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TOME ONZIEME.
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DICTIONNAIRE
UNIJ^ERSEL
DES
SCIE N CES
MORALE, ÉCONOMIQUE,
POLITIQUE ET DIPLOMATIQUE;
BIBLIOTHEQUE
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L'HOMME-D'ÉTAT ET DU CITOYEN,
Mis en ordre & publié par M. ROBINET , Cenfeur Royal.
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t/€u Srém^ & â ^ ^cûté.
TOME ONZIEME,
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TA B L E
DE S ARTICLES
DU TOME ONZIEME.
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' ATALOGNE ^Province d'Efpagnc, avec
titre de Principauté y entre l'Arragon ,
les Pyrénées , la mer Méditerranée , &
le Royaume de Valence. Page i
Conjurations des Catalans contre Us Fran^
çois» 3
CATECK , Pays d*Afie , un peu au-deffous
de l'embouchure la plus occidentale du
Gange. 8
CATHERINE , ( Me de Sainte- ) dans
r Amérique méridionale , féparée du Con»
tinent par un canal fort étroit, ^
CATIUNA. lo
CATSAND ou CADSAND , Ifle fituée à
rextrêmité occidentale de la Flandre
Hollandoife. * i ^
CATON. Parallèle entre Caton & Ce far, le,
premier attaché a l'intérêt de fa patrie,
l'autre à fon intérêt particulier. 1 7
Caton» ou entretien fur la liberté & tes
vertus politiques. - ai
Caton » PoHtico^Efpdgnçly &c« 39
CAUSE, f. f. 40
CAUTION, f. f.
CAUTIONNEMENT , f. m. 43
C E
CECILE , Maîtrejfe lEric X , Roi de Da^
nemarc. 47
ÇECILL , ( Robert ) Comte de Salishury ,
Secrétaire^d' Etat , & grand- Tréforicr d'An-
gleterre , mort en 16 iz, ibid«
CECROPS , Fondateur d'Athènes: c a"
CEILAN, CEYLAN, ou CEYLON, «>!«
dci Jfles les plus importantes & les plus
fertiles des Indes Orientales , connue des
ancifns fous le nom de Taprobane. j )
Etabliffement des Portugais à Ceilan. 57
Etablijfement £* Commerce des HoUandois 4
Ceïlan. j^
CÉLEBES , IJU des Indes Orientales. 64
CÉLIBAT , f, m.
CÉLIBATAIRE , f. m. 67
Remarques importantes fur le Célibat £• fur
les maux qu^il doit caufer en France. 78
CELLAMARE, ( N. Prince de ) Ambafa-
ieur de Sa Majefté Catholique auprès du
Roi TrèsrChrétien ^ en 1718. 86
CENS , f. m. Dénombrement. 113
CENS, rente foncière due en argent ou en
grain . ou autre chofe , pour un héritage^
au Seigneur du fief dont il relevé. 125
CENSEUR. 127
CENSEUR ROYAL ou CENSEUR DES
LIVRES. ibid*
CENSURE . f. f. Magiftrature Romaine, dont
une des principales fondions Àtoit de
veiller aux bonnes mœurs, 132
De la Cenfure publique. 13 j
Cenfure des Livres. ijj
Cenfure de Propofitions. Cenfure Théologie
que. 146
CENTIEME-DENIER.
Du Centieme-Denier & des Infinuations^
Laïques, 14^
T A R L Ë,
CENTUMVtR.
CENTUMViRAT.
CERCLES DE i'EMPIRE.
CÉRÉMONIAL rr. m. *
Du Cérémonial des Souveraint,
I, Des honneurs perfonnels.
ibid
156
M7
M»
II; Z>« honneurs que les Souverains fe
rendent en s' écrivant. ^^ t6y
m. Honneurs rendus aux Repréfentans des
Souverains. 170
î V. Honneurs que les Souverains Jbn^ à
leurs Employés, * 175
y. Honneurs que les Souverains fe font
rendre à leur Cour ; & diJIinSions qu'ils
accordent 4 chacun de leurs Sujets. 176
-'NéceJJité du Cérémonial. . 177
De l'Etiquette de la Cour. 179
Du Cérémonial des Tribunaux de Juftice
•fi» autres Compagnies refpeSlaHes^ 181
Du Cérémonial des Répubiiques. ibid.
CERMENAT , ( Jean-Pierf e ) Auteur Po-
litique. 182
CÉSAR, furnom particulier à la famille des
Jules dans l'ancienne Rome. ibid.
CÉSAR 4 ( C. Jules ) Premier Empereur
Romain , fils de JuUus Céfar & d'Auré-
lie^ né à Rome Tan pg avant l'ère Chré'
tienne. 1 8 j
Elévation de Jules Céfar* 186
// forme le Triumvirat. ^87
Guerre des Gaules. 188
Guerre entre Céfar & Pompée. 192
'Guerre d'Efpagne. Ip4
Bataille de Pharfale. 196
Guerre de Céfar en Egypte» i^j
Guerre contré Pkafnàcé^ ' 199
Céfar à Rome. 200
Guerre ^Afrique. ibid.
Bataille de Thapfus. 201
Céfar de retour à Rome. ibid.
^Guerre de Céfar en Efpagne» 202
Bataille de Munda. ibid.
Céfar de retour à Rome. 20 ]
Confpiration contre Céfar. Sa mort. 204
Parallèle de Jules^Cefar avec Olivier Crom'
well. 205
CESSARES. ( République des ) 210
CESSION , f. f.
Si la Cejfion faite par vn Etat des biens de
fes Sujets â un, autre, Etat , ejl valable
indépendamment dû confentement des
propriétaires ? 213
Des ^ Cejfions forcées. Si elles font obliga*
toires ? 2x4
C H
CHÀGRÎN, f. ni. '217
CHALONOIS, Contrée de la Bourgogng,
Province de France. 218
CHAMBRE, f. f. 219
Chambre Apofiolique. Tribunal Eccléftaflique
à Rome. ibid.
Chambre bajfe ou Chambre des Communes. 220
Chambre haute ou Chambre des Pairs & des
Seigneurs' -225
Chambre Impériale, premier Tribunal de V Em*
pire Germanique. .229
Chambre des Comptes , Chambre des Finances^
•Chambre des Monnoies , de la Généralité
des Provinces-Unies. 232
Chambre mi'Partie. 234
Chambre d*A£urance ou Chambre des AJfu^
rances. * S 5
CHAMPAGNE, Province & Gouvernement
de France. 249
Réunion de la Champagne â la Couronne de
France. 245
CHAMP DE MARS ou DE MAt 246
CHANCELIER, f. m. 262
Grand-Chancelier J Angleterre.^ 263
Chancelier de V Archiduc d'Autriche. 267,
Chancelier de Bohême. ibid*
Chancelier, de Danemarc. ibid^
Chancelier de l'Echiquier ou GrandtCkan^
■ celier de la- Cour de (Echiquier. 268*
Chancelier , ou Gfand-Cnancelier , ou Archi"
chancelier de l'Empire ou du Saint'Empirt
Romain. ibid.
Chancelier ou Grand » Chancelier tEfpart
gnci ' 272
Chancelier de France, ^^73
Chancelier en Portugal, ftSi
r ^ B L E,
Orand-^Chaneelier d€ RuJJie, ' ' aSa
Grand'CfianctlUr de Suéde. ibid.
Chanceliers des Académies , des Unïverfités ,
des E^lifcs, ordres de Chevalerie, 283
CHANCELLERIE » f. f. Chambre où Von
écrit , ou Von /celle , où Von expédie
Us aéies, 28 {
Chancelleries d'Efpagne , Tribunaux SoU' .
yerains qui connoijfent de certaines af-
faires dans leur r effort, 286
Chancellerie Romaine. 287
Chancellerie aux Contrats, * 28(;
CHANDERNAGOR , Vùlè des Indes ^ dans
le BengaU, 291
CHANGE , f. m. Le prix ou le droit que
Von donne en changeant des monnoies
contre d* autres tnonnoies, 292
Table du Cours du Change de Hollande^
depuis s 4 jufquà $8 deniers de gros de -
Hollande\ pour Vécu de trois livres , avec
toutes les fraflions jufquaux fei^iemes ,
comme ils fe trouvent dans le Commerce
de Banque, ^ 300
^ A gens de Change, 308
Mémoire fur V origine de la nature des Changes
étrangers. 3 1 2^
Change Royal ^ Bourfe, de Londres ^ oh les
marchands s'ajfemblent. 319
CHANGEMENT , f. m.
Des Changemens Politiques, ibid.
Des Changemens qui arrivent dans la forme
du Gouvernement. 322
Des dangers auxquels les maximes favorables
au peuple 6» Us citoyens populaires ex-
po fent un Gouvernement libre ; & les
armes quU fournit contre fon établijfe-
ment, 326
Du pouvoir éclatant qu'ont Venthoufiafine
& Us fraudes pieufes , pour établir , pour
changer^ ou pour rendre la forme du Gou'
vernement durable, 332
Nouvelles conjidérations fur la durée des
gouvernemens Monarchiques , 6* fttr la
nature changeante & variabU de ceux qui
font populaires & libres, 333
Nouvelles Confdérations fur Us Changemens
politiques, 34 j
CHANUT , Amhajfadmr de France en Suéde ;
fous le règne de Chrijline. 3^1
CHARGE , f. f. Ofjice , Dignité. ' 352
De la durée & de la vénalité des Char-
S''' / 355
Charges Municipales. 367
CHARITÉ, f. f. Amour du prochain. 368
CHARLATAN, f. m.
CH ARLATANERIE , f. f . 3 70
Charlatanerie des Sciences, 371
Charlatanerie des hommes illuftres, 375
. Charlatanerie Religieufe. 374
Charlatanerie des Médecins. 37 j
Charlatanerie des profejjions des arts ou mé-*
tiers. ibid.
Charlatanerie de la Vertu, 376
CHARLEMAGNE. 377
Premières années de fon règne. 37$
Guerre de CharUmagne contre Us Saxons, 379
Zèle de CharUmagne pour faire revivre Ui
Lettres & les bonnes Etudes. 382
Suite des principaux faits de CharUma*
gne, 384
Piété de CharUmagne, 386
Suite des opérations niilitaires de CharUma»
gne. 387'
CharUmégne.déclaré Empereur d'Occident, ibid^
Idée de la Cour de CharUmagne. 389
Fin de la guerre des Saxons. 39a
Couronnement de Louis , fuccejfeur de ChaY»
Umagne. x 39'
CaraElere de CharUmagne. 39»
CHARLES V , /i^rcom/we t^ SaG£, Rôi de
France. 401
CHARLES VII , Roi de France, 4 ï 7
CHARLES IX , Roi de France, 426
CHARLES-QUINT , Empereur d'Allemagne
& Roi d*Ef pagne, 436
ùuerre de Charles- Quint contre la France, 44 1-
Rome faccagée par les Impériaux, 443
Suite de la guerre. 44 y
Diète d* A us bourg, ^ 446
Expédition de CharUs'Quint en Afrique- 447
Guerre pour le Duché de Milan, 448
Charles- Quint à la Cour de France. '449
Entreprife malheur eufe fur Alger. 451
Siège de Mct^. 454
TABLE,
'Abdication ii Charlts»Quînt* 4j6
Retraite £* mort de CharUs^Quint^ 457
CHARLES I, Roi d'Angleterre. 458
CHARLES n. Roi d'Angleterre. 462
Caradere de Charles II, » 465
CHARLES II , Roi d'Efpagnt. 467
CHARLES XII , fiop de Suéde. 4g i
CHARNASSÉ , ( Hercule Baron de )
Ambajfadeur de France en Suéde fous le
règne de Gujiave-Adolpke. 496
CHAROLOIS , Comté dépendant du Duché
de Bourgogne. ibid.
CHAROND AS , un des Légiflateurs de la
Grèce. , 497
CHARPENTERIE , f. f.
CHARPENTIER, C m. 499
CHARRON , ( Pierre ) Moralise céUbre. 503
CHARTE ET CHARTRE, f. f. J17
CHASSE, f. f. 527
CHASSE-MAItëE , f. f. 530
CHASTETÉ, f. f. 33 y
XHATEAU, f. m. 546
CHATEL, ( Pierre du ) Bibliothécaire &
ami de François I , Roi de France, ibid.
CHATELET DE PARIS. 347
ÇHATIGAM , VUle riche & confidérabU
^Afie , daru le Bengale , fw les confins
' eTArrakar^. 340
; CHAUFFAGE, f. m. 330
CHELONIS. 331
CHEMIN, f. m. ibid.
Idées d'un Citoyen fur les Chemins. 364
Obfervations fur les grands Chemins de
France. '378
De rAdminiftration des Chemi/u. 383
CHESCHIRE, Province Occidentale d'An-
gleterre , fur ta mfr d'Irlande , avec titre
de Comté Palatin. 608
CHESTER. ibid.
CHEVALERIE , f. fl 610
CHEVALIER , tare de Nàleffe diflinmf,
aurdeffus de celui d'Ecuyer. 6 1 1
Chevaliers Romains. 616
CHEZERY, ( Pays & VaUée de ) cédés
à I4 France & réunis au Gouvernement
Général de Bourgogne par Partiele t. dû
Trflité des Limites conclu à Turin , entre
le Roi de France & U Roi de Sardaigne ^
le 24 Mars 1760. 623
CHIFFLET, ( Jean- Jacques ) Auteur Poli»
t'iqiu. ibid.
CHIFFRE , r. m. Certains caractères inconnus ,
déguifés , ou variés dont on fe fert pour
écrire des lettres qui contiennent quelque
chofe de fecret^ afin qu'elles ne foient pas
comprifes par ceux qui n'en ont pas la
clef 626
CHILI , grand Pays de t Amérique Méridio^
^ nale^le long de la mer du Sud. 6)0
CHILON, Ephore de Lacédémone. 636
CHINE, vafte Empire en Afie. ibid.
Confidératiôns ultérieures fur l'Agriculture
des Chinois. 64S
De la forme du Gouvernement de la Chi"
ne. 6^^
Liaifons des Européens avec la Chine. Etat
de cet Empire relativement au Commer»
ce. 658
CHOPIN , ( René ) fameux Ligueur, & Au-
teur Politique. 678
CHOU-KING , Livre facré des Chinois qui
renferme Us fondenUhs de leur ancienne
^ hiftoire , les principes de leur morale &
de leur gouvernement. ôyi^
CHRÉTIEN. République ChrétUnne. Syfteme
de la République Chrétienne 9 imaginé &
foutenu par Leibnit^. 69a
Confiitution de la République Chrétienne. 691
Autorité du Pape dans U République Chr^
tienne. 692
Autorité de FEmpereur dans la République
Chrétienne. 693
Obfervations fur cefyftéme de Leibnit^. 6^j
CHRISTIANIA , ( Diocefe de ) Province
de Norvège, dans la partie méridionale
de ce Royaume. . 690
CHRISTIANSAND , autrefois STAVAN-
GER, Diocefe de Norvège. 702
CHRISTOPHE. ( Ifle de Saint- ) 705
Fin de la Table.
BIBLIOTHEQUE
BIBLIOTHEQUE
DE L'HOMME-DÉTAT,
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DU CITOYEN
CATALOGNE, Province dPEfpagne , avec titre de Principauté , entre
i^Arragon ^ les Pyrénées , la mer Méditerranée ^ & le Royaume de
Valence.
'ÉTENDUE de la Catalogne eft d'environ vingt -huit
milles d'Allemagne , du couchant au levant , & ^e trente<«
fept du feptentrion au midi : elle en a eu autrefois bien
davantage ; car elle comprenoit le Roulfîllon , Conflans , une
bonne partie de la Cerdagne, & le Comté de Foix, Mais
ces portions détachées , fuocedivement acquifes par la
France , en diverfes manières , ne font plus comptées dans la Catalogne ,
^ui n'en refte cependant pas moins l'une des plus confidérables provinces
de l'Efpagne. Elle eft atrofée du Segre , anciennement Sicorîs , qui fe
•groflit de plufieurs autres rivières , & ie joint a l'Ebre , proche de Mequi-
nencia, de l'Ebre, du FrancoH, du Leobregat, anciennement Rubricarus;
du BalTos, jadis Betulus; du Ter , jadis Thiceris^ du Fluvia» jadis Fluyia-
Aus , & de quelques autres moins remarquables. C'eft généralement un
très-bon pays, dont le climat eft fort tempéré, & dont le fol eft fort fèr-
Tome XL A
a CATALOGNE. ^ _
tile. Il eft moDtueux, bien plus qu^l n'èft uni; thaïs téûsrUA èé ibréts
fur fès hauteurs, & d'arbres fruitiers dans {ts valons, & dans fes plaines ,
il ne préfente en aucun endroit, l'itna^e de l'inculture ou de raridîté. Les
rofeaux qui po^nt le fucre n'y croi^fent pas comme dans le refte de
l'£(]>agne ; mais on y eft riche en grains , en vin , en huile , en légu-
mes, en chanvre, en lin & en fruits, & l'on vante ta bonne qualité de
toutes les viandes que l'on y mange. Il y a des cryftaux, de l'ai*
bàtre , du jafpe , des amëthyltes , de l'or , de l'argent , de l'étaim , du
plomb, du fer, de l'alun, du fel, & quelque peu de Cuivre. Et la pêche
du corail eft abondante , fur les côtes orientales. Il eft peu de Contrée en
Efpagne autant peuplée que la Catalogne : l'on y trouve un Archevêché ,
fept Ëvéchés, vtngt-bnit grandes Abbayes^ iine Pzincipiiné^^lfux Ducfefél,
cinq M^rqdifab , dix-fe^t Coidiés , quatorze Vicomtes ; & ticte niultkuAe
êe fiaronnies.
Quelques-uns divifent cette province en vieille & nouvelle Catalogne :
ils donnent le nom de4a première , à la portion qui va depuis les Pyrénées
au fleuve Leobregat jufques à la mer; & celui de la féconde, à celle
qui s'étend depuis le Leobregat, jufques aux frontières de Valence &
d'Arragon. Une divifion plus ordinaire & la feule qui foit ufitée dans le
pays même , la panage en quinze vigucries ou jurifdiâions ; on lui donne
Barcelone pour capitale.
Quand les Maures envahirent TEfpagne l'an 714, les Catalans fé diftin-
guerent par leur attachement pour la liberté : Us la foutinrent long-temps
contre ces nouveaux makres, avec le fecours de Charles-Martel , & de
Fepiti-Ie-BreF : mais à la Hn il fallut plier , Se les Maures établirent un
Gouverneur dans Barcelone. Zaro étoit pourvu de cette charge , lorfque
Charlemagne, plus puiflant que fon père, & que fon grand-pere^ mais
fi'^ayant pas le temps de faire la guerre aux Maures, fe contenta de rendre
ce Gouverneur tributaire de fa Couronne. Par cet événement les fuccef*
feurs de Zaro, fe trouvèrent à la nomination de la Cour de France.
Godefroy, l'un d'entr'eux, s'étant conduit avec beaucoup de bravoure^
au fervice de Charles-Ic'-Gros dans la guerre contit les Normands , frit
i&it Comte héréditaire de Barcelone, maisr toujours feus la fouveraineté dfc
la Francet X)kns le douzième fiede le Comte Raîn^pnd Beranger, ayarik
époufé l'héritière d^Arragon , il réunit la Catalogne \ <e dernier Royaume,
& la domination JPrançoife en frit exclue , jufques à l'an 1 641 ; k cettt
époque cette province 'révoltée, depuis un an, contre Philippe IV, fe
donna à Louis XIII; mais Louis XIV la rendit à la paix d^s Pyrénéen Tan
16^9. L'an X70J, l'Archiduc d'Autriche, rival de Philippe d'Atijoù, en
prit pofleffion , oc promit aux habitans la confervittion de toutes leurs
franchifes. Ces peuples étoient auffî braves ^^ aùffi amoureux jde leur
liberté , qu'ils l'avoiest été du temps des Maures> Abandonnés de l'Archiduc
l'an 1713.) ils ne perdirent point courage} on tes vit prêts à périr , plutôt
CATALOGNE. g
qa% fe (ouinettrc ; ils cr^ignoient moins U qiorc que U fervltvde : mais
cettjB confiance fut ladëe par des forces Qiajeures, & l'an 17 14, 1m Cacf«
lans ai cous leurs droits, fléchirenc (pus Philippe V.
Conjur^Ufpn du Catalans contre les François.
1 ^Es Efpagnols dérefpéranc de rentrer par la fprce des ar^ieç i^n ppflfer-
fion de la Catalogne , que les François venoient dç conquérir , tentèrent
d'enlever par la voie de Pintrigue cette belle Province aux conquérans ;
& la Cour de Madrid fe flattoit d'autant plus de réuflir , qu'elle étoit puif-
famment fécondée par Hippolite d'Arragon , Baronne d'Alby, trés-capar
ble en effet de réunir âc de guider les nombreux partifans que le Roi
^'Efpagne avoir en Catalogne. A beaucoup d'efprit, la Bai;onne joignoit la
plus inébranlable fermeté , une parfaite intelligence des affaire^ ^ une
adrelfe finguliere à fe concilier la confis^oe & l'^ittachenient de tous ceux
qu'elle vouloit gagner. Jeune, belle, pleine de grâces, elle étpit perpé-
tuellement environnée d'une foule d'adorateurs, n'étoit intimement unie
qu'avec quelques-uns qui fe croyoient réellement aimés & qu'elle ne pré-
féroit que par des vues intérelfées ; ne fç faifaqt d'ailleurs aucun fcrupule
4e profUhier ies charmes, lorfque.p^ar ce inoyea elle çfpyoit fatis&ire
ou Ion ambition ou fa v^engeaûce, EUp jdétefi;oic les François , çon par
patriotifme & parce qu'elle étott Efpagppte; mais en haine de fpn mari^
qui s'étoit attaché aux François & auquel elle avoir voué la plus implaca-
ble averfion ; elle eut également abhorré les Efpagnols , fi fon époux fe
fut déclaré pour eux.
L'ordre de citoyens le plus puifla^it alors en Catalogne , ainfi qu'en
Efpagne^ étoit le Clergé , & l'Abbé de GaHic^ns, Député des Ecclédafli-
3ues , étoit à la tête des Gens d'Eglife âf, jouiflbit d^ns cette Province
'une grande autorité. Il étoit très-important dç le gagner ; & comme il
étoit fort avide , la Baronne d'Alby parvint facilement à le mettre , à force
d'argent & de promeffes , datis les intérêts de la Cour de Madrid. Il y
avoir un autre homme , qui avoit prefqu'autant de pouvoir fur l'efprit des
Catalans , que le Député du Clergé. Cet homme s'appelloit Onofre
AquUlés , d'une naiflance affez commune , mais immenfement riche , très-
officieux, & qui par le noble ufage qu'il faifoit de fon opulence, s'écoit
fait beaucoup d'amis. Ce fut fur lui que la Baronpe d'Alby & le Dut
de Toralto, Gouverneur de Taragone, jetterent les yeux pour la diftri-
bution de l'argent que le Roi d'Efpagne s'étoit propofé de répandre dans
cette Province , afin d'y augmenter le nombre de (es partifans ; largeflès
qui dés- lors feroient d'autant moins fufpeâes , que ce riche citoyen écoit
depuis long- temps connu pour le plus libéral des hommes.
Malgré fon opulence & fon extrême générofité, Aquillés n'avoit cepen«
dant pu décider en fa faveur la Baronne d'Alby qu'il aimoit paAionné*^
A i
4r CATALOGNE.
ment, jufqo^alors elle s'ëtoit refufëe à Tes vœux; mais quand elle le crut
néceflaire à Tes vues, elle lui donna 4es efpérances & l'enflammant par
degrés , jufqu'à la plus véhémente paifîoi\ , elle lui promit de fe rendre à
fes défirs , pourvu qu^il fécondât le defTein que le Roi d'Efpagne avoit
formé de rentrer dans Barcelone, par le feeours des Catalans qui étoienc
refiés attachés à leur ancien maître. A quilles balança quelques momens
entre fon devoir & fa maltrefle ; mais celle-ci remporta : il s'engagjea
dans la conjuration , & reçut dans les bras de la Baronne le prix de fbn
engagement. Ces deux principaux Conjurés décidèrent avec PAbbé Galli-
cans d'employer le refte de l'année à gagner des créatures au Roi d'Ef-
pagne, par le moyen des diverfes fommes qu'Aquiilés diftribueroit aux
Parmée de terre devant les mûrs de la ville qu^ils feindrôient de vouloir
^flfiéger. L'Abbé de Gallicans promit qu'alors il aflembleroit le Confeil*
Général dont on auroit gagné le plus grand nombre des Membres , exhor-
teroit les Catalans à s'accommoder avec le Roi d'Efpagne & à rentrer
ibus- iés lotx ; mais que fi le Cardinalr^ Fréfident du Confeil ^ s'oppofbit
& cette opinion , l'Abbé fortirôit auffi-tôt de la ville à la tête du Clergé ^
fignal auquel tous les Conjurés s^armeroient , fe réuniroient, iroient em
foule brifer les portes des prifons & fe faifir de Parfenal , pendant que
Parmée navale débarquée & jointe à l'armée de terre attaqueroit & hâte-
roic la réduâion de la ville.
Cette réfblution prife , les trois confpirateufs travaillèrent à faire det
|>artifans à la Cour de Madrid & eurent d'autant plus de facilité, que n'y
ayant point alors de Vice-Roi dans la Pït>vince ^ depuis le rappel du Ma-
réchal de là Mothe, perfonne n'avoir ni alTez de zèle ni afTez d'autorité
pour s'oppofer efficacement aux délations injurieufes & aux fiiux bruits qu'ils
répandoient , foit au fujet des grands avantages qu'ils fuppofoient rem-
portés par les Efpagnols , foit au fujec de l'anéantiffement total des pri-
vilèges de la Province, qu'ils afluroient avoir été réfolu à la Cour de
France. Secondés par les circonflances , l'Abbé Gallicans , la Baronne
d'Alby & Onofre Aquillés ne doutoient prefque plus du fiiccès du comr
plot , lorfqu'ils virent leurs mefures déconcertées par l'arrivée du Comte
d'Harcourt qui vint, beaucoup plutôt qu'ils ne s'y attendoient, remplacer
en qualité de Vice-Roi, le Maréchal de la Mothe. Le Comte étoit un
homme très-vigilant & fort févere ; & fa préfence alarmoit les confpira-
teurs qui néanmoins furent bientôt raffurés, lorfqu'ils virent le Vice- Roi
fe difpofer à partir pour l'armée. La Baronne d'Alby , croyant que le
moyen le plus fôr de réudîr feroic d'être avertie à temps de tout ce qu'on
délibéreroit dans le Confeil du Vice-Roi, réfolut de fe ménager quel-
^'intelligence auprès da Comte y & celui qu'elle crut le plus propre à la
CATALOGNE. ç
fervir fut Chabot , coufin du Vice-Roi & ennemi déclaré de Dom Jofeph
Marguerit, Gouverneur de la Province. Chabot etoit précifément tel qu'il
le falloit pour retirer de lui, fans qu'il put s'en douEer, tons les fecours
que l'on vouloit en retirer. Vain à l'excès, préfomptueux jufques au ridi-
cule & de l'intelligence la plus bornée , rien n'étoît plus ftcile que de
Je faire tomber dans tous les pièges ; & on lui en tendit trois , qu'il n'é-
toit rien moins que capable d'appercevoir. La Daronne lui infpira de l'a-
mour, parut fenlible à fes vœux, & lui perfuadant qu'il en étoit tendre-
ment aimé, lui arracha tous fes fecrets , c'elî-à-dire , tout ce qu'il favoit
des projets & des vues du Comte d'Harcourt. Aquîllés lui offrir fa bourfe,
& l'oftentation de Chabot qui n'étoît point riche , trouva une refTource
afiurée dans l'opulente générofité du Catalan. L'Abbé de Gallicins & la
Baronne lui firent naître l'idée de fonger au Gouvernement de Catalogne,
& lui perfuaderent que , quoique par la conQitution de cette Province, le
gouvernement ne pût en être confié qu'à un Catalan, il lui fufiîroît pour
lever cet obftacle de fe faire naturalifer, pour peu que le Vice -Roi,
fon couGn , voulût s'employer à lui faire obtenir cette place importante.
Enchanté de cette propofition , Chabot qui fe repaiffoit volontiers de
chimères, adopta ce projet, remercia beaucoup fes trois amis, voua un
amour éternel à la Baronne , tira de grandes ibmmes d'AquilIés , regarda
l'Abbé de Gallicans comme fon meilleur ami & partit pour l'armée d'oi!i
il mandoit jour par jour toutes les opérations du Comte & toutes les réfo-
lutions que l'on prenoit dans le Confeil ; enforte que' les trois Conjurés
agirent à'aprcs ces inftruflions avec le plus grand fuccès , firent entrer
dans leur complot une partie des habitans de Barcelone & attirèrent dans
leur parti, le Bailli de Mattau, homme puiffant , faâieux & déterminé ,
qui jouillbit de la plus grande autorité parmi les Payfans &t les Mique-
lets. Il promit de faire palTer dans Barcelone cinq cents hommes armés
de poignards & de piftolets & de s'y rendre lui-même pour concourir à
l'exécution de l'entreprife.
Les grandes efpérances des confpirateurs furent troublées par la nou-
velle de la vi£loire complette que le Comte d'Harcourt venoit de rem-
porter à Livrens fur l'armée Efpagnole. Cet événement confterna fi fort
les faéïieux, qu'ils défefpérerent de réuffir. Cependant leurs trois chefs
moins abattus ne fongercnt au contraire qu'à faire éclater le complot &
envoyèrent ordre au commandant de l'armée navale de venir mouiller
l'ancre devant Barcelone i mais Marguerit, Gouverneur de la place, n'é-
toit point homme à fe laifTer furprendre , & il prit de fi bonnes précau-
tions , que les faélicux fe trouvèrent hors d'état de rien entreprendre.
Le Comte d'Harcourt averti de ce mouvement & foupçonnant quelque
conjuration formée à Barcelone , y envoya un Officier pour veiller à fa
confervation & tâcher de découvrir les faâieux. Ceux-ci tentèrent une fé-
conde fois d'exécuter leur projet, & rappellerent lit flotte qui , après avoir
6 €ATAtOON3Ç.
demeuré quelques jours dev^t B$x€p\ontf s'ëloigiu eacore & £é reti»
dans fes ports. La bmatioa des Coajurés devine alors tr^^-^inquiétante. Lçs
principaux d'entre eux s^aflemble^cnt pour délibérai- (Ur le parti qu'ils
avoient à prendre, Aquillés qui fe tïepentoit de s'êtra imprudemment en-
5 âgé, fit ce qu'il put cour détermîneff fes complices à renoncer à leurs
efTeins ; puifque la çojujuratiqn n'étant poipt encore découverte , il ne leur
r^floit plus que ce moyen de fk dérober au fupplice. Cet avis fage &
.modéré fut goûté par PafTemblée, & il eût été fuivi, fi l'Abbé de Galli-
cans n'eût excité les efprits à }a violence , en leur repréfentant qu'il étoit
déformais inutile de fe flatter de l'impunité; qu'ils en avoient trop fait
pour que le Comte d'Harcourt ignorât vn complot dans lequel la moitié
des h^itans de Barcelone étoient entrés ; en forte qu'il ne leur reftoit
plus qu'un des deux partis à choifir» ou celui de périr par les plus terribles
châtimens , ou c^lui de perfides C^ difcours emporta le contentement de
l'alTemblée , d'Aquillés lui-même ^ qui feignit d'y applaudir & auquel la
Baronne d'Alby , qui le voyoit irréfblu ^ dit cous bas : » fi je vous fuis
9 chère, embraÂez l'ojpinion de l'Abbé ( faites que l'on fe porte aux plus
n grandes extrémités ; fur-tout que l'on n'épargne pas mon odieux époux.
a> Quand nous en ferons défaits , nous pourrons nous marier ensemble. "
Déterminés à périr plutôt que de renoncer à l'exécutfon de leurs pro-
jets, les conjurés firent tou^ leurs préparatifs , & envoyèrent avertir le
commandant de la flotte de fe trouver devant Barcelone avec l'armée na-
vale. Mais rebuté de l'inutilité des deux premières entreprifes, ce com-
mandant ne crut pas devoir fe commettre une troifieme fois. Cet aban-
don inattendu rompit entièrement les mefures des hÔtWux qui^ défefpérés
d'avoir manqué leur coup, k livrèrent à la terreur & ne longèrent plus
qu'à fe mettre à l'abri du fupplice. Ils s'obligèrent tous par les plus terri»
blés fermens à ne point fe trahir les uns les autres , & cet engagement ne
calma que pour peu de mom^is leurs inquiétudes : elles furent bien plus
vives à Tarrivée du Vice-Roi qui s'appliqua tout entier à découvrir la con-
juration & promit non-feulement l'impunité, mais encore des récompenfes
à tous ceux , même du nombre des Conjurés , qui viendraient lui donQer
des lumières fur les auteurs & fur le plan du complot. Ce moyen qui
ne peut gueres manquer de réufiir eut un fuccès complet. On déféra le
Bailli de Mattare qui fut arrêté fur le champ \ mais il fut impofiible de
lui faire rien avouer; enforte qu'on n'avoit pas même pu le procurer
d'aflez fortes préfomptions contre lui pour le condamner à fubir la quei^
tion. On ne doutoit cependant pas qu'il n'eût pris beaucoup de part à ce
complot , & pour arracher les aveux qu'il refiifoit de faire , On mit en
ufage un expédient auquel il ne s'attendoit pas : on éplucha fa vie, &
Pon parvint à découvrir quelques anciennes fautes dont à peine le mal-
heureiix fe fouvenoit lui-même ; de manière que n'étant point du tout
préparé fiur ce nouveau procès , il fe défendit mal , fut condamné à mort
G AT AL O G NI. ^
Se apris !t condamnarion appliqué à la torture. La douleur des tourmens
lui ni tout confefler; il développa le plan de la conjuration, entra dans le
détail que le Comte déHroii de connoitre, chargea beaucoup Aquillës ainti
que la Baronne & l'Abbé de Gallicans. La promefle de l'impunité déter-
mina quelques autres conjurés à aller dénoncer le complot, & ils confir-
mèrent tous la dépofition du Bailli de Matiare. Heureui'ement pour Dotn
Aquillés il avoit eu la prudence de fe cacher fi bien qu'il échappa aux
recherches du Vice-Roi qui ne favoit ni quelle route il avoit prife , ni
quel éroit le lieu de fa retraite.
Cependant une foule de citoyens qui étoient entrés dans la conjuration
furent arrêtés , enfermés dans les prifons où la plupart furent exécutés.
Mais te Comte d'Hatcourt , quoique parfaitement inltruît de tout, afFefta
de n'inquiéter ni l'Abbé de Gallicans ni la Baronne d'Alby , les pluf
puniflables des faiSieux. A la tranquillité qu'on laifToit i Tes deux compli-
ces, Dom Aquillés s'imaginant que le Vice-Roi n'avoii pas découvert lej
principaux chefs de la conrpiration , crut qu'il n'auroit pas plus à crain-
dre que la Baronne & l'Abbé. Raffurë par cette idée , il rentra fecréte-
ment & choifit une retraite qui n'étoii connue que de la Baronne d'Alby.
Cependant le Comte d'Harcourt irrité de l'inutiliré de fes recherches &
impatient d'avoir en fa puilTance celui qu'il regardait comme le plus cou-
pable, promit une grande récompenfe à celui qui découvriroit le lieu où
Dom Aquillés s'etoit retiré. La Baronne d'Alby fort alarmée de ce nou-
veau moyen propofé contre fon amant, fe tranfporta chez lui, l'avertit
du péril , le fit entrer dans fon carrolTe oii elle le cacha de fon mieux
& le tranfporta chez les Carmes où elle le crut beaucoup plus en fureté.
Son attente fut déçue, le portier de ce Monaftere avoit pour frère un ar-
tifan fort pauvre, & dans la vue de lui faire gagner la fomme confidéra-
ble propofée par le Vice-Roi, il l'engagea ^ aller dénoncer la retraite de
Dom Aquillés, que le Comte lui-même à la tête d'un détachement alla
faifir chez les Carmes. Son procès fut bientôt inftruit : dès le lendemain
le coupable convaincu fut condamné à mort. Avant que de périr fur l'é-
chaffaud il fouffrit pendant deux jours de fuite les tourmens de la plus
violente queftion ; mais la force de la douleur ne put ébranler fa confian-
ce, & il îcroit mort fans déclarer aucun de Tes complices, fi le religieux
qui l'afliffoit dans ces derniers momens ne l'eût engagé à confefler tout
ce qu'il favoit au fujet de la conjuration. Alors feulement il déclara tout
ce qu'on vouloit fav'>ir & fiit exécuté. On le plaignit ; il méritoit de l'ê-
tre. Galant homme, libéral & très-dtfintérefTé, il s'ètoît généralement fait
cftimer avant que fa fiinefte pafTion pour la Baronne d'Alby ne l'ei'it
rendu coupable. Chabot, qui lui avoit de très-grandes obligations, fut fi vi-
vement irrité d'avoir eu la complaifance d'accepter ds trés-gro(fes fommes
d'un traître, que pour fe venger il demanda la confifcation des biens
d'Aquiiléi. Les plus coupables d'entre les conjurés furent punis de mort.
8 C A T E C K.
& le Vice* Roi fit grâce ï tous; les autres. Les Cttalanr témoignèrent ou
feignirent une joie uncere de voir cette conjuration diffipée. Tous les corps
de la ville de Barcelone en firent des complimens au Comte d'Harcourt ,
Se l'Abbé de Gallicans eut l'imprudence de venir à la tête du Clergé féli-
citer ce Seigneur de ce qu'il avoit découvert les auteurs & les complices
de cet af&eux complot. Le Vice-Roi l'interrompant avec indignation :
9 Oui, lui dit-il, je connois tous les coupables & vous êtes un des pre-
9 miers. " En même-temps il le fit faifir & conduire à l'arfenal , d'où il
fe contenta de l'envoyer en exil; tant on craignoit que le fupplice, quoi-
que très*mérité, d'un Eccléfiaftique ne ibulevât les Catalans. Quant k la
Baronne >d'Alby^ fon fexe, fa beauté , les fervices de fon mari & le me-
ute de Dom Jofeph d'Ardenne fon heau-frere très-attaché aux François,
lui fauverent la vie : elle fut exilée à Tarrarone. Le Vice-Roi lui faifant
patrie contrje la France à laquelle elle ne tenoit que par fon man , dont
on favoit que les intérêts étoient trés-difFérents des (iens; enforte que
fi on avoit à la punir , c'étoit uniquement comme ennemie de la France à
laquelle elle ne devoit aucune fidélité. Ces raifons n'eufiènt très-certaine-
ment point jufiifié la Baronne d'Alby fi d'autres confîdérations n'euiTent
déterminé le Vice-Roi à ufer d'indulgence.
C A T E C K ., jfays .^Afit , un peu au - dtjfous de l\cmbouchurc la plus
^occidentale du Gange.
1 j E Cateck a un port nommé Balafibr , fitué fur une rivière navigable.
Les mêmes Marates qui en 1740 avoient ravagé la côte de Coromandel ,
s'emparèrent quatre ans après de cette petite province & s'y fixèrent. Ils
n'y ont pas encouragé l'indufirie^ mais ils n^ont pas ruiné, comme on le
craignoit, celle qu'ils y ont trouvée établie. Depuis cette invafion, le
Cateck continue fa navigation aux Maldives , que l'intempérie du climat a
forcé les François & les Anglois d'abandonner. Il y porte de groffes
toiles , du riz , quelques foieries , du poivre qu'il tire d'ailleurs ; & il
reçoit en échange des cauris , qui fervent de monnoie dans le Bengale , &
qui font vendus aux Européens. Les habitans du Cateck & quelques au-
tres peuples du bas Gange , ont des liaifons plus confidérables avec I0
pays d'Azenu
CATHERINE
CATHERINE. {IJle dt Sainte- )
Catherine^ ( Ifle de Sainte- ) dans V Amérique méridionale ^
féparéc du Continent par un canal fort étroit.
c
ET TE Ifle peut avoir neuf lieues de long fur deux de large. Quoique
fes terres foîent afTez hautes , on ne peut la découvrir de dix lieues^
parce que dans cet éloîgncment elle eft obfcurcie par le Continent , dont
le* montagnes font extrêmement élevées. Son port offre un relâche facile
& fôr aux plus grandes flottes. Elles trouvent un printemps prefque con-
tinuel, des eaux excellentes, une grande abondance de bois, des fruits
exQuis , de bons légumes , & un air pur , fi ce n'efl dans le port où les
forets , & les hauteurs d'alenteur concourent à le rendre humide & étouflS^.
Il n'y manqueroit rien fi les bœufs fauvages, dont on pourroit fe fervir^
avoient une chair moins défàgréable.
Cent cinquante à deux cents Brigands qui sMtoient réfugiés dans l'Ifle
au commencement du fiecle , reconnoiflbient l'autorité du Portugal , mais
fans adopter fes haines. Ils recevoient indifféremment l«s vaîfleaux de
toutes les nations qui alloient à la mer du Sud, & leur livroient leurs
produâions pour des armes, de Teau-de-vie & des habits. Us méprifoient
Tor , & avoient pour toutes les commodités que la nature ne leur four-
niffoitpas, une indifférence qui eût fait honneur \ des hommes vertueux.
Uécume & le rebut des fociétés oolicées peut former quelquefois une
ibciété bien ordonnée. Ce font les fardeaux de la mifere , la diflribution
trop inégale de la propriété , l'infolence & l'impunité des richefles , c'eff
l'abus du pouvoir qui fait fouvent des rebelles & des criminels. Réuniffez
tous ces malheureux que la rigueur outrée des loix fouvent injuftes a ban-,
nis de la fociété , donnez-leur un chef intrépide, généreux, humain ^
éclairé ; vous ferez de ces brigands un peuple honnête , docile , raifonna-
ble. Si fes befoins le rendent guerrier , il deviendra conquérant ; & pour
s'agrandir, fidèle obfervateur des loix envers lui-même, il violera les droits
des nations ; tels furent les Romains. Si fau^e d'un conduâeur habile , il
eft abandonné à la merci des hafards & des événemens, il fera méchant «
inquiet, avide, fans fiabilité» toujours en guerre, foit avec lui-même,
foit avec fes voifins : tels furent les Paulifles. 'Enfin s'il peut vivre plus
tifément des fruits naturels de la terre , ou de la culture & du commerce
que du pillage , il prendra les venus de fa fituation , les doux penchans
qu'infpire l'intérêt raifonné du bien-être. Civilifé par le bonheur & la fé«
icurité d'une vie honnête & paifible, il refpeâera dans tous les hommes
les droits dont il jouit, & fera un échange de la furabondance de fes pro-
duâions avec les commodités des autres peuples : tels furent tes réfugiés
de l'ifle Sainte-Catherine.
Tome XL B
,11 G AT I 1,1^ A.
Exilés par la crainte de$ peioes atroces qui fuirent trop fbuvent des
crimes matheureux , ils formèrent un établiuement de commerce, avan-
tageux même pour l^tat qui les avbit repoulTés de fon fein. Vers Tan
1738, on leur donna un Gouverneur & des foldats; on entoura leur port
de fortifications. Comme il eft fort fupérieur à tous ceux de cette côte , il
méridionale.
m
CATILINA.
jff^ PEINE tes Romains avoient vu s^épuifer les fureurs de Sylla qu'ils
furent expofés aux horreurs d'une trame plus odieufe encore que les pro(^
criptions de ce farouche Diâateur. Pour juger du péril qui menaçoit la
République, il fufEt d'avoir une idée du caraâere atroce de celui qui
avoit confpiré la ruine de Rome, le maflacre de la plus refpeâable par-
tie du Sénat , l'extinâion des familles les plus diftinguées y le carnage du
plus grand nombre des citoyens, la fubverfion des loix & l'aflerviflement
du peuple. Cet homme , aufli capable d'exécuter fts noirs complots , fi
la fortune eut fécondé fts vues, qu'il avott été capable de fermer le pla»
de la plus dangereufe des confpkations , étoit Catilina , d'une illuftrCL
aaiflfance , ^ fait , à ne confidérer que fes talens ^ fes rares qualités , pour
aipirer aux premières dignités de l'Ëtat. Prudent , courageux , intrépide ^
exercé aux plus dures fetigues , ingénieux , éloquent , éclairé y fi quelque
chofe en lut jpouvoit égaler l'étendue de fon génie,. c'étoit l'étendue de
ïa méchanceté de fon amev niais l'excès de fa perverfité furpafibit de
beaucoup" la fupériorité de fes talens; & cette corruption extrême, it
avoit l'art de la cacher fous le plus féduifant extérieur.. L'efprit toujours
rempli des moyens de nuire & d'aflbuvir fes penchans y perfonne n'étoît
plus habile que lui à diffimuler de pernicieux deflèins. Jamais il ne con*
fiut des degrés dans le crime, ôc its atrocités avoient été fès premières
aâions : parvenu à Tadolefcence^ il avoit corrompu une Vefiale, qu'il
avoit quittée après en avoir abufé pour une jeune Romaine du fang le
plus illuftre , qu^l avoit débauchée , & dont il eût une fille qui devint
pour
*op-
l'un
fils unique ^ balançoit de fe marier , dans la crainte de nuire à la fortune
de cet enfimt , Catilina fixa fes irréfolutions , empoifonna le fils & époufa
la mère» Digne anû de Sylla ^ il fut le plus impitoyable de fes
C A T IL I N A; i€
treS| fe pôru aux plus monftrueux excès de cruauté peodant les prof-
criptîons ^ & fie couler dans ce temps orageux le plus pur fang de
Rome.
On eft (urpris qu'avec tant de (cëlératefTe » Catilina ne fè fût pas rendu
l'exécration de Tes concitoyens ; mais Tétonnement cefTe , quand on fonge
que ce monftre poflëdoit au degré le plus éminent l'art de cacher it%
penchans déteftables , & de donner même à fes vices l'apparence des ver-
tus : il (e prétoit à tous les caraâeres ^ s'accommodoit aux mœurs de
chacun ^ plaifbit également à tout le monde , & gagnoit jufqu'aux fuf-
frages de ceux, que Tes aâions avoient le plus vivement ulcérés. Ami
fecret & décidé des plus iniignes fcélérats, on ne le voyoit en public,
qu'avec des citoyens vertueux : raviflëur injufte , infatiable des biens d'au*
trui, il prodiguoit le (ien, & répandoit avec une égale profufion k%
tréfors & les richelTes qu'il fe procuroit à force d'ufurpations, de larcins
& de crimes. Son ambition démefurée briguoit toutes les places , âc
Ton orgueil lui &ifoit croire qu'il n'y en avoit point qu'il ne fut digne
-d'occuper.
Tel fut le caraâere de ce Catilina , qui forma le projet de détruire
la République, & d'établir fa fortune fur les ruines de la Capitale du
monde. Affermi dans fa réfolution , il chercha des complices , & en trouva
facilement 4ans Rome, où le luxe avoit introduit toutes fortes de vices«
Une foule de gens fans mœurs , facis honneur , perdus de dettes , pour-
fuivis par leurs créanciers , une multitude d'aflaffins , de meurtriers , d^
vagabonds qui cherchoient à fe dérober à la. rigueur de la jufHce, vin--
rent fe ranger auprès de CatiUna qui les accueilloit , les flattoit , les
plaignoit de vivre fous des lotx trop dures, d'obéir à des Magiftrats qui
s'érigeoient en tyrans, & fans découvrir fes deffeins leur fai(bit efpérer
une révolution heureufe.
Toutefois ce n'étoit pas feulement des gens fans aveu , fans nom^
des citoyens obfcurs que Catilina s'étoit aflbciés : il comptoir parmi les
conjurés des Chevaliers, & mime quelques Sénateurs. Lentulus, Cailius^
Céthegus ne rougirent point d'entrer dans fes complots; CralTus fut foup-
çonné d'y avoir pris part , & Céfar même en fut aifez hautement acculé.
Des liaifons au(Ti fufpeâes , & la proteâion que Catilina accordoit à tout
ce qu'il y avoit à Rome de mauvais citoyens , dont il étoit fans cède
environné , donnèrent de l'inquiétude aux Magiftrats ; ils entreprirent d'é«
clairer fa conduite, de fuivre (es démarches, & cette vigilance l'enga*
gea à hâter l'exécution de fon projet. Les circonftances lui parurent d'au*
tant plus favorables , qu'il n'y avoit point alors d'armée en Italie , & que
Rome n'avoir pour la défendre que des foldats qui ayant fervi fous Syl-
la, accoutumés à la rapine, déHrant une guerre civile, s'empreffoient de
fe ranger fous les drapeaux de quiconque leur permettroit de fe livrer à
leur goût pour le brigandage.
t^ CATILINA,
Quelques précautions que Catilina eut prifes dans le choix de £es com-
plices ; il avoic eu l'imprudeûce d'admettre parmi les conjurés Quintus-
Curius, homme également incapable de garder Tes propres fecrets; & de
taire les confidences que les autres avoient eu la foiDlefle de lui fkire.
A force de débauches Quintus-Curius avoit entièrement épuifé fa fortuné
& dépenfé la meilleure partie de fes biens avec Fui vie, femme de qua-
lité, mais fans mœurs & d'une avidité qui égaloit fon goût pour la pros-
titution. Depuis que fon amant avoit ceffé d'être en état de payer fes
plaifirs , l'intéreflee Fui vie avoit ceffé aufli d'avoir pour lui des complai-
fances. Curius, animé par la confidence de Catilina, & fe croyant déjà
poffeffeur des richeffes qu'on lui avoit promifes , accourut chez Fulvie.
Après l'avoir* menacé de lui plonger un poignard dans le cœur , fi elle
refufoit de vivre avec lui comme elle avoic vécu précédemment, il cher-
cha à l'éblouir par les plus magnifiques promeffes. Avec un tel homme,
il ne fot pas difficile à Fulvie de pénétrer le fecret de la conjuration.
Avec des mœurs perdues , même au milieu des plus honteux déborde-
mens , il n'eft pas impoffîble qu'une femme conferve l'amour de la pa-
trie, & quelquefois des fentimens de probité. Fulvie ef&ayée du danger
2ui menaçoit Rome, & voulant à la fois fauver fa patrie & fon amant,
t part à plufieurs perfonnes , fans nommer celui qui l'avoit inihtiite ,
des découvertes qu'elle venoit de faire.
Le Sénat informé des projets de Catilina y crut que le moyen le plus
fQr de les déconcerter, étoit de nommer au confulat un citoyen aœf,
zélé pour la patrie , vigilant & courageux , non de cette valeur qui covr
fifle à affronter la mort parmi les horreurs de la guerre, mais de cette
mâle fermeté qui s'oppofe aux entreprifes d'une troupe de fcélérats puiffans ,
Si ne craint , ni leur vengeance , ni leur reffentiment» Tel étoit Cicéron ^
le plus éloquent des hommes , le meilleur des citoyens & le plus grand
des Magiftrats. Rome dans le péril jetta les yeux lur lui ^ il réunit tous
les fttfFraees & fut élu Conful avec L. Antonius , auffi capable d'en impo-
fer par la valeur guerrière, que Cicéron par fa vigilance & fon amour
pour la patrie.
Cette éleAion à laquelle Catilina ni (es complices ne s'attendoient pas,
les ulcéra d'autant plus , qu'ils ne doutèrent point que leur ruine n'eût
été le motif de ce choix. Furieux de la préférence accordée à Cicéron ,
Catilina n^en devint que plus audacieux , & fon audace s'accroiflbit en pro-
portion du nombre de fes partifans qui s'augmentoit de jour en jour. U
hâta les préparatifs , & lorfqu'il crut avoir pris tous les moyens de réuffîr,
il ofa demander hautement le confulat pour Tannée fuivante; il fit même
des démarches pour gagner Cicéron , & le trouvant inacceffible à fes of&es ,
il forma le deffein de lui arracher la vie ; mais le prudent Conful , toujours
accompagné de fes amis & de fes cliens, évita les attaques & les pièges
des conjurés. Alors Catilina , réfolû d'en venir à la jfbrce ouverte ^ envoya
CÀTILINA, 13
quelques-uni de Tes complices dans les principales villes d^Italie avec ordre
d'en faire foulever les habicans : il plaça en difFerens quartiers de Rome
des troupes de conjures & fe réferva le foin d^incendier la ville ; il leur
ordonna de fe tenir prêts à fidre main baffe fur tous les Romains ^ fans
diftinâion d'âge \ de fexe ni de rang y & de mettre tout au pillage , à la
faveur du délordre & du tumulte que Pinc^ndie ne manqueroit pas de
eau fer. Mais avant tout il chargea Cornélius , Chevalier Romain & Var«
guntegus Sénateur, d'aller poignarder Cicéron.
Fulvie informée de ces difjpofitions par Quintus-Curius , avertit le Conful
qui fe tint fur (es gardes , oc pourvut ii bien à la fureti de Rome , que
les ordres donnés par Catilina ne purent encore être remplis. Manlius,
Lieutenant duChef^des conjurés agiflbit avec plus de fuccès en Etrurie,
oii il avoit ra(femblé fous fes drapeaux une multitude de brigands qui ,
attirés par l'efpoir du pillage & compofant une armée affez confidérable ,
s'étoient déjà avancés juiqu'à Férules. A cette nouvelle la confternatioa
abattit les Romains ; ils (e croyoient perdus & ils l'euffent été inévitable-
ment , fi le Conful eût été fufceptible de la même terreur : mais tandis
qu'il veilloit fur les démarches du chef des conjurés dont il rompoit toutes
les mefures , le Sénat , par fes ordres envoya dans les difFerens endroits
de ritalie , d'oii on avoit le plus à craindre , *quatre Généraux de très-
grande réputation « & le Conful Antoine à la tête d'un petit nombre de ci-
toyens aguerris , s'affuroit dans Rome des pofles les plus importans. Ce fut
dans ces circonflances que le hardi Catilina ofa paroitre en plein Sénat pour
fe juflifier des foupçons trop fondés qu'on avoit contre lui; mais Cicéron
le prévenant , prononça cette belle harangue , connue fous le nom de Se-'
condc Catilinairc y & malgré fon éloquence ne put déconcerter le chef des
conjurés qui , priant les Sénateurs d'un ton auffî modefle que celui du
Conful avoit été impétueux , de n'ajouter aucune foi aux calomnies qu'ils
venoient d'entendre , fit fon apologie , & vomit tant d'injures contre le
Conful, que la plupart des Sénateurs lui impoferent filence avec indigna-
tion. Trop fier , même dans la conviâion du crime , pour recevoir des or-
dres» Catilina jettant fur eux des yeux de fureur, » puifque vous me
x> pouffez à bout , leur dit- il , attendez- vous à éprouver dans peu tous les
i> effets de ma vengeance « , & fortatit de l'affemblée fans que l'on ofàc
l'arrêter, il partit pour fe rendre au camp de Manlius, après avoir re-
commandé à Cethegus & Lentulus de mettre Cicéron à mort, & de ne
différer que jufqu'à la nuit fuivante l'exécution de l'incendie , des meurtres
& de tous les complots tramés contre la République.
Tout paroiffoit préparé pour cette afïreufe entreprife; lentulus & Ce-
egus fe âattoient d'avoir attirr^ ^'^- Aii^k^^^-evî^^e 1-.,.- «^^i^; \r/>«.Kri.».ic
m des conjurés , fe croyoit fi
pendant n'agiflbient que d'après
plus grand zèle pour le fuccès de la confpiration , qu'afin d'être mieux inf-
14 C A TIl I N A*
tniics des fecrets & da plan de Catilina. Auffi fut-xe par eux que le Sénat
apprit qu^audi'tôc que le chef des conjurés aurait donné avis de fon arri«-
vée à Férules, le Tribun Bertia convoqueroir le peuple devant lequel il ao-
cuferoit Cicéron d'allumer le feu de la guerre civile^ <& que lorfque b
populace auroit été indifpofée contre le Conful , on proficeroit de la pre-
mière obfcurité de la nuit pour mettre en même - temps le fbu en douze
difFérens endroits de la ville ; qu'auflî-tôt les conjurés fe répandraient dans
cous les quartiers, égorgeroient les Sénateurs & maiTacreraient tout ce qi)i
fe préfenteroit dans les rues de Rome , d'où ils s'éloigneroienc pour aller
prendre Catilina qui viendroit avec fes troupes achever de répandre le (ang
du peu de citoyens qui feroient échappés au premier carnage.
On touchoit au moment de l'exécution , quand Cicéron donna ordre i
deux Préteurs de s'aflurer du Pont Milvien ^ de fe faifir de tous les Allo-
broges qui étoient dans Rome & de leurs Ambaflkdeurs , ainfi qu'il en
étoit convenu avec ces derniers* Il manda en même-temps Lentulus , Ce-
thegus, Statitius, Sabinius & Ceparius ; le dernier prit la fuite; les autres
ne fe doutant point que leur fecret fut découvert , fe rendirent fans crainte
chez Cicéron qui les fît conduire avec une foule d'autres conjurés dont on
s'étoit faifi , dans le temple de la Concorde. La difficulté n'étoit pas de
convaincre les coupables; mais de favoir quel parti l'on prendroit, plu-
fieurs d'entr'eux appartenans aux maifons les plus illuflres , Lentulus étant
même revêtu de la dignité de Préteur. Les Sénateurs étoient dans la plus
grande incertitude, & rien n'étoit moins prc^re à la fixer, que les opn
nions contraires de Céfar & de Caton qui haranguèrent tour-à-tour, ie
premier cherchant à déterminer le Sénat ï ufer d'indulgence envers les
conjurés , du nombre defquels on le fbupçonnoit , & Caton pour démon-*
trer combien il importoit d'ufer de la plus grande févérité pour peu que
l'on s'intéreflat au falut de la patrie. Le Conful fe joignit à Caton donc
Tavis prévalut ; les coupables furent tous envoyés en prifon où ils furent
étranglés par la main dfu bourreau.
Tandis qu*à Rome Cicéron fàifoit périr une partie des complices de
Catilina , celui-ci travailloit à rendre fes légions complettes , & s'occupoit
à éviter, jufqu'à ce que fon armée fiit mieux exercée & plus nombreufe,
la bataille que le Conful Antonius fe préparoic à lui livrer, La nouvelle de
ce qui s'étoit pafTé à Rome étant parvenue jufqu'au camp de Catilina, le
plus grand nombre de (es foldats l'abandonnèrent , & il tenta de ie fauver
avec le refte dans la Gaule ; mais Métellus Céfar lui coupa cette retraite
& le ferra de fi près , que ne lui reftant plus d'autre parti ï prendre que
celui de hafarder une bataille , Catilina rappellant toute fon audace & ni-
fant paiTei: dans le cœur de (es complices l'intrépide fureur qui l'animoit,
il marcha au devant de l'armée d'Antoine qui , obligé par une violente
attaque de goutte , de s'abfenter , chargea fon Lieutenant Petréïus de cette
importante expédition*.
CATSAND, ou C A D S A N D. tf
Du moment que les deux armées» également animées du défir de corn*
battre, furent en préfence , la bataille fut engagée & foutenue des deux
côtés avec une égale valeur : Catilina balança long* temps la viâoire, fît
la plus courageufe réfiftance & eut fini peut-être, par remporter l'avanta-
ge , fî Petréïus fe mettant à la tête de la cohorte Prétorienne ne fe fût
impétueufement jette au milieu des ennemis. Ils ne purent foutenir la vio-
lence et cette atuque , ils furent enfoncés , & Manlius Secondant fon Gé-
mmAtmt^% f^«i ^•««•«■••■■^M •«^••«MA«««> W^t0gxCfm*m^ •>.#%•«#• /•«a* t^ ^•1«m«*««« Ât^ l^tfk^Mlll^ T1 ««^AaK
vie« cherchoient à l'épargner, il en abattit à fes pieds un fi grand nombre^
u'on fe hâta d'arrêter le cours de fes fureurs. Percé de coups il tomba
C finit par un genre de mort trop glorieux & qu'il n'eue dû recevoir que
iiir un échafFaud«
ï
CATSAND, ou CADSAND, ijle Jttuèe à VcxtrèmiU occidentale
de la Flandre HoUandoife^ .
C
ETTE ifle efl bornée au nord & à l'occident par la mer ^ à l'orient ^
par un bras de l'Efcaut occidental , qu'on appelle t^Zwaru-gat^ & au midi
par le Zwin, Elle a du nord-eft au lud-oueft environ deux lieues de Ion*
gueur, & autant de largeur du nord au fud. Elle étoit autrefois beaucoup
plus grande. Mais la mer en a englouti plus de la moitié , avec un grand
nombre de villages. Ce n'efl que par de trés-fbrtes digues dont l'entretien
coûte extrêmement, que l'on garantit cette ifle quiefl tort baflè, d'être en-
tièrement engloutie par la mer. Le vent du nord-ouefl efl celui qu'on y
appréhende le plus. D'ailleurs , cette ifle efl fort fertile , & produit de
très- bon froment. Il y a un grand nombre de réfiigiés François qui s'y font
établis , & qui s'appliquent particulièrement au labourage.
Cette ifle appartenoit anciennement à l'Evêque dlJrrecht, & il y avoît
une Prévôté de Bénédiâins , qui ne fubfifle plus depuis fort long-temps»
Son véritable nom efl Catfand, & elle le tire des Cattes qui habitoient
le pays de HefTe , & dont quelques eflaims allèrent fe jetter dans le pays
qu'on nommoit Batavic^ & une entr'autres dans cetteMfle. Snlaltegange,
dans fa grande cronique de Zélande , dit , que cette ifle faifoit autrefois
partie de la Zélande, & qu'elle n'en étoit féparée, que par la rivière de
Lieve. Elle a été pendant iong*temps le théâtre de la guerre entre les Fla-
mands & les HoUandois, les Zélandois & les Anglois. En 1^04, le Prince
Maurice fe rendit maître de cette ifle » & en chafTa les Efpagnols ^ ce qui
i6 CATSAND, ouCADSAND.
contribua beaucoup à la conquête de TËclufe. Depuis ce temps*13k elle eft
reftée fous la domination des £cats- Généraux.
Cette ifle eft partagée aujourd%ui en deux parties prefqu'égales. La par-
tie orientale fait partie du bailliage d'Oftbourg, & comprend les villages
& les polders. L'occidentale fait partie de celui d'Ardembourg , & Tune &
l'autre font du reflbrt du franc de l'Eclufe , excepté les Seigneuries de
Breskens & de Nieuvliet, qui ont leurs jurifdiâions particulières. ^
La partie occidentale eft proprement appellée le pays de Cadfand ^ Se
comprend les villages de Cadfand , Zuytzande , Cafandria , Ter Hofilede ,
le polder de Thienhondert » celui qu^on nomme le Swarte-Polder & quel-
ques autres moins confidérables. Tout ce pays contient fix mille huit cents
quatre- vingt-dix-fept gemeeten , mefure de trois cents verges de douze
pieds chacune , & cent cinquante-quatre verges. La Seigneurie de Nieuvliec
eft auflî (ituée dans cette partie occidentale.
Le village de Cadfande eft aftez grand , & il y a deux rues principales ,
avec deux églifes fur un même cimetière ^ Tune pour les Flamands, deffer-
vie par un Miniftre de la clafle de Walcheren, & l'autre pour les François ^
qui ont un Miniftre du fynode Wallon.
Zuytzande eft un petit village qui n'a qu'une rue. Il y a une églife dont
le Miniftre eft de la ctafte de Walcheren.
Cafandria, qu'on nomme aufli le retranchement^ eft fituée fur le bord
du Swin. Ce lieu étoit ci-devant fortifié & défendu par deux forts à chaque
extrémité , qui portoient les noms d'Orange & de Naftau. Il y avoit un
Commandant , un Major de la place & un Commis du magazin ; mais les
fortifications en ont été rafées avant la dernière guerre , & au-lieu de cette
forterefle , on s'eft fervi d'un vaiffeau de guerre qui étoit toujours à l'an-.
cre à l'embouchure du'Svin, pour en défendre l'entrée. Il y a une églifb
dont le Miniftre eft de la claâe de Walcheren. Ter Hofidede n'eft qu'un
petit hameau de cinq ou fix maifons , entre Cafandria & le trajet de
l'Eclufe.
Le polder de Tien-hondert eft Cixué à l'orient du village de Cadfand , &
comprend quatre cents foixante*un gemeeten. Le Svarte Polder , à l'orient
du premier, contient cent gemeeten & cent fept verges, le Cafteil-Polderke
en a quarante-fept , celui qu'on nomme Lodyk-Polderke vingt-trois , & le
Verre-Polderke dix-fepr. Ce qu'on nomme la vieille paroiffe de Cadfand ,
qui contient plufieurs autres petits polders , comprend fix #niUe deux cents
quarante-neuf^ gemeeten & quarante- fept verges.
Le village de Nieuvliet eft à une petite lieue à l'orient de celui de
Cadfand , oc il y a une rue & une églife deffervie par un Miniftre de la
claffe de Walcheren. C'eft une Seigneurie qui a haute , moyenne & balTa
juftice , & qui appartenoit autrefois à la famille d'Adornes à Bruges. Le
tribunal de cette Seigneurie eft compofé d'un Bailli Se de fept Echevins ,
avec un Secrétaire , tous établis par le Seigneur ; mais on appelle de leurs
juge-
C A T 0 N.
'7
jtigemens ^ pour le civil , au franc de PEclufe. Leur jurifdiâian s^éttnà en*
tre la paroifTe de Cadfapd & celle de Groede, & depuis la mer jufqu'au
canal d'Oftbourg. Il y a aufli un Dykgrave & quelques Jurés , pour les pol«
ders qui dépendent de cette Seigneurie ^ & qui font une partie du Svarte-
Polder , de même que pour ceux de Baenft , d'Adornes , de Nieuwenho*
ren , de Motteneye o^ de plufieurs autres moins confidérables. ( T. )
C A T O N.
ParaUclc entre Caton & Céfar , le premier attaché à Pintirét de fa patrie ^
Vautre à fort intérêt particulier.
V^ATON fe donna la mort plutôt que de fe réfoudre à feufTrîr otl
même à voir la fervitude publique. Céfar fut afTafliné pour l'avoir établie.
Les caraâeres de ces deux illuftres Romains ont été bien peints par
Sallufte , quoiqu'il n'ait pas tout dit. Cet hiftorien dit qu'ils étoient à*peu«
près de même âge , égaux par la naifTance & par l'éloquence \ qu'ils
avoient autant de grandeur d'ame , & d'amour de la gloire , l'un que l'au-
tre ; mais qu'ils ne plaçoiem pas la véritable gloire dans le même objet.
Sallufte ne les confidere que comme deux grands fujets dans un Etat li-
bre , lequel ils fervoient & dans lequel ils acquéroient de la gloire par
diftërens moyens & avec des qualités différentes : il paflè fous ulence ce
en quoi ils différoient totalement; c'eft que l'un Êtifoit fa principale étude ,
& ne travailloit uniquement qu'à la confervation & au bien de l'Etat ;
tandis que l'autre employoit toutes fes forces & toute fon adreffe à le
corrompre & à le bouleverfer. Caton combattoit pour la liberté publique
& pour la vertu : Céfar au contraire ne travailloit au'à augmenter fa
puiffance, ce «qui l'engageoit à favorifer la corrruption ce les abus publics.
Tous les hommes vertueux & la caufe de la probité avoient en Caton un
proteâeur & un afyle. Mais Céfar protégeoit & entretenoit les fcélérats ^
les perdus & les défefpérés ^ tous les traîtres , & toutes fortes d'intrigues
pemicieufes à la République. Caton faifoit fes efforts pour rappeller l'an*
cienne probité & l'innocepce , pour faire rentrer eh eux-mémjss ou pour
châtier les peftes publiques, pour affurer le bien public par des meuires
conformes à l'exaâe juftice, oc pour tranfmettre la liberté & un bon gou-
vernement aux générations futures. Céfar favorifbit la diffolution & la vé-
nalité , encourageoit les criminels d'Etat , brouilloit , débauchbit & oppri-
moit la République. Caton aimoit la patrie , combattoit & mourut pour
elle : il laiflfa par-là un exempte illuftre & touchant d'une vertu incorrup-
tible , & d'un zèle digne des premiers fiecles. Céfar s'aimoit bien plus que
fa patrie ; il combattoit pour lui-même contre elle , & la réduifit en fer«
Tome XL C
,8 C A T O N.
vicude par amoUf-propre : il réduific en efcUvage Tes contemporains & la
pofléricé , & laifla une race de fuceefTeurs dignes d'hériter de la tyran-
nie ; une race qui fut le fléau & la honte de la nature humaine , la
pefte & les bouchers des Romains & de tous les hommes en général*
Telles furent à la lettre les aâions & le caraâere de Céfar que Rome
a tant vanté : ce furent Tes exploits , ce fut le legs qu'il laiila à fa patrie.
Si coût cela ne conftitue pas un parricide du premier ordre ^ le fens des
mots eft renverfé, la vérité & la raifon ont perdu tout leur crédit, & il
n'y a plus ni crime ni innocence. Ne remplit-il pas Rome , & les immen-
fes pays dont elle étoit la capitale , de fang & d'infortune > Ne les rédui-
fit-il pas en efclavage ? il parloir bien , il combattoit vaillamment ; mais
Îour l'amour de qui , & qui en recueillit les avantages } N'étoit^ce pas
léfar qui en profîtoit ) la dépenfe , la douleur & le . chagrin étoient fur le
compte de Rome ; ce fut d'elle & de fa liberté qu'il triompha la der-»
aiere fois.
Rome, glorifie-toi plutôt d'un véritable Magîftrat : vante ton conct-^
toyen, l'ennemi de tes ennemis, ton meilleur champion, & un véritable
Prophète I Lui qui t'avertit d'avance de toutes les calamités qui te mena-
foient I qui faifoit fes efforts pour les détourner, & qui aima mieux
mourir que de les envifager. C'eft là une véritable réputation , une répu^
tation folide « immortelle & fans tache. Tous les exploits de Céfar ^
toutes fes belles qualités , ne font pas qu'il n7ait mis fa patrie dans les
fers 9 confidération qui ternit tout ce qu'il avoit de bon & le prive de la
louange qu'il auroit méritée. Cicéron le regarde comme un furieux & une
créature miférable , qui n'avoit aucune idée de la véritable gloire : » Ne
» fait- il pas , dit cet Orateur, i» toutes ces chofes pour l'honneur > Ou efl
» fon honneur? Où efl fa vertu & fa juftice? EU -ce de tenir contre le
9 public une armée payée par le public > De s'emparer des villes munici*
9 pales , dans le defiein d'envahir Rome elle-même & de la réduire en
m efclavage? D'annuller toutes les dettes, de pardonner tous les crimes «
p de commettre toute forte d'infolences ; le tout* pour parvenir à la tyran-
» nie , qui efl fa Divinité favorite ? « Tout cela , dans l'opinion de cet
illudre Romain , de ce vrai citoyen , de cette lumière de fa patrie , ren-
doit Céfar d'autant plus coupable & plus miférable : fes grands fuccès
n'étoient qu'un grand crime.
Il n'y eut jamais rien de plus impudent que les demandes qu'il fit pour
parvenir ^ un accommodement ; en quoi il manqua encore de fincérité.
Je dois encore emprunter le raifonnement de Cicéron : p Eh bien ! accor-
a dons-lui ce qu'il demande avec cette étrange impudence : car qu^y
p a-t-il , Céfar , de plus impudent ? Vous avez occupé une Province pen««
» dant dix ans , terme qui ne vous avoit pas été accordé par le Sénat ^
a mais qui vous a été donné par vous-même & par la force de votre
a &6Hon. Ce terme même ^ Umûé non par les loix ^ mais pai* votre coo*
Ç A T O H. '9
4
9 voitife , eft écoulé : foyons d'accord qu'il eft légitime : le Sénat vous
» a nommé un SuccefTeur : vous vous y oppoiez & vous demandez
0 qu'on ait des égards pour vous; je vous réponds; en avez -vous pour
» nous ? N'avez- vous pas une armée plus long-temps que le peuple Ro-
» main ne l'a ordonné ? Ne bravez-vous pas ainfi l'autorité du Sénat V 4l
9 ne lui refte donc à choifir que de comoattre ou de fubir votre joug, a
Dans une autre lettre à Atticus , faifant des réflexions fur des of&es plau-
fibles de Céfar; n Prétend- il , dit Cicéron^ porter de bonnes nouvelles
•> aux véritables Romains ? Oii font-elles , à moins qu'il ne fe pende , &
» qu'il ne forte de ce monde pour l'amour d'eux? «
On donne de grands éloges a la clémence de Céfar ; mais il étoit né«
ceflaire qu'il en montrât beaucoup ; la politique exigeoit qu'il en eût
autant que cela pouvoit lui fervir : il avoit vu Marins & Sylla déteftés à
xaufe de leurs cruautés. Mais fi les voies de douceur n'euflent pas réuffî ,
eft-on fht qu'un homme , que l'ambition avoit rendu furieux , eût aban-
\ donné fes mefures & fes vues ambitieufes , plutôt que de recourir , pour
les faire réuflîr » à des aâes de vengeance & à l'efmfion du (àng ? Quelle
plus grande cruauté y a-t-il que de faire la guerre à fa patrie & de l'aT»
lervir > Ne le fit-il pas ? Ne devoit-il pas faire tout ce qui étoit néceflàire
rour parvenir ï ce Dut impie , tuer & détruire jufqu'à ce quUl en fût venu
bout ou qu'il eût péri lui-même > Lui qui expoloit des milliers d'hom-
mes à la mort & à la boucherie, eût-il eu du fcrupule de la mort de
quelques particuliers } Ne déclara-t-il pas rondement a Cicéron , que s'il
ne pouvoit pas obtenir fit concurrence, & celle de fes amis, U embraf*
feroit les fecours quels qu'ils fufTent , & prendroit toute forte de mefures ,
ai omnia effc defccnfurum. Curion , ami & adhérent de Céfar , ne dit-if
pas » que Céfar n'étoit pas porté naturellement à la cruauté , & qu'il
9 croyoit la clémence une qualité propre à gagner le peuple \ que cepen-
p dant, fi la faveur du peuple lui manquoit, il deviendroit certainement
» cruel? « Cœlius, l'orateur & lepartifiin de Céfar, dit auflî franche*
ment dans une lettre à Cicéron , que » Céfar ne refpiroit rien que de
» violent & de tragique , & qu'il ne parloit pas fur un autre ton* a Ci-^
céron lui attribue expreflëment le deffein de faire périr Pompée.
Phalaris , tyran -d'Agrigente , dont le nom a pafié en proverbe pour ex-^
primer la cruauté , ula de beaucoup de douceur au commencement de
ion ufurpation & long- temps après : il montra beaucoup de patience^
& d'inchnatîbn à pardonner pluueurs confpirations & des attentats contre
fa vie : mais ils devinrent fi fréquens, qu'ils le rendirent enfin vindicatif
& fanguinaire ; ce qu'il continua d'être : il difi)ît que fans cette cruauté
ià perfonne ne feroit pas en fureté : trifie expédient , très-fujet à cau-
tion , & qui fouvent produit un effet contraire. Il eft probable que Céfar
eût fuivi les traces de Phalaris.
Otez à Céfar fes rares qualités, qui d'elles-mêmes ne méritent aucua
C %-
i
2a
d À T O N.
o
éloge I & dont fl (c fcrvît pour des vues criminelles; conudcrtz feule-
fnent fon but & .fon ambition, quel monftre ne paroitra-t-il pas? Ses
grandes qualités rendent fes crimes plus atroces. Ne doutohs pas qu'il ne
fût mille fots^ pire que Néron , ayant fait mille fois plus de mat que lui.
Telle eft la dmé^ence que le plus ou le moins d^abileté met dans le ca-»
raâere des hommes. Néron manquoit d^adreffe pour (e rendre un démon
agréable r Céfar en avoit beaucoup ; fans compter que ce fut Céfar
qui , mettant les Romains dans les chaînes^ mit Néron en état de les
exterminer.
Je conclurai en confidérant les avantages que Céfar, ce fameux ufurpa^
teur , recueillit de fon ufurpation : elle lui coûta bien cher ; après une vie
pleine de troubles , après une infinité de crimes , de périls & d'inquiétu^
des y il fut exterminé comme traître & tyran. Céfar, comme tous les ufur*
pateurs, porta un &ux jugement fur ta réputation & la poftérité. Danfs
î'efprit des gens de bien &. de bon fens, celui qui avoit commis de telles
horreurs, pour parvenir à Paéte le plus exécrable, i la deftruâion de la
liberté publique, à afTervir fa patrie, ne pouvoir point acquérir une bonne
réputation , mais une haine éternelle , & un opprobre attaché à fon nom»
Qui voudroit à ce prix fè faire un grand noni parmi la vile & infâme
populace ?
Sa poflérité n'eut pas une meilleure fortune : en réformant & rétablie
Tant l'Etat, il auroit pu lui laiffer beaucoup de gloire & un établiffement
durable; s'il avoit laiflë aux Romains teur ancienne liberté , ce bonheur
fi précieux, fon nom auroit été aufH grand & auffî célèbre que celui du
premier l^utus ^ & fes defcendans auroient été auffî refpeâés , aufli chers
aux Romains, que ceux de ce digne Romain.
Cette forte d'ambition aurort été raifonnable; elle cR recommandée par
Machiavel , qui voudroit » qu'un Prince ou un grand homme qui afpire
n à l'immortalité, choisit, pour te théâtre de fon Gouvernement & de fa
» eloire , un État corrompu & en décadence , qu'il fe propoferoit de reâr-
» ner & de rétablir. '' Deffein véritablement grand & digne d'un Prince
plein de bienveillance & de véritable honneur : au- lieu que de corrompre un
Etat & de l'affervir, eft un afte de barbarie, de petiteffe d'efprit & de
badèfle. Céfar ne choifît pas le premier parti, mais le dernier, qui efl un
parti impie & deftruâeur , & perdit ainfî une bonne réputation. Pour
avoir mis fa patrie dans les fers, il en laiffa la malédiâion à fa poflérité*
Son fuccefleur immédiat n'ét<Mt pas fon fils , il étoit fris de fa fœur ;
le fuivant n'étoit pas de fa famille , mais il laiffa l'Empire à un homme
3 ut en étoit : ce qui ne fut pas long-temps continué. La plupart de fes
efcendans étoient des fhipides, des monflres fanguinaires ce déteflables»
Cela pouvoit-il contribuer à conferver ou à perpétuer fon nom? Ils mou-
rurent auffî comme lui de mort vjolente; tant un pouvoir exorbitant eft
incapable fl'en garantir l il caufa £c accéléra leur fin tragique. Après quelr
C A T O N, 21
ques règnes fanglans, malheureux & maudits, ou pour mieux dire en peu
d'années, le diadème impérial fut arraché de fa famille pour toujours :
Néron, cet horrible Cannibale, fut le dernier; Augufte, plus fanguinaire
3ue lui, avoit été le premier , je veux dire après Jules. Les trois intermé-
iairesy dignes dépofitaires du nom & du pouvoir de Céfar, furent,
comme ce dernier, la malédiâion, le (candale & les bourreaux du genre
humain.
Outre le fort funefte qui attendoit infailliblement tous ceux de la' fa-
mille qui étoient fur le thrône , les autres, j'entends les branches qui ne
régnoient pas, étoient les objets continuels de la jaloulîe & de la cruauté
de celui qui occupoit le thrône, qui travailloit fans celTe à exterminer
tous ceux de fa famille qui fe diftinguoient par leurs talens , par leur mé-
rite perfonnel , par leurs richeffes , ou par d'autres avantages perfon-
nels ou accidentels : & fans cela , uniquement parce qu'ils étoient de
cette race.
Voilà les fuites glorieufes du fuccès de l'ambition du puiffant Céfar:
il mit fa patrie dans l'efclavage, il en caufa la ruine entière, il attira la
mort fur lui & fur toute fa race , qui jufques au dernier furent tous aflaf-
finés : il eut la malédiâion & la haine univerfelle du genre-humain. Voilà
les aâions, voilà le mérite du grand Céfar, élevé jufqu'au Ciel pour fa
conduite, la prudence de fes mefures & fes grands fuccès! Il étoit certai-
nement très-artificieux, très-brave; il fut très-heureux dans l'entreprife
Su'il fit de caufer fa perte, celle de fa poftérité & de fon pays : ce fut le
uit de fa politique, de tous fes complots; de fon éloquence & de fon
héroïfme. Eft-ce là fe rendre aimable? Eft-ce être heureux & fageî
Il eft naturel de demander comment le caraâere de Céfar put être
admiré ? comment il put être populaire ? car il efl vrai que Céfar étoit
aimé du peuple ; il dut fon pouvoir à fon génie populaire : il obtint la
feveur du peuple, en faifant le bon citoyen , & fie le bon citoyen afin
d'ufurper l'Empire. Ce procédé ne fut pas particulier à Céfar ; c'étoit l'arti»-
fice confiant & le bouclier de tous les parricides qui l'avoient précédé :
c'efl ainfi qu'ils fe mafquerent & qu'ils cherchèrent à fe rendre recom-
mandables dans l'efprit de la multitude, & ils n'y réuffîrent que trop.
Les efforts, les aâes frauduleux & la conduite de pareils parricides, car
il y en eut plwfieurs de cette efpece, font réellement une grande partie
de l'hiftoire de Rome, depuis la fondation de la république jufqu'au der-
nier période de la liberté Romaine. Céfar avoit autant de talens que qui,
que ce fût d'entre les Romains; il eut des occafions plus favorables Se
plus de fuccès : tous tant qu'ils étoient, ils fe donnoient pour des bienfai-
teurs publics, pour des avocats zélés pour le peuple, pour des patrons ja-
loux de la liberté. Ces belles apparences, ces fauffes bontés, cette often-
tation extérieure & fi vantée de bon citoyen , retentiffoient avec leurs
noms parmi la populace : elles paroifToient dans leurs façons populaires ,
ai C A T O N.
«
leurs ordres , leurs harangues trompeufes , leun inveâives pleines de feu i
leurs loix agréables & pernicieufes ; on y ajoutoit tout ce qui étoit capar
ble d'attifer la fureur aveugle du peuple oc d'établir la tyrannie au moyea
de ce cri de liberté. Catilina fiiivit la même route , & y périt. Céfar
parvint , & fe perdit dans la fuite. Aidé du fecours & des applaudifle*
mens du peuple, il fe joua de Pompée & du Sénat. Il affervit le peuple
& ufurpa l'Etat avec une armée que le peuple obtint pour lui du Sénat;
il lui infpira un efprit de vertige » en faifant fonner haut le nom de li-
berté , & lui en enleva la réalité dans le temps même qu'il en étoit infatué.
Cette manière eft toujours infaillible pour miner la liberté ; c'eâ la route
la plus fure, la plus cachée , & qui réuflît le mieux. Céfar, ce prétendu
citoyen , ce véritable parricide , le crut ainfi , & ne fe trompa pas.
Thomas Gordon. Difcours fur Sallujic.
T
C A T O N , OU entretien fur la liberté & les vertus politiques.
é M O I N infortuné des malheureufes fuites de nos dilfentions civiles
& de la déplorable fervitude de notre patrie, je pafTe mes jours à gémir
fur l'afFreufe fituation de la République, mon cher Marcellusv & le com-
ble de mon défefpoir eft de ne pouvoir apporter aucun remède à fes
maux. La lente vieillefle a appefanti mes membres & m'a mis hors d'état
d'être le vengeur des loix méprifées. Si les ans accumulés fur ma tête ne
m'avoient ôté mon ancienne vigueur , ô mon cher Marcellus , je le jure
devant les Dieux immortels, je ne craindrois pas d'aller, aux dépens de
mes jours , porter le fer dans le fein du tyran , & de rappeller dans nos
murs la liberté fugitive! Mais borné à des fouhaits inutiles, je fuis forcé
de languir dans ma retraite. Lli, loin de Rome opprimée & de Céfar
triomphant, je me rappelle encore ce jour mémorable où le plus grand
des hommes chercha dans les bras de la mort un afyle contre la tyran-
nie ; il me femble entendre les derniers mots que fa bouche prononça ,
& voir la pâleur de la mort fur ce vifage, dont le feul afpeâ auroit feic
trembler nos oppreffeurs. Souvent je crois que, du féjour célefte oii fa
vertu eft récompenfée , il me crie : Favonius , 6 mon cher Favonius ! que
fais^tu fur cette terre de malheur ? Viens joindre ton ami dans le fein de
la félicité , melc ta cendre à la fienne , & accomplis dans cette vie imrfior*
telle Punion que nous avions ébauchée dans notre vie pajfagere. ... Je le
fens, Caton, je le fens, la mort s'approche, elle va frapper fon coup,
& en tranchant le fil de mes jours , remplir tes fouhaits & les miens.
Four vous, ô mon cher Marcellus! confervez-vous pour la république :
quoique nos fautes aient irrité les Dieux , leur bonté eft innnie ; fans
doute ils mettront un terme à notre punition, & peut-être qu'un jour il
vous fera permis d'efpérer, de voir la Ubené rétablie fur les premiers
fondemens.
C A T Ô N. 13
Si jamais le ciel plus propice vous appelle à la magîftrature dans Rome
affranchie de Pefclavage , fongez alors à faire fleurir la vertu dans votre
patrie, fongez à rendre vos concitoyens dignes d'être libres, & en mo-
dérant leurs paflîons , fàites-Ieur aimer l'égalité , & leur infpirez la même
horreur pour le defpotifme & pour la fervitude.
Je me rappelle un entretien que j'eus avec Caton dans ces temps ou
tout nous préfageoit les orages qui ont perdu la République. J^étois avec
Cicéron dans fa maifon de campagne; prefque toujours la converiation
fe toumoit fur Pétat où fe trou voient les affaires publiques. L'univers re*
tentifibit alors du bruit des viâoires que Céfar remportoit dans les Gau«
les. Que je crains, s'écria Cicéron , ces fatales conquêtes : que l'impru-
dence qu'on a eu de confier cette guerre à un Capitaine aufli ambitieux ,
peut caufer de maux à l'État! Les Dieux proteâeurs de Rome nous dé*
lèndront-ils contre ce dangereux citoyen (i affuré de fes foldats , & fbr«
tifié du fecours des Gaulois nos implacables ennemis ! Les Dieux , répons-
dit Caton, font toujours affez puiffans pour diffîper les vains projets des
mortels : mais continueront*ils à accorder aux Romains défunis, corrom-
pus , efclaves de leurs pafHons , méprifànt les loix & les devoirs du ci-
toyen , une proteâion qu'avoient mérité à nos pères , leur amour de la
patrie & de la liberté , leur magnanimité & l'auflérité de leurs mœurs. Pen-
ibns*nous que le ciel , par des miracles multipliés , comblera les précipi-
ces que notre imprudence a creufés fous nos pas , & femblera , par cette
conduite, approuver nos déréglemens, & juftifîer, pour ainfi dire, les
vices qui dégradent la République ? ne le croyez pas , mes chers amis ,
il fe manqueroit à lui-même fi , par un exemple éclatant , il n'avertiffoit
les autres peuples d'arrêter les progrés de la corruption-, avant que Tex^
ces du mal n'ôte Tefpérance d'y remédier ; foyez perfuadés que nous ne
tarderons pas à être la proie d'un tyran qui , en étouffant dans nos cœurs
un refle d'amour pour la liberté, nous rendra le rebut des nations, après
en avoir été les maîtres. A ces mots une fubite^ conflernation fe répan«
dit parmi nous , ce funefle préfage des malheurs de notre chère patrie ,
nous arracha des larmes en abondance. O Caton ! m'écriai- je , tout efl
donc défefpéré, & Rome verra les dominateurs des nations ramper aux
pieds d'un citoyen que fon crime aura élevé au-deffus d'eux. Il n'efl que
trop vrai , répondit-il , & voilà où nous a conduit notre imprudence &
notre indifférence pour la patrie.
Lorfqu'une trop grande profpérité, & les richeffes de TAfie apportées
parmi nous, eurent ouvert notre cœur à l'avarice, à la volupté & à tou-
tes les paflions bafles , l'amour de la liberté & de la gloire commencè-
rent à décliner; on vit de funefles divifions éclater parmi nos citoyens;
au mépris des anciennes loix , quelques particuliers étalèrent dans Rome
une fortune fcandaleufe , & bientôt envahirent toutes les richeffes de l'I-
ulie; le peuple chalfé de fes héritages & réduit à la dernière mifere, ne
^4
C A T O N.
tarda pas ) perdre le refte de fes vertus ; à la place des ancieimes mœurs ,
les pahîons établirent leur funefie empire. On vit alors deux fàâions
acharnées l'une contre l'autre , déchirer la République , &, arrofer la pa*
trie du fang de fes enfans. C'eft du fein de ce chaos que l'ambition de
Sylla fit éciore le defpotifme : ce criminel citoyen donna le premier i
des âmes corrompues, l'exemple dangereux de fe rendre plus puiflknt
que les loix. O éternel opprobre ! Rome le vit ^ & iae fut que trem-
bler; nos cœurs eJfFéminés par le luxe, ou rétrécis par la^mifere, avoient
tellement perdu toute vigueur, qu'il ne fe trouva pas un feul citoyen
qui o(àt venger la patrie offenfée. Tandis que la punition de ce crime
auroit dû intimider ceux qui méditoient de femblables defleins; cet hom«
me, pour notre honte, mourut au(U tranquillement que le plus ver-
tueux patriote. Tout fut perdu depuis ce jour fatal. Chacun étouffant
dans fôn cœur l'amour de la liberté & de la patrie , n'afpira plus qu'à
fe rendre le maître de fes égaux , & la République ne fut plus qu'un vil
amas d'efclaves & de tyrans.
Rome amollie par fes vices, ôc livrée à des 'troubles perpétuels, fe vit
forcée de donner un pouvoir exorbitant à de (impies citoyens. Devant
ces nouveaux proteâeurs les loix fe curent & les Magiflrats n'eurent qu'un
vain nom. Bientôt enhardis par l'indifférence de leurs compatriotes pour
le bien public , ils oferent regarder la République comme leur patri-
moine ; ils fe partagèrent les Provinces , & les légions Romaines ne fu-
rent plus que celles de Pompée, de Craffus & de Céfar. Nous fommes
réduits aujourd'hui a craindre également l'union & les divifions de ces
hommes ambitieux \ le peuple incertain , fans guide , livré à de fi-ivoles
amufemens , eft fur le point de facrifier fa liberté dont il ne connoic plus
le prix.
Chers amis , la caufe de tous nos maux efl cette ambition immodérée
ui nous fit croire que nous étions les légitimes 'maîtres de l'univers ;
ers d'avoir humilié l'orgueil de Carthage , nous trouvâmes notre Empire
trop refTerré dans les limites de l'Italie , & nous ae tardâmes pas à porter
nos armes dans l'orient, dont les richeffes & les voluptés dévoient punir
leurs imprudens vainqueurs. Pourquoi quelque généreux Romain , pré-
voyant dés-lors le vice deflruâeur qui alloit infeâer fa patrie , ne nous
arrêta-t-il pas fur le bord du précipice ? O Scipion ! ù dans ces temps heu«
reux où régnoit la vertu , & où l'amour du bien public embrafoit chaque
citoyen , quelque divinité propice eût mis dans ta bouche de falutaires
conleils , lans doute qu'ils auroient été écoutés , & tu aurois joint , à
la gloire d'être le fauveur de Rome , celle d'être le confervateur de
fes loix !
Cependant les anciennes mœurs à qui nous devions notre^^profpérité ne
furent pas exilées tout-à-coup , ôc malgré la corruption naUfante on vit
encore des exemples de magnanimité & d'amour de la patrie : mais à la
fin
t
t
C A T O N/ aï
fin les vertus déjà ëbranlëes dans nos cœurs ne purent riCiRer contre le
débordement des tréfors afiatiques ; elles s'enfuirent & cédèrent la place
aux pallions les plus impér^euies : ainfi le ciel nous punit de notre am-*
bition , vengea les droits de la nature violis , & pour confoler les peupler
de l'efclavage où nous les avions réduits, nous condamna dès^ors à per-*
dre notre liberté. Que notre fort auroit été diffèrent, fi réprimant notre
injufle avidité , & jaloux d'une gloire plus pure , nous n'euflions fongé
u'à afTurer le bonheur de ritalie! Si nos pères avoient confulté l'équité
la véritable politique, ils auroient pu alTeoir la République fur des fon^
démens inébranlables, & la liberté de nos Alliés feroit devenue le plus
fur garant de la durée de notre Empire , fi nous y avions mis le fceau
en uniffant ces peuples par le lien d'une mutuelle confédération.
Cette idée me frappe , dit alors Cicéron ^ je vois , cher Caton que c'é-
toit le feul moyen d'affermir également la liberté de Rome & les loix qui
ont fait fon bonheur. Quelle gloire n'auroit*ce pas été pour notre patrie
de donner un aufli grand exemple de modération ! L'Xtalie remplie aupa*
ravant de peuples ennemis les uns des autres , réunie alors par des liens
mutuels fous les aufpices d'une ville qui , pour tout prix de les viâoires ;
n'eût cherché que le bonheur général , auroit offert à l'œil de la raifon uni
fpeâacle fublime & digne des regards de la divinité. Nos Alliés jouiffant
de leur indépendance , tranquilles fous notre proteâioa , èc par la réu«
nion de leurs forces , n'auroient eu rien à craindre des incurfions des Bar-
bares. Chaque Cité auroit alors tourné toutes fes vues vers fon gouver-
nement intérieur. Des loix fages auroient augmenté la vigueur de chaque
République & par-là celle de l'affociation générale. Il eût été facile à
Rome d'élever l'Italie bien au-defTus de la Grèce, & pour une Sparte qui
hit la gloire de cette Province , d'en faire naître cent dans celle qu'elle
auroit gouvernée. Vous ne dites pas tout , reprit Caton ; ne doutons pas
qu'un pareil exemple n'eût engagé la Grèce à remonter les refforts de fes
inflicutions. La^ fageffe de Rome & fa médiation n'auroit pas peu fervi à
étouffer l'efprit d'ambition & de difcorde qui a &it fi long -temps fon
malheur. Lacédémone connoiffant le tort qu'elle a eu dé renoncer aux
loix de Licurgue, n'auroit pas tardé à les rappeller & à fe foumettre à
leur joug falutaire. Nos citoyens touchés de la fageffe de ce grand-hom-
me , & enflammés de l'amour des héroïques vertus , auroient établi
parmi eux cette difcipline fainte & févere fi propre à les élever au-deffus
de l'humanité , & dès-lors l'union de ces deux villes eût fait à jamais le
bonheur de l'univers.
Cette expreflion , chers amis , ne doit pas vous paroltre trop forte. Je
fuis perfuadé que le bruit des vertus de l'Italie & de la Grèce réunies
auroit percé dans ces climats barbares , où les hommes fiers & indompta-
bles n'ont pas encore fu établir leur liberté fur le fondement des loix.
Les Gaulois Se les Germains, témoins de la.fôUçité dont nous jouirions.
Tome XI. D
t$ C A T Q N.
il refpeâant notre puiflâace , auroietit (ans doute cherdié à iiotts tmicer ;
& fenfibles à un bonheur plus pur, auroienc renoncé fans peine à la gloire
féroce du brigandage. L'Europe entière eût alors préfenté le fpeâacle ho-
norable de la liberté unie aux loix i & le defpotiune Si la tjrrannie fe (et
roient vus relégués pour toujours chez ces peuples efiëmiaés qui femblenc
itvoir oublié qu'ils font hommes.
Quel dommage, m'écriai -je, o Caton! que ce tableau de l'humanité
libre & heureute ne fe trouve qu'un beau longe ! Trilles jouets de nos
padions, nous nous fommes abandonnés à leurs trompeufes promefles^ &
quoiqu'à la lueur de leur finiftre flambeau nous nous (oyons précipités dans
«n abyme fans^ond , nos yeux ne font pas encore deflUlés , & malgré nos
malheurs I nous ofons nous livrer à leur conduite. La même ambition qui
nous avoit portés à ôter la liberté Aux autres peuples , pouffé maintenant
nos citoyens à s'égorger mutuellement » & à tâcher d'étabKr leur puifTance
lur la ruine de la République. Le mal, nion cher Favonius, reprit Caton ,
a fait des progrès trop conudérablei pour que nous puiflions efpérer de voir
les Romains devenus plus (âges , reprendre les vertus de leurs pères. Ne
jpous attendons plus qu'à voir consommer des crimes déjà conmiencéf , flc
les foibles refles de notre liberté difparoitre , peut-être hélas ! pour tou*
JQui^s. Moment. £ital ! Si vous faviesc , cbers amis , quel eft l'état déplorable
d'un peuple qui gémit fous le defpotifme; combien la fervitude engourdie
le coeur des citoyens >; combien le retour à la vertu eft difficile , pour ne
pas dire impodible^ quand une corruption lente a enhardi la tyrannie à
s'élever fur les débris des loix. Bientôt l'ultirpateur revêtu, de toute la piiif«
iknce publique , jouit de la lâcheté de fes efclaves , augmente lenr ^cor-
fuption , en fementam leurs pallions les plus baffes ; & pour s'àbandon-
aer enfuite plus tranquillement à fes plaiurs, livre ce vil troupeau à fea
miniftres qui ^ en enchériflànc fur leurs maîtres , font à l'humanité des in-
£ikes méthodiques. On les voit dévorer la fubftance du pauvre , dévafter
les campagnes pour fournir à leur luxe & contenter leur avarice infàriable.
Sous leur proteâion des honunes aufli corrompus qu'eux , exercent fur
les foibles uq affi-eux brigandage. Si le peuple réduit au défefpoir fidt en^
tendre quelques murmures , f^ pleurs & fes cris font regardés comme le*
ditieux & attentatoires à la majefté du trône. L'intrigue ^ la cabale , la
bafle flatterie régnent dans tous les ordres de la nation ^ & la fociété n^eft
plus qu'un amas de loups ravilfans & de (bibles agneaux cp tremblent &
nient devant eux,
C'eft alors que tout l'Etat eft abfbrbé dans une funefte léthargie à la*
•uelle certainement la plus tumultueufe anarchie eft préférable. Si par ha«
lard quelque citoyen vertueux , le reflbuvenant de l'indépendance de les
ancêtres , (kit fonner le mot de liberté aux oreilles de fes compatriotes ^
ces hommes avilis & couverts d'ignominie le regardent con^me un infenfé,
^ fourient dédaigaeufement ^ aux noms de verm & d'amour de la patrie.
C A T O N.
*7
Dans une Tilkiaîion pareille , it iFaadroic les ^ftis terribtes réToIution pour
tirer de leur fommeil des âmes qui ont perdu tout fentiinent de leur
dignité.
Caton paflant infenfiblement des obferrations particulières fur la dict^
dence de notre conftitution à des vues plus géo^Ies , nous développa Tes
idées fur l'étroite liaifon deis vertus politiques & de la liberté, & lur les
moyens d'aflurer leur empire fur le cœur des citoyens,
La liberté, &U vertu, nous dît-il, font étroîtemept unies, cjles fe don-
nent une force mutuelle, & la chute de Tune ne manque pas d'entraîner
la chute de l'autre. Il efl impoflfible de voir naître des fentimens héroïques
chez une nation qui fe méprife aflfez elle-même pour croupir dans refcla7
vage : & quel amour du bien public peuvent avoir des peuples itiifér^bles^
qui voient qu'un homme feul, & les favoris engloutiflent tomes les rî-
cHêffes de PEmpire? Tous les taîens utiles font étouffés, une Hdîcule ejé-j
gance^ ou une débauche groflîere en prennent la place} l'Etat diffous^^par
fà deflruftîôn des loix, ne fubfifle qu'en apparence, & fes parties étant
réellement défunies , tombent en pièces au moindre choc qu'elles re-
çoivent.
Les corps pQÎîtiques portent dans leur feîn, comme les corjis naturels^
lé ger^me * fànl de lèui* dèftru6Hori. Le plus fage inftituteur ïie doit pas té
flatter 'dMtablir fur dMternelV fondemens la até à laquelle 'ir donne des
le deff^otifme qui caufe la mort de la République. Mais quoique le légifl4^
tebr ne puiffe' guère efpérer de rendre fes citoyens éternellenient libres èç
heureux ; il peut , en donnant à l'Ëtat une conftitutlôn rbbufle ^ lui afTurer
une durée de plirfîeurs fîecles , lier teîlemenr les loix aux moeurs, qu'elle?
ioieht long-tetnps le foutien de la liberté. Qu'il imprime dans les cœurs
l'amour d'une fâ^e indépendance , qu'il infpire l'obéifTance aux loix , & l'a-
mour de l'égalité : s^l a l'art d'inculquer ces vertus dans l'ame.de fes cî^^
toyens^ il ne doit pas craindre que la tyrannie ofe de long-temps élever
fsL tète hîdeufe. Ce n'eft qu^ la faveur du mépris des loix , de l'ambitîor>
dé chaque plirticulrer & du peu de ca^ que tous leurs compatriotes font
de la liberté, me quelques Icélérats tentent d'ufurper la fouveraine puif-
fance/Que la KépuDlique s'attache fur-tout à donner à fes membres Iç
{Ans vif amour' pour la patrie ; qu'elle nourriffe avec le plus grand foin ^
es vertus qui conduifent i ce généreux fentiment ; que des le moment àt
leur naiflânce les jeunes gens apprennent les obligations qu'ils ont à cettç
tendre mère; qu'accoutumés à ne s'eftimer que par rapport à elle, ils
né' puKfent jamafs avoir d'intérêt différent de l'intérêt général. Ceux quf
connoiffent la iiature de l'homme, & combien fes paflîons mal régléeç
l'inciténc à tout rapporter à lui, n'oflsront jamais efpérer un renoncement
D 2
2$ C A T o ir.
auffi héroïque des citoyens hiflës à eux-mêmes. On fên*t ici qii^l eft d^une
abfolue neceflité que les loix veillent à l'inftitution des enfans, & que
leurs confeils les plus falucaires feront peu d'impreffion fur les hommes
fvts, s^ils n'en ont été imbus dès Tâge le plus tendre. Les nations les plus
renommées par leur fagefle ont établi chez elles l'éducation publique. C'eft
Sar elle que les anciens Ferfes.fe préferverent de la contagion des vices
e leurs voifins ^ & cultivèrent les vertus les plus fublimes au milieu desi
peuples effîminés de TAfie » dont leur valeur ne tarda pas à les rendre les
maîtres : c'eft par elle que la Crète acquit la répuution de pofféder les
meilleures loix de l'univers. Ce fage établiflement perfeâionné par le Lé-
fiflateur de Sparte ^ porta fa patrie au plus haut degré de gloire où une
Lépublique puifTe afpirer ; & l'abolition de l'éducation publique fut; pour
Lacédémone le coup fatal qui la détruifit fans reflburce. Après 4e pareil^
exemples , eft - il quelque cité éclairée fur fes propres intérêts ^ui doive
balancer d'adopter une pareille inftitution. On fait aflez que le ientipient
ne' fe commande pas^ & que les plus pompeufes exhortatk>ns ne font
aucun effet fur des cœurs mal difpofés. Si donc l'Etat abandonne les pre-
mières années des citoyens aux préjugés & à la volonté des parens, qui lui
répondra .que la vejtu & les fentimens patriotiques préfideront toujours à
cette importante occupation^ Qui fait fi des pères ambitieux , ne tâchcf^
ront pas d^inlpirer les mêmes idées à leurs enfans^ & ne les rendront pas
ainfi , dès le premier moment de leur vie , les ennemis de la patrie dont
ils auroient dû être les foutiensî D'ailleurs les jeunes gens accoutumiés à
vivre féparés les uns des autres , prendront-ils dans la fuite » cet amour,
mutuel qui fied fi bien aux membres d'une même fociété ? Ne borneront-
ils pas leur afleétion au petit cercle qui les entourera dans la maiibn pan
ternelle, d( n'y aura-t-il pas lieu de craindre que l'intérêt de la £mûlle(
ne marche fbuvent devant l'intérêt de la République? Toutes ces idées ^
mttK chers amis , me portent à croire qu'un peuple jaloux de fa liberté &
du maintien de fà léeiflation , doit , autant qu'il le peut » admettre chev
lui , les fages règles de Licurgue ; & qu'il en recueillera amplemesit le
finit par les fublimes vertus qui naîtront dans le cœur des citoyens.
Quant à ces nations qui font là honte de l'humanité , & par qui l^
Vertus mâles du Républicain font tournées en ridicule , toute éducatioa
publique devient inutile chez elles ^ & les fatals agrémens. dont elles font
leur gloire » ne s'acquièrent que trop aifément dans le tourbillon dé leura
frivoles plaifirs. Tout fentiment noble , tout élan vers la liberté eft étouffi^
|)armi ces malheureux efclàves. Si par halard le Monarque qui fe trouve
I la tête du troupeau, & las du vain pouvoir qu'il exerce lur des auto-*
mates , entreprend de les changer en hommes , qu'il n'efpere pas céufllr
dans fon projet , s'il ne commence par réveiller dans leurs cœurs abattus
le (èntiment primitif de leur indépendance , qu'il leur rappelle leurs droits
qu'ils ont négligés; ces droits contre lefquels on ne prefcrit jamais ^
C A T O N. %9
pttce.qu^ fontf ibficlâB fur la coiiititvtion de Thomaie ; qu'il ak lui»
aiémè le courage de fe décharger du ârdeati du bpuvoir arbitraire i ea
coonoiflànc combien il eft peu raifonnable qu'un ieul homme veuille fe
fiûre le centre de tout. H' eft aifé de comprendre ^ue» s'il n'établit les
fendemeus de fon entreprife fur la liberté de là nation , & s'il ne com«*
sneoce par ^ire des citoyens de fes fujets, tous fes efforts feront vains ^
il que des tertua commandées par un maître ne pr^uiront que i'hy-^
pocnfie. ...
Si cependant le içfpotifme n'étoit pas un mftl ^cien^ ^ que l'habi*!
tode de refclavagei n'eût pas eu le tempes de flétrir entièrement les coeurs^
peut-être qu'à l'approehe des verms^ les âmes pouftoient reprendre Jeuti
premiers reflbtts : . mais foyez afliirés que- les citoyens ne tarderoient pas
a faire euxrméme» les plus grands efl^rts poiur mettre: des bôrçes) au pou?
^•Ir du Monarque 9^ & que. les (ecoufles les;plus viplôntes rétablicont enfin
la libené^l Je ne peux» chers ami$, me lafler dQ le répéter ; Je defpo*
ttfine & la vertu ibnt deux chofes ; ineoçipatibUs} ^ l'une eft nécefraii:e-
ment la ruine de l'autre. £n effet 6 , par le ' concours de quelques cir-
confiances extraordlnair:es , un peuple yeiïHSux ..viçat à perdre fa liberté »
je fuLi perfuadé que le pouvoir du tyran n'eft rien, mpins que bien affermi i
ces âmes fieres accoutumées à méprifer les voluptés , & nourris des fenti-
mens, les plus fublknes^Te foukveront connue; Içuf oppreffeur^ & Técra^
ierom fous les débris de fg» trône. - t , :
; C'eft un fpefùde frappant pour, le : PhilofophC! qui jette un coup^d'œil
fur l'hiftoire des n^tic^s^ de. voir les mcsQrs i oc Ja liberté des Sociétés po-
litiques fuivre une marche égale dans leurs pro^fés & dans leur décadence.
Rien , ce femblç ^ «ei prouve mieux qu'elles V)ift irréparablement unies.
JLes &ftes de toi}s 4çs. peuples noq$ apnoncent cette grande vérité.. £t
combien n'eft-il pas étonnant que îlfls : Républiques). aMer^ies par ces exem'f
pies, regsudent «vec aut^t d?indifféience » le r^l^chemont des mceurs &
les premiers fignçs .d'une corruption naiftante^ Dan^ un pareil cas, un
Ma^ftrat éclairé fe hâte d'appliqi^er le remède dès au'il apperçoit les
fymptèmes du nul , & fans attendre que des progrès dangereux en aient
découvert la caufë^, guidé par fa fs^gacité & par l^mour de la patrie, it
y reqionte & va détruire le venin jufq'ies dans fon origine. Connoiftknt;
que rioi n'eft plus oppofé à CQ(te ardeur 4e courage Se à ce^ e;npire per-^
pétuel fur fes paftions qui fontje ç^M'aâere de Pho^nme libre, que nn«,
dolence & la raufle fé^urité { il fera toqs fes efforts pour donner à fes
citoyens un nouveau goût pour la verm ; il leur communiquera cet en-
thoufiafme pour les grandes aâions , fi propre à «conduire à rhéroïfme ;
ce mépris des richefles & ce défintéreffement qui font le plus ferme rem*
part de la liberté.
Ces vertus, mes cheits .tmb , qui £iifoient la gloire de nos ancêtres,
^ qui contribuoiept anunt que leur* armes à les Êûe refpeâer des nar
i
}è C A T o «r.
fKMisiéinègaes, ib« maiotenaœ parmi lénn^ ètfcteoâàa^ \'nm
tes prodiges de jtiftke & d^moar de la patde^qm les ^ôfoietic régaidet
par leurs entiMds comme des écres élerés au^deflus de nuanamté i font
rais par vont an nombre des chimères doDt oo a accoutamé de hesccc les
en&Bs ^ depuis <pi'un nombreux eflàim de fbphiftes des écoles de Démi»«
crite & d'Epicure nous oot imbus de leurs argument £dlacîeax. Ces tômm
n^foDiseurs *eii(eîgiiei|t que racmour^propre eft le -fent mobile de nos ao*
rions ^ cet amour du beau que Socrate & Platon regardèrent comme > Iq
figné de- notre origine célette, & quHts tichoieoc, avec tant de loin , de
léTeflter daàs le cœur de leurs difdples ^ les nooveaur Philofepfaes le toœ^
Mot en rtdicute, & VeffiircenK de prouver qt^ ne penr exiiler qu^ fpé^
eobtion , & qu^l ne doit ion origine qu^à notre orgueil. StAxm eux , • la
^v^ûpté doif être notie* lbav^:^âin bien , & le but de mus nos v^kik ; cha*
qôe homme doit fe faite te Centre de toute la fi»ciélé:r & œ procurer
té bien de fa patrie bii celui de f^s amis qu'auiaot^a^ y trouve foo
propre avantage. Cette -èang«fêu(è doÔrine nV^&k ^e tn>p de prdgrèi
parmi nous: les paflions qu^elles &voiifoie0t^ lui ont kit en jmbu de tènipi
de nombreux profëlites , & les (entimens bas ; qui (ont la fuite naturelte
de ces fophilmes , ont pris la phce des vertus qui ont illuftré les ancient
Romains. '-• • ' * -- -*
Qeel rava|;é V décria Giééron, n'a pâ^^t dansfOOtre Rdpubliqoè/che»
Çaton , la fauflè philofophie dont yous^eilè^ db nous expofer les prinCi^
pes ! Elle a pou^ jamatr te#i la- ioiixct à^ I*hdf0fthie , en nous concentrant
dans nous-mêmes i nous ne fommes plus qtie des'maffts fans vie que le
feu de la gloire ii'ammeAa* jamais. Ô^RégidUsT OlDédus! O Héros dont
les noms feuls rempKfTeBt Tame du; fnnt ainour de \t vertu ! de quelle in-
dignation ne doivent pas étrt fai fiel Vos ombres -tnagnàninies , en voyant
Pérat abjeft oft font tombési vo$ defcêâdans. Xa téite en^ere, frappée' <Pé-<
fonnement au bruit de vos àâions , ^ufoit-etle regard» Rotne comme Id
teitaple de la vertu, fi vos eèet^s généreuse fb' fbf&tit eoUâ^tts par les*niaxi*
mes baffes de notre fieele^? O vous qui vous ahnbnce^ comme lésdépofi-
taires des oracles de la fàgeflb , & comme les difpeHDfacèuf s de la ftKeité «
dites-nous quel bien ont produit parmi nous vos nouvelles opinions! S^il
eft' vrai qu'elles ont dépravé ce»' jf^etechàns nobles qui ^nbûs' font fkcHfiet
nos propres intérêts à celiii de -là patrie , fi hos cifoyens ni fbnif ptw que
àts êtres inutiles , & quefquefoîs f^eniiciéiix I la République ; dé quel front
ofez-vous vanter ce prétendu bonheur qui fàie lé 'malheur général? Fàùdi^^
i
r-il rwéter ce que de fiecle eh fîecte les fages ont dit à toutes les nations ,
que rintérêt particulier à été dé tous lés temps une fburce de trouble &
e difcorde, que lei malheurs occafionnés par le choc de^ paflions oppo-^
fées , obligea les premiers hommes à pafler de Tétat de nature dans rétai
civil , & crue par une corffecjuence néèeffaire, le bd^eiir de fa fbciété ne
peut coefifier qpe daas^ l^Mlbibtiflcfaieat des iiftérêcF j^vésy A dans la ferci^
Cr AT O N. 31
de l'kAérét général. Ces vérités mconteftables ^ & beaucoup d'autres auflS
certaines ^ ne > nous permettent de vous regarder qoe^ comme des empoi*
fbaneurs publics » & comme les ennemis les pins dangereux de l'humanité.
Ames ^Cyerirès fi^^feibles ouï n^éprdurâtes jamais ce 4îvin enthoufiafine
1^ ^leve le patriote au-d^s de lin^^mème^ ne cherchez plus à rabaii&r
la gtoife des grands hommes par vos bafies interpiétatidns ; l'éclat de leurs
faits hértMques eft trop fort pour vos débiles yeur^ leur ame fublime n'a
rien de commun avec la vôtre. Semblables à ces oifèaux noâurnes qui
font effijfqués par les rayons du ibldl , & qui s'enfoncent dans les téne*
bres pour les éviter, l'oblcurité des temps modernes eft votre âénient na>-
turei^ ne portez plus vos regards vers des objets trop brillans pour vous ^
& cefllfz de juger des fentinoen^ qui «ohnent k cceuv des Héros p»- les
petites paflions dont le vôtre eft continuellement agité. Oui , cher Caton^,
parce que dans notre fiecle on ne voit plus d'aéHons dont la fource foie
pure , parce que ceux qui fe couvrent du mafque de l'intérêt public » ne
fongent éfFeâivement qu^ fatisfàire leur ambition ; fondés fur de pareils
exemples , nous ofons pénétrer dans l'ame des Réguhis , des Scipions &
dei Fa1>ricius , & affirmer que l'amour«propr9 étoic la fource fiécrete des
verms qui les ont imfnortalirés; '-
Ces infenfés '^ répondit Caton , ignoreût profondément la nature de Tàme
& celle des paffions qui la dominent ; la vanité , l'ambition , ou quelque
autre des penchans qui prennent leur fource dans l'amour-propre, ont
quelquefois produit des aaions éclatantes ; il fut toujours aifé de 1^ dif-
tinguer de celles qui ne doivent leur origine qu'ik la vertu & l'amour du
bien public. Il a pu mêiAe arriver que des hommes adroits & fongeant
eniquemem à leurs intérêts aient ufurpé , par quelques faits particuliers , la
réputation d'hommes vertueux; mais s'ils font parvenus à éblouir les yeux
de la multitude , kf fage démêloit toujours, au travers de tout cet appareil ,
le re(fort qui les faifoit agir , & la fuite dé leur vie n^a pas tardé à les dé-
mafquer oc à faire tomber le voile dont ils cherchoient i fe couvrir; &
ne feroit-ce pas d'ailleurs une efpece de prodige qu'une fource Ci vile pût
jamais produire de grandes chofos v ces baifes affeâions rétréciflènt trop le
Cœur de l'homme pour que tout effort^ généreux ne lui devienne pas im-
poffible. La ]gloire nef lui parott plus qu'une vaine chimère , la patrie un
mot dépourvu de (èns, & les Dieu^c des fantômes^ ouvrages de la peur&
de la fuperftition.
Ce fi'étoit pas allez ponr ces dangereux Sophiftes d'avoir rendu le ci-
toyen fourd & la voix de £1 patrie , en détruiiant dans fon cœur la racine
de fes devoirs envers elle ; ils oist encore cherché - à délivrer les ' paflions
d'un (rein terrible qui a fou vent Àiodéré leur fougue la plus impétueufe.
La crainte d'un ciel vengeur a fouvent retenu des âmes prêtes à fe pré-
cipiter dans l'abyme du crime, fouvent la confcience alarmée a refifté
tux trompeufes amorcée du vice ^ en fe peignant la divinité prête à lancer
3a C A. T 0 N*
Ton tonnerre. Que tle^ Héros patriotes n^onc pas donné leur vie pour h
République , encouragés à ce glorieux facrifice par rerp^aocè de la cou*
ronne immorcelle qui les attendoic ! • • . .
C'eft de la charrue que nos ancêtres tirèrent Curiu^ & Cincinnatun ^
ces hommes qui méprifoient les^ richeffes , & qui rettournoient cultiver
leur héritage après avoir triomphé des ennemis de h patrie. Comparez
ces grands hommes ^ citoyens vertueux au-dedans^ gueirriers redoutables
aux dehors , enflammés du zèle patriotique , pénétrés de refpeâ pour lea
Dieux, inacceflibles à Pavarice âç à la cupidité} comparez-les avec ces
méprifablés avortons qui conduifent aujourd'hui notre Gouvernement ,
avec ces êtres frivoles toujours avides de plaifirs & de. richeflès ; avec ces
âmes criminelles toujours bourrelées d^ambition , qui ponent dans leur
cœur le défir coupable d'aflervir leurs concitoyens & de donner la more
à la tendre mère qui les nourrit; avec ces âmes lâches prêtes à rs^per
aux pieds d'un maître & à venfdre au plus offrant une liberté dont ils ne
font plus dignes. Jettez les yeux fur ces deux tableaux , & en (entant
combien vous êtes dégénérés, hàtez-vous de reprendre les vertus de vos
Pères & les qualités héroïques inféparables du nom Roqiain : cbaflez ces
corrupteurs qui ont infeâé vos âmes de vices étrangers , ces artiftes inur
tiles qui vous ont façonné au goût des chçfes frivoles j & q^i ont détourné
vos regards de la grande af&ire de la libené, pour les tourner for des
iables dangereufes ou fur de futiles imitations ; ces vains raisonneurs qui
refte encore quelque fentiment pour la gloire , fbyez fûrs que le bonheur
public fera le fruit d'un au(fî généreux effort, & qu'en renonçant à vos
vices vous vous délivrerez des maux qui vous affligent^ & vous affurerez
la tranquillité de la République.
pendant point de Cité qui n'ait à craindre à-peu-près les mêmes périls où
* ;nous (bmmes tombés. De quelle prudence & de quelle fagacité. n'a pas
\ fe diffoudre par les chocs terribles qu'elles reçoivent de rambitiôn \ à
confidérer l'efpece dç conjuration que les vices de toute efpece ont tramée
dans tous les âges contre les vertus qui font le bonheur des fociétés ^ oa
eft tenté de croire que ces établiflèmens ne peuvent avoir aucune bafe
folide I & que la fagefle la plus vigilance efl à peine capable de leur pro^
curer
C A T 0 N. 53
curer une 'courte exiftence. Il nîeft que trop vrai , reprît Caton, que les
Républiques nourrirent fouvent dans leiu- fein leurs plus dangereux enne-
mis : mais, outre que la liberté eft un bien aflez précieux pour mériter
toute l'attention des citoyens, il eft des moyens par lefquels un légiflateur
la mettra facilement à couvert des entreprifes des hommes ambitieux.
Que les loix évitent de donner à un feul Magiftrat ou même à un corps
de magiftrature un pouvoir trop étendu ; qu'elles n'aient jamais l'impru-
dence de confier à un feul homme les rênes de l'adminiftration. Quelque
vigueur qu'il fe trouve alors dans le corps de la République, quel-
que chère que la patrie puifle être aux citoyens , la liberté court le
plus grand danger. Ce Magiftrat fuprême n'ayant aucun collègue dont il
puifle craindre l'oppofition, fuit fes projets bien plus aifément que le
membre d'un Sénat qui a tout à redouter de la jaloufie de fes confrè-
res. Les tréfors de TÉtat dont il a le maniement, & l'entière difpofition
lui fervent à fe faire des créatures , & la force publique dont il eft le
dépofitaire peut devenir dans fa main l'inftrument du defpotifme. Auflî
voyons- nous que les peuples foumis au gouvernement monarchique n'ont
pas tardé ii perdre leur liberté, &. qu'il n'en eft aucun de nos jours qui
ne croupifTe dans le plus honteux efclavage. C'eft bien pis quand la mol*
leffe des citoyens & leur indifférence pour le bien public , les engage à
rendre le gouvernement héréditaire pour éviter le tracas des élections de
la peine de difcerner le vrai mérite de l'intrigue & de la cabale. Alors
ils expofent la République à n'avoir aucune règle de conduite, en paf-
fant de l'adminiftration d'un homme à talens fous celle d'un imbécille ,
ou à devenir la viftime de l'ambition fuivie d'une famille , qui fe fon-
^iera peut-être fur cette hérédité pour prétendre ne la tenir que d'elle-
même, & fe rendre indépendante de la nation qu'elle ne manquera pas
d'aflTujeitir. Qu'un peuple fage ne donne le pouvoir exécutif qu'à des
compagnies alTez nombreufes pour que les confpirations contre le Sou^
verain y deviennent extrêmement difticiles; qu'il le partage en différen*
tes
toujours
cun ordre s'attrib^ue exclufivement les dignités de l'État :'ce furent les
prétentions de la oobleffe qui remplirent de troubles les premiers fiecles
de notre République. Ce corps ambitieux, fe croyant d'une. efpece plus
excellente que le refte des citoyens, refufoit de partager avec eux des
honneurs Se des avantages qui de leur namre dévoient être communs.
Sans la conftance & le courage des Plébéiens qui vinrent à bout de ré-
tablir l'égalité , on auroit vu dans la même Cité deux États ennemis l'un
de l'autre, & peut -être que tôt ou tard notre ville n'auroit été qu'un
aflemblage de malheureux efclaves & de maîtres impérieux. Cet exem«
pie doit infpirer la même fermeté à ces nations chez qui une légiflation
informe a pu dans les commencemens favorifer ces ridicules diftinâions»
Tome XL £
I
M . Ç A T O N.
s
Convaincues que l'égalicé eft la bafe de la liberté, qu'elles ^fTent tous
leurs efForts pour engager la patrie à difpenfer également fes bienfaits à
cous fcs enfans. Des vues de domination dans lès chefs des Républiques
ont fouvent fait attribuer des prérogatives à une partie des citoyens au
préjudice de l'autre, afin que la jaloufie naturelle entre ces deux ordres
les empêchât de fe réunir pour la défenfe de la liberté commune, &
qu'à la £iveur de ces divifions les entreprifes de rufurpateur ne rencon-
traflenc aucun obflacle. Un légiflateur vertueux & conduit par l'amour de
fa patrie , évitera de faire entrer dans le plan de fon inftitution aucune
claâe qui pôflede des privilèges héréditaires. La noblefTe dans tous les
Eays a toujours vifé à la tyrannie, & dans ceux où elle étoic déjà éta-
lie , elle en eft devenue le plus ferme boulevard , par une bafle va-
nité qui lui a £iit préférer de ramper aux pieds d'un defpote , à l'o«
bligation de partager avec le peuple les honneurs & le Gouvernement
de l'État.
Il ne fuffit pas pour la fureté de la liberté publique, que les loir veil-
lent au maintien de Pégalité.des conditions, fi elles ont négligé de pour-
voir à la trop grande inégalité des fortunes. Si quelques particuliers pofTe-
dent des richefles fuffifantes pour être en état d'intérefTer à leurs projets
un grand nombre de citoyens , comptez que tout eft perdu. Leurs tréfors
& leurs pofTeflions leur donneront bientôt une puiftknce fupérieure à celte
des Magiftrats , & il fe trouvera des hommes aftez lâches pour les aider
à fe frayer une route à la fouveraineté. Une République qui connoitra le
prix de la vertu , contiendra toujours les fortunes de fes membres dans
une certaine médiocrité. L'exemple du luxe & du fafte , fruits ordinaires
des grandes richeiTes , détruit peu-à-peu la modeftie des mœurs publiques :
il rend chacun mécontent de fa fituation, en lui infpirant du dédain pour
la frugalité & la fimplicité qui étoient la fource de fon bonheur; & en
faifant germer dans les cœurs mille nouveaux défirs , il excite dans l'Eut
une fermentation dangereufe qui ne finit que par fon entière difTolution.
Qu'afîn d'éviter de femblables malheurs les loix aient foin de limiter & de
divifer les polTeflions , pour empêcher qu'elles ne s'accumulent dans quel*
ques maifons , & que par une fuite néceffaire la plus grande partie des fa-
milles ne fe trouvent fans héritages. En un mot , pour mettre le bon ordre
dans la cité , qu'il n'y ait aucun citoyen alTez riche pour être en état
« d'acheter la liberté de fes compatriotes ^ & qu'il n'en loit aucun réduit à
une affez grande mifere, pour être tenté de vendre la fienne à celui qui
voudra lui procurer la fubfiftance.
Que la nation oblige fes Magiftrats à lui rendre compte de leur
niftration ; que l'autorité du pouvoir légiflatif ferve de bride à ceux qui
nourriroient des vues ambitieufes ; que la loi limite la durée de leurs fbnc*^
tions & qu'elle la reftreîgne autant que cela pourra s'allier avec le bien
des parties dont on les aura chargés* Toutes ces précautions font nécef«
C A T O N. 35
faires pour retenir les adminiArateurs de la chofe publique dans la dépen-
dance du Souverain. Je ne prétends pas approuver par-là ces efprits in-
quiets, turbulens, artifans perpétuels de troubles & de difcordes, qui fem*
blent n^être occupés qu'à femer la défiance dans tous les cœurs & à relâcher
les doux nœuds qui doivent unir les pères publics à leurs enfans. Il con-
vient que les Magifirats aient une autorité fufHfante pour fe faire refpeâer
eux , & les loix dont ils font les Miniflres. Tant qu'ils ne font que les
organes du corps légiflatif , ils doivent trouver une entière obéifTance dans
les particuliers qui en font les membres. Ce n'efl que lorfqu'ils tentent
de s'arroger un pouvoir plus grand que celui qui leur a été confié , Se
quand ils eflaient de mettre à la place des loix leurs volontés arbitraires ,
que les citoyens doivent réfifler à leurs entreprifes : dans toute autre oc-
cafion il efl jufle qu'ils jouiffent de la confiance publique , & que par l'eP
time qu'il leur témoigne » le peuple honore fon propre choix. A Sparte ,
ce modèle de toutes les Républiques , on voyoit , à la moindre parole du
Magiflrat , chaque citoyen empreflé de remplir la fbnâion oui lui étoit
aflignée : jamais peuple ne connut plus le prix de la liberté oc ne fîit en
même-temps plus foumis à l'autorité légitime. Il n'efl point d'honneur corn*
parable à celui de commander à des hommes libres ; mais les travaux &
les fatigues attachés à la magifbrature méritent l'eflime publique à l'homme
vertîteux qui confacre fes talens au bonheur de la patrie. Si ce prix na-
turel de la vertu lui efl refufé , & fi tout au contraire l'intégrité & l'amour
de la juflice font en proie auxf' perfécutions de l'intrigue & de la calom^
nie , on doit s'attendre que l'émulation ne tardera pas à être étoufFéé , &
que des hommes méprifables & fans talens s'empareront des places dues
au mérite & à l'amour du bien public. Telle (ut une des principales caufes
de la ruine^ des Athéniens. Toute République fage évitera de aonner dans
un pafeil excès v & fâchant faiiif le milieu entre une confiance trop aveugle
& une défiance mal-enteudue ^ après avoir pris avec fes Magiflrats toutes
les précautions qu'une prudence éclairée lui aura diâées , elle leur laiflera
la liberté néceflaire à leur^ fon6Hons , & s'empreflèra d'honorer leur vertu
& leur capacité.
Il efl pour la liberté publique de plus grands dangers que la violence
des ufurpateurs. Ordinairement quand j à l'aide des troubles inteflins , un
tyran s'empare de l'autorité , l'indignation dont tous les efprits font faifîs
réunit les raâions oppofées & les engage à agir de concert pour punir le
violateur des loix. Mais fbuvent , femblable à ces maladies deflrifôives
dont le germe funefle fe développe lentement, & qui ne fe manifeflenc
qu'après avoir miné peii^-peu tous les refforts de la machine, le defpo-
tifme , foible datis fes commencemens , ne s'avance à fon but que par des
progrès imperceptibles , marche par des voies obfcures & détournées » où
l'œil le plus attentil* auroit peine à le fuivre , ramaffe tout ce qu'il trouve
d'impur dans le corps politique , & gagnant de proche en proche , il en
E %
35 C A T O N.
corrompt infenfiblement toutes les parties ; lorfqu^eniîa il eft parvenu à
vicier totalement les fucs qui faifoient la vigueur de l'Etat , il fe montre
tel qu'il eft & fe livre à fa fërocité naturelle. C'eft donc contre Pindiffê-
rence & le relâchement que les citoyens doivent le plus fe précaution-
nër ; que leur attention toujours portée fur les affaires publiques les mette
en état d'éclairer les fourdes manœuvres d'une ambition criminelle. Com-
bien de nations libres autrefois eémiflent aujourd'hui dans la fervitude ,
fans pouvoir aligner l'époque precife de la chute de leur liberté. Combien
en eft-il qui par cette raifon ne fe croient plus en droit d'y prétendre,
parce qu'ayant perdu le goût d'un bien aufli précieux, ils le regardent
comme entièrement étranger à leur conftitution. Erreur grodiere! comme
fi la liberté n'étoit pas de l'effence de tout corps politique.
Le prétexte fpécieux d'augmenter par la guerre le domaine de l'Etat ,
eft un moyen dont fe font quelquejfois fervi les dépofîtaires de la force
publique , pour étendre leur autorité. La prudence doit empêcher les citoyens
de fe livrer facilement à de pareilles fuggeilions. Les loix ont fouvent de
la peine à fe faire entendre dans le tumulte des armes. Le pouvoir qu'on
eft obligé d'accorder aux Généraux pour la réuffîte des entreprifes , peut
devenir redoutable dans la main des ambitieux. Si les vaincus font incor-
porés dans la Cité , l'augmentation de membres de l'aflbciation rendra né-
ceflàirement l'union & le bon ordre plus difficiles , & peut-être qu'à la
faveur de troubles qui s'élèveront entre les anciens & les nouveaux ci-
toyens, quelque homme hardi ofera méditer la ruine de la liberté. Si les
armes procurent des fujets à la République , il eft à craindre que le pour-
voir aroitraire que les Magiftrats exerceront fur eux , ne leur fkfie dé-
daigner la modeftie du citoyen , & qu'ils ne cherchent à ufurper le même
Empire fur leurs compatriotes. Les peuples qui n'ont pas fu borner leurs
défirs aux limites de leur premier territoire , ont travaillé à leur ruine en
croyant augmenter les richefles & la fplendeur de l'Etat. Sparte vit décli-
ner fon ancienne gloire lorfque, fe laiflant conduire par l'ambition d'un
particulier , elle viola les fages loix de Licurgue ^ & que ne fe contentant
plus, de régner fur les cœurs par fa jufiice & fa modération , elle voulut-
ëtablir une autorité defpotique fur les villes de la Grèce. La fureur de
dominer a perdu Athènes , a perdu notre République , & elle entraînera
infailliblement à leur décadence tous les Etats qui feront affez peu fages
pour^s'y livrer. Heureufes les nations que des barrières pofées par la na-
ture elle-même mettent dans l'impuiflance de reculer leurs limites-! plus
heureufes encore celles que la fageflë de leurs inftitutions éloigne de la
fèroce avidité des conquêtes ! Aucun orage ne tibublera leur tranquillité »
& des jours paîfibles & fereins affureront la durée de leur Empire. Tels
font, mon cher Favonius, les principaux moyens que la politique fournit
Iiour fauver la liberté des Républiques des écueils qi|i l'entourent ; mais
es plus furs garans du bonheur de la patrie font les mœurs des citoyens :
C A T O N, 37
c^e(l-là Tinébranlable bafe fur laquelle doit être fondée la conftitution de
l'Etat. Si cet appui lui manque , on fentira bientôt combien toutes les pré*
cautions font vaines & infuffifantes. Les Magiftrats voyant que leurs efforts
ce font pas fécondés , tomberont dans le découragement , & les loix mé-
prifées demeureront fans force & fans autorité. O vertu , c^e(l*là ton glo-
rieux apanage , de faire régner la félicité par-tout où s'étend ton aimable
domination ! Tu es le bien eflentiel de l'homme , & en même temps que
tu fais le bonheur des individus , l'obfervation, de tes loix affure le repos
des fociétés!
Ici Caton nous traça le caraâere du vrai citoyen avec cette éloquence
mâle & pathétique qui fit fi fouvent l'admiration du peuple & du Sénat.
A ce tableau fi frappant, où nous ne pûmes nous empêcher de reconnoi^
cre les traits difiincHfs du grand liomme qui nous parloit , nous treffailli-*
mes 9 & nos yeux fe remplirent de larmes. Chers amis , nous dit-il , il
c'eft point dans la nature d'être plus fublime que l'homme qur porte fa
patrie dans fon cœur. C'efl l'ouvrage le plus parrait de la divinijé ; c'eft ce-
lui fur lequel elle jette ks regards les plus favorables. Semblable à ces
ailres bienfkifans qui répandent la lumière & la vie dans la fphere de leur
aâivité 9 le vrai citoyen infpire à fes compatriotes le zèle ardent qui l'en-
flamme ; c'eft un feu brûlant qui communique à tout ce qui l'entoure une
chaleur vivifiante : fes difcours portent dans tous les cœurs le faint amour
de la vertu : fes aâions marquées au coin du patriotifme excitent une no-
ble ardeur dans les âmes les plus tiedes : il n'exifte , il ne vit que par la
vie de la république, fa gloire fait la fienne, & fon bonheur eft (a féli-
aité. Dans quelque rang qu^il foit placé par le choix de fes concitoyens ,
quelques fonctions dont ils veuillent le charger , l'avantage de la patrie
fera fon premier, ou, pour mieux dire, fon unique mobile. Magiftrat , il
cmployera fës veilles & fes fueurs au repos de l'Etat ; févere , intègre , il
veillera au maintien & à la confervation des loix : à la tête des armées , fi
la viâoire fuit fes étendards , il ne cherchera qu^à procurer une paix glo-
rieufe à fa patrie; & dans les revers, il ne balancera pas de faire le
facrifice de fes jours , plutôt que de la voir déshonorée par aucun
opprobre.
Si la modeflie naturelle à la vertu, ou la négligence de fes concitoyens,
le laiflent dans Potibli, le même amour pour fa patrie honorera l'obfcu-
rité de fa vie privée; dans la place publique , les loix juftes & le vrai mé-
rite auront feuls fon fuffrage ; fîmple foldat , il donnera à fes compagnons
l'exemple de la valeur & de la difcipline, & dans la confufion des dérou-
tes, il oppofera à l'ennemi un front afliiré & un courage inébranlable.
Si un fort peu propice Ta fait naître dans des temps difficiles & troublés
par les faâiohs , la caufe la plus jufie pourra feule le compter pour un
de ks défènfeurs. Si la licence des mœurs, Se l'indifférence pour le bien
public I ont ébranlé la conflitution de l'Etat, il ne cefiera d'en prononcer
38 Ç A T O N.
hautement la condamnation par une conduite irréprochable , & la prati*
Tes compatriotes ^ il tâchera de réveiller dans leurs cœurs abattus quelque
étincelle d'amour pour la liberté : s'il réuflit à les tirer de l'afToupiflement ^
il fera le premier a braver les fureurs de la tyrannie. Mais ù l'aviliflemenc
de leurs âmes familiarifées avec la honte, ne lui laifle aucune efpérance
de leur rendre le fentiment de leur dignité , il quittera ce vil troupeau , &
parcourra tout l'univers pour chercher une fociété qui jouifTe encore de fes
droits primitifs; il s'enfoncera dans les déferts les plus affreux, plutôt que
de donner aux vrais philofophes le fpeâacle affligeant d'un homme qui
connoit la nobleffe de fon être , &. qui confent à la ravaler en fe foumettant à
un joug ignominieux. O Patrie ! objet de l'adoration des véritables héros , qu'il
ett doux , qu'il eflglorieux de &ire fur tes autels le facrifice de fes jours ! O
liberté! noble paflion des grandes âmes! malheureux celui qui ne goûta
jamais tes plaiurs inexprimables ! trois fois heureux celui dont tu as ceint
la tête de l'honorable couronne de citoyen ! Il coule des jours tranquilles
ibus la proteâion des loix , ouvrages du corps dont il efl membre \ per->
fonne ne prétend commander à ces loix & fbumettrc les autres à des
obligations dont il fe difpenfe. L'homme libre ne craint pas ces coup»
imprévus , ces ordres terribles qui fortent de la bouche d'un maître pour
écrafer les malheureufes viâimes du pouvoir arbitraire : rien ne l'empêche
de s'intéreffer à l'Etat comme à ion propre bien, & de donner à fes con-
pour
réduits ceux qui ont méconnu le prix d'un bien auffî précieux.
Tel fut, À mon cher Marcellus, l'entretien que nous eûmes avec Ca«
ton ; fes prédiâions n'ont été que trop bien juftifiées par les événemens.
Rome a perdu fa liberté , & ce grand homme n'efl plus ; il n'efl plus , &
fes compatriotes gémiffent dans la plus baffe fervitude. £fl-il encore quel-
que ame affez élevée pour ofer laver dans le fang du tyran la honte de
u patrie ! O fpeâacle déshonorant ! O opprobre ! le Sénat , le Sénat lui«
même ^ ce corps dépofitaire de la gloire & de la majeflé de l'Empire ,
rampe lâchement aux pieds du Diâateur. On le voit prodiguer à cet hom-
me criminel des honneurs qu'il a fouvent refufés aux pères de la patrie.
O Brunis ! O Virginius ! noms redoutables aux tyrans , que vos ombres
facrées fâflènt entendre leur voix de la pouffîere des tombeaux, qu'elle
appelle les Romains à la liberté , & qu'à ce foa terrible ^ la crainte faiûffe
les partifans de la tyrannie.
c
C A T O N. 3j
Caton Poliùco^Efpannoly &c.
'Est le tître d'un fort bon ouvrage Efpagnol, imprimé récemment à
Madrid, {a) Dom André de Mîgucz-Vagel , qui en eft l'Auteur, fe propofe
d'y inftruire les jeunes -gens des devoirs du citoyen. C'efl un dialogue
entre un Inftituteur & fon élevé, où le maître tâche de donner à ion
difciple des idées nettes & précifes des devoirs qu'il a ou qu'il aura à
remplir comme citoyen. Ces devoirs , qui font la bafe du bonheur des
fociétés politiques y font malheureufement méconnus & négligés dans la
plupart des Gouvernemens. Chacun s'ifole, & femble prendre à tâche de
ne tenir à la Communauté que le moins qu'il peut. Notre Auteur attribue
avec raifbn cette ignorance & cette négligence aux vices de l'éducation ,
foit publique, foit privée. Les Inftituteurs Qrdinaires ne fongent pas aflcz
qu'ils ont des citoyens à former pour la patrie, que c'efl-là le but de toutes
leurs inflruâions. Cultiver l'efprit des jeunes gens , leur apprendre les lan-
gues mortes ou vivantes , les former dans l'art des Orateurs , leur expli*
quer les règles de la logique, ou les phénomènes de la nature, c'eft les
difpofer \ fervir la patrie dans les différentes profeflîons de la vie civile :
& ces enfeignemens doivent les rappeller fans ceffe aux obligations qu'ils
ont contraâées en nai(fant, & aux engagemens qu'ils auront un jour ^
remplir comme enfans de l'£tat , comme fujets d'un Souverain , comme
frères de leurs concitoyens. Demandez à un jeune-homme qui fort du col-
lège , quel eft le fens de tel ou tel vers de Virgile : il vous répétera bien
ou mal l'explication qu'on lui en a apprife fouvent avec bien de la peine.
Mais fi vous lui demandez quel .degré d'obéiifance il doit au Prince ,
quelle foumiflion exigent de lui les loix nationales ^ quelle influence les
mœurs ont fur le bonheur de l'Etat , comment chaque particulier peut & doit
concourir au plus grand bien de la patrie? Le jeune-homme étonné vous
regardera, & vous prendra pour un homme extraordinaire. Ces inftru6tions
cependant valent bien autant que trois ou quatre phrafes de latin , & cinq
ou fix argumens de logique fcholaftique.
Dom Miguez-Vagel , qui paroit avoir bien étudié les mœurs de fa nation ,
les vices qui y < dominent dans les diflërentes clafles du peuple , depuis le
trône jufqu'à la charrue, ne voit point de plus fur moyen de les corriger,
Sue de veiller avec plus de (bin qu'on ne l'a fait jùfqu'ici , fur l'éducation
e la jeuneflfe , & de la rapporter au Gouvernement : car par-tout où elle
n'a pas pour objet principal , de &ire des Rois pères de leurs peuples , des
Miniftres éclairés fur les vrais intérêts de l'Etat , & pleins de zèle pour en
procurer le plus grand bien , chacun dans fon département , des Magiflrats
(4) Cbf I Martinez t en 1777,
/'
40 CAUSE.
intègres , amis de la juftfce , ^proteâeurs de Tinnocence , ennemis déclarés
du vice, des peies de famille exaâs à remplir tous les devoirs de ce titre,
des citoyens vertueux dans quelque profeuîon que ce foit, elle manque
fon but.
L
C A U S E, f. £
fE mot Caufe fe dit dans le Droit naturel & la morale de tout ce
qui a quelque influence fur une aâion humaine, de manière qu^on puifTe
la lui imputer ou en tout ou en partie.
L'on peut ranger fous trois claffes les Caufes morales qui influent fur
une aâion d'autrui. Tantôt cette Caufe efl la principale^ enforte que celui
qui exécute n'eil que l'agent fubalterne ; tantôt l'agent immédiat eflt au
contraire la Caufe principale , tandis que l'autre n'eft que la Caufe fubal*
terne \ d'autres fois ce font des Cauies collatérales , qui influent égale*-
ment fur l'aôion dont il s'agit.
Celui-là doit être cenfé la Caufe principale, qui en fitifant ou ne hi^
(ant pas certaines chofes, influe tellement fur l'aâion ou l'omiffîon d'au*'
trui, que fans lui cette aâion n'auroit point été faite, ou cette omiflion
n'auroit pas eu lieu ; quoique d'ailleurs Tagent immédiat y ait contribué
fcîemment. Un Oflicier exécute, par un ordre exprès du Général ou du
Prince , une aéHon manifeflement mauvaife : le Prince ou le Général font
la Caufe principale, & l'Officier n'efl que la Caufe fubalterne. David fut
la Caufe principale de la mort d'Urie , quoique Joab y eût contribué ,
connoiffant bien l'intention du Roi. De même Jezabel fut la Caufe prin*
cjpale de la mort de Naboth.
J'ai dit qu'il falloit que l'agent immédiat eût pourtant contribué fciem-
ment à l'aaion. Car fuppofé qu'il ne pût favoir fi cette aôîon eft bonne
ou mauvaife, il ne fauroit être confidéré que comme un fimple înftru-
ment : mais celui qui a donné l'ordre , étant alors la Caufe unique & ab«
/folue de l'aâion , il en feroit feul refponfable. Tel efl pour l'ordinaire Iç
cas des fujets, qui fervent, par l'ordre de leur Souverain, dans une guerre
injufte.
Au refle, la raifon pour laquelle un Supérieur efl cenfé être la Caufe
principale dç ce que font ceux qui dépendent de lui, n'efl pas propre-
ment la dépendance de ces derniers ; c'eft l'ordre qu'il leur donne , fans
en pourra être regardée par la même raifon comme la Caufe principale.
C'eft ce que l'on peut fort bien appliquer aux Confeilters des Fripçps , ou
aux
C A USE. 4f
aux Ecclëfiaftiques qai ont de l'afcendanc fur leur efprit, & qui en àbufenc
2uelquefbis pour les porter à des chofes auxquelles ils ne fe leroient point
érerminés d'eux-mêmes. En ce cas, la louange ou le blâme tombe princi-
palement fur l'Auteur de la fuggeftion ou du confeil.
Mais celui - là n'eft que Caufe collatérale ^ qui en faifant ^ ou ne fki"
fane pas certaines chofes ^ concourt fuffifamment & autant qu'il dépend
de lui , à l'aâion d'autrui ; enforte qu'il eft cenfé coopérer avec lui ; quoi--
oue l'on ne puille pas préfumer abibiumeot que fans fon concours , l'ac-
tion n'eût pas été faite. Tels font ceux qui rourniflfent quelque fecours à
l'agent immédiat ; ceux qui lui donnent retraite & qui le protègent ;
celui, par exemple, qui , tandis qu'un autre enfonce une porte, prend
garde aux avenues , pour favorifer le vol » &c. Un complot entre pIuHeurs
perfonnes , les rend pour l'ordinaire également coupables. Tous font cen<*
lés Giufes égales & collatérales , comme étant aflbciés pour le même fait, .
& unis d'intérêt & de volonté. Et quoique chacun d'eux n'ait pas une
égale part à l'exécution, l'aâion des uns peut fort bien être mife fur le
compte des autres.
Enfin , la Caufe fubalterne , eft celle qui n'influe que peu fur l'aétion
d'autrui , qui n'y fournit qu'une légère occafion , ou qui ne fait qu'en ren-
dre l'exécution plus facile ; de manière que l'agent déjà tout déterminé à
agir & ayant pour cela tous les fecours néceffaires , efl feulement encou*-
ragé à exécuter fa réfolution , quand on lui indique la manierp de s'/;
prendre , le moment favorable , le moyen de s'évader , &c. ou quand on
loue fon deffeio & qu'on l'excite à le fuivre.
Ne pourroit-on point mettre dans la même claffe l'action d'un juge^
^ui au lieu de s'oppofer à un avis qui a tous les fuffrages , mais qu'il
croit mauvais f s'y rangeroit par timidité ou par complaifance ? Le mau-
vais exemple ne peut auflî être mis qu'au rang des Caufes fubalternes.
Car pour l'ordinaire , de tels exemples ne font impreflflon que fur ceux
^ui font d'ailleurs portés au mal , ou fujets à s'y lai(fer facilement entral<-
ner ; enforte que ceux qui les donnent ne contribuent que foiblement au
mal Que l'on hiit en les imitant. Cependant il y a quelquefois des exem-
ples a efficaces, à caufe du caraâere des perfonnes qui les donnent, &
de là difpofîtion de ceux qui les fuivent , que fi les premiers s'étoient abf*
tenus du mal, les autres n'auroient pas penfé à le commettre. Tels font
les mauvais exemples des Supérieurs , ou des perfonnes qui par leurs
bmieres & leur réputation ont beaucoup d'afcendant fur les autres : ils
font particulièrement coupables de tout le mal qui fe fait à leur imitation.
On pourroit raifonner de même fur pludeurs autres cas. Selon que les cir-
conitances varient, les mêmes chofes ont plus ou moins d'influence fur
les aâions d'autrui, & par conféquent ceux qui en les faifant, concourent
•à ces aâions , doivent être coniidérés tantôt comme Caufes principales ,
UBtôt comme Caufes collatérales , & tantôt comme Caufer fubalternes.
Tome XI. F
^4 CAUSE..
L^application de cts diftiodions & de ces principes fe fait d'elIè-mème.
Toutes chofes d'ailleurs égales , les Caufes collatérales doivent être traitées
également. Mais les Caufes principales méritent fans doute plus de louange
ou de blâme , & un plus Haut degré de récompenfe ou de peine , que
les Caufes fubalternes. J'ai dît , toutes chofts étant iPaitteurs égaUs : car il
peut arriver, par la divcrfité des cîrconftances qui augmentent ou dimi-
nuent le mérite ou le démérite d^une aâion , que la Caufe fubalteme agilfe
avec un plus grand degré de malice que la Caufe principale , & qu^ainfi
l'imputation foit aggravée à fon égard. Suppofé, par exemple ^ qu'un homme
de lang-froid aflaflînât quelqu'un ; à l'inftigation d'un autre qui fe trou-
veroit animé par une injure atroce qu'il vîendroit de recevoir de fon en-
nemi , quoique l'inftigateur foit le premier auteur du meurtre , on trou-
vera fon aâion, faîte dans un tranfport de colère, moins indigne que celle
du meurtrier qui l'a fervi dans fa paffion , étant lui-même tranquille Ôc
de fens railis.
Au refte , quoique la diftinâion des trois ordres de Caufes morales d^dne
a£Hon d'autrm, foit en elle-même très-bien fondée, il faut pourtant avouer^.
3ue l'application aux cas particuliers en eft quelquefois difficile. Dans le
oute, il ne faut pas tenir aifément pour Caufe principale un autre que
l'auteur immédiat de Taftion t l'on doit plutôt regarder ceiJx qui ont con-
couru , ou comme Caufes fubalternes , ou tout au plus comme Caufes.
collatérales.
Il y a fur cette matière plufieurs importantes décidons du^ droit Ro-
main : nous allons en fournir quelques exemples. C'eft parce qu'en don-
lement celui qui fait l'aâion qui efl cenfé la commettre , mais celui qui
» anime à la faire; & pourquoi? parce que fa volonté y a autant & fou-
B vent plus de part , que celui qui commet l'aâion. Et comme celui qui
1» donne limplement confeil pour l'exécution d'un crime y tend par fa vo-
9 lonté, Tacbion lui eft de même imputée. C'eft fur ce fondement que ce-
» lui qui donne confeil pour un vol eft cenfé en commettre un. a La
/. 36. J^ de furtis eft aflez expreflîve fur ce point; & Ulpien ne fait au-
cune diftinâson entre celui qui commet un adultère, & entre celui qui
donne le confeil. C'eft encore le motif de ce fenatufconfulte , qui veut que
ceux qui par leur confeil font qu'on ne vienne pas au fecours des naufragés y
font punis comme affadins. Ceux qui ont connoiffance d'un parricide font
punis comme ceux qui l'ont commis fuivant la /. 6*. ad L Pom. de parr.
Ceux qui dans un tems de difette empêchent, ou contribuent à empêcher
que des navires arrivent, font considérés comme auteurs de la difette /. z^
§^ï.ad L JuL de ann. Celui qui engage au vol de la caifte publique , eft tenu
comme l'ayant volée lui-même. /. t.ff. adleg. Juh peeul. Celui qui confeille
i
CAUTION. C A UT I O N N E M E NT.
4Î
1 un elclave de s^enfuir , qui le cache ou lui donne du fecours dans fa fuite ,
eft tenu pour Tavoir volé. /. pcn. §. uU. ffi ad U Fab. dt plag. l. 2. C. cod.
Telles font les décifîons du droit Aomain , qui , comme l'on voit , font
toutes relatives à des particuliers.
o
CAUTION, f. f.
CAUTIONNEMENT, Cm.
N appelle Caution la fureté que Ton donne pour Pexécution de queU
que engagement : en ce fens il eft fynonime à cautionnement.
Caution fignifie aufli la perfonne même qui cautionne , & Cautionne^-
ment Taâe de celui qui cautionne.
L'obligation des Cautions eft un acceffoire d'une autre obligation. Ainfi
on appelle celui pour qui la caution s'oblige , le débiteur principsd , oa
le prmcipal obligé.
Ûufage des Cautions s^étend à toutes fortes d'engagemens , & renferme
deux fortes de furetés. L'une qui regarde le paiement d'une fomme , ou
l'exécution de quelque autre engagement , comme de l'entreprife d'un
ouvrage , d'une garantie , & d'autres femblables , pour afllirer celui en*
vers qui la Caution s'oblige, que ce qui lui eft promis par le principal
débiteur fera exécuté. L'autre forte de fureté regarde la validité de 1 o*
bligation dans le cas où elle pourroit être annulée, comme fi le prin-
cipal débiteur étoit un mineur , quoique folvable » l'engagement de la
Caution feroit non-feulement de payer la dette fi l'obligation du mineur
n'étoit pas annuUée, mais de faire valoir l'obligation, en cas *que le m\n
peur s'en fit relever, & de payer pour lui.
On peut diftinguer trois fortes de Cautions. La première eft celle des
Cautions qu'on donne volontairement & de gré à gré pour toutes fortes
d'engagemens , foit par convention , ou autrement. Ainfi on donne Cau«*
don pour un prêt , pour une garantie , pour le prix d'une vente , pour
le prix d'un bail , & pour d^autres obligations qui fe contraâent par des
conventions. Ainfi les tuteurs donnent quelquefois Caution.
La féconde forte eft des Cautions ordonnées par quelque loi. Ainfi dans^
le droit romain les demandeurs & les défendeurs étoient obligés de don*-
aer les Cautions pour diverfes caufes qui regardoient l'ordre judiciaire. Ainfi
en France, par un Edit du mois de Janvier i ^57 ,les dévolutaires font obli-
gés de donner Caution de payer le jugé. Et il y a d'autres cas où les ordon-
nances obligent de donner Caution \ mais dont il (eroit inutile de parler içi^
La troifiemfe forte de Caution eft de celles qui font ordonnées en jul^
tice , foit fût les demandes ou fur les oftires des parties , ou d'office par
le juge. Ainfi on adjuge quelquefois une chofe contentieufe à l'une des
F 2
%i
44 CAUTION. CAUTIONNEMENT.
> - »
parties par providoD , en baillant Caution de la rendre s'il e(l ordonné.
Âinfi on fait donner Caution de repréfenter un prifonnier élargi à cette
condition. Ainfi dans un ordre entre créanciers , on ordonne que ceux
3ui recevront dés fommes fujettes à être rapportées, donneront Caution
e les rapporter aux oppofans antérieurs à qui ces fommes devront rêve-*,
nir, comme pour quelque* dette conditionnelle.
Il n'y a point d'engagement honnête & licite où l'on ne puifTe ajouter
la fureté d'une Caution à celle que U principal obligé donne par foi«
xnéme , pourvu qu'on ne bleffe pas les bonnes mœurs en donnant cette
fureté ; car il y a des engagemens légitimes où il ne feroic pas honnête
de donner Caution.
Cet ufage des Cautions dans toutes fortes d'engagemens , ne s'étend pas
feulement à ceux qui fe font de gré à gré par des conventions , à ceux
des tuteurs & des . curateurs , à ceux même des Cautions i car on peut
prendre un fidéjulTeur d'un fidéjufleur, & généralement à toutes autres
fortes d'engagemens, oii les loix civiles donnent au créancier une aéHon
contre la perfonne obligée , & qu'on appelle par cette raifon des obliga-
tions civiles : mais on peut auffî donner Caution de cette forte d'obliga*
tions qu'on appelle (implement naturelles. Car dans ces fortes d'obligations;
il fe rorme un engagement naturel , que celui qui s'en rend Caution
j^it valoir en fa perfonne , encore qu'en la perfonne du principal obligé
il foit inutile. Âinfi dans les coutumes où la femme qui eft en puiffance
de mari ne peut point s'oblieer du tout , fi le mari le rend Caution de
l'obligation de fa femme, il fera obligé, quoique l'obligation de la femme
demeure toujours nulle.
On peut donner Caution, non-feulement pour une obligation préfente
ou qui avoit été déjà contraâée, mais auflî pour une obligation à venir v
comme fi celui qui prévoit ui>e affaire où il aura befoin d'argent, donne
par aVance la fureté d'une Caution à celui qui devra lui faire le prêt ^
cette Caution s'obligeant par avance pour ce prêt à venir. Ce qui pour^
roit arriver fi , par exemple , celui qui doit être Caution devoit être ab*
fent au temps qu'on fera le prêt; ou en d'autres cas & pour d'autres
caufes, (^omme pour une garantie d'une vente ou autre engagement.
De quelque nature que foit l'obligation principale, l'engagement du fi^
déjulfeur ne peuit jamais être plus dur que celui du principal obligé. Car
fon obligation n'eft qu'un acce(foire de l'autre : & s'il s'obligeoit à quel*
que cbofe de plus, ou à dés conditions plus onéreu fes, il ne fèroit Cau->
tion qu'en ce qui feroit de l'obligation principale. Et le furplus ne feroic
pas un Cautionnement , mais le regarîderoit feul , fi par les circonftances
l'obligation de ce furplus devoit fubfifter.
L'obligation du fidéjufleur peut être moindre que celle du principal
obligé. Ainfi , il peut ne s'obliger que pour une partie d'une dette ou de
quelqu'autre engagement. Âinu^ il peut ne s'obliger que fous quelque
/
CAUTION. CAUTIONNEMENT. 45
•oodition, quoique la dette foit pure & fimple. Ainû , il peut prendre
tin terme plus long que celui de l'obligation principale, ou un lieu plus
commode pour le paiement. Et il peut enfin adoucir fa condition de tou-
tes les manières dont il aura été convenu.
On peut Te rendre Caution fans ordre de celui pour qui on s'oblige &
mén:>e à fon infçu. Car de la part du créancier , il eit jufte qu'il puifle
prendre fe^ furetés indépendamment de la volonté de fon débiteur ; & de
la part du iidéjuifeur, il peut rendre cet office à fon ami abfent, de
même qu'on peut prendre foin des affaires d'une perfonne abfente.
En matière de crimes & de délits, ceux qui les commettent par ordre '
d'autres personnes, ou qui s'en rendent complices, ne peuvent prendre
de Camion , ni de garantie ; pour être indemnifés des événemens qui en
{courront fuivre, ni pour s'aflurer des profits qui pourront s'en tirer. Car
'obligation d'une telle Caution & d'une telle garantie feroit un autre cri-
me. Mais celui qui a commis un crime ou un délit peut donner Cau-
tion pour l'intérêt civil , & même pour les amendes & autres peines pé*
cuniaires qu'il peut avoir encourues. Car il eft de l'équité & du bien pu-
blic qu'elles foient acquittées.
: 11 y a des engagemens honnêtes dont on ne peut prendre de Caution,
ï caufe que la qualité de l'engagement rendroit mal honnête ; cette fureté.
Aiofi il feroit contre les bonnes mœurs qu'un affocié donnât Caution à
fon affocié de ne le point tromper : qu'un arbitre donnât Caution de
rendre (à fentence , ou de bien juger. Aiiifî , danr un cas d'une autre
nature , on ne doit pas prendre de Caution pour la reflitution d'une dot,
ni de la part du mari , ni d'autres perfonnes qui doivent la recevoir pour
lui, comme de fon père ou de fon tuteur. Car la dot étant un accefibire
de l'engagement du mariage , il feroit indigne de l'union fi étroite , qui
met la femme fous la puiffance du mari à qui elle fe donne elle-mê-
me, qu'on exigeât cette fureté. Et ce feroit une fource de divifîon dans
les familles qui doivent s'unir par les mariages. Mais le père & la mère «
du mari peuvent s'obliger pour leur fils à la reflitution de là dot. Car
l'obligation de leurs biens n'efl que celle du fils même qui doit les re^
cueillir. Et il efl ordinaire que celui ^ui fe marie n'ait pas d'autres biens
que ceux que (es parens peuvent lui donner, 0u dès le mariage, ou après
leur mort, ce qui rend jufle & honnête leur obligation , pour aifurerla dot/
Quoique l'obligation de la Caution ne foit qu'acceffoire de celle du
principal obligé, celui qui s'efl rendu Caution d'une perfonne qui peut fe
faire relever de fon obligation, comme d'un mineur, ou d'un prodigue
interdit , n'eft pis déchargé du Cautionnement pour la reflitution du prin-
cipal obligé : & l'obligation fubftfle en* fa perfonne ; à moins que H
reftitncion fur fondée fur quelque dot , ou autre vice oui annullàt le droit
du créancier : mais la fimple reflitution du principal obligé efi un événe*
nent dont le créancier avoit prévenu l'effet , s'afluram fa dette par la Cai^
CAUTION. C A U T I O N N E MENT;
non , qui de fa part n^avcSt pu ignorer cette fuite de fon engagement,
La Caution du mineur a fon recours contre lui pour fon indemnité, fi
Tobligation a été utile au mineur. Mais fi ne lui étant pas avantagçufe,
il en eft relevé, il pourra auffi être relevé de l'indemnité envers fa
Caution.
L'engagement des fidéjufleurs confîfie en ce qu'ils s'obligent en. leurs
noms, pour répondre de l'effet de l'obligation dont ils fe Rendent Cau-
tions. Mais ceux qui fans delfein de s'engager, recommandent celui qui
doit s'obliger , ou confeillent de traiter avec lui, ne fe rendent pas par
là Cautions \ à moins qu'il n'y eût de leur part une mauvaife foi , ou d'au-
tres circonftances qui duflent les rendre garans de l'événement.
)uge de la recevoir ou la rejerter , félon que celui qui l'offre & la Cau-
tion même ibnt voir la fureté; ce qui dépend des trois qualités qu'il
but confidérer dans les Cautions , félon les engagemens dont ils doivent
répondre , la folvabilité , la facilité de les pourfuivre en juflice , & U
validité de leur engagement. Ainfi , le défaut de biens , la dignité &
les autres qualités qui rendent leurs pourfuites difficiles , & l'incapa-
cité de s'obliger , font des caufes de rejetter les Cautions qu'on préfente
en juflice.
Les engagemens des Cautions paffent \ leurs héritiers , à la réferve
des contraintes par corps , fi rengagement étoit tel que le 6déjuflèur
y fût obligé. Car il a pu obliger fa perfonne, mais non celle de fon
héritier ; & comme les héritiers des fîdéjufTeurs entrent dans leurs enga»
gemens , ils ont> auffi les mêmes bénéfices que les loix accordent aux
fidéjuffeurs.
Celui qui a reçu une Caution sVn étant une ibis contenté, ne peut
plus en demander d'autres ; quand même cène Caution feroit infolvable.
Les Cautions des Officiers, & autres perfonnes chargées de quelque re-
cette, ne répondent pas des peines pécuniaires qu'ils pourront encourir.
L'obligation de la Caution n'étant qu'acceflbire & fubfidiaire de celle
du principal obligé, & pour fatisfaire à ce qu'il manquera d'acquitter,
cette obligation efi comme conditionnelle, pour n'avoir fon effet qu'en cas
que le débiteur ne puifle payer. Ainfi la Caution ne peut être pourfuivie
qu'après que le créancier ayant fait les diligences néceffaires pour la dif-
cuffion du principal obligé , n^a pu être payé.
Le principal obligé eft tenu d'indemnité^ fa Caution, foit en le.fid
décharger de l'obligation, ou acquittant la dette. Et quand il n'y aurait
f>as d'obligation d'indemnité , il tuffit qu'il paroiffe que la Caunon n'efl
obligée pour le débiteur qu'en cette qualité. Car elle emporte l'engage*
neat de l'indemnifen
CECILE. C E C I t L. ;( Robert)
C E.
C.
CECILE, maîtrtffe tPErie X, Roi de Danemarv.
_/ E C I L E «voit été Dame-d'honneur de la Reine Philippine , époufe
d'Kric X Roi de Danemarc. Ce Prince en devint amoureux, & la combla
d*hoonetirs qui ne fervirent qu*à la faire méprifer davantage. II vouloir
forcer les Seigneurs de h Cour ï ramper devant elle; mais ta fierté Da-
noife ne pouvoir s'abailTer jurqucs-là. Un jour qu'elle fe promenou Tur un
char richement orné, Ollaus Axill, Sénareur , la rencontra, & la fatiia pro-
fondément ; le luxe de fon équipage la lui avoit fait prendre pour une
Princerte , mais im inflani après ayant reconnu fon erreur , il revient fur
fes pas, arrête le char de Cécile, & la maltraite de la manière la plus
ignominieufe. n Va dire à ton Roi , lui dit-il , que le trône d'un Pnnce
» efféminé n'eft pas plus difficile à renverfer que le char d'une courtifanne,
»y Si qu'un jour fa pailion pour toi lui coûtera trois couronnes. « La pré-
diâion fut accomplie : Eric fiit détrôné.
CECILL, (Robert) Comte de Saîifiury , Secrétaire-tPEtat ^ & grand-
, Tréforier tP Angleterre^ mort en iGza..
J ^E Chevalier Robert Cecill , qui fut depuis Comte de Saîifbury , étoit
fils de Mylord de Hurlcigh , héritier de fa fagelTe & de fa feveur, mais
non de fes biens qui éch'irent au Chevalier Thomas Cecill fon frère aîné,
qui fut depuis Comte d'Exceller. Si le Chevalier Cecill avoit (liiet de
n'être pas content du partage que U nature lui avoit fait des agrémens du
corps; i! avoit à fe louer de fa libéralité au fujet des avantages de Pe(^
'rit, qui ne pouvoient guère Être plu; grands. Il avoit le vilâge aflez
lien ftit, mais fon corpi éroit petit & bafTu. Cela fut caufe que la Reine,
qui éioit fort difficile quand il étoit queflion de donner des dignités , refufa
long-temps de le faire Secrétaire - d'Etat , quoique Mylord de Burleigh
fon père, auquel elle avoit toutes fortes d'obligations, la follicitât en fa
feveur. Elle vouloit non-feulement des gens de mérite , capables de bien
remplir les charges ; mais encore des gens bien faits qui lui fiffènt hon-
neur. Auffî , dit-elle à Mylord de Burleigh qui la fotlicitoît de faire foD
fils Sccrétaire-d'Etat , après l'avoir honoté du titre de Chevalier j que ce
ferbît une honte qu'un' nommé contredît comme fon fils, eût place avec
des Seigneurs ù bien fùu. Cependant comme elle ne rdhifbit pas vdIob?-
bi
4» C E C I L !• (Roien)
tiers Mylôrd de Burleigh, & qu'elle famt d'ailleurs que la beauté de Pef-
pric de foQ fils réparoic richement la difFormité de Ton corps , elle le fit
enfin Secrétaire d'Etat, enfuite maitre de la Cour des Gardiens. Après la
mort de Buckhurft , la Reine le choifit pour foulager fon père dans les
affaires des Finances. Les gens de guerre n'en furent pas contens ^ & My-
lôrd d'Effex qui fe croyoit le feul digne des faveurs de la Reine , en nit
fi outré qu'il quitta l'Irlande fans permiflion, & viùt en Angleterre fe laire
couper la tête , comme on fait. ( a ) Au moins efl - ce ^ fentiment de
Cambden , qui attribue à cela le mauvais fuccés de l'armée d'Irlande fous
le commandement du Comte ^ & la perte de ce favori.
Je ne trouve pas que Robert Cecill foit entré dans les affaires d'Etat
que vers la fin du règne d'Elifabeth. Je ne vois pas qu'il foit parlé de
lui (bus le règne de Marie pendant lequel fon père même, quoique dès-
lors Secrétaire-d'Etat , n'avoir de part aux affaires, que quand on avoit
befoin de fon confeil, & qu'on étoit obligé de le lui demander. 11 paflà,
comme on a dit en parlant de lui, la plupart du temps à la campagne^
vivant en homme privé ; & fi Robert fon fils étoit au monde , il étoit
bien jeune & fit bien peu de figure fbus le règne de Marie. Je ne fais
dans quelle fource a puifé Amelot de la Houffaye ce qu'il a dit de Robert
Cecill , à la page j^i8 du fécond tome des Lettres du Cardinal d^OJJai
imprimées à Paris en z6q8^ avec les notes de ce /avant Auteur. Voici
comme il en parle. Robert Cecill^ Secrétaire - d'Etat & grand Tréforier
d^ Angleterre j avoit changé de religion comme de maîtres. De ProteJIant ou
Calvinijlcf qu'il étoit fous le Règne d^ Edouard VI ^ ilfefit Catholique fous
celui de Marie , puis Protefiant fous celui d^Elifabeth. Il y a apparence
qu'il a confondu Robert Cecill avec Guillaume Cecill, c'eft-à-dire, qu^il
a pris le père pour le fils; car fi le fils étoit au .monde fous les Règnes
d'Edouard & de Marie , il étoit fi jeune qu'on ne deyoit pas penfer à li>i ,
& par conféquent il ne fe trouva pas en nécefiité de changer de religion.
Ce qui me perfuade qu'il a confondu le père avec le fils, efl que le père
à effeâivement vécu fous les trois Règnes, & a eu les charges qu'il at-
tribue à Robert. Les Hiftoriens Anglois difent même qu'il fe ménagea pen-
dant le règne de Marie au fujet de la religion,; mais je n'ai lu nulle pm
qu'il en ait changé. L'Evêque de Salifbury, dans fon Bifioire de la Refor-^
ination d* Angleterre^ en parle comrhe d'un homme qui avoit toujours été
Protefiant. Il y a apparence qu'il le fut; & il n'efl guère croyable que
s^il avoit été un caméléon en matière de religion, & homme à embi aller
la religion dominante , on eût éloigné de la Cour une tête à laquelle oa
étoit forcé d'avoir recours dans les affaires épineufes. Ce que M. Ameloc
ajoute, qu'il hdijfoit extrêmement la Couronne de France, convient fort
,ii) Voyf[ rAaicU EssBX.
«talMMHi
C E C I L L. (Rahert) 49
bien i Guillaume Cecill , Baron de Burleigh , qui la haifToit efièâive*
ineot, & qui en parle aflèz mal dans plufieurs de Tes lettres , comme on
pourra voir.
Four faire en un mot le portrait du Chevalier Robert Cecill , il faut dire
qu'il étoit le digne fils d'un Ci illuflre père, &. habile comme lui dans tout
ce qui regardoit le Gouvernement de l'Etat. Four Courtifan on peut dire
3u'il le fut dès le berceau; cependant à l'âge de vingt ans dtau-deflln,
s'en ^lloii bien qu'il ne fut ce qu'il devint dans la fuite. Le changement
de climat fît voir ce qu'il étoit , & ce qu'il feroit un jour. Il vécut dans un.
temps où la Reine avoit le plus befoin de gens de poids , & entre ceux-
là Robert Cecill étoit le premier. Les inftruâions de fon père , le tems ^
& la Cour qui étoît alors l*dcole de la rufc & de l'ariirîce , l'avoient
rendu habile, & comme l'Angleterre n'avoit jimais éié plus floriffante ÔC
gouvernée par de meilleures têtes , auffi n'avoicelle jamais été attaquée par
de fi puilTans étrangers, & déchirée par tant de faétions donieftiques. II
avoit l'eiprit grand &i la vue longue. Le Chevalier François Wallingharu
avoit ouvert le Conclave, & Guillaume Cecill avoit éventé les cabales des
Efpagnols, & éroit fi bien inflruit de ce qui fe pafibit en Efpagne, qu'il
iavoit ce qui fe faifoit dans chaque port, chaque vaifleau qu'on équîpoit,
de quoi il étoit chargé, oCi il alloit, quels obfîacles traverfoient lesdeffeins
des Efpsgnols , leurs confeils , & leurs réfolutions. Robert avoit hérité de
toutes les connoiflances de fon père , & en avoir acquis de nouvelles ;
comme il paroit par la lettre fuivante que Nanton n'a pas oubliée, & que
je n'ai garde d'oublier aufîi , étant une pièce trop importante. Milord
Mootjoy , depuis Comte de Devonshire, ayant été averti que les Efpagnols
fairoient de formidables préparatifs contre l'Irlande , écrivit predàmment h.
la Reine & au Confeil.leur demandant des troupes pour prévenir les Es-
pagnols, & les aller attaquer dès qu'ils auroient mis pied 5 terre, comme
aufli pour achever de pouffer les rebelles ; le Chevalier Robert Cecill, qui
l'aimoit autant qu'il en écoiE aimé , lui écrivit en particulier ce qui fuit.
M Y I O R D,
■> Comme je crains, que vous ne foyez fenfible que du côté de l'hon-
i> neuf , je dois vous amirèr en particulier , que vous ne verrez point le*
» Efpagnols de cette année. Je fai les préparatifs qu'ils font , & ceux qu'ils
n peuvent &ire. Comptez qu'ils font en réputation de ùiie lemblant de
T> plus embrafler qu'ils ne peuvent tenir : mais^ comptez au(n qu'ils feront
» l'année prochairie ce- qu'ils ne peuvent faire celle-ci. Je ne fauroîs en*
» core vous dire, s'ils feront plus &rts qu'ils ne le font à préfent; jnaiy
» autant que je le puis favoir , vous pouvez compter qu'ils feront defcente
M danj-Ia -Prorince de-Mtinfterj & pour votis inquiéter davantage m di-
» vers autres lieux, comme à Kingshale, à fieer-Haven, à Baliîmwe,
Tome XI, C ' " '
{o C E C I L I,. (Robert)
• • •
p OÙ vous devez compter quMs fe fortifieront , pour apprendre Tétat des
9 forces des rebelles avant que d'ofer fe mettre en campagne.
On peut juger du caraâere de ce Miniftre par les honneurs qu^il a reçus
de fes Souverains , & on ne fauroit mieux faire fon portrait qu'en cm*,
pruntant la claufe de la patente du Comtat de Salilbury. Il eft dit en pro-
pres termes qu'on Phonore de cette dignité pour fa fidélité , pour fa pru'
4cncc ^ pour fa vigueur , pour fa fagtjf'e , pour fa dextérité , pour fa pré^
voyance , & pour fes foins , non-feulement pour les grandes ù importantes
affaires du Confeil en particulier , mais aujfi pour toutes les autres chofes
jui regardent le Royaume en général. Le témoignage qui lui eft rendu eft
jyfte , & l'on peut dire , que jamais homme n'a mieux entendu l'art de
gouverner l'Angleterre. Fendant lé calme de la paix il veilloit aux deifeins
fecrets qui fe tramoient contre une Princefle qui étoit fur fon déclin , &
diffîpoit fans bruit & lés conjurations & les conjurés , pendant qu'avec une
bonne foi invariable pour fa Souveraine , & une fidélité à toute épreuve
pour fa patrie, il applaniflfoit les difficultés de la fucceflîon , également
fbigneux de ne donner aucun ombrage à la Reine fa maitrefTe , Sc de né
faire aucun préjudice à celui qu'il devoir avoir pour maître , & avec le-
quel il entretenoit une honnête correfpondance. Ce fut lui qui ouvrit le
paquet d'£co(Iè , dont on fera mention en parlant du Comte d'Effex,
&. qui trouva moyen de détourner les lettres particulières qu'on lui écri-
voit de ce pays*là. De quelque manière qu'on ait expliqué ce tour d'à*
dreflfe , ce qu'il y a de certain efl , qu'ayant été envoyé Ambafladeur en
France avec le Comte de Derby , il loutmt les intérêts du jeune Roi d'£-
cofle contre fa mère ; collègue du Chevalier François Walfingham , il ren«
dit inutiles les defTeins qu'elle formoit contre lui ; premier Secrétaire , il
fuivit , traverfa , & détruifit le petit complot tramé ious le nom du Comte
d'Effex , tournant & balotant, élevant & ruinant comme il vouloit ceux
qui en étoient les auteurs. La Reine ne fut pas plutôt morte, qu'on vit à
Edimbourg un homme de fa part auprès du Roi , & lui-même fut vu à
Yorck , avec lo Chevalier George Humes , favori de ce. Prince. Avec le
fecours de ce favori, & la médiation du Chevalier Roger Afîon, il devint
l'ami de cœur du Roi Jacques. Il chpifît TheobaldsYa) pour le lieu de fa
réfîdence , & pour règle de fon autorité , les loix et les copHitutions du
gouvernement.
Le Roi Jacques ne trouvant Robert Cecill que Chevalier & Secrétaire ^
le fît Baron d'Effenden , Vicomte de Crambourn, Chevalier de la Jarre-
tière & Comité de Salifbury : & comme û ce n'eût pas été affez , H le
fit encore maître de la Cour des Gardiens, & Grand- Tréfbrier. Dans tou-
tes ces dignités if obferva les Catholiques Homains avec beaucoup de vi-
tn^ I ■] .1 ■■ ■ ■ < ■ ■ w ■■— — .i^— ^— fc^— — ^la^N— — W*"**"^"! ■ I* ■ }m^ÊÊmm4'mmmfmm^Bm»^
■ I
la) Maifon qnc Mylord de Burleigh père de Robert Cecitl avoit fait bàtlr«
CBCILL. (Rùben) 51
Le Roi Jacques tvôit affîgné vingt mille livres fierling au Chevalier Ro^
bèrc Carre : Robert Cecill que nous appellerons déformais Mylord de Sa*
lifbury, voyant qu^uhe (i groflTe fomme étoit plus convenable à la libéra^**
lité de Ton maître, qu^à foù pouvoir, remarquant d'ailleurs que le Roi avoit
plus de (bin de l'argent qui paflToit par fes mains, que de celui qui pa(^
loit par Us mains dé (es ièrviteurs , il fit enforte que le bon Prince entra
dans la chambre où cette grofTe fomme étoit en argent. Le Roi ne man^-
qua pas dé demander à qui étôit cet argent. Mylord de Salilbury répondit
qu'il feroit à lui s'il ne s'en étoit pas défait. Le Roi fut incontinent au
fait , protefta qu'il avoit été trompé , & qu'il n'avoit pas entendu donner
a'a-delà de cifîq cents livres fterlihg. Le favori à qui le préfent avoit été fait,
fut bien aife d'avoir recours I la médiation du grand tréforier pour avoir
la moitié de cette grofTe fomme. Ce qui fuit &it voir combien il étoit in-
duftrieux à &ire valoir les revenus de fon maître.
I . Il prit coânoiflaiicé des terres de la couronne , dont on ne favoit le
prix jufqu'alors , que par oui-dire , & qu'aufli Ton avoit affermé par le
paffé pfutôt au hafard que- par cofinoiffance. 2. II fit revivre la coutume
de percevoir les revenus des terres par CommifTaires. 3. Il fit un état des
bois appartenans à la couronne , de leur cru , & de leur valeur^ & fit va-
loir tout lë bois qui avoit été inconnu jufques alors. ^^ Il fit nommer
des CommifTaires pour les terres qui relevoient des fiefs. 5. II fit régler
ce qui regardoit tes biens confisqués. 6. ï\ Rt valo^ les^ droits de la douane,
& porta ce revenu depuis 86,000, jufques à 135,000 livres par an. 7. U
eucouragiea les nianufaaûres & le commerce de l'Angleterre. Par ce moyen
tout le monde étôit occupé, lés denrées fe vendaient bien, &f l'argent dé-
meurdit dans le Royaume. 8. Il eut foin des plantations & tranfplantations
d'Irlande. 9. Et enfin il réforma la Cour des Gardiens au fujet des orphe-
lins dont elle avoit la difpofition.
Des fervices de cette importanceluî acquirent de grands honneurs, mais
ils l'expoferent auffi aux plus terribles traits de l'envie. Il falloir une ame
aufli grande que ta fienne , un efprit aufli tranquille , un jugement auffi
profond, une imagination auffi vafle, & une réfolution auffi grande que
la fienne p^ur fe tirer d'affaire, & guérir le vulgaire de ks erreurs, plutôt
par ta beauté de fes at^ions , que par l'éclat de fon pouvoir & de fon
autorité. Il trouva le fecret de contenter le peuple par fes vertus , & de
ne le pas alarmer par la grandeur de fon crédit : en un mot il en uùl
fi bien, qu'il fit dire à fa louange, qu'il avoit été le premier méchant,
& le dernier bon tréforier depuis la Reine Elifabeth.
Je n'oublierai jamais la converfation que fon père ou lui eut avec Grol-
lart premier Préfident de Rouen au fujet des troubles de France. Il con-
G 2
^a C E C R O P S.
feilla à ce Préfident de fe tenir toujours attaché au Roi quçlques difficultés
2u'il y vit \ car il avoit pour maxime , que les Rois reflemblent au foleil^
c les ufurpateurs aux étoiles errâmes , parce que le foleil quoique ofFufqué
& couvert par d'épais nuages , les diflipe ennn ; au lieu que les autres ne
paroifTenc aux y^x que des figures d'étoiles « & ne font par manière de
dire que de (impies exhalaifons qui fe didipent tout-à-coup, & tombent
fur la terre, où e^les font confumées. Les év^emeac^u on a vu éclore en
Angleterre & aille\^rs , montrent fuffifamment la vérité de ce difcours.
Il fit voir qu'il étoit digne des grandes charges qu'£lifa0^th & fon fuc^
ceiïeur lui avoient confiées , & laiUa au public des monumens\de (a magni*
ficence & de fon zele pour le public, par la fondation qu'il fit pour la
iubfiftance des Capitaines que le ppids des années empèchoit de fervir , &
par la fameufe bourfe de Londres qu'il bâtir.
Il mourut l'an i6i%, à un lieu nommé Saint Margnaret, près de Marie-
borough , en revenant de Bath. Miloi d Vicomte de Cramborn , milord Cuf-
ford, & plufieurs autres lui virent rendre le dernier foupir» Il eft vrai que le
jour précédent il s'étoit évanoui en chemin, ce qui obligea de lui faire quit-
ter la litière pour prendre le carroffe. Je remarque ces petites particula**
rites, après Nanton, à caufe des contes qu'on a faits de fa mort. Qu'ils
foient nux ou vrais, ce qu'il y a de certain^ c^eft que cela ne &it aucun
tort à fon mérite.
G
C E C R O P S , fondateur â^ Athènes.
ECROPS fut un de ces avanturiers des fiecles héroïques dont la fable
a défiguré l'hiftoire. Il étoit originaire d'Egypte ou de Phénicie d'où for^
tirent les premiers Héros fondateurs des Empires. Il eft à préfumer qu'il
eut des ennemis dans le lieu de fa naiiTance , puifqu'il fut chercher unie
patrie nouvelle. Après avoir erré dans la Grèce à la tête d'une Colonie,
tl fe fixa dans l'Attique qu'il partagea en douze cantons habités par autant
de Tribus. On le regarde comme le fondateur d'Athènes, quoique d'autres
£ rétendent qu'il ne fie que la fortifier d'une citadelle qui porta fon nom»
,e peuple ^e l'Atcique qui devint dans la fuite le précepteur des autres
nations , étoit alors plongé dans la plus épaiffe barbarie. 11 en adoucit les
mœurs par le fecours de la Religion. Jupiter & Minerve devinrent l'objet
du culte public. Comme le fol de TAttique étoit fablonneux & (lérile, il
établit la maxime religieufe, que celui qui n'ofFroit aux Dieux qu'un peu
de gazon ou de fleurs , les honoroit autant que ceux qui imrpoloient des
Taureaux , ou qui brûloient dans leurs temples les parfums de l'Arabie. C'é~
toit accommoder la Religion à la politique & aux befoins du peuple. C'efl
à Cecrops qu'on attribue l'honneur d'avoir fondé l'Aréopage , tribunal in«^
CEI LAN, CBYIAN, ou CEYION.
53
corruptible où la fcience & l'équité préfidoient à la fortune des citoyens;
Les fages dont il étoit compofé tenoient leur aflëmblée fur une montagne
coofacrée au Dieu Mars, afin que la préfence de ce Dieu terrible en
écartât la fraude, & le parjure. L'aâe de fe reproduire n'étoic avant Ce«
crops qu'un accouplement brutal infpiré par un befoin honteux. Ce légif^
lateur établit le mariage ; & ce fut en confëquence de cette union qu'on
introduifit la coutume de le repréfenter avec deux vifages. II ne fut pas le
plus ancien des légiflateurs, puifqu'il fut précédé par Moyfe & Minos,
mais il eut du moins la gloire de préparer la Grèce à devenir l'honneur
des nations.
CEÏLAN, CEYLAN, ou CEYLON, une des IJlcs Us plus
importantes & Us plus fertiles des Indes OrientaUs , connue des anciens
fous U nom de Taprobane.
L
[ES Grecs & les Romains n'ont eu qu'une connoifTance très- imparfaite
de cette Ifle. Les Chinois en eurent connoiilance vers le commencement
du IV^. fiecle \ mais avant ce temps ils n'avoient aucune connoiflance de
ceux qui Fhabitoient.
Les cartes de MM. Sanfbn, & les nouvelles obfervations de l'Acadé-
mie des Sciences de Paris , font affez d'accord fur la latitude de Ceïlan ;
mais elles diffèrent beaucoup pour la longitude. Selon les nouvelles décou-
vertes aflronomiques , dont à^#e Lifle a fait ufage le premier , l'ifle de
Ceïlan s'étend depuis le (ixieme degré de latitude feptentrionale jufqu'aw
dixième. On prend fa longueur depuis la pagode de Galle jufqu'à la pointe
Das Pedras , diftante de quatre-vingt lieues de France , à vingt au degré,
C'eil une erreur dans les anciennes cartes de la placer au 1 1 7^ degré &
au i2o^ de longitude, quand elle n'eft qu'entre le 97 degré 25 minutes
& le 100^. degré. Sa largeur, la plus étendue d'Eft en Oueft, efi de cin-
quante lieues de Columbo à la pagode de Trincoly. Elle a plus de deux
cents lieues de tour : elle eft à près de quarante lieues à TEft du Cap Co-*
morioi qui forme la pointe méridionale de la péninfule intérieure de
l'Inde , à laquelle on croit qu'elle étoit jointe autrefois. La mer fait entre
]a côte de la Pêcherie & celle de Ceïlan un détroit qui fe rétrécit aa
Jiord de l'Ifk.
On dit que cette Ifle a fept Royaumes \ ce qui n'eft pas étonnant ,
puifque fur les cotes des Indes , chaque petit pays a fouvent fon Roi , ou
Ion Riais particulier, comme nous le voyons dans le Malabar & dans les
3(les de l'Orient. Mais pour donner une idée plus diftinâe de la domina-
tion de Ceïlan , nous dfrons que deux Puiffances la partagent. Xes Hol-
laodois polîedent prefque toutes les côtes , & le Roi de Candi eft maître
i
{4 G BILAN, CEYLAN, Ott G E Y t O N.
de rintérteur du pays. Tout. obéit dans le pays à Tune ou \ Pautre de ces
deux PuifTances. Il nV a ^ue les Bedts , peuples fauvages , qiri n'en
reconnoiiToient point l'autonté. Le petit pays qu'ils habitent eft au Nor4
de rifle , ils confinent à la mer y & leur cote regarde le Nord-Eft.
Les Etats du Roi de Candi s'étendent du Nord-Oueft au Sud-EIt , £c
par ces deux côtés il atteint la nier. La domination des Hollandois le ret*
ferre du côté du Nord , de l'Eft & du Sud-Oueft , &, par-là ils font maî-
tres de prefque tout ce qui eft maritime. Le Royaume de Candi & la
Principauté d'Ouva ^ font divifés en grandes & en petites parties ; celles-là
répondent à nos provinces , & celles-ci à nos bailliages qu'ils appellent
Corlas^ & qu'ils féparent par de grands bois, qui leur fervent de fortifia
CUtion. On compte jufqu^ rrttrte-déux principales Provinces , dans cha-*
cune defquelles il y a des villes, des châteaux, des bourgs & des villa-»
ges. Tout ce pays eft babité par les Chingulais , peuples originaires
de rifle.
Les Hollandois commandent au refte de Plfle, & cette étendue en em-
porte la moitié : ce qu'ils polTedent n'eft nas continu, l'ancien Royaume
de Cota , qu'ils ont appelle le irays de la Candie , eft Sad«-Oueft. Ils font
maîtres par-là de plus de foixante & dix lieues de côtes , & ont fournis
les Chingulais jufques dans le cœur du pays. Ils occupent là vingt -fëpt
Provinces ou Corlas ; ils ont des places fortes fur le rivage, &^es châ-
teaux dans l'intérieur du pays. Ils confinent à la Principauté xl'Ouva &
9ux Bedas à l'Eft de l'Ifle, par la pofleffîon de trois Provinces maritimes.
Enfin les Malabares font leurs vaflfaux chez les Vanians» dans le Royaume
de Jafàdapatan , au Nord de Ilfle , & àÊk%^ les Ifles voifines à l'Eft de la
côte de Coromandel.
Comme l'Ifle de Céilan eft la clef des Indes, il femble que l'Auteur
de la nature ait pris piaifir à l'enrichir des plus rares tréfors de la terre,
& à la placer fous le plus heureux climat du monde ; cependant les par-
ties feptentrionales , & fur-tout le Royaume de Jafanapatan , refpirent un
air aflez mal-fain ; & tous les cantons de l'Jfle ne font pas également fer*
tiles , & différent par la fituarion. *
Le pays eft le plus fouvent montagneux ; l'Ouva , les parties du fop-*
tencrion , & quelques Provinces maritimes de l'Eft font ce qu'il y a de
plus uni dans Ceïlan. Le Royaume de Candi eft forrifié par la nature :
dès qu'on y entre on va toujours en montant , & l'on ne trouve que dtf
hautes & grandes montagnes couvertes de bois qui font très -épais dans
toute l'Ifle , fi l'on en. excepte l'Ouva & quelques contrées de la partie
orientale. L'accès de ces montagnes n'eft pas aifé; les chemins mêmes,
quoiqu'en grande quantité, y font fi étroits qu'un voyageur les prendroi^
plutôt pour des défilés que pour des routes publiques. Ces fentiers dans
les rochers, que nous appelions cols & ports ^ font défiîndus par des bar-
rières d'épines & par les habitans des lieux voiûhs. Cette fituation élevée
CEILAN, CKYLAN, OU C E Y L O N. ^ç
dotinc au Souverain du pays le titre Ae Roi de Candi-Vda , ou de Roi
fut U haut du montagnes.
Les Veftiges de ptulieurt villes ruinées nous annoncent que le payi a
été plus garni qu'il n'eft. Ces villes portent encore leurs anciens OE pre-
miers noms, û nous en croyons les Infulaires, & ont été habitées par
des Rois.
Les villes maritimes font Tuuées aux meilleurs abordages. On ne peut
pas dire cependant que les côtes de Ceïtan foient avantageufes. Celles de
rEA font d'ordinaire balTes , & les vaifleaux y font fans abri. Celles du
midi font IiérifTées de rochers. La mer voifîne y eft garnie de bancs, qui
rendent la rade de difficile abord âc le mouillage peu fur. Les gros bâti>-
mens courent rifque de ne point trouver de fond. En général, cetie Ifle
a peu de bons potts.
It fe trouve de deux fortes de Chingulais. Les uns tout-ii-&it fauvages
appelles Bedas ou Waddahs , & qui ne demeurent auprès d'aucuns au-
tres habitans. Ceux qui font les plus civilifés font fort bien faits & de
bonne mine.
Il y a parmi le peuple divers degrés ou rangs qu'Us tirent de leurs
^milles 6i de leur naitïance; & non pas de leurs richefles ou des charges
que le Roi leur donne. Les marques de qualité, font de porter des pour-
points, ou d'aller le dos nud ou découvert ^ d'avoir des camifoles plus
ou moins longues , au-delTus ou au-deflbus des genoux ; de s'afleoir fur des
Heges , fur un bloc , ou fur des nattes étendues à terre. Les nobles , qu'ils
nomment Hondrews , font diftingués des autres par leurs noms, & par la
manière dont ils portent leurs habits ; les hommes jufqu'à mi-jambe , &
les femmes jufqu'aax talons.
La religion de ce pays eft l'idolâtrie. Ils adorent plusieurs Dieux , &
en reconnoilTent un par - deflus les autres , qu'ils appellent OJfa Polla
Mops Dio , c'eft-i-dire. Créateur du ciel & de la terre. Ils tiennent que
ce Dieu en envoie d'aunes pour faire exécuter fes ordres ; ce font, difent-
îls, tes âmes des gens qui ont vécu autrefois. Il y a auflî des démons qui
leur caufent des maladie? , & ce font les anies des niéchans. Ils ont un
autre grand Dieu appelle Buddau , auquel il appartient de fauver les âmes.
Ils croient qu'il ert venu fur la terre, & que lorfqu'il y étoit, il avott
accoutumé de s'afTeoir fur un arbre, qu'ils tiennent faint depuis ce temps»
& fous lequel ils l'adorent avec beaucoup de (blemnité. lis nomment cet
arbre Bogahak , le foleil Irri , la lune Handa , & regardent ces deux
affres comme des divinités.
Les Chingulais croient une réfurreâton des corps , l'immortalité de
Pâme , & un état après cette vie. Ils font perfuadés que leurs Dieux font
les efprits de certains hommes qui ont autrefois vécu fur la terre , &
tiennent que ceux qui ont été honnêtes gens en ce monde , quoique pai>
Très & d'une bafle naifTaoce , feront élevés en l'autre vie , & que les mé-
jtf^ CE IL AN, CBYEAN, ou C E Y L O N.
chans y feront changés en bêtes. Il y a dans ce pays une araignée qui
fait un œuf de la largeur d'une pièce de quatre k>1s. Elle le porte fous
fon ventre , qui eft plus gros que fon corps. Cet œuf eft plein de petites
araignées qui mangent la vieille à mefure qu'elles croifTenr. Les Chingu-
lais difent que les enfans défobéiflans deviendront des araignées en Tw
tre monde , & feront mangés par leurs petits. Le labourage eft leur pria*
cipale occupation, & les plus grands s'y appliquent, parce qu'il n'y a
point parmi eux de honte aux gens les plus diftingués de travailler, foit
dans leurs maifons , foit fur leurs terres , pourvu que ce ne (bit ni pour
de l'argent, ni pour auti;ui. Un Gentilhomme peut faire tout ; mais il ne
quelques boutiqu
de la toile , du riz , du fel , du tabac , de la chair , des drogues , des
fruits, des épées, de l'acier, du cuivre & autres chofes de cette nature.
Us n'ont ni Médecins de profeflion, ni Chirurgiens^ parce qu^ils ont tous
quelque connoiflance de ces deux fciences, & font leurs médecines de
teuilles qui croilfent dans les bois & de l'écorce des arbres. Ils fe pur-
gent avec cela , & fe provoquent le vomiflement. Ils font des cures ad-
mirables pour les plaies & pour les yeux. On n'approche point de la
.maifon d'un mort pendant plufieurs jours de crainte d'être fouillés. Les
gens de condition brûlent leurs morts , afin d'empêcher qu'ils ne fbient
mangés des vers ; mais ceux du commun les enterrent dans un creux
qu'ils font dans les bois. Us enveloppent le corps d'une natte , & le por-
tent fur un ais à l'endroit quHIs ont pour le mettre en terre.
Leurs mariages fe pratiquent d'une manière affez fînguliere , l'homme
tient un bout d'un lin^e qu'il met autour de ks reins, & la femme tient
l'autre bout^ on leur jette de l'eau fur la tête & fur tout le corps , enfuite
de quoi ils font mariés aufli long-temps qu'ils s'accordent enfemble : l'ufage
permet à deux frères qui veulent vivre enfemble , de n'avoir qu'une femme
entr'eux. D'autres relations nous apprennent que cet ufage s'étend jufqu'au
ilxieme degré inclufivement , & que la première nuit eft au mari, la fe«-
conde pour ion frère , & ainfi de fuite : de cette manière une femme feule
fuftit pour une faipille entière.
Les Chingulais ay^ant toujours confervé leurs loix anciennes, fous quelque
^iomination qu'ils aient été, on leur a aufti laiffé prefque toute leur ma^
niere de gouvernement , avec cette différence , que quand ils obéiffoient aux
Portugais , il falloit que leur fiandigaralla , ou chef de juftice , fût Portugais*
Les Chingulais ont des vaches , des bufles , des cochons , des chèvres ^
des daims , des lièvres, des chiens, des jacols , des (Jnges , des tigres, de^
ours , des éléphans , des ânes & des chevaux , mais ils n^ont point de brebis^^
Les éléphans de Ceïlan font plus eftimés que ceu;x d'aucun autre lieu de^
Indes, Outre des corbeaux, des hochequeues, des ramiers & des beccaftine
fembk'
\
I
CEI LAN, CEYLAN, OU CEYLON, Ç7
femblables aux nôtres , & tin grand nombre de paons , ils ont quantité de
jolis oifeaux de la groflèur d'un moineau , mais qui ne font propres à rien.
II y en a qui font blancs comme la nei^e , qui ont la queue longue d'un
pied , & la tête noire comme du jais , fur laquelle paroit une toufFe droite
telle qu'un bouquet de plumes ; il y en a d'autres de la même efpece , &
qui ne différent qu'en couleur v elle eft rougcâtre comme une orange mûre,
& ils portent fur la tète des plumes noires toutes droites. Le carlo , qui eft
auflî gros qu'un cygne , fe perche toujours fur les plus Hauts arbres , fans
fe pofer jamais à terre ; il eft noir , a les jambes courtes , la tête d'une
grolfeur prodigieufe, le bec rond, & il a du blanc des deux côtés de la
tête , comme fi c'étoient des oreilles. Ils fe tiennent ordinairement cinq ou
fix enfemble , & ne font que fauter de branche en branche , faifant prelque
toujours un grand bruit (emblable au cri des canards , dont ils n'ont pas
un grand nombre.
L
EtabUJfcment des Portugais à Ccilan.
Orsqu^Albuquerque eut aflez folidement établi la puiffance Por-
tugaife dans les golfes d'Arabie & de Perfe fur la côte de Malabar , il fongea
i rétendre dans l'eft de i'Afie.
Il (e préfentoit d'abord à ce conquérant l'ifle de Ceïlan, qui a quatre-
vingts lieues de long fur trente dans fa plus grande largeur. Dans les fiecles
les plus reculés , elle étoit très-connue fous le nom de Taprobane. Le dé*
tail des révolutions qu'elle doit avoir éprouvées , n'eft pas venu jufqu'à
nous. Tout ce que l'hiftoire nous apprend de remarquable ; c'eft que les
Loix y furent autrefois fi refpeâées, que le Monarque n'éroit pas plus dif-
penfé de leur obfervation que le dernier des citoyens. S'il les violoit, il
étoit condamné à la mort ; mais avec cette diftinâion , qu'on lui épargnoit
les humiliations du fupplice. Tout commerce, toute confolation, tous les
fecours de la vie , lui étoient refufés ; & il finiffoit miférablement fes jours
dans cette efpece d'excommunication.
Lorfque les Portugais abordèrent à Ceïlan , ils la trouvèrent très-peu-
plée : deux nations, différentes par les mœurs ^ par le gouvernement &
par la religion , l'habitoient. Les fiedas , établis à la partie feptentrionale
de l'iile , & dans le pays le moins abondant , font partagés en tribus, qui
fe regardent comme une feule famille, & qui n'obéifTent qu'à un chef,
dont l'autorité n'eft pas abfolue. Ils font prefque nuds : du refte, ce font^
les mêmes mœurs & le même gouvernement qu'on trouve dans les mon-
tagnes d'EcofTe. Ces tribus , unies pour la défënfe commune , ont toujours
vaillamment combattu pour leur liberté , & n'ont jamais attenté à celle de
leurs voifins. On fait peu de chofe de leur religion , & il eft douteux
qu'elles aient un culte. Elles ont peu de communication avec les étrangers.
On garde à vue ceux qui traverfent les cantons qu'elles habitent. Ils y
Tome XI. H
5S .CE IL AN, CEYLAN, ou CEYLON.
font biea traités , & promptement renvoyés. La jaloufie des Bedas pour
leurs femmes ^ lear infpire eo partie ce foi a d^éloigner les étrangers , & ne
contribue pas peu à les fëparer de tous les peuples. Us idnblent être les
habicans primitif de Tifle. «
Une nacion plus nombreufe & plus puiflante, qu\Mi appdie les Clûnga*
lais, eft mait-elle de la partie méridionale. En la comparant it rautre^
nous rappellerions une nation oolie. Ils ont des habits & des dêfpotes. Ils
ont, comme les Indiens, la diftinâion des caftes, mais une rel^ton diffî*
renre. Ils reconnoiflent un Etre fupréme , & au-deflbus de lui , des Divi*
nités du fécond , du troifieme ordre. Toutes ces Divinités ont leurs Prêtres.
Ils honorent particulièrement « dans les Dieux du fécond ordre, unBuddou^
qui eft defcendu fur la terre pour fe rendre médiateur entre Dieu & les
hommes. Les Prêtres de Buddou , font des perfbnnages fiirt importans à
Ceyian. Ils ne peuvent jamais être punis par le Prince , quand même il^
auroient attenté à fa vie. Les Chingulais entendent la guerre. Ils ont (u
£itre ufage de la nature de leur pays de montagnes, pour fe défendre
contre les Européens, qu^ls ont fouvent vaincus. Ils font fourbes, inté«
ntTés , complimenteurs , comme tous les peuples efclaves. Us ont deux
lansues » celle du peuple & celle des âvans. Par-tout où cet ufage eft
étami , il a donné aux Prêtres & au gouvernement un moyen de plus pour
tromper les hommes;
abondoient
précieufes
feprentrionale & fur la côte de la Pêcherie, qui en eft voifine, que fb
fàifoit la pêche de peries la plus abondante de l'Orient. Les ports de Ceïlan
étoient les meilleurs de PInde , & fa pofition étoit au-deflus de tant d'a-
vantages.
Les Portugais auroient dû , ce femble , établir toute leur puiflance dans
cette ifle. Elle eft an centre de POrient. Ceft le pafTage qui conduit dans
les régions les plus riches. Tous les navires qui viennent d'Europe , d^\<»
rabie & de Perfe , ne peuvent s'empêcher de rendre une forte d'hommage
à Ceïlan ; & les mouçons alternatives , permettent d'y aborder & d'en
fortir dans tous les temps de l'année. Avec peu de dépenfe en hommes
& en argent , on ferait parvenu à la bien peupler , à la oien fortifier. Des
efcadres nombreufes , parties de tous les ports de cette ifle , auroient fait
refpeâer le nom de fes maîtres dans toute l'A fie ; & les vaîflëaux qui au-
roient croifé dans fes parages , auroient intercepté la navigation des autres
nations. Le Vice«Roi ne vit pas tous ces avantages.
V.
CEI LAN, C E Y L A N, ou C E Y L 0 N, çj
EtahliffcYncnt & Commerce des HoUandois à Ceilan.
Ers le milieu du (îecle dernier , tandis que les HoUandois s'agran-
difToienc & s^afFermilToient à Tefl de TAfie, ils foogerenc à enlever Tifle
de Ceïlan aux Portugais. On peut remarquer que cette nation , fi éclairée
fur le commerce, a d'abord penfé à fe rendre maitrefle des produâions
de. première & de féconde nécellité , avant de fbnger aux marchandifes de
luxe. C'efl fur la pofTeffîon des épiceries , qu'elle a fondé fa grandeur en
Afie , comme elle Ta fondée en Europe fur la pèche du hareng. Les Mo-
luques lui fournilToient la mufcade & le girofle : Ceylan devoir lui donner
la canelle.
Spilberg, le premier de fes Amiraux qui ofa montrer fon pavillon fur
les côtes de cette ifle délicieufe , trouva les Portugais occupés à bouleverfer
le gouvernement & la religion du pays ; à détruire les uns par les autres ,
les Souverains qui la partageoient ; à s'élever fur les débris des trônes
qu'ils renverfoient fuccedivement. Il offrit les fecours de fa patrie à la
Cour de Candi : ils furent acceptés avec tranfport. Vous pouve\^ ajfurer vos
maîtres^ lui dit le Monarque, que s^ils veulent bâtir un fort ^ moi^ ma
femme ^ mes enfans ^ nous ferons Us premiers à porter Us matériaux né'-
cejfaires.
Les peuples de Ceïlan ne virent dans les HoUandois que les ennemis
de leurs tyrans , & i\s fe joignirent à eux. Par cts deux forces réunies ,
les Portugais furent entièrement chaffés en 1658, après une guerre longue,
fanglante , opiniâtre. Leurs établiffemens tombèrent tous entre les mains
de la Compagnie , qui les occupe encore. A l'exception d'un efpace affez
borné fur la côte orientale , où l'on ne trouve point de port , oc dont le
Souverain du pays tiroit fon fel, ils formèrent, autour de l'ifle , un cor-
don régulier, qui s'étendoit depuis deux, jufqu'à douze lieues dans les
terres.
Le fort de Jaflànapatan , & ceux des ifles de Manar & de Calpentin ,
ont pour but d'empêcher toute liaifon avec les peuples du continent voifin.
Negumbo, defliné à contenir le diflriâ.qui produit la meilleure canelle, a
un port fuffifant pour les chaloupes; mais qui n'efl pas fréquenté, parce
qu'il y a une rivière navigable qui conduit à Colombo. Cette place , que
les Portugais avoient fortifiée avec un foin extrême, comme le centre
des richefles, efl devenue le chef-lieu de la colonie. Il eft vraifeniblable,
que, fans les dépenfes qui y avoient été faites, les vices de fa rade au-
roient déterminé les HoUandois à établir leur Gouvernement & leurs forces
à Pointe de Gale. On y trouve un port , dont , à la vérité , l'entrée eft
difficile & le baffin fort refferré; mais qui réunit, d'ailleurs, routes les
perfèâions qu'on peut défirer. C'eft-là que la Compagnie fait fes charge*
mens pouf TEurope.
H %
^o C E I L A N, C E Y L A N, OU C E Y L O N.
Mature lui fert à recueillir les cafés & les poivres ^ dont elle a intro-
duit la culture. Ses fortifications fe réduifent à une redoute, fituée fur
une rivier<» qui ne peut recevoir que des bateaux. Le plus beau , le meil-
leur port des Indes, c'eft Trinqnemale. Il efl: conipofé de plufieurs baies,
où les plus nombreufes flottes trouvent un afyle fur. On n^ ^it point de
commerce. Le pay$ n'of&e aucune marchandife; il fournit même peu de
vivres : il eft gardé par fa ftérilité. D'autres établiflemens moins confidé^
rables , répandus fur la côte , fervent à faciliter les communications , & à
écarter les étrangers.
Ces fages précautions ont mis dans les mains de la compagnie toutes.Ies
produâions de Tlfle. Celles qui emtrent dans le commerce, font, i^. les
amétiftcs, les faphirs, les topazes, & des rubis très- petits & très-impar«
faits. Ce font des Maures venus de la côte de Coromandel , qui, en payant
un modique droit , les achètent , les taillent , & les font vendre à bas prix »
dans les diffêrentes contrées de Tlnde.
2^. Le poivre, que ht compagnie acheté huit fols la livre; le cafë,
qu^elle ne paie que quatre , & le cardamome , qui n'a point de prix fixe.
Les naturels du pays font trop indolens , }>our que ces cultures ^ qui font
toutes d'une qualité très-inférieure, puiffent jamais devenir fort confidérables.
3^. Une centaine de balles de mouchoirs, de pagnes & de gingamps^
d'un très -beau rouge, que les Malabares fabriquent à Jaffanapatan , où ik
font établis depuis très- long-temps.
. 4^. Quelque peu d'ivoire, & environ cinquante éléphans. On les porte
à ta côte de Coromandel ; & cet animal doux & pacifique , mais trop utile
ï l'homme pour refler libre dans une Ifle , va fur le continent augmenter
& partager tes périls & les maux de la guerre.
5^. L^areque , que la compagnie acheté k raifon de lo livres t'ammo-
nân, & qu'elle vend 96 ou 40 livres fur les lieux même, aux vaiflèaux
de Bengale , de Coromandel & des Maldives^ qui le patent avec da riz ,
de grofles toiles , & des cauris. L'areque, qui croit fur une eipece de pal-
mier, eft un fruit qui n'eft pas rare dans la plupart des contrées de l'Afie,
& qui eft très-commun à Ceïlan. Il eft ovaire, & reffembleroit alfezà la
datte, is'îl n'étoit pas plus ferré par les deux bouts. Son icorce eft épaîfle,
lifte & membraneufe. Le noyau qu'elle environne eft blanchâtre , en forme
de poire, &, de la grofTeur d'une mufcade. Lorfqu'on le mange feul, comme
le font quelques indiens , il appauvrit le fang , il donne la jaunifle. Cet
inconvénient n'eft pas à craindre, lorfqu'il eft mêlé avec le bétel.
Le bétel eft une plante qui rampe & qui grimpe comme le lierre; mais
qui n'étoufie pas le petit arbre auquel eRe s'attache^ l'agoti, qui lui ferc
d'appui , & qu'elle aime finguliérement. On la cultive comme la vigne*
Ses feuilles font aflez femblables à celles du citronnier , quoique plus Ion*
gués & plus étroites à l'extrémité. Le bétel croit par -tout, & dans toute
l'Inde ; mais il ne profpere véritablement que dans des lieux humides»
CEI LAN, CEYLAN, ou C E Y L O N. 6i
A toutes les heures du jour , même de la liuit ^ les Indiens mâchent des
feuilles de bétel , dont l'amertune eft corrigée par l*areque , qu^elles en->
veloppent toujojurs. On y joint conftaniment du chunam , efpece de chaux
brûlée faite avec des coquilles. Les gens riches y ajoutent fouvent des par«
lums ,. qui flattent leur vanité ou leur fenfualité.
On ne peut fe féparer avec : bienféance pour quelque temps , fans fe
donner mutuellement du bétel dans une bourfe : c*eft un préfent de Pa-
mitié , qui foulage l'abfence. Perfonne n'oferûit parler à fon fupérieur , fans
avoir la bouche parfumée de bétel ; il feroit même grodier de négliger
cette précaution avec fon égal. Les femmes galantes font le plus grand
ufage du bétel , comme d'un puifTant attrait pour l'amour. On prend du
bétel après les repas ; on màcbe. du bétel durant les vifites ; on s'of&e du
bétel en s'abordant, en fe quittant : toujours du bétel. Si les dents ne s'en
trouvent pas bien, l'eftdmac en eft plus fain & plus fort. C'eft, du moins,
uo préjugé généralement établi aux Indes.
6P. La pêche des perles eft encore pn des revenus de Ceylan. On peut
conjeâurer, avec vraifeqiblancf , que cette Ifle, qui n'eft qu'à quinze lieues
du continent , en fut détachée dans des temps plus ou nnoins reculés , par
quelque grand eiFort de la nature. L'efpace qu\ )a fépare aâuellement de
la terre , eft rempli de bas'^'fonds , qui empêchent les vaifleaux d'y navi-
gaer« Dans quelques intervalles feulement, on trouve quatre ou cinq pieds
d'eau qui permettent à de petits bateaux d'y pafler. Les HoUandois, qui
s'en attribuent la fbuveraineté , y tiennent toujours deux chaloupes armées ,
pour exiger les droits qu'ils ont établis. C'eft xians ce détroit que fe fait
la pêche des Perles , qui fut autrefois d'un fi grand rapport. Mais on a tel-
lement épuifé cette fource de richeffes , qu'on n'y peut revenir que rare-
ment. On vifite , à la vérité , tous les ans le banc , pour favoir à quel
point il eft fourni d'huîtres }. mais , communément, il ne s'y en trouve afTez
que tous les cinq ou (ix ans. Alors la pêche eft affermée; &, tout calculé ^
on peut la faire entrer dans les revenus de la compagnie pour 200,000 1.
Il fe trouve fur les mêmes côtes , une coquille appellée xanxus , dont les
Indiens de Bengale font des bracelets. La pêche en eft libre ; mais le com-
merce en eft exclufif.
Après tout , le grand objet de ta compagnie , c'eft la canelle. La racine
de l'arbre qui la donne, eft grofle, partagée en plufieurs branches, cou-
verte d'une écorce d'un roux grif^tre en dehors, rougeâtre en dedans. Le
bois de cette racine eft dur, blanc & fans odeur.
Le tronc, qui s'élève juiqu'à huit & dix toifes, eft couvert, ainfi que
fes nombreufes branches ,^ d'une écorce d'abord verte , & enfuite rouge.
La feuille ne reffembleroit pas mal à celle du laurier, fi elle étoit moins
longue & moins pointue. Lorfqu'elle eft tendre , elle a la couleur de feu ;
«n vieillifTant & en féchant , elle prend un yerd foncé au - deifus , & un
^erd plus clair au-deffous.
6ii, • C É L E. B E S.
A Ceflan, beaucoup plus encore <}ue d^ns le refie deTIode, les terref
appartiennent en propriété au fouverain. Ce fyflême deftruâeur a eu^ dans
cette ifle, les fuites funefies qui en font infôparables. Les peuples y vivent
dans.Pinaâion Ja plus entière. Ils font logés^ dans des cabanes; ils n^onc
point de meubles; ils vivent de fruits; & les plus aifés n'ont pour vête-
ment^ qu'une pièce de grofle toile , qui leur ceint le milieu du corps. Que
les HoUandois faflent ce qu'on peut reprocher à toqtes les nations, qui
ont établi des colonies en AHe, de n'avoir jamais tenté; qu'ils diftribuenc
des terreins en propre aux familles. Elles oublieront , détefteront peut-être
leur ancien fouverain; elles s'attacheront au gouvernement, qui s'occupera
de leur bonheur; elles travailleront, elles confommeront. Alors l'ifle de
Ceïlan jouira de l'opulence à laquelle la nature l'a defiinée. Elle fera à
17abri des révolutions, & en état de foutenir les établifTemens de Malabar
& de Coromandel, qu'elle eft chargée de protéger. Hifioire philofophiqut
& politique des établijfemens & du commerce des Européens dans les
deux Indes.
■p*
1-"
L
C É L E B E S , ijle des Indes Orientales.
'ISLE de Célebes peut a<^oîr cent trente lieues de diamètre : elle eft
très-habitable, quoique fituée au milieu de la Zone Torride. Les chaleurs
y font tempérées par des pluies abondantes & par des vents frais. S^s ha*
bitans font les plus braves de l'AHe méridionale. Leur choc eft furieux ;
mais , dit-on , une réfîftance de deux heures fait fuccéder un abattement to-
tal à cette première impétuoiîté. Sans doute qu'alors l'ivreffe de l'opium ,
fource de ce feu terrible , fe diflipe après avoir épui,fé toutes les forces par
des tranfports violens.
Une éducation auftere rend les habitans de Célebes ou les MacafTarois
agiles , induftrieux , robuftes, A toutes les heures du jour , leurs nourrices
les frottent avec de l'huile ou de l'eau tiède. Ces onâions répétées , aident
la nature à fe dévelopjper avec liberté. On les févre un an après leur naif-
fance , dans l'idée qu ils auroient moins d'intelligence , s'ils continuoient
d'être nourris plus loiig-temps du lait maternel. A l'âge de $ ou 6 ans^
les enfans mâles de quelque diftinâion , font mis , comme en dépôt ,
chez un parent ou chez un ami ; de peur que leur courage ne foit amolli
par les careffes de leurs mères , & par l'habitude d'une tendreffe récipro*
Î|ue. Us ne retournent, dans leur famille qu'^ l'âge où la loi leur permet de
e niarîer , c'eft-à-dfre , à quinze ou fei:?e açs. U eft rare qu'ils ufent dé
cette liberté avant de s'être perfeâionnés,dans l'exerçicé des armes.
. Ces peuples ne recohnoilfoient autrefois de. Dieux, que le foleil & la
lune. On ne leur oiTroit des facrifices, que dans les places publiques ; parce
' ^''' qu'on
i
C É If E B B s. 6\
qu'on ne troinroic pas de matière aflez prëcieoiè pour leur élever âet tem*
pies. Dans l'opinion de ces infulaires , le foleil & la lune étoient dcer-*
nels ^ comme le ciel dont ils fe parcageoient l'Empire* L'ambidon les
brouilla.' La lune^ fuyant devant le foleil , fe blefla, & accoucha de la
terre : elle étoit grofle de plufieurs autres mondes, qu'elle mettra fuccefli*
vement au jour , mais fans violence ; pour réparer la ruine de ceux que
le feu de fbn* vainqueur doit confumer.
Ces abfurdités étoient généralement reçues ii Célebes ; mats elles n'a*-
voient pas dans l'efprit des grands & du peuple , la confiflance que les
dogmes religieux ont chez les autres nations. Il y a environ deux fiecles
c)ue quelques Chrétiens & quelques Mahoméuns y ayant apporté leuri
idées f le principal Roi du pays le dégoûta entièrement du culte ^ national.
Frappé de l'avenir terrible » dont les deux nouvelles religions le menaçoient ^
également y il convoqua une aflemblée eénérale. Au jour indiqua, il monta
fur un endroit élevé ; & là , tendant les mains vers le ciel , & fe tenant
debout y il adreflà cette prière à l'Être fuprême. '
9 Grand Dieu, je ne me proAerne point à tes pieds , en ce moment;
9 parce que je n'implore point ta clémence. Je n'ai à te demander qu'une
9 chofe jufle ; & m me la dois. Deux nations étrangères , pppofées dans .
9 leur culte, font venues porter la terreur dans mon ame, éi dans celle i
n de mes fujets. Elles m'aflurent que tu me puniras à jamais , fi je n'obéis
9 à tes loix : j'ai donc le droit d'exiger de toi , que tu me les faffes cou*
» noitre. Je ne demande point que tu me révèles les myfteres impénétra-
9 bles qui enveloppent ton être, & qui me font inutiles. Je fuis venu
» pour t'interroger avec mon peuple , fur les devoirs que m veux nous
» impofen Parles , ô mon Dieu ! puifque tu es l'auteur de la nature , tu
9 connois le fond de nos cœurs, & tu fais qu'il leur eft impoflible de con«
9 cevoir un projet de défobéilTance. Mais fi tu dédaignes ce te fkire en^^
S'
porte, les eaux qui environnent mon Empire, & toi-même ^ que je cher-
che dans la fincerité de mon cœur , à connoitre ta volonté % & je te pré*
9 viens aujourd'hui, que je reconnoicrai , pour les dépofitaires de tes ora»
9 clés, les premiers Miniilres de l'une ou de l'autre religion que tu feras
i> arriver dans nos ports. Les vents & les eaux font les Miniftres de ta
9 puiflance ; qu'ils loient le fignal de ta volonté. Si dans la bonne foi qui
» me guide, )e venois à embrafler l'erreur, ma confcience feroit tran*
ji quille i & c'efi toi qui ferois le méchant.
Le peuple fe fépara en attendant les ordres du ciel , & réfolu de fe li-
vrer aux premiers miffionnaires qui arriveroient à Célebes. Les apôtres de
l'Alcoran furent les plus aâifs; & le Souverain fe fit circoncire avec foB
peuple. Le refle de l'iile ne tarda pas à fuivre cet exemple.
Tome XI. I
66 (! i L E B B S.
Ce eontre*temps n^empécha pas tes Portugais de s^établir à Céldies. lit
s^ maintinrent, même après avoir été ckaflës des Molucjues. La raifon ^ui
les y reienoit & qui y attira les Anglois, étoic la facilité de fe procurer
des épiceries , que les naturels du pays trouyoient le moyen d'avoir ;
malgré les précautions qu'on prenoit pour les écarter des lieux où - elles
cromènt.
les Hoilandois , que cette concurrence empéchoir de s'approprier le
commerce exclufif du girofle & de la mufcade, entreprirent, ea 16^0,
d'arrêter ce trafic, qu'ils appelloient une contrebande. Us employèrent,
pour y réulfir , des moyens que la morale a en horreur , mais qu'une atri^
dite ians l>ornes a rendus très-communs en A(ie. En (uivant , fans inter*
ru^tion ', des principes atroces , ils parvinrent & chaflèr les Portugais , I
écarter les Anglois , à s'emparer du port & de la forterefle de Macaflar.
I>és-*lors , ils fe trouvèrent maîtres ablolus dans l'ifle , fans l'avoir conquife.
Les Princes qui la partagent , furent réunis dans une efpece de confédéra-
tion. Ils s'aflemblent de temps en temps , pour les affaires qui concernent
l'intérêt général. Ce qui eft décidé, efl une loi pour chaque Etat. Lorfqu'il
forviétit quelque conteflation , elle efl terminée par lé Gouverneur de la'
cotonle HoUandoifë, qui préfide 2i cette diète. Il éclsâre de prés ces AiSé^
reos defpotes , qu'il tient dans une entière égalité , pour qu'aucun d*etne ne
s^leve au préjudice de la compagnie. On les a tous d^farmés, fous pré-
texte de les empêcher de fe nuire les uns aux autres ; mais , en ewst ^
pour les mettre dans l'impuiflancê de rompre leurs fers.
Les Chinois , les feuls étrangers qui foient reçus à Célebes , y apportent
du tabac , du fit d'or , des porcelaines , & des foies en nature. Les Hoilan-
dois y vendent de l'opium , des Hqueurs , de la gomme lacque , des toiles
fines & grolfieres. On en tire un peu d*or, beaucoup de riz , de ta cire ^
des efclaves & du tripam , efpece de champignon , qui efl plus parfait à
meflire qu'il efl phis rond & plus noir. Les douanes rapportent 80,000 li«.
vres à la compagnie. Elle tire beaucoup davantage des t>énéfices de ion
comoicarce & des dixmes du territoire qu'elle pofféde en toute fouyeratneté.
Ces objets réunis ne couvrent pas cependant tes frais de la colonie : eHe
coftte I {0,000 livres au-delà. On fent bien qu'il faudroit l'abandonner , (i
elle n'étoit regardée , avec raifbn , comme la clef des ifles à épiceries.
Hifioin philofopkiguc & politique des itahliffemens & du commerce des Eu^
ropéens dans us deux Indeu
CÉLIBAT. CÉLIBATAI RE.
O
CÉLIBAT, f. m.
CÉLIBATAIRE, f m.
N nomitie ainfi dans le langage commun & ordinaire, Tétât ¥iAùn*
taire d'une perfbnne qui pouvant fe marier , ne fe marie pas.
On nomme Célibataire toute perfonné qui vit volontairement hors de
Tétât de mariage.
Que Quelques perfonnes euflènt vécu dans le Célibat, Se même dans
une parfaite & perpétuelle continence, c'eft ce qui n'auroit rien de (urpre-
nant. Un vice de tempérament ou de caraâere moral , pouvoit conduira
^ choifir un tel genre de vie qui , dans le cours ordinaire Ses chofes , eft
fi peu d'accord avec le vœu de la nature, Se le bien au moins apparent
de l'humanité ; mais que des fociétés nombreufes s^eti foi^kit fait une loi ^
que tant de gens fe foient accordés à regarder cet état comme préférable
même au plus chafte mariage , c'eil ce qui aura toujours droit de iurprendre
un Philoiophe qui n'eft pas encore familiarifé avec les écarts abfurdes de
la raifbn humaine. Un Auteur moderne , Morin. mtm. de PAcè. des Infl
& B. Jjett. T. iK, qui a voulu nous donner une hiftoire critique dû Gélî*-
bat, affirme âveé une confiance dont on ne découvre nulle part \t fimit^
ment, que ce genre de vie eft aufli ancien que le monde, aufli étendu qut
le monde, & durera autant que le monde. Trois afTertions qui ne peuvent
avoir de fetis qu'autant que l'on entendra par le Célibat , tout le temps
qu'une perfonne, quelle qu'elle foit, paiTe fans être mariée v fans doute les
enfkns ne naiffent pas mariés; le temps du veuvage eft une interruption
du mariage ; mais perfonne encore ne s'eft avifé de nothmer Célibat , ces
temps pendant lefquels on n'eft pas marié ; on ne nomme ainfi qu'un état
permanent qu'une perfonne préfère ou eft contrainte de préférer au mariage
dont elle fe pafle , quoiqu'elle eût pu fe marier. Or fous ce point de vue ,
il n'eft certainement pas vrai que le Célibat foit audi ancien que le monde.
Quand il feroit auflî bien prouvé qu'il l'eft peu , que Tétat d'innocence
d'Adam & d'Eve ait confifté dans labftinence des plaifirs phyfîques du
mariage, due la défbnfe de manger du fruit de l'arbre de fcience, n'eût
été que celle de jouir l'un de l'autre , que par conféquent leur péché n'eût
confifté que dans une jouiffance furtive & prématurée de leur fexe , prife
avant que d'en avoir reçu la permiflîon de leur Créateur, comme quelques
Auteurs Font avancé fans preuves fuflifantes ; toute perfonne non prévenue
ne verroit autre chofe dans ce fait , finon que Dieu vouloit que ces àtùt
premiers humains vécuffent quelaue temps dans la continence comme per'*
jonnes non mariées , quoique deftinées à l'être un jour ; non pour les con^
damner au -Célibat, mais d'un côté pour leur apprendre à. régler leurs pciH
I %
éZ CÉLIBAT. CÉLIBATAIRE.
ehans & à les aflbjettir à Pempire de la raifon , & de l'autre pour leur fiire
comprendre qu'à leur égard , Tunion des fexes ne dévoie pas être comme
chez les brutes /un aâe fans réflexion , purement phyfiqrô, dépendant du
feul infiinâ, de nulle conféquehce morale, & qui ne feroit affujetti à au«
cune règle d'ordre, de décence, à aucune circonftance de temps, de lieu
& de relation ; mais qu'il feroit un aâe important , le fceau d'une uoioa
intime & réfléchie , la fource d'une relation morale & intéredante pour eux
les remplacer , quand eux-mêmes cefTer oient de vivre , qu'ils feroient obligea
d'élever conjointement , d'inftruire par leurs leçons , & de former à une vie
fage par leur exemple \ que par conféouent cet aâe que Dieu foumettoit
dès le commAncement à une loi & fàifoit dépendre de fa permiffion , étoit
upp fource de relations & d'obhgadons morales d'une grande importance,
Adam & Eve purent-ils crmre qu'ils fufTent appelles à vivre dans le Célibat,
pat ce même Créateur qui avoit dit , il n\jl pas bon pour PAomme iitrt
Jcul^ & qui avoit cfcc une femme pour être Ja compagne & fon aide fidèle^
.par ce même Créateur qui les ayant formés mâle & femelle , les avoit
appelles exprefTément au phyfique du mariage , aufli bien qu^à l'union mo-
jrale, en leur difant, croijje;^, multiplie^ £f rempUJfei^la terre. L'homme ne
fut donc pas appelle à vivre feul , puifque la fagefTe éternelle avoit décidé
que cet état de folitude n'étoit pas bon ; ni à vivre dans la continence ^
puifqu'il appelle l'homme & la femme à peupler la terre. D'après quels
mémoires nous affiire-t-on qu'Adam & Eve vécurent fi long-temps dans le
paradis faiis fe connoitre \ qu'après leur péché , ils pafTerent cent ans à faira
pénitence , en fè privant l'un de l'autre ? c'efl tout auffî gratuitement que ^
l'on affirme qu'Abel paflà toute fa vie dans le Célibat ; il n'efl aucune ^
«xpreffîon de l'Auteur lacré qui Tinfinue le moins du monde. Tout , au con* ^"
iraire , dans les écrits de MoiTe & des Prophètes qui l'ont fuivi îufqu'à h
fin , nous conduit aux conclufions les plus oppofées à i'eflime pour le Cé<
libat. Tout nous y peint le mariage comme un état refpeâable auquel le^
hommes font appelles par leur Créateur ; le Célibat & la flériKté comme
expofant à la honte & au mépris. Les grands hommes , les plus faints per«
Tonnages, rois , facrificateurs , prophètes , hommes honorés de révélations
nous Tont tous repréfentés comme mariés , ou s^il y en a du mariage
de la famille defquels il n'efl pas Eût mention , aucun n'efl loué d^^
vécu dans le Célibat. Si la fille de Jephté eft fkcrifiée , ou feulement
facrée à Dieu , de manière à ne pouvoir appartenir à aucun homme , comm
itant fainte à l'Eternel, l'Auteur facré ne nous repréfente point fon fovw
comme honorable, digne d'eflime & falutaire; au contraire il le peinr^'
comme fâcheux & affligeant ; Jephté fon père en eft au défefpoir , & fa fill^
va avec fes compagnes pleurer le malheur qu'elle a d'être condamnée T
et LIBAT. CÉLIBATAIRI. 6^
Koarir vierge; UDt le Célibat ëtoit dors encore regardé comme ua état
déshonorant. Un frère non marié encore, devoir époufer la veuve 4^ fon
frère , s^il Pavoit laiflëe fant enikns , uot on étoit perfuadé que la dieftina*
tion des hommes & des femmes étoit de (e marier & de procréer des en-
6ns. Nul rang, nulle condition, n'autorifoit à fe refufer à cette fin géné^
raie de Thumanîté , & fi , dans le temps où le Grand-Prêtre étoit appelle
à , fes fondions folemnelles , il devoir le féparer de fa femme , ce n'étoit
que pour peu de jours». & uniquement par la crainte des fouillures légales
qu'il pouvoir contraâér en approchant de fon époufe. Les Doâeurs Juifs
qui ont étudié avec foin leurs loix , & recueilli les traditions de leur Na--
tion , s'accordent tous à repréfenter le mariage , non-feulement comme un
état préférdïle à tous, égards au Célibat ; mais encore comme une oUiga*»
tion étroite pour tout ihoimme qui n'en étoit pas rendu incapable par une
impuiflance phyfique , quels que fuflent fa condition , fon rang & ion em*^
ploi^ & s'ils n'ont pals edfeigné que cette obligation regandoit au0i les fem-
mes , ils ont dit que c'étoit parce que les femmes font naturellement affez
difpofées à fe marier / & qu'ils ne vouloient pas les antorifer à fortir des
bornes de la décence dans la recherche d'un mari. Telles ont été , & telles
ibnt encore les idées des Juifs ; idéer puifées dans leurs livres iacrés , o&
l'on ne fauroit trouver une expreifîon , un confeil, un exemple, un éloge
en faveur du Célibat.
Ce ne fut que vtrs les derniers temps de la République d'Ifraël, que
l'on vit une feâe de Juifs embrafler le Célibar. Flufieurs perfonnes de cette
Nation , pour fe mettre à couvert de la fureur perfécutrice d'Anthiocus Epi«
phanes , le retirèrent dans les déferts , & s'y appliquèrent à la vie contenir
plative. Parmi ces perfonnes connues fous le nom général d^Ejféniens^ il
y en eut qui pouffant le goût de la retraite jufqu'au fànatifme, fe diflin«*
guerent des autres par une auflérité de vie prefque incroyable & furent
connus fous le nom de Thérapeutes , qui figntfie purificateurs ou médedns.
Perfuadés que les vices & les crimes de leur Nation, avoient allumé con-^
tr'elle la colère célefle qui les abandonnoit à la fureur de leurs ennemis,
ils penferent que la plus dure pénitence étoit le feul moyen de fe fandi-
fier & d'appailer la juftice divine. Ils s'appliquèrent en conféquence à mor«
tifier leurs fens , en leur refufant tous les agrémens fens exception , à
dompter toutes leurs padions , en fe privant de tout ce qui pouvoit les
flatter , en renonçant à tout plaifir , & en fuyant tout ce qui pouvoit en
être une fource. Vivant en hermites , ils ne buvoient que de l'eau , ne
mangeoient d'aucun mets flatteur , ne faifoient ufage d'aucune produâion des
arts agréables , ne pratiquoient eux-mêmes aucune profeffion ; ils renon-
çoient de même au mariage & vivoient dans une par&ite continence. Non
point , à ce qu'il paroit par le rapport de Jofephe , & fur^-tout de Philon ,
qu'ils cruifent que le Célibat fût en lui-même préférable au mariage ; mais
parce qu'ils avoient cru devoir par pénitence , fe priver de tout plaifir, re-
70 CÉXIB A T. CElil» A T A î R E-
nottcer k tout ce ^ui peut pramifer des iè'QCtmèhcs agl'éables.j & pon^ pou-
voir fe Uvrer niieux à la dontemplMoa & ^ Fécude lie la fiuateie , enferm
qae Pon fae fauroic allégaer leur exemple On preuve du mérice du Célibat
par defltts. le mariage. Voyea Jofephe ik Bello JudJ lit, IL cap* 7. PhiloQ
in libro^ qubd omnis probtis Uber fit. Et in tibr. ejuJUim^ dt vita contem'^
plativa.
L%iftoire des autres dations, foie dé l'orient , foit de Pocoident^ ne nous
feuroira pas plus d'exemples que celle des Jui& , propres à autorifer la
préférence que quelques perfonnes donnent au Célibat fur le mariage. En
effet dans les tems les plus reculés, dans ces monumens défigurés par les
fitbles retîgieufes , qu'y voyons<^nous de propre à établir que les hommes
eovifagea&nt le mariage comme un état moins parfait*, moins faint, moins
eftimable que le Célibat? La phipait des dieux dit pagaxiifme lont mariés :
fi Diaiie refte vierge, elle en demande la permiiliQn à Jupiter , parce
d'un côté, qu'die a Àé effrayée des douleurs de Pen£mtement, & de Pau»
sre, parce qu'elle eft paf&onnée pour la chaffe , & poipr des courfès dans
les montagnes; exercices peu compatibles avec Pétat d'une femme manéOé
Pallas aime la guerre & les combats, elle veut garder fa liberté ,& craint
de dépendre d'un mari , il £dloit donc refier vierge. . Vefla eft la feule
éontJes mythologUles parlent de manière à laifler foupçonher qu'elle à
choifi le Célibat par goût pour la virginité ; mais la pluf>art des auteurs
regardent la Vefla vierge , comme étant une divinité naturelle fous le nom
de laquelle , on honoroit le feu que l'on regardoit comme l'élément le plus
exempt de tout mélange : & en effet , ce feu que Pon entretenoit conf*
tamment dans fon temple, prouve affez que cette vierge n'étoit qu'une
allégorie deflinée à repiéfenter cet élément. Car il étoit une autre Vefla ,
femme , dit-^on ^ dIJranus & mère de Sativiie. Four ce qui eft de tous les
autres exemples que nous avons , de nymphes ou de filles qui font louées
pour leur chafteté, ou qui ont mieux aimé mourir que de fi làifler dés*
honorer, elles ne font point repréfentées comme des filles qui euffent fait
voeu de Célibat , mais comme des vierges chaftes qui préféroienc la mort à
la honte de s'abandonner à qui n'étoit pas leur mari ; tout ce que les
auteurs nous difent à ce fujet ne renferme que l'éloge de la pudeur. Ce
n'efl donc pas du Célibat comme le dit M. Morin , mais de la chaftaé ^
qu'on peut dire qu'elles ont été martyres.
Il y a eu cependant, & il y a encore certaines nations chez lefquelles
on trouve des ordres de perfbanes qui fe vouent au Célibat. Telle eft dans
les Indes, parmi les Brachmanes, une fefle de Gymnofophifles , connue-
fous le nom d'Hylobiens, qui pouffant plus loin encore tes auftérités que
ne fitifbient les Thérapeutes dont nous avons déj^ parié , vivoient en fau-
vages dans les forêts, marchant ûods^ ou ne fe couvrant que d'écorces
d'arbres. Ils ne fe marioient pmnt , vivoient dans la Continence & dans la
privation de tous les plaxfirs des fens : c'étoit , dit*on , des philofophes qui
G ; É n I BAT. C É L î B AT A I H I. ft
embrafibient ce- genre de vie , pour pouvoir s'appliqtter aveo nolM iki
éiftraâion à la recherche de la vérité i mais nous ^^ppreooM ^as qu^ilt
vàntafTeflt les mérites Au Célibat / 4t itiéprifÂfffaiic te maritige. l\ y a^oic
a'uffî, dit-on, en Thrace , une feâe de ^hiloTàphes ou de religieux qu}
renonçoient au mariage ; mais nous favons fi peu de chofes iur leur fujec ^
que nous ne faurions rien conclure de leur exemple. Il eft aujourd'hui,
dans diverfes contrées des Indes , des efpéces de religieux ou piut6t de fa-
natiques impudeurs , qui vivent dans le Célibat , & qui s'afireignent it
des auflérités fi cruelles , que l'on eft tenté quelquefois de révoquer en
doute les relations qu'en publient les voyageurs. On pourroît avec plus de
raifon peut-être alléguer en faveur du Cétibat , l'exemple de quelques dif«
ciples dé Pythagore qui fis j&ifbient une gloire de cet état ; mais il eft ici
une réflexion qui fe préfente àfTez naturellement à ceux qui connoîffent
Thiftoire du cœur humain , & qui n'a pas échappé à l'auteur célèbre de
VEJprit des loix ; la plupart des hommes aiment à fixer fur eux lei re*
gards de leurs contemporains par des démarches qui les diftinguent ayan--
tageufement des autres hommes, & qui les élèvent au deifus d^eux , ne
fut-ce que par les apparences de quelque vertu. Dans tous les tems, on
a attendu de la fagefle , qu'elle modéreroit les paffiens. Un fage vivant
dans la fociéfé , y pratiquant tranquillement & avec joie les vertus réelles
d'un bon citoyen, feroit peu remarqué} il paroîtroit ne' rien faire de dîA
ficite; mais celui qui s'offrira comme au-deflus de la fenfibilké ordinaire
des hommes , qui paroitra n'avoir aucune paifîon , qui réfiftera avec éclat
aux penchans les plus forts de la nature humaine , qui fouftrira fans fe
plaindre, ce que Tes femblables craignent le plus & fupportent avec le^
moins de patience, qui fe privera voiontairenlent & fans foupirer de ce
q^e les hommes défirent avec le plus d'ardeur , & eflimenr davantage »
paroitra certainement s'être élevé au-deflus de Fhumanité , & fe conciliera
lûrement les refpeâ) de la multitude. N'eft-ce point là le principe de ces
privations afieâées , de ces abftinences frappantes, fi vantées chez ces
divers ordres de perfonnes, que l'orient vénéroit autrefois & vénère encore
avec tant de flupidité? Souvent auffî n'eft-ce p6int l'orgueil & le fanatifme^
quelquefois même la fourberie la plus hypbcrke , qui ont été les fburces
impures de ces abftinences dont les foc^tés humaines n\)nc retiré aucun
profit, & qui n'ont eu fur les mœurs , aucune influence favorable? Ne de*
vrons-nous point d'après le même principe, àflujëttir à là même cenfure tant
de ces &natiques anachorètes , de ces nylitës infenfés , de ces Célibataires
inutiles au monde , lorfbu'ils n'y font* pas de dangereux féduâéurs > car \
quoi l'orgueilleufe ambition ne porte-'t-elle pas « lorfque la fuperftition lui
ptéte fes armes & lui aflure le luccèsî
A ces divers ordres dé célibataires , dont Tantiquité payenne nous 9t
fourni les exemples, mais qui tous fè- privoient du mariage fans aircune
obligation d'état où de profeffion , il fout joindre ç
ceux qui par les fenftiosa
i
E
jx C EL I B A T. C É L 1 B A T A Xi R E.
re)igi<ufjsi dont; ilt.étoieot iph^rgés» 4evoieat néceflâiremœt yivre dtos U
cpûtioence & s'abftenir du .mariage^
Il ne parolt pas qu'tu commencement & dans. les temps les plus re«
culés, la virginité pu le Célibat abfolu fut requis chjcz les M^imres de
la religion. Les Egyptien^ ont été les premiers ou au moins un des plus
anciens peuples , qui .ont cru que le commerce entre les époux , faifoit
contraâer une fouillure , qui s'oppofoit à ce qu'un Prêtre pût convenable*
ment vaquer aux cérémonies religieufes dans les Temples de leurs divi«*
nités. Mais nulle part les auteurs qui nous en parlent ne leur attribuent
ni le Célibat, ni la caftration : leur conftitution ne le leur permettoit
as ; ils étoient comme les Lévites chez les Juifs , une famille féparée que
e Célibat auroit bientôt anéantie : tout Prêtre de voit être de race facer-^
dotale, tout Prêtre devoit donc fe marier; mais lorfque leur tour étoit
venu d'officier, ils dévoient pendant quelques jours (e léparer de leurs
femmes; & afin de prévenir toute incongruité à cet égard, ils fe cou-
^choient, dit-on, fur de certaines herbes, & bu voient certaines liqueurs
propres à calmer les mouvemens de la concupifcence & à en éteindre les
feux. Ils prenoient des précautions tout auffi fcrupuleufes pour prévenir
toute autre fouillure corporelle, telles que l'attouchement d^un mort, la
rencontre de certains animaux, la vue d'une fève. Le refpeâ fouverain
dû à la divinité, fut le fondement raifonnable de ces précautions pour
la pureté corporelle de tout ce qui étoit employé à fon fervice. Cette
Îmreté fut d'abord exigée non pour elle-même, mais comme emblème
enfible de la pureté morale que les yeux du corps ne voient pas. Les
mœurs, le goût du fiecle, les préjugés reçus, décidèrent de toutes ces
apparences de pureté ; & tout ce ou'une perfbnne délicate auroit rjcgardé
comme fale, tout ce qui l'auroit dégoûtée, dut être écarté avec foin du
culte religieux. De-là les ablutions , les purifications , les eaux luftrales ,
l'abftinence du vin , & de tout mets qui rendoit l'haleine puante , le foin
de ne rien toucher de ce qui appanient à une femme qui a fes règles,
l'abflinence des plaifîrs du mariage , & de toute luxure. Par rapport aa
vin & aux plaifîrs de l'amour , une raifon morale fe joignoit aux raifons
phyfiques pour en exiger l'abftinence , lorfqu'on avoir à rendre à Diei
un culte folemnel par des facrifices d'expiation , ou que l'on devoit fi
faire initier aux myfleres de quelque divinité. Xjts cérémonies deman
doient du facrifiant ou du candidat, une revue de fa conduite, des a6te
de pénitence pour les fautes dont il faifoit la confeffion , un cœur contri
& dévoué. L'abftinence des plaifîrs & des fôurces de joie qui . 4ifli'9Âfên
l'efprit , & rendent le coeur content , devenoit ainfi une condition eflèn'
tielle dans ces circonftances ; mais cela n'emportoit pas la néceflîté di
Célibat , & d'une abftinepce perpétuelle. Il en tut à cet égard de la plu
part des nations idolâtres comme nous avons vu qu'il en étoit des Jui^
Ce fut chez les peuples de l'orient^ que s'établit oc que fut inventé l'i
fa
CÉLIBAT. CÉLIBATAIRE.
73
fage de renoncer pour toujours au mariage par des motifs religieux. Dans
ces climats échaunës , où l'imagination s'allume davantage , des philofb-
phes contemplatifs mirent leur gloire à réfifier^ au moins en apparence,
aux penchans les plus doux & les plus forts de la nature; ils voulurent
perfuader qu'ils en étoient plus parfaits, & qu'ils reflembloient davantage
aux dieux. Le peuple les admira fans pouvoir les imiter, mais conçue
une haute idée de leur vertu. Outre cela la poligamie poufTée à l'excès,
& la jaloufie qui en eft une fuite inféparable, portèrent ces nations vo«-
luptueufes , qui jugeoient de leurs Dieux par eux-mêmes , à croire que
ce qui une rois étoit con&crë à leur culte, ne pouvoit plus fervir à au*
cun autre ufage. De-là en Ferfe ces vierges ou femmes qui une fois
vouées au culte du Soleil , dévoient paflèr le refte de leurs jours dans le
Célibat le plus rigoureux. Delà ces Prêtres de la Déeffe, de Syrie qui
dévoient fe faire eux-mêmes eunuques. Cependant il ne paroit pas que
chez ces nations , le Célibat fût en honneur pour lui-même , & que dans
la fbciété civile, on eflimât un homme ou une femme célibataire plus
que les perfonnes mariées , quand ces célibataires n'avoient d'autre titre
à Teftime publique que l'abftinence du mariage.
Chez les Egyptiens , quoique l'abflinence des plaifirs du mariage fât
exigée des prêtres , pour le temps qu'ils étoient appelles à facriner , il
n'étoit aucun ordre de prêtres parmi eux qui fût tenu de vivre dans le
Célibat, & ce genre de vie ne fut jamais exigé de perfonne dans ce
Royaume , comme un devoir d'état ou de profemon , ni civile , ni reli-
gieufe ; & comment cela auroit-ii pu être , vu que les Prêtres Égyptiens
étoient tels par la naifTance? Ils naiflbient de famille facerdotale, & per-
fonne ne pouvoit prétendre à la Prêitrife, s'il n'étoit fils de Prêtre; i\^
étoient ce qu'ont été les Lévites parmi les Juifs ; ils ne fe recrutoient pas
dans les autres Êimilles, ils ne pouvoient donc pas être aflreints au Céli-
bat t & c'eft par erreur que quelques écrivains l'ont avancé.
Chez les Grecs, les Prêtres avoient la liberté de fe marier, & ce que
l'on nous rapporte des Hiérophantes d'Athènes , qui couchoient fur cer-
taines herbes & buvoient de certaines liqueurs , pour éteindre les feux de
la concupifcence , ne fignifiepas qu'ils vécuffent dans le Célibat, mais feule-
ment que quand ils deVoient exercer leurs fondions ; ils étoient appelles à une
abftinence très-rigonreufe , tout comme les femmes qui vouloient être ini-
tiées & qui par cette raifon prenoient aufli les mêmes précautions , feule-
ment pour le temps requis pour l'initiation ; & fi dans quelques Tem-
ples , oc pour certaines cérémonies , il falloit employer le fervice des vier-
ges , celles qui y fervoienc n'étoient pas appellées au Célibat , mais elles
étoient libres de fe marier après la cérémonie. Il n'y avoit que celles qui,
fous le nom de Pythies^ rendoient des oracles, qui paroiflent s'être vouées
à une perpétuelle vîrjgînité.
Chez les Romains , les Veftales feules étoient obligées de vivre dans
Tome XL K
74
CÉLIBAT. CÉIIBA TA I R E.
•^■r
le Célibat ^ & de garder leur virginité intaâe , mais feulemefit pendaût
les trente aqs que durpit leur fervice : elles entroient ordinairement dans
le Temple de Vefta à Tàge de fix ans; les dix premières années de leur
féjour dans ce collège écoient employées à apprendre le fervice de la déeP
fe. Elles exerçoient ce fervice comme prêtrefTes pendant les dix années
fuîvantes ; pendant les dix dernières , elles s'occupcnent à fermer les jeu-
nes novices , après quoi elles étoient libres de rentrer dans le mionde &
de fe marier. Il eft vrai que très-peu profitotent de cette liberté ; accou-
tumées à une vie tran^lie , à tenir i Rome comme Veftales le rang
le plus honorable , jouifiant des pins flatteurs privilèges ^ elles aimoient
mieux refter comme eHes étoient. V. Vestales. Il efl sifez apparent que
c'étoit de l'Orient que Numa avoit reçu l'idée de cette inftimtion. VeAa
étoit le feu fervi par les Perfes, Cette vierge étott Pembléme de cet élé-
ment réputé ians mélange , & par la même ndfon le fervice de cette di-
vinité fut remis à des vierges.
Aucun ordre de Prêtres a Rome n'étoit appdié par état à être célibat
taure ^ tous pouvoient fe marier ^ & le grand Prêtre de Jupiter connu
fous le nom àe flamcn Dialis^ non-feulement pouvoir , mais devoir être
^marié ; il ne pouvoir pas réjpudier fa femme , & devoir quitter fon pofle
is'il devenoit veuf de le laifier à un fuccefieur.
On parte d'un collège de vierges entretenu chez les Gaulois ; mais ce
qu^on en dit efl obfciur & incertain : pour leurs druides, Hs ne vivoieat
pas dans le Célibat.
Il parolt par ce que nous venons de rapporter d^^rès les auteurs les
plus eftimés , que des idies de propreté corporelle ^ emblème de la pureté
de Pâme , la perfiiafion qu'il falloit être paré d'innocence morale repré-
fentée par la perfonne d'une vierge , & l'oblmtion de fe ^
£r 9 quand on feifbit pénitence ihm crime qu% feUoit expier par un fk-
crifice pour en obtenir le pardon ^ ont été les caufes qui ont introduit
dans le culte thtz les nations andenaes , ces àbftinences ^ ces purifica-
tions, la préfence Se le fervice des vierges dans les cérémonies retigieit-
fes. Mais il ne parolt par aucun monument que le Célibat fut efUme par
lui-même préférable au mariage ; même dans les Minifires des autels , et
n'étoit que comme emUême, comme une figure all^orique qu'on l'exi-
geoit de quelques ordres religieux , cc^nme celui des Vefhdes à Rome , ou
des prêtreffes du Soleil chez les Perfes.
Si de la religion^ nous paflbns à la politique ^ nous trouverons biea
moins d'argumens encore en feveur du Célibat dans les mceurs des nation^ '
anciennes, dont les loix nous font connues. Rien de plus févere que
\ts loix de Licurgue contre les Célibataires : tout emploi leur étoit inter-
dit , nulle place honorable ne leur étoit affîgnée dans les affemblées di
peuple ; ils ne pouvoient noint aflifler à ces fêtes qù la jeunefie des deu
lèxes à Lacédémone danfotc puUlquement | n'étant couvene que de l
CÉLIBAT/CÉLIBATAIRE., 7?
vieux , puifle me rendre le même honneur. Enfin ils étoieat publique*
ment menés en procedîon tout nuds ^ au milieu de l'hiver , autour de la
place publique par les huiffiers de la ville , qui en les battant de verges
pour les faire avancer , chantoient des chanfons infukantes compofées con-
tr'eux i les femmes même venoient alors les iofulter , & leur mibient ainfi
faire amende honorable à la nature.
Platon vouloir que tout homme fÛt marié au moins à trente-cinq ans .^
& que ceux qui pafTeroient ce terme dans le Célibat , fuflènc dépouillés 6f,
déclarés incapables de tout emploi.
Vers la fin de la République Romaine ^ les mcDurs sMtoient exceflive^-
ment corrompues, & les loix n'étant plus afTez refpeâées, les Romains
commencèrent à fe dégoûter du mariage & à lui préfërer le Célibat. Leur
Ssùtj dépravé pour la débauche de toute efpece , leur fit méprifer les liens
eitunes du mariage , & la conduite irréguliere des Dames Romaines for^
tina en eux ce goût deftruâif de la ibciété & des bonnes mœurs. A ces
motifs fe joignirent l'indolence , la parefle , l'amour da repos , la crainte
des embarras du ménage , & la peine d'élever des esifiins. Le plaifir d'é«
tre flattés & prévenus par tous ces cœurs intérelTés^ qui cherchoient i
avoir part à l'héritage oes perfbnnes riches, en portèrent plufieurs à fuir
tout ce qui pouvoit leur donner des héritiers naturels.
Pline fe plaint que de fon temps c'étoit un grand avantage , une fource
de crédit & de puiflànce que de n'avoir point d'en&ns. Cm ce <|ue Sé«-
neque confirme dans fa confolation à Marcia. Il eft incroyable jufqu'où
ar ces coupables raifons, les Romains pouflêrent le goût pour le Céli--
lat, le mépris du mariage & la mainte d'avoir on époufe ou enfans. Les
plus (âges Magiflrats firent déjà du temps de la République , les plut
grands efforts pour arrêter ce déibrdre deflmâif. On nt payer des amen*
des aux Célibataires ; on aflîgna des prix, aux gens mariés qui avoient des
en&ns. M. Furius Camillus, Cenfeur vers l'an 4$o de Rome, & Q. Ces-
cilius Mettellus Macédoniens vers l'an 622 , luerent de la plus grande
févérité pour contraindre les Célibataires à fe marier. Jules-Céfar diftribua
des terres à vin^t mille citoyens qui avoient des enfans , il renouvella &
augmenta les loix à ce fujet, mais avec peu de fuccès ; le vice l'emporta
fur fcs foins que la mort prématurée interrompit. Enfin Augufle mit tout
en œuvre pour remplir des vues fi fages , en 4émiifant le Célibat ; fes
efforts furent prefque inutiles; & vers l'an 7^0, les Chevaliers Ro**
mains ne rougirent pas de fe réunir pour lui demander publiquement
l'abolition de ces loix en faveur du mariage ; il les adoucît , il tempo-
rifa , il leur accorda divers délais j ce fut à cette occafion qu'il protKmça
ces belles harangues que les HiflorieQs nous ont confervées. Il publia U
I
75 C É L I B A t. C É L I B A T A liR E.
loi eonnue dans le Droit Romain fous le nom de Ux JuUa & Papia^ qui
ordonnoit entr'autres.chofes , qu^en cas de concurrence pour un emploi^
le prétendant marié fût préféré à quiconque ne le feroit pas. Que des deux
confuls , celui qui auroit le plus d'enfans auroit le pas fur celui qui en au*
roit moins. Ceux qui avoient des enfans , héritoient par préférence aux
Célibataires ; une nombreufe famille procuroit au père une place plus ho-
norable au théâtre. A Rome trois enfans, dans l'Italie quatre, & dans
les Provinces cinq , exemptoient un père de toute imposition perfonnelle^
& de toute obligation de fe charger de tutele. Ces Légiflateurs avoient
bien compris que le nombre des uijets faifoit la force d'un État , que la
débauche & le Célibat détruifent les mœurs & la population, & que le
mariage au contraire leur eft elTentiellement favorable. Rome apprit cette
vérité par la plus trifte expérience ; le mal alla en augmentant jufqu'à la
ruine totale de cet Empire, qui vit fes citoyens s'anéantir par Vtmt de
la débauche & du mépris pour le mariage. Les étrangers prirent la place
des Romains, & apportèrent avec eux les vices qui dévoient enfin con--
fommer la ruine de cet édifice énorme. Au lieu que Ton a toujours vu
le refpeâ pour le mariage être inféparable des bonnes mœufs, & pro-
curer de concert la prolpérité des peuples. Le vœu de la nature nous
porte à l'union conjugale, les fens en demandent le phyfique, tout cœur
non corrompu en dénre le moral ; par-là le but de l'exiftence des bornâ-
mes & * des femmes eft rempli , ces deux claffes d'êtres trouvent leur
fatisfaâion dans cette union régulière & fiable ; les enâns naifîent &
font élevés ; les générations s'augmentent en fe fuccédant ; l'État fe for-
tifie \ la fociété voit naître l'abondance ^ & le bonheur domeftique , firuit
des mœurs pures , produit la félicité publique. Tels ont été les prin-
cipes incontefiables fur lefquels les plus fages Légiflateurs & les nations
les plus éclairéeçy ont fondé leurs loix contre le Célibat & en £iveur dti
mariage.
Diverfes caufes avoient , comme nous l'avons vu , encouragé le Céli^
bat , en étouffant la voix de la nature , ou en détournaiK fa pente loii
du but vers lequel fon Auteur la lui avoir imprimée ; chez les uns 1
fuperftition qui change en vertu ce qui n'en eft que l'emblème allégort
que , chez d'autres la parelTe , l'indolence , la débauche , l'avarice , le
mauvaifes mœurs qui font perdre le goût des plaifirs innocens. Qui croi
roit que la philofophie elle-même y auroit contribué?
pour ce qui touche la fociété, à laquelle il doit tout, porta les Difcipl
de Thaïes, de Fythagore , de Démocrite, de Platon, de Zenon Citien^
d'Epicure , i préférer le Célibat au mariage , fous prétexte que celui - cm
difirayoit trop le philofophe^ en le portant, à i^occuper trop de fes fe
CÉLIBAT. CÉLIBATAIRE.
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& des affaires de la vie, ce qui l'empéchoit de fe livrer tout entier à
Pétude de la fagefle & aux méditations profondes de la philofophie. On
pourroit approuver le motif, fi d'un côté cette philofophie eût eu pour
Dut de travailler à perfeâionner réellement les iciences utiles à l'homme,
& non pas d'obfcurcir la vérité par des fophifmes ; & de l'autre fi la
conduite de ces philofophes eût prouvé que l'amour de la vertu , le défir
de vaincre tous leurs penchans vicieux étoit le principe de leur genre de
vie : mais nous apprenons de leurs contemporains, que s'ils ont fui le
mariage , ce n'étoit pas par amour de la chafleté ; mais uniquement par
indolence , pour s'épargner les foins qu'exige la qualité de père de fa-
mille , par la feule cramte d'avoir des enfàns à élever , & que d'ailleurs
ils fe livroient à la débauche la plus honteufe : ils vivoient dans le Cé-
libat , non lit mcliores , fcd ut libcriores ejfcnt.
Le prétexte de ces Philofophes s'ofFroit cependant à des perfbnnes ver-
tueufes , fous un afpeâ eftimable : l'éloge qu'ils fàifoient de la chafteté,
& de la virginité parut être le langage de la vertu. Les Efleniens dont
nous avons parlé ci-deflus , le prirent à la lettre , & joignant à ce motif
rêfpeâable, quoique peu éclairé, celui d'une pénitence à laquelle les mal-
heurs du temps dont ils« étoient pénétrés , les invitoient , ils fe vouèrent
au Célibat le plus auflere. Les éloges que l'on donnoit de tous côtés à la
vertu des Thérapeutes, éblouit quelques Chrétiens qui d'ailleurs étoient
imbus des dogmes de Pythagore & de Platon : on en vit plufieurs dès les
premiers temps, recommander le Célibat comme un état plus parfait que le
mariage , la virginité comme une vertu fublime par elle-même , le ma-
riage comme un état qui n'étoit toléré que par condefcendance pour les
foiblelTes humaines. Avec le temps on vint à faire de la virginité un de*
voir pour certaines perfonnes ; du Célibat une obligation pour quiconque
étoit revêtu de quelque emploi Eccléfiafiique , jSc du mariage un crime
pour tous les Miniftres de la Religion. Ainfi la Religion Chrétienne con-
îacra un état , qui élevant l'homme au-deflus de la nature par une conti-
nence auflere, le rapprochoit de la pureté des Anges.
Nous n'entrerons point ici dans l'examen de toutes les raifons que l'on
allègue pour & contre le Célibat des Prêtres. Le monde eft partagé fur
cela en deux opinions direâement contraires. Chacun croit avoir d'excel-
lentes raifons pour foutenir la fienne ; & il n^ a pas d'apparence que
d'ici à long-temps la loi du Célibat des Prêtres foit abolie dans les pays
où elle eft reçue , ni qu'elle s'introduife dans ceux où elle n'a pas lieu. Son
abolition auroit peut-être encore autant d'inconvéniens eh France & ail-
leurs , que fon établiffement en auroit en Hollande & en Angleterre. Cela
n'infirme point les vérités fuivantes : i^. Que les Célibataires nuifent à la
fociété civile, en refufant de contribuer à donner à l'Etat, des fujets dont
le nombre fait la plus grande richeffe & devient le principe de fa force;
en refufant de travailler à élever des enfans^ qui nés de pères éclairés,
7« CÉLIBAT. CÉLIBATAIRE-
appelles par état à avoir plus de vertu & à prêcher d'exemple, deviendroiest
des fujecs plus utiles à la patrie. %^. Que l'état du Célibat diminuant le
nombre des liens qui nous attachent à la patrie ^ anéantilTant même tooc-
à-fait ceux qui nous la font chérir davantage , ne peut que diminuer dans
le cœur du (àus ^rand nombre , ce zèle , pour le DÎen public » qui efl tou*
jours plus fort à mefure que nous y fommes intérefTés par plus de relations.
