que  Céfar,  Alexandre ,  où  Scipion  l'aient  été. 

On  pçut  en  (e  promenant  faire  des  réflexions  plus  judicieufes  &  plus  fo- 
lides  fur  les  différentes  fituacions  d'un  pays ,  relativement  à  l'art  de  la  guer- 
re, -que  lorfque  des  perdrix,  des  chiebs  couchans,  des  cer&,  une  meute 
de  toutes  fortes  d'animaux  »  &  Tardeur  de  la  Chaffe  vous  difiravent  :  un 
grand  Prince ,  qui  a  fait  la  féconde  campagne  en  Hongrie ,  a  rifqué  d'être 
fait  prifonnier  des  Turcs  pour  s'être  égaré  à  la  Chaffe  :  on  ^  devroit  même 
défendre  la  Chaffe  dans  les  armées ,  car  elle  caufe  beaucoup  de  défordre 
dans  les  marches. 

Je  conclus  donc  ^u'il  efl  pardonnable  aux  Princes  d'aller  à  la  Chaffe, 
pourvu  que  ce  ne  foie  que  rarement ,  &  pour  les  diflraire  de  leurs  occupa- 
lions  férieufes ,  &  quelquefois  fort  trifies.  Je  ne  veux  interdire  encore  une 
fois  aucun  plaifir  honnête;  mais  le  foin  de  bien  gouverner,  le  foin  de 
rendre  fon  Etat  heureux  &  floriffant ,  de  protéger ,  de  voir  les  fuccès  de 
tous  les  arts ,  efl  certainement  le  plus  grand  plaifir,  &  malheureux  celui  ï 
qui  il  en  faut  d'autres!  Cet  artick  cfi  cintrait  en  partie  de  rAnti'-Mar 
chiaveh 


CHASSE-MARÉE,f.  m. 
Marchand  forain  pour  le  poijfon  de  mer* 

X^E  Chaffe- marée  efl   celui  qui  acheté  le  poiffon  fur  les  ports  de  mer 
pour  le  tranfporter  &  le  vendre  à  Paris  ou  dans  les  autres  provinces. 

Ce  commerce  a  commencé  par  le  hareng  à  Paris,  &  c'efl  peut-être 
de-là  que  l'ufage  s'efl  enfuite  établi  de  nommer  harangeres  les  femmes 
qui  vendent  en  détail  dans  nos  marchés  le  poiffon  de  mer  tant  le  frais  que 
le  falé.  On  peut  fixer  fous  le  règne  de  St.  Louis  le  commencement  du 
commerce  de  polffons  de  mer  pour  les  provifions  de  Paris  ^  d'où  il  s'efl 
enfuite  étendu  dan^  les, autres  parties  du  ^Royaume;  en  effet  ce  Prince 
établit  par  une  ordonnance  de  l'an  T254  l'ordre  &  la  difcipline  qui  devoit 
être  obfervée  dans  ce,  copimercç  :  ç'eft  la  première  fois  qu'il  eft  parlé  de 


C  H  AS  s  E  -  M  A  RÉ  E.  531 

marchands  forains  &  de  voitfurièrs  de  poiflbns  de  mer,  &  que  ces  poUTons 
y  font  diftingués  en  frais  &  en  fecs  ou  falés.  Il  n^  a  aucun  commerce 
qui  ait  donné  lieu  à  un  plus  grand  nombre  d^ordonnances  &  de  régie- 
mens  :  Tun  des  plus  anciens  regidres  de  nos  archives  publiques  en  efl 
rempli,  &  en  a  pris  le  nom  de  regiflre  de  la  marée.  Il  s'agit  ici  particu- 
lièrement du  poiUon  frais ,  qui  a  mérité  par  fa  délicarefle  y  ion  bon  goût  » 
le  grand  nombre  &  la  variété  de  fes  efpeces,  le  nom  générique  de  ma-^ 
rée  ,  &  le  débit  s'en  fait  au  même  état  qu'il  efl  au  fortir  de  la  mer , 
(ans  autre  préparation.  Les  côtes  de  Picardie  en  fourniffent  une  fort  grande 
abondance,  dont  un  tiers  ou  environ  fe  transporte  en  Artois  &  en  Flan- 
dres, un  tiers  &  plus  à  Paris,  &  le  relie  fe  confomme  dans  le  pays.  Le 
feul  bourg  d'Aulx  en  fourniffoit  autrefois  plus  de  quatre  mille  fommes  dans 
les  années  où  la  pêche  étoit  favorable.  Il  nous  vient  aufli  beaucoup  de 
ce  poiffon  frais  des  côtes  de  Normandie ,  &  fur-tout  de  Dieppe ,  du  Havre 
de  Grâce ,  de  Granville  &  des  environs. 

Par  un  ufage  obfervé  de  tout  tems  à  la  halle  de  Paris,  oii  fe  vend  fa 
marée,  chaque  pannier  de  Chaffe-marées  doit  être  étiqueté  de  la  qualité 
des  poiiTons  qu'il  contient  v  il  leur  eft  défendu  fous  de  très-groffes  amendes 
de  les  contremarquer,  par  exemple  de  folles  ceux  qui  ne  Croient  remplis 
que  de  flers.  De  ces  paniers  l'on  n'en  vuide  qu'un  de  chaque  efpece  de 
poifTons  dans  la  manne  qui  efl  devant  chacun  des  jurés-vendeurs  ;  &  c'eft 
fur  cet  échantillon  que  les  marchands  en  détail  font  leurs  enchères  &  con- 
cluent leurs  marchés  ;  ainfi  pour  entretenir  la  bonne  foi  dans  ce  commer- 
ce ,  il  efl  important  que  tous  ces  paniers  ,  quant  à  leur  capacité  ,  foient 
uniformes  ;  ce  qui  a  donné^  lieu  d'en  faire  faire  un  patron  ou  étalon  mar- 
qué aux  armes  du  Roi ,  gardé  &  confervé  dans  un  dépôt  aux  halles  pour 
y  avoir  recours  &  en  faire  la  vérification  en  cas  de  befoin., 

Il  eft  ordonné  aux  Chaffes-marées  par  les  réglemens  de  remplir  leurs  pan- 
niers  loyalement  fans  mettre  au  fond  aucun  bouchon  de  paille  ou  autre 
emplaye,  qu'autant  qu'il  efl  néceffaire  pour  la  confervation  des  poiffons  : 
le  poiubn  doit  être  auflî  bon  deffous  que  deffus  &  au  milieu.  Il  leur  efl 
défendu  de  mettre  dans  un  même  panier  des  poiffons  de  deux  morts,  ou 
de  deux  différentes  marées  mêlés  enfemble,  &  d'y  mettre  des  rayes  ou  des 
chiens  de  mer  «  fur  les  autres  poiffons  ;  parce  que  ces  grands  poiffons  par  leur 
fraîcheur,  leur  humidité  &  leur  poids ,  pourroient  corrompre  les  autres. 

Les  voitures  du  poiffon,  pour  l'avoir  frais  &  bon  à  manger  aux  lieux 
éloignés  de  la  mer  d'une  certaine  diflance,  qui  ne  peut  ênre  que  de  30 
ou  4.0  lieues ,  demandent  une  diligence  extraordinaire  \  aufli  nos  loix  les 
ont -ils  favorifés  de  tous  les  fecours  dont  ils  ont  eu  befoin  dans  les  com- 
mencemens  de  leurs  entreprifes,  pour  faciliter  leur  commerce  :  plufieurs 
obflacles  traverferent  d*abord  leur  diligence  :  les  violences  qu'on  leur  fai- 
foit  pour  avoir  de  leurs  poiffons:  &  les  péages  exceflîfs  que  les  proprié- 
taires des  paffages  exigeoient  d'eux ,  furent  des  obflacles  qu'il  fallut  lurmon- 

Xxx  2 


^p  C  H  A  s  s  E.  -  M  A  R  É  7. 

ter*  Par  deux  arrêts  du  Parlement  du  mois  de  Janvier  1314,  Pua  contre 
les  Religieux  de  St.  Lucien ,  &  l'autre  contre  le  Seigneur  de  Milly ,  les 
ChafTe-marées  fiirent  maintenus  dans  le  droit  de  paner  librement  par  te 
bourg  de  Milly  en  payant  feulement  aux  Religieux  de  St.  Lucien  le  1  o  & 
1 1  Janvier  ^  &  aux  Seigneurs  de  Milly  tous  les  autres  jours  de  Tannée  trois 
deniers  pour  chaque  cheval  chargé  de  marée. 

Par  lettres  patentes  du  26  Février  1 3  5 1  ,  le  Roi  Jean  défendit  à  tous 
Seigneurs  tant  féculiers  que  réguliers  y  même  aux  pourvoyeurs  de  fa  mai- 
fon  f  ceux  des  maifons  de  la  Reine  &  des  Princes  leurs  en&ns ,  d^arrêter 
les  ChafSs- marées  &  de  prendre  ou  faire  prendre  des  poifTons  dans  lemrs  vcm^ 
cures  chargées  pour  les  provisions  de  la  ville  de  Paris,  avec  attribution  au 
Parlement  pour  en  connoitre  fur  les  pourfuites  du  Procureur  du  Roi,  ou 
fur  celles  même  des  marchands  &  de  leur  Procureur.  Par  arrêt  interlocutoire 
du  Parlement  du  9  Août  1354  ,  PAbbé  &  les  Religieux  de  St.  Denis  en 
France,  furent  autorifés  dans  leurs  prétentions  à  arrêter  les  Chafle-maréef 
pour  fe  pourvoir  de  poifTons  avec  modération  &  en  les  payant  leur  jufle 
valeur. 

Un  arrêt  du  Parlement  du  5  Septembre  1 5 1 1 ,  rendu  à  la  requête  dtf 
Procureur  de  la  marchandife  du  poifibn  de  mer  pour  Paris ,  &  fur  les 
conclufions  du  Procureur-Général  du  Roi ,  fait  défcnfcs  aux  Abhcs  &  Re* 
9  ligieux  de  St.  Vallery,  aux  officiers  de  l'amirauté,  &  à  tous  autres^  de 
a»  troubler  ou  empêcher  les  voituriers ,  marcha tuis  forains  &  Chafle-marées, 
«  d'acheter  les  poifibns  des  pêcheurs  fur  les  ports  dé  mer,  pour  les  pro- 
3»  vifions  de  la  ville  de  Paris ,  fous  peine  de  cent  marcs  d'argent  d'à* 
»  mende  au  Roi ,  &  autres  plus  grandes  peines  «* 

hts  pourvoyeurs  de  la  maifon  du  Roi  abufant  du  privilège  qu'ils  ont  for 
les  ports  de  mer ,  achetoient  un  plus  grand  nombre  de  poifTons  qu'il  n^é- 
toit  néceflkire  pour  les  provifîons  de  la  maifon  du  Roi  ;  ils  fbrçoient  même 
quelquefois  les  Chaflè-marées  de  leur  abandonner  ce  qu'ils  avoient  acheté 
pour  les  provifîons  de  la  ville  de  Paris  ;  ils  avoient  enfuite  àes  faâeurs  oa 
commiffionnaires  par  lefquels  ils  fàifoient  vendre  quelquefois  même  jar- 
ques  dans  les  halles ,  ce  qu'ils  avoient  acheté  de  trop.  Le  Parlement  poor- 
vut  à  cet  abus  par  un  arrêt  du  10  Mars  161 5  :  »  qui  leur  défendit,  à 
À  leur  fadeur  &  à  tous  autres  de  troubler  fur  les  ports  ou  ailleurs  les  Chaflê' 
9>  marées  en  l'achat  de  la  marée  des  pécheurs,  &  leur  défendit  auffi  d'ex- 
s>  pofer  ou  faire  expofer  en  vente  dans  les  halles  de  Paris,  ou  ailleurs,  ^ 
)»  aucune  marchandife  de  poifTon  de  mer ,  à  peine  de  prifon  ^  confifc»- 
9  tion ,  &  cinq  cents  livres  d'amende. 

^  Par  une  autre  ordonnance  de  Mrs.  les  CommîfTaires  du  Parlement  du  ao  Jan- 
vier 1696  ,  il  efl  défendu  à  toutes  perfonnes  de  quelque  qualité  &  condition 
qu'elles  foienc ,  de  troubler  les  marchands  ChafTe-niarées  fur  les  ports  de 
mer  &  ailleurs  en  l'achat  des  poifTons  des  pêcheurs ,  à  peine  de  punition 
corporelle ,  &  de  tous  dépens ,  dommages  &  intérêts.  On  voit  par  tous  ces 


CHASSE-MARÉE. 


53J 


réglemens  que  les  Cbafle-marées  peuvent  s'acquitter  librement  de  leurs  fbnc* 
rioûs  &  obligations. 

L'obligation  indifpenfable  de  ces  marchands  forains ,  sHls  veident  réuflir 
dans  leur  commerce  ^  de  fe  rendre  des  bords  de  la  mer  en  deux  jours  à 
Paris  ,  demande  une  vigilance  extraordinaire  :  ils  ne  pourroient  jamais  y 
parvenir  par  de  mauvais  chemins  ,  &  fans  forcer  extraordinairement  la 
courfe  de  leurs  chevairx  :  c'eft  de-là  auffî ,  que  le  public  leur  a  donné  le 
nom  de  Chafle-marées ,  dont  Tufage  eft  tellement  introduit  qu'ils  n'en  ont 
plus  d'autre.  Il  a  donc  été  néceflàire  d'employer  l'autorité  publique  pour  le-> 
ver  cet  obftacle  qui  s'oppofoit  à  un  commerce  dont  nous  tirons  tant  d'utt» 
lité.  Il  y  avoit  autrefois  des  offices  d'élus  de  mer ,  établis  pour  faire  répa*» 
rer  &  entretenir  en  bon  état  les  chemins  par  où  pafTent  les  Chaflë-marées* 
Ces  offices  étoient  de  fimples  commiffions  peu  lucratives ,  qui  fe  font  in- 
fènûblement  abolies  :  il  n'en  eft  fait  aucune  mention  depuis  1666.  Les 
chemins  furent  tellement  rompus  &  en  mauvais  état  ,  que  l'arrivée  às9 
Chafle-marées  à  Paris  n'étoit  jamais  auffi  prompte  qu'il  étoit  néceflàire  :  cela 
donna  lieu  à  Mrs.  les  Commiffaires  du  Parlement  d'y  pourvoir  par  leur  ré-f 
élément  du  20  Janvier  1696.  Ils  chargèrent  le  Procureur-Général  fur  le 
tait  de  la  Marée  de  prendre  ce  foin  de  la  réparation  des  chemins  dans  fes 
vifites ,  &  lui  permirent  de  faire  affigner  par*devant  eux  tous  Seigneurs  & 
habitans  des  villes,  bourgs,  villages  &  hameaux  qu'il  appartiendroit  pour 
être  condamnés  à  la  réparation  &  à  l'entretenement  des  chemins  où  paifenc 
les  ChafTe-marées  pour  venir  à  Paris  &  retourner  à  la.  mer. 

Le  Parlement  y  a  apporté  un  remède  encore  bien  plus  prompt  &  plus 
efficace  par  un  dernier  Arrêt  du  ^o  Août  1697.  ^^^  ^^^  Arrêt  la  Cour 
commet  chaque  Juge^Royal  des  Provinces  de  Picardie  &  de  Normandie 
par  où  paflent  les  Chaffe-marées ,  pour  faire  réparer  les  grands  chemins. 

Il  leur  fut  enjoint  par  les  réglemens,  dès  le  temps  de  St.  Louis ^  lorf^ 

3u'ils  feroient  arrivés  à  Paris ,  de  conduire  immédiatement  leurs  marchan- 
ifes  aux  halles  pour  y  être  déchargées  &  vendues  :  il  leur  fut  défendu  de 
les  décharger  en  tout  ou  en  partie  dans  aucune  maifon  ou  autre  lieu  partîci)* 
lier  :  ces  mêmes  défënfes  ont  été  renouvellées  de  temps  en  temps  &  fub<« 
fiftent  encore  aujourd'hui.  Il  n'y  eut  point  d'abord  de  place  marquée  dans 
l'étendue  delà  halle  pour  cette marchandife.  St. Louis,  par  fon  ordonnance 
de  1254 ,  fit  défènfes  de  l'expo  fer  pour  la  vendre  en  gros,  ailleurs  que 
fur  une  place  audeflfus  de  la  Clef.  Cette  marque  étoit  une  grande  clef  at« 
tachée  contre  un  poteau  qui  féparoit  la  place  des  détaillereues  de  celle  des 
marchands^  &  qui  s'y  voit  encore. 

Parles  anciennes  ordonnances,  les  Chafle-marées  dévoient  amener  leurs 
poiflTons  à  Paris  d'un  jour  à  l'autre,  &  y  arriver  à  l'heure  de  prime  fon- 

«14&0  \   ^r    Mootoîr^*   rVA.^»i1îr«»     ^  Viiiîr  figures  H u  rriAfin  _  s^ils  n'avoîenî  une 


J 


^34 


CHASSE -MARÉE. 


^ur  &  nuit ,  ils  arrivent  fouvent  à  la  halle,  à  trois  ou  quatre  heures  du 
matin.  Les  Jurés  compteurs  &  déchargeurs ,  &  les  Jurés  vendeurs  en  font 
avertis  ;  ils  s^y  trouvent  &  ouvrent  auilî-côc  la  vente.  II  efi  défendu  aux 
Chaffe-marées  d'entrer  avec  leurs  chevaux  &  charettes  par  la  rue  de  la  Cof- 
fonnerie,  ou  par  les  rues  adjacentes.  Il  leur  efl  enjoint  d'entrer  par  les 
deux  rues  du  côté  du  Pilory  ,  qui  aboutiiTent  an  parquet  de  la  Marée ,  & 
d'y  entrer  à  la  file  l'un  après  Tautre  fans  intervertir  leur  ordre  ;  ils  doi- 
vent s'arrêter  devant  chacun  des  vendeurs ,  félon  le  rang  des  places  que 
ces  officiers  occupent  dans  le  parquet  de  la  Marée,  fans  que  les  Chafle- 
marées  ni  leurs  faâeurs  ou  autres  puiffent  fe  choifir  aucun  autre  vendeur, 

Îiue  celui  qui  fe  trouvera   dans  fon  rang  félon  l'ordre  du  tableau  qui  en 
era  fait  chaque  année. 

Les  détailleurs  de  poiffon  de  mer  frais ,  ne  doivent  point  occuper  la  place 
deflinée  aux  marchands  forains  ,  pour  la  vente  de  leurs  marchandifes ,  & 
qu'on  nomme  le  parquet  de  la  Marée,  dans  le  temps  que  les  marchands 
en  ont  befoin,  à  peine  de  confifcation,  d'amende  arbitraire  &  de  punition 
corporelle ,  félon  l'exigence  des  cas. 

Nuls  vendeurs  de  poiffon  de  mer  ne  peuvent  en  ouvrir  la  vente ,  qu'a- 
près que  les  Jurés  l'auront  vifité.  Toutes  les  perfonnes  qui  fe  préfentent 
pour  acheter  du  poiflbn  de  mer  à  la  halle ,  peuvent  le  vifiter  dans  les  pa- 
niers deffus  /  defibus  &  au  milieu ,  fi  bon  leur  femble  :  ce  que  le  vendeur 
fera  obligé  de  foufFrir ,  à  peine  d'amende.  Les  maquereaux  oC  harengs  doi- 
vent être  vendus  à  compte ,  fi  l'acheteur  le  défire  :  un  panier  de  maque- 
reaux frais  en ^  doit  contenir  foixante-fix,  ou  cinquante  s'ils  font  gros. 

Four  faire  jouir  les  Chaffe-marées  de  tous  les  privilèges  qui  leur  avoient 
été  accordés,  le  Roi  par  Edit  du  mois  d'Avril  1361,  leur  donna  pourcon* 
fervateur  &  feul  Juge,  à  l'exclufion  de  tous  autres,  le  Prévôt  de  Paris, 
comme  Juge  ordinaire  dans  l'étendue  de  fa  jurifdiâion  ,  &  en  qualité  de 
confervateur ,  gardien  &  commiflaire-général  dans  tous  les  autres  lieux 
hors  l'étendue  de  la  Prévôté  &  Vicomte  de  Paris.  Ils  ont  encore  été 
confirmés  dans  tous  ces  privilèges  par  le  grand  règlement  du  Parlement 
de    1414. 

Louis  XIII ,  dans  les  befoins  de  l'Etat ,  avoit  impofé  trois  fortes  de 
droits  fur  le  poiffon  de  mer  ;  l'un  qui  étoit  payé  par  les  mariniers ,  &  les 
pêcheurs  pour  le  droit  d'entrée,  defcente  &  fortie  des  ports;  les  deux  au- 
tres par  les  marchands  ,  pour  le  tranfport  d'un  lieu  \  un  autre,  &  pour 
la  confommation ,  où  fe  débit  s'en  doit  faire  ;  lefquels  deux  derniers  droits 
furent  fixés  à  13  fols  chaque  panier,  par  Arrêts  des  7  Mars,  &  29  Avril 
1654.  Les  marchands  &  Chafie-marées ,  pour  les  provifions  de  la  ville  de 
Paris,  furent  déchargés  du  paiement  de  ces  deux  droits  de  tranfport  &  de 
confommation  par  le  dernier  de  ces  Arrêts ,  à  condition  de  déclarer  aux 
bureaux  des  lieux  d'abord  &  defcente  la  quantité  de  poiffon  qu'ils  achète- 
ront &  feront  tranfporter  pour  la  ville  de  Paris,  de  prenffre  un  acquit  à 


CHASTETÉ.  535 

caution,  &  de  rapporter  un  certificat  des  Officiers  du  bureau  de  Parh|  que 
le  poilTon  y  aura  été  porté  &  déchargé  fans  fraude, 

De  tout  temps  on  a  pris  fur  la  vente  du  poifTon  de  mer  frais ,  qui  fe 
fait  aux  halles  de  Paris  ,  douze  deniers  pour  livre.  Les  Jurés-vendeurs  re« 
çoivent  ce  droit  de  douze  deniers ,  ils  en  retiennent  dix  pour  le  falaire  at- 
tribué à  leurs  offices ,  &  des  deux  autres  ils  en  rendent  compte  aux  ChafTe- 
marées,  ou  à  leur  Procureur-Général,  C'eft  fur  ce  fond-là  qui  monte  par 
an  depuis  fix  jufqu'à  neuf  mille  livres,  qu'on  indemnife  les  Chafle-marées 
des  pertes  qu'ils  ont  faites  fur  leurs  routes ,  foit  par  accident  arrivé  à  quel- 
qu'un de  leurs  chevaux ,  ou  qu'ils  aient  été  volés ,  ou  quelquefois  même , 
lorfque  dans  les  grandes  chaleurs  de  Tété ,  &  fans  leur  faute  ou  négligen- 
ce ,  leur  poifTon  fe  trouve  tellement  corrompu  qu'on  efl  obligé  de  le  jet- 
ter  :  on  leur  paie  dans  ce  dernier  cas-là ,  la  fomme  à  laquelle  la  perte 
qu'ils  ont  foufFerte ,  eft  eflimée;  mais  pour  éviter  les  fraudes,  ils  font  obli- 
gés de  rapporter  des  certificats  en  bonne  forme  du  Juge  des  lieux. 

Il  y  a  aux  halles  un  terrain  nommé  le  Fief  d'Hellebic,  parce  qu'il  ap- 
partenoit  à  la  famille  des  Hellebics  ;  les  pofreiTeurs  de  ce  Fief  vexoient  les 
marchands  forains  par  des  contributions  en  argent  &  en  poiffon  :  mais  le 
i6  Décembre  1404.,  par  contrat  paffé  par-devant  Notaires,  les  marchands 
forains  firent  l'acquifition  de  la  moitié  de  ce  Fief  pour  la  fomme  de  qua- 
torze cens  écus  d^or  :  l'autre  moitié  appartient  à  l'Hôtel-Dieu  de  Paris  par 
donation  de  Marguerite  de  Neufville. 

Les  Chaffe-marées  doivent  être  connus ,  admis  &  enregiftrés  dans  les  bu- 
reaux de  la  Marée ,  foit  fur  les  ports  où  ils  prennent  leurs  marchandifes  ^ 
foit  à  Paris  &  dans  les  villes  oii  ils  en  font  le  débit. 


o 


CHASTETÉ,   f.  f. 
$.    I. 


N  lie  doit  pas  confondre,  comme  on  le  fait  fouvent,  la  continence 
avec  la  Chafleté.  L'abus  des  termes  entraîne  avec  foi  la  confufion  des  idées. 
Comme  on  peut  être  chafle,  fans  s'aflreindre  à  la  continence  :  tel  audi 
s^en  fait  une  loi ,  qui  pour  cela  n'efl  pas  chafle.  La  penfée  toute  feule  peut 
fouiller  la  Chaflete ,  elle  ne  fuffit  pas  pour  enfreindre  la  continence.  Tous 
les  hommes,  fans  exception  de  temps,  d'âge,  de  fexe  &  de  qualité,  font 
obligés  d'être  chafles  :  mais  aucuns  ne  font  obligés  d'être  continens. 

La  continence  confifle  à  s'abflenir  des  plaifirs  de  l'amour^  la  Chafleté,  à 
iie  jouir  de  ces  plaifirs,  qu'autant  que  la  loi  naturelle  le  permet,  &  de  la 
manière  qu'elle  le  permet.  La  continence,  quoique  volontaire,  n'efl  pointf 
eûimable  par  elle-même ,  6c  ne  le  devient  qu'autant  qu'elle  importe  acci* 


f|î5  C    H    A    S    T    E    T    É. 

dentellement  à  la  pratique  de  quelque  vertu,  ou  à  Pexécuâon  de  quelque 
defleiu  généreux}  hors  de  ces  cas^  elle  mérite  fouvent  plus  de  blâme  que 
d^éloges. 

'  Quiconque  eft  conformé  de  manière  à  pouvoir  procréer  Ton  femblablei 
a  droit  de  le  faire,  &  le  doit.  Voilà  la  Voix  de  la  nature. 
*  Il  eft  de  droit  naturel  que  chacun  puifle  difpofer  du  bien  qui  lui  appar- 
tient en  propre.  Ce  n^eft  pas  cependant  faire  tnjuftice  à  un  mineur,  à  un 
prodigue  ou  à  un  furieux ,  que  de  les  priver  de  TexerCice  de  ce  droit ,  dont 
ils  abuferoient  immanquablement.  De  même  ,  quoique  le  commerce 
d'un  fexe  avec  Tautre  ,  foit  permis  à  tous  les  hommes  ,  il  peut  y  avoir 
des  circonftances ,  où  il  leur  foit  avantageux  d'en  être  privés  pour  un  plus 
grand  bien. 

Il  eft  jiifte,  par  exemple,  qu^un  en&nt  qui  n*eft  point  encore  capable  de 
difcernement,  ne  foit  pas  libre  de  fc  lier,  fans  l'autorité  de  Tes  parens,  par 
des  nœuds  indiftolubles.  Ce  feroit  au  contraire  une  inhumanité  criante,  que 
de  Tabandonner  à  Tinconfidération  &  à  la  témérité,  trop  ordinaire  i  Ion 
âge ,  lorfqu'il  s'agit  de  décider ,  par  un  mariage ,  du  bonheur  ou  du  mal- 
heur de  (a  vie.  Ses  tuteurs  naturels  peuvent,  fans  empiéter  fur  fes  droits, 
empêcher  qu'il  ne  s'y  engage,  ou  reculer  fon  engagement,  s'ils  le  jugent 
indigne  de  lui  ,  ou  du  moins  précipité.  Or  ,  julqu'à  ce  qu'il  l'ait  coa- 
traoe  ,  la  continence  eft  un  devoir  pour  lui.  Bien  entendu  que  les  pa- 
rens de  leur  côté  doivent  pourvoir  à  l'écablifTement  de  leurs  enfans, 
Ou  du  moins  y  donner  les  mains ,  lorfqu'il  s'en  préfente  de  fortables. 
'  L'avanture  de  Proxcne  &  de  Claris  fa  fille  a  fait  du  bruit  dans  le  monde: 
ce  n'eft  point  médire  que  de  la  rapporter.  Cloris,  fous  la  tutelle  d'un  père 
avare ,  attendoit  patiemment  que  ion  tuteur  voulût  bien  fe  deftaifir  entre 
les  mains  de  la  uicceffîon  de  fa  mère  ;  lorfque  l'aimable  Cftariton ,  par  ït 
tendreflfe  &  par  fes  foins ,  gagna  le  cœur  de  la  pupille.  Il  jouillbit  d'uoe 
fortune  &  d'un  rang  qui  ne  dévoient  pas  faire  rougir  Proxene  de  l'adopter 
pour  gendre.  La  propofition  lui  en  fut  faite  :  Proxene  la  rejetta.  .Il  nedécli- 
roit  point  le  motif  de  fon  refus,  niais  on  le  devina  fans  peine.  La  répu- 
gnance invincible  qu'il  fentoit.  à  rendre  un  compte ,  fut  celui  qui  le  décida. 
Il  pria  Chariton  de  s'abftenir  déformais  de  fes  galantes  afliduités.  Cette  dé- 
fenfe,  fuivant  l'ufage,  alluma  de  plus  en  plus  la  paflîon  dés  deux  amans; 
&  tous  deux  de  concert,  prirent  la  voie  qu'ils  crurent  la  plus  efficace,  pour 
arracher  le  confentement  du  père.  Ils  s'étoîent  mépris  :  cet  agréable  eipé- 
dient,  dont  tant  de  filles  ont  éprouvé  l'efficacité,  ne  réuflît  pas  auprès  de 
Proxene  ;  dût  rejaillir  fur  lui  l'ignominie   de  fa  £lle ,  il  éclata  en  tranf- 

rorts  furieux  ;  &  ne  s'en  tenant  point  aux  reproches ,  il  la  livra  lui-même 
l'horreur  infamante  de  ces  lugubres  retraites ,  confacrées  au  repentir  & 
aux  pleurs. 

A  qui  des  trois  afïeurs  de  cette  fcandaleufe  fcene  imputerôns-nous  k 
tort?  A  tous  les  trois,  fans  doute.  Un  père  dur  &  injufte,  un  amant  qui 

féduit 


\ 


«C    H    A    S    T    B    t    t.  ^3/ 

fèduît  fa  maîtreflê,  Une  fille  qui  méprife  rautorité  paterûelle,  font  tou9 
perfonnages  coupables. 

La  loi  de  la  nature  exige  uniquement  le  libre  confentement  des  par* 
ties ,  pour  légitimer  leur  union.  Mais  là  (implicite  de  cette  bonne  loi  na^ 
turelle,  n'a  pas  interdit  aux  légiflateurs  là  faculté  de  régler  par  des  loix 
politives  la  fblemnité  ài^%  mariages.  Les  loix  pofitives,  même»  font  ref- 
peâables  &  obligatoires,  lorr(:][u^elles  ne  contredifent  pas  la  fage  loi  de 
nature,  &  qu'elles  ne  font  que  lui  fervir  de  glofe  &  d'interprétation. 
Elles  n^obligent  à  la  vérité  que  comme  loix  de  police  :  mais  les  loix  de 
police  obligent  tous  les  membres  d'un  Etat. 

Il  importoit  au  bon  ordre  de  la  (bciété,  que  le  mariage  fût  un  eqgage-> 
nient  pour  la  vie  :  &  la  nature  elle-même  lemble  en  avoir  faitim  précep* 
te«  L'obligation  continuelle  qu'elle  impofe  aux  époux,  de  s'aimer  réci« 
proquement,  marque  Ton  intention  fur  la  continuité  de  ce  lien  :  on  ne 
quitte  point  une  epoufe  qu'on  aime«  Les  fervices  qu'elle  veut  que  nous 
rendions  à  nos  en&ns,  en  font  une  nouvelle  preuve.  Les  fecours  du  père 
&  de  la  mère  leur  (ont  également  néceflaires  :  or  ces  fecours  leur  man* 
queroient,  (i  le  mariage  n'étoit  qu'ui\  engs^ement  paflàger;  c^eft  dans  Ta* 
mour  conjugal,  auquel  fe  joint  l'amour-propre,  que  la  tendreflë  pater* 
nelle  ou  maternelle  prend  fa  fource.  Or  les  loix  pofîtives  qui  ont  déterminé 
le&  folemnités  du  mariage ,  ne  font  que  féconder  le  vœu  de  la  loi  nato* 
relie  fur  (a  perpétuité  :  en  le  rendant  plus  authentique,  elles  le  rendent 
au(fi  plus  difficile  à  diffoudre.  On  romproit  aifément  un  engagement  fecret 
&  furtif  :  mais  quand  il  eft  conti*aâé  en  préfence  de  témoins  dignes  de 
foi,  cimenté  par  la  puiffance  paternelle^  autorifé  par  les  loix  de  l'Etat,  & 
confacré  par  la  Religion  \  quelle  force  n'acquiert-il  pas? 

Je  n'entends  point  blâmer  par- là,  les  nations  chez  qui  le  divorce  eft 
permis ,  ni  les  accufer  d'enfreindre  la  loi  naturelle  ,  en  le  permettant.  Ce 
n'efi  point  violer  une  loi,  que  d'y  mettre  des  modifications  raifonnal)les: 
une  équité  trop  rigide,  devient  fouvent  injufte  par  fa  rigueur  même.  Les 
difpenies  &  les  exceptions ,  lorfau'elles  ne  font  pas  fréquentes ,  loin  de 
détruire  la  loi ,  fervent  plutôt  à  raffermir  :  ce  feroit  vouloir  l'abroger  que 
de: l'étendre  à  des  cas  où  elle  eil  impraticable.  Or  il  peut  arriver,  î&  il 
arrive  en  effist,  que  l'incompatibilité  des  humeurs  rend  la  concorde  impo(^ 
fible  entre  deux  .époux«  Dans  ces  cas-là ,  les  peuples  les  plus  féveres  per-« . 
mettent  une  forte  de  rupture,  qu'ils  appellent  féparation  de  corps;  d'autres 
dégagent  dans  les  cas  extrêmes  ^  des  époux  mail  a(rortis  du  nœud  fatal  qui 
fait  leur  fuppHce* 

L'iiidi({blubilité  abfolue  du  mariage,  dont  on  a  fait,  dans  quelques  États 
une  maxime  de  cohlcience,  n'en  affuré  que  la  durée  :  mais  loin  d'attacher 
des  époux   à  leurs  devoirs  réciproques;  elle  contribue  peut-être  plus  que^ 
toute  autre  cauie,  à^eurs  infidélités.  Mécontens  l'un  de  l'àuti-e^ix  voyant 
leur  mal  fins  remède,  ils.  ne  fongent  qu'à  le  pallier  :&  pour 'adoucir  leurs ' 
Tomt  XL  Yyy 


v 


^^%  CHASTETÉ. 

foufïraoces  ^   ils  les  dépofent  &  s'en  eonfoleot  ^  Pua  dans  les  bras  d^tine 
maîtrefle,  l'autre  dans  ceux  d'un  amant. 

Ceft  fans  doute  aufli  à  cette  même  caufe,  qu'il  faut  attribuer  ces  com- 
merces clandeftins,  qu'on  nomme  concubinage.  On  tremble  de  ferrer  des 
nœuds  qu'on  ne  pourra  plus  jamais  rompre. 

Depuis  dix  ans,  Hcrmogcnc  &  Juniçj  maîtres  de  leurs  aâions,  vivent 
enfcmble  fur  I — ---  ^  -*'^ — -  ''''•*-  -^•*-"'  •""-  -i»-"— -  i.'—  ^"-  — —  ^^ — 
amour  confiant. 

fur  leurs  gardes  :  Hermogene  craint  de  déplj 
Hermogene;  &  de  cette  appréhenfion,  que  l'aflurance  d'être  aimé,  tem-^ 
père,  naiffent  des  égards  mutuels,  des  complaifances  &  des  foins,  perpé- 
tuels alimens  des  tendres  feux  qui  les  brûlent.  Libres  de  fe  féparer ,  ils- 
n'en  font  que  plus  unis.  Rien  ne  coûte  de  ce  qu'on  lait  volontairement  ^ 
mais  le  plaidr  mén'.e  eft  à  charge  lorfqu'il  devient  un  devoir..  ^ 

»  Si  c'eft-là,  dites- vous,  ce  qu'on  appelle  concubinage,  fous  quel  pré^ 
D  texte  ofe-t-on  le  qualifier  de  crime?  C'eft  une  union  durable  entre  deux 
9,  fidèles  amans,  qui  n^ont  qu'un  cœur,  qu'une  volonté,  qu'une  ame.  L^nf^ 
I».  tinâ  de  la  pure  nature  exige-t-il  quelque  chofe  de  plus  >  Eh ,  qu'a 
i>  donc  de  préférable  le  dur  toug  du  mariage?  Son  indifTolubilité.  Une 
9.  union  fondée  fur  la  tendrefTe,  n'eft-elle  pas  plus  pure,  plus  fainte  &: 
».,pluç  eflimable,  que  celle  qui  .n'efl  affermie  que  par  la  néceflité?  " 

J'en  cpnviens ,  lans  coutelier  :  le  commerce  d'Hermogene  &  de  Junie* 
efl  un  lien  que  la  nature  approuve;  fur-tout  (i  vous  fuppofez  qu'ils  foieut 
dans  l'intention  de  ne  le  point  rompre.  Les  mariages  de  nos  premiers 
pères ,  qu'il  ne  nous  (iéroit  pas  de  critiquer,  n'avoient  rien  de  plus  folem- 
nel.  Les  deux  amans  confentoient  de  fe  prendre  pour  époux  v  ils  agifibient 
comme  tels  ;  &  dés-lors  ils  l'étoient  en  ef&t. 

Mais  aujourd'hui  que  la  police  de  prefque  toutes  les  Nations,  pour  des 
eonfidérations  d'Etat/ attache  à  ces  mariages  une  note  d'infamie,  qui  fié- 
ttiffant  les  époux,,  rejaillit  jufques  fur  les  enfans;  &  que  les  loix  facrées 
de  la  Religion  en  font  un  crime  capital;  comment»  h  vous  joimez  Tef- 
time  à  l'amour,  pourrez-vQus  propofer  à  la  beauté  qui  vous  l'in^ire,  une 
union  qui  la  déshonore?  Comment,  fi  vous  vous  aimez  vous-même  dans 
votre  poflérité ,  confentirez-vous  à  ne  donner  à  la:  Patrie  que  des  enfans 
qu'elle  méconnoît  &  défavoue  :  triftes  rebuts  de  là  fociété,  que  le  préjugé 
rçndra  éternellement  refpon fables  du  péché  de  leur  père? 
i  Mais  combien  font  plus  cricninels  ces  voluptueux  inconflans,.  qui  n'âi'-^ 
ment  que  pour  jouir,  &  n'aiment  plus  dès  qu'ils  ont  joui;  qui,  fembla^ 
hjes  aux  bêtes ,  lorfqu'ils  ont  fatisfait  leur  brutale  jiaffion ,.  méconnoifTent 
l'objet  qi|i  concouroît  à  leurs  plaifirs ,  &  lies  fruits>  qui  en  proviennent  1 
Xa  nature  elle-même,  toute  indulgente  qu'elle  efl,  condamne  leurs  cou* 
pables  feux*  Elle  fe  propofe  dans  1^  unions  qu'elle  forme  ^  la  naiffance 
4es  ifn&ns  :  c'efl  au  contraire  ce  qu'ils  redoutent. 


CHASTETÉ. 


535 


Cependant  qtielque  înexcufable  que  foit  ce  honteux  libertinage,  ce  n*e(l 
encore  qu'un  léger  égarement,  li  on  le  met  en  parallèle  avec  l'aduhere , 
le  plus  affreux  de  tous  les  crimes,  en  matière  de  chafteté.  Je  dis  le  plus 
affreux;  car  l'incelle  même,  le  feul  qui  fembleroit  lui  pouvoir  difputer 
le    pas ,  n'eft  rien  en  comparaifon. 

Attenter  ù  la  pudicité  de  fa  fœur ,  de  fa  mère  ou  de  fa  fille,  ou  fe 
prêter  aux  emportemens  lafcifs  d'un  fils,  d'un  père  ou  d'un  frère  :  voilk 
les  (êuls  véritables  incefles,  U  nature  n'en  connait  point  d'autres;  &  le 
commerce  charnel  entre  des  parens  plus  «iloignés ,  n'eft  inceftiieux  que  de 
nom.  Mais  je  ne  mers  point  en  comparaifon,  avec  l'adultère ,  les  vrais  in- 
cefles, dont  les  exemples  font  trop  rares,  &  l'idée  trop  révokante,  pour 
qu'ils  puiffent  entrer  ici  en  confidératîon  :  je  parle  de  ceux  que  les  hom- 
mes eux-mêmes  ont  créés,  en  bornant,  comme  il  leur  a  plu,  pour  raifon 
d'alliance  ou  de  parenté,  la  liberté  des  mariage;:.  Or,  y  a-t-il  quelque 
proportion  entre  ces  crimes  faftices,  qui.  ne  doivent  leur  origine  qu'à  des 
réglemens  arbitraires,  &  les  contraventions  formelles  au  pur  inflinft  de  U 
nature,  qu'entraîne  avec  foi  l'adultère? 

A  l'excès  d'incontinence  &  de  lubricité,  qu'il  a  de  commun  avec  les  autres 
vices  contraires  h  la  chafteté,  il  ajoute  l'injuftice,  le  parjure  &  la  perfidie. 

L'adultère  eft  fimple  ou  double.  11  eft  fimple ,  lorfque  l'une  des  deux 
parties  qui  le  commettent,  n'eft  point  engagée  dans  les  liens  du  mariage. 
Il  eft  double ,  lorfqu'elles  le  font  toutes  deux  :  car  alors  chacun  des  deux 
coupables,  ourfe  le  crime  qu'il  fait  de  fon  chef,  fe  fouille  encore  d'un  fé- 
cond ,  en  partageant  celui  de  fon  complice. 

Quand  Palladç  &  Tu'is  feroient  libres  de  tout  engagement,  les  privau- 
tés ,  qu'ils  fe  permettent ,  ne  feroient  point  innocentes  :  hors  du  mariage  , 
elles  ne  font  jamais  permifes.  Mais  Tais,  époufe  d''Eurya!e ^  eft  encore 
bien  plus  criminelle,  puifqu'elle  joint  à  l'impudicité  le  parjure  &  l'injufti- 
ce;  le  parjure,  en  ce  qu'elle  viole  la  foi  jurée  \  fon  époux;  l'injuftice, 
en  ce  qu'elle  lui  donne,  ou  s'expofe  à  lui  donner  des  héritiers  fuppofés  : 
qui  cependant  prendront  un  jour  leur  part  dans  fa  fucceffion ,  au  préjudi- 
ce, ou  de  fes  fils,  ou  de  fes  collatéraux.  Or  dans  toutes  les  circonftances 
qui  aggravent  l'ailion  de  Tais ,  Pattade  eft  de  moitié  :  &  quoique  libre  des 
nœuds  d'Hymenée,  il  eft  comme  elle,  adultère,  injufte  &  parjure;  car  c'efl 
commettre  un  crime  que  d'y  concourir. 

Changeons  les  rôles  :  fuppofons  Tais  libre ,  Pallade  engagé  dans  le  ma- 
riage; ils  n'en  font  pas  moins  coupables.  Pallade  d'une  part  l'eft  autant 
que  l'étoit  Taïs,  quand  nous  !a  fuppoferions  infidèle  \  Euryale  ;  car  la 
fidélité  conjugale  eft  un  devoir  pour  lui ,  comme  elle  en  étoit  un  pour 
elle;  &  fi  la  femme,  q^i  le  viole,  peut  donner  à  fon  époux  de  faux  hé- 
ritiers, répoux,  qui  trahit  fa  foi,  peut  en  ravir  de  légitimes  à  fon  époufe. 
Tais  de  fon  côté,  étant  complice  de  Pallade,  eft  aulïï  coupable  que  hii.  Et 
lOLis  deux  le  feront  encore  plus,  fi  leur  adultère  eft  double. 

Yyy  a 


54»  CHASTETÉ. 

§.    II. 


I 


_L  paroît  par  le  langage  des  divers  peuples,  &  par  leurs  pratiques  fc^ 
ligîeufes ,  que  Tabus  des  plaifirs  de  Pamour  a  été  regardé  de  tous  tems ,  & 
chez  toutes  les  nations  non  abruties,  comme  quelque  chofe  de  révoltant, 
de  déshonorant  pour  celui  qui  s'en  rendoit  coupable ,  comme  propre  à  le 
rendre  méprifable  aux  yeux  de  la  faine  raifon  ;  que  la  Chaftete ,  au  coor 
traire  ^  qui  confifte  à  n'ufer  des  plaifirs  de  l'amour  que  d'une  manière  con- 
forme à  ce  qu'exige  la  loi  naturelle ,  a  toujours  été  envifagée  comme  une 
vertu  réelle,  qui  rend  honorable  &  digne  d'eflime  celui  qui  en  eft  paré, 
&  comme  une  qualité  sûre  de  plaire  à  Dieu. 

Sans  doute  c'eft  dans  la  nature  des  chofes  que  ces  idées  ont  été  prifes^ 
c^eft  des  principes  inconteflables  de  la  morale  qu'elles  découlent  \  on  les  a 
envifagées  chez  tous  les  peuples  policés,  comme  Pexpreflion  de  la  volonté 
de  Dieu  y  auteur  de  la  nature  des  chofes ,  &  des  loix  naturelles  qui  en 
font  la  conféquence. 

Il  étoit  impoflible  aux  hommes  qui  n'ont  pas  donné  dans  Textravagaoce 
de  fe  croire  la  produéHon  du  faafard ,  de  ne  pas  croire  que'  la  propagation 
du  genre  humain  étoit  le  but  de  la  différence  des  fexes ,  que  Tunion  de  ces 
fexes  ne  fût  le  moyen  prévu ,  recherché ,  approuvé  &  ordoimé  pour  atteindre 
ce  but  ;  que  l'appétit  qui  porte  un  fexe  vers  l'autre  ne  fût  le  reflort  par  lequel 
le  Créateur  procure  l'exécution  de, fa  volonté  à  cet  égard  ;  volonté  que  Moyfe 
exprime  par  ces  mots  :  Croijci^^  multiplUi^- &  remplijjl[  la  terre.  Comme  la 
faim  eft  le  reflort  qui  nous  porte  à  faire  ufage  des  alimens  pour  entretenir 
notre  vie,  les  hommes  n'ont  pu  méconnokre  dans  le  plaifir  qui  accompagne  la 
fatisfâflion  de  cet  appétit  fi  puiflant,  l'encouragement  &  la  récompenfe  pré*- 
fente  de  cette  aâion,  &  la  preuve  qu'elle  étoit  convenable  &  dans  l'ordre 
de  la  nature.  La  continence  qui  conufte  à  s'abftenir  abfolument  des  plaifirs 
de  l'amour,  &  à  iè  refufer  entièrement  aux  vues  de  la  nature,  pour  la 
propagation  du  genre  humain  ,  n'a  donc  jamais  pu  fe  préfenter  à  ceux 
qui  n'ont  confulté  que  la  droite  raifon  &  l'ordre  primitif  des  chofes,  qui 
exprime  la  volonté  du  créateur ,  comme  étant  une  vertu ,  un  genre  de  vie 
eftimable  par  lui-même  ,•  un  état  auquel  la  loi  divine  appella  les  hommes 
comme  à  un  degré  plus  grand  de  perfeâion.  Au  contraire,  tant  que  la 
nature  leur  aura  fervi  de  guide ,  les  hommes  auront  dû  envifàger  la  con- 
tinence comme  un  mal  chez  quiconque  étoit  phydquement  &  moralement 
capable  de  contribuer  à  la  propagation  du  genre  humain,  &  n'en  étoit 
empêché ,  ni  par  des  circonftances  particulières ,  ni  par  quelque  ordre  ex» 
prés  du  ciel.  Un  homme  qui  fe  refufoit  à  cette  deftmation  de  la  nature, 
quand  fon  âge ,  (es  forces  &  fes  circonftances  l'y  appelloient ,  devoit  être 
confidéré  comme  un  rebelle  à  la  volonté  du  Créateur ,  comme  un  être  qtii , 
autant  qu'en  lui  étoit ,  détruifoit  le  genre  humain ,  en  refufant  de  le  con- 
ferrer.,  &  qui  rendoit  inutile  pour  ce  but  la  femme  à  laquelle  il  auroit  pft 


CHASTETÉ. 


W 


s'anir.  DcDl  ,  félon  les  mccurs  pjives  ^  tout  homme  «apable  de  procréer 
ëtoit  obligé  étroitement  à  fe  marier. 

Si  le  célibat  ou  la  continence  font  condamnés  par  la  loi  naturelle ,  cette 
loi  cependant  n'appelle  pas  l'homme  &  la  femme  à  des  conjonâions  vagues , 
à  des  jouiifances  irrégulieres ,  à  des  plaifirs  recherchés  uniquement  pour  la 
volupté.  La  nature  a  un  but  qui  ne  peut  être  atteint  qu'autant  que  l'on 
agit  dans  les  vues  &  de  la  manière  qu'elle  l'exige ,  &  les  vues ,  les  def- 
feins  fe  manifeflent  alTez  clairement  par  la  confiitution  humaine  &  l'état 
des  chofes,  pour  qu'il  foit  facile  d'en  déduire  les  règles  qu'elle  prefcrit^ 
&  les  loix  auxquelles  le  Créateur  a  voulu  foumettre  Punion  des  fexes. 

La  capacité  naturelle  que  nous  avons  de  preadre  de  l'amour  pour  une 
perfbnne  de  fexe  différent  ;  l'unité  de  l'objet  fur  lequel  fe  fixe  namrelle- 
ment  ce  penchant,  lorfque  le  cœur  n?efl  pas  gâté  ;  l'impoflibilité  d'en  aimer 
plus  d'une  à  la  fois  d'une  manière  qui  les  rende  aufli  heureux  qu'ils  dé- 
lirent de  l'être ,  &  qu'ils  peuvent  l'être  par  ce  moyen  ^  le  défaut  de  fécon-* 
dite  des  conjonâions  irrégulieres  &  vagues  ;  les  incommodités  de  la  grof- 
lèfle  ^  des  accouchemens  &  de  l'alaitement  des  enfans  ;  les  foins  continuels 
oue  les  en&ns  exigent  pendant  long-tems,  &  qui  ne  permettent  pas  à  une 
femme  de  fuffire  feule  à  l'éducation  des  créatures  qu'elle  met  au  monde 
&  à  fa  propre  confervation ,  6c.  font  tout  autant  de  confidérations  qui 
prouvent  la  néceflité  du  mariage ,  c'eft-à-dire ,  de  l'union  pour  toute  la  vie 
d'un  homme  &  d'une  femme. 

Toute  autre  conjonâion  eft  contraire  aux  vues  de  la  nature ,  aux  inten- 
tions du  Créateur  y  relativement  aux  hommes.  Ainfi  nous  devons  regarder 
comme  contraire  à  la  Chafleté,  i^.  tout  commerce  charnel  entre  un  homme 
&  une  femme  qui  ne  font  pas  liés  par  le  mariage ,  qui  ne  (ont  pas  unis 
pour  la  vie  dans  l'intention  de  travailler  de  concert  à  élever  les  enfans  qui 
naîtront  de  leur  commerce.  Voyc^  Adultère,  Fornication. 

Si  la  nature  a  &it  les  fexes  l'un  pour  l'autte ,  c'a  été ,  d'un  côté ,  pour 
que  leur  ufage  fervit  à  la  propagation  du  genre ,  &  de  l'autre ,  pour  que 
les  plaifirs  qui  naiflent  de  cet  ufage  fuflent  dans  tous  les  temps  Une  expreP- 
iion  vive  de  l'amitié  entre  les  époux ,  &  un  lien  flatteur  qui  les  unit  tou- 
jours  plus  intimement  l'un  à  l'autre  par  l'attrait  de  la  volupté,  dont  ils  font 
l'un  pour  l'autre  la  fource  chérie.  Il  fuit  delà,  2^.  que  tout  ufage  des  fexcs , 
contraire  à  ce  que  la  nature  prefcrit  pour  la  propagation  du  genre  humain , 
ou  qui  peut  détourner  le  goût  humain  de  cet  ufage  naturel ,  e(l  contraire 
ï  la  Chafleté,  oppofé  à  la  volonté  de  Dieu. 

Mais  obfervons  ici ,  qu'il  ne  paroit  par.  aucune  confidération  tirée  de  la 
sature  des  cI)ofes,  par  aucune  loi  morale,  naturelle  ou  pofitive,  que  le 
commerce  entre  les  époUx  foit  illicite ,  lors  même  que  la  flérilicé  de  l'ua 
ou  de  l'autre  efl  conftatée,  ou  que  quelque  autre  circonfiance ,  telle  que 
l'état  de  groffefle  d'une  femme,  ne  permet  pas  d'attendre  que  la  jouilfance 
des  plaifirs  de  l'amour  procure  la  naiflance  d'un  enfant.  Auffi  avons-nous 


541  C    H    A    S    T    ETE 

dit ,  qu'outre  la  propagation  du  gence  humaîa ,  le  Créateur  ayoîc  eu  pour 
but  dans  Tufage  des  lexes  l'union  des  époux,  &  qu'il  en  a  fait  le  nœud 
flatteur  qui  les  attache  Pun  à  l'autre.  Ceux-là  ont  donc  outré  les  réglés  de 
la  morale  à  cet  égard ,  qui  ont  voulu  obliger  les  époux  à  la  continence , 
dès  qu'ils  avoient  lieu  de  croire  que  leur  commerce  ne  feroit  pas  fècondL 
Comme  en  matière  de  morale,  il  ne  Cu&t  pas  toujours  de  fe  faire  une 
loi  d'éviter  les  aâions  direâement  contraires  au  prefcrit  précis  de  la  règle  4 
mais  qu'il  faut  encore  éviter  tout  ce  qui  peut  entraîner  dans  le  mal  i  que 
d'ailleurs,  dans  les  chofes  qui  font  du  relfort  des  fens,  &  fucrtout  dans 
ce  qui  a  trait  au  penchant  véhément  &  fougueux  d'un  fexe  vers  l'autre  ^ 
l'imagination  s'allume  aifément ,  une  légère  circonflance  excite  la  fenfibilité , 
enflamme  le  iaog*,  trouble  la  raifon ,  &  entraîne  dans  le  défordre  ;  on  doit 
regarder  comme  contraire  à  la  Chafleté,  3^.  tout  ce  qui  n'eft  propre  qu'à 
allumer  en  nous  la  paflion  de  l'amour  pour  tout  autre  objet  que  celui  que 
la  loi  morale  nous  permet  de  rechercher,  ou  qui  nous  porteroit  à  en  ufer 
d'une  manière  contraire  aux  vues  de  la  nature.    Offrir  aux  regards  ou  1 
l'attouchement  des  autres ,  ou  chercher  à  voir  &  à  toucher  des  objets  qui 
nous  feroient  fouhaiter  des  conjonâions  illicites  ;  tenir  des  dilcours  ou  £are 
&  donner  des  leâures  qui  ne  peuvent  qu'exciter  des  défirs  contraires  aux 
règles  de  la  fagefle  ;  fe  complaire  à  des  penfées  &  à  des  imaginations  dont 
la  réalité  feroit  pppofée  aux  lolx  de  k  «vertu ,   font  tout  autant  de  fautes 
contre  la  Chafleté;  puifque  ce  font  tout  autant  d'acheminemens  à  l'im- 
pureté, tout  autant  de  pièges  tendus  à  l'innocence ,  tout  autant  de  moyens 
par  lefquels  nous  fommes  déterminés  à  agir  contre  le  vœu  de  la  nature, 
&  contre  les  règles  de  la  morale  naturelle*  Autant  les  mariages  réguliers 
font  conformes  aux  intentions  du  Créateur,  au  bien  de  l'humanité,  à  la 
confervation  du  genre  humain ,  à  la  pureté  des  mœurs ,  au  bonheur  de  la 
fociété  publique,  à  la  félicité  des  familles,  à  la  perfè^on  de  l'homme  & 
de  la  femme ,   &  à  la  bonne  éducation  des  enfans  \  amant  par-là  même 
doit-on  faire  cas  de  la  Chafleté ,  fans  laquelle  aucun  de  ces  avantages  ne 
peut  avoir  lieu;  autant  doit-on  regarder  l'impudicité  comtfie  un  vice  odieux, 
puifque  tous  les  maux ,  les  plus  grands  pour  les  hommes ,  naifient  de  ce 
défordre  moral. 

.  Ou  bien  l'impudicité  fera  un  vice  général  dont  on  fera  gloire ,  ou  au 
oioins  dont  on  ne  rougira  pas;  iteais ,  dans  ce  cas,  que  deviendra  un  peu* 

curs 
pluî 

ont  joui;  qui  femblables  aux*  bêtes,  lôrfqu'ils  ont  fatisfait  leur  appétit'fbu* 
gueux ,  méconnoiflent  l'objet  qui  concourrolt  à  leurs  plaifirs ,  &  les  fruits 
qui  en  proviennent  ?  La  nature  fe  propofe  dans  les  unions  quMIe  forme , 
la  naifTance  des  enfans  ,  leur  éducation  procurée  par  les  foins  réunis  du 
père  de  de  la  mère  ,   la  fociété  délicieufe ,   confiante  &  utile  des  époux. 


CHASTETÉ. 


S43 


les  hommes  faos  Chafieté  dëtruifent  tous  ces  defTeîns  du  Créateur,  Ils  re- 
doutent &  la  naiflance  des  enfans ,  &  les  foins  que  leur  éducation  exige , 
&  les  égards  requis  encre  les  époux  pour  rendre  leur  union  heureufe  & 
durable. 
Suppofera-t«^on  que  comme  au jourd%ui  Timpudicité  ne  fera  pas  ouverte  ; 

2ue  ce  fera  funivemeoc  &  en  fecret  ^ue  Ton  violera  la  Chafteté  ^  il  fau- 
ra ,  dans  ce  cas ,  s'attendre  à  ne  voir  dans  les  époux  qtie  des  perfonnes 
perfides  qui  fe  trompent ,  dont  la  fauflTeré  confiante  fera  le  caraftere ,  & 
parmi  lefquels  il  ne  fauroit  y  avoir  de  confiance  ni  d^amitié. 

De  quelque  côté  que  l'on  fe  tourne ,  toute  perfonne  que  la  faîne  raifon 
conduit  devra  toujours  regarder  la  Chafteté  comme  une  vertu  capitale,  ef^ 
fentielle  au  bonheur  public  &  particulier  des  hommes,  &  à  la  perfedion  de 
chaque  individu. 

11  paroit  par  ce  que  nous  venons  de  dire,  d'après  les  principes  de  la  plus 
faine  morale,  que  la  Chafteté  confifte  dans  l'ufage  des  jplaiftrs  de  l'amour^ 
conforme  aux  loix  de  la  nature;  que  cette  vertu  fubfifte  entre  les  époux 
au  milieu  de  leurs  plus  tendres  embraftemens  ;  que  c'eft  donc  à  fort  que 
quelques  perfonnes  ont  voulu  faire  envifager  le  mariage  comme  étant  (inon 
abiblument  incompatible  avec  la  Chafteté ,  au  moins  comme  un  obftacle 
à  la  perfèdion  de  cette  vertu.  C'eft-là  contredire  les  décifions  les  plus  clai- 
res de  la  loi  naturelle  &  les  intentions  de  ion  auteur  ,  qui  a  voulu  par 
Tappétit  fenfuel  nous  porter  tous  au  mariage,  &  par  les  plaiftrs  de  l'amour 
nous  faire  chérir  l'union  conjugale  comme  un  état  vertueux,  comme  le 
gardien  de  la  Chafteté  ^  comme  le  remède  à  l'incontinence ,  &  l'obftacle 
à  la  débauche. 

Ici  on  peut  demander  fî  la  Chafti^té  eft  une  vertu  plus  eflentielle  aux 
femmes  qu'aux  hommes  ?  Il  femble  d'abord  ,  &  au  premier  coup-d'œil  ^ 
que  tout  eft  égal  à  cet  égard  entre  les  deux  fexes.  En  effet,  la  Chafteté 
étant  une  vertu,  elle  ne  peut  être  violée  fans  crime,  qui  que  ce  foit  qui 
porte  atteinte  2i  fes  loix  :  ainfi  quoiqu'en  dife  le  préjugé ,  &  quelque  appui 
qu'il  trouve  prefque  par-tout  dans  Tes  moeurs  dés  nations  qui  fe  piquent 
d'être  policées  ;  les  aâions  contre  la  Chafteté  ne  font  pas  plus  permifes 
aux  hommes  qu'aux  femmes  ;  nulle  loi  naturelle  ou  pofitive  ne  dîfpenfe 
les  hommes  d'être  chaftes ,  &  ne  les  autorife  à  fe  donner  à  cet  égard  plus 
de  licence  que  les  femmes. 

Lors  cependant  que  l'on  confidere  l'érat  des  chofes  ,  il  femble  que  le 
défaut  de  Chafteté  chez  les  femmes  les  rend  plus  méprifables  que  les  hom* 
jmes  qui  donnent  dans  les  mêmes  défôrdres.  Soit  inftinâ  naturel ,  foit  con- 
fentement  &  accord  fmgulîer  de  préjugés  chez  tous  les  peuples,  la  nature 
femble  avoir  donné  aux  femmes  de  plus  qu'aux  hommes  ,  un  frein  pani- 
cuîier  pour  les  retenir  dans  les  règles  de  la  décence  &  de  la  fageffe ,  par  la 
pudeur  qui  femble  être  leur  partage  fi  effentiél ,  que  le  défaut  de  cette  dîf- 
pofîtion  rend  une  femme  un  objet  de  mépris  &  d'horreur  même  aux  yeux 


544  CHASTETÉ. 


à  craindre  que  l'homme  des  fuites  des  licences  qu'elle  fe  donne.  La  grof- 
fefle,  les  douleurs  de  Penfantement ,  l'einbarras  d'un  enfiuit  dont  elle  eft 
feule  chargée ,  Tefpece  d'abaiifement  où  elle  fe  réduit  à  i'^ard  de  Thamme 
auquel ,  en  renonçant  à  la  pudeur ,  elle  accorde  des .  faveurs  qui  quelquefois 
le  dégoûtent  &  éteignent  la  paffion  qu'elle  lui  avoit  infpirée  ;  &  û  elle  eft 
mariée  à  un  autre  ,  l'idée  qu'elle  fait  injuflice  à  un  mari  à  qui  elle  avoit 
promis  fidélité,  des  enfàns  i^uls  duquel  elle  devoit  être  mère,  &  qu'elle  ne 
peut  fans  injufiice  charger  de  ceux  qui  ne  fonr  pas  \  lui  ;  toutes  ces  coa« 
(idéracions  femblent  aurorifer  le  préjugé  ^  qui  peut-être  avec  raifon  faumec 
une  femme  impudique  à  un  plus  grand  déshonneur  que  l'homme  quicom« 
met  les  mêmes  crimes. 

Une  femme,  dit-on  avec  aifez  de  raifon,  s'attache  à  un  homme  parles 
faveurs  qu'elle  lui  accorde  v  tandis  que  l'homme  fe  détache  fouvent  d'elle 
par  ces  mêmes  faveurs  qu'il  en  obtient.  Cela  eft  naturel  à  ce  qu'il  me  iem- 
ble,  &  peut  être  une  luite  des  raifons  qui  rendent  néceffaire  le  matiage. 
Une  femme  qui  a  confenti  ^  accorder  à  un  homme  la  jouiflànce  de  loa 
jcorps ,  fe  met  par-là  dans  un  état  qui  lui  rend  effentiellement  néceflaires  les 
fecours  tendres  ,  afFeâueux  &  aflidus  de  l'homme  qui  l'a  rendue  ou  qui  a 
pu  la  rendre  mère  ;  quelle  autre  confolation  peut-elle  avoir  que  de  fa  part 
pendant  les  incommodités ,  fuites  de  fon  commerce.  Avoir  accordé  des  fà« 
veurs  à  un  homme  ,  c'eft,  dans  l'ordre  de  la  nature,  s'être  mife  fous  fa 
garde ,  &  l'avoir  choifi  pour  proteâeur  &  pour  foutien.  Mais  eft-ce  l'avoir 
acquis  réellement  pour  proteâeur ,  que  de  lui  avoir  donné  lieu  de  croire 
par  la  facilité  avec  laquelle  on  s'eft  livrée  à  lui,  qu'on  lui  accordoit  moins 
de  faveurs  qu'on  n'en  recevoit  de  fa  part ,  en  forte  qu'il  peut  penfer  qu'une 
femme  qui  a  renoncé  avec  lui  à  la  pudeur ,  n'a  pas  plus,  cédé  aux  lollici* 
rations  qu'il  a  employées  auprès  d'elle ,  qu'à  l'appétit  qu'elle-même  cher- 
choit  à  aflbuvir?  Ne  fera-t-il  pas  dégoûté  de  s'unir  comme  époux  &  pro- 
teâeur  à  une  femme  qui  a  perdu  fon  eftime  par  (on  abandon  ,  &  qui  a 
détruit  fa  confiance  en  fa  fidélité  ^  par  le  peu  de  réfiftance  qu'elle  a  op- 
pofé  à  fes  défîrs?  Ces  difpofitions  naturelles  entre  perfonnes  liores  encore , 
&  qui  pourroient  s'unir  par  le  mariage,  fubfiftent  entre  ceux  mêmes  à  qui 
les  circonftances  interdifent  cette  union. 

Quoique  également  coupables  de  violation  des  loix  de  la  morale,  quand 
ils  pèchent  contre  la  Chafteté;  quoique  tous  deux  criminels  quand  ilsufeot 
des  plaifirs  de  l'amour  contre  les  loix  de  la  vertu,  la  femme  cependant  fe 
couvre  d'un  plus  grand  déshonneur  que  l'homme  ;  &  les  loix  civiles  fous 
la  protedion  defquelles  le  fort  des  enfans  légitimes  repofe ,  doit  fëvir  avec 
la  plus  grande  rigueur  contre  les  défordres  d'une  mère  qui,  par  fesinconr 
tlnences ,  ofe  donner  à  fon  mari  des  enËiïis  qui  ne  font  que  le  fhiit  de 


C.  H    A    S    1?    n   fr    È.  J4J 

tèn  débauches;  car  fuÎTanirfes  mêmes  loh'i  FjOer  is  ^  futm  nuptiœ 
déclarant. 

Il  eft  ici  une  obfervaWQ  importante  à  faire  ^  favoir ,  que  tant  aue  les 
femmes  ont  confervé  des  mœurs  pures  dans  une  nation ,  tant  qu'elles  ont 
été  chaftes  &  pudiques ,  un  peuple  s'eft  foutenu  dans  un  état  de  profpé* 
rite  &  de  force  ;  les  mariages  ont  été  plus  nombreux  &  plus  féconds  9  il  y 
a  moins  eu  de  célibataires ,  la  population  a  été  plus  forte ,  toutes~les  mœurs 
meilleures  ^  &  l'amour  de  la  patrie  plus  vif,  plus  zélé.  Au  contraire ,  dès 
que  la  Chafteté  n'a  plus  été  en  honneur  chez  les  femmes,  dès  qu'elles  ont 
commencé  à  renoncer  à  la  pudeur  &  à  la  reteiiue  naturelle  à  leur  fexe ,  le 
mariage  a  été  dédaigné ,.  les  célibataires  ont  été  en  plus  grand  nombre , 
la  population  a  diminué,  tous  les  vices  fe  ibnt  gliffés  dans  la  fociété,  & 
l'Ëcat'a  penché  vers  fa  ruine;  tant  la.  Chafteté  a  d'influence  fur  les  mœurs, 
le  càraâere  &  fur  le  fort  des  hommes!  On  doit  fentir  en  effet  que  les 
mœurs  d'une  nation  étant  le  produit  des  mœurs  des  particuliers  /  fi  la  &uf- 
feté,  la  perfidie,  la  vie  efféminée  &  voluptueufe,  Tefclavage  des  paffîons, 
régnent  dans  les  familles,  le  peuple  entier  doit  être  dépourvu  de  franchife, 
de  bonne  foi,  d'amitié  fincere,  d'amour  pour  fes  enfkns  &  pour  la  patrie, 
de  fermeté  &  de  courage. 

Les  femmes  irifluent  plus  qu'on  ne  penfe  fur  le  càraâere  national  :  les 
hommes  n'agiffent  guère  pendant  leur  jeunefTe  que  pour  leur  plaire.  Si  les 
femmes  n'accordent  leur  eflime  qu'à  la  vertu ,  bientôt  nous  verrons  les 
hommes  devenir  des  héros.  Mais  que  les  femmes  n'eftiment  dans  les  hom-* 
mes  que  le  fexe  différent  du  leur  ,  &  n'attendent  d'eux  que  l'amour  &  (a 
volupté,  bientôt  vous  n'aurez  pour  citoyens  que  des  Sybarites.  O  Chafte- 
té !  baume  de  l'ame,  calme  délicieux  des  fens,  vraie  fource  de  la  beau- 
té, c'eft  par  toi  feule  que  la  femme  confervé  cette  fraîcheur  agréable,  ce 
coloris  précieux  ,  ce  louffle  pur  &  enchanteur  qui ,  pénétrant  dans  nos 
âmes,  nous  ravit  de  plaifir. 

Il  n'y  a  certainement  pas  de  fard ,  ni  de  pommade ,  ni  d'eau  qui  rende 
au  tein  la  fraîcheur  &  l'agrément  que  la  Chafteté  confervé  &  que  les  fem- 
mes fouvent  font  difparoitre  en  peu  de  temps  par  un  régime  échauffant, 
les  veilles ,  l'irritation  continuelle  de  leur  imagination  ,  &c. 

La  coquetterie  eft  un  défaut  de  réflexion.  Si  les  femthes  vouloient  pren- 
dre la  peine  de  réfléchir  &  de  raifonner ,  elles  n'héfiteroient  pas  à  facrifler 
une  ou  tout  au  plus  trois  années  de  folie  au  plaifir  inexprimable  de  jouir 
des  fentimens  vrais  &  naturels  qu'elles  peuvent  faire  naître  pendant  très* 
long-temps ,  en  fe  ménageant» 


Tomt  XL  Zz« 


ç4/f  C  H  A  T  E  A  U.      Ç  K  A  T  B  L.  "  (Pierre  du) 

c  H  A  T  E  A  U,   {.m* 


L 


ES  Châteaux  font  prefque  tous  abandonnés.  le  luxe  &  l'ambition^ 
etichainent  prefque  tous  les  grands  Seigneurs  à  la  coun  Cependant  ils  n^y 
font  que  des  elclaves  fbuvent  inutiles^  quelquefois  méprifés,  &  toujouils 
fort  gênés,  au  lieu  que  chez  eux,  ils  feroienc  maîtres ,  refpeâés  &  chéris 
s'ils  vonloient.  Ils  tirent  le  plus  dVgent  qu'ils  peuvent  de  leurs  terres, 
&  les  dégradent  fouvent  en  les  démembrant  pour  fournir  V  un  luxe  qur 
les  éloigne  du  bonheur. 

Leurs  valïàux ,  livrés  à  des  mercenaires  avides  ^  font  fans  ceffe  expofés 
i  mille  vexations  y  Se  traînent  dans  la  mifere  une  vie  languHTante.  Ils  font 
peu  d'enfans  de  peur  de  faire  des  malheureux.  Sans  émulation  parce 
qu'ils  font  fans  efpoir^  ils  ne  travaillent  que  pour  fe  procurer  le  nécef* 
Kiire  abfolu. 

Quel  tort  cela  ne  fait^il  pas  à  l'Etat  »  k  la  population,  à  l'agricuhure ,. 
au  commerce  > 

Si  les  Seigneurs  habitoieot  leurs  Châteaux ,  ils  chercheroient  1  amélio« 
rer  le>irs  polTeilions ,  occuperoient  ces  bonnes  gens ,  les  feroient  vivre  dans 
une  honnête  aifance  par  les  travaux  qu'ils  leur  feroient  ^aire.  L'émuh* 
tion  renaitroit  ;  l'agriculture  fleuriroit;.  l'aifance  rameneroit  la  famé;  U 
population  augmenteroit.  Les  terres  incultes  fe  défricheroient.  Le  payfaa 
béniroit  fon  Seigneur;  ic  celui-ci  jouiroit  du  bonheur  qu'il  répandroir 
autour  de  lui.  , 

Courtifans  infenfés  !  comparez  la  noblefle  &  Tagrément  de  cette  pofi* 
tion  avec  le  perfonnage  que  vous  faites  dans  tes  antichambres  oii  vous  crou- 
pifféz.  Allez  jouir  du  précieux  avantage  de  faire  des  heureux ,  &  vous  le 
ferez  vous-mêmes. 


CHAT  EL  y   (  Pierre  du  )  Bibliothécaire  &  ami  de  Français  I^ 

JRoi  de  France. 


p 


lERRE  DU  CH AXEL  efl  un  beau  modèle  à  préfcnter  aux  cour- 
tifans,  fur-tout  à  ceux  que  les  Rois  honorent  d'une  amitié  particulière» 
fi  pourtant  il  peut  y  avoir  une  véritable  amitié  entre  un  fouvêrain  & 
fon  fujet. 

Il  étudia  &  profeffa  les  .Belles-lettres  au  Collège  de  Dijon  fous  Pierre 
Turrel  qui  en  étoit  principal.' Celui-ci  fort  verfé  dans  les  mathématioues 
&  l'afltologie  fut  foupçonné  d'impiété  ,  &   eut  peut-être  fuccombé  lous 


C  H  ATE  I  Et    D  E    PARIS.  S4y 

le  poids  de  la  prëventioo  &  de  ignorance ,  fans  réloqueoce  viftorieufe 
iiu  jeune  du  Châtel  qui  oia  défendre  fon  maître  &  Parracherà  une  con-" 
damnation  préméditée  ;  Pierre  GaUnd ,  fon  hifiorien ,  compare  ce  triomphe 
à  celui  de  Cicéron  fur  Céfar  en  faveur  de  Ligarius  :  Michçl  Bouder,  Evé« 
que  de  Langres ,  qui  aimoit  les  lettres  ,  un  des  juges ,  fut  (i  charmé 
des  talens  du  jeune  orateur ,  qu'il  le  loua  en  plein  Parlement  &,  le  ré« 
compenfa. 

L'érudition ,  la  fageflè ,  &  l'efprit  de  du  Chatel  lui  concilièrent  les  bon- 
nes grâces  de  François  I  qui  te  fit  fon  bibliothécaire  à  la  place  de  Bu^ 
dée  ,  Evéque  de  Maçon ,  enfuite  d'Orléans ,  &  Grand- Aumônier  de  France; 
Ceft  le  ièul  favanr  dont  lei  queftions  avides  de  ce  Prince  ne  purent  épui- 
fer  la  fcience  en  deux  ans^  le  feul  aufli  dont  les  n^lheureux  ne  purent 
cpuifer  la  bienËii faoce. 

•  Ce  grand  homme  entendant  un  jour  Poiet  trahir  1^  Roi  par  une  lâche 
adulation,  lui  dit: de  quel  front  ofez-vous  bazarder  devant  Françcns  I  des 
flatteries  qui  feroient  baiifer  les  yeux  aux  Nérons  &  aux  CaliguU?De$ 
cotirtifans  (e  liguèrent  contre  du  Chatel  ;  il  fut  averti  que  la  liberté  de 
fes  difcours  pourroit  blefTet  l'oreille  du,  inaitré,  »  &  moi ^  lui  dit  le  Roi,  je 
9  vous  ordonne,  de  déployer  en  toutç  occaHo'n  cette  liberté  généreuse  doojt 
I»  j'ai  befotn;  ma  proteaidn  &  mon  amitié  font  h  ce  prix,  »  Il  en' jouit 
conftamment  jufqu'à  la.  mort  de  ce  Prince  dont, il  prononça  Poraifon  fur 
nebre,  que  BaIu2X  a  publiée  en  1674  ^^^^  ^^  ^^^  ^^  ^"  Chatel  écrite  ea 
tatin  très-pur  par  le  Profeflbur  Gaîand,  Cet  flluftre  Prélat,  que  le  Chan- 
celier de  PHopiial  appelloit  l'ornement  des  mufes ,  (  Cajlcllane  decus  mufa-^ 
rum  )  mourut  d'apoplexie  en  „  prêchatu  dans  fa  cathédrale  d'Orléans  e« 
15^2.  (  C.) 


■.I      ,  ,    I  L  , 


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CHATELETDB     PARI& 

JLtfE  Châtekt  de  Paris  eft  la  juflice  foyale  ordinaire  de  la  capitale  du 
Royaume.  On  lui  a  donné  le  titre  de  Chàtelet,  parce  que  Pauditoire  de 
cette  jurifdiâion  eft  établi  dans  l'endroit  où  fubfîile  encore  jpartie  d'une 
ancienne  forterefle ,  appellée  le  grand  Çhâttltt  »  que  Jufes  Çélar  fît  conf- 
^ruire  lorfqu'il  eut  fait  la  conquête  des  Gaules.  11  établit  à  Paris  le  Con- 
feil  fouverain  des  Gaules ,  qui  devoir  s'affembler  tous  les  ans  ;  &  l'on  tient 

Îiue  le  Proconful ,  Gouverneur  général  des  Gaules  ^  qui  préfîdoit  à  ce  coa*- 
eil ,  demeuroit  à  Paris. 

Vers  le  Commencement  du  treizième  iieclè,  tous  les  offices  du  Chàtelet 
fe  donnoient  à  ferme ,  comme  cela  fe  pratiquoit  aufli  dans  les  provinces , 
ce  qui  caufoit  un  grand  défordre ,  lequel  ne  dura  à  Paris  qu'environ  |0 
4onees«  Vers  l'an  12  $4»  St.  Louis  commença  la  réformation  de  cet  abus 

Zi%  2 


u« 


CHATELETDÈ    PARI  5. 


par  le  Chitclet  ^  &  inftîtua  un  Prévôt  de  Paris  en  titre.   Alors  on  vît  la 
jiirtfilidion  du  Châtelet  changer  totalement  de  face. 

Le  Prévôt  de  Paris  a  voit  dès-lors  des  Confeillers ,  du  nombre  derquelt 
il  y  en  avoir  deux  qu^on  appella  Auditeurs  \  il  nomnioit  lui-même  ces 
Confeillers.  Il  commit  aufli  des  Enquêteurs-examinateurs  ^  des  Lieutenans^ 
&  divers  autres  Officiers ^  tels  que  les  Greffiers  ,  HuifHers,  Sergens,  Pro- 
cureurs, Notaires,  &c. 

Le  Châtelet  comprend  préfentement  plufieurs  jurifdi£Hôns  qui  y  font 
réunies  ;  fa  voir  la  prévôté  &  la  vicomte  ;  te  bailliage  ou  confervation ,  & 
le  préfidial. 

Les  Lieutenans  particuliers  au  Châtelet  ont  le  titre  U'Aflèffeurs  civils  j  de 
police,  &  criminels* 

II  y  a  auflî  deux  offices  d'Affefrcurs  ;  l'un  du  Prévôt  de  Pifle ,  &  Tau- 
tre  du  Lieutenant  criminel  de  robe-courte  ;  c^eft  un  des  Confeillers  au  Châ« 
telet ,  qui  dans  l'occafion  en  fait  les  fbnâions. 

Il  y  a  quatre  principales  attributions  attachées  à  la  prévôté  de  Pa- 
Tis ,  qui  ont  leur  effet  dans  -toute  Pétendue  du  Royaume  ,  à  Pexclufioa 
même  des  baillis  &  fénéchaux  »  &  de  tous  autres  juges;  fa  voir,  i^. 
le  privilège  du  fceau  du  Châtelet  ,  qui  efl  attributif  de  jurifdiâion  ; 
a**,  le  droit  de  fuite;  3^.  la  coftfervation  des  privilèges  de  Puniverfi- 
té;  4^.  le  droit  d'arrêt,  que  les  bourgeois  de  Paris  oik  fur  leurs  débi- 
teurs forains. 

.  Les  chambres  d'audience  font  le  parc  civil ,  le  préfîdiat ,  la  chambre  ci« 
vile ,  la  chambre  de  police ,  la  chambre  criminelle ,  la  chambre  du  jure 
auditeur*  Il  y  a  aulfi  l'audience  dés  criées ,  qui  fe  tient  deux  fois  la  ^ 
maine  dans  le  parc  civil,  les  mercredi  &  famedi,  par  un  des  Lieutenass 


Sarticuliers,  après  l'audience  du  parc  civil.  Il  y  a  au(fi  Paudience  de  l'or- 
ihaîre,  qui  le  tient  dans  le  parc  cT^H'  tous  les  jours  plaidoyables  »  excepté 


connoiffànces  d'écritures  privées ,  communications  de  pièces ,  excepdoQs , 
renûfes  de  procès ,  &  autres  caufes  légères.  Les  affirmations  ordonnées  par 
fentênce  d'audience ,  fe  fom  à  celle  de  l'ordinaire. 


'  j   * 


C    H    A    T    I    G    A    M.  549 


CHATIGAM,    Ville   riche  &  confidérable  dAfie  ,  dans  le   Bengale , 

fur  les  confins  d^Arrakan. 

J^ES  Portugais  qui  dans  le  temps  de  leur  profpëricé  cherchoient  à 
occuper  tous  les  pofies  importans  de  Tlnde ,  y  formèrent  un  grand  éta« 
biiflemenc.  Ceux  qui  s'y  écoient  fixés  ^  fecouerent  le  joug  de  leur  patrie 
après  qu'elle  fut  pafTée  fous  la  domination  efpagnole ,  &,  fe  firent  corfai- 
res  plutôt  que  d'être  efclaves.  Ils  défolerent  long-temps  par  leurs  brigan- 
dages, les  côtes  &  les  mers  voifines.  A  la  fin  ,  les  Mogols  les  attaquè- 
rent ,  &  élevèrent  fur  leurs  ruines  une  colonie  aflez  puiffante ,  pour  em- 
pêcher les  irruptions  que  les  peuples  d'Arrakan  &  du  Pégu  aUroient  pu 
être  tentés  de  raire  dans  le  Bengale.  Cette  place  rentra  alors  dans  robrcu** 
rite,  &  n'en  eft  fortie  qu'en  1758,  lorfque  les  Anglois  s'y  font  établis. 

Le  climat  en  eil  fain,  les  eaux  excellentes  &  les  vivres  abondans.  L'a- 
bord eft  facile  &  l'ancrage  fur.  Le  continent  &  l'ifle  de  Sandiva  lui  for- 
ment un  allez  bon  port,  h^s  rivières  de  Barrempoeter  &  de  l'£cki ,  qui 
font  des  bras  du  Gange»  ou  qui  du  moins  y  communiquent ,  rendent  fa- 
ciles fes  opérations  de  commerce.  Si  elle  eft  plus  éloignée  de  Patna,  de 
Caffîmbazar,  de  quelques  autres  marchés  que  les  Colonies  européennes 
de  la  rivière  d'Ougly \  elle  eft  plus  proche  de  Jougdia ,  de  Daka ,  de  tou- 
tes les  manufaâures  du  bas  fleuve.  Il  eft  indifférent  que  les  grands  vaif- 
féaux  puiftent  ou  ne  puiftent  pas  entrer  de  ce  côté-là  dans  le  Gange  ^ 
puifque.la  navigation  intérieure . ne  fe  fait  jamais  qu'avec  des  bateaux.    ' 

Quoique  la  connoiffance  de,  ces  avantages  eût  déterminé  l'Angleterre  à 
s'emparer  de  Chatigam ,  nous  penfons  qu'à  la  dernière  paix ,  elle  l'auroit 
cédé  aux  François,  pour  être  débarraffêe  de  leur  voifmage ,^  de  leur  concur- 
rence dans  les  lieux  pour  lefquels  l'habitude  lui  avoit  donné  plus  d'atta- 
chement. Nous  préfumoQs  même  qu'elle  fe  feroit  défiftée  pour  Chatigam 
des  conditions  qui  font  de  Chandernagor  un  lieu  tout-à-fait  ouvert ,  &  qui 
impriment  fiur  lès  pofteffeurs  un  opprobre  plus  nuinble  qu'on  ne  croit, 
AUX  fpéculations  de  commerce.  C'eft  une  profeflion  libre.  La  mer ,  les 
voyages,  les  rifques  &  les  viciflîtudes  de  la  fortune,  tout  lui  infpire  l'a- 
mour de  l'indépendance.  C'eft-là  fon  ame  &  fa  vie.  Dans  les  entraves , 
elle  languit ,  elle  meurt.  L'occafîon  eft  peut-être  favorable  pour  s'occupef 
de  l'échange  que  nous  indiquons.  Quelques  tremblemens  dé  terre,  qui  ont 
renverfé  les  fortifications  que  les  Anglois  avoient  commencé  à  élever, 
paroiffent  les  avoir  dégoûtés  d'un  lieu  pour  leqœl  ils  avoient  montré  de 
la  prédileâion.  Si  nous  ne  nous  trompons,  Chatigam  avec  cet  inconvé- 
nient ,  vaut  mieux  pour  la  compagnie  de  France ,  que  Chandernagor  dans 
Tétat  oà  elle  eft  obligée  de  le  laiffer.  Voyei^  Chandernagor. 


^%0 


CHAUFFAGE. 


CHAUFFAGE,   Cm.. 


JLiE   Chauffage^  étant  un  objet  de  première  néceflitéf  il  faut  que  la  Po- 
lice Toit  attentive  à  ne  jamais  laiffer  manquer  une  ville  des  matières  dont 
^n  fe  fert  à  cet  effet.  Ces  matières  ne  font  pas  les  mêmes  dans  tous  les 
pays.  En  France  &  en  Allemagne,  on  brûle  communément  du  bois;  ea 
Angleterre,  du  charbon  de  terre;  en  Hollande  ^  des  tourbes;  en  Flandre, 
^e  la  houille;  en  d'autres  Contrées,  du  charbon  de  bois.  Il  e(t  même  des 
pays  (i  peu  favorifés  de  la  nature  ,    que    les  habitans   fe   chauffent  avec 
des  arrêtes  dç  gros  poiffons  qu'ils  ont  fait  fécher  au  foleil.  Cependant  il 
eft  certain  que,  de  toutes  les  matières  combuftibles,  le  bois   eft  le  plus 
propre  à  faire  un  bon  feu  pour  toutes  fortes  d'iifage ,  fi  ce  n'eft  pour  les 
forges,  où  le  charbon  de  terre  &  la  houille  font  préférables.  Comme  les 
forêts ,  les  mkies  de  charbons ,  les  bruyères  où  fe  creufe  la  tourbe ,  (bat 
fous  rinfpeélion  du  département  des  Finances  ;  la  Police  ne  peut  procurer 
l'abondance  &  le  bon  marché  des  matières   qu'elles  produifent,  que  par 
tine  grande  attention  aux  befoins  de  la  ville ,  en  fàifant  des  repréfenta* 
tions  à  ce' département  auflitôt  qu'elle  s'apperçoit  de  la  moindre  difette  d^ 
bois ,   &c.  Elle  établit  de  plus  des  chantiers ,  des  magafins ,  pour  le  bois, 
les  charbons  ou  les  tourbes ,  qu^elle  place  aux  portes  de  la  ville ,  &  fi  la 
fituation  le  permet,  proche  d'une  rivière;  précaution  également  utile  pour 
le  tranfport  facile,   &  pour  prévenir  les  incendies.    Il  faut  auffi  défendre 
aux  habitans  de  la  Ville  de  brûler  du  chaume, 'de  la  paille,  des  ptanures, 
<&  autres  chofes  qui  peuvent  facilement  mettre  le  feu  à  leurs  maifons.^Lepri]; 
4es  matières  combuflibles  doit  être  invariable,  autant  qu'il  efi  pofiible,  &  fixé 
par  la  Police. 

Il  e(l;  certain  qu'il  faut  fe  chauffer  quand  il  fait  froid;  mais  il  n'eft  pas 
ixéceffaire  que  chaque  domeftique  ait  fon  feu  particulier,  le  connois  à  Paris 
Àes  mations  où  il  v  a  dix,  quinze,  viiigt,  même  trente  feux  continuels  & 
au-del^.  Cette  confommation  exceffive  fait  beaucoup  de  coït  :  elle  renchérit 
le  bois  ;  il  •devient  hors  de  la  portée  du  pauvre ,  qui  fouffire  &  même  périt 
dans  les  hivers  un  peu  rudes.  Elle  engage  les  propriétaires  à  planter  et 
bois*  des  terres  qui  produiroient  du  grain  :  perte  confidérabte  pour  le  com- 
merce, les  fubiiflances  &  la  population  :  car  ce  défaut  de  Clôture  fait  né* 
ceifairement  des  hommes  &  des  befiiaux  de  moins.  Le  pauvre ,  qui  ne 
peut  pas  acheter  de  bois,  ou  eft  obligé  d'en  voler  :  ce  qui  £iit  tort  avx 
propriétaires ,  &  à  la  chofe  même,  car  cela  dégrade  les  bois  &  les  forêts; 
ou  il  y  fupplée  par  des  matières,  telles  que  la  tourbe  &  autres  qui  font 
malfaines  pour  ceux  qui  n^  font  pas  accoutumés  dès  l'enfance.  L'aifance 
continuelle  qu'on  donne  en  tout  aux  domefiiques  en  multiplie  le  nombre, 
^  lait  déf^rter  les  canipagaes.  Ils  ne  doivent  pas  fouf&ir  du-  froid ,  maïs  ilc 


CHELONI  s.    CHEMIN.  f^t 

^oi^entTavoir  le  (bppôrter;  &  tel  (^onfomme  dix  Voies  de  bôîs  dani  ^tré 
mois  chez  un  grand  Seigneur ,  qui  n'auroic ,  dan$  fon  village,  pour  fe  re«. 
chauffer^  que  la  grâce  de  Dieu  &  Ton  travail.  Clift .  un  eitec.du  luxe. 


C    H    E    L    O    N    I    5- 

i^HELONIS^  £lle  de  Léonîdas,  Roi  de  Sparte ,  nous  offire  le  ^lu» 
parfait  modèle  de  la  tendreffe  filiale  &  de  la  fidélité  qu^>n  doit  à  un  époux.. 
Supérieure  à  toutes  les  paffîons  y  elle  les  tint  toujours  aflervies  à  fes  devoirs. 
Lts  malheurs  de  fa  famille  fournirent  de  fàcheu(es  occafions  d'exercer  fe9 
vertus.  Lorfque  fon  père  eut  été  contraint  d'abdiquer  le  pouvoir  fuprême^ 
6c  de  chercher  un  afyle  dans  une  terre  étrangère ,  elle  voulut  l'accompagner 
dans  fon  exil,  préférant  la  gloire  de  partager  Ton  malheur  à  l'ambition  d^tre 
aflTociée  à  l'éclat  du  trône  où  fon  mari  venoit  d'être  élevé.  Après  la  révolu^ 
tion  qui  rétablit  Léonidas  dans^  la  jouiflance  de  fa  dignité  y  Chelonis ,  fîUe 
tendre  &  époufe  vertueufe  &  chérie ,  vit  avec  indifËrence  la  dégradation 
de  fon  mari  ;  mais  fidèle  à  fcs  devoirs  ^  ellp  prëfëra  les  ennuis  d'un  nouvel 
exil  avec  lui ,  à  tous  les  honneurs  qu'elle  pouvoit  fe  promettre  à  l'ombre  da 
ir^ne  de  fon  père.  Sa  deftinée  fut  de  vivre  fans  patrie ,  &  d'être  toujours 
malheureufe  par  devoir.  Plutarque  a  raifon  de  dire  que  fi  Cléombrote  n'étojt 
pas  dévoré  d'ambition ,  il  pouvoit  vivre  plus  heureux  dans  fon  exil  avec  une 
û  digne  époufe ,  qu'il  ne  l'auroitété  fur  le  trône  éloigné  d'elle.  S'il  efl  peu 
d'exemple  d'une  vertu  fi  rare ,  c^efl  que  les  femmes  élevées  fans  principe» 
font  abandonnées  à  Tinconflance  de  leurs  penchans ,  mais  au-lieu  de  pro^- 
noncer  leur  cenfure ,  c*ttt  à  nous  à  nous  reprocher  les  vices  de  leur 
éducation. 


C    H    E    M    I    N^    f.    m. 

1    OUT  Chemin  a  néceflairement  pour  objet  la  facilité  de  la  communia 
cation  &  du  commerce  :  donc   tout  Chemin   doit  paffer  par  les  lieux  les 

fhis  habités  y  de  ville  à  ville ,  de  bourg  à  bourg ,  de  village  à  village. 
>onc  tout  Chemin  de  traverfe  ou  de  communication  doit  être  fait  & 
entretenu  comme  les  grandes  routes  fuivant  que  le  local  l'exige  &  le 
permet. 

Les  Chentins  font  faits  pour  Tes  gens  à  pied^  comme  pour  tes  voitures^ 
pour  les  allans  comme  pour  les  venans.  Ifs  doivent  y  trouver  les  uns  & 
les  autres  Tes  mêmes  facilités ,  les  mêmes  commodités.  Donc  tout  Chemin  ^ 
Ikns  aucune  exception  ^  devroit  être  bien  pavé  ^  avoir  irente*iix  pieds  de 


^^t  chemin; 

large ,  favôîr  fix  ^ieds  die  chaque  côté  relevé  en  talus  doux  pour  les  gens 
ée  pieds,  &  vingt-quatre  pieds  en  chaufTëe  pour  les  voitures,  ce  qui  for« 
meroit  deux  ruiiieaux  pour  l'écoulement  des  eaux  que  l'on  doit  conduire 
dans  des  puifards  profonds  lorfque  le  terrein  ne  permet  pas  de  leur  donner 
d'autre,  iffiie ,. car  elles  ne  doivent  jamais  y  féjourner. 

Cependant  les  Chemins  ne  doivent  pas  faire  tort  à  l'agricutture;  donc 
ils  ne  doivent  avoir  que  la  largeur  nécefikire ,  &  ne  pas  être  multipliés 
fans  raifon  fuffifante. 

Du  reile  ils  doivent  être  faits  folidement  &  entretenus  avec  foin.  On 
doit  toujours  défoncer  le  terrein  ayant  de  faire  '  quelque  Chemin  que  ce 
foit ,  &  former  deflbus  un  bon  maflit  de  trois  pieds  au  moins  d'épaifTeu  r, 
en  pierres ,  feches  &  même  en  maçonnerie  félon  le  plus  ou  moins  de  fo« 
lidité  du  fonds.  J'en  appelle  aux  Romains. 

JEntrons  dans  de  plus  grands  détails. 
:    Il  efl  à  préfumer  qu'il  y  eut  des  grands  Chemins ,  auflî-tôt  que  les  hom- 
mes furent  raflemblés  en  alTez  grand  nombre  fur  la  furface  de  la  terre  j 
pour  fe  diftribuer  en  différentes  lociétés  féparées  par  des  diflances.  Il  y  eut 
auili  vraifemblablement  quelques  règles  de,  police  fur  leur  entretien ,  dés 
ces  premiers  tems;  mais  il  ne  nous;  en  refte  aucun  veftige.  Cet  objet  ne 
commence  à  nous  paroitre   traité  comme  étant  de  quelque  conféquence , 
que  pendant  les  beaux  jours  de  la  Grèce  :  le  fénat  d'Athènes  y  veilloit; 
Lacédémone ,  Thebes  &  d'autres  Etats  en  avoient  confié  le  foin  aux  hom- 
mes  les  plus  importans  ;  ils  étoient  aidés  dans  cette  infpeâion  par  des  Offi- 
ciers fubalternes.  Il  ne  paroît  cependant  pas  que  cette  oftentation  de  police 
eût  produit  de  grands  effets  en  Grèce.  S'il  eft  vrai  que  les  routes  ne  tuflènt 
•pas  mêmes  alors  pavées ,  de  bonnes  pierres  bien  dures  &  bien  affîfes  au- 
roient. mieux  valu  que  tous  les  dieux' tutélaires  qu'on  y  plaçoic  ;  ou  plutôt 
ce  font  là  vraiment  les  dieux  tutélaires  des  grands  Chemins.  Il  étoit  réfervé 
à  un  peuple  commerçant  de  fentir  l'avantage  de  la  facilité  des  voyages  & 
des  tranfports  ;  aufli  attribue-t-on  le  pavé  des  premières  voies  aux  Cartha- 
ginois. Les  Romains  ne  négligèrent  pas  cet  exemple;  &  cette  partie  de 
leurs  travaux  n'eft  pas  une  des  moins  glorieufes  pour  ce  peuple ,  oc  ne  fera 
pas  une  des  moins  durables. 