Un foldat eft Célibataire pour Tordinaire; cependant il combat avec cou*
rage pour (on pays , cela eft vrai , c'eft fon métier ; vraifemblablement s'il
étoit marié , il aimeroit fon pays encore davantage ; mais enfin il n'eft pas
Célibataire pour toujours, il efpere, quand fon temps de fervice fera fini,
qu'il reverra fes foyers , qu'il fe mariera , ^'il deviendra père de famille :
cet efpoir ne refte pas même au Célibataire Eccléfiafiique , il ne tient à
rien autour de lui ou après lu. Le Célibat n'eft donc bon dans aucun
fens ; fon abolition défiree aujourd'hui par tons les bons citoyens , feroit
une fource d'avantages réels pour les mœurs , pour l'État & pour les parti**
Culiers^
I
Rtmarfim ipi^ortantu fur k Célitat & fur lc9 maux fu'il doit wufkw
tn FrancCf
XL e,^ certain que, depuis le règne de Char lem^ne jufoaec au tems de
Hugues-Capet, perfonne ne pouvoir prendre l'habit monafiique» faire fon
noviciat ou des vœux dans le cloître , fans en avoir obtenu permifiion du
Roi : il n'étoit pas même permis aux Cerfs d'embraflèr l'état eccléfîaftique
ians le confentement de leurs maîtres , ni aux hon^mes libres , obligés au
ferviçe militaire^ de paffer i celui des autels , fans en avoir préalablement
le congé du Souverain^ Cap. de Çharltm. 4t Ub. hom. qui ^dfervit. Dci^ 0^.
lib. I. cap. 20,
Loix iages , jnfles , nécef&ires , impc»rtantes , diâées par le droit de la
nature & des ^ns. En dfet tous les fujets de la République appartiennent
à la République i leur travail , leur vie , leur poftérité font le patrimoine dé
l'Etat; ils np peuvent l'en fruffarer, ils ne peuvent en difpofer, ils ne peu-
vent fe féparer du corps politique » dont ils font membres , fans donner
einte au paâe civil, auqud la naiflànce les a foumis.
Le Roi étant l'ame de la République » c'eft une maxime générale qu'il ne
doit être étabU dans l'Etat, fans fa permiffion, ni congrégations ni colle*
ges , foit pour la religion , foit pour la police : les loix Romaines , & par*
ticufiérement celle 4q>pellée Licinia , Denis d'Haliçamaire & d'autres auteurs
Qous apprennent que tous tes Collèges ées Prêtres furent éts^lis de la fode
siutorité des Rois^ ou du peuple après l'expnlfion des Rois. .
Les Lacédémoniens , au rapport de Follux, punUfoient le célibat comme
un crime qui tend à ht deftruaion de la République. Suivant Valere M axi«
me, ixV. IL chap. q^ la mente peine étoit étabUe chex les Romains 4 & nous
CÉLIBAT. CÉLI9ATAIRB.
79
vnyons dans Jtifle Lipfe , fur les annales de Tite-Live , que la loi Papia
Poppéia étoic auffi fameu& que févere à ce fujet. Elle fut abolie par les
conlticutions d^Honorius & de Juftinien , & fut caufe en partie de Ja déca-
dence de P£nipîre Romaii!, comme Paffiire Procope^ parce que le Célibat
(e trouvant permis ^ les villes dépeuplées cédèrent plus £icilement à nnva^
fion des Barbares.
Juftinien crut remédier à une partie du mal quM avoit fait , en limitant
le tiombre des Clercs & des Prêtres des Eglifes ^ & en défendant par fa
confiimtion 6j , d'édifier des monafteres, ians grande connoiflMce de caufe ,
parce qu^ls dévoient .être moîas regardés, dit cette conftitution» comme
des maifons de prière & d'oraifon^ que comme la retraite de la fkinéantife
& de Poifiveté. S'il le penfeit ainfi , pourquoi ne les détruifoit-il pas entié^
Efcmeat?
, Ce qui a le plus contribué -à empêcher l'effist de ces fages réglemens,
c'eft que 9 depuis Charlemagne jufques à Hugues-Capet , ce ne fut plus que
déibrdre & confofioo. Les Papes ufurperent des parties de police & d'auto-
fké, que le Souverain avoit confiées a PEglife & aux Prélats; & profitant
de la ibiblcire du gouvernement , ils le firent reconnoître Supérieurs immé-
diats de plufieurs ordres , qui furent fi>Bdés dans cet intervale » & à qui le
zèle & la piété mal entendue du Souverain , des Seigneurs & des particu*
liers, prodigua des richeflès inmienfes.
Les Prêtres & les Moines furent fi bien mettre à profit l'ignorance & la
crédulité du peuple de ces temps, qu^ils parvinrent à lui perfuader, qu'en
leur donnant une partie des terres acquifes oar firaude ou par violence , il
pouvoir conferver l'autre fans fcrapule, & fans crainte des peines pronon-
cées par la religion , dont ils repfermotent toutes les pratiques dans ces aâes
unies & généreux.
En ôtanc du commerce les biens dont on dote les égHfes ft les monafle^
ses , on prive auffi l'Btat de l'affiflance & du fervice de ceux qui sV reti-
srent , fouvent par poltronnerie, dit Mezerai , pour fê fouflraire aux fatigues
de la guerre, en le laiflknt féduke par ceux qui ont intérêt d'avoir leurs
biens.
s> L'efprit du treiaieme fiecle, continue le même auteur, fe trouva tel*^
^ lement tourné à la beface , & à croire que la plus erande perfeâion
» confifloit dans cette pauvreté volontaire , que l'on vit fourmiller de tous
* côtés grand nombre de ces feâes de menduns de l'un & de l'autre fexe :
* mais l'Eglife , fe fentant furchargée de ces nouvelles bandes de fiûnéans »
* fitti d'ailleurs s'enor^eilliflbient de leur &fhieufe pauvreté , & donnoient
> l'eflbr à leurs fiintaifies pour femer de nouveaux dogmes , elle les fup*
* prima toutes « & ne réferva que les quatre qui refient aujourd'hui ; ré»
» ferve dont pn ignore les motifs , mais dont on fent parfaitement les
s tnconvéniens ! a
U y a crois fortes de Moines en France : la première comprend les
8o CÉLIBAT. CÉLIBATAIRE.
ordres de S. Auguftin, S. Benoit, S. Bernard & S, Norbert, qui poflê«
dent les grandes richefles de l'Eglife, c'eft-à-dire/ les Abbaies & les
Prieurés,
La féconde renferme les Chartreux , les Minimes , les Céleftins , les
Feuillans & quelques autres qui polTedent des biens en propriété » & qui
ne font mendians que par tolérance.
La troifieme eft compofée des mendians qui fubfîftent par aumônes,
comme les Dominicains , Cordeliers , Carmes , Auguftins & les réformes
s
de ces biens; fubtilité ridicule, vaine & frivole.
Toutes les religieufës font comprifes fous les trois efpeces ci-dellus , &
l'on prétend qu'il y a en Ffaiice 300,000 Prêtres, ou gens dans les ordres.
Séculiers, Moines ou Religieufës, dont un tiers de filles, y compris les
Sœurs Grifes & autres efpeces de dévrotes ou d'efprits fbibles, qui croient^
comme dit PufFendorfF, dans fon Traité des devoirs de Vhomme^ que la
divinité prend plaifir à des inventions humaines & à des genres de vie ,
qui ne s'accordent point avec la conftitution d'une (bciété réglée fur les
maximes de la droite raifon & de la loi naturelle.
Nous lifons dans le Concile de Trente par Fra-Paolo, font. 2. pag. ^16.
^ue les Eccléfiaftiques avoient anciennement la liberté de fe marier; qu'il
ut propofé de la leur rendre , Se de les délivrer de la contrainte du céli<^
bat ; que k demande en fut faite au nom de l'Empereur Charles V , & du
Duc de Bavière ; mais que les Légats furent blâmés d'avoir laiffé mettre
en queftion un article fi dangereux, étant évident ^ difoit la Cour de Rome,
que tintroduSion du mariage dans le Clergé ^ en tournant Vaffeâion des
Prêtres vers leurs femmes & leurs enfàns , ^ par conféquent vers leurs fa^
milles & leur patrie ^ les' détachera en même-temps de ht dépendance oh ils
font du faint Siège : raifon qui fit rejetter cette propofition , & qui auroit
dû animer les Souverains à la faire paffer.
Les Prêtres , les Moines & les Religieufës vivant dans le célibat , ne
font , ni famille ni enfans , ce font des terres flériles qui ne rapportent au-
cun fruit, d'où il réfulte quatre fortes de pertes pour l'Etat : la première ^
celle des individus , la a. celle de la confommation qu'ils occafionneroient ;
la 3. les grands biens qu'ils acquièrent fans efpoir de retour pour le com«
merce de la fociété civile, & la 4. les fuites dangereufes de leur aveugle
foumiflîon aux volontés du Pape , de laquelle nak un Souverain , des fu-
jets & une Monarchie étrangère dans le feîn même de l'Etat.
Il n'eft pas néceflaire de rapporter des preuves de ce dernier inconvé-
nient : mais pour établir le préjudice, des trois autres , je mettrai fous les
yeux un fait d'expérience , d'après lequel on pourra faire . des calculs qui
ne reffentiront ni la chimère ni l'imagination : j'entends parler de la table
des
C É LIB AT. CE IIB AT A IR^ ji
des probabilieé^ de la irie, dreflfée fur les regi&res mortuaires de Breflav*
en Silëfie par le doâeur Hallei de la fociété de Londres , publiée dans les
cranfaâions philorophiques de l'année 1693.
U choifit cette ville de préférence à toute autre , parce qu^l y a un aflèz
grand nombre d'habitans pour établir fes opérations, qu'il en fore peu, &'
qu'il y arrive peu d'étrangers , circonfiances néceflaires pour agir avec
certitude.
En 169I1 les habitans de ladite ville montoient à trente^quatre mille,'
dont on fit cent claffes , la première des enfans depuis un jour jufqu'à un
an y la féconde ^ depuis un an jufqu'à deux , & ainfi de fuite jufqu'à
cent ans. 1
L'année commune des naifTances fut trouvée être de 1238 & des morts
de II 74» ainfi il reftoit en augmentation & bénéfice pour la peuplade 64
individus, ce qui revient à-peu-près au vingtième , duquel vingtième il
£iut ôter la moitié pour les mâles, attendu qu'il ne fort point de lignée
de leur corps, ainfi il ne faut plus confidérer ce vingtième que comme
un quarantième.
C'eft ce quarantième qui, à la fuite des générations, augmente fi con*
fidérablement le nombre dès individus, auand ils ne font expofés qu'à la
deftruéHon ordonnée par la nature^ que Ion a vu des effaims formidables
fe répandre en difFérentes parties de la terre pour y chercher des habita-
tions & une fubfiftance que leur pays, trop chargé de fon propre poids,
ne pouvoir plus leur fournir.
Il fut encore obfervé que de ces 1238 enfans il en mourut 348 « dans
Fannée de leur nailTance, & que la moitié des 1238 nVrivoitpas à vingt
ans, d'où il réfulte un calcul vérifié par ceux qui fe font faits depuis à
Londres, qui eft que la vie des hommes n'étoit au plus que de 20 ans ;
<'eft-à-dire que , fi on ôtoit à ceux qui vivent le plus , pour donner à
ceux qui vivent le moins , le total réparti fur chacun ne feroit que
^e 20 ans.
Si les cent mille filles qui font dans le cloître oi| vouées au célibat ,
s'étoient mariées, elles auroient donné au moins l'une pour l'autre, cha-
îne deux enfans pendant le cours de leur vie , & ce n^efl pas poufler la
produâion trop haut ; car il e(l à remarquer qu'elles font toutes entrées
^asis le couvent en âge nubile, & toutes d'une bonne complexion, étant
^e règle de n'en point recevoir d'infirmes , à moins que l'on n'augmente
I2 dote, ou qu'on ne donne une penfion extraordinaire, c'efl deux cents
i^lle enfans qui auroient dû exifier.
Il faut fuppofer que , de ces deux cents mille enfitns, il y en auroît eu
^ nioitié en mâles & l'autre en femelles; & que, fuivaht le calcul ci-
d^vant rapporté, il en feroit mort les trois quarts des uns & des autres-,
^"f^nt l'âge nubile : aiflfi refte feulement pour la première aniiée, vingt
€^<iq nulle filles nubile^, &:ÛAfi tous les ans par une ptogreifion fuççef-;
lomc Kl. L
U Ç É II I B/A T; C ft L I.B A T A ï Jl ï-
ùve & non ioterrompue:, id^ac le' premier auaraottenie ^i refte^ -ta mi|g«
procdlaMe.
pays qui Vont admile lans contraûioioo ^ une étendue de terrein
au(fî grande q^ie la France a perdu une pQpukdoa îmmfenfe. 7e vais en
convaincre par un calcul (knple fo«idé fur les principes que je viens de po-
fer. Si Ton daté en effet de l'an 1675, jufqu^en la préfente année 1770,
ce "qui feic 9^ ans « ce tercein protdlanc , égal à la FrUQce en Rendue ,
doit pofleder plus qu'elle , en cette pr^lènte année , d'uine pant 60^0 in*
dividus, provenant à^s 6x^ ci-deiTus dits, lefquels ayant aiiffi contribué au
profit de la peuplade d'un 40, qui eft 15 non compris la fraâion, rend le
nombre 6^0 qui, par une muitiplîeatton jpfQgreifive (pendant 9^ ans^
donne au total celui dit de 6o»8oo à quoi h l'on ajoute ^0^000 tant gar-*
çons que filles , qui reilent vivans des 100,000 religieuses ou autries b^ui*
nés, iuivant l'évaluation ci^defTus qui doit avoir Ueu dans toutes les an-
nées » il en réfuhera un total de iiQ,8oo fujets de l'un & de l'au-
tre fexe.
Il eft démontré par plnfieurs calculs , faks tant en France qu'en An-
gleterre, que dans un grand État, à cdm^r dc^puis le ibuverain jufqu'aift
plus viL des ûijets, ckaque individu dépenfe, le ibrt pour le foible, au
moins 150 liv. par an, pour nourriture ^ Iq^ment, vêtement & autres be-
foins généralemeot qudconques.
Il eft démontré aufli que , dans un lÊtat po]icé , il n'y a d'autres rtcheG-.
fes que la <on(bmmation : car fans die , à quoi fervirôient les produc-
tions de la terre ? Si ce n'efl à embarraflèr ceux q^i en feroient pro-
priétaires.
Or chaque individu, qui confbmn^e i^o livres par an, d<Mt donc être
regardé comme un iinmeuble appartenant à l'Etat, valant 3000 livreis ^nii
eft le capital de 1 50. Je^ dis comme un immeuble , paifce que û cet ifidi«%
vidii eft périiTable, il a là faculté de fe reproduire & de perpétuer foa
elpece.
Ainfi la France., dtant moins peuplée de 110,800 individus, à caufe da
Célibat obfervé par les loc^oco religieufes ^ béguines & dévotes , Se
chacun de ces individus étant pour l'£cat de la valeur de 3000 livres , il
s'enfuit que la France eft moins riche, qu'Ole ne devroit l'être, dans
cette préfente année de la fomme de 332,400,000, ^ce indépendam-
ment de ce qoe l'on pourroit tirer de ces individus pour le fervice mili-
taire, les corvées & autres travaux néceflkires à la défenfe & à l'améliora-
tion du corps de l'Enxpire^ & pour toutes les conibmmations qu'ils auroient
Qccafi(mnées à raifon de 150 livres chacun, ce qui fitit par 4|n 16^20^00^
& pour 9{ ans i^s?^' 9^^000 livres, dont le$ bénéfijces, pour chaque
propriétaire de denrées recueillies & de mar^a^dîfc^ fabriquées 6c 'enfuîM
ven4ucs auroient augmenté ^ au moina d'un ^i^ieii^, qui eft le taux à/a
I I »> ! *.
' € ir £ I B A T. ' C t L I ft A T A m & 9^
I kt maflb fénénale des produits , rcvimus & richoflês de la nab
non , & ce, non compris les bénéfices des bénéfices , qui monteroienc à
des foromes confidérables.
Rién
iiippriffii
dont
intérelfèe qu'on ne le penfe à la fuppreflîon ou du moins k la grande* iU
mÎBonon des
oii elles
parce que l'une croit tou]OQi:s oc que
que la Providence a de grandes reflburces, mais n'eA^il pas téméraire de
la tenter? L'État qui ne doit pas fe condinre par une confiance aiUfi aveug!^
dans des décrets qu^l ne petit pénétrer : avec moins de fei peutvétre , 4oJt
avoir plus de pnKtence^ mais, je l'avoue, rien n'eft plus dangereux que
cette entreprife. Comment ramener à la raifon un peuple féduit de longue
main par les Moines & les Prêtres & enivré de leurs préjugés ^ Comment
éviter leur vengeance & les fublilités dont ik fiiat capables? Comment
parer a» pouvoir & an intrigues de la Cour de Rome, qui k phÂt k
s'aveugler ftir fe^ propres intérêts? Il faut donc marcher avec de grandes
précautions dans un leotier auffi gliflaht, & voici ce que conièilloit ua
jour à ce fufet un homme fort raifonnable.
Envoyer des efTaims iréquens & nombretix de ces moines aux miffione
les phis éteîgnées , fans leur y permettre aucunes, fortes d'étabbflemens ;
il y en périroit beaucoup : niais ce ferott le cas de l'applàcacioB exaâe
du prarerbe qui dit , pius de morts & moins if ennemis.
Les empêcher de mener une vie errante & vagabonde , & de commua
ntquer avec ce qu'ils appelknt les gens du (iecle , & fur* tout avec les
femmes , \ moins que ce ne fût à travers d'une grille double & fort fisr^
rée , comme les Religieufes & les Chartreux. Ce n'eft que par le jeûne
& la prière que l'on pourra parvenir à détruire un ocdre infHtué pour
jeûner & prier.
Supprimer ce qu'on appelle Congrégations & Provinces ; ces fortes d'aA
Ibciations fcmc dangeretiies , contraires à la bonne pplice , & peuvent être
f réjudiciables à k fureté publique.
Fixer, les Moines pour la vie dans les maifons où ils auroient fàie
profeffîon, comme tes Chartreux & les Religieufes, c'eA une loi déjà
prefque établie : les ordonnances veulent qi^après la profeffion , \ts reli-
E' 'M% & reMgieules ne puiflent fonir 4e leurs monaflôes fans la permif^
n de rBvé<^ ou du Supérieur , ovis qêue ait avili , ftatim lupi morfihus
patet.
Leurs eeurfes perpéhietles font indécentes, contraires aux principes de
Itor infittution & dangereufes pour le gouvernement. Un Cordelier pféchane
devant S. Louis , ^foit que » ^ tout aînii que le poiflbn ne iauroit vivre
L 2
{
^4 CÉLIBAT. CÉLIBATAIRE.
» hors de Teau, aiafî le religieux» hors de foii montftere^ ne faurmc rim
m en vertu ni félon ion obièrvation* a Sirt^dc Joinv. chàp. jo.
Le P. Mabillon a dit en quelque endroit que Poifiveté des moines éioit
un dangereux piège, & qirelle le$ rendoit d'ordinaire ou vicieux ou vi-
iîonnaires. Je voudrois donc les obliger tous à favoir un métier , avant que
d'être admis au noviciat , & qu'ils ne puflent vivre que de leur travail »
du moins quant aux mendians , Jans qu'il leur fût permis de quêter &
d'enlever la fubfiflance des véritables pauvres par leurs féduâions & leurs
importunirés.
Défendre d'admettre des novices avant l'âge de 2; ans accomplis , &
de &ire àes vœux avant 25 ans; c'efl-à-dire , que l'on^ne pût aliéner fa
liberté avant l'âge où l'on peut aliéner fon bien. M. lé Duc d'Orléans ré^
gent , trop éclairé pour ignorer l'importance de cette police , avoit fidt ua
règlement à ce fujet , prêc à être publié , lorfque la mort le furprit.
Affujettir tous les ordres monaitiques à la jurifdiâion des tribunaux or-
dinaires pour le civil & le criminel, & à TEvêque Diocéfain pour la dis-
cipline. La police extérieure de l'Eglife appartient au Souverain , en verm
de fa couronne ; le Pape ni les Conciles ne peuvent iaire aucuns règlement —
à ce fujet fans fa permiifion , & s'ils en fent , les fujets ne font pas obli*
gés d'y obéir : ce font les privilèges inconteflables de l'Eglife de France « «
& ces privilèges ne font autre chofe que le droit de ta nature de des gens. .
Tous les Prélats affemblés par Fhilippe-le-Bel , au fujet de fon différend
avec Boniface , le reconnurent , fans difficulté , f eul maître & fouveraior
abfolu au temporel.
A l'égard des filles, régler le temps du noviciat & de la profeffioD
comme celui des hommes : ordonner qu'elles ne pourront jamais être prc
feflès , dans les maifons où elles auroient été penfionnaires ou novice^ ^
étant convenable d'ôter tonte reffource à l'induoion humaine, & delaiflc^
pleinement agir la grâce , la vocation & l'infpiration.
Que la dote ne puiffe être à l'avenir . qu'une (impie penfion viagerer
fans pouvoir donner ni argent ni fonds , fous quelque prétexte que ce fôs
ii peine d'application au file.
Qu'après le décès de ces religieufès, la partie d'héritage qui leur auroi
dû revenir des biens foit paternels foit maternels , ou autrement fuccefliis
fi elles fuffent reftées dans le monde , appartiendroit au Roi , c'efl-à*dire
à l'Etat auquel elle feroit incorporée , pour le récompenfer de la perte des^-
fujets qu'il auroit dû en attendre. C'eft ainfi qu'en ufoient les anciens
Comtes de Flandres, ils appliquoient au fifc la moitié des fucceflions d
ceux^uiavoient vécu dans le Célibat, fans empêchemens légitimes ou ùjit
infirmités naturelles.
La richeffe fondamentale de l'Etat conflile dans le nombre des fujets '^
c'eft par le mariage que les hommes naiffent , qu'ils fe multiplient , qu'il^:^
fe perpétuent : proyidit illc maximus mundi partns , ut damna fimpcrfa
CÉLIBAT. CÉLIBATAIRE. Sç
Me n^arant nova : les Princes ne fauroient trop Bivorifer cet état , ni
s'oopoier avec trop de vigueur à tout ce qui pourroit lui être contraire.
Lts anciens légiflateurs avoient ajouté , au défit naturel de fe multiplier,
tous les fecours que la politique , Tintérét & le préjugé avoient pu leur
Suggérer. Chez les Hébreux , le nouveau marié étoit exempt de toutes char-
ges pendant la première année de Ton mariage. Licurgue donna beaucoup
<le licence aux nlles de Lacédémone , pour engager les jeunes gens au ma-
riage ; & outre cela il nota d'infamie ceux qui ne voudroient pas fe ma-
rier & leur défendit de fe trouver aux jeux publics » où les filles paroif-
Ibient nues. Plutarque , dans la vie de Lifander, fait mention des peities
prononcées contre ceux qui ne fe marioient pas ou qui fe marioienc trop
Xtrd. L'Empereur Augufte mit un impôt fur tous ceux qui ne fe marioient
pas après 25 ans, ou qui n'auroient point d'enBins, & il donna de grands
privilèges à ceux qui en auroient le plus. Tous les auteurs politiques qui
ont paru depuis , ont donné les louanges les plus flatteufes à cette fage
prévoyance de cet Empe^^eur , & ont blâmé au contraire Juftinien de n'a-
yoir pas tenu cette loi en vigueur , comme ils ont accablé de reproches
Conflantin pour l'avoir abolie.
Prefque toutes lés nations ont regardé comme affreux de mourir fans
poftérité ; c'étoit la plus terrible imprécation qu'elles puffent faire contre
leurs ennemis ou contre les infraâeurs des loix : nous en trouvons la preuve
dans la coutume que les Romains obfervoient , au fujet des bornes qu'ils
plantoient^ pour la féparation de leurs héritages , fur lefquelles ils gravoient
cette infcription : quifquis hoc fujlulcrit ^ aut fufluli jujfcrit y ultimus fuorunt
moriatur.
hts Rois de France avoient accordé par difft^rens Edits , & notamment par
celui de Novembre 1666 aux pères de familles, ayant dix enfans nés en
légitime mariage, pourvu qu'il n'y en eût aucun Prêtre, Religieux ou Re-«
ligieufe , exemption de colleâe , de toutes tailles , fels , fubfides & autres
impofitions, tutele, curatelle, logement de gens de guerre, contribution
aux uftenciles , guet , garde & autres charges publiques. Les mineurs tail-
lables , qui fe marieroient dans ou avant la vingtième année de leur âge ,
dévoient jouir des mêmes exemptions jufqu'à vingt-cinq ans. Les habitans
des villes franches & ceux qui en étoient bourgeois , ayant dix enfans ob-
cenoient ^00 liv. de penfion & 1000 liv. s'ils en avoient douze; fie les gen-
tilshommes fie leurs femmes avec dix enfans avoient 1000 liv. fie 2000 liv.
avec douze : mais fous prétexte que ces exemptions avoient donné lieu à
quelques abus, fie par d'autres motifs auffi peu folides fie auffi peu réfléchis,
elles furent toutes fbpprimées par déclaration du 13 Janvier 1683, ^^ ^^^®
que la crainte des charges fie de la mifere , ayant arrêté la multiplication
légitime, la nature qui ne veut rien perdre de fes droits, s'eft tournée du
côté d'un libertinage , ou ftérile , ou dont les produélions périflent prefque
toutes , faute de foins ^ ce qui a jette un nouveau vice dans la police des
François.
$6
CELtAMARB. { N. Prince tU )
Jamak U ne fbt plus néceflMre de 6ire revivre ces mskximes ttdks & tèvt
les privilèges qui peuvent coatribuer à la confervation & à la propaganoa
de Pefpece. Ceft elle <}ui fait U richeflè & la force des empires \ les fujecs
de la France diminuent fenfiblement, je ne dis pas par la guerre , ni par
ces ravages épidémiques dont le genre humain eft louvent affigé; je ne
remonte pas même à l^xpuUion iks Proteftans \ mais je parle de cette di-
minution caufée par Toubli d^s principes fondamentaux de la conftitutitm
politique , & de laquelle on peuc arrêter le progrès avec autant de Êbcilité
dans les moyens, que de certitude dans Texécution.
» Favorifer les mariages > accorder du fecours aux pères cbar^s d'une
» nombreufe famille , veiller à Téducation des crphelins & des enrans trou«
» vis y c^efl fortifier PEcat^ bien plus que de fan^ des conquêtes. Melon ^
p EJpai fur U Commerce.
On donne ici ces remarques comme les principes , fur lefquels nous nous
^derons , lorfque , dans d^autres articles de cet Ouvrage , nous propo*
ferons un plan général pour rendre utiles aux Empires les ëtabliffemens re«
ligieux I en les rapprochant encore plus de rintention de leurs fondateurs,
qu'ils ne le font par la pratique. On y verra que, fans les détruire, on
peut en fëparer les maux dont Oé fe plaint ici » & en Ëtiré ibrtir les plus
précieux avantages , tant pour PËtat que pour le particulier.
CELL AMARE, (N. Prince àt ) Ambafadcur de Sa Maj^fié Catholique
auprès du Roi Très- Chrétien^ en tjzS.
L
^f' A M B A S S A D E U R doit fervir fon Maitre par toutes fortes de moyens
honnêtes & légitimes. Il efl envoyé pour cela. Mais fa miffion ne s'étend
point jufqu'à fomenter , encore moins exciter des troubles & des révoltes
dans l'Etat où il efk envoyé. Le droit des gens çondamoe de pareilles in*
trigues; & le MiniHre, qui s'en rend coupable, violant la foi pid>tique fous
la proteâion de laquelle il efl admis chez un Prince étranger, invite ce
Prince à la venger fur fa perfonne, & à le traiter en ennemi.
- Le Roi d'Efpagne étoit entré en Sicile en 1718 & avoir publié un mk*
nUèfte fur cette invafion. Les hoflilités étoient même commencées tmrû
la Grande-Bretagne & l'Efpagne. Mais la France diffëroit d'entrer direâe
ment dans cette querelle , dans la vue de réconcilier les efprits par fa
diation; je dis direâement, car elle foumiflbtt en argent à fes alliés les fe
cours qu'elle auroit pu leur donner en hommes tSc en vaifleaux.
;^ Sur ces entrefaites le Régent découvrit l'inceedk que le Cardinal A
l^oni travaillok à allumer dans le fein de la France par le minifterè
Prince de Cellaraare, Ambailadeur de Sa Majefië Cadtoltqoe. Nous
ferons wcunes^ réflexions ni fur cette affiiire » ni fin; le caraâere de c
tt CELLAMARÉ. (N. Prince de)
Ce en demandant la convocation des États. En cas qiie pournotre malheur
nous foyons obligés de recourir aux remèdes extrêmes , & de commencer
les entreprifes, il fera bon que Sa Majefté choîfîflè une de ces deux voies,
& qu'Elfe examine Técritconé N<>. 30, dans lequel nos partifans prennent
la liberté de lui propofer avec refpeâ tous les moyens qu'ils jugent c<m«
venables, ou plutôt néceflaires pour l'accompliflement de nos défirs, pour
éviter les malheurs que l'on prévoit être prêts d'arriver ^ & pour afliirer
la vie de Sa Majefté Trés-Chrécienne & le repos public. L'écrit cotcé
N®. 40, eft un abrégé de diffêrences chofes arrivées dans le temps d'au*
très minorités; il peut fervir d^inftruâion fuffifanre pour régler plufieurs
des mefures que l'on doit prendre dans le cas préfent. Enfin, j'envoie à
Votre Ëminençe en feuilles féparées fous le No. 45 ^ un Catalogue des noms
& des qualités de tous les Officiers François qui demandent de l'emploi'
dans le lervice de Sa Majefté. Après que Votre Eminence aura vu tous ces
mémoires y Elle pourra donner Ion avis fur ce qu'ils contiennent, & Sa
Majefté prendra des réfblutions qu'EUe eftimera les plus convenables à ion
fervice. Si la guerre & les violences nous forcent à mettre la main à
l'au vre , il faudra le faire avant que les coups ^ que l'on nous portera ,
nous afFoibliflent , & que nos ouvriers perdent courage fans épargner, ni le
temps , ni les offres , ni l'argent. Si nous fommes obligés d'accepter une
paix fimulée, il faudra pour entretenir ici le feu fous la cendre, lui don*
ner quelque aliment modéré ; & fi la divine miféricorde appaifoit les ja*
loufies & les mécontentemens préfens, il fuffira par la reconùoiflânco, à
laquelle nous fommes obligés, de protéger & de fàvo ifèr les principaux
chefs qui s'intérefTent jpréfentement avec tant de zèle pour le fervice de ^
nos maîtres, en méprifant les dangers auxquels ils s'expofent. En attendant ^
les réfolutions décifives de Sa Majefté, je tâche d^entretenir leur bonne ^s
volonté , & j'éloigne tout ce qui pourroit la ralentir. Je fuis avec refpeâ^^
de Votre Eminence.
ji Paris k I Décembre 1718,
P. S. Outre les écrits ci-deflùs , je remets à Votre Eminence celui qi^^^
êft cotté N<>. {o, dans lequel on fait paroître la force & le poids des deu ^
différentes minutes des manifeftes : & j'avertis Votre Eminence qu'à cauf
des changemens qui font arrivés, on a jugé à propos de s'éloigner d
celle que j'ai envoyée par un exprès, datée du i Août.
De Votre Eminence k très-humbk^ &c.
N. Pr, DE CSL.LAMARB.
I
f
N». c:
C EL LA M A.REi, (K Frinecdc) $f
" . N<^. II. ' ' -^
M o ir S I B V R 9
JLi E priocipal Auteur, de nos defleîns me chargea «veç empreflemeiit Ijl
y: a q4elques mois , de faire pafler à Votr>B JBrnipcnçç |aie|tre cir jointe^
& d'accompagner les inftances de M./. .. Âes témoignages^ desofBces lei
plus preflans. J'ai différé d'exécuter cette commiflion jufqu'à ce que j^aie
eu une ocçafion fure pour ne point expoTer, le fecrct à tjuelqUe, danger.
Je dirai préfentement a Votre Eminence que j'entends parler de ce (ujec
comme d'uae porfonne de. grand mérite, & que l'intérêt que prend tout
le parti à ce qui le regarde , eft grand. Il m'a été propofé d'introduire au
fervice de Sa Maje(léii%..w. hoinrhe.dé qualité, & parce qu'il m'efl re-
commandé par nos ouvriers , je l'ai diftingué du catalogue général que
que j'envoie à Votre Eminence. Ap rçflel ces Medieurs m'ont dit qu'ils
peuvent difpofer de la volonté de M qui eft celui qui fut mandé ici
par le Régent, pour foulever, comme ils le.difent, les . Miquelets de Ca-
talogne . & ils voudroient s'en aflurer. encore davaQtaeç par quelque grà-
tincation annuelle , OU par une peniion.
Four ce qui regarde les réponfes q^e Votre Eminence donna à mes
propofitions du premier Août dernier , je' dôii lui marquer que les LettFes
de créance que Ton demandoit, dévoient avoir lieu pour les offres^ les
demandes & les propo&ioos que. j'auroi^, 1 faire félon les conjonâures^ aux
Parlemens , au Corps de la Nopleife , &. aux Etats-Généraux , & que pour cet
effet elles doivent être dreilëes çor^me en forme de plein-pouvoir, qui
feroit eq mêmç temps limité pac Içs inJ^rMâions de Sa Majefté pour nia
conduite. ; ;. '■. « •
Quand il s'agira de mettre la main à Tœ\xvre , il ^era néceflaire que, Sa
Majefté écrive à tous les Farleti^ns , conformément à la Lettre qu'elle ja
déjà écrite au Parlement de jParis , & qui efl demeurée en dépôt entre
mes mains ; & j'envoierai par la voie ordipaîre à Votre Eminence , un
catalogue du nombre dé ces P^^rlemens ^ &, de la manière 4ont on doit
fe régler pour les fufcriptiojn^. • .
n pourrroit arriver dans les agitations préfentes, ce que Dieu veuillje
détourner , quelque malheur à Sa Majefté Trés'-Chrétienne i & je fupplie
Votre Eminence de Eure réflexion que la vie précieufe de ce Monarque ve-
inant à manquer, je me trouverois embarraffé manquant des inftruâions
néceflàires pour agir. Il pourroit aufti arriver que M. le Duc d'Orléans
vint à manquer, dans lequel cas je me trouverois dans de très-grands em-
barras par rapport, à la nouvelle forme que pourroit prendre la Régence ,
& à fes vues qu'il conviendroit de faciliter ou non de la part de Sa Majefté.
M. le Duc de Chartres pourroit prétendre d'entrer à' la place du père,
Tome XI. M
,ço Ç B LX A M ARTIE; {N. Prince dt)
& pour furmoQter les obftacles de fa jeuneflTe , fe foumettre à un Confeil
femblable à celui que le feu Roi avoit înftitué dans fon teftament. M. le
Duc de Bourbon pourroit aufli prétendre , à l'exclufion du jeune Duc de
Chartres, à Tautoricé abfolue qu'exerce préfentement M. le Duc d'Orléans,
^ il nojiis convient de prévoir ces cas , & de choifir les parties qui font
les plus utiles poùi^ le iervite dis^'Sa Majefté^fes zélés ferviteura' Françob
penchant plus pour le premier que pour le fecopd. Je fais avec refpeâ de
Vptre Eminence. -
• » • • •
Paris k % Déctmbn t;;^t8.
> . Très-dévoué & très-obéiflant Serviteur t
• , - •■ . . • • . . . . • , ' f ■ '
> 1 . <
' * !
• • •
f:-^ • ■ : -j-i
« (
N-».' III.
Copie éPunê Lettre attribuée au Roi Catholique , que le Prince de Cellamare ,
' fon Amhajfadeur^ avoît crrdre de présenter au Roi Très- Chrétien^
. ï ■ • . . , ; . ' > j
Monsieur mon t^BiïiÉ et Nevbu. .'
Efuis que la Providence m'a placé fur le trône d'Efpagne , je n'ai
pas perdu de vue pendant un feul initant , les obligations de ma naiflance.
Louis XIV, d'éternelle mémoire^ eft toujours -prélent à'mon efprit^.il me
femble toujours entendre ce grand Prince , -an' -moment de notrb fépara-
tion, me .dire en m'embraflant ^ qu'il n'y a voit plus 4e Pirenées, que deux
feroient
auroieot
produirôit néceflâirenient la tranquillité de l'Eurôpt
Vous êtes le feul rejetton de m!on Frère aine , dont je pleure tous les
jours la perte. Dieu vous à appdié àla fiic^eflibn dé éette grande Monar-
chie , dont la gloire & les intérêts, me feroht précieux jufdu^i là mort ,
enfin je puis vous àffiifer \ que je n'oublierai jamais ce que ]e dois à Votre
Majefté /à ma Patrie & à la mémoire de mon Ayeul.'Mes chers Efpagnols^
qui m'aiment avec tendreile , & qui font bien afTurés de celle que j'ai pour
eux , ne font point jaloux des (entimens que je vous témoigné , & fentent
bien que notre union eft la bafe de la tranquillité publique, Vos peuples
font lans doute pénétrés des mêmes fentimens ; outi-e qù^ils voient aufli
bien que nous, qu'il n'y a point de Puiffance fur la- terre capable de
troubler notre repos , tant que les forces de ces deux Royaumes agiront
de concert.
C EL L A Af A R E. ÇN.iPnnce de) 9t
Je me flatte , que mes intérêts perfonaels font encore chers à une na*
tîon, qui m'a nourri dans Ton fein , & que cette généreufe. noblçffe ^. qui
a verfé tant de fang pour les foutenir , regardera toujours avec amour un
Roi qui fe glorifie de lui avoir 'obligation^ & d^étre né au milieu d'elle.
Ces difpoutions fuppofées» comme il n'eft pas permis d'en douter, de
cuel œil vos fidèles fujets peuvent-ils regarder le Traité qui vient d^trd
ugûé contre juoi , ou pour mieux dire d'être figôé contre eux-mêmes !
des geas qui fe prévalent de votre minorité pour augmenter par violence
& par injuilice l'état de leur fortune préfente , qu'ils ne fauroient augmen-
ter par un vrai médtç » engagent le dépositaire de votre autorité à fou-
tenir Ia:caufe de mpn ennemi perfonnel ou plutôt de notre ennemi com-»
mun , feul redoutable ;à toute l'Europe. Dans le temps que vos Finances épui^
fées ne peuvent fournir aux dépenfes courantes de la paix , oh veut , • que
Votre Majeflé me fàffe la guerre, fi. je ne confe^s à livrer le Royaume de
Sicile à l'Archiduc , & (i je ne foufcris à des conditions infupportables.
On épuife votre Clçrgé, votre Noblefle & votre Peuple, pour payer
des cpntingens , qui n'onr pour but que ma ' ruine & la vôtre : &
des Traités, qui par leur feule importance ne devroient jamais être con-.
élus 9 pendant une minorité ,• fans avoir confulté la Nation^ :c'efl-à*dire ,
les Etats-Généraux y ou du moins les Parlemens, fe propofènt au Confdl
de votre Régence comme qn^ chofp ; toute &ite fans donner même le
loifir à la délibération.
Je n'entre point dans le détail des confequences funefles de la quadru^
pie. alliance » ^ de l'injuflice criante qu'elle prétend exercer contre moi :
]e me renferme, à . prier inflamment Votre Majeflé :de convoquer inceffam-
meot les Euts-Gétféraux de votre Royaunaie pour délibérer lur une affaire
de fi grande çonféquence. Je vous fais cette prière au nom du fang qui
nous unit, an nom de ce grand Roi » dont nous tenons notre origine , au
0001 de vos peuples & des miens ^ s'il y eut jamais occafion d'écouter la
voix de la nation Françoife , c'efl aujourd'hui ; il efl indifpenfable d'ap-
prendre d'elle- miéme ce qu'elle penle, & de favoir fi elle veut en effet
me déclarer la guerre dans le temps que je fuis prêt à verfer mon prom-
pte fang pour maintenir fa gloire & les intérêts.
Jevousp-ie, Mr. mon cher frère & neveu, que vous répondiez au plutôt
ï la propofition que je vous fais , puifque l'aflèmblée que ]e vous demande^
préviendra les malheureux engagemens où nous pourrions tomber par la
fuite, & que les forces d'Ë^agne ne feront employées qu'à foutenir la
grandeur de la France & à humilier fes ennemis. Au Monaflere Royal de-
ot. Laurent, le troifieme Septembre, 1718.
»>
Mr. mon firere ^ açveu.
Votre bon fnre & oncle
Philippe.
M 2
jz CE L LA M. A R E. {H, Prince Je)
N°. IV.
Copie éPune Lettre Circulaire attribuée au Roi dEfpagne , que U Prince
de Cellamare^ foH Ambajfadcur^ avoit ordre de remettre â tous [les Parkr
. mens de France.
T
Rès - CHERS & iMcn - aimés , &e. La nëcedité prëfente des afiairet
nous ayant obligé d^écrire au Roi Très-Chrétien , notre très-cher frère &
neveu , nous avons cru devoir en tnéme-temps vous envoyer copie de la
Lettre que nous lui avons adreflee. Comme elle n^a pour objet que lè
bien public , nous vous connoiflbns aflez pour être perfuadé , que le grand
motif qui a été toujours l'amé de vos aéBons , vous déterminera à con-
courir avec nous dans le dellèin que nous avons de remédier au défordre
préfent, & d'en prévenir, s'il fe peut, encore de plus ^uneftes. Vous verrez
dans notre Lettre la juiie douleur dont nous fommes faifis dans la feule
idée d'une divifion prochaine entre deux Rois fi étroitement liés par le
fàng , & entre deux peuples que la ' fageflè & les confeils du Roi notre
aïeul fembloient avoir unis pour jamais. •
, Vous êtes trop éclairés pour ne pas voir ks e fuites malheureufes de notre
divifion , 6c pour ne pas fentir ^ que le Traité de la quadruple alliance , èft
direâement contraire aux intérêts du Roi ^ notre très-cher frère & neveu ,
& à ceux de tous nos fujets,
" On veut que la Nobtefle FranÇoife prenne les armes pour attaquer un
Roi qu'elle a maintenu fur le trône, après Dieu, (buverain arbitre des
Couronnes. On veut épuifer teâ peuples » - pour fournir aux firais d'une
guerre, qui n'a d'autre but que de traverfer nos juftes entreprifes, pour
nous contraindre I à facrifier tous nos droits, pour àu^enter la puiflànce
de l'ancien ennemi de notre Maifon » & de nous forcer à lui céder pour
jamais la Sicile, dont s'enfuivroit abfolument la perte de votre commerce
& de votre confidération dans la Méditerrânnée. \
Enfin nos très-cbers & bien*aimés , vous voyez auflî*bien que nous , lea
autres conféquences encore plus dangereofes de ce Traité : c'eft ce qui
nous fait efpérer, que vous employerez tous vos foins pour obtenir du.
Roi, votre Souverain, le feul remède à tant de maux, c'eft l'Aflemblée
des Etats - Généraux , qui certainement ne fut jamais fi néceiTaire à la
France qu'elle Teft aujourd'hui. Nous nous adreifons à vous pour pro*
^urer fa confervation , préférant cette voie paifible & tranquille à toutes
lés autres auxquelles nous- ferions obligé de recourir fi l'autorité du Régent
nous faifoit refufer cette juftice.*
Souvenez-vous donc en cette occafion, que vous êtes cet illuftre Par-
lement,que les Rois ont pris plufieurs fois pour arbitre ,- qui n'a ^jamais
rien appréhendé, quand il a fallu travailler pour l'Etat, & qui donne tous
lea jours des marques d'une fermeté fi digne de fa réputation. Nous atten-
d fi L L À MA R fi. (V. Prince de) 93
dons tout de votre équité naturelle & du zele que vous avez pour votre
patrie : fur ce , nous prions Dieu qu'il vous ait , très-chers & bien-aimés ,
en fa fainte & digne garde. Donné au Monaftere Royal de St. Laurent ,
le ^ Septembre, 1718.
Signé.
PHILIPPE,
Et plus bas.
D. Miguel Fbrnandes Durand.
Mani/efie attrihui au Éoi Catholique & adrejfé aux trois Etats
de la France.
D
'On Philippe par la grâce de Dieu, Roi de Caflîlle., de Léon, dMr-
ragon , des deux Siciles , de Jérufalem ^ de Navarre » de Grenade , de To-
lède, de Valence, de Galice, de Majorque, de Séville, de Sardaigne,
de Cordoue, de Corfîque, de Murcie, de Jaen, des Algarves , d'Alger ,
de Gibraltar , des Ifles de Cànarie , des Indes Orientales & Occidentales ,
des Ifles & Terre ferme de la Mer Océane, Archiduc d'Autriche, Duc de
Bourgogne , de Brabant & de Milan, Comte de Habfpurg , de Flan-
dres, de Tirol & de Barcelone, Seigneur de Bilzaye & de Maline, 6c, &c.
A nos très- chers & bien-aimés , les trois ordres du Royaume de France^
Clergé , Nobleffe , & Tiers-Etat , falut.
Depuis quM a plû à Dieu de nous appeller au trône d'Efpagne, où fa
divine providence nous a maintenu malgré tant d'ennemis, non-feulement
par la force de nos armes & la fidélité de nos fujets, mais encore par le
zele & la valeur de la nation Françoife , nous avons toujours confervé
pour elle tous les fentimens que la nature & la reconnoiffance pouvoient
lions infpirer, & que les avis falutaires du Roi notre augufte aïeul , de
très-glorieufe mémoire n'avoient cefTé de cultiver & de fortifier dans notre
cœur. C'étoit par des motifs fi jufles qu'après une longue & fanglante guerre,
pour procurer le repos à deux peuples qui nous étoient fi chers, & qu'un
intérêt commun fembloit avoir réunis à jamais , nous avons bien voulu
confentir au démembrement de notre Monarchie ^ renoncer à l'exercice
de nos droits naturels fur la couronne de France.
II ne tenoit qu'à l'Archiduc d'Autriche d'affurer de fa part la tranquillité
de l'Europe » en faifant avec nous une paix folide & durable ; il pouvoit
en renonçant aux chimériques prétentions qu'il avoit formées fur notre
couronne , s'afTurer à lui-même la pofTeffîon paifible des Etats ufurpés fur
nous, mais ce Prince qui n'a traité avec la France que par force & pout
9+ G E L L A M A R E. (N. Prince de)
avoir le temps de fe préparer à de nouvelles hoHilités contre tioiis, a mieuit
aimé conferver fes faux titres & nourrir Tes pernicieux deifeins , que de
concourir avec nous au bien général de la Chrétienté , même dans le temps
qu'elle étoit attaquée par les infidèles. i ;
Nous avons foufFert le plus long-temps qu'il noys a été pofTible les in-
fraâions criantes qu'il a fait au traité de l'évacuation de la Catalogne &
de Majorque : il efl inutile de les répéter ici^ puifqu'elles font connues de
tout le monde ; mais enfin fa conduite que notre patience rendoit tous les
jours plus orgueilleufe , ayant paffé toutes les bornes de la raifon , nous
avops cruqt^'il étoit de notre devoir eflentiel de reprendre par les moyens
que Dieu nous a mis, en main les pays de notre domination , dont il s'étoit
rendu maître par la fraude & par la violence. Nous avions lieu d'efpérer
que toutes les puifTances , avec qui nous avons traité dans le congrès d'U-
trecht, & qui lavent avec- quelle fidélité nous avons oblervé tous les arti«
des dont nous étions convenus» nous aiderotent à venger notre injure» bien
loin de fe déclarer pour celui qui nous avoit infulté, d'autant plus que les-
garanties refpe^ives engageoient par des fermen$ folemnels à ne pas per«-
mettre de pareils contraventions; cépendant^ aujourd'hui nous voyons avec
étonnement que ces garans de nos traités » s'en déclarent eux - mêmes les ;
premiers infraâeurs y que par une confpiration fans exemple» ils renver«-|
lent à force ouverte ces mêmes conditions qu'ils ont exigé de nous , & que
voulant favorifer en tout notre ennemi qui , par fon infatiable ambition ,
devroit être regardé comme l'ennemi commun de l'Europe» ils femblenc
avoir oublié non^feulement toutes les loix de l'honneur» mais leurs propres
intérêts » pour s'enrichir de nos dépouilles au lieu d'entrer avec nous en
négociation réglée & dans les formes ordinaires» ainfi que nous l'avons
toujours pf^rt » ils nou$ ont porté des conditions affreufes comme une loi
tpute écrite çn noqs menaçant de la guerre fi nous ne les acceptions fer-
vilement.
Après avoir fenti comme nous » de quelle importance il étoit pour la
liberté de l'Europe & de fon commerce» que la Sicile ne paflfe jamais au
pouvoir de la Maifon d'Autriche» ils commencent par vouloir livrer ce
Royaume à l'Archiduc & offrent au polTeffeur de cette Ille , celle de Sar-
daigne qui nous appartient & que nous avons reconquife , comme s'il leur
étoit permis de le dédommager à nos dépens. Mais fi cette conduite doit
nous paroitre odieufe de la part dç l'Angleterre & de ceux qui pourroient
fe jomdre à elle contre nous » que devons - nous penfer du Prince qui
n'étant que dépofitaire de l'autorité Royale en France» ofe s'en prévaloir
& fe liguer avec les anciens ennemis des deux Couronnes» fans avoir con-'
fuite iii la nation Françoife ni les Parlemens du Royaume» & fans avoir
même donné le temps aii Confeil de Régence d'examiner la matière pour
en délibérer mûrement?
11 a vu après la mort du Roi Très-'Chrétien notre aïeul avec quelle tranr
C E L L A M A R E, (N. Prince de) 9c
quîUité nolis l'avons laiiTé prendre pofleflion de la Régence pour gouverner
le Royaume de nos pères pendant la minorité du Roi notre très-cher ne-
veu fans lui &ire le moindre obftacle , & que nous avons toujours perfévérë
dans le même filence ^ parce que nous aurions mieux aimé mille mis mou-
rir que de troubler le repos de la France , & d'inquiéter le refte de l'Eu-
rope , Quoique les loix mndamentales de ce Royaume nous en donnent
l'adminiitration ' préfërablement à lui.
Nous avons dépuis entendu les. plaintes qui fe faifoient de tous côtés
contre Ton Gouvernement, fur la diflipation des finances, l'oppreflion des
peuples , le mépris des loix & des remontrances juridiques : quoique nous
fumons vivement touché de ces défordres , nous avons cru en devoir cacher
le déplaiiîr aii fond de notre cœur ^ & nous ne fortifions. pas aujourd'hui du
iilence ni.de la modération qup nous nous étions prefcrite, iLle Duc d'Or-
léans n'étoic forti lui-même oe toutes les règles de la juftice & de la na-
ture, pour nous opprimer, nous & le Roi notre trésrcher neveu. . :
En effet comment pouvoir foufFrir plus long-temps des traités oii l'honneur
de la France & les intérêts du Roi ion pupille font facrifiés, quoique faits
au nom de ce jeune Prince, dans l'unique vue de lui fuccéder; & fur-
tout après avoir répandu dans le public des écrits infâmes qui annoncent
fa mort prochaine , & qui tâchent d'infmuer dans les efprits la force des
renonciations , au-delfus des loix fondamentales. ^ Un procédé fi contraire à
ce que toutes lés loix divines & humaines exigent d'un oncle , d'un tu-
teur , & d'un régent auroit dû feul exciter notre indignation par l'intérêt
3ue nous prenons tant au bien de la nation Françoife qu'à la confervation
u Roi notre très-cher neveu , mais un fujet qui nous touche encore plus
perfonnellement , efl l'alliance qu'il vient de fîgner avec l'Archiduc &
l'Angleterre, après avoir rejette l'ofire que nous lui faifions de nous unir
enfemble. Au moins devoit-il obferver une exade neutralité, s'il la croyoit
néceflàire au bien de la France } mais voulant faire une ligue , n'étoit-il
pas plus raifonnable de fè liguer avec fon propre fang , que de s'armer
contre lui en faveur des ennemis perpétuels de notre Maifon.
Cette indigne préférence ne déclare que trop à tout l'Univers fon opiniâtreté
dans le projet ambitieux dont il efl uniquement occupé , & dont il veut
acheter le fuccès aux dépens des droits les plus facrés.
Ce n'efl pas ici le lieu dç dire que par cet acharnement aveugle à fuivre
des prétentions qui ne lui avoient point été difputées, il compte pour
rien de plonger les deux nations dans les derniers malheurs ; nous voulom
ieulement vous £iire entendre que la conduite injurieufe du Duc d'Orléans
ne diminuera jamais notre fincere afïëâion pour vous.
Nous ne pourrons oublier que nous avons reçu le jour dans votre fein ,
que vous sous avez aflTuré la Couronne que nous portons, au prix de votre
iang. Rien ne fera capable d'éteindre dans notre cœur la tendreflè que
oous fentons pour notre très*cher neveu votre Roi, . Et û le Duc d'Orléans
^ CE X L A M. ARE. (K. PririU :dc )
nous rëduic à la cruelle nëcèiBté de défendre nos droits par les armer j^
contre Tes attenuts , ce ne fera Jamais contre vous que nous les porterons ^
bien perfuadé que vous ne les prendrez jamais contre nous.
Ce ne fera au contraire que pour tirer )e Roi notre très-* cher neveu ^
de l'oppreflion, où le Régent le tient avec tous fes fujeltS| par les plus
grands. abus qui fe foient jamaisbfût de l'autorité confiée/
Ce ne fera que pour procurer i'affemblée ides Etats^Génériinc , qui feule
peuvent remédier aux : maux pcéfens , & pnéveair ceux dont on n^eft que
trop vifiblement menace ; nous vous exhortons à feconder nos juftes intei^
tions & à vous unir à nous daitt une vue (i faiutaire au repos public.
Nous efjpérons tout de votre zete pour le Roi votre maître , de votre
amitié pour nous , £c de rattachement que vous avez \ vos lotx & à votre
patrie^: fur ce nous prions Dieu qu'il vou^^att, chers & bien aimés , en
•ik: feinté & digne garde. Donn^ au Monafteré Royal de Se, Laurent >
le 6 de Septembre 171 8. ^
PHILIPPE.
Et plus bas.
D. Miguel Fernandbs. Duk and.
N». VI.
Prcttndiu Requête ^ fue Von fuppofoit préfeatée au' Roi Catholique ^ ait
, nom des trois EttUs de France.
Sire,
O u S les Ordres du Royamne de France viennent fe jetter aux piedv
de Votre Majefté pour implorer fon fecours dans l'état ou les réduit le
Gouvernement prêtent : elle n'ignore pas leurs malheurs , mais elle ne les
connoit pas encore dans toute leur étendue.
Le relpeâ qu'ils ont pour l'autorité Royale dans quelque main qu'elle
fe trouve & de quelque mîaniere qu^on en ufe , ne leur permet pas d'en-
vifager d'autre mpyen d'en ibrtir que par les fecours qu'ils ont droit d'ab-
tsndre des bontés de V. M.
Cette Couronne eft le patrimoine de vos pères , celui qui la porte ^'
rient à vous , Sire , par les Hens les plus fons , la nation regarde toujoun
V. M, comme l'héritier préfomptif.
Dans cette vue elle fe flatte àe trouver dans votre cœur les mêmes fef»-
rimens qu'elle aiuroit trouvé dans le cœur de feu Monfeigneur, qu'elle pleure
^encore tous les^ jours. .Dans cette vue elle vient expoifer à vos yeux tous
CELLAMARE. (N. Prina de) ^
fes malheurs êc implorer votre afliftance. là Religion a toujours été le
plus ferme appui des Monarchies ; V. M. n'ignore pas le zèle de Louis-le-
Grand pour la conferver dans toute fa pureté. Il femble que le premier
loin du Duc d'Orléans ait été de fe faire honneur de Pirréligion. Cette
Irréligion Ta plongé dans des excès de licence, dont les fiecles les plus
corrompus n'ont point eu d'exemples, & qui en lui attirant le mépris &
l'indignation des peuples, nous fait craindre à tout moment pour le Royau-
me, les chàtimens les plus terribles de la vengeance Divine. Ce premier
pas femble avoir jette , comme une jufle punition , l'efprit d'aveuglement
fur toute ùl conduite : on forme des. traités, on acheté des alliances avec
les ennemis de la Religion , avec les ennemis de la Monarchie , avec les
ennemis de V. M.
Les enfâns qui commencent à ouvrir les yeux^ en pénètrent les motifs^
il n'en eft point qui ne voie , que Ton facrifie le véritable intérêt de la
oation à une efpérance que l'on ne peut fuppofer fans crime, & qu'oa
ne peut envifager fans horreur; c'efl cependant cette cruelle fuppoution
qui eft l'ame de tous les confeils, & le premier mobile de ces funeftes
traités. C'eft-là ce qui diâe ces arrêts qui renverfent toutes les fortunes »
c'e(l-là l'idole où l'on facrifie le repos de l'£tat. A la lettre, Sire, on ne
paie plus que le feul prêt des foldats , Si les rentes fur la ville , pour des
raifons qu'il eft aifé de pénétrer : mais pour les appointemens des Officiers^
de quelque ordre qu'ils foient, pour les penfions acquifes au prix du fang^
il n'en eft pas queftion.
Le public n'a reffenti aucun fruit , ni de l'augmentation des monnoies ^
ni de la taxe des gens d'affaires. On exige cependant les mêmes tribus
que le feu Roi a exigé pendant le fort des plus longues guerres; mais
dans le temps que le Roi tiroit d'une main , il répandoit de l'autre , &
cette circulation faifoit fubfifter les grands & les peuples.
Aujourd'hui les étrangers, qui fa vent flatter la paftîon dominante, con-
Aiment tout le patrimoine des enfans.
L^unique Compagnie du Royaume qui ait la liberté de parler , a porté
/es remontrances refpeftueufes au pied du trône ; cette Compagnie dans
laquelle on a reconnu le pouvoir de décerner la Régence , à qui l'on s'eft
«ireffé pour la recevoir , avec laquelle on a ftipulé en la recevant de fes
aains , à laquelle on a promis publiquement & avec ferment que l'oQ ne
ouloit être mainre que des feules grâces , & que pour la réfolution de$
flaires, elle ferait prife à la pluralité des voix dans le Confeil de Régence;
1 ^sn-feulement on ne l'écoute pas dans fes plus fages remontrances, mais
^vi exclut des Confeils, les fujets les plus dignes, d'abord qu'ils repré^
t«iîtent la vérité ; non-feulement on ne l'écoute pas , mais la pudeur em-
Tome XL
e E L L A M A R R ^{N. Prince de )
Hes Etats de Bretagne tëgittmement convoqués ont demanda qu^it leur fôt
permis de faire rendre compte à un Tréforier très-fufpeâ| afin de mettre
ordre à l'adminiflration de leurs finances, on leur en a fait un crime d'Etat «
on a fait marcher des Troupes , comme on les fiiit marcher contre des
rebelles.
Enfin, Sire, on ne connoit plus de Loix : ces Edits qui confacrent en-
core aujourd'hui la mémoire des Rois vos aïeuls , ces Edits rendus avec tant
de fagefTe pour conferver la fainteté des mariages, & l'état de toutes les
familles , on s'en joue ; une Lettre de cachet les renverfe : quelles fuites
une telle conduite ne fait-elle pas envifager f que ne fait-elle pas craindre !
Nous ne nous flatterons pas vainement , Sire , en nous perfuadant , que
nous entendrons de votre bouche ces paroles de confolatioo : Je fens vos
maux , mais quel remède y puis^je apporter?
J 11 eft entre les mains de Votre Majefté : quoique revêtue d'une Cou-
ronne , elle n'en eft pas moins Fils de France , & fes droits font encore
mieux établis par le refpeâ & l'attachement des Peuples, qu'ils ne le font
par la Loi du Sang. Comme oncle du Roi pupille, qui peut difputer i
Votre Majefté le pouvoir de convoquer les Etats , pour aviler aux moyens
de rétablir l'ordre , la tutele & la Régence ? n'appartenoit-elle pas de droit
à Votre Majefté? il n'eft pas fans exemple qu'un Prince Etranger ait été
tuteur d'un pupille; fans fortir hors de chez nous, Baudouin, Comte de
Flandres n'a-t-il pas eu l'Adminiftration du Royaume de France , & la tu-
tele de Philippe I, fils d'Henri I? Votre Majefté n'auroit pas manqué de
raifons , fi elle avoit voulu attaquer la prétention du Duc d'Orléans. Audi
toute la France a-t-elle fenti que Votre Majefté , loin de confulter fès
Droits, n'a envifagé que le repos de l'Etat, dans la confiance d'une fage
adminiftration , & toute la France a reconnu dans cette conduite le cœur
d'un véritable Père.
Votre Majefté peut s'afturer de fon côté , que tous les cœurs voleroient
armée de dix mille hommes , quand on fuppofera que le Duc d'Orléans
paroitroit à la tète d'une armée de 60 mille hommes ; Votre Majefté peut
^'afturer que cette armée , fur laquelle il àuroit compté , & qui ne fèrvira
qu'à le féduire, fera la première à prendre vos ordres.
Il n'y a pas un Officier qui ne gémifte , il n'y a pas un fotdat qui ne
fente l'iniquité & la perverfité du Gouvernement , il n'y en a pas un qui
ne vous regardât comme fon Libérateur. Tous s'eniprefferoient d'aller recon»
Tioître, d'allcf admirer en vous le fils de ce Prince fi cher, qui règne to»-
joufs dans les cœurs v que pouvez* vous jamais craindre, ou du Peuple, oa
îàt la Noblelfe, quand vous viendrez mettre leur fortune en fureté? votre
armée eft donc toute prête en Frïmcé , & Votre Majefté peut s'afliuret d'y
C E L L A M A R E. (N. Pnnet dt) 99
être auffi puîflant que fut jamais Louis XIV. Vous aurez la conibladôn de
Vous voir acclepter d'une Commune voix pour Adminiftrateur & Régent,
ou tel que votre fagelle jugera plus. convenable y ou de voir rétablir avec
honneur le Teilament du feu Roi votre Augufie aïeuK
Far-là vous verrez , Sire , cette union fi néceffaire aux deux Couronnes ;
tt rétablir d'une manière qui les rendroit l'une & l'autre inébranlables à
leurs ennemis ; par-là vous rétablirez le repos d'un peuple qui vous regarde
comme fon Père , & qui ne peut vous être indifférent. Par-là vous pré«
viendrez les malheurs , qu'on n^ofe feulement envifager , & que l'on nous
force de prévoir. Quels reproches Votre Majefté ne fe fèroit-elle pas à
elle-même , fi ce que nous avons tant de fujet de craindre , venoit à
arriver}
Quelles larmes ne verferoit-elle pas, pour n'avoir point répondu aux
vœux de la Nation , qui fe jette à fes pieds , & qui implore fon fe-
cours ? Nous fouhaitons nous tromper , mais Ton nous force à craindre ,
du moins nos craintes prouvent notre zele pour un Roi qui nous efl cher.
Si Votre Majefté , dont nous reconnoiifons les vues très-fupérieures , ne
ttouvoit pas à propos de répondrp à nos vœux , au moins ppurroit-elle
fe ièrvir de notre requête pour rappeller à lui-même , & pour faire ren--
crer dans les véritables intérêts de la France , un Prince qui fe laifle aveu-*
gler, quoique l'on foit forcé de Vous repréfenter que l'on ne peut s'en riea
promettre.
Le Minière de Votre Majefté dans cette Cour peut l'aflurer que l'on
n'avance rien ici qu'il n'ait lu dans tous les cœurs. Ainfi Votre Majefté n'a
rien à craindre d'une Nation qui lui eft toute dévouée , & doit tout fe
promettre de la Nobleffe Françoife.
N^ V I I.
BitUt du Cardinal Alhtroni au Prince de Cellamare , joint à une de fcs
Lettres à cet Amhajfadeur^ du tjf. Décembre tji8.
QUelqu'avis que l'on reçoive de ce qui s'eft paffé à l'égard du Duc
de St. Aignan {a) y ce ne doit en aucune manière être un exemple
i)our en ufer de même envers Votre Excellence. Il a été néceflaire avec
ui de prendre ce parti , parce qu'il avoir pris cjiogé , parce qu'il n'avoît
plus de caraâere , & à caufe de fa mauvaife conduite. Votre Excellence
continuera d'être ferme à demeurer à Paris» & elle n'en fortira que lorf-
Qu'elle y fera connrainte par la force. En ce cas il faudra céder , en fai-
sant auparavant les proteftations requifes au Roi Très-Chrétien » au Parlé-
es) On Tavoit obligé de fortir de Madrid en vixigt-qttatre heures;
N 2
,b# C E L L A M A R E. (2V. Prince de)
ment & \ tous les autres qu^il conviendra , fur la violence que le Couver^
nement de France exerce contre la perfonne & le caraâere de Votre Ex-
cellence.
Suppofë quelle foit obligée de partir , elle mettra auparavant le feu à
routes les mines.
que le nommoit le rrince de Cellamare. U'eit pourquoi renonçant
la modération dont il avoit ufé jufqu^alors avec PEfpagne , i! propofa dans
Te Confeil de Régence de prévenir les entreprifes du Cardinal Alberoni &
de fes ouvriers , & de déclarer la . guerre à cette Couronne , ce qui fut
au(fî-tot réfolu , & Ton employa une des meilleures plumes du Royaume
à compofer le manifefte fuivant en forme de déclaration de guerre.
Manifejle fur Us fujcts de rupture entre la France & PEJpagne.
L
Es Rois ne font comptables (a) de leurs démarches qu'à Dieu mê*
me , dont ils tiennent leur autorité. Engagés indifpenfablement à travaillée
^u bonheur de leurs peuples , ils ne le font pas à rendre raifon des moyens
qu'ils prennent pour y réudîr , & ils peuvent au gré de leur prudence ca-
cher ou révéler les myfteres de leur gouvernement. Mais des qu'il im-*
porte à leur gloire & à la tranquillité de leurs peuples , qui n'en peut être
(ëparée , que les motifs de leurs réfolucions foient connus , ils doivent agir
à la face de l'univers , & faire éclater la juftice qu'ils ont confultée dans
le fecret.
Sa Majefté , conduite par les confeils du Duc d'Orléans régent , s'eft
true dans cet engagement , & elle ùit gloire d'expofer à fes fujets & à
toute la terr« , les raifons qu^elle a eues d'entrer en de nouvelles liaifons
avec plufieurs grandes Puiflances pour la pacification entière de l'Europe,
pour la fureté particulière de la France, & pour celle même de l'Ëfpagne,
qui méconnoiflant aujourd'hui fes vrais intérêts, trouble la tranquillité coni-
mune par l'infraâion des derniers traités.
Sa Majefté n'imputera jamais cette infraôion à un Prince , qui , recom-
mandable par tant de vertus , Teft particulièrement par la fidélité la plus
religieufe à fa parole ; & ce ne peuvent être que fes Miniftres , qui Tay ant
(a) Chacun ne convient pal de ce principe , qui pour trop comprendre ne prouva
rien ; cela fe peut à Tégard de quelques Souverains entièrement derpotiques , mais non à
i'éeard de tous les Rois. Le defpotifme eft une tyrannie, & n'eft pas le pouvoir propre
à la Royauté, c*e(l un pouvoir ufurpé; on a été étonné de voir fortir ce principe de la
plume d'un Auteur auili judicieux , & qui par oit tant refpeâer la liberté.
CELLAMARE. (N, Prinu dt) içi
engagé trop légèrement , favent lui faire de cet engagement même une
raitôn & une néceflîté de le foutenîr.
Sa Majefté, dans les mefures qu'elle a prifes , s*efF proporii de fatisfaire
également à deux devoirs ; i l'amour qu'elle doit à Ion peuple , en pré-
venant une guerre avec tous fes voifins , dont il ëtoit menacé ; & à l'a-
mitié qu'elle doit au Roi d'Kipagne , en ménageant conftamment fes in-
térêts & fa gloire , qui feront toujours d'autant plus chers à la France,
qu'elle les regarde comme le prix de fes longs travaux & de tout le fang
qu'il lui en a coûté pour le maintenir fur fon trône.
Ces intentions de Sa MajeHé fe reconnoîtront fenfiblement & fans intcr-
ïuption 8ans tous les faits qu'on va expofer.
On fait que dans le cours de la dernière guerre , la France avoît été
réduite par fes difgraces à la dure néceffité de confentîr au rappel du Roi
d'Efpagne ; & elle en auroîi fans doute éprouvé la douleur , n U provi-
dence , qui changea les événemens & les cœurs , n'eut épargné cette in-
jurtice à nos ennemis.
On reconnut à Utrecht les droits du Roi Catholique ; mais l'Empereur ,
quoiqu*abandonoé de fes alliés , ne pouvoir encore renoncer à fes préten-
tions. La prife de Landau & de Fribourg ne put raéme l'y réduire; & 1(
lèu Rot de glorieufe mémoire , qui au milieu de Tes derniers fuccès , fen-
loît l'extrême befoio que fes peuples avoient de la paix, ne la conclut
[U*aprés avoir fait propofer à TËmpereur dans la négociation de Rafiadt»
e travailler à un accommodement entre lui & te Roi d'Rfpagoe. {a).
Il avoic toujours en vue d'achever fon ouvrage . & d'étoufièr les femeoces
de guerre , que le traité d^Utrecht avolt lunées dans l'Europe , en ne ré-
glant que provtfionneltement & fans le concours de l'Empereur les intérêt*
de ce Prince & du Roi d'Ëfpagne.
Le deffein de cimenter la paix par une conciliation entre ces detu Prin-
ces, fut infmué \ Bade le (b) if Juin 1714 au Comte de Goes , & com-
muniqué le (c) 7 Septembre fuivant au Prince Eugène de Savoye, qui
afTura que l'Empereur ne s'en éloigoeroit pas. Après la fignature du traité
de Bade , le Roi chargea le Maréchal de Villars {d) de fuivre avec le
JPrJnce Eugène le même objet. Et lorfque le Comte du Luc (e) fiii
nommé pour être Ambafladeur du Roi auprès de l'Empereur , il fut par-
ticulièrement chargé par fon inflruâion d'agir félon fes vues.
Le Roi d'Ëfpagne avoic repréfenté fouvent au fèu Roi par des lettres
Àn-iies de fa main, que fon état n'étoit point afîliré par les traités d'Utrecht.
(tf } Inftmâion ponr les Plénipotemiairei du Congrtf de Bade , it 15 Avril 1714.
i.b) Lettres des Plfnipotentiaires de Bade au Roi, du i; Jain 1714.
!é) Lettre du Maréchal da Villats au Roi, du 7 Septembre 1714.
d) Mémoire donné de la part du Roi au Maréchal de Villars, le 15 Septembre I7M>
( ( ] laÂruôion pour le Conte du Luc allant à Vienoe > du 3 Janvier i7i$>
l
,oi CE L L A M A R E. {N. Prince de)
Vous jugerei aifcmenty difoit-il dans une de fes lettres du i5 Mai 171} ;
que la paix dont tout le monde défire également la jhlidité , ne peut être
fiable , fi P Archiduc » qui rrUa difputé la Couronne d^Efpagne , ne nCen rt^
connoit le légitime Roi.
Vous fiivei^^ écrit ce Prince dans fa lettre du 31 Janvier lyt^^gue pai
rempli tous les Préliminaires ^ & que je fuis prêt à conjentir que Naples^
le Milane[ & les Pays-Bas refient à V Archiduc ^ comme J€ Pal fait de la Si-
cile en faveur du Duc de Savoye , de Gibraltar & de PIfie de Minorquc en
faveur des Anglois^ & que je fuis aufii prêt à le faire de la Sardaigne enfa^
veur de PEledeur de Bavière. V Archiduc doity moyennant ces conditions^
^ renoncer à ce qui me refie de la Monarchie ^Efpragne. Ainfi nous r^avons
plusj ni lui ni moi y rien à prétendre fun conttt Pautre.
Je me flatte y dit le Roi d'Efpagne dansfa lettre du 17 Mai 171 4 ^ que
connoijfant de quelle importance il efi de faire départir V Archiduc de toutes
prétentions fur CEfpagne & les Indes , vous me mettre^^ en état d^établir des
conditions folides pour en jouir paifiblement.
' Ce Prince ne fe. croyoic afFermi fur le trône d'Efpagne & des Indes, que
par la renonciation folemnelle de l'Empereur à fes prétentions; & il n'in*^
fifioit fi vivement iîir cette fureté , que parce qu^il en avoit reconnu l'im*
portance par les extrémités , oh l'avoient réduit les événemens de la guerre ,
excitée par les prétentions de l'Empereur. C'étoit audi tout ce qu'il deman-
doit au feu Roi , comme le gage te plus fenfible de fon amitié paternelle ,
& comme le dernier e(Fort dont il devoit couronner tout ce que la France
avoit fait pour fes intérêts. Le feu Roi travailloic avec toute la vivacité d'un
per& à la iktisfàâion de fon petit-iils. Mais comme l'Empereur paroiffoit
inébranlable , & que d'ailleurs un refie de défiance répandu dans l'Europe ,
une opinion générale que la paix ne pouvoit pas durer ^ & qui retenoic
encore la plupart des Puiflances armées, la guerre du Nord, & les chan'-
gemens arrivés dans la Grande-Bretagne, faifoient craindre que le feu ne fe
railumàc bientôt ; il falloir prendre encore de nouvelles mefures pour le
prévenir.
C'efl dans ces conjonâures que le feu Roi fut enlevé à la France. Sa Ma-
jefté n'oubliera jamais ces avis fi importans & fi falutaires qu'il lui donna
dans les derniers momens de fa vie. Elle en veut faire la règle invaria-
ble de fon règne , & l'on va voir qu'elle y a mefuré jufqu'ici toutes fes
démairches.
De longues guerres avoîent laiflë contre nous dans l'Europe des refies
d^aliénation & de haine qui ne cherchoieut qu'à fe ranimer , & nos voifins^
encore pleins de la jaloune & àts frayeurs qu'ils avoîent eues fi fouvent de
nos profpérités, & même de nos reflources dans nos plu^ grandes difgra*
ces , fongeoient déjà , pour achever de nous abattre , à profiter de la mino«
rite du Roi ,• & de l'épuifement du Royaume dont nous nous plaignions nous*
mêmes affez hautement , pour inviter nos ennemis à tout entreprendre. L'an-
îo4 C E L L A M A R E. ( N. Prince de )
eut donné part inutilement au Roi d^fiPpagne, & qu'il fe fut itfluré de la
répugnance invincible du Miniilre à tout projet d*union. ,
Mais quelque favorable que fût cette alliance au^ repos public, elle ne.
fuppléoit point ce qui manquoit à la perfeâion des traités d'Utrecht & de
Bade , parce que les difFérens entre TEmperetir & le Roi d'Efpagne n^ ayant
pas ère réglés , l'Europe étoit toujours dans l'incertitude de fa fituation j &
en danger d'être replongée dans la guerre par la première hofiilité de part
ou d'autre. L'Italie feule pouvoir fe flatter de quelque repos à la faveur de
la neutralité qui y avoit été établie par dés traités & des engagemens qu'oa
regardoit comme un premier pas & un degré qui pouvoir conduire à la.
paix. Mais , quoique la neutralité fut véritablement une loi à laquelle cha-*
cun de ces deux Princes s'étoit (bumis, le bien de l'Europe en vouloir uiie
plus fûre & plus folemnelle , qui fût autorifée par le confentement réci*-
proque des deux concurrens, oc maintenue par des garants tels qu'on n&
pût pas l'enfreindre impunément. Une telle loi ne pouvoit être qu'un traité
de paix , qui terminât à jamais les conteftations entre l'Empereur & le Rot
d'Efpagne.
Le Roi de la Grande-Bretagne voulut tenter de procurer un Ci grand
bien à l'Europe , & s^en ouvrit à Sa Majeflé. Elle vit avec plaifir les in-
tentions du feu Roi revivre, & elle crut que c'étoit agir pour un Prince
auquel Elle eft étroitement unie par les liens du fang^ que de favorifer
l'exécution de tout ce que la tendreffe paternelle avoit projette pour lui-»
même fi pofitivement & fi inftamment. Mais Sa Majefté, qui avoit déjà
éprouvé en différentes occafions» que ce qui pouvoit convaincre le Roi
d'Ëfpagne de fon amitié » ne trouvoit plus le même accès auprès de lui ,
n'en put plus douter lotiqu'Elle vit que le Marquis de Louville, qu'elle
avoit envoyé au Roi d'Ëfpagne pour lui faire connoltre fes véritables fen«
timens & lui communiquer des chofes importantes aux deux Couronnes,
avoit été renvoyé fans être écouté , malgré l'attachement particulier i qu'il
avoit à la perfonne & à la gloire de ce Prince. Ainfi trop inftruite par
l'expérience , qu'on rendroit fufpeâ à Madrid tout ce qui viendroit de fa
part , Elle pria le Roi de la Grande-Bretagne d'agir lui-même à Vienne &
a Madrid pour le fuccès de ce grand deflein, d'autant plus qu'EUe n'étoit
point autorifée à traiter des intérêts du Roi d'Ëfpagne , & qu'il convenoit
d'ailleurs à la dignité d'un fi grand Prince de les difcuter lui-même.
V-* Le Roi de la Grande-Bretagne fit en même-ternps les odvertures de fes
vues à Vienne & à Madrid. Elles furent reçues aflfez favorablement à Ma-?
drid, tant que la feinte fervit à cacher les entrepri fes qu'on y méditoit ^
& rejettées enfuite avec peu de ménagement dès qu'on crut avoir moins
'd'intérêt de feitidre. On ne trouva à Vienne des difpofitions à aucun ac-
commodement, qu'à condition que la Sicile, qui avoit. été jufqu'alors ua
obftacle infurmontablê à toutes les propofitions de conciliation , ferôit re-
mife à l'Empereur, parce qu'il la jugeoit- abfolumept péccflaire à la çon--
'^ fervation
C E L L A M A R E. (N. Prince de) 105
fenrtdoM du Royaume de Naples. Mais à ce prix on efpéroit que le Roi
Cadioliqae (eroit reconnu par l'Empereur , légitime poflèfleur de PEfpagne
& des Indes; & de plus, ce qui écoit pour lui un avantage nouveau, aue
l'Empereur confentiroit que les fucceflions db Parme & de Plaifance ru&
fenc aiTurées aux enfàns de la Reine d'Efpagne.
Les difficultés de cette négociation ne dévoient point nuire à la neutralité
d^talie établie par le Traité dlJtrecht du 14 Mars 171 3, renouvellée &C
confirmée par celui de Bade. L'Empereur & le Roi d'Efpagne paroiflbienr
cux-niêmes avoir pris des précautions pour s'afTurer qu'elle ne feroit pas
interrompue. Le Roi d'Efpagne avoir eu foin avant la guerre de Hongrie ^
de faire fouvenir le Roi de la Grande-Bretagne qu'il étoit garant des en-
^gemens pris à Utrecht pour la neutralité d'Italie \ & l'Empereur de fbn
«oté , lorfque les Turcs le mirent en campagne , avoit engagé le Pape à
demander au Roi d'Efpagne une parole pofitive qu'il ne profiteroit pas
contre l'Empereur, de la guerre que les Turcs venoient de lui déclarer.
X^'iotérét du Roi d'Efpagne fe trouvoit conforme à cette promefTe, car il
«voit été inflruit par le Roi de la Grande-Bretagne du traité conclu à Lon-
dres le 25 Mai 17 16, entre l'Empereur & ce Prince, portant une garantie
des États de l'Empereur en Italie, &.une promefle exprefTe de lui donner
des lecours , en cas qu'ils fufTent attaqués. En6n , la piété fi connue du
Roi d'Efpagne rafTùroit encore plus que fon intérêt.
rout à la fois^ à Ton intérêt, & à fon zde pour la religion. Cependant cette
entreprife éclata, & l'on apprit qu'un armement fait des fonds levés fur les
l>îeiis ecdéfiâfiiques & deflinés pour fomenir la gloire du nom Chrétien ,
alloit ftrvir à violer les traités. Il ne faut pas de plus grande preuve, que
les mauvais confeils & la trop grande puiilknce du Miniflre prévalent en
Efpagoe fur les intentions & les vertus de fon Roi.
Sa Majeflé alarmée d'une démarche fi dangereufe, envoya aufli-tôt un
exprés nu Duc de St. Aigilan , qu'elle chargea de repréfenter* vivement au
Roi d'Efpagne les dangers o& il s'expofott; oc ce qui devoit faire plus d'im-»
predioti (ut lui/ l'injuftice de fon entreprife. Elle le prioit, pour la tran-*.
Suillité cdmmttne de l'Europe & pour fes intérêts perfonnels, de rentrer
ans ces vues de conciliation, que le feu Roi fon grand-pere, & après lui
le Roi de la Grande-Bretagne avoient déjà projettées entre lui & l'Em-
pereur. Quelques jours après Elle ordonna encore au Duc de St. Aignan,
d'agir de concert avec le Miniftre d'Angleterre qui avoir reçu les ménies;
ordres, pour engager le Roi d'Efpagne à autorifer fon Ambafladeur à Loa«
dres, ou à, y faire pafTer un autre Miniflre qui traitât des moyens de réta-
blir folidement la paix. Le Colonel Stanhope venoit d'arriver à Madrid»
chargé plus particulièrement des mêmes infiances. Le Roi de la Grande^
Tonn XI. O
ie# . C E L L A M A R E. (N. Prince dey
Bretaene fie favoîr en même-temps à Sa Majefié que comme le mal pref*
(bit, il ne fàlloit pas perdre le temps ées/remeées; ^ils nepoirrokacnjur
ire que du concert unanime des Puiflances impartiales, & qu'il k. prioh
d'envoyer un Am.bafladeur à Londres , ou fur fes inûances , l'Empereur
avoic audi confenti d'envoyer uo Miniftre. Sa Majefté y envoya l'Abbé du
Bois \ & attentive aux intérêts du Roi d'Efpagne, auifi bien qu!à ceux de
fon Royaume, elle crut qu'elle devoir avoir dans les conférences de Lonr*
dres un Miniftre qui pût conferver au Roi d'Efpagnè des ouvertures pouv
entrer dans la négociation, dès qu'on pourroit l'éclairer fur fes intérêts.
Mais en vain lui a-t-on fait là-demis des inftances redoublées. En vain lus
a-t-on h\t efpérer d'obtenir pour lui de l'Empereur ce qu'il avoit fi fouvent
demandé lui-même. On n'a reçu de foo Miniftre que de^ refus opiniâtres-,
& fouvent même des menaces d'allumer par-tout lefiui de la 'guerre, mal**
gré toutes les mefures que l'on, croifoit prendre pour le prévenir. L'Efpagoe
fembloit regarder comme une confpiration contre elle ces fentimeos unani*
Qies de paix où eiitroient les autres Puiflances»
C'eft ilir ces refus & fur ces defleins menaçans de l'Efbagne, que le
Roi de la Grande-Bretagne fit repréfenter à Sa Majefté qu'il étoit abfolu«*
ment nécelfaire d'en arrêter les effets ; & qu'il ne s'en oSroit d'autre
moyen à la prudence des Puiflances impartiales , que > de former , pouir
concilier les intérêts des deux Princes, un plan qui pût lenv être propo*
ié ,, & procurer à quelque prix que ce f&t , leur propre tranquillité &
celle, de toute l'Europe. Cette rélolution favorifant d'un côté l'affisnfiiflè-
ment de la paix, qui étoit l'objet invariable de Sa Majefté, & donnant
de l'autre au Roi d'Efpagnè le temps & les moyens de prendre des ré-*
Solutions conformes à les intérêts ,. le iRoi l'embrafla. Mais en ordonnant
à l'Abbé du Bois d'entrer dans • un? projet fi néceflaire , Sa Majefté ne lui
commanda rien tant que de rejetter f toujours tout ce qui pourroit ilifpen^
dre pu éloigner le Concours du Roi d'Efpagnè dans cette négociaftidm
Quels combats le Roi de la .Grander>Bretagne n'eut-il pas à efluyér.avec
l'Empereur , pour ébranler fon attachement aux prétentions fur l'Bfpagne
& fur les Indes, pour vaincre fa r^ugnance à voir pafler un^f^ur les
Etats de Parme & de Tofcane eiitre les mains d'un Prince de la; Mféifeiv
d'Efpagnè, & pour amortir fon reflentiment de l'infi-àftioa des fTriaîîté»
dont il fe croyoit en droit de tirer vengeance! Ce ne fut qu*aveC une
peine infinie, qu'on vint à bout pied à pied de ces obftacles, & qu\>n
ménagea encore au Roi d'Efpagnè désavantages plus grands que ceux que
lui donnoient les Traités d'Utrecht, & par conféquent, comme on l'a vu
par fes lettres , au delà même de k% défirs.
Ainfi fe forma à Londres Le projet des conditions qui devoièat fërvîr
de fondement à une paix folide . entre l'Empereur & le Roi d'Efpagnè.
La parfeite amitié de Sa Majefté pouf ce Prince s'éroît toujours fignatée*
par les inftances qu'elle lui avoit iàites fans interruption, d'envoyer des
E
,C E r. L A M A R B. ( iV. Prince de ) ic;
Miniftres qui difcutaflent fes intérêts, par les moyens qu'elle lui avoit mé-
nagés fans relâcher, d'entrer dans la négociation, & par fes efforts conf-'
tans à lui procurer de nouveaux avantages dans le Traité même. Mais
non coDtenie de ces démarches , elle porta encore plus loin l'attention
& les égards. Elle envoya le Marquis de Nancre auprès du Roi d'Efpa-
gne pour lui fane pan du projet de Londres , tandis que le Roi de !■
Grande-Bretagne faifbit la même démarche auprès de l'Empereur.
Sa Majellé dans les cinq premiers mois du îéjour du Marquis de Nan-
cre à Madrid , repréfenta fans ceiTe au Roi d'Efpagne qu'il y alloit éga-
lement de fon intérêt & de fa gloire d'abandonner une entreprife injufie,
& d'adopter des conditions qu'il avoit , pour ainli dire , diftées lui-même
Bar fes inflances au feu Roi. Enfin , & elle (ait gloire de le dire , elle
ut demandott la paix de l'Europe au nom de la France , qui l'avoit main-
tenu fur fon trône par tant de travaux & tant de faiig , & au nom de
fes propres fujets, dont le zèle & l'attachement , peut être fans exemple,
niéritoient bien de leur Prince qu'il ne les' livrât pas aux horreurs de
la guerre.
Toutes ces ïnllances fondées fur les conditions fages du projet, n'ar-
rtcherent du Mini/tre d'Efpagne, qu'un aveu du péril où elle alloit s'ex-
pofer en réfiiiant à tant de Puilfances. Mais il affuroit en mêine-renips
que fon Maître ne fe dédfteroit jamais de fon entreprife , & il u'avoït
pas honte de rejetter fur lui le blâme de fa propre inOexibilitc. Eniîn,
Sa Majefté lui fit dire au mois de Juin dernier, que l'amour qu'EIle doit
à fes peuples, & qui doit prévaloir à tout autre lentiment, lui dtifendoiE
de différer davantage à figner le Traité avec rEmperenr & le Roi de la
Grande-Bretagne. On ajoutoit l'engagement même où étoît le Roi de U
Grande-Bretagne d'envoyer une efcadre dans la Méditerranée pour fecourir
l'Empereur. Rien n'ébranla le Miniftre , qui s'irriroit de plus en plus par
les inHances de paix , & qui menacoit de mettre en feu toute l'Europe.
Enfin le Chevalier Bing, qui commandoit les forces navales du Roi de
la Grande-Bretagne deflinces pour la Méditerrante , avant que d'entrer
dans cette mer, donna avis au Miniftre d'ETpagne, des ordres précis qu'il
avoit d'agir comme ami, fi l'Efpagne fe délilloit de lés eutreprifes con-
tre U neutralité de l'Italie, ob Q die les fufpendoit; & de s'y oppofer
auin de toutes fes forces, fi elle y perfiftoit : & le Miniftre ne laiftanc
plus aucune efpérance , lui répondit qu'il n'avoit qu'à exécuter les ordres
dont il étoit chargé.
La guerre finiffoit alors entre l'Empereur & le Ttirc , & les ordres
étoient déjà donnés pour faire pafter de nombreufes troupes en Italie:
Sa Majefté ibrcée enfin par les cirqonftances , n'héfiia plus à convenir avec
le Roi de la Grande-Bretagne des conditions qui ferviroient de bafe à ia
paix entre l'Empereur & le Roi d'Efpagne , & entre le premier de ces
deux Priocei & le Roi de Sicile : Su ce furent ces mêmes condîtioos qui
O a
ic8 C E L L A M A R E. (N. Prince dl)
formèrent le Traité figné à Londres \t% AoAc dernier, entre les MiniUre»
du Roi , de l'Empereur & du Roi de la Grande*Breugne.
Mais le Roi de la Grande-Bretagne , toujours conduit par un efpric de
conciliation & de paix , & voulant prévenir aufli la méfintelligence qui
pourroit naître entre fa Couronne & l'Efpagne, à l'occafipn des fecours
3u'il étoit obligé de donner à FEmpereur, crut encore devoir faire uo
ernier effort auprès du Roi d'Efpagne : il envova le Comte de Stanho*
pe , Pun de Tes principaux Miniftres ^ à Sa Majeité , pour pafler enfuite à
Madrid , fi elle le jugeoit à propos.
Ce fut pendant (on féjour à Paris ^u'on apprit la nouvelle de rinvafion
de la Sicile par les troupes du R<m d'Efpagne ; ce qui hâta encore le
voyage du Comte de Stanhope à Madrid. Il y arriva les premiers jours
du mois d'Août ,^ & le ' Marquis de Nancré reçut de nouveaux or-
dres pour agir de concert avec lui \ mais les vives repréfentations qu^ils
redoublèrent l'un & l'autre, fur les extrémités où l'inflexibilité du Roi
Catholique pouvoit porter les chofes ; l'afiurance qu'on lui donnoit pour
toutes iti poflcllions par la renonciation de l'Empereur, & par la ga*-
rantie des Putffances contra£bntes ; la promefle que Sa Majefté lui pro-
cureroit la reftitution de Gibraltar, qui intérefle par un endroit fi fen^
fible toute la nation Efpagnole, (a) & que fon Roi défiroit ardemment
depuis long- temps : enfin la déclaration des engagemens pris à Londres ,
& celle de la néceffité où Sa Majefté & le Roi de la Grande-Bretagne ^
fe trouvoient de les exécuter immédiatement après l'expiration des trois
mots, du jour de la fignature des Traités de Londres^ tout fut abfolu-
ment inutile. Le Comte de Stanhope partit de Madrid, avec la douleur
de voir que les offices & les foins de fon Maître pour prévenir une
Déclaration contre TEfpagne , n'avoient eu aucun eftèt : mais il eut au
moins cette confolation, que l'on n'avoit rien épargné pour vaincre l'obf-
tination du Miniftre , qui feiule étoit la caufe de la rupture & àts maux
qui la fuivroient. Cependant le Marquis de Nancré eut ordre de de-
meurer, parce que le Roi vouloir bien fe prêter encore aux plus légères
efpérances , que le Miniftre avoir l'art d'entretenir pour gagner du temps :
mais Sa Majefté reconnut enfin l'inutilité de fa.condefcendance, elle fut
peu de jours après inftruite des violences exercées fur les perfonnes &
fur les eftets des Anglois en Efpagne, au préjudice du XVIII Article
des Traités d'Utrecht entre l'Efpagne & l'Angleterre, qui fixe un terme
de fix mois pour retirer les perfonnes & les effets de part & d'autre , en
cas de rupture.
Le Marquis de Nancré étant parti de la Cour d'Efpagne, Sa Majefté,
pour fatisfaire au traité de Londres, ordonna au Duc de St. Aignan de
porter des plaintes de la violence exercée contre les Anglois ^ & elle lui
(4) Lettre du Roi d*£fpaane au feu Roi du %% Avril 1711.
CELIAMÂRE. (N. Prince ic^ 109
prefcrivic de déclarer , que le terme de trois mois laifTé au Roi d^Efpagne
pour accepter les conditions qui lui ont été refervées , devant expirer le %
de Novembre , il ne pouvoit s'empêcher de demander à ce Prince une
réponfe décifive : & le Roi d'Ëfpagne ayant perfide dans fon refus, il a
pris fon audience de congé.
On n'a parlé jufqu'ici qu'en général , des conditions refervées au Roî
d'Efpagne; mais il faut les expofer plus précifément, pour en faire fentir
d'autant mieux , non- feulement l'avantage commun ^ mais encore l'avan-^
tage particulier de ce Royaume»
JLi ' Empereur renonce formellement tant pour lui que pour fes héritiers,
defcendans & fuccejfeurs mâles & femelles , à la Monarchie dEfpagne &
des Indes , & à tous Us Etats dont le Roi Catholique a été reconnu lé-
gitime pojfeffeur par les traités dUtrecht ; & il s^engage de fournir dans
ta meilleure forme les aSes de renonciations nécejfaires.
//• Les fuccejfions aux Etats du Duc de Parme & du Grand- Duc de
Tofcane , pouvant exciter de grandes contejlations & une nouvelle guerre en
Italie, parce que la Reine dEfpagne prétend y être appellée par fa naif-
fance , Ù que H^mpereur foutient que le droit den difpofer au défaut dhé^
ritiers mâles , lui appartient & à P Empire : il a été ftipulé que ces fuccef"
fions venant à vaquer par la mort des Princes pojfejfeurs fans héritiers /n4-
les , le fils de la Reine & fes defcendans mâles , & à leur défaut le Jecond
fils & les autres cadets de ladite Reine avec leurs defcendans mâles , fuccé-^
deront dans tous lefdits Etats qui feront reconnus fiefs mafculins mouvans
de r Empire , & qu^il en fera donné au fils de la Reine qui devra fuccéder,
des lettres d^expeâative , contenant Vinvefliture éventuelFe. Et pour fureté de
Vexécntion de cette difpofition , il doit être établi par les cantons Suiffes ,
des garnifons dans les principales places de ces deux Etats ^ favoir a Li^
vourne , à Portoferraro , à Parme & à Plaifance , à la folde des média--
teurs , avec ferment de les garder & défendre fous Pautorité des Princes
régnans ^ & de ne les remettre qu'au Prince fils de la Reine dEfpagne ,
lorfque ces fuccef[iohs feront ouvertes.
IIL II a été ftipulé que jamais ^ ni en aucun cas y P Empereur ^ ni aucun
J^rince de la maifon d Autriche qyi poffédera des Royaumes , Provinces &
Etats d Italie y ne pourra s'approprier les Etats de Tofcane & de Parme^
IV. Comme il h* a pas été po£ibU d'* engager P Empereur à fe défifter des
prétentions qi^il a toujours confervées fur la Sicile , il a été réglé qu^ellc
feroit cédée à ce Prince , qui de fa part céderoit au Roi de Sicile par former
d^équivalent le Royaume de Sardaigne , en réfervant au Roi dEfpagne fur
ce mime Royaume le droit de réverfion à cette Couronne^ qu^il s'*étoit ré-'
fervé fur la Sicile par Pa3c de cejfion qu^il en avoit faite en conféquencc
des traites dUtncht^
no C S L L A MA R E. (i^. Prma de)
V. On a laijfé au JRoe ^JEfifagnt un terme de trois mois , du jour de
la fignaturt du traité^ pour accepter les conditions oui lui ont été of^
jtrtts , que toutes Us parties contraSantes garantirent & s^engagent à faire
exécuter
VL Comme il ne feroit pas jufle que la paix de VEuropc dépendit de-
d opiniâtreté ou des vues particulières d^une ou de deux feules Puiffances^
& que P Empereur n^auroit pas pu fe porter à délivrer fa renonciation avant,
que le Roi d^Efpagne eut accédé au traité ^ fi on ne lui avoit donné d^ail-'
leurs quelque autre fureté ; les parties contraSantes font convenues de Join'*
dre leurs forces pour obliger le Prince refufant à V acceptation de la paix ^
conformément à ce qui a été fouvent pratiqué pour le repos public dans Us
occafions importantes.
VIL On eji convenu expreffément ^ que fi les Puiffances contraclantesi
étoient obligées d^en venir aux voies de fait contre celui qui refuferoit d^ac^
ctpter raccommodement propofé , P Empereur fe contenteroit des avantages
ftipulés pour lui dans U traité ^ quelque fuccis que puiffent avoir fes armes ^
' VIII. Enfin U Roi s^efi engagé d^obtetùr pour U Roi d^Efpagne la refii'^
tution de Gibraltar.
t
Voilà ces conditions que le Mîniftre d'Efpagne rejette avec tant de hau«
reur. Elles font cependant fi convenables à la tranquillité générale ^
ue le Roi de Sicile , qui par l'inégalité de la Sicile à la Sardaîgne , eft le
;ul qui paroifTe y perdre^ vient d'accepter le traité.
L'expoië fimple & fincere de ces fixts fufHc pour Êiire juger , quel
parti la France a dà prendre dans les conjonâures ou elle s'efl trouvée.
Le Roi d'Efpagne attaque la Sardaigne , & prend autant de foin de
Cacher fon deflëîn au Roi , qu'à l'Empereur. Depuis cette infraâion des
traités, & après la déclaration de l'Empereur qu'il donnoit les mains à un
accommodement , que pouvoit &ire Sa Majefté ?
En demeurant neutre, elle auroit également mécontenté & aliéné l'Em*
!>ereur & le Roi d'Efpagne , & dans le progrès de la guerre , une Puii^
ànce auffî confidérable que la France ^ n'auroit pu foutenir un perfonnage
indifférent.
Si elle s'étoit jointe à l'Efpagne; comme Sa Majeflé auroit violé le traité
de Bade , l'Empereur étoit en droit de lui déclarer la guerre » & elle au*
roit eu à la foutenir en Italie , fur le Rhin & dans les Pays-Bas. De plus
l'Empereur auroit armé contre elle tous fes alliés^ ou plutôt l'Europe en-
tière I qui auroit été alarmée de l'union des farces de la France & de
l'Efpagne. La France fe trouvoit donc replongée dans les horreurs d'une
guerre générale.
Si le Roi n'avoit eu d'autre moyen pour prévenir ces malheurs, que
de fe lier avec l'ennemi du Roi d'Efpagne , pour exercer contre lui les
plus grandes rigueurs ; ce moyen ^ tout douloureux qu'il auroit été pour
C E L L A H A R E. {U. Prince de) tu
Sa Majefté, nVn auroic pas été moins jofte ni moins néceflâire. Le faluc
des peuples , qui feul doit commander aux Souverains » raurotc contraint
de TembralTer , & l'exemple du feu Roi tui - même , qui aroît fait céder
toute là tendrefTe paternelle à ce devoir, défendoit alTez i fon fuccefleur
de la facrifier aux droits du fang. Mais combien le parti que le Roi a
pris , eft-il différent > Il fe lie avec FËmpereur , mais c'eft en offrant en
même -temps au Roi d'Efpagne cet ennemi même & le refte des plus
grandes PuilTances de l'Europe pour alliés , dans le moment qu'il voudra
les accepter ; c'eft en l'afFermifTant fur fon trône , dont la pofTefnon lui
devient inconteflable ; c^efl en lui procurant tout ce qu'il a jamais déiiré,
& plus qu'il n'efpéroit» & à l'Europe une tranquillité durable & folide.
La nouvelle entreprife du Roi d'Efpagne fur la Sicile^ a fiiit voir , que
quand même on fe feroit borné à ne vouloir rétablir que la neutraÛté en
Italie I il n'y auroit pas confenti ; & qu'on auroit eu autant de peine à
làire rcflituer la Sardaigne à l'Empereur, que l'on en peut avoir à faire
exécuter le traité en entier. Qu^auroit -« on fiiit enfin par le foccès même
^ui n'auroit point anéanti les prétentions de l'Empereur fur la Sicile, que
ëe fufpendre quelque temps fes entrqprifes.
Sa Majeflé n^avoit donc d'autre reffource pour prévenir la guerre , que
£e fuivre le projet d'accommodement entre rEmpereiir & le Roi d'Ef-
pagne, & de donner par-là le repos à la France, à l'Italie, à l'Europe^
fans qu'il en coûtât à la France , que des offices honorables ; & à l'Italie ,
que l'avantage que donne à PEmpereur l'échange de la Sicile pour la
Sardaigne , qui eft contrebalancé par les bornes que l'Empereur s'eft pref^
crites diins le traité , & par l'engagement que les principales PuifTances
de l'Europe y ont pris de garantir les polfeAions des autres Princes d'Ita*
lie en l'état où elles font.
Âinfi, loin que l'Efpagne ait à fe plaindre du Roi qui entreprend au-
jourd'hui la guerre la plus jufle en évitant la plus périlleufe & la plus
ruîneufe pour fes ^\jt]tx.s \ c'eft le Roi même qui fe plaint avec jnflice à
PEfpagne de l'avoir réduit à cette extrémité, en refufant obftinément la
paix fous des prétextes fi frivoles , qu'on n'a pas pu jufqu'ici les com-
prendre.
Tantôt c'étoît un pcnnt d'honneur, fondé fur ce que les fucceflîons de
Parme & de Tofcane , étoient accordées feulement comme fiefe de l'Em-
pire. Mais comment croire que le Roi d'Efpagne fût bleffé pour un Prince
de fa Maifon , d^une condition qu'ont reçue & même recherchée tant de
Rois d'Efpagne & dé France , & en dernier lieu le feu Roi fon glorieux
Ayeul, & le Roi d'Efpagne lui-même?
Tantôt c'étoit l'inégalité de la réverfion de la Sardaigne avec celle de la
Sicile. Mais un défavantage fi léger , fi incertain, fi éloigné , pouvoit-il être
mis en balance avec tant d'avantages préfens & fblîdes? Enfin, ce qui eft
décifif , on ne pouvoit obtenir qu'à ce prix la renonciation de l'Empereur
112 C E L L A M A R E. (N. Prince de)
à PEfpagne & aax Indes. Pouvtiic-on commettre la fureté de l'Etat dit
Roi d'Ëlpagne à de fi petites difficultés, & un fi grand intérêt ne ftifoit**
il pas difparoitre tous les autres!
Tantôt c'étoit le prétexte d'un équilibre abfblument nécefTaire en Ita-
lie , & qu'on alloit renverfer en ajoutant la Sicile aux autres Etats que
PEmpereur y pofTede. Mais le défir d'un équilibre plus parfait méritoit-il
qu'on replongeât les peuples dans les horreurs d'une guerre dont ils ont
tant de peine à fe remettre? Ces équilibre même qu'on regrette en appa-
rence, n'eft-il pasafTuré fuffifamment, & plus parfaitement peut*-étre, que
fi la Sicile étoit demeurée dans la Maifdn de Savoye ? L'établiiTement d'un
Prince de la Maifon d'Efpagne au milieu des Etats d'Italie, les bornes que
l'Empereur s'efl prefcrites par le Traité , la garantie de tant de PuifTances ,
l'intérêt invariable de la France , de l'Efpagne & de la Grande-Bretagne ^
foutenus de leurs forces maritimes ; tant de fiiretés laifTent-elles regrettée
un autre équilibre ? Si lors de la Paix d'Utrecht , les armes Impériales
avoient occupé la Sicile , comme elles occupoient le Royaume de Naples ^
le Roi d'Efpagne n'auroit pas fait difficulté de confentirà cette difpofition^
& le Miniftre d'Efpagne lui-même n'a pas &it difficulté (a) de dire, que
le Roi Ton Maître n'àvoit jamais compté de garder la Sicile, & que s'il
en faifoit la conquête , il feroic porté , puifque toute l'Europe le vouloir
ainfi , à la remettre même à l'Empereur.
Les vrais motifs de ce refus , jufqu'à préfent impénétrables , viennent
enfin d'éclater* Les Lettres de l'Ambafladeur d^Efpagne au Cardinal Albe-
roni' ont levé lé voile qui les couvroit , & l'on apperçoit avec horreur ce
qui rendoit le Miniflre d'Efpagne inacceffible à tout projet de paix. Il au-
roit vu avorter par-là ces complots qu^il tràmoit contre nous. Il eût perdu
toute efpérance de défoler ce Royaume, de foulever la France contre la
France, d'y ménager des rebelles dans tous les Ordres de l'Etat, de fouffler
la guerre civile dans le fein de nos Provinces, & d'être enfin pour nous le
fléau du Ciel , en faifant éclater ces projets pernicieux , & jouer cette mine
qui devoit, félon les termes des Lettres de l'Ambafladeur, fetvir de pré-^
lude 1 l'incendie. Quelle récompenfe pour la France des tréfprs qu'elle a
prodigués , & du fang qu'elle a répandu pour l'Efpagne !
La Providence a éloigné de nous ces malheurs , & tous les François ^
à la vue de la trahifbn qui nous les préparoit , en attendent & en preflent
la vengeance. Mais Sa Majeflé n'époufe que les intérêts de fon Peuple , &
non pas fes palfions. Elle ne prend aujourd'hui les armes que pour obtenir
la paix , fans rien perdre de fon amitié pour un Prince qui a , fans doute ^
horreur des perfidies qu'on a tramées fous fon nom. Heureux fi fes vertus
l'avoient mis à couvert des furprifes de fon Miniflre , & fi , faifant taire à
">'|l| < Il I I I p III I ■■ — i— — 1^— — — — il— — ^— — ^M^
(a) I^eme du Marquis de Nancrj du a6 Septembre 1718.
jamais
CENS. it,
iamaisles mauvais confeils, il nVcoutoic plus que fa parole, fa juflice & fx
religion , qui le follicicent toutes à la paix !
Ce Manifefte fut fuivi de la marche des troupes qui fe jetterent dans la
Navarre & dans la Bifcaye , oii elles firent de faciles conquêtes qui ne font
piï de noire fiijer ; mais nous ne pouvons nous empêcher de remarquer
que, quoique Philippe V parût à la tête, non de fa Maifon feulement,
mais de 50 à 40 mille hommes , il n'y eut pas un Ceul régiment François
qui branlât pour embraffer fon parti , ce qui fijt une preuve bien parlante
Sue la pièce rapportée ci-deflus N". VI p. 96 , étoît l'ouvrage du MiniftfC
'£fpagne aufTi-bien que les précédentes , & qu'elles ne venoient d'au-
cun François.
Perfonne n'ignore la fuite de cette affaire. Le Cardinal Alberoni fe rendît
odieux à toute l'Europe par ce trait d'une politique déteftable. Le Roi d'Ef-
pagne fiit obligé de l'éloigner de fa Cour, & il alla porter en Italie la
honte d'une a<^ion Ci balle.
Voye^ Alberoni.
C E N S > f. m. Dénombrement.
.P ^E Cens étoit chez les Romains , une déclaration authentique que les
citoyens fiiifojent de leurs noms, biens, réfidence , &c. pardevani des Ma-
tittrats prépofés pour les enregiftrer, & qu'on nommoit à Rome Cetijeurs,
l Cenjiteurs dans les Provinces & les Colonies.
Le Cens ou dénombrement des citoyens fut la première fbnflion des
Cenfeurs. On attribue l'origine du Cens a Servius TulUus , flxieme Roi
des Romains, qui l'uiftitua au commencement de fon règne, l'an de
Rome, 177; & cela pour deux raifons également fages & utiles ; l'une,
pour connoitre d'un coup-d'œil les forces de fon Royaume i l'autre , pour
engager fes fujets à fournir, chacun félon fon pouvoir, de quoi fubvenir
aux befbins de l'Etat. Il ordonna \ tous les citoyens de venir infcrire
leurs noms, de déclarer leur âge, la qualité de leurs pères & mères, les
noms de leurs femmes & de leurs enfans, & de faire un dénombrement
exafl de tous les biens qu'ils polTédoient. Afin que fes ordres fuffent exé-
cutés plus ponétiiellement, il publia une loi, qui portoit que celui qui
ne fcroit pas venu s'mfcrirc dans le jour marqué, feroii battu de verges.,
& vendu comme e^zl^vç. Les Romiins fe hâtèrent d'obéir aux ordres de
Servius TuUius. Ce Prince les diltribua par ctaffes fic par centuries, &
les chargea de payer chacun, à proportion de fon revenu , une certaine
fomme pour les néce(fiiés de l'Etat. It leur enjoignit enfuite de fe trou-
ver en armes au poiot du jour dans le champ de Mairs, la cavalerie Se
Tome XL P ;
fr4 C E K 1
TiontiÊtnt Cptiwf fxt coDOmcs^ pois y symt nu -racine no^ cctn
armée e0 bauUle^ il e0 & la renie, & la purifia par le ùciifitc nomnié
foUtaurilia oa fucptiausiUa^ qui iê fiûCoit eo rhooneor de Mais, & dans
lequel on irainrfmt no taoreaa ^ un bdier & on porc , après leur avoir
£ur fiûre mm fins le toor de Parmée ; cérémonie cpâ eft toujours obfënrée
depuis à la cloiure du Cens, puifijoe Denis dUalicaimifiê affine que de
ion temps encore , les Cenleors avoienc coomme de purifier de cène lofte
les Romains , après vidut bit le Cens , & que cda fè nommoic en lenr
lanjetse lufirum^
^rrvins TuUins , pendam ion règne , fit onatre fi>is le Cens ; i! nV a
que le premier qm foie connu. Tarqnin-le-iuperbe , eimemi de tout bien ,
OC de la mémoire de Servius Tullius , négligea cet écabliflèmenr fi utile.
Après Texpulfion àts Rois , le pouvoir de mre le Cens psllà , avec toutes
les autres fimâions Royales ^ en la peribnne des Coninls. Ces premiers
Magiftrats furent pendant loixance-fept ans en poflèffion de faire le dénom-
brement des citoyens. Mais comme le peuple Romain vint \ (e Bonyer
dans la fuite embarrallë de guerres cootinuelles , & que les Confids,
obligés d'être à la tête des armées , ne fiiifoient prelque plus de réfidence
dans Rome , Ton commença I négliger le Cens , & on (ut dix-lèpt ans
entiers (atu le faire. Uan dé Rome 312 , M. Génanius Macérinus & T. Q.
Capitolious » Confuls^ propofcrenr de créer un Magîftrac exprès pour fiùre
le Cens des citoyens. Leur propofition fut agréée; & le Sénat ordonna
que Ton éliroit, pour cet effet, deux perfomsages de probité, de maifon
patricienne , & le plus ibuvent même des confulaires , ce qui fe pratiqua
lufott^ l'an de Rome 402 , que C. Martius Rutilus , le premier d'entre les
Plébéiens qui fut parvenu i la diâature , demanda la charge de Cenfèur ,
Tobtint & eut pour collègue Cn. Manlius Impériofus , pei^nnage confu-
^ Quelques années après, un autre Diâareur, Q. Publius Philo, fit
porter une loi qui ordonnoit que des deux Cenfeurs , il y en auroit un
siré du peuple. Et Pan de Rome 621, ils furent tous deux choifîs parmi
les Plébéiens. Depuis ce temps , on les prit indiffêremment dans les deux
ordres.
La durée de cette charge, dans fa première înfKtution, fut de cinq ans^
I la fin defquels fe faifoit le Cens. Avant qu'il fe fbt écouté dix ans , elle
fut réduite à dix-huit mois par le Diâateur Mamercus Emilius. Ainfî régu-
lièrement Rome étoit fans denfeurs , pendant trois ans & demi , car le luftre
ne fe fitifbit qu'au bout de la cinquième année. Mais cet ordre fut fouvent
troublé , foit par les guerres du dehors , (bit par les diffentions domefti-
ques , & d'autres raifbns particulières. Quelquefois il fe pafTa plus de cinq
ans , fans qu'il y eût de Cenfeurs. Dans d'autres occafions , on créa plus
d'une fois des Cenfeurs pendant l'intervalle d'un luftre, fi ceux, qui avoient
été choiiis d'abord , n'avoicnt pas pu achever leur ouvrage.
^ Rome étoit fuperfiiticufe à l'excès. Comme la prife de la ville par les
CENS. m
Gaulois ^toic arrivée , l'année où Ton avoit fubOitué M. Cornélius , en Ix
place d*un des deux Cenfeurs , qui étoit mort dans fx magiftrature , il fbt
ordonné qu'en pareil cas , on ne donneroic point de fucceireur k celui qui
ferait mort, & que fon collègue fe démetiroic de fa charge.
Fluiieurs Savans ont diftingué le lieu oi!i fe faifbit le Cens , d'avec celui
où fe faifoit la clôture , prétendant que les Cenfeurs fàifoieni le Cens dant
la grande place de Rome, & la clôture dans le champ de Mars. D'autres,
au contraire, ont cru que tant le Cens que le luHre fe faifoient dans le
champ de Mars. M. de Valois fe contente de rapporter ce que dit là-deflus
Tite-live; favoir, que Tan de Rome ^19 , les Cenfeurs, C. Furius Pacilus,
& M. Geganius Macerinus lîrent , pour la première fois, le Cens des ci*
loyens , dans un grand hôtel qu'ils nommèrent villa publica. Le peuple
donc féparé par tribus , s'atTembloic dans le champ de Mars , Ôc le crieur
public les faifoit avancer l'un après l'autre , au pied du Tribunal des Cen-
îears, en préfence defqueh ils faifoient leur déclaration , qui étoit enre-
giftrée par les Greffiers , dans les regillres publics. Mais pour peu qu'il
parût aux Cenfeurs, que quelqu'un leur eût déguifë la vérité en quelque
circonftance , ils refuloient de recevoir fa déclaration. Les citoyens ableni
avoient la faculté de faire leur déclaration par Procureur, pourvu qu'ili
enflent foin de choiGr pour cela un homme de probité, & qu'ils appor-
tafleni une caufe raifonnable de leur abfence. Il y avoit de grieves peines
contre ceux qui manquoient à fe faire infcrire, comme conHfcation do
biens & perte de la liberté ; ce qui fut long-temps pratiqué dans la Ré-
publique.
Les Cenfeurs étoient les maîtres de fixer l'eftimation des bi>ns des parti-
culiers, & par conféqnent de les impofer à une taxe plus ou moins forte,
parce que c'étoit fur l'enimation faite par les Cenfeurs, que fe régloit U"
répartition des tribus.
Dans les premiers temps, chacun fe faifoit infcrire dans fa clafle ôc
dans fa centurie, puis dans fa tribu, lorfque la divinon par tribus, dont
Tufage n'étoit pas d'abord fort étendu , eut pris iàveur & fe fut accrédité.
Quand Rome eut étendu fes conquêtes, & fondé pluûeurs colonies, ou
donné le droit de bourgeoifie Romaine à pludeurs villes , les fondions des
Cenfeurs eurent plus d'étendue. Des Officiers qui prenoienc auffi le nom
de Cenfeurs dans ces colonies ou villes municipales, rendoient compte aux
Cenfeurs de Rome, de l'état de ces; villes, du nombre de leurs habitans,
de leurs richelTes ; & leur rapport étoit enregiftré dans le livre des
f— f»urs.
i commençoit le Cens à Rome, par les Sénateurs & les Patriciens;
afToit enfuiie aux Chevaliers, & on finiflbit par ceux du peuple,
m des deux Cenfeurs, à qui cette fondion étoit échue par le fort,
Ht la lifie des Sénateurs, & en faifoit la ledure à haute voix. C'étoit
un grand honneur que d'être nommé le premier, & d'être mis à la t^te
F 2
^xtf C fi N È.
àe tous les autres. Celui qui Tobtenoit i étoic appeTIé le premier des Sent*
teurs. Ce titre d'honneur une fois accordé, ne le révoquott plus, à moins
que celui qui en avoit écé décoré , ae méritât d^être rayé du catalogue des
Sénateurs ; ce qui efi (ans exemple dans toute l'hiftoire Romaine. Lé Prince
^T iiu Sénat gardoit toujours fon rang , tant qu'il vivoit, à la tête de chaque
' tableau des Sénateurs, que dreflbient de nouveaux Cenfeurs. Scipioiï l'A-
' fricain l'ancien , fut nommé trois fois prince du Sénat ; & M. Emitius
Lepîdus , grand Pontife , fix fols. La coutume ordinaire étoit de nonmier
Prince du Sénat, le plus ancien des Cenfeurs qui étoîent encore en vie.
Le Cenfeur P. Sempronius Tuditanus , fut le premier qui changea cet
ufage, en nommant Q. Fabius Maximus , malgré l'oppoficion de >on col-*
^S"^ > S^ vouloir qu'on déférât cet honneur à T. Manlius Torquatus ;
parce qu'il avoir écé Cenfeur avant Q. Fabius Maximus. Et la louable
coutume s'établit depuis , d'avoir plus d'égard au mérite dans et choix qu'à
l'ancienneté.
Le Cenfeur» après avoir déclaré le Prince du Sénat, nommoit de fuite
tous les Sénateurs: On procédoit enfuite au Cens des Chevaliers. Celui qui
écoit nommé le premier s'appelloit Pr inceps cquitum ; mais cette diftinélioa
étoit peu remarquée. Tous les Chevaliers pafToient en revue devant les
Cenfeurs, en menant leurs chevaux par la bride. Ils éroient revêtus d'une
robe nommée trabea. Enfin ceux du peuple éroient cités par leur nom ,
chacun dans fa dafle ou dans fa tribu.
C'étoit dans cette cérémonie , que les Cenfeurs infligeoient publique-
ment des peines à ceux des citoyens qui avoient donné quelque (ujet con*
fidérable oe plainte , par rapport à leur conduite & à leu^-s nusurs. Pour
les Sénateurs , il fuffifoit que dans la leéhire du catalogue on eût omir
leur nom. Dès -là ils étoient cenfës déchus de la dignité de Sénatew,.
Par rapport aux Chevaliers , on les puniffoit en leur ôtant le cheval »
que le public leur fourniffoit, âc qui étoit la marque de la dignité de
Chevalier.
Les Plébéiens étoient tranfportés d'une tribu plus noble dans une autre
moins confidérée , comme d'une des tribus de la Campagne , dans une
autre du même genre, mais, inférieure; ou dans quelqu'une des quatre
Tribus de la ville , qui renfermoient la plus vile populace. C'étoit-lâ le pre*
mier & le plus léger degré de punition. Le fécond étôit d'être privé du
droit de fuftrage. Les habitans de Céré , ppur avoir reçu chez eux les Prê-
tres & les chofes facrées , lorfque les Gaulois étoient prés d'entrer dans
Rome , avoient été gratifiés du droit de bourgeoifie Romaine , mais fans
ppuvoir porter de fufFrage. Par' ce fécond degré de punition, les citoyens
Romains étoient réduits à l'état des. Cérites. Le troifieme & dernier les pri-
voit, non-feulement de fufFrage, mais de toute autre prérogative attachée
' a la qualité de citoyen , ne leur en laiifant d'autre marque que la néceffité
de payes leur part des tributs.
CENS. 117
Les Sëosteurs & les Chevaliers étolent quelquefois condamnes î ces trois
Ibrtes de peines.
Comme la pallion pouvoii avoir lieu dans le jugement que portoit le
.Cenfcur, les loix «voient fagement établi des reinedcs contre Tabiis d'une
autorité exceiTive, dont l'injufle févérité eut quelquefois befoin d'être ré- -
primée. Les citoyens dégradés par l'un des Cenfeurs , pouvoient fc faire
Téhabiliter par fon collègue, ou par les Cenfeurs fuivans, ou en obtenant
des dignités , qui les rétablifToîent dans tous leurs droits.
L'hillotre nous fournie un grand nombre de ces fortes de punirions em-
ployées légitimement. En voici quelques-unes des plus remarquables.
Les Cenfeurs Scipion Nafica & M. Popilius, faifant la revue des Cheva-
liers , apperçurent un cheval maigre &. élancé , dont le maître étotc fort
gras & d'un merveilleux embonpoint. D'où vient donc, lui dirent -ils,
une J! grande différence entre vous &■ votre cheval? C'ç/?, répliqua le Che-
Talier , ^ue c^eji moi qui me Joigne , & que c'eft mon valet qui Jhigne mon
theval. La réponfe parut trop hardie , & elle î'étoic en effet. Sa négli-
gence, jointe à ce manque de refpeâ, fut punie par une entière dégrada-
lion, qui ne lui laifTa plus d'autre droit de citoyen, que celui de payer les
tributs, in œrarios relatas ejf.
Caton, furnommé le Cenfeur , chafTa du Sénat L. Quintius Flaminius,
parce qu'étant Conful , il avoit fait exécuter, au milieu d'un feflin, un cri'
minel , pour procurer à une courtifanne, le plaifir inhumain de voir mou-
rir un homme. Selon Tite-Live , le fait éfoit bien plus atroce.
Le cenfeur Fabricius Lufcinus , retrancha du nombre des Sénateurs ,
Cornélius Rufînus qui avoit été deux fois Conful , & une fois Diâateur ,
parce qu^tl avoit en vaifTelIe d'argent le poids de dix livres, c'efl-à-dire ,
quinze marcs cinq onces de notre poids \ perfuadé qu'un tel exemple pou-
voit être fuBcfle à l'Etat,. en y introduifant le luxe.> Heureux fiecle, di-
» foit Caton d'Uttque, oi!i quelque légère vaiffelle d'argent étoit regardée
» comme un luxe taflueux, digne de la répréhenfton du Cenfeur!
DVutres Cenfeurs exclurent du Sénat , Duronius ; parce qu'étant tribun du
Seupte, il s*étoit oppofé à une loi, qui prefcrivoit des bornes étroites aux
épenfes de la table. L'hiflorien, pour faire fentir toute l'injuflice & toute
l'indignité de l'aâion du tribun , le fait monter fur la tribune aux haran-
gues , & lui met ce difcours dans la bouche : » Romains , on met un frein
m à vos défirs, & l'on vous im'pofe un joug qui efl infupportable. Quoi}
s lailfer palTer une loi qui vous oblige il vivre dans la frugalité ! Non , Ro-
» mains ^ aux Dieux ne plaife. Nous catTons une ordonnance qui fent la
» rouille du vieux temps. Que devient donc notre liberté , fi voulant périr
s par le luxe, on ne nous le permet pas ? « Un tel difcours paroîiroii ridi-
cule & infenfé. La réalité l'eft-elle moins! Car, c'efl ainfi que penfënt ceux
qui autorifent le luxe.
Le Cens fini, les Cenfeuri afTembloient dans le champ de Mari,l*anné«
lit C E N Se
de la vme^c^eft-^à^dire/lesfoldatsPi^coriens âefiinés S lâ g^rde deRome,
la rangeoienc par centuries, & en faifoient la revue, qui étoic fuivie du fa«
crilice appelle fuoyetauriUa , par lequel fe terminoit la clôture du Cens. On
ne doit pas oublier deux chofes par rapport \ ce facrifice ; la première eft,
que l'on avoit grand foin de choifir toujours pour conduire les viâimes, des
{^eos qui portaf&nt un nom heureux, afin que cela fût d'un bon augure pour
a fête; la féconde eft, que Ton faifoic des vœux pour la confervation &
pour la profpérité du peuple Romain; c'eil-à-dlre, que Ton y acquictoit les
vœux faits dans le Cens précédent , & que Ton en fbrmoit d'autres pour le
Cens fuivanr.
Après Taccompliflement de ces vœux folemnels , celui des Cenfeurs à qui
il étoit échu par le fort de faire la clôture du Cens , vêtu d'une robe prétexte
& couronné de fleurs , donnoit lui-même le coup de hache aux viâimes ,
comme nous l'apprend Athénée. Enfin le facrifice achevé , le Cenfeur étoit
obligé de remener les Prétoriens dans Rome , fous leur étendard. Four ce
qui efl des tables cenforiennes , Tite-Live affure qu'elles étoient confervées
dans le tréfor des Chartres de la République , auprès du temple de la liberté,
fur le mont Aventin.
Les premiers de Rome regardèrent d'abord cette charge comme au-deflbuf
d'eux \ cependant elle devint bientôt l'une des plus grandes magiflratures ^
Earce que le pouvoir des Cenfeurs s'étendoit juiqu'à placer ou déplacer qui
on leur fembloit, tant dans le corps du Sénat que dans celui des Cheva-
liers. Ils étoient les Juges fouverains de la Police. On leur avoit confié le
foin de fiiire conflruire & d'entretenir en bon état les temples , les aqueducs ^
tous les édifices publics; & de veiller à ce que l'on en fit les réparations à
propos & dans le temps. On voit que l'an de Reme 58 3^ le Sénat fit re-»
mettre par les * Quefleurs , entre les maips des Cenfeurs , la moitié des tributs
de cette atmée, pour difiërens ouvrages publics. La Bafilique que fit con<-
ftruire alors Sempronius, fut appellée de (on nom, Sempronia ^ comme au*
paravant celle de Caton, Porcia.
C'étoit auffi une fbnâion importante des Cenfeurs, de pafler le bail des
revenus publics avec les fermiers^ appelles pour cette raifon publicanL Ils
ne pouvoient adjuger les fèimes qu'en préfence du peuple Romain. Il paroît
que lorfque les baux en étoient portés à un trop haut prix, les fermiers
avoient recours au Sénat qui ordonnoit quelquefois que l'on procéderoit. à
une nouvelle adjudication, comme cela arriva pendant la cenfure de Ca*-
ton; & les fermes pour lors furent adjugées à un prix plus bas.
On voit dans Tite^Live , que la garde des regiftres publics leur étoit con-
fiée , & que c'étoit \ eux de vdller fur les Greniers , & d'examiner s'ils s'ac^
quittoient de leur emploi avec exaâitude & fidélité.
Si quelqu'un avoit fait un fmx ferment; fi un juge étoit accufô d'avoir
reçu de l'argent pour juger un procès ; fi tel citoyen avoit aliéné ou engagé
mal i propos fes biens ; fi tel auue faifôit une trop groiTc dépenfe; tous ces
CENS.
«ij
en Croient de la compétence des Cenfeurs, qui en jugeoicnt fouveraine-
ment. Les fiançailles écoient encore de leur reflbrt, auili-bien que les ma-
riages. On fait que dans le temps du Cens, les Cenfeurs avoient coutume
d'interroger chaque citoyen, s'il ctoit marié. Celui qui n'avoit point de fem-
me , payoit pour amende utic certaine fomme. Et celui qui avoic époufé une
femme qui fe trouvoit ftérile ^ étoit obligé de la répudier, & d'en prendre
une autre, dont il pût avoir des enftns. Des Cenfeurs condamnèrent à une
amende confidérable un citoyen qui étoït demeuré dans le célibat jufqu'i
la vieillefle; d'autres exclurent du Sénat, un Sénateur, parce qu'il avoit ré-
fudié fa femme, fans avoir pris confeil de fes amis.
Les Cenfeurs, pour tout dire en un mot, avoient infpeflion fur la ma- -
■iere de vivre, & fur les mœurs de ïous les états; & l'honneur ou le déf-
honneur de chacun en particulier, f^mbloit être abfolumeni à leur dilpo-
Ction.
Cette autorité n'étoit pourtant pas fans bornes, puifque les Cenfeurs eux-
mêmes éroient obligés de rendre compte de leur conduite aux Tribuns du
peuple & aux grands Ediles. Un Tribun fit mettre en prifon les deux Cen-
feurs M. Furius Philus & M, Atttlius Regulus. Enfin , ils ne pouvoient pas
dégrader un Citoyen, fans avoir préalablement cxpofé leurs motifs i & c'é-
toit au ^'énat & au peuple à décider de leur validité.
On ne peut point difconvenir que la nécedîté de comparoître dans decer-
tains temps, pour y rendre compte de fa conduite, împofée généralement
i tous les Citoyens , en forte que ni la naiffance , ni les fervices rendus i l'E-
ttt , ni les charges les plus importantes , comme le Confulat & la Diâature ,
exercées précédemment, n'en dirpenfoient perfonne, ne fût un puiflant frein
pour arrêter la licence & le défordre. Cette crainte falutaire étoît le foutîen
des loïx, le nœud de la concorde, & comme la gardienne de la modeftîe,
de la pudeur, de la juftice , & en général de l'intégrité des mœurs.
II y a, dit un auteur moderne, de mauvais exemples, qui font pires que
ïes crimes î & plus d'Etats ont péri, parce qu*on a violé les mœurs, que
parce qu'on a violé les loix. A Rome, tout ce qui pouvoit introduire des
nouveautés dangereufes, changer le cœur ou l'efprit des Citoyens, & en
empêcher, s'il étoit permis d'ufer de ce terme, la perpétuité; en un mot,
les défordres domefliques ou publics, étoîent réformés par les cenfeurs.
Cette réflexion parolt fort foUde.
Si le luxe Be l'avarice, caufes ordinaires de la ruine des Etats , fe font in-
troduits fi tard à Rome ; fi la pauvreté , la fi-ugalicé , la {implicite Se la mo-
deAie dans la table, dans les batimens, dans les meubles & dans les équi-
Eages, y ont été fi long-temps en honneur, je ne doute point qu'un fi rare
onheur ne doive être principalement attribué i Hnexorable févérité de
certains Cenfeurs rigidement attachés aux mœurs antiques, dont ils connoif-
Ibient combien il étoit important de ne fe point départir. Quand on voit
un Romain qui a palTé par toutes les charges les plus conftdérables, dégrada
lao C B K S;
de iâ dignité de Sénateur ^ parce qu'il avoir un peu plus ^e ▼aiflêlte d'iur*
gent que les autres , on eft porté naturellement à taxer cette condamnation
d'une rigueur outrée & exceffive. Il faut fe fouvenir que le Cenfeur qui pro-
nonça ce jugement , étoit le célèbre Fabricius. Ces grands hommes totale-
ment dévoués au bien public , & qui par une fage prévoyance, portoient au.
loin leurs vues dans les fiecles à venir ^ le.croyoient obligés d'arrêter, par
des punitions exemplaires, les abus qu'ils voyoient naître de leurs temps,
& dont ils envifageoient toutes les funeftes fuites. Ils favoientque ces abus ^
faciles à réprimer dans leur naiffance , mais devenus bientôt , par la négli-*
gence des Magiflrats & par une longue impunité , plus forts que toutes les
loix I entraînent toute une nation avec une rapidité incroyable. Or quand
les chofes en font venues à ce point,, & que ce qui étoit vice & défordre^
eft devenu les mœurs d'un Etat , il n'y a plus de remède à efpérer.
Lorfque Cicéron accufa Verrez , les Juges étoient fi généralement dé«.
criés à Rome pour leur avance & leur vénalité , que le peuple même ,
quelque averfion qu'il eût toujours témoigné poiir la cenfure , défiroit ar-
demment qu'on en rétablit l'exercice qui avoir été interrompu depuis quel-
que temps , la regardant comme Tunique remède qu'on pût apporter aux
défordres qui régnoiént dans la judicature. Et elle fut rétablie eèeâivemenCc
cette année-là même , après un intervalle de feize ans , par les confuls
Pompée & CrafTus.
L'auftérité de la cenfure produifoit à Rome le même effet, par rapport
aux mœurs, que la fé vérité de la difcipline militaire dans les armées, pour
y maintenir la fubordination & l'obéiflance. Et ce furent-là deux des eau-
les principales de la grandeur & de la puiflfance Romaine. En effet, de quoi
fert le courage au dehors , fi le- dérèglement & la corruption dominent au-
dedans? Quelques viâoires que l'on remporte , quelques conquêtes que l'on
fafle , fi la pureté des mœurs ne règne point dans les différens corps de
l'Etat , fi Tadminiflration de la juflice & le pouvoir du gouvernement , ne
font point fondés fur une équité inébranlable , & fur un fincere amour du
bien public , quelque puiffant que foit un Empire, il ne peut pas fubfiftec
long-temps. C'eft un payen qui parle ainfi à l'occafion des grands biens
que la cenfure produifoit. On remarque que la faintecé des fermens n'éroic
nulle part refpeâée comme à Rome. C'eft , comme Tobferye Cicéron ^
que nulle faute n'étoit punie fi févéreinent par les Cenfeurs , que le défaut
de bonne foi .& le mépris du ferment.
Cette charge fubfifta pendant près de quatre cents ans »& ne finit que lorf-
que Jules Céfar s'érant rendu maître de l'Empire Romain , joignit à la
diâarure perpétuelle la charge de Cenfeur, fous lè^ nom de prétfcâura mo^
rum. Néanmoins Dion Caffius rapporte qu'Augufte , devenu plus puiffaaf
& plus abfolu que ne l'avoit été Jules-Céfar, fut nommément créé Cen-»
feur pour cinq ans ; ce qui , félon les apparences , fe renouvella à cha-»
que lufire pendant le refte de fa vie y puifque nous ne voyons |)oinf que
fous
f
CENS» î3tt
s Empereurs, il y ait eu d^autres Ceofeiirs ane les Empereurs eux^
, ces Princes n'ayant pas jugé à propos de iouffrir un Magiflrat fi
fous les
mêmes
puiflant dans un Etat monarchique. On ne connoit que trois Empereurs qui
aient pris fur leurs monnoies le nom de Cenfeur; Vefpafien, Oi fes *deux
fils , Tire & Domitien.
II ne faut pas^ beaucoup de réflexion pour fiiîre fentir toute l'utilité da
Cens : fi la population eft eflentielle à un État ^ le dénombrement des fu-
jets devient néceflaire à la conduite du gouvernement. Ce moyen appren*
dra fi l'efpece multiplie , ou fi elle décroît : on connoitra fi les loix pé-*
chent. On faura par le nombre de chaque profefiion , fi le vice eft égal
dans tous les ordres, ou s'il n'afFeâe que l'un d'eux : on appercevrapar-là
ies caufes les plus prochaines & la meilleure efpece des arrangemens boni
à prendre dès le commencement de la maladie. On fera encore inftruit du
nombre des vagabonds, des gens fans aveu que Taumône entretient dans
une oifiveté préjudiciable à la république.
On n'a confidéré jufqu'ici , la population que fous un point de vue gé-
néral ; elle mérite d'être obfervée dans le détail. Il ne fuffit pas d'avoir
des hommes ; leur nombre ira jufqu'à être nuifible , s'ils ne font pas dif-
tribués dans les proportions qui doivent être dans leurs différentes claflès.
La Monarchie demande une proportion de nombre entre la nobleffe ,
la bourgeoifie & le peuple qui fournit le cultivateur , l'artifan & le foldat.
Là, comme ailleurs, la claffe de l'artifan ne doit pas fe groffir aux dé-
pens de celle du laboureur & du vigneron ; & le dénombrement feul peut
infiruire de ce que l'État peut prendre de foldats Air l'un ou fur l'autre.
Les proportions font encore relatives , non à la grandeur , mais à l'em-
ploi des territoires. Les pays de pâturages veulent moins d'hommes que
ceux de labourage, & ceux-ci beaucoup moins que les pays de vignobles.
Toutes ces proportions peuvent fe former & fe maintenir par de bonnes
loix. De cette difpenfation dépendent la force & l'éclat dû corps politique.
Les avantages que le gouvernement peut retirer du Cens font infinis.
11 eft également malheureux que cette pratique foit négligée ; ou que , fi
elle eft mife en oeuvre , elle n'opère pas les réglemens que l'on en doit
attendre.
On a vu que le Cens des- anciens comprenoit deux chofes, le nombre
des fiijets & l'eftimation de leurs biens. Ces monumens nous appreimenc
la prodigieufe richeffe de ce temps-là , & l'énorme difproportion des forr-
tunes des particuliers d'alors, & de ceux d'aujourd'hui. Nous trouvons
dans Démofthene que le revenu de l'Âttique étoit de trente-fix millions
d'écus d'or. Le nombre des perfonnes libres ne paffoit pas trente mille.
Ces trente mille ne donnoient pas peut-être dix mille chefs de famille ,
entre lefquels ces revenus n'étoient pas partagés également à beaucoup
prés. .
Cette différence frappante des fortunes des temps paflés &, des nôtres ^
Tome XI. Q
laa CENS.
devient bien tiatUrelle par une fimple obfertration. Les hommes écoîent
alors divifés en deux efpeces , les libres & l$s efclaves. Cette dernière
portion étoit infiniment fupérieure par le nombre; je prendrai toujours
mon exemple dans TAttique. On y comptoit environ treize efclaves pour
un homme libre , de forte que dix mille familles polfèdoient ce qui eft.,
de nos jours , divifé entre cent quarante mille. Je n'ai pas prétendu faire
un calcul exaâ , mais un à-peu-près.
L'appréciation àes^ biens parolt au premier coup-d'ceil , aufli utile ^ aufli
nécefiaire que le dénombrement des perfonnes. Elle peut être confidérée
fous deux rapports. On peut concevoir une eftimation particulière des biens
de chacun , d'où réfidtera la connoiflance du total ^ ou une eftimation totale
fans divifion particulière : cette féconde ed nécefiaire aux grands objets. A
l'égard de la première ^ i^. elle ne remplit pas les vues qu'on fe propofe;
2^. elle eft fujecte à des inconvéniens fans nn ; 3^\ elle eft inutile.
Le Cens paniculier ne peut avoir d'objet légitime qu'une répartition équi-
table & proportionnée des charges. Si on coliige le Cens par la voie des
déclarations de chacun fuivant les anciennes méthodes , quel efl l'homme
qui ne défigurera pas le tableau de fa fortune au point de le rendre mé-
connoiflable } Le riche , tranquille dans fa pofition , te donnera pour malaifé,
l'homme à demi ruiné , qui craint tout , voudra paflèr pour opulent. La
jnème vue d'intérêt les guide par des chemins oppofés. Il eft abfurde de
vouloir régler des fubfides fiir de pareils fondemens.
Voudra*t-on parvenir au but propofé par les recherches ? Flufieurs obf-
tacles fe préfentent. On ne pourra par cette voie connokre tout au plus
que les immeubles ^ & on doit contribuer fur la toulité des richefles. On
vient de voir qu'il eft impropofable de compter fur les déclarations » les
hommes trouveront plus de détours pour cacher un mobilier aâif , que Ton
n'en inventera pour le découvrir , duflènt-ils le fiiire pafler chez L'étranger.
Je ne parlerai pas de l'inconvénient, immenfe qu'une recherche de cette
nature entraineroit vis-à-vis du commerce : il fi-appe tous les yeux; mais
il n'eft point de famille à laquelle il n'importe d'avoir fba fecret. Si on
met au grand jour les dettes aâives de l'une ^ on découvre les paffives
de l'autre ; que de vuides af&eux fe préfenteroient ! que de crédit. , de ref-
fources & d'établiflemens perdus ! Si on fouille fcrupuleutement l'intérieur ^
c'eft une inqutfition civile ; fi on recheiiche fuperficiellement , c'eft une
fource d'abus & d'inégalités.
Venons à confidérer le Cens particulier uniquement par rapport au fonds
des terres ; il eft incertain , & le plus fouvent inexad. Les déclarations
fiir les qualités des terreins & le rapport de leivs firuits ne feroient pas
plus fide^s que fur le mobilier; il nut donc avoir recours à l'apprécia-^
tion ; mais la divifion ufitée en bon , médiocre & mauvais , eft trop abré-
gée : on apperçoit plufieurs degrés eutre le bon & le meilleur , le plus on
le moins médiocre, le mauvais & le pire«
C E N S. 123
Cette opération fautive de fa nature , peut Pétre encore plus par Tinat-
tention , l'ignorance , la prévarication de ceux , ou qui opèrent , ou qui di-
rigent l'opération. La taille tarifée, établie en France fur cette théorie, a
produit les inégalités les plus fenfibles, & n'a pas introduit les juftes pro-
portions.
L'occafion fe préfente fans ceife de répéter que fous un gouvernement
ou préfide la juflice, tout eft bon; mais iorfqu'un ufage invétéré livre les
peuples aux traicans, ils ne voient dans le Cens particulier « au lieu des
moyens de l'égalité , que ceux de l'oppreflion : tout fe change entre leurs
mains en maximes tortionnaires.
On a vu procéder à la découverte des facultés par la voie de l'informa-
tioii. On a vu demander à des fyndics , fimples manœuvriers, de donner
par état la valeur des revenus de chaque poifefleur dans leurs paroiffes.
Ces gens , dont les connoilfances fe bornent à favoir la valeur de leurs
outils , ne s'étoient jamais informés de la quantité des grains , des vins ,
du bois ou des autres denrées recueillies par les propriétaires , encore moins
du prix des ventes , des frais de mife , des dépéririons , 6fc. Ils faifoient
remplir un papier, qu'ils ne fàvoient pas écrire, de leurs idées vagues &
dontufes, après qu'on leur avôit (kit entrevoir qu^ les fubfides impofés
fur les privilégiés, feroient diminuer les leurs ^ c'eft fur ces fondemens
pourris qu'on a vu affeoir des taxes.
Dans les pays où la nature du fol & des fruits permet de donner à la
ferme , & ou l'ufage en eft introduit , on a une règle pour taxer les fonds ;
mais dans ceux où un domaine eft une manufaâure que le propriétaire eft
forcé de conduire & de veiller ; où l'on voit quelquefois du brillant « mais
conftamment plus de cafuel que de folide , ce n'eft que par hafard que
l'^n,eflime avec jufteffe.
Quand on fuppoferoit une appréciation exaâe , dont l'impoflibilité pra<-
tique eft démontrée, le Cens n'en fèroit pas plus fixé. Les mxitations
journalières y font un inconvénient inévitable ; les contrats , les aâions ^
les charges , fe vendent comme les fonds. Il ne fuffît pas d'écrire le nom
de l'aquéreur à la place de celui du vendeur ; les corps des biens fe dé-
membrent; Tes fuccedions fe partagent, le tout par portions inégales : i!
faut chaque jour écrire , chaque jour eflacer ce qu'on aura écrie la veille.
Les fortunes font des tableaux mouvans; les idées doivent changer & fe
fuccédèr à chaque inftant, fans qu'on puiffe fe repofer fur aucune.^
Comment pourra*t-on, dans ces circonftances , affurer une capitation ?
on la règle fur la commune renommée. Où fe fait l'enquête > devant qui >
quels font les dépofâns ? la vérité du jour ne fera pas la vérité du lende-
n^ain. Quand on parviendroit avec des dépenfes & des peines inimagina-
bles à un calcul à-peu-près exaâ, les variations fans nombre en exigeroient
un nouveau chaque femaine.
Il efl évident que (i on peut atteindre à une plus grande judeffe par
Q a
124 CENS.
une voie (impie , le déocmbrement de chaque fortune devient inutile.
Tout eft réglé , tout eft dans l'ordre autant qu'il peut Tètre , par la levée- -
d'une portion certaine des fruits ; fi d'ailleurs on permet au débiteur de ^
retenir, fîir les intérêts qu'il paie, une quotité pareille à celle qu'on prend ^
fur fes denrées : le mobilier paie alors comme l'immeuble ; cela fe paffe ^
du débiteur au créancier ; l'état àcs fortunes n'eA pas expofé à la ^
lumière.
Mais autant que le détail du Cens peut être nuifible & Qu'il eft fuperfla , ,
autant la connoifTance du général des fonds de l'Etat eu nécefGôre ^ la ^
conduite du Gouvernement. La meilleure manière de les connoitre eft d'en ^
examiner les produftions.
On peut pofer pour maxime que toute efpece d'impôts , quels que l'on
puifle les imaginer, fo paie du produit àts fonds. La taxe tmpofée fur l'ar-
tifan , fur l'homme de journée , fur les marchandifes , fe paie par celui qui
confomme. Si on fuppofe que fa fortune ne confifte qu'en dettes aâives ,
elles font afltfes fur qes propriétaires de fonds : fi l'on veut que ce foit fur
des commerçans , les produâions de la terre font la bafe primitive dû com->
merce} il faut toujours y revenir
Lts fonds font les feules facultés réelles , toutes les autres font idéales : il
eft vrai cependant que la valeur des fonds de la Hollande en Europe ne
répond pas à fes richeffes ; mais fi on tourne les yeux fur les fi^uits de fes
poftëdions étrangères^ onv trouvera leur véritable fondement. Les profits
de l'échange & de l'induftrie font cafuels, on y peut foufFrir des pertes,
comme y faire des profits. Un État ne peut fonder fes finances fur l'indé-
terminé, fijr l'incertain.
Si la.produâion des fonds eft la mefure de la richefle d'un État, on
doit fentir combien il eft utile à un corps politique quelconque de connot*
tre en gros, non- feulement la quantité de \ts fonds , mais encore la natu*
re, à-peu- près de fes diflërens terroirs. Cette dépenfe n'approchera pas de
celle du mefurage en détail des biens de chaque pofleflèur.
Si les fruits de la terre font les feules richeflès folides , il eft intérelfant
que l'on cultive chaque efpece dans le terrein qtfi lui eft propre. Après
avoir calculé ce qu'il faut pour l'abondance des fruits de premiers befoins,
le gouvernement ne doit pas fouftrir que l'on emploie les terres qui y fe-
ront deftinées» à produire ceux de commodité» & moins encore ceux qui
fervent au luxe.
Ce n'eft pas encore aflèz que l'on ne plante pas des vignes, des oli-
viers , des mûriers au détriment des bleds & des bois ; les vins , les hui*
les , la foie doivent être dans des proportions convenables des uns aux au-
tres. Une de ces denrées ne doit pas être fans valeur par fa furabondance,
tandis que l'autre ne fera pas dans une quantité fuftîlante, & qu'il &udra
la tirer de l'étranger : cette partie la plus effentielle eft la plus négligée.
On dit que chaque propriétaire doit être libre d'économifer fes fonds
CENS, -125
félon (a volonté ; aue Ton peut fe repofer fur la connoiflknce que chacun
a de fon intérêt, oc fur (on expérience : n'eft-ce pas une feuffe maxime,
une fauile liberté t c'eft au moins fuppofer que le générai fe conduit par
* la faine raifbn ; c^eft donner au commun des hommes un jugement foli-
de , un difcernement éclairé^, plutôt que des fantaifies & des connoiflkncet
bornées i c'eft ne les pas connoitre.
•
CENS, rente foncière dut en argent ou en grain , ou autre chofe , pour
un héritage , au Seigneur du fief dont il relevé:
JLi E Cens eft un hommage & une reconnoiflance de la propriété direâe
du Seigneur. Le Cens eft imprefcriptibie & non^rachetable ; teulemenc on
en peut prefcrire la qualité ou les arrérages par 30 ou 40 ans.
Le Cens , dans les premiers temps , égaloit prefque la valeur des fruits
de l'héritage donné à Cens , comme font aujourd'hui nos rentes foncières j
de forte que les Ceniitaires n'étoient guère que les fermiers perpétuels
des Seigneurs, dont les revenus les plus conudérables confiftoient dans
leurs cenfives. Ce qui en fait à préfent la modicité , c'eft l'altération des
monnoies , qui lors de l'établiflèment des cenfives étoient d'une valeur
toute autre.
Le Cens eft la première redevance qui eft impofée par le Seigneur di«
refl, dans la conceflion qu'il &it de fon héritage. Toutes les autres charges
impofôes depuis , n'ont pas le privilège du Cens.
Le Cens reçoit diverfes dénominations , comme de champart , terrage ,
agrier , avenage , carpot , comptant , & autres ; droits qui tous , quelque
nom qu'ils portent , entraînent avec eux celui de lods & ventes , s'ils ont
été impofés lors de la première conceflion , & qu'il n'y ait point d'autre
charge fpécialement à titre de Cens.
La plupart des coutumes prononcent une amende faute de paiement du
Cens, au jour & lieu qu'il eft dil, fans préjudice de la laifie que le
Seigneur peut faire des miits pendans fur l'héritage^ redevable du Cens,
^u'on appelle arrêt ou brandon.
Les héritages fitués dans la ville & banlieue de Paris font exempts de
^ette amende : mais le Seigneur, faute de paiêmens du Cens, peut procé-
der fur les meubles étant en iceux , par voie de faifie-gagerie ^ pour trois
nnées ou moins ; car s'il a laiffé amaffer plus de trois années , il n'a que
a voie ordinaire de l'aâion.
Celui qui a donné un héritage à titre de Cens , ou par un bail emphy<-
otique , a un privilège pour fon Cens , ou pour fa rente , fur les miits
S^endaos fur cet héritage , & aufli fur le fonds , en quelques mains qu'il
T>ui(re pafter : & fi le poflefleur de cet héritage le vend , ou l'engage , ou
e donne à ferme , ou en difpofe autrement , ou qu'il foit faifi & vendu ;
le premier maitie fera payé de fon Cens ou de fa rente , tant fur le fonds
\
i7j6 V C E N s.
«
OU fur les deniers qui en proviendront , par préférence ï tous créîanciers
de ce poflèlTeur , que fur les fruits qui feront en nature en (es mains.
On s'ell élevé avec force , dans ces derniers temps ^ contre le Cens &
autres redevances de cette efpece. Mais a-t-on bien fait artention que ces
droits font des propriétés aufli réelles que toutes les autres , & qu'on ne doit
violer la propriété de perfonne, fous prétexte de quelques abus Si inconvér
niens. Il faut réformer ceux-ci , fans bleffer l'autre.
On dit ; j> fi l'on voulôit réfumer tous les fiiits principaux de l'hiftoire
» des Cens en Europe , on verroit que la plupart de ces charges fëodales
» font une fuite malheureufe de l'Anarchie des V«, VP. & VII*. fiecles.
» C'eft dans ces temps de calamité , où les révoltes &^le brigandage des
n fiefs s'eft établi : c'eft alors que l'on détruifit le fage principe du droit
9 romain, ou plutôt du bon fens, qui exige, que l'on annulle, que l'on
n tienne pour non écrites toutes les claufes des aâes qui font ou ufurai-
9 res , ou irritantes , ou inhumaines, a Cela peut être vrai jufqu'à un cer-
tain point. Mais les chofes ont bien changé depuis le VII^. fiecle.
On ajoute : » A l'égard des Cens & hommages , établis par droit de
» conquête , ils (ont encore plus (inguliers. Quel fpeâacle de voir dans
9 l'hiftoire , un tas de petits Seigneurs révoltés contre leur Souverain légi-
» rime , qui s'accordent fiirtivement pour aller piller publiquement & fac-
a» cager réciproquement leurs vaflaux , âc mettre des importions perpétuel-
» les , fous prétexte de guerre ! Que l'on eft fcandalifé quand on lit dans
» le ftatut Delphinal , que les Seigneurs fe ré fervent le privilège iPalUr à
9 volonté fe faire la guerre les uns contre les autres !
3> Que de terriers créés par force ou par furprife ! Que de terriers an-
ai Duellement inculpés de ratures, d'additions, de fklfifications ! Que de ter-
9 riers créés par des ufuriers, c'eft*à-dire, à prix d'argent, avec rente,
9 lods & ventes. Pe la quartale on a fait le quartal ; de la bichette on a
9 fait le biçhet : on fait payer comble & double l'avoine ; on élargit les
9 mefures; on brûle deux ou trois paperaffes dans un cabinet ; & l'on
9 fait dre(rer des procédures dVchives brûlées : fous ce prétexte , l'on fait
9 reconnoître en direâe univerfelle , avec lods & ventes , des milliers d'ar-
9 ticles de rentes bâtardes. Qui croira qu'il y a eu des fèudiftes, qui ont
9 ofé foutenir dans ce fiecle , que les lods au tiers denier , n'étoient pas
9 ufurairesy & contraires au droit Romain; que les lodis ou tiers denier
9 foumettoient l'acquéreur à payer au Seigneur la moitié du jufte prix;
9 qu'il n'y a point de terre (aus Seigneur ; que les Cens font univerfels
9 OC impre(criptibles , (fc. ?
Une (âge légiflation doit réprimer de tels abus » & alléeer , autant qu'it
eft poffîble, le joug impofé par les Seigneurs fur leurs vafUux, fans MefTer
néanmoins la propriété de perfonne.
CENSEUR.
CENSEUR.
J_jE Cenfeur, dans Pancîenne Rome, étoic un des premiers Magiflrats.
Ses fonâions confiftoient d'abord % faire le denombremeni du peuple & la
répartition des lâches pour chaque citoyen , comme nous l'avons expliqui.-
ci-defllis à l'arricle Cens. Sa charge avoir encore pour objet la police &
la confervation des bonnes mœurs dans tous les ordres de la République.
y^iy^l ci-après l'article Censure.
CENSEUR ROYAL.
CENSEUR DES LIVRES.
Vm^'Est le nom que Ton donne en France à des perfonnes chat^ëes
par le gouvernement, du foin d'examiner les livres que l'on veut impri-
mer, pour empêcher qu'il ne fe publie rien par l'imprefTion qui puiflè fë-
duire les efprits par une fàuffe doftrine , ou corrompre les mœurs par des
maiimes dangereufes. Leur nom efl emprunté des Cenfeurs Romains , donc
une des principales fônâions étoit de maintenir la police , & de veiller à
la confervation des bonnes mœurs. Oo ne fauroic nier que le but de cet
établlifement ne foit des plus fages , & ne mérite toute l'attention d'un
bon gouvernement. Les erreurs qui fe répandent, font d'une plus grande
confëquence qu'on ne le croit ordinairement & généralement. Les vérités
tiennent les unes aux autres par une chaîne néceuaire; l'une renferme l'au-
tre, & de vérités en vérités, on parvient fouvent de la moins importante
en apparence, à celles qui intéreHent l'humanité. Il en efl de même des
erreurs; une fàuflèté qui femble«n'étre d'aucune conféquence, quand on ia
confidere feule, & ifolée, renferme fouvent dans fon feïn, ou pour parler
fans figure, dans l'étendue du fcns de la propofuîon qui l'exprime, des
erreurs ef&ndelles qui peuvent jetter l'efprit qui les admet dans les égare-
roeos les plus funenes. Le danger de l'erreur n'ell pas dans la feule fpé-
culation: fi ce fur quoi je me trompe ne peut jamais, ni par lui-même,
ni par tes objets dont il me Bât juger par analogie , devenir l'objet de mes
volontés , de mes déterminations , de mes démarches , de mes afTeâions ,
de mes difcours , de mes aâions ^ il eft aflèz peu important pour Thuma-
nité, fi je me trompe, ou fi je crois la vérité; mais il eft bien peu de
propofitions de cette nature , & s'il y en a , les efprits fages n'en font pas
robjet de leurs recherches. Le plus grand nombre des propoGtioas , difons
128 CENSEUR.
mieux , prefque toutes les propofmons , fur la vérité defquelles refprit
s'exerce , influent fur nos démarches , foit immédiatement par elles-mêmes,^
foit médiatement , par les conféquences qui en découlent. C'eft des démar
ches des hommes que dépend le bonheur & des particuliers & du public ;
c'eft des idées de la vérité defquelles leur efprit eft prévenu , que décou-
lent leurs démarches. Que des erreurs s'offrent à leur efprit comme des
vérités, leurs démarches feront aufli éloignées du caradere moral qu'elles
doivent avoir pour les rendre heureux , que leurs idées feront éloignées de
la vérité. Or les livres qui fe publient fans entraîner néceflfairement l'ef**
prit de tous les leâeurs , trouvent toujours quelques perfonnes qu'ils per«
fuadent & dont ils règlent la croyance. Si tous ceux qui lifent étoient
éclairés, & ne donnoient leur affentiment que fur des preuves fuffifantes,
les mauvais livres ne feroient que des livres mauvais , qui n'ioduirtient
perfonne dans l'erreur , & qui ne s'attîreroient que le mépris du public :
mais il eft tant de leâeurs ignorahs qui ne jugent que fur l'autorité pré-
tendue de ce qu'ils lifent ou entendent v il eft tant d'efprits faux qui ne
diftinguent point le fophifme des preuves folides ; il eft tant de cœurs gâ-
tés par les paffions qui faififfent avec feu tout ce qui les flatte , & qui s'au*
toriient de ce qu'ils lifent pour fe permettre une conduite , que fans le
poifon de l'erreur, leur confcience leur auroit interdite. Il eft tant de lec«
teurs dont l'ame mal affermie contre le vice |iè corrompt par des leâu-
res qui peignent le crime comme délicieux, la vertu comme déplaifante^
le vice comme n'ayant plu^ rien de haïffable, lorfqu'il conduit à la volup-
té. Le bonheur des États, des fociétés, des familles, des individus, eft in-
féparable de la bonne croyance & des bonnes mœurs \ les mauvais livres
Seuvent corrompre & corrompent fouvent l'un & l'autre. Les livres font
onc un objet lur lequel il importe au gouvernement de fixer dés regards
attentifs, pour prévenir la publication des livres mauvais, & en empêcher
les effets tuneftes. Tels font les principes fur lefquels on a fondé l'établif>
fement des Cenfeurs j telles font les vues ^ftimables qu'ont eu les gouver-
nemens , en chargeant certaines perfonnes du foin d'examiner les livres 1^
imprimer , afin d'empêcher qu'il ne fe répande dans le public des principes
faux, des maximes vicieufes , qui gâtant les efprits & corrompant les cœurs,
fappent les fondemens du bonheur des hommes , qui eft appuyé fur la
vérité & la vertu.
Tout en applaudifTant en bons citoyens à des intentions fi eftimables ,
pouvons-nous applaudir de même aux fuccés de ces foins, quand nous en
jugeons par le fait même? A-t-on bien compris ce que c'étoit qu'un Cen-
Un Cenfeur eft une perfonne chargée du foin d'examiner tout ce qu'on
deftine à l'imprefEonj pour juger s'il eft avantageux ou nuifible aux hom-
mes
C E N S E U R. 129
sits dPeô permettre la publication. Le Cenfeur, pour remplir le but défoh
emploi, doit doge étre^ par l'étendue de Tes lumières, un juge compé^
renc de tout ce qu'on imprime ; par (a probité , par fa droiture incornipri*
^Ic, un juge intègre, impartial, & digne de la confiance publique ; par
"on aâivité & fa diligence, un juge utile à un commerce conGdéra*
ile que les lenteurs dérangent, que les longs retards ruinent & dé«
riiilènt.
Perfbnne n'ignore la multiplicité des diverfes matières que Pon traite
lans les livres, & il n'en e(t aucune qui ne puifle être utile ou nuifible
LU genre humain : comme nous Tavons déjà remarqué , toutes les vérités
!bnt enchaînées ainfi que les erreurs , & tel livre que Ton regarde comme
l'intéreflant en rien le public , parce qu'il ne paroit avoir aucune cohnexioh
Lvec les mœurs, renferme fouvent des vérités ou des erreurs, dont certains
tiprirs tireront des conféqoences très-importantes. On peut eil juger par
^ufage que Ton fait aujourd'hui des mathématiques, de la phyfîque,'de la
[éoeraphie, de l'hiftoire, des antiquités, des langues & de la grammaire^
le Ta médecine, de l'hifloire-naturelle , de l'aftronomie , des méchani-
[lies, de la chymie, de la jurifprudence , de la politique, pour attaquer
»u défendre la relieiôn, pour juger dé la bonté générale ou particulière
les loix & des régleme^s. Quel efl donc le livre dont il n'importeroit pas
[ue le Cenfeur eût fait l'eitameii > Mais quelle étendue de connoiiTances ,
[uelle juflefle de jugement, quelle délicateffe de goût, quelle pénétration
refprit & de génie ne faut-il pas pour appercevoir d'abord, fl un livre ne
:oiitient rien de faux dans les fpéculations ^ & de dangereux pour la pra-
ique, nulle doârine erronée , nulle maxime vicieufe qui y foit renfermée,
BÏ explicitement , ni implicitement ! Cependant fans cette capacité du Cen-^
Saar, à quoifert la cenfure? à répandre l'erreur & le vice avec l'empreinte
l ^ne autôrifation refpeâable , ou à enfevelir dans l'oubli des leçons exr
clientes & utiles qu'un Cenfeur ignorànt & fans génie a mal comprifes,
!i« regardées comme dès erreurs. Comme l'univerfalité du favoir n'efl
«)nn& à perfonne, on doit choifir les Cenfeurs parmi les citoyens les
Mus éclairés dans chacune des différentes branches des connoifTancei
mimaineà.
Aux lumières tl^quifcs pour bien juger, lès Cenfeurs doivent hécefTaire*
Kieat joindre une droiture parfaite d'intentions , qui ne leur permette ja-
mais d\ifèr de partialité dans les jugemens qu'ils prononcent fur le'mé*-
î^V des livres , ou des propofitions que ces livres renferment. Que leur
nique ferment les oblige, & que leur vertu capitale confifle à noter les
^^ors fpéculacives & pratiques ^ pour les empêcher de fe répandre, ,& à
^vorifêr au contraire la publication de tout ce qui efl vrai & bon, où
^ tout ce qui peut conduire au vrai & au bon : que jamais un men-'
^nge ne paffe* dans le public à l'abri dé leur autorité , dans quelque vue
^e l'on ait eu de^ein de lui donner cours : que jamais par leur juge-
Tome XI. R
3ja C E N S E U R.
nient, une Téricé ne foie mife au rang des efreurs, ou dërobëe & la
soiflance des hommes pour qui elle pourroit être utile ^ je dis, pour qui
elle pourroit être utile , parce que cette propofition , toute vérité doit
être publiée, demande quelque reftriâion. Donner pour vrai ce qui efl
faux,'C^eft mentir, c'eft un crime : taire ce qui eft vrai, eft dans bien
jdes cas un aâe de grande prudence : il eft des circonftances oii la pu-
blication d'une vérité pourroit avoir des fuites facheufes, parce que les
<eÂ)rits, inal préparés à la recevoir, en abuferoieiit ,' par PefFet des préju-
ge dont ils font imbus, & qu'il eft difficile de déraciner , & parce qu'ils
ignorent d'autres vérités qui les mettroient en état de ne faire qu'un
bon ufage de celle, dont fans ces connoiftances ils feroient l'ufage le plus
funefte.
Qui ignore combien l'efprit de parti, l'intérêt préfent, l'envie, la jalon*-,
fie, corrompent les jugemens des hommes? Prendra-t-on un eiclave vendu
écrit, qui tire la vérité de deffous les voiles, dont pa;* intérêt elle la, cou-
vre?.Un homme de lettres, qui a la vatiité de vouloir tenir le premier
rang, favorifera-t-il l'ouvrage d'un rival qui l'éclipfe? Tout homme donc^
ou toute fociété , qui par la profeflion , ou par Je parti qu'elle embrafle ,
peut avoir un intérêt particulier différent de celui du public, pour favori-
fer une opinion , ou pour en rejetter une autre , ne fauroit être admis à
exercer aucune cenfure littéraire. C'eft pour n'avoir pas fuivi à cet égard ^
ce qu'exigeqit , la fageffe , que l'on a vu quelquefois paroitre avec des ap-
probations-de Cenfeurs , des écrits rempli^ de fituffetâ;, d'erreurs, de pcin^
cipes dangereux, de maximes funeftes, de doârines abfurdes ; >& . à com-
bien d'ouvrages bons & utiles l'intérit , l'envie , la haine , l'efprit de parti ,
n'ont-ils pas empêché de voir le jour? i .
La librairie étant un commerce dont l'objet exige des avances très-for-
tes, une profeflion qui roule fur des fonds confidérables , & dont le fuc-.
ces dépend fouvent de la célérité, les retards lui nuifent, quelquefois
même le détruifent abfolument^ il ne fuffit donc pas que les Cenfeurs
foient capables par leurs lumières , dignes de confiance par leur amour
impartial pour la vérité & leur zèle pour la vertu; il niut encore que
leur diligence, leur aétivité affidue^ ne faffe pas fouffirir à cette brancher
du commerce, des retards infupportables aux auteurs & aux libraires.
C'eft pour prévenir ce retard, que l'on a affez multiplié les Cenfeurs pour
au'ils fuffifent à l'examen de tous les livres qu'on leur préfente. Ils font
e plus invités à accélérer l'expédition des approbations^ Il eft vrai que
dans un fiecle où nous avons une grande intempérance de littérature , les
Cenfeurs, trop peu payés pour vivre du revenu de cette charge qui eft
auffî pénible qu'importante , font forcés , pour fu£re à leur entretien ^ de
CE N SE U Rv ^ 13,
i^oceuper de beaucoup d'autres chofes qui leur prennent un temps quMs
ne peuvent pas donner à la leâure attentive & judicieufe des écrits qu'on
our préfente.
Four qu'un Cehfeur (bit utile , il faut donc qu'il ait afTez de lumiè-
res, pour juger fainement, afTez de droiture pour ne prononcer qu'en
Faveur du vrai avec une entière impartialité , enfin anez de diligence
pour que jamais il ne nuife par Içs retards au çommçrce dpnt il a l'inf-
)eâion.
Quand on auroit fourni à la première de ces conditions par des Cenfeurs
ou par des fociétés littéraires ^ dont chacune ne jugeroit que de ce qui
eft dé fon reflbrt; quand on auroit fatisfait à la féconde , en ne choi-
roit prévenu les retards de Pindolence ou du mlanque de loifir , le gou-
irernement n'auroit pas encore atteint le but de l'etablilTement des (.en-
Peurs. S'il eft permis d'imprimer des livres , fans les avoir fournis à l'exa«
tnen , ou s'il eft permis de faire entrer dans un pays des livres imprimés
chex récranger , & qui par-là même, n'ont pas été foumis à la cenfure,
il n'eft rien de plus inutile dans la fociété que les Cenfeurs; les màuvai^^
livres s'impriment & fe débitent. Aufti non* feulement aucun imprimeur-
ae peut mettre d'ouvrage fous prèfte , qu'il n'ait été examiné par un des
Cenfeurs établis par le Gouvernement ^ mais les marchands libraires ne
leuvent encore mettre en vente aucun livre venant de l'étranger fans en
ivoir eu auparavant la permiifîôn : laquelle ne leur eft accordée que. fui-
l'approbation d'un Cenfeur à qui l'on remet /un exemplaire de l'ouvrage
jour le lire & l'examiner. Jufau'à ce que cette formalité foit remplie,'
es livres venant du dehors renent en dépôt dans les Chambres Syn-
licales.
En France la difpofirion de l'article 23 de l'Ordonnance de Février 16^7, .
lonnée fur les remontrances du Clergé , confirme aux Evéques , comme Ju-
les naturels de la doârine , le droit de juger ou de faire juger par des -
^nfçurs les livres de Théologie , & de Piété qui s'impriment dans leurs
Diocefes. Cette infpeâion pour les livres mentionnés a été accordée
nflt par les Papes & par les Rois de France aux Doâeurs de la Fa-
ut té de Théologie de Paris , fans préjudice néanmoins du droit des
Ivéques.
L'afage a£hiel de ce Royaume , eft que Mr. le Chancelier choififTe parmi
Bs Doâeurs ceux qu'il juge à propos pour cenfurer les livres de Religion»
Ce de Doârine , & de même parmi les Laïques ceux qu'il honore du titre
c Cenfeurs, pour juger les livres de Jurifprudence, de Politique , d'Hiftoiie,
^c Belles-Lettres, &c. Après avoir examiné avec tout le foin dont ils Ibnb
R 2
ijx C E N s U R R
capables 9 Tcaviage qui leur eft confié » ils en rendent compte à Mr. le Chin^
celier ou à celui qu'il a commis à fa place.
Parmi les Cenfeurs, il y en a un certain nombre qui font penfionnés dn
Roi 9 cette penfion eft de quatre cents firancs.
5
CENSURE^f. £ Magijhraturc Romaine ^ dont une des principales
fonâions était de veiller aux bonnes mœurs.
I i A première inftitution des Cenfèurs , comme nous l'avons dit k Parn-
cle Cens, ne regardoit que les finances, auxquelles ils étoient unique-
ment pr^pofés , mais la vertu auftere de ces Magiftrats , les porta à exami*
ner , & peu*à-peu à blâmer les aâions des citoyens : cette difcipline pa-^
rut utile.
Tous les Auteurs, les Grecs comme les Latins, (e (ont accordés fur l'é*
loge de la Cenfure , & Tont regardée comme tme des grandes caufes de
PaccroilTement & de l'éclat de la République Romaine. Ils remarquent que
lorfque des guerres longues & périlleufes la firent négliger, on vit dégéné-
rer les mœurs : de même qu'un régime abandonné livre un tempérament
faible à des infirmités légères, mais quotidiennes^ qui ne tardent pas à fe
Convertir en maladies férieufes.
Que Ton ralTemble tout ce qui a été dit par plufieurs , fur les caufes de
la grandeur & de la décadence de Rome^ on en fera un extrait fidèle, en
difant que tandis que les Romains pratiquèrent les vertus humaines , leur
puiflànce hùmaioe augmenta v que lorfque les profpérités & les richeffes les
eurent bannies , la République pencha vers fa cbûte. Le fort des Etats tient
donc aux mœurs.
Un Auteur, bien digne d'efUme, a écrit que la corruption des mœurs a
été à-peu-près la même dans tous les fiecles, & que la feule dépravation
du caraâere d'une nation eft le préfage de fa décadence. Il explique ce qu'il
que l'un & l'autre doivent fe fuivre de bien prés.
En efFet, c'eft- une erreur de croire que la négligence dans les devoirs ^
la di(fipation fans mefure, la fenfualité volupmeufe, l'ufage des plaifirs qui
va à mériter le nom de libertinage, & quelques autres vices dans ce goût,
ne méritent l'attention que du Moralifte. Le Politique .doit appercevoir dans
l'efprit qui fe porte aux irrégularités, & dans celui qui les tolère , lafemence
des vices dettruâeurs des empires ; il doit fentir que l'amour du prochain
eft le chemin de l'amour de la patrie.
Cicéron difoit que le Tribun qui le premier avoit ébréché les pouvoitt
des Cenfeurs avoit ruiné la République..
C E N s U R B.
»3î
On ioxt dire que là Cenfure avoit cetCé au moment ou elle sMtoit relâ-
chée; c'eft uo reflbrt qui fe décraque & produit un faux mouvement. Le
peuple, que ce relâchement laiiToit tendre à la corruption , nomma desCen-
leurs qui méritoient é^txe cenfurés. Cajus-*Geta , rayé de l'ordre des Séna-
teurs, parvint à écre Cenfeur lui-même : tout fut perdu.
Ce Miniftre étoit particulièrement defliné à corriger les abus que la juftice
ne punit point. Jl eft peut-être autant eifentiel que celui qui châtie les cri-.
mes : cette réflexion reviendra, Seneque penfoit que c'eft peu d'être inno- *
cent félon les loix; la règle des procédés & de la probité, a une circonfé-*
rence plus étendue que la juftice coërcitive. Le bon ordre peut-il permet*
tre qu'il y ait des vices qu'aucune autorité ne foit en droit de reprocher ni
d'arnêten
Il eft difficile' d'imaginer comment deux Cenfeurs uniques étoient capa-
bles de contenir tes mœurs dans la ville de Rome. Cependant il ne faut que
peu de réflexion pour le concevoir.
La conftitution Romaine avoit répandu par-tout des Cenfeurs qui n'en
avoient pas le titre ; les efclaves faifoient le grand nombre , ils avoient leurs
maîtres, dont lejpouvoir abfolu les comenoit, & dont l'intérêt étoit de les
contenir. La puiflance paternelle & la maritale , dont l'autorité n avoit pour
ainfi dire point de bornes, arrêtoit la fougue de la jeunefle & la légèreté
des femmes : le père de famille étoit un cenfeur né , dont la correéUon étoit
du plus grand poids.
L'attention des Cenfeurs Magiftrats ne devoir porter que fur ces chefs.
Parmi ceux-là , un corps diftingué , fur lequel tous les regards étoient atta-
chés , donnoit l'exemple & fervoit de modèle. Il eft de re^Ie par-tout que
les petits fe montent fur les grands ^ de forte qu'il fuffifoit de régler les
mceurs du Sénat pour que tout fut réglé : auffî les Sénateurs & les Cheva-
Kers faifoient toute l'occupation des Cenfeurs , & c'étoit affez.
I On voit par-là que la Cenfure , forte & puiffante dans une République .
;, le feroit moins dans une Monarchie , où ce qui donne le ton ne pourroit
r' y être fournis; mais fera-ce une raifon fuffifante pour l'en exclure,
pour dire, ks Cenfeurs ne feroient pas bons contre la corruption d'une
Monarchie , & la corruption d'une Mofiarchie feroit trop forte contr'eux i
Pourquoi la nature de la Monarchie feroit - elle d'être plus corrompue
qu'une autre efpece de République > Bien au contraire \ là ou les loix ont
plus de force , là où réfîde une autorité plus réprimante , il eft plus ^cile
d'y introduire des mœurs.
Il eft évident que cette idée a été prife dans l'état aéhiel d'une Monar«
chie que l'Auteur avoit dans la penfée , & cet état vicieux eft précifément
ce qui doit engager à chercher des règles pour oppofer à la dépravation :
toute conftimtion peut en admettre. Le mauvais état afhiel eft une preuve
des mauvaifes loix , du peu d'attention qu'on a eu dans l'origine à fonder
^] les mœurs fur l'éducation ^ précurfeur néceftaire de la Cenfure,
i|4t C'E'N'JS U; R::E;
Les Monarchies, dit*- on , font Ibodées fur l^onnoûr, & Il natOre de
Thonneur eft d'avoir pour Cenfeur tout l'univers. Ou le fondement n'eft
pas pris dans le vrai, ou l'honneur n'eft rien moins que l'équivalpat de.
la Cenfure. La corruption aâuelle qui a fourni 1^ premières raifons , en
eft la preuve. Si cette Cenfure idéaU eft fan$ ef^t,.on ne doit pas iater*.
dire celle qui peut en procurer*
Revenons à la lëgiflation \ elle peut tout. U a pu arriver que la politique*
d'un Monarque ait laiflé un cours libre aux mcpurs. S'il a voulu fe faiiir de
l'eftentiel de la liberté , il a dû éviter de la gêner dans les détails de la
vie privée : ce n'eft pas ce que j'appellerai un bon gouvernement.
La Cenfure ne doit avoir aucune jurifdij^on proprement jiite : tel étoit;
l'ufage de Rome. Mais un regard, un reproche du Cenfeur touchoit plus,
vivement que l'arrêt du Magiurat. Quand on faifoit Je lufttç, les Séna-
teurs, l'ordre équeftre, le peuple, tout trembloit devant les Cenfegr^, Le
Sénateur craignoit d'être exclus du Sénat, le Chevalier d'être rangé parmi
le peuple, le (impie citoyen de perdre fa voix & d^être mis au nombre
dçs Cerites & Tributaires.
. Les Cenfeurs déplaroient feulement que ceux dont la conduit^ étoit.
répréhenfible , méritoient ces peines ; mais ils ne les ordonnoient pas. Le.
Sénateur rayé de la lifte pouvoit préfenter fa, requête au peuple-: (i, fur.
Foftre de prouver fon innocence, le Cenfeur neie rendoit pas accufateur.
comme particulier, ou fi, à fon défaut, quelque autre n'entreprenait pas.
de foutenir la juftice de la Cenfure, on n'alloit pas plus loin, le blâmé
étoit abfous & reftitué : il en étoit de même des autres ordres*
Si l'autorité des Cenfeurs eût été armée de jurifdiétion , elle auroit biçntôt
dégénéré en tyrannie. Les grands pouvoirs ôtés aux grands corps , & portés
fur une tête , entraînent , par une ^talité abfoluc , Içs abus & Toppreflion»
On ne fauroit' faire trop d'attention à la vérité de ; cette maximis ; fon
obfervation eft la feule chofe capable de i^aintenir la liberté dans le degré
que tout bon gouvernement doit procurer à des fujets,
Cicéron -dit que l'effet du jugement des Cenfeurs étoit feulement de
faire rougir ; leur fuite étoit l'ignominie , & non l'infamie î di^rençe que
la plupart des Jurifcenfultes n'ont point apperçue. Celui ^qui fe foumettoit
à la Cenfure, & qui, dans la fuite » obtenoit du peuple quelque commiflioii
proportionnée à fon état précédent i ou qui étoit rétabli par les Cenfeurs
fuivans, étoit lavé de l'ignominie : mais fi fur fa requête il étoit con^
damiié , & la Cenfure confirmée , il étoit incapable à jamais d'aucuQ
emploi. .
La règle vouloit encore que les Cenfeurs ne puflent être appelle en ju?
gement pour rendre compte de cette partie de l'exercice de leur charge ,
ce qu'il étoit cependant permis de faire contre tout Magiftrat, & contre
les Cenfeurs eux-mêmes, comme prépofés aux finances.
Si on veut réftéchir à l'efprit de tous ces milieux , de ces tempéramens
CENSURÉ; 135
qui rendoieot ttf Cenfure libre , redoûtàbfe & mile; fans néanmoins lui
donner jin pouvoir abufif, on en fentira toute la fagefTe, & on y trouvera
le modèle des meilleures confiitutions.
Cefl dans ce goût qu'on pourroit établir la Cenfure ^ même dans les
trouver la vertu , fi on la perdoit dans l'indépendance de la Cour.
La République dé Véniie a une Cenfure. On y créa en 1^66 trois Ma-
gifbats qui furent appelles / fignori fôpra il ben vivere délia città. L'année
d'auparavant , Bodin avoit mis au jour un livre dans lequel , parlant de cet
Etat , . il remarquoit que parmi le grand nombre de fts Officiers on avoit
oublié ceux -^ là, quoique les }>lus nécefTaires. Peut-être cette oblèrvatioà
doniia*t-elIe lieu à la nouvelle inititution.
I
D B L A C E N S U R É P U SL I Q U B.
L eft bien louable à ceux qui (ont préoofés au Gouvernement, de
profiter des réflexions que des geni d'étude oc fenfés produifent quelque-
Ibis dans le public. ] '
Nous avons parmi nous une efpece de 'Cenfure inconnue aux ancien^;
& qui dans la théorie devroit profiter, même fuffire aux mœurs, c'efi la
pureté de 'la morale de l'Evangile ; préfentée dans les Catéchifmes &
les Prédications de fes Miniftres. Les Religions païennes n'interdifoient point
un nombre de principes corrupteurs que la nôtre, condimine. On les regar-
doit cependant commd nuifibles à l'Etat ; & il fèmble que c'eft au déBiut
d'une laine morale , & de pratiques établies pour l'entretenir , que l'on
a iûftitué l'ancienne Cenfure. L'excellence de nos jpréceptes, & leur joug
étroit , paroifiènt rendre toute autre fuperflue.
- Pourquoi les effets ne répondent - ils point aux apparences? Pourquoi,
onalgré le zèle de nos Pafteurs , la pureté des premiers fiecles du Chrifiia^
aifme va-t-elle toujours en dégénérant fous cette perpétuelle Cenfure > Je
n'en parlerai que ^oitime Politique ou Philofophe , les autres confidérations
ont hors de ma matière.
A mefure que l'homme fent aull mérite la Cenfure, il la craint : un
"Ssatinient naturel l'en éloigne , lorfqu'elle eft d'une nature qui lui laifle
^ liberté de l'éviter. Celle-ci n'eft donc Cenfiire que pour ceux qui veulent
^^endre & s'y prêter, & ceux qui le -veulent, font communément les
^-ntes qui en ont un moindre befoin.
La Cenfure trop vague qui ne défi^ne perfonne , & qui ne fiiit rougir
^u'en dedans , n'eft rien ; celle qui puDlie ht honte , fans néanmoins dégé-
nérer en fatyre , peut tout. Car la fatyre aigrit & révolte \ mais la Cen*-
^e adroitenàextt ménagée eft une leçon falutaire.
i^ Ç E N s- U R E.
La crainte d'une peine prochabe , qui huoiilie Tamour-propre eo fl^
peut
des paffions.
On fe flatte inutilement de contenir les hommes en parlant à la raifon^
fi on ne joint au difcours une autorité palpable. 11 '£iut fcapper les fens
pour corriger le défordre des fens.
Les Gouvernemens ont cru réprimer le défordre des mœurs par Téta-
blifTement des Magiflrats de police : mais nous ne voyons pas x|ue cette
inftitution , utile à tant d'égards, ait tout Pef&t Qu'on en attendoic.
Ignorer ce que peuvent l'éducation & la Cenlure for les mœurs , c'eft
ne raire, aucun ufagç de la faculté de raifonner. Croire que la qualité des
mœurs eft indifférente au corps de l'Etat, eft une opinion qui n'a pu naitce
qu'au milieu de la plus grande dépravation.
La Cenfure pubUque qui s'exerce au théâtre par les auteurs draman-
ques , & dans les livres par les moralifles , peut avoir aufli un très-bon
elFet. L'amour de l'eflime & le défir que nous avons tout naturellement de
nous établir du bon côté dans l'opinipn publique , feroient de^ raifons pro^
près à nous déterminer à pratiquer la vertu & à Aiir le vice , fi chacun ne
le faifoit pas illufion fur foa propre mérite , & fi les hommes . étoient
moins faux & moins compoféj. 11 eft donc à propos, pour rappeller auxci^
toyens leurs devoirs, pour exciter clans leurs âmes l'amour du bon ordre ^
fur- tout pour éclairer les aâions fourdes & obliques des riches & des fri-
pons, qu'il y ait des écrivains moralifles qui exercent une efpece de Cen«
fure publique, non p^r des libelles & des fatyre^ perfbnnfl}^:, ce ouife«
roit un abus criant, mais .par des écrits, par desvpeîntures , aflez jultes âc
affez vives des mœurs nationales., pour que chacun rentrant dans fpir
même , pût fé reconnoitre , rougir & fe; corriger. . .
Peut-on douter de l'utUité de la Cenfure qu'ont exercée Molière, la Roche-
Foucault, la Bruyère & d'autreç écrivains dç cette efpece ? Leur Cenfure^
quoique générale en apparence , avoit fes applications précifes qui por-
toient coup. Le pouvoir de l'opinion ppblique çfl grand Air la volonté des
hommes. Il maitrife les efprits les plus altiers. On voit fouv^ent des Mi«*
niflres s'inquiéter de ce que *la cour ^ la ville penfent & difent d'evix.
Après la crainte de la difgraçe, celle de la Cenfure publique, eft lu plut
forte fur leur ame. C'efl un frein qu'il efl bon de rembrcer.
De même que la déclaration de la volonté générale fe hit par la loi ;
dit le célèbre citoyen de Genève, la déclaration du jugement public fe fiiit
{)ar la Cenfure ; 1 opinion publique eft l'efpeçe « de loi dont le Cen leur eft
e Miniftre, de qu'il ne fait qu'appliquer aux cas particuliers, à l'exemple
du Prince.
Loin doue que le tribunal ceQipi;ial ^{t l'arbitre de . l*opiBion du peu-
■ pie.
CENSURE.
«37
t
Îile^ il nW eft que le déclaniteur, & fi-€6t qu'il s^n^éctrte, (es déciGons
ont iraifies & fans effet.
- Il eft inutile de dtftinguer les mœtlrs d'une nation des objets de fon eP
time ; car tout cela tient au même principe , & fe confond néceffairement^
Chez tous les peuples du monde ce n'eft point la nature, mais Topinion
ui décide du choix de leurs plàiûrs. Redre(&z les opinions des^hommèsi
leurs mœurs s'épureront d'elles-mêmes. On aime toujours ce qui eff
beau ou ce qu'on troure tel, mais c'eft fur ce jugement qu'on fe tfoi^ipe;^
c'eft donc ce jugement qu'il s'agit, de régler. Qui juge des mœurs juge de
l'honneur, & qui juge de l'honneur prend fa loi de l'opinion.
Les opinions d'un peuple naiiTent de fa conftitution ; quoique la loi ne
règle pas les mœurs , c'eft la légtflation qui le fait naître ; . quand la liA
^nation s'affoiblit , les mœurs dégénèrent ; mais alors le jugement des Ceûr^
feurs ne fera pas ce que la force des loix n'aura pas fait.
La Cenfure maintient les mœurs en empêchant les opinions de fe cor-
rompre , en confervant leur droitdre par de fages applications , quelquer
fois même en les fixant, lorfqu'eiles font encore incertaines. L'ufage des
féconds dans les duels , porté jufqu'à la fureur dans le Royaume de Franr
ce , y fut aboli par ces feuls mots d'un édit du Roi ; fua^nt à ctux qui
ont la lâcheté dTappcUtr des féconds. Ce jugement prévenant celui du ^u^
blic le détermina tout d'un coup. Mais quand les métties édits .voutureot
prononcer que c'étoit auffi une lâcheté de fe battre en duel \ ce qui eft
crés-vrai , mais contraire à l'opinion commune ; le public fît peu de cas
de cette décifion fur laquelle fon jugement étoit déjà porté.
^ L'opinion publique n'étant point fçumife à la contrainte , il n'en fallait
aucun veftige dans le tribunal établi pour la repréfenter.. On ne peut trop
admirer avec quel art, ce reifort entièrement perdu che^ les mod^^fnes
Àoit mis en œuvre chez les Romains & mieux chez les Lacédémoniens.
Un homme de mauvaifes mœurs ayant ouvert un bon avis dans le con«
feil de Sparte , les Ephores , fans en tenir compte , firent propofer le
même avis par un citoyen vertueux. Quel honneur pour l'un , quelle not0
pour l'autre, fans avoir donné ni louange ni blâme à aucun; des deux!
.Certains ivrognes de Samos fouillèrent le tribunal des Ephores ^ le lende-
xnain par édit public , il fut permis aux Samiens d'être des vilains. Un vriù
châtiment eut été moins févere qu'une pareille impunité. Qyand Sparte a
prononcé fur ce qui eft ou n'eft pas honnête ^ la Grèce n'appelle pas d^
îcs jugemens.
1
Censure des L i v r b s.
1
L y a, commtJ nous l'avons dit , dans plufieurs Euts :de PEurope & ftar-
tout en France ^ des Cenfeurs prépofés à Pexamen. des livres , & ordinaire-
ment on n'en donne aucun à rimpreffion quîue ibit muni d'une aneftjitioo
Tonu XI. 's
r^a C E N* s tSr K E.
du CêhfeurV qui dédarè au moins que le livre œeomSeiit rien qmpuiflc .
empêcher rimpreflion -r car l'emploi du Cenfeur n'èft pas de taire l'élog
d^m nouvrage. &'il le fait, c'eft un cadeau dont un auteur doit lui favoi—
gré. La fonction de Cenfeur eft délicate. J'ai vu beaucoup d'auteurs mécoo^
tens qui avoient tort de l'être. J'en ai rencontré anfll 'quelque&ùns qui avoi
raifon. Un Cenfeur ne doit être ni trop diflicultueux^ ni trop peu fcrupuraM^*
ieux. Par ces deux excès il manqueroit ëgalement à la- confiance du mini
tere, & à ce que ceux qui écrivent attendent de lui. Je ne (>enfe pas qu'c
axtfeur, s'il a de b droiture, puifle défirerque fbn livre voie le jour, fi un exa
men judicieux ne le permet pas. Il a droit aorfli d'exiger que cet examen
2oi condamne fon livre à rentrer dans le porte* feuille, foît judicieux & rai
>àné. Ce droit efl fondé ftir'un principe ptos fore quêta vanité d'auteuj
Un Cenfeur efl comme le juge de l'honnêteté d'un< Ecrivain ^ de fa probité,
de la bonté de fes fentimens , non aux yeux du ptibiic , parce que ce jog
ment; ne fe divulgue point ^ mais aux yeux du minifiere qui , bien qu'u
auteur ne fè nomme pas toujours , & fe ferve fouvent d'une main tier
pour préfenter fon ouvrage , ne manque poufftfnt pas de -iiioyens pour I
connoitre. Un Cenfeur qui , en refufant une permîflîon d'imprimer , charg
un ouvrage de qualifications diffamantes, note TAuceur de la même tache
& Je fait regarder par le minifiere comme un citoyen dangereux. Cela mé
rite bien , je penfe , que l'on y faffe attention. Toutes les paroles doivent
être pefées*
mations les plus exade5 pour n^étre point trompé. Ce n'eft pas afleï. Soit
qu'un auteur n'ait pas le ratent de s'exprimer toujours avec la plu^ grande
jufleffe , foit que, dans le fëu de la compofition, il lui échappe des' traits
trop forts, foit que l'Examinateur lui-même « préoccupé d'idées étrangères
au livre qu'il apprécie » donne aux mots un fens qu'ils n'ont point, il arrive
très-fouvent qu'un ouvrage efl blâmé , & avec raifon , mais félon une inter-
prétation fuppofëe, à laquelle peut-être des expreflions peu correôes ottt
dotunè lîeii. C'efl uile injuflice qu'un Cenfeur auroit pu éviter , s'il s%to%
-dominé la pêîné d'étitrer dans l'efprit de rauteùr.
^ y a dés Cénfeurs auffi éclairés que réfervés â condamner, au firès de criA
lin auteur a toutes^ fortes de facilités de s'expliquer fur les points conteftés
entre eux : il feroit bien à fouhaiter que tous fuffent de ce caraflere. Te
fuis fur qu'ils trouveroient toujours les auteurs raifonnables, & prêts à fà-
crifier à la vérité ëc acf public totit ce qui dans leurs écrits pourroit en ren-
dre la leôure nuifible, à expliquer nettement tout l'équivoque, à réformer jfar
des correâifii'tout ce qui eiî a réellement befoin. J'ai Àé moi-même dans
te <:a6 d'avoir une explication avec un Cenfeur réputé pàuc être un des plus
difficiles. Les chicanes qu^ fàifoit me prouvoient aflez qu'il méritoic toute
C M N &'• U R E. , fj^
la répntMticm dottt U jomâbic à cet églud. Je me trouvôls li Paris : )e l'ailal
nàt. Je montrai d'abord beaucoup de déférence pour ifes remarques. Je
le priai eofaite de vouloir bien m^écoucer , Taflurant que û , après kiv^avoir
tes , & le réittltat de notre conférence fîit que je modifierois un feul pafTa^
ge. Si Ton en croit le$ plaintes des auteurs , il s'en faut bien que tous les
Cenfeurs foiem aufli traitables que celui-là. Les uns, dit^on, font des enne-
mis déclarés de toute Philofophie vraie ou faulTe , oui voient par*tout . de
l'irréligion , de Timpiété, de Pathéïftne, qui touri^ant lans ceffe dans un cer-
cle de préjugés, rejettent (ans exanien tout ce qui n'y reutre pas. Lesau^^
très fotkt des gens vendus au Gouvernement , qu'ils fervent baflènient en trai*
tant d'efprit remuant & dangereux tout citoyen politique qiii ofe difcuter
des matières d'adminiftration , quelque cîrconfpeéHon , quelque modération
qu'il mette dans fes difcuflions. J'avoue de bonne foi que j'ai oui des per«
déplorer un tel abus. J'aime mieux entretenir le leâeur d'une qi
ponante fur ht' Gehfiire des livres. Efi-il aufli néceflfaire , efl-ii auffî utile
qu'il y ait des Cenfeurs de livres, qu'on le penfe dans quelques Etats ? Un
Angtdis 'aurait bientôt décidé. Ou plutôt je n'oferois fiiire une pareille quef-
tion à Londres , ni même à Amfterdam.
Le Parlement d'Angleterre avoit défendu en 1644, d'imprimer aucun
livré, aucune brochure 9 aucun écrite quel qu'il fôt, qu'il n'eût été premié-
Temient examiné & approuvé par celui ou ceux qui feroient choifis pour cet
cfièt. Une pareille défenfe ne pouyoit que djéplaire extrêmement aux ama-
reurs de la liberté de penler & d'écrire. Milton , aufli grand Philofophe qu'ex*
relient Poète, tjuoique plus connu fous cette dernière qualité, adreflà au
X'arlement un difcours en faveur de la liberté d'imprimer fans approbation ,
^ôus ce titre Artopamticà ; ^r A fpecchfor tfie liherty ofun Ucens^d Prin*
^ing. Ce difcours en plein de *fbrce & de vivacité.. L'auteur y repréfente
d'une manière bien (enfible les inconvéniens idé la défenfe du Parlement.
Xi y-fiiît voir prehliéît ment qu'il n'y a j^aimâiseu que des tyrans qui aient
entrepris de mettre des bornes à la liberté d'miprimer ou de publier tels
livres ou tels ouvrages qu'on jugeoit à propos'^ en fécond lieu que la dé*
iEenfe en oueftion eft inluffifante pour prévenir l'impreflîon des ouvrages
prétendus féditieiîbc, fcandafeux & diffaniàtoires ; & le fait prouva qu'elle
^es multîplioit aulieti d'en dinSinuer' le àptîibre^ enfin qii'uné pareille dé-
ftnfe n!eft propre qu'à décourager lés'grfrts de'lenrès & les favans, i re*-
tenir la vérité captive , èc à replon^r les hommes dans U fuperftîtioh &
*ans l'ignorance.
14© CBN S U R R
LV(&t:que cedifcours produifit fut tel qat Maibtfot , ! nomtoé. Cëofeur del
livres , repréfenta lui-même au Parlement les raifons qui dévoient Tengageff
à abolir cet office ^ & fur fa requête il fut déchargé de fon emploi. On oe \ 0
fera pas fâché de trouver ici les raifons que Mabbot allégua contre U Cen? I ^
fure des livres. Les voici telles que Mr. fiirch les çappqrte dans la vie de 1 ^
Milton. \ •■
Mabbot dit donc I. » Qu'on avoit publié plufieurs miltiefs de brochures \ |
'y> malignes & dif&matoires^ auxquelles on avoit mis fon nom, comme s'il
x> en eût penpis l'impreflion , quoiqu'il ne les eût feulement pas vues ;. ^
» cela dans le deffein ( à ce qu'il croyoit ) de le ruiner de réputation dan^
» Tefprit du bon parti. ce. Cette première allégation qui eft un fait, ^prouve
combien la défenfe du ï'arlement, étoit infufHfante comme le foucenoii
Milton.
» IL Que fon emploi lui paroifToit injuAe & contraire aux loix , au moii
p par rapport au but pour lequel il avoit d'abord été établi, & qui étoiM^ '\
i> d'empêcher qu'on n'imprimât rien qui pût découvrir la corruption quSK:-^
p s'étoit gliffée dans l'Eglife & dans l'État, du temps du Fapifme,.de l'E'
i> pifcopat & de la Tyrannie , & de tenir le peuple dans l'ignorance , afii
10 qu'on pût exécuter plus facilement les deffeins qu'on avoit en faveur di
» rapifme & de la Tyrannie, pour détruire 2k la tois le corps & l'ame de
» gens libres qui vivoient en Angleterre. « Ceci offre upe foule de réflexions^»-^
accablantes. Voilà donc comme les nations font le jouet non-* feulement de
ceux qui les gouvernent , mais de ceux encore qu'elles établilfent pour les
protéger, & tenir la balance entre le defpotifme de la Cour & les drpits
ou peuple. Le Parlement d'Angleterre corrompu pour reipverfer la Religion
& rEtat & fervir la Tyrannie! EtJa défenfe d'imprimer aucun livre fans
Tapprobation d'un Cenleur, eft un des moyens dont il fe fert pour parver
nir à fts vues iniques !.
» III. Que la Cenfure des livres eft le plus grand monopole qu'il y ait
» jamais eu dans l'Etat, en ce que le jugement, laraifon, l'efprit^ &c. de.
» tous les hommes font foumis à un feuji^ car (i un livre, un traité, ou
» un écrit, quel qu'il foit» n'eft pas à la fantaiHe du Cenfeur, ou fe trouve
m au-deffus de fon iavoir, il n'en permettra point l'impreffion-a
» IV. Qu'il lui femble mi'il eft jufte d^imprimer quelcfue livre ou traité.
* que ce foît , fans, permiffion , pourvu* que l'autepr &, l'imprimeur y mer-
^ tent leur nom, de forte qu'ils foient refponfables de. ce qui eft contenu*
r\ dans ce livre , &c. & que , s'il y a quelque chofe de condamnable , ils:
n puiflent être punis félon les loix qui ont déjà été établies., ou qui le feront
9 dans la fuite. « Voye:^ ci-après P article Co^NDAMNATio^ DES LiyRES.
L'on penfe ain(i err Angleterre où l'on regarde les défordres d'une liberté
illimitée comme beaucpup moindres que les inconvj^niens de ia génf.;Dans
nne conftitution qui fe foutient & s'a^rmit par les chocs., vîolens que fe;
portent fans ceffe la prérogative royale & les privilèges de la nation , où.
CENSURE. i4t»
It licence (èule peut réprimer les entreprifes du defpàtifme , oir le peuple
toujours inquiet le croiroit opprimé s'il ne jouiflbit pas du ^oic illimité de
cenAirer ceux qui le gouvernent , la liberté d'écrire & d'imprimer ne peut
fbufFrir d'entraves. Mais ce régime propre d'une conftitution tumûltueufe^
ne feroit-il pas déplacé dans un Gouvernement plus tranquille > Toutes les
formes politiques d'un Etat ont une analogie, une correfpondance harmo-
nique qui en &it un tout-enfemble. Dès qu'on veuc les introduire dans us
Etat étranger^ ce font des pièces difparates qui en dérangent l^ccord.
J'étois en 1765 en Hollande. Ce pays jouit encore de la liberté de la
prefle. Il y eut alors une fermentation dans les efprits théologiques. On ve«
noit d'imprimer à Amfterdam les Lettres écrites de la Montagne , du trop
célèbre Roufleau. Ce livre fut publiquement profcrit à La-Haye , par la
Cour de Jufiice de Hollande , le même jour qu'il fubiflbit à Genève le mè«
me fort. Cette démarche excita quelque rumeur , & l'on accufa deux Mi<-
fiiftres du St. Evangile à La*Haye d'en avoir été les premiers moteurs. On
les accufoit encore d'avoir des vues ultérieures. On difoit qu'ils avoient des
projets pour gêner la liberté de la preflè, que voyant l'empire qu'ils avoient
Sur pluueurs membres de la Cour de Juftice, ils en profiteroient pour faire
établir dans la Province des Cenfeurs fans la permi^on & Tapprobation
desquels on ne pourroit plus déformais rien imprimer. Ces alarmes n'étoienc
pas fans fondement. Je vais mettre ici fous les yeux du leâeur deux let*
très qui conftatent les rifques que la Hollande courut alors à cet égard , par
le zèle imprudent de deux de fes Théologiens.
» Fermettez^moi , Monfieur, de profiter de votre fëjour ^ La-Haye, pour
» yous demander s'il eft vrai que l'on veuille mettre des entraves à la li-
i> berté de la prefle. NY a-t-il donc d'autre moyen de réprimer là licence
» des méchans, que d'opprimer la liberté des bonsi C'eft, félon moi, la
» plus mauvaife politique dans tous les fens , car elle eft tyrannique & ne
» peut produire de bons efGsts en mécontentant tout le monde. Cette li-
» cence d'ailleurs que l'on prétend réprimer , eft-elle avérée ? Qui l'a prou*
» vée? Ne va-t-on pas s'expofer au ridicule de ceux qui fe font des chi-
» mères pour les combattre ? Et qu'eft-donc devenu cet efprit qui a fondd
3» la réforme & la République \ Ôette liberté qui a peuplé la Hollande &
» plus chère qu'en celui-ci. La libené dont on y a joui , faifoit dévorer les
1» inconvéniens de la dureté du climat & de la cherté des denrées , même
^ de la grandeur des impôts depuis qu'ils e^Tiftent. Elle feule a pu ù\r^
» fleurir la République , & la République tombera dans fes débris. Qu'a.
» dû penfer l'Europe en apprenant que la Cour de Juftice de Hollande avoit
» donné l'exemple de l'intolérance la plus criante en flétriflant les lettres,
ï^ écrites de laMcxntagne^ qui ne font que la juftification de Mr. RouiTeau..
%*
«4*
CENSURE.
B Qu'en ont peafé les c6ces les phis faines & j*ofe dire les' plus reTpéâi-
» blés de cette République l On eft encore à imaginer comment on a pu
» oublier jufqu'à ce point les principes les plus chers à ceux qui aiment
n véritablement la Patrie & la Réforme, pour prendre une telle réfolo-
n tion. NofTeigneurs ont-ils donc quelque chofe à démêler avec un honnête
V Fhilofophe que Ton perfécure » & qui n'ayant été cité à aucun tribunal ■ ^
f» n^avoit que la voie de l'impreflion pour fe défendre? On attribue cette I j|
i> démarche indifcrete à Paétivîté de ces petites padions qui aviliflènt l'hom- \ i
» me d'Etat & le Miniftre de la Religion. On n'efi pas étonné que cette
y> penfée ait pu entrer dans une ou deux têtes , mais comment a-t-elle puk.
» être; reçue unanimement , ou au moins à la pluralité des voix? Du refte ^
» dans quel autre pays de l'Europe a-t-on imité cet exemple qui fait gé-
» mir les cœurs vraiment patriotiques ? Voilà de quoi faire rentrer en eux-
j> mêmes ceux qui l'ont donné . Heureufement j'entends dire que , fi l^^ >
>> chofe n'étoit pas arrivée , elle n'arrivcroit pas. Tant mieux ! Mais devoit-— ^^
» elle arriver > A ce moment le Confeil de Genève , dit-on , fe repent auti- V ^^
» des excès auxquels il s'eil laiiTé aller. La poftérité dira avec raifbn que Is^^ M\^
» République de Genève perdit fa tranquillité au moment qu'elle ceifa d'û ^^
n tre tolérante : grande leçon pour les contrées heureufes où l'on jouit en-rK^i^
» core de la précieufe liberté de penfer! Je parle de liberté & non d^^KJe
SI licence. Mais fi l'homme a tant de peine à garder un jufte milieu , quel^^ -'*
n ques excès font d'une bien petite conféquence en comparaifon des mausc
» que doit craindre la République , lorfque les âmes feront avilies par l'ef-'
» clavage, & qu'il ne fera plus permis de penfer par foi-même, ce quiS:.^^
» en eft le dernier degré.
}> Je vous avoue , Monfieur , que ces idées m'ont chagriné & me cha-
» grinent encore dans un pays que j'ai choifi de pï-éférence pour ma Pa»
» trie. Enfin on parle de nous donner des Cenfeurs pour la Librairie, de
» de forte qu'il ne fera plus permis d'imprimer que ce qu'ils auront ap*
n prouvé. Et quels feront donc ces Cenfeurs qui jugeront en dernier reflbrt
» du bien & du mal, du vrai ôc du faux, qui mettront des bornes à l'en*
y> rendement humain en lui aiïïgnant jufqu'où il doit porter précifément fes
9> penfées, qui domineront le génie & aflerviront les confciences , ce qui
» eft direâement oppofé aux droits inaliénables de la raifon, & aux prin^
» cipes fondamentaux de la République & de la Réforme ! Y a-t-on bien
» penfé ? Quels font les hommes qui oferont fe propofer pour cette Ion-
i> £Hon ? Quels font les hommes qui oferont en nommer d'autres pour la
3» remplir ? Tout cela me paroit n étrange dans ce pays , que je n'en puis
» rien croire. Achevez, Monfieur, de me défabufer. Mon cœur éroit trop
» plein pour ne pas le répandre dans le vôtre. Je penfe trop bien de la
Y> Cour de Hollande & de nos Seigneurs les Etats-Généraux , pour imaginer
» que ce ne foient pas là de faufles alarmes. D'ailleurs l'affaire ne pourroit
2> pa(fer fansjêtre communiquée, je crois, aux différentes villes. Je vous
C t N s V R E.
*4)
» prie donc , Monfieur, de vouloîr bien m%oDorer d'une réponfê propre à
» me confirmer dans l'eftime que j^ai toujours eue pour le Gouvernement
n (bus lequel ;*ai choifi de vivre , ou de redrefler mes idées fi elles étoienc
9 oppofées à celles des bons Patriotes, qui font les vôtres. J'ai l'honneur
» d'être, &c. A Amfitrdam ce 8 Mars 17^5.
Cette lettre ëtoit écrite à un homme d'un grand mérite, qui a rempli
fucceflivemenr toutes les charges de fit province , qui a été employé dans
plufieurs députations importantes dont il s'efi acquitté honorablement, qui
aime à fe délafTer avec les Mufes dts fi>ins pénibles de la Magiftrature,
ami de la Philorophie & du peuple. Ce refpedable Magiftrat vit encore;
c'eft pourquoi je me difpenfe de le nommer. Voici fa réponfe datée de La-
Haye le 10 Mars 1765.
» Je reçus hier, Monfieur , Pobligeante & judîcîeufe lettre que vous mV
» vez fait l'honneur de m'écrire le 8 du courant* Vous y faites paroltre des
D fentimens dont je fuis d'autant plus charmé qu'ils font plus analogues aux
» miens. Tout occupé que je fuis, je ne veux point diffôrer de vous dire
3» que votre lettre a été communiquée à plufieurs membres de la Cour de
yi Hollande qui y ont reconnu leurs fentimens comme j'y reconnois ma fa-
» çon de penfer. Pour répondre à votre queflion, il eft très-vrai qu'il exifle
» des projets pour génér la liberté de la prefTe ; mais n'en craignez pas
» l'exécution. Les Etats de Hollande n'ont point approuvé la conduite de
» la Cour de Juflice , & les 'projets n'auront furement pas lieu.
» Le temps ne me permet pas de vous en dire davantage, Monfieur:
h j'ai l'honneur d'être avec le zèle dçmt je fuis capable , &c.
La Hollande fe félicite d'avoir échappé dans la Sécadence aébelle de fa
liberté , au nouveau malheur qui la menaçoit. La tolérance la plus entière
eft la bafe de fa conflitution , Se elle ne doit rien foufFrir qui la contre^
dife. Mais ce qui convient au Gouvernement Hollandois, peut très-bien ne
pas convenir à un Gouvernement qui n'eft pas établi fur les mêmes prin-
cipes. Ce qui n'a que peu ou point d'inconvéniens à Amflerdam , en pour-
roit avoir de très-grands à Paris.
Quels éloges ne méritent pas le Roi & le Miniflre qui fe font fait
Îloire de donner une étendue illimitée à cette précieufe liberté de penfer
t d'nécrîre? C'eft un Roi defpote, c'efl un Minîftre qui gouvernoît delpo-
tiquement fous un jeune Monarque , qui ont donné cet exemple à l'Eu-
Topc. C'efl le Roi de Danemarck. Ô'étoit l'infortuné Struenfée, digne
^'un meilleur fort. Le 14 Septembre 1770, Sa Majeflé Danoife donna
ao Château d'Hirfcholm, une ordonnance par laquelle ce Prince jugeant
^ue la liberté de la preffe étoit un des moyens les plus efficaces pour ac-
^lérer les progrès des fciences , l'introduifoit dans tous les pays de fa
dominarion , & exemptoit de toute efpece de Cenfure , tous les livret qui
s'împrimerdîent dans fcs Etats. Une telle ordonnance fut regardée comme
une opération majeure. Elle l'efl en effet , fi elle n'entraîne point d'abus ;
M*
C E N S U R- E.
développ
voirs réciproques de ceux qui commandent Ôc de ceux qui obéiflènt.
Cet exemple, tout frappant qu^il efl, ne nous empêche pas de regar-^
der la formalité de la Cenfure fagement adminiftrée, comme un excellent
moyen de réprimer la pétulance des écrivains licencieux, la publicatiotrK
des libelles, le cours des livres contraires aux bonnes mœurs. Elle doiwtK^*
être fur- tout en ufage pour les ouvrages que Ton deftine à Tinftruâion d^ ^
la jeunefTe » qu'un bon Gouvernement doit s'efforcer de rendre la plu^-
parfaite & la plus uniforme qu'il efl poffible , de même que pour tou^ les^
ouvrages ou écrits qui font d'un ufage public , & dont on fe fert en con—
féquence des ordres fupérieurs du Gouvernement , tels que les livres élé-
mentaires en ufage dans les écoles, les collèges & les académies : les li
vres de loix & d'ordonnances , & les livres càçoniques dont on f(
fert dans le culte public , par-tout où ce culte efl réglé par les loix d
rEtat-
On craint que , fous un gouvernement corrompu , la formalité de la
Cenfure des livres ne devienne un inftrument de tyrannie \ qu'elle n'em-
f)éche les bons citoyens d'éclairer la. nation fur fes véritables intérêts^, fur
es concufllons de fes opprlslTeurs , fur la diflipation du tréfbr public ^ qu'elle
n'empêche les plaintes du peuple de parvenir jufqu'aux pieds du trône;
on craint qu'il ne foit alors ordonné aux Cenfeurs de n'approuver aucune
difcuffîon politique fur les opérations du miniftere, de forte qu'au mo-
ment oii elles auroient ie plus de befoin d^étre examinées , approfondies ,
critiquées, toutes les preffes feroient enchaînées. Cette alarme eft-elle bien
fondée? Mettons les chofes au pi^. Suppofons un miniftere excluftf dans
fes fyflêmes , qui prétende avoir toujours raifon fans fouffrir d'être con-
tredit , un miniftere opiniâtre & impérieux qui commande d'approuver fans
';examen ce qu'il fait; ou fi cette fuppofition paroit trop forte, fuppofons
un miniftere d'une probité déraifonnable dans fon auftérité, qui défende
de difcùter fes opérations les plus juftes & les plus utiles , comme fi une
pareille difciiflion ne devoit pas tourner à l'avantage du bon & du vrai.
Mais une telle conduite feroit de la plus grande inconféquence. Les entra-
ves tyranniques qu'un pareil miniftere mettroit à la liberté de la prefle
feroient beaucoup plus propres à alarmer les peuples, à les mécontenter,
à leur rendre le joug de l'obéiftance infupportable , que les raifonnemens
tranquilles des politiques bien intentionnés, que leur 2ele pour la chof<; pi>-
blique engage à écrire fur des matières qu'il importe d'autant plus d^ap->
profondir qu'elles intéreftént direâement le bonheur des hommes. Croit-
on d'ailleurs que les cenfeurs feconderoîent facilement des vues iniques ?
Je n'en connois point d'afti^z vils pour cela. Le Gouvernement, qui les
choifit parmi les citoyens les plus éclairés, les plus judicieux , les plus
intègres,
CENSURE, 14c
intègres , montre la pureté de fes intentions \ & les garants de la fagefTe
^'un miniftere jufle ck bienfkifant , ne deviendront jamais les fuppôts d'un
«lefpotifme arbitraire.
On s'accoutume mal-à-propos à regarder la Cenfure des livres comme
line gène odieufe & prefque tyrannique. Des frondeurs qui blâment tout
£Aas conooitre & fans examiner ^ ont malheureufement accrédité cette fauKTe
idée d'un ëtabiiflement formé pour une bonne fin. Une Cenfure judicieufe
réprime la licence , fans gêner la liberté : elle dirige cette liberté , fans
la contraindre. Elle l'empêche de s'écarter des bornes de la fageffe & de
la modération. Son but eft de prévenir les écarts dangereux & criminels,
pour épargner à la police la trifle peine de les punir. Toute efpece de
livre peut être préfenté à la Cenfure, &dés que le Cenfeur nommé pour
l^examiner, n'y trouve rien de répréhenfible du côté moral, il ne peut
refufer fon approbation. Un Cenfeur qui la refufe,doit motiver fon refus,
dans le compte qu'il rend de l'ouvrage à Mr. le Chancelier ou à celui que
ce premier Magiilrat a commis à fa place. Si jamais la Cenfure devenoic
trop difiiculmeufe ; (î jamais un Gouvernement corrompu vouloir s'en fer-
vif pour tenir captives des vérités qui feroient une jufle condamnation de
fes vues & de fes opérations oppremves, ce feroit en pure perte. Il man-
queroit fon coup. La néceffîté de parler trouvera toujours afTez de moyens
d'éluder les défenfes des oppreffeurs , & la vigilance de leurs fuppôts. L'ex-
périence de tous les temps , prouve que jamais on ne parle & on n'écrit
avec plus de force, que lorsqu'on eft condamné injuftement au (ilence.
L'on a beau faire, la raifon ne fe foumet point à l'injuftice. La licence
eft toujours voifine de la contrainte exceilive. Accordez aux hommes une
honnête liberté» ils en uferont convenablement, fans en pafler les bornes.
Mais dés que vous voudrez leur ôter cette précieufe liberté, ils donneront
dans tous les excès de la licence. Vous les y aurez invités par la con-
trainte que vous vouliez leur impoler. Tous les Gouvernemens font con-
vaincus de cette vérité ; & ils fentent que leur modération eft le plus
fur garant de l'obéilfance des peuples ; que l'autorité devient précaire en
devenant oppreftive ; qu'une foumiftion éclairée & raifonnable fe change
en révolte plutôt que de dégénérer en fervitude.
L'approbation d'un Cenfeur eft comme le fceau de la bonté morale d'un
livre. Elle met l'auteur & l'imprimeur à l'abri de tout reproche de ce
côté-là. Lorfqu'ils ont rempli la formalité reauife , ils ne répondent plus;
de rien. Le gouvernement dont le Cenfeur en l'organe , en répond pour
eux. Il y auroit donc de la contradiâion & de l'injuflice à inquiéter un
auteur ou un libraire pour un ouvrage publié avec approbation. Il y au-
roit de l'injuftice à punir quelqu'un pour avoir fait ce que la loi lui a
permis de faire. Pouvez-vous m'imputer le mal qui eft dans mon livre ,
lOrfque , par une approbation légale , vous , Magiftrat , ou votre Cenfeur
que vous avez établi juge^ en cette matière , m'avez dit qu'il ne contenoic
Tome XI. ' T
i
ti6 C n N S V R E.
rien contre U religion , les bonnes tùœurs & le gouvernement ? La
Cenfure feroit alors un pitge tendu à la bonne foi d^un écrivain.
Le Cenfeur lui-même qui a donné mal-à-propos fon approbation , o'eft
pas coupable, sHl Ta fait fiiiVant le fenciment intime ëe fa confcience»
On lui envoie un livre à examiner. Il le Ut attentivement , & n'y trouvant
rien de répréhenfible , il l'apprauve. Où efl fon crime? Il peut s'écre
trompé, il peut avoir manqué de lumières. Il a mal jugé; cette erreur
de
châtiment plus rigoureux ne feroit plus proportionné à la hme. Où font
les hommes infaillibles? Ne voyons-nous pas tous les jours le mtniftere
fe corriger lui-même , ré&rmer fes opérati<»is , fes ordonoances , fes k>ix ,
lorfque de nouvelles lumières & une expérience fbuvent fatale lui font
voir qu'il s'étoit trompé? Les tribunaux de judicatnre fe trompent eux*
mêmes quelquefois , malgré les difcu(fions des avocats , les éclaircifllën
des témoins , Tinfpeâion des pièces , & la confrontation qu'ils font
tout cela au texte de la loi. Un Cenfeur eft-il plus in£ûllible qu^]n Mi«-
mftre & un Magiftrat? ou eft-^il moins excufabte, s'il fe trompe? Tout
femble au contraire folliciter Tiiidulgence en fa &veur. Il eft leul, livré
à- fes propres lumières ) il n'a point de confeil ni de corps entier de ma*
gîftrature pour diriger fon jugement. Souvent prévenu pour l'auteur du
livre qu'il examine, il a affex de modeftie pour foumettre fon fenti*
ment au Gen. La crainte de foupçonner un innocent le rend timide &
lent à blâmer. L'horrenr d'une accufation injufte ou feulement témé*
raire, le met en garde contre une ftvérité qui ne feroit pas toujoor»
déplacée. Plus il efl éclairé , plus il voit de raifons d'être indulgent..
Comme il n'a point de mauvâûfes intentions , il eA bien éloigné d'en fup*
pofer aux autres. Quand on exerce la fonâiou redoutaUe de |itge , peot-oa
être trop prudent ^ trop réiervé i
Cenfure de propofitions..
CXKSVaB THéQI.OÇIQ0C
V^ N nomme ainfi » dans le droit canon ^ l'aâe par lequel un tribunal
eçcléfiaftique , jugeant fur des objets de croyance ou de morale , qualifie
la doébine ou les propofitipns renfermées dans un écrit quelconque , qw
c^ parvenu à (k connoifiance ou qui tui a été déféré ^ & qu'il ne trouve
pas conformie dans fon contenu i, à la doârine qu'il veut que Ton enCeigne».
Les qualifications par lefquelles il note la doârine qu'il blâme comme
i^uraife » & qu'il çondainfi« ^ tejei;t€ coQuue erroaée , i» font pas tou»
/
CENSURE. r47
tes également flëtrîflTantes ; elles doivent Tétre d'autant plus que le tribu-
nal juge les propofîcions qu'il rejette , plus éloignées du vrai ^ ou contre-*
difant des vérités plus importantes. Voici les divers degrés de Cenfure, ou.
de qualifications par lefquelles les tribunaux eccléfiaftiques qui jugent de
la fei , flétrifTent les proportions qu'ils rejettent & condamnent.
La note à^héréfic eft regardée comme la plus infamante de toutes,
parce que l'on qualifie d'héi^e toute doârine qui contredit formellement
ce que la révélation enfeigne , ou ce que le tribunal préterid qu'elle en«
feigne. Ordinairement les tribunaux prononcent anatheme contre ceux qui
enlèignent des héréfies. La flétrifTure à^ erreur ^ efl moins forte que celle
d'héréiîe , parce qu'on ne traite ordinairement d'erronées que les propor-
tions qui contredirent ce que le tribunal jugeant , envifage comme une vé-
rité reconnue , & enfeignée par la raifon , fans l'être exprefTémetit par la
révélation. On dit qu'une propoHcion fent Vhéréfic , lorfqu'elle e(l exprimée
de manière à ofïrir deux fens , dans l'un defquels elle renferme une doârine
regardée comme hérétique , quoique dans l'autre , elle puifle renfermer un
fens vrai & recevable. On nomme captituft , une propofition ambiguë &
équivoque 9 qui dans un fens exprime ce qu'on nomme une erreur, mais
qui dans un autre fens, pourroit ne rien renfermer qui ne ffit réellement
vrai , félon la façon de penfer du joge. Une proposition mal-fonnante dans
la foi, e(l celle qui fans exprimer aucune erreur ni héréiie, exprime une
vérité dans des termes durs & peu convenables , qui tendent à rendre la
vérité elle-même odieufe à ceux qui l'entendent exprimer de cette ma^
niere. C'efl ainH que dans la morale , on peut employer des expredions
mal-fonnantes pour les oreilles chaftes , quoique dans le fond elles ne di-
fent rien de plus que d'autres phrafes regardées comme honnêtes, mais
dans lefquelles on n'emploie que des expredions décentes & d'ufage par-
mi les perfonnes modeftes & réfervées. On qualifie de proportions dangt^
rcufes , celles qui tirant des fyflêmes reçus, ou des opinions adoptées, des
conféquences qui paroiflent en découler , & qui peut-être en découlent en
effet , tendent à ébranler la vérité du principe ou de Topinion qu'admet le
tribunal jugeant. La note de témérité s'imprime fur des proportions qui
attaquent la vérité de ce qu'ont enfeigne éi de ce qu'enfeignent des doc-
teurs humains d'une grande réputation , dont le fentiment eft regardé comme
une autorité.
S'il exide fur la terre un tribunal infaillible, pour juger de tout ce que
l'on enfeigne, il fuffit qu'il ait prononcé une fois une Cenfure contre une
doéb'ine ou contre les termes d'une proportion , pour que l'on doive re-
jetter cette doctrine , & abandonner ces termes cenfurés. Tout ce qu'il a
cenfuré comme hérétique ou erronné , doit ^re rejette comme faux : ce
qu'il qualifle de propontions fentant l'hérére ou captieufes , doit être évité
avec foin , comme condeifant à l'hérére ou à l'erreur i s'il déclare une prô-
pio&ioa être mal-fannante , il faut en corriger les expredions \ s'il ta qna-
T 2
148 C E N T I E M E-D E N I E R.
lifie dangereufe , on doit garder le filence à fon égard ; s^it la dit être td«
méraire^ il faut ne la préfenter qu'avec beaucoup de réferve & de mo^
deftie. Ainfi , dans l'églife Romaine , toute proportion qu'elle a une fois
cenfurée comme hérétique ou erronée, efl cenfurée irrévocablement : mais
ce qu^elIe défapprouve feulement comme Tentant l'héréfie, captieux, mal-
fonnant, dangereux, téméraire, n'eft pas par cela même irrévocablement
déclaré tel , parce que ces notes ou qualifications , peuvent dépendre de
certaines opinions courantes dans un temps , que l'on abandonne dans
d'autres; de certaines expreflions ou manières de parler qui changent de
fens félon les fiecles. Par rapport aux églifes Réformées qui ne connoiffent
. point de tribunal infaillible , Ja Cenfure n'établit ni la vérité ni la fâufleté
.d'une propofition, mais feulement la manière dont le tribunal qui juge,
veut que l'on penfe & que l'on parle.
On ne faurpit refufer à aucune fociété , dont l'union des membres eft
fondée fur la confi>rmité de croyance , & qui ont des confeflions de foi ^
ou expofîtions de doârine , le droit de déclarer l'oppofition qu'elle trouve
entre fa foi & fa doârine , avec la foi & la doârine de ceux qui ne font
pas corps avec elle , ou qui s'en écartent. Mais cette Cenfure doit-elle être
réputée une règle irrévocable de croyance, ou regardée comme une fimple
déclaration qui n'a point force de loi ? C'efl fur quoi l'églife Catholique
n'eft pas d'accord avec les églifes Réformées.
>
CENTIBME-DENIER.
2>2/ Centième '- Denier & des Injînuations^ Laïques.
1^'ORDONNANGE de François I en 1Ç39, & celles de Charles IX,
des années 1560, & 1566, avoient afTujetti à l'enregiflrement & iafinua-
tion y dans les cours & jurifdiâions ordinaires , toutes donations qui feroient
faites entre les fujets, fous peine de nullité. ^
Louis XÎV, par fa ddclararion du 17 Novembre 1690, enjoignit pareil-
lement que les donations &, fubflitutions feroient enregiftrées. & inunuéet
fous les mêmes peines infligées par les précédentes ordonnances, avec
cette différence y qu'il accordoit plus de temps pour remplir cette
formalité.
Pour faire exécuter ces difpofitions avec la précifion que rèquéroît l'in-
térêt des parties, le Roi Henri II , avoît créé des offices de Greffiers des
înfinuations laïques, qui furent fupprimés par l'article LXXXVl, de l'or-
donnance de Charles IX , donnée à Orléans l'an 1 560.
Louis XIV» les rétablit par déclaration du mois de Mai 1645» mais
C E N T I E M E-D E N I E R
149
•omme la plupart n'avoient pas été levés, le inéme Roi, par fon édie
du mois de Décembre 1703 , fupprima ce qui exiftoit alors, & ea
créa de nouveaux dans toutes les villes du Royaume où il y avoit
ûege de jurifdiâion Royale & ordinaire, en expliquant toutes les na-
tures d'aâes, qui dévoient être fujets à Tinfinuation & enregiftrement,
dont le droit fut fixé par le tarif attaché fous le contre-fcel dudit édit.
L'article XXX, attribue en outre auxdits Officiers cent mille livres de
gages efièâifs à répanir entre eux , fuivant les rôles qui feroient arré*
tés au Confeil.
Ce Prince informé aue la perception defdits droits étoit contraire à
celle du contrôle des aaes des Notaires & Petits-Sceaux , que le peuple
en fouffroit par l'obligation de porter fes aâes en diffêrens bureaux ; &
«lie la multiplicité de ces Officiers , qui jouiilbient de pluHeurs exemp-»
^sions , devenoit à charge aux villes oc communautés du Royaume , en
Supprima le titre par édit «du mois d'Oâobre 1704 , & ordonna que les
droits en feroient perçus conjointement avec ceux du contrôle des aâes
^es Notaires & ' Petits-Sceaux , pour ne &ire par la fuite qu'un même
«orps de ferme.
Par déclaration du 7 Juillet 1705 , le Roi ordonna la levée de
^eux fous pour livre d'augmentation fur les droits dlnfînuation Laï-
que & Centième - Denier ; & par édit du mois de Mars 17 14, le
«eut fut réuni au Domaine. Ces deux fous pour livre furent fuppri-
snés par arrêt du 13 Février 1717 , mais ils furent rétablis par celui
^u 8 Mars 171 8.
Cette partie efl comprife dans le bail général des fermes unies , fous les
vermes d'Infinuations- Laïques de tous contrats , jugemens, fentences , let*-
^n-es & autres aâes fujets à infinuation; & de droits de Centieme-Denier
^e tous contrats de vente, échange, licitations, ceffions, tranfports, fu-
l>rogations, & généralement de tous aâes tranflatifi ou rétroceffiiK depro-
riété des biens immeubles ; enfemble les droits de Centieme-Denier des
iens immeubles échus par fucceffions collatérales , conformément aux
its de Décembre 1703, Oâpbre 1705 , Août 1706, & autres réglemens
aux exceptions y portées , en faveur des Princes du fang qui jouiffent
defdits droits , à la charge de les faire percevoir fur le pied du tarif du 1 9
Septembre 17x2.
I
^
ço CENTUMVIR. CENTUMVIRAT. CERCLES DE L'EMPIRE,
C E N T U M V I R.
CENTUMVIRAT.
JLjE Ceotumvirat étoit un Tribunal ^ ou Cour de Judicature chez les
Romains, ainfî nommé parce qu'il étoit compofé de cent Magiilrats qui
jugeoient les différends des particuliers.
Les Centumvirs furent créés à Rome vers Tan 512, fous le conful^
de Q. Lutatius Cercon, & d'A. Manlius Torquatus. Ils furent tirés dp
toutes les tribus , troisi de chacune ; de forte qu'ils étoienc réellement au
nombre de cent cinq , parce que le peuple fut alors partagé en trente-cinq
tribus , ce qui n^empêctu pas qu'on ne leur donnât le nom de Centumvirs.
Ces Juges rendoient.la juftice dans les caufes les plus imporuntes; mais
leurs jugemens différoient entièrement de ceux des autres Juges , & avoient
une certaine forme qui leur étoit particulière. Outre cela, les Centuiîivirs
étoient aflis fur des tribunaux , au-lieu que les autres n'étoient aflis que fur
des bancs. Il n'y avoit point d'appel de leur jugement , parce que c'étoîc
comme le confeil de tout le peuple, & l'on pouvoit appeller de la fen-
tence de tout autre Juge. Les Juges particuliers, après avoir prononcé ,
cefToient d'être Juges ; les Centumvirs l'étoient pour un temps marqué ,
leur jugement devoit s'exécuter fans délai , & celui des autres pouvoir être
différé. Les Centumvirs étoient diftribués en quatre chambres ou tribunaux;
& les décemvirs , par ordre du préteur, les aflembloient pour rendre la ju(^
tice. Celui-ci préfidoità leurs jugemens, & tenoit, pour ainfi-dire, la ba-
lance entre les quatre tribunaux. Us s'affembloient dans les baftliques ,
qui étoient de magnifiques édifices, où étoit dé]>ofée une hache, pouir
marque de jurifdi^on; delà vient qu'on difoit un jugement de la hache,
pour un jugement des Centumvirs. Le nombre de ces Magiftrats fut le
même pendaat toute la durée de la République ; niais après le règne d^ui-
gufie il devint plus nombreux, & pour l'ordinaire il montent à cent quatre*
vingt : ils ne s'aflembloient que les jours auxquels le préteur ne tenoit
point fon fîege.
CERCLES DE L'EMPIRE.
J[^ OUS ajouterons ici quelques détails à ce que nous avons dit des Cer-
cles de l'Empire dans l'article Allemagne.
Le Cercle d'Autriche eft compofé de l'Archiduché de ce nom , des Du*-
CERCLES DE L'EMPIRE. x^i
cfiés de Styrie , de CariDthie , & de Carniôle ; des Comtés de Tyrol &
des Evéchés de Trente & de Brixen , que quelques-uns difent appartenir
plutôt à l'Italie y qu'à l'Allemagne. Quant au Brifgau» au Burgau, aux villes
fbreftieres, & en un mot tout ce que les Archiducs d'Autriche poffedenc
en Suabe, ils font compris dans le Cercle d'Autriche, quoiqu'ils n'y ap-
partiennent naturellement point par leur fimation ; mais les Empereurs ont
eu des raifoas pour en décider autrement. Les Comtes de WeifTenwolff
ont leurs biens fitués dans la Haute - Autriche : le Prince de Por tia ,
l^Evéque de Bamberg ont des terres & dés Seigneuries fituées dans ce
Cercle.
Le Cercle d'Autriche ne tient jamais de diète circulaire, vu que la
Maifon d'Autriche éunt fouveraine des pays qui le compofent, & avec
des prérogatives particulières , elle prend les réfolutions qui lui con-^
Tiennent.
Le Cercle de Bourgogne étoit autrefois compofé des dix-fept Provinces^
ées Pays-Bas, & du Comté de Bourgogne dont il tiroir Ion nom. Il ti'eft
pas douteux que le but de Maximilien I , en faifânt de ces pays un Cercle
de J'Empire, ne fût d'engager le corps Germanique à la défenfe defdite?
Provinces, oui appartenoient toutes à la Maifon d'Autriche. Charles-Quint,
en 1 548 , obtint des Etats de l'Empire que ces Provinces reftercHcnt in-
corporées à l'Empire pour toujours-, que l'Empire les garantiroit au pof«
fefleur , lequel auroit voix & féance à la diète fous le titre de Due de-
Bourgogne. C'étoit un moyen de conferver à peu de frais une acqurfition
cpii donnoit de l'ombrage aux principales puifiances de l'Europe & même
à l'Empire. Dans la guerre que le Roi d'Efpagne Philippe II eut avec fes
lujets des Pays-Bas , il reclama la garantie de l'Empire , & fes fuccefleurs
en firent de même dans celles qu'Us eurent depuis avec la France. Mais
le corps Germanique n'a jamais voulu donner dans le ptege , & a c<m|oura
re£ifô de prendre fur foi la défenfe de ces Provinces , fous prétexte qu'elles
ne contribuoient en aucune manière aux befoins de l'Empire.
Le Roi d'Efpagne étok aofrefois direâeur de ce Cercle , lequel eft au*
îourd'hui réduit à peu de choie par l'établifTement de la RépiibKqife do
Hollande, par les conquêtes de la France, & par les acquifitions du Roi
de Prufle. Il ne refte plus qu'une petite partie de la Gûeldre, du Haynaut,
des Comtés de Flandres & de Namur , du Duché de Luxembourg ; une
partie confidérable du Duché de Brabant & du Limbourg.
Ce Cercle, non plus que le précédent, ne tient point de diète & n'en
a jamais tenu , dans le iens des autres Cercles de l'Empire. .
Le Cercle Eleâoral ou Cercle du Bas-Rhin , eft compofé des EteéloraTs
de Mayence , de Trêves , de Cologne & du Bas-Palatinat ou Palatinat Elec-
toral du Rhin. II comprend encore la Commanderie Provinciale de Co-
blence, & le diftriâ nommé Eiffel y lequel renferme les Comtés de Man-
derfcMeid | de Aeifiêrfcheid ^ la Principauté d'Aremberg , &€.
i^% C E R C L E s D E L' E M P I R E.
Ce Cercle a cela de particulier qu'il renferme trois Elèâorats EccléfiaC-
tiques , & un Eleâorat féculier. Tous les quatre ont beaucoup foufFert dans
les guerres de l'Empire avec la France. Ils ont été foulés tour - à - tour
par les François & par les Allemands.
Les Etats du Cercle de Bavière font partagés en deux bancs, Tun £c«
cléfiaftique, l'autre Séculier. L'ordre de ces deux bancs & le rang des Etats
qui y ont féance, ell tel. Sur le banc eccléfiaflique font, l'Archevêque
de Saltzbourg ; les Evêques de Freifinguen , de Rati(bonne , de Paflau.
Les Abbés & Abbefles de Berchtolfgade , de St. Emméran , d'Ober - Munfler ,
de Niedermunfter , & de Kaifersheim. Le banc féculier eft compofé des
Etats fuivans. L'Eleâeur de Bavière pour le Duché de ce nom ; l'Elec-
teur Palatin comme Duc de Neubourg ; Bavière pour le Comté de Leuch-
temberg; le Prince de Lobkovitz pour le Comté de Sternftein, Bavière
pour le Comté de Haag ; les Comtes d'Ortembourg pour le Comté de ce
nom & la Seigneurie d'Ehrenfels \ les Comtes de WolfFAein , les Comtes
Maxelrain, pour la Seigneurie de Hohenvaldeck , Sondershaufen & Schwartz-
bourg, les Comtes de Tilly , pour la Seigneurie de fireitenegg dans le Haut-
Palatinat, & enHa la ville de Ratifbonne.
Les Etats qui pnt voix & féance à la diète du Cercle de Haute«*Saxe ,
font l'Ëleâeur de Saxe ; le Roi de Prufle comme Eleâeur de Brandebourg ;
l'Electeur de Saxe comme héritier des Ducs de Weiflenfels & pour la Prin-
cipauté de Queerfurth dont la voix a été admife en 1664. Le Duc de
Saxe -Gotha pour le Duché d'Altembourg ; le Prince de Saxe «• Cobourg ^
Saxe-Weimar , Saxe-Gotha pour le Duché de ce nom , Saxe-Weimar pour
le Duché d'Eifenach réuni depuis peu au Duché de Weimar; le Roi de
Suéde pour la Poméranie antérieure; le Roi de Pruffe pour la Foméranie
tlltérieure, & pour l'Evéché de Camin; les Princes d'Anhalt comme tels,
& enfuite pour l'Abbaye de Gernroda; l'Abbeffe de Quedlinbourg. Le Duc
de Brunfvick pour le fief de Walckenfied ; les Princes de Schvartzbourg-
Rudelftadt ; les Comtes de Mansfeld , les Comtes de Stolberg pour Stol^
berg & Vernigeronde ; l'Eleâeur de Saxe pour le Comté de Barby ; les
Seigneurs Comte Reufs , les Comtes de Schoenbourg.
L'Eleâeur de Brandebourg prétend à la voix que les Comtes de Ho-
henftein avoient autrefois à la diète de ce Cercle , à caufe des deux Sei-
gneuries de Lohre & de Klettenberg en Thuringe , difant que le Comté de
Hohenftein lui ayant été cédé comme Prince d'Halberftadt par le traité de
Wedphalie, il doit auffi jouir du fufFrage que les Comtes de Hohenftein
avoient eu à la diète du Cercle de Haute-Saxe. Les Maifons de Schwartz-
bourg & de Stolberg fe font oppofées à cette prétention , alléguant en
leur faveur le paâe de confraternité entre leurs familles & celle de Ho-
henftein. Le différend eft refté indécis , & cependant le direâoire du Cercle
agit comme fi cette voix n'avoit point lieu.
Le Cercle de Haute-Saxe eft un des plus confidérables de l'Allemagne ,
tant
CERCLES DEL* EMPIRE. 1^3
tau par foa étendue , fa iêrtilitd ic fes richelTes , que par la puillkiice des
Princes qui en font membres.
le Roi de Pologne, en qualité d'EIefleur de Saxe, poflede dans ce Cercle
le petit Duché de Saxe , autrement le Cercle Eleftoral dont Wiitemberg ,
autrefois fortereflè trts-importante, eft le lieu principal. Aujourd'hui les for-
cifications font peu confidérables , & la viUe eft médiocre de toute façon.
H y a une univerfué où le célèbre Luther enfeignoii la théologie, lorfqu'il
commença i débiter Tes opinions & à lever l'éiandard contre Rome. Le
Marquifat de Mifnie, l'OltcHande , le Vogtiand , les diflriéb ou Cercles
de I^ipzig & des montagnes , font des pays fort peuplés , remplis de vil-
les & de villages, dont les habîtans ne manquent ni de génie , ni d'in-
duftrie. Ce Pnnce a réuni à fon ancien domaine tous les fiel^ qui en
avolent été détachés pour former les apanages de differens Princes cadets
de la ligne Alberiine dont il éioit le chef
Le Duc de Golha , chef de la ligne Erneftine , poflede la ville & le
Duché de Gotha, avec la partie du Duché d'Alrembourg, qui comprend
la ville de ce nom ; celles d'Orlamiinde & d'Eifenberg; l'autre partie où
font Dornbourg, Rofîîau , &c. appartient au Duc de Weimar.
■ La Thuringe appartient au Cercle de Haute-Saxe, à la réferve des deux
TÏlles Impériales de Muhlhaufen & de Nordhaufen , qui appartiennent au
Cercle de Baffe-Sase. Une partie de la Thuiinge eft polTédée par l'Elefteut
de Saxe, Le refte appartient à divers Princes & Seigneurs.
Quoique la Principauté de Cobourg foit fituée en Franconie , elle appar-
Ûent néanmoins au Cercle de Haute-Saxe.
Les pays du Roi de PrulTe que Ton compte dans le Cercle dont nous
parlons ici , font les trois Marches de Brandebourg , la Foméranie ultérieure
& fa portion de la Poméranie antérieure.
Le Cercle de Franconie a long-temps difputé le rang à celui de Haute-
Saxe ; mais fans fuccés. Les fufïrages fe trouvent aînfi rangés dans les
récés des Dictes de ce Cercle : Wurtzbourg ; Brandebourg Anfpach ;
Ejchftxdt;- Brandebourg Culmbach ou Bareith; le Grand-Maître de l'Ordre
TeutoniquCi Henoeberg-Schleufingen ^ Henneberg-Smalkalde &. Henneberg-
Rxmhild ; Schvartzemberg ; Laiwenftein -Wertheîm ; Hohenlohe-Walden-
bourg ; Hohenlohe-Neueftein ; Caftel -, Wertheim i Reineck; Erpach ; les
fuffraget de la Maifon de Limbourg laquelle eft éteinte : ceux des villes
Impériales de Nuremberg ^ de Rotenbourg fur le Tauberj de Windsheimj
Sweinfurth ; & Bamberg comme direfleur.
Il faut remarquer , au fujet du dir'eâoîre de ce Cercle , que les Mar-
graves de Bareith & d'Anfpach l'exercent alternativement, & qu'ils ad-
mettent l'Ëvéque de Bamberg pour condireâeur ; mais que ce Prélat ne
veut point de partage , & que tous les jours il attaque les droits de .ces
Frioces. C'eft ce qui a paru dans un écrit publié depuis peu , où l'on
prétend &ire voit que le dtreâoire du Cercle de Franconie appartient pri-
Tome XL V
M4
CERCLES DE L^ EMPIRE.
vaûvemenr ï PEvêque de Bamberg. Cet écrit a été porté à la Diète dt
l'Empire, où apparemment il ne fera pas plu$ d'efièt qw cent auues de
cette natvre«
Il faut encore obferver, ^u'à Tégard du fuf&age de Hçnneberg-Schleu-^
(îngen il y eut, lorfqu'il vint à vaquer, un diœrend entre l'Eleâçur de
Saxe , comme héritier du Duc de Zeitz» les Ducs de Meiningen ou ^'~'
nungen , de Gotha , de Weimar , & d'Eifenach , qui tous y prétendoient»
L'amiire s'accommoda à Pamiable , & il fut réglé que chacun jouiroit du
fufFrage alternativement : de manière que 'dans douze Diètes, l'Eleéleur
de Saxe auroit le droit de ce fufFrage à la première, à la quatrième,
feptieme & dixième ; le Duc de Meiningen l'auroit à la cinquième , hui-
tième & onziecue } Gotha à la fixien^e pc douzième i Eifenach à la neu-
viemç ; & ainfi toujours de douze en douze Pietés.
La Principauté de Henneberg eft partagée entre les Princes de la branche
Erneiline, & PEIeâeur de S^e. Le Landgrave de HeiTe-Caflel en a une
f)etite portion , confifiant dans la petite ville de Smalkaîde , célèbre par
a fameufe ligue que les Etats Proteilans y conclurent pour la défenfe de
leur Religion.
Les Etats du Cercle de Suabe font divifés en cinq bancs : i^. les
ï^rinces Eccléfiafliques ; 2^. les Princes Séculiers ; 3^, les Etats EccléGafti">
ques du fécond ordre que les Allemands appellent Pralatcn , Prélats , par
où ils entendent les Etats Eccléfiaftiques de rEmpire qui n'ont pas le rang,
de Princes, au-lieu qu'en François , nous n'entendons pas autre chofe que
les Evêques & Archevêques, par ce mot de Prélat; 4.^. les Comtes;
& {^. les villes Impériales. Leur rang fe prend de la fignature des récés
de la Diète, & en particulier de celui de 1664. qui eft le plus com<*
plet. Les noms sV trouvent dans cet ordre : les Evêques de Cooftance
, le
Kempten.
& d'Augfbourg , le Prince & Prévôt d'Elvangei^ , le Prince Abbé de
""împten.
Le Duc de Wirtemberg ; les Marquis ou Margraves de Bade-Bade \ de
Les Abbés de Salmanfi^eiler ; de Weingarten ; d'Ochfenhaufen ; d'El^
chingen ; d'Irrfée ; d'Urfperg ; de Munchroth; de WeilTenau ; de Marchthal ;
de Petters-Haufen ; de Wettenhaufen ; de Gegenbach; de Muttenthal ; de
ftothenmunfter ; de Baindr^
Les Comtes d'Alfchaufen , d'Oettingen , c|e Wallerftein , de Furflernberg ,
de Moiskirchen, Furftemberg pour le Comté de Barr; Bavière pour la
Seigneurie de Mufletfteig, les Comtes de Sultz, de Montfbrt, de Furf-
temberg-Stuhlingcn, d'Oçttiqgen-Oettingen, de Kpnigfeg , de Rothenfels»
de Zeil, de WoIfBeck, de Konigfeg-AuIendorfF, de Scheer, TEle^eur de
Bavière pour la Principauté de Mindelheim \ Furftemberg pour Guadel*
CERCLEES DE L^ EMPIRE. 1)5
fingen ; les Comtes d^berftein , de Grafiméck ^ de Hohenêmbs , de Ju^
tingen, de Traun pour la feigneurie d'Egbfïs.
Les villes Impériales font , Augibourg , Ulm ^ Eflliogeii ^ Reutlingéo ^
Nordliogen, Halle en Suabe, Uberlingen, Rorhveil, Heilbroan^Cémundea
de Suabe , Memmingen , Liodau , Dunckfpcd ^ Biberaeh , RaveaPpourg ^
Kempcen , Kaufiêbeuren , Weil , Wangen , Yflhi , Lëutklrcb | Wimpfen ^
Gingen, Aalen , PfullendorfF, Bopffingen , OfFenbourg , Buchau, Buchhortt^
& Zell fur Hammerfbach»
Il faut encore ajouter à cette lifte TEvéque de Coire , qui n'a été rétabli
dans fa qualité d*£tat de Cercle & de l'Empire que fur la fin du dernier
liecle ; les Abbayes de Roggenbourg , de St. George d'Ylfni ; les Abbeffes
de Guttenzell & de Heggenbach ; les Comtes de Rechberg, de Fappenheim^
de SinzendorfF, de Stadian pour le fief de Tannhaufen , les Barons de
Linden pour la feigneurie de Gerolfdeck , poffédée autrefois par les Comtes
de Cronnerg , & enfin la ville Impériale de Gegenbach.
Les Ducs de Suabe étoient autrefois de fort puiflkns Princes en Alle«
magne. Aujourd'hui cet ancien Duché eft partagé entre tant de Souve*
rains , que fa puiflance en eft confidérablement diminuée. Cependant le
Cercle de Suabe eft un des plus riches & dei plus importans.
En 1697 les Etats du Cercle du Haut-Rhin fignerent l'aflbciation des
Cercles contre là France , 6c convinrent que fans préjudice de leurs pré^
tentions tefpeâives , ils figneroient le récés de la Diète dans cet ordre :
FEvéque de Worms & de Spire , l'Abbé de Fulde, le maître de l'ordre
de St. Jean , autrement le Grand- Prieur de Haitersheim \ TArchevêque de
Trêves, comme Abbé de Prum, le Prévôt d'Ottenheim.
Parmi les Princes féculiers PEleéleur Palatin comme Duc de Simmern;
& pour les deux Principautés de Lautereck & de Veldefice, de même
pour fa portion du Comté de Spànheim ; le Marquis de Bade-Hochberg
pour l'autre partie de ce Comté; le Duc de Lorraine pour le Marquifat
de Nomeny ; les Princes de Salm ; les Wild & Rhîngraves de Thaun ; les
Princes de Naflàu •« Sarbruck & Saarwerden ; le Comté de Hanau pour
Hanan-Muntzenberg ; les Comtes de Solms; l'£Ie£teur dé Mayence pour
le Comté de Konigftein ; les Comtes d'Ifenbourg - Budingen ; les Comtes
de Stolberg-Gedern; les Comtes de LinangérDachfbourg , & de Linange-
Wefterbourg ; le Comte de Wittgenfteîn ; le Prince - Comte de Waldeck
& de Pirmont ; les villes Impériales de Worms , Sjnre & Wetzlar ; les
Princes de Deux-Ponts & de fiirckenfeld ; le Landgrave de Heffe comme
te! & comme Comte de Hanau; les Comtes de Hatzfeld, de Manderf-
<}heid , dp lavenfiein , les villes Impériales de Francfort , Friedberg &
Geinhaufèn.
Ce Cercle autrefois Tun 'des plus puifTans, eft aujourd'hui fort déchu
par les cédions que l'Empire a faites à la France qui poflède dix villes
Impériales en AlDice avec toute cette province & la ville de Straibourg
i^S CE RÉ U a N I A L.
Vune des plus riches & des . plus puiflantes de l'Empire , & U plus confi--^
dérable de ce Cercle. Les dix villes Impériales d'Alface font , Haguenau ,
- Colmar, Schleftadr , Weiflenbourg , Landau , Obernheim, Rofsheim, MuoF-
ter, Kaiferfberg, Turckheim ou Durckheim.
^ Le Cercle de Weftphalie comprend les Evôchés de Munfter, de Liege>
4e Paderborn & d'0{habruck , avec îes Abbayes de Corwey & de
Çtabloi.
Les Duchés de Juliers , de Cleves & de Berg y le. diftriâ appelle fingu*
llérement le Duché de Weftphalie ; les principautés de Verden , de Min*
den & d'Oftfrife ; les Comtés d'Oldenbourg , Delmenhorft , de la Marck ,
Reda, Ravenfperg, Schaumbourg, Spiegelberg, de la Lipe, de PtrmoDt,
de Riëtberg; de Bentheim, de Teckltnbourg , de Steoforti de Lingen &
de Reckum.
. CeXercIe eft un des plus grands & des plus puiiTans. H renferme les
plus conGdérables Evêchés d'Allemagne , dont le voifinage ne plait guère
aux Hollandois , & peut en effet leur être préjudiciable , quand ces Evér
chés font entre les mains de prélats guerriers , comme Bernard de Gahleir»
Les Etats qui compofent ce Cercle font, les Duchés de Magdebourg^^
de Brème & de Wehrden^ ces deux derniers ont été cédés .par la couronne
de' Suéde à l'EIeâeur de Lunebourg, les Duchés de Zell & de Hannovre,
avec les diftriâs de Callemberg & de Grubenhagen qui eft une. petite
Principauté ; & enfin tout ce qui appartient à l'Eleâorat de Lunebourg ou
de Hannovre; les Etats du Duc de Brunfwick Wolffenburtef , la Princi-
pauté de Halberftadt ; les Duchés de Mecklembourg & de Holftein , TEvé*^
ché de Hildesheim ; le Duché de Latc^embourg \ TEvéché de Lubeck ; le
Comte de Rantza'cr ; les villes Impériales de Lubeck; Gosflar, Muhlhaulen
& Nordhaufen ; Hambourg & Brème prétendent aufli être membres de ce
Cercle ; & avoir voix & féance à la dicte circulaire ; mais le Roi de Da*
nemarck s'oppofe à cette prétention de la ville de Hambourg, &l'E!eâeur
de Hannovre ^ celle de la ville de Brème.
CÉRÉMONIAL, f. m.
X-jE Cérémonial eft en général l'aftèmblage des règles introduites dans
l'ufage de la vie , & auxquelles l'on eft obligé de fe conformer pour, l'ex-
térieur , le maintien , les difcours , les habillemens , &c.
Oii peut prendre ce mot dans un iens plus étroit, & entendre par*Ià les
ufages introduits , ou par des ordres des fupérieurs, ou tellement établis,
par une longue coutume, que l'on eft obligé de les regarder comme des
loix, & les refpeâer : dans ce fens Ton trouve que chez toutes les na-
tions du monde on a pratiqué de certaines cérémonies ,, tant pour le. culte
CÉRÉMONIAL.
^7
de la divinité eue pour les Maires civiles /dans les mariages ^ dans les
cnterremens ^ èc v. CéRBMQKiB.
L'on entend , en troifieme lieu«^ par Cérémonial ^ la manière 4onc les
Souverains oii ieur$ AmbafTadeurs ont coutume d'en ufer les uns envers les
«tttres'; ce qui n'eft IpiTune convention ou. règlement établi entre les Prin^
CCS , tx paSo , ^cçnfuUudmc 6 ppfftffionc^ fuivant lequel ces Prînceà^,
ou leivs repréfentans | rjdoiyenc ; . le conduire les uns envers les autres,
lorfqu'ils fe trouvant , eofemble ^ afin que l'on ne donne à chacun ni
trop ni trop peu. ^
Du Cérémonial des Souverains^
Es .^ncien$ Ijatins^ après. avoir deffié leur Roi Tanôs, le dépeignirent
avec' linë tête à deux Vîfagei. Cette figure nous préfente l'emblêmè de
foutes Jes chofes. i^ond^ings. JEIles, ont toutes deux faces,. l'une bonne, l'au-
tre mauvaife, félon lé point de vue fous lequel on les cbftfidere/ Si l'on n'cn-
y?^4gc li?^ Cérémoxiial . u/îté parmi les Souverains que du côté du frivole , il
ne vaut certainement pas la peine que nous en fàflions un objet de r^<-
çherç^es. Nous .dégraderions^ notre ouvrage fi ndus voulions réduire en
fyfteme ja vaine glpire des Prinies, & donner des ^niaximes pour un ob-
jet chimérique» Mais il ëft un côté utile par lequel on, peut regarder le Céré-
lîionial^ & p'eft par ce côté qu'il tient tellement à îa j)otitîque, qu'on ne
fauroit s'empêcher d'en développer les principes, 5c d'en donner quelques
réglés fondées en partie fur le droic naturel , & en partie fur des ufages
établis depuis long-temps parmi tes Chefs des nattons policées.
On entend ici par le jmot de Cérémonial tous les honneurs que fes Soit-
verains fe rendent l'un a Taiitre, ou fc font rend/e dé leurs inférieurs par
honnêteté, par. civilité , ou par devoir. S'il eft vrai que lés Cérénfionies"
religieufes piit été établies pour rendre le cutte dïvîn pliis'augufte & plus
vénérable ^ ^on ne làuroit nier que lé Cérémonial it% Souverains n'ait été
inventé pour donner plus d'éclat à leurs ' aâions publiques , & les rendre
plus fdemnelles, pour imprimer plus dçrefpeâ aux peuples envers ceux
oui (ont defiinés à les gouverner , & pour pHer leurs fujets à une obéif-
lance ËKCife par cet extérieur imppfant. L'expérience n'a que trop bien faîr
connoitre quelle impredion les 'formalités ', accompagnées d^un appareil
xnagnifique , font fur l'efptit des hommes.
Tous Jes états, ou toutes les proféflions / qui compofent la fociété hu-
maine^, y occupent chacun leur place. Les différentes gradations de ces places
entretiennent^ l'ordre dans la fociété ; & le degré idéal ou d'opinion ; oit
chacun fe trouve ainfi placé, cfl nommé iî^/z^. Chaque rang a les préro-
gatives & Tes diftinâions qui font proportîotinées au degré de fijn élé-
vation. Chez les peuples policés, ces diftin£Kons ont été établies, en par**
lie par des réglemehs que les Souverains ont jugé à' propos de fiûre à
i{8 CtAtUOHIAL.
tzins , qui ne font fùiM àflujettiis par des loiit pofidves ^ om cepoidant
tr'eux un rang, & l'obferveiit. Ce rang éft dértrmiqé du pir'des>conveiH
dons exprefles, oti par Un long ufàge, non é(}ui^^€ie, cc^Uen rionftatd
La connoilTance de ces difFérens régleniens / de ^es ^eonventiçiis , de ces
coutumes & ufagesr, tjui firent le rang de éhàcUiy^^des prérogatives qui
font attachées à chaque rang , des honneurs auxquels chacuti â droit de
prétendre , ou qu'il eft obligé de rendre à autrui ; les démonftrations exté-
rieures qu'il convient d'en faire à chaque rencontre : toutes ces chofes en-
femble formant la fcience . du- Cérémonial. Nous ne traitons ici oue dp
celui que les, Souverains pbférveht éntr'eUx , 01;. envers ceux qui les ïe-:
préfentent. ^ / •
Le grand principe /que tout homme natt avec un déAr naturel de ren-
dre fa condition n^eîlleure , eft aufli là ï>afe du rang & des diftinâioUs
auxquelles les morrels afpirent. Tous Tes eftbVts tendent ou à améliorer
leur bien-être phyfique,; (& alors ils (uîvent un objet d'Internet ) du à amé-
liorer leur bien-être mojral , c'eft-à*-dirë , à fe procurer une plt^s grande
conHdératiod . vis-à-vi$ des' autres humains ; âc c'en alors qu^ls ont' un dbjét
d'ambition, Ainfi toqt lijionnête homme fert 6c agit ^ & par intérêt^ & par
ambition. Les Souverains' ne font pas plus exempts que les autres hommies
de ce penchant naturel , qui eft encore confirmé en eux par des motifs
puifés dans la Politique. Celle-ci leur dit que chaque degré de confidé-
Le Cérémonial des Souverains fe partage en cinq branches pirincipafes
Îpi comprennent i^. les honneurs quits rendent mutuellement a leurs per-
onne^s.; a^. ceux qu'ils fe rendent en s'écrivant \ 3^. ceux qu'ils rendent
à leurs Repréfehtans , ou Miniftres publics, & que ceux-ci fe rendent mu*
tuellement entr'eux; 4^. ceux qu'ils foçt rendre nfciproquemenfà leurs Em-
ployés; i& {^. ceux qu'ils fe font rendre à leur Cour^ & les diftinâions
qu'Us accordent en échange à chacun de leurs Sujets.
L l^cs honneurs pcrfonnels.
L'
Es honneurs oue les Souverains rendent mutuellement S le^B^ jper^
fonnes font fondés Vax le rang que chacun d'eux * occupe. 11 fei^a donc 0*=
ceflaire de faire quelques recherche? fur le rang des Puiffiinces de l'Euro-
pe , fans préjudicier à leurs droits refpeâifs.
Toutes les Pui(faoces qui fuivent la ^efigion Catholique Romaine don-
nent le premier rang au Pape 1 non en qualité de Prince temporel , mab
2
C É R É MON I AI. 1(9
comme Chef vUîble de TEglife Chuétieime ^ & Vkai^ê de Tefits-Chrift fur
la serre. Ce Pontife ^eod le titre de Stinteeé ^ & les Fiinces Câiholiquei:
sf€ mectent poÎB^ de bornes, aux- honiieurs qu'ils lui fesdenr. I,es phtr
grapdi Mooarque^r lui baifent lei pieds, de lui donoeot toutes le» ]iiar-<n
lues d« plus profond; refpeâ. Mais nous ne vivons plus dans le temps
es Adrien IV , des Alexandre III , des Luoe III i de» Urbain III , &àj
oii les Papes , après avoir excomnaMnié des Empereurs , mis les Rois au'
" ban de TEglife, jette des interdits fur des Royaumes^ & réduit les SiMir'
veratns & les peuples au défi^poîr, ft récoociliQient avec eux , ea leur
impofant des aâes de foumiifîon & d'humXté qui flétrifTenr encore atijour*
d'I^ui leur mémoire. Il n'eft pas vraifemblable que jamais un Eûipereitf
tienne l'étrier d'un Pontife , fe Êifle mettre le pied fur ,1a goree, & s\a^\
tende djre ces paroles infolentes : Vous marchere^^ fur Pafytic & fur le ba*
Jilic ; 6r vous fouUr€[ aux pieds k lion & le dragon» La Politique en-^.
ie^ne aux hommes que le Ulut des Rois & des peuples dépend dé la vi-
goureufe réfîftance qu'ils font «outre de pareils attentats , qu'ils ne doivent
point au Pape d obéiflance fanatique pour les affaires d'£tat & pour des
objets temporels, que fi les Princes baifent encore les pieds du Pomife» ils.
lui Uerotent les mains , s'il éteit h propos.
Les Souverains Proceftans a'envifagent le Pape que comme un Prince,
féculier, & alors cette grandeur cololTale devient une mignature. Ce n^ft!
plus qup Je maître d'un petit territoire , qui ne iàuroit avoir de rang parmi
les grandes puiflances. lU ne peuvent dPaUleurs avoir aucune liaifon direâer
avec un Pontife qui , tous les ans , du haut de fon fiege , lance fur eux
les foudres de l'Eglife. Ces foudres , il eft vrai , fe perdent dans tes airs x
mais la cérémonie n'en eft cas moins outrageante pour des Princes^ qui
régnent fur des nations refpeqables. Cependant tous les Souverains ont des
devoirs de politeife à remplir ; & celle - ci exige , même des Proteftans ^
qu'ils témoignent des égards à un Prélat que tant de Monarqbes & de
peuples Catholiques refpeâent fi fort, qu'ils ne choquent point leurs opi«
nions,, en témoignant pour lui du mépris,. & qu'ils connivent au rang,:
qui lui eft accordé par des Souverains qui ont le rang fur eux*
. L'Empereur des Romains tient le premier rang pàripi. tous les Princes
temporels de la Chrétienté. On a vu . quelquefois cette -première' dignité du
* monde occupée par les Princes dont la puiflance nMtoitepas formidable: r
mais ce défaut de puiffance n'a dérogé en rien au rang & à la confidérar-
tion qui leur eft due. Il femble que ce foit un hcmimage que les peuples
modernes rendent, à l'ancienneté du titre v ^ «quoiqu'il < ^en faille^e beau-
coup que les Empefe^r^ d^aqjouiii'faiii^^ént. les. maîtres^da mondb, Us (e.
trouvent néanmoins placés fur le trône des Céfars & des Charlemagne , &
nous. en. pcéfoatent. l'image ■ Comme >les honpeurs^extérîcuw n^ene-pas tcfù^
jours des effets
les rend. On donne
réels, ce n'eft pas aufli, touiçurs à la grandeur réelle qu'on
3nne à l'Efnpereur le titre dô Sacrée Màj'efté ïmpériale.^
x
i6<i CÉRÉMONIAL.
Vers la fin du 'XV fîecle, le grand Duc de Ruflie ou de Mof^ovie;
Bafile^ fils de Jean Bafilide, ayant fecoué le joug des Tartares & ireodu
Ion Empire formidable ^ prit le titre de C^ar , que l\>n déiive de Céûr
ou Kéfar. A mefiire que la pbiflançe des Czars s'eil accrue, & que les na-
tions Européennes ont eu befoki de leurs fecours oa -dé leur commerce^
elles leur ont actordé des titres & des honneurs très-grands. Déjà eti Tan-
née i66i y Charles II , Roi de la Grande-Bretagne, envoya le Comte de
GarlilTe en qualité d^Ambafladeur extraordinaire en Ru(Tie ; & ce Minifire "
ayant obtenu fa première audience ^ commença ainfi fa harangue au Czar :
(a) Le SérénîJJimc €f tris'puiffant Prince Charles II ^ par la grâce de Dieu
Roi ^Angleterre , éPKcoffe^ de fronce & d* Irlande , difenfeur de la foi^ &c;
h Vous y tris'-haut^ tr-ès-puiffant ^ & trh-illuftre Prince^ Grand- Seigneur ^
Empereur y & Grand^Duc^ jUexty Michalowit[y abfoîu Souverain de toute
la grande , la petite & la blanche RaJ/ie , de la mofcovie , Empereur de
Ca^an , Empereur dPAfiracan , Empereur de Sibérie , &c. Ces titres ne fi«
nilTent point. Pierre-le-Grand , ayant rendu^a puiflknce Mpfcovite encore
{dus relpeâable, & contraâé plus de liaifons avec les autres peuples de
'Europe par Ces conquêtes fur la mer Baltique , tous les autres Souverains
lui ont confirmé fucceffivement ces titres, & les honneurs qui lui font
sttacHés. La France a été la dernière à y confentir. En accordant au Czar
le titre à^Empereur & de Majefti Impériale ^ il eft certain que les Rois lui
cèdent le rang & ne marchent qu'après lui. Le titre é? Autocrateur de tous
Us Ruffesy que les Czars prennent dans leurs ukafes ou édics, femble tenir
un peu de l'enflure Afiatique , ne pouvant être attribué qu'à Dieu même ,
qui ibutient & gouverne tout par fa puiflance infinie.
En parlant des Souverains Chrétiens de l'Europe , il fembleroit que nous
pourrions nous difpenfer de faire mention du Sultan ou Chef de l'Empire
Ottoman; mais comme la Pone a diverfes liaifons avec l'Empereur d'Al-
lemagne , la Cour de Vienne , la Ru/fie , la France , la Suéde , la Repu*
Uique de Venîfe , Sfc. & qu'elle envoie de temps \ autre des Ambaflk*
deurs à ces Puiflknces, il fera néceflaire de faire quelques remarques fur
le rang auquel elle peut prétendre. Si l'on- confidere l'étendue immenfe de
l'Empire des Turcs , fès forces , les peuples qui y font fournis , la fiiccef*-
fion des Sultans au tràne de Conftantiii*le*Grand , le nombre de Provinces
que les Mahomets & Solimans ont encore ajoutées à l'Empire Grec pour
en compoièr l'Ottoman , il eft certain qu'on ne peut s'empêcher de confia -
dérer le Sultan comme un Empereur très*fbrmidable. Audi les Rois de
TEurope lui cedenc^ls le rang , oc ibnt toutes fortes d'honneurs & de dif»
tinétions'à fes AmbafTadeurs. La ReKgibn ne fe fbrmàlifë point de ces hou*
■ . ' ■ -r . neurs
ai* • •
(d) Voyez ia relation dts trois AmiaJJ'ades de Mr, U C^mt de Carliffe ^ édit^ fAmf-
jurdam^ pajg/e i)u
CÉRÉMONIAL. i^i
neurs purement temporels , rhumilité évangélique ne permet pas que le
Chriftianifme ferve de principe à des vanités mondaines. Le Sultan efl; ap-
pelle par excellence, le G r and- Seigneur ^ & on lui donne le titre de HaU'
tejfe. 1,^% autres titres que ces Princes prennent dans les écrits qui émanenc
de leur Chancellerie , fe refTentent tous de cet efprit Oriental qui fe plait
aux hyperboles & aux exagérations outrées.; elles deviennent- ridicules à
force d'être fublimes & pompeufes , & la manie d'inventer ces titres faf-
Cueux gagne fi fort en £urope, que les Allemands courent rifque d'être
bientôt, à cet égard, auffî ridicules que les Turcs. Au refte, on verra plus
bas, combien il importe aux Puiflances Chrétiennes de fe faire refpeâer à
la Cour du Grand-Seigneur par un extérieur impofant , & combien elles
doivent être pointilleufes fur Pexaâe obfervation du cérémonial reçu à
Conflantinople.
Les Bj>is occupent le premier rang en Europe immédiatement après les
Empereurs , & ce rang ne fauroit leur être difputét mais ils'eft élevé en*
tr'eux de grandes conteftations pour la préféance. Par qui cette conteila*
tion , fur la préféance, peut-elle être décidée ? Qui peut s'ériger en arbi-»
tre des Rois ? Qui voudra le charger de réduire à l'obéifTance des Souve-
rains formidable^? Tant que toute l'Europe étoit Catholique Romaine, il
fembloit qu'on pouvoit s'en remettre à la décifion. du Pape, tant par rap-
port à la nature de l'objet , qui n'ajoute rien à la puiffance réelle de chaque
Prince, ni ne la diminue, qu^ l'égard du perfonnage que fa dignité, ion
âge , fon expérience & fa fagelTe éclairée , pou voient faire confidérer comme
un Juge refpeâable en matière de cérémonial. Aufli le Pape Jules II ré-
gla-t-il, en l'année 1^04, le rang que les Souverains ou les AmbafTadeurs,
doivent prendre dans fa chapelle aux grandes folemnités, de la manière fui*
vante. 1^. L'Empereur. a°. Le Roi des Romains. 3®. Le Roi de France.
4^. Le Roi d'Ëfpagne. ç^. Le Roi d'Arragon. 6^. Le Roi de Portugal. 7^. Le
ioi d'Angleterre. 8^. Le Roi d'Ecolfe. 9^. Le Roi de Sicile. lo^ Le Roi
de Hongrie. 11®. Le Roi de Navarre. I2«^ Le Roi de Chypre. 13®. Le
Roi de Bohême. 14^. Le Roi de Pologne. 1 5^ Le Roi de Danemarck. i6^. La
République de Venife pour les Royaumes de Chypre, Candie .& Dalma-
tîe. 17®. Le Duc de Bretagne. i8<>. Le Duc de Bourgogne. 19^ Le Duc
de Bavière & Palatin. 20^ L'Eleâeur de Saxe. 21^ Le Marckgrave de
Brandebourg. 22®. L'Archiduc d'Autriche. 2^^ Le Duc de Savolie. 24®. Le
Grand Duc de Tofcane. 2<^. Le Duc de Milan. 26^ Le Duc de Bavière.
27<>. Le Duc de Lorraine, &c. Les Princes du St. Siège Colonna & Urfini,
les neveux du Pape, les Légats des villes de Bologne & de Ferrare.
Ce règlement du rang trouva d'abord beaucoup de contradiâions , & les
révolutions arrivées depuis dans l'Eglife & dans les Empires, l'ont renverfé
tout-à-fait. Le Roi de France refufa de céder le pas au Roi des Romains,
^ui n'ayant qu'un fimple titre de Roi,deftitué de toute puiffance réelle,. &
ne déugnant qu'un fuccefleur à la Couronne Impériale , ne pouvoir exiger
Tome XL X
itf2 C É R É M O N ï A L.
de prééminence fur des Monarques qui régnoient efFeâivettient fur des na-'
rions refpeâables. L'Efpagne concefta, à fbn tour, la préféance à la Fran«
ce; les guerres & les conquêtes confondirent les Royaumes & les autres
Etats ) plufieurs furent réduits en Provinces ; d'autres Royaumes fe for-
mèrent ; la réformation de Luther & de Calvin acheva de déranger tout ce
fyftême. Depuis Henri VIII l'Angleterre ne reconnoît plus l'autorité du
PapCi ni fon règlement pour le rang ;• le Danemarc, la Prufle, la Suéde,
& tant d'autres Souverains Proteftans» imitent fon exemple; & il paroit
déformais impoifîble de concilier les efprits au point de pouvoir afligner
ii chaque Roi une place fixe, & de l'engager à s'en contenter.
S'il falloit néanmoins établir des principes pour déterminer \i préféance
entre les Rois, on pourroit adopter les ifuivans : i^. l'ancienneté de la Mo-
narchie, 2^ la puiÂance du Monarque, 3°. la quantité & la grandeur des
Provinces dont fa Monarchie eft compofée, 4®. s'il y a plufieurs Rbyau*
mes qui en font partie ; 5^ s'il a des Vaflaux puifTans ; 6^ fi la Souverain
neté efi abfolue » ou bridée par un pouvoir mitoyen ; 7^. la polfefiion lon-
gue & non interrompue de la préféance; 8^ le rang que les Empereurs &
les Papes ont toujours accordé à chaque Roi , 9^ l'ancienneté de la Maifon
régnante , 10^. les divers titres qu'un Monarque ajoute à celui de Roi , &c.
Cependant, il faut l'avouer, toutes ces prérogatives éminentes forment plu*
tôt des confidérations que des principes de droit; car fi» par exemple, l'an-
cienneté de la Monarchie devoit faire un titre incontefiable pour la pré«
féance , le Roi de Danemarc pourroit y prétendre plutôt que la plupart des
autres Rois. Il en eft de même des autres fondemens qui n'ont guère plus
de poids. Réduifons les chofes au naturel. La pui (Tance eft un excellent ti-
tre. Le Roi le plus formidable faura toujours fe faire rendre les plus grands
refpeâs & les premiers honneurs , s'il en eft flatté. Il a d'autres argumens
en main que ceux de la plume. Perfonne n'ignore la difpute que les Rois
de France & d'Efpagne ont eue pour la préféance depuis que CharIes*Quint
abdiqua l'Empire. Les conteftations les plus vives fe font palTées à cet égard
à Venife, en l'année 1558 , entre François de Noaiiles, Evêque d'Aix , &
Don Francefco de Vergas; à Rome, entre Henri d'Orfeille & Requeîens;
& à Londres , entre le Comte d^Eftrates , & le Baron de Vatteville , Am-
baflàdeurs de France & d'Efpagne ; mais la Puiffance Françoife & fon cré-
dit ont toujours maintenu cette Couronne dans la poflefiîon de la préémi-
nence ^ ou du premier rang qui lui eft connivé aujourd'hui par les autres
Rois, mats non pas cédé^ comme quelques-uns te prétendent.
par
prouve
tort qu'on puiftè produire aucun aéèe ou document , qui prouve le contrai-
re, fur-tout fi Ton veut convenir que la violence ne fut jamais un titrer
car en ce cas TAmbailadeur du plus petit des Rois n'auroit qu'à fe hitç ef-*
C É R É M O N I A t. 1^3
ebrter d*une centaine de braves dëguifiis, & foutenii j main armie , dans
quelque cérémonie, un rang auquel ibn Maître ne fauroit prétendre. A me-
liire que la.politeffe fait des progrès, les difpuces pour !a préleance dimi-
nuent, les Kois cherchent à fe prévenir par des égards & des civilités ré-
ciproques ; ils tâchent d'honorer leur propre dignité à force d'honorer leurs
confrères , & de convaincre par ce moyen toutes les Puiflances fubalter-
nes , combien la Majefté met celui , qui en eft légitimement revêru , au-delTus
de tous les autres Souverains en matière de rang & de cérémonial.
Mais dans les cas où il femble que la dignité d'un Roi ôi la gloire d^me
nation foient intérefTées à maintenir le rang qu'on lui contefte, il eft des
expédiens qu'on emploie pour éviter d'en venir à des voies de hit. Tantôt
on menace de rompre un congrès ou utie alTeniblée, ou défaire manquer
une cérémonie, ou une négociation, en s'éloignant; &, par cette menace^
la crainte de nuire ik des intérêts réels £ût quelquefois obtenir des préroga-
tives frivoles ; tantôt oQ évite toute concurrence avec celui qui nous con-
tefte la préféance, on prétexte une maladie, un voyage, &c. tantôt on prend
par adreHè le pas fur lui; tantôt on établit une égatiré il parfaite dans tou-
les les parties du cérémonial , que la prééminence refte indécife, comme on
l'a vu pratiquer aux conférences que le Cardinal Mazarin Si. Don Louis de
Haro tinrent en 16159 , dans l'ide des Faifans, fur la rivière ^^ KidaiToa , où
Ton avoir conftruit un pavillon dont une porte répotidoir au côté de la Fran-
ce; & l'autre à celui d'Ëfpagae. Les deux Minifires entrèrent au même in-
ilant dans le pavillon chacun par fa porte , & s'adlrent à une table ronde
placée au milieu. Le pavillon étoic meublé avec tant d'art & d'uniformité y
qu^on ne pouvoir y diftinguer ni haut ni bas bout quand on l'auroit voulu.
Là fut arrêté le mariage de Louis XIV , avec l'In&nte Marie-Therefe, & cette
ifle a fervi depuis à d'autres cérémonies augufïes dans lefquetles on a ob-
fervé la même égalité. Tantôt on cède même le rang à fon compétiteur
pour ne pas faire manquer la réulÏÏte d'un objet plus important; mais on fe
pourvoit d'une proteilation , ou déclaration , portant que cet exemple ne ti-
rera point à conféquence, ni ne pourra préjudicier pour l'avenir; tantôt les
concurrens conviennent de prendre le rang alternativement l'un fur l'autre,
ainfi qu'on le voit à la diète de l'Empire entre pIuTieurs Princes d'Allema-
gne ; tantôt on décide la préféance par le fort , tantôt on n'envoie que des
Minières du fécond ou troifieme ordre dans les Cours ou autres endroits,
où l'on prévoit que le rang nous fera contelïé, & ainft du refle. Il y a mille
expédients & tempéraiViens à trouver pour empêcher que ces fortes de con-
teltations ne donnent lieu à de grands éclats, & ne rompent la bonne har-
monie néceffaire entre deux Cours liées d'intérêt.
Lorfqu'une nation nombreufe & refpeâable a introduit chez die un Got>
vernement Républicain, que ces Républiques font formidables, qu'elles ont
fous leur domination des Royaumes , Etats , ou Provinces confidérables , elles
ont le rang immédiatement après les Rois & même en quelque manière à
i5^ CÉRÉMONIAL.
régal des Rots , comme nous le voyons par l'exemple des Républiques de
Hollande , de Venife , de Gênes , &c. Mais les honneurs , qui font une fuite
de ce rang , ne fe rendent point aux Che^ de ces Républiques en particulier ,
comme aux Doges , aux Sénateurs , & à d^autres Magiftrats , mais feulement à
des Miniiires qui reprjfentçnt toute la République en Corps , comme aux Am*
baffadeurs, &c. Les Etats*Généraux des Provinces-Unies ont obtenu le ti-
tre de Hautes Puijjfances : on dît la Sérénijjime République de Venife ou
de Gènes \ on appelle très^iUufires & três-magnifiques Seigneurs les Chefe
de la République Helvétique, & ainfl du refie; mais il feroit également
ridicule & impertinent d'écrire à un Etat Républicain , Votre Majefté , ou
Votre Altejfe , ou de le nommer une Majeftueufe République , ou de lui at-
tribuer quelque autre titre faftueux qui n'eft point confacré par l'ufage.
c Les EleSeurs ont dans V Empire , & â la Cour Impériale , un rang qui
Us égale aux Rois. Ce fait eft inconteftable ^ & fe fonde noA-feulement fur
l'expreflion claire & pofitive de la Bulle d'Or (a) , mais atifli fur celle de
toutes tes villes Impériales (b). Cependant l'Empereur ne peut faire de régie-
mens que dans les Etats qui font direâement, ou indireâement» de fa
dépendance \ & fes loix ne fauroient alTujettir le refte de l'Europe. Il faut
donc fixer leur rang hors de l'Allemagne par d'autres principes. Les Elec-
teurs , comme tels , font à la vérité des Souverains également puiflans par
la grandeur de leurs Etats , & refpeâables par leur dignité , mais leur Sou-
veraineté n'eft pas tout-à-fait abîblue. Ils font fournis aux loix de l'Em-
pire; ils tiennent leurs Etats en Fief, & peuvent être mis au ban de l'Em-
pire en cas de félonie ou de rébellion. Cette confîdération doit les ranger
naturellement après les Rois & les grandes Puiflances qui jouiflènt d'un
pouvoir abfolu dans leur Gouvernement. Delà ont pris naiflanjce les diC*
putes pour le rang entre les Miniftres de Venife , de Hollande & autres
Républiques, & ceux des Eleâeurs, lefquelles n'ont jamais été bien déci-
dées. Avant que Frédéric I , Roi de Prune , eût mis la Couronne d^ns fà
Maifon, M. BeiTer, Grand-Maître des cérémonies de TEleâeur de Brande-
bourg , fut envoyé en qualité de Miniftre public en France. II arriva à la
Cour de Louis XIV, en même-temps qu'un nouvel Ambaflàdeur de Gênes ^
qui entra d'abord en conteftation avec lui pour le rang à la première au-
dience. Ils convinrent que celui qui arriveroit le premier à Verfailles^ fe
préfenteroit le premier au Roi. Beflèr paffa la nuit dans la galerie de Ver-
failîes, & prévint ainfi l'AmbafTadeur Génois; mais celui-ci, ayant trouvé,
la porte de la chambre d'audience entre-ouverte , s^y glifla dans le temps
que BefTer s'entretenoit avec un Courtifai». Befler s'en apperçoit^ vole
tm
(a) Voyei ci-devant la Bulle d'Ob , Chap. VI.
\b) Voye^ cî-devant les Capitulations de Charles VI « Charles VIT, & François I» &
I^artide CapitvlatiO)u
C É R É M O N I A L. x5$
comme un éclair vers la même chambre, tire le GëDois, qui alfoic com-
mencer fa harangue, par le pan de l'habit, hors de la porte, fe met à
fa place , & harangue le Roi qui ne fit que plaifanter de cette faillie vio-
lence faite en fa préCence.
On fait que même les Cardinaux ont difputé depuis long-temps la pré-
féance aux Eleâeurs. Je trouve dans une gazette publique de l'année 17 17,
à l'article de Cologne du 24 Février , ces mots : » Le Pape vient de créer
s» Notre Séréniflîme Eleâeur, de même que les Eleâeurs de Mayence &
» de Trêves , Patriarches de Jerufalem , d'Antioche , & d'Alexandrie.
9 Cette dignité leur donne le rang fur tous les Cardinaux, qui, fans cela,
3» prétendent avoir la préféance fur les Eleâeurs de l'Empire. " Je ne ga-
rantis point l'authenticité de cette relation^ ni que le raifonnement duGa-
zetier foit conféquent \ mais quoi qu'il en puilfe être , il paroit étrange
que des hommes d'Eglife , dont la fortune eft fouvent fort modique , &
qui après tout ne font que des fujets, aient la vanité de difputer le rang
à des Princes aufli refpeaables que des Eleâeurs. On ne s'arrêtera pas ici
à examiner leurs prétentions. Nous ne traitons point du cérémonial des
Prêtres, mais de celui qui fe pratique entre les Souverains.
Les Rois , pour donner plus d'éclat à leur majefté, accordent aufli ref-
peâivement un grand rang aux Héritiers préfomptifs des Couronnes, aux
Fils des Monarques & aux Princes de Sang Royal. Ils ont à leurs fours la
préféance fur les Souverains d'une dignité inférieure.
Les Princes dont les titres & les dignités font diftingués , comme l'^r-
mhiduc dP Autriche^ U grand Duc de Tofcane, &c. fuivent immédiatement
après les. Eleâeurs. Enfuite viennent les Ducsj Us Marckgravts ^ les Pala-
tins , Us Landgraves , Us Princes , Us Comtes & autres Souverains. On
s'attendra pas , j'efpere , que nous aflignions ici à chacun de ces Sou-
verains le rang qu'il doit occuper parmi les autres. Le nombre de ces
Princes eft fi confidérable, & les conteftations pour la pré fëancé font fi
fréquentes , fi diverfement fondées , fi indécifes , que les Auteurs les plus
volumineux , qui ont entrepris de traiter cette matière , n'ont pu que
l'efileurer. Chaque Souveram a d'ailleurs dans fes archives les titres
iur lefquels fe fonde le rang qu'il prétend occuper , & c'eft à ces for-
ces de pièces authentiques qu'il faut avoir recours, dans de pareilles
difputes.
Heureufement les entrevues des Rois font rares, Se les folemnités,
auxquelles plufieurs Souverains concourent en perfonne^ ne fubfiftent plus
du tout. La diète pour l'Eleâion & le Couronnement des Empereurs nous
préfente encore l'image d'une affemblée augufte : car , quoique tous les
£leâeurs n'y paroiflent pas en perfonne, il y en a cependant ordinaire-
ment quelqu'un, au moins l'Eleâeur EccléHaftique qui fait le Sacre, &
les autres le font repréfenter par d'illuftres Ambaffadeurs. II femble que
tout l'Empire foit condenfé alors à Francfort, Mais dans cette diète ,^ le
i66 CËRISMONIAL.
rang & les fendons de chaque Prince font réglés, ainfi que tous les dé-
tails du cérémonial, & ces réglemens font connus de tout le monde.
J'ai dit , heureufement que ces entrevues perfonnelles font rares , parce
que l'expérience a fait connoitre qu'elles ne produifent pas de bons effets ,
qu'elles font infiniment coûteufes , & que la plus grande perte qu^elIes
occafionnent à l'£tat confifte dans celle du temps qui s'emploie à mille
cérémonies gênantes. Mais lorfque les Rois ne peuvent éviter ces entrevues
ou vifites, celui qui la reçoit en qualité d'hôte doit combler fon convive
Royal de toutes les politeffes , attentions & honneurs imaginables , le fiiire
recevoir par (es principaux Officiers & Courtifans les plus diftingués fur fes
frontières, le faire défrayer dans la route, faire tirer le canon des places
qu'il traverfe , ou près defquelles il paffe , aller à fa rencontre , ou du
moins l'attendre à la defcente de fon carrofle, le loger au château dans
les plus beaux appartemens , lui donner toutes fortes de fpeâacles , de
Chaffes, de feftins, de fêtes & de divertiffements , &c. Le Roi hôte doit
aufli céder en toute occafion le pas au Roi étranger, lui donner la droite,
& ne pas craindre de déroger ou de compromettre fon rang, par cette
civilité qui efl un effet de la politeffe^ & qui ne fauroit tirer à aucune
conféquence préjudiciable. Mais lorfqu'un Monarque ell obligé de recueil-
lir dans fes Etats un Roi fugitif ou infortuné , comme Louis XIV reçut
le Roi d'Angleterre, Jacques II, & fa fitmille, & que le féjour peut
durer quelque temps , il eft convenable de former au Roi étranger une
Cour ieparée, & d'éviter, le plus qu'il eft poffîble, de fe trouver avec
lui en pubfîc : car le Souverain du lieu ne peut pas ceffer long-temps d'ê-
tre le premier dans fon pays, même en apparence.
J'ai toujours plaint les petits Souverains lorfqu'ils fe préfentent à la Cour
des Rois. Accoutumés à recevoir chez eux les hommages de la Souverai-
neté, on lit dans leurs yeux, on voit fur leur vifage, combien il leur en
coûte de rendre à la Majefté ceux qu'ils lui doivent à leur tour. Les Rois
leur donnent audience dans une antichambre où ils font prefque confon-
dus avec les Miniflres étrangers & les Courtifans. Lorfqu'on les régale de
magnifiques feflins, de fpeâacles briUans, de fêtes galantes ou militaires,
il femble que ce foit plutôt étaler à leurs yeux Péclat de la grandeur &
d^s prérogatives qu'on a fur eux , & donner ainfî une mortification à leur
amour-propre, que pour les honorer & les divertir. Ils jouent, dans ces
oceafions , un trop petit rôle ; & fi les liens du fang , ou l'intérêt de leurs
affaires, ne les attirent à la Cour des Monarques, la politique leur con-
feille , pour plus d'une rÂfon , de reHer tranquilles & les premiers dans
leurs palais.
b
ï
CÉRËMONIAI.
I L Des honneurs que les Souverains fc rendent en s^éerhant.
i6y
4'Es honneurs que les Souverains fe rendent en s'écrivant font fondés
le même principe des honneurs perfonnels, c'eft-à-dire fur leur rang,
slque déiîr que je puiiTe avoir de donner ici des inftruâions particu-
es fur la Courtoijîe que les Chancelleries , aufli-bien que les particuliers
chaque nation, obfervent à cet égard , la diverfîcé des idiomes , & les
>es difFérens de chaque langue , m'empêche d'entrer dans aucun détaif.
(qu'on confidere l'exagération des titres que les Turcs , les Allemands \
Efpagnols , & tant d'autres peuples donnent non-feulement aux Sou*^
ains , mais auili à toutes les -perfonnes diftinguées , & même à celles
ne le foiit pas, on efl confondu de voir que. des nations, d'ailleurà
âges, puiflent, dans un fiecle éclairé» fe prêter encore à des rodomon*
;s fi puériles; ^ en] être flattées. Il n'y à, par exemple, en Allema-f-
, pas de petit fcribe dans un bureau , pas d'artifati dans fon atrelier ^
ne fût choqué, fi, en recevant une lettre, il n'y trouvoit le titre de
I noble Seimeur {a) , quoiqu'il foit bien clair qu'il n'eft ni Noble nî
;neur. La ftyrielle de ces titres augmente par degrés félon l'état et
ang des perfonnes, & l'hyperbole efl pouflee à un excès ridicule dani
X que l'on donne aux Souverains. A force d'enflure on a même perdu
aldgie, la fignification naturelle & le fens des .expreflions. Si ces for-
d'élocutions fiiftueufes & bifarres pouvoient fe traduire littéralement
s une autre langue, le titre que tout Allemand donne \ FEmpereùr
endroit , à-peu-prè$ , à ce galimatias : RcfplendLjPantijp,me , Tranfpa-
njfime , Puijfantijfime , & tris-invincible Empereur , le plus gracieujç
Empereurs & Heigheurs. (b) On eft fcandalifé de la' boujjîjjure des
!S Orientaux; & le préjugé de l'habitude nous ferme les yeux ftir les
cules des nôtres. Les Anglois & les François purgent leur langage de
forces de courtoifies plates & pédantefques. On y donne aux gens du
imun le titre de Maître ( en A nglois Mafter ) , aux honnêtes gens celui
Monfieur ( Sir ) , aux perfonnes confidérables & diflinguées par leur
fance & leur rang, celui de Monfeigneur ( Mylord ) & aux Rois Sire'^
ique dans la prononciation Anglbife les fons des mots de Sire & de
fe rapprochent de trop prés, & f oient prefque toujours confondus lori^
>n adrefle la parole aux Monarques. '
lalgré la fobriété que la langue Françoife obferve fi fagement dans lai
enution des titres , il n'efl cependant pas fort aifé de prefcrire des
es fixes pour ceux que les Souverains fe donnent réciproquement dans
) Wohl Edier Herr.
) Allerdachleuchtîgfter , Grofznuchtigiler und Unuberwindiicbfier Kayfer « Aller-
igfter Kayfer und rlerrl
i^S CÉRÉ MONIÂL.
leurs lettres, parce que les ufages varient à cet égard dat» prefque toutes
les Cours d'Europe , que ces ufages font fondés ou fur une longue praci*
que, ou fur des conventions particulières,* qui peuvent changer de jour i
autre , félon qu'une puiflànce s'élève & que l'autre s'abaifle , ou qu'elles
trouvent leur intérêt à accorder plus ou moins de ces prérogatives , qui
ne leur coûtent que quelques traits de plume, à tel Prince qui peut les
aflifter ou leur nuire réellement. Nous tâcherons néanmoins de réduire à
quelques principes les coutumes qui s'obfervent à cet égard parmi les pria*
cipales Fuiffances de l'Europe moderne^
Tous les Princes & toutes les Républiques Catholiques en écrivant aa
• Pape, le qualifient de Très-Saint Pcrc^ & dans la contexture, de Sainte-
té. Ils finiffent leurs lettres en proteftant qu'ils font avec un profond rcf*
pe3 , & (inc entière foumijfion , fes très-humbhs & très-obéiffans fervi*
teurs& fiU. Nous avons déjà rapporté plus haut les raifons de cette dé-
férence refpeâueufe, d'ailleurs fi peu uîitée parmi les Souverains ;& l'on
en peut voir des exemples dans les lettres de Louis XIV, dont on a
donné un recueil au public. Ce Monarque fi glorieux , fi délicat fur
le rang & le cérémonial» femble ne ménager aucune exprefiîon humble
ou polie , pour témoigner aux Papes les égards qu'il portoit aux Chefs de
PEglife , même dans les temps ou il étoit fi mécontent de la Cour de Ro-
me,-qu'il la menaçoit de tout (on reffentiment , & qu'il l'obligeoit pref<*
que à main armée de lui faire les réparations les plus éclatantes. Toutes
les Bulles , les Brefs , les lettres Pafiorales , & autres pièces qui émanent
. de la Chancellerie Papale, font conçues en Latin; & lorfque le Souve-
rain Pontife écrit de fa main aux Souverains , il fe fert ordinairement de
la langue Italienne, dans laquelle il les appelle Beatijjimo^ Dilettiffimo
FigUo , &c. Les Puiflfances Proteftantes ne reconnoiffant en rien l'auto-
rité du Pape, elles ne lui accordent ni rang ni titre, & ne lui écrivent
jamais.
Wîcquefort, dans fon Traité de l'Ambafladeur ( Liv. I. Seâ. XXV. )
rapporte a que , lors des conférences de Munfier , les Plénipotentiaires de
» France s'étant plaints à ceux de l'Empereur que ce Monarque n'avoit
P pas fait de réponfe à une lettre qu'on lui avpit écrite du règne de
» Louis XIII, le Comte de TrautmanidorfF leur dit, qu'on n'avoit pas fait
» de réponfe , parce que , dans les lettres , le Roi ne donnoit point d^au"
» tre titre à t Empereur que celui de Sérénité \ & qu'après bien des con-
3» tefiations & des tempéramens propofés , il fut pourtant enfin convenu
D entre Traatmanfdorff & les Plénipotentiaires de France , par l'entremife
» des médiateurs, que lorfque l'Empereur & le Roi de France s'écriroient
»^ de leur main, ils le donneroient le titre de Majefié Impériale & Royale. a
Anciennement les Puifiànces n'étoient pas fi libérales du titre de Majef-
ce , elles donnoiènt aux Monarques tantôt celui à^ Excellence , tantôt celui
de ViUâion , taiitôt celui de Sérénité^ & tantôt celui à^AlteJfè. Les Rois
d'Efpagne,
C E^R E M O N I A I; 169
Tpagoe , avant Charles-Quint , nWoient que ce dernier titre. • Sous le
ne de Henri II, ç'eflrà-dire , vers le milieu du feizieme fiecle, celui de
jefté commença à avoir plus de cours ; & Ton ne fauroit difconvenir
il ne foit le plus convenable , le plus jufte , & le moins menteur qu'on
(Te donner aux Monarques, puifqu'il exprime mieux que tout autre le
i6lere de la grandeur ^ & de la dignité Royale ou Impériale, & la
ériorité que de pareils Monarques ont fur des Souverains d'un rang in«
eur. 11 eft à fouhaiter qu'on s'y tienne , & que la flatterie intéreiTée
ivente pas encore quelque nouveau titre pour encenfer ceux qui font
:és au faite des grandeurs humaines , & qui , les égalant à la Divinité,
* &fCG. croire qu'ils en pofTedent les qualités réelles. Un auteur efiron*
en dédiant fon livre au Pape Sixte V^ ofa l'appeller Vice-Deo; tant
laflèfle de l'adulation eft capable de forger des titres impertinens.
[ais quel que puiile avoir été le ftyle d'autrefois , il eft certain que l'ufage
i}ourd'hui demande que les Rois , en écrivant à l'Empereur , l'appellent ,
ijieur mon Frère ^ en y ajoutant le titre relatif au degré de parenté
Liel ils lui font alliés ; comme , Monfieur mon Frère , Oncle , Beati^
, &c. Dans la contexture ils le npmnient Votre Sacrée Majefté Impè-*
? , ou Votre Majefié Impériale tout court. L'Empereur , en revanche ,
ifle les Rois dans les lettres qu^il leur adrefte de Monfieur mon Frert
ie Votre Majefié. Telle eft la règle générale , fondée fur le principe
nteftable que tous les Rois , reconnus pour tels , font des Monarques
-bien que l'Empereur, qui n'eft parmi eux, tout au plus, que primiis
^ pares. II y a cependant quelques exceptions à faire, fondées lur des
umes , ou des conventions particulières , & dont il faut s'informer dans
[ue Chancellerie.
es Rois entr'eux fe qualifient également de Monfieur mon Frère & de
rt Majefié , & finiflent leurs lettres par une courtbifie polie , mais non
sâueufe. Lorfque le Duché de PrufTe fut érigé en Royaume , il étoit
rena que l'Empereur & la France ne donneroient au nouveau Roi que
tre de Dileâion Royale , & cet ufage a fubfifté affez long-temps ; mais
uiflance que poflede aujourd'hui le Monarque Frulfîen, a fait changer
yle de fes confteres , qui le traitent tous d'égal préfentement.
M-fqu'un Roi écrit à un Souverain d'un rang inférieur , il le nommé
fieur mon Coufin , & dans la contexture Votre Altefie Royale , ou (îm-
lent Votre Altefie , ou Votre Alufie Sérénifiime , ou Votre Sérénité , &c.
I le rang & le titre dont ce dernier jouit. Les Souverains, en revanr
, qui ne font point Rois , donnent à ceux-ci le titre de Sire & de
zfie. Les Monarques, en écrivant aux Sénateurs & autres Magiftrats
Républiques en corps , les appellent communément Mefiieurs mes bons
s , ou Mefiieurs mes Amis , Alliés & Confédérés , & dans la contexture
r. S'ils fe fervent d'une autre ritulature, c'eft une exception à îa règle ^
le fur quelque convention particulière ^ ou fuc un ufage. ancien. Les*
me XL Y
,7« CÉRÉMONIAL^
Républiques doonent aux Empereurs comme aux Rois , le titre de Site Ac
de Majc/ié. .
On ne finiroit point fi Pon vouloic faire l'énumératton de tous les titres ,
noms de dignité , & Courtoifies que les Souverains , qui ne font poiift
Rois, emploient réciproauement en s'écrivant. C'eft un labyrinthe oii IW
s'égare fort aifément ; ol il feroit à fouhaiter qu'à la place de tant d'au-
tres compilations, fouvent inutiles » quelque Auteur exaâ voulût nous
donner un recueil des étiquettes & formules tirées des regiftres de toutes
les Chancelleries des Souverains, qui pût fervir de gutde certain dans
cette partie du Cérémonial aux perfonnes chargées de la correfpondance
àts Cours. Au refte, le titre de DiUSion (a) eft aujourd'hui fort ufîté
parmi les Princes. Les Empereurs le donnent aux Eleâeurs , aux Princes
de l'Empire, auffi-bien qu'aux Cardinaux qui font Princes de l'Empire.
Tous les autres Souverains nomment les Eleâeurs Votre Altejfe , ou Sérc"
nité ElcSorale. Le Pape fe (ert auili du terme de DiUâion au Dauphin i
au frère du Roi, & aux Princes Souverains qui ne font pas Rois. Ces
derniers fe le donnent prefque toujours entr'eux, fur -tout en Allemagoe
où il y en a le plus grand nombre. /
1 1 î. Honneurs rendus aux Reprefentans des Souverains.
I ^Es honneurs que les Souverains rendent mutuellement à leurs Repris
feu tans refpeSifs font la troifieme partie du Cérémonial. Nous comprenons
ici fous le nom colle^if de reprefentans, non-feulement les Ambaffadturs^
mais auflî les Miniftres du fécond & troifieme ordre. Il faut pofer ici quel-
ques principes certains fondés fur l'ufage univerfellenient reçu dans toutes
les Cours d'Europe ; favoir, i^. que les Ambajfadeurs extraordinaire &
ordinaires d^un Souverain quelconque» qui eft en droit d^én envoyer^ ont
le pas & la vréféance fur tous les Miniftres du fécond ordre , quoique
leurs maîtres joient d^un rang fupérieur, tout comme les Miniftres dnfcconà
ordre prennent , à leur tour , ce pas fur ceux du troiftemt ordre , malgré h
m(me inégalité du rang que leurs Souverains tiennent dans l Europe. Dé*
veloppons cette maxime. Si , par exemple , dans une même Cour , dans
une même République, ou à un même congrès, il fe trouvoit un Am'
bafladeur du Roi de Naples, ou de la République de Venife, & un En^'
vdyé extraordinaire du Roi de France, celui-ci feroit obligé dans toutes
les Cérémonies de le céder à ces Ambalfadeurs, & de même un Envoya
extraordinaire du plus périt Prince Souverain prendroit le pas fur un Ré'
fident d'Angleterre , ou d'un autre Roi, quoique le rang de leurs maitra
'^■•^■^■•^^^^•■■^i**^»!*!^— i*i^*P— ii^BPiipI
(4} En Allemand lithdcnp
*
C É R É M 0 I^ I A L; 171
rerpeâifs foit fort inégal. Ce n'eft pts ou'au fond le Cabinet > I^ Cour &
la Ville ne portent une jplus grande conudération %, un Envoyé de France ,
qu^ un Ambafladeur de Gênes , à un Rëfident d'Anglecerre , qu'à un
Envoyé de Modene , & que les Minières des grandes Puiflkhces ne jouent
lin plus grand rôle dans le monde & dans les affaires , que ceux des petites ,
dans quelque clafle qu'ils puiflent fe trouver ; mais il ne s'agit ici que des
Cérémonies , comme dans les audiences publiques , entrées & autres fo-
lemnités.
La féconde maxime eft ^i/^ Us Minijîrcs publics du m£mt ordre prennent
hur rang fur celui que tient leur maître parmi les autres Souverains. C'efl
àinfi qu'un Légat â latere du Pape occupe la première place dans toutes
les Cours Catholiques , enfuite l' Ambafladeur de TEmpereur , après lui
cfelui de France, &. ainfî des autres. Les Miniftres du fécond ordre ob-
fervent entr'eux la même règle , & ils font imités par ceux du troifieme.
Les Minières du fécond ordre font fouvent revêtus de caraâeres difFérens,
comme de celui d'Envoyé extraordinaire , de Miniftre Plénipotentiaire ,
préféance fur TEnvoyé
Ces nuances, prefque imperceptibles de caraâeres , ne font rien pour les
diilinâions réelles, & dès qu'un Miniftre public eft accrédité auprès du
Souverain même, il doit jouir des prérogatives attachées à (on emploi. II
y a cependant quelques Cours qui font , abufivement , des exceptions à
cette règle , comme , par exemple , celle de France , qui admet une diO-
tinâion notable entre les Envoyés extraordinaires qui ont fait une entrée
publique, & obtenu une audience folemnelle, & les Miniftres Plénipo*,
tentiaires, ou Envoyés ordinaires, qui n'om point fait d'entrée. Ces pre-
liiiers, quotqu'Envoyés du plus petit Souverain , prennent le pas, dans
toutes les folemnités, fur les fecoùds, qui font accrédités même par les
plus grands Rois ; on les place au-deftus d^eux au fpeâacle & ailleurs , &
on leur accorde des honneurs prefque à l'égal des AmbafTadeurs. C'eft
un grand abus contre les principes du Cérémonial , & l'on ne peut voir
fans rire un pareil Envoyé , quelque eittraordinaire qu'il foit , prendre le
pas (ur le Miniftre d'un Monarque que fon maître feroit glorieux de fervir.
Mais la France agit en ceci par une autre maxime de politique. Ôii veut
à Paris^des entrées publiques, non-feuleraent potir en donner le fpèâacle
au peuple ," mais aufti pour oocafîonner une grande dépenfe au nouveau
Miniftre, & attirer, par de leniblables moyens, l'argent des Puiflances
étrangères dans le Royaume.
IIK Tous les honneurs que Pon fait à un Miniflre public font fondis
Jbr le caractère dont il ejl revêtu en vettu de fes lettres de créance. C'eft
ainfî qu'un Ambafladeur pent prétendre à des diftinâions auxquelles un
Miniftre du fécond ordre ne fauroit afpirer, comme, par • exemple | à voir
Y %
172 CÉRÉMONIAL.
arriver à fa rencontre les carroiTes de la Cour, à être défrayé pendant
quelques jours , que la garde batte aux champs lorfqu'il paffe » à fe cou-
vrir devant le Souverain, ôc Les MiniftrQs du fécond ordre, fans avoir
la repréfentation immédiate , Jouiflent cependant à leur tour de plufieurs
prérogatives que ceux du troiueme ne peuvent exiger , fur-tout depuis que
Vufage d^envoyer des Âmbafladeurs eft devenu moins fréquent. A la plu*
part des Cours , ils ont l'honneur d'être admis à la table du Souverain ,
de jouer avec les Reines ou Princeffes , d'être invités à toutes les fêtes &
folemnités, d'y avoir des places diftinguées, &c. toutes diftinétions aux-
Quelles les Miniftres du troisième rang ne fauroient prétendre de plein
roit , à moins que ce ne foit par une faveur fpéciale qui ne fauroit tiret
à conféquence. n eft à remarquer que l'étiquette reçue dans chaque Cour,
règle ces diftinâions & ces honneurs , & qu'aucun Miniftre , de quelque
Fuiftance qu'il vienne , n'a droit de former des prétentions contraires à
cette étiquette établie, & de vouloir prefcrire au Souverain vers lequel il
eft envoyé , des loix dans fa propre Cour. Il doit fe contenter de ce qui
a été fait à cet égard en faveur de fes prédécefleurs & des autres Minif-
tres d'un caraâere égal au fien. D'un autre côté, le Souverain doit ob-
ferver une parfaite égalité dans la difpenfation des honneurs qu'il &it
rendre aux Miniftres étrangers revêtus du même caraétere , fans avoir égard
à la puilTance , au rang , au degré de parenté de leur maître , à l'objet de
leur commiftion , ou à d'autres confidérations acceftbires. Dès qu'on
accorde à un Souverain le droit d'envoyer des Miniftres de tel ou tel ca-
raâere , ( ce qu'on fait en les acceptant ; ces Miniftres font fondés à exiger
toutes tes prérogatives que la Cour a coutume d'accorder aux autres Mi-
niftres du même caraâere. On fent bien que nous ne parlons ici que des
honneurs eftentiellemenc dûs au caraâere , & non de la conftdération per-
fonnelle , de l'eftime , & d'autres diftinâions pour lefquelles il n'y a aucune
prétention à former.
Si l'on manque d'obferver envers un Miniftre étranger quelque point e(^
vou-
qui l'envoie. Comme les Souverains font
fort délicats , & leurs repréfentans fort pointilleux fur cette matière , on
fait bien de créer un ou plufieurs introduâeurs des Ambaffadeurs , qui les
mènent non-feulement \ l'audience^ mais qui ayant auftî fait une étude
particulière du cérémonial & de Tériquette, règlent toutes les cérémonies
qu'on obferve à l'égard des Miniftres étrangers depuis le moment qu'ils
arrivent jufqu'à celui de leur départ, & pendant tout le féjour qu'ils font
à la Cour. Dans plufieurs Cours, cette charge eft confondue avec celle de
maîtres des cérémonies. On s'évite par-là bien des conteftations , àts criail-
leries, & des réparations toujours défagréables ^ & quelquefois mortifiantes
à faire , ou à efluy en
CE R É M O N I A !• 173
n eft d«s pays où l'obfervation exaâe du cérémonial envers un Miniftre
étranger devient un objet trés*réel pour le^fuccès de fa négociation. Nous
en citerons pour feul exemple la Turquie, Qui ne fait combien les Minif-
très & Officiers de la Porte Ottomane emploient de rufes , de finefles , de>
menfonges & d^ntrigues pour priver les AmbafTadeurs des Puiffances Chré*
tiennes à Conftantinople des honneurs auxquels ils ont droit de prétendre ,
tant en vertu de leur caraâere, que de l'ancienne coutume & des conven*
tions antécédentes? Les Turcs ^ dont on vante fi fort la probité & la droi-
ture , font fourbes à l'excès fur cet article. Il n'y a forte de pièges qu'ils
ne tendent à un nouveau Miniflre étranger pour gagner quelque avantage
fur lui dans le cérémonial^ oui s'obferve aux entrées puoliques, aux au-
diences du Grand-Seigneur , oc à d'autres occafions folemnelles. Si le Mî-
niflre , foit par ignorance , foit par foibleffe , mollit , cède « & fe foumet
i leurs volontés, ils conçoivent ibudain un grand mépris pour lui, pour fa
nation, & pour le Prince qui l'envoie. Ce mépris influe fur toute la fuite
de fa négociation, & ils prétendent lui donner également la loi pour tou-
tes les chofes eiTentielles ; au-lieu que s'il eft ferme dans fb;i début, & pour
les objets du cérémonial , fon caraâere leur en impofe , & il y a toute
apparence qu'il fera réuffir les affaires au gré des défirs de fon maître.
Quoique dans les Cours Européennes l'obfervation de l'étiquette ne tire
pas fi fort à confëquence, <» y penfe fouvent à la Turque fur cet objet,>
lors même qu'on affèâe d'en faire le moins de cas. Un négociateur pèche
grièvement contre fon devoir , lorfqu'il permet qu'on empiète de deffein
prémédité fur fes droits , & qu'on lui refufe des honneurs qui lui font dûs.
Sans être vétilleur & ombrageux pour des bagatelles , 41 doit fe montrer
attentif à maintenir l'honneur de fa nation , & les prérogatives dues à fon
jnaltre. D'un autre côté, toutes les Puiffances fouveraities ont un intérêt
ëgal à témoigner des égards , des politeffes , & à faire des honneurs diftin*
gués à leurs Miniftres rejjpedifs; car fi, par malheur, fous prétexte de vou*
loir bannir toute gêne & contrainte, l'ufiiçe venoit Si s'introduire en Eu-
^xope de les traiter trop cavalièrement, la dignité dans les mœurs des Cours
le perdroit bientôt , & nous n'aurions plus qu'un pas à faite pour retombée
dans cette ancienne barbarie dont nos ancêtres ont eu tant de peine à nous
tirer. Il eft eflèntiel qu'un négociateur maintienne ion rang dans les con-
iërences & dans toutes les occafions où il s'agit de porter la parole. Le
cérémonial n'eft affurément point un objet fîrivole en cette rencontre. Pen-
dant la guerre de 1740 , on entama à La-Haye des conférences pour la
Îacification. L'Ambaffadeur d'Angleterre prétendit y porter la parole. Le
liniffa'e de Fruffe s'y oppofa , & lui fit comprendre qu'en cette rencontre
tous les Rois étoient égaux , que Tancienneté de celui d'Angleterre ne pou-
voit lui doimer de prééminence , puifque cette raifon l'obligeroit à céder au
Roi de Danenurc. Ces argumens furent goûtés, & les Miniftres pro-
poferent à tour de rôle. On pourroit indiquer mille occafions fembUbles
174 CÉRÉMONIAL.
où un Miniftre public ne peut compromettre fon rang ni la dignité de Ton
maître, fans nuire réellement à Tes affaires.
Quoîqu^on ne puilTe prefcrire aux Souverains les moyens qu'ils doivent
employer pour faire* des honneurs à un Miniftre public, & que chaque
Cour luive une étiquette différente dans la manière de les recevoir & de
les traiter, on doit cependant admettre, pour règle générale en cet objet,
la maxime de morale fi connue, ^i^ il faut faire à autrui ce qu'on vou*
droit qid nous fut fait à nous-'rriénics en pareil cas. Un Prince iàgc & équi-
table n'exigera point d\in autre Prince qu'il déroge à fa prop^re dignité,
qu'il s'épuile en dépenfes , ou qu'il occupe tout fon temps à faire des dif-
tinâions fans bornes, à donner des fefUns fplendides, ou à procurer des
àmufemens brillans à fon Ambaffadeur ; mais tout Souverain a droit de
^attendre que (on négociateur (bit traité avec toutcss fortes de politeffes ^
d'égards, & qu'on lui fkffe* des honneuiis convenables au cartfâere doïit il
eft revêtu. Quelque grand que fbit un Monarque , il né peut , fans le ren-
dre ridicule & odieux , refufer la confidération & les civilifés dues aux Mi«
niflres étrangers , qui réfident en (a Cour , ni s'empêcher de leur faire des
honnêtetés, b'il y manque, s'il les traite avec mépris, s^'il afieâe trop de
hauteur, il en fera puni le premier; le tocfin fera bientôt (bnné. parmi tous
les négociateurs, ils détefteront fa Cour, & nul homme» de difHnfUon &
de mérite ne votidra plus s'y faire employer. Les autres Puiffiinces fe ver^
ront dans la néceffîté d'y envoyer de minces (ujets, qui feront d'humeur
à fe contenter de toutes fortes de traitemens, & qui fe trouveront dans
l'impuiffance de faire profiter la ville par une dépenfe honorable. Il ne faut
pas croire non plus , que les frais employés à la réception brillante d'un
Ambaffadeur, à une entrée fblemnelle, à une fête qu'on lui donne, foient
perdus pour l'Etat. Tout au contraire, les dépenfes qu'il eft. obligé défaire
de fon côté, fervent d'un ample dédommagement; & ces fortes de céré-
monies deviennent un fpeâacle qui réjouit le peuple ^ attire <les étrangers ,
& met beaucoup d'argent en circulation.
Tous les Miniftres étratnigefs , qui réfident en une mêmfe Cour , règlent
les honneurs & les politefles qu'ils fe font mutuelleilient fur les principes
établis ci- deffus. Un Ambaffadeur ordinaire cède à l'Ambaffadeur extraor-
dinaire, un Envoyé à un Ambaffadeur, un Réfideint à un Envoyé , & ainfi
du refle , fans égard au rang de leiir maître. Les Mtniflres du fécond ordre
font la. première vifite ^ ceux du' premier, quoiqu'ils foient arrivés plutôt
ou plus tard; ils donnent aux- Ambaffadeurs le titre à^Excellence, ils les
reçoivent à \a defcente du carroffe , & les reconduifent de même ; au-lieu
que les AmbafTadeurs ne font recevoir les envoyés que pat un cavalier, &
les attendent eux-mêmes à la porte de l'antichambre ; un AmbdfTàdeur prend
la droite, même chez foi , fur lès envoyés des Couronnes, & rie leur pré-
fente qu'une chaife à>dos; il a droit de prétendre que lé Gouvernement
faffe placer des fentinelles -à fa porter il peut demander wie -entrée publi-
, G É R É M 0 N I A I; i7<
que , les honneurs militaires , fe couvrir devant le Souverais ; il jouit ea
un mot de plufieurs diftinâions que les Miniftres du fécond & troifieme
ordre n'ont pas. Mais , au refte , tout homme revêtu du caraâere de Mi-
niflre public de la part d'une grande PuilTahcé fait fe faire refpeâer même
)ar un Ambafladeur d'une Puiflance inférieure , & lui fait fentir à propos
a fupériorité de fon maître. Le carroflb d'un envoyé extraordinaire du
Prince , Abbé de Fulde , fe trouvant engagé dans un embarras à Vienne ,
& le carroffe du Miniftre réfidant du Roi de Pruffe lui ayant barré le che<-
min, cet envoyé de Fulde mit la tête à la portière, & cria au Miniftre
Pruffien , Monficur , ordonne^ donc à votre cocher qu'il C4de au mien ; mais
celui-ci lui répondit ^ Monjiear , je lui donnerois cent coups de bâton s*U cedoit
i
m votre maître.
o
IV, Honneurs que les Souverains font à leurs Employés.
ITtrb les Miniftres publics, on voie fréquemment arriver dans les
Cours des Gentilshommes , des Cuurtifans , des perfonnes chargées d'emr
plois , appartenans à des Souverains étrangers. Le droit des gens n'établit.
âioiis. Mais il eft dPufage dans toutes les Cours de PEurope policée (Py re^
revoir toutes les perfonnes nobles , ou qui occupent des charges confiderables
€htT^ les autres Souverains ^ & de leur faire un accueil honorable^ & c'eft
en quoi confifte la IV. Partie du Cérémonial. JLcs politefles qu'on leur té-
moigne (b fondent, pour l'ordinaire, ou fur leur mérite perfonnel, qui les
rend plus ou moins agréables , ou fur le rang qu'occupe le Maître auquel ils
appaniennent , ou fur l'emploi plus ou moins diftingué dont ils font eux-
mêmes revêtus dans leur patrie* Pour ne pas s'expofer à admettre toutes
ibnes d'aventuriers à la Cour, ou ne pas obliger chaque homme de con«-
dition \ porter fes titres de noblefle en poche , la plupart des Princes ont
coutume de fe fj^ire préfentèr tous lés étrangers, chacun par lé Miniftre de
ia nation, lequel répond par-là dé fa naiffance ou de fa qualité. Un étran*
2er ainfi préfepté, & admis, peut paroître à la Cour chaque jour que le
Souverain fè montre en public, aifîfter à toutes les folemnités, jouir des
ipeâacles , fêtes & feftins que le Prince donne , manger félon fon rang ou
à la table du Prince même , ou à celle du Maréchal , fuivant l'étiquette éta«
blie^ 6( profiter dq tous Jes plaifirs que la Coyr prend publiquement durant
le féjour qu'il y fait; On cherché même i prévenir lès OfBcîprs : lesCour^
tifans & les Dames s'emipreilent à leur fitire des honneurs & à leur rendre
Je féjour agréable ; mais ils doivent, en revanche, s'efforcer de plaire & ^e
mériter Teftime du Souverain & des gens en place ; ne fe préfentèr que dans
iiD habillement convenable, & dans un équipage décent , avoir des manié'-
175 C É R É M O N I A L.
res qui anm>ncent leur naifTance, ne point faire les efpions, ni fè mêler des
affaires d^Erat, ne point froqder la conduite du, Prince ou de fes Minières,
ne point blâmer les mœurs & les ufage^ qu^ils trouvent établis, ne point
méprifer les bàtimens, les équipages, mçubles, cave, cuifine , fpeâacles, &
autres chofes qu'ils voient, enfin ne point choquer la Cour ou la nation,
dont ils défirent d'obtenir un accueil favorable.
Un Souverain juge fouvent des intentions, bonnes ou mauvaifes, d'une
Cour étrangère par le degré de politeffes qu'elle fait à fes ferviteurs ou à
fes fujets qui s'y préfentent en voyageant. £n effet, c'efl le thermomètre
de l'amitié \ mais il faut diftinguer la nçon de penfer de la Cour d'avec celle
de la nation. A Verfailles, par exemple, un Suédois efl accueilli avec tou-
tes fortes de diflinélions, parce que la Suéde efl alliée depuis. un temps im-
mémorial avec la France; à Paris, au contraire, un Anglois efl adoré, parce
qu'il y fait une graqde dépenfe, & qu'il a jles guinées à répandre, au-Iieu
que le Suédois , qui femble n'avoir que du cuivre en poche , y brille peu.
Maiisle Souverain ne fauroit répondre de Teforit & des manières du peu-
ple, pourvu qu'il obferve lui-même ce qui eft dû à chaque étranger de dU^
tinâion. Les petits Princes ont fouvent la manie de témoigner aux Cour-
tifans' ou aiix 'Employés des autres petits Princes, des honneurs & des ci-
vilités qu'ils accordent à peine aux ferviteurs des grands Monarques d'un
rang ou d'un titre égal. Çefl une efpece de vengeance qu'ils prennent» en
même*temps qu'ils croient fe donner un relief & s'honorer eux-mêmes en
honorant les petits domefliques de leurs petits collègues. Les Miniflres des
Princes Souverains , fur-tout en Allemagne , prétendent auffi au titre d'£x-
ccllencc , & voudroient qu'il leur fût donné même par les Miniflres des Têtes
couronnées. Il efl arrivé mille conteflations à ce fujet , & on a allégué beau-
que
c'efl pour cette raifon que les Miniflres des Eleâeurs , î la diète de l'Ern-
pire^ reçoivent le titre d'Excellence de la part de ceux des Princes, & ne
le leur rendçnt jamais , en vertu de la coutume établie dans le Saint- Empi-
re, outre qu'il n'efl pas trop bien décidé fi les Princes peuvent donner à
leurs Confeillers le titre de Miniflres.
■ . • ' ' • .
V. Honneurs qut les Souverains fc forit rendre à leur Cour i & difiinâions
fuHls accordent à chacun de leurs Sujets.
JLêEs honneurs que les Souverains fe font rendre â leurs Cours ^ & les
difinSions jujils accordent, en échange à chacun de leurs Sujets^ forment la
cinquième
C É R Ê NT O N I A I- 177
cinquième partie du cérémonial. Elle comprend i^ l'arrangement de tou-
tes les cérémonies ufîtées dans les occaHons folemnelles, 2^ le règlement
rémonial ufîté dans les Républiques.
Nos bons Aïeux difoienc en proverbe : Trop de familiûrlté engendre le
mépris. Nous fbmmes obligés d'en revenir prefque toujours aux dirions
populaires & aux fentences antiques, dans les affaires les plus graves & les
Î|lus importantes. Il importe infiniment au maimien du bon ordre dans la
bciété, au bonheur du Gouvernement, & à la félicité de l'£tat^ que le
Souverain foit refpeâé non- feulement par le peuple, mais aufli par les Grands
qui Tenvironnent. Tous ceux qui approchent des Rois fauront par expérien-
ce , ^ue cette timidité dont on eft faifî au premier afpeâ de la Majefté , dif-
paroit à mefure qu'on les voit plus fréquemment, oc que rhabitude de vî-»
vre en fociété, pour ainfî dire, avec eux, la fait évanouir avec le temps.
La familiarité qui s'enfuit devient (buvent funefie , ou aux perfonnes qui en
jouiilent , ou aux fujets qui n'en jouiffent pas. C'eft ce qu'on pourroit conn
firmer par une foule d'exemples, s'il étoic néceflaire.
L
NéceJJité du CéremoniàL
E Cérémonial n'a été inventé que pour retenir les uns & les autres
dans les boroes du refpeâ. Que feroit*ce Ci les gradations du rang inter-
médiaire entre le Prince & le peuple écoient confondues ou abolies ? .Que
deviendroit le Souverain & l'Etat, fi chaque particulier pouvoit approcher
de lui fans cérémonie , comme de fon égal , & s'il n'y avoir abfolumenc
a^iicune étiquette dans la manière de vivre à la Cour > Le peuple , d'ail-
leurs, qui fe moule trop aifément fur le modèle de fon Roi, vivroitdans
« défordre & dans la confufion , fi celui-ci en donnoit le premier exem-
>1e. Ce font ces confidérations qui ont donné lieu à l'établiflement du
-cérémonial dont nous allons indiquer en peu de mots les règles politiques.
Dans toutes les Cérémonies publiques , le Souverain ne doit paroître aux
'"«JX de fes peuples que dans un appareil éclatant & digne du rang qu'il
►^cupe. Il faut ou éviter toutes les lolemnités, ou les accompagner d'une
"magnificence capable d'en impofer au public. Le bon ordre doit y régner
(-■r-tout ; & le rang , ainfi que les fondions de chaque affiftant doivent
^re bien réglés, parce que les extrêmes des chofes les plus oppofées (è
couchent prelque toujours , ou du moins , que leur intervalle eft petit. Dans
^^c, Cérémonie le burlefque eft tout près du majeftueux, & lorsqu'une pa-
^^le Cérémonie ne frappe point par un air augufte, elle donne à rire
^^r un air de confafion ou de léfîne. C'eft pour cette^raifon que les Sour
""^aias ne doivent pas trop les multiplier, pour pouvoir y mettre une 4éï
Umt XL Z
,78 CEREMONIAL.
penfe convenable , outre qu'il y auroic autant de frivolité que de gène
tl'écaler à tout moment une pompe théâtrale aux yeux du monde. Un
Prince fage ne coniidere les Cérémonies que comme un habile architeâe'
les décorations , dont il n'a garde de charger un édifice , mais s'attache à
tourner en ornemens toutes les nécedités du bâtiment. Le Prince , de mê-
me , ne doit point ordonner des Cérémonies trop fréquentes , mais célé-
brer avec un éclat digne de fa grandeur les occafions folemnelles qui fe
préfentent pour de femblables fêtes , comme les couronnemens , les en-
trées triomphales, la publication d'une paix glorieufe, une viâoire figna*
lée , un mariage augufle , la naiflance d'un héritier à la Couronne , la Cé-
rémonie des hommages d'un pays acquis ou conquis , les pompes fiine-
bres, Ùc. Ceux qui font chargés de l'ordonnance d'une pareille fête ou
Cérémonie , peuvent en trouver des defcriptions capables de leur fervir de
guides & de modèles , dans toutes les compilations des Mémoires hiftori-
ques , dans le Supplément au grand corps diplomatique , dans le grand
Théâtre des Cérémonies de Lunig, dans les archives de chaque Cour &
ailleurs. Ils ne peuvent point attendre des inftruéKons détaillées fur ces
fortes d'objets dans un ouvrage » qui ne peut & ne doit envifager les cho-
fes. qu'en grand & fommairement.
Pour parvenir d'autant plus aifément à faire régner cet ordre non-feule-
ment dans les folemnités , mais* aufli à la Cour en général , pour fixer la
place de chacun, & pour éviter toutes fortes de difputes, la plupart des
Souverains ont fait à leur Cour des réglemens pour le rang de tous leurs
Employés civils & militaires. Dans la formation d'un pareil règlement ,
on pofe pour bafe le rang des grades militaires qui fert , pour ainfi dire p
d'échelle & de mefure au rang des perfonnes de l'Etat civil & des courti-*
fans, comme, par exemple,
Maréchaux Minières d'Etat aâuels Grand-Maitre^ de la Mai«
fbn , ou autres grands Officiers.
Lieutenans - Généraux Miniflres d'Etat titulaires , Maréchal de la
Cour ,
& ainfi du refte. Il dépend du bon plaifir de chaque Prince d'avantager
Pun ou l'autre de ces trois Etats dans le rang qu'il leur accorde. Le plus
ou le moins de befoin qu'il croit en avoir , fon inclination , peut-être foQ
caprice , tout cela fait varier ces fortes d'arrangemens ; mais en général il
efl de la juftice & de la prudence politique des Souverains d'y admettre
une proportion équitable , fondée fur cette vérité éternelle, que tous les
Etats font également néceffaires dans la fociété , qu'if n'y auroit point
d'Etat militaire s'il n'y avoir un Etat civil , & que dans chaque Etat le
mérite qui mené aux grands emplois eft refpeâable , & ne fbuffre point
qu'on le dégrade. C'eft fe mettre dans le cas d'être toujours mal fervi
que .d'avilir l'un ou l'autre emploi. 11 y a des Cours ou l'on a aboli toute
diilinôion de rang , fur-tout entre les hommes \ mais il m'a fcmblé qu^on
CÉRÉMONIAL. ,75
ne «'eft pis bien trouvé de cette invention ; que fi» d'un côté ^ on a eu
Î quelque peu de gêné de moins « on a foufTert de l'autre par te grand dé-
ordre; que rémuLarion s'eil beaucoup perdue dans Tétat civil ; que les
i>er/bnnes les plus refpeâables ont efTuyé toutes fortes de mortifications de
a part du premier étourdi & des hommes indifcrets , & que le prince a
été obligé de récompen(er tout le monde en bienfaits pécuniaires » n'ayant
plus de diftinâions réçlles à donner.
De VEtiquctic de la Cour.
Varrangement gênerai dune Cour pour la façon de vivre du Souverain &
de fa familU , pour les honneurs qu^il fe fait rendre , pour les charges ^
JbnSions & prééminences des courtifans , pour la réception des étrangéts ,
pour Us difiinâions qui font accordées à chacun , pour les Cérémonies à oh-
Jerver en toute occafion , &c. Quelquefois ces arrangemens font écrits en
£irme de loi , comme l'ancienne étiquette de Bourgogne dont on voie en-
core les vefiiges à la Cour de Vienne & à celle d'£fpagne ; quelquefois
ils fe fondent fur la coutume conftamment obfervée* Que ces objets foient
réglés en gros» il n'y a rien de déraifonnable. L'ordre vaut toujours mieux
^ue la confufion ; mais qu'on fafTe de l'étiquette un objet de la première
importance » qu'on foit d'une févérité fcrupuleufe fur Tobfervation d'un
vain Cérémonial , que les Souverains fe réduifent eux , leur famille , &
leurs fèrviteurs , à l'état de (impies automates qui femblenc ne fe mou-
voir que par les loix de la méchanique, & que le rang & la naiflance
^ent des prérogatives auxquelles le mérite , le plus noble apanage de
l'humanité , ne lauroit Jamais atteindre » c'cft-là , ce me femble , le com«
l>le du ridicule. On ne fauroit lire fans dégoût toutes les extravagances que
Tétiquette a fait éclore en Efpagne. J'en citerai un feul exemple. Phi*
lippe III étoit gravement aflis à côté d'une cheminée dans laquelle le
l>oute-feu de la Cour avoir allumé une fi grande quantité de bois , que le
lilooarque penfa étouffer de chaleur. Sa grandeur ne lui permettoic point
de fe lever pour appeller du fecours , les Officiers en charge s'étoient
éloignés, & les domeftiques n'ofoient entrer dans l'appartement. A k fin
le Marquis de Fobar parut, auquel le Roi ordonna d'éteindre le feu;
xa2âs celui-ci s'en excuia fous prétexte que l'étiquette lui défendoit de faire
une pareille fonftion pour " laquelle il ralloît appeller le Duc d'Uffede. Le
Duc étoit forti, la fiamme augmenta, le Roi la foutint plutôt que dedé^
Toger à fa dignité; mais il s'échauffa tellement le fang, que le lendemain
il eut un érefipele à la tête avec des redoublemens de fièvre qui l'empor^
terant l'an i6zx dans la 24^^. année de fon âge.
i8o CÉRÉMONIAL.
On pourroît rapporter plufieurs autres exemples parrils , moins Gmûm I ^
fouvent par la' bouche de la politique , que tout excès dans le Cérémonial I ^^
devenoit comique , que le fafte orienul , bien loin d'en impofer , paffi>ic 1 ^
pour une petitefle depuis que l'efprit philofophique avoit fait des progrès * ^
en Europe, qu'on ne mefuroit plus la grandeur des Souverains fur leur éclat
extérieur & fur des airs afFeâés» que la repréfentation continuelle de U
Royauté étoit un jeu de théâtre que les grands Princes avoient abandonna % v
aux Barons & aux jdu Frêne , (a) que le trop de temps donné à l'obferva^
tion d'une étiquette rigide étoit perdu pour le Gouvernement de l'Etat^
que la vraie grandeur étoit toujours (impie & naturelle, & que l'air de di'—
gnité étoit le feul qui convint aux Monarques. Il eft rare de voir une Cou '
obferver dans fon étiquette ce jufte milieu qui fait la perfeâion en tou-
tes chofes.
On pardonne aux Souverains dont la puifTance efl fondée fur Topinioa^K^
de fe repaître de ces fortes de chimères, & de faire du Cérémonial .K^ ^
un objet très-férieux. Que la Cour de Rome s'occupe les trois quarts d
l'année à des cérémonies, ou religieufes ou mondaines; que le Souverain
Pontife, les Cardinaux, Prélats, & tout un peuple d'Eccléfiaftiques foienc
confits dans l'étiquette, n'agiflent, ne marchent que par compas & pat
mefure, il n'y a rien d'extraordinaire. Qu'auroient-ils de mieux à faire?
le Clergé de toute l'Europe Catholique a fans ceffe les yeux tournés vei^
le Vatican. Le Pape eft un Chef de file qui fait des mouvements prefque
convulfifs en maniant fes armes fpirituelles pour montrer les temps à toute
la ligne , & pour rendre l'exercice d'autant plus exaft. D'ailleurs la hiérar- --^"'
chie de l'Eglife Romaine a befoîn d'un dehors grave & magnifique pour *^^*^
foutenir non- feulement fon établiffement dans la Capitale, mais pouréten- '-^*
dre auffi fon pouvoir jufqu'aux extrémités de la terre connue. Les hommes ^ "^
font frappés du merveilleux , & veulent être gouvernés avec cet art que ^^
les Papes & le Sacré Collège pofTedent fi bien. 11 n'eft donc pas étonnant "•^^
de voir à Rome des maîtres en fait de cérémonies (comme ailleurs des
maîtres en fait d'armes) qui enfeignent aux étrangers le Cérémonial &
tout ce qu'il faut faire à chaque pas. Les AmbafTadeurs , fur-tout, ont une
étude particulière à faire de l'étiquette de Rome , & efTuient la gêne pen-
dant tout le temps de leur réfidence.
{a) Fameux Aâeurs de la Comédie Françoife de Paris.
i^N verroic régner une étrange confufion dans toutes les compagnies
i'hommes qui s^aflemblent dans un Etat avec un même defTein , ilojit par
CÉRÉMONIAL. i8r
Du Cérémonial des Tribunaux de Juftice & autres Compagnies refpeSables.
o
d'hommes qui s aiiemoienr aans un ncac avec un même aeiiem , io;t par
ordre, foit avec la permiffion du Souverain, ou de régler la police, ou
de diriger les finances , ou d'adminiftrer la Juftice , ou de cultiver ou de
profelTer les lettres, ou pour quelque autre objet que ce foit, fi Pon n'y
introduifoit un Cérémonial qui réglât l'ordre nécelTaire à obfetver dans
ces fortes d'affemblées. La plupart de ces compagnies ont s^uflî obtenu des
privilèges pour leur rang, & des honneurs qui leur font rendus pour les
faire refpeâer par le peuple, & rendre leurs arrêts d'autant plus folem-
nels. Delà les privilèges des Parlemens , des Magiftrats des villes , des
difFérens départemens de l'Etat i du Clergé , des Univerfités , Académies, &c.
lues cérémonies qui accompagnent les affemblées , procédions , audiences
ou autres folemnités de ces difFérens corps , doivent porter avec eux un
certain air de décence & de gravité qui les rende refpeétables au peuple,
& l'on ne fauroit abolir trop jpromptement celles que nos bons aïeux y
ont introduites quelquefois , qui pouvoient leur paroitre pleines de dignité,
mais que le changement des mœurs a rendu comique aujourd'hui. Tout ce
qui prend l'air de farce , tout ce qui peut apprêter à rire , doit être banni
des cérémonies d'un corps qui efl l'organe des volontés du Souverain ,
l'interprète des loix, ou qui eft chargé d'autres fonâions refpeâables.
D
Du Cérémonial des Républiques.
Ans les Républiques enfin, il efl encore plus eflTentîel de faire de
lages réglemens pour l'obfervation du Cérémonial \ car comme les chefâ
& tous ceux qui compofent la Magiflrature, font pris ou dans le corps
des Patriciens, ou dans la bourgeoifie^ ou dans le peuple» il importe au
maintien du bon ordre & de l'Etat que ces charges foient rendues refpec*
tables par un extérieur ' impofant. La politique a befoin de faire jouer
tous fes refTorts pour obliger un citoyen à obéir à un autre citoyen qui
hier étoit fon égal , & qu'il doit confidérer aujourd'hui prefque comme
fon Souverain. Les honneurs dont chaque Magiilrat jouit, lui fervent,
d'ailleurs, de récompenfe principale, pour toutes \ts peines qu'il'fe donne
en faveur de la République, qui communément n'accorde à fes chefs que
de modiques falaires , au-lieu que les Souverains & leurs Miniftres fonc
toujours bien payés. Il efl très-important aufïi d'obferver une jufle grada-
tion dans les honneurs que l'on fait rendre à Chaque ordre de la Magif^
trature, pour conferver toujours non-feulement la fubordination fi nécef-
faire dans la fociété , mais auffi l'émulation parmi les membres du gou-
vernement, & le défir de monter à de plus grands honneurs à force de
travaux & de mérite.
iZz C E R M E N A T, (Jcan-Picm) CÉSAR.
11 y a deux écucils à éviter à l'égard du Cérémonial : le trop grand faftt
qui reflemble trop à la pompe théâtrale, & la trop grande umplicicéqui
conduit au mépris & à la balTefle. Voilà la règle générale, applicable à
tous les Etats.
■
m
CERMENAT, ( Jean-Pierre ) Auteur politique.
.1 E AN-PIERRE CERMENAT, Milanois, a fait un Livre qui a
^ pour titre : Rjpjhdia Jo. Pétri Cermenati de reàâ Regnorum ac Rerum
publicarum adminifiratione j deque Frincipum moribus ex optimis quibuf^
que , cùm facris tum profanis autoribus colleâa. Lugduni ad injiçne Sala^
mandrœ j apud Ludovic um & Carolum Penot Praires 1561 , i/i-it«
L'ouvrage , dédié à Jacobo Rappio Cômbrajo , Maître des Requêtes &^
AmbalTadeur de France chez les Grifons, eft divifé en :)8 Chapitres, 01
PAuteur traité du refpeft pour la Divinité , de celui pour le Prince , d(
diverfes efpeces de Magiftrats, de la conduite que doit tenir le Prince ^ d(
qualités néceflaires aux Ambafladeurs ; mais tout cela eft examiné foi
fuperficîellemcnt & fort imparfaitement. Ce Livre a été traduit du
en François fous ce titre : i> Difcours de la droite adminiftration
D Royaumes & Républiques , extrait de la Rapfodie du S. J. P. Cermenat^ -t
yi Milanais, a Lyon , chez les mêmes Libraires, la même année 1 56 1 , io-4*»-^^*
Cette Traduâion eft de G. Gueroult, qui Ta dédiée aux Echevins
Confeillers de la Cité de Lyon.
j
d
CÉSAR, furnom particulier à la famille des JuUs dans
tancienne Rome.
jLrfE premier de cette famille que Ton trouve avoir porté ce furnom,.
elt Sextus Julius Céfar, qui fut Préteur l'an de Rome 544.
C. Jules Céfar a rendu ce furnom le plus illuftre de Punivers ; & il a
été long-temps employé chez les Romains, pour (ignifier l'héritier pré-
fomptif ou défigné à l'Empire , comme Peft aujourd'hui le titre de Roi
des Romains dans l'Empire d'Allemagne. Ainfi Confiance Chlore & Galère
furent proclamés Céfars par Dioclétien & Maximien ; Licinus , par Galé-
rius ; Conflantin-le-Grand , par Conftantius ; Conftantin le jeune , Conf*
tantius & Conflans, par Conftantin, leur pere^ Junius Gallus & Julien |
par Conftantius.
Les Céfars étoient des efpeces d'adjoints ou affociés à l'Empire , parii-^
cipes ImperiL Jls portoient le manteau Impérial, la poturpre & le diadème»
C É 3 A R. 183
£1 marchoieat arec toutes les autres marques de la dîgnitë (buveraiue.
Ils étotent créés Céfars comme les Empereurs , par l'éndofTemenc dé la
robe de pourpre.
la Dacure de TEmpire des Céfars étoit la même que celle des com^-
mandemens. Ces commandemens , avant la création des Céfars , furent
décernés extraordinairemént à un Magiftrat ou à un particulier , félon qu6
le befoin de l'Etat le demandoit. Tel fut TEmpire qu'Augufte ^ tige de
tous les Céfars, fe fit conférer par le peuple , d'abord pour cinq ans , de
peur d'être foupçonné, comme les autres Triumvirs, d'afpirer à la Royauté;
enfuite^ pour dix ^ fous prétexte de pacifier les provinces ; & il fe le con^-
tinua par ce moyen , toute fa vie. Ce fiit de cette manière , qu'il le fît
paflèr à fes fucceifeurs. Eux ne voulant pas paroitre s'arroger plus que lui ^
conferverent les jeux décennaux, & firent femblant , comme ce Prince^
de redemander l'Empire par intervalles. Long- temps auparavant, la Ré-
publique avoit donné des exemples de cette puifTance extraordinaire, dans
la perfonne d'Oâave même, que le peuple difpenfa des loix à caufè de
Ton extrême jeuneffe , & que le Sénat , de l'avis de Cicéron , envoya en
qualité de pro-Préteur, & créa Général contre Antoine. Il en avoit aufli
donné un exemple dans la perfonne de Cn. Pompée, créé pro-Conful dans
la guerre contre Sertorius» dans celle des Pirates, & lorsqu'il fallut ap«-
provifionner Rome de grains. Il en avoit enfin donné des exemples dans
la perfonne de Céfar , pour la guerre des Gaules , dans la perfonne de Sci-
pion, pour la guerre d'Efpagne, & dans celle d'autres. On joignoit tou-
jours à l'Empire les Magiflratures ; parce que l'Empire feul ne donnoit de
pouvoir que fur les foldats, liés aux Généraux par le ferment; & parce
que les magiftratures, par exemple , la pro-préture ou le pro-confulat , don-
Jioient à fes Généraux le pouvoir fur les provinces, à travers lefquelles ils
menoient les armées , afin qu'ils exerçaffent plus librement leur puiflànce
militaire.
Avant les Empereurs , on ne conféroit qu'une portion de l'Empire mi--
litaire ou pro-confulaire , & cela pour un temps, & à certains citoyens.
Quand ils eurent été établis, on le leur conféra fans bornes. Dans les
derniers temps , la puifTance pro-confulaire leur paffoit peut-être par le con-
fentement tacite du peuple ; pour la raifon qu'ils ne pouvoient , fans cela ,
déployer leur empire militaire, faire la guerre par-tout, convoquer les
aflemblées des provinces , y lever de l'argent & des foldats. Mais fous les
premiers Céfars, l'empire militaire & le pro-confulaire étoient diflingués
par le nom, le temps, les aâes; & l'un n'étoit pas une fuite de l'autre.
CVtoit afin d'empêcher que l'autorité du Sénat ne fût afFoiblie , fi on ve-
Doit à les confondre , & afin que cette autorité , réitérée par l'adjudication
de deux Empires diflinâs , ^ multipliée par la multiplication dès aâes ^
parut plus fouvent. Aufïî Dion rapporte-t-il que les pouvoirs que les Em-
pereurs reçoivent étoient à la vérité conférés tous à la fois , de fon temps \
\
I
184 C É s A R.
mais qu'aupararant ils ëtoieDt conférés. , chacun par une loi pardctiliere.
En forte que , d^abord le Sénat montra Ion autorité à diverfes reprifes , 9l
que dans la fuite, il la montra toute entière en une feule fois. Mais les
|>ouvoirs qu^il donnoit , furent toujours dîAingués par les titres , de peur
^qu^ils ne paruflent aux yeux de ceux qui ignorent le gouvernement^ ren-
fermés dans le feul titre d'Empereur ; comme ii le civil & le militaire ,
les magilbratures & la dignité de Prince n'eulfent fait qu'une feule & même
chofe.
- La dignité de Céfar fut toujours la féconde de l'Empire , jufqu'au temps
d'Alexis Comnene , qui en -revêtit Nicéphore de Mélife en conféquence
de la convention faite entr'eux; & comme il falloit néceffairement qu'il
conférât une dignité fupérieure à fon frère Ifaac , il le créa Sébafiocrator,
lui donnant en cette qualité la préféance fur Nicéphore , & ordonna que
dans toutes les acclamations , Ifaac feroit nonmié le fécond , & Nicéphore-
le n^oifieme.
Le Sénat avoir ordonné par arrêt , que tous les Empereurs , depuis Cé-
far , porteroient ce nom dans la fuite ; mais , fous fes fuccefleurs , le nom
d'Anèufte étant devenu propre aux Empereurs, celui de Céfar fut commu-
nique à la féconde perfonne de l'Empire , fans que l'Empereur ceflàt pour
cela de le porter. On voit par-là , quelle eft la différence entre Céfar pu«
rement & unriplement, & Céfar avec l'addition d'Empereur Augufte.
Depuis Philippe le fils , les Céfars ajoutoient à leur titre de Céfar celui
de NobiUJftme , comme il paroit par plufieurs médailles anciennes ; & les
femmes des Céfars partageoient avec eux ce dernier titre , comme celles
des Empereurs portoient le nom à^Augiiftes.
' Les Céfars étoient admis dans l'ordre des Fontifef; & on ne peut guère
douter qu'ils n'y fuflent reçus fur la feule préfentation de leurs pères , ou
naturels , ou adoptifs. Cependant , il paroit que, foit qu^ils fulTent reçus
furnuméraires , foit qu'ils remplilfent une place vacante , pour rendre leur
éleâion plus folemnelle , on y faifoit intervenir l'autorité du Sénat. Ainfi ^
dans un fragment des Faftes pontificaux , dont la copie nous a été con-
fervée par Gruter , nous apprenons que - Néron , du vivant de Claude ,
Titus fous Vefpafîen , & Caracalla , fous Sévère , ont tous été reçus en
vertu d'un Sénatus-Confulte EX. S. C. ; ce qui ne fe rencontre pas, quand
il n'efl quefiion que de citoyens particuliers. On lit de même dans Capi-
tolin^ qu'Antonin Pie fit recevoir Marc-Aurele dans les collèges facerdo-
taux par ordre du Sénat.
. Mais, de quelque manière que les Céfars fuflent admis parmi les Pon-
tifes, ils ne parvenoient point au titre de Souverains Pontifes. On ne voit
pas que les Augufies leur aient jamais permis de prendre ce titre. Du
moins, les infcriptions ne le leur donnent point. Parmi celles que le
Cardinal Léopold de Médicis fit apporter d'Afrique à Florence, il y en a
une des deux Philippes, & une autre de Trajan Deçe & d'Hérennius
Etrufcus.
C ES A R. (C, Juks) i8$
:us. La precrtîere donne le titre de Souverain-Pootift à Philippe le
& la deuxième à Trajan Dece ; mais elles ne le donnent ni a Phi«
le fils , ni à Hërennîus Etrufcus , qui n'étoient que Céfars , lorfqu'elles
gravées; Pour les nrédailles , il n'y en a qu'une feule qu'on pûc
objeâer. Elle eft dans la fuite d'argent du P. Chamillard ; & on y
côté de la tête, Q. HE. ETRUS. ME. DECIUS. NO. C. au
, P. M. TR. :P. //. CONS. II. Mais, comme cette médaille eft
itiment.
refte^ les Céfars étoient égaux en dignité ; mais leurs rangs
t réglés ; c'eft-à-dire , quHl y avoic parmi eux primauté de rang
lo'nneur.
> A R , ( C. Jules ) Premier Empereur Romain , fils de Julius
'^efar & (TAurélie^ né à Rome Van ^q avant Père Chrétienne.
S S A R avoir la taille avantageufe , les yeux vifs , une phyfionomte
ife & inréreflante y une politeffe & des grâces naturelles. Il étoic
iyÇareflant, traitant fes égaux avec dignité, & fts inférieurs avec
; il étoic libéral , & favoit faire des largeffes à propos/ Il avoir en*
m génie pénétrant, un jugement exquis, des vues profondes, Tame
de au milieu des plui grands dangers ; qualités qui, lui difant qu^il
lé pour commander , furent le germe de cette ambition qui le porta
endre maître^ abfolu de la République.
l'avoit pas encore vingt ans , qu'il eut la hardieffe de réfiftèr à Sylla,
»mme cruel qui avoir rempli Rome de meurtres par fes profcrip*
<& l'avoit gouvernée defpotiquement. Céfar avoir époufé Cornelie^
e Cinna, le plus grand ennemi de ce Diâateur : celui-ci voulue
er de la répudier. Le jeune Romain indigné d'un ordre (i tyranni-
ftifa de Uii obéir. 6ylla irrité le mit au nombre des profcrits. Obligé
cacher . il , n'obtint fa grâce qu'aux prières inftantes des amis du
eur, qui en la leur accordant, s'écria, qu'il reconnoiflbit dans ce
fur la brèche, & avoit été honoré d'une couronne civique,
es la mort! de>Sylla il revint à Rome dans /le deffein de briguer les
les plus' honorables. Comme le chemin ordinaire pour y arriver
e talent de l'élo<|ueniçe , il en fit une étude particulière^ & mérita
\e XI. A a
(
\i6 ' CES A R* ( C. Juiu ) '
biencôc (fStre mU dans le mêine raog cpk renoiciït âttfrs Cicéroti , Hor^
tenfiu^ Si Craflus. Ce fîit dans ce temps^là qu'ayant voulu faire un voyage
en Grèce» il fit connoître dans le péril où il fe trouva toute la grandeur
d^une ame deftinëe à donner la loi aux autres. Le vaiflèau fur lequel 9
montoit ayant été pris. par des Pirates, ceux-ci voyant dans la phyiîono-
8iie du jeune Romain un air de nobkfTe oui dëhotoît'fa naiflànce & fbtt
rang » lui demandèrent vingt talens pour ïa rançon : Cé&r leur die fl'uit
air moqueur Nou'ils ne favoienc pas leur métief ,^ ftj<Aitan€ quHI Vonloic
payer plus genéreufement la gloire qu^ils avoient eue de furprendre uif
homme tel que lui , il leur promit cinquante talens. Obligé , en attendant
le retour de fes efclaves qu'il avoir envoyés chercher fa ran<dti, de de*
ateurer quarante jours en la compagnie de ces Pirates , il leur infpira un
fi grand refpeâ pour (à perfonne , qu'ils le regardoient comme leur mal*
tre : ils lui obéiflbient en tout , & lorfqu'il vouloir fe repofer , s'ib fat*
foient trop de bruit, il leur envoyoit dire de fe taire; s'ils fiiifoient quel-
que aâion d'inhumanité^ il les menaçoit de les en punir. Sa rançon efant-
arrivée , il leur paya les cinquante talens : mais à peine fut-il forri de
leurs mains , qu'il arma plufieurs vaifièaux , attaqua les Pirates , les prit ,
en fit. pendre une partie, fit vendre les autres, oc s'empara de leur butin^
A.
Elévation de Juks Céfar.
^ Rrivé à l'âge où il pouvoît pofiëder les charges publiques; la pre-^
miere qu'il obtint fiit celle de Tribun Militaire ; il commença à fè nire
connoître des Citoyens dans cet emploi, & il acquit tellement leut efli*
me , qu'ayant enfuite demandé la Quefture , il fut élu préférablement % fes
compétiteurs. Peu de temps après il obtint celle d'Edile^ ëc eomme en
cette qualité il falloit donner des jeux Se des fpcâacles , Céfar furpaifa ,
par fa dépenfe, ceux qui l'avotent précédé. Pour gagner les bonnes grac'es
des Romains , il fit faire , avec beaucoup de magnificence , les images de-
Marins, que Sylla avoit fait abattre. C'étoit plaire beaucoup au peuple
qui chériflbit la mémoire de Marius, cet implacable ennemi déclaré de la
Noblefle. Céfar en fit l'éloge à l'occafion de celui de Julie , veuve de Ma-
rius. Ainfi il gagna tellement la bienveillance du peuple, qu'il en obtint
les fuffrages dans toutes les occafions ; en un mot ; il fit voir ou'il vou-
loit s'élever par fa feule feveur aux premières Charges de U^épubliqne.
Lorfqu'it fiit k la fleur de A>n âge , il demanda la charge de Souverain
Pontifia, charge qui avoit la prérogative de pouvoir être exercée toute la
vie , & il l'obtint malgré la brigue des plus grands* de Rome. Bientôt
après il fiit fait Préteur, fi>n£Hon très-honorable, car celui qui en étoit re-
vêtu étoit regardé comme le gouverneur de la ville , & il y commandoir
en l'abfence des Confuls.
Cependant les Nobles , s'apperoevant des deflfeins ambitieux de Céfar , fe-
C ES A> R. {\C,fùUs X %%j
t)gu0rcffictie0éére 3uiV& loi fwsqrterem lés pluf grands coiip& Il ne poai^oit
fti«iq«erd^4<n» retiverfë, tHX n^avotc pas eu mi gàiîè autB ferme & auffi
Hmni m j^dfeurces* Mari , an milieo ^ cet orage, perfonae ne fut miet»
modérer fim rei&ntîmetit itootre eeox même qu?tl pouvott perdre. Cefl
^et empiiie ^'it fut prendre fur ht^méme, qut fiit tou)oars fa règle, &
f|m enftn^le iRt' parvenir au ferme.de fesi dairs : c'eil aii^ qu^l £e ma
de Fafbire qufoin;lui fbfcka lors delà convocation de Catilioa, dans la^
quelle oa^ à^oit voulu l'impliquer.
avoir
Mique, & eeiuf- cri voulut bien Te; rendre 'pour lui caution de deux mil-
lions. On rapporte»^ que ^ 4ans fon voyage pour fè rendue en cette provin**
ce , & pafiànt dainsi une petiie ville afiez mal peuplée » ceux de fes ami^
^ui Taccompagiioietit » lui dirent en rians » qu'il, àe pouvoic pas y avoir
de brigues ponr les charges dan» nne pareifle bicoque » Pourquoi non )
» répondit Céfar :~poar itior, je iâb bien que j'aunerois mietijo être le
» premier dam^cetié 'petite viÉe^ ^ue le fécond à Rome, « Pendant le
Cu de temps. qu^itfot dams Je Gouivernement ,. ti acheva de foumeUre la
i£tanie, & }» autres peuples de l^extrémicé de rEfpagneu Delietour à
Rome, it fe mit au railg des prétendans au Con&iiatL ! -
r • • • *
• ' t ■
Il forme le Triumvirat.
X^Omp^B St Craffus étoient alors les Citoyens les plus poiffans de I4 R^
pubtlqne. Le premier brîHoit par L'éclat tout récent de fes viâoires , & CralTus
par rimmeomé de fes richeflfes *^ mais la faloufie les avoittrendu ennfemik
depuis tong^cemps. Célkr réfolutde les! réconcilier; & ce fut fur ceete.ré*
conctlii^iion qu'il concerta le plan de fa propre ékvatioo* Il vint à bout
de fon deflëin par la force de fes néroas qui éroienjt prifes de leuc nropre
intérêt , & qu'il leur fit fentir. Ce fut ainn qu'il ferma avec eux le fameut
THumvirat qui les rendk tous trois maltrer de la République. Le premier
fhiit de cette ligue fut fon éleâion au Confulat : bientôt i{ rappella à lui
feul toute l'autorité ; fon génie fupérieur à celui de fes collègues lui en fuif-
eita les mtfyens ; & infenfîblement il prit uh tel afcendant fur (es conci-
toyens, que perfonne n'ofa plus lui réfifier. S'étant apperçu que Cicéron,
propofer la loi agraire
aux pauvres citoyens.^, tentative qui avoit coûté la vie aux Gracques; £t il
Aa 2
I
OÉS A R. < C JuUs)
la fit approuver ptr le peuple / malgré Poppofîtiob de là Noblefle,- Voyant
fon crédit s'affisrmir de plus en plus , il fe m décerner pour cinq ans le goa«
vernement de la Gaule. Ses vues étoient de faire voir qu'il n'étoit pas mpint
habile que Pompée dans le métier de la guerre, & qu'il pouvoit conmic
lui s'illuftrer par des conquêtes. Mais fbn deffein étoit encore de trouver
des occafions d'amafler des richefles, de s'attacher les fdfdars par degrfin^
des largefles , d'avoir ainfi une armée à fa difoofition, qui fût moins celle
de la République que la fienne propre , pour fubjuguer enfùitç fa patrie.
Guerre des Gaules.
T
XyEs Romains poffédoient alors dans les^ Gaules 6ette> partie de Htalie
qui compofe aujourd'hui l'Etat de Gènes , le Piémont^ leMilaoois, ta Lom^
bardie. Ils a] — "-' ^ r^^-f- r^ir^t^z — ti iriA^i i^
Savoie , la Pn
cherchoit qu'une occalion* de taîre la guerre
che ,.Céfar partit en diligence pour s'oppofer à leur paflàgcL Ainfi fa pre^
miere expédition fut contre lesSuifles : ces peuples ft défèndireitf avec beau-
coup de valeur, & ce ne fut qu'après un fanglant combat qu'il défît leur
armée, quoique très-nombreufe. Sa féconde expédition fut contre les Ger-
remporta une grande
fur les Germains ; & ce /ut dans tme feule campagne qu'il termina ces deux
ffuerres. Enfuite , il (e rendit dans la Lombardie , pour y paffer l'hiver &
lever des troupes. Là , comme il n'étoit pas loin de Rome , il étmt à por^
tée de favoir ce qui s'y paffoit. Son grand but étoit de pouvoir conferver
fon Gouvernement, & d'ëmpécher qu'on ne lui donnât un fuccefleur qui
viendrait lui enlever la gloire de fes travaux : il ne vouloit pas revenir à
Rome en (impie particulier , mais devenu-^ afiez puiflant pour y donner
la loi.
mains
campagne ; mais raute û^avoir tait des pi
Céfar inftruit de leur route les pourfuivit , & les ayant atteint il tomba fur
leur arriere-garde & en fit un grand carnage. Enfuite il fit le fiege de Soif-
■«■««i
W Provinces jjuî font dans. le milieu de la France.
W Aujourd'hui la Champagne» la Lorraine , & les Pays fur le Rhin*
CÉSAR. ( C Jutes ) ig^
ISmis : les hâbitans étonnés de la hauteur des machines des Romains, fe
rendirent : les peuples de Beauvais & d'Amiens n^ayanc pas ofé éprouver fe^
nrmes, fe rangèrent auffî fous fon obéiflance.
De- là il marcha contre les Nervien$ (a) y peuple belliqueux : ceux-ci
ie défendirent avec la plus grande valeur contre les légions Romaines , &
lurent fur le point de les mettre en déroute. Mais Céfar ayant rétabli le
combat , fes troupes furent en état de mettre en fuite ces peuples. Cette
aâion fut la plus périlleufe de toutes celles que les Romains eurent à fou-
tenir dans les Gaules ; & s'ils arrachèrent la viâoire à Tennemi , ils en
furent redevables à leur expérience dans l'art militaire « à leur fermeté &
ii l'habileté de Céfar. Enfuite il forma le fîege de Namur. Les hâbitans eF-
fi-ayés de toutes les machines que les Romains élevoient , fe rendirent &
ouvrirent leurs portes ; mais ayant voulu ufer de trahifon pendant la nuit,
la ville fut mife au pillage & une grande partie des hâbitans paflée au fil
de l'épée. La réputation de Céfar s'étant étendue au-delà du Rhin , les
peuples de ces Contrées lui envoyèrent des Ambaffadeurs pour fe ranger
tous fon obéiflance.
Etant venu paflèr fon quartier d'hiver à Lucques ^ il envoyoit à Rome
des officiers & des fbldats qui ^ifoient des éloges extraordinaires de fès
viâoires ; leur récit enflammoit le courage de la jeune nobleffe, qui ne
demandoit pas mieux que d'aller cueillir des lauriers fous les ordres d'un
tel Général : fes amis de Rome le venoient trouver ^ il les recevoit ma-
gnifiquement , il leur faiibit des préfens ^ leur ofFroit fa bourfe. Quantité de
Sénateurs s'y rendirent. En un mot , Céfar , félicité fur fes exploits & ho-
noré de tous les Romains, voyoit autour de lui comme une cour, & goil-
toit d'avance les honneurs de la Souveraineté.
Il avoir alors foumis les Belges , & chaiTé les Germains au-delà du Rhin.
De retour dans les Gaules , il apprit que les Bretons vouloient fe (buftraire
à la domination des Romains, a qui ils payoient un tribut. Comme la
ville de Vannes étoit la pliis puiflante de cette Province , & s'étoit rendue
la maltrefle de tous les ports , Céfar fit conftruire une flotte qui navigeoit
liir les bords de la Loire. Le jeune Brunis ftit chargé de cette expédition.
Il vint à bout de réduire ces peuples & il eut toute la gloire de cette vic-
toire. Labienus , le plus célèbre de fes Lieutenans , défît à Trêves un corps
de Germains. Sabinus battit les peuples du Mans & d'Evreux. Le jeune
Craflus , qui commandoit en Aquitaine , fe rendit maître de cette Province ;
& ces trois Romains , qui agiflbient fous les ordres de Céfar , fécondè-
rent fi bien fes deffeins, qu'ils partagèrent avec lui la gloire de cette
campagne.
L'année fuivante, Céfar, appuyé du crédit de Pompéç^& de CrafTus^
{m) Peuples du Catnbrefis»
â
ebdoc , malgré les dibri r de tes ennanU , q^ ion gbuveraehiént filkt «pm
lofigé pour cinq ans. Eofiftce il eut à foutentr une^gueinre cootre ploueurs
peuples de Germains , & il la termina avec antanr de liooheur que de £»
ctiité. Pour contenir cette nation , il rëfokt 4e palTer le Rhin , & vint k
bout en dix jours de conftruire un pont fur ce fleuve rapide :îl y fit pafTer
fon armëe« Après avoir fait le dégât dans les campagnes, brûlé tous les
villages des Sicambres Se des Ufipetes , & jette la terreur parmi ces pepr
pies ) il rentra dans la Gaule. Ce fut alors mi'il voulue exécuter le profec
qu^il avoit formé de faire une deicente dans la Grande-Bretagne.
Céfar fe rend à Boulogne, it y fornnre ime fiotte de quatre-vingts voiles
pour tranfporter les légions {a) y & fait conftruire dix-huit gros vaîfTéauz
pour embarquer fa cavalerie. Il Ëiit fa defceore , trouve les AngIcMs rairgés
en bataille , il les attaque, les met ai' fuite. Une tempête brife une partie
des vaifleaux Romains : il fè trouve fans vivres : fon génie fécond en ref-
Ibucces répare ce malheur ; il fe voit bientôt en état de livrer bataille aux
ennemis , il les met en déroute , les réduit à lut demander la paix , repaile
la mer, & arrive heureufement à Boulogne.
L'année fuivante , Céfar , après avoir fait conflaruire plus de fix centi vai(^
feaux, fit une féconde deicente dans la Grande-Bretagne avec fix légions
& huit cents chevaux. Les Barbares attaquèrent les Romains, & il y eut di«
vers combats ; mais , dans le dernier , ayant été défaits avec beaucoup de
perte^ , ils n'attaquèrent plus les^ Romains^ avec toutes leurs forces ^ ils fe
contentèrent de harceler & de à*ainer la guerre en longueur. Céfar s'avança
dans la Province de Kent, attaqua une place trés-fortifiée , & vi« à bout
de la prendre. Il fournit enfliite divers peuples , leur fit doniier des otages ,
leur impofa un tribut. Cependant, comme il craignoît de nouveaux mou^
vemens dans les Gaules , il embarqua fes légions ck revint à Boulogne avec
la gloire d'avoir été le premier des Romains qui eAt pénétré dans cette
Ifle. Il mit aufli-tôt fes troupes en quartier d^'hiver, & il éloigna fes lé-
gions les unes des autres, ann qu'elles pulfent fubfifter plus facilement.
Pendant qu'il parcouroit les différentes villes des Gaules , Sabinus & Cotta.
•qui commandoient une légion dans le pays de Liège , furent tout à^ua coup
attaqués par les peuples de cette Contrée, qui avoiem à leur tête Indu-
eiomare, & furent défaits avec la plus grande partie de la légion. Anv-
biorix , qui avoit remporte la vîâoire , fe rend dans le Hainault , eaihort^
les peuples à fe délivrer de la nation Romaine : il perfuade à ceux de Canp-
bray d'opprimer la légion qui étoit en quartier d'hiver dans leur caatoiL
(bus les- ordres d^ Quintus Cicéron. Les peuples prennent les armes , attan-
auent le camp des Romains & veulent forcer les retranchemens , & ceux*cL
<fe défèndemSftvQc la plus grande vigueur. Cependant L'attaque devenoic d^
{a) Une légion avec fa cavalerie, compofoit fix mille trois cents hOAmes.
C É s À R. (C Jules) ICI
|our en jour plus opiniâtre; mais Céfar ayant fû ce qui fe paflbit, vint
& grandes journées avec fa cavalerie au fecours de Quintus. Aufli-tôt les
Gaulois abandonnent le fiege & vont au-devant de lui avec toutes leurs
troupes. Leur armée. étoit torte de plus de Ibixante mille hommes. Céfar
avoit déjà a(fîs fon camp , & après s'y être fortifié ^ il afFeâa de n'ofer en
fortir. Mais au moment qu'il vit les ennemis moins fur leurs gardes , il fit
fortir fa cavalerie par toutes les portes du camp , fit une irruption fur eux
avec tant de vigueur, qu'il en tua une grande partie, diilipa les autres,.
& s'empara de leur camp. Après cette expédition » il renvoya fes troupes
dans leurs quartiers , & paffa l'hiver dans les Gaules , de peur de quelque
iiouveau mouvement. Ce fut dans cette même année que mourut fa fille
7ufie , femme de Pompée. Cette mort rompit les liens de l'amitié qui régnoit
entre lui & ce célèbre Homain.
Les prétentions de Céfar étoient alors, non d^étre (ait ConfuI , maîtf
d^obtenir la permiflion de demander le Confulat, quand il feroit temps ^
fans être préfent lui-même fur les lieux , ce qui étoit contre les loix^
afin de pafter du commandement des armées & un fécond Confulat. C'eil
cette diipenfe qu'il demandoit qui fit tant de bruit i Rome. Néanmoins
elle pafTa, malgré les oppofitions de Caton, parce que Céfar avoit trouve
le moyen de gagner lès Tribuns du peuple; mats tout le monde convint
que Pompée , qui étoit alors Conful , & dont le parti étoit même le plus
puiffant , fit une grande faute de ne pas s'y oppoler.
Cependant les Gaulois fe préparoient à une révolte générale. VercTnge-
torix, un de leurs chefs les plus accrédités, & qui n'avoir pas moins de
courage que d'ambition, fut élu Généraliflime de la ligue, fouleva les Ar^
vemiens, & s'empara de Gergovie ville dans l'Auvergne. Céfar n'eut pas
plutôt appris ce foulevement , qu'il fe mit en marche. Il traverfa les mon-
tagnes des Cévennes au-milieu de l'hiver» il fit le fieje d'Avaricum dans
le Berry, oii (es troupes eurent beaucoup à fouf&ir; & malgré la vigou-
reufe réfiflance des affîégés, il fe rendit maître de cette ville. Delà il en«
gagea un combat de cavalerie contre Vercingetorix. L'aéHon fut rude Se
dangereufe, même pour Céfar; car, félon Plutarque, il penfa y être pris^
mais ï l'aide des Germains il mit en déroute la Cavalerie Gauloife, £c
Vercingetorix voyant fes troupes défaites , fut obligé de fe retirer fous les
murs de la ville d'Alife.
Céfar entreprit d'afliéger cette ville fituée fur une montagne : ce fiege
efl l'événement le plus mémorable de toutes les guerres qu'il fit dans les
Gaules. Il forma une ligne de contrevallation, dans laquelle il enferma la
ville & le camp des Gaulois. Ce fut envain que Vercingetorix raffembla
une armée de toute la Gaule qui vint au fecours de la place , Céfar de-
meura vainqueur dans trois combats confécutifs. L'armée Gauloife fe diflî-
pa : les habitans d'Alife fe virent obligés d'ouvrir leurs portes au vain-
queur. Vercingetorix vint implorer fa miféricorde^ mais il 6it retenu
pifoBoier.
I
192 CÉSAR. ( C Jiil4s)
Eofuite Céfar fie la guerre dans le pays des Bitoriges, des Camates;
des Bellovaques, & fournit ces peuples. Ëofin il vint à bout de pacifier
la Gaule en mêlant la douceur &' la clémence à la fprc« des armes ; & il
employa la neuvième année de fon gouvernement- à calmer les eijprits
des Gaulois.
Guerre entre Céfar & Pompée, x
I ^A vraie caufe de cette guerre fut l'ambition réciproque de ces deux
Romains. Ils avoienc Tun & l'autre pour objet le premier rang. Pompée,
qui en écoic en pofleffion , ne voulut pas en décheoir, & Céfar afpiroit à
y monter. Dans cette vue , il prit la réfolution de ne point fe delTaiflr du
commandement dont il avoit été revêtu; & on verra que cette politique
lui réuflit, mais en même-temps il travailla à fe faire par-tout des créa-
tUres. Ce fut envain que le CunfuI Marcellus propofa de le révoquer : les
Tribuns qu'il avoit déjà mis dans fon parti , s'oppoferent aux arrêtés du
Sénat. II facriiîa une fomme immenfe pour empêcher que L. Paulus &
Curion, l'un dédgné Conful , & l'autre Tribun, ne lui fuffent contraires,
& n'exigea d'eux que de garder le £lence. Dan» le fond, les vues de
Céfar n'alloient à rien moins qu^à fe rendre maître de la République ;
mais comme il. vouloir donner une couleur de légitimité à fes démarches ,
il cherchoit à s'appuyer de l'autorité des loix qu'il faifoit pafler, foie par
l'intrigue I foit en corrompant les Magiftrats par fes largeflès <& par toutes
fortes de voies : la maxime qu'il avoit fouvent à la bouche , & qu'il avoir
empruntée d'Etéocle dans Euripide , le prouve afiez , fa voir i> que , s'il faut
n violer la juflice, c'efl pour régner qu'il eft beau de la violer; mais
9 qu'en toute autre matière, on doit avoir égard à la probité. '* D'un au*
tre côté, l'attachement que les peuples d'Italie témoignèrent à Pompée ,
dans les réjouiflances qu'ils célébrèrent à l'occaHon 'de fa convalefcence
après une maladie qu'il eut i Naples , enflèrent tellement le cœur à ce
Romain, qu'il ne crut pas devoir craindre les démarches de fon rival ; &
dans fa préfomption , il lui échappa de dire qu'en quelque lieu de l'Italie
qu'il frappât du pied la terre, il en fortiroît des légions. Céfar, au con-
traire , prenoit habilement fes mefures. Il avoit difpofé fes légions de ma-
nière qu'elles fuffent prêtes à marcher vers Bome au premier lignai. Pen-
dant ce temps-là, le Sénat exigeoit que Céfar licenciât fon armée, & ce-
lui-ci répondoit que Pompée devoit de même abdiquer le commandement.
Ces débats furent longs, & l'accbrd fut impoffîble entre deux hommes qui
vouloient la guerre. Le Conful Marcellus inftruit que les dix légions de
Céfar étoient prêtes à paflTer les Alpes, ordonna à Pompée de défendre la
patrie. Dans le méine-remps, Céfar faifoit au Sénat des proportions d'ac-
commodement pour parôitre avoir rente toutes les voies de conciliation
avant que de recourir à la force , mais elles furent rejet tées.
Le Sénat rend un décret qui ordonne à Céfar de licencier fes troupes,
Maïc
C é s A R.. ( C. Jaks) içj
. Mâft Antoine & Q. Caflnis tous deux Tribuns du peuple , & virement
dans les intérêts de Céfar, s'oppofent à ce décret. Us font menacés des
dernières violences » ils sVnfuient de nuit. Le Sénat nomme deux fuccef-
leurs à Céfar. Celui-ci ayant eu nouvelle à Ravenne de ce qui s'étoit paiTé
à Rome, afTembla ce qu'il avoit en ce moment de foldars, & les exhorta
à venger les droits de la puillance du Tribunat violés en la peribnne d'An-
toine. Animés par Ton 4i(cours & par la douleur qu'il leur témoignoit, ils
lui offrirent leur fecours » & protégèrent de le fuivre par-tout où tl vou«
«droit les mener. Ainiî, avec une feule légion, il ofa commencer la guerre,
& voulut fe montrer au moinent oii il n'étoit pas attendu. 11 avoit d'ail-
leurs éprouvé que la célérité lui avoit procuré le fuccés de Tes entre*
prifes. Dans cette vue, il s'avança vers le Rubicon. Fret à pafTer le fleu*
ve , Timage des maux qui font les fuites de la guerre civile fe préfenta
à fon efprif. Il s'arrêta quelque temps fur les bords : mais un homme
inconnu ayant paffô dans ce moment à la nage à l'autre bord du fleuve
en fonnant de la trompette , il s'écria : n Allons où nous appellent
» les préfages des Dieux , & l'injuflice de nos ennemis : le fort en efl
B jette. "
Céfar pafTe le Rubicon , va droit à Rimiol & fnrprend cette place» On
apprend cfette nouvelle à Rome , elle y jette la confîemation : on croit
Toir Céfar aux portes. Pompée en eft fi troublé^ qu'il en perd la tête. Il
s'en fàlloit i>eaucoup que les dix légions fufTent toutes prêtes , comme il
l'avoit promis. On lui défère néanmoins le commandement : il prend une
xéfolution défefpérée , abandonne la ville , & il efl fuivi des Magiflrats &
de tout le Sénat.
Fendant que Pompée taifoit àc% levées dans l'Italie , Céfar poufToir vive^
ent la guerre, il s'emparoit de plufieurs place$ & donnoit la chafTe aux
partifans de Pompée. Il affiégea Domitius dans Corfinium. ht% habiuns lui
ouvrirent leurs portes & lui livrèrent Domitius , à qui il eut la générofité
ment
piacc au cote ac la icrrc ; rompcc i;raiga«iai. puur lui-mcinc s cncuii le*
crétement en Epire. Cependant les Magiltrats , après s^être remis du trou*
ble où les avoit jettes la fuite de Pompée , revinrent à Rome & reprirent
leurs fonâions. Céfar s'y rendit auf&*tôt , & aSeâa beaucoup de modéra*
tion dans fes difcours au Sénat & au peuple : il propofa même de députer.
dio tréfbr, & enleva tout ce qu'il y avoit d'or & d'argent. Bnvain le Tri-*,
bun Metellus voulut s'oppofer à une telle violence , Céfar le menaça de,
le tuer : il fallut céder. Enfuite , ayant laiffé Lepidus à Rome pour y com«
Tome Xi. Bb
ty^ CES 'A.R."(C, Juks)
mander» iî diftrîbuà des Lîeutenans en fou clôm dafts ritàïîc de dans lit
povinces , & fe difpafa à partir pour rEfpâgcie.
Guerre (fEfpaghé.
JLi E dcflein de Céfar étoît d'abattre les forétt de Pompëe en Efpagne^
oii ce Romain avoit (ept légions commandées par Afranius & Peereïus,
Etant donc parti de Rome , (Somme il approchoit de Marfeille » les habi*
tans qui étoîent du parti de Pompée lui fermèrent leurs portes. Céfar ff
trouvant offenfé , fe difpofa à faire le iiegedè cette ville ; &» après Va-
voir mi« en train , il en laîfla îè foin à Tretw>ttiils , & {KHirfuîvîc fa ramé
en Efpagne- Dés qu^il y fut arrivé, il préftnta la bataille^ à Afranitis, mail
cfelui^ci ne voulut pas faire defcendre Tes troupes dahs !a plaine. Céfar
voyant qu'il rèfufoit le combat, fît former un canip à la vue de Pennemî.
Cependant Afranius voulant empêcher que Céfar ne s'emparât d^une hau-
teur qui lui eût coupé la communication avec la ville de Lérida, engagea
une aâion qui fut très*vive, & dans laquelle les troupes de Céftr couru-
rent rifque d^étre défaites. Bien plus, les eaux de la Segre s'étant fort groP*
fiés & aytint rênverfé deux ponts , Céfar fe vit enfermé entre deuxrîvteres
& prête de manquer de vivres. Uo convoi qui lui éroit venu de la Gauler
fut attaqué par Afranius ; mats la valeur et fa cavalerie Gauloife, qui fài'
foit partie de ce renfort , fauva le réfte de la troupe. Céfar répara Dient6t
ces échecs par Phabileté de fon génie. Il fit tonftruire ile^ barques lége-"
res , jetta un pont fur la Segre, & ayant paffé'à Pautre bord , il tomba
fur les fourrageurs , & railla en pièces une cohorte Efpagnofe. Après avoir
repris la fupériorité fur les ennemis , il les pour&ivit^ les empêcKa de
pafTer PEbre , & fe vit au moment de pouvoir détruire énttérenifent les lé-*
gîons d' Afranius^ qu'il avoit eu Padrelfe d'envelopper •; mais il fe contenta
de leur faire mettre les armes bas. Enfin à forc^ de harceler lés ennemis,
il les réduifît au point de manquer de provifions. Afranius, ayant demandé
une entrevue avec Céfar, s'avoua vaincu, & Céfar exigea pour toute con-
dition que les troupes ennemies fuflent licenciées. Un ^and nombre d'en-
tr'elles pafferent dans le parti du Vainqueur. Enfùite il réduifit fans peine
PEfpagne ultérieure; car toute cette province, où il avoit autrefois exercé la
quefture fe déclara pour lui. Céfar , après cette campagne , qui lui a mé-
rité les louanges de la poftérité^ fe rendit devant Marfeille. Les habitans
en avoient foutenu le ftege pendant fon abfencé avec le plus grand cou-
rage , mais, prelfës par mer & par terre, ils eurent recours à la compaf^
fion du vainqueur. Céfar épargna aux habitans le pillage de leur viHe :
cappella les exilés. Cependant Pompée qui y pendant la guerre de Céfar eo
C Ê s A R. . X C. 7rt&sy __ >T9Ç
t
Espagne y avoit eu le temps dé revenir de fon troublé» l'employa à £iire
de grands- préparatifs de {(uerre , tant pour les troupes que pour les pro*'
vifioDS , & s'appliqua à former une âotte trés-conûdérable : il avoir pour
lui l'afFeâion générale ^ & on écok perfuadé que fa caufe étoit celle de VE^
XBt. Ainii le Sénat s'étant aflemblé à ThefTalonique , Pompée y fut déclaré
ièul Chef. Au refte , comme Phi ver approchoit , on ne croyoit point que
Céfàr pût avoir le deflein de faire le trajet ea Grèce avant le retour du
printemps. Mais c'étoit mal cpanoitre Paâivité avec laquelle il conduiibit
toutes (es entreprifes. £n effet, ayant rafibmblé le plus de troupes qu'il lui
fut poflîUe , il pailk en Grèce avec vingt mille foldats légionnaires & ftx
cents chevaux. Dés qu'il eut débarqué fes troupes , il les mit en campagne
avec fon ardeur accoutumée , & s'empara facilement de prefque toute V&^
pire. De-là il s'avança vers Dirrachium,.où étoient les magauns des enne^
mis : mais Pompée qui avoit (ù l'arrivée de Céfar en Grèce , avoit fait
fes diligences pour mettre eii fureté cette place. Céfar fe vit donc obligé
d'attendre qu'il eût reçu fes autres troupes qui étoient à Brindes. Comme
la cote étoit gardée avec foin , le trajet étoit devenu impoflible. Fendant
ce temps-là, il fit £ûre à€& propoiitions d'accommodement , mais elles fb^
rent hautement rejettées. .Dans l'impatience où il étoit de ne point, voir
arriver fes ^npes^ il entreprit d'aller lui-même à Brindes les chercher^
& dégttifë en efclave , il s'embarqni dans une petite barque avec trois de
fes ferviteuvs : mais le vent s'étant élevé ^ devint d violent ^ que le patron^
oe pouvant ,plus avancer , retourna en arrière. Alors , Célar fe décou«
vrant , dit au patron ce mot célèbre : Que crains- tu ? tu menés Céfar &
fa fortune. Le ^patron & les rameurs , tous furpris , voulurent faire de nou*
veaux efforts pour avancer, mais il fallut céder à la violence des flots , âc
Céfar fe fit ramener à l^ndroit <d?ob il étoit parti.
Il écrivit donc à fes lieutenans , & dans des termes fi prefians , qu'An<-
toine embarqua quatre légions ; & wptès avoir couru rirque d'être attaqué
par les galères des ennemis, il aborda en Grèce, Ainfi Céfar fe trouva à la
tête de douze légions , c'efl-à-dire d'une armée de près de quarante mille
hommes. Dans cette pofition il fe mit à la pourfuite de Potnpée» & lui
préfema la bataille. Mais quoique les forces de ce dernier fufTent plus con^
fidérables , quoique tout le refte de la Grèce excepté TEpire fût en fon pot^-
voir, & qu'il fût maître de la mer, il ne voulut pas engager une aâion
générale; fon intention étant de miner fon ennemi par la difette. Alors
Céfar réfolut d'enfermer Je camp de Poinpée par des lignes : il fe donna
à cette occafion des combats où plufieurs troupes de Céfar firent des pro-
diges de valeur ^ une de fes cohortes , c'eft-à-dire , une troupe au plus de
cinq cents hommes , défendit un fort pendant plufieurs heures contre quatre
légions.
Pompée ayant découvert un endroit foible des lignes de fon ennemi , il
l^taqoà, & le fi>rça« Céfar crut 4evov réparer cet affronta mais une par^-
Bb 2.
'JP«
CÉSAR. (C. Jiilts)
fie dé fes troupes s'étant égarée ^ Pompée vint au (^cours des fiens avec ét%
forces fupérieures. Le combat fe donna près de Dirrachium. La cavalerie
de Céfar prit la fiiite, & communioua fa terreur à l'infanterie : ce fut une
déroute comptetre malgré tous les efforts du Général , & la perte fiit cod«
fidérable. Après cet échec, Céfar réfolut de quitter l'Epire, & depaflerea
TbefËdie : il fit (a retraite avec habileté , malgré la difficulté des chemins
& des
Theffalie.
porta d'ailaut
mit toutes les autres : il s'avança ainfi jufqu'à Fharfale. Pompée qui le Pour«
fuivoit de loin ne tarda pas à le joindre , & vint campes à peu de diuaace
de ion ennemi.
Bataille, de Pharfatt^
E combat de Dirrachium où les tronpes de Céfar avoîent été battuer^
& leur retraite dans la Theffalie, avoieot rempli d'une folle préfomptioa
les P^tifans de Pompée : ils partageoient déjà entr'eux les dépouilles de
Céfar , & fe promettotent dé tirer vengeance de leurs ennemis y ils blâ*
moient même la lenteur de Poftipée. Celui-ci perfîfloit à vouloir éviter
le combat par des motifs pris de fon intérêt perfoonel : mais les plaintçs
étant devenues univerfelles , il fut obligé de céder aux folUcitations. Céiar
4e foo côté ne cherchoit que Poccafion d'engager une a^oo générale , &
rangea fes troupes en ordre de bataîtle. Après bien des délais ^ Pompée s'a«
vaiKa pour combattre, & dHpofa fon armée avec beaucoup d'intelligence.
Céfar prit fes mefures avec encore plus d'habileté. Comme fa cavalerie
itoit de beaucoup inférieure à celle de Pompée, il pla^a ce qu'il avoit de
plus vigoureux fantaflins . entre les rangs de fes Cavaliers , & leur apprit
^comment ils dévoient combattre ; de plus il tira de fa doniere ligne iix
cohortes qu'il plaça comme en embufcade derrière fon aile droite : il leur
ordonna , qu'au lieu de lancer leurs demi-piques comme c'étoit l'ufage , ils
les portaflènc direâement au vifage des cavaliers, dont une grande partie
étoient de jeunes gens curieux de leur bonne mine. Au refle le nombre
^es troupes de l'un & l'autre Général étoit fort inégal :. Pompée avoit fept
mille chevaux & quarante-cinq mille hommes de ^ed, & Céfar n'avoit
que mille cavaliers & viogt*deux mUle fantaf&ns. Après que les deux Chefi
euient chacun harangué leurs fbldats, & excité leur courage parles moci6
les plus preffans , Céfar donna le fignal : fes troupes s'avancèrent les pre«
mieres ; celles de Pompée foutinrent le choc avec vigueur. Sa cavalerie vint
fondre fur celle de fon ennemi, & la fit d'abord plier; maïs les fix co«
hortes de Céfar arrêtèrent bientôt i'impétuofité de cette cavalerie. Tous les
jeunes cavaliers fe fentant frappés au vifage, prirent l'épouvante & s'en-
fuirent en défordre ; les archers & les frondeurs furent taillés en pièces. Les
mêmes cohortes attaquèrent l'aile gauche des ennemis ^ & Cébr fit wvy^.
CÉSAR. ( C. Jules ) i0
lier en même-temps fa troifieme ligne qui n'avoit point encore donné. L'in-
fimterie de Fomoée attaquée en front & en queue , fût mife en déroute ^
& tout prit la fuite. Céfar voyant la viâoire aflurée, ordonna à fes fol-
dats d'épargner le citoyen , & de ne tuer que l'étranger. Du champ de ba«
raille il les mena au camp des ennemis, qu'ils forcèrent en peu de temps ^
malgré la brave défènfe que firent les Thraces. Etant entré dans le camp,
il fut furpris d'y voir tout l'appareil du luxe, & une grande quantité de
vailTelle d'or & d'argent qui rut un riche butinr pour fes fbidats : enfuite
il pourfuivit ceux qui s'étoient retirés; & le$ ayant enfermés par des lignes,
il les réduifit à implorer fa miféricorde , & il leur fauva la vie à tous. Il
périt dans cette bataille environ quinze mille hommes de l'armée de Pom«
pée î Céfar n'en perdit que douze cents. Vingt-quatre mille hommes fe ren-
iKrent après le combat, & la plupart fe mirent dans le parti du vainqueur.
On ne fauroit affez louer la générofîté dont il ufa envers les Sénateurs &
les Chevaliers Romains qui tombèrent fous fa puiffance , car il leur permît
de fe retirer où ils voudroient. Tous ceux qui eurent recours à fa bonté,
même les peuples étrangers , en furent quittes pour des taxes pécuniaires :
en un mot il ne fouilla la viâoire par le fang d'aucun Romain tué de
iang-froid.
Dès le moment que Pompée avoit vu la déroute de fbn armée , il avoit
pris la fuite , fuivi d'un petit nombre des fiens : il gagna la mer , & fe dé-
termina à aller chercher un afyle en Egypte. Les Miniftresdu Roi Ptolomée
qui étoit encore enfant, inftruits de fon approche , oferent décider du fort dé
ce célèbre Romain : ils craignirent de le donner un maître s'ijs le rece-
voient , & de s'attirer Céfar pour ennemi. Ainfi ils délibérèrent qu'il fkiloit
le tuer à fbn arrivée , & ils eurent la lâcheté de faire exécuter cet aflàfli*
nat : ainfi périt un des plus illuflres Généraux Romains , & qui tout récem-
ment avoic été fur le point de fe voir le maître de l'Empire du monde.
p
Guerre de Céfar en Egypte.
£
Endant que ces chofes fe pallbient, Céfar s'étoit mis II la pourfuite
de Pompée ; & inilruit de la route qu'il avoit prife , il s'embarqua pour
l'Egypte fur une petite efcadre, n'ayant avec lui que deux légions. Ar-
rivé à la rade d'Alexandrie, il vit venir ii lui celui des Minières d'Egypte
ui avoit confeilié le meurtre de Pompée , & qui lui préfenta la tête de
n rival. Ce fpeâade tira les larmes à Céfar , & il téihoigna hautement
la plus vive indignation contre un tel attentat.
Étant entré dans Alexandrie , il trouva les efprîrs prévenus contre fui.
On craignoit un Général Romain /)ui fitifoit porter les faifceaux devant lui ;
& on ne favoit pas jufqu'où iroit fon reflentiment fur le meurtre de Pom-
pée : les lâches Miniftres de Ptolomée ne penfoient pas moins qu'à s'en
défaire par quelque trahifon. Cette difpafitioa des efprits obligea Céfar
1.9S CÉSAR. (Ç. Jutes}
* t
oui s^étoit déjà logé dans le palais , de tenir une garde autour de fa |>er«
tonne : il envoya des ordres en Afie pour qu'on lui amenât plufieurs de
fes légions ; cependant il afFeâoit au dehors des manières pleines de dou-
ceur & de bonté. Il eût bien voulu retourner à Rome^ mais fe voyant
retenu en Egypte par les vents étéfiens, il s'occupa à prendre connoif-
fance du difterend entre le Roi Ptplomée & fa fœur Cléqpâtre. Ce Prince
n'avoit que treize ans, & la PrincelTe en avoit dix-(ept : outre cette fu«
périorité d'âge , elle étoit pleine d'ambition & de confiance en fes char--
me^ ; l'ame de Céfar s.'y laifTa prendre. Cléopatre ravie de lui plaire, n'eut
pour lui que des complaifances \ en forte que Céfar vécut quelque temps
avec elle dans la plus étroite familiarité. Il eft aifé de juger qu'il 4écida
en fa faveur, c'eft-à-dire qu'il la déclara Rei^e d'Egypte conjointement
avec Ptolomée. Achillas, un des Mini(lre$ qui gouvernoient à leur gré'
ce jeune Roi, mécontent de cette décifion, vint alfîéger Çé(ar dans Alexan-^
drie avec une armée de vingt mille hommes. Le Romain n'avoit ave^-
lui que trois mille hommes de pied & huit cents chevaux : comme il n<
f^ouvoit empêcher l'ennemi d'entrer dans Alexandrie , il fe retrancha dam
e quartier qu'il occupoit. Il y eut à cette occafion un premier combat
c'eft ici que Céfar eut befoin de toute la préfence de fon efprit. D^abord — -
il s'affura de la perfonne du jeune Roi , ann que l'ayant avec lui , il p&t
s'autorifer du nom du Prince régnant : de peur qu'Achillas ne fe rendit
maître de vingts-deux vaiflfeaux , & de cinquante galères qui étoient dans
le port, & que par- là il ne lui ôtât la communication avec la mer, il
iit mettre le feu à tous ces bâtimens; cet incendie fut Ci terrible, qu'il con—^
fiuiia la plus grande partie de la bibliothèque d'Alexandrie \ enfuite il s'em*-*
para de l'Ille.du Phare qui le mettoit,en état de recevoir les feçours qu'il
avoir demandés. Ayant découvert que Photin , un des Miniftres , quoi-*
qu'enfermé dan;; le palais , entretenoit des correfpondances avec l'armée
ennemie, & qu'il avoir formé le projet de le faire poignarder, il trouva
moyen de fe défaire de. ce traître. Dans le même itemps Achillas fut afTaf-
fné par l'Eunuque Ganimede, & par l'ordre d'Arfinoë, fœur de Cléopatre;
& dès ce moment le commandement des troupes paffa à cet Eunuque,
qui n'étoit pas moins audacieux que le premier. Voilà donc la guerre qui
continue plus vivement. Deux combats fe livrent fur mer : dans le prer
mier les Romains ont l'avanta?e; dans le fécond ils font battus & pren*-
nent la fuite. Céfar voyant la toule entrer dans fon bâtiment , e(l obligé
de fe jetter dans la mer ; il nage deux cents pas , & gagne les vailfeaux
les plus proches^ ^
Cependant fes renforts qu'il attendoît arrivent tant par mer que par
terre : Mithridate , Tetrarque de Pergame , lui amené un fecours con(îdéra«
ble. Les Alexandrins avertis de fon approche , s'efforcent d'empêcher la
jonâion ; mais ils font repoulTés avec perte. Céfar vient à bout de le joitk*
dre. Se voyant alors en force, dè^ le lendemain il attaque le camp du
t Ê s A È. (C. Jules) 1(^9
Roi Ptolomée , îl le force , & fait un grand carnage des Egyptiens : Fto-
lomée veut fe fauver par le fleuve ; il entre dans une barque , qui ëtanc
trop fiirchargéè de fuyards, coule à fond, & il périt dans ié Nil. 'Céfar
viâorieux, revient à Alexandrie : les habicans vont au devant de. lui, inv-
plorent (a miféricorde; il les reçoit avec bontés & met en polTeifion du
Royaume d'Egypte Cléopatre & fon fécond frère encore enfant. Après
avoir ainfi terminé cette guerre, il pafTa encore quelque temps à Alexan-
drie, vivant dans les délices avec Cléopatre, qui femblable à une autre
Armide , tenoit comme enchanté le plus grand des guerriers ; mats le bruit
des armes de Pharaace en Afie réveilla Céfar; fa gloire reprit le deiTus,
& Tarraçha à l'objet de fon amour.
E
Guerre contre Pharnme.
Tant venu en Syrie , il y apprît qu'à Rome tout étoît dans le plus^
grand trouble. Après avoir réglé les affaires de cette Province, il pafTa par
mer en Cilicie , & s'avança vers le Pont dont Pharnace s'étoit emparé. Ce fils
du fameux Mithridare profitant de la guerre civile des Romains, avoir déjà
Ait des progrès confidérable^, & fournis plufieurs Provinces; il avoir battu
Domitius-Caivrnus , Lieutenant de Cé^r, & il étoit déjà maître de la Cap-»
padoce & du Pont : il fe préparoit à entrer dans la fiithinie , lorfqu'il apprit
que Céfar approchoit. Plein de courage & d'audace , il alla à la rencontre
du Général Romain , feignant de défirer la paix : dans cette vue il lui en*"
▼oya des Ambaffadeurs. Mais Céfar ayant pénétré la rufe de ce Prince
anificieux, réfolut de le mettre à la raifon; & quoique fes forces fuflènt
peu confidérables , il avança vers Petmemi , fe pcma lur une hauteur , 6à
s'y retrancha. Pharnace ofa faire monter fes troupes fur la colline pou»
attaquer Céfar. Alors les Romains aidés de l'avantage du lieu , re->
pouffèrent les ennemis fans peine ; & les culbutant dans le vallon , ils
en taillèrent en pièces la plus grande partie : delà Céfar vint attaquer le
camp de Pharnace , & le força. Pharnace fe déroba au vainqueur par une
fuite précipitée^ Ce fut en cette occafion que Céfar écrivant à un de fes
amis , exprima la célérité Ae fa viâoire par ces trois mots fameux : Je
fîiis venu , pai vu , pai vaincu. Enfuite après avoir réglé les affaires de
l'Afîe, il prit le chemin de Rome : mais en traverfant les Provinces il fit
de grandes levées d Vgent ; il exigea de groflfes fommes de Dejotarus ^ Roi ^
de nithynie, & des peuples oui avoient pris le parti de Pompée ; il pilla
les temples , & reçut en prêtent quantité de couronnes d'or de plufieurs
Princes. Sa maxime étoit , que pour aflèrmir une Puiffance , l'argent &
les foldats étoient abfolument néceffaires.
^00 € É s A 11. (C.Jalciy
Céfar à Rome.
JLi A dëfaire de Pompée à Pharfale avoit afFermî la domination de Céfar
à Rome. Il avoit été déjà nommé diâateur par ordre du Sénat, & Marc
Antoine , maître de la cavalerie. Ainfi iorfqu'il arriva tout fut calme ; il
eut bientôt appaifé les troubles ezcit^s^ par le Tribun Dolabella , ainfi que
les plaintes que Von faifoit contre Antoine à l'occafion de fes débaur
ches & de fès violences. Il nHnquiéta perfonne, ni même les parnfans de
Pompée ; mais il travailla à ams^llèr de Targent par toutes fortes de voies :
il fit vendre les biens des vaincus & ceux de Pompée ; il récompenfa ceux
qui lui avoient été le plus attachés ; il foulagea les pauvres citoyens , &
travailla à fe concilier la faveur du peuple. Vers le même temps il appaifa
par fà. fermeté une fédition qui s'éleva parmi les vieilles légions. Il avoit
J)our maxime de tenir toujours rigueur aux déferteurs & aux féditieux ; à
'égard à&s autres fautes , il ufoit de douceur & d'indulgence.
c
Guerre dAfriqwt.
Ependant les débris du parti de Pompée s'étoient rafTemblés en Afri^
que , & y avoient déjà pris des accroiflemens formidables : Céfar fe vit
donc obligé de quitter Rome pour conjurer une tempête qui devenoit auffi
forte que celle qu'il avoit diffîpée par la viâoire de Pharfale. On peut dire
3u'il conduifit cette expédition avec une aâivité qui paroit incroyable,
'étant rendu à Lilybée en Sicile , fix légions fe raflemblerent autour de
lui : il avoit deux mille chevaux & un grand nombre de bâtimens. Sa flotte
fut difperfée pendant quelque temps ^ & il aborda à Adrumete avec trois
mille hommes de pieds & cent cinquante chevaux. Outre ce foible fecours,
il étoit prefque fans provifions, & il fe trou voit dans un pays qu'occupoic.
une multitude incroyable d'ennemis : cependant il fe rendit maitre de la
ville de Rufpine , de celle de Lepris , & de quelques port^ mais avant
qu'il eût reçu de nouveaux fecours , étant allé au fourrage « il fe vit atta*
que par Labienus qui avoit une armée quatre fois plus nombreufe. Céfar
en cette occafion fe trouva extrêmement preflë , & il ,eut befoin de toute
fon habileté pour n'être pas défait entièrement. L'aâion fut rude : {^^ fol--
dats légionnaires furent obligés de combattre en rond ; il paroit même que
Céfar fit quelque perte , mais il ne fut point battu ni rompu , & fauva le
Çios de fes troupes. Cependant il fe trouvoit dans une pontion très -dure :
lès forces étoient infuffifantes, & il foufïroit de la difette des vivres* Il fe
borna pour le moment à fe bien retrancher dans fon camp , (k travailla
\ fe concilier l'afFeâion des peuple^ de la Province par des manières plei-
nes de bonté : cette conduite lui rendît; un grand nombre de Gétuliens
& de Numides déferrèrent le camp de Métellus-Scipion , & vinrent dans le
camp de Céfar. Dans le même temps les forces avec lefquelles il étoit
parti
CÉSAR. (C. Jules) i^t
pard de Sicife fe réunirent auprès de !ui, & les troupes âc les con*
vois qu'il avoit demandés lui arrivèrent ; tlés ce moment il ne chercha plut
que PoccafioQ d'en venir à une aâion générale.
D
Bataille de Thapfus^
Ans cette vue il s'avança à Thapfus pour en faire le fiege. Aufli^tôi;
Scipion & Juba Roi de Mauritanie , vinrent fe pofter à quelque diftance de
cette ville. Les troupes de Céfar infiruites de Tes intentions, coururent ^
l!^nnemi avec une telle ardeur , qu'il ne put tenir contre leur impétuofité,
La déroute commença par les élephans qui ^ accablés de flèches , prirent
la fuite, & écraferent les rangs formés derrière eux. Les légions de Céfar
pourfuivirent les fuyards dans leur camp , & s'en emparèrent : dix mille
ennemis relièrent fur la place. Le vainqueur , pour ne pas donner le temps
aux vaincus de fe reconnoltre , marcha contre Utique. Ce fut en vain que
Caton y cet homme célèbre par fa fermeté inflexible , & fou ame républt*
caine , voulut défendre cette place. Ne trouvant perfonne difpofé à le fe*
conder, il aima mieux fe donner la mort que d'être redevable de la vie
à celui qu'il regardoit comme l'opprefleur de la liberté. Céfar arrive à Uti-
que qui lui ouvre (es portes , pardonne au fils de Caton & aux habitans ;
xnais leur impofe une torte taxe. Les villes de Thapfus & de Thyfdrus fe
vendent à lui,* Métellus-Scipion eft pourfuivi dans fa fuite par la flotte de
Sittius^ qui enveloppe Çts vaiffeaux : prêt à être pris , il fe perce de fon épée.
TTout cède au vainqueur; fes ennemis font défaits ou diflîpés. Céfar enfin
s-éduit la Numidie en Province Romaine : il part pour Rome, n'ayant
employé que cinq mois à terminer cette guerre.
Céfar de retour à Rome.
^^ÉSAR étant arrivé à Rome, trouva que le Sénat avoit déjà rendu
^es décrets qui lui prodiguoient les plus grands honneurs, & ordonnoienc
^es réjouiffances pour u viâoire remportée en Afrique. Comme il vie
^u'il ne les devoir qu'à la crainte , il voulut ùfer avec douceur du pouvoir
«1
^eux qu'on a aflujettis. Dés qu'il jouit de quelque repos , il célébra qua-
^''e triomphes pour les viâoires qu'il avoit remponées dans les Gaules ,
^*n$ Alexandrie & contre Pharnace & Juba : il déploya dans ces triom-
E'i^s toute la magnificence que pouvoient porter les richefles de l'Empire.
^ fommes employées à fon triomphe montoient, félon Appien, à fbi-
?^^txte cinq mille talens, c'eft-à-dire, près de deux cents millions de nos
^^esv enfuite il donna de grandes récompenfes à fes Ofiiciers & à fes
Tome XL Ce
^% CE s A R. (C./«/b.)
foldats^ & fit des largefles au* ^eu^le : il lui donnai m{tne tm repas ; &
pour venir à bout de régaler une h grande multitude , \\ y eut vingt^deux
mille tables dreiTées dans les rues, qui furent fervies avec profiilion : il
donna en outre des fpeâades de Gladiateurs & d'Âthletes , des courfes
du cirque ^ des pièces de théâtre ^ comédies & mimes : ces dernières
étoient ce que nous appelions des fitrces. Toutes ces dépenfes montèrent
à des fommes immenies. Enfuite il s'occupa des moyens d'augmenter le
nombre des citoyens que les guerres civiles avoient diminué : il promit
des récompenfes aux citoyens qui auroient pluûeurs enfans, fit des régle-
mens contre le luxe, donna droit de bourgeoifie à ceux qui viendroient à
Home pour y enfeigoer la Médecine & les Beaux-Arts, & fit réformer le
calendrier par un Af^ronome d'Alexandrie : il confentit au retour de Mar-
cellus qui s'étoit déclaré ouvertement contre lui dans la guerre civile. Ci«
céron célébra cet aâe de clémence par fa belle oraifon pro Marcello : il
en fit une femblable pour le pardon que Céfar accorda à Ligarius. Malgré
ces aâes de générofité & de douceur ^ on lui fut mauvais gré d'avoir in«
troduit dans le 3énat beaucoup de fujets indignes ; mais Céfar récompen*^
foit quiconque lui avoit été utile ^ & d'ailleurs il vouloir fe faire des
créatures»
Gu€m d£ Céfar cnEJpagnc.
c
Hpendant Cneius - Pompée étoit devenu fi puifTant en Efpagne^
où il avoit beaucoup dVmis, qu'il fe trouva bientôt à la tête de treize lé-
gions, & en état de tenir tête aux Lieutenans de Céfar. Ceux-ci craignant
de ne pouvoir le réduire, prelferent leur Général de venir en Efpagne.
Il s'y rendit en effet avec fa diligence ordinaire ; & comme on le croyoit
fort éloigné^ il furprit tout le monde. Pompée faifcût aIcM-s le fiese d'Ulia
dans la Bétique : mais Céfar ayant introduit du fecours dans la place, l'o«
bligea de te lever : enfiiite après avoir effayé envain d'anirer Sextus-
Pompée qui fe tenoit fous Cordoue, il afiiégea Se prit la ville d^Atega»^
malgré la force de la place & la rigueur de la- faifon.
L
Bataille de Munda»
'Arm^b du jecme Pompée & celle de Céfar, après s'être harcelées
quelque temps , arrivèrent près de Munda : ce fiit là que le premier fe
détermina à rifquer une aâion, & prit fon pofte fur une hauteur. Céfar
voyant que les ennemis étoient rangés en bataille, dtfpofa fes troupes dans,
kl plaine; & comme ils demeuroient dans leur pofte, il monta pour les
attaquer. Pompée avoit la fupériorité du nombre & du terrein; ainfi le
combat fût d'abord très- opiniâtre, & la vi6K>ire parut fe déclarer pour. lui,.
Céfar ne pouvait venir à bout par fes exhortations & fes reproches , de
ranimer le courage de fes fdldats qui avoient lâché le pied , fut quelque
Q É s A R. (C. Jules.) ao^
tpmps daof la plus grande perplexité. Sel6n <]uelqiies Hiftorîens , il dëli«^
béra de fe tuer. Dans ce défordre il s'avança jufqu^à dix pas de rennemt i
le danger qu'il couroic réveilla le courage des fieos. Un mouvement que
- fit Labieous changea la face du combat. Céfar crie que les ennemis pré««
aoient la fuite : les geûs de Pompée font faifis d'épouvante } les légions
de Céfar en profitem, les mettent en défordre, & remportent une viaoire
complette : trente mille hommes du côté de Pompée refterent fur la
place, & fon camp fut bientôt forcé; enfuite Céfar fit le fiége de Munda^
çii une grande panie des vaincus s'étoit réfugiée , & il la prît au bout d'un
mois. La fuite de Cneius-Pompée ne put le fauver ; ayant été trouvé dans
un antre écarté , il y fut tué , & fa téce portée à Céfar. Sextus*Pompée ,
le dernier de cette famille, & qui étoit alors à Cordoue, ayant appris le
malheureux fuccès de cette bataille pour fon parti , s'alla cacher dans les
montagnes de Celtibérie, & il ne reparut qu'après la mort de Céfar j les
feftes du parti fubirem la loi du vainqueur: ainû fut terminée la guerre
civile.
Cé/ar de retour à Rom6%
V^ÉSAR, après avoir terminé les affaires d'Efpagne, revint à Rome,
où le Sénat, par une flatterie outrée , ordonna des fêtes pendant cinquante
jours confécunfs : il fut déclaré Imptrator , Conful pour dix ans , & Die-*
tateur perpétuel ; c'étoit l'élever au plus haut degré de puiflance , & If
£iire véritablement Roi : fa perfonne fut déclarée facrée & inviolable. O4
inventa en fa faveur des honneurs nouveaux & extraordinaires , comme le
droit de porter une couronne de laurier : on lui décerna tous les honneurs
divins, (acrifices, temples, autels. Prêtres, fêtes fixées.; enfin le furnom
de Jupiter-Julius : on plaça fa ftatue dans le capicole , à côté de celles des
Rois. Céfar enivré de gloire, ne voyoit pas que ces honneurs exceflifi;
ne pouvôient qu'exciter contre lui l'envie & l'indignation. Bientôt il ne
fiiivit d'autre règle que fa volonté pour la nomination aux charges & aux
emplois; il diftribua les gouvernemens fans les tirer au fort, oc créa de
nouveaux patriciens. Parvenu au point où rien ne pouvoit lui réfifler,
cet efprit toujours a^f , toujours en mouvement , fe lalTa du repos : ton*
jours avide de gloire & des grandes entreprifes , il fe prépara à aller porter
la guerre chez les Parthes : le prétexte fut de venger le nom Romain
de la défiiite de Craflus tué en trahifon par ces peuples. Après la défaite
des Parthes il fe propofoit d'embellir Rome par de fuperbes édifices, âc
de rétablir Carthage & Corinthe : il rouloit enfin dans fon efprit quantité
de projets tous grands & magnifiques , plufieurs même au-deflus des forces
humaines, comme celui de percer l'ifthme de Corinthe pour joindre la
mer Egée avec la mer Ionienne, -
D'un autre côté , comme il portoit la clémence auffî loin qu'elle peut
aller, & qu'U pardonna même à ceux qui a voient fait des libelles di&r
Ce a
204 C É s A R. (C. Jutis.y
matoires contre lui , il crut àvùiv réuffi à fe faire aimar dé Tes concitoyens;
£c dans cette opinion, il ne voulut jamais confentir à prendre une garde
pour la fureté de fa perfonne : mais il auroit dû éviter en même-tempt
tout ce qui pouvoir le rendre odieux , & c^eft ce quM ne fit pas. Car
perfonne par le déHr qu'il témoigna de la Royauté; défir qu
en bien des manières, & que ne put réprimer le filence des Romains,
lorfque dans une entrée qu'il fît à Rome, des gens apodes le faluerent
Roi. Bien pins , aux fètes lupercales , & dans le temps qu'il étoit a({is fur
un trône dans la Tribune aux tiarangues . Antoine s'approcha , & lui
offrit un diadème : tout le peuple pouffa un gémiffement. Céfar confus 1 i
rejecta le bandeau Royal , & au(Ii-tôt le peuple pouffa des cris d'applaudit 1 <
femcnt. Antoine ayant ofé réitérer cette même ofEre , le peuple rentra I '
dans un morne filence : alors Céfar envoya le diadème au Capitole, en \ ^
difant que Jupiter étoit le feul Roi des Romains. Ne pouvant parvenir ^
être reconnu Roi dans Rome, il conçut le deffein de fe faire donner ce
titre dans les provinces de l'Empire : mais enfin fon ambition lui devio^
fiinefle.
Confpiration contre Céfar. Sa mort.
xj N trouva au-deffous de la flatue de l'ancien Brutu», ces mots écrite •
Plup^ aux Dieux que tu puffts revivre ! Le jeune Brutus qui étoit al<^^*
Préteur, entendit fou vent crier autour de lui : // nous faut un Brutus \ bi^***
plus , il trouva fur fon Tribunal un billet où il lut : Tu dors , Brutus ; ^
n'w point un vrai Brutus. 11 faut ici obferver que ce Brutus paffoit pa ?
être iffu par fon père, de l'ancien Brutus qui chaffa les Tarquins ; il étcr:^)^
neveu de Caton par fa mère Servilie , & paflbit même pour le fils i
Céfar. 11 efl repréfenté dans l'hifloire comme le plus vertueux des R<
mains , & qui avoit joint à la vertu l'étude de la philofbphie & de l'él(
longue main des motifs perfonnels
hommes s'affocierent donc un nombre d'amis sûrs & fidèles , & fiirent
réfervés dans le choix de ceux k qui ils confioient leur fecret : ils en
rent jufqu'à foixante; les plus connus font Servius-Galba , les deux Serv-**^^'
lius-Cafca , Tillius-Cimber, Les confpirateurs après avoir long-temps agi^^^
fur le lieu où ils feroient leur coup , fe déterminèrent à tuer Céfar en pte^^
Sénat. Les Hifloriens rapportent divers événemens qui auroient pu donn^^
quelque alarme à Céfar , ^ entr'autres une prédiaion qui lui annonçcF^^
un grand danger le dernier des Ides de Mars ; mais Céfar n'en fit auciE ^
cas, il fiit feulement ébranlé du fonge de Calpurniei fa femnie,^ qui ^'étcfif
CÉSAR. {C.Jules) io^
lintgioée le tenir entre fes braâ percé de coups. Mais Decimus-Brutus qui
écoix du nombre des confpirateurs , lui reprëlènta que le Sénat sVcoit af*
femblé dans la difpoficion de lui accorder le nom de Roi dans toutes les
Provinces : cette raifon le détermina, & il fe mit en marche. Etant en-
tré au Sénat, & conduit à fa chaife curule, il fut auflî-tôt environné des
confpirateurs. Tillius^-Cimber feignit de demander pour fon frère la liberté
de revenir à Romie^ les autres lui faifoient les mêmes inftances, & pre«
noient fes mains cçmme pour tâcher de l'émouvoir. Céfar fe voyant trop
preffé ^ voulut fe lever ; en même temps Cimber lui rabattit la robe de
deffus les épaules : c^étoit le iignal. Cafca lui porta le premier coup , &
auffi-tôt les autres le percèrent de leurs poignards. Ayant reconnu Brutus
& tomba fur la place devant la ilatue de Pompée , percé de vingt-trois
coups. Il étoit dans la cinquante-fixieme année de fon âee. Les grandes
aéUons qui ont rendu fon nom immortel , les preuves qu'il donna d'un gé*
nie des plus extraordinaires , font voir qu'il étoit né pour commander au
genre humain , fi les grandes Qualités fumfoient pour monter fur le trône ,
& qt^ le droit n'y tut pas neceffaire : il eft du moins confiant que s'il
«ût acquis l'autorité fupréme par une voie légitime , on pourroit le regâr^
der comme un des plus illuftres Souverains du monde. Ajoutons que quoî»-
que Céfar fôt digne de mort , putfqu'érant fimple citoyen il avoit uiurpë
l'autorité appartenant en commun à la République, nous ne faurions ap<»
prouver Brutus de s'être arrogé le droit de le tuer , droit qui n'appane-
noit qu'aux Loix & à la République»
p
Parattclc de Jules-- Céfar avec Olivier Cromwell.
^^ ÉsBR dans la balance deux caraâeres qui ont à peine quelque chofe
de commun , tirer un parallèle entre Jules-Céfar & Alexandre-le-Grand »
c'eft une chofe , ce nous femble , tout^à-fait déplacée. Celui qui veut com-
parer les caraâeres doit imiter Plucarque , il doit chcnfir ceux qui ont une
reflemblance frappante dans quelques-unes des circonftances les plus remar-
quables de leurs mœurs & de leur conduite. Le Critique devroitàcet égard ,
imiter le connoilleur qui, en arrangeant des tableaux dans une galerie, fe
gardera bien de ranger ceux d'un peintre ordinaire parmi les chefs-d'œuvre
des Titien ou des Raphaël. Il placera l'un près de l'autre deux tableaux
&its par deux maîtres également habiles, de manière que les ombres &
les jours fe faflent mieux appercevoir dans tous les deux^ fans que l'un
diminue le mérite de l'autre.
U fera très-aifé de voir que nous avons fuivi ftriâement cette métho«
de ^ en fiûiànt contrafter les caraâeres de Jules-Céfar & d'Olivier Crom*
^o5 G É S A R. ( C. Jules)
well. La reflemblance eft auffi forte i^n'on peut le défirer ^ «u égard ï la
variation que la diverficé des climats fie des coutumes produit néceflaire^
ixienc fur les corps & fur les efprits.
Céfar & Cromvell ont commencé leur établiflTement dans le monde »
4'une manière tout-à-fait femblàble , foit que l'on confidere l'état ou fe
trouvoient alors les af&ires publiques dans leur patrie ; foit qu'on fafle at«
tentîon aux emplois particuliers qu'ils polTédoient avant leur élévation ; foie
enfin qu'on rénéchiue fur les circonftances qui accompagnèrent leur nai&
fançe. Quand la corruption, après avoir gangrené tous les Membres de
l'Etat I fàifoit pencher la République Romaine vers (à ruine ; ou plutôt,
quand il ne fubûftoit plus dans Rome que l'ombre de la liberté ^ par l'am^
bition de quelques perfoiines du premier rang^ qui , fe i difputant à l'envi
b fouveraineté , femoient la di\riuon parmi les : citd yens , & faifoient de
l'Italie un théâtre^ de fang & d'honeur , Céfar ne le diftinguoit dans fa
I latrie que par fes débauches. Ce génie fublime , qui dans la fuite étonna
'univers entier , & auquel on rendit les honneurs divins , ne iaifoit pref*
que en ce temps aucune fenfation, Sylla fut le feul aux yeux duquel il
n'échappa pas. Sa pénétration lui fit découvrir dans ce jeune homme , à
travers tes, étourderies & fon libertinage, les ulens les plus extraordinai-
res, & l'ambition la .plus turbulente. Dès-lors il prophétifa l'élévadon fiir
ture de Céfar, en ces paroles remarquables ; maie pnecincfum juvtnem ca^
vett. » Méfiez-vous de ce jeune homme qui porte Ta ceinture lâche. <
Dans le temp^ que Cromvell faifoit fes études à l'untverfité d'Oxford , &
3ue , femblàble à Céfar » il fe faifoit remarquer plutôt par le relâchement
e fa morale, que par aucune belle qualité, le defpotiime de Jacques &
de Charles premier donna naiffance à cette oppofition qui ne cena qu'à
l'abolition du gouvernement monarchique , & qui donna la Souveraineté à
Cromvell, fans lui donner le titre de Roi. A Roine^ Marins v Sylla & les
Triumvirs avoient fucceflivement tyrannifé leurs compatriotes , & fait gé«
mir fous leurs vexations la République confternée, auparavant que Jules-
Céfar , en s'iogérant dans les affaires publiques , eût découvert un génie
capable d^enfanter d'au(fi grandes révolutions. En Angleterre, les procédés
arbitraires de la Chambre éroilée , Vimpofition illégale d'une taxe fur la
conftruâion des navires & d'autres voies oppredives avoient rendu le nom
de Roi odieux. Le peuple excité par Pym , Hamden & d'autres , ie trou*
voit tout difpofé à fecouer le joug d'un pouvoir arbitraire , avant que
Cromwell devint un des principaux Chefs de l'oppofition dans la Chambre
4es Communes , & auparavant qu'il eût fait briller les talens propres à
fermer le parti, au moyen duquel il fe rendit fe premier homme du
Royaume. Céf^r & Cromvell fe diftinguerent d'abord lun & l'autre en
qualité d'Orateurs. Céfar étoit regardé comme un des plus grands Orar
teurs de fon fiecle. Son éloquence lui procura ce crédit o: ce grand nom«
bre d'amis qu'il fit fervir à l'exécution de (es projets ambitieux. Crom^
C É s A,R. . (C JnUs) 107
yett y <{ui aToîc piiifë dans lei prédicateurs fanatiques de fon fiecle tout le
feu de renthoufiafme , poiTédoit à un degré extraordinaire le talent de la
parole. Rarement il manquoit de perfuader , parce quM s'exprimoit tou«
|ours en homme pleinement convaincu de ce quM difoir. Ainfi ces deux
hommes fe reflemblent dans une circonftance remarquable ^ c'eft-à*dire ^
en ce qu^U commencèrent à s'acquérir Tun & l'autre ua grand afcendant
fur les e(brits^ par ta force de leur éloquence. On doit croire pourtant
qu'à cet égard le Diâateur de Rome furpafla de beaucoup le Héros An-»
glois , & cela par rapport aux circonftances des diffêrens pays où ils vécu-
lent. En Italie , Téloquenlre , la poéfie & généralement toutes les branchés
de la linérature tendoient à leur perfeâion du temps de Céfar ; au lieu
qu'en Angleterre le goût s'étoit corrompu par le pédantifme du Roi Jac«
ques ; les procédés tyranniques de fon fuccefleur occafionnerent des diflen-
tions , qui s'oppofant aux progrès des arts & des fcîences , étoient près de
teplonger P£ut dans cette ignorance crafle d'où l'on avoir eu bien de U
peine à le retirer fous le règne d'Elifabeth.
Si l'on fuit Céfar & Cromwell du Sénat aux camps , fa reflembîance ne
fera pas moins frappante. Ce fut dans fon expédition des Gaules que Jules-
Céfar gagna l'afFeôion de Ces (bldats , & qu'il s acquit cet empire & cette
iupériorité qui le mirent en état de déclarer la guerre au Sénat Se à tou^
les plus grands Généraux de la République. Ce fut par des fuccés inoiiis
en Irlande & en Ecoilè que Cromvell vint à bout de brider ce même
Parlement qui Tavoit revêtu de la puiflance fouveraine , & de fup«*
planter tous les Généraux qui lui portoient envie , ou qui s'oppofoient
a fes prétentions. -" . .
Si Ton envifage Céfar & Cromvell , comnoe donnant la loi à leur pays^
le parallèle fubfifte en fon entier. Tandis V^u'tls tenoient les rênes du gou-
vernement 9 ils montrèrent l'un & l'autre , par leur conduite ^ une foibleffe
dont ils parurent exempts dans le temps qu'ils s'efForçoient le plus d'at-
teindre au pouvoir fupréme. Voici une particularité fur-tout qui a quelque
chofe de bien frappant. Céfar refiifa le diadème ^ quoiqu^l eut toujours
démontré le plus ardent défir de l'obtenir. Croravell refufa d'accepter la
couronne quand elle lui fut offerte ; & l'on dit qu'il mourut de chagria
d^avoir fi mal profité de cette bonne fortune.
Si l'on examine leur tempérament, leurs difpofilions, on trouvera tou-
jours une reflembiance également fenfible. Ni l'un ni l'autre n'étoient d'utt
raraâere fangninaire & inhumain, comme la plupart de ceux qui, n'étant
ait répandu moins de fang que Céfar, ni l'hiftoire moderne d'un hé--
xt>s qui ait commis moins de cruautés que Cromxrell. Marius, Sylla & Cinna
exercèrent des barbaries qui euffent révolté l'ame généreufe de Céfar ; on
xie peut lire fans horreur î'hifloire de leurs prefcriptions fanglantes. Crom*
lot CÉSAR. (C. Jules)
well témoigna la même averfîon à répandre le fang humain , qnoiqu^on l'ait
rendu refponfable injudement des cruautés qu'exercèrent fes foldats dans le
faccage de certaines villes d'Irlande. Mais irn'eft pas difficile de démontrer
3ue cette accufarion eft deftituée de tout fondement. Quelle que foit l'autorité
'un Général fur fes foldats , elle a toujours fes limites. Il fe trouve des occa-
fions où il perd , pour ainfi dire, tout fon afcendant; par exemple, lorfqu'une
ville eft prife d'aflkut. Envain voudroit-il prévenir l'efFufion du fang humain,
réprimer la fureur Aes foldats ne refpirant que meurtre & carnage v il fo
trouve en quelque forte contraint de (oufFrir les plus horribles, cruautés,
plutôt que d'expofer fon autorité , en donnant des ordres qui certainement
ne feroient pas fiiivis. ^
Ces deux hommes , comme nous l'avons vu , fe reflèmblent dans leurs
vertus & dans leurs brillantes qualités , mais ils ne fe reflèmblent pas moins
dans leurs dé&uts. On ne fauroit difculper Céfar d'avoir manqué de politi->
que & de difcernement en quelques occafions. On lui reproche entre au?
très d'avoir vécu fans cefle au milieu de fes ennemis, conjurés à fa perte;
& d'avoir répandu les plus grandes diftinâions & les plus grandes faveurs
fur Brutus , qui parut eafuite au nombre de fe$ aflaflîns. Cromxrell commit
de même la plus grande indifcrétion , en (aifant condamner le Colonel Lil*
bum, pour avoir tenu des difçours injurieux contre fa perfonne & contre
fon jrouvernement. Cette rigueur mal entendue & tou^à*fak hors de faifon,
ne lervit qu'à démontrer la fbiblefTe de fon pouvoir. On s'étonne qu'il fe
foit imaginé qu'un peuple , qui venoit de fiiire les plus vigoureufes tenta*
fives pour conferverfa liberté, pût devenir tout*à-coup l'efclave abjeâ &
craintif d'un ufurpateur \ il étoit oien plus naturel de croire que les Anglois
iàifiroient la première occafîon de témoigner leur mécontentement de l'au-
torité fans bornes de Cromvell , malgré qu'il ne fut guère en état de l'en
dépouiller. Cromvell eut agi bien plus prudemment, en fe contentant de
faire enfermer le Colonel , fans exiger qu'on lui fit ion procès ; ce fut donc
fans contredit une grande bévue de fa part, d'avoir recours aux loix; tandis
qu'il (entoit que fa puiflance n'étoit fondée que fur le renverfement de tou-
tes les loix. Ces erreurs de la part des grands Politiques fondent la jufte/Te
de l'obfervation de Mr. Pope , lavoir qu'en prudence & en conduite ils oe
font gueres fupérieurs aux gens les plus étourdis & les moins judicieux.
' On pourra nous objeder ici , qu'il y a une différence effentiellé entre
Céfar & Cromxrell, en ce que l'un fuivit les principes d'£picure, & par
conféquent fut très- indifférent à l'égard de la religion , ou plutôt , mécon*
nut entièrement l'exiflence d'une divinité ; au lieu que l'autre parvint à foa
but , en mettant à profit l'enthoufiafme religieux de fon fiecle. Mais cette
objeâion s'évanouira d'elle-même, fi l'on confldere que Tenthoufiafme reli«
gieux de Cromvol n'étoit qu'un intérêt perfonnel déguifé fous le mafque
en vogue de fon temps. Son indifférence réelle pour la religion augmenta
à mefure qu'il eut plus de part dans les affaires publiques \ 6c quoiqu'il affec-
tât
CÉSAR. ( C. Mes ) a^oij
tAt «quelquefois avec ceux de Ton parti les fentimeus & le langage de leur
leâe , c'étoic endéremenc par des vues poUriques , & non par relprit de
finatifme qui les animoir. 11 s'en ouvrir au Poëce Waller, Ton parent, avec
lequel il entretint toujours la plus grande amitié & la plus intime correl^
pondance. Âpres avoir compare ces perfonnages célèbres dans les pUis re-
snarquables circonfiances de leurs vies , comparons-les maintenant dam
celles qui accompagneront leur mort; Elles nous fourniront des réflexiotns
non moins inflruâives que celles qui naiflent de la confidération des plus
'glorieux événemens de leur vie. Il s'y trouve une particularité peu com-
mune y qui complette le parallèle. Leur mort fut précédée de phénomènes
extraordinaires; Ton eut dit que la nature allôit fe dilToùdre au\ moment
que ces hommes trop célèbres quittèrent cette demeure mortelle, & qu'elle eue
voulu les difiinguer du refte des humains dans cet inftant qui les met tous
EU niveau. Virgile , dans fon premier livre des Georgiques nous a dépeint
d'une manière admirable les phénomènes qui précédèrent la mort de Ju-
les-Céfar, & Mr. Waller a décrit avec beaucoup de feu & d'enthoufiafme
la violente tempête qui fe fit fentir au moment que Crom^rell expira ,
dans les vers qu'il dédia à la mémoire du Proteâeur de la Grande-Bretagne.
» Il faut nous rédgner, dit-il, le ciel redemande fa »ande ame par un
» ouragan terrible dont le bruit éclatant égale celui 4e m réputation. «
Quant à leur manière d'envifager la mort , Cé(ar a de beaucoup l'avan*
tage fur Cromwel. Celui-là mourut, comme il avoir vécu^ en héros. Aflaillî
par un nombre confîdérable de conjurés » il en tua plufieurs & expira avec
autant de bravoure dans le Sénat , qu'il eût pu le faire fur un champ de
bataille. Cromvelli au lit de la mort, ne foutint pas le caraâere de hé-
ros , ni même de guerrier. L'cnthoûfiafme auquel il s'étoit adonné pendant
fa jeunede , vint reprendre fon pouvoir fur fon ame« Il fit paroitre toute
la timidité d'un ReUgionnaire qui craint la mort, dans le temps même, oit
il dit qu'il met tout fon bonheur dans l'autre vie. Les termes dont il fe
fervit : » Je ne mourrai pas encore ; mon heure n^ed pas encore venue ^ •
(ont des preuves manifeftes de la jufleffe de cette remarque d'un Poète:
n Celui qui combat courageufen\^nt n'efl pas le plus brave pour cela ; il
.» craint, au lit de la mprt^ comme le plus vil efclavie. «
Cette fin d'un homme qui s'étoit expofé fans craioçe aux plus* grands pé-
rils
d'
fon
tlus utiles & des plus infîruâives leçons de morale. Elle nous prpuve corn-
ien il èft vain & ridicule de prétendre à i'héroïfme; elle nous démontre
pleinement la vëric^ decetce maxime du Sage : V^rgucil r^xfi pas fait pour
Phommc ; ni un cœur fier pour ç^elui qui eft né et une femme. Souvent il ar^
rive q^un homme célèbre perd au lit dé la mort tout le luftre de Tes ex<*
ploits glorieux. La mort enlevé le mafque qui le faifoit paroitre un héros
Tome XL P4
ft,o C E s s A R E 5. {République des)
aux yeœc du vulgaire; & robjet de radmiratiôn publique n'eft plàs quMn
vil efclave des fbiblefles humiliantes qui nous confondent avec la populace.
Ceux donc qui regardent les hommes illuftres avec des yeux d'envie ou
d'admiration , doivent les contempler dans les derniers infians de leur vie ;
alors , contens de leur fort , loin de fe laifler éblouir par la gloire des hé-
ros les plus Êimeux, ils conviendront que le total de cette réputation ^—
me , n'eft que le produit de leur gloire & de leur ignominie.
énot*
CESSARES. ( République des ) Relation du premier Etablijfement ^
des Loix ^ du Gouvernement & de la Police des Cejfares ^ Peuples de
t Amérique méridionale ; en neuf lettres de Mr. Van der Neck , Magifirat
de cette nation , â un de fes amis en Hollande , ayec des notes de tE^
diteur. {a)
\J U A N D on confîdere combien Tes fins pour lefqueltes le Gouverne^
^^meht civil a été înftitué, font fimples & fenfibles à tout le monde^
il femble étrange que parmi tant de formes de police établies pour y par-
venir , il y en ait fi peu qui approchent de la perfeâion , & un fi grand
nombre qui font diamétralement oppofées au but de leur inflitution. Mais
Î[uand on vient à réfléchir combien la méchanceté humaine a d'influence
ur ces établiffemens , & combien elle eft capable de les corrompre , on
ne s'étonne plus qu'ils refient fi imparfaits, & fi vicieux.
Ce n'efl pas l'ignorance des légiflateurs qu'il faut rendre refponfable de
Tinfuflîfance des loiy. Elle vient beaucoup plus d'un vice interne dans le
plan des conflitutions politiques, ou de l'altération qu'y caufeùt certaines
révolutions accidentelles qui élèvent l'intérêt dé ceux qui gouvernent au
defTus de celui de la nation qui eft gouvernée.
Lai grande fource du mal , c'efl que dans la première inflitution du
gouvernement civil , quel qu'il foit , fondé ou fur l'ufurpation ou fur un
contrat, c'efl-à^dire , defpotique , ou comparativement libre ^ l'intérêt des
cheB eft toujours l'objet principal des réglemens , le centrie où l'on rap-
pone tout , lors même qu'on femble lui préférer l'intérêt du peuple. Si le
gouvernement efl fondé fur l'ufurpation, l'ufurpaceur s'efforce de mainte-
nir par la terreur ce qu'il tient de la force : ainfi la crainte , comme l'c^
ferve Montefquiea ^ eft le principe du defpotifme. Si un contrat libre fonde
& établit l'Etat y le peuple bien intentionné juge trop avancigeufement
■^■'■■^^■— — iW*—"— i"<— ^— ■*— — ^i— ^w»» —i^l
(a) Ce Roman politique onglnalea Angtoîs^ parut à Londres .en 1764; fioafh^cryyoos
pas qu'il ait étc traduit en aucune autre langue. Ccil iur TAnglois que nous avW In. que
nous alloûs en donnée une légère idée»
C £ s s A R E s. { République du ) xn
des Magiftrats qu'il fe choifit, & par une confiaqce indifcrete il leur doxme
dne étendue de pouvoir dont ils abufenn
Comme il eft de la nature du pouvoir d'être entreprenant, ceux qui
ont la puiflance en main épient les occafions , & tirent avantage de toutes
les circonftances propres à accroître leur empire. Les premières entreprifès
fe font fi in(ènfiblement , que la multitude ne sVn apperçoit pas ; ainn elle
garde le filence; & quand elle commence. à élever la voix^ les ufurpa^
fions font reclamées de l'autre côté comme des prérogatives, & confir-
mées comme ^ifant partie de la conflitution , fous la fanâion des peines
les plus fëveres.
Voilà conune le plus grand nombre des gouvernemens font établis &
fe maintiennent réellement fur ce principe de Thrafymaque , qui , dans la
République de Platon , définit la jufiice ce qui eft conforme à l'intérêt
du fort , du puiffant , du fupérieur.
Lorfque ces fyftêmes qui femblent fi étranges aux yeux du philofophe,
font une fois établis , différentes caufes contribuent à les maintenir en
palliant le vice de leur inflitution. Les préjugés de l'éducation portent le
grand nombre à penfer qu'il faut bien que ces réglemens foient juftes &
utiles, puifque leurs aïeux les ont agréés, & que leurs pères les ont ap-
prouvés au moins tacitement , en vivant fous une telle forme de gouver*
nement fans en murmurer. Ces préjugés tiennent lieu d'examen. La timi-
dité des autres & leur indifférence pour les af&ires publiques , font qu'ils
fe foumettent tranquillement à des inftitutions que leur jugement con-
damne. Quant aux hommes d'une trempe philofophique , ils cultivent les
arts & les fciences & laiffent la machine politique fe mouvoir au braille
de la roue de fortune. L'ambition & l'avarice des grands , font qu'ils s'ac-
commodent aifément d'un fyfléme qui &vorife leurs vues , en les mettant
à même de s'engraiffer de la fubftance du peuple. .
Les paffîons humaines ont jufqu'ici empêché, & empêcheront encore
dans la fuite , l'établiffement d'un fyfléme de Gouvernement fondé fur la
bafe du bien public , bafe trop grande fans doute pour des têtes à petits
fyfiêmes d'intérêt particulier. Les hommes en général font fi bien con-
vaincus de cette vérité , fi intimement perfuadés que la malice l'emportera
toujours fur la bienveillance , qu'on a traité de projets vains & chiméri-
ques tous ceux qui- fe propofoient une fin fi glorieufe. Platon , Monis ^
Harrington , & d'autres n'ont-ils pas été regardés comme des vifionnaires,
parce qu'ils ont voulu fonder une république fur les principes de la juf-
tice? Quoiqu'on en puiffe dire, que leur plan foit praticable ou non, il
contient toujours des vues dignes d'une férieufe attention de la part des
lëgiflateurs.
Du refte nous devons regarder comme un bonheur que le ridicule jette
fi mal à propos fur ceux qui ont préfenté aux hommes de fi bonnes inf^
timtions, n'empêche point de parler les politiques bien intentionnés qui
Dd 2
\
i
1X1 C E s s A R E s. ( République des ) .
Aéiîrene fincérement la perfeôion des fociéiés civiles, Ceft fous ce poi»t
de vue qu'il faut envilager Pouvrage que' fïous analyfons, c'eft-à-dire-,
comme un Nouveau plan de gouvernement.
Qu'il exifte, ou qu'il n'exifte pas, un peuple tel que les Ceflares; que
te nom même de Van derNeck foit fuppofé ou non, peu importe au lec-
teur. Il lui fuffit pour s'attacher à ces lettres, qu'elles offrent de bons ré-
glemèns pour le bien de la fociété & le bonheur des hommes. Et quoi-,
que plufieurs de ces inftitutions n'aient pas le mérita de la nouveauté, &
que quelquefois elles ne foient pas propofées de la manière la plus frap-
pante , ni la plus attrayante, on y trouvera néanmoins des principes &
dts préceptes de légiflation qu'on pourroit aifément mettre en pratique,
(inon dans les Etats policés & corrompus de l'Europe , .ati moins dans lei
nouvelles Colonies de l'Amérique.
Dans la première lettre, l'auteur expofe les raifons qui l'ont porté i
laifTer fon ami en Hollande, pour venir s'établir dans un pays prefque
inhabité. Ce détail eft un peu infipide, & on peut en dire autant d'uoe
partie de la féconde lettre.
La troiHeme lettre offre la forme de Gouvernement établie parmi les
Ceflares : elle confifte en un gouvernement qui efl héréditaire & en ua
petit nombre de Sénateurs au choix dts citoyens. On préfente de temps
en temps des objeâions fenûbles contre les gouvernemens ariftocratique ,
démocratique, monarchique;
Les lettres fuivantes entrent dans un plus grand détail des loix qui
concernent les Magiftrats , le droit de propriété , la punition des cri-
mes, & plufîeurs autres- matières importantes, dont nous traduirons feu*
iement ce qui regarde le luxe, pour faire connoitre la manière de
l'Auteur.
n Le Sénat aura foin d'établir des loix fomptuaîres, & de veiller it ce
» qu'il ne s'introduife aucune forte de luxe, fous quelque prétexte que ce
91 u>it. On défendra expreflément toutes fortes d'arts & de commerce qui
» fourniflent à la vanité & à la mollefTe des fuperfluités que l'homme ne
j) fauroit fe procurer qu'aux dépens des biens plus réels. Le luxe préfage
» la ruine d'un Etat. Il eft recommandé d'être propre , & de parcrïtre dé-
9 cemment en public ; mais rien n'eft plus déraifonnable que de s'occu-
» per avec trop d'fétude de l'extérieur : & un changement fréquent de
» mode eft la marque infaillible d'un efpritvain & petit: en conféquence
»> le Sénat a réglé l'habillement de chaque citoyen félon l'âge & le fexe.
porter de
vanité,
pompe & du luxe né s'introduifent imperceptiblement
• dans la Répu'blique.. Seulement les fous & les idiots font feuls excep-
«^ tés^ de ce règlement : on les oblige même de porter des habits relevés
» d!ôr & d'argent pour Ijes diftinguer dei citoyens feofés & raifonnabies..
\C E s s I O N. 4IJ
s> Comme chiîHeurs Pamoiir de !a parure eft une paflion particulière au
9> fexe, toute feinme qui violera quelqu'une des loix fomptuaires en s'ha*
3» billant d'une manière au-defHis de Ton rang, fera condamnée à porter,
» pendant une année entière, un habillement au-*d^ous de fa condition*
» pour mortifier fon amour-propre. ^
L'objet du luxe termine ainfi la feptiemè lettre. La liuitieme & la neu^
vieme traitent des occupations des citoyens : elles font toutes réglées de
manière à prévenir la mifère & Tindigence; on y traite aufli des mariages
& des encourageipens à la population , ainfi que de plufieurs autres points
fur lefquels nous ne nous arrêtons pas , parce que , comme nous venons
de le dire, ce Roman politique ne contitat rien d-aflez particulier pour y
fixer l'attention du le^ur..
m
C E S S I O N^ C £
Si la Cejfion faiu par; un État des biens de fes Sujets à un autrt État^,
ejt valable indépendamment du confentement des propriétaires? ,
D
ANS les Traités de paix, de limites, d'échange, &c. Tune des
puiilànces contraâantes cède fouvent à l'autre, des terres particulières qui
appartiennent à fes fujets. C'eft une fuite du domaine éminent de l'état,,
qui, dans. une néceffité preflànte, ou pour procurer l?avantage public^
autorife le Souverain à di^pofer du bien de ceux qui vivet^t fous fes loix,
ikns qu'il ait befoin du confentement des propriétaires. Ces particuliers
doivetit étr|9. dédommagés par V£tat de ce que le Souverain leur ôte pour
Pavantage même du public , cela n'efl pas douteux; mais qu'ils le foient
ou non, le Prince qui reçoit le domaine particulier, de la main du Souve-
rain même & par un Traité public, en devient légitimement propriétaire.
Il n'eft pas obligé de prouver que les befoins de r£tat ont été aflez pref-
fans, ou l'avantage du public* allez confidérable ,, pour autori fer l'autre
PuifTance \ céder ce domaine particulier* L'autorité fouveraine n'attend
point le confentement des particuliers dont elle eft obligée de fâcrifîer les
intérêts au falut de l'Etat ; & quicongue a le droit de la guerre & de la
paix., poflède néceftairement celui de taire tout ce qui. conduit à l'un. & à
l'autrç de ces objets*
A ne confulter que l'équité, tout ce qui a été pris dans une guerre
injufte, doit être rendu. Le prince qui en a été dépouillé, peut prendre
Les armes, pour s'en . remettre en pofleftion, pourvu qu'il n'ait .pas . aban«
donné fon droit, par un aâe ou exprés ou tacite. Mais, s'il a laiffé paf-
&x un très-long. efpace de temps, fans avoir,. en aucune manière, réclamé:
^,^ CESSION.
ce qu^on lui a pris, ou fi, par un Traité exprès, il a cédé les pays con«
quis , il ne peut raifonnablement employer les voies de la force , pour fe
foire' rendre ce qui eft polTédé à ce titre-là. Le poflTeflTeur eft toujours obligé
à la reftitution, dans le for intérieur, dès ^ue Pacquifition a été injufte;
mais devant les hommes, la poiTeflion eft juridiqMe. La ceflion volontaire
prive à jamais celui qui l'a faite , du droit qu'il avoit à la chofe.
Un Jurifconfulte François (tf) a foutenu que le Roi-Trés-Chrétien nepou*
voit en aucune manière obliger fon fuccefleur à l'exécution des Traités de
paix qu'il faifoit , par la raifon qu'il n eft qu'ufufruitier de fon Royaume ; que
ae n'eft pas de fa volonté que fon fuccefleur tienc la Couronne, & <}u'il
Ïeft appelle par la loi fondamentale de l'Etat. C'eft une erreur qui vient
e ce que ce Jurifconfulte raifonnoit, dans une matière du droit des gens,
fur les principes du droit civil qui n'y ont aucune application. Mille Écri-
vains François ont copié cette erreur de Bodin. Si fon •pinion étoit fon-
dée , ceux qui ne font les chefs d'un gouvernement ariftocratique ou dé-
mocratique , que pour un temps , & feulement comme fimpleâ adminifba-
teurs , pourroient encore moins que les Rois de France & les autres Mo-
narques abfolus, obliger leurs fucceflfeurs; mais cette opinion eft infbu-
cenaole. De ce qu'un Souverain a le droit de faire la guerre, & celui de
conclure la paix , il fuit que toutes les ceffîons qu'il rait, lient & fes fo-
jets àc fes fucceflfeurs. Dès que la guerre eft déclarée, tout ce dont le vain-
queur s'empare lui appartient, & le fucceffeur du vaincu , à qui elle pou-
voit à jamais enlever fes Etats , eft obligé de fe conformer à un Traité
de paix qui lui en a confervé une partie.
D
Des Cejfwns forcées. Si elles font obligatoires T
'Autres Jurifconfultcs jugent auflî des Traités, atnfî que des
Contrats particuliers ; & quelque différence qu'il y ait entre , ces fortes
d'aâes , ils appliquent aux Traités la maxime du droit civil , qui difpen&
les particuliers (Texécuter les s^âes faits par force; mais les loix civiles
même , n'annullent que les aâes qui tirent leur origine d'une force réelle.
Tous les Jurifconfultes conviennent que la crainte qu'ils nomment révé-
rentielle , c'eft-i-dire celle qu'un inférieur peut avoir de déplaire à fon f*»
périeur, une femme \ fon mari, un fils à fon père, un fujet à fon Roi,
n'ôte point la liberté, & par conféauent n'invalide point l'aâe. Si cette
efpece de crainte pouvoit être admire dans les fociétés civiles , on la fe-
roit feryir de prétexte pour anéantir tous les ades des particuliers ; & fi
l'exception tirée de la crainte, invalidoit les Traités des Souverains^ il n'y
(4) Bodin*
C E $ s I O N.
ai;
en a pas un feol qu'on ne pût anauller par cette vfMç. €e ne fèroit pas
feulement ériger l'infidéHce en tna^ime ^^'Ècat , & élargir ta confcience des
Princes; ce feroît bannir, la foi ^t toutes leurs nëgociations.
Les Princes 9 en s^engageant dans une guerre réglée, font cenfës être
convenus qiie celui pour qui la fortune fe déclareroit, impoferoit au vaincu
les conditions qu^il }ugeroi( à propos. Dans la négociation de paix qui fuie
cette guerre, les puiflànpes commeocept ordinairement par fuppofer qu'elle
a été également jufte de$ deux côté^- Elles fe tienneixt réciproquement
Quittes y à certaines conditions, des pertes qu'elles fe (ont cauiées de part
: d'autre y comme y ayant été autorifées par la réfolution prife de niire
dépendre de l'événement, le fort des parties. Le moment où le Traité eft
figné , eft le moment décifif qui règle le fort des vainqueurs & celui des
vaincus; jufques-là, les conquêtes des uns, & les pertes des autres, font
indécifes; c'eft le Traité de paix qui les fixe» qui alfure aux Princes J^
fruit de leurs yiôoîres ,, ou qui les en dépouille pour toiijoursT
Si l'exception tirée de la crainte pouvoir être écoutée contre une ÇefHQQ
formelle, le viâorieux ne fèroit jamais de paix, Si acheveroit peut*être
de dépouiller le vaincu; mais la crainte ne (àuroit jamais invalider un
Traité. La violence , fuivie du confentement de celui qui la fouffre^ change
de nom comme de nature; c'eft un aâei légitime.^ & auffî yalide que la
volonté du cootraAant efl poHtive.
Le fort des armes, qui femble avoir reridu'Té'Traîfé, 'èn'quëtqQe
forte néceffaire, n'en a pas néanmoins^ exclu la liberté. Elle eût pu ne pas
agir fans une forte de néceffîté extérieure, mais elle a agi. Elle a pu ne
fe déterminer que par le danger imminent; mais elle s'eft déterminée, &
fon aâion a été tout-à-fait libre. Rien ne peut forcer la volonté qu'elle
même. Un aâe ne peut pas être en même-temps libre & forcé ; mais on
peut faire librement une aâion néceflaire , relativement au bien qu'on
veut s'aflurer, ou au mal qu'on eft réfolu d'éviter. La Ceflion que le vaincu
fait, eft abfolument volontaire de fa part; il voudroit continuer la guerre,
mais il en craint les événemens. Delà, diffêrentes volontés. Un mouve-
meoc eft iurmonté par un autre ; & celui qui porte à la paix , demeure
le plus fort. Le vaincu « à qui la fortune ne laiflTe plus efpérer de retour à
la viâoire, demande la paix, & préfente au vainqueur une main défar-
raée. Il fe détermine librement à la paix , en jugeant plus à propos de la
faire à des conditions dures , que de continuer la guerre avec les périls
qu'il y prévoit.
Ce que l'objeâion que je réfute fuppofe néceflaire , n'eft en effet
quVile. L'utilité devient le motif de la Ceflîon. Un Prince qui a conclu
un Traité, doit confidérer comme un gain ce qu'on* lui a laiffé, & non
comme une perte ce qu'on lui a ôté. Il n'a fait qu'imiter le Comman-
dant d'un vaiffeau battu de la tempête , qui fait jetter des marchandifes
dans la mer , pour l'en décharger , dans la crainte du naufrage & d'une
2l6
CESSION.
perte totale. (^) Un 'Souverain qui, après avoir ratifié tin Traité de poix
conclu par (en Miniftre, le rompt /fe rend coupable de parjure.
Le principe que j'établis ici , & que je crois démontré , un Auteur cé-
lèbre le prouve trés*bien par un autre raifonuenient. » La liberté confifte
ji( principalement à nd pouvoir être forcé à faire une chofe que la loi n'or-
V donne pas, & on n'eu dans cet état , que parce qu'on -^ft gouverné ptf
» des loix civiles. Nous fommes'donc libres , parce que nous vivons fous
» des loix civiles? Il fuie delà, que les Princes qui ne vivent point entre
» eux^ fous des* loix civiles, ne font point libres, ils font gouvernés par
9 la force \ ils peuvent continuellement forcer ou être forcés. Delà , il luit
» que les Traités qu'ils ont faits par force , (ont au(fî obligatoires que
n ceux qu'ils auroient fait de bon eré. Quand nous, qui vivons fous des
» loix civiles, (bmmes contraints à faire quelque contrat que la loi n'exige
a» past nous pouvons, à la faveur de la loi, revenir contre la violence;
» mais un Prmce qui eft toujours dans cet état, dans lequel il force ou
9 il e(l forcé, ne peut pas (è plaindre d'un Traité qu'on .lui a fait Êire
» par violence. C'eft comme s'il fe plaignoit de (on état naturel , c'efi
9 comme s'il vouloit être Prince à l'égard des autres Princes, & que les
» autres Princes fuiTent citoyens à fon égard, c'e(l-à-dire choquer Unir
' j» lure des chofes. " De VEfprit des Loix.
(*)
Cunâa prius tentanda, fed immedicafaîle yulnus
Eofe jccidendufflj ne pars fincera trahatur.
o'
h;
, t
CHA-
CHAGRIN. 2t7
C H.
L
CHAGRIN, f. m.
E Chagrin eft un fentiment pénible que Tame éprouve , lorfque l'état
des chofes ^ fur lequel fon imaginarion avoit compté comme fur un bien
agréable , vient à changer, ou lorfque les événemens qu'elle attendoit,
comme propres à contenter quelques-uns de fes penchans, ne répondent
point à fes efpérances & à fes défîrs^ fans cependant la rendre effen**
tiellement malheureufe.
par le degré d'impreflion que ces obji
fuppofe des événemens qui intéreflfent plus effentiellement notre fëlicitét
en nous 6tant des biens que nous devons naturellement eilimer. Le Cha-*
grin Aippofe des faits qui laiflènt fubfifter les fources eflentielles de notre
bonheur, & qui n'attaquent notre fenfîbilité que par la perte d'avantages
ou d'agrémens dont le prix eft moins réel qu'imaginaire , & dont on peut
être privé fans être malheureux. La perte de ce qui eft néceftaire pouf
iàtisfaire les penchans naturels d'un cœur vertueux nous afflige. Ce qui cho^
que nos goûts & nos pallions nous chagrine , en s'oppofant à ce qui peut
les Iàtisfaire.
Les eftets de l'affliâîon font plus forts & plus durables; elle affeâe l'ame
entière, elle l'abat & nous dégoûte quelquefois de la vie. Le Chagrin nous
irrite dès le moment, nous donne de l'humeur, & nous rend mécontens
des objets qui nous environnent. La mort de parens chéris , la perte entière
de notre fortune , le déshonneur des perfonnes qui nous incéreffent , la vue
des défordres moraux , nous plongent dans l'affliélion. La perte des objets
de nos goûts frivoles comme équipages , meubles , tableaux ; l'infidélité
d'une maitreffe , le manque de parole d'un proteâeur , le mauvais fuccès
de notre ambition , font des chofes qui nous chagrinent.
La trifteffe naît de l'affliâion ; le dépit & l'humeur naifTent du Chagrin.
Le Chagrin a fa fource immédiate dans la trop grande attention que
nous donnons à la privation ou à l'abfence de l'objet fur la pofTeflion du*
quel nous avions compté. Et cette trop grande attention vient du cas ex-
ceftif , que par erreur nous faifons des objets dont la perte nous chagrine.
Voulons-nous donc nous mettre à couvert du Chagrin dont les caufes font
fi nombreufes & agiffent fl fréquemment >. apprenons à connoltre le vrai
prix des cho&s , ne les eftimons que ce qu'elles valent , & en nous y at-
uchant ^ n'oublions jamais qu'elles ont peu de folidité, qu'on ne peut comp*
ter fur elles , & que mille caufes peuvent nous les enlever.
Tome XI. E e
ti» C H A L O N O r s,
• Se livrer au Chagrin eft une preuve de la foiUefTe de Tame , du ntanqtie
'd^habitude de réfléchir ^ & de rabfence de ces vertus qui forment lesr ca-
raàeres eftimables fur lefquels on peut compter. On peut voir avec peine
ce qui n'eft pas bien; mais quand le mal laifTe fubfifter toutes les four-
ces eflentieltes d'un bonheur réel^ pourquoi ferions-nous uoublés par de
légers accidens, & nous irriterions-nous contre notre fort?
CHALONOIS, Contrée de la Bourgogne Province de
France^
L
E Chàlonoîs^ pays fertile & abondant, de i^ lieues d^étendue eofon«
gutut fur environ autant de largeur, &, qui avoit jadis fes Comtes parti-
culiers. On le diflingue en Chàlonois propre & en BreiTe Châlonoife fépar^
Tun de l'autre par la Saône , & tous deux forment un bailliage principal
Le Chàlonois propre, Ctuéàl'oueft de la Saône, & qu'on nomme aufli
la Montagne , à caufe de la côte ou rideau de montages qui le travcrfe
& s'étend en demi cercle ou en arc , depuis Beaune jufques dans le Mà«
connois, efl fertile non-feulement en vins délicieux que cette même côte
fournit en abondance \ mais encore en bois de haute nitaie & taillis, four*
rages & grains de toutes fortes qu'on recueille dans les belles plaines qui
régnent fur-tout le long de la rivière» Il embraflè 156 paroilfes ou cam*
munautés.
La Brefle Châlonoife eft audî fërtite que te Chàlonois prqpre : il y ^
quelques montagnes du côté de Cuifeau ; mais le refte conhfle en magoifi*
ques plaines abondantes en grains de toute efpece , en bois de fiitaye &
taillis, en pâturages, &c. & entrecoupées d'une infinité de rivières, de
ruiffeaux & de petits étangs très-poiffonneux»
Chàlon-fur-Saone efl un Comté fort ancien»
Varin fut établi Comte de Châlon par Louis-le*Débonnaire» Sa poftéritè
eft peu connue jufqu'à Lambert , qui vivoit prefque au temps de Hugues
Capet , & qui fe rendit abfolu y comme faifoient alors tous tes Seigneurs»
L'hiftoire de ces Comtes eft affez obfcure jufqu'à Géofroi de Donzy, qui
pofledoit moitié de ce Comté ^ qu'il vendit en 1097 ^ Gaultier, Evêcjue
de Châlon ; & c'eft à ce titre que tes fucceffeurs de cet Evéqu& ont joiû
de la moitié du Comté de Châlon.
L'autre moitié ^ippartenoit à un Seigneur nommé Guillaume, oui poF-
iëdoit auifî le Charollois, dont la fille Béatrix eut d'Alexandre, fils d'Eu-
des III , Duc de Bourgogne ^ Mathilde , qui porta ce Comté à Jean , fils
d'Etienne, Comte d'Auftbne, qui prit le nom de Châlon, & qui fut \%
tige de l'illuflre maifon de ce nom , d'où font fortis les Princes d'Orange ^
& les Comtes d'Auxerre & de Tonnerre.
• CHAMBRE A P OS TOUQUE. 1^9.
} Teaa, en 12379 échangea fan Comté contre quelques autres terres, avec
Hu^es IV , Duc de Bourgogne. Dés-lori il fut uni à la Bourgogne , & a
fuivi b defîinée de ce Duché.
L
C H A M B R E, f. f.
E mot Ckdmhre en madère de Juftice & de Police, s'entend ordi«
Mîrement du lieu où fe deonent certaines jurifdiâions ou afTemblées pour
le fait de la Juftice ou Police. Quelquefois le mot Chambre fe prend pour
la compagnie même qui s'aflemble dans la Chambre. II y a pluueurs jurif*
diéHons & afiemblées auxquelles le dtre de Chambre efl commun , &i qui
ne font diftinguées les unes des autres que par im fécond dtre qui leur
eft propre à chacune.
•r
CHAMBRE APOSTOLIQUE,
Tribunal Eccléfiajîiquc à Romté
V^ E Tribunal efl le Confeil des Finances du Pape, Le Cardinal Camer«
lingue en eft le chef i les autres Officiers font le Gouverneur de Rome qui
cft Vice- Camerlingue, le Tréforier, l'Auditeur de la Chambre, le Préfi-
dent, l'Avocat des pauvres, PAvocat-Fifcal , le Fifcal*Général de Rome,
le Commiilaire de la Chambre , & douze Clercs de la Chambre : il y a au(fi
douze Notaires qui prennent le dtre de Secrétaires de la Chambre , & quel-
ques autres Officiers.
On tr.aite dans cette Chambre les affaires qui concernent le tréfor ou le
domaine de l'Eglife & du Pape, & ks parties cafueltes. On y expédie
auffi quelquefois les lettres & oulles apoftoliques pour les bénéfices. Cette
voie n'efl pas la feule pour expédier ces lettres 6c bulles; on en expédie
auffi , mais rarement , par voie fecrete , & plus communément en Confif-*
0oire & en Chancellerie.
La voie de la Daterie & de ta Chambre Apoflolique fêrt à faire expé-
dier toutes provifions de bénéfices , autres que ceux qu'on appelle Confijîo^
çiaufe délicate.
On peut faire expédier par la Chambre , c'efl-à*dire , par la voie de la
Chambre Apoftolique, tout ce qui s'expédie par Conflftoire & Chancelle-
rie % mais il en coûte un tiers de plus.
Les minutes àts Bulles font dreâées par un Prélat appelle Summijic.
- / ' Ee a
iicT CHAMIiRË BASSE ou CHAMBRE DES COMMUNES.
Tous les Brefs & Bulles expédiés par la Chambre, font mfcrîts dans un
rcgîftre, qui eft gardé par un autre Officier appelle Caflos rtgiftri.
Les livres de la Chambre Apoftolique contiennent une taxe pour le coût
^^^ Bulles & pfovifions de certains Bénéfices : on attribue cette taxe à
Jean XXII, qui envoya des Conimiflaires par toute la Chrétienté, pour
s'informer du revenu de chaque Bénéfice. L'état fait par ces Commiflaires,
eft tranfcrit dans les livres de la Chambre : il fert à exprimer la valeur des
Bénéfices, & à en régler la taxe ou annate.
chAmërebasse
r
o u
CHAMBRE DES COMMUNES.
V^'EST ainfi que Ton appelle en Angleterre par relation à la ChamBre
Haute, Chambre des Pairs & des Seigneurs, la portion du Parlement de
la Grande-Bretagne, qui, depuis cinq fiecles, en compofe le Tiers-Etat;
le premier confiftant dans la perfonne du Roi , & le fécond dans rafTem"
biée des Pairs»
Conformément à fa dénomination , cette Chambre eft remplie par les D^
pûtes des Provinces , ou Comtés, Villes, Bourgs , & Communautés du Royau-
me, qui, fin^guliérement munies du droit de les élire, exercent en même"
temps, cdui de créer elles feules , tous les repréfentans que peut avoir la nation.
Au moyen de cette éledion, ces repréfentans font un nombre de cinq
cents cinquante huit perfonnes , que l'on nomme Chevaliers , Citoyens &
Bourgeois. Les Députés des comtés portent le premier de ces titres ; ceux
des villes, le fécond; & ceux des bourgs, le troifieme : on qualifie deBa«
rons , les Députés qui repréfentent les cinq Ports. Mais il eft à obferver ,
que cette diftérence introduite dans les titres des Députés, n'en admet au-
cune dans leur pouvoir, ni dans leurs privilèges; OL que quant au rang
qu'ils doivent tenir entr'eux, les feuls Députés de la ville de Londres, au
nombre de quatre, jouiflent fimptement du droit de préféance , dont mê«
me ils ne fe prévalent, que dans les jours d'aftemblées folemnelles.
Voici l'indication fommaire des Membres de la Chambre des Communes.
Pour les quarante Comtés d^Angleterre ,. 80
Pour fes villes & bourgs, ^g^
Pour les unîverfités d'Oxford , & de Cambridge , 4
Pour les cinq Ports, fàifant huit villes , . j6
Pour tes douze Comtés de la Principauté de Galles^ la
Pour fes villes & bourgs , x %
Pour les trente-trois Comtés d^Ecoffe ^ jo
Pour fes villes & bourgs, i ç
CHAMBRE BASSE ou CHAMBRE DES COMMUNES. aai
L'on conçoit qu'avant la conquête du pays de Galles par Edouard I , &
avant l'union de PEcofle à l'Angleterre par la Reine Anne , ce nombre
n'étpit pas auffi confidérable qu'il Teft aujourd'hui : .& Ton fait,' que bien
que la fondation du Parlement d'Angleterre puiffe fe dater en quelque forte
des temps même de l'heptarchie , & qu'il y ait grande apparence , que
fa forme préfente ait été méditée , avant même le règne orageux de Jean-
lans-Terre, qui donna la grande charrre , l'an 121 5, ce ne fut cependant
que pluHeurs années après cette dernière époque , & fous le règne d'E-
douard I , fécond SucceflTeur de Jean , que les Députés des Communes
d'Angleterre , commencèrent à prendre , dans le Parlement du Royaume ,
une place confiante.
A juger de l'efpece d'autorité qui fut acquîfe aux Communes par cet
événement remarquable , à en juger , dis-jc\ par le flyle des aétes du
temps y l'on feroit tenté de croire, que leurs Députés ne furent d'abord
admis ail Parlement qu'en qualité de fupplians, & non point en qualité de
Sëoateurs ou de Confeillers. Accordé^ dit la formule des arrêts parlemen-
taires de ce temps-là , accordé , par h Roi & les Seigneurs fpirituels &
temporels, aux prières & aux fuppl[çanons des Communes. Ce ftyle même
ne paroit pas avoir changé pendant les règnes confécutifs d'Edoivard I ^
d'Edouard II, d'Edouard III, de Richard II, d'Henri IV, d'Henri V, &
d'Henri VI. Ce ne fut que fous Edouard IV, en 1461 , qu'à ces mots,
aux prières & aux pipplicàtions des Communes , furent fubftîtués ceux-ci ,
avec rajpentiment ou confentement des Communes. Mais fi l'on confidere ,
que, de nos jours encore, le peuple Anglois eft un de ceux de l'Europe,
qui foit le plus humble dans ion langage à fon Souverain , fans que pour-
tant il faille en conclure , qu'il foit un des plus aveugles dans fa foumillioa
à ks volontés; fi. l'on conlKdere qu'encore aujourd'hui, les Communes ve-
nant V préfenter au Roi , fuivant l'ufage , l'orateur qu'ellt'S ont dû fe choi-
fir, le même ufage veut que celui-ci, parlant en leur nom à Sa Majefté,
lui dife , Ayei^ , Sire , Pindulgence , de permettre à vos fidèles Communes de
fadreffer , fans gène , à Votre . Majejli pendant le cours des fiances du Par'
lement , fuivant les occurrences ; Ô de fouffrir que dans leurs ajfemblées ,
xhacun de leurs membres puijfe voter avec liberté , fans que fa perfonne foit
ce ftyle des XI Ile. , XlVe. & XVe. hecles : peut-être héfitera-t-on d'en ti-
rer la conféquence rigoureufp , que les Députés des Communes n'aHiftoienc
alors au Parlement, que pour y demander des' grâces, & non point pour
y concourir
circonf
lence
naturel, ni de plus fenfé , que le confentement des peuples ; & que tout
^2% CHAMBRE BASSE ou CHAMBRE DES COMMUNES
ce que l'on connoit de PAogleterfC , jufquejs à nos jours, perfii^d^ ;
que , quand la chofe a été poilible , le bon fens n^a jamais manqué de
triompher.
Quoiqu'il en foit de tout ce raifonnement , & pour en revenir à la
forme préfence de la Chambre des Communes de la Grande-Bretagne y les
Députés, élus, dans les comtés par tous les francs tenanciers, & dans les
villes , bourgs & communautés , par quiconque en efl membre , le font ,
dans l'Angleterre proprement dite , & dans la principauté de Galles , en.
vertu d'ordres royaux , appelles writs , que la chancellerie fait expédier en
latin aux Shérifs refpeâin , quarante jours avant celui qui a été fixé par le
Roi êc fon Confeil privé , à l'ouverture des féances du Parlement. Quant
à l'EcofTe , un feul writ tuffit , pour y faire procéder à l'éleâion des qua*
rante-cinq membres qu'elle doit fournir; & ce writ s'adrelTe au Co^^eil
privé, fiégeant dans Edimbourg.
Que s'il arrive , ainfî que cela peut fe voir quelquefois dans un pays ^
oii les talens éminens font fi peu rares, & où, par conféquent il eft fi peu
facile d'obvier aux menées de l'efprit de parti ; que s'il arrive , dis- je ,
qu'un même homme ait réuni en fa fiiveur, tes fufirages de plus d'un lieu
d'éleâion, pour fervir en Parlement; alors, par une forte d'hommage ren-
due tacitement au mérite de l'homme choifi, & pour épargner à ces di«
vers lieux d'éleâion , le défagrément & l'embarras de fe dilputer entr'eux
les fervices d'un tel homme , la règle veut que l'on s'en remette à lui ^
de déclarer à la Chambre afTemblée , quel eft le lieu , dont il défire par
préférence d'écre le repréfentant ; & cette déclaration une fois &ire , il
s^expédie de nouveaux writs d'éleâion , au lieu , ou aux lieux, pour lef-*
quels ce membre ne s'eft ' pas déterminé , afin que l'on y travaille à le
remplacer,
La belle confliiution d'Angleterre , chef d'œuvre de l'efprit humain en
fait d^inventions politiques ^ n'a pas négligé de prefcrire des précaudons
& des conditions à l'important procédé des éleâions parlementaires. Elle
a défendu la brigue aux afpirans , avec autant de force qu'elle a condamné
la corruption des Eleâeurs ; & fi l'on pouvoir être appelle à prouver , que
cette défenfe & cette condamnation , n'ont pas toujours l'efficace qu'elles
devroieot avoir , on le feroit éga^lement à foutenir , qu'à l'honneur de 1%
nation Angloife, la dépravation dont il s'agiroit ici, ne paroit pas avoir en-
core influé beaucoup contre le bonheur & tk célébrité de cette nation.
Pour devenir , au parlement d'Angleterre , Chevalier d'un comté , il
dut avoir au moins 600 livres fterling de rentes; & pour y repréfenter^
une ville f &c.f il faut en avoir au moins joo. Cette condition, diâée^
fans doute , dans la vue faine de donner pour organes aux volontés de la
nation^ des bouches dans lefquelles ks intérêts généraux ne foient pas abr
folument iéparés des intérêts particuliers , de ceux qui la repréfentent ;
cette condition , dis-je , n'eft pas difficile à remplir dans un Etat tel qu^
CHAMBRE BASSE ou CHAMBRE DESXOMMUNES. 423
^Angleterre, Des trente mille gentilshommes , non Seigneurs , que , par
une fupputation modérée , Ton y compte , vivant , foit de leurs rentes ,
foit de leurs emplois, il en eft au moins dix mille, qui vivant unique-
ment de celles-li , jouiflent , par appréciation commune , d'un revenu an-
nuel de 500 livres fterling : & fi c'étoit ici le lieu d'entrer dans quelque
détaU fur les richefles de la nation Britannique, Ton pourroit ajouter, que
parmi ces dix mille gentilshommes , il en eft beaucoup qui ont au-delà
de 5 & de 6 mille livres fterling de rentes ; comme parmi fes francs te-
nancierSi il en eft un grand nombre, qui en ont au-delà de mille.
Le même bon génie , qui préddant à PétablifTement de la conftitution
d'Angleterre , ordonna que les membres de la Chambre des Communes
fuflem par eux-mêmes dans un état d'aifance .qui les dégageât , ftnon du
fbîn d'augmenter leur fortune , au moins de la néceflité de chercher à la
faire; ce même bon génie voulut encore, que pour maintenir dans une
diflinâion intègre, chacune des branches de tette conftitution, les Députés
au Parlement n'euftent ni charges gênantes , ni penfions fufpeâes. C'eft
ainft que dés le règne de Guillaume III , on a pourvu , à ce que les
ëleâions ne tombaflfent fur aucun des Juges du Royaume ; fur aucun des
Shéri6 , excepté fur ceux de la ville de Londres , ni fur aucun Eccléfiafti-
que : que les Gouverneurs des plantations, les OfSciers civils de Minor-
que & de Gibraltar , les fecrétaires , commis & agens des divers bureaux
de la guerre , de la marine , des affaires étrangères , & des finances en fe-
Toient exclus ; au(fi-bien que tout munitionnaire de l'armée , & tout con**
trôleur de fes comptes , tout penfionnaire de la couronne , & tout pour-
voyeur des hôpitaux militaires. L'on fent que pour avoir des membres
àfTidus au Parlement , fans que le fervice aâuel de l'Ëtat en foufFi it , il
falloit bien en fermer l'entrée à tous ceux dont l'affîduité fe trouvoit déjà
primordialement engagée par devoir., dans des occupations exigées par ce
lervice : *& c'eft encore dans la même intention raifbnnable , que tout
membre de la Chambre des Communes eft difpenfé pendant fa tenue,
d'aflifter dans aucune cour fubalterne de judicature , foit en qualité de Juré^
pourcaufes criminelles, foit comme plaideur, pour caufes civiles.
< Tout Membre de la Chambre des Communes, jouit aufTi Quant à fa per*-
fonne , & à celtes de fes domeftiques , fervant dans fa mailon , du privi-
lège de ne pouvoir être arrêté ni emprifonné pour dettes , ou pour faute
quelconque , excepté pour trahifon & pour félonie , pendant la durée des
feances du Parlement. Et autrefois ce privilège ne s'étendoit pas feulement
à cette durée, mais il comprenoit de plus les quarante jours qui la précé*-
doient & les quarante qui la fuivoient* Depuis un certain temps , cette
extendon eft abolie, & on l'a même reftreinte aftez rigoureufement à la
durée continue des féances ; car , fi , par prorogation ou par ajournement ,
il s'écoule au-delà de quinze jours , entre la fin d'une féance & le com-
mencement d'une autre , le privilège n'a plus lieu. La couronne encore eft
224 CHAMBRE BASSE 6v CHAMBRE DES COMMTJNES.
en pofTeflîoQ à cet ëgard d'ane prérogative notable. Dans les cas ou c'eff
de ùl part . qu'un Membre de Parlement eft aâionné pour le paiement
d'une dette , ou pour le recouvrement d'un droit , ce membre , à la vérité»
ne peut être fujet pendant les féances à aucune contrainte par corps , mais
il peut être pourfuivi an banc du Roi , fans retard , ni délai , en les biens
& en Tes aveux.
La Chambre des Communes uqe fois formée & convoquée ^ fon devoir
eft de s'affembler dans tous les lieux du Royaume , oit il plait au Roi de
fïire fiéger le Parlement. Quand des circonftances particulières , comme ré-
voltes, guerres civiles, peite, famine, &c. ne s*y oppofent pas, c'eft or^
dinairement à Londres oi dans un quartier de Weftminfter, que s'en tien-
nent les féances. Il a été réfervé pour cet effet aux Communes , un appar-
tement fpacieux, mais fans décoratioci, voiHn de celui des Seigneurs , dans
une partie de l'ancien palais, échappée aux flammes, fous Henri VIII » &
appellée la Chapelle de St. Etienne. Là, fans éti(]^uette, (ans cérémonie, &
fans autre habillement que leurs vétemens ordinaires , arrivent & fe placent
pêle-mêle, tous les membres de cette Chambre. Des Anglois, non titrés,
ne font pas gens à admettre les petiteffes du cérémoniel , dans un lieu ou
ils n'ont que de grandes affaires à traiter ^ & il n^eft que les quajtre Dé"
pûtes de la ville de Londres , qui , le jour feulement de Touverture des
féances, font en robes d'écarlate , & s'aueyent à la droite de l'Orateur, ou
Préfiden t de la Chambre. Les fieges y font en amphithéâtre , comme ils
doivent l'être , pour l'agrément & la commodité d'une affemblée auflî noraf
breufe, dont chaque membre eft appelle à fe faire voir & a fe faire enten-
dre : au centre, font la table de l'Orateur, & celle du Greffier & des Se-
crétaires de la Chambre. C'eft dés le matin pour l'ordinaire que fe forment
les affemblées ; & pour peu que les affaires foient importantes & preiTan^
tes , la féance n'eft interrompue , ni par les heures du midi , ni par celles
de la nuit.
L^. Chambre des Communes , fondamentalement compofée de cinq cents
cinquante-huit Membres , dont il ne feroit pas aifé de raffembler conftam«f
ment la toulité, n'en agit pas moins légalement, quand ce nombre neU
•remplit pas, que lorfqu'il la remplit en effet : trois cents membres préfeos
font môme cenfés faire , ce qu'ils appellent full houfe , pleine Chambre \
& quarante fuffifent à la rigueur , pour entrer formellement en délibération.
Et ce que l'on peut encore ajouter ici, fans empiéter fur l'article Parle-
ment , qui indiquera quels font les objets de délibération des deux Cham-
bres, la manière d'y voter , Oc ce que l'on peut ajouter , dis-je , comme
particulier à la Chambre des Communes, c'eft lo. qu'aucun de fes Mem-
bres abfens, n'a le droit de s'y faire repréfènter par un autre, mais que
chacun doit y paroître en perfonne & parler dans l'affemblée, fi l'on pré-«
tend que l'on y compte fa voix ; 2^ qu'il eft uniquement de la compé-
tence des Communes, ^& jamais de celle des Seigneurs, de commencer à
Axettre
CHAMBRE HAUTE , DES PAIRS BT DES SEIGNEURS, ait
mettre fur le tapis la matière des fubfides, de la débattre , & de la réfou-
dre, de façon que venant enfuite à être préfentée aux Seigneurs, ce ne
Ibit que pour en être ou agréée ou rejettée abfolument, fans que de la parc
de <?eux^ci , il foit loifible d'apporter ni changement ni modification à l'ar-
rêté des G)mmunes. Et 3^. que pendant la durée des féances , -c'eft unique-
ment chez les Communes & jamais chez les Seigneurs , que réfide le droit
redoutable d'accufer & de pourfuivre par-devant ces derniers , tout Pair du
Royaume , dénoncé à l'Etat comme criminel , & comme devant être jugé
][>ar la Chambre Haute ; celle-ci n'ayant même à (on tour le droit de pro-
céder contre aucun Membre de la Chambre des Communes , fi cette Cham-
bre n'a pas été la première à porter plainte contre lui.
Enfin, à l'ilTue des féances d^un Parlement, les Membres de la Chambre
des Communes, députés des provinces, villes & bourgs du Royaume, ne
font point coitiptables à leurs conftituans refpeâifs des réfotutions de cette
Chambre : munis tous en particulier d'inftniâions aâbrties, ou fuppofées
«llbrties à l'Etat des divers lieux qui les envoient, quel qu^n foit reffë't,
ils (ont cenfés les avoir fuivies : leur zèle & leur fidélité ne font non plus
mifes en queftion que leurs lumières ; & quand leur bouche a parlé , c'efl:
la nation elle-même , qui crott s'être faite enteiidre , & qui par conféquenc
ne peut fe croire dans le cas de demander à la fin , qu'a«t-on dit ?
CHAMBRE HAUTE
bu
CHAMBftÊ î>tt PAIRS ET DES iSÉlCNËÛRS.
C
/Est dans la Grande-Bretagne ^ l'aUTemblée des Lords ou Seigneurs
du Royaume , convoquée & formée en Parlement , conjointement avec teUè
^es Communes , dont il a été parlé plus haut.
Les Lords bu Seigneurs ^ Membres exclufifs de la haute Noblefle Britan*^
nique, font eia langage du pays, ou fpirituels, ou temporels, c'eft-à-dire^
Eccléuafliques , ou Séculiers ; & tous fiegent de droit dans la Chambre
Haute du Parlement ; ceux-là , comme Evêqires ou Archevêques , Créés telt
par le Roi ; & ceuk-ci , comme Pairs , foit de naiflknce ^ foit de créatioft;
Dans le ilùmbre de ces Pairs , lequel ne peut être fixe , vu que le Roi
4'augmente quand bon lui fémble, entrent néceilairement tous les DuCs^ Mar-
quis, Comtes, Vicômtfcs, & Barons d'Angleterre, oui obt atteint l'âge de
vingt-un ans , qui prôfeflent la Religion de l'Etat , oc qui ne (ont reconnus
^i pour infenfés , ni pour flétris. Il y entre aulli Ccizt Pairs d'Ecoflè, en
verm de l'aâe d'union , paifé l'an 1707 ; & ces feize Pairs font choift
4dans ce but , par le Corps àts Pairs leurs çonipatriotes , ^nfuite d'un Oïdrè
Tome XL Ff
zi6 CHAMBRE HAUTE, DES PAIRS ET DES SjEIGNEURS.
du Roi 9 adrelTé au CoofeS-Privé d'Edimbourg , à chaque fenouvellement
du Parlement de la Grande-Bretagne.
Dans le nombre des Archevêques & des Evéques , lequel eft compoS
de deux des premiers , & de vingt-quatre des féconds , entrent tous ceux
d'Angleterre, à l'exception de l'Evéque de Man, qui tient fa dignité d'un
particulier & non du Roi : mais il n'y entre ni Archevêques, ni Evêques
Ecoflbis, qupique nommés par le Roi, parce que la religion prefbjrtérien-
ne, & non l'épifcopale, eft cenfée la dominante en Ecofle.
A ces deux clafles d'Eccléfiaftiques & de Séculiers , membres de la
Chambre Haute , s'affocient le grand Chancelier & les douze Juges d'An-
gleterre y qui afliftent aux délibérations des Seigneurs , le premier en qua-
lité de Prëiident , & les autres en qualité de Jurifconfultes. I^ vocation
de ceux-ci ne leur donne point voix délibérative dans la Chambre j ils ne
font là , que pour opiner çonfultativement , lorfqu'ils en font requis : &
celle du grand Chancelier , qui eft en même- temps le garde du Grand-
Sceau, le borneroit aux feules fondions de Préfident, fi, foit de création^
foit de naiflance, il ne fe trouvoit pas être par lui-même, du nombre des
Pairs du Royaume.
Une diftinâion flatteufe pour la Chambre des Pairs , c'eft celle de
pouvoir aulli compter parmi fes membres, les Princes du Sang Royal,
qui font d'âge à opiner, & qui veulent bien en y affîftant fe mettre dans
le cas de le faire. L'on fait qu'entr'autres le Prince de Galles, père de
Georges IH, ne dédaignoit pas d'aûifter quelquefois en Parlement, & d^
donner fa voi;c. Et ce qu'il y a fur-tout de glorieux pour cette Chambre ^
dans un Etat où l'ufage & les loix concourent à féparer avec route la
précifion poflible , la facrée perfbnne du Roi , du refte de fon Empire »
ce qu'il y a fur*tout de glorieux , dis- je , pour la Chambre Haute , c'eft
d'être honorée de la préfence du Roi, chaque fois que Sa Majefié va faire
elle-même l'ouverture, ou la clôture des féances du Parlement^ & cha-
que fois qu'il lui plait d'aller, en perfonne , donner (a fanâion aux aâes
paffés dans les deux Chambres. Dans ces divers cas,Jes communes (ont
-lommées de fe rendre dans l'affemblée des Pairs, & la femmation £ûce &
efiêéhiée , la Chambre Haute devient alors le centre augufte de tout ce
qu'il y a de plus grand dans la Monarchie Britannique.
Cette Chambre s'aflemble en conformité des ordres appelles IVrits^
que le Roi, de Tavis de fon Confeil-Privé, fait écrire en Latin, &adref-
fer à chacun des Seigneurs fpirituels & temporels quarante jours avant
l'ouverture du Parlement. Par fon rang & par fa dignité, chacun d'eux,
étant Confeiller né de la Grande-Bretagne, va fe placer dans la Chambre
Haute, non point comme député ou fervitçur, proprement dit, du R<h
& du Royaume , mais comme membre aâu^l & naturel de l'Etat , ayant
inbéremment à fa perfonne le droit QÇ la faculté d'écouter, d'examiner ,
.d'agréer, de rejctter^ de propofer, du d'accepter, tout ce qui pouvant
CHAMBRE HAUTE , DES PAIRS ET DES SEIGNEURS. 117
éttt iotéreflàot poor PEtu, ell en même-temps .de la compéteoce du
Parlemenr.
De ce droit & de cette fàculïé inhérente à la perfonne des Pairs,
dëcoule un privilège qui leur eft propre &i particulier, à l'exclufion de
ceux que peuvent avoir les membres de la Chambie des Communes; c'eft
celui de faire opiner en leur nom dans la Chambre Haute, lorfqti'ils ne
peuvent y vaquer en perfonne , & ainfi de pouvoir y Jléger par procu-
reur. La raifon de ce privilège eft fenfible : comme il eft évident que les
députés des communes, devenus, par éleflion, porteurs & interprètes dei
volontés & des fentimens de ceux qu'ils repréfenrent, & non pas des leurs
propres , ne fauroient d'eux-mêmes fe fubfiiiuer dans leur commiflion ; il
l'en également que les Seigneurs n'ayant que leurs propres volontés &
fentimens à déployer, & non ceux d*autrui , ils peuvent par une parité
de droit, qui djtisce cas les met en parallèle avec les Provinces, le choifir
à eux-mêmes des porteurs 6e des interprètes, & ftire ainfi que malgré leur
abfeace , la Chambre Haute, compte leurs voix. La règle du Parlement
veut cependant, que pour ne point dénaturer l'a/Temblée des Seigneurs ,
ni donner lieu i des incertitudes, à des vacillations, i des abus en un mot,
dont l'indolence, la punilanimité , la âuflè honte, la fupercherie, pour-
roient quelquefois être caufe, la règle veut, dis-je , qu'un Pair ne piiifTe
être repréfenté que par un Pair, & que le repréfentant une fois indiqué
par le conftiluant à Fourerture des féances, foit, & demeure tel, pendant
toute leur durée.
La Chambre Haute étant convoquée , fon devoir , pareil Si celui de là
Chambre bafle , eft de s'affembler dans tous les lieux du Royaume , où il'
plait au Roi de ^ire ftéser le Parlement : & ainfi qu'il a été dit ï l'ar-
ticle Chambre Bajfc^ c'en ordinairement à Weftminfter, que s'en tiennent
les féances. L'appai'temeni des Seigneurs, un peu moins fpacieux, 6c un
peu moins nud de décorations que celui des communes, eft une Chambre
en quarré long , à l'un des bouts de laquelle eft placé le trône du Roi ,
élevé fous un dais, à quelques marches au-defTus du parquet de la Cham-
bre, 6( contigu, de droite 6t de gauche, à des lièges moins exhaufTés*,
defHnés aux Princes du Sang Royal. Le long des murs latéraux de la
Chambre, font des bancs adoflés & garnis, qui, du côté droit du trône,
font occupés par les Archevêques & par les Évéques; & du côté gauche,
par trois des grands Oflîciers de la Couronne, puis par les Ducs, par les'
Marquis & par les Comtes. De côté 6t d'autre, ces bancs font coupés en
deux portions inégales : la plus courte de la droite , 6c la plus proche des
marches du trône fert de fiege aux Archevêques de Cantorbery & d'York,
& la plus longue aux Evêques de Londres, de Durham & de \Cinchefter,
qui en prennent toujours les premières places , puis aux autres Evéques
d'Angleterre , fuivant la date de leur coofécration. La plus courte portipti'
ÀM banc de la gauche ^ 6c la plus près des marches du trône , fert de
Ff 1
228 CHAMBRE HAUTE, DES JPAIRS ET DES SEIGNEURS.
fiege au grand Tréforier , au Préfîdent du Confeil-Prnréi & ra garde du*
Petic-Sceau, puis viennent les Ducs, les Marquis & les Comtes, fuivant
]a date de leur création. Dans le plein de la Chambré , & en commençant
aux pieds du trône» fe voient d^abord de grands ballots de laine, allongés
en forme de facs, de couleur rouge : le grand Chancelier s'aflied fur le
premier de ces ballots, &les Juges du Royaume, les Maîtres en Chancel-
lerie, le Confeil du Roi, compofé des Avocats, Procureur & Solliciteur
généraux , avec les Greffiers & Secrétaires de la Couronne & du Parle-
ment, s'afTeyent fur les autres. A la fuite de ces facs, & jufques à-labarre
de la Chamore , font les bancs des Vicomtes & des Barons , qui fe. pla^
cent chacun dans leur ordre , félon la date de leur création. Enfin , il eft
on efpace vuide entre la barre & le mur de la Chambre qui fait (ace au
trône , dans lequel efpace fe tiennent à Pordinaire VHuiJJicr à la vcrg$
noire & ks fubalternes. Officiers fervans à. la police de la Chambre; &
oii fe rendent & s'arrêtent dans les occasions folemnelles , les Députés- de
la Chambre des communes, fbmmés de pacoînre à la Chambre haute.
Il eft de la police de cette Chambre , que toute perfonne y (afle en en^,
trant une forte de révérence au trône \ que dans les jours de cérémonie ^
\f^% membres y affi^ftent revêtus des habits & dés ornemens afieâés à la.
qualité de chacun \d^eux ; qu'en préfence du Roi. fiegeant fur fon trône ,
chacun y fo^t à tête découverte ; qu'en l'abfence^, oomme en la préfence
du Roi 9 les Juges, les maîtres en Chancellerie, & le Confeil de SaMajefté,
ne s'afteyent oc ne fe couvrent qu'au moment , où de la part des Sei?
gneurs, le grand Chancelier leur en fignifie la permiffion; oc que quant
aux Greffiers & Secrétaires de la Chambre , ils ne s'y couvrent jamais ,
ces derniers même; écrivant à genoux , fur le fac de laîne le plus reculé ^
dont ils fe fervent comme d'une table^
Telle eft , en ébauche , cette Chambre du Parlement de ht Grande-Bre*
ugne , dont la nobleffe & la dignité font Peffence & dont la pofition in-
termédiaire , & la vocation importante , fopt fi admirablement concertées
pour l'honneur &. l'avantage réciproques de la couronne & des peuples,
que fuivant l'expreffion du Roi Charles L cette Chambre donne à la fois
le plus beau des tempéramens à l'éclat du trône, & le plus heureux àt%
felieBs ^ la condition des fujets. Son inftitution , ouant à fa forme préfen-
te , n'a p^s de date précife : le temps & les circonftances , moyens fi
jrarenlent infru6hieux entre les mains des Anglois , quand il s'agit d'ajou-
ter à la bonté de leur conftitution nationale ; le temps & les circonf-
tances, dis- je, ont fucceffivement amené la forme de cette Chambre, au
point de perfeâion où on la voit aujourd'hui : mais quant à fon origine
éc à fa fpiendeur continuelle , perfonne ne contefte aux affemblées , dites
wittenagcmots , l'honneur d'avoir , déjà fous l'heptarchie , figuré , pour ainfi
dire , les membres en tout temps refpeâables de cet illuftre corps. Vayei^
à IVticIe Parlement , les occupations de la Chambre Haute , & la
.manière de procéder
•^v
CHAMBRE IMPÉRIALE. 219
CHAMBRE. IMPÉRIALE, Premier Tribunal de PEmpirç
Germ^ni^ue.
c
E Tribunal fiege à Wetziar, depuis Tan 1689, & il eft aujourd'hui
compofé d'un grand luge ^ de deux Préfidens , & de dix-fept Afleffëurs ^
à la fuite defquels font , un Fifcal général , trente Procureurs , & nombre
d'Avocats , dont l'un eft uniquement pour le fifc.
L'autorité de ce Tribunal confifte à décider en dernier refTort , & fur
preuves produites que les inftances ordinaires ont été faites devant les Tri-
bunaux inférieurs , à décider , dis-je , de toutes les caufes civiles , que les
membres de l'Empire, médiats ou immédiats, peuvent y porter par ap-
pel , 6c de tous les cas fifcaux , oii la paix publique , dite landfritdc , peut
le trouver concernée : il n'eft que les difficultés qui furvieonent dans f^
fiefs d'Italie , relevant de l'Allemagne , qui , réfervées aux jugemens du
Confeil Aulique, foient fouftraites à (a judicaturè. Sa jurifprudence eft tirée
des loix germaniques, proprement* dites , lefquelles réfultent, foit des dé-
crets de la diète, foit des ordonnances reçues dans les divers Etats de
l'Empire I {bit èts traités de paix, foit des capitulations Impériales : &
au fècours de ces loix , toutes nombreufes & toutes diffufes qu'eVIes puif*
fent être, furent encore appelles, l'an 1555 par la Diète d'Aùgfbourg, le
droit féodal des Lombards, & le code civiV de Juftinien. 11 eft à obfer-
ver, que toute affaire civile portée par appel devant la Chambre Impé-f
riale
ces
mais l'un
dant devant
La Diète de Nuremberg, tenue fous l^Bmpereur Frédéric III, l'an 14^7,
conçut la oremiere idée de cette Chambre Impériale , mais ne la réalifa
pas : elle (e contenta de renouveller la paix publique pour cinq ans. D'ail^-
leurs cette diète fiit remarquable à plus d'un égard : Ton y vit les trois
JEtats de TEmpire s'aflembler & opiner pour la première fois, féparé^
ment, chacun dans fon collège v & l*on y refufa au Pape Paul- 11^ la dou-
ble croifade qu'il demandoit contre les Turcs , ^ contre le Roi Podie-
brad de Bohême , chdF des Huftites : » Nous n'avons ni fang ni argent à
a» vous donner contre les Turcs, « répondit-elle au Pape., &. bien loin
» de fonger à feire la guerre à Podiebrad , nous voudrions l'avoir pour
at Roi o Ce Podiebrad étoît en effet un grand homme.
Une autre Dicte , tenue fept ans après celle-là , dans la même vîMe , &
Ibus
bre
snem de travailler k termmer , par
^r, que coûte aiiaire civiie poaee par appei cevant la v^namore impe<?
iale , peut l'être également devant le Conleil Aulique , l'un & l'autre die
zts Tribunaux faprémes, étant indiffëremment ouverts à tout l'Empire;
m««c Piin Qç pouvant pourtant évoquer à ibi , ce qui déjà fe trouve pen-
tit rautre.
ajo
CHAMBRE IMPÉRIALE.
les différefids que les Princes de l'Empire, & non les particuliers» pour-
roient avoir entr'eux ; & l'on en remit la direâion à l'Archevêque de
Mayence : mais quelque reflerré que fût ainfi ce projet, il ne put en-
core alors fe remplir : l'Empire d'Allemagne a rarement eu le bonheur
de donner à l'exécution de fes delTeins, une célérité proportionnée à la
fagelTe de fes réfolutions.
Enfin la Diète tenue à Worms, en 1495 , la troifîeme année du règne
de Maximilien I , eut la gloire de fonder & d'établir la Chambre Impé«
riale , aux prefTantes foUicitations , il eft vrai , & par Theureux miniftere
de Berthold » Archevêque de Mayence , de l'illuftre Maifon de Henneberg.
Ce Prélat d'un mérite reconnu de tous les hiftoriens , ayant porté la Diète
à publier de nouveau & avec plus de force ^ue jamais, la paix pubUqut^
au moyen d'un édit , qui fupprimoit & interdifoit à perpétuité les voies*
de fût , entre les membres de l'Empire en contention , fous peine d'en
être mis au ban, l'engagea en même temps» à nommer & à fixer un tri-
bunal fupréme, qui veillant au maintien de la paix publique, décideroit
fans appel , de tous les différends qui pourroient naître , foit entre les Prin-
ces, loit entre les autres membres de l'Empire. le mal des guerres civi-
les & particulières avoit jufqu'alors paru fans remède; l'ére6Hon de ce
tribunal fit efpérer que ce mal alloit être coupé par la racine :.les évé-
nemens fubféquens n^ont pas tous jufiifié cette efpérance ; ce Tribunal a
fait des fentes ; fes reflbrtiifans n'ont pas toujours été dociles. L'Allemagne
eft une République de Princes \ mais des Princes en République font tou-
jours des hommes ; & où font les hommes qui ne violent pas quelque-
fois leurs propres inftitutions ?
Le Tribunal inftitué fut appelle,. Kaiferlichc kammcr-gericht ^ judicium
cameraU , Chambre dejuftict Impériale. Un grand Juge , tiré de la haute
noblelfe , & feize Aflèfleurs ou Confeillers , le çompo^rent d'abord \ & la
ville de Francfort fur le Meyii » en fut le premier fiege. L'an 1507, Maxi-
milien I fit folémnellement au Grand-Juge la tradition de fon fceptre,
ou bâton de juftice : c'eft une forte de relique, très-précieufement con-
fervée , & que le Grand- Juge tient encore en mains de nos jours , lorf-
qu'îl prononce fes fentences.
t.'£tat préfent de ce Tribunal , tel qu'il eft indiqué dans le début de cet
article , fait voir que depuis fa création , il a fubi , quant à fon fiege &
quant au tK>mbre de fes membres , des changemens qu'il convient de rap-
porter ici.
Dès l'an 1495 à l'an 1527, il fut fucceflîvemcnt transféré de Francfort,
à Worms, à Nuremberg, à Augft)ourg , à Ratifoonne, à Efffingen & à
Spire. Une loi particulière le fixa dans la dernière de ces villes, l'an i53o.
Mais l'an 16&8, les malheurs de la guerre avec la France, & le fac, pour
wnfi dire, de la ville même de Spire, le forcèrent d'en forrir, & il fiât
placé à Wetilar, petite ville Impériale, où il eft encore, & dont,^ par
CHAMBRE IMPÉRIALE. x}i
une repréreotation faite à la Diète en 175 1 , il chercha vainement à échan-
ger le féjour , contre celui de Francfort fur le Meyn.
Quant aux changemens arrivés dans le nombre de fes membres , on ne
leur reconnolt d'époques principales^ que la paix de Weftphalie,. de Tan
1648 } & le décret de la Diète de Ratifbonne, de l'an 1720. Par cette
paix , la Chambre dût être /rompoiëe d'un grand Juge , de quatre Préfi-
dens , & de cinquante Aflefleurs ; & par ce décret , elle fut réduite au
grand Juge, à deux Préfidens, & à vingt-cinq AfTcflèurs : la difficulté de
trouver les fi>nds néceffaires à l'entretien de fes membres en caufa , dit-on »
la réduâion de l'an 1720; & c'eft apparemment la même difficulté qui fait
qu'aujourd'hui^ }e nombre de fes AfTefTeurs n'eft plus que de dix-fept.
Mais un autre changement d'importance, arrivé dans ce tribunal, depuis
fa créatîpn , c'eft celui qu'opéra parmi fes membres la réfbrmation du fei«
zleme fiecle. Dès l'an 1520 la doârine de Luther ayant (ait des progrès
confidérables dans l'Empire, Ton convint à la diète de Spire, de l'an i;44,
d'admettre pour affefleurs à la Chambre Impériale , des Proteftans avec des
Catholiques : le traité de Faf&u, de 1552, ratifia cette admiffîon »,& celui
de WeUphalie ayant entr'autres pleinement confirmé te traité de PaflTauj
régla de plus que des cinquante aireffeurs , membres futurs de la Cham--
bre Impériale, vingt-quatre feroient Protefians , & vingt-fix Catholiques
c'ef} au/fî fur ce pied, que des dix-fept qui la compolent aâuellement |^
neuf font Catholiques , & huit font Prx>teftans.
Le grand-Juge , qui doit toujours être ou un Prince , ou un Comte du
Saint Empire , & les deux préfidens qui ne peuvent être pris que parmi les
Comtes ou Barons immédiats du même Empire , & dont il xaut que l'un
profeflela Religion Catholique, & l'autre la Proteftante, font tous trois à
la nomination de l'Empereur : quant aux afTeflfeurs, c'eft l'Empereur, les
neuf Eleâeurs & tous les Cercles de l'Allemagne , à la réferve de celui dtt
Bas^Rhin^ qui les préfentent, & qui vaquant tour à tour à cette préfenta*
tion , obfervent la règle qui veut que proteftans & catholiques y remplif-
ient chacun leur nombre. Si le cercle du Bas-Rhin ne concourt pas à
cette préfentation , ç^eft qu'il n'efl compofé que de quatre Eleâeurs^
<}ui par leur dignité perfbnnelle, font déjà cenfés avoir,, à cet égard « ufé de
leur droit.
Le falaire des membres de la Chambre Impériale , efl à la charge de
tous les Etats de l'Empire , excepté de l'Empereur. L'on appelle kammcr-ifet
le contingent que la matricule fixe à chacun dans cet objet. La fommeri-
goureufe en montoit l'an 1720 , à 103,600 rixdallers, & après les décour-
temens inévitables à 78,783. Mais, foit impuiffance , foit négligence , à peine
s'en paie-t-il annuellement {o mille rixdallers, & la Chambre avoir l'aa
1753 au delà de 600 mille rixdallers à repéter. Ces arrérages lui font be^-
foin fans doute , & peut-être contribuent-ils à la lenteur que l'on repro*
che à fes procédés.
432 CHAMBRE DES COMPTES^ FmANCES^ MOlrtïOIES, &c.
Un vuide pour les occupations de là Chambre , & ^eut-écre auffi pour
(es revenus , c'eft celui qu'encraine le privilège de non-appellando , accordé
en divers temps par la Cour Impériale, tant aux Eleâeurs, qu'à d'autres
puiflkns Princes de l'Allemagne : en vertu de ce privilège, les fujets i^^•
médiats de ces Princes font difpenfés de porter à la Chambre aucune caufè
Guelconque , ou de n'en appeller à elle , que pour les cas finguliéremenc
H)écifîés dans le privilège. Il eft Vraifemblable que fcs membres fouf&enc
fans peine cette diminution de leurs travaux . & que fe livrant par préfê-
renée à la difcuffion des matières qui intéreflent plutôt ies Princes que les
particuliers ^ ils font plus flattés de voir leurs fentences exécutées à Tégard
de ceux-là , qu'ôfFenfés de les voir négligées à l'égard de ceux-ci%
Enfin , comme il a été dit d'entrée , il ne peut y avoir appel nulle part
&és fentences de la Chambre Impériale ^ & comme elles font cenfées fè
rendre au nom de tout l'Empire , elles font exécutoires dans toute (on en-
ceinte. S'il arrivoit cependant , que, d'une ou d'autre part, l'on fe trouvât
léfé.par le jugement prononcé^ la conftitution de l'Empire a ménagé une
reflburce au plaignant; c^ed la rèyijion des aâcs y pardevant l'Archevé*
que , Eleâeur de Mayence , Archi-Chancelier du Saint Empire en AUenu-
rne. C'^ft àu(fî cet Eleâeur , qui , par le droit de fa charge , préfide aux
formalités annuelles de ce que l'on appelle viâtation de la Chambre Impé-
riale ; formalités inftituées dès fa formation , fuivies régulièrement jafquef
en 1582, fufpendues dès lors ji^ques en 1706, reprifes cette année-U
pour quelqtie tétns , mais tombées depuis dans une forte de défuétude : le
but en étoit le foutien du tribunal, l'infpeâion de fa conduite, & la cor*
reâion de Tes fautes : c'eft à l'Empereur & à la Diète à ordonner cette vi*
iitation ; & dans la vacance de l'Empire , c'cft à fos Vicaires.
■ié
<■ -r
CHAMBRE DES COMPTES,
CHAMBRE DES I^IÏ^ANCES,
CHAMBRE DES MONNOIES»
DE LA GÉNÉRALITÉ DES iPRÔVIIÎCÊS-tJNIEl
T. l^A Chambre des Compresse la 6éaëralité, fut ëublieTanaëç iSori
du coofeotement des fept Proviaces, pour foulager le confeil d'État dans
U direâion des finances. Sa commiflion fiit revue & confirmée «n i6i»»
« l^rt étendue par PafTemblée des Etats-Généraux en i6^u
, Cette Chambre eft compofée de deux députés de chaque Province , q*i
font
CHAMBRE DBS COMPTES » FINANCES, MONNOIES, &c. i^j
Ibnt le nombre de quân>r2e , & qui ordidairemeût changent de trois en
Crois ans, fuivant le oon plaifir des Provinces.
Les fondions de ce collège confident à examiner & à arrêter les comp**
tes du Receveur-Général, des autres Receveurs de la Généralité & de tous
les comptables; comme aulli ceux de tous les Minières de Leurs Haucea
Puillances dans les pays étrangers , dès commis des magafins dans les pla-
ces de guerre & de la barrière , & autres , fans aucune exception. Cette
Chambre examine & arrête auffi les comptes de tous les Collèges de IV
mirauté, & enreeiftre toutes les ordonnances du Confeil d'État fur le Re«
ceveur-Général & autres , auflî bien que tous les aâes de réquifition de
ce Confeil aux Provinces particulières. Et comme le Receveur - Général ,
par ordre du Confeil d'État , a(fîgne certains paiemens fur ces Provinces,
elles en rapportent leurs comptes à cette Chambre , afin d'en être déchar-*
^jtK& fur la répartition générale.
On donne aux depuis qui compofent cette Chambre les titres de iVb«
hits & Puijfans Seigneurs. Il y a deux Secrétaires, qui ont fous eux un
Commis, & quelques Clercs ou Écrivains, outre deux Huidiers, qu-'on
nomme Gardes . de la Chambre des comptes. La falle où ces Députés s'af-
iëmblent eft dans l'enceinte de la Cour. .
II. La Chambre des Finances de la Généralité a été établie avec celle it%
comptes, & elle eft (iompofiée de quatre Commis, qui font nommés par
les ÉtatS'Généraux. Il y a an Clerc jou Ecrivain , avec un garde . de la
Chambre. Elle efi, comme le précédent Collège, fituée dans l'enceinte de
la Cour.
Cène Chambre e|l chargée de régler tous les comptes qui regardent les
frais de l'armée, de tous les hauts & bas officiers, de ceux de l'artille^
rie, des' bateaux, des chariots, des chevaux , ùc. ; comme auffi de ceux
qui ont foin des munitions , àts vivces de Tarmée , & de tout ce qui fert
à fbn entretien & à fa iubfifiance. . :
Cette Chambre eft fubordonnée au Confeil d'Etat , de même qu'à la Cham*
bre des Comptes, quoique celle-ci foit moins ancienne que celle des Fi«*
nances.
III. Toutes les Provinces en s'uniffant pour former entr'elles une feule Ré^
publique, fe font réfervé le droit de battre monnoie, comme une marque
eflentielle dç leur Souveraineté particulière,, qiais elles font convenues es*
même tems que la monnoie de chaque Province, qui aufoit cours dans
toute l'étendue de la République , feroit d'une même valeur intrinfeque.
Pour l'obfervation d'un fi jufte règlement, les Provinces, d'un consen-
tement unanime , réfolurent au commencement de la République , d'établir
à La-Haye une Chambre desmonnoies de la généralité, compofée- dé trois
Confeillers înfpeâeurs-généraux , d'un Secrétaire À d'un Effayeur^généraK .
Ce collège s'aflemble dans upe falle de la Cour, dont l'entretien eft con-
fié à un Ofiicier qu'on nomme Garde de la Chambre de la monnoie. : :
Tome XI. G g
134 CHAMBRE M I-P A R T I B.
Il y avoir autrefois un plus erand nombre de Confeillers dans- cette |s
Chambre ; on appelloit les uns Confeillers ordinaires ^ & les autres Conr
JeilUrs eftraordimdres. Les premiers étoient nommés par les Etats - Gêné*
rauz , & les autres par les Etats de Hollande \ mais depuis environ cent
ans il n'y en a point eu d'extraordinaires. Tous les' membres de cette
Chambre font encore aujourd'hui à la nomination de$ Etats^énéraux.
Du temps de Maximilien Roi des Romains , & adminiftrateur àzs Pays»
Bas pour fon fils Philippe*le-6el , Archiduc d'Autriche t il y avoir diver*
fes Chambres de la monnoie , entr'autres une en Brabant , une en GueldreSi
une en Flandre, une en Hollande & une en Hainault, comme on peut
le voir par fon ordonnance & inftruâion fur la monnoie, du 14. Décem-
bre 1489. Philippe-Ie-Bel en publia une autre fur le même fujet en 14.991
que Charles. V , confirma & amplifia le 4 Février r ^oa.
Cette Chambre a une infpeâion générale fur toute la monnoie frappée
au nom des Etats-Généraux , ou des Etats àts Provinces particulières , de
même que fur toutes les efpeces étrangères. Elle a foin que la monnoie
foit de raloi & de la valeur intrinfeque ordonnée par Leurs Hautes-Fuif-
lances , & elle procède contre les maîtres de la monnoie qui contre vieiH
nent aux réglemens de l'Etat fur ce fujet. Sa jurifdiâion s'étend aufli fur
les Joailliers, les orfevi'es, les eflayeurs, les rafineurs, les changeurs &
autres gens de cette efpece. Enfin elle termine tous les différends fur l'aloi,
l'eflai , le poids & fur tout ce qui concerne le prix de l'or & de l'argent,
& fes jugemens font fans anpel. Cependant tout ce qui efl criminel dft du
reffort du confeil d'Etat; « à l'égard des faux-monnoyeurs , le jugement
en appartient aux juges des Provinces & des villes , où le crime s'eft
commis. .
Cette Chambre fuit entièrement l'infbvâiQn qui fut publiée par la Reino
Douairière de Hongrie , gouvernante des Pays-Bas » fiir le fujet de U mon*
noie, & qui efl datée du premier Mai 1535.
CHAMBRE MI-PARTIE.
X^ A R l'article XXI du traité de paix , conclu \ Munfter le 30 Janvier 1^48 ,
entre Philippe IV ^ Roi d'Efpagne , & les £tats*Généraux des Provinces*
Unies, il fut flipulé que Ton nommeroit des juges en nombre égal de
part^ d'autre, qui dévoient fi>rmer une Chambre-mi-partie, & s'affem-
oler alternativement dans les Etats de la domination de l'une & de l'autre
Puiflance, & dans les lieux dont on conviendroit réciproquement.
Ces- juges étoietit chargés de décider des différends entre les fujets de
part & dWrei à l'occafiQn du contmerce & des droits fur les marchant
It
<
CHAMBRE Dr A S S U R A N C E. %\%
dties, de même aue des contraventions faites à ce traité de paix, & enfin
de toute autre diipute Q.nrrct les fujets des deux Puiflances.
Cette Chambre ëtoit compofée de huit juges fubdélegués de la part du
d'Ëfpagne , & de huit autres de la part des Etats*Généraux. La préfi«
dence étoit alternative; la première femaine le prëfident ëtoit un des juges
fubdëleguës de rEfpagne , & la fuivante c'étoit un de ceux des Etats-
Généraux.
Il y avoit aulli des Secrétaires ou Greffiers , nommés par Tune & Pautre
Puilfance qui fignoient conjointement les fentences rendues par cette Cham-
bre ; de même que deux Hui(fîers de part & d'autre , pour Pexécution de
ces fentences dans le lieu où la Chambre rëfidpit. Mais danis les autres eiH
droits les exploits fe faifoientpar les Huiffiers des cours de juflicedes Pro*
vinces refpeâives. Les jugemens de cène Chambre étoient fans appel nt
réviHon. : i •
Elle fe (ervoit de deux fceaux diftingués , l?un avec les armes d'Efpa*
fne, & l'autre avec celles de la République; & toifs les aâes devoieqt
tre fcèllës de ces deux fceaux. ^ »
Cette Chambre réfidoit la première année à Malines, & la fuivante à
Dordrecht, & ainfi d'année en année. Les deux Puiflànces dévoient 4ivonr
foin de lui affîgner un lieu convenable pour s'affembler, & fubvenotent à
tous les frais.
Les juges étoient obligés de' travailler tous les jours, le nuitin , pen-
dant trois heures , & autant l'après - midi , jufqu'à ce que les procès in«
tentés fuffent terminés. Toutes les cours de juflice, de part & d'autre^
étoient obligées d'exëcuter les fentences prononcées par cette Chambre. .
Cette Chambre ne fubfifte plus depuis un grand nombre d'années, & il
n'en eft fait aucune mention dans le traité de barrière , conclu à Anvers
entre l'Empereur & les Etats-Généraux, le 15 Novembre 171 $•
I
mm
CHAMBRED' ASSURANCE,
ou
CHAMBRE DES ASSURANCES.
N donne ce nom à une fociété de perfonnes qui entreprennent des
atflurances^ c'e(l*à-dire qui fe rendent propre le rifque d'autrui fur tel ott
tel objet à dés conditions réciproques. Ces . conditions font expliquées dans
on contrat mercantil , fotis fignature privée , qui porte le nom de police
JPaJfuranct. Une de ces conditions, en le prix appelle prime dPAffuranct*
Les affiirances fe peuvent faire fur tous les objets qui courent quelque
Gg a
a^tf CHAMBRE D^ A S S U R A N C E.
: rifque incertain. En Angleterre on en £dt même fur la vie des hommes :
en France, on .a fagement reftreinc par les loix la faculté d'être affuré à
la liberté & aux biens réels. La vie des hommes ne doit point être un
objet de commerce; elle eft trop précieufe à la fociété pour être la ma«
tiere d'une évaluation pécuniaire : indépendamment des abus infinis que
-cet ufage peut occafionner contre la bonne foi, il feroit encore à craindre
de rifque où ta matière du rifque n'exifte pas : ainfî le profit à faire fur
une marchandife & le fret d'un vaiflèau, ne peuvent être affurés.
Les perfbnnes qui forment une fociété pour prendre fur elles le péril
. de la liberté ou des biens d'autrui ^ peuvent le faire de deux manières j
par une fociété générale , ou par une commendite.
Dans tous les cas la fociété eft conduite par un nombre d'affociés ap-
pelles dirc3curs , & d'après le réfultat des aflemblées générales.
La fociété «ft générale, lorfqu'un nombre fixe de particuliers s'engage
folidairement par un aâe public ou privé , aux rifques dont on lui de-
mandera, l'aflurance ; mais l'aâe de fociété reftreint le rifque que l'on peut
courir fur un même objet à une fomme limitée & proportionnée aux fa-
cultés des aflbciés. Ces particuliers ainfi folidairement engagés un fi^ul pour
tous , n'ont pas befoih de dépofer de fonds , puifque la totalité de chaque
fortune particulière eft hypothéquée à l'affur^. Cette forme n^eft guère ufitée
jque dans les villes maritimes , parce que l^s fitcultés y font plus connues.
Elle infpire plus de confiance ; parce qu'il' eft à croire que éts gens dont
tout le bien eft engagé dans une opération, la conduiront avec prudence:
& tout crédit public dépend entr'autres caufes de l'intérêt que le débiteur
a de le conferver : V opinion de la fureté fait la fureté même.
Il eft une autre forme de fociété d'Aflurance que l'on peut appetler en
tommenditt. Le fonds eft formé d'un nombre fixe d'aâions d'une valeur
certaine , & qui fe paie comptant par l'acquéreur de l'aâion : à moins
que ce ne fpit dans une ville maritime où les acquéreurs de l'aâioh font
iolidaires , par les raifons que l'on vient d'expliquer ^ & ne font par con«
féquent aucun dépôt de fonds.
Le crédit de cette Chambre ou de cette fociété dépendra fur-tout de
fon capital y de l'habileté des directeurs, & de l'emploi des fonds, s'il y en
a de dépofés; On deftine'le plus fouvent ces fonds à des prêts à la greffe
aventure, ou à efcomptes des papiers publics & de commerce. Un pareil
emploi rend ces Chambres très-utiles à l'Etat, dans lequel elles augmen-
tent la circulation de l'efpece. Plus le crédit de l'Etat eft établi , plus l'ern*
ploi des fonds d'une Chambre d'aflurance en papiers publics , donnera de
crédit à cette Chambre; & la confiance qu'elle y aura, augmentera ré«
ciproquement le crédit des papiers publics. Mais pour que cette confiaoçe
CHAMBRE D» ASSURANCE. 137
iieniens où cette opinion chancelle & varie. Si dans cette même circons-
tance une Chambre d'affarance avoit befoin de fondre uhe partie de (es
papiers publics pour un grand rembourfement, cette quantité ajoutée à celle
que le difcrédit en apporte néceflairement dans le commerce, augmente-
roit encore le défordre ; la compagnie tomberoit elle-même dans le dif-
crédit, en proportion de ce qu'elle auroit de fonds employés dans les ef«
(èts décriés.
L'un des grands avantages ^ue les Chambres d'Affurance procurent à
l'Etat, c'eil; d'établir la concurrence, & dès-lors le bon marché des pri-
mes ou du prix des aflurances ; ce qui favorife les éntreprifes de conunerce
dans la concurrence avec les étrangers..
Le prix des aflurances dépend du rifque efieâif & du prix de l'argent.
Dans les ports de mer ou l'argent peut fans cefle être employé utile-
ment , fon intérêt eft plus cher ; & les aflurances y mouteroient trop haut,
fi la concurrence des Chambres de l'intérieur n'y remédioit. De ce que le
prix de l'argent inâue fur celui des aflurances, il s'enfuit que la nation la
plus pécunieufe , 6c chez qui les intérêts feront les plus modiques, fera,
toutes chofès égales d'ailleurs, les aflurances à meilleur compte». Le com-
merce/ maritime de cette nation aura 4a fupériorité dans ce point ; & la
balance du commerce général augmentera de tout l'argent qu'elle gagoera
en primes, fur les étrangers qui voudront profiter du bon marché de fes
aflurances.
Le rifque efiêdif dépend en temps de paix de la longueur de ta navi*
Êation entreprife, de la nature des mers oc des côtes ou elle s'étend, de
i nature des faifons qu'elle occupe, du retard des vaifleaux, de leurconfr
iru^on, de leur force, de leur âge, des accidens qui peuvent y furvenir^
comme celui du feu ; du nombre & de la qualité de l'équipage ; de l'habi«*
leté ou de la probité du capitaine.
- En temps de guerre 4 le plus erand péril abforbe le moindre : à peine
calcule- t-on celui des mers, & les faiions les plus; rudes font celles qui.
donnent le plus d'efpoin Le rifque efFe£tif eft augmenté en proportion Qe%
ibrces navales réciproques^ de l'ufage de ces forces ,» ^ : des qoriaires qui.
croifent refpeâivement : mais ces derniers n'ont d'influeoce & ne peuvent^
ejÂfter qu'autant qu'ils font. foutenus par des efcadres répandues en di«:
▼ers parages.
Le rifque efïbétif a dedx effets : celui de la perte ;.tot4le> & celui dei'
avaries. Ce^ dernier eft le plus commun en temps de paix,.^ fe mulriplie.
dans certaines faifons au point qu'il eft plus à charge aux aflurancQs qMq le
preinier. Les réglemens! qu'il occafionne, foQt une des matière^ des plus,
épioeafes des aflurances : ils ne peuvent raifoimablexneat être £uts, que fyt
238 C H A M B R B B' AS SV K K NrC B.
les lieux mêmes , ou au premier port que gagne le vailTeau ; 8c comme ils
font fuiceptibles d'une infinité de conteftations , la bonne foi réciproque
doit eh être la bafe. La facilité que les Chambres d'Aflurances y appor-^
tent, contribue beaucoup à leur réputation.
Par un dépouillement des regiflres de la marine, on a évalué pendant
dix-huit années de paix, la perte par an à un vaifTeau fur chaque nomlire*
de cent quatre-vingts. On peut évaluer les avaries à deux pertes fur ce
nombre , & le rifque général de la navigatjion à i \ pour cent en temps
de paix.
Trés-peu de particuliers font en état de courir les rifques d'une grande
entreprile de commerce , Se cette réflexion feule prouve combien celui
des affureurs efl recommandable. la loi leur donne par-tout la préférence;
moins cependant pour cette, raifon , que parce qu'ils font condnuellemenc
expofés à être trompés, fans pouvoir jamais tromper.
Là concurrence des Chambres d'Affurances efl encore à d'autres égards
très-précieufe à l'Etat : elle divife les rifques du commerce fur un plus
grand nombre de fujets , & rend les pertes infenfibles dans les conjonâu«
res dangereufes. Comme tout rifque doit être accompagné d'un profit, c'eft
une voie par laquelle chaque particulier peut fans embarras paniciper \
l'utilité du commerce; elle' retient par conféquent la portion de gain que
les étrangers retireroient de celui de la nation : & même dans des cir*
confiances critiques , elle leur dérobe la connoiffance , toujours dangereufe,
des expéditions & de la richefle du commerce.
J. Loccenius, dans fon traité de Jure Maritimo^ prétend que les Anciens
ont connu les Aflurances : il fe fonde fur un paflage de Tite-Live , liv. XXIIL
nâmb. xlix. On y voit que le tréfbr public fe chargea du i-ifque Aes vaiffeaux
qui portoient des bleds à l'arméed'Efbagne. Ce fut un encouragement ac«
càrdé par l'Etat en faveur des circonitances , & non pas un coàtrat. C'efl
dan^ le même fens qu'on doit entendre un autre paflage de Suétone, qu'il
cite dans la vie de l'Empereur Claude, nomb. xix. On voit que ce Prince
i)rit fur lui le rifque des bleds qui s'apportoient à Rome par mer, afin que
e profit de ce commerce étant plus certain , un plus grand nombre de mar-
diatids Pentreprif , & que leur concurrence y entretint l'abondance.
Le^ A nrloitf prétendent que c^'efl clfez eux que le commerce ides affiiran**
Cds^a pris'âàiffance, ou du moins que fon ufage courant s'efl établi d'a«
bordi que les habitans d'Oléron en ayant eu connoiffance, en firent une
1(M parmi eux , & que la coutume s'introduifit delà dans les villes marid*
mes de France.
' ' Le quàrame-t^oifieme flatut de la* Reine Elifabeth établiflbit à Londre
tlir bureau {nibJlic, o{^ toutes lés polices d'affurances dévoient être eoregil
trëes i.mais aujourd'hui 'dies fé font enti'e parriculîers , & font de la mémr
valeur en jufticé que fi elles étoient enregiflréés: : la feule différence ^ c'efi
qfa'ea perdant aim police' ncw enregifirée^ on perd le titre de l'àfluiance.
CHAMBRE D' A S S TJ R A N C E. 239
Le même llatut porte ^ue le Lord Chiincelier donnera pouiroii^ à une
commiffion particulière de juger toutes difcuflions au fmet des polices d'af^
furance enregiftrées. Cette commiflion doit être compofée d'un juge de PA^-
mirauté , de deux doâeurs en droit , de deux avocats , & de huit négocians «
au moins de i cinq : elle doit s'afTembler au moins une fois la femaine , au
Greffe des aflurances, pour juger fommairement & fans formalités toutes
les caufes qur feront portées devant elle^ ajourner les parties, entendre
les témoins fur ' ferment 1 r & : punir de prifon - ceux qui reiuferont d'obéir. >
On peut appeller de ce Tribunal à la Chancellerie « en dépofant la fom-
me en litige entre les. mains des Commifikires : fî la fentence eft confir*
mée , les dépens font adjugés doubles à la partie qui gagne fon procès.
Ce Tribunal efl tout à la fois une Cour de droit & d'équité , c'efl-à-direp
ou l'on juge fuivant l'efprit de la loi & l'apparence de la bonne foi.
Les affurances fe font long-temps faites à Londres par des particuliers
qui fignolent dans chaque police ouv^ecte jufqu^ laifonfmié que: leurs facul-
tés leur permettoient.
En i7;2,^o plufieurs particuliers penfèrent que leur crédit ferait* plus confia
dérable s'il étoit réuni; & qu'une afibciation feroit plus commode pour les
«flurés, qui n'aurpient à faire qu'à /Une feule perfbn&e au nom des autres
Deux Chambres fe formèrent, & demandèrent la proteâion de l'Eut;
, Fai: le fixieme flatut de Georges I oh voit que le* Parlement l'autbrifa
\ accorder fous le grand fceau deux chartes à^ces deux Chambres; l'nn^
connue fous le nom de Bjoyal exchange Affurance ; & l'autre , de Londan
Affurance.
Il eft permis à ces compagnies de s^aflembler, d'avoir refpeâivement un
fceau commun, d'acheter des fonds de terre, pourvu que ce ne foit'paa
au*deffus de la fomme de mille livres par an ; d'exiger de l'areent Aes in^
téreffés, foii en foufcrivant, foiten les ikiéùlt contribuer fralemat aa
befoin.
Les mêmes chartes défendent le commerce des affurances & de prêt à
la groffe aventure , à toutes autres Chambres ou aflbciations dans la ville
de Londres , fous peine de nullité des polices ; mais elles confervent aux
particuliers le droit de continuer ce commerce.
Les deux Chambres font ténues par leurs chartes d'avoir un fonds réel
en efpeces , fuffifant pour rénondre aux obligations qu'elles contraâent : en
cas de refus ou de retard de paiement,, l'affnré doit intenter une aâion
I^our dette contre la cohipagnie dont il fe plaint, & déclarer la fomme qui
oi eft due; en ce cas les dommages & intérêts feront adjugés au demain
deur, & tous les fonds & effets de la Chambre 7 feront hypothéqués.
Le Roi fe réferve par ces Chartres le droit de les révoquer après le terme
et trente-un ans, fi elles fe trouvent préjudiciables à l'intérêt public.
Dans le deuxième ftatut du même Prince, il eft ordonné que dans toute
«âion intentée contre quelqu'une des deux Chambres d'Aflurence ^ pour
a^o C H AMP A G N ÏÏ. /
caufedé dettes ou de validité de contrat en vertu d'une police dWurance
paflee fous fon fceau ; elle pourra alléguer en général qu'elle ne doit rien
au demandeur, ou qu'elle n'a point contrevenu aux clauses du contrat; mais
que fi l'on convient de s'en rapporter au jugement des Jurés , ceux-ci pour*
font ordonner le paiement du tout ou de partie, & les dommages qu%
croiront appartenir en toute judice au demandeur.
Le même ftatut défend, fous peine d'une amende de cent Kvres, de
diiBrer de plus de trois jours la fignature d?une police d'âfTurance dont on
eft convenu, & déclare nulle toute promelTe d'alTurer.
Les Chambres d'afllurance de Londres font compo fées de négocians : elles
choififlent pour direâeurs les plus connus, afin d'augmenter le crédit de la
Chambre : leurs appointemens font de ^600 liv. Elles fe font difiinguées
l'une & l'autre dans les temps les plus critiqués, par leur exaâitude & leur
bonne foi. , . .' » • . » * i
> Sur la fin de la der&iere iguerre il leur fut défendu de faire aucune aflÎH
rance fur les vaifTeaux ennemis : on a diverfement jugé^ de cette loi; les
uh^ ont prétendu quec'étcHC diminuer le profit de l'Angleterre; d'autres ont
penfé , avec plus de fondement , que dans la pofition où étoient les chofes,
ces afliirances faifoient fbitir de l'Angleterre la majeure partie du produit
des:pnfes. :
^ Cette défenfe avoit des motifs bien fupérieurs : le Gouvernement Anglois
penfoit que c^étoit> interdire à la < France tout commerce avec fes colonies ,
& s'ea faciliter la conquête.
Les loix de l'Angleterre fur les afFurances font affez femblables à celles
de France , que l'on trouve au tUre vj. de VOrdon. de la Marine de î€8i :
chtt une ;de fes plus belles loix.
. *
CH A MF AG NE, Province & Gouvernement de France.
j
XuA Champagne , l'une des Provinces les plus confîdérables du Royau*
me , eft bornée au feptentrion par le Hainault & ui>e partie de l'Evéché
de LÎËgé; à rôrtcht par le Luxembourg & la Lorraine ; au midi par la
Franche-Conué &:là Bourgogne, & à l'occident par le Gatinois, l'ifle de
France & la Picardie. Sa longueur du fud au nord , ou de Ravieres à
Rocroy, eft d'environ ^5 lieues, & fa largeur de l'oueft au fud-eft, ou
de Lagny à Boiirbonne-les-Balns de 48 : ce qui peut être évalué à iiit
lieues quarrées. Le terrein y èft en général très- uni ; & c'eft des plaines
ifiimenies qui s'y trouvent qu'elle a pris le nom de Champagne, H y a
quelques montagnes & quelques collines à fes extrémités, mais qui ne font
Eas coB(idérables. fille renferq:ie au moins 80 mille arpens de fbréts ou
Qis pleins; & le bois y eft néanmoins rare en certains ^endroits. Son fol
eft
2 won pourroit le croire a cauie de la rareté ces bonnes vendanges
ais confidérables qu^entralne la culnire des vignes. Depuis Tannée
jnfqu'en I752, Parpenc.de 32,400 pieds de Roi n'a produit que 2
e H A M F A G N E« jt^t
eft l'un des meilleurs de toute la France : il abonde en grains p en pâtu-
rages, & fur-tout en excellens vins rouges & blancs dont l'exportation eft
très-confidérable. Les haSicans n'en tirent cependant pas autant de profit
^u'on pourroit le croire à caufe de la rareté des bonnes vendanges ce des
petits
tonneaux du poids de 56 livres environ ; & une pareille étendue* ne fe vend
tout au plus qu'à raifon de 1000 francs. Les autres articles du commerce
de cette Frovince , outre les grains & le vin , confiftent en fers , bois ^
befiiaux , foins , étoffes en laine & en demi-foie*, toile &c.
Les principales rivières dont ce pays eft arrofé font la Meufe^ qui prend
fa fource dans le Baffîgny , près du village de Meufe : arrofe une partie
des Duchés de Lorraine & de Bar ; commence à être navigable près de St.