£n  effet,  entre  les  monumens'de  la  magnificence  romaine,  les  trois 
qu'on  admiroit  le  plus,  étoient  les  grands  chemins  de  l'Empire,  les  aque- 
ducs y  &  les  cloaques  ou  les  égoûts.  C'étoient  des  ouvrages ,  qui  l'empor- 
toient  fur  les  fept  merveilles  du  monde  ;  mais ,  ceux  qui  confidéreront  l'é- 
tendue de  ces  grands  Chemins ,  la  folidité  de  leur  ftruéhire,  &  les  fiais 
îmmenfes  employés  à  les  faire,  avoueront  que  ce  monument  de  la  grandeur 
romaine  furpaflë  de  beaucoup  les  deux  autres.  Car,  enfin,  Rs  aqueducs, 
quelque  grands  &  merveilleux  qu'ils  fuffent ,  ne  fe  trouvoient  qu'autour 
de  Rome ,  &  auprès  de  quelques  grandes  villes  ;  Si  les  cloaques  n'étoieot 
guère  que  dans  la  ville.   Les  grands  Chemins  alloient  depuis  les  colonnes 

d'Hercule , 


C    H    E    M    I    N.v  m 

d*Hercu!e  v  en  traverfahc  rsrpagne  &  les  Gaules ,  jufqu^  rauphrate  *,  &  juf« 
qu^à  la  partie  la  plus  méridionale  de  TEgypte. 

Le  centre  de  tous  ces  grands  Chemins  étoit  la  pierre  milliaire,  -qu'on 
appelloit  milUarium  aurcum^  plantée  au  milieu  de  Rome.  Delà  les  Che-- 
•mins  fe  divifoienc  en  un  grand  nombre  de  branches ,  qui  s'étendoient  dans 
toutes  les  parties  de  l'Empire  Romain.  Ifidore  dit  ^  que  les  Carthaginois, 
icomme  nous  en  avons  déjà  &it  la  remarque,  font  les  premiers  qui  ont 
pavé  les  Chemins;  &  que  les  Romains  ont  £dt  depuis  des  pavés  prefque 
dans  tout  le  monde ,  tant  pour  rendre  les  Chemins  plus  droits ,  que  pour 
«mpêcher  que  le  peuple  ne  demeurât  dans  l'oiûveté. 


L 


Des  grands  Chemins  ^ItaUc. 


BS  grands  Chemins  d'Italie  ^  à  en  juger  par  ce  qui  en  refle  aujour« 

d'hui  j  étoient  mieux  conftruits  que  les  autres.  On  le  remarque  fur-tout  dans 
•les  voies  Appia ,  Flaminia  &  ^milia«  La  conftruâion  de  la  voie  Appia  eft 
4ittribuée  au  cenfeur  Appius  Claudius,  qui  lui  donna  fon  nom.  Deux  cha* 
riots  pouvoient  aifément  y  pafler  de  front.  La  pierre,  apportée  de  carrières 
ibrt  éloignées,  fut  débitée  en  pavés  de  trois,  quatre  &  cinq  pieds  de  fur- 
•iace^  Ces  pavés  furei^t  affemblés  aufli  exaâemeo^  que  les  pierres  qui  for* 
ment  les  murs  de  nos  maifons.  Le  Chemin  alloit  de  ,Rome  à  Capoue  ;  le 
pays.au  delà  n'appartenoit  pas  encore  aux  Romains.  Il  fut  enfuite  continué, 
Ibit  par  Jules-Céfar,  foit  par  Augufte,  jufqu'à  la  ville  de  Brundufie.  Sa 
longueur ,  dans  toute  cette  étendue ,  étoit  d^environ  trois  cents  cinquante 
-milles^  c'eft- à-dire,  décent  quinze  de  nos  lieues.  C'étoit  la  plus  ancienne 
&  la  plus  belle  de  toutes  les  c  voies  romaines.  Aulfî  en  étoit*elle  appelléé 
la  reine. 

La  voie  Aurélia  [eft  la  plus  ancienne  aprè^  celle  d' Appius.  C.  Aurélius 
Cotta  la  fit  conftruire  l'an  de  Rome  { 1 2.  Elle  commençoic  à  la  porte  Au- 
rélia, &  s'étendoit  le. long  de  la  mer  Tyrrhene  jufqu'au  Forum  AurcUi. 

La  voie  Flaminia  eft  la  troiiieme  dont  il  .foit  fait  mention.  On  croie  qu'elle 
fut  commencée  par  C.  FUminius,  tué  dans  U  féconde  guerre  punique,  & 
continuée  par  fbn  fils*  Cette  voie  conduifoit  jufqu'à  Rimini,  Le  peuple  & 
le  fénat  prirent^  tapt  de  goût  pour  jcef  travaux  »  que  fous  Jules-Çélar  lea 
fûrincipales  villes- de  l'Italie  comm^uniquoient  toutes  avec  la  capitale  par  des 
Chemins  pavés« 

C.  Gracchus  s'appliqua  avec  un  foin  particulier  à  rétablir  &  à  redreffer 
les  grands  Chemins.  Il  les  partagea  par  efpaces  égaux  qu'on  a  appelle  milUs  ^ 
parce  qu'ils  contiennent  mille  pas  géométûqçes.  Four  marquer  ces  milles , 
il  fit  planter  de  grands. piliers  de  pierre,.  #11  4ep  coloi^nes ,  fi^r  lefquelles 
étoit  infcrit  le  nombre  des  milles^.  D^à  cette  panière,  de  parler,  fi  frér 
auente  dans  les*  auteurs  ^  ttrfio ,  quarto ,  ûuinu^  fapidc  ab  urbc*^  Ces  milles 
iom  encore  aujourd'hui  4'une  grande  utiUte  4^as  la  géographie.,  pour  9oa« 

Tome  XI.  Aaaa 


)S4  €   If   Ê   li   I   K; 

noloeJâ  véritable  diftaûce  des  lieux,  dont  parlent  les  auteurs  ancietis.  Ik 
éioient  auffî  fort  commodes  pour  les  'voyageurs ,  qui  font  bien  aifes  de  fa» 
voir  au  juftè ce  qu^ils  ont  fiut  de  Chemin,  &  combien  il  leurenrefie  en- 
core à  raire  ;  ce  qui  eft  pour  eux  une  eQ)ece  de  délaflèmear. 

Gracchus  ajouta  encore  à  ces  Chemins  un  fecours  d'une  grande  commo- 
dité f  en  y  faifant  planter  aiux  deux  côtés  de  belles  pierres  debout ,  à  une 
médiocre  diftance  rune  de  Taunie ,  afin  qu'elles  aidàlTent  le»  voyageurs  à 
monter  à  cheval  fans  le  fecours  de  perfonne  \  car ,  anciennement  on  ne  fe 
fervoit  point  d'étriers. 

La  longue  &  fiable  durée  dé  ces  ouvrages ,  dont  une  partie  «'eft  coiv> 
fervée  jufqu'à  nous,  montre  avec  quelle  attention  &  quelle  habileté  ils 
avoient  été  conflruits-;  ce  qui  n'a  été  imité  depuis  par  aucune  nation. 
Quoique  la  voio.  Appia  ait  environ  deux  mille  ans  d'antiquité ,  on  la  voit 
encore  en  fon  entier  refbacê  de  plofieurs  milles  du  côté  de  Fondi,  faas 

{varier  de  beaucoup  d'endroits,  où  l'on  en  trouve  de  grands  reftes.  Mats, 
es  pierres  de  defUis  étant  ébranlées  ou -détachées,  on  évite  ce  pavé  cchu- 
me  extrêmement  incommode  aux  calèches  &  aux  autres  vottures  roi»^ 
lantes. 

^  En  d'autres  endroits ,  on  trouve  ^e  longs  efpaces ,  où  la  furface  du  pavé 
efl  très-bien  confèrvée  £c  unie  pa^-deffus  comme  une  glace,  he^  pierres 
de  ce  pavé  font  de  couleur  dé  f^r ,  &  d'une  dureté  qui  pafTe  celle  du  maf<- 
bre.  Leur  forme  efl  toute  irréguliere;  il  y  en  a  ji  cinq  angles,  d'autres 
à  fix.  M.  Fabreti ,  dans  fa  colonne  Trajane ,  dit  que  les  pierres  de  ces 
Chemins  font  toujours  hexagones,  hors  celles  des  bords  qui  (bot  penta* 
gones^;  mais  Dom  Bernard  de  Montfàucon  n'oferoît  aflurer  que  cela  fe 
trouvât  de  même  par-tout.  Les  unes  font  longues  d'environ  deux  pieds,  les 
autres  moins  longues.  Les  plus  petites  n'ont  guère  moins  d'un  pied%  Malgré 
l'irrégularité  de  la  forihe,  elles  font  fi  bien  jointes  enfemble,  qu'en  plu* 
(leurs  endi^its  on  ne  faurbit  faire  pâf^r  entre  deux  pierres  la  pointe  d'iia 
couteau.  Ces  pierres,  qui  font  la  furface,  ont  d'épaifiëur  environ  un  pied 
de  Roi. 

Ces  Chemins  font  plus  élevés  que  lé  terrein  voifin.  Il  efl  des  endroits» 
oh  l'on  a  coujpé  des  montagnes,  &  même  de  grandes  roches  pour  les  cou* 
tinuer.  Cela  le  voit  fnrincipalément  à  Terracine,  où  lé  rocher  coupé  a 
près  de  fix-vingts^  pieds  de  haut.  Oo  a  laiflë  en-  bas  pour  Chemin  b 
roche  plate ,  mais  fiUonnée ,  afin  que  les  pieds  des  chevaux  y  paflènt  tenir 
£ins  glifTer. 

Cette  folidhé  merveilleufe  de  la  voie  Appia  &  des  autres ,  vient  âoii* 
feulement  de  la  groffeur  &  de! la  dureté  des  pierres  bien  unie»»  mus  auffi 
du  grand  maffif  qUi  leè  fbbtîeàt.^Dom  Bernard  de*  Montfaucoh  a  obfervé, 
entre  Velletri  &  Sermonèta^  ube  partie  de  la  voie- Appia,  dont  oo  avoit 
ôté  tontes  les  graifdès  pierres  de  deflus;  ce  qiii  lui  donna  lieu  de  confîdé^ 
f er  à  loifir  <la  ftruâure  de  ce  maf&f.  Le  fotid  en^  de  inoilon,  ou  de  Mo* 


C    H    B    M    I    N.  ,55 

caille  mife  en  œuvre  avec  un  ciment  très-feit .  &  qu'ion  a  bien  de  la  peine 
h  rompre.  Au  deflks  èft  une  Couche  de  gravôil dmâûtë  de  même,  entre- 
mêlé de  petites  pierres  rondes.  Les  grofles  pierres,  qui  (àifoient  le  pavé^ 
a^enchaflbient  aiiement  dans  cette  couche  de  gra^ois  encore  molle.  On  / 
trouvoit  la  profondeur  néceCùire  pour  ces  pierre3  d'épaifleur  inégale ,  ce  qui 
n'auroit  pu  Ce  &ire ,  fi  ce  grand  pavé  de  pierre  avoit  été  pofé  immédiate- 
ment (ur  le  moilon«  Tout  ce  grand  maffit  avec  les  pierres ,  pouvoit  avoir 
environ  trois  pieds  de  haut. 

II  y  avoit  des  lieux  où  ces  grands  Chemins  avoient  des  bords.  Dom 

s  que  cela  fût  général;  car  il  alTure 
Chemins  font  entiers  ^  &  fans  aucun 


Gerhard  de  Mont&ucon  ne  croit  pas  que  cela  fût  général;  car  il  alTure 
qu'il  a  vu  plufieurs  endroits  où  ces  Chemii 


peu  moins  de  quatorze  piedsc 
^  n*eft  précifément  que  ce  qu'il  falloit  pour  deux  chariots.  Ces  Chemins 
ont  été  faits  il  y  a  environ  deux  mille  ans ,  dans  un  temps  où  les  voitures 
des  chars  étoient  apparemment  moins  fréquentes  ;  &  on  les  aura  laifTés  de 
même  qu'ils  ont  été  d'abord  faits  »  fans  rien  ajouter  à  leur^  première 
largeur.  ^ 

Nous  avons  dit  que  les  Romains  fe  fatfment  des  grands  Chemins  à  travers 
les  montagnes.  Nous  en  avons  un  exemple  permanent  en  la  grotte  de 
Fouzzole ,  où  la  montagne  efcarpée  qui  eft  entre  cette  ville  &  Naples ,  efl 
percée  d'un  bout  à  l'autre,  enforte  qu'on  y  va  de  plain  pied.  Aux  deux 


çoit  un  peu  en  dedans,  on  a  ait  par  le  milieu,  des  ouvertures  qui  per» 

**  *    '         .    .  V       "  •  ré  toutes  ces 

que  les  voi* 


cent  la  montagne ,  &  portent  le  jour  du  haut  en  bas.  Malgré  toutes  ces 
précautions,  l'obfcurité  règne  toujours  fur  le  milieu;  enforte  q 


tares  roulantes  qui  viennent  à  la  rencontre  des  unes  des  autres ,  s'y  entre- 
choqueroient  ^  fi  les  voituriers  &  les  cochers  n'avoient  foin  de  s'avertir  les 
uns  les  autres  ^  qu'ils  prennent  ou  du  coté  de  la  mer  ou  du  côté  de  la 
montagne. 

Il  y  avoit  encore  à  Rome,  un  Chemin  qui  perçoit  la  montagne  du 
capitole  9  comme  nous  l'apprend  Flaminius  Vacca ,  qui  dit  que  fon  maître 
Vincent  de  Ro(fis  defcendit  par  un  trou  qui  étoit  dans  la  place  du  capito* 
le ,  &  vit  ce  Chemin ,  dont  les  mafiires ,  tombée^  des  bàtimens  de  l'an- 
cien capitole ,  avoient  bouché  l'entrée  &  la  fortie.  Ce  Chemin  eft  encore 
aujourd'hui  enfeveli  fous  les  ruines.  Il  ne  fàiit  pas  s'étonner  que  les  Rot 
miiins,  qui  avoient  percé  de  bien  plus  grandes  montagnes ,.  aient  encore 
pescé  celle-là  ^  qui  n'étoit  proprement  qu^uoe  colline ,  pour  pouvoir  aller 
àe  plain  pied  du  grand  marché  romain  à  la  négiQa  ilu  cirque  de  Flami^ 
jiius ,  qui  étoit  de  fautre  coté  du  capitole. 

Aaaa  1 


^^(  CHEMIN. 


D«s  grands   Chemins  hors  de  tItalU. 


L 


Es  grands  Chemins  hors  de  l'Italie  nMtoient  pas  faits  de  même  que 
ceux  que  l'on  avoit  conftruits  dans  cette  contrée.  On  peut  sVn  convaincre 

{)ar  les  traces ,  qui  fe  voient  encore  en  plufieurs  endroits.  On  remarque  feu* 
ement  qu'ils  étoient  plus  larges. 

Fendant  la  dernière  guerre  d'Afrique ,  on  confiruifit  un  Chemin  de  cail- 
loux taillés  en  quafré ,  de  TEfpagne  dans  la  Gaule ,  jufqu'aux  Alpes.  Do* 
mitius  pava  la  voie  Domitia,  qui  conduifoit  dans  la  Savoie,  le  Dauphiné 
&  la  Provence.  Les  Romains  nrent  en  Germanie  une  autre  voie  Domitia , 
moins  ancienne  que  la  précédente.  Âugufte ,  maître  de  l'Empire ,  regarda 
les  ouvrages  des  grands  Chemins  d'un  œil  plus  attentif  qu'il  ne  t'avoit  fait 
pendant  fon  confulat.  Il  fit  percer  de  grands  Chemins  dans  les  Alpes  ;  (on 
delfein  étoit  de  les  continuer  jufqu'aux  extrémités  orientales  &  occidentales 
de  L'Europe.  Il  en  ordonna  une  infinité  d'autres  dans  l'Efpagne.  Il  fit  élar« 
gir  &  continuer  celui  de  Médina  jufqu'à  Gades.  Dans  le  même  temps  & 
par  les  mêmes  montagnes,  on  ouvrit  deux  Chemins  vers  Lyon;  l'un  ira* 
verfa  la  Tarentaife ,  &  l'autre  fut  pratiqué  dans  l'Apennin. 

Agrippa  fecorula  bien  Augufte  dans  cette  partie  <le  l'adniiniftration.  Ce 
fut  à  Lyon  qu'il  conmiença  la  diftribution  des  grands  Chemins  dans  toute 
la  Gaule.  Il  y  en  eut  quatre  particulièrement  remarquables  par  leur  lonr 
gueur  &  la  difficulté  des  lieux.  L'un  traverfoit  les  montagnes  de  l'Auvergne^ 
oc  pénétroit  jufqu'au  fi>nd  de  l'Aquitaine;  un  autre  fut  pouflfé  jufqu'au  Rhin 
&  à  l'embouchure  de  la  Meufe ,  fuivit ,  pour,  ainfi  dire ,  le  fleuve ,  &  finit 
à  la  merde  Germanie;  un  troifieme,  conduit  à  travers  la  Bourgogne,  la 
Champagne  &  la  Picardie,  s'arrêtoii  à  Boulogne  fur  mer;  un  quatrième, 
s'étendoit  le  long  du  Rhône»  entroit  dans  le  bas  Languedoc,  &  finillbit  à 
Maiieille  fur  la  Méditerranée.  De  ces  Chemins  principaux,  il  en  partoit 
une  infinité  d'autres  qui  fe  rendoient  aux  différentes  villes ,  difperfées  fur 
leur  voifinage  ;  &  de  ces  villes ,  à  d'autres  villes ,  entre  lefquelles  on  dif- 
tingue  Trêves,  d'où  les  Chemins  fe  difiribuoient  fort  au  loin  dans  plufieurs 
Provinces.  L'un  de  ces  Chemins  entr'autrcs ,  alloit  ii  5trafbourg ,  &  de  Stras* 
bourg  à  Belgrade;  un  (econd  conduifoit  par  la  Bavière  jùfqu^  Sirmich, 
ville  diftante  dç  quatre  cents  vinge-cinql  de  rkos  lieues.       • 

Il  y  avoit  aufii  des  Chemins  de  communication  de  lltalie  aux  Provinces 


importans 

répandoient  en  Dalmatie,  dans  la  Croatie^  la  Hongrie,  la  Macédoine,  les 
deux  Mœfies.  L'un  de  ces  Chmiins  s'étendoit  julqu'aux  bouches  du  Danu- 
be, arrivoit  à  Tomes,  jSc  ne  finiflbit  qu'où  la  terre  ne  paroifldit  plul 
habitable* 


CHEMIN.  f^7 

Les  mers  ont  pu  couper  les  Chemins  entrepris  par  les  Romains,  mais 
non  pas  les  arrêter;  témoins  la  Sicile,  la  Sardaigne,  Tlfle  de  Corfe,  l'An-^ 
glererre , ' l'Afie ,  l'Afrique,  dont  les  Chemins  communiquoient ,  pour  ainfî 
dire ,  avfec  ceux  de  Tfiurope ,  par  les  ports  les  plus  commodes.  De  l'un  & 
de  l'autre  côté  d'une  mer ,  toutes  les  terres  étoient  percée?  de  grandes  voies 
militaires.  On  comptoit  plus  de  600  de  nos  lieues  de  Chemins  pavés  paroles 
Romains  dans  la  Sicile;  prés  de  100  lieues  dans  la  Sardaigne;  environ 
73  lieues  dans  la  CoK^fe;  11 00  lieues  dans  les  Ides  Britanniques;  42^0 
lieues  en  Afie  ;  4^74  Heues  en  Afrique.  La  grande  communication  de  Vl^ 
talie  avec  cette  partie  du  monde,  étoit  du  port  d'Oftie  à  Carthage;  aufli 
les  Chemins  étoient-ils  plus  fcéquens  aux  environs  de  ce  dernier  endroit  « 
que  dans  aucun  autre.  Telle  étoit  la  correfpondance  des  routes  en  deçà  & 
au  delà  du  détroit  de  Conftantinople ,  qu'on  pouvoit  aller  de  Rome  à  Mi-^ 
lan ,  à  Aquilée ,  fortir  de  l'Italie ,  arriver  à  Sirmich  en  Efclavonie ,  à  Conf^ 
tantinople;  traverfer  l'A(ie  mineure,  la  Syrie,  pafler  à  Antioche,  dans  la 
Fhénicie,  la  Paleftine,  l'Egypte,  à  Alexandrie;  aller  chercher  Carthage , 
s^avancer  jufqu'aux  confins  de  l'Ethiopie,  à  Clyfmos;  s'arrêter  à  la  mer 
Rouge,  après  avoir  fait  2380  de  nos  lieues. 

Quels  travaux ,  à  ne  les  confidérer  que  par  leur  étendue  1  Mais ,  que  ne 
deviennent-ils  pas,  quand  on  embrafle,  fous  un  feul  point  de  vue.  Se  cette 
étendue ,  &  les  dimcultés  qu'ils  ont  préfentées ,  les  forêts  ouvertes ,  les 
montagnes  coupées ,  les  collines  applanies ,  les  valions  comblés ,  les  marais 
defléchés  ,  les  ponts  élevés  l  &c.  > 

Les  grands  Chemins  étoient  conftruits  félon  la  diverfîté  des  lieux;  ici 
ils  s'avançoient  de  niveau  avec  les  terres;  là  ils  s'enfonçoient  dans,  les  val- 
lons ;  ailleurs  ils  s'élevoient  à  une  grande  hauteur  v  pa'r*tout  on  les  com-^ 
mencoit  par  des  filions  tracés  au  cordeau.  Ces  parallèles  fixoient  la  largeur 
du  Chemin  ;  on  creufoit  l'intervalle  de  ces  parallèles  ;  c'étoit  dans  cette 
profondeur  qu'on  ëtendoit  les  couches  des  matériaux  du  Chemin.  C'étoit 
d'abord  un  ciment  de  chaux  &  de  fable,  de  l'épaifleur  d'un  pouce;  fur 
ce  ciment ,  pour  première  couche ,  des  pierres  larges  &  plates ,  de  dix  pou^ 
ces  de  hauteur ,  afiîfes  les  unes  fur  les  autres ,  &  liées  par  un  mortier  des 
plus  durs  ;  pour  féconde  couche ,  une  épaiflèur  de  huit  pouces  de  petites 
pierres  rondes  plus  tendres  que  le  caillou ,  avec  des  tuiles ,  des  moilons , 
des  plâtras ,  &  autres  décombres  d'édifices ,  le  tout  battu  dans  un  ciment 
d'ailliage;  pour  la  troifieme  couche,  un  pied  d'épailTeur  d'un  ciment  fait 
d'une  terre  grade,  mêlée  avec  de  la  chaux.  Ces  matières  intérieures  for* 
moient  depuis  trois  pieds  jufqu'à  trois  pieds  &  demi  d'épaiffeur.  La  furface 
étoit  de  gravois  liés  par  un  ciment  mêlé  de  chaux;  &  cette  croûte  a  pu 
réfiffer  jufqu'a  préfent  en  plufieurs  endroits  de  l'Europe*  Cette  façon  de  pa«« 
ver  avec  le  gravois  étoit  fi  (blide  ,  qu'on  Tavojit  pratiquée  par-tmîr  ^ 
excepté  à  quelques  grandes  voies  ,  où  l'on  avoir  employé  de  grandes 
pierres  V  niais  feulement  jufqu'à  cinquante  lieues  de  difiance  dés  portes 
de  Rome. 


){8  C    tt    B    M    r  N. 

On  emplojrôlt  tes  croupes  de  TEtat  à  ces  ouvrages  ,  4|ut  endiifcif- 
foient  ainu  à  la  fatigut  les  peuples  couquîs,  donc  ces  occupacions  pré- 
venoienc  les  révoltes.  On  y  employoiç  auili  les  tnalfiitteurs ,  que  la  du- 
reté de  ces  ouvrages  efSrayoic  plus  que  la  mort,  Si  à  qui  on  faifoit  eipier 
itrilemenc  leurs  crimes.' 

Les  fonds ,  pour  la  perfeâion  des  Chemins ,  écoienc  û  aiTurés  &  fi  confi- 
dérables ,  qu'on  ne  fe  contencoic  pas  de  les  rendre  commodes  &  durables  ; 
on  les  embeUiflbic  encore.  Il  y  avoic ,  ainfi  que  nous  en  avons  déjà  faic 
la  remarque ,  des  colonnes  d'un  mille  à  un  autre  y  qui  marquoienc  la  dif- 
tance  des  lieux ,  des  pierres  pour  afleoir  les  gens  de  pied ,  &  aider  les  ca« 
valiers  à  monter  fur  leurs^  chevaux,  des  ponts,  des  temples^  des  arcs  de 
triomphe  ^  des  maulblées ,  les  fépulcres  des  nobles ,  les  jardins  des  grands  ^ 
fur-couc  dans  le  voifinage  de  Rome;  au  \cm  des  Hermès  ou  (latues,  qui  in- 
diquoieht  les  routes. 

Il  y  avoic  aufli  fur  ces  grands  Chemins,  différens  gkes,  qu'on  appellott 
manfions.  Ce  n'étoient  ordinairement  que  des  demi^joumées.  St.  Athanafe 
compté  trente-fix  manfions  au  Chemin  d'Alexandrie  à  Antioche.  On  en 
trouve  en  efièt  tout  autant  dans  VItméraire  d'Antoniq.  Le  même  en  compte 
quatre*vingt  de  SéleuCie  d'Ifaurie  jiifqu'à  Milan.  Ces  gîtes»  qui  s'appelloient 
en  Latin  manfioncs ,  fe  nommoient  en  Grec  ^.  Outre  les  gîtes  ou  man- 
fions ,  il  y  avoic  des  lieux  pour  les  relais ,  qu'on  appelloit  miuationis ,  où 
les  gens  qui  couroient  la  pofie ,  &  qu'on  nommait  vcredarii ,  changeoient 
de  chevaux. 

Telle  eft  l'idée,  qu'on  peut  prendre  en  général  de  ce  que  les  Romains 
ont  fait  peut-être  de  plus  iurprenant.  Les  fiecles  fuivan8,&  les  autres  peu* 
pies  de  l'univers  ofirent  à  peine  quelque  chofe  qu'on  puifle  oppofer  à  ces 
travaux,  fi  l'on  en  excepte  le  Chemin  commencé  à  Cuico,  capitale  du  Fé« 
rou  t  &  conduit  par  une  difianee  de  ^oo  lieues  fur  une  largeur  de  25  à 
40  pieds,  jufqu'à  Quito.  Les  pierres  les  plus  petites  dont  ilétoit  pavé, 
avoient  dix  pieds  en  quatre.  Il  étoit  foutenu  à  droite  '&  à  gauche,  par  des 
murs  élevés  au  deflus  du  Chemin  à  hauteur  d'appui.  Deux  niiflèaux  cou- 
knent  au  pied  de  ces  murs  ;  &  des  mrbres,  plantés  fur  leurs  bords ,  fimnoient 
ime^  avenue  immenfè. 

On  diftingue  en  général  deux  fortes  de  Cheihins^  favoir  les  Chemins 
publics ,  &  les  Chemins  privés ,  ou  particuliers. 


fer  des  bétes  de  charge  ou  une  charrette  ou  chariot  fiir  l'héritage 
dîautrui  ;  ce  qu'ils  appelloient  ainfi  iter  &  aSus  n'étoieot  pas  des  Che» 
mins  proprement  dits,  ce  n'étoient  que  des  droits  de  paffitge  ou  iervkii* 
s  rurales.  . 

Ainfi  te  mot  vIa  étoic  le  terme  propre  pour  exprimer  un  Chemin  pu* 


\ 


C    H    £    M    IN.  {S9 

blic  ou  priv^;  ils  fe  (êrvoient  cependant  aulfi  du  mot  iur  pour  exprimer 
un  Chemin  public  »  en  y  ajoutant  l'épirjhete  publicum. 

On  diftinêuoit  chez  les  Romains  trois  fortes  de  Chemins;  favoir  les 
Chemins  publics ,  viœ  publicœ  y  que.  les  Grecs  appelloient  voies  royaUs;  & 
les  Romains ,  vous  prttoritnnts ,  confulaires ,  ou  militaires.  Ces  Chemins 
aboutiflbient  ou  à  la  mer  ^  ou  à  quelque  fleuve ,  ou  à  quelque  ville ,  ou  à 
^quelque  autre  voie  militaire. 

Les  Chemins  privés  |  vùb  prhatœ  ^  qu^on  appelloit  aufli  agrarias,  étoient 
ceux  qui  fervotent  de  communication  pour  aller  à  certains  héritages. 

Eniîn  les  Chemins  qu'ils  appelloient  viœ  vicinales  ^  étoient  auffî  des  Che« 
mins  publics  «  mais  ils  alloient  feulement  d^un  bourg  ou  village  à  un 
autre.  La  voie ,  via ,  avoir  huit  pieds  de  large  ;  Viur ,  pris  feulement 
pour  un  droit  de  '  paflage ,  n^a Voit  que  deux  pieds ,  &  le  paflage  appelle 
a3us  en  avoit  quatre. 

On  diftingue  aujourd%m  en  général  deux  fortes  de  Chemins  publics;  fa- 
voir les  grands  Chemins ,  qui  tendent  d'une  ville  à  une  autre ,  oc  les  Che- 
mins de  traverfe  qui  communiquent  d'un  grand  Chemin  à  un  autre ,  ou  d'un 
bourg  ou  village  à  un  autre. 

Il  y  a  aufli  des  Chemins  privés  qui  ne  fervent  que  pour  communiquer 
aux  héritages. 

Chemin  double. 

\J  ^  appelloit  ainfi  chez  les  Romains  un  Chemin  de  charrm,  ï 
deux  chauflëes  ,  Tune  pour  aller  ,  &  l'autre  pour  venir  ,  afin  d'éviter 
la  confufion ,  iefqùelles  étoient  féparées  par  une  levée  en  manière  de 
banquette^,  de  certaine  laideur  pavée  de  brique ,  pour  les  gens  de  pied 
avec  des  bordures  &  tablettes  de  pierre  dure ,  des  montoirs  à  cheval  d'e£» 
pâce  en  efpace ,  &  dés  colonnes  pour  marquer  les  difiances.  Le  Chemin 
de  Rome  à  Odie  étoit  de  cette  macère. 

C'eft  uo  grand  abus  que  de  conf^ruire  &  de  réparer  des  Chemins  avec 
des  rondeaux ,  comme  cela  fe  pratiquoit  autrefois  en  plufieurs  lieux.  Si 
l'on  fe  bornoit  à  employer  des  branches  d'arbres  de  pin  ou  de  daille  pour 
en  joncher  le  Chemin  qu'on  voudroit  conftruire  dans  un  endroit  où  les 
pierres  font  fort  rares ,  ^ou  dans  les  endroits  marécageux ,  il  n'y  auroic 
rien  là  que  dé  bon  &  d'utile  ;  en  recouvrant  le  tout  de  gravier 
on  fèroit  un  très-bon  Chemin  &  très-durable  ;  comme  j'ai  eu  occafion 
de  l'expérimenter.  Mais  pour  les  rondeaux  ils  ne  fent  que  de  très-mau* 
vais  &  très-incommodes  Chemins,  peu  durables ,  &  ne  fervent  qu'à  ruiner 
les  forêts. 

La  première  ehofe  qu'on  fera  pour  coàflniire  uo  Chemin,  c'eft  d'en 
lever  le  plan  &  d'examiner ,  s'il  n'y  auroit  pas  moyen  d'y  £dre  des  rac* 
courciflèmens  avantageux.  On  marque  fur  ce  plan  les  montées  &  les  def«> 


/ 


^^o  CHEMIN. 

centes  taoc  foit  peu  confîdérables ,  en  diftinj^uant  celles  qui  auront  plus  db 
rapidité  d^un  pied  fur  dix  de  longueur  ^  ann  de  chercher  à  les  adoucir 
pour  éviter  les  enrayages  infiniment  préjudiciables  aux  Chemins ,  par  les 
profondes  ornières  quMs  occafionnent; 

La  largeur  des  Chemins,  lorfqu^on  ne  confidere  que  la  néceflité,  doic 
être  de  trente-fix  pieds  pour  les  plus  grandes  routes,  (avoir  vingt-quatre 
pieds  d^empiétement ,  trois  pieds  de  oerme  &  trois  pieds  de  fofies  de 
chaque  côté  ;  pour  les  moins  confidérables  trente  pieds  fuffifent ,  &  pour 
ceux  de  traverfe  vingt  pieds  tout  compris. 
'    Si  l'on  a  des  bois  a  traverfer,  on  donnera  au  Chemin  environ  fbixante 

{)ieds  d'ouverture,  foit  pour  la  fureté  du  voyageur^  foit  pour  donner  de 
'air  au  Chemin. 

On  donne  ayx  foflTés  plus  de  profondeur  lorfque  le  terrein  eft  bas  &  hu- 
mide ,  afin  d'avoir  de  quoi  relever  le  Chemin ,  &  alors  on  les  revêt  de 
irazon  ou  de  mur  foc  pour  prévenir  les  éboulemens.  Et  l'on  aura  foin  que 
es  eaux  des  folfés  aient  des  écoulemens  foit  par  des  couliflès  qui  traver- 
fent  fous  le  Chemin ,  foit  même  par-deifus  le  Chemin ,  lorfque  les  foffîs 
ont  peu  de  profondeur.  Et  alors  il  faut  faire  un  pavé  enfoncé. 

On  donne  un  piçd  de  bombage  à  un  empiétement  de  vingt-quatre  pieds 
de  largeur. 

On  marque  avec  des  piquets  parallèles  de  diftance  en  diftance,  la  largeur 
convenue,  &  l'on  cherche  à  faire  les  plus  longs  alignemens  poflibles,  fans 
être  trop  difpendieux. 

.  La  terre  des  foflës  doit  être  jettée  fur  le  bord  pour  former  le  berrae 
&  non  au-milieu  comme  l'on  fait  fouvent.  Il  faut  deux  pieds  &  demi  à 
trois  pieds  de  matériaux  au-milieu. 

.  Les  plus  gros  matériaux  fe  placent  au  fonds;  les  plus  petits  par-deifiis, 
&  fur  le  tout  un  pied  de  gravier  fin. 

On  efl  obligé  dans  les  commencemens  de  le  recharger ,  de  remplir  les 
ornières. 

Le  gravier  fe  trouve  communément  fur  les  hauteurs ,  dans  des  endroits 
fecs  &  arides  &  où  il  y  a  des  filets  d'eau.  Souvent  il  fe  préfente  de  lut* 
.  même.  On  y  fubftitue  de  la  petite  rocaille ,  ou  des  pierres  brifées. 

Les  villages  doivent  être  pavés,  parce  que  les  firéquens  rablonnages 
emportent  tout  le  gravier. 

Si  le  terrein  eft  tout-à-^fait  marécageux,  on  £iit  des  fkfcines  de  bois 
verd  ,  longues  de  la  largeur  du  Chemin ,  liées  en  diflërens  endroits.  On 
les  place  prés  à  près  ;  on  met  par-defCis  une  couche  de  nos  foin  de 
marais ,  &  enfuite  les  matériaux.  Les  fiifcines  fe  pofeot  immédiatement  fur 
le  gazon. 

Si  les  montées  nie  font  pas  longues,  on  les  corrige  en  prenant  beaucoup 
de  terre  au-deffus  pour  la  porter  au  bas ,  ce  qui  prolongeant  la  pente^  là 
diminue. 

Si 


CHEMIN.  jj€i 

Si  elles  font  confidërables,  &  qu'on  ne  puiflTe  pafler  ailleurs ,  on  les 
adoucit  par  des  contours.  Si  Ton  ne  peut  employer  ce  moyen ,  il  &ut  pa- 
ver la  montée  &  le  foflë  du  côté  fupérieur^  il  ne  doit  point  y  en  avoir 
dans  le  côté  inférieur.  On  fera  de  diilance  en  diftance  des  écoulemens 
qui  traverferont  le  Chemin  pour  les  eaux. 

Si  Ton  a  un  coteau  ou  une ,  pente  de  montagne  à  traverfer ,  en  échange 
on  a  foin  de  donner  par-tout  la  même  pente,  &  après  avoir  marqué  le 
milieu  du  Chemin ,  l'on  fait  un  mur  fec  à  la  diflance  de  ce  milieu  ^  de  la 
largeur  que  le. Chemin  doit  avoir,  &  on  Péleve  autant  que  ce  milieu; 
après  quoi  on  remplit  le  vuide  avec  le  terrein  qu'on  prend  dans  l'autre 
moitié  fupérieurc  du  Chemin. 

Pour  établir  un  Chemin  fur  un  roc,  on  commence  par  l'égalifer;  on  le 
recouvre  exifuite  de  gros  matériaux  à  l'épaifTeur  de  deux  pieds ,  &  enfuite 
de  plus  petits. 

On  élargira  le  Chemin  dans  les  coudes. 

Si  l'on  craint  que  les  neiges  n'effacent  la  route,  il  faut  la  rnarquer  par 
des  poteaux  plantés- de  diftaïKe  en  diftance. 

Les  Chemins  qui  côtoient  une  rivière  ou  un  torrent  qui  fort  queit 
quefbis  de  fes  bords,  doivent  être  élevés  à  une  couple  de  pieds  plus  haut 
que  les  plus  fortes  inondations.  II  y  faut  quelquefois  dés  quais  ou  de$ 
digues  «  un  talut  de  gazon  garni  d'ofiers  j  on  tient  d'ailleurs  ^dcbar* 
raffé   le  lit.  ^ 

Si  les  Chemins  qui  font  le  long  des.  lacs,  font  bordés  de  quais,  on  lef 
pofe  fur  de  bons  grillages  qui  feront  dans  l'eau,  lors  même  que  les  eaux 
feront  les  plus  bafles  :  ils  feront .  garantis  par  des  pieux  entrelacés  de  branr 
ches  de  fautes  ou  d'ofiers*  On  peut.auffî  y  employer  de  fortes  digues  oi^ 
.^ros.  pieux  de  chêne  tenus  en  re^le  par  des  traverfes  de  chêne  à  moitié 
hauteur  du  Chemin.  Derrière  on  jettera  de  groffes  pierres  au  nîyeau  de$ 
traverfes.  On  mettra  des  pièces  de  chêne  d'une  douzaine  de  pieds,  dont  le 
gros  bout  repofera  fur  le  milieu  de  chaque  traverfe  qu'elle  contiendra  par 
le  moyen  d'un*  menton;  le  refle  entrera  dans  le  Chemin  &  aura  à  l'autre 
extrémité  une  croifée  d'environ  huit  pieds  qu'on  affujettira  avec  des  pieux. 
^  prés  cela  on  achevq-a  de  confïruire  le  Chemin.  Si  l'on  ne  peut  planter 
des  pieux ,  on  placera  en  longueur  contre  le  Chemin  de  gros  maté- 
riaux ;- derrière  on  en  mettra  de  moins  confidérables,  jufqu'à  ce  que  le 
Chemin  foit  fini. 

Si  Ton  avoit  abondance  de  greffes  pierres ,  on  pourroit  en  faire  des  ran« 
gées  à  peu  de  diRaocç  du  bord,  ou  des  efpeces  de  moles  informes,  dont 
on  garniroit  les'  vuides  de  gravier  \  leur  direâion  dépendroit  des  vents  qui 
régnent  dans,  l'endroit.  On  pourroit  ;  a^{^  faire  des.  moles  pu  cadres  de  pie* 
ces  de  chêne  qu'oii  remplir  oit  de  gravier.. 

:  Lprfqu'on  veut^faife.  fauter  Iç  roc,  ou  de  groffes  pierres  avec  la  pou- 
dre ,  '  il ,  &ut  fe  fervir  ^   pour  les  percer ,  d'aiguilles  longues  d'environ  ùx 

Tome  XI.  Bbbb 


/ 


^6i,  C    H    E    M    r   NT, 

))iêds  ;  un  ouvrier  feot  tes  fait  agir  fans  employer  le  marteau.  Où  peut 
percer  le  fec,  &  il  vaut  mieux  fe  fervir  de  pierraille  brifée,  bien  battue» 
que  de  cheville  de  bois  pour  remplir  le  trou  après  qu'on  y  a  mis  la  charge 
de  poudre,  en  fe  fervant  d'une  petite  broche  pour  former  la  lumière.  Si 
les  pierres  font  longues  ^  il  faut  diriger  la  fufée  dans  la  longueur.  Les  piér- 
ides doivent  être  percées  dans  ta  partie  qui  touche  la  terre. 

Dans  les  faifons  mortes  on  vuide  les  fblfés  »  on  remplit  les  ornières ,  on 
fechàrge  les  Chemins,  &c. 

On  ne  doit  pas  permettre  aux  voicuriers  d^enrayer  ;  il  faut ,  dans  les  def- 
tentes,  qu'ils  le  fervent  de  luges»  qui  font  une  pièce  de  bois  creufée  atta- 
chée à  la  voiture  avec  une  chaîne. 

Si  l'on  avoit  un  corps  nombreux  d'hommes  entretenus  aux  dépens  du 
public  ,  confacrés  au  fervice  public  ,  &  néanmoins  prefque  inoccupés 
pour  le  publie  ^  ce  corps  fembleroit  défîgné  par  fa  nature  à  exécuter  ce 
travail  public. 

Une  femi-pate  au-defTus  de  leur  paie  ordinaire,  qu^il  paroltroit  jufie  de 
donner  aux  falariés  de  ce  corps ,  lorfqu'bn  les  employeroit  au  travail  des 
Chemins,  leur  procureroit  une  beaucoup  plus  grande  aifance  que  celle 
iiont  ils  jouiiTent»  &  en  feroit  néanmoins ,  quant  à  cette  partie^  de  très-bons 
ïDuvriers  très-peu  coûteux  pour  la  nation. 

Si  ce  corps  de  falariés  étoit  en  même-temps  celui  des  défenfeurs  de  la 
patrie,  il  feroit  infiniment  défirable  pour  eux,  &  par  conféquent  infini'- 
tnent  avatitageux  pour  l'Etat ,  qu'on  leur  formât  pendant  la  paix  une  fànté 
tobufte  par  des  travaux  modérés,  mais  qui  demandent  de  la  vigueur  d^ 
j^ui  l'augmentent,  par  des  travaux  qui  rendroient  leurs  corps  &  leurs  bras 
endurcis  dignes  de  féconder  leur  courage ,  &  propres  à  foutenir  les  fati- 
gues de  la  guerre ,  mille  fois  plus  à  craindre  que  fes  dangers  pour  des 
hommes  qui  ont  été  long-temps  oififs,  dont  le  défo^vrement  a  toujours 
abattu  les  forces^.  &  chez  lefquels  il  a  trop  fouvent  été  la  première  caufe 
des  maladies  funeftes.  - 

C'eft  aînfi  que  les  Romains  formèrent  ces  redoutables  lëgionaires  aux- 


Ces  faits  font  affez  connus  de  tout  le  monde  ;.  &  ii  le  temps  n'eft  pas 
encore  vequ  où  ils  doivent  contribuer  à  diriger  notre  conduite  ,  que  des 
circonftances  particulières  ont  vraifemblablement  décidée  ^  au  moins  faot-il 
icon venir ,  à  la  louange  de  notre  fiecle ,  que  ce  ^  temps  paroit  approcher 
avec  rapidité. 


ou 

penre  des  Chemins  dé  manière  à  rendre  la  défenfe  de  TEtat  moins  péni- 
ble ,  plus  n^te  ^  moins  coûteufe  ^  ou  que  cette  idée  refie  au  rang  de  tant^ 


CHEMIN.  $(?j 


^'^utres  qu^oa  wpUudic  &  quVo  n^sligç,  il  q'cq  fçra  pfts  moins  vr^t  que 
là  Cbnllrùâibn  &  rentretietl  des  Chemins  formeront  toujours  un  article  de 
dépenfe ,  dont  le  profit  fera  pour  les  propriétaires  du  produit  net  de  la  cuK 
ture  ,  &  dont  la  charge  par  conféquent  ne  peut  &  ne  doit  porter  que 
fur  eux. 

En  effet,  il  efl  évident  que  fi  les  Chemins  font  mauvais  «  les  frais  du 
tranfport  des  produélions ,  du  lieu  de  leur  naiffapce  à  celui  de  leur  con- 
fbmmation,  font  beaucoup  plus  confidérables;  que  fi  ces  frais  de  tranf^ 
port  font  confidérables ,  le  prix  de  la  vente  de  la  première  main  efl  d'au^ 
tant  plus  foible  ;  que  fi  le  prix  de  la  première  vente  des  produâions  eft 
fbible ,  le  cultivateur  ne  peut  donner  que  peu  de  revenu  au  propriétaire* 

Far  la  raifbn  inverfe,  la  conftruâion  oc  Tentretien  des  Chemins  dimi- 
nuant les  frais  de  tranfport  ^  affurent  par  conféquent  aux  vendeurs  des  proh 
duâions  une  jouiffance  plus  entière  du  prix  qu^en  paient  les  acheteurs  con^ 
fommateurs  ;  les  produoions  fe  foutenant  conilamment  à  un  prix  plus  àvan^ 
cageux  à  la  vente  de  la  première  main,  là  culture  en  efl  plus  profitable  ; 
il  y  a  plus  de  concurrence  entre  les  entrepreneurs  de  culture ,  oc  par  con- 
féquent plus  de  revenu  pour  les  propriétaires. 

Il  efl  égalemept  évident  que  fi ,  au  lieu  de  s'adrefTer.  direâemeot  au^ 
propriétaires  pour  la  contribution  néceffaire  à  la  conflruâion  &  à  l'entre^ 
tien  des  Chemins ,  d^ns  le  cas  oii  Timpôt  ordinaire  ne  pourroit  pas  y  fuf- 
fire ,  on  s'adrefToit  par  exemple  aux  cultivateurs ,  &  qu'on  les  détournât 
eux  &  leurs  atteliers  de  leur  travail  produâif  pour  les  employer  à  la  cor^* 
vée ,  la  réprodu£tion  diminueroit  en  raifon  du  temps  perdu  par  ceux  qui 
la  font  naître,  Vayei^CotiytB.  Alors  la  part  des  p]:opriétaires  diminuero|t 
inévitablement  ;  d^abord  en  raifon  de  la  diminution  forcée  du  produit  to- 
tal; &  outre  cela,  en  raifon  de  ce  que  les  cultivateurs  feroient  néanmoins 
obligés  de  retirer  fur  les  récoltes  afioiblies ,  le  falaire  du  temps  qu'ils  au- 
roient  employé  à  travailler  gratuitement  fur  les  Chemins  ;  de  forte  que  ce 
falaire  au  lieu  d'être  payé  par  la  nature ,  comme  celui  du  temps  que  les 
colons  emploient  à  leurs  travaux  produâifs ,  feroit  néceffairement  payé  aux 
dépens  de  la  part  du  propriétaire  déjà  reflreinte  p^  la  diminution  des 
récoltes. 

Nous  ne  pouvons  donc  nous  difpenfcr  de  conclure  comme  nous  avoqs 
commencé ,  i^.  que  ce  font  les  propriétaires  feuls  qui  doivent  être  char* 
gés  des  dépenfes  qu'entraînent  la  conflruâion  &  l'entretien  des  Chemins ,» 
lorfque  l'impôt  ordinaire  n'y  fauroit  fufHre  ;  a^«  que  dans  ce  cas  il  efl  in- 
finiment avantageux  pour  eux  de  payer  direâement  cette  dépenfe ,  $l  pour 
l'Etat  de  n'exiger  ce  paiement  que  d'eux  feuls. 


N 


Bbbb  1 


5^4  CHEMINS.    {Idées  d'un  ùtoyen  fur  Us  ) 


IDÉES      D'  U  N      CITOYEN 

SUR 

LES     CHEMINS. 


L 


A  pfus  célèbre  nation  du  monde  iixa  toujours  Ton  attention  fur  les 
grands  Chemins ,  qu'elle  regardoit  comme  des  ouvrages  nobles  ,  dont  elle 
confîoit  la  direâion  à  des  hommes  difiingués  par  leurs  qualités  perfonnel*- 
les.  Augufte  fut  fait  Curateur  d«s  grandes  routes  aux  environs  de  Rome» 
Jules  Céfar  le  fut  de  la  fameufe  voie  Appienne;,  les  Cenfeurs,  les  Con- 
fuls ,  &  les  Tribuns  eurent  fucceflivement  les  mêmes  charges  ^  &  ces 
dignités  fuppofoient  toujours  le  mérite  de  ceux  qui  en  étoient  revêtus. 

Quoique  les  autres  Nations  n'aient  point  fait  une  place  éminente  de  la 
dirèéKon  des  grands  Chemins ,  elles  en  ont  cependant  fenti  l'importance; 
leur  utilité  eft  avouée  par  tous  les  hommes ,  fur-tout  par  les  propriétsdres 
dant  l'intérêt  exige  des  communications  fâres  ,&  commodes  d'im  lieu  à  un 
autre.  Enfin  Ib  fyftême  des. grandes  routes  reflemble  à  celui  de  là  nature^ 
elles  facilitant  le  commerce  &  Pabondahce,  comme  les  plaities  de  l'air 
donnent  un  paHage  libre  aux  influences  bienfaifantes  de  Tafire  qui  noas 
éclaire. 

Pénétré  de  ces  maximes  ,  &  bravant  la  crainte  que  m'avoîent  toujours 
înfpiré  les  dépenfes  payées  pour  les  grands  Chemins ,  je  foupçonnois  des 
moyens  d'économie  dans  leur  confeôion,  &  je  la  trouvai  (  comme  oa  le 
'verra  plus  bas)  en  faifant  f^ire  plufieurs  parties  de  Chemins  fur  des  ter- 
reins  de  différente  nature  :.  ces  diverfes  opérations  m'ont  fait  naître  des 
idées  fur  l'adminiftration  des  Chemins;  &  puïfqu'il  efl  heureufement  per- 
mis à  un  citoyen,  de  penfer  &  de  dire  ce  quHl  penfe  en  matière  de  bien 
public ,  voici  mes  réflexions  que  je  propofe ,  dans  l'efpérance  qu'elles  en 
feront  naître  de  plus  foKdes,  .     . 

I®.  Les  travaux,  de  quelque  nature  qu'ils  foient,  ne  font  jamais  bien 
exécutés  qu'autant  qu'ils  intérefTent  ceux  qui  les*  font  où  lès  font  (aire.  Or 
rien  de  plus  intéreffant  pour  un  pays  que  la  bonté  de  Tes-  Chemins ,  afin 
'de  pouvoir  tranfporter  fûrement  les  produéHons  de  fon  fol,  &  jouir  par  ce 
moyen  des  avantages  de  la  liberté  du  commerce  -.  car  le  commerce  eft  ce 
qui-  donne  la  valeur  aux  denrées ,  &  les  denrées  fans  valeur  ne  font  pas  des 
richeffes.  Un  homme  mourroit  de  mifere  au  milieu,  des  tas  de  bled  &des 
tonneaux  de  vin ,  s'il^  ne  pouvoit  avoir  du  bois  pour  fe  chauffer ,  du  chan- 
vre &  de  la  laine  poTjr  fe  couvrir,  &c.  Et  ce  n'eft  que  par  le  moyen  du 
commerce  &  de  l'échange  qu'il  peut  fe  procurer  fes  néceffités ,  qui  ne  peu- 
vent arriver  que  par  les  Chemins  ;  or  plus  les  Chemins  font  faciles ,  moins 


CHEMINS.     (  Idies  étun  Citoyen  fur  les  )  \^6^ 

â  y  à  de  frais  4e  tranfport  ,  &  plus  il  y  a  de  profit  pour  tous  dans  les 
échanges.  Il  ieroit  par  conféquenc  utile  que  chaque  paroilTe  fût  chargée  dé 
la  conflruâion  &  entretien  des  routes  de  fon  territoire;  elles  y  apporte* 
roient  plus  de  vigilance  &  de  foin  qu'on  n'en  apporte  ordinairement  aux 
Chemins  Royaux,  qui  n'intéreflem  qu'indireâement  ceux  qui  les  dirigent 
t>u  les  conftruifent. 

-  2^.  Les  propriétaires  doivent  payer  feuls  ces  dépenfes  y  &  ils  ont  intérêt 
de  les  payer  feuls ,  parce  qu'il  eft  démontré  que  toute  dépenfe  publique  , 
dont  les  fonds  no  fortent  pas  en  entier,  des  coiFres  du  Souverain ,  eft  une 
impofition,  &  que  toute  impoiition  dont  les  propriétaires  ne  comptent  pas 
eux  feuls  avec  le  Souverain ,  &  qu'ils  n'acquittent  pas  direâement ,  eft  une 
impofition  indireâe  qui  retombe  toujours  lur  le  propriétaire ,  au  double , 
au  triple ,  &  fouvent  au-deU.  S'il  en  étoit  encore  quelqu'un  aujourd'hui  qui 
doutât  de  cette  vérité ,  il  n'auroit  qu'à  confulter  fes  fermiers ,  ils  lui  offrir 
roient  tous  le  prix  de  leurs  tailles  .&  de  leUrs  corvées  &  même  au-delà 
pour  en  être  exempts ,  à  quoi  les  fermiers  &  cultivateurs  gagneroient  beau- 
coup, tant  pour  acquérir  plus  de  liberté  de  travailler  leurs  terres,  que  pour 
ie  louflraire  aux  vexations  dont  il  feroit  plus  aifé  aux  propriétaires  de  fe 
garantir.  Si  je  n'ai  pas  accepté  tout  récemment  les  offres  que  m'ont  fait 
mes  fermiers  à  ce  fujet ,  j*avoue  que  ,  comme  la  taille  empêche  le  culti- 
vateur d'employer  toute  fon  indudrie  ,  ainfi  que  la  corvée  l'empêche  .d'a- 
cheter tout  le  bétail  qui  lui  feroit  néceflaire,  )'ai  craint  aufli  une  augmen^ 
lation  d'impofition.  On  verra  par  la  fuite  à  quel  degré  la  corvée  préju- 
dicie  aux  propriétaires. 

Si  les  propriétaires  conviennent  qu'ils  paient  avec  juftîce  en  bien  des 
lieux  les  réparations  d'Eglifes  &  de  Prefbyteres  ;  avec  combien  plus  de  rai- 
fon  doivent-ils  fe  prêter  à  l'acquittement  de  la  charge  publique  la  plus  né-* 
ceflaire.  Ils  font  d'ailleurs  trop  éclairés  aujourd'hui  pour  préférer  un  impôt 
indired ,  parce  qu'il  leur  fembleroit  ne  pas  le  payer  ;  ce  lèntiment  avancé 
aux  Souverains  par  l'intérêt  particulier  ne  pouvoit  prévaloir  que  dans  des 
temps  d'ignorance. 

Il  eil,  ]e  crois,  inutile  de  citer  toutes  les  loixde  l'antiquité  qui  ont  alFu^ 
jetti  les  Gratids  &  les  Nobles  à  contribuer  à  la  dépenfe  des  grands  Che- 
mins. Les  Ëccléfîaftiques  dans  les  temps  même  ou  on  les  difpenfoit  de 
toute  contribution  ,  n'en  étoient  pas  exempts^ 

3^.  L'humanité  feule  efl  un  motif  affez  puiflant  pour  attendrir  les  pro- 
priétaires y  fur-tout  depuis  la  liberté  du  commerce  des  grains  dont  ils  reri- 
rent l'avantage  prefque  exclufivement  aux  malheureux  journaliers  de  U  cam- 
pagne. Quel  fpeftacle ,  en  effet ,  pour  des  âmes  fenfibles  que  celui  de  U 
miiere,  à  laquelle  femblent  condamnés  ces  précieux  outils  de  l'abondance 
publique  !  Je  ne  peux  me  difpenfer  d'en  faire  ici  un  tableau  fidèle ,  per- 
luadé  que  nos  lefteurs  ea  feront  au(Ii  touchés  que  je  le  fuis  en  le  rap- 
portant. , 


^6f  G  H  E  MI  N  S-    (  Idics  iPurf  Citoyen  fur  (es  > 

Bans  la  plupart  des  Provinces  du  Royaume  éloignées  de  la  Capitale^  U 
journalier  trouve  à  gagner  fa  vie  pendant  le  temps  des  m^oiflons  &  des 
foins ,  les  journées  étant  alors  de  i  ;  «à  ao  fols  outre  leur  nourriture  qui 
eft  bonne  dans  ces  temps-là ,  ce  qui  donne  la  faculté  à  ceux  qui  ont  une 
femme  &  des  enfans  de  les  nourrir  pour-lors  ^  &  qui  ne  dure  qu'environ 
deux  mois  ;  pendant  les  fix  mois  du  printemps  &  de  Pautàmne  ^  la  jouiy 
née  n'étant  que  d'environ  8  à  lo  fols  outre  la  nourriture,  comment  peu-- 
vent-ils  nourrir  leurs  enfans  ,  puifque  leurs  femmes  peuvent  à  pdne  par 
leur  travail  gagner  la  moitié  de  la  leur ,  encore  quelle  nourriture  !  feiue* 
ment  du  pain  le  plus  noir  &  le  plus  groflier ,  la  cherté  du  £el  les  privant 
ibuvent  de  la  foupe  qui  pourroit  leur  donner  les  forces  de  Aipporter  le  tra* 
vail  :  ils  mourroient  donc  totalement  de  faim  pendant  les  quatre  mois 
d^hiver ,.  s'ils  ne  s'expatrioient  lorfque  les  habitans  du  canton  ne  peuvent 
leur  procurer  des  travaux ,  toujours  difficiles  &  à  bas  prix  dans  cette  faifoa. 
Peuvent-ils  même  fe  difpenfer  de  mendier  s'ils  ne  trouvent  pas  de  jour* 
nées  dans  d'autres  pays ,  ce  qui  devient  un  autre  gexure  d'impolîtions  pour 
ies  fermiers  &  cultivateurs  de  ces  lieux. 

Je  û'ofe  faire  la  defcription  de  leurs  vétemens ,  on  peut  en  juger  pat 
leur  nourriture  qui,  n'étant  pas  complette,  prive  ces  malheureux  de  lioge  fi 
greffier  &  d'étoffes  fi  communes  qu'ils  pourroient  être  vêtus  en  entier 
pour  une  piflole.  J'oferois  encore  moins  les  repréfenter  privés  de  la  faoté , 
je  voudrois  en  avoir  la  force ,  j'étonnerois  des  milliers  de  citoyens  qui  n'en 
ont  pas  d'idée,  &  qui  feroient  (ans  doute  auffi  touchés  que  moi  de  leurs 
calamités. 

>  Ceft  cependant  4e  ce  journalier ,  tel  que  j'ai  peine  fon  état ,  qu'on  exige 
trente  ou  quarante  fous  de  taille '&  douze  ou  quinze  journées  de  Corvées 
par  an.  Ce  fpeâaçle  foUicite  notre  compaffipn,  &  nous  preife  de  les  fou« 
iager.  Ils  font  nos  frères  ,  ils  aident  à  nous  nourrir  &  à  nous  enrichir; 
nous  devons  donc  leur  rendre  en  bienfaits  &  en  proteâion,  ce  qu'ils  nous 
donnent  en  opulence.  Alors  l'ûfance ,  d'un  air  riant ,  rentrera  dans  les 
campagnes  ,  avec  les  plaifirs  &  les  goûts  de  la  nature  v  la  reconnoiflàoce 
attachera  les  vaflàux  à  leur  Seigneur  ;  ils  croiront  lui  devoir  autant  qui 
leur  labeur ,  &  le  regarderont ,  ainfi  que  le  foleil ,  conmie  un  principe  de 
la  fertilité  territoriale. 

Le$  propriétaires  ne  doivent*ils  pas  encore  coofidérer  qu'en  laiflant  rai* 
nér  le  peuple  de  leur  canton ,  ils  fe  ruinent  eux-mêmes  ;  car  pourquoi  les 
Chemins  leur  font-ils  avantageux  ?  c'efl  pour  le  débouché  de  leurs  àett* 
rées  &  afin  qu'elles  arrivent  aux  lieux  où  l'on  peut  les  payer.  Mais  fi  les 
payfans  pouvoient  payer  leurs  denrées ,  elle  épargneroit  les  n-ais  du  voyage 
fc  le  débouché  feroit  à  leur  porte.  Les  propriétaires  ont  donc  intérêt  que 
le  payfan  foit  à  fon  aife ,  &  qu'il  gagne  de  forts  falaires  qui  reviendront 
toujours  aux  propriétaires  en  paiement  de  leurs  denrées,  ot  empêcheront 
qu'il  ne  devienne  fripon  Si  parelfeux.  Qu'ils  ne  difent  pas   que  ce  n'eft 


C  H  E  lu  I  N  s.    (  Idéis  iTun  Citoyen  fur  les)  ^6j 

pis  ta  peine  de  vendre  plus  cher,  pour  payer  enftiite  plus  cher.  Car  c'eft 
ce  cercle  appelle  circulation  qui  fait  la  vie ,  &  c'eft  la  celTatîon  de  la  cir- 
culation qui  £iit  la  mort  des  territoires  comme  des  hommes.  Mais  d'ail* 
leurs  les  propriétaires  félon  Tordre  naturel  des  chofes ,  vendent  plus  de 
denrées  qu'ils  n'achètent  de  travail  ^  8i  c'eft  ce  furplus  qui  fait  le  produit 
net  ou  revenu.  Ne  vaut-il  pas  mieux  vendre  pour  mille  écus  de  denrées 
&  acheter  pour  cinq  cents  écus  de  journées  que  de  ne  vendre  que  pour 
mille  livres  ,  &  n'acheter  que  pour  cinq  cents  livres. 

Les  anciens  nous  ont  fouvent  donné  de  nobles  exemples  ï  imiter  fur 
la  matière  que  je  traite  ;  plufkurs  ont  honoré  leur  mort  par  des  legs  tefta-* 
tnentaires  en  faveur  des  grands  Chemins  ,  &  faifoient  ainfî  du  bien  ^ 
même  quand  i|l  n'étoient  plus.  De  pareilles  difpoiitions  caraélériferont 
toujours  les  amis  de  la  patrie  ;  car  rien  n'eft  plus  conforme  au  patrio** 
tifme  &  à  la  religion  même ,  que  ce  qui  eft  utile  à  tout  le  monde. 

4V.  La  contribution  des  propriétaires  pour  la  conftrufUon  des  Chemins 
devroit  fe  Êdre  comme  cela  fe  pratique  dans  les  pays  où  ils  paient  feuls 
les  réparations  des  Églifes  &  des  Preibyteres ,  dont  les  fonds  ne  peuvent 
être  oc  ne  font  jamais  divertis  à  d'autres  ufages.  On  y  fait  un  rôle  propor- 
tionné à  leurs  facultés  ,  après  plufieurs'  aflqnblées  où  chacun  a  la  liberté 
d'aflifter  pour  y  difcuter  fes   intérêts   fous  tous  les  diflërens   rapports  qui 

{"  >euvent  être  connus  :  c'efl  de  toutes  les  répartitions  ufîtées  jufqu'à  préfent 
a  plus  exade  ;  elle  pounroit  fervir  auffî  pour  l'entretien  qui  dtminuenm 
chaque  année  au  moyen  des  foins  qu'on  y  apporteroit,  ainfi  que  je  l'ai 
éprouvé  par  mes  effais. 

Si  les  aflemblées  tenues  à  cet  eflèt  étoient  trop  nombreufes  &  qu'on  ne 
pût  s'y  accorder,  on  pourroit  divifer  les  paroifTes  par  canton ,  &  lesobti^ 
ger  â  nommer  chacun ,  à  la  pluralité  des  voix ,  celui  aux  lumières  &  in- 
tégrité duquel  ils  àuroient  le  plus  de  confiance,  fans  néanmoins  perdre 
leurs  droits  d'aflifter  à  toutes  les  afiemblées.  Ces  Juges  régteroient  non- 
feulement  les  cottes  de  chacun ,  mais  eflimeroient  encore  toutes  les  indem* 
nités  dues  aux  propriétaires ,  tant  pour  l'emplacement  des  Chemins  que 

£>ur  les  matériaux  néceflàires  à  leur  entrenen.  Alors  le  pauvre  chargé  de 
mille  ne  payeroit  qu'au  prorata  de  fa  petite  poifeâion,  &  ne  feroitplus 
«expofé  à-fe  voir  enlever  tout  ce  qu'il  poffede  fous  prétexte  de  bien  pu--» 
blic.  Le  propriétaire  aifé  ne  craindroit  même  plus  que  les  Chemins  fulfent 
tracés  ibr  fes  héritages ,  ni  de  fournir  les  matériaux  propres  à  leur  entre- 
tien ;  ce  qui  a  occabonné  jufqu'à  préfent  des  dépenfes  énormes  dont  je 
donnerai  une  idée  en  rapportant  mes  opérations.  Cette  répartition  fàcilite- 
roit  peut-être  la  réunion  des  vingtièmes  &  des  tailles,  opération  à  laquelfe 
les  propriétaires  font  auflS  intérêts  que  le  Souverain ,  puifqu'ils  font  réel* 
lement  co-propriétaires. 

Chaque  paroifle  étant  intéreifée  à  veiller  à  la  Conftruâroh  &  à  l'entre* 
tien  des  Chemins  >  on  y  apporteroit  toute  l'économie  poffible  fans  préju- 


î*- 


5^g  C  H  E  M  I  N  S.    (  Idcés  d'un  Citéyin  fur  Us  ) 

dicier  à  la  folidité  qui  pourroit  être  réglée  par  une  loi  qui  fixant  U  lar- 
geur &  les  pentes  {à)  des  différentes  efpeces  de  Chemins  publics ,  oblir 
geroic  les  paroiflès  à  les  entretenir  bombés  &  unis  en  tout  temps  de  Tanr 
née,  '&  à  rendre,  public  les  devis  &  adjudications  qu^elles  aqroient  la  li« 
berté  d^en  faire  au  rabais  ,  pour  que  les  découvertes  qu'on  pourroit  faire 
en  ce  genre  fe  mulriplialfent.  .  » 

Dans  le  cas  oii  on  ne  pourroit  employer  les  troupes  aux  grandes  ron* 
tes  y  &  que  les  paroiiles  ne  feroient  çks  en  état  de  fupporter  certaine  àir 
penfe,  un  des  juges  élus  dans  chaque  Paroiffe  veilleroit  à  la  répartition 
extraordinaire  qui  en  feroit  faite  par  toutes  les  paroifles  intéreflTées  &  à 
j)ortée.  Il  feroit  à  défirer  que  ces  mêmes  juges  enflent  l'adminidration 
des  Chemins  vicinaux ,  ils  feroient  choix  d'un  direâeur  pflî  intègre  qu'é- 
clairé ,  pour  drefler  les  devis  qui  feroient  encore  exammés  par  tous  les 
intéreffés ,  avant  d'être  adjugés  par  les  juges  qui  devroient  avoir  le  droit 
de  les  changer  (^)  en  certains  lieux,  duquel  changement  feroit  drelfé  un 
verbal  auquel  on  auroit  recours  pour  les  droits  Seigneuriaux,  Ce  défaut  de 
liberté^  joint  à  l'indifférence  des  propriétaires  &  à  leurs  intérêts  mal  eor 
•tendus,  fait  que  la  plupart  de  ces  Chemins  font  par- tout  en  mauvais  état, 
&  voilà  ce  qui  prive  les  caqi pagnes  du  bien-être,  qu'y  procureroit  les 
gens  aifés  &  les  gros  propriétaires  fi  les  Chemins  en  étoient  praticables. 

Il  feroit  auffi  à  fouhaiter  que  ces:  mêmes  juges  euffent  la  liberté  de  faire 
des  obfervations  fur  les  devis  des  ingénieurs  pour  les  grandes  routes,  doct 
les  ititendans  ont  l'adminiftration. 

%°.  On  doit  fupprimer  les  corvées,  car  c'eft  un  axiome  de  droit  qu'il 
iàut  abolir  les  chofes  odieufes.  Or  là  corvée  efl  une  exaâion  odieufe  & 
rigoureufe,,  qui  condamne  l'agriculteur  à  des  travaux  forcés,  comme  des 
^rimiiiels  aux  galères  ;.( encore  ceux*ci  reçoivent- ils  une  nourriture,  que 
l'on  refufe  aux  autres)  par  conféquent,  c'çil  un  outrage  fait  \  des  hom- 
mes qui  ont  un  droit  naturel  à  l'honneur,  à  la  liberté  &  mênie<  au  fa* 
laire  ,  puifqu'ils  se  peuvent   vivre  qu'en  travaillant,  &  qu'ils  ne  travail- 


(^)  Je  crôirois  la  largeur  des  Chemins' des  grandes  Villes  fuffifante  à  trente  pieds,* 
^èlle  des  petites  à  vingt-quatre,  ceile  des  Paroifles  à  dix- huit,  6c  celle  des  Vilbges  à  dotne; 
pourvu  que  par  intervalles  ces' derniers  en  eufTent  dix-huit,  uon  ne  devruit  fairç  desfofles^ 
que  lorfqu'il  y  auroit  un  cours  d'eau  continuel.  Les  pentes  ne  devroient  pas  excéder  cinq 
pouces  dans  les  premiers ,  &  fix  à  fept  dans  les  derniers. 

(i:)  Il  y  a  quatre  ans  que  je  réparois  dans  ma  Parot{re  un  Chemin  paflant  dans  un  ravin; 


cinquante  iournées^  &  le  nouveau  Chemin  à  l'abri  des  eaux  &  bien  ailis,  a  dix-huit  pieds 
.de  large.  3000  livres  n'auroiçnt  pas  fpâi  pour  donner  cette  dimenfion  à  l'ancien. 


•  3000  livres  nauroiçi 
*'Nous  «vons  dit '34  pieds  taii  coaunencctticfit  de  cet^artide. 


lent 


CHEMINS.     (  Idées  (Pun  Citoyen  fur  Us  )  5^9 

lent  réellement  que  pour  vivre.  Enfin  la  corvée  avilit  l'ame,  flétrit  fbfi 
énergie ,  fait  haïr  la  vie  ;  &  il  eft  plus  d'un  exemple  d'émigrations  occa- 
iionnées  par  la  dureté  de  cette  méthode  qui,  arrachant  au  journalier  la 
fubfiftance  de  fa  Êimille,  &  appauvrilTant  le  cultivateur,  ruine  le  fouverain 
&  les  propriétaires,  &  tarit  l'abondance  générale. 

En  effet,  la  corvée  prive  la  terre  de  douze  jours  de  travail  par  chaque 
charrue ,  pendant  lefquels  le  laboureur  eût  confié  à  fa  fécondité  de  quoi 
rapporter  au  moins  vingt-quatre  feptiers  de  bleds  {a) ,  dont  le  produit  efl 
perdu  pour  le  propriétaire,  l'Etat  &  lui;  fi  l'on  ajoute  à  cette  perte  le 
dépériflèment  des  befliauz  fi  néceflaires  par  leurs  fervices  &  leurs  engrais, 
fur-tout  dans  les  pays  de  i>etite  culture ,  &  dont  les  journées  fur  les  Che* 
mi ns  perdent  plus  oès  trois  quarts  de  leur  valeur  par  les  grandes  diflan- 
ces ,  le  mécontentement  &  le  dégoût,  il  en  réfutte  un  dommage  total,  dont 
la  fomme  ne  peut  fe  déterminer  que  par  approximation. 

De  plus,  il  eft  de  fait  que  l'agriculture  efl  l'unique  principe  de  la  ri- 
cheffe  publique  ;  mais  elle  exige  des  travaux  continuels ,  des  efforts  aflidut 
&  pénibles.  Il  faut  préparer  la  terre  pour  y  &çilicer  l'entrée  &  la  diflribu- 
tion  des  principes  végétaux,  l'amender,  l'améliorer;  chaque  qualité  de  fol» 
chaque  faifon ,  chaque  jour,  chaque  variété  de  l'air  exigent  des  opérations 
différentes  &  nouvelles;  par  conlequent  il  n'efl  point  de  faifôn  ni  de  jour 
où  l'on  puiflè  déterminer  la  fufpenuon  des  travaux  champêtres ,  ni  en  or«* 
donner  la  ceflation  fans  que  la  fertilité  diminue,  &  avec  elle  la  fortune 
particulière  &  publique. 

6^.  La  bonté  même  des  Chemins  exige  l'abolition  des  corvées,  parce 
qu'ils  doivent  être  bien  faits,  &  qu'ils  ne  peuvent  l'être  lorfqu'ils  font  exé- 
cutés par  les  cultivateurs.  En  effet,  le  cultivateur  efl  l'homme  attaché  à  la 
glèbe ,  il  ne  fait  travailler  la  terre  que  pour  la  fertilifer ,  &  fon  intelli^ 
gence  ne  va  pas  au-dellk  de  la  chofe  raflique.  En  vain,  lui  donne-t-on  des 
préceptes  &  des  règles;  il  ne  peut  les  fuivre,  parce  qu'elles  lui  font  étran« 
gères;  &  quel  intérêt,  d'ailleurs,  auroit-il  a  les  étudier,  puifqu'il  n^efl 
point  falarié?  Les  yeux  tournés  vers  fon  champ  &  fa  éabane,  il  fe  voit 
avec  douleur  violemment  foufhrait  à  un  travail  pfoduétif ,  &  appliqué  for* 
cément  à  une  manœuvre  flérile;  il  pleure  la  perte  d'un  temps  précieux 
pour  lui  &  fa  famille ,  &  impute  fouvent  fes  malheurs  au  Souverain ,  qui 
cependant  n'a  jamais  &it  une  loi  de  la  corvée. 

Envain  prétend*on  qu'il  efl  pour  l'agriculture  une  faifon  morte,  qui 
permet  de  détourner  le  ruflicateur  ;  c'efl  une  erreur  :  le  printemps  &  l'au« 
tomne  qu^on  deftine  ordinairement  aux  Chemins ,  font  le  temps  des  Ubours 
&  des  (emaiUes.  L'Été,  que  la  phyfîqùe  indiaue  comme  le  plus  propre  à 
leur  confeâion  &  réparation,  efl  celui  de  la  récolte,  &  la  même  phyfique 


{a)  Ephémérides.  Tome  VIII s  année  17^. 
Tome  XI.  Cccc 


570  C  H  E  M  I  N  S.    (  JdUs  d'un  Citoyen  fur  Us  ) 

sous  apprend  qu^ils  feroient  mal  faits  en  hiver ,  faifon  par  coofëquent  plus 
morte  pour  la  voirie ,  que  pour  l'agriculture ,  dont  les  pluies  y  les  glaces 
&  les  neiges ,  ne  fufpendent  jamais  toutes  les  m>érations  \  j^ea  fupprime 
ici  le  détail  afTez  connu  des  fermiers  &  des  poflefieurs. 

7^.  Les  troupes  paroiflent  les  plus  propres  à  travailler  aux  Chemins  :  les 
Romains ,  qui  ont  été  nos  maîtres  en  tant  de  chofes  ^  nous  en  ont  donné 
l'exemple ,  lequel  a  été  imité  depuis  eux  par  plufieiu-s  Souverains  qui  n'ont 
pas  cru  pouvoir  employer  le  foldat  plus  noblement ,  qu'à  un  travail  auffi 
honorable  qu'utile.  D'ailleurs,  l'expérience  nous  apprend  que  les  ouvrages 
faits  par  le  foldat,  font  toujours  plus  promptement  &  plus  folidement 
exécutés  :  j'ajoute  encore  que  ce  feroit  une  école  où  il  apprendroit  à 
creufer  des  foflés ,  faire  des  tranchées ,  élever  des  remparts ,  &  enfin  l'art 
de  fe  fortifier,  fi  néceflfaire  en  temps  de  guerre,  &  dont  il  auroit  acquis 
l'habitude  &  l'adrefle  pendant  la  paix. 

J'ai  éprouvé  cela  dans  les  foldats  qui  conduifoient  mes  eflais ,  &  j'ob- 
fervois  qu'en  travaillant  par  intervalle,  ils  en  devenoient,  en  effet,  plus 
robufies  &  plus  adroits;  mais  cette  vigueur  ne  croiflbit  qu'en  raifon  coni« 
pofée  de  l'exercice  &  de  la  nourriture  ;  car  plus  on  agit ,  plus  le  volume 
des  alimens  doit  augmenter,  fans  quoi  il  fe  fèroit  par  les  pores  une  dé- 
perdition qui  épuiferoit  les  forces.  Or  la  folde  n'étant  pas  fuffifante  pour 
itibvenir  à  de  grands  befoins,  il  feroit  jufte  que  les  Provinces  qui  retire- 
roient  tout  l'avantage  de  ces  travaux ,  pay aflènt  les  foldats  à  la  tâche  lorf- 
que  cela  feroit  poflible,  finon  à  la  journée,  ce  qui  feroit  pour  elles  un 
objet  bien  modique  ;  car  quand  même  ce  traitement  augmenteroit  la  paie 
du  foldat  de  cinq  fols  par  jour ,  qui  n'efl  que  le  tiers  de  la  journée  de 
l'ouvrier  {a)  ordinaire,  ce  ne  feroit  pour  toute  l'infiinterie  Françoife  & 
étrangère  compofée  de  cent  feize  mille  fix  cents  treize  hommes ,  non  com- 
pris Royal  Artillerie,  qu'un  objet  de  dix  millions,  quatre  cents  quatre- 
vingt-quinze  mille  cent  foixante  &  dix  livres;  y  ajoutant  le  traitement 
qu'on  pourroit  -faire  aux  grenadiers  Royaux  &  régimens  Provinciaux ,  com* 
pofés  de  quarante-trois  mille  huit  cents  quatre-vingt-huit  hommes ,  à  raifoa 
de  dix  fols  par  jour,  qui  fait  fept  millions  neuf  cents  quatre-vingt-dix-neuf 
mille  huit  cents  quarante  livres ,  il  n*en  coûteroit  aux  Provinces ,  que  dix- 
huit  millions  quatre  cents  quatre-vingt-quinze  mille  dix  livres.  Les  Offi- 
çiers  bien  éloignés  d'accepter  un  traitement  à  ce  fujet,  emploièroieot 
leurs  lumières ,  leurs  talens  &  leur  temps  avec  autant  de  plaifir  pour 
foulager  les  plus  malheureux  citoyens,  qu'ils  mettent  de  gloire  à  facrifier 
leur  vie  pour  les  défendre;  leur  amour  pour  leur  Prince  &  leur  Pattic 
étant  plus  vif  &  plus  éclairé  que  jamais.  Tandis  que  toutes  les  corvées  du 


{a)  J'ai  bien  éprouvé  par  mes  expériences ,  crue  la  journée  d'un  foldat  fort  &  înftniit, 
valoit  plus  du  double  de  celle  d'un  ouvrier  ordinaire,  &  celle  d'un  ouvrier  ordmaire  pto 
du  double  de  celle  d'un  corvéable. 


CHEMINS.    <  Idées  dPun  Citoyen  fur  les  )  571 

Royaume  monteroienc  Sr  environ  cent  vingt  millions ,  fi  elles  étoient  gé* 
néralemenc  employées ,  en  les  évaluant  à  moitié  en-^fus  des  tailles  &  im- 
pôts y  joints,  félon  les  rélevés  cités  ci*aprés. 

Il  eft  aifé  de  voir  par  ces  calculs  &  les  expériences  multipliées ,  l'avan- 
tage immenfe  qu'on  retireroit  tant  de  la  fup^reflion  des  Corvées ,  que  du 
travail  des  troupes  dont  on  défireroit  alors  autant  l'augmentation  qu'on 
fe  plaint  aujourd'hui  du  nombre.  Le  danger  de  divifer  ces  troupes  oifives 
&  peu  payées  n'exifteroit  plus.  On  ne  feroit  plus  forcé  à  les  entaffer  dans 
des  villes  de  guerre,  dont  le  fervice  aifé  à  apprendre  n'a  aucun  rapport 
aux  travaux  utiles  qui  doivent  occuper  le  foldat  pendant  fa  vie. 

Les  Provinces  aoondantes  en  denrées  &  (ans  débouchés,  trouveroient 
par  ce  moyen  une  confbmmation  dont  l'emploi  augmenteroit  journelle- 
ment les  communications  &  par  conféquent  leurs  richefles.  La  tranquillité 
des  campagnes  feroit  auffî  plus  aifurée,  &  la  vie  rurale  deviendroit  même 
plus  épurée,  car  la  milice  bien  occupée  &  bien  payée  feroit  certainement 
l'exemple  des  mœurs;  celtes  des  militaires  ayant  fur-tout  l'avantage  d'être 
maintenues  par  la  difcipline,  qui  n'ayant  point  d'afUon  fur  les  ruricoles, 
laiffe  fans  frein  leurs  vices  &  leurs  écarts. 

Mais  comme  il  arrive  fouvent  que  les  belbins  de  la  Patrie  appellent  ail- 
leurs ks  défenfeurs,  on  pourroit,  pour  aflurer  en  tout  temps  la  bonté  des 
chemins ,  y  occuper  des  corps  deftinés  à  completter  les  régimens ,  dont  ils 
fèroient  partie.  Ce  feroit  de  plus  un  moyen  de  fournir  des  recrues ,  d'autant 
meilleures ,  qu'elles  fèroient  préparées  par  l'exercice ,  qui  eft  un  principe  de 
vigueur  plus  néceflaire  dans  les  armées  que  dans  les  autres  Etats,  &  fans 
laquelle  le  plus  grand  courage  eft  inutile.  Ces  corps  compofés  d'OfEciers 
&  de  foldats  expérimentés,  ferviroient  doublement  la  Patrie  en  dirigeant 
les  jeunes  élevés,  &  en  leur  infpirant  ces  fentimens  d'honneur  qui  font 
l'eflence  du  militaire.  Les  chefs  formés  par  l'expérience  des  camps ,  divi- 
fèroient  le  temps  entre  le  maniement  des  armes  &  le  travail ,  qui  ne  fe- 
roit jamais  continu  ni  forcé ,  parce  qu'il  diminueroit  l'aâivité  néceflaire  à 
ces  évolutions  promptes  &  favantes,  qui  fixent  toujours  la  viâoire.  Dans 
les  temps  oii  les  réparations  itinéraires  font  impraticables,  on  trouveroit 
encore  des  momens  pour  apprendre  aux  foldats  à  lire,  écrire  &  calculer^ 
n'étant  plus  néceffaire  pour  lors  de  les  aftreindre  \  cette  extrême  propreté 
qui  ne  fert  maintenant  qu'à  diminuer  leur  oifiveté;  cette  éducation  foute- 
xuie  par  le  récit  des  bàuilles  &  des  fieges  où  fe  fèroient  trouvés  ces  an- 
ciens militaires,  fèroient  des  foldats  fubordonnés  par  principes ,  &  d'au- 
tant plus  attachés  à  leur  état,  qu'ils  lui  devroient  des  connoiflances  donc; 
ils  pourroient  profiter  à  l'expiration  de  leur  engagement,  puifque  fon  re- 
nouvellement eft  un  aâe  libre. 

Les  enfans  que  j'ai  employés  dans  mes  travaux  avec  fuccès ,  me  donnent' 
lieu  de  penfer  que  ces  différentes  écoles  militaires  procureroient  encore  l'a- 
vantage d'élever  une  infinité  d'enfans  orphelins,  parmi  lefquels  on  choifK 

C  c  ce  i. 


57^  CHEMINS.    (Idées  JPati  Citoyen  fur  ks  ) 

roit  enfuîce  les  fujets  les  plus  propres  à  la  guerre.  Ces  enfàns  accoutumés 
dès  l'âge  le  plus  tendre  à  tous  les  travaux  militaires  »  fous  les  yeux  &  les 
ordres  d'anciens  Officiers,  s'attacheroient  bien  autrement  à  leur  état  que 
des  foldats  pris  au  hafard,  quelquefois  par  rufe,  &  dont  le  ferment  feroic 
valide  étant  prêté  avant  leur  engagement. 

Les  Officiers  &  foldats  propriétaires,  dont  le  temps  &  la  dépenfe  em* 
ployés  pour  aller  en  fémeftre  ,  forme  une  double  perte  pour  eux  &  pour 
l'Etat ,  trouveroient  un  grand  avantage  à  fervir  dans  ces  corps ,  puifqu'ils 
pourroient ,  en  veillant  fur  leurs  poffeffions ,  s'occuper  encore  des  évolu- 
tions militaires ,  &  des  communications  :  car  on  lait  que  la  plupart  des 
Officiers  qui  vont  en  fémeftre  fans  affaires,  n'ont  de  motif  qu'une  légère 
économie ,  qui  ne  peut  compenfer  un  temps  dont  on  ne  peut  apprécier  U 
perte;  &  que  les  foldats  auxquels  on  en  accorde  fe  perdent  totalement  & 
font  beaucoup  de  défordre,  tant  dans  les  villes  que  dans  les  campagnes. 

Enfin  j'ajouterai  que  ces  corps  toujours  raflemblés  &  occupés  lous  les 
yeux  d'anciens  Officiers,  en  prendroient  Tefprit  qui  ne  peut  jamais  s'acqué- 
rir dans  les  corps  de  nouvelle  levée  i  &  qui  deviendroit  encore  meilleur , 
puifque  les  Officiers  &  les  foldats  pourroient  fervir  plus  long-temps. 

Telles  font  en  fubftance  mes  réflexions;  je  les  offire  à  ma  patrie,  & 
je  voudrois  être  en  état  de  procurer  à  mes  Concitoyens  tous  les  avantages 
dont  peuvent  jouir  les  hommes  réunis  en  fociété.  Je  joins  ici  le  détail  de 
mes  opérations  &  de  celles  d'un  de  mes  voifîns ,  qui  peuvent  donner  une 
idée  de  l'économie  qu'on  peut  apponer  à  la  confiruâion  des  Chemins. 

Détail  des  Opérations, 

vu  des  inflrumens  néceflaires.  ie  procédai  au  ni- 


A 


vellement,   &  réduifis 

{^art  cinq  pouces  par  toife, 
ier  ;  je  déterminai  enfuite 
félon  la  loi  de  Bourgogne  (a  )  ,  il  "fut  tracé  en  ligne  droite^  dans  mes'fonds| 
&  dans  ceux  des  propriétaires,  qui  voulurent  bien  y  confendr.  Je  décrivis 
des  contours  dans  les  endroits  montueux,  afin  d'éviter  les  trop  grands 
frais  du  déblai  &  remblai.  Pour  la  même  raifon ,  je  déclinai  par  des  cour- 
bures les  lieux  marécageux  &  les  ravins.  Au  lieu  de  ponts  (  £  ) ,  ouvrages 


i^)  En  Bourgogne  on  appelle  Finerots  les  Chemins  de  Paroiffe  à  Paroxfle ,  de  Village 
*  Vulage.  On  donne  le  même  nom  à  ceux  qui  vont  aboutir  aux  grandes  routes.  Ilsdoireat 
avoir  dix-huit  pieds  de  large  non  compris  les  foffés. 

'(*)  Un  glacis  fait  depuis  plufiears  années  fur  la  route  de  Lyon  à  Clermont,  avec  deux 
«perons  en  maçonnerie  pour  loutenir  des  planches ,  fur  lefquelles  paffent  les  chevaux  & 
Èts  eens  de  pied ,  a  coûté  moins  de  cinq  cents  livres.  11  en  eût  coûté  trente  fois  plus  pour 
cpnitruire  un  pont  fur  un  ruiifcau  qui  ne  peut  arrêter  les  voitures  •  par  un  orage  cxuaort 
«Wre  s  que  QueJaues  heures.  >  r  » 


CHEMINS.     (  Idées  dPun  Citoyen  fur  les  )  .   573 

dilpendieux  &  fouvenc  inutiles,  je  fis  paver  le  food  trop  mobile  de  quel- 
ques ruifleaux.  Je  fupprimai  les  foffôs  que  je  crois  inutiles,  lorfque  l'on 
ménage  les  pentes  pour  l'écoulement  des  eaux ,  &  qu'on  entretient  les  Che- 
mins bombés;  c'eft  cette  inattention  qui  &it  féjourner  l'eau  dans  la  plu* 
part  des  foifês  des  grandes  routes ,  dont  la  largeur  eft  déterminée  à  fix 
pieds  \  ils  en  augmentent  cependant  l'entretien ,  occupent  un  terrein  en  pure 
perte ,  &  font  (ouvent  verfer  les  voitures. 

Je  profitai  dans  le  premier  Chemin  que  je  fis  ouvrir ,  de  trois  cents  toi- 
fes,  de  ceux  faits  parles  Romains ,  qui  conflatoient  bien  la  folidité  qu'ils  don- 
ooientà  ces  fortes  de  travaux  ;  quoique  le  fol  en  &iX,  fablonneux,  il  y  avoic 
cependant  une  couche  de  groffes  pierres  pofées  de  champ ,  par-defius  lef* 
quelles  étoient  répandues  de  petites  pierres  callees,  qui  rempliflbient  les  in* 
terftices  qui  rendoient  le  Chemin  uni  &  folide.  Ils  tormoient  même  quel* 
quefbis  quatre  couches  difiërentes  de  pierre ,  gravier  &  ciment  :  mais  cette 
énorme  dépenfe  ne  pouvoit  être  faite  que  par  une  nation  maitreflè  de  l'U- 
nivers ,  qui ,  quoiqu'elle  employât  les  troupes  à  ces  fortes  de  travaux ,  ne 
laiffoit  pas  d'y  apporter  toute  l'économie  compatible  avec  la  folidité.  Ils 
avoient  fur-tout  grand  foin  d'éviter  les  grands  déblais  &  remblais ,  ils  fui- 
voient  fouvent  les  contours  &  les  hauteurs  des  montagnes ,  non-feulement 
pour  faire  marcher  leurs  troupes  plus  en  fureté,  mais  pour  que  le  fol  fût 
plus  folide  &  plus  fec.  Us  ne  s'aftreignoient  aux  allignemens  dans  les  plai- 
nes, que  quand  le  terrein  étoit  de  même  nature.  S'ils  trouvoient  d^  lieux 
marécageux ,  ils  les  tournoient  communément.  Us  en  ufoient  de  même  pour 
éviter ,  autant  qu'ils  pouvoient ,  la  conflruâion  des  ponts ,  toujours  nuiiibles 
dans  les  marches ,  difpeodieux  par  leur  conflruâion ,  &  à  charge  par  leur 
entretien.  Mais  ils  ferroient  folidement  leurs  Chemins  pour  éviter  l'extrême 
largeur  qu'on  donne  aujourd'hui  aux  grandes  routes»  les  troupes  ne  pou- 
vant les  réparer  fouvent. 

Il  faut  cependant  convenir  que  nous  traçons  mieux  qu'eux  les  routes; 
dans  les  montagnes,  quant  à  la  manière  de  ménager  les  pentes,  ce  qui 
donne  plus  de  facilité  aux  animaux  de  traîner  des  poids  confidérables , 
notamment  celui  tracé  depuis  plufieurs  années  dans  les  montagnes  de  Fo- 
reft  fur  la  route  de  Lyon  à  Clermont  par  Feurs ,  qui  fait  honneur  à  Pin* 
génieur  qui  en  a  été  chargé. 

Il  eft  en  France  des  routes  qui  ne  font  point  ferrées ,  4ont  le  fol  eft  fa- 
blonneux ,  &  qui  fe  maintiennent  en  bon  état ,  pourvu  qu'elles  foient  en- 
tretenues ,  bombées  &  unies.  D'autres  font  ferrées  avec  du  gravier  de  ri- 
vière ;  on  en  voit  encore  quelques-unes  ferrées  avec  du  gravier  tiré  de  la 
terre ,  &  plufieurs  qui  le  font  avec  des  pierres  brifées  à  coup  de  maflè. 
Une  autre  manière  de  ferrer ,  eft  celle  d'encaiffement  ;  on  met  dans  une 
tranchée  de  deux  pieds  de  profondeur  un  lit  de  groflès  pierres  pofées  à  plat  „ 
d'autres  par-deflus  pofées  de  champ  ou  de  côté;  le  tout  enfuite  eft  cou- 
vert de  pierrfss  réduites  à  la  grofleor  de  petites  noix  :  cette  manière  eft 


Ç74  C  H  E  M  I  N  S.     (  Idéci  diin  Citoyen  fur  les  ) 

la  plus  folide ,  mais  la  plus  difpendieufe  ;  &  il  femble  que  les  premières 
méthodes  fe  proportionnent  mieux  aux  diflëren^es  qualités  de  terre,  qui 
variant  à  chaque  inftant  indique ,  ainfi  que  la  qualité  des  matériaux  les  plus 
à  portée ,  la  manière  qu'il  faut  adopter  pour  chaque  lieu. 

Je  fis  ferrer  environ  1500  toifes  d'un  terrein  médiocrement  gras,  eâ 
étendant  fur  la  furfkce,  &  fur  la  moitié  de  fa  largeur ,  environ  trois  pou* 
ces  de  fable,  pris  à  la  diftance  de  deux  cents  toifes.  Ce  Chemin  a  fup* 
porté  fans  détriment  des  voitures  à  quatre  roues,  chargées  de  1500,  & 
chaque  toife  pour  cette  opération  coûta  deux  fols  i  une  partie  de  200  toi* 
fes  en  terrein  gras  &  argilleux ,  ferré  avec  des  pierres ,  prifes  fur  les  lieux , 
réduites  à  la  grofleur  d'un  œuf,  étendues  fur  la  largeur  de  douze  pieds  de  fix  à 
fept  pouces  d'épaiffeur^  coûta  onze  (b!s  &  demi  la  toife ,  compris  le  nivel- 
lement, &  a  réfifté  à  des  voitures  chargées  de  trois  ou  quatre  milliers.  Au 
refte ,  les  derniers  Chemins  que  j'ai  fait  faire ,  ont  été  mieux  faits  &  moins 
coûteux,  parce  que  les  Direâeurs  &  les  ouvriers  étoient  plus  inflruits,  & 
les  outils  que  je  fourniffois  plus  commodes. 

Il  efl  certain  que  fi  l'eau  fëjournoit  d^ns  les  Chemins ,  ils  feroient  bien- 
tôt dégradés ,  fuflîent  -  ils  ferrés  avec  du  marbre.  Si ,  au  contraire ,  on  les 
réparoit  fouvent ,  l'entretien  feroit  médiocre ,  &  je  crois  même  que  l'on 
pourroit  fe  paifer  du  ferré  par  encaiflement ,  fi  coûteux  fur- tout  lorfque 
la  pierre  eft  éloignée. 

La  totalité  des  Chemins  faits  en  Bourgogne  eft  onze  mille  deux  cents 
quarante  toifes,  fa  voir  7500  du  Breuil  à  Saint-Léger,  qui  fait  partie  de  la 
route da  Montcenis  à  Châlon ,  &  3740  dans  l'étendue  de  la  paroifie  du  Breuil, 
qdi  ont  coûté  4300  liv.  tant  en  conflruâions  que  réparations  pendant  le  cours 
des  années  1770  &  1771  ,  ou  dégradations  des  outils ,  ce  qui  tait  fept  fols  fept 
deniers  par  toife  courante  l'une  dans  l'autre  \  eft  compris  dans  cette  fem- 
me, huit  cents  journées  fournies  par  cinq  paroiffes  la  première  année,  éva- 
luées fix  cents  livres ,  mais  dont  je  n'ai  pas  tiré  un  grand  avantage ,  parce 
ue,  malgré  la  bonne  volonté  des  ouvriers,  ils  manquoient  d'expérience 
i  d'outils  propres  à  ces  travaux. 

Les  Chemins  ont  été  utiles  dès  le  moment  qu'ils  ont  été  ouverts ,  car  il  ^ 
y  eft  palfé  des  charois  de  charbon  des  mines  de  Montcenis  qui  avoient 
déjà  répandu  dans  le  pays  dans  le  cours  de  l'année  1770  ,  douze  mille 
livres  en  frais  de  voiture.  La  modicité  de  cette  dépenfe  eft  frappante  quand 
on  la  compare  à  celles  qu'ont  coûté  les  grandes  routes  voifines.  Les  cor* 
vées  de  la  paroifle  du  Breuil  employées  en  1770,  travaillèrent  fur  cent 
trente  &  une  toifes ,  lefquelles  montent  à  mille  huit  cents  quatre-vingt-dix 
livres ,  les  journées  à  bœuf  évaluées  deux  livres ,  &  celles  des  journaliers 
quinze  fols.  Ce  Chemin,  fans  être  encore  achevé  ni  ferré ^  revient  déjà  à 
plus  de  quatorze  livres  la  toife,  encore  eft-il  impraticable. 

J'ai  fait  faire  dans  la  paroiflfe  de  Clepé,  en  Foreft ,  1747  toifes  de  Chc- 
tnin^  dont  1410  fut  la  route  de.  Lyon  à  Cietmont,  &  337  fur  d'auues  rou* 


$ 


CHEMINS.    (  Idées  tPùn  Citoyen  fur  les  )  575 

tes:  il  ep  coûta  407  livres  pour  les  940  toifes  faites  en  1770,  ce  qui  fait 
huit  fols  fept  deniers  la  coife  courante  ;  il  en  a  coûté  700  livres  pour  lés  472 
toifes  faites  en  Novembre  <3c  Décembre  1771 ,  n^ayant  pu  éviter  le  vil- 
lage de  Naconne ,  où  la  quantité  d'arbres  à  arracher  &  les  (burces  ont 
triplé  la  dépenfe  :  les  335  toifes  reilantes  ont  coûté  a6oo  livres,  favoir 
joo  livres  pour  arracher  lea  arbres,  &  2300  livres  pour  une  chauffée  de 
1 8  pieds  de  large  à  fon  couronnement ,  laquelle  contient  1 1 00  toifes  cu- 
bes qui  reviennent  chacune  à  quarante-deux  lois,  ce  qui  fait  6  livres  17  fous 
4  deniers  la  toife  courante  (a).  Mais  la  dépenfe  de  cette  chauffée  dont  l'é- 
lévation eft  par-tout  au-deffus  des  inondations ,  efl  bien  inférieure  à  celle 
faite  par  corvées  dans  le  voifinage  à  laquelle  ont  travaillé  quinze  Paroif- 
fes  pendant  quatre  ans';  leurs  corvées  qu'on  évalue  en  Forefl,  de  même 
qu'en  Bourgogne ,  forme  une  contribution  pour  ces  paroiiTés ,  les  unes  du 
double  ou  de  moitié,  les  autres  au  moins  du  quart  en  fus  de  la  taille  & 


corvées  à  13^,000  livres  indépendamment  des  vexations  (h)^  et  des  per-- 
taes  (c)  qu'elles  ont  caufé. 