Thibault ; pafTe dans les Evéchés de Toul & de Verdun , la Champagne ,
le Luxembourg , le Comté de Namur où elle reçoit la Sambre , l'Evêché de
Liège , les Pays-Bas«-Autriclûens , les Provinces-Unies ; fe joint au Wahall
au-deflbus de l'ifle de Bommel , où elle quitte fon nom pour prendre celui
de Meruve
rend qtf
fi le vent ne s!y oppofe pas. La Seine , dont il fera parlé'
France. La Marne , qui a fa fource dans le Baffîgny , au pié d'une moce
tagne , & à environ 500 pas d'une métairie nommée la Marnotte. Elle a
fon cours par les Généralités de Châlons , de Soiffôns & de Faris ; com-
mence d'être navigable près de Vitry-le-François ^ reçoit un grand nombre
de rivières , & fe jene dans la Seine à une demi-4ieiie au-deflbus de Cha*
renton. L'Aube, qui a deux fources, l'une à Fraflai , paroiffe duhaillagede
Châtillon-fur-Seine en Bourgogne, 8c l'autre à une demi-lieue plusàreft^
laiit de l'Argonne, & dont la principale fource eft tout proche du hameau
^e Somme-d'Aifne , à 4 lieues un tiers fud*eft de h^ ville de Ste. Mené-»
Hould. Elle commence à porter bateau à Châreau-Forcien , & fe jette dans
l^Oife à un tiers de lieue eft-nord-^eft de Compiegne*
On trouve à Bourbonne-Ies-Bains ; à Attencourt , petit endroit à une
A^nii-lieue de la ville de Valfy \ à Sermaife ^ à Hermanville &c. des eaux
'^^inéâales qui font en très-grande réputation*
Du temps de Jules-Céfar , la Champagne étoit habitée par les Tricaffes ,
1^3 Renti , les Catalauni , les Senones , les Lingones , & par une partie des
^^«Ids. Sous Honorius elle étoit comprife en partie dans la féconde Bel«
S^i ^ue , & en partie dans la quatrième Lyonnoife ; il n'y avoit que ce qu'on
^^pelle aujourd'hui le Baflîgny , qui dépendoît de la première Lyonnoife.
'e la domination des Romains elle padà fous celle des François. Vers
Tome XI. H h
t^t
CHAMPAGNE.
Pan 4^5 Mërovée fe rendit maitre de Rheims & de Chàlons ; & Clovis
acheva de fiibjuguer le refte, après la défaite de Siagrius, dernier Com-
mandant des Romains dans les Gaules. Lors du partage de la Monarchie
entre les fils de Clovis , la plus grande partie de cette Province fut corn-
Îrife dans le Royaume d^Aimrafie , dont Metz ëtoit la Capitale , & échut
Thierry I. Les limites des divers Etats qu'avoient forniés ces Princes,
ayant varié plufieurs fois dans la fuite y elle fuivit le fort de la Monarchie
Françoife, obéiifant tantôt aux Rois d^Auftrafie^ tantôt à ceux de Neuf^e,
& tantôt à ceux d'Orléans & de Bourgogne. Sous les Rois de la (èconde
race elle tomba à des Comtes particuliers , qui la pôilëdereoc jufqu^à h
fin du 1 3*"^ fiecle , qu'elle pafla à la Maifon Royale de France par le ma-
riage de Philippe-ie-Bel avec Jeanne fille unique & héritière de Henri III
Comte de Champagne & Roi de Navarre , mort en i zy^. Louis X , qui
avoit joui de ces Etats du chef de fa mère , avant & après avoir fuccédé
à fon père , ne laifla en mourant qu'une fille nommée Jeanne y qui les ré-
clama comme un bien qui lui appartenoit. Le Roi Philippe-le-Loog qui
les avoit ufurpés , refufa de déguerpir , & ce ne fut qu'au décès de Char-
ies IV , que cette Princefle put jouir de (es droits» Elle plaça alors la Cou«
Tonne de Navarre fur la tête de Philippe Comte d'Evreux qu'elle i^vok
époufé ; mds par convention de l'année 13^5» elle céda , conjointement
-avec fon mari , tous les droits qui pouvoient leur appartenir fur la Cham-
Siagne & la Brie , à Philippe-de- Valois qui en prit poifeflion ; & Jean
on Succefleur les réunit à la Couronne en 1361 pour n'en plus être
féparées.
Il y a dans toute l'étendue de la Champagne , pour le gouvememeat
ecclénailique 2 Archevêchés & 4 Evéchés qui ont fous eux nombre
d'Abbayes de l'un & de l'autre fexe; & un des 3 grands Prieurés de
l'ordre de Malthe qui divifent la langue de France , & qui eft divifé lui-
même en I ^ commanderies pour les Chevaliers , & 5 jK>ur les Chape-
Sains & Servans d'armes. Pour le civil , elle dépend abfolùhfient du Par-
lement y de la Chambre des Comptes , & de b Cour des Aides de Fa-
ris^ ; & elle renferme 9 bailliages & fieges piiéfidiaux , un Grand-Maitre
des eaux êc forêts , & 9 Maltrifes particulières , 4 jurifdiâions confulai*
res , 2 hôtels ou chambres desmonnoies, & une généralité féanteà Chà«
Ions, & divifée en ta éleéHons. Pour le gouvernement militaire, elle a
un Gouverneur-Général, 4 Lieutenans-Généraux , l'un pour les bailliages
de Langre, de Troye & de Sezanne; l'autre pour le baillage de Rheims,
le troifiemé pour ceux de Vitry & de Chaumont ; & le quatrième pour
ceux de Meaux , de Provins & de Château-Thierry : 4 Lieutenans de Roi
de là Province : 6 Lieutenans des Maréchaux de France , & nombre d'au-
tres Officiers fubalternes qu'il eft inutile d'énumérer. Enfin ia Champagne
eft divifée en plufieurs petits diftriâs , dont les villes principales (ont ,
Rheims, Troyés, Châlons, Rhetel, Mezieres, Charleville> Sens & Meaux.
CHAMPAGNE.
Hi
X
Rheims eft une des plus anciennes ^ desplas célèbres & desplas grandes
villes du Royaume j bien peuplée, allez bien bâtie, & fi tuée fur la Vefle
dans une plaine fertile en grains, &* ceinte, dans Téloignement de deux
ou trois lieues de collines qui produifent du vin délicieux. Ceft le chef-
lieu d'une éleâion de fon nom & le fiege d'un Archevêché, d'un Gou«*
verneur particulier, d'un grand -. Baillif d'épée , d'un bailliage » préfidial,
hôtel des monnoies, grenier à fel, maitrife particulière des eaux oi forêts,
maréchaufCée , & univerfité fondée en 1547» par Charles Cardinal de Lor-*
cainc , en conféquence des*" Bulles du Pape Paul II vérifiées en Parlement
de Paris en 1549. L'Archevêque eft premier Duc & Pair de France, Légat
Dé du St. Siège , & Primat de la Gaule Belgique. Il poflède , depuis le
Sacre de Louis-le-Jeune , le droit exclufif de couronner les Rois de France ;
& Ces Sufiragans font les Evéques de Soiflbns , de Chàlons fur Marne, de
LaoQ , de Senlis , de Beauvais , d'Amiens , de Noyon & de Boulogne. Son
diocefe renferme 477 paroifles , 36^ annexes, 7 chapitres, 24 abbayes,
8 hôpitaux & grand nombre de couvens de l'un & de l'autre fexe. Ses revenus
annuels montent à' 80,000 livres , quoique fa taxe en Cour de Rome ne
foie que de 4750 florins. L'Eglife Cathédrale de Rheims, dédiée à N. D.
& conftruité au i2n«. fiecle, eft un édifice d'une architeâure entièrement
gothique, mais des plus belles & des mieux exécutées qu'il y ait en France
oc peut-être en Europe. Sa longueur eft de 450 pieds, fur 93 de largeur,
paifê iio d'élévation, & 150 de croifée en œuvre, le tout couvert de
pk>mb. Le portail , qu'on y admire fur-tout , eft compofé de 3 grandes
portes , dont la principale eft furmontée d'un vitrage en rofe , d'une exé**
ctttîoa & d'une délicatefle furprenantes. Deux grofles tours quarrées , pla-
cées de chaque côté du frontispice , lut donnent , en l'agrandiflant , un air
de majfifté qui frappe , & que le nombre prodigieux de fculptures de toute
efpece dont il eft furchargé augmente confidérablement. C'eft dans cette
EgUie que fe fait le facre des Rois. Le maitre autel, qui fert à cette au -
£fte cérémonie , eft revêtu de lames d'or , & tous les autres ornemens y
it d'une magnificence extraordinaire. Le tréfor qu'elle poffede eft rempli
de morceaux riches autant que curieux, donnés la plupart par les Rois k
leur Couronnement. On range parmi les plus précieux le calice du fameux
Archevêque Hincmar, le plus grand & le plus riche qui foit dans le
Royaume; & le reliquaire que Louis XV y a fait dépofer. Il confifte en
on foleil d'argent doré, du poids de 125 marcs, & dont la hauteur eft
de 3 pieds H pouces, & fa bafe de 27 pouces fur 18 de largeur; le tout
chargé d'ornemens & de fculptures du dernier goût, & du travail le plus
exquis. On prétend que le livre des Evangiles fur lequel les Rois prêtent
le lermeot eft écrit en langue Efclavonne ; il eft couvert extérieurement de
lames d'or & garni de pierreries brutes. Le Palais Archiépifcopal eft at-*
tenant cette Eglife, & paiTe à jufte titre pour un des plus beaux , depuis
les r^aratioos que l'Archevêque Le * Tellier y a fait, faire. On compte de
Hh 2
/
244 C H A M P A G N £•
plus à Rhdins 3 EgKfes collégiales très-belles ; 5 abbayes, dont celle de
$t. Remy eft la plus coofid^rable, comme aufli Tune des premières de Por-
dre de St. Benoit en France; un grand féminaire, un oeau collège, ci-
devant aux Jéfaites ; 3 grands hôpitaux ; 9 couvens ; une commanderie de
l'ordre de Mâlthe ; & une de Tordre de St. Antoine dont les revenus font
en grande partie afFeâés à l'hôtel des Invalides de Paris. PEglife de St.
Remy efl grande & belle, mais ohfcure. Le pavé, fait en compartiment
de marbre & de pierre cuite , préfente une infinité de figures , & reflemble
plutôt à une belle & riche tapiflërie qu'à tout autre chofe. Le devant du
grand-autel eft compofé de 3 planches d'or , enrichies de quantité de pier*
reries , & nommément à€' deux grenats prefque dé^ la groflfeur d'un œii£
Derrière eft le tombeau de St. Remy , de 20 pieds de longueur fur autafit
de hauteur , exécuté en marbre blanc , & décoré de colonnes de porphyre
d'ordre compofite , & de nombre de figures fculptées avec autant d'art que
de goût. Autour font les ft^tues en marbre & de grandeur naturelle, des
X 2 Pairs de France en habits de cérémonie \ & celle de Clovis que le
fculpteur a décoré d'avance de l'ordre de St. Michel; licence non moins
choquante que celle de ces 12 Pairs qu'on fait aflifter au Sacre de ce
premier Roi Chrétien. Au haut bout du tombeau eft une niche où Fon
voit la ftatue de St. Remy aftis , & ayant devant lui celle de Clovis à ge-
çoux fur un prie-Dieu : celle de Thierry , aumônier de ce Prélat, eft
derrière lui & tient la croix. La porte ou ouverture de ce monument eft
toute brillante de perles , d'émeraudes , de rubis , de turquoifes , & d'au-
tres pierreries, dont les Rois & d'autres Princes & Princefles l'ont enri-
chi } & c'eft où l'on conferve non - feulement la châffe qui renferme k
corps du St. Patron , & qui eft de très-grand prix ; mais encore la célèbre
phiole connue fous le nom de Sainte-Ampoule, & qui fert à la cérémo-
nie 4u Sacre. Elle eft de verre, longue comme le petit doigt à-peu-piist
de couleur rouge foncé , & affez reuemblante pour la forme aux flaccoos
dont on fe fert pour les eaux de fen^eur. Son embouchure fe ferme pat
pomt
porta , ûit - on , un uei , lors du baptême de Uovîs , à la prière
Remy , pour fuppléer au dé&ut du crème ordinaire que le Prêtre ne put
pas apporter à caufe de la trop grande foule des affiftans. Toute cette
anecdote ne porte au refte que iur Tautorité tardive de l'Evêque Hincmar.
On voit encore à Rheims plufieurs ouvrages & monumens curieux des
anciens Romains ^ tels font les reftes d'un arc de triomphe dans la rue
près de l'univerfité ; ceux d'un amphithéâtre pour les (peâacles, à 200 pas^
de la ville } les veftiges d'un ancien château bâti du temps de Céfar » &
CHAMPAGNE. 14c
un arc de triomphe près de la jporce de Mars , érigé en l'honneur de ce
même Céfar, ou félon quelques autres en celui de Julien l'Apodat, lorf-
3u'après fes conquêtes d'Allemagne, il paflk par cette ville pour aller à
aris. Il eft compofé de 3 arcades d'ordre Corinthien. Celle du milieu a 35
pieds de haut fur 12 de large. Les bas-reliefs dont, elle eft ornée repréfen*
tenc une femme aflife ; & tenant une corne d'abondance , pour marquer la
fertilité du pays. Les 4 enfans qui (ont auprès d'elle déiîgnent les 4 fai-.
fons; & Il autres les 12 mois. Les 2 autres arcades ont 30 pieds de haut
& 8 de large. Les bas-reliefs de celle qui eft à droite repré/èntent Remus
& Romulus qui tettent une louve : le berger Fauftulus ol Acca Laurentia
là femme font auprès. Les bas-reliefs de la 3»^. arcade font Leda qui em-
brade Jupiter métamorphofé en cygne , & un amour qui les éclaire de fon
flambeau. Le principal commerce de cette ville confifte. en vins ; en pains
d'épices) en petites étoffes de laine, telles que les razes cordelières, les
camelots , les étamines p les bafins , les flanelles , les crépons , les fergettes
ou raz de Pologne ; & en étoffes mêlées de foie & de laine , comme les
dauphines à grandes rayes , les raz de Maroc » &c.
L
Réunion de la Champagne à ta Cpuronne^de France.
A Champagne fe divifoit en haute & baffe.
La haute comprenoit le territoire de Rhetms & de Châlons.
Et la bafle , le territoire de Troy es. *
Robert , fils de Herbert II , Comte de Vermandois , s'empara de la Ville
de Troyes en 953. Son frère Herbert ^ qui avoit eu le Comté de Meaux en
partage^ lui fuccéda.
Etienne , fils de ce dernier étant mort fans enfans en i o 1 9 , Eudes II ^
Comte de Blois, de Tours & de Chartres, comme petit-^fils de Thibaut
le Tricheur & de Leutgarde, fceur des Comtes Robert & Herbert, s'em-
!>ara du Comté de Champagne , malgré le Roi Robert » qui fut obligé de
e lui laiffer.
Le domaine des Comtes de Champagne confiftoit à-peu-près au terri-
toire de Troyes, au Baflîgny^ à Bar^-iur-Seine , à Bar-fur-Aube , à la Voi-
rie de Molefme & à la Province de Brie. Outre cela ils poffédoient plu-
fieurs terres & villes tant en fief qu'en propriété dans, le territoire de Toul ^
pour radfon de quoi ils rendoient hommage à l'Empire ; ce qui a caufé les
prétentions des Empereurs fur toute la Champagne , dont parlent les Au*
teiirs Allemands.
Ainfi les Villes de Rheims ^ de Châlons & de Sens ne furent jamais de
leur domaine. » Les Coitates de Vermandois . occupèrent 4'abord les premiè-
res} mais^ dès le commencement de la troUîepie race^. elle appartenoient'
aux Rois de France» . ^ ^
Thibault II | qui mourutten 11 $2» partagea fes Etats^ entre fes trois fils.
-J
^^ CHAMP DE MARS OV DE MAI.
Thibaut, le fécond , eut les Comtés de Blois & de Chartres. Ettenûe ferma
la branche des Comtes de Sancerre. Henri I, Painé, fut Comte de Cham*
pagne & de Brie.
Thibaut UI Ton fils, ëpoufa Blanche, fille de Sanche, Roi de Navarre*
Thibaut IV , fils de Thibaut III , dit le faifeur de chanfons , devint Roi
de Navarre en 1236 , après la mort de Sanche II, fon oncle maternel.
' Son fils Henri III , qui mourut en 1 274 , laii& Jeanne , qui époufa en
1284^ Philippe le Bel, Roi de France.
Louis Hutin, leur fils aîné, ne laifla qu'une fille, auifi nommée Jeanne,
à qui les Comtés *& le Royaume de Navarre appartenoient ; mais Philippe
le Long & Charles le Bel , frères & fuccefleurs de Louis Hutin , les re-
tinrent.
A la mort de ce dernier, arrivée en 13 28^, le Royaume de Navairefut
reftitué à Jeanne, qui, en 1336, céda la Champagne & la Brie à Philippe^
de Valois , Roi de France. Et en 13^1» Jean nls de Philippe » les réunit
iblemnellement à la couronne.
Meaux, capitale de la Brie ^ tomba au pouvoir d'Herbert de Vermandois,
dans le dixième fiecle. Elle fut unie enMte au Comté de Troyes. Depuis
ce tems les Comtes de Champagne prenoient fouvent le titre de Comtes
de Meaux.
Les Comtes de Champagne s'étoient arrogé lé droit d'avoir dés Pairs ,. .
comme les Rois de France : ils en comptoient fept , favoir , les Comtes
de Joigny , de Brienne , de Braine , de Rethel , de Roucy , de Chateau-
porcien oc de Grandpré.
CHAMP DE MARSou DE MAL
JLiE Champ de Mars étoit une afTemblée^ où tous les Francs |de la même
Tribu fe rendoient annuellement au premier jour du mois, qui donna fon
nom à ces Diètes folemnelles. C'étoit de ce jour que la nation datoit fon
année. Les Carlo vîngiens la commençoient àrNoël, & ce n'efl que depuis
Charles IX qu^on la commence du premier de Janvier. Cette aflêmblée
fe tenoit indifieremment , tantôt dans un lieu & tantôt dans un autre , & félon'
l'indication qui en-^éct>it faite , lorfqu'elte étoit prête à fe f<^par^r« Quoique
les réglemens qui y étoient faits foient datés du nom des villes, auprès
defquelles la Diece étoit convoquée , tous les monumens atteftent que c'é^^
toit fous la tente & en ra/e campagne que la nation diâoit Tes arrêts, au
milieu de Pkrliiée dont la préfence rele voit la- majefté de ta^ nation réunie.
Le Roi -y àfliidoit fo^s^un^^ tente* ouverte ;t&'ptacée fur ^iné élévation qui
étoit le fymbole d^u Trône & de fa fupériorité. C'étoit là q^iLndcevoîtvn nou«
veau fern^ent de fidélité^ comnc^ il n^av^it d'autre revenu^, que Ton domai-
K
CHAMP DE MARS b v DE MAI. 247
fie, le qu^il étok plus comblé d'honneurs que de biens, (es fujets lui fai-
ibicnt des préfens de meubles, de chevaux , de chiens & de bétail ; mais
quand la nation eut perdu le droit de nommer aux dignités de l'Etat, &
que le Prince fit le difpenfafêur des grâces, l'efpoir devoir part à fes lar-
gefles 9 introdoifit la coutume de lui offrir des armes artiftement travaillées ,
des vafef précieux , de riches tentes & de la vaiflelle d'or & d'argent. Ces
dons qui n'étoient que volontaires devinrent dans la fuite des trmuts for*
ces p parce que les fervices rendus à^l'homme armé du pouvoir , dégénè-
rent toujours en fervitude. Il y paroillbit fans garde & fans efcorte , & ce
fut St. Louis qui le premier marcha avec une armée , au milieu d'un peu^
pie dont l'amour eft l'impénétrable bouclier de fes Rois. Au lieu d'une fbl«
datefque menaçante qui aflure .moins le Trône qu'elle ne femble calom«
nier la fidélité de la nation , it venoit accompagné du Connétable , du grand
Echaiifon , du Chancelier Si de tous les grands Officiers de la Couronne ,
qui tous croyoient appartenir à la nation , & être aflbciés au droit de Sou*
veraineté qui réfidoit encore en elle. Sa qualité d'Officier du Prince leur
eut paru un titre de domeflicité, dont leur fierté encore barbare eût été
humiliée. Ainfî, on ne doit pas jueerde la fplendeur des gentilshommes,
par le rang qu'ont tenu leurs ancénres à la Cour des Rois , mais par les
dignités de la Couronne dont ils ont été revêtus , lorfqu'ils fe font mon^
très dans les aflemblées de la nation.
C'étoit dans cette Diète refpeâable que l'on fiiifbit des réglemens à qui
le confentement -^-^— ■ ^- •- — - — ' — - ^ . . . -^
recevoit les
preffeur , mais c'étoit ordinairement aux Rois qu'
ment des coupables, parce que c'étoit en eux aue réfidoit la puifTancef
exécutrice. Quoique dans l'origine tous les crimineîs flifTent cités indiftini^e-
ment à ce Tribunal , la difficulté de les y J&ire comparoltre , lorfque la nation
fut ' ' ' -• . . . . ^
en
Le
noient
pables de le conduire.
On réfbrmoit dans ces afCemblées les abus introduits dans l'adminiflra-
tton des Finances & de la Juflice ; on établiffoit de nouvelles loix pour fup«
pléer à Tinfuffifance des anciennes. L'attachement des François aqx cou-
tumes dans lefquelles ils avoient été élevés, perpétua bien des ufages vi*-
cieux & bifarres , dont plufieurs même font deftruâeurs de l'ordre fociat.
Ils étoient trop ignorans pour favoir qu'ils étoient barbares. Il efl donc éton-
t
^48 C H A M T D E M A R S on D E M A ï.
tiant de voir des cenfeurs chagrins & mécontens qui s'obfttneat à regarder
comme loix fbndamenules couc ce qui fut arrêté dans raflèmblée d'un
leuple iauvage dont la pofîtion & les befoins n'ont rien de conforme avec
is nôtres. Réclamer les inftitutions des Saliens & des Ripuàires , c'eft vou-
loir nous afTu jetir à vivre CQmme eux de brigandages. Les Ibix fuivies par
une nation fortant de Penfance, ne doivent point fermer fa conftitution,
lorfqu'elle eft parvenue à fa maturité. Un peuple fauvage ne doit point être
regardé comme le Légiflateur d'un peuple policé. Les loix nouvelles ne dé-
truifent point les principes fondamentaux, tant qu'elles ne font pas d'un
peuple libre , un peuple d'efclaves p & qu'elles n'attentent point au droit
facré de propriété.
Il eft une inftitution qui fait honneur à la fagefie de nos ancêtres. Les
Rois pouvoient de leur autorité privée faire la paix ; mais il falloir le con*
fentement de la nation pour entreprendre la guerre. Rien n'eft plus con-
forme au droit naturel , puifque c'eft le peuple qui verfe fon fang & qui
prodigue (es biens» dont le chef a feul toute la gloire & les avantages.
Les inftrumens de fes paffîons chantent les hymnes de la viâoire fans en
retirer le fruit, & fouvent le plbs brillant fuccés eft un nouveau titre d'op-
preflion. Annibal , vainqueur a Canne , demandoit au Sénat de Carthage ,
de iWgent & des troupes.
Malgré l'étendue du pouvoir de la nation , il eft impodible que les Rois
n^eufTent la principale influence dans les délibérations. Leur ambition devoit
être plus vive & plus féconde en reffources, parce' qu'ils avoient le plus à
efpérer; le peuple ne devoit pas avoir la même aâivité , parce que chaque
particulier en fè relâchant de fon droit , faifoit une perte légère. On ignore
quelle étoit la ferme des délibérations, & il eft probable que chez un peu-
pie libre, il n'y a,voit 4^e l'âge ou les dignités que la nation confioit, qui
fuilênt un titre de prééminence. Tout fe décidoit à la pluralité des fuiïra*
ges, & le Prince qui n'avoit que le fieny étoit chargé de la puiflànce exé*
cutrice : lorfqu'à la faveur des diftentions civiles , fon autorité fe trouvoit
aftèz ferte pour régler les délibérations , toute l'aftemblée donnoit fon con»
lentement par voie d'acclamation oj bien en élevant les mains. Quand il
^^élevoit >des.conteftations, on comptdit les voix par centaine, mais les af*
femblées étant devenues dans la fuite trop nombreufes, chaque Duché ou
Comté ne forma plus qu'une voix.
nation
qi cultivateurs , u ne devioiQ seiever de conteltanons que lur le parrai
butin. Habitans dans des' ) demeures fouterraines où ils vi voient conrondus
avec leur bétail , dont ils faifoient leur pâture , ils n'avoient point de pof-
fefGons à défendre ûi d'intérêt à difcutër. Un calme profond régnoit dans
leurs antres & dans leurs feréts ; ils tranfportoient les tempêtes fur les ter-
res de leurs votfîns.
Tout
CH A M.Pi DR M A |l& Oi?: DiB MAI Hf^
Tout homme libre I foit Gaulois ou Barbare , qtii Tiroic fous la loi Saln^
2ue ou Ripuaire» eur, après la conquête, le droit de donner fa voix au
!hamp de Mars. Ce privilège accordé au vaincu étoic une politique nécef- >
faire au vainqueur. Les Francs , après le partage des terres , vivoient éloî-
Jpés les uns des autres, & leur fjifperfion les rendant par*tout les plus
oîbles, ils remirent le befoin dWocier à leurs prérogatives; des hommes
trop .nombreux pour fç laifTer dégrader impunément. Celui qui demeu«
roit à Cologne auroit eu trop de chemin à taire pour (ecourir celui qui
étoit tranfporté fur les bords de la Loire.
Dès que les François eurent établi leur domination dans les Gaules , ils
admirent ii leur Champ de Mars les Evêques & les Abbés. La reconnoif-
lance leur mérita cette prérogative. Clovis n'eût jamais trouvé tant de fk-
oilité^dans Tes conquêtes, fi i>t. Rémi, St. Vafl &c tes Prélats les plus ref-
peâables n'euflent difpofô les Gaulois ï le regarder moins comme un con-
quérant que comme un libérateur. Le titre d'Ëvéques & d'Abbés qui oatu-
ralifoient François tous ceux qui en étoient revêtus , les rendoit par là fu{^
ceptibles de toutes les prérogatives de citoyen. Le préambule de la loi Sa«
lique, corrigée fo^s te règne de Clotaire II, fait mention d'un Champ de
Mars , où trente-t;x>is Evéques font nommés avant les Ducs & les Com<"
tes. On fait quç c'eft dans les afTemblées repréfentatives de la nation que
le cérémonial a toujours été le. plus fcrupuleufement obfervé; ainfi ceft.
une forte préfomption qu'auffî-tôt que les Evéques eurent entrée au Champ
de Mars, ils eurent les honneurs du pas. Cette probabilité reçoit le ca-
raâere d^une certitude quand on voit que les compofitions ou amendes in-
fligées aux coupables étoient beaucoup plus fortes, lorfqu'on avoit attenté
k la perfoiine d'un Prélat , que quand on avoit tué un François : le meur-
trier d^un Evêquç étoit condamné à payer neuf cents fols , celui d'un Leude
ou fidèle n'en payoit que fix cents, & enfin celui d^un François libre en
ëtoit quitte pour deux cents. Ces réparations étoient toujours proportionnées
à la qualité des. perfonnfs tuées ou ofTenfées. Ainfi le fait & la loi dépo-
fent que le Clergé date fa priorité iPorJrc de l'établiffement de Clovis dans
les Gaules. C'eft en vain qu'on s'écrie qu'il efl fcandaleux de voir les Mi*
niflres de l'Autel abandonner leurs fondions fublimes pour s'initier dans
les myfteres de la politique du fîecle, & déferrer la milice facréc pour fe
ranger fous les drapeaux des enfans de la terre , il n'en fera pas moins dif-
ficile de réfuter iin fait qui , à la vérité , peut bien être deftruâeur du droit.
Lorfque les bornes de l'Empire François furent reculées, on fut effrayé
de la confufion qui devoir naître de ces afTemblées trop nombreufes : l'é-
loignement des lieux , la dépenfe des voyages rendirent infenfible au pri-
Iviiege de s'y trouver. On avoit peine )l fe déterminer à dire cent cinquante
lieues pour délibérer fur des affidres qui n'intéreffoîent oue foiblemçnt chaf
que particulier. Il n'y avoit que l'amour de la patrie, la confervation du
^oit de citoyen qui pût engager au facrifice de fon repos & de fescom*'
Tome XJ. li
,^
xnodités. Des fentîmens fî purs n'animent jamais que \t petit nombre. Dès
qu'il y eut moins de SuiFragans, la corruption & la vénalité eurent plus de
âcillté'à s'introduire. Cette' première atteinte portée à la conftitution prt«
mitivie n'alarma point les François qui regardoient le droit de fe trouver
aux aflemblées, moihs comme W plus beau de leurs privilèges que comme
une gêne. Ce dégoût leur étoît commun avec tous les Germains , qui n'ayant'
point de propriété & attendant tout de la viâoire» prenoient peu d'intérêt
a la légiflation , & préfëroient de bonnes épées & des francifques à un code
national. Tout peuple qui n'a rien à perdre , & qui ^ quoique pauvre , eft
fans befoins , voit avec plaifir l'abolition des loix dont il n'éprouve jamais
que la févérité & rarement la fevcur. Un autre motif élmgnoit les Fran-^
çois du Champ de Mars; ils éroient obligés de favoir les loix falîques & rh
puflires pour avoir part aux délibérations. Il enétoitpen qui fuflentlire &
écrire. Ainfi ils aimoient mieux aiguifer leur fabre auprès de leurs foyers,,
que d'aller étaler leur ignorance aux regards publics. Satis&its d'être libres,
dédaignant la vie s^iU ceffoient de l'être , l'habitude de jouir de leur indé-
pendance ne leur laiflToit pas foupçonner qu'on pût les en priver. Cette or^
gueilleufe fécurité favoriia les defleins de l'ambition qui ri'aime' qu'à former
des chaînes & à fe repofer fur des débris. Les petits ifils de Cfovis furent
Habiles à profiter de cet aflbupifTement national pour engloutir tous Tes pri-
vilèges. Ils ceflèrent impunément de convoquer le Champ de Mars ; on nt
peut déterminer avec précifion quelle fut la dernière de ces aiTemblées,!!
efl confiant qu'on les voit reparoître de temps en temps , mais fous des fof
mes nouvelles, qui toutes font méconnoître leurs traits primitifs. Se Voû
donne ce nom refpeâable à des colloques tumultuàires , où les Rois £**
âbient la loi à une faétion turbulente , ou la recevoient d'elle.
ILes Mérovingiens en voulant tout envahir ne prévirent pas qu'ils fe crea^
fbient Vn précipice. Le defpotifme fe cache dans l'ombre & les ténèbres,
Aiais auffi-tôt qu'il montre fa tête altiere, l'humanité infultée prépare de<
poifons & forge des poignards pour rentrer dans fes droits. Les Mérovifl"
giens , encore mal affermis dans leurs ufurpations, n'eurent point l'imprudence
de prétendre qu'ils réuniifoient la puifTance légiflative & exécutrice ; mais
pour fe l'apptoprier fans murmure & fcandale, ils fubftituerent un fantô-
me à la réalité du Champ de Mars ; & d'ailleurs toute fociété a befoin d^ufit
puiffance toujours fubfîftante pour en maintenir la police. Ils eurent donc
la politiaue d'établir un Confeil pour repréfenter la nation. Il fut compofS
du Roi oi de fes Courtifans qui n'eurent pas de peine à s'emparer de la puif«
fance légiflative & exécutrice, oue la nation indolente laiffoit à leur di(^
pofirion. Ce fut moins une affemblée nationale qu'un confeil de guerre oÀ
la force donna la loi. Cet abus étoit inévitable , puifque ce Tribunal ne con-
noiffoit ni l'étendue ni les bornes de fôn pouvoir. Ce nouveau Champ de
Mars qui n'a voit aucun caraâere légal , ne fut compoféque d'honunes prêts
i ceffer d'être citoyens pour s'ériger en tyrans fubalternes. Les Rois firent
CRAUr I> E UARS o jj B X' M A 1 ^51
Ifi fti(rifee dViofr |(0r|ion 4e leurs domaines pour jLdseter leuis fuficaaM. Il
iè ferma eotre ^^ Sommes corrompu^ & Mur corrupteur une confédéra-
tion cpmi^e le droit -pnhlic. Les Mérovingiens plus ambitieux qu'avares, leur
confêreneiMt dtt ibéoéfioes^ ffm en aliéner la propriété, & |iar cette adroite
r^êrve ils oonteooieiir lésons par la erj^inte d'en êsre d^poutU^i^ 1 6c s'atta^
choient les autres \pi^ l'ébloiiiflànte proniefle d'y ^ptnîç^pen Dès çp x^momen^
la nation ne fiit plus confultée pour défërer le /commandement des armes*
Les Bois nommèrent de leur autorité privée aux premières dignités ^ r£«
tat, & ils n'allèmblerënt plus te Champ de Mars pour faire la paix ou la
guerre. Les Ducs, les Comtes & leurs Vicaire compoferent toute la na-
tion, & : fi elle ië ttouveit tencore aux délibérations., c^étoit pour y fiure
tes acclacnations que l'iilàge cendoit néceflàires, parce qu'elles ^onnoiei^
iur arrêtés force de iUn.
LVmée qurfàifoit, pour aitifi ^re , un corps fi{piu*é dati$ l'Etat j pi^&
qu'Ole n'éfpic afll^et€ie.à tme difciptine p^rticiitiere, ie nuûntint plus lon^^
temps dans la jouiflance ^t fes droits. Les lofficiers ôc les ibldats conti^
BuerentÀ délibérer fur l'^leâston des Ohels, fur les départemens annuels ^ fur
les routes & fur les opérations de la guêtre. B^ien ne fe ^éi^^doit fans léujr
approbation. Il eft vr|ki que les principaux ^fiicie^s , acicefliblea à la corrupi-
tioQ, i^ndirent chèrement leurs feryiçes à t'umbitipn, mais à U fin ils de-
vinrent fi ipiiiilàos que leur . général .enleva U^courop^e à la première £àr
tnilte de noj^ JRois.
Le^ Mérovingiens , difpenfateurs dea dignités de l'Etat^ trpyverent bienr
tôt des complices qui briguoient à Tenvi la honte de trahir les droits de
ia nation. Mais ces {^rinces , pour eufichir. les 4MÎdes ai:tifans de leur gmqr
deur^ épuiferent bientôt. leur$ tréfors;>/k^VfFQibjifl(à^tjen voulant trop s'éé
tradre , ils fe donp^rent des rivaux que; l?habiti^ 4(| la douceur de coç^
mander rendit inci^pables 1 d^béiATaiw^ ; ils fij^enit 1^ iiqifte expérience que
le peuple n'eft jamais plus fournis aux^loix que Içrfqàfil eft fon propre Lé»
giflateur. L'ambitieufé politique qui avoit /anéanti Jes droits du Champ de
Mars ^ prépara la ruine de l'autorité, .Royale Lés Svêques & les Leudes
envahirent tous les .privilèges de la nation , 6t p<>ur n^4(re plys dans la dé-
pendance des Roi^^uia'étotent dépouillés pour )es revêtir , ils écartefeqc
]e peuple des aflemblées générales ^ & par ce divorce humiliant à 1^ pois-
tton la plus nombreufè des citoyens , ils fe rendirent les arbitres de toor
tes les délibérations. S'ils eulfent mieux fenti la néceflité de leur union^
leur marche eût été plus rapide dans le chemin de la tyrannie^ mais k
jdiverfité de leurs intérêts retarda la dégradation des Mérovingiens & de
leurs fujets. ^ .
Dès que l'autorité de la mtion ne balani^ plus leur pouvoir , ils marchè-
rent les égaux des Rois; ces nouveaux Tyrans, dans l'affemblée qu'ils
tinrent à Paris en 615^ fous le nom imppfant de Champ de Mars, dé-
cidèrent que les bénéfices qui, jufqu'alors n Voient été que précaires ^ fe-
fi 2
i^£ t H A Mf P D E M À E sr d 0: D I MAI.
fôient traiifmte aux enhns par leur^ pères comme tiQ ktfrkage : ce fut dé
ce moment que la noblefle qui n'avoit été que perfonnelle devint héré-
ditaire. Xa Reine Brunehaud eut la témérité de revendiquer des biens arra*
chés par la force, mais les ufurpateurs la firent périr par la main du, bour-
reau. L'atrocité d'écrafer une tête couronnée devoir les rendre plus odieux;
ils n'en devinrent que plus redoutables. Les Rois s'apperçurent trop tard
Qu'en écartant le peuple des aiffemblées, ils s'étoient ^ivés de leur plus
i^rmé appui & que tout trône chancelle & s'écroule s'il n'eft' foutenu par
la loi. Childeric, le deirnier rejetron des fondateurs dé l'Empire François,
fut dégradé & enfeveli dans l'obfcurité d'un cloître par ta fkétion même
ti)tie fes prédécelleurs , plui? ambitieux que politiques, >avoient armée pour
établir leur pouvoir arbitraire; ils femUerent ignorer' que' quiconque eff
^affez lâche pour trahir fa nation, n'attend que des circônftancès &vorables
pour être infideie à fon Roi avec impunité.
" Après l'êxtînâion des Mérovingiens, le peuple devoît fe flatter de«^tf^
trer dans la jouiflànce de Tes droits primitifs! Il falloit élire un Roi; on
Vèn' avoit jamais choifi que dans la femille régnante, & l'on exigeoit
trois conditions préliniinaires pour' établir le droit au trône, i-^. La naiP
fànce, & ;it écoit indifFérent quW'fiit né de l'époufe légitime ou dWecOD*
cùbine. a?. ï.k volonté dU Roi mourant qui âvoit coutume de ^défignef
lui-même fon' (uc^eflëur.'^^-v Le confentement de la nation dans l'aflem*
blée du Champ de Mars où il étoit élevé fur un bouclier. Pépin n'àvoit tA
le privilège de-la naiflance^ ni la- volonté du dernier. Roi qu'il avoir lui-
même dégradé; il ne pouvoit donc légitimer fon ufurpation que par le
lliffrage de la nation ailelUblée aU^lChâmp d^ Mars; Il eût eu alors le plus
-ï^éau de tous les^ tîffes^ f^our s'aifeôit<fur le Ti-on^ .< il écoit trop Aûi-
irdyant pour n'en <' pd^ %pj^rcekroi#> fous les àv^antages; mais'il pré^yoîl
^u'il ne pourroit fâFiréî mpeâer là. {>«ideur des^lôix qu'Mtant que toute h
nation verrat en «U^ fon ouvrage/ Il tâcha Ue relever 4in édihce enfevdi
fous Ces ruines; rpais te crainte d'irgfir le Clergé & les Grands l'arrêta dam
fa marche. Les (èrvices qu'il 'en avoit reçus pour uforper le Trône lui
toit- point appelle. Pépin eut bien dëfiré le rétablir dans fes prérogatives,
«laîs il crut ne devoir entreprendre que ce qu'il pouvoir exécuter. Il vît
tous les abus^ & il ne fut pas aflëz puifTant pour les corriger. Un gouver-
nement mal affermi ne peut employer que des 'palliatifs aux maux qui ne
peuvent Te guérir que' par dôs remèdes.
L'ouvrage commencé par Pépin fut enfin achevé par Charleinagtie; ce
Prince qui fut un grand Roi parce qu'il n^oublia jamais qu'il écoit homme
C H A Mr P D B M hKSr oy& D E M A I.
*53
& cltbyen , paètut fenfible à raviUffement de dà portion la plus nombreiife
de fes fujets i il lui parut plus beau de commander à un peuple libre que
de conduire la verge à la main des efclaves flétris par leurs chaînes. En
rendant à la nation fa dignité primitive , il apprivoiU Torgueil féroce des
auM fil confentir à l'admidion du Tiers-État d^
jneurs qu'il ht confentir à radmiflion du Tiers-Etat dans l'aflemblée da
Champ, qui depuis k>ng:temps n'en avoit que le nom puifqu'elle n'en a^oit
point les privilèges. Lp Clergé qui aimoit à régner fans rivaux , témoignai
le plus de répugnance à partager le pouvoir légiilàtif avec des l^>mmes?
ignobles & vils qu'il pouyoit flétrir de fes anathémes , & qu'il avoit accou-
cuniés à trembler au bruit de fes foudres. Enfin il fe laifia fiibjuguer^ &
les pafteurs ne furent plus les loups du troupeau. Il fut arrêté que Paflem-
bléerfe tiendroit tous les* ans en automne & au mois de Mai, c^eft ce qur
lui fit donner le nom de Champ de Mai 't ce mois paruttplus commode pouiJ
È^y rendre des Provinces éloignées.
* L'a&mblée d'automne n'éroit compofée que de Seigneurs d'une intelli'*
gence & d'une intégrité éprouvées dans l'admîniflration des affaires. Rien
ne s'y décidoit , mais on y préparoit les matières fur lefquelles on dévoie
délibérer dans raflemblée générale du Champ de Mai. Tout ce qui sy
psitCoit ne tranfpiroit point au-dehors,, & la curiofité jamais. fàtis&ite étoir
dans l^mpuiffance d'en révéler les fecrets à l'étranger. On examinoit s'il
écoit avantageux de faire la paix rOU la guerre; $'il, s'étoit gUlfé dés abus
dans l'adminiflration ; de la juflice:& des finances , quelle en, avoit été , la
fource , & quels remèdes on pouvoit y oppolèr. Quand tout étoit bien pré*
paré, les Evéques^les Abbés, les Seigneurs & le Tiers-État fe rendoienc
au Champ du mois de. Mai fuivaot. Les députés des villes y paroifloient
avec tes: avoués des Evéques qui n'étoieat qi|^ les s^dminiftrateurs des< biens
d'un.Evêché ou d'un MonafteriB;:- les Seigneurs. daps la fuite brigueient ce
ôtre^qui les mettoit à la tiête des milices de l'Eglife dootJU étoient les
avoués. Ainfi le motif d'étendre leur pouvoir les fit confentir à leur dé^
gradation en fe chargeant d'un office qui, dans fa première inflitution n'é*
toit exercé que par des honmies tirés de la çlaffe du peuple ; mais l'ambi^
don & l'avatiice font ingéoieufe^ à tout ennoblir.
Charlemagne qui vouloit fincérementi le bien , > n'abufa jamais de fon
pouvoir pour corrompre le^ fufïragés. Il étoit trop habile pour ne pas voir
qiie fa grandeur étpit. attachée à la: pr^foériié publique. Ce Prince, pour ne
point gétier U liberté, r avoit la circonfi^edion de ne point aflifler aux ;dé-
libérltioûs dont fes. lumières auroient dirigé la fageue; mais Quoique in- .
^fible, fon génie y préfidoit par les confeils défmtérefles (|u^l donnoit aut
Seigneurs, aux* Prélats & aux Bourgeois qu'il fav.oit avoir des intentions
fines ârun difcernement éclairé. 11- ne paroiffojt'dans l'aitëmblée quelorf^
qu'il en étôit: foUicité,} f^it pour y fixer Jes limites de, la puiflance fpirir
jnelle & lemporellev qui:excitoit des débats toujours renaiuans , foitpour
ddtermtiier Frétëadue du ppuvoir, de chaque prdre^ foit enfin pour £iire ref-
CHAMP O B> M A A 5 ô n D S MA X
peder tes droits du Tt^iie. Sa |véfe»oe ëicriit eiKoné re^uHe lorfqu^ &1-
lok imprimer le Sots^ de ftn «pprdbâtboR ^ ce qui avcMt dié arrêté. Ceft
delà i]fie fontvenas ces CapituIaiFes qui portent le nom de oe Prince bien-
&ifant^ non parce qn'ilt font émanés de lui » mais parce qu'il (ut ie pnB*
mier cm fit publier fous fon nom tous ces rëglemens. Ils n*avoie« d'cxif-
tence légale que quaid laf nation les avoic adoptés. Il y en a plufieirs qui
n'ont point ce caraâere facré & qui ^^n font pas moins Ton ouvrage, il
ne les doniioit que provifioooellement & dam des cas ùrgens : il les fonmec^
toit A ia réferme dans le Champ de Mai iuivafft,
. Les. loix Saliques & Ripuaires, les rëglemens &its fous la première
race n'ont point été publiée fous le nom des Rois Mérovingiens. Ils n'ao-
rotent ofé prendre 4a <]ua1ité de Juges fuprémes. Charlemagne , qui ^méri-
toittre titre , n'4sut jamais rambitîon de le prendre, & fi dans les Capitulai-
res qui portent fon nom il emploie cène formule , Nous voulons^ Nùbm
ordonnons ^ Nous ^commandons , c'eft qu'on n'attàchoit point à ces mots les
idées qu'elles préfentent aujourd'hui. Il parloir au nom de la nation ; c'é-
toit donc die qui vouloir, ordonnoit, commandoit. Ce Prince n'avoit pas
honte d'avouer que la pniflance légifiative réfidoit dans le corps de la na-
tion a&mblée. Il déclare avec candeur dans fes Capitulaires que la loin'eft
autre chofè que la volonté de la nation publiée k>us le nom du Prince :
Louis le Dâ>onnaire fiût le même aveu , & fous tous les Rois de la feconde
race aucun règlement provifbire n'acquit force de loi que lorfque la na«
tion aflemblée lui eut imprimé fon cônfentement.
Charlemagne^n rémblmàiit les principes du gouvernement apportés Je
Germanie, sNitok propofé , en rapprochant les trois ordres, de ne niire qu'oa
feul i& même peuple dont 4es icrtérêts ^auneient été communs , pofitiqoe
prévit pas que la portion du pouvoir qu^il s'^éfoit tiittviUt pouvoit
devenir une tyrannie emre les mains de les (ucceffeurs <^\\ préfuma de-
voir être les héritiers de ies inclinatiotis bienfai&ntes. La puiflànoe exé-
cutrice qu'il leur laiflbit • les expofoit à la tentation d'envahir la puiflàoce
légiflacive. En cefiant de convoquer le Champ de Mai' 'feus^der prétextes
fpécieux leurs ordres particuliers, oc leurs réglemehs particuliers acquéroienc
^vec le temps force de loi, Air-tout che^ un peuple nourn- dans le mé-
pris barbare de la légîflation. C'eft ce qui ai-riva x les François s^aTOOutu--
merent infenfiblement à regarder comme légiflateur le Prince qui pubUoit
la loi , & qui étoit chargé de la protéger.
Il en réfulta un autre abus : le droit dont jouiffoit tout François libre
de fe trouver au Champ de Mars fiit reftreint pour éviter la confufion;»
Chaque Comte n'eut que douze rejpréfentam W champ de Mai » & dès
qu'il y eut moicts de SuiFragans, il tut plus fecile • d'acheter de$ ^akres. \jA
Ducs & les Comtes arbitres des délibératiims deletir difiriâ firent un vil
Ç n A M 9 DE MARS un D B M A £ tf f
trafic de leur crédit pour nostmer des dépmés anffi currempàs ^'edx ; pitts
its étcnent kidigeny, phas ils étotent faciles à fécknre^ & pour un modiqiif
ffthiire douze mercenaires attentoieoc 2k la fortune & anx privilèges de toute
une province. Malgré tous ces déiordres, le Champ de Mai cooferva mte
ombre de fa digniré fous ixms^te-Dëbonfiaire. Charlemagne , arbitre de L'Eu^
rope , lui avoir donné Pexemple des égards qu'on dévoie à cette augnAe
âflemUée dans le procès &if à Taflillon Duc de Bavière , condamné à mort
J>ar le Champ de Mai. Charles oui pouvoir rabfoudre fans redouter la cen-
tire refpeâe la loi. Il prie, il Sollicite & obtient de la nation la grâce du
Duc inrortuné. Louis ufa de la même modération dans l'aflàire de Bernard
Roi d^talie qui , pour avoir entrepris de faire valoir fes droits an Trône ^
fut condamné à mort par la nation , & il a^obsint la commutation de peine
^e fur les preffantes fbllicitations de Louis.
Louis le Débonnaire s'écarta bientôt des principes & des exemples^ que
lui avoir lailTé (on père , dont il n'avoir ni les lumières ni la magnanimité.
Cèft toujours fous l'es Rois Ibible» ou méchant <jue les privilèges des peu-
i> du glaive
phis grand
troéoiHt plufieurs nouveautés. Les prérogatives du Champ de Mai forem
altérées & prefque détruites. Les vexations exercées iîir fei domaines n'ex-
citèrent que des plaintesr flériles. Les Prélats & fes Se%neurs furent les
ipeâateurs tranquilles de ces excès dont l'exemple les autorifoit à rendre
leur pouvoir arbitraire fur leurs terres. Le Tiers- État fut encore appelle à
TaflemUéé générale tenoe à Nimegue en 831 ; mais 9 nes'agifToit point
d^ délibérer fur le» affaires publiques. On n'étcHt aflèmblé que pour paci^
fier tes troubles qui divifbient la fimiifle Royale. Sous Charles-Ie-Chauve
le Chanip de Mai ne fut plus convoqué. Ce Prince s'érigeant en légiflateur
& en Miniftre de la loi confofl^it le pouvoir ftipréme avec te pouvoir arbi^
traire; le cri de la nation retentit jufi^u'au pied du Trône & quand on te
vit tout ofer , on fe crut err droit de lui défooéir. Le feu de la révolte s'al-
luma^ dans toutes les Provinces. Le fentiment de la liberté qu'on croyoit
éteint , fe manifefla dam totfs tes ordres de PEtaf . Charles après avoir, agi
en deipote ne fut plus qu'un bas feppliant. Il convoque une aflembl^
générale où le peuple n^eft point appelle. Les' Sei|neur5 ne daignent pas s'y
rendre, il ne s'y trouve que quelques Prélats qui lemblent n^étre venus que
pour kri donner des leçons & lui faire des réprimandes. Il fe relâche de fes
prétentions en faveur 'des Evéqucs & des Seigneurs; & plus il s'humilie
devant eux , plus ils exigeod de fa foiblefle. Il s'étoit privé de fon plus
ferme appui en écartant Te Tiers-Etat qui lui-même par fa nature a tou-
jours befoin du Trône contre Toppreffion. Charles cédant à la néceflité con-
fentît à rendre pour la féconde fois les biens & les Comtés héréditaires ;
& dès que ces biens furent devenus un patrimoine, il ne refla plus aucune
t.$i C H A M F D B M A R s Q v D B MA I-
trace de Paocien gouvernement. Chaque Seigneur rendit fa jufiice foure-^
taine ; les loix faliques ou ripuaires tombèrent dans l'oublK Les loix Ro-
maines ne furent pas plus reTpeâées. La volonté arbitraire des Comtes fut
Punique loi. Les caprices de ces nouveaux Tyrans formèrent le droit pu*
blic. Ils fe cantonnèrent dans leurs terres, ils exigèrent des droits Seigneu-
riaux , ce qui devint un titre de leur fouveraineté & de la fervitud'e des
peuples. C^eft delà qu'ont pris naiffance tant d'ufages locaux refpeâés par
le temps , quoiqu'ils femblent avoir été diâés par un légiflàteur en délire.
Mais tous ces ulurpateurs fe croyoient plus grands à mefure qu'ils étoient
plus bifarres & qu'ils exerçoient le plus de violence. Comme il leur eut
été impoflible de )ufHfier leurs titres, ils avançoient fans pudeur qu'ils ne
relevoient que de Dieu & dé leur épce. Ce fut l'extinâion des privilèges
du Tiers-Etat au Champ de Mai qui enfanta cet^e confuiion anarchique.
Sa les diffêrens corps de la nation eulTent délijbéré dans une aflemblée gé-
nérale de leurs intérêts communs , on eut corrigé les vices qui défuniflfoieat
les parties de l'Etat , & Pon ^ auroit fubftirué un gouvernement uniforme ï
cette bigarrure d'ufages qui ufurperent le nom & la force de loix. La ca-
tion fut tellement dégradée queHugue Capet ne daigna pas même demander
fonfulFrage pour appuyer . ion ufurpation. Eh.rde quel droit l'eut-ii coo"
voquée, lui qui n'étoit qu'un vall^l de la Couronne? Il fe contenta de fe
faire reconnoitre dans une affemblée cotnpofée de Tes parens, de Tes amîs
& de fes vafTaux. S'il fut ufurpateur tranquille, ç'efl que les privilèges da
Trône étoient tellement reiferréSy qu'il étoit indiâërent aux François qud
fiit leur RoL
Philippe-le-Bel fut le feu! Prince depuis Charlemagne, qui crut trouver
des avantages à Ëiire revivre les aflemblées de la nation. M n'en ayoit
rien à redouter; tous les courages étoient ^.étris. Les cœurs delféchés n'é-
prouvoient plus le fentiment généreux de la liberté. Il profita de cet af-
ioupiffement ffaipide pour convoquer le Champ de Mai fous le nom d'Etats-
Généraux , & ce qui fembloit devoir limiter fa puiffance , ne fervît qu'à
l'étendre. Les haines éclatèrent entre les Seigneurs, les Prélats & le Tien-
Etat : chaque ordre voulant s'élever fur les débris des deux autres, tous
tombèrent dans l'abaiffement. A mefure que la puiflance Royale prit de;i
accroifliemens , on éprouva l'inutilité des diètes de la nation qui étoient
plutôt des femences de troubles que des remèdes aux maladies de l'Etat
Quelques-uns prétendent que les Etats-Généraux tenus fous Philippe-le-
Bel, n'étoient qu'une contmuation des affemblée^ du Champ de Mars ou
de Mai. Mais comme on ignore quelle en fut la forme , les prétt>gatives
& les ioftitutions, on ne peut rien dire fur la conformité de cette aflemblée
avec ceHes des premiers Francs. Voyer États-Généraux; Parlement.
Un écrivain François (a) prétend , que l'autorité légiflativc ne fut
(a) M. Moreaui Leçons de morale, de politique y & de droit public, puifées^ dans VHif*
âvire de notro Monarchie^ ou nouveau plan^^ &c» Paris, chez Moutard, 1773, &. ^^^*
jamais
CHAMP DE MARS ou DE MAI, ^57
jamais placée dans les Champs de Mars & les aifemblées qui leur
luccéderenr. II foutienc que le Monarque pofTédoic feul cette autorité;
c'eft une conféquence nécefTaire de la première propofition ; que le
Cheffuprême appcllou & excluait qui il vouloit de ces afTemblées, & que
chacun des membres qui y aflîftoient, rî^avoit que des eonfeils à don^
ner & non des fuffrages.
Bien des monumens contredirent ces alertions; & il n^eft pas aifé de
faire pafler pour des erreurs ou des pféjugés ce qu'on a regardé jufqu'ici
comme des principes avoués^ & des faits confiâtes. On a cru que le pre-
mier aâe de légiflatîon de nos Rois datoit de la fin du Xlle. fiecle , &
l'ordonnance de Philippe- A ugufte de 1190, paffoit pour le premier monu-
ment de leur pouvoir légîflatif : il faudroit donc qu'elle eut été précédée de
beaucoup d'autres édits. Comment expliquer ces mots de Clotaire, qui dit , en
nous parlant des afTemblées du Cha^mp de Mars , on les convoque parce
que tout ce qui regarde la fureté commune doit être examiné & réglé par
une délibération commune'^ & je me conformerai à tout et quelles ont réfolu ?
£t ailleurs Clotaire répond aux Ambaffadeurs de la Reine Brunëhaut, qu^il
faut convoquer une ajfemblée de la Noblejfe & délibérer en commun des affai"
wxs communes, {a).
Comment entendre ces mots qui fe trouvent dans une ordonnance de
Childebert de ^32 : nous avons traité quelques affaires à Pajfemblée de Mars
^vec nos Barons , ($ nous en publions aujourd'hui leréfultatj afin qu^il par*
tienne à la connoijfance de tous. [b).
Comment renverfer le témoignage du favant Bouquet qui travaillant par
^rdre & fous les yeux du gouvernement, s'explique ainu dans la préface
des loix faliques? (c) diclaverunt falicam legem prokeres ipfius gentis ^ qui
tune temporis apud eam erant reàores : funt elecli de pluribus^ viri qua*
tuor , qui per très mallos , convenientes , omnes caufarum origines follicitè
difcurrendo tractantes de Jîngulis y judicium decreverunt hoc modo.
Un autre pafTage auffî formel & relatif aux Champs de Mars , fe trouve
dans les annales des 7vz,ncs ^ fedcbat in fella regia^ circumftantc exercitu ;
prtrcipiebatque is die illo quidquid à Francis decretum erat.
Pourquoi Pépin , l'habile , l'audacieux Pépin ( qui une fois arrivé au
f tfl Atmoinde GeJI. Franc. Z. 4. C. /. apud Bouquet^ recueil II L
ih) Bouquet, (ibid. Tom. 6.p* j.) & dans une autre ordonnance i nous fommes conver
nus avec le confentement de nos Vajfaux ÔCc- ibid. §. II.
(c) ibid. p. 22 (& ailleurs idem p. 124) Hoc decretum ejl apud regem & principes ejuSj &
'érpud cunêlum populum chrijlianum , qui infrà regnum Merwmgorum confiflunt. Voyez dans M.
de Mably , (ohjerw. fur VHift. de France) dans des Chartres accordées par des Rois de la
Jrc race : Ego Childebertus rex unàcum confenfu 6» voluntate Francorum ^ &c. (annal. 558
ibid. 622 ) Clotarius III , unâ cum patribus noflris epifcopis optimatibus , caterifque palatii
nofiri miniftris , (. ann. 664 ) de confenfu fidclium nofiiorum^ .
Tome XL K k
a^8 CHAMP DE MARS ou DE MAL
trône polTédoit abfolument l'autorité tëgiflative puifqu'elle étoit Papanage
de la louveraineté ; ) pourquoi Pépin, dis-je, quand il aflbcia Charles àz
Carloman fes deux fils à la Couronne fous le confentement de Taflemblée
nationale , fe fervit-il de cette formule fi connue unà & cum conjenfu Sic.
Vufage le plus ordinaire des Rois n'efl pas de céder dans la forme ce qui
leur revient dans le droit. Eginhart , fécrétaire , hiftoriographe & gendre de
Charlemagne, & par conféquent fi à portée d'être bien inftruit de la conf- .
titution, die exprelTément ; que, les Francs confirmèrent le choix de Pépin
à fa mort^ & ce qui eft bien plus concluant, quHls limitèrent leurs états
Tcjpeclifs. {a)
Comment le plus grand & le plus puiflant Prince qui ait jamais exifié,
comment Charlemagne , ( s'il avoit cru toute l'autorité légiflative conceD-
trée dans fes mains , auroit*il dit dans la charte qu'il donna pour le par«
tage de fes domaines , dans le cas oii il y auroit incertitude fur le droit .
des difFérens compétiteurs à la Couronne , celui (Pentr\ux que le peuple
choijtra , fuccédera i la Couronne ? Car c'eft une anecdote bien fingulierc
pour l'hiftoire philofophique de ce Prince & de ce fiecle. Pourquoi ce
Prince afTembla-t-il fi exaâement une ou deux fois l'an les convcntus molli
ou placita {b) qui fe tinrent régulièrement fous cette dynaftie, lui donc le
génie pouvoit fans doute fupporter feul tout le faix de la légiflatioû?
Que deviendra le favant Traité d'Hincmar , Archevêque de Rheimii
de ordine palatii , important & précieux monument de nos antiquités »
receuil de faits , que l'on n'a jamais révoqués en doute > C'eft dans ce Tiaicé
que l'on trouve la preuve de l'exaâitude avec laquelle Charlemagne con-
voqua toujours les affemblées de la nation deux fois par an« Dans Tune
fe régloit l'Etat de tout le Royaume ; dans l'autre on fixoit les dons gé-
néraux. Confuetudo autem tune temporis talis erat ut non Jctpiùs fed t^
in anno placita duo tenerentur^ unum quando ordinabatur ftatus totius ttf;
ni . • . . propter gêner aliter danda^ aliud placitum , &c &c. (c).
&
lie entre les fujets & le fouveraîn , Hincmar rend témoignage
dination confiante de ceux-là lorfque le Prince les avoit entendus, au^^
long-temps qu^ils vouloient lui parler ^ lorfqu'il avoit admis leurs raifons , leurs
çontradidions , leurs confeils. Qiianto fpatio voluijfent^ cum eis confifitntf
& cum omni familiaritate , qualiter Jingula reperta habuijfent referehant^
qiiantâcumque mutuâ difputatione , feu amicâ contentione decertajfent^ apcf*
tiùs recitabant . . . . donec res fingulœ ad effeSum pcrdu3œ gloriofi princi*
(a) Capitul. vol. I. p. 442.
\b) Noms des afTemblées de la nation fous la i^» race,
Ce) Dt ordinê palatii^ Chap, ig»
\
CHAMPDEMARS ouDE MAL 259
pis auditui in facrisqut ohiutlbus expontrentur ^ & quidqiiid fapicntia
€Jus digcrct^ omncs fequcrcntur {a). Le Leâeur remarquera que ç'eft à la
fagtffc-àt Charlemagoe que les François s^en rapportoient.
Les capîtuTaires même offrent de nouvelles difficultés contre le fentî-
ment de ce nouveau publicifle. On trouve, par exemple, une loi de Tan 80}
qui ordonne que lorfqu^il s*agira d^établir une nouvelle loi, la propofi*
. tion en foit foumife à la délibération du peuple , & que s* il y a donné
fon eonfentement ^ il la ratifiera par la fignature de fis reprcfintans, (b) ^
On trouve dans un édit de Phîlippe-le-Bel , (c) par lequel ce Roi pro-
met d'établir deux Parlemens à Paris, ces propres mots qui méritent at;-
teniion : pratereà propter commodum fiibjeSorum expeditionem cauffaruv?,
proponimus ordinare quod duo Parlamenta Parifiis y & duo fiataria Ro-^
thomagenfia , & dies trecenfis bis tenebuntur in anno , & quod Parlamen^
tum apud Tholofiim tenebitur^ fi gentes prcediSct terrœ confintiant^ quàd
non appelletur à prcefintibus in parlamento.
On trouve dans le recueil des hiftoriens de France (d) une lettre de
Hugues Capet à l'Archevêque de Sens où fe lifent ces propres termes;
que ne voulant point abufir de la Puiffance Royale , il règle toutes Us af^
foires de la chofi publique par le confiil & Cavis de fis fidèles. ( Reguli
potentiA in nullo abuti volentes omnia negotia reipublicœ in, confiiltation€
€r finténtia fidelium nofirorum difponimus. ) .
On trouve beaucoup d'ordonnances de la troifieme race ( fous Louis VI;
l.ouis Vn, Philippe^Augufte , St. Louis ) qui fpécifient très^clairement
le confiil^ confintement ^ volonté ^ concours des Prélats & Seigneurs y des
Barons y des Fidèles^ (e) comme nécelfaireis à la fanâion des aâes lé-
giflatifs.
Mais on trouve fur-tout dans le code des loîx Normandes , (/) confer*
▼ées pour la plupart dans la coutume de Normandie , & qu'on peut re-*
garder comme le recueil légiflatif où (ont confignées les loix & coutu-
mes anciennes de PEurope, on trouve, dis-je, dans ce code, ce texte
précis, & qui parolt n'admettre aucune réplique contradifbire.
Quoniam ergo leges 6 infiituta^ quœ Normanorum principes ^ non fine
wagnâ provifionis indufiriâ Prœlatorum , Comitum & Baronum , nec non
& cœterorum virorum prudentium concilio & confinfii ad falutem humanam
fœderis ftatucrunt^ &ç. &c.
{a) Ihid. anno 88 z* Cap, 34 fr 3J.
ib) CapituL vol. I. p. 194*
(c) 1302.
{d) Tom. 10. p. 391,
W Ordonnances des année» 1118, 1118, 1137» X1581 ^^59* xiaS, 1246, 6^c. &el
(f) Codex legum Normanicarum , cdente Ludwig j eap, prim, ^ x« Tomo y De reliquia
manu Jcriptorum &c. ( in prafatione notât Ludwig has leges /ecuïi decimi tenii coctvas^
K k2
atfo, CHAMP DE MARS ou DE MAL
Il efl à remarquer que Ludwig , éditeur de ce code ^ célèbre jurifcoo^
fuite, défènieur de Frédéric premier, (a) qui ne déguifoit pas fon goût
pour le defpotifme ; que Ludwig, dis-je, établit comme bafe du droit ger«
mmique, la néceflîté du confentement des trois ordres. Voici les propres
termes de fon commentaire : cji hoc homini Germano omnino difctndum
0 notandum qiiod Icgijlatoria potcjtas uti in Imperio non pcnès impcra-*
torctn Jolùm ; veràm ctiam ordincs in conùtiis : ita in provinciis quoquc
principi Jolis non licuit condcrc Itgcs ^ nifi in conctjfii confcnfuqiic procc^
rum provincialium ( dcr Lanjlacndc , ) ut adeà provinciales legcs nomcn Jup'
tinerent provificialium nccejjuum , in ycrnacula : ( der Lantags abfchic^
de ) &c. &c. •
On pourroic conclure, ce me femble^ fans fortir des règles de I^analo-
gie^ pour la France occidentale , d'après les loix de la France orientale. {B)
Il feroit trop long de parcourir la centième partie des difHcuIcés qui fe
préfentent contre le fentiment qui attaque les anciens privilèges de la
nation Françoife. Mais je ne puis m'empêcher de citer ces mots de Faf*
€[uier, qu'il n'eft pas ailé de réfuter.
Tf> Pourquoi Capet , plus fin que vaillant , qui par aftuce feulement étoic
9 arrivé Jl la couronne , fit , au moins mal qu'il put , une paix avec tous
m les Grands , Ducs & Comtes , qui commenceront dés-iors à le reconnoitre
9 feulement pour Souverain , ne s'eflimant au demeurant guère moins ea
fï grandeur que lui ; & certes quelques-uns , non fans grande apparence
a> de raifon , font d'avis que la première iiiftitution. des pairs commença
» adonc entre nous, (c) «
Je n'ignore. pas que le Préfident Henault, (ou celui que ce Magiftrata
copié ) a traduit , au grand fcandale de la nation , ces mots : ex confenfa
popiili y par ceux-ci : dans Vajfemblée du peuple : tradu^ion certainement
intolérable à ne confiderer que littérairement le feul mot confenfus\ mais
(tf) Dans fes difcui&ons pour la Principauté de Neuchâtel.
(W L'Europe offre par-tout les mêmes loix. En Danemarc, oîi Ton a touîours affenr*
les hommes, je troure cette infcription des Loix Danolfes Ugts Danicœ à Woldctna
€dita anno iioo , Parlamento Danico ex confenfu meliorum regni ( Ludwig, nlîquia nuum
fcr'iptorum* Tom. ii.
(0 Voici un paffage de Montaigne , bien analogue à eelui de Pafquîer. « Cifar appelle
n roitelets tous les Seigneurs ayant juilice en. France de fon temps. De vrai , fauf le
teneur ,
tt valets , & voyez auffi le vol de fon imagination , il • n'eft rien plus Royal . Il oit par*
m ïtT de fon maître une fois Tan , comme du Roi de Perfe , & ne le reconnoît que
» par quelques vieux coufinages , que fon Secrétaire tient en regirtre. A la vérité , no»
» loix font libres aflei, & le poids de la fouveraincté ne touche un gentilhomme Fraa-
» çou a peinç deiu foii en fa vîe^ <<
CHAMPDE MARS oxrDE MAI.
z6i
dont le mot ex découvre bien évidemment la lâche intention ; (a) car les
mots ex & in n'eurent jamais la même fignifîcacion , & il efl impofUble
de s'y tromper de bonne foi.
Il faut être en garde aufli contre les £iI(lfications faites en plufieurs en-
droits dès les Capitulaires de Charlemagne, dans les nouvelles éditions
des ordonnances , dont heureufement , on trouve le vrai texte dans
Baluze.
Enfin eft-il poflîble , vu les mœurs connues des premiers Francs , tous les
monumens qui nous refient de leurs anciennes înflitutions , de leurs ufages^
de leurs maximes , des principes féodaux qui leur fervirent fi long-tems de
code ; eft-il poflible, dis-je (b) que le pouvoir légiflatif abfolu fe foit trouvé
uniquement placé fur la tété du chef fans nulle efpece de modification ^
aucune fimple confulte ^apparat & non de réalité ; puifqu'au droit de con^
jeil ne fe réunifibit jamais celui de fufirage? Comment cet antique defpo-
rifme 4uroit«il pu s'établir & fe foutenir ; ne . contredir-il pas évidemment
les coutumes des Germains , les taxes des plus anciennes Loix Septentriona-
les y Ripuaires , . Bourguignones , &c. les Capitulaires , les Loix Saxones Se
Germaniques , bafe des Loix Angloifesi, Françoifes , Ton peut dire même ,Eu-
ropiéennes, car^ ob.ferve trèsrbien » L^dvig , l'Europe n'avoir dans l'ancien
tems qu'une langue & une loi : In Europa. • . • fuijfe unam Grammaticam 6f
Legijtaiorem. -
Du refle nous donnerons une ample analyfe de l'ouvrage de M. Moreau^
en traitant .du droit public François au titre Frai^ce.
i^
^"
{a) Il eft une autre preuve 't>îen plus formelle «ncore; de cette intention : c'eft que les
mots ex €onftnfu font précédés de ceux-ci : in parlamento.
{b) Tacite dit exprèifeinent \QiU le çonfentemeht de tous les membres- de la focUté 'étoit
nictjfaire dans les délibérations prifes par les -Germains.; de mînoribus rehus principes con-
fultant^ de majoribus omnes : & Ton trouve {mor. germ.) ces propres mots , que je fuis
bien-aile de citer , dans la crainte qu'ils n'échappent'à M.^Moreau. M6x res, vel principes
p/vut atas cuique^ prout nobiittas , prout deeus bellontm^ pr^ut facundia efi ^ audiuntur ^ attc-*
toritste fuadendi maf^s quàm jubendi potefiate. Que M, d*Alembert traduit ainfi , prefque
littéralement : Alors le Roi , ou le çftef, ôk touï autre font écoutés felori le rang que lekr
donne Vage^ la noblejfe^ la gloire des' afmes^ CéUqttsnce* L'autorité de la per/uafion eft plus
font que celle du compiandement.
On lit dans ce mime paffage de Tacite ces* propis» mots : me regibus Jn/lHta aut libéra
pottftas^ )J^ duces ^cxtmplo potius quàm itnperio^ .
0,6± C H AN C.EX I E'R.
e
CHANCELIER, f. m.
Ë mot chez les anciens ne défi^soit qu'un petit officier de très -peu
•^e cohfKlération, un portier;, un huUfîer, qui fe tenoit à une porte à
' barreaux ^ grilles ou cancclli , laquelle féparoit le Magiftrat qui rendoit U
^uftice, où TEmpereùr qui donnoit fes audiences^ du peuple qui étoit pré-
lent \ Sic dlâus à canccUis qui pro oftio erant. Ce Chancelier étoit li
pour prendre les requêtes , les préfenter , & empêcher qu'on ne fit du
bruit. Cette charge étôit encore li peu confidérable du temps de Vopifcus,
4]|uè cet ^Hiftorien reproche comme une aâion honteufe à l'Empereur,
*d'avoir ëlevé à la dignité de Gouverneur de Rome, un homme qui en
étoit revêtu. Ihfenfiblement ces Chanceliers devinrent quelque choie , &
tlu temps de Caffîodore, ce n'étoient plus -des ' huidîers ni des portiers,
mais ils faifoient la fonâion de fecrétaires des Princes , & de maîtres des
requêtes. On étendit depuis ce nom à ceux qui plaidoient dans le barreau i
& on les appeRoit canceUiforcnfts ^ «à caufe de ces bahiftrades grillées dont
les barreaux étoient revêtu». On le donna auffi à ceux qui tormoient le
confeil fecret du Prince.
• ' I • • •
Les principales difpofitions des loix Romaines, par rapport. à ces Chaa-
celiers, font qu'on les pouvoir accilfei' en Cas de feux, que leur emploi
n'étoit pas perpétuel-; qu'après l'avoir^ quitté ^ils'-'devoient demeurer encore
cinquante jours dans la Province , ann que chacun eût le temps & li
liberté de faire fes plaTntés* contr'eûx'", s'a y àVoît lîéû' \ que ceux qui
avaient Élit cette .fon^on ,. ne devoiçnt point y rentrer après leur com*
miffion finie. : '
■ Au conimencèment , les Préfldiwis & autres Gouverneurs^ des Provinces
fe fervoient de leurs clercs domeftiques pour Chanceliers ou Greffiers, ou
bien ils les choififfoiem ^ à volonté; .ce qui fut changé par Jes Empereurs
Honorius & Théodofe dahj une loi oii ces Greffiers font appelles canccUatiu
Il eft dit que dorénavant : ils ferqnt pris par éleâîon fplemnejle de Tof-^
fîce, c'efl-à-dlre , du coirps À compagnie des Officiers Miniflres ordonnés
à la fuite du Gouverneur, à la charge que ce corps & compagnie répon»
droient Civilement dd$ fautes de oetui^qui aiiroit été élu Chancelier.
Les Chanceliers n'étoient pas les feuls fcribes^ attachés aux Juges ; il y
avoit avant eux ceux qu'on appelloit exceptons & rtgtrtndariu Les pre-
miers étoient ceux qui reccvoient le jugement fous la didlée du juge ; les
autres tranfcrivoîent les aôes judiciaires dans dej regiftres. Le propre du
Chancelier étoit de foufcrire les jugemens & autres ades , & de les dé-
livrer aux parties. Il y avoit auflî ceux que l'on appelloit ah aSis ou ac^
tuarii , qui étoient prépofés pour les ades de jurifdi6tion volontaire , comme
(émancipation , adoptions , contrats 6c teftamens.
GRAND-CHANCILIER D» ANGLETERRE. ,a^j
Quoique, le Chancelier fût d'abord le dernier dans Tordre de m\ls lç$
fçribçs du juge, comme il paroit au livre de la notice de P Empire^ iSc
au titre du code de ajfcjjbribus , domejlicis & cancellariis judicum ; il fut
Qéanmoin% daos la luite en plus grande confidération que les autres, parce
que c'étoic le feul auquel les parties euifenc affaire. On en peut juger par
ce que dit Cafliodore à Ton Chancelier , dans fa première épitre du fécond
livre. Qiiamyis Jlatutis gradibus omnis militia peragatur^ tuus honor cog^
nofcitur foUmni ordine non ttntri , qui fuis primatibus mcruit annponi:
Tibi enim reddunt obfequia , qui u prceire nojcuntur , & rejîexa conditionc
juftitice , ilUs reverendus afpiccris , quos fubfequi pojfe monflraris^ Cafliodore
ajoute que l'honneur du juge dépendoit de lui , parce qu^il gardoir , fignoic
& délivroit aux parties les expéditions ; Jujfa nofira fine ftudio venalitatis
expédias , omnia ficque gcras^ ut nojlram pojjis commendare jujlitiam ; aclus
enim tui^ judicis opinio tfi; & Jicut penctrale domus deforihuspotejl con^
grucnttr inteUigi , fie mens prajulis de te probatur agnofci.
Dans la première épitre du livre douze , il dit encore à (on Chancelier :
Fafces tibi judicum parent ; & dum jujfa prœtorianœ fiidis portare crederis ^
ipjam quodam modo potefiattm reverendus ajfumis. Cette même épitre nou$
apprend que c'étoit alors le préfet du prétoire , qui choififToit les Chance-
liers des Gouverneurs des Provinces^ qu'il leur donna comme des contrô^
leurs de leurs aâions; ce qui augmenta beaucoup la confîdération dans Ia«
quelle étoit déjà TofRce de Chancelier ; de forte qu'enfin on entendit fou$
ce nom , ceux qui faifoient toutes les expéditions des grands M agtflrats.
GRAND-CHANCELIER D'ANGLETERRE.
V.^'EsT un grand-officier de la Couronne Britannique^ lequel depuis
prés de 400 ans, ne voitaudeffus de lui dans le Royaume, que le Sou-
verain , les membres de la famille Royale , & l'Archevêque de Cantorbéry.
L'an 1399, il cédoit encore le pas au grand Sénéchal [the Lord high S ter*
ward)'i mais à. cette époque, là charge de celui-ci, jufques là hérédii-
taire, & alors exercée par Henri de Bolingbroke, qui monta fur le Trône
ibus le nom d'Henri IV; à cette époque, dis- je, la charge de grand Sé^
néchal ayant été abolie , pour ne plus revivre que dans certains jours rare»
& folemnels, celle de Grand-Chancelier devînt la première. Elle cfl, quant
à fes fondions, de la plus ancienne date. La Monarchie Angloife une fois
fixée par Egbert dans le IX«. ficcle , & les fujets de l'Etat une fois fournis
âk des loix publiques par Edouard le ConfcfTeur dans l'onzième , l'on ne voit
aucun tems dans les Annales de ce pays , où la charge de Chancelier n'ait
cxiflé. L'on n'en voit aucun non plus , jufques au régne d'Henri VIII , oii
elle n'ait été remplie par des gens d'Eglife , tant à raifon du long afcear
26^ GRAND^CHA^CÈLÏER P'ANÔLETERRE.
dant de ces gens là , fur refprit des Rois & des Nations , que parce qu^èa
vérité les laïques d'un certain rang croupifToient prefque par-tout dans l'i-
gnorance , ou n^avoient de goût & de talons , que pour le métier des ar«
mes. L'on fait quel effet produiiît en Europe , le mélange bizarre des mo-
des gothiques , lombardes. & religieufes , mis à la place des anciens ufages
romains : là capacité individuelle de chaque homme laïque en parut , pour
ainfi dire^ mutilée; il y eut comme un fchifme dans les emplois néceflai-
res aux Etats ; il y eut églife » il y eut robe , il y eut épée : un même
homme ne fut plus à la fois juge ^ prêtre & foldat ; & le feul adouciflè*
ment apporté à la rigueur du fchifme, fut la réunion affez fréquente ^ à la
vérité , des emplois de la robe avec ceux de l'Eglife.
Sous Henri VIII, comme on l'a dit, les chofes changèrent en Angleter-
re, à cet égard, comme à bien d'autres : & fi , comme quelques uns l'ont
écrit, la célébrité n'eft devenue fon partage, qu'après avoir été celui ^e
toutes les autres contrées de l'Europe , l'on peut bien conclure de l'illuftra-
tion qui couvre aujourd'hui cet Etat, que pour l'établiffement de fa ré-
putation , il n'y a pas eu de péril dans le retard : mais enfin , le Cheva-
lier More, plus connu fous le nom de Thomas Mo rus ^ fut en Angleterre,
le premier laïque revêtu de la charge de Chancelier ; il fuccéda à l'ambi-
tieux cardinal wolfey, qui fans mourir fur un échafFaud, comme lui, fiit
beaucoup plus malheureux, parce que dans la difgrace où tous deux tom-
bèrent , on ne pouvoit pas dire de Wolfey comme de Morus /î fraâus
iUabatur orbis , impavidum ferlent ruinœ. Ce Morus n'eft pas le feul grand
homme qui ait été Chancelier d'Angleterre : Bacon & Clarendon l'ont été;
Sommers l'a été, & de nos jours on en a vu, dont nos neveux diront,
fans doute , le bien que nous en penfons.
Depuis Tunion de l'Ecoffe Hi l'Angleterre^ .le Grand-Chancelier de ce
dernier Royaume, a pris le titre de Grand-Chancelier de la Grande-BrC"
tagne. On l'appelle en \7LXÏnfummus Cancellarius ; & comme il eft en même
tems garde du grand fceau , on l'appelle auflî magni figllli cuftos : on l'ap-
pelle encore , garde ou dépofitaire de la confcience du Roi , & cela relati-
Arement à la belle , gracieufe, & majeftueufe fonâton de juge d'équîré,
qu'il a quelquefois à remplir, & qui le fuppofant exercer l'autorité Roya-
le , dans fes devoirs les plus importans , le met en droit de mitiger le (ens
des loix , & d'en foulager le fardeau , en faveur des fujecs .qui font admis
à s'en plaindre.
La réunion des charges de Chancelier & de Garde du grand Sceau d'An-
gleterre , eft ordinaire dans la même perfonne , fans cependant être conf-
tante : l'on n'y voit jamais de Chanceliers qui ne foient en même tems
fxiiflion, ou exercées par ComtnilTaires } le cas a eu iiçu l'an 1770 , avec
des
ÇRAND-CHANCELIER D^ANGLETERRR 1^5
fles circonftances , qui occuperont fans doute un jour les faifêurs d^anec-
dotes.
Ces deux charges font de la plus grande importance , & s^exercent du^
rantthtnt placito régis. Elles font les mêmes quant au pouvoir , aux préé*
mioences & à Pautorité qu'elles donnent ; mais elles femblent différer
quant à la dignité qu'elles (uppofent. Le Garde du grand Sceau e(l (impie-
ment créé par l'adminiftration du ferment, & pcr traditiontm magni JigiUi
fihi pcr dominum rcgcm ; au lieu qu'indépendamment de ces deux forma-*
lités, l'élévation à la charge de Chancelier » efl encorç accompagnée de
lettres-patentes , qui la confirment.
Unies ou féparées , ces deux charges donnent place dans le Confeil Privé
du Roi, & dans la Chambre haute du Parlement : ici, comme orateur ou
président de cette Chambre , & là , comme premier membre laïque. Celui
qui en eft revêtu ne fe montre jamais en public fans la malTe & le grand
oceau , fymbole de fon office ; il tient la cour de Chancellerie dont on va
parler ; il munit de fa fanâion toute patente , commiffion » conceffion , &
autres aâes émanés de la part du Roi ; & par un attribut , dont on fent
bien que l'origine eft antérieure au rems de Thomas Morus , il difpofe de
ceux d'entre les Bénéfices Eccléfiaftiques dépendans de la Couronne, qui^
dans la feuille du Roi , ne font pas évalués à plus de vingt livres fferiing
par an. Son falaire annuel efl de fept mille livres flerling , & (es autres
avantages lucratifs confiflent dans une gratification pécuniaire que le Roi
lui fait en le créant, & dans une penfion que fa Majefté lui afligne, lors
qu'elle le congédie.
La Cour de Chancellerie d'Angleterre , le premier & le plus ancien des
Tribunaux civils de ce pays-là , eft à la fois une cour de juflice , & une
cour d'équité. Comme cour de juftice , elle exige dans la plaidoierie à-peu-
prés les mêmes formalités que les autres Tribunaux. L'on y procède par
plainte formée , examen ou audition de témoins , & citations ; & fi une
première citation n'eft pas écoutée, il s'en fait une féconde , avec menace
de faifir; & fi cette dernière encore eft vaine, alors la cour proclame le
refraâaire comme rebelle , & des ordres font donnés , pour qu'il foit pris
par-tout où on le trouvera , & conduit à la prifon civile : cette cour pro«
nonce fuivant les ftatuts & coutumes du Royaume. Comme cour d'équité,
la cour de Chancellerie modifie & tempère le fens rigoureux des loix , &
prononce abfolument en confcience , mais en confcience Royale , c*eft-à«
dire , bonne , fans affeétion , fans haine , fans partialité. Une obfervation
à faire fur cette cour de Chancellerie en général , c'eft que les fentences
qui en fortent , n'ont force que fur les perfonnes , & nullement fur lea
biens ou les terres de ceux qu'elles concernent; enforte que s'il s'agit de
les fiiire exécuter par contrainte, il n'y a point d'autre voie à fuivre que
la prifon. Du refte , il y a appel de ces fentences , comme de celles des
autres Tribunaux (kl Royaume , par* devant la Chambre haute du parle-*
Tome XI. L l
266 GRAND-CHANCELIER D^ANGLETERRE.
ment de la Grande-Bretagne. Mais une différence eflentielle entre ces au«
très Tribunaux & celui de la Chancellerie, c'eft que ceux-là, compofés
chacun de pluHeurs juges , ne font acceflibles qu'aux quatres termes an-
nuels fixés par les loix; au lieu que celui-ci, qui n'eft que d'un feul juge,
favoir le Grand Chancelier, efl d'un accès confiamment ouvert, dans les
tems de vacances ou de fériés, comme dans tout le refte de l'année : inf*
ticué pour l'avantage commun & particulier de tous les fujets de l'Ëtat^
il efl, de fa nature, le recours perpétuel de quiconque fe trouve prefTé,
foît de vuîder un différend , foit de fe relever d'une informalité , loit de
fe prévaloir de la loi dite habcas corpus. Le Grand Chancelier , dans tous
ces cas, efi en droit de prononcer tels jugemens, de faire telles prohibi-
tions , & d'accorder telles allibérations , qu'il juge convenables. Il eft en-
core en droit, & ce n'efl pas la portion la moins éminente & la moins
importante de fon autorité , il eft en droit de donner des commiffions dans
tout le Royatmie, pour les levées de deniers deflinés à des ufages chanta*
blés; & infpeôeur fuprême de lu conduite des commis à ces levées, c'eft
à lui de connoitre de la fraude & des abus qui s'y commettent. Enfin c'eft
à lui, ou à fa cour, que font comptables de leur geltion, tous ceux qui
par la volonté particulière de quelques donateurs , font connus pour dépo*
fitaires, ou pour adminiftrareurs de quelques donations*
Tant de droits , tant d'autorité , tant d'importance , dans la cour de
Chancellerie d'Angleterre, lui fuppofent des lumières fans bornes , un tra-
vail fans relâche , & une intégrité fans tache. L'on a lieu d'y cherchera
merveille de Jurificonfultcs conlommés, d'Avocats que rien n'étonne, &d«
Jugés que rien ne dévoie ; & (i cette merveille doit être quelque part fous
les cieux, les loix d'Angleterre ont voulu qu'elle fe trouvât dans cette cour
de Chancellerie : mais â côté de ce qu'il peut y avoir d'hypothétique daos
la chofe , fe place un fait qui réellement tient du prodige , c'eft qu'un
feul homme foit Juge dans cette cour^ le Grand-Chancelier d'Angleterre
eil ce feul Juge , & les afliftans qu'on lui donne n'ont pas même le titre
de Confeillers : ils ne font appelles que maîtres en Chancellerie , & bien
que cenfés Doéleurs en droite, les fondions de détail dont chacun d'eux
e(l chargé , ne les réduifent guère qu^au pied de (impies rapporteurs : ils
font au nombre de douze , & à leur tête eft le maître des rôles , dont
l'office efl de tenir la cour, quand le Chancelier s'en abfente. 11 y a iîx
clercs principaux pour l'expédition des aâes , quatre-vingt-dix pour les en-
regiftremens., & une multitude d^autres fubal ternes fervant la cour, &l'eni-
barraflTant : comme toute armée a fes bagages , toute cour de juftice a
les valets.
Il y a auffî en Ecofle & en Irlande un Chancelier qui a la garde du
Grand Sceau du Royaume, Ces Chanceliers font établis à-peu- prés fur le
même pied que celui d'Angleterre,
.CHANCET.IFR DE UARCHIDUC IVAUTRICHE. x^j
CHANCELIER DE L»ARCHIDUC D'AUTRICHE.
X L porte le fceau de l'Archiduc , & hxt auprès de lui toutes les autres
fonâioQs que font les autres Chanceliers des Princes fouverains. Cet office
que quand l'Archiduc vint à Arras pour
Chancelier de France la foi & hommage qu'il devoir au Roi pour fes Pai-
ries & Comtés de Flandres , d'Artois & de Charolois , le Chancelier de
France étant à une lieue d'Arras , meffire Thomas de Pleurre , Evêque de
Cambrai , Chancelier de PArchiduc , accompagné du Comte de Nauau Se
de plufieurs autres Seigneurs de marque , vinrent faluer le Chancelier de
France de la part de leur maître.
I
CHANCELIER DE BOHÊME,
L a la garde du fceau du Roi de Bohême. La Chancellerie eft toujours
à la fuite de la cour. Il y a aufli un Grand-Chancelier en SiléHe , qui efl
piréiident du confeil fupérieur. En 1368, le Chancelier de Bohême avoit
un hôtel à Paris.
*.
CHANCELIER DE D A N E M A R C.
v^ 'EST un des grands Officiers de la couronne , qui a la garde du fceau
Royal. 11 efl le chef d'un confeil appelle la Chancellerie ; & en cette qua-*
iité il a entrée au confeil d'Etat, de même que tous les chefs des autres
confeils. Le Chancelier particulier du Duché d'Holftein y a auffi entrée*
L'appel des Juges Royaux de Danemarc reflbrtit au confeii de la Chan-
cellerie. On appelle enfuite du Chancelier au confeil du Roi ou d'Etat,
auquel le Roi préfide. Il y a auffi un autre confeil , appelle le confeil de
jvftict , qui a pour chef le Grand- Juflicier , Officier dilBFérent du Chance-
lier. Quand il y a quelque plainte contre un Juge, on le fait citer par un
Officier de la Chancellerie aux grands*jours que le Roi tient de temps en
temps , pour examiner la conduite des Juges fubalternes.
Ll 2
a6S
CHANCE tIBR DE L» ECHIQUIER.
CHANCELIER DEL» ECHIQUIER
o u
GRAND-CHANCELIER DE LA COUR DE L'ECHIQUIER.
C^ *EST un des Juges de la cour des finances d'Angleterre qu'on appelle
Aufli cour de F Echiquier. Le Chancelier y fiége après le Grand-Tréforier ;
nuûs ces deux Officiers s*y trouvent rarement. Voyc{^ ECHIQUIER.
CHANCELIER,
O u
GRAND-CHANCELIER
O V
ARCHICHANCELIER de PEmpin ou du Sairu-Empat
Romain.
U
' N Archevêque de Saitzbourg, nommé Théotmar, eft le premier
Archichincelier de l'Empire, dont il foit fiiit mention dans Thiftoirc. 11 vi-
▼oit dans le IX*. & X«. fiecle , & officia , comme Archichancelier , foui
les Empereurs Arnoiild & Louis IV, dit l'Enfant. L'on donne à ce grand
Officier un nom & une époque; mais voilà touc : on ne dit point en
quoi confiftoit (a charge. Et c'eft ainfi que ces temps reculés & obfcurs,
quant aux détails du Gouvernement Germanique, nous laiflent ignorer, ou
en tout ou en partie , les premiers attributs de la plupart des offices &
dignités de l'Eut. Ils nous font voir des Rois , des Empereurs , des mai*
très, & quelquefois auffi des peuples en afKon; mais les minières ou fêr«>
viceurs de pes maîtres , les snftrumens de leurs volontés , font derrière le
rideau , & nous font cachés comme des machines d'opéra. L'on diroit que i
CHANCELIER DE L' EMPIRE. %6f
Bâles de Meczy foie celles de Fulde, (bit les chroniques de Reginon Abbé
de Pnim , ou celles de S. Gall , ou celles de Corbie , ou celles de Wirtz-
bourg, non plus que les œuvres de Luitprand. Il eft pourtant une forte de
gens fubahernes ^ que le théâtre de ces temps- là nous montre affez conf»
tamment à côté des Souverains; ce font les Moines & les Eccléfiaftiques ,
it la perfbnne defquels sVtachoient au(fî pour l'ordinaire, la plupart des
emplois considérables , que les Princes avoient pour lors à confërer : No
Bishop , ne King ; s* il rùtft point {tEvéque , il ne fera point de Rois , di«
Ibit Jacques I d'Angleterre, homme favant, & rien de plus; & quand il
difoit cela, il avoit fans doute préfente à Pefprit, lliiftoire de l'Europe mo«
derne, dans fes premiers (iecles.
Nous n'avons donc que peu de lumières fur la charge, TofHce & lâ
dignité d'Archichancelier de l'Empire dans fon origine ; & s'il eft quel*-
2ue conjeâure à former à cet égard, c'eft que celui qui en étoit revêtu,
jfoit apparemment les fon£Kons de premier Secrétaire d'Etat.
De Théotmar, \ Hildeberg» Archichancelier fous Othon- le -grand, la
charge dont il s'agit , pafla indifféremment à d'autres Archevêques de Saltz-
bonrg, de Trêves & de Mayence. Sous le même Ochon, & l'an 940, k
la difgrace dé Frédéric Archevêque de Mayence, elle fut mife en corn*
miffîon , entre les mains des Archevêques de Trêves , de Saltzbourg , Se
de Cologne; mais dès l'an 96$ elle fut rendue, & pour toujours, au fîege
de Mayence, qui en rempliflbit alors les fonâions, pour la Germanie ,
pour l'Italie , & pour les Gaules. Sous l'Empereur Henri II , il fe fît «a
démembrement dans cette charge; Tltalie eut fon propre Archichancelier,
6c l'on vit d'abord deux Evéques de Bamberg le devenir fucceffîvement :
ï la mort du dernier de ces Evéques , l'Archevêque de Cologne fut pour
jamais pourvu de l'emploi. Sous Frédéric Barberouffe, un autre démem*
brement eut lieu : ce Prince , rénovateur du Royaume d'Arles , voulut y
avoir un Archichancelier, & pour cet effet, il créa tel, l'Archevêque de
Vienne dans les Gaules, l'an 11^6. Mais fous Rodolphe d'Habfbourg, vers
û fin du XIII^. (iecle , le Royaume d'Arles , quant à fa réalité , s'étant peu-
è-peu détaché de l'Empire, & là majefté de celui-ci ne lui ayant pas per-
mis d^en abandoiner l'honorifique , l'Archevêque de Trêves prit la place'
de celui de Vienne, & il n'a pas ceffê dés-Iors, de fe dire Archichance-
lier de l'Empire dans les Gaules. Enfin , la bulle d'or , donnée par Char-
le$ IV, l'an 13;^, confirma pleinement les Archevêques de Mayence ^
de Trêves & de Cologne , dans leurs charges refpeâives d'Arcfaichanceliers
do St. Empire , en Allemagne , dans les Gaules & en Italie.
Depuis long- temps , la charge des deux derniers n'efl plus que titulaire ;
elle n'exifte plus dans les qualifications des Eleâeurs de Trêves & de Co«
logne , & c'eft cotnme chez bien d'autres Princes , l'indice de ce qu'ils
ont été 9 & non point la marque de ^e qu'ils font ; car c'efi une obfer-
vadoo aflez générale, que foie méfiance de ce que l'on efi aâueUement,
^70 C H A N C E L I E R D E r E M P r R £•
(bit fouvenir flatteur de ce que Ton a été autrefois , Ton fe difpenfe r^te^
ment d'appeller le pafTé au (ecours du préfent , quand il s'agit de fe &ire
confîdérer. Mais enfin , l'Archevêque Êleâeur de Mayence , eft en effet
depuis plufieurs fiecles, le fcul Archtchancelier du St. Empire, en Aile*
magne, dans les Gaules & en Italie. Les réfidus qui peuvent encore fe
trouver des anciens Royaumes d'Arles & d'Italie y reflbrtiffent de la charge
de ce Prince, tout aum bien que les Etats aâuels de l'Allemagne; & il
eft à perpétuité en vertu de cette charge , le direâeur-général de la diète
de l'Empire, le doyen & le direéleur particulier du collège Ëleâoral, l'inf»
peâeurou vifitateur de la Chambre Impériale, & du^Confeil Auliquè , le
garde fuprême des Archives Impériales, & le proceâeur des poftes de l'Em-
pire , pour l'ufage defquelles aufli , les Confeillers qui font au fervice de
ce Prince, n'ont rien à payer.
Far cette charge , plutôt que par fa dignité d'Archevêque , l'Eleâeur de
Mayence eft la première perfonne de l'Empire , après l'Empereur. A la
mort de l'Eleâeur Lothaire François de Schonborn, arrivée l'an 1729, il
s'éleva des doutes dans l'Empire , & des difficultés particulières entre le
chapitre de Mayence , l'Eleôeur de Trêves , & l'Eleâeur de Saxe , au fu-^
jet de la préféance , & des fondions attachées à cette charge , pendant la
vacance du fiege. Le chapitre de Mayence qui envifageoit ces choies comme
àes attributs de fon Eglife , vouloit conféquemment avoir l'une & faite les
autres. L'Elefleur de Trêves y prétendoit , comme ayant le pas immédia*
tement après Mayence ; & l'Eleâeur de Saxe de fon côté , foutenant que
I4 charge d'Archichancelier du St. Empire^ n'étoit attachée ni à l'Eleâo-
rat, ni à l'Archiépifcopat de Mayence, mais à la perfonne même de l'Ar-*
chevêque Eleâeur, en concluoit, qu'à défaut de cette perfonne, l'exercice
de la charge , & tous fes droits , ne dévoient être remis qu'à lui feul , i
caufe de fa qualité d'Archimaréchal du St. Empire. La diète, indécifefur
la queftion, laifla écouler, en proteftations réciproques, le temps que le
chapitre de Mayence mit à fe donner un nouveau chef, & ce chef une
fois élu , la difpute tomba.
C'eft l'Archichancelier de l'Empire, qui, à la mort de l'Empereur, fait
les notifications ufitées aux ]Eleâeurs fes collègues , & qui les convoque à
une diète d'éleâion , pour remplacer le décédé. C'eft lui encore qui pré-
iidant à cette éleâion , fait prêter les fermens accoutumés , recueille les
voix , & annonce enfuite l'Empereur , que la pluralité des fufirages vient
de nommer ; fa propre voix n'eft pas omife dans l'éleâion , & l'ufage
veut que ce foit l'Eleéleur de Saxe, qui la lui demande.
qui reçoit les propofitioi
l'Empereur, & qui les préfente aux Etats; & cette tache remplip, il co
CHANCELIER DE U EMPIRE. ayi
peut présenter d^autres de Ton chef , ou de la part de quelqu'autre, membre
de la diète, fans que TEmpereur, ou fes CommifTaires , aient la &culté de
le reflreindre ou de le gêner en manière quelconque. Enfin c'eft auprès de
lui, ou auprès de fes envoyés, que tout Ambafladeur, Miniftre, ou Député
ii la diète, foie étranger, foit de l'Empire, doit fe légitimer » par l'exhi-
bition formelle des lettres de créance ordinaires.
Quant à la chambre impériale, & au confeil aulique, l'Archichancelier
en fait les vifites, quand il y a lieu, & y rétablit Tordre, lorfqu'il le
faut. Son autorité s'étend à revoir les aâes de la chambre dans les cas de
plaintes , & à remplir à Ton choix toutes les places qui viennent à vaquer
dans la chancellerie de ce tribunal. C'eft aufli lui qui, dans le confeil auli-
que , nomme le vice-Chancelier de l'Empire , & tous les fecrétaires , re«>
giftrateurs , &c. de ce confeil , lefquels pleinement fournis à fa jurifdiâion^
lui prêtent tous en conféquence un ferment particulier.
Enfin l'Archichancelier de l'Empire fut fait proteâeur ou fur-intendant
des pofles de l'Empire l'an i6i{, jufqu'à l'époque oii le Prince de la Touc
& Taxis en devint Grand- Maître héréditaire.
La chancellerie de l'Empire , étant un bureau d'expéditions , Se non point
une cour de jufiice, elle n'a pour membres, après FArchichancelier & le
vice-Chancelier, qui font fes chefs, que des référendaires, des fecrétaires ^
des regiflrateurs & des copifles. Ce bureau eft cenfé toujours ouvert dans
le lieu où réfide l'Empereur; & voilà pourquoi l'Archichancelier, qui ne
peut être fédentaire dans ce lieu , s'y fait conftamment repréfenter par un
vice-Chancelier, lequel ne quitte pas la cour impériale, & eft toujours un
feigneur du premier rang : c'eft aujourd'hui un Comte Je Colloredo^ & c'eft
la (èconde perfonne du confeil aulique. Tout ce qui fort de la chancellerie
de l'Empire , à titres de lettres , de patentes , de diplômes , de conceffîons ,
ou autres aâes , doit paflTer fous les yeux du vice-Chancelier. La diète de
Spire de l'an 1^70 fit pour cette chancellerie, & pour fes émolumens, un
règlement qui fubfifte encore dans fa forme , mais donc on ne croit pas que
la teneur ait toujours été inviolablement fui vie. L'on fait au moins , qu'à
ceux qui ont de quoi les payer.
A7» CHANCELIER ou GRAND CHANCELIER D'ESPAGNE.
CHANCELIER
te
o u
GRAND CHANCELIER D' ESPAGNE.
V^ETTE dignité a dans ce royaume la même origine qu^en France,
& le Chancelier d'Efpagne jouifToit autrefois des mêmes honneurs & préro-
gativeis, c'eft*à-dire , qu'il préfidoit à tous les tribunaux fouverains^ dont
quelques*uns ont même emprunté le titre de chancellerie qu'ils conferveot
encore. Voye^ Chancellerie.
Sous les rois Goths, qui commencèrent à établir leur domination en Es-
pagne vers le milieu du cinquième iiecle, celui qui faifoic la fonâion de
Chancelier étoit le premier des notaires ou fecrétaires de la cour; c^eft
pourquoi on l'appelloit Comte des notaires ^ pour dire qu'il en étoit le chefi
c'ell ce qu'indiquent divers aâes des conciles de Tolède.
Ce même titre de comte des notaires fe perpétua dans le royaume de
Cafiille, & dans ceux de Léon & d'Oviede, jufqu'au règne de dom Alphonfe
furnommé lefaint^ lequel en ii){ ayant pris le titre d'Empereur, appella
ies fecrétaires chanceliers , à Vinjlar de ceux des Empereurs Romains qui
^toient ainfi appelles. On en trouve la preuve dans plufieurs anciens privi-
lèges I qui font fcellés par des Chancelliers.
Le doâeur Salazar de Mendoza, ( ch. vj. de fon traité des dignités fécu"
Itères ) attefte que les premiers qui prirent ce titre de Chancelier étoient
des François, & il en nomme plufieurs.
L'office de Chancelier étoit autrefois en une telle conHdération , que le
roi dom Alphonfe { % loi de la L partie tit. ix. ) dit que le Chancelier eft
le fécond officier de la couronne ; qu'il tient la place immédiate encre le
Roi & fes fujets ^ parce oue tous les décrets qu'il donne doivent être vus
par le Chancelier avant d'être fcellés , afin qu'il examine , s'ils font contre
le droit & l'honneur du Roi , auquel cas , il les peut déchirer. Ce même
prince l'appelle masifier facri fcrinii libcllorum.
Les archevêques de Tolède étoient ordinairement Chanceliers de Caitillei
& ceux de S, Jacques l'étoient de Léon,
Le Chancelier fut le chef des notaires ou fecrétaires jufqu^au règne d'Al-
phonfe*le*bon , lequel en n8o fépara l'office de notaire-mayor de celui de
Chancelier, donnant à celui-ci un fceau de plomb au château d'or en champ
de gueules aux aâes qu'il fcelloit, au lieu du feing & paraphe dont fes pré-
déceffeurs ufoîent auparavant : il laiffa au notaire-mayor le foin d'écrire &
de compofer les aâes; & depuis ce temps ces deux offices ont toujours
été diftingués , quoique quelques hifloriens ayent avancé le contraire.
Dans
• f
C H A N Q E L I B R DE FRANCE.
*73
DâUtt la fuite its temps, les rois de Caftille & de Léon diminuèrent peu
à peu la trop grande autorité de leurs Chanceliers^ & enfin ils Téteignirenc
totalement ; de forte que depuis plufieurs fiecles la dignité de ces deux Chan«-
celiers n'eft plus qu'un titre d'honneur fans aucune fonâion. Cependant les
Archevêques de Tolède continuent toujours de fe qualifier Chanceliers nés
de Caftille. A l'égard des Chanceliers des royaumes de Léon & d'Oviede,
on n'en fait plus mention , parce que ces deux royaumes ont été unis à celui
de Caftille.
Le confeil fuprême & royal des Indes eft compofé d'un préfident, d'un
grand-Chancelier, de douze confeillers , & autres officiers , & d'un vice*
Chancelier.
CHANCELIER D E FRANCE.
V^ 'EST le chef de la juftice & de tous !es confcils du roi. II eft le
i>remier préfident né du grand-confeil : il peut auflî , quand il le juge à
propos, aller préfider dans tous les parlemens &, autres course c'eft pour-
quoi fes lettres font préfentées & enregiftrées dans toutes les cours fou*
veraines.
Il eft la bouche du roi, & l'interprète de fes volontés : c'eft lui qui
les expofe dans toutes les occafions où il s'agit de l'adminiftration de la juftice.
Lorfque le roi va tenir fon lit de juftice au parlement , le Chancelier eft
au-deflbus de lui dans une chaife à bras , couverte de l'extrémité du tapis
femé de fleurs-de-lys, qui eft aux pieds du roi : c'eft lui qui recueille les
fulFrages , & qui prononce. Il ne peut être récufé.
Sa principale fonâion eft de veiller à tout ce qui concerne l'adminiftration
de la juftice dans tout le royaume, d'en rendre compte au roi, de préve-
nir les abus qui pourroient s'y introduire , de remédier à ceux qui auroienc
déj^ prévalu , de donner les ordres convenables fur les plaintes qui lui font
adreffêes par les fujets du roi contre les juges & autres officiers de juftice,
& fur les mémoires des compagnies ou de chaque officier en particulier,
par rapport à leurs fenâions , prééminences , & droits.
C'eft encore une de fes fondions de dreffer, conformément aux inten-
tions du roi , 4es nouvelles ordonnances , édits & déclarations , & les lettres
patentes, qui ont rapport à l'adminiftration de la juftice. L'ordonnance de
Charles VII du mois de Novembre 1441 , fait mention qu'elle avoit été
faite de l'avis & délibération du Chancelier, & autres gens du grand-
confeil , &c.
C'eft à lui que l'on s'adreflè pour obtenir l'agrément de tous les offices
de judîcature; & lorfqu'il a la garde du fceau royal, c'eft lui qui nomme
mux offices de toutes les chancelleries du royaume , & qui donne toutes les
Tome XI. Mm
2174 CHANCELIER DE ï A A N G B.
provifiôns des offices , tant de judicature , que de finance ou municipaux.
Les charges d'avocats au confeil tombent dans fes parties cafuelles ; il eft
le confervateur né des privilèges des fecrétaîres du roi.
La foi & hommage des fie^ de dignité mouvans immédiatement du roi
à caufe de fa couronne , peut être faite entre les mains du Chancelier , ou
en la chambre des comptes. Le Chancelier , comme repréfentant la perfonne
du roi, reçut à Arras en 1499 ^ l'hommage de l'archiduc d'Autriche, pour
fes pairies & comtés de Flandre, d^Artois, & du Charolois. L'archiduc fe
mettant en devoir de s^agenouiller , il le releva en lui difant : ilfuffitdt
votre bon vouloir; en quoi il en ufa de même que Charles VII avoit ^t
à l'égard du duc de Bretagne.
Ce fut le Chancelier Duprat qui abolit Tufage des hommages que les
fois de France faifoient par procureurs pour certaines i^igneuries qui
étoient mouvantes de leurs fujets. Il établit à cette occafîon le principe^
que tout le ' monde relevé du Roi médiatement ou immédiatement , &
que le Roi ne relevé de perfonne. ^
Mr. Thomas nous a donné une }uf{e idée des fonftions du Chancelier,
dans l'éloge qu'il a fait du grand d'Agueflcau. Ce vrai Ifocrate de la France
dit : i> qu'un Chancelier eft un homme qui eft dépofîtaire de ta partie
toujours a sattoiDur; rammer les loix utiles que
» pallions des hommes ont anéanties ; en créer de nouvelles, iorfque la
ji corruption augmentée , ou de nouveaux befoins découverts , exigent de
» nouveaux remèdes ; les (aire exécuter, ce qui eft encore plus difHcOe
j» que de les créer ; obfervcr d'Un œil attciitif les maux plus ou moins
» graves , qui dans l'ordre politique fe mêlent toujours au bien ; corriger
» ceux qui peuvent Tétre ; foufirir Ceux qui tiennent à la conftitutioo de
» l'Etat^ mais en les fouf&ant lés relTerrer dans les bornes de la pure oé-
» ceflîté ; connoître & maintenir les droits de tous les Tribunaux ; diflri-
» buer toutes les charges ât dès hommes dignes de fervir l'Etat; jagcf
» ceux qui jugent la terre ; favoîr ce oull raut * pardonner & punir dans
» les hommes dont la nature eft d'être foibles, & dont le devoir eft de ne
» l'être pas ; préfider à tous les conftils où fe pefent les deftins de l'Em-
» pire ; oalancer avec fagefle la clémence du Prince & Tîntérét de la juf-
9 tice ; être auprès du fouverain le proteâeur , & non pas le calomniateur
3» de la nation. A l'imitation de l'Être fuprême , Mr. d'Agueflfeau veut que
9 la juftice qu'il porte dans fon cœur, régne autour de fui. Il ofe croire
» que ce qui eft utile n'eft pas toujours jufte; M. d'^Agueffeau qui voit
» le défordre caufé par nos coutumes, ofe entreprendre d'y remédier:
n mais il penfe qu'un fi grand changement ne doit être &ît que par de-
9 grés, que les loix font pour le peuple auflî facrées que la religion, &
» qu'elles touchent aux fondemens des EtatSr Au lieu de renverfer tout-1^
CHANCELIER DE FRANCE,
^1
» coup ce grand corps, il forme le projet de le réparer infenfîblement
n fut ûn pian uniforme & combiné dans toutes fes parties. Ce feroit i
s> Platon à peindre d'Aguefleau. Vous le verriez parcourir d'un coup-d'œil
j» tous les avantages qu'une loi peut offrir » tous les abus qui en peuvent
9 naitre, toutes les difficultés qui peuvent en retarder l'effet , tous les
» moyens par où l'artifice peut l'éluder, tous les rapports qu'elle peut
B avoir avec les mœurs , avec les préjugés , avec les autres loix ; compa*-
n rer les avantages avec les abus; chercher le terme où le bien efl le
» moins altéré par le mélange du mal : car c'efl là toute la perfeâioU
» dont efl capable notre foiblef!e« a
On trouvera auffi des notices trés-utiles fur cette matière dans les Orai^
fons funèbres de Mr. le Chancelier Le-Tellier, prononcées par Mr. Flé-«
chier, Evéque de Nifme, & par M. Boffuet, Evêque de Meaux. On doit
lire auffi la. Vie du Chancelier de l'Hôpital.
Il feroit difficile de détailler ici bien exaâement toutes les fondions &
les droits attachés à la dignité de Chancelier de France; nous rapporte-
rons feulement ce qu'il y a de plus remarquable.
L'office de Chancelier de France revient à-peu-près à celui ou'on appel-
loit Quêteur du Jacré palais chez les Romains , & qui fut établi par Conf*
tancin-le-Grand : en effet e'étoit ordinairement un jurifconfulte que l'on
honoroit de cette place de Quefleur ; parce qu'il devoit connoitre les lois
de l'Empire, en dreffer de nouvelles, quand le cas le requéroit, les faire
exécuter : elles n'avoient de force que quand il les avoit fignées. Il jugeoit
les caufes que l'on portoit par appel devant l'Empereur, foufcrivoit les ref^
crits & réponfes du Prince , enfin il avoit l'infpeâion fur toute l'adminif-*
tratidn de la juflice.
En France , l'office de Chancelier efl prefque auffi ancien que la mo«
narchie ; mais les premiers qui en fkifoient les fondions , ne portoient pas
le titre de Chancelier; car on ne doit pas appliquer au Chancelier de
France ce qui efl dit de certains Officiers fubalternes» que l'on appelloit
anciennement Chanceliers , tels que ceux qui gardoiept l'enceinte du tribu*
nal appelle cancelli , parce qu'elle étoit fermée de barreaux.
On donna auffi en France , à l'imitation des Romains , le nom de Chan*
celier à ceux qui fiiifoient la fonâion de Greffiers & de Notaires, parce qu'ib
travailloient dans une femblable enceinte fermée de barreaux.
Les Notaires & Secrétaires du Roi prirent auffi , par la même raifon ,
le nom de Chanceliers.
Le Roi avoit en outre un premier Secrétaire qui avoit infpe^ion fur
fous les autres Notaires & Secrétaires : le pouvoir de cet Officier étoit
fert étendu ; il fàifoit les fondions de Chancelier de France : mais avant
d'en porter le titre, on lui a donné fucceffivement différens noms.
Sous la première race des Rois de France , ceux qui faifoient les fonc-
tions de Chanceliers ont été appelles différemment.
M m z
a7< CttANCELIER DE FRANCE.
Quelques auteurs modernes font Widiomar Chancelier ou référendaire
de Childéric , mais fans aucun fondement : Grégoire de Tours ne lui donne
point cette qualité.
Le premier qui foit connu pour avoir rempli cette fonâion ^ eft Auré-
lien, tous CÏovis I. Hincmar dit qu'il portoit Panneau ou le fceau de ce
Prince; qu'il étoit confiliarius & Icgatarius Régis ^ c'eft-à-dire, le député
du Roi. L'auteur des geftes des François le nomme aufli Ugatorium & mif-
fum Clodovoti : Aymoin le nomme familiarijfimum Régi , pour exprimer
qu'il avoit fa plus intime confiance.
Valencinien eft le premier que l'on trouve avoir (igné les chartes
dés rois de France, en qualité de Notaire ou Secrétaire du Roi, Nota*
rius & Amanuenfis : il fit cette fonâion fous Childebert I.
Baudin & plufieurs autres, fous Clotaire I & fes fuccefleurs, font appel*
lés Référendaires par Grégoire de Tours, qui remarque aufli que fous le
référendaire qui fîgnoit & fcelloit les chartes des rois de France , il y avoit
plufîeurs Secrétaires de la Chancellerie , qu'on appelloit Notaires ou Chan^
celicrs du Roi, Cancellarii regales.
' On trouve une charte de Thierri, écrite de la main d'un Notaire, &
icellée par un autre Officier du Sceau Royal. Sous le même Roi , Agreflia
fe difoit Notarius régis.
Sous le règne de Chilpéric I , il eft fait mention d'un Réfërendaire & d'im
Secrétaire du palais , Palatinus fcriptpr.
St. Ouen, en latin Audoenusy & Dado^ fut Réfërendaire du roi Dago-
bert I. & enfuite de Clovis II. Aymoin dit qu'il fut ainfi appelle , parce
que c'étoit à lui que l'on rapportoit toutes les écritures publiques , ^ qu'il
les fcelioit du fceau du Roi : il avoit fous lui plufieurs Notaires ovk
Secrétaires, qui fignoient en fon abfence ad vietm. Dans des Chartes
de l'abbaye de Saint-Denis , il eft nommé Regiœ dignitatis CancelU*
rius : c'eft la première fois que le titre de Chancelier aie été donn^ à '
cet office.
La plupart de ceux qui firent les fondions de Chancelier fous les autres
Rois de cette première race, font nommés fimplement référendaires^ excepté
(bus Clotaire IIL que Robert eft nommé Garde du fceau Royal , Ceru^
lus annuli regii ; & Grimaud fous Thierri II « qui (igné en qualité de
Chancelier ; ego , Cancellarius , recognovi.
Sous la féconde race des rois de France , ceux qui &ifoient la (bnâ^n
de Chanceliers ou Référendaires, reçurent dans le même temps difiëreos
Qoms: on les'appella Archi-» Chanceliers ^ ou grands Chanceliers ^ fouy crains
Chanceliers ,. ou Archî - Notaires , parce qu'ils étoient prépofés ati-def-
fus de tous les Nouires ou Secrétaires du Roi, qu'on appelloit encore
Chanceliers.
On leur donna auffi le nom à^apocrifaires , ou apocrifiaires , mot dérivé
4u grec , qui fignifie cdui qui r^nd Us réponfis £un autre \ parce que le
CHANCELIER DEFRANCE,
27>
Grand - Chancelier r^pondoit pour le Roi aux requêtes qui lui étoient
prëfencées.
Hincmar , qui vivoit du temps de Louis-le*Débonnaire , diftingue néan*
moins Toffice d'Apoçrifaire de celui de Grand-Chancelier ; ce qui vient de
ce que le Grand-Aumônier du Roi , faifoit quelquefois la fonâion d'Apo-
crifaire , & en portoit le nom.
On les appella aufli quelquefois Archichapelains ; non pas que ce terme
exprimât la fonâion de Chancelier, mais parce que PArchichapelain ou
Grand- Aumônier du Roi étoit fouvent en même*temps fon Chancelier , &
ne prenoit point d'autre titre que celui d'Archichapelain. La plupart de
ceux qui firent cette fbnâion fous la première Se féconde race , étoient
eccléfiaftiques.
Sous la troifieme race , les premiers fecrétaires ou référendaires furent
appelles Grands*Chanceliers de France , premiers Chanceliers , & depuis
Baudouin premier qui fut Chancelier de France fous le roi Robert , il pa«
roit que ceux qui firent cette fonâion ne prirent plus d'autre titre que ce-
lui de Chancelier de France ; & que depuis ce temps , ce titre leur fut
réfervé , à Texclufion des Notaires & Secrétaires du Roi , Greffiers , & au«
très Officiers fubalrernes , qui prenoient auparavant le titre de Chanceliers.
Le Chancelier fut d'abord nommé par le Roi feul.
Gervais, Archevêque deRheims, & Chancelier de Philippe I, prétendit
que la place de Chancelier étoit attachée à celle d'Archevêque de Rheims :
ce qu'il obtint , dit-on , pour lui & fon églife. Il étoit en effet le troi-
(îeme depuis Hervé qui avoit poffédé la dignité de Chancelier; mais de-
puis lui , on ne voit point que cette dignité ait été attachée au fiege
de Rheims.
Dans la fuite le Chancelier fut élu en Parlement par voie de fcrutin ,
en préfence du Roi. Guillaume de Dormans fut le premier élu de cette
manière en 137Î. Louis XI changea cet ordre; & depuis ce temps, c'efl
le Roi feul qui nomme le Chancelier , le Parlement n'a aucune jurifdic-
tion fur lui.
Cet office n'efl point vénal ni héréditaire, mais à vie feulement. Le
Chancelier efl reçu fans information de vie & de mœurs , & prête ferment
entre les mains du Roi ; & fes provifions font préfentées par un Avocat
dans toutes les cours fouveraines , l'audience tenante i & y font lues , pu-
bliées & enregiftrées fur les conclufions des gens du Roi.
Quoique l'omce de Chancelier ait toujours été rempli par des perfonnes
diftinguées par leur mérite & par leur naiffance , dont la plupart font qua-
lifiées de Chevaliers; il efl cependant certain qu'anciennement cet o^ce
n'annobliflbit point : en effet, fous le Roi Jean, Pierre de Laforêt, Chanr
celier, ayant acquis la terre de Loupelande dans le Maine, obtint du Roi
des lettres de nobleflfe pour fouir de l'exemption du droit de francs-fiefs.
Les Chanceliers nobles fe qualifioieat Meifire , & les autres , Maître. Pré-
l^a C H A N C B L I E R D E FRANCE.
fcntement le Chancelier eft toujburs qualifié de Chevalier, & de Monfcî-f
gncun M. le Chancelier Seguier fut fait Duc de Villemor & Pair de Fran^
ce , & conferva toujours l'office de Chancelier , outre celle quM avoit tou-
jours de figner & fceller les lettres du Prince. Charlemagne conflitua le
Chancelier dépoficaire des loix & ordonnances ; & Charles -le -Chauve lai
donna le droit d'annoncer pour lui les ordonnances en préfence du peuple*
* Sous le règne d'Henri premier & de fes fuccefleurs , jufqu'à celui de
Louis Vin il foufcrivoit toutes les lettres & chartes des rois de France,
avec le Grand-Maître, le Chambrier, le Grand-Boutillier , & le Connéta-
ble. Depuis 1320, ils ceflèrent de figner les lettres, & y appoferent feu-
lement le fceau. Il ëtoit aufli d'ufage dès l'an 1365, qu'ils mettoient de
leur main le mot yifa au bas des lettres , comme ils font encore pré**
fentement.
Le pouvoir du Chancelier s'accrut beaucoup fous la troifieme race : on
voit que dès le temps de Henri premier , il ngnoit les chartes des Rois de
France , avec le Connétable , le fioutillier , & autres grands Officiers de
la couronne.
Frère Guerin , Evêque de Senlis , fut d'abord Garde des fceaux fous Fhi«
lippe-Augufie y pendant la vacance de la Chancellerie j il fut enfuiteChan*
celier foys le règne de Louis VIII & releva beaucoup la dignité de cette
charge; 'il abandonna la fonâion du iècrétariat aux notaires & fecrétaires
du Roi , fe réfervant feulement fur eux l'infpeâion : il afiifla avec les
Pairs au jugement qui fut rendu en 1224 contre la Comtefle de Flandres.
Dutillet rapporte que les Pairs voulurent contefterce droit aux Chancelier,
Boutiller, Chambrier & Connétable; mais la cour du Roi décida en h*
veut de ces Officiers. Au facre du Roi« c'efl le Chancelier qui appelle les
Pairs chacun en leur rang.
D^s le temps de Philippe- Augufte , le Chancelier portoit la parole pour
le Roi , même en fa préfence. On en trouve un exemple dans la harangue
que frère Guerin fit à la tête de l'armée , avant la bataille de Bouvines eo
1214, & la vidoire fuivit de près fon exhortation.
On voit auflî dans Froiflart que dès 135c le Chancelier parloir pour le
Roi , en fa préfence , dans la chambre du Parlement \ qu'il expofa l'état
des guerres , & requit que l'on délibérât fur les moyens de fournir au Roi
des lecours fuififans.
Le Chancelîçr étoit alors précédé par le Connétable & par plufieurs au-
tres grands Officiers dont les offices ont été dans la fuite fupprimés \ au
moyen de quoi celui de Chancelier eft préfentement le premier office de
la couronne y & le Chancelier a rang, léance, & voix délibérative, après
les Princes du fang.
Dans les états que le Roi de France envoyoît autrefois de ceux qui dé-
voient compofer le Parlement , le Chaiicelier eft ordinairement nommé en
tête de la grand'chambre ; il venoit en effet y fiéger fort fouvent. Le Car-
ÔHANCELIER DE FRANCE.
a79
dinal de Dormans , Evéqae de Beauvais & Chancelier , fie Tonverture des
Parlemens des 12 Novembre 1369 & 1370 , par de longs difcours & re-
montrances , ce qui ne s'étoit pas encore pratiqué. Arnaud de Corbie fie
auffî l'ouverture du Parlement en 1405 & 1406, le 12 Novembre, & re-
çut les fermens des Avocats & des Procureurs. Pierre de Morvilliers reçut
aufïï les fermens le 11 Septembre 1461. , . *
Dans la fuite les Chanceliers fe trouvant furchargés de différentes affaires ^
fiMloient plus q^ue rarement au Parlement , excepté lorfque le Roi y alloic
tenir fon lit de juftice. Le jeudi 14 Mars 171^, M. le Chancelier Voifîn prit
en cette qualité féance au Parlement ; il étoit à la petite audience en robe
violette , & alla à la grande audience en robe de velours rouge dou«
blée de fatin. On plaida devant lui un appel cooune d'abus , & il pto*
Bonça * l'arrêt.
Philippe VI, dit de Valois, ordonna* en 1342 , que quand le Parlement
feroit fini ^ le Roi manderoit le Chancelier , les trois Préfîdens du Parle*
ment, & dix perfonnes du confeil, tant clercs que lais, lefquels fuivant fà
volonté nommeroient des perfonnes capables pour le Parlement à venir.
On voit même qu^en 1370 le Cardinal de Dormans , Chancelier , inflitua
Guillaume de Sens premier préfident.
Le Chancelier nommoit auffi anciennement les confeillers au Châteler^
conjointement avec quatre confeillers du Parlement , & avec le prévôt de
Paris ; il inflituoir les notaires & les examinoit avant qu'ils fuffent reçus.
Son pouvoir s'étendoit auffî autrefois fur les monnoies , fuivant un man-
dement de Philippe VI, en 1346, qui enjoint aux maîtres généraux des
monnoies de donner au marc d'argent le prix que bon fembleroit au Chan*
celier & aux Tréforiers du Roi.
Maïs Charles V, étant Dauphin de Viennois & Lieutenant du Roi Jean,
ordonna en 135^ que dorénavant le Chancelier ne fe mêleroit que du fait
de la Chancellerie , de tout ce qui regarde le fait de la juflice ^ & d'or-
donner des offices en tant qu'à lui appartient comme Chancelier.
Philippe V défendit au Chancelier de pafler aucunes lettres avec la
caufe nonohjiant toutes ordonnances contrains \ il ordonna que fi l'on en
préfentoit de telles au fceau , elles feroienc rapponées au Roi ou à celui
qui feroit établi de fa part \ & par une autre ordonnance de 1 3 1 8 , il ne
devoir appofer le grand fceau qu'aux lettres auxquelles le fcel du fecret
avoir été appofé ; c'étoit celui que portoit le Chambellan , à la difiërence
du petit fignet que le Roi portoit fur lui.
Charles V ordonna aufïî en 13 $6, que le Chancelier ne feroit point
iceller les lettres pafTées au confeil qu'elles ne fufïent fîgnées au moins de
trois de ceux qui y avoîent aflîflé , & de ne fceller aucunes lettres por-
tant aliénation du domaine, ou don de grandes forfaitures & confîfcations ,
quM n'eût déclaré au Confeil ce que la chofe donnée pouvoit valoir de
rente par an.
28o CHANCELIER D E \F R A N C B.
Suivant des lettres du 14 Mars 1401 , il poavoit tenir au lieu du Roi
les requêtes générales, avec tel nombre de Confeillers au Grand-Confeil
qu'il lui plairoit , y donner grâces & rémillîons , & y expédier toutes autres
affaires , comme u le tout étoit fait en préfence du Roi & de Ton Confeil :
il fàifoit ferment de ne demander au Roi aucun don ou grâce, pour lui
ni pour fes amis , ailleurs que dans le grand-Confeil.
Charles VI ordonna en 1407, qu'en cas de minorité du Roi, ou lorf-
qu'il feroit abfent, ou tellement occupé qu'il ne pourroit vaquer aux
affaires du gouvernement, elles (eroient décidées à la pluralité des voix
dans un Confeil compofé de la Reine , des Princes du fang , du Connéta-
ble, du Chancelier, & des gens de fon confeil : après la mort de ce
Prince , on expédia quelques lettres au nom du Chancelier ^ du confeil.
Louis XIV, en partant de Paris au mois de Février 1678, pour aller ea
Lorraine, dit aux députés du parlement qu^il laiffoit fa puiffance entre
les mains de M. le Chancelier , pour ordonner de tout en fon abfence
fuivant qu'il le jugeroit à propos.
François I déclara au parlement qu'il n'avoit aucune jurifdiâlon ni pou-
voir fur le Chancelier de France. Ce fut auffi fous le règne du même
Prince qu'il reçut le ferment du connétable , & qu'il fut gratifié du droit
d'induit comme étant chef de la juftice.
Quoique le Chancelier ne foit établi que pour le &it de la judice, on
en a vu plufieurs qui étoient en même temps de grands capitaines , &
qui commandoient dans les armées. Tel fut Saint- Oiien , référendaire du
Roi Dagobert I \ tel fut encore Pierre Flotte , qui fut tué à la bataille de
Courtrai les armés à la main, le 11 Juillet 1302. A- l'entrée du Roi à
Bourdeaux en 14^1 , le Chancelier parut à cheval armé d'un corfelet d'a-
cier, Se par-deffus une robe de velours cramoifi. M. le Chancelier Seguier
fut envoyé à Rouen en 1^39» à l'occafion d'une fédition; il commandoit
les armées , on prenoit le mot de lui. Voy€[ P Abrégé chronoU de M. U pri-
fidtnt Henault.
L'habit de cérémonie du Chancelier efl l'épitoge ou robe de velours
rouge doublée de fatin , avec le mortier comblé d'or & bordé de perles ;
il a droit d'avoir chez lui des tapifferies femées de fleurs-de*lis , avec les
armes de France , & les marques de fa dignité.
Quand il marche en cérémonie , il eft précédé de quatre huiffîers de la
Chancellerie portant leurs maffes , & des huifliers du confeil appelles vuN
Sairement huiflîers de la chaîne \ il eft aufli accompagné d'un lieutenant
e robe courte de la prévôté de l'hôtel, & de deux gardes, ce qui paroît
avoir une origine fort ancienne ; car Charles VI, ayant réduit en 1387,
le nombre des fergents d'armes , ordonna que l'un d'eux demeureroit au*
près du Chancelier.
Anciennement ,1e Chancelier portoit le deuil & aflifloît aux obfëques
des Roif. Guillaume Juvénal des Urfins , Chancelier , aHîfta ainfi aux fu-
nérailles*
CHANCELIER DE FRANCE. agi
fiéraîlles de Charles VI , VII & VIII ; mafe depuis long*temps Tufage
eft que Ie~ Chancelier ne porte point de deuil , & n'aflifle plus à ces fortes
de cérémonies. On a voulu marquer par-là que la judice conferve toujours
la même férénité.
Suivant une cédtile fans date qui fe trouve à la chambre des comptes
de Paris, Philippe d^An^ogni, oui portoit le grand fceau du Roi S. Louis,
prenoit pour foi , fes chevaux oc valets à cheval , fept fols parifis. par jour
pour l'avoine & pour toute autre chofe» excepté fon clerc & fon valet-
de-chambre qui mangeoient à^ la cour. Leurs gages étoient doubles aux
quatre fêtes annuelles ; le Chancelier avoit des manteaux comme les autres
clercs du Roi , & livrée de chandelle ,. comme il convenoit pour fa cham-
bre & pour les notaires \ quelquefois le Roi lui donnait pour lui un pale-
Froi, pour fon clerc un cheval , & pour le regiftre fommier. Sur 60 fols
d'émolument du (ceau , il en prenoit dix , & en outre fa portion du fur-
plus, commp les autres clercs du Roi, c'eft-à-dire, les fecrétairés du Roi;
enfin quand il étoit dans des abbayes ou autres lieux, où il ne dépen-
Toit rien pour fes chevaux, cela étoit rabattu fur les gages.
En 11190 il n'avoit que iix fols-par jour avec bouche à cour pour lui fie
les (lens ; & 20 fols par jour, lorfou'il étoit à Paris & mangeoit chez lui.
Deux états de la maifon du Roi des années 1316 & 13 17 nomment le
Chancelier comme le premier des grands Officiers qui avoient leur cham-
bre , c'eft-à-dire , leur logement , en Thôtel du Roi. Il y eft dit que fi le
Chancelier eft prélat, il ne prendra rien à la cour; que s'il eft (impie
clerc , il aura , comme me(Tire de Nogaret avoit , dix foldées de pain par
jour, trois feptiers de vin pris devers le Roi; & les autres du commun ,
iix pièces de chair , fix pièces de poulailles ; & au jour de poiffon , qu'il
aura h l'avenant ; qu'on ne lui comptera rien pour cuiflTon qu'il falfe en
cuifine ni en autre chofe; qu'on lui fera livraifon de certaine quantité de
menues chandelles & torches , mais que l'on* rendroit le torchon , c'eft-
à*dire , les reftes des flambeaux. Ces détails qui alloient jufqu'aux minu-
ties, marquent quel étoit alors le génie de la nation.
Une ordonnance de 1318 porte qu'il devoit compter trois fois l'année
en la chambre des comptes, de l'émolument du fceau; & en 1320 il
n'avoit encore que 1 000 livres pariHs de gages par an , fbmme qui paroît
d'abord bien modique pour un office fi confîdérable «: mais alors le marc
d'argent ne valoit que trois livres fept fols fix deniers , enforte que 1,000
livres parifis valoîent alors autant qu'aujourd'hui 22,000 livres.
Les anciennes ordonnances ont encore accordé aux Chanceliers plufieurs
droits fie privilèges, tels que l'exemption du ban fie arriere-ban, le droit
de prife pour les vivres , comme le Roi , fie à fon prix ; l'exemption des
péages fie travers pour les provifions de fa maifon , fie de tous droits d^aî-
des ; droit de chauffage , qui ne confiftoit qu'en deux moules de bûcher ^
c'eft*à-dire, deux voies de bois, fie quatre quand les notaires du Roi
Tome XL Nn
\
^z GRAND CHANCELIER DERUSSIE. .
étoient avec lui; enfin il a encore plufieurs autres droits & privilèges qu^il
ferôit trop long de détailler.
c
CHANCELIER,
En Portugal.
'EST un Magiftrat qui a la garde du feau dont on fcelle les arrêts du
parlement ou cour Souveraine : il" y en a deux ; un dans le parlement ou
cour fouveraine de Liibenne , l'autre dans le parlement de Porto. Le Chan-
celier a rang immédiatement après le préCdent & avant les confeillers.
t
GRAND-CHANCELIER DE RUSSIE.
JLL a la garde de la couronne, du fceptre, & du fceau Impérial. La cou-
ronne & le fceptre font gardés dans une chambre k Mo(cou» dont il a la
clef & le fceau ; on n'y entre qu'en fa préfence. 11 y a auflî dans cet En-
pire des Chancelleries particulières auprès des juges des principales Villes
de Ruffie , comme à Peterfbourg.
G R A N D-C HANCELIER DE SUEDE.
v^'EST le quatrième des cinq grands officiers de la couronne , qui font
les tuteurs du Roi , & gouvernent le Royaume pendant fa minorité.
U eft le chef du confeil de la Chancellerie où il préfide , affifté de qua*
tre fénateurs , & des fecrétaires d'Etat , & de la police ; en corrige les
abus , & fait tous les réglemens néceffaires pour le bien & l'utilité publi-
que. Il eft le dépofitaire des fceau x de la couronne ; il exp^ie toutes les
affaires d'Etat, & c'eft lui qui expofe les volontés du Roi aux Etats-Géné-
raux , avant la tenue defquels les nobles font obligés de faire infcrire leurs
noms pour être portés à \i Chancellerie.
Enfin il préfide au confeil de police , & c'eft en fes mains que le Roi
dépofe la juftice pour la diftribuer & la faire rendre à fes fujets.
Il y a cependant ay deflus de lui le droffart ou grand jufticier , qui eft
le premier officier de la couronne, qui préfide au Confeil de juftice auquel
on appelle de tous les autres.
U y a un Chancelier de la cour différent du Chancelier de Juftice.
CHANCBIIBRS DES ACADÉMIES, ««. ttj
CHANCELIERS DES ACADÉMIES, DES UNIVERSITÉS,
DES ÉGLISES, ORDRES DE CHEVALERIE.
L
ES Chanceliers des Académies font ceux de leurs membres qui ont la
garde du Sceau de P Académie dont ils fcellentles lettres des Académiciens ,
& autres ades émanés de ce corps littéraire. Ils font auffi chargés d^en faire
obferver les flatuts.
ifpeâion pour empêcher qi
mie , qu^on ne donne les places de profeffeurs à des perfonnes incapables
de les remplir , & que Ton ne confère les degrés de bachelier , licentié &
maitre-és-arcs , à des fujçcs qui en font indignes , foit par leur incapacité,
ou par leurs mauvaifes mœurs. II a aufli la garde du Sceau de runiverficé
dont il fcelle les lettres des différens grades , provifions & commifliQns que
Ton donne dans les univerfîcés.
De même dans les ordres de Chevalerie, le Chancelier a la garde du
Sceau de Tordre dont il fcelle çn cire blanche les lettres des Chevaliers &
officiers de Tordre, & les commif&ons & mandemens émanés du Chapitre
ou affemblée de l'ordre. Il tient regiflre des délibérations & en délivre les
aâes fous le Sceau de Tordre.
Le Chancelier 9 dans une Cathédrale, ou Collégiale, eft un Dignitaire^
qui faifoit autrefois , pour foii Eglife , la fonétion de Notaire , ou de Se*
crétaire , qui fceltoit les aâes du fceau du Chapitre , dont il étoit dépo*
fitaire , & avoit la fur-Intendance des étudçs, & des différentes Ecoles. Ce
2ui eft, en d'autres Eglifes, du reffort de TEcolâtre, ou du Grand-
hantre.
Sa place lui donne la préféance , fuivant le rang marqué d'ancienneté ^
par les ftatuts , & les ufages , & le droit de porter la couleur affcâée
aux Dignités.
Pour être Chancelier , il faut être Doâeur en Théologie , ou au moins
Licencié , quand il eft en même tems Chancelier d'une Univerfité dans
les autres Chapitres , on fuit l'ufage , qui exige des degrés , ou non. {a)
Le Chanoine, qui polTede la Dignité de Chancelier, en eft pourvu, ou
par la nomination de l'Archevêque, comme àRheims, ou par la collation
du Chapitre comme à Paris , & toujours de l'aveu du Provifeur , & de la
«*■
U) LeChaocelier d'une EgUfe eft ordinairement Chanoine, à moins que fa Dignité Qe
(bit poftérieure au partage des Ptébeadesà^ alors il n'çfl da corps du Chapitre, qu'autaac
qu'il poflede un Caoonicat.
N n 2
i
ft84 CHANCELIERS DES ACADÉMIES, &r.
faculté de Théologie. Le Reâeur de l'uni verfité eft appelle au Chapitre de
notre Dame de Paris , lors de rinftallation du Chancelier.
Le Chancelier a des droits utiles & pécunieux» à recevoir, à chaque
bénédiâion de licence, fuivant les ftatuts de l'univerfité^ de laquelle il a
les Sceaux.
Le Chancelier de l'Eglife de Paris eft aufli Chancelier né de Puniverficé ,
comme dans celles d^Orléans & d'Angers. 11 donne la bénédiâion- de licence
de l'autorité apoflolique , & le pouvoir d'enfeigner par-tout. Quand je dis
qu'il donne la bénédiâion de licence , j'en excepte la faculté des arts,
qui eft de la compétence du Chancelier' de iSte. Geneviève , dont nous
Î)arlon$ plus bas , & la faculté de droit , qui , fuivant un accord fait avec
e Chancelier de l'Eglife de Paris , eft en poftellion de donner elle-même
cette bénédiâion jufqu'au doâorat inclufivement : la jurifdiéUon du Chan-
celier de Notre-Dame eft donc aâuellement bornée aux deux facultés de
Théologie & de Médecine ; la première , la plus élevée , à caufe de Ton
objet: la féconde, la plus utile, à caufe de fa fin.
C'eft le Chancelier de l'Eglife de Paris, qui, en qualité de gardien du
fceau, fcelle les provifions » les commiftions & les lettres des difFérens
degrés qu'on prend dans les facultés qui font de fon reftort, parce qu'en
cas de conteftation , pour l'antériorité , la concurrence , ou les qualificadoos
des grades, il faut qu'il y ait des officiers publics qui foient en droit d'exhi-
ber des regiftres & des monumens vifibles d'authenticité, comme le fceau,
qui.conftatent la vérité & la réalité des degrés.
Le Chancelier avoit ci-devant le droit de viftte dans les collèges de
Ste. Barbe, Cambray, Bourgogne, Boîffy & Autun : c'étoit apparemment
des détachemens de fon école de théologie qu'il envoyoit dans ces collè-
ges , dans le temps de fa réunion au corps de l'univerdté , en 1 344. Depuis
que les petits collèges ont été fondus , avec toutes les bourfes , dans le
collège de Louis-le-Grand , a-t-il confervé ces mêmes privilèges?
Il avoit l'infpeâion fur toutes les régences , bourfes, principalités& cha-
pelles des collèges, fur les mœurs & difcipline fcholaftique, & tout ce qui
les concerne : toutes les conteftations qui auroient pu naître à ce fujet,
étoient du refibrtde fa jurifdiâion contentieure;*il a, à cet eftbt, des oA-
ciers, avocats, juges, &c. Au(E a-t-il revendiqué ces prérogatives au par*
lement en 1763 & 17^4 9 avant l'extinâion : on ne fait pas où cela en
eft, depuis la réunion à Louis-le-Grand.
Il y avoit autrefois à Paris deux écoles célèbres &, publiques., Pune dans
la ville , gouvernée par l'Evêque , pour la théologie , fous la direftion du
Chancelier de fou Eglife ; l'autre fur la montagne Ste. Geneviève , régie
par l'Abbé, oui inftituoit un de fes chanoines réguliers pour en être te
grand-maitre 6c l'infpeâeur, en tout ce qui a trait à la acuité des arts;
qui , avec celle de médecine , compofoit toute l'univerfîté : c'étoit là feule^
iQent qu'on prenoit des degrés ; le Chancelier de Ste» Geneviève a été te
^ C HA N C E L Ê B R I E. ^8$
feul dans Puniverfité de Paris jufqu'en 1^44, que le Chancelier de l'Eglife
de Paris a été admis dans le corps de l'univerfité , par la grâce du Pape
Benoit XI, & réuni avec la faculté des arcs.
Les pouvoirs du Chancelier de Ste. Geneviève , font bien antérieurs à
répoque <iu quatorzième iiecle ; puifque les chanoines y qui avoient confervé
la vie commune , établie fous la féconde race de nos Rois , fe trouvoient
en pofleffion de conférer des degrés , ce que ne pouvoient pas &ire ceux
qui l'avoient abdiquée, en fe formant des prébendes, & où ils ne font
parvenus qu'en recevant du Pape la même puilfance dont ceux-là jouiilbient
depuis cinq fiecles ou environ.
Le chanoine régulier de Ste. Geneviève, nommé par Pabbé, pour être
Chancelier de Puniverficé , donne , dans la faculté des arts ^ la bénédiâiori
de licence, à l'effet d'enfeigner par-tout, notamment à Paris, d'y pouvoir
tenir des penftons , fournir des maîtres de toute efpece, indépendamment
de l'attache & de l'autorité du grand-chantre , qui l'exerce fouverainement
fur tous les maîtres Çi maîtreffes des petites écoles.
La nomination de l'abbé de Ste. Geneviève , fait feule la qualité néi^effaire
i cette place ; c'eft par ce feul titre qu'on eft mis en pofTeflion , avec le
confeotement préfumé des prociveni^s des quatre nations , qui compofent la
faculté des artJ : cette place eft à vie , très-belle dans l'exercice, & lucra-
tive ; car il y a des revenans bon attachés qui fe perçoivent très-exaâe-
ment par le greffier & les bedeaux , à chaque bénediâion de licence : ils
en rendent compte entre les mains du Chancelier de Sce. Geneviève , qui a
réglé fes droits avec celui de Notre-Dame , & partagé ei^ deux lots tous
les collèges de l'univerlité de Paris, par tranfaéÙon homologuée au par<^
lement, fur arrêt du mois de Mars 1687.
CHANCELLERIE, f. f. Chambre oà Pon écrit, où tonfccUc,
oà Pon expédie les aâes.
V^ E mot fe prend aufli quelquefois pour le corps des * officiers de la
Chancellerie. Il ûgniRe encore un tribunal , ou une cour de juftice, comme
00 le verra, par quelques-uns des articles fuivans.
En France on diftingue la grande Chancellerie, & la petite Chancellerie.
les Officiers qui compofent la grande Chancellerie font , M. 1» Chan*
celier ; M. le Garde des Sceaux , quand le Chancelier n'a pas les Sceaux ;
les deux grands Rapporteurs ; le Procureur-général ; quatre grands Audien-
ciers ; quatre Contrôleurs-généraux ; quatre Confervateurs des hypothèques
liir les rentes; quatre Gardes des rôles; quatre Scelleurs; un Tréfbrier-
général du Sceau ; un Caiffier ; deux Tréforiers du marc d'or; deux Con-
trôleurs defdits Tréforiers ; quatre Secrétaires du Roi Gardes-Minutes ; quatre
9X6 C H A N C E C L E R t & S D* E I P A G N E.
ContrMeurs des Expéditions du ^ceau ; un premier Secrétaire de M. le
Gtiadceltér ; un premier Secrétaire du Sceau & de la Chancellerie ; quatre
Huilliers ordinaires; un Chauffe-cire ; un Courier ; un Cirier; deux Portes*
coffres ; un Meflàger de. la grande Chancellerie; un Aumônier de U Chan-
cellerie; un de M. le Chancelier; 'un Médecin; un Apothicaire; un Rt*
ceveur des Finances ^ Droits de mutation , & autres attachés à t'ofice de
Garde -des Sbeaux.
Les Officiers qui compofent la petite Chancellerie font^ te Garde des
Sceaux; un Audiencier; un Contrôleur; deux Secrétaires du Roi; deux
Référendaires ; un Tréforier Receveur des émolumens du Sceau ; un Gref-
fier GMrde-Minutè6/ Expéditionnaire des Lettres du Sceau; un Scttleur; un
ChaufFe-cire ; un PorteTcotfre , & deux Huifliers.
CHANCELLERIES D' E S P A G N E , Tribunaux Souverains yw
connoijftnt dt ctrtainti affaires dans leur rcffort.
ES^ Chancelleries doivent leur établifTement à Don Henri II , lequd
voyant^ que le eonfeil royal de Cafiilie étott furchargé d'affaires , & que
les ^ parties fie, confumoient en frais ^ fans pouvoir parvenir à les faire finir,
propofa aux Etats-Généraux , qui furent convoqués à Toro » d'établir un
tribunal fouvecain à Médina del Campo , fous le nom de Chancellerie royaki
pour décharger le confeil d'une partie des affaires.
Don Jean I , lors des Et^rs par lui convoqués à Ségovie , fit quelques
chaogemens par rapport à cette Chancellerie.
Aux Etats-Généraux , tenus à Tolède , fous Ferdinand-le-Catholique &
Ifabelle fon époufe , ils perfeâionnerent encore ces écabliffemens ; enfin
aux Etits qu'ils convoquèrent à^ Médina. deT Campo, en 1494., ils réglèrent
la Chancellerie comme elle eft aujourd'hui , & fixèrent le lieu de fa féance
\ ValladoUd, comme plus proche du centre de TEfpagne^
Quelque temps après , confidérant qu'il y avoit beaucoup de plaideurs
éloignés de ce lieu , ils établirent une féconde Chancellerie ^ d'abord à
Ciudàd Realf & en 1494 ils la transftirerent à Grenade dont le relTort
$'éteod fur tout ce qui eft au delà du Tage, celle de Valladolid ayant pour
territoire tout ce qui t{k en deçà| à la réferve de la Navarre, où il y ^
un confeil fouverain.
La Chancellerie -de Valladotid efl con;ipofée d'un Préfident, qui doit être
homme de rel)e/de Ceize Auditeurs, de trois Alcades criminels, & de deuï
* autres pour la confervation des- privilèges des gemils-hommes , d'un Jugo
confervateur des privilèges do Bifcaie , d'un Fifcal, un IVoteâeur, deux
Avocats, un Procureur des pauvres, un Alguazil mayor, un Receveur de(
gages , quarante Ecrivains , & de quatre Portiers. Elite eil divifée en quatre
Salles , qu'on appelle Salk des Auditturs.
CHANCE L I E R I S . R 0 M A I N B; kî^
Celle de Grenade n'eft compofte que d^un Prëfideoti feize Audirêur»^
deux Alcades criminels , deux autres pour la confervation des privilèges des
gentils- hommes, un Fifcal^un Avocat, un Procureur pour les pauvres, (ix
Receveurs de l'audience, un Receveur des amendes, fix Ecrivains, un
Alguaail, & de deux Portiers.
Le pouvoir de ces deux Chancelleries eft égal : elles cof^noiflèht en pre^
Hiiere inftance de tous les procès appelles de cofit , ce qu'on appelle eh
France cas rcymix ( à moins que le Roi n'en ordonne autrement ). de tous
ceux qui font à cinq lieues de la ville où réHde la Chancellerie, & de
tous ceux qui concernent les cor^égidors , les aleades & autres ofHciers de
juftice , qui y ont leurs caufes commifes , de même que les ^entils^hom-
mes , lorsqu'il s'agit de leurs privileees.
Elles connoiflent par apnél des ^ntences des juges ordinaires & diélë-
gnés, il la réferve des redditions de compte^ des lettrés exécutoires du
confeil fur les matières qui y ont été jugées, foit iiiteriècutoirement ou
définitivement , des informations & enquêtes faites par ordre du Roi , des
fentences des alcades de la cour en matière criminelle, & des affaires
commencées au civil , au confeil Royal , fuppofô que la cour foit féfidente
à vingt lieues de la demeure des parties.
Les juges y donnent leur fuflrage par écrit, fur un regîftre fur lequel
le Pr^fident doit garder le fecnet.
CHANCELLERIE ROMAINE.
J^ A Chancellerie Romaine eft le lieu où on expédie les ades de toutes
les grâces que le Pape accorde dans le confiftoire , & iînguliérement les
bulles des Archevêchés, Evéchés, Abbayes, & autres bénéfices réputés
confiftoriaux.
L'origine de cet établiffement eft fort ancien ; car l'office de Chancelier
de l'Eglife Romaine» qui étoit autrefois le premier Officier de la Chan«
cellerie , étoit connu dés le temps du VI«»e. concile (Ecuménique^
tenu en 68a.
On prétend néanmoins que la Chancellerie ne fut établie qu'après le
Pape Innocent III , c'eft-à-dire vers le commencement du XIII«. fiecle.
L'office de Chancelier ayant été fupprimé, les uns difent par Boni*
fiice VIII, les autres par Honoré III, le vice-Chancelier eft devenu le pre-
mier Officier de la Chancellerie. C'eft toujours un Cardinal qui remplit
cette place.
Le4>remier Officier après le Vice-Chancelier, eft le Régent de la Chan-
cellerie ; c'eft un des Prélats du grand parquet : fon pouvoir eft grand dans
la Chancellerie. 11 eft expliqué fort au long dans la dernière des règles de
aSS en A N G 5 L L E R I E R O M AI NI.
Chancellerie de pçuftaie R. Viée^^CancelUiru & cànéellariam repentis. C'eft
lui qui met la main à tomes les réngnations & cédions , comme matières
qui doivent être diftribuées aux Prélats du grand parquet. Il met fa mar«
que à la marge du côté gauche de la fignature , ^u-deffus de Pextenfion de
la date en cette manière, N. Regens. C'eft avfli lui qui corrige les erreurs
qui peuvent être dans les bulles expédiées & plombées ; & pour marque
qu'elles ont été corrigées , il met de fa main en haut au-deflus des let-
tres majufcules de la première ligne , -ccir/i^mr in regiftro praut jacci^ &
(igné fon nom.
Les Prélats abrévjateurs de la Chancellerie font de deUx fortes : les uns
fgrnonimés du grand parquet « qui eil le lieu où ils sWemblent en la
Chancellerie ; les autres du petit p^urquet. .
.Ceux du grand parquet dreflènt toutes les bulles qui s'expédient en
Chancellerie, dont ils lont obligés de fuivxe les règles, qui ne fouf&ent
point de narrative conditionnelle , ni aucune claufe extraordinaire : c'en
pourquoi lorfqu'il eft befoin de difpenfe d'âge ou de quelqu'autre grâce
iemblable, il faut faire çxpédier les bulles par la chambre apofioUqae.
Le Vice-Chancelier ayant dreffé en peu de mots une minute de ce qui a
été réglé , un des Prélats du grand parquet dreflfe la bulle ; on Penvoie à
un autre Prélat qui la revoit, & qui la met enfuice entre les mains d'uo
defcripteur des bulles. Les abréviateurs du grand parquet examinent &
les bulles font expédiées félon les formes prefcrites par la Chancellerie, &
fi elles peuvent être envoyées au plomb, c'efl-à-dire , fi elles peuvent être
fcellées; car Pufage de la cour de Rome eil de fçeller toutes les bulles
en plomb.
Les Prélats du petit parquet ont peu de fondions ; ce font eux qui por*
tent les bulles aux abréviateurs du grand parquer.
Le difiributeur des figuatures, qu'on appelle aufli le Secrétaire des Tri*
lats de la Chancellerie , n'efl pas en titre d'office comme Jes autres Ofi*
ciers dont on vient de parler. Il eft dans la dépendance du Vice-Chance*
lier : fa fbnâion confiée à retirer du regiftre toutes les fignatures, pour
les difiribuer aux Prélats du grand ou du petit parquet 9 félon qu'elles leur
doivent être diflribuées^ & à cet efiet, il marque fur un livre le jour de
]a diflribution , le Diocefe, & les matières, en ces termes, rejignatio Par
rifienfis. Il fe charge des droits qui font du petit parquet, & configne ceux
2ui appartiennent aux abréviateurs du grand, entre les mains de chacun
'eu3( ou à leurs fubflituts, après qu'il a mis au bas de la fignature le nom
de celui à qui elle eil difiribuée. Avant de faire la diflribution » il préfeote
les fignatures au Régent ou à quelqu'autre des Prélacs de la Chancellerie,
qui y mettent leur nom immédiatement au-deffus de la grande date.
Il n'y a qu'un feul Notaire -en la Chancellerie qui fe qualifie député.
C'eft lui qui reçoit les aâes de confens & les procurations des réfignarioos,
révocations, & autres a6tes femblables, & qui fait. l'exrenfioa du con/èns
• au
CHANCELLËRIB AUX CONTRATS. 189
mo dos de la fignature qu^l date ab anno incamationis , laquelle aunée fe
compte du mois de Mars; de forte que (i la date de la fignature fe ren-
contre depuis le mois de Janvier jufqu'au 25 Mars, il femble que la dace*
du confens (bit poftérieure à celle de la fignature.
Jean XXII, le lendemain de fon éleâion, avoit fait dreifer» félon la
coutiune de fes prédéceiTeurs des règles pour la Chancellerie Romaine.
M. von der Hardt a inféré ces règles dans le premier tom. de fon Recueil.
Il les avoit tirées d'un manufcrit drHelmftadt. Ces règles de la Chancellerie
Papale étoient un des plus grands griefs des Princes , des Prélats , des £c-
cléfiafliques & des peuples contre les Papes. On fe plaignoit hautement
que par lès réfervations des Papes, les grâces expeâatives, les vacances,
les confirmations, les difpenfes, les exemptions, les unions & les. incor-
porations, les cotnmandes, les annates, les décimes, les indulgences, &
les autres charges fèmblables , autorifées par ces règles , tout l'argent alloit
à Rome, que les Eglifes étoient dépouillées de leur droit de fe pourvoir
de pafteurs, & que la cour de Rome leur envoyoic à fon gré, des igno-
raas & des vicieux, qui fcandalifoient & qui opprimoient l'Eglife. C'étoit
en partie fur ces plaintes générales qu'on avoit afTemblé le concile de
Confiance. Les députés de chaque nation qui avoient été nommés par le
concile pour travailler à la réfbrmation, avoient fait leur capital de Pabp**;
lition de ces règles de là Chancellerie Romaine. Cependant Martin V^ qui
&t élu, fit drcfler, dés le lendemain de fon éleâion, des règles de. la.
Chancellerie fur le même pied que Jean XXII ^ ou avec trés-peu de di&
iërence. Von der Hardt a aufii donné ces règles de la Chancellerie de
Kartin V. Elles ont été tirées de manufcrits de Vienne & de Leipfick. Le
livre qui a pour titré la taxe de la Chancellerie de Rome^ e& fort connu ^
A il a été traduit en diverfes langues.
^
L
CHANCELLERIE AUX CONTRATS.
A Chancellerie aux Contrats eft une jurifdiâion fpéciale à la Bourgo-
gne : fon objet eft de connoitre en première inftance de l'exécution des.
aftes pafles fous le Scel Royal , fauf Tappel au Parlement.
Sous les Ducs de Bourgogne, elle avoit pour chef leur Chancelier ^
qui étoit en même - temps garde du grand & petit - icel , & du, fcel aux
contrats.
Un extrait d'un ancien regiftre de la Chambre des Comptes , imprimé
dans le recueil d'arrêts de M. Raviot, tom. i , p. 470, prouve que le,
Chancelier de Bourgogne avoit fix fieges ; à Dijon , Beaune , Châlon ,
Autun, Semur flr Châtillon, où il exerçoit par lui-même une ou deux fois
Pan cette jurifdiâion. Les notaires & leurs coadjuceurs , chacun dans leur
Tome XI. .Oo
290 CHANCELLERIE AUX CONTRATS.
détroit I étoient obligés de porter tous lès contrats qu^ils recevoieot à des
gardes-fceU j qui les fcelloient à double c^ueue de parchemin pendant du
icel Se du concre*fcel ; ils repréfentoient aufli deux fois l'année leurs regiftres
fur iefquels les gardes des Iceaux percevoient les émolumens du kel ^ donc
ils renietcoient tous les ans le produit au Chancelier , qui retenoit par fes
mains 200 liv. pour fa penfion , & portoit le furplus à l'épargne du Prince.
Fhilippe-le-Hardi y premier Duc de la féconde jrace , établit un Gouver-
neur de la Chancellerie à Dijon (Mathieu de Vezon) en 1^9$^ & des
Lieutenans dans les autres fieges. Leurs fondions furent confervé'es après
la réunion de la Province à la Couronne , & depuis ils furent érigés en
titre d'office. Ils préfident aux audiences de la Chancellerie ^ & jugent avec
les Officiers du bailliage les procès de la compétence.
Un regiflre de la Qiambre des Comptes nous apprend quels étoient les
fceaux dont fe fervoit le Gouverneur de la, Chancellerie fous Philippe4e«
Hardi en 1391. » Jacques Paris ^ Bailli de Dijon , ayant en garde le^ fceaux
3» de la Chancellerie , a baillé lefdits fcels : c'eft a favoir Te grand^fcel &
» contre-fcel, & le fcel aux caufes^ tous d'argent & enchaînés d'argent;
9 enfemble plusieurs autres yiez ( vieuxj icels de cuivre & un coffiret ferré
» de leton , auquel on met les petits^fcels à maître Jehan de Verranges »
9 inftitué Gouverneur de la Chancellerie a.
Les Lieutenans de la Chancellerie de chaque bailliage de la Province
avoient des fceaux, comme il paroit par un mémoire de la Chambre dei
Comptes de 139^* Dans quelques villes particulières il y avoit un garde
des fceaux aux contraux , leauel £iifoit le ferment entre les mains des Mal*
fres des Comptes qui lui délivroient trois fceaux de cuivre. Dans chaque
bailliage le Chancelier avoit des Secrécaires, LibtlUnfes^ qui percevokot
certains droits pour les écritures qu'ils feurniffoienr.
Aujourd'hui l'office de Gouverneur de la Chancellerie efl uni k celui de
Lieutenant - Général du bailliage de Dijon ^ & les principaux Officiers de
la plupart des autres bailliages ont pareillement obtenu la réunion à leurs
charges de celles dé Lieutenant de la Chancellerie ^ créées dans leon
iieges.
Après la mort du dernier Duc, les Baillis Royaux, fécondés des Sa'
gneurs haut-JufHciers , firent tous leurs efforts pour anéantir la jurifiliâioo
de la Chancellerie ; le Gouverneur porta fes plaintes à Charles VIII , qui
lui accorda en Juillet 1489 , un édit qui le maintenoit dans le droit de
connoltre de toute matière provenante du Scellé, circonflances & dépeir
dances. Cet édit préfenté au Parlement de Dijon , les faillis Royaux & 1^
Seigneurs haut - Jufliciers s'oppoferent à l'enregiftrement ; enforte qu'il o^
fut point exécuté , mais François I , ayant nommé des maîtres de requ^
tes & des confèillers du Parlement , pour entendre les parties , rendic ^
Màcon en Janvier t f 9 ^ , un édit qui confirme le Gouverneur de la ChaO'
cellerie & les Lieutenans dans leur jurifdiâioo , comme Us faifoient avatf
C H A N D E R N A G 0 R^ &91
let entrepnlfes de BaUli» Royaux. Cet édic particulier pour la Bourgogne «
iert de règle pour la compétence des jurifdiétions entre le Gouverneur de
la Chancelierie & les juges ordinaires : il fut confirmé par une déclara«
tioo du 1 5 Mai i $44. On les trouve dans les conunentaires de Taifaod fur
b coutume.
C'eft aux Officiers de la Chancellerie que font adreflëes les provifions
des Notaires Royaux , & ils procèdent à leur réception.
Du nombre des caufeis qui font portées à ce tribunal , celles qui n'exce-»
dent point les fommes fixées par le premier chef de l'édit des préfidiaux ^
font )ugées fans appel , & alors il prend le titre de ÇhanccUeric Préfidialt :
lorfaue la fomme qui fait l'objet de la conteftation excède le dernier chef
de redit , alors le procès eft jugé par la Chancellerie ordinure » & l'appel
le porte au Parlement.
S
CHANDERNAGOR» vilU des Indes, dans h Bengale, fur
la rivierre d'Ougly ^ appartenant aux François.
J-uE port de Chandemasor^ quoiqu'un peu dominé du c6té de TOueft^
•ft excellent , & l'air y eft auffi pur qu'il peut l'être fur les bords du Gange.
Cette ville qui comptoit ci-devant eaviron foixante mille »nes, n'en a
pas aujourd'hui la moitié. C'eft & ce fera toujours un lieu entièrement
ouvert 9 quoique foa entretien coûte trois cents cinquante mille roupies , Ôc
que fon revenu ne foit que de trente mille. La France s'eft obligée par
le traité de 1763 , à ne point y ériger de (bnifications , & à n'y entretenir
aucunes troupes réglées , non plus que dans le refte de cette riche & vafte
contrée. Les Anglois, qui fous le titre modefte de fermiers , y exercent
la fouveraineté , ne permettront jamais qu'on s'écarte de cette dure loi
qu'ils ont impofée. A ce malheur d'une fituatioa précaire , fe joignent des
vexations de tous les genres. Peu contens des préférences que leur aifure
une autorité ûins bornes ^ }e$ Anglois fe font portés à des excès crians. A
leur inftigation ^ les naturels du pays ont inuilté les loges Françoifes. Ils
en ont nit enlever les ouvriers qui leur convenoient. I^ toiles deftinée^
à la compagnie de France, ont été déchirées fur le métier même. Il a
été publiquement ordonné à toutes ces manufàâures de ne travailler que
pour eux pendant trois mois. Leurs cargaifons ^ qui deviennent tous les
jours plus confidérables , doivent ^ difent*ils , être choîfies & complétées
avant qu'on ne puiffe rien détourner des atteliers. On a forcé le Souba de
défendre aux paiticuliers des autres nations de faire aucun commerce ^ ^utn-
que toutes les capitulations leur en euflent aflliré le droit. Le projet ima«
giné par les François & les Hollandois réunis ^ de &ire un dénombrement
eiaâ des tilTeranas & de fe contenter enfemble de la moitié » tandis
O o »
^
i^i CHANGE.
•
que TAngtois jouiroit feut du relie , a été regardé comme un outrage. Ce
peuple dominateur, a pouffé fes prétentions jufqu'à vouloir que fes fac-
teurs puffent acheter dans Chandernagor m^ie, & il a £iUu fe plier à
cette hauteur pour ne fe pas voir exclu des marchés de tout le Bengale.
En un mot, il a tellement abufé de l'injufte droit de la viâoire. qu'il
fembleroit intérefler les gouvernemens à faire des efforts , & les pnilofb-
phes mêmes des vœux pour la ruine de fa liberté , fi les peuples n'étoient
cent fois plus oppreffeurs & plus cruels encore fous Pautorité d'un feul
hoitime, que dans les propriétés d'un gouvernement tempéré par Pin-*
fiuence de la multitude.
Les moyens que les agens de la compagnie de France mettent en ufage
pour lutter contre tant de difficultés, lonr .aHurément trés-fages^. Ils ont
j'éformé les marchands Indiens, avec lefquels on contraâoit à des condi-
tions énormes , & leur ont fubflitué des hommes de confiance qui fournil^
fent les marchandifes au prix des manufaâures , moyennant une commif^
fîon de trois pour cent. Ils ont affuré au corps dont ils conduifent les af^
feires, les toiles qui fe fabriquent dans Chandernagor même» & qui étoienc
autrefois abandonnées aux particuliers , quoique ce fut un objet de grande
importance. Enfin, ils ont cherché à diminuer les vexations & à remplir
les ordres qui leur venoient d'Europe en achetant des chefs mêmes des
comptoirs Anglois, une partie de ce qui devoit entrer dans leurs envoie.
Malgré ces précautions , les cargaifons qui arrivent en France , (ont chè-
res, foibles, tardives, de mauvaife qualité, & il faut que fa compagnie
abandonne le Bengale ou qu'elle y périfTe, à moins qu'elle ne change
Chandernagor contre Chatigam. Voyei^ C H A T l G A> M.
CHANGE, f. m. Le prix ou h droit que Von donne en changeant da
monnoies contre étautres monnoies.
V-j E T T E forte de Change fe nomme communément Change menu &
quelquefois Change pur „ Change naturel , Change commun ou Change mzr
Buel : c'efl le dernier qui a été le premier en ufage. Ceux qui exercent
ce négoce font appelles changeurs. Il confifle à prendre des monnoies dé-
fcdueufes, ou étrangères, ou hors de cours, pour des monnoies du pays
& courantes.
On nomme encore Change l'intérêt des trois mois qu'exige un banquier
qui donne de l'argent pour un billet payable dans une autre place î « la
différence qu'il y a entre l'argent de banque & l'argent courant.
Le Change eft une fixation de la valeur aéhielle & momentanée des
monnoies.
C'efl l'abondance & la rareté relative des monnoies des divers pays qui
forment ce qu'on appelle le Change;
l
CHANGE. a93
Uargenr, comme métal, a une valeur comme toutes les autres mar^
chandifes ; il a encore une valeur qui vient de ce qu'il eft capable
de devenir le iigne des autres marchandifes ; & s'il n'étoit qu'une fîm-
!e marchandife |- il ne £iut pas douter qu'il ne perdit beaucoup de
on prix. ^
L'argent , comme monnoie , a^ une valeur que le Prince pput fixer dans
quelques rapports, & qu'il ne fauroit fixer dans d'autres.
i^. Le Souverain établit une proportion entre une quantité d'argent com-
me métal , & la même quantité comme monnoie.
20. Il fixe celle qui eft entre divers métaux employés à h monnoie.
3^ Il établit le poids & le titre de chaque pièce de monnoie.
40. Enfin , il donne à chaque pièce une valeur idéale.
Pour bien entendre ceci, il faut fe rappeller qu'il y a des monnoies réel-
les & 4es monnoies idéales. Les peuples policés qui fe fervent prefque tous
de monnoies idéales , ne le font que parce qu'ils ont converti leurs moa-
noies réelles en idéales. D'abord leurs monnoies réelles font un certain
poids & un certain titre de quelque itiétal : mais bientôt la mauvaifefbi^
ou le befoîn, font qu'on retranche une partie du métal de chaque pièce
de monnoie à laquelle on laiffe le même nom : par exemple/ d'une pièce
du poids d'une livns d'argent on retranche la moitié de l'argent & on coa«
tinue de l'appeller livre ; la pièce qui étoit une vingtième partie de la livre
d'argent on continue de l'appeller fol , quoiqu'elle ne foit plus la vingtie*
me Dartie de cette livre. Pour lors la Uvre eft une livre idéale & le fol
un fol idéal , ainfi des autres fubdivifions : & cela peut aller au point que
ce qu'on appellera livre, ne fera plus qu'une très-petite portion de la li-
vre , ce qui la rendra encore plus idéale ; il peut même arriver que l'oa
ne fera plus de pièce de moifnoie qui vaille précifément une 1 ivre ^& qu'on
ne feira pas de pièce qui vaille un fol; pour lors la livre & le (bl feront
des monnoies purement idéales. . On donnera à chaque pièce de monnoie
la dénomination d'autant de livres & d'autant de fols que l'on voudra : la
variation pourra être continuelle, parce qu'il eft aufli aifé de donner ua
autre nom z une chofe, qu'il eft difficile de changer la chofe même.
J'appelle, dit Mr. de Montefquieu, la valeur de U monnoie dans cea
quatre rapports valeur pofiiive^ parce qu'elle peut être fixée par une loi.
Les monnoies de chaque Etat ont de plus une valeur relative dans le
lèns qu'on les compare avec les monnoies des autres pays ; c'eft une va«^
leur relative que le Change établit ; elle dépend beaucoup de la valeur po«
fitive. Elle eft fixée par l'eftime la plus générale des négocians , & ne peut
Pêtre par l'ordonnance du Souverain , parce qu'elle varie fans ceflfe & dé-**
pend de mille circonftances.
Pour fixer la valeur relative , les dîvcrfes nations fe régleront beaucouj^
fur celle qui a le plus d'argent : fi elle a autant d'argent que toutes les
autres enfemble , il £tudra bien que chacun aille fe mefurer avec elle ^ ce:
»94
CHANGE.
qui fera quMIes fe régleront à peu près eotr'elIe$| comme eUe^ fe (ont
medirées avec la nation principale.
Dans Pétat aâuel de l'univers , c'eft la Hollande qui eft cette nation donc
nous parlons; examinons le Change par rapport à elle.
, Il y a en Hollande une monnoie qu'on appelle un florin, ce florin vaut
.vingt fols, ou quarante demi fols ou gros. Pour fimplifler les idées , imaginont
qu'il n'y ait point de florins en Hollande & Qu'il n'y ait que des gros; un
homme qui aura' mille flori⧠aura quarante mille gros, ainn du refte. Qr^ le
Change avec la Hollande confifte à favoir combien vaudra de gros chaque
pièce de monnoie des autres pays; & comme l'on compte ordinairement
en France par écu de trois livres , le Change demandera combien un écu
de trois livres vaudra de gros. Si le Change efl à cinquante-quatre^ Pécu
de trois livres vaudra cinquante*quatre gros ; s'il eft à foixante , il vaudra
Change
pas la rareté ou Tabondancè réelle : c'eft une rareté ou une abondance
relative. Par exemple , quand la France a plus beibin d'avoir des fonds en
Hollande , que les Hollandois n'ont befoin d'en avoir en France , l'argent
eft appelle commun en France & rare en Hollande, & vice versé.
Suppofons que le Change avec la Hollande foit à cinquante*quatre : fi
la France & la Hollande ne compofoient qu'une ville , on feroit comme
l'on fait quand on donne la monnoie d'un ecu : le François tireroit de fa
poche trois livres, & le Hollandois tireroit de la fienne cinquante-quatre
gros; mais comme il y a de la diftance entre Paris & Amfierdam, n fzix
que celui qui me donne pour mon écu de trois livres cinquante-quatre gros
qu'il a en Hollande , me donne une lettre de Change de cinquante-*quatre
gros fur la Hollande : il n'eft plus ici queftion de cinquante-quatre gros»
mais d'une lettre de Change de cinquante-quatre gros ; ainfi pour juger de
la rareté ou de l'abondance de l'argent, il faut lavoir s'il y a en France
plus de lettres de cinquante-quatre gros defiinées pour la France, qu'il n^
a d'écus deftioés pour ta Hollande. S'il y a beaucoup de lettres offertes par
les Hollandois & peu d'écus offerts par les François, l'argent eft rare en
France , & commun en Hollande , & il faut que le Change hauffe , & que
pour mon écu on me donne plus de cinquante-quatre gros^ autrement je
ne le donnerai pas, & vice versé.
On voit que les diverfes opérations de Change forment un compte de
recette & de dépenfe qu'il faut toujours fblder; & qu'un particulier qui
divers particuliers d'Efpagne dulfent en France la valeur de cent miUe
marcs d'argent , & que divers particuliers de Franœ duttSsoi en Efpagne cent
CHANGE; 295
dix miUe marcs , & que Quelque circooftaoce fit que chacun en Efpagne
& en France voulût tout-a-coup recirer fon argent : que feroient les opé«
cations du Change? Elles acquicterotent réciproquement ces^eux nations
de la fomme de cent mille marcs ; mais la France devroit toujours dix
mille marcs en Efpagne, & les Efpagnols auroient toujours des lettres fur
la France pour dix mille marcs, & la France n'en auroit point du tout fur
TEfpagne.
Que fi la Hollande ëtoit dans un cas contraire avec la France , & que
pour folde elle lui dût dix mille marcs , la France pourroit payer l'Efpa**
gne de deux manières, ou en donnant à fes créanciers en Efpagne des let«
très fur les débiteurs de Hollande pour dix mille marcs , ou bien en en«
voyant en Efpagne dix mille marcs d'argent en efpeces.
Il fuit delà , que quand un Etat a befoin de remettre une fomme d'ar»
gent dans un autre pays, il eft indifférent par la nature de la chofe que
Ton y voiture de l'argent, ou aue l'on prenne des lettres de Change}
l'avantage de ces deux manières de payer dépend uniquement des circonf--
tances afhielles. Il faudra voir ce qui dans ce moment donnera plus de
E-os en Hollande , ou l'argent porté en efpeces , ou une lettre fur la.
ollande de pareille fomme, les frais de la voiture & de l'aflurance
déduits.
Lorfque même titre & même poids d'argent en France rendent même
poids & même titre d'argent en Hollande , on dit que le Change eft au
pair. Dans l'état aâuel des monnoies le pair eft alfez ordinairement à peu
prés à cinquante-quatre gros par écu. Lorfque le Change fera au-de(fus
de cinquante-quatre gros, on dira qu'il eft haut } lorfqu'iî fera au dellbus^
00 dira qu'il eft bas.
Pour (avoir fi dans une certaine fituation du Change , l'Etat gagne ou
perd , il Eut le confidérer comme débiteur , comme créancier ; . comme
vendeur , conmie acheteur. Lorfque le Change eft plus bas que le pair ^
il perd comme débiteur , il gagne comme créancier , il perd comme ache«
tenr , & il gagne comme vendeur.
On fent bien qu'il perd comme débiteur : par exemple , la France de«
▼ant à la Hollande un certain nombre de gros , moins fon écu vaudra dei
gros , plus il y faudra d'écus pour payer ; au contraire , fi la France eft
créancière d'un certain nombre de gros , moins chaque écu vaudra de gros^
plus elle recevra d'écus : l'Etat perd encore comme acheteur, car il faut
toujours le même nombre de gros pour acheter la même quantité de mar«
cbandifes , & lorfque le Change baifte , chaque écu de France donne moina
de gros ; par la même raifon TEtat gagne comme vendeur : je vends ma
marchandife en Hollande le même nombre de gros que je la vendois|
î^aurai donc plus d'écus en France , lorfqu'avec cinquante gros je me pro«
curerai un écu , que lorfqu'iî m'en faudra cinquante - quatre pour avoir co
même éai ; k contraire de tout ceci arrivera à l'autre Etat, fi la Hol«
%^6 CHANGE.
lande doit un certain nombre d'ëcus , elle gagnera, & fi oa les lui doit^
elle perdra; fi elle vend elle perdra , fi elle acheté, elle gagnera.
Lorfque le Change eft au-deflbus du pair, par exemple , s'il eil à cin-
quante au*lieu d'être à cinquante - quatre , il devroi t arriver que la France
envt>yant par le Change cinquante-quatre mille écus eh Hollande, n'^acheteroic
de marchandife que pour cinquante mille écus ; & que d'un autre coté la Hol-
lande , envoyant la valeur de cinquante mille écus en France , en acheteroit
pour cinquante-quatre mille , ce qui feroit une difFérence de huit cinquante-
quatrièmes, c'en* à-dire , déplus d'un feptieme de perte pour la France, de
forte qu'il éiudroit envoyer en Hollande un feptieme de plus en argent ou en
marchandifes qu'on ne faifoit lorfque le Change étoit au pair , & le mal aug-
mentant toujoiu-s, parce qu'une pareille dette feroit encore diminuer Te
Change, la France feroit à la fin ruinée. Il femble que cela devroit être,
& cela n'efl pas , parce que les Etats tendent toujours à fe mettre dans
la balance, & à fe procurer leur libération; ainfi ils n'empruntent qui
proportion de ce qu'ils peuvent payer , & n'achètent qu'à mefure qu'ils ven-
dent : & en prenant l'exemple ci-delTus , fi le Change tombe en France dé
dnquante-quatre à cinquante, le Hollandois qui achetoit des marchandises
de France pour mille écus, & qui les payoit cinquante-quatre mille gros,
ne les payeroit plus que cinquante mille fi le François vouloit y confentir : .
mais la marchandife de France hauffera infenfiblement , le profit fe partar
gera entre le François & le Hollandois : car lorfqu'un négociant peut ga«
gner , il partage aif'ément fon profit; il fe fera donc une communication de
profit entre le François 6c le Hollandois ; de la même manière ; le Fran-
çois qui achetoit des marchandifes de Hollande pour cinquante- quatre raillé
gros & qui les payoit avec mille écus , lorfque-le Change étoit à cinquante-
quatre , feroit obligé d'ajouter un feptieme de plus en écus de France pour
acheter les mêmes marchandifes : mais le marchand qui fentira la perte
u'il feroit , voudra donner moins de la marchandife de Hollande ; il Te
ra donc une communication dp perte entre le marchand François & I0
marchand Hollandois : TEtat fe mettra infenfiblement dans la balance , &
Pabaifièment du Change n'aura pa» tous les inconvénieins qu'on dévoie
craindre.
Lorfque le Change efi plus bas que le pair, un négociant peut fans di-
minuer fa fortune remettre fes fonds dans les pays étrangers, parce qu'ea
les faifant revenir , il regagne ce qu'il a perdu : mais un Prince qui n'en-
Toie dans les pays étrangers, qu'un argent qui ne doit jamais revenir, per'
toujours.
Lorfque les négocians font beaucoup d'af&ires dans un pays , le Change
y haufie infailliblement; cela vient de ce qu'on y prend beaucoup d'enga-
gemens , & qu'on y acheté beaucoup de marchandifes , & l'on tire furl^ •
pays étranger pour les payer.
Si an Prince ait de grands amas d'argent dans foa Etat , l'argeot y
pourra
a'
CHANGE- 297
xioum être rare réelkment & commuû relativement : par exemple , fi dans
le même temps cet £rat avoir à payer beaucoup de marchandiles dans les
pays étrangers , le Change baifleroic, quoique l'argent fût rare.
Le Change de toutes les places tend toujours à fe mettre à une certaine
I proportion ^ & cela tH dans la nature de la chofe même. Si le Change de
'Irlande à l'Angleterre e(l plus bas que le pair, ceint de l'Irlande à la
flollande fera encore plus ba^ , c'e(l-à-dire , en raifon compofée de celui
de l'Irlande à l'Angleterre^ & de celui de l'Angleterre à la Hollande; car
un HoUandois qui peut faire venir (es fonds indireâement d'Irlande par
l'Angleterre , ne voudra pas payer plus cher pour les faire venir direâe-
ment. Quoique cela dût être ainfi, cela n'efl pourtant pas exaâement, il
y a toujours des circonftances qui font varier ces chofes ; & la différence
du profit qu'il y a à tirer par une place , ou à tirer par une autre , fiiit
i'habileté particulière des banquiers.
Lorfqu'un Etat haude fa monnoie^ par exemple, lorfqu'il appelle fix li*
vres, ou deux écus, ce qu'il nappelloit que trois livres ou un écu, cette
dénomination nouvelle qui n'ajoute rien de réel à l'écu , ne doit pas pro-
curer un feul gros de plus par le Change ; on ne devroit avoir pour les
deux écu$ nouveaux que la même quantité de gros que l'on recevoir pour
l'ancien ; & fi cela n'efl pas , ce n'eft point l'effet de la fixation en elle*
même, mais de celui qu'elle produit comme nouvelle, & de celui qu'elle
a comme fubite. Le Change tient à des affaires commencées, & ne fe met
en règle qu'après un certain temps.
Lorfqu'un État, au-lieu de hauffer fimplement fa monnoie par une loi,
&it une nouvelle refonte, afin de faire d'une monnoie forte une monnoie
plus foible , il arrive que pendant le temps de l'opération , il y a deux for*
tes de monnoie, la forte qui èfi la vieille, & la foible qui efl la nouvelle;
& comme la forte efl décriée & ne fe reçoit qu'à la monnoie, & que par
conféquent les lettres de Change doivent fe payer en efpeces nouvelles ,
il femble que le Change devroit fe régler fur l'efpece nouvelle : fi par
exemple , l'afFoiblifTement en France» étoit de moitié , & que l'ancien écu
de trois livres donnât fbixante gros en Hollande , le nouvel écu ne devroit
donner que trente gros : d'un autre côté , il femble que le Change devroit
fe régler fur la valeur de l'efpece réelle, parce que le banquier qui a de
l'argent & qui prend des lettres , efl obligé d'aller porter à la monnoie
des efpeces vieilles pour en avoir de nouvelles , fur lefquelles il perd. Le
Change fe mettra donc entre la valeur de l'efpece nouvelle & celle de
l'efpece vieille : la valeur de l'efpece vieille tombe, pour aînfi-dire, &
parce qu'il y a déjà dans le commerce de l'efpece nouvelle, & parce
^ue le banquier ne peut pas tenir rigueur, ayant intérêt de fiiire fortir
promptement l'argent vieux de fa caiffe pour le faire travailler, & y étant
lUême forcé pour faire fes paiemens. D'un autre côté, la valeur de l'efpece
nouvelle s'élève . pour ainfi-dire , parce que le banquier avec de l'efpece
Tome XI. P p
198 C H A N G s.
nouvelle fe trouve dans une circonftancc où il peut, avec un grand avantage,
s'en procurer de la vieille : le Change fe mettra donc entre l'efpece nouvelle
& refpecè vieille ; pour lors les banquiers ont du profit à Ikire fortir l'ef-
pece vieille de l'État, parce qu'ils fe procurent par- là le même avantage
Sue donneront un Chaoge réglé fur l'efpece vieille, c'eft-à-dire beaocoM
e gros en Hollande , & qu'ils ont un retour en Change réglé ,. encre Ytt
Eece nouvelle & l'efpece vieille, c'eft-à-dire plus bas z ce qui procure
eaucoup d'écus en France.
Je fuppofe que trois livres d'efpeces vieilles rendent par le Change ac-
tuel quarante*cinq gros, & qu'en tranfportant ce même écu en HoUandei
on en ait foixante, mais avec une lettre de quarante-cinq gros, on fe pro-
curera un écu de crois livres en France , lequel tranfporté ea efpeces vieilles
en Hollande, donnera encore foixaate gros; toute efpece vieille fortin
donc de l'État qui fait la refonte , & le profit en fera pour les
banquiers.
Four remédier à cela , on fera forcé de &ire une opération nouyelle.
L'Étac qui fait la refonte enverra ki-méme une grande quantité d'efpeces
vieilles chez la nation qui règle le Change , & s'y procurant un créait, il
fera monter le Change au point qu'on aura, à peu de chofes prés, au«*
tant de gros par le Change d'un ecu de- trois livres qu'on en auroit, ea
faifant fortir un écu de trois livres en efpeces vieilles hors du pays : je dis
à peu de chofes prés, parce que lorfque le profit fera modique, 00 ne
fera point tenté de faire fortir l'efpece à caufb des frais de la voiture &
des rifques de la- confiscation»
Un exemple donnera une idée ptus claire de ceci. Le .Sieur Bernard pro-
pofe fes lettres fur la Hollande, & les donne à un , deux ^ trois gros plus
haut que le Change aftuel; il a fait une provifîbn dans les pays étrange»
par le moyen des- efpeces vieilles qu'il a fait continuellemenc voiturer^il
a donc fait hauffer le Change au point que l'on vient de dire : cependant
à force de donner de fes lettres , il fè faiut de toutes les efpeces nouvelles»
& force les autres banquiers qui ont ides paiemens à faire, à porter leurs
efpeces vieilles à la monnoie v & de plus , eomme il a eu infenfiblemeot
tout Pargent , il contraint à leur tour les autres banquiers à lui donner
des lettres à un Changie très-haut ; le profit de ta fin l'indemnife en grande
partie de la perte du commencement.
On fent que pendant toute cette opération, l'État doit (buffiîr une vîo^
lente crife, l'argent y deviendra très-rare.
i^. Parce qu'il £iuc en décrier la plus grande partie.
z^. Parce qu'il en faudra tranfporter une partie dans tes pays étrangers»
3^. Parce que tout le monde le reffefrera, potrfonne ne voulant laiffer
au Souverain un profit qu'on efpere avoir fbi-méme. Il efl dangereux de la
faire arec lenteur , il eft dangereux de la faire avec prompc itude. Si
le gain qu'on fuppofe efl immodéré « les incpnv^niens augmentent U
meture.
CHANGE. ^99
Qb a va ci-deATus* que quand le Chaoge eft plus bas que Ten^ece, «1
y avok du profit à faire fortir l'argent : par la même raifon , lorlqu^ii eft
plus haut que l'efpece ^ il y a du profit à le &ire revenir.
Mais il y a un cas où Ton trouve du profit à faire fortir Tefpece, quoi*
que le Change foit au pair, c'eft lorfqiron l'envoie dans les pays écran*
J^erSy pour la faire remarquer ou la fondre. Quand elle eft revenue , on
aie , toit qu'on l'emploie dans le pays , foit qu'on prenne des lettres pour
l'étranger , le profit de la monnoie.
S'il arrivoic que dans un Etat on fit une compagnie qui eût un nombre
tfès-confidérable d'aâions , & qu'on eût &it dans quelques mois ie femps
luiuflèr ces aâions vingt ou vingts-cinq kis au*delà de la valeur du premier
rachat , & que ce même Eut eût établi une banque dont les billets duf-
fent fiiire la fbnâion de monnoie , & que la valeur numéraire de ces bil-
lets fût prodigieufè pour répondre à la valeur numéraire des adions (c'eft
le fyfléme de M. Lxw) \ il fuivroit de la nature de la chofe que fes ac-
tions & fes billets s'anéantiroient de la même manière qu'ils fe feiroienc
établis : on n'auroic pu faire monter tout-à*coup les aétions vingt ou vingt-
cinq fois plus haut que leur première valeur, fans donner à beaucoup de
gens le moyen de fe procurer d'immenfes richeilës en papier : chacun
chercherait a affurer (a fortune ; & comme le Change donne la voie la
plus fiicile pour la dénaturer, ou pour la tranfporter où l'on veut, on re-
mettroit fans celfe une partie de ces effets chez la nation qui règle le
Change. Un projet continuel de remettre dans les pays étrangers, ferait
bailfer le Change.
Suppofons que du temps du fyftême dans le rapport du titre & du poids
de la monnoie d'argent , le taux du Change fût de quarante gros par écu ;
lorlqu'un papier innombrable fut devenu monnoie, on n'aura plus voulu
papier
de troia livres en argent
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CHANGE.
TABLE DU COURS DU CHANGE de HoUande, depuis $4 jvîijalt %t
deniers de gros de Hollande pour l'écu de trois livres ^ avec toutes les
fraâiôns jufqu'aux feizîemes ^ comme ils fe trouvent dans le Commerce
de Banque.
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<8 deniers de gros de Hollande pour Pécu de trois livres avec toutes les
fcaâions , jufqu'aux feiziemes comme ils fe trouvent dans le commerce de
banque , on voit ce que vaut un florin de Hollande argent de France , &
for la même ligne on voit ce que vaut une livre de France , argent de
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HoUaoâ6 : aiofi on pourra voir par une fimple multiplication ce que rm^
dront argent de France ^ quelque nombre que ce foit de florins de Hol-
lande ; de même ce que vaudront argent de Hollande quelque fomme de
France que ce fbit. Exemple, fi Ton veut favoir ce que vaudront ai^enc
de France 178 florins de Hollande argent courant , 1& Change étant à 5^ f de-
niers de gros pour Técu de trois livres ; il faut chercher en la table ci«
deflus ^< i où l'on voit qu'un florin vaut 2 Itv. 3 f. i d. H àt France,
ainfi il faut multiplier les 178 florins par ta fomme de i liv. 3 f. i d. U &
on trouvera 384 liv. tpurnoisque vaudront les 178 florins, le Change étant
au prix ci-deflfus : & pour preuve , il faut voir fur la même ligne de 6 5 f de-
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florins propqfés. H faut faire attention , en faifaAt cette dernière mukîplica^
tion , que 4 pennins font le qu2l^t d'un fluiver , parce qu'il faut 1 6 pennins
pour un fluiver, .& que le | que l'on a au multiplicateur n'efl que le tiers
d'un pennin. 11 en fera de même à l'égard de toutes fommes de France
que l'on voudra changer en monnoie de Hollande , de même que de
toutes les fommes de Hollande que l'on voudra changer en argent de
France , ayant ^ttent;on de chercher dans la table le prix du Change
en deniers de gros.
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\^ E font des Officiers , ou perfonnes publiques , qui font le commerce
d'argent , c'eft-à*dire , qui négocient les lettres de change , billets ou au*
très effets payables au porteur , ou à ordre , êc auxquels on paie un cer-
tain droit pour leur entremife. Depuis que le papier commerçable s'eft
multiplié à l'inflni dans les Etats policés, les perfonnes, qui fe chargent
de le négocier, font devenues de la plus grande utilité. Auffi a*t-on eu.
foin d'en établir dans prefaue toutes les villes de l'Europe , fur-tout dan
les villes où le commerce fleurit davantage ; leur miniflere fefnble lui don<
ner une nouvelle vigueur, une aâivité pUis grande en facilitant aux n(
cians & autres la vente de leurs effets & marchandîfes , dont le prii^ ù
promptement ou du moins affuré les met dans le cas de faire de nouvelli
entreprifes , & de ne point interrompre leurs affaires. En France l'emploi
d'Agent de Change a été érigé en titre d'office du moins pour les prin^^^*
cipales villes de ce Royaume. Ce fut fous Charles IX que fe fit cett^r^e
nouvelle création d'Officiers. Son Edit du mois de Juin 1572 porte, qu»^
c'efl pour remédier aux abus fans nombre qu'entraluoit l'exercice du
tage , qu'il s'eft déterminé à établir en titre d'office tous ceux , qui voi
dront déformais l'exercer dans fes Etats , & à les aflreindre à prendre pooKr /*
cet effet des provifîons du Sceau , ainfi qu'à fe Ëiire recevoir en qualité 9f y ^
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Courâers ou d^Agens de Change par les Baillis , Sénéchaux & autres Ju-
ges Royaux des lieux de leur réfideoce. Le dëfir de remédier aux abus eft
toujours le prétexte vrai , ou fuppofé , dont on s'authorife pour faire agréer
toutes ces nouvelles créations d'offices, qui tendent fans cefle à refferrer
la liberté du citoyen. Jufqu'au règne de Charles IX le courtage avoir été
libre «n France, & pouvoir l'exercer qui vouloir. Cependant TEdit de ce
Prince demeura fans effer. Henri IV le remit en vigueur en 159^, & créa
des Courtiers de Change pour différentes villes de fon Royaume , favoir
pour Paris, Lyon, Marfeille, Tours, la Rochelle , Bordeaux, Amiens,
Dieppe , & Calais. Il fixa le nombre deldits Officiers , qu'il défiroit éta-
blir dans chacune de ces villes , & défendoit en même temps à toute au-
tre perfonne d'y exercer le courtage fous peine de punition corporelle , de
crime de faux^ & de ^00 écus d'amende. L'état de ces Officiers a éprouvé
depuis de grandes variations fous les règnes de Louis XIII , de Louis XIV
& de Louis XV. Leur nombre a été fucceffivement réduit ou augmenté.
On les a plufieurs fois fupprimés, & enfuite recréés toujours avec un ac**
croilTement de finance. Louis XIV les fupprima. tous par un Edit du mois
de Décembre 170$ à l'exception de ceux de Marfeille & de Bordeaux , &
par le même Edit en créa iitT autres pour être répartis dans les princi-
pales villes du Royaume. Il leur donne dans cet Edit la qualité de Co/z-
Jeillcrs du Roi , Agens de Banque , de Change , de Commerce & de Finan*
^es. Qualité qu'ils ont toujours prife depuis au lieu de celle de Courtiers,
laquelle eft demeurée à ceux , qui font encore le commerce d'argent dans
les villes où il n'y a point d'Âgens de Change. Ces derniers n'ont pas be-
Coin de provifîons pour exercer le courtage , il fuffit qu'ils foient d'une
probité reconnue. Il y a même des villes , où ils font choifis pour ce négoce
par les Maires & Echevins , par les Juges*Confuls ou par les Gardes &
Syndics des Marchands.
A l'égard des Agens de Change établis en France avec provifîons , il
^aut qu'ils ayent 2{ ans accomplis avant de pouvoir être pourvus de leur
«office , & ils doivent prêter ferment devant le Juge Royal du lieu où ils
^ont, de s'acquitter fidèlement de leur charge. Ceux de Paris avoient au-
vefois des gages & leur franc-falé , ils étoient auffi exempts de tailles &
^es charges publiques , comme tutelle , curatelle , &c. mais ces privilèges
-leur ont été ôtés par l'Edit de 1723. Ceux qui leur ont été confervés^
«'eft de pouvoir joindre à leurs fondions celles de Secrétaires du Roi ,
^ans avoir befoin de lettres de compatibilité , & par conféquent de pou-
voir jouir de la NoblefTe. C'eft en outre que leur état exige une probité fi
liévere & fi grande , que quiconque a eu le malheur de faire faillite , d'à-
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A gens de Change, c^eft la confiance du public & l'importance des affiûitf;
dont il les charge. Aufli exlgenr-elles de lear part la difcrétion la plus
grande $ & telle , qu'ils né peuvent » fous peine de privation de leur office
& de trois mille livres d^amende , fe fervir d'aucun commis , Êiâeur ou
entremetteur, ni même de leurs enfans pour quelque négociation, que ce
foit. Cependant fi un Agent de Change venoit à tomber malade, ilpourroit
£lire achever par fes en&ns les négociations commencées , mais il ne lui
ièroit pas permis d^en entamer de nouvelles. .
Henri IV, dans un arrêt de fon confeil de 159$, adrelTé auFrévdtde
i^aris, avoit déclaré expreffément qu'en créant des A gens de Change, fon
intention n'étoit pas-qu'aucun particulier pi\t être contraint à fe fervir de leur
miniftere dans les négociations de banque & de Change ou de vente de
marchandifes ; cette déclaration a été répétée dans tous les Edits pofté'
rieurs, par lefquels on a créé de nouveaux Agens deChanee jufqu'en 17241
où Louis XV , en établiffànt par un arrêt de Ton confeil du 14 Septembre,
une bourfe dans la ville de Paris , déclara que tout papier commerçable de
quelque nature qu'il fût , ne pourroit fe négocier , que par l'entremifè des
Agens de Change, à l'exception néanmoins des lettres de Change, billeti
au porteur, ou à ordre, de même que les marchandifes, pour lefquels les
marchands , négocians , banquiers & autres admis à la bourfe peuvent trai*
ter entre eux fans recourir aux Agens de Change. Four tous les autres
papiers , comme adtons de la Compagnie des Indes , contrats de rente &c.
s'ils fe mêloienc d'en négocier par eux-mêmes , les articles 17 & 18 de
l'arrêt du confeil cité plus haut , déclarent nulles leurs négociations en eu
de conteftation , & en condamnent les auteurs à la prifon & i ofl^
amende de fix mille livres payable par corps, dont une moitié eft attri*
buée au dénonciateur des contrevenans , & l'autre à l'hôpital général.
Il eft défendu aux Agens de change de faire le commerce de quelque
genre que ce Toit, pour leur propre compte, fous peine de deftitution de
leur charge & de trois mille livres d'amende. Comme ils font dans le cis
de connoitre les affaires de tous les négocians & banquiers de la ville oii
ils réfident, rien ne leur feroit plus facile que d'abufer de cette conooiT'
fance pour leur avantage. Il leur eft défendu, fous les mêmes peines , de
.négocier des lettres de change , billets , marchandifes , papiers & autres
effets apparténans à des gens, dont la faillite eft connue. Ce feroit induire
Je public en erreur, & lui caufer le plus grand préjudice. Les niêmesdé*
fenfes'& fous les mêmes peines leur font faites, de contraâer aucune fo-
ciété entre-eux, ni avec aucun marchand ou négociant, fbit en commao*
•dite ou autrement, même de faire aucune commiflion pour le compte des
étrangers, ou forains, à moins que ces derniers ne fe trouvent fur les liens
dans Je temps de la négociation. Ils ne peuvent non plus, fans encourir
les peines 'énoncées ici-deifus, endoffer aucune lettre de change, & billet
. au porteur ou à ordre ^ & pour nous fervir des termes de banque , to
CHANGÉ.
311
figner par cyal^ c'e(l*!É-dire , fe rendre cautions des tireurs ou endofleurs.
Tout ce que la loi leur permet à cet égard, c'eft de certifier les fignatu-
res des tireurs , acquéreurs , ou. enâpifeurs des lettres de change , & de
ceux qui ont fait les billets ; mais cette prohibition ne les prive pas du
droit naturel de tirer, des lettres de change fur leurs débiteurs , ou d'en
prendre fur les lieux pour lefquels ils en ont befoin , relativement à leurs
affaires.
Les (bnâions des Agens de Change, confîftent à fe trouver tous les
jours \ la bourfe , ou place de change , loge ou collège des marchands ;
car on donne indifféremment tous ces noms au lieu public où fe raffem*^
blent les banquiers, les marcHands négocians & autres, pour y traiter
des affaires relatives à leur commerce ; ils doivent s'y rendre à dix heu-!
res du matin , & refier jùfqu'à une heure après-midi , excepté les jours dé
Dimanches & de fêtes.
Ils font tenus d'avoir un regiflre-journal cotté & paraphé par les Juges
& Confuls dans les villes où il y a jurifdi£tion confulaire , comme à Pa«
ris , à Lyon &c. & dans les autres par le Juge Royal du lieu. Sur ce re-
giftre , qui fait foi en juftice, ils font obligés d'infcrire toutes les lettres
de change, billets, & autres papiers commerçables , marchandifes ou ef«
fers , qu'on leur donne à négocier , fans y mettre aucun nom des perfon-
nes qui |es leur ont confiés pour ne pas trahir leur fecret. Ils fe conten-^
tent d'y diflineuer chaque partie , par une fuite de numéros : lorfque la
négociation eft terminée , ils en délivrent un certificat , lequel doit por-
ter le No., Se être timbré du folio du regiflre fur lequel la partie a été
infcnte.
L'Article 29 de l'arrêt du 14 Septembre 1724, défend expreffément &
fous peine de deflitution & de trois mille livres d'amende, aux Agens de
Change de recevoir à la bourfe les papiers" commerçables ou l'argent des
particuliers. Ainfi ces derniers doivent les leur remettre en main avant
l'heure de la bourfe; les Agens de Change, leur en donnent leur recon-
noiffance avec promeffe d'en rendre compte dans le jour.
Lorfque deux Agens de Change font d'accord d'une négociation , ce
font les termes de l'arrêt dé)à cité, ib doivent fe donner réciproquement
leurs billets , par lefquels l'un promet de fournir dans le jour les efièts
négociés, & l'autre le prix des mêmes effets. Chaque billet doit être non-
feulement timbré du No. fous lequel la négociation eft infcrite au regif-
tre de l'Agent de Change qui le fournit , mais il faut encore qu'il rappelle
le No. du billet fait par l'autre Agent de Change, afin que ces billets
fervent de renfeignemens & de contrôle l'ur^ à l'autre. Enfin quand leuçs
négociations font confommées , ils font tenus de repréfenter à leurs çom-;
mettans le billet, au dos duquel doit être l'acquit de l'Agent de Change
avec lequel la négociation a été faire , & de. rappeller dans le certificat de
négociation le nom de cet i^gent, les deux numéros du billet, la nature
JU
CHANGE.
& la quantité des etkts vendus ou achetés, avec (e prix des* mêmes efits,
La loi ne ^ou voit porter plus loin les précautions pour prévenir la frauda
Cette même loi veut, que lés noms des A gens de Change en titre d'of*
fîce, foient expofés dans un tableau à la bourfe; qu'ils foient coitraigna-
blés par corps. pour la reftitution des billets, lettres de Change & autrei
effets , qui leur ont été confiés v qu'on puiffe même les pourfuivre extraor*
dinairement en cas de divertiffement des deniers ou effets ; enfin qu'ils
foient tenus à réparer le tort , qu'ils auront fait ajux particuliers par leur
infidélité ou leur indifcrétion , & deflitués de leur charge outre l'ameode
de trois mille livres.
Les droits qui leur font attribués font de $o fols par mille livres pour les
négociations en argent comptant , lettres de Changes , billets au porteur ou
^ ordre & autres papiers commerçables ; ces fo fols font payés la moitié
par le vendeur & l'autre moitié par l'acheteur. Quant aux négociations de
marchandifes ils perçoivent demi pour cent de la valeur des mArchandifeSi
payable également par l'acheteur oc le vendeur. Ils ne peuvent rien exiger
de plus fous peine de concuffîon.
Telle efl en France la jurifprudence du commerce de Change. Elle e$
à peu près la même chez tous les peuples, où il exifle des Courtiers oa
A gens de Change, foit libres, foit érigés en office. S'il y a quelque di&
rence , c'efl dans les droits , qui peuvent varier félon les pays.
A Amflerdam il y a de deux efpeces de Courtiers de Change , qu'on nom*
me Makclacrs , les uns font des Courtiers jurés , parce qu'ils font ferment
entre les mains du Bourguemeflre. Les autres font des Courtiers ambulaosi
qui ne font obligés par aucun ferment. Il n'y a que leur bonne fbi & leur
probité qui puiffent leur attirer la confiance du public ; mais leurs livres
nç font point preuve dans les Cours judiciaires. Cet avantage efl réfervé
aux feuls Courtiers jurés , de même qu'en France il l'efl aux (euls Agens
de Change. Revêtus de provifions ou aux Courtiers choifis & avoués pst
les Juges & Confuls, les Maires & Echevins , ou Syndics des Marchands. M. R*
L
Mémoire fur roriginc de la nature des Changes itrangers.
'Intelligence des Changes n'eflpas fî difficile à obtenir qu^on fe 1*^
magine ; & malgré l'obfcurité ^ue le jargon des négocians a jettée fur
cette matière , on parviendra facilement à la connoltre , fi on la réduit stf
point de fîmplicité , dont elle efl fufceptible.
Sans examiner ce que l'hifloire fournit fur les premières origines des let-
tres de change , chacun s'accorde à convenir que les cruautés exercées C0
Angleterre contre les Jui&, ÔL les injuflices qu'ils ont effuyées en FraocCt
ont fait inventer \ ce peuple cette reffource , pour fauver leurs biens ^
l'avidité des Monarques. En fortant de France , ils fe retirèrent en Lombaf'
die I & y mirent en ufage cette nouvelle manière de tirer en fecret Vt^
. leur
CHANGE ETRÀ N G E R. 313
leur de leurs biens , qu'ils avoieûc laifTés encre les mains de leurs amis.
Un moyen fi peu coûteux & fi peu embaraflant , pour faire les échan-
ges les plus confidérables , ne pouvoit manquer decre goûté par les négo-
cians, dont la difficulté des remifes avoit dû jufques-là refTerrer le com-
merce. Les Italiens au milieu defquels cette nouveauté avoit paru » furent
les premiers qui Tintroduifirent en Europe. Lyon fut , dit-on , la première
ville dans laquelle les lettres de change , furent mifes en crédit , les Gé-
nois & les Vénitiens furent les peuples de Tltalie qui s'en fervirent avec le
plus d'ardeur , parce que l'ufage leur en étoit plus nécefTaire.
Les premiers faifoient autrefois prefque tout le commerce du Levant ; &
les féconds étoietit totalement en pofleflion de celui d'Egypte par Alexan-
drie , où ils prenoient toutes les marchandifes des Indes-Orientales & de
l'Arabie , qui arrivoient par la mer rouge , & qu'ils diftribuoient enltiice
dans toutes les parties de l'Europe.
Les Portugais, qui^en 1497* fous la conduite de Vafquès & de Paul
Gamma, pénétrèrent les premiers dans les Indes-Orientales, & qui pouffè-
rent leurs difFérens établilfemens jufques aux ifles Moluques , qui décou-
vertes d'abord en i^ii par Francifco Sirano ne furent réunies fous leur
domination qu'en IÇ29; ces Portugais, dis- je, commencèrent à détourner
tme grande partie du commerce de la mer rouge; & au préjudice des Vé^
nitiens , portèrent des épiceries & les autres marchandifes des Indes direâe»
^lent à Lifbonne d'où elles paflbient à Anvers & dans les autres villes des
Pays-Bas , pour fe communiquer enfuite à toutes les villes Anféatiques.
Les Efpagnols qui avoient (ait reconnoitre l'Amérique en 1492 par
Chriftophe Colomb, & qui en 1497 y avoient pris terre fous Améric
Vefpuce, n'eurent pas fait la conquête du Mexique & enfuite celle du
Pérou , fous Charles V & Philippe II, que les richefles & les mines de l'A-
mérique répandirent en Europe une quantité prodigieufe d'or & d'argent.
L'Italie & la Flandre profitèrent fur-tout de ces nouvelles richefles , à
caufe de leur grand commerce. Le produit de leurs propres manufactures
& les 'marchandifes des autres Etats dont ils chargeoient les flottes d'Efpa-
gne, leur occafionnoient des retours en matières d or & d'argent, qui paf-
-foient ainfi pour la plupart entre les mains des Génois 6c des Flamands.
Le commerce étant devenu par-là plus général , & s'étant fait avec plus
d'étendue & de correfpondance de nations à nations , pour opérer & facif-
liter de pays à pays , les paiemens & les compenfations néceflaires , l'u-
fege des lettres de Change devint comme indifpenfable , & s'établit pref*
qu'univerfellement par-tout.
L^or & l'argent ièrvant alors , comme aujourd'hui , de prix commun à
toutes tes marchandifes; & ces matières étant monnoyées à difFérens titres,,
poids & valeur, félon la diverfité des Etats, Royaumes, Provinces, Répu-
bliques, Principautés ou Villes libres, il a fallu- trouver une jufle propor-
tion entre toutes ces monnoies ; ce qui a produit la multiplicité des cal-
Tome XL - Rr ^
/
f
314 CHANGE ÉTRANGER.
culs , d'où réfulte aujourd'hui toute la difEculté de rintelligence des CftaiH
ges. Difficulté qui naît de ce que » la plupart des anciennes monnoies ne
iubfiftant plus en beaucoup d'endroits , on n'a pas laifTé de continuer les caU
culs fur le pied de ces mêmes monnoies , qui font devenues fî£tices & ima«
ginaires, & qu'il faut, par des opérations réitérées , réduire à U valeur dés
monnoies réelles & courantes.
C'eft ainfî qu'en France la livre Tournois, qui ne fubfide plus réefle-
ment en efpeces , ayant précifément cette valeur , (ert pourtant toujours de
f>oint fixe dans la manière de compter, & de pièce de comparaifon dans
es Changes.
L'ufage des lettres de Change ne commença à devenir confidérable en
France que fous Henri IV. Le Royaume n'étoit auparavant qu'un État pure*
ment militaire dont le commerce étoit très-borné , & dans lequel les con-
quêtes de l'£fpagne aux Indes n'avoient prefque point encore eu d'influence.
Mais les fommes immenfes, que, depuis 1576 jyfqu'en 1^94 Philippe
II y fit pafTer , pour le foutien de la ligue , l'enrichirent tellement en peu
d'années , que ce Royaume fut plus en état qu'aucun autre pays de mul-
tiplier & de perfèéHonner fes manufaâures; & d'avoir un commerce plus
étendu qu'aucune autre nation dé l'Europe. Cet état floriffant de la France
dura jufqu'en i68{ ,'^ temps où la révocation de l'édit de Nantes commença
l'époque de la décadence de fon commerce.
L'Angleterre vit auflî conCdérablement augmenter chez elle le trafic
des lettres de Change, fous le règne de la Reine Elifabeth, à caufe de
l'établilTement de différentes manufadures , que les Flamands réfogiés y tranf-
portèrent lors de la perfécution qu'ils foufFrirent fous Philippe II, qui en 158a
avoit réuni fous fa domination le Portugal, qui ne parvint qu'en 1640 à en
fecouer le joug fous le règne de Philippe IV. Le commerce Anglois reçut ua
nouvel accroiffement (bus Cromwel , & fe foutient aujourd'hui avec hon«
neur & réputation.
La Hollande eft devenue par degré comme le centrç du commerce
des négociations de Change , depuis que Philippe II ayant refofé au
▼aiffeaux marchands de cette République l'entrée des ports d'Efpagne l
de Portugal, elle entreprit de s'emparer des établiffemens Portugais dan
les Indes-Orientales, & que fa compagnie pour les grandes Indes établii
en 1602, fut venue à bout de s'approprier tout le commerce d'épiceries ^^^ /
que faifoient autrefois les Vénitiens, & prefque tout celui des Portugais r
de manière que les Hollandois , en trafiquant aujourd'hui dans toutes le^ ^^s
mers & dans les pays les plus reculés , ont mis leur ^ille d'Amfterdam ei
fituation de fournir & de prendre des lettres de Change pour tous les en
droits des quatre parties du monde.
S'il falloît ici traiter à fond la matière des Changes, tels qu^ls fe pra
tiquent dans tous les dîfFérens États , dans les Républiques ou les Ville 2
libres, il faudroit en venir à des calculs & des difcuflions, qui conipcf^**
«1
CHAKGB ETRANGER. 3iy
roient des volumes entiers , ou plutôt qui ne ieroient qu'une répétition de
tous les livres qui ont été faits (iir ce fujet.
Pour parler de cette matière avec autant de fimplicîté que de netteté^
on conçoit aifément que le tranfpôrt & l'envoi des marchandifes d'un pays
à l'autre établifTent d'abord la néceflité des retours & des paiemens : or ces
paiemens ne peuvent fe faire que par Tenvoi efFeâif des matières d'or Se
d'argent qui en peuvent former la valeur, ou par compenfation avec d'au«
cres marchandifes,
ParEzemflb.-
Un marchand de Paris donne à un marchand d'Amfterdam commiflSoa
de lui envoyer pour trois cents mille livres d'épiceries ; & le marchand d'Amf-
terdam fait venir de Paris pour trois cents mille livres de galons d'or & d'argent.
Le marchand de Paris , au lieu d'envoyer en Hollande trois cents mille
livres d'efpeces , s'adrefle fur la place à celui de Paris à qui il eft dû trois
cents mille livres pour fes galons. Ce dernier fournit à l'autre une lettre de
Change fur fon correfpondant en Hollande , pour laquelle il reçoit à Paris
du premier les trois cents mille livres en efpeces ou la valeur, oc cette let-
tre de Change fert à payer les trois cents mille livres d'épiceries qui étoient
dues à Amfterdam. Cet échange & cette compenfation doivent naturellement
ie faire au pair , c'eft-à-dire , fans frais ai bénéfice de part ni d'autre ,
parce que la balance eft égale.
Suppofbns maintenant qu'il (bit queftion de recevoir à Amfterdam en
«fpeces la valeur des trois cents mille livres données à Paris , en prenant
pour mefure commune des efpeces courantes de l'une & de l'autre place,
fe marc d'argent de onze deniers de fin , fi on ne touche pas en Hollande
les mêmes efpeces ou'on a débourfé en France , parce que la taille , le
fitre & le poids y font differens ; attendu cependant que , dans notre hi-
pothefe , les trois cents mille livres , efpeces de France , font en argent ef-
feâif fept mille cinq cents marcs & onze deniers de fin , il &ut qu'en
Hollande on touche , ou la même quantité de marcs d'argent de onze de-
niers de fin, ou l'équivalent en telles efpeces que ce puiffe être, & dont
la quantité produife en effet la valeur defdits fept mille cinq cents marcs
d'argent de onze deniers de fin ; & voilà cette proportion qu'on appelle le
pair en hit de lettres de Change.
D'où il fuit naturellement que , fi la balance des marchandifes envoyées
réciproquement d'un pays à un autre n'eft pas égale, celui des deux pays
oui doit le plus trouvera toujours le Change à fon défavantage, parce que,
iuute de compenfations fufiifantes , il eft obligé de fupporter les frais de
voiture pour l'argent effeftif qu'il faudroit qu'il envoyât pour s'acquitter.
Amfterdam , par exemple , tire de Paris pour fix cents mille livres de
marchandifes , « Paris n'en a tiré d'Anifterdam que pour trois cents, mille
Rr X
/
31^ Ç H A N OE ÉTRANGER;
livret : Amfterdim redoit donc à Paris trois cents mille livres. Pour payer
cette fomme en efpeces, il en coûteroit naturellement à Amfterdam eor
viron trois pour cent de voiture, c'eft-à-dire, neuf mille livres de perte,
monnoie de France , ou deux cents vingt - cinq marcs fur les fept mille
cinq cents marcs , argent qui fait la fomme dé trois cents mille livres en
efpeces , argent de France , fuivant le calcul ci-deflus.
Il efl vrai que , pour éviter cette perte , le Holiandois , après avoir coq-
fuite le change de Paris avec quelqu'autre pays , comme pourroit être Ylr
talie à qui la France doit prefque toujours, à caufe des foies qu'elle en
tire ou des bulles qu'il faut payer à Rome , & avec qui par conf équent le
change efl prefque toujours défavantageux pour la France; le Holiandois,
dis-je , trouve aifément des lettres de change fur l'Italie , qui redoit à
Amfterdam à caufe des marchandifes que cette ville y envoie : & il doDoe
au marchand de Paris , en compenfation de ce qu'il lui doit , des lettres
fur l'Italie à négocier , en forte que ^ fi le change de France ne perd plus
fur l'Italie que les trois pour cent ci-deffus, le Holiandois ne s'acquitte
pas feulement avec Paris, mais gagne encore le furplus.
C'eft cette méthode qui , en ^établiflant une compenfation indireâe , fait
la matière de ce qu'on appelle arbitrage en fait de lettres de change , & ea
quoi confifte laplus grande attention & la plus parfaite induftrie des négociant.
Quant aux différentes évaluations des efpeces d'un pays à un autre , foit
réelles foit imaginaires, comme elles dépendent uniquement des calculs
qu'on eft obligé de faire , ce détail eft moins l'ouvrage d'un miniftre que
celui d'un calculateur de profeflion.
connoltre les pays où le change eft profitable ou défavantageux pour lui;
c'eft-à-dire , pour un miniftre de France , c'eft de favoir quand il eft pour
elle au-deftbus ou au-defTus du pair, & de juger par-là du véritable état de
fon commerce avec les autres nations.
Dans le Traité général du commerce par Samiiel Ricard, imprimé à Amf-
terdam en 1700, puis en 1724, on trouvera tous les détails & toutes les^
opérations, qui peuvent regarder la matière des changes étrangers, avec
des obfervations très-curieufes fur d'autres fujets qui peuvent y avoir un
rapport indireft.
On finira ce mémoire en faifant remarquer que les changes avec Iw
pays étrangers ne fauroient être au-delTus du pair, pour la France, que pa^
deux raifons : ou parce que les pays étrangers lui doivent , ^ caufe deb
quantité des marchandifes qu'ik en ont tirées, au-delà de celles qu'elle*
prifes de chez eux , & dont ils font obligés de payer l'excédent : ou parc^
que les particuliers & les négocians de France, en des temps oà Padini'
.niflration des affaires publiques produit la crainte & la défiance, ontf^V
CHANGE ÉTRANGER. 317
pafler hors du Royaume la plus grande partie de leurs fonds , 9u moyen
defquels ils renoncent pour un temps au commerce de leur patrie , afin
de s'aflbcier à celui des étrangers, & faire valoir par-là ces mêmes fonds;
ce qu^iL leur eft facile de faire par les furetés & les lumières qu'ils trou-
vent dans la capacité & la bonne foi de leurs correfpondans.
On diftingue aifémènt fî la France éfl dans le premier cà$ ou dans le
fécond.
Dans le premier , on voit fleurir le commerce , les manufaâures , la
confiance & la circulation : alors cette (ituation eft une preuve certaine
de la bonne adminiftration de l'Etat.
Dans le fécond , quoique le Change foit au-defHis du pair pour la Fran-
ce, on voit néanmoins dans le Royaume une interruption prefque géné«
raie dans le commerce, une extrême rareté d'argent, un défaut de con-
fiance & de circulation , & la cefOition des manufaâures , d'où il réfulte
néceffairement que l'argent & le commerce fe font portés ailleurs ; & que ,
dans le cas où les fujets du Royaume font obligés, par quelque befoia
preffant , de retirer une partie de leurs fonds des pays étrangers , il arrive
que le fujet qui fournit, par exemple , fa lettre de Change fur la Hollande
à celui qui lui en fait les fonds à Paris, perd comme s^il étoit étranger,
tandis que l'autre fujet , preneur de la lettre , profite de l'avantage du
Change.
Tuic|ucs-là le Royaume n'y perd rien quant aux Changes , puifque c'eft
un fujet qui profite fur l'autre : mais lorlque la confiance étant revenue^
les François retirent la totalité de leurs fonds des pays étrangers, alors te
Royaume perd réellement , foit par la diminution des Changes qui arrive
néceffairement, foit par les frais de voiture que fupporte le retour des fonds
en efpeces.
Il y a tout lieu de croire que la France fe trouve aujourd'hui précifé-
ment dans ce dernier cas , puifque tous les Changes font pour elle au-
deffus du pair, même pour l'Italie oii, félon le cours de fon commerce ,
elle doit prefque toujours \ ce qui joint à la ceffation du commerce & aux
autres inconvéniens qui frappent les yeux de chacun, prouve évidemment
que les François ont mis une grande quantité d'argent à couvert dans les
pays étrangers.
On doit conclure de tout ce que je viens de dire au fujet des Changes^
que le commerce eft le principe & le mobile de toutes les variations ef*
fentielles qui y arrivent, & cette vérité deviendra plus fenfible par quel-
ques exemples.
Il femole que , dans l'étendue d'un même Royaume où les efpeces
font par-tout les mêmes , les lettres de Change de province à province de*
vroient toujours être au pair : il arrive cependant qu'on donne fouvent à
Paris cent deux mille livres pour toucher cent-mille livres à Bordeaux, &
quelquefois on voit le contraire ,. & ainfi plus ou moins pour toutes les
jig CHANGE ÉTRANGER.
villes du Royaume etitre-elles. Cela ne vîeat que du dé&ut d'égalitë ie
balance, entre ces mêmes villes, pour la valeur des marchandifes & des
denrées qu'elles fe fournifTenc mutuellement ; de forte que celle qui redoic
eft toujours dans le cas de payer les frais de la retiûfe ou de la voiture
des cfpece^. .
De pareilles variations ont également lieu dans les provinces qui corn-
pofenc les Royaumes d'Angleterre , où les mêmes efpeces ont également
eours.
Il en eft de même à l'égard de l'Efpagne, de la Suéde , de la Hollan-
de, &c.
Quaht à l'Allemagne & à l'Italie , comme ces pays (ont compofés de dif'
fërens Etats, qui ont tous leurs monnoies particulières, les mêmes varia*
rions y arrivent aufli ; outre que les combinaifons y deviennent plus em*
baraflantes, parce qu'il faut faire pour chaque endroit des calculs diflërens,
qui tous néanmoins reviennent au premier principe d'un marc d'argent pour
un marc d'argent du même titre , ou de l'équivalent plus ou moins , fui-
vant que le commerce gouverne les Changes.
Pour dire aufli quelque chofe des Changes par rapport à des pays biea
plus éloignés que celui de l'Europe, on citera feulement deux exemples,
qui feront connoître que, pour avoir de l'argent dans les Indes Orienta*
les, il y a confidérablement à perdre, comme il y a confidérablemeot à
gagner pour en avoir en Amérique.
Si un particulier de Paris vouloir toucher cent mille livres, par exem-
ple , dans le Royaume de Golconde pour acheter des diamans , & qu'il
les donnât à la compagnie des Indes, pour avoir une lettre de Change fur
Fondicheri , elle lui feroit perdre confîdérablement, parce que la compagnie
eft obligée elle-même d'y envoyer une grande quantité de piaftres, dont
- le retour ne lui vient qu'en marchandifes ; ainfi il faudroit que ce particu-
lier payât néceffairement les frais de voiture & les rifques de la mer.
Si au contraire un Efpagnol vouloir s'établir au Mexique, & qu'il don-
nât à Madrid cent marcs d'argent â un Vice-Roi , qui feroit fur fon départ
pour aller prendre pofleflîon de fon gouvernement , & qui auroit befoin
de cet argent en El pagne, pour fournir aux frais de fon embarquement i
le Vice-Roi rendroit deux cents marcs pour les cent qu'il auroit reçus du
particulier, dés qu'il feroit arrivé au Mexique; & la raifon de ce gain eft
que le retour des marchandifes qu'on envoie de l'Europe en Amérique
fe &it , pour la plus grande partie , néceflairement en matières d'or &
d'argent.
Pour faciliter la connoiflance des Changes étrangers, on a cru devoir
en réduire les principes à ce point de Hmpiicité & de précifion , ce qui eft
le moyen d'en faire mieux « plus aîfément développer les reflbrts ; en
renvoyant, pour l'exécution des calculs, aux opérations qui font contenues
en détail dans le traité du Sr. Ricard , dont il fuffit qu'un Minifire fe fâfle
rendre compte dans le« occafions.
CHANGE ROYAL. CHANGEMENT. 119
CHANGE ROYAL, Bourft de Londres , oà les marchands
s'ajfemblent*
I 1 A bourfe de Londres fut conftruite pour la première fois en 1^66^
par les foins de Thomas Gresbam ; le nom de Change Royal , Royal ex-
change , lui fut donné folemnellement à fon de trompe par un Héraut ,
en préfence de la Reine Elifabeth. Jufqu'à cette année, les marchands
s'étoîent aflemblés dans le lomb^^rd flrtat , rue des Lombards. La bourfe
ëtoit bâtie de brique, & on la regardoit alors comme la plus belle de
TEurope. Cent ans après , elle fut entièrement brûlée dans le grand in<<
cendie de Londres \ mais elle fut reconftruite aufli-tôt avec encore plus de
magnificence qu'auparavant, La dépcnfe pour la rebâtir monta à 50,000 liv.
fterling. La moitié de cette fomme fut donnée par la chambre de Lon-
dres , Tautre moitié par la compagnie des merciers qui , pour le rembour**
fement de leurs avances, eurent la permiflfion de louer 190 boutiques fur
les degrés \ 20 liv. chacune , ce qui joint aux autres boutiques élevées fur
le terrain où la bourfe eft conflruite, produit un revenu annuel de 4^000
livres fterling, quoique ce terrein n'excède pas les trois quarts d'un arpent;
au(fî peut- on dire que c'eft le morceau de terre le plus cher qu'il y aie
dans le monde.
CHANGEMENT, f. m.
Des Change mens Politiques;.
\j N homme d'un efprit médiocre ne marche guère que dans^ des . rou-
tes battues, & n'entreprend pas d'ordinaire de faire des Changemens;
mais un homme de génie haiarde beaucoup & échoue aufli plus fouvent
dans fes entreprifes; fa vue qui porte toujours loin , lui fait voir des ob-
jets qui font à de trop grandes diftances ; & lorfqu'il a conçu un projet ,
il tSt moins frappé des difficultés qui viennent de la chofe , que des reme*
des qui font de lui & qu'il tire de fon propre fonds ; il donne , plus fou-
vent Que l'efprit médiocre , dans les erreurs de la fpéculation.
Quel n'eft pas l'attachement d'un peuple pour fes loîx , pour fes ufa*
ges ! Jamais fous Alexandre les Grecs ne purent prendre les mœurs des
perfes , ni les Ferfes les mœurs des Grecs. Jamais Darius ne put détour-
ner certains peuples de l'Inde de dévorer les corps de leurs parens morts
comme pour leur donner la fépulture \ rarement les idées de juHice 6c de
320
CHANGEMENT.
bienfëance peuvent changer les mœurs des peuples. Quoique , éuts Vim
aâuel de TEurope , les caraâeres & les ufages des différentes nations coo-
traftenc moins que dans Tantiquité , les mœurs Allemandes ne çonviendroient
point en France , & les Anglois n'adopteroQt jamais les loix & les coutu-
mes Françoifes.
. L'antiquité d'an établiflcment le rend vénérable, elle n^imprime guère
moins de refpeâ pour les mauvais ufages que pour les bons.
Ce que les hommes ont coutume de faire ,. ils le font avec plaifir : de
Ibrte que fi le Souverain les lailTe dans leurs ufages » il contente leur incli-
nation naturelle , il témoigne du refpeft pour la forme du Gouvernement ,
& il difpofe fes fujets à ne pas examiner fa conduite. Si au contraire le
Prince les trouble par des nouveautés , il excire leurs murmures , & s'ex-
pofe à leur mécontentement. Il y a plus , les mêmes raifons fouvent com-
pliquées & inconnues , qui font qu'un Etat a fubfifté , feront auffi qu'il fe
maintiendra; mais en changeant le fyftême du Gouvernement, oa ne peut
remédier qu'aux inconvéniens qui fe préfenient dans la théorie , & on en
laiffe fubdfter d'autres que la pratique feule peut découvrir.
On perd la vénération pour les loix, quand on les voit fi fouveat
changer^ c'cft l'état d'un malade inquiet qui ne fait quel mouvement fe
donner.
Lors même que les ufages ont quelque chofê de vicieux , il eft dange-
reux de les changer (a). Le luxe des Romains étoit exceflif fous l'empire
de Tibère , il for«ia le deffein de le réprimer ; mais après y avoir penfé
mûrement ( dit l'hiftorien } il fè d^étermina à le foufFrir , pour ne pas remplir
Rome de tumulte. Des maladies font quelquefoiis 11 défefpérées , que les
remèdes ne font qu'avaiurer la mort àcs malades ; & des défordres (i in-
vétérés , que de tenter alors une réforme , n'aboutit qu'à faire fentir la foi-
bleffe des Loix & celle des Magiftrats«
Titus avoit un fi grand refpeâ pour tous les réglemens de fes prédé-
cefleurs, qu'il ne voulut pas même permettre qu'on lui demandât la rati*
lication de leurs dons ; & Nerva publia un édit conçu en termes remarqua**
bles (&). Fertinax gagna tous les cœurs, par la proteftation qu'il fit, à (on
avènement à l'Empire ^ d'obferver les loix ôc de rétablir les anciens ufages
que les tyrans avoient abolis.
Quelque raifonnables & utiles que foient des loix nouvelles, il y >
toujours du danger à les établir. Quelque peu fenfées que foient certaines
(a) Qutt In fuo flatu eodemque manent , etfi détériora fint , tamtn utlliora funt reipukli^^i
iU quit fer innovationem vel meliora inducuntur, Tacit. "
(^) Noîo exijlïrnet quifquam qua ab afio principe vel privatim vel publiée eft conftct0\^
14^0 faltem à me refcindi ut potiùs fnihi debeat , fi ilia rata & certa fectro ; nec tnim patuU^
ullis injlauratis eget precibus.
coutumes i
CHANGEMENT. .321
coutumes , on les détruit rarement fans, rifque. Le commun dei hommes
fe conduit bien plutôt par l'habitude que par le jugement.
L'attachement des peuples pour les ancîennejs^.loix , efl fi grand, qu'ils
ont fouvenc combattu pour les maintenir , avec la même ardeur que s'il
s'étoit agi de défendre leurs foyers (a).
La licence triomphera-t*elle donc dans les fociétés ? Le défordre y ré*
gnera-t-il impunément ? Non , fans doute. Il efl quelquefois indifpenfable
de changer les loix & les uiages, & c'eft lorfqu'ils font abfolument con7
traires à la droite raifon , & qu'ils nuifent eflentieUement au bien public \
mais il faut faire ce changement avec une grande circonfpe^on.
Les mœurs des peuples ont befoin du fecours des loix pour être main-
tenues, les loix ont befoîn des mœurs des peuples pour être obfervées.
De-là il fuit que lôrfqu'il eft arrivé quelque grand changement dans les
mœurs des peuples, les loix doivent être changées (i). Les États ont leurs
TÎciffitudes , comme les particuliers leurs deftinées«
Les Changemeas doivent fe faire peu-à-peu. Il ne ferolt pas moins
dangereux de changer tout d'un coup les loix d'un état qui s'eft maintenu
long-temps fur le même pied , que d'entreprendre de changer fans précau*
tion les pierres angulaires ou les fondemens d'un bâtiment.
Il faut bien prendre garde de fe laifler tromper par l'apparence des chofe«
que le premier coup-(l^œil repréfente comme abuHves , & qui pourtant ne
pourroient être réformées fans donner lieu à des inconvéniens encore plus
grands. Les hardiefles en fait de politique font dangereufes, comme en fait
de religion ; & fbuvent malgré les déclamations des frondeurs , nous fom*
mes réduits, par l'imperfèâion des hommes & des chofes, à reconnoître
la fagefTe de cette maxime : nous fommes peut-être mal, mais tenons^*
nous-y de peur d'être pis.
Du refte le Souverain qui voit quelque chofe de mieux à faire que ce
qui efl: , doit encore attendre , pour faire quelque Changement , qu'il ait ac^
quis de la réputation , & qu'il ait accoutumé les peuples à fon obéiffance.
Il doit, autant que cela eft poffîble, amener imperceptiblement les chofes
au point où il faut qu'elles foient, Lorfque les défordres ne cefTent que
peu «-à- peu, ils finiffent fans violence; & les Changemeas paroifTant être
plutôt le fruit du hazard que de l'autorité du Souverain , trouvent les ef«
prits plus préparés , & font , pour-ainfi-diré ,, dans leur naiflànce même ^
déjà affermis par l'habitude. Médecins des Etats , les Princes doivent imiter
• • •
t
{^a) Cives débite pugn^re pro iegitus non minus quàm pro manibus. tteraclitus Ephefiu^
apud Diogen. Laërt. in 9, i. Morituros fe affirmabant citihs quàm immijli brutis in alienos
ritus legejque , ae mox Unguam etiam verterentur, Livius , lib. XXIV.
(b) Ceft en ce fens que Tacite dit : Placuijfe qmndam Oppias leges ^fic temporibus reîpa*
blicee poftulantibus : remijfktn aUquid poftU & miiigatwn, quia expédient. Annal. )•
Tome XI. ^ ^ Sf
3„ CHANGEMENT.
les médecins ordinaires qui , voyant que l'habitude d^un corps eft déréglée
& qu'il eft nécefTaire de la changer , emploient , pour empêcher que le
malade ne périfTe, d^s remèdes dont l'effet eft d'autant plus certain, qu'ils
font plus lents à opérer*
En changeant les chofes , il convient fouvent de retenir les noms dont
on les appelle. Lé peuple ne fe dé&it pas aifément de fes vieilles coutu-
mes ) il ne doit être conduit à de nouveaux ufages , que par des circnirs
qui lui font inconnus. Il fe repait plus de l'apparence que de la vérité «
ce il fera plutôt ému par un nom nouveau qui déGgnera une autorité
ancienne , que par une autorité nouvelle qui fera défignée par un nom
ancien.
Mécène confeilla à Augufie de continuer aux Magifirats les mêmes noms,
les mêmes ornemens , & tout l'extérieur de la puiiTaoce dont cet Empe*
ttur les dépouilloit. Lui-même rejetta tous les titres qui pouvoient déplaire ,
^ fur-tout la qualité de diâateur que Sylla & Céfar avotent rendue odieufe.
H cacha une puiflance nouvelle & fans bornes fous des noms connus ; il
£e fit appeller Empereur , pour conferver fon autorité fur les légions ; il fe
fît créer Tribun pour difpofer iu peuple , fous prétexte de le défendre.
Des Changemcks qui arrivent dans la fqrmb
bugouvernement.
\^ Omme il n'y a point de Gouvernement parfait , il n'y en a point qui
Ibit permanent. Il n'eft pas pof&ble qu'aucun Gouvernement le ibit. Lei
tentatives qu'on fait pour le perfeâionner lui font quelquefois funefies. Ls
fociété eft , de même que la vie , fu jette à déchoir i l'une & l'autre fub-
fiftent par des reflburces. Les loix , de même que les remèdes , dépendent
des événemens , ôc peuvent caufer du bien comme du mal. Les plus habi«
les médecins ne peuvent non plus être certains du fuccès des meilleurs re*
medes , que les légiflateurs les plus prudens , & les politiques les plus cour
fommés ne fauroient l'être des meilleures Loix : elles peuvent même per-
vertir , & devenir ce qu'il y a de pire. Les plus excellens remèdes , don-
nés hors de faifon, ou en trop grande quantité, peuvent caufer la mort»
& les meilleures loix peuvent être un poifon dans l'Etat. Les loix & la mé-
decine, appliquées maJ-à* propos , font pires que s'il n'y en avoit point da
tout : les .maux qu'elles caufent, venant de leur autorité, autorifent & pré*
cipitent la perte de la vie ëc celle de la fociété civile.
11 y a par- tout phis d'hommes déréglés que de fages , plus d'étourdis
que de prudens ; les gens rufés ont toujours trompé les gens fimples ; les
ambitieux ne manqueront jamais de trouver des fots à conduire. Nul Etat
ne fera jamais dépourvu de ces fortes d'artifans, & ceux-ci ne manquerooc
jamais d'inflrumens & de matériaux pour travailler. La multitude trouvera
Uns cefle des féduâeurs ambitieux qu'elle fuivra aveuglément* Il ne 6ut
CHANGEMENT. jij
fouvent que des qualités médiocres pour être chef dfi parti ; il n'r a fi pe-
tit génie qui ne voie , ou qui ne croie voir des gens qui lui tont infô«
rieurs ; & comptant fur fa fupériorité vraie ou prétendue , il elTayera de lea
gouverner. 11 eft certain que plufieurs perfonnes de tout ordre fe laiffcnc
conduire par tel homme qui ne les furpafle pas en capacité , mais feule*
ment en'audace&en rufe. Je ne doute point que les gueux, quoiqu'ils
iemblent être au même niveau; n'aient parmi eux des degrés de fubordi*^
nation. Il y en a d'impérieux , & d'humbles ; on y voit les diredeurs , de
ceux qui K>nt dirigés ; les impofteurs , & les crédules : telle eft la nature
de l'homme y les uns guident, les autres fuivent; les uns commandent,
& les autres obéiflènt ; les uns font trompeurs , & les autres dupes.
Quel Eut peut conferver fa tranquillité intérieure, quand il contient en
lui-même de pareils principes de troubles? Peut-il être durable, lorfqu'on
y trouve tant de caufes de Changement, & tant d'hommes qui en peu*
vent employer les matériaux } Nul Gouvernement n'en eft dépourvu. Les
Etats les plus libres, & par conféquent les plus heureux, en contiennent
plus que ceux qui le (ont moins. La liberté, de métne que bien d'autres
avantages précieux, porte avec foi les principes de fa deftruâion : elle eft
(b jette k dégénérer en licence, & par conféquent à être en danger de ïè
perdre. Pluheurs en abufent , parce qu'ils le peuvent ; quelques autres en-
couragent l'abtis dans le deflein de la détruire. La liberté étant ce qu'elle
eft , protège ceux qui l'attaquent & qui la minent , & les met à couvert
du fupplice pour le plus grand de tous les crimes. Comme elle fubfifte au
moyen de certaines loix fixes » celui qui peut échapper à ces loix , peut la
renverfer ; & oii la liberté eft la plus grande , c'eft-là même qu'il eft le'
plus aifé de fe dérober à la rigueur des loix.
Sous un Gouvernement libre, un homme peut éviter le châtiment que
la loi ordonne contre on crime d'Etat, parce que cette même loi requiert
des preuves fi claires , qu'un innocent ne fauroit périr , & que le coupa-
ble n^fé peut fou vent fe dérober au fupplice. Tel eft l'encouragement
S 'tan 'Etat libre donne contre lui-même, & qui fouvent produit (on efièt^
nblable ï une maladie oui vient d'un excès de fanté. Ce n'eft pas une
chofe étonnante^ qu'un mal, que l'on entretient continuellement, devienne
4 la fin monel , fouvent même en peu de temps.
Sous un Gouvernement arbitraire , un homme , tout innocent qu'il efty
peut être puni félon la ferme des loix, parce que le même pouvoir qui
qualifie le crime , en trouve les preuves. C'eft une commodité Se une ten*
tation à laquelle un maître abfelu ne fuccombe que trop fou vetit, queicelle
de fiiire périr fes meilleurs fujets. Doit-on être furpris que fous un pareil
Gouvernement il y ait fi peu de grands hommes ? Et s'il y en a , que
leur profpérité & leur vie foient de fi courte durée ?
' Dans les pays eouvernés defpotiquement , c'eft une maxime conftante ,
qu^il vaut mieux aire périr plufieurs innocens que de lai(rer échapper un
k) 1 2' .
324 G H A N C E M E K T.
feul coupable. Maxime qui^, étant généralement fiiivie i fait craindre \ tous
les fujets une prompte deftruâion. Il arrive quelquefois qu'un aflez grand
nombre de fujets eic facrifié aux cruels foupçons d'une puiflànce fans bor-
nes , quoiqu'il n'y ait abfolument point de crime réel. Celui que le ty-
ran craint eft toujours coupable. Un Roi de Siam ayant eu le malheur de
perdre fa fille , fe mit dans l'imagination qu'elle avoit été empoilonnée :
-ce cruel foupçon le porta à faire niettre à mort plufieurs perfonnes de fa
Cour y après leur avoir fait fouf&ir les tourniens les plus douloureux & les
plus recherchés : il penfoit qu'il y avoit de l'apparence que quelqu'un d'en-
tr'eux avoit donné du potfon à cette Princeffe. Ainfi ce Prince fëroce &
barbare fît mourir plus de deux mille perfonnes, la olupart du plus haut
rang , les grands Mandarins , leurs femmes & leurs enfans , après leur avoir
Ëiit auparavant foufFrir le fer & le feu , avant que de les livrer par grâce
aux éléphans , pour être écrafés ou démembrés , ou avant que de les en*
fevelir tout vifs , à la réferve de la tête qui s'élevoit fur la terre.
Cette cruelle politique fait trouver des moyens pour fatisfaire & pour aC-
furer un Prince de ce caraâere. Celui qui n'a d'autre but fur le trône que
la tranquillité , la confervation & la fureté de fa feule perfonne , fait iofl
unique étude & fon plaifir d'exterminer tout homme qui lui fait le moin*
dre ombrage. S'il croit ne pouvoir bien fonder fon trône que fur le iang,
il ne fe fera aucune peine de le répandre : & confondant les foupçons
avec les preuves, il n'aura garde de demeurer long-temps dans les crain«
tes & le danger où il croit être, par les formalités & les procédures. Un
attentat fur fa perfonne fera puni , non-feulement par le fupplice des con*
jurés, mais fouvent par le mafTacre de leur famille entière^ de leur paren*
té, & par l'extinâion de toute la race. Le Vifir Kuprogli voulant punir
les émeutes des Janiffaires, en fit périr, à ce ^u'on croit» plus de qoa^
rante mille, qu'il fit maflàcrer de diffêrentes manières & en difrérens temps ^
il afibiblit de cette manière la Monarchie pour la confervation du Monar--^
que. Ce que raconte Mr. de l'Ëftoile» de la juftice fanguinaire d'u^^
Monarque des Indes , eft furprenant ; pour punir deux ou trois vols , il £: '^
pendre à des arbres plus de cent mille hommes ; & ce voyageur vit, pei
dant plufieurs journées , des pays entiers oii l'on trouvoit des cadavres fu
pendus à des arbres. C'efi ainfi qu'un Prince , dont le pouvoir eft arbitra
re, fait périr, de gaieté de cœur, tout ce qui lui donne de la peine,
qui lui caufe le plus léger foupçon , & cela fans forme de procès , & (axr^
qu'il y ait aucun retardement à l'exécution de fes fantaifies , quelque crué3'
les qu'elles foient.
Il n'eft pas facile qu'un certain nombre de perfonnes fe hafardent i
fermer une confpiration contre une puiffance aufli violente , armée de t&sr
de forces & de refiburces pour fa propre fureté. On ne voit point d'app^*
rence qu'une pareille confpiration puiflè tarder de fe découvrir. Si la main
d'un feul particulier au défefpoir peut faire périr le tyran , elle ne pcor
CHANGEMENT. 325
pas éteindre là tyrannie : celui qui Pexerçoit a un luccèflèur tout prêt ;
peut-écre même c'eft celui qui a armé le bras de l'aflaflin , qui cherche
à recueillir le fruit de fon attentat , qui témoigne ne pas approuver cet aâe
& qui en fera périr Tauteur. Il peut arriver qu'on ne penle à aucun Chan-
gement dans la forme de l'adminiilration publique ; on veut feulement fe
défaire de celui qui gouverne. Biôn peu de pays foet fufceptibles d'un au-»
cra Changement; & l'on ne voit nulle appaKencë à faire d'autre tentative.
Trouveroit-on , fous un Prince defpotique , un nombre affez confidérable
de gens réfolus , quoique défarmés , qui voulufTent fe confier les uns aux
autres , s'afTembier pour concerter enfemble une autre forme de Couver-*
nement, & abolir celle qui eii établie : ils pourroient compter de périr
eux-mêmes d'abord; & lors même qu'un pareil projet feroit concerté avec
toute la fageffe podible^ il y a très-peu d'apparence qu'on en pûc venir à
l'exécution. Ces fortes^d'Ecats ne fauroient ' être fans: des armées^ compof?
fées fur- tout d'étrangers mercenaires, & les Changemens qu'apportent de
pareilles armées ne (ont que perfonnels; elles fe bornent à mettre un Prince
a la place d'un autre. Ce n'eil pas leur intérêt d'établir un Etat libre, un
{rouvernement réglé-^ où i'épée obéiffe aux loix : là où ellps.crouvent qu'd-
es peuvent établir & dépofer le Souverain ( leçon qu'elles apprennent fort
vite), elles apprendroient auffî-tôt à &ire & à dé&ire les loix.
Difom mieux; on ne fauroit établir un Gouvernement libre, fans des
matériaux qui y fbient propres , je veux dire , fans un peuple difpofé ^ eh
recevoir le plan , & à s'y foumettre. Toute la fkgelTe humaine ne fauroit
changer la Monarchie Turque en un Etat libre ; un Parlement ou des Etats*
Généraux y paroitroient un monftre : quand même les peuples pourroien^
l'avoir , ils ne fauroient le foufTrir. Les mêmes fujets qui peuvent récon<^
noitre & refpeder tout aâe d'autorité de la part du ^ultan, ou fait fous
fon
dre
un
cenam
3ui ne font pas plus qu'eux , & qui n^ont pas été au-deffus d'eux ^ faire
es loix, régler tout, & appeller les gens à repdre compte. Il ne peut fe
faire daûs cet Etat , en ce qui regarde le public , aucun Changement que
^ ••
détruit la tyrannie. Ils ont fouvent facrifîé dés Princes qui ne vouloient
pas être tyrans, ni afiu jettirj l'Erat , & tout ce qui en dépend, aux fàntai-
iies de l'armée. Ils dépofereiût Néron , & ils. fe défirent au(B de Galba.
11 me parole impoflible qu'une grande Monarchie, qui étend fon em**
pire fiir plufieurs nations , au moyen de puiflantes armées, puiffe jamais
devenir une République, Je conçois pourtant qu'il efl pofQble qu'un pa^
3i< CHANGEMENT.
reil Etat puiffe (e démembrer en plufieiirs Etats ^ dont quelques-uns peut*
être pourront devenir des Républiques. La foibleflè du Chef, ou une grande
révolution, peuvent caoTer une divifion dans les portions d'un Empire trè^
étendu, qui) faifant des régîemens en leur particulier» produiront diver-
iès Principautés réparées , peut^tre même quelques Républiques. Les gran*
des Provinces, qui font datis le cœur du pays» conferveront vraifembla*
blement la même formé de Gouvernement d'un feul , foutenu par un corps
d'armée. Les grandes villes maritimes ou commerçantes doivent naturelle-
ment tâcher de fe gouverner elles-mêmes fur les principes de la liberté
& du commerce \ elles feront peut-être encouragées & foutenues dans leur
gouvernement libre par des Princes voifins, qui ne pouvam s'en rendre les
maîtres les défendront contre toute autre puiuance.
C'eft 1 ces caufes que quelques Républiques en Europe dcHvent leur
confervation & leur indépendance : Genève , les yilles Hanfëatiques en AU
lemagne, & même la Hollande ou les Etats-Généraux dts Provinces-Unies.
Je dis cela de cette puiflante République ou Républiques confédérées, fans
vouloir faire aucun tort à leur courage , à leur fermeté & à leur valeur i
maintenir lei»$ privilèges & leurs franchifes ^ contre Philij^ II ^ Roi
d'Efpagne.
r
f
Des dangers .auxquels les maximes favorables au peuple & Us citoyens
populaires expojent •^in Gouvernement libre ; & Us armes qiûil fournit
contre fon etablijfement
\^Esx^ comme nous ^vons dit , une maxime dans les pays libres , qu'il
vaut mieux ne 'pas punir plufieurs coupables que de punir un feul innocent}
maxime pleine d'humanité, mais qui fert à encourager les efprits iaâieux,
les traîtres à la patrie ^ & les autres criminels. Toutes les Loix & toutes
les procédures de VEtat étant établies fur cette maxime pleine de. douceur,
les procédures qu'on fera contre un criminel d']Stat devront être lentes &
pleines de formalités;, eu égard aqx preuves y au caraâere des témoins,
aux loix & kux préjugés que l'on doit examiner férieulement & de fang-
£roid. Il peut arriner quç le crédit de l'accufë, l'amour du peuple pour
lui , la douceur des loix & : des Magiftrats , feront qu'il y aura du danger
à l'arrêter & de la difficulté ï, le garder : ainfi un traître habile peut exé-
cuter fa trahiion, .avant qu'on puiife .prouver qji'il l'a jMrojettée. Il peut
encore jouir de fa propre libérée ^ tandis qu'il travaille aux moyens de
détruire : celle du public: il peut fe rendre pop^we, tanidis qu'il pourfuit
des. deflfeins & qu'il .prend desi /mèfures perqîckafe^ au peuple. Si parmi
plufieurs autres avantages que produit la : liberté y t'en . eft |ifi de produire
de grands hommes, on peut dire d'un autre côté que c'efi ^n de^s dé-
favantages d'être fouvent aâSbiblie & quelquefois éteinte par ^des Héroi
CHANGEMENT. 317
3iuMIe a élevés dans fon fein. La liberté fournit de feux citoyens comme
îe véritables, & fouvent les premiers remportent fur les derniers.
C'étoit une étrange ^ déclaration de ta part d^un Romain , de dire
9 mi'il avoit pitié de Terreur de ceux qui croyoient que le Sénat ( celui
» de Rome ) fût encore quelque chofe dans la République Romaine, a
Cela étoit encore plus étrange dans la bouche d'un Sénateur & d'un ConfuK
Cependant le Conful Gabinius n'eut point de home de s'exprimer ainfi ei|
public ; la vérité eft que c'étoit une créature de Céfar » l'aflbcié de Clo-
dius, qui Ta voit attiré dans une ligue contre fa patrie par l'amorce d'un
grand & important Gouvernement. On ne doit pas s'étonner ajprès cela ^
que le même Gabinius, conjointement avec Pifon fon collègue, qui ne
valoit pas mieux que lui , parlât honorablement dans fes feftins , & célé-
brât la mémoire des hauts faits de Catilina fon ancien ami ^ de Cethegus
& des autres conjurés qui avoient été exécutés à mort.
Dans un Etat libre, & même dans ceux qui ne le font pas, tout
homme qui' eft capable de bien fervir fa pâme , eft auflî capable de lui
nuire. Ceux qui ont l'adminiftration du Gouvernement font (buvent
portés à affbiblir l'autorité de l'Etat» pour garder ou augmenter la leur
propre : ils aiment mieux perdre l'Etat que le crédit qu'ils y ont/ A.Rome,,
le collège des Décemvirs, établi pour un temps limité, avec une* autorité
abfolue pour établir un corps de. Loix , fit des tentatives pour changer ce
dépôt d'une autorité à temps en une tyrannie perpétuelle. Les Tribuns
créés pour un an commirent fouvent de pareils attentats , & cherchèrent
à fe faire continuer dans leurs offices. La Nobleffe pendant long-temps
s'attribua toute l'autorité, & en abufa ; \es Patriciens firent les maîtres^
& traitèrent les Plébéiens en efclaves : les Plébéiens à leur tpur s'empare*
rem de tout le pouvoir de la République, & l'exercèrent avec licence;
il étoit bien difficile que les chofes allaffent autrement. Dans les Gouverr
nemens populaires, comme font ceux dans lefquels on reçoit les appels
au peuple, il n'eft guère poffible qu'il y ait un état de çonfiftance» à caufe
de l'inconftance du peuple , qui eft toujours porté à fe laifler. conduire ,
tromper & enflammer par des Démagogues, dont on ne manque jamais
dans toute forte de Gouvernement.
A Rome , pendant long-temps , il n'y avoit aucune ordonnance dtr peuple
qui pât avoir force de Loi , fans l'autorité & la ratification du Sépat; c'étotc
une barrière fort fage pour retenir la paffion & la fbugUe du peuple. Dans
la fuite cette fage précaution (ut enlevée par la violence des Ctâions
populaires; le peuple eut le crédit & le pouvoir de faire des loix fans la
participation du Sénat , tandis que le Sénat n'en pouvôit point faire fans le
confentement du peuple. Depuis ce temps-lâ celui qui jpouvoit jettet l'a>
larme & les foupçons parmi le peuplé, ce le mener à fa fantaifie, goui»
verooit l'Etat , ou , pour mieux dire , eA abufoit*
Les Loix qui s'étec^oient fur tout l'Empire , qui avoient force & (.qui
328 Changement.
6bligeoient tout le peuple Romain , étoient quelquefois formées par une
populace, & une multitude de miférables qui nWoient d'autre règle que
leur fantaifie; telle fut la Loi qui ordonna le banniflement de Ciceron : le
titre de Loi venoit d'un miférable qui n'avoit ni feu ni lieu. C'étoit une
femblable racaille qui difpofoit du commandement des Armées, de l'ad-
miniilration des Finances » & du gouvernement des Provinces en faveur de
fes favoris; qui que ce fût qu'un Tribun capricieux & turbulebt recom-
mandât dans les Eleâîons , tout bon & fage citoyen étolt écarté dans cène
eccafîon par la force des armes.
Le gouvernement de Carthage fût bien entendu & appuyé (ùr des fon^
démens folides , tant qu'il ne tomba pas entre les mains du peuple. Depuis
ce moment il devint violent , flottant , & tendit vers fa décadence : le
Sénat tomba dans le mépris, & il en arriva ce qu'Anacharfis avoir jug^
de tous les gouvernemens populaires; » C'éroient,' dit-il, les fag^squipro-
» pofoieitt, oc les foux qui difpo (oient. « Lycurgue fit une réponfe pleine
d'efprit & de bon fens, à un de fes citoyens qui propofoit d'établir un
gouvernement populaire à Sparte: » Faites-en l'efTai, dit Lycurgue, dans
» votre propre maifbn. a Ce grand homme prit des mefures très-fagcs
fur ce fujet, afin de réfermer l'Etat oii il étoit né, le voyant tombé en
décadence & dans la fbibleflè par la licence du peuple. Il eut la politique
de fe procurer le jugement de l'oracle de Delphes, qui accordoit aux ha^
bitans de Sparte le droit de donner leur fuf&age, mais non celui de dé^
battre & de difcuter les affaires. Lycurgue conndéroit la populace comme
incapable de faire des loix ; il favoit combien peu elle eft propre à les
propofer ou à les abroger ; par cette prudente négative , oppolée aux pr^
tendons du peuple , la République de Sparte fut pendant long-temps dans
un état glorieux & floriflant ; &. faute de cette précaution , celle d'Athènes
fut toujours dans un état tumultueux & chancelant. Lycurgue profita pnh*
demment du fort funefte du Roi fon père, maffacré par fes propres fojeti
dans un tumulte qu^il vouloir appaifer : les Spartiates s'étoient accoutumés
à braver le Gouvernement ; leurs précédens Rois les avoient fouteous en
cela , ou , ce qui eft la même chofe , ne les avoient pas réprimés.
» Le Peuple , dit Flutarque , loin de devenir plus traitable par une pareille
% indulgence, & par cette fauïlè douceur, ( comme ces Princes s'en flat-
» toient, ) ne fir que fe jouer de plus en plus du Gouvernement. < t^
principale affaire de Lycurgue, & celle qui pouvoit lui donner le plus de
gloire y confiftoit à recouvrer cette autorité perdue ; puifque tout Gouver-
nement fans autorité ne (àuroit fe maintenir.
Il en eft du peuple comme des Princes ; plus ils gagnent l*un fur Pau-
trè , plus ils veulent gagner j ils font tous leurs efforts pour accroître, o"
leur liberté , ou leur pouvoir , aurdelà de ce qu'ils en peuvent employ^
avec fagefTe ; & ils perdent réellement , dans le temps même qu'ils paroi'-
fent gagner, La Monarchie produit quelquefois la tvranhie , & la tyrannie
(;|UlC
CHANGEMENT. ja,
Mufe fouveot la deftruâion du tyraû. Le Gouvernement populaire eft fu<«
jet à produire la licence , & la licence détruit le Gouvernement populaire*
Toute puiflànce , de même qu^une corde trop bandée qui fe rompt , périt
luflî quand elle eft pouflëe trop haut , & coule à fond quand on ra laiilëe
defcendre trop bas.
Il y a toujours quelque chofe à corriger , même dans les Gouveraemens
les plus parfaits ; & bicfn des fujets qui prétendent que plufieurs griefs ont
befoin d'être redreffés , quoique cela ne foit pas vrai , ou , ce qui eft la
même chofe , lorfqu'il n'eft pas poffible d'y mettre un meilleur ordre &ns
péril & fans rifquer la perte du toikt. Les plus habiles politiques , les plus
grands nommes d'Etat & les mieux intentionnés , peuvent n'avoir pas
l'habileté néceffaire pour le choix & pour l'application des remèdes ; les
Etats Républicains, en particulier, font fujets à périr & ont péri en effet
par les efforts que Ton a £iits pour les rérormer & les rendre parBiits , ou
du moins par des tentatives qui avoient pour prétexte la réforme. Ajou**
tons que ces tentatives qui font au goût du peuple & dont le fuccèsjpa*
rolt inhiillible à ceux qui les entreprennent, ne manquent pas d'être (ou-
vent faites & répétées. Si quelques-unes ont échoué , cela ne décourage
pas , on ne laiffe pas que d'en nire de nouvelles : les contre-temps qu'on
a eftliyés fuggerent feulement des mefures différentes qu'on cherche à coa«
dnire avec plus de précaution. Les Romains , qui faifoient fréquemment
des Changemens dans la conftitution de leur Gouvernement , travaillèrent
enfin ï un projet qui leur fut fatal ; ils perdirent leur liberté par les fauffes
mefures qu'ils prirent pour lui donner plus d'étendue : ces mefures avoient
été propofées ce appuyées par les plus grands Républicains de Rome.
Ce font-là les avantages qu'un Gouvernement libre fournit contre lui-
même. Sous un Gouvernement arbitraire & defpotique , toute tentative faite
pour le corriger eft un crime d'Eut : le pouvoir arbitraire fe conferve par
de continuelles jaloufies & par des exécutions foudaines , comme je l'ai
déjà obfervé.
Il vaut donc mieux , dans un Etat , foufFrir quelques inconvéniens , &
même des défauts palpables , que d'en introduire de plus fâcheux & de
plus confidérables , en tâchant de remédier aux premiers. Plufieurs plans
de réformation fuppofent un danger à venir, en luppofant des défeéniofi-^
tés & de la corruption, i Celui qui peut corriger un Etat , peut auffî lui
autre , & le faire même fans en avoir le deflèin. Les réformateurs , d'en-
tre la populace en particulier , ont très-peu d'habileté & beaucoup de té-
mérité; & nul Etat ne fauroit être dans une fituation ferme & fupjporta-,
ble , quand le bas peuple s'ingère de le gouverner ; car outre que les lu-^
mieres font courtes, fes tentatives brufques & foudaines, il eft d'ailleurs
fujet à fe laiflèr enflammer» enforceler oc féduire par quelque inftigateur^
qui ne fonge qu'à fon propre intérêt , lorfqu'il fait tonner très-haut IC;
bien public , lequel ne fauroit s'accorder avec celui de ce boute-feu.
Tome XI. Tt
Ijé >C H A N G E M E N T.
Il eft certain que fi Ton confidere la fragilité, l'imprudence & Pamom^
propre des hommes, l'artifice de quelques-uns & la fiupidité des autres,
il paroitra merveilleux qu'un bon Gouvernement puifle être de quelque
durée. Le feul moyen de le conferver , ferqit de démontrer à chaque par*,
ticulier qu'il eft plus de Ton intérêt de le conferver , que de l'endomma-
Î;er, ou de le détruire; mais c'eft un bonheur dont je doute qu'on puiflè
e flatter dans aucun Gouvernement. Il n'y en a aucun qui puifle con*
vaincre tous les particuliers de fa perfeéBon, & qui foit capable déplaire
à tout le monde ; tous ceux qui efluient des contre-temps dans un Etat
font fort portés à y trouver plufîeurs défiiuts.
Toutes les fisis qu'avec une confiance mutuelle des fujets & des Magif>
trats , un Etat traitera les fujets aufli favorablement qu'ils prétendent le
mériter ,, & les récompenfera de même , alors nous pouvons nous attendre
de voir ce qu'on n'a jamais vu , favoir , un Gouvernement exempt de dé*
fauts & de plaintes. Chaque Etat a befoin de réforme du moins aux
Îreux de ceux qui ne font pas contens de l'Etat : ceux même qui travail-
er.t à le détruire prétendent travailler à le réformer. C'étoit le but dé«
teftable & le prétexte plaufible de Catilina & de fes fuppôts.
Celui qui fait le mieux tromper le peuple eft aufli le plus populaire &
a le plus d'influence fur le Gouvernement. Les faux citoyens crient le plus
haut , & fouvent fe font mieux écouter que ceux qui font fincérement atta-
chés au bien public. Dans la concurrence des Candidats pour les charges
publiques à Rome , de très-indignes citoyens étoienc fouvent préférés ^ ceux
qui le méritoient le mieux. Dans tous les projets formés par le peuple,
dans toutes les émeutes générales , il y a toujours quelque' perfonne à qui
l'on a plus de confiance qu'à toute autre ^ & même qu'à toutes les aun-es.
Cet homme peut alors diriger le bien public félon ^s vues particulières
& fon propre intérêt. Ce devroit être une confidération de la plus grande
force ^ quand il n^ en auroit point d'ailleurs, pour craindre une guerre
civile , & faire tout fon poflible pour l'éviter : car tout ce qui tend à l'al-
lumer tend aufli à livrer l'Etat a la difpofition d'un feul homme, d'un
Marius , d'un Sy lia , d'up Céfar , d'un Cromwel.
Je doute qu'il y ait aucun gouvernement civil, qui dans fon origioe
ait été formé fur un plan bien conçu & arrangé par des gens fages, ptf
des juges habiles & défintéreflës. Je fuis perfuadé au contraire que les é^
nemens ,. & certains befoins , auxquels il a fallu pourvoir , ont corrigé ce
qu'il y avoir de défeftueux dans l'établiflement des premières fociétés, &
en ont perfèâionné le gouvernement par accident ; ainfi il eft fujet a fouf"
Irir des accidens , & à être détruit par des accidens. Ceux de Théfée &
dé Romulus furent accommodés au génie ruftique àe ceux qui s'y raDg^
rent ; on fe conforma à leurs humeurs , à leurs inclinations & à leurs ha-
bitudes î tout cela y fût confi^rvé. On n'eût pas dû efpérer fans cela qu'ils
fe fbflènt volontairement privés d'une liberté qui n'étoit gênée en rien»
CHANGEMENT. 3j«
Îu^ils eufTent obéi a un Confeil d'Etat , ou fe fuflènt fournis aux règlement
e ces légiflateurs, ou d'aucun autre. On ne fauroit même fuppofer que
ces mêmes légiflateurs aient été exempts d'ambition & n'aient pas eu leurs
vues particulières : ils fe plurent à commander & à civilifer leur peuple;
ils étoient hommes , ils étoient héros , ^ les héros ne font pas les faorn**
mes les plus défintérefTés ou les plus portés à la compaffîon.
Les hommes, pour la plupart, aiment mieux ce à quoi ils ont été ac«
coutumes, & ne fe défont pas volontiers de ce qui a été l'objet de leur
vénération. Les Turcs s'atuchent à une Monarchie abfolue, à caufe qu'ils
y ont été nourris; ils aiment la Religion Mahométane, parce qu'ils y ont
été élevés. Il en efl de même de la plupart des hommes, tout au moins
de ceux qui font nés dans les fauffes religions, & de plufîeurs auffî de
ceux qui profèfTent la véritable.
Dans l'établiflement des Colonies, les nations qui s'y vont établir, y
{>ortent leurs coutumes & leurs ufages, tant pour le particulier que pour
e public : le nouvel Etat e(l fondé fur le modèle de l'ancien que l'on
vient de quitter. Les Républiques Athéniennes d'Afie étoient gouvernée^
démocratiquement, comme Athènes leur Métropole. Cell&s de Sparte étoient
établies fur le pied de Lacédémone. Les Tyriens qui bâtirent Carthage . y
établirent le Gouvernement de Tyr : & la plupart des établiflemens des
Goths furent de même Gothiques.
La Monarchie abfolue étant toujours la même & inaltérable dans (a
conflitution , produit, par (on état de confiftance, une inclination conf*
tante des peuples pour cette forte de Gouvernement. Les Etats libres font
plus fujets à changer & à fouffrir quelques altérations dans le plan de leur
gouvernement. Rien n'eft parfait tout d'un coup dans les régletiiens hu<-
mains : il fera fouvent néceffaire de £iire de nouvelles loix ; chaque lot
nouvelle eft en effet, ou eft regardée comme une altération dans l'Etat.
Il n'y a pas d'apparence que les peuples aient de l'attachement pour ce
qui ne leur paroit pas fixé. Outre cette confidération , on peut leur faire
accroire, que les meilleures loix & les Changemens les plus convenables
& les plus fages font à craindre , & même pernicieux ; on peut leur fùg«
gérer d*en demander qui foient en effet dommageables } & ils en viennent
âinfi à miner leur précieufe liberté , foit en prenant de fauffes mefurçs
pour la perfeâionner & la fortifier^ foit en s'oppofant & faifant échoucc
des projeu ialutaires & d'une néceffité abfolue.
T t 4
,32 CHANGEMENT.
Vu pouvoir éclatant qiûontVcnthoufiafmt & tes fraudes pieufcs, pour établir p
pour changer , ou pour rendre la forme du Gouvernement durable.
JLiE moyen qui paroit le plus efficace pour changer entièrement les hom«
mes, & par confèquenc pour établir un nouveau gouvernement abfolu,
c'eft l'impofture , qui fe couvre du prétexte de la Religion. Celui qui peut
jetter au moule la confcience de Thomme , donne aufli à l'homme la forme
Su'il veut. Ce fut la route que prit Mahomet, ce fut par-là qu'il réufOti
c qu'après avoir été conduâeur de chameaux, il parvint à fonder un
Empire. Qui pourroit réfifter à l'enthoufiafme armé , lorfque l'enthoufiafle
croit avoir droit à la pofleflion de ce monde & de l'autre , & que s'étant
afliiré du paradis , il fait valoir le droit qu'il tire du ciel pour gouverner
la terre? Celui qui manie l'épée du Seigneur » 6c celle de Gédéon, doit
l'emporter fur ceux qui n'ont pas des armes fi refpeâables : c'eft ce qui
rendit les Sarrazins invincibles. Les Têtes rondes d'Angleterre l'étoient auffi;
ils attaquoient les Cavaliers avec la même impétuofité en entonnant un
Pfeaume, que le faifoient les Arabes, qui maj'çhoient contre les Grecs
& les ^fiatiques en faifant retentir leur Allah (a) & Ton Prophète. On vit
du temps des guerres civiles d'Angleterre autant d'intrépidité & de fureur,
pour former une cinquième Monarchie, quoique moins étendue que celle
des Sarrazins, que l'on en avoit vu pour exécuter le plan de Mahomet.
Ce que cet impofteur gagna d'abord par la force de l'illufion, il le con-
ferva & l'accrut par la force des armes. Les plus belles & les plus riches
parties de l'ancien monde , l'Afie , les Indes , l'Egypte , & les c6tes d'A'
firique , jufques aux colonnes d'Hercule avec les plus belles Provinces de
l'Europe, furent fubjuguées par la force toute-puiflante d'une impofture
groffiere, mais accommodée au génie des peuples.
L'erreur n'a pas moins de force pour être extrêmement groffiere; aa
contraire elle doit avoir plus d'effet par la même raifon. Une erreur me*
diocre , ne s'écartant pas beaucoup de la raifon , rifque d'être guérie par h
raifon; mais lorfque l'erreur efl tout-à-fait extravagante ^ monflrueufe, com-
me elle efl alors hors des atteintes de la raifon , elle en efl à couvert , &
ne manque pas de fe maintenir. Plus elle efl merveilleufe , plus elle eft
refpeâée ; & plus elle efl incroyable , plus on la croit fermement. Un im*
' pofteur conduit Ces feâateurs hors des réeions de la nature ; il les gouverne
en fe cachant dans les nues , par des vinons trop éclatantes pour des yeux
3ui ne peuvent foutenir qu'une lumière médiocre pour eux ^ & par des
ogmes trop rafinés pour la Philofophie & le fens commun. Ceft aiofi
qu'il forme fes fidèles dupes , c'efl ainfi qu'il fe les attache : ils font tranf'
{d) Ceft le oom de Dieu en Arabe & en Turct
N
CHANGEMENT.
3Î3
4
portés de Joie, ie voyant dans cet état, & ne changeroîent pas leur aveu-
glement & leur prétendu bonheur, pour une clarté & une conviâîon vé-
ritables. Celui qui voudroit les rendre plus avifés & plus libres , feroit leur
mortel ennemi , ennemi de Dieu , & de Ton élu i & ainfi ils deviennent
fes ennemis.
Un gouvernement établi de cette manière, eft le plus infortuné & le
plus pernicieux pour le genre humain, & cependant le plus puifTant 8c le
plus durable de tous les gouveruemens , fur-tout fi la même influence fe
maintient, & fi la force fe joignant aux impreffîons frauduleufes , on fup<«
pofe que le ciel & la terre confpirent pour foutenir la même caufe. Ceft
pourtant une vérité affligeante que les moyens de nuire aux meilleurs gou«-
vernemens , font plus &ciles à trouver , & ont plus de fuccés que ceux qui
feroient propres à réprimer les gouvernemens les plus mauvais.
JNoiivtUts confidcrations fur la durit des gouvernemens Monarchiques , &
fur la nature changeante & variable de ceux qui font populaires & libres.
Ol la vertu & le bon fens étoient plus communs dans le monde que le
vice & la folie, on devroit être furpris de voir le plus mauvais des gou-
vernemens plus permanent que le meilleur. Les hommes font en général
Î|lus conftans dans les mauvaifes habitudes que dans les bonnes j ils per-
éverent davantage dans la grolfîéreté & dans la ftupidité , que dans l'exer-
cice de la raifon & dans la recherche des chofes utiles. Il eft certain que
plus les coutumes font extravagantes, & les dogmes fiintafliques, plus les
peuples y ont de l'attachement. les ufages abfurdes & les idées folles qui
régnent prefque par tout le monde, font voir que c'eft en général le ca-
raâere de la plupart de fes habitans. Ils font rarement portés à changer
en mieux ; & s'ils le font , ils fe trompent prefque toujours fur les moyens.
Quand même cela ne feroit pas , ils rencontreroient des difficultés infur-
montables qui leur feroient opppfëes par ceux qui ont le pouvoir & l'in-
térêt de le faire. Tout homme qui fouffre par le changement s'y oppo-
fera , quelque avantageux qu'il fût à tout le public. Ceux qui gagnent au
plus mauvais changement poffîble, ne manqueront pas de pouffer à la roue
pour qu'il ait lieu. Dans ces^deux cas, les peuples peuvent être quelque-
ibis fi intimidés, qu'ils ne fauroient tenter un changement avantageux; ou
fi fort trompés y qu'ils n'en forment pas même le défir. En d'autres temps
on peut les conduire , tes féduire , & enflammer leurs pallions de maniéré
qu'on les pouffe au plus mauvais des changemens.
Lorfque ces fortes d'agitations régnent,, ce qui arrive infiniment plus
fouvent dans les Gouvernemens libres, on peut dire que le Gouvernement
cfl menacé d'une révolution, & enfin de fa perte entière ; comme il arriva à
celui de Rome, & étoit arrivé auparavant à celui d'Athènes. Ce dernier , après
toutes les loix & les réglemeds que Solon y avoit établis , continua d'être lu jet
5J4 CHANGEMENT.
à des troubles qui fembloient hâter fa chute. Solom luî*m|me reco&noUlbit
que le Gouvernemenc étoit mauvais : mais il ajoutoit que le peuple n'en
pouvoir pas foufFrir un meilleur. Il eft furprenanc que celui de Rame pik
tenir Ci long-temps, maigre un enchaînement & une fuire continuelle de
débats entre les chefs du Sénat & ceux du peuple. Sallufte dit expreffé'*
metit,'» que le Tribuhat ayant été rétabli dans tous fes droits, ceux qui
» remplifloienc cette place , aimoient mieux voir r£tat dans des étran^
» convulfions que de perdre rautoriré qu'elle leur donnoic & qu'ils avoieot
» dans l'Etat : ainfi les Tribuns ameutoient le peuple , imputoient diverfes
» chofes au Sénat} & enfuite par leurs largeifes & leurs promefles ils
» augmentoient l'animofité & la haine du peuple contre le Sénat , le tout
n pour avoir du crédit & de la confiance. La Noblelfe de fon côté dé-
•> ployoit toutes fes forces contre les Tribuns }* elle cherchoit à leur faire
» perdre leur crédit , fous prétexte de maintenir & conferver l'autorité du
j» Sénat, & dans le fond pour fa propre élévation. D'un côté on fe fkifoit
f» valoir comme défenfeurs des droits du peuple, & de l'autre on préten-
» doit foutenir la dignité du Sénat. Chacun avoit pour prétexte le bien
o public , & chacun travailloit pour acquérir la fupériorité ; il n'y avoir Joi
» nù , ni bornes y ni modeftie dans cette terrible rivalité, «c
La faâion qui l'emportoit, devoit, en bonne politique, mettre fa rivale
hors d'état de recouvrer' fes forces ; elle devoit ainfi tâcher d'établir un
iiouveau plan , c'eft-à*dire un nouveau gouvernement , plutôt que de courir
le rifque de voir rétablir ceux qui avoient gouverné en dernier lieu ; ili
dévoient dans cet efprit aimer mieux voir TEtat bouleverfé que de cefTer
d'être les maîtres.
Les Romains fe délivrèrent de la tyrannie des Rois , pour tomber fous
celle des fàâions. L'hiftoire de la République Romaine n'eft prefque autre
chofe que l'hiftoire de leurs divifions. Les guerres étrangères même , &
leurs conquêtes étoient caufées par la difcorde continuelle des partis qui
déchiroient Rome'; difcorde qui préfageoit de bonne heure le renverfement
de la République. Elle tomba à la nn (bus le pouvoir de ce grand Chef
de parti , Jules*Céfar , qui par la force & le crédit qu'il fut donner à k»
créatures , mit fin à la liberté. Sylla & Marins avoient montré que cela
ëtoit praticable ; plufieurs autres l'avoient tenté ; Céfar en vint a bout;
il opprima la liberté , & l'opprima pour toujours. C'eft un trifte fujet de
réflexion , que lorfque la liberté eft une fois perdue , il eft très-difficile de
la recouvrer ; il elt encore plus trifte de cônfidérer que la liberté fournit
des armes & des ennemis contre elle - même. Une grande liberté produit
la &6lion , ^ la iàâioii el| toujours dangereufe , fouvent funefte à I^
liberté.
Si U faôion n'eft pas formée par un chef particulier , elle trouvera ,
du moins à la fin , un chef; ou bien un chef trouvera bientôt une &c-
tÎQa i & ^nime U ne fe fera point de difficiUté d'avoir toute forte d0
CHANGEMENT; Î5^
complaifance pour Tes membres , les faâieux de leur c6të ae k feroDii
aucune peine de faire tout pour fon élévation , pour lui donner des moyei^
de détruire TEtat & eux-mêmes en même -temps. Si Catilina tombe ^ il,
faut que fes adhérens tombent auffi avec lui ; c'efl pour cela qu'ils con<-
courent avec lui , en défefpérés dans les entreprifes les plus téméraires , £c
les plus criminelles , pour détruire TEtat par le fer &- par le feu ; & par
ces terribles moyens mettre fur pied un nouveau Gouvernements Toute la
faâion étoit ù fortement déterminée y que nul d'entr'eux , parmi tant de
milliers , tous gens perdus & miférables , ne voulut trahir les complices ,
quoiqu'on. leur offrit le pardon , & une grande récompenfei comme on Vs^
remarqué ailleurs. Ils blafphémoient contre ce faCré nom de liberté , âç
s'en fervoient comme d'un infiniment à leur détefiable trahifon ; ils la prof*
tituoient , & fe plaîgnoient d'en être privés : ils prétendoient la rétablir j
lorfqu'ils l'extirpoient entièrement. Voyc[ Catilina
Il efi certain que fous ce nom de liberté , tout Tribun entreprenant pou^
voit ébranler l'Etat, & le mettre en danger; les projets les plus perni-
cieux étoient fouvent les plus agréables au peuple. Sicinius Dentatus pro-
Î^ofa , après la conquête de la ville & du territoire de Veïes , de divifer
e peuple Romain , & d'en envoyer une moitié de toute forte de condi-
tion , pour habiter cette nouvelle conquête. Si cette propofition eût réufli ,
elle eût mis fin à la République Romaine ; & cependant le peuple , tou-
jours avide de nouveautés , & de projets populaires , goûta cette propofi-
tion, & Ton eut bien de la peine à l'empêcher de l'exécuter.
C'eft ainfi que les plus mauvais citoyens fe rendoient populaires, en
propofant des loix qui flattoient le peuple , & en faifant des lamentations
fur les griefs dont il pouvoit avoir lieu de fe plaindre. Ces loix étoient
en effet néceflaires, mais on n'auroit pu les obtenir, ni même tâcher de
les avoir de cette manière, à ces conditions, & par le moyen de pareils
inflrumens. Ils en rendoient l'exécution plus pernicieufe que la privation;
c'étoient des griefs auxquels on ne pouvoit remédier fans en introduire de
plus fâcheux. Qu'y avoit-il de plus raifonnable en apparence? Que pou-
voit-on fouhaiter de mieux , que la difiribution des terres parmi le peuple
Romain qui les avoit xoflquifes ? Y avoit-il rien de plus jufte qu'une loi
Agraire , pour limiter la richeffe immenfe de quelques particuliers , & pour
fournir aux befoins indifpenfables de la multitude ? Mais outre la grande
difficulté d'obtenir une pareille loi & de la mettre en exécution , ceux qui
crioient le plus , & qui pouffoient le plus à la roue , ne fongeoient qu'à
leur propre grandeur , & tâchoient d'affervir Te peuple , & d'avoir fon con-
fentement pour Tefclavage. Ils favoient que les plaintes en faveur du "peu*
pie feroient fuivies des applaudiffemens populaires, de la confiance de ce
même peuple , & de l'autorité que l'on gagneroit fur lui.
Le projet extravagant du Tribun Rullus, projet qui étoit très-propre- à
établir la fervitude , fut applaudi par le peuple , à caufe qu'il déclaroic qu'il
33^ CHANGEMENT.
le (brmoit pour PavAntage du peuple, (quoiqu'il fut vifible que rien ne
fiouvoit être plus pernicieux & plus préjudiciable à la liberté & à rEcat
même. Par ce plan » lui & neuf alTociés dévoient être revênis , pendant
» cinq ans , d'un pouvoir abfolu fur la République , fur toutes les forces
» & tous les revenus , fur toutes les terres & biens des fujets de PEtat ;
» avec le pouvoir d'établir des colonies & de faire au peuple des diftribu-
9 tions tirées du tréfor public à leur difcrétion. {a) « Ce plan , à la pre-
mière vue, rendoit ces dix hommes des tyrans, auxquels on n'eût jamais
pu faite rendre aucun compte; & cependant la propofition en plut fi fort
mx peuple , qu'il fallut tout le crédit , toute Thabileté , la dextérité & toute
l'éloquence de Cicéron pour détromper le peuple & la lui &ire rejetcer.
Il n'y a jamais eu de fociété parmi les honunes qui ne foit défeâueufe
par quelques endroits ; nous l'avons dît plus haut« Dans chacune il y aura
plufieurs particuliers qui feront privés de bien de -choies , & qui , étant
iiortés à le plaindre^ prendront du goût pour ceux qui font touchés de
eurs maux & qui fe plaignent aufli-bien qu^eux. Ceux qui entrepreiment
de les foulager , leur font encore plu« chersu Le même efpric & les mêmes
matériaux qui forment les chaiiatans <]ui courent le pays , & les faux doc
teurs , produifent aufli de faux citoyens & de faux réformateurs , qui ,
pour gagner le peuple , pour avoir de l'influence flir lui , pour s'en attirer
la confiance., pratiquent & favorifent l'impofture populaire.
A tout confidérer , les Etats libres font à la vérité difficiles ï foumettre;
mais ils font fujets à des révolutions , & il eft à peine poflible d'en former
ou même d'en concevoir qui foient exempts d'un ferment intérieur tout
prêt de les altérer & de les diflbudre. Ils peuvent fe rendre les maîtres de
grandes & puiifantes Monarchies ; la Répuolique Romaine en conquit plu-
fieurs,; mais enfin elle fe vainquit elle-même, par les moyens & les iflf-
trumens de fss conquêtes , fes armées viâorieufes & leurs che&* Cet Etat,
de même que d'autres également populaires & libres, produifit de grands
hommes \ ces mêmes grands hommes firent craindre , & à la fin cauferest
la ruine de l'Etat. Ils le montrèrent aufli dangereux à leurs concitoyens à
la tête des fkâieux , qu'ils l'étoient aux ennemis à la tête des armées :
ils parvenoient fouvent au commandement des ailnëes après avoir gouverna
des faâions. ^
Les grandes Monarchies , dont le Gouvernement eft abfolu , ne fauroieot
s'appeller gouvernement dans un fens propre; on ne fauroit les adminif*
trer d'une manière jufte & équitable , quand même le Monarque en auroit
la volonté la plus nncere , ce qui arrive rarement & à quoi Ton ne doit
pas s'attendre. Celui qui dirige tout à fa volonté ne fauroit être exafteracnt
informé comme tout eft exécuté , & ne peut point répondre de la probité
mtmmmmmmm
(is) Ciccro Orat, XV. dt Lege Agrari^.
\
CITA NGEHTEÎTT. 337
,& de ta capacité du nombre infini dMmns qui lui font fubordonn&. Le
poiim>ir ahfolu eft en général un défordre abfolu ; une bande de voleurs
.publics qui fe pillent mutuellement « ou qui, tout au moins ^ pillent les
autres I qui les dévorent ^ qui les confument, en (e donnant pour leurs pro*
teâeurs. Cependant cette lotte de Monarchie eft en général durable ; elle
cft expofée à être conquife , mais n^eft pas fujette en elle-même à des
Changemens eflentiels. Le Monarque lui-même eft fouvent changé , & tou*
jours expofé à l'être i il peut être détrôné , emprifonné , tué i mais ces
Changemens , quelque fréquens qu'ils foient , font perfonnels ; la puiflknce
& la politique font toujours les mêmes & contmuent les mêmes. Les
•guerres civiles & tes révolutions ont été fréquentes dans les Indes, dans
la Perfe & dans la Turquie \ mais dans tous ces pays , la conftitution de
•l'Etat ne fouftre point (Taltération ni de Changement. Le fuccefleur d'un
Empereur , dépofe pour avoir abufé de (on pouvoir , a encore la liberté
d'en abufer autant que le faifoit ibn prédécefleur.
On n'a jamais vu de peuple oui eût plus d'amour pour fa liberté & plus
de bravoure que les Cofaques. L'oppreflion que leur feifoient (èntir leurs
Seigneurs Folonois 9 les força d'aHer chercher un afyle dans l'Ukraine : ils
l'y trouvèrent par leur courage , s'étaut ligués pour leur commune défen-
fe. On doit admirer comment de trés*petites troupes d'entr'eux ont défiiit
de grandes armées, & les exploits furprenans qu'ils ont exécutés contre
les Turcs fur la mer noire. Les Cofaques n'avoient oue de petits bateaux
découverts , où il n^étoit pas poffîble de mettre de ranillerie ; & malgré
cela , ils ont tenu en échec , furpris & battu la flotte Turque : ils ont
fouvent pris & détruit leurs fuperbes galères, fournies d'hommes & d'ar-
tillerie. Mais leur Gouvernement eft trop libre pour être durable & ferme.
Le Hetman, ou Chef, eft éleâif; & fon pofte eft bien dangereux, puis-
que s'il arrive quelque défaftre public , ou quelque mauvais fuccès , ce
qui doit fouvent arriver , à caufe de leurs courfes fréquentes & défefpé-*
fées , ce Chef doit compter d'être mis en pièces , quelque habile & irré«
prochable qu'il foit : cependant cet honneur , qu'aucun homme prudent
ne fouhaiteroit d'obtenir , n'eft pas refufé par les plus fages ; ils n'oferoient
par fon reflentiment ou par fon ambition, propofe fon ennemi, ou fon
rival pour chef, afin de le faire maftacren De cette manière, on doit s'at-
tendre à voir parmi eux des émeutes fréquentes & des événemens tra-
giques.
Crotone , ville Grecque en Italie , ancienne & fameufe par le féjour
4}u'v fit Pythagore, éioit une République gouvernée par un Confeil com«
.po(c de mille membres : celle de Locres en avoir un aufti nombreux, les
5eres, nation de Scythie , en avoit un de cinq mille perfonnes. Quelle union |
Tome XL V V
3^8 CHANGEMENT.
Suelle paix^ quel (ecret peut-on attendre de ces aflembltjes nombretfes ;
^ par confëouent cumulcueufes ? On peut conjeâurer^ & même trouver
dans leurs hiitoires , à quelles faâions , à quelles conteftations , & à quel*-
les altérations inteftines ces Etats populaires étoient fujets ; on y peut dé-
couvrir rencourageqient donn^ à leurs condpâeurs, & le but quHis pou^
voient fe propofer; à quel danger étoteot expofés leurs meilleurs Magis-
trats ; le mauvais fens qu'on pouvoir donner à leurs mefures les plus
fages , & la tentarion où Ton expofbit ces mêmes Magiftrats , de fe
rendre indépehdans^ & d'introduire la tyrannie d'un feul ou d'un petit nom-
bre de chefs.
Syracufe étoit la plus opulente & la plus fuperbe des villes Grecques:
fon peuple , devenu infolent par l'abondance & par la profpérité , ne pou*
voit foufFrir qu'on donnât des bornes à fa liberté , quoique la liberté oe
puilTe fe foutenir, fans être contenue par des loix. Le peuple perdit fa
liberté & l'Etat , en y établiffant un gouvernement populaire , lequel p
pendant tout le temps qu'il dura , n'étoit guère autre chofe qu'une Anar»
cfaie : elle produifit ce qu'elle menaçoit de produire dès fon commeoce-
ment , favoir la tyrannie d'un feul. La multitude (kifoir la guerre & h
paix, donnoit & ôtoit les gouvernemens & les commandemens militai-
res , faifoit & aboliflbit les traités , difpofoit de la vie & de la mort itB
dtoyens, condamnoit les criminels & leur pardonnoir, méprifbit le vni
mérite & élevoit fes favoris qui en étoient dépourvus.
Cette liberté populaire » ou plutôt cette fureur , ce pouvoir étrange dans
la multitude , ne pouvoit pas fubfifter long - temps. Le moindre criaiileur
d'entre la foule étoit le premier à fe faire entendre ; & le peuple n'ayant
que fon petit intérêt en vue, fe confîoit en ceux qui le flattoient davan-
tage ; tous les membres de la République vivoient dans un commerce
mutuel de tromperie , dupes & impofteurs tour-à-tour. Celui qui pouvoit
les tromper . tous avec le plus d'habileté , étoit celui qui avoit le plus de
facilité à fe rendre maître des autres : Deni^ fîit cet homme 12é^ & depuis
ce temps il a été célèbre^ & eft détefté fous le nom de Tyran. Il flatti
& cajola la multitude , & il en fut adoré. En vertu de l'amour qu'il avoit
pour eux & à caufe de l'attachement qu'ils avoient pour lui, Se qui étoit
fuffifant pour qu'ils ajoutaflent foi à tout ce qu'il leur difoit , il leur affor»
qu'il étoit dans un péril continuel de perdre la vie , & il les pria de voth
loir lui donner une garde \ ils la lui accordèrent d'abord Se fans difficultéi
& il ne manqua pas de fe faifîr de ce qu^ils Taidoient à prendre, & mêm^
de les charger de chaînes ; il fît de plus fuccéder fon fils à fa tyrannie.
Lôrfqu'ijs furent affranchis de ce fécond tyran, qui étoit un homme foi-
ble & méprifable , & cela par le ftcours de rilluftre Tîmoléoh , le peu-
ple , enforcelé par les idées d'une liberté fans bornes , liberté qui ne fauroit
être de durée & qui confpire fans çeflfe contre elle-même, qui travaille
continuellement à fa propre deftruâion ; le peuple ^ dis- je ^ faiiaht des ef*
C H ANGE ME N T, 339
forts pour établir l'ancien gouvernement populaire , Âêatocles ^ homme
abandonné aux plus infâmes débauches , auparavant fimpîe foldat, & alors
ofBcier, adoptant ce cri de liberté, qui étoit à la mode parmi le peuple^
les enchanta tous , les trompa , les afiervit , & enfuite les malTacra par
centaines.
Sibaris étoit la capitale d'un Etat peuplé & âorîflânt ; cette ville pouvoit
contenir trois cents mille âmes; le gouvernement en étoit populaire &
chancelant. Telys^ citoyen brouillon & ambitieux, trouva le moyen de
pouflèr le peuple dans l'irritation & de le tromper , au point de £dre bannir
cinq cents citoyens d'une feule fois : c'étoient ceux qui étoient^les plus
opulens , ihais qui étant défagréables , lui avoient donné lieu de travailler
£ir l'efprit du peuple pour le porter à les haïr, ce qu'il avoit fiiit avec
fuccés. Ces exilés furent protégés par 4es Crotoniates , qui prirent leur dé'-
fënfe ; ce qui occafionna une guerre dans laquelle une armée de trois cents
mille Sibarites fut mife en déroute & paflee au fil de l'épée par celle des
Crotoniates, qui ne fe montoit au'au tiers, & qui étoit commandée pjir
le fameux Athlète Milon. La ville de Sibaris fut enAiite faccagée & dé«*
truite ; elle demeura dans cet état de défolatîon , pendant prés de foixante.
ans ; après quoi elle fut de nouveau rafée par les Crotoniates. Les Sibarites
fugitifs, s'étant fortifiés d'une colonie envoyée d'Athènes, bâtirent une nou-
velle ville fous un autre nom ; & traitant infolemment les nouveaux venus ,
perdirent la fupériorité qu'ils avôient for eux. Voilà ce qu'ils gagnèrent &
ce qu'ils perdirent par l'ufage licentieux de leur liberté , & leur confiance
en Telys leur chef populaire.
Là populace d'Argos fît périr dans une violente fëdition la plupart de
fos habitans , de ceux qui étoient les plus confidérables , fans aucune autre
preuve contre eux que les flatteries & les calomnies effrontées de leurs
orateurs. Tous les riches furent accufés , tous furent trouvés coupables , &
tous les prétendus coupables forent mis à mort. Les cruels & barbares ora-
teurs forent même à la fin épouvantés d'un fi grand nombre d'exécutions,
nV en ayant pas eu moins de feize-cents d'exécutés tout de fuite : ils fe
ralentirent dans leurs pourfoites , & par-là ils devinrent fufpeâs au peu^
pie } ce foupçon les rendoit affez coupables ; ils forent mallacrés , eux qui
avoient été la caufe de tant de fang répandu.
Le gouvernement ariftocratique , ou de la nobleffe, eft plus affuré Se.
{A\xs folide que le gouvernement démocratique , ou populaire ; & quoique
e premier ibît , généralement parlant , plus rude , il n'y a cependant rien
de plus redoutable qu'une Monarchie abfolue & defpotique. Le gouverne-
ment de Sparte dura plufieurs fîecles, après que cette ville eut été délivrée
de la foibleffe où elle avoit été réduite par la violence du peuple, ce qui
fot l'ouvrage de la fagefTe & du courage de Lycurgue : il garantit cette
République d'une ruine prochaine qui la menaçoit , comme je l'ai déjà
remarqué. Un article de la politiqbe de Sparte paroit extrêmement injufle
Vv 2
34tT C H A NGEMENT.
& cruel : les v^mables Spaiîîates àoient en petit nombre, & élevés uni^
quemabt à manier & à porter les armes i la culture "de la terre , & lea
autres offices fervile» ^toient le paruge des liâtes leurs efclaves, natifs du
pays conquis la première fois par les^ HéracKes^ Ces jpfclaves écoient en
{^rand nombre , & on ne les regardoit' pas comme bien afièâionnés pouc
eurs orgueilleux ^ maîtres, qui pour cette raifon choififlbienc de temps en
temps les plus hardis de leurs jeunes citoyens , & après les avoir armés de
poi^ards, leur donnoient la commiffion d'exterminer ceux de ces malheu*
reux efcUves qui étoient les plus rufpeds à la République , par leur force ,
|onr , pendant ci
jufqu'à deux mille d'une feule fois. . . ,
Les Vénitiens , avec toute leur expérience , les rafinemens de leur p<H
litique dans Tadminiflration du Gouvernement , leur grand-confeil , leur
fénat , & leur collège % leurs précautions dans le fcrutin & dans l'ufage
des balottes, leurs maximes merveilleufes & leur jaloufie ^ ne fauroient ie
vanter d'être dans un état affuré & permanent , n'étoit l'étrange autorité
fupréme du confeil des Dix ; c'efl la terreur confiante des fujets brooil'*.
Ions, & le grand boulevart de la République.
Le Çouvemement d'Argos étoit à plufieurs égards & en bonne partie le
même que celui de Sparte ; il y manquoir un article confîdérable : c'étoiç
un f^nat tel que celui des Ephores ; ce qui l'expofoit à de terribles nir
multes & à des fëditious. Faute d'un pareil fénat , pour traverfer les cabi-
ks d'Etat , ks jaloufîes populaires , & la fureur des citoyens , allumées par
des fcélérats parmi la populace , fe déchargeoient direâement fur le Roi ,
& ne finifToient que par fa mort ou par fa dépafîtion; ce fôt une polid*
à fes enfans dans un état bien différent de celui oi!i il Tavoit reçue ; aux-
quels il répondit fagement , que bien loin d'avoir diminué Tautorité Roya-
le , il l'avoir affurée, parce que le peuple feroit moins porté à fe foule*
ver contre loi. On peut dire que le Gouvernement de Sparte , qui dura fi
long-temps , auroit continué encore plus , . n'eulTent été les tentatives que
firent les Spartiates pour faire des conquêtes ; ce qui donna lieu à Tintro-
dnâion de nouvelles maximes , des exemples de luxe , Se les moyens àt
le fatis&ire. La bride fut lâchée à l'ambition des membres de cet Etat , &
en ébranla tous les réglemens. Il avoir été établi d'une manière propre ^
fa confervation , mais non pas à fbn agrandiflement.
La République Romaine fut affervie, & réduite fous la puiffance d'un
fèul , par le. même efprit & par les mêmes moyens dont il avait aflervi
CHANGEMENT. 341
plofieurs autres nations , je veux dire par les grands hommes populaires &
par les armées. Dans la fuite le Gouvernement Romain ne pou voit pas
être cenfé fub(îfter ^ même avec un Empereur à la tête. Ce Gouvernement
le perdit dans les £intai(ies & la fureur des Empereurs ; il étoit le jouet
de l'humeur , des boutades^ ou des appétits d'un furieux ou d'un infenfé «
d'un Claude » d'un Néron. Il n'étoit pas poflible au Prince le plus fage &
le mieux intentionné de changer ce Gouvernement, & encore moins de
le rétablir : cela étoit impoffible, & il en coûta la vie ï ceux qui le ten-
tèrent. Les meilleurs Princes .ne pouvoient que montrer de la compadion
& de la générofîtéy par des aâes particuliers de juftice & de bonté, qui
étoient enfevelis avec eux. Les meilleurs règnes étoient des bons intervalles
feulement , des trêves de .violence , de rapine & d'effufion de fang. 11 ar--
riva cependant que cette tyrannie, cette fubverfion & fuppreflion deGou-
yemement fqt durable ; les tyrans étoient fréquemment détruits & maffa^
crés, mais la tyrannie fubdftoit toujours.
j C'eft le lot ce la malédiâion inféparable des tyrans , qu'ils n'apportent
jamais aucun foulagement au peuple , fi ce n'eft peut-être la fatisfaâion de
voir que leur orgueilleux & cruel opprefleur mené une vie expofée à bien
des dangers , & eft à tout moment menacé d'une mort plus ignominieufe
que l'elclave le* plus vil & le plus abjeâ. Il y a des Changemens conti-
nuels dans ce GQuvernement qui ne change pas de nature. Les mêmes
moyens, qui maintiennent la Monarchie inaltérable, en peuvent changer
le Monarque tous les jours.
Les Cohortes Prétoriennes , les Janiflàires Turcs , les Strelirz en Ruflie ,
avec le pouvoir de &ire & défaire des Souverains , font plutôt les maîtres
que lés fujets de leurs Monarques. Un Prince , qui eft ainfi à la merci de
la foldatefque , eft forcé pour fa confervation d'abandonner tout à leur
di(crëtion. , fes fujets , ks revenus , fes prérogatives , fes Miniftres & fes
favoris. 11 arrive quelquefois qu'ayant tout facrifié il devient la dernière
viâime : fituation terrible tant pour le Prince oue pour les fujets , & qui
l'eft d'autant plus qu'elle eft fans remède. C'eft une forte de Gouverne-
ment qui détruit le vrai Gouvernement , & tout ce qui en dépend , les
Princes de même que les fujets ; mais il n'eft jamais éteint jufquVce qu'il
ait tout exterminé; il peut changer de nom, pafler du Romain au Grec,
du Grec au Sarrafin , du Sarratin au Turc , du Turc au Perfan , du Perfan
au Parthe; mais il ne change pas de nature; le Gouvernement eft toujours
niilitaire & violent , perpétuel & inaltérable.
Un peuple libre peut conquérir une Monarchie abfolue ; les Romains fi-
rent la conquête de plufieurs , on peut même dire qu'ils conquirent toutes
celles qu^ils attaquèrent ; mais la même route , les mêmes moyens , qui
mènent apx conquêtes étrangères , mènent auffi à l'efclavage domeftique j
& là où l'efclavage eft ainfi une fois établi, il l'eft pour toujours, comme
il le fut à Rome, Il n'y a pas d'apparence que les foldats permettent aux
34*
CHANGEMENT.
loix de gouveroer le R6i| qmnd ils ne peuvent pas ^eux^^mémes gôatrerner
les loix : pour les foldats , la facilité qu'ils o.nt de faire des Souveraim
amené le droit de les ùirt ; le pouvoir devient un droit , & le droit eft
perpétuel & facré. Les Empereurs Romains continuèrent d'être créés par
les foldats , qui les dépofcrent auffi ou les poignardèrent . juiqu'à la no.
Lorfque le fils fuccéda au père , ce fut par leur confentement & ap
probation.
La fuperflition Turque ne permet pas que les Janiflaires choififlent leur
Souverain hors de la ligne Ottomane : mais il leur eft arrivé de détrô-
ner , d'emprifonner, de maflacrer leurs Princes, avec auffi peu de céré-
monie , que s'ils avoient été choifis dans l'armée ou dans la populace. H
faut avouer auflî que l'hifloire ne nous montre point une race plus habile
& plus brave que celle des Princes fortis de cette ligne , pendant trois ceati
ans confécutifs : c'étoient de grands hommes. On peut dire , à la lettre ,
la même chofe , de Céfar , ce Séfofiris , de Cyrus , de Tamerlan & de
Charlemagne : cependant durant le règne des fucceffeurs de. ces grands Prin-
ces , on ne vit aucun Changement à leur Gouvernement impitoyable p
quoique plufieurs d'entr'eux ayent été mis hors de leur place. Quelquefbii
le fuccefleur immédiat s'eft rendu remarquable, pour s'être rendu indigne
de Ton prédécefTeur : témoin Edouard II , foi}>lte & malheureux fils d'E-
douard I ; Richard II , héritier d'Edouard III, & Henri VI , infortuné fils
& fuccefleur de Henri V. .
Cette feule confidérarion fuffiroit pour décrier la prétention du pouvoir
abfolu , confié a un feul homme. Pour une fois qu'il tombe entre les
mains d'un Prince habile & digne de commander aux hommes , il peot
tomber dix fois entre les mains d'un fou , qui regarde le Royaume coniine
fon propre patrimoine & les fujëts comme fon bétail. C'efl lur ce pied que
l'£nipereur Sévère , un des meilleurs Princes que les Romains aient jamais
eu , paroit avoir regardé l'Empire Romain , & les Romains mêmes. le
dernier avis qu'il donna à fes deux fils étoit de remplir leur tréfor, faos
leur en prefcrire des moyens honnêtes : d'entretenir & de récompenfer h
foldatefque^ & de ne fe foncier d^ aucune autre chofe. Il ne daigna pasmtoie
nommer le peuple Romain , ni le fénât. Il n'ignoroit pas que ces deox
jeunes Princes , félon toutes les apparences , déchire^oient & ravageroient
TËmpire ; car ils fe haiiToient morcellement , & étoient déjà dans uo tot
de guerre ; l'ainé même avoir tenté d'empoifonner & enfuite d'aflàf&ner fon
père. Peu après la mort de ce Prince , il poignarda fon frère , & cela en«
tre les bras de leur commune mère. Il devint le tyran & le bourreau des
Romains ; mais en même temps , conformément à l'avis de fon père , il
étoit l'efclave de l'armée à qui il faifoit beaucoup^ de libéralités. Il nioiirut
dans le fang , comme il convenoit à un homme auffi faîitguinaire. Son fuc-
cefleur fe montra pire que lui , & eut le méitie fort, qUe fubirent prefquC
tous les autres , durant une longue fucceffion. '
CHANGEMENT. 343
. Remïrqwonsque ces tyrans , élevés ï PEmpire, venante P^^îf* la tyran-
nie impériale rubfiftoit toujours la même. Lei foldars ne vouloiept pas d'au-
tre gouvernenienr , c'étoit celui qui leur conveooit le mieux. Qu*auroient-
ils fait? Toutes les fois qu'ils poignardoient un Empereur , ils étoient fûrs
d'érre bien payés pour en créer un autre, dont ils fe débarraflbient aufli ,
lorfquM n'avoir plus rien à leur donner. C*étoit un excellent gouvernement
pour eux i il leur procuroir les dépouilles du monde entier.
D'oii vient que les Romains libres, les Grecs libres, avoïent de Paver-
Con pour U Monarchie, Ôi du mépris pour les Monarques, fînon parce
que cVioient des tyrans effrénés & abfblus , leurs fujets des efclaves par-
faits , & leurs grandes armées toujours défaites par une poignée d'hommes
libres? Difcours hijîoriqucs 0 politiques de Thomas Gordûh fur
Sallu STE,
Nouvelles Considérations SUR iSs Changemeks politiques.
J_jN réfumant les difcuflions précédentes, on peut diftinguer différentes
efpeces de Changemens politiques: des Chingemens abfolus, d'autres qui
font imparfaits , & une troifieme forte qu'on peut appeller de fimples alté-
rations de la conftitution fondamentale de l'Etat.
Lorfqu'un Prince détrône un Roi, quM occupe la place, & laifTe fub-
fifter l'ancienne confiitution; la domination change, l'Etat ne change pas:
c'efl un Roi qui fuccede à un autre \ mais la République cefle d'être ,
lorfqu'on change fa nature, que de populaire elle devient arifîocratique ou
monarchiqae , ou de monarchique populaire , ainfî des autres manières de
n'être plus ce qu*oti éioit autrefois : ce font alors des Changemens abfolus.
Si un Etat eïl démembré , (î de pIuHeurs Provinces qui compofoient
lin Royaume, il fe forme plufteurs Républiques ou plufieurs Monarchies.
l'ancien Royaume ne fubfifle plus \ c'efl encore un Changement abfolu.
Autn la durée d'un Etat ne doit pas fe compter par la durée de la capi-
tale dont il porte le nom , mais par celle de chaque conflitution qui a
dominé. Paul Manuce. n'auroît pas dQ dire que- la République de Venife
duroit depuis douze cents ans.
Lorfque Ja forme de la République demeure, & que l'on change feu-
lement la manière de gouverner, c'efl un Changement imparfait. C'efl ce
qui arrive lorfque la monarchie royale fe convertit en defpotîfme décidé;
raridocratie en oligarchie •■, & quand le peuple accoutumé à gouverner
lui-même , abandonne le gouvernement à fes repréfentans.
. On en peut dire autant , lorfqu'on introduit dans une Monarchie ordinaire
un gouvernement mixte , en lailTant fubfiiler les noms de Royaume &
de Roi.
On remarque que les Changemens imparfaits font le plus fouvent les
avant- coureurs des Changemens abfolus; on ne doit pas juger de même
i
344 C H A N G E M E N T.
des. altérations. On donne ce nom à la fuppreffion de aaelques loir ,
quelques coutumes générales , ou à l'exercice d'une nouvelle religion*
Il ne refte bIus aucune des loix civiles qui exiftoient dans l'origine de
la Monarchie nançoife , on a changé quelques-unes des politiaues ; la reli-
gion chrétienne s'eft établie dans l'£mpire & dans les Gaules iaos ébranler
fes Etats ^ un grand nombre des Provmces de l'Europe a abandonné la re-
iigion catholique , les Etats n'ont point changé.
On ne doit pas confondre le Changement abfolu des Etats & leur ruine:
Dans le Changement abfolu , l'inftant qui voit changer un Gouvememenr,
eft aufli le moment de la naiffance d'un autre : qu'une portion fe fépare ,
^ ce qui doit être mis au nombre des fimples altérations ) l'ancien, Etat
ubfifte , la partie féparée en fait naître un lecond. Mais lorfque l'Etat ou
entier ou démembré va fe perdre dans d'autres Etats déjà exiflans , il eft
détruit.
C'efl; au droit de fouveraineté qu'eft attachée la vie des fociétés politî*
Sues. Si la fouveraineté paffe du peuple à un feul, d'un feul à plufieun;
u plus petit nombre au plus grand \ ce n'eft qu'un Changement abfolu : fi
elle fe perd ^ c'eft une deftruâion.
Les Changemens abfolus dans les Etats peuvent faire fuccéder toutes les
natures des fociétés politiques ; mais les plus ordinaires font de l'Etat po-^
pulaire en monarchique , & de monarchie en Etat populaire. Comme les
corps puiffans ne peuvent être abattus fans les fecoufles les plus fortes, lef
Changemenis n'arrivent guère que par la fermentation la plus vive. On
^'arrête rarement à l'ariftocratie , elle efl un milieu; la rapidité de l'ei&r*
vefcence emporte à l'un des extrêmes.
Avant que d'entrer dans le détail des caufes des Changemens , je dirai
qu'elles font extérieures ou intérieures. Les extérieures font ou une con^
quête qui détruit l'ancienne forme; ou un accord avec des étrangers,
comme celui par lequel la Lorraine efl devenue Province ; enfin , tous ceux
ui arrivent fans la coopération des citoyens. Ces caufes font mifes au rang
es violentes, & on les appelle furnaturellés.
Celles qui proviennent de l'intérieur , font nommées naturelles ; comme
les maladies des corps. On peut y ajouter , la délibération que prendroit
un peuple de changer fa conflitution : ce qui fuppofe cependant un état
de maladie aâuel. Quoique naturelles , ces caufes peuvent être encore plus
violentes que quelques-unes des extérieures ; & les unes & les autres peu-
vent être douces.
Les caufeç extérieures des Changemens font plus à craindre dans Tcn-
Ênce des Républiques que dans tout autre âge, & les caufes intérieures^
font plus communes dans leur vieilleffe.
La Monarchie ^ par fa conflitution , pourroît , abfolument parlant , être
exempte de ces dernières. Si cet Etat change ou périt par un vice interne,
c'efl toujours la faute du Monarque ou de ceux qui le gouvernent.
Une
i
CHANGEMENT. 34^
#
Une Monarchie pourroit ne jamais vieillir; l'équilUire des forces agif-
Tantes peut toujours fubfiiler le même, parce qu'elles font dé la main d'un
ieul agent. Cet état ne devroit par conféquent être fujet à aucune infir-
mité confidérable. SI on fuppofe qu'il en (bit attaqué , il fufEt de le rame*
ner 1 fa première inft|tution ; il reprendra fa première fleur*
La Monarchie ne fouffre pas del'ufé des reflbrts, comme les autres Ré*
publiques, parce que le Souverain eft l'unique reffort, & qu'un ^ tout nou-
veau , fuccede à l'ancien. Si la trempe, eft telle qu'on doit la défirer, il ne
reftera aucune apparence de la défeâuofité du précédent. On peut, pour fe
convaincre de cette vérité , jetter les yeux fur l'Empire Romain , fous le
règne d'Alexandre Se ver e, fucceffeur immédiat d'Heliogabale.
Les fibres, le fang, tout fe peut rajeunir avec un nouveau Monarque;
de même qu'une rolée ote aux plantes la langueur de la fécherefle. Au(S
voit-on les Monarchies vivre plus' long-temps que les Républiques. Le rai-
fonnement eft d'accord avec les &its.
Les caufes intérieures font d'une plus grande importance que les exté*
rieures. Le dérangement de l'intérieur augmente le pouvoir relatif des caufes
étrangères , & diminue la force propre. Si la providence donne, d'uii temps
i un autre, à la Monarchie un de ces reflbrts puiflans qui affujettiffenc
l'intérieur à un mouvement réglé , il éloignera les caufes extérieures , âc
elle fera , pour ainfî dire , immortelle.
Je ne parlerai ici que des caufes intérieures des Changemens abfolus ;
encore font-elles trop infinies pour entreprendre de les expofer toutes. Il
feroit néceffaire d'entrer dans, le détail de tous les événemens que peut
produire le hazard ; de ceux qui font amenés par les caufes les plus éloi-
gnées, & de tout ce qui peut porter les paffions humaines à entreprendre
& exécuter , fans oublier les plus minces caufes fréquentes des plus grandes
révolutions.
Il y a des caafes de Changement communes à tous les Gouvernemens;
il y en a de plus particulières à une efpece & fur-tout à la Monarchie.
Les générales font , la pauvreté des peuples , & les richeffes verfées d'un
feul côté,, les honneurs déplacés & les dignités mal diftribuées; l'ambition,
le reflèntiment des affronts, les bons ou mauvais fuccès des guerres, les
divifions inteftines, l'oppréftîon fans mefure, la corruption générale des
mœurs. Il y en a d'autres qui font plus particulières à la Monarchie , j'en
parlerai féparément. J'aurois toujours befoin de fubdivifer.
On ne doit pas penfer qu'une feule de ces caufes fût capable de ren-
verfer une République, mais il ne fe peut guère que plufieurs ne fe
réuniffent.
Si la pauvreté étoit générale , bien loin qu'elle fût une maladie dans un
Etat , elle eft le germe des vertus ; c'eft l'ancienne Rome , c'eft Lacédé«-
mone. Mais lorfque le peuple eft dans la mifere , & qu'il a devant les
yeux le ft)eâacle affligeant de l'opulence , il coinpare fes befoins 6c la
146 CHANGEMENT.
pro(u(îon des riches ; (on hunutiarion & leur orgueil ; cette inégalité IVi*
grit V il défire un Changement, il ea faifit l'occalion.
Cette Situation doit être commune dans l'ariflocratie, & peut (e trouver
dans la Monarchie , lorsqu'elle eft en proie aux traitans. Elle doit être rare
dans l'Etat populaire, malgré l'exemple de Rome, que je veux bien re*
g;arder comme pure démocratie, pour ce moment.
Les richefles du Sénat & de l'ordre des chevaliers étoient, à Rome, de
beaucoup fupériéures à celles du peuple % mais le peuple h'étoit pas dans
la pauvreté. Après la guerre de Macédoine » il cefla de payer toute efpece
d'impôt. II profitoit même des richelTes des Sénateurs , non comme récom"*
penfe de fon travail 8c de la Tueur de fon front ; mais par les fpeâaclcs
& les fètès que l'on lui donnoit. Le luxe' fait vivre le peuple de u peine;
à Rome, on l'amufoit, on l'entrelenoit dans les plaifirs.
Qn' dira cependant que le panage des terres & l'abolition des dettes fie
ceflerent d'être demandés avec fuieur :c'étoient des prétextes mis en an*
vre par des tribims entrepreoans , riches eux-mêmes. Le fond du projet
ëtoit d'abattre le Sénat ; d'éteindre les difirnâtons & les prééminences de
la nobl^lle , toujours odieufes & injuiles dans un Etat populaire ; l'eovie
& la jaloufie agiflbient plus que la cupidité. Ces tribuns trouvoient affez
de gens que leurs vices avoient rendus miférables » qui fouffloient le fèa
qu'ils vouloient répandre parmi le peuple^
Si vous joignez à ces motifs une privation de commerce ^ un abandon
des arts de la part du citoyen , & par conféquent une oifiveté entière, vous
connoitrez les caufes réelles des débats fi fréquens dans Rome.
Il eft fenfible que l'on détruit le bon ordre» & la fociété politique par
isonféquent, lorfque l'on donne les charges à des fujets incapables ou mé-
chans ; quelquefois l'un & l'autre enfemble ; ou lor(que l'on commet des
injuftices dans leur diftribution. Mais on choque en même temps l'am*
bition : un cœur élevé regarde comme une injure la préférence donnée
à un autre citoyen; ces trois cauïès fe réunifient fouvent, on les trouve
rafTembléet dans Texemple que fournit Sylla : il étoit ambitieux : on donna
à Marins le confulat fous lequel fe devoit terminer la guerre de Mithrida-
te, & Sylla l'avoit mérité.
^ Quoique l'ambition paroiffe le mobile le plus universel de la defiruc-
tion des républiques ariftocratiques & populaires, elle ne pourroit rien i
elle n'étoit aidée par d'autres caufes ; la corruption des mœurs , l'oubli des
bonnes inftitntions, s'y joignent & la favorifent.
^ Si le peuple eft foumis à la loi & par conféquent vertueux ; fi la fabor*
dination eft obfervée; fi une faine politique donne moins de pouvoirs qu^
d'honneurs aux chargea éminentes , & divife autant qu'il fera poffible les
pouvoirs efFefKfi ; fi on n'en laifle l'exercice que pour un temps très-
court , les efFons du citoyen ambitieux feront inutiles. Céfar auioit échoué
au temps de Manlius ; Manlius auroit réulfî dans celui de Céfar.
/
CHANGEMENT. 547
Le relâchement dans les devoirs, la corroprion / feronr toujoui^ des
circonftances néceflaires au fuccès des projets de l'ambirion \ la matière efl
préparée, une étincelle l'embrafe.
On tranfgrefla en faveur de Céfar la loi Sempronia^ qui dëfendoit de
laifler les provinces ait même général au delà de cinq ans ; on lui foudoya
pendant toute la guerre les mêmes légions qui s^accoutumerent à obéir
aveuglément à fes ordres. Ces dérogeances aux loix, accordées à un* citoyen
fans ambition, n'auroient point produit de Changement; l'ambition d'un
citoyen fans ces dérogeances, fe leroit éteinte fans caufer des troubles im«>
portans.
Ces caufes fe réunirent parce que Célar avide des grandeurs , & dont
le caur étoit corrompu, népahdit des richefles dans un fénat & fur
un peuple que le relâchement des mœurs avoient rendus faciles i cor-
rompre.
Par-tout ou il y a une barrière qui met urie diftance infinie - entre les
ordres de la République, comme dans Pàriftocratie , ou dans une démo-
cratie qui laifle à fa nobleflè un rang diflingué , qui foufFre qu'un ordre
ne puide s'allier à l'autre ordre , les Changemens font plus prochains. Alors
les bons ou les mauvais CiUicèt peuvent changer l'£tat de populaire en arif-
tocratique, ou au contÉ'aire. Les matheurs -confternent le peuple & l'étour-
diflent; il laifle le gouvernement entre les mains de ceux qui te veulent
prendre : fi la noblefle alors a de l'ambition ,• il lui eft facile de $*en fai<-
ur pour ne le plus rendre.
L'abattement du peuple Romain! après les vtâofres de Pîrrhûs & celles
d'Annibal , prouve la vérité de cette maxime. Le Sénat fiit maître' abfô*-
lu : s'il eût établi pour lors une ariftocratie , s'il eût confervé l'armée
viâorieufe de Scipion ou les Romains nattirels étoient en petit nombre ^
)e peuple n'auroit jamais repris fon autorité.
hkàs au contraire les prolpéricês l'enorgueitlifTent ; & après la conqiMre
de la Macédoine & la ruine de Cârthâge , le crédit du Sénat tomba pour
ne plus fe relever.
On voit l'oppofé dans les Monarchies. Les viâoires remportées par lè
Monarque fur les ennemie étranger^ âffermiflenf^ étendent fon autorité
fur les peuples qui l'ont aidé à vaincre ; 6c fes' défaites favorifent le peu^
pie qui veut fecouer le joug. Les heureux fuccès Ibnt tous pour la fouve-
râineté; jamais la fituation da fujets n'en eR devenue meilleure : mais
une tyrannie eft facilement abattue par le peuple, fi le tyran éprouve de
l'adverfité au dehors.
Les Changemens de l'ariftocratie arrivent le plus fbuvent de la divifion
Jui fe glifle entre les nobles : leur autorité s'aftoiblit , le peuple prend le
efTus. Il feroît ennuyeux de raconter les minuties qui ont donné lieu aux
dtffentions les plus (uneftes dans cette nature de conflitution. La propriété
d'un brigantin ^ une bure de fangUer, ont commencé la chute de quelques
Xx a
34« CHANGEMENT,
Républiques de cette efpece : ane difpute y eft de conféquence. Ce n'eft
pas la minutie qui caufe le Changement ; les difpoûtions ont précédé , le
moment arrive où le feu qui couve fous des matières combuftibles, s^en*
flamme fubitément avec éclat.
L'ariftocratie peut encore fe changer en Etat populaire , par une deftruc-
tion de la .noblefle dans une bataille. Un pareil événement ne doit pas
paifer pour liiiiaginaire. La plus grande partie de la nobleflè Françoife pé-
rit à la bataille de Fontenay , donnée entre Lothaire d'un côté , & Louis
& Charles fes frères, de Tautre ; la Champagne fur-tout en fut fi épuifée,
que l'on donna pour quelque temps aux demoifelles de cette province^
le privilège d'ennoblir leurs maris.
On a vu encore les Républiques fe perdre par le foin d'attirer les étran-
gers ; & l'attentibn de les écarter à jamiais des charges ; ils forment alors
une République féparéé , dans une autre République i c'eft introduire un
ennemi dans fon iein. C'eft -ainfi* qu'ont péri les Etats des Samiens, des
Sybarites , des Gnidiens & plufieurs autres. Ces événemens font arrivés
flus récemment à Sienne, à Gènes, à Zurich, à Cologne. On doit donner
peu-à-peu le rang de citoyens aux étrangers ; lorfque Theureufe fituation
les attire en foule , . il £iut faire enforte qu'ils - fe confondent , qu'il dtvien*
nent naiurels par . les alliances. La politique de .Venife eft trop dure &
trop pénible.
- L'oppreflion extrême des fujets ne^ peut guère fe rencontrer que dans
l'ariftocratie & la monarchie : lorfqu'elle prive dfes biens , elle entraine la
pauvreté du plus grand nombre avec les inconvéniens dont j'ai déjà parlé.
Si elle y ajoute une gène rigoureufe.de la liberté , le Changement devient
plus prochain. La mifer'e & l'efcUvage, font des aiguillons qui font cou«
rir avec effort vers les biens & la liberté. ^
On peut compter parmi les caufes intérieures> les plus ordinaires , qm
concourent à renverfer les monarchies , l'inexécution & le mépris des loix
fondamentales; la cruauté du Prince', la diflblution de fes mœurs, les sf*
fronts dont il accable quelqu'un de fes fujets , l'extinâion de la famille du
fOuveraïUé i .
Les Changemens abfolus font plus communs, plus faciles à exécuter
dans 1er petits Etats que dans ceqx de quelque étendue; il n^eft perfoooe
qui n'en fente les rations. La mouftrchie eft encore moins fu jette à ces re-
vers que les Républiques d'un aUû-e gehi'e. Tous les rayons de l'autorité
Îf font réunis, dans, un ^méme cedtre^ elle a une toute autre force que dans
es Etats républicains. Âinfi il faut encore plus ; que les caufes s'y réunif*
feât , & que celles qui folnt prarticuUeres à cet Etat, fe joignent à quelqu'une
de celles que l'on a vues précédemment.
r II eft naturel que fi on fecoue les fondemens d'un édifice , il perde de
fon équilibre, & que du moins il panche vers fa ruine, fi l'ébranlement
fi'a pas çaufé fa chute. Tel eft l'effet du mépris des loix conftitutives dans
un Etat.
CHANGEMENT.
3+9
Il n^yr a que Pautorité réunie capable de cet effort. Lorfque les attri«
buts en font divifés; chacun eft trop (bible; & û on abroge quelqu'une
de ces loix fondamentales dans les Etats ou plufieurs ont part au gouver-
nement, ce ne peut être que du confentement de tous & avec réflexion}
ce n'eft plus alors les méprifer , fe refufer à leur exécution ; c'eft au con-
traire un père de famille qui répare les fondemens de fa maifon avec les
précautions convenables.
Mais lorfque le Monarque heurte ces loix fans le concours de la vo-
lonté des peuples I il fait tomber des fondemens, la liaifon qui fait toute
leur folidité.
Les vices perfonnels des Princes , féparés des autres caufes , font plutôt
capables de caufer les Changemens imparfaits que les abfolus; la cruauté
révolte les efprits; la vie difTolue du Monarque le fait méprifer; l'oppro-
bre dont il aura couvert un de fes fujets excite (a vengeance contre fa per»
fonne \ mais fi le Général efl d'ailleurs fatisfait de la conflitution , on ne
détrônera le Prince que pour lui donner un fucceffeur ; l'Etat ne perdra
rien de fa fiabilité.
Juftin III fut tué par Atelius dont il avoit tué le fils & livré la femme
à la proftitution ; Childeric fut affaffîné par Bodile qu'il avoit fait frapper
de verges : des Princes efféminés font jettes dans. des cloîtres : la révolu-
tion ne va pas plus loin. Si l'incontinence du jeune Tarquin décida le
Changement de la conflitution dans Rome , c'eft parce que les cruautés
& les injuftices du père l'avoient déjà ébranlée , & que l'affront fut ajouté
à l'incontinence.
Mais il efl rare que l'un de ces vices fe rencontre feul, & n'entraine
d'autres caufes. Il efl vrai que l'on a vu des Princes portés par leur tem*
pérament aux foibleffes de l'amour ^ & n'avoir que ce défaut ; ce n'efl pas
auffî ce que l'on entend par la diffolution des mœurs. Ce terme exprime
beaucoup au-delà ; il comprend plufieurs indignités , & les comprend dans
leur excès. Un Monarque diffolu ne refpeâe ni les bienféances , ni les
rangs , ni les loix ; fi la forme de l'Etat ne change pas , des circonflances
paniculieres s'y oppofent.
Tibère , Néron , Heliogabale périrent , & la forme de l'Etat fe confer^
va ; la raifon efl fimple , le gouvernement étoit militaire ; jamais une ar-
mée n'a fu que nommer un Général. La paffion de Roderic réduifit à rien
le trône des Efpagnes, il fit changer la face du gouvernement; il détruifit
la religion, parce que le Comte Julien & fa fille, offenfés, furent des ef-
vindicatifs & encore ambitieux.
nme l'ariflocratie fe rapproche de la royauté, ces mêmes inconvé-
peuvent abfolument s'y rencontrer. On y peut méprifer les loix
utives au préjudice du peuple. La portion dominante peut être plpn-
dans les vices ; alors la conititution fera plus facilement détruite ; là il
ne mt y avoir de Changement imparfait i il faut qu'il foit abfolu.
^^o C H A N G E M E N T,
Les Royaumes ëleâifs ont leurs caufes de Changement particulières j
ce font les divifions , & la fbiblefle de l'interrègne. Mais ils ne font pas
autant fufceptibles des autres. On n'a pas communément recours aux re-
mèdes violens, lorfqu'on en a de doux & de naturels. La mort de chaque
Roi donne à chaque citoyen refpérance de choifir un Prince exempt àcs
défauts de celui qui règne ; on fupporte les défordres avec plus de patience.
La fermentation s'appaife dans les commencemens d'un nouveau règne ,
qui , pour l'ordinaire , donne d'heureufes efpérances.
Ces Etats font, pour la plupart, plus modérés. Chaque éleétion fournit
l'occafîon d'une nouvelle convention. L'Etat peut faire des loix qui anê-
tent le cours des maux que l'on a reflentis. Il n'eft pas douteux que les
concurrens ne fe foumettent à en promettre Pobfervation.
II eft naturel que fi l'éleâion eft entre les mains de la nobleflè , la conf-
titution devienne approchante de l'ariftocratie : (i le peuple partage le droit
d'élire , ir en doit réfulter une République compofée des trois.
Les Royaumes héréditaires peuvent auflî changer légitimement leur conf*
titution ou la modifier, lorfque la maifon qui règne s'éteint. Alors le droit
d'éleâion , ou celui de faire un Changement abfolu , eft inconteftablemeot
dévolu à la nation.
L'Empire d'Allemagne en eft un exemple. Il étoit autrefois héréditaire,
& purement monarchique. Après l'extinaion de la branche régnante, il
devint fœdératif , plus ariftocratique que monarchique , & la dignité it
Monarque , éleâive. Ce dernier Etat n'a pas éprouvé depuis , de change-
ment ablolu ; mais il n'a pas été exempt d'altération. Le gouvernement
>'eft rapproché du royal pour avoir été continué long- temps dans la même
maifon.
Les révolutions font douces, lorfqu'elles font amenées par des événe^
mens naturels ; elles font légères lorfqu'elles marchent lentement & à^
degrés en degrés, à peine font-elles fenfation : elles n'en font pas moins
réelles.
il eft dans l'ordre des chofes que le pouvoir augmente par la longue
habitude de recevoir le commandement de la même main & du mém^
fupérieur. Si les Eleâeurs avoienc choifî leur chef tantôt dans une niairoa
tantôt dans une autre , fon autorité feroit à préfent auffî limitée que cell^
du Doge de Venife ; on l'auroit retranchée à chaque capitulation.
Les Ëleâeurs ont agi comme autrefois les Cardinaux , qui avoient r^folu
dans le conclave , tenu après la mort de Jules II , de borner la puifTance
temporelle des Papes. Ayant réfléchi que chacun d'eux pouvoir être élu»
ils abandonnèrent ce projet.
Les Eleâeurs ne s'y font point attachés , quoique leur conftance à hir^
tomber leur choix fur la même maifon pendant une fuite de (iecles, pc^'
fuade qu'ils ont perdu le défir de parvenir k la dignité Impériale.
Des objets qui Ifxuc ont paru plus important les t)nt fans doute détef*
C H A N U T. 3^1
minés. Ils ont confidérë qu^ils ont befoin d'un Prince pui/Tant , & intérefTë
perfonnellemenc à veiller fur la puiffance Ottomane. Peut-être ils ont été
fëd'iits par le fpécieux prétexte de Péquilibre en Europe, & quMs comp-
tent fur des moyens fufHfans pour aflurer leur indépendance.
Des membres fouverains la peuvent conferver, vis-à-vis d'un chef qui
fe perpétue, par leur liaifon & leur attention : leur intérêt principal eft
que la conftitution ne reçoive ni altération, ni Changement; tous les au-
tres objets doivent leur être moins précieux que leur confédération.
C H A N U T , Ambajfadtur de France en Sutdc , fous U règne de
Chriftine.
p
IRRRE CHANUT, Confeiller d'État , né à Riom en 1601, mort à
Paris en 1662, parloic la plupart des langues, & fut l'un des plus favans
liommes de fon temps. Il étoit Tréforier de France à Riom , lorfqu^il fut
nommé Réfident de France en Suéde, (a) Le Roi l'envoya (b) à raffem-
blée de Lubeck en qualité de fon Ambafladeur, pour y faire l'office de
Médiateur entre la Pologne & la Suéde. De cette affemblée , Chanut re-
tourna à la cour de Sucde avec le caraâere d'AmbafTadeur. Il paffa de-
puis en Hollande avec le même caraâere; & fut enfin rappelle, (c)
pour fèrvir au confeil. Piques, Confeiller en la cour des Aydes de Paris^
tut Réfident à Stockholm, à ta place de Chanut.
Nous avons les négociations de Chanut & de Piques fous ce titre :
li Mémoires de ce qui s'efl paflë en Suéde & aux Provinces-Unies depuis
s» l'année 164^, jufqu'en l'année 165$, enfemble le démêlé de la Suéde
3» avec la Pologne, tirés des dépêches de M, Chanut, Ambaffadeur pour le
» Roi en Suéde , par P. Linage de Vauciennes. " j vol. in- 12 Paris,
Xouis Billaine, 167^. Les deux premiers volumes contiennent le récit des
négociations de Chanut ; & le troifieme , celles de Piques.
Chanut a été l'un des bons négociateurs que la France ait eus. L'Hifloîre
^ue Linage de Vauciennes a faite des négociatibhs de ce Miniflre , ne laiffe
pas d^en être, en quelque forte , la preuve , toutes défigurées qu'elles font;
car les pièces y font tronquées. Je ne dois pas oublier de remarquer que
Chanut qui , à titre d'homme de lettres , avoit eu de fréquens entretiens
avec Chriftine , Reine de Suéde , entretint toujours un commerce de
lettres avec cette PrincefTe, depuis qu'elle eut abdiqué la couronne, &
(il) En 164^.
{k) Avril 164$.
(c) Eo i655.
3$2
CHARGE.
que Chriftine le traitoit comme un ami pour lequel elle écoit pleine
d'eftime.
Chanut étoit parent & élevé de M. de la Tuillerie^ dont il fera parlé
dans la fuite. Ce fut la Tuillerie qui le mena en Suéde & lui fie donner la
qualité delléfident : cela fuffiroit pour recommander la perfonn^ de tout
autre Âmbafladeur que celle de Chanut; mais il devoit quelque chofe^e plus
à lui-même qu'à fon parent & à fon patron. Il avoit beaucoup voyagé,
& ayant pronté de Tes voyages, il y avoir acquis une connoiflànce, qm
lui donna d'abord non-feulement Peflime, mais auffi la confiance de la
Reine Chriftine de Suéde. H avoit avec cela de l'iionneur , & beaucoup
; la Reii
prit pas
nité , & fi cette nouvelle qualité fit quelque changement dans fon train &
dans fa fuite , die n'en fit point dans fa perfonne ni dans fa conduite. N'é-
tant encore que Réfident , il avoit négocié avec une habileté d'Ambafladeur ,
& étant Amoalfadeur, on voyoit en lui une modeftie de réfident, quoi
qu'en plufieurs rencontres , il fût bien fe faire rendre ce qui étoit dà ï la
dignité de fon caradere. La Suéde & les Provinces-Unies fe fbuviennent,
& fe fouviendront long- temps du mérite de ce grand perfonoage. Il fe
trouva comme médiateur, de la part de la France, aux deux alfemblées
de Lubec en l'an 1651 & 1652, & on peut dire que de tous lesMioiftres
de ce congrès, il n'y eut que Chanut qui y fit figure, tous les autres ëtaoc
comme des perfounages muets. On peut dire que c'étoit un Ambaffadeur
de la première clafle , & qu'il y en avoit fort peu qui puflent prendre
rang fur lui. Ses négociations, toutes eftropiées & défigurées qu'elles fonr,
ne laiflènt pas de porter des marques de ce qu'il étoit en effet ; quoique
celui qui les a publiées & mutilées, lui ait fait un tort irréparable.
Ceux qui fe donnent l'autorité de retrancher ainfî des ouvrages de ces
grands hommes ce qu'ils jugent ne devoir pas être communiqué , fi^oieot
bien mieux de ne rien donner au public, que de produire leurs extraits
imparfaits & peu judicieux, oii on ne voit ni l'air ni le génie duMiniflre.
L
CHARGE, f. f. Office, Dignité.
ES deux mots. Charge & office, qui, dans l'ufage vulgaire paroif-
fent fynonimes ne le font cependant pas à parler exaâement ; l'étymolo-
gie du mot Charge pris pour office , vient de ce que chez les Rojmains
toutes les fonâions publiques étoient appellées d'un nom commun muncra
publica ; mais il n'y avoit point alors d'office en titre , toutes ces fonÔions
n'étoient que par commiffiôn , & ces conimiflîons étoient annales. Entre les
commiflîons
f ■ .
1
C H A R G B:
3U
Von appliquoit finguliéremrât le titre de mimera publica , quafi onera ; &
c'eft en ce fens que nous avons appelle Charges en notre langue , toutes les
fonâions publiques & privées qui ont paru onéreufës, comme la tutelle ,
les Charges de police , les Charges municipales. On a aulfi donné aux offices
le nom de Charges, mais improprement. Quelques-uns prétendent que l'on
doit diftinguer entre les Charges & offices ; ,que les Charges font les pla-
ces ou commiffions vénales , oc les offices celles qui ne le font pas : mais
dans Tufage préfènt on confond prefque tou^urs ces termes Charges &
offices , quoique le terme d'office foit le feul propre pour exprimer ce que
oous entendons par un état érigé en titre d'office , foit vénal ou non vénal.
C'eft , dit Bacon , fe fiûre l'efclave du public & du Prince , de la renom-
mée & des affaires , que de prendre une Charge. Etrange ambition de ven-
dre fa liberté pour une ombre de pouvoir, & de confentir à n'être plus
maître de foi-méme , pour le plaifir de commander aux autres } Qu'eft-ca
donc que la route des honneurs? des peines qui conduifent à d'autres pei-
nes : hmefle enchaînement! Encore e(l-ce par les degrés de l'in&mie qu'on
parvient au faite des dignités. Le chemin efl raboteux , le terme gliffimt ,
& le retour un précipice : quand même on pourroit fans honte revenir fur
les pas, en art- on le courage? Des hommes accoutumés à une vie aéti-
ve, (ont inquiets dans le repos. Il leur faut encore du mouvement au
déclin de l'âge ; & des vieillards flétris & défigurés par les ans , vont bra-
ver fur leur porte les railleries des pailans : que nire ? Ils n'exifteroient
plus à leur gré, fi on ne les voyoit
Il feroit à fouhaiter qu'un homme en place jugeât de fon état par l'o«
pinion du vulgaire ; il fe croiroit heureux ; au lieu que , s'il fe confulte ,
il n'eft rien moins fans doute. Nous . fommes les premiers à fentir nos pei-
nes , & les derniers à appercevoir nos défauts. Les af&ures dérobent le tems
de pourvoir à la fanté & au repos du cœur \ on ne peut ni sMtudier , ni
fe connoitre, ni jouir de foi^même.
C'eft un grand bonheur de ne pouvoir pas faire du mal ; mais qu'il efl
beau de ne le vouloir jamais ! L'avantage de faire du bien doit être la re-
Îrle 8c le terme de Tambition ; des bonnes intentions fans aucun effet , ne
eront que des (bnges agréables.
L'élévation d^ dignités efl un point de vue avantageux , qui nous met â
portée de difcemer les maux & les befoins des hommes pour y porter du
fecours : les bienfaits & les fervices d'une ame généreufè & ^ompatiflknte ,
font la véritable récompenfe de fes travaux.
L'imitation eft la traduéUon des préceptes en exemples. Un homme qui
commence , doit fe propofer des modèles ; mais avec le tems il doit deve^
nir lui-même fon modèle , c'e(l-à*dire , régler fes aâions par fes aâionf ,
Tome XI. Yy
\
\
354 C ti A H G !•
& dojnoer des exemples après en avoir fuivis. Les exemples ne tirent Dokt
à conféquence, parce que les tems changent Tordre des cirfeonftances c^ des
opérations qui en dépendent : combinez donc le paflë avec l'état préfent j
par ce qui a été fzit vous verrez ce oui vous relie à faire.
i Chargez-vous de vues générales , laiuèz le détail aux fubaltemes. Ne re«
jettez ni iecours, ni conleils, (uirent-ils inutiles : mais recueillez tout, &
. choifilTez. Que Texercice de votre pouvoir ne foit jamais arbitraire ; ayez
{ des regles^ confiantes, faites-les connoitre, & fi vous vous en écartez, se
laiiTez pas ignorer. les motifs de cette dérc^ation à votre conduite or*
, dinaire.
Un homme en place doit être en garde contre lui-même & contre le$
• autres. Il doit craindre ces inégalités d'humeur oui font traîner les affaires
. par des délais & des renvois étemels. L'affîduité à Tes heures d'audieocf ,
^ efl une partie eflëntielle des fbnâions du Magiflrat ; n^entamez point plufieurs
affaires / fi vous voulez en finir une. La corruption d'un homme public vient
'. de Tes cliens ; liez-leur les mains , & fermez les vôtres aux préfens. Od
appaife les Dieux par des of&andes, parce qu'il s^agit d'en obtenir grâce;
.mais comme on ne doit attendre des Magiflrats, que la juftice^ toutes les
, offres de la féduâion font des attentats contre leur équiiâé.
Qu'on ne vous fbupçonne pas même ; le bien public dépend autant de
l'opinion qu'on aura de vous , que de votre probité réelle. Un homme qui
. changeroît de réfolution fans des raifons manifefles ^ fe renéroit fiifpeél de
paffion ou d'intérêt; n'efpérez pas en impofer toujours. Un confident, m
favori qui fe laiffe aller à des offres brillantes , donne attetnte à votre ri*
: putation ; c'efl la &uff&-porte de la corruption : foyez également ferme con-
tre les fbllicitations ; car fi l'on s'apperçoit que vous cédez à l'importumté ,
on ne fe laflera pas de vous accabler.
La févérité rend la juflice redoutable ; mais la fierté ht rend odieufe.
L^ afironts qui partent de fi haut ^ abattent & défefperent ; applaniâez h
roideur de votre élévation.
Ou l'on reclame un droit, ou l'on folticite «ne faveur; c*efl donc h
jufiice ou le mérite qu'il vous faut confulter. Si le mérite étoit égal, ne
raudroît*il pas mieux le fevorifer dans une condition médiocre, que dans
un homme déjà diflingué par la naiflance, ou les richeffes? Cependant
comme le mérite eA. plus rare chez les gratids y que pamii les hommes
d'une extraftion commune , foit que la vertu ne s'allie pas avec la fortu-
ne i ou que le;s talens ne foient pas un héritage purement gratuit de la
nature , comme la nobleffe efl un grand don ; le mérite tout acqws &
perfonnel , ne fauroit être trop élevé , aux yeux des hommes t il dedam-
mage la terre de toutes les indignités de ceux de fa condition.
^ Les hauts rangs font la place naturelle de la verm ; cependant il feroit
bien étrange qu'un homme devint meilleur au milieu des honneurs ^ c'efi*!^
qu'on coanoitroit le plus éminent de tous les caraâeres»
CHARGE. 551
Ménager la mémoire de fes ^ rëdécefleurs , c'eft aflurer fa réputation au«
prés de fes fuccefTeurs, & les gagner d'avance. Enfin plus vous paroitrez
oublier les droits de voore rang , plus les autres s'en ibuviendronc
Extrait des (Euvns du Chancelier BACON.
u
De la durée ù de la vénalité des Charges.
Nb des choCes qui contribuent le plus au maintien des fociétés jpiH
litiques , eft fans doute la conduite & la capacité des Magiftrats qui com-
mandent fous l'autorité fouveraine.
Mais outre cette partie intéreflante, la maxime de perpétuer ou de chan«
ger leurs Charges , étant elle-même une diflFérence (enfible de la conftitu-
cion, elle mérite, autant qu'aucune autre ^ d'être dKçutée, & qu'on en
connoiife l'utile &' le défefhiéux. Je commencerai par rapporter les raifons'
pour l'une ou pour l'autre des deux méthodes ; elles fe prefentent en foule.
Si la vue principale de toute fociété civile doit être de former des ci-
toyens vertueux, l'ufage des moyens qui pourront concourir à cet objet
(fl précieux : dans cette idée le légiflateur doit offrir k tous les yeux 1er
récompenfes du mérite; ce /peâacle aiguîHonne les fujets, il les élevé»
Les dignités^ les Charges font cette récompenfe : il en efl pour tous les
hages; «quoique l'honneur, en oppoiîtion avec l'intérêt, foit le prix le
plus analogue à la vertu, cependant il réfuUe du mélange de ces deux
rontraires, un tout fouvent neceflaire, parce qu'il eft ordinaire de trouver
snfemble le mérite & les besoins.
Or, feîre renaître plufieurs fois l'occafion de ces récompenfcs, c'eft ,
Jour ainfî dire, en multiplier le nombre; c'eft centupler l'efoérance qui»
eule anime ; c'eft centupler ]cs efforts pour mériter : tel eft l'effet des
Charges à temps. Les perpétuelles éteignent l'efpoir : il ne peut languir
)ue l'émulation ne s'attiédifte ; elle laine revenir la nonchalance qui nous
;ft fi naturelle & fi préjudiciable au bien de la fociéré civile.
Iroit
rit
e livre à i'enviê, à la jaloufie, à la haine contre les préférés & le gou-
rernemenr. Les récompenfes rares rendent le mérite peu commun.
Ces raifons paroiflent frapper plus direâement fur les fujets à talens ; ob '
\n trouve d'autres qui intéreflent la mafte générale. '
Il eft dans Tordre des chofes que la perpétuité de la Mag;iftrature y intro-
luife la corruption. On en peut voir un exemple dans le portrait que fàit^
rite-Lîve de celle de Carthage, » Dans ce temps-là, dit cet auteur, l'or-
> dre des Magiftrats dominoit à Carthage , principalement parce qu^ils étoient
> juges perpétuels. Les biens , la réputation 6c la vie étoient en leur puif- '
* faace } celui qui avoit l'un d'eux pour ennemi , les avoit tous «.
Yyi
i^$ CHARGE.
La FaiCon de- ce HCorirt eft bien naturelle^ Une çoofermité de Mwir-
trature , fur-toût danf* un même tribunal ^ forme des liaifbns d'amitié , d'al-
liance , de bienféance ou d'habitude ; la perpétuité les rend comme nécef-
faires. Qui accuferâ le Magîftrat étayé de les collègues? qui le condamnera?
Les alliés de fes parens^ leurs amis & les liens feront fes juges & ceux de
fon accufateur.
L'efpérance dé l'impunité eft la mère du crime , & la crainte de lac-
çu&tion la ^onfervatrice du bon ordre. Flutarque loue hautement la cou-
tume des Romains qui excitoient les jeunes gens à accufer ceux qui avoient
géré qudcjue Magiftrature. Les malverfatîons recevoient la punition qui leur
^coicdue; & lorfque ceux qui avoient accufé devenoient Magiflrats II leur
tour , ils étoient éclairés de Ti prés par ceux qu'ils avoient accufés ^ qu'ils
i^'auroient ofé en&eindre ni négliger leurs devoirs , quelque penchant qui
les y eût portés.
Si la MagiHrature étoit annuelle ^ les juges & tous ceux qui ont en maia
Tautorité craindroient ce que les Tribuns difoient à Manlius : 9 qu'on lut
» feroit rendre compte de fes aéb'ons ^ lorfqu'il fer oit homme privé , puif-
9 qu'il ne vouloit pas le rendre étant Conful ^. ^
Les Magiftrats fubalternes échapperoient de même à la ^punition. Feu
d'hommes ont le front de punir dans les autres les fautes pareilles à celles
dont ils font eux-mêmes coupables.
On ajoute que la confervation des biens publics recommandée par fa
nature à tous les citoyens , fouffre auffi de la perpétuité. Ceux qui n'y ont
& qui n'y efperent aucune part , n'en prennent aucun foin. Ceux qui font
parvenus pour toute leur vie aux honneurs qu'ils ont ambitionnés « la aé-
gligenr. , ^ ^
Ces raifons ont paru autrefois affez puiflantes pour donner lieu i iu
loix qui enécoient les conféquences. On lit dans les commentaires de Cé(àr
que la ville d'Autun, une des plus conlidérables des Gaules, avcmunc
loi inviolable qui défendoit la continuation des Magiffra^s au-delà d'une année.
, Cette loi ne s'écoit pas arrêtée aux perfonnes ^ elle avoît prévu l'incon*
vénient de perpétuer les Charges dans les &milles ; elle ne permettoir pas
qu'un frère , qu'un proche parent pût être! Magiftrat , ni même Sénateur ,
pendant la vie du premier qui l'avoit été. On craignoit que la longue pof'
feffîon ne donnât trop d'autorité i cette autorité trop de crédit parmi les
autres Magiftrats ; ce crédit une efpéraoce de l'impunité v & cette efpérance,
de la hardieffè à faire le mal.
. C'eft dans ces n^êmes vues d'éviter ce qui pourrait tendre à k corrupnaflt
que Charles V , & avant lui , Philippe-le^Bel » avoit ordonné en France que
perfpnne ne fût juge dans le lieu de fa naiffance. Les Etats du Languedoc ,
animés du même efprît, demandèrent en i^^6 que deux proches parens ne
puffent être Magiftrats dans un même tribunal ; & les Etats-Géi^aux du
Royaume de France tenus à Orléans ^ quatre ans après, firent la même demande.
C If A R G $« 3^7
^ Ctci ài&tt à la vérité de la perpétuité^ mais on y voit une jufte crainte
/d^migmenter l'autorité. Si on la regarde comme pernicieufe au public^ lé
^rpétuité dans les Charges la donne bien plus grande»
Ces demandes des Etats donnèrent lieu a des loix conformes pour tout
le Royaume. Ces. loix n'ont point fubfiflè; û on en d^rche les railbns, on
s'a£u>ercevra que c'eft parce que les Charges font perpétuelles. i
En eflèt, il n'eft pas jufte que le citoyen rempli de mérite devienne
inutile à la république & ne puifTe afpirer à une récompenfe de Ton Etat ,
parce qu'un de fes parens en aura obtenu une pareille. S'il ne la poftëdoit
Sue pour un*temps, l'obftacle, ne feroit pas de durée. Les ordonnances
onnées fur* la requête des peuples^ & fondées fur des confidérations légi-^
times , feroient encore en vigueur.
Les maux qu'ont caufë la longueur des nxsigîftratures & le défîr de s^y
perpétuer , font des leçons bien frappantes pour faire éviter cet abus. La
continuation des décemvirs ^ changea à Rome le gouvernement Démocratie
que Cfn^ Oligarchie V & la foif des honneurs qui dévora Marius^ fut le pre^
mier mobife qui le changça enfin en Mpnarchie. Six Confulats obtenu;^
lui firent efpérer le feptieme v/pûMt y parvenir ^ il fit décréter par le peu-
ple qu'il cominueroit la guerre de mithridate échue par le fort i Sylla«
Telle fut la iburce des malheurs de la République, & d'où découlèrent
des fleuves de fang du genre hun^un.
. Il fetx>it trpp long de détailler les noms de ceux que la prorogadon des
Charges a porté à la tyrannie.
Àmfi ,on compte dans les. effets funeftes de l'autorité perpétuée dans les
verfement des États.
5'il éfoit néceflaire d'ajouter à des motifs fi puiflans de rendre les Char*
ges annuelles, des exemples & des autorités , on trouveroit l'un & l'autrç
dans toutes les ancietmes, Républiques , da^s la plupart des modernes , <&
chez tous les fameux légiflateurs, philofophes & jurifconfultes.
. Le fentiment :c'ontraire a fes nartifans & fes raifons. On dit qu'il eft plus
cooîorme au bien public de laiiTer les Magifirats pendant leur vie, que de
les déplacer^ lorfqu^ils commencent à peine à connoître quelles font leurs
véritables fondions ; que le commandement fe trouvera toujours dans des
mains peu capables & peu expérimentées , fi celui qui *le prend ne le çon«
nokpas & le quitte avant même de l'avoir bien coniui ; la vie de l'homr
me iufiît if peine pour apprendre à commander. .^
Outré l'art de commander, chaque nature de Charge a un' objet parti-
culier de, commandement qui demande des connoiiTances particulières : un
coup-d'œil , un moment de réflexion de l'homme confommé .dans l'exer-
cice , voit plus de chofes » trouve plus de reflburces , que le nouveau ma*
3^8 C tt A R G E.
piftrat, avec plus de capacité & moins d'expérience , fte feroit en plufieon
]ours« Le génie ne fumt pas : être bon magiftrac ou bel-e(prit , lont des
chofes bien diffërentes. Les plus fages tâtent le jerrein } c'eit le temps &
apprend Ici
lu'ii en exa«
conduit par
degrés à acquérir les lumières les plus convenables ; fi Ton fuppofe , en un
mot , qu^il a les talens & Texpérience que Pon doit défirer ^ c'eft un mal*
keur pour la république qu'il exerce peu de temps.
Une année ne iuflit pas pour des changemens utiles au public ; on ne
peut achever, dans un fi court efpace Tentreprife l'a plus commune. Ce
terme eft quelquefois trop court' pour terminer les choies ordinaires & de
légère conléquence; les meilleurs projets font avortés, les afBdres demeu-
rent indécifes , les adcufatioos abolies , les peines fi>nt remifes ou du moios
différées; les nouvelles vues de celui qui fiiccede^ font détruire ou aban-
donner des ouvrages commencés. Changer fouvent les magiflritts » c'eft
enfemencer des terres & les retravailler .dé nouveau , fans attendre la ma^
curité des fruits.
Si le pouvoir de commander donne celui de fouler les peuples, ils fou(
friront encore plus du changement des magifirats, que de leur perpétuité.
Tibère fut le premier qui prolongea la durée des Charges chez les Ro^
mains. L'hiftoire qui rend compte des qualités odieufes de ce Prince, ap*
prend en même temps que PEmpire n'en eut ppint de pliis habile dans
Tart de gouverner. Ce changement fut la fuite de fes ré0éxions & isî
exemples qu'il avôit fous les yeux. Il dtibit^ qu'il valpit mieux laiflèr lei
fang-fùes pleines de fang, que d'en attacher n'afFamées.
Où Pobéilfance n'eft point établie , on x^t peut trouver le bon gouve^
nement. 5i on confidere la durée des Charges dans ce point de vue, on
ne peut admettrç les changemens continuels.
L'obéiflance ne fera pas la même pour les ordres de celui qui doit
redevenir incelTan^meht une perfonne privée. Le magiftrat lui-même ne
voudra pas commander avec la fëvérité convenable ppur fe faire obéir, &
fouvent il nç voudra point du tout commander. Il craindra de s'attirer d^f
ennemis dont il pourroit éprouver le reffentiment , lorfque l'autorité li)^
manquera pour s'en. mettre à l'abri.
Si fon éizi eft perpétuel , il commandera avec dignité , il méprifera d»
inimitiés dont il n'appréhendera pas les atteintes. Un'pouvoii: qui i^/^
durer autant que la vie ^ donnç d'autrçs fentimens qijé Iç pouvoir
paflâger^ . ^
Lés nouveaux projets, les nouveaux plans de gouverner, lès nouvelles
loix accompagnent pour l'ordinaire les nouveaux magîftrats.. Quelle q«^
foir la fagelTe d'un- projet commencé , la gloire de le finir n'âft pas bien
C HA R G e:
81f
•grande; Il ne'refte au magiftfat, dont la fotiâion ne doit avoir qu'une
courte durée, que l'ambition de perpétuer la mémoire de fa magiftrature.
Des établiffemens qui y auront pris leur origine, des monumens auxquels
on donnera fon nom, font les feules manières d'y parvenir. Le public
en fera accablé.
On a vu des magtftrats pour un tethps, commencer tout ce qu'ils ont
cru pôffîble^ bon ou mauvais, pour empêcher leurs fucce(teurs d'entre^
prendre rien de nouveau , & les forcer , pour ainfi dire , de continuer des
deffeins dont l'idée ne leur appartiendront pas. Leur erreur eft bien grande
& bien préjudiciable aux peuples. L'efprit de l'homme ^ ne tarira jamais
pour trouver des imperfeâions dans les ouvrages commencés & de pré-
textes pour former de nouveaux projets.
Ce n'étoit point l'amour de l'égalité , ni un défir fincere de foulager les
peuples , qui portoienc les nouveaux tribuns à renouveller la proportion
des loix agraires & de l'abolition des dettes. C'étoit l'envie d'éternifer
leur nom & de réuffir où leurs prédéceffeurs avoient échoué. Cette ma-*
nie leur fàifoit braver les dangers auxquels ils expofoient leur perfonne te
leur patrie.
La coutume de donner aux loix le nom de ceux qui les avoient pro*-
pofëes , en inonda la République & fit abroger les anciennes & les meil-
^leures. Plus l'exercice de la magiflratiire efl court, plus on voit le bien
public fouflrir de ces abus.
On ne manque, pour ce fentiment, ni d'exemples, ni d'autorités; les
monarchies en fbnrnifTent un grand nombre , & le célèbre Platon a aie
les officiers perpétuels dans fa République.
Deux écueils font fouvent échouer ceux qui cherchent des règles pour
établir des fociétés politiques ou les raflTurer : l'un efl de s'arrêter aux in^
eonvéniens d'une loi, fans en pefer le bien; l'autre eft de courir aux
extrémités , fans s'arrêter dans les milieux. Platon a voulu que les Magif^
trats fuflent perpétuels, c'eft une extrémité: Ariflote, Ton difciple & fon
rival , qui a apperçu des inconvéniens dans cette infHtution , n'a pas cher-
' ché à les diminuer ; il s'eft précipité dans l'extrémité oppofée , il a voulu
que les Charges fufTent annuelles.
Mais aucun des deux n'a fait une attention afiez fërieufe à ta diftinâioa
ée l'efpece des fociétés civiles, d'où dépend l'avis le plus probable fur
cette queflion. On ne fàuroit nier que les Républiques contraires ne doi-
vent gouverner par des principes contraires. Les loix qui font propres à
l'fitat populaire, détrmroient la Monarchie. Ce n'eft pas qu'il ne puiffey
avoir des règles communes à tous les États pour leur ftabilité^ mais il
efl néceffaire qu'on en établiflë qui foient entièrement dtffemblables.
Dans l'État populaire , chaque citoyen participe à la fbuveraioeté ; par
une conféquence légitime, chacup y a un droit égal aux Charges, aux
honneurs, aux difiinâions. On ne peur les rendre perpétuelles, faniôtfer
3^0 C *H ^ R G R
à plusieurs rdpértnce i\ parvenir, & en mème^teii^ ftni les fnytt
4'ua droit qui leur appartient à jufte titre. .
Il eft donc de la |y(lice que les Magiflrats foiene changés , afin que
chacun félon Tes talens exerce. le pouvoir de cpnuaander donc il eft co-
[propriétaire. Inégalité eft la bafe de la démocratie ; elle feroit détruite , fi
'autorité étoit permanente ; elle doit circuler.
Les mêmes railbns. Ou fernblables à-pep-près , autorifent le même ufiiae
dans Tariftocratie : le nombre des fouverains y eft très-grand ; il eft jufte
que le pouvoir roule entr^eux \ il feroit d'ailleurs dangereux dans Tun &
dans Tautre que de trop longues magiftratures oe pulfenc conduire ï la
fouverainecé.
La Monarchie ( je ne parlerai ni de la fiîigneuriale ni de la tyrannique)
n^of&e point de raifons pareilles. Nulle ombre de fouveraineté ne donne
un droit au fujet fur les Charges , & l'égalité n'eft pas le principe de
cette forte d'État : les Charges y peuvent être ^perpétuelles lans iQJufti-
ce ; mais il refte toujours à examiner s'il eft utile au bien public qu*ellei
le foient.
Comme on doit diftinguer les fbclétés civiles, on doit aufli diftioguer
les Charges. Il y a peu de danger dans toutes fortes d'Ëtats^ d'en rendre
quelques-unes perpétuelles. Telles font celles qui n'ont point de comman-
dement , qui ont des fupérieurs pour veiller à leur conduite ; pour écou-
ter les plaintes auxquelles les titulaires doimeroient lieu^ & y mettre or-
dre; & dans lefquelle^ cependant une certaine expérience rend plus habile
& plus utile au public.
On pourroit ranger dans cette clafle les Charges de judicamre fubal-
terne : quoiqu'elles jouiflent du droit de commander; elles font (1 fubor-
données, que la perpétuité n'y peut être nuifible. . La difiiculcé ne peoc
router que fur les Charges copudérables & qui méritent le nom de
dignités.
Le Monarque doit des Magiftrats à fes peuples ; mais il ne doit de
Charge à aucun de fes fujets. Le feul mérite y donne des prétentions de
convenance 9 & Tintérêt du bon ordre & du bien public ne doit pasper*
mettre que des prétentions fondées fur ce titre foient chimériques^
Si l'on fuppoie des Charges remplies fur ce principe , un honneur n'eft
pas une trop grande récompenfe de la vertu , quoi qu'il doive durer aor
à commander apprendra toujours le chemin qui doit y conduire. La verto
ne périra que lôrfque l'on verra donner des Charges fiins difcernement.
Ainfi ^ dans la Monarchie, la perpétuité des offices n'eft point une in*;
juftice , elle n'eft point nuifible à la vertu ; elle ne doit caufer ni haines ni
jaloufies^ encore moins le renverfement de l'£tac : ce font des craintes
particulières
K
CHARGE. 36t
particulières aux républiques : il eft vrai qu'il faut fuppofêr que le mérite
règle le choix ; c'en un fyfléme qui n'eft pas toujours fuivi.
Quoique ceci regarde les Charges de diilinâion en général , il efl ce«
pendant convenable d'en Hiire encore réparation* Suivant cette maxime ,
qui doit être obfervée dans les trois républiques , que plus le pouvoir eil
grand, plus il doit être limité pour le temps, les grandes Charges , j'en-
tends celles dont toute l'autorité réfide fur une feule tête & où elle eft
grande, ne doivent être données dans la Monarchie que comme des com-
miflîons. La politique du Monarque & l'intérêt des peuples le veulent
ëgaleme^it.
Mais ce feroit une chofe préjudiciable aux citoyens, fi les Charges oii
Ton attache le droit de juger en dernier reflbrt, & que je place dans le
fécond ordre, étoient fu jettes à des deftitutions & des remplacemens con-
tinuels. C'eft-là où l'étude & l'habitude de la vie la plus longue fuffifent
à peine pour apprendre à fervir dignement le public.
S'il e(t utile que cette Magiftrature foit donnée pour la vie, il eil en«
core plus effentiel que la Charge n'en foit point unique dans chaque di(^
tria : un feul homme peut être corrompu; il n'eft pas facile d'en corrom-
pre plufieurs. Un homme feul fe pervertit lui-même , il demeure intègre
orfqu'il a des témoins.
Le nombre fert de plufieurs manières. Des raifons débattues, des lu^
mieres communiquées produifent un jugement plus judicieux. On a tou-
jours connu la différence , cùm univcrfi judiccs conftituunt , ou lorfV
que finguli fcnttntiam fcrunt. Le nombre attire la confiance , il imprime
le refpeâ.
Si ces Charges doivent être à vie, fi le plus grand malheur qui pour-
roit accabler les peuples , feroit qu'elles fufTent uniques , il réfulte de ces
deux objets la néceffité de confier la juftice à des corps perpétuels. Tout
doit être fixe oii il s'agit de faire régner l'ordre ; rien ne doit être incertain
où il ^ut affurer la paix des familles & des citovens : il faut que les peu-
ples fâchent irrévocablement où ils doivent s'adreffer pour réclamer la
luflice. Rendre fon fiege variable , indéterminé , c'eft à peu de chofe prèg
la refiifer.
Cet ufage des corps de Juftice, admirable dans toutes les natures de
irépubliques, fera d'une abfolue néceffité dans les monarchies. Aucun Etat
«le peut fubfifter s'il ne pofe fur des fondemens folides; ces fbnden>ens
ue peuvent être que les loix. Elles doivent établir une forme de gouver-
nement conforme aux génies des peuples & au local ou territoire , qui
différencie le commerce & les befoins. Toutes ces chofes influent dans
les loix fondamentales. Les Monarchies ne peuvent être uniformes, &
leurs différences doivent être conftatées.
La conflitution du gouvernement ne peut être maintenue qu'autant que
les loix particulières qui l'établiifent feront confervées dans un corps qi^
Tome XI. Z z
j^x CHARGE. ^
en ferft It ^épofitaîre. Son devoir fera de les reprëfenter toutes les fois que
par oubli ou par quelqu^antre motif, le Monarque ou les peuples les per-
droient de vue. Si cette ptécaution eft fupprimée. ce n'eft plus la même
ferme de gouvernement; c'ell un delpotiime^ on perd de vue la Monar-
chie Royale.
Dans' les républiques populaires & ariftocrattques ^ les fénats, les con-
seils perpétuels conferveront la mémoire de ces loix. 11 paroit convenable
de charger de cet ofHce les cours de juftice dans la Monarchie » & par
conféquent qu'elles foient permanentes comme les loix mêmes. On pour*»
roit abiolument ériger un collège uniquement chargé de ce foin, mais ce
feroit multiplier les êtres fans néceilité; & ce corps feroit comme le Ma-
giftrat unique qui rendroit la juftice feul & fans appel , d'où découleroieot
des abus énormes.
La durée d'un corps perpétuel ne fuppofe pas que les membres qui le
compofent y foient attachés pour toute leur vie. Il feroit mieux en effet
de les changer dans les républiques. La Monarchie doit encore avoir ici fec
règles à part.
Si , comme je l'ai déjà fuppofé , les places font données au mérite ; ù
les chofes font bien, il eft inutile de les changer, & il y a un inconvé-
nient fenfible à le faire. Un Roi environné de couràfans ne fauroit répon*
dre de lui-même; le Magiftrat vertueux, pour récompenfe de fes fervices»
fera forcé de céder fa place à celui qui aura eu l'ame aflez baffe pour
acheter de la proteâion. Ce feroit un malheur inévitable , fi les Charges
ëcoient en commiffîon : cette réflexion trouvera encore fa place.
Chaque forme de gouvernement doit donc avoir fes différences. Dam
la Monarchie , il eft convenable que les Magifirats ne foient point deftttués
lorfqu'ils n'auront pas mérité de l'être , parce que cet Etat , à la différence
du defpotique, fe conduit par la jufticé oc par les loix, autant qne les loii
peuvent s'étendre. H Y a un gouvernement pour les efclaves ; il en faut
un autre pour les enrans.
Dans les Républiques , les Charges ne doivent pas être perpétuelles ,
^arce que chaque citoyen a un droit de les exercer à fon tour.
Il reftera çncore à évitçr les extrêmes & les maux qui réfultent et
l'autorité donnée pour trop long-temps , ou pour un intervalle trop abrégé.
On ne peut fe refufer à convenir qu'ils font palpables des deux côtés; on
doit rechercher les milieux. Dans les Etats répuolicains , il faut fe rappro-
cher de la perpétuité autant qu'il fera poffîble , & dans la Monarchie dooficr
à la perpétuité même les allures du changement.
On réuflira dans les Républiques par l'établiffement des corps perpétuels*
Il faut au milieu du mouvement quelques points fiables, qui, comme les
pivots fur lefquels roulent fans ceffe les gros fardeaux , doivent être in»-
mobiles. Les membres de ces corps ne feront pas perpétuels, mais ils peu-
vent ne pas changer chaque année. Il eft utile de fixer un plus long tera^
à la magiffarature.
CHARGE. 363
Si ces corps ne font pas renouvelles à la fois , ni même la majeure partie ,
le même elprit s^ confervera ; ils agiront fur les mêmes principes , &
oblieeront le Magifirat particulier , fur lequel ils auront une infpeâion ,
de le conformer à leurs vues & de fuivre les projets entrepris.
La République encore fe réfervera la faculté de proroger le terme fixé à
chaque Magiftrat. Les occafions , les circonftances peuvent rendre cette
pratique utile ; elle efl quelquefois néceflaire.
Mais comment pouvoir éviter dans la Monarchie la corruption , l'impu-
nité , l'oubli ou la malverfation dans la chofe publique , vices qui paroifTenc
dériver de la longueur de l'autorité. J'ai déjà remarqué que l'on peut &
que l'on doit y laiilèr plufieurs Charges révocables : comme ce font les
principales , fi on parvient par ce changement à les remplir de perfonnes
qui en feront dignes ^ ce choix ne contribuera pas peu au bon ordre
général.
Les Charges du fécond rang , comme on vient de le voir , font plus par-
ticulièrement les Charges de juftice. Leurs opérations s'étendent à des objets
qui peuvent facilement être féparés & qui le font le plus fou vent. La juf-
Qce, même la diftributive » regarde les afikires civiles & les criminelles »
la police générale & particulière. On y peut divifer les difcufliions que font
naître le commerce , les aides & finances , le domaine de la couronne. On
pourroit diflequer à l'infini.
Je fuppofe d'abord un nombre de Magiilrats du même ordre, fufHfanc
pour juger définitivement fur toutes ces matières ; que l'on imagine enfuite
bliques, de ne point changer un tribunal à la fois; que ceux qui auront
iervi enfemble dans le même, foient repartis dans les autres féparément^
& que jamais le même tribunal n'admette ceux entre lefquels il y aura de
la parenté » on aura des oâSciers perpétuels dans un fens & amovibles dans
tin autre.
On évitera encore Tinconvénient de l'autorité perpéraée, fi ceux qui fe«
ront à la tête de ces tribunaux , ceux qui y préfideront , n'occppent ces
places que pour un temps limité ; fi , tirés du nombre de leurs confrères ,
ils reprennent au bout d'un certain temps leurs fondions fimples & ordi-
naires. Cette règle eft à mon avis auffi effentielle qu'aucune autre.
La délicatefie trop répandue de regarder comme une honte d'occuper
un emploi inférieur à celui auquel on a été une fois élevé , prouve que l'a-
xnour-propre prend le deffus fur l'amour du bien public : dès-lors il eft
mal-entendu , déréglé i c'efl une dégradation dans les mœurs. Ce fentiment
fîit ignoré dans Rome jufques au temps de Marius. •
Les différentes occupations dont j'ai parlé plus haut , ne demandent point
des connoifiances univerfelies ; les matières font liées l'une & l'autre , &
Zz a
3^4 CHARGE.
Texpérience dans un de ces tribunaux fourniroit des lumières pour le (êr-
vice des autres.
Si on veut réfléchir fur ce qui a été relevé ci-devant des dangers de la
perpétuité des Charges, on les trouvera extrêmement diminués par cet
arrangement. Je ne difconviendrai pas qu^il en laifle fubfifier ; les hom-
mes ne connoifTent point de loi qui en foit exempte.
Si on ajoure à ces précautions des préfets de province, des infpec-
teurs , ou , fi Ton veut , des commifTaires , pour éclairer la conduite des
inagiflrats, & fi l'on autorife une manière de donner des plaintes qui ne
fera pas connoitre Taccufateur , les inconvéniens feront bien radoucis } oa
aura peu de chofe; à craindre de la perpétuité des Charges.
Ce que l'on a vu jufqu'à préfént fur la perpétuité des Charges , fëm*
ble ne laiflfer rien à dire contre leur vénalité. Si elles font vénales, elles
font perpétuelles & peut-être encore héréditaires. Ces deux circonftancei
ajoutent aux maux qui réfultent de la perpétuité.
Si les talents , fi le mérite ne mènent plus aux récompenfes , les ci-
toyens ne fongeront plus à les cultiver. Si les richefles feules conduifent aux
honneurs , le feul fouci des hommes fera d'en amafler. L'avarice , Vuhte^
la mauvaife foi feront les moyens les plus prompts & les plus affurés de
fe faire confidérer.
Quelle peut être la pofition d'un Etat où les vices feront , pour aiflli
dire 9 de principe, dés lors qu'ils feront des degrés pour fe conduire)
l'élévation ?
On ne fauroit nier la jufteflfe de ces réflexions ; les précautions ne peu-
vent trop fe multiplier dans un corps politique que l'on voudroit former , &
dans ceux qui le font garantis du malheur de la vénalité des Charges.
Mais lorfque des befoins quelconques ont obligé une fois de recourir à
cette reflource, on n'y doit plus efpérer de remèdes.
Cependant il eft des vérités certaines dans la fpéculation , qui fe trouè-
rent douteufes dans la pratique , ou du moins qui font inapplicables à de
certaines circonflances. Il faut pourvoir aux Charges; on en cooDoit
quatre manières , le fort , l'éleâion faite par plufieurs , le choix qui dé-
pend d'un feul & la vénalité. Le fort & l'éleâion paroiflènt appar-
tenir plus particulièrement aux républiques i le choix & la vénalité aux
monarchies.
Je demanderai que l'on diftîngue les grands royaumes des petits. Ces
derniers peuvent être d'une étendue aflez médiocre, pour que le Prince
connoifle par lui-même la claffe des fujets propres à remplir les Chargci
de quelque importance ; il eft alors en état de faire de bons choix. Mais
il eft fi rare que de petites monarchies puîflTent fubfifter , qu'il eft inutile
de s'arrêter aux règles qui leur feroient convenables : c'eff fur celles de
quelque étendue qu'il faut raifonner. J'ofe dire que la vénalité des Char-
ges eft alors préférable au choix: je ne crains point d'avancer ici ^
p2iradoxe.
CHARGE. ^6%
Le monarque ne peut nommer que fur le rapport de fes miniftres : le
inîniftre connoit aufli peu les fujets que le monaraue; il préfente ceux
qui lui font préfencés par ceux qui l'environnent j oc ceux-ci parlent fou-
vent fur d'autres recommandations plus éloignées ; il eft difficile que dans
autant de mains il ne s'en trouve que de pures.
On n'a d'autre témoignage du mérite que celui des perfonnes qui s'in--
térelTent & qui protègent ^ c'efl fur eux que la bonne foi du monarque
eft obligée de fe décider. Ces témoignages font-ils gratuits? Eft-ce la vé*
rite qui les détermine ?
Si c'eft ce qui compofe la cour du Prince qui difpofe indireâement
des Charges , je renvoie le leâeur au portrait des courtilans que l'on trou-
ve dans l'£fprit des Loix & à fes propres connoiflances ^ pour qu'il juge
de l'équité de cette diftribution.
Lorique le miniftre plus circonfpeâ voudra puifer des lumières fur les
qualités des fujets , chez ceux auxquels la principale autorité eft confiée dans
l'Etat , il paroit d'abord qu'il pourra faire un meilleur choix : mais fi celui
qui s'enorgueillit de repréfenter en quelque manière le Prince , a auffi fes
courtifans , qui repréfentent ceux du monarque ; fi des gens avides poflè'"
dent fon oreille & fii faveur , les chofes demeureront dans le même état«
Si d'ailleurs, par une fatalité attachée aux poftes éminens, le princi-
pal objet de ceux qui les rempliffent , eft de franchir les bornes légitimes
de leur autorité, pour l'attirer à eux auili abfolue qu'il leur eft pofllible,
ils regarderont le mérite dans les magiftracs , comme un obftacle à cette
ambition , & le mérite fera une exclufion pour parvenir aux Charges. Il
n'eft pas poflible que les hommes aient toujours "été affez vertueux pour
qu'on n'en ait pas vu plus d'un exemple.
La vénalité publique n'a pas à beaucoup près les mêmes inconvéniens/
On ne doit pas croire qu'elle éteigne entièrement la vertu.
Ceux que leur état invite à afpirer aux Charges , & auxquelles leur
fortune le permet, peuvent chercher à s'en rendre dignes. L'amour-propre
bien entendu doit feul * infpirer ce fentiment. On eft natté d'être diftingué
entre fes collègues : où les honneurs & les fondions font les mêmes, le
mérite forme toute la diftinâion. Il eft vrai que l'aiguillon n'eft pas auffî
vif que lorfque les talens cultivés & bien employés peuvent élever plus
haut; mais enfin ce fentiment ne laiffe pas languir dans une entière
léthargie.
Le choix entraine la vénalité couverte, c'eft le comble des maux dans^
ce genre. Lorfqu'on ne peut parvenir aux dignités que par la faveur, il eft
rare que le défir de l'obtenir ne conduife à des bafteffes. La vertu ne' fait
point marcher par des fentiers ignobles. Elle ne rougira pas d'acquérir les
honneurs, lorfque l'acquifitioo en eft autorifée par un ulage ouvertement
approuvé \ mais l'honnête homme dédaignera la charge à laquelle il ne
pourra parvenir que par des voies qu'il n'ofera pas avouer publiquement^
3J5(5- CHARGE- '
Si le fhérice fe retire, la magiftraciire fera abandonnée i des âmes vitesr;
elle fera la preuve d'un défiiut de fentiment. Le public ne tardera pas d^é*
prouver ce que difoic l'£ii^>ereur Alexandre : que des perfonnes de cette
trempe » vendent en détail le plus chèrement qu'ils le peuvent ce qu'ib
» auront acheté en gros, a
La vénalité publique laifle à la vertu quelque accès aux Charges. La vé-
nalité clandeiline l'en écarte & l'en exclut.
Les mêmes réflexions conduifent à donner la préférence aux Charges
perpétuelles. Si le choix entraîne autant de défordres, c'eil encore un mal
d'en multiplier les occafions. La perpétuité des offices les rend plus rares ,
elle conviendra mieux à la monarchie que le changement.
Lorlque j'ai dit que dans un royaume étendu , le monarque ni fes mioif-
très ne pou voient ikire de choix fur leurs, propres connoiflances ; que la
faveur & la protection du minifire & des grands étoient le plus fouvent
achetées, même à leur infçu; que ces derniers éloignoient le mérite de
la magiftrature plutôt que de l'y placer ; que l'honnête homme ne voudroic
pas devoir l'honneur d'une Charge à des intrigues fourdes, & que, par
une conféquence nécefTaire , elles feroieiK dévolues à des gens capables de
les acquérir par toutes fortes de moyens ; je n'ai point confulté l'expérien*
ce. Ces réflexions font prifes dans les lumières naturelles & dans la con-
DoifËince du germe de corruption placé dans le cœur humain. Sa pente le
porte vers le vice, il la fuivra toujours, fi. on ne l'arrête par des entraves.
Ces entraves feront les bonnes loix qu'il faut prendre de même dans la
connoiflknce des hommes.
Il efl un juge intègre qui difceme parfaitement le mérite, qui l'aime
& qui lui rend ju(lice : c efl le public. Ce feroit au peuple que devroit
appartenir le choix de fes magiftrats ; pluiîeurs républiques jouiffent de
cet avantage. Il conviendroit encore mieux à la monarchie avec laquelle
on a tort de croire qu'il foit incompatible.
Le droit de commander, quel qu'il foit, eft important dans les répu-
bliques. Les grands emplois auxquels le peuple nomme comme aux moin-
dres, font d'une confèquence alTez grande pour mériter des brigues qui
vont jufqu'à le corrompre & le gâter. Dans la monarchie , toute autorité
eft obfcurcie par l'autorité royale ; encore plus les féconds pouvoirs qui
font les feuls dont je parle ici. L'objet en trop peu confidérabie pour
diminuer l'éclat de l'autorité fouveraine, & pour faire craindre des brigues
qui puiflent tendre à la corruption.
Les Charges devroienc être encore alors perpétuelles pour deux raifoos.
Il ne faut pas tenir le peuple toujours en mouvement ^ & fi la magiftra*
ture avoit un tems limité , les intrigues & les cabales pour remplacer I^
magiftrat au bout de fon terme , commenceroient le jour qu'il (eroit élu*
J'ai dit que les brigues ne feroient point dangereufes. Leur inconvénieoJ
confifle uniquement en ce qu'un choix de cabale n'eft pas libre , & qu'il
^
CHARGES M U N I C I P A L E S, -;^7
«ft rarement im bon , choix. Une éleâion faite dans les pi^nners momenir
de la mort du magifirat, laifTeroot peu de loifir à la cabale pour la
fidre prévaloir.
Dans un gouvernement déjà fomSé ^ le Souverain ponrroit ^ par (à bonté ,
condefbendie j cet ufage; on en pourroit faire une loi dans une conftitu*-
tion nouvelle qu'on étabiiroit. fille feroic un des bons moyens pour rap*
peller la monarchie à la venu.
Mais cette loi feule ne fuâiroit pas pour donner les Charges au mérite.
II faudroic encore , par des règles féveres , interdire toute influence à
ceux qui exercent l'autorité royale dans les proviiH:es. Il eft comme déi-
cide qu'ils chercheroient à fe rendre maîtres des éleâions par cous les
moyens poflibles. Si la liberté du peuple écoit gênée , la loi deviendf oit
inutile ; le choix dépendroit de la proteâion (>rivée ; la vénalité publique
vaut encore mieux.
m
L
CHARGES MUNICIPALES.
E S Charges Municipales font celles qui obligent à remplir pendant
un lemps certaines fbnâtons publiques, comme à l'adminiftration des affai-
res de la communauté» à la levée .des deniers publics ou communs, & su-
cres choies femblables.
Elles ont été furnommées Municipales^ du latin Munia^ qui (ignifie des
ouvrages dûs par la loi , & des fondions publiques ; ou plutôt de Muni-
tipium » qui fignifioit chez Ids Rcmiains une ville qui arvoit droit de fe
gouverner elle-même fuivant fes loix , &.de nommer fes MagiArats & au-
tres Officiers.
Ainfi dans Torigine on n^appelloit Charges Municipales ^ que celles de$
villes auxquelles convenoit le nom de Municipium.
Mais depuis que les droits de ces villes municipales ont été abolis ^ &
que l'on a donné indifféremment à toutes fortes de villes le titre de Âfi/-
nicipium , on a auffi appelle Municipales toutes les Charges ^ fonâions
publiques des villes, bourgs, & communautés d'habitans , qui ont confervé
le droit de nommer leurs Officiers.
On comprend dans le nombre des Charges Municipales , les places de
Prévôt des marchands , qu'on appelle ailleurs Maire , celle d'Echevins ,
qu'on appelle à Touloufe Capitouls , à Bordeaux Jurats , & dans plufieurs
villes de Languedoc^ Boy le & Confuls.
La fonâion de ces Charges contifte à adminiflrer les affaires de la com-
munauté ; en quelques endroits on y a attaché une certaine jurifdiâion plus
ou moins étendue.
Il y a encore d'autres Charges que l'on peut appeller Municipales ^ telles
3^8 CHARITÉ.
que celles de fyndic d^une communauté d%abitan&, & de colleâear doi
tailles; celles-ci ne confident qu'en une (impie fbnâion publique, fans au«
cune dignité ni jurifdiâion. ^
L'éleâion pour les places Municipales qui font vacantes , doit fe faire
fuivant les ulages & réglemens de chaque pays , & à la pluralité des voix.
Ceux qui font ainfi élus peuvent être contraints de remplir leurs fonc-
tions, à moins qu'ils n'aient quelque exemption ou excufe légitime.
il y a des exeîïiptions générales , & d'autres particulières à certaines per-
fonnes & à certaines charges ^ par exempte» les gentilshommes fon^€xempcs
de la colleâe & levée des deniers publics : il y a auffi des offices qui
exemptent de ces Charges Municipales.
' Outre les exemptions , il y a plufieurs caufes ou excufes pour lefquelles
on eft difpenfé de remplir les Charges Municipales ; telles font la mioo-
ricé & l'âge de foixante-dix ans , les maladies habituelles , le nombre d'en-
fans prefcrit par les loix , le fervice militaire , une extrême pauvreté , &
autres cas extraordinaires qui mettroient un homme hors d'état de remplir
la Charge à laquelle il feroit nommé.
Les indignes , & perfonnes notées d'infamie , font exclus des Charges Mu-
nicipales , fur-tout de celles auxquelles il y a quelque marque d'honneur
attachée.
mifmmm
CHARITÉ, f.f. amour du prochain.
ORSQUE le mot Chanté défîgne la difpofition de notre cœur en fa-
veur de nos femblables , qui edle fens fous lequel nous le confidérons
ici , on veut marquer par- là cette branche de l'amour du prochain , qui
confifte fpécialement dans le défirfincert & aclif de U mettre à couvert oa
de le délivrer des maux auxquels il efl expofé , quelle qu'en foit la caufe : au
lieu que l'amour du prochain' eft en général le défir uncere & aâif de ren*
dre nos femblables heureux ; ainfi la Charité eft une branche de l'amour
du prochain \ elle s'exerce envers ceux de nos iismblables qui ont des be*
foins ou des douleurs , qui fouf&ent de quelque manière que ce foit.
La Charité fe prend aufli par plufieurs moraliftes , dans un fens plus éteoda
que nous ne lui donnons ici , pour défigner la difpofition qui nous fait rem-
plir envers nos femblables tous les devoirs non rigoureux qui découlent de
nos relations mutuelles : fous ce point de vue , on met la Charité en rap»
port avec la juftice, pour défigner .par ces deux termes > les deux principi»
de tout ce que nous Tommes appelles à faire envers les autres hommes :U
juftice ne nous permet jamais de leurjiuire fans néceffité ; & la Charité nous
porte à leur faire tout le bien que nous pouvons ; c'eft dans ces deux points
que çonfiftç toute la morale de l'Ëvangile relativement aux devoirs mu-
wcls
CHARITÉ. 3^9
. tuels des hommes entr'eux. Jefus-Chrift nous donne le précepte général de
. la juftice , dans cette fentence admirable : ne faites pas à autrui ce que
vous ne voudriez pas que Pon vous fît. Il nous donne le précepte général
de la Charité dans ces paroles dignes du miniftre de Dieu» qui eft la bonté
rnôme : tout ce que- vous voulez que les hommes fajfent en votre fayeur ,
faites-le auffi de même à leur égard \ précepte qui fert de commentaire
parfait à cette loi évangelique , que le nls de Dieu donnoit à Tes difciples ,
4iime\^ votre prochain comme vous'mfmes. On peut même dire ^ qu% , pren^
dre le mot Charité dans fon fens le plus étendu , comme (ignifiant Vamour^
toute la morale de l'Evangile fera comprife (bus le feul précepte de la Cha-
rité : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton qaur , de toute ton ame
& de toute ta penfée ; c'^eR-là le premier & le plus grand commandement^
dit Jefiis-Chrift : il en ejt un fécond qui eft femblable à ce premier y favoir :
tu aimeras ton prochain comme toi-même; ces deux commandemens com"
prennent tous les préceptes de la loi & des Prophètes. C'eft bien-là en effet
l'abrégé de tous nos devoirs. Aimons-nous Dieu de tout notre cœur , &
par-defTus toutes chofes > nous rempliflbns envers lui tous les devoirs qui
découlent de ce qu'il eft & de ce que nous fommes : fy. quels font ces
devoirs, ce font ceux que nous diâê naturellement un amour fupréme,
un amour de préférence qui nous fait défîrer de plaire à Dieu , plutôt qu'à
tout autre être. Aimons-nous notre prochain comme nous-mêmes ? nous
ne violons aucune de nos obligations envers les autres hommes : & quelle!?
font ces obligations? celles que nous diâe pour nous-mêmes l'amour que
nous nous portons. Nous voulons être heureux , nous le défîrons fîncére-
menr , nous y travaillons avec zele , nous employons pour cela tous les
moyens (][ue nous croyons propres à afTurer notre bonheur; voilà la réglé
de l'amour que nous devons à nos femblables , nous devons les aimer
comme nous-mêmes.' La juftice eft ainfi comprife fous la Charité, elle fe
trouve n*en être qu'une branche. Quiconque connoîtra l'Evangile , Convien-
dra qu'il eft véritablement la doârine de la Charité ^ c'eft à quoi il veut
ramener les hommes ; par-rtout il nous préfente un Dieu plein de Charité ^
^ui aime toutes les créatures , qui veut leur bonheur , èc qui le procure
par tous les moyens convenables & a/Ibrtis à fes perfeâions oc au caraâere
des hommes envifagés conlme des êtres moraux« Par-tout l^yangile ne
demande des hommes, en retour de la Chanté que Dieu leur témoigne ,
cju^un amour , une Charité fans bof nés pour cet être fuprême ; un amour
\endre, une Charité fîncere pour leurs femblables; uti amour éclairé, fage
& prudent pour eux-mêmes. Par-là l'Evangile fe diftingue avantageufement
de toutes les autres religions, & acquiert le droit de plaire à toute ame
capable de Chanté , à tour cœur dont la bonté fait le caraftere , à tout
homme qui à de la douceur & qui eft capable d'aimer. La Charité eft
ainfî la vraie vertu du chrétien; l'Evangile veut que tout fe fafle par un
motif de Charité. Ce ne font ni de la fcience, ni des jeûnes, ai des nu*
Tome XL ^ Aaa
370 CHARLATA. N GHARLATANERIE,
céradons , ni le martyre , ni les dons miraculeux , qtn fent la gloire du
chrétien; c'eftla Charité : toute autre efpece de mérite n^eft rien, tant que
la Charité n^en eft pas le principe. Le but de TEvangile a donc été le
bonheur des honmies & le moyen de ce bonheur , c'eft d^airaer Dieu par
deflus tout, & notre prochain comme nous-mêmes. Toutes les vertus naî-
tront de cène Charité. Voye^^ le détail des règles & des aâes de la Cha-
rité envers nos femblables, fous le mot Prochain*
C H A R L A T A N, f. m,
CHARLATANERIE.f. f.
Charlatanerit des Savans ;
Charlatahcrit des Hommes lUuftrcs ;
Charlatancrie RcUgieufc;
Charlatanerit des Médecins ;
Charlatanerie des Artifies ;
Charlat'anerie de la Vertu.
\^ N Charlatan eft celui qui en imgofe par beaucoup de dilcouniptf
un babil effronté & fans vérité.
Dans Ton acception la plus générale un Charlatan , eft celui qui fe vante
4e fa voir ce qu^l ignore , d^avoir une habileté qu'il n^a point y qui s^at-
tribue des talens qui lui manquent, & qui à force de fe louer hii-mème,
& de fe parer avec effronterie de trompeufes apparences , parvient ï per-
fuader aux perfonnes iinprudentes & peu éclairées qu^il a un mérite réd
dont il eft abfolument dépourvu. La Charlatanerie eft ainfi le vice de celui
qui travaille à fe faire valoir lui-même , ou à faire éftimer ce quM poffede
ou ce qu'il fiiit, par des qualités fmiulées^ c'eft proprement une hypo*
crifie de talens ou d'état.
Il n'eft point de {y-ofëftion, ou d'état, qui n'ait fès Charlauns , & &
Charlatanerie. Dans quelque pofte que l'on foit placé on voudroit y êcre
confidéré , quelaue rôle que l'on joue , on défire de s'y diftinguer & ^
fe concilier l'eftime , la confiance & les regards du puolic ; foit orgueS,
foit intérêt , on veut être , s'il eft poflible , préféré à ceux qui courent U
même carrière. Mais pour mériter ces diftinâions flatteufes , il fiiudroit
s'en rendre digne par des connoiflances approfondies, .par une habileté
fupérieure ^ en un mot , par un mérite tranfcendant. Pour acquérir te
mérite \ il &uc du travail^ des efforts , de l'application *, la parefle refufc
ces moyens : il y faut joindre les talens naturels, & les circoaftauc^
heureufès dont nous ne difpofons pas. Quel parti prendre , quand » ^
CHARLATAN. C H A R L A T A N E tll E. ^y%
fcience , fans habileté, fans talens , fans travail on reut briller ^ s'élever
au deffus des autres , fe concilier Peilime , les égards ^ la confiance , s'emr
parer des récompenfes dues au mérite réel, raire la fortune réfervée à
i%abileté reconnue? Il ne refte de reflburce à cet homme inepte qui ne
laide pas d^étre vain , orgueilleux , intéreflé , que de faire croire par de
fauflès apparences ouMl a tout le mérite qui lui manque. L'entreprifè pa-
rott difficile, cependant le Charlatan en vient à bout. La bonne toi ou la
ftupidité de bien des gens les empêchent de foupçonner qu'un homme qui
fe vante avec hardielie d'être pourvu de favoir , d'habileté , de capacité , *
s'en vante fans raifon : ils le croient fur fa parole revêtu de tout le mé*
rite qu'il s'attribue. L'ignorance dans laquelle font tant de perfbnnes fur ce qui
concerne les fciences & les arts, dont les termes leur (ont pour la plupart
inconnus, fournit à ua impofteur ef&onté un fécond moyen d'en impofer
au public , & de s'aequérir une réputation dont rien ne le rend digne. Il
parle avec hardiefle de ce qui n'eft pas connu de fes auditeurs ; il em-*
ploie fanS'héfiter des termes d'art, dont il ne connolt pas plus' la (igni«»
fication que ceux qui l'écoutent ; bientôt l'ignorance admire l'impofteur^
& (e peruiade qu'il fait tout ce qu'elle ignore. La multitude fait les éloget
du Charlatan : toujours prête à admirer , elle lui accorde toute la fcience |
toute l'habileté, tout le mérite, non-feulement qu'il s'attribue à lui*
même, mais qu'elle imagine pouvoir fe trouver chez lui, & devoir s'y
rencontrer pour juftifier Teftime qu'elle en fait, & la préférence qu'elle
lui donne. Nombre de perfonnes qui ne font vpas peuple , ni abfolu-
ment ignorantes, fe laiflënt féduire par les difcours du peuple, & afiêr*
miifént par leur imprudent témoignage la réputation qu'ufurpe un impof*
teur. On cite des faits , on raconte des hiftoires pour fe juftifier ; on ne
vendeur d'orviétan ; depuis le héros , jufqu'au danfeur de corde.
Tout homme qui veut &ire eftimer la fcience qu'il cultive, ou l'art
qu'il profelTe , ou les chofes qu'il dit, ou ce qu'il poffede, au delà de ce
qu'il leur connolt de valeur ; de même que celui qui de qudque manière
que ce foit , cheixhe à fe faire pafler pour plus inftruit & pour plus ha*
bile qu'il n'eft en efiet , font des Charlatans qui en impofent«
Charlatancrie des fciences»
1 L n'eft pas de fcience qui n'ait fa Charlatanerie. Four peu que Pou
connoiife en détail la République des lettres , on a bientôt le déplaifir de
voir de combien de Chariatans elle eft peuplée. Combien de gens de
lettres vantent avec une emphafe ridicule le mérite de la fcience qu'ils
profeflent , & font les vrais originaux du makre à danfer , du muûcten ^
A a a z
371 CHARLATAN, C H A R L A T A N ER I E.
du maître d'armes , & du maître de philofopie , que Molière a mis fur
la fcene dans la comédie du Bourgeois-gentilhomme.
penfëes n'auront du prix que quand il aura daigné les embellir : ce ma-
thématicien qui me fouténoit un jour , qu'il n'y avoic de fcience utile &
réelle que celle du calcul, qui prétendoit prouver fans repUque, que fans
elle il ne pouvoit point y avoir d'autre fcience , & que les madiémati-
ques pouvoient fuppléer à la connoilTaoce de tous les autres objets dont
les hommes s'occupent; tant d'autres encore qui donnent dans le même
travers, fe rendent coupables d'une méprifable Charlatanerie. Quelquefois
il eft vrai , ces éloges outrés dé la fcience que l'on profeffe font don*
skés de bonne foi, & ce qui diftingue le pédant ftupide du Charlataa
fourbe , celui«ci en impofe à l'ignorance , celuirlà eft dupe de fa propre
ilupidité.
. Toutes les fciences peuvent avoir leur utilité; mais leur valeur fë me-
fure fur l'influence plus ou moins direâe & effentielle qu'elles ont (iir h
çonfervation , la perteâion , la commodité & le plaifîr, ou tout en un mot,
fur le bonheur de l'homme.
Il tmporteroit peu à l'homme de lettres Charlatan, d'avoir vanté le prix
de l'objet dont il s'occupe , s'il ne perfuadoit en même temps qu^ le coo-
noit mieux , qu'il en eft plus inftruit , & qu'il le traite bien plus parfaite-
ment que tout autre qui a couru la même carrière. Delà le ton d'sûffiinioce
avec lequel i[ s'expnme , les critiques ameres & injuftes qu'il fait de tous
les écrits des autres auteurs , les éloges qu'il fe donne à lui-même , ou qu'il
a l'art de fe faire donner , les citations nombreufès , mais haiardées dont il
char^ fes marges , comme s'il avoit lu tous les auteurs dont il cite les
paffages , quoiqu'ils lui foient prefque tous inconnus ; les catalogues pom-
peux qui paroiflfent à la tête de fon livre de tous les auteurs qu'il a coo^
lultés , tandis qu'affez fouvent il n'en conçoit que le titre. Delii tant de
penfées données comme neuves & qui font copiées mot à mot d'auteors
connus dés long-tems ; & dont on fe garde bien de parler. N'eft-ce pas
aufli une Charlatanerie d'auteur que la hardiefle , avec laquelle on affirme
un fait fans en fournir d'autre garant que tes mots , il efl certain , chacufl
fait , ou l'afTurance avec laquelle on apporte en preuve les difcours qu'on
prétend avoir entendus de la bouche des perfonnages refpeâables qui vA
vivent plus , & qui n'ont rien écrit \ l'afFeftation de citer à tout propos ou
âu moins de nommer comme étant du même avis que nous , des auteurs
refpefUbles , dont le témoignage eft une autorité , quoiqu'on ne conriotiTe
point leur doârine ? Au moyen de ces apparences (de fcience & d'habile^
té, on en impofe à la multitude qui n'examine pas , qui ne vérifie rient
qui n^ pas les livres cités pour les comparer avec ce qu'on leur édtdire}
C H A R L A T A N^. C H A R L A T;A N E R I E. 373
on Sût recevoir Popinion pour laquelle on fe déclare ; chacun bâtit fbn
fyftéme. de phyfique, de métaphyfique , de théologie, d'hifloire, &c.;
c^eft à qui fera mieux valoir fa marchandife } vous avez des courtiers
qui la vantent; des fots qui vous croient, & des proteâeurs qui vous
appuient.
L'erreur s'établit , le plus grand nombre la profèfTe , le petit nombre des
fages rit ou s'afHîge de voir l'impudence du Charlatan & la Aupidité des
dupes.
A la Charlatanerie des auteurs, on peut joindre celle des libraires. Il
n'eft pas de vendeur de drogues qui fe donne en fpeâacle dans les foires'
qui l'emporte fur les libraires dans l'art de duper le public ; nouvelles édi-*
tions revues & corrigées ; abrégés de grands ouvrages ; livres nouveaux qui
exiftent depuis long-tems, dont on a changé le titre & l'ordre; ici les au-
teurs & les libraires poulTent à la même roue pour multiplier les livres^
fans multiplier les penfées , fans éclaircir les vérités , pour faire débiter des
écrits de nulle valeur avec le fecours d'une préface , d'une épitre dédîca-
toire I ou d'un titre piquant & fîngulier. Vous croyez lire du neuf, & vous
ne trouvez que des chofes plates , froides , inutiles , mille fois dites & redî*
tes, ou bien vous rencontrez des méchancetés, des impiétés, des fatyres,
des obfcurités mifes là exprès , pour piquer la malignité. & flatter les vi^
ces du leâeur, & procurer plus rapidement la vente d'une fi mauvaife
marchandife. N'efl-il point arrivé fouvent que l'on a déféré au magiftrat
un ouvrage comme mauvais , & qu'on l'a fait flétrir uniquement pour lui
procurer une réputation qui engage tous les curieux à en faire l'emplette
au grand profit du libraire? On ne .finiroit pas, fi l'on vouloit détailler
tous les traits de Charlatanerie, par lefquels la] république des lettres fiS
déshonore. Heureux le fiecle dans lequel perfonne n'écrira pour le public,
que pour l'inftruire de vérités utiles; où nul livre ne fe répandra que
quand il apprendra des chofes mal connues encore , mais dignes d'être con«
nues exaâement; où nul auteur ne cherchera à prouver que ce dont îl
fera convaincu lui-même, & n'employera de preuves que celles fur lef-
quelles lui?méme fe décideroit quand il s'agiroit de Ces plus grands intérêts ;
ou perfonne n'afleétera de favoir ce qu'il ignore » Si ne fe hafardera d'ea^
ieigner que ce qu'il aura bien appris i
Ckarlatanerie des hommes iltupres^
I^OuvSNT pour conduire les peuples, on a été forcé de recourir à queN
oue Charlatanerie. Quand les hommes ne font pas aflfez éclairés pour
lentir les raifons de la fage0e , & pour y céder » parce que de fàu0es opi--
fiions , . ou des pailions aveugles s'y oppofent : les chefs ont dû profiter
des erreurs mêmes des peuples pour les déterminer à prendre le meilleur
parti: plus éclairés que la multimde, ignorante , ils ont trouvé le moyen
374 C H A R L A TAN. CHARLATANERIH.
de lui perfuader quMls} étoienc plus favans qu'ils ne Pétoient en effet;
qu'ils avoient une habileté fupérieure à celle des hommes; qu>n eux
étoit quelque chofe de divin , foit à Tégard de leur origine perfonnelle , (bit
à regard de leurs lumières & de leur pouvoir. Qu^ëtoîent la plupart des
héros de la &ble , de ces grands hommes qui ont donné des loix aux
peuples y de ces chefs de feâe qui ont eu des difciples ehthoufiaftes?
Romulus fe donna pour fils de Mars; Numa prétendit tenir les loix qu'il
donna aux Romains , de la nimphe Egerie que Jupiter dirigeoit : Alexandre
voulut pafTer pour fils de Jupiter : .>cipion fkifoit croire à Tes foldats que
les dieux lui révéloient l'avenir , ou les chofes fecretes ; Socrates vouloit
que l'on crût qu'il avoit un démon familier qui l'infpiroit dans plufieurs
occafîons; Pythagore fe vantoit de fe fou venir de fes diverfes . tranfmi-
grations ; Mahomet fe donna pour le favori du ciel qui commerçoit avec
Dieu par le miniftere de l'ange Gabriel : Cromvel parvint à l'autorité fu->
préme en fe fàifant envifager comme un faint par les fanatiques de foo
parti.
On eft bien tenté de pardonner à de grands hommes une Charlata-
nerie dont l'effet eR l'ordre dans la fociété, l'obéiflance aux loix, des
réfolutions qui fauvent la patrie de fa perte. Les hommes que Von
trompe dans ces cas , font comme des furieux ou des imbécilles qui ne
recevroient pas la vérité , & qui fe perdroient eux-mêmes & leurs voifîos,
fi par une tromperie utile, on n'arrécoit pas la fougue de leurs paflions.
Mais qui peut pardonner à des fourbes , qui n'emploient la Charlatanerie
que pour favorifèr leurs vues ambitieufes & criminelles , qui s'en fervent
pour perpétuer les erreurs & les enraciner davantage dans l'efprit de
ceux fur lefquels ils ne dominent que parce qu'ib .les égarent !
Charlatanerie religîeufe.
JLL eft peu d^objet fur lequel on ait plus généralement exercé la Charh'*
tanerie oc l'impofture que la religion , c'eft*^-dire l'art de fe rendre fa
divinité favorable. Les hommes ont toujours fentr naturellement qa^il y
avoit un pouvoir fuprême , de qui leur fort doit néceflairement & àfolu-
ment dépendre : des impofteurs dan^ tous les tems ont profité du fond vrai
de cette idée , défiguré par l'ignorance , &les faufTes imaginations des hom-
Inès pleins de préjugés. On a abufé de la crédulité des mortels pour les
rendre fuperftitieux ; quelques révélations vraies , quelques miracles réels»
Qg^ fourni à des Charlatans impofteurs , l'idée de révélations fuppofées &
de miracles faux. La vertu devoit /plaire à la divinité; on a vouhi avoir
plus que dés vertus; on a donné ce nom à des aétes indiffêrens , mais
pénibles, & l'on s'eft feit paffer pour des perfonnes qui étoient certaine*
ment plus l'objet de la bienveillance célefte , & dont le crédit auprès de
Dieu feroit de la plu$ grande efficace : par- là on en a impofë à la muld-
ÈHa'RLATAN. CHARLATAÎfER 1 E. .37^
tude ignorante & imbécille , parce qu'elle ne raifoone pas , & ne fait
qu'admirer tout ce qui n'eft pas ordinaire, & dans la fphere de Tes idées.
Mais on doit faire ici une remarque importante ; jamais la Charlata-
roit pas réufli fous l'empereur Augufte comme fous le règne de Tarquin.
Mahomet n'auroit pas eu les mêmes fuccès à Rome& dalis la Grèce, ior(!-
que la religion chrétienne s'établit, comme il les eut fix cents ans après
en Arabie. Quelle fenfàtion fit de foa tems Apollonius de Thiane }
Si les admirateurs de l'abbé Paris firent quelque bruit en France , ce
fût plutôt par le mépris que le public fit de leur Charlatanerie , que par
le nombre des feâateurs qu^ils abuferent pat leurs impoftures & leurs
Ikux miracles. Difficilement aujourd'hui faint Ignace fenderoit fa fociété^
& on ne réufliroit pas dans ce fiecle à établir pour la première fois ^ là
loi qui pre(crit le célibat comme un eut de perfeâioo»
Charlatanerie des médecine.
/\Utant la médecine fondée fur de vraies expériences , fur d'exade»
obfervations efl une fcience refpeâable , autant dditrqn de mépris à ces
impofleurs qui fans autre talent que l'eflronterie, fans autre connoiflance
que celle de la fbibleiTe , que tes hommes témoignent pour tout ce qui
s'annonce comme propre à conferver-leur famé & leur vie^ s'hafardent à
donner des remèdes ot à guérir tous les maux.
*
Charlatanerie des prafejfwns des arts ou métiers.
JLl en efl des profbflîons des arts & des métiers, comme de toutes tes
fciences & de toutes les vocations particulières : nous ne les connoiâb&s
pas en naiflant v il faut , pour réuflir à les pratiquer , des connoifiànces
acquifes, des habitudes contraâées par l'exercice; il^ offrent donc toi»-
jours quelque chofe d'inconnu à celui qui ne s'y eft pas appliqué , quelque
chofe par-là même, fur quoi la perfonne qui en a fitit Ion étude & iom
occupation l'emporte fur celui qui ne s'en efl pas occupé: chacun veut fe
&ire valoir^ & pour cela chacun donne la plus grande knportance qu'il
peut, à ce qu'il fait, & à ce qu'il peut exécuter de plus que les autres^
il en fait un fecret à ceux qui ne font pas de fa profèflîon ; il- vante fa
capacité comme quelque choie de rare , & voudroit £ûre croire que pett
de perfonnes font en état d'exécuter ce qu'il fait faire ; tandis que fbuvent
fon fecret eft une chofe très-fimple dont il doit d'autant moins fe glorifier
qu'il n'en eft pas l'inventeur, ou que fi c'cft lui qui a trouvé ce procédé
utile ^ c'eft au hazard qu'il en bft redevable & noa à fes recherches & à fes
37« C H- A R L A T A N. C H A R L A T A NE R I B;
méditations. Il eft même plus d?uii artifte, qui accompagnent leur manière
d'agir d'une quantité de cérémonies , & de précautions inutiles , unique-
ment deflinées à mafquer mieux ce qu'ils appellent le fecret de leur art.
C'eft là véritablement une Charlacanerie : mais d'un coté on doit la par^
donner à ceux qui n'ayant que ce moyen de gagner leur vie, le per-
droient fi leur fecrèt étoit connu de tout le monde \ d'un autre coté quand
il eft prouvé que ce. fecret eft utile, il ieroit du devoir des princes de l'a-
cheter pour le bien public à qui on en donneroit la connoiftance.
Charlatancrit de la ytrtu. ^
^Ë tput ce dont s'occupent les hommes pour fe rendre confidérable^,
rien ne fembloit devoir moins être fujet à l'impofture que la vertu; elle
a cependant auffi fes ^ Charlatans. Les uns ie vantent de leur fagefle , de
lèiirs aâioDs . vertueufes ; ils célèbrent leur droiture, leur probité, &c.;
d'autres cherchent à fe.dHHnguer par des aâe$ qui femblent être la per-
feâion de la fagefle, de la piété, de la juftice, de la tempérance, taodis
qu'ils ne font que fimagréê^ apparence , vanité & impofture.
1.^% premiers à force de vanter leur vertu donnent droit d'en révoquer
en doute la réalité. Xelut* là ie dit^ ; un : héros el) courage^ çeUe>ci une Lu-
rcrecé en chafteté, tel> autre un Çrutus en .patrîotifme : Charlatanerie tou-
iterpure ! On ne fec»>it obligé de, fe louée. foirmême, que quand on fent
Inen qu'on a fourni plus d'un fujet de nous regarder comme dignes de
.mépns -par . des vices oppofës aux vertus dont nous dous parons.
Si les vertus que je vois pratiquer, font réellement celles que la faine mo-
rale prefcrit , que les circonftances exigeoient réellement dans ce moment
d'un homme de bien^ & qu'on les pratique fans afFeâation, il y auroitde
l'injuftice à foupçonner la réalité de ïa vertu intérieure qui diâe ces aâes
'extérieurs dignes d'eft^nei Mais ne yois-je pas la Charlatanerie toute pure
^ans celui qui fait fans néceflîté & hors de propol^-des aâes pénibles,
^ui^ veut fe faire eftimer , parce qu'il fe prive de chofes permifes & par la
nature & par la loi ? Vous portez un eilice fur votre peau , vous traioez
une croix pefante , ou une chaiire incommode ; vous vous priver des dou-
ceurs du mariage pour vivre dans un célibat que rien n'exige de vous;
vous allez vivre en hermite dans un -défert ou en folitaire dans un coi^-
irent, où vous devenez inutile à vos femblables^ vous vous levez la nuit
pour prier, comme fi la journée ne vous en avoir pas donné le temsî
vous couchez fur la dure , vous- portez des habits finguliers & hors d'ufa-
e , 6c. ; forfanterie que tout cela , Charlatanerie de la vertu , pure hypocri-
ie ! nous avoûs aifez de vertus réelles à pratiquer pour nous occuper tout
entiers , fans nous forger encore des vertus arbitraires. Ainfi dans tous
les états, la parefte qui fait fuir le travail, l'orgueil qui veut s'élever i
l'intérêt qui veut s'enrichir » conduifent les hommes à la Charlatanerie^
l'igHO-
i
C H A:R L E M A G N E. ^77
Pignoraoce» l'imbécillité, le défaut de réflexion , la foiblefle des âmes cré-
dules fkvorifent les Charlatans dans toutes les profeifions , dans tous les
états 9 depuis le trône jufijues dans les cabanes des bergers , depuis le fie-
ge épifcopal de Rome, jufqu'à la grote de Thermice. 11 faut avouer ce-
pendant qu'à mefure que les hommes s'éclairent, que les lumières (e
répandent parmi le peuple , les diverfes . efpeces de Charlatans dimiouenc
en 'nombre 6c ont moins de fuccès.
. Mais qu'il eft à craindre que fi notre fiecle continue à négliger , com-
me il le fait, les fciences folides, les études approfondies, pour ne courir
qu'après l'efprit, on ne fburnifle pour la génération qui nous fuivra, un
champ facile à la Charlatanerie de toute efpece ! c
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33
CHARLEMAGNE.
E feul nem de ce célèbre Empereur réveillé Pîdée d^un Conquérant
& d'un Prince qui étendit lès limites de l'Empire François, de telle forte
qu'elles ne furent jamais portées plus loiti. ^Sorf règne eft*- l'époque la
plus brillante de la Monarchie Françoîfe : & s'il cft vrai que- le premier
but de l'hifloire a été d'encourager les hommes à la verte- par- le récit
des grandes aâions de leurs ancêtres, on peut dire que nulle hifloire ne
remplit mieux fon objet qpe celle-ci.
Ce pTincë naquit l'an 742 à Ingelheîm, de' Pépin qui n'étoît encore
que ^ Maire du Palais, & de BertraSé ftlle de CHaribért, Comte de Laôn,
On At fait rien de fon < enfance ni de 'fa! première- jeuiielTe : ainfi l'hiftoiro
de fa vie commence avec celle de fon règne.
EiTayons d'abord de crayonner les principaux tiJaits de fa peffonile,
yeux
en n
&i aifée , doué d^une fbrde de corps peu commune , & d'un tempéramenc
des plus robufies; & l'on aura une àflèz'juftéMdée du Héros dont nous par-
lons
agremens
comme
de lin, une fayon dft laine bordé de foie, en hiver un pourpoint fourré de
peau de loutre \ pouf chauffure il fé fervoît de bandes de diverfes cou-
leurs croifée^ les unes fur les autres. Dans les jours de fêtes folemnelles
ou deflinés aux réceptions des Ambaffadeurs , il prenoit des habits plus
magnifiques ,& paroiffoit la couronne fur la tête , revêtu d'une robe bro-
chée. Il avoit toujours l'épée ati côté : C^eft avec le pommeau qu'il fcelr
Tome XI. Bbb
57» C H A R LEH A G N E;
loit qoelquefii» les traités ; car 3 avoit coMome âe dire' r Tm: Pm figni
du pommeau de mon ipu , ^ jt U foatundrài avec U pointé,
Cefi l'extérieur de ce Prince que nous venons de montrer : donnons
une idée de fou àme. It avoit refprît élevé, étendu y embraflant d'im cou{h
d'œil tous fes objets & les plus vailes delfeins , le cœur eKeHentide cet
lieareiix fond naii&it un. caraâere btenfaifant & gécféreux , . un amour teo^
dré pour fes enfans, une charité fans bornes pour fes peuples, une me«
dération héroïque dans les momens de la plus jufte émotion, une applica-
tion à rendre la juftice à fts fumets ; en un mot , des yeux toujours oo«
verts fur fes vaftes Estes pour y maintenir la tranquillité & le bon ordre.
Pour achever le portrait dé ce Prince, il faut nous le repréfeoter coni>»
me un Guerrier infatigable , prefque toujours les armes à la main pen-
d8H|t phffs de 'qiitMuie' ws) ffanant «vec une rspîtité <pn nous étonne , yia
Pyrénées en Allemagne, d'AHemagne en Italie, emporté fur les ailes de
la viâoire d'un bout de l'Europe à l'autre» ne paflant prefque aucun jour
fans livrer de combat , rempliuant le monde de la gloire de fon nom :
& ce qu'il y a d'admirable , trouvant toujours du tems au milieu des o^
cupadons- guerrière^ pour remplira les foins djir Gouvernement, rendre juf-
tice à fes peuples/ faire des lo^,, décider des queftioos, &ire des éi^
blilfemens en faveur de la religion & en faveur 4es lettres , & régner
pour le bien des hommes ; tel le montre à. nos yeux Charlemagne quand
on parcourt fa vie.
PnmUres années de fon Rignc.
Harx.es, en vertu du partage que Pépin ûk du Royaupie^ fe trouva
maître du Royaume d'Au(tra6e & dç l'AquitaïQe : . Carl^man fon . (me
avoit la Bourgogne, k. Languedoc, /la Prx>ireqçe, î^^ le^ pays des
Allemands; mais ce Prince mourut l'année fuivame, laiflant deux eûfàns
en bas âge. Charles fe vit par la, mort de Carloman, in^tre^de toutes les
Provinces qui compofoient alors la Monarchie : or la France s'étendpit d^
puis la Méditerranée jufqu'ïu Rhin , & depuis les Alpe^ juf qu'aux Fyré*
nées. Ce Prince fuiyit la fortune qui l'appellpit, & fe.,bàta de paroicre
dans les Etats de fooi frère, afin de (déterminer par f^ préfence ceux qui
auraient pu balancer. Il avoit déjà &i( voir de quoi il étoir capable dans
une guerre qu'il eut à foutenir contre Hunaud, jadis Duc ; d'Aquitaine,
qui étant forti du Monaflere ob il s'étoit renfermé , vpuloit tenter une
révolution dans cette Province. Cène expédition terminée avec la plus gr^
de célérité, avoit annoncé aux François quel Roi ils avoient à leur tête»
& ce qu'ils en pouvoient attendre. Charles, après avoir réduit Hunaud à
a'ofer plus rien tenter , donna fes premiers foiqs à fogmettre les Saxooi
lévoltés. Pour comprendre quels étoient ces Saxons avec qui Charles fot
en guerre pendant trente-trois ans, il efl bon de favoir que les François
avoient de vafles poflefEons aurdelà du Rhin i car lorfqu'ils vinrent s'édr
.Ç 9: 4c flt. l^-Br/M Ar <? H ?> 87?
|)lir ibib Ut l&mtes^ f|^6e;ju|fi ^cifi^sefic 4utf;^.:Ç;«ri|«l«ÂCr partiçulifére-
œrot fur J« ùve 4u RIhq. t [
- Les Saxons , les Frifoiis , les Th^riDgieDS , 4e la mèwfi piîgine que le;
JFnmcs^ s'iceodirent 4ans les pays que ceux-ci avoienc abandonnés, MaU
une fois que les Francs (furept écabjiis dans les Gaules, ils réunirent à la
if ooarclûe toute la rive, 4il Rhiou Les fiav^roijs fe founûrent volontairer
Jnent ; nuis ils eonfervecem: If^urs loiz & leqr Souverain particulier : ils do-
Tinrent ainG vaflwx & non fqjets. A l'égard des Saxons ^ . ils formoient ,
le pays qui pone wjourd'hui le nom de Weftphalie. Les Saxons plus
•orientaux étoienc^ placés enireJe Véfer,& l'Elbe, dans le pavs qu'on ap*
|>eUe la Baife-Sâdie.rCettev Nation, , eonfidérable par le nompre , la force
âc le courage! :de lîes faontOJBs , lauroit formé un corps redoutable, fi diç
n'avoit pas été ditf ifée en, phiûeurs cantons ^ qui formaient autant de Rér
publiques. Les Saxons étoient tributaires de' la France : ce joug irritoit leur
orgueil. Ils a'jétpient fouvent révoltés, & depuis la mort de Pépin, i^
avoient recommencé à faire des cowfes fur les terres des Francs. Tels
étoietit les peuples que Charles enireprit de.fouipettre. Il .alTembla pour
ce fujet à Worms le Paclemwt^ qu'on jappeùoit auili cixamp de Mai i <Sc
Evant Pépin, champ de Mars: la gueci^ y fut réfoluei
Cu<m 4c CharUmagnc contm Ips Saxons^
C' ' .■ ■ . . . •
Ha RLUS entra enr Weflphalie avep des forces confidérables., & mk
tout à fbii & à fang fui* ilbn paflàge ; il afllégea & prit le Château d'Eres»
tKiurg, la plus codfidérable fbrterefTe des Saxons, & détruifit le Temple
oii il y avoir une idole que ces peuples adoroient. Il s'avança jufqu'aux
1>ords'du V^fer , & les Saxons effrayés , iefoumirent« De retour en France,
Carloman s'étoit redrée avec fes deux enfims auprès de Didîer^ Celui-ci
croyant avoir trouvé l'^>ccafion de fufciter une ^^uerre civile, voulut en«-
gager le Pape Adrien à couronner ces deux Princes ; mais le Pontife ,
prudent, le refufa. Didier vint camper prés de Rome avec des troupes
confidérables, Charles ne fut point troublé de ces nouvelles : après, avoir
fait réfoudre la guerre contre Didier, il pallè Jès Alpes, met en &ite
t'armée de ce Prince, qui fe voit obligé defc cénfermér dans Pavje ; il
^(liége Vérone : la place ouvre fes portes. Geberge ^6^ fès deux fils font
iremis enore les mains du Roi,' envoyés en France, & ,on n'ra entend
Bbba
38o CHAR i E M A G îf E
plus parler. Charles revint ati fiége de Pavie : comme là vflle était tarte ;
& qu'elle faifoit une vive réfiftance , il prit le parti de' Pa(Famer. Dans cet
intervalle le tems de Pâques approcha ; Charles voulut aller à Rome pour
y pafler les fèces : la politique avoir quelque part à ce voyage. Les Ro»
de France, comme Souverains de l'Exarchat , avoient des droits fondés fur
cette viHe. II y fut reçu avec tous les honneurs que méritoit fon rang &
fa fortune prélénte : les Grands & le Clergé allèrent àu-devant de luî«
Il embraffa le Pape ' Adrien , qui l'attendoit à l'entrée de TEglife. Ils j
entrèrent enfemble aux acclamations du Peuple & du Clergé , qui chantoit
ces paroles : Béni foit celui qui vient au n^m du Seigneur. Les Romains
regardoient Charles avec étonnement ; ils admiroient en lui le vainqueur
des Lombards, l'arbitre de l'Italie, & le Souverain de cette Nation guer«
riere , dont la valeur faifoit du bruit dans l'Europe. Ce Prince , à la prière
du Pape, renouvella la donation faite à S. Pieiw par iPepin, & retourns
enfuite à Pavie. Cette ville, que la famine avoit réduite aux extrême
tés , fe rendit à lui. Didier fut livré au vainqueur , envoyé en France
pour achever fes fours dans un Monailere. Charles fut couronné Roi de
Lombardie, & prit ce titre dans les z6bcs publics. ^
Une nouvelle Monarchie s'éleva & prit dans la fuite le nom du Royaum»
d'Italie. Charles étant revenu eft France^ apprit que les taxons recoin*
mençoieitt leurs courfes , -qu'Us ravageoient le pays de Heffe : il donna
(es ordres pour marcher en Saxe. Les François animés par l'exemple du
Monarque, le fuifvirent avec joie & battirent l'ennemi. L'année fuivante les '
Saxons s'étant révoltés pour la troifieme fois , Charles entra en Saxe avec
une armée formidable , & marcha droit à eux. Epouvantés de fon arrivée
imprévue , ils vinrent fe jetter à fes pieds au lieu de combattre. Ce Prtnea
ne leur fît grâce qu'à . condition qu'ils (e feroieot Chrétiens, & un grand
nombre reçut le baptême. Ces ^peuple5 étoient fort grofliers ^ Charles
crut qu'on ne pouvoir les foumettre qu'en* adoMciflam leyrs, mœurs, & que
c'étoît à la Religion feule qu'il appartenoit de plier ces efprits inflexibles;
Ces peuples ayant demeuré tranquilles quelque tems , Charles leur fit
annoncer qu'il tiendroit le champ de Mai en Saxe , à Paderborn , avec or-
dre de s'y trouver. 11 s'y rendit avec j(bn armée , & vit bientôt arriver les
Saxons ccmduits par leurs Ducs. Mais Witikindi un des.pfus rerionuiiés,
fut le feul qui ne &'y trouva point : il s'étoit déjà diftingué par fon courage ,
& encore plus par fa haine contre les François ; Charles fit donner le
l>aptême à ceux qui ne Tavoient pas reçu l'année précédente. Tous pro-
mirent d'être fidèles à Dieu & au Roi.
Vers le même tems Ibinalarabi, Roi de Saragofle, chaffé de fon Etat
par Abderame^.Chèf :de la race des Califes, qui s'étoit (emparé de Cor*
doue, vint implorer le fecoursde la France. Charles Vqui vouloit em-
pêcher ,' que l'Éfpagne ne fe réunit fous un même maître , lui fit un ac-
cueil favorable ^ & après s'être préparé à la guerre, il fit marcher deus
CHARLEMAGKE; g«r
pmflantes armées : l'une entra dans la Cafalogne , & fournît cette Pro-
vince fans trouver de réfiftance^ toutes les villes ouvrirent leurs portes aut
François : Tautre fut conduite par Charles. Ce Prince porta la guerre
dans la Navarre , fit le fîége de Pampelume , qui fut long & opiniâtre ;
niais enfin la ville fe rendit àdifcrition : il en fut de même de Saragonb.
La fortune fembloit promettre au Roi la conquête entière de PEPpagne';
il ne fe laifla point éblouir par cette efpérance : il fe contenta dés tro-
phées qu'il laiffoit fur le bord de PEbre, & reprît la route de France;
mais il reçut un fâcheux échec au paffage des Pyrénées. Son arriere-gardé
fut attaquée à la defcente par des troupes que le Duc de Gafcoene avoit
mtfes en embqfcade fur les hauteurs d'un défilé , & elle fut prefque toute
taillée en pièces : plufieurs Seigneurs y périrent, flcèntr'autres le fameux
Roland dont il eft tant parlé dans les Romans : c'eft ce qu^on appelle la
journée de Roncevaux. Le Duc de Gafcogne ne jouit pas long-tems de fa
perfidie ;. Charles entra dans fon pays^ atteignit le Duc, & le fît pendre.
Cependant Witikind ayant fu que le Roi étoit occupé en Efpagne , par--
courut la WeftpHalie & foufHa dans tous les cœurs la haine qui Panimôit.
Les Saxons courent aux armes de tous côtés, ils rafent les torts que les
François avoient bâtis ^, fe jettent fur les terres de France, maflfacrent tout
ce qu'ils rencontrent, brûlent les villes & les campagnes, & avancent
5*ufqu'aux bords du Rhin; mais la rigueur de la faifbn^Ies fît retourner dans
eur pays.
Le printems venu, Charles marcha contre les Saxons, les battit &
s'avança jufqu'au Vefer, où les Députés de la Nation vinrent réitérer les
fermens de fidélité. Le Roi leur pardonna, & indiqua une Diète en Saxe
pour le printems prochain. Il s'y rendit en effet. • Les Ambafladeurs des
Danois & des Huns vinrent demander la paix & fon amitié : elle leur fut
accordée. '
Il avoit à peine repaffê le Rhin , que ^ititcind les fit foulevér de nou-
veau. Charles envoya contre eux trois de fes Lieutenans : ceux-ci jaloux de
la réputation d'un d'entr'eux , nommé Leuderic , ne voulurent pas fe con-
certer avec lui , préfenterent la bataille à Pennemi , & la jperdirent : quan*
tité de gens de marque y périrent. Exemple trop fréquent des malheurs
où une bzffk jaloufie a (ou vent entraîné PEtat en facrifiaût les troupes,
Charles fenfible à la perte de fes Généraux , ma)-cha aveé une nouvelle
armée : les Saxons effrayés fe difllîperent. Cependant il fe fit irvrei: qua-
torze mille des plus mutins , & il leur fît couper la tête* Après cette ter-
rible vengeance , il alla palier Phyver à Thionville oii il perdit la Reine
Hildegarde, qu'il regretu beaucoup, & peu après il ^poufa Fufirade,.fille
d'un Seigneur François.
Les Saxons concernés de la févérîté de Charles, deviennent furieux.
Witikind fe met 2^ leur tête : toute la Saxe fe révolte : trois batailles per-
dues coarécutiveoient ne peuvent foumettre ce fier peuple, Chatks prit te
og. C'H A R-L « M A C N E.
parti de U clémence : touché de la valeur de Wûîkifid» il lui fir ofllir 1c
pardon de (a rébellion 6c des otages pour garant de fa parole. Witikiod fe
rendit à PafTemblée de Paderborn : les bontés du Roi le gagnèrent : il
lui promit fidélité, abjura Tes erreurs, & reçut le baptême.
Enfuite Charles marcha en Italie : y diffipa par fa préfence les &âioas
^e le Duc de Bénévent y entretenoit i & après * avoir pafTé Thyver i
.Pavie, il alla à Rome avec les Princes fes fils célébrer les fètes de NoëL
Le Papebaptifa Pépin, le couronna Roi d'Italie. Le nouveau Roi refta dans
fes Etats, & Louis, qui ^n'avoit que trois ans, revint avec £bn père.
On rapporte à ce tems-là les établiflèmens que fit Charlemagne pour le
renouvellement des Lettres & des Etudes. Ce lujet mérite que nous nous y
arrêtions un moment.
..?■•.. , • . • ■
Zelc de Charkmagnc pour feure revivre les lettres £t les-ionnes Etudes.
Jl Epin, père de Charlemagiie , quoique grand par lui-même, nVoit
eu le temps que de (butenir l'Empire François & non pas de l'éclairer:
il s'étoit vu obligé de tourner tous fes foins à le maintenir fur le tront
où il s'étoit placé. Charlemagne fon fils s^ trouva affermi , & ce Frioc^
voulut y faire fleurir &. revivre les Lettres. Avec Pefprit & le goût qu'il
avoit reçu du Ciel , avec ce penchant admirable à procurer le bien de i9
fuiet&é ii de voit naturellement aimer les fciehces. Il voulut donc en être
\^ reltaurateur. Au milieu des ténèbres épaifles qui couvroient fon Empire.!
oii l'ignorance & le mauvais goût régnoient , il entreprit de tirer les Let*
très de là barbarie où letlos (étoiènt plongées. .En revenant :d€ Rome il
avoir amené Alcuin, moitié Anglois, homme /d'un efprit folide & éclairéi
& fort habile pour le fiecle où il vivoit. Ce Monarque , en l'attirant au*
.prés «de lui , avoit un obj^t plus grand que xelid de iktislaire fon goût
pour l'étude : il avoit rendu la France redoutable par fa valeur ; mais il
vouloir en augmet;iter la puilTance d'une façon plus avantageufe à la Natioa.
La France étoit plongée dans la barbarie. Les gens de guerre &ifoienc
gloix'e de leur ignorance , & auroient rougi d'être plus inftniits : ce pr^
)ugé avoit éçé commun v 2k toutes les Nations t^rbaras. Ces peuples ayant
vaincu les Romains, chez qui fleuriflbient les arts , s'imaginèrent que te
i
groffiets. Les Franç<
ue la guerre; & quoiqu'ils ignoraflent les arcs, ils étoient cependant re-
outables pour leurs ennemis qui n'en favoient pas plus qu'eux. Charlei
fenioit combien ferait utile la retiaiKTance des Lettres , toujours fuiviesdes
Artsiîl jugeoit que rendre fes fujets plus; indiiftrieux , c'étoit en quelque
force en muhiplier le nombre & acquérir un nouvel Empire. Les bicnbiv
C H A R L £M A G N E. 383
9c Vtxeoïple du Mofian|ae encouragèrent tous ceux qui pouvoieoi entrer
dans fcs vues: il n'y avoit d'écoles que dans les Palais des Evêques ou
dans les Monaflercs pour inftruire les Clercs. & les Moines* Mais ces écoles
groflieres dans leur origine étoient encore déchues par les troubles conti-
Buels de l'Etat , & fur-tout par l'habitude d'aller à la guerre qu'avoient
contraâé les Ecdéiîaftiques. Charles en rçlçva les débris, & il. en fonda de
nouvelles pour les Laïcs : il avoit amené de Rome des maîtres de Gram-
maire ; il les difperfa en différentes villes de fes Etats , & il établit par<p
tout dûs écoles. Il y . en avoit une à la fuite de fa Cour , dans un grand
nombre de Monafleres & dans les Eglifes Cathédrales. On y viiit en foulf
apprendre là Théologie & les Humanités. Cet établiflement fut même »
ielon quelaues Ecrivains , le premier fondement de l'Univerfité de Paris.
la plus célèbre de ces écoles étoit alors celle de Ful^e , comme on voie
par une lettre que ce Prince écrivit à l'Abbé de cette maifbn. Alcuin ap**
}>rit à ce Prince les principes de la Rhétorique, de la Dialedique, de
'Aftronomie. Charlemagne recueillit bientôt le fruit de ces inflruâions : car
les Hiftoriens remarquent que ce Prince étoit éloquent $ qu'il s'exprimoit
avec âcilité, qu'il parloit le Latin aufli biçn que le Tudefque, qui étoit
là langue maternelle, & qu'il entendoit affez bien le Grec. Par les con^
feils d'Alcuin, il établit dans fbn propre Palais une Bibliothèque & unf
Académie. Il y raffembloit tous les Savans qu'il pouvoit découvrir, foiten
France , foit en Angleterre , foit en Efpagne : il affîftoit à toutes les af»
femblées, & donnoit fpn avis fur toute forte de matières. Dans toutes, fef
Ordotmances , il recommandoit les bonnes études. Il faifoit fentir les maux
que produit l'ignorance , & n'épargnoit rien pour la bannir de ks Etats. Il
comjprenoit que rien ne fait tant d'honneur à une Nation que les lettres &
les iciences, & il aidoit lès delfeinsde ceux qui étudioient, les diftinguoit
dans les occafions, les choififlToit pour les emplois, les animoit par des ré*
compenfes : il les regardoit comme la gloure de fbn Royaume, & la
iburce d'un bien folide & durable. Il mettoit en crédit les expériences de
Fhyfique & de Médecine , comme utiles au bien public. La oonté qu'on
lui corinoi0bit pour les hommes de lettres étoit une recommandation pu-
blique pour les fciences. Il portoit fon zèle jufqu'à vouloir être inftruit de
la manière dont la jeunefle étoit élevée , periuadé qu'étant la pépinière
de l'Etat , le bonheur ou le malheur d'un Royaume dépend de la bonne ou
mauvaife éducation que reçoivent les enfans. Enfin , le talent de la guerre
& l'amour des fciences étoient relevés dans Charlemagne par une attenr
lion continuelle à procurer le bien de fes fujets, perfuadé qu'ils étoient
confiés à fes foins par la Providence.
Les orages des règnes fuivans étouffèrent en bonne partie les germes
{bibles que ce Prince avoit développés : mais quelqu'ait été le fuccès , les
fi>ins de Charlemagne pour le rétablifTement des lettres n'en font pas
moins l'époque la plus remarquable de fon règne.
384 C H À R L E M A G N fi.
II fit voir le goût qu'il avoit pour les arts , par les foins qu'il fe donàa
pour la conftmâion de plufieurs beaux édifices. Le plus remarquable eft
le Palais qu'il fie bâtir à Aix-la-Chapelle : les fources chaudes que Ton 7
voit encore lui avoiem donné beaucoup de goût pour cette ville : il vou-
lut avoir un Palais digne de lui dans un lieu où il faifoit (à principale ré-
fidence. L'étendue en étoit immenfe: non-feulement les grands Officiers de
4a' couronne y étoient logés , mais même les foldats deftinés à la garde dtt
Prince. On y voyoit des bains fpacieux magnifiquement ornés , entourés
de plufieurs degrés de marbre : une fuperbe chapelle qui joignoit le Fa-
lais en écoit la partie la plus curieule.
Les occupations de Charlemagne fuivoient les fitifons. L'été & l'automne
étoient deftinés aux expéditions militaires \ l'hyver & le printems à régler
les affaires de l'Etat auxquelles il s'appliquoit foigneufemeot. En tout temps
il écoit prêt de rendra la jaftice à fes peuples , devoir qu'il regardoit comme
le plus effentiel des Rois. Pendant qu'il étoit à table il fe faifoit lire quel^
que endroit choifi des Pères de l'Eglife & de l'Ecriture Sainte : à regard
de fes amufemens , la chafie & la courfe étoient ceux où il fe plaifoit
davantage , comme Conformes à fon humeur guerrière : il aimoit encore
à ^fe^ baigner dai>s ces vaftes & magnifiques thermes qu'il avoit fitit cod(<
truire près de foh Palais à Aix-la-Chapelle. On y faifoit couler des eaux
chaudes en grande abondance , & plus de cent perfonnes y pouvoient na**
ger à la fois. Charles étoit excellent nageur, ainfi cet exercice étoit un de
tes plaifirs , & il le prenoit fouvent avec les Princes fes enfans«
... 4 ^ i
Suite des principaux faits de Charlemagne,
XT E N D A N T que Charles foumettoit la Saxe , les Bretons , enhardis paî
de Germanie , eflayerent de fecouer le joug : ils oca>-
^ t nous appelions aujourd'hui la Bretagne. Audulfe » général
de Charles , entra dans leur pays avec une armée , & ils fe fournirent
auffi-tôt.
Taffilon, Duc ^e Bavière, engagea les Huns à faire iine irruption en
Germanie. Charles inftruit de fes menées , le manda au Parlement dln-
gelheim , où tous les Seigneurs de France , de Saxe & de Bavière avoient
été invités. Le Duc sy rendit fans défiance : il fut arrêté & condamné
d'une voix unanime à perdre la tête. Le Roi touché de compaffion, com-
mua la peine , il le dépouilla de fes Etats & le fit enfermer.
Les Huns qui s'étoient jettes dans le Frioul , & y avoient fait le dé-
gât, ne furent pas plus heureux : ils furent battus & contraints de fe re-
tirer avec perte de toute leur armée. Une féconde tentative eut le même
fort : ce qui échappa à la pourfuire des vainquetirs pérît dans le Danube.
Les troupes des Grecs qui s'étoient jettées dans la Calabre furent battues
par Vinichife, gé.iéral François: ils perdirent une bataille fanglante, Jean,
Uuc
les troubles
poient ce que
C H A R L E.M A G N E. 38$
leur général , fut pris & tué. Ain(t l'habileté & la fortune de Charles ren«^
t^erferent les projets de fes ennemis.
Les Vil fes qui habitoient la marche de Brandebourg, faifoient de fré-»
quentes incurfions fur les Abrodites qui habitoient le Mekelbourg. Ceux-ci
étant alliés des François demandèrent du fecours à Charles. Ce Prince pafla
aufli-tôt le Rhin à Cologne , traverfa la Saxe , pafla l'Elbe , pénétra dans
les terres des Vilfes , les battit , & les contraignit de fe foumettre.
Les Huns qui habitoient la Fannonie, aujourd'hui la Hongrie, craignant
d'éprouver à leur tour le fort de tant de peuples que Charles avoir vaincus»
fongerent à la paix : ils envoyèrent deifi Ambafladeurs à ce Prince , qui
en envoya de foncôté à leur Roi; mais il fut impoflîble de convenir de
rien , ôc les conférences finirent par une rupture ouverte. L'année fe con*
fuma en négociations & fe pafla fans guerre. Les Hiftoriens remarquent
cette année comme on obfervoit à Rome celle où l'on fermoir le temple
de Janus. Charles la confacra au foulagement des peuples. Il avoit fait
mmafler des magafins de bled : il le fit diftribuer aux pauvres à un prix
très-modique. Il envoya des Seigneurs de fa Cour porter des fommes con-*
iîdérables aux Chrétiens d'Afiique , d'Egypte & de Syrie , qui gémiflbient
ibus le joug des infidèles. Le Patriarche de Jérufalem envoya un dé (es
Moines à la Cour de France préfenter au Roi les hommages des Chrétiens
ée la Palefline. Les lieux faints étoient fous la domination du Calife de
Per(e; c'étoit Aaron, grand conquérant & fage politique. Dès qu'il fut
que Charles , pour qui il avoit conçu la plus haute eflime , prenoit intérêt
aux Chrétiens de ce pays , il prévint fes prières : il lui céda les faints lieux
en toute fouveraineté. Un Prêtre nommé Zacharie, vint trouver Charles
à Rome , & lui apporta les clefs du faint Sépulchre avec l'étendard de la
ville de Jérufalem ; le même Calife lui envoya de magnifiques préfen»
& une horloge nommée Clepfidre que l'eau fiûfoit aller , ouvrage très-
curieux.
L'année fuîvante ce Prince découvrît une confpiration contre fa perfonne.
Pépin y Ion fils aine, mais qu'il avoit eu d'une concubine, jaloux de voir
fes jeunes fi-eres élevés fur les trônes d'Italie, négocia avec les mécontens)
& ceux-ci entretenant les femences de haine & de révolte qui Tagitoient ,
formèrent le deflein d'aflafliner le Roi & fes trois fils. Ainfî ce grand
Prince, qui avoit porté fi loin la gloire du nom François, fut prêt à
périr par la perfidie d'un fils dénaturé & de quelques faâieux : mais un
coup de la providence le fauva de ce danger. Comme les conjurés confë*
roient un jour dans une Eglife fur leur entrêprife, ils furent entendus
par un Prêtre caché fous l'autel , nommé Fardulte. Cet homme faifi d'hors*
reur, alla aufli«tôt révéler la chofe au Roi. Les coupables furent condam-
nés à la mort & décapités : Pépin feul échappa à la condamnation. Chsgries
ne put fe réfoudre à verfer fon propre fang : il fut rafô & confiné dans
le Monaftere de Prum.
Tome XL C c 0
385 ^ C H A R L K M A G N E.
Cepeodanc le Roi donna fon attennon à la police intérieure de TEtar.
Tour-à-cour lëgiflateur & conquérant , en foumettant de nouveaux peu-
ples , il veilloit fur ceux qui lui étoienc déjà fournis avec la plus grande
exaâicude. Il fit tenir le concile de Francfort , (i connu dans l'hiftoire ec«
cléfiaftique, pour la condamnation de l'héréfte d'Elipand , Archevêque de
Tolède , & de Félix , Evêque d'Urgel , qui renouvelloient les erreurs de
Nehorius. Trois cents Evoques s'y trouvèrent, & profcrivireat imanime-
ment cette opinion impie.
Piété et Charlemagne.
JjjNtre toutes les vertus qui ont diftingué ce grand Prince , fa piété
eft celle qu'il a Ëiit le plus éclater , & dont il a donné les témoignages
les plus autentiques par les fervices qu'il a rendus à l'EgUfe & à la Religion.
Dans tous les voyages qu'il fit à Rome il donna des marques de fon ref-
peâ pour les chofes faintes. Lorfque le Pape Adrien célébra le baptême
iblemnel en fa préfence , ce Prince édifia tous les affîftans par fa fHécé ;
il fe donna les foins nécelTaires pour faire corriger les livres de l'ancien
& du nouveau teftament altérés par des copiftes. Il fit compofer un recueil
des ^ plus beaux morceaux des Pères de l'Eglife : car il fe plaifoit beaucoup
à les lire j & fur-tout le livre de S. Auguftin de la cité de Dieu. De plus,
il &ifoit célébrer l'office avec beaucoup de décence & d'exaditude . dam
l'Eglife qu'il avoit fait bâtir à Aix-la-Chapelle : il y affiftoit régulièrement,
même aux offices qui fe difent la nuit, & la préfence du Monarque en-
tretenoit la vigilance & l'émulation des eccléfîaftiques.
On ne peut s'empêcher d'admirer ici que Charlemagne ait fu allier
dans fa perfonne les vertus d'un des plus grands guerriers qu'il y ait eu for
k terre ^ & celles d'un Prince religieux ; on peut dire même d'un Souve-
rain Pontife des premiers fiecles. En effet , ce Prince fit voir par toute (a
conduite qu'il cherchoit \ faire régner la Religion dans fes. Etats. Sa plus
grande joie , quand il avoit vaincu une nation infidèle , étoit de l'engager
à recevoir l'évangile. 11 cherchoit par«tout de zélés miflionnaires pour les
engager à travailler à la converfion des Payens; il les encourageoit pat
&s exhortations & les appuyoit de fon autorité. 11 fonda les Eglifes d^Oi^
sabruck, de Paderborn ce de Brème. Après s'être rendu maître de la Saxe,
U y fit bâtir des Eglifes & des Monafleres qu'il dota magnifiquement : foa
zèle pour la prédication de l'évangile & fes bienfaits attirèrent un grand
nombre de miifîonnaires qui vinrent travailler avec ardeur à la converfioo
des idolâtres.
Mais l'œuvre principale de Charlemagne fut le rétabliflèment de la dis-
cipline en Occident. U publia pour cela plufieurs capitulaires ou édits qui
fi>nt un témoignage éclatant de fa lumière & de fa piété. Il ordonna la
réforme des Monafleres & du Clergé , défendit toute lorte de fuperftitiooSy
CHARLEMAGNE. 387
réprima les défordres & les fcandales, intimida les mëchanS| mit eo hon-
neur les^ gens de bien. Il exhortoit les Evoques & le Pape même à tra-
vailler avec zèle à Tœuvre de Dieu & à tout ce qui pouvoit contribuer" à
^re refpeâer la religion. Pour pofer les fondemens d'une (blide réforme ,
il fit aiTembler foavent des conciles dans toutes les Provinces , & conjuroît
les Evêques de fuivre dans leurs décifions l'Écriture-Sainte, & les faints
Canons. Le fuccès répondit à Tattente de ce grand Roi , & l'on vit bien-
tôt l'Ëglife d'Occident changer de face.
Suite des opérations militaires de- CAarlcmagne.
L.
'Ak 79^, Charles marcha contre les Saxons : il entra par laThuringe
dans la partie méridionale de leur pays, tandis que l'ainé de fes trois ms
traverfoit le Rhin à Cologne , & fe prefentoit à l'occident de la Weftphalie.
Les Saxons fe voyant inveitis par deux armées ^ eurent recours à la fou-
miflion. Ils furent Quelque temps tranquilles ; mais au printemps de
l'an 798 les NortUeudes, Saxons qui habitoient au-delà de l'Elbe, mafTa-
crferent les envoyés de Charles & leur fuite. Les Oflphaliens les imitèrent
avec la même cruauté. Ces nouvelles mirent Charles en fureur. Dès que la
faifon le permit, il parcourue le pays qui eft entre l'Elbe & le Vefer, &,
laifla par-tout, des traces terribles de fon paflàge. Enfin ces peuples fe fou-
rnirent : ils donnèrent des otages, & le Roi leur fit grâce.
Les viâoires de Charles & ion attention au Gouvernement rendoient de
jour en jour le Royaume plus florillant. Le nom François étoit en confi-
dération chez tous les peuples de la terre. Cependant les Normands , peu-
ples qui habitoient le Danemark la Suéde & la Norvège, piratoient
depuis quelque temps fur les cotes de l'Océan , & commençoient ces cour-
fes qui furent depuis fi funeftes à la France. Les mouvemens de ces Pira-
tes attireretit la plus férieufe attention du Souverain. Il fit travailler à une
flotte, donna des ordres pour que tous les gens de guerre puffent être raf-
femblés au premier fignal : il alla lui-même vifiter les côtes de l'Océan,
& les mit en état de ëûre une vigoureufe réfiilance*
CharUmagnc déclaré Empereur d^Occident. An de h C Soo.
JLjE Pape Adrien étoit mort, & Léon III, fon Succefleur, avoit été éla
par le concert unanime du Clergé & du peuple Romain. Pafchal & Càm*
pule, neveux du dernier Pape, jaloux de Texaltation de Léon, réfoturent
de le faire périr. Us l'attaquèrent à la tête d'un grand nombre de conjurée
dans une proceffiop folemnelle, le traînèrent dans TEglife du Monaileré
de St. Sylveftre , & s'efforcèrent de lui crever les yeux & de lui arracher
la langue; le voyant couvert de fang & à demi-mort, ils l'enfermèrent
dans le Monaftere; mais il eut le bonheur de s'échapper, & de fe réfugier
C ce 2.
38« CHÂRLE MAGNE.
à Spolette, d'où il écrivit au Roi pour le prier de lui permettre de Tatler
trouver pour l'informer de cet attentat. L'entrevue fe fit à Paderborn.
Charles rut touché du trifle état où il voyoit ce Pape , qui portott encore
des marques de la cruauté de Tes ennemis. Il envoya à Rome des Corn-
miflaires pour informer de Paflaire. Après qu'on l'eut examinée , Léon fut
déclaré innocent^ fes ennemis arrêtés & envoyés en France.
Mais comme il reftoit toujours des femencès de révolte en Italie ,
Charles crut devoir y aller. Les Romains défiroient s'alTurer de la protec-
tion de ce Prince, & réfolurent de renouveller en fa perfonne l'ancien
Empire d'Occident ^ qui avoit été éteint pendant 350 ans depuis la dépofi-
tion d'Auguftule y dernier Empereur. Dans le fonds Charles étoit alors
xtialtre de la plus grande partie de cet Empire , car il poflëdoit toute la
Gaule; en Efpagne le Comté de Barcelone; le continent de l'Italie jufqu^à
Bénévent; toute l'Allemagne, les Pays^^Bas, & une partie de la Hongrie.
L'Impératrice Irène chancelante fur le trône d'Orient, n'étoit pas en état
de lui rien difputer. Cependant quoique ce titre d'Empereur n'ajoutât rien
à fa puiflknce ; il n'étoit pas un fimple titre d'honneur dépourvu d'utilité:
il devoir donner au Roi de France lur Naples & Sicile, & fur tout ce qui
reftoit aux Grecs des débris de l'Empire d'Occident, des prétentions qui
font pour un Prince une fource réelle d'autorité. Non-feulement ce titre
devoit rendre inconteftable fa fouveraineté fur les Romains, accoutumés
à obéir aux Empereurs d'Occident, mais même l'aiFermir dans la Germai*
nie. En outre, les peuples d'Occident avoient toujours regardé la dignité
Impériale comme la première de l'univers. On prétend que le Pape fit U
pràpofition au Roi de ce nouveau titre, & que ce Prince le refufaffoit
par modefiie ou par prudence. Quoi au'il en foit, Charlemiagne étant
.venu à Rome dans le mois de Décemore, on fit de grands préparatifs
pour célébrer avec éclat les fêtes de Noël. Ce jour arrivé , il fe rendit
dans l'Eglife de St. Pierre , revêtu de Thabit des anciens Patricés : c'étoit
une longue tunique avec un grand manteau traînant, dont un des côtés
étoit rattaché fur l'épaule droite. Le Pape l'avoit devancé accompagné d'un
grand nombre de Seigneurs & de Prélats. L'Office ayant commencé p^n*
dant
à
fur la tête une couronne précieufe. En même temps
cria : Vive Charles Augufie^ couronné de la main de Dieu. Vie & ViSoin
au grand & pacifique Empereur des Romains. Enfuite le Pape vint lui ren*
dré les hommages que les Pontifes avoient coutume dé faire aux Emp^
reurs, quand il les laluoient à Rome en cette qualité : c'efl-à-dire qu'il fe
«lit à genoux devant lui, le reconnoiffant pour fon Souverain. Après
quoi, il l'oignit de l'Huile fainte ; 6c , après le fervice, le Prince retourna
à fbn palais ainfi revêtu. Eginhard afTure que Charles parut étonné &
mortifié de ce qui venoit de fe palTer j & que , s'il l'eût prévu ^ il fe fe*
C H A R L E M A G N E. 3«9
roit difpenfé de venir à PEglife. Mais la x^hùfe paroit difficile à croire ;
car le Pape eût-il ofé exécuter ce qu'il projettoit fans l'aveu du Roi ?
Bien plus, ce Prince parut retenir fort volontiers le titre qu'il reçut dans
cette cérémonie : il eut même peu d'égard au reflèntiment qu'en firent pa-
roitre les Empereurs Grecs , mais il les appaifa par des ambafTades. Dans
le fond , les Romains , en donnant à Charlemagne la qualité d'Empereur ^
ne prérendoient pas l'ôter aux Princes qui régnèrent depuis fur le trône
de Conftantinople. Ce ne fut qu'une communication de cette dignité, telle
qu'elle s'étoit faite autrefois lorfque le monde fe panageoit entre deux
Empereurs, dont l'un étoit Empereur d'Orient & l'autre Empereur d'Occi^
dent : & les Romains ne faifoient que rentrer dans le droit qu'ils avoient
eu autrefois , aufli bien que l'Orient , de fe choifir un Empereur. Au
refle , il eft bon d'obferver en pafTant que les Rois de France conferverent
cent ans la poffeflion de l'Empire ; & c'eft par eux que le corps Germani^
que jouit aujourd'hui de cet honneur & de cet avantage.
c
1
Idée d< la Cour de CharUmagnc.
Harlemagkb ne tarda pas à envoyer des AmbafTadeurs en Orient :
ceux-ci furent témoins à leur arrivée de la révolution qui fe paffa à Conf-
tantinople. La célèbre Irène étoit alors fur le trône : cette Princefle étoit
née avec les plus grands talens , mais fon ambition lui avoit fait com-
mettre les plus grands crimes. Elle avoir dépouillé fon fils Conflantin de
la couronne & lui avoit fait crever les yeux. Mais Nicephore ayant été
Îroclamé Empereur ^ il la fit defcendre du trône & la relégua à Lefbos.
,e nouvel Empereur déclara aux Ambafladeurs de France qu'il défiroit de
vivre en bonne intelligence avec leur maître , qu'il étoit prêt à le recon-
noitre Empereur d'Occident , & qu'il eriverroit inceflamment des Ambafla-
deurs à la cour de France pour régler les limites des deux Empires. Bien^
tôt après , les Miniftres François quittèrent Conflantinople & turent fuivis
àts Ambafladeurs de Nicephore.
Charlemagne reçut cette Ambaffade à Selts en Alface ; &, .profitant de
cette occafion pour réprimer la vanité des Grecs , il voulut qu'ils fiiffent
introduits à fon audience avec une magnificence furprenante ( a }. On les
fit d'abord traverfer quatre falles fuperbes , où étoient diflribués les Offi-
ciers de la Maifon de l'Empereur , tous dans une contenance refpeâueufe
devant l'Officier qui les commandoit. A chaque falle , ils fe profternoient,
croyant que c'étoit le Souverain. On les détrompoit , & on leur difoit que
ce n'étoient que les Officiers de la couronne. Après être tombés de nié-
prife en méprife , deux Seigneurs les introduifirent à l'audience de l'£m«
wmmitmKmmmmmtmmmÊmmmÊÊmÊmÊÊamÊmmtmmmmmmmmmmmHmm
(4) Mézerai.
39» Ç H A RL E M A G N E.
t
f
pereur. Ce Prince éçoic debout, & environné des principaux Seigneurs &
des Rois Tes enfans (a)^ des FrincefTes fes filles , tous fuperbement parés.
Une AfTemblée fi augure les avoit déjà intimidés; mais ce qui acheva de
les déconcerter fut la bonté avec laquelle l'Empereur traitoit TEvêque Hel-
ton, fur répaule duquel il étoit appuyé. Cet Evéque avoit reçu mille hu-
miliations des Grecs dans fon Ambaf&de k Conflantinople. Charlemagne,
après avoir joui un inftant de leur embarras, les raflTura en leur difant
qu'Helton leur pardonnoit ; & , que , pour lui , à la prière du Prélat , il
vouloit bien oublie^ le pafTé. Le traité fut bientôt conclu. Charlemagoe
fut reconnu Empereur d'Occident.
p
Fin de la Guerre des Saxons.
Enbant que tout étoit fournis à la fiuiflance 4e l'Empereur des Fran-
çois, les Saxons feuls oferent lui réfifler. Ceux qui habitoient à l'embou-
chure de l'Elbe , placés dans des marais inacceffinles , & fe croyant ilks
de l'impunité « excitoient fans çefTe leurs voifins à la révolte. L'Empereur
voulut extirper cette racine des troubles. Il conduifit une puiflante armée
dans le pays des faâieux , & il en tranfporta dix mille ramilles dans la
Flandre oc le Brabant ; il difpofa des héritages de ceux qui demeurèrent
dans leur pays. Les Saxons terralfés fans reffource ne fe relevèrent plus de
leur chute. Ainfi finit cette guerre cruelle qui avoit duré trente- trois ans.
Après avoir réduit les Saxons, Charlemagne voulut réduire les Bohé*
miens , & joindre la Bohême à fes autres conquêtes. Il confia l'exécution
de ce defTein à fon fils Charles qui en vint à bout heureufement. ,
Fendant les dernières années de la vie de Charles , de nouveaux enne-
mis plus redoutables que les Bohémiens , s'élevèrent contre la France.
L'Empereur reçut avis que des Pirates Normands avoient paru dans U
Manche , & qu'il étoit à craindre qu'ils n'infultalTent les côtes d'Aquitaine.
Ces corfaires entroient par l'embouchure des grands fleu^ves, defceadoient
à terre , pilloient le pays & fe retiroient avec leur butin. Eginhard qui a
écrit la vie de Charlemagne, rapporte que cet Empereur étant un jour
dans une ville de Languedoc , .vit du château où U étoit quelques vaiffeaui
qui arrivoient. Ce Prince jugea, à la forme de cps bàtimens, que c'é^
toient des corfaires Normands, On envoya quelques barques pour les re-
connoitre. Les mouvemens qui fe faifoient fur le rivage, & la fuite de l'Em-
pereur qui étoit répandue de tous côtés , firent juger aux Normands que le
Monarque étoit dans cette ville , Se ils fe retirèrent avec précipitation. Cet
événement fit faire à Charlemagne de trifles réflexions pour l'avenir. Si ces
peuples, dit-il, ofet^t menace l^ France pendant que ]e vis encore, que
(a) Charles, Roi d'Aquitaine; Pépin, Roi dltalie.
C HA RLEMAGNE. 391
fërofiMIs donc après ma mon? PrefTentiment qui ne fut que trop confir-
mé par tous les ravages qu^on éprouva fous les AiccefTeurs de Charles.
D
Couronnement de Louis , fuccejjcur dt CharUmàgne ,
An, de /. C. 8ij.
Epuis quelque temps, la fanté de l'Empereur étoit afFoîblîe. La
muii de fon nls Pépin, Roi d'Italie, le plongea dans la plus grande doub-
leur , car il avoit pour fes enfàns la plus vive tendrefle. Mais ranaée fui-
vance , ayant encore perdu Charles fon fils aîné , toute fa fermeté ne put
être à l'épreuve d'un coup fî rude. Ces fecoufles réitérées achevèrent de rui-
ner fon tempérament. Cependant il continuoit à veiller fur toutes les par-
ties du Gouvernement avec fon exaâimde ordinaire ; mais on s'apperce-
voit que fes forces diminuoient de jour en jour. Cotnme ce Prince nç
diflimuloit point fon état, il voulut régler l'ordre de fafucceffîon avant que
d'être furpris par la mort. U fît afièmbler les Grands de fes Etats à Aix--
la-Chapelle , oc leur déclara le deffein qu'il avoit fçrmé d'afibcier fon fils
Louis, à l'Empire , & de nommer le jeune Bernard , fils de Pépin , Roi
d'Italie. La cérémonie du couronnement fe fit le Dimanche fuivant. L'Em-
pereur étoit revêtu des ornemens impériaux , & portoit la couronne fur la
tète : une autre couronne étoit placée fur l'Autel. Tous les Grands étoient
attentifs à ce qui alloit fe paffer.
L'Empereur , fuivi de fon fils , fe proflerna aux pieds de l'Autel ; & «
après avoir prié quelque temps, il fe releva, & adrefîant la parole à Louis:
» Mon fils , lui dit-il , n'oubliez jamais que le-premier devoir d'un Empe-
» reur efl d'aimer & de craindre^ Dieu , & d'obferver exaâement tout ce
» qu'il a commandé. Veillez fur-tout fur les Eglifes : ne fouffrez pas que
» les Miniflres de la Religion négligent leurs devoirs , & fbyez leur Pro-
» teâeur , fi l'injuflice cherche à les opprimer. Que le bonheur de vos
9 peuples foit l'objet continuel de vos foins. Souvenez-vous fans cefle que
» vous êtes leur père , que c'efl à vous de foulager la mifere du pauvre ,
» de défendre l'opprimé , & de punir l'ufurpateur. Ne confiez les emplois
9 qu'à des gens éprouvés & connus pour incorruptibles. Ne déplacez ja*
s» mais fans aucun motif aulfi important que légitime , ceux que vous aurez
-9 élevés. Je vous recommande vos jeunes frères & vos fœurs & les enfàns
9 de votre frère : aimez-les, refpeâez mon (ang qui coule dans vos vei*
9 nés ; & qu'ils me retrouvent en vous, «c
Louis jura folemnellement d'obferver les règles de conduite que fon
père lui prefcrivoit. Alors l'Empereur lui ordonna d'aller prendre la cou-
ronne qui étoit fur l'Autel & de fe couronner lui-même; circonflance im-
{>ortante , qui montre combien Charlemagne étoit perfuadé qu'il ne tenoic
'Empire que de- Dieu & de fon épée. L'Eglife retentit des acclamations
39*
CHARLEMAGNE,
des Grands & du peuple ; & Charles , comblé de joie , prononça ces pa-
roles que David avoic dites en faifant facrer Salomon : Béni Joye^vous \
mon Seigneur & mon Dieu ^ par qui p ai la confolation de voir mon fils ajfis
fur mon trôiUn
Feu de tems après ^ le jeune Empereur reçut ordre de retourner ea
Aquitaine : les adieux des deux Princes furent des plus tendres , & ils fe
réparèrent avec une triftefTe qui annonçoit qu'ils ne fe verroîent plus. Char-
lemagne fe Tentant près de la fin , cônfacra le refte de Tes jours à régler
l'Ëtat : il afTembla nombre de Parlemens pour rétablir la difcipline Ecclé-
fiaftique que la guerre avoir altérée , & pour régler diffîrentes af&ires :
il ne s'occupa plus que de la prière, de l'aumône & de la correâion de
quelques exemplaires des Livres facrés , auxquels il cravailloit avec des
Orecs & des Syriens.
Le 20 janvier de l'an 814., la fièvre le prit : il crut d'abord qu'une diète
auflere , quiétoit fon remède ordinaire, luffiroit pour le guérir; mais une
douleur de côté qui fe joignit à la fîevrê fit connoitre que ce Prince étoit
attaqué d'une pleuréfie. Bientôt il jugea lui-même que fa fia n'étoit pas
éloignée : il vit approcher avec fermeté le moment de la mort. Il de*
manda l'Extrême- Onâion & le Viatique qu'il reçut avec les marques de It
piété la plus iincere. Enfin le feptieme ]our de fa maladie, fe feotant à
l'extrémité, il fit le figne de la Croix fur fon front & fur fon cœur» &
mourut en difant ces paroles : Seigneur ,ye remets mon ame entre vos mains.
Il étoit âgé de foixante*douze ans; il en avoit régné quarante-cinq comme
Roi de Frarice, & treize comme Empereur. Il fut regretté non-feulement
des gens de bien & de tous fes Sujets , mais des Etrangers & des Payens
mêmes. Ce grand Prince eft digne par &s conquêtes d'être égalé aux plus
fameux conquérans. Il eut toutes leurs grandes qualités , & il n'en eut
point les vices. Après avoir foumis l'Aquitaine , l'Italie, la Fannofiie» U
<?ermanie & une partie de l'Ëfpa^ne , il ne fut point ébloui de fa gloire,
& réfifta aux illuhons de la profpérité. S'il eut de l'ambition , il fut la
fubordonner au bien public. Sa vie fut un enchaînement continuel d'occupa-
tions dont le bonheur de la Nation étoit l'objet. Né avec un cfpric valle
& un cœur droit, il connut toute l'étendue des devoirs d'un Souverain &lcs
remplit avec ponâualité : il aima la juflice , ôc rechercha la vérité. En un
mot , on peut dire qu'il fut à la fois un grand Capitaine , un grand Roi
& un grand homme. Charlemagne fut inhumé dans un caveau de la ma-
gnifique Chapelle d'Aix, que ce Prince avoit fait bâtir en l'honneur del»
Sainte Vierge. Son corps rut revêtu des habits & ornemens impériaux &
affîs fur un fîege d'or. On éleva fur fon tombeau un arc de triomphe avec
cette infcription : Ici repofe le corps de Charles , grand & orthodoxe Et^'
pereur , qui étendit glorieujement le Royaume des François , & le gouverna
Aeureujfement pendant quarante-cinq ans, '
Ce Prince eut quatre femmes fuccefTivement ^ Hermengarde , fîlle du R<h
Lombard ;
CHARLEMAGNE. ( CaraStn dt ) 393
Lombard ; Ifildegarde dont il eut quatre fils , Charles , Pépin ; Louis &
Lochaire , & cinq filles ; Fuflrade dont il eut deux filles , & Luirgarde.
Après la mort de cette dernière, il ne voulut point de femmes qui eufTent
le titre de Reine, & prit quatre concubines^ mais fucceitivement : cette
union étoit regardée dans ce tems comme légitime , en fuppofant qu'on
n'en eût qu'une à la fois ; & tel eft le cas où fut Charlemagne.
CARACTERE
CHARLEMAGNE,
Par M. Cka ME Ky dans fon Hifioin UnivcrftUc^ en Allemand ^
étoit et morceau cft tiré.
un vafte
La con*-
qu'il n'y avoir qu'un génie aufli
extraordinaire que le fien , qui pût foutenir cette monarchie dans le degré
de fplendeur auquel elle étoit montée. Il avoit fous fa domination un
nombre infini de peuples ^ qui fè méprifoient & fe portèrent envie réci*'
prôquement. La concorde avoit difparu du milieu des Francs ^ & la jaloufîe
régnoit entre les habitans de l'Auftrafie & les Neuftriens. Les autres peu-
ples qui anciennement étoient libres , n'avoient été foumis la plupart que
Ear la force vidorieufe de fts armes. Les Lombards & les Bavarois n'o-
éiffoient qu'à contre-cœur. 11 n'y eut jamais de guerre plus fanglante &
plus ruineufe que celle qu'il fit aux Saxons. Wittiking ne mérita pas moins
que Charlemagne le nom de héros : il ne lui manquoit que d'être aufli
prudent , auffi heureux ^ & aufli puifTant que lui. On pouvoir regarder les
Danois comme des voifins d'autant plus dangereux , que Geodfroy leur Roi
étoit intrépide & grand politique. Le caraâere belliqueux & les excès des
Huns & des Sarrafins les rendoient redoutables. La Nobleife de l'Etat'
étoit brave à la vérité , mais inquiète & accoutumée à prendre part au
gouvernement. Le pouvoir dont jouiffoient les Ducs & les Comtes qui
gouvernoient les Provinces» les fiufoient penfer fouvent à l'indépendance.
Le Monarque avoit- il befoin d'une armée , il étoit à certains égards fou-
Tome XI. Ddd
A
)9^ C H A R L B M A G N E. ( Ctiritaerc 4*)
jdes armëe^ qui ne. dépendent pas des autres parties At TEtat , Cr quH y
A des loix qui non-feulement les foumettent au Prince ^ mais qui les ibnt
nème fervir à contenir dans robéif&oce le refte des fujêts. Telle n^ëtoit
pas Tarmée de Charlemagne, Il fut obligé de partager l'autorité fbuveraine
avec la Nobleffe & le Clergé ; & malgré cela , perfonne , ni avant ni
'après lui, n'a gouverné l'Occident avec plus de bonheur, & n'a joui d'un
pouvoir plus ilUmiré que le fien. Outre ces obftacles qui s'oppofoienc à là
domination , il eut encore l'ignorance & la barbarie de fbn fiecfeà fiirmoo-
ter. Les arts & les fciences avoient été inconnus jufqu'à lui) mais de tout
l'qfpace des fix premiers ficelés qui s'écoulèrent depuis ce Prince & fous
fts defcendans, le temps de fon règne fut fans contredit celui où l'oo
vit le plus de lumières & de favoir. Quant à fon père & à fes conquêtes,
on peut comparer Pépin à Philippe de Macédoine , & Charles à Alexandre.
Ses talens & fes aâions l'éleverent même en quelque forte au-defTus de
Louis XIV. Car il exécuta par lui-même ce que Louis a fait par Colberr.
On a coutume , lorfqu'on veut louer de grands Princes y de les mettre ea
pai;allele avec AuguAe^ le fondateur de la monarchie Romaine, dont Ho-
race & Virgile ont tranfmis le nom à la poftérité. La comparaifon avec
Charlemagne feroit peut-être plus noble oc plus fouvent employée , sH
avoit eu de pareils honmies pour panégyriftes , ou fi on lifoit un Egifl-
hard, les Chroniques du Moyen Age^ cl les Capitulaires ^ avec autant de
plaifir qu'on lit Dion & Suétone.
Charles poflédoit tout ce qui peut concilier à un Prince la confidératioa
& le refpeéè. La nature ne lui avoit refufé aucune des qualités extériea*
ces qui font fur les peuples une impreifion favorable. Il étoit fort &
jEobufte ; fa taille (ans être trop haute , étoit avantageufe ; il avoit l'oeil
vif, & le nez beau. Les fa vans ont prefqu'autant parlé de fa barbe qae
de fon caraâere. Monter à cheval , nag;er , chaifer , c'étoient ies occu-
pations auxquelles des peuples aufiî belliqueux que les Francs , troavoieot
un plaifir infini. Il les furpafîbit tous dans ces exercices. Autant fa Cour
étoit brillante, autant y avoit-il de fimplicité dans fes vêtemens; j'en ex*
cepte ces jours de cérémonie , où il convenoit que le chef fourint la gloire
de FEtat. Il fe rendit fur-tout recommandable aux peuples par (on goût
êour leurs vêtemens nationaux \ il ne porta des habits à fa Romaine qu^
Lomé , deux fois feulement , & pendant peu d'heures , uniquement pour
déférer aux inftances du Pape.
Il fut héros dès fon enfance. Il triompha par^tout où il fe trouva eo
perfonne ; & ce qui eft plus remarquable encore , c'eft que la viftoire
accompagna toujours fes généraux. Aucun Prince ne paya mieux de ft
perfonne dans le danger; aucun ne fut l'éviter avec plus de fageflè. Il
furmonta,& même fans efforts, ces .dangers auxquels les grande. jÉnqué"
rans ne font oue trop expofés , je veux dire , les conjurations. SÏPprojecs
éfoient vaftes oi les moyens qu'il employoic pour les exécuter étoientfiai'
Û H A R I E M A G N E. ( CaraOere it ) 39^
pies. Il coDduiroit les pliis grandes entreprifes avec une fitdlfté admira*
Ue y & achevoic les plus difficiles avec une rapidité étonnante. Son regnt
vît naiore de toute part de$ troubles fans nombre , & cependant il paci^
£a tout.
Il mit des bornes au pouvoir des nobles qui» à l'exemple de leurs an^
cétres , cherchoient , en opprimant le clergé , à s'élever toujours plus. Il
les employa dans toutes Tes entreprifes , & ne leur laiflant pas affez de
loifir pour former des projets ^ il les obligea à n'être occupés que de feft
intérêts. Comme Ton Empire étoit d'une extrême étendue, il'avoit à crain^
lire que ceuiT qu'il établiflbit fur les frontières , ne fuflfent tentés de fe ré«
▼olter. Par cette raifon il efpéra trouver plus de zele & de fidélité dan^
le clergé. De-là vient qu'il fonda en Allemagne plufieurs Evêchés qu'il
combina avec des fiefs itîiportans. Les Evêques n'étoient pas fîmplement
des Pafteurs dans leurs Evéchéi; c'étoient encore des Seigneurs & des
Juges qui jouifloient de tous les droits anciennement attachés aux fiefs. Il
avoir principalement en Saxe un grand nombre de pareils vaffaux. Il ne
craignoit pas non plus que ces peuples, ennemis jurés du Chriftianifmè ,
J^agnafTent les Evêques , & fiflent entrer dans quelque conjuration des Pré-
ats qui avoient un trop grand befoin de fon fecours pour fe maintenir
contre les infidèles ; d'ailleurs , outre l'attachement qu'il avoit droit de fe
promettre de ces Miniftres , il , pouvoit encore fe flatter que leurs inf^
truâions rendroîent infenHblement cette nation plus docile, & moins fauvage.
S'il étoit demeuré toujours renfermé dans fa chère ville d'Aix , les efforts
& les rebellions de tant de peuples inquiets auroient , (inon renverfé , du
moins confidérablement ébranlé- (on trône , mais ceux de fes vaflaux qui
penchoient à la révolte , n'ofoient que bien rarement faire parolcre leurs
difpofitions y ayant fa préfence à craindre à chaque inftant. Sa Cour n'a-
▼oit point de réfidence fixe; il étoit préfent par-tout, & faifeit lui-même
les arrangemens nécefTaires , par-tout où une partie du corps immenfe dé
l'État menacoit de s'écrouler.
De fon temps les Danois , redoutables fur mer , pilloient les vaifleaux &
dévafloient prefque toutes les côtes de l'Europe. Celles de fes Etats fouf*
frirent beaucoup de leurs pirateries. Mécontent de n'être pas auflii refpeâé
fur mer que fur terre , il réfolut de fe rendre maître de l'Océan. Le pro-
jet étoit hardi , les forces des Normands étant aufli confidérables qu'elles
l'étoient. Mais chez ce Prince , réfoudre & exécuter étoit la même chofe.
Son courage & fon génie triomphoient de tous les obftacles. On ignoroit
alors l'art de conftruire de gros vaiffeaux ; il trouva le moyen d'en faire
de cinq ou fix rangs de rames. Lui-même apprit aux matelots \ lancer, à
Paide des leviers, les vaiffeaux en mer, à côtoyer le rivage, à attaquer, à
fe défendre ; & bientôt il eut une flotte de quatre cents galères. Peut-être
même auroit-il fubjugué tout le Nord , fi les invafions des Sarrafins , &
de nouveaux troubles en Italie ne l'en euffent empêché.
Ddd %
39^ C H A R L E M Al G N E. ( CafaStn dt )
Il ne fe' contenta pas de rendre fes fujets redoutables } il irouluc encore
les enrichir. Dans cette vue, il réfolut de faire avec le temps de l'Alle-
magne & de TAuflrafie le centré du commerce de PAfie & de l'Europe. Il
fit lui-même des plans de canaux qui dévoient réunir le Danube, le Rhin,
& le Rhône. II fe propofa d'ouvrir de nouveaux chemins par la Mer du
'Nord dans la Mer Npire,& de ces deux mers dans la Méditerranée. Le
canal par lequel il vouloit réunir le Rhin & le Danube devoit avoir trois
cents pieds de largeur , & aflez de profondeur pour porter des vaifTeaux
de guerre , mais le terrein par lequel il devoit paffer , fe trouva mou , trop
marécageux, & comme l'art de deffécher les terres & de les affermir,
ëtoit encore inconnu , îl fallut , après avoir pouffé l'entreprife jufqu'à mille
pas , s'en défîfter.
Quelque peu de fuccès^ qu'ait eu ce projet, il prouve pourtant la force
du génie de fon auteur, & mérite d autant plus l'admiratioQ , que les
fomnies immenfes qu'il abforba , ne chargèrent point les fujets de Charte*
magne , & ne portèrent aucune atteinte aux avantages qu'il fut leur pro-
curer par des voies plus heureufes. Les tréfors que le butin qu'il fit ï la
guerre, mit entre ^ts mains, contribuèrent fans doute beaucoup à lui faire
à leurs tréfors, que quand c'efl de fa bonté qu'ils les tiennent; c'eft pour^
quoi il répandit au milieu de fes peuples^ avec la plus grande généroiité,
les fommes immenfes qu'il avoit ramaflées en Italie , & celles que foa
iils Pépin trouva dans le camp des Huns vaincus. Peut-être auffi avoit*ii
en vue d'adoucir un peu par l'abondance, l'humeur trop guerrière des Al*
lemands ; mais il manqua fon but. L'or des Pannoniens fit éclore le goftc
du luxe & de la volupté dans les divers* Etats de l'Empire. La pauvreté
qui en avoit fait de fi vaillans foldats, devint méprifable. Ces maux ce-
pendant , qui font toujours inféparables de la profpérité , ne pouvoient gagner
beaucoup fous un Prince qui favoit les réprimer par de fages ordonnancés
foutenues de fon propre exemple. Ce ne fut que fous des Rois foibles que
la Monarchie trouva fa perte dans ce qui &t, fous des Princes fages, le
bonheur & la gloire d'un Etat. Les Allemands , ces peuples autrefois in-
^;^ vincibles , ne furent enfevelis fous leur propre grandeur , que fous la do*
'' mination d'un Louis-le-Débonnaire & de Tes delcendans.
Charles étoit auffi économe que libéral. Un père de famille peut appren*
dre dans fes loix l'art de gouverner fa maifon. On y voit les fources pures
& facrées, dans lefquelles il puifa les richeffes. Le foin avec lequel il o^
F
C H A R L E M.À G N I^. (CaraSert de) 397
qu^iin Monarque qui comtnlDdoit depuis la Baltique jufqu^aux Pyrénées,
& qui eut prefque toujours des guerres à foutenir ^ ait pris foin de Tes
forèt$ , des pâturages y des ruches , de la pêche , du jardinage , de Tàgriculr
ture, en un mot, de tout ce qui appartient à Téconomie rurale, au point
qu'on étoit obligé de lui en faire le rapport le plus exaâ & le plus cir-
conftancié? Il nommoit jufqu'aux fleurs & aux herbes qu'il vouloir qu'on
cultivât dans fes jardins. Charlemagne , ( qui le croiroit ! ) s'occupoit de la
rue , de la fauge , du romarin , & de bien d'autres plantes femblables. Il
ordonna de vendre les poiflbns , & les œufs de fts métairies , les herbes
ruperflues de fts jardins , & de les porter en compte. On dira peut-être
qu'il avoit fait dans la fcience de l'économie , plus de progrés qu'il ne
convient à un Empereur , mais qu'on fe fouvienne que cet Empereur
ui gouvernoit avec tant de foin fes domaines , répandit parmi les
Vancs les richefles des Lombards , & les tréfors des Huns qui avoient pillé
la terre.
Grand Légiflateur, il fit d'excellens réglemens ; il fit plus encore, il
les fit obferver. Les Rois fes fils étoient fes premiers fu jets , minifires de
fon pouvoir & modèles de l'obéiflance qu'il exigeoit. On trouve dans fes
loix un efprit de prudence qui embraffe tout, & une force de perfuafion
qui entraine les cœurs. I! obvie aux prétextes que les hommes inventent A
pour fe difpenfer de leurs devoirs. Les négligences furent réparées, les
abus ou abolis , ou prévenus , ou étouffés dès leur naiffance. Charles favoit
punir les violateurs des loix \ il favoit auffi pardonner à propos. Enfin il
porta fi loin Part de gouverner , qu'il adoucit le caraâere des peuples Bar^-
bares de fon Empire, peuples qui ne connoifToient avant lui d'autre féli-
cité que celle de vivre dans une liberté fauvage^ il les foumit au joug de
la railon, à celui des loix & de la religion.
La différence des droits & des coutumes de fes Etats étoit un vice caché ^
& funefte à la Monarchie. Il comprit l'embarras qui réfultoit des déci-
fions contraires des loix Romaines , Allemandes , Saliennes , Ripuariennes ,
Bavaroifes, Saxonnes & Lombardes. Il réfolut en conféquence de faire un
code commun pour tous fes peuples. Il voulut tirer des loix déjà connues ce
qu'il y avoit de meilleur , corriger ce qu'elles renfermoient de défeâueux »
ajouter ce qu'il y manquoit , & en faire difparoitre les contradiâions. Il
lit rafTembler pour cet effet les loix qui étoient déjà écrites , & écrir*
celles qui ne l'étoient pas. Il efl fâcheux qu'il n'ait pu conduire à fa fin
une auffi belle entreprife. Les Francs auroient fans doute été heureux d'a-
voir un pareil code, dont les différentes parties fe feroient foutenues. Se
confervées dans une intime liaifbn ; mais quoique Charles n'ait pu ache-
ver cet ouvrage par des raifons qu'Eginhard n'indique pas ; il donna ce-
pendant de temps en temps les loix les plus falutaires & dont la fagefle
fe manifëfie , fur-tout lorfqu'on penfe aux trifles conjonâures de ces temps-
là. Ce Monarque étoit fi occupé du foin de fon Empire , qu'il avoit toutes
/,
}98 C H A R L E l) A G,N E. ( CaraSen de)
les nuits des tablettes (bus fon chevet pour y marquer ce qu'il ittaginott
d'utile , dans les momens où il ne dormoit pas«
A l'exemple d'Alexandre Sévère» il confèroit de tout avec les plus ha-
biles de fes Confeillers. Il minutoit lui-même les loix qu'on foumettoit
enfuite au jugement des Etats civils & eccléfiaftiques, après Tapprobatioa
defquels elles étoient rendues publiques. Le but principal de ces loix étoit
de corriger les défordres qui régnpient parmi le clergé. Outre les régie»
mens généraux qui concernoient tous fes fujets, il améliora les loix des
Saiiens , des Ripuaires , des Saxons , des^ Lombards , & y ajouta de bons
fupplémens. Charles avoit des Ducs & des Comtes. Les premiers condui*
/oient les armées , & les féconds rendoiem la juflice dans les Provinces;
Afin qu'on pût appeller de leurs arrêts » il établit à fa Cour divers tri*
bunaux qui conflrmoient ou cafToient ces featences« Ces Juges fupérieurs
s'appelloient Comtes Palatins , parce qu'ils étoient Officiers du Palais de
l'Empereur,
Charles avoit d'excellens Généraux , & de prudens Confeillers ; mais ce
qui mérite encore plus d'admiration, il n'avoit point de favori. Il régnoit
. par lui-même. Fauftrade fut de toutes {^% femmes la feule qui eut un peu
trop de crédit auprès de lui. Théodulfe, Evêque d'Orléans., exalte , il eft
vrai , la piété de cette Princeffe ; mais ces éloges fe trouvent dans une épi*
caphe & le Panégyrifte étoit Poète. Fierc & cruelle, elle prit une fois l'aA
' cendant fur fon époux au point de le faire entrer dans (es fureurs , con<«
tre quelques grands de l'Empire* Audi cette démarche penfa-t-elle perdre
l'Empereur \ car il fe trama une confpiration fecrete & dangereuse , qui ne
tendoit pas à moins qu'à lui ôter la vie \ mais elle fut découverte & diT*
fipée peu avant le terme où elle devoit éclater.
La piété de Charles étoit plus éclairée , qu'on n'auroit lieu , vu la fuperA
tition & les ténèbres de ce temps, de l'attendre d'un Prince qui peôdant
tout fon règne fut occupé de guerres continuelles. Il exigea des eccléfiaiti-
\ ques qu'ils donnaient à leurs difciples des idées raifonnables de la reli'*
gion ; il écrivit lui-même , ou fît écrire fous fon nom , contre le culte i^
images. 11 ordonna expreflëment par un Capitulaire , qu'on n'employeroit
que des hommes raifonnables & d'un âge mûr , pour copier les faintes Ecri*
fures« Il fit revoir & corriger avec grand foin le vieux & le nouveau tef-
ument. II écrivit à fès Abbés & \ {t.^ Evêques, les exhortant à s'ap{)Ii-
/ quer à l'étude des fciences humaines. 11 vaut mieux, dit-il, faire le bien
/ ' que le connoltre , mais il faut le connoitre pour le faire. Il adiftoit avec
^ele au fervice Divin. Il ne négligeoit pas même les exercices qyi fe ^*
foient alors de nuit. J'avoue que les voles qu'il employa pour &ire em*
braffer le Chriftianifme aux Saxons vaincus , font peu conformes à l'ef«'
prit de notre fainte religion. On peut dire qu'il les força à changer une
fuperftition contre une autre , puifqu'on les conduifit au baptême l'épée \
U main. Mais qui oferoit exiger avec équité d'un génie , quelque graod
?.
G-H A R 1 E M A G N Ê. ( Carackn dé) ^99
^u^il foie 9 ^bs quHI appartient au fiuitieme fîecle , qu'il égale dans toutes
es parties un génie même médiocre du dix-^huitieme?
Riçn ne mérite plus Padmiration de la poftérité que (on amour pour les
connoifTances folides & pour les arts utiles. Les fcrences avoient été en«
Hérement bannies de rAlIemagne depuis les défordres bccafionnés par les
Barbares qui inondèrent tout l'Occident. Comment auroient-elles pu fleu-
rir/ ou feulement fe fbutenir, les peuples n'ayant pas d^occupation plus
fireffante que celle de conferver leur vie & de défendre leurs pofleflîons}
1 s'élevoit de tems en tems , il eft vrai , de grands hommes , pour difliper
ces ténèbres prefqu'univerfelles ; mais leurs efforts ne produifoient que
âes eiFets pafTagers. Les eccléflafiiques étoient aflez habiles lorfqu'ils favoient
lire & écrire. Charles , qui fe portoit à tout ce qui eft véritablement grand ^
mit fin à cette éclipfe générale des fciences & des arts. Il les ranima dani
fes États; il appella tou$ les hommes à talent qu'il put découvrir; ils les
combla de bienfaits ; & l'intimité dans laquelle il vivoit avec eux , réveilla
le goût & Tamour de l'étude. En ceci il fut encore le premier qui donna
i
qu'il cheriffoit le plus. Il fut à nlaindre de ce que
providence ne jugea pas à propos de faire naître fous fon règne de plus
grands hommes qu'un Alcuin , un Pierre de Prie, un Téodulfe, & d'autres
ieml>lables. Auffi s'écria-t-il avec raifon , vu cette difette d'heureux génies .
àh ! (i j'avois une douzaine d'hommes anflî doQes qu'Auguftin & Jérôme î .
Peut-être auroit-il plus fait avec eux qu'Augufïe avec (es Horaces & fes A
Virgiles , ou Louis XIV avec toutes (es académies. C'eft ce qu'on peut / ^
conclure de la réponfe que fit Alcuin avec un peu de dépit à ce vœu (i
lage. Quoi , Sire , le maître des cieux & de la terre , n'a eu que deux hom«
ines de ce mérite tranfcendant , & vous en voulez douze.
Malgré cela il fe forma bientôt deux académies à fa cour; on élevoit
dans l'une de jeunes nobles auxquels il dtftribuoit des récompenfes , fui-
vant les progrès qu'ils avoient faits dans les fciences. L'autre confîftoit en
(avans qui &'a(reny>loient dans fon palais pour s^y entretenir fur des matiè-
res relatives aux arts & aux belles-lettres. Quelque nombreufes que fuffent
fcs occupations , il fe ménagoit toujours Mez de* loi(ir pour aflifter à ces
conférences. Chacun des membres de cette célèbre affemblée avoit pris un
nom difFérént du (ien propre. Charles s'appelloit David , Alcuin Flaccus A1--
bianus ; l'Archevêque de Mayence Dameras , & celui de Trêves Macérias ;
Vala étoit Arfenes ; A délard , Abbé de Corbie, Auguftin; & Angilbert,
jeune Cavalier , élevé I la cour , Homère. Charles , pour infpirer le goût des
fciences à fes fujets , & leur en donner l'exemple , pouflfa la complaifance
jufqu'à apprendre dans fa vieilleffe l'art de bien former les lettres. Il com-
prit que pour didiper l'ignorance de fon (îecle , il falloir qu^il fût non feu-*
lemem le Monarque , mais encore le Doâeur de fes fnjets ^ & il le fut
409 C H A R L E M A G N E. (CaraSere de)
^ en effet. Non content de reprocher aux Moines & aux Abbés qui lui
voient , la grofliéreté dé leur (lyle & la barbarie du Latin de leurs lettres ^
il entreprit de faire une Grammaire pour Ton peuple , dans laquelle il
corrigea plufieurs mors francs qui étoient moitié étrangers & moitié latins.
Il parloit au(G bien cette dernière langue que fà langue maternelle. Peut-
être étoit-il avec cela le meilleur Poëte de Tes immenfes États. Un aufH
bel exemple fit naître le goût de l'imitation, chez les Moines, chez les
Laïques , chez les Courtifans » & même chez le beau fexe ; parmi lequel
on compta dts Agronomes. L'amour des fciences devint dans l'efpace de
vingt ans la mode de la cour : & comment cela n'auroit-il pas été ; puiP
A que Charles s'occupoit , même pendant les heures de Tes repas , à enten*
/ dre la leâure des anciens? Il petfeâionna la Mufique dans le fervice di via ^
& fit venir pour cela les meilleurs chantres d'Italie. Les édifices qu'il fie
conflruire , prouvent Ton goût pour les arts« Aix étoit Ton féjour favori , il
y fit bâtir un temple & un palais fuperbe , où les règles alors connues,
furent exaâement obfèrvëes.
Du moins efl-il certain qu'il lifoît Vîtruve. On lui fît préfent d'un cabinet
dont les colonnes d'ivoire étoient travaillées d'après les principes de cet Avf
teur , & Eginhard affure, que cet ouvrage étoit réellement dans le gourdes
anciens Romains. Les bains chauds furent une des raifons principales ^ui
portèrent Charles à préférer Aix aux autres villes , & ^ l'embellir. Ceshuni
ornés de Heges magnifiques & de degrés de marbre, étoient fi vafles que
cent perfonnes pouvoient s'y baigner à la fois. L'Allemagne ^ la France, llta*
lie montrent encore bien des relies des édifices conflruits fous cet Empereur.
Si le Monarque étoit grand , l'homme ne l'étoic pas moins. Charles fût
prefque conflamment maître de fes paflions. Sa tempérance étoit grande:
il lui devoit cette famé ferme que ni fcs campagnes, ni les foins du gou-
vernement, ni fes favantes occupations n'avoient pu altérer. Il avoir l'art
de defcendre jufqu'à la familiarité » fans avoir à craindre qu'on s'écartât
du refpeâ qui lui étoit dû. Il n'y eut que lui qui ofa ^'expofer à fe met-
tre à la nage avec les foldats de fa garde ^ dans les bains chauds dMix*
A la guerre il fembloit n'être qu'un fofdat, quoiqu^il ^t un grand Capi"
taine. Sans oublier fon tznZf il converfoit avec les ccrartifans comme s'il
eût été leur égal. On ne fauroit difconvenir qu'il n'aimât la gloire & l^
éloges , mais c'étoit de manière qu'aucun flatteur ne pouvoir le corrom-
pre. Inconfiant dans fes amours , il manqua quelquefois à la fidélité coo^
jugale; aufli fut*ce prefque là l'unique tache de la vie : mais qui n'auroit
quelqu'indulgence pour un Charlemagne? On n'a pas befoin de demander
à préfent Comment la Monarchie des Francs s'éleva vers la fin du huitième
(iecle à un fi haut degré de grandeur, & acquit tant d'éclat. La Providence
fufcita Charles qui fut digne du nom de grand \ elle le doua d'un génie fu-
périeur & enchaîna la viâoire à fon char, pour montrer que les talens
& les vertus des Princes font les feules caufes du bonheur des peuples.
CHARLES V,
CHARLES V, Roi de France. 40 1
CHARLES V, furnommé Le Sage, Roi de France^ né au bois
de Vincennts le zt Janvier 133'/ ^ Roi depuis z^Sj^ jufqu'cn 1380,
& regardé comme le rejlaurateur de la Monarchie Frangoije.
s
)^ I la voix puiflante qui appelle tous les êtres de la nuit du néant , en
créant Tame d^un Monarque, lui dévoiloit, en même-temps, les dangers
qui Pactendenr; Ci elle daignoit lui dire : d O toi, qui vas mouvoir un
V corps mortel, je te laiflè maitrefTe de tes deftins, veux-tu ceindre le
» bandeau des Rois, ou traîner le foc de la charrue? Examine & prb-
» nonce. " Je crois entendre cette ame éclairée répondre au Créateur :
» O Dieu, éloigne de moi ce trifte diadème. Qui, nioil foutenir, entre
o mes foibles mains, l'immenfe fardeau de la royauté, pourvoir à la fû-
s> reté, à la fubnftance , aux befoins politiques d^un peuple nombreux,
» être l'adminiftrateur de la juftice, le maître des opinions, Tarbitre da
» mœurs ^ ne pouvoir rien faire d'indifférent? Accorde-moi donc, ô Dieu^
» un double degré d'intelligence ; préferve-moi de cette ivreffe qui ne fur-
« prend que trop dans un état d'élévation ; fauve^moi de mon propre
s> cœur, ou plutôt, permets à un atome , pénétré du fentiment de ià roi-
» bfefle, de vivre caché dans la foule, ann que je ne fois un jour conip'^
p table devant ton trône , que des devoirs d'un homme , & non de
» ceux d'un Roi. '*
Mais nous naifibns fans choifir notre fort, & l'être éternel nous impofe
;\ fon gré les devoirs du pofle où il plaît à fa Providence de nous placer.
IViftes & malheureufes viâimes du bonheur des Etats, vous qui êtes liéf
il leurs révolutions. Princes de la terre , (i quelqu'un a droit de prétendre
aux éloges des honneurs , c'eft vous fans doute. Tous les cris de notre
amour & de notre reconnoiffance, peuvent-ils vous payer des foins con-
tinuels attachés à l'Empire; & lojfque nous voulons, foibles orateurs,
louer ce Roi qui mérita le nom de Sage^ que pouvons-nous ajouter à la
vénération dont jouit fa mémoire ? Ses bienfaits lubHftent après quatre fîe-
clés, la poftérité a parlé, notre admiration devient un tribut vulgaire.
Cependant quel François n'aime point à (ignaler fon amour pour fes Rois ?
Quel ami de la fageffe ne chérira point le Monarque qui la fit afleoir
fur fon trône? Platon (ixoit l'époque de la fëlicité des peuples au moment
où les Sages porteroient la couronne. Sous le règne de Charles V, nos
Pères ont vu s'accomplir cet oracle de Platon. 11 faut fe repréfenter la
grandeur des obftacle^ que Charles eut à furmonrer, pour apprécier digne-
ment les qualités de ce Monarque. Les dangers éprouvèrent fa jeunefle ,
il fentit de bonne heure qu'il étoit né pour les autres & non pour lui-
même; qu'efclave honorable de fon rang il devoir en refpeéler les fonc-
tions, en méditer les devoirs, en pratiquer les vertus. Dans un corps lan«
Tome XI. Eec
ijoi CHARLES V, Roi de France.
gaiiTant il portoit .une ame fone, intrépide , éclairée. Il craignoit Dieu ,
il aimoic fon peuple, fon temps étoit un tréfor ouvert à tous fes fujers;
fes occupations ne dépendirent point de fon goût & de fon caprice , elles
furent toutes engagées à la juftice & à l'Ëtat.
Apprenons à connoître , à chérir la Royauté , en voyant le fceptrè dans
les auguftes mains de Charles , atteindre avec force d'une extrémité du
Royaume à l'autre , difpofer tout avec fagefle & douceur , être le point
fixe où fe rapportèrent tous les intérêts de Tordre civil. Il enchaîna
toutes les paflions particulières , il les fit fervir au bien général. Il fie
plus du fond du cabinet, que n'eut ofé tenter un conquérant. Il rendit
la France viâorieufe au dehors , & floriffante au dedans , de foible &
malheureufe qu'elle étoit. Enfin fa fageffe fut rétablir la grandeur de la
nation dans la guerre, & fa félicité dans la paix.
C'eft fous ces deux rapports que je vais l'envifager. Que les Rois font
grands lorfqu'ils ont ainfi régné ! Qu'il eft doux de leur offrir un ju/le
tribut de louanges , lorfque leur propre exemple a conduit les hommes ï
la vertu ; tandis que leur autorité contenoit l'audace & la rébellion.
T. Ce fut la valeur , qui de fes mains triomphantes éleva le Trône des
François. On avoir vu les premiers Capets , imitateurs des defcendans de
Mérovée , s'abandonner tout entiers à leur courage belliqueux » & plus
foldats que généraux , porter à l'excès une ardeur téméraire que ferti-
fîoient encore les idées gigantefques de la chevalerie. Ne diflimuloos pas
qire ces (iecles héroïques étoient barbares. Inftruit par les fautes de m
père & de fon ayeul , Charles comprit que le titre augude de chef de l'Etat
avertit les Rois que c'eft moins du bras que de la tête qu'ils doivent fe fervir ,
que leur valeur confifte à voir le péril de fang-froid , fans s'y précipiter avec
hirie. Il comprit qu'étant l'âme de cent mille combattans y c'^toit aifei
pour lui de tracer le plan général de leurs opérations , & de diriger ï
une même fin tous les relforts divers qu'il étoit maître de faire mouvoir.
Rarement les Princes reçoivent une éducation conforme à leur impor^
tante deftinée. Charles fut formé par l'adverfité ; ce maître terrible &
fublime lui mit fous les yeux la chaîne immenfe de fes devoirs ; & en
même temps il le doua de cet efprit de confeil & de pénétration, plus
fort que le torrent paffager des armes. Il falloit favoir manier le génie d'une
nation belliqueufe & fîere. Charles reconnut qu'il avoit à conduire un peu-
ple indocile & malheureux. Au milieu d'une régence orageufe ^ il fe troo^
voit parmi les écueilt les plus terribles. La France' épuifée par une dé-
faite fanglante , confiemée par la captivité de fon Roi , déchirée par fei
Princes , livrée tour-à-tour à la foreur du peuple , & à l'ambition des
grands, touchoit à fa ruine. Les rênes du Gouvernement flottoient aban-
données; chacun s'empreffoit à les faifir : on vit alors un Prince de dix*
neuf ans créer, pour ainfi dire, fes droits, s'élancer fur le timon , arracher
ces rênes, avec fermeté, des mains facrileges qui vouloient les ravir, &
l
CHARLES V, Roi de France 403
empêcher les faâieux d'achever l'ouvrage de l'ennemi. Un vainqueur or*
gueilleux menaçoit nos frontières entr'ouvertes : te jeune Dauphin , fans finan-
ces, fans vaiflèaux , fans croupes réglées , tenta d'infpirer un nouveau courage à
la nation entière , prefque avilie , & lui découvrit fes refTources lorsqu'elle
fembloit défefpérer d'elle*même.
A cet état de foibleffe & d'humiliation , l'Angleterre oppofoit & fa puif*
fance & fa gloire. Ayant forcé l'EcoiTeau (ilence , fournis l'Aquitaine à fon
joug & la Bretagne à fon allié, le vainqueur de Calais venoit déjà de démem-
brer & fe hâtoic d'envahir ce Royaume , dont la loi fondamentale excluoit
tout maître étranger. Mais le bruit des armes étouflknt la voix de la juf-
tice, la force pouvoir réalifer ce que ces prétentions avoient de chiméri*
ue. Deux fois il s'étoit montré téméraire , fans en porter la peine : deux
bis l'impatience aveugle de nos Rois s'étoit précipitée dans l'abîme ou^
vert pour l'engloutir ; Edouard étoit triomphant , & la formne avoir cou-
ronné jufqu'aU noble défefpoir de Ton fils.
Tandis que la valeur heureufe de ces guerriers attaquoit à découvert le
trône des Valois , la fombre politique du Roi de Navarre en fappoit en
fecret les fondemens ébranlés. Ce tyran farouche, tranfplanté fur les terres
d'Efpagne, tenoit encore à la France par des riches domaines, plus im-
portans par leur fîtuation (a) autour de la capitale, que par leur éten-
due. Plus prés du trône {b) qu'Edouard même fi la loi ne les en eût
également écartés, il cherchoit à éluder cette loi facrée par tous les arti-
fices d'un efprit intrigant & d'un cœur corrompu : trahifons , parjures ,
aflailinats , poifon même , tout crime utile lui étoit familier ; d'autant
plus dangereux que des qualités brillantes trop communes aux grands
fcélérats, mafquoient fes vices monftrueux. Cette fineffe qui reffemble à
la prudence , cette affabilité féduifante , cette libéralité intéreffée , cette
éloquence naturelle & dont il p'efl que trop facile d'abufer, cette ougue
impétueufe que le vulgaire confond avec le courage; tout lui fervoit à
déguifer fa marche criminelle ; & il a fallu l'œil de la poftérité & (a voix
foudroyante pour frapper d'opprobre ce tyran.
Preflë de toutes parts, environné de tant d'ennemis, Charles apprit à
s'obferver , à mefurer fes aflions, ks paroles , fei regards , & même fon
fllence. Il prit pour règles invariables de fa conduite , la patience & cette
prudence qui fait diffimuler fans duplicité , ni trahifon. La patience du
chef d'un Etat ébranlé confifte dans cette circonfpeâion qu'\ ^ pour fauver
l'honneur d'un gouvernement foible, compofe avec des fujets féditieux ou
des voifins injuUes, dont les révoltes & les entreprifes mériteroient d'être
(<s) Outre fes prétentions fur la Brie & la Champagne, il tenoit plufleurs places. ea
Normandie & en Picardie.
{b) l\ étoit petit-fils de Louis Hutîo, au lieu qu'£douard n'étoit petit-fils que de- Philip-
pe-ie-Bel,
E e e z
404 C H A R L E S V, Roi de France.
punies hautement par uo Prince dont la force appuieroit les droits légi-
times. Elle dérive de cette modération qui, comprimant le courroux le
mieux fondé , laifTe aux coupables la reflfource du repentir , ou ménage à
la jufUce la poflibilité de fa vengeance : enfin , loin d'erré une qualité
purement paflîve ( comme elle le paroitroit à ceux qui n'approfbndiiTent
rien ) la patience eft peut-être le plus noble effort d'une ame ferme & vi-
goureufe , puifqu'elle l'élevé jufqu'à fe dompter elle-même. La juftice la
plus exaâe peut encore autorifer dans un Roi la diffîmulation , c'eft-à-di*
re, cet art qui opère à propos un effet, tandis qu'il en paroît un autre;
art innocent & néceffaire , qui obtient par adreue ce qui lui échapperoir
fans cet heureux détour. La prudence en fait même un précepte pofiiif
aux Rois qui font affez inftruits pour gouverner par eux-mêmes , affez zé-
lés pour fe livrer aux laborieufes difcuffions des affaires d'Etat, aflèz fer-
mes pour contenir leurs minières dans une jufte dépendance, & c'eil
de-là que fuit le maintien des loix , le bonheur des peuples , leur amour
pour le fouverain , & la vraie gloire du monarque,
La pratique de ces vertus devenoit à Charles d'une néceffîté plus abfo-
lue au milieu du feu des guerres civiles, où il eut befoin de tant de po-
litique , de tant de prudence & de tant d'aâivité. L'armée Françoife éroit
défaite; fon Roi portoit des fers, & l'aflemblée tumuhueufe des Etats
préfentoit un écueil formidable, où devoit fe brifer l'autorité mal affer-
mie d'un Prince dont on ne voyoit que la jeuneffe , & d'un miniftere dont
on ne fentoît que trop les vexations Se l'imprudence.
Auffî ce peuple C\ prompt à trouver des reffources dans fes facrifices,
lorfque l'amour pour fes Rois établit fa confiance , alors plus aigri parl'op*
premon que découragé par l'infortune , trop emporté pour fe contenir dans
les bornes raifonnables , croyoit ne pouvoir fortir d'efclavage qu'en fe
précipitant dans l'anarchie. Les cris féditieux n'annonçoient que des pro-
jets de révolte» tandis que les malheurs préfens exigeoient les plus rares
efforts d'un zèle généreux , & fur* tout le plus parfait concert entre les di-
yers ordres ; concert qui ne pouvoir fubfifter que par la fubordination.
Forcé d'orner entre quelques fubfides infuffifans & le maintien de fon
autorité fi néceffaire à la confervation de la Monarchie , le Dauphin rom-
pit les Etats, réfolu de tout tenter avant que d'acheter leurs dangereux
fecours. Il parcourt, il follicite les provinces, il attend plus de fenfibilité
de ces cœurs moins dépravés par le luxe; par-tout il voit éteintes les no-
bles flammes du ^atriotifme; par-tout la rigueur des impôts avoir brifé
les liens facrés qui doivent unir les fujets au fouverain; & cependant le
Roî Jean avoît pour fes peuples des fentimens de père. Mais que peut
la bonté du cœur fans la force de l'ame? La molleffe dans un Monar^
\
CHARLES V, Roi de France. 4/5Ç
guedoc avoit été ménagée par crainte; elle fuppofa l'avoir été par amour.
Elle (ignala fà reconnoiffknce par des facrifices mémorables. Foibles moyens ,
trop difproportionnés aux befoins! Le Dauphin eut la fagelfe de le fen*
tir, êc la générofîté de fe remettre à la difcrétion des Etats^ réfolu de tout
fouSrir d'eux, pour les fauver d'eux-mêmes, adoptant cette maxime anci-*
que Se fainte que le falut du peuple eji la loi fu prime.
Dans ces cruelles circonflances le Navarrois rurieux s'échappe de fa
prifon , comme un tigre du fond de fon repaire. Il s'élance fur la capi-
tale , prêt à la déchirer. On vit un Minifire du Dieu de paix , {à) on vit
un chef refpeâé des citoyens, {b) fomenter une ligue qui n'avoit le bras
levé que pour renverfer le trône. Afin de s'alTurer l'impunité de leurs at«
tentats, les faâieux effayerent d'abord de faire, taire les loix, en détrui-
iant leurs fidèles organes. Ils vouloient anéantir ce fénat, fource antique
& précieufe de la confiance nationale , tantôt le refuge des peuples , tan-
tôt le foutien des Rois , & toujours le lien de l'harmonie publique. Âu(ii
\ts féditieux crurent-ils ne pouvoir fàpper l'autorité qu'après en avoir ren-
verfé les fbndemens.
O jours de vertige ! ô fpeâacle monftrueux ! une populace effrénée for-
çant le palais de fes Rois, montant jufques fur les marches du trône,
égorgeant fes peuples , zélés défènfeurs dont le fang réjaillit fur leur maî-
tre ! Aufli ferme a l'afpeâ de la mort , qu'indigné de devoir la vie aux
ménagemens timides du chef de la révolte , le Dauphin.... Mais c^eft en-
trer dans les fentimens de mon héros , que de lui dérober ici une partie de
fa gloire. -Périffe à jamais la mémoire de ces excès honteux ; ils ont été
trop bien réparés par ce même peuple , devenu le plus fidèle & le plus
înviolablement attaché à fes Rois.
Paris étoit livré aux fureurs du carnage ; Charles céda aux temps , &
fa fuite fut un trait rare de politique & de prudence. N'oublions pas la
Province qui la première eut l'honneur de lui tendre les bras. La Brie
donne un grand exemple à la France : Provins enlevé aux villes les plus
renommées l'avantage de relever la Monarchie. Là , fe tiennent des Etats
où le patriotifme élevé fa voix pure & magnanime ; là les peuples pré-
fèntent des dons volontaires , & leur amour furpafle ce qu'on en pouvoit
attendre. La Picardie imite la Champagne * & fe diflingue par le même
zele. Rois , foyez attentifs ! confidérez les François qui compofoient les
Buts de Compiegne , femblables à ces Romains qui favoient fi bien ap-
précier les afUons héroïaues, venir remercier le Dauphin au nom de la
nation de n'avoir point défefpéré du falut de l'Etat. Quel peuple ! & qu'il
efl digne d'avoir des Charles V pour maîtres !
(tf) Robert le Coq, Evêquc de Lion. ,^,. ,•«!?* ,» i*
ik) Etienne Marcel . Prévôt des marchands. Ce Marcel & rEyéqae de Laon étoicni
chctt de la &âion des chaperons mi-paitis.
4o5
CHARLES V ^ Roi de France.
en
i ce cri de Thonneur François , la Nobleffe fe réveille ; elle actourt
foule fe ranger autour de l'héritier de la couronne \ enflammée par les
regards de Charles , elle fe fouvient qu'elle eft le rempart du trône , &
qu'elle doit le foutenir lorfqu'il Chancelle , ou s'enfevelir fous fes ruines ;
elle fe dévoue à une guerre plus jufle & plus glorieufe que celle qu'elle
venoic de foutenir contre les laborieux habitans des campagnes ^ rendus
furieux par fes vexations , & fon arrogance plus cruelle encore.
Il étoi't réfervé à la fageffe du Dauphin de calmer ces troubles af&euz.
Parmi tant de tourbillons oppofés, il parut comme un aftre élevé au-defTus
des orages , qui alloit faire lever des jours plus fereins.
Il maitrife la férocité , il fait tirer parti des plus indomptables paflions ;
il fait fervir au bien public le courage indépendant de ces avanturiers qui ,
errans & vagabonds , dévoroient la fubfiflance des cultivateurs. Lts bras ,
qui déchiroient la patrie , combattent pour fa défenfe. Les révoltés trem-
blent darls la capitale inveflie; la foudre vengereflfe gronde à leurs portes;
la famine défolanre introduit dans leurs murailles le défefpoir & la mort;
les coupables font conflernés; les vrais citoyens reprennent cet afcendant
que donne la vertu. L'univerfité joint les charmes de l'éloquence aux grands
motifs de la religion ; elle parle aux cœurs & les entraîne , elle parle aux
efprits & les fubjugue. Le Roi de Navarre efl chaffé ; mais fon complice
fe maintient & levé encore une tête rebetfe ; & tandis que Charles , en
père tendre ^ fufpend les affauts , pour ouv^r à des enfans égarés le che-
min du repentir , le perfide Marcel prépare fourdement le retour & le
triomphe du tyran. Vis éternellement dans nos fafles, ô toi , illuftre ci-
toyen , digne rival des Harmodius & des Ariflogiton , toi qui ordonnas
le fupplice du traître , qui ouvris à l'héritier du fceptre ces mêmes portes
qui alloient être livrées à l'étranger ; & vous , qui m'écoutez que le
refpeâ dû à la mémoire de Simon Maillard prête de la noblefie & de l'é-
nergie aux fyllabes ^onfacrées à graver fon nom dans tous les cœurs
François !
Le Dauphin efl rentré triomphant dans la Capitale. Ses vertus ont réuni
les partis divifés , tous d'accord pour l'admirer & le bénir. Sa fageffe a voit
laiffé courir le torrent qu'il eut été dangereux d'arrêter & l'emportement
du peuple , comme il l'avoit prédit , s'étoit exhalé en fumée. Je louerai
Charles d'avoir fu apporter des remèdes fans violence. Ménager ainfi le
fang d'un peuple rebelle, efl fans doute le^plus haut degré de rhéroïfmc.
Une nouvelle fcene s'ouvre, fcene brillante & glorieufe. Les défcnfcurs
de fa patrie marchent fous le même étendard. La France oppofe la pru-
dence de fon chef à la multitude de ks ennemis. Des fuccès rapides pu-
nifTent le Navarrois de fes fureurs & de fes parjures. Forcé d'accepter la
paix , il va cacher au centre de fes montagnes & fa haine & fa rage im*
puîfTante.
Mais d'un autre côté le redoutable Edouard , qui n'avoit fufpendu lc$
CHARLES V, 'Roi de Franc/^. 407
attaques que pour lailTer fes ennemis fe détruire d'eux-mêmes, alarmé de
cette réunion inattendue, faifit le moment de leur plus grande foibleffe
pour les accabler du poids de toutes fes forces. Charles voit les dangers
que doit entraîner cette guerre fatale , & il a le courage de la préférer à
une paix ignominieufe. Cependant ira-t-il , pilote téméraire , livrer à toute
la violence de la tempête le frêle vaifTeau dont il dirige le gouvernail >
c'eft ici le triomphe de fa fagellè; c'eft ici qu'il faut admirer le plan ap-
{ profond! , ce fyflême admirable de défeofe, cette chaîne d'opérations liées
es unes aux autres : c'efl l'intelligence prudente de Fabius, c'efl fa vigi-
lance infatigable. Il fait de la France un boulevard capable de réHfler aux
invafions de l'Angleterre. Il tempère l'ardeur précipitée de cette milice im-
patiente qui porte aux combats une fuperbe imprudence. Edouard , comme
un lion qui rugit dans des plaines défertes , oii fon œil allumé n'apperçoit
que d'infenfibles objets de fes fureurs , frémit de fe voir arracher fa proie :
il fe confume en vains efforts. Rheims le repoulfe , Paris le brave ; les
moindres villes lui échappent. L'Europe admire les reflburces de la France ,
toujours préfentes au génie étendu & puiffant de' fon proteâeur. Le ciel
même fe déclare & tonne ; la flotte d'Edouard qui avoit promené l'épou*
vante & la terreur , frappée de cette main qui ébranle les Empires , vint
expirer fur nos bords; comme les vagues niugilfantes de la mer , qui
femblent devoir tout engloutir, après s'être élevées jufqu'aux cieux, tom-
bent , fe brifent fur les rochers , & battent iios côtes d'un courroux im-
puiffant.
O joie! ô triomphe dans des circonflances audî malheureufes ! Charles a
brifé les chaînes de fon père & de fon Roi , & il dépofè entre fès mains,
avec autant de tendreffe que de refpeâ , cette autorité Royale dont il
n'avoit été que le dépofitaire : il compte pour rien tous lès travaux qui
ont acheté un tel moment. O jours d'un plus grand exemple ! L'hon-
neur ramené le Roi en Angleterre, ou il meurt viéKme de fa parole.
Charles avoit fu régner avant que de monter fur le trône , il s'y affîed
avec cet œil affuré qui juge & qui voit , avec le bras tout formé aux
pénibles fondions du gouvernement. Il reçoit de fon peuple les gages les
plus flatteurs de fon eilime & de fon amour. Ce n'étoit point les accla-
mations paflageres d'une turbulente ivreffe \ c'étoit le cri du fentiment
profond & durable qu'infpiroit l'ufage de fes vertus. Déjà la viâoire lui
donne le brillant augure des triomphes de fon règne. Le Navarrois toujours
furieux, venoit de renpuveller la guerre. Charles-le-Sage ayant à combattre
de nouveau ce cruel ennemi , fuivit un autre plan ; il permit à fon gé-
néral de fe livrer à toute la force & l'aâivité de fon courage. Il eft enfin
Ibumis à Cocherel fous les armes d'un vainoueur juftement inexorable*
La perte de fes places les plus importantes , fa défaite , fa fuite , durent
lui faire fentir combien étoit fauffe une politique fondée fur la perfidie.
Charles n'avoit point remis le commandement de fes troupes à un homme
4c8 CHARLES V, Roi de France.
maitrifé par rorgueil oq la. cupidité , anffî incapable de gouverner les
autres que de fe gouverner lui-même. Il les avoit confiées à Duguefclin,
A ce nom, le reipeâ & la fenfibilité fe réveillent dans tous les cœurs;
il retrace à la fois , la valeur , la généroHté , la candeur , la folidité des
vertus morales , Téclat des talens miliraires. C'étoit un de ces Héros que
la providence accorde aux grands Rois, pour les récompenfer de leurs
travaux ; Sc lorfqu'un Empire chancelle ou penche vers fa ruine , ce font
eux qui oppofent une main forte & le rafFermifTent fur fes amiques fende-
mens. Tel fut ce vaillant connétable , dont Tame répondoit à Tame de
Charles. Elles fe démêlèrent , fe connurent & s'aimèrent , également ani-
mées de cet amoqr facré du bien public , qui opère les plus grandes cho-
fes. Quelles gardes , quelles défenfes , quelles armes plus puiflames &
plus fûres que celles de Tamicié? Elle procure le même avantage que fi la
divinité unilfoit à un feul corps pluHeurs âmes douées de diverles qualités.
Aujourd'hui encore leurs cendres repofent fur la même tombe; leur gbîrt
fe partage fans s'afFoibliri leurs noms vivent enfemble, tandis que leurs
âmes fe trouvent réunies dans le feîn du Dieu des armées.
Un Prince cruel régnoit alors & défoloit l'Efpagne, il rendoit odieux
le pouvoir des Rois. Duguefclin part \ il entraîna hors de la France ces
légions qui la ravageoient , & qui maintenant foumifes & difctplinées s'é-
tonnent peut-être de marcher contre un oppreffeur , & de défendre la
caufe des peuples. Le tyran eft frappé, mais il fe relevé; fecoura d'un
allié puifTant, il combat, il enchaîne fon vainqueur. Mais Pinjufle Monar-
que devient bientôt lâche. Pierre-le-cruel , par fon ingratitude , écarte foa
protefteur; ç'eft alors qu'il revoit Duguefclin plus terrible courir à la ven-
geance. Pierre-le-cruel fuccombe en frémiflant ; le fceptre échappe de fa
main , & pafle au pouvoir de Henri Ci, de fa poftérité. L'humanité eft dé-
livrée d'un fléau. La France & la Callille font cette alliance mémorable,
auifî glorieufe qu'utile aux deux Rois,
Quelques avantages qu'Edouard eût retirés du traité de Bretigny , il éta-
doit l'exécution des feuls articles favorables à la France , dont il perfiHoit
à fe dire Roi. Charles, fidèle à tous fes engagemens, mais réfolu de fou^
tenir l'honneur de fa couronne , diflîmuloit les infraâions de fon rival. H
combine les temps, médite & prépare en (îlence le moment ou il pourra
(aire valoir fes droits ^ armés d'une force qui les rendra refpeâables.
Cependant l'avarice & la dureté du gouvernement Ânglois indignèrent
& laflërent les grands Vaflaux de la couronne de France, annexés par 1*
fmx au Duché de Guyenne j ils réclamèrent les droits imprefcriptibles d«
a nature & des gens, & xes principes évidens & facrés qui condamnent
le defpotifme odieux qui ofe difpofer des peuples fans leur aveu , comme
4'un vil bétail attaché à la terre , & que l'on échange arbitrairement. Ik
portèrent leurs plaintes & le cri de' l'humanité aux pieds de ce trône qui
pouvoir ça être regardé comme l'inviolable afylp, Charles prend l'épée des
mains
CHARLES V9 Roi de Ttanet. ^9
nutiis de la juftice : Légiflateur facré , il ilipule pour le genre humain &
r^ur fa liberté. Le Prince de Galles ajourné à la Cour des Pairs , répond
Ton Suzeraui avec cette hauteur qui n'annonce que Taudace. La guerre
efi réfolue, fur un plan qui à la fois difppfoit & embralToit Tavenir. La
confiance a fait tous les préparatifs. Charles recueille le fruit de fes vertus :
ces mêmes Etats » autrefois n indociles , touchés de Ton amour , convaincus
ëe fa fagefle , attendris , pénétrés , dévouent d'eux-mêmes & fans réferve
leur fortune & leurs vies , au fervice d'un Prince devenu invincible , en
commandant à de tels fujets.
C'eft à nos Annales de tranfmettre à la poftérité les fuccès d'une guerre
cil les maux inévitables furent rachetés par de plus grands biens. On verra
le bras du connétable exécuter ces grands projets conçus dans la tête du
Monarque. On verra les frères du Roi toujours fournis , malgré leur ambi-
rion , rapponer à fes belles difpofitions les plus heureux efrets de leur va*
leur. On verra trois armées Angloifes fe confumer fucceflîvement , dépérir
en détail , toujours harcelées dans leur courfe , & finir par être écrafées.
On verra nos Provinces reconquifes , glorieufes de fe réunir au fein de la
Monarchie ; le Roi créer une marine qui , jointe aux efcadres de Caftille ^
détruit & difperfe les flottes Angloifes frémiflantes de céder l'Empire des
mers, pourfuivies jufques dans leurs ports, où les François portèrent à leur
tour & le fer & les feux vengeurs. On verra le Navarrois confondu, mal-
gré toutes les reffources de fon génie criminçl ; Edouard & fon fils flétris
par la honte , expirer dans les chagrins, dévorans. Enfin on verra Charles
toujours fage , toujours grand , joindre toutes les parties de fon Etat par
IL O fcience profonde de régner, qui connoltra tous tes fecrets? Qui
ytillera fur tant de reflbrts compliqués qu'une main favante doit faire
jouer fans trouble & fans confufion > Qui foutiendra dignement le elaive
facré des loix» fans ces alternatives dangereufes de rigueur & de moileflè}
Ce fera le Monarque qui, comme Charles, prendra pour guides la fagefle
A la juftice.
La fiigefle n'eft point proprement une vertu particulière, elle eft le ré'-
fultat de toutes les venus, elle eft fille de la recherche du vrai, elle
marche à la fuite des connoiflances , elle nous impofe la loi de concourir
i l'ordre univerfel dans la fphere où l'auteur du grand tout nous a pla-
cés, & undis qu'elle difpofe toutes chofes, la juftice, comme un principe
de vie aâif , defcend , coule dans les nerfs d'un Etat , lui donne la force
& la famé; elle veille à la porte de chaque maifon, elle y établit une
douce fécurité ; elle épouvante le méchant qui , environné a une lumière
odieufe, redoute fon œil ouvert & fa main armée.
Le fanâuaire de ces vertus doit réfider dans la haute région des trônes ;
TomtXI. Fff
^xo C*H*A R L E S V, Roi de France.
c^efl delà que les Rois voyant rouler à une diftance immenfe leurs fîi-
jets» tioivenc comme le foleil, en féconder cous les ordres d'une chaleur
pénétrante; ou plutôt ils doivent imiter le modèle de perfeâion, cet £n
Souverain qu'ils repréfentent , lui qui , embraffant toutes les parties de
l'univers, iren facrifie aucune , n'abandonne point les détails au hafardi
& veille fur le vermifleau raippant fous la mouffe , comme fur les globes
étincellans qui font circuler les mondes.
Juftice, bonté, intelligence, les principaux attributs de la divinité ^ font
les types auxquels les Rois doivent fe conformer , comme (es vivantes
images. Il n'eft que les bons Rois qui régnent véritablement. L'homme en
proie au fafte, à l'orgueil, à la volupté, aux courtifans, ne peut être te
fouverain, ni de lui-même ni de perfon ne, quand l'univers lui feroitfoumis:
il ne feroit pas Roi; vil efclave fur le trône, il obéira aux paflionsd'au-
trui, & il ne fauroit commander aux fiennes; alors fes honteux favoris
écrafcnt les peuples de ce même fceptre qu'il ne peut porter. Peignons
donc le Roi véritable, traçons d'un pinceau rapide le caraâere & les ver-
tus d'un Monarque qui tenoit le fceptre d'une main ferme, qui, Paftegr
de fes peuples , ne donnoit point au fommeil la nuit entière , veilloit fans
cefle fur eux & fur lui-même , regardoit fes bienfaits comme fes (euls aâes
volontaires , les feuls qui pourroient faire fa fôltcité ; d'un Roi , qui ne
tout le prix« gémifToit fur le fléau horrible de la guerre, & comptoit cette
fatale néceffîte au rang des malheurs des Rois.
Pour réprimer la miférable ambition du vulgaire des fouverains, -& pour
éteindre dans leur cœur la foif de s'agratklir, peut-être fuffiroit-il qu'ils
euflent aflTez de jufteffe d'efprit , pour bien concevoir que la chaîne de
leurs obligations s'étendant à toutes les limites de leurs États, ils ne peu-
vent, en les reculant, que multiplier les difficultés qu'entraînent les péoi-
blés devoirs de la royauté. Auflii , ce qui diflingue Charles avec le plus de
gloire, c'eft que jamais l'éclat de fes viftoires ne fut terni par rinjufticc.
Loin d'être uuirpateur^ il ne fit que réunir les membres épar s que la force
avoit diftraits du corps de la Monarchie , & arracher les fujets ï Top-
predion de l'énranger, pour les rendre heureux fous l'empire des loix.
11 fentoit que ces loix ne feroient facrées qu'autant qu'il les honoreroit
lui-même. Il rétablit l'autorité des Parlemens , & crut devoir récompenfcf
le zèle noble & défintéreffé des -Magiftrats par des privilèges 8c des exemp-
tions, afin que, dégagés des embarras du (iecle, ils femblafTent partager
l'indépendance du juge fuprême. La vénalité n'excluoit point alors la vertu
privée des dons de la fortune, ni ne l'expofoit à la dangereufe tentation
de s'indemnifen Le choix du Prince, choix Ci capable d'élever les anies,
ne tombant que fur des âmes déjà grandes , Si les droits de la oaiflànce ce*
CHARLES V, Roi de France. 41 r
dant aux droits du mérite, la modération, meré de rintégrité, formait
elleimellement le caraâere de ces vertueux Magiftrats, tandis que l'hon*
peur ëtoît le reflbrt unique & fécond de leurs généreux travaux. Que
j'aime à voir ce grand Roi connoitre de quel prix étoit cet honneur pour
des cœurs François, ne point craindre de fe dégrader par l'exercice des
plus importantes fonéHons de la royauté , s*a(Ieoir parmi les anciens du peu*
pie, préHder au confeil des juftes, non pour y difcurer de vains ou de
frivoles droits, mais pour tirer plus de lumière du fecours du raifonne-
raeht & de l'expérience! Le fublime intérêt qui l'anime, paflfe dans ceux
ou'il admet à fa confiance, & la fagefTe répandoit fes rayons fur ces a(^
Semblées auguftes, où la majefté du trône ne confultoit pas pour elle**
même, mais pour l'avantage des peuples. Tel jpréfidoit Saint Louis, tel
préfidoit Charlemagne; tel l'écriture nous peint rEtrç Eternel, environné
des puiffances du Ciel, lori qu'il s'aflîed pour juger la terre.
C'eft de-là qu'émanoient ces belles ordonnances qui rendoient aux loix
leur (implicite & leur uniformité primitives , accéléroienc les jugement ,
abrégeoient les fotmes juridiques , écrafoient l'hydre de ta chicane , (a)
ce monftre deftruâeur des familles , alimenté par cette efpece d'hommes
vils , qui fe nourriflbient de fes odieiifes rapines après s'être abreuvés de (on
fiel. C'eft de-là que la voix de la patrie rappelloit l'ordre des avocats à la
DobIe(re , & à l'excellence de fon inftitution , alfuroit au pauvre & à l'or-
phelin des défènfeurs fenfîbles & dé(intére(rés. (b) O mémorable exemple
& fait pour être fuivi ! Le Légiflateur lui-même , trop éclairé pour ne pas
favoir combien le cœur des Rois eft expofé à de fréquentes furprifes , s'a(^
furoic d'une barrière utile en ordonnant aux dépofitaires des loix de ne s'en
écarter jamais , lors même qu'un ordre de fa main paroitroit y déroger.