Cette  Chauffée  ou  Chemin  exécuté  par  corvées  a  1320  toifes  de  long; 
fur  30  pieds  de  large ,  dont  805  toifes  aq  niveau  des  terres  ne  m^uroit 
pas  coûté  vingt  fols  la  toife  tout  ferré  ;  les  parties  en  chauffées  ont  diffé« 
rentes  élévations ,  &  ne  font  pas  toutes  à  l'abri  des  inondations.  La  pre- 
mière de  170  toifes,  fur  un  pied  de  hauteur  calculé  l'un  dans  l'autre,  cou- 
dent 142  toifes  cubes  ;  la  féconde  de  1 30  toifes ,  fur  ^2  pouces  de  hau- 
teur, contient  318  toifes  cubes;  la  troifieme  de  x8{  toifes,  fur  34  pouces 
de  hauteur ,  contient  48 1  toifes  cubes ,  non  compris  une  partie  de  20  toifes 
de  long,  fur  15  pieds  dé  large  &  6  de  hauteur,  contenant  50  toifes  cubes; 
&  finalement  la  quatrième  partie  de  30  toifes,  fur  25  pouces  de  hauteur, 
contient  ^2  toifes  cubes  :  ce  qui  fait  en  tout  1043  toifes  cubes,  qui  re- 
vie;anent  chacune  à  1 28  livres ,  ce  qui  &it  plus  de  2^2  livres  par  toife 
courante  {d).  Ce  Chemin  defliné  pour  aller  à  Clermont ,  ne  fèrt  point  pour 


(tf )  Il  faut  obferver  qae  cette  chaufTée  a  été  faite  pendant  Thiver,  oii  les  pluies  &  les 
neiges  ont  dérangé  les  ouvriers  que  je  payois  également ,  lors  même  qu'ils  ne  travailloient 
qu'une  heure  ou  deux  dans  la  iournee ,  ce  qui  a  bien  augmenté  d'un  tiers  au  moins  cette 
dépenfe. 

(b)  L'Ami  des  hommes,  xéponfe  à  la  Voirie* 

(c)  Ephémérides.  Tome  V,  année  1767- 


des 

d'inégalité 


*>%' 


J75  CHEMIN  S.     (  Idccs  (Fun  Citoyen  fur  Us  ) 

aller  à  cette  ville  ^  parce  qu^il  n^aboutit  pas  encore  à  l'ancien  ;  tandis  qu^on 
a  toujours  paÂTé  commodément  dans  celui  que  j'ai  fait  faire. 

Cette  extrême  difproportion  n^tonnera  pas ,  fi  on  veut  confidérer  la  ma- 
nière dont  j'ai  opère ,  &  celle  dont  on  emploie  les  corvées. 

1^  Ayant  le  plus  grand  intérêt  à  économifer  cette  dépenfe,  je  n'ai  point 
tu  la  rage  des  allignemens  &  des  nivellemens ,  dont  fe  plaint  avec  tant  de 
raifoA  le  refpeftable  Ami  des  Hommes  y  qui  occafîonnent  quelquefob  des 
dépenfes  cent  fois  plus  fortes  par  les  déblais  ou  rembbis  énormes  aux* 
quels  ils  obligent. 

Qp.  J'ai  couché  quelquefois  fous  la  tente  pour  veiller  fur  les  (bldats  di- 
redeurs ,  qui  ne  quittoient  pas  un  indant  les  ouvriers  qu'ils  commandoient, 
quoiqu'ils  fufTent  plus  inftruits  que  les  corvéables  ;  tandis  que. ..... 

3^.  Mes  foldats  &  mes  ouvriers  faifoient  ufage  des  outils  que  l'expérience 
m'avoit  fait  perfeâionner ,  coucholent  &  mangeoient  fur  les  lieux ,  où  une 
vivandière  leur  faifoit  la  foupe;  tandis  que  les  corvéables,  qui  viennent 
quelquefois  de  trois  lieues  ne  peuvent  ni  ne  doivent  faire  des  outils  pour 
un  ouvrage  momentané ,&  ne  trouvent  communément  aucune  facilité  pour 
leur  nourriture. 

4^  J'ai  pris  la  terre  pour  niveler  les  Chemins,  &  les  matériaux  pour  les 
ferrer  le  plus  près  po(&ble;  notamment  à  la  chauffée  dont  j'ai  donné  le 
détail ,'  dont  les  terres  n'ont  été  prifes  qu'à  lo  ou  30  toifes;  tandis  que  pour 
tnénager  les  bons  fonds  d'un  propriétaire  on  les  a  été  chercher  à  6  ou  7 
cents  tqifes,  pour  conftruire  celle  faite  par  corvées  dont  j'ai  parlé.  En  creif 
fant  quelques  pieds  on  auroit  même  trouvé  le  gravier  nécefTaire  pour  la 
ferr^.  Si  on  avoir  dédommagé  ce  propriétaire,  il  en  eût  peut*étre  coûté 
deux  mille  livrés,  tandis  que  ces  tranfports  de  terre  ont  occafionné  enpar* 
tie  la  dépenfe  dont  j'ai  fait  mention. 

Cet  exemple  &  tant  d'autres  femblables  prouve  la  néceflité  de  payer  tons 
les  dommages  aux  Propriétaires,  parce  qu'un  particulier  trouvera  toujoun 
facilement  le  fecret  de  faire  fupporter  au  public  une  très-forte  dépenfe  pour 


l'intérêt  général  pour  le  rendre  particulier.  Ce  font  ces  raifdns  qui  doivent 
engager  les  paroifTes  à  adjuger  la  conflruâion  &  entretien  de  leurs  Chemins 


]u<qua  quarante,  loriquon  a  jette  les  terres  a  la  pelle.   Mais,  lorlquii  a  tallu  les  tram- 

λorter  à  la  brouette  à  vingt  ou  trente  toifes  «  la  toife  cube  a  coûté  environ  quarante  folst 
e  tout  non  compris  le  ferré.   Une  terre-glaife  peut  apporter  cucorQ  UQf  diS^rÇACC  lïg'^t 
dans  ces  dépenfes ,  niais  le  tuf  Taugmente  conudérablement. 

(a)  Leçons  économîqusi. 


CHEMINS.    (  Idées  d'un  Citoyen  fur  Us  )  577 

à  un  particulier  qui  les  entretiendra  d^autant  mieux  que  (on  engagement 
fera  long. 

Le  même  motif  qui  m'a  déterminé  à  faire  les  opérations  que  je  rappor- 
te ,  m'empêche  de  dévoiler  bien  d'autres  abus  *|  car  je  ferois  bien  plus  heu- 
reux^ fi  fans  déclamer  contre  une]  panie  de  l'humanité,  je  pouvpis  contri-> 
buer  au  bonheur  de  la  plus  grande  partie ,  &  la  plus  affligée.  Quel  plaific 
n'aurois-je  donc  pas  à  publier  les  opérations  d'un  de  mes  voifins  qui  a  i&it 
faire  à  fes  frais  quatre  mille  fept  cents  foixante-feize  toifes  de  Chemins  fur 
la  route  de  Saint*Cernin  à  Couches  en  Bourgogne. 

Ce  vertueux  voifin  eft  TAbbé  de  Fénelon  qui  depuis  plufieurs  années  a 
£dt  des  biens  infinis  dans  fbn  Bénéfice,  en  anranchiflanc  Tes  cenfitaires. du 
droit  de  main-morte,  en  faifant  bâtir  une  Eglife  &  un  Prefbytere  pour  (bu- 
lager  fes  habitans,  qu'il  a  nourri  malgré  la  cherté  des  grains  pendant  l'hi- 
ver de  1770  à  1771  ,  en  occupant  les  Sommes,  femmes  &  enfans  à  la 
route  dont  je  viens  de  parler,  qui  lui  a  coûté  le  double  de  la  mienne^ 
attendu  le  genre  d'ouvriers  qu'il  a  employés. 

Il  a  fait  faire  fur  cette  route  un  pont  qui  a  quinze  pieds  de  large  &.  neuf 
pieds  de  hauteur,  dont  le  ceintre  fait  partie,  qui  a  neuf  pieds  dix  pouces 
de  diamètre;  le  parapet  &  les  angles  des  ceintres  ou  côtés  extérieurs,  font 
en  pierre  de  taille  dont  la  façon  a  coûté  quarante  franco  :  toutes  les  autres 
pierres  font  de  moellons  trouvés  fur  les  lieux.  La  chaux  a  été  tirée  d'une 
lieue.  Le  tout  lui  a  coûté  cinquante  écus. 

Il  a  encore  fait  faire  à  la  jondion  de  deux  ruiffeaux  un  Aqueduc,  ou 
pour  mieux  dire ,  une  efpece  de  pont  en  pierre  feche ,  trouvée  aufli  fur  les 
lieux ,  qui  a  vingt-un  pieds  de  large  fur  une  des  ouvertures  &  dix-huit  fur 
l'autre.  Ces  deux  ouvertures  oii  paffeht  les  eaux  des  deux  diffërens  ruifleaux^ 
ont  chacune  quatre  pieds  de  hauteur,  fur  deux  pieds  &  demi  de  large.  Le 
pont  tout  en  pierre  feche  a  dix-huit  pieds  de  long ,  fur  fept  de  hauteur  de^ 
puis  la  bafe  jufqu'à  la  crête ,  &  n'a  coûté  que  i8  livres  de  façon. 

La  générofité  de  Mr.  l'Abbé  de  Fénelon  a  été  fi  grande  ,  que  fon 
revenu  ne  fuffifant  pour  faire  fubfîfler  fes  pauvres  par  ce  travail,  il  a 
vendu  foo  bouteilles  de  vin  de  Chaffagne  de  17^4,  pour  fournir  à  leur 
fubfiflance. 

Plufieurs  autres  voifins  de  ce  Canton  commencent  auffi  à  faire  quel- 
ques travaux  en  ce  genre  \  leurs  frais. 

J'ai  trouvé  en  Foreft  plufieurs  Citoyens  qui  ont  ofïèrt  de  contribuer  avec 
moi,  aux  frais  néceffaires  pour  continuer  les  opérations  que  j'ai  com<* 
mencées  fur  la  route  de  Lyon  à  Clermotit ,  pourvu  qu'on  nous  en  confiât 
la  direâion ,  &  qu'on  voulût  bien  fufpendre  les  corvées  qu'on  a  einployé 
jufqu'à  préfent  fur  cette  route  ;  ce  qui  fera  peut-être  accepté  lorlqu'on 
aura  examiné  la  chauffée  que  je  viens  de  &ire  faire ,  &  lorfqu'on  aur^ 
éprouvé  plus  long-temps  la  folidité  de  mes  ouvrages. 

Un  grand  nombre  de  perfonnes  ont  déjà  offert  différentes  fommes  pour 

Tome  XI.  Dddd 


^78    CHEMINSDEFRANpE.  (  Ohfetvations  fur  Us  grands  ) 

la  route  de  Mombrifon  à  Feurs ,  &  pour  celle  de  Feurs  à  Saint-Germain , 
auxquelles  je  me  propofe  de  faire  travailler  incefTamment. 

La  plaine  du  Forelt ,  fertile  en  grains ,  a  les  plus  grands  avantages  pour 
la  conttruédon  des  chemins,  puifque  les  terres  les  plus  grafles,  fiiuées  fur 
les  bords  de  la  Loire  ont  le  gravier  à  portée  pour  les  ferrer,  qui  ne  laifle 
pas  d^étre  commun  dans  les  autres  parties  de  la  plaine,  dont  le  fol  étant 
communément  fablonneux  obligeroit  rarement  à  cette  dépenfe. 

Mais  /fi  les  Chemins  font  plus  aifés  à  faire  dans  la  plaine  du  Foreft  qu^ail- 
leurs,  il  n'eft  point  de  pays  où  les  corvées  affligent  autant  l'humanité^  les 
fièvres  y  font  fi  fréquentes  qu'elles  dérangent  extraordinairement  les  tra* 
vaux ,  &  y  augmentent  la  raifere  des  journaliers  :  Pintérêt  que  les  Dames 
de  cette  Province  ont  pris  à  leur  cruelle  fituation ,  &  l'empreflement  qu'el- 
les ont  mis  à  propofer  diverfes  foufcriptions  pour  procurer  d'un  côté  plus 
de  facilités  à  ces  malheureux  de  gagner  leur  vie ,  &  de  Pautre  pour  tâcher 
de  les  fouftraire  à^la  corvée,  doit  faire  efpérer  que  ce  fexe  aimable,  qui 
eut  toujours  l'humanité  en  partage,  contribuera  beaucoup  à  la  fupprefllon 
de  ce  terrible  fléau,  A  quels  biens  même  ne  devroit-on  pas  s'attendre,  fi  foa 
éducation  dirigeoit  fes  idées  vers  les  objets  utiles  >  fa  bienfaifance  naturelle , 
guidée  par  de  plus  amples  lumières,  faciliteroit  la  révolution  tant  défirée, 
où  le  patriotifme  joint  à  toutes  les  vertus  prendroit  la  place  du  luxe  &  de 
la  frivolité.  Si  la  barbarie  des  premiers  fiecles  n'efl  provenu  que  de  l'ef- 
clavage  des  femmes,  fi  le  luxe  &  la  frivolité  qui  afflige  tant  cclui-<i , pro- 
vient de  ce  que  les  femmes  n'ont  repris  qu'une  partie  de  leurs  droits,  que 
ne  doit-on  pas  efpérer  du  ilecle  futur ,  lorfque  les  deux  fexes  ayant  la  mê- 
me éducation  &  les  mêmes  lumières  ^dif eu teront  enfemble  les  intérêts  de 
l'humanité. 


OBSERVATIONS 

s   V  K 

LES  GRANDS  CHEMINS  DE  FRANCE. 


L 


'UTILITÉ  &  la  commodité  que  le  commerce  &  la  fbciété  retirent 

de  la  conflruâion  &  de  l'entretien  des  Chemins,  eft  fi  généralement  connue, 

que  tout  ce  que  l'on  pourroit  dire  pour  appuyer  cette  vérité ,  feroit  inutile  & 
^-   ^  - ' *^    j.  --^  /• • j principe, 

tions  ^QUèt 

Co^mme  cette  partie  de  l'adminiftration  efl  fuivie  dans  chaque  gouver* 
aement  d'une  manière  plus  ou  moins  avantageufe ,  chacune  des  principales 


CHEMINS  DE  TRAiiCE.  (OBfervationsfurlesgraruk)     Ç79 

doit  être  &  fera  dans  cet  ouvrage   le  fujet  d'une   attention  particulière. 

Les  éloges  que  M.  de  Voltaire  donne  aux  grands  Chemins  de  France, 
femblent  m'obliger  à  en  traiter  d'abord.  »  Les  grands  Chemins ,  dit-il , 
»  jufques  alors  impraticables ,  ne  furent  plus  négligés ,  &  peu  à  peu  ils 
9  devinrent  ce  qu'ils  font  aujourd'hui  fous  Louis  XV ,  l'admiration  des  étran- 
»  gers.  De  quelque  côté  qu'on  forte  de  Paris ,  on  voyage  à  préfent ,  en- 
»  viron  cinquante  à  foixante  lieues,  à  quelques  endroits  près,  dans  des 
»  allées  fermées  &  bordées  d'arbres.  Les  Chemins  conftruits  par  les  anciens 
9  Romains  étoient  plus  durables,  mais  non  pas  (i  fpacieux  ni  fi  beaux,  ce 

Je  conviens  avec  cet  auteur  éclairé  des  avantages  qu'il  préconife ,  mais 
on  ne  peut  s'empêcher  de  m'a  vouer ,  qu'en  les  refferrant  dans  un  efpace 
de   cinquante  ou   foixante  lieues  autour  de  la  capitale,  il  paroit  infinuer 

Î|ue  l'étranger  doit  y  borner  fa  curiofité ,  s'il  ne  veut  pas  revenir  de  ûl 
urprife.  On  doit  certainement  embellir  lès  routes  qui  conduifent  à  la  prin- 
cipale ville  :  mais  c'eft  ne  travailler  que  pour  l'agrément,  fur- tout  quand 
elle  n'a  comme  Paris,  qu'un  commerce  fecondaire. 

Les  grands  Chemins ,  qui  font  par-tout  un  objet  d'utilité ,  exigent  par- 
tout les  mêmes  foins  de  la  part  d'un  miniftre  éclairé.  Je  ne  prétens  donc 
les  envifager  que  comme  la  fource  d'un  bien  général ,  &'  c'eft  dans  cette 
vue  que,  fans  m'attacher  aux  avantages  particuliers,  je  vais  montrer  à  mes 
leâeurs  ce  qu'on  a  fait  &  ce  qu'on  devroit  faire  en  France ,  pour  porter 
à  la  perfeâion  cette  partie  des  ouvrages  publics,  que  tout  gouvernement ^ 
qui  tend  à  la  grandeur ,  doit  fuivre  avec  zèle  »  ménager  avec  ordre  âc  four 
tenir  avec  perlévérance. 

Les  François  ont  des  réglemens  fages  &  très*détaillés  llir  cette  partie  « 
comme  fur  toutes  les  autres.  Ils  ont  prefque  tout  prévu  &  ordonné  :  mais 
ils  pèchent  par  l'exécution ,  qui  cependant  eft  feule  capable  de  mettre  une 
partie  des  Chemins  en  état ,  &  de  les  entretenir  à  peu  de  frais  pour  le  Roi , 
Il  elle  étoit  fuivie ,  je  ne  dis  pas  avec  cette  exaâitude  &  cette  précifion  de 
laauelle  on  ne  doit  pas  fe  flatter,  mais  feulement  avec  une  attention 
ordinaire  &  commune. 

Les  revenus  de  l'Etat  font  grands ,  mais  un  grand  Etat  a  de  grandes  dé- 
penfes  à  fupporter  ;  chaque  partie  a  des  befoins  indifpenfables  &  des  fonds 

Î|ui  v  font  deftinés  :  ceux  des  ponts  &  chauflees  n'ayant  pas  été  jugés 
uffifans,  on  leur  en  a  affiené  d'extraordinaires.  Mais  fi  l'on  vouloit  entre- 
prendre toutes  les  routes  fur  le  pied  de  quelques-unes  qui  font  déjà  com- 
mencées, ces  fonds  extraordinaires  feroient  infuffifans,  &  ne  ferviroient 
qu'à  faire  défirer  qu'ils  euffent  été  employés  avec  plus  de  difcernement.  i 
Que  les  Chemins  foient  praticables  en  hiver  comme  en  été ,  c'ed  avoir 
parfaitement  fatisfait  à  l'utilité  publique  :  ces  grandes  entreprifes  ont- elles 
rempli  cet  objet  ?  non ,  ce  font  des  portions  de  monumens  admirables ,  oii 
Pon  n'arrive  que  par  un  bourbier ,  &  d'où  l'on  ne  fort  que  pour  tomber 

dans  un  autre. 

Dddd2 


çSo    CHEMINS  DE  FRANCE.  {Obfcrvations  fur  les  grands) 

Le  commerce  exige  plus  de  fuite  &  moins  de  magnificence  ;  fimple  & 
utile  dans  Tes  opérations ,  il  ne  cherche  qu'à  avancer  par.  la  voie  la  plus  courte , 
la  plus  fûre  &  la  moins  coûteufe  :  tour  ce  qui  ne  conduit  pas  à  ce  but ,  eft  % 
fon  détriment,  parce  qu'il  eft  pris  fur  les  deniers . deftinés  à  Ton  entretien. 

Quoique  le  nombre  des  routes  foît  infini ,  &  que  les^détails  d'une  partie  fi 
vafte  &  fi  étendue  foient  immenfes ,  cependant  on  peut  les  ranger  fous  les 
quatre  cla^Tes  fuivantes. 

I.  Les  nouvelles  routes  à  conftruire  aux  frais  du  Roi« 

a.  Les  réparations  &  entretiens  aâuellement  inftans  des  anciennes  routes, 

3.  Les  routes  négligées ,  encombrées ,  ufurpées  &  cependant  utiles. 

4.  L'entretien  annuel  de  ces  dernières  routes  &  de  celles  à  la  charge 
du  Roi. 

REFLEXIONS  GI^NiRALES  SUR  CES  QUATRE  CHEFS. 

VyN  devroit»  avant  que  de  commencer  une  route,  examiner  attemive- 
ment  fi  elle  eft  yéritablement  néceflaire.  On  demandera  peut-être  à  quoi  bon 
lin  avis  qui  fuppofe  gratuitement  des  fautes  que  l'on  ne  peut  préfiimer  ;  telle 
eft  l'apparence ,  j'en  conviens:  cependant  il  eft  très-vrai  qu'il  a  été  en*? 
trepris  des  routes  dont  on  pouvoit  fort  bien  fe  pafier,  &  que  d'autres 
ont  été  commencées  &  prefqu'auflitôt  abandonnées ,  après  avoir  caufé  beau* 
coup  de  dépenfes  au  Roi ,  de  dégât  &  de  préjudice  aux  héritages  des  par* 
ticuliers  :  témoin  celle  d'Amboiie  à  Poitiers  par  Bleré ,  Lôchers  &  la  Haie , 
généralité  de  Tours  \  celle  de  Château-Châlons  &  des  Confitemini  en  Fran- 
che-Comté; celles  de  Rheims  à  Rethel  &  de  Châlons-fur-Marne  à  Sainte* 
Menehould,  généralité  de  Champagne  ^  &  tant  d'autres  qu'il  eft  inutile  de 
rappeller  ici. 

.  Il  cbnviendroit  d'examiner  s'il  n'y  auroit  point  d'autres  routes  exiftantes 
qui  puiTent  fuppiéer  à-  celles^  qu'on  fè  propofe  d'ouvrir  ;  fi  quelques  répa* 
rations  faites  aux  anciennes  ne  fuffiroient  pas  au  commerce  &  aux  voya- 
geurs \  s'il  ne  feroit  pas  plus  avantageux  de  s'aflujettir  à  des  parties  folides 
par  la  nature  du  terreîn  ou  par  des  .travaux  /que  l'on  y  auroit  déjà  faits, 
que  de  s'obftiner  à  traverfèr  des  montagnes ,  des  marais  &  des  rivières , 
pour  former  de  beaux  alignemens,  avec  des  dépenfes  immenfes  prifes  fur 
le  néceflaire. 

Si  après  ces  examens ,  il  efl  décidé  que  les  routes  doivent  être  entreprife, 
ir importe  à  l'économie  &  à  la  durée  des  travaux,  de  les  diriger  par  les 
meilleurs  terreins ,  d'éviter  les  ponts  &  la  proximité  des  grandes  rivières, 
autant  qu'il  fera  poflible ,  tant  à  caufe  de  la  dépenfe ,  que  des  dangers  & 
des  inconvéniens  auxquels  ces  pofitions  font.néceflairemrat  fu jettes,  enfin 
de  pratiquer  des  bernes  ou  des  accôtemens  aux  cotés  du  pavé ,  de  les  tenir 
libres  &  en  état,  parce  que  les  voituriers  y  paffent  de  préférence  dans  la 
belle  faifon,   ce  qui  double  le  tems  de  la  durée  des  chauffées  ferrées  ou 


CHEMINS   DE  F R AîiCK.  {Ohfijyuùons fur ks grands)     581 

pavées  :  mais  il  s^en  manque  bien  que  ces  précautions  foient  obfervées* 

Je  demanderots  encore  que ,  dans  les  réparations  aâuelles  des  anciennes 
routes  ^  on  fe  bornât  à  ce  qui  feroit  abfolument  indifpenfabte  ^  que  l'oa 
portât  tous  les  fonds ,  reftant  de  l'ordinaire  avec  ceux  de  l'extraordinaire  ^ 
fur  une  route  capitale  quelconque ,  &  que  l'on  ne  la  quittât  point  qu'elle 
ne  fut  par&ite. 

JMfques  à  préfent  on  n'a  fait,  pour  ainfî  dire,  que  fauter  d'une  branche 
à  l'autre^  &  plufieurs  de  ces  travaux  femblent  n'avoir  été  entrepris  qu^ 
pour  développer  l'art  des  ingénieurs  aux  yeux  des  p^lTans.  Mais  que  fert  à 
ce  voiturier  d'avoir  roulé  légèrement  &  à  ion  aife  pendant  quelques  lieues  ^ 
a  les  intervalles  de  mauvais  Chemin  qu'on  a  laififé-  fubfiiler,  exigent  des 
attelages  aufli  forts  &  au(ïï  nombreux,  que  fi  ces  belles  parties  n'étoienc 
pas  faites ,  &  lorfqu'il  n'eft  pas  fur  de  conduire  fes  marchandifes  au  jour 
nommé  l  Qu'en  revient-il  à  ce  négociant  &  à  l'acheteur ,  fi  les  fi^s  de 
firanfport  des  marchandifes  &  des  denrées  font  toujours  auffi  chers;  s'il 
manque  de  les  vendre ,  faute  d'être  arrivas  à  tems  ;  jti  elles  font  avariées  & 
^âtées^ar  les  bafards  du  mauvais  Chemin  &  par  un  trop  long  féjour  en  route  i 

Si  après  qu'une  route  a  été  confiruite  ou  réparée,  il  n*eft  pas  pourvu  à 
fon  entretien ,  elle  fera  bientôt  ruinée  &  impraticable ,  ce  qui  caufera  une 
interruption  dans  le  commerce  général  ,  non-feulement  à  caufe  de  l'en- 
chaînement .  indiffoluble  que  fes  parties  ont  entre  elles ,  mais  encore  parce 
«qu'il  faut  la  rétablir,  &  y  employer  des  fonds  néceflàires  ailleurs  ;  en  forte 
^ue,  plufieurs  dépenies  de  cette  elpece,  venant  à  s'accumuler,  elles  excédent 
la  pofiibilité  des  reflburces ,  &  tout  retombe  dans  le  premier  ^tat  de  dé« 
périflemenL 

Cette  négligence  qui  eft  très-commune,  qui  ne  fouffre  que  quelques 
exceptions  ;  &  la  tolérance  des  ufurpations  des  riverains ,  ont  ruiné  &  faic 
abandonner  plufieurs  routes  cependant  fort  utiles  ;  ils  y  ont  pouffé  leurs 
labours ,  ils  les  ont  anticipées  par  des  fofles  &  des  rigoles  pour  y  faire 
pourrir  leurs  engrais  ;  ils  y  ont  arrêté  les  eaux  ou  ne  les  ont  pas  détour- 
nées, enfin  ils  les  ont  détruites. 

Sans  l'adèmblage  des  ruiffeaux,  nous  n^aurîons  point  de  grandes  riviè- 
res; fans  les  rameaux  &  les  petites  routes  qui  aboutiffent  aux  routes  prin- 
cipales ,  celles-ci  feroient  déferres  ;  ces  branches  &  ces  rameaux  donnent 
la  vie  &  le  mouvement  aux  grandes  routes  ;  elles  fbumiifent  l'aliment  du 
commerce  &  la  fubfiflance  des  grandes  villes  :  cependant  elles  font  ou- 
bliées &  ignorées  par  les  ingénieurs  qui^  accoutumés  aux  grandes  entre- 
prifes ,  ne  les  croi^t  pas.  dignes  de  leurs  regards  &  de  leurs  attentions. 

L'intérieur  des  bourgs^  &  des  villages  eft',  entre  autres ,  fi  généralement 
inauvais,  même  fur  les  grandes  &  bettes  routes  fa^^es  &  perfeâionnées  par 
le  Rx>i^  qu'à  peine  les  voitures  peuvent-elles  y: .  palTer ,  &  qu'il  s'y  forme 
des  amas  d'eaux,  &  des  f:loaque6  nuifibles  à  laJalubricé  de  l!air,  dont  les 
habitais  ne  peu  vent,  manquer  de  sef&mir  les  effets  .:  rien  cependant  de 


58i    CHEMINS  DE  FRANCE.    {Obfervations  furies  grands) 

plus  modique  &  par  confëquent  de  plus  fiicile  que  ces  réparations ,  dont 
le  mauvais  état  ne  peut  être  attribué  qu^  une  négligence  impardonnable  à 
ceux  qui  font  chargés  de  cette  police  :  il  n^  a  point  de  villages*  donc  les 
habitans,  guidés  par  un  infpeâeur  tant  foit  peu  raifonnable  &  intelligent, 
ne  puiflent  en  deux  ou  trois  jours  au  plus  pris  dans  Tintervale  des  récoltes , 
conduire  aflez  de  pierrailles  &  de  gravier  pour  combler  les  trous ,  unir  la 
voie,  la  rendre  praticable,  &  fe  délivrer  des  inconvéniens  dont  la  mal- 
propreté &  le  mauvais  air  font  néceflairement  la  caufè.  Le  payfan  occupé 
du  poids  de  Ton  état,  enfeveli  dans  fon  ignorance  &  fa  rufticité,  ne  penfe 

3u^au  journalier  \  il  ne  fent ,  il  ne  voit  aucune  conféquence  ;  c^eft  cepend- 
ant la  partie  la  plus  nombreufe  &  la  plus  intérellante  de  l^tat:  il  faut 
donc  que  le  fouverain,  ou  ceux  à  qui  il  a  confié  fon  autorité,  penfent, 
réfléchiflent  &  veillent  pour  elle. 

Les  portes  de  la  plupart  àes  petites  villes  du  royaume,  autrefois   né- 

ceflaires  pour  leur  défenfe  &  maintenant  abandonnées  comme    inutiles, 

menacent  d'une  ruine  évidente ,  &  ainfi  la  vie  des  paflans  ;  il  conviendroit 

de  faire  jetter  à  bas  ,  aux  frais  de  chacune  de  ces  villes ,   toutes  celles  que 

.les  infpeâeurs  ne  jugeroient  pas  avoir  une  folidité  fuffifante.   Ces  villes, 

Sucnque  fans  revenus  patrimoniaux,  ne  pourroient  s'excufer  fur  le  défaut 
e  moyens  :  i<>.  à  caufe  de  la  modicité  de  la  dépenfe  :  2^.  parce  que  les 
matériaux  indemniferoient  &  au-^lelà  des  frais  de  démolition,  &  du  pen 
de  main-d'œuvre  qui  feroit  peut-être  néceflaire  en  quelques  endroits ,  pour 
relever  ou  affurer  les  jambages  ou  pieds-droits  deidites  portes  jufqu'aux 
impoftes  ou  retombées   des  arcs. 

Lt^  routes  quoiqu'ufurpées ,  appartiennent  toujours  au  public  &  font 
imprefcriptibles ,  parce  que  la  prefcription  ne  court  point  contre  le  public  ; 
Viam  publicam  populus  amittere  non  poteft  :  &  cVft  en  conféquence  de 
ce  principe  confiant  que  nul  ne  peut  apporter  du  changement  aux  Che* 
mins ,  les  fupprlmer  ou  y  en  fubftituer  d'autres ,  fans  l'intervention  de  l'au- 
torité (buveraine.  L'ordonnance  de  Blois  porte  que  i>  les  grands  Chemins 
«.feront  remis  à  leur  ancienne  largeur,  noaobilant  les  ufurpations  qui 
i>  peuvent  avoir  été  faites  a  ^ 

Suivant  le  droit  Romain,  le  foin  de  réparer  &  d'entretenir  les  Chemins 
droit  une  charge  des  héritages  adjacens ,  dont  nul  n'étoit  exempt  ;  pas 
même  les  perfonnes  privilégiées ,  de  quelque  état  qu'elles  fuflënt  :  Non 
funt  enim  immunes  ab  inftitutiont  itincrum ,  feu  viarum  munitiont  :  ce 
qui  eft  conforme  au  droit  François  exprimé  dans  les  capitulaires ,  chap. 
107  /.  6.  &  à  la  jurisprudence  aâuelle  de  ce  royaume  fur  la  voierie.  Les 
ordonnances  de  Henri  II,  Charles  IX,  Henri  III,  Louis  XIII,  Louis  XIV 
&  Louis  XV.  y  ont  puifé  leurs  difpofitions.  L^arrêt  du  18  Juillet  1670. 
qui  eft  encore  en  pleine  vigueur  pour  les  Chemins  de  Normandie ,  porte 
»  qu'ils  auront  vingt-quatre  pieds  de  large ,  fans  qiue  cette  largeur  puifle 
»  être  occupée  par  dés  fblfés  |  haies  ou  arbres;  &  que,  s^il  s'en  trouve. 


CHEMINS   DE   FRANCE*   {Objcrvations  fur  les  grands)     583 

%  ils  feront  remplis  »  coupés ,  arrachés  ,  huitaine  après  la  fîgoification  de 
H  Tarréc,  par  les  propriétaires,  ou  à  leurs  frais  &  dépens,  avec  défenfes 
»  à  tous  propriétaires  &  riverains  de  planter  aucuns  arbres  le  long  des 
s»  grands  Chemins  qu'à  dix  pieds  de  diftance  du  bord  :  ordonne  que  le& 
n  dits  Chemins  &  ceux  de  traverfe  fesant  inceflamment  réparés  &  entrer 
X»  tenus ,  aux  frais  &  dépens  des  propriétaires  des  terres  où  fe  trouvent  les 
yi  mauvais  Chemins ,  avec  des  cailloux ,  graviers  ou  fafcines ,  fuivant  les 
]!»  ordonnances ,  à  la  diligence  des  Procureurs  du  Roi  des  Vicomtes  &  autres 
»  de  ladite   province.  » 

La  plupart  des  coutumes  du  Royaume  obligent  les  propriétaires  &  dé^ 
lenteurs  des  terres  voifines  des  Chemins ,  à  couper  les  branches  des  ar^ 
bres  qui  empêchent  le  foleil  de  les  fécher ,  &  caufent  de  l'embarras  aux 
paflans  :  elles  veulent  que  ,  fi  le  grand  Chemin  ie  trouve  impraticable 
par  les  bourbiers,  glaces,  inondations  ou  autrement;  s'il  eft  embarraflë 
par  des  matériaux  deftinés  à  quelques  ouvrages ,  ces  mêmes  propriétaires 
&  détenteurs  foient  obligés  de  donner  fur  leurs  terres  un  'paflage  provifion*- 
nel;  Si  via*  publica  dcjlniatur^  vicirius  viam  prasfiarc  dtbct.^Xlts  les  con- 
traignent à  recevoir  les  eaux  qui  s'écoulent  des  Chemins ,  à  les  border  At 
fbffés  &cr  à  netti)yer  ceux  qui  ont  été  faits  :  fundus  inftrior  itnetur  rcci^ 
père  aquain  provenientem  ex  fundo  fuperiori ,  etiam  fi  fundo  inferiori  no»" 
ceat.  Enfin  elles  veulent  que,  fi  ces  propriétaires  ou  détenteurs  négligent 
d'ôrer  les  encombremens  &  qu'à  cette  occafion  il  arrive  quelque  acci^- 
4ent  ou  quelque  perte ,  ils  foient  tenus  des  dommages  &  intérêts  envers 
ceux  qui  ont   fouflèrt. 

Outre  ces  divers  réglemens,  les  coutumes  de  la  plupart  des  provinces 
ont  ftatué  fiir  les  réparations  &  l'entretien  des  Chemins.  Les  Tréforiers 
de  France  ont  rendu  une  multitude  d'ordonnances  fur  la  voierie,  &  Mef- 
fieurs  les  Intendans  font  chargés  des  routes  entreprifes  ou  finies  par  cor«> 
vées  &  aux  frais  du  Roi  :  mais  d'une  part  tous  les  Intendans  ne  donnent 
pas  leur  attention  à  cette  partie  avec  une  égale  utilité  ;  &  de  l'autre ,  ce 
qui  eft  prefcrit  par  les  coutumes  eft  fans  aucune  forte  d'exécution ,  parce 
que  les  Tréforiers  de  France  ont  totalement  envahi  la  voierie,  que  ces 
coutumes  attribuent  aux  Seigneurs  Hauts*Jufticiers  dans  l'étendue  de  leurs 
jurifdiâiotis. 

Quelques-uns  de  ces  Seigneurs  pourroient  la  négliger,  cela  eft  fans 
contredit,  attendu  leur  grand  nombre  &  que  plufieurs  d'entre  eux  ne 
voient  jamais  leurs  terres ,  &  que  d'autres  manquent  ou  d'intelligence  »  ou 
de  cet  efprit  d'ordre  ,  d'arrangement  &  d'émulation  qui  conduit  à  bien 
faire  :  mais  au(fi  plufieurs  y  tiendroient  la  main,  foit  par  l'intérêt  de  faire 
déboucher  plus  facilement  leurs  denrées  &  celles  de  leurs  habitans ,  foit 
pQur  parcourir  leurs  terres  avec  plus  d'aifance  &  d'agrément  ;  mais  le  mo- 
tif doit^être  indifférent ,  puifqu'en  le  faifant  pour  eux,  ils  le  Croient  pour 
le  public  )  &  quelque  peu  qu'ils  fiflent ,  ils  furpafleroient  toujours  de  beau* 


/ 


584    CHEMINS   DE  F  R  AîJ  C  E.  (Ohférvations  fur  les  grands) 

coup  ce  que  font  les  Tréforiers  de  France  départis  dans  les  province^ ,  qui 
tout  au  plus  veillent  légèrement  à  ce  qui  concerne  la  ville  de  leur  réû- 
dence,  mais  caufent  la  ruine  des  Chemins  de  la  campagne  par  leur  inac* 
tion  ,  par  celle  dans  laquelle  ils  entretiennent  les  autres,  &  par  les 
exaâions  que  font  leurs  petics-\;gj^rs  &  leurs  autres  fubalternes  qu'ils 
tolèrent. 

Cet  état  de  confufion  &  de  conflits,  que  Pon  ne  doit  pas  efpérer  de 
voir  cefTer  par  des  remontrances  ou  des  exhortations ,  ne  peut  être  plus 
heureufement  &  plus  promptement  arrêté ,  que  par  ce  changement  &  ce 
tranfpon  d'autorité,  dont  le  gouvernement  a  fouvent  fait  utuei^em  ufage 
en  diffèrens  cas. 

Dans  celui-ci ,  il  fetfible  que  le  plus  expédient  feroit  de  charger  uni* 
quement  les  lutendans  de  la  police  concernant  l'entretien  des  Chemins, 
non  par  aucun  titre  public ,  qui  mettroit  au  champ  tous  les  bureaux  des 
finances  &  accableroit  le  confeil  de  foUicitations  &  d'importunités  \  mais 
feulement  par  des  lettres  &  des  ordres  particuliers ,  qui  leur  enjoindroieot 
de  tenir  en  vigueur  les  réglemens  de  la .  voierie ,  &  les  autoriferoient  ï 
tendre  la  main  aux  Seigneurs.de  bonne  volonté  qui  s'antmeroient  les  uns 
les  autres  ;  &  pour  l'exécution ,  il  fàudroit  leur  dooner  par  augmentation 
de  ceux  qui  exiflent  aâuellement ,  des  Infpeâeurs  &  fous-Infpeâeurs  fidè- 
les &  intelligens ,  fous  les  ordres  d'un  nombre  fufHfant  de  fupérieurs  bieD 
choiûs ,  lefquels  Infpeâeurs  &  fous-Inf peâeurs  prêteroient  ferment  par 
devant  l'Intendant ,  pour  être  en  état  de  drelier  des  procès- ver  baux,  fans 
être  obligés  de  fe  fervir  de  papier  ni  marqué   ni  contrôlé. 

La  dépenfe  de  cet  établiflement ,  que  Ton  poilrroît  fe  contenter  d'ef- 
fayer  d'abord  dans  une  feule  Généralité ,  procureroit  un  bien  qui  ne  tar- 
deroit  pas  à  fe  faire  fentir  ,  &  feroit  avantageufement  compenfé  pat 
la  diminution  des  dépeofes  à  la  charge  du  Roi ,  qu'entraînent  les  ponts 
&   chauffées. 

Avec  ces  précautions  les  routes  fe  multiplieroîent^  te  commerce  s'ani* 
meroir  »  &  les  deniers ,  deflinés  ï  l'entretien  &  à  la  conflruâion  des  Che- 
mins ,  feroient  plus  utilement  employés  :  mais  il  feroit  encore  plus  à  fou- 
haiter  que  l'on  exécutât  en  France ,  ce  oui  fe  pratique  dans  les  pays  hé- 
réditaires d'Autriche ,  &  fur-tout  en  Angleterre  par  rapport  aux  Chemins 
publics  dont  j'^turai  occafion  de  parler  dans  la  fuite  de  cet  ouvrage. 


DB 


CHEMINS.    (De  tAdminiftration  des  )  58$ 


mmmm 


>  DE    ^ADMINISTRATION    DES    CHEMINS. 

Principes  généraux. 

X  L  n'eft  pas  néce(Gtire  de  s'étendre  fur  Inutilité  des  Chemins  :  on  fait  aflfes 
que  (ans  eux  il  ne  pourroic  prefque  point  fe  faire  de  commerce  ;  que  fans 
commerce  il  n'y  auroit  point  de  communication  de  fecours  réciproques  en* 
tre  les  hommes  ,  point  d'équilibre  entre  les  prix,  une  immenfe  quantité 
de  produâions  exiilances  &  de  produâions  poflibles  perdues  pour  l'humap. 
nicé ,  une  viciflinide  perpétuelle  entre  la  mifere  de  l'abondance  &  celle 
du  befoin. 

L'avantage  le  plus  direâ  &  le  plus  fenfible  des  Chemins  eft  pour  les 
propriétaires  des  terres.  Le  produit  net  de  la  culture,  qui  leur  appartient, 
efl  de  toutes  les  richeffes  renaiflàntes  ^  celle  fur  laquelle  la  facilité  des  Che« 
mins  a  le  plus  d'influence.  La  concurrence  qui  fe  trouve  entre  les  cultiva* 
teurs,  les  force  de  tenir  compte  aux  propriétaires  de  tout  l'accroiffement 
de  produit  net»  que  procure  l'augmentation  de  débit  &  de  prix  à  la  vente 
de  la  première  main  ,  qui  réfulte  de  la  diminution  des  frais  de  commerce. 
On  peut  donc  regarder  les  Chemins  comme  une  forte  de  propriété  com-- 
mune  ,  néceffaire  &  indirpenfable ,  pour  que  l'on  puifTe  niire  valoir  les 
propriétés  particulières  à^s  polfeileurs  du  territoire.  La  conflruâion  des 
Chemins  augmente  donc  la  valeur  des  propriétés  ;  elle  eft  donc  une 
charge  des  propriétaires ,  car  la  dépenfe  doit  être  pour  ceux  qui  retirent 
le  profit. 

Cette  dépenfe  eft  une  des  dépenfes  publiques ,  une  de  celles  pour  la* 
quelle  le  Gouvernement  levé  l'impôt.  Toutes  les  dépenfes  publiques  font 
aulli  des  charges  de  propriétaires.  Elles  le  font  dans  le  droit  \  car  elles 
tournent  toutes  au  plus  grand  profit  des  propriétaires  ,  par  la  loi  de  la 
concurrence ,  qui  oblige  tous  les  autres  citoyens  à  fe  borner  à  leur  rétri- 
bution .  &  à  la  rentrée  de  leurs  avances.  Elles  le  font  dans  le  fait  ;  car  en* 
vain  croiroit-on  en  charger  les  cultivateurs  ou  les  artifans  :  les  premiers  ne 
donnent  de  revenu  aux  poffefleurs  des  terres ,  qu'après  s'être  rembourfé  de 
l'impôt  qu'ils  ont  été  contraints  d'avancer ,  &  les  féconds  font  payer  leur 
taxe  à  ceux  qui  paient  leur  falaire. 

Lors  donc  que  les  fonds  publics  ne  fuffifent  pas  aux  dépenfes  publia 
ques,  &  que  le  Gouvernement  eft  obligé  de  demander  une  addition  d'im- 
pôt pour  completter  le  fervice  dont  il  eft  chargé  \  il  ne  vexii  y  non  plds 
Sue  pour  les  contributions  ordinaires  ^  s'adrefler  qu'aux  poiieffeurs  du  pro- 
uit  net  du  territoire.  " 

Il  y  a  pour  cela  deux  moyens.  L'un  eft  de  s'adreffer  en  effet  à  eux  di- 

Tome  XI.  Eeee 


\ 


58(  C  H  E  M  I  N  S.   ( Z7e  VAdmimJlration  des) 

èdBttmMt  :  &  par  ce  moyen  les  propriétaires  ne  paient  prëcifëmenc  qne 
la  fomme  dont  le  Gouvernement  a  befoin  ;  celui-ci  dépenfe  tout  ce  qu'il 
a  reçu  ;  l'ordre  des  travaux ,  celui  de  la  rëproduâton  »  celui  des  falaires 
reftent  dans  le  même  état;  les  autres  clafTes  de  citoyens  ne  s'apperçoivent 
feulement  pas  par  ^ui  a  été  faite  la  dépenfe  du  revenu.  Le  fécond  moyen 
eil  de  ne  s4drefl[èr  qu'indireâement  aux  propriétaires ,  en  s'adreflant  direc- 
tement à  quelqu'autre  ordre  de  citoyens  :  &  par  ce  moyen  le  Gouverne- 
ment ne  reçoit  pas  davantage  ;  les  propriétaires  paient  beaucoup  plus  y  les 
travaux  utiles  qu'exécutent  ceux  à  qui  Ton  s'adrefTe  font  interrompus  ,  la 
réproduâion  des  denrées  &  des  richeffes  diminue ,  Thumanité  entière  fouf&e 
une  pelle  fur  fes  jouiiTances  qui  amené  l'extinâion  d'une  partie  de  la 
population. 

Lorfque  les  circonftances  permettront  de  faire  un  arrangement  (blide  & 
fondamental  pour  la  conftruaion  &  l'entretien  des  Chemins,  il  eft  donc 
évident ,  que  fi  l'impôt  ordinaire  ne  fuffit  pas  à  cette  dépenfe  importante, 
elfentielle ,  indifpenfable ,  ce  devra  être  uniquement  &  direâement  les  pro- 
priétaires des  terres  qui  feront  tenus  de  fournir  la  contribution  néceilàire. 

Il  eft  fans  doute  mutile  de  dire  que  fi  l'on  avoit  un  corps  nombreux 
d'hommes  entretenus  aux  dépens  du  public ,  confacrés  au  fervice  public , 
&  néanmoins  prefque  inoccupés  pour  le  public  :  ce  corps  fembleroit  dé- 
figné  par  fa  nature  \  exécuter  ce  travail  public. 

Il  eft  fans  doute  inutile  de  dire  qu'une  femi-paie  aU-deflus  de  leur  paie 
ordinaire,  qu'il  paroitroit  jufte  de  donner  aux  ialariés  de  ce  corps  ,  lorf- 
qo'on  les  employeroit  au  travail  des  Chemins ,  leur  procureroit  une  beau- 
coup plus  grande  aifance  que  celle  dont  ils  jouiffent,  &  en  feroit  néan- 
.moins,  quant  à  cette  partie ,  de  très-bons  ouvrier-s  très-peu  coûteux  pour 
la  nation. 

Il  eft  fans  doute  inutile  de  dire  que  fi  ce  corps  de  falariés  étoit  en  mê- 
me temps  celui  des  défenfeurs  de  la  patrie ,  il  feroit  infiniment  défirable 
pour  eux,  &  par  conféquent  infiniment  avantageux  pour  l'État  qu'on  leur 
formât  pendant  la  paix  une  fanté  robufte  par  des  travaux  modérés ,  mais 
qui  demandent  de  la  vigueur  &  qui  l'augmentent  »  par  des  travaux  qui  ren- 
droient  leurs  corps  &  leurs  bras  endurcis  dignes  de  féconder  leur  courage, 
&  propres  à  foutenir  les  fatigues  de  la  guerre ,  mille  fois  plus  à  craindre 
que  fes  dangers ,  pour  les  hommes  qui  ont  été  long-temps  oififi; ,  dont  le 
défœuvrement  a  toujours  abattu  les  forces ,  &  chez  iefquels  il  a  trop  fou* 
vent  été  la  première  caufe  de  maladies  funeftes. 

Il  eft  inutile  de  dire  que  c'eft  ainfi  que  les.  Romains  formèrent  ces  re- 
doutables légionnaires  auxquels  ils  durent  ta  conquête  de  l'univers,  &  avec 


temps 
pas  encore  veatr  où  Us  doivent  contribuer  à  diriger  notre  conduite  que  des 


C  H  E  M  I  N  S.   {De  VJdminipranon  des)  ^gj 

çirconftances  particulières  ont  vraifemblablement  décidée ,  au  moins  faut-il 
convenir ,  à  la  louange  de  notre  fiecle ,  que  ce  temps  parole  approcher 
avec  rapidité. 

Mais  que  l'on  emploie  les  foldats  à  la  conftruâion  des  ouvrages  pu- 
blics ,  comme  on  Ta  fait  à  celle  du  canal  de  Briare  (a) ,  ou  qii'on  ne  les 
y  emploie  pas;  que  l'on  économife  par. ce  moyen  la  dépenle  des  Che- 
mins y  de  manière  à  rendre  la  défenfe  de  TÉtat  moins  pénible ,  plus  Aire 
&  moins  coûteufe ,  ou  que  cette  idée  refte  au  rang  de  tant  d'autres  qu'on 
applaudit  &  qu'on  néglige  \  il  n'en  fera  pas  moins  vrai  que  la  conftruâioQ 
&  l'entretien  des  Chemins  formera  toujours  un  article  de  dépenfe  dont  le 
profit  fera  pour  les  propriétaires  du  produit  net  de  la  culture ,  &  dont  la 
charge  par  conféquent  ne  peut  &  ne  doit  porter  que  fur  eux;  il  n'en  fera 
pas  moins  vrai  que  l'on  ne  pourra  leur  impofer  indireâement  cette  charge 
publique ,  fans  une  perte  immenfe  &  inévitable  pour  eux  &  pour  l'Etat. 

En  effet ,  il  efl  évident  que  fi  les  Chemins  font  mauvais ,  les  frais  du 
tranfport  des  produâions  ,  du  lieu  de  leur  naiffance  à  celui  de  leur  con- 
fommation ,  font  beaucoup  plus  confidérables ,  le  prix  de  la  vente  de  la 
premi?re  main  efl  d'autant  plus  foible ,  que  fi  le  prix  de  la  première  vente 
des  produâlons  eft  foible ,  le  cultivateur  ne  peut  donner  que  peu  de  re- 
venu au  propriétaire. 

Far  la  railon  inverfe,  il  efl  évident  que  la  conflruâion  &  Petitretien  des 
Chemins  diminuent  les  frais  de  tranfport,  affurent  par  conféquent  aux  ven« 
deurs  des  produâions  une  jouiffance  plus  entière  du  prix  qu'en  paient  les 
acheteurs  confommateurs  ;  que  les  produâions  fe  foutenant  conhamment 
à  un  prix  plus  avantageux  à  la  vente  de  la  première  main  ,  la  culture  en 
eft  plus  profitable  ;  que  la  culture  étant  plus  profitable ,  il  y  a  plus  de  con- 
currence entre  tes  entrepreneurs  de  culture ,  &  par  conféquent  plus  de  re- 
venu pour  les  propriétaires. 

Il  efl  également  évident  que  fi  au-Iieu  de  s'adreffer  direâement  aux  pro* 
priétaires  pour  la  contribution  néceffaire  à  la  conflru6lion  &  à  l'entretien 
des  Chemins ,  dans  le  cas  oi'i  l'impôt  ordinaire  ne  pourroit  pas  y  fuffire , 
on  s'adreffoit  par  exemple  aux  cultivateurs ,  &  qu'on  les  détournât  eux  & 
leurs  atteliers  de  leur  travail  productif  pour  les  employer  à  la  corvée ,  la 
rëproduâion  diminueroit  en  raifon  du  temps  perdu  par  ceux  qui  la  font 
naître.  Alors  la  part  des  propriétaires  diminueroit  inévitablement.  D'abord 


"^i 


{aS  Le  Canal  de  Briare  fut  conftniit  en  1607 ,  fous  Henri  IV ,  &  par  les  foins  du  Duc 
de  bulH.  Ces  deux  grands  hommes  qui  étotent  les  amis  & ,  pour^ainfi-dire  j  les  camarades 
de  leurs  foldats,  ne  crurent  point  les  avilir,  &  penferent,  au  contraire,  les  récompen/er« 
en  employant  fix  mille  hommes  de  troupes  à  cet  ouvrage  important  oc  patriotique j  qui 
fiit  achevé  avec  une  célérité  &  une  perfeâion  furprenantes. 

Les  militaires  de  ce  temps-là  avoient  certainement  autant  de  dignité  que  ceux  d'aujour- 
d'hui. Et  ceux  d'aujourd'hui  n'ont  certainement  pas  moins  de  patriotifme  &  de  zèle  pour 
fervir  utilement  TEtat. 

Eeee  2 


'588  é  H  E  M  I  N  s.  (De  P Aimîniflmlon  des  ) 

é 

en  raifon  de  la  diminution  (brcëe  du  produit  total.  Et  en  outrer  en  raifbn 
de  ce  que  les  cultivateurs  feroient  néanmoins  obligés  de  retirer  fur  les 
récoltes  afFoiblies ,  le  falaire  du  temps  qu^its  auroient  employé  à  travailler 
gratuitement  fur  les  Chemins  ;  de  forte  que  ce  falaire  au-Iieu  d'être  payé 
par  la  nature  ,  comme  celui  du  temps  que  les  Colons  emploient  à  leurs 
travaux  produâifs ,  feroit  néceffairement  payé  aux  dépens  de  la  part  du 
propriétaire  déjà  reffar^inte  par  la  diminution  des  récoltes. 

Nous  ne  pouvons  donc  nous  difpenfer  de  conclure ,  comme  nous  avons 
commencé ,  i  ^.  que  ce  font  les  propriétaires  feuls  qui  doivent  être  chargés 
des  dépenfès  qu^entrainent  la  conftruâion  &  l'entretien  des  Chemins ,  lorf- 
que  l'impôt  ordinaire  ne  fauroit  fuffire  ;  2^  que  dans  ce  cas  il  eft  infini- 
ment avantageux  pour  eux  de  payer  direâement  cette  dépenfe  ,  &  pour 
l'Etat  de  n'exiger  ce  paiement  que  d'eux  feuls. 

C'efl  dans  ces  deux  principes  que  condfle,  à  ce  que  je  crois»  la  théorie 
fondamentale  de  l'adminiflration  des  Chemins.  J'aurai  occafion  de  dévelop- 
per encore  mieux  leur  évidence  dans  les  paragraphes  fuivans. 

$.  I. 

'Motifs  qui  Je  font  oppofcs  à  ^arrangement  qui  feroit  le  plus  convenable  pour 
•    ajfiifer  équitablement  &  avantageufement  la  conflruâion  &  Pentretien  da 
Chemins.    Moyens  qu^on  a  pris.   Erreur  involontaire ,  mais  terrible  dans 
.    le  choix  de  ces  moyens.  Inconvéniens  de  la  corvée  en  nature. 

JL/  Ans  un  temps  très-moderne ,  il  eft  arrivé  en  France  ce  cas  extra- 
ordinaire dont  nous  avons  parlé ,  &  dans  lequel  le  Gouvernement  entraîné 
par  les  circonftances ,  s'eft  <^ru  obligé  de  confacrer  à  d'autres  ufages  la  par- 
tie des  fonds  publics  deftinée  à  la  conftruâion  &  à  l'entretien  des  Che- 
mins. Il  a  pourtant  fallu  continuer  de  faire  &  d'entretenir  des  Chemins. 
On  a  cru  qu'en  prenant  indire.âement  fur  les  propriétaires  l'impôt  néccf- 
faîre  pour  y  fubvenir  ,  il  leur  paroîtroit  moins  fenfible.  On  a  cru  que 
puifque  les  hommes  gagnoient  de  l'argent  avec  l'emploi  de  leurs  temps, 
avec  leur  travail  ,  il  étoit  égal  de  demander  du  temps  &  du  travail ,  ou 
de  l'argent.  On  a  cru  même  que  la  contribution  en  temps  &  travail  pour 
les  Chemins  leur  feroit  plus  avantageufe ,  parce  qu^en  a  cru  qu^ls  avoient 
tous  du  temps  &  la  faculté  de  fe  livrer  au  travail  de  la  corvée ,  au-liea 
qu'il  y  en  avoît  un  grand  nombre  qui  n'avoient  point  d'argent.  On  a  cru 
qu'un  impôt  levé  de  cette  manière  ne  pourroit  jamais  être  détourné  de  fa 
vraie  deftination.  Le  fouvenir  de  notre  ancien  droit  féodal  a  achevé  de 
décider  pour  la  corvée  en  nature ,  qui  parut  n'être  qu'une  rénovation.  Et 
par  une  conféquence  ,   fans  doute  trop  rapide ,  on  penfa  que  Tordre  à^ 


C  H  E  M  I  N  s.  (27e  PJJminifiratîon  des)  589 

citoyens  déjà  chargé  des  corvées  féodales  ^   devoit  être  aufli  aiTujetti  à  la 
corvée  des  Chemins  (a). 


(a)  Il  Y  a  bien  peu  d'Etats  qui ,  comme  la  Chine  &  le  Pérou,  ayent  le  bonheur  d'avoir 
été  fondes  par  des  Légiflateurs.  Tous  les  corps  politiques  de  l'Europe  ont  pris  leur  forme 
dans  des  fiecles  d'ignorance  &  de  barbarie.  Heureux  font  ceux  à  qui,  dans  la  loterie  des 
événemens  j  il  ^ft  échu  un  fond  dé  conftitucion  propre  à  les  conduire  à  la  profpérité. 
Tel  efl  en  France  l'établiflement  d'une  autorité  tutélaire  fuffifante  pour  réprimer  les  intérêts 
particuliers  défordonnés,  Ôc  celui  d'un  revenu  public  territorial ,  dans  une  proportion  affez 
forte  pour  maintenir  la  fupériorité  de  cette  autorité  néceflaire  Ôc  bienfaifante*  Mais' cette 
conflitution  avantageufe,  qui  femble  aflurer  le  fervice  public,  &  les  revenus  nécefTaires 
pour  fubvenir  aux  dépenfes  de  ce  fervice  ,  ne  s'eft  arrangée  que  par  degrés.  Nos  braves 
ancêtres  étoient  fort  ignorans  &  nullernent  propres  aux  combinaifons  qui  auroient  demandé 
des  calculs  tant  foit  peu  compliqués:  il  paroit  fur-tout  qu^ils  naimoient pas  les  (lipulations 
en  argent.  Us  ne  payoient  point  le  fervice  public  ;  ils  préféroient  de  le  niire.  Us  n'entrete- 
noîent  point  d^armées  ;  ils  alloient  à  la  guerre  en  perfonne.  Ils  n'afFermoient  point  leurs 
terres ,  ils  les  donnoient-  pour  des  redevances  en  cens ,  en  champarts ,  6c  fur- tout  en  cor- 
vées, comme  cela  fe  pratique  encore  en  Pologne.  Les  enfans  de  ceux  qui  avoient  ainfi 
reçu  des  terres  des  Seigneurs  ou  grands  Propriétaires,  à  la  charge  de  travaux  ou  corvées 
au  profit  de  ce  Seigneur  donateur ,  naifToient  attachés  à  fa  terre ,  ferfs  de  fa  glèbe.  Cette 
èfpece  de  fervitude,  dont  on  s'efl  formé  dans  nos  derniers  temps  des  idées  tort  extraor- 
dinaires, &  où  Ton  a  cru  voir  la  tyrannie  d'une  part  &  l'avilifTement  de  Tefpece  humaine 
de  l'autre ,  n'étoit  rien  moins  que  l'efclavaze.  C'étoit  comme  aujourd'hui  en  Pologne ,  un 
iîmpic  contrat  entre  le  Seigneur  qui  fournifToit  la  terre  ôc  les  avances  de  la  culture  à  celui 
qui  devenoit  fon  ferf ,  &  ce  même  ferf  qui  payoit  en  travaux  le  lover  de  la  terre  qu'il 
àvoit  reçue.  Les  héritiers  de  ce  ferf  de  la  glèbe,  qui  devenoient  ainfi  ferfs  eux-mêmes,  ne 
regardoient  point  ceh  comme  un  défavantage  ;  ils  héritoient  de  la  fervitude  territoriale  , 
parce'^qu'ils  héritoient  de  la  terre  qui  avoit  été  donnée  à  leurs  parens  fous  la  claufe  de 
cette  fervitude ,  qui  étoit  le  titre  de  leur  propriété.  On  peut  voir  par  les  monumens  qui 
flous  refleift  dans  le  Moine  du  Vieeois,  dans  Euflache  Dechamps,  &  dans  plufieurs  autres 
Auteurs  contemporains,  fur  l'opulence  &  même  fur  la  magnificence  de  ces  Seigneurs,  qui 
vivoient  dans  leurs  terres,  &  qui  y  étoie;it  eux-mêmes  les  entrepreneurs  de  la  culture, 
dont  ils  payoient  les  travaux  à  leurs  ferfs  par  les  terres  même  qu'ils  leur  concédoient ,  ou 
leur  avoient  concédées;  on  peut  voir,  dis-]e,  que  ces  arrangemens  n'étoient  pas  fort  pré- 
judiciables à  la  profpérité  de  l'agriculture,  qui  efl  la  fource  des  revenus  des  propriétaires  « 
6l  des  falaires  des  artifans.  Ces  arrangemens  afTuroient  aux  Seigneurs  la  jouifTance  du  re- 
venu de  leurs  terres  &  les  profits  de  leurs  richefTes  d'exploitation .  &  aux  colons  la  fub-» 
iiflance  &  les  gains  dus  à  leurs  travaux.  La  différence  des  avantages  6c  des  avances  faites 
par  le  Seigneur  donateur  à  ceux  qui  recevoient  fa  terre ,  a  fait  naître  la  différence  de  la 
nature  &  de  la  quotité  des  redevances  que  nous  trouvons  variées  à  l'infini.  Il  paroh  que 
lerfque  la  terre  étoit  donnée  à  quelqu'un  en  état  de  l'exploiter ,  &  à  qui  il  falloir  peu  ou 
point  d'avances  de  la  part  du  Seigneur ,  c'étoit  le  cas  des  cenfives ,  qui  ne  font  que  l'enga- 
gement d'un  loyer  perpétuel.  Il  paroit  que  lorfque  le  Seigneur  donnoit  non-feulement  la 
terre ,  mais  encore  les  befliaux  ,  les  bâtimens  &  les  inflrumens  propres  à  la  mettre  en 
valeur,  c'étoit  le  c^s  des  redevances  en  champarts  &  corvées  :  ce  qui  revient  afTez  aux 
arrangemens  qui  fe  font  encore  aujourd'hui  pour  les  terres  exploitées  par  des  métayers  , 
bii  les  propriétaires  partagent  les  récoltes  &  le  profit  des  befliaux ,  &  fournifTent  aux  mé- 
tayers les  avances  de  l'exploitation. 

'  Une  chofe  jette  beaucoup  de  confufion  fur  notre  ancienne  hifloire.  Ceux  qui  l'ont  écrite 
n'ont  pas  afTez  diflingué  la  fervitude  de  la  glèbe ,  de  l'efclavage  ou  de  la  fervitude  per- 
fonnelle  &  proprement  dite.  La  première  rélultoit  des  contrats  faits  entre  les  Seigneurs  6c 
ceux  qui  étoient  foumis  à  cette  forte  de  fervitude  ;  en  vertu  de  laquelle,  la  terre ,  la  mai- 
fon ,  les  meubles  &  les  befliaux  concédés  par  le  Seigneur  lui  revenoient  de  droit  naturel  , 
lors  de  la  mort,  fans  enfans,  de  celui  qui  les  avoit  reçus,  ou  lors  de  fon  expatriation 
abfolue  &  conflatée  5  qui  rompoit  le  contrat ,  en  privant  le  Seigneur  des  redevances ,  lef^ 


V 


^9o  C  H  E  M  I  N  S.  (  J?«  VAdminifiratîôn  des) 

II  faut  donc  rendre  aux  Adminiftrateurs,  qui  fe  déterminereot  pour  cette 
manière  de  confiruire  &  d'entretenir  les  Chemins,  la  juilice  de  croire  que 
ce  fut  avec  les  meilleures  intentions  qu'ils  prirent  ce  parti.  Mais  il  faut 
également  convenir  que  te  défaut  de  pîufieurs  connoifTances  pratiques  quM 
ne  leur  ëtoit  pas  facile  de  fe  procurer ,  pût  feul  les  empêcher  d'apperce- 
voir  quHls  tomboient  dans  une  erreur  bien  dangereufe  pour  la  profpérité 
publique.  Cinq  obfervations  importantes  &  claires  vont  démontrer  fans  ré- 
plique cette  trifte  vérité. 

i^.  La  corvée  en  nature  eft  un  impôt  qui  porte  direâement  fur  ceux  qui 


quelles  étoient,  pour^ainfi-dSre,  le  prix  de  Tefpece  de  vente  qu'il  aroît  &ite.  Cette  fervi* 
tude  territoriale  eft  la  feule  qui  peut  afluiettir ,  régulièrement  &  (ans  défaftre  »  à  des  cor- 
vées, &  par  conféquent  la  feuJe  que  nous  ayons  à  examiner  ici.  L'autre  ferTÎtude,  perTott- 
nelle  &  arbitraire ,  eft  née  de  l'abus  du  pouvoir  des  Seigneurs ,  6l  des  ufurpattons  fti» 

guentes  dans  le  défordre  des  guerres  féodales.  Ces  deux  efpeces  de  fervitude ,  l'une  légitime 
L  Tautre  iniufte  &  contraire  à  toutes  les  Loix  du  Droit  naturel ,  ont  exifté  en  même- 
temps.  Nos  hiftoriens  modernes  ont  fouvent  pris  l'une  pour  l'autre  ;  &  de-là  ,  les  difFé- 
rens  tableaux  du  gouyernement  féodal,  que  quelques-uns  ont  trouvé  admirable,  tandis  que 
les  autres  l'ont  regardé  comme  le  comble  du  délire  i  de  l'infuftice  &  de  la  barbarie.  Pour 
moi  i'ofe  croire  que  ce  gouvernement  ne  méritoit  en  lui-même ,  ni  les  éloges  outrés  qu'il 
a  reçus,  ni  les  fatyres  ameres  qu'on  eu  a  foites.  C'étoit  un  gouvernement  imparfiit  quit 
dans  fes  plus  beaux  jours ,  étoit  fufceptible  de  grands  abus  ;  mais  peut-être  moins  deftruc- 
teurs  que  ceux  qui  le  font  glifles  depuis  dans  d'autres  gouvernemens  imparfaits ,  dont  la 
forme  paroit  plus  régulière.  C'étoit  un  gouvernement  qui  fe  formoit ,  plutôt  qu'un  gou- 
yernement formé.  La  divifion  extrême  des  intérêts  «  &  le  défaut  d'autorité  tutélaire  qui 
protégeât  les  foibles  contre  les  puifians,  rendoient  la  durée  de  ce  gouveinemeot  impof- 
iible.  Les  progrès  de  la  difcipline  militaire ^  &  Tinvention  de  la  poudre  à  canon,  qui  ont 
rendu  les  guerres  plus  favantes  ,  plus  régulières  6c  beaucoup  plus  difpendieuies  ,  oot 
précipité  fa  deftruôion.  Il  n'a  plus  été  poflible  de  faire  le  fervice  militaire ,  aa  lieu  de  le 
payer.  Il  a  fallu  que  les  Souverains  euiient  des  fonds  pour  les  dépenfes  de  l'artillerie .  & 
par  conféquent  qu'ils  levaftent  des  impots.  Dès  qu'ils  ont  eu  des  impôts  réguliers  pour 
Subvenir  aux  dépenfes  de  leurs  guerres ,  ils  ont  eu  des  guerres  plus  longues  \  Ôc  pour  les 
foutenir ,  il  leur  a  fallu  des  troupes  falariées ,  attendu  que  le  fervice  féodal  le  mieux  rem- 
pli ,  n'obligeoit  que  P^r  un  temps  limité*  Dès  que  les  Souverains  ont  eu  des  troupes  k 
leur  folde,  la  Nobleul  a  brigué  de  l'emploi  dans  ces  troupes.  Dès  qu'ils  ont  levé  des 
impôts ,  les  Seigneurs  les  ont  environnés  pour  en  obtenir  des  grâces ,  &  ont  ceffé  d'être 
les  entrepreneurs  .&  les  grands  infpeâeurs  de  la  culture  de  leurs  domaines.  Alors  l'ordre 
des  fermiers ,  affociés  &  lieutenans  des  plus  grands  propriétaires  pour  le  bien  de  la  nation, 
cet  ordre  refpeâable  a  pris  naiflance  ;  les  autres  colons  ont  été  falariés.  Ces  fermiers 
paient  en  rigueur  au  propriétaire  le  fermage  des  terres  qu'ils  cultivent ,  &  Timpôt  au  Sou- 
verain ;  les  colons  falariés  ne  reçoivent  que  la  rétribution  néceflaire  pour  leur  mbfiftance , 
à  laquelle  leur  temps  &  leur  travail  font  confacrés.  Dans  cet  Etat,  la  corvée,  ou  toute 
autre  chofe,  qu'on  exigeroit  de  ces  deux  clafles  de  citoyens,  au-delà  dé  ces  arrangemens, 
ne  préfenteroit  qu'utie  exaâion  préjudiciable  à  la  profpérité  de  l'état,  &  qu'une  fubverfioa 
de  Tordre  de  la  fociété  >  ce  qu'on  n'apperçoit  point  du  tout  dans  les  droits  de  corvées  dos 

Car  les  ferfs  de  la  glèbe  à  leurs  Seîeneurs,  &  qui  étoient,  comme  ils  le  font  encore  en 
ologne ,  l'effet  d'un  contrat.  C'eft  donc  à  tort  que  l'on  a  cru  trouver  dans  les  corvées 
féodales,  une  raifon  pour  juAifier  la  corvée  des  Chemins,  puifqu'elles  ne  font  en  aucune 
manière  de  la  même  nature  ;  que  les  premières  étoient  la  fuite  de  conditions  îuftes  Â 
avantageufes  au  corvéable,  &  que  les  fécondes  ne  font  pour  lui  qu'une  furcharge  au-delà 
de  ce  qu'il  doit  &  peut  payer  à  la  chofe  publique.  Auiu  ces  dernières  font-elles  yifible* 
ment  ruineufes  pour  l'Eut,  &  les  premières  pouv oient  ne  l'être  pas. 


CHEMINS.    {De  VAdminiftration  dti  )  591 

liront  que  peu  ou  point  â'intëric  à  remploi  qu^oo  en  fait.  Nous  avons 
remarqué  que  la  principale  utilité  des  Chemins  eil  pour  les  Fropriétai* 
res  du  produit  net  de  la  culture,  &  que  la  grandeur  de  cette  utilité  eft 
en  raifon  de  la  grandeur  de .  leurs  propriétés  :  or  ce  ne  font  pas  les  pro- 

1>riétaires ,  &  encore  moins  les  grands  propriétaires ,  que  Ton  £iit  aller  à 
a  corvée. 

2®.  C'eft  un  impôt  qui  ne  porte  que  fur  unç  partie  de  ceux  au'on  y  a 
cru  contribuables.  Les  ParoifTes  limitrophes  des  Chemins  en  fupportenc 
feules  le  fardeau  qui  fe  trouve  par-là  même  infiniment  plus  lourd  pour  elles. 
3^  C'eil  un  impôt  qui  dans  les  Faroiffes  qui  en  font  chargées,  eft  né- 
ceflairement  réparti  avec  une  inégalité  invincible.  Je  m'en  rapporte  làrdef- 
fus  à  tous  ceiuc  qui  ont  été  dans  le  cas  de  diriger  cette  affligeante  répar* 
tition. 

4^  C'eft  un  impôt  qui  coûte  réellement  à  ceux  (][ui  le  fupportent ,  en 
fbmmes  pécuniaires ,  en  journées  d'hommes  &  d'animaux ,  en  dépérifle* 
ment  de  voitures,  &c.  au  moins  le  double  de  la  valeur  du  travail  qui  en 
réfulte.  On  eft  fouvent  obligé  de  commander  des  Faroiffes  dont  le  clocher 
eft  éloigné  de  trois  lieues  de  l'attelier ,  &  qui  renferment  des  hameaux  qui 
en  font  à  plus  de  quatre  lieues.  Mr.  le  Comte  de  Luberfac  attefte  même 
dans  les  excellens  Mémoires  qu'il  a  rédigés  fur  la  Frovince  de  Franche- 
Comté  ,  qu'il  a  vu  travailler  dans  cette  Frovince ,  de  malheureux  corvoyeurs 
qui  demeuroient  à  cinq  lieues  du  chemin  qu'on  les  contraignoit  de  faire. 
Le  temps  fe  perd ,  les  hommes  &  les  animaux  fe  fatiguent ,  &  les  voitu^ 
res  effuient  mille  accidens  par  des  chemins  de  traverfe  impraticables ,  avant 
d'être  arrivés  fur  le  lieu  du  travail.  II  faut  en  répartir  de  bonne  heure , 
afin  de  retourner  chez  foi.  Et  dans  le  court  intervalle  qui  refte ,  l'ouvrage 
le  Elit  avec  la  lenteur  &  le  découragement  inévitable  chez  des  hommes 
qui  n'en  attendent  point  de  falaire.  De  pareilles  journées  ne  valent  pas  une 
heure  d'un  homme  payé ,  qui  craint  qu'un  autre  ne  le  fupplante  &  ne  lui 
enlevé   fon    gagne-pain  ;  pas  une  demi  heure    d'un   foldat  bien  nourri  ^ 

2ui  travaille  au  milieu  de  fes  camarades ,  fous  les  yeux  de  fon  Supérieur , 
[  qui  efl  jaloux  de  fe  diflinguer.  Cependant  elles  coûtent  autant  que  des 
journées  utilement  employées  à  ceux  qui  en  font  les  frais»  &  en  fouffrenc 
la  fatigue. 

«^.  C'efl  un  impôt,  qui  détournant  les  cultivateurs  de  leurs  travaux  pro-* 
duâi& ,  anéantit  avant  leur  naiffance  les  produâions  qui  auroient  été  le 
fruit  de  ces  travaux;  &  qui  par  cette  déprédation,  par  cet  anéantiffement 
forcé  de  produâions ,  coûte  aux  Cultivateurs ,  aux  Fropriéraires  il  à  l'E- 
tat, cent  fois  peut-être  la  valeur  du  travail  des  corvoyeurs.  Ce  n'efl  que 
dans  nos  villes,  ce  n'efl  qu'au  fein  dé  la  plus  profonde  ignorance  des  tra* 
vaux  champêtres ,  qu'on  avoir  pu  fe  former  Tidée  de  prendre  d'ordonnance 
les  journées,  les  voitures,  &  les  animaux  de  travail  de  ceux  qui  exploitent 
les  terres  j  de  ceux  qui  font  renaître  Timpôt  du  Souverain  |  les  revenus  des 


5^2  CHEMIN  s:'  (  De  t Adminîjiration  des) 


qui  ont  inventé  cette  expreflion  croyoient  fans  doute  que  le  travail  de  la 
terre  ie  bornoit  à  femer  &  à  recueillir.   Us  ne  favoient  pas,  qu'excepté 
les  grandes  gelées ,  qui  ne  forit  pas  des  temps  propres  pour  travailler  aux 
Chemins,  &  qui  font  même  confacrés  à  une  multitude  de  travaux  indif- 
penfables  pour  les  Fermiers ,  tout  le  reifle  de  Tannée  eft  employé  à  la  pré- 
paration des  terres  ;  qu'il  h\xt  que  tous  les  jours  l'entrepreneur  de  culture 
examine  le  temps  qu'il  &it  pour  fe  déterminer  fur  le  lieu  &  la  nature  da 
travail  qu'il  doit  commander.  Telle  terre  veut  être  labourée  dans  la  plus 
grande  chaleur  ;  telle  autre  dans  un  temps  fombre,  telle  autre  dans  un  jour 
tout-à-fait  humide ,  telle  autre  avant  ou  après  la  pluie ,  &c.  il  ne  feroit 
pas  podible  au  plus  habile  Cultivateur  de  dire  deux  jours  à  l'avance ,  s'il 
aura  ou  n'aura  pas  un  preiTant  befoiu  de  fon  attelier  le  furlendemain.  Com- 
ment donc  des  gens  qui  n'entendent  rien  à  fon  art  &  à  (a  phyfique ,  pour- 
roient-ils  lui  prefcrire  des  jours  de  morte  faifon  ?  Quand  par  hafard  ils  ren- 
contreroient   jude  pour  un   ou  deux  feulement,  comment  le  feroient-ils 
pour  tout  un  Pays,  oii  du  côté  d'une  haye  à  l'autre  ,  la  différence  de  la  na- 
ture du  fol  oblige  un  laboureur  à  forcer  de  travail ,  tandis  que  (on  voiiki 
ne  peut  rien  faire.  Il  y  a  des  terres  qui  ne  peuvent  plus  recevoir  un  bofl 
travail ,  lorfqu'on  a  manqué  le  moment  favorable  ;  la  récolte  de  ces  terres 
devient  alors  extrêmement  foible ,  quelquefois  nuUei  ;  comment  évaluer  de 
pareilles  pertes  ?  Telle  journée  de  Laboureur  vaut  la  fubfiftance  d'unç  fa- 
mille t  &  plus  de  cent  écus  de  revenu  à  l'Etat.  Sur  vingt  atteliers  qui  fe- 
ront  commandés  pour  la  corvée,  &  qui  feront  une  dépenfe  de  dix  piftoles 
&  un  travail  de  cinquante  francs ,  on  peut  évaluer  qu'il  y  en  a  -dix  qui 
perdent  des  journées  de  cette  efpece;  par  conféquent  l'£tat  y  fait  une  perte 
évidente  de  fix  mille  pour  cent  {a)\ 

Cette  perte  retombe  en  entier  fur  le  produit  net  de  la  culture,  comme 
nous  l'avons^  démontré  ci-devant,  &  comme  nous  pourrons  encore  le 
démontrer  dans  la  fuite  ;  car  il  efl  des  vérités  fi  importantes  &  néan- 
moins fi  négligées,  que  les  vrais  Citoyens  ne  peuvent  ni  ne  doivent  fe 
lafTeir  de  les  répéter  &  de  les  repréfenter  fous  toutes  les  faces  pofGbles 
aux  Leâeurs, 

Mais  il  efl  à  remarquer  que  dans  le  produit  net  de  la  culture ,  le  Soa« 


{a)  Une  perfonne  refpeftable  a  penfé  que  cette  évaluation  étoit  trop  forte.  Je  fuis  pv- 
faîtement  convaincu  qu'en  cela  cette  perfonne  s'eA  trompée  t  mais ,.  quan^d  on  en  rabattroit 
îa  ipoitié ,  quand  on  en  rabattroit  les  trois  quarts ,  ne  feroîc^ce  rien ,  qu'une  perte  de  quinie- 
(çnts  pour  cent  ^^ fur  un  travail  public?  £t  cela  ne  crieroit*il  p^s  iiiffifaminent  au  remède.^ 

veraîa 


C  H  É  M  r N  s.  '(  I>«  PAdmÎHtJlranon  des)  59} 

verain  a  &  doit  avoir  une  part  {proportionnelle.  Nos  ufages  aâuels  ont 
fixé  cette  part  aux  deux  fepciemes  du  produit  net;  portion  très- forte,  qui 
iburniroit  un  revenu  immenfe  &  plus  que  fuffifant  pour  les  dépenfes  publi* 
ques,  dans  un  Royaume  où  le  commerce  feroit  liore  &  immune,  &  par 
conféquent  le  territoire  bien  cultivé.  Or ,  fi  le  Souverain  a  dans  notre 
pays,  la  jouiflànce  des. deux  feptiemes.  du  produit  net  de  notre  culture,  il 
s'enfuit  que  lorfque  par  TefFet  d'un  travail  de  cent  francs  que  l'on  a  fait  faire 

1>ar  corvées  aux  cultivateurs ,  ce  produit  net  fe  trouve  diminué  de  fix  mille 
ivres;  le  Fifc  public  y  perd  pour  fa  part  plus  de  1,700  livres. 

Il  eft  encore  à  remarquer  que  cette  perte  énorme  fur  le  produit  net  de 
la  culture  &  fur  le  revenu  public  de  la  Nation ,  réfulte  d'une  extinébon  de 
produit  total ,  d'un  anéantiflement  de  productions  qui  auroiént  exifié ,  fi  la 
corvée  n'avoit  intercepté  les  caufes  de  leur  exiflence.  Mais  il  ne  peut  y 
avoir  de  diminution  foutenue  dans  la  mafie  des  produâidns  &  dés  revenus  ^ 
fans  qu'il  arrive  une  diminution  proportionnelle ,  &  forcée  par  la  mifere , 
dans  fa  population.  Une  fomme  de  fix  mille  francs  ,  en  produâions  annuel*- 
les ,  auroir  fait  fubfifler  dix  familles ,  qui  font  d'abord  condamnées  à  la 
mendicité,  à  l'émigration  ou  au  fupplice ,  par  l'interruption  irrémédiable 
des  travaux  produoiis  auxquels  on  enlevé  les  corvoyeurs ,  pour  les  envoyer 
fur  les  Chemins,  faire  un  travail  fiérile  de  la  valeur  de  cent  francs.  Bien^- 
tôt  ces  dix  malheureufes  familles  celfent  de  renaître  fur  un  fol  qui  leur 
refufe  la  pâture. 

Qu'on  calcule  combien  de  toifes  de  Chemin  on  peut  faire  avec  cent  francs  ; 
combien  de  fois  il  faut  répéter  cette  dépenfe  fur  les  grandes  routes  de  Fran* 
ce,  &  l'on  fe  formera  une  idée  des  pertes  que  caiufe  la  corvée,  cette  con- 
tribution établie  fur  ceux  qui  ont  le  moins  d'intérêt  à  la  payer ,  inégale 
par  fa  nature  dans  fa  répartition  générale ,  inévitablement  inégale  dans  fa 
répartition  particulière,  difpendieufe  à  l'excès  dans  fa  perception ,  &  pro- 
digieufement  defiruélrice  des  revenus  des  Propriétaires  &  du  Souverain ,  & 
de  la  population  du  Royaume,  On  concevra  combien  il  y  auroit  de  profits 
pour  la  Nation ,  pour  le  Gouvernement ,  pour  les  Propriétaires ,  fi  ces  der- 
niers  étoient  feuls  tenus  de  fubvenir  à  la  dépenfe  des  Chemins ,  lorfque 
l'impôt  ordinaire  n'y  peut  fuffire  ;  &  fur-tout  fi  l'on  employoit  alors ,  à 
ce  iervice  public ,  les  troupes  dont  il  accroitroit  la  vigueur  &  la  fanté-^  & 
qui  n'auroient  pas  befoin  d'un  falaire  au(fi  fort  que  d'autres  ouvriers,  qui 

ii'onrpas  d'avance  leur  fubfiftance  afliirée  comme  le  foldatt 


Tome  XL  IBlîi 


f  94  G  H  £  M  I  N  S.  (  23^  PAdminifiration  des  ) 

î.    I  I. 

Difficultés  qui  pourroient  s^oppoftr  aujourffhui  à  Pitabltffimcnt  de  la  meiUeun 
manière  pojfible  de  fubvenir  aux  dipenfes  de  la  conflruâion  &  de  Pentret'un 
des  Chemins.  Ignorance  des  Propriétaires^  dont  il  faut  triompher  en  leur 
manifefiant  V évidence  de  leur  propre  intérîft.  Nécejfiti  de  prendre  au  moins 

.    un  parti  provifoire» 

J^^'Afri^s  ce  que  nous  venons  d^expofer,  tous  nos  leâeurs  iêntent 
vraifemblablement  la  néceflité  de  renoncer  le  plutôt  qu^il  fera  pofliible  au 
moyen  ruineux  de  faire  les  Chemins  par  corvée  ;  &  la  plupart  d^entr'eux 
créent  fans  doute  au(H  qu'il  efl  fort  aifé  de  prendre  tout  de  fuitfe  la  mé- 
thode la  plus  naturelle.  Mais  cette  féconde  partie  de  nos  leâeurs  oublie 
que  chez  toutes  les  nations  les  vérités  les  plus  utiles  ont  befoin  d'être 
long-temps  démontrées  {  avant  qu'on  puiife  fe  déterminer  à  les  adopter 
pour  unique  règle  de  conduite. 

Le  plus  grand  nombre  des  propriétaires  du  produit  net  de  la  culture, 
ignore  encore  en  France  que  toutes  les  impositions  retombent  fur  eux , 
&  qu'elles  y  retombent  avec  une  furcharge  proportionnée  \  l'étendue  du 
circuit  qu'elles  ont  fait  avant  de  revenir  aux  propriétaires.  Ils  ne  (kveiit 
point  que  celtes ,  particulièrement ,  qui  portent  fur  les  cultivateurs ,  &  qui 
ne  diminuent  le  revenu  qu'après  avoir  détruit  une  partie  de  la  réproduc* 
non  des  richefles  renaiffantes ,  font  les  plus  redoutabfes;  que  ce  font  elles 
qui  ruinent  les  fermiers ,  qui  dégradent  les  terres ,  qui  les  font  retomber 
entre  les  mains  des  propriétaires ,  efFruitéés ,  dépaillées  «  hors  d'état  de  pro* 
duire  uii  bon  revenu,  fans  des  dépenfes  extrêmes,  que  le  propriétaire  ne 
iauroit  faire,  que  nul  cultivateur  ne  voudroit  ni  ne  pourroit  entreprendre 
qu'en  diminuant  le  fermage  à  proportion ,  &  qui  trop  fouvent  font  un  obt* 
tacle  invincible  à  la  bonne  culture;  attendu  que  les  mêmes  caufes  qui 
ent  ruiné  le  fermier  d'une  terre  réduite  à  cet  état ,  ont  auffi  diminué  Ii 
fortune  des  autres  ,  &  ont  fait  naître  l'efpece  de  pauvreté  la  plus'trifle, 
la  plus  redoutable  &  la  plus  irrémédiable  pour  un  pays,  celle  qui  ré« 
fiiUe  du  défaut  des  richeffes  d'exploitation.  Loin  de  condoitre  c&  vérités, 
lés  propriétaires  cherchent  toujours,  &  par-tout,  à  éluder   l'impôt  {a).  Dans 


M 


{a)  En  Angleterre  même  ,  oii  ils  ne  paient  guère  dîreâement  que  quatorze  deniers 
pour  livre  de  leur  revenu,  ils  croient  être  franc  du  refte.  Ils  ne  s'apperçoivent  pas  qu'ils 
font  écrafés  par  des  impohtiont  indireâes,  par  des  accifes  qui  leur  coûtent  le  double  de 
ce  qu'elles  rapportent  à  l'Etat,  &  qui,  par  leur  variation,  expofem  leurs  fermiers  au 
danger  terrible  oonr  eux ,  pour  les  propriétaires  &  pour  la  nation  ,  de  ne  pouvoir  évaluer, 
en  contraâant  leurs  baux,  les  charges  dont  leur  exploitation  fera  grevée:  ce  qui  les  oblige 
4  payer  fouvent  ces  charges  aux  dépens  de  leurs  avances,  &  ce  qui  eit  ainfi  une  caufe 
perpétuelle  &  fourde  d'appauvriifement  pour  cette  ifle  célèbre ,  qui  n*a  encore  TU  que  U 
moitié  du  chemin  qui  devgit  la  couduirç  à  une  profpérité  foiide. 


C  H  E  M  I  N  s.  ( i7<  PAdminiftration  dts }  $9$ 

• 

des  temps  d'orage  &  de  fubvention ,  où  chacun  doit  ftire  efibrt ,  nt  quiâ 
Rtfpubltca  dctrimcnti  paiiatur ,  rétabliflèineht  d'un  vingtième  leur  caufe 
la  .plus  grande,  feniibilité.  Mais  ils  voient  toujours  avec  indifférence  accroî- 
tre les  autres  impofirions ,  &  jnéme  les  tailles ,  qui  font  prifes  direâement 
aux  dépens  de  leur  revenu ,  ou ,  ce  qui  eft  bien  plus  fréquent  &  bien 
plus  redoutable  encore ,  aux  dépens  &  en  dèilruâion  des  feules  richelTes 
qui  puiifent  faire    naître  leur  revenu. 

Lors  des  augmentations  de  taille  y  les  propriétaires  ont  le  choix  de  deux 
partis  :  celui  de  -dédommager  leurs  cultivateurs  de  la  furcharge  caufée  par 
cette  augmentation;  ou  celui  de  laifTer  les  cultivateurs  fe  retourner  comme 
ils  pourront,  afin  de  faire  face  à  cette  furcharge  imprévue.  Si  les  pro* 
priétaires  étoient  d'humeur  à  fe  déterminer  pour  le  premier  arrangement, 
qui  feroit  le  plus  iage,  ils  s'occuperoient  tout  autant  des  augmentations 
de  la  taille ,  qu'ils  le  font  aujourd'hui  de  celle  du  vingtième  ;  car  ces  deux 
augmentations  d'impofition  produiroient  vifiblement  pour  eux  le  même 
effet.  Ils  embraffent  ordinairement  le  dernier  parti,  foit  par  pure  négti« 
gence ,  foit  par  un  mouvement  de  cupidité,  d'autant  plus  condamnable 
qu'elle  a'efl  pais  éclairée.  Mais  en  fe  livrant  à  ce  parti  funefle  pour  eux- 
mêmes  ,  pour  le  Souverain ,  pour  la  nation  entière ,  ils  n'envifagént  pas 
les  conféquences  ;  ils  ne  fongent  point  que  dans  les  conventions  qu'ils  ont 
faites  avec  leurs  cultivateurs,  ils  ont  exigé  eii  rigueur  d'être  payés  par 
ceux-ci  de  tout  le  produit  net  de  leurs  terres,  l'impôt  ordinaire  prélevé, 
&  qu'ils  ne  leur  ont  laiffé  que  la  jouiffance ,  fouvent  bien  exiguë ,  des  re« 
prifes  indifpenfablement  néceflàires  à  la  culture^  que  les  cultivateurs  ainfî 
réduits  à  leurs  reprifes  ilriâes ,  ne  peuvent  payer  aucun  impôt  qu'en  dimi- 
nuant d'autant  leurs  dépenfes  produâives;  que  la  diminution  des  dépen-^ 
fes  produâives  néceflite  la  diminution  des  récoltes  \  que  cette  diminution 
de  récolte  tourne  forcément  &  en  entier  au  préjudice  de  la  part  du  pro- 
priétaire ,  fi  le  cultivateur  peut  renouveller  fes  conventions  ,  ou  refle  en-^ 
core  à  la  charge  du  cultivateur,  fi  celui-ci  efl  lié  par  des  engagemens 
pofitifs;  que  dans  ce  fécond  cas,  la  diminution  des  récoltes,  qui  ne  dif- 
penfe  pas  de  payer  les  mêmes  fommes  aux  propriétaires,  forme  pour  les 
cultivateurs,  une  nouvelle  furcharge  ajoutée  à  celle  de  l'augmentation  d'im* 
pôt  qu'ils  n'avoient  pas  prévue ,  ni  dû ,  ni  pu  prévoir  j  que  cette  nou-* 
velle  furcharge  s'accumule  &  redouble  d'année  en  année,  par  les  diminua 
tions  de  récoltes  dont  elle  efl  la  caufe  immédiate ,  &  qu'il  en  réfulre  une 
deflruâion  énorme,  rapide  &  progreffive  de  richeffes ,  qui  retombe  né- 
ceflairement  à  la  fin  fur  les  propriétaires,  &  dans  laquelle  on  trouve  une 
branche  trés-confidérable  de  l'arbre  généalogique  des  fermes  ruinées ,  des 
terres  effruitées  &  dégradées,  dés  friches. 

Si  les  propriétaires  font  fî  peu  d^attention  à  ces  vérités  terribles,  ce  n'efl 
pas  qu'elles  foient  fort  difficiles  à  appercevoir.  Il  ne  faut  certainement 
pas  un  grand  effort  d'efprit  pour  comprendre ,  qu'en  fuppofant  que  le  bien 

Ftffz 


iÇ9^  C  H  E  M  I  N  S.  (  Te  T AdmlniftratiM  des) 

Îmblic  exigeât  aécefTairement  la  levée  d^un  Teprier  de  bled  de  plus  tp^, 
'ordinaire  ^  fur  le  produit  d'une  telle  ferme ,  u  le  propriétaire  aonne  un 
feptier  à  la  place  de  fon  cultivateur ,  il  ne  perdra  que  ce  feptier ,  dont  le 
bien  public  exige  le  facrifice  ;  mais  que  s'il  lailfe  prendre  ce  feptier  fiir 
les  femences  qui  auroient  produit  fix  pour  un»  le . cultivateur  iemera  un 
feptier  de  moins,  &  la  récolte  fera  de  fix  feptiers  plus  foible^  ce  qui  re- 
tranchera d'abord  la  noucriture  de  deux  hommes  dans  PEtat.  Il  ell  tout 
auffi  vifible,  que  dès  que  la  récolte  fera  de  fix  feptiers  plus  foible,  le  pro- 

Îiriétaire  ne  pourra  juftement  exiger  du  cultivateur  le  paiement  de  ces  fix 
bpticrs,  qui  n'exifteront  pas,  &  qu'il  perdra  donc  fix  feptiers  de  revenu, 
pour  avoir  imprudemment  refufé  d'en  donner  un.  Il  eft  encore  palpable, 
que  fi  le  propriétaire ,  autorifé  par  un  bail ,  dont  Icl  Gouvernement  garait* 
droit  les  conditions ,  hute  de  s'appercevoir  que  p^  la  levée  d'un  feptier 
fur  les  femences,  il  en  auroit  rendu  l'exécution  impoffible;  qye  fi  le  pro- 
priétaire, à  la  faveur  d'un  tel  bail,  &  de  la  pfoteâion  peu  éclairée  de 
l'autorité ,  force  le  cultivateur  à  payer  ces  fix  leptiers  ,  qu'il  ne  doit  pas 
félon  la  juftice  naturelle,  le  cultivateur  ne  pourra  fubvenir  à  ce  paiement, 
4]u'en  retranchant  fix  autres  feptiers  fur  fes  femences  prochaines ,  Iefqael« 
les  fe  trouveront  donc  de  fept  feptiers  plus  foibles  qu^  l'ordinaire  ;  (avoir, 
un  feptier  pour  l'augmentation  d'impôt ,  &  fix  feptiers  pour  le  propriétsûre 
injufie  &  peu  réfléchi,  qui  n'aura  pas  voulu  dédommager  fbn  cultivateur 
de  l'impôt,  ni  même  de  la  perte  caufée  par  cet  impôt  deftruéleiir  ;  or^ 
fept  feptiers  de  moins  fur  les  femences ,  cauferont  l'année  fuîvante  une  di« 
minution  de  quarante-deux  feptiers  fur  la  récolte ,  &  par  confisquent  fur 
le  revenu  du  propriétaire  qui  auroit  évité  cette  perte-en  payant  d'abord 
un  feptier ,  &  qui  ne  pourroii  la  reculer ,  fans  l'aggraver  encore  dans  la 
même  progrefiion  chaque  année  de  la  durée  de  fon  bail. 
.  Ces  conféquences  font  évidemment  inconteftables.  Elles  (ont  à  la  portée 
de  tout  le  monde ,  parce  que  tout  le  monde  fait  que  les  récoltes  ne  peu- 
vent  exifier  fans  que  l'on  ait  commencé  par  femer.  Mais  les  femences 
ne  font  pas  la  feule  condition  néceffaire  à  l'e}âfience  des  récoltes  :  il  faut 
des  travaux  qui  préparent  la  terre  à  recevoir  ces  femences  ^  il  (aut  des  en- 
grais qui  réparent  &  renouvellent  les  fucs  nutritifs  de  la  terre,  afin  que 
ces  femences  fruâifient  :  voilà  ce  que  perfonne  n'ignore  entièrement ,  & 
ce  que  trés-peu  de  gens  fe  rappellent  dans  Toccafion.  Si  au  lieu  de  re* 
trancher  les  femences ,  on  retranchoit  les  labours  qui  détraifent  les  mau* 
vaifes  herbes ,  qui  ameubliffent  la  terre ,  qui  en  préfe9tent  fucceifivemeQt 
}es  différentes  parties  aux  influences  de  l'air  par  lequel  elles  font  fécon- 
dées ,  on  auroit  peu  ou  point  de  récolte.  Si  en  laifTant  les  femences  & 
les  labours,  on  retranchoit  les  engrais  qui  fomentent  les  fels  de  4a  terre, 
&  qui  y  ajoutent ,  les  terres  feroient  bientôt  éputfées ,  &  les  récoltes  de* 
viendroient  fi  chétives  qu'elles  ne  vaudroient  pas  les  frais.  C'efl  ce  qui 
arrive  quand  les  cultivateurs  font  chargés  de  quelque  impofition  imprévue. 


C  H  E  M  I  N  S.  '(  DcPAdminiJfration  des)  597 

Ils  ne  fupprîment  pas  d'abord  leurs  femences,  comme  nous  venons  de  le 
fuppofer  pour  rendre  la  chofe  plus  fenlîble  aux  leâeurs  peu  au  fait  de  ces 
matières  ;  mais  ils  vendent  une  partie  de  leurs  beftiaux ,  ce  qui  les  pri« 
.ve  des  fumiers  néceflaires;  ils  fe  défont  de  leurs  bons  chevaux  pour  en 
acheter  des  médiocres ,  qui  ne  font  les  travaux  ni  aufli  vite ,  ni  auffî  bien  ; 
ils  prennent  des  domefliques  moins  chers  &  moins  intelligens  ;  au  lieu  de 
donner  quatre  bons  labours  \  leurs  terres ,  ils  n'en  donnent  que  trois  lé- 
gers. Les  terres  font  mal  préparées  &  mal  fumées ,  les  récoltes  décroiflënt 
néceflàirement ,  comme  fi  l'on  avoit  fouftrait  une  partie  des  femences.  Et 
fi  le  propriétaire  n'y  met  ordre  en  fe  chargeant  de  l'impôt ,  les  récoltes 
&  les  moyens  du  laboureur  diminuant  d'année  en  année  \  celui-ci  fe  voie 
•contraint  par  degrés  de  fubfiituer  aux  chevaux  médiocres ,  des  harridel- 
les;  aux  harridelles,  des  bœufs j  aux  bœufs,  des  vaches;  auS  vaches,  des 
ânes  ;  aux  ânes ,  des  femmes ,  telles  que  j'en  ai  vues  attelées  à  la  charue 
•près  de  Montargis.  Force  vient,  dans  le  cours  de  cette  dégradation,  de  di^ 
minuer  enfin  les  femences  même  ;  &  nos  meilleurs ,  nos  plus  fages  Ecri^ 
vains  d'agriculture  pratique ,  font  réduits  aujourd'hui  à  confeiller  à  nos  la« 
boureurs  d'enfemencer  moins  de  terrein  que  ne  fàifoient  leurs  pères,  afin 
de  mieux  proportionner  leurs  entreprifes  à  l'étendue  de  leurs  facultés  dé- 
périeres  {a).  La  plupart  des  propriétaires  font  tranquilles  fur  cette  deflruc- 
tion  progreifive  &  funefie.  Ils  ne  voient  point  que  rien  ne  leur  importe 
davantage.  Et  s'ils  ne  fe  croient  pas  intéreffés  aux  effets  fi  groffîérement 
évidens  des  augmentations  de  taille  qu'ils  laifieot  fupporter  aux  cultivateurs 
de  leurs  domaines,  on  peut  juger  qu'ils  font  encore  bien  plus  loin  de  com- 
prendre que  toutes  les  autres  impotitions  qu'ils  ne  paient  pas  direâement 
fur  leur  revenu ,  produifent  des  dégradations  également  deftruâives  de  ce 
revenu  ;  &  qu'il  leur  feroit  ainfi  trés^avantageux  de  fe  charger  de  payer 
eux-mêmes  au  Fifc,  la  valeur  de  ces  impofitions.  Il  eft  facile  d'augurer  de- 


(tf)  Voyez  rAgrîcult.  par  écon.  de  M;  Maupin. 

Dans  le  pays  de  Vignoble,  la  dégradation  fuit  une  marche  différente,  maïs  qai  revîeKt 
au  même  pour  les  conféquences.  Le  vigneron  qui  fe  trouve  furchargé  par  un  impôt  im-» 
prévu,  n'a  plus  le  moyen  de  payer  aiïîez  de  journaliers  ,  ni  afliez  habiles,  ni  celui  de  fe 
procurer  des  fumiers  en  quantité  fuffifante.  La  vigne  mal  façonnée  ôc  mal  fumée  produit 
moins.  Le  vigneron  appauvri  par  la  diminution  des  récoltes,  qui  fe  joint  à  la  furchargé, 
ne  peut  faire  les  frais  d'une  vendange  dirigée  avec  une  lenteur  intelligente;  il  ne  peut  faire 
trier ,  &  encore  moins  égrapper  le  raifm  ;  le  vin  devient  plus  mauvais.  La  diminution  de 
Qualité  6l  de  quantité  le  met  hors  d'état  d'acheter  du  bon  plant,  quand  il  faut  renouveller 
la  vigne.  Il  en  vient  enfin  à  être  obligé  de  cultiver  quelques  arpens  de  mauvais  bled  noir, 

Sour  fe  procurer  la  fubfiAance  que  la  médiocre  valeur  de  fon  vin  lui  refufe.  Les  vignes 
égradées  &  en  quelque  façon  abandonnées ,  deviennent  dans  un  état  prefque  fauvage  ; 
rempantes,  fi  elles  ne  trouvent  point  où  s'accrocher  i  en  hantins,  fi  elles  rencontrent 
quelques  arbres.  A  la  récolte  on  cueille  rapidement  tout  le  raifin ,  verd ,  mûr  pourri , 
comme  il  fe  trouve;  on  le  jette  dans  une  cuve  oii  on  le  laifle  bouillir,  .&  de  laquelle  il 
fort  du  vin  comme  il  plaît  à  Dieu.  Et  le  revenu  de  la  plus  riche  culture  du  terricoiie  eft 
alors  réduit  à  zéro  ;  ou  bien  peu  s'en  faut. 


59^  C  H  E  M  I  N  S.   (  DctAdtnlnijifatïondts) 


Subvenir  à  U  dépecife  de  la  conftruâion  &  de  rentrètîen  des  Chemins. 
Nos,.en&Qs  auront  peiae  à  fe  le  perfiiader;  mais  il  n'eft  malheureufemeot 
<{ue  crap  vrai,  que  dans  ce  fiecle  lettré,  U  y  a  encore  en  France  très- 
peu  de  propriétaires  aflèz  inftruits  pour  né  fe  pas  croire  léfés ,  fi ,  en  fup«* 
primant  les  corvées,  on  établilTott  &  répartiflbit  aujourd'hui  fur  eux,  au 
marc  la  livre  de  leurs  vingtièmes ,  l'impofition  néceflkire  à  la  conftruâion 
&  à  Teotretiep  des  Chemins;  quand  même  cette  impofition  feroit  réduite 
au  taux  le  plus  bas  qu'il  feroit  poffible ,  &  quand  pour  Palléger  en  éco- 
nomifant  la  dépenfe ,  comme  pour  entretenir  les  forces  &  l'aâivité  du  fol- 
dat,  on  pretidroit  enfin  le  parti  d^employer  les  troupes  à  cet  ouvrage  ^ 
dont  l'importance  e(l  digne  de  leur  dévouement  pour  4a  chofe  publique. 
Les  préjugées  &  les  oppofitions  de  ces  propriétaires  peu  éclairés  céde- 
roient  fans  doute  à  la  preuve  évidente  des  avantages  qu'ils  trouveroient  à 
l'abolition  des  corvées.  Ceux  d'entr'eux  qui  veulent  réfléchir,  concevroieot 
à  la  fin,  que  les  charges  qui  portent  fur  leurs  fermiers,  fur  leurs  méuyers 
Si  fur  tous  les  autres  ouvriers  employés  direâement  ou  indireâement  à 
la  culture  de  leurs  domaines ,  diminuent  au  moins  d'autant  le  produit , 
qu'eux  propriétaires  en  retirerotent  fans  ces  charges  ;  &  que  par  conféqueot, 
fi  elles  caufènt  à  ceux  qui  en  fi^nt  les  avances  un  préjudice  plus  grand  que 
n'eft  la  valeur  effèâive  de  ces  charges ,  elles  font  plus  nuifibles  aux  pro- 
priétaires que  ne  le  leur  feroit  le  paiement  direâ  de  cette  valeur  efTeoive, 
Et  quand  on  leur  auroit  démontré,  comme  je  tache  de  le  faire  dans  cet 
article,  &  plus  clairement  encore,  s'il  eft  poflible,  que  la  corvée  caufe 
en  effet  à  ceux  qui  y  font  affujettis ,  un  dommage  progreffîf  infiniment 
au*de(fus  de  la  valeur  des  Chemins,  &  des  dépenfes  que  coûteroit  leur 
conftruâion  &  leur  entretien  à  prix  d'argent;  quand  on  leur  auroit  prouvé 
qu'un  travail  qu^ils  pourroient  Taire  faire  pour  cent  francs  à  des  ouvriers 
ordinaires,  que  ce  même  travail,  lorfqu'il  eft  exécuté  par  leurs  cultiva- 
teurs, au  préjudice  de  l'exploitation  de  leurs  terres,  les  prive  de  trois 
mille  quatre  cents  livres  de  leurs  revenus  {a) ,  il  eft  certain  que  tous  les 


{a)  On  eRime  que  le  produit  net  de  la  culture  fe  partage  de  manière  que  les  propri^ 
taîres  des  terres  ont  les  quatre  feptiemes,  Timpôt  deux  feptîemes ,  &  la  dirme  un  feptîcme. 
Sur  un  anéantiffement  de  fix  mille  francs  de  produit  net  caufé  par  la  perte  du  temos  qu'an- 
roient  employa  à  la  culture  des  Colons  qu'on  en  détourne  pour  faire  fur  les  Chemins 
un  travail  de  cent  francs,  il  y  a  donc  environ ,  1700  liv.  de  perte  pour  le  Roi,  1400  livres 
pour  les  propriétaires  ôc  850  livres  pour  les  décimateurs.  Il  eft  évident  par-Ia,  que  ces 
derniers  qui  ont  un  très-grand  intérêt  à  la  conftruftion  &  à  l'entretien  des  Chemins  pour 
débiter  avantageufement  leurs  dixmes^  &  qui  fouffrent  une  perte  fi  confidérable  parles 
conféquences  de  la  corvée ,  doivent  concourir  ,  à  raifon  de  cet  intérêt ,  à  la  contribution 
néceflaire  pour  fuppléer  à  la  corvée  &  pour  accroître  leurs  revenus,  en  conftruiiânt  & 
repawnt  Içs  Chemins  à  prix  d'argent. 


ClfBUIKS.  (De  VAdminiJlratiôîidês  >  599 

propriétaires  fenfés  préfëreroient  la  dépeniè  direâe  des  Chemins  néceflTai- 
res ,  à  rarrangemenc  aâuel ,  ou  les  corvées  caufenc  une  déprédation  tou- 
jours renaillante , .  &  toujours  multipliée  aux  dépens  de  leurs  richefles  an- 
nuelles. Mais  il  faut  s'attendre  que  cette  réfolution  des  propriétaires  du 
produit  net  de  la  culture ,  ne  le  formera  que  lentement  &  par  degrés  ; 
car  entre  la  démonflration  évidente  &  la  perfuafion  universelle ,  il  y  a 
loin  pour  une   nation  qui  fort  à  peine  des  ténèbres  de  l'ignorance  fur  les 

E oints  les  plus  ellèntiels  à  fon  bonheur,  &  chez  laquelle  un  grand  nom* 
re  de  caufes  publiques  &  morales  ont  formé  de  la  plus  confîdérable 
partie  des  propriétaires ,  une  clalfe  mixte ,  occupée  de  toute  autre  chofe  ^ 
que  du  foin  de  veiller  au  bien  de  fes  propriétés  territoriales. 

Il  faut  cependant,  gouverner  les  peuples  félon  leur  cœur,  comme  dir 
récriture  fainte  ;  &  de  ce  principe  de  condefcendance  fage ,  eft  vraifem- 
*blablement  née  la  circonfpeâion  avec  laquelle  l'adminiftration^  marche 
toujours,  même'  vers  le  bien.  Il  eil  plus  agréable  de  faire  vouloir  que  de 
commander  \.  &  quand  on  ne  veut  ordonner  que  des  chôfes  utiles ,  il  n'efl 
point  de  marche  plus  fûre  que  de  manifcfter  l'évidence  de  ieur  utilité , 
avant  de  faire  parler  les  loix.  La  liberté,  que  les  lumières  &  la  bienfai-^ 
&nce  du  gouvernement  laiffent  depuis  quelque  tenips,  d'écrire  fur  tes  ma-^ 
tieres  qui  importent  au  bien  public,  conflatera,  j'ofe  le  croire,  la' nécefllité 
de  fuivre  entièrement  par  rapport  aux  Chemins,  les  principes  que  j'ai  ex-^ 
pofés  dans  la  première  feâion  de  cet  article.  Quand  ces  principes  au- 
ront été  fuffifamment  difcutés,  quand  le  (ilence  ou  la  défaite  des  contra- 
diâeurs  qu'ils  pourroient  encore  trouver  »  auront  fait  voir  que  la  partie  la 
plus  considérable  de  la  nation  les  adopte;  alors,  fans  doute,  une  loi  gé- 
nérale fera  accordée  aux  vœux  des  propriétaires  éclairés ,  pour  régler  de  la 
manière  la  plus  avantageufe  poffîble  à  TEtat,  au  Souverain,  &  aux  pro<^ 
ptiétaires ,  la  contribution  néceifaire  pour  la  dépenfe  des  Chemins ,  lorlque 
Timpôt  ordinaire  n'y  pourra  fuffire. 

Mais  en  attendant  le  moment  de  ce  règlement  fi  néceflaire  &  fi  défira-^ 
ble,  les  inconvéniens  attachés  à  la  corvée  en  nature ,  &  qui  caufent  au 
Souverain  même,  des  pertes  immenfes  en  fa  qualité  de  co-propriétaire  uni-^ 
verfel  du  produit  net  de  la  culture  de  fon  Empire  \  ces  inconvéniens  in-* 
vincibles  &  fi  préjudiciables  à  l'humanité  entière ,  demandent  un  très- 
prompt  remède.  Il  lemble  donc  extrêmement  prefiant  d'adopter  provîfoire- 
ment  &  généralement  une  autre  méthode  pour  lia  conflruâioA  &  Tentretien 
des  Chemins,  qui  fans  être  celle  à  laquelle  il  faudra  fe  fixer  dès  qu^on  lé 
pourra,  foit  du  moins  propre  à  prévenir  les  maux  les  plus  frappant  qui 
rifulcent  du  régime  dans  lequel  les  circoûilanees  avoient  entraîné  Padmi- 
ni^bation  en'  cette  panie. 

On  a  déjà  tenté  avec  fuccés  »  dans  quelques  généralités ,  cette  éntreprife 
micoyeqne  &  faiutatire.  J'expoferai  dans  la  feâiofï  fuivainte  la  marche  qu'on 
a  fuivie ,  j'en  ferai  fentir  les  avantages ,  &  je  remarquerai  auifi  les  incon* 
qui  y  font  encore  attachés* 


<oo  e  H  £  M  I  N  s.   (  De  VAdminipation  des  ) 

5.    III. 

Moyens  provifolres  employés  dans  deux  Provinces ,  pouf  remplacer  la  eorvit 
en  nature;  &  dans  lefauels  on  trouve  des  avantages  immenfesy  en  Us 
comparant  avec  ce  que  Von  fait  en  général  aujourd'hui^  quoiqu'ils  Joieni 
encore  loin  du  but  oà  Pon  pourroit  IS  devroit  parvenir  à  cet  égard. 


J 


/ 


E  reflens  un  plaifir  doux  &  pur  en  commençant  ce  paragraphe;  jen'aî 
plus  qu'à  faire  Thiftoire  des  bienfaits  &  de  la  fagefle  de  radminiftn- 
tion ,  des  lumières  &  du  zèle  de  plufieurs  Magiftrats  diftingués  :  c'étoit  un 
d^laflemenc  néceffaire,  après  avoir  été  obligé  de  m'appefantir  dans  les  para- 
graphes précédens  fur  nos  erreurs  paffées,  je  devrois  plutôt  dire  paflàntes, 
ça  fur  les  malheurs  qui  en  étoient,  qui  en  font,  qui  en  auroient  été  les 
fuites  inévitables.  "     ^ 

:  Les  moyens  que  je  vais  expofer  pour  fuppléer  à  la  corvée  ^  ne  peuvent 
^tre  mis  aans  la  claffe  des  projets  nouveaux  qui  demandent  beaucoup  de 
raifonnemens  pour  être  démontrés,  beaucoup  de  tentatives  &  d'expériea* 
ces  pour  en  confiater  la  poflibilité.  U  y  a  plufieurs  années  qu'ils  font 
adoptés  &  employés  avec  fuccès  &  avec  l'approbation  du  gouvernement 
dans  deux  généralités  du  Royaume. 

.  Mr.  Orceau  de  Fontette ,  Intendant  de  Caen ,  e(l  le  premier ,  qui  frappé 
des  maux  qu'entraîne  la  corvée ,  les  inconvéniens  ,  les  abus  qui  en  font 
inféparables ,  &  s'élevant  au-deiTus  des  préjugés  pufillanimes,  qui  tendent 
à  laiffer  toutes  les  chofes  bonnes  ou  mauvaifes  dans  l'état  où  on  les  trouve, 
réfplut  d'affranchir  la  province  confiée  à  fes  foins,  d'un  fléau  defhuâeur 
des  récoltes»  de  la  population,  &  des  revenus  du  Souverain  &  des  pro- 
priétaireç  :  voici  de  quelle  manière  s'y  prit  ce  digne  Magiftrat. 

Les  Paroiffes  voifines  des  Chemins  font  chargées,  fuivant  une  répartition 
déjà  &ita  entr'elles,  d'une  certaine  étendue  de  tâche  j>our  les  travaux  de 
çonftruâion  ou  d'entretien  de  ces  Chemins.  M,  de  (Fototette  propofa  à 
chacune  de  délibérer  pour  choifir,  ou  de  faire  fa  tâche  en  nature ,  ou  de 
fe  foumettre  à  payer  en  argent  au  marc  la  livre  de  fa  taille,  l'adjudia- 
tion  qqi  en  feroit  faite;  déclarant  au  furplus,  que  faute  d'avoir  daus  un 
délai  limité,  notifié  expreflëment  qu'elle  préfère  la  eorvée  à  l'impofidon 
néceflaire  pour  faire  exécuter  fa  tâche,  elle  fera  bien  &  duement  ceofée 
avoir  accepté  le  dernier  parti,  &  qu'en  conféquence  la  tâche  adjugée  pn* 
bliquement  au  rabais ,  âc  payée  en  argent ,  feroit  répartie  fur  les  contri- 
buables dç  I4  paroifiê  qui  auroit  dû  la  faire,  &  qui  auroit  préfère  de  la 
payer.  Par  cet  arrangement,  les  Chemins  font  conftruits  &  réparés  fans 
que  le»  travaux  de.  la  culture  foient  interrompus ,  &  le  plus  redoutable 
4es  incpnvéoi^as  qui  rj^fultoi^o^  de   ^40(160  rçeittxe,   fe  trouvç  paré  & 

pr^yequ,  ^    , 

Peu 


/- 


C  H  E  M  I  N  s.  (  17^  VAâminiftradon  des)  6ot 

Peu  après  rétabliflemenc  de  cette  referme  falutaire  daiis  la  génëralitë  de 
Caen,  M.  Turgoc  fut  nommé  Intendant  de  celle  de  Limoges;  animé  du 
même  zèle  que  M.  de  Fonterte^  il  en  adopta  les  vues,  &  en  perfeâionna 
le  plan  pour  l'appliquer  aux  deux  provmces  qui  compofent  cette  gé^ 
aéralité. 


trophes  des  Chemins ,  de  délibérer  pour 
ou  à  en  payer  l'adjudication.  Mais  en  leur 
leur  promet ,  fi  elles  prennent  le  dernier  parti ,  de  diminuer  leur  taille 
d'une  fomme  égale  à  celle  à  laquelle  aura  monté  l'adjudication  de  leur 
tâche  :  le  réfuttat  de  la  délibération  n'eft  donc  pas  douteux.  Si  quelque 
paroifle  balance  ou  fe  refufe  même  à  la  première  délibération ,  comme 
cela  eft  arrivé  dans  les  commencemens  à  une  paroifle  de  l'Angoumois,  ce 
ne  peut  être  que  par  une  fuite  de  ce  préjugé  funefte,  que  les  malheurs 
&  les  erreurs  des  temps  paflës  okit  fitit  naître ,  &  qui  porte  les  habitans  des 
campagnes  à  redouter  l'adminiftration  jufques  dans  fes  préfens.  Mais  ce 
préjugé  qu'un  Gouvernement  plus  éclairé  cnerche  à  détruire ,  &  qui  cède 
toujours  aux  btten&its  foutenus,  eft  diflîpé  par  une  année  au  plus  d'expé* 
rience  èC  d'exemple  de  la  franchife  dont  jouifleot  les  paroifles  circonvoi* 
fines,  undis  que  celle  à  qui  une  crainte  mal-entendue  a  fait  préférer  la 
corvée  en  nature,  s'y  voit  leule  aflujettie  dans  foo  canton. 

Sur  le  vu  de  la  délibération  de  chaque  paroifle ,  M.  llntendant  la  dimi« 
nue  au  département  des  tailles  d'une  iomme  égale  à  la  valeur  de  l'adjudi* 
cation^  ainfi  qu'il  l'a  promis;  &  par  un  rôle  féparé,  dans  le  préambule 
duquel  il  vife  &  accepte  la  délibération  de  la  paroifle ,  &  fait  mention 
de  la  diminution  qui  lui  eft  accordée  en  conféquence ,  il  impofe  fur  cette 
paroifle  le  montant  de  l'adjudication  au  marc  la  livre  de  la  taille^ 

La  valeur  du  rôle  général  des  adjudications  réfultant  de  l'addition  de 
tous  les  rôles  particuliers  des  paroifles  voifines  des  Chemins,  qui  dans  le 
iyftéme  de  la  corvée  auroient  été  feules  chargées  &  furcharçées  par  les  dé- 
penfes  de  leur  conftruâion,  &  qui  ont  délibéré  pour  les  faire  exécuter  par 
adjudication;  la  valeur,  dis- je,  de  ce  rôle  général  eft  ajoutée  à  la  fomme 
totale  des  tailles  de  la  province ,  Si  fe  trouve  répartie  fur  toutes  les  pa- 
roifles avec  la  taille  même. 

Cette  méthode  paroit  préférable  à  celle  que  l'on  fuit  dans  la  généra-^ 
lité  de  Caen,  en  ce  qu'elle  évite  un  inconvénient  de  plus,  qui  eft  celui 
de  ne  fiiire  fiipporter  la  charge  des  Chemins  qu'aux  paroifles  qui  en  (ont 
limitrophes  (a).  Il  n'y  avoir ,  il  eft  vrai ,  que  ces  paroifles  limitrophes  qui 


Tome  XI.  Gggg 


6oi  C  H  E  M  I  N  S.  (  Utf  VAdminifiration  des) 

fuflenf  affujctriies  à  la  corvée,  parce  quHl  n'y  avoit  qu'elles  dont  on  pût 
exiger  un  travail  en  nature.  Mais  dès  qu'il  s'agit  d'une  contribution  en  ar- 
gent »  il  eft  jufte  qu'elle  foit  répartie  fur  tous  ceux  qui  profitent  de  l'ufage 
3u^on  en  fait,  &  c'eft  ce  qui  arrive  au  moyen  de  l'arrangement  ado^ 
ans  la  généralité  de  Limoges.  Au  moyen  de  la  diminution  que  M.  Turgot 
accorde  aux  paroilTes  qui  étoient  autrefois  écrafées  fous  le  £ux  de  la  conf- 
truâion  &  de  la  répartition  des  Chemins,  elles  n'en  paient  plus  que  leur 
quote-part ,  en  raifon  de  la  répartition  générale  faite  fur  toute  la  Pravmce. 
les  paroilTes  plus  éloignées,  qui  prontent  de  l'avantage  des  Chemins, 
fouvent  autant ,  &  quelquefois  plus  que  les^  paroiffes  qui  pn  font  voifines , 
fupportent  une  partie  de  la  dépenfe  de  ce  travail  public  ,^  &  la  charge  en 
devient  pkis  légère  par  la  multiplicité  de  ceux  qui  coacourent  ï  la 
foutenir.  - 

Cette  opération  reffemble  à  ce  qui  le  pratique  en  fiiveur  des  panûffa 
grêlées  y  ou  qui  ont  à  faire  des  réparation!^  confidérables  à  leur  Egbfe ,  6c. 
On  leur  accorde  une  diminution  dont  le  montant  eft  fupporté  par  le  refie 
de  la  généralisé  :  ufage  fondé  fur  le  droit  naturel  &  focial ,  qui  veut  que 
tous  les  membres  de  la  fociété  viennent  au  fecours  de  celai  qui  par  des 
circonftances  malheureufes  fe  trouve  dans  le  cas  indifpenfable  d'avoir  be^ 
foin  de  ce  fecours.  La  répartition  générale  de  la  dépenfe  qui  fupplée  à 
la  corvée,  eft  appuyée  fur  des  raifons  encore  plus  fortes.  Car  non-dèule« 
ment  toutes  les  paroifles  d'une  Province  font  expofées  à  avoir  quelque 
Jour  des  Chemins  ï  faire,  comme  à  rebâtir  leur  Eglife,  &  à  retrouver 
alors  avec  plaifir  le  fecours  qu'elles  prêtent  à  celles  qui  ont  aâuellemeat 
ce  fardeau  ;  mais  toutes  les  paroiflès  d'une  généralité  profitent  de  proche 
en  proche  de  la  facilité  des  Chemins  qui  ta  traverfent ,  au  lieu  qu'elles 
ne  profitent  pas  toutes  de  l'Eglife  ou  du  Presbytère  que  l'ou  rebâtie  daos 
une  d'entr'elles. 

De  cette  manière ,  l'ouvrage  coûte  moitié  moins ,  en  comparant  la  dé- 
penfe en  argent  qu'il  occafionne ,  avec  la  valeur  des  journées  d'hommes, 
de  voitures  &  d'animaux  que  la  corvée  employoit  ;  il  coûte  foixanre  feb 
moins ,  en  comparant  cette  même  dépenfe  avec  la  déprédation  que  eau- 

cependant  que  cela  revienne  au  mâme,  à  moins  que  toutes  les-ParoîiTes  ne  fuffent  dans  le 
cas  d'y  travailler  chaque  année,  ce  qui  n'eft  pas  vraifemblable ;  car  fi  la  dépenfe  des 
Chemins  porte  fur  toutes  les  ParoifTés  alternativement  &  non  pas  fur  toutes  à  la  fois»  il 
en  réfulte  feulement  qu'elles  ne  font  furchargées  que  Tune  après  l'autre  ;  &  quoique  cette 
furcharge  foit  incomparablement  moindre  que  n'étoit  celle  de  la  corvée  »  il  s'enfuit  tou- 
jours que  leur  fort  eft  beaucoup  moins  avantageux  que  fi  elles  avoient  tous  les  ans  à  fup- 
porter  une  dépenfe  égale,  réguliei:e  &  plus^  modique.  D'ailleurs^  en  joignant  à  la  taille- de- 
toute  la  Province ,  la  répartition  générale  de  la  contribution  qui  fupplée  à  la  corvée ,  uo 
grand  nombre  de  Particuliers  qui  étoient  exempts  de  corvée ,  &  qui  ne  le  font  point  de  taille , 
concourent  à  la  dépenfe  des  Chemins  &  au  foulaeement  de  la  Province.  Ce  qui  ne  peat 
arriver  quand  on  ne  fait  payer  la  contribution  qu'a  ceux  qui  auroient  éti  obligés  de  mar- 
4her  a  la  corvée  dans  l'année. 


CHEMINS.  {DtPAdminiJlrationdts)  ^03 

ibtt  dans  l'ancien  fyftéme  le  temps  précieux  &  ineflimable  que  la  corvée 
enlevoic  aux  cultivateurs ,  &  dont  la  perte  étoit  irréparable  pour  eux«  Nous 
avons  vu  que  pour  faire  un  travail  de  cent  francs  par  corvée ,  TEtat  &  la 
Nation  fouffroient  une  perte  de  ûx  mille  francs  (a). 

De  cette  manière  on  peut  faire  la  même  quantité  de  Chemins,  avec  la 
moitié  moins  de  journées  &  de  voitures ,  (  comme  nous  l'avons  prouvé  ci- 
delTus  )  &  ces  Chemins  font  au  moins  quadruples  en  folidiré  ;  parce  que 
les  Entrepreneurs  qui  (but  tenus  de  garantir  les  Chemins  Qu'ils  ont  faits , 
ont  grand  intérêt  de  les  faire  bien  exécuter^  afin  que  les  irais  d^entretien 
foient  réduits  jufqu'à  zéro;  &  encore  parce  que  les  ouvriers  qu'ils  em-* 
ployent  ont  aufli  grand  intérêt  à  être  attentifs ,  foigneux  &  intelligens  ^  de 

Êeur  d'être  renvoyés  &  de  perdre  ce  travail  qui  leur  fait  gagner  leur  vie.  Au 
eu  que  les  corvoyeurs ,  que  l'on  contraint  de  travailler  fans  (alaire  ^  ap« 
portent  à  leur  ouvrage  une  négligence  nécelTairement  invincible.  FrefTé  de 
retourner  \  fon  travail  produdtif ,  le  corvoyeur  n'a  &  ne  peut  avoir  d'autre 
vue  que  de  s'acquitter  promptement  de  la  charge  onéreufe  &  flérile  à  la- 
quelle il  eft  afTujctti ,  ce  qu'il  ne  peut  faire  qu'au  préjudice  de  la  folidité. 
Aufli  voit-on  dans  un  efpace  de  Chemin  affez  court ,  des  parties  rompues 
&  délabrées,  tandis  que  d'STutres  font  entières;  ce  qui  ne  peut  provenir 
que  àts  changemens  de  corvéables ,  qui  ont  plus  ou  moins  bien  exécuté 
leur  travail. 

De  cette  manière  la  conftruéHon  des  Chemins,  au  lieu  d'enlever  le  tra*^ 
vail  des  habitans  des  campagnes ,  leur  en  ofire ,  qu'ils  font  bien-aife  de 
prendre,  quand  ils  le  peuvent  fans  préjudicier  aux  travaux  de  leur  culture: 
ce  dont  ils  font  feuls  juges  éclairés  &  compétens. 

Dans  cette  manière ,  l'impôt  qui  doit  fubvenir  à  la  dépenfe  des  Chemins , 
a  une  forme  de  répartition  régulière ,  &  qui  en  rend  le  fardeau  infiniment 
moins  pefant.  An  lieu  que  par  la  corvée,  le  profit  de  la  conftruâipn  des 
Chemins  ne  dédommage  pas  la  Provirure,  ni  l'Etat,  de  la  furcharge  ex- 
ceflive  qui  ne  porte  que  fur  un  petit  nombre  de  paroifies,  &^qui  n  y  fau- 
roit  même  être  affujettie  à  aucune  forme  fôre  &  équitable  de  répartition  ; 
elle  femble  au  contraire  changer  ceux  qu'on  y  a  cru  contribuables,  en 
raifon  inverfe  de  leurs  fiicultés ,  &  de  l'intérêt  qu'ils  ont  à  la  conftruâion 
des  Chemins. 

Cette  opération  feroit  parfaite  fi  on  eût  préféré  de  répartir  la  dépenfè 
des  Chemins  en  raifon  de  la  capttation ,  plutôt  qu'en  raifon  de  la  taille  1 
i^.  parce  que  cela  eût  rendu  la  réparation  plus  légère,  attendu  que 
beaucoup  de  perfonnes  font  exemptes  de  taille,  tandis  qu'il  n'y  a  point 
d'exempt  de  capitation  ;  2<>.  parce  que  cela  eût  rapproché  de  l'ordre  natu* 


{a)  Je  n'ai  pas  voulu  farcharger  cet  article  de  détails  de  calculs  faftidieux;  mats  s'il 
trouve  des  contradiâeurs ,  i'aarai  l'honneur  de  leur  répondre»  &  de  publier  alors  les 
élémens  de  me»^  calculs  6c  de  oies  pièces  iufiîficatîves. 

Gggg  % 


go^  ÇJï  E  M  I  N  S.  (  D^  VAdminiJIration  des) 

rel ,  puifque  les  exempts  de  tailles  foot  principalement  des  propriëtaîres  ] 
&  de  grands  propriétaires ,  qui  font  les  plus  intérefTés  de  tous  à  la  conf- 
truâton  des  Chemins ,  &  à  ce  que  cette  conftruâion  ne  fe  fafle  pas  d'une 
manière  deftruâive  de  leur  revenu  ;  comme  il  arrive ,  ainfi  que  n<Mis  IV 
vons  démontré  dans  le  paragraphe  précédent ,  lorfque  tous  les  cultivateurs 
fupportent  des  augmentations  de  taille ,  &  n'en  font  pas  dédommagés  fur- 
ie champ  par  leurs  propriétaires. 

La  dépenfe  des  Chemins  ajoutée  à  la  taille,  conlerve  les  înconvéniens 
attachés  à  toute  impofîtion  qui  n'efl  pas  prife  direftement  en  entier  fur  le 
produit  net  du  territoire;  &  proportionnellement  à  ce  produit  net.  Nous 
avons  indiqué  (au  commencement  de  ce  paragraphe)  quelques-uns  de  ces 
înconvéniens.  On  peut  voir  combien  ils  (ont  immenfes ,  &  deftruâeurs  des 
revenus  du  Souverain  ^  des  propriétaires  &  de  la  nation  ^  ainfi  que  de  la 

(Population  du  Royaume.  On  peut  fe  convaincre  de  l'intérêt  prellant  qu'a 
e  Gouvernement  d'y  mettre  ordre  ^  le  plutôt  poflible  ;  &  de  celui  qu'ont 
les  propriétaires  de  prévenir  la  loi  qui  interviendra  fureraent  à  cet  égard, 
par  des  arrangemens  économiques  &  amiables  avec  leurs  cultivateurs.  Mais 
il  faut  convenir  que  ces  inconvéniens  exiftoient  tous  d'une  manière  bien 
plus  terrible  &  avec  des  circonftances  bien  plus  déiaftreufes  encore  dans  la 
corvée  en  nature;  de  forte  que  la  généraUté  de  Caen,  &  fur-toiic  celle 
de  Limoges ,  éprouvent  un  loulagemént  confidérable ,  quoique  ce  ne  foit 
pas  à  beaucoup  prés  le  plus  grand  qu'il  eut  été  poffible  de  leur  procurer. 
Au  refle  il  eft  évident  qu'on  ne  fauroit  regarder  comme  une  difficulté, 
ou  comme  un  nouvel  impôt,  la  perception  des  deniers  oéceilaires  pour 
fuppléer  à  la  corvée.  Celle-ci  fubCfte,  elle  eft  un  impôt  réel,  réduâible  en 
argent ,  dont  la  fomme ,  ainli  évaluée ,  eft  au  moins  double  de  la  dépenfe 
qu'exige  la  conftruâion  des  Chemins ,  &  dont  l'anéantiflement  de  richeffes 
qui  en  eft  inféparable ,  l'inégalité  forcée  de  la  répartition ,  la  rigueur  iné- 
vitable de  la  perception  ,  centuplent  au  moins  la  pefànteur.  Lever  au-liea 
d'un  impôt  u  redoutable ,  la  fomme  néceflaire  pour  la  conftruâion  des 
Chemins ,  &  en  répartir  la  dépenfe  fur  toute  une  Province ,  ce  n'eft  donc 

ooé- 
pro- 
curer convenablement  au  public  le  fervice  qu'on  en  attendmn 

On  pourroit  objeâér ,  il  eft  vrai ,  que  la  levée  des  fends  qui  fuppléeroient 
à  la  corvée  ,  feroit  une  perfeâion  illégale.  Il  feroit  &cile  de  répondre  ï 
cette  obje£Kon ,  fi  les  principes  &  le  plan  que  je  propofe  étoient  adoptés; 
&  la  loi  qui  ordonneroit  de  &ire  les  Chemins  pour  le  prix  qu'ils  valent , 
qui  défendroit  de  hire  une  perte  de  fix  mille  pour  cent  dans  leur  conftruc- 
tion  i  qui  contiendroit  enfin  l'abolition  générale  &  perpétuelle  de  la  cor- 
vée, &  qui  ftatueroit,  par  conféquent,  fur  les  moyens  de  £iire  avantageu- 
fement  &  à  peu  de  frais  le  fervice  public  ,   auquel  elle  ne  peut  fubveoir 


C  H  E  M  I  N  s.  (  P^  PAdminifiraûon  des  )  60^ 

3u^avec  une  déprédation  effrayante  ;  une  loi  fi  falu taire ,  auroit  Pévtdence 
e  Ion  utilité  pour  garant  du  refpeâ  &  de  la  reconnoifTance  qu^elle  infpi- 
reroit  à  tous  les  ordres  de  citoyens.  D'ailleurs  la  corvée ,  elle-même ,  qui 
ferme  une  impofition  bien  plus  confidérable  &  bien  plus  rigoureufe  que  la 
levée  des  deniers  néceflaires  pour  la  remplacer ,  la  corvée ,  qui  a  des  effets 
il  défadreufemenc  étendus ,  n'a  jamais  été  une  impofition  légale  ;  c'eft-à- 
dire  qu'elle  n'a  été  autorifée  que  par  des  ordres  particuliers. 

Une  objéâion  plus  férieufe  &  propre  à  faire  imprefiîon  fiir  les  meilleurs 
citoyens ,  leroit  celle  qui  réfiilteroit  de  la  crainte  que  dans  des  temps  mal- 
heureux, le  Gouvernement  n'appliquât  à  une  autre  deftination  le  produit 
de  la  contribution  qu'on  leveroit  pour  la  dépenfe  des  Chemins ,  &  ne  ré- 
tablifle  la  corvée  à  laquelle  cette  contribution  auroit  fiiccédé.  A  cette  ob- 
jéâion fpécieufe ,  je  réponds  ^  i^.  que  félon  le  plan  que  je  viens  d'expo- 
fer,  la  contribution  qui  fijccede  à  la  corvée  n'eft  point  une  impofition  fia- 
ble ,  &  dont  le  revenu  fi>it  déterminé.  La  délibération  desparoiffes,  &  le 
prix  des  adjudications  qui  en  fixent  l'exiftence  &  la  quotité  tous  les  ans  ^ 
en  font  une  efipiece  de  cotifation ,  qui  ft  paie  à  mefiire  <}ue  la  dépenfe  fe 
&it,  &  dont  l'emploi  ne  fauroit  par  conféquent  être  interverti.  Je  ré- 
ponds ,  2^.  que  quand  ce  feroit  une  impofition  ordinaire  &  fiable ,  jamais 
a  l'avenir  le  Gouvernement  ne  la  détourneroit  de  fa  deftination ,  &  ne  la 
femplaceroit  par  la  corvée.  S'il  peut  y  avoir  quelques  exemples  d'opéra- 
tions à-peu-près  femblables ,  ils  font  de  ces  temps  de  ténèbres  où  perlonne 
ne  fongeoit  à  l'agriculture ,  où  tout  le  monde  ienoroit  qu'elle  fût  la  fource 
unique  des  revenus,  où  pourvu  que  les  manufaaures  de  Tours  &  de  Lyon 
fiiflent  occupées ,  &  que  les  relevés ,  néceflairement  fautifs ,  d'exportations 
&  d'importations  panifient  nous  attefter  que  nous  recevions  la  folde  en  ar^ 


origine 

phyfiques  de  leur  réproduâion  &  de  leur  diftribution  \  aujourd'hui  que  l'on 
peut  le  convaincre,  qu'en  rétabliflant  la  corvée,  pour  pouvoir  appliquer  à 
d'autres  ufages  une  couple  de  millions,  qui  auroient  été  deftinés  à  la  dé- 
penfe des  Chemins,  le  Souverain  perdroit  bientôt  dIus  de  trente  millions 
de  revenu  annuel ,  il  n'y  a  pas  à  craindre  que  l'on  fafle  une  opération  aufli 
abfurde.  L'intérêt  du  fifc  même  eft  ici  le  garant  de  l'obfervation  de  l'or- 
dre naturel.  Il  n'eft  pas  permis  de  préfumer  que  des  hommes  infenfés 
pufient  jamais  parvenir  aux  premières  places  de  l'adminiftration.  Et  s'il 
étoit  pofiible  qu'un  jour  à  venir  quelqu'un  oH^t  propofer  de  diminuer  de 
trente  millions  le  revenu  du  Souverain ,  pour  lui  procurer  par  une  injuftice 
la  jouiflknce  paflàgere  de  deux  millions;  il  eft  évident  que  l'indignation 
du  Prince ,  &  le  mépris  univerfel ,  vengeroit  à  l'inftant  la  nation  d'un  con- 
feilaufii  peu  réfléchi. 
La  converfion  des  corvées  en  argent  a  été  indiquée  à  MM.  les  Com- 


6o6  C  H  E  M  I  N  S.  (  -D^  PAdminiftration  dès  ) 

mifTaires  départis,  par  IHnftruéHQn  qqi  leur  fut  donnée  en  17^7  >  &  <iw 
les  autorifeà  faire  faire  à  prix  dVgent  les  tâches  que  les  paroKTes  n'au- 
ront pas  achevées  dans  un  certain  délai ,  &  à  répartir  le  montant  fur  ks 
corvéables.  Convertir  la  corvée  en  argent ,  eft  déjà  fans  doute  ua  avantage 
confidérable  ;  puifque  c'eft  éviter  la  déprédation  qui  réfulte  de  la  perte  du 


épartition  entre  les  paroilfes  ;  c^eft  oublier  que 
des  Chemins  eft  une  charge  publique ,  Si  qui  dpit  donc  porter  fur  la  to- 
talité du  public  ;  c'eft  foufFrir  encore  que  la  facilité  des  communîcatioiis 
établies  pour  le  bien  général,  £bit  un  fléau  pour  le  petit  nombre  de  pft« 
roifles  qui  en  font  les  plus  prochaines  :  ofpns  le  dire ,  c'eft  manquer  m 
principe  de  toute^  impolitioii  qui  doit  être .  plus  profitable  qu^  charge  à 
ceux  qui  la  paient  ^  fans  quoi  rien  ne  ppunroit  garantir  fon  extftence  & 
moins  encore  fa  perpétuité. 

Il  ne  feroit  donc  point  étonnant  que  fi  l'on  fe  contentoit  de  fubfiinier 
rimpofition  en  argent  à  la  corvée  en  nature ,  &  de.  répartir  cette  impofi- 
tion  fur  les  corvéables  feuls  des  paroifles  voifines  des  chemins ,  on  exckât 
les  plaintes  de  cçs  paroilfes  effrayées  par  tout  ce  qui  eft  opàation  tmt^ 
vellej  &  qui  dans  cette  nouveauté  propre  à  réveiller  leur  attention,  &d* 
tiroient  Ténorme  inégalité  de  la  répartition  de  l'impôt  des  Chemins ,  & 
feroient  plus  frappés  de  l'idée  de  fupporter  une  charge ,  dont  d'autres  pa- 
roilfes voifines  feroient  exemptes,  qu'attentives  au  foukgement  réel  que  leur 
donneroit  la  nouvelle  forme  de  perception. 

Il  n'en  fauroit  être  de  même  du  plan  que  je  propofe^  &  qui,  comme 
je  l'ai  dit ,  a  déjà  mérité  dans  quelques  Provinces  l'approbation  du  Gou- 
vernement. La  délibération  des  paroilfes  lui  donne  U  forme  la  plus  douce, 
&  la  plus  fôre  quant  à  la  dellination  (a). 

La  répartition  générale  de  la  dépenfe  au  marc  la  livre  de  la  capitationi 
reudroit  la  contribution  des  Chemins  la  moins  pefante  qu'il  fbit  poffiUe 
dans  les  circonllances  aâuelles,  qui  ne  permettent  peut-être  pas  encore  de 
la  lever  par  la  feule   voie  qui  foit  entièrement  équitable,  &  qui  ne  foit 


rcgar 
che 


opinion;  âc  de  diriger  ainfi  les  travaux  utiles  à  TEtat,  non  pas  avec  la  tournure  impéneafe 
des  ûmples  émanations  de  l'autofité;  mais  comme  les  arrangemens  économiques  d'ane 
Adminifiration  paternelle.  Si  l*on  vouloit  fonger  combien  ces  petites  chofes  &  ces  légères 
attentions  peuvent,  par  degrés,  élever  Tame  de  Thomme  &  du  citoyen,  lui  infpircr  k 
fentiment  noble  &  doux  de  la  dignité  de  fon  état,  étendre  Tes  lumières,  faire- germer  le 
bonheur  &  la  vertu  chez  une  nation  ;  on  verroit  avec  un  tranfport  de  ioie  que  \ts  foias 
du  Gouvernement,  qu'on  a  cru  (i  pénibles ,  poudroient  fe  réduire  à  un  nombre  très-borné 
de  moyens  faciles  &  précieux  d'enchaîner  Tobéiflance  des  hommes  par  leur  intérêt  &  pO 
iQur  amour. 


C  H  E  M  I  N  s.  (  DtVAdmnijhanon  des  )  607 

I 

pM  deftniâiire^  c^efl-à*âire ,  uniquemef^t  Hir  les  proprîétatres  des  t)tens- 
ibnds.  Quand  le  temps  infiniment  défirable  ,pour  le  Gouvernement ,  &  at- 
tendu avec  impatience  par  les  propriétaires  éclaires  qui  calculent  leurs  vé- 
ritables intérêts  \  quand  le  temps  ^  fera  venu  où  Ton  pourra  fuivre  pour 
l'impôt  des  Chemins  cette  marche  naturelle  &  jufte,  Topération  fera  toiitâ: 
préparée ,  fi  Totî  adopte  celle  que  j'indique  \  il  n'y  aura  qu'à  fuppléer  la 
délibération  des  propriétaires  à  celle  des  contribuables  aâuels  (a). 

Flufieurs  de  MM.  les  Intendans  des  généralités  »  touchés  des  maux  qu'en- 
traîne la  corvée ,  &  de  la  diminution  pr(^re(fîve  de  richefles  qu'elle  caufe 
dans  leurs  Provinces,  fatigués  par  l'impoflibilité  de  mettre*  de  l'ordre  6i  une . 
forme  de  répartition  régulière  dans  cet  impôt  irrégulier,  &de  prévenir  tou^ 
tes  les  occafîons  d'abus  &  de  vexations  particulières  qui  y  font  attachées  ^ 
affligés  d'être  fans  cefle  contraints  d'employer  des  voies  rigoureufes  &  de 
févir  contre  la  partie  la  plus  innocente,  la  plus  utile,  &  l'une  des  plusref-^ 
peâables  de  la  nation  ,  cherchent  les  moyens  de  faire  de  meilleurs  Che- 
mins ta  d'une  manière  moins  difpendieufe ,  moins  deftruâive  que  par  la 
corvée.  Ils  voudroient  répandre  des  falaires  dans  les  campagnes ,  oimr  du 
travail  à  l'indigence ,  &  ioulager  les  paroilTes  voifines  des  Chetnins  ,  qui 
font  depuis  trop  long-temps  lurchargées  par  un  fardeau  que  le  droit  na- 
tiiirel,  la  jufiice  &  la  raifbn  obligent  de  reconnoltre  pour  une  charge  com- 
mune des  Provinces  entières  qui  en  profitent. 

C'eft  à  ces  dignes  Magiftrats  que  j'offre  ces  obfervations   dont  tout   le 

mérite  eft  d'expofer  des  idées  qui  leur  font  probablement  communes  à  tous  ^ 
•_  j_   1»    .  .  ..,-«./•.  /•     '•çç^j^  &  que  le  mi-. 

enfuite  exprefTément 
'Voyei^  r article  CORVÉE. 
Xun  ,  huitième  Empereur  de  la  Chine,  qui  régnoit  240  ans  avant 
Moyfe,  défendit  aux  Intendans  des  Provinces  de  jamais  exiger  des  culti- 
vateurs aucune  efpece  de  travaux  qui  pût  les  détourner  de  l'agriculture. 
Cette  loi  s'efl  exécutée  conflamment  à  la  Chine  :  ce  qui  n'a  pas  peu  con- 
tribué fans  doute  à  la  profpérité  de  ce  grand  Empire  ,  en  faifant  fleurir 
l'&griciilture.  H  efl-  à*  croire'  que  fi  la  corvée  n'étoir  point  établie  en  Fran- 
ce ,  on  ne  l'y  établiroit  pas.  Mais  il  s'agit  de  favoir  u ,  étant  établie ,  il  eft 
à  propos  de  l'abolir ,  &  s'il  y  auroit  moyen  de  l'abolir  fans  de  plus  grands 
inconvéniens  que  ceux  qu'elle  occafionne.  C'efl  ce  que  nous  examinerons 
dans  la  fuite  à  l'article  CoRViéE. 


(tf)Les  erands  propriétaires-  pourroient  fe  faire   réprefenter  dans  ces  délibérations  «par 
leurs  Régillcurs,  leurs  Receveurs,  ou  leurs  Fernùers*  . 


5o8  CHESCHIRE.     CHESTER. 


CHESCHIRE,  Province  Occidentale  d^  An^eterrt  ^  fur  la  mer 

d^Irlande ,  avec-  titre  de  Comté  Palatin. 

\^ETTE  Province  touche  à  celles  de  Lancaftre,  de  Derby»  de  Scaffiirdi 
de  Shrop  ^  de  Flint ,  &  de  Denbigh  ^  &  on  lui  donne  {o  milles  d'Aigle- 
terre  en  longueur ,  &  3  3  en  largeur.  Elle  eft  très^fertile  &  très-peuplée  : 
fes  pàturaees  fur-tout  font  excellens  ;  ils  nourriflent  une  mulritnde  de  che* 
vaux ,  de  brebis  &  de  gros  bétail ,  &  l'on  fait  grand  cas  àts  fromages  qpe 
l'on  en  fort.  Elle  fournit  aufli  de  la  houille  &  du  trés*bon  fel.  Les  rivières 
principales  qui  l'arrofent  font  la  Dée,  la  Wever,  &  la  Tame.  L'on  y  compte 
720,000  arpens  de  terre ,  1 3  villes  tenant  marché ,  86  naroifles ,  24^054 
maifons,  &  164^324  habitans.  Ses  comtes  palatins  ne  fubfiftent  plus  dès 
Fan  1 200.  Ils  avoient  commencé  fous  Guillaume  le  conquérant  ^  en  la  per- 
fonne  de  Gerbhord^  &  ils  finirent  fous  Jean  Sans-Terre,  en  celle  de  Si* 
mon  de  Montfbrt,  comte  de  Leiceftre,  Leur  pouvoir  ailèz  itiodëré  dans /on 
inftitution ,  devint  exorbitant  dans  la  fuite  ;  &  foit  vanité ,  foit  ambition ,  ik 


feque  de  leur  charge  autant  qu'à  fes  dehors,  de  ferviteurs  ils  fe  firent  maî- 
tres; ils  firent  nombre  en  un  mot  parmi  les  grands  vailaux  redoutables  aux 


particuliers.  Elle  y  laiffa  même  fubfifter  la  cour  Palatine,  tribunal  dont 
reflortiffent  encore  aujourd'hui  les  habitans  de  la  ville  de  Chefler ,  capi- 
tale du  comté.  Cette  ville  &  ce  comté  députent  enfemble  4  membres  an 
parlement  du  royaume. 


C  H  E  S  T  E  R. 

V^HESTER  eft  une  ville  épifcopale.  Les  Princes  de  Galles  ,  fils  aînés 
des  Rois  d'Angleterre ,  en  prennent  le  titre  de  comte.  C'efl  une  grande 
&  ancienne  ville  fituée  fur  la  Dée ,  &  pourvue  d'un  port ,  où  s'embaraueot 
pour  l'ordinaire  ceux  qui  vont  d'Angleterre  à  Dublin.  Quelques  autels  & 

Suelques  autres  monumens  d'antiquité  que  l'on  y  trouve  ,  font  juger  que 
u  temps  des  Romains ,  elle  étoit  la  flation  de  la  Legio  ViSrix  Vicejinuu 
L'on  ne  croit  cependant  pas  que  les  murailles  dont  elle  eft  ceinte  oc  Qui 
font  à  créneaux ,   non  plus  que  fes  portes  qui  font  à  poternes  ,   &   ion 

château 


C    H    E    s   T    E    H;  609 

eMteau  qui  renferme  une  tour  appellëe  tour  de  Jules  Céfar^  foîent  de  fon- 
dation aufli  reculée  dans  les  fiecles  palTés.  La  tradition  ne  les  fait  commen* 
cer  qu'au  temps  de  Theptarchiev  attribu^ïnt  leur  première  conftruâion  à 
EdelAede ,  PrincefTe  des  Merciens  ;  &  encore  veut-on  que  fon  château  n'dc 
été  bâti  que  par  Lupus  ou  Loup  ,  neveu  de  Guillaume-le-cônquérant.  Il 
eft  confiant  néanmoins  que  c'eil  depuis  long^temps  une  des  plus  impor- 
tantes places  d'Angleterre  :  il  eft  avéré  que  dès  les  guerres  des  Danois  > 
elle  a  pris  une  part  confidérable  à  toutes  celles  qui  ont  déchiré  le  royau- 
me ;  &  l'on  fait  qu'au  fiecle  dernier ,  elle  fbutint  contre  les  parlementai- 
res,  un  long  fiege  en  faveur  de  Charles  T.  C'eft  aujourd'hui  une  ville  gar- 
dée par  une  garnifon  nombreufe ,  &  âoriflanto^ar  un  commerce  étendu. 
Les  fables  de  la  mer  avoient  k  la  longue  embarraffé  le  cours  de  la  Dée , 
&  comblé  même  le  port  de  Chefler  «  il  y  a  40  ans  ;  un  a£te  du  parle* 
ment  de  1731 ,  &  un  autre  de  1741  portèrent  remèdes  à  ces  maux,  & 
de  nos  jours  la  navigation  s\  fait  avec  autant  de  facilité  que  de  fuccès. 
L'on  y  commerce  en  toiles  oc  autres  marchandifes  d'Irlande  ,  en  bétail  ^ 
en  toutes  fortes  de  denrées ,  &  fur^tout  en  fromages  ,  &  en  terre  de  pi- 
pes :  l'on  compte  qu'année  commune  il  s'expédie  dans  la  ville  de  Chefier 
30  mille  tonneaux  de  fromages,  dont  1,4000  vont  à  Londres,  8000  à; 
Briftol ,  &  8000  en  Ecoffe  &  en  Irlande.  Chefter  eft  une  ville  zSèz  bien 
bâtie  &  fort  peuplée.  L'on  y  trouve  une  cathédrale  fondée  par  le  Roi 
Edgar,  10  autres  églifes  &  une  école  de  charité.  Elle  eft  gouvernée  par 
un  mayre  ,  des  fcherifis ,  des  aldermans ,  &  par  des  confeillers  :  fon  tri*^ 
bunal  appelle  cour  Palatine ,  fe  tient  dans  le  château.  Elle  a  un  très-beau 
port  fur  la  Dée ,  ainfi  que  pluGeurs  machines  ingénieufes  qui  l'abreuvent, 
des  eaux  de  cette  rivière  ;  6c  elle  a  une  bourfe  marchande ,  dont  les  con-^ 
noiflèurs  eftiment  l'archite£hire.  Mais  une  chofe  que  l'on  reproche  à  la  ville 
de  Chefter,  c'eft  l'obfcurité  de  fes  rues  :  elles  font  bordées  d'arcades  qui 
mettant  les  paffans  à  couvert  du  fbleil  &  de  la  pluie,  jettent  un  air  trop 
fombre  fur  les  maifons  &  dans  les  boutiques.  L'avantage  de  pouvoir  fe 
promener  à  l'abri  des  injurerdu  temps,  ne  balance  pas,  dit-on,  dans  une: 
ville  marchande,  l'inconvénient  de  ne  voir  goutte. 

Il  y  a  dans  l'Amérique  feptentrionale ,  en  Fenfylvanie ,  une  ville  du 
nom  de  Chefter ,  fimée  au  midi  de  Philadelphie ,  fur  la  rivière  de  Lawiir  f 
qui  lui  donne  un  port  capable  de  contenir  les  plus  grands  vaifleaux* 


.^ 


Tome  XL  Hhhh 


^lO  C    H    E    V    A    L    E    R    I    E. 


L 


CHEVALERIE,    f.  f. 


A  Chevalerie  ëtoît  autrefois  le  premier  degré  d'honneur  dans  les  ar- 
mées; on  la  donnoit  avec  beaucoup  de  cérémonie  à  ceux  qui  s'écoient  dif» 
tingués  par  quelque  exploit. 

On  pratiquoit  plufieurs  cérémonies  différentes  pour  la  création  d'un  Che- 
valier :  les  principales  étoient  le  foufllet ,  &  l'application  d'une  épée  fur 
répaule;  enfuice  on  lui  ceignoit  te  baudrier,  l'épée,  les  éperons  dorés,  & 
les  autres  ornemens  militaires  ^  après  quoi ,  étant  armé  Chevalier ,  on  le 
conduifoit  en  cérémonie  à  PEgjife. 

Les  Chevaliers  portoient  des  manteaux  d'honneur  fendus  par  la  droite, 
rattachés  d'une  agraffe  fur  l'épaule ,  afin  d'avoir  le  bras  libre  pour  com- 
battre. 

Cambden  a  décrit  en  peu  de  mots  la  (kcon  dont  on  fait  un  ChevaUer  en 
Angleterre  :  Qiii  equefirem  dignitatem  fufcipit ,  àit-W  ^  Jlcxis  genibus  hvitcr 
in  humcro  percutitiir  ;  princeps  his  vcrhis  affatur  ;  Sus  vcl  fois  Chevalier 
au  nom  de  Dieu ,  furge  y  cl  fis  eques  in  nomint  Dei;  cela  doit  s'entendre 
des  Chevaliers*Bacheliers ,  qui  font  en  Angleterre  l'Ordre  de  Chevalerie  le 
plus  bas,  quoiqu'il  (bit  le  plus  ancien. 

Souvent  la  création  des  Chevaliers  exigeoit  plus  de  cérémonies ,  &  en 
leur  donnant  chaque  jpiece  de  leur  armure ,  on  leur  faifoit  entendre  que  tout 
y  étoit  myflérieux ,  èc  par-là  on  les  aver tiffoit  de  leur  devoir.  Chamberlain 
dit  qu'en  Angleterre,  lorfqu'un  Chevalier  eft  condamné  à  mort,  on  lui  ète 
fà,  ceinture  &  fbn  épée,  on  lui  coupe  (es  éperons  avec  une  perite  hache, 
on  lui  arrache  fon  gantelet,  &  l'on  biflè  les  armes.   Pierre  de  Beloy  dit 

3ue  l'ancienne  coutume  en  France  pour  )a  dégradation  d'un  Chevalier,  étoit 
é  Parmer  de  pied-en-cap  comme  s'il  eût  dû  combattre,  &  de  le  feirc 
monter  fur  un  échaffaud ,  où  le  héraut  le  déclaroit  traître ,  vilain ,  &  dé- 
loyal. Après  que  le  Boi  ou  le  Grand-Maître  de  l'Ordre  avoir  prononcé  la 
condamnation ,  on  jettoit  le  Chevalier  attaché  à  une  corde  fur  le  carreau, 
it  on  le  conduifoit  à  l'Eglife  en  chantant  le  Pfeaume  io8  qui  eft  plein  de 
malédiâions ,  puis  on  le  -  mettoit  en  prifon  pour  être  puni  félon  les  loix. 
La  manière  de  révoquer  l'Ordre  de  Chevalerie  aujourd'hui  en  ufage,  dft, 
de  retirer  à  Taccufé  le  collier  ou  la  marque  de  l'Ordre,  que  l'on  remet 
enfuite  entre  les  mains  du  Tréforier  de  cet  Ordre. 

Chevalier  s'entend  auflî  d'une  perfonne  admife  dans  quelqu'Ordre,  foit 
purement  militaire,  foit  militaire  &  religieux  tout  enfemble,  inftitué  par 
quelque  Roi  ou  Prince,  avec  certaines  marques  d'honneur  &  de  diftinâioo. 
Tels  font  les  Chevaliers  de  la  Jarretière^  de  V Eléphant ^  du  faint-Efprit^ 
de  Malthe ,  &C.    Voye^  Partick  ORDRE  DE  CHEVALERIE. 


CHEVALIER.  ^11 


C  H  E  y  A.  L  1  EJHt  ùfn  de  NobUfc  difiinâift  audtffuf  dt  celui 

d'£cuY<r. 

LUSIEURS  charges  honorables  comptent  au  nombre  de  leurs  pré- 
rogatives ce  titre  qu'elles  communiquent.  Les  charges  que  donnent  la  quar 
lité  de  Chevalier  donnent  en  même-temps  la  NobleflTe  au  premier  degré  ; 
ce  caraâere  eft  indélébile  &  s'étend  fur  toute  la  poftérité  de  ceux  qui  Tont 
une  fois  acquis.  Le  titre  de  Chevalier  eft  donc  le  premier  grade  de  U 
Noblefle.  Le  nom  de  Chevalier  vient  peut-être  du  cheval  que  l'Etat  four- 
oifToit  à  ceux  qui  furent  d'abord  qualinés  de  ce  titre,  comme  on  va  le  voir 
dans  l'origine,  ou  de  ce  que  chaque  Chevalier  dévoit  être  habile  à  monter 
les  chevaux ,  comme  on  verra  dans  les  qualités  requifes  pour  être  Chevalier 
&  dans  l'admiflion.  Tout  ce  que  nous  dirons  fur  ce  titre  générique  ,  n'aura 
de  rapport  qu'aux  temps  oii  ce  n'étoit  pas  fimplement  un  titre  d'honneur 
comme  aujourd'hui ,  mais  oii  celui  qui  le  portoit  étoit  par-là  engagé  aux 
fbn£tions  d'Etat  que  ^e  titre  lui  donnoit  dans  la  profeffîon  des  armes  :  les 
Chevaliers  dont  nous  parlons ,  étoient  appelles  Milites  chez  les  Romains. 
.  L'Hiftoire  Romaine  nous  fournit  dans  fes  commencemens  l'exemple  des 
premiers  Chevaliers  ;  il  y  a  apparence  que  l'inftitution  en  eft  venue  de*ià 
jufqu'à  nous)  Romulus  en  fit  un  ordre  mitoyen  entre  le  Sénat  &  le  peu* 
pie  ;  le  cheval  que  la  République  fourniflbit  à  chaque  Chevalier ,  l'anneau 
d'or ,  étoient  les  marques  difiinâives  de  cette  dtenité  qui  tenoit  le  premier 
rang  dans  l'Ordre  miliuîre  ;  elle  eut  à  Rome  le  fort  qu'elle  a  eu  parmi 
nous  :  cette  qualité  qui  emportoit  dans  fon  origine  avec  elle  la  néceffité  de 
combattre  à  pied  &  à  cheval ,  fbnâion  tout-à-hdt  militaire,  fe  changea  par 
la  fuite  en  un  fimple  titre  d'honneur. 

,'  En  revenant  à  notre  hifioire ,  on  ne  peut  rien  y  voir  de  plus  curieux 
que  ce  qu'elle  nous  apprend  des  anciens  Chevaliers  ^  leur  origine  eft  abfo^ 
lument  militaire ,  les  verms  guerrières  qui  furent  long-temps  les  feules  en 
honneur  parmi  nous ,  infpiroient  cet  enthoufiafme  néceffaire  pour  les  pra- 
tiquer ;  c'eft  à  cet  entboufiafme  belliqueux  que  les  Chevaliers  durent  leur 
origine ,  c'eft  par  lui  que  depuis  le  XP.  fiecle  jufqu'au  commencement  du 
XVI*"®.  ils  jouirent  de  la  plus  grande  célébrité.  Il  feroit  fuperflu  de  recueil- 
lir  ici  tout  ce  que  ceux  qui  ont  traité  de  la  Chevalerie  en  ont  dit;  quicon- 
Que  voudra  s'inftruire  à  fond  là-deffus,  doit  avoir  recours  aux  Mémoires 
iavans  &  bien  écrits  de  Mr.  de  Ste.  Palaye ,  fur  l'iincieniie  Chevalerie.  Void 
ce  que  nous  avons  crû  le  plus  néceifaire  à  fa  voir. 

La  manière  dont  les  premières  armes  le  donnoient  autrefois  en  céré- 
monie iL  ceux  qui  dev<He«  les  porter,  étoit  déjà  en  ufage  chez  les  Ger** 
mains  (  V.  Tac.  Mor.  Germ,)  &  fe  pratiqua  dès  la  prerniere  race  de  nos 
Rois ,  comme  on  peut  le  voir  par  Louis-le*Débonnaire  j  fils  de  Charlemagne. 

Hhhh  2 


6tz  C    H    E    V    A    t    I    E    K. 

Mais  il  ne  faut  pas  confondre  cet  ufage  av^ec  refpece  d'invefUture  qui  ad^ 
compagnoic  la  cérémonie  où  l'on  failoit  les  Chevaliers  :  cette  invefiirure 
ne  remonte  qu'au  Xle.  fiecle*,  époque  de  l'accroiflement  des  fiefs  &  des 
Seigneurs  qui  les  polTédoient,  dont  la  politique  fe  réfervoit  par-là ,  outre 
l'hommage  des  vafTaux,  le  droit  de  leur  donner  les  premières  armes  ;  po- 
litiques adroits  pour  lier  davantage  leurs  vafTaux  &  tous  ceux  qu'ils  £ii« 
foient  Chevaliers,  à  leur  fervice  &  k  leurs  intérêts. 

On  retrouve  aujourd'hui  une  partie  des  cérémonies  qui  (e  pratiquoient 
à  la  réception  des  Chevaliers ,  dans  la  forme  où  ils  fe  font  encore  dans 
les  difFérens  ordres.  Mais  pour  arriver  autrefois  au  grade  de  Chevalier,  il 
fàlloit  avoir  pafTé  par  tous  ceux  qui  font  au-defTous.  (  V.  Pages.  Éc^ybrs.  ) 
Les  écuyers  devenoient  Chevaliers  par  leur  bravoure  y  c'étoit  là  leur  ré* 
compenfe;  jufqu'à  ce  qu'ils  l'eufTent  méritée,  ils  étoient  amplement,  ce 
qu'on  appelloit  alors,  Pourfuivant  d* armes;  &  cette  efpece  d'appreatiâàge 
duroit  huit  ou  dix  ans-,  l'image  de  la  guerre  brilloit  pstf^tout  dans  leurs 
amufemens  même  ,  les  tournois  étoient  leur  école  dans  le  repos  de  la 
paix.  Une  remarque  digne  d'être  faite ,  c'eft  que  fous  les  trois  règnes  où 
la  Chevalerie  fembla  plus  honorée  &  en  vigueur,  elle  trouva  les  caufes  de 
fa  décadence  &  de  fa  chute  totale.  Charles  VI,  fon  fils,  Charles  Vil ^ 
François  I  virent  s'éteindre  cette  ardeur  qui  foutenoit  la  Chevalerie,  au 
moment  que  leur  exeniple  étoit  fi  propre  à  la  fomenter.  La  maladie  de 
Charles  VI  fiit  caufe  de  grands  déiordres  dont  plufieurs  profitèrent  pour 
devenir  Chevaliers ,  fans  l'avoir  mérité ,  &  l'époque  de  la  dégradation  d'un 
rang  eft  prefque  toujours  marquée  par  le  défaut  de  mérite  de  ceux  qui 
l'obtiennent.  Après  la  mort  de  Charles  VI,  la  Chevalerie  dut  beaucoup  à 
l'amour  de  la  belle  Agnès ,  cette  maîtreffe  pafiionnée  tyour  la  gloire  autant 
queCharles  VII  l'étoit  pour  elle,  &  à  qui  la  France  eft  peut-être  redevable 
de  n'être  point  foumife  à  un  pouvoir  étranger  :  la  néceffité  de  reconquérir 
nos  provinces  fembla  donc  ranimer  la  Chevalerie  par  le  befotn  qu'on  en 
eut  alors;  mais  un  corps  de  milice  inftitué  ou  plutôt  refiauré  par  Charles  VII, 
remplaça  prefque  celui  des  Chevaliers  par  l'émulation  qu'il  leur  donna  : 
ce  fiit  la  gendarmerie  où  chacun  couroit  alors  fe  faire  infcrire;  cette 
nouvelle  milice  donnoit  droit  au  commandement ,  les  Chevaliers ,  Ban« 
nerets  {a)  ou  autres  ne  l'avoient  plus.  François  I  qui  ne  Ëtifoit  pas 
moins  de  prix  des  favans  que  des  braves  de  fon  État ,  après  avoir 
voulu  être  armé  Chevalier  par  la  main  du  fameux  Bayard,  à  la  journée  de 
Marignan ,  voulut  encore  décorer  les  favans  &  les  Magiftrats  du  glorieux 
titre  de  Chevalier.  Voilà  ce  que  le  préjugé  de  ces  temps  où  l'ignorance 
difputoit  contre  la  fcience  qui  s'élsvoit,  ne  fouffrit  qu'avec  perne;  les 


1  » 

la)  On  appelloit  Sannercts  les  Chevalîers  (|ut  comoiandoient  à  un  certain  sombre  de 
geas  de  guerre  fous  leur  Bannicrc  ou  Eundan^ 


CHEVALIER.  ^ij 

Chevaliers  militaires  crurent  leur  dignité  avilie  lorfqu'on  la  communiqua 
à  ceux  d^un  autre  mérite  qu'eux  :  delà  cette  dignité  qu'ils  laifTerent  dé- 
cheoir  plutôt  que  de  vouloir  la  partager  ne  fut  plus  qu'un  (impie  titre 
d'honneur  pour  ceux  qui  ne  furent  pas  militaires.  Ce  qui  acheva  d'abolir  la 
Chevalerie,  fut  l'abolition  des  tournois  occaiionnée  par  l'accident  qui  fît 
périr  Henri  H.  Il  eft  à  douter  fi  les  abus  de  la  Chevalerie  ne  contrebalan* 
çoient  pas  tous  les  avantages  qu'on  en  pouvoit  retirer  ;  c'étoit  une  ef- 
pece  de  fiinatifme  de  gloire  attachée  alors  aux  aélions  militaires ,  cela  fe 
reflèntoit  de  la  barbarie  des  temps ,  tout  y  étoit  grotefquement  mêlé ,  l'a- 
mour licentieux  s'allioit  à  une  religion  fuperfiirieufe  pour  foutenir  cefanatifme 
au  milieu  des  ténèbres  de  l'ignorance.  Difons  encore  que  le  ridicule  de  nos 
Romans  de  Chevalerie  a  porté  le  dernier  coup  à  cette  folle  bravoure 
dont  npus  avons  l'exempte  dans  les  Chevaliers  errans.  Nous  ne  nous  fom*- 
mes  étendus  fur  l'origine  des  Chevaliers  &  ce  qu'ils  ont  été,  que  pour 
en  venir  au  point  où  ce  titre  doit  être  aâuellement  confidéré.  Nous  avons 
fait  voir  les  caufes  de  ce  changement.  Il  fuffit  de  dire  après  cela  que  qui- 
conque polTede  aujourd'hui  la  noblefTe  au  premier  degré ,  a  le  titre  de 
Chevalier  fans  être  militaire. 

En  fuivant  toujours  l'ancien  état  des  Chevaliers ,  on  fent  bien  que  lorf« 
qu'il  étoit  tout-à-fait  militaire,  fes  fondions  l'étoient  pareillement.  Le  ti-^ 
tre  de  Chevalier  pouvoit  être  regardé  autrefois  comme  une  obligation  de 
répandre  fon  fang  pour  la  Patrie,  ou  comme  une  récompenfe  de  Tavoir 
répandu.  La  guerre  fe  faifoit  alors  à  coups  de  lance  &  d'épée,  on  n'en 
avoit  point  encore  fait  cet  art  combiné  de  deftruâion  :  avant  que  l'artille* 
rie  fut  découverte  par  l'invention  de  la  poudre ,  on  fe  battoit  vaillam- 
ment corps  à  corps,  fouvent  dans  des  mines  étroites  éclairées  par  la  fom- 
bre  lueur  de  quelques  flambeaux,  comme  au  fiege  de  Melun  en  14.20* 
La  foi,  l'honneur  des  Dames  armoient  les  Chevaliers  pour  les  défendre , 
délivrer  l'opprimé^  le  venger  de  l'opprefTeur  ^  voilà  les  caufes  qui  pou- 
voient  faire  entreprendre  aux  Chevaliers  de  nouveaux  exploits.  Les  croi- 
fades  fervirent  pendant  long-temps  d'aliment  au  zèle  ardent  de<;  Chevaliers. 
Dans  le  repos  même  de  la  paix  ils  trouvoient  des  occafions  d'exercer  leur 
courage  en  embrafTant  des  querelles  étrangères ,  ils  contraâoient  des  frater- 
nités dVmes  pour  s'unir  plus  étroitement  dans  des  entreprifes  communes. 
Ducange  nous  apprend  que  ces  fraternités  d'armes  fe  contraâoient  entre 
Chevaliers,  en  fe  faifant  faigncr  enfemble  &  mêlant  leur  fang.  Dès- lors 
gloire,  périls,  profits,  bourfe ,  tout  étoit  commun  entre  eux,  &  en  cas 
de  rupture,  quand  la  fraternité  celToit,  on  fe  rendojc  mutuellement  un 
fidèle  compte  de  la  communauté.  Les  entreprifes  confidérables  étoient 
fcellées  d'avance  par  un  vœu  entre  les  Chevaliers*  Ils  en  faifoient  fouvenc 
de  plus  ridicules  que  leur  infpiroit  la  galanterie  enflammée  par  l'objet  de 
leur  amour.  Ils  juroient  de  foutenir  préfërablement  à  tout  autre  l'honneur 
&  la  beauté  de  leur  maitreffe  :  ils  s'honoroient  pour  cela  du  titre  de  pour^ 


î 


^14  CHEVAL    I.B    R. 

fuivans  {famour;  le  portiaît^  la  devîfe  de  leurs  Dames  ^  des  chiffres  arnoo* 
reux  les  diffinguoienc ,  &  pour  accomplir  leur  vœu  extravagant^  ils  alloienc 
ropofer  le  défi  à  tout  venant  pour  prouver  que  leur  Dame  écoic  la  plus 
elle  &  la  plus  vercueufe.  Il  eft  affez  plaifant  de  lire  dans  Froiflkrt  qu^au 
(iege  d'un  château  en  Beauce ,  les  affîégeans  &  les  adî^gés  laiflerenc  le 
champ  libre  à  deux  Champions  qui  youloient  ainfi  le  battre  pour  la  beauté 
de  leur  Dame^  prés  de  Cherbourg  en  1379,  les  Ânglois  &  les  François, 
de  combattans  devinrent  tout-à-coup  fpeâateurs  d'un  pareil  défi  ;  ainfi 
rien  n'étoit  plus  prodigieux  que  les  eifets  de  la  valeur  des  Chevaliers  &  fou« 
vent  rien  de  plus  ridicule  que  fon  objet. 

Les  prérogatives  attachées  au  rang  de  Chevalier  étoient  les  premières  de 
l'Etat  ;  il  eu  refle  encore  plufieurs  que  ce  titre  a  confervées.  Nous  remar^ 
querons  qu'avant  la  confufion  introduite  par  le  luxe  dans  tous  les  rangs, 
l'or  étoit  réfervé  aux  feuls  Chevaliers  ;  leurs  éperons  étoient  d'or ,  il  gar« 
cifToit  aufli  Aeurs  vêtemens ,  les  houfles  &  harnois  de  leurs  chevaux  ;  ils 
avoient  le  titre  de  Meflires,  que  la  qualité  de  Chevalier  donne  encore 
aujourd'hui.  Les  femmes  de  Chevaliers  avoient  feules  le  titre  de  Dames , 
les  Ecuyers  s'appelloient  du  titre  de  Monfieur ,  &  leurs  femmes  avoient  ce« 
lut  de  Penioifelles  ;  ces  différences  font  encore  obfervées  aujourd'hui  pour 
les  qualités.  Les  fourrures  qui  font  devenues  aujourd'hui  fi  communes,  ne 
douoioient  que  les  manteaux  des  Chevaliers  ^  qui  avoient  feuls  droit  deoor* 
ter  l'hermine,  &c.  L^carlate,  qui  efl  la  couleur  des  habits  des  Magift^ars 
fupérieurs  &  des  Doâeurs ,  étoit  la  couleur  appropriée  aux  Chevalier^.  Ils 
avoient  chacun  des  armoiries  particulières  ^ui  les  diflinguoient,  ils  les  por- 
toient  même  fur  leur  cotte  d'armes,  &  il  vint  un  temps  où  les  robes 
des  femmes  de  Chevaliers  étoient  blafonnées  comme  l'écu  de  leur  mari. 
Le  fceau  n'appartenoit  qu'aux  feuls  Chevaliers ,  les  plus  diflingués  de  la 
Noblefle  n'a  voient  pas  même  le  droit  de  s'en  fervir  jufqu'à  ce  qu'ils  fuf- 
fent  Chevaliers  ;  c'eft  pourquoi  Ton  trouve  plufieurs  Chartes  anciennes 
icellées  du  fceau  du  Régent  &  non  pas  de  celui  du  Roi  mineur.  L'éman* 
cipation  fui  voit  l'invefliture  du  Chevalier;  les  barrières  s'ouvroient  à  fon 
approche  ;  prifonnier ,  il  étoit  relâché  fur  fa  feule  parole.  On  trouve  qu'en 
certaines  occafions  ils  avoient  le  droit  de  lever  des  impôts  fur  les  vaflaux  de 
leurs .  terres  nobles  ;  ce  droit  tient  à  la  nature  du  gouvernement  des  corn- 
mencemens  de  la  troifieme  race ,  où  le  royaume  étoit  prefque  tout  entier 
inféodé  :  ils  fe  fàifoient  payer  leur  rançon  de  la  forte  par  leurs  vaffaux ,  & 
s'ils  entreprenoient  le  voyage  d  outre-mer ,  ils  fe  le  failoient  auflî  payer  :  le 
mariage  de  leur  fille  étoit  encore  une  occafion  de  tirer  de  l'argent  de  leurs 
raflàux ,  comme  auflî  lorfque  leur  fils  étoit  fait  Chevalier  :  ces  exadions 
auroieiit  dû  ceflfer  avec  ce  que  le  Gouvernement  féodal  eut  de  plus  odieux. 
Néanmoins  elles  fè  perçoivent  encore  dans  vingt  coutumes  ou  environ , 
&  ces  droits  font  appeUés  dans  les  lieux  qui  les  ont  retenus  Aides-Chevels 
ou  Aidcs" Loyaux. 


C    H    E    V    A    I    I    E    R.  «I) 

la  plus  noble  de  ces  prérogatives  ëtoit  fans  doute  de  pouvoir  crëer  d'au^ 
très  Chevaliers  dés  Pioftant  de  fa  promotion.  Si  certaines  charges  de  U 
MagiArature ,  comme  nous  l'avons  déjà  rémarqué  »  confèrent  au)ourd%ui  le 
ijtre  de  Chevalier ,  nous  remarquerons  aufli  que  ce  titre  étoit  auflî  nécef- 
faire  autrefois  pour  pofTéder  certaines  charges  de  la  Magiflrature ,  comm9 
il  l'eft  auflî  aujourd'hui.  En  voici  un  exemple  :  l'Empereur  Sigifmond  con- 
féra la  Chevalerie  à  celui  qu'il  fit  Sénéchal  de  fieaucaire,  préférablement 
à  un  autre  qui  étoit  déjà  Chevalier.  Le  détail  de  toutes  ces  difFérentes  pré- 
rogatives montre  afTez  combien  le  titre  de  Chevalier  mérite  d^étre  confi- 
déré ,  nous  n'avons  rien  dit  de  trop  fur  cet  article  ^  pour  les  curieux ,  & 
nous  nous  fommes  beaucoup  reftreints  pour  les  autres. 

On  a  vu  dans  l'origine  ce  qu'on  exigeoit  des  Chevaliers  ;  l'honn^i^r  étoit 
un  gage  de  celui  auquel  ils  afpiroient  \  dans  les  fêtes  qui  annonçoient  de 
loin  le  goût  de  celle  d'aujourd'hui  ^  on  figuroit  bifarrement  toutes'  les  ver- 
tus propres  à  un  Chevalier  ;  chacune  étoit  repréfentée  par  une  perfonne 
qui  caraâérifoit  la  verta  repréfentée;  c'étoit  la  foi,  la  juflice,  &c.  mais  le 
'  grand  art  du  Chevalier  étoit  d'être  habile  en  mille  tours  d'efcrime  qu'il 
apprenoit  étant  Ecuyer  dans  les  joutes,  dans  les  tournois,  &c.  il  s'exerçoit 
au  maniment  des  chevaux  &  à  la  lance.  On  voit  que  l'âge  de  ai  ans 
étoit  néceflaire  pour  devenir  Chevalier.  La  naiflance  &  une  valeur  à  toute 
épreuve  difpenfoient  pourtant  de  cette  règle. 

Rien  de  plus  folemnel  que  la  manière  dont  fe  faifbient  autrefois  les  Che- 
valiers ,  c'étoit  une  cérémonie  où  la  fu perdition  mêloit  un  air  de  religion  ^ 
&  fembloit  imiter  pour  faire  un  Chevalier ,  les  pratiques  de  l'églife  pour 
faire  un  Prêtre.  Des  jeûnes ,  des  prières ,  l'approche  des  Sacremens  prépa-* 
roientle  Chevalier  deftiné,  comme  un  autre  néophice.  Son  habit,  fymbole 
de  pureté,  étoit  blanc,  il  entroitainii  vêtu  à  l'églife,  marchoit  vers  l'au- 
tel, l'épée  attachée  au  col  en  écharpe;  le  Prêtre  la  béniflbit,  &  la  remet- 
toit  au  col  du  nouveau  Chevalier ,  puis  celui-ci  alloit  (e  mettre,  à  genoux  aus 
pieds  de  celui  ou  de  celle  qui  lui  conféroit  l'ordre.  Il  répondoit  à  difFéren- 
tes queflions ,  on  le  revêtoit  enfuite  des  marques  extérieures  de  la  Cheva- 
lerie ,  &  puis  il  recevoit  l'accolade  qui  confifloit  en  trois  coups  de  plat  d'é* 
pée  nue  fur  l'épaule,  ou  en  un  coup  de  heaume  à  la  main ,  en  prononçant 
ces  mots  :  »  jiu  nom  de  Dieu  ,  dt  St.  Michel ,  de  St*  George ,  je  te  fais 
,»  Chevalier;  «  après  cela  il  fe  couvroit  la  tête  de  fon  heaume  ou  cafque, 
,  &tout  armé  il  montoit  à  cheval  &  caracolloit  dans  la  place  publique;  c'eft  Ik 
qu'il  faifoit  voir  fon  adreffe  aux  acclamations  de  tout  le  peuple.  La  guerre 
admettoit  une  façon  plus  expéditive  pour  la  réception  des  Chevaliers ,  fur 
te  champ  de  bataille ,  il  n'avoit  qu'à  préfenter  fon  épée  par  la  garde  pour 
avoir  Taccolade  qui  le  faifoit  Chevalier.  Les  occafions  de  nouvelles  promo- 
tions étoient  de  grandes  fêtes  ou  de  grandes  cérémonies ,  comme  la  Pen- 
tecôte ,  le  facre  oc  le  couronnement  des  Rois.  Il  ne  faut  qu'ouvrir  le  Céré^' 
monial  François  par  Godefroid  ^  pour  voir  qu'aux  entrées  &  autres  cérémo- 


6i6  CHEVALIERS    ROMAINS. 

nies  exti;aordinaire$  nos  Rois  donnoient  alors  Torclre  de  Chevalerie.  Les  tour» 

sois  fuppléoienc    en    tems  de  paix  à   Pappareil  de    la  guerre   pour  ces 

promotions. 

•    Il  feniUe  que  la  dignité  d'un  rang  qui  n'eft  dû  qu'à  la  gloire  de  fervîr 

la  patrie  &  fon  Roi,  leroit  déshonorée  fi  elle  s*achetoit:  auffi  tant  que  la 

Chevalerie  fut  militaire ,  ce  titre  fut  exempt  de  vénalité  ;  mais  on  eft  forcé 

de  convenir  qu'il  s'achète  aujourd'hui  avec  les  charges  qui  le  donnent. 


CHEVALIERS    ROMAINS. 

JLiES  Chevaliers  Romains  formoient  le  fécond  ordre  de  la  République. 
'  Sigonius ,  Jufte*Lipfe  &  Saumsdfe  ont  beaucoup  parlé  de  l'ordre  des  Cheva* 
liers  Romains  \  mais  niute  de  s'en  tenir  à  un  endroit  décifif  de  Pline,  qui ,  ou- 
tre l'autorité  que  lui  donne  fa  vafte  &  profonde  érudition ,  mérite,  par  un  titre 
particulier ,  d'être  pris  pour  juge  fans  appel  en  cette  matière  puifqu'il  étoic 
Chevalier  Romain,  ils  ont  tout  confondu.  Ils  ont  établi  une  différence 
chimérique  entre  cavaliers  &  Chevaliers  dés  les  premiers  temps  ;  ils  ont 
fiiit  remonter  l'ordre  des  Chevaliers  Romains  plus  de  trois  cents  cinquante 
ans  avant  fa  naiffance ,  &  ils  ont  recherché  dans  les  cavaliers  des  premiers 
fiecles  de  la  République ,  toutes  les  diftinâions  qu'on  trouve  depuis  le  fie- 
cle  des  Gracques,  attachées  aux  Chevaliers.  Saumaife  même,  embarraflfé 
par  quelques  endroits  de  Pline  &  d'Ovide,  n'héfite  pas  à  donner  le  dé« 
menti  à  ces  deux  Chevaliers  Romains  ;  il  prétend  en  favoir  plus  qu'eux 
fur  l'origine  &  la  conftitutlon  de  l'ordre  dans  leauel  ils  étoient  nés.  Une 
opinion ,  foutenue  par  des  noms  fi  fameux  dans  la  littérature ,  a  formé  un 
préjugé  que  la  foule  des  antiquités  a  fuivi.  Eybénius,  dans  une  favaote 
differtation ,  de  ordine  cqueftri  vcterum  Romanorum ,  &  Grevius  dans  la 
préface  du  premier  tome  de  fon  tréfor  des  antiquités  Romaines,  difent 
d'excellentes  chufes,  ils  approchent  fort  de  la  vérité;  mais,  tous  les  deux 
paroiffent  admettre  un  ordre  de  Chevaliers  Romains,  formé  &  diftingué 
des  deux  autres  ordres  long-temps  avant  les  Gracques;  ce  qui  eft  entière* 
ment  oppofé  au  fentiment  de  Pline. 

Depuis  les  commencemens  de  Rome  jufqu'au  temps  des  Gracques ,  les 
fénateurs  avoient  été  en  poflefiion  dés  tribunaux.  Les  tribuns ,  qui  par  des 
efforts  continuels,  travailloîent  à  établir  la  démocratie,  avoient  refpeâé 
l'adminiftration  de  la  juftice  ;  ils  rfavoient  ofé  jufqu'alors  en  dépouiller  le 
fénat,  lorfqu'il  s'éleva,  au  milieu  de  la  République,  deux  hommes  auffi 
liés  enfemble  par  la  conformité  de  vues,  de  génie,  de  talens\  que  par  le 
Ikng  &  la  naiflance  ;  d'un  efprit  étendu ,  vif  &  entreprenant ,  mais  trop  ra- 
pide &  trop  peu  mefuré  dans  fa  marche  ;  capables  de  tout  perfuader  par 
leur  éloquence,  &  de  tout  exécuter  par  leur  courage;  nés  pour  être,  par 

leurs 


'  \ 


CHEVALIERS    RO  MA  INS.  ftf 

leurs  qualités  brillantes,  les  idoles  dû  peuple  &  la  terreur  du  féoae,  & 
qui  prirent  un  eflbr  fi  hardi  au-defTus  des  loix,  qu'on  ne  put  le« -abattre 
que  par  une  hardiefTe  pareille. 

Tibérius  Gracchus,  Tainé  de  (es  deux  fireres,  fe  montra,  le  premier  fur 
la  fcene.  Rival  des  grands  de  l'Etat  par  ambition ,  ennemi  par  refleotiment  ^ 
bientôt  aigri  par  les  contradiâions ,  il  s'efforça  tout  à  la  fois  d'arracher  au 
fénat  les  deux  avantages  que  les  hommes  fe  difputent  avec  le  plus  d'ar^ 
deur ,  les  honneurs  &  les  ncheifes  ;  &  comme  les  loix  agraires  lui  avoienc 
attiré  la  haine  non-feulement  du  fénat ,  mais  aufli  des  plus  riches  d'entre 
le  peuple,  qui  poffédoient  de  grands  fonds  de  terres,  U  voulut  regagner 
ceux-ci,  en  leur  donnant  du  côté  de  l'honneur  &  de  la  prééminence,  ce 
qu'il  leur  ôtoit  du  côté  de  la  fortune.  Les  cavaliers  tenoient,  par  leur  ri- 
cheflè ,  le  premier  rang  dans  l'ordre  du  peuple.  Tibérius  Cracchus  proposa 
d'ôter  les  jugemens  aux  fénateurs ,  qui ,  par  des  injuflices  récentes ,  ne  don* 
noient  que  trop  de  prife  à  leurs  ennemis ,  &  de  choifir  dans  les  centuries 
des  cavaliers  de  quoi  remplir  les  tribunaux.  A  cette  nouvelle  attaque ,  le 
fénat  alarmé  oppo(a  la  violence.  Tibérius  Gracchus  fut  maflacré,  &  le 
peuple  regarda  toujours  fa  mort  comme  un  aflaffînat,  tandis  que  le  fénac 
en  ni(bit  gloire,. comme  d'un  jufte  effet  de  la  vengeance  publique. 

Dix  ans  ^^^^9  fon  frère  Caïus  fuivit  les  traces  (te  fon  aine.  U  fît  pafibr 
la  loi  que  Tibérius  Gracchus  avoir  propofée.  Les  fénateurs  furent  ooligés 
de  céder  l'admioiflration  de  la  juftice  ;  &  la  mort  de  Caïus ,  pareille  à  cdle 
de  fon  frère ,  ne  leur  rendit  pas  la.  place  qu'il  leur  a  voit  otée.  Les  cava* 
liers ,  devenus  juges ,  acquirent  une  nouvelle  confidération.  On  commença 
dès  lors  à  les  regarder  comme  un  corps  refpe£bble  \  quoique  félon  Pli- 
ne ,  l'ordre  des  Chevaliers  Romains  ne  fût  pas  entièrement  formé ,  &  qu'il 
ne  fit  encore  qu'i^ne  portion  du  peuple ,  mais  élevée  au-deffus  de  l'autre  ^ 
par  le  titre  de  juges.  C'ell-U ,  pour  ainfi  dire ,  le  berceau  de  l'ordre  des 
Chevaliers  Romains,  qui  ne  parvint  à  fa  perfèâion  que  fous  le  confulat 
de  Ciceron.  Nous  allons  fuivre  jufqu'à  ce  temps  toutes  les  révolutions  qu'il 
effuya.  1 

Il  y  avoir  feize  ans  que  les  Chevaliers  Romains  Êiifoient  feuls  la  fonc- 
tion de  juges ,  Jorfque ,  l'an  de  Rome  647,  le  conful  Q.  Servilius  C^-> 
pion,  aidé  de  l'éloquence  de  L.  Craffus,  le  plus  grand  orateur  de  fon 
temps ,  efTaya  de  fiure  ceffer  la  difcorde  entre  le  fénat  &  les  Chevaliers  ^ 
en  les  joignant  enfemble  dans  l'exercice  de  la  judicature.  On  ne  fait  pas 
certainement  fi  cette  loi  fut  reçue.  Du  moins  fut*elle  bientôt  oubliée , 
puifque  Cicéron  dit  qu'avant  la  loi  Flotia ,  les  fénateurs  n'a  voient  poinc 
encore  partagé  les  jugemens  avec  les  Chevaliers.  Peut-être ,  &  c'efi  le  fen- 
timent  de  Sigoniùs,  cette  loi  de  Capion  fut-elle  abolie  deux  ans  après,  par 
celle  de  C.  Servilius  Glaucia ,  tribun  du  peuple  fous  le  confulat  de  Marius  ^ 
en  649.  Ç'eil  ce  que  Sigoniùs  conclut  de  quelques  paflkges  de  Cicéron,  & 
d'un  fragment  même  4e  la  loi  Servilia  Glaucia  «  qu'il  avoir  trouvé  fur  deux 

TomXI.  liii 


/ 


c 


«tt  C  H  E  VA  1  I  ERS    ROMAINS. 

m  - 

tables  d^airain  /  daM' le  cd&inec  du  Cardinal  Bembo.  Cette  dernière  loi  ^ta« 
bUc»  po&r  le  jugement  de  concuffioâ ,  quatre  cents  cinquante  juges  qui  ne 
foient  point  fénateurs.  Il  efl  vrai  que  Sigonîus  retarde  rérabliflëment  de 
dette  loi  jufqtfen  6$9f ,  lorfqQe  C.  ServHius  Glaucia  éroit  pféteur.  Mais,  il 
vaut  niieux  fom-e  ici  les  annales  de  Pighkis,  dont  le  fentiment  s^accorde 
Itftera  avec  la^  fuite  des  k>ix  Romaines.  Ce  qu^it  y  a  de  certain,  c^eft  que 
h»  fiéiîateur)9'rï?avoient  plus  d'entrée  àox  jugemens  en  Mi,  lorfque  lé  tri- 
bM  M.  Livfus  Drfi&e)  propofa  an  peuplé,  &  fit  £»re  une  loi  qui  mettoit 
dans  tes  tribunmix  tm^  nombre  égal  de  fénateurs  &  de  Chevaliers.  Il_  vou- 
kriif ,  pa#  ee  nroy^n ,  éteindre  la  jaloafie  qui  divifoit  la  République,  Il  lui 
arriva  (^e  qui  ^  mye  (uice  ordinaire  dts  ménagemens  timides  ^  il  mécon« 
tcMta  les  ièe^%  ordres  qu'il  préténdoit  •  réunir  ;  &  après  qu'il  eut  été  aflaffiné 
ar  une  main  inconnue,  on  ne  pur  même  deviner  lequel  des  deux  parris 

i  ^oit  porté  lé  coup  mortel.  Ses  lûix  moururent  avec  lui  ;  &  le  confitl 

ilippe  les  afyiam  frit  eafler ,  les  Chevaliers  Romains  refterent  Ibuls  en 
(rofiefllon  des  tribunaux. 

Mais  ils  lurent  contraints  de  les  partager,  deux  ans  après,  avec  le  fé- 
flàt^  même  avec  le -peuple,  par  la  loi  du  tribun  M.  Plautius  Silvanus.  Elle 
portoit  ç^ue  chaque  tribu  liohimerbit  tpus  les  ans  quinze  perfonnes  pour 
i^'dre  \k^  ^  jugemfens  ;!  &  ne  fpécifiant  aucun  des  trois  ordres ,  elle  laiffoit 
tà^  liberté  dé  chotfir  tés  juges  indifiëremment  entre  les  fénateurs  «  les  Che- 
f'allérs  &  le  peuplé.  On  ne  fait  fi  cette  loi  fubfifta  en  fon  entier  jufqul 
Syllà;  mais^  il  efl!  Cdnftant  qu^en  Sj-^^  Sytia,  diélateur  &  conful  pour  la 
fedonde  fois',  ôra  lei  jugemens  aux  Chevaliers,  qui  s'étoient  déclarés  con* 
rre  lui  dans  ta  guerre  civile,  <&  qu'il  les  donna ,  par  une  loi,  aux  feuls 
fénateurs. 