Cette main n'étoit point faite pour tracer àes ordres précipités ou peu
réfléchis; cette main prudente, attentive à tous les mouvemens du corps
politique, répara ou plutôt créa cette machine immenfe,^ rendit fon jeu^
plus (ur , plus aâif, & le (împlifia fans nuire à fon étendue. C'eft elle qui
par une loi admirable & refpeâée diminua les dangers des longues mino-
rités, tems orageux où les difcordes & l'ambition des Princes n'ont que
trop fouvent bouleverfé le Royaume , où l'on vit les Régences réunir à
la fois, & les troubles de l'anarchie & les attentats du defpotifme. C'eft
elle qui balançant les droits délicats de l'autel , & du trône , pofa des bor«
nés entre ces deux pui(rances amies & rivales , Se fut avec autant de re*-;
ligion que de fermeté jégler les prétentions de Rome & les libertés Galli-
canes : c'eft elle qui réprima l'efprit d'intolérance , comme le fléau le plus
(if) Les Procureurs réduits à quarante.
(^) loioaàion aux Avocats de plaider grads pour les pauvres.
Fffl
^1% CHARLES V , Roi de France.
horrible & le plus deflruâeur oui puifle entrer dans une monarchie; c'eft
elle, enfin, qui voulant bâtir fur la bafe inébranlable des bonnes mœurs ^
remonta au principe de toute corruption, au luxe, ce protée dangereux,
toujours prêt à fe changer en flamme deftru ai ve, qui ayant tant de fec-
tateurs ne trouve plus d^apologifte. Il pourfuivit ce monftre qui defleche
de fon haleine les racines de la population , qui boit Tor ou plutôt le fang
des malheureux , & qui » bourreau des riches auunt qu'il eft funefte aux
peuples , n'eft jamais plus altéré que dans leur épuifemeot.
La cour des Aides tut érigée comme un afyle ouvert au peuple ^ contre
les entreprifes & la rapacité des gens de finance; mais convaincu que la
crainte des loix n'eft point une digue alTez forte contre leur infàtiable cu^
pidité , Charles porta la prévoyance jufques à remonter à la fource de Tim-
punité. O douleur, il vit les grands proftituer leur crédit à ces hommes
avilis , fe rendre eux-mêmes les complices de leur bafTcfTe & participer
fans honte à leurs eains illégitimes. Si Charles ne put changer* de tels
cœurs, Charles les m rougir. Dès-lors le prince reftre^nit les demandes
aux befoinsy & régla les befoins^ non fur une oflentation faflueufe, mais
d'après une économie vraiment paternelle ; & ce qui mérite tous nos âo-
ges, il trouva Tare peu connu de groflîr l'épargne fans exténuer les Fro-
vinces.
Il fufïit quelquefois de retrancher un feul abus pour faire tomber les
autres; comme dans un édifice hardi, un feul déraut apperçu & réparé
prévient une ruine totale. La fixation, arbitraire & les refontes illufoires
des monnoies, avoient fappé jufques dans les fondemens les principes io'-
violables de la propriété. Le Monarque éclairé fentit que le trône étaot
porté fur la même bafe que les poffeffîons particulières ^ elles dévoient, ï
fon exemple, être à jamais facrées & que c'étoit leur ébranlement, qui
par un contre-coup néceffaire & funefle avott fait chanceler le trône do
les pères. La proportion fut donc fcrupuleufement rétablie entre la valeur
intrinfeque & la valeur numéraire. Dégagés d'un alliage impur, les mé-
taux précieux ^ tels qu'un beau fang qui vivifie les canaux où il coule, firent
circuler fans obflacle ce commerce égal de bienfaits , qui defcend du Prince
aux fujets , remonte des fujets au Prince , & répand )ufque dans les fibres
les plus cachées les tréfors de la fécondité.
O fruits heureux d'une fage adminiflration ! reffources étonnantes de l'é-
conomie ! Ce n'étoit point afièz d'avoir acquitté la rançon d'un Roi &
les dettes immenfes de fon malheureux règne , d'avoir fourni aux frais
de tant de guerres & à la folde de ces troupes réglées qui remplaçoient
^ des compagnies de brigands ; ce n'étoit point affez d^avoir rendu la ferd'
lité à nos. plaines , à leurs cultivateurs la fécurité , & cette aifance fi légi*
time que leur difpute une politique fauffe & barbare : c'étoit peu àlrf(M
métamorphofé en vaiffeaux les antiques fardeaux de nos forêts , d'avoir d^
gagé & même augmenté le domaine de la couronne, Charles voit encore
C H A R L E s V , Roi de France. 413
au-delà ; il à relevé le royaume d'une main forte & infatigable , il l'em-
bellit aujourd'hui de cette utile magnificence qui imprime le refpeâ à Vé^
franger. Le trône reçoit cette pompe qui lui efl nécefTaire pour frapper
Vml au peuple qui ne connoit guère que ce genre impofant d'éloquence.
La religion voit élever des temples , donc les voûtes auguftes répètent avec
éclat les vœux d'un peuple immenfe. Des monumens publics annoncent la
future fplendeur de la capitale. Là , des remparts & les arfenaux de la guer-
re , ici les Dorts & les magafins du commerce. Les fciencts & les beaux-
arts y qui font la gloire & les lumières d'une nation , reçoivent d'honora*
blés afyles. Par-tout enfin des établiflemens utiles, qui tranrmettront à la
poftérité les fécondes produâions de Ton génie bienfaifanr.
Il eft une vertu que Thomme feniible a droit d'envier aux Monarques ,
c'efl la clémence , cette clémence qui pardonne & qui efl le plus bel or«
nement de l'humanité & du trône , ce pouvoir jheureux , & prefque divin ,
qui va jufqu'à rendre ta vie aux viâimes dévouées à la mort.
Bénis foient les Rois qui comme Charles , laiffent quelquefois défarmer
le glaive terrible de la Juflice ! Tournai , ce berceau de la Monarchie ;
Montpellier , cette belle ville arrachée au Navarrois ; Paris , qui leur avoit
donné l'exemple de la rébellion , toutes les villes fubjuguées par fon
courage ne trouvèrent dans leur vainqueur que l'indulgence d'un père.
Henri IV n'agit pas mieux depuis. Ce fut moins fon héroïfme , ce fut
moins fa fagefle , que fa bonté , qui toucha tous les cœurs , & qui étouflk
jufqu'au dernières étincelles des guerres civiles.
Paris fur- tout lignale fon repentir avec unt de nobleffç que le Roi
accorde à tous fes citoyens les prérogatives les plus flatteufes. S'il diflin-
gue la capitale, Provinces, n'en foyez point jaloufes! Si toute l'Egypte
étoit noble autrefois , on peut dire que Charles ennoblit tous fe;s fujets ,
par la confidération qu'il leur rendit dans toute l'Rurope.
La Renommée fidelle appelloit à la Cour de France le petit nombre
de contemplateurs dignes d'apprécier tout ce qu'avoit £iit un Roi fage
pour rendre un peuple heureux. Eh ! quel fpeâacle plus rare & plus digne
des regards d'un Philofophe , qu'un Prince qui veut faire du bien à tous ,
& qui le peut) 11 lui paroiffoit eflTentiel à fon rang, non de jouir de
plus de richeffes & de plaifirs que les autres hommes , mais de fe livrer
à plus de foins & de travaux. Il ne craignoit pas qu'on lui reprochât un
jour que le trône eût été établi pour fon avantage perfonnel ; il avoit
fu le faire fervir au bien général. Audi ne redoutoit-il point l'afpeâ d9
ces hommes vraiment libres^ qui confervent même au milieu des cours,
cette penféc indépendante qui juge les événemens & les fiedes : il tes
invitok à fe repofer à l'omore de fon trône. Loin de reflèmbler à. ces
Jàches tyrans qui craignent avec raifon la lumière des arts, il favoit que
les découvertes des hommes de génie font les conquêtes du genre-
humain.
I
414 CHARLES V, Roi de France.
Je me plais à le confidérer comme le père des fciences , comme celui
ui donna la première impuUîon au génie. Au moment de fbn. réveil ,
a peut-être plus à lutter , lorfqu'il fe dégage des ténèbres de Tigno-
rance : que lorfqu'au milieu de fa coùrfe il s'élance d'un pas afluré dans
une carrière libre & brillante. Le précurfeur de l'imprimerie, le papier
eft inventé; il remplace cette plante de Memphis, cette peau grofliere,
dont l'imperfeflion & la rareté avoient fans doute borné depuis vingt fie*
clés les progrès de l'efprit humain. Les excellens modèles de l'antiquité
revivent dans notre langue , ils deviennent la règle du goût & le germe
heureux qui devoit un jour porter de fi beaux fruits. On entrevoit l'au-
rore de notre Littérature , fbible, il eft vrai, mais qui déjà pouvoir iof>
pirer une douce efpérance. Ainfi , lorfque les premiers feux de Tafire qui
vivifie la nature tombent fur la terre, l'œil eft réjoui de cette verdure
rendre & renaiflante, beaucoup plus touchante peut-être, que ne le font
les tréfors qu'amènent des faifons plus riches , mais plus tardives.
' On voit naître les élémens de la jurifprudence , de la philofophîe, éc
l'éloquence, de la poéfie, de la mufique , de l'hiftoire. Le cahos de la bar*
barie fe débrouille : c'eft le tempsjxi'une nouvelle création , tout s'anime : la
boufible découvre les terres immenfes du nouveau monde , tandb que des
cartes ingénieufement drellëes facilitent la connoiflànce de l'ancien. Its
lunettes annoncent le télefcope , dont bientôt la magie furprendra daos
l'immenfité des Cieux , ces corps innombrables qui étonnent & agraDdif-
fent l'imagination de l'homme , & lui impriment une plus fublime idée
de la puinance du Créateur.
Vingt volumes épars formoient la Bibliothèque du Roi Jean. Charles
pofa les fondemens de ce monument immortel , qui raftemble dans (on
lein tout ce que l'efprit humain a penfé : dépôt vafte & merveilleux,
ui attefte à la fois fa grandeur & fa fbiblefte ; tréfbr unique , qui ren-
rme la flamme précieufe & cachée qui doit embraffer des génies nou'
veaux ou plus heureux , tant par la facilité des rapports variés qu'ils pour*
font faifir, que par le coup-d'œil étendu & rapide qu'ils pourront jetter
& fur les terreins qui paroiffant les plus incultes font en effet les plus ri«
ches , & fiir ceux qui fe trouvant épuifés , ne demandent que du repos.
La révolution qui s'eft faite datis nos idées, en prépare fans douce une
autre, plus étonnante encore : tous les arts font liés, & tous fe trouvent
enchaînés avec ordre dans cet édifice qui n'attend plus qu'un homme
fait pour le parcourir, un homme qui fâche fe connoître, oc ofèr. Peut*
être que la nature, après avoir produit tant de matériaux ifblés, s'ap*
prête à créer Tarchitefte qui doit en former un corps régulier. Que nc
peut la génération des idées de l'efprit humain , foutenu d'un aliment aulfi
mépuifable! C'eft un fleuve vafte, accru du tribut de cent rivières, qui
un jour pourra fertilifer le monde , mais dont la poftérité recoonoiflàote
n'oubliera jamais la fource.
1
CHAR L E S V, Hoi tic Trarxc. 4(5
Telle fut la prévoyance de Charles. Il fentoit que les (ciences pour-
roienc • avoir un |our une grande influence fur les fiecles , & peut-être fur
l'univers ; il eut la fagefle d'encourager les plus nobles efforts de l'hom-
me , parce qu'il les crut utiles à la félicité des peuples & à la grandeur
des Empires. Mais cette fageffe fi fëconde, fi attentive, n'avoir point pour
but les vains applaudiffeniens du monde : fupérieur à la gloire, éclairé
du flambeau de la religion , Charles portoit fes reeards vers l'Être Suprâr-
me t il lui rapportoit fts travaux , fes défirs & ion amour : il aimoit \
contempler dans ce fublime modèle la venu par excellence, il s'enflam^
rooit pour (a beauté, il lui offroit des vœux purs & finceres. Jufle ^c
bon , il élevoit avec tranfport fon cœur & fes mains vtts le Dieu 4e
bonté & de juflice; il fe plaifoit en fa préfence*
Si quelquefois le fpeâacle du crime & du malheur laffoit fon courage ,
fi l'ingratitude des méchans fatiguoit fa confiance , s'il gémiffoit en Tentant
tout le poids du fceptre , la religion confolante lui difoit d'une voix douce
& majeftueufe : » Mon fils ! ne te laiffe point abattre ; fonge que tu tiens
» entre tes mains le bonheur d'un grand peuple que cette noble idée t'é-
» chauffe. Fourfuis la carrière pénible de tes bienfaits. L'homme mécoh-
» noit tes fervices. Ah l n'en fois pas moins l'ami des hommes ; pardonne
» à leur aveuglement, à leur fiiibleffe : tu es leur père ici-bas; fois tou<-
» jours plein de douceur & d'humanité; enlevé de force leur amour. Mon
n fils ! Dieu te voit , Dieu te foutiendra , Dieu fera ta récompenfe. «
Tel fut Charles dans tous les infians de fa vie. On fait quel afcendant
a l'exempte du Prince fur l'efprit des peuples. Rois qui aimez la vertif,
voulez-vous la faire régner fans efforts dans votre Cour & dans votre Em-
pire , donnez l'exemple , il fera plus fort que les loix. Le luxe ne paffera
plus pour la décoration de la grandeur, l'orgueil infolent pour élévation 4e
fentimens , la calomnie & la vengeance pour des moyens utiles.' Votre
conduite fera la règle des mœurs^ & une parole en (era la cenfure. On dit
ue la flatterie environne les trônes; c'efi quand l'œil du Souverain l'invite
c la careffe ; mais un regard févere la fait difparoitre. Il en efi de même
de la licence & ^e l'impiété , de cette dérifion :amere des vertus & des
talens. Les courtifans vont jufqu'au bien , lorfqu'ils ne voient plus leur
intérêt dans la route oppofée. Que le Monarque réforme fa cour , & la
nation fe réformera d'elle-même. Un homme de cour ofe fouiller d'uqe
parole licencieufe l'oreille chafte de l'héritier deja couronne, Charlea ,
par fa difgrace prompte & irrévocable , bannit à jamais la licence.
Fils foumis , époux fidèle , père tendre , il crut relever la Majefié Royale
par ces noms fi faints à la nature , par ces vertus privées , fondemens des
vertus héroïques. IL fut régner, puifqu'il connut cette vérité importante,
que T amour des peuples tfiVaniquc joutitn de la couronne des Rois. À\
vit tout en grand , fans négliger les détails ; il fut commander , fans
laifier entrevoir ce qui ne devoit être connu que de lui feuK II f:t
t
4i5 CHARLES V.Itoi de France.
tout avec douceur & dignité, & il fut en méme-temos , loifqu^il le fiilloit,
ferme ^ inexorable comme la loi : foie au'il roulât les deftins de l'Etat
dans fa tête, foit que la douleur dont il fut prefque à chaque infiant la
viâime, attaquât Ton ame , fon vifage étoit toujours tranquille & férein.
En faifant tout obéir, il obéit à la jufiicel 11 ne trompa point; & il fat
employer une politique néceflaire & jufie. Enfin ^ il fur pardonner , & oe
fut point fe venger.
Hélas ! que le paflage de Thomme eft rapide fur la terre ! S^il efl per"
mis à notre fbiblefle de murmurer contre cette loi terrible, c'eft torique
des Rois tout formés pour le bonheur des Etats, meurent avant le temps,
& laiflent tout-à-coup les Empires privés de leur Dieu tutélaire. Le pria*
cipe de mort que Charles portoitdans fon fein, acheva de fe développer;
il le fentit entraîner dans la tombe, &. il vit la France prête à retom-
ber dans les troubles affreux dont il l'avoit tirée ; il pleura fur un peuple
immenfe qui avoir befoin de lui, comme un père gémit en voyant les
avides ennemis de fa trifte famille entourer déjà fon lit funèbre & s'ap«
prêter au pillage ; il pleure fur fes fils adolefcens bien plus que fur lui-
même. En ces momens, Charles fit ouvrir les portes du Palais; il voulut
voir fon peuple pour la dernière fois, & lire fur le front de cette muiri*
rude affemblée le témoignage de fa vie pafTée. Placé entre ce peuple &
Dieu , un faint frémiffement pénètre fon ame. C'eft la patrie qui l'environne,
& c'eft fa voix fecrette qui va tout à l'heure monter aux cieux , & àé*
pofer au tribunal fuprême^ Les entrailles de Charles s'émurent , fon ame
vertueufe fut confternée , fa grande ame s'ignoroit elle-même ; il crut n'a-
voir rien &it pour ce peuple refpeâable qui pleuroit & le bénifToit. Sa
cour, que dis -je? fa couronne, lui parurent peu de chofes, auprès de
cette foule nombreufe qui, à la lueur non<-menfongere du flambeau delà
mort, imprimoil une certaine majefté fentie du Monarque & des courd-
fans eux-mêmes^ Je mettrai les remords de Charles au nombre de ces ver-
tus ; il fe reprocha quelques impôts , il les anéantit ; il ferma les cicanîces
légères faites malgré lui au cœur de fes fujets : fes paroles expirantes fo*
rent autant de bienfaits { Roi jufqu'à fon dernier foupir , fans avoir oublia
|in inftant qu'il étoit homme. (4)
Chez les anciens Egyptiens , parmi tant de- loix admirables , il en étoit
une qui doit nous étonner. Lorfque leurs Souverains , fi fiers, û fuperbes,
fi pompeufement adorés , après avoir régné en Dieux ^ marchoieot d'ofl
pas égal au tombeau , comme le dernier de leurs fujets , l'adulation ne ai-
toit point entendre une voix fauftement éloquente fur leurs reftes ioam*
mes : la vérité long -temps cachée, la vérité terrible s'avançoit ; d'uos
^■•■^— ■^'^^■■«^^-■^■■■ii^wp
(4) Charles mourut à Paris )e 16 Septembre 1380 , âgé de 4% ans, dans la dix-fe^
Mmt année de fon réj^ne,
snaia
CHARLES VII, Roi de France. 417
main elle arfêtoit leur cercueil , & de l'autre elfe déployoît^ les fkfles de
leur règne. Des juges féveres prononçoient les peines ou les récompenfes
dues à la mémoire de ce Monarque , qui n'étoit plus que pouffîere. Que
les fages qui m'écoutent & qui ont confacré leur votx à la vertu & au bien
public, que ces hommes vrais, arbitres des Rois, révèlent leur penfée;
ah ! fi je fais y lire, ilS' diront d'une voix unanime : » Cendres glorieufes
n du plus fage des Rois , allez , repofèz en paix ; prenez place auprès du
n petit nomore de ceux qui ont bien mérité de leurs fujets : vous nV
» vez poinr coûté de larmes ^ la terre ; vous avez entretenu l'abondance
9» & l'harmonie dans vos Etats : dormez en paix! Les obélifques , les
» ftatues, les temples feront démolis par le temps; votre gloire fera inal-
^ térable ; elle eit pure \ elle a eu pour objet le bonheur des hommes.
B Au jour ou l'Eternel viendra juger l'univers , votre réveil ne fera point
» horrible ; une multimde de tout fexe & de tout âge s'écriera : Dieu de
B juftice & de bonté ! le voilà celui qui fut ici-bas , ton image , il a été
B juile & clément , il nous a fait tout le bien qui étoit en fon pouvoir :
B Dieu magnifique ! récompenfe-le , acquitte la dette immenfe que nous
3i lui devons, nous& notre poilérité! <^ M. M — r.
CHARLES VII , Roi de France.
c
_ E Prince s'eft acquis à jufte titre le glorieux furnom de Reftaurateur
de la Monarchie Françoife : car, depuis Hugues Gapet, elle n'avoît point
été fi près de fa chute* que lorfqne Charles VU monta fur le Trône. Les
Ai^lois étoient maîtres de toute la Normandie , d'une bonne partie de la
Guienne, de la moitié dé l'Anjou & du Maine, de la capitale du Royau-
me , & de plus de vingt lieues de pays à Pentour. Le Languedoc , le Dau-
phiné & le Lyonnois étoient les feules Provinces dont ce Prince jouk paî-
fiblement. Charles VII , étoit refté le feul des fix fils qu'avoir euf
Charles VI fon père. Le meurtre de Jean Duc de Bourgogne, dans lequel
la Reine Ifabeau crut qu'il avoit trempé, lui attira la haine de cette mère
dénaturée. Elle profita de l'état de démence où étoit le Roi fon époux ,
pour faire marier Catherine fa fille avec Henri Roi d'Angleterre. Elle fit
ilatuer, par le traité de Troyes, qu'après la mort de Charles VI, Henri
feroît Roi des deux Royaumes. Ce Prince vint à Paris, époufa la Prin-
ceflè, & fet reçu avec les plus grands honneurs. Le nouveau Duc de Bour-
gogne , de concert avec la Reine , accufa le Dauphin de la mort de fon
père. Ce Prince fîit cité à la table de marbre , & n'ayant pas comparu , il
lut, en vertu d'un arrêt , banni du Royaume & déclaré indigne de fuccé-
Tome XI. Ggg
4i8 CHARLES VII, ^ot dt^ France. •
der à la couronne. Charles, indigné d'une telle injuftice, en apfclla à h
loi fondamentale de TEtat , & à fon épée. 11 prif la qualité de Régent ,
transféra le Parlement & TUniverfité à Poitiers ^ ,& créa de grands Offi-
ciers. Il courut d'unç Province à une autre , pour retenir la noblefle dans
îbn parti : mais il étoit fans argent, & on avoif çpnfifqué le. revenu de
fes terres. Il falloir un grand courage dans ce jeyne Prince pour ne pas
fuccomber fous de telles extrémités. 11 en donna des 'preuves. Le Comte
de Boukan, Ecofïois, lui amena quatre mille hommes. Avec ce fecours,
& fécondé du Maréchal de la Fayette , il battit les Anglois auprès de
Baugé en Anjou, Sur ces entrefaites le Roi d'Angleterre mourut à Vin-
cehnes, & fa mort fut fuivie de celle .du Rpi Charles VL Ainfi le Trône
de France appartint inconteftablemerit à Charles VIL Mais il avoir fur les
bras un monde d'ennemis. Il fut obligé de lever le fiege de Crevant, &
deux batailles qu'il perdit conlécutivement diminuèrent tellement fes for-
ces , qu'il fut contraint de fe retirer à Bourges , & d'y vivre fort à l'étroit.
La guerréquî s'éleva en Angleterre entre les Ducs de Brabant & de Glo-
ceftre , lai(ïa refpirer quelque temps Châties VII , & lui dpnna lieu de fé-
tablir peu-Vpeu le malheur de fes ajSairçs. On- uavailla, à détacher les D^cs
de Bourgogne & de Bretagne.
. • . . > - ■ - . . . ^ .. ,. ^ . -. . -
AmoUr dt Charles VII pour Agnès SorcL
V^E PENDANT ce Prince retiré à Bourges^ & fe repofant fur la fidé-
lité ik la valeur de fes Généraux, s'endormit quelque temps dans le repos
& fembla négliger le foin de fa gloire : H fe livra à fes plaifirs, & à l'a-
mour qu'il avoir conçu pour la belle Agnès Sorel. Cette fille étoit née en
Touraine, près de Loches, de Jean Sorel, Seigneur de Saint Geran &dc
Fromenteau, Etant refiée orpheline à dix-huit ans, le bruit de fa beauté
vint jufqu'aux oreilles du Roi. Ce Prince fut curieux de la voir : il la vit,
& l'aima, jufqu'au point de ne pouvoir plus vivre fans elle; & voulut
qu'elle vînt dans fa cour. Sa fagefle , la douceur de fon caraâere , fes fco-
timens nobles, élevés, la firent ai'raer de la Reine même. L'attachement
que Charles eut pour elle dura pendant toute la vie d'Agnès. Dans ce lonj
efpace , elle fe montra toujour!^ aufli jaloufe de la gloire du Roi que de
la poffefnon de fon cœur. Elle en donna une preuve bien fenfible dans le
temps dont nous parlons où les af&ires de ce Prince étoient dans la plus
grande extrémité; car elle contribua plus que perfonne à raffermir fon
courage ébranlé, & à le retirer des plaifirs oii le portoient fon âge & hn
penchant. En effet , pendant que les Anglois parcouroient fes Etats , U
craie à la main, comme dit Duhaillan , ce Prince fe divertiffoit avec &
petite cour , il s'occupoit à imaginer des ballets , fans penfer qu'il n'alloît
être Rot que de nom. Fothon de Saintrailles & Etienne de Vignoles étant
CHAH LE S^ VII, Roi de France, 41^
àll^s i Bourges jioiir lui parler, le trbuvereni: au-milîeu de ces vains amu-
femew. Dès que ce Prince les vit, il leur demanda Ce qu'ils penfoient de
la fere qu^l donnoir. Ne trouvai-je pas , leur dic-il , le moyen de me bien
divertir ? Oui Site , lui répondit l'un d'eux , il faut convenir qiûon ne fau-
roit perdfe une couronne plus* gaiement. Ces paroles firent quelqu'impreflîon
fur Charles. Mais ce Fut Agnès Sorel qui réveilla ce Prince de Ton affou-
piflemenr. Cette belle pérfonne , fe reprodiant de le voir dans une efpece
d'infénfibiliré pour là gloire ,^ chercha à l'en retirer, & ufa pour cela d'un
tour ingénieux. Elle parut un jour afftz trifle auprès de lui. Charles lui en
demanda la raifon. » Sire, lui dit-elle, peut-être fuis-je à la veille de m'é-
» loigner de vous. J'ai fiiit tirer mon horofcope : on m'a prédit que je
» ferois aimée d'un grand Roi. Ce ne peut êrrc vous, qui allez bientôt
» être entièrement dépouillé de vos Etats. Pour, remplir mon fort, il faut
» que je pafle à la cour du Roi d'Angleterre qui va joindre votre Royau-
» me au fien. " Ces paroles furent comme un trait qui ralluma, dans le
cœur de Charles » l'amour de la gloire : il ne vouloir pas qu'an autre que
lui fût ce grand Roi dont parloit l'horofcope. Il s'appliqua à mériter ce
titre , en travaillant au rétabliflement de Ces affaires. Il e(l vrai de dire que
ce Prince ne reçut jamais d'Aghés Sorel que des impreHions convenables
à (on rang & avantageufes à l'Etat. Elle n'abufa jamais de l'attachement
que Charles eut pour elle.' La Reine même , qui donnoiflbit le cara'derç
de fon époux, âîma mieux avoir une rivale dont les inclinations étoîeni
portées au bien de l'Etat, qu'une femme ambitieufe qui en auroit diffipc
les fînàuces : Charles fe cônfoloît avec elle de tous les foucis qui accom-
pagnent fouvent la royauté; &, lorfqu'il eut reconquis Paris, il lui fit don
du château de Beauté fur Marne. ' *
La Pueelle dP.Orléans^' ^
*
pour en faire le fiege ; il favôir qu'en! prenant cette *>^ille, il téduiroir
Parîs^'at le Duc de Bourgogne ,"&*il avoir dé^* fait co^noître fes talens;
iTiîUtaires par p!uGeùrs exploits : i\ i^ùit'ûx^qué.le qxïîr^^ dé
îufFolc, taillé en pWes plus' de qufnie' cents :fibmmçs^ HélivWEJJVIonraN'
jisi' ces àvanta'ges àvbient -relevé* Itr Courage" déf Françmi. Tout^xc qu'il"
Ggg 2
4ie CHARLES VII, Roi ék France.
y avoit alors de vaillaos hdmmes e» France , s'étoit renfermé avec le
Comte de Dunois dans Orléans , & encr^aucres Saintrailles , la Hire,
Thouars, Chabannes, la Fayette. Jaucour en ëtoit Gouverneur, & le Roi
y avoit envoyé le peu de croupes qui lui refloient. Cependant les Anglois
preflbient le fiege avec la plus grande vigueur. Ils élevèrent autour de la
ville foîxante forts , & tirèrent des lignes de circonvallation pour empêcher
qu'aucun fecours n'y pût entrer. Ce fiege fut une fuite continuelle d'atta*
ques & de combats dans les fojrties, d'avantajges ou de pertes^ de convois
enlevés, de pofles pris ou défendus. Mais malgré la brave défenfe des aflié-
gés, les Anglois gagnèrent infenfiblement du terrein ; les convois commen*
cerent à ne pouvoir entrer que difficilement, le peuplé fouffroit. Les Fran-
çois avertis qu'on amenoit un convoi de ^harengs pour le camp des An-
glois, voulurent l'enlever, ils furent batms. Charles étoit alors il Chinon
en Touraine , incertain s'il ne fe retireroit pas en Dauphiné : cependant il
travaiUoit à tirer de l'argent des principales villes, pour lever des foldats
& les envoyer au fecours d'Orléans.
Les chofes en étoient à ces extrémités, lorfqu'une fîUe de dix-huit ans,
née d'une famille obfcure en Lorraine , appellée Jeanne d'Arcq , crut feu-
tir une infpiration qui l'appelloit au fecours d'Orléans & du Roi. On l'a-
mené d'abord à Baudricourt , Gouverneur de Vaucouleurs. Cet Officier U
craite de viflonnaire ^ cependant il lui fait ies queflions , elle v répond avec
bon fens & fageffe. Frappé de la nouveauté de la choie , il envoie ^ cette
fille à Charles avec un habit d'homme , des armes & des chevaux. Jeanne
d'Arcq reconnoit le Roi qui s'étoit confondu avec les Seigneurs de fa
cour, quoiqu'elle ne l'eût jamais vu. Charles la fait examiner par des Doc-
teurs & des Magiflrats. Leur avis eft qu'elle efi envoyée de Dieu. Le Roi
lui confie le foin de fecourir Orléans. Cette nouvelle attire tous fes éteih
dards un grand nombre de foldats. Elle arrive devant cette ville à la tête
de cinq cents hommes ; le bâtard d'Orléans fait une grande fbrtie , pour br
vorifer fon entrée. Elle y entre en effet , & comme en triomphe. Son ar-
rivée répand b joie & ranime le courage. On ne fe flattoit pas en vain.
Secondée du Comte de Dunois, elle attaqua les poftes des Anglois, & tout
les jours furent marqués par autant d'exploits , qui convainquirent les plul
incrédules de la valeur de cette Héroïne. S'il y avoit dans fon ame quel-
que choie de furnaturel , il paroît que fon corps n'étoit pas à l'épreuve du
Kt ou du feu i on vit couler le fang de fts habits d'un coup de flèche
qu'elle reçut^, mais fa bleffure n'eut aucune fuite fàcheufe. Elle attaqua
Uicceffivement les forts des Anglois : le plus confidérable fût vaillamment
défendu; l'attaque dura quatorze heures, les François y furent repouffiff
jufqu^ quatre fois ; la Pucelle les ramena autant dé fois à la charge, &fe
fignala par des aâions de valeur qui la firent admirer des deux partis:
eâin le fort fut pris d'aflaut, &, de douze cent^ hommes qui le défèo-
doient, il y en eut plu^ de fix cents taillés en pièces. Les Anglois^ voyant
CHARLES VII, Jîoi dt France. 4x1
qu'il! ne pouroienc plus empêcher que les vivres n'entrafTent dans la ville ,
levèrent le fiege qui duroic depuis lept mois. Dès-lors , la Pucelle fut re-
gardée comme l'Apge rutélaire de la France & la Libératrice de l'Ëtat.
Enfuite elle alla trouver le Rpi, à Chinon, avec les troupes qui avoient
défendu cette ville : Ce Prince la reçut avec les témoignages de la plus
vive reconnoiflànce ; il Tennoblit elle & fa famille. Après avoir reçu tous
ces honneurs avec la plus grande modefiie, elle déclara à Charles que le
fécond objet de fa million étoit de le mener à Rheims , pour être facré ;
ce qu'elle exécuta avec beaucoup de prudence & de courage, car il i&Uoit
traverfer plus de quarante lieues de pays ennemi. Dans cet intervalle «
Charles fécondé de la Pucelle & du Connétable de Richemont, prit pla-
ceurs places , entr'autres Gergeaux & Meun ; il fit le fiege de Beaugency ^
ce qui occaiionna la bataille de Fatay en Beauce , oit les François rem-
portèrent une viâoire complette fur les Anglois. Ce retour de fortune ra*
mena à Charles la plus grande partie de la Noblefle , que fon adverfîté
avoit écartée. Ce Prince arriva à Rheims à la tête de fon armée viâorieu-
fe 9 il y fut facré avec toute la pompe convenable à cette cérémonie.
Après quoi , la Pucelle expofa au Roi que fa miflion étoit finie , & de*
manda a fe retirer dans fon pays , mais ce Prince s^ oppofa , & la pria
de continuer à l'aider de fa valeur.
Elle accompagna le Roi à fon retour de Rheims; elle partagea la gloire
de fes exploits à Senlis , à fieauvais^ à Compiegne , à Saint-Denis ; elle le
fecourut lorfque ce Prince voulut fe rendre maître de Paris & qu'il attaqua
le £iuxboi|^ Saint-Honoré ; elle fut même bleifée en cette occafion , & xx^
rée du milieu des morts.
Après que le Roi eut levé ce fîege , & qu'il fut retourné à Bourges ^
Jeanne d'Arcq fe renferma dans Compiegne^ alors afliégé par le Duc de
Bourgogne >: mais elle fut prife dans une fortie , & vendue aux Anglois.
Ceux-ci ravis de joie d'avoir entre leurs mains cette Héroïne à qui ils im-
putoient toutes leurs piertes, la traitèrent avec la dernière indignité. Ils
l'enfermèrent à Rouen dans une rude prifbn , ils voulurent que (on procès
lui fût &it dans les formes. Elle fut accufée de fortilege, de féduâion &
d'héréfie ; elle eut beau convaincre les Juges de fon innocence par la force
de (es réponfes , elle fut condamnée à être brûlée fous de vains prétextes.
L'Arrêt , dit-on , kt exécuté : cependant , des Auteurs modernes ont en*
trepris de prouver le contraire, ^ foutiennent que l'exécution ne flit qu'en
effigie , que la Pucelle eut la vie fauve , & qu^elle vécut plufieurs années
depuis cet événement.
4aa . C H A R L E 5 V 1 1 , Roi de Fran0&.
La paix avec le Duc de Bourgade , It traité d^Arras , lés Angipis
chaJJ'cs de Paris.
Ann. t4yj.
J[\jL Aigre les avantages que Charles VII venoît de remporter ^ il lui
eût fallu une longue fuite d^années pour conquérir fur les Anglois ce qu'ils
avoîent ufurpé. Le feul moyen de produire une révolution étoit de déta-
cher de leur parti le Duc de Bourgogne ^ qui ne pouvoir fe réfoudre i
faire la paix avec la France , depuis que fon père avoir été tué à Mon-
treau. Le Connétable de Richemont , homme de fens , & de grande expé-
rience y Rit le médiateur de cette affaire importante. Ayant obtenu une
entrevue du Duc y il employa auprès de lui les motifs les plus puiflàns
pour le porter à la paix^ il lui fit remarquer que les raanes de fon père
dévoient être appaifés par tout le fang qui avoit été répandu , que la
grande jeuneffe oii étoit le Roi^ lors de ce trifte événement, devoir lui
fervir d'excufe , & qu'il devoir par honneur & par religion accorder la
paix à la France. Le Duc ébranlé par ces raifons , promit de rentrer dans
le parti du Roi , pourvu qu'on fatisflt aux conditions qu'il demanderoit
dans l'affemblée qui feroit tenue à cet ef&t. Il propofa la ville d'Arras;
elle fut acceptée. Charles y envoya fes Ambaffadeurs; ceux de la plupart
des Princes de l'Europe s'y trouvèrent , & jamais aflemblée ne fur plus il-
luflre. Les Ambaffadeurs du Roi accordèrent tout ce que demanda le Duc.
II y fut arrêté que Charles défavoueroit le meurtre de Jean de Bourgogne,
qu'il fbnderoit une Chapelle à Montreau & une Meffe annuelle ^ que le
Roi payerait une fomme de fôix^nte mille écus d'or ; qu'il céderoit au Duc
les villes de Mâcon, Auxerre, Bar-fur-Seine, Peronne, Montdidier, Roye,
le Comté d'Artois, &c. A ces conditions, le Duc de Bourgogne recomiut
Charles pour fon légitime Roi.
Cette paix produifit les plus heureux ^fffts. Les troupes du Duc groffi-
rent celles de Charles. Le bâtard d'Orléans & le Maréchal de Rieux, firent
des courfes jufqu'aux portes de Paris, & fournirent au Roi une infinité de
places. Le Connétable dé Richemont ayant mis fur pied une armée , &
liiivî de quantité de Kfobleffe , s'avança vers Paris. Le peuple y étoit las de
la domination des Anglois. Après avoir pris de jufles mefures, on cria dans
les halles t Vive le Roi, & dans le même temps, le bâtard d'Orléans &
tude fans nombre de citoyens , & fe réfugia à la Baflille. Bientôt le Con-
nétable l'obligea de fe rendre à difcrétion , &. lui permit de fe retirer avec
le refle des Anglois.
CHARLES VII, Roi de France. 423
Conduites de Charles VIL
Ann. 1437.
V^HarlES ayant appris ces heureufes nouvelles, s'approcha de Paris;
il ne voulut plus être fimple fpeâaceur des exploits de fes Généraux , &
il réfolut de fe mettre à leur tête ; il commença par le fiege de Mon-
treau I place forte. Le Connétable y ayant amené dix-huir mille hommes,
le Roi prie la conduite de ce fiege , & il y paya de fa perfonne. Il monta
un des premiers fur les remparts, combattit main à main avec les An-
glois , & fe fit admirer par Ion intrépidité. Il défabufa bientôr les efprits
des impreflions défavantageufes qu^on avoit conçues de lui : rien n'égaloit
fon aftivitÉ' '' "^ " ^'"' **" ^' ^' ^ •- '^
pellée U l
qu'il parut
pie y aucune ville ne lui réfiAoit : en peu de temps il diffîpa l'armée des
ligués. Il s'avança en Auvergne , & fournit à (es loix cette province. De-
là il paflà dans la Champagne pour arrêter les défordres des pillards , qu'on
appelloit écorcheurs à caufe de leur cruauté, il les chaffa de leurs torts;
il entreprit le fiege de Fontoife que les Anglois avoient fortifié, il fe trouva
en perfonne à tous les travaux \ on le vit monter fur la muraille , donnant
les ordres au milieu du feu & du carnage. On a de la peine à fuivre ce
Prince dans fes expéditions. De Fontoife, qu'il venoit de prendre, il re-
tourne en Poitou pour arrêter les progrès des Anglois & y faire refpeâer
fon autorité; aflîege Taillebourg, le prend d'affaut, entre dans la Guien^
ne, fe rend maitre de Tarbes, Saint-Sever, Acqs, la Reole, & revient à
Tours fe montrer à Agnès Sorel , couronné .de lauriers.
Les Anglais chajjcs de la UormandU.
Ann. 1449.
i JEs Anglois avoient pillé les havres de Dieppe & de la Rochelle. Char-
Jjss réfolut de les chaiTer entièrement de la Normandie, & il exécuta ce
deilbin avec la plus grande vigueur. Après avoir fait tous fes préparatifs ,
il raffembla toutes les forces- de la France dans cette province, il les di«
vifa en quatre armées, & fit Généraliffime le Comte de Dunois. Bientôt
toutes les villes fe fournirent. Se voyant à la tête de cinquante mille hom-
mes , il marcha vers Rouen , & la ville capitula. Sur ces entrefaites , le
Connétable de Richemont gagna la bataille de Fourmigni , ài cette vie*
loire acheva la conquête de la Normandie.
41^ CHARLES VII, Roi de France.
%
Les Anglais chaffcs de U Guienne.
Afin, 14^1»
X^ Es Anglois étoîent en poflefllîon de la Guienne depuis trois cents ans ;
il s'agiflbit de la leur enlever. Charles fe porta à cette entreprife avec la
même ardeur aù'il les avoit chaflës de la Normandie. Son armée montoit
à quarante mille hommes , il voulut que le même Comte de Dunois en
eût le commandement. Les places ne tinrent pas long-temps. Bordeaux
ouvrit Tes portes & le Général François y fit ion entrée le 29 Juin. Le
Roi confirma à toutes les villes de la Guienne leurs anciens privilèges, &
réunit cette Province à la Couronne. L^année fuivante^ les Etats de Guienne
firent une ligue avec les Bordelois pour rappeller les Anriois. Le Géné-
ral Talboty avec qui ils pratiqùoient des intelligences, nt une defcente
dans cette Province , & reprit les places que les François avoient conqui-
fes. Charles , pour réprimer cette rébellion , fît avancer des troupes. On
inveftit Caftillon fur la Dordogne 9 on y pratiqua des lignes pour la pre-
mière fois, & on y éleva des batteries de canon. Talbot voulut attaquer
ces lignes , les François fe préparèrent à les défendre. On combattit de part
& d'autre avec beaucoup d'acharnement , mais les Anglois ne purent knk
tenir l'effort des François : ils furent rompus & perdirent deux mille
hommes , du nombre defquels fut le fameux Talbot , qui foutint jufqa'à
rage de quatre-vingts ans la réputation d'un des plus grands Capitaiôes
d'Angleterre. Les François viâorieux ne trouvèrent plus de réfiftance. Ui
villes rebelles ouvrirent leurs portes. Bordeaux n'ola pas tenir devant îe
Roi. Ce Prince condamna les habitans à une amende de cent mille écus;
& pour s'affurer de leur fidélité , il fît élçver à côté de la ville les deux
«hâteaux de Trompette & de Ha.
Ltahliffemens utiles de Charles VIL
Ann. 14^2
V^ Harlcs , après avoir chaffé les Anglois. de prefque tout le Royaumej
ne fongea plus cju'à goûter le fruit de Ces vidoires dans les douceurs de
la paix ) & à faire un grand nombre de réglemens pour la difcipline mi-
litaire.
C'efl ici le lieu de parler de la Pragmatique Sanfidon, que ce Prince
avoit établie plufieurs années auparavant : ce fijt un règlement deftioé k
remédier aux abus qui s'étoient gliffîs depuis long*temps dans les éleâioos
des Evéques & des Abbés , & qui caufoient une étrange confufion dao^
l'Eglife. Charles VU , pour y mettre fin ^ convoqua une affemblée à Bou^
ges. Ce Prince s'y trouva en perfonne, & plufieurs Princes du Sang,l»
Prélacs
en A RLE s vu ^ Roi de France. 425
Prélats du Royaume , les Députes des Farietnens & des Unîverfités : ceux
du Concile de Bâfle s'y rendirent Comme le Clergé de France avoit en-
voyé des mémoires à ce Concile, les Pères qui le compofoient envoyé-
rent au Roi les décrets qu'ils avoient faits touchant la liberté des éleâions.
En conféquence , l'aflemblée de Bourges dreffa des articles conformes à
ces décrets^ & pria le Roi de les autorifer par une loi. Charles accorda
ce qu'on lui demandoit , il déclara qu'après avoir ^t examiner les décrets
Royaume, Cette loi fut appellée Pragmatique, Elle ôtoit aux Papes prel-
3ue tout le pouvoir qu'ils s'étoient attribués de conférer les bénéfices &
e juger des caufes eccIéHaftiques de France ; elle vouioit que les élec-
tions fulTent faites avec liberté & par ceux qui ont droit, & déclaroit la
fupériorité des Conciles généraux au-defTus du Pape. C'étoient là du moins
les principaux articles de la pragmatique, qui fubfifta jufqu'au temps que
le concordat lui fut fubflitué fous François premier.
Les réglemens que Charles VU fit dans la partie militaire , font Pépo-
3ue la plus remarquable de fbn règne. Il abolit les compagnies des Gen-
armes qui fàifoient le gros des armées ; c'étoient des troupes fans difci-
pline , qui ne combattoîent que félon leur caprice. Il fit un nouvel état
de guerre ; il établit les compagnies d'Ordonnance qui furent des troupes
réglées; il inftitua les francs-archers; il obligea chaque village de lui en-
tretenir un archer qui devoir marcher au premier ordre ^ toutes les compa*
gnies furent compfettes , & toutes les troupes étoient payées dans les
montres qu'on faifoit tous les mois. Il fit des réglemens pour bannir les
défordres dans lès armées, & défendit toute violence dans la campagne,
jfous peine de punition. Il donna fes (oins pour avoir une belle & noni-
breufe artillerie & les charrois néceflaires pour les munitions : en quoi
le (ire Bureau de la Rivière , très-entendu dans cette partie , lui fut d'un
grand fècours. Au moyen de ces fages établiffemens , tout changea de fa-
ce, & la guerre fe fit avec régularité & avec fuccès. Aiofî on peut dire
3ue les Rois fes fucceflèurs furent redevables à ce Prince d'une infinité
e fages établiffemens , & durent lui favoir gré d'avoir trouvé les chofes
fur un aulli bon pied que les mit Charles VII : c'efl ce qui rend fon règne
un àes plus mémorables dans l'hiftoire de France.
Si Charles VII eut quelques défauts , il eut de grandes qualités ; \eé hits
que nous avons rapportés en font une preuve. Malgré les embarras d'un
règne agité de troubles, fon amour pour la juftice n'en fut pas moins vif.
On lui doit la rédaâion par écrit des Coutumes de France, qu'il fit faire
en 14^4. Ses fucceffeurs n'ont fait que fuivre fon projet dans l'exécution.
11 eut l'adreire & la politique de lever les tailles fans le confentement des
Etats du Royaume . o( de les réduire en forme d'impôt ordinaire. Four en
Tome XI. Hhh
426 C H A R L E S IX, Roi de France.
venir à bouc , il profita des befoins preflans de PEtat , & de la néceflité
de payer les troupes qu'il fàlloic licencier. On gagna les uns par des pen-
fions , d'autres par des privilèges. Charles fe conduifit en tout cela avec
beaucoup de modération. Il témoigna un amour fingulier pour les Lettres ,
& tenta d'introduire les Sciences dans le Royaume. C'eit à lui que nous
devons les Chroniques de France, ou le premier plan d'une hifloire géné-
rale de la Monarchie : il fufEfoit d'annoncer quelque talent ou difpoficioti
aux Sciences pour mériter l'attention & la faveur de ce Prince.
La fin de fa vie fut troublée par les chagrins que lui donna l'humeur
impérieufe de fon fils , qui fut depuis Louis XL Ce Prince , fur quelques
reproches que lui fit fon père , s'étoit retiré en Dauphiné , où il gouver-
noit avec cet air abfolu qu'il fut depuis fi bien étendre; & il y époufa,
fans fa participation , la PrinceiTe de Savoie. Charles l'ayant mandé à la
Cour, il refiifa d'obéir, & fe retira chez le Duc de Bourgogne, C'eft aidi
que par fa dureté , il empoifonna la joie que le Roi fon père auroit po
goûter de l'état florifiant où il avoit mis le Royaume. Charles foupçonoa
fon fils d'ofer tout entreprendre pour régner : bientôt tout lui fit ombra«
ge i cette défiance vint à un tel point , que , dans l'appréhenfion d'être em-
poifonné, il fut près de fix à fept jours lans manger. Au bout de ce terme «
vaincu par les inftances & les larmes de fon fils , le Duc de Berry ^ il vou-
lut prendre de lanourrimre; mais les conduits étoient reflerrés , il ne put
rien avaler , enfbrte que la crainte de mourir lui caufa la more.
CHARLES IX, Tloi de France.
Extrait de P Abrégé de fa vie & de fon règne , traduit du Latin de Papin
Majfo , Auteur contemporain , par PAbbé le Laboreur.
L Naijance de Charles IX.
V^ H ARLES naquit au château de S. Germain en Laye, petit bourg
fitué (iir le bord de la rivière de Seine , proche Paris , le 27 de Juin , Pao
, qu'il changea depuis,
Michel de Salon (c'eft le Michel de notre Dame, autrement appelle i^of^
tradamus , natif de la ville de Salon en Provence ) , ' ayant fait f on hoitn-
cope, prédit que fa domination feroit fanglante & malheureufe ; ce que
le fùcces ne fit reconnoltre que trop véritable.
^CHARLES IX, Roi de France. 417
II, Des ffierres civiles arrivées fous fin règne.
JLjEs guerres civiles nées fous le (bu Roi (on prédécefleur , de la haine
des dçux xnailbns de Guife & de Montmorenci , ruinèrent la France fous
fon règne. Flufieurs villes furent prifes , les bourgades brûlées , les villa*
ges réduits en cendres ; & il en coûta bien à l'Etat prés de quatre cents
mille hommes, qui périrent par le fer, la faim, le feu & la pefie.
II L Les viâoires de CRarles.
JLL (e donna quatre batailles ; la première au pays Chartrain , près la ri-*
viere d'Eure, ou il fut tué douze mille hommes, (c'eft la bataille de Mar«
ville , dite de Dreux ) \ la féconde à la vue de Paris , ( c'eft la bataille de
S. pénis , oii Anne de Montmorenci , connétable de France , fut blelTé à
mort ) ; la troifieme au pays de Xaintonge , fur les bords de la Charanre ,
(c'efl la bataille de BalTac, dite de Jarnac), où demeura Louis de Bour^
bon , chef de fon parti \ & la dernière auprès de Montcontour , en Foi-
tou , où il y eut feize mille hommes défaits* Il gagna ces quatre viâoi-
res par fes Lieutenants-Généraux ; & outre cela il fe fit encore plufieurs
autres combats de moindre marque dans toutes les Provinces , & il y eut
des (bulevemens , des maffacres, des brigandages prefque par tous les lieux,
& les plaines cultivées ou déferres, de ce Royaume : tout cela pour la
Religion ; une grande partie des François voulant maintenir les anciennes
cérémonies de FEglife , que d'autres vouloient abolir pour introduire de nou-
veaux ufages , fuivant Théréfie de Calvin. Cette difcorde , la plus pernicieufe
de toutes celles qui peuvent troubler le repos d'un Etat, ayant rompu par
toute la France les plus étroits liens de ramitié , de U parenté & de la
fociété civile.
W. Le majfacre de Paris ( la S. Barthélémy. )
Nfin le mal étant fi défefpéré qu'il en fallut venir au remède,, &
fuccéder la finefle & la rigueur à la force ouverte ; il fe fervit adroi*
cernent de l'occafîon & du prétexte du mariage de Marguerite fa' fœur
avec Henri de Bourbon , Prince de Béarn. Cette cérémonie attira à Paris
les cheB du parti ; les plus nobles de la fuite & de la maifon du Prince
en voulurent être \ fes plus braves Capitaines y accoururent tous pour faire
leur cour auprès du Roi , & pour témoigner leur joie de l'avantage Qu'ils
fe promettoient de cette alliance : mais comme après les noces chacun d'eux
Sréparoit fon retour, le jour de S. Barthelemi, de très-grand marin, le
Loi donna le fignal pour les maffacrer : les bourgeois de Paris aufli-tôt txé*
cuteiit cet ordre fur tout ce qui fe put rencontrer de Huguenots dans la
Hhh 2
X
^a8 C H A KLE S IX ^ Roi de FranU.
ville , & Gafpard de G>lligny , le flambeau , ou plutôt Tembrafenient même
de {â patrie, K{xxi trois jours auparavant avoit été blefTé d'une arquebufe^
au retour du Louvre y fut tué de plufieurs coups dans fou lit. Il y mourut
environ deux mille hommes, dont les corps furent traînés à la rivière de
Seine : & ce carnage arriva le 24 Août Tan 1 572 , à la vue du Roi , qui
le regardoit du Louvre avec beaucoup de joie. Peu de jours après il alla
lui-même voir au gibet de Montfaucon le corps de CoUigny , qui y étott
pendu par .les pieds ; comme quelques-uns de fa fuite craignoient ae s^eo
approcher, à caufe de la puanteur du cadavre ,, Podeur d'un ennemi mort,
1» dit-il , eft toujours douce & agréable. ^
V. Lettre du Roi aux Gouverneurs des Provinces.
/V^USSI'TOT cette exécution faite, il envoya ordre par écrit à tous les
Gouverneurs des Provinces de faire pafTer les refies du parti au fil del'épée;
il fut fi bien obéi, qu'à peine eût- on reçu fes lettres, qu'il en coûra la
vie à plus de dix mille perfonnes , fans' aucun égard de l'âge, ni du
fexe ; ta populace , irritée , n'oubliant aucun genre de cruauté pour fatif-
venta
des
cette
même année auroit été la fin des guerres civiles & le commencement
d'une longue paix. Mais Dieu en avoit autrement difpofé ; foit pour ven<*
ger le fang de quelques gens de bien qu'on avoit mêlé avec celui des
hérétiques \ ou pour quelque autre caufe.
VL La dcvife de Charles.
y"
JLi E s Officiers du Roi portoient fa devife fur leurs cafaques , qui étojt
compofée de deux colonnes , avec ces mots : Pietate & Jujiitid , figoi'
fiant que ces vertus font les colonnes & l'appui des grands Empires. U
bouche de l'Empereur Augufte , que la piété & la jufHce font les Dieux :
hérétiqi
clémence , il fe fervit de la févérité ; toutes les fois qu'on lui parloit en
faveur des coupables , on lui entendit répéter ces paroles : » C'efl cruauté
d'être clément i c'efl clémence d'être cruel. 0 Four ce qui efl de la jufii*
CHARLES IX, Roi de France: 429
ce , il n'y fut pas fi religieux dans la déceflité où il fe vit contraint de
rendre tout véçal, d'impofer de nouvelles charges fur (on peuple, &
d'exiger des tributs extraordinaires pour la fîibfiftance de fes armées, &
pour fournir aux dëpenfes journalières de fa Maifon & de fa Cour.
VIL Son plus grand Favori.
1 L eut pour principal favori Albert de Gondi , fils d'un Banquier de
Lvon , qui lui apprit à jurer le nom de Dieu. Préférant celui-ci aux plus
illudres de fa Cour , il Téleva infiniment en biens , en faveurs & en hon-i,
neurs , & il l'auroit encore fait plus grand , s'il eût plus longuement
vécu. Il le voulut faire Maréchal de France , qui eft l'une des premières^
dignités du Royaume ; il le fit Gouverneur de Provence : enfin il lui mie
à même les grandes charges & les richefTes : c'eft une chofe certaine
qu^il tira de lui en cinq ans fix cents mille écus d'or.
VIII. Son Précepteur & Ja Nourrice.
Xl eflima pareillement beaucoup Jacoues Amiot fon Précepteur, qu^
gratifia de plufieurs riches bénéfices, oc enfin le: pourvut de l'Evéché
d'Auxerre. Il étoit natif de Melun, fils d'un boucher, mais d'ailleurs
homme d'un efprit excellent , & né favant dans les langues Grecque &
Latine. Le Roi Charles Tappelloit toujours fon Maître \ il lui Àifbit fbrc
la guerre de fon avarice, & le railloit de l'appétit qu'il avoit poiir les
" •^ " " ^' ^^ - . .^ Pierre- Vive) il
autre chofe d'elle
qu'elle fe reconnût; & il l'obtint enfin par la firayeur qu'elle eut
de la S. Barthélemi , encore cju'il n'y eût employé que des prières fans au-
cune menace. Jamais il ne lui refufa rien de tout ce qu'elle lui demanda
pour foi ou pour les fiens.
IX. Sa libéralité.
JL L étoit trés*libéral envers toutes fortes de gens , difant fouvent , qu'un
Roi devoit d'autant plus donner volontiers, que les peuples, en cela com-
parables aux fleuves qui charrient toutes leurs eaux à la mer, rapportent
perpétuellement leur argent au tréfor du Prince.
X. Ses exercices.
XL fe divertifToit à divers exercices , comme de danfer , jouer à la paume,
piquer des chevaux, leur forger des fers» & même il enteodoit à mener
439 C H A R L E S IX, Roi de France.
le carroflê & le charriot; & favoît encore parfaitement le métier d'armo-
rier, aufli bien que celui de canonnier. Il étoit bon pécheur, fort adroit à
la prife des béces farouches ; & dès fa jeuneffe , il s'adonna fi fort à la
chafTe, qu'on peut dire qu'il étoit fou de ce pénible exercice, qui le ren«
doit errant nuit & jour dans les forêts , jufqu'à perdre le boire & le man-
ger, auffî bien que le repos du fbmmeil^ pour fatisfstire fa paffion. On
voit un livre qu'il compofa des armes & des eqgins néceffidres à la véne^
rie , comme aufli des moyens de prendre les bêtes , & de les forcer dans
leurs retraites ; lequel il donna à traduire en Latin à un favant de fa
cour. Ce continuel acharnement après les bêtes le rendit fanguinaire , mais
contre les feuls animaux ; car on ne remarque point qu'il ait jamais tué
peribnne de fa main ; mais bien qu'il coupa le col en préfence de ceux
de fa fuite , à quelques ânes qu'il rencontra en fon chemin , encore lei
payoit-il à ceux auxquels ils appartenoient. Il tuoit aufli des pourceaux,
& fans épargner fes mains dans leur fang, leur arrachoit les entrailles,
& les habilloit avec autant d'adrefle qu'auroit fait un garçon chûrcuitier.
Un jour qu^il voulut aufli tuer le mulet du Sieur de Laumic, l'un de fes
plus Êtvoris : j> Quel différend , Roi Très-Chrétien , lui dit-U , peut être
» furvenu entre vous & mon mulet ?"
XL Son amour pour la mufique.
xIjNtre toutes les fciences, il s'attacha d'affeâion à celle que le Roi
fon père chériflbit davantage, je veux dire la mûiique, en faveur de la-
quelle il fit eftime des bons chantres , & entre tous , d'un châtré nommé
Leroi ; lequel non-feulement il ne fè contentoit pas d'entendre , mais lui-
même fe mêloit dans le chœur des muficiens pour chanter en partie : il
leur donnoit, outre leurs gages , des bénéfices de grand revenu, & fâvoic
bon gré à ceux de ce métier qui fe faifoient valoir.
A
XII, Rencontre particulière oà il refufa juftice.
^ ^^ F R è S la première guerre civile , il vifita toutes les Provinces de
Ion Royaume. Le Sieur Boumazeau , l'un des puiffans du pays de
Guyenne, avoir été condamné à mort pour avoir fait afîàfliner le Sieot
de la Tour ; & comme fes parens employoient tout le crédit de la coiff
{»our lui faire avoir abolition du Roi ; la veuve lui demandant juftice , il
a pria de vouloir pardonner au coupable, & lui ofiHt telle réparation quHl
lui plairoit fur fes biens. Je n'en ferai rien , lui dit-elle ; mais puifque U
faveur l'emporte fur les loix & fur la juftice , accordez-moi feulement U
grâce de cet enfant, lui montrant fon fils encore fort jeune, que j'élèverai
dans la paffion de venger le fang de fon père dans celui de fon aftaffinî
CHARLES IX, Roi de France. 431
auffi bien avez-vous fait une juftice de le tirer des prifonff. J'ai voulu re«
tnarquer cela, pour laifTer une mémoire înmiortelle de la générofité Ro-
maine de cette fenune forte & courageufe.
Xin. Difcours par lui fait en plùn Parlement.
Il fit un difcours à Paris devant le Parlement aflemblë , qu'il comment
par les louanges de fa mère, proteflant lui être obligé de la couronne < .
de la vie. La féconde partie fut pleine de reconnoiflance des fervices &
de l'afFeâion de Henri ion frère envers lui ; & en la troifîeme, il fe plai-*
gnit de la corruption des loix , & de la difcipline ; du droit , & refus que
la cour faifoit ae paffer ks édits. C'eft à vous, dit-il, à obéir à mes or«
donnances, fans entreprendre de les examiner; car je fais mieux que vous
ce qui eft de Pufage du Royaume , & ce qui fe doit faire dans rordre &
dans la bienféance. C'étoit un jeune hohmié fans barbe qui parloit ainii
fortement devant une grande & célèbre compagnie de vieux Magifirats
très-favans. Cette harangue, pleine de paroles dures & peu dignes d'un
lieu (i faint, & d'un efprit de defpotifine, avoit été écrite de la main de
Charles, Cardinal de Lorraine.
o
XIV. VÉtat EccUfiaftique maltraité.
N ne fauroit dire qui de Charles ou des huguenots affligea davantage
l'Etat Eccléliaftique ; car ceux-ci à la vérité , tuèrent bien quelques Pré*
très , & pillèrent quelques Eglifes , mais lui , fît fondre en monnoie Por
& l'argent des vaiuèaux facrés ; il donna les Prélatures & les Abbayes &
des enfans , à des gens de guerre & à des femmes ; il exigea le quatrie*
me des revenus du bien de l'Eglife ; il aliéna une partie des fonds des
bénéfices, & en tira jufqu^ deux millions d'or.
XV. Son étude des bonnes lettres.
I
L apprit la grammaire en fa jeuneiTe , & prenoit afièz de plaiHr aux
lettres ; mais d^bord qu'il fut Roi , il renonça aux fciences , comme coq«
traires aux chofes qu'il devoir ordonner , auffi * bien qu'à la Royauté , aa
dire des gens de Cour, qui font gloire de leur ignorance. Il les aima pour-
tant ; & comme il avoit inclination à la poéfie , il compofa quelques vers
François. Entre les poètes, il chérit Dorât pour les vers Latins; & entre
les François , le fieur de Ronfard Vendomois , & ( Jean Autrine ) Baïf , fils
de
vrages.
dnlTent compte de continuer ï coihpofef » & afin que l'argent , venant à
431 CHARLES IX^ Roi de France.
manquer » ils apportaflent quelque chofe de nouveau pour en avoir d^aotre :
comparant les poètes aux bons chevaux qu'il Eut nourrir j mais qu^il (ml
fe garder d^engraiflèn
XVI. Sa mort & fort tcjlamtnt.
JLi E 30 Mai I {74 , jour de la Pentecôte, ayant fait appeller le Chance-
lier de Birague & le fieur de Fizes , Secrétaire d^Etat , il déclara Henri
fon frere fon fucceflèur, en préfence de François fon frère, de Henri Ton
beau-frere , de Charles Cardinal de Bourbon , & de pluileurs des grands
de la Cour, fuivant la loi Salique; ordonnant la Reine Régente en fbn
abfence : & ce teftament aufli-tot porté au Parlement de Paris » fut lu &
vérifié fuivant les coutumes du Royaume. Il exhorta fbn firere de ne point
troubler Tordre, & de ne rien entreprendre au contraire, parce qu'aufli-
bien les Royaumes ne s'acquièrent .que par le mérite & par droit d^héré-
* dite , & que tous ceux qui y afpirent par de mauvais moyens , périment
miférablement. Il lui confeilla encore de fuivre les bons avis de (a mère,
& TalTura que demeurant dans le refpeâ qu'il lui devoit , il auroit d'elle
tout ce qu'il en pourroit efpérer. Il ordonna de plus aux autres Princes &
Miniftres là préfens de jurer fidélité au Roi Henri (on frere ; & enfio le
même jour, fur les trois heures, il mourut au château de Vincennes près
Paris , à l'âge de vingt-quatre ans moins vingt-huit jours.
Le lendemain fon corps fut ouvert en préfence des Magiflrats de Paris,
'& on n'y trouva aucune noirceur ou corruption qui put appuyer le niau-
vais bruit qu'on faifoit courir que fon frere l'avoit empoifonné. Tout le
mois d'Avril & de Mai enfuivant , la Reine retint fous bonne & f&re garde
fon fils & fon gendre , afin d'empêcher qu'ils n'échapaflent pour excit^
quelque foulévement , & cependant elle envoya des couriers pour avertir
le Roi Henri de la mort de fon frere , qui , en treize jours de poftes , ar*
rivèrent à Cracovie,
I
XVII. De fa taille & rcmemhranee.
L étoît grand de taille , mais un peu voûté, ayoit le vifage pâle, les
yeux jaunâtres , bilieux , & menaçans ; le nez aquilin , & le col un peu
de travers. Il étoit naturellement impétueux , impatient , furieux dans fa
colère ; maigre , & non trop crédule ; il étoit allez ferme & entier dans
fon amitié ; & quand il vouloit, c'étoit un maitre diflimulé. Il n'étoit pas
pour cela auflî qu'il violoit aifément la foi de fes promeHes , oii il juroit
le plus , c'étoit dans fes entretiens familiers,
Obferyatiorj
CHARLES IX, Roi de Tranee, 433
Obfcrvations fur Us droits que Charles IX y Roi de France , réclama con^
trc le Roi d^Efpagne dans Us Pays-Bas.
JLi E S podefllons des deux Monarques dans l'Artois y & dans les Pays-
Bas avoienc été réglées par le Traité de Cateau-Cambrefis en 15^9; le
Roi Charles IX ne pouvoit renouveller les antiques prétentions de Henri
II fon père , de François I fbn aïeul , & de leurs devanciers , qu'en vib*
lant ouvertement cette paix folemnelle , jurée de part & d'autre onze
' ans auparavant.
C'en un étrange fléau dans le monde que cette politique des Rois , bu
plutôt de leurs confeillers , qui ne reconnoilTent point la force des
traités de paix.
Ceft à'peu-près aux règnes de Charles-Quinc & de François I, qu'il
fiut rapporter le développement plus marqué de ces principes (i funefles
au genre-humain; Louis XIV leur donna, peut-être , plus de vigueur
encore \ & , par un accroiflement plus incroyable , nous avons vu de nos
jours la force militaire chercher des prétextes, jufques dans les préten-
rions les plus problématiques du douzième & du treizième fificles;
En effet, fi les derniers traités ne font pas la loi entre les Souverains,
comme les dernières tranfàâions fur proeés la font entre particuliers ; fi
l'on admet , pour maxime fondamentale , cette imprefcriptibilité des droits
du plus fort , on n'a plus aucun point fixe pour diftinguer leû poflefleurs
légitimes d'avec les uuirpateurs.
Mais quand on reconnoit ainfi pour unique droit des gens ou, pour
mieux dire, des Princes, la force aâuellement prépondérante, qu'efl-îf
befoin de recourir à des titres, & de reculer d'époque en époque, juf-
qu^à ce qu'on ait trouvé quelque traité plus ou moins favorable à fes
prétentions ?
Cette politique a mis toute l'Europe dans l'état affreux d'une guerre con-
tinuelle. Tant qu'jelle fubfifterofti il feroit trop vrai de. dire qu'il n'y a
point de paix réelle , mais feulement des intervales de trêves armées , en«-
tre les Souverains.
La néceflité d'entretenir fur pied des troupes formidables, qui réfiilte
néceflàirement de ces difpofitions infpirées aux Princes, eft la funefte caufe
du régime fifcal , prohibitif, réelemencaire qui ^ accable par-tout l'agri-*
culture, les arts, le commerce; & qui défoie en mille & mille manières
la malheureufe humanité.
Ces fyftêmes dévaAeurs font appuyés l'un fur^ l'autre : c'eft pour le pro-
duit du fifc que les Conquérans voudroient ufurper des Provinces i c'eft
pour défendre ce produit contré les autres qu'on multiplie les foldats ; &
c'eft pour entretenir les foldats qu'on multiplie les reflources de finances.
La formne & l'illuftration d'une foule d'honmies employés à la défenfe
militaire ou à l'adminiftration fiCcale , font l'effet néceffaire des inflruâions
Tome Xr. I i i
434 CHARLES IX , Roi de Frmcs.
qu'a produites cet état violent Si <:ontre sature auquel fe trouve réduiie
rEurope entière malgré la cîvîlifatîon qui devroît l'en préferver.
S'il eft avantageux pcHir ces deux clafles trop nombreufes d'hommes
privilégiés I il n'eft pas moins vrai qu'il eft ruineux pour les peuples &
pour leurs Princes, dont les intérêts ne font jamais féparés de ceux des
nations, puifqu'ils ne font riches que de l'opulence de leurs fujets, &
puifTans que de leurs forces.
Li méthode aâuelle de guerroyer eft tellement difpendieufe , que les
conquêtes les plus brillantes pourroient à peine dédommager des frais dé
deux ou trois campagnes. Si les Souverains qui s'imaginent avoir le plus
acquis par leurs armes viâorieufes dans notre fîecle , vouloient compter
exaâement la dépenfe & le produit, ils trouveroient certainement qu%
font bien loin de s'êtrç enrichis & fortifiés par de tels fuccès.
Mais on a grand foin de cacher aux Princes les élémeas de ce calcul :
on tourne ordinairement toute leur attention vers deux objets qui leur
font illufion; la renommée brillante des Héros, & Textenfion de leur Empire..
Conquérir un plus vafte territoire , n'eft-ce p^s évidemment augmenter
fa puiuanc^ ? N'eft-ce pas acquérir des hommes & des richeffes ! Il fem-
ble que ces queftions ne foieot pas problématiques ; on ne & donne pas
même la peine d'y réfléchir.
Examinons cependant , & comptons. S'il vous a fallu plufîeurs ano^o
de préparatifs diipendieux ; Ci l'exécution a été très-coûteu(e , & fi le fob
de conferver vous oblige encore à des frais confidérables ; il eft vrai de
dire que vous n'avez pas conquis gratuitement ce territoire,, mais que
vous l'avez acheté.
Si l'on pouvoit citer un Prince mort avec plus de quatre milliards de
notre monnoie aâuelle de dettes , après avoir tiré des anciens domaioet
de fes aïeux , par toutes les inventions fîfcales , plus de quatre autres mil*
liards au delà du produit qu'en retiroient fon père & fon aïeul; pour
favoir s'il acheta réellement trop cher les territoires qu'on appelle fei
conquêtes, on feroit tenté de demande]^ à celui de fes defcendants qui
les poiTede aujourd'hui, en pleine paix,^ (î ces Provinces, améliorées au*
tant qu'elles ont pu l'être par plus de foixante ans de cette jouifTance paifi*
ble, depuis l'acquifition ^ lui produifent en effet une telle augmematioo de
revenu clair & liquide , qu'elle foif bien fagement achetée , en y mettant
plus de huit milliards.
A un pour cent d'intérêt , huit milKards devroient produire quatre-vingts
millions de revenu quitte & : net. A deux pour cent ^ ils en^ produûroient
cent foixante.
Si le fuccefleur 4»' préte^u Conquérant ne tiroît pas même ces cents
foixante millions de^ revenu quitte & net de tous fes Etats anciens & nou*
vellement occupés , il feroit difficile de prouver que fon ancêtre eût bk
àt bonnes & utiles acquittions^
CHARLES IX, Roi de France. 434
Ce' calcul ne feroit même qu^un premier appercu ^ on pourroit lui dire :
liuit milliards attirés au tréfor de ce Prince , & par lui dépenfés pour pré-
parer y opérer & conferver fes conquêtes , en ont coûté beaucoup plus à
ton peuple , c'çft-à-dire aux propriétaires fonciers de fes anciens Etats ; car
ce (ont les propriétaires fonciers qui paient tout , & les fommes que Ton
reçoit, & les frais & les profits intermédiaires, fans compter les per-
tes qui réfulcent néceflàiremenr des formes vicieufes & deftruâlves de la
perception fifcale.
On peut donc évaluer pour le moins à douze milliards la mafle des exac-
tions accumulées fur ces propriétaires, au delà des bornes antiques, pour
opérer ces brillantes conquêtes.
^ Douze milliards , laifTés entre les mains de ces propriétaires fonciers , pen«
dsLtkt cette époque , produiroient aujourd'hui peut-être un milliard de re-
venu territorial quitte & net , les frais acquîtes ; & fans forcer nulle per-
ception, le dixième feul de ce revenu, clair & liquide « vaudroit cent
millions de plus au Souverain,
Voilà ce qu'on déguife aux Princes , ou peut-être ce qu'ignorent ceux
qui les environnent & qui les confeillent. Comment ne tomberoient-ib
pas dans Tillufion , les particuliers y donnent très-fouvent eux-^mêmes !
On voit communément des propriétaires jaloux d'étendre leurs domai-
nes acheter, & même très- chèrement , les terres de leurs voifins, au lieu
d'améliorer leur propre héritage : leurs capitaux, employés de cette ma-
nière , produifent trois ou quatre pour cent » au lieu qu'ils en auraient fou-
vent huit ou dix de ceux qu'ils mettroient en améliorations , de leur pre-
mier fonds.
Cefl par la même erreur qu'on perfuade aux Princes d'étendre leurs
États au lieu de les bonifier ; & c'eft cette foif continuelle d'une exten-
sion illufoire , qui nous a produit la réduâion trop fenfible & trop funefte
du droit des nations à celui du plus fort ou du plus artificieux.
Dans cette «guerre fourde & continuelle de tous contre tous , il en coûte
pour conferver prefque autant qu'il en coûteroit pour conquérir; & par
la nature des renources que le régime fifcal emploie dans tous les Etats
.pour entretenir les moyens de puiflance , il eft peut-être vrai de dire qu'on
le ruine foi-même, pour ruiner les autres, & pour éviter d'être ruiné
par eux. >
Quand viendra le temps où les trois ou quatre grandes familles de fou-
verains qui régnent en Europe , après avoir fenti la néceflfîté de garantir ,
par des paâes de Sunilles , les États que pofledent leurs branches refoeâi-
ves, feront encore un fécond pas en bonne pcdltioue vers la profpérité
générale de leurs Empires , & le bonheur de toute l'humanité , en renon-
çant pour jamais aux projets de fkuffes conquêtes , en éublilfant le règne
de la juflice & de la paix.
Quoi 4b'ii en foit du temps oii ce projet favori de Henri IV & de Sul-
I il 2
43* CHARLES-QUINT, Empereur.
ly, pourra s^èxécuter, nous pouvons dés à préfent calculer les effets du
projet annoncé par Charles IX , de revendiquer Tes fëodalités de Flandre
& d'Artois.
Louis XIV les a reprifes avec d'autres pays fur les Efpagnols ; Louis XV
les a toujours pofTédées \ les moyens pour la conquête & pour la confer-
varion nous font aflez connus.
François I y qui les avoir facrifiées au bien de la paix , n'en écpit pai
moins un Prince redoutable à toute l'Europe \ fa Cour n'en étoit pas moins
brillante; il n'en a pas moins laifTé de grands & d'utiles monumens : on
peut même ajouter , avec juftice & vérité , que dans l'intérieur il outra la
magnificence , & qu'il ne s'en tint pas au dehors à la (impie défenfive ;
cependant à fa mort il ne devoit rien; il fe trouva quatre cent mille écus
d'or en efpeces dans fon épargne , un quartier de tous fts revenus échu
& prêt à recevoir.
Henri IV , qui ne les avoir point reconquifes , éroit encpre plus à l'abri
de toute invaiion , quand il mourut ; fon règne étoit encore plus marqué
au fceau d^une bonne adminiftration ; fa cour étoit encore plus brillante :
il avoit payé les dettes de fes prédéceffèurs , & il laifla plus de quarante
millions de notre monnoie aâuelle dans les chambres de la Baftille. M. tJbU
Baudeav.
CHARLES-QUINT, EmpercunT AUcmugnt & Roi iTE/pagm.
Vy H ARLES-QUINT, homme de çuerre & homme de cabinet, miîof
de plulieurs Royaumes, aurott pu fubjuguer l'Europe» fi François I, Roi
de France n'y eut apporté des obftacles. Différentes circonftances mirent
une rivalité continuelle entre ces deux Princes. La fortune fe déclara pref^
que toujours en faveur de Charles- Quint. On a attribué cette efpece d'af-
cendant, d'abord à la fupériorité des forces du Monarque Autrichien, &
à l'adreflè avec laquelle il fbmioit des ligues plus nombreuîes & pto
puifTantes que celtes de fon ennemi , & emuîte à la mauvaife conduite du
Confeil de France où l'op faifoit plus de fautes que la valeur des troupes
jPrançoifes n'étoit capable d'en réparer.
Charles-Quint naquit à Gand le 24 Février de l'an i çoo. Il étoit fl$
de Philippe, dit le-Beau, Archiduc d'Autriche, lequel étoit fils de rEitt-
pereur Maximilien, & de Jeanne, Infime <l'£fpagne, fille de Ferdinand-
le-Catholique , Roi d'Arragon & de Caftille. 11 tfavoit que fix à fept ans .
lorlqti'il perdit fon père. La Reine Jeanne fa mère fut fi affligée de la mort
de (on époux, qu'elle en perdit l'efprit. L'éducation du jeune ArcÉduc au^
CHARtES- QUINT, Fmperatr. 437
les fut commife à Adrien Florent, Flimand , qui fut dans la fuite Pape, &
au Duc de Chicvres , de la Mail'on de Croy. L'Empereur Maxiniilien prît lui-
même de grands foins pour que fon p.tît-fils appnc tout ce qui peut fervir
i former un héros & un guerrier , comme prévoyant que PKiiipire feroit
encore long -temps dans l'a famille. Il fut réglé que Ferdinand auroit la
Régence de Cailille pendant la tutelle de l'Archiduc , & qu'il lui four-
niroit chaque année deux cents mille dttcats pour l'entretien de fa maifon.
Charles témoigna beaucoup d'inclination pour les langues vivantes &
d'ufage : la Françoife, l'Efpagnole , l'Italienne, l'Angloife , la Flamande;
& il avoit coutume de dire qu'il vouloir fe fervir de la langue Iralienne
pour parler au Pape , de l'Efpagnole pour parler à la Reine Jeanne fa
mère, de l'Angloife pour parler à la Reine Catherine fa tante, de la
Flamande pour parler à fes amis, & de ta Françoife pour s'entretenir avec
lui-même. Mais fa plus grande inclination éioK pour l'art de monter à
cheval, jufques-U que l'on étoit obligé de la modérer, de peur qu'il n'al-
térât fà fanté dans cet exercice. Dés l'àge de dix ans il montoit mieux
un cheval que d'autres à vingt ; il tiroir auflî (brt adroitement du piftolet
& de l'arbalète. Ponr ce qui regarde les mathématiques, la géographie,
la marine, la méchanique , (es maîtres étoient étonnés de fes progrés.
En 1^1^ , Charles fut déclaré majeur, & l'Empereur lui remit le gou-
vernement des Pays-Bas. Le jeune Souverain conclut d'abord une alliance
avec François I , qui venoit de fuccéder à Louis XIL L'année fuivante il
fit un traité à Noyon avec le même Prince , par lequel il fut arrêté, que
François I garderoic le Duché de Milan , & que la Navarre feroit rendue
à Jean d'Albret. La même année Ferdinand-le-Catholique , Roi d'Efpagne,
étant mort , Charles fon petit-fils lui fuccéda au défaut de ia raere Jeanne ,
qui étoit incapable de fe charger du gouvernement.
Auifi-iôi il partit pour l'Efpagne : Maxîmilien voulut qu'il fît ce voyage
avec une fuite pompeufe , & accompagné de plulleurs grands Seigneurs
du pays. Charles s'embarqua à Ofïendo avec les flottes de Hollande & de
Zélande, & lailla i fa place, pour gouverner les Pays-bas, la Princefi'e
Marguerite ia tante. Arrivé en Efpagne , il fit bientôt connoîire les talens
qu'il avoic reçus de la nature pour régner avec gloire & avec fagelTe : il
établit en peu de temps fon autorité ; mais il fut ufer de tous tes ména-
gemcns convenables, ayant affaire à une nation fîeie, & délicate fur tout
ce qui peut bleffer fes ufages. Il femble que c'eft ici le heu de donner
une idée de l'extérieur de ce Prince. Charles étoit d'une taille ordinaire ,
mais un peu ati-defltis de la médiocre. Son tempérament tenoit le milieu
eotre l'embonpoint & le défaut oppofé : il avoit le nez aquilin Sx. le front
large. Il étoit nerveux & robul^e ; fa complexion étoit fanguine» mêlée
d'un peu de mélancolie , ce que les phyfionomtfles croient être des Hgnes
d'un efprit induflrieux & fin : en quoi ils avoient deviné jufte; ils pou-
voient même ajouter d'un caraâere foupçonoeux & trop obHiné dans fes
an*
âge
438 CHARLES-QUINT, Empcnur.
defleins. Ses lèvres ëtoient un peu pendantes , défaut ordinaire aux Princes
de la Maifon d'Autriche. Il porta peu de barbe ; Tes cheveux étoienc blonds ,
& il les faifoic couper jufqu'au-delTous de l'oreille, à la manière des
ciens Empereurs Romains : il fut d'une complexion fort faine jufqu'à 1';
de quarante ans , qu'il commença à fentir les attaques de la goutte.
Venons au fonds de fon caraaere , d'après le portrait qu'en ont £dt de
grands maîtres , qui , à la vérité , ne Tout ^point flatté , mais qui n'ont
parlé que fur le témoignage de tous les htftoriens. Charles - Quint écott
d'un caraaere férieux & réfléchi ; il avoit moins de vivacité d'imagination
que de fagacité d'efprit : aimant à s'occuper des affidres , il en combinoit
le plan avec habileté , & il en préparoit le fuccès par la diflimulation &
Tartifice. Lent à former des defleins , il les fuivoit avec une confiance iné«
branlable \ il n^accordoit fes faveurs qu'aux hommes en qui il reconnoiflbit
de la finefle d'efprit & des talens pour la guerre : il avoit dans le cœur
une ambition dëmefurée^ mais il la voiloit par des apparences de modéra-
tion & d'honnêteté : parlant peu , & toujours d'une manière grave &
" fenfée , invitant par un air doux & infinuant les autres à s'ouvrir , & ne
s'ouvrant jamais lui-même : n'agiflant que pour fon intérêt, impénétrable
dans fes defleins , ne .perdant jamais de vue les différentes difpofitions de
tous les Princes de l'Europe ; plus habile que tous fes Miniftres , ne le
trompant point dans le choix de fes Généraux ^ ayant en un mot toutes
les qualités d'un des plus grands politiques de fon fiecle. Infenfible d'ail»
leurs aux plaifirs de la table ; car ceux qui fe font occupés des phis légè-
res cirçonflances de fa vie privée , ont remarqué qu'il ne buvoit que trois
fois en chaque repas : mais fenfible à ceux de l'amour , quoiqu'avec re-
tenue 6c hors de tout fcandale ; on ne lui donne que deux enfàns natu-
rels ( tf ) i il prenoit même autant de précautions pour dérober fes galan-
teries aux yeux des courtifans , que ptufieurs autres Princes de fon temps
afleâoient de les faire éclater. Du refle ayant peu de ces vertus du cour
qui honorent un particulier, ne fe faifant aucun fcrupule d'aller contre U
bonne-foi, de manquer à fa parole & aux engagemens les plus formels,
& aflëdant néanmoins par (es difcours, tous les dehors de ces vertus.
Charles , dit Mézerai , étoit févere , grave , taciturne , couvert , diflimuléf
grand imitateur des rufes & des voies obliques de Louis XI, ayant d^
vices utiles, & des vertus politiques.
Il faut cependant rendre juflice à (es grandes qualités , il eut en bonne
partie celles qui conviennent à un grand Prince : il iavoit commander,
menacer , prier à propos & avec grâce. In&tigable dans les travaux de la
guerre , il demeuroit quelquefois dix heures entières ï cheval les armes
fur le dos, fkifant toutes les fondions d'un Général; intrépide & hardi
I ■ Il
{0) Marguerite, Ducbeffe de Parme , & Jeaa d'Autriche.
C H A R L E s- Q U I N T, Empereur. 43^
dans les enti^prifes, il afîronioit les plus grands périls, jamais il ne fut ce
que c'ëtoit gue de reculer & de pâlir. On ne peut s'empêcher d'être
éronnë en lifant Ton hiiîoire, quand on le voit fi fouvenc ie traofporter
d'un Etat à un autre , quoiqu'ils fuiFent féparés par des diftances de deux
cents & de trois cents lieues : il fufïit de dire à cet égard qu'il fit neuf fols
le chemin d'Elpagne en Allemagne , fept fois celui d'Italie, dix fois
celui de Flandtes , quatre fois celui de France , deux fois celui d'A-
frique à d'Angleterre , il pafia quatre fois l'Océan & huit fois la Mé-
diterranée.
11 eut pour Contemporains trois Monarques puiflans & glorieux, favoir
François ï, Henri VIII Roi d'Angleterre ,& Soliman Empereur des Turcs:
il eut à lutter contre tous leurs efforts, leurs ligues, leurs Uratagémes, &
la force de leurs troupes. Non-feulement il leur tînt tête, mais il vit
leurs armées fuir plus d'une fois devant lui; & par Thabileté de fa po-
litique, il leur donna de telles entraves, qu^l les tint toujours en haleine
& fe rendît enfin le plus redoutable de Tes concurrens.
Avanc de le montrer dans les armées , préfentons-le dans fon palais ,
& dans les intervalles que la guerre lui laifloic.
Il établit toujours fon Gouvernement fur ces deux grandes bafes qui feules
peuvent foutenir & agrandir les Etats , favoir la récompenfe & la peine ,
n'ayant jamais lailTé aucun fervice fans rétribution , ni aucune faute fans
châtiment. Il fut extrêmement fobre dans fon manger ^ & depuis l'âge de
vingt-cinq ans qu'il commença \ prendre connoiflance des grandes affaires,
il ne mangeoit ordinairement qu'une fois le jour & quelquefois le foir :
ayant accoutumé de dire qu'il fatloit qu'un Prince réglât fes appétits par-
ticuliers félon que les afltaires publiques pourroient plus ou moins preflèr : («i)
il ne buvoit que fort peu de vin; & quoiqu'il fréquentât beaucoup les
Allemands, il eut toujours une extrême horreur de l'ivrognerie. Le matin,
après avoir fait fa prière & entendu la Meflè , il tenoit fon Confeil, & le
Confeil fini , il donnoit quelqu'audieoce particulière. Après le dîner , il don-
noit audience publique, écoutant avec bonté toute forte de perfonnes , de
quelque condition qu'elles fufTeQt , & recevant de fa prope main tes placets
qu'on lui préfentOTt , auxquels il répondoit avec autant de promptitude
que d'humanité, jufqu'à recommander lui-même qu'on expédiât diligemment
les affaires. Il donnoit toujours audience debout jufqu'au tems oi^ il fut
attaqué de la goutte, & Ëiifoit paroltre dans cette fonéHon une patience
admirable , fans jamais témoigner de l'ennui. II dormoit peu , s'étant accou-
tumé à fe coucher tard & à fe lever matin. A fon lever & à fon coucher,
il donnoit ordinairement audience aux gens de guerre qu'il appetloît fes con-
fidens amis. Il defcendoit jufqu'à la familiarité avec eux : U fe plaifoît
•
(«) Greg. Let.
44Q CHARLES - QU I N T, Empereur.
beaucoup à fe voir entouré d'une foule de guerriers, & il &ut avouer qu'il
eut le honheur de voir fous fon règne un grand nombre d'exceUens ca*
pitaines.
Les Htfloriens de fa vie afTurent qu^il étoit un Prince charitable : il fe
plaifoit à aflifter de pauvres faniîlles ruinées & à maner de pauvres de-
moifelles. Il avoit accoutumé, lorqu'il alloità pied, ^e faire marcher, de-'
vant lui quelqu- Aumônier pour diftribuer des charités aux pauvres qui fe
rencontroient \ il haïifoit la flatterie , de forte que , quand il recevoit à la G>ur
quelque nouveau courtifan , il le menoit dans fa chambre & lui fkifoit cette
leçon : » Je vous donne avis que je fuis ennemi juré des flatteurs. «
Au commencement de l'année i$i7y TEmpereur Maximilien étant mort,
deux rivaux puiflans fe mirent fur les rangs pour demander la Couronne
Impériale.. Charles fon petit fils, & Roi d'Efpagne, y prétendit; le Roi
François I y prétendit aufli. Cette rivalité de droits & de prétentions ,
Ndonf les Souverains ne manquent guère quand ils ne manquent pas de forces,
excita entre ces deux Princes une forte émulation de gloire. Ils ne. firent
point myflere ni Tun ni l'autre de leur deffein ; & François I dit un jour
affez agréablement à l'Ambaflâdeur d'Efpagne , fur ce fujet , qu'ils faifoient
leur cour à la même maitrefië , & que le plus heureux l'emporteroit. Les
Princes Allemands avoient une exclufîon commune pour les deux Rois : celle
qui regardoit le Roi d!£fpagne étoit fondée fur le danger qu'il y avoit que
l'Empire 9 ayant déjà été depuis fi long-tems dans la Maifbn d'Autriche, n'y
devint héréditaire. A l'égard de François I, ces Princes ne vouloieot
pas que la Couronne Impériale rentrât dans la Maifon de France , qui originaire-
ment étoit fon bien patrimonial , & qui lui avoit été enlevé par la foiblefle
des fuccefTeurs de Cnariemagne ; & ils craignoient que , ii une fois elle en
étoit remife en pcffedion , elle n'employât toute forte de moyens pour oe
la pas laiffer échapper.
Cependant les deux concurrens mirent en œuvre, chacun de leur coté,
toutes les voies qu'ils crurent propres pour réudir. La Diète ayant été
ouverte â Francfort , les Ambafladeurs des deux Princes concurrens y eo-
voyerent par écrit la demande de leur Maître. On y agita les avantages &
les inconvéniens qu'il y auroit de nommer l'un ou l'autre Prince. Comme les
fentimens étoient partagés, Frédéric, Eleâeur de Saxe, qui étoit le plus
âgé de l'afTemblée , ayant été prié de dire fon avis, fe déclara pour Charles;
il allégua la conftitution de l'Empire en fa faveur, qui détendoit d*élire
Charles fut élu Roi des Romains , enfûite proclamé Empereur fous le nom
de Charles V, & reconnu par toute l'Europe.
Dès que ce Prince eut appris fon éleâion , il quitta l'Efpagne , vînt à
Aix-la-Chapelle où il fut facré par l'Eleâeur de Cologne, oc courofloé
par
C H A R L E s - Q U I N T, Empereur. 4^1
par les trois Eleéleurs Ecclëfiaftiques. Dans la Diète de Worms, qui fe tînt
l'année fuivante , on lui accorda une armée de vingt-quatre mille hommes
pour l'accompagner dans le voyage de Rome.
I
Guerre de Charles- Quint contre la France.
An. 1^21*
L étoit bien difficile que deux Princes , tous deux ambitieux , tous deux
puiflans , demeuraflent long-tems en paix. Les intrigues commencèrent de
part & d'autre ; elles fervirent d'aliment à une haine réciproque qui s'en-
racinoit de plus en plu57. Charles fe ligua avec le Pape Léon X, pour
chalTer les François d'Italie. Le prétexte (ut que les François avoient prêté
du fecours à Jean d'Albret, Roi de Navarre, & à Robert de la Marck,
Duc de Bouillon , qui venoit de faire une invafion dans les Pays-Bas. Dans
cet intervalle, le Pape Léon X mourut; & Charles, qui vouloit fe mon*
trer reconnoiflant envers Adrien, jadis (on Précepteur, favorifa fi bien
fon éleâion qu'Adrien fiit élu. Ce fut vers ce tems-là qu'il abandonna à
l'Archiduc Ferdinand , fon frère , tous les Etats que la Maifon d'Autriche pof«
fédoit en Allemagne, à l'exception des Pays-Bas.
Cependant il ne tarda pas à entrer en Italie , & fon armée battit celle
des François , commandée' par Lautrec , au combat de la Bicoque : cette
défaite fît perdre à François I le Duché de Milan. Vers le même tems ,
le Connétable de Bourbon , pouffé à bout par l'animofité de la mère de
François I, pafla au fervice de Charles V, & remplaça Profper Co-
lonne. Celui-ci venoit de mourir à l'âge de quatre- vingt ans, après
avoir eu la gloire de défendre le Milanois contre les armées de France.
Le Connétable voulant exécuter fes projets de vengeance, intéreffa Char-
les^Quint dans la fureur qui l'animoir. Il entra en Provence à la tête de
2uinze mille hommes de pied & de deux mille chevaux : il s'engagea au
ege de Marfeille ; mais François I le lui fit lever avec honte : pourfuivi
par les Généraux François , il fît fa retraite dans le plus grand défordre.
Les ImpéWaux ayant gagné la bataille de Pavie contre l'armée de France ,
le Roi François 1 fut faic prifonnier : cette nouvelle répandit la confier-
nation dans tous les Etats alliés de la France. Charles-Quint , en apprenant
ce qui venoit de fe pafler à Pavie, afFeâa de cacher la joie qu'il fentoit
au fond de fon coeur : il ne voulut pas que l'on fît dans fes États les ré-
jouiffances qui font d'ufage dans ces occafions. Il afFeâa de dire qu'il n'ufe-
roit de la grâce que Dieu venoit de lui faire , que pour rendre le repos
à la Chrétienté. On connoifToit le caraâere de ce Prince , & on le favoic '
trop ambitieux pour qu'on fe laifsât prendre à la modération qu'il affbâoir.
En effet , il affembla fon Confeil , oc après avoir écouté les avis des uns
& des autres , il ne donna aucun fîgne qu'il les approuvât ou défapprouvât.
Tome XI. Kkk
44-2 C H A R L E s - Q U I N T, Empereur.
Mais il parut ^ par fa conduite , qu'il fuivit celui du Duc d'Albe. Selon cet
homme dur & aider , TËmpereur devoit tirer tout l'avantage poilible de la
conjonâure où il fe trouvoit, & ne pas interrompre le cours de fa belle
deftinée par tme générofité mal entendue ; qu'ainfi il falloir prefcrire au
Roi de France des cohdidons plus oU moins dures « félon qu'il conviendroit
à l'étabnifement dé la Maifon d'Autriche. En conféquence l'Empereur fit
faire à François I des propoûtions touchant fa liberté. Ce Prince en fut fi
indigné , qu^il répondit à l'Envoyé de Charles V , qu'il étoit réfolu de paf-
fer toute fa vie dans fa prifon , plutôt que de rien démembrer de fes Etats.
Comme on lui confeilla de fe laifler mener en Efpagne pour obtenir plus
promptement fa délivrance, il agréa ce parti.
Cependant le Pape Clément VU, les Vénitiens, & François Sforce»
Duc de Milan , jaloux de la trop grande puifTançe de Charles V , fè ligue*
rent en fecret pour l'anéantir. Il y eut en même-tems une confpiràtion à
Milan en faveur de Sfbrce , pour chalfer les Impériaux du Milanez ^ & leur
pereur. Cette découverte mettoit Charles-Quint dans la pofition la plus avan-
tageufe pour l'accompliffement de ks vaftes deffeins : d'une part le Roi
de France fon prifonnier , lui donnoit la facilité d'exiger pour prix de fa
rançon la ceflion du Duché de Bourgogne , ancien patrimoine de foo
ayeule maternelle ; ce qui ouvroit tout le Royaume de France à fes e&-
treprifes^ : de l'autre , le Duc de Milan , coupable de félonie , le mettoit ea
droit de fe faifir de fon Duché , & dès-lors toute l'Italie lui étoit aflèrvie.
Il réfolut de profiter de ce double avantage , & commença par s'affurer du
dernier. D'abord il fît mettre des garnifons dans les places fortes du Duché
de Milan, permit aux Colonnes que le Pape avoit chaffés de Rome , de
lever des troupes avec lefquelles ils ravagèrent les terres du St. Siège » &
obligèrent le Pape à les rétablir dans leurs biens. Pefquaire , fur les lettres
qu'il reçut de Madrid , entra daRS Milan à la tête de trois cents hommei
d'armes & de trois mille fantaflins , demanda à Sforce de lui remettre les
châteaux de Milan & de Crémone ; & fur fon refus , il les fit bloquer ,
obligea les habitàns de la capitale de prêter ferment de fidélité à PEmpe-
reur , & fît lever les impots à fon profit.
François I ne fut pas plutôt arrivé \ Madrid , qu'il reconnut la finite
qu'il avoit faite. L'Empereur refiifa long - tems de le voir , fous pré*
texte que cette entrevue étoit embarraffante pour tous deux. Cette conduite
caufa à ce Prince un chagrin qui le fit tomber malade. L'Empereur feo-
tant de quelle conféquence étoit pour lui la rie d'un prifonnier de cette
importance; puifque s'il étoit mort, il perdoit tout le fruit de fà viâoire,
rabattit de fa fierté ^ & le vint voir. L'entrevue fe pafla en compliœens^
CHARLES-QU IN T, Empereur. 443
fans entrer autrement en matière. Cependant le traité de Madrid fut con-
clu le 14 Janvier j%%6. François I s'engagea à la ceffion du Duché de
Bourgogne , de la Flandre , de l'Artois , du Milajnez : fes deux fils dé-
voient lervir d'otage , & refter en la puiflance de TEmpereur jufqu'à l'en-
tier accompliflement du traité. Ce Prince , après avoir promis de les rem-
plir^ fut délivré de fa prifon» & fe mit en route pour revenir en France :
mais à peine fut-il fur les frontières y qu'il protefla de nullité contre ce
qu'on avoit exigé de lui^ & repréfenta aux Miniftres de l'Empereur qui
le fuivoient , que les Etats du Royaume ne confentiroient pas aux aliéna-
tions qu'il avoit fiipulées par ce traité. Dans le fond il y avoit défaut de
liberté & léfion énorme. D'ailleurs les Princes tiennent rarement leurs en-
gagemens lorfqu'ils ont intérêt de les rompre. .
Cependant la guerre continuoit en Italie, & les Impériaux réunis au-delà
du Po , ruinoient tout le pays. Le Pape fit fon accommodement avec l'Em-
pereur I renonça à U ligue , .& s'engagea à fournir foixanre mille écus pour
la folde des troupes Impériales. Le Connétable de Bourbon afFeâa d'ignorer
la chofe , foit par ordre de l'Empereur qui étoit bien aîfo de fe vengée
du Pape , foit ae fon propre mouvement; car on prétend qu'il étoit mé-
content de l'Empereur , o^ on l'accufoit d^avoir voulu fe former un Etac
Souverain de la ville de Rome & du Royaume de Naples. Quoi qu'il en
foit, il ne fu/pendit point fa marche ni fe; hoftilités : les foldats vouloienc
abfolument de l'argent pu le pillage des villes. Le Duc d^Urbin & le Mar-
quis de Saluces qui commandoient les troupes des Confédérés, étendoient
leurs quartiers pour ferrer les Impériaux , rompre lexnrs communications ^
& leur rendre la fubfiftance de plus en plus difGcile.
L
Rome faccagée par tes Impériaux.
Ann. 1^26.
fE Connétable marchant à grandes journées, arriva le 25 Avril à Viteibe j
delà il dépêcha un courier au Pape pour lui demander le paffage au tra-
vers 4^ Rome, d'où il fe propoioit de fe rendre à Naples, & d^échapper
ainfi à la pourfuite des Confédérés. Clément Vit le rerufa avec beaucoup
de fermeté. Piqué de fon refus , le Connétable paroit devant Rome le 6 Mai :
il fait efcalader le fauxbourg du Vatican; mais dans le itths qu^il appuie lui-
même une échelle , il reçoit un coup de moufquet qui ne lui laifTe que deux
heures de vie : il fe fait tranfporter au camp , & il y exjjire -4 l'âge de
trente-huit ans. Il mourut les armes à la main , mais il mourut fans gloire /
parce qu'il fervoit contre fa patrie , & qu'il faifoit la guerre en brigand.
Sa mort n'interrompit point les attaques : fes foldats mrieux de la perte
de leur Général, forcèrent ceux qui défëndoient la muraille, fe jetterent
dans la ville Tépée à la main , & tuèrent tout ce qui fe préfenta devanc
Kkk 2
'444 C H A R L E S - Q U I N T, Empveur.
eux. Ils fe répandirent enfuite dans cette capitale du monde chrétien , ils
entrèrent dans les maifons; & fans égard pour la dignité, l'âge ou le
fexe, ils y commirent des cruautés & des violences qu'à peine on
auroit.pu craindre des nations les plus barbares. Cette affreufe fcene ne
dura pas feulement vingt-quatre heures , comme il arrive ordinairement
dans les places emportées d'afTaati mais pendant plus de deux mois. Lts
-Impériaux renouvel loient tous les jours les mêmes violences; & pour fatis-.
faire leur avarice & leur lubricité, ils n'épargnèrent ni les facrileges , ni le
viol , ni les meurtres de fang-froid. En un mot , on prétend que les ravages
d'Alaric & de Totila, & tout ce que les peuples les plus barbares ont raie
dans Rome, n'approche point des excès que l'armée des Impériaux y
commit.
Le Pape , avec treize Cardinaux , s'étoit réfugié dans le château St. Ange,
& il s'y vit bientôt invefli. Toute l'Europe frémit en apprenant que Rome
avoit été inhumainement faccagée, & que le Pape étoit aflîégé. Les Roû
de France & d'Angleterre vivement touchés du fort de Clément , réfolu-
rent de remédier à fes malheurs; le premier, en faifant marcher ea
Italie une armée de trente mille hommes; le fécond, en portant fes for-
ces dans les Pays-Bas : mais leurs vues ne furent pas fitôt remplies , &
le Pape n'en demeura pas moins invefli. Charles-'Quint fut ravi de voir
un de fes grands ennemis tombé dans fes fers; bien loin de fe laiifer tou-
cher fur le fort de ce Pontife , par refpeâ pour la religion , il couvrit fes
fentimens des apparences de l'amiâion : il prit publiquement le deuil ; il
fît faire dans toute l'Ëfpagne des procédions pour demander à Dieu fa
liberté , pendant que d'un feul mot il pouvoit la lui rendre ; mais il n^
eut que le petit peuple qui en fut la dupe.
Pendant qu'il jouoit cette comédie en Efpagne d'une manière ù iodé*
cente , il envoya des ordres à Rome pour qu'on gardât le Pape avec foifl*
Il prépara de nouveaux renforts, & fes troupes reflètent dans Rome. U
Pape, après avoir tenu plus d'un mois dans le château avec ce qu'il avoit
de troupes, voyant que les vivres lui manquoient, fut obligé de capiniler
avec fts ennemis ; mais il ne put avoir la paix qu'en s'obligeant à payer
aux Impériaux quatre cents mille ducats, à leur livrer le château St. Ange
avec les villes d'Oftie, de Civitta-Vecchia, Parme & Plaifance,à fe liifla
enfuite transférer dans le château de T^aples pour y attendre ce qu'il
plairoit à l'Empereur d'ordonner de fa perfonne. Le jour, de fa délivrance
fut fixé au 9 Décembre ; mais il eut le bonheur de s'évader la nuit d'au-
paravant déguifé en marchand, & fe rendit â Orviette à la faveur d'une
cfcorte.
p
C H A R L E S-Q U I N T, Empereur. 44^
Suite de la guerre.
EndAKT ce temps, l'armée Françoife commandée par Lautrec, en-
tra en Italie, s'empara de Gênes & d'*une partie du Milanez; delà elle
marcha vers Naples : plufîeurs villes de i'Abruzze ouvrirent .leurs portes aux
François. Cette iovauon détermina le Prince d'Orange à faire fortir de
Rome l'armée Impériale, réduite par les maladies & les défertioos à qua-
torze mille hommes d'infanterie. Mais dans le temps que Lautrec ^ifoit le
(îege de Naples , la pelle fe mit dans fon camp , & Tenleva lui-même
après avoir ruiné l'armée. André* Doria, à qui François I avoir refufé la
reftitudon de Savonne, quitta le parti de ce Prince, & fit foulever les
Génois contre leur Souverain. Cependant le Pape fit fon accommodement
avec l'Empereur : ce Prince lui promit, par un nouveau traité, le rétabliflè-
ment de fa maifon dans Florence, ce que le Pape avoit fort à cœur; il
lui offrit Marguerite d'Autriche fa fille naturelle, pour Alexandre de Mé-
dicis petit neveu de Clément. Le Pape promit de donner à l'Empereur l'in-
vefiiture du Royaume de Naples, & de fe tranfporter inceffamment à Bou-
logne pour couronner folemnellement ce Prince.
La paix entre l'Empereur & la France fe traitoit alors à Cambrai. La
Reine, mère de François I, & Marguerite d'Autriche s'y étoient rendues
pour ouvrir les conférences. Sur ces entre&ites, Charles-Quint rçpalfa en
Italie : il arriva à Gênes avec une flotte de prés de deux cents voiles, &
fit defcendre à Savonne neuf mille hommes de débarquement ; fon deffein
étoic de pa(fer à Plaifance , où il avoit donné rendez-vous à toutes fes
troupes. Antoine de Levé devoit y amener douze mille hommes du Mi-
lanez. Le Prince d'Orange s'étoit avancé jufqu'à Spolette avec fept xpille
hommes , & y avoit joint les troupes du Pape. Dix mille Lanfquçnets
étoient partis du Tirol pour groffir cette armée, qui réunie, auroit été
forte de quarante mille hommes de pied , & de plus de dix mille hommes
de cavalerie.
L'effroi fax général dans l'Italie. Les Florentins , qui craignoient pour
leur liberté , fe hâtèrent de lui envoyer leurs députés, pour tâcher de fe
concilier fa bienveillance. Mais PEmpereur leur (ignifia qu'il avoit promis
au Pape de réparer l'outrage qu'ils avoient fait à fa famille , & qu'ils n'a-
voient point de grâce à efpérer , à moins qu'il ne fût fatisfait. Tous les
autres Princes envoyèrent leurs Ambaffadeurs à Gênes pour demander fon
amitié. Dans ces circonftances parut le traité de Cambrai, qui donna lieu
\ la paix dite des Dames. Par ce traité, François I fit fa paix avec
Charles- Quint , & facrifia toutes fes prétentions pour retirer fes enfàns qui
^Empereur. De cette manière Charles- Qumt fe voyoït
des forces fupérieures ; il avoit le Pape pour ami il avoit fait fa paix
44^ C H A R L E S-Q U I N T, Empenur.
avec la France , & retenoic tous les Princes d'Italie dans la crainte. Telles
furent les fages mefures que prit ce Prince politique pour détruire U li-
gue qui s'étoit formée contre lui. Mais dans le temps que Pitalie étoit dans
la crainte de fubir le joug de ce Prince, un événement la tira d'inquié*
tude. Soliman II étoit entré en Hongrie avec une puiffante armées Tes
partis défoloient les Etats de l'Archiduc Ferdinand : il avoit fournis Bude,
& menaçoit Vienne. L'Empereur , oui craignit les progrès des Turcs ,
fbngea à' fe débarrafler des affaires d'Italie, afin que rien ne s'opposât à
fon retour en Allemagne, où fa préfence étoit très-néceffaire. Il fe hâta de
faire fon accommodement avec les Vénitiens. La paix d'Italie fut le prin-
cipal objet des conférences qui fe tinrent pour cet effet à Boulogne. Ce
Prince s'étoit rendu dans cette ville quelques jours après le Pape. On y
convint que le Duché de Milan appaniendroit à François Sfùrce , moyen-
nant cinq cents mille ducats qu'il paieroit pour l'inveftimre , & cent autres
mille en dédommagement des frais de la guerre. Florence fut foumife
aux Médicis. Les Vénitiens rendirent au Pape Ravenne & Cervia, & à
l'Empereur Monopoli & les autres places qu'ils occupoient fur les côtes de
la Fouille. On comprit dans ce traité tous les alliés de part & d'autre. En*
fuite Charles-Quint fut couronné â Boulogne par le Pape , comme Roi
d'Italie & Empereur Romain : cette cérémonie fe fît avec beaucoup de
{blemnité.
Ce fut en cette année que Charles-Quint donna l'Ifle de Malthe, Tri-
poli & Goze aux Chevaliers de St. Jean de Jérusalem , qui huit ans aupa-
ravant avoient été dépouillés par Soliman de Tlfle de Rhodes , où ils do-
minoient en Souverains : ils avoient foucenu un fiege où ils firent éclater
des traits de valeur dignes des temps héroïques. Cependant Soliman fut
forcé da lever le fîege de Vienne , après avoir déclaré hautement qu'il
reviendroit au printemps.
Dicte ^Aushourg. ^
X^H fut dans cet intervalle , que Charles-Quînt tînt à Aufbourg la Dîctc
générale de l'Empire , pour reinédier aux troubles occafionnés par les dif-
putes de Religion. Les Proteflans demandoient l'affëmbîée d'un Concile
où leurs opinions pufTent être examinées Sk dîfcutées. L'Empereur fit pro-
pofer au Pape d'a(fembler ce Concile. La propofîtion déplut au Pape :1e
fouvenir de ce oui s'étoit paffé à ceux de Confiance âr de Bafle , loi 6î-
ibit craindra qu'il ne fût queftion, dans^ un nouveau Concile, d'examiner
& de réformer les privilèges abufifs de fon Siège; & cet intérêt particu-
lier l'emportant fur le zèle qu'il devoir à la religion, il imagina divers
prétextes pour s>xempter de le convoquer. Les Rrotelfans ne laifferent
pas de propofer à la Diète leur confèflfîon de foi , dite d'Aufbourg. L'Em-
pereur la nt examiner : on dii^uta beaucoup , & on finit par ne rien
conclure.
CHARiES-QÙINT, Empereur. 447
Les Proteftans afTemblés à Smalkade convinrent d^une confédération pour
leur défènfe commune & celle de leur religion. La même année PËmpe*
reur convoqua une aflemblée d'EIeâeurs ^ Cologne : ils s'y rendirent tous,
excepté i'£leâeur de Saxe , & ils élurent Roi des Romains PArchiduc Fer-
dinand, qui fut enfuite facré à Aix-la-Chapelle. L'filedeur de Saxe proteffà
contre fon éleâion, comme prématurée.
Cependant Jean , Roi de Hongrie , qui étoit redevable de fa Couronné
aux Turcs, après avoir tenté inutilement toutes les voies d'accommodement
avec Charles-Quint & l'Archiduc Ferdinand, implora le fecours de la For-
te. Soliman , réfolu de protéger un Roi qui étoit fon allié , fît un grand
arfnement , il admit au nombre de fes Capitaines de mer , le fameux Cor-
faire BarberoufTe : mais tout cet appareil n'aboutit à rien. La flotte Im-
périale^ aux ordres de Doria, & la flotte Ottomane, employèrent tout l'été
à s'obferver.
. Sur la fin de cette année Charles-Quint fe rendit en Italie, & alla à
Boulogne 012 le Pape lattendoit. Tous les Ambaffadeurs Vy trouvèrent réu-^
nis ; & on y fit une ligue de tous les Etats d'Italie contre les Turcs. So-
liman en fut inftruit : fa flotte afliégea Coron ; mais Doria vint au fecours
de la place, & flt lever le fiege. Le Sultan, piqué de cet af&ont, fit équi-
per une flotte formidable à Conflantinople , & en donna le commande-
ment à Barberouffe : celui-ci fit armer en guerre tous les vaiffeaux qùf
étoient à Alger , pour lui fervir de renfort. L'Empereur , qui étoit retourné
en Efpagne, fit armer dans ce Royaume, ainfl qu'à Gênes. Cependant Bar-
beroufTe, après avoir mis en mer une flotte de cent voiles, fit une def-
cente fur les côtes de la Calabre, & ravagea cruellement le pays^ de-là
il rabattit fur les côtes d'Afrique : il en vouloit au Roi de Tunis; il af-
liégea fa Capitale & s'en rendit maître.
Expédition de Charles* Quint en Afrique,
Afin, ifyj,
\^Omme les progrès de Barberoufle fembloient menacer les Royaumes
d'Efpagne & de Navarre, Charles-Quint réfolut de les réprimer : la cir-.
confiance étoit favorable. La guerre de Perfe laifToit refpirer la Hongrie,
& Soliman occupé au fiege de Babylone , n'aVoit point dé diverfion à faire
qui pût croifer l'entreprit de l'Empereur, pour rendre Tunis à fon pre-
mier maître. Dès les premiers jours du printems , ce Prince s'embarqua à
Barcelone. Sa flotte, commandée par André Doria, étoit forte de trois cents
voiles , & portoit quarante mille hommes de troupes de débarquement :
étïCr dirigea fa route fur la Sardaignc , & mouilla au port de Cagliari. En-
fuite elle partit pour l'Afrique , parut devant le fort de la Goulette , & dé-
barqua fes troupes à peu de diilance de cette place. L'Empereur en or-
448 CHARLES-QUINT, Empereur.
donna le ficge pour ouvrir à fa flotte l'entrée du canal de Tunis , que
cette place défend. La garnifon réfifta quelque temps \ mais le feu du ca-
non ayant prefque ruiné le fort, elle tut obligée de fe rendre. La flotte
Impériale entra dans le canal , & y prit fans réfiftance plus de cinquante
galères, galiotes ou flûtes. Cène perte déconcerta tellement Barberouffe,
que , quoiqu'il fut forti d'abord de Tunis pour livrer bataille à l'Empe-
reur , a fe retira à Bonne; & ne s'y croyant pas encore en fureté » il con-
tinua fa retraite jufqu'à Alger. Lts garnifons qu'il avoit lailfées à Tunîi
& à Bonne ne firent qu'une foible réfiftance. Charles- Quint , maître de ces
deux places, entra dans Tunis. Ses troupes s'étant répandues dans cette vil-
le , y commirent les excès les plus affreux : plus de deux cents mille per-
fonnes périrent ou furent efclaves. L'Empereur rendit la ville à Muley
Hafcen , Roi de Tunis , à condition de lui en faire hommage , de lui don-
ner douze mille écus tous les ans pour l'entretien de douze mille
ibldats Efpagnols , à qui il confia la garde de la Goulette , douze chevau^
barbes & douze faucons.
Guerre pour le Duché de Milan.
jtVFrÈS avoir ainfi heureufement terminé cette expédition , Charles*
Quint , pafla en Sicile où il licencia fon armée : il ne retint qu'un corps
de deux mille Allemands pour fa garde , & fe rendit à Kaples pour affif-
ter au mariage de Marguerite , fa fille naturelle , avec Alexandre de Mé*
dicis. n y pafla une partie de l'hiver , & il y reçut les Ambaffadeurs de tous
les Prifices d'Italie. Mais dans le temps qu'il étoit dans cette ville , il ap-
prit que François Sforce venoit de mourir fans laiffer de poftérité.
Cette mort réveilla toutes les anciennes vues, de François I fur le
Milanez \ il négocia aufli-tôt avec l'Empereur , pour que le Duché de Mi-
lan fût donné au Duc d'Orléans fon fécond fils. Charles-Quint , fans fe
montrer trop contraire à la propofition du Roi , fit naître des diflicoltéf
pour éviter de conclure. Le Roi de France fentit que l'Empereur ne voa-
loit que l'amufer, & fe prépara à obtenir, par la voie des armes » ce qu^
demandoir.
Son armée, commandée par l'Amiral de Chabot, s'empara de Turio,
& le Duc de Savoie fut obligé de fe retirer à Verceil. L'Empereur, qui
étoit alors à Rome, piqué de l'invafion des troupes Françoifes dans le
Piémont , parla du Roi en plein confiftoire dans les termes les plus of*
fenfans , & pouffa l'imprudence jufqu'à le défier , pour vuider leur que-
relle dans un combat fingulier. Le Pape Paul III défapprouva hautement
ce défi , & propofa divers moyens d'acconunodemem , mais ils ne purent
avoir lieu.
L'année
C H A R L E S^Q U I N T , Empereuf. 449
Vènnét fuivance y Charies-Quinc fe difpofa à entrer en Provence avec
une armée, & donna ordre à André Doria de faire voile vers les côtes de
cette Province avec cinquante galères. Il s'y rendit lui-même par le Comté
ée Nice; il avoit à fa fuite le Duc de Savoie fon neveu, Ferdinand de
Tolède Duc d'AIbe , & le Marquis du Guaft. Après avoir &it la revue de
fon armée , il arriva à Nice à la tête de quarante mille hommes d'infan*
terie & de deux mille cinq cencs hommes d'armes« Enfuite il fe préfenta
devant Marfeille, & envoya contre Arles le Marquis du Guaft. L'armée du
Roi étoit alors fous Avignon. Les troupes de PEmpereur qui avoient beau-
coup foufFert dans le paflage des Alpes , & qui trouvèrent tout fourragé ,
après avoir fait de vains efforts contre Arles & Marfeille , furent obligées
de retourner fur leurs pas, & l'Empereur, qui avoit perdu un monde infini
dans fa retraite , rentra dans le Piémont. Piqué d'avoir échoué dans cette
expédition , il voulut fufciter toute l'Italie contre la France ; mais , après
avoir tenté inutilement d'entraîner le Pape contre le Roi, il s'embarqua à
'Gènes pour l'Efpagne.
. r Les Proteftans , mécontens des Décrets de la Chambre Impériale de Spi-
re y renouvellerent leur confëdération , & élurent l'Ëleâeur de Saxe & le
L^dgrave de Hefle pour leurs Capitaines- Généraux. Cependant l'Empereur
Îyvftffoxt les Princes Proteftans d'affifler au Concile de Mantoue indiqué par
e Pape , mais ils refuferent fous prétexte du trop grand éloignemenr.
L'an 15^8 , Charles-Quint entra dans la ligue du Pape Paul III & dés
^Vénitiens contre les Turcs. Ce Pontife négocia une trêve entre l'Empereur
.& le Roi de France; il voulut même les attirer à une entrevue à Nice en
fa préfence, & il les invita à s'y rendre : ils refuferent fous divers pré-*
textes , quoiqu'ils (e fuflent tous deux approchés de cette ville. Cependant
un coup de vent ayant forcé l'Empereur à fon retour de relâcher aux ifles
Sainte - Marguerite , il envoya à François I , qui étoit fur les bords du
Var , un Officier*, pour lui témoigner le dédr extrême qu'il avoit de le
voir & de l'entretenir» & que, s'il le vouloit bien, il lui donnoit rendez*
vous à Aiguemortes. François l'y confentit. Les deux Princes fe virent ,
& fie conclurent rien,
' • - •" .
Charles* Quint à la Cour de France.
JL A' rebeUion des Gantois qui arriva cette année , détermina l'Empereur
%^ /Vî - _ _ T? •.__ îr_ . f-_ ^ i_f \fl- :-. 1-^- -.^ .^
^ faire un voyage en France pour appaifer les troubles & punir les coupa-
bles. Dans ce deffein , il demanda à François premier la liberté de traverfer
la France , & lui propofoit une entrevue pour traiter d'aflàires importantes.
Xe Roi lui accorda le paffage avec une grandeur d'ame vraiment royale &
dans les termes les plus honnêtes, Charles-Quint ne mena avec lui que
Tome XI. LU
4^0 C H A il L E S-<5 U I N T^ Eniptrtur.
^u^ Hoent« ^«rdes, cinquante geotilshamhies , cinqnapte pages , & autrei
£ens dç fervice ; il étoic accompagné de Granvelle ^ qu'il regardoic comme
le plus grand génie de TEurope. François I alla luirmême jufqu'à Châ-
telleraut pour le recevoir. L'Empereur fit fon entrée à Paris le premier
janvi^ I J4.0 par la porte Sainte-Antoine : le Parlement & tous les ordres
'Europe vit avec éconnement la confiance du premier & la généro-
ùxé du fécond. Mais Charles-Quint connoifToit fon rival, & il ne couroit
aucun rifque de fe livrer entre fes mains, ayant fa' parole pour fauve^
igarde. François I , toujc^urs prêt , malgré tant d'expériences contrai-
res, à croire (iiiceres les offres de réconcilktion de fen ennemi \ fe fit un
j)oint d'honneur de rejetter les cpofeils des plus habiles de fa cour , qui
vouloient qu'il s'affurât de l'Empereur tandis qu'il l'avoit en (a dtfpofition.
Peu de Princes euiiènt réfifié à une tentation fi délicate , s'ils avoient été
retenus prifonnîers par Charles - Quint , comme il étoit arrivé à François I.
Jlais ce Prince crût qu'il étoit . de fa gloire de ne point violer l'hofpita'-
lire qu'îL ayoit promife , & il fe flatta qu'en le traitant plus généreu-
sement <, il Tengageroit à garder la promeffe qu'il lui avoir. fiiire de don*
ner, à quelqu'un de fes fils , l'inveftiture du Duché de Milan. Charles-
Quint, il eft vrai, ne fut pas dans une petite inquiétude, lorfqu'il apprît
Î|Qe la OuchefFe d'Etampes , ' favorite du Roi , étoit du nombre des per-
onnes qui (bllicitoient ce Prince de ne pas laifler échapper one fi belle oc-
;Cafion , ne fût-ce que pour modérer le rigoureux traité de Madrid ; il ▼oiP'
lut-effayer de fe la rendre favorable. Le fôir même qu'il reçut cet avis,
^entretenant avec elle comme on étoit fur le point de ft mettre à tabife
& qu'il fe lavoit \ts mains , il feignit de laifTer tomber aux pieds de 11
Duchelfe un anneau de très-^frand prix qu'il port<Mt au doigt. Cette Dame
l'ayant ramafFé, le préfenta à l'Empereur, en lui difant : Voilà l'anneau de
Votre Majefté Impériale. Point du tout y lui répondit Charles-Quint ; c^r
je connois bien qu^il veut changer de maître , c*eji pourquoi je vous prie et
le garder. Cette rufe lui réuflit : car, dès ce moment, la Ducheife chan*
gea de langage , & afièrmit François I dans la réfolution oii il étmt de
garder la parole qu'il avoir donnée à l'Empereur. Charles-Quint féjouma
Sx jours à Paris : il y fut traité avec toute la magnificence qu'on pouYoit
attendre d'un Roi généreux & puiifant. Lorfqu'ils s'embrafferent pour pren-
dre congé l'un de l'autre , François dit à Charles : Mon fret e ^ pattens'^
^otre généreux coeur t acCompliffement de votre ptamejfe. Mon firere , lui ré-
4)ondit Charles-Quint , en mettant le pied à l'étrier , vous tri verre? bientti
les effets. Le fens dans lequel il entendoit ces paroles étoit fort différent de
celui qu'elles préfentoient ; car il ne fut pas plutôt forti de France , qu'ï
fe joua de la franchife du Roi , & ne tint rien de ce qu'il lui a voie proaûi»
CHARLES. QUINT, Empenur. 4j<
Entrepriji malheureiifi fur Alger.
J_^'ÉI.0IGNFMENT de Barberouffe qui ëtoit pan'ë à Confiant! nople
fiï croire îi Charles-Quint qu'il pourroit tenter facilement la conquête
d'Alger. En conféquence, il fie des préparatifs conformes à la grandeur de
l'entreprife. Ferdinand Cortès , qui avoit acquis tant de gloire à la con-
quête du Mexique , fut chargé de l'armement qui devoit fe faire en EI^
pagne. On tira de l'Allemagne un corps de cavalerie , & on fit des levées
d'infanterie dans l'Italie : le Grand -Maître de Malthe lui envoya quatre
cents Chevaliers. Cependant la faifon éioit avancée, & André Doria, le
plus grand homme de mer qui fût dans ce fiecle , lui repréfenta les pé-
rils ou il s'expofoit. Mais l'Empereur, qui avoit à cœur cette expédition ,
ne voulut point changer de réfolution ; il s'embarqua pour Alger , com-
mandant la flotte en perfonne , & arriva le 24 Oftobre à la rade de cette
ville. Le débarquement étant achevé , l'armée de terre fe trouva com-
pofée de vingt mille hommes de pied fit de fix mille chevaux. Charles-
Quint, avant d'attaquer la place, dépécha un Officier au Gouverneur que
BarberoufTe y avoit laide , pour le porter à lui ouvrir les portes, mais il
refufa ; c'éioit un vieil Eunuque, nommé Hafcen, grand homme de mer i
il avoit dans la place huit cents Turcs fort aguerris & environ fix mille ha-
bitans qui déteftoîent la domination des Efpagnols; il engagea différens
Capitaines Arabes à fe répandre dans la campagne & à harceler le camp
des Chrériens : ce qu'ils exécutoienr avec tant d'adrefle , que les Elpagnols
ayoient bien de la peine i parer leurs coups.
Pendant ces efcarmouches , il 5*élev», îi l'entrée de la nuit, une fu-
rieufe tempête mêlée d'une pluie fi'oide qui remplit d'eau tout le camp
des Chrêtitns. Comme on n'avoit pas eu le tems de débarqwer les tentes ,
toute l'armée i>*ayoit encore que le ciel pour couvert , fie les poudres des
fôldats étoient mouillées. Le GouFCrneur profita de ce défordre : il fit faire
une foriie au point du joue par une panîe de la garnifon. Les infidèles tom-
bèrent fur trois compagnies poftées fur un pont de pierre qui aboutifToit à
une des portes de la ville î & ayant affaire à des foldats tranfis de froid ,
ils let taillerem en pièces. Ce fuccès les porta jufqu'à fe jetter fur le quar-
tier de l'Empereur, mais plufieurs régimens étant accourus, ils furent re-
poulTés avec perte. Le Gouverneur fil faire une nouvelle fortie : ils atta-
Îiuerent les Italiens qui, n'ayant jamais vu la guerre , prenoient la fuite, ou
e laiïToient égorger. Ce n'étoït encore là que le prélude des maux : il s*é-
leva le même jour une fi furieufe tempête, mêlée de vents, de tonnerre
& de pluie , qu'il fembloit que tous les élémens concourul^nt pour faire
périr l'armée chrétienne. Les vaîffeaux arrachés de deflus leurs ancres, fe
bitfoient les uns contre les autres , plulieurs échouèrent contre les écueîls:
LU a
fé
tes
4Ç2 C H A R L E S-Q U I N T, Empereur.
en moins de deux heures, il périt quatre-vingt-fix vaifleaux & <|uinze ga-
lères ; & ce qu^l y avoit encore de déplorable , c'eft qu'ils étoient char-
gés de vivres. Quelques Officiers ayant tâché d'échouer le long de la côte
{>our être plus près de terre , périrent miférablement , ou durent tués par
es Arabes qui bordoient le rivage. Plus de huit mille foldats ou matdott
furent enveloppés dans ce défaftre ; la mer étoit couverte de navires bri-
^'s , de corps d'hommes & de chevaux : l'armée de terre étoit fans ten-
s , fans munitions , fans vivres. L'Empereur fe vit obligé de lever le fic-
ge , & fbn armée fe rembarqua fur les malheureux refies de la flotte. Maïs
ii peine étoi^on en mer, qu'il s'éleva une nouvelle tempête, la flotte fur
dilperfée de nouveau , plufieurs vaiffeaux périrent , & ce ne fut qu'aprèt
bien des périls qu'on arriva au port de Bugie , dont les Efpagnols étoieat
maîtres , & où l'armée trouva un afyle & des rafraichiffemens. Charles-
Quint fe rembarqua de là pour Carthagene.
Peu de tems après , ayant appris que le corfaîre Dragut , à qui Soliman
avoit donné l'autorité d'un Amiral, venoît de s'emparer d'Afrîca, ville bâ-
tie entre Tunis & Tripoli, ce Prince en fut alarmé, & réfolut de faire le
fiege de cette ville. Doria , par fon ordre , mit en mer la flotte qu'il com-
mandoit, le Pape y joignit les galères de l'Eglife, &le Grand Maître ce!*
les de Malthe} ce liège fut long & meurtrier, mais enfin la viUe fiic
prîfe.
Comme, les armes de Soliman répandoient encore la terrem*, PEmpe-
reur demanda à la Diète de Spire du fecours contre les Turcs. Lés Protef^
tans le lui accordèrent , après avoir reçu des aflurances pour leur coofer-
vation & leur tranquillité. Il flitréfolu qu'on lui payeroit le dixième de tous
les revenus » & le cinquantième de la valeur dés biens dont le rapport étoic
incertain.
La guerre recommença bientôt "entre Charles-Quint & François I, ï
l'occafîon du meurtre de Rincon & de Fregofe , Ambaffadeurs (le Fran-
ce. Les François s'emparèrent du Duché de Luxembourg. D'un autre côté,
Henri VIII , Roi d'Angleterre , fe ligua avec l'Empereur contre la France
& afliésea Boulogne. L'armée de Charies fit une invafion dans la Cham-
pagne oc prit Saint-Didier ; mais fe trouvant réduite ^ par la fiiim ^ aux der-
nières extrémités, elle fe retira.
Charles-Quint dont les finances ëtoient épuifées, fentoit la néceffîté de la
paix , & fe prêta aux propofitions de François I. Elle fiit faite à Cref-
pi en Laonois. L'Empereur voyant le Pape Paul III décidé à fe liguer
avec la France , fe ligua avec Maurice de Saxe contre les Proteflans , & ré-
folut de s'afTervir l'Allemagne. Il les fomma à la Diète de Ratifbonne de
fe foumettre au Concile de Trente : mais ils refùferent , & fe retirèrent de
la Diète.
Les Alliés de Smalkade ayant à leur tête Frédéric , EleAeur de Saxe , &
le Landgrave de Hefle , raffemblerent leurs troupes : ûs étoient fécondés par
CHARLES-QUINT, tmpenur. 4^3
le Comte Palatin , le Duc de Virtemberg , les villes Impériales de Straf-
bourg , de Francfort, d'Ulm , d'Auftiourg & de Nuremberg : ayant ainfi
formé une armée de quatre-vingt mille hommes d'infanterie & de douze
mille chevaux, ils fe [encrent dans le Tirol pour couper le pafïàge aux
troupes du Pape. Oflave Farnefe , qui les commaodoit, déguifa habile-
ment fa marche, joignit l'armée Impériale à Infpruck, & alla camper fous
Ratifbonne. Les Proteftans cherchoient à engager la bataille , mais Char-
les, dont l'armée étoit fort inférieure, eut la fagefle de l'éviter. Cependant
il prononça la Sentence du ban, contre l'EIeéleur de Saxe & le Landgrave.
L'Ëleâeur Palatin & les villes Impériales de Souabe renoncent à la li-
gue de Smalkade , & fe foumettent à l'Empereur. Ce Prince pénètre dans
la Saxe ; l'Ele£teur de Saxe eft trahi par fcs Minifîres que l'Empereur avoic
corrompus; il eft furpris , & fait prifonnier. L'Empereur le condamne à
mort fans confulter les Etats de l'Empire^ il commue la peine, à condi-
tion que Frédéric renonce à la dignité Eleâorale, qu'il remette le Duché
de Saxe entre les mains de Charles-Quint : il y confent, & il eft retenu
en prîfon auprès de la perfonne de ce Prince.
Le Landgrave fe fournit pareillement par l'entremife de Maurice fon
gendre : il fe profterna devant l'Empereur , lui demanda pardon du palfé , pro-
mit de réformer fes troupes , de rafer fes fortifications : à ce prix , ce Prince
lui promit de ne pas le retenir en prifon. Le Landgrave fatisfit à tous ces
articles; mais, quand il voulut retourner dans fes Etats, le Duc d'Albe
l'arrêta prifonnier au nom de l'Empereur. Le Landgrave en appella à fon
fauf-conduit ; & il fe trouva que, par un changement léger, on y lifoît
que l'Empereur ne le retiendroit pas dans une perpétuelle prifon,
La profpérité de Charles-Quint croilToit de plus en plus : il venoit de faire
prifonniers les deux principaux Chefs de la ligue Proteftante. La mort de
François I fembloit lever les obftacles aux vues ambicïeufes de cet Empe-
reur.'ll aflembla une nouvelle Diète Ji Augftourg : il y obtint des Etats de
l'Empire tout ce qu'il voulut. 1! ne dilTimula plus le delTein de réunir le
Milanez à fes autres domaines ; il déclara que le Prince Philippe fon fils
pafTeroit înceflamment en Italie pour prendre pofleflîon du Duché de Mi-
lan : il fit bâiir une citadelle dans Sienne , & s'empara de Piombino, Ce fut
alors qu'il fît drefler pir deux Evêques un formulaire de foi appelle Intérim^
parce qu*il devoir fervir de règle eo attendant qu'un Concile eût décidé fur
la doârine. Il portoit en fubftance que les Prêtres aâuellement mariés gar-
deroient leurs femmes, & que les laïcs qui avotenc communié fous les deux
efpeces , contiuueroient de recevoir le calice. L'Intérim fut reçu par la plu-
part des Princes & Etats Proteftans. Quelques-uns refuferent, comme la
ville de Magdebourg & de Cooftance : ils fureilt mis au ban de l'Empire.
Cette Diète eft mémorable eti ce qu'au grand préjudice de l'Allemagne ,
Chartes-Quint obligea les Etats à confentir ï l'Incorporation des Pays-Bas
au corps Germstûque , fous le nom de cercle de Bourgogne ; Si pai-Ià l'ÂI-
k^^^ C H A R X £ S-Q U I N T, Empereur.
lemagne fut çngagéev dao^ la plupart des guçrr^s qjie la. Frapce ibutiat con^
tre les Rois d'Efpàgne , oouvetains du Cercle de Bourgogne.
L'Etnpereur retourna dans la FJandre , traînant à fà fuite les deux Prin-
ces prifonniers, & fit reconnoitre Ton fils Philippe Souverain des Pays-
Bas. 11 donna la Bulle d'or fur la fucceflion au Duché de Milan, par
laquelle il établit le droit de primogéniture , & fubfiitua les femmes au dé«
faut de tous les hoirs mâles. Il fît tenir enfuite la Diète d'Augsbourg au
milieu de l'armée Impériale ; & il voulut obliger les Proteflans à fe fou-
mettre aux décrets du Concile de Trente & aux tiens propres « pour la
rëftitution dès biens Eccléfiafiiques. .
' Maurice , qui avoir été fait Eleâeur de Saxe , fe voyant à la tête d'une
armée nombreufe, pria Charles-Quint de rendre la liberté aux Princes
prifonniers : fur fon refus, il conclut une alliance avec Henri II & plu-
iîeurs autres Princes. La ligue du Roi de France & des Proteftans d^Al*
lemagne contre PEt^ipereur, éclata en i;{2. Henri IJ entra en Lorraine
à la tête de cinquante mille hommes, fe faifit de Metz, Toul & Ver-
dun , & pénétra en Âlface. Maurice s'étant mis à la tête des Confédérés
du Corps Germanique , déclara la guerre à l'Empereur. Il s'empara d'Âugs-
tiourg, traverfa la Bavière, & marcha à Infpruck. Charles- Quint , pris
au dépourvu , & n'ayant avec lui qii^uoe petite gamifbn , fe vit obligé
de mettre fà perfbnne en fureté. Il s'enfuit pendant la nuit dans la Ca-
rinthie, accompagné de Ferdinand fon frère. On le blâma d'avoir trop
compté fur la foibleffe de fes ennemis, & d'avoir cru qu'ils n'étoienc
pas en pouvoir de lui faire la guerre : ce qui lui attira un affront , donc
il dût être fort humilié. U s'appliqua donc à fe tirer d'embarras : il con-
voqua la Diète à Paffau; & fe voyant hors d'état de réfîfler à Mau*
rice, il mit en liberté, Frédéric, le rétablit dans fes Etats, excepté
dans le Duché de Saxe & la dignité éleâorale : il donna pouvoir à
Ferdinand de traiter avec les Proteftans d'une trêve. Par cette trêve, con-
clue à Pafraû , Vinterim fut annuité , & il fut dit que les Proteftans joui*
roient d'une pleine liberté de confcience. Charles-Quint s'étant ainfi ré«
Concilié avec les Proteftans d'Allemagne , & en ayant reçu des fecours ,
réfolut d'entreprendre le fîege de Metz.
Siège de Met^.
JLf E Roi Henri II , inftruît des deftems de l'Empereur, avoir envoyé ï
Metz François de Lorraine, Duc de Guife, pour y faire une vigoureafe
défenfe. Un grand nombre de Princes & de Seigneurs s'y étoient rendus
po\j^ y fçrvir en qualité de volontaires , & la garnifon étoit de cinq noillc
hommes d'infanterie & de fept à huit cents chevaux Le Duc d'Albe , qui
>
commandoit Pannée tt l'Empereur , s'étant avancé , établit ton camp
autour de la place. On fait monter le nombre de Tes troupes à foixante-
quatre mille hommes , & à treize mille chevaux. Les efcarmouches com-
mencèrent bientôt} mais les bàVtëties de canon que le Duc de Guiif
avoir fait élever, tuoient beauroup de monde aux Iippériaux : en outre
le Duc de Guife faifoit tkire de fféquentes forties qui retardoient beau-
coup les attaques. Le mauvais temps & la réfiftance des afliégés com-
mença à rebuter les aiTaillans. L^Ëmpereur inftruit de l'état des chofes , fie
de la jaloufie qui régnoit parmi fes Généraux , voulut lui-même venir à
ce (iege, pour y commander en perfohne. Il arriva le ^i Novembre, St
après avoir eiborté les trois cheis à facrifier • leurij reflentîmens partîcur
liers au bien public , il alla vîfiter lès quartiers, tâcha d'encourager les fôlf^
dats parlés exhortations Jes plus efficaces, leur pàrlaTnt' avec des manières
pleines de bonté , & promettant des récompenfes proportionfaées au mé-
rite des aâions : en un mot il mit tout en ufage pour les engager à faire
de leur mieux. Comme ils^agiffoit de rîfquer toute fa réputation dans
cette entrèprife ,1 il déclara hautement qu'il étoît réfolu , dû de prèhdrè
Metz, ou de ftipurir devant Metz. Ni Tan hi Pauti^e n'anffva. A mefurb
que le canon des Impériaux faifoit ime brechte , le Dilc de Guife la fai-
ifoit réparer. Ses arquebufîers placés fut un i^mpàit qui avbît vue fur les
tranchées des ennemis, tîroîent fur eux avec furie, & Ifeur tuorent quan-
tité de monde. En t>utre le camp des Impériaux étant couvert de neige,
les expofoit aux plus dures incommodités; il périflïiit tous lés jours un grand
nombre de foldats. Charles-Qùint voyant l'état dfes' chofes, & qq'il avoît
déjà perdu près de trente mille hoitimes, leva \é ftegei 'niais ce fut une
des plus rudes mortifications qu'il eût efluyée pendant toute fa vie': c'efi
\ cette occafion qiî^on lui fair dire un bon mot fijr l'afcehàant que Ter
toile de Henri II prenoit fur lui : Je vois bien yà\t^\\ ^ ^ut ta fof tant rc^^
aux femmes ^ & qii^elle préfère les jeunes gens aux hommes avancés en ^igc.
On ne lui épargna pas les fatyres; car les Princes qui fe rendent redou-
tables, fe font haïr naturellement de toutes les Puiflances. qui les envi-
ronnent. On frappa une médaille fur cet événement. On fe fervît pour
cela de la devife faftueufe que Charles-Quint avbît prîfe : c'étoîent les co-
lonnes d'Hercule , avec le mot latin ultra , pour feire entendre qn*en paf-
fant en Angleterre, il avoît pouffé. fes conquêtes plus Ipin que ce Héros
de la fable. On mit fur le corps de la nouvelle deVife un aigle attaché
aux colonnes d'Hercule, avec ces feiots latins, non ultra Mctas , pont
marquer que ce Prince b'avoit pu pafler au-delà de }/Lttz, -v
4%S CHARLES rQ U I K T, Empatur,
I » •
jihdieâtion de Charles •Quint.
X Rois ans après ^ ce Prince efFeSua le projet qu'il avoic formé depuis
Î'|uelque temps d'abdiciuer le gouvernement de (es Etats : il voyoit fa
ortune vieillir & fes infirmités augmenter. Il commença par céder à fon
fils Philippe les Pays-Bas & les Etats qu'il poflTédoit en Italie. U aflembla
pour cela les ^cacs à. Bruxelles : il expôfa tout ce qu'il avoit fait depuis
l'âge de dix-fept ans, & £t.le dénoipbrement de fes voyages. Il avoua,
conime, un autre Salomon , que fes plus grande^ profpérités avoient été
mêlées de tant d'adverfités| qu'il ppuvoit dire qu'il n'avoit jamais eu au-
cun parfait contentement : il ajouta qu'il ne s'étoit propofé dans toutes
fes guerres & alliances , d'autre fin que la défenfe de la Religion & de
l'Etat; mais comme les forces me manquent, continua-t-il, & que j'ap-
jproche de ma .fin,, au- lieu d'un hqmme infii^e & âgé, je vous donne un
Prince jeune. & d'pn, mérite dii^ingisévi Enfuite adreffant la, parole à fon fils,
11 lui dit : » Si vous fufîiez entré p^ ma ;mort en pofieffioii de tant de
>> Provinces, j'aurois, Xans' doute mérité quelque jchofe d'un fils pour lui
9> avoir laifTé un fi riche héritage ; mais puifque je vous fais jouir par
3> avance d'une ii riche fucceffîon , je vous demande que vous donniez
^ au foin & à l'amour de vos peuples , ce que , vous . me devez. " Sur 11
jfifi de; fpo difcours, Philippe fe jçtta <aux genoux de fon père, & lui de-
nlandâ fa itiaiti pour la baifer; rnais PEmpereur la lui mettant fur la tête,
demanda à^I^içu '. fon fecours pour ce Prince : après quoi il demeura
quelque- temp^ fan^ ç'expritmer autrement que par it% larmes. Enfuite il
laiffa au Prince une longue inftruâion fur la manière dont il dévoie fe
gouverner. Entre autres confeils, il lui donne celui-ci : de caler la voile
quand U tempête eft trop forte' , de ne s'oppofer point à la violence du
dëftin irrité^ d^efquiver avec adrefle les coups qu'on ne peut foutenir de
clrbit fiï, de les laiffer ■ pafler , de fe jetter à quartier,. & d'obferver l'oc-
càfiotl de quelque favorable révolution & d'une meilleure aventure.
peux ans après , dans i^ne. affemblée encore plus nombreufe, il abdi-
qua l'Empire en faveu^ de Ferdinand fon frère, & il envoya en Allema-
gne le Prince d'Orange faire part aux Eleâebr^ de ion abdication ; enfuite
\\ s'embarqua en Zéelande, & pafla en Efpagne.
On a fort raifonné fur les motif^ de fbn abdication. Les uns ont dit,
que ne fe fentant plus capable , à caufe de fes infirmités \ de foutenir le
poids de fa domination, il voulut prévenir la honte d'une plus grande
décadence de réputation*, qu'en terminant ainfi fa carrière, il mettoit fa
gloire à couvert, & forçoit la pofiérité d'admirer en lui un homme fupé^
rieur à fa puiifance. D'autres plus charitables , difent que fon vrai motif
fiic
CH A RLÎS-Q UINT, Emptrem. , 417
fijt pour fe préparer de bonne heure & utilement \ la mort, & pour ex-
pier par des exercices de pénitence les maux qu^il avoit caules à la Chré-
tienté. Il feroit difficile de décider là-deflus. On fuppofe rarement à ua
Prince le degré de Philofophie qui fait apprécier au fage la jufle valeur
d'une couronne; encore moins à Charles-Quint qui avoit donné tant de
preuves d'une ambition qui fe jouoit de toutes les loix. Mais le cœur de
l'homme eft fi inconféquent & fi bizarre , qu'on ne peut ici que conjec-
turer au hafard.
Plufieurs prétendent qu'il fe repentit bientôt d'avoir cédé fes Etats : ils
rapportent qu'une des caufes fur, qu*en traverfanc les Provinces d'Efpagne,
il vit très-peu de noblefTe venir au-devant de lui; de plus, qu'étant arrivé
à Burgos, il fut obligé d'y attendre aflez long-temps la penfion qu'il s'étoit
réiervée. D'autres citent la réponfe faite par Philippe II au Cardinal de
Granvelle : car ce Cardinal ayant dit à ce Prince, II- y a aujourd'hui un
an que. V Empereur fe démit de fes Etats ; & il y a auJ/1 aujourd''hiù ua an,
reprit Philippe , qu'il s'en repentit. Quoi qu'il en loir, Chailes-Quint fe
recira au Monaflere de 5t. Juft de l'ordre des Hiéronimites , fitué dans
PEfiramadure.
On a dit de ce Prince, qu'afin de goûter toute forte de dominations,
il avoit afpiré à être Pape. Voici fur ce lujet les propres paroles de Brantôme.
> J'ai ouï dire que s'il avoit eu encore des forces du corps comme de fou
» efprit , il filr allé jufqu'à Rome avec une puiflante armée pour Ce faire
i> élire Pape, par amour ou par force Mais il tenta ce delfein trop
» tard, n'étant Ci gaillard comme d'autres fois Quel trait & quel
H homme ambitieux que voilà! AulTî Dieu ne le permit. Ne pouvant donc
» être Pape , il fe fît Moine : c'écoit bien s'abaifïèr ! Brantôme , Hommes
» Illujlres.
Retraite £? mort de Charles-(^uint.
Ânn. i$iS.
V^Harlhs -Quint fit bâtir auprès de ce Monaflere un petit ap-
partement compofé de fîx à fept pièces , avec un jardin : il ne retint
auprès de fa perfbnne qu^une douzaine de domeflîques & un cheval. Ré-
duit à cette folitude, il voulut pratiquer tous les exercices des Religieux,
fe levant à U même heure qu'eux, & afliflant à leurs offices; jufques-là
qu'il alloit éveiller à fon tour les Moines. Sur quoi on raconte que faîfani
iin jour cette fônâion, & voulant éveiller un jeune religieux enleveli dans
un profond fommeil ; celui-ci fe levant à regret & à moitié endormi , lui
dit hardiment dans fa mauvaifs humeur, qu'u devoit bien fe contenter d*a-
voir troublé le repos du monde tant qu'il y avoit été , fans venir encore
troubler le repos de ceux qui en étoîent fortis. Au refte ce Prince ne
s*occupoit pas tellement aux exercices de la dévotion , qu'il ne s'amuf àt
7onu a/ Mmm
r\ " t^*, ,Vi T w ' "»- »' ' • Vi^ li *J'
4 5« CHAR «L £ S • ï , Ite* lPAn§Uitrfii '
encore à plufieurs autits \ tomitiè \ la promenade & cKèvfct , à ta Ctttture
de fon jardin, à faire des horloges & des expériences de méchaniques. Sa
retraite ne fiit que de deux ans. Peu de temps avant Ta mort, il conçut
le bizarre deflfeia de faire célébrer fes propres funérailles. On éleva une
repréfentation funèbre dans l'Eglifé , on alluma des cierges autour; oa
étendit fur lui un drap mortuaire , Tous lequel il demeura couché pendant
le temps qu'on faifoit le férvice ; mais foit que fbn heure fût venne» foit
que cette cérémonie lui eût fait une révolution ^ il fut faifi de la fiévré
peu de temps après, & mourut au bout de huit jours, le 21 Septembre i {{8^
âgé de ciqquante*neuf ans « après avoir régné quarante-quatre ans , dans
ïefquels il fut Empereur ^petidant trente-huit;
LVrt de la guerre fut piqs approfondi fous ChàtFes^Quînt qti'd ne Pavoît
été encore. Ses grands fuccès ^ le progrès des beaux-arts en îtalte , le chaii;^
gement de religion dans titie partie de PEurôpè , ie gtattd commerce des
Indes par l'Océan , la conquête du Mexique & du Pérou rendent (e fieçle
un des plus mémorables;'^ ^ '
Un
CHAR LES I, Koi (CAngUurn.
Roi condamné juridiquement à mort par la nation qu'il goover^
Àa, & expirant fur un échafFatid , efl un grand fpeâacle pour le monde »
& une grande leçon pour les fouverains. Si les honneurs qn^on rend au*
jburd^ui à la mémoire de Tinfontmé Charles I , le vengent aux yeux de
la poflérité du jugement trop févere qu^l fbbit*, fi la nation femble rtyu«
gir des excès auxquels elle te porta contre fon Roi \ il n'en efl pas moiol
vrai qu'un Prince rifque tout, fa couronne & iâ vie , lorfque foit, par
l'ambition indifcrete d'un pouvoir abfolu , foit par les confeils pernicieux
des courtifans auxquels il s'eft livré , il indifpofe contre lui une nation trop
fenfible fur l'article de ^^% droits & de fes privilèges , facile à prendfl
Palarme fur les moindres entreprifes de la cour , extrême dans fes foup-
çons comme dans fon amour pour la liberté , & fur-tout incapable de re*
venir de k.^ préventions.
La première faute de Charles I , fut de donner fa confiance au Duc d($
Buckingham , homme vain , fier , emporté dont il avoit des raifbns per-
fonnelles d'être mécontent , & qui d^ailleurs étoit (î odieux à fa nation »
qu'un Gentilhomme Anglois Tafladina prefque pubHquemem, & ofa s^
glorifier. Cependant cet indigne favori avoït pris un tel afcendant fur TeT-
prit de fon maître , que Charles eut la foiblelle de dire en apprenant fa
mort : Le Duc a perdu la vit , & moi un œil. Ce grand attachement du
Roi pour un homme qui avoit mérité l'indignation publique ^ aliéna de lui
tous les cfprits.
CHARLES l:, RoL tt^gUtem. 4^9
Une féconde faute qui fervit;à entretenir Ie$ Aliglois dans leurs mau^ai-
fes difpontioos pour leur monarque , fut fou mariage avec Henriette de
France » qui ne pouvoit plaire à les fujets, étant Gttholiaue & Françoife,
Cène démarche jointe à la faveur que Charles accorda vifiblement aux Ca-
Coliques, fît murmurer hautement. On accufoit le Roi dé vouloir ruiner
le PrQteftantifme & rétablir la Religion de Rome.
Charles demanda au Parlement des fubfides qui lui furent refufés eik
partie f parce que fa demande , toute juAe quelle étoit » ne parut poinç
telle ii des efprits aigris , inquiets , foupçonneux. Le Roi cafla le Parlement,
eut recours à dos emprunts forcés, les fit fervir à une expédition contre
r£(pagne , qui ne réuflit pas , & la nation fbt foMlevée. Charles convoqua
un fécond Parlement qu'il cafla comme le premier, parce qn'il n'entra
pas davantage dans f^s vues. Un troifieme Parlement eut le même fort
avec cette diffërence qu'après la diflblution de celui-ci , plufieurs mem?-
bres des communes qui s'étoient pppofés aux intérêts de la Cour, fu-
rent emprifonnés. Ce n'étoit pas-là les moyens de ramener des efprits obflinés.
Si Charles avoir eu de plus heureux Tuccès au dehors, il auroit pu les
faire valoir; mais il étoit aufli malheureux dans fcs démêlés avec les pui&
fances étrangères que dans fes différends avçc fes fujets. Il avoit déclaré
ta guerre à la France ; fon expédition malheureufe à la Rochelle le força
à une paix onéreufe.
Après la mort tragique de Buckingham , le Roi crut complaire à la
Nation en choififlant pour Minifire le Comte deStraiford, l'un des chefs
fant , pafla d'un excès à l'autre & devint aufli violent Royalifte qu'il avoir
été Républicain outré. La haine nationale fut enflammée de nouveau. Tout
(e tournoit contre Charles; il fut ^ccufé d'avoir corrompu l'intégrité de
cet excellent citoyen, ainfi s'exprimoient les Puritains; & Strafford expia
fur un échafFaud le crime d'avoir trop bien fervi fon Roi.
Tous ces préludes d'une guerre civile étoient fomentés par la violente
de Lavd, Archevêque de Cantorbery, par qui Charles fe laiffoit eouvetp
lier , parce que celui-ci fe montroit ardent défenfeur de l'autorité abfo-^
lue, contre les principes de la Conflitution Angloife. Ce Prélat bouillanjC
exerçoit lui*même un empire arbitraire fur les confciences. Une chambre
étoilée, efpece d'inquifition, fervoit fon zèle fanatique pour l'Eglife An*
glicane, & perfécutoit à outrance lés Puritains. Le Roi^ qui n'avoir au*
près de fa perfonne, aucun homime fage qui lui donnât de bons confeils^
fuivoît trop bien le plan dç Gouvernement dont Buckingham & fes pa^
reils l'avoient infatué. Il exigeoit d'anciennes importions arbitraires, il
en créoit de nouvelles, & la perception s'en faifoic de la manière la
pins dure.
Mmm %
4^ CHARLES J\ IRoi (tJn^um,
L^CôiTe ié révolta ; & un traité équivoque aîToupic cette révolte £ias
Tétouflèn Les Irlandois, prefque tous Catholiques , réfolurent de fe délivrer
des Anglois Proteftans , i& ils en fitent un mafTacre horrible à Kil-
keni dans la province de Leiiier ; la Cour fut encore chargée de ce
fbrfiiit. .
Tout annonçoit une guerre ouverte entre te Roi & le Parlement. La
Reiiie, que fon zefe pour le Catholicifme rendoit odieufe, quitta l'An*
gleterre & fe retira en France. Charles avoit de la peine à lever une ar«
mée. LnJniverfité de Cambridge Iqi facrifia fes tréfors , & il fut en état
de combattre avec avantage les troupes du Parlement. Ce premier fuccès
fut le dernier. Cromwel, deftiné à jouer le principal rôle dans cette fceoe
ianglante, ]fe mit à la tête des Indépendans \ ce qui fit dire à un membre
de; la Chambre-balTe, par une efpece de préfage : maintenant qw Crom*
wcl eji indépendant ^ nous dépendrons tous de lui.
La perte de la bataille de Naëfby , en 164; , taifla le Rtoi fans re(!bur«
ces. Défefpéré , il fe retira en Ecoile. Le Parlement faifit cette occafion de
regarder la retraite de Charles , comme une renonciation au trône ; ea
conféquence ^ il fut déclaré à fon de trompe déchu de tous les droits qu'il
pou voit avoir à la Couronne d^Angleterre. Ce décret fut fuivi peu après
d!un autre qui aboliflbit entièrement la Royauté. Le nom du Roi fut efliicé
de tous les monumens publics « fesHatues furent abattues» & fes armes
ôtéés de tous le$ endroits où elles étoient.
Fairfax , Général de l'armée du Parlement , fe démit de fa charge ; Crom-
wet fe la fit donner. Cependant lés Ecoflfois fe repentoient déjà d'avoir
donné retraite au Roi. Ils eurent la bafleffe de le livrer» ou plutôt de le
vendre poiir deux millions au Parlement. Charles inftruit de cette lâcheté,
dit qu'il aimoit encore mieux être avec ceux qui Pavoîent acheté fi cbé*
rement , qu'avec ceux qui l'avoient fi lâchement vendu. Ce Prince en«
core plus malheureux que coupable » ignoroit lé fort qui fattendoit en
Angleterre.
11 paroit que l'ambitieux Cromwe! projetta dès ce moment tout ce qu'il
ekécutà dans la fuite. Il étoit adoré des foldats. 11 s'en fervit pour porter
la terreur dans le Parlement , & le réduire à une obéifTance fervile. 11 traita
cette augufte aflfemblée avec la dernière hauteur ; il en fit emprifonoer
plufieurs membres. La plupart fe retirèrent chez eux, ne pouvant fuppor-
. ter un fi indigne traitement. II ne refta que des âmes bafies propres à
iëconder les defleins de Cromwel. Ces ^ens formèrent la chambre des
communes, à laquelle ce chef de l'armée joignit une chambre haute corn-
pofée d'Officiers à fes ordres. Tel fut le prétendu confeil de la nation
oui , le jour même de Noël de l'année 1 648 , nomma des Juges commif-*
iaires pour faire le procès au Roi Charles. On penfe bien que Cromwel
&fon gendre furent du nombre des Juges. Jean Bradshair | premier Huifr
fier de la chambre-bafie , fut Fréfident de ce tribunal.
C H A 11 I E s I. Roi ePJngletem. ^i
Charles comparut quatre fois devant cette cour de jiiftice que Crom\pel
animoic de fon erprit. Quatre fois il fut accufé d'avoir; » voulu rendre fa puif-
» lance arbitraire , contre le ferment qu'il avoir fait ^ fon facre de gouverner
» félon les loix du Royaume ; d'avoir cherché à faire entrer des troupes
»• étrangères dans le Royaume pour y allumer le fen de la guerre ; d'avoir
» réfolu de rétablir le Fapifmc « dedécruire la Religion Anglicane ; d'avoir
» donné des commilîions pour fdire maffacrer les Proreflans en Irlande; d'a-
» voir été la principale caufedufang répandu en Angleterre depuis dix ans par
» les guerres civiles qu'il y avoif excitées «. Quatre fois Charles recufa le tri-
bunal devant lequel on !e contraignoit de comparoitre, comme étant in-
compétent, & proteda qu'il é[oic innocent de tous les crimes dont on le
chargeoir. Quant à la compétence du tribunal , le Préfideiit Bradshau lui
répondit qu'il étoit établi par le peuple d'Angleterre de qui il tenoit lui-
même fa couronne. Du refte quelques témoins dépoferent en préfence de
Charles, l'avoir vu les armes à la main contre les troupes du Parlement;
& une foule de gens apoHés par Cromwel , fuivant le rappoW de plufîeurs
hiftoriens , fe mirent à crier : il efl coupable , // ejl coupable , qii^il meure !
la mort du Roi étoit réfolue, Cromwel le facrifioit à ion ambition, fous
le beau prétexte de venger la liberté publique & la Religion Anglicane.
Quelques-uns da juges , plus modérés que les autres, étoîent d'avis de con-
damner Charles à une prifon perpétuelle, comme autrefois Edouard II &
Richard If. Cromwel n'auroic pas pu achever de jouer fon rôle, fi en
ôtant la couronne au Roi , on lui eut laifTé la vie. II opina fortement 3i la morr,
St fon avis prévalut. Le greffier lut à haute voix la fentence qui portoic
que » Charles Stuart ayant été accufé, par le peuple , de tyrannie , de tra-
» hifbn, de meurtre, de malverfation , & ayant toujours refufé de répondre
» à ces accufatioDs , étoic coadamné à avoir I^ tête -tranchée ». On lui ac-
corda un délai de trois jours, pendant lequel Charles parut d'une humeur
douce & tranquille. Cette fermeté ne l'abandonna pas fur l'échaf&ud. 11
falua civilement & fans affeâation les perfonnes qut étoient autour de lui,
pardonna à fes ennemis , exhorta la nation à renner dans les voies de la
Îtaix, retrouffa fes cheveux fous un bonnet de nuit qu'on luipréfenta, pofa
ut-méme fa tête fur le billot, & l'exécuteur, qui étoit mafqué, la lui
trancha d'un feul coup.
Ainfi périt ce Prince infortuné, qui eut des dé&uts, qui fit des &otes,
mais qut étoit loin de mériter ce traitement atroce, fion ami , bon pçre ,
bon époux, il ne lut manqua pour être bon Roi, que de mieux connoltre
Fétendue réelle du pouvoir que la conftitution Angloife lui donnoît, fc d«
ne pas fiiivre les coofeils dangereux de fes &voris.
4^^ CHARLES II, Roi d'AngUierrc
CHARLES II, Roi d'Angleterre.
VyH ARLES II, fils de Charles I, ne monta fur le trône qu^aprés la
mort de Cromwel. Fendant tout le temps du Proteftorat, il promena Tes
malheurs dans difïërentes contrées de l'Europe , tour-à*tour accueilli & re-
poulTé par les puiflances qu^l incéréflà en fa fitveur, fkifant toujours de
nouveaux, efforts pour remonter fur le trône de Ton père, & trouvant tou*
jours des obftacles qui fembloiçnt l'en éloigner davantage. Enfin la mort
4u Proteâeur &VinhabiIeté de (on fils Richard , incapable de porter le poids de
la grandeur que fon père lui laifToit, permirent à Charles de concevoir de nou«
velles efpérances. Monk, général de rarméed'EcofTe, bon citoyen & fidèle fii*
jet, entreprit de le rétablir, 6i y réuffit. Il fit figner au Prince uneamniftié
générale poi# tous ceux qui dans quarante jours , à compter de celui dç
cette publication, rentreroient fous fon obéiflànce. Monk , avec cette dé-
claration , lui réconcilia tous les efprits : Charles fiit rappelle de Hollande
qik il étoit, &fit fon entrée dans Londres le 8 de Juin 1659, ^^ milieu
des acclamations du peuple. Ce changement fut fi précipité, qu^on ne prit
pas même la précaution de régler les conditions auxquelles on recevroit le
nouveau Monarque : ce qui penfa replonger 1^ nation dans les guerres ci«
viles qu'avoient occafionnées le prétexte de la trop grande autorité affeâée
par le Souverain. En efièt Charles II avoit les défauts de fon père , il en
avoit même davantage , fans avoir fes talens ni fes vertus. Quelques traits
^e fagefle & de modération fignalerent le commencement de fon regoe :
il fit publier )a liberté de confcience, fufpendit les loix pénales contre les
non-confi>rmiftes, fonda la fociété royale de Londres, éleva aux dignités
quelques citoyens vertueux. Mais bientôt ce Monarque livré à fes maltrefles,
^auxquelles il prodigua tout Pargent que le Parlement lui accordoit, aban»
donna les rênes de PEtat au Duc d^York fon fi-ere qui , ayant abjuré la
Religion Protefiante , étoit fufpeâ au Parlement. Le Comte de Clarendon ,
.peqt*être le feul homme vertueux qu'il y eut alors à la cour , en fut banni.
Charles vendit Dunkerque à la France pour quatre millions qui furent auffi*
tôt 4i(fipés que reçus; & plus jaloiix encore que (on père, de rendre fon
autorité abfolue , il négocia un traité fecret avec Louis XIV , par lequel
ils dévoient travailler de concert à détruire la forme du gouvernement &
la Religion Anglicane, & introduire le Catholicifme & le pouvoir arbi-
traire. Le Roi n'eut befoin que du Duc d'York pour étendre les bornes
de fon autorité; il trouva le moyen d'àbaiffer la puiflTance du Parlement,
ou plutôt il anéantit le Parlement autant quil le put ; car ayant caffé ce*
lui qui vouloit exclure le Duc d'York de la couronne, il n'en afièmbla
plus depuis. Il fit annuller les privilèges Sa les firanchifes des difïërentes
CHARLES IL {Cara3crc de) 461
vlHes du Royaume. Londres lui remît (es Chartres ; (on exemple fut fuivi
par les autres qui con(èntirent à n'avoir plus d'autres privilèges que ceux
au'il plairoit au Roi de lui accorder. L'oubli de la liberté , & Tadulatioa
tarent portés à un tel point que la (bciété des marchands de Londres lui
érigea une ftatue de marbre avec une iiifcription pompeufe qui annoof
çoit moins la grandeur du Prince, que Paviliflement des âmes. Quand une
îiationa renoncé à fes droits & à Tes privilèges, il ne lui refte plus que
la flatterie pour mériter la bienveillance d'un maître impérieux. Ainii le
peuple pafle d'une extrémité à l'autre ^ de la licence à la fervitude. Ainfi
Charles , fans fonir du fein de l'indolence , de la moUdfe & de la plut
coupable volupté , parvint à ce pouvoir arbitraire , dont Tombre feule avoit
tant alarmé les Anglois moins de quarante ans auparavant, qu'ils avoienc
éprouvé toutes les horreurs des guerres civiles pour s'y fouflraire , & lui
avoient enfin immolé un Monarque fort au-^eflus de celui fous lequel ilt
ramppient alors. Charles mourut en 1685 <^S^ ^^ S$ ans^ & laifla à fon
Irere une puifTatice exorbitante qui, manquant d'une bafe folide, devoit IVa*^
traîner dans fa chute.
C A R A C T £ R B
DE
« - « • •
C H A R L E S II.
Tracé par George Savilk , Marquis d^Halifax.
JLiE portrait des Souverains eft rarement (idele. L'élévation où ils fe
trouvent dérobe au public leurs principaux traits , & le refpeâ eft potir
eux le fruit de l'éloignement. Les gens de cour feroient, ce (èmble, plus
{propres à faire connoître les Rois , qu'ils ont tant d'intérêt d'étudier, &
ur lefquels ils fe moulent. Mats ou trop fuperficiels pour approfondir
leur caraâere . ou trop efctaves pour ofer les peindre , ou trop fàvorifiis
' pour ne pas leur faire grâce , ils ne tracent que des portraits flatiés.
Quelques génies trop fins prêtent leurs vues à leurs maîtres, & foupçon^
tiem du myflere dans les aâions les plus (impies. Enfin la pdftérité venge
fes ancêtres de l'eiHme peu méritée que s'attirèrent letirs Princes , âc
outre pour eux la cenfure autant qu'on outra l'éloge. Tous oublient que
les Rois furent des hommes , que les vertus pures & les vices extrêmes
(ont également rares, & que le hafard décide fonvent dé la gloire, de
même que des aâions des Princes» ,
4H C H A R L Ë S I I. (CaraScre de)
Rapin en a comparé deux des principaux (a). Ils furent compofés par
deux hommes , qui n^eurenc pas pour ce Prince les mêmes fencimens;
mais malgré cette dlfFérepce on y découvre une furprenante conformité.
En voici un troifieme forti également de main de msdtre , & dont je doi«
çerai une. idée, après en avoir £dt connoitre l'Auteur.
Le Chevalier George Saville ^ depuis Vicomte , Comte , & Marquis
d'Halifax » fut un de ces hommes ^ qui nés avec des talens finguliers trou-
vèrent Part de les rendre nuifibles« A la force d'efprit d'un Fhilofophei il
narque indolent. Les titres & les honneurs lui parurent des jouets d'en-
fimt 9 & pour s'accommoder à la foiblefTe de fon fîecle, il confentit ï s'en
parer. En cootradi£Uon avec lui*même , il fit des maximes de la liberté Se
de l'honneur, le fujet de Tes difcours, & la règle de fa vie privée } il s'en
moqua avec fbn Prince, & les facrifîa dans fa conduite publique. Incer-
tain dans Tes idées de Religion autant que dans fon fyftéme de Politique^
il changea de parti dans les diverfes circonftances de fa vie & fe repentit
-de fon inconftance. Son efprit fécond en faillies négligea le fëcours de la
réflexion & du jugement; & fidèle* imitateur , dirai-je, où corrupteur, d'un
maître qu'il méprifoit, nul ne fut plus propre à le peindre, parce que nul
ne lui reffembla mieux.
Notre Auteur a divifé en fix articles le caradere qu'il trace de fbn Rm.
Eflàyons de le fuivre en abrégeant ce qu'il nous dit de fà religion, de fa
diflimulation , de fes amours, de fa conduite à l'égard de fes Miniflres, de
4bn efprit, & enfin de fes talens.
I. L'école de Tadverfité ne fut pas pour ce Prince au/H utile qu'elle Peft
d'ordinaire. 11 y a lieu de croire que les mauvais procédés des Prefbytérieos
d'Ecofle, & le ridicule qu'on donnoit à St. Germain aux foibles refies de
l'Eglife Anglicane, firent imprelfiqu fur fon efprit. En paffant d'une reli*-
gion à l'autre , il efl naturel qu'il fut quelque temps indécis. II ne nrda
pas cependant à fe déterminer, & les pâmons furent en lui le principal
organe de la eonvi^ion. Le Cardinal de Retz en a déterminé l'inflant
•critique , mais il l'a fait avec d'autant moins de certitude , que le parti au-
:quel fe rangea le profélyte ne voulut pas s'en faire honneur. Il fuffit de
mre qu'avant que de monter fur le Trône il avoir fait un choix. La répo*
■•i^BMMHaihM^^iiBMi^
[a) L'unde ces Portraits eft de la main de l'Evéque Burnet. \7hîg & Protefiant
L'autre a eu pour Auteur Milord Mulgrave, depuis Duc de Buckingham* Il fut toi
vie ardent T^y , & on le foupçanna d'AtMifiae,
tonte (a
gnance
CHARLES IL {CaraStn de) 45f
gnaoce qu^il marqua toujours à époufer des ÎPrinceiles Allemanâes , let
railleries qu'efluyerent de la part les Proteftans zélés , fa conduite dans fei
maladies, mille autres circonftances où (on cœur s'ouvrit malgré lui, dé«
celèrent Ton changement. S'il compofa en faveur de la caufe qu'il avoit
embraiTée, les deux Ecrits .qu'on trouva dans fa cadette, & que Ton Suc«
cefleur publia , il eft moins furprenant ^qu'il ait choifi le fu jet qui lui pro-
curoit une douce tranquillité , qu'il ne l'eft que peu difpofé à écrire quoi
que ce foit , il ait pu (e réfoudre à le faire avec tout l'appareil d'ua
Cafuifte, j
IL Ce qu'on reproche le plus à ce Prince , c'efi fa profonde difGmula-
tion. Rarement la nature humaine obferve-t-elie un jufte milieu. Plus
Charles II eut lieu de fe contraindre , & plus il eft excufable d'en avoir
pouflfé l'habitude trop loin. En France il eut des raifons pour diflimuler
des injures & des mépris : il eut en Angleterre des raifons pour cacher
de même des reiTentimens & des dégoûts. Un Roi fur le Trône a d'aufli
violentes tentations de fe déguifer qu'un Monarque en exil. St% excès
dans cet art le lui rendirent inutile. Son vifage trahit (buvent les fecrets
de fon cœur , & l'on en croyoit (ts yeux plutôt que fa bouche. Tout le
monde eut été fur iès gardes, fi, comme le dit ingénieufemetit notre Au<-
teur , la bonne opinion que les hommes ont d'eux-mêmes a'entretenoit U
Société. ^
IIL Les amours de ce Roi furent les efforts du tempérament. Il pré-*
fera les conquêtes durables. Il céda à l'influence, dirai-je, ou à l'importunité
de fes maitreflës, choifit par leurs yeux pouvant le faire par les fiens,
& ne fe vengea de leur tnconftance qu'en l'imitant lui-même. Une pafliton
réelle ne pardonne point l'ombre d'une infidélité. La nature plus traitable
l'uggere qu'un rival n'enlevé que le cœur , & qu'il laiffie tout le refte.
Dans les dernières années de fa vie , Charles n'eut plus d'inclinaxions ,
mais fes liens étoient devenus trop forts pour les rompre. Un homme
qui a beaucoup de fecrets doit des ménagemens extrêmes à qui il les a
confiés. La chambre des Maitrefles de Charles étoit véritablement celle du
Cabinet, & il en agifibit dans fes Confeils comme dans fes repas ; il pa-
roillbit en public à la uble de la Reine, & foupoit dans l'appartement
dérobé.
IV« Les Miniftres de ce Prince n'étoient pas mieux traités que fes mat^
trelfes. Il s'en fervoit fans les aimer, & ne fe livroit pas plus à eux qu'ils
ne s'attachoient à hà. Ses récompenfes n'étoient abondantes qu'à mefure
que les chofes qu'il exigeoit étoient déraifonnables , & il fe fouvenoit du
moins des fautes autant que des fervices. L'empire paffager, que quelques
perfonnes purent avpir fur lui, fut dû à fa molleife, & pour éviter l'em-
parras il fouf&it d'être éclipfé. Son frère fut fon Miniftre, & il fut jaloux
de fon frère. En l'élevant il aimoit à le voir déprimé. Le Duc d'Yorck
régnoit au Confeil, & on le jugeoit au petit fouper. La difpofition du Mo^
Tome XL Nnn
^66 CHARLES IL (CaraScrc de)
narque à écouter les rapports tenoit Tes Confeillers dans la crainte. Jamais il
ne le fia aflez à un homme ou à un parti pour n'avoir pour lui rien de caché;
& fi par cette défiance il fe vit moins bien fervi, peut-être f\it-il moins ex-
pofé à être trompé. Le Confeil, le Cabinet & la Ruelle, avoient des Mi-
niftres particuliers j mais le dernier appel étoit à la Ruelle. Le Roi vouloit
qu'on lui déguifât les affaires comme les remèdes fous une enveloppe
agréable; fes plus graves Miniflres s'accommodoient à fon humeur, &
devenoient pour lui plaire les plus groffîers bouffons.
V. L'efprit de ce Prince confifloit principalement dans fa fagacité it
faifîr les ridicules. Il oublioit en raillant les égards d'un homme poli , &
aimoit à parler plus que le jugement n'eut dû le lui permettre. La na-
ture de fes goûts fe manifeftoit dans fes converfations , & il fit à la fin
par coutume ce qu'il avoit d'abord fait par choix. Sa manière de conter
étoit agréable, mais il abufoit de fa facilité. Il aimoit les gens d'efprit,
& foumoit volontiers ceux qui en manquoient. Son affabilité fut un t^
de l'art auunt que de la nature ; mais l'habitude la lui rendit naturelle ,
fans y joindre la fincérité, qui la lui auroit rendue plus utile.
VL Le goût de Charles II pour la méchanique le porta à cultiver l'é-
tude de la marine, des fortifications, &c. Il auroit pu fe fixer aux affai*
res^ s'il s'étoic moins livré aux plaifirs. La chaîne de fa mémoire furpaf*
foit celle de fes penfées. L'âge rendit le Prince œconome de fon temps.
11 avoit fes heures pour fes affaires, pour fes exercices, & pour fes plai-
firs. Souvent il agiuoit comme particulier contre fes intérêts en qualité
de Roi , & il partageoit avec ceux qui s'engraiffoient à fes dépens. II ne
fut ni avare ni libéral ; il n'acquit point pour s'enrichir , ni ne donna
pour obliger. L'amour du repos , le foin de fa fanté , devinrent fes paflions
favorites, mais il ne choifit pas toujours la meilleure voie pour les con-
ferver. En un mot ce Prince eut plus de talens que de vertus » & dut
plus à la nature qu'à la leâure ou à la réflexion.
Telle eft l'idée que Mvlord Halifax nous donne de fon maître; mab
ce maître fut fon ami, oc après l'avoir peint, il s'attache dans fa con-
clufion à adoucir les traits trop forts de fon pinceau. Comme Prince , dit-il ,
& comme Prince malheureux , Charles mérita l'indulgence de tout homme
qui a des fentimens. Il ne fut ni aigri par fes revers , ni enflé par fa pros-
périté. Si tous ceux qui eurent fes foibleffes, pleuroient fur fon tombeau,
il n'y en auroit point de plus honoré , & fi ceux-là feuls qui en font
exempts , jettoient la pierre contre lui , la grêle ne feroit pas abon-
dante. Ce qu'un philofophe qualifieroit d'un nom plus dur j fera par des
hommes plus foibles, appelle douceur de tempérament & épanchement
de bonté. S'il manqua de fermeté, cherchons-en la caufe, cherchons-en
du moins l'excufe dans le défîr d'être heureux & de rendre tels ceux
qui l'approchoient. S'il abandonna fes favoris, étoient-ils dignes qu'il les
foutint? Quel particulier le blàmeroit d'avoir connu l'amour; quel Prince
CHARLES II, Roi itEfpagne. 4(7
d'avoir dtifîmulë > Il gouverna mal Tes fujecs ; mais fes fujets ëroient-ils
propres à écre mieux gouvernés ? Le fort d'un Roi eft plus digne de pitié
que d'envie I & celui-ci a mérité qu'on couvrit de fleurs plutôt qu'on
T?^%%twkt les fautes qu'il a commifes. Que fa cendre Royale repofe donc
avec tranquillité à couvert de reproches cruels » qui s'ils ne font pas en*
fièrement injuftes, font du moins fort indécens.
CHARLES II, Roi iPE/pagnc.
V^ H A R L E S II n'a voit guère plus de quatre ans lorfqu'il monta fur
le trône de fon père Philippe IV, en i66^. Sa minorité fut tout-à-la-fois
malheureufe au dehors, & orageufe au dedans. Anne d'Autriche, régente
du Royaume, jaloufe d'une autorité dont elle ne favoit pas faire ufage,
indifpofa les Gratids contre fon adminiftranon , & invita, par fon inex*
périence , les ennemis de l'Efpagne à la dépouiller d'une partie de fes
Provinces. Elle figna la paix avec le Portugal , qui, jadis Province Efpa-
gnole, fut reconnu pour un Royaume libre & indépendant. Par le traité
d'Aix-la-Chapelle, Louis XIV conferva toutes les conquêtes qu^il avoic
faites dans les Pays-Bas Efpagnols , & ne rendit que la Franche-Comté
qu'il eut peut-être encore gardée s'il eut voulu tirer tout l'avantage poffî-
ble de la foibléfle de TEfpagne.
Charles , devenu majeur , n'eut prefque pas de part au Gouvernement.
Ce Prince , d'une complexion débile , d'un efprit foible , & dont l'éduca-
tion avoit encore été négligée à deiïein , laifla toute l'autorité à fa mère
& à fou favori Valenzuéla. Cependant ils ne la gardèrent pas long-temps.
D. Juan d'Autriche, fils naturel de Philippe IV, nt fentir à Charles l'efpece
de fervitude où on le retenoit , le défordre où étoient les affaires , l'Efpagne
épuifée par des guerres malheureufes, & déshonorée par des paix honfeufes.
Le Monarque fecoua le joug. La Reine fut reléguée dans un Couvent de
Tolède, & D. Juan déclaré premier Miniftre. Mais il répondit mal aux
efpérances que l'on avoit conçues de fes talens. La guerre avec la France
ne ceifa pas d'être une fource de revers , & l'Efpagne perdit encore à la
paix de Nimegue la Franche-Comté & feize Villes confidérables des
j?ays-Bas.
En 1 679 , Charles époufa la Princeffe Marie-Louife d^Orléans , fille de
Monfieur & d'Henrrette d'Angleterre. L'Efpagne continua de languir. Une
guerre de deux ans , terminée par une trêve de vingt ans , fîgnée à Ra-
tisbonne en 16S4 , lui coûta Luxembourg , & toutes les Villes dont les
François s'étoient emparés, excepté Cpurtrai & Dixmude que Louis XIV
confentit de rendre. La Reine d^Efpagne étant morte , le Roi époufa en
fécondes noces Marie- Anne de Nêubourg , fille de l'Eleâeur Palatin. I^
Nnu %
i
458 C H A R L E S II, Roi (PEfpagne.
fett de la guerre s^allunia dé nouyeau entre la France & rafpagne. Cetle-ci
eut prerque toujours du défavantage. Le Roi n'avoic point d'eofàos : il
tomoe malade & fait un tefiament en faveur de fon neveu le Prince de
Bavière, comme fon plur proche héritier,. attendu la renonciation de Ma-
fe d'Autriche. Cette difpofition n'eut pas lieu , le jeime Prince
rîe-Thérefe
étant mort à Page de fept ans. La paix fe négocioit depuis trois ans à
Rifwick. Elle fut avantageufe à l'Efpagne par les facrifices que fit Louis XIV,
qui annoncoient aflezque la mort prochaine de Charles II en étoit le moti£
Ce Monarque fit un fécond tefiament en 1700, par lequel il déclaroit
Philippe de France , Duc d'Anjou , héritier de toute la Monarchie Efpagnole.
Charles mourut la même année , âgé de 49 ans. Louis XIV accepta ce
tefiament qui caufa un embrafement général en Europe , comme nous
Pallons voir.
Teflamtns de CHARLES 11^ en t6s8^ & tjoo.
JLiE Roi d'Efpagne n'en étoit point cru fur les efpérahces qu'il donnoit,
de vivre encore long* temps, & de ne pas mourir fans laiiier poftérité.
'Malgré îts ejffbrts pour cacher le mauvais état de fa fanté, on perfiftoit \
croire que fa mort n'étott pas éloignée; & les Prétendans à fa fucceffion»
facrifiant à la crainte de la perdre les égards qu'ils dévoient à fa perfbnne,
prenoient hautement leurs mefures , pour éloigner leurs compétiteurs.
L'Empereur Léopold , dont la politique étoit la moins bruyante, fe pro«*
mettoit que la difpofition du Roi mourant régleroit le fuf&age de la Na-
tion; & comptant que l'un & l'autre lui donneroit la fupériorité, à la«
quelle il n'oloit afpirer par les ^rmes , il faifoit agir la Reine fâ belle-lœur
auprès du Roi fon mari, en même-temps que ^s Miniflres mettoient en
œuvre tout le -crédit qu^ils avoient acquis dans le Confèil. Louis XIV,
accoutumé à tout vouloir emporter de hauteur, négligeoit la Cour de Ma-
drid. Mais intimidant la Nation Efpagnole par la montre de fes meîllenret
troupes, répandues fur la frontière, il faifoit demander fièrement au Roi,
qu'il abandonnât la fucceflion à celui des Prétendans , qui fauroit y &ire
valoir fes droits. Le Roi Guillaume, affermi fur le trône d'Angleterre,
& plus maître encore en Hollande, que dans les trois Royaumes, n'avoii
plus befoin, pour fa Candeur particulière, des troubles de l'Europe. Vieilli
avant le temps , il ne pou voit plus remplir que dans le cabinet le rôle
glorieux qu'il avoît pris ; & pour qu'il continuât à être l'am'e du parti
oppofé à Louis XIV , le Protcfteur de l'équilibre de l'Europe , il hWckt que
l'Europe fût en paix. Il voyoit Léopold & Louis XIV également rélblus de
ne point relâcher de leurs prétentions ; & il étoit elfentiel à la liberté pu-
blique que la Couronne d'Efpagne ne fût pas , avec celle de Trance , ou
llmpérîale , fur une même tête. Une guerre générale étoit inévitable , à
moins qu'un tiers parri ne fè formât , aflèz puifTant , pour obliger les deux
principaux prétendans i lui déférer Tarbitrage. ^
CHARLES II, Roi d^M/pagfW. ^ 4^9
Dans la dilbofidon , où ëtoit le Roi Guilltume^y de jouir en pwr d9 (a
sloire & de la fortune , il conçut le plan d'un partage de la lucceflioo »
luivant lequel^ fans ébranler Péquilibre, les prétendaos auroienc quelque /
fatisfkâion. 11 avoit aflez étudié Louis XIV, pour ne pas douter de lui
faire agréer la part qu'il lui afligneroit^ pourvu qu'elle fôt une acquifitioa
brillante. 11 devoir peu s'inquiéter des plaintes , qui étoient les feules ar*^
mes, dont la Cour de Vienne pouvoit combattre Ton plan. Cependant^
quoique les prétentions de l'Bmpereur n'euflent guère d'autre fondement
que Ion ambition : quoique le Corps Germanique fût difpofé à foufFrir
que la Maifon d'Autriche fut confinée en Allemagne ; Guillaume eut égard
aux clameurs des Princes Autrichiens; & fi le Prétendant , qu'il plaçoic
entre les Princes François & les Archiducs avoit vécu , il efl fort probable
que le partage auroic eu fon exécution.
Maintenant que la Maifon de Bourbon eft en paifible poflefllon du* trône
d'Efpagne , les droits , que Tes Princes y avoient , ne font plus problémar
tiques. Entre les Souverains-, la pofTeflîon eft un titre, qui prévaut fur
tous les autres. On ne contefte plus que la renonciation de Louis XIV,
au nom de l'In&nte qu'il époufoit, fut un aâe fans conféquence, accordé
pour le bien de la paix ; & qui ne devoir avoir de validité , qu'autant qu'il
«uroit afiigné un équivalent capable de tenir lieu aux fruits de ce mariage
de leur matrimoine , dont il n'étoit pas au pouvoir de leur ayeul de tes
fruftrer. Le teftament de Philippe IV , qui confirmoit la renonciaiioti , étoic
nul à cet égard, de quelque côté qu'on confidere le teftateur, Qc le bien
dont il difpofoit.
Si une Couronne eft mife au même rang que des Propres; & fi un
Roi eft regardé comme un Citoyen , qui marque à fes enfans leur légitime :
les Loix ne lui permettent l'exhérédation , qu'en lui fuppofant quelqu'un
des motifi , qu'elles ont fixés. Or Philippe n'en avoit aucun de cette eipece
& produire contre la Princefle fa fille. Un pere^peut avantager fes puînés
aux dépens d'un aine , s'il a fait à ce dernier des cédions en avance
d'hoirie ; ou fi , par préférence , il l'a fait appeller à quelque fuccefliofi
collatérale y qu'il auroit dû partager avec fes puînés. Mais la première
Infante que Louis XIV époufa , ne porta à fon mari que la dot ordinaire
des In&ntes , la même que l'Empereur reçut de fa fimir. Elle ne reçi|t ni
équivalent, ni compenfation , de ks droits d'ainellè» auxquels on vouloir
qu'elle renonçât.
Si on confidere une Couronne comme un Propre fubjiitué , & un Roi
comme un ufufruitier , qui n'a d'autre droit fur fon Royaume , que celui
de jouiflance : il n'appartient point au Monarque pofTefleur de troubler
l'ordre, dans lequel la poffeflion lui a été dévolue. Cefl aux Loix, qui
l'ont appelle à la fucceffion, de lui marquer fon héritier : ou fi les Loix
doivent céder à l'intérêt préfent de la Nation , if n'y a que la Nation elle-
même 9 qui puifle en juger , & leur donner atteinte.
\
47« CHARLES II, Roi (PEfpagni.
L'Empereur Léopold réclamoir la Succéflion d'Bfpagne à plufîeiirs titres;
dont le moins mauvais n'étoit aucunement recevable. Seul mâle defcendant
de Maximilien I , il auroit pu faire valoir la loi Salique , c^eft- à-dire la pré-
férence abfolue des mâles , fi cette loi avoit eu lieu en EfpagQe. Mais ce
n^écoit point du chef de cet Empereur que les Couronnes d'Efpagne étoient
tombées dans la Maifon d'Autriche; & en prétendant y faire valoir fon
fexe , Léopold infirmoit le titre , auquel les Princes Autrichiens les avoient
pofledées : leur pofleflion étoit dès-lors une véritable ufurpation. Jeanne,
la-FoÙe , fille de 'Ferdinand & d'Ifabelle , avoit apporté les Efpagnes en
dot à l'Archiduc Philippe fon mari , fils de Maximilien ; & Charles-Quint
leur fils aîné repréfentant fa mère , avoit eu la préférence fur les différentes
Maifons des Princes du Sang de Caflille & d'Arragon, qui avoient pour eux
la defcendance niafculine. Les droits du Dauphin , fils de Louis XIV,
étôient précifément lès mêmes que ceux de Charles-Quint. Si Léopold fe
produifoit avec les titres de fa mère, fille de Philippe III; il étoit encore
moins fondé que Louis XIV, fils de l'ainée: & d'ailleurs , c'eut été admettre
l'ordre de Succeflion en ligne majeure, que les Juriftes appellent i Stipite;
&, fui vaut cet ordre, Léopold & Louis XIV dévoient céder au Duc de
Savoye, qui repréfentoit fa bifaïeule Catherine, fille de Philippe II. Dés
que la Succeflion n'efl point purement mafculine, la poftérité de Charles-
Quint primoit toujours celle de Ferdinand fon puiné. Léopold ne devoit
point profiter de la renonciation de Louis XIV, qu'il s'eflTorçoit de faire
valoir. Les droits de llnfante Reine paffoient à fa fœur puinée. Impéra-
trice, dont la fille unique, mariée à l'ÉIeâeur de Bavière Maximilien, étoit
repréféntée par le Prince Eleftoral, fon fils.
Le Roi Guillaume prit avantage du foible de chacun des prétendans , pour
fuftifier un partage entr'eux. Aucun n'avoit à la fucceffîon un droit clair &
viâorieux. 11 leur demanda de fe faire grâce l'un à l'autre. Il oppofa aux
prétentions de l'Empereur les prétentions du Prince de Bavière; & andii
qu^il objeâoit à Louis XIV fa renonciation , il épouvantoit fes deux com*
pétiteurs de fa nullité. Le premier Traité de partage , qu'il préfenta le ii
d'Oâobre 1^9^ , fut dreffé dans cet efprit. Le Prince de Bavière dût hé*
riter de la Monarchie Efpagnole , proprement dite , en l'un & l'autre
Continent, fans autre annexe que les Pays-Bas. L'Empereur Léopold dut
avoir le Mitanez; & Louis XIV dut unir à fa Couronne Naples & Sicile 1
avec les Places de la côte de Tofcane , le Marquifat de* Final , & la partie
du Guipufcoa , fituée en deçà des Pyrénées.
Ce partage fut goûté de l'Eleéleur de Bavière, qui fe trouvoît trop heu-
reux que les prétentions de fon fils ne fuffent pas étouffées par celles de
fes compétiteurs. Louis fe hâta d'appuyer le projet de fonfufFrage. Il n'apper-
cevoit point le piège que lui tendoit la profonde politique de Guillaume.
La Marine FrançoiTë étoit déjà fort avancée dans la décadence ; & le Roi
de France s'applaudifToit de i'acquifition de nouveaux Etats , dont la conr
L_
CHARLES, II, Roi dPEfpagne: 471
fervarioo eut exigé qu^il doublât fes forces de mer. Il fembloît avoir ou-
blié que des pofTemons en Italie avoient fait le malheur des règnes de
Louis XII , & de François I. Il avoir éprouvé que la France n^a de fupé-
riorité fur fes ennemis, que parce qu^elIe leur oppofe la mafle entière de
fes forces ; & il ne voyoit pas que leur divifîon leur prépareroit fa ruine ,
comme la divifion de celles de l'Efpagne avoit produit, la ruine de la
Monarchie Efpagnole. Enfin Louis XIV ne confidéra que de nouveaux titres
& de nouveaux Etats.
Les Puiflances Maritimes, & fur-tout l'Angleterre, pouvoient efpérer de
s'emparer du commerce d'Efpagne , fous un Roi , pour qui ils feroient des
Alliés néceffaires. Les Hollandois fe confervoient la barrière, dont ils
avoient pris le fyftéme ^ & la foibleflè du nouveau Rpi leur garantiflbic
fon attention à ne pas les indifpofer , comme il eut £iit , en tirant parti
de fes ports de Flandres, & du firabant.
L'Empereur Léopold , dont l'ambition raifonnée mettoi; à bien plus haut
prix un morceau tel que le Milanez , qui feroit corps avec fes Pays héré*
ditaires, qu'une multitude de Royaumes , qui dévoient faire un Ëtatféparé,
dont la branche ainée partageroit la défenfe, ne fe platgnoit point que le
Prince Eleâoral de Bavière fût appelle au Trône d'Efpagne. C'étoit beau*
coup 4)our un ennemi de Louis XIV , aufli jaloux de la puilfance de la France ,
de voir la maifon de Bourbon déchue de i'efpérance de faire tomber tant de
Couronnes fur la tête d'un de fes princes. Seulement , il auroit voulu grof«
(ir fa portion des autres Etats Efpagnols d'Italie ; & il fe réfervoit de faire
fes diligences à cet égard , quand il auroit vu le fruit des folli citations de
la Reine fa belle*fœur , & de la brigue de fes Miniftres à Madrid.
La nouvelle du Traité de partage détermina Charles à faire un Tefla-
ment. Quelle que fut fa difpofition ,Jl étoit certain que la Nation la con*
firmeroit , pourvu qu'elle ne démembrât point la Monarchie. Mais il îgno-
roit, & fon Confeil parut ne pas voir, que Louis XLV, & Léopold^ a'é-*
toient pas de ces Prétendans , qu'on réduit au /ilence , en leur préférant un
troiHeme. Tous deux furent trompés , il efl vrai , par le Teftateur. Mais ce
dernier s'abùfa fort , s'il efpéra de la furprife , qu'il leur ménageoit , autre
chofe , que la fatisfàâion de la leur avoir faite. Louis XIV , qui croyoit
Léopptd fon plus dangereux concurrent , apprit avec étonnement que Charles
ne prenoit point fon héritier dans fa maifon , & la Cour de Vienne eue
peine à croire que le Confeil d'Efpagne, qu'elle s'imaginoit gouverner;
& que la Reine , qu'elle étoit en poffeilion de diriger , euffent £ait préfé-
rer le Prince Eleâoral de Bavière à fes Archiducs.
Avec des forces capables de foutenir le reffentiment des deux compétiteurs
qu'elle rejettoit , la Nation^ Efpagnole n'auroit eu qu'à s'applaudir du Tefta^-
menr de fon Roi. Mais la Reine & le Confeil , qui le diâerent, fe repofoieot
fur la fortune du foin de le faire valoir ; & leur intérêt particulier fut
uniquement ce que l'un &l l'autre confidéra dans la teneur de Taâe, Le
/
47X C H A R t £ S II» Roi dPEfpAgne.
Gonfeil foufEroit impatiemment fa dépendance de la Cour de Vienne; &
la Reine étoit fenfiole au piaifir de donner à la Nation un Roi* qui lut
fçftt gré de Tes bons offices. Elle devoit attendre plus de reconnoiflance
de la part de Tfileflorat de fiaviore , que de la part de l'Archiduc. Celui-
là ayant déjà l'agrément d'une panie de r£urope , lui auroit obligation de
l'avoir itûs, par l'aveu du Roi, dans la paiuble pofle(fion du Trône, C\
le Teftament avoit lieu : tandis que l'Archiduc, ayant à vaincre mille
cbflaclesy pouvoit ne pas réudîr malgré la difpodtion du Roi; ou^ s'il
réudiilbit , s'imaginant devoir la G>uronne à fts droits , & à (a conduite ,
il ne fauroit gré à la Reine Douairière , que de IV avoir appelle. Charles II ,
<jui fuivoit l'impreffion, que lui donnoient ia femme & fes miniftres,
inititua le Prince de Bavière Ton héritier univerfèl ; & l'Empereur ne s'en
montra pas au(fi irrité ^ qu'on le devoit attendre de fa paffîon pour la
grandeur de fa maifon. L'Hiftdire lui a reproché, & fans doute injufte-
ment , d'avoir compté que l'étoile d'Autriche , toujours funefte à ceux qui
faifoient obftacle à fon agrandiflement, délivreroit les Archiducs du corn"
pétiteur qui leur avoit été préfëré.
Le traité de partage & le teftament étant anéantis par la mort du
Prince Éleâoral, le Roi Guillaume n'en perdit point fes vues d'accommo-
dement. Il éio\t perfuadé que la répugnance des Efpagnols, pour le dé-
membrement de leur Monarchie , devoit céder au bien général de l'Eu-
rope , & y feroit inutilement obftacle. Il propofa un fécond partage , qu'il
lit fîgner à Londres aux Plénipotentiaires de France, te 3 de Mars 1700;
& que les Ambaffadéurs d'Angleterre , de concert avec eux , firent ratifier
& garantir aux Etats-Généraux. L'Archiduc Charles, fécond fils de Leo-
pold , y étoit fubftitué au Prince de Bavière. La France , qui demandoit
quelque nouvelle piece-Kjui la mit en proportion avec fon co*héritîer,
recevoir, avec le pays que le premier partage lui adjugeoit, les Ëtats de
Lorraine, pour être unis ^ perpétuité au Royaume; & le Duc, qu'on ne
cbnfultoit point fur le don. de fon bien , étoit fuppofé y confentir, &
agréer pour échange le Duché de Milan.
Ce n'étoit pas là ce que l'Empereur s'étoit promis de la mort du Prince
de Bavière. Les États d'Italie valoient à fes yeux toute la Monarchie Es-
pagnole; & fi jamais il confentoit qu'ils en fuffem démembrés^ ce ne
devoit être que quand on en difpoferoit de m^miere à lui laidèr l'efpé*
rance de les unir aux pays héréditaires de la branche Impériale. Il remplit
foutes les cours de fes plaintes : il fit exagérer à Charles i'infulte que les
irois Puiffances lui faifoient , en déchirant fa fucceftîon de fon vivant,
ians fa participation. Comme il ne concevoir pas, (& réellement il n'y
avoit pas alors d'apparence ) que l'Europe fouffrît jamais un Prince Fran-
çois fur le Trône d'Efpagne : il croyoic que Charles étoit néceflité dans
fon teftament, comme Guillaume dans (on partage, d'appeller l'Archiduc
^ la couronne^ & il lui parut fuperflu de prendre des mefures à cet égard.
Sourd.
CHARLES II, Roi iPFfpagm. 473
Sourd zixK inftahcès, qui Ibi ëtoieût ^ faites par la cour de Madi^id , d'en^
voyer le jeune Prince en Efpagnei avec un corps de troupes AUemandes,
il demandoit qu'on le mit d'avance en pofleflion des Etats d'Italie , qui
dévoient un jour lui être plus difficiles à retenir. Son intention étoit, au
cas que Charles fit cette réfignation , de mettre, dans toutes les places^
des troupes Impériales ,^ que l'Archiduc, devenu Roi en vertu du tdfta*-
ment , n'en auroit pas chaflëes , & dont* (on frère aîné fe feroit fervi pour
retenir le pays , comtne fa portion , eniant qu'héritier naturel.
Cependant les trois Puiflknces agiffoient dans les principales Cours, pour
faire ratifier & garandr le partage ; tandis que l'Empereur & le Roi d'Ef*-
pagne y faifoient contre lui les plaintes les plus ameres. Les 41ns & les
autres eurent' lieu de -fe flatter d'avoir des partifaos. La Cour de Rome
refiifa à la France l'invefliture provifionnelle qu'elle lui demandoit dit
Royaume de Naples, pour un de les Princes; & elle s'excùiadeJa don-»»
ner à l'Archiduc, pour qui le Roi d'Efpagne la faifoit foUiciter. Le 1 Duc
de Savoye , qui avoit fujet d'efpérer qu'il ièroit fubflitué au Prince de Ba«.
viere , attendoit les circonftances , pour fe déclarer contre lé partage ; &
il faifoit propofcr en fecret une ligue aux Puiflànces d'Italie. Le Duc de
Lorraine, qui auroit peut-être goûté la cranfplantation , fi on ne lui avoit
doit un fécond teflament» Toutes deux confîdéroieot leur intérêt particu-
lier. Celle-là trouvoit fbn avantage à avoir pour voifin un puiffant Monar*
que, capable de l'aider à rechaffer le Turc dans l'Archipel. Celle-ci, ja^
loufe de fon indépendance, jugeoit que pour l'Italie un Roi d'Efpagne
ëtoitunJiôte moins dangereux, qu'un Roi de France, Des Puiflànces du
Nord, les unes , eCX>mme la Suéde & le Danemarc , étoient trop ^éloi^
gnées, pour entrer direâement dans cette querelle : les autres, comme H
Pologne & la Pruffe, avoient leurs yues particulières qui ne 4êur pèrmet-
toient pas de prendre parti contre l'Empereur. Le corps Helvétique , inac-
ceflibljî à la paflion de s'agrandir, avoit habilement éludé la garantie du
traité <ie partage. Eclairé par l'expérience , il avoit méprifé la gloire lui-
neufe d'être le Protefteur & l'Arbitre de l'Italie,
L'Empereur Léopold , attentif à l'impreflion , que le traité de partage &
fds plaintes faifoient dans les différentes cours , connut que la ibrtune dit
(econd Archiduc faifoit obflacleaux avantages, qu'il recherchoit pour fon
aine; & par un trait admirable de la politique la plus hardie, & la plus
profonde , il entreprit de les fervir tous deux, en fàifant tout pour leur
concurrent: Il fui fallut prévenir la Reine, fiiture Douairière d'Efpagne «
fur cette finguliere manœuvre. Cette FrincefTe , nourrie dans la haine de
la France , ne pouvoir être déterminée en faveur dé cette couronne par les
raifbiis , dont ou^ etpéroit faire iliufioa aa Coafeil Ëfpaguoh L'inccréx de
Tome XL O t) o
474 CHAR X E ? 1 1, : Rôi à'Efpagnt.
rnnce , oue i jcurope pue oooner :pour xtoi aux ^.ipaçnois , u lui impor-
toic peu de la dirpoûdon , <iue le Roi moribond feroic de Tes Etats. £a«*
iuite il lui fit comprendre quUl écoit efTentiel pour }a Maifon d'Autriche
de tenter fi la France ^ éblouie par un teftament,. qui dooneroit toute la
Monarchie à un de fes Princes^ ne le préfèrçroit point a^ aaicé de partage.
Il n'ëtoic point douteux qu^en optant pour un pareil teftàfnent, Louis XIV
ibuleveroic contre lui toute TEurope. Alors les troupes Impériales, com-
binées avec celles de la plupart à^s Princes d'Italie , & fàvorifées par les
efcadres des Puiflances maritimes, pourroient s'emparer des deux Sîciles,
de la Sardaigne, & des places de la Côte dç Tofcane^ & partager U Lom-
hardie avec le Duc de Savoie. Les alliés, que la Frapce auroit irrités par
cette nouvelle levée de bouclier, n'entend roient à I4 paix, qu'après s'être
dédommagement des firais de \% guerre*
Telles étoient les vues de Léopold , dirigé par l'habile Priiice Eugène,
On ea trouve la démonftrarion dans fà conduire avant Sl après la mort de
Charies IL II n'étoit pas difficile de fidre goûter au Confeil d'Efpagne dont
François. Quelque vifibles que fuflènt l'épu
de la France , & le coup que lui portoit le changement de Ton Minifiere,
ils ne l'étûient point aflez , pour que des ErpagooTs les apperçuflënt. Ac«
coutumes à voir leur propre décadence , (ans la (aifir., ils jngeoient de
- Louis XIV & de fes Miniftres fiir leur ancienne répuution. L'Angleterre ^
. la Hollande , & la France , s'étant unies » pour faire valoir ie Traité de
partage , le meilleur moyen d'en prévenir l'exécution écoit d'intéreflër une
de ces Fuiflances à le rompre ; oc s'il avoir été pofilble qu'un Légataire
nniverfel fe fût maintenu en dépit des oppofans ^ un Prince du Sang de
France y devoit trouver moins de difficulté qu'aucun autre.
Charles U rendoit les derniers fbupirs ; & on avoit encore à peine le
foupçon qu'il eut firit un fécond Teftamem. Au(fi*tôt afH'ès fa mort, 00
en'produiut un, daté du 10 d'Oâobre 1706, où le Duc d'Anjou, fécond
fils de France , étoit infiitué fon unique héritier ^ fous condition de ne
fouffiir aucun démembrement de la Monarchie. L'illuftre Hiftorien du fie-
cle de Louis XIV dit que le. Miniftre de l'&npereur fe flatroit que l'Ar-
chiduc étoit le Succeffeur défigné , tandis que le Confeil fiiifoit les dépé*
ches à Çon heureux rival. Cet élégant Ecrivain n'a pas l'expérience des four-
beries politiques y que le bien de l'Etat autorife. La Reine Douairière^
C H A R L £ s . II , Roi iPEfpagne. 475
dont le cœur & refprit écoient dévoués à la Maifon d'Autriche , & qui ^
depuis la mort du Prince de Bavière, avoit reflërré fon intelligence avec
la Cour de Vienne , figna la lettre ^ que la Junte de Régence écrivoit à
Louis XIV. Elle fe jo^nit au Confeil Efpagnol , pour notifier à la Cour
de Verfailles la difpofition du feu Roi , pour annoncer au Duc d'Anjou
l'impatience, 611 étoic la Nation, de. voir fon nouveau Souverain : Elle
confirma ,au jeune Légataire la réfolution , que témoigooient la Cour & le
Peuple , d'expofer pour lui .fon fkng & Ces biens. Voilk une contradiâion ^
qui fuffiroit feule pour démontrer que Léopold en impofa à toute l'Euro-"
pe ; & que fon Miijiâre i^i Madrid , par fon %norance. nffe&ée , dupoit le
Confeil d'Efpagoe,^ lors même que ce dernier infëroit de fa furprKë qu'il
en fàifoit fa dupe. Le Duc d'Anjou n'étoit point pour la Reine Douairière
ce que lui proifaettoic : d'être le Prince de Bavière. Elle n'avoit point à mé-^
nager le Confeil de Régence ; & fes' menées jufques à l'arrivée du jeune
Roi, qui fut obligé de lui ordonner la -^retraite , avant que de l'avoir
vue , font preuve qu'elle n'attendoit rien ^ ni de la Cour de Verfailles , ni
de lui. Il femble démontré à qui pefé ces faits 'éonftammént vrais ^ qu'elle
a'auroit point fîgné une lettre* fi capable de déterminer Louis' XIV à pré-
férer le Teflament au Traité de partage^ fi 'la Cour de Vienne ne le lui
avoit demandé , comme un bon office.
Qu'on fkfie attention à la conduite de Léopold, avant, & après que
Louis XIV fe fut décidé. Elle prouve la politique que nous lui attribuons ,
& en efl le chef-d'œuvre. Il s'infcrivit d'abord en faux contre leTefla-
mmt, & protefïa de fa fuppofition; comme fi c'eût été une pièce vido«
rieufe» dont il n'y avoit que le défaut d'authenncicé qui pût arrêter les ef^
fets. Ce n'étoit point une objeâion dont il put faire ufage long-temps,
puifque rien n'étoit plus &cile que de le convaincre de la bonté de l'aâe.
Auffi , dès que Louis XIV l'eut accepté , il ne lui oppofa plus que la re-
nonciation du Traité des Pyrénées. Comme un voyageur , que l'inquiétude
de fa marche, dans une nuit obfcure, a fetenu de prendre haleine jufqu'à
l'afpeâ de fon terme : on lé vit tranfporté de joie, à la leâure de la dé-
pêche, qui lui annonçoit la proclamation de Philippe à VerfaiHes^ fe fëli-
citer d'être enfin parvenu à fon but. Tout va bien maintenant , dit-il. ^ la
France a mis les Puijfances Maritimes de mon côté. Elle ne peut plus re^
venir an partage ; & toute P Europe fe joindra à moi , pour Vemptcher é^a^^
voir la Monarchie -L'événement auroit juflifié les èfpérances de Léo-
pold, fi l'Archiduc Charles n'étoit devenu» par la mort de fon aîné, l'u«
nique héritier de fa maifon.
Louis XIV ne s^attendoit point à voir Charles II appeUer un fils de
France \ lui fuccéder ; & il n'avoir pris aucune dés mefures néceflàires pour
foutenir cette difoolition. Il l'accepta par un mouvement de tendreflfe
paternelle : & fes Miniftres lui en donnèrent l'avis , les uns parce
qu'ils s'y feroicnt oppofés inutilement ^ les autres parce qu'ils étoient
Ooo 2
4/6 C H A RLE S II, Roi iPi:jpagne.
gens à fe régler plutôt fur ^inclination du Roi , que fiir l'intérêt du
Royaume.
Depuis, la paix de Rifwick, à laquelle il eft dit, dans les deux premiè-
res éditions de l'hiftoire du fiecle de Louis XIV , que le Monarque n'enten-
dit, qu'afin de fe donner le temps d'acquérir de nouveaux Alliés : loin de
travailler^ à ramener fes ennemis & fes jaloux , Louis XIV donna de nou-
veaux griefs aux Princes les .moins bppofés à fon^ agrandifiement ; il aliéna^
ceux der Tes voifins , dont, l'afièâion lui devoit être la plus précieufe. Dans
un ten)ps oit il auroit dû éluder les diicuifîons les plus néceflairesy il en
€ntre{Mri^ une y qui, n'incéreflant quQ foii Defpotifme , ^ ne pouvoir que le
rendre odieux , foit que l'avantage lui en denieuràt v cm non. Pendant la
guerre , il s'étoit emparé du Montbelliard ; & fes troiipes y a voient avec
elles leurs Chapelains & leurs Aumôniers, qui firent leurs tonâions : fous
prétexte que le fervice catholiqu^ s'étoit fait alors dans le Montbelliard ,
il y envoya , le i6 de Janvier 1699 , un détachemenf de Grenadiers &
de Dragons, avec des Prêtres , qui . s'étant emparés de vive force du tem-
ple Luthérien» y dirent la me(&. En verm du quatrième article de la
paix de Riftrick , dont il fe donnbit pour 1 fidèle exécuteur, il fomma le
Prince de rétablir ^exercice de. 1^ religion romaine , en le menaçant d'y
procéder fur fon refus. Le Prince fut obligé d'afltgner une chapelle aul tac
familles catholiques de fon pays, qui avoient un fi puiflant * interceffeur :
Mais la chapelle coûta à Louis XIV- fa plus fure reflburce dans la prochaine
guerre; elle lui aliéna les Princes & Etats proteftans, qui étoient les feuls
alliés utiles ^ fur lefquels il pût compter contre la Mailbn d'Autriche. Ce
cathoUcifme peu mefùré lui ht perdre le fruit de la {a) confédération con-
tre le neuvième Eleâorat.
Le Duc de Lorraine, que Louis XIV avoir fouhaité s^attacher, en loi
faifant époufer fa nièce , n'étoit pas , il eÛ vrai , un allié bien puillant con-
tre toute l'Europe conjurée. Mais ce pouvoir être un ennemi de plus, qui
n'étoit pas à méprifer. Comme fi l'honneur d'être neveu du Roi de France
avoir dû rendre le Duc Léopold infenfible à la mortification d'être fon
Vaflàl ; la Cour de Verfailles reffufcita les anciens droits de la couronne
fur le Duché de Bar. Charles IX, & Henri III, y avoient renoncé en fa-
veur des Ducs : Henri IV , & Louis XIII » s'étoient contentés de la pro-
teftatiôn de leur Procureur-Général ; Louis XIV n'auroit rien perdu , en s'en
tenant à la précaution des Rois fon père , & fon aïeul ; & les circonfbn*
ces vouloient, que, s'il n'avoit pas eu l'exemple de leur tolérance > il fe
fit un mérite de le donner. Non, il fit citer le Duc à venir en peifonne
{a) Auffi-tdt qu'on parla dans rEmi>ire de la. création d'un nouvel Eleâorat en fi*
▼eur de la Maifon de Hanovre ; les Princes des anciennes Maifons , juiqu'auz Ducs de
Brunfwick , fe liguèrent pour la traverfer.
CHARLES II, Roi iPEfpagnt. 477
lui rendre un hommage , contre lequel il ne pouvoir y avoir de prefcrip*
tion ; & dans le temps qu^il avoit à folliciter fon confentement à l'article
du Traité de partage , le plus avantageux à la France, il refufa de lui faire
grâce d'une pure cérémonie. Le Doc fut obligé de venir à Paris , & d'al-
ler à Verfailles , promettre avec folemnité la dépendance , dont la fitua-
tion de fes Etats étoit une bien meilleure caution que fon ferment.
Le teftament de Charles II avoit également furpris le Roi Guillaume &
les Etats-Généraux. Ni l'Angleterre, ni la République, n'étoient préparées
à la guerre , dont la déclaration devoit fuivre leur proteftation contre les
droits du Légataire univerfel. Les Etats & le Roi s'accommodèrent au temps.
Ceux-là reconnurent hautement le Duc d'Anjou dans toutes les qualités
qu'il prenoit; & le Roi Guillaume, qui avoit, pour différer de fe décla-*
rer, le prétexte de Talfemblée de fon Parlement, jugea, pourtant devoir
écrire au jeune Prince, comme à l'héritier de Charles II. Ces démarches
étoient une avance, dont Louis XIV pouvoit tirer de grands avantages, ù
fes Miniftres y avoient répondu. Guillaume fouhàitoit la paix : il n'auroit
point tenu contre les égards, & la défèrçnce, qu'on lui auroit marqués.
On fe le feroit rendu favorable , ou du moins on l'auroit retenu de pren-
dre fi-tôt ps^rti pour l'Empereur , en feignant de lui remettre l'arbitrage des
furetés, que l'Europe demandoit contre l'union des deux Couronnes, &
celui de la fatis&6tion , que l'Empereur prétendoit. ' .
Les Etats-Généraux n'étoient point uniquement jaloux de la grandeur de
la Maifon de Bourbon. Leur paflion dominante étoit l'amour de la liberté :
leur commerce £iiibit leur plus grande inquiétude ; & l'acceptation pure &
fimple du teftament les alarmoit avec raifon pour l'un & l'autre. Le nou-
veau Roi d'Efpagne feroit devenu l'allié , l'ami de la République , fi » dai-
gnant entrer avec elle dans une explication fur les Pays-Bas Efpagnols,
il lui avoit. donné des (iiretés pour la barrière: fi, lui faiiànt valoir l'im-
portance des Ifles Philippines pour (on commerce des grandes Indes, il
l'avoit leurrée de la promefle de lui céder cet inutile fleuron de fa couron-
ne, lorfqu'il feroit affermi fur le trône. Les Etats-Généraux auroient foi-
gneufement gardé le fecret de cet article, & U jalôufie des A nglois auroit
fourni , au temps de fon exécution , mille moyens de fe difpenier de l'ac-
complir.
Au lieu de ces ménagemens, dont la circonfpe6tion ne compromettoit
ni les droits , ni la gloire des deux Rois , le miniftere François reprit fes
anciens procédés , dont la hauteur étoit capable de changer des alliés mê-
mes en ennemis. Sans donner aucune explication à la République, Louis XIV
lui enleva les places du Pays-Bas Autrichien , dont la garde lui avoit été
£tats de fe tenir défarmés} & il ne leur offiroit que ia parole , pour les
47» C H A R L E S II , Roi ^Efpagne.
raflTurer fur rapproche des troupes Fraoçoifes , & fur leur ehtrée dans les
principales villes de la Flandres & du' Brabant. Lts Etats eulTent-ib été
auflî certains de fuccomber dans cette guerre , qu'ils dévoient Têcre d'em-
barralTer Içur puiflant voiiin : ils ne pouvoient , fans trahir la Républi*
que 9 opter pour la paix. Tout leur ^foit que Louis XIV garderoit les
Pays-Bas, dont il s'annonçoit pour le dépofitaire. Les frais immenfes, aux-
quels i'engageoit l'afibrmiiïëment de Philippe , demandoient une récomr
penfe \ & tout fon règne avoit afiez fait connoltre fon génie , pour qu'on
n'en crût pas les promefles , que ks Miniftres Ëiifoient» de fon déunté*
reflèment. .
Au(fî peu complaifant pour le Roi Guillaume , Louis XIV fèmbroit avoir
oublié l'afcendant que ce Prince avoit fur lui dans le cabinet, il entreprit
de corrompre le Parlement d'Angleterre^ fans prévoir que fa brigue ne
pouvant être cachée à Guillaume , elle réveilleroit toute fa haine, & le dé-
rermineroit à faire ufage des prérogatives de la royauté , en faveur de
l'Empereur. Quelles que fufjfent les difpofitions des deux chambres y il étoit
le maître de déclarer la guerre y & de faire des alliances , félon fon bon
J>laifir. L'argent de France pouvoit former de petites intrigues, animer de
ongs débats. Mais Guillaume étoit aflliré de dilfiper les unes , & de cal-
mer les autres , par le feul nom de l'intérêt de la nation , par celui de l'é«
quilibre de l'Europe.
Louis XIV fe priva lui-même du fruit qu'il fe promettoit de fes fix rail-
lions, répandus à propos dans les deux chambres. L'hiftoire ne donne pas
grande créance aux anecdotes révélées par des minières à des hiflorieiis :
& d'ailleurs le reflbrt , qui détermina Louis XlV à reconnoitre pour Roi
d'Angleterre le fîls de Jacques (econd^ tft une de ces petites particulari*"
tés, qui importent peu. Que c'ait été par complaifance pour les Danes,
ou par égard pour fa gloire, que le Monarque fe foit réfolu à ce coup
d'éclat : c'efl ce que dira quelque courtifan inftruit de fa vie privée. Il
fufHt ici de pouvoir mettre en fait cette fauffe démarche. Le Traité de la
grande Alliance venoit d'être (igné par Guillaume, dont il étoit encore
un engagement particulier. Au lieu de le rendre fufpeâ:, odieux même»
aux peuples des trois^ Royaumes, qu'il menaçoit de^ nouveaux impôts : on
en fit l'affaire de toute la nation, en violant de propos délibéré l'article
du Traité de Rifvick , donc l'obfervation lui étoit le plus à cœur. Ce fut
en vain que Louis XIV» qui n'eut pas plutôt falué le fantaftique Jacques III,
|u'il s'en repentit, fît donner à la Cour de Londres une interprétation de
a proclamation , qui la mettoit au nombre des^ cérémonies fans conféquen*
ce : là nation Angloifô s'obftina à y voir un trait de l'ancien defpotilme,
qu'il avoir afFeâé en Europe ; & elle avoua fon Roi des mefures qu'il
concerteroit avec fes j\lliés contre ^xh Prince , qui fembloit prétendre lui
défigoer fes fouveràinSé
Là politique Franfoife ne fot pas plus heureufe par rapport à l'Empire.
i
CHARLES II, Roi dEfpagnt. 47^
Les Cercles goûtoienç aiTez la dîfiinâion entre l'Empereur & le Chef do
la Maifon d'Autriche. Il n^auroit pas été impoflible de les amener à , ne
prendre aucune part dans une querelle , qui n'intéreflbic que le dernier.
Mais ils furent indignés qu'on les eftimât alTez peu, pour efpérer de les
contenir ^ par des menaces. La hautçur ^ avec laquelle le Miniftre de
France iignifia celles de foo maître à la Diétine de Nuremberg, fit ce.
que les Miniftres de Leopold auroient peut-être tenté inutilement. La dé^
claration d'envoyer dans les Etats de l'Empire » qui prendroient parti contre
la France, une. armée Françoife, qui mettroit tout à feu & à fang, rap-
pella la défolation des Provinces du haut Rhin en 16S8; & loin que le
fouvenir de leur faccagement intimidât, on fut excité à &ire les plus
grands efforts pour le venger , & le prévenir.
La France ne pouvoit compter fur l'alliance qu'elle reflerroit avec le
Duc de Savoye , par le mariage de fon . autre fille avec le nouveau Roi
d'Efpagne : à moins que de lui fiiire des avantages, qui le touchaflènf
de plus près^ dans fa qualité de Souverain. Il avoit fUr le Miiaoez d'an-*
ciennes prétentions, auxquelles il ne renonçoit qu'avec chagrin : il étoit
certain de recevoir des Puiflances Maritimes les mêmes fubfides, peut-^
être même de plus coafidérables , que ceux que les deux Rois lui promet-*
toient : en Quittant le parti de fes gendres , il n'enlevoit point à £ts filles la
qualité de leurs époufes. C'étoic donc une néceffîté de lui donner quelques
morceaux de la Lombardie , pour prix de fon alliance , ou de le voir fe
ranger un jour du côté de l'Empereur ^ qui les lui of&iroit. Sa défèâion
étoit fon véritable intérêt , dès que les deux Rois s'en tenoient à des
fubfides pécuniaires. Mais la dépendance, oii la Cour de Verfailles le vou-
loit tenir , le dut décider pour celle de Vienne : il lui falloir devenir l'en-
nemi de iès gendres^ pour ne pas expofer fes fuccefleurs à devenir
leurs fiyets.
Le Grand Duc & le Pape fe réfervoient de s'accommoder aux événe-*
mens de la guerre. Neutres par inclination, autant que par intérêt , ils
n'étoient redoutables qu'au pani qui auroit du deflbus. Il n'en étoit pas
de même des Vénitiens , aifez puiflans , pour opter de la guerre , ou de
la paix. Leur neutralité étoit de la dernière imporunce pour les deux
Couronnes , & quand elles l'eurent obtenue , il n'y avoit rien qu'elles ne
du(&nt fiiire, pour fe la conferver. Le Miniftre de France rut encore
fidèle aux principes de ce règne. Pour le fi-ivole intérêt du point d'hon«-
neur ^ il fit à Louis XIV un enq^mi de cette fa^e République , & un
ennemi d'autant plus dangereux, qu'il eft du génie de ce climat de fe
venger par des voies fourdes , & de haïr fous le mafque. On vit le Roi
ériger de Venife qu'elle refpeâât l'habit de foldat François, dont deux
bandits, qu'elle avoit condamnés au dernier fupplice , étoient couverts;
& prétendre qu'elle fe laiflàt braver impunément fur k% terres par deux
fcélérats , déjà profcrits. Le Sénat , dont les droits fur ces deux hommes
480 C H A R X E s II, Roi cPEfpagne.
^toienc antérieurs à ceux que le Capitaine François, qui les avoit enrô-
lés , y avoit acquis au Roi , n'avoit pas eftimé qu'un billet d'engagement
annulât fa fencence ; & il avoit fait pendre les deux bandits, devenus
foldats de Sa Majefté Très-Chrétienne. La Cour de Verfailles trouva dans
leur fupplice un attentat contre la gloire du Roi. Les excufes , que la Ré-
publique en daigna &ire , furent rejettées avec colère. Jamais François I
ne parla avec plus d'indignation (a) du mafTacre de fes Envoyés. Louis
XIV demanda qu'un Ambaffadeur extraordinaire vint lui faire fatisfaâion \
& le, Cardinal d'Etrées menaça le fénat, qui hélitoit de renouveller
l'exemple, que fôn maître avoit donné dans le voyage du Doge & des
Sénateurs de Gènes à Verfailles , de la réparation qu'il favoit exiger des
Républiques , qui lui manquoient de refpeâ.
La prudente République, qui avoit à fes portes une armée Françoife,
diilîmula fon jufte dépit. Ayant titré Ambaffadeur eictraordinaire , pour un
jour , fbn Miniftre en France , elle lui fit fubir rhumiliante cérémonie que le
Monarque irrité lui impofoit. Mais elle fe réferva de faire payer cher
au nouveau Roi d'Efpagne la faftueufe imprudence des Miniftres de fon
allié. Oe-là cette frauduleufe neutralité, qui fît la plus grande reflburce
des armées Impériales en Italie.
La guerre étant enfin réfolue , Louis XIV, avec de bien moindres
reffources , qu'en 1688 , eut un plus grand nombre d'ennemis , & de plus
grands défavantages. Le Roi de Portugal , que le Miniflere François ne
raffuroit que par des paroles vagues , dont les alliés lui difoient de fe dé-
fier, ne balançoit plus que fur les conditions de fon aoceflion à la grande
alliance. Le Nord , occupé de fes propres af&ires , étoit fans zSkdàon
pour la France. Les Eleâeurs de Bavière & de Cologne étoient fes uni-
ques alliés \ & tous deux demandoient inutilement à Tes pnnemis qu'ils
leur permiiTent d'être neutres. Ainfi , au lieu d'ajourer à fes forces , en fe
déclarant en fa faveur, ils donnoient à k% armées de nouveaux Etats ï
défendre , & à l'Empereur de nouveaux pays à abandonner à fes troupes.
Il ell encore problématique fi- Louis XIV dut préférer le teilament ao
fécond Traité de partage. Cependant la Lorraine , que le Roi Guillaume,
par goût pour la paix, confentoit qu'il unit à la Couronne, étoit une
acquifition fi avantageufe, qu'on croit communément que le partage
étoit le choix du Roi de France , & le teflament celui du père du Duc
d'Anjou. D- B. M.
• (tf) Rincon, & Fregofc, Envoyés de ce Roi à la- Porte, travcrfapt l'Italie degui&»
furent affai&a^s par IVrdre fecret de IXmpcrçur^Ch^rles-Qum^^^
CHARLES XIL
CHARLES XI T, Bdi de Siïtdè. 4«x
CHARLES XII» Bût de Suéde.
E Roi Charly XII , a été Fhomme le plus extraordinaire qui ait
peut-être jamais paru fur la terre : il a réuni en lui toutes les grandes
2ualités qui peuvent combler de gloire un Prince , & il n^a eu d'autre dé-
lut & d'autre malheur que de les avoir toutes outrées. Il étoit fils de
Charles XI » Prince guerrier comme tous fes ancêtres; & d'Ulric Eléonore,
fille de Frédéric III , Roi de Danemarc. Charles XII , eut dans fa jeu*-
nèfle pour Couvefneur, un homme fage & inftruit. Le goût qu'il témoi«-
Snoit pour tous les exercices violens , découvrit fes inclinations martiales^
c il fe forma de bonne heure une coniHtution vigoureufe. QuoiquHl f&t
d'un caraâere doux, il n'en étbit pas moins d'une opiniâtreté extrêriie :
le feul moyen de le plier étoit de le piquer d'honneur. C'eft aînfi qu'on
vint à bout de lui faire apprendre l'Allemand , 6c aflez de Latin pour le
parler dans l'occalîon. On lui fit lire l'ouvrage de PufTendorf , ann qu'il
lût connoltre de bonne heure fes Etats & ceux de fès voifins. Il fe plut
beaucoup à la traduâion de Quintecurce : les conquêtes d'Alexandre excir
toieat une noble jaloufie dans ce cœur déjà avf de de gloire ; il ne le plair
gnoit pas d'être mort à trente-trois ansi puifque, ditoit-il^ il avoir con*
quis tant de Royaumes. A onze ans il perdit fa mère , & il n'en avoit
Sue quinze lorfqu'il perdit le Roi fon père. Charles XI, en mourant avoit
éclaré Eléonore de HoUlein fa mère ^ Régente du Royaume & Tutrice
de fon petit-fils.
Charles XII ^ à fon avènement ï la Couronne, fe trouva maître abfolu
4e la Suéde , de la Finlande , de la Livonie , & de toutes les conquêtes
de fes ancêtres. Il ne fit d'abord paroitre aucune peine de voir toute l'atf-
torité entre les mains de fon ayeule, & jpaflbit le temps aux exercices
de fon âge. Mais l'année de la mort de fon père n'étoit pas excore ex*
Î|irée, qu'il témoigna le défir d'être le maître. Un jour qu'il venoit de
aire la revue de fes troupes ,. ayant paru fort rêveur au Comte Piper ^
Confeiller d'Etaf , & celui-ci lui en demandant la caufe : Je penfe^ dir-lt^
^ue je me fens digne de commander à ces braves gins^ & je vôudrois bien que
ni eux ni moi ne reçujftons Vordre dune femme. Piper qui vouloir monter
à une fortune plus élevée , flatta les défirs du Prince. Les Confeillers de
la Régence furent gagnés yle pouvoir de la Reine tomba promptement,
& les Etats défërerent le Gouvernement au jeune Charles. Ce Prince fiit
couronné peu de temps après^ & fit fon. entrée à Stockholm aux accla*
mations de tout le peuple.
Dans les premiers temps de fon adminiflration qui' fut un temps de
paix ^ on ne connut pas ce que Charles devoit être un jour : il ne parpif-
Tome XI. Ppp
4Sa CK A R t ÎB, S X II, Roi d* Suedi.
'v
foit dans fa condiûte que des cmportemens de jeunefTe; mais Porage qui
fe formoit dans le Nord, donna bientôt à fes talens cachés l'occauon de
fe déployer. Le célèbre Czar de Mofcovie^ Pierre Âlexiowitz^ crut devoir
fe prévaloir de Textréme jeune(fe de Charles r il voulut faire revivre les
droits de fes ancêtres fur l'Ingrie , Province au Nord de la Livonie ^ & it
conclut pour cet effet une ligue avec le Roi dé Pologne: Charles inftruit
des préparatifs du Czar pour la guerre, déclara ^ fon Confeil avec Pair
du monde le plus décidé , que fon parti étoit pris ; qu'il iroit attaquer le
premier de Cqs ennemis qui fe déclareroit, & qu'il ne poferoit les armes
qu'après l'avoir vaincu : en conféquence il donna (es ordres pour la
guerre. *
Dès ce moment il prit un genre de vie tout différenT, & il ne s'en dé-
'partit jamais. » Plein de l'idée d^Alexandre qu^l fe propofoit d'imiter, it
» ne connut plus ni jeux, ni délaflemens : il réduifit fa table à la (iruga-
» lité la plus grande : il a voit aimé le fafie dans les habits, il ne (itt^de-
p puis vém que comme un fimple foldat. Quoiqu'on . ne pinflë pas affurec
» qu'il n'e&t eu jusqu'alors quelque intrigue de galanterie , ce qui prouve
9 du moins que (es amours étoient fans éclat & ne &ifoient pomt de toit
a» aux mœurs publiques , il eft certain qu'il renonça aux femmes pour ja-
» mais , non-leulement de peur d'en être gouverné , mais pour donner
3» l'exemple à fes foldats qu'il vouloit contenir dans la difcipline la plus
n rigoureufe ; il réiblut même de s'abfienir de vin le refte de (k vie, car
m il avoir remarqué que le vin allumoit trop fon tempérament tou^de
> feUé De plus la (bbnété étoit une vertu dans le Nord , & il vouloit être
n le modèle de fes Suédois en tout genre. ^ (a) Il portoit ordinairement
un habit de gros drap bleu avec des boutons de cuivre doré , de groflès
bottes qu'il ne quitta pendant fix ans que pour fe coucher, des gants de
bufHe^ ayant pour cravane un tafletas noir autour du col, & portant UflC
longue épée, fur le pommeau de laquelle il s'appuyoit fouvent.
I
Pnmicn campagne de Charles XII contre les Danois^
Ann. lyoc^.
.^L envoya d'abord un fecours de huit mille hommes en Poméranie au
Duc de Holftein , fon beau-ftere , contre tes attaques des ï>anois. Âvaoc
de for tir de Suéde, il établit un Confeil pour régler les af&ires de fei
Etats en fon abfence, & pour ne s'occuper plus que de la guerre. Sa
flotte étôit compofëe de quarante trois vaiflleaux : celui qu'il montoit étoit
de cent vingt jueces de caoon^ H partit donc de Stockholm pour ùl pre-
• T
(«) Hia. dk Clurk* XII.
\
C H A R L ]g s XII» Roi de Suetk. ^j
«ftHere Câtnjpigoe » le S Mai 1700, & il n'y revint jamais^ Voyons d'abord
3uel fut ion début à fa première campagne. Charles joint dans la mer
alcique les deux efcadres de fes alliés» Tune d'Angleterre^ l'autre de
Hollande. Les ennemis évitent le combat, il fait une defcente à quelques
milles de Copenhague : les Danois rafTemblent leurs troupes en cet en»
droit , & s'y retranchent. Charles avec fes Suédois s'avance au*milieu d'une
Î^rêle de moufquetades. Les Danois étonnés de l'intrépidité du jeune Roi^
ortent de leurs lignes & prennent la fuite : les habitans de Copenhague
lui envoient des députés » & implorent & bonté. Il £iit payer à la ville
quatre cents mille rixdales*
Pendant qu'il étoit campé près de Copenhague , ce Prince augmenta la
iHvérité qui régnoit depuis long-temps dans les croupes Suédoifes. Un foldal
n'eût pas ofé refufer le paiement de ce qu'il achetoit » encore moins aller
en maraude. On fkifoit toujours dans fon camp la prière deux fois par
{*our» & il ne manquoit jamais d'y aflifler : il vouloit donner à fes foldats
'exemple de la piété comme de la valeur. Frédéric , Roi de Danemarc^
voyant la mer Baltique couverte de vaiflèaux ennemis ^ & un jeune Con«*
quérant prêt à s'emparer de fa capitale , fit fa paix avec Chades : ainfi
^ette guerre fut finie en moins de fix femaines.
D
Bataille de Narva.
t
Ans le même temps le Czar ravageoit PIngrie avec cent mille
hommes. II parut devant N^rva le premier Oâobre à la tète dé cette
grande armée , & il en entreprit le fiege dans les formes : là' il apprit
ue le Roi de Suéde Venoit au fecours de cette ville. Loin de méprifev
m ennemi 9 il employa tout* ce qu'il avoît d'art pour l'accabler : non con**
tent de cent mille hommes ^ il voulut lui oppofer une autre armée ; il alla
lui-même hâter la marche, afin de pouvoir enfermer le Roi. Charles avoir
débarqué dans le golfe de Riga avec feize mille hommes, & environ qua-
tre mille chevaux : il avoit précipité fa marche , fuivi de toute fa cavalerie
& de quatre mille (àntanîns. Il marchoit toujours en avant fans attendre'
le rëfte de fes troupes. Il fe trouve bientôt avec fes huit mille hommes dd^
vaut les premiers poftes des ennemis : il ne balance pas à les attaquer.
ije% Mofcovites croyant avoir tous les Suédois à combattre , prennent la
fiiite; vingt mille qui'étoient derrière eux en font autant. Après ai^oir em-
porté ces deux poftes en trois jours « il continue fa marche, & arrive enfin
devant un camp de cent mille Mofbovites, bordé de cent cinquante pièces
de canon. A peine a- 1- il donné quelque repos à fes troujpes, qu'il ordonné
Pattaque. Les Suédois, après avoir &it brèche aux retranchemèns avec leur
canon, s'avancent la bayonnétte au bout du fufil. Les Mofcovites fe font
tuer pendant une demi-heure. Charles reçoit une balle dans le bras gau-
che» mais eQe n'endommage que les chairs : fon cheval eft tué fous lut
Pppa
V
^84 CHARLES X 11 ^ Rôi Je S utJe.
Jmfque auffi^tôt ; un fécond a la tète emportée d'un coup de canon : il
aute fur un troifieme ^ & donne fes ordres avec la même préfence d'ef-
prie. Après trois heures de combat, les Mofcovites font forcés dans leurs
retrancbemens : le Roi les pourfuit jufqu'à la rivière de Narva avec fba
aile gauche. Le pont rompt fous tes fuyards : la rivière eft couverte de
morts. Les autres défefpérés retournent à leur camp : les Généraux Mof-
covites viennent fe rendre au Roi; ce Prince les reçoit avec humanité.
Cependant la droite des ennemis fe battoit encore : & quoique diz-hnit
' mille eulfent été tués dans leurs retrancbemens ^ il en refioit encore affez
pour exterminer jufqu'au dernier Suédois. 9 Mais ce n^eft pas le nombre
» des morts , c'eft l'épouvante de ceux qui furvivent qui ùlt perdre les
» batailles. Charles profita du peu de jour qui reiloit pour faifir l'artille-
» rie ennemie. Il fe pofta avantageufement entre leur camp & la ville:
^ là R dormit quelques heures fur la terre enveloppé dans fon manteau^
9 en attendant qu'il pût fondre au point du jour fur TaHe gauche des en*
p nemts qui a'étoit pas encore tout-à*fàit rompue. " Mais Te Général qui
commandoit cette gauche , ayant fu l'accueil gracieux que le Roi avok
£iit aux autres Généraux , l'envoya fupplier de lui accorder la même grâce.
Le vainqueur lui fît dire qu'il n'avoit qu'à s'approcher à la tête de fet
troupes I & venir mettre bas les armes. Ce Général parut bientôt après
avec fes Mofcovites qui étoient au nombre . d'environ trente" mille : ils
marchèrent tête nue à travers moins de fept mille Suédois , jettant à terre
leurs fufils & leurs épées en paffant devant le Roi. Ce Prince donna fa li-
berté à toute cette multitude qui l'eût embarraifé^ & leur ordonna de
repaffer la rivière. Alors il entra viâorieux dans Narva i enfuite il fit rea^
dre aux Généraux Mafcovites leurs épées; & fâchant qu'ils manquoieot
d'argent, il envoya cinq cens ducats à chacun d'eux, les laiflànt dans l'ad-
miration d'un tel traitement dont ils n'avoient pas même d'idée«
Suiu des canguétes de Charles XIl^
V^E PENDANT le Czar approchoit avec fes quarante mille RufTes,-
comptant envelopper fon ennemi : mais ayant appris en chemin la bataille
de Narva & la difperfion de tout fon camp, il n'ofa pas attaquer avec
des foldats fans expérience & fans difcipline, un vainqueur qui avec huit
mille hommes venoit d'en détruire cent mille; il retourna fur fes ptf^
D'un autre côté, le Roi de Pologne craignant que le vainqueur des Mof-
covites ne vint fondre fur lui, fe ligua avec le Czar, ce s'engagea de
lui fournir cinquante mille hommes. Charles voulut prévenir l'efièt de cette
Ugue. Dés le printemps fuivant il paroit en Livonie, il paflë la Duna»
il eft anaqué par les troupes Saxonne^ qui étoient à. l'autre oord du fleuve:
CHARLES XII, Roi de Suéde. 48c
fés troupes font mifes en dëfordre , il les rallie , il attaque les Saxons
quoique poftés dans un lieu avantageux. Le combat eft rude & ianglant :
mais enfin Charles remporte la viaoire. Il court à Mittau, capitale de U
Courlande , la prend : toutes les villes de ce Duché fe rendent ii lui à
diicrétion. U s^ivance en Lithuanie, & foumet tout fur fon paflage. It
conçoit le deflein de détrôner le Roi de Pologne. Ce Prince avoir un
grand parti contre lui : ne pouvant obtenir la paix du Roi de Suéde , il
quitta Varfovie, & alla de Palatinat en Patatinat raffembler la noblefle
qui lui étoit attachée. Il fit venir de fon Eledorat de Saxe environ dix-huit
mille Saxons, &. aflëmbla Tes forces à Cracovie.
Cependant Charles arriva devant Vajfovie le ^ Mai. A la première
fommacion les portes lui furent ouvertes : il déclara en même-temps qu^il
ne donneroit point la paix aux Polonois qu'ils n'euflent élu un aun-e RoL
Augufte comprit qu'il faltoit perdre ou conferver fon trône par une ba«
aille hommes^
^ qui s'avançoic
Ters Cracovie. Les deux armées fe trouvèrent en préfence dans une plame
entre Varfbvie & Cracovie. Le combat fut d'abord très- vif, & le Roi de
Pologne fit tout ce qu'on devoit attendre d'un Prince qui combattoit pour
£1 Couronne : it ramena lui-même trois fois (es troupes à la charge ;
mais l'afcendant des Suédois l'emporta. Charles eagna une viâolre com-
plene. Augufle fe recira en Saxe avec les débris de fon armée.
^Augufie y Bûi de Pologne^ ejl détrôné ; Sanijtas Lecjjnski ejl mis à
fa place.
t
'Anru 1704.
O U T réuffîiToit à Charles XII , & fes négociations & (es armet
étoient égaleraient heureufes. Renchild, (on Grand- Maréchal , étoît au cœur
de la Pologne avec un grand corps d'armée. Prés de trente mille Suédois
feus diverles Généraux , répandus au Noi'd & à l'Orient fur les fi-ontieret
de la Mofcovie, arrétoient les ef&rts des Rufles : (es vaiffeaux étotent
maîtres de la mer Baltique. Tous les efprits étoient dans l'attente d'uner
révolution entière. Dans ce filence général du Nord devant les armes de
Charles, la ville de Dantzic ofa retufer le paflage à un renfort qui lui
venoit de Suéde. Steinbok , Général Suédois , punit cette ville de fon im*
prudence par une contnburion de cent mille écus qu'il <e fit payer. Char-
les ayant reçu ce renfc t , fit le fiege de Thorn , ville de la Pruflè Royale
& fous la proteâton des Polonois. Le Gouverneur, après s'être défendu
pendant un mois , fut forcé de fe rendre à difcrérion , & la ville , quoi-
que pauvre , fut obligée de payer quarante mille écus de C0Aarà)ution.
^85 CHARLES XII, Hoi de Suedi.
Fendant que divers intérérs agicoieat k Pologne ^ le parti du Roi de Suéde
l^emporta. ^e réfulcât de i'aflemblée de Varibvie fut la dépolicion ê^AvH
gufle : il fut déclaré inhabile. à porter la Couronne^ on déclara que le
trône ëtoit vacant* Le Cardinal primat vint trouver Charles XII pour Tin-*
former de ce qui s'étoit paiTé ^ & lui demanda quel homme il croyoic
digne de régner. Ce Prince fe déclara pour Stanillas Leczinski ^ Palatin
de Pofnanie. Ce jeune Seigneur étoit déjà connu du Roi de Suéde : fa
phifionomie heureufe ^ pleine de hardieue & de douceur avec un air de
probité & de franchife , fa bravoure y fa manière de vivre qui avoir quel*^
que rapport avec celle de Charles XII ^ toutes ces chofes déterminèrent
ce Prince à ' mettre Staniflas fur le trône de Pologne» Le Cardinal voulut
alléguer que ce Palatin étoit trop jeune : il eft a^peu*près de mon âge ^
répliqua le Roi ^ & il tourna en même temps le dos au Prélat. Ce Prince
fe rendit à Varfovie v & le jour de Péleâion étant arrivé , Stanillas fiit élu.
Dès le lendemain, Charles partit pour faire le fiege de Léopold, capi«
taie du grand Palatinat de Ruffié, & la prit d'allaut : tout ce qui ofaré(ifter
fut paffê au fil de Pépée. Mais dans le même temps le Roi Augufle pro-
fitant de l'éloignement de Charles , vint fondre dans Varfovie avec vingt
mille hommes pour enlever fon rival. Stanillas fe vit obligé de quitter
fa capitale fix femaines après y avoir été élu Souverain, & de fe rendre
en diligence auprès du Roi de Suéde. Âugufte entra dans Varfovie en
Souverain irrité & viâorieux : chaque habitant fut taxé au-delà de fes
fbrces; mai$ c'étoit le dernier effort qu'il venoit de tenter. En efiet, le
Roi de Suéde , accompagné de Staniflas , alla chercher fon ennemi à la
tête de fes troupes. L'armée Saxonne n'ofa l'attendre : tout fiiyoit devant
lui. Augufte fe vit obligé d'abandonner encore une fois la Pologne à fes
ennemis , & fe retira en Saxe. Staniflas rentra dans Varfovie ^ & y fût
couronné avec pompe.
Mais pendant que Charles XII donnoit un Roi à la Pologne , le Czat
pierre devenoit de jour en jour plus redoutable. Profitant de l'abfence du
Roi de Suéde ^ il prit Narva d'affaut : cent mille Mofcovites divifés enplu«
iieurs petits corps , raVageoient les terres des partifans du Roi Stanulaii
La fortune des Suédois diffipa bientôt ces troupes. Charles XII & Sia«>
niflas attaquèrent ces : corps féparés , & les battirent l'un après l'autre :
9ul obfiacle n'arrètoit le vainqueur. S'il fe trouvoit une rivière entre les
ennemis, Charles & fes Suédois la paflbient ï la nage : les Mofcovites
épouvantés fuyoient en défordre.
Charles XII dans la Sa:».
JLtfE premier Septembre 1706 ce Prince entra en Saxe : il choi£t fon
camp à AlranfUd près la Campagne du Lutzen , champ de bataille ht»
meux par la viâoire & par la mort de Guflave^Adolphe. U aUa voir la
CHARLES XII, Roi de Stade. 487
Îlace oit ce grand homme avoic été tué. Quand on Peut conduit fur le
ieu : Vai tâche , dit-il , de vivre comme ^lui , Dieu trC accorder^ peut-être
un jour une mort aujji g^rieufe. De retour à fon camp » il s'informa de
ce que la Saxe pouvoir fournû:^ : il la taxa à fix cents vingt-cinq mille
rixd^es par mois , & régla la coùtribution que les Saxons étoienr obligés
de fournir à chaque fbldât Suédois \ en même tenips il établit une po*»
lice pour garantir les Saxons des infultes de fes foldats. Rien n'eft plus
admirable que la difcipline févere que ce Prince faifoit obferver. La foire
de Leipiick fe tint comme à l'ordinaire; les marchands y vinrent avec
une fureté entière : on ne vit pas un foldat Suédois dans la feire. *
Cependant le Roi Augufte errant dans la Pologne , fe vit réduit à de-
mander la paix : pour l'obtenir y il fut obligé de renoncer pour jamais à
la Couronne de Pologne , & de reconnoltre Staniflas pour légitime Roi.
Charles XII recevoit alors dans fon camp d'Alranftad les Ambafladeurs de
prefque tous les Princes de la Chrétienté. Les uns venoient le fupplier de
cuitter les terres de l'£mpire \ les autres eud^nt bien voulu qu'il eût tourné
les armes contre l'Empereur Jofeph. Charles fe déclara le rroteâeur des
lu jets Proteftans de l'Empereur en Siléfie, & il voulut que Jofeph leur ac-
cordât des privilèges. L'Empereur qui ne cherchoit qu^ éloigner un voi«-
fin fi dangereux , accorda tout ce qu'on voulut ^ & figna le traité. : alors le
comme elle. Il fit avertir le Pape qu^il lui redîêmanderoit un jour les effets
Zue la Reine Chrifline avoit laides à Rome. On ne fait jufqu'oii ce jeune
Conquérant eût pouffé fes reflentimens & fes armes ^ fi la fortune eût fé-
conde fes deffeins. Rien ne lui paroiflbit impoffîble : il étoit auflî jeune
qu'Alexandre, aufli guerrier, auffî entreprenant, plus infatigable, plus ttim
bufte ; & les Suédois valoient peut-être mieux que les Maâdoniens. Mat^
le véritable deflein du Roi de Suéde & fà feule ambition étoient de dé-
trôner le Czar. En effet , Charles après avoir donné la loi dans l'Empire .
détrôné un Roi, couronné un autre, fe prépara à partir pour laMofcovle;
nuis fans rien dire de fon deffein. Quoiqu'il eût paffé un an dans la Saxe \
les douceurs du repos n'avoient point adouci fa manière de vivre. Il f^ Ie«»
Voit tous les jours à quatre heures du marin , s'habi^loit feul , montoit à
cheval trois fois par jour , ne refioit qu'un quart d'heure à table , exer^oit
fes troupes^
4SS C H A R t B S Xtl, Xoi Je Suede^
// quitte ta Saxe.
Ann, i^Of.
^^HarlBS partît de la Saxe en Septembre , fuivi d'une armée de qnâ*
rante-trois mille hommes , enrichie des dépouilles de la Pologne & de la
Saxe^ & toute brillante d'or & d'argent. Outre cette armée, le Comte Le-
venhaup, l'un de fes meilleurs Généraux, l'attendoit en Pologne avec vingt
mille hommes ; & il avoir encore une autre armée de quinze mille homn
mes en Finlande. Les Suédois ne favoient pas encore oii le Roi vouloitles
mener; on fe doutoit feulement qu'il pourroit aller à Mofcou. Charles ma^
cha vers Grodoo en Lithuanie par un temps déjà très-froid. A fon appro^
iChe tous les corps des Mofcovites répandus dans cette Province , fe retirè-
rent en hâte vers les frontières de Mofcovie t les Suédois fe mirent à leur
pourfuite , & firent des marches forcées prefque tous les jours. Après avoir
craverfé des forêts & des montagnes dans le Palatinat de Minski , ce Prince
s'avança vers le Boriflhene» Ayant rencontré fur fa route un corps de vingt
mille Mofcovites retranchés derrière un marais , il ne balança pas de les
attaquer ; il les enfonça & les mit en dérolite : il fit voir dans ce combat
la plus grande habileté î mais il y courut auHî les plus grands dangen.
Après avoir obligé les Mofoovites de paflèr le Borifthene, il repaffa ce grand
fleuve après çux. Le Czar voyant fon Empire menacé , fit faire des propo*
filions de paix : mais Charles répondit ; Je traiterai avec U C^ar à Mofcou.
Cette fiere réponfe piqua vivement le Czar. Charles y jdit-il , prétend foin
toujours V Alexandre ; mais je me flatte qiûil ne trouvera pas en moi
un Darius,
Cependant le Roi de Suéde continuoit de fuivre le Czar qui fe retiroîc
«n hâte vers Mofcou. Etant entré dans le pays de Smolensko , il rencontra
auprès de la ville de ce nom , un corps de dix mille hommes de cavale-
rie & de fix mille Kalmoucs. Charles fondit fur cette armée : il enfonça
d'abord les Mofcovites ; mais s'étant avancé par des chemins creux où les
Kalmoucs étoient cachés ^ ceux-ci fe jetterent entre le régiment oii le Roi
combattoit ^ & le refle de fon armée. Charles y courut le plus grand péril :
la plupart de ceux qui étoient auprès de lui furent tués ou bleffés. U fût
obligé de combattre à pied , & de faire ufage de toute fa valeur ; fe dé-
fendant comme un lion , il renverfoit ce qui fe préfentoit devant lui, il
tua plus de douze ennemis de fa main. Il commençoit à être épuifé de fih
tîgue y lorfqu'un Colonel Suédois avec fon régiment fe fit jour à travers des
Kalmoucs, & dégagea le Roi ; le refle des Suédois fit main baffe fur les
Tartares , & les mit en fuite. Mais tous ces combats affoibliffoient fon ar«
mée à force de vaincre. Cependant l'hiver approchoit. Le Général Leven-
haup qui devoir lui amener des provifions & quinze mille hommes de ren-
fort»
CHARLES XLÏfl Hoi Je SuHc. 489
forf/nevenoit ^àXni*^ il ne téftoît 9e vivrez que pdiif quinte jours. Dans
ces embarras , Charles crut devoir quitter le chemin de Mofcou , & tourna
▼ers l'Ukraine dans le pays des Cofaques^
Malheur de Charles Xlï.
•.■- '■ : r : Ann.iyo^ ',■■■' > > ;■J•
N a vu jufqu'ici le Roi de Suéde accompagné d'un bonheur confiant
& fuivi de la viaoire : mais c'eft ici le terme de (es profpérités. On va le
voir livré à toute fa mauvaife fortune : ainfî c'eft le tableau de fes mal--
heurs que nous allons expofer. Charles s'enfonce 4ans PUkraine; A mefure
qu'il avance , les obftacles croiflènç : . il s'engage* dans une'^ vafle forêt pleine
de marécages. Après quatre jours de marche on reconnbic Terreur, on fe
remet dans le chemin ; mais une Sonne partie de l'artillerie & de^ cha-
riots reftent embourbés dans les marais* Cnarles attendoit Mazeppa y Chef
des Ukraniensy avec lequel il s'étoit ligué fecrétement, & qui devoit lui
-amener trente mille homhies & des provîfions de bouché. Mais Mazeppa
'avoit été battu par lès Mofcovites : Levenhaup qui étoit en marche pour
joindre le Roi de Suéde, avoir été obligé de foutenir cinq combats contre
-cinquante mille hommes , & n'amena ni munittons ni armées. Dans cette
extrémité, arriva l'hiver de 1709 le plus terrible qu'on eût vu. Charles ac-
coutumé à braver les faifons , voulut contipuer fa marche : deux mille
hommes périrent de. froid à fes yeux. Ses fsintaffîns étoient fansfouUers&
prefque fans habits. Son armée étoit réduite à vingt-quatre mille hommes
dans l'Ukraine ^ & on recommença à fe battre au milieu des glaces»
Bataille de Pultava.
Arm, t^og.
Ur la fin de Mai Charles alla faire lé (iege dePultava, dont le Czar
avoit fait un Magafin. Ses foldats regardoient la prife de cette ville comme
la fin de leurs miferes. Il poufla le Hege avec vigueur ; mais s'étant avancé
{»our reconnoitre quelqu'ouvrage , il fut blefTé d'un coup de carabine qui
ui fracafTa l'os du talon. On l'emporta dans fa tente : on fut obligé de lui
£ûre des incitions à la jambe, qu'il fupporta avec une fermeté fans exem-
ple. Dans le temps qu'il étoit réduit à ce trifte étatj_& inçApi^ble d'agir,
il apprit que le Czar approchoit avec une armée de plus de foixante mille
hommes. Charles fe voyoit dans un pays défert , fans placer de fureté , fant
Jome XI. Qqq
490 C H A R X S 6 XU, Roi dk Skuic.
munitioQs : mais foa : courage ôe Fabandonoa fu. Il ofdppae aa Wék
Maréchal Renchil4 de tout difpofer pour attaquer le Omx le lendemaÎB.
A la pointe du jour Tannée Suédoife marche aux ennemis : elle b^avqh
Gue quatre canons de fer pour toute anillerie. Le Roi de Suéde conduis
ioit la marche , porté .fuf un bi^aUcard à là léte de fon infanterie , te«
nant (on épée d'une main^ & un piftolet de Vautre. Une partie de (a
cavalerie attaque celle des ennemis. L'aâion s'engage : les troupes Sué-
doifes rompent les efcadrons Mofcovites ^ & les etifbncent : la viâoîre
femble fe dédârer |>oar eux. Mais le Czar rallie (a cavalierie y fond (ar
celle du Roi ^ qui n'étant pas fbutenae , eft rompue à fon tour. En mê«
me temps fbixante & douze canons tiroient fur l'armée SuédoKè : une
volée emporta les deux jchevaux du brancard; Charles eft rcnverfié. On
le croit mort. Les Suédois conftemés , s'ébranlent. Le canon conthiuoît
de les écrafer : ils plient; ce n'eft plus qu'une déroute. Le Général^ Fo-
nia^oski fonge à iauver le Roi : il le &it mettre fur im cheval ^ mateié
les douleurs de fa bleflîire : il rallie cinq cents cavaliers , & conduit ton
Prince au milieu des ennemis jùfqu'au bagage. On le met dans une voi«
ture : on prend la roUte du Boriflhene. On embarque le Roi dans un pe-
tit bateau : trois c6nts cavaliers de fa garde haiardent de le pafièr à k
nqge. Pendant ce ttaips les débris de fon armée, momant à dix*hoi^
mille hommes, font laits priibnniers de guerre. Le bagage & la caifib
mUitaire font pris. Cependant Charles fiiyoit dans une petite calèche,
fuivi du refte de (a troupe , les uns à pied, les autres à cheval, à tra-
vers un défert où on ne voyoit ni hommes ni animaux. Après cinq joun
de marche , il arriva & la petite ville d'Oczakou , frontière de l'empire
des Turcs. Il fit fâvoir fon arrivée au Commandant de Bender , qui eft
à trente lieues au-deli. Celui-ci envoya ordre de rendre au Roi de Suéde
tous les honneurs dus à un Monarque ami de la Porte. Il lui envoya un
Aga pour le complimenter & lui offi-ir toutes les provifions néceffiûrcs
pour le conduire jufqu'à Bender : ce qui fîit exécuté.
D
Séjour dt Châties XII à Btndtn
'ES cjue le Roi de Suéde fut fur les terres de l'Empereur des Tdrcs,"
il lui écrivit pour lui demander un afyle, & les moyens de retourner ea
Pologne. Achmet III laifTa long-temps Charles fans réponfe : il lui écrivit
enfin, & lui dît que la prop^tion qu'il lui avoit &ite, demaodoit oa
mûr examen,^ & qu'il s'en rapporteroit î la prudence du Divan; mais ea
même- temps il ajouta que le Pacha ou Seraskier de Bender, avoit ordie
de lui fournir cinq cents dollars {d) par jour , pour pouvoir fubfifler ea
■ ' • • I i I I H , , I .!■,,■
W C*€ft-à*dîr^ «aviron ciaq ccfits écai^
C H A R L E S XII f HùÎ HtSimfe. 491
Roi. Chtff ei (e voyant retiré fur les terres des Turcs » avoh conçu le def*
fein d'armer PEmpire Ottoman contre fes ennemis. Il (è flattoit déjà de
fe voir à la tête d'une armée de Turcs, ramenant la Pologne fous le joug^
& foumqttant la Môfcovie. Beaucoup de Suédpis & de Polonois échappés
4e la bataille dePuluva, vinrent Je joindre par diffëreps chemins, & grof-
firent fa. fuite. <^uand il fut à Bender, elle fe trouva de 1800 hommes.
Tout ce monde étoit logé & nourri aux dépens du Grand-S»eigneur. Char*
les fit bâtir une mai(bn hors de Bender ^ ne voulant pas demeurer dans
U ville : fes Officiers en firent autant : fes Ibldats dreflerent des baraques »
de forte ouè ce camp devint une petite ville. X>é$ que ce Pripçe fut guéri
de^ fit blefliire ^ & qu'il fût monter à cheval , il reprit fes fougues ordi«
«aires, (e levant avant le fpleil ; & lafTant trois chevaux par jour. Apré«
quM eut concerté le plan de ks delfeios, il fit partir pour Confiantinople .
un de Çts Officiers , en qualité d'Envoyé extraordinaire. Le Comte Fonia-
foski , homme aufii habile qu'intrépide , & né avec le don de perfijader ,
accompagna Pamba(&de; mais fans csMraâere , pour ppu voir fonder le»
difpofitiona du Minifirp de Conftantinople# Il g^gna en peu de temps la
bienveillance du Grand- Vifir, U . eut l'adreife de taire tenir une lettre du
Roi fon Maître, à la Sultane Validé ^ mère de l'Enipereur. Cette Frinceffe
i qui on racontoit les exploits du Roi de Suéde , prévenue d'une fecrete
inclination pour ce Prince , prenoit hautement fon parti dans le (errail %
elle ne l'appelloit que fon lion. Quand vaulei^vous , difoit-elle au Sultan
(on fils, aider mon lipn à dévorer ce C^ar? Le Grand- Vifir Chourlou-y**
Ali-rPacha paroiflbit aufli emprelTé à fervir le Roi de Spede« & difoit
2u'Û le conduirait à Mofcow , à la tête de deux cents mille hommes. En^
n le parti de ce Prince étoit très-puiflant à Confiantinople. Charles fe
trouvoit alors dans l'abondance de toute* choies. Outre la forte fomme
qu'il recev
marchands
ménager des intrigues dans' le ierrail , & il répi ^
ficiers. Cette générofité fans bornes le réduifit fouyent à n'avoir pas de
quoi donner.
Dans ce loifir de Bender , il prît infen(îblement du goût pour la leâure
de toutes les Tragédies Françoifes : Mithridate étoit celle oui lui pf-^-^
davanugei P^ee que la fituation de ce Roi vaincu ^ & refphrant la
geancoj étoit conforme à la fienne.
Pendant ce temps-là leXzar répandoit Pargeiit \ pleines mains, & ga*
gnoit les Miniftres de la Porte. U vint à bout de mettre dans fes intérêts
U Grand*Vifir lui-même. Chourlou avoir été dépofé , & Comourgî mis, à
& place. Celui-ci ne vouloit point entendre parler de la guerre contre les
Mofcovites, qu'il traitoit d'injufie. 11 fit tenir à Charles huit cents bour^
fe$ ( une bourie vaut cinq cents écus ) , & lui confeilla de s'en retour*
Mt paifiblement dans îès £uts par les teirçs de l'Empereur, ou par des
ven-
491. C H À *'it E Si ^XII, Jloi de Suedt.
vaîfleatix François. Charles refufa avec hauteur ces deux voies , & fie dire
act VUir qu^il s^en cenoît à la promefle du Grand-^Seigneur , & qu^il efpé«
roit rentrer en Pologne avec une armée de Turcs.
Tandis qiie Charles écoit réduit à dépendre des caprices des Vifirs, fes
ennemis actaquoient fes Etats. Lé Roi Augufte après avoir proteilé contre
fon abdication , écoit retourné à Varfovie. Le Roi de Danémarc * fe rendit
maître des Duchés de' Holfteio & <le Brème. Le Czar prit tonte la Care«
lie , & mit le fiege devant Riga. D'un autre côté Baltagi Mehemet , nou-
veau Yifir, craignant les intrigues & les plaintes du Roi de Suéde à la
Forte, lui envoya trois Pachas pour lui ngnifier qu'il falloir quitter letf
terres de PEmpire Turc. Charles fît expliquer fon refus par ion Chance-»
lier Mullem. le Grand*- Vifir ne fe rebuta pas; il fit menacer ce Prince
de Pindignation du Sultan, Vil ne fe décerminoit pas fans délaii ;Charle9
perfifta à demander cent mille hommes pour retoarner en Pologde. Le
Vifir lui retrancha les cinq bourfes & les prpvifibns^ Charles fut obligé
d'emprunter à un très* haut intérêt; mais on lui rendit peu de temps ap^»
les libéralités^ ordîdaire^. Il dît au Bâcha de Bender, qu'il ne f pouvoir par«^
tir fans avoir auparavant de quoi payer fes dettèsir Le Pachâ lui demanda'
ce qu'il vôulok. Ce Prince répondit au hafard mille bourfes, qoi font
quinze cents mille francs^ Le Pacha en écrivit à; la Force* : Le Sultan en
accorda douze cents. Cependant quoique Charles eût* reçu encore cette forte
fbmme, il ne pouvoit digérer de fe voir, pour ainfi dire, chaflë des ter*
res du Grand-Seignèur , & réfolut de ne pomt partir. Il allégua que le Pa*
cha vouloir le livrer à fes ennemis. Le Sultan indigné, fie déclarer par le
Divan , qu'il agiroit avec juflice s'il employoit la force pour faire partir
le Roi de Suéde. L'ordre lui fut porté par le Grand-fMakre des Ecuries.