Dix  ans  après^,  fdus  le  premîéif  càtifukt  de  PomJ)ée  &  de  Craffus,  lorP- 

2ué  Fottipéé  eut  établi  la  puiflTance  tribunitiénfne  ^  le  préteur  L.  AUrélios 
lotta  voulut  afifli  contribuer  à  réunir  les  trois  ordres;  fa  loi  portoit  que 
ïes  tribunaux  feroiént  en  même  temps  j'emplis  par  les  fénateurs ,  par  les 
Chevaliers  &  par  des  officiers  du  tréfor,  nommés  trihuni  ararii^  qui 
étoiêfit^  de  l'ordre  du  peuple.  Cicéron  étoit  défigrié  édile,  quand  cette  loi 
fut  publiée;  elle  étoît  éncdro  obfervée  fous  fon  confulat.  ' 

té  feifond  êcat  où  Pline  lious  montre  les  Chevaliers  komàins,  dans  le 
temps  qùHfe  cbmihénçoîent  à  fortner  un  ordre  à  part,  eft  celui  de  fermiers 
publics.  Oùt^e  le  tribut ,  ou  la  taxe ,  qu'on  cefla  de  payer  en  586  ,  après  la 
conquête  de  la  Macédoine,  les  revenus  de  la  République  étoient  de  trois 
efppdes.  i^.  Ceux  qui  fe  tiroient  des  terres  publiques,  dont  la  dixme 
étoît  due  au  peuplé  Romain,  Dtcumœ.  20.  Les  droits  impofës  (ur  le  bê-- 
rail,  qi^  les  partîciuWelrs  envèyoiént  dans  les  pacages,  dont  la  République 
s^étoit  réfervé  une  grtmflé  étendue  dkns  les  diverfes  Provinces.  Cet  impôt 
»'appèîloityï:n/r/r/f^tf ,  pâl-ce  que  1er' Commis  tenprent  regîftrcde  chaque  tête 
de  bétàih  La  trolfieidae  fburçé  dés'  revenus  publics  y  étoient  les  droits  qui 


C  H  E  7  Â  L  I  X  R  S    H  a  M  A  r  HT  £  <i^  ^ 

fe  payoiênt  £àr  les  knafdiandîres  ;  ce  ^^bn  mppdloic  ^rtprtam^  parce  que 
celles  qui  entroient  dans  les  forts  ^  ou  qui  en  fortoieot  pour  écre  tranlr 
portées  ailleurs,  eu  fàifoient  la  plus  confîdérable  partie.  La  république  re- 
cueilloit  ces  reirenus  par  de$  comuagoies  qui  les  prenoient  à  ferme.  Les 
cenfenrs  les  aflSbrmoient  au  {ûun  oi&ant  ^  &  le  bail  durok  cinq  ans ,  intec^ 
valle  ordinaire  de  deux  cenfures.  De  plus ,  les  ouvrages  &  les  £mmitures 
publiques  ^tôient  avffi  afFecmés,  au  rabais ,  |iar~ les  cenfeurs.  La  première 
^te  de  ferme  s'appeUok  vtâig^dién  là  (ècanée^  sJ$ro  tribut  a, 
,  Ces  compagnies  ne  pouvoienc  ^  fans  doute.,  être  formées  que  àj^  plus  n- 
elles  de  l'Ëtat.  Mais,  les  finsteurs  n'entroient  pas  dans  ces  encreprifes.  Tout 
ce  qui  fentoit  l'intérêt,  ^eur  >paroiffi»t  indigne  d'eux.  Le  commerce  même 
leur^étoit  interdit.  Les  centuries  des  cavaliers  fàifoient,  comme  nous  l'ar 
vous  déjà  obfervé)  la  tète  é^  la  première  claflè;  c'ëtoit  les  plus  opulenis 
4'entre.  le  penple..  Us  avoient  donc  plus  de  moyeos  de  s'intérefler  dàds 
les  fèrm!es  publiques.  Aulfi  les  y  voyom^nous  avant  les  Craoqùes.  Tite^Li* 
ve  raconte  que  Tlbérius.  Gracchus,  père  des  Grecques,  ayant,  dans  fit 
"cenfuce ,  ^StvSé  par  fa  févérité  le  corps  des  cavaliei^ ,  acheva  -de  les  ai- 
grir en  excluant  du  bail  jjes  fermes ,  ceux  qui  avoieac  eu  parc  au  bail 
précédent. 

Quand  la  loi  de  C.  Gracchus  les  eut  rendu  maîtres  de  la  jiffiice ,  ils 
ne  renoncèrent  pas  i^  l'utile  occupation  de  manier  les  denlet^  '  publics.  Oh 
les  accufoit  même  d'autorifer  à  Rome,  par  leurs  jugement;  les  vexations 
ique  leurs  comnus  exerçoient  dans  les  provinces.  En  65 1  ,  P.  Rutilius,  le 
plus  honnéte-faommè  qr  la  République ,  s'étant  rendu  odieux  à  Tordre  des 
Chevaliers  Romains,  pour  avoir  réprimé  en  Afie  l'avidité  des  Publicains, 
iut  aocufé  à  fon   retour,  devant    eux  \    &  condamné  fans    preuve  ,  il 

Sorta  dans  fon  exil .  l'eftime  publique ,  &  fut ,  ]>ar  la  vénératieA  des  rois 
i  des  nations  étrangères,  dédommagé  d\ine  fentence  qui  ne  âétriflbit^ue 
les  jupes.  > 

Mais,  lorfque  Sylla  eut  interdit  aux  Chevaliers  Romains  les  fànâions 
de  juges,  ils  cherchèrent,  en  plus  grand  nombre  aue^ jamais,  à  fe  con-* 
foler  par  le  profit ,  de  ce  qu'ils  perdoient  de  confioération  &  d'autorité. 
Depuis  ce  temps,  il  n'eft  *parlé  que  des  Chevaliers,  quand  il  eft  queftion 
de  fermei  publiques.  Ce  n'en  pas  qu'ils  fuflent  tous  publioaihs  ;  mais,: il 
^t!y  avoit  dans  les  fermes  que  des  Chevaliets,  &  elles  ett  ^-bcctîpoieot  la 
plus  grande  partie.  C'^  ce  qu'entttid  Pline  ^  quand  il  ditqu'apfèsfies  fô- 
didons  &  les  guerres  civiles  qui  fùivirent  les  troubles-  des  Gracies,  (Se 
qui  défigne  aifez  clairement  le  temps  de  Sylla ,  le  titre  i? Equités  fe  donna 
aux  fermiers  publics  ;  &  que  ceux-ci  firent  ^  pendant  quelque  temps ,  un 
tmfieme  corps  dans  la  R^épublique.  Cornélius  I^épos  remarque  cpkimturte 
fingularité  dans  Atticus  ^  qu'éuot  Chevalier  Rdihàin,  fl  n^entfa  jaiifiaii  dads 
Jes  fermes.  CicéroB  nous  moûtrê  par-tout  les  Fermiers  publics  ;nè^u9  dfi 
^«cede  Chevaliers  Romains*  Après  Ik  loi  d^AttféUttl^otta,^teux^dtétoiellc 

liii  2 


'  6x0  CHEVALIERS    ROMAINS/ 

dans  les  fermes ^  pouvoîenc  en  même-temps  fiéger  dans  les  tribunaux; 
&  Qcéron  ^  dans  le  plaidoyer  pour  Muréna  ,  dît  expreflëmenc  qu'il 
voit  au  nombre  de  fes  juges  pluueurs  Fermiers  publics.  Il  fait  de  ceux« 
ci  un  éloge  magnifique ,  dans  le  difcours  pour  Plancius  :  c^ejl  ,  dit- 
il  ,  la  fleur  des  CAcvaùers  Rûmaias  ^  t honneur  de  la  République  ;  ce  font 
Us  colonnes  de  VEtat. 

Il  Vil  vrai  que ,  par  un  malheur  attaché  de,  tout  temps  à  la  finance  ^ 
mais  q^îi'elle  a  aullt  de  tout  temps  fupporté  avec  intrépidité  ^  ils  ne  font 
pas  toujours  traités  avec  tant  d'honneur  ;.  &  on  voit ,  chez  les  Romains , 
un^^tradition  fuivie  de  plaintes  &  de  murmures  contre: les  financiers.  Qu'on 
li(e  dans  Tice-Live  Phiftoire  de  Pofihumius  de  Pyrge.  Paul  Emile ,  après 
la  conquête  de^  la  Macédoine ,  abandonna  dans  cette  province  des  fonds 
,4}ui  pouvoient  être  d'un  grand  produit  pour  la  République  ^  mais  qu'on  ne 
pouvoir  faire  valoir  que  par  le  miniftere  des  Fermiers  ^  parce  que  ^  difoit- 
il ,  par-tout  où  le  PubUcain  s'emploie  »  il  arrive  de  deux  chojes  l'une ,  ou 
,    la  République  ne  retire  rien  ^  ou  la  province  eft  écrafée.  Cicéron  donne  pour 

1)reuve  de  la  grande  aflëétion  des  Siciliens  pour  les  Romains  ^  que  ce  font 
es  feuls  peuples  de  l'Empire,  à  qui  un  Publicain  ne  fbit  pas  odieux.  Ceae 
prévention   univerfelle  ne  rebuta  pas  les  Chevaliers   Romains;  &  les  ri^ 
chefles  qu'ils  acquirent  au  'milieu  de  ces  mécontentemeqs ,  fervirent  par 
ffucceflion  d.e  temps  à  donner  à  leur  ordre  ce  luftre  &  cet  état  de  fèrme^ 
té,  auxquels  il  parvint  fous  le  cbnfulat  de  Cicéron. 

C'eft  le  troifieme  &  dernier  degré  où  Pline  les  conduit  dans  le  paflage 

que  nous  expliquons.  Il  fàudroit  teire  l'hiftoire  de  Cicéron  toute  entière, 

pour  montrer  toutes  les  occafions  où  ce  grand  homn^e  fe.fit  un  devoir'de 

relever lesf Chevaliers  Romains,  entre  leiquels  il  étoit  né.  Il  leur  donna, 

par  fes  vertus  &  par  fes  talens ,  plus  d'éclat  qu'il  n^en  avoir  reçu  d'eux 

par  la  naiflance.*  11  fit  fi  bien  valoir  leurs  fervices .  dans  la  coi^uration  de 

Catiiina,  que  la  République  crut  leur  devoir  fon  (alut;  il  les  fit  aimer  du 

^peuple,  en  fe  rendant  lui-même  populaire  vil  les  réconcilia  avec  le  Sénat, 

.dont  ils  érpient  divifés  par  une  ancienne  jaloufie.  C'eft  ce  dont  il  fe  fait 

gloire  dans  j  la  quatrième  Catilinaire,  prononcée  dans  le  Sénat.  Aucun  des 

Chey^Uers;  Rotpains  ne  reclamaj  contre-  le  titre  de  patron  de  leur  ordre , 

que  Cicéron:  pcétend  lui-même:  mériter  mieux   que  perfonne.  C'eft  dooc 

jivec  rsufonique*  Pline  dit  :  de  lui  :  9  enfin  Cicéron ,  dans  fon  confular, 

.»  prpfiu^  de^ .  la  conjuration  de  Catiiina  pour  donner,  un  état  de  confiflance 

.31  à  l'ordre  des  ChevaUers  Romaiusi,  fe  faifant  honneur^  d'v  avoir  pris  naif- 

»  jTance,  &  fe  rendant  jpopulaire  pour  l'affermir  «.  Ce  nit  alors  que  cet 

ordre,  ayant, pris  toute  la  confiflance,  commença  à  figurer  avec  les  deux 

.^tr^Bs.  l^  raqg  dans;  lequel  il  eft  énoncé  4ans  les  zQits  &  dans  les  mono- 

^snens  fu]bliçç ,  n'étant  nommé  qu'après  le  peuple,  eft  une  preuve  de  fa 

roouvea^.   Le  Fere  H^rdquin:  cite  pourtant  comme  une  exception,  wat 

. médaille jiie  fon  çairinfc,;,  que  wpporie  attlfi  |A$28ab«rbe}  on  y  lifc|  ctm- 


CHEVALIERS    ROMAINS.  (it 

fenfu  Sénat.  &  Eq.  Ordin.  P.  Q.  R.  Mezzabarbe  y  a  même  fidt  une  fku«- 
te ,  en  mettant  la  lettre  S  avant  celles  qui  dëfignent  le  peuple  Romain  î 
ce  qui  fait  une  répétition  vicieufe  du  mot  Scnatus. 

Nous  n'ajouterons  qu'une  réflexion.  Quoique  l'ordre  des  Chevaliers  Ro- 
mains fit  enfuite  une  des  trois,  parties  intégrantes  dans  la  divifion  des  ci- 
toyens ,  il  n'eut  pourtant  à  part  dans  l'ordre  public ,  ni  magiilrats ,  ni  af^ 
femblées;  il  ne  formoit  point  fëparément  de  décret.  Les  Chevaliers  Ro* 
mains  ^  quoique  diftingués  du  peuple  par  le  rang  &  par  le  nom ,  fuivi- 
rent  toujours ,  dans  le  gouvernement  »  les  loix  &  la  difcipline  du  peu- 
ple ;  &  les  mots  fcnatus  populufquc  Romanus ,  fi  fréquens  dans  les  inf- 
criptions  &  dans  les  autres  monumens ,  continuèrent  de  comprendre  tous 
les  Romains. 

Nous  trouvons  fous  les  Empereurs ,  des  Chevaliers  Romain$  de  diverfes 
conditions,  félon  les  divers  degrés  de  leur  nobleflTe,  de  leur  fortune,  & 
de  leur  fiiveur.  Les  uns  fervoient  entre  les  cavaliers  Prétoriens  ,  ou  entré 
ceux  qu'on  appelloit  fingulains  ,  &  qui  fidfoient  partie  de  la  garde  du 
Prince»  d'où  ils  pafToient  aux  préfèâures.  Claude  leur  donnoit  des  poftes 
honorables  ;  &  l'ordre  de  promotion  qu'il  avoir  établi  pour  eux  y  étoit  d'a- 
bord le  commandement  d'une  cohorte ,  enfuite  celui  d'une  aile,  enfin  le 
tribunat  d'une  légion.  Galba  proclamé  Empereur  en  Efpagne ,  choifit  pour 
fa  garde  de  nuit  des  Chevaliers  Romains ,  à  qui  il  donna  le  nom  d'f^ 
vocatL  Cafàubon  croit  que  cette  inftitution  fubfifla  ,  &  que  ce  font 
ceux  qui  font  fouvent  nommés  dans  les  infcriptions  Evocati  Augujii  ; 
en  forte  que  le  nom  i^Evocatus  auroit  alors  perdu  fà  fignification  an- 
cienne. 

Les  Chevaliers  Romains  les  plus  diflingués  éroient  Intendans  des  pro^ 
vinces,  fous  le  tirre.de  procuraiorcs  Cctfarum;  ce  que  Tacite  appelle  tqutf- 
tris  nobilitas.  On  les  voit  revêtus ,  dans  les  infcriptions ,  de  divers  emplois 
d'honneur  ou  de  confiance.  Ils  font  bibliothécaires  de  l'Empereur.  Selon 
l'inflitution  d'Augufle ,  c'étoit  un  Chevalier  Romain  qui  gouvernoit  l'E- 
gypte. Mais ,  la  plus  haute  dignité  attachée  à  leur  ordre ,  étoit  celle  de 
préfet  du  prétoire.  Une  loi  de  Valentinien  I  leur  donne  rang  immédiate- 
ment après  les  Clartffimes. 

Quoique  les  Chevaliers  Romains  ne  fîfTent  plus  partie  depuis  long-temps 
de  lai  cavalerie  légionnaire ,  il  s'en  trouvoit  qui  s^engageoient  quelquefois 
dîÉns  le  fervice.  Quelques-uns  fans  doute  s'y  jettoient  encore ,  foit  par  goût» 
jbit  par  la  fituation  de  leur  fortune.  On  trouve ,  quoique  rarement ,  fur 
les  marbres  antiques ,  its  Chevaliers  Romains  dans  la  cavalerie  des  lé- 
gions. Nous  voyons  même  qu'ils  faifoient  quelquefois  un  corps ,  &  qu'ils 
^voi^nt  des  tnfpeâeurs  ^  curionts  \  s'il  eft  vrai  que  Reinéfius  explique  bien 
ce  mot  par  celui  de  curatons.  Mais,  pour  ne  pas  multiplier  fans  fon- 
.denitat,  dans  les  infcriptions,  le  nombre  des  Chevaliers  Romains  atta- 
>ch43^ftuji:  l^gioos^  il  £uit  obferver  que.  le  mot  i^Equcs  tout  feul,  ou  equts 


6i%  t:  H  E  V  A  1  I  E  R  S    ROMAINS. 


Lsafou- 


hgionisy  quand  le  mot  Romanus^  ou  ctMA^Eqiw  puhlico  n'y  font  pto< 
;és,  ne  fignifie  qu'un  fimple  cavalier  de  teHe  ou  ceUe  légion,  qui  \ 
pas  Chevalier  Romain. 

Ceft  ici  le  lieu  d'expliquer  ce  que  fignifienc  ces  deux  mots  ^  Equo  pu-' 
llico ,  qui  fe  trouvent  quelquefois  dans  les  Auteurs ,  &  trés-feuvent  dans 
les  infcriptions.  Tantôt  ils  font  ajoutés  à  Eqius  Ramanus^  tantôt  ils  expri* 
ment  tout  feuls  une  dignité.  Sigonius ,  Julte^^ipfe ,  &  d'après  euxRofiiii  • 
Valtrinus ,  Charles  d'Aquin  »  &  prefque  tous  ceux  qm  ont  traité  de,  la  mi« 
lice  romaine ,  prétendent ,  qu^il  y  a  eu ,  chez  Içs  Romains ,  deux  fortes 
iHEquitcs  dès  les  premiers  .fiecles  de  Rome.  Ils  oppo(ent  les  uns  aux  Séna« 
teurs ,  &  ce  font ,  diient-^ils ,  les  Equités  equo  jmblico^  qui  compolôîent 
l'Ordre  des  Chevaliers  Romains  ;  ils  oppofent  les  autres  aux .  ^ntaffins  léf- 
gionnaires^  &  les  appellent  Equités  jcqwo  privçîo;  c'étoient,  difentnls,  les 
limples  cavaliers.  Ils  appuirnc  cetie  Opinion  fin*  plnfieurs  paffiiges  nuden»* 
tendus.  Cette  dtftinâion  a  éré  détruits ,  lorfqu'on  a  prouvé  que  POrdre  des 
Chevaliers  Romains  ne  fub(Uloit  pas  avant  les  Gracques ,  &  qu'il  n'y  avoit 
jufqu'alors  d'autres  Equités  que  les  cavaliers  des  Légions.  Si  on  veut  voir 
une  réfutation  détaillée  du  fenciment  de  Sigonîus  fur  ces  Equités  equo  prir 
vato ,  dont  l'antiquité  ne  dit  pas  un  mot ,  &  qui  n'ont  jamais  exifté  y  ou 
peut  confulter  la  Préface  de  Grévius  au  premier  tome  de  fon  Tréfor  des 
antiquités  romaines. 

Nous  nous   contenterons  d'expliquer  ces  termes ,  equo  .publico  ;  ce  qm 
«ous  donnera  lieu  de  développer  encore  plufieurs  choies  fur  l'état  &  l'or* 
'Att  dès  Chevaliers  Romains  depuis  Cicéron.  Dès  les  premiers  temps,  oi 
appelloit  Equus  publicus,  les  chevaux  des  cavaliers  légionnaires,  paùrceqoe 
jhi  République  les  fourniflbit,  &  qu'ils  étoient  donnés  par  les  Cenfeurs.  Mais 
tious  ne  trouvons  pas  qu'avant  Cicéron  aucun  Auteur  ait  employé  ces  ter- 
tres, Eques  equo  publico)  &  il  y  a  lieu  de  croire  que  cette  «xpreffion  eft 
^n^e  vers  le  temps  même  de  Cicéron  ^  lorfque  les  Chevaliers  Romains  s'étant 
tout-à-fatt  féparés  de  la  cavalerie  des  légions ,  fe  diftinguerent  par  cette  addi- 
tion y  Equo  publico ,  des  Chevaliers  qui   s'appellerent  fimplement  Eqaitif* 
Ainfi  Equités  equo  publico  étoient  les  Chevaliers  Romains  qui  recevoient 
de  la  République  un  cheval ,  non  plus  pour  fervir,  comme  autrefois,  dans 
la  cavalerie ,  mais  par  diftinâion  &  par  honneur.  Ce  n'efi  pas  que  les  che- 
vaux des  cavaliers  ne  fuffent  fournis  &  entretenus  aux  dépens  àe  PEcar; 
«mais,  comme  ils  étoient  donnés  ians  cérémonie  par  ceux  mêmes  qui  fi»- 
-fbiént  les  levées ,  la  qualité  de  pnblicus  fut  affeâée  aux  chevaux ,  que  tes 
*^cenfeurs  &  enfuiceles  Empereurs  donnoient  folemnellement  aw  nom  de  la 
République.   On  étoit  Chevalier  par  la.  naiflance;  mais^  par  ta  donation 
du<:heval,  on  entroit  dans  les  compagnies  qui  s!!appelIoient  aa^mm  ^quê» 
rum  publicorum  ,  &  on  devenoit  alors  Eques  equo  publico. 

Cette  éptthere  de  publicus  ne  &  donnoit  pas  feulement  an  èheval  ;  elle 
caraâérifoit  quelqudFois  le  Chevalier  fnétne.  Li^orius  a  donné  une  inlcvip- 


C  H  E  V  AL  I  E  R  S    R  O  M  A  I  N  S,  ^a^ 

tion ,  que  Francefco  Maria  Pratiiti  a  renouvellée  dans  fa  defcription  de  la 
voie  Appia ,  où  Equcs  publicus  ne  paroit  fignifier  que  ce  qui  eft  marqué 
ailleurs  par  Eqiio  publico. 

Cicéron  ,  dans  la  (ixieme  FhiKppique,  fe  moquant,  des  flatues  que  fe 
fidfoit  drefTer  à  lui-même  L.  Antonius ,  frère  de  Marc<-Antoine  »  parle  del 
celle  dont  l'infcription  fuppofoit  qu'elle  lui  étoit  érigée  par  les  Chevaliers 
Romains,  &  qu'ils  le  reconnoiflbient  pour  proteâeur  de  leur  Ordre.  Ec 
ce  qui  prouve  qu^ Equités  Romani  equo  publico'  n'étoient  pas  une  efpece 
particulière  de  Chevaliers,  mais  que  tous  les  Chevaliers  en  général  s'ap« 

Eelloient  ainfi ,  c'eft  que  ceux  mêmes ,  à  qui  Cicéron  donne  ce  nom  dans 
i  fixieme  Philippique ,  font  défignés  dans  Iw  feptieme  fit  ces  mots ,  Cen-* 
turiœ  equitUm  Komanorunn  ;  ce  qui  comprend  tous  les  Chevaliers.  Il  ap-* 
pelle  ironiquement  L.  Antonius  Patronus  Centuriarum  cquitum  Romane^ 
rum^  le  Proteâeur  des  Centuries  des  Chevaliers  Romains. 

Cependant,  Pline  nous  dit  que  du  temps  d'Augufte  les  Chevaliers  Ro^ 
mains ,  revêtus  de  la  qualité  de  juges ,  portoient  le  nom  de  Judices  &  non 
A^ Equités ,  &  q«e  ce  dernier  nom  étoit  réfervé  à  ceux  qui ,  divifés  en  plu- 
fieurs  compagnies  nommées  turmes ,  avoient  un  cheval  fourni  par  la  Répu^ 
blique.  Par-là  il  nous  donne  à  entendre  deux  chofes,  i^.  qu'alors  les  Che^ 
valiers  Romains,  quand  ils  entroient  dans  la  judicacure,  quittoient  le  nom 
i^Equites  pour  prendse  celui  de  Judices  ^  &  qu'ils  fortoient  des  compagnies 
nommées  Turmœ  cquorum  publicorum.^  2^  Que  cette  diftin6iion  ne  fub- 
fiiloit  plus  de  fon  temps,  &  que  les  Chevaliers  Romains,  même  pendant 
leur  judicature ,  confervoient  le  nom  à^Equites.  En  effet ,  plufieurs  infcrip-» 
dons  I  fans  doute  poftérieures  à  Augufie ,  nous  donnent  des  juges  avec  lé 
titre.  èiEquo  publico.  » 

Tant  que  les  Equités  Romani  compoferent  la  cavalerie  légionnaire ,  cha« 
que  légion  contenoit  dix  compagnies  de  cavaliers,  &  ces  compagnies  tt 
fiommoient  Turmes  ;  nom  qui  fe  conferva ,  mais  dans  un  autre  fens ,  parmi 
les  Chevaliers  Romains ,  lorfqu'ils  fe  fiirent  détachés  des  légions.  Tout  le 
corps  des  Chevaliers  Romains  fe  divifoit  en  (ix  turmes ,  dont  chacune  avoit 
fon  commandant ,  qu'on  appelloit  Sévir  Equitum  Romanorum.  Toutes  ces 
turmes  font  nommées  fur  les  marbres,  excepté  la  fixieme,  qui  ne  s'efl 
encore  trouvée  dans  aucune  infcription  félon  la^remarque  de  Fabretti.  Mais^ 
le  nom  de  Seyir  témoigne  affez  qu'il  y  avoit  fix  turmes,  comme  (ix  com<^ 
mandans.  De  tous  les  Auteurs ,  Capitolin  eft  le  feul  qui  parle  de  ce  févi« 
rat;  il  dit  qu'Antonin  ,  après  avoir  défigné  Conful  Marc*AureIe,  le  fit  Sévir 
des  turmes  des  Chevaliers  Romains .  Mr.  Spanheim  prétend  qu'ici  cette  qua« 
Uté  eft  la  même  que  celle  de  Frinceps  juventutis.  Mais  les  infcriptions  prou^ 
vent  que  le  Sévir  étoit  inférieur  au  Prince  de  la  jeuneffe.  Quand  les  Che- 
valiers ^Rjomains  pafTofent  en  revue ,  ce  qu'on  appellôît  tranfveSio ,  ils  ft 
partageoient  en  fix  éfcadrons,  dont  chacun  avoit  fon  commandant;  le  chef 
générai  àe  toute  cette  cavalerie ,  celui  qui  commandoit  à  tous  les  Sévirs> 


^24  CHEVALIERS    ROMAINS. 

écoic  le  Princeps  juvenmtisi  &  depuis  que  les  Chevaliers  Romains ,  pour 


la  dignité  de  Sévir ,  au'  lieu  de  celle  de  Princeps  juventutis.  Adrien  lui 
avqit  déjà  donné  le  cheval  public  à  Tâge  de  ûx  ans ,  félon  le  même  Ca« 
pitoUn. 

Turnebe  prérend  que  ces  ûx  nirmes  de  Chevaliers  Romains  ont  rapport 
à  l'ancienne  divifion  en  rhamnes,  titUn/es,  luccrts^  dont  chaque  partie  fe 
divifbit  en  primi  &  fccundi.  Nous  ne  voyons  aucun  fondement  à  cette  opi«* 
nion.  Ces  noms  imciens  ne  fubfifioient  plus  fous  les  Empereurs;  &  ces 
turmes  ne  font  diftinguées  dans  les  infcriptions  que  par  les  noms  de  nom* 
bre  y  prima ,  fecunda ,  &c. 

Peut-être  cette  divifion  des  Chevaliers  Romains  en  fix  turmes,  ^'avoit- 
elle  lieu  en  aucune  autre  occafion  que  dans  les  deuje  revues  appellées  tratif^ 
vcSio  &  eauitum  probatio.  La  dignité  de  Sévir ,  o'étoit\  félon  Reinéfius, 
qu'une  diftinâion  de  pompe  &  de  cérémonie.  Ces  deux  revues  étoient 
peut-être  les  feules  rencontres  où  les  Chevaliers  Romains  fe  trouvoirat  réu« 
nis  ;  &  il  paroit   qu'après  avoir  reçu  de  l'Empereur  le  cheval  public ,  la 

i>rife  de  pofleflîon  de  la  dignité  de  Chevalier  Romain  confiftoit  à  paroitre 
a  première  fois  dans  la  tranfveâion^  en  habit  d'ordonnance,  dans  la  tur« 
me  où  on  étoit  enrôlé. 

Nous  voyons  dans  Gruter ,  le'  cheval  public  donné  par  Trajan ,  par  Adrien  p 
ar  Antonin  ^  par  Marc-Aurele  &  Vérus,  par  Sévère  &  Caracalla.  On  ne 
ait  même  (i  les  Chevaliers  Romains  ne  prenoient  pas  quelquefois^  comme 
ëpithete ,  le  nom  de  l'Empereur  qui  leur  avoit  donné  lé  cheval  public.  Du 
moins  fembloit^il  que  le  mot  Sevcrianus  peut  très-bien  s'expUquer  ainfi 
dans  une  infcription  de  Fabretti. 

Oh  ne  trouve  plus  dans  les  infcriptions  le  cheval  public  donné  par  les 
Empereurs  depuis  Caracalla.  Il  paroit  jpar  les  termes  d'Ulpien,  au  Digefic^ 
que  de  ion  temps  cqiius  publicus  ne  ngnifîoit  plus  que  le  cheval  de  pofte^ 
les  relais  dont  on  fe  fervoit  pour  porter  promptement  les  ordres  du  Prince. 
Il  y  avoit  aulfî  à  Athènes  un  ordre  de  Chevalier.  Pour  être  de  cet  or- 
dre ,  il  falloit  avoir  trois  cetits  mefures  de  revenu  ^  &  être  en  état  de  nour- 
rir un  cheval  de  guerre.  Cet  ordre  faifoit  la  féconde  claffe  des  citoyens. 
Les  Chevaliers  Athéniens  faifoient  tous  les  ans ,  le  dix-neuvieme  du  mois 
de  Mai,  une  procellion  à  cheval  dans  toutes  les  rues  en  l'hoimeur  de  Ju« 

{>iter.  Ce  fut  ce  jour-là  même  que  Phocion  but  le  poifon  mortel.  Quand 
es  Chevaliers  Athéniens  pafferent  devant  la  prifon,  les  uns  ôterent  les  cou- 
ronnes  de  deflus  leur  tête  ;  les  autres»  jettant  les  yeux  far  les  pones  de 
cette  prifon ,  fondirent  en  larmes  \  &  ceux  ,  à  qui  il  reftoit  quelque  fentî' 
ment  d'humanité ,  &  qui  n'avoient  *  pas  i'ame  entièrement  corrompue  & 
aveuglée  par  la  colère  ou  par  l'envie ,  trouvèrent  que  c'étoit  une  trés«grande 

impiété 


i 


CaEZERY.{  Pays  &VaUce de)    CUlFFLET.i  Jean- Jacques)     62$ 

impiété  à  la  ville  de  n^avoîr  pu  fe  contenir  ce  jour-là ,  ni  s'empêcher  ^ 
pendant  une  fête  fi  folemnelle,  de  fe  fouiller  de  la  mort  violente  d'un 
homme* 


itfH 


CHEZERY,  (  Pays  &  Vallée  de  )  cédés  à  la  France^  &  réunis  <iu 
Gouvernement  Général  de  Bourgogne  par  Particle  I.  du  Traité  des  Limites 
conclu  à  Turin  ^  entre  le  Roi  de  France  &  le  Roi  de  Sardaigne^  te  z^ 
Mars  zy6o. 


c 


ETTE  vallée  eft  fitnée  à  la  rive  droite  du  Rhône,  &  s'étend  juf- 


lieue  dans  fa  plus  gratide  largeur ,  &  la  terre  y  efi  fertile  en  bons  pâtu- 
rages &  en  grains.  Indépendamment  de  la  petite  ville  ou  bourg  de  Chezery 
fon  chef-lieu  y  elle  renferme  encore  17  villages. 


CHIFFLET,(  Jean-Jacques  )  Auteur  Politique. 

I  SAN- JACQUES  CHIFFLET ,  premier  Médecin  du  Roi  Catholique 
^  dans  les  Pays-Bas ^  publia  contre  la  France,  vers  Pan  16^^^  un  livre 
ou  libelle  où  il  hafarda  plufîeurs  propofîtions  contre  la  loi  faliqué  dont  il 
conteftoit  l'autorité;  &  où  il  foutint,  à  la  faveur  d'une  faufTe  généalogie» 
que  Hugues Capet y  tige  de  la  race  de  nos  Rois,  ne  defcendoit  point  de 
Charlemagne,  même  par  les  femmes;  qu'il  n'avoit  tranfmis  aucun  droit  à 
fes  fucceueursy  mais  que  la  race  maîculine  de  Charlemagne  ayant  été 
éteinte ,  (on  Royaume  avoit  dû  paifer  aux  Princefles  de  fon  fang  ;  &  que 
le  droit  en  étoit  par  conféqoent  dévolu  à  Philippe  IV,  Roi  d'Efpagne,  qui, 
lelon  cet .  Ecrivain ,  defcendoit  de  Charlemagne  par  les  fetnmes..  Ce  li« 
belle  fut  folidement  réfuté  par  Blondel  en  deux  vol.  in-folio^  ^  par  Do« 
minicy.  Voye{^  Partick  Dominicy* 


Tome  XI.  Kkkk 


6x£  C    H    I    F    F    R    E. 


CHIFFRE,  f.  m.  Certains  caraclcrcs  inconnus ,  déguifcs ,  ou  varies 
dont  on  fe  fert  pour  écrire  des  lettres  qui  contiennent  quelque  chofe  de 
fecret^  afin  qu^elles  ne  foient  pas  comprifes  par  ceux  qui  rCen  ont  pas 
la  clef» 


L. 


<^  Sieur  Guillec  de  la  Guilleriere,  dau  un  li^re  xiiVLVdSé' Lacidimone 

ancienne  &  nouvelle  ^  prétend  que  les  anciens  Lacédémoniens  ont  été  les 
inventeurs  de  l'arc  décrire  en  chif&e. 

Ledrs  fcytales  furent ,  félon  lui,  comme  Tébauche  de  cet  aitmyfttîrieux: 
c^étoient  deux  rouleaux  de  bois  d^une  longueur  &  d'une  épaifleur  égale. 
Les  éphores  en  gardaient  un ,  &  l'autre  étoit  pour  le  génénd  d'armée  qui 
marchoit  contre  l'ennemi. 

Lorfque  ces  Magiftrats  lui  vouloient  envoyer  des  ordres  fecrets,  ils  pre- 
noient  une  bande  de  parchemin  étroite  &  longue ,  qu'ils  rouloient  ezaâe* 
ment  autour  de  la  icytale  qu'ils  s'étoient  cefervée  ;  ils  écrivoient  alon 
deflus  leur  intention;  &  ce  qu'ils  avoient  écrit  formoit  un  fens  par&it  & 
fuisj^i^  tant  que  Ja:  bande  de  parchemin  éroit  appliquée  fur  le  rouleau^t 
mais  dès  qu'on  la  développoit^  l'écriture  étoit  tronquée  &  les  mots  fans 
liaifon ,  &  il  n^y  avoir  ^ue  leur  général  qui  p&t  en  trouver  la  fuite  &  le 
fens ,  en  ajuftant  la  bande  fur  la  fcytale  ou  rouleau  femblable  qu'il  avoir. 
Polybe  raconte  qu'Encare  fit ,  il  y  a  environ  deux  mille  ans ,  une  col* 
leftion  de  vingt  manières  différentes  qu^l  avoit  inventées /ou  dont  ons'é* 
toit  fervi  jufqu'alors  pour  écrire  ;  de  manière  qu'il  n'y  eut  que  celui  qui 
en  fiivoit  le  lecret^  4"^  Y  P^^  comprendre  quelque  chofe.  Trithême,  le 
capitaine  Porta,  Vigenere,  &  le  père  Nicéron  minime,  ont  fait  des  trai- 
tés fur  les  chiffres;  &  depuis  eux,  on  a  encore  bien  perfëâionné  cette 
manière  d'écrire. 

S'il  efl  vrai ,  comme  le  penfent  les  plus  habiles  Moralifles ,  que  furpren- 
dre  malicieufément  le  fecret  d'autrui,  c'efl  commettre  un  larcin  mortel» 
"on  s'étonne  avec  raifon  que  la  tnéthode  d'ouvrir,  en  temps  de  paix,  les 
lettres  &  dépêches  des  Minières  publics ,  pour  en  découvrir  furtivement 
ieeontedu,' foit  encore  eti  ufagë  parmi  les  Souverains  du  XVIII«*  fîecle. 
Un  Prince  qui ,  de  nos  jours ,  empôifonneroit  les  rivières  qui  portent 
leurs  eaux  vers  l'ennemi ,  qui  fèroit  périr  de  fang-froid  des  prifonniers 
de  guerre,  &  qui  exercerait  quelque  inhumanité,  ou  fèroit  une  injuftice 
manifefte  à  un  autre  Souverain,  pafTeroit  pour  un  Prince  barbare,  &  ne 
fe  laveroit  de  cette  honte,  ni  aux  yeux*  de  l'Europe,  ni  à  ceux  de  la  pof- 
térité  ;  mais  fouler  aux  pieds  le  droit  des  gens ,  en  violant  la  fureté  des 
poftes,  que  tout  le  genre- humain  eft  fort  intéreflë  à  rendre  facrées,  c'eft 
une  aâion  qui  n'efi  pas  auflî  décriée  qu'elle  le  mériteroit^  &  qu'on  envi- 


C    H    I    F    F    R    fiî 


éxj 


fage  prefque  comme  une  prudence  politique.  Maif,  au  bout  du  compte  ^ 
qu'y  gagne-t-on}  On  autorife  toutes  les  autres  Puiflances  à  agir  envers 
nous  comme  nous  agiflbns  à  leur  égard.  Il  en  efl  de  cette  déloyauté 
comme  des  inventions  qu'on  trouve  pour  fe  rendre  plus  formidable  à  la 
guerre,  &  pour  exterminer  plus  aifément  les  hommes.  L'ennemi  fe  les 
approprie  au  bout  d'une  campagne ,  les  tourne  contre  nous ,  &  finalement 
aucun  Souverain  n'y  gagne  ;  mais  le  genre-humain  y  perd.-  On  répand 
d'ailleurs  fur  les  charges  de  ceux  qui  dirigent  les  af&ires  publiques,  & 
fur  celles  des  Négociateurs,  une  vériuble  amertume,  par  la  nécemté  de 
chiffrer  toutes  les  dépêches  de  conféquence,  vu  qu'elles  coûtent  plus  de 
temps  &  plus  de  peine  méchanique  à  mettre  en  ôhiffres,  qu^à  compo(èr. 
Nous  entendons  ici  par  le  mot  de  chiffre ,  une  manière  d'écrire  déguifèe 
par  des  caraâeres  inconnus ,  ou  par  des  nombres  arbitraires  dont  les  cor-* 
relpondans  conviennent  entr'eux,  &  par  le  moyen  delquels  ils  marquent 
non-feulement  les  lettres  de  l'alphabet,  mais  auffi  des  mots  &  des  phra- 
fes  entières.  Cet  alphabet ,  que  chacun  des  correfpondans  garde  de  (on 
côté,  &  qui  lui  fert  de  clef,  tant  pour  chiffrer ,  que  pour  déchiffrer,  cette 
efpece  d'écriture  myftérieufe ,  eft  nommé  paiement  Chiffre.  Tous  les  ca- 
binets de  l'Europe  ont  des  chiffres  diffêrens.  Loriqu'un  Miniftre  part  poue 
quelque  ambaflade  ou  l^atÎQn ,  le  département  des  af&ires  étrangères  lui 
remet  trois  chiffres ,  le  Chiffre  chiffrant,  le  Chiffre  déchiffrant,  &  le  Chiffre 
banal.  Le  Chiffré  chiffrant,  partagé  en  colonnes,  marque»  dans  la  pre- 
mière colonne  à  gauche ,  non*feulement  les  lettres  de  l'alphabet  ;  maif 
auffi  les  fyllabes»  les  mot»  &  les  phrafes,  dont  probablement,  il  a  le  plut 
fréquent  ufage  à  faire  dans  le  cours  de  fa  négociation,  les  noms  des  Sou« 
verains  ou  Républiques ,  de  leurs  principaux  Miniflres ,  &c.  Cette  colonne 
efl  imprimée  9  mais  la  colonne  à  côté  efl  remplie  en  écriture ,  par  le  dé- 
partement des  affaires  étrangères ,  des  nombres ,  Chiffres ,  ou  caraâeres  ^ 
dont  on  juge  à  propos  de  défsgner  la  lettre,  le  mot  ou  la  phrafe,  comme ^ 
par  exemple  ; 

Chiffre  chiffrante 


J9     .       .       .       •       •       • 

\j    .        •       .       .       •       • 

KfC»  m        .         ...         • 

VEmpenur  .  . 
Ze  Roi  de  France. 
Les  Êtats^  Généraux 
Le  Cardinal  .  . 
V Armée  du  Alliés 
Avantage  .  .  . 
Brouiller  ,   &e^    • 


4$- 

i6o. 

311. 

1010; 

8of. 

9- 

506. 

33- 

IIOO. 

ai. 

M- 

36. 

444- 

20. 

1000. 

44. 

is! 

lOII. 

■ 

35- 

301. 

ii3v>. 

a6. 

90. 

loi. 

2020. 

^o. 

301. 

410- 

lO. 

80. 

9^ 

ïoio. 

888. 

18. 

71- 

63. 

- 

• 

aa. 

79- 

X93-, 

6c., 

• 

1 
• 

Kkkk 

2 

6a8  Chiffre.- 

< 

On  a  foin  de.  ranger  par  ordre  *  alphabétique  les  noms  fubftantifi»  «  les  ver^ 
bes  &  les  phrafes  félon  leurs  lettres  initiales  pour  la  commodité  du  chif- 
freur,  &  Ton  emploie  divers  nombres ,  dont  le  chif&eur  peut  fe  fervir  à 
fon  choix  pour  défîgner  le  même  mot^,  afin  de  mieux  déforienter  le  lec- 
teur curieux. 

Les  articles  d^une  dépêche,  qui  méritent  le  fecret,  doivent  être  chif&és 
tout  du  long  fans  y  mêler  des  mots  écrits  en  càraâeres  ordinaires ,  parce 
que  ces  mors,  quelqu'indifFérens  qu'ils  piiiffent  paroUre,  étant  ainu  en- 
chaflës  dans  le  chiffre,  peuvent  faire  deviner  une  partie  du  refte,  ou  du 
moins  découvrir  la  matière  dont  on  parle ,  ce  qui  eft  déjà  un  grand  ache- 
minement k  trahir  le^fecret.  Il  ne  faut  pas  négliger  aufli  de  diftinguer 
tous  les  mots  par  un  point ,  qu^on  met  derrière  chaque  nombre ,  puifque 
fans  cette  précaution  une  dépêche  feroit  indéchiffrable  pour  le  correfpon* 
dant,  qui  ne  pourroit  fe  fervir  de  fa  clef,  les  nombres  étant  confondus. 
Le  chiitreur  fera  bien,  pour  fa  commodité ,  de  découper  les  feuilles  de 
fon  chiffre,  &  de  les  fufpendre  par  ordre  alphabétique  cont!re  la  muraille, 
vis-à-vis  de  fon  bureau ,  de  manière  qu'en  levant  fimplement  les  yeux  il 
puifle  trouver  chaque  mot  avec  le  nombre  à  côté ,  ce  qui  abrège  beau- 
coup plus  r.ouvrage  que  lorfqu'on  efl  obligé  de  feuilleter  le  chiffre  comme 
«n  diâionnaire.  Mais  la  meilleure  méthode  efl  de  diâer  le  chiffre  à  deux 
copifles  à  la  fois,  n'importe  qui  ils  foient,  parce  qu'on  ne  leur  fait  écrire 
que  des  nombres  auxquels  ils  ne  fauroient  rien  comprendre.  On  obtient 
par-là  plufîeurs  avantages.  En  premier  lieu,  c'efl  la  façon  la  plus  com- 
mode ;  fecondement ,  on  fe  dépêche  plus  vite  j  troifiémement ,  on  fait  le 
duplicata  de  fon  rapport  par  une  feule  opération,  &  ces  duplicata  font 
furrtout  néceffaires  dans  des  temps  de  guerre ,  ou  lorfque  le  Souverain 
&  les  Minières  du  cabinet  ne  fo' trouvent  pas  au  même  endroit;  Quatriè- 
mement ,  on^  peut  confronter  les  deux  diâées ,  &  voir  d'abord  (i  l'un  ou 
l'autre  des  copifles  a  fait  la  moindre  faute,  qui,  étant  corrigée  fur" le 
'  champ ,  donne  une  grande  correction  au  chiffre ,  où  il  efl  fi  aiië  de  faire 
des  fautes  d'inadvertance ,  malgré  toute  l'attention  humainement  poflible 
qu'on  y  apporte- 
Le  Chiffre  déchiffrant,  marque,,  dans  la .  première  colonne  à  gauche, 
tous  les  nombres  dont  le  Chiftre  chiffrant  efl  compofë,-  depuis  le  [dus  bas 
jufqu'au  .plus: haut,  dans  leur  ordre  naturel^  &  la  colonne  à-  droite  cen« 
tient  le  mot,  la  phrafe,  ou  la  lettre  que  chaque  nombre  défîgne.  Lorf- 
qu'on  veut  déchiffrer,  quelque  dépêche,  on. cherche  «  dans  ce  Chiffre  dé- 
chiffrant la  figoification  de  chaque  nombre  qui  fe  préfente ,  &  on  l'écrit 
au-deffus  entre  les  lignes  ^  (a)  lefquelles,  pour -cet  effet,  doivent  être  ef- 

(a)  Comme,  par  exemple  ;  /^  Miniflrc .d*ici  jsft  tout  dévoué  mux  intérêts  d€  PAngtacne; 

.  !©*•    ^5»       44-    .9«  X209.    70. ,  ^3pt    888. 
c\fi  le  fruit  de  dix  mille  guinées ,  femées  à  prpp'os.  ' 


/ 


CHIFFRE.  «29 


peine  à  déchiffrer  qu'à  chiffrer. 

Si  le  chiffre  eft  bon ,  &  la  dépêche^  bien  chiffrée ,  fans  mélange  de 
mots  écrits  à  clair,  on  peut  affurer  hardiment  que  ce  font  lettres  clofes 
pour  les  curieux,  &  qu'elle  eft  indéchif&able  pour  tous  ceux  qui  n'en  ont 
pas  la  clef.  Mais  comme  l'argent  efl  la  clef  de  bien  des  chofes ,  &  qu'il 
y  a  malheureufèment  beaucoup  de  traîtres  dans  le  monde ,  les  Chiffres 
font  quelquefois  vendus  par  des  commis  ,  ou  des  fecrétaires  infidèles^ 
Pour  peu  qu'on  (bupconne  une  pareille  trahifon,  on  tâche  de  tourner  con-- 
tre  la  cour  qui  a  tait  acquifition  de  notre  Chiffre  fon  propre  artifice^,  Se 
de  la  faire  donner  dans  les  panneaux  qu'elle  nous  tend.  La  cour  écrit  à 
ion  Miniftre  ^  ou  le  Miniftre  mande  à  fa  cour,  tout  le  contraire  de  fes 
véritables  intentions,  ou  des  nouvelles  qu'on  veut  fe  communiquer.  On 
met  enfuite  un  (igné,  une  marque,  ou  caraâere,  un  mot,  ou  une  phrafe 
(dont  le  Miniftre  du  cabinet  eft  convenu  avec  Ip  négociateur  avant  fon 
déffart)  qui  annulie  non-feulement  tout  ce  qui  vient  d'être  dit,  mais  qui 
déugne  auffi  qu'on  doit  l'entendre  dans  le  fens  tout*à*fait  oppofé;  &  d^efk 
ce  qu'on  appelle  le  Chiffre  annulant.  Lorfqu'on  découvre  qu'une  cour  fait 
des  démarches  pour  corrompre  nos  employés,  &  obtenir  par  ce  mo^ërf 
la  clef  de  nos  Chiffres,  on  lui  fait  parvenir  adroitement  un  hux  Chiffre^ 
&  on  l'induit  dans  toutes  les  erreurs  qu'on  veut,  en  écrivant  mille  contre- 
vérités  dans  des  dépêches  feintes ,  &  faifant  parvenir  les  véritables  ou  par 
des  copriers,  ou  par  d'autres  voies  indireâes.  Enfin  l'induftrie  des  h6m^ 
mes,  aiguillonnée  par  l'intérêt  &  la  néceffîté,  a  inventé,  &  invente  en^ 
core  tous  les  jours ,  des  chifEres  &  des  règles  pour  les  déchif&er ,  des  pie« 
ges  pour  y  attraper  un  adverfaire,  &  des  moyens  pour  s'en  garantir.  JJh 
volume  entier  ne  fuffiroit  point  pour  rapporter  en  détail  toutes  les  inven^ 
tions  de  cette  nature  ,  qui  font  connues  dans  le  grimoire  des  né- 
gociateurs. 

La  cour  doit  avoir  avec  chacun  de  fès  Miniftres  dans  les  pays  étrangers 
BU  Chiffre  différent.  Mais  comme  il  importe  fouvent  au  bien  des  affaires 
générales  que  ces  Miniftres  lient  entr'eux  des  correfpondances  particulières ^ 
on  leur  remet  un  Chiffre  banal  qui  leur  eft  commun  à  tous,  &  dont  ils 
peuvent  fè  fervir  pour  s'entre-communiquer  des  nouvelles,  ou  des  dé^ 
couvertes  importantes»  Il  eft  fait  far  le  modèle  des  autres  bons  chiffres; 
Au  refte ,  nous  avons  déjà  dit  ailleurs  (a)  notre  (entiment  fur  la  manière 
de  déchiffi-er  fans  clef.  C'eft  un  art  auffi  pénible  qu'incertain  ,  &  qui  échoue 
toujours  contre  un  Chiffre  bien  £iit.   Les  livres  qui  en  traitent  nous  don-» 


{a)  An,  Affaires  Étrangères  j  r,  I.pagt  4:^9. 


éjej  CHILI. 

nent  des  reglM  fi  vagues ,  fi  peu  fatisfaifances ,  Qu^on  voit  bien  que  ton 
y  eft  fondé  fur  des  conjeâures ,  &  qu^un  déchinreor  fiuneuz  oe  doit  £i 
réputation  qu^à  l'ineptie  &  à  k  négligence  de  ceux  dont  il  devine 
le  Chiffre.  ^     * 

Le  Chiffre  à  fimple  clef,  eft  celui  oii  on  fe  fert  toujours  d'une  même 
figure  pour  fignifîer  une  même  lettre  :  ce  qui  fe  peut  deviner  ai((iment 
avec  quelque  application. 

Le  Chiffire  à  double  clef,  eft  celui  où  on  change  d'alphabet  à  chaque 
mot,  pu  dans  lequel  on  emploie  des  mots  fans  fignifî cation. 

Mais  une  autre  manière  plus  fimple  &c  indéchiffrable ,  eft  de  convenir 
de  quelque  livre  de  pareille  &  même  édition.  Et  trois  chiffres  font  la  cle£ 
Le  premier  Chiffre  marque  la  page  du  livre  que  Ton  a  choifi;  le  fécond 
Chiffre  en  défigne  la  ligne  i  &  le  troifieme ,  marque  le  mot  dont  on 
4oit  fe  fervir.  Cette  manière  d'écrire  &  de  lire  ne  peut  être  connue  que 
de  ceux  qui  favent  certainement  quelle  eft  l'édition  du  livre  dont  on  fe 
lert;  d'autant  plus  que  le  même  mot  fe  trouvant  en  diverfes  pages  du 
livre,  il  eft  prefque  toujours  défigné  par  diffërens  Chiffres  :  rarement  le 
même  revient-il  pour  fignifîer  le  même  mot.  Il  y  a  outre  cela  les  >sn« 
cres  iècretes,  qui  peuvent  être  auffi  variées  que  les  chiffres.  . 


CHILI,  grand  Pays'  dt  VAmiriqut  Méridionale ,  k  long  de  la  ma 

du  Sud. 


c 


^E  pays  eft  borné  au  nord  par  Rio  Salado ,  qui  le  fépare  du  Pérou.  Les 
Andes  le  féparent  à  l'orient  du  Tucuman ,  jufqu'à  la  fource  de  la  rivière 


prennent  la  terre  Magellanique  fous  le  nom  général  de  Chili  ^  mais  noot 
ne  parlons  ici  que  du  Chili  proprement  dit. 

On  peut  le  divifer  en  trois  parties,  favoir,  deux  à  l'occideat  &  une 
à  l'orient.  Des  deux  parties  occidentales,  celle  qui  eft  le  plus  au  nord  eft 
l'Evêché  de  fan  Jago,  la  plus  méridionale  eft  impériale.  La  troifieme  qtd 
eft  du  côté  du  levant ,  porte  le  nom  de  Cuyo ,  ou  de  Chicuiio ,  &  eft  bor« 
née  au  couchant  car  les  Andes.  Le  nom  de  ChUi  lui  vient  de  la  petite  ri- 
vière de  Chili ,  qui  le  traverfe.  Les  Yncas  foumirent  à  leurs  (âges  loix  une 
partie  de  cette  vafte  contrée  ^  &  ils  fe  propofoient  d'y  aifujettirle  refie;  mais 
ils  trouvèrent  des  difficultés  qu'ils  ne  purent  vaincre. 

Ce  grand  projet  fut  repris  par  les  Efpagnols  aufli-tôt  qu'ils  eurent  fait  la 
conquête  des  principales  provinces  du  Féfou.  Âlmagro  parti  de  Cufco  au  com- 
mencement de  1535  traverfa  les  CordiUieres;  &  quoiqu'une  grande  partie 


CHILI.  ^31 

ées  foldats  qui  le  fuîvoient  y  eufleot  trouvé  la  mort,  il  &e  reçu  aveé  une 
Ibumiflion  entière  par  les  peuples  anciennement  dépendans  du  trône  qu'on 
venoic  de  renverfer.  la  terreur  de  Tes  armes  lui  auroit  fait  obtenir  vraiiem- 
blabiement  de  plus  grands  avantages  ,  fi  des  intérêts  particuliers  ne  l'euflenc 
ramené  au  centre  de  l'Empire  où  il  trouva  une  mort  tragique. 

Les  Efpagnols  reparurent  au  Chili  en  154c.  Valdivia  qui  les  conduifoic 
y  pénétra  avec  une  facilité  extrême.  Les  nations  qui  l'habicoient  vouloient 
faire  leur  récolte.  Dès  qu'elle  fut  finie  on  prit  les  armes.  La  guerre  dura 
dix  ans  fans  interruption.  A  la  vérité  quelques  cantons  découragés  par  les 
pertes  continuelles  qu'ils  fàifoient,  avoient  pris  le  parti  de  fe  foumettre;. 
mais  d'autres  défèndoient  toujours  leur  liberté  »  quoiqu'avec  un  dé(àvantage 
prefque  continuel. 

'  Un  capiuine  Indien,  auquel  fon  âge  &  (es  infirmités  ne  permettoient  pas 
de  fortir  de  fa  cabane ,  entendoit  toujours  parler  de  ces  malheurs.  Le  cha; 
grin  de  voir  les  fiens  conflamment  battus  par  une  poignée  d'étrangers ,  lui 
donna  des  forces.  11  forma  treize  compagnies  de  mille  hommes  chacune 
qu'il  mit  à  la  queue  l'une  de  l'autre,  &  les  mena  à  l'ennemi.  Si  la  pre- 
mière étoit  mife  en  déroute,  elle  de  voit  éviter  de  (e  jetter  fur  la  fécon- 
de, &  s'aller  rallier  fous  la  protedion  de  la  dernière.  Cet  ordre  qui  fut 
fidellement  fuivi  déconcerta  les  Efpagnols.  Ils  enforrcerent  fucceffîvement 
tous  les  corps  fans  en  retirer  aucun  avantage.  Les  hommes  &  les  chevaux 
ayant  également  befoin  de  repos ,  Valdivia  ordonna  la  retraite  vers  un  dé- 
filé ,  où  il  prévoyoit  qu'il  feroit  aifé  de  fe  défendre.  On  ne  lui  donna  pas 
le  tems  d^y  arriver.  Les  Indiens  de  l'arriere-garde  s'en  étant  emparés  par 
des  voies  détournées,  tandis  que  ceux  de  l'avant-girde  fuivoient  fès  pas 
avec  précaution,  il  fut  enveloppé  &  maflàcré  avec  les  cent  cinquante  ca- 
valiers qui  fermoient  fa  troupe.  On  verfa ,  dit-on ,  de  l'or  fondu  dans  fa 
bouche.  Abhrcuve-toi  donc  de  ce  métal  dont  vous  êtes  fi  fort  altérés  toi  & 
les  tiens ,  lui  crioient  les  fauvages. 

Itâ  profitèrent  de  leur  viâoire  pour  porter  la  défolation  &  le  feu  dans  les 
ëtabliflemens  Européens.  Plufieurs  furent  détruits ,  &  tous  auroient  eu  la 
même  deftinée  fi  des  forces  confidérables  arrivées  à  propos  du  Pérou  n'euf- 
fent  mis  les  vaincus  en  état  de  défendre  leurs  poftes  les  mieux  fortifiés. 
On  s'étendit  un  peu  dans  la  fuite,  mais  on  ne  fit  jamais  un  pas  fans  com- 
battre. De  toutes  les  contrées  du  nouveau  monde  où  les  Efpagnols  ont  voulu 
établir  leur  domination ,  c'eft  celle  où  ils  ont  toujours  trouvé  «  où  ils  trou- 
vent encore  une  plus  grande  réfiflance. 

Leurs  plus  irréconciliables  ennemis  font  les  habitans  d*Arauco  &  de  Tu- 
capél ,  ceux  qui  habitent  au  fud  de  la  rivière  de  Biobio ,  ou  qui  s'éten- 
dent vers  la  Cordilïiere.  Leurs  mœurs  qui  reflêmblent  beaucoup  plus  à  cel- 
les des  fauvages  de  l'Amérique  fèptentrbnale  qu'aux  mœurs  des  Péruviens 
leurs  voifins ,  les  rendent  redoutables.  Ils  ne  portent  que  leur  corps  à  la 
guerre  I  &  ne  traînent  après  eux  ni  tentes  iii  bagages.  Les  mêmes  arbres 


éji  CHILI. 

dont  ils  tirent  leur  nourriture  leur  fournirent  les  laûces  &  les  îavelots  dont 
ils  font  toujours  armés.  AlTurés  de  trouver  dans  un  lieu  ce  qu'ils  avoient 
dans  un  autre,  ils  ne  regrettent  point  une  grande  étendue  de  pays  qu'ils 
abandonnent.  Tout  féjour  leur  eu  égaL  Leurs  armées ,  fans  embarras  de 
vivres  ni  de  munitions ,  fe  meuvent  avec  une  agilité  furprenante.  Us  ex- 
pofent  leur  vie  en  hommes  qui  n'y  font  pas  attachés  ;  &  s'ils  perdent  leur 
champ  de  bataille ,  ils  retrouvent  leurs  magafins  &  leurs  campement , 
par-tout  où  il  y  a  des  terres  couvertes  de  fruits. 

Us  invitent  quelquefois  leurs  voifins  à  fe  joindre  à  eux  pour  attaquer 
l'ennemi  commun ,  ce  qui  s'appelle  faire  courir  la  flèche ,  parce  que  cet 
appel  vole  d'une  habitation  à  l'autre  avec  autant  de  célérité  que  de  fecrec 
Le  plus  fouvent  un  ivrogne  crie  qu'il  faut  prendre  les  armes.  Les  efprits 
s'échauffent  \  on  choifit  un  chef,  oc  voilà  la  guerre.  Dans  les  ténèbres  de 

{a  nuit  fixée  pour  commencer  les  hoflilités ,  on  tombe  fur  le  premier  vil- 
agç  où  il  y  a  des  Efpagnols ,  .&  de-la  le  carnage. fe  difperfe  dans  d'autres. 
Tout  y  eft  maffacré ,  excepté  les  femmes  blanches  qu'on  ne  manque  ja- 
mais d'amener.  De-là  vient  qu'il  y  a  tant  d'Indiens  blancs  &  blonds. 

Avant  que  l'ennemi  ait  pu  raflfembler  fes  forces,  ils  fe  réunifient.  Leur 
armée ,  quoique  plus  redoutable  par  le  nombre  que  par  la  difciplioe  ,  ne 
craint  pas  d'attaquer  les  poftes  les  mieux  fortifiés.  Ces  emportemens  leur 
réulfiflent  fouvent  ,  parce  qu'ils  reçoivent  continuellement  des  fecours  qui 
les  empêchent  de  fentir  leurs  pertes.  S'ils  ,en  font  d'aflëz  marquées  poinr  fè 
rebuter ,  ils  fe  retirent  à  quelques  lieues ,  &  cinq  ou  fix  jours  après  ,  ils 
vont  fondre  d'un  autre  côté. 

Ces  barbares  ne  fe  croient  battus  cjue  lorfqu'ils  font  enveloppés.  S'ils 
peuvent  gagner  un  lieu  d'un  accès  difficile ,  ils  fe  jugent  vainqueurs ,  ils 
penfent  au  moins  que  les  fuccès  font  balancés.  La  tète  d'un  Efpagnol  qu% 
portent  en  triomphe ,  les  confole  de  la  mort  de  cent  Indiens.  Un  tel  peu- 
ple vaincra. 

Le  pays  efl  fi  vafte  que  lorfqu'ils  fe  voient  trop  preflës ,  ils  abandonnent 
leurs  poueffions,  &  s'enfoncent  dans  des  déferts  inacceffibles»  dans  des  fo- 
rêts impraticables.  Fortifiés  par  d'autres  Indiens ,  ils  ne  tardent  pas  à  re- 
venir dans  les  contrées  qu'ils  habitoient.  C'efl  ce  mélangé  de  fuite  &  de 
réfiflance ,  d'audace  ,&  de  crainte ,  qui  les  rend  comme  indomptables. 

La  guerre  eft  pour  eux  une  efpece  d'amufement.  Comme  ils  la  font  usas 
frais  &  fans  embarras ,  ils  n'en  craignent  pas  la  durée ,  &  ont  pour  prin- 
cipe de  ne  jamais  demander  la  paix.  La  fierté  Efpagnole  doit  fe  plier  à 
en  faire  toujours  les  premières  ouvertures.  Lorfqu'elles  font  fovorablement 
reçues ,  on  tient  une  conférence.  Le  Gouverneur  du  Chili  &  le  génénd  In- 
dien ,  accompagnés  des  capitaines  les  plus  iiftingués  des  deux  partis ,  rè- 
glent dans  les  plaifirs  de  la  table  les  conditions  de  l'accommodement.  D 
en  coûte  toujours  quelques  préfens  aux  Efpagnols^  qui,  après  cent  tentar 
tives ,  plus  foneftes  les  unes  que  les  autres  ^  ont  été  forcés  de  renoncer  à 

i'efpoir 


CHILI.  *î^ 

Vefpoir  d'ëcendre  leurs  frotttieres ,  &  réduits  à  les  Couvrir  par  de  fortes  pla- 
ces de  diftance  en  difiance.  Ces  précautions,  ont  pour  objet  d'empêcher  let 
Indiens  fournis  de  fe  réunir  aux  fauvages  indépendàns,  &  ceux-ci  défaire 
des  incurfions  dans  les  colonies. 

Elles  font  répandues  fur  les  bords  de  la  mer  du  fud.  Un  défert  do 
quatre-vingts  lieues  les  fépare  du  Pérou ,  &  l'ifle  de  Chiloé  les  borne  du 
côté  du  détroit  de  Magellan.  Dans  cette  grande  étendue  de  côtes ,  on  no 
trouve  de  villes  que  Chacao ,  Valdivia ,  la  Conception ,  Valparayfon  ^  Co« 
quinpo  ou  la  Serena  qui  font  en  même-temps  des  ports.  L'intérieur  des 
terres  foumifes  qui  s'étend  quelquefois  jufqu'à  trente  lieues  ,  en  a  moins 
encore.  La  (eule  qui  y  mérite  quelque  attention ,,  eft  Santiago  capitale  du 
gouvernement.  Les  villages  ne  font  pas  en  beaucoup  plus  grand  nombre  { 
&  loin  des  villes ,  il  eft  rare  de  voir  des  habitations  irolées.  Lts  bâtimens 
font  bas  par-tout ,  de  brique  crue ,  &  le  plus  fouvent  couverts  de  paille. 
Cette  manière  de  fe  loger  convient  également ,  &  à  la  nature  du  pays 
où  les  tremblemens  de  terre  font  fréquens^  &  à  l'indolence  des  habitans» 

Ils  font  robuftes ,  bien  faits ,  mais  en  petit  nombre*  Dans  ce  grand  éta- 
bliffement ,  il  n'y  a  pas  vingt  mille  blancs ,  &  plus  de  foixante  mille  ne^ 
gf  es  ou  Indiens ,  en  état  de  porter  les  armes.  L'état  de  guerre  de  cette  co«  ^ 
jonie ,  était  autrefois  de  deux  mille  hommes  ;  leur  entretien  fut  trouvé  trop 
cher  ,  &  on  les  réduifit  à  cinq  cents  au  commencement  du  fiecle.  La  tranr- 
quillité  n'y  a  pas  été  altérée  par  ce  changement ,  parce  que  les  Indiens 
n'y  paient  point  de  capitation ,  &  qu'ils  y  font  traités  avec  plus  d'humanité 

3ue  dans  les  autres  provinces  conquifes.  La  valeur  avec  laquelle  ils  avoient 
éfend^  leur  liberté ,  leur  fit  obtenir  des  conditions  plus  avantagçufes  ^ 
lors  même  qu'ils  eurent  le  malheur  de  la  perdre  ;  8i  la  crainte  de  les  voir 
fe  réunir  aux  nations  voifines  &  indépendantes,  a  toujours  empêché  depuis 
^u'on  ne  violât  cette  capitulation. 

Si  le  Chili  eft  un  défert ,  ce  n'efl  pas  la  faute  du  climat ,  Un  des  plus 
fains  que  l'on  connoifle.  Le  voifinage  des  Cordillieres,  lui  donne  une  déi- 
licieufe  température  que  fa  pofition  ne  permettoit  pas  d'efpérer.  Il  n'y  a 
point  de  Province  dans  la  métropole  ,  dont  le  fëjour  puiffe  être  plus 
agréable. 

On  a  trop  exalté,  la  richefTe  de  fes  mines  d'or.  Celles  de  Petorca  ,^ 
d'Yapel ,  de  Lumpangui ,  de  Lavin ,  de  Ligua ,  de  Tiltil ,  qu'où  exploite 
depuis  Iong*temps ,  font  des  mines  ordinaires.  Il  s'en  découvre  de  temps 
en  temps  de  nouvelles  ,  mais  tomes  fi  fuperficielles ,  que  la  veine  fe  trouve 
épuifée  aufli-tôt  qu'entamée.  Les  lavaderos  ou  torrens  qiii  entraînent  des 
métaux,  font  auflt  communs  &  ne  font  pas  plus  utiles.  Ces  produits  réu- 
lus  forment  la  valeur  d'un  million  de  piaflres.  On  les  exportoit  autrefois 
en  nature.  Depuis  1749,  ^'^  ^^^^  fabriqués  dans  l'hôtel  des  mosnoies  éta^ 
bli  ^  Santiago.  L'excellent  cuivre  qui  fort  des  mines  de  Coquimbo  fe  répand 
dans  tout  le. Pérou,. 

Tome  XI  LUI 


634  C    H    I    L    ï.  " 

One  rîcheffb  plus  réelle  ^  quoique  moins  chère  à  Tes  po(!èiIeurs ,  c^eff  la 
fertilité  du  fol.  Elle  eft  prodigîeufe.  Tous  les  fruits  de  l'Europe  fe  font 
perfeâionnés  (bus  cet  heureux  climat.  Le  vin  en  feroit  exquis^  h  on  ne  lui 
communiquoit  un  goût  amer  en  le  dépofanç  dans  des  vafes  de  terre  en« 
duite  d'une  forte  de  rëHne ,  &  en  les  tranfportant  dans  des  peaux  de  bouc. 
La  récolte  des  grains  paffe  pour  mauvaife  lorfqu'elle  ne  rend  pas  au-delà 
de  cent  pour  un»  Le  oœuf  le  plus  gros ,  le  mieux  engraiffé  ,  fe  vend  à 
peine  quatre  piaftres.  Les  chevaux  y  ont  le  feu,  la  fierté  des  chevaux  An- 
^alous  dont  ils  tirent  leur  origine ,  &  le  climat  ou  le  fol  leur  donnent  plus 
de  force  &  de  vîtefle. 

Malgré  ces  avantages ,  fe  Chili  n'a  point  de  liaifon  direâe  avec  la  mé- 
tropole. Toutes  ks  opérations  de  commerce  fe  font  avec  le  Pérou ,  le  Pa- 
raguay ,  &  les  fauvages  de  fa  propre  frontière. 

On  vend  à  ces  barbares  des  mors  de  bride,  des  éperons,  des  couteaux, 
d'autres  ouvrages  de  fer,  diverfes  fortes  de  merceries.  Leur  parefle  &  leur 
mépris  pour  Por,  fur  lequel  ils  marchent,  les  réduifent  à  donner  en  échange 
des  bœufs ,  des  chevaux ,  leurs  propres  enËins ,  qu'ils  (acrifient  aux  plus 
vils  objets. 

Quelque  naflion  qu'ils  aient  pour  ces  bagatelles  quand  ils  les  voient , 
ils  n'y  penfent  point.  ^  quand  elles  ne  fe  trouvent  pas  fous  leurs  yeux. 
Audi  ne  fortent-ils  pas  de  chez  eux  pour,  fe  les  procurer  v  il  faut  les  leur 
apporter.  L'Efpagnol  qui  veut  entreprendre  ce  commerce,  s'sdreft  d'a- 
bord aux  chefs  de  famille ,  feuls  dépofitaires  de  l'autorité  publique.  Lorf- 
qu'il  a ,  obtenu  la  permiflîon  dont  tl  avoit  befoin ,  il  parcourt  les  habita- 
tions, &  livre  indiffèremment  la  marchandife  à  tous  ceux  qui  fe  préfen- 
tent.  Dès  que  fa  vente  eft  finie ,  il  annonce  fon  départ ,  &  tous  les  ache- 
teurs s'empreflent  de  lui  livrer  dans  le  premier  village  oh  il  s'efl  montré, 
les  effets  dont  on  eft  convenu.  Il  n'y  a  jamais  eu  d'exemple  de  la  moin- 
tdre  infidélité.  On  lui  donne  une  efcorte ,  qui  l'aide  à  conduire  jufqu'à  la 
frontière  les  troupeaux  &  les  efclaves  qu^il  a  reçus  en  paiement. 

Jufqii'en  1724,  on  vendoit  à  ces  fauvages  du  vin  &  des  liqueurs  for- 
tes, dont,  ils  ont  la  paftion  comme  prefque  tous  les  peuples.  Dans  leur 
ivreffe ,  ils  prenoient  les  armes,  ils  maflacroîent  tous  les  Efpagnols  qu'ils 
xencontroiehr,  ils  fondoient  inopinément  fur -(es  forts ,  ils  portoient  la  dé- 
fofetion  dans  les  campagnes  de  leur  voifinage.  Ces  expériences  cent  fois  ré- 
pétées ,  ont  fait  févérement  profcriré  un  genre  de  commerce  ft  dangereux* 
On  recueille  tous  les  jours  le  fruit  d^une  politique  fi  raifonnable.  Les  mou- 
vemens  de  ces  peuples  (ont  moins  fréquens  &  moins  dangereux.  Avec 
cette  tranquillité  augmentent  fenfiblement  les  liaifons  qu'on  entretenoit  avec 
eux.  Mais  il  n'eft  guère  pofïible  qu'elles  deviennent  jamais  auffi  confidéra- 
^les  que  celtes  qu'on  a  avec  te  Pérou. 

i    Le  Pérou  tire  annuellement  de  Chili  une  grande  abondance  de  cuirs ,  de 
fruits  feçs ,  dç  cuivre ,  de  viande  falée ,  de  chevaux ,  huit  miUe  quintaux  de 


g 


CHILI.  <?3ç 

chanvre  »  vingt  mille  quintaux  de  faindoux ,  cent  quarante  mille  fknegues 
de  froment ,  &,  beaucoup  d'or.  Il  lui  fournit  en  échange  du  tabac ,  du  fu- 
cre,  du  cacao,  de  la  fàyance,  des  draps,  des  toiles,  des  chapeaux  fabri- 
qués à  Quito,  tous  les  objets  de  luxe  arrivés  d'Europe.  C'étoit  autrefois  à 
la  Conception,  c'eft  maintenant  à  Valparayfo  qu'abordent  les  vaifTeaux  ex- 
pédiés de  Callao  pour  former  cette  communication.  Les  voyages  furent 
quelque  temps  fi  longs,  quil  falloit  co:npter  fur  une  année  entière,  pour 
l'aller  &  pour  le  retour.  Jamais  on  n'a^oit  ofé  perdre  les  terres  dé  vue ,  & 
on  s'écoit« réduit  à  louvoyer  continuellement.  Un  pilote  Européen,  quiavoit 
obfervé  les  vents,  n'employa  qu'un  mois  à  cette  navigation.  On  le  crut 
forcier.  L'inquifition  qui  eft  ridicule  par  fon  ignorance  ,  quand  elle  n'ell 
as  odteufe  par  fes  fureurs ,  le  fit  arrêter.  Son  journal  fit  fa  jufiificatioif.  Il 

c  reconnu  que  pour  avoir  le  même  fuccés  ,  il  ne  falloic  que  s'éloigner 
des  côtes.  Bientôt  fa  méthode  fut  adoptée  univerfellement. 

Celle  que  fuit  le  Chili  dans  fon  commerce  avec  le  Paraguay,  eft  bien 
différente.  La  communication  des  deux  colonies  ne  fe  fait  point  par  mer. 
Il  faudroit ,  ou  pafler  le  détroit  de  Magellan ,  ou  doubler  le  cap  de  Horn , 
deux  routes  que  les  Efpagnols  ne  prennent  jamais  fans  une  extrême  né« 
ceflité«  On  a  trouvé  plus  court ,  plus  (ur ,  &  même  moin^  difpendieux ,  dt 
fe  fervir  de  la  voie  de  terre,  quoiqu'il  y  ait  trois  cents  lieues  de  Santiago 
à  Buenos- Ayres ,  &  qu'il  en  faille  faire  quarante  dans  les  neiges  &  lespré^ 
cipices  des  Cordiliieres.  Ceux  qui  ont  entendu  parler  de  la  quantité  de  mu-» 
lets ,  de  l'abondance  de  fourrage  dont  ce  grand  efpace  eft  couvert ,  ne 
jugeront  pas  cette  prédileâion  aufti  déraifonnable  qu'elle  le  paroic  au  pre- 
mier coup^d'œil. 

Quoiqu'il  en  foir ,  le  Chili  envoie  au  Paraguat  des  étoftes  de  laine  ap« 
pelLées  ponchos ,  qui  fervent  à  faire  des  manteaux.  Il  envoie  des  vins ,  des 
eaux  de  vie ,  des  huiles ,  fur-tout  de  l'or.  Il  reçoit  en  paiement  de  la  cire  ^ 
un  fuif  propre  à  faire  du  favon  ,  l'herbe  du  Paraguay ,  des  marchandifes 
d'Europe,  oc  la  plus  grande  quantité  de  nègres  que  Buenos*  Ayres  peut  lui 
fournir.  Ceux  qui  viennent  par  Panama ,  détruits  en  partie  par  une  longue 
navigation ,  &  par  des  climats  divers ,  font  plus  chers  &  moins  robuftes. 

Le  Chili  forme  un  état  tout-^-fait  diftinâ  du  Pérou.  Son  chef  eft  abrolu 
dans  les  affaires  politiques  ^  civiles  &  militaires.  L'autorité  du  Vice-Roi  fe 
réduit  à  nommer  par  provifion  à  ce  Gouvernement,  lorfque  la  mort  fur- 
prend  celui  qui  en  eft  pourvu  avant  que  la  métropole  lui  ait  défigné  ud 
fuccefteur.  Si  dans  quelques  occafions  il  s'eft  mêlé  de  l'adminiftration  du 
pays,  il  y  a  été  autonté  par  une  confiance  particulière  de  la  conr,  parla 
déférence  qu'on  a  eue  pour  l'éminence  de  fa  place ,  ou  par  l'ambition  que 
les  hommes  puiifans  ont  d'étendre  les  bornes  ée  leur  pouvoir. 

Le  Chili  qui  étoit  autrefois  défendu  par  deux  mille  foldats,  n'en  a  pas 
plus  aujourd'hui  que  cinq  cents,  moitié  cavalerie,  &  moitié  infanterie.  Il 
eft  vrai  que  tous  les  £fpagnols  en  état  de  porter  les  armes ,  &  diftribués 


€}6  C  H  I  L  O  N.     CHINE. 

par  compagnie ,  £bnt  obligés  de  fe  joindre  aux  iroupes  :  maû.  que  poin^ 
ri>ienc  des  bourgeois  amolUs  &  inexpérimentés ,  contre  des  homnies  vieil- 
lis dans  l'exercice  de  la  guerre  &  de  la  difçipUne?  Ce  n'eft  pas  tout.  Les 
Araucos  &  leurs  amis  ne  verroient  pas  plutôt  cette  diverfion ,  que  même , 
fans  y  être  excités ,  ils  fe  mettroient  en  campagne.  Leurs  fureurs  font  fi 
connues  que  tous  les  effets  fe  touroeroient  contr'eux,  Se  qu'on  ne  fooge- 
roit  guère  à  s'oppofèr  aux  entreprifes  des  Européens. 


A 


m 


C  H  I  L  O  N\  Ephore  de  Lacédémone. 

V^HTLON  Lacédémonten  fe  conduifit  avec  tant  de  prudence  &  d'intd- 

£ité  dans  Texercice  àfi  la  charge  d^Ephore,  qu'il  fut  mis  au  nombre  des 
ges  de  la  Grèce.  Il  étoit  contemporain  de  Solon,  de  Thaïes  &  d'Ëfbpe. 
On  dit  qu'il  mourut  d'un  excès  de  joie  en  voyant  couronner  fon  fils  dans 
|'a({ëmblée  des  jeux  Olympiques.  Plutarque,  nous  a  tranfmis  quelques-unes 
de  fes  maximes  :  »  c'eft ,  difoit-il,  avec  la  pierre  de  touche  qu'on  difHn- 
9  gue  l'or  des  autres  métaux ,  &  c'eft  avec  de  Tor  qu'on  apprend  à  con- 

9  noltre  la  trempe  du  cœur  humain Celui  qui  médit  efl:  fouvent  obligé 

»  d'entendre  à . fon  tour  des  chofes  difgracieufes.....  Il  ne   convient  point 

»  d'éclater  en  menaces,  ce  font  les  armes  des  lâches  &  des  femmes 

»  Il  vaut  mieux  confenttr  à  perdre  que  de  faire  un  gain  hontenx. 


L 


C  H  I  N  E I  vafie  Empire  en  Afie. 


X 


^^'E  M  PI  RE  de  la  Chine  borné  au  Nord  par  la  Tartarie  Rufle,  au 

par  les  Indes,  à  l'Occident  par  le  Thibet,  à  l'Orient  par  l'Océan,  eni« 
CM:a(fe  prefque  toute  l'extrémité  orientale  du  continent  de  TAfie,  Son  cir* 
cuit  efi  de  pf qs  de  dix-huit  cents  lieues.  On  lui  donne  une  durée  fuivie  de 
quatre  mille  ans ,  &  cette  antiquité  n'a  rien  de  furprenant^  C'eft  la  guer«« 
re  y  le  faiiatifme ,  le  rnalheur  de  notre  fituation ,  qu'il  &ut  accufer  de  la  brié^ 
veté  de  notre  biftoire  &  de  la  petiteflè  de  nos  nations ,  qui  fe  (ont  fuccé* 
dées  &  détruites  avec  rapidité.  Mais  les  Chinois,  enfermés  &  garantis  de 
tous  côtés  par  les  eaux  &  les  déferts ,  ont  pu ,  comme  ^ancienne  Egypte, 
former  un  état  durable.  Dès  que  leurs  côtes  &  le  milieu  de  leur  conti- 
nent ont  été.  peuplés  &  culiivés ,  tout  ce  qui  environnoit  ces  heureux  ha« 
bitans  a  dû  fe  réunir  à  eux  comme  ï  un  centre  d'attra^oa;  &  les  petites 
peuplades  errantes  ou  cantonnées,  ont  dû  s'attacher  <te  proche  en  proche 
à  une  nation  qui  ne  parle  prefque  jamais  des  conquêtes  qu'elle  a  Eûtes, 


Ç    H    I    N    m  Sif 

niais  des  guerres  qu'eBe  â  foufFertes  ;  plus  heuraife  d^avoir  policé  Tes  vaia« 
queurs,  que  fi  elle  eût  détruit  fes  ennemis. 

Une  région  fi  ancienùemeac  policée ,  doit  porter  par-*touc  les  traces  an-*^ 
tiquer  &  profondes  de  Pinduflrie.  Les  plaines  en  ont  été  unies,  autant  quHl 
ëtoit  pofiible*  La  plupaôr^nV>nt  confervé  que  la  pente  qu^exigeoit  la  facilité 
des  arrofemens,  regardés,  avec  raifon,  comme  un  des  plus  grands  moyenai 
de  Pagriculture.  On  o'y  voit  que  peu  d^arbres  ,  même  utiles ,  parce  que  lest 
fruits  déroberoient'  trop  de  fuc  aux  grains.  Comment  y  trouveroir-on  ces 
jardins  remplis  de  fleurs,  de  gazons,  de  bofquets,  de  jets^^d'eau,  dont  ta> 
vue  propre  à  réjouir  des  fpeâateurs  oififs,  (emble  interdite  au  peuple  & 
cachée  à  Tes  yeux ,  comme  il  Ton  craignoit  de  lui  montrer  un  larcin  fait  ^ 
Ot  fubfiflance?  La  terre  n'y  eft  pas  furchargée  de  ces  parcs,  de  ces  foréJs* 
immenfes,  qui  fournifTent  moins  de  ifois  aux  befoins  de  l^homoie,  qu'iW 
ae  décruifent  de  guérets  &  de  moiflbns  en  faveur  des  ,bêtds  qu^on  y  enfer**' 
me  pour  le  plaifir  des  grands  &  le  défefpoir  du  laboureur.  A  la  Chine ,  le 
charme  des  maifons  de  campagne  fe  réduit  à  une  fituation  heureufe  ;  à  de» 
cultures  agréablement  diverufîées  ;  à  des  arbres  irrégulièrement  plantés  ;  à^ 
quelques  monceaux  d^une  pierre  poreufe ,  qu'on  prendroit  de  loin  pour  dM^ 
rochers  ou  pour  des  montagnes.  .  .7 

Les  coteaux  font   généralement  coupés  en  terra(&s^  fbutenuM  p^ir  desl^ 
murailles  feches^  On  y  reçoit  les  pluies  &  lei  fources  dans  de^  réfervoirs 


UtY 

,      di^ 

minué  le  travail  des  bras ,  .&  &it  avec  deux  hommes^  ce  que  mille  ne^' 
favent  point  faire  ailleurs.  Ces  hauteurs  donnent*  ordinairement  par  an  trois 
récoites.  A  une  efpece  de  radis,  qui  fournit  de  Phuile,  fuccede  le  cotoâ, 
qui»  lui*^même,  eil  remplacé  par  des  patates.  Cet  ordre  de  cultâre  n'eft  paà 
invariable,  mais  il  eft  commun.  .        . 

On  voit  fur  la  plupart  des  montagnes ,  qui  refiifent  de  la  nourriture  aux 
hommes,  des  arbres  néceflaires  pour  la  charpente  des  édifices ^  pour  la 
confbuâion  des  vaiffeapx.  PhiGeurs  renferment  des  mines  de  fer ,  d'étain , 
du  cuivre,  proportionnés  aux  befoins  deJ^Empire;:OelIes'd^oront  étéabah-^ 
données,  foit  qu'elles  ne  fe  foient  pas  trouvées  aiTez-  abondantes  pour  payer 
les  travaux  qu'elles  exigeoient,  foit  que  les  parties  qtie  les  torrens  en  détâ^^ 
chent ,  ayent  été  jugées  fuffifantes  pour  tous  les  échanges.  - 
.  La  mer  qui  change  de  bords  comme  les  rivières  de  lit  ^  mais  dans  def 
efpaces  de  temps  proportionnés  aux  maffes  d'eau  v  là  mei* ,  <]m  fiiit  un  pas 
ttr  dix  fiecles,  mais  dont  chaque^  pas '  fait  cent  r^volètions  fur  ce  globe, 
couvroif  autrefois*  les  fables ,  'qui  forment  aujourd'hui  le  Nankin  &  le  Tche^ 
Kiaiisi  Ce.  font  les  plus  belles  provinces  de  l'Empire.  Lés  Chinois  ont  re-* 
pouftô,  contenu,  maitrifé  l'Océan,  comme  les  Egyptiens  domptèrent  le 
NU. ,  Us  ont  rejoint  au  continent  ^  des  terres  que  les  eaux  en  avoient  fépa- 


^3»  CHINE. 

rées.  Ils  luttent  encore  contre  ce  mouvement  fupërieur ,  qui  i  tenant  au  fyftê^ 
me  des  cieux^chafTe  la  mer  d'Orient  en  Occident.  Les  Chinois  oppofentà 
l'aâton  de  l'Univers ,  la  réaéHon  de  Tindullrie  ;  &.  tandis~que  les  nations 
lès  plus  célèbres  om  fécondé  par  la  fureur,  des  conquêtes,  les  mains  dévo-^ 
cantcs  du  temps  dans  la  dévafiacion  du  globe,  ils*lcombatcent  &  retardent 
les  progrès  fucceflifs  de  la  deftruélion  univerfelle  /  par  des  efforts  qulpa« 
roitroient  furnacurels ,  s'ils  n'étoient  continuels  &  fenfibles. 

A  la  culture  de  la  terre,  cette  nation  ajoure,  pour  ainii  dire,  la  culture 
des  eaux.  Du  fein  des  rivières,  qui,  communiquant  entr'elles  par  des  ca- 
naux ,  coulent  le  long  de  la  plupart  des  villes ,  ou  voit  s^élever  des  cités 
fio^anies ,  formées  du  concours  d'une  infinité  de  bateaux  remplis  d'un  peu* 
pie  q^i  ne  vît  que. fur  les  eaux,  &  ne  s'occupe  que  de  la  pêche.  L'Océan, 
bii-niêiTie ,  eft  couvert  &  flllonné  ne  milliers  de  barques,  dont  les  mâts 
M  (effemblent,  :de  loin,  à  des  forêts   mouvames.    Anfon    reproche  aux  pê^ 

/!  cheurs  ,  établis  fur  ces  bâtimens,  de  ne  s'être /pas  diflraits  un  moment  de 
leur  travail,  pour  confidérer  fon  vaiffeau,  le  plus  grand  qui  jamais  eût 
st^ouillc  dans  ces  parages.  Mais  cette  infenfibilité-  pour  une  choie  qui  pa« 
foifloit  inujtilîe  aux  matelots  Chinpis,  ujuoiqu'eUe  ne  fût  pas  étrangère  à  leur 

^  profeffion ,  prouve  peut-être  le  bonheur  d'un  peuple  qui  compte  pour  tout 

/^  ^pccupatiof}^  ^  la  çurioficé  pour  rien. 

Les  cultures  ne  font  pas  les  mêmes  dans  tout  l'empire.  Elles  varient 
fpivant  la  nature  des  terreins  &  la  diverfité  des  climats.  Dans  les  provin- 
ces baffes  &c  méridionales ,  on  demande  à  la  terre  un  riz ,  qui  eR  conâ« 
nue^lement  fubmergé^  qui  devient  fort  gros,  &  qu'on  récolte  deux  fois 
chaque  anuéç;.  Sur  les  lieux  élevés. '&  tecs  de  l'intérieur  du  pays,  le  fol 
.  produit  un  riz  ,  qui  a  moûis  de  volume,  moins  de  goût,  moins  de  fubflan- 
ce,  &  qui  ne.  récompenfe  qu'une  fois  l'an  les  travaux  du  laboureur.  Au 
Nord,  on  trouve  tous  les  graitis  qui  nourriffent  les  peuples  de  l'Europe: 
ils  y  font  au(Ti  abondans  &  d'aufli  bonne  qualité  que  dans  nos  plus  ferti« 
les  contrées.  D'une  extrémité  de  la  Chine  ^  l'autre,  l'on  voit  une  grande 
abondance  de  lég^imes.  Cependant  ils  ibnt  plus  multipliés  au  Sud,. où,  avec 
le  poiffon,  ils  tiennent  li^u  au  peuple  de  la  viandei,''dont  l'ufage  efl  gêné* 
rai  dans  d'autres  provinces;  Mail,  ce  qu'on  connoit ,  ce  qu'on .  pratique 
univerfellemept,  c'eft  l'amélioration  des  terres.  :Taut  engrais  eft  confervé, 
tout  engrais  efi  mis  à  profit  avec  la  vigilance  la  plus  éclairée,  :&  ce  qui 

A  fort  de  la  terre  féconde  ,/y  rentre  pour  la  féc^onder  encore.  Ce  grand  fyflê- 
ine  de  la  nature,  qui  fe  reproduit  de  fes  débris ,'eÔ  mieux  entendu  »  mieux 
fuivi  à  k  Cl^ine  avie  d^nstou$  les' antres  pays  du. monde. 

yn  Phiîofpphe  fenlSible ,  &  que  l'erprit  d'obfervatiàn  a  conduit  dans  cet 
Énipire^  a  connu  &  développé  Içs  fources  derl'économie  rurale  des  Chinois. 
.  La  piçrriifire.efl  le  caraâere  <ie  lainatipn  la  plus  IMiorieufe  que  l'on 
connoide^  &  l'une  de  celles  dont  la  cpnftitution.pbyfi^e^  exige  le. moins 
de  repos,  Toys  Içs Jpqrs  4e  Tannée  font  pour  elle  des  jours  de  travail,  ex- 


CHINE.  ^30 

\ 

cepté  le  premier  I  deftiné  aux  vifites  réciproquesr  des  Jamilles ,  &  le  dernier^ 
coofacrë  à  la  mémoire  des  ancêtres.  L'un  '  eft  un  devoir  de  focié  ce ,  l'autre 
un  culte  domeftique.  Chez  ce  peuple  de  fages^  tout  ce  qui  lie  &  civilife 
les  hommes  eft  religion,  &  la  religion  elle-même  n'eft  que  la  pratique  des 
verms  fociales.  C'eft  un  peuple  mûr  &  raifonnable,  qui  n'a  befoin  que  du 
frein  des  loix  civiles  pour  être  jufte.  Le  culte  intérieur  eft  l'amour  de  fes 
pères,  vivans  ou  morts;  le  culte  public  eft  l'amour  du  travail }  &  le  tra*- 
vail  le  plus  religieufement  honoré,  c^eft  l'agriculture. 

On  y  révère  la  générofité  de  deux  Empereurs,  qui,  préférant  l'Etat  à  leur 
famille,  écartèrent  leurs  propres  en&ns  du  trône,  pour  y  faire  afleoir  des 
hommes  tirés  de  la  charrue.  On  y  vénère  la  mémoire  de  ces  laboureurs, 
qui  jetterent  les  germes  du  bonheur  &  de  la  Habilité  de  l'Empire ,  dans  le 
iein  fertile  de  la  terre»  fource  intariflable  de  la reproduâion  des  moifTons, 
&  de  la  multiplication  de&  hommes. 

A  l'exemple  de  ces  Rois  agricoles,  tous  les  Empereurs  de  la  Chine  le 
font  devenus  par  état.  Une  de  leurs  fondions  publiques ,  eft  d'ouvrir  la  terre 
au  printemps,  avec  un  appareil  de  fére  &  de  magnificence  qui  attire,  des 
environs  de  la  capitale,  tous  les  cultivateurs.  Ils  courent  en  foule,  pour 
être  témoins  de  l'honneur  folémnel  que  le  Prince  rend  au  premier  de  tous 
les  arts.  Ce  n'èft  plus ,  comme  dans  les  fables  de  la  Grèce ,  un  Dieu  qui 
garde  les  troupeaux  d'un  Roi  :  c'eft  le  père  des  peuples ,  qui ,  la  main  âp* 
pefantie  fur  le  foc,  nîontre  à  fes  enfans  les  véritables  tréfors  de  l'Etat. 
Bientôt  après  il  revient  au  champ  qu'il  a  labouré  lui-même  ,  y  jetter  les 
femences  que  la  terre  demande.  L'exemple  du  Prince  eft  fuivi  dans  toutes 
les  provinces;  &  dans  la  même  faifon,  les  Vice- Rois  y  répètent  les  mê- 
mes cérémonies  en  préfence  d'une  multitude  de  laboureurs.  Les  Européens 
qui  ont  été  témoins  de  ces  folemnités  à  Canton,  ne  peuvent  en  parler  fans 
attendriflfement.  Ils  nous  font  regretter  que  cette  fête  politique,  dont  le 
but  eft  d'encourager  au  travail,  ne  foit  pas  fubftimée  dans  nos  climats  à 
tant  de  fêces^religieufes,  qui  femblent  inventées  par  la  fiînéantife  pour  la 
ftérilité  des  campagnes. 

Ce  n'eft  pas  qu'on  doive  fe  perfuader  que  la  cour  de  Pékin  fe  livre  fô- 
rieufement  à  des  travaux  champêtres  :  les  arts  du  luxe  font  trop  avancés  à 
la  Chine ,  pour  que  ces  démonftrations  ne  foient  pas  une  pure  cérémonie* 
Mais. la  loi  qui  force  le  Prince  à  honorer  ainfi  la  profeffion  des  laboureurs ^ 
doit  tourner  au  profit  de  l'agriculture.  Cet  hommage,  rendu  par  le  Souve« 
rain  à  l'opinion  publique ,  contribue  à  la  perpétuer  ;  &  Tinfiuence  de  To- 
pinioh ,  eft  le  premier  de  toiis  les  refforts  du  gouvernement. 
.  Cette  influence  eft  entretenue  à  la  Chine  par  les  honneurs  accordés  à  tous 
les  laboureurs ,  qui  fe  diftinguent  dans  la  culture  des  terres.  Si  quelqu'un 
d'eux  a  fait  une  découverte  utile  à  fa  profeflîon ,  il  eft  appelle  à  la  cour 
pour  éclairer  le  Prince  ;  &  TEtat  le  fait  voyager  dans  les  provinces  ^  pour 
Ibrmer  les  peuples  à  fa  méthode,  Enfia  dans  un  pays  où  la  NoblelTe  n'eft 


.4 

/    V 


^4à  CHINE. 

pas  ufi  (buveotr  héréSitaîre  ^  mais  une  récompenfe  perfonfieUe  ;  dans  oa 
pays  où  Fon  ne  diftiogue ,  ni  la  nobleflè  ^  ni  la  roture ,  mais  le  mérite  v 
plufieurs  des  Magiftrats  &  des  hommes  élevés  aux  premières  charges  de 
l'Empire  »  Ibnc  choifis  dans  des  fàmiliies  ufiiquemem  occupées  des  travaux  de 
la  campagne. 

Ces  encouragemens  qui  tiebnent  aux  mœurs,  iônt  encore  s^puyés  par 
les  meilleures  ioftitutions  politiques.  Tout  ce  qui,  de  fa  nature ,  ne  peut 
être  partagé,  comme  la  mer,  les  fleuves,  les  canaux,  eft  en  commun; 
tous  en  otit  la  jouiflance,  perfoime  n'en  a  la  propriété.  La  navigation,  la 
pêche,  la  chafle  font  libres.  Un  citoyen  qui  polTede  un  champ,  acquis  ou 
traofmis ,  ne  fe  le  voit  pas  difputer  par  les  abus  tyranniques  des  loix  fëo* 
A  dales.  Les  Prêtres  même ,  fi  hardis  par-tout  à  fermer  des  prétentions  fur 
lea  terres  &  fur  les  hommes,,  n'ont  jamais  ofé^le  tenter  à  la  Chine.  Ils  y 
font ,  à  la  vérité  ,  infiniment  trop  multipliés,  &  y  jouiflent ,  quoique  four 
vent  ÎBèndians,  de  pofledions  trop  viRts  :  mais  du  moins  ne  perçoivent- 
ils  pas  fur  les  travaux  des  citoyens  un  odieux  tribut.  Un  peuple  éclairé  n'au- 
roit  pas  manqué  de  voir  un.  fou  dans  un  bonze ,  qui  auroit  foutenu  que  les 
aumônes  qu'il  recevoir  étoienr  une  rétribution  due  à  la  fainteté  de  fon  ca« 

raâere. 

.      .  La  modicité  des  impôts  achevé   d'aflurer   les  progrés  de  l'agriculture. 

'  ^  Jufqu'à  ces  derniers  temps,  tout  ce  que  les  produâions  de  la  terre  payoient 
à  l'Etat,  fe  réduifoit  depuis  le  dixième  jufqu'au  trentième  du  revenu,  fui* 
vaut  la  qualité  du  fol.  La  Chine  ne  connoiuoit  pas  d'autre  tribut.  Les  che6 
ne  fongeoient  pas  à  l'augmenter^  ils  n'auroient  ofé  combattre  à  ce  point 
Tufage  &  l'foptnion  qui  font  tout  dans  cet  Empire.  Sans  doute  quelques 
Empereurs,  quelques  Miniftres  auront  tenté  de  changer  l'ordre  à  cet  égard, 
mais  comme  c'eft  une  entreprife  longue,  &  qu'il  n'y  a  pas  d'homme  qui 
puiffe  fe  flatter  de  vivre  affez  pour  en  voir  le  fûccés,  on  y. aura  renonce 
Les  méchans  veulent  jouir  fans  délai ,  &  c'eft  ce  qui  les  diflingue  des  bons 
citoyei^s.  Ceuxrci  (e  contentent  de  méditer  des  projets,  &  de  répandre 
des  vérités  utiles,  fans  efpérance  de  les  voir  eux*mêmes  profpérer  ;  mail 
ils  aiment  la  génération  à  naître ,  comme  la  génération  vivante. 

Ce  n'eft  que  depuis  peu ,  que  la  conquête  ou  le  commerce  ont  intro* 
duit  de  nouveaux  tributs  à  la  Chine.  Les  Empereurs  Tartares  ont  impofé 
des  «droits  fur  certaines  denrées,  fur  les  métaux,  fiir  des  marchandifes.  Eii« 
fin ,  fi  l'on  en  croit'  le  jéfuite  Amyot ,  ils  ont  établi  des  douanes,  à  l'exenn 
pie  des  Européens. 

Il  feroit  à  fouhaiter  que  ceux-ci  vouluflent  emprunter  des  Chinois ,  It 
manière  de  lever  les  tributs.  Elle  eft  jufte ,  douce  &  pea  difpendieufe. 
Chaque  année,  au  temps  de  la  moiifon,  les  champs  font  r^eforés  &  taxés 
en  raifon  de  leur  produit  réel  &  viflble.  Soit  que  les  Chinois  n'aient  pas 
dans  leur  caradere  cette  mauvaife  foi  dont  on  les  accufe,  ou  que,  ieni* 
blables  à  plufleurs  des  peuples  anciens ,.  ils  ne  foient. infidèles  &  trompeurs 

qu'avec 


/. 


I 


C    H    I    N  vE,  ^41 

qu'avec  les  étrangers  ;  le  gouvernement  prend  alTez  de  confiance  en  eux  ^ 
pour  ne  pas  les  vexer  &  les  molefler  par  toutes  les  recherches  &  les  vUi* 
tes  importunes  de  la  finance  Européenne.  L'unique  '  peine  qu'on  impofe  aux 
contribuables,  trop  lents  à •  s'acquitter  des  charges  publiques  de  l'impôt/ 
eft  qu'on  envoie  chez  eux  des  vieillards ,  des  infirmes  &  des  pauvres ,  pour 
y  vivre  à  leurs  dépens ,  jufqu'à  ce  qu'ils  aient  payé  leur  dette  a  l'Etat.  Oe(V 
la  commifération ,  c'efl  l'humanité  qu'on  va  foUiciter  dans  le  cœur  du  ci- 
toyen ,  par  le  (peâacle  de  la  mifere ,  par  les  cris  &  les  pleurs  de  la  faim  ; 
&  non  pas  révolter  Ton  ame,  &  foulever  fon  indignation  par  la  violence 
des  faifies,  par  les  menaces  d'une  foldatefque  infolente,  qui  vient  s'éta-* 
blir  à  difcrétion  »  dans  une  maifon  ouverte  aux  cent  bouches  du  fifc. 

La  Chine  ignore  ces  voies  d'oppreffion  que  l'impôt  occafionne  en  Euro- 
pe. Des  Mandarins  perçoivent ,  en  nature,  la  dlme  des  terres.  Les  Officiers 
municipaux  verfent  le  produit  de  cette  levée ,  de  toutes  les  taxes ,  dans  le 
laréfor  de  l'Etat,  par  les  mains  du  Receveur  de  la  province.  La  déftina* 
tson  de  ce  revenu  prévient  les  infidélités  dans  la  perception.  On  fait  qu'une 

Î partie  de  cette  redevance,  eft  employée  à  la  nourriture  du  Magiftrat  &  du 
bldat.  Le  prix  de  la  portion  des  récoltes  qu'on  a  vendue,  ne  fort  du  fifc 
que  pour  les  befoins  publics.  Enfin ,  il  en  refte  dans  les  magafins  pour  les 
temps  de  dlfette ,  où  l'on  rend  au  peuple  ce  qu'il  avoit  comme  prêté  dans 
le  temps  d'abondance.    - 

Des  peuples  qui  jouifibient  de  tant  d'avantages,  dévoient  (e  multiplier 
prodigieulèment  dans  une  région  oii  les  femmes ,  quelle  qu'en  foit  la  rai*- 
ion,  font  extrêmement  fécondes,  6c  où  les  hommes  n'altèrent  jamais  un 
tempérament  naturellement  robufie,  par  l'ufage  des  liqueurs  fortes;  fous 
un  ciel  fain  &  tempéré ,  où  il  naît  beaucoup  d'en&ns ,  où  il  en  meurt  4brt 
peu;  fur  une  terre  qui  donne  plus  de  fubfiftances,  qu'elle  n'exige  de  tm*-* 
vail  ;  avec  un  genre  de  vie  fîmple ,  peu  difpendieux ,  &  qui  tend  toujours 
à  la  plus  auftere  économie. 

Cependant ,  les  Jéfuites  chargés  par  la  Cour  de  Pékin ,  de  lever  les  car* 
tes  de  l'Empire ,  ont  découvert ,  dans  le  cours  de  leurs  opérations ,  des  dé*» 
ierts  affez  confidérables ,  dont  la  connoiffance  avoit  échappé  aux  négociâtes' 

ui  ne  fréquentoient  que  les  ports  de  mer,  aux  voyageurs,  qui  n'avoient 

lit  que  la  route  de  Canton  à  la  capitale. 
Le  défaut  de  population  dans  quelques  contrées  écartées  de  la  Chine,* 
feroit  inexplicable,  fi  l'on  ne  favoit  que,  dans  ces  vaftes  Etats,  un  affez 
grand  nombre  d'enfans  font  étouiïës  immédiatement  après  leur  naiffance  \ 
que  plufieurs  de  ceux  qui  ont  échappé  à  cette  cruauté,  font  condamnés  à 
la  plus  honteufe  des  mutilations  ;  que ,  parmi  ceux  auxquels  on  ne  fait  pas 
l'outrage  de  les  priver  de  leur  fexe ,  beaucoup  font  réduits  à  l'efcUvage  & 
privés  des  Uens  confolans  ilu  mariage ,  par  des  maîtres  tyranniques  ;  que  la 
polygamie,  fi  oppofée  à  l'efprit  focial  &  à  la  raifon,  eft  d'un  ufage  uni- 

▼erfdiement  reçu}  que  la  débauche  que  la  nature  repouffe  avec  le  plus 
Tome  XL.  Mmmm 


t 


/■ 


6^%      ,  CHINE, 

d^orreurs^  eft  très-répandue;  &  que  les  couvens  des  Bonzes  ne  renfer- 
ment guère  moins  d'un  million  de  célibataires. 

Mais ,  fi  un  petit  nombre  de  cantons ,  épars  &  prefque  ignorés  à  la  Chine 
même,  font  privés  des  bras  qui  devroient  les  détricher  ;  combien  n'en  eft-il 
pas  »  où  les  hommes  entaflës ,  pour  ainfi  dire ,  les  uns  fur  les  autres ,  fe 
nuifent  réciproquement?  Ce  vice  fe  remarque  généralement  aux  environs 
des  villes,  lur  les  grandes  routes,  &  finguliârement  dans  les  provinces  Mé- 
ridionales,  Auffî,  les  annales  de  TEmpire  attefient-elles  qu'il  y  a  peu  de  mau- 
vaifes  récoltes  qui  n'occafionnent  des  révoltés. 

Il  ne  faut  pas  chercher  ailleurs  les  caufes  qui ,  à  la  Chine ,  arrêtent  les 
progrès  du  defpotifme.  Ces  révolutions  fréquentes ,  fuppofent  un  peuple 
aflez  éclairé  pour  fentir  que  le  refpeâ  qu'il  porte  au  droit  de  la  propriété , 
que  la  foumidion  qu'il  accorde  aux  loix ,  ne  font  que  des  devoirs  du  fé- 
cond ordre ,  fubordonnés  aux  droits  iraprefcriptibles  de  la  nature  ,  qui  n'a 
dû  former  des  fociétés  que  pour  le  befoin  de  tous  les  hommes  qui  les  com- 
poient.  Ainfi.,  lorfque  les  chofes  de  première  nécelfité  viennent  a  manquer, 
les  Chinois  ne  recoimoiflent  plus  une  puifTance  qui  ne  les  nourrit  pas.  C'eft 
Iç  devoir  de  conferver  les  peuples,  qui  (ait  le  droit  des  Rois.  Ni  la  re- 
ligion, ni  la  morale,  ne  diâent  d'autres  maximes  à  la  Chine. 

L'Empereur  fait  qu'il  règne  fur  une  nation  qui  n'eft  attachée  aux  loix 
qu'autant  qu'elles  font  fon  bonheur.  Il  fait  que  s'il  fe  Hvroit  un  moment  à 
cet  efprit  de  tyrannie,  ailleurs  fi  commun  ot  fi  contagieux,  des fecouflès 


trône.  Il  eft  fi  convaincu  que  le  peuple  connolt  fes  droits  &  les  fait  défen* 
dre,  que  loriqu'unç  province  murmure  contre  le  Mandarin  q^ui  la  gouver* 
ne ,  if  le  révoque  fans  examen ,  &  le  livre  à  un  trîbimal  qm  le  pourfuit, 
s'il  eft  coupable.  Mais  ce  Magîftrat  fût-il  innocent ,  il  ne  leroit  pas  remis 
en  place.  C'eft  un  crime  en  lui  d'avcnr  pu  déplaire  au  peuple.  On  le  traite 
comme  un  inftituteur  ignorant ,  ^ul  priveroit  un  père  de  l'amour  que  fo 
t  <m£ui9  lui  portoient.  Une  complaifance ,  qui  entretiendrait  ailleurs  une  fer* 
'  mentation  continuelle,  &  oui  y  ferait  la  fource  d\me  infinité  dlntrigues, 
n'a  nul  inconvénient  à  la  dhine ,  où  les  habitans  font  naturellement  doux 
&  juftes ,  &  où  le  gouvernement  eft  conftimé  de  manière  que  fes  dâégués 
n*OBt  que  rarement  des  ordres  rigoureux  &  exécuter. 

Cette  néceffité  où  eft  le  Prince  d'être  jufte ,  doit  le  rendre  plus  fage  & 
plus  éclairé.  Il  eft  à  la  Chine,  ce  qu'on  veut  fiiire  croire  aux  autres  Frin* 
ces  qu'ilsf  font  par-tout,  l'idole  de  la  nation.  Il  femble  que  les  mœurs  & 
,  les  loix  y  tendent,  de  concert,  à  établir  cette  opinion  fondamentale,  que 
^  la  Chine  eft  une  famille  dont  l'&npereur  eft  le  patriarche.  Ce  n'eft  pas 
comme  conquérant,  ce  n'eft  pas  comme  Légiflateur,  qu'il  a  de  Pautorité; 
c'eft  comme  père  :  c'eft  en  père  qu'il  eft  cenfé  gouverner ,  récompenfer 


C    H    I    N    E-  -^         ^43 

&  punir.  Ce  fentiment  délicieux  lui  donne  plus  de  pouvoir  que  tous  les 
foldacs  du  monde  &  les  artifices  des  Minières  n^en  peuvent  donner  aux 
defpotes  des  autres  liations.  On  ne  fauroit  imaginer  auel  refpeâ,  quel 
amour  les  Chinois  ont  pour  leur  Empereur ,  du,  comme  ils  le  difenti  pour 
le  père  commun ,  pour  le  père  univerfel. 

Ce  culte  public  eft  fondé  fur  celui  qui  eft  établi  par  ^éducation  domefli-  A 
que.  A  la  Chine,  un   père,  une  mère  conferve  une  autorité  abfolue  fur  ^  ^ 
leurs  enfans,  à  quelque  âge,  à  quelque  dignité  que  ceux-ci  fôient  parve- 
nus. Le  pouvoir  paternel  &  l'amour  filial,  font  le  relTort  de   cet  Empi- 
re :  c'eft  le  foutien  des  maurs  :  -c'efl  le  Hen  qui  unit  le  Prince  aux  fujets, 
les  fujets  au  Prince,  &  les  citoyens  entr'eux.  Le  Gouvernement  des  Cht*-^ 
nois  eft  revenu,  par  les  degrés  de  fa  perfeâion ,  au  point  d'où  tous  les 
autres  font  partis ,  &  d'oii  ils  femblent  s'éloigner  pour  jamais ,  au  gouver- 
nement  pàtriarchal,  qui  eft  celui  de  la  nature  même. 

Cependant  cette  morale  fublime ,  qui  perpétue  depitis  tant  de  fiecles  le 
bonheur  de  l'Empire  Chinois ,  fe  feroit  peut-être  infehfiblement  altérée ,  fî 
des  diftinâions  chimériques  attachées  ï  la  naifiance,  euffent  rompu  cette 
égalité  primitive ,  que  la  nature  établit  entre  les  hommes ,  &  qui  ne  doit 
céder  qu'aux  talens  &  aux  vertus.  Dan^  tous  nos  gouvernemens  d'Europe , 
il  eft  une  claffe  d'hommes ,  qui  apportent,  en  naidanr,  une  fupériorité 
indépendante  de  leurs  qualités  morales.  On  n'approche  de  leur  berceau 
qu'avec  refpeâ.  Dans  leur  enfance,  tout  leur  annonce  qu'ils  font  faits  pour 
commander  aux  autres.  Bientôt  ils  s'accoutument  à  penfer  qu'ils  font  d'une 
efpece  particulière;  &  fûrs  d'un  état  &  d'un  rang,  ils  ne  cherchent  plus 
à  s'en  rendre  dignes. 

Cette  infritution,  à  laquelle  on  a  dû  tant  de  Miniftres  médiocres,  de 
Magiftrats  ignorans,  &  de  mauvais  Généraux;  cette  infticution  n'a  point 
lieu  à  la  Chine.  Il  n'y  a  point  de  nobleiTe  héréditaire.  La  fortune  de  cha- 
que citoyen  commence  oc  finit  avec  lui.  Le  fils  du  premier  Miniftre  de 
l'Empire,  n'a  d'autres  avantages^  an  moment  de  fa  naifTance,  que  ceux 
qu'il  peut  avoir  reçus  de  la  nature.  On  ennoblit  quelquefois  fes  ayeux  d'un 
homme  qui  a  rendu  des  fervices  importans  :  mais  cette  diftinâion  pure* 
ment  perfbnnelle,  eft- enfermée  avec  lui  dans  le  tombeau;  ^  il  ne  refte 
It  fes  enfans  que  lé  fouvenir  &  l'exemple  de  fes  vertus. 

Une  égalité  fi  parfaite ,  permet  de  donner  aux  Chinois  une  éducation 
uniforme ,  &  de  leur  tnfpirer  des  principes  fembtables.  Il  n'eft  pas  diffi-^ 
elle  de  perfuader  à  des  hommes  nés  égaux ,  qu'ils  font  tous  frerès.  Il  y  a 
tout  à  gagner  pour  eux  dans  cette  opinion;  il  y  auroit  tout  à  perdre. dans 
Topinion  Contraire.  Un  Chinois  qui  voudroit  fortir  de  cette  fraternité  gé-. 
nérale^  deviendroit  dès4or$  un  être  Kdié  &  malheureux  :  il  feroit  étranger' 
au  milieu  de  fa  patrie.  .. 

A  la  place  de  ce»  diftinâions  frivoles ,  que  ta  nàiflance  établit  entre  les 
hommes,  dans  prefqué  tout  le  refte  de  l'univers,  le  mérite  perfonhel  ea 

Mmmm  % 


(5.f4  CHINE. 

établie  de  réelles  à  la  Chine.  Sous  le  nom  de  Mandarins  lettrés ,  un  corps 
d'hommes  fages  &  éclairés ,  fe  livrent  à  coûtes  les  études  qui  peuvent  les 
rendres  propres  à  Tadminiflration  publique.  Ce  font  les  talens  &  les  con- 
noifTances  qui  font  feules  admettre  dans  ce  corps  refpeâable.  Les  richefies 
f\  n'y  donnent  aucun  droit.  Les  Mandarins  chuififlent  eux-mêmes  ceux  qu'ils 
jugent  à  propos  de  s'affocier^  &  ce  choix  eft  toujours  précédé  d'un  examen 
rigoureux.  Il  y  a  différentes  clafles  de  Mandarins ,  &  l'on  s'élève  des  unes 
aux  autres ,  non  point  par  l'ancienneté ,  mais  par  le  mérite.     , 

C'eft  parmi  ces  Mandarins  que  l'empereur,  par  un  uiàge  aufll  ancien. que 
l'Empire  même ,  choifit  les  Minières ,  les  Magifirats  »  les  Gouverneurs  de 
Provmce;  en  un  mot  tous  les  adminiftrateurs  qui,  fous  différentes  quali- 
tés, font  appelles  à  prendre  part  au  gouvernement.  Son  choix  ne  peut  ja- 
mais tomber  que  fur  des  fujets  capables,  éprouvés;  &  le  bonheur  des 
peuples  n'ëft  jamais  confié  qu'à  des  hommes  vraiment  dignes  de  le  £ûre. 
Au  moyen  de  cette  confiitution ,  il  n'y  a  de  dignité  héréditaire  ^  que 
celle  de  l'Empereur  ;  &  l'Empire  même  ne  paffe  pas  toujours  à  l'ainé  des 


le  trône ,  &  c'eft  par  les  talens  qu'un  héritier  y  parvient.  Des  Empereurs 
ont  mieux  aimé  chercher  des  fuccefleurs  dans  une  maifbn  étrangère,  que 
de  laifler  les  rênes  du  gouvernement  en  des  mains  foibles. 

Les  Vice-Rois  &  les  Magiffarats  participent  à  l'amour  du  peuple ,  conune 
à  l'autorité  du  Monarque.  Le  peuple  a  même  une  mefure  d'indulgence 
pour  les  £iutes  d'adminiftration  qui  leur  échappent ,  comme  il  en  a  pour 
i.  celles  du  Chef  de  l'Empire.  Il  n'eft  pas  enclin  aux  féditions  j  comme  on 
'  \  doit  rêtre  dans  nos  contrées.  On  ne  voit  à  la  Chine  aucun  corps  qui  puifle 
former  ou  conduire  des  faâions.  Les  Mandarins  ne  tenant  point  à  des 
familles  riches  &  puiflantes ,  ne  reçoivent  aucun  appui  que  du  trône  &  de 
leur  fagefle.  Ils  font  élevés  dans  une  do6bine  qui  infpire  l'humanité ,  l'a- 
mour de  l'ordre ,  la  bien&ifance ,  le  refpeâ  pour  les  loix.  Us  répandent 
fans  ceife  ces  fentimens  dans  le  peuple,  &  lui  font  aimer  chaque  loi, 
parce  qu'ils  lui  en  montrent  Tefprit  &  l'utilité.  Le  Prince  même  ne  donne 
pas  un  édit,  qui  ne  foit  une  inftruâion  de  morale  &  de  politique.  Le 
peuple  s'éclaire  néceilairement  fur  fes  intérêts  &  fur  les  opérations  du 
gouvernement  qui  s'y  rapportent.  Plus  éclairé ,  il  doit  être  plus  tranquille. 
^  La  fuperftition  qui ,  par*tout  ailleurs ,  agite  les  nations ,  &  affermit  le 
\  defpotifme  ou  renvetfe  les  trônes ,  la  fuperftition  eft  fans  pouvoir  à  la 
Chine.  Les  loix  l'y  tolèrent ,  mal-à-propos  peut-être  ;  mais  au  moins  n'y 
fait-elle  jamais  des  loix.  Pour  avoir  part  au  gouvernement,  il  faut  être 
de  la  feâe  des  Lettrés ,  qui  n'admet  aucune  fuperftition.  On  ne  permet  pas 
aux  Bonzes  de  fonder  fur  les  dogmes  de  leurs  feâes,  les  devoirs  de  la 
morale  I  &  par  conféquent  d'en  difpenfer.  S'ils  trompent  une  partie  de 


CHINE.  tf4{ 

la  nation ,  ce  n'efi  pas  du  moins  celle  dotat  Texemple  &  l'autorité  doivent 
le  plus  influer  fur  le  fore  de  l'Etat, 

Confiicius ,  dont  les  aâions  fervirent  d'exemple',.  &  les  paroles  de  leçon  ; 
Confucius,  dont  la  mémoire  eft  également  honorée,  la  doârine  également 
chérie  dé  toutes  les  clafles  &  de  toutes  les  CeQi^s  :-  Confiicius  a  fondé  la 
religion  nationale  de  la  Chine.  Son  code  n'eft  que  la  loi  naturelle ,  qui 
devroit  être  la  bafe  de  toutes  les  religions  de  la  terre ,  le  fondement  de 
toute  fociété ,  la  règle  de  tous  les  Gouvernemens«  La  raifon ,  dit  Confiicius , 
eft  une  émanation  de  la  divinité  \  la  loi  îupréqie  n'efl  que  l'accord  de  la  na- 
ture &  de  la  raifon.  Toute  religion  qui  contredit  ces  deux  guides  de  la 
▼ie  humaine ,  ne  vient  point  du  ciel. 

Ce  ciel  eft  Dieu  :  car  les  Chinois  n'ont  point  de  terme  pour  exprimer 
Dieu.  Mais  ce  rPtft  point  au  ciel  vifibk  &  matériel  que  nous  adrejfons  des 
facrificts^  dit  l'Empereur  Chan-Gi,  dans  un  édit  de  1710;  c'</7  au  Maître 
du  ciel.  Ainfi  l'athéifme,  quoiqu'il  ne  foit  pas  rare  à  la  Chine,  n'y  eft 
point  avoué  ;  on  n'en  fait  pas  une  profefljon  publique.  Ce  n'eft  point  un 
iignal  de  feâ^ ,  ni  un  objet  de  perfëcution.  U  y  eft  feulement  toléré  comme 
la  fuperftition, 

L'Empereur ,  feul  pontife  de  la  nation ,  eft  auffî  juge  de  la  religion  ; 
mais  comme  le  culte  a  été  fait  pour  le  gouvernement ,  &  non  le  gouver^ 
nement  pour  le  culte  ;  comme  l'un  &  l'autre  ont  été  formés  pour  la  focié* 
té,  le  Souverain  n'a  ni  intérêt,  ni  intention  d'employer  cette  unité  de 
puiflance  qu^il  a  dans  les  mains ,  à  tyrannifer  le  peuple.  Si  d'un  côté  les 
dogmes  ou  les  rites  de  la  hiérarchie  ne  répriment  pas  dans  te  Prince  l'a- 
bus du  pouvoir  defpotiqile ,  il  eft  d'un  autre  côté  plus  fortement  contenu 
par  les  mœurs  publiques  de  nationales. 

Rien  n'eft  plus  difncile  que  de  les  changer ,  parce  qu'elles  font  infpirées 
par  l'éducation ,  peut-être  la  meilleure  que  l'on  connoifle.  On  ne  fe  preffe 
point  d'inftruire  les  en&ns  avant  l'âge  de  cinq  ans.  Alors  on  leur  apprend 
à  écrire ,  &  ce  font  d'abord  des  mots  ».  ou  des  hiérpglyphes ,  qui  leur  rap- 
pellent des  chofes  fenfibles,  dont  on  tâche  en  même-temps  de  leur  don- 
ner des  idées  juftes.  Enfuite  on  remplit  leur  mémoire  de  vers  fentencieux, 
qui  contiennent  des  maximes  de  morale ,  dont  on  leur  montre  l'applica-^ 
tion.  Dans  un  âge  plus  avancé,  c'eft  la  philofophie  de  Confucius  qu'on 
leur  enfeigne.  Telle  eft  l'éducation  des  hommes  du  peuple.  Celle  des  en- 
fans  qui  peuvent  prétendre  aux  honneurs ,  commence  de  même  ;  mais  on 
y  ajoute  bieiitôt  d'autres  études,  qui  ont  pour  objet  la  conduite  de  l'hom« 
me  dans  les  différens  états  de  la  vie. 

Les  mœurs ,  à  la  Chine ,  font  prefcrites  par  les  loix ,  &  maintenues  par  - 
les  manières ,  que  prefcrivent  au(G  les  loix.  Les  Chinois  font  le  peuple  de 
la  tei^e  qui  a  le  plus  de  préceptes  fur  les  aâions  les  plus  ordinaires.  Le 
code  de  leur  politeffe  eft  fon  long  ;  &  les  dernières  claflès  des  citoyens 
en  font  inflruites  ^  Jc  s'y  conforment  comme  les  Mandarins  &  la  Lour« 


6^6  CHINE. 

Les  loix  de  ce  code  font  idftituées,  ainfî  que  toutes  les  autres ,  mur 
perpétuer  Topînion  que  la  Chine  n'eft  qu'une  famille ,  &  pour  prefcrire 
aux  citoyens  les  ^ards  &  les  prévenances  mutuelles  que  des  frères  doi- 
vent à  des  frères.  Ces  rîtes ,  ces  manières  rappellent  continuellement  aux 
mœurs.  Elles  metieitt  ^etquefbis ,  il  eft  vrai,  la  cérémonie  à  la  place  du 
fentiment  ;  mais  combien  louvent  ne  le  font-elles  pas  revivre  !  Elles  font 
une  forte  de  culte  qu'on  rend  fans  ceffe  à  la  vertu.  Ce  culte  frappe  les 
yeux  des  jeunes  gens.  11  nourrit  en  eux  le  refpeâ  pour  la  vertu  même; 
&  fi  )  comme  tous  les  cultes ,  il  &it  des  hypocrites ,  il  entretient  aufli  un 
zele  véritable.  Il  y  a  des  tribunaux  érigés  pour  punir  les  fautes  contre  les 
manières ,  comme  il  y  en  a  pour  juger  des  crimes  &  des  vertus.  On 
punit  le  crime  par  des  peines  douces  &  modérées  ;  on  récompenfe  la 
vercû  par  des  honneurs.  Ainfî  l'honneur  eft  un  des  reflbrts  qui  entrent  dans 
le  gouvernement  de  la  Chine.  Ce  n'eft  pas  te  reflbrt  principal  :  il  y  eft 
.  plus  fort  que  la  crainte ,  &  plus  fbible  que  l'amour. 
.  Avec  de  pareilles  inftitutions ,  la  Chine  doit  être  le  pays  de  la  terre 

f  où  les  hommes  font  le  plus  humains.  Aufli  voit-on  l'humanité  des  Cbi* 
nois  jufoues  dans  ces  occafîons  où  la  vertu  femble  n'exiger  que  de  la 
jnfUce,  0t  là  juftice  que  de'  ta  rigueur.  Les  prifonniers  font  détenus  dans 
des  logemens  propres  &  commodes ,  où  ils  font  bien  traités  julqu'au  mo- 
ment dé  leur  fentence.  Souvent  toute  la  punition  d'un  homme  riche,  fe 
réduit  à  l'obligation  de  nourrir  ou  de  vêtir  pendant  quelque  temps  chez 
lui  des  vieillards  &  des  orphelins.  Nos  romans  de  morale  &  de  politique 
font  Phiftoire  des  Chinois.  Chez  eux ,  on  a  tellement  réglé  les  afKons  de 
l'homme,  qu'on  n'y  a  prefque  pas  be|otn  de  fes  fentimens  :  cependant  on 
infpire  les  uns  pour  donner  du  prix  aux  autres. 

L'efprit  patriotique,  cet  efprit  fans  lequel  les  Etats  font  des  peuplades, 
&  non  pas  des  nations,  eft  plus  fort , 'plus  aâif  à  la  Chine ,  qu'il  ne  l'eft 
peut-être  dans  aucuiie  République.  C'eft  une  chofè  commune  que  de  voir 
des  Chinois  réparer  les  grands  chemins  par  un  travail  volontaire ,  des  hom* 


que  rottentanon  de  la  générohte,  lie  font  pas 

Il  y  a  des  temps  ou  elles  out  été  communes ,  d'autres  temps  où  elles 
l'ont  été  moins;  mais  la  corruption  amenoit  une  révolution ^  &  les  mteurs 
fe  réparoient.  Lu  dernière  invafîon  des  Tartires  les  avoit  changées  :  elles 
s'^rent  à  mefure  que  les  Princes  de  cette  nation  conquérante  quittent 
les  fuperftitions  de  leur  pays,  pour  adopter  l'efprit  du  peuple  conquis,  & 
qu'ils  font  inftruits  par  \ei  tivrei  que  les  Chinoi»  appellent  canoniques. 

On  ne  don  pas  tirûet  à  voir  tout^-à'fait  revivre  le  caraAere  erftimaUe  de 
la  nation  :  cet  efprit  àfi  fratertiité  ',  de  âitiitle  ;  ce^  liens  aimables  '  de  la 
fociélé ,  qui  forment  dans  le  peuple  la  douceur  des  moeurs  &  rattache* 
Qiem  inviolable  aux  loix.  Les^  erreurs  &  les  vi^ea  politiquer  ne  fiiuroîeot 


CHINE.  6^7 

• 

prendre  de  fortes  racines  dans  un  pays  où  Ton  nMIeve  aux  emplois  que 
des  hommes  de  la  feâe  des  Lettrés ,  dont  Tunique  occupation  eft  de  s'inf- 
truire  des  principes  de  la  morale  &  du  gouvernement.  Tant  que  les  vraies 
lumières  feront  recherchées ^  tant  quMles  conduiront  aux  honneurs,  il  y 
aura  dans  le  peuple  de  la  Chine  un  fond  de  raifon  &  de  vertu  qu'on  ne 
verra  pas  dans  les  autres  nations. 

Si  ce  tableau  des  mœu^  Chinoifes  fe  trouvoit  en  contradiâion  avec  ce- 
lui que  d'autres  Ecrivains  en  ont  tracé  ;  peut-être  ne  feroit*il  pas  impoffi'*- 
ble  de  concilier  des  opinions  en  apparence  fi  oppofëes.  La  Chine  pënt  erre 
envi(àgée  (bus  un  double  afpeâ.  Quand  on  n'étudie  fes  habitans  que  dans 
les  ports  de  mer  ou  les  grandes  villes,  on  eft  révolté  de  Içur  lâcheté, 
de  leur  mauvaife  foi,  de  leur  avarice  :  mais  dans  le  refie  de  l'Empire , 
fur-tout  dans  les  campagnes ,  ils  ont  des  mœurs  domefiiques  ;  ils  ont  4et 
niaurs  (bciales  ;  ils  ont  des  mœurs  patriotiques.  On  trouveroit  difficilement 
lin  peuple^lus  vertueux  ^  plus  humain  &  plus  éclairé. 

Cependant  il  faut  avouer  que  la  plupart  des  connoiflances  fondées  fur 
des  théories  un  peu  conpliquées,  n'y  ont  pas  &tt  les  progrés  qu'on  dévoie 
naturellement  attendre  d'une  nation  ancienne,  aétive,  appliquée^  qui|  de«» 
puis  très-long-temps  en  tenoit  le  fil.  Mais  ^ette  énigme  n'eft  pas  inexpli'^ 
cable.  La  langue  des  Chinois  demande  une  étude  longue  &  pénible ,  qui 
occupe  des.  hommes  tout  entiers  durant  le  coûris  de  leur  vie*  Lés  rites,  les 
cérémonies  qui  font  mouvoir  cette  nation,  donnent  plus  d'exercice  à  b 
mémoire  qu'au  femiment.  Les  manières  arrêtent  les  mouvemens  de  l'âme , 
en  aflbibliflènt  les  refforts.  Trop  occupés  des  objets  d'utilité,  les  elprits  ne 
peuvent  pas  s'élancer  dans  la  carrière  de  l'imagination.  Un  refpeô  outré 
pour  Tantiquité,  les  afTervit  à  tout  ce  qui  efl  éubls.  Toutes  ces  caufes 
réunies  ont  dû  ôter  aux  Chinois  l'e(prit  d'invention.  Il  leur  faut  des  fîecles  pour 
perfeâiooner  quelque  chofe  ;  &  quand  on  penfe  à  l'état  ^oii  fe  trpuvoient 
chez  eux  les  arts  oc  les  fciences  il  y  a  trois  cents  ans,  on  €&  convaincu  de 
l'étonnante  durée  de  cet  Empire. 

Peut-être  encore  faut-il  attribuer  Pimperfeâion  des  lettres  &  des  beaux- 
arts  ,  chez  les  Chinois ,  à  la  perfeâion  même  de  U  police  &  du  gouver- 
nement. Ce  paradoxe  efl  fondé  fur  la  raifon.  Lorfque  ^hez  un  peuple  la 
première  étude  efl  celle  des  ibix  ;  oue  la  récompenfe  de  Tétude  en  une 
place  dans  l'adminiflration ,  au  lieu  <rune  place  d'académie  ;  que  l'occnpar 
tion  des  Lettrés  eft  de  veiller  à  l'obfèrvation  de  la  morde ,  ou  à  la  manu* 
tention  de  la  politique  :  fi  cette  nation  eft  infiniment  nombreufe;  s'il  y 
faut  une  vigilance  continuelle  des  favans  fur  la  population  &  la  fnbftftance; 
fi  chacun ,  outre  les  devoirs  publics  dont  la  connoiilance  même  eft  une 
longue  fcience,  a  des  devoirs  particuliers,  foit  de  famille  ou  de  profeflion: 
chez  un  tel  peuple ,  les  fciences  fpéculatives  &  de  pur  ornement,  ne  doi- 
vent pas  s'élever  à  cette  hauteur,  à  cet  édat  oii  nous  les  voyons  en  Euro« 
pe.  Mai»  les  Chinois ,.  toujours  écoliers  dans  nos  arts  de  luxe  Si  de  vani« 


A 


6^$  C    H    I    N    E.) 

té»  font  nos  maîtres  dans  la  fcience  de  bien  gouverner.  Ils  le  font  dans 
A    l'art  de  peupler,  non  dans  celui  de  ^détruire. 

Une  nation, 
des  préceptes  I 
des  ufages  publics  &  domeftiques»  doit  être  nativellemént  fouple,  mode* 
rée,  paifible  &  pacifique.  La  raifon  &  la  réflexion ,  qui  prébdent  à  fes 
leçons  &  à  fes  penfées ,  ne  pturoi^nt  lui  laiflèr  ces  enthoufiafme  qui  fait 
les  guerriers  &  les  héros.  L^iumanité  même,  dont  on  remplie  fon  ame 
tendre  &  molle  «  lui  fait  regarder  avec  horreur  Peffiiiion  du  fang ,  le  pil- 
lage &  le  maflacre  (i  familiers  à  tout  peuple  foldat.  Avec  cet  efprit,  eft* 
il  étonnant  que  les  Chinois  ne  foient  pas  bdliqueqx  >  Leur  milice  eft  in- 
nombrable, mais  ignorante  &  ne.  fait  qu'obéir.  Elle  manque  de  taâique 
encore  plus  que  de  courage.  Dans  les  guerres  contre  les  Tartares ,  les  Chi- 
nois n'ont  pas  fu  combattre  i  mais  ils  ont  fu  mourir.  L'amour  pour  leur 
gouvernement ,  pour  leur  patrie  &  pour  leurs  loix ,  doit  leur  tenir  lieu  d'ef- 
prit  guerrier;  mais  il  ne  tient  pas  lieu  de  bonnes  armes  &  de  la  fcience 
>l  de  la  guerre.  Quand  on  foumet  fes  conquérans  par  les  mœurs ,  on  n'a  pas 
'  befoin  de  dompter  fes  ennemis  par  les  armes.  Hiftoirc  Philofophiqut  & 
politique  du  commerce  ^  dtê  iuibUJp^mcris  dc^  Européens  dans  les  deux  Indes. 

* 

Confidirofions  ultérieures  J\ir  V Agriculture  des  Chinois. 

JLi'AgricultûrB  de  la  Chine  eft  digne  de  la  plus  grande  attention  \  car 
il  n'y  a  point .  d'endroit  fur  notre  planète  ^  où  l'on  cultive  la  terre  avec  un 
fi  grand  iuccès.  Arrètons-nous-y. 

Tout  le  fecret  de  cette  nation  confifle  à  bien  amander  fes  terres ,  à  les 
remuer  profbildément  dans  des  temps  convenables  ,  à  les  enfemencer  à 
propos  9  à  mettre  len  valeur  toute  terre  qui  peut  rapporter  quelque  cho- 
fe,  :&  à  préférer  à  toute  autre  culture  celle  des  grains^  qui  font  de  pre- 
mière néceflîté. 

Ce  fyftême  d'agriiculturCi  au  dernier  article  près»  parolt  être  le  même 
que  celui  qui  eft  répandu  dans  tous  nos  ouvrages  anciens  &  modernes  ^ 
qui  ont  traité  cette  «matière  ;  i|  eft  connu  de  nos  fimples  laboureurs  ;  mais 
ce  qui  étbnnèri  Tagnculteur  Européen  le  plus  habile ,  fera  d'apprendre  que 
les  Chinois  n'ont  aucune  prairie,  ni  naturelle ^  ni  artificielle»  &  qu'ils  ne 
connoifTent  pas  ,le$  jachères,  c'eft*à-dire ^  qu'ils  ne  laiflent  jamais  repofer 
les  terres. 

;  Les  laboureurs  Chinois^  regarderoient  une  prairie  quelconque  comme 
une  terre  en  friche.  Ils  mettent  tout  en  grain ,  &  par  préférence  les  terres 
qui,  comme  celles  que  nous  façrifîons  en  prairie  ,  lont  plus  baflès,  & 
par  conféquent  plus  fertiles  ,  &  peuvent  être  arrofées  ;  ils  prétendent  qu'une 
mefure  de  terre  enffcmencée  en  grains  rendra  autant  de  paille  pour  nour- 
rir les  animaux  /  qu'elle  auroit  rendu  de  foin ,  &  que  par  leur  méthode 

on 


CHINE.  % 

oh  gagne  tout  le  produit  en  grains  pour  nourrir  des  hommes ,  fàuf  à  par« 
tager  avec  les  animaux  une  petite  partie  de  ce  grain ,  s'il  s'en  trouve  du 
fuperflu.  Voilà  leur  lyftéme  fuivî  d'un  bout  de  l'Empire  à  l'autre  depuis 
l'origine  de  la  monarchie,  confirmé  par  l'expérience  de  plus  de  40  (ie« 
des ,  chez  la  nation  du  monde  la  plus  attentive  à  fes  intérêts. 

Ce  qui  rend  ce  plan  d'agriculture  plus  inconcevable ,  c'efl  de  voir  que 
leurs  terres  ne  fe  repofent  jamais.  Un  laboureur  Chinois  ne  pourroic  s'em* 
pêcher  de  rire ,  fi  on  lui  difoic ,  que  la  terre  a  befoin  de  repos  à  certain 
terme  fixe;  il  diroit  cerutnement  que  nous  fbmmes  loin  du  but,  s'il  pou* 
voit  tire  nos  traités  anciens  &  modernes,  nos  fpéculations  merveilleufes 
fur  Pagriculture.  Et  que  ne  diroic*il  pas,  s'il  voyoit  nos  landes,  une  partie 
de  nos  terres  eniriche»  une  autre  employée  en  cultures  inutiles,  le  refle 
mal  travaillé  ;  fi  parcourant  quelques  campagnes  de  l'Europe ,  il  voyoit  la 
mifere  extrême ,  &  la  barbarie  de  ceux  qui  les  cultivent  ?  Les  terres  Chi« 
noifes ,  en  général ,  ne  fiint  pas  de  meilleure  qualité  que  les  nôtres  ;  on 
-en  voit,  comme  chez  nous,  de  bonnes,  de  médiocres  &  de  mauvaifes  ; 
des  terres  fortes  &  légères;  des  terres  argilleufes  &  des  terres  où  le  fable, 
les  pierres  &  les  cailloux  dominent. 

Toutes  ces  terres  rapportent  annuellement,  même  dans  les  provinces  dil 
nord,  une  &  deux  fois  l'année,  quelques-unes  même  cinq  fois  en  deux 
années  ,  dans  les  provinces  méridionales  ,  fans  jamais  fe  repoier  depuis  plu« 
iieùrs  milliers  d'années  qu'elles  font  mifes  en  valeur. 

Les  Chinois  emploient  les  mêmes  engrais  que  nous ,  pour  rendre  à  leurs 
terres  les  fels  &  les  fucs  qu'une  produâion  continuelle  leur  enlevé  fans  cef^ 
fe.  Ils  connoifTent  les  marnes  »  ils  fe  fervent  du  fel  commun,  de  la  chaux, 
des  cendres ,  du  fumier  de  tous  les  animaux  quelconques ,  &  préférable* 
ment  à  tout  autre ,  celui  que  nous  jettons  dans  nos  rivières  ;  ils  fe  fer* 
vent  des  urines  qui  font  ménagées  avec  foin  dans  toutes  les  maifons ,  dont 
elles  font  un  revenu;  en  un  mot,  tout  ce  qui  eft  forti  de  la  terre  y  efl 
rapporté  avec  la  plus  grande  exa^tude,  fous  quelque  forme  que  la  na«* 
ture  ou  l'art  l'ait  converti. 

Lorfque  les  engrais  leur  manquent,  ils  y  fuppléent  pour  le  moment  par 
4]n  protond  labour  à  la  bêche ,  qui  amené  à  la  fuperficie  du  champ  une 
terre*  nouvelle  chargée  des  fiics  de  celle  qui  defcend  à  la  place. 

Sans  prairies,  ils  élèvent  la  quantité  de  chevaux»  de  bufHes^  de  bœufs 
&  autres  animaux  de  toute  efpece  néceffaires  à  leur  labour  ^  à  leur  fub« 
fiflance  &  aux  engrais,  Ces  animaux  font  nourris ,  les  uns  de  paille ,  les 
autres  de  racines ,  de  fèves  &  grains  de  toute  efpece.  11  eft  vrai  qu^ils 
ont  moins  de  chevaux  &  moins  de  bœufs  en  proportion  que  nous,  '&  ils 
n'en  ont  pas  befoin. 

Tout  le  pays  eft  coupé  de  canaux  creufés  par  les  hommes,  &  tirés 
d'une  rivière  à  un  autre ,  qui  partagent  &  arrofent  ce  vafte  empire  com- 
me un  jardin  dans  toutes  les  parties.  Les  voyages  &  les  tranfports  |  pref* 

Tome  XL  Nnna 


6^0  :  C    H    IN    E. 

que  routes  les  voinines  fe  font  par  les  canaux  avec  plus  de'  f4CtIitë  &  moint 
de  frais.  Ils  ne  font  pas  niénie  dans  l'ufage  de  faire  cirer  leurs  bateaux  par 
des  chevaux  ,  ils  ne  fe  ferveBt  que  de  la  voile  &  fur-^tout  de  la*  rame  « 
qu'ils  font  valoir  avec  un  art  iîngulier  ^  même  pour  remonter  les  rivières. 
Dans  tout  ce  que  les  hommes  peuvent  faire  à  un  prix  modique ^  on  n'em* 
ploie  pas  des  animaux. 

En  conféquence  les  rivages  des  canajux  &  des  fleuves  ^  font  cultivés 
jufqu'au  bord  de  Peau  ,  on  ne  perd  pas  un  pouce  de  terre.  Les  che- 
mins publics  relfemblent  à  nos  (entiers  ;  des  canaux  fans  doute  valent 
mieux  que  des  grands  chemins.  Ils  portent  la  fertilité  dans  les  terres, 
ils  fourniiTent  au  peuple  la  plus  grande  partie  de  fubfiftance  en  poifTons. 
Il  n^  a  aiicune  comparai fon  entre  le  fardeau  que  porte  un  bateau,  êc 
celui  qu'on  peut  charger  fur  une  voiture  par  terre  ,  nulle  proportion  dans 
les  dépenfes. 

Les  Chinois  connôifTent  encore  moins  Tufage,  ou  plutôt  le  luxe  des 
carrofles  &  des  équipages  de  toute  efpece ,  que  nous  voyons  dans  tes  prin- 
cipales villes  de  l'Europe.  Tous  ces  chevaux  rafTemblés  par  milliers  dans 
nos  capitales  »  y  confommeut  prefque  en  pure  perte,  le  produit  de  plu* 
fieurs  milliers  d*arpens  de  nos  meilleures  terres ,  qui  étant  cultivées  en  grains, 
fourniroient  la  fubfiftance  à  une  grande  multitude  qui  meurt  de  &im.  Les 
Chinois  aiment  mieux  nourrir  des  hommes  que  des  chevaux. 

L'Empereur  &  les  Magiftrats  font  portés  dans  les  villes  avec  fureté  & 
dignité  par  des  hommes;  leur  marche  eft  tranquille  &  noble,  elle  ne  nuit 
pas  aux  hommes  de  pied.  Ils  voyaient  dans  des  efpeces  de  galères  plus 
commodes,  plu^  fures,  auffî  magnifiques  &  moins  dilpendieufes  que  nos 
équipages  de  terre. 

Nous  avons  dit  que  les  Chinois  ne  perdoient  pas  un  pouce  de  terre; 
ils  font  donc  bien  éloignés  de  former  des  parcs  immenles  dans  d'excel' 
lentes  terres ,  pour  y  nourrir  exclufivement  &   au  mépris  de  Thumanité 


jamais  tomber  dans  Pefpi 
Chinois.  Leurs  maifons  de  campagne  &  de  plaifance-  même ,  ne  préfen- 
rent  par-tout  que  des  cultures  utiles ,  agréablement  diverfifiées.  Ce  qui  en 
fait  le  principal  agrément ,  eft  une  (ituation  riante  habilement  ménagée  ^ 
où  règne  dans  Tordonnance  de  toutes  les  parties  qui  forment  Tenfemble, 
une  imitation  heureufe  du  beau  défordre ,  du  défordre  le  plus  agréable  de 
la  nature  dont  Part  a  emprunté  tous  les  traits* 

LcTs  coteaux  les  plus  pierreux  que  les  cultivateurs  de  l'Europe  mettroient 
en  vignoble ,  font  forcés  par  le  travail  à  rapporter  du  grain.  Les  Chinois 
connoîffent  la  vigne  dont  ils  cultivent  quelques  treilles  ;  mais  ils  regardent 
comme  un  luxe  &  une  fuperfiuité  le  vin  qu'elle  produit  :  ils  croîrofefic 
f  échef  contre  l'humanité  de  chercher  à  fe  procurer  par  la  culture  une  Ih 


C    H    I    N    E.  6^t 

^eur  agréable  ,  tandis  que  faute  du  grain  qa'auroit  {produit  le  terrei« 
mis  en  vignoble  ,  quelque  homme  du  peuple  courroit  rifque  de  mourir 
de  faim. 

Les  montagnes  même  les  plus  efcarpées  font  rendues  praticables  ;  on 
les  voit  à  Canton  &  d'une  extrémité  de  TEmpire  à  l'autre;  toutes  coupées 
en  terrafles  repréfentant  de  loin  des  piramides  immenfes  divifées  en  plu- 
fieurs  étages  ,  qui ,  femblenc  s'élever  au  ciel.  Chacune  de  ces  terralfes  porte 
annuellement  (a  moiffon  de  quelque  efpece  de  grain,  fouvent  même  du 
riz  ;  &  ce  qu'il  y  a  d'admirable  eft  de  voir  l'eau  de  la  rivière ,  du  canal 
ou  de  la  fontaine  qui  coule  au  pied  de  la  ^montagne ,  élevée  de  cerrafle  en 
terrafle  jufqu'à  Ton  fommet  par  le  moyen  d'un  chapelet  portatif,  que  deux 
hommes  feuls  cranfportent  &  font  mouvoir. 

La  mer ,  elle-même ,  qui  femble  menacer  la  mafle  folide  du  globe  qu'elle 
environne ,  a  été  forcée  par  le  travail  &  l'induflrie  à  céder  une  partie  de 
fbn  lit  aux  cultivateurs  Chinois. 

Les  deux  plus  belles  provinces  de  l'Empire  «  celle  de  Nankin  &  de 
Tché-kiang ,  autrefois  couvertes  par  les  eaux ,  ont  été  réunies  au  continent 
il  y  a  quelques  milliers  d'années,  avec  un  art  bien  fupérieur  à  celui  qu'on 
admire  dans  les  ouvrages  modernes  de  la  Hollande. 

Les  Chinois  odt .  eu  à  lutter  contre  une  mer  dont  le  mouvement  na« 
turel  d'orient  en  occident,  la  porte  fans  celfe  contre  les  côtes  de  ces 
deux  provinces,  tandis  que  la  Hollande  n'a  eu  à  combattre  qu'une  mer^ 
qui  par  ce  même  mouvement  naturel  fuit  toujours  fenfiblement  fes  côtes 
occidentales.  . 

La  nation  Chinoife  eft  capable  des  plus  grands  travaux  ;  je  n'en  ai 
pas  vu  de  plus  laborieufe  dans  le  monde.  Tous  les  jours  de  l'année  font 
des  jours  de  travail ,  excepté  le  premier  defiiné  à  fe  vifîter  réciproque- 
ment, &  le  dernier  confacré  à  la  cérémonie  des  devoirs  qui  fe  rendent 
aux  ancêtres. 

Un  homme  oifif  feroit  fbuverainement  méprifé ,  il  feroit  regardé  comme 
ttn  membre  paralitique  à  charge  au  corps  dont  il  fait  partie.  Le  gouver- 
nement du  pays  ne  le  fouffriroit  pas  ;  bien  difFétent  en  cela  des  autres  na- 
tions Afiatiques  où  l'on  n'eftime  guère  que  ceux  dont  Tétat  eft  de  ne  rien 
fèke.  Un  ancien  Empereur  Chinois  exhortant  le  peuple  au  travail  dan^  une 
inftruâion  publique  ,  l-avertit  que  s'il  y  a  dans  un  coin  de  l'Empire  ua 
homme  qui  ne  falfe  rien,  il  doit  y  en  avoir  ailleurs  un  autre  qui  (oufFre 
&  qui  manque  du  néceflaire.  Cette  maxime  fage  eft  dans  l'erpnt  de  tous 
les  Chinois  \  6l  pour  ce  peuple  docile  à  la  raifon ,  qui  dit  une  maxime  de 
fagefle,  dit  une  loL 

-  Voilà  une  légère  efquifre  du  tableau,  général  de  l'agriculture  des  Chi- 
nois ,  &'  de  leurs  difpofitions  pour  cet  arr.  Les  borpes  de  cet  article  ne 
me  permettent  pas  de  m'étendre  aujourd'hui  fur  le  détail  des  différentes 
cultures  ique  j'ai  vues  dans  le  pays*  J'obferverai  feulement  que  ces  cultu* 

Nnnn  z 


l^^ï  C    H    I    N    E. 

Ve^  font  teffes  qu^elIes  (burniflent  abondamment  ai  ttfus  les  befbins,  & 
knâme  à  Taifance  de  la  plus  grande  pc^ulatton  qu^il  y  ait  au  monde  ;  de 
ïbrte  qi^avec  fes  laboureurs ,  la  Chine  fe  fuffit  à  elie-mâme ,  &  peut  de 
fon  fuperflu  faire  un  grand  commerce  au-dehors. 

Diaprés  cette  obfervation ,  on  peut  juger  qu'il  n'eft  point  de  contrée  fur 
la  terre  où  l'agriculture  foit  plus  florillànte  qu'à  la  Chine  ;  mais  ce  n'efi 
ni  aux  procédés  particuliers  que  fui  vent  les  cultivateurs ,  ni  à  ta  forme  de 
leur  charme  &  de  leur  femoir  qu'elle  doit  cet  état  âorilTant  de  fa  culturel 
&  l'abondance  qui^en  eft  la  fuite. 

Elle  la  doit  à  fon  gouvernement  dont  les  fondemens  profonds  &  iné^ 
branlables  furent  pofés  par  la  raifon  feule,  en  même-temps  que  ceux  du 
monde;  à  fes  loix  diâées  par  la  nature  aux  premiers  hommes,  &  confer* 
vées  précieufement  de  génération  en  génération  depuis  le  premier  âge  de 
l'humanité,  dans  tous  les  cœurs  réunis  d^un  peuple  innombrable,  plutôt 
que  dans  des  codes  obfcurs ,  diâés  par  des  hommes  fourbes  &  trompeurs. 
*  Enfin  la  Chine  doit  la  profpérité  de  fon  agriculture  à  (es  mœurs  fini** 
pies,  comme  à  fes  loix  également  avouées  par  la  nature  &  par  la  raifbo^ 

L'Empire  fut  fondé  par  des  laboureurs  dans  ces  temps  heureux,  où  le 
fouvenir  des  loix  du  Créateur  n'étant  pas  encore  perdu,  la  culture  des 
terres  étoit  le  travail  le  plus  noble,  le  plus  digne  des  hommes  &  l'occu* 
pation  de   tous.    Depuis    Fou-hi,   qui  tut  le  premier  chef  de  la  narioa^ 

Quelques  centaines  d'années  après  le  déluge,  fi  l'on  fuit  la  verfioo  des  LXX» 
i  qui  en  cette  qualité  préfidoit  au  labourage,  tous  les  Empereurs  fans 
exception  jufqu^à  ce  jour,  fe  font  fait  gloire  d'être  les  premiers  labou« 
reuTs  de  leur  Empire. 

L'hifioire  Chinoife  a  confervé  précieufement  le  trait  de  générofité  de 
deux  anciens  Empereurs,  qui  ne  voyant  point  parmi  leurs  ènfans  d'héri* 
tiers  dignes  d'un  trône,  fur  lequel  la  vertu  feule  a  droit  de  k'aflèoîr, 
nommèrent  de  (impies  laboureurs  pour  y  monter  après  eux.  Ces  labou- 
reurs firent  le  bonheur  du  monde  pendant  de  très- longs  règnes ,  fut- 
vant  les  livres  Chinois,  &  leur  mémoire  eft  dans  la  plus  grande  vénéra- 
tion. On  fent  combien  des  exemples,  femblables  honorent  &  animeot 
l'agriculture.  < 

La  nation  Chinoife  a  toujours  été  gouvernée  xromnte  une  famille  dont 
l'Empereur  eft  le  père.  Ses  fujets  font  fes  enfens^  fans  autre  inégalité  que 
celle  qu'établiflfent  le  mérite  &  tes  talens.  Ces  dîftinâions  puériles  de  no- 
bledfe  &  de  roture  ,  d'homme  de  miffknce  &  d'homme  de  rien  ,  ne  fe 
trouvent  que  dans  le  jargon  des  peuples  .nouveaux  &  encore  barbares, 
qui ,  ayant  oublié  l'origine  coTTimune,  infultent  fans  y  penfer  &  aviliflfenc 
toute  l'efpece  humaine.  Ceux  dont  le  gouvernement  eft  ancienr  &  remonte 
jufqu^au  premier  âge  du  monde ,  favent  que  les  hommes  naiflTent  tous 
égaux ,  tous  frères ,  tous  nobles.  Leur  langue  n'a  pas  encore  inventé  de 
terme  pour  exprimer  cette  prétendue  dijUnâloA  des  naiflànces.   Les  Chi^ 


.   C    H    I    N    E.  ^53 

fidis  qtiî  ont  confeiré  leurs  annales  depuis  les  temps  les  plus  recula  ^  & 
^ui  font  tous  également  les  en&ns  de  l'Empereur,  n*ont  jamais  pu  foup-t 
çonner  une  inégalité  d'origine  entr'eux.  i 

De  ce  principe  que  l'Empereur  eft  le  père  &  les  fujets  fes  enfans^ 
naiflent  tous  les  devoirs  de  la  fociété ,  tous  ceux  de  la  morale ,  toutes 
les  vertus  humaines ,  la  réunion  jde  toutes  les  volontés  pour  le  bien  com- 
mun de  la  famille ,  par  conféquent  Tamour  du  travail  &  fur-tout  de  l'a? 
griculture. 

Cet  art  eft  honoré,  protégé,  pratiqué  par  les  Empereurs,  par  les  grands 
Magiftrats  qui  font  la  plupart  des  fils  de  (impies  laboureurs  élevés,  fui- 
vanc  l'ufage .  conftaiït ,  par  leur  feul  mérite  aux  premières  dignités  de 
l'Empire,  enfin  par  toute  la  nation  qui  a  le  bon  fens  d'honorer  l'art  le 
|rfus  utile ,  celui  qui  nourrit  les  hommes  préférablement  aux  arts  de  moin^^» 
dre  nécefHté.  .   \ 

Chaque  année  le  quinzième  jour  de  la  première  lune,  qui  répond  ordi- 
nairement aux  premiers  jours  de  Mars  ,  l'Empereur  fait  en  peribnne  la 
cérémonie  de  l'ouverture  des  terres.  Le  Prince  fe  tranfporte  en  grande 
pompe  au  champ  deftiné  à  la  .cérémonie.  Les  Princes  <de  la  famille  Imp'é* 
riale,  les  Fréiidens  des  cinq  grands  tribunaux  &  un  nombre  infini  de 
mandarins^,  l'accbmpj^gnent  ;?  deux  côtés  du  champ  font  bordés  par  les 
Officiers  &  tes  Gardes  de  l'Empereur,  le  troifieme  eft  réfervé  à,  tous  les 
laboureurs  de  la  province ,  qui  accourent  pour  voir  leur  art  honoré  Se 
pratiqué  par  le  chef  de  l'Empire  v  les  mandarins  occupent  le  quatrième. 

L'Empereur  entre  feul  dans  le  champ,  fe  profterne  &  frappe  neuf  fois 
la.  tête  contre  terre  pour  adorer  le  Tien,  c'eft-à-dire,  le  Dieu  dû  Ciel,  il 
^prononce  à  haute  voix  une  prière  réglée  par  te  tribunal  des  rites ,.  pour 
invoquer  la  bénédiction  du  Grànd-Maitre  fur  fon  travail,  &  fur  celui  de 
ttout  fon  peuple  qui  eft  fa  famille,  enfuite  en  qualit^  de  premier  Pontife 
de  l'Empire^  il  immole  un  bœuf  qu'il  offre  au  Ciel  comme  au  maître  de 
:tdus  les  biens  :  pendant  qu'on  met  la  victime  en  pièces  &  qu'on  la  place 
fur  un  autel,  on  amené  à  l'Empereur  une  charrue  attelée  d'une  paire  de 
^bœufs  magnifiquement  ornés.  Le  Prince  quitte  fes  habits  impériaux ,  falfit 
le  manche  de  la  charrue  &  ouvre  plufiêurs  filions  dans  toute  l'étendue 
du  champ  ,  puis  il  remet  la*  charrue  aux  principaux  mandai-tns  qui  lar 
bourent  fuccefïïvement  ;  fe  piquant  tes  uns  &  les  autres  de  hift  ce 
•travail  honorable  avec  plus  de  dextérité.  Xa  cérémonie  finit  par  diftribuer 
de  l'argent  &  des.  pièces  d'étoftè  aux  laboureurs  qui  font  préfens,  &  donc* 
les  plus  agiles  exécutent  te  refte  du  labourage  avec  adrefle  &  promptitude 
en  préfence  de  l'Emperfeur. 

Quelque  tempst  après  qu'on  a  donné  3^  la  terre  tous  tes  labours  &  les 
engrais  néceflfaires ,  l'Empereur  vient  de  nouveau  commencer  la  femaillç 
de  fon  champ,  toujours  avec  cérémonie  &.  en  préfence  des  laboureiu-s^ 
•    La  même  cérémonie  fe  pratique  le  même  jour  dans  toutes  les  provinces 


N 


^(4  C    H    I:  K    E. 

4e  l'Empire  par  les  Vice^Rofa ,  wSRSiit  de  tous  tes  MigîArats  et  leur  dé- 
partement j  oc  toujours  en  préfence  d'un  grand  nombre  de  laboureurs  de 
la  province. 

L'agriculture  Chinoife  a  bien  d'autres  encouragemens.  Chaque  année  les 
Vice-Rois  de  chaque  province,  envoyent  à  la  cour  les  noms  des  labou- 
reurs, qui  fe  font  les  plus  diffingués  dans  leur  culture,  foie  en  défrichant 
&  faifant  valoir  des  terreins  regardés  comme  ftérites,,  (bit  en  Êiifant  rap- 
poner  davantage  par  une  meilleure  culture,  un  terrein  anciennement  mis 
en  valeur. 

Tous  ces  noms  font  préfentés  à  l'Empereur  qiii  accorde  aux  cultivateurs 
nommés,  des  titres  honoraires  pour  les  difiinguer  du  commun»  Si  un  la* 
boureur  a  hix,  quelque  découverte  importante ,  &  -qui  puiflc  influer  fur 
^amélioration  de  PagricuUure  publique,  ou  fi  ^par  quelque  endroit  il  mérite 
des  égards  plus  diftingués  que  les  autres,  l'Empereur  l'appelle* à  Pékin,  le 
kXx  voyager  auf  &ais  de  l'Empire  &  avec  dîgnné ,  le  reçoit  dans  Ton  pa« 
lais,  Finterroge  fur  fes  talens,  fur  fon  âge,  fur  le  nombre  de  fes  enfans; 
fur  rétendue  &  la  qualité  de  fes  terres,  l'accable  de  bontés  &  le  renvoyé 
a  fa  culture  avec  un  titre  honorable  &  comblé  de  bienfaits. 

lequel  eft  le  plus  heureux,  ou  du  Prince  qui  fe  conduit  ainfi,  on  de 
la  nation  qui  eu  ainfi  gouvernée  ?  Chez  un  peuple  où  tous  ibnt  égaux 
&  où  tons  afpirent  après  les  diftinâions,  de  tels  encouragemens  doivent 
bien  infpirer  l'amour  du  travail  &  l'émulation  pour  la  culture  des  terres. 

En  général  toute  l'attention  du  gouvernement  Chinois  eft  dirigée  vers 
l'agriculture.  Le  (bin  principal  d'un  père  de  famille  doit  être  de  penfer  à 
la  ^fubfiflance  de  fes  en&ns.  Aînfî  l'état  des  campagnes  eft  le  grand  ob«- 
jet  des  travaux ,  des  veilles  &  des  follicitudes  des  Magiftrats.  On  cooçqic 
facilement  qu'avec  de  telles  difpofitioiis  le  gouvernement  n'a  pas  négligé 
d'afturer  aux  cultivateurs,  la  liberté,  la  propriété  &  l'aifadce  qui  (ont  les 
ieuls  fondemens  d'une  bonne  agriculture. 

Les  Chinois  jouiflent  librement  de  leurs  poffeffions  particulières  &  des 
biens  «qui  ne  pouvant  être  partagés  par  leur  nature  appartiennent  à  tous, 
tels  que  la  mer,  les  fleuves,  les  canaux,  le  poiflbn  qu'ils  contiennent  & 
coûtes  les  bêtes  fauvages  ;  aiufi  la  navigation ,  la  pêche  &  la  chafte  font 
libres.  Celui  qui  acheté  un  champ  ou  qui  le  reçoit  en  héritage  de  fes  pe^* 
tts^  en  eft  le  feul  feîgneur  &  maître. 

'  Les  terres  font  libres  comme  les  hommes,  par  conféquent  point  de  fer^ 
vices  &  jpartages^  point  de  lods  &  ventes,  point  de  ces  hommes  intéref* 
(es  à  dénr^r  le  malheur  public  »  de  ces  fermiers  qui  ne  s'enrichiflent  ja- 
mais plus  que  lorfqu'un  défaut  de  récolte  a  ruiné  les  campagnes^  &  réduit 
le  malheureux  laboureur  à  mourir  de  faim,' après  avoir  fué  toute  l'année 
pour  nourrir  fes  frères  ;  point  dé  ces  hommes  dont  la  profèftion  deftruc« 
tive  a  été  enfantée  dans  le  délire  des  loix  féodales,  fou^  les  pas  defquék 
Miffenc  des  milliers  de  procès   qui  arrachent  je  cukiuateur  a  la  chamie 


pour  renvoyer  dans  les  retraites  obfcures  &  dangerQufes  dç  la  chicane  ^ 
défendre  Ces  droUs  &  perdre  un  temps  précieux  pçur  la  nourriture  de^ 
hommes*       .  1  ^  .  r2 

Enfin  il  nV  a  point  d'autre   feîgneur  ,  d'autre  décinïateur^  qp'e  le  peçf 
commun  de  la  famille ,  TEmpereur.  Les  bonzes  accoutumés  à, recevoir) les 
aumônes  d'un    peùplç   charitable,    feroient    mal    reçus  4p  pr^endre^quç  "^ 
cette  aumône  elï  un  droit  que  le  Ciel  leur  a  donné.  ,, 

La  dime  qui  fi'efl  pas  exaâemenc  la  dixième  partie  du  produit,  eft  réfr 
glée  fuivant  la  nature  des  terres }  dans  le  mauvais  fol  ce  n'eft  que  U 
trentième  partie,  &c.  La  dixième  portion  de  tous  les  biens  de  la  ferr^ 
appartient  a  l'Empereur.  VoiU  le  (eul  &  unique  droit  impofé  fur  Içs  ter^ 
reS|  le  féul  tribut  connu  à  la  Chine  depuis  l'origine  de  la  monarchie;  & 
ce  qu'il  y  a  d'heureux,  le  refpeâ  des  Chinois  pour  les  ufages  anciens  e^ 
tel ,  qu'il  ne  fauroit  tomber  dans  l'efprit  de  l'Empereur  de  vouloir  l'auge . 
xnenter,  ni  dans  celui  des  fujets  de  craindre  cette  augmentation. 

Le  peuplé  le  paie  en  nature ,  non  à  des  fermiers  avides ,  qiàis  ^  .des 
Magistrats  intègres  qui  en  font  les  régiffeurs  naturels..  Qui  pourroic  calculer 
le  montant  de  ce  tribut  qui  paroit  fi  modique  ;  mais  qui  eft  levé  fur  (out 
tes  les  terres  d'un  au(H  vafle  Empire^  le.  mieux  cultivé  qu'il  y  ait  ai| 
monde  ?  ]  ■ 

Ce  tribut  eft  payé  avec  d'autant  plus  de  fidélité  qu'on  connoît  l'ufagç 
auquel  il  efl  deftiné.  On  fait  que  la  partie  de  cette  dime  eft  renfermée 
dans  des  magafins  immenfes,  diflribués  dans  toutes  les  provinces  de  l'Eça^ 
pire,  >&  réfervée  pour  la  fubfiftaoce  des  Magiilrats  &  des  foldats  :  oi)  fait 
ue  dans  le  cas  de  difette,  ces  magafins  font  ouverts  à  un  peuple  qui  ef| 
ans  le  befoin  d'une  denrée  qu'on  a  tirée  de  lui  dans  fon  aopndance.       , 

Enfin  toute  ^a  nation  fait  que  l'autre  partie  de  cette  dime  eft  vendue 
dans  les  marchés  publics ,  &  que  le  produit  en  eft  porté  fidèlement  dans 
les  tréfors  de  l'Empire,  dont  la  garde  eft  confiée  au  tribunal  refpeâable 
du  ho-pou  ,  pour  n'en  fortir  que  dans  les  befoins  communs  4fi  la  famiUe.  ^ 

Vc  la  forme  du   Gouvernement  de  la  Chine  -,  .] 

E  grand  Etat  eft' gouverné  par  un  Empereur  donK  le  pouvoir  eftlàn^ 
bornes.  Le  refpeâ  de  fes  fujets  pour  lui,  va  prefque  jufqu'à  Fadoratioo» 
On  le  -nomme  fils  du  ciel,  &  l'unique  maître  du  mond)e.  On  le  voit  rare^ 
ment,  &  on  ne  lui  parle  qu'à  genoux.  Les  Grands  de  fa. c^yi:,  les  Prin^ 
ces  du  fang ,  fes  propret  frères ,  fe  .courbent  jufqu'à  terre ,  hop-fèulie^ieot 
en  fa  pré fence ,  mais  encore  devant  fon  trône.  Toutes  les. charges  de  l'E-r 
tat  font  à  fa  difpofiUoh;  Il  peut  ôter  la  vie  at^  Princes  du  faitg  ,,&  difr 
pofer ,  À  plus  forte  raifèn ,  de  tous  fes  autres  ffujets.  Il  peut  décjareir  J^ 
guerre,  concliireia  paix,  &  faire  des  traités  aux  conditions  qu'il  lui  plait, 
pourvu  qu'en  tout  cela  il  conferve  la  xnajefté  de  l'Empife.  ILpeut^commç 


I 


6^S  CHINE. 

•  _ 

nous  IVo'ns  déjà  dit  cî-defTus ,  fe  ehoifir  un  fuccefTeur,  son-feutement  paN 
jnï  les  Princes  de  la  MaifoQ  Royale ,  mais  même  parmi  fes  fujecs.  Il  peur 
même ,  après  avoir  dé(igné  Ton  fuccefleur ,  l'exclure  &  en  prendre  un  au^ 
tre  ;  mafs  il  fkut  de  fortes  raifons  pour  cela. 

'"  Ce  pouvoir  fans  bornes  du  Gouvernement  de  ce  vaffe  Empire  de** 
vroit,  ce  femble  ,  produire  de  méchans  effets,  &  il  en   produit  quel*- 

auefois ,  tout  comme  dans  les  gouvernemens  les  plus  modérée.  Cepeo» 
anc'ies  fôix  y  ont  apporté  tant  de  remèdes,  &  on  a  pris  de  fi  iages 
brécautions,  que  pour  peu  qu'un  Prince  foit  fendble,  ou  à  fa  réputation, 
ou  à  fés  intérêts,  ou  au  bien  public,  il  ne  fauroit  long -temps  abufer  de 
Ion  autorité. 

•  Du  côté  de  fa  réputation  ,  trois  réflexions  peuvent  le  porter  \  fe  cod-* 
duire  fans  paffion.  i^.  Les  anciens  légiflateurs  ont  établi,  dès  le  commeo* 
tement  de  la  monarchie ,  comme  un  premier  principe  du  bon  gouverne* 
mçnt ,  que  ceux  qui  régnent ,  font  proprement  les  pères  du  peuple ,  & 
non  pas  des  maîtres  établis  fur  le  trône  pour  être  fervis  par  des  efclaves. 
C^eft  pour  cela  que  de  tout  temps  on  appelle  l'Empereur  Ta-fou^  c^eft-1- 
dird,  le  grànd-pere;  &  parmi   les  titres  d'honneur,  il  n'en  reçoit  aucua 

Îilus  volontiers  que  celui-U.  z^.  Il  eft  permis  à  chaque  mandarin  d'avertir 
'Empereur  de  fes  défauts,  pourvu  que  ce  foit  avec  les  précautions  que 
démande  le  profond  réf^ea  qu'on  doit  lui  porter.  Voici  comme  cela  fe 
jpratique.  Le  Mandarin  qui  trouve  quelque  chofe  à  redire  à  fa  conduite , 
par  rapport  au  gouvernement,  drefle  une  requête,  dans  laquelle,  après 
avoir  témoigné  la  vénération  qu'il  a  pour  la  Majefté  Impériale ,  il  prie  très- 
hgtnblement  le  Prince  de  faire  réflexion  aux  anciennes  coutumes  &  aux 
exemples  des  fatnts  rois  qui  l'ont  précédé.  Enfuite  il  marque  en  quoi  il 
paroit  s'en  éloigner.  Cette  requête  fe  met  fur  une  table,  avec  plufieurs 
autres  placets  qu'on  préfente  tous  les  jours ,  &  l'Empereur  efl  obligé  de 
la  lire.  S'il  ne  change  point  de  conduite ,  on  y  revient  de  temps  en  temps, 
félon  le  zèle  &,  le  courage  des  Mandarins  ;  car  il  en  faut  avoir  beaucoup 
pour  s'expofer  ainfi  à  fon  indignation.  30.  On  compofe  l'hifloire  de  leur 
règne  d'une  manière  qui  eft  feule  capable  de  les  modérer ,  s'ils  aiment 
tant  foit  peu  leur  gloire  &  leur  réputation.  Un  certain  nombre  de  doc- 
teurs chôifis  &  :  défintéreffés  ,  remarquent  avec  foin  toutes  leui-s  paroles  & 
toutes  leurs;  aâions  ;  chacun  d!eux  en  particulier  ,  &  fans  le  communi- 
quer aux  autres,  les  écrit  fur  une  feuille  volante,  à  mefure  que  les  cho- 
fès  fe  paflTent ,  &  les*  jette  dans  un  bureau,  par  un  trou  lait  exprès.  Le  bien 
&  le  mal  y  font- raiîontés  fimplement.  Afin  que  la  crainte  ou  refpérance 
n'y  aient  aucune- part,  ce  bureau  ne  s'ouvre  jamais,  ni  durant  la  vie  du 
Prince,  ni  f^endant  le  temps  que  fa  famille  led  fur  le  trône.  Quand  la 
Couronne  pafTe  dans  une  autre  maifon,oomme  cela  arrive  fouvent,  on  ra* 
maiTe  tous  ces  mémoires  particuliers ,  &  après  les  avoir  Confrontés  les  uns 
av$c  les  autres,  pour  en  mieux  démêler  la  vérité,  on  en  compofe  l'hif^ 

toire 


C    H    I    N    R  .    6i7 

ttûre  de  rEmpereur ,  afin  qu'elle  ferve  d'exemple  à  la  poftérité ,  s*il  a  fage- 
fnenc  gouverné ,  ou  qu'elle  foie  l'objet  de  la  cenfure  publique  s'il  a  man- 
qué à  Ion  devoir. 

'  Voici  en  général  ce  que  fes  loix  ont  déterminé  pour  la  forme  ordinaire 
du  gouvernement.  L'Empereur  a  deux  Confeils  fouverains  ;  l'un  extraordi- 
naire »  &  compofë  des  Princes  du  fang  ;  l'autre  ordinaire ,  où  entrent  les 
Minifires  d'Etat  qu'on  nomme  Cotaos.  Ce  Ibnt  eux  qui  examinent  toutes 
les  grandes  affaires,  qui  en  font  le  rapport,  &  qui  reçoivent  les  dernières 
déterminations  de  l'Empereur.  Outre  cela  il  y  a  à  Pékin  fix  Cours  fouve-* 
raines  dont  l'autorité  s'étend  fur  toutes  les  provinces  de  la  Chine,  quoi^ 
qu'elles  connoiflent  de  différentes  matières.  En  voici  le  nom  &  l'emploi* 
Le  Lipou  a  vue  fur  tous  les  Mandarins  i  il  peut  leur  donner  ou  leur  ôter 
leurs  charges.  Le  Houpou  levé  tous  les  tribus,  &  tient  compte  de  l'emploi 
des  finances.  Le  Conieil  des  rites  doit  conferver  les  anciennes  coutumes^ 
il  règle  tout  ce  qui  regarde  la  religion,  le»  fciences,  les  arts,  les  affaires 
étrangères.  Le  Pimpou  étend  fa  jurifdiâiôn  fur  les  troupes  &  fur  les  offi- 
ciers qui  les  commandent.  Le  Himpou  juge  fouveraioemenC  des  crimes. 
Le  Compou  ordonne  des  ouvrages  publics  &  des  bâtimens  royaux.  Cha- 
que tribunal  renferme  plufieurs  chambres  ;  il  y  en  a  jufqu'à  quinze  en  quel^ 
2ues-UAs ,  dont  la  première  ne  confifle  qu'en  trois  perfonnes ,  un  Préndenc 
i  deux  Aileffeurs ,  à  qui  toutes  les  matières  importantes  reviennent  en 
dernier  refibrt  ;  les  autres  font  fubalternes ,  compofées  d'un  Préfident  &  de 
plufieurs  Confeillers ,  tous  foumis  au  Préfident  de  la  grand-chambre ,  qui 
a  fenl ,  quand  il  veut ,  l'autorité  définitive.  Mais  parce  qu'H  eft  de  l'intérée 
de  l'Empereur ,  que  àcs  coq^  auffî  puiffans  que  ceux-là  ne  fbient  pas  en 
état  d'aftbiblir  l'autorité  royale,  &  de  tramer  quelque  chofe  coBtre  PEtat, 
on  a  voulu  premièrement,  que  les  matières  de  leurs  jugemens  fuffent  tel' 
lemenc  partagées ,  qu'ils  eufient  tous  belbin  les  uns  des  autres.  Ainfi  quand 
il  s'agit  de  la  guerre ,  le  nombre  des  troupes ,  la  qualité  des  Officiers ,  ta 


précait-i 
qui  fe 

néanmoins  à  toutes  les  alfemblées ,  &  on  lui  en  communique  les  aAes. 
C'efl  proprement  ce  que  nous  appelions  un  infpeâeur.  Il  avertit  fecrete- 


leurs  mœurs,  rien  ne  lui  échappe.  Les  Officiers  qu'on  nomme  Colis ^  fi>nt 

trembler  jufqu'aux  Princes  du  lang. 
Pour  ce  qui  eft  des  provinces,  elles  font  immédiatement  gouvernées  par 
J(9ms  XI.  Oooo 


f5*  CHINE- 

deux  fortes  de  Vice-  Rois;  Les  uns  en  gouvernent  une  feule.  Ainfi  il  y  a  un 
Vice-Roi  à  Pékin ,  à  Çantpn ,  à  Nankin^  ou  dans  une  autre  ville  peu  éloignée 
de  cette  capitale.  Mais  outre  cela  ces  mêmes  provinces  obéiflent  à  d'au- 
tres Vice-Rois  qu^ontkomme  Tfounto  ^  &  qui  en  gouvernent  en  même-temps 
deux  ou  trots ,  &  même  quelquefois  jufqu'à  quatre.  Il  n'y  a  guère  de 
Rois  en  Europe ,  dont  les  Etats  foient  fi  étendus  que  ceux  de  ces  Officien 
généraux  %  mais  quelque  grande  que  paroiffe  leur  autorité ,  elle  ne  dimi- 
nue en  rien  celle  .des  Vice-Rois  particuliers,  &  leufs  droits  font  fi  bien  ré^ 
glés  qu'il  n'y  a  jamais  entr'eux  de  conflit  de  jurifdiâion. 

.  Liaijbns  des  Européens  avec  la  Chine.   Etat  de  cet  Empire  relativement 

au  commerce. 

JLi  A  C^ne  eft  le  pays  de  la  terre  où  il  y  a  le  moins  de  gens  oi(£  »  le 
feul  peut-être  ou  il  n'y  en  ait  point.  Quoiqu^>n  y  ait  le  fecours  de  l'impri- 
merie ,  &  tous  les  moyens  généraux  de  Téducation ,  on  n'y  voit  cependant 
ni  grand  édifice,  ni  belle  llatue,  ni  poème,  ni  éloquence,  ni  mufique, 
ni  peinture,  ni  même  aucune  des  connoiflànces  qu'un  homme  (èul ,  i(olé, 
méditatif,  pourroit  porter  par  fes  efforts  à  un  grand  point  de  perfeâîoo. 
Comme  les  mœurs  ne  permettent^  pas  l'émigration ,  &  que  la  popidation  de 
TEmpire  eft  exceHîve ,  le  néceffaire  eft  la  limite  des  travaux.  Il  y  a  -plus  de 
profit  à  l'invention  du  plus  petit  art  utile ,  qu'à  la  plus  fublime  découverte 
'  qui  ne  montre  que  du  génie.  On  fait  plus  de  cas  de  celui  qui  lait  ôrer 
parti  des  recoupes  de  la  gaze ,  que  de  celui  qui  réfoudroît  le  problême  des 
(rois  corps.  C'efl-là.  fur-tout  que  k  fait  la  queftion ,  qu'on  n'entend  que 
trop  fréquemment  parmi  nous  :  à  quoi  cela  feH-ill  L'attente  de  la  difette 
(pii  s'avaoce ,  remplit  tous  les  citoyens  d'aâivité,  de  mouvement  &  d'in- 
quiétude. Il  n'y  a  pas  un  inftanc  qui  n'ait  fa  valeur.  L'intérêt  doit  être  le 
mobile  fecret  ou  public  de  toutes  les  aéHons.  Il  eft  imp<^ble  que  les  raen- 
fonges,  les  fraudes,  les  vols  ne  fe  multiplient  :  les  âmes  y  doivent  être 
bafies ,  l'efprit  y  doit  être  petit ,  iméreflé ,  rétréci  &  mefquto. 
.  Un  Européen  acheté  des  étoffes  à  Canton  ;  il  efl  trompé  fur  la  quantité , 
la  qualité  &  le  prix.  Les  marchandifes  font  dépofées  fur  fon  bord.  La  fri* 
ponnerie  du  tnarchand  Chinois  eft  déjà  reconnue ,  lorfqu'il  vient  cherchée 
ion  argent.  L'Européen  lui  dit  :  Chinois ,  tu  m'as  trompé  ;  le  Chinois  ré- 
pond ,  cela  fe  peut ,  mai&  il  faut  payer.  L'Européen  :  Mais  m  es  un  fii- 
pon,  un  gueux,  un  miférable.  Le,  Chinois  :  Européen ,.  cela  fe  f eut,  mais 
il  faut  payer.  L'Européen  paie  ;  le  Chinois  reçcMt  fon  argent  y  &  dit  en  fe 
féparant  de  fa  dupe  :  A  quoi  t'a  fervi  ta  colère?  Qu'ont  prodiiit  tes  ifiju* 
res  ?  N'aurois-tu  pas  beaucoup  mieux  fait  de  payer  tout  de  fuite ,  &  de  te 
t»ire?  P;»rrt(H}t:OÙ  l'on  efi  iiîfenfible  à  l'infulte,  par-tout  où  Ton  rougit  fi 
peu  de  la  friponnerie ,  l'Empire  peut  être  très-bien  gouverné  \  mais  les 
iQœurs  .particulières  font  très«vicieufes« 


CHINE.  6^^ 

Cet  efprit  d*avidité  réduiitt  les  Chinou  à  renoncer  dans  leur  commerce 
intéiieiir  aux  monnoies  d'or  &  d'argent  qui  étoient  d'un  ufage  géoéral.  Le 
nombre  ^s"  faux*moanoyeur$ ,  qui  augmentoit  chaque  jour ,  ne  permettoit 
pas  une  autre  conduite  ;  on  ne  ^briqua  plus  que  des  efpecesr  de  cuivre. 

Le  cuivre  étant  devenu  rare ,  par  des  événemens  dont  l'hiftoire  ne  rend 
pas  compte ,  on  lui  aflbcia  les  coquillages ,  fi  connus  fous  le  nom  de  eau-* 
ris.  Le  Gouvernement  s'étant  apperçu  que  le  peuple  fe  dégoûcoit  d'un  ob- 
jet fi  fragile ,  ordonna  que  les  ulteniiles  de  cuivre  répandus  dans  tout  l'Ern* 
pire  y  fuflent  livrés  aux  hôtels  des  monnoies.  Ce  mauvais  expédient  n'ayant 
pas  fourni  des  reflburces  proportionnées  aux  befoins  publics,  on  fit  rafer 
environ  quatre  cents  temples  de  Foé ,  dont  les  idoles  fiirent  fendues.  Dans 
la  fiiite^  la  cour  paya  les  Magifirats  &  l'armée ,  partie^n  cuivre,  &  par«^ 
tie  en  papier.  Les  efprits  fe  révoltèrent  contre  une  innovation  fi  dangereu- 
iè  ^  &  il  fiiUut  y  renoncer.  Depuis  cette  époque  qui  remonte  à  trois  fie-' 
des ,  la  monnoie  de  cuivre  eft  la  feule  monnoie  légale. 

Malgré  le  caraâere  intéreilë  des  Chinois ,  leurs  liaifons  extérieures  furent 
loog^temps  trés*peu  de  chofe.  L'éloignement  oii  cette  nation  vivoit  des 
autres  peuples ,  venoit  du  mépris  qu'elle  avoir  pour  eux.  Cependant  on  dé* 
fira  plus  qu'on  n'avoit  fiist  de  fréquenter  les  ports  voifins  ;  &  le  Gouver- 
nement Tartare  ,  moins  zélé  pour  le  maintien  des  mœurs ,  que  l'ancien 
Gouvernement,  Avorifa  ce  moyen  d'accroître  les  richefles  de  la  nation. 
Les  expéditions  qui ,  jufqu'alors ,  n'avoient  été  permifes  que  nar  la  tolé- 
rance intéreffée  des  Commandans  des  Provinces  maritimes ,  fe  nrent  ouver- 
tement. Un  peuple  dont  la  fageffe  étoit  célèbre ,  ne  pouvoit  manquer  d'ê- 
tre accueilli  fiivorablement.  Il  profita  de  la  haute  opinion  qu'on  avoit  de 
lui  pour  établir  le  goilt  des  marchandifes  qu'il  pouvoit  fi>urnir  ;  &  fon  ac* 
tivité  embrafla  le  continent  comme  les  mers. 

Aujourd'hui  la  Chine  trafique  avec  la  Corée»  qu'on  croit  avoir  été  ori- 
ginairement peuplée  par  les  Tartares,  qui  a  été  furement  plufieurs  fois  con« 
Îuife  par  eux ,  &  au'on  a  vue,  tantôt  efclave ,  tantôt  indépendante  des 
hinois  dont  elle  eft  aâuellement  tributaire.  Ils  y  portent  du  thé,  de  la 
porcelaine^  des  étoflfi»  de  foie ,  &  prennent  en  échange  des  toiles  de  chan- 
vre &  de  coton ,  &  du  ginfëng  médiocre. 

Lts  Tartares ,  ou'on  peut  regarder  comme  étrangers ,  achètent  des  Chi- 
sois  des  étoffes  de  laine,  du  riz,  du  thé,  du  tabac,  qu'ils  paient  avec 
des  moutons,  des  bcrafe,  des  fourrures ,  &  fur-tout  do  ginfeng.  Cet  arbu* 
fie  ne  croit  que  fur  les  montagnes  les  plus  efcarpées ,  au  milieu  des  forets 
les  plus  épaifles ,  autour  des  rochers  les  plus  affreux.  Sa  tige  hérifiee  d'une 
e(pece  de  poil,  eft  d'ailleurs  unie,  ronde,  &  d'uii  rouge  foncé,  excepté 
dans  la  partie  infiSrieure  où  elle  blanchit  un  peu.  Elle  a'éleve  à  la  hauteur 
d'environ  dix-hnit  pouces.  Vers  la  cime,  elle  jette  des  rameaux  d'où  for* 
tenr  des  feuilles  oblongues ,  menues ,  cotoneufes ,  dentelées  ,  d'un  yerd 
obfcur  par*defluS)  blanchâtres  &  luifant  par-deflS>us.  On  connoit  fon  âge  par 

Oooo  2 


66o  CHINE. 

fes  bfjiocbes,  &  foh  âge  augmente  fon  prix.  Le  ginfeng  a  plufienn  vertus , 
dont  les  plur  reconnues  font  de  fortifier  l^eftornac  &  de  purifier  le  (àng* 
Il  eft  fi  précieux  aux  yeux  des  Chinois ,  qu'ils  ne  le  trouvent  jamab  trop 
cher.  Le  Gouvernement  fait  cueillir  tous  les  ans  cette  plante  par  dix  mille 
ibldats  Tartares,  donc  chacun  doit  rendre  gratuitement  deux  onces  du  metl* 
leur  ginfeng.  On  leur  donne  pour  le  refte  un  poids  égal  en  argent.  Cette 
récolte  eft  mterdite  aux  particuliers.  Une  défenfe  fi  odieufe  ne  les  empê- 
che pas  d'en  chercher.  Sans  cette  contravention  à  une  loi  intufte ,  ils  fe- 
roiept  hors  d'état  de  payer  les  marchandifes  qu'ils  tirent  de  r£mpire ,  & 
réduits  par  conféquent  à  s'en  palier. 

On  a  déjà  fiiitconnoltre  le  commerce  de  la  Chine  avec  les  Rudes.  Ac* 
tuelkment  il  n'eft  pas  important  ;  mais  il  peut  &  il  doit  le  devenir» 

Celui  qu^ellé  fiiit  avec  les  habitans  de  la  petite  Bucharie ,  le  réduit  à 
leur  donner  du  thé,  du  tabac,  des  draps,  pour  les  grains  d'or  qu'ils troa« 
vent  dans  leurs  torrens ,  quand  la  nçige  commence  à  fi>ndre.  Si  jamais  ces 
barbares  apprennent  à  exploiter  les  mines  dont  leurs  montagnes  font  rem- 
plies ,  on  verra  des  liaifons ,  aujourd'hui  languiilântes ,  prendbre  un  accroif- 
fement ,  dont  il  '  n'eft  pas  poflible  de  fixer  les  bornes. 

L'£mpire  eft  féparé  des  Etats  du  Mogol  &  des  autres  contrées  des  Indes 
par  des  fables ,  des  montagnes ,  des  rochers  qui  rendent  toute  communica- 
tion  impraticable.  Audi  (on  commerce  de  terre  eft-tl  fi  borné  ,  qu'il  ne 
pafle  pas  huit  ou  neuf  millions.  Celui  qu'il  fait  par  mer  eft  plus  confidérable* 

C'eft  avec  fes  foieries,  fon  thé,  fa  porcelaine,  &  quelques  autres  objets 
de  moindre  importance  ,  qu'il  le  (butient.  Le  Japon  paie  les  CUnois 
avec  du  cuivre  &  de  l'or;  les  Philippines,  avec  des  piaftres;  Batavia, 
avec  des  poivres  &  des  épiceries  ;  Siam ,  avec  des  bois  de  teinture  &  des 
vernis  ;  le  Tonquin,  avec  des  foies;  la  Cochinchine,  avec  du  fucre&de 
l'or.  Toutes  ces  branches  réunies  peuvent  monter  à  trente  millions ,  & 
occuper  cent  cinquante  batimens.  Les  Chinois  gagnent  au  moins  cent  poiir 
cent  dans  ces  différentes  affaires ,  dont  la  Cochinchine  fournix  la  nioiri^  Ils 
ont  pour  correfpondans  dans  la  plupart  des  marchés  qu'ils  fi^quentent, 
les  defcendans  de  ceux  de  leurs  compatriotes  qui  s'exilèrent  de  leur  patrie 
lorfque  les  Tartares  s'en  rendirent  maîtres. 

Le  commerce  de  la' Chine  qui,  du  coté  du  Nord^  ne  s'étend  pas  plus 
loin  que  le  Japon»  ni  du  côté  de  l'Orient,  au-delà  des  détroits  deMaUca 
&  de  la  Sonde  ,  autoit  vraifemblablement  acquis  une  plus  grande  exten* 
fion  ;  fi  les  conftruâeurs  ChincHs ,  moins  aifervis  aux  anciens  uteges ,  avoient 
daigné  s'inftruire  à  l'école  des  navigateurs  Européens. 

Ceux  d'entre  eux  qui  pararent  les  premiers  fur  les  côtes  de  la  Chine, 
furent  admis  dans  toutes  les  rades  indifféremment.  Leur  extrême 


avec  les  femmes  ;  leur  violence  avec  les  hommes  ;  des  aâes  répétés  de 
hauteur  Ac  d'indifcrétion  les  firent  concentrer  depuis  à  Canton ,  le  port  le 
plus  méridional  de  l'Empire. 


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2 


C    H    IN    B;  66t 

Cette  ville  eft  fituëe  fur  tes  bords  du  Tigre,  rivière  coofidërable  qui 
comnranique  i  d'an  côté  par  divers  canaux  avec  les  Provinces  les  plus  re* 
culées  9  &  qui  de  Tautre  conduit  au  pied  de  fes  murs  les  plus  grands  vaif- 
ieaux.  On  y  voyoit  nos  pavillons  mêlés  avec  ceux  du  pays.  Dans  la  fuite 
Von  a  obligé  les  naviresi  Européens  de  s'arrêter  à  Hoaung-pon ,  à  quatre 
lieues  de  la  place.  Il  eft  douteux  fi  ce  fut  la  crainte  de  quelque  furprife 
qui  infpira  cette  précaution ,  ou  fi  ce  fut  un  moyen  imaginé  par  les  gens 
en  place  pour  leurs  intérêts  particuliers.  La  défiance  &  l'avidité  des  Chinois 
autorffent  les  deux  conjeâures. 

-  Cet  arrangement  ne  changea  rien  à  la  fituation  perfonnelle  des  naviga^-. 
teurs.  Us  continuèrent  à  jouir  dans  Canton  de  toute  la  liberté  qui  ne  cho- 
quoit  pas  l'ordre  public.  Leur  caraâere  les  portoit  à  en  abufer  ;  &  ils  fe 
lafferent  bientôt  de  la  circonfpeâion  néceflaire,  dans  un  Gouvernement 
rempli  de  formalités.  On  les  punit  de  leur  imprudence  ;  tout  accès  chez  les 
gens  en  place  leur  fut  fermé.  Le  Magiftrat»  &tigué  de  leurs  plaintes  con-^ 
dnnelles ,  ne  voulut  plus  les  recevoir  que  par  le  canal  des  interprètes  dé* 
pendans  des  marchands  Chinois.  Tous  les  Européens  eurent  ordre  d'habiter 
dans  un  quartier  qui  leur  fut  afligné.  On  ne  difpenfa  de  cette  obligation 
ue  ceux  qui  trouvoient  ailleurs  un  hôte  qui  répondoit  fle  leurs  mœurs  & 
e  leur  conduite.  Les  gênes  augmentèrent  encore  en  1760,  La  cour  avertie 
pair  les  Ânglois  que  le  commerce  éprouvoit  des  vexations  criantes  ^  fit  par* 
tir  de  Pékin  des  *  Commiflaires ,  qui  fe  laifièrent  féduire  par  les  accufés. 
Sur  le  rapport  de  ces  hommes  corrompus ,  tous  les  Européens  furent  con- 
finés dans  im  petit  nombre  de  maifons  ,  d'où  ils  ne  pou  voient  traiter 
qu'avec  quelques  négocians  munis  d'un  privilège  exduuf.  Ce  monopole 
vient  de  cefler;  mais  les  autres  gênes  font  toujours  les  mêmes. 
'  Ces  humiliations  ne  nous  ont  pas  dégoûtés  du  commerce  de  la  Chine.. 
Nous  continuons  d'y  aller  chercher  du  thé,  de  la  porcelaine,  des  foies, 
des  foiertes ,  du  vernis ,  du  papier ,  &  quelques  autres  objets  moins  con« 
fidérables. 

Le  thé  eft  un  arbrifleau  de  fa  hauteur  de  nos  grenadiers  ou  de  nos  myr* 
thés.  Il  vient  des  -^graines  femées  dans  des  trous  de  trois  ou  quatre  pouces 
de  profondeur.  On  n'eftime  de  lui  que  fes  feuilles.  A  trois  ans  il  en  oflfre 
en  abondance  ;  mais  il  en  donne  moins  à  fepr.  On  le  coupe  alors  à  la  tige 
pour  obtenir  des  rejetions  ,  dont  chacun  fournit  à  peu  de  chofe  près  autant 
de  produit  qu'un  arbufie  entier. 

La  plupart  des  Provinces  de  la  Chine  cultivent  le  thé  :  mais  il  n'a  pas 
le  mêine  degré  de  bonté  par-tout  ;  quoique  par*tout  on  ait  l'attention  de 
le  placer  au  midi  &  dans  les  vallées.  Celui  qui  croit  fur  un  fol  pierreux  eft 
fort  fupérieur  à  celui  qui  fort  des  terres  légères ,  &  plus  fiipérieur  encore 
à  celui  qu'on  trouvé  dans  les  terres  jaunes. 

.  La  di^rence  des  terreins  n'eft  pas  ia  feule  caufo  de  Ja  perfèâion  plus  oq 
moins  grande  du  thé  :  les  faifons  oili  la  feuille  eft  ramaflTée  y  inQuent  en« 
cote  davantage. 


66z  C    H    I    N    B. 

La  première  récolte  fe  fait  au  cooMneacetnedC  de  Mars.:  Les  feuiUei  ^jilert 
1  _    o-  j^i: — -..     c *  „  — » — 11-.  I-.  jjj^  impérial^ 

gens  en  pUce. 
qui  eft  au  mois  d'Avril ,  Ibnt  plus  grao* 
des  &  {>lus  développées;  mais  de  moindre  qualité  que  les  premières.  EuBa 
le  dernier  &  le  moins  eftimé  des  thés ,  fe  recueille  dans  le  mois  fuivant 
Les  uns  &  les  autres  font  enfermés  dans  des  boetes  d*écain  grofiier  »  pour 
les  garantir  de  Timprelfion  de  Tair  qui  leur  fèroit  perdre  leur  parfum. 
Le  thé  eft  la  boiflbn  ordinaire  des  Chinois.  Ce  ne  fut  pas  un  vain  ca«. 

f^rice  qui  en  introduifit  Tufage.  D^ns  prefque  tout  leur  Empire  ^  les  eaua 
ont  mal-faines  &  de  mauvais  goûc.  De  tous  les  moyens  qu'on  imagina 
pour  les  améliorer ,  il  n'y  eut  que  le  thé  qui  eut  un  fuccés  entier.  L'ezpé* 
rience  lui  fît  attribuer  d'autres  vertus.  On  fe  perfuadaque  c'étoitun  excel-. 
lent  diflblvant ,  qui  purifioit  le  faog  ^  qui  fbrtifioit  la  tète  &  l'eftomac  »  qui 
facilitoit  la  digeltion  &  la  tranfpiration^ 

La  haute  opinion  que  les  premiers  Européens  qui  pénétrèrent  à  la  Chi* 
ne  9  (e  formèrent  du  peuple  qui  Thabite  ^  leur  fit  adopter  l'idée ,  peut-être 
exagérée ,  qu'il  avoir  du  thé.  Ils  nous  communiquèrent  leur  enthoufiafme, 
&  cet  enthoufiafme  a  été  toujours  en  augmentant  dans  le  nord  de  l'£tt« 
rope  &  de  l'An\érique  ^  dans  les  contrées  cii  l'air  eft  groffier  &  chargé 
de  vapeurs. 