Charles, tranfpbrté dé colère^ lui ordonna de fe retirer. Aufli-tôt on lut
èta fa garde des Janiffaires, Se il fe vit réduit aux Oâîciers de faMai*
fon , & à trois cents Suédois.
Charles Xirfouticnt un Jîtgc èans fa maîfon contre une armée de Turci
• ' • ♦ r- , . , .
A/tn» i^iy, . , -
Vi
Ingt mille Turcs inveftiffent en un moment fon petit camp. Charles
fans s'étonner fait faire , des retranchemens réguliers par fes trois cents Su^
dois : il fe barricade dans la maifoh. Les Turcs fe préparent pour l'aflauc
L'ordre du Grand-Seîgneur j)ortoit de pàiffe? au fildc^répée tous lés Sué^
dois, & de tie pas même épargner la vie du Roi. Les Ofiiciers de Char-
les & fes Chapelains fe Jettent à fes |)iéd$ pour tâcher, de vaincre fon
opiniâtreté : il idemem^- inflexible^ il aimciit mteuk :môur|r de la main
des Turcs, que d'être en quelque fOrte leur prifbnmer: Il pl,icç chacun
à foh pofte. L'armée des Turcs parok ; à^x pièces de^ canon CDznmeqceoi
* i ^
C ir A; R CE s XIÎ, li0t de Sùeie, 4$|
• • ■ ■ ■ *
à tirer. les petits retranchemens quMl avoit (airs font forces dans- un inP
tant : les trois cents foldats font enveloppés & faits prifonniers. Charles
qui' éfoit alors entre fa maifon & fbn camp, accourt pour la défendre {
deux cents Turcs y étoîebt déjà entrés par une fenêtre. A peine y ,e(l-il etf^
tré avec fa petite tfotipe , que les JanîÂaîres tombent fur lui de touis eârésu
It Uelfe , il tue tous ceux qui rapprochent. Le Fâcha qui voulait preîldr^
le Roi en vie , honteux de perdre du monde contre foixante perfonn'és|^'
fait lancer des feux fur la maifon pour obliger Charles à en fonir : la niai*^
fon eft bientèt embrafée. Tout d'un coup on voit le Roi ouvrir les por^^
te5, & fondre fur les Turcs avec fon monde ; mais fa petite troupe ed
aiifli*tôt erivironnée. Charles s'embarrafle dans fes éperons, & tomj^e :
vingt Janii&ires fe' jettent fur lui , le défarment, & le portetit^au qdahiér
du Pacha en criant alla avec une indignation mêlée de refpeâL ' '* '
. Charles fut reconduit à Bender : fes Suédois ëtbient ou tués , ou prîs \ kk
meubles pillés. Le lendemain on le transféra à Démotica , petite ville à
iix lieues d'Ândrinople. La Porte lui alfîgna des provifions pour lui & fa
fiiite, mais la bourie de cina cents écus par jour fut retranchée. Ce Prince
étant arrivé à pemotica , (e mit au lit , & réfblut de n^en point fortii'
tant qu'il feroic en ce lieu : il feignoit d^être malade, de peur -que Ie$
Turcs ne lui manquaflent de refpeâ en le forçant de commettre fa dij^ni4
té. Comme il étoit extrême en tout , il refla dix mois couché , fe repaiP
faut de Pefpérance de ce fecours des Turcs, fur lequel il ne devoir plus
compter. Pendant qu'il paffoit ainfi fa vie , il apprit la défolation de tour
tes les provinces fitu'ées hors de la Suéde. . ^
Charles XII quitte la Turquie y & retourne dans fes Etats. ^
., ' . . ' i t
jnLPï^^S avoir été onze mois à Démotica ^ il comprit qu'il n'avoît plus
rien ii opérer de la Porte, & ne compta plus que fur lui feul pour défendra'
fes Etats attaqués. Il fit (lénifier au Grand- Vifir qu'il fbuhaitoit de partir.'
On te {M'ia de marquer le |our de fon départ. Il le fixa au premier Oâobre^
& déclara qu'il vouloir s'en retourner par l'Allemagne. Le Grand- Seigneur*
lut envoya de magnifiques préfens, & voulut qu'une efcorté de Turcs^
l'accompagn&t jufqu'aux'frontieres de la Turquie : foixante chariots chargés'
de provifions ,& trois cents chevaux fbrmoient le convoh Charles étant
arrivé for les frontières de la Tranfilvanie/ congédia Tefcorte Turque ^|
iflèmbla fk fuire , ieur àvc de^ ne. point fe mettre en beine de fa^perfbhnè .
& de fe trouver le plutôt qu'ils' pourroient Si Stralfund eh Ppmérante. It
prit feulement un jeûne homni& nommé During qu^ avoir fèlt Colohéf;
pouir courir la pofle avec'Iui, & fe déguifa en Officier Alleitiand. Après
ieize Jour^ de courfeV ils arrivent à Stralfund : la fiouvelle s'en irepaod , ^&
04 C H A RLE S^XH't Roi de Sutdi.
remplit cette ville d^un joie inexprimable. Ce Prince après avoir pris qud«
Zue repos , alla &ire la revue de fes troupes ^ & vificer les ferttficadoDs»
ette place écoit alors menacée : en même-tems il envoya par-tout des
ordres pour recommencer la guerre contre fes ennemis. Stralfund fiit en
effet amégé par les Rois de Danemarc & de Prufle au mob d'Oélobre : le
fiége fut pouffô avec la plus grande opiniâtreté. Charles XII y fit la plus
belle défenfe qu'on devoir attendre de lui. Dès le commencement du uége
il eut deffeinde fe rendre maître de l'ifle de Rugen dans la mer Baltioue^
& qui eA vis-à-vis de Stralfund. Cette iile étoit daine conféqueoce extrême
pour Charles ; mais le malheureux état de fes affaires ne lui avoit pas.
permis de mettre dans Rugen une garnifon fufifante. Ainfi dans le temt
2u'il étoit occupé de ce projet ^ les Danois, au nombre de douze mille
ommes, y firent une defcente. A cette nouvelle, Charles part de noit^
aborde à cette ifle , joint les deux mille Suédois qui y éloient en garnifon.
Il marche à deux heures du matin aux ennemis \ il eft arrêté par des che-
vaux de frife, on les arrache : il trouve un large fbflë, il s'y jette , &
entreprend d^attaquer les ennemis qui étoient de l'autre côté. L'aétion fût
(èmblable à un alfaut : mais le nombre des Suédois étcnt trop inégaL Ils
furent repoufles après un quart d'heure de combat , & repaflërent le feflé.
pelà le Roi s'alla renfermer dans Stralfund : il s'occupoit pendant le jour
à Êdre des retranchemens ^ ,& la nuit des forties fur l'ennemi. Mab lès
efforts furent inutiles. Les ennemis bombardèrent la ville, & réduifirent
^n cendres une bonne partie des maifons. Charles foutint un afiàut pour
la défèniè de Touvrage à corne : . il chaffa deux fois les ennemis ; mais le
nombre prévalut, & ceux-ci demeurèrent les maîtres. Enfin follicité par
fes Officiers qui le conjurèrent de ne plus refter dans une place qu'on ne
pouvoit plus défendre , il s'embarqua oc fe rendit à Carelfcroon , non fans
avoir rifqué de périr, car les ennemis firent tirer le canon fur (on vaif«
feau , & deux hommes furent tués à côté de lui. Il étoit alors affez pfès
de fa capitale , mais il ne voulut point y aller : fon d^ffein étoit de n^
lientrer qu'après des viâoires. Il paffà ainfi l'hiver à Carelfcroon , & s'oc-
cupa à ordonner de nouvelles levées d'hommes dans fon Royaume.
Dés le mois de Mars fuivant , Charles palla en Norvège avec râigt
itiille hommes , dans le deffein d'en faire la coqquête : il étoit accom*
pagné du Prince de Heffe. Onze mille Danois divifés en petits corps,
gàrdoient cette Province : ils furent attaqués les uns après les autres, &
paflës au fil de répée, Charles s'avança jufqu'à Chriftiania : mais comme
il ne prenait jamais affez de précautions pour fidre fubfîfler fes troupes,
I^s vivres Jui manquèrent; il te vit obligé, de retourner en Suéde. liil
4uendit TilTue des vafles entreprifes du Baron de Goerts , qui étoit alors
fon Favori & fon premier Minîflre. C'étoit l'homme le plus hardi dans (es
projets , & qui avoir le plus de reffources dans les difgnces : rien ne l'e^
firayoit ^ il eût été capablfs d'ébranler l'Europe. Nous n^tùUtxou point dans
C H A R I £ s X II / JZ^i £/^ Sacdi. ^^^
le détail des moyens qu'il «voit imtgîoés pourfaire réuKGr ta révolutioti quM
fe propolbit. Le point eflentiel de fon fyfiême étoit que le Roi de Suedb
Revoit bxx» fa^paix avec le Czar à quelque prix que ce fôt : il prétendoic
que fi ces deux Princes étoient une rois réunis , ils pourrcnent faire trembler *
toute l'Europe. Charles flatté de ces grandes idées donna carte blanche S
.ton Miniftre^ & jcelûi^d illa fecrétement £n France , .& de-là en Hollande »
pour £iire jouer les reflbrts du delTein qu'il projettoit ; il eut même à la
ilaye un entretien a^vec le Czar en 1717.
Charles ennuyé de la longueur des négociations du Baron de Goerrs , partît
une féconde fois pour la conquête de la Norvège au mois d'Oâobre 1718 ;
^ malgré le froid rigoureux qui régnoit alors , il voulut Êiire le fiége de
Frideriks-Hal près de la Manche de Danemarc , place importante & re«
gardée comme la clef du Royaume. Le 11 Décembre^ étant allé pendant
i nuit vifîter la tranchée, pendant que le canon des ennemis tiroic; il
s'avança fur le talus intérieur du parapet , & s'arrêta à confidérer les tra«
vailleurs , fans penfer que dans cette fituation il avoit le corps expofë au
feu des ennemis ; mais c'étoit une fuite de cet excès de courage qui lui
iâifoit braver tous les dangers , & dont ce Prince téméraire porta enfin la
peine ; car dans le même moment il fut atteint d'un coup de coulevrine
oui le renverfa fur le parapet. On Pentendit Ëiire un grand foupir : oa
s'approcha , il étoit déjà moru Une balle pefant demi-livre l'avoit atteint
à la tempe droite. On emporta Ton corps enveloppé dans un manteau, 4c
on le paffa à travers les troupes , qui ignoroient que ce f&t leur Roi. Dès
le lendemain on leva le fiége, & on reprit le chemin de la Suéde.
» Ainfi périt à l'âge de trente-fix ans & demi le Roi Charles Xlt^
% après avoir éprouvé ce que la profpérité a de plus grand, & ce que
9 Tadverfité a de plus cruel , fans avoir été amolli par l'une , ni ébranlé
s> un moment par l'autre. 11 porta toutes les vertus des Héros à un excès
» où elles deviennent des dérauts, où elles font aufii dangereufes que les
9> vices oppofés. ' Sa fermeté , devenue opiniâtreté , fit Çts malheurs dans
'P guern
» de la
9 années, dans le temps que fon pays étoit ^puifé d'argent, à caufe des
rerres continuelles , & qu'il lui en &lioit encore , (on autorité approcha
I la tyrannie. Ses grandes qualités, qui auraient pu immortaliler un
31 autre Prince , firent le malheur de fes lujets. Sa pamon pour la gloire ,
i> pour la guerre, pour la vengeance, l'empêchèrent d'être bon politique^
» qualité fans laquelle on n'a )amais vu de grand Prince. Il a été le pre-
» mier qui eût Pambition d'être Conquérant , fans avoir l'envie d'agrandir
j% fes Etats : il vouloit gagner des Empires pour les donner. Avant la ba-
31 taille il avoit une extrême confiance : après la viâoire il n'avoit que de
9 la modeftie ) après la défiiite que de la fermeté : dur pour les autres
496 CHAB.IJ A S SE. (Hercule Baron ae) CHAROLOIS.
9^ comme pour lui-même , comptant pour rien la pdne & la vie de ftt
» fujets : homme unique plutôt que grand homme, & admirable plutôt
s» qu'à imiter. Sa vie doit apprendre aux Rois combien un gouvememeot
» pacifique efl au-deflus de tant de gloire. «
CHARNâSSÉ,( Hercule Baron de ) Ambaffadeur de France en Suéde
fous le règne de Gujîave Adolphe.
H
ERCULE, Baron de ChamafTé , étoit fort eftimé du Cardinal de
Richelieu : ce qui doit d^àbord donner une opinion très-avantageufe de cet
. AmbaflTadeun Mais il n'a voit pas befoin de ce jpréjugé. Les négociations
qu'il a faites avec Guilave- Adolphe, Roi de Suéde, qui produifirent le
traité de Benralde, le 23 Janvier 1531 , & qui firent un fi grand effet en
Allemagne , en font des preuves bien convaincantes , quand il n'y eh auroit
point d'autres. C'eft lui qui fit pafièr les armes de Suéde dans l'Empire ,
& qui jetta les premiers fi>ndemens de l'alliance , qui a été fi utile & fi
glorieufe aux deux couronnes , & qui l'eft encore à celle de Suéde. Il con-
tinua de négocier avec le même Roi & avec le Chancelier Oxenfiirn,
jufqu'aprés la bataille de Lutzen, qui le fit retirer en France. Il avoir auffi
ilégôcié avec l'Eleâeur de Bavière à Munich , mais avec peu de fiiccés, à
caufe de la mauvaife humeur de St. Etienne, parent du Fere Jofeph,
qui étant jaloux de voir en cette Cour-là un plus habile homme que lui ,
ftrat^rfoit routes (es négociations au grand préjudice des affaires du Roi
tefir niaitre. Ce fut Charnaffé , qui figna le 15 d'Avril 1634 le traité de la
^Hâye, après lequel on jugea à propos de faire celui du 8 Janvier de
l'année fuivante , où il intervint comme un des Commiffairés du Roi. Par
le traité de 1634 le Roi promit de faire lever & d'entretenir au (ervice des
Etats un régiment d'infanterie & une compagnie de cavalerie , dont le
^commandement fut donné à Charnaffé, qui unilTant la profeffion de Colonel
iavec la: fonâion d'Ambaffadeur, voulut fe trouver au fiege de Breda où
il fiit tué dans la tranchée.
CHAROLOIS, Comté dépendant du Duché de Bourgogne.
JLiE Charoloîs n'étoît d'abord qu'une fîmple CMàtellenie dépendante du
Xlomté de Chalon. Ce Comté ayant été réuni au Duché-de Bourgogne par
Hugues IV, ce Prince, à fa mort, donna le Charolois à Béarrix fa petite
fille , époufe de Robert de France , tige de la Maifon de Bourbon.
Une
CHARONDAS.
497
Une autre Bëarrix, leur petite- fille , en faveur de laquelle le Charolois
fut érigé en Comté , ëpoufa Jean Comte d'Armagnac , dont les defcendans
vendirent le Charolois, vers l'an rjgo, à Philippe, premier Duc de Bour-
gogne de la féconde branche Royale. Il fit depuis ce temps le titre des
héritiers préfomptifs des Ducs de cette Maifon.
A la mort du dernier Duc , Charles-le-Guerrîer , Louis XI s'en empara
comme du refle de la Bourgogne.
Charles VIII ^ par le traité de Sentis de 1493 , le céda à Philippe, Ar-
chiduc d'Autriche, fous la condition de la foi & hommage : il paflà enfuite
à Charles-Quint fon fils, & à fes SuccefTeurs les Rois d'Efpagne.
Louis de Bourbon, Prince de Condé, à qui Philippe IV, Roi d'Efpagne,
iievoit de grandes fommes , fitfaifir le Comté de Charolois & s'en fit
adjuger la pofTeffîon, qui n'a point été reclamée par les traités qui ont fuivi.
Le Roi s'en eft réfervé le haut domaine.
Du refle ce pays n'a pas plus de, neuf lieues de longueur fur fept de
largeur : il efl parfemé de collines & d'étangs ; & d'ailleurs très-fertile en
froment , feigle , vins , pâturages Se bois. Il forme un Bailliage principal
de 84 Faroiffes.
c
CHARONDAS, un des Lcgljlatcurs de la Grèce.
HARONDASi difciple de Pythagore, eut cette auftérité de mœurs
qui caraâérifbit tous les élevés de ce Philofophe rigide , & qui eft plus
propre!à décréditer la vertu qu'à lui acquérir des parcifans. Charondas fe
joignit à cette colonie de Theflaliens , qui bâtit la Ville de Thurium ,
près de l'ancienne Sybaris, dans la grande Grèce. Ces émigrans, fortifiés
de l'alliance des Crotoniates, prirent de rapides accroiiTemens. Comme
leur République naiffante étoit compofée de difFérens peuples , ils fe parta-
gèrent en dix tribus , dont chacune prit un nom qui lui rappelloit fon ori-
gine. Leur gouvernement fut populaire , comme il convenoit à une fociété
fermée d'hommes qui avoient tous également confpiré à en jetrer les fon-
demens. Mais il fàlloit des loix pour aflurer la durée de leur conflicution ;
tous jetterent les yeux fur Charondas , dont le maintien grave & les mœurs
feveres annonçoient qu'il étoit dégagé de la fervitude des fens : fes infti*
Mutions fe reffentoient de l'auftérité de fon caraâere ; plufieurs avoient le
fceau de la fagefle, plufieurs fembibient avoir été diâées par l'hunieur.
Tout citoyen qui, ayant des en&ns, contraâx>it un fécond mariage, étoit
exclu des emplois publics: Le Légiflateur fuppofa que celui qui ne veilloit
point aux intérêts de fes propres ' enfans , feroit indifférent aux profpérités
de la patrie , & qu'un mauvais père ne pouvoir être un bon. Magiflrat ;
politique trop rafnnée , puifque l'expérience dépofe que des hommes né-
Tome A7. Rrr
4^ C H A R O N D A S.
gligent lears propres affaires pcwr ne sWcuper que des intérêts publics.
Les caloQsniateurs , dont les peuples civilifës ne puniflent' point afTez ri-
goureufement U malignité, méritèrent l'attention du nouveau Légiftateur,
qui les condamna à être traînés ignominieufement dans les places publiques
pour y être expofés aux outrages de U multitude. Quiconque étoit con-
vaincu d'avoir été l'ami d'un criminel , étoit puni comme Ton complice.
La loi fuppofoit que c'eft la conformité des penchans qui lie les hommes,
& que chacun prend Tempreinte de tout ce qui l'environne ; c'étoit trop
prévoir. On fait que le coupable féduit fouvent en empruntant le mafque
des vertus ; s'il fe montroit dans toute fa difformité , il parokroit trop re-
butant. La plus fage de fes inftitutions intéreffoit les orphelins : il voulut
que leur éducation fût confiée aux parens maternels , parce que n'ayant au-
cune prétention à leur héritage, ils feroient plus attentifs à fa coniervatioo
de leurs jours. L'adminiflration de leurs biens fot confiée aux parens pa-
ternels, qui, par le titre d'héritiers , étoient intéreffés à. ne pas les dété-
riorer, n eut afièz d'humanité pour ne pas décerner peine de mort contre
le lâche & le déferteur , qui tous deux agiifent par le même [principe de
foibleffe^ il abandonna cette légiflation féroce aux peuples ^ qui ie piauoieot
d'être humains & policés ; mais ne voulant pas que les déferteurs reftaflèot
impunis » il ordonna de les expofer dans les places publiques vêms d'habia
de femmes, putiition cruelle pour ceux qui avoient un reftede fentiment,
& qui avoit l'avantage de conierver des citoyens qui pouvoient encore être
utiles. C'étoit leur ménager la reffource d'effacer leur honte , au-lieu que la
peine de mort eft un attentat contre l'humanité & contre la patrie qu'oa
mutile. Charondas établit des écoles publiques où la jeunefïe étoit infl^te
dans les Sciences & les Arts« 11 étoit perfuadé que l'efprit fans lumieie
entrainoit le cœur dans fes égaremens, & qi^on eft fans celTe expofés à
trahir fes devoirs quand on ignore combien ils font facrés. Les fbnâioDS
des maîtres furent eimoblies par la défenfe d'exiger aucim falaire de leurs
difciples. Ce fut le tréfor de l'Etat qui (ut chargé d'acquitter la reconnoif-
fance publique. On fentit que des mercenaires n'étoientpas &its pour élever
le fentiment. L'amour de Charondas pour fes infUtutions loi fît prendre une
précaution cruelle qui en affiiroit la perpétuité. Il crut prévenir toute révo-
lution en flatuant que celui qi|i voudroit introduire quelque changement,
ccmiparoitroic dans l'affemblée publique la corde au cou pour être étranelé i
en cas que la réforme qu'il propofoit fï^t regardée comme inutile ou dan-
gereufe.
Charondas, pendant toute fa vie, fôt refpeâé du peuple » qui contemple
une intelligence divine dans celui qui le châtie , & qui ne voit qu'un homme
U fè rend i l'aiTemblée fans dépoicr fes armes \ ce qui étoic une infraâioo
CHARPENTERIE, CHARPENTIEIL 4^
à là loi. Un particulier lut reproche de violer une loi qu'il impofôit aux
autres. Point du tout , répond le. Légiflateur , je vais en fceller la fainteté
de mon propre fang, & auifitôt il tire Ton epée & fe la plonge dam
te fein.
c
CHARPENTERIE, f.f.
CHARPENTIER, f. m.
E n'eft que depuis 1303, que les métiers, auparavant fubordonnës au
maître général de Charpenterie , fe font rangés en corps ou communautés ,
& que les Prévôts de Paris leur ont donné des fiatuts léparément : ceux des
maîtres Charpentiers (ont de Robert d'Ëftouteville , arrêtés le 1 3 Novem-*
bre 1 447 , confirmés par les Rois Louis XI , Henri II & Charles IX,
Les maîtres Charpentiers ayant reconnu depuis que ces fiatuts n'étoient
point aiTez décifiB dans toutes les fbnâions de leur Art, parce que les
termes en étoient ambigus , maj*aifës à entendre & difficiles dans la prati-
que ; que l'obfcurité répandue dans ces ordonnances fervoit de prétexte à
piufieurs d'entr'eux pour en éluder le vrai fens ; même aux étrangers pour
entreprendre fur la profë(fion; ces ftatuts furent corrigés , augmentés &
enfiiite confirmés par Louis XIV , fuivant les lettres-patentes du 1 1 Août
1649; On ne peut trouver ailleurs une connoiflance plus circonflanciée de
Pétat & de la difcipline de la communauté des maîtres Charpentiers. Elle
cft compofée d'un Doyen» d'un Syndic, des Jurés & des Maîtres : nous
donnons ci-deflbus les articles du Doyen , du Syndic ; nous nous bor«
Dons ici à ce qui regarde les maîtres & les afpirans.
Les afpirans à la maîtrife font tenus de travailler Pefpace de fix mois
avant qu'ils y puiffent être admis ; favoir , trois mois chez l'un des Jurés
& trois mois chez l'un des anciens maîtres Charpentiers. Celui des maîtres
fous lequel l'afpirant aura travaillé pendant trois mois avertira , immédiate*
ment après , le Juré en la maifon duquel l'afpirant aura travaillé les trois
premiers mois, des ouvrages qu'il aura &its & de la conduite qu'il aura
tenue , afin que le Juré en fafle fon rapport à la compagnie des Jurés dans
la maifon du Doyen. Dès que les afpirans auront été préfentés à la com-
pagnie , il leur fera ordonné de faire un trait géométrique , que le Doyen
& les Jurés , après l'avoir vu faire , recevront , figneront & parapheront
tous, pour éviter les fraudes ; & qui fera confervé par le Syndic , pour
être repréfenté en cas de befoio.
L'afpirant demandera enfuite par la bouche du Juré fon conduâeur à
£iire un chef-d'œuvre , fur quoi les Jurés délibéreront à la pluralité des voix
en préfence du Doyen. Le chef-d'œuvre fe fera chez un des Jurés nonuné
Rrr 2
çoo tHARPENTERIE, CHARPENTIER.
fucceffîvement (elon l'ordre de fa réception , ' afin qu'aucun ne foît privf
de cet honneur. Nul ne peut fe préfenter pour demander chef-d'œuvre , qu'il
n'ait &it apprentiflage pendant ùx années entières chez un des. Jurés ou
maîtres dp l'Art, dont il tirera certificat en bonne forme , a\rec fon brevet
paffé pardevant Notaires du châtelet. Les pourvus par le Roi , qui pré-
tendront à la maîtrife , feront aufli les expériences & chef-d'œuvre. Les fils
de maîtres n'en feront pas exempts.
Chaque maître n'aura qu'un apprentif ; les trois premières années de
l'àpprentiffage étant révolues , le maître pourra en prendre un fécond. Cepen-
dant les maîtres pourront avoir avec leurs apprentifs, leurs enfans, ceux de
leurs femmes & leurs neveux. Les compagnons ne peuvent faire aucune
enrreprife ou aAion de Juré ou maître de l'Art, ni avoir fous eux des
apprentis ; il eft défendu aux maîtres d'affocier avec eux les compagnons
dans leurs entreprifes. Les bourgeois peuvent fe fervir des compagnons , h
la charge de leur fournir du bois. Les compagnons Charpentiers étoieot
autrefois dans l'habitude d'emporter les coupeaux provenans des bois qu'ils
avoient travaillés dans les chantiers des maîtres ou dans les maifons des
bourgeois ; cette tolérance qui ne devoir tout au plus avoir lieu que dans
les bouts de bois de nulle valeur, vint par degrés jufqu'à la déprédation i
& enfin dégénéra en abus exceflifs. En conféqqence, par jugement de police,
rendu le 14 Juin 1630, confirmé par arrêt du 30 Août 1631 , détenfes ï
tous compagnons Charpentiers, d'emporter, en quelque façon que ce foit,
des chantiers des maîtres Charpentiers , même des logis des bourgeois qui
feroient travailler en leurs maifons, les coupeaux , bouts de bois & billots,
à peine de punition corporelle; item, par jugement du i Août 1698, dé^
fenfes à toutes pérfonnes, de quelque qualité ou condition qu*elles foient,
d'acheter des conipagnons Charpentiers ou autres de leur part , aucuns cou*
peaux , bouts de bois ou billots qu'ils pourroient expoier en vente, ni
même de les recevoir & retirer dans leurs maifons , à peine de 30 livret
d'amende contre chacun des contrevenans.
Pour éviter les fraudes & malfaçons , il eft défendu aux maîtres d'entre-
prendre des batimens pour les rendre la clef à la main. Les maîtres peuvent
être contraints par prifts de corps d'exécuter les marchés qu'ils ont fiiits pour
des ouvrages de leur métier. Permiûion aux propriétaires de faire achever
les ouvrages dont on eft convenu, aux dépens de ceux qui ont abandonné
l'entreprile. Il eft défendu aux Charpentiers d'entreprendre aucuns ouvrages
concernant la maçonnerie ou autre profeffion. Défenfes aux maîtres & à
leurs compagnons de travailler les Dimanches & les Fêtes, à peine de 100 liv.
d'amende , adjugée pour fubvenir aux frais de la compagnie. Pour entre-
tenir Jes anciennes obfervances des chofes facrées, le Roi entend que les
maîtres obfervent religieufement entr'eux, ce qu'ils ont toujours obfervé
en l'adminiftration de leur confrairie.
Afin que les étrangers , par leur établiflèment , ne puifTent profiter du gain
CHARPENTERÏE,. CHARPENTIIRi i^%
duenienc vérifiée où befoin fera. Il eft permis aux maîtres Charpentiers
qui n'auront* pas fait leur provifîon fuilifante dans les forêts à la campagne ,
d'acheter toute forte de bois, auffi-tôt qu'ils feront arrivés & déchargés
fur les ports, même dans lès trois jours réfervés par les ordonnances.
Après l'apprentiffage fait & le chef-d'œuvre accepté, l'afpirant prête le
ferment devant le Procureur du Roi au chàtelet , qui lui &it expédier fesr
lettres de maitrife. Il faut préalablement payer les droits du Roi , ceux des
Jurés; & mettre entre les mains du Syndic lo livres pour les affaires de
la compagnie, & lo livres pour la confirairie. Douze anciens maîtres doi-^
▼ent afliifter aux réceptions des afpirans, ainfi qu'il s'eft toujours pratiqué.
Ceux qui ont été repris de juftice ou atteints de quelque crime , ne peuvent
pas être admis à la maitrife.
Maître général de CAarpcnterU , ou Doyen des Maîtres Charpentiers.
\^'EST celui qui a jurifdîâion fiir tout ce qui concerne la Charpen-»
terie , & qui eft chargé d'ep faire obferver les réglemens.
D'anciennes ordonnances, qu'on rapporte au temps de St. Louis, prouvent
que le Roi avoir donné l'office de Maître Génénd de la Charpenterie à
foh Maître Charpentier , nommé Foulques Dutemplo. On y voit que les
Charpentiers , huchiers , tonneliers , charrons , couvreurs de maifons & tous
ouvriers qui travailloient du tranchant & en merrain étoient fournis à fa ju<-
nfdi6tion. Il établiffoit la difcipline fur plufieurs métiers , recevoit les fer*
mens des maîtres , ju^eoit fur des rapports, puniflbit les abus par con'«
damnation d'amende, jouilfoit des gages & des droits honorifiques. Rien
ne caraâérife mieux un Officier public. En 1303 le Roi par arrêt de fon
Parlement ôta cette petite juilice à fon maître Charpentier & la rendit
aux Officiers, du Chàtelet. Ce n'eft aufli que depuis 1303, que les métiers
auparavant fubordonnés au maître* général de Charpenterie le font rangés
en corps ou Communautés , & que Tes Prévôts de Paris leur ont donné des
flatuts féparément. Ceux des maîtres Charpentiers furent corrigés , augmen*
tés & enfuite confirmés par Louis XIV, fuivant les lettres-patentes du
XI Août 1649.
Par l'ordonnance de 1^49, le Roi entend que le plus ancien reçu eo
l'une des charges des maîtres Charpentiers foit réputé Doyen de toute la
Compagnie, pourvu qu'il n'ait été atteint d'aucun crime; il rient le pre*
mier rang en toutes aflemblées, foit pour la révifion des lettres de pro-»
vifion, foit par l'examen des Récipiendaires, foit pour toute autre occa^
fion. Il donae le premier fon avis fur \t% propofitioos que le Syndic Êiit
5<«| CHAlïHNTERrE,. J î VlARPENTlElt
des flffiûres lUtilSintes. Les ftimits & réglemens qui concernent la Cli«rpen«
terie fok pour* les vifitet des bitimens, foie pour les rapports, foit pour
Téledion d'un Syndic , ou la réception des Jurés , ou Tacceptatton du chef-
d'cnivre des afpirans , èfc. font contenus en détail dans Tordonnance de 1 647.
Le Doyen doit en avoir une parfaite connoif&nce & tenir la main à leur
exécution.
Pour fureté de Texécutton des délibérations de la compagnie , elles doi-
vent être écrites en un regiftre relié , expreflément deftiné à cet efiët par
le Doyen ou en cas d'indifpofition & autre empêchement légitime ^ par le
Syndic , qui en demeurera dépofitaire pendant les deux années de fa
geftton.
Le Doyen préfide à toutes les affemblées <^ui ne peuvent (b tenir quVn
fa maifon pour les affaires de la compagnie. Aucun de ceux qui fera
mandé à la diligence du Syndic pour fe rendre en la maifon du Doyen
pour les aflemblées ne pourra s'en difpenfer que par maladie ou autre
excufe raiibnnable , à peine de 3 liv. d'amende. Le Doyen a droit de faire
publi(Hiement les réprimandes à tous ceux que la malice pourroit porter
à qu^que injufle entreprife contraire aux ordonnances.
t
Syndic des Maîtres Charpentiers.
^^'EST un Officier des maîtres Charpentiers qui efl chargé du détail
des affaires pour agir au nom du corps.
St. Louis, Charles VI, Louis XI, Henri II, & Charles IX firent plu*
fieurs réglemens pour les maîtres Charpentiers. Leurs flatuts furent corrigés,
augmentés & enfuire confirmés en 1649 9 P^^ ^^^ lettres - patentes de
Louis XIV, qui, au-lieu d'un maître-général de Charpenterie , mflituadeux
Officiers, un Doyen & un Syndic pour la Communauté des maîtres Char*
pentiers. Le Syndic doit être pris entre les jurés maîtres , & nommé à la
pluralité da voix le lendemain de la St. Xbfeph en la maifon du Doyen,
où tous les Jurés font tenus de s'aflèmbler, fans autre mandement fp^ial,
finon en cas d'indifpofition ou autre légitime empêchement, à peme de
lix livres d'amende.
Le Syndic pendant deux années entières doit veiller à la défènfe des
intérêts de toute la compagnie , rendre fes affiduités journellement à la
follicitation des difFérens qui peuvent furvenir; donner avis au Doyen de
toutes affaires généralement quelconques; fe comporter dignement en tout
conformément aux délibérations conclues à la pluralité des voix ; & convo*
quer les affemblées en la maifon du Doyen. II fera receveur des deniers
communs. En fortant de charge après les deux années , il efl tenu de ren-
dre compte fommairement & fans aucun frais par-devant le Doyen & les
}urés & ceux des anciens maîtres qu'ils voudront appeller. Il mettra les
tonds entre les mains de fon fucceffeur; & s'il fe trou voit créancier pour
«voir plus débourré que reçu, il fera rembourfé par fon fuccdiHi— -i--*
il doit remettre le regiftre des délibérations, s'il en eft dér^^*^''^- Pen-
dant les deux années de fa geftion , s'il eft trouva "^^^ quelque abus>
malverfation ou monopole au préjudice de h compagnie i & qu'il fait
repris de juftice, il en fera démis fans ^«ife formalité de procès, & il
fera procédé à la nomination d'un autre en fa place ^ en la maifon du
Doyen, par la pluralité des voix.
Par la déclaration du 28 Juin 1705 , le Roi a réuni à la Communauté
des Charpentiers l'office de Tréforier-Receveur & payeur de leurs deniers
communs , & l'a confirmée dans l'hérédité des offices de Syndic juré Se
d'Auditeur de leurs comptes. Les anciens qui affifteront aux réceptions des
maîtres n'auront que la moitié des droits attribués aux jurés Syndics ^
les anciens ne pourront excéder le nombre de douze à chaque
réception.
Le Roi permet aux jurés Syndics de fidre leurs vifites dans tous atte-
liers & chantiers , même dans les lieux privilégiés ; & en cas qu'ils y
.trouvent des mal-façons, des bois défeâueux, ou des ouvrages contraires
aux réglemens de police & à l'art de Charpenterie , ils en dreflèront pro-
cés-verbal & fe pourvoiront par-devant le Lieutenant-Général de poUcç.
Cette déclaration fut regiflrée au Parlement le 17 Août iyc6 , k la charge
que les jurés en exercice continueroient de faire leurs rapports par-devant
le Procureur du Roi au Châtelet^ de toutes les contraventions & abus
qu'ils découvriroient , pour donner fbn avis en la manière accoutumée &
être enfuite procédé par-devant le Lieutenant- Général de police. C'eft
encore aujourd'hui la manière dont s'exerce la police de la Charpenterie.
p*i
CHARRON, ( Pierre ) Moralijic célèbre.
X lERRE-CHARRON naquît à Paris en 1541 , & il y mourut le 16
4e Novembre 1603. Il fut fucceffivement Doâeur en Droit de l'Univer^
Cité de Bourges, Avocat au Parlement de Paris, Prêtre, Prédicateur, Théo-
logal de Bazas , d'Acqs , de Leiâoure , d'Agen & de Cahcirs , Chanoine
de Bordeaux, Secrétaire de TAffembiée générale du Clergé tenue à Paris
en 1595, & enfin Chanoine, Chantre & Théologal de Condom. Il efl
auteur d'un traité de Morale , dont je dois donner une idée. Il eft intitulé
De la Sageffk^ & divifé en trois livres.
Le premier donâe des leçons aux hommes pour fe connoitre. Le fé-
cond , des règles générales pour fe conduire. Le troifieme , des avis
plus particuliers de fageflê, par la méthode des quatre vertus cardinales.
Le fécond livre , pour faire connoitre l'homme , le montre d'abord par
fes qualités méprifables ^ vanité , foibleffe , inconfiance , préfomption , &c.
^^ C H A R R O N. (J>«m)
j,M.. jr- les choïes dont il eft compofé , telles que le corps 9c tout ce
qui en dépw^ ^ comme la beauté , la fanté » &c. le fens , Tame humaine
& fes facultés, ii*^nu)ire, volonté, paffîon, &c. la vie dont il jouit, la
diverfité qui fe trouve û<»«<; les tempéramens, la capacité, les états & les
fituations des hommes, &c. 1.0 fécond livre traite de rafFranchiffemenr
des erreurs & des vices , de la liberté du jugement & de la volonté , du
règlement des ,plai(îrs , de l'égalité & modération dans Tune & dans l'au-
tre fortune durant la vie & à la mort, du foin de fe conformer aux cou*
tûmes , aux inclinations , à la difpodtion de ceux avec qui Ton vit.
Le troifieme livre montre la pratique de chacune des quatre vertus Car-
dinales, la prudence, la charité, la force & la tempérance.
' L'ouvrage a été fort eflimé dans le temps, mais il eft fort tombé, &
'Charron pafTe aujourd'hui pour un verbiageiir & pour un aflez mauvais
Philofophe. Il y a dans cet ouvrage des réflexions qui regardent la piété,
'& qui font peu judicieufes , à n'en juger que par la pure & faîne Philo-
fophie ; ce font celles qui rendirent l'ouvrage fufpea en fon temps , &
qui firent appeller l'auteur par quelques-uns k Patriarche des efprits forts.
'Audi l'auteur a-t-il, en beaucoup d'endroits, adopté les maximes répan-
dues dans les effais de Montaigne, (on ami particulier. Une infinité de
{>enfées qui avoient paru dans les Effais^ fe trouvent datis le livre de
a SageiTe. Traiter d'athée Charron , comme quelques écrivains ont fait y
c'eft le juger trop févérement, lui qui a préciiément écrit contre l'athéif-
me ; mais on ne peut nier que quelquefois il ne fe foit expliqué d'une ma-
nière trop libre «peu exaae.
• La première édition de fon ouvrage fut faîte à Bordeaux en i6or,
în-8^. L'auteur étoit à Paris, pour en donner une nouvelle édition corri-
"gée & augmentée, lorfqu'il mourut. Il ne vit que Tes trois ou quatre pre^
mieres feuilles de cette féconde édition. Après fa mort, le Reâeur de
l'Univerfité de la Sorbonne, & les Gens du Roi, tant du Parlement que
du Châtelet, voulurent faire fupprimer cette édition; on en faifit jufqu'S^
trois fois les feuilles imprimées ; mais ceux qui en prénoient foin , repré-
sentèrent qu'il ne s'agiflbit dans l'ouvrage que de ia fàgefle humaine qui y
étoit traitée moralement & philofophiquemênt , fans àncun rapport à la
religion , & que l'auteur avoit éiclairci & corrigé plufieurs chofes qui avoient
d'abord déplA. Toutes les pourfuites cefferent , & le Gouvernement permit
d'imprimer & de vendre cet ouvrage. H parut à Paris en 1604 avec les
retranchemens que le Préfident Jeannin , commis par le Chancelier de
France à cet examen , jugea devoir y être faits ; mais comme cette édi-
tion'fut par-là même peu recherchée; les libraires qui imprimèrent dans
la fuite cet ouvrage, y ajoutèrent lés endroits de la première édition qui
avoient été Supprimés dans la féconde. C'eft avec ces augmentations qu'il
a paru dans les éditions de 160^ 6c de 1608, ai dans toutes celles qui
ont été faites depuis, . *
Mais
CHARRON. ( Pierre ) 50J
Mais Pimportafice de cet ouvrage ne nous permet pas de nous borner
à cette idée fuccinâe. Nous allons en donner une analyfe.
L
Analyft de la Sagtjfc de Charron.
A fource de toutes les vertus réfide dans la (agefle. Elle eft Tart de
fe régler & de fe modérer conftamment en toutes chofes. Pour l'acquérir,
il faut commencer par (è bien connoltre; car il eft impoffible de tempé-
rer, comme il convient, (es défirs & fes paflîons, fi on ne fait ce dont
on peut être capable^ foit en bien, foit en mal. Le premier pas dans le
chemin de la (agefle^ confifte donc à faire une étude longue & aifîdue de
foi-même , & à fe livrer 2l un examen fërieux & refléchi , non^feulement de
fes paroles & de fes aâions , mais de fes penfées les plus fecrettes , de
leur naiffance , de leur progrès , de leur durée & de leur retour , en s'é-*
piant de près, & en fe tàtant avec foin & à toute heure. Cet examen
important doit être fait avec ordre, & c'eft en diftinguant les paflîons
^communes à tous les hommes, qu'on peut Pobferver. Ces paillons font
la vanité , la foibleffe , l'inconfiance , la mifere , & la préfomption.
La vanité efl ce penchant général, que l'homme a d'établir fon hon-
neur dans la poflè(iion des biens vains & frivoles , fans lefquels il peut
▼ivre commodément , & à méprifer les vrais biens , qui peuvent le ren<-
dre heureux. Nous étendons nos défits au-delà de nous & de notre exif^
tance, & nous nous tourmentons pour des chofes, dont nous ne pouvons
pas jouir. Nous défirons être loués après notre mort, & pour uttisfaire
cette folle ambition, nous fuons fang & eau dans cette vie.
' L'envie d'être loués fait que nous ne vivons pas pour nous , mais pour
le monde. Nous gênons nos inclinations & nos penchass, afin de nous
conformer aux apparences de l'opinion commune; & le refpeâ humain
J30US porte prefque toujours à nous priver de nos commodités & de nos
plaifirs. Cette eflime nous tient fi fort au cœur , que nous nous mafquons
dans nos vifites. Que de vanités dans nos faluts, nos accueils, nos entre-
tiens, nos offices de courtoifie, nos harangues, cérémonies, offres, promef-
{t% & louanges ! Combien d'hyperboles , d'hypocrifie , dé fàuffetés & d'im-
poflures au vu & au fu de chacun , & de celui qui les donne , & de ce-
lui qui les reçoit , & de celui qui les entend ; tellement que c'eft un mar-
ché oc une efpece de convention de fe moquer , mentir & piper les uns
les autres ! Ce qu'il y a encore de .plus extravagant , c'efl qu'il feut que
celui qui fait qu'on lui ment impudemment, dife grand merci, & que
celui qui fait que l'autre ne le croit pas, fàffe bonne contenance. On hit
plus :• on trouble fon repos & fa vie pour ces vanités courtifânes ; & on
laiffe des af&ires de confëquence pour du vent. Qui fèroit autrement feroit
tenu pour un fot , fans éducation & fans favoir vivre. C'eft habileté & da
l^on air de bien jouer cette farce , & c'eft fottife de n'être pas vain.
- Tome XI. Sff
50^ C H A R R 0 N. ( PUm >
La fecQpde paSioa de l'homme \ c'eft la foiblefle. £Ue ki eft encore
plus préjudiciable que la vanité ; c^r elle le trouble tellement , que rien
ne peut le contenter. Les chofes futures TafFedent plus que les préfentes.
Il ne fait jouir de celles qu'il poflede, après les avoir long-temps défirées,
fans les altérer. Un mélange de mal & d'incomriiodités empoilonne pre€^
que toujours fes biens, fes voluptés & fes phiCits. Touœs chofes font mê-
lées & détrempées avec leur contraire. Nul mal fans bien ; nul bien (ans maL
L'homme ne peut être , quand il le vou^roit , du tout bon , ni du tout
méchaQt. Il eft impuilfant àa:out. U ne peut faire tout bien, ni exercer
toute verm, parce que plu/leurs font incompatibles. La charité & la jufr
tice fe contredirent fouvenr« Ce feroit une charité de fauyer à la guerre
un ami| & ç'efl une injuflice de le tuer. On eR même fouvent obligé
d'ufer de mauvais moyens, pour fo^tir d'un plus grand mal.
Cette foiblefTe dans la pratique de U vertu , fe manifbfle encore plus
lorfqu'il s'agit de la vérité : l'homme efl fort \' défirer , & foible à re-
cevoir. Les deux moyens qu'il emploie , pour parvenir à la connoilfance
de la véritéi font la raifon & l'expérience. Ôr tous les deux font fi foi^
blés & fi incertains , que nous ne pouvons en rien tirer de véritable. La
raifon fe transforme en mille façons. Et il y a d'autant moins à compter
fur ^'expérience, que les événemens font toujours diflèmblables. Il n'efl
rien de fi univerfel en la nature que la diyerflté : rien fi rare ni fi di&
ficile, (fi la.chofe n'efl pas abfolument impofllble) que la fimilitude»
Or fi l'on ne peut remarquer cette diffemblance , qMelle vérité peut-oa
déduire?
Enfin pour faire çonnoitre ep peu de mots la foiblefle de l'homme,
c'eft qu'il n'eft capable que de chofes médiocres , & qu'il ne peut fouf-
frir les extrêpies. Car fi elles font petites, il les mépriie & les dédaigoei
Si elles font grandes & éclauntes,. il les redoute & les admire.
Ce ne. feroit encore rien, fi l'homme étoit confiant dans fes choix;
niais la plupart de fes aâions ne fpnt que des faillies & des boutades que les
occafions déterminent. L'irréfolution d'une part ^ i'inconflance & l'inflabilité
de l'autre , voilà le vice le plus commun de la nature humaine. Nous fuivons
les inclination^ de uQtre appétit , félon que le vent des circonflances nous em«
porte , & non fuivant la rs^i(oi\. La vie efl un mouvement inégal , irrégu*
lier, multiforme. De tous les animaux l'homme efl le plus double & le
plu$ contrefait, le p)us couvert. & le plus artificiel. Il y a chez lui tant
de cabinets, tant d arrieres*boutiques , d'où il fort tantôt homme tantôt
(atyre; tant de foupiraux, par lefquels il foufHe le chaud & le froid, que
rien n'efl fi difHcile à fonder & à connqitre. Tout ce qu'il fait efl m
cours perpétuel d'erreurs. 11 rit & pleyre d'une même chofe. Il efl con-
tent & mal content. Enfin il veut &; ne fait ce qu'il veut.
. Si l'homme efl fort , robufle , confiant & endurci , c'efl à la mifere. Il
efl miférable par effence. Son entrée dans le monde eft honteufe^ vile.
C H A R R O N. ( Pierre ) 507
meprifée : fa fortie oa fa mort eft au contraire glorieufe & honorable;
n^ j o« L'aâion de planter Si faire l'homme eft honteule , & toutes fes par-
9 lies, les approches y les apprêts, les outils & tout ce qui y fert, eft
9 tenu & appelle honteux oc n'y a rien de fi honteux en la nature hu«
9 maine. L'aaion de le perdre oc tuer .honorable, 6c ce qui y fert eft
9 glorieux : on le dore & enrichit ; on s'en pare , on le porte au côté ^
9 en. la main , fur les épaules, a^. On fe dédaigne d'aller voie naitre un
» homme : chacun court & s'affemble pour le voir mourir , foit au lit ,
» foit en place publique , foit en la campagne rafe. 3^. On fe cache , on
» eue la chandelle, on le fait à la dérobée : c'eft gloire & pompe de le
» délire : on allume les chandelles pour le voir mourir, on l'exécuts
9 en plein jour. On fonne la trompette , on le combat , & on fait un car*
9 nage en plein midi. 4^. Il n'y a, qu'une manière de ^re des hommes ;
9 pour les ruiner mille & mille moyens , inventions , artifices. 50. Il n'y
9 a aucun loyer , honneur , ou récompenfe aflignée pour ceux qui favenc
9 faire , multiplier , conferver l'humaine nature ; tous honneurs , grandeurs ,
9 richefTes , dignités , empires ^ triomphes , trophées , font décernés , à
m ceux qui la lavent affliger , détruire. «
L'homme natt enfin & fe forme. Mais de quoi jouit-il lorfqu'il eft for«
nié ? Ses pUifirs font fi petits & fi chéti6 , qu'il aime fouvent mieux la
peine. Il y a des mortels qui évitent la fanté , l'allégrefle , la joie , comme
une nuuvaife chofe. Ils lelafTent de tout. En général nous ne fommes
ingénieux qu'à nous mal mener : c'eft le vrai gibier de la force de notre
efprit. Quand les maux nous manquent , nous nous en forgeons. Nous vou-
lons être avancés en honneur , en dignité , en biens ; & ce défir eft un ver
rongeur,. qui nous déchire fans cefle. Cependant il. n'y a de mal que la
douleur, le refte o'eft que fantaifie , forte d'être chimérique , lequel ne
loge qu^en la tête de l'homme, qui fe taille de la befogne pour erre
miférable , & qui imagine pour cela de ^x maux outre les vrais , éten-
dant ainfi fa mifere au lieu de la raccourcir.
Quant à la douleur , qui eft le feul vrai mal , l'homme y eft tout né &
tout propre* Lorfque les Mexicaines mettent un enfant au monde & qu'il
crie , elles te faluent & lui difent : enfant m es venu au monde pour fouf-
frir : ainfi fouffi-e & tais-toi. En effet toutes les parties de l'homme font
capables de douleur, & fort peu capables de plaifir. Les parties même
capables de plaifir , n'en peuvent recevoir que d^une ou de deux fortes ;
mais toutes font fufceptibles d'un grand nombre de douleurs , comme chaud,
froid, piqûre, froifTure, foulure, égratignure, meurtrifTure , cuiffon, lan-
gueqr , extenfion , relaxation , &c. fans compter les maux de l'ame \ tellement
que l'homme a mille maux pour une fatisfaction. D'ailleurs il ne peut réfiftèr
au plaifir \ car le plaifir du corps eft un feu de paille : s'il duroit , il ap-
{>orteroit de l'ennui & du dégoût. Les douleurs au contraire durent fort
ong*temps , & n'ont point leurs faifons comme les plaifirs. Ce n'eft pas
Sfi a
{c8 CHARRON. ( Pierre )
tout 9 le plaifir eft encore rare : il ne vient point volontiers, & fe fait
rechercher & fouv^nt acheter plus cher qu'il ne vaut ; au Heu que le mal
viei^t ^cilemenc de lui-même, fans qu'on Taille quérir. Celui-là n'eft ja-
mais pur : il eft toujours détrempé avec quelque aigreur. Celui-ci eft fan»
mélange , tout entier & tout pur. Sur tout cela , le pire de notre mar«»
ché & qui montre évidemment la mifere de notre condition, eft que
l'extrême volupté ne nous touche point tant qu'une légère douleur. Nous
ne fentons point l'entière famé ^ comme la moindre des maladies.
Quand les maux du corps manquent, nous appelions ceux de Pefprit,
tant la mifere eft notre partage. Nous nous mêlons dans les afSiires de
gaieté de cœur, quoique nous duflîons leur tourner le dos quand elles
s'ofFriroient à nous. Ou bien par une inquiétude pitoyable de notre ef-
prit, ou pour faire l'habile & l'entendu, c'eft-à-dire le fot & le miférable,
nous entreprenons & remuons de nouvelles affaires , ou nous nous entrer
mêlons de celles d'autrui. Bref, l'homme eft fi fort agité de (oins , non-
feulement inutiles & fuperfius, mais épineux, nuifibles & doriimageables ,
qu'il femble ne rien craindre de plus , que de ne pouvoir pas être
aflez miférable. Il eft tourmenté par le prêtent, ennuyé du paffé, in-
quiet de l'avenir. O pauvre créature , combien enduré-tu de maux
volontaires , outre les néceflaires que la nature t'envoye ! Mais quoi!
L'homme fe plait à la mifere. Il s'opiniâtre à remâcher & i remet*
tre en mémoire les maux paflës. Il aime à fe plaindre & enchérit quel-
quefois le mal & la douleur.
Toutes ces miferes font corporelles ou mixtes & commune^' à refprit &
au corps. Mais fi on confidéroit les maux de l'efprit pur, il fandroit en-
trer dans un détail infini. Les erreurs qui proviennent des. fens, tes paf-
fions & les inclinations déchirent perpétuellement le cœur de l'homme &
le rendent le plus malheureux de tous les êtres. Abrégeons & paftbns à la
dernière infirmité de l'homme : c'eft la préfompnon.
S'eftimer trop & ne pas aftèz eftimer autrui, voilà la fource de cette
infirmité. Cette eftime que nous avons de nous , eft ordinairement fi haute
& fi téméraire, qu'elle nous porte à nous comparer à Dieu même. Nous
nous formons une idée très-baffe de cet Être fuprême. De-là vient que
nous le fervons très-indignement , & que nous agifibns plus mat avec lui
qu'avec certaines créatures. Nous parlons non- feulement de fes œuvres , mair
de fa divinité & de fes jugemens , avec plus de confiance & de hardieffe
Î|ue nous ne parlerions d'un Prince ou d'une perfonne en place. Il nous
emble aufii c^ue nous importons fort à Dieu, qu'il prend beaucoup de
part à nos afiàires , & qu'en général la nature ne travaille que pour nous.
Après cela l'homme croit que le ciel , les étoiles , ne font faits que pour
lui , & que tout eft en mouvement pour fon fervice. Quelle folie ! le pau-
vre miférable eft logé ici-bas au dernier étage , infiniment éloigné de la
voûte célefte , barbotant dans le sloaque 6c fentine de l'univers avec les
C H A R R O N. ( FUrrc) ^09
animaux le^ plus vils ; expofës à recevoir toutes les ordures 4 qui lui tom-
bent fur la téte^ ne vivant même que de cela, & il s'imagine qu'il eft
le maître de toutes chofes& le chef-d'œuvre du Créateur.
Dans fa conduite cette infirmité qui nous occupe ici , jette l'homme
dans des écarts fans nombre. D'abord nous croyons ou nous refufons de.
croire , félon que notre préfomption y trouve (on compte. Le petit peuple
& les efprits effêminés reçoivent indiftinâement tout ce qu'on leur pro-*
pofe , s'il eft revêm de quelqu'apparence d'autorité. Semblables à la cire ,
ils reçoivent aifément la première impre(fion. Gens malades, fuperfiitieux ,
niais à l'excès , ils fe laiflent prendre & mener par les oreilles , fans en
être moins préfomptueux \ car le même efprit qui porte prefque tous
tes hommes à croire des chofes fans examen, leur fait rejetter & condam^^
ner comme fauffes toutes celles qu'ils n'entendent pas ou qui ne font pas
de leur goût. Ce vice efl beaucoup plus grand que le premier. C'eft en
efFet une folie extrême de vouloir ranger à foi & de décider abfolumenc
par fes propres lumières du vrai & du faux des chofes.
Cependant on s'entête , & la préfomption gagnant ainfi de nouvelles
forces , on veut perfuader aux autres ce que l'on croit , & les obliger à le
croire. Quiconque adopte quelque chofe, eftime que c'eft ceuvre de charité
que de le faire adopter par un autre. En général il n'eft rien dont les hom«
mes foient plus jaloux, que de donner cours à leurs opinions. Quand les
raifbns manquent , ils emploient la force , & tâchent ainfi de reniplir le
monde d'erreurs & de menfonges. Aufli la préfomption pafle à jufte titre
pour la perte de l'homme, l'ennemi capital de la fageffe, la vraie gangrené
de l'ame. C'eft un excès de confiance en nos forces. Il eft pourtant cenain
que quelque faverifés que nous foyons de la nature , nous ne faurions être
en plus dangereufes mains que dans les nôtres. L'Efpagnol a la réputarion
d'être fier; mais il a fiiit cette belle & courte prière : Dieu gardc^moi de
moi , qui prouve évidemment combien , malgré fa fierté , il compte peu
fur fes forces.
Telles font donc les infirmités de l'efprit humain , vanité , inconftance ,
mifere& préfomption, quatre obftacles à vaincre pour devenir fage, c'eft->
à*dire , pouf gagner pendant toute fa vie une vraie tranquillité d'efprit ,
en quoi confifte la fagefie & le fouverain bien. II s'agit de favoir main-
tenant comment on peut fe délivrer de ces infirmités , & acquérir cette
tranquillité d'efprit.
II. La première difpofition à la fagefle confifte à fe garantir de deux
maux ; Tun externe , ce font les opinipns , les vices populaires & la con^
tagion du monde ; l'autre interne , ce font les paftions. Ainfi il faut fe gar-
der du monde & de foi. ^
Le grand chemin battu trompe facilement ; & néanmoins nous allons les
uns après les autres comme les moutons ou les bêtes de compagnie.' Nous
ae fondons jamais la raifon , le mérite , la juftice. Nous fuivons l'exem^
fip CHARRON. (PUrre)
pie & la coutume , Se oouy trébuchons comme à resvi , co tombent lei
uns fur le$ zmrts. Or celui qui veut devenir fage, doit temr pour fii%eâ
tout ce qui plaît & eft approuvé du peuple & du plua graad nombre. Il
doit regârdisr à .ce qui wvon 9i yrai en foi, & M point «^arrêter à ce
qui eft le plu^ Wité, fans fe lailTer çùèScr ô(, emporter par la multioide.
Fhoeion fiiivoic /} exaâement cette règle , q^e tout le monde ayant ap-
plaudi tout haut à quelque chofe qi)'il avoir prononcé t il Te tourna vers
fês amis & leur dit : m^ fcroit-il échappé ^ f^^^ Y P^^fi^^ quelque fqHift^
que le peuple tr^ approuve ? Queflion tté^'\\xixQ\^\ito \ car rien n^eft plus fuf-
peâ que fes jugemens & Tes opiniona. Sa foçiété eft également pernicieu-
fe r & le ^age doit fuir fur toutes chofes fa compagnie. Quelque feraie
qu'il puiife être , il eft impQflible qu'il foit capable de foutenir la charge
4e fes vices innombrables.
. La féconde difpo(ition à la fagefte eft une pleine, entière & généreufe
liberté d'efprit. 11 faut pour cela retenir fon jugement en furféance , c*eft^
à-dire , contetiir & arrêter fon efprit dans les barrières de la confidération ;
pefer mûrement toutes chofes, & ne point s'engager dans aucune opinion,
Gu'cn ne la connoifte à fond. Far ce moyen Pefprit demeure &rme , in-
flexible & fans la moindre agitation.
Une autre maxime de conferver la liberté de jugement, c'eft d'avoir
un efprit univerfel , c'eft^à-dire, de jetter fa vue fur tout l'Univers, &
non la fixer en certain lieu ; être citoyen du mondé comme Socrate , &
non celui d'une ville feule , en embraflànt par afFeâion tout le genre
humain. C'eft fottife & foibtefte que d6 penfet qu'on doit croire & vivre
par- tout comme en fon village (on excepte la Religion) & que les acci-
dens qui adviennent ici, font communs au refte du monde. Chacun ap-
pelle, barbarie ce qui n'eft pas de fon goût & de fon ufage. Il femble
que nous n'avons d autre bouche de la vérité & de la raifon , que l'exem-
ple des opinion$ & coutumes du pays où nous fommes. Or il faut s'af-
franchir de ce préjugé , & fe repréfenter comme en un .tableau cette
grande image de notre mère nature en fon entière majefté; regarder un
Royaume , un Empire , & même la terre que nous habitons , comme le
(rait d'une pointe très-délicate, & y lire cette conftante variété en toutes
chofes, les jugemens, les croyances, les coutumes, les loix , les mou-
Ycmens des Etats , les chaneemens dé fortune , tant de viâoires éva-
nouies , & tant de pompes & grandeurs enfevelies. Par-là on apprend ï
fe connoitre , à ne rien admirer , à ne trouver rien de nouveau ni d'é-
trange, à s'affermir & à vivre par-tout.
Tout ceci ne regarde que la liberté de jugement. Nous avons encore
une liberté de volonté , qui eft aufti précieufe que l'autre. Elle confifte à
n^âfteâionner que des chofes juftes , c'eft-à-dire , que peu de choies ; car
les juftes font en petit nombre, & encore faut^-ille faire fans violence
& fans enxêtement. La principale &la plus légitime charge que nous ayons
CHARRON. ( Pi0fré) ^ix
c^eft notre propre conduite. Nous devons bien nous prêter à autrui; mais
il ne &UC fe donner qu'à foi. Il eft bon de prendre les af&ires en main ,
& non à cœur ^ de s'en charger , & non fe les incorporer , de les fbigner ^
& non de les paifîonner, enfin de s'attacher à quelque chofe, mais de fe
tenir toujours à foi. Au refie, il faut bien favoir fëparer nous-mêmes de
nos charges pubiiqiues; Chacun de nous joue ou doit jouer deux perfonnâe-
^es, l'un étranger & apparent, l'autre propre & ef!èntiel. IL niut favoir
difcecner la peau de. la chemiie. Le Sage fait bien fa charge , & né laiflb
pas de juger, comme il convient, la lottife , le vice âc la fourbe qui y
font. Il l'exerce, parce qu'elle efl en ufage dans fon pays , qu'elle eft
utile au public. Le monde vie ainfi : à la bonne heure : il ne faut rien
gâter. Il faut (e fervir & fe prévaloir du monde tel qu'on le trouve, &
cependant le con(idérer comme chofe étrangère de fon favoir ^ bien jouir
à part de foi ; ne fe commuiûquer qu'à un bon confident » & au pis aller
à foi-même.
IIL Après ces difpofittons , la première qualité qui conflitue eflentidle-*
ment là fageflë, c'eft la vertu, c'eil'^dire, une droite & ferme dirpoti*^
tion de la volonté à fuivre le confeil de la raifon. Car le bien, le but
& la fin de l'homme, en quoi gît fon repos, fa liberté, fon contente*»
ment , en un mot fa perfeâion en ce monde , eft de vivre & d'agir félon
la raifon. Or ceci eft en la puiffance de Thomme , qui étant itiaitre de fa
volonté t peut la difpofer & contourner félon qu'il lai plaie , & par conf^^
cjuent l'anèrmir à fuivre toujours la raifon , ou autrement à pratiquer tou*
jours la véritable vertu, laquelle eft toujours franche, mâle, genéreufeV
riante, égale, uniforme & conftante, marchant ' d'un pas forme, fier, &
hautain , allant toujours fon train fans regarder de côté ni derrière , (ans
s'arrêter & altérer Ion pas & fes allures, pour le vent, le temps & tefi
drconftances. En fe comportant ainfî , on eft homme de bien perpétuel^
lement & également en tout temps & en tous lieux. On agît félon foi y.
car on agit félon ce qu'il y a de jplus noble de de plus excellent en foi ^
la raifon étant uiie lumière naturelle, un rayon, un éclair de la Divinité ,
une dépendance de la loi naturelle & divine.
On doit enfuite régler fa vie, je veux dire fe former un certan train
de vivre , prendre une vocation , à laquelle on foit propre , & qui s'ac«-
commode & s'applique volontiers à tiotre naturel particulier. Four ne pas
fe tromper dans le parti qu'on a à prendre, il faut connoitre fa corn-
plexion, fa portée, fa capacité, fon tempérament, favoir en quoi on eft
propre & en quoi on eft inepte. Car aller contre fon naturel , c'eft fo
tailler de la befogne pour ne la pouvoir faire.
La piété eft le troiuème fondement de la Sageffe. C'eft ici la chofe la
plus efTentielle & peut-être la plus difficile. Toutes les Religions fe ref»-
lèmblent en cela , qu'elles font étranges au fons commun. Elles font conv-
pofées de pièces, qui au jugement humain, femblent ou baffes, indignes
çia • C H A R R O N, (Pierre)
& meflTëantes \ & dont l'efprit un peu fort & vigoureux le moque ; o«'
trop hautes, éclatantes & myftérieufes, où ce même efprit ne peut rien
connoitre , & dont il s'offënfe. Mais l'entendement humain n'eft pas capa-
ble que de chofes médiocres ; méprife & dédaigne les petites , s'étonne &
s'ébahit des grandes : il eft donc naturel qu'il fe dépite de toute Reli-
gion , qui ne contient rien de médiocre ni de commun. Delà tant de mé*
créans & d'irréligieux , parce qu^on confulce trop Ton propre jugement,
& qu'on veut juger des affaires de la Religion félon fa portée, & la traiter
avec des outils propres & naturels. Cependant la première chofe qu'on
doit faire dans la Religion, c'eft d'être (impie, obéiflànt & débonnaire i
croire & fe maintenir fous les loix par obéiflfance ; aflujettir fon jugement
& fe laifler mener & conduire par l'autorité publique. Autrement la Reli-
gion ne feroit pas refpeétée & admirée comme elle le doit être. Si elle
étoit du goût humain & naturel , fans myilere , elle feroit fans contredit
plus facilement reçue , mais infiniment moins eflimée.
Le Sage dok enfuite régler ks déflrs & fes plaifirs. Il efl beau de £iire
dueinent l'homme , & de partager convenablement tous les inflans de fa
vie. C'eft une fcience toute divine que de favoir jouir de (on être , fe
conduire félon le modèle commun & naturel , félon fa propre condition ,
.fans chercher des chofes étrangères. Toutes ces extravagances, tous ces
efforts artificiels & étudiés , ces vies écartées du naturel & commun , par-
tent de folie & de pafiion. Ce font de véritables maladies. Ceux qui veu-
lent fortir hors d'eux-mêmes* & échapper à l'homme , s'imaginent faire
les divins, & ils font les fbts. Ils veulent fe transformer en anges, &
ils.fe transforment en bêtes. L'ho;nme efl compofé d'une ame & d^an
corps. Il^^ne faut point chercher à démembrer ce bâtiment, mais en en-
tretenir l'union ôi l'harmonie. L'efprit doit éveiller le corps qui eft pefanr,
& le corps arrêter la légèreté de l'efprit. L'homme doit affîfter & fàvorifer
fon corps, & non le rebuter & le haïr. Il ne doit point refufer de participer
à fes plaifirs naturels, qui font juftes; mais s'y complaire conjugalement, y
apportant, comme le Sage, de la modération. Ennn l'homme doit étudier
& favourer cette vie pour en rendre grâces à celui de qui il la tient.
Il n'y a rien qui fpit indigne de notre (pin en ce préfent que Dieu nous
a fiiit.
C'eft donc une opinion malade, fantafque & dénaturée , que de re-
jetter & de concHîmner généralement tous défirs & plaifirs. L'Etre Suprême
eft auteur du plaifir; & tout ce que nous devons faire c'eft d'en favoir
bien ufer. Or cela confifte en quatre points , qui font :peu, naturellement,
modérément, & par rapport à foi.
Peu. Il faut défîrer peu. Un moyen affuré de braver la fortune & de
lui couper toutes les avenues facheufes , c'eft de retrancher fort court fes
défirs, & ne fouhairer que bien peu ou rien, équivaut à celui qui eft
riche & qui jouit de tout. On eft toujours riche en cpntenteroent
quand
CHARRON. (Pierre) 513
ouand 00 eft pauvre en défirs. Ils reiTemblént aux bienheureux , qui ne
&c heureux , non par ce qu'ils ont, mais parce qu'ils ne défirent rien.
Naturellement. Il y a deux forces de déurs & de plaifirs , les uns natu-
rels, les autres artificiels ou de fantaifie. Les premiers font juftes & légi*
times. C'eft ce que la nature demande pour la confervation de fon être ,
& qu'on trouve par-tout fous (a main. Les autres plaifirs ne font que des
opinions j qui dépendent de notre opinion éc de nos préjugés , & que le
fage ne doit pas connoître.
• Modérément. Jouir des plaifirs modérément, c'eft en jouir fans dom«
mage d'autrui ni de foi; d'autrui fans fcandale & fans préjudice; de foi,
fans déranger fa fanté, abufer de fon loifir, troubler fes af&ires, donner
«tteinte à ion honneur , & manquer à fon devoir.
! Par report à foi. Cela fignifie que la carrière de nos défirs & plaifirs
doit être circonfcrite , bornée & courte» & que leur courfe doit aller non
en ligne droite , mais en rond , de manière que les deux pointes fe tien*
nent & fe terminent en nous. .
Quand on fait bien régler fes défirs , on eft préparé à obferver cette
grande règle de la fàgelle , de fupporter également l'adverfité & la pro(^
périté. Il y a deux fortunes à craindre , la bonne & la mauvaife. La prof-
périré que le vulgaire ambitionne tant , eft un fardeau dont le fage doit
^abftenir. C'eft à tort qu'on appelle biens , honneurs , richeftes , les faveurs
de la fortune , puifau'elles ne forment - point l'homme bon , ne réforment
point le méchant & font communes à l'un Se à l'autre. Aufii doit-on s'en
défier. Le fage doit le regarder comme un venin emmiellé , & flatteur à
la venté, mais très-dangereux. La profpérité enfle le cœur , fait naître l'en-
vie des plus grandes chofes, & nous emporte au-delà de nous. L'ame
perd ainu fon affîette , fon éqqilibre , en quoi confifte le véritable bonheur
& la tranquillité. Pour prévenir ce malheur, il faut être fans cefle atten-
nf à modérer ce qui trouble le repos & le contentement qu'on trouve
dans la médiocrité.
- L'adverfité eft encore plus difficile à fupporter que la profpérité. Il y a
deux fortes de maux dans la vie : les uns vrais oc naturels , comme les
maladies , les douleurs , la perte des chofes que nous aimons : les autres
faux & imaginaires. Les premiers font inévitables. Endurer & fouffi ir c'eft
le propre de l'homme : mais la nature y a pourvu en nous difpofant à
recevoir le mal & à le tourner à notre contentement. Il n'y a point d'ac-
cident fi fâcheux qui n'ait quelque foulagement ; & la prifon la plus obf-
cure n'interdit point les chanfons, pour défennuyer les prifonniers. Âpres
tout, la fortune peut bien nous rendre pauvres, malades , affligés, mais non
pas vicieux , lâches , ni abattus. Elle ne fauroit nous ôter la probité , le
couraee & la vertu.
. Voilà déjà une première réflexion , qui doit tempérer beaucoup nos
douleurs. La féconde , aulfii importante à £are , c'eft d'en venir à la bonne
Tome XI. Ttt
514 CHARRON. (PUrti)
foi , à la Juftice» à la raifon, lorfque nous foùfFrons. Soaveot nous aoui
i nous lover des bons fuccès, que nous n'avons à nous plaindre àci nuu-
vais. Mais nous fommes ingénieux à nous tourmenter. Semblables aux £u)g«
fuçs, nou$ tirons le mauvais fang & nous lapons le bon. S'il nous arrive
quelque malheur, nous nous tourmentons & oublions tout le refle. Dans
ce fâcheux mometit, nous nous difons malheureux en toutes choies; telle-
ment qu'une once d'adverfîté nous caufe plus de déplaUîr\ que dix mille
ip prolpérité ne nous caufent de plaifir.
Quoi qu'il en foit , Iç grand emplâtre à tous les maux c'eft l'haUtude
& la méditation. L'habitude eft pour le vulgaire ; la méditation pour le
fage. La méditation eft ce qui donne la trempe à l'ame, qui la prépare^
l'iiFermit contre tout aflaut , la rend dure & impénétrable à tout ce qui
veut l'entamer ou pouffer. Les accidens , quelque confidérables qu'ib
foient, ne peuvent donner un grand coup à celui qui fe tient far Tes gar«
des , & qui eft prêt à les recevoir. Or ^ pour Avoir cette prévoyance , û
faut favoir que la nature nous a mis ici ea un lieu fort fcabreux où t^ut
branle; que ce qui eft arrivé à un autre nous peut arriver aufli; que ce
qui penche fur nous peut tomber fur tout le monde ; éi enfin qu'en toute»
les affaires qu'on entreprend , on doit s^attendre aux inconvéniens qui peu-
vent arriver, afin de n'être point furpris.
IV. Tout ceci regarde la conduite intérieure du fage; & comme il ne
vit pas feul , il faut qu'il fâche ce qu'il efl obligé de pratiquer en fociété
avec les autres. Or la première chofe qu'il doit obferver , ce font les
loix & coutumes du pays où il efl ; parce que les loix fe maintiennent es
crédit » non parce qu'elles font jufles, m^Ms parce qu'elles font loix & cou*
tûmes ; c'efl le fondement myfHque de leur autorité : elles n'en ont poiot
d'autres. Car celui qui obéit à la loi parce qu'elle efl jufle , ne lui obéit'
pas. II foumet la loi à fon jugement ^ & lui fait fon procès. Si cela pou*
voit être permis , on mettroit en doute & en di(pute l'obéiflànce , & par
conféquent l'état & la police , félon la foupleffe & diverfué non-feulemcsc
des jugemens, mais du même jugement. Combien de loix au monde in-
jtifles, impies, extravagantes au jugement de la raifon, avec iefquelles le
'monde a vécu long- temps en profonde paix & repos & avec la même
faiisfaâion , que fi elles euffent été très-jufles & raifonnables ? La nature
humaine s'accommode à tout avec le temps , & lorfqu'elle a une fois pris^
fon pli, c'efl aâe d'hoflilité de vouloir y changer. Il faut laifTer le monde
où il efl : les brouillons & remueurs.de ménage, fous prétexte de réfomieri
gâtent tour.
Je dis en fécond lieu , qire dans la fociété le fage doit favoir fe com*
porter avec aunrui ; ce qu'il fera en pratiquant les xçgles foivantesb
..y
CHARRON. (Pimt) \x%
2?. Etre modefte & garder le filence.
2^. Ne poinç fe fermalifer des fbctifes, indifcrëtioDS & légèretés qui fe
lèronc & commettront eo fa préfence} car ç^eft importunité de choquer tout
ce oui n'eft pas fie notre goût.
y. Epargner & ménager ce que Ton fait, & les connoîflances que Ton
ftiacquiles, & être plus attentir à écouter qu'^ parler, à apprendte qu'à
enfeigner. Ceft un vice d'être prompt à fe faire coonoitre , de parler de
foi & de fe produire.
4^. N'entrer en conreftation avec perfbnne.
5^. Avoir une douce & honnête curiofité de s'enquérir de toutes cho-
fes ; & lorfqu'op les fait ménager & faire fon profit de tout.
6^. Employer en toutes choies fon jugement.
7^; Ne parler jamais affirmativement, magiftralement & impérieufement.
L'affirmation & Popiniàtreté font des fignes de bétife & d'ignorance. Le
ftyle des anciens Romains portoit que les témoins dépofans & les juges or-
donnans , s'exprimeroient par ces mots : il femble , ita vidctwr.
8^. Avoir le vifage ouvert & agréable à tous , Tefprit & la penfée cou-
verte .& cachée à tous , la langue (bbre & difcrete , & fe tenir toujours à
foi & fur fei gardes. En un mot, voir, ouïr beaucoup , parler peu, & ju-
ger de tout. Vide , audi , judica.
Voilà ' comment on doit fe comporter avec les hommes en général.
Quant aux particuliers, la première chofe qu'il faut obferver ell de<:hoifir
fiour fa compagnie, des hommes fermes, habiles & d'un bon efprit; car
'ame fe fortifie avec eux , au lieu qu'elle s'abâtardit & fe perd avec les ef-
prits bas & foibles. La féconde eft de ne point s'étonner des opinions d'au-
cmi, quelque frivoles ou extravagances qu'elles paroiflènt, (i elles font
fortables à l'efprit humain. La troifieme efl de ne point craindre les cor*
régions & les paroles aigres. Il faut une fociété forte & virile : il faut
être mâle, courageux à corriger, & à fouf&ir à l'être. C'eft un plaifir &de
d^avoir à faire à des gens qui cedeut, flattent & applaudiflènt; Là qua-
trième, de^ifer & tendre toujours à la vérité, la reconnoltre, & lui cé-
der ingénuement & gayement, de quelque ps^rt qu'elle vienne. C'eil une
plus belle viâoire de fe bien ranger à la raifon, & de fe vaincre foi-mê-
me, que de vaincre fa partie. La cinquième, de n'employer dans la difpute
que les meilleurs moyens , les plus pertinens & les plus prefTans^ La fixie-
me , de garder par-tout la forme & l'ordre. Enfin la dernière , de prendre
garde que la conrradiéHon ne foit ni hardie , ni opiniâtre , ni aigre.
Tout ceci conduit naturellement à la manière dont on doit fe conduire
dans les affaires. Il s'agit d'abord de bien connoitre les perfonnes avec lef-
quelles on traite , leur naturel propre & particulier , leur humeur , leur ef-
prit , leur inclination , leur deflèin & leur intention. Il faut enfuite bien
connoitre les affaires que l'on a , voir non-feulement les chofès en ^oi ,
mais encore les accidens^ les conféquences & les fuites. Le vulgaire n'ef-
Ttt 2
/
/
1
ii6 CHARRON. (Piim)
time point les chofes, fi elles iie font releviées par Part , fi elles ne font
pointues ou enflées. Les fimples & naïVes , de quelque valeur au^elles foient,
il ne les apperçoit pas feulement , ou sM y fait attention y il les eftime
bafles & niaifes , grand cémoienage de la vanité & de la fbibleffe humai-
ne, qui fe paie de vent, de fard & de ^ulTe monnoie. De-là vient .qu^oa
préfère l'art à la nature, Tacquis au naturel, le difficile à Taifé, l,*extra-
ordinaire à l'ordinaire , la pompe à la vérité, l'étranger & l'emprunté, au
fien propre. Mais la règle du fage e&, de mefurer, juger & efHmer les
chofes , premièrement. par leur vraie, naturelle & efientielle valeur, qui
eft fouvent interne & fecrete } enfuite par l'utilité.
Quant au choix qu'on peut faire de différentes chofes , il faut toujours
prendre le parti oil il y a plus d'honnêteté & de jufiice. Et lorfqu'oo fe
trouve embaraflfé à cet égard , la fagefle veut qu'on prenne avis & confeil
d'autrui ; car il efl très-dangereux de fe fier à foi. Mais à qui fe fier > c'eft
à des gens qui ont d'abord de la probité; qui font outre cela feafës, far .
es & expérimentés , & qui n'ont aucun intérêt à l'af&ire fiir laquelle oa
es confulte.
Il ne faudroic pas cependant adopter aveuglément ce qu'on confèilleroir.
Trop fe fier nuit fouvent. Il ne faut jamais dire tout; mais il faut que ce
que l'on dit foit vrai. Il ne s'agit pas de tromper ni de rufer^ mais de fe
garder de l'être. Le point de l'art efl de marier l'innocence & la fimpli-
cité en n'ofFenfant perfbnne ; avec la prudence , en fe tenant fur fes ga^
des , pour fe préfèrver des fineffes , trahifons & embûches d'autrui. Le
temps peut beaucoup ici. La précipitation eft ennemie de la fagefle. C'eft
la conduite d'un habile homme de favoir bien prendre les chofes à leur
point , de bien ménager les occafions & commodités , & de fe prévaloir
du temps & des moyens. Toutes chofes ont leur faifon , les bonnes mê-
me, que l'on peut prendre hors de propos. Pour connohre Poccafion&h
faifir, il faut avoir l'efprit fort, éveillé & patient, afin de la guetter, de
l'attendre , de îa voir venir , de s'y préparer & de la prendre au point
convenable. Par-defTus tout, la difcrétion eft une chofe abfolument recom-
mandabte. Elle affaifonne & donne bon goût à toutes chofes.
Voici le chef-d'œuvre de la fagefle : c'eft de nous apprendre à mourir;
Çeft le maitre«-jour que celui de la mort. Il décide de toutes les aâions
de notre vie. On peut s'être mafqué dans le rôle qu'on a joué en ce
f.
pas bien achever. L'art de mourir confifte à ne pas perdre de vue nos vi-
ces & nos défauts, à fe tenir toujours prêt, & à quitter ce monde volon*
tiers. Oh la belle chofe que de pouvoir achever fa vie avant fa mort;
♦tellehient qu'il n'y ait plus rien à faire qu'à mourir, que l'on n'ait plus
befoio de rien , ni du temps , ni de foi-même j mais que pleinement &-
^-
en A RT.E »T C H A R T RX 517
tisfair, Von s^en aille content! Eh! qui. pouitoit troubler cette fatisfaâion?
La mort eft l'afiranchiflement de tous maux & le port de la vie. » Jamais
» la mort préfeate ne fit mal à perfonne ; & aucun de ceux qui l'ont e&.
D fayé 6t (a vent ce que c'eft , ne $'en eft plaint : & Ci la mort eft 4ite
t> mal , c'eft donc de tous les maux le feul qui ne fait point de mal..«.
» Au refte , il ne peut y avoir aucune raifon de la craindre ; car Ton ne
i> fait ce que c'eft. Pourcjuoi & comment craindra- 1- on ce que l'on ne
» fait ce que c'eft?.... Craindre la mort^c'eft faîre l'entendu & le Tuffifant,
9) c'eft feindre jde favoir ce que perfonne ne Tair. <« D'ailleurs inutilement
fe fàcheroit-on de mourir; puifque la mort eft naturelle, néceflfaire, inévi-^
table , jufte & raifonnable. Elle eft naturelle ; car tout homme efl mor-
tel, & fc fâcher de mourir , c'eft fe fâcher d'être homme. Elle eft nécef-
iaire & inévitable par la nature de l'homme. Enfin elle eft jufte & raîr
fbnnablé; parce qu'il convient d'arriver où l'on ne cefte d'afler. Si l'on
train t d^y arriver , il ne faut pas cheminer, mais^ s'arrêter ou rebroaflèr
chemin : ce qui eft impoftible. Si nous ne voulions pas mourir^ il nefal«-
loit pas naître. On ne vient point à d'autre marché dans ce monde que
pour en fbrtir. Le premier jour de la naiftance eft le premier pas que l'oit
tait vers la mort. Quel parti doit donc prendre le fagé à cet égard? c'eft
de vivre fans s'inquiéter de la ntorr ; de fè tenir prêt à la recevoir à tou^
tes heures ; de ne point la chercher , mais de l'attendre.
f
c H A R T E E T .c H-A R T R E. f. f. [
C. . . . ■
E mot (4) défigne. ordinairement des titres fort anciens, comme
du X, XI, XII & XIII^- Hecles, ou au moins antérieurs au XV^* fiecle.
A la tête de l'excellent ouvrage qui a pour titre , l'^rr de vérifier Us
dates , par r des religieux Bénédi^ns de la congrégation de St. Maur , on
trouve une differtation trés*utile fur la difGcuké de fixer les dates des
Chartes & des chroniques. Les difficultés, viennent de plufieurs caufesi
1^. .de la manière de compter les années, qui a fort varié; ainfî que les
divers jours où l'on a fait commencer l'année ; 2^. de l'ére d'Efpagne ,
;qpi con^mence 38 ans avant notjre ère Chrétienne, & dont on s'eft.iervi
long-temps dans, plufieurs Royaumes; 3^. des différentes fortes d'indiç-
tions; 4^. des diffêrens cycles dont on a fait ufage, & de plufieurs au-
tres caufes. Nous renvoyons nos. leâeûrs à ces difierens mots , & nous les
exhortons fort l lire la diftèrtation dont nous parions. Elle a été compofée,
aiofi que tojut le refte de l'ouvrage ^^ dans la vue de remédier à ces
încopyénîens^ ' ' ' *
mm
(éi } Le mot Càartrc a priyalu , quoiqu'il ne foxt que la cotruptiotaUe CIuM€^ en Latio Chana.
S'.
^t« CH A RTE HT C H A RTR It
CHAItTÈ.ÈDfiCOM MU TS È.
o
\^ N appelle ainH en France les lettres par léfquelles le Roi , ou quel-
gu'autre Seigneur» érigeoit les, habitans d'une ville ou bourg en corps &
dmmunauté. Ces lettres furent une fuite de raiTranchifTement que quel-
ques-uns des premiers Rois de la ti-oifieme race Commencèrent à. accorder
aux ferfs & mortaillables ^ car les ferfs ne formoieht point entr'eùx de
communauté. Les habicans %^xquels ces Chartres de commune étoient ac«
cordées^ étoient liés réciproquement par la religion du ferment , & par de
çertsunès loix. Ces Chartres de commune furent beaucoup multipliées par
Louis Vit, & furent confirmées par Louis VIII. Philippe- A ugu (le , &
}eurs fucceffeurs* Les Evêques Se autres Seigneurs en établirent aufli avec
|a permilHon du Roi. Le principal objet de Tétabliflement de ces commu-
nes ^ fut d'obliger les habitans des villes &, bourgs érigés en, commune^
(de fournir du fecours au Roi en temps de guerre , foit direâement> foit
médiatenîent , en le fôurniflant \ leur Seigneur, qui étoit vaffal du Roi,
& qui étoit lui-même obligé de fervir le Roi. Chaque Curé des villes &
bourgs érigés en commune venoit avec fa bannière à la tête de fes pa-
roilHens. La commune étoit auifî inftituée pour la confervation des droits
refpeâifs du Seigneur '& des fujets. Les principaux drpits de commune
font>.celui de mairie &.échevinage^ de collège, c'efl-à-dire , de (btraer
fin corps^ qui a droit de s'aflTembier; le droit de (^e«U:^de cloche^ bef&oi
& jurifdiâion. Les Chartres de commune expliquoient aufli les peines que
dévoient fubîr les délinquans, & les redevances que les habitans dévoient
payer au Roi ou autre leur Seigneur. Mr. Caterinot, en fa Diffirtatiûn^
que les coutumes ne font point de droit étroit, dit que ces Chartres de
commune font les ébauches des Coutumes.
c
LA OEANPE CHARTRE dM N G L B t E R R Ê.
'Est une ancienne patente contenant les privilèges de la nation,
accordée par le Roi Jean- fans^^terre , la neuvième année de fon règne, &
confirmée par Edouard L
La raifon pour laquelle on TappeHe tnagna , grande , eft parce qu'elle
'contient des fi-anchifes & de^ prérogatives grandes & précieufes pour la
nation ; ou parce qu'elle eft d^ine plus grande étendue qu'une autre
Chartre qui rut expédiée dans le même tenip^, que les Anglois appellent
Chartre de fofêt; ou parce qu'elle coiitient plus d'articles qu'aucune au-
tre Chartre; ou à caùfe des guert-es & des troubles qu'elle a caufés, &
du fang qu'elle a fait verfer ; ou enfin à caufe de la grande & remarqua*
^bie iolemnité tjui fc * pi^trqua iors 'dc^l'excommunicatiuii îles infraûcuis 6c
vioUteur^ de cette Chartre.
CHARTE -^ET GHARTRE»
VS
Les Anglois font remonter , Torigine de lear graqde Chartre à leur Roi
Edouard-le-confelTeur , qui par une Chartre exprefle accorda à la hation
plufîeurs |>rivileges & iranchifes ^ tant civiles qu'eccléfiafliques. Le Roi
Henri I, accorda les mêmes privilèges; & confîm^a la: Chartre de faint
Edouard par une femblabie qui n^exifte plus. Ces mêmes privilèges furent
confirmés & renouvelles par fcs fuccefleurs Etienne, Henri II, & JeaUé
Mais celui-ci par la fuite ^enfreignant lui-même, les Barons du Royaunid
prirent les armes contre lui les dernières années de fon règne.
Henri III, qui lui fuccéda, après s'être fait informer par des Commif-
faires nommés au nombre de douze pour chaque province ^ des libertés
des Anglois du temps de Henri I, confirma la grande Chartre que fes
prédécelTeurs avoient faite; confirmation qu'il fit autant de fois qu'il l'en^
fréignit, jufqu'enfin à la trente- feptieme année de fon règne*, qu'il alla
au Palais de Weftminfter ^ ou en préfence de la noblefle & des Evêques ,
2ui tenoient chacun une bougie allumée à la main, il fit lire la grande
.hartre , ayant, pendant qu'on la lifoit , la main fur la poitrine; après quoi
il jura folemnellement d'en obferver île contenu avec une fidélité inviola-*
ble^ en qualité d'homme, de chrétien, dé foldat & de Roi, Alors left
Evêques éteignirent leurs bougies, & les jetterent à terre, en criant,
qu'ainfi foit éteint & confondu ilàns les' enfers quiconque violera cette
Chartre.
La Grande Chartre eft la bafe du droit & des libertés du peuplé Anglois.
Voyei Droit & Statut.
On la jqgea fi avantageufe aux fujets, & remplie de difpofitions fi juftef
& fi équitables, en comparaifon de toutes celles qui avoient été accordées
jufqu'alors^, que la nation confentit, pdur Tobtenir, d'accorder au Roi le
quinzième denier de tous fes biens m^bles.
Cette pièce eft trop importante pour ne pas la domner ici en entier,
Chartre des communes libertés, ou la grande Chartre accordée par le Raif
Jean à fes fujèts l'an zxzs*
» Ie AN, par la grâce de Dieu, Roi d'Angleterre^ Çfc. Il tous les Ar«
^ chevêques , Evêques , Comtes , Barons , &c. ; qu'il vous foit notoire ,
que nous , en préfence de Dieu , pour le falut de notre ame , & de celle
de nos ancêtres ât defcendans, à l'honneur de DieU| à l'exaltation de
l'Eglife^ & pour la réformation de notre Royaume , en préfence des vér
nérables pères Etienne Archevêque de Cantorbéry, primat d'Angleterre^
& Cardinal de la fainte Eglife Romaine; Henri Archevêque de Dublin^
iGuillaume, Evêque de Londres, & autres no» vaiCiux & hommes-liges^
avons accordé, & par cette préfente Chartre accordons^ pour npu$ &
pour nos héritiers & fucceifeurs à jamais.
^
{id C H A R T E E T C H A R T R B.
I. » Que l'Ëglife d^Angleterre fera libre , jouira de tous Tes drotti &
libertés, fans qu'on y puiflè toucher en &çon quelconque. Nous vouloitt
que les privilèges de l'Eglifé fbieht t>ar elle polTédës, de telle manière
qu'il paroifle que' la liberté des éleâions , eftiméé très-néceflaire dans PE« *
glife Anglicane , & que notis avons accordée &' confirmée par notre
Chartre, avant nos «différends avec nos barons, a été accordée par un aâe
libre de notre volonté , & nous entendons que ladite Chaitre foit obfervée
par nous & par nos fuccefleurs à jamais.
* II. » Nous avons auffî accordé à tous nos fujets libres du Royaume
d'Angleterre , pour nous & nos héritiers fuccefleurs , toutes les libertés
fpécinées ci^denTous, pour être poflëdées par eux & par leur» héritiers |
comme les tenant de nous & de nos fucceifeurs.
III. » Si quelau'un de nos Comtes, Barons, ou autres qui tiennent des
ferres de nous , fous la redevance d'un fervice militanre , vient à mourir ,
làifTant un héritier en âge de majorité, cet héritier ne payera pour en-
trer en pofTeflion du fief, que félon l'ancienne taxe, favoir, l'héritier d'an
Comte , pour tout (on nef cent marcs ; l'héritier d'un Baron , cent
fchellings, & tous les autres à ^proportion, félon l'ancienne taxe des fitk.
IV. » Si 1 héritier fe trouve en âge de minorité, le fei^eur de qui foa
fief relevé^ ne pourra prendre la garde-noble de fa perlonne, avant que
d'en avoir reçu l'hommage qui lui eft dû. Enfuite, cet héritier étant par-
yéhu à i^ge de vingt-un ans^ &ra mis en pof&(Hon de fon héritage,
fans rien payer au feigneur. Que s'il eft fait Chevalier pendant fa mino-
rité ,' fon fief demeurera pourtant fous la gardé du feigneur ^ jufqu'au temps
marqué ci-deiTus. a ? ,
V V. p Celui qui aura en* garde, les terres d'un minetir, ne pfmrra preih
dre fur ces mêmes terres , que des profits & des fervtces raifoonaoles,
fans détruire ni détériorer les biens de tenanciers, ni rien de ce qui ap-
f>artient à l'héritage. Que s'il arrive que nous commettions ces terres à
a garde d'un Shérif, ou de quelqu'autre perfonne que ce foit , pour nous
* en rendre compte, & qu'il y faflc quelque dommage, nous promettons
de l'obliger à le réparer , & de donner la garde de l'héritage à quelque
tenancier dtfcret du même fief, qui en fera refponfable envers nous de
fa même manière, a
' VI. n Les gardiens des fiefs maintiendront en bon état, tant les mai-
fôns, parcs , garennes , étangs, moulins, & autres chofes en dépendant,
que les revenus, & les rendront à l'héritier lorfqu'il fera en âge, avec la
terre hien fournie de charriies & autres chofes néceffaires , ou du moins
atitant qu'ils en aurdn» reçv, La même chofe fera obfervée, dans la garde
qui nous appartient, des Archevêchés , Evéchés, Prieurés, Abbayes,
Eglifes, &c. excepté que ce droit de garde ne. pourra être Vendu. »
* VIL » Les héritiers feront mariés félon leur état & condition , & lei
parens en feront informés avant que le mariage {bit coatraâé. «
Vffl.
CHARTE ET C H A R T R Bé i%%
VIIL »( Aufli-tôt qu'une femme fera veuve , on lui rendra ce qu'elle:
aura eu en dot, ou fon héritage, fans qu'elle foit obligée de rien payer
I»our cette reflicution, non plus que pour le douaire qui lui fera dû fur
es biens qu'elle & fon mari auront pofTédés, iufqu'à la mort du mari.
Elle pourra demeurer dans la principale maifon de fon défunt mari ,. qua*
rante jours après fa mort , & pendant ce temps-là , on lui aflignera fon
douaire, en cas qu'il n'ait pas été réglé auparavant. Mais fi la princi**^
pale maifon étoit un château fortifié, on pourra lui afiigner quelqu'auue
demeure où elle foit commodément, jufqu'à ce que ce douaire foit réglé.
Elle y fera entretenue de tout ce qui fera raifonnablement nécefiaire pour
fa fuofiftance, fur les revenus des oiens communs d'elle & de fon défiint
mari. Le douaire fera réglé à la troifieme partie des terres poflëdées par
ion mari pendant qu'il étoit en. vie, à moins que par fon contrat de ma*
nage , il n'ait été réglé à une moindre portion. ^
IX. SI On ne pourra contraindre aucune veuve , par la faifie de fes meu-
bles, à prendre un autre mari, pendant qu'elle voudra demeurer dans
l'ëcat de viduité : mais elle fera obligée de donner caution qu'elle ne fe
remariera point fans notre conlentement , fi elle relevé de nous , ou fans
celui du feigneur de qui elle relevé immédiatement. «
.X« » Ni nous, ni nos bailli&, ne^ ferons jamais faifir des terres, ou les
rentes de qui que ce foit pour dettes , tant que le débiteur aura des meu- ^
blés pour payer fa dette, & qu'il pàroitra prêt à fatisfaire fon créancier.
Ceux qui l'auront cautionné, ne feront point exécutés, tant que le débU
teur même fera en état de payer. « .
XL » Que fi le débiteur ne paie point , foit par impuiflfance , foit par
défwt de volonté , on exigera la dette des cautions , lefquelles auront une
hypothèque fur les biens & rentes du débiteur , jufqu'à la concurrence de :
ce qui aura été payé pour lui ; excepté qu'il fafle voir une décharge des
cautions. .
XII. n Si quelqu'un a emprunté de l'argent des Juifi & qu'il meure
avant que la dette foit payée , l'héritier , s'il eft mineur , ne payera point
d'intérêt pour cette dette, tant qu'il demeurera en âge de minorité, de
qni que ce foit qu'il relevé. Que fila dette vient à tomber entre nos mains»
nous nous contenterons de garder le gage livré par le contrat pour fureté >
de la même dette. « .
XIIL » Si quelqu'un meurt étant débiteur des Juifs , fa veuve aura fon
douaire, fans être obligée de payer aucune partie de cette dette. ^Et fi
le défunt a laiflë des emPans mineurs , ils auront la fubfîflance proportion-
née , au bien réel de leur père , & du furplus , la dette fera payée , fauf
toutefois le fervice dû au leigneun Les autres dettes dues à d'autres qu'à
des Juifs , feront payées de la même manière, a
XIV. » Nous promettons de ne fiiire aucune levée ou impofition foit
pour le droit de fcutage, ou autre, fans le confentement de notre corn*
Tome XL Vvv
^z% . C H A R T E 1 T C H A R T R B.
ttùn con(«il du Royauoie ^ à moins que ce ne f(nt pour le rachat de
notre perfonoe y. ou pour faire notre fils tiné Chevalier ^ ou pour marier
une fois feulenoieac notre fille ainée ^ dans cous lefquels cas noua levexoas
feulement une aide raiibnn^ble & modérée. ^
XV. 9 II en fera de même à Tëgard des fubâdes» que nous lèverons
fur la ville de Londres , laquelle jouira de fes anciennes libertés & coutu-»
mes ^ tant fur eau que fur terre. <t
: XVI. 3^ Nous accordons encore à toutes tes autres villes , bourgs ^ vtlla^
^es, aux barons des cinq ports, & à tous autres ports ^ qu'ils puiflèot
jouir de leurs privilèges & anciennes coutumes, & envoyer des députés au
cpnfeil commun pour y régler ce que chacun doit fisumir , les trois cas de
IVticIe XIV exceptés. .
XVII. » Quand il fera quefiion de régler ce que diacun devra payer
pour le droit de fcutage , nous promettons de faire fommer par des or*
dres particuliers» les Archevêques , les Evêques, les Abbés ^ les Comtes
& les «rands Barons du Royaume chacun en fbn particulier. «
XVIIL » Nous^promettons encore de faire fommer en général par nor
fliérifs ou baillifs ,. tous ceux qui tiennent des terres de nous en chef, qoa*
rante jours avant la tenue de Taflièmblée générale , de fe trouver au lie»
aflîgné, & dans fes (bmmations sous déclarerons les caufes pour lefquelles
l'affemblée fera convoquée. «
. XIX. I.es fommatibns étant faites de cette manière ^ on procédera fans
délai à la décifion des a&ires félon les avis de ceux qui fe trouveroot
préfens ^ quand même tous ceux qui . auroient été fommés n'y fe*
roient pas. »
XX. » Nous promettons de n^accocder à aucun feigneur que ce îbit , h
permiflioa de lever aucune fomme fur fes vaflaux & tenanciers ^ fi ce n'eft
pour le délivrer de prifos, pour faire fon fils aîné Chevalier, ou pour
marier fa fille aînée , dans lefquels cas il pourra feulement lever une taxe
modérée. «
XXI. » On ne fatfira les meubles d'aucune perfonne pour l'obliger ï
raifon de fon fief, à plus de fervice, quHl n'en doit namrelleaient. »
, XXII. » La cour des communs pIaido3rers , . ne fuivra phiâ notre psr«
fpnne; mais elle demeurera fixe en un certain lieu. Les procès tMchaot
rexpulfion de pofreflion , la mort d'un ancêtre , ou la préfenutioa anx bé*
néfices, feront jugés dans la Province ^ dont les parties dépendent , de cette
manière. Nous ou notre ^and juflicier, envoyerons une fais tous les ans^
dans chaque Comté, des juges, qui, avec les Chevaliers des mêmes Com-
tés, tiendront leurs aflifes dans la Provincç même, a
XXIII. n Les procès qui ne pourront être terminés dans une felfion;
ne pourront être jugés dans un autre Uett du circuit des mêmes juges, &
les affaires qui, pour leurs difficultés, ne pourront pas être décidées ptf
us^ mêmes juges, feront portées à la cour du banc du Roi». «
CHARTE ftT.CHARTRÊ ftj
JC^V. » Toutes les a^6&tres t{m regftrdefii; h 4imiîere pné&atsttîon aux
églifes , fieraiit portées à U cour du bftnç dii Roi^& y feroat termioéjes. à
XXV. » IJn iBoancicr libre ne poiura pas être ms ï ramenje pout de
petites fautes , mais feulement pour les grandes^ & l^amMde fora ptopon^
rionnée au crkne, fâuf U iuh&ftaoce, dopt il ne pOiura être privé. II en
feniufëde même k l'égard dos marchaod^ j auxqueb im fet» teniàide laîflèif
ce qui leur fera néceifaire pour "^eatreceiiir leur eCommerce, ce ;,
XXVf « y> Semblablemeut un payfan , ou autre perfoooe à nous apparte*
fiant , ne pourra être mis à l'ameode qu'aux mêmes cooditio0&. C'efi«*à^dire i
qu'on ne pourra point toucher aux infirumeiu lerv.anf ^au labom^ge. Aucune
des fufdices amendes ne fera isnpofiie xjue fiir^ ihrmenidfi douze hommes
du voîfinage recomuta pour gqns de honne réputation. «
XXVII. » Les conuses & les barons, pe feront mis à Tameode^ que par
leurs pi^irs & félon la qualité de Pofîeafe. fc
XXVIII. » Aucun eccléfiaftique ne fera mis ï une amende proportionnée
au revenu de fon bénéfice , mais feulement aux btâis laïques qu^U pofTede |
& félon la qualité . de fa &ute. a
XXIX. » On ne contraindra auCuhe Vitle , ni aucune fierfonfte par la (ait'
fiede^ meubles, k faire conftmtre: des ponts for lits rivitresi à Aïoiiis qu'elles
n'y foienc obligées par un ancien droit. «
XXX. D On ne fera aucune digue aux nvieres , : qu'à celles qui l^n ont
eu àxï tems d'Henri I. «
XXXI. » Aucun fchérifi cotmétaMe , colonel , ou autre officier, ne pourra
tenir les plaids de la couronne. <c
XXXII. » Les comtés, centaines , Trapentaks ^ dixaines, demeureront fixés
felon l'ancienne forme , les terres de notre domaifie paitKulier^ exceptées. «
XXXIII. » Si quelqu'un tenant de nous ya iief làiqîie meurt , & que le
fchérif , ou baillir produife des preuves pour faire voir que le défunt étoit
notre débiteur, il fera permis de faifîr & d'enregifirer des meubles trou*
vés dans le même fief, jufqu'à la concurrence de la fomme dute,.& cela
par Tinipeâion de quelqiics voifins répiMjés gens d'honneur, afin que rtesi
ne foit détourné jufqu'à ce que la dette feit payée^ Le furplus fer;i lai^
entre les mains des exécuteurs du tefiament du définit. Que «'il fe trouve
3ue le défiint ne nous devoit rien, le tout fei^laifië à l'héritier, fauf fes
roits de la veuve & des enfitns. a ^
XXXIV. » Si quelque tetumcier meurt fans faire teftametit , fes effets
nobiliaires feront diftribués par les plus proches parens & amis , avec
l'approbation de l'égUfe, fauf ce qui étoit dû par le défiint. <c
XXXV. » Aucun de nos baiUifs ou connétables , ne prendra le grain ,
ou autres effets mobiliaires d'une perfonne qui ne fera pas de fa jurifdic*-
tion , à moins qu'il ne le paie comptant , ou qu'il n'ait auparavant con^*
venu avec le vendeur du tems du paiement. ■ Mais fi le vendeur cfl de la
Ville même, il fera payé dans quarante jours. «
Vvv a
524 CHARTE IT CHART/RE.
XXXVI. » 0|i ne pourra faifir les meubles d'aucun chevalier Tous piécette
de la garde des châteaux^ s'il of&e de lui-même le fervice ou de donner
un homme en fa place , en ca$ qu'il ait une excufè valable , pour s'en
di(penfer lui-même, a
XXXVIL » S'il arrive qu'un chevalier foit commandé pour aller fervir ï
l'armée, il fera difpenfé de la garde des châteaux tout autant de tems
qu'il fera fon fervice à l'armée, pour raifon de fon fie£ a
XXXVIIL B Aucun fchérif ou baillif ne prendra par force, ni chariots,
ni chevaux , pour porter notre bagage , qu'en payant le prix ordonné par
les anciens réglemens , favoir , dix lois par jour , pour un chariot à deux
chevaux, & quatorze fols pour un 1 trois chevaux. «
XXXIX. » Nous promettons de ne Êiire point prendre les chariots des
ecçléfi^af^ques , ni des chevaliers , ni des dames de qualité , non plus que du
bois, pour l'ufage de nos châteaux, que du conientement des proprié*
taires. «
, XL. B Nous ne tiendrons les terres de ceux qui feront convaincus Je
félonie, qu'un an & un jour : après quoi noUs les mettrons entre les
mains du 6eigneur. a
XLI. 9 Tous les filets à prendre des faumons ou autres poillbns , dans
les rivières de Midvay, ou dans la Tamife, & dans toutes les rivières
d'Angleterre, excepté fpr les cotes , feront ôtés. ^
XIJJ. 9 On n'accordera plus aucun vrrit ou ordre appelle pracipe par
lequel un tenancier doive perdre fon procès. «
aLÎII. » Il y aura une même mefure dans tout le Royaume pour le vis
&: pour la bieré» auffi-bien que pour, le grain , & cène mefure fera con-
ferme à celle . dont on fe fert à Londres. Tous les draps auront une
même largeur, favoir deux vetges^ entre les deux lifieres. Les poids feront
àudi les mêmes dans tout le Royaume. «
XLIV. » On ne prendra rien à l'avenir pour les writs , ou ordres d^
former, de cekii qui défirera qu'information foit iaite, touchant la perte
de la vie , ou des membres de quelque peribnoe : mais ils feront accordés
gratis , & ne (eront jamais refulés. a
XLV. » Si quelqu'un tient de nous une ferme , (bit fbccage ou burgage, &
quelques terres d'un autre , fous la redevance d'un fervice militaire , nous
ne prétendons point , fous prétexte de cette ferme , avoir la garde de l'hé-
ritier mineur , ou de la terre qui appartient au fief d'un autre. Nous ne
prétendons pas même à la garde de la ferme , à moins qu'elle ne foit Tu-
jette à un fervice militaire, a
, XLVL » Nous ne prétendons point avoir la garde d'un enfent mineur,
ou de la terre qu'il tient d'un autre , fous l'obligation d'un fervice militaire,
fous prétexte qu'il nous devra quelque petite redevance, comme de nous
fournir des épées , ou des flèches , ou quelque chofe de cette nature. <
XLVII. » Aucun baillif ou autre de nos officiers , n'obligera perfonne à
C H A R T E Hï C H A R T R E. $25
le purger par ferment^ fur fa fimple accufatîon ou témoignage, à moins
que ce témoignage ne fpit confirmé par des gens dignes de foi. a
XLVIII. » On nVrétera, ni emprifonnera , ni ne dépoffédera de fes
biens , coutumes & libertés ^ & on ne fera mourir perfonne , de quelque
manière que ce foit, que par le jugement de fes pairs , ielon les loix du pays. «
XLIX. o Nous ne vendrons, ne refuferons, ou ne différerons la juftice
à perfonne. «
L. » Nos marchands, s^ils ne font publiquement prohibés^ pourront libre*
ment aller & venir dans le Royaume , en forrir , y demeurer , le traverfer
par terre ou par eau , acheter , vendre félon les anciennes coutumes , fans
qu'on puiiTe impofer fur eux aucune maltote , excepté en tems de guerre ^
ou quand ils feront d'une nation en guerre avec nous. «
LI. i> S'il fe trouve de te^s marchands dans le Royaume au commence*
ment d'une guerre, ils feront mis en fureté fans aucun dommage de leurs
perfonnes ni de leurs effets, jufqu'à ce que nous, ou notre grand jufticier^
soyons informés de la manière dont nos marchands font traités chez les
ennemis , & fi les nôtres font bien traités , ceux-ci le feront aufli parmi nous. «
LIL 9 II fera permis à l'avenir à toutes perfonnes de fortir du Royaume,
& d'y -retourner en toute fureté , fauf le droit de fidélité qui nous efl dû ,
excepté toutefois en temps de guerre, & pour peu de temps quand il fera
néceflaire pour le bien commun du Royaume ; excepté encore les prifbn*
niers & les profcrits , félon les loix du pays , & les peuples qui feront en
guerre avec nous , auffî-bien que les marchands d'une nation ennemie ,
comme en l'article précédent. «
LUI. » Si quelqu'un relevé d'une terre qui vienne ) nous échoir, foit
pour coflfifcatioo ou autrement, comme de Wallingfbrd , de Boulogne , de
riotttngham, de Lencafter, qui font en notre poffdlîon, & qui &nc des
baronnies , & qu'il vienne à mourir , fon héritier ne donnera rien , Se ne
fera tenu de fiiire aucun autre fer vice, que celui auquel il feroit obligé, fî la
baronnie étoit pn la poife^Iion de l'ancien baron & non dans la nôtre. Nous
tiendrons ladite baronnie de la même manière que les anciens barons la te«
noient avant nous. Nous ne prétendrons point pour raifon de ladite baronnie
tombée entre nos mains , avoir la garde noble d'aucun des vaffaux à
moins que celui qui poflède un fief, relevant de cène baronnie, ne relevât
auffi de nous pour un autre fief, fous l'obligation d'un fervice militaire, a
LIV. » Ceux qui ont leur habitation hors de nos forêts ne feront point
obligés de comparoitre devant nos juges- des forêts , fur des fommations
Î générales , mais feulement ceux qui font intéreflës dans le procès ; ou qui
ont cautions de ceux qui ont été arrêtés pour malverfatiens , concernant
nos forêts. «
LV. i> Tous les bois qui ont été réduits en fpi^ts par le Roi Richard notre
frère , feront réublis en leur premier état , les bois de nos propres domaines
exceptés, a
{2^ € R A 11 r Ê ST C H A R t It &
LVT. 9 Pcrfonne ne pourra vendre ou donner aucune partie de (k tene
au préjudice de fon Seigneur. C^eft<-à^ire , it moini qu'il ne lut en refie
aflez pour pouvoir faire le fenriee dà au Seigneur, a
LViJ. » Tous patrons dVibbayes i|ui ont de^ Chartres de quel<{u^un des
Rois d'Angleterre , contenant droit de patronat , ou qui poflèdent ce droit
de temps immémorial ^ auront la garde de ces abbayes pendant k vacance,
comme ils doivent Tavoir félon ce qui a été déclaré. «
LVIII4 » Perfonne ne fera mis en prifon fur Pappel d^une femme , pour
la mort d^aucun autre homme , que du propre mari de la femme. «
LIX. n On ne tiendra le shire*gemot ou la cour du comt4 , quNine fbii
par mois , à moins que ce ne foit dans les lieux où la coutume eft de
mettre un plus grand intervalle entre les feffions , ou Pdn contmuem dt
même feion l'ancienne coutume. «
LX. •> Aucun shérif ou baîllif. ne tiendra fon tour ou (a cour que dent
fois Tan ; favoir , la première après les Féres de Pâques ; la féconde aprél
la S. Michel & dans les lieux accoutumés. Alors Pinfpeâion ou examen
des cautions ou furetés^ dont les hommes libres de notre Royaume fe (oc^
vent mutuellement , fe fera au terme de S. Michel , fans aucune oppref&on :
de telle manière que chacun ait les mêmes libertés, dom il joui<lbit fooi
le règne d*Henri I , & de celles qu'il peut avoir obceoues depuis. «
LXI. » Que ladite tnfpeéHon fe hffe de telle forte qu^elle ne porte aucua
préjudice à la paix, Si que la dixaine foit remplie comme elle le doit être. <
. LXII. «> Que le «hérir n^opprime & ne vexe perfonne, mais qn'il fe coo*
tente des droits que les fhérifs avoient accomumés de prendre , fous le
règne d^Henri h v
LXIII. » Qu'à l'avenir il ne (bit permis à qui que ee foit de donner ft
terre ii une maifon religieufe, pour la tenir enfuite en fief ^e cette maifoa.s
LXIV. o II ne fera point permis aux maifons religieufes de recevoir des
ferres de cette manière, pour les rendre enfuite aux propriétaiita , & i
condition de relever des monafleres. Si à l'avenir quelqu'un entreprend di
donner fa terre à un monaflere , & qu^il en (bit convaincu , le don fera
nul , & la terre donnée fera confîfquée au profit du Seigneur. «
LXV. » Le droit de fcutaee fera perçu à Pavenir , ièlon la coutume pri*
tiquée fous Henri I. Que les fhérifs nVntreprennent point de vexer qui
que ce (bit , mais ûu'ils fe contentent de leurs droits. «
1.XVI. » Toutes les libertés (k privilèges que nous accordons par cette
préfente Chartre , à l'égard de ce qui nous eft dû par nos vaflfaux , feront
obfervés de même par les clercs , Se par les laïques , à l'yard de leur?
tenanciers. «
^ LX VII. » Sauf le droit des archevêques , abbés , prieurs , templiers , hoP»
pitaliers, comtes, barons, chevaliers, & de tous les autres tant laïques
qu'eocléûafliques , dont ils jouifToient avant cette Chartre : témoins , &€. •
C H A s s s.
T»7
L
C H A S S E , f. £
fE droit de Chafle^ ou de la pourfuitd du gibier gros & menu, au
poil & à la plume , appanienc au Souverain , ou aux Seigneurs qui font
propriétaires des biens de campagne^ chacun fur fon territoire. Ceft
un arrangement bien fage que ce droit n'ait p^s été accordé à des perfon*
nés de toute condiricM) , vu l'abus qu'ils n'ânroient pas manqué d'en faire
dans la deftruâion du gibier. Les loîx particulières de chaque pays déter-
minent i^. quelle partie de la haute-Chaffe eft réfervée excluuvement au
Souverain, 2^. jufqu'où il peut l'exercer même fur les terres de fes vaf-
fàux I )^* jufqu'où s'étendent les limites & les droits de parcs , 4^. quelle
partie de la haute , moyenne & petite ChaflTe e(t accordée à chaque terre
leigneuriale , %^. quel eft le droit du Seigneur de chafler fur les terrés de
fes payfans & autres fujets , 6^. quelle efpece de ChafTe eft permife ou
défendue dans tous les pays ^ 7^. quelle forte de gibier il efl permis ou
défendu de prendre dans des pièges ou des filets , 8^. quels font les chà-
timens de ceux qui contreviennent à ces réglemens , & qui abattent furti-
vement le gibier. La Vénerie doit veiller à l'obfervation de ces loix ; &
les Gardes-Chaffes doivent, pour ainfi dire» habiter les forêts^ pour garder
tant le eibier que le bois : il faut les obliger à être exaâs à leur devoir ; car
la conservation du gibier eft un objet important. C'eft ainfi pour la même
raifon que, dans prefque tous les pays policés de l'Europe, la Chafle n'éft
pas ouverte en toute iaifon , mais quil eft défendu, tant aux chafleurs du
Souverain , qu'aux Gentilshommes , de chafter depuis le premier de Mard
jttfqu'au premier Septembre, pour donner au gibier de toute efpece le
temps de faire paifiblement leurs petits, & de les élever pendant les mois
d'été. On a aufli très-fagement défendu les Chafles meurtrières, par lef«
quelles les Seigneurs , pçiur fatisfiire à un plaifîr brutal , maftacroient le gi-
bier fans diftinâion, & en détruifoient l'efpece. D'un autre Côté, il n'eft
pas prudent non plus de laifler les bêtes-fauves fe multiplier au point qu'el-
les défolent les champs des habitans de la campagne, pour trouver leur
pâture hors des bois. Il règne, en bien des pays, de grands abus à cet
égard. Lts Princes, pour ê procurer le frivole & dangereux amufement
de la Chaffe forcée , font conferver plus de cerfs , de biches , de daims ^
de chevreuils , de fangliers , &c. qu^l n'en eft befoin. Ces animaux fortant
des bois ruinent les moilfons ; & l'infortuné payfan n'oferoit les tuer fans
encourir les plus terribles châtimens. Que gâgne-t-on par-là ? On fait un
tt>rt conddérable à la récolte générale du pays , on punit , on ruine un fu-
jet honnêre homme , qui eft plus utile à l'Etat que rous les cerfs , & on
veut le forcer à voir d'un œil tranquille le fruit de fes travaux abymé par
les bêtes fauvages. Une femUable conduite eft telle , qu'on n'a qu'à en
528 CHASSE.^
pjrëfenter le tableau pour en Ëûre featir l'abfurdité. On ^che par touter;
fortes de moyens de détruire les ours ^ les loups , les renards ^ les niar«
tes, les loutres, les vipères, & tous les aoimaux voraces & dangereux»
tandis qu'on peuple les forêts d'une quantité prodigieufe de bêtes-Ëiuve^
qui mettent le campagnard au défefpoir.
La ChalTe n'eft devenue un droit que par convention ^ ou par une loi
de la fociété politique. Mais la loi qyi défend de nuire aux autres eft une
loi naturelle » à laquelle les loix humaioes doivent être fubordonnées. La
loi des hommes permet aux Seigneurs d'avoir du gibier ; m^s la loi pri-
mitive y met cette reftriâion : autant qu^il ne nuira à pcrfonnt^ Dans
le cas où il nuit , elle abolit la loi humaine. Ce principe doit être la bafe
du code des Chafles.
Machiavel recommande la Chafle aux Princes » comme un vaoje^, de
connoitre les fituations & les paflTages de leur pays. On fent bien que cette
raifbn ne peut regarder que de très-petits Princes dont les Etats font très*
peu étendus. Mais » dit rort bien l'auteur-Roi qui a pris à tâche de réfù*
ter Machiavel , fi un Roi de France , fi un Empereur , ptétendoient ac-
quérir de cette manière la connoifTance de leurs Etats , il leur faudroit au^
tant de temps dans le cours de leur Chafle, qu'en emploie l'Univers dans
la grande révolution des aftres. Entrant enfuite dans un plus grand détail
fur la ChafTe , il ajoute : puifque ce plaifii" eft la pa(Tîon prefque générale
des Nobles , des grands Seigneurs , & des Rois ^ fur-tout en Allemagne ^
il me femble qu'elle mérite quelque difcuflion.
La Chafle eft un de ces plaifirs fenfuels , qui agitent beaucoup le corps,
& qui ne difènt rien à l'eiprit ; c'efl un déur ardent de pourfuivre quel*
que bête, & une fatisfàâion cruelle de la tuer; c'efl un amufement qui
rend le corps robufle fie difposy & qui laifTe l'efprit en firiche & fans
culture.
Les chafleurs me reprocheront , fans doute , que je prends les chofes
fur un ton trop férieux , que je fais le critique févere , & que je fuis dans
le cas des Prêtres , qui , ayant le privilège de parler feuls dans les chai-
res , ont la facilité de dire tout ce que bon leur femble , fans appréhender
d'oppofition.
Je ne me prévaudrai point de cet avantage; j.'allégueraî de bonne fbi
les raifons fpécieufes qu'allèguent les amateurs de la Chaflè. Ils me diront
di'abord que la ChafTe eft le plaifir le plus noble & le plus ancien des
hommes; que des Patriarches , & même beaucoup de grands hommes,
ont été chaffeurs; & qu'en chafGmt, les hommes continuent à exercer ce
même droit fur les bêtes ^ que Dieu daigna lui-même donner à Adam.
Mais , ce qui eft vieux n'en eft pas meilleur , fur-tout quand il eft ou*
tré. De grands hommes ont été paffîonnés pour la Chaue, je l'avoue:
ils ont eu leurs défauts comme leurs foibleffes ; imitons ce qu'ils ont eu
de grand % ii ne copions point leurs nânuties»
Les
C H AS S B* ^29
Les Patriarches ont chafTé, cVll une vérité ; inavoué encore qu^its ont
ëpoufé leurs fœurs , que la poligamie étoit en u(age de , leur temps : maig
ces bons Patriarches , en chaffiint ainfi , fe refTentirent des fiecles barbarei
dans lefquels ils vivoient; ils éroient trés-groffîers & trés-ignorans ; c^ë«
toient des gens oifîfs , qui , ne fâchant point s'occuper , & pour tuer \t
temps qui leur paroiflbit toujours trop long, promenoient leurs ennuis à
la Chafie : ils perdoient dans les bois, à la pourfuite des bétes, les mo««
mens qu'ils n'avoient ^ ni la capacité , ni l'elprit , de paifer en compagtiie
de perionnes raifonnables.
Je demande fi ce font des exemples à imiter ? Si la grofliéreté doit
inftruire la politefle ? Ou , fi ce n'eft pas plutôt aux fiecles éclairés ï fer-
vir de modèle aux autres.
Qu'Adam ait reçu l'empire fiir les bêtes , ou non , c'eft ce que je ne
recherche pas ; mais je fais bien que nous fommes plus cruels & plus ra«
paces que les bêtes même , & que nous ufons tyranniquement de ce pré-
tendu empire i fi quelque chofe devoit nous donner de l'avantage fur les
animaux , c'eft alfurément notre raifbn , & ceux pour l'ordinaire qui font
profeifion de la Chafle, n'ont leur cervelle meublée que de chevaux, de
chiens, & de toutes fortes d'animaux. Ils font quelquefois trés-grofiiers ^
& il efl à craindre qu'ils d^viemient aufiî inhumains envers les hommes ^
qu'ils le font à l'égard des bêtes , ou- que du moins la cruelle coutume
de faire fouf&ir avec indifférence, ne les rende moins compatiffans aux
malheurs de leur femblables. E(l-ce là ce plaifir dont on nous Vatite tant
la nobleffe? Efl-là cette occupation fi digne d'un être penfant ? On m'ob-
jeâera que la Chaflè .eil Tàlutàire à la kmté, que l'expérience a fait voir
que ceux qui chaffent deviennent vieux , que c'efl un plaifir innocent &
qui convient aux grands Seigneurs, puifqu'il étale leur magnificence, puif-
qu'il -diffipe leurs chagrins, & qu'en temps de paix il leur prélente les
images de la guerre.
Je fuis bien éloigné de condamner un exercice modéré; mais qu'on y
prenne garde , l'exercice n'eft néceffaire qu'aux intempérans. Il n'y a point
de Prince qui ait vécu plus que le Cardinal de Fleury, ou le Cardinal de
Ximenés & d'autres qui n'étoient point chafTeurs. Faut-il d'ailleurs choifilr
la profeffiori* qui n'a de mérite que celui de promettre une longue vieî
Les Moines vivent d'ordinaire plus long-temps que les autres hommes ;
&ut'il pour cela fe faire Moine?
Il ne s'agît point qu'un homme traîne jufqu'à Page de Mathufalem le
fil indolent & inutile de ks jours ; mais plus il aura réfléchi , plus il aura fiiit
d'aéKons belles & utiles , & plus il aura vécu.
D'ailletsrs , la Chaffe efl de tous les amufemens celui qui convient le
moins aux Princes; ils peuvent manifefter leur magnificence de cent ma-
nières beaucoup plus utiles pour leurs fujets: s'il le trouvoit que l'abon-
dance du gibier ruinât les gens de la dampagne , le foin de détruire ces
Tome XL Xxx
53®
CHASSE- MARÉE.
animaux pourroit très-bien fe commettre aux chàfleurs payés pour cela.
Les Princes ne devroient proprement être occupés que du loin de s'inflruire
t& de gouverner afin d^acquérir d'autant plus de connoiflkncés , & de pou-
voir d'autant plus fe former une idée de leur profeifîon pour agir bien en
tonféquence.
Je dois ajouter ^ fur-tout pour répondre à Machiavel , au'il n'eft point né-
cefTaire d'être ChalTeur pour être grand Capitaine. Guftave-Adolphe , Tu-
^enne , Marlborough , le Prince Eugène , à qu; on ne difputera pas la qua-
lité d'hommes illuftres & d'habiles Généraux, n'ont point été chàfleurs î
nous ne lifons point que Céfar, Alexandre , où Scipion l'aient été.
On pçut en (e promenant faire des réflexions plus judicieufes & plus fo-
lides fur les différentes fituacions d'un pays , relativement à l'art de la guer-
re, -que lorfque des perdrix, des chiebs couchans, des cer&, une meute
de toutes fortes d'animaux » & Tardeur de la Chaffe vous difiravent : un
grand Prince , qui a fait la féconde campagne en Hongrie , a rifqué d'être
fait prifonnier des Turcs pour s'être égaré à la Chaffe : on ^ devroit même
défendre la Chaffe dans les armées , car elle caufe beaucoup de défordre
dans les marches.
Je conclus donc ^u'il efl pardonnable aux Princes d'aller à la Chaffe,
pourvu que ce ne foie que rarement , & pour les diflraire de leurs occupa-
lions férieufes , & quelquefois fort trifies. Je ne veux interdire encore une
fois aucun plaifir honnête; mais le foin de bien gouverner, le foin de
rendre fon Etat heureux & floriffant , de protéger , de voir les fuccès de
tous les arts , efl certainement le plus grand plaifir, & malheureux celui ï
qui il en faut d'autres! Cet artick cfi cintrait en partie de rAnti'-Mar
chiaveh
CHASSE-MARÉE,f. m.
Marchand forain pour le poijfon de mer*
X^E Chaffe- marée efl celui qui acheté le poiffon fur les ports de mer
pour le tranfporter & le vendre à Paris ou dans les autres provinces.
Ce commerce a commencé par le hareng à Paris, & c'efl peut-être
de-là que l'ufage s'efl enfuite établi de nommer harangeres les femmes
qui vendent en détail dans nos marchés le poiffon de mer tant le frais que
le falé. On peut fixer fous le règne de St. Louis le commencement du
commerce de polffons de mer pour les provifions de Paris ^ d'où il s'efl
enfuite étendu dan^ les, autres parties du ^Royaume; en effet ce Prince
établit par une ordonnance de l'an T254 l'ordre & la difcipline qui devoit
être obfervée dans ce, copimercç : ç'eft la première fois qu'il eft parlé de
C H AS s E - M A RÉ E. 531
marchands forains & de voitfurièrs de poiflbns de mer, & que ces poUTons
y font diftingués en frais & en fecs ou falés. Il n^ a aucun commerce
qui ait donné lieu à un plus grand nombre d^ordonnances & de régie-
mens : Tun des plus anciens regidres de nos archives publiques en efl
rempli, & en a pris le nom de regiflre de la marée. Il s'agit ici particu-
lièrement du poiUon frais , qui a mérité par fa délicarefle y ion bon goût »
le grand nombre & la variété de fes efpeces, le nom générique de ma-^
rée , & le débit s'en fait au même état qu'il efl au fortir de la mer ,
(ans autre préparation. Les côtes de Picardie en fourniffent une fort grande
abondance, dont un tiers ou environ fe transporte en Artois & en Flan-
dres, un tiers & plus à Paris, & le relie fe confomme dans le pays. Le
feul bourg d'Aulx en fourniffoit autrefois plus de quatre mille fommes dans
les années où la pêche étoit favorable. Il nous vient aufli beaucoup de
ce poiffon frais des côtes de Normandie , & fur-tout de Dieppe , du Havre
de Grâce , de Granville & des environs.
Par un ufage obfervé de tout tems à la halle de Paris, oii fe vend fa
marée, chaque pannier de Chaffe-marées doit être étiqueté de la qualité
des poiiTons qu'il contient v il leur eft défendu fous de très-groffes amendes
de les contremarquer, par exemple de folles ceux qui ne Croient remplis
que de flers. De ces paniers l'on n'en vuide qu'un de chaque efpece de
poifTons dans la manne qui efl devant chacun des jurés-vendeurs ; & c'eft
fur cet échantillon que les marchands en détail font leurs enchères & con-
cluent leurs marchés ; ainfi pour entretenir la bonne foi dans ce commer-
ce , il efl important que tous ces paniers , quant à leur capacité , foient
uniformes ; ce qui a donné^ lieu d'en faire faire un patron ou étalon mar-
qué aux armes du Roi , gardé & confervé dans un dépôt aux halles pour
y avoir recours & en faire la vérification en cas de befoin.,
Il eft ordonné aux Chaffes-marées par les réglemens de remplir leurs pan-
niers loyalement fans mettre au fond aucun bouchon de paille ou autre
emplaye, qu'autant qu'il efl néceffaire pour la confervation des poiffons :
le poiubn doit être auflî bon deffous que deffus & au milieu. Il leur efl
défendu de mettre dans un même panier des poiffons de deux morts, ou
de deux différentes marées mêlés enfemble, & d'y mettre des rayes ou des
chiens de mer « fur les autres poiffons ; parce que ces grands poiffons par leur
fraîcheur, leur humidité & leur poids , pourroient corrompre les autres.
Les voitures du poiffon, pour l'avoir frais & bon à manger aux lieux
éloignés de la mer d'une certaine diflance, qui ne peut ênre que de 30
ou 4.0 lieues , demandent une diligence extraordinaire \ aufli nos loix les
ont -ils favorifés de tous les fecours dont ils ont eu befoin dans les com-
mencemens de leurs entreprifes, pour faciliter leur commerce : plufieurs
obflacles traverferent d*abord leur diligence : les violences qu'on leur fai-
foit pour avoir de leurs poiffons: & les péages exceflîfs que les proprié-
taires des paffages exigeoient d'eux , furent des obflacles qu'il fallut lurmon-
Xxx 2
^p C H A s s E. - M A R É 7.
ter* Par deux arrêts du Parlement du mois de Janvier 1314, Pua contre
les Religieux de St. Lucien , & l'autre contre le Seigneur de Milly , les
ChafTe-marées fiirent maintenus dans le droit de paner librement par te
bourg de Milly en payant feulement aux Religieux de St. Lucien le 1 o &
1 1 Janvier ^ & aux Seigneurs de Milly tous les autres jours de Tannée trois
deniers pour chaque cheval chargé de marée.
Par lettres patentes du 26 Février 1 3 5 1 , le Roi Jean défendit à tous
Seigneurs tant féculiers que réguliers y même aux pourvoyeurs de fa mai-
fon f ceux des maifons de la Reine & des Princes leurs en&ns , d^arrêter
les ChafSs- marées & de prendre ou faire prendre des poifTons dans lemrs vcm^
cures chargées pour les provisions de la ville de Paris, avec attribution au
Parlement pour en connoitre fur les pourfuites du Procureur du Roi, ou
fur celles même des marchands & de leur Procureur. Par arrêt interlocutoire
du Parlement du 9 Août 1354 , PAbbé & les Religieux de St. Denis en
France, furent autorifés dans leurs prétentions à arrêter les Chafle-maréef
pour fe pourvoir de poifTons avec modération & en les payant leur jufle
valeur.
Un arrêt du Parlement du 5 Septembre 1 5 1 1 , rendu à la requête dtf
Procureur de la marchandife du poifibn de mer pour Paris , & fur les
conclufions du Procureur-Général du Roi , fait défcnfcs aux Abhcs & Re*
9 ligieux de St. Vallery, aux officiers de l'amirauté, & à tous autres^ de
a» troubler ou empêcher les voituriers , marcha tuis forains & Chafle-marées,
« d'acheter les poifibns des pêcheurs fur les ports dé mer, pour les pro-
3» vifions de la ville de Paris , fous peine de cent marcs d'argent d'à*
» mende au Roi , & autres plus grandes peines «*
hts pourvoyeurs de la maifon du Roi abufant du privilège qu'ils ont for
les ports de mer , achetoient un plus grand nombre de poifTons qu'il n^é-
toit néceflkire pour les provifîons de la maifon du Roi ; ils fbrçoient même
quelquefois les Chaflè-marées de leur abandonner ce qu'ils avoient acheté
pour les provifîons de la ville de Paris ; ils avoient enfuite àes faâeurs oa
commiffionnaires par lefquels ils fàifoient vendre quelquefois même jar-
ques dans les halles , ce qu'ils avoient acheté de trop. Le Parlement poor-
vut à cet abus par un arrêt du 10 Mars 161 5 : » qui leur défendit, à
À leur fadeur & à tous autres de troubler fur les ports ou ailleurs les Chaflê'
9> marées en l'achat de la marée des pécheurs, & leur défendit auffi d'ex-
s> pofer ou faire expofer en vente dans les halles de Paris, ou ailleurs, ^
)» aucune marchandife de poifTon de mer , à peine de prifon ^ confifc»-
9 tion , & cinq cents livres d'amende.
^ Par une autre ordonnance de Mrs. les CommîfTaires du Parlement du ao Jan-
vier 1696 , il efl défendu à toutes perfonnes de quelque qualité & condition
qu'elles foienc , de troubler les marchands ChafTe-niarées fur les ports de
mer & ailleurs en l'achat des poifTons des pêcheurs , à peine de punition
corporelle , & de tous dépens , dommages & intérêts. On voit par tous ces
CHASSE-MARÉE.
53J
réglemens que les Cbafle-marées peuvent s'acquitter librement de leurs fbnc*
rioûs & obligations.
L'obligation indifpenfable de ces marchands forains , sHls veident réuflir
dans leur commerce ^ de fe rendre des bords de la mer en deux jours à
Paris , demande une vigilance extraordinaire : ils ne pourroient jamais y
parvenir par de mauvais chemins , & fans forcer extraordinairement la
courfe de leurs chevairx : c'eft de-là auffî , que le public leur a donné le
nom de Chafle-marées , dont Tufage eft tellement introduit qu'ils n'en ont
plus d'autre. Il a donc été néceflàire d'employer l'autorité publique pour le->
ver cet obftacle qui s'oppofoit à un commerce dont nous tirons tant d'utt»
lité. Il y avoit autrefois des offices d'élus de mer , établis pour faire répa*»
rer & entretenir en bon état les chemins par où pafTent les Chaflë-marées*
Ces offices étoient de fimples commiffions peu lucratives , qui fe font in-
fènûblement abolies : il n'en eft fait aucune mention depuis 1666. Les
chemins furent tellement rompus & en mauvais état , que l'arrivée às9
Chafle-marées à Paris n'étoit jamais auffi prompte qu'il étoit néceflàire : cela
donna lieu à Mrs. les Commiffaires du Parlement d'y pourvoir par leur ré-f
élément du 20 Janvier 1696. Ils chargèrent le Procureur-Général fur le
tait de la Marée de prendre ce foin de la réparation des chemins dans fes
vifites , & lui permirent de faire affigner par*devant eux tous Seigneurs &
habitans des villes, bourgs, villages & hameaux qu'il appartiendroit pour
être condamnés à la réparation & à l'entretenement des chemins où paifenc
les ChafTe-marées pour venir à Paris & retourner à la. mer.
Le Parlement y a apporté un remède encore bien plus prompt & plus
efficace par un dernier Arrêt du ^o Août 1697. ^^^ ^^^ Arrêt la Cour
commet chaque Juge^Royal des Provinces de Picardie & de Normandie
par où paflent les Chaffe-marées , pour faire réparer les grands chemins.
Il leur fut enjoint par les réglemens, dès le temps de St. Louis ^ lorf^
3u'ils feroient arrivés à Paris , de conduire immédiatement leurs marchan-
ifes aux halles pour y être déchargées & vendues : il leur fut défendu de
les décharger en tout ou en partie dans aucune maifon ou autre lieu partîci)*
lier : ces mêmes défënfes ont été renouvellées de temps en temps & fub<«
fiftent encore aujourd'hui. Il n'y eut point d'abord de place marquée dans
l'étendue delà halle pour cette marchandife. St. Louis, par fon ordonnance
de 1254 , fit défènfes de l'expo fer pour la vendre en gros, ailleurs que
fur une place audeflfus de la Clef. Cette marque étoit une grande clef at«
tachée contre un poteau qui féparoit la place des détaillereues de celle des
marchands^ & qui s'y voit encore.
Parles anciennes ordonnances, les Chafle-marées dévoient amener leurs
poiflTons à Paris d'un jour à l'autre, & y arriver à l'heure de prime fon-
«14&0 \ ^r Mootoîr^* rVA.^»i1îr«» ^ Viiiîr figures H u rriAfin _ s^ils n'avoîenî une
J
^34
CHASSE -MARÉE.
^ur & nuit , ils arrivent fouvent à la halle, à trois ou quatre heures du
matin. Les Jurés compteurs & déchargeurs , & les Jurés vendeurs en font
avertis ; ils s^y trouvent & ouvrent auilî-côc la vente. II efi défendu aux
Chaffe-marées d'entrer avec leurs chevaux & charettes par la rue de la Cof-
fonnerie, ou par les rues adjacentes. Il leur efl enjoint d'entrer par les
deux rues du côté du Pilory , qui aboutiiTent an parquet de la Marée , &
d'y entrer à la file l'un après Tautre fans intervertir leur ordre ; ils doi-
vent s'arrêter devant chacun des vendeurs , félon le rang des places que
ces officiers occupent dans le parquet de la Marée, fans que les Chafle-
marées ni leurs faâeurs ou autres puiffent fe choifir aucun autre vendeur,
Îiue celui qui fe trouvera dans fon rang félon l'ordre du tableau qui en
era fait chaque année.
Les détailleurs de poiffon de mer frais , ne doivent point occuper la place
deflinée aux marchands forains , pour la vente de leurs marchandifes , &
qu'on nomme le parquet de la Marée, dans le temps que les marchands
en ont befoin, à peine de confifcation, d'amende arbitraire & de punition
corporelle , félon l'exigence des cas.
Nuls vendeurs de poiffon de mer ne peuvent en ouvrir la vente , qu'a-
près que les Jurés l'auront vifité. Toutes les perfonnes qui fe préfentent
pour acheter du poiflbn de mer à la halle , peuvent le vifiter dans les pa-
niers deffus / defibus & au milieu , fi bon leur femble : ce que le vendeur
fera obligé de foufFrir , à peine d'amende. Les maquereaux oC harengs doi-
vent être vendus à compte , fi l'acheteur le défire : un panier de maque-
reaux frais en ^ doit contenir foixante-fix, ou cinquante s'ils font gros.
Four faire jouir les Chaffe-marées de tous les privilèges qui leur avoient
été accordés, le Roi par Edit du mois d'Avril 1361, leur donna pourcon*
fervateur & feul Juge, à l'exclufion de tous autres, le Prévôt de Paris,
comme Juge ordinaire dans l'étendue de fa jurifdiâion , & en qualité de
confervateur , gardien & commiflaire-général dans tous les autres lieux
hors l'étendue de la Prévôté & Vicomte de Paris. Ils ont encore été
confirmés dans tous ces privilèges par le grand règlement du Parlement
de 1414.
Louis XIII , dans les befoins de l'Etat , avoit impofé trois fortes de
droits fur le poiffon de mer ; l'un qui étoit payé par les mariniers , & les
pêcheurs pour le droit d'entrée, defcente & fortie des ports; les deux au-
tres par les marchands , pour le tranfport d'un lieu \ un autre, & pour
la confommation , où fe débit s'en doit faire ; lefquels deux derniers droits
furent fixés à 13 fols chaque panier, par Arrêts des 7 Mars, & 29 Avril
1654. Les marchands & Chafie-marées , pour les provifions de la ville de
Paris, furent déchargés du paiement de ces deux droits de tranfport & de
confommation par le dernier de ces Arrêts , à condition de déclarer aux
bureaux des lieux d'abord & defcente la quantité de poiffon qu'ils achète-
ront & feront tranfporter pour la ville de Paris, de prenffre un acquit à
CHASTETÉ. 535
caution, & de rapporter un certificat des Officiers du bureau de Parh| que
le poilTon y aura été porté & déchargé fans fraude,
De tout temps on a pris fur la vente du poifTon de mer frais , qui fe
fait aux halles de Paris , douze deniers pour livre. Les Jurés-vendeurs re«
çoivent ce droit de douze deniers , ils en retiennent dix pour le falaire at-
tribué à leurs offices , & des deux autres ils en rendent compte aux ChafTe-
marées, ou à leur Procureur-Général, C'eft fur ce fond-là qui monte par
an depuis fix jufqu'à neuf mille livres, qu'on indemnife les Chafle-marées
des pertes qu'ils ont faites fur leurs routes , foit par accident arrivé à quel-
qu'un de leurs chevaux , ou qu'ils aient été volés , ou quelquefois même ,
lorfque dans les grandes chaleurs de Tété , & fans leur faute ou négligen-
ce , leur poifTon fe trouve tellement corrompu qu'on efl obligé de le jet-
ter : on leur paie dans ce dernier cas-là , la fomme à laquelle la perte
qu'ils ont foufFerte , eft eflimée; mais pour éviter les fraudes, ils font obli-
gés de rapporter des certificats en bonne forme du Juge des lieux.
Il y a aux halles un terrain nommé le Fief d'Hellebic, parce qu'il ap-
partenoit à la famille des Hellebics ; les pofreiTeurs de ce Fief vexoient les
marchands forains par des contributions en argent & en poiffon : mais le
i6 Décembre 1404., par contrat paffé par-devant Notaires, les marchands
forains firent l'acquifition de la moitié de ce Fief pour la fomme de qua-
torze cens écus d^or : l'autre moitié appartient à l'Hôtel-Dieu de Paris par
donation de Marguerite de Neufville.
Les Chaffe-marées doivent être connus , admis & enregiftrés dans les bu-
reaux de la Marée , foit fur les ports où ils prennent leurs marchandifes ^
foit à Paris & dans les villes oii ils en font le débit.
o
CHASTETÉ, f. f.
$. I.
N lie doit pas confondre, comme on le fait fouvent, la continence
avec la Chafleté. L'abus des termes entraîne avec foi la confufion des idées.
Comme on peut être chafle, fans s'aflreindre à la continence : tel audi
s^en fait une loi , qui pour cela n'efl pas chafle. La penfée toute feule peut
fouiller la Chaflete , elle ne fuffit pas pour enfreindre la continence. Tous
les hommes, fans exception de temps, d'âge, de fexe & de qualité, font
obligés d'être chafles : mais aucuns ne font obligés d'être continens.
La continence confifle à s'abflenir des plaifirs de l'amour^ la Chafleté, à
iie jouir de ces plaifirs, qu'autant que la loi naturelle le permet, & de la
manière qu'elle le permet. La continence, quoique volontaire, n'efl pointf
eûimable par elle-même , 6c ne le devient qu'autant qu'elle importe acci*
f|î5 C H A S T E T É.
dentellement à la pratique de quelque vertu, ou à Pexécuâon de quelque
defleiu généreux} hors de ces cas^ elle mérite fouvent plus de blâme que
d^éloges.
' Quiconque eft conformé de manière à pouvoir procréer Ton femblablei
a droit de le faire, & le doit. Voilà la Voix de la nature.
* Il eft de droit naturel que chacun puifle difpofer du bien qui lui appar-
tient en propre. Ce n^eft pas cependant faire tnjuftice à un mineur, à un
prodigue ou à un furieux , que de les priver de TexerCice de ce droit , dont
ils abuferoient immanquablement. De même , quoique le commerce
d'un fexe avec Tautre , foit permis à tous les hommes , il peut y avoir
des circonftances , où il leur foit avantageux d'en être privés pour un plus
grand bien.
Il eft jiifte, par exemple, qu^un en&nt qui n*eft point encore capable de
difcernement, ne foit pas libre de fc lier, fans l'autorité de Tes parens, par
des nœuds indiftolubles. Ce feroit au contraire une inhumanité criante, que
de Tabandonner à Tinconfidération & à la témérité, trop ordinaire i Ion
âge , lorfqu'il s'agit de décider , par un mariage , du bonheur ou du mal-
heur de (a vie. Ses tuteurs naturels peuvent, fans empiéter fur fes droits,
empêcher qu'il ne s'y engage, ou reculer fon engagement, s'ils le jugent
indigne de lui , ou du moins précipité. Or , julqu'à ce qu'il l'ait coa-
traoe , la continence eft un devoir pour lui. Bien entendu que les pa-
rens de leur côté doivent pourvoir à l'écablifTement de leurs enfans,
Ou du moins y donner les mains , lorfqu'il s'en préfente de fortables.
' L'avanture de Proxcne & de Claris fa fille a fait du bruit dans le monde:
ce n'eft point médire que de la rapporter. Cloris, fous la tutelle d'un père
avare , attendoit patiemment que ion tuteur voulût bien fe deftaifir entre
les mains de la uicceffîon de fa mère ; lorfque l'aimable Cftariton , par ït
tendreflfe & par fes foins , gagna le cœur de la pupille. Il jouillbit d'uoe
fortune & d'un rang qui ne dévoient pas faire rougir Proxene de l'adopter
pour gendre. La propofition lui en fut faite : Proxene la rejetta. .Il nedécli-
roit point le motif de fon refus, niais on le devina fans peine. La répu-
gnance invincible qu'il fentoit. à rendre un compte , fut celui qui le décida.
Il pria Chariton de s'abftenir déformais de fes galantes afliduités. Cette dé-
fenfe, fuivant l'ufage, alluma de plus en plus la paflîon dés deux amans;
& tous deux de concert, prirent la voie qu'ils crurent la plus efficace, pour
arracher le confentement du père. Ils s'étoîent mépris : cet agréable eipé-
dient, dont tant de filles ont éprouvé l'efficacité, ne réuflît pas auprès de
Proxene ; dût rejaillir fur lui l'ignominie de fa £lle , il éclata en tranf-
rorts furieux ; & ne s'en tenant point aux reproches , il la livra lui-même
l'horreur infamante de ces lugubres retraites , confacrées au repentir &
aux pleurs.
A qui des trois afïeurs de cette fcandaleufe fcene imputerôns-nous k
tort? A tous les trois, fans doute. Un père dur & injufte, un amant qui
féduit
\
«C H A S T B t t. ^3/
fèduît fa maîtreflê, Une fille qui méprife rautorité paterûelle, font tou9
perfonnages coupables.
La loi de la nature exige uniquement le libre confentement des par*
ties , pour légitimer leur union. Mais là (implicite de cette bonne loi na^
turelle, n'a pas interdit aux légiflateurs là faculté de régler par des loix
politives la fblemnité ài^% mariages. Les loix pofitives, même» font ref-
peâables & obligatoires, lorr(:][u^elles ne contredifent pas la fage loi de
nature, & qu'elles ne font que lui fervir de glofe & d'interprétation.
Elles n^obligent à la vérité que comme loix de police : mais les loix de
police obligent tous les membres d'un Etat.
Il importoit au bon ordre de la (bciété, que le mariage fût un eqgage->
nient pour la vie : & la nature elle-même lemble en avoir faitim précep*
te« L'obligation continuelle qu'elle impofe aux époux, de s'aimer réci«
proquement, marque Ton intention fur la continuité de ce lien : on ne
quitte point une epoufe qu'on aime« Les fervices qu'elle veut que nous
rendions à nos en&ns, en font une nouvelle preuve. Les fecours du père
& de la mère leur (ont également néceflaires : or ces fecours leur man*
queroient, (i le mariage n'étoit qu'ui\ engs^ement paflàger; c^eft dans Ta*
mour conjugal, auquel fe joint l'amour-propre, que la tendreflë pater*
nelle ou maternelle prend fa fource. Or les loix pofîtives qui ont déterminé
le& folemnités du mariage , ne font que féconder le vœu de la loi nato*
relie fur (a perpétuité : en le rendant plus authentique, elles le rendent
au(fi plus difficile à diffoudre. On romproit aifément un engagement fecret
& furtif : mais quand il eft conti*aâé en préfence de témoins dignes de
foi, cimenté par la puiffance paternelle^ autorifé par les loix de l'Etat, &
confacré par la Religion \ quelle force n'acquiert-il pas?
Je n'entends point blâmer par- là, les nations chez qui le divorce eft
permis , ni les accufer d'enfreindre la loi naturelle , en le permettant. Ce
n'efi point violer une loi, que d'y mettre des modifications raifonnal)les:
une équité trop rigide, devient fouvent injufte par fa rigueur même. Les
difpenies & les exceptions , lorfau'elles ne font pas fréquentes , loin de
détruire la loi , fervent plutôt à raffermir : ce feroit vouloir l'abroger que
de: l'étendre à des cas où elle eil impraticable. Or il peut arriver, î& il
arrive en effist, que l'incompatibilité des humeurs rend la concorde impo(^
fible entre deux .époux« Dans ces cas-là , les peuples les plus féveres per-« .
mettent une forte de rupture, qu'ils appellent féparation de corps; d'autres
dégagent dans les cas extrêmes ^ des époux mail a(rortis du nœud fatal qui
fait leur fuppHce*
L'iiidi({blubilité abfolue du mariage, dont on a fait, dans quelques États
une maxime de cohlcience, n'en affuré que la durée : mais loin d'attacher
des époux à leurs devoirs réciproques; elle contribue peut-être plus que^
toute autre cauie, à^eurs infidélités. Mécontens l'un de l'àuti-e^ix voyant
leur mal fins remède, ils. ne fongent qu'à le pallier :& pour 'adoucir leurs '
Tomt XL Yyy
v
^^% CHASTETÉ.
foufïraoces ^ ils les dépofent & s'en eonfoleot ^ Pua dans les bras d^tine
maîtrefle, l'autre dans ceux d'un amant.
Ceft fans doute aufli à cette même caufe, qu'il faut attribuer ces com-
merces clandeftins, qu'on nomme concubinage. On tremble de ferrer des
nœuds qu'on ne pourra plus jamais rompre.
Depuis dix ans, Hcrmogcnc & Juniçj maîtres de leurs aâions, vivent
enfcmble fur I — --- ^ -*'^ — - ''''•*- -^•*-"' •""- -i»-"— - i.'— ^"- — — ^^ —
amour confiant.
fur leurs gardes : Hermogene craint de déplj
Hermogene; & de cette appréhenfion, que l'aflurance d'être aimé, tem-^
père, naiffent des égards mutuels, des complaifances & des foins, perpé-
tuels alimens des tendres feux qui les brûlent. Libres de fe féparer , ils-
n'en font que plus unis. Rien ne coûte de ce qu'on lait volontairement ^
mais le plaidr mén'.e eft à charge lorfqu'il devient un devoir.. ^
» Si c'eft-là, dites- vous, ce qu'on appelle concubinage, fous quel pré^
D texte ofe-t-on le qualifier de crime? C'eft une union durable entre deux
9, fidèles amans, qui n^ont qu'un cœur, qu'une volonté, qu'une ame. L^nf^
I». tinâ de la pure nature exige-t-il quelque chofe de plus > Eh , qu'a
i> donc de préférable le dur toug du mariage? Son indifTolubilité. Une
9. union fondée fur la tendrefTe, n'eft-elle pas plus pure, plus fainte &:
».,pluç eflimable, que celle qui .n'efl affermie que par la néceflité? "
J'en cpnviens , lans coutelier : le commerce d'Hermogene & de Junie*
efl un lien que la nature approuve; fur-tout (i vous fuppofez qu'ils foieut
dans l'intention de ne le point rompre. Les mariages de nos premiers
pères , qu'il ne nous (iéroit pas de critiquer, n'avoient rien de plus folem-
nel. Les deux amans confentoient de fe prendre pour époux v ils agifibient
comme tels ; & dés-lors ils l'étoient en ef&t.
Mais aujourd'hui que la police de prefque toutes les Nations, pour des
eonfidérations d'Etat/ attache à ces mariages une note d'infamie, qui fié-
ttiffant les époux,, rejaillit jufques fur les enfans; & que les loix facrées
de la Religion en font un crime capital; comment» h vous joimez Tef-
time à l'amour, pourrez-vQus propofer à la beauté qui vous l'in^ire, une
union qui la déshonore? Comment, fi vous vous aimez vous-même dans
votre poflérité , confentirez-vous à ne donner à la: Patrie que des enfans
qu'elle méconnoît & défavoue : triftes rebuts de là fociété, que le préjugé
rçndra éternellement refpon fables du péché de leur père?
i Mais combien font plus cricninels ces voluptueux inconflans,. qui n'âi'-^
ment que pour jouir, & n'aiment plus dès qu'ils ont joui; qui, fembla^
hjes aux bêtes , lorfqu'ils ont fatisfait leur brutale jiaffion ,. méconnoifTent
l'objet qi|i concouroît à leurs plaifirs , & lies fruits> qui en proviennent 1
Xa nature elle-même, toute indulgente qu'elle efl, condamne leurs cou*
pables feux* Elle fe propofe dans 1^ unions qu'elle forme ^ la naiffance
4es ifn&ns : c'efl au contraire ce qu'ils redoutent.
CHASTETÉ.
535
Cependant qtielque înexcufable que foit ce honteux libertinage, ce n*e(l
encore qu'un léger égarement, li on le met en parallèle avec l'aduhere ,
le plus affreux de tous les crimes, en matière de chafteté. Je dis le plus
affreux; car l'incelle même, le feul qui fembleroit lui pouvoir difputer
le pas , n'eft rien en comparaifon.
Attenter ù la pudicité de fa fœur , de fa mère ou de fa fille, ou fe
prêter aux emportemens lafcifs d'un fils, d'un père ou d'un frère : voilk
les (êuls véritables incefles, U nature n'en connait point d'autres; & le
commerce charnel entre des parens plus «iloignés , n'eft inceftiieux que de
nom. Mais je ne mers point en comparaifon, avec l'adultère , les vrais in-
cefles, dont les exemples font trop rares, & l'idée trop révokante, pour
qu'ils puiffent entrer ici en confidératîon : je parle de ceux que les hom-
mes eux-mêmes ont créés, en bornant, comme il leur a plu, pour raifon
d'alliance ou de parenté, la liberté des mariage;:. Or, y a-t-il quelque
proportion entre ces crimes faftices, qui. ne doivent leur origine qu'à des
réglemens arbitraires, & les contraventions formelles au pur inflinft de U
nature, qu'entraîne avec foi l'adultère?
A l'excès d'incontinence & de lubricité, qu'il a de commun avec les autres
vices contraires h la chafteté, il ajoute l'injuftice, le parjure & la perfidie.
L'adultère eft fimple ou double. 11 eft fimple , lorfque l'une des deux
parties qui le commettent, n'eft point engagée dans les liens du mariage.
Il eft double , lorfqu'elles le font toutes deux : car alors chacun des deux
coupables, ourfe le crime qu'il fait de fon chef, fe fouille encore d'un fé-
cond , en partageant celui de fon complice.
Quand Palladç & Tu'is feroient libres de tout engagement, les privau-
tés , qu'ils fe permettent , ne feroient point innocentes : hors du mariage ,
elles ne font jamais permifes. Mais Tais, époufe d''Eurya!e ^ eft encore
bien plus criminelle, puifqu'elle joint à l'impudicité le parjure & l'injufti-
ce; le parjure, en ce qu'elle viole la foi jurée \ fon époux; l'injuftice,
en ce qu'elle lui donne, ou s'expofe à lui donner des héritiers fuppofés :
qui cependant prendront un jour leur part dans fa fucceffion , au préjudi-
ce, ou de fes fils, ou de fes collatéraux. Or dans toutes les circonftances
qui aggravent l'ailion de Tais , Pattade eft de moitié : & quoique libre des
nœuds d'Hymenée, il eft comme elle, adultère, injufte & parjure; car c'efl
commettre un crime que d'y concourir.
Changeons les rôles : fuppofons Tais libre , Pallade engagé dans le ma-
riage; ils n'en font pas moins coupables. Pallade d'une part l'eft autant
que l'étoit Taïs, quand nous !a fuppoferions infidèle \ Euryale ; car la
fidélité conjugale eft un devoir pour lui , comme elle en étoit un pour
elle; & fi la femme, q^i le viole, peut donner à fon époux de faux hé-
ritiers, répoux, qui trahit fa foi, peut en ravir de légitimes à fon époufe.
Tais de fon côté, étant complice de Pallade, eft aulïï coupable que hii. Et
lOLis deux le feront encore plus, fi leur adultère eft double.
Yyy a
54» CHASTETÉ.
§. II.
I
_L paroît par le langage des divers peuples, & par leurs pratiques fc^
ligîeufes , que Tabus des plaifirs de Pamour a été regardé de tous tems , &
chez toutes les nations non abruties, comme quelque chofe de révoltant,
de déshonorant pour celui qui s'en rendoit coupable , comme propre à le
rendre méprifable aux yeux de la faine raifon ; que la Chaftete , au coor
traire ^ qui confifte à n'ufer des plaifirs de l'amour que d'une manière con-
forme à ce qu'exige la loi naturelle , a toujours été envifagée comme une
vertu réelle, qui rend honorable & digne d'eflime celui qui en eft paré,
& comme une qualité sûre de plaire à Dieu.
Sans doute c'eft dans la nature des chofes que ces idées ont été prifes^
c^eft des principes inconteflables de la morale qu'elles découlent \ on les a
envifagées chez tous les peuples policés, comme Pexpreflion de la volonté
de Dieu y auteur de la nature des chofes , & des loix naturelles qui en
font la conféquence.
Il étoit impoflible aux hommes qui n'ont pas donné dans Textravagaoce
de fe croire la produéHon du faafard , de ne pas croire que' la propagation
du genre humain étoit le but de la différence des fexes , que Tunion de ces
fexes ne fût le moyen prévu , recherché , approuvé & ordoimé pour atteindre
ce but ; que l'appétit qui porte un fexe vers l'autre ne fût le reflort par lequel
le Créateur procure l'exécution de, fa volonté à cet égard ; volonté que Moyfe
exprime par ces mots : Croijci^^ multiplUi^- & remplijjl[ la terre. Comme la
faim eft le reflort qui nous porte à faire ufage des alimens pour entretenir
notre vie, les hommes n'ont pu méconnokre dans le plaifir qui accompagne la
fatisfâflion de cet appétit fi puiflant, l'encouragement & la récompenfe pré*-
fente de cette aâion, & la preuve qu'elle étoit convenable & dans l'ordre
de la nature. La continence qui conufte à s'abftenir abfolument des plaifirs
de l'amour, & à iè refufer entièrement aux vues de la nature, pour la
propagation du genre humain , n'a donc jamais pu fe préfenter à ceux
qui n'ont confulté que la droite raifon & l'ordre primitif des chofes, qui
exprime la volonté du créateur , comme étant une vertu , un genre de vie
eftimable par lui-même ,• un état auquel la loi divine appella les hommes
comme à un degré plus grand de perfeâion. Au contraire, tant que la
nature leur aura fervi de guide , les hommes auront dû envifàger la con-
tinence comme un mal chez quiconque étoit phydquement & moralement
capable de contribuer à la propagation du genre humain, & n'en étoit
empêché , ni par des circonftances particulières , ni par quelque ordre ex»
prés du ciel. Un homme qui fe refufoit à cette deftmation de la nature,
quand fon âge , (es forces & fes circonftances l'y appelloient , devoit être
confidéré comme un rebelle à la volonté du Créateur , comme un être qtii ,
autant qu'en lui étoit , détruifoit le genre humain , en refufant de le con-
ferrer., & qui rendoit inutile pour ce but la femme à laquelle il auroit pft
CHASTETÉ.
W
s'anir. DcDl , félon les mccurs pjives ^ tout homme «apable de procréer
ëtoit obligé étroitement à fe marier.
Si le célibat ou la continence font condamnés par la loi naturelle , cette
loi cependant n'appelle pas l'homme & la femme à des conjonâions vagues ,
à des jouiifances irrégulieres , à des plaifirs recherchés uniquement pour la
volupté. La nature a un but qui ne peut être atteint qu'autant que l'on
agit dans les vues & de la manière qu'elle l'exige , & les vues , les def-
feins fe manifeflent alTez clairement par la confiitution humaine & l'état
des chofes, pour qu'il foit facile d'en déduire les règles qu'elle prefcrit^
& les loix auxquelles le Créateur a voulu foumettre Punion des fexes.
La capacité naturelle que nous avons de preadre de l'amour pour une
perfbnne de fexe différent ; l'unité de l'objet fur lequel fe fixe namrelle-
ment ce penchant, lorfque le cœur n?efl pas gâté ; l'impoflibilité d'en aimer
plus d'une à la fois d'une manière qui les rende aufli heureux qu'ils dé-
lirent de l'être , & qu'ils peuvent l'être par ce moyen ^ le défaut de fécon-*
dite des conjonâions irrégulieres & vagues ; les incommodités de la grof-
lèfle ^ des accouchemens & de l'alaitement des enfans ; les foins continuels
oue les en&ns exigent pendant long-tems, & qui ne permettent pas à une
femme de fuffire feule à l'éducation des créatures qu'elle met au monde
& à fa propre confervation , 6c. font tout autant de confidérations qui
prouvent la néceflité du mariage , c'eft-à-dire , de l'union pour toute la vie
d'un homme & d'une femme.
Toute autre conjonâion eft contraire aux vues de la nature , aux inten-
tions du Créateur y relativement aux hommes. Ainfi nous devons regarder
comme contraire à la Chafleté, i^. tout commerce charnel entre un homme
& une femme qui ne font pas liés par le mariage , qui ne (ont pas unis
pour la vie dans l'intention de travailler de concert à élever les enfans qui
naîtront de leur commerce. Voyc^ Adultère, Fornication.
Si la nature a &it les fexes l'un pour l'autte , c'a été , d'un côté , pour
que leur ufage fervit à la propagation du genre , & de l'autre , pour que
les plaifirs qui naiflent de cet ufage fuflent dans tous les temps Une expreP-
iion vive de l'amitié entre les époux , & un lien flatteur qui les unit tou-
jours plus intimement l'un à l'autre par l'attrait de la volupté, dont ils font
l'un pour l'autre la fource chérie. Il fuit delà, 2^. que tout ufage des fexcs ,
contraire à ce que la nature prefcrit pour la propagation du genre humain ,
ou qui peut détourner le goût humain de cet ufage naturel , e(l contraire
ï la Chafleté, oppofé à la volonté de Dieu.
Mais obfervons ici , qu'il ne paroit par. aucune confidération tirée de la
sature des cI)ofes, par aucune loi morale, naturelle ou pofitive, que le
commerce entre les époUx foit illicite , lors même que la flérilicé de l'ua
ou de l'autre efl conftatée, ou que quelque autre circonfiance , telle que
l'état de groffefle d'une femme, ne permet pas d'attendre que la jouilfance
des plaifirs de l'amour procure la naiflance d'un enfant. Auffi avons-nous
541 C H A S T ETE
dit , qu'outre la propagation du gence humaîa , le Créateur ayoîc eu pour
but dans Tufage des lexes l'union des époux, & qu'il en a fait le nœud
flatteur qui les attache Pun à l'autre. Ceux-là ont donc outré les réglés de
la morale à cet égard , qui ont voulu obliger les époux à la continence ,
dès qu'ils avoient lieu de croire que leur commerce ne feroit pas fècondL
Comme en matière de morale, il ne Cu&t pas toujours de fe faire une
loi d'éviter les aâions direâement contraires au prefcrit précis de la règle 4
mais qu'il faut encore éviter tout ce qui peut entraîner dans le mal i que
d'ailleurs, dans les chofes qui font du relfort des fens, & fucrtout dans
ce qui a trait au penchant véhément & fougueux d'un fexe vers l'autre ^
l'imagination s'allume aifément , une légère circonflance excite la fenfibilité ,
enflamme le iaog*, trouble la raifon , & entraîne dans le défordre ; on doit
regarder comme contraire à la Chafleté, 3^. tout ce qui n'eft propre qu'à
allumer en nous la paflion de l'amour pour tout autre objet que celui que
la loi morale nous permet de rechercher, ou qui nous porteroit à en ufer
d'une manière contraire aux vues de la nature. Offrir aux regards ou 1
l'attouchement des autres , ou chercher à voir & à toucher des objets qui
nous feroient fouhaiter des conjonâions illicites ; tenir des dilcours ou £are
& donner des leâures qui ne peuvent qu'exciter des défirs contraires aux
règles de la fagefle ; fe complaire à des penfées & à des imaginations dont
la réalité feroit pppofée aux lolx de k «vertu , font tout autant de fautes
contre la Chafleté; puifque ce font tout autant d'acheminemens à l'im-
pureté, tout autant de pièges tendus à l'innocence , tout autant de moyens
par lefquels nous fommes déterminés à agir contre le vœu de la nature,
& contre les règles de la morale naturelle* Autant les mariages réguliers
font conformes aux intentions du Créateur, au bien de l'humanité, à la
confervation du genre humain , à la pureté des mœurs , au bonheur de la
fociété publique, à la félicité des familles, à la perfè^on de l'homme &
de la femme , & à la bonne éducation des enfans \ amant par-là même
doit-on faire cas de la Chafleté , fans laquelle aucun de ces avantages ne
peut avoir lieu; autant doit-on regarder l'impudicité comtfie un vice odieux,
puifque tous les maux , les plus grands pour les hommes , naifient de ce
défordre moral.
. Ou bien l'impudicité fera un vice général dont on fera gloire , ou au
oioins dont on ne rougira pas; iteais , dans ce cas, que deviendra un peu*
curs
pluî
ont joui; qui femblables aux* bêtes, lôrfqu'ils ont fatisfait leur appétit'fbu*
gueux , méconnoiflent l'objet qui concourrolt à leurs plaifirs , & les fruits
qui en proviennent ? La nature fe propofe dans les unions quMIe forme ,
la naifTance des enfans , leur éducation procurée par les foins réunis du
père de de la mère , la fociété délicieufe , confiante & utile des époux.
CHASTETÉ.
S43
les hommes faos Chafieté dëtruifent tous ces defTeîns du Créateur, Ils re-
doutent & la naiflance des enfans , & les foins que leur éducation exige ,
& les égards requis encre les époux pour rendre leur union heureufe &
durable.
Suppofera-t«^on que comme au jourd%ui Timpudicité ne fera pas ouverte ;
2ue ce fera funivemeoc & en fecret ^ue Ton violera la Chafteté ^ il fau-
ra , dans ce cas , s'attendre à ne voir dans les époux qtie des perfonnes
perfides qui fe trompent , dont la fauflTeré confiante fera le caraftere , &
parmi lefquels il ne fauroit y avoir de confiance ni d^amitié.
De quelque côté que l'on fe tourne , toute perfonne que la faîne raifon
conduit devra toujours regarder la Chafteté comme une vertu capitale, ef^
fentielle au bonheur public & particulier des hommes, & à la perfedion de
chaque individu.
11 paroit par ce que nous venons de dire, d'après les principes de la plus
faine morale, que la Chafteté confifte dans l'ufage des jplaiftrs de l'amour^
conforme aux loix de la nature; que cette vertu fubfifte entre les époux
au milieu de leurs plus tendres embraftemens ; que c'eft donc à fort que
quelques perfonnes ont voulu faire envifager le mariage comme étant (inon
abiblument incompatible avec la Chafteté , au moins comme un obftacle
à la perfèdion de cette vertu. C'eft-là contredire les décifions les plus clai-
res de la loi naturelle & les intentions de ion auteur , qui a voulu par
Tappétit fenfuel nous porter tous au mariage, & par les plaiftrs de l'amour
nous faire chérir l'union conjugale comme un état vertueux, comme le
gardien de la Chafteté ^ comme le remède à l'incontinence , & l'obftacle
à la débauche.
Ici on peut demander fî la Chafti^té eft une vertu plus eflentielle aux
femmes qu'aux hommes ? Il femble d'abord , & au premier coup-d'œil ^
que tout eft égal à cet égard entre les deux fexes. En effet, la Chafteté
étant une vertu, elle ne peut être violée fans crime, qui que ce foit qui
porte atteinte 2i fes loix : ainfi quoiqu'en dife le préjugé , & quelque appui
qu'il trouve prefque par-tout dans Tes moeurs dés nations qui fe piquent
d'être policées ; les aâions contre la Chafteté ne font pas plus permifes
aux hommes qu'aux femmes ; nulle loi naturelle ou pofitive ne dîfpenfe
les hommes d'être chaftes , & ne les autorife à fe donner à cet égard plus
de licence que les femmes.
Lors cependant que l'on confidere l'érat des chofes , il femble que le
défaut de Chafteté chez les femmes les rend plus méprifables que les hom*
jmes qui donnent dans les mêmes défôrdres. Soit inftinâ naturel , foit con-
fentement & accord fmgulîer de préjugés chez tous les peuples, la nature
femble avoir donné aux femmes de plus qu'aux hommes , un frein pani-
cuîier pour les retenir dans les règles de la décence & de la fageffe , par la
pudeur qui femble être leur partage fi effentiél , que le défaut de cette dîf-
pofîtion rend une femme un objet de mépris & d'horreur même aux yeux
544 CHASTETÉ.
à craindre que l'homme des fuites des licences qu'elle fe donne. La grof-
fefle, les douleurs de Penfantement , l'einbarras d'un enfiuit dont elle eft
feule chargée , Tefpece d'abaiifement où elle fe réduit à i'^ard de Thamme
auquel , en renonçant à la pudeur , elle accorde des . faveurs qui quelquefois
le dégoûtent & éteignent la paffion qu'elle lui avoit infpirée ; & û elle eft
mariée à un autre , l'idée qu'elle fait injuflice à un mari à qui elle avoit
promis fidélité, des enfàns i^uls duquel elle devoit être mère, & qu'elle ne
peut fans injufiice charger de ceux qui ne fonr pas \ lui ; toutes ces coa«
(idéracions femblent aurorifer le préjugé ^ qui peut-être avec raifon faumec
une femme impudique à un plus grand déshonneur que l'homme quicom«
met les mêmes crimes.
Une femme, dit-on avec aifez de raifon, s'attache à un homme parles
faveurs qu'elle lui accorde v tandis que l'homme fe détache fouvent d'elle
par ces mêmes faveurs qu'il en obtient. Cela eft naturel à ce qu'il me iem-
ble, & peut être une luite des raifons qui rendent néceffaire le matiage.
Une femme qui a confenti ^ accorder à un homme la jouiflànce de loa
jcorps , fe met par-là dans un état qui lui rend effentiellement néceflaires les
fecours tendres , afFeâueux & aflidus de l'homme qui l'a rendue ou qui a
pu la rendre mère ; quelle autre confolation peut-elle avoir que de fa part
pendant les incommodités , fuites de fon commerce. Avoir accordé des fà«
veurs à un homme , c'eft, dans l'ordre de la nature, s'être mife fous fa
garde , & l'avoir choifi pour proteâeur & pour foutien. Mais eft-ce l'avoir
acquis réellement pour proteâeur , que de lui avoir donné lieu de croire
par la facilité avec laquelle on s'eft livrée à lui, qu'on lui accordoit moins
de faveurs qu'on n'en recevoit de fa part , en forte qu'il peut penfer qu'une
femme qui a renoncé avec lui à la pudeur , n'a pas plus, cédé aux lollici*
rations qu'il a employées auprès d'elle , qu'à l'appétit qu'elle-même cher-
choit à aflbuvir? Ne fera-t-il pas dégoûté de s'unir comme époux & pro-
teâeur à une femme qui a perdu fon eftime par (on abandon , & qui a
détruit fa confiance en fa fidélité ^ par le peu de réfiftance qu'elle a op-
pofé à fes défîrs? Ces difpofitions naturelles entre perfonnes liores encore ,
& qui pourroient s'unir par le mariage, fubfiftent entre ceux mêmes à qui
les circonftances interdifent cette union.
Quoique également coupables de violation des loix de la morale, quand
ils pèchent contre la Chafteté; quoique tous deux criminels quand ilsufeot
des plaifirs de l'amour contre les loix de la vertu, la femme cependant fe
couvre d'un plus grand déshonneur que l'homme ; & les loix civiles fous
la protedion defquelles le fort des enfans légitimes repofe , doit fëvir avec
la plus grande rigueur contre les défordres d'une mère qui, par fesinconr
tlnences , ofe donner à fon mari des enËiïis qui ne font que le fhiit de
C. H A S 1? n fr È. J4J
tèn débauches; car fuÎTanirfes mêmes loh'i FjOer is ^ futm nuptiœ
déclarant.
Il eft ici une obfervaWQ importante à faire ^ favoir , que tant aue les
femmes ont confervé des mœurs pures dans une nation , tant qu'elles ont
été chaftes & pudiques , un peuple s'eft foutenu dans un état de profpé*
rite & de force ; les mariages ont été plus nombreux & plus féconds 9 il y
a moins eu de célibataires , la population a été plus forte , toutes~les mœurs
meilleures ^ & l'amour de la patrie plus vif, plus zélé. Au contraire , dès
que la Chafteté n'a plus été en honneur chez les femmes, dès qu'elles ont
commencé à renoncer à la pudeur & à la reteiiue naturelle à leur fexe , le
mariage a été dédaigné ,. les célibataires ont été en plus grand nombre ,
la population a diminué, tous les vices fe ibnt gliffés dans la fociété, &
l'Ëcat'a penché vers fa ruine; tant la. Chafteté a d'influence fur les mœurs,
le càraâere & fur le fort des hommes! On doit fentir en effet que les
mœurs d'une nation étant le produit des mœurs des particuliers / fi la &uf-
feté, la perfidie, la vie efféminée & voluptueufe, Tefclavage des paffîons,
régnent dans les familles, le peuple entier doit être dépourvu de franchife,
de bonne foi, d'amitié fincere, d'amour pour fes enfkns & pour la patrie,
de fermeté & de courage.
Les femmes irifluent plus qu'on ne penfe fur le càraâere national : les
hommes n'agiffent guère pendant leur jeunefTe que pour leur plaire. Si les
femmes n'accordent leur eflime qu'à la vertu , bientôt nous verrons les
hommes devenir des héros. Mais que les femmes n'eftiment dans les hom-*
mes que le fexe différent du leur , & n'attendent d'eux que l'amour & (a
volupté, bientôt vous n'aurez pour citoyens que des Sybarites. O Chafte-
té ! baume de l'ame, calme délicieux des fens, vraie fource de la beau-
té, c'eft par toi feule que la femme confervé cette fraîcheur agréable, ce
coloris précieux , ce louffle pur & enchanteur qui , pénétrant dans nos
âmes, nous ravit de plaifir.
Il n'y a certainement pas de fard , ni de pommade , ni d'eau qui rende
au tein la fraîcheur & l'agrément que la Chafteté confervé & que les fem-
mes fouvent font difparoitre en peu de temps par un régime échauffant,
les veilles , l'irritation continuelle de leur imagination , &c.
La coquetterie eft un défaut de réflexion. Si les femthes vouloient pren-
dre la peine de réfléchir & de raifonner , elles n'héfiteroient pas à facrifler
une ou tout au plus trois années de folie au plaifir inexprimable de jouir
des fentimens vrais & naturels qu'elles peuvent faire naître pendant très*
long-temps , en fe ménageant»
Tomt XL Zz«
ç4/f C H A T E A U. Ç K A T B L. " (Pierre du)
c H A T E A U, {.m*
L
ES Châteaux font prefque tous abandonnés. le luxe & l'ambition^
etichainent prefque tous les grands Seigneurs à la coun Cependant ils n^y
font que des elclaves fbuvent inutiles^ quelquefois méprifés, & toujouils
fort gênés, au lieu que chez eux, ils feroienc maîtres , refpeâés & chéris
s'ils vonloient. Ils tirent le plus dVgent qu'ils peuvent de leurs terres,
& les dégradent fouvent en les démembrant pour fournir V un luxe qur
les éloigne du bonheur.
Leurs valïàux , livrés à des mercenaires avides ^ font fans ceffe expofés
i mille vexations y Se traînent dans la mifere une vie languHTante. Ils font
peu d'enfans de peur de faire des malheureux. Sans émulation parce
qu'ils font fans efpoir^ ils ne travaillent que pour fe procurer le nécef*
Kiire abfolu.
Quel tort cela ne fait^il pas à l'Etat » k la population, à l'agricuhure ,.
au commerce >
Si les Seigneurs habitoieot leurs Châteaux , ils chercheroient 1 amélio«
rer le>irs polTeilions , occuperoient ces bonnes gens , les feroient vivre dans
une honnête aifance par les travaux qu'ils leur feroient ^aire. L'émuh*
tion renaitroit ; l'agriculture fleuriroit;. l'aifance rameneroit la famé; U
population augmenteroit. Les terres incultes fe défricheroient. Le payfaa
béniroit fon Seigneur; ic celui-ci jouiroit du bonheur qu'il répandroir
autour de lui. ,
Courtifans infenfés ! comparez la noblefle & Tagrément de cette pofi*
tion avec le perfonnage que vous faites dans tes antichambres oii vous crou-
pifféz. Allez jouir du précieux avantage de faire des heureux , & vous le
ferez vous-mêmes.
CHAT EL y ( Pierre du ) Bibliothécaire & ami de Français I^
JRoi de France.
p
lERRE DU CH AXEL efl un beau modèle à préfcnter aux cour-
tifans, fur-tout à ceux que les Rois honorent d'une amitié particulière»
fi pourtant il peut y avoir une véritable amitié entre un fouvêrain &
fon fujet.
Il étudia & profeffa les .Belles-lettres au Collège de Dijon fous Pierre
Turrel qui en étoit principal.' Celui-ci fort verfé dans les mathématioues
& l'afltologie fut foupçonné d'impiété , & eut peut-être fuccombé lous
C H ATE I Et D E PARIS. S4y
le poids de la prëventioo & de ignorance , fans réloqueoce viftorieufe
iiu jeune du Châtel qui oia défendre fon maître & Parracherà une con-"
damnation préméditée ; Pierre GaUnd , fon hifiorien , compare ce triomphe
à celui de Cicéron fur Céfar en faveur de Ligarius : Michçl Bouder, Evé«
que de Langres , qui aimoit les lettres , un des juges , fut (i charmé
des talens du jeune orateur , qu'il le loua en plein Parlement &, le ré«
compenfa.
L'érudition , la fageflè , & l'efprit de du Chatel lui concilièrent les bon-
nes grâces de François I qui te fit fon bibliothécaire à la place de Bu^
dée , Evéque de Maçon , enfuite d'Orléans , & Grand- Aumônier de France;
Ceft le ièul favanr dont lei queftions avides de ce Prince ne purent épui-
fer la fcience en deux ans^ le feul aufli dont les n^lheureux ne purent
cpuifer la bienËii faoce.
• Ce grand homme entendant un jour Poiet trahir 1^ Roi par une lâche
adulation, lui dit: de quel front ofez-vous bazarder devant Françcns I des
flatteries qui feroient baiifer les yeux aux Nérons & aux CaliguU?De$
cotirtifans (e liguèrent contre du Chatel ; il fut averti que la liberté de
fes difcours pourroit blefTet l'oreille du, inaitré, » & moi ^ lui dit le Roi, je
9 vous ordonne, de déployer en toutç occaHo'n cette liberté généreuse doojt
I» j'ai befotn; ma proteaidn & mon amitié font h ce prix, » Il en' jouit
conftamment jufqu'à la. mort de ce Prince dont, il prononça Poraifon fur
nebre, que BaIu2X a publiée en 1674 ^^^^ ^^ ^^^ ^^ ^" Chatel écrite ea
tatin très-pur par le Profeflbur Gaîand, Cet flluftre Prélat, que le Chan-
celier de PHopiial appelloit l'ornement des mufes , ( Cajlcllane decus mufa-^
rum ) mourut d'apoplexie en „ prêchatu dans fa cathédrale d'Orléans e«
15^2. ( C.)
■.I , , I L ,
^
/
CHATELETDB PARI&
JLtfE Châtekt de Paris eft la juflice foyale ordinaire de la capitale du
Royaume. On lui a donné le titre de Chàtelet, parce que Pauditoire de
cette jurifdiâion eft établi dans l'endroit où fubfîile encore jpartie d'une
ancienne forterefle , appellée le grand Çhâttltt » que Jufes Çélar fît conf-
^ruire lorfqu'il eut fait la conquête des Gaules. 11 établit à Paris le Con-
feil fouverain des Gaules , qui devoir s'affembler tous les ans ; & l'on tient
Îiue le Proconful , Gouverneur général des Gaules ^ qui préfîdoit à ce coa*-
eil , demeuroit à Paris.
Vers le Commencement du treizième iieclè, tous les offices du Chàtelet
fe donnoient à ferme , comme cela fe pratiquoit aufli dans les provinces ,
ce qui caufoit un grand défordre , lequel ne dura à Paris qu'environ |0
4onees« Vers l'an 12 $4» St. Louis commença la réformation de cet abus
Zi% 2
u«
CHATELETDÈ PARI 5.
par le Chitclet ^ & inftîtua un Prévôt de Paris en titre. Alors on vît la
jiirtfilidion du Châtelet changer totalement de face.
Le Prévôt de Paris a voit dès-lors des Confeillers , du nombre derquelt
il y en avoir deux qu^on appella Auditeurs \ il nomnioit lui-même ces
Confeillers. Il commit aufli des Enquêteurs-examinateurs ^ des Lieutenans^
& divers autres Officiers ^ tels que les Greffiers , HuifHers, Sergens, Pro-
cureurs, Notaires, &c.
Le Châtelet comprend préfentement plufieurs jurifdi£Hôns qui y font
réunies ; fa voir la prévôté & la vicomte ; te bailliage ou confervation , &
le préfidial.
Les Lieutenans particuliers au Châtelet ont le titre U'Aflèffeurs civils j de
police, & criminels*
II y a auflî deux offices d'Affefrcurs ; l'un du Prévôt de Pifle , & Tau-
tre du Lieutenant criminel de robe-courte ; c^eft un des Confeillers au Châ«
telet , qui dans l'occafion en fait les fbnâions.
Il y a quatre principales attributions attachées à la prévôté de Pa-
Tis , qui ont leur effet dans -toute Pétendue du Royaume , à Pexclufioa
même des baillis & fénéchaux » & de tous autres juges; fa voir, i^.
le privilège du fceau du Châtelet , qui efl attributif de jurifdiâion ;
a**, le droit de fuite; 3^. la coftfervation des privilèges de Puniverfi-
té; 4^. le droit d'arrêt, que les bourgeois de Paris oik fur leurs débi-
teurs forains.
. Les chambres d'audience font le parc civil , le préfîdiat , la chambre ci«
vile , la chambre de police , la chambre criminelle , la chambre du jure
auditeur* Il y a aulfi l'audience dés criées , qui fe tient deux fois la ^
maine dans le parc civil, les mercredi & famedi, par un des Lieutenass
Sarticuliers, après l'audience du parc civil. Il y a au(fi Paudience de l'or-
ihaîre, qui le tient dans le parc cT^H' tous les jours plaidoyables » excepté
connoiffànces d'écritures privées , communications de pièces , excepdoQs ,
renûfes de procès , & autres caufes légères. Les affirmations ordonnées par
fentênce d'audience , fe fom à celle de l'ordinaire.
' j *
C H A T I G A M. 549
CHATIGAM, Ville riche & confidérable dAfie , dans le Bengale ,
fur les confins d^Arrakan.
J^ES Portugais qui dans le temps de leur profpëricé cherchoient à
occuper tous les pofies importans de Tlnde , y formèrent un grand éta«
biiflemenc. Ceux qui s'y écoient fixés ^ fecouerent le joug de leur patrie
après qu'elle fut pafTée fous la domination efpagnole , &, fe firent corfai-
res plutôt que d'être efclaves. Ils défolerent long-temps par leurs brigan-
dages, les côtes & les mers voifines. A la fin , les Mogols les attaquè-
rent , & élevèrent fur leurs ruines une colonie aflez puiffante , pour em-
pêcher les irruptions que les peuples d'Arrakan & du Pégu aUroient pu
être tentés de raire dans le Bengale. Cette place rentra alors dans robrcu**
rite, & n'en eft fortie qu'en 1758, lorfque les Anglois s'y font établis.
Le climat en eil fain, les eaux excellentes & les vivres abondans. L'a-
bord eft facile & l'ancrage fur. Le continent & l'ifle de Sandiva lui for-
ment un allez bon port, h^s rivières de Barrempoeter & de l'£cki , qui
font des bras du Gange» ou qui du moins y communiquent , rendent fa-
ciles fes opérations de commerce. Si elle eft plus éloignée de Patna, de
Caffîmbazar, de quelques autres marchés que les Colonies européennes
de la rivière d'Ougly \ elle eft plus proche de Jougdia , de Daka , de tou-
tes les manufaâures du bas fleuve. Il eft indifférent que les grands vaif-
féaux puiftent ou ne puiftent pas entrer de ce côté-là dans le Gange ^
puifque.la navigation intérieure . ne fe fait jamais qu'avec des bateaux. '
Quoique la connoiffance de, ces avantages eût déterminé l'Angleterre à
s'emparer de Chatigam , nous penfons qu'à la dernière paix , elle l'auroit
cédé aux François, pour être débarraffêe de leur voifmage ,^ de leur concur-
rence dans les lieux pour lefquels l'habitude lui avoit donné plus d'atta-
chement. Nous préfumoQs même qu'elle fe feroit défiftée pour Chatigam
des conditions qui font de Chandernagor un lieu tout-à-fait ouvert , & qui
impriment fiur lès pofteffeurs un opprobre plus nuinble qu'on ne croit,
AUX fpéculations de commerce. C'eft une profeflion libre. La mer , les
voyages, les rifques & les viciflîtudes de la fortune, tout lui infpire l'a-
mour de l'indépendance. C'eft-là fon ame & fa vie. Dans les entraves ,
elle languit , elle meurt. L'occafîon eft peut-être favorable pour s'occupef
de l'échange que nous indiquons. Quelques tremblemens dé terre, qui ont
renverfé les fortifications que les Anglois avoient commencé à élever,
paroiffent les avoir dégoûtés d'un lieu pour leqœl ils avoient montré de
la prédileâion. Si nous ne nous trompons, Chatigam avec cet inconvé-
nient , vaut mieux pour la compagnie de France , que Chandernagor dans
Tétat oà elle eft obligée de le laiffer. Voyei^ Chandernagor.
^%0
CHAUFFAGE.
CHAUFFAGE, Cm..
JLiE Chauffage^ étant un objet de première néceflitéf il faut que la Po-
lice Toit attentive à ne jamais laiffer manquer une ville des matières dont
^n fe fert à cet effet. Ces matières ne font pas les mêmes dans tous les
pays. En France & en Allemagne, on brûle communément du bois; ea
Angleterre, du charbon de terre; en Hollande ^ des tourbes; en Flandre,
^e la houille; en d'autres Contrées, du charbon de bois. Il e(t même des
pays (i peu favorifés de la nature , que les habitans fe chauffent avec
des arrêtes dç gros poiffons qu'ils ont fait fécher au foleil. Cependant il
eft certain que, de toutes les matières combuftibles, le bois eft le plus
propre à faire un bon feu pour toutes fortes d'iifage , fi ce n'eft pour les
forges, où le charbon de terre & la houille font préférables. Comme les
forêts , les mkies de charbons , les bruyères où fe creufe la tourbe , (bat
fous rinfpeélion du département des Finances ; la Police ne peut procurer
l'abondance & le bon marché des matières qu'elles produifent, que par
tine grande attention aux befoins de la ville , en fàifant des repréfenta*
tions à ce' département auflitôt qu'elle s'apperçoit de la moindre difette d^
bois , &c. Elle établit de plus des chantiers , des magafins , pour le bois,
les charbons ou les tourbes , qu^elle place aux portes de la ville , & fi la
fituation le permet, proche d'une rivière; précaution également utile pour
le tranfport facile, & pour prévenir les incendies. Il faut auffi défendre
aux habitans de la Ville de brûler du chaume, 'de la paille, des ptanures,
<& autres chofes qui peuvent facilement mettre le feu à leurs maifons.^Lepri];
4es matières combuflibles doit être invariable, autant qu'il efi pofiible, & fixé
par la Police.
Il e(l; certain qu'il faut fe chauffer quand il fait froid; mais il n'eft pas
ixéceffaire que chaque domeftique ait fon feu particulier, le connois à Paris
Àes mations où il v a dix, quinze, viiigt, même trente feux continuels &
au-del^. Cette confommation exceffive fait beaucoup de coït : elle renchérit
le bois ; il •devient hors de la portée du pauvre , qui fouffire & même périt
dans les hivers un peu rudes. Elle engage les propriétaires à planter et
bois* des terres qui produiroient du grain : perte confidérabte pour le com-
merce, les fubiiflances & la population : car ce défaut de Clôture fait né*
ceifairement des hommes & des befiiaux de moins. Le pauvre , qui ne
peut pas acheter de bois, ou eft obligé d'en voler : ce qui £iit tort avx
propriétaires , & à la chofe même, car cela dégrade les bois & les forêts;
ou il y fupplée par des matières, telles que la tourbe & autres qui font
malfaines pour ceux qui n^ font pas accoutumés dès l'enfance. L'aifance
continuelle qu'on donne en tout aux domefiiques en multiplie le nombre,
^ lait déf^rter les canipagaes. Ils ne doivent pas fouf&ir du- froid , maïs ilc
CHELONI s. CHEMIN. f^t
^oi^entTavoir le (bppôrter; & tel (^onfomme dix Voies de bôîs dani ^tré
mois chez un grand Seigneur , qui n'auroic , dan$ fon village, pour fe re«.
chauffer^ que la grâce de Dieu & Ton travail. Clift . un eitec.du luxe.
C H E L O N I 5-
i^HELONIS^ £lle de Léonîdas, Roi de Sparte , nous offire le ^lu»
parfait modèle de la tendreffe filiale & de la fidélité qu^>n doit à un époux..
Supérieure à toutes les paffîons y elle les tint toujours aflervies à fes devoirs.
Lts malheurs de fa famille fournirent de fàcheu(es occafions d'exercer fe9
vertus. Lorfque fon père eut été contraint d'abdiquer le pouvoir fuprême^
6c de chercher un afyle dans une terre étrangère , elle voulut l'accompagner
dans fon exil, préférant la gloire de partager Ton malheur à l'ambition d^tre
aflTociée à l'éclat du trône où fon mari venoit d'être élevé. Après la révolu^
tion qui rétablit Léonidas dans^ la jouiflance de fa dignité y Chelonis , fîUe
tendre & époufe vertueufe & chérie , vit avec indifËrence la dégradation
de fon mari ; mais fidèle à fcs devoirs ^ ellp prëfëra les ennuis d'un nouvel
exil avec lui , à tous les honneurs qu'elle pouvoit fe promettre à l'ombre da
ir^ne de fon père. Sa deftinée fut de vivre fans patrie , & d'être toujours
malheureufe par devoir. Plutarque a raifon de dire que fi Cléombrote n'étojt
pas dévoré d'ambition , il pouvoit vivre plus heureux dans fon exil avec une
û digne époufe , qu'il ne l'auroitété fur le trône éloigné d'elle. S'il efl peu
d'exemple d'une vertu fi rare , c^efl que les femmes élevées fans principe»
font abandonnées à Tinconflance de leurs penchans , mais au-lieu de pro^-
noncer leur cenfure , c*ttt à nous à nous reprocher les vices de leur
éducation.
C H E M I N^ f. m.
1 OUT Chemin a néceflairement pour objet la facilité de la communia
cation & du commerce : donc tout Chemin doit paffer par les lieux les
fhis habités y de ville à ville , de bourg à bourg , de village à village.
>onc tout Chemin de traverfe ou de communication doit être fait &
entretenu comme les grandes routes fuivant que le local l'exige & le
permet.
Les Chentins font faits pour Tes gens à pied^ comme pour tes voitures^
pour les allans comme pour les venans. Ifs doivent y trouver les uns &
les autres Tes mêmes facilités , les mêmes commodités. Donc tout Chemin ^
Ikns aucune exception ^ devroit être bien pavé ^ avoir irente*iix pieds de
^^t chemin;
large , favôîr fix ^ieds die chaque côté relevé en talus doux pour les gens
ée pieds, & vingt-quatre pieds en chaufTëe pour les voitures, ce qui for«
meroit deux ruiiieaux pour l'écoulement des eaux que l'on doit conduire
dans des puifards profonds lorfque le terrein ne permet pas de leur donner
d'autre, iffiie ,. car elles ne doivent jamais y féjourner.
Cependant les Chemins ne doivent pas faire tort à l'agricutture; donc
ils ne doivent avoir que la largeur nécefikire , & ne pas être multipliés
fans raifon fuffifante.
Du reile ils doivent être faits folidement & entretenus avec foin. On
doit toujours défoncer le terrein ayant de faire ' quelque Chemin que ce
foit , & former deflbus un bon maflit de trois pieds au moins d'épaifTeu r,
en pierres , feches & même en maçonnerie félon le plus ou moins de fo«
lidité du fonds. J'en appelle aux Romains.
JEntrons dans de plus grands détails.
: Il efl à préfumer qu'il y eut des grands Chemins , auflî-tôt que les hom-
mes furent raflemblés en alTez grand nombre fur la furface de la terre j
pour fe diftribuer en différentes lociétés féparées par des diflances. Il y eut
auili vraifemblablement quelques règles de, police fur leur entretien , dés
ces premiers tems; mais il ne nous; en refte aucun veftige. Cet objet ne
commence à nous paroitre traité comme étant de quelque conféquence ,
que pendant les beaux jours de la Grèce : le fénat d'Athènes y veilloit;
Lacédémone , Thebes & d'autres Etats en avoient confié le foin aux hom-
mes les plus importans ; ils étoient aidés dans cette infpeâion par des Offi-
ciers fubalternes. Il ne paroît cependant pas que cette oftentation de police
eût produit de grands effets en Grèce. S'il eft vrai que les routes ne tuflènt
•pas mêmes alors pavées , de bonnes pierres bien dures & bien affîfes au-
roient. mieux valu que tous les dieux' tutélaires qu'on y plaçoic ; ou plutôt
ce font là vraiment les dieux tutélaires des grands Chemins. Il étoit réfervé
à un peuple commerçant de fentir l'avantage de la facilité des voyages &
des tranfports ; aufli attribue-t-on le pavé des premières voies aux Cartha-
ginois. Les Romains ne négligèrent pas cet exemple; & cette partie de
leurs travaux n'eft pas une des moins glorieufes pour ce peuple , oc ne fera
pas une des moins durables.
£n effet, entre les monumens'de la magnificence romaine, les trois
qu'on admiroit le plus, étoient les grands chemins de l'Empire, les aque-
ducs y & les cloaques ou les égoûts. C'étoient des ouvrages , qui l'empor-
toient fur les fept merveilles du monde ; mais , ceux qui confidéreront l'é-
tendue de ces grands Chemins , la folidité de leur ftruéhire, & les fiais
îmmenfes employés à les faire, avoueront que ce monument de la grandeur
romaine furpaflë de beaucoup les deux autres. Car, enfin, Rs aqueducs,
quelque grands & merveilleux qu'ils fuffent , ne fe trouvoient qu'autour
de Rome , & auprès de quelques grandes villes ; Si les cloaques n'étoieot
guère que dans la ville. Les grands Chemins alloient depuis les colonnes
d'Hercule ,
C H E M I N.v m
d*Hercu!e v en traverfahc rsrpagne & les Gaules , jufqu^ rauphrate *, & juf«
qu^à la partie la plus méridionale de TEgypte.
Le centre de tous ces grands Chemins étoit la pierre milliaire, -qu'on
appelloit milUarium aurcum^ plantée au milieu de Rome. Delà les Che--
•mins fe divifoienc en un grand nombre de branches , qui s'étendoient dans
toutes les parties de l'Empire Romain. Ifidore dit ^ que les Carthaginois,
icomme nous en avons déjà &it la remarque, font les premiers qui ont
pavé les Chemins; & que les Romains ont £dt depuis des pavés prefque
dans tout le monde , tant pour rendre les Chemins plus droits , que pour
«mpêcher que le peuple ne demeurât dans l'oiûveté.
L
Des grands Chemins ^ItaUc.
BS grands Chemins d'Italie ^ à en juger par ce qui en refle aujour«
d'hui j étoient mieux conftruits que les autres. On le remarque fur-tout dans
•les voies Appia , Flaminia & ^milia« La conftruâion de la voie Appia eft
4ittribuée au cenfeur Appius Claudius, qui lui donna fon nom. Deux cha*
riots pouvoient aifément y pafler de front. La pierre, apportée de carrières
ibrt éloignées, fut débitée en pavés de trois, quatre & cinq pieds de fur-
•iace^ Ces pavés furei^t affemblés aufli exaâemeo^ que les pierres qui for*
ment les murs de nos maifons. Le Chemin alloit de ,Rome à Capoue ; le
pays.au delà n'appartenoit pas encore aux Romains. Il fut enfuite continué,
Ibit par Jules-Céfar, foit par Augufte, jufqu'à la ville de Brundufie. Sa
longueur , dans toute cette étendue , étoit d^environ trois cents cinquante
-milles^ c'eft- à-dire, décent quinze de nos lieues. C'étoit la plus ancienne
& la plus belle de toutes les c voies romaines. Aulfî en étoit*elle appelléé
la reine.
La voie Aurélia [eft la plus ancienne aprè^ celle d' Appius. C. Aurélius
Cotta la fit conftruire l'an de Rome { 1 2. Elle commençoic à la porte Au-
rélia, & s'étendoit le. long de la mer Tyrrhene jufqu'au Forum AurcUi.
La voie Flaminia eft la troiiieme dont il .foit fait mention. On croie qu'elle
fut commencée par C. FUminius, tué dans U féconde guerre punique, &
continuée par fbn fils* Cette voie conduifoit jufqu'à Rimini, Le peuple &
le fénat prirent^ tapt de goût pour jcef travaux » que fous Jules-Çélar lea
fûrincipales villes- de l'Italie comm^uniquoient toutes avec la capitale par des
Chemins pavés«
C. Gracchus s'appliqua avec un foin particulier à rétablir & à redreffer
les grands Chemins. Il les partagea par efpaces égaux qu'on a appelle milUs ^
parce qu'ils contiennent mille pas géométûqçes. Four marquer ces milles ,
il fit planter de grands. piliers de pierre,. #11 4ep coloi^nes , fi^r lefquelles
étoit infcrit le nombre des milles^. D^à cette panière, de parler, fi frér
auente dans les* auteurs ^ ttrfio , quarto , ûuinu^ fapidc ab urbc*^ Ces milles
iom encore aujourd'hui 4'une grande utiUte 4^as la géographie., pour 9oa«
Tome XI. Aaaa
)S4 € If Ê li I K;
noloeJâ véritable diftaûce des lieux, dont parlent les auteurs ancietis. Ik
éioient auffî fort commodes pour les 'voyageurs , qui font bien aifes de fa»
voir au juftè ce qu^ils ont fiut de Chemin, & combien il leurenrefie en-
core à raire ; ce qui eft pour eux une eQ)ece de délaflèmear.
Gracchus ajouta encore à ces Chemins un fecours d'une grande commo-
dité f en y faifant planter aiux deux côtés de belles pierres debout , à une
médiocre diftance rune de Taunie , afin qu'elles aidàlTent le» voyageurs à
monter à cheval fans le fecours de perfonne \ car , anciennement on ne fe
fervoit point d'étriers.
La longue & fiable durée dé ces ouvrages , dont une partie «'eft coiv>
fervée jufqu'à nous, montre avec quelle attention & quelle habileté ils
avoient été conflruits-; ce qui n'a été imité depuis par aucune nation.
Quoique la voio. Appia ait environ deux mille ans d'antiquité , on la voit
encore en fon entier refbacê de plofieurs milles du côté de Fondi, faas
{varier de beaucoup d'endroits, où l'on en trouve de grands reftes. Mats,
es pierres de defUis étant ébranlées ou -détachées, on évite ce pavé cchu-
me extrêmement incommode aux calèches & aux autres vottures roi»^
lantes.
^ En d'autres endroits , on trouve ^e longs efpaces , où la furface du pavé
efl très-bien confèrvée £c unie pa^-deffus comme une glace, he^ pierres
de ce pavé font de couleur dé f^r , & d'une dureté qui pafTe celle du maf<-
bre. Leur forme efl toute irréguliere; il y en a ji cinq angles, d'autres
à fix. M. Fabreti , dans fa colonne Trajane , dit que les pierres de ces
Chemins font toujours hexagones, hors celles des bords qui (bot penta*
gones^; mais Dom Bernard de Montfàucon n'oferoît aflurer que cela fe
trouvât de même par-tout. Les unes font longues d'environ deux pieds, les
autres moins longues. Les plus petites n'ont guère moins d'un pied% Malgré
l'irrégularité de la forihe, elles font fi bien jointes enfemble, qu'en plu*
(leurs endi^its on ne faurbit faire pâf^r entre deux pierres la pointe d'iia
couteau. Ces pierres, qui font la furface, ont d'épaifiëur environ un pied
de Roi.
Ces Chemins font plus élevés que lé terrein voifin. Il efl des endroits»
oh l'on a coujpé des montagnes, & même de grandes roches pour les cou*
tinuer. Cela le voit fnrincipalément à Terracine, où lé rocher coupé a
près de fix-vingts^ pieds de haut. Oo a laiflë en- bas pour Chemin b
roche plate , mais fiUonnée , afin que les pieds des chevaux y paflènt tenir
£ins glifTer.
Cette folidhé merveilleufe de la voie Appia & des autres , vient âoii*
feulement de la groffeur & de! la dureté des pierres bien unie»» mus auffi
du grand maffif qUi leè fbbtîeàt.^Dom Bernard de* Montfaucoh a obfervé,
entre Velletri & Sermonèta^ ube partie de la voie- Appia, dont oo avoit
ôté tontes les graifdès pierres de deflus; ce qiii lui donna lieu de confîdé^
f er à loifir <la ftruâure de ce maf&f. Le fotid en^ de inoilon, ou de Mo*
C H B M I N. ,55
caille mife en œuvre avec un ciment très-feit . & qu'ion a bien de la peine
h rompre. Au deflks èft une Couche de gravôil dmâûtë de même, entre-
mêlé de petites pierres rondes. Les grofles pierres, qui (àifoient le pavé^
a^enchaflbient aiiement dans cette couche de gra^ois encore molle. On /
trouvoit la profondeur néceCùire pour ces pierre3 d'épaifleur inégale , ce qui
n'auroit pu Ce &ire , fi ce grand pavé de pierre avoit été pofé immédiate-
ment (ur le moilon« Tout ce grand maffit avec les pierres , pouvoit avoir
environ trois pieds de haut.
II y avoit des lieux où ces grands Chemins avoient des bords. Dom
s que cela fût général; car il alTure
Chemins font entiers ^ & fans aucun
Gerhard de Mont&ucon ne croit pas que cela fût général; car il alTure
qu'il a vu plufieurs endroits où ces Chemii
peu moins de quatorze piedsc
^ n*eft précifément que ce qu'il falloit pour deux chariots. Ces Chemins
ont été faits il y a environ deux mille ans , dans un temps où les voitures
des chars étoient apparemment moins fréquentes ; & on les aura laifTés de
même qu'ils ont été d'abord faits » fans rien ajouter à leur^ première
largeur. ^
Nous avons dit que les Romains fe fatfment des grands Chemins à travers
les montagnes. Nous en avons un exemple permanent en la grotte de
Fouzzole , où la montagne efcarpée qui eft entre cette ville & Naples , efl
percée d'un bout à l'autre, enforte qu'on y va de plain pied. Aux deux
çoit un peu en dedans, on a ait par le milieu, des ouvertures qui per»
** * ' . . V " • ré toutes ces
que les voi*
cent la montagne , & portent le jour du haut en bas. Malgré toutes ces
précautions, l'obfcurité règne toujours fur le milieu; enforte q
tares roulantes qui viennent à la rencontre des unes des autres , s'y entre-
choqueroient ^ fi les voituriers & les cochers n'avoient foin de s'avertir les
uns les autres ^ qu'ils prennent ou du coté de la mer ou du côté de la
montagne.
Il y avoit encore à Rome, un Chemin qui perçoit la montagne du
capitole 9 comme nous l'apprend Flaminius Vacca , qui dit que fon maître
Vincent de Ro(fis defcendit par un trou qui étoit dans la place du capito*
le , & vit ce Chemin , dont les mafiires , tombée^ des bàtimens de l'an-
cien capitole , avoient bouché l'entrée & la fortie. Ce Chemin eft encore
aujourd'hui enfeveli fous les ruines. Il ne fàiit pas s'étonner que les Rot
miiins, qui avoient percé de bien plus grandes montagnes ,. aient encore
pescé celle-là ^ qui n'étoit proprement qu^uoe colline , pour pouvoir aller
àe plain pied du grand marché romain à la négiQa ilu cirque de Flami^
jiius , qui étoit de fautre coté du capitole.
Aaaa 1
^^( CHEMIN.
D«s grands Chemins hors de tItalU.
L
Es grands Chemins hors de l'Italie nMtoient pas faits de même que
ceux que l'on avoit conftruits dans cette contrée. On peut sVn convaincre
{)ar les traces , qui fe voient encore en plufieurs endroits. On remarque feu*
ement qu'ils étoient plus larges.
Fendant la dernière guerre d'Afrique , on confiruifit un Chemin de cail-
loux taillés en quafré , de TEfpagne dans la Gaule , jufqu'aux Alpes. Do*
mitius pava la voie Domitia, qui conduifoit dans la Savoie, le Dauphiné
& la Provence. Les Romains nrent en Germanie une autre voie Domitia ,
moins ancienne que la précédente. Âugufte , maître de l'Empire , regarda
les ouvrages des grands Chemins d'un œil plus attentif qu'il ne t'avoit fait
pendant fon confulat. Il fit percer de grands Chemins dans les Alpes ; (on
delfein étoit de les continuer jufqu'aux extrémités orientales & occidentales
de L'Europe. Il en ordonna une infinité d'autres dans l'Efpagne. Il fit élar«
gir & continuer celui de Médina jufqu'à Gades. Dans le même temps &
par les mêmes montagnes, on ouvrit deux Chemins vers Lyon; l'un ira*
verfa la Tarentaife , & l'autre fut pratiqué dans l'Apennin.
Agrippa fecorula bien Augufte dans cette partie <le l'adniiniftration. Ce
fut à Lyon qu'il conmiença la diftribution des grands Chemins dans toute
la Gaule. Il y en eut quatre particulièrement remarquables par leur lonr
gueur & la difficulté des lieux. L'un traverfoit les montagnes de l'Auvergne^
oc pénétroit jufqu'au fi>nd de l'Aquitaine; un autre fut pouflfé jufqu'au Rhin
& à l'embouchure de la Meufe , fuivit , pour, ainfi dire , le fleuve , & finit
à la merde Germanie; un troifieme, conduit à travers la Bourgogne, la
Champagne & la Picardie, s'arrêtoii à Boulogne fur mer; un quatrième,
s'étendoit le long du Rhône» entroit dans le bas Languedoc, & finillbit à
Maiieille fur la Méditerranée. De ces Chemins principaux, il en partoit
une infinité d'autres qui fe rendoient aux différentes villes , difperfées fur
leur voifinage ; & de ces villes , à d'autres villes , entre lefquelles on dif-
tingue Trêves, d'où les Chemins fe difiribuoient fort au loin dans plufieurs
Provinces. L'un de ces Chemins entr'autrcs , alloit ii 5trafbourg , & de Stras*
bourg à Belgrade; un (econd conduifoit par la Bavière jùfqu^ Sirmich,
ville diftante dç quatre cents vinge-cinql de rkos lieues. •
Il y avoit aufii des Chemins de communication de lltalie aux Provinces
importans
répandoient en Dalmatie, dans la Croatie^ la Hongrie, la Macédoine, les
deux Mœfies. L'un de ces Chmiins s'étendoit julqu'aux bouches du Danu-
be, arrivoit à Tomes, jSc ne finiflbit qu'où la terre ne paroifldit plul
habitable*
CHEMIN. f^7
Les mers ont pu couper les Chemins entrepris par les Romains, mais
non pas les arrêter; témoins la Sicile, la Sardaigne, Tlfle de Corfe, l'An-^
glererre , ' l'Afie , l'Afrique, dont les Chemins communiquoient , pour ainfî
dire , avfec ceux de Tfiurope , par les ports les plus commodes. De l'un &
de l'autre côté d'une mer , toutes les terres étoient percée? de grandes voies
militaires. On comptoit plus de 600 de nos lieues de Chemins pavés paroles
Romains dans la Sicile; prés de 100 lieues dans la Sardaigne; environ
73 lieues dans la CoK^fe; 11 00 lieues dans les Ides Britanniques; 42^0
lieues en Afie ; 4^74 Heues en Afrique. La grande communication de Vl^
talie avec cette partie du monde, étoit du port d'Oftie à Carthage; aufli
les Chemins étoient-ils plus fcéquens aux environs de ce dernier endroit «
que dans aucun autre. Telle étoit la correfpondance des routes en deçà &
au delà du détroit de Conftantinople , qu'on pouvoit aller de Rome à Mi-^
lan , à Aquilée , fortir de l'Italie , arriver à Sirmich en Efclavonie , à Conf^
tantinople; traverfer l'A(ie mineure, la Syrie, pafler à Antioche, dans la
Fhénicie, la Paleftine, l'Egypte, à Alexandrie; aller chercher Carthage ,
s^avancer jufqu'aux confins de l'Ethiopie, à Clyfmos; s'arrêter à la mer
Rouge, après avoir fait 2380 de nos lieues.
Quels travaux , à ne les confidérer que par leur étendue 1 Mais , que ne
deviennent-ils pas, quand on embrafle, fous un feul point de vue. Se cette
étendue , & les dimcultés qu'ils ont préfentées , les forêts ouvertes , les
montagnes coupées , les collines applanies , les valions comblés , les marais
defléchés , les ponts élevés l &c. >
Les grands Chemins étoient conftruits félon la diverfîté des lieux; ici
ils s'avançoient de niveau avec les terres; là ils s'enfonçoient dans, les val-
lons ; ailleurs ils s'élevoient à une grande hauteur v pa'r*tout on les com-^
mencoit par des filions tracés au cordeau. Ces parallèles fixoient la largeur
du Chemin ; on creufoit l'intervalle de ces parallèles ; c'étoit dans cette
profondeur qu'on ëtendoit les couches des matériaux du Chemin. C'étoit
d'abord un ciment de chaux & de fable, de l'épaifleur d'un pouce; fur
ce ciment , pour première couche , des pierres larges & plates , de dix pou^
ces de hauteur , afiîfes les unes fur les autres , & liées par un mortier des
plus durs ; pour féconde couche , une épaiflèur de huit pouces de petites
pierres rondes plus tendres que le caillou , avec des tuiles , des moilons ,
des plâtras , & autres décombres d'édifices , le tout battu dans un ciment
d'ailliage; pour la troifieme couche, un pied d'épailTeur d'un ciment fait
d'une terre grade, mêlée avec de la chaux. Ces matières intérieures for*
moient depuis trois pieds jufqu'à trois pieds & demi d'épaiffeur. La furface
étoit de gravois liés par un ciment mêlé de chaux; & cette croûte a pu
réfiffer jufqu'a préfent en plufieurs endroits de l'Europe* Cette façon de pa««
ver avec le gravois étoit fi (blide , qu'on Tavojit pratiquée par-tmîr ^
excepté à quelques grandes voies , où l'on avoir employé de grandes
pierres V niais feulement jufqu'à cinquante lieues de difiance dés portes
de Rome.
){8 C tt B M r N.
On emplojrôlt tes croupes de TEtat à ces ouvrages , 4|ut endiifcif-
foient ainu à la fatigut les peuples couquîs, donc ces occupacions pré-
venoienc les révoltes. On y employoiç auili les tnalfiitteurs , que la du-
reté de ces ouvrages efSrayoic plus que la mort, Si à qui on faifoit eipier
itrilemenc leurs crimes.'
Les fonds , pour la perfeâion des Chemins , écoienc û aiTurés & fi confi-
dérables , qu'on ne fe contencoic pas de les rendre commodes & durables ;
on les embeUiflbic encore. Il y avoic , ainfi que nous en avons déjà faic
la remarque , des colonnes d'un mille à un autre y qui marquoienc la dif-
tance des lieux , des pierres pour afleoir les gens de pied , & aider les ca«
valiers à monter fur leurs^ chevaux, des ponts, des temples^ des arcs de
triomphe ^ des maulblées , les fépulcres des nobles , les jardins des grands ^
fur-couc dans le voifinage de Rome; au \cm des Hermès ou (latues, qui in-
diquoieht les routes.
Il y avoic aufli fur ces grands Chemins, différens gkes, qu'on appellott
manfions. Ce n'étoient ordinairement que des demi^joumées. St. Athanafe
compté trente-fix manfions au Chemin d'Alexandrie à Antioche. On en
trouve en efièt tout autant dans VItméraire d'Antoniq. Le même en compte
quatre*vingt de SéleuCie d'Ifaurie jiifqu'à Milan. Ces gîtes» qui s'appelloient
en Latin manfioncs , fe nommoient en Grec ^. Outre les gîtes ou man-
fions , il y avoic des lieux pour les relais , qu'on appelloit miuationis , où
les gens qui couroient la pofie , & qu'on nommait vcredarii , changeoient
de chevaux.
Telle eft l'idée, qu'on peut prendre en général de ce que les Romains
ont fait peut-être de plus iurprenant. Les fiecles fuivan8,& les autres peu*
pies de l'univers ofirent à peine quelque chofe qu'on puifle oppofer à ces
travaux, fi l'on en excepte le Chemin commencé à Cuico, capitale du Fé«
rou t & conduit par une difianee de ^oo lieues fur une largeur de 25 à
40 pieds, jufqu'à Quito. Les pierres les plus petites dont ilétoit pavé,
avoient dix pieds en quatre. Il étoit foutenu à droite '& à gauche, par des
murs élevés au deflus du Chemin à hauteur d'appui. Deux niiflèaux cou-
knent au pied de ces murs ; & des mrbres, plantés fur leurs bords , fimnoient
ime^ avenue immenfè.
On diftingue en général deux fortes de Cheihins^ favoir les Chemins
publics , & les Chemins privés , ou particuliers.
fer des bétes de charge ou une charrette ou chariot fiir l'héritage
dîautrui ; ce qu'ils appelloient ainfi iter & aSus n'étoieot pas des Che»
mins proprement dits, ce n'étoient que des droits de paffitge ou iervkii*
s rurales. .
Ainfi te mot vIa étoic le terme propre pour exprimer un Chemin pu*
\
C H £ M IN. {S9
blic ou priv^; ils fe (êrvoient cependant aulfi du mot iur pour exprimer
un Chemin public » en y ajoutant l'épirjhete publicum.
On diftinêuoit chez les Romains trois fortes de Chemins; favoir les
Chemins publics , viœ publicœ y que. les Grecs appelloient voies royaUs; &
les Romains , vous prttoritnnts , confulaires , ou militaires. Ces Chemins
aboutiflbient ou à la mer ^ ou à quelque fleuve , ou à quelque ville , ou à
^quelque autre voie militaire.
Les Chemins privés | vùb prhatœ ^ qu^on appelloit aufli agrarias, étoient
ceux qui fervotent de communication pour aller à certains héritages.
Eniîn les Chemins qu'ils appelloient viœ vicinales ^ étoient auffî des Che«
mins publics « mais ils alloient feulement d^un bourg ou village à un
autre. La voie , via , avoir huit pieds de large ; Viur , pris feulement
pour un droit de ' paflage , n^a Voit que deux pieds , & le paflage appelle
a3us en avoit quatre.
On diftingue aujourd%m en général deux fortes de Chemins publics; fa-
voir les grands Chemins , qui tendent d'une ville à une autre , oc les Che-
mins de traverfe qui communiquent d'un grand Chemin à un autre , ou d'un
bourg ou village à un autre.
Il y a aufli des Chemins privés qui ne fervent que pour communiquer
aux héritages.
Chemin double.
\J ^ appelloit ainfi chez les Romains un Chemin de charrm, ï
deux chauflëes , Tune pour aller , & l'autre pour venir , afin d'éviter
la confufion , iefqùelles étoient féparées par une levée en manière de
banquette^, de certaine laideur pavée de brique , pour les gens de pied
avec des bordures & tablettes de pierre dure , des montoirs à cheval d'e£»
pâce en efpace , & dés colonnes pour marquer les difiances. Le Chemin
de Rome à Odie étoit de cette macère.
C'eft uo grand abus que de conf^ruire & de réparer des Chemins avec
des rondeaux , comme cela fe pratiquoit autrefois en plufieurs lieux. Si
l'on fe bornoit à employer des branches d'arbres de pin ou de daille pour
en joncher le Chemin qu'on voudroit conftruire dans un endroit où les
pierres font fort rares , ^ou dans les endroits marécageux , il n'y auroic
rien là que dé bon & d'utile ; en recouvrant le tout de gravier
on fèroit un très-bon Chemin & très-durable ; comme j'ai eu occafion
de l'expérimenter. Mais pour les rondeaux ils ne fent que de très-mau*
vais & très-incommodes Chemins, peu durables , & ne fervent qu'à ruiner
les forêts.
La première ehofe qu'on fera pour coàflniire uo Chemin, c'eft d'en
lever le plan & d'examiner , s'il n'y auroit pas moyen d'y £dre des rac*
courciflèmens avantageux. On marque fur ce plan les montées & les def«>
/
^^o CHEMIN.
centes taoc foit peu confîdérables , en diftinj^uant celles qui auront plus db
rapidité d^un pied fur dix de longueur ^ ann de chercher à les adoucir
pour éviter les enrayages infiniment préjudiciables aux Chemins , par les
profondes ornières quMs occafionnent;
La largeur des Chemins, lorfqu^on ne confidere que la néceflité, doic
être de trente-fix pieds pour les plus grandes routes, (avoir vingt-quatre
pieds d^empiétement , trois pieds de oerme & trois pieds de fofies de
chaque côté ; pour les moins confidérables trente pieds fuffifent , & pour
ceux de traverfe vingt pieds tout compris.
' Si l'on a des bois a traverfer, on donnera au Chemin environ fbixante
{)ieds d'ouverture, foit pour la fureté du voyageur^ foit pour donner de
'air au Chemin.
On donne ayx foflTés plus de profondeur lorfque le terrein eft bas & hu-
mide , afin d'avoir de quoi relever le Chemin , & alors on les revêt de
irazon ou de mur foc pour prévenir les éboulemens. Et l'on aura foin que
es eaux des folfés aient des écoulemens foit par des couliflès qui traver-
fent fous le Chemin , foit même par-deifus le Chemin , lorfque les foffîs
ont peu de profondeur. Et alors il faut faire un pavé enfoncé.
On donne un piçd de bombage à un empiétement de vingt-quatre pieds
de largeur.
On marque avec des piquets parallèles de diftance en diftance, la largeur
convenue, & l'on cherche à faire les plus longs alignemens poflibles, fans
être trop difpendieux.
. La terre des foflës doit être jettée fur le bord pour former le berrae
& non au-milieu comme l'on fait fouvent. Il faut deux pieds & demi à
trois pieds de matériaux au-milieu.
. Les plus gros matériaux fe placent au fonds; les plus petits par-deifiis,
& fur le tout un pied de gravier fin.
On efl obligé dans les commencemens de le recharger , de remplir les
ornières.
Le gravier fe trouve communément fur les hauteurs , dans des endroits
fecs & arides & où il y a des filets d'eau. Souvent il fe préfente de lut*
. même. On y fubftitue de la petite rocaille , ou des pierres brifées.
Les villages doivent être pavés, parce que les firéquens rablonnages
emportent tout le gravier.
Si le terrein eft tout-à-^fait marécageux, on £iit des fkfcines de bois
verd , longues de la largeur du Chemin , liées en diflërens endroits. On
les place prés à près ; on met par-defCis une couche de nos foin de
marais , & enfuite les matériaux. Les fiifcines fe pofeot immédiatement fur
le gazon.
Si les montées nie font pas longues, on les corrige en prenant beaucoup
de terre au-deffus pour la porter au bas , ce qui prolongeant la pente^ là
diminue.
Si
CHEMIN. jj€i
Si elles font confidërables, & qu'on ne puiflTe pafler ailleurs , on les
adoucit par des contours. Si Ton ne peut employer ce moyen , il &ut pa-
ver la montée & le foflë du côté fupérieur^ il ne doit point y en avoir
dans le côté inférieur. On fera de diilance en diftance des écoulemens
qui traverferont le Chemin pour les eaux.
Si Ton a un coteau ou une , pente de montagne à traverfer , en échange
on a foin de donner par-tout la même pente, & après avoir marqué le
milieu du Chemin , l'on fait un mur fec à la diflance de ce milieu ^ de la
largeur que le. Chemin doit avoir, & on Péleve autant que ce milieu;
après quoi on remplit le vuide avec le terrein qu'on prend dans l'autre
moitié fupérieurc du Chemin.
Pour établir un Chemin fur un roc, on commence par l'égalifer; on le
recouvre exifuite de gros matériaux à l'épaifTeur de deux pieds , & enfuite
de plus petits.
On élargira le Chemin dans les coudes.
Si l'on craint que les neiges n'effacent la route, il faut la rnarquer par
des poteaux plantés- de diftaïKe en diftance.
Les Chemins qui côtoient une rivière ou un torrent qui fort queit
quefbis de fes bords, doivent être élevés à une couple de pieds plus haut
que les plus fortes inondations. II y faut quelquefois dés quais ou de$
digues « un talut de gazon garni d'ofiers j on tient d'ailleurs ^dcbar*
raffé le lit. ^
Si les Chemins qui font le long des. lacs, font bordés de quais, on lef
pofe fur de bons grillages qui feront dans l'eau, lors même que les eaux
feront les plus bafles : ils feront . garantis par des pieux entrelacés de branr
ches de fautes ou d'ofiers* On peut.auffî y employer de fortes digues oi^
.^ros. pieux de chêne tenus en re^le par des traverfes de chêne à moitié
hauteur du Chemin. Derrière on jettera de groffes pierres au nîyeau de$
traverfes. On mettra des pièces de chêne d'une douzaine de pieds, dont le
gros bout repofera fur le milieu de chaque traverfe qu'elle contiendra par
le moyen d'un* menton; le refle entrera dans le Chemin & aura à l'autre
extrémité une croifée d'environ huit pieds qu'on affujettira avec des pieux.
^ prés cela on achevq-a de confïruire le Chemin. Si l'on ne peut planter
des pieux , on placera en longueur contre le Chemin de gros maté-
riaux ;- derrière on en mettra de moins confidérables, jufqu'à ce que le
Chemin foit fini.
Si Ton avoit abondance de greffes pierres , on pourroit en faire des ran«
gées à peu de diRaocç du bord, ou des efpeces de moles informes, dont
on garniroit les' vuides de gravier \ leur direâion dépendroit des vents qui
régnent dans, l'endroit. On pourroit ; a^{^ faire des. moles pu cadres de pie*
ces de chêne qu'oii remplir oit de gravier..
: Lprfqu'on veut^faife. fauter Iç roc, ou de groffes pierres avec la pou-
dre , ' il , &ut fe fervir ^ pour les percer , d'aiguilles longues d'environ ùx
Tome XI. Bbbb
/
^6i, C H E M r NT,
))iêds ; un ouvrier feot tes fait agir fans employer le marteau. Où peut
percer le fec, & il vaut mieux fe fervir de pierraille brifée, bien battue»
que de cheville de bois pour remplir le trou après qu'on y a mis la charge
de poudre, en fe fervant d'une petite broche pour former la lumière. Si
les pierres font longues ^ il faut diriger la fufée dans la longueur. Les piér-
ides doivent être percées dans ta partie qui touche la terre.
Dans les faifons mortes on vuide les fblfés » on remplit les ornières , on
fechàrge les Chemins, &c.
On ne doit pas permettre aux voicuriers d^enrayer ; il faut , dans les def-
tentes, qu'ils le fervent de luges» qui font une pièce de bois creufée atta-
chée à la voiture avec une chaîne.
Si l'on avoit un corps nombreux d'hommes entretenus aux dépens du
public , confacrés au fervice public , & néanmoins prefque inoccupés
pour le publie ^ ce corps fembleroit défîgné par fa nature à exécuter ce
travail public.
Une femi-pate au-defTus de leur paie ordinaire, qu^il paroltroit jufie de
donner aux falariés de ce corps , lorfqu'bn les employeroit au travail des
Chemins, leur procureroit une beaucoup plus grande aifance que celle
iiont ils jouiiTent» & en feroit néanmoins , quant à cette partie^ de très-bons
ïDuvriers très-peu coûteux pour la nation.
Si ce corps de falariés étoit en même-temps celui des défenfeurs de la
patrie, il feroit infiniment défirable pour eux, & par conféquent infini'-
tnent avatitageux pour l'Etat , qu'on leur formât pendant la paix une fànté
tobufte par des travaux modérés, mais qui demandent de la vigueur d^
j^ui l'augmentent, par des travaux qui rendroient leurs corps & leurs bras
endurcis dignes de féconder leur courage , & propres à foutenir les fati-
gues de la guerre , mille fois plus à craindre que fes dangers pour des
hommes qui ont été long-temps oififs, dont le défo^vrement a toujours
abattu les forces^. & chez lefquels il a trop fouvent été la première caufe
des maladies funeftes. -
C'eft aînfi que les Romains formèrent ces redoutables lëgionaires aux-
Ces faits font affez connus de tout le monde ;. & ii le temps n'eft pas
encore vequ où ils doivent contribuer à diriger notre conduite , que des
circonftances particulières ont vraifemblablement décidée ^ au moins faot-il
icon venir , à la louange de notre fiecle , que ce ^ temps paroit approcher
avec rapidité.
ou
penre des Chemins dé manière à rendre la défenfe de TEtat moins péni-
ble , plus n^te ^ moins coûteufe ^ ou que cette idée refie au rang de tant^
CHEMIN. $(?j
^'^utres qu^oa wpUudic & quVo n^sligç, il q'cq fçra pfts moins vr^t que
là Cbnllrùâibn & rentretietl des Chemins formeront toujours un article de
dépenfe , dont le profit fera pour les propriétaires du produit net de la cuK
ture , & dont la charge par conféquent ne peut & ne doit porter que
fur eux.
En effet, il efl évident que fi les Chemins font mauvais « les frais du
tranfport des produélions , du lieu de leur naiffapce à celui de leur con-
fbmmation, font beaucoup plus confidérables; que fi ces frais de tranf^
port font confidérables , le prix de la vente de la première main efl d'au^
tant plus foible ; que fi le prix de la première vente des produâions eft
fbible , le cultivateur ne peut donner que peu de revenu au propriétaire*
Far la raifbn inverfe, la conftruâion oc Tentretien des Chemins dimi-
nuant les frais de tranfport ^ affurent par conféquent aux vendeurs des proh
duâions une jouiffance plus entière du prix qu^en paient les acheteurs con^
fommateurs ; les produoions fe foutenant conilamment à un prix plus àvan^
cageux à la vente de la première main, là culture en efl plus profitable ;
il y a plus de concurrence entre les entrepreneurs de culture , oc par con-
féquent plus de revenu pour les propriétaires.
Il efl égalemept évident que fi , au lieu de s'adrefTer. direâemeot au^
propriétaires pour la contribution néceffaire à la conflruâion & à l'entre^
tien des Chemins , d^ns le cas oii Timpôt ordinaire ne pourroit pas y fuf-
fire , on s'adrefToit par exemple aux cultivateurs , & qu'on les détournât
eux & leurs atteliers de leur travail produâif pour les employer à la cor^*
vée , la réprodu£tion diminueroit en raifon du temps perdu par ceux qui
la font naître, Vayei^CotiytB. Alors la part des p]:opriétaires diminuero|t
inévitablement ; d^abord en raifon de la diminution forcée du produit to-
tal; & outre cela, en raifon de ce que les cultivateurs feroient néanmoins
obligés de retirer fur les récoltes afioiblies , le falaire du temps qu'ils au-
roient employé à travailler gratuitement fur les Chemins ; de forte que ce
falaire au lieu d'être payé par la nature , comme celui du temps que les
colons emploient à leurs travaux produâifs , feroit néceffairement payé aux
dépens de la part du propriétaire déjà reflreinte p^ la diminution des
récoltes.
Nous ne pouvons donc nous difpenfcr de conclure comme nous avoqs
commencé , i^. que ce font les propriétaires feuls qui doivent être char*
gés des dépenfes qu'entraînent la conflruâion & l'entretien des Chemins ,»
lorfque l'impôt ordinaire n'y fauroit fufHre ; a^« que dans ce cas il efl in-
finiment avantageux pour eux de payer direâement cette dépenfe , $l pour
l'Etat de n'exiger ce paiement que d'eux feuls.
N
Bbbb 1
5^4 CHEMINS. {Idées d'un ùtoyen fur Us )
IDÉES D' U N CITOYEN
SUR
LES CHEMINS.
L
A pfus célèbre nation du monde iixa toujours Ton attention fur les
grands Chemins , qu'elle regardoit comme des ouvrages nobles , dont elle
confîoit la direâion à des hommes difiingués par leurs qualités perfonnel*-
les. Augufte fut fait Curateur d«s grandes routes aux environs de Rome»
Jules Céfar le fut de la fameufe voie Appienne;, les Cenfeurs, les Con-
fuls , & les Tribuns eurent fucceflivement les mêmes charges ^ & ces
dignités fuppofoient toujours le mérite de ceux qui en étoient revêtus.
Quoique les autres Nations n'aient point fait une place éminente de la
dirèéKon des grands Chemins , elles en ont cependant fenti l'importance;
leur utilité eft avouée par tous les hommes , fur-tout par les propriétsdres
dant l'intérêt exige des communications fâres ,& commodes d'im lieu à un
autre. Enfin Ib fyftême des. grandes routes reflemble à celui de là nature^
elles facilitant le commerce & Pabondahce, comme les plaities de l'air
donnent un paHage libre aux influences bienfaifantes de Tafire qui noas
éclaire.
Pénétré de ces maximes , & bravant la crainte que m'avoîent toujours
înfpiré les dépenfes payées pour les grands Chemins , je foupçonnois des
moyens d'économie dans leur confeôion, & je la trouvai ( comme oa le
'verra plus bas) en faifant f^ire plufieurs parties de Chemins fur des ter-
reins de différente nature :. ces diverfes opérations m'ont fait naître des
idées fur l'adminiftration des Chemins; & puïfqu'il efl heureufement per-
mis à un citoyen, de penfer & de dire ce quHl penfe en matière de bien
public , voici mes réflexions que je propofe , dans l'efpérance qu'elles en
feront naître de plus foKdes, . .
I®. Les travaux, de quelque nature qu'ils foient, ne font jamais bien
exécutés qu'autant qu'ils intérefTent ceux qui les* font où lès font (aire. Or
rien de plus intéreffant pour un pays que la bonté de Tes- Chemins , afin
'de pouvoir tranfporter fûrement les produéHons de fon fol, & jouir par ce
moyen des avantages de la liberté du commerce -. car le commerce eft ce
qui- donne la valeur aux denrées , & les denrées fans valeur ne font pas des
richeffes. Un homme mourroit de mifere au milieu, des tas de bled &des
tonneaux de vin , s'il^ ne pouvoit avoir du bois pour fe chauffer , du chan-
vre & de la laine poTjr fe couvrir, &c. Et ce n'eft que par le moyen du
commerce & de l'échange qu'il peut fe procurer fes néceffités , qui ne peu-
vent arriver que par les Chemins ; or plus les Chemins font faciles , moins
CHEMINS. ( Idies étun Citoyen fur les ) \^6^
â y à de frais 4e tranfport , & plus il y a de profit pour tous dans les
échanges. Il ieroit par conféquenc utile que chaque paroilTe fût chargée dé
la conflruâion & entretien des routes de fon territoire; elles y apporte*
roient plus de vigilance & de foin qu'on n'en apporte ordinairement aux
Chemins Royaux, qui n'intéreflem qu'indireâement ceux qui les dirigent
t>u les conftruifent.
- 2^. Les propriétaires doivent payer feuls ces dépenfes y & ils ont intérêt
de les payer feuls , parce qu'il eft démontré que toute dépenfe publique ,
dont les fonds no fortent pas en entier, des coiFres du Souverain , eft une
impofition, & que toute impoiition dont les propriétaires ne comptent pas
eux feuls avec le Souverain , & qu'ils n'acquittent pas direâement , eft une
impofition indireâe qui retombe toujours lur le propriétaire , au double ,
au triple , & fouvent au-deU. S'il en étoit encore quelqu'un aujourd'hui qui
doutât de cette vérité , il n'auroit qu'à confulter fes fermiers , ils lui offrir
roient tous le prix de leurs tailles .& de leUrs corvées & même au-delà
pour en être exempts , à quoi les fermiers & cultivateurs gagneroient beau-
coup, tant pour acquérir plus de liberté de travailler leurs terres, que pour
ie louflraire aux vexations dont il feroit plus aifé aux propriétaires de fe
garantir. Si je n'ai pas accepté tout récemment les offres que m'ont fait
mes fermiers à ce fujet , j*avoue que , comme la taille empêche le culti-
vateur d'employer toute fon indudrie , ainfi que la corvée l'empêche .d'a-
cheter tout le bétail qui lui feroit néceflaire, )'ai craint aufli une augmen^
lation d'impofition. On verra par la fuite à quel degré la corvée préju-
dicie aux propriétaires.
Si les propriétaires conviennent qu'ils paient avec juftîce en bien des
lieux les réparations d'Eglifes & de Prefbyteres ; avec combien plus de rai-
fon doivent-ils fe prêter à l'acquittement de la charge publique la plus né-*
ceflaire. Ils font d'ailleurs trop éclairés aujourd'hui pour préférer un impôt
indired , parce qu'il leur fembleroit ne pas le payer ; ce lèntiment avancé
aux Souverains par l'intérêt particulier ne pouvoit prévaloir que dans des
temps d'ignorance.
Il eil, ]e crois, inutile de citer toutes les loixde l'antiquité qui ont alFu^
jetti les Gratids & les Nobles à contribuer à la dépenfe des grands Che-
mins. Les Ëccléfîaftiques dans les temps même ou on les difpenfoit de
toute contribution , n'en étoient pas exempts^
3^. L'humanité feule efl un motif affez puiflant pour attendrir les pro-
priétaires y fur-tout depuis la liberté du commerce des grains dont ils reri-
rent l'avantage prefque exclufivement aux malheureux journaliers de U cam-
pagne. Quel fpeftacle , en effet , pour des âmes fenfibles que celui de U
miiere, à laquelle femblent condamnés ces précieux outils de l'abondance
publique ! Je ne peux me difpenfer d'en faire ici un tableau fidèle , per-
luadé que nos lefteurs ea feront au(Ii touchés que je le fuis en le rap-
portant. ,
^6f G H E MI N S- ( Idics iPurf Citoyen fur (es >
Bans la plupart des Provinces du Royaume éloignées de la Capitale^ U
journalier trouve à gagner fa vie pendant le temps des m^oiflons & des
foins , les journées étant alors de i ; «à ao fols outre leur nourriture qui
eft bonne dans ces temps-là , ce qui donne la faculté à ceux qui ont une
femme & des enfans de les nourrir pour-lors ^ & qui ne dure qu'environ
deux mois ; pendant les fix mois du printemps & de Pautàmne ^ la jouiy
née n'étant que d'environ 8 à lo fols outre la nourriture, comment peu--
vent-ils nourrir leurs enfans , puifque leurs femmes peuvent à pdne par
leur travail gagner la moitié de la leur , encore quelle nourriture ! feiue*
ment du pain le plus noir & le plus groflier , la cherté du £el les privant
ibuvent de la foupe qui pourroit leur donner les forces de Aipporter le tra*
vail : ils mourroient donc totalement de faim pendant les quatre mois
d^hiver ,. s'ils ne s'expatrioient lorfque les habitans du canton ne peuvent
leur procurer des travaux , toujours difficiles & à bas prix dans cette faifoa.
Peuvent-ils même fe difpenfer de mendier s'ils ne trouvent pas de jour*
nées dans d'autres pays , ce qui devient un autre gexure d'impolîtions pour
ies fermiers & cultivateurs de ces lieux.
Je û'ofe faire la defcription de leurs vétemens , on peut en juger pat
leur nourriture qui, n'étant pas complette, prive ces malheureux de lioge fi
greffier & d'étoffes fi communes qu'ils pourroient être vêtus en entier
pour une piflole. J'oferois encore moins les repréfenter privés de la faoté ,
je voudrois en avoir la force , j'étonnerois des milliers de citoyens qui n'en
ont pas d'idée, & qui feroient (ans doute auffi touchés que moi de leurs
calamités.
> Ceft cependant 4e ce journalier , tel que j'ai peine fon état , qu'on exige
trente ou quarante fous de taille '& douze ou quinze journées de Corvées
par an. Ce fpeâaçle foUicite notre compaffipn, & nous preife de les fou«
iager. Ils font nos frères , ils aident à nous nourrir & à nous enrichir;
nous devons donc leur rendre en bienfaits & en proteâion, ce qu'ils nous
donnent en opulence. Alors l'ûfance , d'un air riant , rentrera dans les
campagnes , avec les plaifirs & les goûts de la nature v la reconnoiflàoce
attachera les vaflàux à leur Seigneur ; ils croiront lui devoir autant qui
leur labeur , & le regarderont , ainfi que le foleil , conmie un principe de
la fertilité territoriale.
Le$ propriétaires ne doivent*ils pas encore coofidérer qu'en laiflant rai*
nér le peuple de leur canton , ils fe ruinent eux-mêmes ; car pourquoi les
Chemins leur font-ils avantageux ? c'efl pour le débouché de leurs àett*
rées & afin qu'elles arrivent aux lieux où l'on peut les payer. Mais fi les
payfans pouvoient payer leurs denrées , elle épargneroit les n-ais du voyage
fc le débouché feroit à leur porte. Les propriétaires ont donc intérêt que
le payfan foit à fon aife , & qu'il gagne de forts falaires qui reviendront
toujours aux propriétaires en paiement de leurs denrées, ot empêcheront
qu'il ne devienne fripon Si parelfeux. Qu'ils ne difent pas que ce n'eft
C H E lu I N s. ( Idéis iTun Citoyen fur les) ^6j
pis ta peine de vendre plus cher, pour payer enftiite plus cher. Car c'eft
ce cercle appelle circulation qui fait la vie , & c'eft la celTatîon de la cir-
culation qui £iit la mort des territoires comme des hommes. Mais d'ail*
leurs les propriétaires félon Tordre naturel des chofes , vendent plus de
denrées qu'ils n'achètent de travail ^ 8i c'eft ce furplus qui fait le produit
net ou revenu. Ne vaut-il pas mieux vendre pour mille écus de denrées
& acheter pour cinq cents écus de journées que de ne vendre que pour
mille livres , & n'acheter que pour cinq cents livres.
Les anciens nous ont fouvent donné de nobles exemples ï imiter fur
la matière que je traite ; plufkurs ont honoré leur mort par des legs tefta-*
tnentaires en faveur des grands Chemins , & faifoient ainfî du bien ^
même quand i|l n'étoient plus. De pareilles difpoiitions caraélériferont
toujours les amis de la patrie ; car rien n'eft plus conforme au patrio**
tifme & à la religion même , que ce qui eft utile à tout le monde.
4V. La contribution des propriétaires pour la conftrufUon des Chemins
devroit fe Êdre comme cela fe pratique dans les pays où ils paient feuls
les réparations des Églifes & des Preibyteres , dont les fonds ne peuvent
être oc ne font jamais divertis à d'autres ufages. On y fait un rôle propor-
tionné à leurs facultés , après plufieurs' aflqnblées où chacun a la liberté
d'aflifter pour y difcuter fes intérêts fous tous les diflërens rapports qui
{" >euvent être connus : c'efl de toutes les répartitions ufîtées jufqu'à préfent
a plus exade ; elle pounroit fervir auffî pour l'entretien qui dtminuenm
chaque année au moyen des foins qu'on y apporteroit, ainfi que je l'ai
éprouvé par mes effais.
Si les aflemblées tenues à cet eflèt étoient trop nombreufes & qu'on ne
pût s'y accorder, on pourroit divifer les paroifTes par canton , & lesobti^
ger â nommer chacun , à la pluralité des voix , celui aux lumières & in-
tégrité duquel ils àuroient le plus de confiance, fans néanmoins perdre
leurs droits d'aflifter à toutes les afiemblées. Ces Juges régteroient non-
feulement les cottes de chacun , mais eflimeroient encore toutes les indem*
nités dues aux propriétaires , tant pour l'emplacement des Chemins que
£>ur les matériaux néceflàires à leur entrenen. Alors le pauvre chargé de
mille ne payeroit qu'au prorata de fa petite poifeâion, & ne feroitplus
«expofé à-fe voir enlever tout ce qu'il poffede fous prétexte de bien pu--»
blic. Le propriétaire aifé ne craindroit même plus que les Chemins fulfent
tracés ibr fes héritages , ni de fournir les matériaux propres à leur entre-
tien ; ce qui a occabonné jufqu'à préfent des dépenfes énormes dont je
donnerai une idée en rapportant mes opérations. Cette répartition fàcilite-
roit peut-être la réunion des vingtièmes & des tailles, opération à laquelfe
les propriétaires font auflS intérêts que le Souverain , puifqu'ils font réel*
lement co-propriétaires.
Chaque paroifle étant intéreifée à veiller à la Conftruâroh & à l'entre*
tien des Chemins > on y apporteroit toute l'économie poffible fans préju-
î*-
5^g C H E M I N S. ( Idcés d'un Citéyin fur Us )
dicier à la folidité qui pourroit être réglée par une loi qui fixant U lar-
geur & les pentes {à) des différentes efpeces de Chemins publics , oblir
geroic les paroiflès à les entretenir bombés & unis en tout temps de Tanr
née, '& à rendre, public les devis & adjudications qu^elles aqroient la li«
berté d^en faire au rabais , pour que les découvertes qu'on pourroit faire
en ce genre fe mulriplialfent. . »
Dans le cas oii on ne pourroit employer les troupes aux grandes ron*
tes y & que les paroiiles ne feroient çks en état de fupporter certaine àir
penfe, un des juges élus dans chaque Paroiffe veilleroit à la répartition
extraordinaire qui en feroit faite par toutes les paroifles intéreflTées & à
j)ortée. Il feroit à défirer que ces mêmes juges enflent l'adminidration
des Chemins vicinaux , ils feroient choix d'un direâeur pflî intègre qu'é-
clairé , pour drefler les devis qui feroient encore exammés par tous les
intéreffés , avant d'être adjugés par les juges qui devroient avoir le droit
de les changer (^) en certains lieux, duquel changement feroit drelfé un
verbal auquel on auroit recours pour les droits Seigneuriaux, Ce défaut de
liberté^ joint à l'indifférence des propriétaires & à leurs intérêts mal eor
•tendus, fait que la plupart de ces Chemins font par- tout en mauvais état,
& voilà ce qui prive les caqi pagnes du bien-être, qu'y procureroit les
gens aifés & les gros propriétaires fi les Chemins en étoient praticables.
Il feroit auffi à fouhaiter que ces: mêmes juges euffent la liberté de faire
des obfervations fur les devis des ingénieurs pour les grandes routes, doct
les ititendans ont l'adminiftration.
%°. On doit fupprimer les corvées, car c'eft un axiome de droit qu'il
iàut abolir les chofes odieufes. Or là corvée efl une exaâion odieufe &
rigoureufe,, qui condamne l'agriculteur à des travaux forcés, comme des
^rimiiiels aux galères ;.( encore ceux*ci reçoivent- ils une nourriture, que
l'on refufe aux autres) par conféquent, c'çil un outrage fait \ des hom-
mes qui ont un droit naturel à l'honneur, à la liberté & mênie< au fa*
laire , puifqu'ils se peuvent vivre qu'en travaillant, & qu'ils ne travail-
(^) Je crôirois la largeur des Chemins' des grandes Villes fuffifante à trente pieds,*
^èlle des petites à vingt-quatre, ceile des Paroifles à dix- huit, 6c celle des Vilbges à dotne;
pourvu que par intervalles ces' derniers en eufTent dix-huit, uon ne devruit fairç desfofles^
que lorfqu'il y auroit un cours d'eau continuel. Les pentes ne devroient pas excéder cinq
pouces dans les premiers , & fix à fept dans les derniers.
(i:) Il y a quatre ans que je réparois dans ma Parot{re un Chemin paflant dans un ravin;
cinquante iournées^ & le nouveau Chemin à l'abri des eaux & bien ailis, a dix-huit pieds
.de large. 3000 livres n'auroiçnt pas fpâi pour donner cette dimenfion à l'ancien.
• 3000 livres nauroiçi
*'Nous «vons dit '34 pieds taii coaunencctticfit de cet^artide.
lent
CHEMINS. ( Idées (Pun Citoyen fur Us ) 5^9
lent réellement que pour vivre. Enfin la corvée avilit l'ame, flétrit fbfi
énergie , fait haïr la vie ; & il eft plus d'un exemple d'émigrations occa-
iionnées par la dureté de cette méthode qui, arrachant au journalier la
fubfiftance de fa Êimille, & appauvrilTant le cultivateur, ruine le fouverain
& les propriétaires, & tarit l'abondance générale.
En effet, la corvée prive la terre de douze jours de travail par chaque
charrue , pendant lefquels le laboureur eût confié à fa fécondité de quoi
rapporter au moins vingt-quatre feptiers de bleds {a) , dont le produit efl
perdu pour le propriétaire, l'Etat & lui; fi l'on ajoute à cette perte le
dépériflèment des befliauz fi néceflaires par leurs fervices & leurs engrais,
fur-tout dans les pays de i>etite culture , & dont les journées fur les Che*
mi ns perdent plus oès trois quarts de leur valeur par les grandes diflan-
ces , le mécontentement & le dégoût, il en réfutte un dommage total, dont
la fomme ne peut fe déterminer que par approximation.
De plus, il eft de fait que l'agriculture efl l'unique principe de la ri-
cheffe publique ; mais elle exige des travaux continuels , des efforts aflidut
& pénibles. Il faut préparer la terre pour y &çilicer l'entrée & la diflribu-
tion des principes végétaux, l'amender, l'améliorer; chaque qualité de fol»
chaque faifon , chaque jour, chaque variété de l'air exigent des opérations
différentes & nouvelles; par conlequent il n'efl point de faifôn ni de jour
où l'on puiflè déterminer la fufpenuon des travaux champêtres , ni en or«*
donner la ceflation fans que la fertilité diminue, & avec elle la fortune
particulière & publique.
6^. La bonté même des Chemins exige l'abolition des corvées, parce
qu'ils doivent être bien faits, & qu'ils ne peuvent l'être lorfqu'ils font exé-
cutés par les cultivateurs. En effet, le cultivateur efl l'homme attaché à la
glèbe , il ne fait travailler la terre que pour la fertilifer , & fon intelli^
gence ne va pas au-dellk de la chofe raflique. En vain, lui donne-t-on des
préceptes & des règles; il ne peut les fuivre, parce qu'elles lui font étran«
gères; & quel intérêt, d'ailleurs, auroit-il a les étudier, puifqu'il n^efl
point falarié? Les yeux tournés vers fon champ & fa éabane, il fe voit
avec douleur violemment foufhrait à un travail pfoduétif , & appliqué for*
cément à une manœuvre flérile; il pleure la perte d'un temps précieux
pour lui & fa famille , & impute fouvent fes malheurs au Souverain , qui
cependant n'a jamais &it une loi de la corvée.
Envain prétend*on qu'il efl pour l'agriculture une faifon morte, qui
permet de détourner le ruflicateur ; c'efl une erreur : le printemps & l'au«
tomne qu^on deftine ordinairement aux Chemins , font le temps des Ubours
& des (emaiUes. L'Été, que la phyfîqùe indiaue comme le plus propre à
leur confeâion & réparation, efl celui de la récolte, & la même phyfique
{a) Ephémérides. Tome VIII s année 17^.
Tome XI. Cccc
570 C H E M I N S. ( JdUs d'un Citoyen fur Us )
sous apprend qu^ils feroient mal faits en hiver , faifon par coofëquent plus
morte pour la voirie , que pour l'agriculture , dont les pluies y les glaces
& les neiges , ne fufpendent jamais toutes les m>érations \ j^ea fupprime
ici le détail afTez connu des fermiers & des poflefieurs.
7^. Les troupes paroiflent les plus propres à travailler aux Chemins : les
Romains , qui ont été nos maîtres en tant de chofes ^ nous en ont donné
l'exemple , lequel a été imité depuis eux par plufieiu-s Souverains qui n'ont
pas cru pouvoir employer le foldat plus noblement , qu'à un travail auffi
honorable qu'utile. D'ailleurs, l'expérience nous apprend que les ouvrages
faits par le foldat, font toujours plus promptement & plus folidement
exécutés : j'ajoute encore que ce feroit une école où il apprendroit à
creufer des foflés , faire des tranchées , élever des remparts , & enfin l'art
de fe fortifier, fi néceflfaire en temps de guerre, & dont il auroit acquis
l'habitude & l'adrefle pendant la paix.
J'ai éprouvé cela dans les foldats qui conduifoient mes eflais , & j'ob-
fervois qu'en travaillant par intervalle, ils en devenoient, en effet, plus
robufies & plus adroits; mais cette vigueur ne croiflbit qu'en raifon coni«
pofée de l'exercice & de la nourriture ; car plus on agit , plus le volume
des alimens doit augmenter, fans quoi il fe fèroit par les pores une dé-
perdition qui épuiferoit les forces. Or la folde n'étant pas fuffifante pour
itibvenir à de grands befoins, il feroit jufte que les Provinces qui retire-
roient tout l'avantage de ces travaux , pay aflènt les foldats à la tâche lorf-
que cela feroit poflible, finon à la journée, ce qui feroit pour elles un
objet bien modique ; car quand même ce traitement augmenteroit la paie
du foldat de cinq fols par jour , qui n'efl que le tiers de la journée de
l'ouvrier {a) ordinaire, ce ne feroit pour toute l'infiinterie Françoife &
étrangère compofée de cent feize mille fix cents treize hommes , non com-
pris Royal Artillerie, qu'un objet de dix millions, quatre cents quatre-
vingt-quinze mille cent foixante & dix livres; y ajoutant le traitement
qu'on pourroit -faire aux grenadiers Royaux & régimens Provinciaux , com*
pofés de quarante-trois mille huit cents quatre-vingt-huit hommes , à raifoa
de dix fols par jour, qui fait fept millions neuf cents quatre-vingt-dix-neuf
mille huit cents quarante livres , il n*en coûteroit aux Provinces , que dix-
huit millions quatre cents quatre-vingt-quinze mille dix livres. Les Offi-
çiers bien éloignés d'accepter un traitement à ce fujet, emploièroieot
leurs lumières , leurs talens & leur temps avec autant de plaifir pour
foulager les plus malheureux citoyens, qu'ils mettent de gloire à facrifier
leur vie pour les défendre; leur amour pour leur Prince & leur Pattic
étant plus vif & plus éclairé que jamais. Tandis que toutes les corvées du
{a) J'ai bien éprouvé par mes expériences , crue la journée d'un foldat fort & înftniit,
valoit plus du double de celle d'un ouvrier ordinaire, & celle d'un ouvrier ordmaire pto
du double de celle d'un corvéable.
CHEMINS. < Idées dPun Citoyen fur les ) 571
Royaume monteroienc Sr environ cent vingt millions , fi elles étoient gé*
néralemenc employées , en les évaluant à moitié en-^fus des tailles & im-
pôts y joints, félon les rélevés cités ci*aprés.
Il eft aifé de voir par ces calculs & les expériences multipliées , l'avan-
tage immenfe qu'on retireroit tant de la fup^reflion des Corvées , que du
travail des troupes dont on défireroit alors autant l'augmentation qu'on
fe plaint aujourd'hui du nombre. Le danger de divifer ces troupes oifives
& peu payées n'exifteroit plus. On ne feroit plus forcé à les entaffer dans
des villes de guerre, dont le fervice aifé à apprendre n'a aucun rapport
aux travaux utiles qui doivent occuper le foldat pendant fa vie.
Les Provinces aoondantes en denrées & (ans débouchés, trouveroient
par ce moyen une confbmmation dont l'emploi augmenteroit journelle-
ment les communications & par conféquent leurs richefles. La tranquillité
des campagnes feroit auffî plus aifurée, & la vie rurale deviendroit même
plus épurée, car la milice bien occupée & bien payée feroit certainement
l'exemple des mœurs; celtes des militaires ayant fur-tout l'avantage d'être
maintenues par la difcipline, qui n'ayant point d'afUon fur les ruricoles,
laiffe fans frein leurs vices & leurs écarts.
Mais comme il arrive fouvent que les belbins de la Patrie appellent ail-
leurs ks défenfeurs, on pourroit, pour aflurer en tout temps la bonté des
chemins , y occuper des corps deftinés à completter les régimens , dont ils
fèroient partie. Ce feroit de plus un moyen de fournir des recrues , d'autant
meilleures , qu'elles fèroient préparées par l'exercice , qui eft un principe de
vigueur plus néceflaire dans les armées que dans les autres Etats, & fans
laquelle le plus grand courage eft inutile. Ces corps compofés d'OfEciers
& de foldats expérimentés, ferviroient doublement la Patrie en dirigeant
les jeunes élevés, & en leur infpirant ces fentimens d'honneur qui font
l'eflence du militaire. Les chefs formés par l'expérience des camps , divi-
fèroient le temps entre le maniement des armes & le travail , qui ne fe-
roit jamais continu ni forcé , parce qu'il diminueroit l'aâivité néceflaire à
ces évolutions promptes & favantes, qui fixent toujours la viâoire. Dans
les temps oii les réparations itinéraires font impraticables, on trouveroit
encore des momens pour apprendre aux foldats à lire, écrire & calculer^
n'étant plus néceffaire pour lors de les aftreindre \ cette extrême propreté
qui ne fert maintenant qu'à diminuer leur oifiveté; cette éducation foute-
xuie par le récit des bàuilles & des fieges où fe fèroient trouvés ces an-
ciens militaires, fèroient des foldats fubordonnés par principes , & d'au-
tant plus attachés à leur état, qu'ils lui devroient des connoiflances donc;
ils pourroient profiter à l'expiration de leur engagement, puifque fon re-
nouvellement eft un aâe libre.
Les enfans que j'ai employés dans mes travaux avec fuccès , me donnent'
lieu de penfer que ces différentes écoles militaires procureroient encore l'a-
vantage d'élever une infinité d'enfans orphelins, parmi lefquels on choifK
C c ce i.
57^ CHEMINS. (Idées JPati Citoyen fur ks )
roit enfuîce les fujets les plus propres à la guerre. Ces enfàns accoutumés
dès l'âge le plus tendre à tous les travaux militaires » fous les yeux & les
ordres d'anciens Officiers, s'attacheroient bien autrement à leur état que
des foldats pris au hafard, quelquefois par rufe, & dont le ferment feroic
valide étant prêté avant leur engagement.
Les Officiers & foldats propriétaires, dont le temps & la dépenfe em*
ployés pour aller en fémeftre , forme une double perte pour eux & pour
l'Etat , trouveroient un grand avantage à fervir dans ces corps , puifqu'ils
pourroient , en veillant fur leurs poffeffions , s'occuper encore des évolu-
tions militaires , & des communications : car on lait que la plupart des
Officiers qui vont en fémeftre fans affaires, n'ont de motif qu'une légère
économie , qui ne peut compenfer un temps dont on ne peut apprécier U
perte; & que les foldats auxquels on en accorde fe perdent totalement &
font beaucoup de défordre, tant dans les villes que dans les campagnes.
Enfin j'ajouterai que ces corps toujours raflemblés & occupés lous les
yeux d'anciens Officiers, en prendroient Tefprit qui ne peut jamais s'acqué-
rir dans les corps de nouvelle levée i & qui deviendroit encore meilleur ,
puifque les Officiers & les foldats pourroient fervir plus long-temps.
Telles font en fubftance mes réflexions; je les offire à ma patrie, &
je voudrois être en état de procurer à mes Concitoyens tous les avantages
dont peuvent jouir les hommes réunis en fociété. Je joins ici le détail de
mes opérations & de celles d'un de mes voifîns , qui peuvent donner une
idée de l'économie qu'on peut apponer à la confiruâion des Chemins.
Détail des Opérations,
vu des inflrumens néceflaires. ie procédai au ni-
A
vellement, & réduifis
{^art cinq pouces par toife,
ier ; je déterminai enfuite
félon la loi de Bourgogne (a ) , il "fut tracé en ligne droite^ dans mes'fonds|
& dans ceux des propriétaires, qui voulurent bien y confendr. Je décrivis
des contours dans les endroits montueux, afin d'éviter les trop grands
frais du déblai & remblai. Pour la même raifon , je déclinai par des cour-
bures les lieux marécageux & les ravins. Au lieu de ponts ( £ ) , ouvrages
i^) En Bourgogne on appelle Finerots les Chemins de Paroiffe à Paroxfle , de Village
* Vulage. On donne le même nom à ceux qui vont aboutir aux grandes routes. Ilsdoireat
avoir dix-huit pieds de large non compris les foffés.
'(*) Un glacis fait depuis plufiears années fur la route de Lyon à Clermont, avec deux
«perons en maçonnerie pour loutenir des planches , fur lefquelles paffent les chevaux &
Èts eens de pied , a coûté moins de cinq cents livres. 11 en eût coûté trente fois plus pour
cpnitruire un pont fur un ruiifcau qui ne peut arrêter les voitures • par un orage cxuaort
«Wre s que QueJaues heures. > r »
CHEMINS. ( Idées dPun Citoyen fur les ) . 573
dilpendieux & fouvenc inutiles, je fis paver le food trop mobile de quel-
ques ruifleaux. Je fupprimai les foffôs que je crois inutiles, lorfque l'on
ménage les pentes pour l'écoulement des eaux , & qu'on entretient les Che-
mins bombés; c'eft cette inattention qui &it féjourner l'eau dans la plu*
part des foifês des grandes routes , dont la largeur eft déterminée à fix
pieds \ ils en augmentent cependant l'entretien , occupent un terrein en pure
perte , & font (ouvent verfer les voitures.
Je profitai dans le premier Chemin que je fis ouvrir , de trois cents toi-
fes, de ceux faits parles Romains , qui conflatoient bien la folidité qu'ils don-
ooientà ces fortes de travaux ; quoique le fol en &iX, fablonneux, il y avoic
cependant une couche de groffes pierres pofées de champ , par-defius lef*
quelles étoient répandues de petites pierres callees, qui rempliflbient les in*
terftices qui rendoient le Chemin uni & folide. Ils tormoient même quel*
quefbis quatre couches difiërentes de pierre , gravier & ciment : mais cette
énorme dépenfe ne pouvoit être faite que par une nation maitreflè de l'U-
nivers , qui , quoiqu'elle employât les troupes à ces fortes de travaux , ne
laiffoit pas d'y apporter toute l'économie compatible avec la folidité. Ils
avoient fur-tout grand foin d'éviter les grands déblais & remblais , ils fui-
voient fouvent les contours & les hauteurs des montagnes , non-feulement
pour faire marcher leurs troupes plus en fureté, mais pour que le fol fût
plus folide & plus fec. Us ne s'aftreignoient aux allignemens dans les plai-
nes, que quand le terrein étoit de même nature. S'ils trouvoient d^ lieux
marécageux , ils les tournoient communément. Us en ufoient de même pour
éviter , autant qu'ils pouvoient , la conflruâion des ponts , toujours nuiiibles
dans les marches , difpeodieux par leur conflruâion , & à charge par leur
entretien. Mais ils ferroient folidement leurs Chemins pour éviter l'extrême
largeur qu'on donne aujourd'hui aux grandes routes» les troupes ne pou-
vant les réparer fouvent.
Il faut cependant convenir que nous traçons mieux qu'eux les routes;
dans les montagnes, quant à la manière de ménager les pentes, ce qui
donne plus de facilité aux animaux de traîner des poids confidérables ,
notamment celui tracé depuis plufieurs années dans les montagnes de Fo-
reft fur la route de Lyon à Clermont par Feurs , qui fait honneur à Pin*
génieur qui en a été chargé.