Quelle  que  foit  en  général  la  force  des  préjugés ,  on  ne  peut  guère  éon* 
ter  que  le  thé  ne  produife  quelques  heureux  effets  chez  les  nations  cpû  en 
ont  le  plus  univerfellement  adopté  l'ufage.  Ce  bien  ne  doit  pas  être  pour-' 
tant  ce  qu'il  eft  à  la  Chine  même.  On  fait  Que  les  Chinois  gardent  pour 
eux  le  thé  le  mieux  chcùfi  &  le  mieux  foiené.  On  fait  qu'ils  mêlent  lon-t 
vent  au  thé  qui  fort  de  l'Empire  d'autres  feuilles ,  qui  ^  quoique  reflem- 
blances  pour  la  forme ,  peuvept  avoir  des  propriétés  difiërentes.  On  fait  que 
la  grande  exportation  qui  fe  fait  du  thé,  les  a  rendus  moins  difficiles  furie 
choix  du  terrein ,  &  moins  exaâs  pour  les  préparations.  Notre  manière  de 
le  prendre  ,  fe  joint  à  ces  négligences  ^  à  ces  infidélités.  Noos  le  buvons 
trop  chaud  &  trop  fort.  Nous  y  mêlons  toujours  beaucoup  de  fîicre  »  fou«^ 
vent  des  odeurs  ^  &  quelquefois  des  liqueurs  nuifibles.  Indépendamment 
de  ces  confidératiov  •  ^^  long  trajet  qu'il  fait  par.  mer  fiiffinoit  pour  faiifeire 
perdre  la  plus  grande. partie  de  fes  fels  bienfeilàvs. 

On  ne  pourra  juger  définitivement  des  vertus  du.  ûté  ^  que  lorsqu'il  aura 
été  tranfplanté  dans  nos  climats.  On  commençoit  à  défefpérer  dn  fnccês , 
quoique  les  expériences  n'eufTeat  été  tentées  qu'avec  des  graines,  &,  à-ce 
qu'on  prérend ,  avec  des  graines  mal  choifies.  Il  a  été  erain  porté  un  ar- 
brifleau ,  dont  la  tige  avo^  fix  pouces  ;  &  c'dl  à  M.  Linnatus ,  au  plus  cé- 
lèbre botanifté  de  l'Europe ,  qu'il  a  été  remis.  Cet  habile  homme  eft  par^ 
venu  à  le  conferver  ;  &  il  efpere  de  le  multiplier  en  pleyn  air ,  enJSoede 
même  i  puifcj^'il  ne  périt  pas  'dans  les  régions  les  plus  feptentriooales  de 


£ 


C    H    1    N    B.  66-i 

la  Chine.  Ce  fera  un  trës^*mnd  avantagé  de  euldvêr  nous^mémed  une 
plance  qui  ne  peut  que  dimcilement  perdre  autam  à  changer  de  terrein^ 
qu'à  moifir  dans  la  longue  trayerfée  qu^elle  ëtoic  obligée  de  &ire.  Il  h^  a 
as  long'temps  que  nous  étions  tout  auffi  éloignés  du  fecret  de  fidre  ^e 
I  porcelaine. 

Il  exiftoit  il  y  a  quelques  années  dans  le  cabinet  du  Comte  de  Caylus  » 
deux  ou  trois  petits  fragtnens  d'un  vafe  crû  Egyptien ,  qui ,  dans  des  eflàis 
faits  avec  beaucoup  de  foins  &  d'intelligence  <,  îe  trouvèrent  être  de  por- 
celaine non  couverte.  Si  ce  favant  ne  s'eft  pas  mépris  ou  it'a  pas  étéfromf* 
Îéj  ce  bel  art  éfoit  déjà  connu  dans  les  beaux  temps  de  l'ancienne  Egypte. 
Eais  il  faudroit  des  monumens  plus  authenticpes  qu'un  fait  ifolé  ,  pour 
en  faire  refîifer  l'invention  à  la  Chine  »  ou  l'origine  s'en  perd  dans  la  nuit 
des  temps. 

Sans  entrer  dans  le  fyfléme  de  ceux  qui  veulent  donner  à  l'Egypte  une 
antériorité  de  ÊMidsiton ,  de  loix ,  de  fciences  &  d'arcs  de  toute  efpece  ^ 

2ue  la  Chine  a  peut-être  autant  de  droit  de  revendiquer  en  ia  faveur  ;  qm 
lit  d  ces  deux  Empires ,  égal^eitient  anciens ,  n'ont  jpas  reçu  toutes  leurs 
ioftitutions  fociales  d'un  peuple  formé  dans  le  vafte  etpace  de  terre  qui  les 
Çépart  ?  Si  les  habttans  iauvages  des  grandes  montagnes  de  l'Afie  ^  apoès 
avoir  erré  durant  plufieurs  fiecles  dans  le  continent^  qui  fait  le  centre  de 
notre  hémifphere ,  ne  fe  font  pas  difperfés  infenfiblement  v&%  les  co«^ 
tes  des  mers  qui  l'environnent ,  oi  formés  en  corps  de  nation  féparées  à  la 
Chine,  dans  l'Inde,  dans  la  Perfe ,  en  Egypte?  Si  les  déluges  lucceffîfs, 
qui  ont  pu  défoler  cette  partie  de  la  terre ,  n'ont  pas  emprifonné  les  hom^^ 
mes  dans  ces  régions  ,  coupées  par  des  montagnes  &  des  déferts  l  Ces 
con^eâores  font  d'autans  moins  étrangères  à  l'biftoire  du  commerce ,  que 
cdie-'Ci  doit ,.  toc  ou  caed  ,  donner  les  plus  grandes  lumières  lur  fhiftoire  gé- 
nérale du  genre  humain,  de  fes  peuplades,  de  (es  opinions,  &  de  fès  ii> 
vehtions  de  toute  efpece; 

Celle  de  la  porcelaine  eft ,  finon  une  des  plus  merveilleufes ,  du  moins 
l'une  des  plus  agréables  qui  foient  forties  des  mains  de  l'homme.  C'efl  la 
propreté  du  laxe  qui  vaut  mieux  que  fa  richeile. 

La  porcelaine  eft  une  efpece  de  poterie ,  ou  plutôt  c'eft  la  plus  parfaire 
de  toutes  les  poteries.  Elle  eft  plitt  ou  moins  blanche,  plus  ou  moins  fo-^ 
lide,  plus  ou  moins  tranfpareme.  La  tranfparence  ne  lui  effc  pas  mémo 
tellement  efièotteUe ,  qu'ii  i^y  en  ait  beaucoup^  &  de  fort  belle  fans  cette 
propriété. 

La  porcdatne  eft  couverte  ordinairement  d'un  vernis  blanc  ou  d'un  ver^^ 
nts  coloré.  Ce  vernis  n'eft  autre  chofe  qu'une  couche  de  verre  fondu  & 
glacé,  qui  ne  dok  jamai»  avoir  qu?une  demi^ tranfparence.  On  donne  le 
nom  de  couverte  à  cette  couche ,-  qui  conftitue  proprement  la  |>orcelaine. 
Celle  qui  n'a  pas  reçu  cette  efpece  de  vernis ,  fe  nomme  bilcuit  de  pbr^ 
cdatoe;  Celle-ci  a  bien  le  mérite  intrinfeque:  de  l'autre ,  mais  elle  n'en  a 
nr  la  pwfreté  ^  ni  l'éclat ,  ni  la  beauté. 


N 


66^  C    H    t    N    E. 

Le  mot  de  poterie  convient  k  k  défiotdon  de  la  porcelaine,  P^fce  qWt 
romme  toutes  les  autres  poteries  plus  communes  ^  la  matière  eft  prife  im« 
médiatement  dans  les  fubftances  de  la  terre  même.  Sans  autre  altéradqo 
de  l'art  qu'une  fimple  iltvifion  de  leurs  parties.  Il  ne  doit  entrer  aucune 
fubftance.  métallique  ni  faline  dans  fk  compofition ,  pas  même  dans  & 
couvene ,  qui  doit  fe  £iire  avec  des  matières  aulli  (impies  ^  ou  peu 
s'en  fiiut 

-'^La  meilleure  porcelaine  &  communément  la  plus  fblide,  fera  celle  qui 
fera  faite  avec  le  moins  de  matières  différentes  ;  c'eft*à«dire ,  avec  une  pierre 
vitrifîable^  &  une  belle  argile  blanche  &  pure.  C'eft  de  cette  dernière  teire 
que  dépend  la  folidité  &  la  confiftance  de  la  porcelaine  &  de  toute  la  po« 
terie  en  général. 

Les  connoifleurs  divifent  en  (ix  claflès  la  porcelaine  qui  nous  vient  d'A« 
£e  :  la  porcelaine  truitée,  le  blanc  ancien ,  la  porcelaine  de  Japon,  celte 
4le  la  Chine ,  le  Japon  Chiné  &  la  porcelaine  de  J'Inde.  Toutes  ces  déno* 
minations  tiennent  plutôt  au  coup*d'œil  qu'à  un  caraftere  bien  décidé. 

La  porcelaine  traitée  ,^  qu'on  appelle  ainfi  fans  doute  parce  qu'elle  a  de 
la  reflemblance  avec  les  écailles  de  la  truite ,  paroit  être  la  plus  ancienne  » 
&  celle  qui  tient  de  plus  près  à  l'enfance  de  l'art.  Elle  a  deux  tmperfeç* 
tions.  La  pâte  en  eft  toujours  fort  grife ,  &  la  couverte  en  efl  gerfëe  en 
mille  manières.  Cette  gerfure  n'eft  pas  feulement  dans  la  couverte ,  elle 
prend  aufli  fur  le  bifcuit.  De*là  vient  que  cette  porcelaine  n'efl  prefqiie 
point  tranfparente  »  qu'elle  n'eft  point  fonore ,  qu'elle  eft  très*fragile ,  & 

2u'elle  tient  au  feu  plus  facilement  qu'une  autre.  Pour  cacher  la  difformité 
e  ces  gerfures,  on  l'a  bariolée  de  couleurs  diftërentes.  Cette  bigarrure  a 
Ait  (on  mérite  &  fa  réputation.  La  fiicilité  avec  laquelle  M.  le  Comte  de 
Lauraguais  l'a  imitée,  a  convaincu  les  gens  actentifi  que  cette  efpece  de  por- 
celaine n'eft  qu'une  porcelaine  manqué. 

Le  blanc  ancien  eft  certainement  d'une  grande  beauté;  foit  qu'on  s'en 
tienne  à  l'éclat  de  fa  couverte  ;  foit  ou'on  en  examine  le  bifcuic  Cette 
porcelaine  eft  précieufe ,  afTez  rare  &  de  peu  d'ufagei  Sa  p&te  paroit  très- 
courte,  &  on  n'en  a  pu  faire  que  de  petits  vafes,  ou  des  figures,  &des 
magots  Û6nt  la  forme  fe  prête  a  fon  de&ut.  On  la  vend  dans  le  commerce 
comme  porcelaine  du  Japon  ,  quoiqu'il  paroiife  certain  qu^il  s'en  &it  de 
très-belle  de  la  même  efpece  à  la  Chine.  Il  y  cin  a  de  deux  teintes  diffi-* 
rentes.  Tune  qui  a  le  blanc  de  la  crème  précifément^  l'autre  qui  joint  à  (à 
blancheur  un  léger  coup-d'œil  bleuâtre  qui  (emble  annoncer  plus  de  tranf» 
parence.  En  effet  la  couverte  femble  être  un  peu  plus  fondue  dans  celle-ci. 
On  a  cherché  ii  imiter  cette  porcelaine  à  faint  Cloud ,  &  il  en  eft  fbrti  des 
pièces  qui  parojflbient  fort  belles.  Ceux  qui  les  ont  examinées  de  plus  près, 
ont  trouvé  que  c'étoir  des  ftittes ,  que  c'étoit  du  plomb ,  &  qu'elles  nfi  poD- 
voient  pas  iûutenir  le  parallèle. 
H  e(t  plus  difficile  qu'on  ne  penfe  de  bien  diflinguer  ce  qu'on  app^e 

porcelaine 


CHINE.  66  i 

porcelaine  du  Japon,  de  ce  que  la  Chine  fournit  de  plus  beau  en  ce  genre. 
Un  fin  connoifTeur  que  nous  avons  confulré ,  prétend  qu'en  général  ee 
qu'on  appelle  véricablemenc  Japon,  a  une  couverture  plus  blanche  & 
moins  bleuâtre  que  la  porcelaine  de  la  Chine,  que  les  ornemens  y  font 
mis  avec  moins  de  pcofufion,  que  le  bleu  y.  eft-  plus  éclatant,  que  les 
deflins  &  les  fleurs  y  font  moins  baroques ,  mieux  copiés'  de;  la  nature*' 
Son  témoignage  paroit  confirmé  par  les  écrivains,  qui  difent  que  les  Chi- 
nois qui  trafiquent  aU  Japon,  en  rapportent  quelques  pièces  de  porcelaino 
qui  ont  plus  d'éclat  &  moins  de  folidité  que  les  leurs ,  &  qu'ils  s'en  fer* 
vent  pour  la  décoration  de  leurs  appartemens,  mais  jamais  pour  l'ufage, 
parce  qu'elles  foutiennent  difficilement  le  feu.  Il  croit  de  la  Chine  tout  ce 
qui  efl  couvert  d'un  vernis  coloré,  foit  en  verd  céladon,  foit  en  couleuc^ 
bleuâtre,  foit  en  violet  pourpre.  Tout  ce  que  nous  avons  ici  du  Japon' 
nous  eft  venu ,  ou  nous  vient ,  par  la  voie  des  HoUàndois  ;  les  feuls  Eu^ 
ropéens  à  qui  l'entrée  de  cet  Empire  ne  foit  pas  interdite.  11  eft  poffible 
qu'ils  l'ayèût  choifi  dans  les  porcelaines  que  les  Chinois  y  apponent  zn* 
nuellement ,  qu'ils  l'ayent  acheté  à  Canton  même.  Dans  l'un  &  l'autre 
cas ,  la  diftinâion  entre  la  porcelaine  du  Japon  &  celle  de  la  Chine,  feroit 
fàufle  au  fond,  &  n'auroit  d'autre  hafe  que  le  préjugé.  Il  réfulte  cependant 
de  cette  opinion ,  que  tout  ce  qui  porte  parmi  nous  le  titre  de  porcelaine 
du  Japon ,  eft  toujours  de  trés»beile  porcelaine. 

Il  y  a  moins  à  douter  fur  ce  qu'on  appeUe  porcelaine  de  la  Chinft. 
La  couverte  eil  plus  bleuâtre  ,  elle  eft  plus  chargée  de  couleurs ,  &  les 
deffins  en  font  plus  bifarres  que  dans  celle  qu'on  nomme  du  Japon.  La 
pâte  elle-même  eft  communément  plus  blanchç  ^  plus  liée ,.  plus  grafle  ;  (on 
grain  plus  fin,  plus  ferré,  &  on  lui  donne  moins'  d'épaifteur.  Parmi  les 
diverfes  porcelaines  qui  le  .fiibriquentc  à  la  Chine  .,  il  y  en  a  une  qui  eft 
fort  ancienne.  Elle  eft^peinie  en  gi^os  jbleu,  en  beau  rouge  &  en  verd  de 
cuivre.  Elle  eft  (on  groffiere ,  fort  jifiaifive ,  &  d'un  poids  fort  confidéra** 
ble.  Il  s'en  trouve  de  cette  efpece  qui  left  truitée.  Le  grain  en  efl  fou- 
vent  fec  &  gris.  Celle  qui  n'eft  pas  truitéo  eft  lonore  ;  mais  l'une  &  l'autre 
ont  très-peu  de  tranfparence.  Elle  fe  vend  fous  le  noin  d'ancien  Chine  |' 
&  les  pièces  les  pl^s'b^les*  font  cenfées  venir  du  Japon.  G'écoit  originai- 
rement une  belle  poterie  plutôt  qu'udie  porcela^e  véritable.  Lé  temps  ât 
l'expérience  l'ont  perfeâipnnée.  Elle  ^.  acquis  .plus  de  tranfparence,  ot  les 
couleurs ,  appliquées  ave^s,  plus  de. foin,  ont. eu  plus  d'éclat.  Cette  porce- 
laine diffère  efientiellement  des  autres  «  en  ce  <  qu'elle,  eft  laite  d'une  «pâte 
courte ,  qu'elle  eft  très-dure  &  très-folide.  Les  pièces  de  cette  porcelaine 
ont  toujours  en- ^effous  trois  ou  quapre  traces  de  fupports,  qui  ont  été  mis 
pour  l'empêcher  de  -fléchir  dans  la  ouiflbn.  Avec  ce;{ècours<on  eft  parvenu 
à  fabriquer  des  pièces  d'une  hauteur,  d'un  diamètre  confidérables.  Lespor*- 
celaine^s  qui  ne  font  pas  de  cette  efpece  &  qu^on  appelle  Chine  moder^ 
ne,  ont  la  pâte  plus  longue ,  le  grain  plus  fin^  6c  la  couverte  plus  gla- 
Tomc  XL  PPPP 


(66  CHINE. 

cée,  plus  bknche,  pttts  belle;  Elles  ont  rarement  des  fupporfs,  &  leur 
tranfparence  n'a  rien  de  vitreux.  Tout  ce  qui  ett  fabriqué  de  cette  pâte  eft 
tourné  facilement ,  en  forte  que  la  main  de  Touvrier  paroit  avoir  gliflë 
de  (fus,  ainfi  que  fur  une  excellente  argile.  Les  porcelaines  de  cette  efpece 
varient  à  l'infini  pour  la. forme,  pour  les  couleurs  ,  pour  la  main-d'œuvre 
&  pour  le  prix. 

Une  cinquième  efpece  de  porcelaine  eft  celle  à  qui  nous  donnons  le 
nom  de  Japon  Chiné ,  parce  qu'elle  réunit  aux  ornemens  de  la  porcelaine 
qu'on  croit  du  Japon ,  ceux  qui  font  plus  dans  le  goût  de  la  Chine.  Par* 
mi  cette  efpece  de  porcelaine ,  il  s^en  trouve  une ,  enrichie  d'un  très-beau 
bleu  avec  des  cartouches  blancs.  Cette  couverte  a  cela  de  particulier , 
qu'elle  eil  d'un  véritable  émail  blanc  ,  tandis  que  les  autres  couvertes  ont 
vne  demi -tranfparence;  car  les  couvertures  de  la  Chine  ne  font  jamais 
tcanfparentes  tout-à^fàit. 

*  Les  couleurs  s'appliquent  en  général  de  la  même  manière  fur  toutes 
les  porcelaines  de  la  Chine,  fur  celles  mêmes  qu'on  a  faites  à  fbn  imita* 
tion.  La  première ,  la  plus  folide  de  ces  couleurs ,  eft  le  bleu  qu'on  retire 
du  fafFre  qui  n'eft  autre  chofe  que  la  chaux  de  cobalt.  Cette  couleur  s'ap* 
plique  ordinairement  à  crud  fur  tous  les  vafes,  avant  de  leur  donner  la 
couverte  &  de  les  mettre  au  four;  en  forte  que  la  couverte  qu'on  met 
enfuite  par-deffus  lui  fert  de.  fondant.  Toutes  tes  autres  couleurs,  Se  même 
le  bleu  qui  enore  dans  la  compofition  de  la  palette ,  s'appliquent  fur  la 
couverte ,  &  ont  befoin  li'être  unies  préalablement  avec  une  matière  fa- 
line  .ou  une  chaux  de  plomb  qui  favorife  leur  ingrez  dans  la  couverte, 
yne  manière  particulière  &  affez  fiuniliere  aux  -  Chinois  de  peindre  la  por- 
celaine ,  c'eft  de  colorer  la  couverte  toute  entière.  Pour  lors  la  couleur  ne 
s'applique  ni  deifus  ni  deflbus  la  couverte,  mais  on  la  mêle  &  on  Pin- 
çorpore  dans  la  couverte  ^elle^-même.  Il  fe  &it  des  chofes  de  fkntaifie  très* 
extraordinaires  en  ce  genre.  De  ^quelque  manière  que  les  couleurs  foient 
appliquées,  elles  fe  tirent  communément  du  cobalt,  de  l'or,  du  fer,  des 
terres  martiales  &  du  cuivre.  Celle  du  cuivre  eft  ^s-délicate  &  demande 
de  grandes  précautions. 

Toutes  les  porcelaines  dont  nous  avon&  parlé  fe  font  à  King-to-ching , 
bourgade  immenfe  de  la  province  de  Kianfi.  Elles  y  occupent  cinq  cents 
fours  &  un  million  d'hommes.  On  a  effayé  à  Pékin, ^. dans  d'autres  lieux 
de  l'Empire,  de  les  imiter;  &  les  expériences  ont  été  malheureufes  par- 
tout, malgré  la  précaution  qu'on  avoir  prife  de  n'y  employer  que  les 
mêmes  ouvriers,  les  mêmes  matières.  Aum  a**t*on  universellement  renoncé 
à  cette  branche  d'induftrie,  excepté  au  voifinage  de  Canton   oii  on  fabri- 

2ue  la  porcelaine  connue  parmi  nous  fous  le  nom  de  porcelaine  des  Indes, 
a  pâte  en  eft  longue  &  racile;  mais  en  général  les  couleurs,  le  bleu  fu^ 
tout  &  le  rouge  de  mars ,  y  font  très^infërieurs  à  ce  qui  vient  du  Japon 
&  de  l'intérieur  de  la  Chine,  Toutes  les  couleursi  excepté  le  bleu ,  y  re- 


CHINE.  667 

lèvent  en  boflci  &  (ont  communément  mal  appliquées.  On  ne  voit  du 
pourpre  que  fur  cette  porcelaine,  ce  qui  a  fait  follement  imaginer  qu'on 
le  peignoit  en  Hollande.  La  plupart  des  talfes,  des  aifiettes,  des  autres  va<* 
fes  que  portent  nos  négocians,  fortent  de  cette  manufaâure»  moins  efti« 
mée  à  la  Chine  que  ne  le  font  dans  nos  contrées  celles  de  fayaoce» 

Nous  avons  cherché  à  naturalifer  parmi  nous  l'art  de  }a  porcelaine.  La 
Saxe  s'en  efl  occupée  plus  heureufement  que  les  autres  £rats.  Sa  porcelaine 
eft  de  la  vraie  porcelame ,  &  vraifemUablement  compofée  de  matières 
fort  (impies,  quoique  dépendante  furement  d'une  combinaifon  plus  recher* 
chée  que  celle  de  l'Afîe.  Cette  combinaiibn  particulière,  &  la  rareté  des 
matériaux  qui  entrent  dans  fa  compofîtton ,  doivent  caufer  la  cherté  de 
cette  porcelaine.  Comme  il  ne  fore  de  cette  manufkéhire  qu^une  feule  & 
même  efpece  de  pâte,  on  a  penfé  avec  ailëz  de  vraifemblance  que  les 
Saxons  ne  poflèdem  que  leur  iecret ,  &  n'ont  point  du  tout  l'arc  de  la 
porcelaine.  On  eft  confirmé  dans  ce  foupçon  par  la  grande  reffemblance 
qu'il  y  a  entre  la  mie  &  le  grain  de  la  porcelaine  de  Saxe,  &  celles  de 
lues  autres  porcelaines  d'Allemagne,  qui  paroiflènt  faites  par  une  com-* 
ion  à-peu-prés  ièmblable. 

Quoi  qu'il  en  foit  de  cette  comedure,  on  peut  aflurer  qu'il  n'y  a  point 
de  porcelaine  dont  la  couverte  foit  plus  agréable  à  la  vue,  pins  égale, 
plus  unie,  plus  folide  &  plus  fixe.  Elle  réfine  à  un  très- grand  feu,  beau« 
coup  plus  long-temps  que  dîffêrentes  couvertes  de  porcelaines  de  la  Chine. 
Ses  couleurs  jouent  agréablement  &  ont  un  ton*trés-mâ1e.  On  n'en  con- 
nolt  point  d'aufli  bien  aflbrties  à  la  couverte.  Elles  ne  font  ni  trop»  ni 
trop  peu  fondues.  Elles  ont  du  brillant ,  fans  être  noyées  &  glacées ,  com- 
me la  plupart  de  celles  de  Sevré. 

Ce  mot  nous  avertit  qu'il  £iut  pvler  des  porcelaines  de  France^  On 
fait  qu'elles  ne  font  faites,  ainfi  que  celles  d'Angleterre,  qu'avec  des  frit- 
tes, c'eft-à-dire,  avec  des  pierres  infufibles  par  elles-mêmes,  auxquelles 
on  Élit  prendre  un  commencement  de  fufion ,  en  y  joignant  une  quantité 
de  fel  plus  ou  moins  confidérable.  Aufli  font-elles  plus  vitreufes ,  ptas  fu« 
fibles,  moins  fdides  &  plus  caflàntes  que  toutes  les  autres.  CeUe' de  Se- 
vré qui  eft  fans  comparaifon  la  plus  mauvaife  de  toutes,  &  dont  la  cou« 
verte  a  toujours  un  coup-d'œil  jaunâtre  faley  qui  décelé  le  plomb  dont  elle 
eft  chargée,  n'a  que  le  mérite  que  peuvent  lui  donner  des  deffînareufs | 
ées  peintres  du  premier  oi-dre.  ces  grands  maîtres  ont  mis  tant  ^'art  à 
quelques-unes  de  ces  pièces,  qu'elleis  feront  précieufes  pour  la  poftérité; 
mais  en  elle-même ,  elle  ne  fera  jamais  qu'un  objet  de  goAt,  de  luxe  & 
de  dépenfes.  Les  fupports  feront  une  des  principales  caufes  de  fa  cherté.. 

Toute  porcelaine,  au  moment  qu'elle  reçoit  fon  dernier  coup  de- feu^ 
f^  trouve  dans  un  état  de  fufion  commencée  :  elle  ^  pouf  lofsv  de  la 
molleflè,  &  pourroit  être  maniée  comme  le^r  lorfqu^l  eft  iwibmfë/On 
n'en  connoît  point  qui  ne  fouffire,  qui  nefe  tourmente  lorfqu'dle  ef^  dans 

Ppp-p  2  - 


66% 


CHINE. 


cet  état.  Si  l^es  pièces  qui  font  tournées  ont  plus  d'épaifleur  &  de  faillie 
d'un  côté  que  de  Pautre,  au(fî-tôt,  le  fort  emporte  le  foible  :  elles  ilé- 
chiffent  de  ce  côté,  &  la  pièce  eft  perdue.  On  pare  à  cet  inconvénient 
par  des  raorceaux  de  porcelaines^  faits  de  la  même  pâte,  de  difSrentes 
formes,  qu'on  applique  au-deflbus  ou  contre  les  parties  qui  font  plus  de 
faillie  &  courent  plus  de  rifques  de  fléchir  que  les  autres.  Comme  toute 
porcelaine  prend  une  retraite  au  feu  à  mefure  qu'elle  cuit,  il  faut  non* 
feulement  que*  la  matière  dont  on  fait  les  fupports  puilTe  fe  retraire  auffi  \ 
mais  encore  que  fa  retraite  ne  foit ,  ni  plus ,  ni  moins  grande  que  celle 
de  la  pièce  qu'elle  eft  defiinée  à  foutenir.  Les  diffërentes  pâtes  ayant  des 
retraites  différentes,  il  s'enfuit  que  le  fupport  doit  être  de  la  même  pâte 
que. la  porcelaine. 

Plus  une  porcelaine  efl  tendre  au  feu,  &  fufceptible  de  vitrification, 
plus  elle  à  befoin  de  fupport.  C'eft  par  cet  inconvénient  que  pèche  eifen- 
tièllement  la  porcelaine  de  Sevré,  dont  la  pâte  efl  d'ailleurs  fort  chère, 
&  qui  en  confomme  fouvent  plus  en  fupport,  qu'il  n'en  entre  dans  la 
pièce  de  porcelaine  même.  La  néceffité  de  ce  moyen  difpendieux ,  en- 
traîne  encore  un  autre  inconvénient.  La  couverte  ne  peut  cuire  en  même- 
temps  que  la  porcelaine,  qui  efl  obligée  par4à,  d'aller  deux  fois  au  feu. 
La  porcelaine  de  la  Chine  &  celles  qui  lui  refTemblent  étant  faites  d'une 
pâte  plus  folide,  moins  fufceptible  de  vitrification  ,  ont  rarement  befoin 
d'être  foutenues,  &  fe  cuifent  avec  la  couverture.  Elles  confomment  donc 
beaucoup  moins  de  pâte,*  fouffirent  moins  de  perte ,  demandent  moins  de 
temps,  de  foins  &  de  feu.  : 

Quelques  écrivains  ont  cru  bien, établir  la  prééminence  de  la  porcelaine 
d'Afie  fur  les  nôtres ,  en  difant  quç  ces  dernières  réfiftent  moins  au  feu 
que  celle  qui  leur  à  fervi  de  ttiodële ,  que  toutes  celles  d'Europe  fondent 
dans  celle  de  Saxe,  &  que  celle  de  Saxe  finit  par  fondre  dans  celle  des 
Indes.  Rieti  n'efl  plus  faux  que  cette  affertion,  prife  dans  toute  fon  éten- 
due. Il  y  a  peu  de  porcelaines  de  la  Chine»  qui  réfiflent  autant  au  feu 
que  celle  de  Saxe.  Elles  fe  déforment  même  oc  fe  bouillonnent  au  feu 
qui  cuit  celle  de  M.  de  Lauraguais.  Mais  cela  doit  être  compté  pour  rien 
oM  pour  fort  peu  de  chofe.  La  porcelaine  n'efl  pas  faite  pour  retourner  dans 
les  fours  dont  elle  efl  fortie.  Elle  n'eft  pas  defiinée  à  effuyer  un  fèa 
de  réverbère. 

C'efl  p^  là  folidité  que  les  porcelaines  de  la  Chine  l'emportent  vérita- 
blement fur  celles  d'Europe  4  c'efl  par  la  propriété  qu'elles  ont  d'être 
échauffées  plus  promptement  &  avec  moins  de  rifque,  de  fouffirir  fans  dan- 
gèn  l'impr^ffion  fubite  des  liqueurs  froides  ou  bouillantes;  c'eft  par  la  fe- 
çilité  ^.qu'elle^  offrent  de  les  cuire  &  de  les  travailler  :  avantage  incompa- 


merce  plus  étçAdu. 


CHINE.  66^ 

Un  autre  avantage  bien  rare  de  la  porcelaine  des  Indes ,  c'eft  que  fà 
pâte  eft  admirable  pour  Ëiire  des  creufets  &  mille  autres  ufleofîles  de  ce 
genre ,  c^ui  (ont  d'une  utilité  journalière  dans  les  arts.  Non-feulement  ces 
vafes  rëlifleat  plus  long- temps  au  feui  mais  ce  qui  efl  bien  plus  précieux, 
ils  ne  communiquent  rien  aux  verres  &  aux  matières  qu'on  y  (ait  fondre. 
Leur  matière  eft  fi  pure,  fi  blanche,  fi  compaâe  &  fi  dure,  qu'elle  n'en- 
tre en  fuûon  que  difficilement  &  ne  porte  point  de  couleur.  , 

La  France  touche  au  moment  de  jouir  de  toutes  ces  commodités.  Il 
eft  certain  que  M.  le  Comte  de  Lauraguais  ,  qui  a  cherché  long-temps 
le  fecret  de  la  porcelaine  de  la  Chine ,  eft  parvenu  à  en  faire  qui  lui  ref- 
femble.  Ses  matériaux  ont  le  même  caraâere  ;  &  s'ils  ne  font  pas  exaâe- 
nient  de  la  même  efpece ,  ils  font  au  moins  des  efpeces  du  même  genre. 
Comme  les  Chinois,  il  peut  &ire  fa  pâte  longue  ou  courte,  &  employer 
à  fon  choix  fon  procédé ,  ou  un  procédé  différent.  Sa  porcelaine  ne  le 
cède  en  rien  à  celle  des  Chinois  pour  la  facilité  k  fe  tourner,  à  fe  mo- 
deler, &  lui  eft  fupérieure  par  la  folidité  de  fa  couverte,  peut-être  aufti 
par  fon  aptitude  à  recevoir  les  couleurs.  S'il  parvient  à  lui  donner  la  mê- 
me fineue ,  la  même  blancheur  du  grain ,  nous  nous  paflerons  .  aifé- 
ment.de  la  porcelaine  de  la  Chine.  Il  ne  fera  pas  fi  âcilede  renoncer 
à  fa  foie. 

'  Les  annales  de  cet  Empire  attribuent  la  découverte  de  la .  foie  à  l'une 
des  femmes  de  l'Empereur  Hoangti.  Les  Impératrices  fe  firent  depuis  une 
agréable  occupation  de  nourrir  des  vers,  d'en  tirer  la  foie  &  de  la  mettrt 
en  œuvre.  On  prétend  même  qu'il  y  avoit  dans  l'intérieur  du  Palais,  un 
terrein  deftiné  à  la  culture  des  mûriers*  L'impératrice  ,  accompagnée  des 
Dames  les  plus  diflinguées  de  fa  Cour,  fe  rendoit  en  cérémonie  dans  ce 
verger  &  y  cueilloir  elle-même  les  feuilles  de  quelques  branches  qu'on 
abaifibit  à  fa  portée.  Une  politique  fi  fage,  encouragea  fi  bien  cette 
branche  d'induflrie,  que  bientôt  la  nation  qui  n'étoit  couverte  que  de  ipeaux, 
fe  trouva  habillée  de  foie.  En  peu  de  temps ,  l'abondance  fut  fuivie  de  la 
perfèâion.  On  dut  ce  dernier  avantage  aux  écrits  de  plufîeurs  hommes 
éclairés ,  de  quelques  Miniflres  même ,  qui  n'avoient  pas  dédaigné  de  porter 
leurs  obfèrvations  fur  cet  art  nouveau.  La  Chine  entière  s^nfbuifit  dans 
leur  théorie  de  tout  ce  qui  pouvoit  y  avoir  rapport. 

L'art  d'élever  les  vers  qui  produifent  la  foie ,  de  filer  cette  produâion , 
d'en  fabriquer  des  étoffes ,  pafËt  de  la  Chine  aux  Indes  &  en  Perfe ,  où  il 
ne  fit  pas  des  proerès  rapides.  S'il  en  eût  été  autrement,  Rome  n'eût  pas 
donné  jufqu'à  la  nn  du  troifieme  fiecle  une  livre  d'or ,  pour  une  livre  de 
foie.  La  Grèce  ayant  adopté  cette  induftrie  dans  le  huitième  fiecle  ;  les 
foieries  fe  répandirent  un  peu  plus ,  fans  devenir  communes.  Ce  fiit  long- 
temps un  objet  de  magnincence,  réfervé  aux  places  les  plus  éminentes  6c 
aux  plus  grandes  folemnités.  Roger,  Roi  de  Sicile,  appeila  enfin  d'Athè- 
nes des  ouvriers  en  foie }  &  bientôt  la  culture  des  mûriers  s'étendit  de 


y 


ijo  CHINE. 

cette  îflc  au  continent  vbîfin.  D'autres  contrées  de  l'Europe  voulurent 
jouir  d'un  avantage  qui  donnoit  des  ricHefles  à  l'Italie ,  &  elles  y  parvin- 
rent après  quelques  efforts  inutiles.  Cependant  la  nature  du  climat,  & 
peut-être  d'autres  caufes  ,  n'ont  pas  permis  d'avoir  par-tout  le  même 
fuccès. 

Les  foies  de  Naples,  de  Sicile,  de  Reggio,  font  toutes  communes,  foit 
en  organfin ,  foit  en  trame.  On  les  emploie  pourtant  utilement  ;  elles  font 
même  nécefTaires  pour  les  étofiès  brochées,  pour  les  broderies ,  pour 
tous  les  ouvrages  où  l'on  a  befoin  de  foie  forte. 

Les  autres  loies  d'Italie ,  celles  de  Novi ,  de  Venife ,  de  Tolbane ,  de 
Milan,  du  Momfèrrat,  de  Bergame  &  du  Piémont,  font  employées  en 
organfin  pour  chaîne ,  quoiqu'elles  n'ayent  pas  toute  la  même  beauté ,  la 
même  bonté.  Les  foies  de  Bologne  eurent  long-temps  la  préférence  fur 
toutes  les  autres.  Depuis  que  celles  du  Piémont  ont  été  perfeéUonnées , 
elles  tiennent  le  premier  rang  pour  l'égalité,  la  fineife,  la  légèreté.  Celles 
de  Bergame  font  celles  qui  en  approchent  le  plus. 

Quoique  les  foies  que  fournit  l'Ëfpagne  loient  en  général  fort  belles, 
celles  de  Valence  ont  une  grande  fupériorité.  Les  unes  &  les  autres  font 
propres  à  tout.  Leur  feut  défaut  eft  d'être  un  peu  trop  chargées  d'huile , 
ce  qui  leur  fait  beaucoup  de  tort  à  la  teinture. 

'  Les  foies  de  France ,  fupérieures  à  la  plupart  des  foies  de  l'Europe,  ne 
cèdent  qu'à  celles  de  Piémont  &  de  Bergame  pour  la  légèreté.  Elles  ont 
d'ailleurs  plus  de  brillant  "  en  teint  que  celles  de  Piémont ,  plus  d'égalité 
&  de  neit  que  celles  de  Bereame.  La  France  récoltoit  il  y  a  quelques 
années,  fix  mille  quintaux  de  foie.  La  livre  de  quatorze  onces,  fe  vendoit 
depuis  quinze  jufqu^  vingt  &  une  livres.  Au  prix  commua  de  dix-huit 
livres ,  c'étoit  un  revenu  de  dix  millions.  Lorfque  les  nouvelles  plantations 
auront  fait  les  progrès  qu'on  en  doit  attendre,  cette  puiflance  le  trouvera 
déchargée  du  tribut  qu'elle  paie  à  l'étranger.  II  eft  encore  confîdérable. 

La  diverficé  des  foies  que  recueille  l'Europe,  ne  l'a  pas  mile  en  état  de 
ie  paffer  de  celle  de  la  Chine.  Quoiqu'en  général  fa  qualité  foit  pefaote 
&.lon  brin  inégal ,  elle  fera  toujours  recherchée  pour- fa  blancheur.  On 
croit  communément  qu'elle  tient  cet  avantage  de  la  nature.  Ne  feroR*il 
pas  plus  naturel  de  penfer,  que' lors  de  la  filature,  les  Chinois  jettent 
dans  la  bafline  quelque  ingrédient  qui  a  la  verm  de  chafler  toutes  les 
parties  hétérogènes,  du  moins  les  plus  groflieres?  Le  peu  de  déchet  de 
cette  foie,  en  comparaifon  de  toutes  les  autres,  lorfqu'on  la  fait  cuire 
j)our  la  teinture,  paroit  donner  un  grand  poids  à  cette  conjeâure. 

Quoi  qu'il  en  ioit  de  cette  idée,  la  blancheur  de  la  foie  de  la  Chine, 
à  laquelle  nulle  autre  ne  peut  être  comparée ,  la  rend  feule  propre  à  la  &- 
brique  des  blondes  &  des  gazes.  Les  efforts  qu'on  a  faits  pour  lui  fubfti- 
tuer  les  nôtres  dans  les  manufeâures  de  blonde,  ont  toujours  été  vains, 
foit  qu'on  ait  employé  des  foies  apprêtées  ou  non  apprêtées.  Oa  a^  été  un 


CHINE.  iyi 

peu  moins  malheurenx  \  Tégard  des  gazes.  Les  foies  les  plus  blanches  de 
France  &  d'Italie  l'ont  remplacée  avec  une  apparence  de  fuccés;  mais  le 
blanc  &  l'apprêt  n'ont  jamais  été  fi  parfaits. 

Dans  le  dernier  fîecle,  les  Européens  tiroient  de  la  Chine  fort  peu  de 
foie.  La  nôtre  étoic  fuffifante  pour  les  gazes  noires  ou  de  couleur ,  & 
pour  les  marlis  qui  étoient  alors  d'ufage.  Le  goût  qu'on  a  pris  depuis  qua- 
rante ans ,  &  plus  généralement  depuis  vingt-cinq ,  pour  les  gazes  blan- 
ches &  pour  les  blondes  ,  a  étendu  peu-à-peu  la  confommation  de  cette 
produâion  orientale.  Elle  s'eft  élevée  dans  les  temps  modernes  à  quatre- 
vingt  milliers  par  an  »  dont  la  France  a  toujours  employé  près. des  trois 
Quarts.  Cette  importation  a  fi  fort  augmenté,  qu'en  ijS6^  les  Anglois 
ieuls  en  tirèrent  cent  quatre  milliers.  Comme  les  gazes  &  les  blondes  ne 
pouvoient  pas  la  confommer,  les  manu&âuriers  en  employèrent  une  par- 
tie dans  leurs  fabriques  de  moires  &  de  bas.  Ces  bas  ont ,  fur  les  autres  » 
l'avantage  d'une  blancheur  éclatante  &  inaltérable ,  mais  ils  font  infiniment 
moins  fins. 

Indépendamment  de  cette  foie  d'une  blancheur  unique,  qui  fe  recueille 
principalement  dans  la  province  de  Tdhe-Kiang,  &  que  nous  connoiffons 
en  Europe  fous  le  nom  de  foie  de  Nankin ,  Lieu  où  on  la  febrique  plus 

{particulièrement;-  la  Chine  produit  des  foies  communes  que  nous  appel- 
ons foies  de  Canton.  Contune  elles  ne  font  propres  qu'à  quelques  trames, 
&  qu'elles  (ont  auflî  chères  que  celles  d'Europe  qui  fervent  aux  mêmes 
ufages ,  on  en  tire  très-peu.  Ce  que  les  Anglois  &  les  Hollandois  en  impor- 
tent ne  palfe  pas  cinq  ou  fix  milliers.  Les  étoffes  forment  un  grand  objet. 

Les  Chinois  ne  font  pas  moins  habiles  à  mettre  les  foies  en  œuvre  qu'à* 
les  recueillir.  Cet  éloge  ne  doit  pas  s'étendre  à  celles  de  leurs  étoffes  où 
il  entre  de  l'or  &  de  l'argent.  Leurs  manufàéhiriers  n'ont  jamais  fu  paffer 
ces  métaux  par  la  fSiere  ;  &  leur  induftrie  s'eft  toujours  oornée  à  rouler 
leurs  foies  dans  des  papiers  dorés,  ou  à  appliquer  les  étoffes  fur  les  pa- 
piers mêmes.  Les  deux  méthodes  font  également  vicieufes. 

Quoique  les  hommes  foient  plus  frappes  en  général  du  nouveau  que  de 
l'excellent,  ces  étoffes,  malgré  leur  brillant,  ne  nous  ont  jamais  tentés. 
Nous  n'avons  été  euere  moins  rebutés  de  la  défèâuofîré  de  leur  deffîn« 
On  n'y  voit  que  des  figures  eflropiées  ,  &  des  erouppes  fans  intention. 
Perfonne  n'y  a  reconnu  le  moindre  talent  pour  diltribuer  les  jours  &  les 
ombres ,  ni  cette  grâce ,  cette  facilité  qui  le  font  remarquer  dans  les  ou- 
vrages de  nos  bons  artifies.  Il  y  a  dans  toutes  leurs  produâions  quelque 
chofe  de  roide  &  de  mefquin ,  qui  déplaît  aux  gens  d'un  goût  un  peu  dé- 
licat. Tout  y  porte  le  caraâere  particulier  de  leur  génie,  qui  manque  de 
feu  &  d'élévation. 

Ce  qui  nous  fait  fupporter  ces  énormes  défauts  dans  ceux  de  leurs  ou- 
vrages qui  repréfenrent des  fleurs,  des  oifeaux,  des  arbres,  c'eft  qu'aucun 
de  ces  objets  ifeft  en  relief.  Les  figures  font  peintes  fur  les  étoffes  mêmes , 


^72  C    H    I    NE. 

avec  des  couleurs  prefque  inefBiçabl^.  Cependant  l'illufion  eft  fi  entière , 
qu'on  croiroit  tous  ces  objets  brochés  ou  brodés. 

Les  étoffes  unies  de  la  Chine  li'ont  pas  befoin  d'indulgence.  Elles  font 
parfaites ,  ainfi  que  leurs  couleurs ,  le  verd  &  le  rouge  en  particulier.  Le 
blanc  '  du  Damas  a  un  agrément  infini.  Les  Chinois  n'emploient  à  cet  ou- 
vrage que  des  foies  de  Tche-Kiang.  Ils  font,  comme  nous,  débouillir  la 
chaîne  à  fonds,  mais  ils  ne  cuifent  la  trame  qu'à  demi..  Cette  méthode 
conferve  à  l'étoffe  un  peu  de  corps  &  de  fermeté.  Les  blancs  en  font 
roux,  fans  être  jaunâtres,  &  délicieux  à  la  vue,  fans  avoir  ce  grand  éclat 
qui  la  fatigue.  Elle,  ne  fe  repofe  pas  moins  agréablenienr  fur  le  yemis 
Chinois. 

Le  vernis  eft  une  efpece  de  gomnie  liquide  de  couleur  rouflatre.  Celui 
du  Japon  eft  préférable  à  ceux  du  Tonquin  &  de  §iam,  qui  ont  eux-méntes 
une  grande  fupériorité  fur  celui  de  Camboge.  Les  Chinois  en  achètent 
dans  tous  les  marchés  ;  parce  que  celui  qu'ils  tirent  de  plufieurs  de  leurs 
provinces  ne  fufHt  pas  à  leur  confbmmation.  L'arbre  qui  le  donne  fe 
nomme  Tfi*chu ,  &  a  l'écorce,  ainfi  que  la  feuille  du  frêne.  Sa  plus  grande 
élévation  eft  de  quinze  pieds,  &  ùl  grofteur  commune  de  deux  pieds  & 
demi.  Il  ne  produit  ni  fleurs  ni  fruits,  &  fe  multiplie  ainfi  : 

Au  printemps,  lorfque  la  fève  du  Tfi*chu  commence  à  fe  développer, 
il  faut  choifir  le  plus  vigoureux  des  rejettons  qui  fortent  du  tronc  de  l'ar* 
bre.  On  l'enduit  d'une  terre  jaune  que  l'on  enveloppe  d'une  natte  propre 
à  le  défendre  des  impreffîons  de  Tair,  Si  le  rejetton  poufiè  rapidement  des 
racines,  on  le  coupe  èc  on  le  plante  en  automne.  Si  la  nature  eft  plus 
tardive,  on  remet  l'opération  à  un  autre  temps.  En  quelque  faifon  qu'elle 
fe  fiilTe,  il  faut  garantir  des  fourmis  le  nouveau  plant,  en  rempliflant  de 
Clsndres  la  fofle  qui  lui  eft  deftinée. 

Ce  n'eft  qu'à  (ept  ou  huit  ans  que  le  Tfi-cfau  offre  du  vernis ,  &  c'eft 
en  été  qu'il  le  donne.  Il  coule  de  différentes  incifions  faites  de  diftance 
en  diftance  à  l'écorce  feule.  Une  coquille  reçoit  la  liqueur  à  chaque  fente. 
I.a  récolte  peut  pafler  pour  bonne  lorfque  mille  arbres  rendent  dans  une 
nuit  vingt  livres  de  vernis.  Cette  gomme  eft  fi  dangereufe,  que  ceux  qui 
la  mettent  en  œuvre  font  obligés,  pour  fe  garantir  de  fa  malignité,  de 
prendre  les  précautions  les  plus  luivies.  Les  ouvriers  fe  fi-ottent  les  mains  & 
le  vifage  d'huile  de  rabette,  avant  &  après  le  travail.  Us  ont  un  mafque, 
des  gants,  des  bottines,  &  un  plaftron  devant  l'eftomac. 

Le  vernis  s'emploie  de  deux  manières.  Dans  la  première,  Ton  frotte 
le  bois  d'une  huile  particulière  aux  Chinois;  &  dès  qu'elle  eft  feche,  l'on 
applique  le  vernis.  Sa  tranfparence  eft  telle  que  les  veines  du  bois  paroif* 
ient  peintes,  fi  l'on  n'en  met  que  deux  ou  trois  couches.  Il  n'y  a  qu'à  les 
multiplier  pour  donner- ag  vernis  l'éclat  du  miroir. 

L'autre  manière  eft  plus  compliquée.  Avec  le  fecours  d'un  maftic ,  on 
cqUç  fur  le  bois  une  eipece  de  carton.  Ce  fonds  uni  &  foUde  reçoit  fuc- 

ceffivemcnt 


CHINE.  67i 

l:eifîvement  plafiem  conches  de  vernis.  Il  ne  doit  être  ni  trop  épais ,  ni 
trop  liquide;  &  c'eft  à  fiùfir  ce  jufte milieu  que  confifte  principalement  le 
mente  de  l'anitfe. 

De  quelque  manière  que  le  vernis  foit  employé,  il  rend  le  bois  comme 
incorruptible.  Les  vers  ne  s'y  éublifTent  que  difficilement ,  &  Phumidité 
n'y  pénètre  prefque  jamais.  Il  ne  faut  qu'un  peu  d'attention  pour  empêr 
cher  que  l'odeur  même  ne  s'y  attache. 

L'agrément  du  vernit  répond  à  fà  folidité.  H  fe  prête  à  Vox  y  à  l'argent , 
à  toutes  les  couleurs.  On  y  peint  des  hommes,  des  campagnes,  des  pa* 
lais,  des  chaflès,  des  combats.  Il  ne  laiilèroit  rien  à  défirer ,  fi  de  mauvais 
deflîns^  Chinois  ne  le  déparoient  généralement. 

Malgré  ce  vice ,  les  ouvrages  de  vernis  exigent  des  foins  extrêmement 
fuivis.  On  leur  donne  au  moins  neuf  ou  dix  couches,  qui  ne  fauroient  être 
trop  légères.  Il  fiiut  laifler  entre  elles  un  intervalle  fumiant ,  pour  qu'elles 
puiifent  bien  fécher.  L'efpace  doit  être  encore  plus  confidérable  entre  la 
dernière  couche ,  &  le  moment  où  l'on  commence  à  polir ,  à  peindre  & 
à  dorer.  Pour  tous  ces  travaux ,  un  été  fuffit  à  peine  \  Nankin ,  ^dont  les 
atteliers  fbumiflent  la  cour  &  les  principales  villes  de  l'Empire.  A  Canton 
on  va  plus  vite.  Comme  les  Européens  demandent  beaucoup  d'ouvrages  ; 
qu'ils  les  veulent  aflbrtis  à  leurs  idées,  &  qu'ils  ne  ^nnent  que  peu  de 
temps  pour  les  exécuter;  tout  fe  fait  avec -précipitation.  L'artifie^  forcé  de 
renoncer  au  bon ,  borne  fon  ambition  à  produite  des  effets  qui  poiflent 
arrêter  agréablement  la  vue.  Le  papier  n'a  jamais  les  mêmes  imperteâions» 

Originairement ,  les  Chinois  écrivoient  avec  un  poinçon  de  ter  fur  des 
tablettes  de  bois,  oui,  réunies,  formoient  des  volumes.  Dans  la  fuite  ils 
tracèrent  leurs  caraaeres  fîir  des  pièces  de  foie  ou  de  toile ,  auxqueUes  on 
donnoit  la  longueur  &  la  largeur  dont  on  avoit  befoin.  Enfin  le  fecret  du 
papier  fut  trouvé  il  y  a  feize  fiedes. 

On  croit  cqpimunément  que  ce  papier  fe  &it  avec  de  la  foie.  Ceux  aux- 
quels la  pratique  des  arts  elt  un  peu  Amiliere ,  n'ignorent  pas  qu'il  eft  im^ 
po(fîbIe  de  divifer  fuffifamment  fa  foie  pour  en  compofer  une  pâte  unifor- 
me. C'eft  le  coton  qui  efl  la  matière  du  bon  papier  Chinois,  d'un  papier 
qui  feroit  comparable,  peut-être  même  fupérieur  au  nôtre,  s'il  fe  confer«« 
voit  auffî  long^temps.  ) 

Le  papier  inférieur ,  celui  qui  n'efl  pas  àeS&tké\  récriture,  efl  compofé 
de  la  première  ou  féconde  écorce  du  mûrier ,  de  forme ,  du  cotonier ,  & 
fur-tout  du  bambou.  Ces  matières ,  après  avoir  pourri  dans  des  eaux  bour«* 
beufes,  font  enterrées  dans  la  chaux.  On  les  blanchit  au  foleil,  &  des  chau*- 
dieres  bouillantes  les  réduifent  en  une  pâte  fluide  qui  eft  étendue  fur  des 
claies,  d'oii  il  fort  des  feuilles  de  dix  ou  douze  pieds,  &  même  davan- 
tage. C'efi  de  ce  papier  que  font  formés  les  ameublemens  chinois.  Il  plaît 
finguliérement  par  }es  formes  ^  l'éclat  &  la  variété  que  l'indufirie  a  fçu  lui 
donner*    .  . 

Tome  XL  Qqqq 


«74  C    H    I    N    B* 


Quoique  ce  piptef;  fe  coupe,  qu^il  prenne  Phumidû^;  &  qtie  les  Vers 
rettaqueot,  il  eft  deveni}  un  objet  de  cpminerw.  ;I<'SUrope  a  emjf^miité 
de  r.Afîe  l'idée  d^en  meubler  des  cabinecs,  d'en  compoier  des  paravents. 
Cependant  ce  goût  commence  à  palTef.  Dé'}^  les  papiers  Ânglois  rempla- 
cent ceux  de  la  Chine ,  &  les  banniront  fans  doute  lorsqu'ils  auront  atteint 
Îilus  de  perfeâioo.  Les  François  imitent  cette  nouveauté  ^  &  il  efi  vrai« 
emblable  que  toutes  les  nations  Tadopteront* 

Outre  les  objets  dont  on  a  parlé,  les  Européens  achètent  à  la  Chine 
de  l'encre,  du  camphre,  du  borax,  de  la  rhubarbe,  de  la  gomme  lacque^ 
du.rottin  ,  efpece  de  canne  qui  fert  à  faire  des  fauteuils^  &  ils  y  achecoiem 
autrefois  de  l'or. 

£n  Europe  un  marc  d'or  vaut  à-peu-près  quatorze  marcs  &  demi  d'ar* 


deux  métaux  fe  trouvât  à  peu- près  la  même  dans  les  deux  contrées.  Le 
même  intérêt  fit  envoyer  long-temps  à  la  Chine  de  l'argent  pour  le  troquer 
contre  de  l'or.  On  gagnoit  à  cette  mutation  quarante-cinq  pour  cent.  Les 
compagnies  exclufives  ne  firent  jamais  ce  commerce ,  P^ce  qu'un  pareil 
Ibénéfice ,  quelque  confidérable  qu'il  paroiflè ,  auroit  été  tort  inférieur  à  ce* 
lui  qu'elles  faiioient  fur  les'  marchandifes.  Leurs  agens  qui  n'avoient  pas  !m 
liberté  du  choix ,  fe  livrèrent  à  ces  fpéculatîons  pour  leur  propre  compte. 
Ils  pouiTerent  cette  branche  d'induftrie  avec  tant  de  vivacité»  que  bientôt 
ils  ne  trouvèrent  pas  un  avantage  fuffifant  à  la  continuer.  L'or  eft  plus  ou 
moins  cher  à  Canton ,  fuivant  la  faifon  où  l'on  l'acheté.  On  l'a  à  bien  meil- 
leur marché  depuis;  le  conmiencement  de  Février  jufqu'à  la  fin  de  Mai , 
que  durant  le  refte  de  l'année  où  la  rade  eft  remplie  de  vaifleaux  étran- 
gers. Cependant  dans  les  temps  les  plus  favorables  il  n'y  a  que  dix^huit 
rur  cent  à  gagner ,  gain  infuffilant  pour  tenter  perfonne.  Les  employés  de 
compagnie  de  France  font  les  feuls  qui  n'ayent  pat  fbuflërc  de  la  ceffi- 
tion  de  ce  commerce,  qui  leur  fut  tou|ours  défendu.  Les  direâeurs  (è  ré« 
ièrvoient.exclufivemeat  cette  (burce  de  fbrmne.  Piuiieurs  y  puifoient  ;  maia 
Caftanier  feul  fe  conduifoit  en  grand  négociant.  11  expédioit  des  marchant 
diCes  pour  4e  Mexique.  Les  piaftres  qui  provenoient  de  leur  vsente  «  étoient 
portées  à  Acapulco^  d'où  elles  paiToient  aux  Philippines ,  &  de-là  à  la  Chine 
où  on  les  convertiftbit  en  or.  Cet  habile  homme ,  par  une  circulation  lu* 
mineufe ,  ouvroit  une  carrière  dans  laquelle  il  eft  bien  étonnant  que  per« 
fonne  n'ait  marché,  après  lui. 

'  Toutes  les  nattons  Européeimes  qui  paftent  le  Cap  de  Bonne-Kfpérance  ; 
vont  à  la  Chine.  Les  Portugais  y  abordèrent  les  premiers.  On  leur  céda 
avec  un:  efpace  d'environ  trois  milles  de  circonférence ,  Macao ,  ville  bâ* 
tie  dans  un  terrein  ilérile  &  inégal  ^  fur  la  pointe  d'une  petite  ifle  fituée 


CHINE-  Spf 

i  r^mboiichurc  de  la  rmere  de  Canton.  Ils  obtinrent  la  di(pofition  de  la 
rade  trop  refftrrée^mais  fûre  Si  commode,  en  s'aiFujeccifTant  à  payer  à  VEtoh 
pire  cous  les  droits  d^entrée;  &  ils  achetèrent  la  liberté  d'élever  des  hrtjh 
jfications ,  en  s'engageant  Ji  un  tribut  annuel  de  37,$oo  livres.  Tout  le  temps 

Î|ue  la  cour  de  Liibonne  donna  des  loiz  aux  mers  des  Indes ,  cette  place 
ut  un  entrepôt  célèbre.  Sa  profpérité  diminua  dans  les  mêmes  propor» 
fions  que  la  puiflance  des  rortugais.  Infenfiblement  elle  s'eil  anéantie. 
Macao  n'a  plus  de  liaifon  avec  fa  Métropole  »  &  toute  fa  navigation  (è 
réduit  à  l'expédition  de  trois  petits  bâtimeas,  un  pour  Timor ,  &  deux  pour 
Goa.  Jufqu'en  1744,  les  foibles  reftes  d'une  colonie  autrefois  fi  floriflante^ 
avoient  joui  d'une  efpece  d'indépendance. 

L'aflTaflinat  d'un  Chinois  détermina  le  Vice-Roi  de  Canton  à  demander 
&  fa  cour  un  Magiftrat  pour  inftruire,  pour  gouverner  les  Barbares  deMa«- 
cao  ;  ce  forent  les  propres  termes  de  la  requête.  On  envoya  un  Manda«- 
rin ,  qui  prit  pofleflion  de  la  place  au  nom  de  fon  maître.  Il  dédaigna  ha^ 
biter  parmi  des  étrangers^  pour  lefquels  on  a  tm  fi  grand  méprtsi  &  il  a 
établi  fa  demeure  à  une  lieue  de  la  ville. 

Les  Hollandois  furent  encore  plus  maltraités  il  y  a  près  d'un  fiecle.  Ces  * 
Républicains  qui ,  malgré  l'afcendant  qu'ib  avoient  pris  dans  les  mers  d'A^ 
fie ,  s'étoient  vu  exclus  de  la  Chine  par  les  intrigues  des  Portugais ,  par^ 
vinrent  à  s'en  ouvrir  enfin  les  ports.  Mécontens  de  l'exiftence  précaire  qu'ils 
y  avoient,  ils  tentèrent  d'élever  un  fort  auprès  de  Houaug^pon,  fous  pré» 
texte  d'y  bâtir  un  magafin.  Leur  projet  étoit,  dit-on,  dp  lè  rendre  mal- 
très  du  cours  du  Tigre ,  &  de  fiiire  également  la  loi  aux  Chinois  &  aur 
étrangers  qui  voudroient  négocier  à  Canton.  On  démêla  leurs  vues,  plutôt 
qu'il  ne  convenoit  ï  leurs  intérêts.  Ils  forent  maflacrés^  &  leur  nation 
n'ofa  de  long- temps  fe  montrer  fur  les  côtes  de  l'Empire.  Elle  y  parut 
vers  l'an  1730.  Les  premiers  vaifleaux  qui  y  abordèrent,  étoient  partis  de 
Java.  Ils  portoient  différentes  produâions  de  l^Inde  en  général ,  de  leurs 
eolonies  en  paniculier ,  &  les  échangeoient  contre  celles  du  pays.  Ceux  qui 
les  conduifoient,  uniquement  occupés  du  foin  de  plaire  au  Confeil  de  Ba<» 
tavia,  de  qui  ils  recevoient  immédiatement  leurs  ordres,  &  dont  ils  Bt^ 
tendoient  leur  avancement ,  ne  fongeoient  qu'à  fe  défiiire  avantageufement 
dts  marchandifès  qui  leur  étoient  confiées ,  fims  s'attacher  à  la  qualité  de 
celles  qu'ils  recevoient.  La  compagnie  ne  tarda  pas  à  s'appercevoir  que 
de  cène  manière,  elle  ne  foutiendroit  jamais  dans  fes  ventes  la  concur» 
rence  des  nations  rivales.  Cette  confidérarion  la  détermina  à  fitire  partir 
direâement  d'Europe,  des  navires  avec  de  l'argent.  Ils  touchent  à  Batavia, 
oii  ils  fe  chargent  des  denrées  du  pays  propres  pour  la  Chine ,  &  revien**- 
nent  direôèement  dans  nos  parages,  avec  des  cargaifons  beaucoup  mieux 
compofées  qu'elles  n'étoient  autrefiHs,  mais  non  pas  aufl[i-*bien  que  celles 
des  Anglob. 
De  tous  les  peuples  qui  ont  &it  le  commerce  de  la  Chine ,  cette  na* 

Qqqqa 


»7^  CHINE. 

iioû  eft  celle  qui'Pa  le  jplas  fuivi.  Elle  avbit  une  loge  datts  l^e  de  Chu^ 
fan,  du  temps  que  les  anaires  fe  traicoiem  principalement  à  Emouy.  Lorfr 
que  des  circonf^nces  particulières  les  eurent  amenées  à  Canton ,  Ion  aât- 
vite  fut  toujours  la  même.  L'obligation  impofëe  à  fa  compagnie  d^exporter 
des  étoffes  de  laines ,  la  détermina  à  y  entretenir  affez"^  conAamment  des 
employés  chargés  de  les  vendre.  Cette  pratique  jointe  au  goût  qu'on  prit 
dans  les  pofledibns  Angloifes  pour  le  thé ,  fit  tomber  dans  fes  mains  vers 
la  fin  du  dernier  fiecle  prefque  tout  le  commerce  de  4a  Chine  avec  l'Eu- 
rope. Les  droits  énormes  que  mit  le  gouvernement  fur  cette  confomma* 
lion  étrangère ,  ouvrirent  les  yeux  des  autres  nations ,  de  la  France  en  par* 
ticulier. 

Cette  Monarchie  avoit  formé  en  1660  une  compagnie  particulière  pour 
ce  commerce.  Un  riche  négociant  de  Rouen,  nommé  Fermanel,  étoit  ï 
la  tête  de  l'entreprife.  Il  avoit  jugé  qu'elle  ne  pouvoit  être  exécutée  utile- 
ment qu'avec  un  fonds  de  deux  cents  vingt  mille  livres ,  &  les  foufcriptions 
ne  montèrent  qu'à  cent  quarante  mille  \  ce  qui  fut  caufe  que  le  voyage  fut 
malheureux.  L'éloignement  qu'on  avoit  naturellement  pour  un  Empire,  qm 
se  voyoit  dans  les  étrangers;  que  des  hommes  propres  à  corrompre  les 
maurs,  à  entreprendre  (ur  ià  liberté,  fut  confîdérablement  augmenté  par 
les  pertes  qu'on  avoit  faites.  Inutilement  les  difpofitions  de  ce  peuple  chan- 
gèrent vers  l'an  1585,  ^  ^^^  ^^^^^  ^^  manière  dont  nous  étions  traités. 
Les  François  ne  fréquentèrent  que  rarement  fes  ports.  La  nouvelle  (bciéré 
qu'on  forma  en  1698,  ne  mit  pas  plus  d'aâivité  dans  Tes  expéditions  que 
fa  première.  Ce  commerce  n'a  pris  de  la  confiftance  que  lorfqu'il  a  été 
réuni  à  celui  des  Indes,  &  dans  la  même  proportion. 

Les  Daiiois  Sa  les  Suédois  ont  commencé  à  fréquenter  les  ports  de  la 
Chine  à-peu-près  dans  le  même-temps,  &  s'y  font  gouvernés  Suivant  les 
mêmes  principes.  Il  efl  vraifemblable  que  celle  d'Embden  les  auroit  adop- 
tés ,  fi  elle  eût  le  temps  de  prendre  quelque  confiftance. 

Les  achats  que  les  Européens  font  annuellement  à  la  Chine ,  peuvent 
s'apprécier  par  ceux  de  1766 ,  qui  font  montés  à  26,754,  494  livres.  Cette 
fomme  ,   dont  le  thé  feul  abforbe  plus  des  quatre   cinquièmes ,  a  été 

£ayée  en  piafires  ou  en  marchandi fes,  apportées  par  vingt-trois  vaiflëaux. 
a  Suéde  a  fourni,  i ,  935 ,  16.8  livres  en  argent  ;  &  en  étain ,  en  plomb,  > 
en  autres  marchandifes,  427,  500  livres.  Le  Danemarc,  2,  161,  630  li- 
vres; &  en  fer/ plomb  ^  &  pierres  ï  fufil,  231,  000  livres.  La  France  » 
4,000,  000  livres  en  argent,  &  400 ^  000  livres  en  draperies.  La  Hollan- 
de,  x  »  7  3  5  ,  400  livres  en  argent ,  44 ,  600  livres  en  lainages ,  &  4 ,  000 ,  i  fo  li- 
vres en  produâions  de  fes  colonies.  La  Grande-Bretagne,  5,  443,  566  li- 
vres en  argent/ 2,  000,  47s  livres  en  étoffes  de  laine,  &  3,  375»  000 li- 
vres, en  pTuûeurs  objets  tirés  de  diverfes  p^rtie^  de  l'inde.  Toutes  ces  (omr 
mes  réunies  forment  un  total  de  26,  754»  494  livres.  Nous  ne  fàifonspas 
entrer  dans  ce  çacûl  dix  miUions  en  argent  que  les  Anglois  cm  pprté  de 


CHINE.  ^77 

plus  que  nous  n'avons  dit;  parce  qu'ils  étoient  deftinés  à  payer  les  dettes 
que  cette  nation  avoit  contraâées,  ou  à  former  un  fonds  cravance  pour 
négocier  dans  Tintervalle  des  voyages. 

11   n'efl  pas  aifé  de  prévoir  ce  que  deviendra  ce  commerce.  Quelque 
paflion  qu'ait  la  Chine  pour  Parlent,  elle  parolt  plus  portée  à  fermer  (es 

J>orts  aux  Européens,  que  difpofee  à  leur  faciliter  les  moyens  d'étendre 
eurs  opérations.  A  mefure  que  l'efprit  tartare  s'eft  âfFoibli ,  que  les  conque* 
rans  fe  font  nourris  des  maxinies  du  peuple  vaincu ,  ils  ont  adopté  fes  idées  ; 
fon  avertion ,  fon  mépris  en  particulier  pour  les  étrangers.  Ces  difpofitions 
fe  font  manifëftées  par  des  gênes  humiliantes ,  qui  ont  fucceflîvement  rem- 
placé les  égards  qu'on  avoit  pour  eux.  De  cette  iîtuation  équivoque  à  une 
expulfion  entière,  il  n'y  a  pas  bien  loin.  Elle  pourroic  être  d'autant  plus 
prochaine,  qu'il  y  a  une  nation  aâive,  qui  s'occupe  peut-être  en  fecrec 
des  moyens  de  l'efFeâuer. 

Lts  Hollandois  voient ,  comme  tout  le  monde ,  que  l'Europe  a  pris  ua, 
goût  vif  pour  plufieurs  produâions  chinoifes.  Ils  doivent  penfer ,  que  l'im« 
poflîbilité  de  les  tirer  direâement  du  lieu  de  leur  origine^  n'en  anéanti- 
roit  pas  la  confommation.  Si  nous  étions  tous  exclus  de  l'Empire,  fes  fu« 
jets  exporteroient  eux-mêmes  leurs  marchandifes.  Comme  l'imperfeâion  de. 
leur  marine  ne  leur  permet  pas  de  pouffer  loin  leur  navigation ,  ils  ne 
pourroient  les  dépofer  qu'à  Java  ou  aux  Philippines  ;  &  nous  ferions  ré^ 
duirs  à  les  tirer  de  l'une  des  deux  nations  à  qui  ces  colonies  appartien- 
nent. La  concurrence  des  Efpagnols  efl  fi  peu  à  craindre,  que  les  Hollan- 
dois feroient  afTurés  de  voir  ce  commerce  entier  tomber  dans  leurs  mains. 
II  éft  horrible  de  foupçonner  ces  Républicains  d'une  politique  fi  baffe  ; 
mais  perfonne  n'ignore  que  des  moindres  intérêts  les  ont  déterminés  à  des 
aâions  plus  odieufes.        . 

Si  les  ports  de  la  Chine  étoient  une  fois  fermés,  il  efl  vraifemblable 
qu'ils  le  feroient  pour  toujours.  L'obflination  de  cette  nation ,  ne  lui  per* 
mettroit  jamais  de  revenir  fur  fes  pas,  &  nous  ne  voyons  point  que  la  force 
pût  l'y  contraindre.  Quels  moyens  pourroit-on  employer  contre  un  Etat 
dont  la  nature  nous  a  féparés  par  un  efpace  de  huit  mille  lieues  ?  Il  n*efl 
point  de  gouvernement  aflez  dépourvu  de  lumières,  pour  imaginer  que  des 
équipages  fatigués  o(affent  tenter  des  conquêtes  dans  un  pays  défendu  par 
un  peuple  innombrable ,  quelque  lâche  qu'on  fuppofe  une  nation  avec  la- 
quelle les  Européens  ne  fe  font  point  mefurés.  Les  coups  qu'on  lui  porte- 
roit  fe  réduiroient  à  intercepter  fa  navigation  dont  die  s'occupe  peu  &  qui 
n'intéreife  ni  les  commodités  ni  fa  fubfiflance. 

•  Cette  vengeance  inutile  n'auroit  même  qu'un  temps  trop  borné.  Les 
vaifTeaux  deflinés  à  cette  croifiere  de  piraterie ,  feroient  écartés  de  ces  pa- 
sages  une  partie  de  l'année  par  les  mouçons ,  &  l'autre  partie  par  les  tem- 
pêtes nommées  typhons ,  qui  font  particulières  aux  mers  de  la  Chine. 
Hiftoirc  Philofophiquc  &  Politique  du  Commerce  &  des  EtabUJemtns  des 
Européens  dans  les  deux  Indes. 


4yt  C  H  O  P  P  I  N,    (  Htné) 


CHOPIN,   (René)  fameux  Ligueur^  &  Auteur  PoUti^ut. 

Jv^NÉ  CHOPPIN,  né  dans  le  mob  de  Mai  1^37,  aii  Bailleul, 
village  auprès  de  la  Flèche  en  Anjou ,  fut  Avocat  au  Parlement  de  Pa« 
ris,  &  mourut  dans  cette  capitale  le  a  de  Février  %6o6.  Il  avoit  obtenu 9 
en  i$78«  de  Henri  III  des  lettres  de  nobleflè,  pour  avoir  publié,  en  1574» 
un  Traité  du  Domaine  du  Roi ,  qui  eft  encore  aujourd'hui  eftimé  ;  il  ob- 
tint mille  piftoles  pour  la  première  partie  de  fes  Commentaires  fur  la  cou* 
tume  d'Anjou.  Parmi  les  ouvrages  de  ce  Jurifconfulce  imprimés  en  cinq 
volumes  in*folio  en  Latin  &  en  François,  on  trouve  un  Traité  de  la  ju« 
rifdiâion  eccléHaftique  concentieufe ,  fous  ce  titre  :  De  facré  poluiA  fortn* 
fi.  Paris ,  1 577  in*40  ;  item  ibid  1 589  in-folio  ;  item ,  editio  tertia^ibid  1601 
in-folio  ;  item  ,  traduit  en  François  par  Jean  Tourner,  Paris,  16 17  vor^^. 
Ce  traité  efl  aflez  bon ,  mais  le  ftyle  en  efl  ampoulé  &  peu  intelligible  1 
ce  qui  a  fait  comparer  Choppin  au  Jurifconfulté  Tubéron ,  qui  avoit  af- 
feâe  un  langage  ancien. 

Cet  écrivain  s'engagea  dans  la  Ligue  qui  défola  fi  long-temps  la  France 
^us  Henri  III  &  ibus  Henri  IV,  dans  ces  jours  malheureux  où  le  faux 
sele  de  la  religion  montra ,  aux  yeux  des  François ,  toute  l'horreur  de  Hn* 
fidélité  &  de  la  révolte.  Il  s'y  engagea  avec  fureur,  &  il  publia,  en  1^91 , 
un  livre  contre  le  Roi  &  contre  le  Parlement,  qui  fut  imprimé  à  Paris 
chez  Guillaume  Bichon ,  rue  St.  Jacques ,  fous  ce  titre  :  Dt  Fontificio  Gre* 
gorii  XIV  ad  Gallos  Diplomate  y  Senatufconfultis  Parifienfibus  à  critica» 
rum  notis  vindicatio  gratulatoria  oratio.  Paris,  1591  in-4,0.  Dans  cet  ou* 
vraee ,  Choppin  ne  craint  pas  de  foutenir  que  la  Couronne  de  France  eft- 
élçâive ,  &  ofe  non-feulement  mettre  en  doute  l'indépendante  de  nos  roîi 
de  toute  puiflance  fur  la  terre,  mais  livrer  leur  fouveraineté  à  Pambition 
démefurée  du  Pape  de  ce  temps-Ui.  De  ce  principe  :  Chriftus  dédit  Petro 
poteftatcm  condonandi  peccata^  il  tire  cette  conclufion  :  Ergo  Papa  Grt'* 
gorius  Sfondratus  XIV  habet  poteftatem  deturbandi  Henricum  de  fuo  folie 
^  dandi  regnum  Franciœ  in  prœdam  primo  occupanti.  Pour  ibutenir  cette 
horrible  conféquence  par  une  autorité  aulli  miférable  que  la  conféquence 
même ,  il  y  rappelle  ces  vers  où  Virgile ,  parlant  de  la  deftiné^  des  difB* 
sens  peuples ,  exalte  celle  des  anciens  Romains  nés  pour  gouverner  l'Unie 
vers  :  Tu  regere  Imperio  populos ,  Romane ,  mémento. 

Jean  Hotman,Sr.  de  Villiers,  répondit  à  Choppin  par  un  ouvrage  ano- 
nyme ,  en  ,fiyle  macaronique ,  dans  lequel  Choppin  eft  fort  maltraité.  Cer 
ouvrage  a 'pour  titre  :  Anti  Choppinus^  imd  potius  EpiBola  congratulato^ 
ria  magiftri  Nicodemi  Turlupini  ad  M.  Renatum  Choppinum ,  fanSœ  unio^ 
nie  Hifpan-'Itale^  Callicœ  Advocatum  incomparàbilijjimum  in  fuprtmd  Cu^ 


C  H  O  U  -  K  I  N  G.  ^79 

rU  Parlamenti  Pafifitnfis  p  data  Turonis  %j  Augufti  t^$tf  anno  â  Li^ 
gâ  nati  fcptimo   &  ftcundàm  alios    quinto  *  dccimo   calculo   Grigoriam 

De  Thou  nous  apprend  que ,  lorfqu'après  la  réduâion  de  Paris ,  on  fie 
fortir  de  la  ville  ceux  des  Ligueurs  qui  s'ëroient  portés  à  de  plus  grands 
excès ,  Choppin  qui  étoit  prelque  le  2iedhAvocat  qui  fût  ligueur ,  &  qui 
avoit  compoié  &  publié  fous  fon  notn ,  dans  le  temps  des  troubles,  quel* 

Sues  libelles  contre  le  Roi  &  contre  le  Parlement  féant  à  Tours ,  eut  or-* 
re  de  fortir  de  Paris  ^  mais  que  l'eftime  qu'on  avoit  pour  fa  grande  ca* 
pacité  &  les  prières  de  fes  amis  firent  révoquer  Tordre.  L'ouvrage  de  cet 
Avocat  fut  condamné  au  feu  par  un  arrêt  du  Grand-Confeil ,  &  brûlé  par 
la  main  du  bourreau  ;  &  fk  remme  «  aufli  bonne  ligueufe  qu'il  étoit  bon 
ligueur t  perdit,  dit-on ,  abiblument  l'efprit,  le  jour  même  que' Henri  IV 
rentra  dans  Paris. 


CHOU-KING,  Livn  facrc  des  Chinois  qui  renferme  les  fondemens 
de  leur  ancienne  hiftoire^  les  principes  de  leur  morale  &  de  leur  gouyet-» 
nenunt. 

V^  E  T  ouvrage  a  été  recueilli  par  Confiicius.  Le  P.  Gaubil  »  jéfuire ,  l'a 
traduit  &  enrichi  de  notes  :  M.  de  Guignes  a  revu  &  corrigé  la  traduâion , 
il  y  a  joint  i^.  un  difcours  préliminaire ,  qui  conrient  des  recherches  fur 
les  tems  antérieurs  au  Chou*idng;  %^.  une  notice  de  PY-king,  autre  livre 
facré  des  Chinois.  Cet  ouvrage  a  été  imprimé  en  françois,  in^^io.  à  Parin 
chez  TilUard,   1770. 

Dans  la  Préfiice  M.  de  Guignes  obferve  que ,  fur  la  fin  du  fiecle  dernier  ^ 
le  P.  Gaubil  envoya  à  Paris  la  traduâion  qu'il  avoit  faite  du  Chou-king  ; 
M.  de  Lifle  en  tira  une  copie  qu'il  mit  dans  la  bibliotheoue  du  Roi  de 
France  :  la  féconde  copie  eft  parvenue  à  M.  de  Guignes;  il  l'a  revue»  con* 
frontée ,  il  l'a  beaucoup  abrégée  pour  lui  rendre  le  iaconiiine  fententieuz 
de  l'original. 

M.  dç  Guignes  dit  quHl  n'a  pas  ofé  fupprimer  les  répétitions ,  mettre  plus 
d'ordre  dans  Tes  chapitres ,  &  retrancher  certaine^  expreifions  fingulieres  qui 
fe  trouvent  dails  Poriginal  ;  il  a  feulement  ajouté  des  fommaires  à  la  tète 
des  chapitres.  Cet  auteur  affure  i^\  que  les  Chinois  ont  autant  de  vénéra«* 
tton  pour  le  Chou-king ,  que  les  Juifs  ot  tes  Chrétiens  en  ont  pour  la  Bible. 
C'efl  le  livre  dans  lequel  les  Empereurs,  les  miniftres  &  le  peuple  vont 
s^nfiruire  de  leurs  devoirs  ;  i^.  les  Chinois  ont  Giit  comme  les  Juifs ,  ils 
cmt  compté  tous  les  caraâeres  du  livre  fiicré  ;  ceux  du  Cbou*king  mon- 
tent à  25,700. 

Lt%  Empereunr  Chinois  ont  fait  grarer  ce  livre  fur  les  momimens  publics  \ 


58o  CHOU-KINO. 

cependant  ce  Volume  n^eft  pas  entier  ;  Pon  y  trouve  des  chapitres  qui  ne 
font  que  des  fragmens  ;  &  Pon  y  reconnoit  plufieûrs  lacunes. 

Le  Chou-king  prefcrit  par^tout  la  vertu»  rattachement  le  plus  inviolable 
au  fouverain,  comme  à  une  perfonne  mifè  fîir  le  trône  par  le  ciel ,  dont 
il  tient  la  place  fur  la  terre;  il  ordonne  un  {^ofbnd  refpeâ  pour  le  culte 
religieux;  la  plus  parfaite  foumiffion  aux  loix,  &  une  aveugle  obéiflànce 
aux  magiftrats  :  Pon  y  trouve  encore  les  obligations  du  (buverain  envers 
les  peuples,  &  celle  des  peuples  envers  le  fouverain,  à  qui  cet  ouvrage 
accorde  à  peine  quelques  délaflemens.  • 

M.  de  Guignes  obferve ,  qu'Eufebe ,  dans  le  livre  VL  de  fa  Prépara^ 
tion  évangiliquc ,  fait  un  éloge  pompeux  de  la  juftice  de  la  chafteté ,  & 
de  la:  fagelTe  des  Séres  ou  Chinois M.  Paw,  dans  les  deux  volu- 
mes m*  12.  qu'il  a  publiés  y  fous  le  titre  de  Recherches  fuf  les  Chinois 
&  fur  les  Egyptiens ,  foutient  au  contraire  que  les  Chinois  n'ont  ni  théorie  • 
de  vraie  morale ,  ni  politique ,  ni  vrais  principes  fur  les  arts  &  fur  les 
fciences  ;  il  les  accufe  d'être  infanticides ,  très*mauvais  calculateurs  ^  &c.  Pline 
le  naturalifte ,  dans  le  livre  VI.  chap.  xx.  loue  beaucoup  les  Chinois ,  &  il 
ne  les  blâme  qu'en  ce  qu'ils  ne  commercent  point  avec  les  étrangers ,  ou 
s'ils  commercent  ils  le  font  en  gardant  le  (îlence ,  &  la  bonne  foi.  M.  de 
Guignes  dit ,  que  c'eft  encore  le  caraâere  des  Chinois.  M«  Pav  eft  d'un 
avis  très*oppo(ë. 

Le  Chou-kmg  ne  défend  pas  précifément  le  commerce  avec  les  étrangers;' 
mais  il  dit  ^  qu^il  rCy  a  que  Us  fages  que  Pon  doive  s^empreffer  de  recevoir. 

Quoique  le  Chou«king  ne  nous  apprenne  rien  de  nouveau ,  cependant  on 
eft  bien  aife  d'y  vérifier  quelles  étoient  les  mœurs ,  les  ufa^s ,  la  manière 
de  penfer  &  de  s'exprimer  il  y  a  9000  ans;  &  fur-tout  quel  efl  Pédifîce 
de  cette  politique  qui  fait  fubfiller  le  gouvernement  Chinois  depuis  tant  de 
fiecles,  malgré  les  révolutions. 

Si  Conflicius  n'étoit  pas  mort  long-tems  avant  la  feâe  des  floïciens, 
on  croiroit  qu'il  y  a  puifé  fon  fiyle  concis,  &  fes  maximes  détachées.  Le 
Chou-king  a  été  compolë  par . Confucius  ^^o  ans  avant  l'ère  chrétienne: 
cet  ouvrage  efl  une  compilation  des  livres  que  l'on  regardoit  pour  lors  coni«^ 
me  facrés.  1 

Les  Chinois  prétendent,  que  le  chapitre,  concernant  Yao  qui  vivoit 
2357  ans  avant  Jerus-Chrifl ,  a  été  compofé  par  les  hifloriens  de  ce  Prince: 
mais  le  Chou-king  nous  apprend  au  contraire,  que,  jufques  à  Pan  iizz, 
les  deux  4>remieres  dynaflies  de  cet  Empire  paroifiènt  s'être  bornées  à  un 


fujets  de  l'Empereur  Chinois  qu' 
trôné;  il  leur  donna  de$  loix  vil  les  civilifa  autant  qu'ille  put,  &  il  les 
fit  infîruire. 

Tcheou-Jçoog ,  frère  de  Vou-vaog ,  perfcâionna  l'ouvrage  ;  il  poliça  par- 

£ùtement 


C  H  O  U  •  K  I  N  a  6Zi 

^téthetit  la  aatioti  conquifë  ;  il  en  eft  le  vrai  lé|iflaretir  ;  il  lear  infpira  de 
s'adooner  à  une  philofophie  qui  eft  à-peu«prés^lembUbie  à  celle  d'Ocellt» 
Lucanus;  mais  celle  des  Chinois  eft  moins  par&ite.  parce  que  pour  lors 
refpric  humain  n^écoic  pas  encore  fiiftirammenc  développé. 

Depuis  l'an  1122,  avant  Jefus^Chrifty  jufqu'à  Confucius,  la  Chine  fut 
agitée  par  des  guerres ,.  qui  empêchèrent  la  philofophie  de  s'étendre  ;  mais 
ConfûclUË  raflembla  dans  un  feul  corps  d'ouvrage  tous  les  mémoires  épars  ; 
il  en  forma  une.  efpece  d'Encyclopédie,  unique  monument  de  l'ancienne 
htftoire  de  la  Chine ,  où  la  morale  &  la  politique  ne  font  placées  que.  par 
forme  de  réflexions  à  la  Tuite  des  événemens. 

Il  parbit  ^ue  ies  héros  de  l'ancienne  hiftoire  grecque  ne  font  que  deî 
brigands ,  m^^s  ceux  du  Chou-king  ne  font  occupés  qu'à  taire  le  bonheur  des 
hommes,  à  fe  perfeâionner  dans  la  pratique  de  la  vernie  &  à  établir  des 
loiz  fages  pleines  d'humanité  &  de  douceur. 

Il  y  a  peu  d'ordre  dans  le  Chou-king ,  Pon  n'y  rapporte  des  traits 
d'hiftoire  détachés  que  de  vingt  Empereurs  :  cette  hiftoire  ancienne  eft 
imparfaite  :  on  commence  par  donner  une  notice  d'Yao  &  de  Chun,  en- 
fiiitè  oh  Vient  à  la  première  dynaftie  npmmée  ffya  ;  Conliiciut  ne  parle 
que.  de  cinq  Empereurs  ;  leurs  douze  fuccefleurs  font  omis. 

La  féconde  dynaftie  eft  compofée  de  vingt-huit  Empereurs  ;  mais  l'oa 
n'y  &it  mention  que  de  huit  de  ces  fouverains. 

Dans  la  troifieme  dynaftie,  qui  commence  à  Ping-Van,  qui  régnoit  770 
ans  avant  Jefus-Chrift,  il  n'eft  queftion  que  de  ùx  Empereurs  ;  l'on  y 
garde  un  profond  ûlence  fi}r  les  huit  autres. 

;  En  général,  l'on  n'y  fixe  ni  époque,  ni  date,  ni  la  durée  des  règnes: 
i  regard  de  quaife  ou  cinq  Princes,  l'on  y  défigne  les  jours  &  non  pas 
les  années  de  leur  adminiftration.  Pluîleurs  auteurs  Chinois  ont  imitié  Con« 
Ibcius  fur  ces  articles^ 

M«  de  Guignes  a  fuppléé  aux  omiftions  de  Confucius ,  en  joignant  à  la 
traduâion  du  Chou-king,  des  notes  extraites  du  T$ou*Chou,  ouvrage 
compofé  avant  l'incendie, des  livres,  qui  arriva  297  ans  avant  J.  C.  :  il  a 
extrait  également  des  notes  du  Kang-Mo,  ouvrage  précieux,  qui  fait  con« 
nokre  les  incertitudes  de  la  çhroiiologie  Chinoife;  &  M.  de  Guignes  .a 
ëealemem  extrait  plufi^rs.  notes  du  diéUonnaire  Tching-xfe-tong  &  du  to* 
kme-tou  c'eft-à*dire ,  du  recueil  des  figures  qui  fe  trouvent  dans  les  King , 
cyù  l'on  a  gravé  les  habits  1  les  vafes ,  les  figures  &  le  détail  des  Cérémonies  : 
enfin,  c^efi  de  ce  deitûier  puvrage  que  M.  de  Guignes  a  tiré  quatre  cartes 
iqu'il  a  inférées  dans  1§  Chpu-king,  conformément  aux  éditions  Çhinoifes. 
..  A  l'égard  du. ftyte  du  Chou-king,  les  Chinois  difent,  qu'il  eu  de  l'an* 
cîenne  cpn>p^fition,  &  qu'il  furpane  en  fimplicité,  en  noblefle  &  en  élé- 
vation',.  tout  autre  ftyle,  parce  qu'il  dit  beaucoup  en  peu  de  roots;  il 
eft  fententieux  :  l'on  y  voit  régner  la  vérité  dans  les  idées ,  &  l'élégance 
duns  l'expreftion  :  foMvent  les  membres  d'une  phrafe  du  Chou-king  nmen( 

Toau  XI.  Rrrr 


iti  ^     CHaU-KING. 

enfemble ,  &  A>flit  antî-thétii]ues  ^  par  exemple ,  fo^goei ,  g^^ù ,  c^eft4<« 
dire,  non  tinttnii  advcnit  timor^  les  moins  peureux  ont  fouvenc  peur, 

Tça  6hen^  Kiàng^tcki  pi-^^ang 
Tço  po^hcn  ^  Kiang^tchk  pé-yang^ 

c'eft-à-dire  »  celui  qui  fik  le  bien  eft  accablé  de  biens ,  celui  qui  fait  le 

mal  eft  comblé  de  maux. .  • 

langue  Chinoife, 

tems  &  de  per« 

q^c  ^  Chinois 

ibnt  privés  des  moyens  que  noiik  employons  pour  rendre  Je  ftyle  clair.  Si 

Ton  avoit  voulu  traduire  littéralement  Le  fécond  exemple  que  nous  venons 

de  citer ,  il  endroit  dire  : 

Fairt  bien  ^arriver  lui  cent  bonheurs  \ 
Faire  non   bien ,    arriver  lui  cent  malheurs. 

fl.eft  évident,  que  Tabfencë  des  formés  grammaticales  rend  le  fiyle 
Chinois  fentencieux  ;  parce  qu^ils  généralifent  les  idées  que  nous  attribuons 
)Pla  première;  féconde  ou  ttoiiteme  perfbnne  particulière. 

Les  Chinois,  dans  le  Çhou<>ktng,  ainfi  que  les  Hébreux,  dans  la  Bible» 
&  tes  Arabes,  dans  PAIcoran,  rimem  (buvent  leur  profe  à  la  fin  ou  au 
milieu  de  chaque  phrafe.  On  fait  que  prefque  tous  les  ancien^  peuples  em- 
ployoient  la  rime  &  la  mefure  pour  &ire  chanter,  &  retenir  tes  infinie^* 
tiôns  qu'ils  donnoient  en  profe  :  tous  les  ancitens  écrits-  font  laconiques; 
ils  ne  contiennent  que  Vindicétioii  des  faits*  :  à  ce  fiyle  p*àrttculier  notts  les 
diftinguons  des  ouvrages  fuppofës.  ' 

Les  anciens  Chinois  écriyoient  en  fimple  table  chronologique  ;  les  moder* 
nés  ont  confervé  ce  goût  pour  le  laconifme  &  fur-tout  dans  Phifloire. 

M.  de  Guignes  rapporte,  que  tes. anciens  Égyptiens  fbr<^ent  leur  fbuve^ 
i^ain  d'entendre  chaque  jour  rhiftoire  de  leur' Etat.    Kbus  ajoutons,  que  les 
ëuples  feroient  heureux ,    fi  les  ?  Princes  tifoient  hâbituettement  aiwnoins 

r  gazettes ,  &  s^ik  permettotieiit  dY  dévoiler  la  véritéi 
"'Chaque  fouvéraih  des  deu3t  premières  dynafties  de  la  Chiné,  an^ojent  an 
moins  deux  hifloriens,  Ji^un  pour  écrire  les  paroles  &  raUtre  pou?  décrire 
lesaéHons  du  Prince  :  dans  là  fuite ^  Ton  ajouta  deux  autres  hiffcoriens,  ils 
écriveient  fîdékment  le&  annales  ;  ils  difoienr  ta  vérité,  ^mis  au ^péril  dt 
leur  vie;  ils  étoient  auifî  confîdérés  que  te  ptenner  rainiftr^  V -qu^l^^^ 
ils  étoient  grands  prêtres.  •  .  Les  guerres  civiles,  qui  arrtVeréM^  dans  la 
Chine  \  Cinq  ou  fix  cents  ans  avant  Jefbs-Chrift,  llrènt  rj^gliger^  ces  v^ages 
&  ces  précautions  :  bien  plus.  Pan  2rj  avant  J.  C.j  PEnfjpC^euî* Chi-Afôang- 
*î,  voulant  changer  le  gouvernement,  fk  brûler  tout  ce  qu'il  pïit  ti'ouver 
de  livres,  &  quatre  ou  cinq  cents* lettrés  qui  s'étoient  retirés  dans  les  mon*- 


i 


CHOU-KING.  69} 

Agnes  pour  leg  coaferveri  mais  trente-fepc  ans  après  cette  perfécution, 
l'Empereur  Ven-ci  fie  rechercher  les  livres  qui  avoienc  échappé  à  cet  iôcen^- 
die^  il  rétablit  les  charges  de  grand  hiflorien,  &  Se-ma-tfien  qui  en  fut 
revêtu,  97  ans  avant  1*.  C,  raflèmbla  tous  les  fragmens  qu'il  put  trouver; 
il  en  çompofa  une  iiiftoire  générale  de  PEmpire  ;  il  ferma  un  fyftéme  de 
chronologie  qui  fut  contredit  dans  la  fuite  par  d'autres  hiAoriens. 

Les  Chinois  ont  ajouté  au  recueil  de  Se^ma-cfieo  celyi  de  chaque  dynaftie; 
&  ce  beau  monument  renferme  vingt-un  lûftoriens  ^  qui  font  aujourd^ut 
confervés  dans  la  bibliotheqiie  du  Roi  de  France  ;  c^ft  l'hiftoire  authentique 
4es  Chinois ,  &ite  par  des  hiftoriens  pubfics  :  Ton  y  trouve  toutes  les  nou^ 
velles  inventions  dans  les  arts  &  dans  les  fciences  :  mais  ce  bcêu  recueil 
ne  commence  qu'environ,  deux  fiecles  avant  l^re  des  chrétiens. 

Après  cette  première  claflè  d'hifioriens,  les  Chinois  admettent  les  livres  de 
chroniques  ctei  &mtUesties  fouverains  :  celle  qu^a.  compofée  Contîtcius  fert 
:4e  modete. 

r  Dans  le  feptSeme  fiecte  de  l'ère  dtrétieoDe,  00  rétabKl  la  charge  d'hi^ 
torien  de  l'intérieur  du  Palais  ;  on  la  donna  à  une  femme;  dans  la  fuite', 
on  publia  beaucoup  de  mémoires^  mais  ils  furent  revus  par  leis  miniftres  & 
par  1^  favans.  Les  Chinois  ne  recdmioîflent  pour  autheniiques  que  lek 
hiftoriens  du  premier ,  du  fécond  &  du  tmifieme  genres  dont  nous  venods 
de  parler.  Les  auteurs,  qui*  ont  écrit  Êms^y  être  autorifés  par  le  gouverne- 
ment, font  nMÎns  confkwrés. 

Les  Chinois  rangent  dans  la  fisptieme  claflb  det  écrivain^,  ceux  qui'  dtfc 
publié  des  diifertations  critiques  fur  le  caraâere  des  hiftoriens  ;  ou  fur  quel* 

3ues  points  paniculiers.  La  huitième  clofte  eft  réfervée  pour  les  colle6tioifs 
es  r^Iemens,  faits  fous  difKrentes  dynaifties  fur  le  commerce,  les  moti* 

noiea,  &c.        ,  > 

L'Empereur  Kan-hi  fît  faire  comme  Juflinien,  un  code  des  loix  de  fé$ 
i>rèdéc^eur$  ;  il  V  joignit  des  notes  de  fa  snun  en.  écrittltç  jaune ,  qui  eft 
la  côuteiur  de  la  dynameiréignante  :  vt  recwil  eft  dans  la  bibliothèque  dit 
JS^oi  de  France.  Dans  la  neuvième  &  la  dixième  clafTe  des  auteurs-  amhen- 
fiques ,  les  Chinois  coftiprennent  l'hiftoire  de  tous  les  officiers  publics  &  les 
ordonnances  décernées  contre  les  criminels. 

'.  Les  Cbitiois  font  richeren  ouvrages  de  géographie  ;  ils  ont  décrit  avec  k 
|)lu$  grande  exsâitade  leur  pays  ^  mais  ils  ne  fàvent  point  faire  les 'cartel 
«exiges;  :  eUe»^  otatienneas  un  amas  dé  floms»  qui^lt  au  nord  oa  au  fud 
4u<oi*s  des  fleuves ,'  ou  de  h  ligne  de  circonfcription  de  chaque  province: 
ibus  l'Empereur  Kah*hi  on  fit  la  ddcription  de  la  Chine  ;  elle  contient 

Îlus  de  trois  nulle  Volsmes  in-felio ,  qui  font  auffi  dans  la  bibliothèque  du 
Loi  de  France;  l'on  y  voit  les  plans  des  villes  principales  &  des  menu^ 
mens,  dés  pabis»  des  principales  montagnes,  l'état  du  ciet  otfdeii  étoiles, 
«'dativeitient  à  la  province:;  une  lutte,  des  événement  remarquables  ;  le  noni 
dfs.magtftrats  i&  jdes  femmes  quà  &  Ibat*  diftinguées  dans  les  ato  <ft  dàds 

Rrrr  % 


/ 


\ 


i 


CHOU-KIÏfa 

les  fciences.  Enfin ,  Ton  y  donne  nàRairc  de  chaque  -  province ,  depus 
Torigine.  de  la  monarchie  jufques  au  règne  de  Chan-bi. 

La  douzième,  la  treizième  &  la  quatorzième  clafle  des  livres  hiftoriques, 
contiennent  les  livres  de  généalogie ^  les  calendriers,  la  connoillancè  des 
familles ,  les  tablés  chronologiques ,  &  les  DiéHonnaires  hiftoriques. 
.  Les  Chinois  font  réimprimer  de  tems  en  tems  la  coUeâion  des  petits 
ouvrages  curieux ,  qui  pourroient  fe  perdre  :  le  Roi  de  France  poflede  un 
recueil  qui  contient  x^ent  quatre-vingt-quinze  ouvrages  de  cette  eipece. 

En  général ,  les  Chinois  divifent  tous  leurs  livres  en  quatre  claifes,  i^. 
en  livres  (acres  ^  dans  lefquels  ils  comprenent  tout  ce  qui  a  rapport  à  l'étude 
du  langage  ;  la  2®  renferme  les  hiiloriens  ;  la  3*  les  philofophes  ;  ta  4^  coo^ 
tient  les  mélanges  de  poéfie  &  d'éloquence ,  6c. 

Quoique  des  favans  foient  chargés  d'écrire  fôparément  Phiftotre  de  dia« 
que  dyna^ie^  qui  ne  parôit  en  public  que  ibus  la  dynaftie  foivante;  ce* 
pendant  la  faveur  dès  Princes ,  la  crainte ,  &c.  engagent  les  hiftortographes 
A  altérer  lef  traita  d'hiftoire  dans  certains  tems,  ce  quôiqi^en  dife  le  père 
du  Halde,  jéfuite,  àdus  fa,  defiription  de  la  CAm< ,' la  chronologie  Chinoife 
n'eft  point  fuivie  &  exaâement  circonllanciée  ;  eHe  n'efl  point  toujours 
vérifiée  par  des  obfervations  aftronomiques ,  &  cette  hiftmrs  n'a  pas  tou- 
;jQ^rs  é^é:  écrite  par  des  auteurs  :  contemporains. 

..j^;$j  lîoi^  examine  leurs  annales,  on  voit  qu'elles  contiennent  environ  foo 
volumes^  dont  il  y  a  quatorze  petits  volumes,  qui  renferment  tous  les  roé- 
^Dipires  hifloriques ,  depuis  Yao ,  )ufquès  vers  l'an  aoo  avant  J.C*: 'tous  les 
.autres  appartiennent  aux  tems  pofiérieurs  ;  parmi  les  quatorze  premiers  volu* 
i^es  il  y  en  a  fept  qui .  ne  contiennent  que  des  tables  généalogiques.  Dans 
4^  Chine  Veni  a  Êiit.uo  abrégé  de  ces  500  volumes  en  cent  petits  livres; 
cette  hiftoire  univerfelle  eft  très-eHimée  par  les  Chinois ,  on  la^  nomme 
.Tonrkien^kang^mà.  .,  .      ^ 

i)  L'hiftoire  depuis  Yao  jufques  au  commencement  de  la  troifieme  dynaf- 
itie  I  c'eft-à-dirts/ pendant  réfpace  de  mille  deux^  cents  treote*(sx  ans,  oc 
contient  x}ue  le  premier  volume;  il  en  eft  de  même  du  fécond  vcjluniei 
qyijie.  contient  que  71;  pages,  &c.  Les  notes  &  les  difcours  moraux  y 
font  plus  confidérables  que  le  tejcte  de  l'ouvrage.  L'kîfioire  de  Iji  troifierae 
^  de  ^la  quatrième  dynaftie ,  jufques  vers  l'an  207  9  avant  J.  C.\  Contient 
^aflif, volumes;  les  autres  quarante^quatre  volumes  contiennent^ lliiftoire , de^ 
^vHS;  ao7  anSf^vapt  J.  C.  jufques  à  l'an  13^'  de  l'ère 'Chrétienne  ;^  une  fi 
grande  difpr^cxportipo,  dans  les*  recueils  faif^oriques,  eft  tme  (M'euve  dénuooF- 
trative ,  combien  il  refte  peu  de  notices  hiftoriques  des  antiquités  Chinoi- 
fesv  d'ailleurs  Ton  y  remarque  peu  d'exaâitnde  dans  les  £iits  &  dans  Itt 
qbfervadons.aftronomiques,  &  quoiqu'en  difent  quelques>fav;asisde  la  Chine, 
leur,  hiftoire  ne  s'accorde  point-  avec  les  obfervations  attronomiquos-;'  en 
effets  dans  le  rccMcil  des  faits  des  douze  preipiers  fiâmes,  il  n'«ift  J|Ktfle 
qnft.  ^>pe  feuie  éclipfçi  énoncée,  d'une  manière  tréi-oblciice  ;  elle  ,eft  rap>- 


C»0  U  •KïltJC  é9^ 

KitéCi^dans  la  page  67  de  la  tradu^bn  du  Chou^king,  par  M.  de  Guignes; 
n  n'y  a  point  remarqué  Pan  du  Regae  de  l'Empereur  Tchong-kangg 
Tous  lequel  elle  arriva,  ni  le  jour  du  cycle:  elle  ne  peut  par  conféquent  écre 
•regardée  comme  Tépoquè  fondamentale  de  la  chronologie  Chiiioife ,  &  les 
aftronomes  Chinois  ne  s'accordent  point  entr'eux  ;  l'un  fixe  cette  éclipfe  à 
l'as  2154,  avant  J.  C.  ;  l'autre  la  met  à  l'an  2007,  &c.  Nous  rapporter- 
tons  le  texte  du  Chou-kiog  à  la  fin  de  cet  article. 

A  l'égard  de  l'obfervation  des  folftices ,  &ite  fous  Yao ,  elle  eft  obfcure 
&  faiis  détail  :  les  aftronomes  modernes  ne  peuvent  pas  s'accorder  pour 
leurs  calculs  fans  partir  d'hypothefés  hafardées  &  incertaines. 

Depuis  le  commencement  de  la  troifieme  dy naftie ,  c'eft «à -  dire ,  de* 
puis  1122  ans  avant  J.  C,  jufques  à  l'an  722  avant  J.   Ç. ,  c'eft-à-dire^ 

{rendant  l'efpace  de  400  ans ,  Ton  ne  cite  aîucune^  éclipfe^  :  enfuhe>  fous 
e  règne  de  Vou-vang ,  vers  l'an  1 1 04  ^  avant  J.  C. ,  l'on  rapporte  une 
féconde  obfervatîon  de  iblftice;  c^  la  première /dit  M.  Preret  dé' l'Aca- 
démie des  infcriptions ,  qui  ait  quelque  certitude  :  de-^là ,  jufques  à  l'an  ^^6 
avant  J.  C. ,  l'on  ne  trouvé  l'indication  que  d'une  feule  éclipfe^  arrivée 
fous  le  règne  de  Yeou^vang.  Voilà  en  détail  toutes  les  obfervations  af« 
tronomiques  des  feize  premiers  fiecfes  de  l'hiftoire  Chinoife;  celles  des 
douze  premiers  fiecles  n'ont  aucune  certitude  ;  elles  ne  peuvent  fervir 
k  fixer  la  chronologie;  &  celles  des  quatre  fiecles  fuîvans  fignifient  p^u 
de  chofe.  ;        '^ 

i  Confticius  eft  le  premier  auteur  qui  ait  marqué  722  ans  zvàtk  J/C;'Ies 
éclipiçs  avec  exaâitude  &  d'une  manière  précile,  &  propre 'à  confirméir 
l'hiftoire  :  depuis  cette  époque ,  jufques  à  l'an  480  avant  J.  C. ,  Confu- 
cius  en  a  rapporté  trente-fix ,  dont  il  y  en  à  trente-une  de  parfaitement 
conformes  au  calcul  aftronomique  :  les  vraies  obfervations  lifh'onotniqueis  des 
Chioois  ne  partent  donc  que  de  722  ans  avant  J.  C«|'-^e  qui  concourt 
avec  l'étabUlTement  de  l'ère  de  Nabonaftàr/  de  laquelle  kM  'aftronomes 
grecs  partoient  pour  le  calcul  de  leurs  obfervations;  cette  -  ^péque  é^oit 
nxée  au  premier  jour  d'une'  année  égyptienne,  qui  avoit  commericé  le  ^6 
Février  de  l'an  747  avant  J.  C. ,  à  midi  fous  le  méridien  de  Bai9j|4(^tie  •: 
il  eft  à  préfumer  que  Confucius ,  auteur  du  Chou-king ,  qui  étoit  né  f*^ 
-ans  avant  J.:  C,  avoir  eu  cohnoifTance*  des  obfervations  affaroiiomiques^ 
laites  à  Babylone,  et  qu'elles  fefvirem!  à  augmenter  le  progrès  de  l'aftro* 
-oomie  k  la  Chine ,  comme  «lies .  a  voient-  £iit>  dans  ht  Gtece  ^  û  eft  *  proba* 
ble  encore  que  les  Chinois  ont  copié  les  obfervations^  des  anciei»  Chat- 
;décns&  dés  Egyptiens  y  €^c; 

-À  l'égaré  des  regôes  dès  empereurs  pendant,  les^  doiize  premiers  fîecles, 
ifaine  tontiennçnt  qu'incertitude;  leur  hiftoire  n'eft  qu'une  (impie  table 
chronologique,  deftituée  de  détails;  par  exemple,  les  uns  .difiint'que 
Fohi' régna  29^2^  d^uttudifebt'9300  ans ^  Savant  J;  Clamais  âfucune'^o* 
que  né  peut  c«if|aterce9  règnes.  .    •  •:•  -;   j:  ,    ;fu         / 


6U  <::HOU-KIN;G- 

L'hiftoire,  depuis  Fohi  jofqties  à  Yao  ^  o^a  été /écrite  qu'après  P^re  chié- 
tienne  ;  tout  ce  que  Vàù  en  peut  conclure,  c'eft  que  ces  Princes  ont  exis- 
té, &  que  leur  prétendue  hifioire  eft  une  &ble  inventée  par  les  bonzes. 
A  regard  des  événettiens  qui  précèdent  Fohi^  c'eft  le  règne  des  élemens 
perfonnifié^ )  les  lettrés  Chinbis  rejettent  tous  ces  temps  mythologiques; 
ils  ne  doutent  notnt  de  Texiflance  d'Yao  &  de  Chun  :  mais  les  hifto- 
riens  Se  *  ma  -  tiien  &  Pan  -  kou  difl^rent  en^^eux  de  deux  fiecles  ;  d^aur 
très  différent  de  trois  (iecles^  dans  certaines  époques  desjpremiers  rois,  ce 
qui  eft  cependant  le  fMrincipal  objet  pour  détennkier  la  fondation  de  leur 
Empire. 

L'iûftoire  des  deux  dynafties  fuivantes,  fitvoir  celle  de  Hia  Se  celle  de 
Chang ,  paroiiTent  aufli  incertaines  que  les  précédentes.  Quelques  hiftoriens 
difent  que  la*dyoftftie  de  Hia  duHi  471  ant:,  d'autres  difent  48a  d'au* 
<res  440  «ns. 

.    la  dynaftie  de  Chtàg^  «ft ,  fuivant  cerr^tts  hiAodena^  de  49^  ans,  d'au- 
tres Itti  donnent  600  sms ,  d'autres  y  64^  «ns.     ! 

Les  hiftoriens  Chinois  varient  ^alecnent  fiir  la  durée  'de  chaque  re* 

S  ne A  cette  iocertittide  de  la  chronolc^e  chinoife^  joignons  la 
érilité  des  détails  vagties  de  l'hiftôire  ;  Ton  n'y  trouve  que  deux  ou 
•crois  évéseiBiens  dans  chacuti ^des  premiers  règnes,  le  refte  eft  un  amas 
de.difi^oucs  moraux.  A  la  fin  de  cet  article  notts  citeroas  :qudques  ex* 
emples. 

iSi  l'on  :COfifidere  les  ambres  fénéalo^ques  des  trois  premières  races ,  on 
voit  qu'ils  (ont  évidemment  &ux  ;  en  effet ,  le  fbndatenr  de  la  troifieme  race 
eft  au  même  degré  de  parenté  du  chef  conmiun,  c^e  cehii  de  la  feconde 
race ,  tandis  que  celui  de  la  troifieme  race  devoit  être  éloigné  du  chef 
commun  de  feiae  générations. 

Dans  le  Chou-(cing  ^  l'on  rapporte  une  defçription  de  la  Chine ,  fous 
Yao;  mftis'fes  détails  paroiflent  impliquer  comfàdtôian. 

Ce  n'efi  donc  .que  Ims  de  la  troifieme  dynaftie-^  ijue  4'htftofre  de  la 
Chine  chaiige  de  race  ;  eUe  eft  phis  déts^tUée  i  il  y  a  cependant  encore  pour 
tort  é$s  regbes ,  dont  l'étendue  eft  incertaine  ;  il  y  a  des  fynchroniimes 
^ne  Ton  ne  peut  pas  Concilier  :  ce  n'eft  que  vers  la  fin  de  la  féconde 
branche  de  cette  troifieme  dynaftie  «  c'(eft-&*dire^  vers  le  règne  do  Pring^ 
van^j  où  finit  le  Ghéurking^,  que  les,  àuteors  foht  d?accord  :  cerce  époque 
remonte  à  .^20  ou>^2A  ans,  avant  J«  C,  &  c'eft  l'année  h  laquelle  Coo-» 
Àcius  commença  tes  annaleé^      : 


que  l'on  ne  pouvott  remomer  avec  certitude 

qu'à  Taki  841  :l'hiAorien  Lîeou*cliou.  ce  fixe  la  certin 

ayant  J.  C.  •'•    :.j:.m  .  •),    . 

L'on  doit  remarquer^  que  *la  troifieme  dynaftie ,;  nommée  iTcheou ,  qm 
commença  à  régner  vers  l'an  11122  avant  J.Ci  «voit  .peis. de  poffid&ms. 


.  CHOU -K  I^^'G.  «87 

L'Empire  Chioffis  ëtoit  alors  divifô  en  petits  royaumes ,  &  ce  n^eft  que 
depuis  rëre  chrëtieoAe  /  que  la  Chine  s'en  accrue  vers  le  midi  &  vers  I'oc« 
cidenc .-l'on  a  formé  depuis  quinze  provinces  des  débris*  de  tous  ces royau- 
met.  La  lifte .  de  tous  les  petits  rois  qui  les  avoient  gouvernés ,  e({  defti'- 
tiiée  4e  filits  &  de-  dates  :  *  le ,  nom  de  ces  petits  Souverains  n'y  efl  pas 
même  toàjoorff  indiqué.  '  L'Empereur  Chi-hoang-ti  ^  qui  fit  brûler  tous  les 
livres  chinois ,  213  ans  avant  1.  C. ,  étoit  un  petit  Monarque  de  la  prin- 
cipauté de  Tfin  \  on  prétend  qu'il  eicepta  Tes  livres  de  la  généalogie  de 
fa  famille,  &  cefux  des  «rts  &  des  fctences  :  mus  il  né  refte  aux  Chinois 
aucmi  de  ces' anciens  livres  V  rhfiloîre  de  la  dynaftie  dé  Tfin  n'çft  ni 
plus  étendue^  ni  plus  fike,  que  celle  des,  autres  dynaftîes;  elle  ne  remonie 
pas  M*délà;  (te'Sôa  ans  avant  T.  C.  A  Pégaré  àt%  dates  chronologiques , 
ce  tie^fur  que  -  warance-quatre  ans  après  la  niort  de  Chi-hoang-ti ,  oue  Se-> 
ina-tfien  raffèmola  lé  pen  de  livres  échappés  à  rincendie^  ce  qui  ett  caufè 
de  la  fiérilité  des  détails  ibus  les  segnes  précédens ,  &  de  l'incertitude  des 
règnes  même.  , 

L'on  doit  obfiîrver,  que  PEmperenr  Tfin  prit  le  nont  de  Chi-hçong-ti  ^ 
ce  qui  figàifiê  k  premkr  jfùuvtrain  Seigneur -y  c'eft  Li-fé^  premier  Miniftre 
de  ce  Printé^  qui  tulMeonfeiUa  de  brûler  tous"  les  livres- 1  parce  que  !e^  écri^ 
Vains  (ont  contraires  aux  tyrans. 

On  étk  que  quarante-quatre  an^  aprës^  la  more  de  €hi-hoang-ti,  Kong-* 
gon-koiié  trouva  le  Chou-kîng  êans  le  creux  d'un  mur;  it  le  publia^  &  il 
y  joignit  titï  Comnà€nfaire.\   •  / 

M.  de  GHiigdts^  dans  la  favante^bréfiice  que  nous  vetidn»  d'atialyfer,  ré^ 
lute ,  dans  les  page^  1  9c  Ir. /les Mifféréns-  (yftémes  de  chronologie  chinoi? 
iè,  qui  font^  reÂonrérIéut'Erapii'eV  les -tins  à  9(6,961,74,8  atisV  les  autres  ï 
&C.W.  de  Guîgnés^  c*ferve^,^uèf  Vhtftorieh  Se-mia-tfien ,  qui  vivoit  97  ans 
avant  J.  C. ,  paflè  dans  la  Chiné  pour  an  menteur.     -  *  '' 

Il  réfuhe  de  ces  détails  ^  que  l'hiftoire  de  la  Chine  ne  doi^  npint  être 
préfën^  à  celle  des  autres  nations  qui  oint  écrit;  que  les  Othmis*  délirent 
&  ne  s'accordent  point  fur  la.  durée  de  leur  Empire}  &  que  l'on  ne  doit 
Rr#  cette  hiftoire  ^  qu'avec  circônfpeftion.- 

M.  de  Guignes,  dans  la  préface -du- Chou*  liHg  ^b^ferv^tiicôre,' au  fujA 
des  aâiohs  des  premiers  rpis,  que  dans  le  Chou-king,  &c.  l'on  attribue  à 
dix  Princes  diflérens  les  n[lémes  inventions  &  les  mêmes  réformes.  Les 
Chinois  difent ,  que  Yong-tching-chi ,  chef  de  la  treizième  famille  des 
Chi^  fupprima  les  c^rder^,  qui  fervoient^  alors  *  d'écriture  comme  les  ouig- 
pos  du  Pérou.        ^     ,  .,  -       î 

-\Êat«5  la  page  lxixvj'.,'*'îf;  de  Guignes  nomme*  phifieuf^  rois  dtftôreAs»;  a 
q^ui  ^èn  attribué  rnî^ntièti  'dès  c^raâteres,  de  l'écriture.,  la  civififàtich  des 
peuples^,  l'invention  de  îa^guitarre,  l'invention  du  feu  pour  cuire  Ie$  vian- 
des ,>  les  loiX'fu¥  le  mâr&ge,  les  balances,  les  poidsj  la' perception  des^  tail- 
les »- la  botanique,  la  médeeifle,  â^./ 
••1 


« 

V 


^8  CHOU  -KIN  G. 

Avant  aue  de  finir  cet  article,  je  dois  ajouter  qu^lqtie^  dbfervatioos  fur 
les  préjuges  des  Chinois  ;  elles  font  répandues  dans  le  Chou*king ,  dans  Ly- 
king,  &c.  Les  Chinois  croient  que,  dans  les  premiers  temps,  le»  hom« 
mes  avoient  le  pouvoir  divin  ou  magique,  de  fe.'métamorpholer,  de  fe 
faire  yoiturer  dans  les  ^rs  fur  des  chars  trahies  par  d^s  cerfs jallés  :  qiie 
rëmpereur  Tcho«yong ,  onzième  de  fa  race,  inventa  la  mufique ,  donc  le 
charme  pénétroit  tout  :  Tchu-fiam-chi ,  quatorzième  Empereur,  fit  une 
guitarre  a  cinq  cordes  pour  remédier  aux  dérangemens  de  Punivers,  4tc 
pour  conferver  tout  ce  qui  a  vie.  Ching*nong  inventa  une  guitarre  qui 
calmoit  U  concupifcence  &  les  pallions.  L'Empereur  Yn-kang-:.chi,  voyant 
flue  les  fleuves  du  royaume  ne  s'écouloient  points  ce  qui  occalionnoii  quao: 
tité  de  maladies,  infiitua  les  danfes^  nomipées  ra-yoi/ ,  qui  appaiferent  les 
maux.  Dans  Li^ki ,  ouvrage  moral ,  on  fputient  que ,  dans  un  règne  pai« 
fible,  Ton  ne  voit  point  de  maladies,  mais  que^  fous  un  méchant  roi,  tout 
eft  en  défordre  ;  l'on  ajoute  que  l'on  peut  juger  d^un  règne  par  les  dan« 
(es  qui  y  (bnt  en  ufage ,  &  l'on  peut  connoitre  la  vertu  d'un  .hpiiime  pac 
ta  manière  dont  U  touche  le  luth,  ou  dont  il  tire  de  l'arc.  .       ,. 

Les  Chinois  écrivent ,  que  Kong-kong ,  premier  Miniftre  de;  Fo^hj ,  dit* 
puta  l'empire  à  pTchou-en-hio ,  &  que  défefpéré  de, ne  pouvoir  le  vainoe, 
il  donna  un  coup  '  de  corne  contre  Pou-tcheou  ;  qu'alors  les  colonnes  du 
ciel  en  furent  bridées.;  que  le  ciel  tomba  vers  le  nord^ouefl;^  &>que  U 
terre  eut  une  brèche  vers  le  fud-oueft  ;  que  le  tout,  occàîtonoa  un  délu- 
ge, ce  qui  obligea  Tchou-en-hîo  à  le  fiiire  mourir  :  d'autres  livres,  met- 
tent cet  événement,  fous  Kao^fm  ,  fuccejQTeui!  de  Kpeg-kong,  On  dit  à  la  Chi* 
ne,  que  l'Empereur  Tchi-yeou  avoir  le  corps  d'un  homme,  les  pieds  d'un 
bœuf,  quatre  yeux,  fix  mains,,  quatrervingt^uo  firer^  :  on  lui  attribue 
i'origine  des  révoltes  &  des  tromperies^  On  publie  encore,  que,  (busPem- 
pire  de  Hoang-ti,^  naquit  une  plante  qui  faifoit  découvrir  les  fi>urbes,0Q 
la  nommoitJ:<2/-/iV,  ou  bien  kiu-y.  Enfin  l'on  dit»  que,  dans  les  anciens 
temps,  le  fong^hoan,  qui  eft  le  .phœnix  dçs  Chinois,  fit  fon'nid  dans  le 
palais^     ., 

n  me  refte  enfin  à  donner  une  idée  précife  du  fond,  &  du  fiyle  des 
chapitres  V  qui  compolent  le  Chpu-king. 

C  H  A  P  I  T  R,B     II, 

*  -      •  -  '  -,  .     * 

Chun-iien  pu  la  vie  de    Chtin^ , 

C-     '    '   •■      ■•  ■    '    '■'■    '         \         .:* 

Et  empereur  fuccéda  à,  Yao,  2049  ^^  V^w  J.  jC.  Churi  fit  obfer- 
ver  les  cinq  règles  ou  les  devoirs  des  cinq  étatf,.cisux  des  ;  père»  .envers 
les  en&ns,  ceux  du  roi  &  des  fujets ,  ceux  des  époua(^ceux  des^  vieillards 
&  des  jeunes  gens ,  &  ceux  ^es  amis  ;  il  r^igla  ce  qui  ^oit  n^cefÔiire  fur 
l'inftrumeat  qui  repréfentoit  les  cinq  planées.  Il  reçut ,  en  préfence  de 

fes 


/ 


C  H  O  U  -  K  I  N  G.  ^89 

fes  tributaires,  c^nq  (brtes  de  pierres  prëcieufes  &  trois  pièces  de  foie;  il 
mit  de  l'uniformité  dans  la  mulique ,  dans  les  mefures  &  dans  les  poids  ; 
il  divifa  l'empire  en  douze  provinces.  Four  empêcher  les  eaux  d'inonder 
fes  Etats ,  comme  elles  venoient  de  faire  en  palTant  fur  les  montagnes , 
iU  fit  creufer  des  canaux  pour  faire  écouler  ces  eaux  ;  il  fit  des  loir 
pour  punir  les  crimes^  il  ordonna  que  les  fautes  communes  fulfent  pu* 
nies  du  fouet  ;  il  permit  de  fe  racheter  des  petites  punitions  par  Par-* 
gent  ;  il  ordonna  que  les  juges  puniroient  fans  miféricorde  la  méchance* 
té,  &c. 

Chapitre    IIL 


D 


Ta  yu  mo ,  c'eft-à-dire ,  délibérations  du  grand  Yu^ 


r^ON  V  obferve,  que  la  vertu  eft  la  bafe  du  bon  jgouvernement  :  ce-^ 
lui  qui  elt  bon  adminiflrateur  procure  au  peuple  les  chofçs  néceffaires  à 
fa  confervation , qui  font,  l'eau, le  feu,  les  métaux >  les  bots  &  les  grains; 
il  tâche  enfuite  de  rendre  le  peuple  vertueux  ;  de  lui  procurer  l'ufage  utile 
des  élémens,  de  le  préfêrver  de  ce  iqui  peut  nuire  à  fa  fanté.  Voilà  les  neuf 
objets  que  le  prince  doit  avoir  en  vue;  ces  objets  doivent  être  la  ma- 
tière des  chanions  :  ces  neuf  fortes  de  chanfons  fervent  à  exhorter   &  à 


que  de  s'expofer  à  punir 
où  l'on  enfeignoit  diix  enfims  l'art  de  la  danfe. 

Dans  le  quatrième  chapitre,  qui  renferme  les  préceptes  fur  le  gouver- 
nement, l'on  dit,  fi  un  Prince  eft  véritablement  vertueux,  on  ne  lui  ca- 
chera rien  dans  les  confeils  :  fes  miniftres  feront  d'accord  ;  il  commencera 
par  fe  réformer  lui-même  &  fa  fiunille ,  enfuite  il  réformera  le  royaume 
&  l'empire,  1)  y.  a.neuf  vertus  à  confidérer  :  il  fkut  favoir  unir,  1^.  la 
retenue  avec  l'indulgence  ;  2^.  la  fermeté  avec  l'honnêteté  ;  3^.  la  gravité 
avec  la  firancbife  ;  40.  la  déférence  avec  les  grands  talens  ;  ^ ».  la  confiance 
avec  la  complaifance  ;  60.  U  droiture  &  l'exaâitude  avec  la  douceur;  70. 
la  modération  avec  le  difcernement ;  8<=>.  l'efprit  avec  la  docilité;  90.  Se 
le  pouvoir  avec  l'équité.  Celui,  qui  conftamment  pratique  trois  de  ces 
vertais  chaque  jour,  eft  en  état  de  diriger  fa  famille;  celui,  qui  en  prati- 
que journellement  fix ,  eft  en  état  de  gouverner  un  royaume ,  Oc 

Le  chapitre  troifieme  de  la  féconde  partie  du  Chou-kine ,  a  pour  ritre  : 
Chanfon  des  cinq  frères ,  contenant  la  critique  de  la  conduite  de  Taing* 
kong  :  le  premier  chanta^  voici  ce  qui  efi  dans  les  documens  de  notre  au^ 
0uflc  ayeul  Yu  :  Ayc^  de  la  tendreffe  pour  U  oeupU^  ne  le  méprifii  pat^ 
il  efi  le  fondement  de  HEtat;  fi  ce  fondement  efi  ferme ,  V empire  efi  paifible. 
Cette  chanfon  eft  digne  d'çtre  entendue  des  rois. 

Tome  XL  Sfff 


S^o  C    H    R    É    T    I    E    N. 

•  * 

Le  chapitre  quatrième  eft  intitulé  Yn-tching ,  c^eft-à-dire ,  punition  par 
ordre  de  Yn.  L'empereur  »  20 1 2  ans  avant  J.  C. ,  envoie  déclarer  la  guerre 
à  fes  deux  ailronomes,  nommés  Hi  &  Ha  :  il  ajoute;  »  tous  les  ans,  ï 
9  la  première  lune  du  princems ,  Tfieou-gin  alloit  par  les  chemins  avertir, 


JT  .  '    *  «         ^  -  ''^g®     - 

y  leurs  talens  d'aftronomes;  ils  ont  agi  contre  les  devoirs  de  leur  çhar- 
»  ge  ;  ils  font  fortis  de  -  leur  état  ;  ils  font  les  premiers  qui  ont  mis  le 
V  défordre  &  la  confufion  dans  les  nombres  fixes  du  ciel ,  &  qui  ont  aban- 
»  donné  la  commiffion  qu'on  leur  avoir  donnée.  Au  premier  jour  de  la 
»  dernière  lune  d'automne ,  le  foleil  &  la  lune ,  en  conjonâion ,  n^'ont  pas 
»  été  d'accord  dans  le  Fang,  (  conftellation  chinoife  ),  Taveugle  a  frappé 
»  le  tambour;  les  Officiers  &  le  peuple  ont  couru  avec  précipitation; 
»  Hi  &  Ho,  dans  leur  pofle,  comme  le  Chi,  (  c'efl-à-dire^  comme  Ten* 
»  fànt ,  qui  repréfente  le  mort ,  que  l'on  porte  dans  les  funérailles  )  n'ont 
»  rien  vu  ni  entendu  ;  aveuglés  fur  les  apparences  célefles;  ils  ont  encoom 
»  la  peine  portée  par  les  loix  :  celui  qui  avance  ou  recule  le  temps ,  doit 
»  être  mis  à  mort  fans  rémîflîon  :  aujourd'hui  je  veux  me  mettre  à  votre 
9  tète  &  exécuter  les  ordres  contre  Hi  &  Ho.  <c 

Le  Chou*king  efl  donc  un  recueil  informe  de  traits  d'hifloire  &  de  maxi- 
mes de  morale  &  4e  politique,  c'efl  un  monument  de  fageffe  &  de  folie. 
Tel  efl  l'efprit  humain,  un  affemblage  de  bien  &  de  md. 


CHRÉTIEN. 

p 

t 

REPUBLIQUE     CHRixiBHNS. 

t 

Syjlémt  de  la  République  Chrétienne  imaginé  &  fouunu  par  LeibUitz^ 
dans  f on  Traité  àt  Jure  Suprematûs  ac  Legationis  Frincipum  Gennanix.  (a) 

J^EIBNITZ  prétendoit  que  tous  les  Btats  Chrétiens,  du  moins  ceux 
d'Occident,  ne  Soient  qu'un  corps,  dont  le  Pape  étoit  le  Chef  fpiriniel , 
&  l'Empereur  le  Chef  temporel  ;  qu'il  appartenoit  à  l'un  &  à  Tautre  une 
certaine  jurifdiAion  univerielle;  que  TEmpereur  étoit  le  Général  né,  le 
idéfbnfeur,  VAdyoué  de  TEglife,    principalement  contre 


les   mfiddes,  & 


'  '  (f)  Ctt  ouvrage  que  Leibnitz  coixipoik  à  l'âge  de  trente  ans,  parut  fous  le 
Latin  de  Cefarinus  FarfitMriuép  Yoyet  Taitick  Leubkxtz» 


_  • 

fttti  nom 


C    H    R    É    T    I    E    N.    ^  .^91 

» 

qaé  de-Ià  lui  venoit  le  titre  de  Sacrée  Maje/tc^  &  à  l'Empire  celui  de 
Saint  Empire  i  &  que  quoique  tout  cela  ne  fut  pas  de  droit  divin  c'étoit 
une  efpece  de  fyftéme  politique  formé  par  le  confencement  des  peuples  ^^ 
&  qu'Ù  feroit  à  fouhaicer  quî  fubfiftât  en  ^fon  entier.  Cette  République 
chrétienne ,  dont  l'Empereur  &  le  Pape  font  les  Chefs ,  n'auroit  rien  d'é- 
tonnant ,  fi  elle  étoit  imaginée  par  un  Allemand  catholique ,  mais  elle  Té- 
toit  par  un  luthérien  :  refprit  de  fyfiéme  <iu'il  pofTédoit  au  fouverain  de- 
gré ,  avoit  bien  prévalu  à  l'égard  de  la  religion  fur  l'efprit  de  parti.  Voici 
comment  Leibnitz  explique  &  développe  fa  penfée. 

ConfiituttQn  de  la  République  Chrétienne^ 

E  penfe  que  la  dignité  d'Empereur  eft  un  peu  plus  élevée  qu'on  ne 
croit  communément  ;  que  l'Empereur  eft  V  Avoue  ou  plutôt  le .  Chef, 
ou  fi  l'on  aime  mieux ,  le  bras  féculier  de  l'Eglife  univerlelle  ;  que  toute 
la  chrétienté  ferme  une  efpece  de  République ,,  dans  laquelle  l'Empereur 
a  quelque  autorité ,  d'où  vient  le  nom  de  Saint  Empire ,  qui  doit  en  quel- 
que forte  s'étendre  auffî  loin  que  l'Eglife  catholique  ;  que  l'Empereur  efl 
le  Commandant  (Imperator)^  c'eft*à-dire  le  Chef  né  des  Chrétiens  contre 
les  infidèles  ;  que  c'eft  à  lui  qu^il  appanient  principalement  d'éteindre  les 
fchifmes ,  de  procurer  la  célébration  des  conciles ,  d'y  maintenir  le  bon 
ordre ,  enfin  d'agir  par  l'autorité  de  fa  place  ^  pour  que  l'Eglife  Se  la  Ré- 
publique chrétienne  ne  foufïrent  point  de  dommage.  Il  eft  conftant-  que 
plufieurs  Princes  font  fèudataires  ou  valfaux  de  l'Empire  Romain,  ou  du 
moins  de  l'Eglife  Romaine  ;  qu'une  partie  des  Rois  &  des  Ducs  ont  été 
créés  par  l'Empereur  ou  par  le  Pape  ^  &  que  les  autres  ne  font  pas  facrés 
Rois ,  fans  faire  en  même-temps  nommage  à  Jefiis-Chrift ,  à  l'Eglife  du- 
quel ils  promettent  fidélité ,  lorfau'ils  reçoivent  l'onâion  par  la  main  de 
l'Evéque  :  &  c'eft  ainfi  que  fe  vérifie  cette  formule ,  Chrifius  régnât^  vin-- 
citj  imperat  \  puifque  toutes  les  hiftoires  témoignent  que  la  plvpart  des  peu»- 
fles  de  l'Occident  fe  font  foumis  à  PSglife  avec  autant  d'empreffemenç 
que  de  piété. 

Je  n'examine  pmnt  fi  toutes  ces  chofes  ibot  de  droit  divin.  Ce  qu^l  y 
a  de  conftant ,  c'eft  qu'elles  ont  été  faites  avec  un  confentemenr  unani- 
me, qu'elles  ont  très-bien  pu  fe  faire,  ou'elles  ne  font  point  oppofées 
au  bien  commun  4e  la  chrétienté  ;  car  ftmvefit  lé  falut  des  âmes  &  le 
bien  public  font  l'objet  du  même  foin.  Et  je  ne  f^us  pas  fi,  avec  leur 
oonfcience ,  les  fceptres  des  Rois  ne  font  pas  auffi  foumis  \  PEglife  unt- 
verfeUe,  non  pour  diminuer  la  çonfidération  qui  leur  eft  due,  &  Her  aux 
Princes  des  mains  qui  doivent  toujours  être  libres  pour  admioiftrer  la  jus- 
tice &  gouverner  heureufement  les  peuples;  mais  pour  contenir,  par  une 
plus  gra»ie  autorité ,  ces  hommes  turbulens,  qui,  fans  égard  à  ce  qui  eft  per^ 
mis  ou  ne  Peft  pas,  font  difpofës  à  iacrifier  à  leur  ambition  particulière 

Sfffa 


692  C    H    R    E    T    I    E    N. 

le  fang  des  innocens^  &  poufTent  fouvenc  les  Princes  à  des  a£Bon8  crimi* 
nelles  :  pour  les  contenir  «  disrje,  par  cette  autorité  que  je  crois  réfider 
en  quelque  forte  dans  l'Eglife  univerfelle,  ou  dans  le  Saint  Empire  ^  &  fes 
deux  Chefs  l'Empereur  &  uù  Pape  légitime  ^  ufant  légitimement  de  ùl  puif- 
fance.  Ainfi  à  confidérer  le  droit  ^  on  ne  peut  pas  rëfufer  à  PEmpereur 
quelque  autorité  dans  une  ^ande  partie  d6  l'Europe,  &  une  efpeoe  de 
Primauté  analogue  à  la  Prmiauté  EccléfiafHque.  Et  de  même  que  dans 
notre  Empire  il  y  a  des  réglemens  généraux  qui  concernent  le  maintien 
de  la  paix  publique ,  la  levM  des  fûLfides  contre  les  infidèles ,  l'admimf- 
tration  de  la  juftice  entre  les  Princes  ^eux-mêmes  ;  nous  favons  auffi  que 
l'Eglife  univerfelle  a  fôuvent  jugé  les  caUfes  des  Princes  ;  que  les  Princes 
ont  appelle  aux  conciles;  qu'on  a  prononcé  dans  les  conciles  (ur  leur 
rang. oc  leur  préféahce;  que  des  conciles  ont ,  au  nom  de  toute  la  chré- 
tienté 9  déclaré  la  guerre  aux  ennemis  du  nom  Chrétien.  Et  fi  le  concile 
étoit  perpétuel ,  ou  s'il  exifioit  un  fénat  général  des  Chrétiens  établi  par 
fbn  autorité;  ce  qui  fe  fait  aujourd'hui  par  des  traités,  &  comme  on  dit, 
par  des  médiations  &  des  garanties ,  fe  termineroit  alors  par  l'interpc^tioa 
de  l'autorité  publique,  émanée  des  chefs  de  la  chrétienté,  le  Pape&  l'Em- 
pereur, par  amiable  compofition,  il  eft  vrai,  mais  avec  bien  plus  de  foli- 
dite  que  n'en  ont  aujourd'hui  tous  les  traités  &  toutes  les    garanties. 

Autorité  du  Pape  dans  la  République  Chrétienne. 

X\  O  S  Ancêtres  regardoient  l'Eglife  univerfelle  comme  formant  une  ef- 
pece  de  république  gouvernée  par  le  Pape ,  Vicaire  de  Dieu  dans  le  fpiri- 
tuel ,  &  l'Empereur ,  Vicaire  de  Dieu  dans  le  temporel.  L'Empereur  eft 
effeâivement  appelle  dans  la  Bulle  d'Or,  le  Chef*  temporel  de  l'Eglife; 
&.  il  n'y  a  rien  de  plus  connu  &  de  plus  fi-éouemment  (uppoCé  dans  les 
aâes  publics  &  les  hifioires ,  ^ue  fa  qualité  d'Avoué  de  l'Eglife  Romai- 
ne, c'efl-à«dire ,  de  l'Eglife  univerfelle.  Il  n'y  a  rien  non  plus  dans  cène 


qualité  qui  puifle  révolter  les  Proteftans,  &  leur  faire  ombra^;  parce  que 
PAvoué  de  l'Eglife  ne  doit  (a  proteâion  que  pour  des  chofes  juftes  &  hon- 
nêtes ;  &  s'il  s'efl  par  hazard  gliffé  des  abus ,  on  peut  toujours  y  remé- 
dier. Au  contraire ,  il  efl  de  (on.  devoir  d'empêcher  de  toutes  fes  forces 


détruifent  ce  qu'il  y  a  de  principal  dans  la  Puii&nce  Impériale.  Et  les  Sa- 
vans  qur  font  confifler  la  puiflance  de  l'Empereur  des  Romains  dans  le 
droit  qu'il  a  fur  la  ville  de  Rome  &  fur  quelques  petites  Souverainetés 
contigues ,  fe  trompent  fans  doute.  Le  droit  temporel  de  l'Empereur  s'é- 
tend au  contraire  aufli  loin  que  le  droit  fpirituel  de  l'Evêque  de  Rome , 
c'eft-à-dire ,  par  toute  l'Eglife ,  dans  laquelle  les  Anciens  même  ont  reconnu 
que  le  Fapeavoit  qudique  primauté ,  non-feulement  de  ranj^^  mais  enqud* 


CHRÉTIEN.  69} 

que  forte  de  jurifdiâion.  Peu  importe  ici  que  le  Pape  ait  cette  prî* 
maùté  de  droit  divin  ou  de  droit  humain ,  pourvu  qu'il  foit  confiant  que 
pendant  plufieurs  fiecles  il  a  exercé  dans  l'Occident,  avec  le  confentement 
&  l'applaudiflement  univerfçl,  une  puifTance  alTurément  très-étendue.  Il  y 
a  même  plufieurs  hommes  célèbres  parmi  les  Proteflans  qui  ont  cru  qu'on 
pouvoir  laifler  ce  droit  au  Pape,  &  qu'il  étoit  utile  à  l'Eglife,  fi  on  re- 
cranchoit  quelques  abus.  Il  y  a  plus  :  Philippe  Melanâhon ,  homme  d'une 
prudence  &  d'une  modération  reconnue  de  tous  les  partis ,  lorfqu'il  foufcrivit 
aux  articles  de  Smalcade ,  ofa  bien  y  joindre  une  proteftation ,  dans  laquelle 
il  déclaroit  qu'il  étoit  d'avis  qu'on  pourroit  rendre  aux  Evêques  leur  jurif- 
diâion fpiHtuelle,  s'ils  voulotent  remédier  aux  autres  maux  de  TEglife.  Tel 
a  été  encore  le  fentiment  de  George  Calixte ,  cet  excellent  homm^ ,  dont 
le  favoir  &  le  jugement  font  au-defius  des  éloges.  Apurement  on  ne  peut 
pas  nier  que  l'Eglife  Romaine  n'ait  été  long- temps  regardée  en  Occident 
comme  lamaltreOe  des  autres  Eglifes;  ce  qui  eft  d'autant  moins  étonnant, 
qu'elle  a  été  réellement  leur  mère.  Car  on  fait  que  ce  font  des  hommes 
apodoliques  envoyés  de  Rome  en  Irlande  ,  en  Angleterre ,  en  Gaule  &  en 
Germanie ,  qui  ont  porté  la  foi  dans  ces  régions  ^  &  avec  elle  le  refpeâ 
pour  l'Eglife  Romaine.  C'eft  à  cette  Eglife  que  les  Lombards  &  les  Saxons^ 
les  François,  ou  pour  parler  avec  faint  Rémi ,  les  Sicambres  fe  font  fbu«^ 
mis  ;  &  les  Evêques  01  les  Moines  ont  reconnu  d'autant  plus  volontiers 
la  jurifdiâion  du  Pape,  qu'il  les  délivroit  de  l'opprefiion  des  Princes  &  des 
Rois  qui  retenoient  encore  quelque  chofe  de  leur  première  fërocité ,  & 
qu'il  les  rendoit  facrés  &  inviolables  aux  Barbares.  Ainfi  les  Barbares  ayant 
reçu  d'eux  la  foi ,  qui  leur  étpit  fi  avantageufe ,  il  n'eft  pas  furprenant  que 
la  puiflànce  de  l'Eglife  Romaine  ait  été  en  même  temps  reconnue,  & 
l'Evêque  (Ecuménique.  Enfin  il  eft  arrivé  par  la  connexion  étroite  qu'ont 
entr'elles  les  chofès  fkcrées  &  les  profiines ,  qu'on  a  cru  que  le  Pape  avoit 
reçu  quelque  autorité  fiir  les  Rois  eux-mêmes.  Et  l'on  peut  juger  quelle 
étoit  cette  autorité  ,  &  jufqu'oii  elle  s'étendoit  déjà  dans  les  premiers 
temps,  par  le  trait  du  Pape  Zacharie,  qui  confulté  par  l'affemblée  générale 
de  la  nation  Françoife,  décida  que  le  Roi  Childeric  étoit  indigne  de  la 
xouroime,  &  ordonna  qu'elle  pafsât  fur  la  tête  de  Pépin,  avec  l^pplaudiP» 
fement  de  tous  les  ordres  de  l'£tat«  Déjà  auparavant  le  Roi  Clotaire  ayant , 
dans  un  premier  mouvement  de  colère,  maflàcré  au  pied  des  autels^  un 

«tf%lll"     fif^lotVIVtAl        Tr«tir«A«*         CA«#Vff%At«l"      A^J%T£kff%f        ^«1««      lut     A»m^9%A^^       mmmf^^^  \\*Çïï\'W 

avoir 
indépendans  du  Royaume 
de  France.  C'eft  pour  une  caufe  à-peu*près  fimiblable  ,  c'eft-à-dire  le 
meurtre  d'Artur,  Duc  de  Bretagne,  que  le  Royaume  d'Angleterre,  fous 
le  Roi  Jean ,  devint  tributaire  &  même  fief  de  l'Eglife  Romaine  ;  &  le 
cens  fiit  augmenté  dans  la  fuite ,  à  l'occafion  de  l'aflafiînat  de  Thomas , 
Archevêque  de  Cantorberi ,  exécuté  auifi  par  l'ordre ,  ou  du  moins  avec 


^94  chrétien; 

l^grément  du  Roi  d^Angleterre.  Les  Papes  n\>b.ligerent-il5  pa^  le^  Soiiire» 
raios  de  Pologne  de  quitter  le  titre  de  Roi ,  depuis  que  l'un  d'entr^eui 
eut  fait  mourir  Staniflas ,  Archevêque  de  Gnefné?  Et  ce  ne  fut  que  long- 
temps après ^  fous  le  Pontificat  de  Jean  XXII,  &  par  fon  autorité,  qu'ils 
recouvrèrent  leur  ancien  titre.  Bodin  dit  avoir  vu  la  formule  par  laquelle 
Ladiflas  I,  Roi  de  Hongrie,  fe  déclaroit  vaflal  ou  fèudataire  de  Benoit  XII. 
Ladiflas  II  fe  confiitua  aufli  tributaire  à  Toccafion  de  l'excommunication  dont 
il  avoit  été  tfrappé  pour  je  ne  fais  quel  meurtre.  Pierre  Roi  d'Arragon ,  fit 
encore  hommage  de  fon  Royaume  avec  une  redevance  annuelle  an  Pape 
Innocent  III.  Quant  au  Royaume  de  Naples  &  de  Sicile,  il  n^  a  point 
de  doute  fur  leur  dépendance.  Il  paroit  même  que  la  Sardaigne,  les  ifles 
Canaries  &  Hefpérides ,  ont  autrefois  relevé  de  l'Eglife  Romaine  ;  &  les 
Rois  de  Caftille  &  de  Portugal  ne  fe  font  ils  pas  arrogé,  le  premier,  les 
indes  Occidentales  ,  &  le  fécond  ,  les  Orientales,  comme  une  donation, 
ou  plutôt  comme  un  fief  qu'ils  tenoient  du  Pape  Alexandre  VI.  Je  ne 
cherche  point  aâuellement  par  quel  droit  ces  chofes  fe  font  fidtes ,  mais 
quelle  a  été  dans  les  fiecles  précédens  Popinion  des  honmies. 

On  appliquoit  là  les  oracles  de  PEcriture  qui  concernent  le  Royaume 
4e  Jefus-Chrifl ;  par  exemple,  qu'il  dominera  à\me  mer  à  Pautre,  & 
qu'il  gouvernera  les  nations  avec  un  fceptre  de  fer.  Et  il  eft  remarquable 
que  lorfque  l'Empereur  Frédéric  I ,  proflerné  à  terre  demandoit  grâce  au 
iPape  Alexandre  III ,  &  ^ue  ce  Pontife  ayant  le  pied  fur  fa  tête  pronon* 
çoit  ces  paroles   de  l'écriture  :   Vous  marcherez  jur  Pdfpic  &  le  bafilic  ; 


alors  à  fon  égard.  Je  fais  que  plufieurs  favans  hommes  révoquent  en 
doute  cette  hiftoire  • . . .  &  que  le  Pape  Urbain  VIII ,  qui  fit  ef&cer  la 
|>einture  où  elle  étoit  repréfentée,  étoit  dans  lé  même  fentiment;  mais  il 
eu  pourtant  inconceflable  qu'on  Ta  crue  pendant  long^temps ,  ce  qui  me 
fuffit.  Au  moins  on  ne  doute  pas  que  l'Empereur  Henri  IV  n^air  fait  pé- 
nitence à  jeun  &  nuds  pieds  au  milieu  de  l'hiver  par  ordre  du  Pape;  que 
tous  les  Empereurs  &  les  Rois  qui  ont  eu  depuis  phifieurs  fiecleis  des  en« 
trevuesLavec  les  Papes,  ne  les  aient  honorés  avec  les  {dus  grandes  mar« 
ques  de  fbumiffion ,  jufqu'à  leur  tenir  quelquefois  Pétrier  l<Mlau'9s  mon- 
coient  à  cheval ,  les  accompagner  à  pied  dans  leur  cavalcade ,  oc  leur  ren- 
dre plufieurs  autres  fervices  de  même  genre.  Un  Doge  de  Venife  défirant 
faire  lever  l'interdit  |etéé  far  la  ville ,  &  rentrer  en  grâce  avec  le  Pape 


Jules,  il  fe  mit  une  corde  au  cou,  &  s'avançant  en  rempam  vers  le 
Pape,  lui  demanda  pardon,  d'où  lui  vint  le  furnom  de  ekien  de  ta  part 
même  de  fes  compatriotes.  Les  Efpa^nols  doivent  la  Navarre  &  Pautortté 
,du  Pape.  Cefl  fur  le  même  titre  que  Philippe  H  tenta  de  s'emparer  à 
main  armée  4e  l'Angleterre  qui  lui  avoît  été  donnée  par  Sixie-Quioc 


i 


CHRÉTIEN.  é95 

Les  Papes  ont  entendu  les  plaintes  des  fujets  contre  leurs  Souverains. 
Innocent  III  défendit  au  comte  de  Touloufe  de  charger  Tes  fujets  d'impo<« 
fitions  trop  fortes.  Innocent  IV  donna  un  curateur  à  Jean ,  Roi  de  Portu- 
gal. Urbain  V  légitima  Henri-le-Batard.,  Roi  de  Caftille,  qui  depuis^ 
avec  le  fecours  des  François,  enleva  à  Ton  frère  Pierre,  héritier  légitime, 
la  couronne  &  la  vie.  Il  y  a  d'ailleurs  deux  articles  de  grande  importance, 
dont  autrefois  on  n'a  pas  même  douté  qulls  ne  refTortiflent  au  tribunal 
du  Pape;  je  veux  dire  les  caufes  de  ferment  &  celles  de  mariage.  Henri  IV 
ne  demanda-t-il  pas  au  Pape  &  n'en  obtint-il  pas  la  cafTation  de  fon  ma- 
riage avec  Marguerite  de  Valois?  Et  il  nV  a  pas  bien  long- temps  qu'une 
Reine  de  Portugal  a  fait  aufli  déclarer  fon  mariage  nul  par  l'autorité  du 
Cardinal  de  Venidômei  légat  à  latcrc.Màis  le  Pape  a-t-il  le  pouvoir  de 
dépofer  les  Rois  ,  &  d'abtoudre  leurs  fujets  du  ferment  de  fidélité  i  c'eft 
un  point  qu'on  a  (bu vent  mis  en  queftion  ;  &  les  argumens  de  Bellarmin» 

2ui  de  la  fuppofition  que  les  Papes  ont  la  jurifdiâion  fur  le  fpirituel,  in* 
sre  qu'ils  ont  une  jurifdiâion  au  moins  indireâe  fur  te  temporel ,  n'ont 
pas  paru  méprifables  à  Hobbes  même.  Efièétivement  il  efl  certain  que  celui 
qui  a  reçu  une  pleine  puiflance  de  Dieu  pour  procurer  le  falut  des  âmes, 

font  pé- 
I  Pape  a 

reçu  de  Dieu  une  telle  puiffance  ;  mais  perfonne  ne  doute ,  du  moini 
parmi  les  Catholiques  Romains ,  que  cette  puiflance  ne  réfide  dans  l'Eglife 
univerfelle ,  à  laquelle  toutes  les  confciences  font  foumifes.  Philippe»le-Bel, 
Roi  de  France ,  pareit  en  avoir  été  perfuadé ,  lorfqu'il  appella  de  la  fen- 
tence  de  Boni&ce  VIII,  qui  l'excommunioit  &  le  privoit  de  fon  Royau* 
me,  au  Concile  général  :  appel  qui  a  été  fou  vent  interjeté  par  des  Rois  & 
des  Empereurs  en  de  femblables  circonflances. 

Autorité  de  PEmpcreur  dans  U  République  Chrétienne. 

JLiEs  Chrétiens,  outre  le  droit  des  gens  commun  à  toutes  les  nations, 
ont  un  autre  lien  qui  les  unit  en^e  eux ,  je  veux  dire ,  le  droit  divin  po- 
fitif  qui  eft  contenu  dans  leurs  livres  facrés  :  à  quoi  l'on  doit  ajouter  en«- 
core  les  faints  Canons  reçus  dans  toute  l'églife ,  &  les  droits  acquis  au 
Pape  en  occident  du  confentement  des  Princes  &  des  [^uples.  Je  vois  e& 
fëoivement  qu'avant  le  fchifme  du  fiecle  précédent ,  on  s'accordoit  depuis 
long-temps ,  &  certainement  ce  n'étoit  pas  fans  raifon ,  à  regarder  les  na* 
rions  Chrétiennes  comme  formant  une  efpece  de  république  qui  avoit 
pour  chef  le  Pape  dans  le  fpirituel ,  4c  l'Empereur  dans  le  temporel  :  & 
l'on  croyoit  que  ce  dernier  avoit ,  malgré  le  démembrement  de  l'ancien 
Empire  Romain ,  confervé  une  efpece  d'autorité  fur  toutes  fes  parties,  re- 
lative au  bien  commun  de  la  Chrétienté ,  fauf  le  droit  des  Rois  &  la  li- 
berté des  Princes.  C'eft  fur  ce  fondement  que  le  Pape  Grégoire  VUI  écri* 


6^6  CHRÉTIEN. 

vant  à  Henri  VI ,  Roi  des  Romains ,  fur  la  concorde  du  Sacerdoce  &  de 
l'Empire ,  Tavertit  de  prendre  carde  que  le  peuple  Chrétien  ne  fouffre  ^  par 
la  divifion  de  ceux  auxquels  ion  Gouvernement,  a  été  principalement  con- 
fié ;  &  l'Empereur  Sigilmond  en  1 4 1 2 ,  accordant  une  eifpece  de  Vicariat 
de  l'Empire  au  Duc  de  Savoye  ,  déclara  que  par  la  difpofition  du  Roi 
éternel ,  il  a  été  appelle  ,  quoique  indigne ,  au  Gouvernement  de  tout  l'uni- 
vers.  Il  eft  confiant  que  le  même  Empereur  a  préHdé  dans  deux  Conciles 
de  tout  l'occident,  en  ce  fens  qu'il  en  a  eu,  fi  je  peux  m'exprimer ainfi , 
la  dire£tion  extérieure  :  &  lorfqu'il  s'abfentoit ,  il  nommoit  un  Vice-Gé* 
rent ,  ou  comme  on  parloit  alors ,  un  Proteâeur  du  Concile  :  tel  (ut  par 
exemple ,  dans  le  Concile  de  Bafle ,  Jean ,  Comte  de  Thierftein.  C'eft  en* 
core  fur  le  même  principe  que  le  Pape  Pie  II ,  préparant  une  expédition 
contre  les  Turcs  pour  le  recouvrement  de  Conftantinople ,  écrit  de  Man* 
toue  à  l'Empereur  Frédéric  l'an  1460  ,  que  le  commandement  de  «oute 
l'armée  Chrétienne  lui  eft  dévolu  par  le  droit  de  l'Empire  :  ea  cherchant,' 
dit  le  Pape ,  quel  feroit  le  chef  de  l'entreprife  importante  que  nous  mé- 
ditons ,  vous  vous  êtes  auffi-^tôt  préfeaté  à  notre  efprit.  C'eft  à  vous  effec- 
tivement à  titre  d'Empereur  qu'eft  cenfé  appartenir  un  commandement  fi 
glorieux  &  fi  important  ;  c'efl  à  vous  à  qui  toutes  les  nations  ne  dédaigne- 
ront point  d'obéir  &  d'être  foumifes.  Le  Pape  le  déclare  donc  chef  Se  ca« 
pitaine-eénéral  des  armées  générales  &  particulières  ,  que  les  Rois ,  les 
souverains ,  les  Princes  quelconques  enverroient  au  fecours  &  à  la  défbnfe 
des  Chrétiens ,  en  forte  que  s'il  ne  peut  commander  en  perfbnne  ,  il 
choifîra  pour  commander  à  fa  place ,  celui  des  Princes  Allemands  qu'il  en 
jugera  plus  digne  par  fa  valeur  &  fes  exploits.  L'Auteur  du  traité  de  Jun 
fuprcmatûs  a  donc  été  fondé  à  dire  que  l'Empereur  eft  le  chef  né  de  tous 
les  Chrétiens  contre  les  infidèles.  Il  eft  aufti  nommé  trés-<*finéquemment 
dans  les  aâes  publics  l'Avoué  de  l'Eglife  Romaine  &  de  l'Eglife  Univer- 
felle.  C'eft  encore ,  ce  femble ,  par  une  fuite  de  cette  liaifon  entre  les  na* 
tions  Chrétiennes  qui  eft  un  refte  de  l'ancienne  Monarchie  Romaine ,  qu'il 
eft  arrivé  que  le  droit  Romain  a  été  regardé  en  quelque  manière  comme 
le  droit  commun  des  nations.  Ainfi  les  Anglois  qui  ont  des  loix  particu- 
lières à  leur  ifle ,  adminiflrent  la  jufiice  aux  étrangers  conformément  aiix 
loix  Romaine^  ;  &  l'on  voit  par  une  multitude  d'aâes ,  que  àcs  Princes 
Souverains  dans  leurs  traités  ,  leurs  teftamens  &  les  autres  aâes  du  droit 
des  gens  ou  du  droit  public»  obfervoient  les  mêmes  loix  avec  une  ponc* 
tualité  qui  parolt  quelquefois  exceffive. .  »  • .  Mais  je  veux  que  l'inferdonde 
ces  claufes  du  droit  Romain  foit  une  précaution  fuperflue  des  officiers 
chargés  de  rédiger  leurs  aâes  ;  auimoins  on  ne  peut  gu^re  coatefler  que 
les  droits  de  l'Eglife  ne  fuffent  alors  cenfés  s'étendre  ï  tous. 


Ohfcrvatlons 


o 


C    H    R    Ê    T    I    E    N.  % 

Obfirvations  fur  et  fyfitmt  de  Leibniti. 


Nf  ne  nous  accufcra  pas  de  donper  quelque  importance  à  ce  fyilé-* 
mè ,  &  de  vouloir  l'accréditer ,  précifément  parce  que  «nous  avons  raflem^ 
Ué  quelques  textes  où  TAuteur  lui*même  le  propofe  &  le  développe.  Les 
prétentions  du  Pape  &  de  PEmpereur  que  Leibnltz  ofoit  défendre  ^  fone 
aujourd'hui .  fi  décréditées  ;  les  efprits  font  fi  peu  difpofés  à  les  reconnol* 
tre  ^  qu'on  peut  |  fans  inconvénient  ^  les  montrer  au  public ,  accompagnées 
de  toutes  leurs  preuves.  Leibnitz  fondoit  la  jurifdiâion  ^temporelle  du  Pape 
tas  le  confentement  des  peuples  :  c'eft  efièâivement  le  fondement  le  plus 
apparent  qu'on  puiile  lui  donner.  Mais  qui  oferoit  foutenir  aujourd'hui  que 
ce  confentement  ait  été  bien  donné  ou  du  moins  qu'il  fuhfifte  encore. 

Nous  ajoutons ,  pour  déclarer  notre  penfte ,  qu'il  eft  bien  plus  raifon* 
naUe  d'adhérer  aux  maximes  du  Clergé  de  France  ^  confignées  dans  fa 
4éclaration  de  1681.  Nous  la  regardons  cette  déclaration,  comme  un  mo« 
nument  précieux ,  même  au  faint  Siège ,  dont  nous  ne  doutons  pas  qu'il 
sie  loue  un  jour  là  {z!gt& ,  &  ne  réclame  l'autorité  :  parce  qu'en  même 
temps  qu'on  y  rejette  des  prérogatives  qui  n'ont  point  de  fondement  dans 
l'£vai^le  ^  on  y  établit  celles  qui  font  de  droit  divin ,  &  fur  léfquelles 
flepofeJ'immuable  grandeur  du  faint  Siège;  &  fi  l'Eglife  gallicane  y  in- 
dique d'une  main  la  partie  de  l'édifice  qu'on  peut  abattre,  elle  montre  de 
l'autre  celle  qui  doit  être- à  jamais  facrée  &  inviolable.  Le  moment  n'eft 
peut-être  pas  éloigné ,  où  l'on  adoptera  dans  tous  les  Etats  catholiques  de 


Mais  pour  entrer  dans  un  examen  ultérieur  de  l'opinion  de  Leibnitz  fiir 
la  pniflance  temporelle  du  Pape«  nous  obferverons  10.  que  quelques-un^ 
des  fàîits  qu'il  cite  en  preuve  ^  font  contefiés.par  les  critiques  :  Tfi.  qu'il 
en  eft  d'autres  dV>ù  l'on  peut  feulement  conclure  que  les  Papes  fe  font  ar* 
fogé  quelqu'autorité  fur  le  temporel  des  Princes;  ce  que  perfonne  ne  mçt 
fn  doute  *.  30.  ^ue  le  confentement  des.  Princes  &  des  peuples  fur  lequel 
Leibnitz  fbiide  la  légitimité  de  cette  autorité,  n'ayant  été  donné  que  d'à* 
f»nès  les  ftux  préjugés  du  temps  fur  les  prérogatives  de  St.  Pierre ,  ne  fau- 
roit  être  valable  :  4^.  que  ce  confentement  en  d'autres  circonfiançes  -  n'a 
ifté  2|Ccordé  que  relativement  à  des  cas  particuliers,  &  fans  deflein  d'ac- 

5|uérir  au  Pape  un  droit  permanent  :  ^P.  qu'on  ne  voit  pas  que  ce  con- 
entement  .ait  été  jamais  univerfel,  moins  encore  donné  à  perpétuité  ,  & 
qu'après  tout  il  a  été  très*conftamment  révoqué ,  ainfi.  que  démontrent  les 
léclamations  des  Princes  &  lés  maxiniies  régnantes.  Il  réfulte  donc  feule* 
ment  de  ce  que  Leibnitz  dit  ici  &  ailleurs,  qu'il  a  afligné  à  l'autorité  des 
Papes  fur  le  temporel  des  Rois ,  un  fondement  ruineux ,  il  eft  vrai ,  mais 
plus  impofant  &  plus  coloré  que  celui  que  les  Ultramontains  lui  donnent  : 
Tome  Xr.  Tttt 


<98  C    H    R    t   T'  I    E    N. 

Ju^on  pourroit  à  là  faveur  (de  {t$  principes,  juftifier  peuc^-écre  quelques  eâei^ 
'autorité  exercés  autrefois  par  fes  Evéques  de  Rome  :  que  le  refpeâ  a^ec 
lequel  il  en  a  toujours  parlé  ,  tout  proteftant  qu'il  étoit ,  le  foin  qu^  a 
pns  de  les  difculper ,  font  une  leçon  à  quelques  catholiques  qui  s^p|di«^ 
qneni  au  contraire  k  charj?er  ce  qufil  y  a  eu  d^odieux  dans^  la  conduite  ou 
Us  entreprifes  des  Papes  t  &  qui  OD^liem ,  en  s'expliquant  fur  cette  matière, 
toutes  les  règles  de  cette  décence  &  de  cette  n^odération ,  dont  <m  ne  doit 
jamais  s'écartec,  même  lorfqu'on  défend  la  vérité  la  plus  importante. 

RieQ  de  plus  facile  aufli  à  rehverfer  que  tes  areumens  dont  Lèslmin 
cherche  à  étajer  fon  opinion  finguliere  fur  l'autorité  de  PEmpereur.  Noua 
nous  contenterons  de  traduire  à  ce  fujet  une  note  d'un  habile  Jurifeon^ 

.eibnitz  fur  la 
fiir  les  Princes 
I  la  jurifdiâion 

f&  annexée  :  il  a  de  plus\  comme  chef  de  la  république  Germanique, 
jurifdiâion  fur  les  Princes  qui  font  foumis  it  la  même  république  :  mais 
a  l'égard  des  autres  Princes  ^  il  n'a  aucune  forte  de  jurifdiâion ,  il  n'a  qu'une 

erééminence  de  dignité.  Sa  qualité  i^ Avoué  de  l'Egtife  Romaine  lui  donne 
ien  un  droit  de.  la  protéger  dans  fon  propre  territoire ,   que.  les  autres 
Princes  ont  aufli  dans  leurs  Etats  :  &  hors  de  fon  pn^re  tenttmre  «  cette 

Î|uâlité  fuppofe  encore  en  lui  un  droit  plus  particulier  de  la  protéger  par 
es  armes  oc  fes  confeils  ^  mais  elle  ne  lui  confère  aucune  forte  de  juriff 
diâion  fur  les  narions  étrangères  qui  font  attachées  à  la  même  Eglife.  Les 
Jurifconfultes  Allemands  difputent  fi  l'Empereur  conferve  encore  quelques 
droits  fur  là  ville  de  Rome,  nuleré  la  prefcription  acquife  aax  Papes ,  ft 
la  ceffîon  de  tous  les  droits  que  l'Empire  pouvoit  conferver  encore  nir  cette 
ville  ^  faite  par  l'Empereur  Charles  IV.  Mais  il  feroit  bien  difficile  de 
prouver  que  la  jurifdiâion  fur  tout  l'univers  catholique ,  eft  attachée  à  la 
domination  temporelle  de  la  ville  de  Rome.  Il  eft  certain ,  fuivant  les  po^ 
miers  principes  du  droit  ,  qu'on  n'acquiert  de  jurifdiâion  fur  les  peuples 
que  par  leur  confentement  ou  le  droit  de  la  guerre  ;  &  certains  nsts  ex^ 
traordinaires  par  lefquels  quelques  Princes»  pour  des  raiions  particulières^ 
auroient  jugé  a  propos  de  demander  à  l'Empereur  la  confirmation  de  quel«- 
ques  aâeSy  n'ont  pu  lui  donner  une  jurifdiâion  perpétuelle  fur  les  mêmes 
Princes  ,  &  à  plus,  forte  raifon  fur  les  autres.  Si  les  Empereurs  ont  été 
quelquefois  créés  che6  des  armées  Chrétiennes  contre  les  Infidèles ,  cda 
prouve  feulement  ce  qu'il  convient  de  faire  dans  certains  cas  de  néceffité^ 
&  npn  point  qu'ils  aient  une  jurifdiâion  univerfèlle  fur  tous  les  Chfériens. 
/•  B.  Ban  To^.  IV.  part.  5.  Ptafat.  étd  paritm  JurifprmUntim  p.  55» 


CHRISTIANIA,  i  JXoctfi  dt  )  «99 


CHRISTIANIA,  (  Diocefe  de)  Province  de  Norvège^  dans  la  partit 

méridionale  de  ce  Royaume. 

JLi  S  Diocefe  de  Chriftiania  ou  d^Aggerhuùs,  tju'on  eppelloit  atttitfets 
Diocêfe  de  Hammer  &  enfbite  d^Opflo^  eftle  premier  &  le  plus  impor^ 
ttm  des  quatre  Diocefes  de  la  Norvège.  Chriftiaoia  en  ell  la  capitale  ^ 
le  iiëge  du  Vice«Gouverneur  du  Bailli  Diocéfain,  du  Confeil-Aulique-Su'^ 
-  prérae  de  l'Evéque ,  &  du  Confeil  Provincial.  Cette  ville  eft  paflabletnenc 
grande  &  régulière;  elle  a  un  Prévôt  municipal ,  une  maifon  de  force /^ 
deux  fauxbourgs,  appelles  Waterland  &  Pipervigen^  auxquels  il  fitut  tn^ 
CQre  joindre  Opllo.  Ses  habitans  ont  un  bon  commerce.  Chriftianiaa  été 
b4tie  en  1624  par  le  Roi  Chriftian  IV,  après  quK)pflo  eût  été  réduite 
Cft  cendres  :  elle  eft  entièrement  dominée  par  le  château  d^Aggerhuus.  Le 
même  Roi  érigea  Técole  en  Gymnafe,  &  fonda  une  communauté  poui^ 
Pentretien  àts  profefTeurs  &  de  10  étudians  :  depuis  1653  ce  Gymnafe  a 
repris  le  nom  d'école. 

Opfld* ou  Aflo,  fitué  à  l'Orient  du  Golfe,  vis*3k*vb  du  chiteàu  d'Agger^ 
*  huuS|  a  été  bid  en  1060  par  le  Roi  HaraM  Hardraade^  qui  y  iît  (a  fèfi- 
deflcCi  ainfi  que  plufieurs  de  fes  fuccefleun.  Cette  ville  ayoit  quatre  Eglh» 
fes.  Il  s'y  tint  un  concile,  en  1306.  En  1589  Jacques  VI»  Roi d'Ecofle , y . 
célébra  fes  noces  avec  Anne,  Princeile  de  Danemarc.  On  y  transféra 
l'Evéché  de  Hammer  lors  de  la  réfbrmatioo.  En  1 624  toute  la  ville  Ait 
réduite  en  cendres,  à  IVxception  du  palais  épifcopal  &  d'un  petit  nombre 
de  malfons  ;  ce  qui  a  refté  eft  fdinl  à  Chriftiania  &  eft  appelle  la  vieille-^ 
,  ville.  On  trouve  dans  la  chambre -de  cUriofités  à  Coppenhague,  une  an* 
tienne  médaille  frappée  par  Nicolas ,  Evéque  d'Aflo ,  i  l'honneur  du  Duc 
Fhil^pe. 

A  l'Occident  du  Golfe  vis->l^-vis  de  ChrifKania,  eft  l'importante  forte-' 
relié  d'Aggerhuus,  que  les  Suédois  aifiégerent  inutilement  en  1310,  t%6j 
&  171^.  Hors  des  fortifications  fonr  des  maifons,  que  l'on  appelle  Ho» 
vediangen. 

Bragemes  &  Stromfoe  font  deux  villes  appellées  du  nom  commun  At 
Drammen^  parce  qu'elles  fontfituéei  fur  le  fleuve  de  tt  nom;  fa  tre« 
vers  le  Nord  ;  la  imt.  vers  le  niidi  :  chacune  de  ces  deux  villes  a  foh  Pré- 
vôt municipal  &  fon  éelile  \  mais  elles  ne  femient  qu'une  place  de  péage  ap» 
rsllée  Drammens  2o^)iati,  Ce  péage  eft  le  plus  confidérable  du  Royaume  ^ 
catde  de  la  quantité  de  planches ,  de  poutres  &  de  fer ,  que  Ton  raffembltf 
dans  le  voifinage  des  deux  villes ,  &  qu'on  exporte  par  la  Drammen. 

Konfberg ,  ou  Kooig(berg  eft  une  bonne  ville  de  montagne ,  fituée  en« 
tre  les  fleuves  de  Kobberberg  &  de  Jorndal;  elle  a  deux  communautés», 
une  DanoÂfe  &  UAe  Allemande  ;  le  nombre  de  fes  habitans  va  de  10  juffp 

Tctt  % 


yoo  C  K  {lis  T  I  A  N  I  A.  (  Dioetfedi  ) 

oui^à  1(^00.  c  On  ^.  a  4uUi  no  hôtel  des  moAooies  en  i68^,  &  im  Cou» 
feil  des  mines  en  1 68 9V  Cette  ville  efl  célèbre, par  fes- mines  d'argent^ 
qui  font  les  plus  confidérables-  de  tout  )e  Royaume.  Elles  fur^t  décou- 
vertes en  lôz-^  6c  l'on  bâtit  en  même- temps  cette  ville  ^  que  Ton  peupla 
de  mineurs  Allemands.  En  17$!  on  exploitoic  41  minières  &  on  travailloit 
^  eti  ouvrir  1%  autres  ^  ce  qui  occopott  au  deUi  de  3^00  ouvriers.  Où  ne 
iaurpu  fixer  Iç  produit  aniiuel  de  ces  mines,  parce  qu'il  eft  des  années  où 
elles  ne  rendent  pas  les  frais  d'exploiution  ^  &  que  dans  d'autres  elles  (ont 
dW  produit  plus  confid^rable.  On  trouve  auffî  de  l'argent  nfttif  ou  vierge. 
On  découvrit  en  1 647  de  l'or  mêlé  avec  de  L'argent  :  le  Roi  Chriftian  IV  ^ 
en  fit  frapper  des  ducats ,  appelles  BriUcn  ducaicn ,  avec  cette  infcription  : 
yidç  mira  domL  On  rencontra  aufli  en  1 697  une  veine  d'or ,  dont  on  fit 
des  du.ç^ts  avec  l'infcriptiop  >  Allemande  tirée  de  Job  :  V^n  Mitttm^cht 
kommt  Gold  (.dij  Septentrion  vient  de  l'or).  Frédéric.  V.»  établit  dans 
cette  ville  en  17 {7  une  efpece  dVcole,  pour  former  la  jeunefle  dans  la 
connoilTance  des  mines ^  de  l'agriculture,  tfc. 

Tonfberg  e(l  la  plus  ancienne  ville  de  la  Norvège.  Elle  eft  fituée  fur 
un  bras  du  Golfe  de  Tonfberg,  &  a  tiré  fon  nom  du  viejix  mot  Tàm  ou 
Xu/2,  oui  6gnifîe.)Un  afTemblage  de  malfons  &  de  bâtitiiens,  &  d'usé  mon- 
tagne ^fituée  tout,  près  de  là.  C'étoit  déjà  use  ville  peuplée  du  temps  de  ' 
Harsdd  liaarfagef^;  ainfi  elle  exiftoit  dès  ayant. le  8«.  fiecle*  Elle  étoit  peau-i 
coup  plus  grande /autreÇi^is  I  &  çomprenoit  9.égliie5)  aujpard'hui.  on  y 
compte  à  peine  200  maifons,  conflruites  de  bois  &  deux  églifes.  Tpn(- 
berg  a  un  Prévôt  municipal,  qui  a  en  même-temps  l'infpeâion  du  péage 
appelle  Holmejirandi  it  fait  un  bon.çp^t^erce  en  bois  &  ep  .planches, 
&  comprend  dans  fqn  diilrlâ  quatre  places  ^  pour  l'entrepôt-  des  mafcliaii- 
difes.  En  1259  la  plyfi'B^^^^P^^^^^A^  J^  yiîU/vç  brûlée^  &  en.  xfo6  les 
Suédois,  la  réduiftrent  en  cendres ,  ^ec  toutes  fes  églifes  >&  fes  couvens^ 
depuis  ce  temps-là  elle  va  en  décadence,  malgré  les  privilèges  que  ki 
çccprda  Frédéric  III.  En  1673  ChriflknV^  donna  la  ville  &  le  bailliage 
de  Tonfberg  en  chef  à  titre  de  Comté ,  à  ixxn  Chancelier  Pierre  Greif£bn<« 
feld.  En  1739  Chriflian  yi,:  étfiblit  dans  le^  environs  une  tuilloie  &  dans 
la  peninfule  de  Valoe  une  faline ,  dont  on  exporte  aimuellemeat  quel- 
que^charges  de  fel.         ;     .  ^  .       . 

Xaurwigen  ou,  Larrigen  éfl  ui^q  petite  ville  célèbre  par  fes  forges  de 
fer  de  Larvigen  les  plus  importantes  de  tout  le  Royaume  :  il  y  a  une 
'mine  à  Larvigen  même  &  une  autre  à  Nes« 

Stavern ,  ou  Friederichfwàrn  efl  un  petit  endroit  fortifié  pour  la  fureté 
du  port  ;  c'efl  Frédéric  V  qui  lui  donoa  Je  nom  de  Friederifwarn. 
^  Krageroei  efl  une  petite  ville  très-peuplée i  elle  a  un  entrepôt,  &  efl 
adniîj^iflicce  jpar  uti  Prévôt  muiucù^         '    ,  f         ./i         !     ♦    ,- 

Skier),  Schien,  efl  fituée  fur  le  fleuve  du  même  nipm ,  lequel  foc(  du 
lac  de  Nordfée,  Ce  fleuve  forme  à  peu  de  diflançe,|de  la  ville  ,ttBe  cafca* 


C  H'R  IS  Til  A  Kl  a;  (^IHùCtfe  de  )  y^t 


ide,  ^qpiièt  amir"  finétréMn'rùChtr^  kftaytfs^éaqutl  on  à,  crèuré  un  paf- 
.iage^  'potir  récoulemenc  des  eaux  :  à  un*  deÀii-miltè  de  là  efl!  le  lac  ap- 
pelle Farfgtund^  qui  fert  pour  le  chargement  des  vaiileaux.  Skieen  a  un 
Prévôt  nUmicipal.  Le  Confeil  Provincial  y  tient  fes  fëances.    " 

Mo€^9  petife  ville  ouverte,  a  un  bon  commerce,  &  un  Prévôt  muhici- 
tpal.  La  double  dé&iteque  les  Suédois  foufinrent  près  de  tiette  ville,  &  la 
iperte  des  mags^as  qu?îls y  avotent  établie  ^^^  la  rendirent  Êufieure.  * 

Tout  prés  de  là  eu  une  bonne  mine  de  fier j  On  y  a  auffi  établi  une  fon* 
derie  de  canons.  '• 

,  :  Bafmoe,  fitué  vers  les. frontières  de  Suéde,  eft  fortifié  par  la  nature  & 
.par  Part.    .    .    ,     .  ;...,.  ./.  \  ^  .  :    ; 

Friederichshald  ,  ville  &  fbrterefle  fàmeufe ,  eft  fituée  vers  les  frontières  de 

k  Suçde..  à  l!çftdr9Jft.^Qii  le.  Tlftfi^jil  fis  jetw«.4«?S  fe:;SîânditfuL.Qn  rapjj4- 

loît  anciennement  Hàtdtn\  &  étoit  an  bourg  très-rtfédiorre  dépôifdant'du 

Magiiirat  4e  Fr iederichftait/ Sd  ij6^  &  if 59  Jl  téfifta  aux'  SUjSdbi^,  à  t^i- 

de  d'une  redoute  que  Pon  y  avoir  établie  ;  ce  qui  porta  les  Danois  -à  en 

raugmeotei'les  fbrtîBcatious  au*point  »/qu'en:ié$o^ les  Suédois* Paffiégerent  in.u- 

.tileoient  pour  la  troifîemip  fois  ;  que^lle^uns  croieoi  que  c'efl  à  ce  fiege  que 

'Charlef  Gii^ayei  Roi4^  SMede^reçu^Uî^teiTurej  (k((it  ileAmom  Foutprjx 

.deTa?  ré<iftawe  Friçdfwh^h^W  feU  ^rigé  ejd  viUe^.ât  ett  h6U:Qtix)SAtu}f^ 

.y  joignit  la  JFerme  d'Ous*  eat^^dâmn^agem^ft  4u  domipefce  9iwc\H  5u^ 

de  qui  ayoitQté  eoleyéjà  fes  bourgeois.  Cent^  vilW  fit  entcore-ime  ivigqn- 

reufe  défends  contre  l#s  Suédois  eti  17.16  ^  -en  ,17 18,  Ce  fut  le  ii  Dé* 

cembre  de  cette  dernière  année  que  Choies  XU'{.  &c  tu^  d^its  Ittrai}- 

■çh^  que^rjon  avpU .oM^çrte  devaat  la  p|9<^,.Fri^^)c  \V  jfir.étever  «u  itié* 

^e  fl^droiç^  MÇ^  pi^j^Me  dç^aio,  pieds-i^erhsmiitjC^rg^e.dU.aom^iu .B(«^, 

,^;9rm/e»,4efStie4ç  yi?t  de  bap^^icoup  d'aftbtibnt^inulita/iiB^t; j&SiftjmH>niife 

jiTi^np  ,C9WOim.&  dAr4|f«  Aa.pjedçftM  q«û.e^  revi^  d«t  itn^Ueir.fonc  «rÂis 

MX  3aëd<ûs,  fit  ahaitr»  ce  monumeor.  Freiderji$HaId  i^  pa^iort  parlut- 

nénie;  mais   il  y  a  près  de  là^  fur  un  haut   rochçr,  Ia,for(ere0i?  èe 
;^ixidiçôch<^i0.i  dQi^tjlc»  fot^çmensjSiireiit  p^fë^^jeii  ;i^($i  ^  Je*.  lôirM  de 
7StprfriTaar.n  (ig»nde.  4^<W!).  ^  ii*(iewerrBiergeç;:  (lHWïia^e.  fgp^rKwr^i  <i«i 
,qitt  ch^ç^a-leiir  commuvfa^  paraeHUeri!;l^(q)i|ilKf4^^d«at^^r^^^ 
JPfie'^^içhÔan,  Jtl  y  .^.putrfiîfelajle  petifjbtt  d«rt(«uIdfDloj«9T$PhMitw,  dose 

Charles  XII >  s'étoit  déjà  rendu  maître,  Idrfqu'il  fat  tué  d'un-.bipuleci^i 
fVÎoj;   d^ver->Ketget^  L^s  trois  petiu  fi>rt^  ont  été  bâ^.eirri&ga.  Au!ref> 

tC)  cette  ville  a  an  bon  cpinmerce.  Elle  «ft  ^mifiiArée  jijir  m^^^cév^c 
Tiijupic^.  If: /eu  jf  ç?M»fe  yfl,4op»??»?g«)  c^nfidéral^èien  lijjjj^ié^ô,  i^sqj 
tm-'MM^M  \\'9  eut  qu?9|re^up  incendia  çiij 755., j  ,  ,  .^^  .^;,  -,-;  ;!•  ; 
i  ,  f téderifhslUtt  »  ell  :^B9t,fiHe  ^  bâflft  ea.  1567.  p^r»  Fçétjérifi  «o.Qï^^yia 
.tfj^es^éf.le-tfl^uBî^I  ptpylusiftl  ^ui;éçoijtj^uoarAyant  i.  Hwré,:  BHç  «f un  Pr.é- 
ï»Pfc«Wic»P«k(?«»t  cpfflpijpf cg,  en   bqi^j.çft  |Copfid^«i|»lç.^féd^Wr  Ww'ja 


?^  C  M  R  l  S  T  I  ANS  AN  D;  } 


forri&i,  en  i<^$  4c  fon^ep  timiieau  diim  libifiiii«  les.  fe  tu 

poiiK^  que  vu  fa  (icuation  4&  U  ccHiunuoîaaaoïi  avec  le  ]3iaineiiiarc  ^  dfe 
eft  aujourd^htjii  la  principale  Ibrtereflè  de  la  Nonrege.  Elle  fiic  eBdéraneot 
réduite  en  ceqdrea  en  i^6^.  Ourre  (es  pfopres  cuivrages ,  elle  a  pour  lenn 
parts»  tvers  l'ipt^rieur  du  paya f  le  fon  de.  Koalgftein..  Ifègram #: dapa  Hfle 
4e}ix^^t,o^iM  à  un  quart  d«  mille  le  viUe:d'Aggecde,  âtûéedaos^ùae 
Ifle,  vers  la  mer.  Ces  trois  (fpcijs  ont  leim.  ComioaDdaiis  ftarâçulîers ,  qui 
fpnt  ibus:  les  ori^es  de  celui  d4  FriederisfiaK^     :  ;  ;.  c. 

Ce  Diocefe  comprend ,  outre  les  villes  &  forterefles  dont  noua  veooés 
de  parler  9  les  3ftilliages  Royaux  d!Aggerliutts ,  Opbfid^  Friderichftart  ^ 
Schmaalenne,  Bratsberg,  Ringering,  Eger  &  Bufcberad,  avec  quelques 
Comtés,     y     :  • 


y 


'i^HKlâTtAlfSAUt>yaumfoisSTAVAHGE^yDioetféÀNoryige. 

E  Diocefe  comprend  phlfieurs  viHes  &  fintet-ellè^.  Chriftianfand  eh 
ett  la  capitale,  &  h  réfidence  du  B^ilfi  &  de  PEvéque,  fituée  fur  terre* 
feqne  3k  un  demi-^milW  de  Friedericfcs^holm  devant  ^OcteriiSs  &  le  fletivb 
d^Otcer,  ptès  de  fiflé  d'Otterîie.  B}le  ftit  bitie  {lar  les  ordres  dé  Chri(^ 
tian  IV  en  ié^t^  achevée  en  i^U  &  apwllée  du  riom  de  ce  Prince, 
-&  du  terrein  iàblonneux  ûir  lequà  elle  eft  placée.  Elle  eft  ouverte /de 
quanrée,  elle  a  des  rues  larges  &  droites ,  de  bonner  maifons,  un  Prévôt 
municipal,  &  fa  Cathédrale  a  une  école.  Là  fituation  de  cette  ville  dl 
très-^emmode ,  le  port  Tentourant  de  trois  côtés  ^  vers  le  Sud-Oueft  &  le 
Sud.  Les  vaiflèaux  peuvent,  pour  ainfi-dirci  approcher  des  tnagafins^  & 
le  6ô^  Oriental^  où  le  fliéuvé  àe  Tofrldaf  fy  jettedans  la  mer,  eft  eh 
<  hiver  un  abri  (&r  péâr  les  vaiÀaux.  Le4™^  cet»  eft  éétouré  par  la  eâm^ 
pagne  &  en  partie  par  des  montagnes.  Lés  habitàns  de  Chrimanfand  Ibnt 
quelque  commerce  en  bois/L^glife  &  la  plus  .grande  partie  de  la  vilfe 
bnMerent  en  1734.  Lé  terrein  s^lccrolt  aux  environs  de  cette  ville,  par  ht 
grande  quantité  de  fibles  que  les;  ouragans  amènent  tous,  les  ans  au  bord 
d0  la  mer  :  .cet  accroiftenient  .augmente  tnfénfibtement ^  &  forcera  bientôt 
tes  bàbiians  de  Chrklianfând* d'avaneer  lênn  màif^  mer,  s% 

veulent  '  conférVer   \t  v<M(k)àgfè  des  eaux  :  on  à-  déjV  bâd  plufieurs  nou* 
-veOes  tùts?  '  •''  ^  "^  '[     '     '  "'•'*  •  .  ;  •*•  ^    -•  «■     .  ■  r 

L'ifle  de  Fteckeroe^  fituée  vers  le  Sud  ^  un  nulle  dK)ttem2s,  a  uki 
dtiai-iiiille  de  circuit ,  &  ferme  avec  la  terre-ferme  le  £imeux  pprt,  oh 
.  Ton  peut  entrer  d^uo  côté  &  fortir  de  l'autre  avec  le  même  vent.  Pour 
afliirer  ce  port  on  commença*  Aès  i%^6'\' bâtit  àti  fert  dam  l^SQe  de 
FIe<^kerôéi  tnais  ce  qui  avc^t  êti  fi^  alors' dtaàttomM^èh  ruine,  lêHot 
Chriftiâli  ÏV  fit  en>«2f  élever  dànsf  IMè  ^d^Oheroe  iih'ëhiteau  entouté 
d'une  niurattle  &  Pappeik  Ghrifthuisôe.  X>an$^U  fuite  oà  bâtît  la  fetteitflb 


/■'• 


dt  Fl«ckerd6  »  ùu  FriedcBichsholm.  ta  plus  grande  flotte  peiit  fe  mettrai 
ici  en  fureté ,  foit  contre  les  vents ,  foit  contre  l'ennemi 
,  Aradal  eft  une  peme  ville  &  place  d'entrepôt,  fituëe  à  TOrient  du; 
fleuve  d'Ârndal,  qui  forme  dans  cet  endroit  un  Golfe  éloigné  de  la  mer 
d'un  quart  de  nulle.  La  plus  e^asde  parne  de  Ja^vilte^  furntout  celle.  )qul 
fe  trouve  aut  fepteotriQn  du  Golfe  »  eft  bâtie  fur  pilotis.  Les  grands  vaii^i 
fcaux  peuvent  arriver  jufqu'au  pont  &  à  la  douane ,  &  on  a  pratiqué  danr 
la  ville  des  canaux  fur  lefquels  on  fe  fert  de  petits  bateaux.  On  voit  auffi> 
des  maifons  fur  les  hautes  montages  placées  vers  le  Nord-Eft  &  le  Midi 
dTAmdal.  L'Ëglîfe  eft  dans  la  parae  fep»ntrionale  dé  la  ville.  Amdai  feft 
tiès-hien  firué  pour  le  commerce,  qoiconfifie  priocipaSeme&t  en  bois^dt 
les  hab^cans  agréent  beaucoup  de  vàiflèaux  que  des  marchands  tlu  paystow 
des  étrangers  frètent*  Cettç  ville  a  ua  Prévôt  CDmhamvavec  Biîsoér;^:cUei  / 

a  depuis  peu  été  érisée  en^  ville.  De  Fautif  côté  du  fleuve  eftCoIbior-( 
nensvig  dont  les  maiions  font  bâties  entre  des  rochers  &  la  plupart  occu-i 
es  par  des  martniérsi.  A  deux  nulles  deli  eft  la  mine  de  fer  de  Bare- 
le  ^  appellée  autreihenc  Baafelandsverk  ;  eHe  eft  une;  des  plus  ancienne* 
du  pays;  mais  die  fe  trouve  dans  un  état  tràs«*médioere»  On  voit  encore 
dans  ces  environs  plufiéura  amres  mines  de  fer.  A  quatre^  milles  delà,  &  à^ 

rOccident,  eft  Rusfier,  ou  Ôefier^iliisdek- , 


deux  milles  de  GiemSès^  vers 

autre  petite  ville  d'entrepôt  ^  dont  le  commerce  eft  aflez  bon.   Elle  a  ua 

Prévôt  commun  avec  Arndal. 

Stavanger  eft  une  ancienne  ville  fituée  au  bprd  du  Golfe  de'' Buckne*- 
Fiord^  ou  Tuoge  Fiocd  :  elle  étoir  phis  grande  >auçreloBi  Sa  Cathédrale 
bâtie  en  1013  eft  après  celle  de  Drontheim^  la  plus  belle  du  Royaume.^ 
Stavai^r  a  un  Prévôt  muntcipaL  La  ville  ^yailt  été  détrmk&  par  les  flain- 
meaen  1^86 ,  Chriftian  V,  tranfporta  le  fiege  éptfcopal  à  Chnftiahfai^. 

Ce  diocefe  comprend  encore  les  bailliages  royaux  de  NedenSs  Lifter, 
Mandai,  &  Stavanger. 


C  H  R  I  S  T  O  P  H  B.  Ç  I/k  tte  Saint-^  ) 

ETTE  ifle  a  été'  le  berceau  de  toutes  les  colonies  Aiiglèifes  ié 
Françoifes  du  nouveau  monde.  Les  deux  nations  y  arrivèrent  le  même 
jour  en  1625.  Elles  fe  partagèrent  Pifle  ^  elles  fignerent  une  neutralité 
perpétuelle  ;  elles  fe  promirent  des  *  fecours  mutuels  contre  Tennemi  cotn^ 
mun  :  c'était  PEfpagnol  qui  depuis^  un  fieele ,  énvahiflbk  6q  trbubibit  les 
deux  hémtfphercs.  M^is  la  jalofufie  divifa  bientôt  ceàx  que.  4'intérét^  AVtfit 
mis.  Le  François  vit  avec  chagrin  prôfpérer  les  travaux  de  PÀhgldis,  q^ 
de  fon  côté  foufBroit  impatiemment  qu'un  voifin  oifeux,  dont  toute  Poe-* 
cupation  étoit  la  chafle  ou  la  galanterie,  cherchât  â lui  débaucher  fe  fem-* 
me.  Cène  inquiétude  réciproque  enfenta  bientôt  des  querelles  ^  des  com- 


bats,  dej  dévaftmdohs /  nife  fàhs  projet* dé  conquête.  Ce  ii*éroiéat  qw 
des  animofités  de  fiiniiUe,  4iox«|uelle8  le  gouvernèmekir  ne  prenoic  aucone 
part.  Dè^  ûhtëréts  plu$  grands  ayant  allumé  ia  guerre  en:  1666  entre  lea 
deiQc  méàropoiés  ,' Saint  Chtiftophe  de^mt^|ltodallt  l^fpace  d^un  demi- 
fiede,  un  théâtre  de  camiqfe;  Le  plus  fiiîble;  obligé  d^évacuer  la  colonie» 
né  tardbit  pas 'dyrei«pirba  force,  autant  j^  venger  fes  défaites  que 
pour  recouvrer  ies  pertes.  Cette  alternative  fi  iong-'tenipff  balancée  de  fuc- 
cés  &  de  difgraces  finit  en  1742  par  Fexpulfion  des  François,  à  qui  le 
traité  d'Utrecht  ôta  tout  eipoir  dé  retour.  3 

:  Ce  fiiorificeliétoitlmédickre  alors  pour  une  nation  qui  n'avoit,  pour  ainfi« 
dbe;,  exercé  dws  cette  >pb4ibâion  qu'un  il/oit  -de  cham  &-  de  carnage.  Sa 
papulation  sY réduifoit  à.667  blancs  de  tout; âge  &  de  tout  feze,  à  19 
iiéiss:^ires9  it  6f9/e(clavesr  157  cberauXiOéç  bêtes  à  corne  fermoient 
tous  Tes  troupeaux.  Elle  ne  cultivôit  qu'un  peu  decotbn  &*- d'indigo;  die 
n'avoit  qu'une  feule  (ucrerie.    - 

'  Quoique  l'Angleterre  eût  fu^  depuis  long-temps  mieux  fiiire  valoir  tu 
droits  dans- dette  iflev'^Ue  ne  pipfita  pas  d'àboM  ^fc  la  eeflion  qui  U  kâ 
hiflbit  toute  entière^.  Sa  conquête  fut  long^temps  en  proie  à  des  Gouver- 
neurs, avides  qui  vendoient  les  terres  à  leur  pfofitv  on  qui  les  difiribuoient 
3^  leurs  créatures,  fans  pouvoir  ^garantir  la  durée  de^  la  vente  ou. dé  la  coo* 
cdfîon  au-delà  du.  terme  de  leur  adnfiraftrarion.  Le  parlement  d'Angle- 
terre fit  enfin  ceflêr  ce  défordre.  Il  ordonna  que  tovites  les  terres  faflënt 
mifés  à  l'encan,  &  que'  le  prix  en  fôt  porté  aux  caifles  de  l'Ftat.  Depuis 
cette  fagé  difpofidon,  les  ^fli^fions  nouvelles  furent  ^  cultivées  comme  les 
anciennes.  .  ,  »  ,        . 

L'ifle,  prifedims  fa  totalité  t  peut  avoir  foixante-dix-^milles  de  circoofê- 
rence.  Le  ceiûre  en  efi  occupé  par  un  grand  nombre  de  mpiitagnes  éle« 
vées  &  ilériles.  On  voit  éparfes  dans  la  plaine  des  habitations  agréables, 

'^    '     '    "    ets.  Le 

le  dans 
.  ,  padion 

à  Saint  Chrifiophe.  JMnaif  on  ne  fentit  h  ^oéçeflttè  4f  (9  réunir  en  petites 
afiemblées  pour  tromper  l'eniiui  ;  &  fi  les  François  n'y  avoient  laiflë  nne 
bourgade  ou  leurs  ma^ur^^fe  confèrvent,  en  |i'y  connpiiroit  ipotnjt  cet  ef« 
prit  de  fociété  qui  enfante  plus  de  tracafl<;ries  que  de  plaifirsv  qui  fc  nour- 
rit de  galanterie,  abputit  à  la  djébauçhe,  commence  par  les  joies  de  la  u^ 
bloj  fi(  fiiûtjiar  les  querelles  du  jeu.  Au  lieu  de  c^  fi^MiUcpe  d^ueioo, 
qû  n!€ft  qu'un  germe  de.  divi^on^p  les  p^ppriéta^ès:  vivent  ifoléi,  mais 
contens;  l'ame  &,  le  firent  fereins  coifime:  Içciel  tempéré,  oit  ils  reipirent 
un  air  pur  &:  falutUfC ,  au  milieu  d^  leurs  plantatîo|fs):^  parmi  leurs  ef« 
claves  qu'ils  gouvernent  fans  doute  en  pères  ^  puifqu'iU  leur  infpirent  des 
ientimens  généreux  &  quelquefois  héroïques. 


Fin  du  Tome  oniUme.  ^  ^ 


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THB  NEW  YORK  PUBUG  UBRARY 
RBFBRBNGB  DBPARTMBNT 


Thit  book  it  under  no  oirouinttanoet  to  be 
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