Il eft en France des routes qui ne font point ferrées , 4ont le fol eft fa-
blonneux , & qui fe maintiennent en bon état , pourvu qu'elles foient en-
tretenues , bombées & unies. D'autres font ferrées avec du gravier de ri-
vière ; on en voit encore quelques-unes ferrées avec du gravier tiré de la
terre , & plufieurs qui le font avec des pierres brifées à coup de maflè.
Une autre manière de ferrer , eft celle d'encaiffement ; on met dans une
tranchée de deux pieds de profondeur un lit de groflès pierres pofées à plat „
d'autres par-deflus pofées de champ ou de côté; le tout enfuite eft cou-
vert de pierrfss réduites à la grofleor de petites noix : cette manière eft
Ç74 C H E M I N S. ( Idéci diin Citoyen fur les )
la plus folide , mais la plus difpendieufe ; & il femble que les premières
méthodes fe proportionnent mieux aux diflëren^es qualités de terre, qui
variant à chaque inftant indique , ainfi que la qualité des matériaux les plus
à portée , la manière qu'il faut adopter pour chaque lieu.
Je fis ferrer environ 1500 toifes d'un terrein médiocrement gras, eâ
étendant fur la furfkce, & fur la moitié de fa largeur , environ trois pou*
ces de fable, pris à la diftance de deux cents toifes. Ce Chemin a fup*
porté fans détriment des voitures à quatre roues, chargées de 1500, &
chaque toife pour cette opération coûta deux fols i une partie de 200 toi*
fes en terrein gras & argilleux , ferré avec des pierres , prifes fur les lieux ,
réduites à la grofleur d'un œuf, étendues fur la largeur de douze pieds de fix à
fept pouces d'épaiffeur^ coûta onze (b!s & demi la toife , compris le nivel-
lement, & a réfifté à des voitures chargées de trois ou quatre milliers. Au
refte , les derniers Chemins que j'ai fait faire , ont été mieux faits & moins
coûteux, parce que les Direâeurs & les ouvriers étoient plus inflruits, &
les outils que je fourniffois plus commodes.
Il efl certain que fi l'eau fëjournoit d^ns les Chemins , ils feroient bien-
tôt dégradés , fuflîent - ils ferrés avec du marbre. Si , au contraire , on les
réparoit fouvent , l'entretien feroit médiocre , & je crois même que l'on
pourroit fe paifer du ferré par encaiflement , fi coûteux fur- tout lorfque
la pierre eft éloignée.
La totalité des Chemins faits en Bourgogne eft onze mille deux cents
quarante toifes, fa voir 7500 du Breuil à Saint-Léger, qui fait partie de la
route da Montcenis à Châlon , & 3740 dans l'étendue de la paroifie du Breuil,
qdi ont coûté 4300 liv. tant en conflruâions que réparations pendant le cours
des années 1770 & 1771 , ou dégradations des outils , ce qui tait fept fols fept
deniers par toife courante l'une dans l'autre \ eft compris dans cette fem-
me, huit cents journées fournies par cinq paroiffes la première année, éva-
luées fix cents livres , mais dont je n'ai pas tiré un grand avantage , parce
ue, malgré la bonne volonté des ouvriers, ils manquoient d'expérience
i d'outils propres à ces travaux.
Les Chemins ont été utiles dès le moment qu'ils ont été ouverts , car il ^
y eft palfé des charois de charbon des mines de Montcenis qui avoient
déjà répandu dans le pays dans le cours de l'année 1770 , douze mille
livres en frais de voiture. La modicité de cette dépenfe eft frappante quand
on la compare à celles qu'ont coûté les grandes routes voifines. Les cor*
vées de la paroifle du Breuil employées en 1770, travaillèrent fur cent
trente & une toifes , lefquelles montent à mille huit cents quatre-vingt-dix
livres , les journées à bœuf évaluées deux livres , & celles des journaliers
quinze fols. Ce Chemin, fans être encore achevé ni ferré ^ revient déjà à
plus de quatorze livres la toife, encore eft-il impraticable.
J'ai fait faire dans la paroiflfe de Clepé, en Foreft , 1747 toifes de Chc-
tnin^ dont 1410 fut la route de. Lyon à Cietmont, & 337 fur d'auues rou*
$
CHEMINS. ( Idées tPùn Citoyen fur les ) 575
tes: il ep coûta 407 livres pour les 940 toifes faites en 1770, ce qui fait
huit fols fept deniers la coife courante ; il en a coûté 700 livres pour lés 472
toifes faites en Novembre <3c Décembre 1771 , n^ayant pu éviter le vil-
lage de Naconne , où la quantité d'arbres à arracher & les (burces ont
triplé la dépenfe : les 335 toifes reilantes ont coûté a6oo livres, favoir
joo livres pour arracher lea arbres, & 2300 livres pour une chauffée de
1 8 pieds de large à fon couronnement , laquelle contient 1 1 00 toifes cu-
bes qui reviennent chacune à quarante-deux lois, ce qui fait 6 livres 17 fous
4 deniers la toife courante (a). Mais la dépenfe de cette chauffée dont l'é-
lévation eft par-tout au-deffus des inondations , efl bien inférieure à celle
faite par corvées dans le voifinage à laquelle ont travaillé quinze Paroif-
fes pendant quatre ans'; leurs corvées qu'on évalue en Forefl, de même
qu'en Bourgogne , forme une contribution pour ces paroiiTés , les unes du
double ou de moitié, les autres au moins du quart en fus de la taille &
corvées à 13^,000 livres indépendamment des vexations (h)^ et des per--
taes (c) qu'elles ont caufé.
Cette Chauffée ou Chemin exécuté par corvées a 1320 toifes de long;
fur 30 pieds de large , dont 805 toifes aq niveau des terres ne m^uroit
pas coûté vingt fols la toife tout ferré ; les parties en chauffées ont diffé«
rentes élévations , & ne font pas toutes à l'abri des inondations. La pre-
mière de 170 toifes, fur un pied de hauteur calculé l'un dans l'autre, cou-
dent 142 toifes cubes ; la féconde de 1 30 toifes , fur ^2 pouces de hau-
teur, contient 318 toifes cubes; la troifieme de x8{ toifes, fur 34 pouces
de hauteur , contient 48 1 toifes cubes , non compris une partie de 20 toifes
de long, fur 15 pieds dé large & 6 de hauteur, contenant 50 toifes cubes;
& finalement la quatrième partie de 30 toifes, fur 25 pouces de hauteur,
contient ^2 toifes cubes : ce qui fait en tout 1043 toifes cubes, qui re-
vie;anent chacune à 1 28 livres , ce qui &it plus de 2^2 livres par toife
courante {d). Ce Chemin defliné pour aller à Clermont , ne fèrt point pour
(tf ) Il faut obferver qae cette chaufTée a été faite pendant Thiver, oii les pluies & les
neiges ont dérangé les ouvriers que je payois également , lors même qu'ils ne travailloient
qu'une heure ou deux dans la iournee , ce qui a bien augmenté d'un tiers au moins cette
dépenfe.
(b) L'Ami des hommes, xéponfe à la Voirie*
(c) Ephémérides. Tome V, année 1767-
des
d'inégalité
*>%'
J75 CHEMIN S. ( Idccs (Fun Citoyen fur Us )
aller à cette ville ^ parce qu^il n^aboutit pas encore à l'ancien ; tandis qu^on
a toujours paÂTé commodément dans celui que j'ai fait faire.
Cette extrême difproportion n^tonnera pas , fi on veut confidérer la ma-
nière dont j'ai opère , & celle dont on emploie les corvées.
1^ Ayant le plus grand intérêt à économifer cette dépenfe, je n'ai point
tu la rage des allignemens & des nivellemens , dont fe plaint avec tant de
raifoA le refpeftable Ami des Hommes y qui occafîonnent quelquefob des
dépenfes cent fois plus fortes par les déblais ou rembbis énormes aux*
quels ils obligent.
Qp. J'ai couché quelquefois fous la tente pour veiller fur les (bldats di-
redeurs , qui ne quittoient pas un indant les ouvriers qu'ils commandoient,
quoiqu'ils fufTent plus inftruits que les corvéables ; tandis que. .....
3^. Mes foldats & mes ouvriers faifoient ufage des outils que l'expérience
m'avoit fait perfeâionner , coucholent & mangeoient fur les lieux , où une
vivandière leur faifoit la foupe; tandis que les corvéables, qui viennent
quelquefois de trois lieues ne peuvent ni ne doivent faire des outils pour
un ouvrage momentané ,& ne trouvent communément aucune facilité pour
leur nourriture.
4^ J'ai pris la terre pour niveler les Chemins, & les matériaux pour les
ferrer le plus près po(&ble; notamment à la chauffée dont j'ai donné le
détail ,' dont les terres n'ont été prifes qu'à lo ou 30 toifes; tandis que pour
tnénager les bons fonds d'un propriétaire on les a été chercher à 6 ou 7
cents tqifes, pour conftruire celle faite par corvées dont j'ai parlé. En creif
fant quelques pieds on auroit même trouvé le gravier nécefTaire pour la
ferr^. Si on avoir dédommagé ce propriétaire, il en eût peut*étre coûté
deux mille livrés, tandis que ces tranfports de terre ont occafionné enpar*
tie la dépenfe dont j'ai fait mention.
Cet exemple & tant d'autres femblables prouve la néceflité de payer tons
les dommages aux Propriétaires, parce qu'un particulier trouvera toujoun
facilement le fecret de faire fupporter au public une très-forte dépenfe pour
l'intérêt général pour le rendre particulier. Ce font ces raifdns qui doivent
engager les paroifTes à adjuger la conflruâion & entretien de leurs Chemins
]u<qua quarante, loriquon a jette les terres a la pelle. Mais, lorlquii a tallu les tram-
λorter à la brouette à vingt ou trente toifes « la toife cube a coûté environ quarante folst
e tout non compris le ferré. Une terre-glaife peut apporter cucorQ UQf diS^rÇACC lïg'^t
dans ces dépenfes , niais le tuf Taugmente conudérablement.
(a) Leçons économîqusi.
CHEMINS. ( Idées d'un Citoyen fur Us ) 577
à un particulier qui les entretiendra d^autant mieux que (on engagement
fera long.
Le même motif qui m'a déterminé à faire les opérations que je rappor-
te , m'empêche de dévoiler bien d'autres abus *| car je ferois bien plus heu-
reux^ fi fans déclamer contre une] panie de l'humanité, je pouvpis contri->
buer au bonheur de la plus grande partie , & la plus affligée. Quel plaific
n'aurois-je donc pas à publier les opérations d'un de mes voifins qui a i&it
faire à fes frais quatre mille fept cents foixante-feize toifes de Chemins fur
la route de Saint*Cernin à Couches en Bourgogne.
Ce vertueux voifin eft TAbbé de Fénelon qui depuis plufieurs années a
£dt des biens infinis dans fbn Bénéfice, en anranchiflanc Tes cenfitaires. du
droit de main-morte, en faifant bâtir une Eglife & un Prefbytere pour (bu-
lager fes habitans, qu'il a nourri malgré la cherté des grains pendant l'hi-
ver de 1770 à 1771 , en occupant les Sommes, femmes & enfans à la
route dont je viens de parler, qui lui a coûté le double de la mienne^
attendu le genre d'ouvriers qu'il a employés.
Il a fait faire fur cette route un pont qui a quinze pieds de large &. neuf
pieds de hauteur, dont le ceintre fait partie, qui a neuf pieds dix pouces
de diamètre; le parapet & les angles des ceintres ou côtés extérieurs, font
en pierre de taille dont la façon a coûté quarante franco : toutes les autres
pierres font de moellons trouvés fur les lieux. La chaux a été tirée d'une
lieue. Le tout lui a coûté cinquante écus.
Il a encore fait faire à la jondion de deux ruiffeaux un Aqueduc, ou
pour mieux dire , une efpece de pont en pierre feche , trouvée aufli fur les
lieux , qui a vingt-un pieds de large fur une des ouvertures & dix-huit fur
l'autre. Ces deux ouvertures oii paffeht les eaux des deux diffërens ruifleaux^
ont chacune quatre pieds de hauteur, fur deux pieds & demi de large. Le
pont tout en pierre feche a dix-huit pieds de long , fur fept de hauteur de^
puis la bafe jufqu'à la crête , & n'a coûté que i8 livres de façon.
La générofité de Mr. l'Abbé de Fénelon a été fi grande , que fon
revenu ne fuffifant pour faire fubfîfler fes pauvres par ce travail, il a
vendu foo bouteilles de vin de Chaffagne de 17^4, pour fournir à leur
fubfiflance.
Plufieurs autres voifins de ce Canton commencent auffi à faire quel-
ques travaux en ce genre \ leurs frais.
J'ai trouvé en Foreft plufieurs Citoyens qui ont ofïèrt de contribuer avec
moi, aux frais néceffaires pour continuer les opérations que j'ai com<*
mencées fur la route de Lyon à Clermotit , pourvu qu'on nous en confiât
la direâion , & qu'on voulût bien fufpendre les corvées qu'on a einployé
jufqu'à préfent fur cette route ; ce qui fera peut-être accepté lorlqu'on
aura examiné la chauffée que je viens de &ire faire , & lorfqu'on aur^
éprouvé plus long-temps la folidité de mes ouvrages.
Un grand nombre de perfonnes ont déjà offert différentes fommes pour
Tome XI. Dddd
^78 CHEMINSDEFRANpE. ( Ohfetvations fur Us grands )
la route de Mombrifon à Feurs , & pour celle de Feurs à Saint-Germain ,
auxquelles je me propofe de faire travailler incefTamment.
La plaine du Forelt , fertile en grains , a les plus grands avantages pour
la conttruédon des chemins, puifque les terres les plus grafles, fiiuées fur
les bords de la Loire ont le gravier à portée pour les ferrer, qui ne laifle
pas d^étre commun dans les autres parties de la plaine, dont le fol étant
communément fablonneux obligeroit rarement à cette dépenfe.
Mais /fi les Chemins font plus aifés à faire dans la plaine du Foreft qu^ail-
leurs, il n'eft point de pays où les corvées affligent autant l'humanité^ les
fièvres y font fi fréquentes qu'elles dérangent extraordinairement les tra*
vaux , & y augmentent la raifere des journaliers : Pintérêt que les Dames
de cette Province ont pris à leur cruelle fituation , & l'empreflement qu'el-
les ont mis à propofer diverfes foufcriptions pour procurer d'un côté plus
de facilités à ces malheureux de gagner leur vie , & de Pautre pour tâcher
de les fouftraire à^la corvée, doit faire efpérer que ce fexe aimable, qui
eut toujours l'humanité en partage, contribuera beaucoup à la fupprefllon
de ce terrible fléau, A quels biens même ne devroit-on pas s'attendre, fi foa
éducation dirigeoit fes idées vers les objets utiles > fa bienfaifance naturelle ,
guidée par de plus amples lumières, faciliteroit la révolution tant défirée,
où le patriotifme joint à toutes les vertus prendroit la place du luxe & de
la frivolité. Si la barbarie des premiers fiecles n'efl provenu que de l'ef-
clavage des femmes, fi le luxe & la frivolité qui afflige tant cclui-<i , pro-
vient de ce que les femmes n'ont repris qu'une partie de leurs droits, que
ne doit-on pas efpérer du ilecle futur , lorfque les deux fexes ayant la mê-
me éducation & les mêmes lumières ^dif eu teront enfemble les intérêts de
l'humanité.
OBSERVATIONS
s V K
LES GRANDS CHEMINS DE FRANCE.
L
'UTILITÉ & la commodité que le commerce & la fbciété retirent
de la conflruâion & de l'entretien des Chemins, eft fi généralement connue,
que tout ce que l'on pourroit dire pour appuyer cette vérité , feroit inutile &
^- ^ - ' *^ j. --^ /• • j principe,
tions ^QUèt
Co^mme cette partie de l'adminiftration efl fuivie dans chaque gouver*
aement d'une manière plus ou moins avantageufe , chacune des principales
CHEMINS DE TRAiiCE. (OBfervationsfurlesgraruk) Ç79
doit être & fera dans cet ouvrage le fujet d'une attention particulière.
Les éloges que M. de Voltaire donne aux grands Chemins de France,
femblent m'obliger à en traiter d'abord. » Les grands Chemins , dit-il ,
» jufques alors impraticables , ne furent plus négligés , & peu à peu ils
9 devinrent ce qu'ils font aujourd'hui fous Louis XV , l'admiration des étran-
» gers. De quelque côté qu'on forte de Paris , on voyage à préfent , en-
» viron cinquante à foixante lieues, à quelques endroits près, dans des
» allées fermées & bordées d'arbres. Les Chemins conftruits par les anciens
9 Romains étoient plus durables, mais non pas (i fpacieux ni fi beaux, ce
Je conviens avec cet auteur éclairé des avantages qu'il préconife , mais
on ne peut s'empêcher de m'a vouer , qu'en les refferrant dans un efpace
de cinquante ou foixante lieues autour de la capitale, il paroit infinuer
Î|ue l'étranger doit y borner fa curiofité , s'il ne veut pas revenir de ûl
urprife. On doit certainement embellir lès routes qui conduifent à la prin-
cipale ville : mais c'eft ne travailler que pour l'agrément, fur- tout quand
elle n'a comme Paris, qu'un commerce fecondaire.
Les grands Chemins , qui font par-tout un objet d'utilité , exigent par-
tout les mêmes foins de la part d'un miniftre éclairé. Je ne prétens donc
les envifager que comme la fource d'un bien général , &' c'eft dans cette
vue que, fans m'attacher aux avantages particuliers, je vais montrer à mes
leâeurs ce qu'on a fait & ce qu'on devroit faire en France , pour porter
à la perfeâion cette partie des ouvrages publics, que tout gouvernement ^
qui tend à la grandeur , doit fuivre avec zèle » ménager avec ordre âc four
tenir avec perlévérance.
Les François ont des réglemens fages & très*détaillés llir cette partie «
comme fur toutes les autres. Ils ont prefque tout prévu & ordonné : mais
ils pèchent par l'exécution , qui cependant eft feule capable de mettre une
partie des Chemins en état , & de les entretenir à peu de frais pour le Roi ,
Il elle étoit fuivie , je ne dis pas avec cette exaâitude & cette précifion de
laauelle on ne doit pas fe flatter, mais feulement avec une attention
ordinaire & commune.
Les revenus de l'Etat font grands , mais un grand Etat a de grandes dé-
penfes à fupporter ; chaque partie a des befoins indifpenfables & des fonds
Î|ui v font deftinés : ceux des ponts & chauflees n'ayant pas été jugés
uffifans, on leur en a affiené d'extraordinaires. Mais fi l'on vouloit entre-
prendre toutes les routes fur le pied de quelques-unes qui font déjà com-
mencées, ces fonds extraordinaires feroient infuffifans, & ne ferviroient
qu'à faire défirer qu'ils euffent été employés avec plus de difcernement. i
Que les Chemins foient praticables en hiver comme en été , c'ed avoir
parfaitement fatisfait à l'utilité publique : ces grandes entreprifes ont- elles
rempli cet objet ? non , ce font des portions de monumens admirables , oii
Pon n'arrive que par un bourbier , & d'où l'on ne fort que pour tomber
dans un autre.
Dddd2
çSo CHEMINS DE FRANCE. {Obfcrvations fur les grands)
Le commerce exige plus de fuite & moins de magnificence ; fimple &
utile dans Tes opérations , il ne cherche qu'à avancer par. la voie la plus courte ,
la plus fûre & la moins coûteufe : tour ce qui ne conduit pas à ce but , eft %
fon détriment, parce qu'il eft pris fur les deniers . deftinés à Ton entretien.
Quoique le nombre des routes foît infini , & que les^détails d'une partie fi
vafte & fi étendue foient immenfes , cependant on peut les ranger fous les
quatre cla^Tes fuivantes.
I. Les nouvelles routes à conftruire aux frais du Roi«
a. Les réparations & entretiens aâuellement inftans des anciennes routes,
3. Les routes négligées , encombrées , ufurpées & cependant utiles.
4. L'entretien annuel de ces dernières routes & de celles à la charge
du Roi.
REFLEXIONS GI^NiRALES SUR CES QUATRE CHEFS.
VyN devroit» avant que de commencer une route, examiner attemive-
ment fi elle eft yéritablement néceflaire. On demandera peut-être à quoi bon
lin avis qui fuppofe gratuitement des fautes que l'on ne peut préfiimer ; telle
eft l'apparence , j'en conviens: cependant il eft très-vrai qu'il a été en*?
trepris des routes dont on pouvoit fort bien fe pafier, & que d'autres
ont été commencées & prefqu'auflitôt abandonnées , après avoir caufé beau*
coup de dépenfes au Roi , de dégât & de préjudice aux héritages des par*
ticuliers : témoin celle d'Amboiie à Poitiers par Bleré , Lôchers & la Haie ,
généralité de Tours \ celle de Château-Châlons & des Confitemini en Fran-
che-Comté; celles de Rheims à Rethel & de Châlons-fur-Marne à Sainte*
Menehould, généralité de Champagne ^ & tant d'autres qu'il eft inutile de
rappeller ici.
. Il cbnviendroit d'examiner s'il n'y auroit point d'autres routes exiftantes
qui puiTent fuppiéer à- celles^ qu'on fè propofe d'ouvrir ; fi quelques répa*
rations faites aux anciennes ne fuffiroient pas au commerce & aux voya-
geurs \ s'il ne feroit pas plus avantageux de s'aflujettir à des parties folides
par la nature du terreîn ou par des .travaux /que l'on y auroit déjà faits,
que de s'obftiner à traverfèr des montagnes , des marais & des rivières ,
pour former de beaux alignemens, avec des dépenfes immenfes prifes fur
le néceflaire.
Si après ces examens , il efl décidé que les routes doivent être entreprife,
ir importe à l'économie & à la durée des travaux, de les diriger par les
meilleurs terreins , d'éviter les ponts & la proximité des grandes rivières,
autant qu'il fera poflible , tant à caufe de la dépenfe , que des dangers &
des inconvéniens auxquels ces pofitions font.néceflairemrat fu jettes, enfin
de pratiquer des bernes ou des accôtemens aux cotés du pavé , de les tenir
libres & en état, parce que les voituriers y paffent de préférence dans la
belle faifon, ce qui double le tems de la durée des chauffées ferrées ou
CHEMINS DE F R AîiCK. {Ohfijyuùons fur ks grands) 581
pavées : mais il s^en manque bien que ces précautions foient obfervées*
Je demanderots encore que , dans les réparations aâuelles des anciennes
routes ^ on fe bornât à ce qui feroit abfolument indifpenfabte ^ que l'oa
portât tous les fonds , reftant de l'ordinaire avec ceux de l'extraordinaire ^
fur une route capitale quelconque , & que l'on ne la quittât point qu'elle
ne fut par&ite.
JMfques à préfent on n'a fait, pour ainfî dire, que fauter d'une branche
à l'autre^ & plufieurs de ces travaux femblent n'avoir été entrepris qu^
pour développer l'art des ingénieurs aux yeux des p^lTans. Mais que fert à
ce voiturier d'avoir roulé légèrement & à ion aife pendant quelques lieues ^
a les intervalles de mauvais Chemin qu'on a laififé- fubfiiler, exigent des
attelages aufli forts & au(ïï nombreux, que fi ces belles parties n'étoienc
pas faites , & lorfqu'il n'eft pas fur de conduire fes marchandifes au jour
nommé l Qu'en revient-il à ce négociant & à l'acheteur , fi les fi^s de
firanfport des marchandifes & des denrées font toujours auffi chers; s'il
manque de les vendre , faute d'être arrivas à tems ; jti elles font avariées &
^âtées^ar les bafards du mauvais Chemin & par un trop long féjour en route i
Si après qu'une route a été confiruite ou réparée, il n*eft pas pourvu à
fon entretien , elle fera bientôt ruinée & impraticable , ce qui caufera une
interruption dans le commerce général , non-feulement à caufe de l'en-
chaînement . indiffoluble que fes parties ont entre elles , mais encore parce
«qu'il faut la rétablir, & y employer des fonds néceflàires ailleurs ; en forte
^ue, plufieurs dépenies de cette elpece, venant à s'accumuler, elles excédent
la pofiibilité des reflburces , & tout retombe dans le premier ^tat de dé«
périflemenL
Cette négligence qui eft très-commune, qui ne fouffre que quelques
exceptions ; & la tolérance des ufurpations des riverains , ont ruiné & faic
abandonner plufieurs routes cependant fort utiles ; ils y ont pouffé leurs
labours , ils les ont anticipées par des fofles & des rigoles pour y faire
pourrir leurs engrais ; ils y ont arrêté les eaux ou ne les ont pas détour-
nées, enfin ils les ont détruites.
Sans l'adèmblage des ruiffeaux, nous n^aurîons point de grandes riviè-
res; fans les rameaux & les petites routes qui aboutiffent aux routes prin-
cipales , celles-ci feroient déferres ; ces branches & ces rameaux donnent
la vie & le mouvement aux grandes routes ; elles fbumiifent l'aliment du
commerce & la fubfiflance des grandes villes : cependant elles font ou-
bliées & ignorées par les ingénieurs qui^ accoutumés aux grandes entre-
prifes , ne les croi^t pas. dignes de leurs regards & de leurs attentions.
L'intérieur des bourgs^ & des villages eft', entre autres , fi généralement
inauvais, même fur les grandes & bettes routes fa^^es & perfeâionnées par
le Rx>i^ qu'à peine les voitures peuvent-elles y: . palTer , & qu'il s'y forme
des amas d'eaux, & des f:loaque6 nuifibles à laJalubricé de l!air, dont les
habitais ne peu vent, manquer de sef&mir les effets .: rien cependant de
58i CHEMINS DE FRANCE. {Obfervations furies grands)
plus modique & par confëquent de plus fiicile que ces réparations , dont
le mauvais état ne peut être attribué qu^ une négligence impardonnable à
ceux qui font chargés de cette police : il n^ a point de villages* donc les
habitans, guidés par un infpeâeur tant foit peu raifonnable & intelligent,
ne puiflent en deux ou trois jours au plus pris dans Tintervale des récoltes ,
conduire aflez de pierrailles & de gravier pour combler les trous , unir la
voie, la rendre praticable, & fe délivrer des inconvéniens dont la mal-
propreté & le mauvais air font néceflairement la caufè. Le payfan occupé
du poids de Ton état, enfeveli dans fon ignorance & fa rufticité, ne penfe
3u^au journalier \ il ne fent , il ne voit aucune conféquence ; c^eft cepend-
ant la partie la plus nombreufe & la plus intérellante de l^tat: il faut
donc que le fouverain, ou ceux à qui il a confié fon autorité, penfent,
réfléchiflent & veillent pour elle.
Les portes de la plupart àes petites villes du royaume, autrefois né-
ceflaires pour leur défenfe & maintenant abandonnées comme inutiles,
menacent d'une ruine évidente , & ainfi la vie des paflans ; il conviendroit
de faire jetter à bas , aux frais de chacune de ces villes , toutes celles que
.les infpeâeurs ne jugeroient pas avoir une folidité fuffifante. Ces villes,
Sucnque fans revenus patrimoniaux, ne pourroient s'excufer fur le défaut
e moyens : i<>. à caufe de la modicité de la dépenfe : 2^. parce que les
matériaux indemniferoient & au-^lelà des frais de démolition, & du pen
de main-d'œuvre qui feroit peut-être néceflaire en quelques endroits , pour
relever ou affurer les jambages ou pieds-droits deidites portes jufqu'aux
impoftes ou retombées des arcs.
Lt^ routes quoiqu'ufurpées , appartiennent toujours au public & font
imprefcriptibles , parce que la prefcription ne court point contre le public ;
Viam publicam populus amittere non poteft : & cVft en conféquence de
ce principe confiant que nul ne peut apporter du changement aux Che*
mins , les fupprlmer ou y en fubftituer d'autres , fans l'intervention de l'au-
torité (buveraine. L'ordonnance de Blois porte que i> les grands Chemins
«.feront remis à leur ancienne largeur, noaobilant les ufurpations qui
i> peuvent avoir été faites a ^
Suivant le droit Romain, le foin de réparer & d'entretenir les Chemins
droit une charge des héritages adjacens , dont nul n'étoit exempt ; pas
même les perfonnes privilégiées , de quelque état qu'elles fuflënt : Non
funt enim immunes ab inftitutiont itincrum , feu viarum munitiont : ce
qui eft conforme au droit François exprimé dans les capitulaires , chap.
107 /. 6. & à la jurisprudence aâuelle de ce royaume fur la voierie. Les
ordonnances de Henri II, Charles IX, Henri III, Louis XIII, Louis XIV
& Louis XV. y ont puifé leurs difpofitions. L^arrêt du 18 Juillet 1670.
qui eft encore en pleine vigueur pour les Chemins de Normandie , porte
» qu'ils auront vingt-quatre pieds de large , fans qiue cette largeur puifle
» être occupée par dés fblfés | haies ou arbres; & que, s^il s'en trouve.
CHEMINS DE FRANCE* {Objcrvations fur les grands) 583
% ils feront remplis » coupés , arrachés , huitaine après la fîgoification de
H Tarréc, par les propriétaires, ou à leurs frais & dépens, avec défenfes
» à tous propriétaires & riverains de planter aucuns arbres le long des
s» grands Chemins qu'à dix pieds de diftance du bord : ordonne que le&
n dits Chemins & ceux de traverfe fesant inceflamment réparés & entrer
X» tenus , aux frais & dépens des propriétaires des terres où fe trouvent les
yi mauvais Chemins , avec des cailloux , graviers ou fafcines , fuivant les
]!» ordonnances , à la diligence des Procureurs du Roi des Vicomtes & autres
» de ladite province. »
La plupart des coutumes du Royaume obligent les propriétaires & dé^
lenteurs des terres voifines des Chemins , à couper les branches des ar^
bres qui empêchent le foleil de les fécher , & caufent de l'embarras aux
paflans : elles veulent que , fi le grand Chemin ie trouve impraticable
par les bourbiers, glaces, inondations ou autrement; s'il eft embarraflë
par des matériaux deftinés à quelques ouvrages , ces mêmes propriétaires
& détenteurs foient obligés de donner fur leurs terres un 'paflage provifion*-
nel; Si via* publica dcjlniatur^ vicirius viam prasfiarc dtbct.^Xlts les con-
traignent à recevoir les eaux qui s'écoulent des Chemins , à les border At
fbffés &cr à netti)yer ceux qui ont été faits : fundus inftrior itnetur rcci^
père aquain provenientem ex fundo fuperiori , etiam fi fundo inferiori no»"
ceat. Enfin elles veulent que, fi ces propriétaires ou détenteurs négligent
d'ôrer les encombremens & qu'à cette occafion il arrive quelque acci^-
4ent ou quelque perte , ils foient tenus des dommages & intérêts envers
ceux qui ont fouflèrt.
Outre ces divers réglemens, les coutumes de la plupart des provinces
ont ftatué fiir les réparations & l'entretien des Chemins. Les Tréforiers
de France ont rendu une multitude d'ordonnances fur la voierie, & Mef-
fieurs les Intendans font chargés des routes entreprifes ou finies par cor«>
vées & aux frais du Roi : mais d'une part tous les Intendans ne donnent
pas leur attention à cette partie avec une égale utilité ; & de l'autre , ce
qui eft prefcrit par les coutumes eft fans aucune forte d'exécution , parce
que les Tréforiers de France ont totalement envahi la voierie, que ces
coutumes attribuent aux Seigneurs Hauts*Jufticiers dans l'étendue de leurs
jurifdiâiotis.
Quelques-uns de ces Seigneurs pourroient la négliger, cela eft fans
contredit, attendu leur grand nombre & que plufieurs d'entre eux ne
voient jamais leurs terres , & que d'autres manquent ou d'intelligence » ou
de cet efprit d'ordre , d'arrangement & d'émulation qui conduit à bien
faire : mais au(fi plufieurs y tiendroient la main, foit par l'intérêt de faire
déboucher plus facilement leurs denrées & celles de leurs habitans , foit
pQur parcourir leurs terres avec plus d'aifance & d'agrément ; mais le mo-
tif doit^être indifférent , puifqu'en le faifant pour eux, ils le Croient pour
le public ) & quelque peu qu'ils fiflent , ils furpafleroient toujours de beau*
/
584 CHEMINS DE F R AîJ C E. (Ohférvations fur les grands)
coup ce que font les Tréforiers de France départis dans les province^ , qui
tout au plus veillent légèrement à ce qui concerne la ville de leur réû-
dence, mais caufent la ruine des Chemins de la campagne par leur inac*
tion , par celle dans laquelle ils entretiennent les autres, & par les
exaâions que font leurs petics-\;gj^rs & leurs autres fubalternes qu'ils
tolèrent.
Cet état de confufion & de conflits, que Pon ne doit pas efpérer de
voir cefTer par des remontrances ou des exhortations , ne peut être plus
heureufement & plus promptement arrêté , que par ce changement & ce
tranfpon d'autorité, dont le gouvernement a fouvent fait utuei^em ufage
en diffèrens cas.
Dans celui-ci , il fetfible que le plus expédient feroit de charger uni*
quement les lutendans de la police concernant l'entretien des Chemins,
non par aucun titre public , qui mettroit au champ tous les bureaux des
finances & accableroit le confeil de foUicitations & d'importunités \ mais
feulement par des lettres & des ordres particuliers , qui leur enjoindroieot
de tenir en vigueur les réglemens de la . voierie , & les autoriferoient ï
tendre la main aux Seigneurs.de bonne volonté qui s'antmeroient les uns
les autres ; & pour l'exécution , il fàudroit leur dooner par augmentation
de ceux qui exiflent aâuellement , des Infpeâeurs & fous-Infpeâeurs fidè-
les & intelligens , fous les ordres d'un nombre fufHfant de fupérieurs bieD
choiûs , lefquels Infpeâeurs & fous-Inf peâeurs prêteroient ferment par
devant l'Intendant , pour être en état de drelier des procès- ver baux, fans
être obligés de fe fervir de papier ni marqué ni contrôlé.
La dépenfe de cet établiflement , que Ton poilrroît fe contenter d'ef-
fayer d'abord dans une feule Généralité , procureroit un bien qui ne tar-
deroit pas à fe faire fentir , & feroit avantageufement compenfé pat
la diminution des dépeofes à la charge du Roi , qu'entraînent les ponts
& chauffées.
Avec ces précautions les routes fe multiplieroîent^ te commerce s'ani*
meroir » & les deniers , deflinés ï l'entretien & à la conflruâion des Che-
mins , feroient plus utilement employés : mais il feroit encore plus à fou-
haiter que l'on exécutât en France , ce oui fe pratique dans les pays hé-
réditaires d'Autriche , & fur-tout en Angleterre par rapport aux Chemins
publics dont j'^turai occafion de parler dans la fuite de cet ouvrage.
DB
CHEMINS. (De tAdminiftration des ) 58$
mmmm
> DE ^ADMINISTRATION DES CHEMINS.
Principes généraux.
X L n'eft pas néce(Gtire de s'étendre fur Inutilité des Chemins : on fait aflfes
que (ans eux il ne pourroic prefque point fe faire de commerce ; que fans
commerce il n'y auroit point de communication de fecours réciproques en*
tre les hommes , point d'équilibre entre les prix, une immenfe quantité
de produâions exiilances & de produâions poflibles perdues pour l'humap.
nicé , une viciflinide perpétuelle entre la mifere de l'abondance & celle
du befoin.
L'avantage le plus direâ & le plus fenfible des Chemins eft pour les
propriétaires des terres. Le produit net de la culture, qui leur appartient,
efl de toutes les richeffes renaiflàntes ^ celle fur laquelle la facilité des Che«
mins a le plus d'influence. La concurrence qui fe trouve entre les cultiva*
teurs, les force de tenir compte aux propriétaires de tout l'accroiffement
de produit net» que procure l'augmentation de débit & de prix à la vente
de la première main , qui réfulte de la diminution des frais de commerce.
On peut donc regarder les Chemins comme une forte de propriété com--
mune , néceffaire & indirpenfable , pour que l'on puifTe niire valoir les
propriétés particulières à^s polfeileurs du territoire. La conflruâion des
Chemins augmente donc la valeur des propriétés ; elle eft donc une
charge des propriétaires , car la dépenfe doit être pour ceux qui retirent
le profit.
Cette dépenfe eft une des dépenfes publiques , une de celles pour la*
quelle le Gouvernement levé l'impôt. Toutes les dépenfes publiques font
aulli des charges de propriétaires. Elles le font dans le droit \ car elles
tournent toutes au plus grand profit des propriétaires , par la loi de la
concurrence , qui oblige tous les autres citoyens à fe borner à leur rétri-
bution . & à la rentrée de leurs avances. Elles le font dans le fait ; car en*
vain croiroit-on en charger les cultivateurs ou les artifans : les premiers ne
donnent de revenu aux poffefleurs des terres , qu'après s'être rembourfé de
l'impôt qu'ils ont été contraints d'avancer , & les féconds font payer leur
taxe à ceux qui paient leur falaire.
Lors donc que les fonds publics ne fuffifent pas aux dépenfes publia
ques, & que le Gouvernement eft obligé de demander une addition d'im-
pôt pour completter le fervice dont il eft chargé \ il ne vexii y non plds
Sue pour les contributions ordinaires ^ s'adrefler qu'aux poiieffeurs du pro-
uit net du territoire. "
Il y a pour cela deux moyens. L'un eft de s'adreffer en effet à eux di-
Tome XI. Eeee
\
58( C H E M I N S. ( Z7e VAdmimJlration des)
èdBttmMt : & par ce moyen les propriétaires ne paient prëcifëmenc qne
la fomme dont le Gouvernement a befoin ; celui-ci dépenfe tout ce qu'il
a reçu ; l'ordre des travaux , celui de la rëproduâton » celui des falaires
reftent dans le même état; les autres clafTes de citoyens ne s'apperçoivent
feulement pas par ^ui a été faite la dépenfe du revenu. Le fécond moyen
eil de ne s4drefl[èr qu'indireâement aux propriétaires , en s'adreflant direc-
tement à quelqu'autre ordre de citoyens : & par ce moyen le Gouverne-
ment ne reçoit pas davantage ; les propriétaires paient beaucoup plus y les
travaux utiles qu'exécutent ceux à qui Ton s'adrefTe font interrompus , la
réproduâion des denrées & des richeffes diminue , Thumanité entière fouf&e
une pelle fur fes jouiiTances qui amené l'extinâion d'une partie de la
population.
Lorfque les circonftances permettront de faire un arrangement (blide &
fondamental pour la conftruaion & l'entretien des Chemins, il eft donc
évident , que fi l'impôt ordinaire ne fuffit pas à cette dépenfe importante,
elfentielle , indifpenfable , ce devra être uniquement & direâement les pro-
priétaires des terres qui feront tenus de fournir la contribution néceilàire.
Il eft fans doute mutile de dire que fi l'on avoit un corps nombreux
d'hommes entretenus aux dépens du public , confacrés au fervice public ,
& néanmoins prefque inoccupés pour le public : ce corps fembleroit dé-
figné par fa nature \ exécuter ce travail public.
Il eft fans doute inutile de dire qu'une femi-paie aU-deflus de leur paie
ordinaire, qu'il paroitroit jufte de donner aux ialariés de ce corps , lorf-
qo'on les employeroit au travail des Chemins , leur procureroit une beau-
coup plus grande aifance que celle dont ils jouiffent, & en feroit néan-
.moins, quant à cette partie , de très-bons ouvrier-s très-peu coûteux pour
la nation.
Il eft fans doute inutile de dire que fi ce corps de falariés étoit en mê-
me temps celui des défenfeurs de la patrie , il feroit infiniment défirable
pour eux, & par conféquent infiniment avantageux pour l'État qu'on leur
formât pendant la paix une fanté robufte par des travaux modérés , mais
qui demandent de la vigueur & qui l'augmentent » par des travaux qui ren-
droient leurs corps & leurs bras endurcis dignes de féconder leur courage,
& propres à foutenir les fatigues de la guerre , mille fois plus à craindre
que fes dangers , pour les hommes qui ont été long-temps oififi; , dont le
défœuvrement a toujours abattu les forces , & chez iefquels il a trop fou*
vent été la première caufe de maladies funeftes.
Il eft inutile de dire que c'eft ainfi que les. Romains formèrent ces re-
doutables légionnaires auxquels ils durent ta conquête de l'univers, & avec
temps
pas encore veatr où Us doivent contribuer à diriger notre conduite que des
C H E M I N S. {De VJdminipranon des) ^gj
çirconftances particulières ont vraifemblablement décidée , au moins faut-il
convenir , à la louange de notre fiecle , que ce temps parole approcher
avec rapidité.
Mais que l'on emploie les foldats à la conftruâion des ouvrages pu-
blics , comme on Ta fait à celle du canal de Briare (a) , ou qii'on ne les
y emploie pas; que l'on économife par. ce moyen la dépenle des Che-
mins y de manière à rendre la défenfe de TÉtat moins pénible , plus Aire
& moins coûteufe , ou que cette idée refte au rang de tant d'autres qu'on
applaudit & qu'on néglige \ il n'en fera pas moins vrai que la conftruâioQ
& l'entretien des Chemins formera toujours un article de dépenfe dont le
profit fera pour les propriétaires du produit net de la culture , & dont la
charge par conféquent ne peut & ne doit porter que fur eux; il n'en fera
pas moins vrai que l'on ne pourra leur impofer indireâement cette charge
publique , fans une perte immenfe & inévitable pour eux & pour l'Etat.
En effet , il efl évident que fi les Chemins font mauvais , les frais du
tranfport des produâions , du lieu de leur naiffance à celui de leur con-
fommation , font beaucoup plus confidérables , le prix de la vente de la
premi?re main efl d'autant plus foible , que fi le prix de la première vente
des produâlons eft foible , le cultivateur ne peut donner que peu de re-
venu au propriétaire.
Far la railon inverfe, il efl évident que la conflruâion & Petitretien des
Chemins diminuent les frais de tranfport, affurent par conféquent aux ven«
deurs des produâions une jouiffance plus entière du prix qu'en paient les
acheteurs confommateurs ; que les produâions fe foutenant conhamment
à un prix plus avantageux à la vente de la première main , la culture en
eft plus profitable ; que la culture étant plus profitable , il y a plus de con-
currence entre tes entrepreneurs de culture , & par conféquent plus de re-
venu pour les propriétaires.
Il efl également évident que fi au-Iieu de s'adreffer direâement aux pro*
priétaires pour la contribution néceffaire à la conflru6lion & à l'entretien
des Chemins , dans le cas oi'i l'impôt ordinaire ne pourroit pas y fuffire ,
on s'adreffoit par exemple aux cultivateurs , & qu'on les détournât eux &
leurs atteliers de leur travail productif pour les employer à la corvée , la
rëproduâion diminueroit en raifon du temps perdu par ceux qui la font
naître. Alors la part des propriétaires diminueroit inévitablement. D'abord
"^i
{aS Le Canal de Briare fut conftniit en 1607 , fous Henri IV , & par les foins du Duc
de bulH. Ces deux grands hommes qui étotent les amis & , pour^ainfi-dire j les camarades
de leurs foldats, ne crurent point les avilir, & penferent, au contraire, les récompen/er«
en employant fix mille hommes de troupes à cet ouvrage important oc patriotique j qui
fiit achevé avec une célérité & une perfeâion furprenantes.
Les militaires de ce temps-là avoient certainement autant de dignité que ceux d'aujour-
d'hui. Et ceux d'aujourd'hui n'ont certainement pas moins de patriotifme & de zèle pour
fervir utilement TEtat.
Eeee 2
'588 é H E M I N s. (De P Aimîniflmlon des )
é
en raifon de la diminution (brcëe du produit total. Et en outrer en raifbn
de ce que les cultivateurs feroient néanmoins obligés de retirer fur les
récoltes afFoiblies , le falaire du temps qu^its auroient employé à travailler
gratuitement fur les Chemins ; de forte que ce falaire au-Iieu d'être payé
par la nature , comme celui du temps que les Colons emploient à leurs
travaux produâifs , feroit néceffairement payé aux dépens de la part du
propriétaire déjà reffar^inte par la diminution des récoltes.
Nous ne pouvons donc nous difpenfer de conclure , comme nous avons
commencé , i ^. que ce font les propriétaires feuls qui doivent être chargés
des dépenfès qu^entrainent la conftruâion & l'entretien des Chemins , lorf-
que l'impôt ordinaire ne fauroit fuffire ; 2^ que dans ce cas il eft infini-
ment avantageux pour eux de payer direâement cette dépenfe , & pour
l'Etat de n'exiger ce paiement que d'eux feuls.
C'efl dans ces deux principes que condfle, à ce que je crois» la théorie
fondamentale de l'adminiflration des Chemins. J'aurai occafion de dévelop-
per encore mieux leur évidence dans les paragraphes fuivans.
$. I.
'Motifs qui Je font oppofcs à ^arrangement qui feroit le plus convenable pour
• ajfiifer équitablement & avantageufement la conflruâion & Pentretien da
Chemins. Moyens qu^on a pris. Erreur involontaire , mais terrible dans
. le choix de ces moyens. Inconvéniens de la corvée en nature.
JL/ Ans un temps très-moderne , il eft arrivé en France ce cas extra-
ordinaire dont nous avons parlé , & dans lequel le Gouvernement entraîné
par les circonftances , s'eft <^ru obligé de confacrer à d'autres ufages la par-
tie des fonds publics deftinée à la conftruâion & à l'entretien des Che-
mins. Il a pourtant fallu continuer de faire & d'entretenir des Chemins.
On a cru qu'en prenant indire.âement fur les propriétaires l'impôt néccf-
faîre pour y fubvenir , il leur paroîtroit moins fenfible. On a cru que
puifque les hommes gagnoient de l'argent avec l'emploi de leurs temps,
avec leur travail , il étoit égal de demander du temps & du travail , ou
de l'argent. On a cru même que la contribution en temps & travail pour
les Chemins leur feroit plus avantageufe , parce qu^en a cru qu^ls avoient
tous du temps & la faculté de fe livrer au travail de la corvée , au-liea
qu'il y en avoît un grand nombre qui n'avoient point d'argent. On a cru
qu'un impôt levé de cette manière ne pourroit jamais être détourné de fa
vraie deftination. Le fouvenir de notre ancien droit féodal a achevé de
décider pour la corvée en nature , qui parut n'être qu'une rénovation. Et
par une conféquence , fans doute trop rapide , on penfa que Tordre à^
C H E M I N s. (27e PJJminifiratîon des) 589
citoyens déjà chargé des corvées féodales ^ devoit être aufli aiTujetti à la
corvée des Chemins (a).
(a) Il Y a bien peu d'Etats qui , comme la Chine & le Pérou, ayent le bonheur d'avoir
été fondes par des Légiflateurs. Tous les corps politiques de l'Europe ont pris leur forme
dans des fiecles d'ignorance & de barbarie. Heureux font ceux à qui, dans la loterie des
événemens j il ^ft échu un fond dé conftitucion propre à les conduire à la profpérité.
Tel efl en France l'établiflement d'une autorité tutélaire fuffifante pour réprimer les intérêts
particuliers défordonnés, Ôc celui d'un revenu public territorial , dans une proportion affez
forte pour maintenir la fupériorité de cette autorité néceflaire Ôc bienfaifante* Mais' cette
conflitution avantageufe, qui femble aflurer le fervice public, & les revenus nécefTaires
pour fubvenir aux dépenfes de ce fervice , ne s'eft arrangée que par degrés. Nos braves
ancêtres étoient fort ignorans & nullernent propres aux combinaifons qui auroient demandé
des calculs tant foit peu compliqués: il paroit fur-tout qu^ils naimoient pas les (lipulations
en argent. Us ne payoient point le fervice public ; ils préféroient de le niire. Us n'entrete-
noîent point d^armées ; ils alloient à la guerre en perfonne. Ils n'afFermoient point leurs
terres , ils les donnoient- pour des redevances en cens , en champarts , 6c fur- tout en cor-
vées, comme cela fe pratique encore en Pologne. Les enfans de ceux qui avoient ainfi
reçu des terres des Seigneurs ou grands Propriétaires, à la charge de travaux ou corvées
au profit de ce Seigneur donateur , naifToient attachés à fa terre , ferfs de fa glèbe. Cette
èfpece de fervitude, dont on s'efl formé dans nos derniers temps des idées tort extraor-
dinaires, & où Ton a cru voir la tyrannie d'une part & l'avilifTement de Tefpece humaine
de l'autre , n'étoit rien moins que l'efclavaze. C'étoit comme aujourd'hui en Pologne , un
iîmpic contrat entre le Seigneur qui fournifToit la terre ôc les avances de la culture à celui
qui devenoit fon ferf , & ce même ferf qui payoit en travaux le lover de la terre qu'il
àvoit reçue. Les héritiers de ce ferf de la glèbe, qui devenoient ainfi ferfs eux-mêmes, ne
regardoient point ceh comme un défavantage ; ils héritoient de la fervitude territoriale ,
parce'^qu'ils héritoient de la terre qui avoit été donnée à leurs parens fous la claufe de
cette fervitude , qui étoit le titre de leur propriété. On peut voir par les monumens qui
flous refleift dans le Moine du Vieeois, dans Euflache Dechamps, & dans plufieurs autres
Auteurs contemporains, fur l'opulence & même fur la magnificence de ces Seigneurs, qui
vivoient dans leurs terres, & qui y étoie;it eux-mêmes les entrepreneurs de la culture,
dont ils payoient les travaux à leurs ferfs par les terres même qu'ils leur concédoient , ou
leur avoient concédées; on peut voir, dis-]e, que ces arrangemens n'étoient pas fort pré-
judiciables à la profpérité de l'agriculture, qui efl la fource des revenus des propriétaires «
6l des falaires des artifans. Ces arrangemens afTuroient aux Seigneurs la jouifTance du re-
venu de leurs terres & les profits de leurs richefTes d'exploitation . & aux colons la fub-»
iiflance & les gains dus à leurs travaux. La différence des avantages 6c des avances faites
par le Seigneur donateur à ceux qui recevoient fa terre , a fait naître la différence de la
nature & de la quotité des redevances que nous trouvons variées à l'infini. Il paroh que
lerfque la terre étoit donnée à quelqu'un en état de l'exploiter , & à qui il falloir peu ou
point d'avances de la part du Seigneur , c'étoit le cas des cenfives , qui ne font que l'enga-
gement d'un loyer perpétuel. Il paroit que lorfque le Seigneur donnoit non-feulement la
terre , mais encore les befliaux , les bâtimens & les inflrumens propres à la mettre en
valeur, c'étoit le c^s des redevances en champarts & corvées : ce qui revient afTez aux
arrangemens qui fe font encore aujourd'hui pour les terres exploitées par des métayers ,
bii les propriétaires partagent les récoltes & le profit des befliaux , & fournifTent aux mé-
tayers les avances de l'exploitation.
' Une chofe jette beaucoup de confufion fur notre ancienne hifloire. Ceux qui l'ont écrite
n'ont pas afTez diflingué la fervitude de la glèbe , de l'efclavage ou de la fervitude per-
fonnelle & proprement dite. La première rélultoit des contrats faits entre les Seigneurs 6c
ceux qui étoient foumis à cette forte de fervitude ; en vertu de laquelle, la terre , la mai-
fon , les meubles & les befliaux concédés par le Seigneur lui revenoient de droit naturel ,
lors de la mort, fans enfans, de celui qui les avoit reçus, ou lors de fon expatriation
abfolue & conflatée 5 qui rompoit le contrat , en privant le Seigneur des redevances , lef^
V
^9o C H E M I N S. ( J?« VAdminifiratîôn des)
II faut donc rendre aux Adminiftrateurs, qui fe déterminereot pour cette
manière de confiruire & d'entretenir les Chemins, la juilice de croire que
ce fut avec les meilleures intentions qu'ils prirent ce parti. Mais il faut
également convenir que te défaut de pîufieurs connoifTances pratiques quM
ne leur ëtoit pas facile de fe procurer , pût feul les empêcher d'apperce-
voir quHls tomboient dans une erreur bien dangereufe pour la profpérité
publique. Cinq obfervations importantes & claires vont démontrer fans ré-
plique cette trifte vérité.
i^. La corvée en nature eft un impôt qui porte direâement fur ceux qui
quelles étoient, pour^ainfi-dSre, le prix de Tefpece de vente qu'il aroît &ite. Cette fervi*
tude territoriale eft la feule qui peut afluiettir , régulièrement & (ans défaftre » à des cor-
vées, & par conféquent la feuJe que nous ayons à examiner ici. L'autre ferTÎtude, perTott-
nelle & arbitraire , eft née de l'abus du pouvoir des Seigneurs , 6l des ufurpattons fti»
guentes dans le défordre des guerres féodales. Ces deux efpeces de fervitude , l'une légitime
L Tautre iniufte & contraire à toutes les Loix du Droit naturel , ont exifté en même-
temps. Nos hiftoriens modernes ont fouvent pris l'une pour l'autre ; & de-là , les difFé-
rens tableaux du gouyernement féodal, que quelques-uns ont trouvé admirable, tandis que
les autres l'ont regardé comme le comble du délire i de l'infuftice & de la barbarie. Pour
moi i'ofe croire que ce gouvernement ne méritoit en lui-même , ni les éloges outrés qu'il
a reçus, ni les fatyres ameres qu'on eu a foites. C'étoit un gouvernement imparfiit quit
dans fes plus beaux jours , étoit fufceptible de grands abus ; mais peut-être moins deftruc-
teurs que ceux qui le font glifles depuis dans d'autres gouvernemens imparfaits , dont la
forme paroit plus régulière. C'étoit un gouvernement qui fe formoit , plutôt qu'un gou-
yernement formé. La divifion extrême des intérêts « & le défaut d'autorité tutélaire qui
protégeât les foibles contre les puifians, rendoient la durée de ce gouveinemeot impof-
iible. Les progrès de la difcipline militaire ^ & Tinvention de la poudre à canon, qui ont
rendu les guerres plus favantes , plus régulières 6c beaucoup plus difpendieuies , oot
précipité fa deftruôion. Il n'a plus été poflible de faire le fervice militaire , aa lieu de le
payer. Il a fallu que les Souverains euiient des fonds pour les dépenfes de l'artillerie . &
par conféquent qu'ils levaftent des impots. Dès qu'ils ont eu des impôts réguliers pour
Subvenir aux dépenfes de leurs guerres , ils ont eu des guerres plus longues \ Ôc pour les
foutenir , il leur a fallu des troupes falariées , attendu que le fervice féodal le mieux rem-
pli , n'obligeoit que P^r un temps limité* Dès que les Souverains ont eu des troupes k
leur folde, la Nobleul a brigué de l'emploi dans ces troupes. Dès qu'ils ont levé des
impôts , les Seigneurs les ont environnés pour en obtenir des grâces , & ont ceffé d'être
les entrepreneurs .& les grands infpeâeurs de la culture de leurs domaines. Alors l'ordre
des fermiers , affociés & lieutenans des plus grands propriétaires pour le bien de la nation,
cet ordre refpeâable a pris naiflance ; les autres colons ont été falariés. Ces fermiers
paient en rigueur au propriétaire le fermage des terres qu'ils cultivent , & Timpôt au Sou-
verain ; les colons falariés ne reçoivent que la rétribution néceflaire pour leur mbfiftance ,
à laquelle leur temps & leur travail font confacrés. Dans cet Etat, la corvée, ou toute
autre chofe, qu'on exigeroit de ces deux clafles de citoyens, au-delà dé ces arrangemens,
ne préfenteroit qu'utie exaâion préjudiciable à la profpérité de l'état, & qu'une fubverfioa
de Tordre de la fociété > ce qu'on n'apperçoit point du tout dans les droits de corvées dos
Car les ferfs de la glèbe à leurs Seîeneurs, & qui étoient, comme ils le font encore en
ologne , l'effet d'un contrat. C'eft donc à tort que l'on a cru trouver dans les corvées
féodales, une raifon pour juAifier la corvée des Chemins, puifqu'elles ne font en aucune
manière de la même nature ; que les premières étoient la fuite de conditions îuftes Â
avantageufes au corvéable, & que les fécondes ne font pour lui qu'une furcharge au-delà
de ce qu'il doit & peut payer à la chofe publique. Auiu ces dernières font-elles yifible*
ment ruineufes pour l'Eut, & les premières pouv oient ne l'être pas.
CHEMINS. {De VAdminiftration dti ) 591
liront que peu ou point â'intëric à remploi qu^oo en fait. Nous avons
remarqué que la principale utilité des Chemins eil pour les Fropriétai*
res du produit net de la culture, & que la grandeur de cette utilité eft
en raifon de la grandeur de . leurs propriétés : or ce ne font pas les pro-
1>riétaires , & encore moins les grands propriétaires , que Ton £iit aller à
a corvée.
2®. C'eft un impôt qui ne porte que fur unç partie de ceux au'on y a
cru contribuables. Les ParoifTes limitrophes des Chemins en fupportenc
feules le fardeau qui fe trouve par-là même infiniment plus lourd pour elles.
3^ C'eil un impôt qui dans les Faroiffes qui en font chargées, eft né-
ceflairement réparti avec une inégalité invincible. Je m'en rapporte làrdef-
fus à tous ceiuc qui ont été dans le cas de diriger cette affligeante répar*
tition.
4^ C'eft un impôt qui coûte réellement à ceux (][ui le fupportent , en
fbmmes pécuniaires , en journées d'hommes & d'animaux , en dépérifle*
ment de voitures, &c. au moins le double de la valeur du travail qui en
réfulte. On eft fouvent obligé de commander des Faroiffes dont le clocher
eft éloigné de trois lieues de l'attelier , & qui renferment des hameaux qui
en font à plus de quatre lieues. Mr. le Comte de Luberfac attefte même
dans les excellens Mémoires qu'il a rédigés fur la Frovince de Franche-
Comté , qu'il a vu travailler dans cette Frovince , de malheureux corvoyeurs
qui demeuroient à cinq lieues du chemin qu'on les contraignoit de faire.
Le temps fe perd , les hommes & les animaux fe fatiguent , & les voitu^
res effuient mille accidens par des chemins de traverfe impraticables , avant
d'être arrivés fur le lieu du travail. II faut en répartir de bonne heure ,
afin de retourner chez foi. Et dans le court intervalle qui refte , l'ouvrage
le Elit avec la lenteur & le découragement inévitable chez des hommes
qui n'en attendent point de falaire. De pareilles journées ne valent pas une
heure d'un homme payé , qui craint qu'un autre ne le fupplante & ne lui
enlevé fon gagne-pain ; pas une demi heure d'un foldat bien nourri ^
2ui travaille au milieu de fes camarades , fous les yeux de fon Supérieur ,
[ qui efl jaloux de fe diflinguer. Cependant elles coûtent autant que des
journées utilement employées à ceux qui en font les frais» & en fouffrenc
la fatigue.
«^. C'efl un impôt, qui détournant les cultivateurs de leurs travaux pro-*
duâi& , anéantit avant leur naiffance les produâions qui auroient été le
fruit de ces travaux; & qui par cette déprédation, par cet anéantiffement
forcé de produâions , coûte aux Cultivateurs , aux Fropriéraires il à l'E-
tat, cent fois peut-être la valeur du travail des corvoyeurs. Ce n'efl que
dans nos villes, ce n'efl qu'au fein dé la plus profonde ignorance des tra*
vaux champêtres , qu'on avoir pu fe former Tidée de prendre d'ordonnance
les journées, les voitures, & les animaux de travail de ceux qui exploitent
les terres j de ceux qui font renaître Timpôt du Souverain | les revenus des
5^2 CHEMIN s:' ( De t Adminîjiration des)
qui ont inventé cette expreflion croyoient fans doute que le travail de la
terre ie bornoit à femer & à recueillir. Us ne favoient pas, qu'excepté
les grandes gelées , qui ne forit pas des temps propres pour travailler aux
Chemins, & qui font même confacrés à une multitude de travaux indif-
penfables pour les Fermiers , tout le reifle de Tannée eft employé à la pré-
paration des terres ; qu'il h\xt que tous les jours l'entrepreneur de culture
examine le temps qu'il &it pour fe déterminer fur le lieu & la nature da
travail qu'il doit commander. Telle terre veut être labourée dans la plus
grande chaleur ; telle autre dans un temps fombre, telle autre dans un jour
tout-à-fait humide , telle autre avant ou après la pluie , &c. il ne feroit
pas podible au plus habile Cultivateur de dire deux jours à l'avance , s'il
aura ou n'aura pas un preiTant befoiu de fon attelier le furlendemain. Com-
ment donc des gens qui n'entendent rien à fon art & à (a phyfique , pour-
roient-ils lui prefcrire des jours de morte faifon ? Quand par hafard ils ren-
contreroient jude pour un ou deux feulement, comment le feroient-ils
pour tout un Pays, oii du côté d'une haye à l'autre , la différence de la na-
ture du fol oblige un laboureur à forcer de travail , tandis que (on voiiki
ne peut rien faire. Il y a des terres qui ne peuvent plus recevoir un bofl
travail , lorfqu'on a manqué le moment favorable ; la récolte de ces terres
devient alors extrêmement foible , quelquefois nuUei ; comment évaluer de
pareilles pertes ? Telle journée de Laboureur vaut la fubfiftance d'unç fa-
mille t & plus de cent écus de revenu à l'Etat. Sur vingt atteliers qui fe-
ront commandés pour la corvée, & qui feront une dépenfe de dix piftoles
& un travail de cinquante francs , on peut évaluer qu'il y en a -dix qui
perdent des journées de cette efpece; par conféquent l'£tat y fait une perte
évidente de fix mille pour cent {a)\
Cette perte retombe en entier fur le produit net de la culture, comme
nous l'avons^ démontré ci-devant, & comme nous pourrons encore le
démontrer dans la fuite ; car il efl des vérités fi importantes & néan-
moins fi négligées, que les vrais Citoyens ne peuvent ni ne doivent fe
lafTeir de les répéter & de les repréfenter fous toutes les faces pofGbles
aux Leâeurs,
Mais il efl à remarquer que dans le produit net de la culture , le Soa«
{a) Une perfonne refpeftable a penfé que cette évaluation étoit trop forte. Je fuis pv-
faîtement convaincu qu'en cela cette perfonne s'eA trompée t mais ,. quan^d on en rabattroit
îa ipoitié , quand on en rabattroit les trois quarts , ne feroîc^ce rien , qu'une perte de quinie-
(çnts pour cent ^^ fur un travail public? £t cela ne crieroit*il p^s iiiffifaminent au remède.^
veraîa
C H É M r N s. '( I>« PAdmÎHtJlranon des) 59}
verain a & doit avoir une part {proportionnelle. Nos ufages aâuels ont
fixé cette part aux deux fepciemes du produit net; portion très- forte, qui
iburniroit un revenu immenfe & plus que fuffifant pour les dépenfes publi*
ques, dans un Royaume où le commerce feroit liore & immune, & par
conféquent le territoire bien cultivé. Or , fi le Souverain a dans notre
pays, la jouiflànce des. deux feptiemes. du produit net de notre culture, il
s'enfuit que lorfque par TefFet d'un travail de cent francs que l'on a fait faire
1>ar corvées aux cultivateurs , ce produit net fe trouve diminué de fix mille
ivres; le Fifc public y perd pour fa part plus de 1,700 livres.
Il eft encore à remarquer que cette perte énorme fur le produit net de
la culture & fur le revenu public de la Nation , réfulte d'une extinébon de
produit total , d'un anéantiflement de productions qui auroiént exifié , fi la
corvée n'avoit intercepté les caufes de leur exiflence. Mais il ne peut y
avoir de diminution foutenue dans la mafie des produâidns & dés revenus ^
fans qu'il arrive une diminution proportionnelle , & forcée par la mifere ,
dans fa population. Une fomme de fix mille francs , en produâions annuel*-
les , auroir fait fubfifler dix familles , qui font d'abord condamnées à la
mendicité, à l'émigration ou au fupplice , par l'interruption irrémédiable
des travaux produoiis auxquels on enlevé les corvoyeurs , pour les envoyer
fur les Chemins, faire un travail fiérile de la valeur de cent francs. Bien^-
tôt ces dix malheureufes familles celfent de renaître fur un fol qui leur
refufe la pâture.
Qu'on calcule combien de toifes de Chemin on peut faire avec cent francs ;
combien de fois il faut répéter cette dépenfe fur les grandes routes de Fran*
ce, & l'on fe formera une idée des pertes que caiufe la corvée, cette con-
tribution établie fur ceux qui ont le moins d'intérêt à la payer , inégale
par fa nature dans fa répartition générale , inévitablement inégale dans fa
répartition particulière, difpendieufe à l'excès dans fa perception , & pro-
digieufement defiruélrice des revenus des Propriétaires & du Souverain , &
de la population du Royaume, On concevra combien il y auroit de profits
pour la Nation , pour le Gouvernement , pour les Propriétaires , fi ces der-
niers étoient feuls tenus de fubvenir à la dépenfe des Chemins , lorfque
l'impôt ordinaire n'y peut fuffire ; & fur-tout fi l'on employoit alors , à
ce iervice public , les troupes dont il accroitroit la vigueur & la fanté-^ &
qui n'auroient pas befoin d'un falaire au(fi fort que d'autres ouvriers, qui
ii'onrpas d'avance leur fubfiftance afliirée comme le foldatt
Tome XL IBlîi
f 94 G H £ M I N S. ( 23^ PAdminifiration des )
î. I I.
Difficultés qui pourroient s^oppoftr aujourffhui à Pitabltffimcnt de la meiUeun
manière pojfible de fubvenir aux dipenfes de la conflruâion & de Pentret'un
des Chemins. Ignorance des Propriétaires^ dont il faut triompher en leur
manifefiant V évidence de leur propre intérîft. Nécejfiti de prendre au moins
. un parti provifoire»
J^^'Afri^s ce que nous venons d^expofer, tous nos leâeurs iêntent
vraifemblablement la néceflité de renoncer le plutôt qu^il fera pofliible au
moyen ruineux de faire les Chemins par corvée ; & la plupart d^entr'eux
créent fans doute au(H qu'il efl fort aifé de prendre tout de fuitfe la mé-
thode la plus naturelle. Mais cette féconde partie de nos leâeurs oublie
que chez toutes les nations les vérités les plus utiles ont befoin d'être
long-temps démontrées { avant qu'on puiife fe déterminer à les adopter
pour unique règle de conduite.
Le plus grand nombre des propriétaires du produit net de la culture,
ignore encore en France que toutes les impositions retombent fur eux ,
& qu'elles y retombent avec une furcharge proportionnée \ l'étendue du
circuit qu'elles ont fait avant de revenir aux propriétaires. Ils ne (kveiit
point que celtes , particulièrement , qui portent fur les cultivateurs , & qui
ne diminuent le revenu qu'après avoir détruit une partie de la réproduc*
non des richefles renaiffantes , font les plus redoutabfes; que ce font elles
qui ruinent les fermiers , qui dégradent les terres , qui les font retomber
entre les mains des propriétaires , efFruitéés , dépaillées « hors d'état de pro*
duire uii bon revenu, fans des dépenfes extrêmes, que le propriétaire ne
iauroit faire, que nul cultivateur ne voudroit ni ne pourroit entreprendre
qu'en diminuant le fermage à proportion , & qui trop fouvent font un obt*
tacle invincible à la bonne culture; attendu que les mêmes caufes qui
ent ruiné le fermier d'une terre réduite à cet état , ont auffi diminué Ii
fortune des autres , & ont fait naître l'efpece de pauvreté la plus'trifle,
la plus redoutable & la plus irrémédiable pour un pays, celle qui ré«
fiiUe du défaut des richeffes d'exploitation. Loin de condoitre c& vérités,
lés propriétaires cherchent toujours, & par-tout, à éluder l'impôt {a). Dans
M
{a) En Angleterre même , oii ils ne paient guère dîreâement que quatorze deniers
pour livre de leur revenu, ils croient être franc du refte. Ils ne s'apperçoivent pas qu'ils
font écrafés par des impohtiont indireâes, par des accifes qui leur coûtent le double de
ce qu'elles rapportent à l'Etat, & qui, par leur variation, expofem leurs fermiers au
danger terrible oonr eux , pour les propriétaires & pour la nation , de ne pouvoir évaluer,
en contraâant leurs baux, les charges dont leur exploitation fera grevée: ce qui les oblige
4 payer fouvent ces charges aux dépens de leurs avances, & ce qui eit ainfi une caufe
perpétuelle & fourde d'appauvriifement pour cette ifle célèbre , qui n*a encore TU que U
moitié du chemin qui devgit la couduirç à une profpérité foiide.
C H E M I N s. ( i7< PAdminiftration dts } $9$
•
des temps d'orage & de fubvention , où chacun doit ftire efibrt , nt quiâ
Rtfpubltca dctrimcnti paiiatur , rétabliflèineht d'un vingtième leur caufe
la .plus grande, feniibilité. Mais ils voient toujours avec indifférence accroî-
tre les autres impofirions , & jnéme les tailles , qui font prifes direâement
aux dépens de leur revenu , ou , ce qui eft bien plus fréquent & bien
plus redoutable encore , aux dépens & en dèilruâion des feules richelTes
qui puiifent faire naître leur revenu.
Lors des augmentations de taille y les propriétaires ont le choix de deux
partis : celui de -dédommager leurs cultivateurs de la furcharge caufée par
cette augmentation; ou celui de laifTer les cultivateurs fe retourner comme
ils pourront, afin de faire face à cette furcharge imprévue. Si les pro*
priétaires étoient d'humeur à fe déterminer pour le premier arrangement,
qui feroit le plus iage, ils s'occuperoient tout autant des augmentations
de la taille , qu'ils le font aujourd'hui de celle du vingtième ; car ces deux
augmentations d'impofition produiroient vifiblement pour eux le même
effet. Ils embraffent ordinairement le dernier parti, foit par pure négti«
gence , foit par un mouvement de cupidité, d'autant plus condamnable
qu'elle a'efl pais éclairée. Mais en fe livrant à ce parti funefle pour eux-
mêmes , pour le Souverain , pour la nation entière , ils n'envifagént pas
les conféquences ; ils ne fongent point que dans les conventions qu'ils ont
faites avec leurs cultivateurs, ils ont exigé eii rigueur d'être payés par
ceux-ci de tout le produit net de leurs terres, l'impôt ordinaire prélevé,
& qu'ils ne leur ont laiffé que la jouiffance , fouvent bien exiguë , des re«
prifes indifpenfablement néceflàires à la culture^ que les cultivateurs ainfî
réduits à leurs reprifes ilriâes , ne peuvent payer aucun impôt qu'en dimi-
nuant d'autant leurs dépenfes produâives; que la diminution des dépen-^
fes produâives néceflite la diminution des récoltes \ que cette diminution
de récolte tourne forcément & en entier au préjudice de la part du pro-
priétaire , fi le cultivateur peut renouveller fes conventions , ou refle en-^
core à la charge du cultivateur, fi celui-ci efl lié par des engagemens
pofitifs; que dans ce fécond cas, la diminution des récoltes, qui ne dif-
penfe pas de payer les mêmes fommes aux propriétaires, forme pour les
cultivateurs, une nouvelle furcharge ajoutée à celle de l'augmentation d'im*
pôt qu'ils n'avoient pas prévue , ni dû , ni pu prévoir j que cette nou-*
velle furcharge s'accumule & redouble d'année en année, par les diminua
tions de récoltes dont elle efl la caufe immédiate , & qu'il en réfulre une
deflruâion énorme, rapide & progreffive de richeffes , qui retombe né-
ceflairement à la fin fur les propriétaires, & dans laquelle on trouve une
branche trés-confidérable de l'arbre généalogique des fermes ruinées , des
terres effruitées & dégradées, dés friches.
Si les propriétaires font fî peu d^attention à ces vérités terribles, ce n'efl
pas qu'elles foient fort difficiles à appercevoir. Il ne faut certainement
pas un grand effort d'efprit pour comprendre , qu'en fuppofant que le bien
Ftffz
iÇ9^ C H E M I N S. ( Te T AdmlniftratiM des)
Îmblic exigeât aécefTairement la levée d^un Teprier de bled de plus tp^,
'ordinaire ^ fur le produit d'une telle ferme , u le propriétaire aonne un
feptier à la place de fon cultivateur , il ne perdra que ce feptier , dont le
bien public exige le facrifice ; mais que s'il lailfe prendre ce feptier fiir
les femences qui auroient produit fix pour un» le . cultivateur iemera un
feptier de moins, & la récolte fera de fix feptiers plus foible^ ce qui re-
tranchera d'abord la noucriture de deux hommes dans PEtat. Il ell tout
auffi vifible, que dès que la récolte fera de fix feptiers plus foible, le pro-
Îiriétaire ne pourra juftement exiger du cultivateur le paiement de ces fix
bpticrs, qui n'exifteront pas, & qu'il perdra donc fix feptiers de revenu,
pour avoir imprudemment refufé d'en donner un. Il eft encore palpable,
que fi le propriétaire , autorifé par un bail , dont Icl Gouvernement garait*
droit les conditions , hute de s'appercevoir que p^ la levée d'un feptier
fur les femences, il en auroit rendu l'exécution impoffible; qye fi le pro-
priétaire, à la faveur d'un tel bail, & de la pfoteâion peu éclairée de
l'autorité , force le cultivateur à payer ces fix leptiers , qu'il ne doit pas
félon la juftice naturelle, le cultivateur ne pourra fubvenir à ce paiement,
4]u'en retranchant fix autres feptiers fur fes femences prochaines , Iefqael«
les fe trouveront donc de fept feptiers plus foibles qu^ l'ordinaire ; (avoir,
un feptier pour l'augmentation d'impôt , & fix feptiers pour le propriétsûre
injufie & peu réfléchi, qui n'aura pas voulu dédommager fbn cultivateur
de l'impôt, ni même de la perte caufée par cet impôt deftruéleiir ; or^
fept feptiers de moins fur les femences , cauferont l'année fuîvante une di«
minution de quarante-deux feptiers fur la récolte , & par confisquent fur
le revenu du propriétaire qui auroit évité cette perte-en payant d'abord
un feptier , & qui ne pourroii la reculer , fans l'aggraver encore dans la
même progrefiion chaque année de la durée de fon bail.
. Ces conféquences font évidemment inconteftables. Elles (ont à la portée
de tout le monde , parce que tout le monde fait que les récoltes ne peu-
vent exifier fans que l'on ait commencé par femer. Mais les femences
ne font pas la feule condition néceffaire à l'e}âfience des récoltes : il faut
des travaux qui préparent la terre à recevoir ces femences ^ il (aut des en-
grais qui réparent & renouvellent les fucs nutritifs de la terre, afin que
ces femences fruâifient : voilà ce que perfonne n'ignore entièrement , &
ce que trés-peu de gens fe rappellent dans Toccafion. Si au lieu de re*
trancher les femences , on retranchoit les labours qui détraifent les mau*
vaifes herbes , qui ameubliffent la terre , qui en préfe9tent fucceifivemeQt
}es différentes parties aux influences de l'air par lequel elles font fécon-
dées , on auroit peu ou point de récolte. Si en laifTant les femences &
les labours, on retranchoit les engrais qui fomentent les fels de 4a terre,
& qui y ajoutent , les terres feroient bientôt éputfées , & les récoltes de*
viendroient fi chétives qu'elles ne vaudroient pas les frais. C'efl ce qui
arrive quand les cultivateurs font chargés de quelque impofition imprévue.
C H E M I N S. '( DcPAdminiJfration des) 597
Ils ne fupprîment pas d'abord leurs femences, comme nous venons de le
fuppofer pour rendre la chofe plus fenlîble aux leâeurs peu au fait de ces
matières ; mais ils vendent une partie de leurs beftiaux , ce qui les pri«
.ve des fumiers néceflaires; ils fe défont de leurs bons chevaux pour en
acheter des médiocres , qui ne font les travaux ni aufli vite , ni auffî bien ;
ils prennent des domefliques moins chers & moins intelligens ; au lieu de
donner quatre bons labours \ leurs terres , ils n'en donnent que trois lé-
gers. Les terres font mal préparées & mal fumées , les récoltes décroiflënt
néceflàirement , comme fi l'on avoit fouftrait une partie des femences. Et
fi le propriétaire n'y met ordre en fe chargeant de l'impôt , les récoltes
& les moyens du laboureur diminuant d'année en année \ celui-ci fe voie
•contraint par degrés de fubfiituer aux chevaux médiocres , des harridel-
les; aux harridelles, des bœufs j aux bœufs, des vaches; auS vaches, des
ânes ; aux ânes , des femmes , telles que j'en ai vues attelées à la charue
•près de Montargis. Force vient, dans le cours de cette dégradation, de di^
minuer enfin les femences même ; & nos meilleurs , nos plus fages Ecri^
vains d'agriculture pratique , font réduits aujourd'hui à confeiller à nos la«
boureurs d'enfemencer moins de terrein que ne fàifoient leurs pères, afin
de mieux proportionner leurs entreprifes à l'étendue de leurs facultés dé-
périeres {a). La plupart des propriétaires font tranquilles fur cette deflruc-
tion progreifive & funefie. Ils ne voient point que rien ne leur importe
davantage. Et s'ils ne fe croient pas intéreffés aux effets fi groffîérement
évidens des augmentations de taille qu'ils laifieot fupporter aux cultivateurs
de leurs domaines, on peut juger qu'ils font encore bien plus loin de com-
prendre que toutes les autres impotitions qu'ils ne paient pas direâement
fur leur revenu , produifent des dégradations également deftruâives de ce
revenu ; & qu'il leur feroit ainfi trés^avantageux de fe charger de payer
eux-mêmes au Fifc, la valeur de ces impofitions. Il eft facile d'augurer de-
(tf) Voyez rAgrîcult. par écon. de M; Maupin.
Dans le pays de Vignoble, la dégradation fuit une marche différente, maïs qai revîeKt
au même pour les conféquences. Le vigneron qui fe trouve furchargé par un impôt im-»
prévu, n'a plus le moyen de payer aiïîez de journaliers , ni afliez habiles, ni celui de fe
procurer des fumiers en quantité fuffifante. La vigne mal façonnée ôc mal fumée produit
moins. Le vigneron appauvri par la diminution des récoltes, qui fe joint à la furchargé,
ne peut faire les frais d'une vendange dirigée avec une lenteur intelligente; il ne peut faire
trier , & encore moins égrapper le raifm ; le vin devient plus mauvais. La diminution de
Qualité 6l de quantité le met hors d'état d'acheter du bon plant, quand il faut renouveller
la vigne. Il en vient enfin à être obligé de cultiver quelques arpens de mauvais bled noir,
Sour fe procurer la fubfiAance que la médiocre valeur de fon vin lui refufe. Les vignes
égradées & en quelque façon abandonnées , deviennent dans un état prefque fauvage ;
rempantes, fi elles ne trouvent point où s'accrocher i en hantins, fi elles rencontrent
quelques arbres. A la récolte on cueille rapidement tout le raifin , verd , mûr pourri ,
comme il fe trouve; on le jette dans une cuve oii on le laifle bouillir, .& de laquelle il
fort du vin comme il plaît à Dieu. Et le revenu de la plus riche culture du terricoiie eft
alors réduit à zéro ; ou bien peu s'en faut.
59^ C H E M I N S. ( DctAdtnlnijifatïondts)
Subvenir à U dépecife de la conftruâion & de rentrètîen des Chemins.
Nos,.en&Qs auront peiae à fe le perfiiader; mais il n'eft malheureufemeot
<{ue crap vrai, que dans ce fiecle lettré, U y a encore en France très-
peu de propriétaires aflèz inftruits pour né fe pas croire léfés , fi , en fup«*
primant les corvées, on établilTott & répartiflbit aujourd'hui fur eux, au
marc la livre de leurs vingtièmes , l'impofition néceflkire à la conftruâion
& à Teotretiep des Chemins; quand même cette impofition feroit réduite
au taux le plus bas qu'il feroit poffible , & quand pour Palléger en éco-
nomifant la dépenfe , comme pour entretenir les forces & l'aâivité du fol-
dat, on pretidroit enfin le parti d^employer les troupes à cet ouvrage ^
dont l'importance e(l digne de leur dévouement pour 4a chofe publique.
Les préjugées & les oppofitions de ces propriétaires peu éclairés céde-
roient fans doute à la preuve évidente des avantages qu'ils trouveroient à
l'abolition des corvées. Ceux d'entr'eux qui veulent réfléchir, concevroieot
à la fin, que les charges qui portent fur leurs fermiers, fur leurs méuyers
Si fur tous les autres ouvriers employés direâement ou indireâement à
la culture de leurs domaines , diminuent au moins d'autant le produit ,
qu'eux propriétaires en retirerotent fans ces charges ; & que par conféqueot,
fi elles caufènt à ceux qui en fi^nt les avances un préjudice plus grand que
n'eft la valeur effèâive de ces charges , elles font plus nuifibles aux pro-
priétaires que ne le leur feroit le paiement direâ de cette valeur efTeoive,
Et quand on leur auroit démontré, comme je tache de le faire dans cet
article, & plus clairement encore, s'il eft poflible, que la corvée caufe
en effet à ceux qui y font affujettis , un dommage progreffîf infiniment
au*de(fus de la valeur des Chemins, & des dépenfes que coûteroit leur
conftruâion & leur entretien à prix d'argent; quand on leur auroit prouvé
qu'un travail qu^ils pourroient Taire faire pour cent francs à des ouvriers
ordinaires, que ce même travail, lorfqu'il eft exécuté par leurs cultiva-
teurs, au préjudice de l'exploitation de leurs terres, les prive de trois
mille quatre cents livres de leurs revenus {a) , il eft certain que tous les
{a) On eRime que le produit net de la culture fe partage de manière que les propri^
taîres des terres ont les quatre feptiemes, Timpôt deux feptîemes , & la dirme un feptîcme.
Sur un anéantiffement de fix mille francs de produit net caufé par la perte du temos qu'an-
roient employa à la culture des Colons qu'on en détourne pour faire fur les Chemins
un travail de cent francs, il y a donc environ , 1700 liv. de perte pour le Roi, 1400 livres
pour les propriétaires ôc 850 livres pour les décimateurs. Il eft évident par-Ia, que ces
derniers qui ont un très-grand intérêt à la conftruftion & à l'entretien des Chemins pour
débiter avantageufement leurs dixmes^ & qui fouffrent une perte fi confidérable parles
conféquences de la corvée , doivent concourir , à raifon de cet intérêt , à la contribution
néceflaire pour fuppléer à la corvée & pour accroître leurs revenus, en conftruiiânt &
repawnt Içs Chemins à prix d'argent.
ClfBUIKS. (De VAdminiJlratiôîidês > 599
propriétaires fenfés préfëreroient la dépeniè direâe des Chemins néceflTai-
res , à rarrangemenc aâuel , ou les corvées caufenc une déprédation tou-
jours renaillante , . & toujours multipliée aux dépens de leurs richefles an-
nuelles. Mais il faut s'attendre que cette réfolution des propriétaires du
produit net de la culture , ne le formera que lentement & par degrés ;
car entre la démonflration évidente & la perfuafion universelle , il y a
loin pour une nation qui fort à peine des ténèbres de l'ignorance fur les
E oints les plus ellèntiels à fon bonheur, & chez laquelle un grand nom*
re de caufes publiques & morales ont formé de la plus confîdérable
partie des propriétaires , une clalfe mixte , occupée de toute autre chofe ^
que du foin de veiller au bien de fes propriétés territoriales.
Il faut cependant, gouverner les peuples félon leur cœur, comme dir
récriture fainte ; & de ce principe de condefcendance fage , eft vraifem-
*blablement née la circonfpeâion avec laquelle l'adminiftration^ marche
toujours, même' vers le bien. Il eil plus agréable de faire vouloir que de
commander \. & quand on ne veut ordonner que des chôfes utiles , il n'efl
point de marche plus fûre que de manifcfter l'évidence de ieur utilité ,
avant de faire parler les loix. La liberté, que les lumières & la bienfai-^
&nce du gouvernement laiffent depuis quelque tenips, d'écrire fur tes ma-^
tieres qui importent au bien public, conflatera, j'ofe le croire, la' nécefllité
de fuivre entièrement par rapport aux Chemins, les principes que j'ai ex-^
pofés dans la première feâion de cet article. Quand ces principes au-
ront été fuffifamment difcutés, quand le (ilence ou la défaite des contra-
diâeurs qu'ils pourroient encore trouver » auront fait voir que la partie la
plus considérable de la nation les adopte; alors, fans doute, une loi gé-
nérale fera accordée aux vœux des propriétaires éclairés , pour régler de la
manière la plus avantageufe poffîble à TEtat, au Souverain, & aux pro<^
ptiétaires , la contribution néceifaire pour la dépenfe des Chemins , lorlque
Timpôt ordinaire n'y pourra fuffire.
Mais en attendant le moment de ce règlement fi néceflaire & fi défira-^
ble, les inconvéniens attachés à la corvée en nature , & qui caufent au
Souverain même, des pertes immenfes en fa qualité de co-propriétaire uni-^
verfel du produit net de la culture de fon Empire \ ces inconvéniens in-*
vincibles & fi préjudiciables à l'humanité entière , demandent un très-
prompt remède. Il lemble donc extrêmement prefiant d'adopter provîfoire-
ment & généralement une autre méthode pour lia conflruâioA & Tentretien
des Chemins, qui fans être celle à laquelle il faudra fe fixer dès qu^on lé
pourra, foit du moins propre à prévenir les maux les plus frappant qui
rifulcent du régime dans lequel les circoûilanees avoient entraîné Padmi-
ni^bation en' cette panie.
On a déjà tenté avec fuccés » dans quelques généralités , cette éntreprife
micoyeqne & faiutatire. J'expoferai dans la feâiofï fuivainte la marche qu'on
a fuivie , j'en ferai fentir les avantages , & je remarquerai auifi les incon*
qui y font encore attachés*
<oo e H £ M I N s. ( De VAdminipation des )
5. III.
Moyens provifolres employés dans deux Provinces , pouf remplacer la eorvit
en nature; & dans lefauels on trouve des avantages immenfesy en Us
comparant avec ce que Von fait en général aujourd'hui^ quoiqu'ils Joieni
encore loin du but oà Pon pourroit IS devroit parvenir à cet égard.
J
/
E reflens un plaifir doux & pur en commençant ce paragraphe; jen'aî
plus qu'à faire Thiftoire des bienfaits & de la fagefle de radminiftn-
tion , des lumières & du zèle de plufieurs Magiftrats diftingués : c'étoit un
d^laflemenc néceffaire, après avoir été obligé de m'appefantir dans les para-
graphes précédens fur nos erreurs paffées, je devrois plutôt dire paflàntes,
ça fur les malheurs qui en étoient, qui en font, qui en auroient été les
fuites inévitables. " ^
: Les moyens que je vais expofer pour fuppléer à la corvée ^ ne peuvent
^tre mis aans la claffe des projets nouveaux qui demandent beaucoup de
raifonnemens pour être démontrés, beaucoup de tentatives & d'expériea*
ces pour en confiater la poflibilité. U y a plufieurs années qu'ils font
adoptés & employés avec fuccès & avec l'approbation du gouvernement
dans deux généralités du Royaume.
. Mr. Orceau de Fontette , Intendant de Caen , e(l le premier , qui frappé
des maux qu'entraîne la corvée , les inconvéniens , les abus qui en font
inféparables , & s'élevant au-deiTus des préjugés pufillanimes, qui tendent
à laiffer toutes les chofes bonnes ou mauvaifes dans l'état où on les trouve,
réfplut d'affranchir la province confiée à fes foins, d'un fléau defhuâeur
des récoltes» de la population, & des revenus du Souverain & des pro-
priétaireç : voici de quelle manière s'y prit ce digne Magiftrat.
Les Paroiffes voifines des Chemins font chargées, fuivant une répartition
déjà &ita entr'elles, d'une certaine étendue de tâche j>our les travaux de
çonftruâion ou d'entretien de ces Chemins. M, de (Fototette propofa à
chacune de délibérer pour choifir, ou de faire fa tâche en nature , ou de
fe foumettre à payer en argent au marc la livre de fa taille, l'adjudia-
tion qqi en feroit faite; déclarant au furplus, que faute d'avoir daus un
délai limité, notifié expreflëment qu'elle préfère la eorvée à l'impofidon
néceflaire pour faire exécuter fa tâche, elle fera bien & duement ceofée
avoir accepté le dernier parti, & qu'en conféquence la tâche adjugée pn*
bliquement au rabais , âc payée en argent , feroit répartie fur les contri-
buables dç I4 paroifiê qui auroit dû la faire, & qui auroit préfère de la
payer. Par cet arrangement, les Chemins font conftruits & réparés fans
que le» travaux de. la culture foient interrompus , & le plus redoutable
4es incpnvéoi^as qui rj^fultoi^o^ de ^40(160 rçeittxe, fe trouvç paré &
pr^yequ, ^ ,
Peu
/-
C H E M I N s. ( 17^ VAâminiftradon des) 6ot
Peu après rétabliflemenc de cette referme falutaire daiis la génëralitë de
Caen, M. Turgoc fut nommé Intendant de celle de Limoges; animé du
même zèle que M. de Fonterte^ il en adopta les vues, & en perfeâionna
le plan pour l'appliquer aux deux provmces qui compofent cette gé^
aéralité.
trophes des Chemins , de délibérer pour
ou à en payer l'adjudication. Mais en leur
leur promet , fi elles prennent le dernier parti , de diminuer leur taille
d'une fomme égale à celle à laquelle aura monté l'adjudication de leur
tâche : le réfuttat de la délibération n'eft donc pas douteux. Si quelque
paroifle balance ou fe refufe même à la première délibération , comme
cela eft arrivé dans les commencemens à une paroifle de l'Angoumois, ce
ne peut être que par une fuite de ce préjugé funefte, que les malheurs
& les erreurs des temps paflës okit fitit naître , & qui porte les habitans des
campagnes à redouter l'adminiftration jufques dans fes préfens. Mais ce
préjugé qu'un Gouvernement plus éclairé cnerche à détruire , & qui cède
toujours aux btten&its foutenus, eft diflîpé par une année au plus d'expé*
rience èC d'exemple de la franchife dont jouifleot les paroifles circonvoi*
fines, undis que celle à qui une crainte mal-entendue a fait préférer la
corvée en nature, s'y voit leule aflujettie dans foo canton.
Sur le vu de la délibération de chaque paroifle , M. llntendant la dimi«
nue au département des tailles d'une iomme égale à la valeur de l'adjudi*
cation^ ainfi qu'il l'a promis; & par un rôle féparé, dans le préambule
duquel il vife & accepte la délibération de la paroifle , & fait mention
de la diminution qui lui eft accordée en conféquence , il impofe fur cette
paroifle le montant de l'adjudication au marc la livre de la taille^
La valeur du rôle général des adjudications réfultant de l'addition de
tous les rôles particuliers des paroifles voifines des Chemins, qui dans le
iyftéme de la corvée auroient été feules chargées & furcharçées par les dé-
penfes de leur conftruâion, & qui ont délibéré pour les faire exécuter par
adjudication; la valeur, dis- je, de ce rôle général eft ajoutée à la fomme
totale des tailles de la province , Si fe trouve répartie fur toutes les pa-
roifles avec la taille même.
Cette méthode paroit préférable à celle que l'on fuit dans la généra-^
lité de Caen, en ce qu'elle évite un inconvénient de plus, qui eft celui
de ne fiiire fiipporter la charge des Chemins qu'aux paroifles qui en (ont
limitrophes (a). Il n'y avoir , il eft vrai , que ces paroifles limitrophes qui
Tome XI. Gggg
6oi C H E M I N S. ( Utf VAdminifiration des)
fuflenf affujctriies à la corvée, parce quHl n'y avoit qu'elles dont on pût
exiger un travail en nature. Mais dès qu'il s'agit d'une contribution en ar-
gent » il eft jufte qu'elle foit répartie fur tous ceux qui profitent de l'ufage
3u^on en fait, & c'eft ce qui arrive au moyen de l'arrangement ado^
ans la généralité de Limoges. Au moyen de la diminution que M. Turgot
accorde aux paroilTes qui étoient autrefois écrafées fous le £ux de la conf-
truâion & de la répartition des Chemins, elles n'en paient plus que leur
quote-part , en raifon de la répartition générale faite fur toute la Pravmce.
les paroilTes plus éloignées, qui prontent de l'avantage des Chemins,
fouvent autant , & quelquefois plus que les^ paroiffes qui pn font voifines ,
fupportent une partie de la dépenfe de ce travail public ,^ & la charge en
devient pkis légère par la multiplicité de ceux qui coacourent ï la
foutenir. -
Cette opération reffemble à ce qui le pratique en fiiveur des panûffa
grêlées y ou qui ont à faire des réparation!^ confidérables à leur Egbfe , 6c.
On leur accorde une diminution dont le montant eft fupporté par le refie
de la généralisé : ufage fondé fur le droit naturel & focial , qui veut que
tous les membres de la fociété viennent au fecours de celai qui par des
circonftances malheureufes fe trouve dans le cas indifpenfable d'avoir be^
foin de ce fecours. La répartition générale de la dépenfe qui fupplée à
la corvée, eft appuyée fur des raifons encore plus fortes. Car non-dèule«
ment toutes les paroifles d'une Province font expofées à avoir quelque
Jour des Chemins ï faire, comme à rebâtir leur Eglife, & à retrouver
alors avec plaifir le fecours qu'elles prêtent à celles qui ont aâuellemeat
ce fardeau ; mais toutes les paroiflès d'une généralité profitent de proche
en proche de la facilité des Chemins qui ta traverfent , au lieu qu'elles
ne profitent pas toutes de l'Eglife ou du Presbytère que l'ou rebâtie daos
une d'entr'elles.
De cette manière , l'ouvrage coûte moitié moins , en comparant la dé-
penfe en argent qu'il occafionne , avec la valeur des journées d'hommes,
de voitures & d'animaux que la corvée employoit ; il coûte foixanre feb
moins , en comparant cette même dépenfe avec la déprédation que eau-
cependant que cela revienne au mâme, à moins que toutes les-ParoîiTes ne fuffent dans le
cas d'y travailler chaque année, ce qui n'eft pas vraifemblable ; car fi la dépenfe des
Chemins porte fur toutes les ParoifTés alternativement & non pas fur toutes à la fois» il
en réfulte feulement qu'elles ne font furchargées que Tune après l'autre ; & quoique cette
furcharge foit incomparablement moindre que n'étoit celle de la corvée » il s'enfuit tou-
jours que leur fort eft beaucoup moins avantageux que fi elles avoient tous les ans à fup-
porter une dépenfe égale, réguliei:e & plus^ modique. D'ailleurs^ en joignant à la taille- de-
toute la Province , la répartition générale de la contribution qui fupplée à la corvée , uo
grand nombre de Particuliers qui étoient exempts de corvée , & qui ne le font point de taille ,
concourent à la dépenfe des Chemins & au foulaeement de la Province. Ce qui ne peat
arriver quand on ne fait payer la contribution qu'a ceux qui auroient éti obligés de mar-
4her a la corvée dans l'année.
CHEMINS. {DtPAdminiJlrationdts) ^03
ibtt dans l'ancien fyftéme le temps précieux & ineflimable que la corvée
enlevoic aux cultivateurs , & dont la perte étoit irréparable pour eux« Nous
avons vu que pour faire un travail de cent francs par corvée , TEtat & la
Nation fouffroient une perte de ûx mille francs (a).
De cette manière on peut faire la même quantité de Chemins, avec la
moitié moins de journées & de voitures , ( comme nous l'avons prouvé ci-
delTus ) & ces Chemins font au moins quadruples en folidiré ; parce que
les Entrepreneurs qui (but tenus de garantir les Chemins Qu'ils ont faits ,
ont grand intérêt de les faire bien exécuter^ afin que les irais d^entretien
foient réduits jufqu'à zéro; & encore parce que les ouvriers qu'ils em-*
ployent ont aufli grand intérêt à être attentifs , foigneux & intelligens ^ de
Êeur d'être renvoyés & de perdre ce travail qui leur fait gagner leur vie. Au
eu que les corvoyeurs , que l'on contraint de travailler fans (alaire ^ ap«
portent à leur ouvrage une négligence nécelTairement invincible. FrefTé de
retourner \ fon travail produdtif , le corvoyeur n'a & ne peut avoir d'autre
vue que de s'acquitter promptement de la charge onéreufe & flérile à la-
quelle il eft afTujctti , ce qu'il ne peut faire qu'au préjudice de la folidité.
Aufli voit-on dans un efpace de Chemin affez court , des parties rompues
& délabrées, tandis que d'STutres font entières; ce qui ne peut provenir
que àts changemens de corvéables , qui ont plus ou moins bien exécuté
leur travail.
De cette manière la conftruéHon des Chemins, au lieu d'enlever le tra*^
vail des habitans des campagnes , leur en ofire , qu'ils font bien-aife de
prendre, quand ils le peuvent fans préjudicier aux travaux de leur culture:
ce dont ils font feuls juges éclairés & compétens.
Dans cette manière , l'impôt qui doit fubvenir à la dépenfe des Chemins ,
a une forme de répartition régulière , & qui en rend le fardeau infiniment
moins pefant. An lieu que par la corvée, le profit de la conftruâipn des
Chemins ne dédommage pas la Provirure, ni l'Etat, de la furcharge ex-
ceflive qui ne porte que fur un petit nombre de paroifies, &^qui n y fau-
roit même être affujettie à aucune forme fôre & équitable de répartition ;
elle femble au contraire changer ceux qu'on y a cru contribuables, en
raifon inverfe de leurs fiicultés , & de l'intérêt qu'ils ont à la conftruâion
des Chemins.
Cette opération feroit parfaite fi on eût préféré de répartir la dépenfè
des Chemins en raifon de la capttation , plutôt qu'en raifon de la taille 1
i^. parce que cela eût rendu la réparation plus légère, attendu que
beaucoup de perfonnes font exemptes de taille, tandis qu'il n'y a point
d'exempt de capitation ; 2<>. parce que cela eût rapproché de l'ordre natu*
{a) Je n'ai pas voulu farcharger cet article de détails de calculs faftidieux; mats s'il
trouve des contradiâeurs , i'aarai l'honneur de leur répondre» & de publier alors les
élémens de me»^ calculs 6c de oies pièces iufiîficatîves.
Gggg %
go^ ÇJï E M I N S. ( D^ VAdminiJIration des)
rel , puifque les exempts de tailles foot principalement des propriëtaîres ]
& de grands propriétaires , qui font les plus intérefTés de tous à la conf-
truâton des Chemins , & à ce que cette conftruâion ne fe fafle pas d'une
manière deftruâive de leur revenu ; comme il arrive , ainfi que n<Mis IV
vons démontré dans le paragraphe précédent , lorfque tous les cultivateurs
fupportent des augmentations de taille , & n'en font pas dédommagés fur-
ie champ par leurs propriétaires.
La dépenfe des Chemins ajoutée à la taille, conlerve les înconvéniens
attachés à toute impofîtion qui n'efl pas prife direftement en entier fur le
produit net du territoire; & proportionnellement à ce produit net. Nous
avons indiqué (au commencement de ce paragraphe) quelques-uns de ces
înconvéniens. On peut voir combien ils (ont immenfes , & deftruâeurs des
revenus du Souverain ^ des propriétaires & de la nation ^ ainfi que de la
(Population du Royaume. On peut fe convaincre de l'intérêt prellant qu'a
e Gouvernement d'y mettre ordre ^ le plutôt poflible ; & de celui qu'ont
les propriétaires de prévenir la loi qui interviendra fureraent à cet égard,
par des arrangemens économiques & amiables avec leurs cultivateurs. Mais
il faut convenir que ces inconvéniens exiftoient tous d'une manière bien
plus terrible & avec des circonftances bien plus déiaftreufes encore dans la
corvée en nature; de forte que la généraUté de Caen, & fur-toiic celle
de Limoges , éprouvent un loulagemént confidérable , quoique ce ne foit
pas à beaucoup prés le plus grand qu'il eut été poffible de leur procurer.
Au refle il eft évident qu'on ne fauroit regarder comme une difficulté,
ou comme un nouvel impôt, la perception des deniers oéceilaires pour
fuppléer à la corvée. Celle-ci fubCfte, elle eft un impôt réel, réduâible en
argent , dont la fomme , ainli évaluée , eft au moins double de la dépenfe
qu'exige la conftruâion des Chemins , & dont l'anéantiflement de richeffes
qui en eft inféparable , l'inégalité forcée de la répartition , la rigueur iné-
vitable de la perception , centuplent au moins la pefànteur. Lever au-liea
d'un impôt u redoutable , la fomme néceflaire pour la conftruâion des
Chemins , & en répartir la dépenfe fur toute une Province , ce n'eft donc
ooé-
pro-
curer convenablement au public le fervice qu'on en attendmn
On pourroit objeâér , il eft vrai , que la levée des fends qui fuppléeroient
à la corvée , feroit une perfeâion illégale. Il feroit &cile de répondre ï
cette obje£Kon , fi les principes & le plan que je propofe étoient adoptés;
& la loi qui ordonneroit de &ire les Chemins pour le prix qu'ils valent ,
qui défendroit de hire une perte de fix mille pour cent dans leur conftruc-
tion i qui contiendroit enfin l'abolition générale & perpétuelle de la cor-
vée, & qui ftatueroit, par conféquent, fur les moyens de £iire avantageu-
fement & à peu de frais le fervice public , auquel elle ne peut fubveoir
C H E M I N s. ( P^ PAdminifiraûon des ) 60^
3u^avec une déprédation effrayante ; une loi fi falu taire , auroit Pévtdence
e Ion utilité pour garant du refpeâ & de la reconnoifTance qu^elle infpi-
reroit à tous les ordres de citoyens. D'ailleurs la corvée , elle-même , qui
ferme une impofition bien plus confidérable & bien plus rigoureufe que la
levée des deniers néceflaires pour la remplacer , la corvée , qui a des effets
il défadreufemenc étendus , n'a jamais été une impofition légale ; c'eft-à-
dire qu'elle n'a été autorifée que par des ordres particuliers.
Une objéâion plus férieufe & propre à faire imprefiîon fiir les meilleurs
citoyens , leroit celle qui réfiilteroit de la crainte que dans des temps mal-
heureux, le Gouvernement n'appliquât à une autre deftination le produit
de la contribution qu'on leveroit pour la dépenfe des Chemins , & ne ré-
tablifle la corvée à laquelle cette contribution auroit fiiccédé. A cette ob-
jéâion fpécieufe , je réponds ^ i^. que félon le plan que je viens d'expo-
fer, la contribution qui fijccede à la corvée n'eft point une impofition fia-
ble , & dont le revenu fi>it déterminé. La délibération desparoiffes, & le
prix des adjudications qui en fixent l'exiftence & la quotité tous les ans ^
en font une efipiece de cotifation , qui ft paie à mefiire <}ue la dépenfe fe
&it, & dont l'emploi ne fauroit par conféquent être interverti. Je ré-
ponds , 2^. que quand ce feroit une impofition ordinaire & fiable , jamais
a l'avenir le Gouvernement ne la détourneroit de fa deftination , & ne la
femplaceroit par la corvée. S'il peut y avoir quelques exemples d'opéra-
tions à-peu-près femblables , ils font de ces temps de ténèbres où perlonne
ne fongeoit à l'agriculture , où tout le monde ienoroit qu'elle fût la fource
unique des revenus, où pourvu que les manufaaures de Tours & de Lyon
fiiflent occupées , & que les relevés , néceflairement fautifs , d'exportations
& d'importations panifient nous attefter que nous recevions la folde en ar^
origine
phyfiques de leur réproduâion & de leur diftribution \ aujourd'hui que l'on
peut le convaincre, qu'en rétabliflant la corvée, pour pouvoir appliquer à
d'autres ufages une couple de millions, qui auroient été deftinés à la dé-
penfe des Chemins, le Souverain perdroit bientôt dIus de trente millions
de revenu annuel , il n'y a pas à craindre que l'on fafle une opération aufli
abfurde. L'intérêt du fifc même eft ici le garant de l'obfervation de l'or-
dre naturel. Il n'eft pas permis de préfumer que des hommes infenfés
pufient jamais parvenir aux premières places de l'adminiftration. Et s'il
étoit pofiible qu'un jour à venir quelqu'un oH^t propofer de diminuer de
trente millions le revenu du Souverain , pour lui procurer par une injuftice
la jouiflknce paflàgere de deux millions; il eft évident que l'indignation
du Prince , & le mépris univerfel , vengeroit à l'inftant la nation d'un con-
feilaufii peu réfléchi.
La converfion des corvées en argent a été indiquée à MM. les Com-
6o6 C H E M I N S. ( -D^ PAdminiftration dès )
mifTaires départis, par IHnftruéHQn qqi leur fut donnée en 17^7 > & <iw
les autorifeà faire faire à prix dVgent les tâches que les paroKTes n'au-
ront pas achevées dans un certain délai , & à répartir le montant fur ks
corvéables. Convertir la corvée en argent , eft déjà fans doute ua avantage
confidérable ; puifque c'eft éviter la déprédation qui réfulte de la perte du
épartition entre les paroilfes ; c^eft oublier que
des Chemins eft une charge publique , Si qui dpit donc porter fur la to-
talité du public ; c'eft foufFrir encore que la facilité des communîcatioiis
établies pour le bien général, £bit un fléau pour le petit nombre de pft«
roifles qui en font les plus prochaines : ofpns le dire , c'eft manquer m
principe de toute^ impolitioii qui doit être . plus profitable qu^ charge à
ceux qui la paient ^ fans quoi rien ne ppunroit garantir fon extftence &
moins encore fa perpétuité.
Il ne feroit donc point étonnant que fi l'on fe contentoit de fubfiinier
rimpofition en argent à la corvée en nature , & de. répartir cette impofi-
tion fur les corvéables feuls des paroifles voifines des chemins , on exckât
les plaintes de cçs paroilfes effrayées par tout ce qui eft opàation tmt^
vellej & qui dans cette nouveauté propre à réveiller leur attention, &d*
tiroient Ténorme inégalité de la répartition de l'impôt des Chemins , &
feroient plus frappés de l'idée de fupporter une charge , dont d'autres pa-
roilfes voifines feroient exemptes, qu'attentives au foukgement réel que leur
donneroit la nouvelle forme de perception.
Il n'en fauroit être de même du plan que je propofe^ & qui, comme
je l'ai dit , a déjà mérité dans quelques Provinces l'approbation du Gou-
vernement. La délibération des paroilfes lui donne U forme la plus douce,
& la plus fôre quant à la dellination (a).
La répartition générale de la dépenfe au marc la livre de la capitationi
reudroit la contribution des Chemins la moins pefante qu'il fbit poffiUe
dans les circonllances aâuelles, qui ne permettent peut-être pas encore de
la lever par la feule voie qui foit entièrement équitable, & qui ne foit
rcgar
che
opinion; âc de diriger ainfi les travaux utiles à TEtat, non pas avec la tournure impéneafe
des ûmples émanations de l'autofité; mais comme les arrangemens économiques d'ane
Adminifiration paternelle. Si l*on vouloit fonger combien ces petites chofes & ces légères
attentions peuvent, par degrés, élever Tame de Thomme & du citoyen, lui infpircr k
fentiment noble & doux de la dignité de fon état, étendre Tes lumières, faire- germer le
bonheur & la vertu chez une nation ; on verroit avec un tranfport de ioie que \ts foias
du Gouvernement, qu'on a cru (i pénibles , poudroient fe réduire à un nombre très-borné
de moyens faciles & précieux d'enchaîner Tobéiflance des hommes par leur intérêt & pO
iQur amour.
C H E M I N s. ( DtVAdmnijhanon des ) 607
I
pM deftniâiire^ c^efl-à*âire , uniquemef^t Hir les proprîétatres des t)tens-
ibnds. Quand le temps infiniment défirable ,pour le Gouvernement , & at-
tendu avec impatience par les propriétaires éclaires qui calculent leurs vé-
ritables intérêts \ quand le temps ^ fera venu où Ton pourra fuivre pour
l'impôt des Chemins cette marche naturelle & jufte, Topération fera toiitâ:
préparée , fi Totî adopte celle que j'indique \ il n'y aura qu'à fuppléer la
délibération des propriétaires à celle des contribuables aâuels (a).
Flufieurs de MM. les Intendans des généralités » touchés des maux qu'en-
traîne la corvée , & de la diminution pr(^re(fîve de richefles qu'elle caufe
dans leurs Provinces, fatigués par l'impoflibilité de mettre* de l'ordre 6i une .
forme de répartition régulière dans cet impôt irrégulier, &de prévenir tou^
tes les occafîons d'abus & de vexations particulières qui y font attachées ^
affligés d'être fans cefle contraints d'employer des voies rigoureufes & de
févir contre la partie la plus innocente, la plus utile, & l'une des plusref-^
peâables de la nation , cherchent les moyens de faire de meilleurs Che-
mins ta d'une manière moins difpendieufe , moins deftruâive que par la
corvée. Ils voudroient répandre des falaires dans les campagnes , oimr du
travail à l'indigence , & ioulager les paroilTes voifines des Chetnins , qui
font depuis trop long-temps lurchargées par un fardeau que le droit na-
tiiirel, la jufiice & la raifbn obligent de reconnoltre pour une charge com-
mune des Provinces entières qui en profitent.
C'eft à ces dignes Magiftrats que j'offre ces obfervations dont tout le
mérite eft d'expofer des idées qui leur font probablement communes à tous ^
•_ j_ 1» . . ..,-«./•. /• '•çç^j^ & que le mi-.
enfuite exprefTément
'Voyei^ r article CORVÉE.
Xun , huitième Empereur de la Chine, qui régnoit 240 ans avant
Moyfe, défendit aux Intendans des Provinces de jamais exiger des culti-
vateurs aucune efpece de travaux qui pût les détourner de l'agriculture.
Cette loi s'efl exécutée conflamment à la Chine : ce qui n'a pas peu con-
tribué fans doute à la profpérité de ce grand Empire , en faifant fleurir
l'&griciilture. H efl- à* croire' que fi la corvée n'étoir point établie en Fran-
ce , on ne l'y établiroit pas. Mais il s'agit de favoir u , étant établie , il eft
à propos de l'abolir , & s'il y auroit moyen de l'abolir fans de plus grands
inconvéniens que ceux qu'elle occafionne. C'efl ce que nous examinerons
dans la fuite à l'article CoRViéE.
(tf)Les erands propriétaires- pourroient fe faire réprefenter dans ces délibérations «par
leurs Régillcurs, leurs Receveurs, ou leurs Fernùers* .
5o8 CHESCHIRE. CHESTER.
CHESCHIRE, Province Occidentale d^ An^eterrt ^ fur la mer
d^Irlande , avec- titre de Comté Palatin.
\^ETTE Province touche à celles de Lancaftre, de Derby» de Scaffiirdi
de Shrop ^ de Flint , & de Denbigh ^ & on lui donne {o milles d'Aigle-
terre en longueur , & 3 3 en largeur. Elle eft très^fertile & très-peuplée :
fes pàturaees fur-tout font excellens ; ils nourriflent une mulritnde de che*
vaux , de brebis & de gros bétail , & l'on fait grand cas àts fromages qpe
l'on en fort. Elle fournit aufli de la houille & du trés*bon fel. Les rivières
principales qui l'arrofent font la Dée, la Wever, & la Tame. L'on y compte
720,000 arpens de terre , 1 3 villes tenant marché , 86 naroifles , 24^054
maifons, & 164^324 habitans. Ses comtes palatins ne fubfiftent plus dès
Fan 1 200. Ils avoient commencé fous Guillaume le conquérant ^ en la per-
fonne de Gerbhord^ & ils finirent fous Jean Sans-Terre, en celle de Si*
mon de Montfbrt, comte de Leiceftre, Leur pouvoir ailèz itiodëré dans /on
inftitution , devint exorbitant dans la fuite ; & foit vanité , foit ambition , ik
feque de leur charge autant qu'à fes dehors, de ferviteurs ils fe firent maî-
tres; ils firent nombre en un mot parmi les grands vailaux redoutables aux
particuliers. Elle y laiffa même fubfifter la cour Palatine, tribunal dont
reflortiffent encore aujourd'hui les habitans de la ville de Chefler , capi-
tale du comté. Cette ville & ce comté députent enfemble 4 membres an
parlement du royaume.
C H E S T E R.
V^HESTER eft une ville épifcopale. Les Princes de Galles , fils aînés
des Rois d'Angleterre , en prennent le titre de comte. C'efl une grande
& ancienne ville fituée fur la Dée , & pourvue d'un port , où s'embaraueot
pour l'ordinaire ceux qui vont d'Angleterre à Dublin. Quelques autels &
Suelques autres monumens d'antiquité que l'on y trouve , font juger que
u temps des Romains , elle étoit la flation de la Legio ViSrix Vicejinuu
L'on ne croit cependant pas que les murailles dont elle eft ceinte oc Qui
font à créneaux , non plus que fes portes qui font à poternes , & ion
château
C H E s T E H; 609
eMteau qui renferme une tour appellëe tour de Jules Céfar^ foîent de fon-
dation aufli reculée dans les fiecles palTés. La tradition ne les fait commen*
cer qu'au temps de Theptarchiev attribu^ïnt leur première conftruâion à
EdelAede , PrincefTe des Merciens ; & encore veut-on que fon château n'dc
été bâti que par Lupus ou Loup , neveu de Guillaume-le-cônquérant. Il
eft confiant néanmoins que c'eil depuis long^temps une des plus impor-
tantes places d'Angleterre : il eft avéré que dès les guerres des Danois >
elle a pris une part confidérable à toutes celles qui ont déchiré le royau-
me ; & l'on fait qu'au fiecle dernier , elle fbutint contre les parlementai-
res, un long fiege en faveur de Charles T. C'eft aujourd'hui une ville gar-
dée par une garnifon nombreufe , & âoriflanto^ar un commerce étendu.
Les fables de la mer avoient k la longue embarraffé le cours de la Dée ,
& comblé même le port de Chefler « il y a 40 ans ; un a£te du parle*
ment de 1731 , & un autre de 1741 portèrent remèdes à ces maux, &
de nos jours la navigation s\ fait avec autant de facilité que de fuccès.
L'on y commerce en toiles oc autres marchandifes d'Irlande , en bétail ^
en toutes fortes de denrées , & fur^tout en fromages , & en terre de pi-
pes : l'on compte qu'année commune il s'expédie dans la ville de Chefier
30 mille tonneaux de fromages, dont 1,4000 vont à Londres, 8000 à;
Briftol , & 8000 en Ecoffe & en Irlande. Chefter eft une ville zSèz bien
bâtie & fort peuplée. L'on y trouve une cathédrale fondée par le Roi
Edgar, 10 autres églifes & une école de charité. Elle eft gouvernée par
un mayre , des fcherifis , des aldermans , & par des confeillers : fon tri*^
bunal appelle cour Palatine , fe tient dans le château. Elle a un très-beau
port fur la Dée , ainfi que pluGeurs machines ingénieufes qui l'abreuvent,
des eaux de cette rivière ; 6c elle a une bourfe marchande , dont les con-^
noiflèurs eftiment l'archite£hire. Mais une chofe que l'on reproche à la ville
de Chefter, c'eft l'obfcurité de fes rues : elles font bordées d'arcades qui
mettant les paffans à couvert du fbleil & de la pluie, jettent un air trop
fombre fur les maifons & dans les boutiques. L'avantage de pouvoir fe
promener à l'abri des injurerdu temps, ne balance pas, dit-on, dans une:
ville marchande, l'inconvénient de ne voir goutte.
Il y a dans l'Amérique feptentrionale , en Fenfylvanie , une ville du
nom de Chefter , fimée au midi de Philadelphie , fur la rivière de Lawiir f
qui lui donne un port capable de contenir les plus grands vaifleaux*
.^
Tome XL Hhhh
^lO C H E V A L E R I E.
L
CHEVALERIE, f. f.
A Chevalerie ëtoît autrefois le premier degré d'honneur dans les ar-
mées; on la donnoit avec beaucoup de cérémonie à ceux qui s'écoient dif»
tingués par quelque exploit.
On pratiquoit plufieurs cérémonies différentes pour la création d'un Che-
valier : les principales étoient le foufllet , & l'application d'une épée fur
répaule; enfuice on lui ceignoit te baudrier, l'épée, les éperons dorés, &
les autres ornemens militaires ^ après quoi , étant armé Chevalier , on le
conduifoit en cérémonie à PEgjife.
Les Chevaliers portoient des manteaux d'honneur fendus par la droite,
rattachés d'une agraffe fur l'épaule , afin d'avoir le bras libre pour com-
battre.
Cambden a décrit en peu de mots la (kcon dont on fait un ChevaUer en
Angleterre : Qiii equefirem dignitatem fufcipit , àit-W ^ Jlcxis genibus hvitcr
in humcro percutitiir ; princeps his vcrhis affatur ; Sus vcl fois Chevalier
au nom de Dieu , furge y cl fis eques in nomint Dei; cela doit s'entendre
des Chevaliers*Bacheliers , qui font en Angleterre l'Ordre de Chevalerie le
plus bas, quoiqu'il (bit le plus ancien.
Souvent la création des Chevaliers exigeoit plus de cérémonies , & en
leur donnant chaque jpiece de leur armure , on leur faifoit entendre que tout
y étoit myflérieux , èc par-là on les aver tiffoit de leur devoir. Chamberlain
dit qu'en Angleterre, lorfqu'un Chevalier eft condamné à mort, on lui ète
fà, ceinture & fbn épée, on lui coupe (es éperons avec une perite hache,
on lui arrache fon gantelet, & l'on biflè les armes. Pierre de Beloy dit
3ue l'ancienne coutume en France pour )a dégradation d'un Chevalier, étoit
é Parmer de pied-en-cap comme s'il eût dû combattre, & de le feirc
monter fur un échaffaud , où le héraut le déclaroit traître , vilain , & dé-
loyal. Après que le Boi ou le Grand-Maître de l'Ordre avoir prononcé la
condamnation , on jettoit le Chevalier attaché à une corde fur le carreau,
it on le conduifoit à l'Eglife en chantant le Pfeaume io8 qui eft plein de
malédiâions , puis on le - mettoit en prifon pour être puni félon les loix.
La manière de révoquer l'Ordre de Chevalerie aujourd'hui en ufage, dft,
de retirer à Taccufé le collier ou la marque de l'Ordre, que l'on remet
enfuite entre les mains du Tréforier de cet Ordre.
Chevalier s'entend auflî d'une perfonne admife dans quelqu'Ordre, foit
purement militaire, foit militaire & religieux tout enfemble, inftitué par
quelque Roi ou Prince, avec certaines marques d'honneur & de diftinâioo.
Tels font les Chevaliers de la Jarretière^ de V Eléphant ^ du faint-Efprit^
de Malthe , &C. Voye^ Partick ORDRE DE CHEVALERIE.
CHEVALIER. ^11
C H E y A. L 1 EJHt ùfn de NobUfc difiinâift audtffuf dt celui
d'£cuY<r.
LUSIEURS charges honorables comptent au nombre de leurs pré-
rogatives ce titre qu'elles communiquent. Les charges que donnent la quar
lité de Chevalier donnent en même-temps la NobleflTe au premier degré ;
ce caraâere eft indélébile & s'étend fur toute la poftérité de ceux qui Tont
une fois acquis. Le titre de Chevalier eft donc le premier grade de U
Noblefle. Le nom de Chevalier vient peut-être du cheval que l'Etat four-
oifToit à ceux qui furent d'abord qualinés de ce titre, comme on va le voir
dans l'origine, ou de ce que chaque Chevalier dévoit être habile à monter
les chevaux , comme on verra dans les qualités requifes pour être Chevalier
& dans l'admiflion. Tout ce que nous dirons fur ce titre générique , n'aura
de rapport qu'aux temps oii ce n'étoit pas fimplement un titre d'honneur
comme aujourd'hui , mais oii celui qui le portoit étoit par-là engagé aux
fbn£tions d'Etat que ^e titre lui donnoit dans la profeffîon des armes : les
Chevaliers dont nous parlons , étoient appelles Milites chez les Romains.
. L'Hiftoire Romaine nous fournit dans fes commencemens l'exemple des
premiers Chevaliers ; il y a apparence que l'inftitution en eft venue de*ià
jufqu'à nous) Romulus en fit un ordre mitoyen entre le Sénat & le peu*
pie ; le cheval que la République fourniflbit à chaque Chevalier , l'anneau
d'or , étoient les marques difiinâives de cette dtenité qui tenoit le premier
rang dans l'Ordre miliuîre ; elle eut à Rome le fort qu'elle a eu parmi
nous : cette qualité qui emportoit dans fon origine avec elle la néceffité de
combattre à pied & à cheval , fbnâion tout-à-hdt militaire, fe changea par
la fuite en un fimple titre d'honneur.
,' En revenant à notre hifioire , on ne peut rien y voir de plus curieux
que ce qu'elle nous apprend des anciens Chevaliers ^ leur origine eft abfo^
lument militaire , les verms guerrières qui furent long-temps les feules en
honneur parmi nous , infpiroient cet enthoufiafme néceffaire pour les pra-
tiquer ; c'eft à cet entboufiafme belliqueux que les Chevaliers durent leur
origine , c'eft par lui que depuis le XP. fiecle jufqu'au commencement du
XVI*"®. ils jouirent de la plus grande célébrité. Il feroit fuperflu de recueil-
lir ici tout ce que ceux qui ont traité de la Chevalerie en ont dit; quicon-
Que voudra s'inftruire à fond là-deffus, doit avoir recours aux Mémoires
iavans & bien écrits de Mr. de Ste. Palaye , fur l'iincieniie Chevalerie. Void
ce que nous avons crû le plus néceifaire à fa voir.
La manière dont les premières armes le donnoient autrefois en céré-
monie iL ceux qui dev<He« les porter, étoit déjà en ufage chez les Ger**
mains ( V. Tac. Mor. Germ,) & fe pratiqua dès la prerniere race de nos
Rois , comme on peut le voir par Louis-le*Débonnaire j fils de Charlemagne.
Hhhh 2
6tz C H E V A t I E K.
Mais il ne faut pas confondre cet ufage av^ec refpece d'invefUture qui ad^
compagnoic la cérémonie où l'on failoit les Chevaliers : cette invefiirure
ne remonte qu'au Xle. fiecle*, époque de l'accroiflement des fiefs & des
Seigneurs qui les polTédoient, dont la politique fe réfervoit par-là , outre
l'hommage des vafTaux, le droit de leur donner les premières armes ; po-
litiques adroits pour lier davantage leurs vafTaux & tous ceux qu'ils £ii«
foient Chevaliers, à leur fervice & k leurs intérêts.
On retrouve aujourd'hui une partie des cérémonies qui (e pratiquoient
à la réception des Chevaliers , dans la forme où ils fe font encore dans
les difFérens ordres. Mais pour arriver autrefois au grade de Chevalier, il
fàlloit avoir pafTé par tous ceux qui font au-defTous. ( V. Pages. Éc^ybrs. )
Les écuyers devenoient Chevaliers par leur bravoure y c'étoit là leur ré*
compenfe; jufqu'à ce qu'ils l'eufTent méritée, ils étoient amplement, ce
qu'on appelloit alors, Pourfuivant d* armes; & cette efpece d'appreatiâàge
duroit huit ou dix ans-, l'image de la guerre brilloit pstf^tout dans leurs
amufemens même , les tournois étoient leur école dans le repos de la
paix. Une remarque digne d'être faite , c'eft que fous les trois règnes où
la Chevalerie fembla plus honorée & en vigueur, elle trouva les caufes de
fa décadence & de fa chute totale. Charles VI, fon fils, Charles Vil ^
François I virent s'éteindre cette ardeur qui foutenoit la Chevalerie, au
moment que leur exeniple étoit fi propre à la fomenter. La maladie de
Charles VI fiit caufe de grands déiordres dont plufieurs profitèrent pour
devenir Chevaliers , fans l'avoir mérité , & l'époque de la dégradation d'un
rang eft prefque toujours marquée par le défaut de mérite de ceux qui
l'obtiennent. Après la mort de Charles VI, la Chevalerie dut beaucoup à
l'amour de la belle Agnès , cette maîtreffe pafiionnée tyour la gloire autant
queCharles VII l'étoit pour elle, & à qui la France eft peut-être redevable
de n'être point foumife à un pouvoir étranger : la néceffité de reconquérir
nos provinces fembla donc ranimer la Chevalerie par le befotn qu'on en
eut alors; mais un corps de milice inftitué ou plutôt refiauré par Charles VII,
remplaça prefque celui des Chevaliers par l'émulation qu'il leur donna :
ce fiit la gendarmerie où chacun couroit alors fe faire infcrire; cette
nouvelle milice donnoit droit au commandement , les Chevaliers , Ban«
nerets {a) ou autres ne l'avoient plus. François I qui ne Ëtifoit pas
moins de prix des favans que des braves de fon État , après avoir
voulu être armé Chevalier par la main du fameux Bayard, à la journée de
Marignan , voulut encore décorer les favans & les Magiftrats du glorieux
titre de Chevalier. Voilà ce que le préjugé de ces temps où l'ignorance
difputoit contre la fcience qui s'élsvoit, ne fouffrit qu'avec perne; les
1 »
la) On appelloit Sannercts les Chevalîers (|ut comoiandoient à un certain sombre de
geas de guerre fous leur Bannicrc ou Eundan^
CHEVALIER. ^ij
Chevaliers militaires crurent leur dignité avilie lorfqu'on la communiqua
à ceux d^un autre mérite qu'eux : delà cette dignité qu'ils laifTerent dé-
cheoir plutôt que de vouloir la partager ne fut plus qu'un (impie titre
d'honneur pour ceux qui ne furent pas militaires. Ce qui acheva d'abolir la
Chevalerie, fut l'abolition des tournois occaiionnée par l'accident qui fît
périr Henri H. Il eft à douter fi les abus de la Chevalerie ne contrebalan*
çoient pas tous les avantages qu'on en pouvoit retirer ; c'étoit une ef-
pece de fiinatifme de gloire attachée alors aux aélions militaires , cela fe
reflèntoit de la barbarie des temps , tout y étoit grotefquement mêlé , l'a-
mour licentieux s'allioit à une religion fuperfiirieufe pour foutenir cefanatifme
au milieu des ténèbres de l'ignorance. Difons encore que le ridicule de nos
Romans de Chevalerie a porté le dernier coup à cette folle bravoure
dont npus avons l'exempte dans les Chevaliers errans. Nous ne nous fom*-
mes étendus fur l'origine des Chevaliers & ce qu'ils ont été, que pour
en venir au point où ce titre doit être aâuellement confidéré. Nous avons
fait voir les caufes de ce changement. Il fuffit de dire après cela que qui-
conque polTede aujourd'hui la noblefTe au premier degré , a le titre de
Chevalier fans être militaire.
En fuivant toujours l'ancien état des Chevaliers , on fent bien que lorf«
qu'il étoit tout-à-fait militaire, fes fondions l'étoient pareillement. Le ti-^
tre de Chevalier pouvoit être regardé autrefois comme une obligation de
répandre fon fang pour la Patrie, ou comme une récompenfe de Tavoir
répandu. La guerre fe faifoit alors à coups de lance & d'épée, on n'en
avoit point encore fait cet art combiné de deftruâion : avant que l'artille*
rie fut découverte par l'invention de la poudre , on fe battoit vaillam-
ment corps à corps, fouvent dans des mines étroites éclairées par la fom-
bre lueur de quelques flambeaux, comme au fiege de Melun en 14.20*
La foi, l'honneur des Dames armoient les Chevaliers pour les défendre ,
délivrer l'opprimé^ le venger de l'opprefTeur ^ voilà les caufes qui pou-
voient faire entreprendre aux Chevaliers de nouveaux exploits. Les croi-
fades fervirent pendant long-temps d'aliment au zèle ardent de<; Chevaliers.
Dans le repos même de la paix ils trouvoient des occafions d'exercer leur
courage en embrafTant des querelles étrangères , ils contraâoient des frater-
nités dVmes pour s'unir plus étroitement dans des entreprifes communes.
Ducange nous apprend que ces fraternités d'armes fe contraâoient entre
Chevaliers, en fe faifant faigncr enfemble & mêlant leur fang. Dès- lors
gloire, périls, profits, bourfe , tout étoit commun entre eux, & en cas
de rupture, quand la fraternité celToit, on fe rendojc mutuellement un
fidèle compte de la communauté. Les entreprifes confidérables étoient
fcellées d'avance par un vœu entre les Chevaliers* Ils en faifoient fouvenc
de plus ridicules que leur infpiroit la galanterie enflammée par l'objet de
leur amour. Ils juroient de foutenir préfërablement à tout autre l'honneur
& la beauté de leur maitreffe : ils s'honoroient pour cela du titre de pour^
î
^14 CHEVAL I.B R.
fuivans {famour; le portiaît^ la devîfe de leurs Dames ^ des chiffres arnoo*
reux les diffinguoienc , & pour accomplir leur vœu extravagant^ ils alloienc
ropofer le défi à tout venant pour prouver que leur Dame écoic la plus
elle & la plus vercueufe. Il eft affez plaifant de lire dans Froiflkrt qu^au
(iege d'un château en Beauce , les affîégeans & les adî^gés laiflerenc le
champ libre à deux Champions qui youloient ainfi le battre pour la beauté
de leur Dame^ prés de Cherbourg en 1379, les Ânglois & les François,
de combattans devinrent tout-à-coup fpeâateurs d'un pareil défi ; ainfi
rien n'étoit plus prodigieux que les eifets de la valeur des Chevaliers & fou«
vent rien de plus ridicule que fon objet.
Les prérogatives attachées au rang de Chevalier étoient les premières de
l'Etat ; il eu refle encore plufieurs que ce titre a confervées. Nous remar^
querons qu'avant la confufion introduite par le luxe dans tous les rangs,
l'or étoit réfervé aux feuls Chevaliers ; leurs éperons étoient d'or , il gar«
cifToit aufli Aeurs vêtemens , les houfles & harnois de leurs chevaux ; ils
avoient le titre de Meflires, que la qualité de Chevalier donne encore
aujourd'hui. Les femmes de Chevaliers avoient feules le titre de Dames ,
les Ecuyers s'appelloient du titre de Monfieur , & leurs femmes avoient ce«
lut de Penioifelles ; ces différences font encore obfervées aujourd'hui pour
les qualités. Les fourrures qui font devenues aujourd'hui fi communes, ne
douoioient que les manteaux des Chevaliers ^ qui avoient feuls droit deoor*
ter l'hermine, &c. L^carlate, qui efl la couleur des habits des Magift^ars
fupérieurs & des Doâeurs , étoit la couleur appropriée aux Chevalier^. Ils
avoient chacun des armoiries particulières ^ui les diflinguoient, ils les por-
toient même fur leur cotte d'armes, & il vint un temps où les robes
des femmes de Chevaliers étoient blafonnées comme l'écu de leur mari.
Le fceau n'appartenoit qu'aux feuls Chevaliers , les plus diflingués de la
Noblefle n'a voient pas même le droit de s'en fervir jufqu'à ce qu'ils fuf-
fent Chevaliers ; c'eft pourquoi Ton trouve plufieurs Chartes anciennes
icellées du fceau du Régent & non pas de celui du Roi mineur. L'éman*
cipation fui voit l'invefliture du Chevalier; les barrières s'ouvroient à fon
approche ; prifonnier , il étoit relâché fur fa feule parole. On trouve qu'en
certaines occafions ils avoient le droit de lever des impôts fur les vaflaux de
leurs . terres nobles ; ce droit tient à la nature du gouvernement des corn-
mencemens de la troifieme race , où le royaume étoit prefque tout entier
inféodé : ils fe fàifoient payer leur rançon de la forte par leurs vaffaux , &
s'ils entreprenoient le voyage d outre-mer , ils fe le failoient auflî payer : le
mariage de leur fille étoit encore une occafion de tirer de l'argent de leurs
raflàux , comme auflî lorfque leur fils étoit fait Chevalier : ces exadions
auroieiit dû ceflfer avec ce que le Gouvernement féodal eut de plus odieux.
Néanmoins elles fè perçoivent encore dans vingt coutumes ou environ ,
& ces droits font appeUés dans les lieux qui les ont retenus Aides-Chevels
ou Aidcs" Loyaux.
C H E V A I I E R. «I)
la plus noble de ces prérogatives ëtoit fans doute de pouvoir crëer d'au^
très Chevaliers dés Pioftant de fa promotion. Si certaines charges de U
MagiArature , comme nous l'avons déjà rémarqué » confèrent au)ourd%ui le
ijtre de Chevalier , nous remarquerons aufli que ce titre étoit auflî nécef-
faire autrefois pour pofTéder certaines charges de la Magiflrature , comm9
il l'eft auflî aujourd'hui. En voici un exemple : l'Empereur Sigifmond con-
féra la Chevalerie à celui qu'il fit Sénéchal de fieaucaire, préférablement
à un autre qui étoit déjà Chevalier. Le détail de toutes ces difFérentes pré-
rogatives montre afTez combien le titre de Chevalier mérite d^étre confi-
déré , nous n'avons rien dit de trop fur cet article ^ pour les curieux , &
nous nous fommes beaucoup reftreints pour les autres.
On a vu dans l'origine ce qu'on exigeoit des Chevaliers ; l'honn^i^r étoit
un gage de celui auquel ils afpiroient \ dans les fêtes qui annonçoient de
loin le goût de celle d'aujourd'hui ^ on figuroit bifarrement toutes' les ver-
tus propres à un Chevalier ; chacune étoit repréfentée par une perfonne
qui caraâérifoit la verta repréfentée; c'étoit la foi, la juflice, &c. mais le
' grand art du Chevalier étoit d'être habile en mille tours d'efcrime qu'il
apprenoit étant Ecuyer dans les joutes, dans les tournois, &c. il s'exerçoit
au maniment des chevaux & à la lance. On voit que l'âge de ai ans
étoit néceflaire pour devenir Chevalier. La naiflance & une valeur à toute
épreuve difpenfoient pourtant de cette règle.
Rien de plus folemnel que la manière dont fe faifbient autrefois les Che-
valiers , c'étoit une cérémonie où la fu perdition mêloit un air de religion ^
& fembloit imiter pour faire un Chevalier , les pratiques de l'églife pour
faire un Prêtre. Des jeûnes , des prières , l'approche des Sacremens prépa-*
roientle Chevalier deftiné, comme un autre néophice. Son habit, fymbole
de pureté, étoit blanc, il entroitainii vêtu à l'églife, marchoit vers l'au-
tel, l'épée attachée au col en écharpe; le Prêtre la béniflbit, & la remet-
toit au col du nouveau Chevalier , puis celui-ci alloit (e mettre, à genoux aus
pieds de celui ou de celle qui lui conféroit l'ordre. Il répondoit à difFéren-
tes queflions , on le revêtoit enfuite des marques extérieures de la Cheva-
lerie , & puis il recevoit l'accolade qui confifloit en trois coups de plat d'é*
pée nue fur l'épaule, ou en un coup de heaume à la main , en prononçant
ces mots : » jiu nom de Dieu , dt St. Michel , de St* George , je te fais
,» Chevalier; « après cela il fe couvroit la tête de fon heaume ou cafque,
, &tout armé il montoit à cheval & caracolloit dans la place publique; c'eft Ik
qu'il faifoit voir fon adreffe aux acclamations de tout le peuple. La guerre
admettoit une façon plus expéditive pour la réception des Chevaliers , fur
te champ de bataille , il n'avoit qu'à préfenter fon épée par la garde pour
avoir Taccolade qui le faifoit Chevalier. Les occafions de nouvelles promo-
tions étoient de grandes fêtes ou de grandes cérémonies , comme la Pen-
tecôte , le facre oc le couronnement des Rois. Il ne faut qu'ouvrir le Céré^'
monial François par Godefroid ^ pour voir qu'aux entrées & autres cérémo-
6i6 CHEVALIERS ROMAINS.
nies exti;aordinaire$ nos Rois donnoient alors Torclre de Chevalerie. Les tour»
sois fuppléoienc en tems de paix à Pappareil de la guerre pour ces
promotions.
• Il feniUe que la dignité d'un rang qui n'eft dû qu'à la gloire de fervîr
la patrie & fon Roi, leroit déshonorée fi elle s*achetoit: auffi tant que la
Chevalerie fut militaire , ce titre fut exempt de vénalité ; mais on eft forcé
de convenir qu'il s'achète aujourd'hui avec les charges qui le donnent.
CHEVALIERS ROMAINS.
JLiES Chevaliers Romains formoient le fécond ordre de la République.
' Sigonius , Jufte*Lipfe & Saumsdfe ont beaucoup parlé de l'ordre des Cheva*
liers Romains \ mais niute de s'en tenir à un endroit décifif de Pline, qui , ou-
tre l'autorité que lui donne fa vafte & profonde érudition , mérite, par un titre
particulier , d'être pris pour juge fans appel en cette matière puifqu'il étoic
Chevalier Romain, ils ont tout confondu. Ils ont établi une différence
chimérique entre cavaliers & Chevaliers dés les premiers temps ; ils ont
fiiit remonter l'ordre des Chevaliers Romains plus de trois cents cinquante
ans avant fa naiffance , & ils ont recherché dans les cavaliers des premiers
fiecles de la République , toutes les diftinâions qu'on trouve depuis le fie-
cle des Gracques, attachées aux Chevaliers. Saumaife même, embarraflfé
par quelques endroits de Pline & d'Ovide, n'héfite pas à donner le dé«
menti à ces deux Chevaliers Romains ; il prétend en favoir plus qu'eux
fur l'origine & la conftitutlon de l'ordre dans leauel ils étoient nés. Une
opinion , foutenue par des noms fi fameux dans la littérature , a formé un
préjugé que la foule des antiquités a fuivi. Eybénius, dans une favaote
differtation , de ordine cqueftri vcterum Romanorum , & Grevius dans la
préface du premier tome de fon tréfor des antiquités Romaines, difent
d'excellentes chufes, ils approchent fort de la vérité; mais, tous les deux
paroiffent admettre un ordre de Chevaliers Romains, formé & diftingué
des deux autres ordres long-temps avant les Gracques; ce qui eft entière*
ment oppofé au fentiment de Pline.
Depuis les commencemens de Rome jufqu'au temps des Gracques , les
fénateurs avoient été en poflefiion dés tribunaux. Les tribuns , qui par des
efforts continuels, travailloîent à établir la démocratie, avoient refpeâé
l'adminiftration de la juftice ; ils rfavoient ofé jufqu'alors en dépouiller le
fénat, lorfqu'il s'éleva, au milieu de la République, deux hommes auffi
liés enfemble par la conformité de vues, de génie, de talens\ que par le
Ikng & la naiflance ; d'un efprit étendu , vif & entreprenant , mais trop ra-
pide & trop peu mefuré dans fa marche ; capables de tout perfuader par
leur éloquence, & de tout exécuter par leur courage; nés pour être, par
leurs
' \
CHEVALIERS RO MA INS. ftf
leurs qualités brillantes, les idoles dû peuple & la terreur du féoae, &
qui prirent un eflbr fi hardi au-defTus des loix, qu'on ne put le« -abattre
que par une hardiefTe pareille.
Tibérius Gracchus, Tainé de (es deux fireres, fe montra, le premier fur
la fcene. Rival des grands de l'Etat par ambition , ennemi par refleotiment ^
bientôt aigri par les contradiâions , il s'efforça tout à la fois d'arracher au
fénat les deux avantages que les hommes fe difputent avec le plus d'ar^
deur , les honneurs & les ncheifes ; & comme les loix agraires lui avoienc
attiré la haine non-feulement du fénat , mais aufli des plus riches d'entre
le peuple, qui poffédoient de grands fonds de terres, U voulut regagner
ceux-ci, en leur donnant du côté de l'honneur & de la prééminence, ce
qu'il leur ôtoit du côté de la fortune. Les cavaliers tenoient, par leur ri-
cheflè , le premier rang dans l'ordre du peuple. Tibérius Cracchus proposa
d'ôter les jugemens aux fénateurs , qui , par des injuflices récentes , ne don*
noient que trop de prife à leurs ennemis , & de choifir dans les centuries
des cavaliers de quoi remplir les tribunaux. A cette nouvelle attaque , le
fénat alarmé oppo(a la violence. Tibérius Gracchus fut maflacré, & le
peuple regarda toujours fa mort comme un aflaffînat, tandis que le fénac
en ni(bit gloire,. comme d'un jufte effet de la vengeance publique.
Dix ans ^^^^9 fon frère Caïus fuivit les traces (te fon aine. U fît pafibr
la loi que Tibérius Gracchus avoir propofée. Les fénateurs furent ooligés
de céder l'admioiflration de la juftice ; & la mort de Caïus , pareille à cdle
de fon frère , ne leur rendit pas la. place qu'il leur a voit otée. Les cava*
liers , devenus juges , acquirent une nouvelle confidération. On commença
dès lors à les regarder comme un corps refpe£bble \ quoique félon Pli-
ne , l'ordre des Chevaliers Romains ne fût pas entièrement formé , & qu'il
ne fit encore qu'i^ne portion du peuple , mais élevée au-deffus de l'autre ^
par le titre de juges. C'ell-U , pour ainfi dire , le berceau de l'ordre des
Chevaliers Romains, qui ne parvint à fa perfèâion que fous le confulat
de Ciceron. Nous allons fuivre jufqu'à ce temps toutes les révolutions qu'il
effuya. 1
Il y avoir feize ans que les Chevaliers Romains Êiifoient feuls la fonc-
tion de juges , Jorfque , l'an de Rome 647, le conful Q. Servilius C^->
pion, aidé de l'éloquence de L. Craffus, le plus grand orateur de fon
temps , efTaya de fiure ceffer la difcorde entre le fénat & les Chevaliers ^
en les joignant enfemble dans l'exercice de la judicature. On ne fait pas
certainement fi cette loi fut reçue. Du moins fut*elle bientôt oubliée ,
puifque Cicéron dit qu'avant la loi Flotia , les fénateurs n'a voient poinc
encore partagé les jugemens avec les Chevaliers. Peut-être , & c'efi le fen-
timent de Sigoniùs, cette loi de Capion fut-elle abolie deux ans après, par
celle de C. Servilius Glaucia , tribun du peuple fous le confulat de Marius ^
en 649. Ç'eil ce que Sigoniùs conclut de quelques paflkges de Cicéron, &
d'un fragment même 4e la loi Servilia Glaucia « qu'il avoir trouvé fur deux
TomXI. liii
/
c
«tt C H E VA 1 I ERS ROMAINS.
m -
tables d^airain / daM' le cd&inec du Cardinal Bembo. Cette dernière loi ^ta«
bUc» po&r le jugement de concuffioâ , quatre cents cinquante juges qui ne
foient point fénateurs. Il efl vrai que Sigonîus retarde rérabliflëment de
dette loi jufqtfen 6$9f , lorfqQe C. ServHius Glaucia éroit pféteur. Mais, il
vaut niieux fom-e ici les annales de Pighkis, dont le fentiment s^accorde
Itftera avec la^ fuite des k>ix Romaines. Ce qu^it y a de certain, c^eft que
h» fiéiîateur)9'rï?avoient plus d'entrée àox jugemens en Mi, lorfque lé tri-
bM M. Livfus Drfi&e) propofa an peuplé, & fit £»re une loi qui mettoit
dans tes tribunmix tm^ nombre égal de fénateurs & de Chevaliers. Il_ vou-
kriif , pa# ee nroy^n , éteindre la jaloafie qui divifoit la République, Il lui
arriva (^e qui ^ mye (uice ordinaire dts ménagemens timides ^ il mécon«
tcMta les ièe^% ordres qu'il préténdoit • réunir ; & après qu'il eut été aflaffiné
ar une main inconnue, on ne pur même deviner lequel des deux parris
i ^oit porté lé coup mortel. Ses lûix moururent avec lui ; & le confitl
ilippe les afyiam frit eafler , les Chevaliers Romains refterent Ibuls en
(rofiefllon des tribunaux.
Mais ils lurent contraints de les partager, deux ans après, avec le fé-
flàt^ même avec le -peuple, par la loi du tribun M. Plautius Silvanus. Elle
portoit ç^ue chaque tribu liohimerbit tpus les ans quinze perfonnes pour
i^'dre \k^ ^ jugemfens ;! & ne fpécifiant aucun des trois ordres , elle laiffoit
tà^ liberté dé chotfir tés juges indifiëremment entre les fénateurs « les Che-
f'allérs & le peuplé. On ne fait fi cette loi fubfifta en fon entier jufqul
Syllà; mais^ il efl! Cdnftant qu^en Sj-^^ Sytia, diélateur & conful pour la
fedonde fois', ôra lei jugemens aux Chevaliers, qui s'étoient déclarés con*
rre lui dans ta guerre civile, <& qu'il les donna , par une loi, aux feuls
fénateurs.
Dix ans après^, fdus le premîéif càtifukt de PomJ)ée & de Craffus, lorP-
2ué Fottipéé eut établi la puiflTance tribunitiénfne ^ le préteur L. AUrélios
lotta voulut afifli contribuer à réunir les trois ordres; fa loi portoit que
ïes tribunaux feroiént en même temps j'emplis par les fénateurs , par les
Chevaliers & par des officiers du tréfor, nommés trihuni ararii^ qui
étoiêfit^ de l'ordre du peuple. Cicéron étoit défigrié édile, quand cette loi
fut publiée; elle étoît éncdro obfervée fous fon confulat. '
té feifond êcat où Pline lious montre les Chevaliers komàins, dans le
temps qùHfe cbmihénçoîent à fortner un ordre à part, eft celui de fermiers
publics. Oùt^e le tribut , ou la taxe , qu'on cefla de payer en 586 , après la
conquête de la Macédoine, les revenus de la République étoient de trois
efppdes. i^. Ceux qui fe tiroient des terres publiques, dont la dixme
étoît due au peuplé Romain, Dtcumœ. 20. Les droits impofës (ur le bê--
rail, qi^ les partîciuWelrs envèyoiént dans les pacages, dont la République
s^étoit réfervé une grtmflé étendue dkns les diverfes Provinces. Cet impôt
»'appèîloityï:n/r/r/f^tf , pâl-ce que 1er' Commis tenprent regîftrcde chaque tête
de bétàih La trolfieidae fburçé dés' revenus publics y étoient les droits qui
C H E 7 Â L I X R S H a M A r HT £ <i^ ^
fe payoiênt £àr les knafdiandîres ; ce ^^bn mppdloic ^rtprtam^ parce que
celles qui entroient dans les forts ^ ou qui en fortoieot pour écre tranlr
portées ailleurs, eu fàifoient la plus confîdérable partie. La république re-
cueilloit ces reirenus par de$ comuagoies qui les prenoient à ferme. Les
cenfenrs les aflSbrmoient au {ûun oi&ant ^ & le bail durok cinq ans , intec^
valle ordinaire de deux cenfures. De plus , les ouvrages & les £mmitures
publiques ^tôient avffi afFecmés, au rabais , |iar~ les cenfeurs. La première
^te de ferme s'appeUok vtâig^dién là (ècanée^ sJ$ro tribut a,
, Ces compagnies ne pouvoienc ^ fans doute., être formées que àj^ plus n-
elles de l'Ëtat. Mais, les finsteurs n'entroient pas dans ces encreprifes. Tout
ce qui fentoit l'intérêt, ^eur >paroiffi»t indigne d'eux. Le commerce même
leur^étoit interdit. Les centuries des cavaliers fàifoient, comme nous l'ar
vous déjà obfervé) la tète é^ la première claflè; c'ëtoit les plus opulenis
4'entre. le penple.. Us avoient donc plus de moyeos de s'intérefler dàds
les fèrm!es publiques. Aulfi les y voyom^nous avant les Craoqùes. Tite^Li*
ve raconte que Tlbérius. Gracchus, père des Grecques, ayant, dans fit
"cenfuce , ^StvSé par fa févérité le corps des cavaliei^ , acheva -de les ai-
grir en excluant du bail jjes fermes , ceux qui avoieac eu parc au bail
précédent.
Quand la loi de C. Gracchus les eut rendu maîtres de la jiffiice , ils
ne renoncèrent pas i^ l'utile occupation de manier les denlet^ ' publics. Oh
les accufoit même d'autorifer à Rome, par leurs jugement; les vexations
ique leurs comnus exerçoient dans les provinces. En 65 1 , P. Rutilius, le
plus honnéte-faommè qr la République , s'étant rendu odieux à Tordre des
Chevaliers Romains, pour avoir réprimé en Afie l'avidité des Publicains,
iut aocufé à fon retour, devant eux \ & condamné fans preuve , il
Sorta dans fon exil . l'eftime publique , & fut , ]>ar la vénératieA des rois
i des nations étrangères, dédommagé d\ine fentence qui ne âétriflbit^ue
les jupes. >
Mais, lorfque Sylla eut interdit aux Chevaliers Romains les fànâions
de juges, ils cherchèrent, en plus grand nombre aue^ jamais, à fe con-*
foler par le profit , de ce qu'ils perdoient de confioération & d'autorité.
Depuis ce temps, il n'eft *parlé que des Chevaliers, quand il eft queftion
de fermei publiques. Ce n'en pas qu'ils fuflent tous publioaihs ; mais,: il
^t!y avoit dans les fermes que des Chevaliets, & elles ett ^-bcctîpoieot la
plus grande partie. C'^ ce qu'entttid Pline ^ quand il ditqu'apfèsfies fô-
didons & les guerres civiles qui fùivirent les troubles- des Gracies, (Se
qui défigne aifez clairement le temps de Sylla , le titre i? Equités fe donna
aux fermiers publics ; & que ceux-ci firent ^ pendant quelque temps , un
tmfieme corps dans la R^épublique. Cornélius I^épos remarque cpkimturte
fingularité dans Atticus ^ qu'éuot Chevalier Rdihàin, fl n^entfa jaiifiaii dads
Jes fermes. CicéroB nous moûtrê par-tout les Fermiers publics ;nè^u9 dfi
^«cede Chevaliers Romains* Après Ik loi d^AttféUttl^otta,^teux^dtétoiellc
liii 2
' 6x0 CHEVALIERS ROMAINS/
dans les fermes ^ pouvoîenc en même-temps fiéger dans les tribunaux;
& Qcéron ^ dans le plaidoyer pour Muréna , dît expreflëmenc qu'il
voit au nombre de fes juges pluueurs Fermiers publics. Il fait de ceux«
ci un éloge magnifique , dans le difcours pour Plancius : c^ejl , dit-
il , la fleur des CAcvaùers Rûmaias ^ t honneur de la République ; ce font
Us colonnes de VEtat.
Il Vil vrai que , par un malheur attaché de, tout temps à la finance ^
mais q^îi'elle a aullt de tout temps fupporté avec intrépidité ^ ils ne font
pas toujours traités avec tant d'honneur ;. & on voit , chez les Romains ,
un^^tradition fuivie de plaintes & de murmures contre: les financiers. Qu'on
li(e dans Tice-Live Phiftoire de Pofihumius de Pyrge. Paul Emile , après
la conquête de^ la Macédoine , abandonna dans cette province des fonds
,4}ui pouvoient être d'un grand produit pour la République ^ mais qu'on ne
pouvoir faire valoir que par le miniftere des Fermiers ^ parce que ^ difoit-
il , par-tout où le PubUcain s'emploie » il arrive de deux chojes l'une , ou
, la République ne retire rien ^ ou la province eft écrafée. Cicéron donne pour
1)reuve de la grande aflëétion des Siciliens pour les Romains ^ que ce font
es feuls peuples de l'Empire, à qui un Publicain ne fbit pas odieux. Ceae
prévention univerfelle ne rebuta pas les Chevaliers Romains; & les ri^
chefles qu'ils acquirent au 'milieu de ces mécontentemeqs , fervirent par
ffucceflion d.e temps à donner à leur ordre ce luftre & cet état de fèrme^
té, auxquels il parvint fous le cbnfulat de Cicéron.
C'eft le troifieme & dernier degré où Pline les conduit dans le paflage
que nous expliquons. Il fàudroit teire l'hiftoire de Cicéron toute entière,
pour montrer toutes les occafions où ce grand homn^e fe.fit un devoir'de
relever lesf Chevaliers Romains, entre leiquels il étoit né. Il leur donna,
par fes vertus & par fes talens , plus d'éclat qu'il n^en avoir reçu d'eux
par la naiflance.* 11 fit fi bien valoir leurs fervices . dans la coi^uration de
Catiiina, que la République crut leur devoir fon (alut; il les fit aimer du
^peuple, en fe rendant lui-même populaire vil les réconcilia avec le Sénat,
.dont ils érpient divifés par une ancienne jaloufie. C'eft ce dont il fe fait
gloire dans j la quatrième Catilinaire, prononcée dans le Sénat. Aucun des
Chey^Uers; Rotpains ne reclamaj contre- le titre de patron de leur ordre ,
que Cicéron: pcétend lui-même: mériter mieux que perfonne. C'eft dooc
jivec rsufonique* Pline dit : de lui : 9 enfin Cicéron , dans fon confular,
.» prpfiu^ de^ . la conjuration de Catiiina pour donner, un état de confiflance
.31 à l'ordre des ChevaUers Romaiusi, fe faifant honneur^ d'v avoir pris naif-
» jTance, & fe rendant jpopulaire pour l'affermir «. Ce nit alors que cet
ordre, ayant, pris toute la confiflance, commença à figurer avec les deux
.^tr^Bs. l^ raqg dans; lequel il eft énoncé 4ans les zQits & dans les mono-
^snens fu]bliçç , n'étant nommé qu'après le peuple, eft une preuve de fa
roouvea^. Le Fere H^rdquin: cite pourtant comme une exception, wat
. médaille jiie fon çairinfc,;, que wpporie attlfi |A$28ab«rbe} on y lifc| ctm-
CHEVALIERS ROMAINS. (it
fenfu Sénat. & Eq. Ordin. P. Q. R. Mezzabarbe y a même fidt une fku«-
te , en mettant la lettre S avant celles qui dëfignent le peuple Romain î
ce qui fait une répétition vicieufe du mot Scnatus.
Nous n'ajouterons qu'une réflexion. Quoique l'ordre des Chevaliers Ro-
mains fit enfuite une des trois, parties intégrantes dans la divifion des ci-
toyens , il n'eut pourtant à part dans l'ordre public , ni magiilrats , ni af^
femblées; il ne formoit point fëparément de décret. Les Chevaliers Ro*
mains ^ quoique diftingués du peuple par le rang & par le nom , fuivi-
rent toujours , dans le gouvernement » les loix & la difcipline du peu-
ple ; & les mots fcnatus populufquc Romanus , fi fréquens dans les inf-
criptions & dans les autres monumens , continuèrent de comprendre tous
les Romains.
Nous trouvons fous les Empereurs , des Chevaliers Romain$ de diverfes
conditions, félon les divers degrés de leur nobleflTe, de leur fortune, &
de leur fiiveur. Les uns fervoient entre les cavaliers Prétoriens , ou entré
ceux qu'on appelloit fingulains , & qui fidfoient partie de la garde du
Prince» d'où ils pafToient aux préfèâures. Claude leur donnoit des poftes
honorables ; & l'ordre de promotion qu'il avoir établi pour eux y étoit d'a-
bord le commandement d'une cohorte , enfuite celui d'une aile, enfin le
tribunat d'une légion. Galba proclamé Empereur en Efpagne , choifit pour
fa garde de nuit des Chevaliers Romains , à qui il donna le nom d'f^
vocatL Cafàubon croit que cette inftitution fubfifla , & que ce font
ceux qui font fouvent nommés dans les infcriptions Evocati Augujii ;
en forte que le nom i^Evocatus auroit alors perdu fà fignification an-
cienne.
Les Chevaliers Romains les plus diflingués éroient Intendans des pro^
vinces, fous le tirre.de procuraiorcs Cctfarum; ce que Tacite appelle tqutf-
tris nobilitas. On les voit revêtus , dans les infcriptions , de divers emplois
d'honneur ou de confiance. Ils font bibliothécaires de l'Empereur. Selon
l'inflitution d'Augufle , c'étoit un Chevalier Romain qui gouvernoit l'E-
gypte. Mais , la plus haute dignité attachée à leur ordre , étoit celle de
préfet du prétoire. Une loi de Valentinien I leur donne rang immédiate-
ment après les Clartffimes.
Quoique les Chevaliers Romains ne fîfTent plus partie depuis long-temps
de lai cavalerie légionnaire , il s'en trouvoit qui s^engageoient quelquefois
dîÉns le fervice. Quelques-uns fans doute s'y jettoient encore , foit par goût»
jbit par la fituation de leur fortune. On trouve , quoique rarement , fur
les marbres antiques , its Chevaliers Romains dans la cavalerie des lé-
gions. Nous voyons même qu'ils faifoient quelquefois un corps , & qu'ils
^voi^nt des tnfpeâeurs ^ curionts \ s'il eft vrai que Reinéfius explique bien
ce mot par celui de curatons. Mais, pour ne pas multiplier fans fon-
.denitat, dans les infcriptions, le nombre des Chevaliers Romains atta-
>ch43^ftuji: l^gioos^ il £uit obferver que. le mot i^Equcs tout feul, ou equts
6i% t: H E V A 1 I E R S ROMAINS.
Lsafou-
hgionisy quand le mot Romanus^ ou ctMA^Eqiw puhlico n'y font pto<
;és, ne fignifie qu'un fimple cavalier de teHe ou ceUe légion, qui \
pas Chevalier Romain.
Ceft ici le lieu d'expliquer ce que fignifienc ces deux mots ^ Equo pu-'
llico , qui fe trouvent quelquefois dans les Auteurs , & trés-feuvent dans
les infcriptions. Tantôt ils font ajoutés à Eqius Ramanus^ tantôt ils expri*
ment tout feuls une dignité. Sigonius , Julte^^ipfe , & d'après euxRofiiii •
Valtrinus , Charles d'Aquin » & prefque tous ceux qm ont traité de, la mi«
lice romaine , prétendent , qu^il y a eu , chez Içs Romains , deux fortes
iHEquitcs dès les premiers .fiecles de Rome. Ils oppo(ent les uns aux Séna«
teurs , & ce font , diient-^ils , les Equités equo jmblico^ qui compolôîent
l'Ordre des Chevaliers Romains ; ils oppofent les autres aux . ^ntaffins léf-
gionnaires^ & les appellent Equités jcqwo privçîo; c'étoient, difentnls, les
limples cavaliers. Ils appuirnc cetie Opinion fin* plnfieurs paffiiges nuden»*
tendus. Cette dtftinâion a éré détruits , lorfqu'on a prouvé que POrdre des
Chevaliers Romains ne fub(Uloit pas avant les Gracques , & qu'il n'y avoit
jufqu'alors d'autres Equités que les cavaliers des Légions. Si on veut voir
une réfutation détaillée du fenciment de Sigonîus fur ces Equités equo prir
vato , dont l'antiquité ne dit pas un mot , & qui n'ont jamais exifté y ou
peut confulter la Préface de Grévius au premier tome de fon Tréfor des
antiquités romaines.
Nous nous contenterons d'expliquer ces termes , equo .publico ; ce qm
«ous donnera lieu de développer encore plufieurs choies fur l'état & l'or*
'Att dès Chevaliers Romains depuis Cicéron. Dès les premiers temps, oi
appelloit Equus publicus, les chevaux des cavaliers légionnaires, paùrceqoe
jhi République les fourniflbit, & qu'ils étoient donnés par les Cenfeurs. Mais
tious ne trouvons pas qu'avant Cicéron aucun Auteur ait employé ces ter-
tres, Eques equo publico) & il y a lieu de croire que cette «xpreffion eft
^n^e vers le temps même de Cicéron ^ lorfque les Chevaliers Romains s'étant
tout-à-fatt féparés de la cavalerie des légions , fe diftinguerent par cette addi-
tion y Equo publico , des Chevaliers qui s'appellerent fimplement Eqaitif*
Ainfi Equités equo publico étoient les Chevaliers Romains qui recevoient
de la République un cheval , non plus pour fervir, comme autrefois, dans
la cavalerie , mais par diftinâion & par honneur. Ce n'efi pas que les che-
vaux des cavaliers ne fuffent fournis & entretenus aux dépens àe PEcar;
«mais, comme ils étoient donnés ians cérémonie par ceux mêmes qui fi»-
-fbiént les levées , la qualité de pnblicus fut affeâée aux chevaux , que tes
*^cenfeurs & enfuiceles Empereurs donnoient folemnellement aw nom de la
République. On étoit Chevalier par la. naiflance; mais^ par ta donation
du<:heval, on entroit dans les compagnies qui s!!appelIoient aa^mm ^quê»
rum publicorum , & on devenoit alors Eques equo publico.
Cette éptthere de publicus ne & donnoit pas feulement an èheval ; elle
caraâérifoit quelqudFois le Chevalier fnétne. Li^orius a donné une inlcvip-
C H E V AL I E R S R O M A I N S, ^a^
tion , que Francefco Maria Pratiiti a renouvellée dans fa defcription de la
voie Appia , où Equcs publicus ne paroit fignifier que ce qui eft marqué
ailleurs par Eqiio publico.
Cicéron , dans la (ixieme FhiKppique, fe moquant, des flatues que fe
fidfoit drefTer à lui-même L. Antonius , frère de Marc<-Antoine » parle del
celle dont l'infcription fuppofoit qu'elle lui étoit érigée par les Chevaliers
Romains, & qu'ils le reconnoiflbient pour proteâeur de leur Ordre. Ec
ce qui prouve qu^ Equités Romani equo publico' n'étoient pas une efpece
particulière de Chevaliers, mais que tous les Chevaliers en général s'ap«
Eelloient ainfi , c'eft que ceux mêmes , à qui Cicéron donne ce nom dans
i fixieme Philippique , font défignés dans Iw feptieme fit ces mots , Cen-*
turiœ equitUm Komanorunn ; ce qui comprend tous les Chevaliers. Il ap-*
pelle ironiquement L. Antonius Patronus Centuriarum cquitum Romane^
rum^ le Proteâeur des Centuries des Chevaliers Romains.
Cependant, Pline nous dit que du temps d'Augufte les Chevaliers Ro^
mains , revêtus de la qualité de juges , portoient le nom de Judices & non
A^ Equités , & q«e ce dernier nom étoit réfervé à ceux qui , divifés en plu-
fieurs compagnies nommées turmes , avoient un cheval fourni par la Répu^
blique. Par-là il nous donne à entendre deux chofes, i^. qu'alors les Che^
valiers Romains, quand ils entroient dans la judicacure, quittoient le nom
i^Equites pour prendse celui de Judices ^ & qu'ils fortoient des compagnies
nommées Turmœ cquorum publicorum.^ 2^ Que cette diftin6iion ne fub-
fiiloit plus de fon temps, & que les Chevaliers Romains, même pendant
leur judicature , confervoient le nom à^Equites. En effet , plufieurs infcrip-»
dons I fans doute poftérieures à Augufie , nous donnent des juges avec lé
titre. èiEquo publico. »
Tant que les Equités Romani compoferent la cavalerie légionnaire , cha«
que légion contenoit dix compagnies de cavaliers, & ces compagnies tt
fiommoient Turmes ; nom qui fe conferva , mais dans un autre fens , parmi
les Chevaliers Romains , lorfqu'ils fe fiirent détachés des légions. Tout le
corps des Chevaliers Romains fe divifoit en (ix turmes , dont chacune avoit
fon commandant , qu'on appelloit Sévir Equitum Romanorum. Toutes ces
turmes font nommées fur les marbres, excepté la fixieme, qui ne s'efl
encore trouvée dans aucune infcription félon la^remarque de Fabretti. Mais^
le nom de Seyir témoigne affez qu'il y avoit fix turmes, comme (ix com<^
mandans. De tous les Auteurs , Capitolin eft le feul qui parle de ce févi«
rat; il dit qu'Antonin , après avoir défigné Conful Marc*AureIe, le fit Sévir
des turmes des Chevaliers Romains . Mr. Spanheim prétend qu'ici cette qua«
Uté eft la même que celle de Frinceps juventutis. Mais les infcriptions prou^
vent que le Sévir étoit inférieur au Prince de la jeuneffe. Quand les Che-
valiers ^Rjomains pafTofent en revue , ce qu'on appellôît tranfveSio , ils ft
partageoient en fix éfcadrons, dont chacun avoit fon commandant; le chef
générai àe toute cette cavalerie , celui qui commandoit à tous les Sévirs>
^24 CHEVALIERS ROMAINS.
écoic le Princeps juvenmtisi & depuis que les Chevaliers Romains , pour
la dignité de Sévir , au' lieu de celle de Princeps juventutis. Adrien lui
avqit déjà donné le cheval public à Tâge de ûx ans , félon le même Ca«
pitoUn.
Turnebe prérend que ces ûx nirmes de Chevaliers Romains ont rapport
à l'ancienne divifion en rhamnes, titUn/es, luccrts^ dont chaque partie fe
divifbit en primi & fccundi. Nous ne voyons aucun fondement à cette opi«*
nion. Ces noms imciens ne fubfifioient plus fous les Empereurs; & ces
turmes ne font diftinguées dans les infcriptions que par les noms de nom*
bre y prima , fecunda , &c.
Peut-être cette divifion des Chevaliers Romains en fix turmes, ^'avoit-
elle lieu en aucune autre occafion que dans les deuje revues appellées tratif^
vcSio & eauitum probatio. La dignité de Sévir , o'étoit\ félon Reinéfius,
qu'une diftinâion de pompe & de cérémonie. Ces deux revues étoient
peut-être les feules rencontres où les Chevaliers Romains fe trouvoirat réu«
nis ; & il paroit qu'après avoir reçu de l'Empereur le cheval public , la
i>rife de pofleflîon de la dignité de Chevalier Romain confiftoit à paroitre
a première fois dans la tranfveâion^ en habit d'ordonnance, dans la tur«
me où on étoit enrôlé.
Nous voyons dans Gruter , le' cheval public donné par Trajan , par Adrien p
ar Antonin ^ par Marc-Aurele & Vérus, par Sévère & Caracalla. On ne
ait même (i les Chevaliers Romains ne prenoient pas quelquefois^ comme
ëpithete , le nom de l'Empereur qui leur avoit donné lé cheval public. Du
moins fembloit^il que le mot Sevcrianus peut très-bien s'expUquer ainfi
dans une infcription de Fabretti.
Oh ne trouve plus dans les infcriptions le cheval public donné par les
Empereurs depuis Caracalla. Il paroit jpar les termes d'Ulpien, au Digefic^
que de ion temps cqiius publicus ne ngnifîoit plus que le cheval de pofte^
les relais dont on fe fervoit pour porter promptement les ordres du Prince.
Il y avoit aulfî à Athènes un ordre de Chevalier. Pour être de cet or-
dre , il falloit avoir trois cetits mefures de revenu ^ & être en état de nour-
rir un cheval de guerre. Cet ordre faifoit la féconde claffe des citoyens.
Les Chevaliers Athéniens faifoient tous les ans , le dix-neuvieme du mois
de Mai, une procellion à cheval dans toutes les rues en l'hoimeur de Ju«
{>iter. Ce fut ce jour-là même que Phocion but le poifon mortel. Quand
es Chevaliers Athéniens pafferent devant la prifon, les uns ôterent les cou-
ronnes de deflus leur tête ; les autres» jettant les yeux far les pones de
cette prifon , fondirent en larmes \ & ceux , à qui il reftoit quelque fentî'
ment d'humanité , & qui n'avoient * pas i'ame entièrement corrompue &
aveuglée par la colère ou par l'envie , trouvèrent que c'étoit une trés«grande
impiété
i
CaEZERY.{ Pays &VaUce de) CUlFFLET.i Jean- Jacques) 62$
impiété à la ville de n^avoîr pu fe contenir ce jour-là , ni s'empêcher ^
pendant une fête fi folemnelle, de fe fouiller de la mort violente d'un
homme*
itfH
CHEZERY, ( Pays & Vallée de ) cédés à la France^ & réunis <iu
Gouvernement Général de Bourgogne par Particle I. du Traité des Limites
conclu à Turin ^ entre le Roi de France & le Roi de Sardaigne^ te z^
Mars zy6o.
c
ETTE vallée eft fitnée à la rive droite du Rhône, & s'étend juf-
lieue dans fa plus gratide largeur , & la terre y efi fertile en bons pâtu-
rages & en grains. Indépendamment de la petite ville ou bourg de Chezery
fon chef-lieu y elle renferme encore 17 villages.
CHIFFLET,( Jean-Jacques ) Auteur Politique.
I SAN- JACQUES CHIFFLET , premier Médecin du Roi Catholique
^ dans les Pays-Bas ^ publia contre la France, vers Pan 16^^^ un livre
ou libelle où il hafarda plufîeurs propofîtions contre la loi faliqué dont il
conteftoit l'autorité; & où il foutint, à la faveur d'une faufTe généalogie»
que Hugues Capet y tige de la race de nos Rois, ne defcendoit point de
Charlemagne, même par les femmes; qu'il n'avoit tranfmis aucun droit à
fes fucceueursy mais que la race maîculine de Charlemagne ayant été
éteinte , (on Royaume avoit dû paifer aux Princefles de fon fang ; & que
le droit en étoit par conféqoent dévolu à Philippe IV, Roi d'Efpagne, qui,
lelon cet . Ecrivain , defcendoit de Charlemagne par les fetnmes.. Ce li«
belle fut folidement réfuté par Blondel en deux vol. in-folio^ ^ par Do«
minicy. Voye{^ Partick Dominicy*
Tome XI. Kkkk
6x£ C H I F F R E.
CHIFFRE, f. m. Certains caraclcrcs inconnus , déguifcs , ou varies
dont on fe fert pour écrire des lettres qui contiennent quelque chofe de
fecret^ afin qu^elles ne foient pas comprifes par ceux qui rCen ont pas
la clef»
L.
<^ Sieur Guillec de la Guilleriere, dau un li^re xiiVLVdSé' Lacidimone
ancienne & nouvelle ^ prétend que les anciens Lacédémoniens ont été les
inventeurs de l'arc décrire en chif&e.
Ledrs fcytales furent , félon lui, comme Tébauche de cet aitmyfttîrieux:
c^étoient deux rouleaux de bois d^une longueur & d'une épaifleur égale.
Les éphores en gardaient un , & l'autre étoit pour le génénd d'armée qui
marchoit contre l'ennemi.
Lorfque ces Magiftrats lui vouloient envoyer des ordres fecrets, ils pre-
noient une bande de parchemin étroite & longue , qu'ils rouloient ezaâe*
ment autour de la icytale qu'ils s'étoient cefervée ; ils écrivoient alon
deflus leur intention; & ce qu'ils avoient écrit formoit un fens par&it &
fuisj^i^ tant que Ja: bande de parchemin éroit appliquée fur le rouleau^t
mais dès qu'on la développoit^ l'écriture étoit tronquée & les mots fans
liaifon , & il n^y avoir ^ue leur général qui p&t en trouver la fuite & le
fens , en ajuftant la bande fur la fcytale ou rouleau femblable qu'il avoir.
Polybe raconte qu'Encare fit , il y a environ deux mille ans , une col*
leftion de vingt manières différentes qu^l avoit inventées /ou dont ons'é*
toit fervi jufqu'alors pour écrire ; de manière qu'il n'y eut que celui qui
en fiivoit le lecret^ 4"^ Y P^^ comprendre quelque chofe. Trithême, le
capitaine Porta, Vigenere, & le père Nicéron minime, ont fait des trai-
tés fur les chiffres; & depuis eux, on a encore bien perfëâionné cette
manière d'écrire.
S'il efl vrai , comme le penfent les plus habiles Moralifles , que furpren-
dre malicieufément le fecret d'autrui, c'efl commettre un larcin mortel»
"on s'étonne avec raifon que la tnéthode d'ouvrir, en temps de paix, les
lettres & dépêches des Minières publics , pour en découvrir furtivement
ieeontedu,' foit encore eti ufagë parmi les Souverains du XVIII«* fîecle.
Un Prince qui , de nos jours , empôifonneroit les rivières qui portent
leurs eaux vers l'ennemi , qui fèroit périr de fang-froid des prifonniers
de guerre, & qui exercerait quelque inhumanité, ou fèroit une injuftice
manifefte à un autre Souverain, pafTeroit pour un Prince barbare, & ne
fe laveroit de cette honte, ni aux yeux* de l'Europe, ni à ceux de la pof-
térité ; mais fouler aux pieds le droit des gens , en violant la fureté des
poftes, que tout le genre- humain eft fort intéreflë à rendre facrées, c'eft
une aâion qui n'efi pas auflî décriée qu'elle le mériteroit^ & qu'on envi-
C H I F F R fiî
éxj
fage prefque comme une prudence politique. Maif, au bout du compte ^
qu'y gagne-t-on} On autorife toutes les autres Puiflances à agir envers
nous comme nous agiflbns à leur égard. Il en efl de cette déloyauté
comme des inventions qu'on trouve pour fe rendre plus formidable à la
guerre, & pour exterminer plus aifément les hommes. L'ennemi fe les
approprie au bout d'une campagne , les tourne contre nous , & finalement
aucun Souverain n'y gagne ; mais le genre-humain y perd.- On répand
d'ailleurs fur les charges de ceux qui dirigent les af&ires publiques, &
fur celles des Négociateurs, une vériuble amertume, par la nécemté de
chiffrer toutes les dépêches de conféquence, vu qu'elles coûtent plus de
temps & plus de peine méchanique à mettre en ôhiffres, qu^à compo(èr.
Nous entendons ici par le mot de chiffre , une manière d'écrire déguifèe
par des caraâeres inconnus , ou par des nombres arbitraires dont les cor-*
relpondans conviennent entr'eux, & par le moyen delquels ils marquent
non-feulement les lettres de l'alphabet, mais auffi des mots & des phra-
fes entières. Cet alphabet , que chacun des correfpondans garde de (on
côté, & qui lui fert de clef, tant pour chiffrer , que pour déchiffrer, cette
efpece d'écriture myftérieufe , eft nommé paiement Chiffre. Tous les ca-
binets de l'Europe ont des chiffres diffêrens. Loriqu'un Miniftre part poue
quelque ambaflade ou l^atÎQn , le département des af&ires étrangères lui
remet trois chiffres , le Chiffre chiffrant, le Chiffre déchiffrant, & le Chiffre
banal. Le Chiffré chiffrant, partagé en colonnes, marque» dans la pre-
mière colonne à gauche , non*feulement les lettres de l'alphabet ; maif
auffi les fyllabes» les mot» & les phrafes, dont probablement, il a le plut
fréquent ufage à faire dans le cours de fa négociation, les noms des Sou«
verains ou Républiques , de leurs principaux Miniflres , &c. Cette colonne
efl imprimée 9 mais la colonne à côté efl remplie en écriture , par le dé-
partement des affaires étrangères , des nombres , Chiffres , ou caraâeres ^
dont on juge à propos de défsgner la lettre, le mot ou la phrafe, comme ^
par exemple ;
Chiffre chiffrante
J9 . . . • • •
\j . • . . • •
KfC» m . ... •
VEmpenur . .
Ze Roi de France.
Les Êtats^ Généraux
Le Cardinal . .
V Armée du Alliés
Avantage . . .
Brouiller , &e^ •
4$-
i6o.
311.
1010;
8of.
9-
506.
33-
IIOO.
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36.
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20.
1000.
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301.
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loi.
2020.
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6c.,
•
1
•
Kkkk
2
6a8 Chiffre.-
<
On a foin de. ranger par ordre * alphabétique les noms fubftantifi» « les ver^
bes & les phrafes félon leurs lettres initiales pour la commodité du chif-
freur, & Ton emploie divers nombres , dont le chif&eur peut fe fervir à
fon choix pour défîgner le même mot^, afin de mieux déforienter le lec-
teur curieux.
Les articles d^une dépêche, qui méritent le fecret, doivent être chif&és
tout du long fans y mêler des mots écrits en càraâeres ordinaires , parce
que ces mors, quelqu'indifFérens qu'ils piiiffent paroUre, étant ainu en-
chaflës dans le chiffre, peuvent faire deviner une partie du refte, ou du
moins découvrir la matière dont on parle , ce qui eft déjà un grand ache-
minement k trahir le^fecret. Il ne faut pas négliger aufli de diftinguer
tous les mots par un point , qu^on met derrière chaque nombre , puifque
fans cette précaution une dépêche feroit indéchiffrable pour le correfpon*
dant, qui ne pourroit fe fervir de fa clef, les nombres étant confondus.
Le chiitreur fera bien, pour fa commodité , de découper les feuilles de
fon chiffre, & de les fufpendre par ordre alphabétique cont!re la muraille,
vis-à-vis de fon bureau , de manière qu'en levant fimplement les yeux il
puifle trouver chaque mot avec le nombre à côté , ce qui abrège beau-
coup plus r.ouvrage que lorfqu'on efl obligé de feuilleter le chiffre comme
«n diâionnaire. Mais la meilleure méthode efl de diâer le chiffre à deux
copifles à la fois, n'importe qui ils foient, parce qu'on ne leur fait écrire
que des nombres auxquels ils ne fauroient rien comprendre. On obtient
par-là plufîeurs avantages. En premier lieu, c'efl la façon la plus com-
mode ; fecondement , on fe dépêche plus vite j troifiémement , on fait le
duplicata de fon rapport par une feule opération, & ces duplicata font
furrtout néceffaires dans des temps de guerre , ou lorfque le Souverain
& les Minières du cabinet ne fo' trouvent pas au même endroit; Quatriè-
mement , on^ peut confronter les deux diâées , & voir d'abord (i l'un ou
l'autre des copifles a fait la moindre faute, qui, étant corrigée fur" le
' champ , donne une grande correction au chiffre , où il efl fi aiië de faire
des fautes d'inadvertance , malgré toute l'attention humainement poflible
qu'on y apporte-
Le Chiffre déchiffrant, marque,, dans la . première colonne à gauche,
tous les nombres dont le Chiftre chiffrant efl compofë,- depuis le [dus bas
jufqu'au .plus: haut, dans leur ordre naturel^ & la colonne à- droite cen«
tient le mot, la phrafe, ou la lettre que chaque nombre défîgne. Lorf-
qu'on veut déchiffrer, quelque dépêche, on. cherche « dans ce Chiffre dé-
chiffrant la figoification de chaque nombre qui fe préfente , & on l'écrit
au-deffus entre les lignes ^ (a) lefquelles, pour -cet effet, doivent être ef-
(a) Comme, par exemple ; /^ Miniflrc .d*ici jsft tout dévoué mux intérêts d€ PAngtacne;
. !©*• ^5» 44- .9« X209. 70. , ^3pt 888.
c\fi le fruit de dix mille guinées , femées à prpp'os. '
/
CHIFFRE. «29
peine à déchiffrer qu'à chiffrer.
Si le chiffre eft bon , & la dépêche^ bien chiffrée , fans mélange de
mots écrits à clair, on peut affurer hardiment que ce font lettres clofes
pour les curieux, & qu'elle eft indéchif&able pour tous ceux qui n'en ont
pas la clef. Mais comme l'argent efl la clef de bien des chofes , & qu'il
y a malheureufèment beaucoup de traîtres dans le monde , les Chiffres
font quelquefois vendus par des commis , ou des fecrétaires infidèles^
Pour peu qu'on (bupconne une pareille trahifon, on tâche de tourner con--
tre la cour qui a tait acquifition de notre Chiffre fon propre artifice^, Se
de la faire donner dans les panneaux qu'elle nous tend. La cour écrit à
ion Miniftre ^ ou le Miniftre mande à fa cour, tout le contraire de fes
véritables intentions, ou des nouvelles qu'on veut fe communiquer. On
met enfuite un (igné, une marque, ou caraâere, un mot, ou une phrafe
(dont le Miniftre du cabinet eft convenu avec Ip négociateur avant fon
déffart) qui annulie non-feulement tout ce qui vient d'être dit, mais qui
déugne auffi qu'on doit l'entendre dans le fens tout*à*fait oppofé; & d^efk
ce qu'on appelle le Chiffre annulant. Lorfqu'on découvre qu'une cour fait
des démarches pour corrompre nos employés, & obtenir par ce mo^ërf
la clef de nos Chiffres, on lui fait parvenir adroitement un hux Chiffre^
& on l'induit dans toutes les erreurs qu'on veut, en écrivant mille contre-
vérités dans des dépêches feintes , & faifant parvenir les véritables ou par
des copriers, ou par d'autres voies indireâes. Enfin l'induftrie des h6m^
mes, aiguillonnée par l'intérêt & la néceffîté, a inventé, & invente en^
core tous les jours , des chifEres & des règles pour les déchif&er , des pie«
ges pour y attraper un adverfaire, & des moyens pour s'en garantir. JJh
volume entier ne fuffiroit point pour rapporter en détail toutes les inven^
tions de cette nature , qui font connues dans le grimoire des né-
gociateurs.
La cour doit avoir avec chacun de fès Miniftres dans les pays étrangers
BU Chiffre différent. Mais comme il importe fouvent au bien des affaires
générales que ces Miniftres lient entr'eux des correfpondances particulières ^
on leur remet un Chiffre banal qui leur eft commun à tous, & dont ils
peuvent fè fervir pour s'entre-communiquer des nouvelles, ou des dé^
couvertes importantes» Il eft fait far le modèle des autres bons chiffres;
Au refte , nous avons déjà dit ailleurs (a) notre (entiment fur la manière
de déchiffi-er fans clef. C'eft un art auffi pénible qu'incertain , & qui échoue
toujours contre un Chiffre bien £iit. Les livres qui en traitent nous don-»
{a) An, Affaires Étrangères j r, I.pagt 4:^9.
éjej CHILI.
nent des reglM fi vagues , fi peu fatisfaifances , Qu^on voit bien que ton
y eft fondé fur des conjeâures , & qu^un déchinreor fiuneuz oe doit £i
réputation qu^à l'ineptie & à k négligence de ceux dont il devine
le Chiffre. ^ *
Le Chiffre à fimple clef, eft celui oii on fe fert toujours d'une même
figure pour fignifîer une même lettre : ce qui fe peut deviner ai((iment
avec quelque application.
Le Chiffire à double clef, eft celui où on change d'alphabet à chaque
mot, pu dans lequel on emploie des mots fans fignifî cation.
Mais une autre manière plus fimple &c indéchiffrable , eft de convenir
de quelque livre de pareille & même édition. Et trois chiffres font la cle£
Le premier Chiffre marque la page du livre que Ton a choifi; le fécond
Chiffre en défigne la ligne i & le troifieme , marque le mot dont on
4oit fe fervir. Cette manière d'écrire & de lire ne peut être connue que
de ceux qui favent certainement quelle eft l'édition du livre dont on fe
lert; d'autant plus que le même mot fe trouvant en diverfes pages du
livre, il eft prefque toujours défigné par diffërens Chiffres : rarement le
même revient-il pour fignifîer le même mot. Il y a outre cela les >sn«
cres iècretes, qui peuvent être auffi variées que les chiffres. .
CHILI, grand Pays' dt VAmiriqut Méridionale , k long de la ma
du Sud.
c
^E pays eft borné au nord par Rio Salado , qui le fépare du Pérou. Les
Andes le féparent à l'orient du Tucuman , jufqu'à la fource de la rivière
prennent la terre Magellanique fous le nom général de Chili ^ mais noot
ne parlons ici que du Chili proprement dit.
On peut le divifer en trois parties, favoir, deux à l'occideat & une
à l'orient. Des deux parties occidentales, celle qui eft le plus au nord eft
l'Evêché de fan Jago, la plus méridionale eft impériale. La troifieme qtd
eft du côté du levant , porte le nom de Cuyo , ou de Chicuiio , & eft bor«
née au couchant car les Andes. Le nom de ChUi lui vient de la petite ri-
vière de Chili , qui le traverfe. Les Yncas foumirent à leurs (âges loix une
partie de cette vafte contrée ^ & ils fe propofoient d'y aifujettirle refie; mais
ils trouvèrent des difficultés qu'ils ne purent vaincre.
Ce grand projet fut repris par les Efpagnols aufli-tôt qu'ils eurent fait la
conquête des principales provinces du Féfou. Âlmagro parti de Cufco au com-
mencement de 1535 traverfa les CordiUieres; & quoiqu'une grande partie
CHILI. ^31
ées foldats qui le fuîvoient y eufleot trouvé la mort, il &e reçu aveé une
Ibumiflion entière par les peuples anciennement dépendans du trône qu'on
venoic de renverfer. la terreur de Tes armes lui auroit fait obtenir vraiiem-
blabiement de plus grands avantages , fi des intérêts particuliers ne l'euflenc
ramené au centre de l'Empire où il trouva une mort tragique.
Les Efpagnols reparurent au Chili en 154c. Valdivia qui les conduifoic
y pénétra avec une facilité extrême. Les nations qui l'habicoient vouloient
faire leur récolte. Dès qu'elle fut finie on prit les armes. La guerre dura
dix ans fans interruption. A la vérité quelques cantons découragés par les
pertes continuelles qu'ils fàifoient, avoient pris le parti de fe foumettre;.
mais d'autres défèndoient toujours leur liberté » quoiqu'avec un dé(àvantage
prefque continuel.
' Un capiuine Indien, auquel fon âge & (es infirmités ne permettoient pas
de fortir de fa cabane , entendoit toujours parler de ces malheurs. Le cha;
grin de voir les fiens conflamment battus par une poignée d'étrangers , lui
donna des forces. 11 forma treize compagnies de mille hommes chacune
qu'il mit à la queue l'une de l'autre, & les mena à l'ennemi. Si la pre-
mière étoit mife en déroute, elle de voit éviter de (e jetter fur la fécon-
de, & s'aller rallier fous la protedion de la dernière. Cet ordre qui fut
fidellement fuivi déconcerta les Efpagnols. Ils enforrcerent fucceffîvement
tous les corps fans en retirer aucun avantage. Les hommes & les chevaux
ayant également befoin de repos , Valdivia ordonna la retraite vers un dé-
filé , où il prévoyoit qu'il feroit aifé de fe défendre. On ne lui donna pas
le tems d^y arriver. Les Indiens de l'arriere-garde s'en étant emparés par
des voies détournées, tandis que ceux de l'avant-girde fuivoient fès pas
avec précaution, il fut enveloppé & maflàcré avec les cent cinquante ca-
valiers qui fermoient fa troupe. On verfa , dit-on , de l'or fondu dans fa
bouche. Abhrcuve-toi donc de ce métal dont vous êtes fi fort altérés toi &
les tiens , lui crioient les fauvages.
Itâ profitèrent de leur viâoire pour porter la défolation & le feu dans les
ëtabliflemens Européens. Plufieurs furent détruits , & tous auroient eu la
même deftinée fi des forces confidérables arrivées à propos du Pérou n'euf-
fent mis les vaincus en état de défendre leurs poftes les mieux fortifiés.
On s'étendit un peu dans la fuite, mais on ne fit jamais un pas fans com-
battre. De toutes les contrées du nouveau monde où les Efpagnols ont voulu
établir leur domination , c'eft celle où ils ont toujours trouvé « où ils trou-
vent encore une plus grande réfiflance.
Leurs plus irréconciliables ennemis font les habitans d*Arauco & de Tu-
capél , ceux qui habitent au fud de la rivière de Biobio , ou qui s'éten-
dent vers la Cordilïiere. Leurs mœurs qui reflêmblent beaucoup plus à cel-
les des fauvages de l'Amérique fèptentrbnale qu'aux mœurs des Péruviens
leurs voifins , les rendent redoutables. Ils ne portent que leur corps à la
guerre I & ne traînent après eux ni tentes iii bagages. Les mêmes arbres
éji CHILI.
dont ils tirent leur nourriture leur fournirent les laûces & les îavelots dont
ils font toujours armés. AlTurés de trouver dans un lieu ce qu'ils avoient
dans un autre, ils ne regrettent point une grande étendue de pays qu'ils
abandonnent. Tout féjour leur eu égaL Leurs armées , fans embarras de
vivres ni de munitions , fe meuvent avec une agilité furprenante. Us ex-
pofent leur vie en hommes qui n'y font pas attachés ; & s'ils perdent leur
champ de bataille , ils retrouvent leurs magafins & leurs campement ,
par-tout où il y a des terres couvertes de fruits.
Us invitent quelquefois leurs voifins à fe joindre à eux pour attaquer
l'ennemi commun , ce qui s'appelle faire courir la flèche , parce que cet
appel vole d'une habitation à l'autre avec autant de célérité que de fecrec
Le plus fouvent un ivrogne crie qu'il faut prendre les armes. Les efprits
s'échauffent \ on choifit un chef, oc voilà la guerre. Dans les ténèbres de
{a nuit fixée pour commencer les hoflilités , on tombe fur le premier vil-
agç où il y a des Efpagnols , .& de-la le carnage. fe difperfe dans d'autres.
Tout y eft maffacré , excepté les femmes blanches qu'on ne manque ja-
mais d'amener. De-là vient qu'il y a tant d'Indiens blancs & blonds.
Avant que l'ennemi ait pu raflfembler fes forces, ils fe réunifient. Leur
armée , quoique plus redoutable par le nombre que par la difciplioe , ne
craint pas d'attaquer les poftes les mieux fortifiés. Ces emportemens leur
réulfiflent fouvent , parce qu'ils reçoivent continuellement des fecours qui
les empêchent de fentir leurs pertes. S'ils ,en font d'aflëz marquées poinr fè
rebuter , ils fe retirent à quelques lieues , & cinq ou fix jours après , ils
vont fondre d'un autre côté.
Ces barbares ne fe croient battus cjue lorfqu'ils font enveloppés. S'ils
peuvent gagner un lieu d'un accès difficile , ils fe jugent vainqueurs , ils
penfent au moins que les fuccès font balancés. La tète d'un Efpagnol qu%
portent en triomphe , les confole de la mort de cent Indiens. Un tel peu-
ple vaincra.
Le pays efl fi vafte que lorfqu'ils fe voient trop preflës , ils abandonnent
leurs poueffions, & s'enfoncent dans des déferts inacceffibles» dans des fo-
rêts impraticables. Fortifiés par d'autres Indiens , ils ne tardent pas à re-
venir dans les contrées qu'ils habitoient. C'efl ce mélangé de fuite & de
réfiflance , d'audace ,& de crainte , qui les rend comme indomptables.
La guerre eft pour eux une efpece d'amufement. Comme ils la font usas
frais & fans embarras , ils n'en craignent pas la durée , & ont pour prin-
cipe de ne jamais demander la paix. La fierté Efpagnole doit fe plier à
en faire toujours les premières ouvertures. Lorfqu'elles font fovorablement
reçues , on tient une conférence. Le Gouverneur du Chili & le génénd In-
dien , accompagnés des capitaines les plus iiftingués des deux partis , rè-
glent dans les plaifirs de la table les conditions de l'accommodement. D
en coûte toujours quelques préfens aux Efpagnols^ qui, après cent tentar
tives , plus foneftes les unes que les autres ^ ont été forcés de renoncer à
i'efpoir
CHILI. *î^
Vefpoir d'ëcendre leurs frotttieres , & réduits à les Couvrir par de fortes pla-
ces de diftance en difiance. Ces précautions, ont pour objet d'empêcher let
Indiens fournis de fe réunir aux fauvages indépendàns, & ceux-ci défaire
des incurfions dans les colonies.
Elles font répandues fur les bords de la mer du fud. Un défert do
quatre-vingts lieues les fépare du Pérou , & l'ifle de Chiloé les borne du
côté du détroit de Magellan. Dans cette grande étendue de côtes , on no
trouve de villes que Chacao , Valdivia , la Conception , Valparayfon ^ Co«
quinpo ou la Serena qui font en même-temps des ports. L'intérieur des
terres foumifes qui s'étend quelquefois jufqu'à trente lieues , en a moins
encore. La (eule qui y mérite quelque attention ,, eft Santiago capitale du
gouvernement. Les villages ne font pas en beaucoup plus grand nombre {
& loin des villes , il eft rare de voir des habitations irolées. Lts bâtimens
font bas par-tout , de brique crue , & le plus fouvent couverts de paille.
Cette manière de fe loger convient également , & à la nature du pays
où les tremblemens de terre font fréquens^ & à l'indolence des habitans»
Ils font robuftes , bien faits , mais en petit nombre* Dans ce grand éta-
bliffement , il n'y a pas vingt mille blancs , & plus de foixante mille ne^
gf es ou Indiens , en état de porter les armes. L'état de guerre de cette co« ^
jonie , était autrefois de deux mille hommes ; leur entretien fut trouvé trop
cher , & on les réduifit à cinq cents au commencement du fiecle. La tranr-
quillité n'y a pas été altérée par ce changement , parce que les Indiens
n'y paient point de capitation , & qu'ils y font traités avec plus d'humanité
3ue dans les autres provinces conquifes. La valeur avec laquelle ils avoient
éfend^ leur liberté , leur fit obtenir des conditions plus avantagçufes ^
lors même qu'ils eurent le malheur de la perdre ; 8i la crainte de les voir
fe réunir aux nations voifines & indépendantes, a toujours empêché depuis
^u'on ne violât cette capitulation.
Si le Chili eft un défert , ce n'efl pas la faute du climat , Un des plus
fains que l'on connoifle. Le voifinage des Cordillieres, lui donne une déi-
licieufe température que fa pofition ne permettoit pas d'efpérer. Il n'y a
point de Province dans la métropole , dont le fëjour puiffe être plus
agréable.
On a trop exalté, la richefTe de fes mines d'or. Celles de Petorca ,^
d'Yapel , de Lumpangui , de Lavin , de Ligua , de Tiltil , qu'où exploite
depuis Iong*temps , font des mines ordinaires. Il s'en découvre de temps
en temps de nouvelles , mais tomes fi fuperficielles , que la veine fe trouve
épuifée aufli-tôt qu'entamée. Les lavaderos ou torrens qiii entraînent des
métaux, font auflt communs & ne font pas plus utiles. Ces produits réu-
lus forment la valeur d'un million de piaflres. On les exportoit autrefois
en nature. Depuis 1749, ^'^ ^^^^ fabriqués dans l'hôtel des mosnoies éta^
bli ^ Santiago. L'excellent cuivre qui fort des mines de Coquimbo fe répand
dans tout le. Pérou,.
Tome XI LUI
634 C H I L ï. "
One rîcheffb plus réelle ^ quoique moins chère à Tes po(!èiIeurs , c^eff la
fertilité du fol. Elle eft prodigîeufe. Tous les fruits de l'Europe fe font
perfeâionnés (bus cet heureux climat. Le vin en feroit exquis^ h on ne lui
communiquoit un goût amer en le dépofanç dans des vafes de terre en«
duite d'une forte de rëHne , & en les tranfportant dans des peaux de bouc.
La récolte des grains paffe pour mauvaife lorfqu'elle ne rend pas au-delà
de cent pour un» Le oœuf le plus gros , le mieux engraiffé , fe vend à
peine quatre piaftres. Les chevaux y ont le feu, la fierté des chevaux An-
^alous dont ils tirent leur origine , & le climat ou le fol leur donnent plus
de force & de vîtefle.
Malgré ces avantages , fe Chili n'a point de liaifon direâe avec la mé-
tropole. Toutes ks opérations de commerce fe font avec le Pérou , le Pa-
raguay , & les fauvages de fa propre frontière.
On vend à ces barbares des mors de bride, des éperons, des couteaux,
d'autres ouvrages de fer, diverfes fortes de merceries. Leur parefle & leur
mépris pour Por, fur lequel ils marchent, les réduifent à donner en échange
des bœufs , des chevaux , leurs propres enËins , qu'ils (acrifient aux plus
vils objets.
Quelque naflion qu'ils aient pour ces bagatelles quand ils les voient ,
ils n'y penfent point. ^ quand elles ne fe trouvent pas fous leurs yeux.
Audi ne fortent-ils pas de chez eux pour, fe les procurer v il faut les leur
apporter. L'Efpagnol qui veut entreprendre ce commerce, s'sdreft d'a-
bord aux chefs de famille , feuls dépofitaires de l'autorité publique. Lorf-
qu'il a , obtenu la permiflîon dont tl avoit befoin , il parcourt les habita-
tions, & livre indiffèremment la marchandife à tous ceux qui fe préfen-
tent. Dès que fa vente eft finie , il annonce fon départ , & tous les ache-
teurs s'empreflent de lui livrer dans le premier village oh il s'efl montré,
les effets dont on eft convenu. Il n'y a jamais eu d'exemple de la moin-
tdre infidélité. On lui donne une efcorte , qui l'aide à conduire jufqu'à la
frontière les troupeaux & les efclaves qu^il a reçus en paiement.
Jufqii'en 1724, on vendoit à ces fauvages du vin & des liqueurs for-
tes, dont, ils ont la paftion comme prefque tous les peuples. Dans leur
ivreffe , ils prenoient les armes, ils maflacroîent tous les Efpagnols qu'ils
xencontroiehr, ils fondoient inopinément fur -(es forts , ils portoient la dé-
fofetion dans les campagnes de leur voifinage. Ces expériences cent fois ré-
pétées , ont fait févérement profcriré un genre de commerce ft dangereux*
On recueille tous les jours le fruit d^une politique fi raifonnable. Les mou-
vemens de ces peuples (ont moins fréquens & moins dangereux. Avec
cette tranquillité augmentent fenfiblement les liaifons qu'on entretenoit avec
eux. Mais il n'eft guère pofïible qu'elles deviennent jamais auffi confidéra-
^les que celtes qu'on a avec te Pérou.
i Le Pérou tire annuellement de Chili une grande abondance de cuirs , de
fruits feçs , dç cuivre , de viande falée , de chevaux , huit miUe quintaux de
g
CHILI. <?3ç
chanvre » vingt mille quintaux de faindoux , cent quarante mille fknegues
de froment , &, beaucoup d'or. Il lui fournit en échange du tabac , du fu-
cre, du cacao, de la fàyance, des draps, des toiles, des chapeaux fabri-
qués à Quito, tous les objets de luxe arrivés d'Europe. C'étoit autrefois à
la Conception, c'eft maintenant à Valparayfo qu'abordent les vaifTeaux ex-
pédiés de Callao pour former cette communication. Les voyages furent
quelque temps fi longs, quil falloit co:npter fur une année entière, pour
l'aller & pour le retour. Jamais on n'a^oit ofé perdre les terres dé vue , &
on s'écoit« réduit à louvoyer continuellement. Un pilote Européen, quiavoit
obfervé les vents, n'employa qu'un mois à cette navigation. On le crut
forcier. L'inquifition qui eft ridicule par fon ignorance , quand elle n'ell
as odteufe par fes fureurs , le fit arrêter. Son journal fit fa jufiificatioif. Il
c reconnu que pour avoir le même fuccés , il ne falloic que s'éloigner
des côtes. Bientôt fa méthode fut adoptée univerfellement.
Celle que fuit le Chili dans fon commerce avec le Paraguay, eft bien
différente. La communication des deux colonies ne fe fait point par mer.
Il faudroit , ou pafler le détroit de Magellan , ou doubler le cap de Horn ,
deux routes que les Efpagnols ne prennent jamais fans une extrême né«
ceflité« On a trouvé plus court , plus (ur , & même moin^ difpendieux , dt
fe fervir de la voie de terre, quoiqu'il y ait trois cents lieues de Santiago
à Buenos- Ayres , & qu'il en faille faire quarante dans les neiges & lespré^
cipices des Cordiliieres. Ceux qui ont entendu parler de la quantité de mu-»
lets , de l'abondance de fourrage dont ce grand efpace eft couvert , ne
jugeront pas cette prédileâion aufti déraifonnable qu'elle le paroic au pre-
mier coup^d'œil.
Quoiqu'il en foir , le Chili envoie au Paraguat des étoftes de laine ap«
pelLées ponchos , qui fervent à faire des manteaux. Il envoie des vins , des
eaux de vie , des huiles , fur-tout de l'or. Il reçoit en paiement de la cire ^
un fuif propre à faire du favon , l'herbe du Paraguay , des marchandifes
d'Europe, oc la plus grande quantité de nègres que Buenos* Ayres peut lui
fournir. Ceux qui viennent par Panama , détruits en partie par une longue
navigation , & par des climats divers , font plus chers & moins robuftes.
Le Chili forme un état tout-^-fait diftinâ du Pérou. Son chef eft abrolu
dans les affaires politiques ^ civiles & militaires. L'autorité du Vice-Roi fe
réduit à nommer par provifion à ce Gouvernement, lorfque la mort fur-
prend celui qui en eft pourvu avant que la métropole lui ait défigné ud
fuccefteur. Si dans quelques occafions il s'eft mêlé de l'adminiftration du
pays, il y a été autonté par une confiance particulière de la conr, parla
déférence qu'on a eue pour l'éminence de fa place , ou par l'ambition que
les hommes puiifans ont d'étendre les bornes ée leur pouvoir.
Le Chili qui étoit autrefois défendu par deux mille foldats, n'en a pas
plus aujourd'hui que cinq cents, moitié cavalerie, & moitié infanterie. Il
eft vrai que tous les £fpagnols en état de porter les armes , & diftribués
€}6 C H I L O N. CHINE.
par compagnie , £bnt obligés de fe joindre aux iroupes : maû. que poin^
ri>ienc des bourgeois amolUs & inexpérimentés , contre des homnies vieil-
lis dans l'exercice de la guerre & de la difçipUne? Ce n'eft pas tout. Les
Araucos & leurs amis ne verroient pas plutôt cette diverfion , que même ,
fans y être excités , ils fe mettroient en campagne. Leurs fureurs font fi
connues que tous les effets fe touroeroient contr'eux, Se qu'on ne fooge-
roit guère à s'oppofèr aux entreprifes des Européens.
A
m
C H I L O N\ Ephore de Lacédémone.
V^HTLON Lacédémonten fe conduifit avec tant de prudence & d'intd-
£ité dans Texercice àfi la charge d^Ephore, qu'il fut mis au nombre des
ges de la Grèce. Il étoit contemporain de Solon, de Thaïes & d'Ëfbpe.
On dit qu'il mourut d'un excès de joie en voyant couronner fon fils dans
|'a({ëmblée des jeux Olympiques. Plutarque, nous a tranfmis quelques-unes
de fes maximes : » c'eft , difoit-il, avec la pierre de touche qu'on difHn-
9 gue l'or des autres métaux , & c'eft avec de Tor qu'on apprend à con-
9 noltre la trempe du cœur humain Celui qui médit efl: fouvent obligé
» d'entendre à . fon tour des chofes difgracieufes..... Il ne convient point
» d'éclater en menaces, ce font les armes des lâches & des femmes
» Il vaut mieux confenttr à perdre que de faire un gain hontenx.
L
C H I N E I vafie Empire en Afie.
X
^^'E M PI RE de la Chine borné au Nord par la Tartarie Rufle, au
par les Indes, à l'Occident par le Thibet, à l'Orient par l'Océan, eni«
CM:a(fe prefque toute l'extrémité orientale du continent de TAfie, Son cir*
cuit efi de pf qs de dix-huit cents lieues. On lui donne une durée fuivie de
quatre mille ans , & cette antiquité n'a rien de furprenant^ C'eft la guer««
re y le faiiatifme , le rnalheur de notre fituation , qu'il &ut accufer de la brié^
veté de notre biftoire & de la petiteflè de nos nations , qui fe (ont fuccé*
dées & détruites avec rapidité. Mais les Chinois, enfermés & garantis de
tous côtés par les eaux & les déferts , ont pu , comme ^ancienne Egypte,
former un état durable. Dès que leurs côtes & le milieu de leur conti-
nent ont été. peuplés & culiivés , tout ce qui environnoit ces heureux ha«
bitans a dû fe réunir à eux comme ï un centre d'attra^oa; & les petites
peuplades errantes ou cantonnées, ont dû s'attacher <te proche en proche
à une nation qui ne parle prefque jamais des conquêtes qu'elle a Eûtes,
Ç H I N m Sif
niais des guerres qu'eBe â foufFertes ; plus heuraife d^avoir policé Tes vaia«
queurs, que fi elle eût détruit fes ennemis.
Une région fi ancienùemeac policée , doit porter par-*touc les traces an-*^
tiquer & profondes de Pinduflrie. Les plaines en ont été unies, autant quHl
ëtoit pofiible* La plupaôr^nV>nt confervé que la pente qu^exigeoit la facilité
des arrofemens, regardés, avec raifon, comme un des plus grands moyenai
de Pagriculture. On o'y voit que peu d^arbres , même utiles , parce que lest
fruits déroberoient' trop de fuc aux grains. Comment y trouveroir-on ces
jardins remplis de fleurs, de gazons, de bofquets, de jets^^d'eau, dont ta>
vue propre à réjouir des fpeâateurs oififs, (emble interdite au peuple &
cachée à Tes yeux , comme il Ton craignoit de lui montrer un larcin fait ^
Ot fubfiflance? La terre n'y eft pas furchargée de ces parcs, de ces foréJs*
immenfes, qui fournifTent moins de ifois aux befoins de l^homoie, qu'iW
ae décruifent de guérets & de moiflbns en faveur des ,bêtds qu^on y enfer**'
me pour le plaifir des grands & le défefpoir du laboureur. A la Chine , le
charme des maifons de campagne fe réduit à une fituation heureufe ; à de»
cultures agréablement diverufîées ; à des arbres irrégulièrement plantés ; à^
quelques monceaux d^une pierre poreufe , qu'on prendroit de loin pour dM^
rochers ou pour des montagnes. . .7
Les coteaux font généralement coupés en terra(&s^ fbutenuM p^ir desl^
murailles feches^ On y reçoit les pluies & lei fources dans de^ réfervoirs
UtY
, di^
minué le travail des bras , .& &it avec deux hommes^ ce que mille ne^'
favent point faire ailleurs. Ces hauteurs donnent* ordinairement par an trois
récoites. A une efpece de radis, qui fournit de Phuile, fuccede le cotoâ,
qui» lui*^même, eil remplacé par des patates. Cet ordre de cultâre n'eft paà
invariable, mais il eft commun. . .
On voit fur la plupart des montagnes , qui refiifent de la nourriture aux
hommes, des arbres néceflaires pour la charpente des édifices ^ pour la
confbuâion des vaiffeapx. PhiGeurs renferment des mines de fer , d'étain ,
du cuivre, proportionnés aux befoins deJ^Empire;:OelIes'd^oront étéabah-^
données, foit qu'elles ne fe foient pas trouvées aiTez- abondantes pour payer
les travaux qu'elles exigeoient, foit que les parties qtie les torrens en détâ^^
chent , ayent été jugées fuffifantes pour tous les échanges. -
. La mer qui change de bords comme les rivières de lit ^ mais dans def
efpaces de temps proportionnés aux maffes d'eau v là mei* , <]m fiiit un pas
ttr dix fiecles, mais dont chaque^ pas ' fait cent r^volètions fur ce globe,
couvroif autrefois* les fables , 'qui forment aujourd'hui le Nankin & le Tche^
Kiaiisi Ce. font les plus belles provinces de l'Empire. Lés Chinois ont re-*
pouftô, contenu, maitrifé l'Océan, comme les Egyptiens domptèrent le
NU. , Us ont rejoint au continent ^ des terres que les eaux en avoient fépa-
^3» CHINE.
rées. Ils luttent encore contre ce mouvement fupërieur , qui i tenant au fyftê^
me des cieux^chafTe la mer d'Orient en Occident. Les Chinois oppofentà
l'aâton de l'Univers , la réaéHon de Tindullrie ; &. tandis~que les nations
lès plus célèbres om fécondé par la fureur, des conquêtes, les mains dévo-^
cantcs du temps dans la dévafiacion du globe, ils*lcombatcent & retardent
les progrès fucceflifs de la deftruélion univerfelle / par des efforts qulpa«
roitroient furnacurels , s'ils n'étoient continuels & fenfibles.
A la culture de la terre, cette nation ajoure, pour ainii dire, la culture
des eaux. Du fein des rivières, qui, communiquant entr'elles par des ca-
naux , coulent le long de la plupart des villes , ou voit s^élever des cités
fio^anies , formées du concours d'une infinité de bateaux remplis d'un peu*
pie q^i ne vît que. fur les eaux, & ne s'occupe que de la pêche. L'Océan,
bii-niêiTie , eft couvert & flllonné ne milliers de barques, dont les mâts
M (effemblent, :de loin, à des forêts mouvames. Anfon reproche aux pê^
/! cheurs , établis fur ces bâtimens, de ne s'être /pas diflraits un moment de
leur travail, pour confidérer fon vaiffeau, le plus grand qui jamais eût
st^ouillc dans ces parages. Mais cette infenfibilité- pour une choie qui pa«
foifloit inujtilîe aux matelots Chinpis, ujuoiqu'eUe ne fût pas étrangère à leur
^ profeffion , prouve peut-être le bonheur d'un peuple qui compte pour tout
/^ ^pccupatiof}^ ^ la çurioficé pour rien.
Les cultures ne font pas les mêmes dans tout l'empire. Elles varient
fpivant la nature des terreins & la diverfité des climats. Dans les provin-
ces baffes &c méridionales , on demande à la terre un riz , qui eR conâ«
nue^lement fubmergé^ qui devient fort gros, & qu'on récolte deux fois
chaque anuéç;. Sur les lieux élevés. '& tecs de l'intérieur du pays, le fol
. produit un riz , qui a moûis de volume, moins de goût, moins de fubflan-
ce, & qui ne. récompenfe qu'une fois l'an les travaux du laboureur. Au
Nord, on trouve tous les graitis qui nourriffent les peuples de l'Europe:
ils y font au(Ti abondans & d'aufli bonne qualité que dans nos plus ferti«
les contrées. D'une extrémité de la Chine ^ l'autre, l'on voit une grande
abondance de lég^imes. Cependant ils ibnt plus multipliés au Sud,. où, avec
le poiffon, ils tiennent li^u au peuple de la viandei,''dont l'ufage efl gêné*
rai dans d'autres provinces; Mail, ce qu'on connoit , ce qu'on . pratique
univerfellemept, c'eft l'amélioration des terres. :Taut engrais eft confervé,
tout engrais efi mis à profit avec la vigilance la plus éclairée, :& ce qui
A fort de la terre féconde ,/y rentre pour la féc^onder encore. Ce grand fyflê-
ine de la nature, qui fe reproduit de fes débris ,'eÔ mieux entendu » mieux
fuivi à k Cl^ine avie d^nstou$ les' antres pays du. monde.
yn Phiîofpphe fenlSible , & que l'erprit d'obfervatiàn a conduit dans cet
Énipire^ a connu & développé Içs fources derl'économie rurale des Chinois.
. La piçrriifire.efl le caraâere <ie lainatipn la plus IMiorieufe que l'on
connoide^ & l'une de celles dont la cpnftitution.pbyfi^e^ exige le. moins
de repos, Toys Içs Jpqrs 4e Tannée font pour elle des jours de travail, ex-
CHINE. ^30
\
cepté le premier I deftiné aux vifites réciproquesr des Jamilles , & le dernier^
coofacrë à la mémoire des ancêtres. L'un ' eft un devoir de focié ce , l'autre
un culte domeftique. Chez ce peuple de fages^ tout ce qui lie & civilife
les hommes eft religion, & la religion elle-même n'eft que la pratique des
verms fociales. C'eft un peuple mûr & raifonnable, qui n'a befoin que du
frein des loix civiles pour être jufte. Le culte intérieur eft l'amour de fes
pères, vivans ou morts; le culte public eft l'amour du travail } & le tra*-
vail le plus religieufement honoré, c^eft l'agriculture.
On y révère la générofité de deux Empereurs, qui, préférant l'Etat à leur
famille, écartèrent leurs propres en&ns du trône, pour y faire afleoir des
hommes tirés de la charrue. On y vénère la mémoire de ces laboureurs,
qui jetterent les germes du bonheur & de la Habilité de l'Empire , dans le
iein fertile de la terre» fource intariflable de la reproduâion des moifTons,
& de la multiplication de& hommes.
A l'exemple de ces Rois agricoles, tous les Empereurs de la Chine le
font devenus par état. Une de leurs fondions publiques , eft d'ouvrir la terre
au printemps, avec un appareil de fére & de magnificence qui attire, des
environs de la capitale, tous les cultivateurs. Ils courent en foule, pour
être témoins de l'honneur folémnel que le Prince rend au premier de tous
les arts. Ce n'èft plus , comme dans les fables de la Grèce , un Dieu qui
garde les troupeaux d'un Roi : c'eft le père des peuples , qui , la main âp*
pefantie fur le foc, nîontre à fes enfans les véritables tréfors de l'Etat.
Bientôt après il revient au champ qu'il a labouré lui-même , y jetter les
femences que la terre demande. L'exemple du Prince eft fuivi dans toutes
les provinces; & dans la même faifon, les Vice- Rois y répètent les mê-
mes cérémonies en préfence d'une multitude de laboureurs. Les Européens
qui ont été témoins de ces folemnités à Canton, ne peuvent en parler fans
attendriflfement. Ils nous font regretter que cette fête politique, dont le
but eft d'encourager au travail, ne foit pas fubftimée dans nos climats à
tant de fêces^religieufes, qui femblent inventées par la fiînéantife pour la
ftérilité des campagnes.
Ce n'eft pas qu'on doive fe perfuader que la cour de Pékin fe livre fô-
rieufement à des travaux champêtres : les arts du luxe font trop avancés à
la Chine , pour que ces démonftrations ne foient pas une pure cérémonie*
Mais. la loi qui force le Prince à honorer ainfi la profeffion des laboureurs ^
doit tourner au profit de l'agriculture. Cet hommage, rendu par le Souve«
rain à l'opinion publique , contribue à la perpétuer ; & Tinfiuence de To-
pinioh , eft le premier de toiis les refforts du gouvernement.
. Cette influence eft entretenue à la Chine par les honneurs accordés à tous
les laboureurs , qui fe diftinguent dans la culture des terres. Si quelqu'un
d'eux a fait une découverte utile à fa profeflîon , il eft appelle à la cour
pour éclairer le Prince ; & TEtat le fait voyager dans les provinces ^ pour
Ibrmer les peuples à fa méthode, Enfia dans un pays où la NoblelTe n'eft
.4
/ V
^4à CHINE.
pas ufi (buveotr héréSitaîre ^ mais une récompenfe perfonfieUe ; dans oa
pays où Fon ne diftiogue , ni la nobleflè ^ ni la roture , mais le mérite v
plufieurs des Magiftrats & des hommes élevés aux premières charges de
l'Empire » Ibnc choifis dans des fàmiliies ufiiquemem occupées des travaux de
la campagne.
Ces encouragemens qui tiebnent aux mœurs, iônt encore s^puyés par
les meilleures ioftitutions politiques. Tout ce qui, de fa nature , ne peut
être partagé, comme la mer, les fleuves, les canaux, eft en commun;
tous en otit la jouiflance, perfoime n'en a la propriété. La navigation, la
pêche, la chafle font libres. Un citoyen qui polTede un champ, acquis ou
traofmis , ne fe le voit pas difputer par les abus tyranniques des loix fëo*
A dales. Les Prêtres même , fi hardis par-tout à fermer des prétentions fur
lea terres & fur les hommes,, n'ont jamais ofé^le tenter à la Chine. Ils y
font , à la vérité , infiniment trop multipliés, & y jouiflent , quoique four
vent ÎBèndians, de pofledions trop viRts : mais du moins ne perçoivent-
ils pas fur les travaux des citoyens un odieux tribut. Un peuple éclairé n'au-
roit pas manqué de voir un. fou dans un bonze , qui auroit foutenu que les
aumônes qu'il recevoir étoienr une rétribution due à la fainteté de fon ca«
raâere.
. . La modicité des impôts achevé d'aflurer les progrés de l'agriculture.
' ^ Jufqu'à ces derniers temps, tout ce que les produâions de la terre payoient
à l'Etat, fe réduifoit depuis le dixième jufqu'au trentième du revenu, fui*
vaut la qualité du fol. La Chine ne connoiuoit pas d'autre tribut. Les che6
ne fongeoient pas à l'augmenter^ ils n'auroient ofé combattre à ce point
Tufage & l'foptnion qui font tout dans cet Empire. Sans doute quelques
Empereurs, quelques Miniftres auront tenté de changer l'ordre à cet égard,
mais comme c'eft une entreprife longue, & qu'il n'y a pas d'homme qui
puiffe fe flatter de vivre affez pour en voir le fûccés, on y. aura renonce
Les méchans veulent jouir fans délai , & c'eft ce qui les diflingue des bons
citoyei^s. Ceuxrci (e contentent de méditer des projets, & de répandre
des vérités utiles, fans efpérance de les voir eux*mêmes profpérer ; mail
ils aiment la génération à naître , comme la génération vivante.
Ce n'eft que depuis peu , que la conquête ou le commerce ont intro*
duit de nouveaux tributs à la Chine. Les Empereurs Tartares ont impofé
des «droits fur certaines denrées, fur les métaux, fiir des marchandifes. Eii«
fin , fi l'on en croit' le jéfuite Amyot , ils ont établi des douanes, à l'exenn
pie des Européens.
Il feroit à fouhaiter que ceux-ci vouluflent emprunter des Chinois , It
manière de lever les tributs. Elle eft jufte , douce & pea difpendieufe.
Chaque année, au temps de la moiifon, les champs font r^eforés & taxés
en raifon de leur produit réel & viflble. Soit que les Chinois n'aient pas
dans leur caradere cette mauvaife foi dont on les accufe, ou que, ieni*
blables à plufleurs des peuples anciens ,. ils ne foient. infidèles & trompeurs
qu'avec
/.
I
C H I N vE, ^41
qu'avec les étrangers ; le gouvernement prend alTez de confiance en eux ^
pour ne pas les vexer & les molefler par toutes les recherches & les vUi*
tes importunes de la finance Européenne. L'unique ' peine qu'on impofe aux
contribuables, trop lents à • s'acquitter des charges publiques de l'impôt/
eft qu'on envoie chez eux des vieillards , des infirmes & des pauvres , pour
y vivre à leurs dépens , jufqu'à ce qu'ils aient payé leur dette a l'Etat. Oe(V
la commifération , c'efl l'humanité qu'on va foUiciter dans le cœur du ci-
toyen , par le (peâacle de la mifere , par les cris & les pleurs de la faim ;
& non pas révolter Ton ame, & foulever fon indignation par la violence
des faifies, par les menaces d'une foldatefque infolente, qui vient s'éta-*
blir à difcrétion » dans une maifon ouverte aux cent bouches du fifc.
La Chine ignore ces voies d'oppreffion que l'impôt occafionne en Euro-
pe. Des Mandarins perçoivent , en nature, la dlme des terres. Les Officiers
municipaux verfent le produit de cette levée , de toutes les taxes , dans le
laréfor de l'Etat, par les mains du Receveur de la province. La déftina*
tson de ce revenu prévient les infidélités dans la perception. On fait qu'une
Î partie de cette redevance, eft employée à la nourriture du Magiftrat & du
bldat. Le prix de la portion des récoltes qu'on a vendue, ne fort du fifc
que pour les befoins publics. Enfin , il en refte dans les magafins pour les
temps de dlfette , où l'on rend au peuple ce qu'il avoit comme prêté dans
le temps d'abondance. -
Des peuples qui jouifibient de tant d'avantages, dévoient (e multiplier
prodigieulèment dans une région oii les femmes , quelle qu'en foit la rai*-
ion, font extrêmement fécondes, 6c où les hommes n'altèrent jamais un
tempérament naturellement robufie, par l'ufage des liqueurs fortes; fous
un ciel fain & tempéré , où il naît beaucoup d'en&ns , où il en meurt 4brt
peu; fur une terre qui donne plus de fubfiftances, qu'elle n'exige de tm*-*
vail ; avec un genre de vie fîmple , peu difpendieux , & qui tend toujours
à la plus auftere économie.
Cependant , les Jéfuites chargés par la Cour de Pékin , de lever les car*
tes de l'Empire , ont découvert , dans le cours de leurs opérations , des dé*»
ierts affez confidérables , dont la connoiffance avoit échappé aux négociâtes'
ui ne fréquentoient que les ports de mer, aux voyageurs, qui n'avoient
lit que la route de Canton à la capitale.
Le défaut de population dans quelques contrées écartées de la Chine,*
feroit inexplicable, fi l'on ne favoit que, dans ces vaftes Etats, un affez
grand nombre d'enfans font étouiïës immédiatement après leur naiffance \
que plufieurs de ceux qui ont échappé à cette cruauté, font condamnés à
la plus honteufe des mutilations ; que , parmi ceux auxquels on ne fait pas
l'outrage de les priver de leur fexe , beaucoup font réduits à l'efcUvage &
privés des Uens confolans ilu mariage , par des maîtres tyranniques ; que la
polygamie, fi oppofée à l'efprit focial & à la raifon, eft d'un ufage uni-
▼erfdiement reçu} que la débauche que la nature repouffe avec le plus
Tome XL. Mmmm
t
/■
6^% , CHINE,
d^orreurs^ eft très-répandue; & que les couvens des Bonzes ne renfer-
ment guère moins d'un million de célibataires.
Mais , fi un petit nombre de cantons , épars & prefque ignorés à la Chine
même, font privés des bras qui devroient les détricher ; combien n'en eft-il
pas » où les hommes entaflës , pour ainfi dire , les uns fur les autres , fe
nuifent réciproquement? Ce vice fe remarque généralement aux environs
des villes, lur les grandes routes, & finguliârement dans les provinces Mé-
ridionales, Auffî, les annales de TEmpire attefient-elles qu'il y a peu de mau-
vaifes récoltes qui n'occafionnent des révoltés.
Il ne faut pas chercher ailleurs les caufes qui , à la Chine , arrêtent les
progrès du defpotifme. Ces révolutions fréquentes , fuppofent un peuple
aflez éclairé pour fentir que le refpeâ qu'il porte au droit de la propriété ,
que la foumidion qu'il accorde aux loix , ne font que des devoirs du fé-
cond ordre , fubordonnés aux droits iraprefcriptibles de la nature , qui n'a
dû former des fociétés que pour le befoin de tous les hommes qui les com-
poient. Ainfi., lorfque les chofes de première nécelfité viennent a manquer,
les Chinois ne recoimoiflent plus une puifTance qui ne les nourrit pas. C'eft
Iç devoir de conferver les peuples, qui (ait le droit des Rois. Ni la re-
ligion, ni la morale, ne diâent d'autres maximes à la Chine.
L'Empereur fait qu'il règne fur une nation qui n'eft attachée aux loix
qu'autant qu'elles font fon bonheur. Il fait que s'il fe Hvroit un moment à
cet efprit de tyrannie, ailleurs fi commun ot fi contagieux, des fecouflès
trône. Il eft fi convaincu que le peuple connolt fes droits & les fait défen*
dre, que loriqu'unç province murmure contre le Mandarin q^ui la gouver*
ne , if le révoque fans examen , & le livre à un trîbimal qm le pourfuit,
s'il eft coupable. Mais ce Magîftrat fût-il innocent , il ne leroit pas remis
en place. C'eft un crime en lui d'avcnr pu déplaire au peuple. On le traite
comme un inftituteur ignorant , ^ul priveroit un père de l'amour que fo
t <m£ui9 lui portoient. Une complaifance , qui entretiendrait ailleurs une fer*
' mentation continuelle, & oui y ferait la fource d\me infinité dlntrigues,
n'a nul inconvénient à la dhine , où les habitans font naturellement doux
& juftes , & où le gouvernement eft conftimé de manière que fes dâégués
n*OBt que rarement des ordres rigoureux & exécuter.
Cette néceffité où eft le Prince d'être jufte , doit le rendre plus fage &
plus éclairé. Il eft à la Chine, ce qu'on veut fiiire croire aux autres Frin*
ces qu'ilsf font par-tout, l'idole de la nation. Il femble que les mœurs &
, les loix y tendent, de concert, à établir cette opinion fondamentale, que
^ la Chine eft une famille dont l'&npereur eft le patriarche. Ce n'eft pas
comme conquérant, ce n'eft pas comme Légiflateur, qu'il a de Pautorité;
c'eft comme père : c'eft en père qu'il eft cenfé gouverner , récompenfer
C H I N E- -^ ^43
& punir. Ce fentiment délicieux lui donne plus de pouvoir que tous les
foldacs du monde & les artifices des Minières n^en peuvent donner aux
defpotes des autres liations. On ne fauroit imaginer auel refpeâ, quel
amour les Chinois ont pour leur Empereur , du, comme ils le difenti pour
le père commun , pour le père univerfel.
Ce culte public eft fondé fur celui qui eft établi par ^éducation domefli- A
que. A la Chine, un père, une mère conferve une autorité abfolue fur ^ ^
leurs enfans, à quelque âge, à quelque dignité que ceux-ci fôient parve-
nus. Le pouvoir paternel & l'amour filial, font le relTort de cet Empi-
re : c'eft le foutien des maurs : -c'efl le Hen qui unit le Prince aux fujets,
les fujets au Prince, & les citoyens entr'eux. Le Gouvernement des Cht*-^
nois eft revenu, par les degrés de fa perfeâion , au point d'où tous les
autres font partis , & d'oii ils femblent s'éloigner pour jamais , au gouver-
nement pàtriarchal, qui eft celui de la nature même.
Cependant cette morale fublime , qui perpétue depitis tant de fiecles le
bonheur de l'Empire Chinois , fe feroit peut-être infehfiblement altérée , fî
des diftinâions chimériques attachées ï la naifiance, euffent rompu cette
égalité primitive , que la nature établit entre les hommes , & qui ne doit
céder qu'aux talens & aux vertus. Dan^ tous nos gouvernemens d'Europe ,
il eft une claffe d'hommes , qui apportent, en naidanr, une fupériorité
indépendante de leurs qualités morales. On n'approche de leur berceau
qu'avec refpeâ. Dans leur enfance, tout leur annonce qu'ils font faits pour
commander aux autres. Bientôt ils s'accoutument à penfer qu'ils font d'une
efpece particulière; & fûrs d'un état & d'un rang, ils ne cherchent plus
à s'en rendre dignes.
Cette infritution, à laquelle on a dû tant de Miniftres médiocres, de
Magiftrats ignorans, & de mauvais Généraux; cette infticution n'a point
lieu à la Chine. Il n'y a point de nobleiTe héréditaire. La fortune de cha-
que citoyen commence oc finit avec lui. Le fils du premier Miniftre de
l'Empire, n'a d'autres avantages^ an moment de fa naifTance, que ceux
qu'il peut avoir reçus de la nature. On ennoblit quelquefois fes ayeux d'un
homme qui a rendu des fervices importans : mais cette diftinâion pure*
ment perfbnnelle, eft- enfermée avec lui dans le tombeau; ^ il ne refte
It fes enfans que lé fouvenir & l'exemple de fes vertus.
Une égalité fi parfaite , permet de donner aux Chinois une éducation
uniforme , & de leur tnfpirer des principes fembtables. Il n'eft pas diffi-^
elle de perfuader à des hommes nés égaux , qu'ils font tous frerès. Il y a
tout à gagner pour eux dans cette opinion; il y auroit tout à perdre. dans
Topinion Contraire. Un Chinois qui voudroit fortir de cette fraternité gé-.
nérale^ deviendroit dès4or$ un être Kdié & malheureux : il feroit étranger'
au milieu de fa patrie. ..
A la place de ce» diftinâions frivoles , que ta nàiflance établit entre les
hommes, dans prefqué tout le refte de l'univers, le mérite perfonhel ea
Mmmm %
(5.f4 CHINE.
établie de réelles à la Chine. Sous le nom de Mandarins lettrés , un corps
d'hommes fages & éclairés , fe livrent à coûtes les études qui peuvent les
rendres propres à Tadminiflration publique. Ce font les talens & les con-
noifTances qui font feules admettre dans ce corps refpeâable. Les richefies
f\ n'y donnent aucun droit. Les Mandarins chuififlent eux-mêmes ceux qu'ils
jugent à propos de s'affocier^ & ce choix eft toujours précédé d'un examen
rigoureux. Il y a différentes clafles de Mandarins , & l'on s'élève des unes
aux autres , non point par l'ancienneté , mais par le mérite. ,
C'eft parmi ces Mandarins que l'empereur, par un uiàge aufll ancien. que
l'Empire même , choifit les Minières , les Magifirats » les Gouverneurs de
Provmce; en un mot tous les adminiftrateurs qui, fous différentes quali-
tés, font appelles à prendre part au gouvernement. Son choix ne peut ja-
mais tomber que fur des fujets capables, éprouvés; & le bonheur des
peuples n'ëft jamais confié qu'à des hommes vraiment dignes de le £ûre.
Au moyen de cette confiitution , il n'y a de dignité héréditaire ^ que
celle de l'Empereur ; & l'Empire même ne paffe pas toujours à l'ainé des
le trône , & c'eft par les talens qu'un héritier y parvient. Des Empereurs
ont mieux aimé chercher des fuccefleurs dans une maifbn étrangère, que
de laifler les rênes du gouvernement en des mains foibles.
Les Vice-Rois & les Magiffarats participent à l'amour du peuple , conune
à l'autorité du Monarque. Le peuple a même une mefure d'indulgence
pour les £iutes d'adminiftration qui leur échappent , comme il en a pour
i. celles du Chef de l'Empire. Il n'eft pas enclin aux féditions j comme on
' \ doit rêtre dans nos contrées. On ne voit à la Chine aucun corps qui puifle
former ou conduire des faâions. Les Mandarins ne tenant point à des
familles riches & puiflantes , ne reçoivent aucun appui que du trône & de
leur fagefle. Ils font élevés dans une do6bine qui infpire l'humanité , l'a-
mour de l'ordre , la bien&ifance , le refpeâ pour les loix. Us répandent
fans ceife ces fentimens dans le peuple, & lui font aimer chaque loi,
parce qu'ils lui en montrent Tefprit & l'utilité. Le Prince même ne donne
pas un édit, qui ne foit une inftruâion de morale & de politique. Le
peuple s'éclaire néceilairement fur fes intérêts & fur les opérations du
gouvernement qui s'y rapportent. Plus éclairé , il doit être plus tranquille.
^ La fuperftition qui , par*tout ailleurs , agite les nations , & affermit le
\ defpotifme ou renvetfe les trônes , la fuperftition eft fans pouvoir à la
Chine. Les loix l'y tolèrent , mal-à-propos peut-être ; mais au moins n'y
fait-elle jamais des loix. Pour avoir part au gouvernement, il faut être
de la feâe des Lettrés , qui n'admet aucune fuperftition. On ne permet pas
aux Bonzes de fonder fur les dogmes de leurs feâes, les devoirs de la
morale I & par conféquent d'en difpenfer. S'ils trompent une partie de
CHINE. tf4{
la nation , ce n'efi pas du moins celle dotat Texemple & l'autorité doivent
le plus influer fur le fore de l'Etat,
Confiicius , dont les aâions fervirent d'exemple',. & les paroles de leçon ;
Confucius, dont la mémoire eft également honorée, la doârine également
chérie dé toutes les clafles & de toutes les CeQi^s :- Confiicius a fondé la
religion nationale de la Chine. Son code n'eft que la loi naturelle , qui
devroit être la bafe de toutes les religions de la terre , le fondement de
toute fociété , la règle de tous les Gouvernemens« La raifon , dit Confiicius ,
eft une émanation de la divinité \ la loi îupréqie n'efl que l'accord de la na-
ture & de la raifon. Toute religion qui contredit ces deux guides de la
▼ie humaine , ne vient point du ciel.
Ce ciel eft Dieu : car les Chinois n'ont point de terme pour exprimer
Dieu. Mais ce rPtft point au ciel vifibk & matériel que nous adrejfons des
facrificts^ dit l'Empereur Chan-Gi, dans un édit de 1710; c'</7 au Maître
du ciel. Ainfi l'athéifme, quoiqu'il ne foit pas rare à la Chine, n'y eft
point avoué ; on n'en fait pas une profefljon publique. Ce n'eft point un
iignal de feâ^ , ni un objet de perfëcution. U y eft feulement toléré comme
la fuperftition,
L'Empereur , feul pontife de la nation , eft auffî juge de la religion ;
mais comme le culte a été fait pour le gouvernement , & non le gouver^
nement pour le culte ; comme l'un & l'autre ont été formés pour la focié*
té, le Souverain n'a ni intérêt, ni intention d'employer cette unité de
puiflance qu^il a dans les mains , à tyrannifer le peuple. Si d'un côté les
dogmes ou les rites de la hiérarchie ne répriment pas dans te Prince l'a-
bus du pouvoir defpotiqile , il eft d'un autre côté plus fortement contenu
par les mœurs publiques de nationales.
Rien n'eft plus difncile que de les changer , parce qu'elles font infpirées
par l'éducation , peut-être la meilleure que l'on connoifle. On ne fe preffe
point d'inftruire les en&ns avant l'âge de cinq ans. Alors on leur apprend
à écrire , & ce font d'abord des mots ». ou des hiérpglyphes , qui leur rap-
pellent des chofes fenfibles, dont on tâche en même-temps de leur don-
ner des idées juftes. Enfuite on remplit leur mémoire de vers fentencieux,
qui contiennent des maximes de morale , dont on leur montre l'applica-^
tion. Dans un âge plus avancé, c'eft la philofophie de Confucius qu'on
leur enfeigne. Telle eft l'éducation des hommes du peuple. Celle des en-
fans qui peuvent prétendre aux honneurs , commence de même ; mais on
y ajoute bieiitôt d'autres études, qui ont pour objet la conduite de l'hom«
me dans les différens états de la vie.
Les mœurs , à la Chine , font prefcrites par les loix , & maintenues par -
les manières , que prefcrivent au(G les loix. Les Chinois font le peuple de
la tei^e qui a le plus de préceptes fur les aâions les plus ordinaires. Le
code de leur politeffe eft fon long ; & les dernières claflès des citoyens
en font inflruites ^ Jc s'y conforment comme les Mandarins & la Lour«
6^6 CHINE.
Les loix de ce code font idftituées, ainfî que toutes les autres , mur
perpétuer Topînion que la Chine n'eft qu'une famille , & pour prefcrire
aux citoyens les ^ards & les prévenances mutuelles que des frères doi-
vent à des frères. Ces rîtes , ces manières rappellent continuellement aux
mœurs. Elles metieitt ^etquefbis , il eft vrai, la cérémonie à la place du
fentiment ; mais combien louvent ne le font-elles pas revivre ! Elles font
une forte de culte qu'on rend fans ceffe à la vertu. Ce culte frappe les
yeux des jeunes gens. 11 nourrit en eux le refpeâ pour la vertu même;
& fi ) comme tous les cultes , il &it des hypocrites , il entretient aufli un
zele véritable. Il y a des tribunaux érigés pour punir les fautes contre les
manières , comme il y en a pour juger des crimes & des vertus. On
punit le crime par des peines douces & modérées ; on récompenfe la
vercû par des honneurs. Ainfî l'honneur eft un des reflbrts qui entrent dans
le gouvernement de la Chine. Ce n'eft pas te reflbrt principal : il y eft
. plus fort que la crainte , & plus fbible que l'amour.
. Avec de pareilles inftitutions , la Chine doit être le pays de la terre
f où les hommes font le plus humains. Aufli voit-on l'humanité des Cbi*
nois jufoues dans ces occafîons où la vertu femble n'exiger que de la
jnfUce, 0t là juftice que de' ta rigueur. Les prifonniers font détenus dans
des logemens propres & commodes , où ils font bien traités julqu'au mo-
ment dé leur fentence. Souvent toute la punition d'un homme riche, fe
réduit à l'obligation de nourrir ou de vêtir pendant quelque temps chez
lui des vieillards & des orphelins. Nos romans de morale & de politique
font Phiftoire des Chinois. Chez eux , on a tellement réglé les afKons de
l'homme, qu'on n'y a prefque pas be|otn de fes fentimens : cependant on
infpire les uns pour donner du prix aux autres.
L'efprit patriotique, cet efprit fans lequel les Etats font des peuplades,
& non pas des nations, eft plus fort , 'plus aâif à la Chine , qu'il ne l'eft
peut-être dans aucuiie République. C'eft une chofè commune que de voir
des Chinois réparer les grands chemins par un travail volontaire , des hom*
que rottentanon de la générohte, lie font pas
Il y a des temps ou elles out été communes , d'autres temps où elles
l'ont été moins; mais la corruption amenoit une révolution ^ & les mteurs
fe réparoient. Lu dernière invafîon des Tartires les avoit changées : elles
s'^rent à mefure que les Princes de cette nation conquérante quittent
les fuperftitions de leur pays, pour adopter l'efprit du peuple conquis, &
qu'ils font inftruits par \ei tivrei que les Chinoi» appellent canoniques.
On ne don pas tirûet à voir tout^-à'fait revivre le caraAere erftimaUe de
la nation : cet efprit àfi fratertiité ', de âitiitle ; ce^ liens aimables ' de la
fociélé , qui forment dans le peuple la douceur des moeurs & rattache*
Qiem inviolable aux loix. Les^ erreurs & les vi^ea politiquer ne fiiuroîeot
CHINE. 6^7
•
prendre de fortes racines dans un pays où Ton nMIeve aux emplois que
des hommes de la feâe des Lettrés , dont Tunique occupation eft de s'inf-
truire des principes de la morale & du gouvernement. Tant que les vraies
lumières feront recherchées ^ tant quMles conduiront aux honneurs, il y
aura dans le peuple de la Chine un fond de raifon & de vertu qu'on ne
verra pas dans les autres nations.
Si ce tableau des mœu^ Chinoifes fe trouvoit en contradiâion avec ce-
lui que d'autres Ecrivains en ont tracé ; peut-être ne feroit*il pas impoffi'*-
ble de concilier des opinions en apparence fi oppofëes. La Chine pënt erre
envi(àgée (bus un double afpeâ. Quand on n'étudie fes habitans que dans
les ports de mer ou les grandes villes, on eft révolté de Içur lâcheté,
de leur mauvaife foi, de leur avarice : mais dans le refie de l'Empire ,
fur-tout dans les campagnes , ils ont des mœurs domefiiques ; ils ont 4et
niaurs (bciales ; ils ont des mœurs patriotiques. On trouveroit difficilement
lin peuple^lus vertueux ^ plus humain & plus éclairé.
Cependant il faut avouer que la plupart des connoiflances fondées fur
des théories un peu conpliquées, n'y ont pas &tt les progrés qu'on dévoie
naturellement attendre d'une nation ancienne, aétive, appliquée^ qui| de«»
puis très-long-temps en tenoit le fil. Mais ^ette énigme n'eft pas inexpli'^
cable. La langue des Chinois demande une étude longue & pénible , qui
occupe des. hommes tout entiers durant le coûris de leur vie* Lés rites, les
cérémonies qui font mouvoir cette nation, donnent plus d'exercice à b
mémoire qu'au femiment. Les manières arrêtent les mouvemens de l'âme ,
en aflbibliflènt les refforts. Trop occupés des objets d'utilité, les elprits ne
peuvent pas s'élancer dans la carrière de l'imagination. Un refpeô outré
pour Tantiquité, les afTervit à tout ce qui efl éubls. Toutes ces caufes
réunies ont dû ôter aux Chinois l'e(prit d'invention. Il leur faut des fîecles pour
perfeâiooner quelque chofe ; & quand on penfe à l'état ^oii fe trpuvoient
chez eux les arts oc les fciences il y a trois cents ans, on €& convaincu de
l'étonnante durée de cet Empire.
Peut-être encore faut-il attribuer Pimperfeâion des lettres & des beaux-
arts , chez les Chinois , à la perfeâion même de U police & du gouver-
nement. Ce paradoxe efl fondé fur la raifon. Lorfque ^hez un peuple la
première étude efl celle des ibix ; oue la récompenfe de Tétude en une
place dans l'adminiflration , au lieu <rune place d'académie ; que l'occnpar
tion des Lettrés eft de veiller à l'obfèrvation de la morde , ou à la manu*
tention de la politique : fi cette nation eft infiniment nombreufe; s'il y
faut une vigilance continuelle des favans fur la population & la fnbftftance;
fi chacun , outre les devoirs publics dont la connoiilance même eft une
longue fcience, a des devoirs particuliers, foit de famille ou de profeflion:
chez un tel peuple , les fciences fpéculatives & de pur ornement, ne doi-
vent pas s'élever à cette hauteur, à cet édat oii nous les voyons en Euro«
pe. Mai» les Chinois ,. toujours écoliers dans nos arts de luxe Si de vani«
A
6^$ C H I N E.)
té» font nos maîtres dans la fcience de bien gouverner. Ils le font dans
A l'art de peupler, non dans celui de ^détruire.
Une nation,
des préceptes I
des ufages publics & domeftiques» doit être nativellemént fouple, mode*
rée, paifible & pacifique. La raifon & la réflexion , qui prébdent à fes
leçons & à fes penfées , ne pturoi^nt lui laiflèr ces enthoufiafme qui fait
les guerriers & les héros. L^iumanité même, dont on remplie fon ame
tendre & molle « lui fait regarder avec horreur Peffiiiion du fang , le pil-
lage & le maflacre (i familiers à tout peuple foldat. Avec cet efprit, eft*
il étonnant que les Chinois ne foient pas bdliqueqx > Leur milice eft in-
nombrable, mais ignorante & ne. fait qu'obéir. Elle manque de taâique
encore plus que de courage. Dans les guerres contre les Tartares , les Chi-
nois n'ont pas fu combattre i mais ils ont fu mourir. L'amour pour leur
gouvernement , pour leur patrie & pour leurs loix , doit leur tenir lieu d'ef-
prit guerrier; mais il ne tient pas lieu de bonnes armes & de la fcience
>l de la guerre. Quand on foumet fes conquérans par les mœurs , on n'a pas
' befoin de dompter fes ennemis par les armes. Hiftoirc Philofophiqut &
politique du commerce ^ dtê iuibUJp^mcris dc^ Européens dans les deux Indes.
*
Confidirofions ultérieures J\ir V Agriculture des Chinois.
JLi'AgricultûrB de la Chine eft digne de la plus grande attention \ car
il n'y a point . d'endroit fur notre planète ^ où l'on cultive la terre avec un
fi grand iuccès. Arrètons-nous-y.
Tout le fecret de cette nation confifle à bien amander fes terres , à les
remuer profbildément dans des temps convenables , à les enfemencer à
propos 9 à mettre len valeur toute terre qui peut rapporter quelque cho-
fe, :& à préférer à toute autre culture celle des grains^ qui font de pre-
mière néceflîté.
Ce fyftême d'agriiculturCi au dernier article près» parolt être le même
que celui qui eft répandu dans tous nos ouvrages anciens & modernes ^
qui ont traité cette «matière ; i| eft connu de nos fimples laboureurs ; mais
ce qui étbnnèri Tagnculteur Européen le plus habile , fera d'apprendre que
les Chinois n'ont aucune prairie, ni naturelle ^ ni artificielle» & qu'ils ne
connoifTent pas ,le$ jachères, c'eft*à-dire ^ qu'ils ne laiflent jamais repofer
les terres.
; Les laboureurs Chinois^ regarderoient une prairie quelconque comme
une terre en friche. Ils mettent tout en grain , & par préférence les terres
qui, comme celles que nous façrifîons en prairie , lont plus baflès, &
par conféquent plus fertiles , & peuvent être arrofées ; ils prétendent qu'une
mefure de terre enffcmencée en grains rendra autant de paille pour nour-
rir les animaux / qu'elle auroit rendu de foin , & que par leur méthode
on
CHINE. %
oh gagne tout le produit en grains pour nourrir des hommes , fàuf à par«
tager avec les animaux une petite partie de ce grain , s'il s'en trouve du
fuperflu. Voilà leur lyftéme fuivî d'un bout de l'Empire à l'autre depuis
l'origine de la monarchie, confirmé par l'expérience de plus de 40 (ie«
des , chez la nation du monde la plus attentive à fes intérêts.
Ce qui rend ce plan d'agriculture plus inconcevable , c'efl de voir que
leurs terres ne fe repofent jamais. Un laboureur Chinois ne pourroic s'em*
pêcher de rire , fi on lui difoic , que la terre a befoin de repos à certain
terme fixe; il diroit cerutnement que nous fbmmes loin du but, s'il pou*
voit tire nos traités anciens & modernes, nos fpéculations merveilleufes
fur Pagriculture. Et que ne diroic*il pas, s'il voyoit nos landes, une partie
de nos terres eniriche» une autre employée en cultures inutiles, le refle
mal travaillé ; fi parcourant quelques campagnes de l'Europe , il voyoit la
mifere extrême , & la barbarie de ceux qui les cultivent ? Les terres Chi«
noifes , en général , ne fiint pas de meilleure qualité que les nôtres ; on
-en voit, comme chez nous, de bonnes, de médiocres & de mauvaifes ;
des terres fortes & légères; des terres argilleufes & des terres où le fable,
les pierres & les cailloux dominent.
Toutes ces terres rapportent annuellement, même dans les provinces dil
nord, une & deux fois l'année, quelques-unes même cinq fois en deux
années , dans les provinces méridionales , fans jamais fe repoier depuis plu«
iieùrs milliers d'années qu'elles font mifes en valeur.
Les Chinois emploient les mêmes engrais que nous , pour rendre à leurs
terres les fels & les fucs qu'une produâion continuelle leur enlevé fans cef^
fe. Ils connoifTent les marnes » ils fe fervent du fel commun, de la chaux,
des cendres , du fumier de tous les animaux quelconques , & préférable*
ment à tout autre , celui que nous jettons dans nos rivières ; ils fe fer*
vent des urines qui font ménagées avec foin dans toutes les maifons , dont
elles font un revenu; en un mot, tout ce qui eft forti de la terre y efl
rapporté avec la plus grande exa^tude, fous quelque forme que la na«*
ture ou l'art l'ait converti.
Lorfque les engrais leur manquent, ils y fuppléent pour le moment par
4]n protond labour à la bêche , qui amené à la fuperficie du champ une
terre* nouvelle chargée des fiics de celle qui defcend à la place.
Sans prairies, ils élèvent la quantité de chevaux» de bufHes^ de bœufs
& autres animaux de toute efpece néceffaires à leur labour ^ à leur fub«
fiflance & aux engrais, Ces animaux font nourris , les uns de paille , les
autres de racines , de fèves & grains de toute efpece. 11 eft vrai qu^ils
ont moins de chevaux & moins de bœufs en proportion que nous, '& ils
n'en ont pas befoin.
Tout le pays eft coupé de canaux creufés par les hommes, & tirés
d'une rivière à un autre , qui partagent & arrofent ce vafte empire com-
me un jardin dans toutes les parties. Les voyages & les tranfports | pref*
Tome XL Nnna
6^0 : C H IN E.
que routes les voinines fe font par les canaux avec plus de' f4CtIitë & moint
de frais. Ils ne font pas niénie dans l'ufage de faire cirer leurs bateaux par
des chevaux , ils ne fe ferveBt que de la voile & fur-^tout de la* rame «
qu'ils font valoir avec un art iîngulier ^ même pour remonter les rivières.
Dans tout ce que les hommes peuvent faire à un prix modique ^ on n'em*
ploie pas des animaux.
En conféquence les rivages des canajux & des fleuves ^ font cultivés
jufqu'au bord de Peau , on ne perd pas un pouce de terre. Les che-
mins publics relfemblent à nos (entiers ; des canaux fans doute valent
mieux que des grands chemins. Ils portent la fertilité dans les terres,
ils fourniiTent au peuple la plus grande partie de fubfiftance en poifTons.
Il n^ a aiicune comparai fon entre le fardeau que porte un bateau, êc
celui qu'on peut charger fur une voiture par terre , nulle proportion dans
les dépenfes.
Les Chinois connôifTent encore moins Tufage, ou plutôt le luxe des
carrofles & des équipages de toute efpece , que nous voyons dans tes prin-
cipales villes de l'Europe. Tous ces chevaux rafTemblés par milliers dans
nos capitales » y confommeut prefque en pure perte, le produit de plu*
fieurs milliers d*arpens de nos meilleures terres , qui étant cultivées en grains,
fourniroient la fubfiftance à une grande multitude qui meurt de &im. Les
Chinois aiment mieux nourrir des hommes que des chevaux.
L'Empereur & les Magiftrats font portés dans les villes avec fureté &
dignité par des hommes; leur marche eft tranquille & noble, elle ne nuit
pas aux hommes de pied. Ils voyaient dans des efpeces de galères plus
commodes, plu^ fures, auffî magnifiques & moins dilpendieufes que nos
équipages de terre.
Nous avons dit que les Chinois ne perdoient pas un pouce de terre;
ils font donc bien éloignés de former des parcs immenles dans d'excel'
lentes terres , pour y nourrir exclufivement & au mépris de Thumanité
jamais tomber dans Pefpi
Chinois. Leurs maifons de campagne & de plaifance- même , ne préfen-
rent par-tout que des cultures utiles , agréablement diverfifiées. Ce qui en
fait le principal agrément , eft une (ituation riante habilement ménagée ^
où règne dans Tordonnance de toutes les parties qui forment Tenfemble,
une imitation heureufe du beau défordre , du défordre le plus agréable de
la nature dont Part a emprunté tous les traits*
LcTs coteaux les plus pierreux que les cultivateurs de l'Europe mettroient
en vignoble , font forcés par le travail à rapporter du grain. Les Chinois
connoîffent la vigne dont ils cultivent quelques treilles ; mais ils regardent
comme un luxe & une fuperfiuité le vin qu'elle produit : ils croîrofefic
f échef contre l'humanité de chercher à fe procurer par la culture une Ih
C H I N E. 6^t
^eur agréable , tandis que faute du grain qa'auroit {produit le terrei«
mis en vignoble , quelque homme du peuple courroit rifque de mourir
de faim.
Les montagnes même les plus efcarpées font rendues praticables ; on
les voit à Canton & d'une extrémité de TEmpire à l'autre; toutes coupées
en terrafles repréfentant de loin des piramides immenfes divifées en plu-
fieurs étages , qui , femblenc s'élever au ciel. Chacune de ces terralfes porte
annuellement (a moiffon de quelque efpece de grain, fouvent même du
riz ; & ce qu'il y a d'admirable eft de voir l'eau de la rivière , du canal
ou de la fontaine qui coule au pied de la ^montagne , élevée de cerrafle en
terrafle jufqu'à Ton fommet par le moyen d'un chapelet portatif, que deux
hommes feuls cranfportent & font mouvoir.
La mer , elle-même , qui femble menacer la mafle folide du globe qu'elle
environne , a été forcée par le travail & l'induflrie à céder une partie de
fbn lit aux cultivateurs Chinois.
Les deux plus belles provinces de l'Empire « celle de Nankin & de
Tché-kiang , autrefois couvertes par les eaux , ont été réunies au continent
il y a quelques milliers d'années, avec un art bien fupérieur à celui qu'on
admire dans les ouvrages modernes de la Hollande.
Les Chinois odt . eu à lutter contre une mer dont le mouvement na«
turel d'orient en occident, la porte fans celfe contre les côtes de ces
deux provinces, tandis que la Hollande n'a eu à combattre qu'une mer^
qui par ce même mouvement naturel fuit toujours fenfiblement fes côtes
occidentales. .
La nation Chinoife eft capable des plus grands travaux ; je n'en ai
pas vu de plus laborieufe dans le monde. Tous les jours de l'année font
des jours de travail , excepté le premier defiiné à fe vifîter réciproque-
ment, & le dernier confacré à la cérémonie des devoirs qui fe rendent
aux ancêtres.
Un homme oifif feroit fbuverainement méprifé , il feroit regardé comme
ttn membre paralitique à charge au corps dont il fait partie. Le gouver-
nement du pays ne le fouffriroit pas ; bien difFétent en cela des autres na-
tions Afiatiques où l'on n'eftime guère que ceux dont Tétat eft de ne rien
fèke. Un ancien Empereur Chinois exhortant le peuple au travail dan^ une
inftruâion publique , l-avertit que s'il y a dans un coin de l'Empire ua
homme qui ne falfe rien, il doit y en avoir ailleurs un autre qui (oufFre
& qui manque du néceflaire. Cette maxime fage eft dans l'erpnt de tous
les Chinois \ 6l pour ce peuple docile à la raifon , qui dit une maxime de
fagefle, dit une loL
- Voilà une légère efquifre du tableau, général de l'agriculture des Chi-
nois , &' de leurs difpofitions pour cet arr. Les borpes de cet article ne
me permettent pas de m'étendre aujourd'hui fur le détail des différentes
cultures ique j'ai vues dans le pays* J'obferverai feulement que ces cultu*
Nnnn z
l^^ï C H I N E.
Ve^ font teffes qu^elIes (burniflent abondamment ai ttfus les befbins, &
knâme à Taifance de la plus grande pc^ulatton qu^il y ait au monde ; de
ïbrte qi^avec fes laboureurs , la Chine fe fuffit à elie-mâme , & peut de
fon fuperflu faire un grand commerce au-dehors.
Diaprés cette obfervation , on peut juger qu'il n'eft point de contrée fur
la terre où l'agriculture foit plus florillànte qu'à la Chine ; mais ce n'efi
ni aux procédés particuliers que fui vent les cultivateurs , ni à ta forme de
leur charme & de leur femoir qu'elle doit cet état âorilTant de fa culturel
& l'abondance qui^en eft la fuite.
Elle la doit à fon gouvernement dont les fondemens profonds & iné^
branlables furent pofés par la raifon feule, en même-temps que ceux du
monde; à fes loix diâées par la nature aux premiers hommes, & confer*
vées précieufement de génération en génération depuis le premier âge de
l'humanité, dans tous les cœurs réunis d^un peuple innombrable, plutôt
que dans des codes obfcurs , diâés par des hommes fourbes & trompeurs.
* Enfin la Chine doit la profpérité de fon agriculture à (es mœurs fini**
pies, comme à fes loix également avouées par la nature & par la raifbo^
L'Empire fut fondé par des laboureurs dans ces temps heureux, où le
fouvenir des loix du Créateur n'étant pas encore perdu, la culture des
terres étoit le travail le plus noble, le plus digne des hommes & l'occu*
pation de tous. Depuis Fou-hi, qui tut le premier chef de la narioa^
Quelques centaines d'années après le déluge, fi l'on fuit la verfioo des LXX»
i qui en cette qualité préfidoit au labourage, tous les Empereurs fans
exception jufqu^à ce jour, fe font fait gloire d'être les premiers labou«
reuTs de leur Empire.
L'hifioire Chinoife a confervé précieufement le trait de générofité de
deux anciens Empereurs, qui ne voyant point parmi leurs ènfans d'héri*
tiers dignes d'un trône, fur lequel la vertu feule a droit de k'aflèoîr,
nommèrent de (impies laboureurs pour y monter après eux. Ces labou-
reurs firent le bonheur du monde pendant de très- longs règnes , fut-
vant les livres Chinois, & leur mémoire eft dans la plus grande vénéra-
tion. On fent combien des exemples, femblables honorent & animeot
l'agriculture. <
La nation Chinoife a toujours été gouvernée xromnte une famille dont
l'Empereur eft le père. Ses fujets font fes enfens^ fans autre inégalité que
celle qu'établiflfent le mérite & tes talens. Ces dîftinâions puériles de no-
bledfe & de roture , d'homme de miffknce & d'homme de rien , ne fe
trouvent que dans le jargon des peuples .nouveaux & encore barbares,
qui , ayant oublié l'origine coTTimune, infultent fans y penfer & aviliflfenc
toute l'efpece humaine. Ceux dont le gouvernement eft ancienr & remonte
jufqu^au premier âge du monde , favent que les hommes naiflTent tous
égaux , tous frères , tous nobles. Leur langue n'a pas encore inventé de
terme pour exprimer cette prétendue dijUnâloA des naiflànces. Les Chi^
. C H I N E. ^53
fidis qtiî ont confeiré leurs annales depuis les temps les plus recula ^ &
^ui font tous également les en&ns de l'Empereur, n*ont jamais pu foup-t
çonner une inégalité d'origine entr'eux. i
De ce principe que l'Empereur eft le père & les fujets fes enfans^
naiflent tous les devoirs de la fociété , tous ceux de la morale , toutes
les vertus humaines , la réunion jde toutes les volontés pour le bien com-
mun de la famille , par conféquent Tamour du travail & fur-tout de l'a?
griculture.
Cet art eft honoré, protégé, pratiqué par les Empereurs, par les grands
Magiftrats qui font la plupart des fils de (impies laboureurs élevés, fui-
vanc l'ufage . conftaiït , par leur feul mérite aux premières dignités de
l'Empire, enfin par toute la nation qui a le bon fens d'honorer l'art le
|rfus utile , celui qui nourrit les hommes préférablement aux arts de moin^^»
dre nécefHté. . \
Chaque année le quinzième jour de la première lune, qui répond ordi-
nairement aux premiers jours de Mars , l'Empereur fait en peribnne la
cérémonie de l'ouverture des terres. Le Prince fe tranfporte en grande
pompe au champ deftiné à la .cérémonie. Les Princes <de la famille Imp'é*
riale, les Fréiidens des cinq grands tribunaux & un nombre infini de
mandarins^, l'accbmpj^gnent ;? deux côtés du champ font bordés par les
Officiers & tes Gardes de l'Empereur, le troifieme eft réfervé à, tous les
laboureurs de la province , qui accourent pour voir leur art honoré Se
pratiqué par le chef de l'Empire v les mandarins occupent le quatrième.
L'Empereur entre feul dans le champ, fe profterne & frappe neuf fois
la. tête contre terre pour adorer le Tien, c'eft-à-dire, le Dieu dû Ciel, il
^prononce à haute voix une prière réglée par te tribunal des rites ,. pour
invoquer la bénédiction du Grànd-Maitre fur fon travail, & fur celui de
ttout fon peuple qui eft fa famille, enfuite en qualit^ de premier Pontife
de l'Empire^ il immole un bœuf qu'il offre au Ciel comme au maître de
:tdus les biens : pendant qu'on met la victime en pièces & qu'on la place
fur un autel, on amené à l'Empereur une charrue attelée d'une paire de
^bœufs magnifiquement ornés. Le Prince quitte fes habits impériaux , falfit
le manche de la charrue & ouvre plufiêurs filions dans toute l'étendue
du champ , puis il remet la* charrue aux principaux mandai-tns qui lar
bourent fuccefïïvement ; fe piquant tes uns & les autres de hift ce
•travail honorable avec plus de dextérité. Xa cérémonie finit par diftribuer
de l'argent & des. pièces d'étoftè aux laboureurs qui font préfens, & donc*
les plus agiles exécutent te refte du labourage avec adrefle & promptitude
en préfence de l'Emperfeur.
Quelque tempst après qu'on a donné 3^ la terre tous tes labours & les
engrais néceflfaires , l'Empereur vient de nouveau commencer la femaillç
de fon champ, toujours avec cérémonie &. en préfence des laboureiu-s^
• La même cérémonie fe pratique le même jour dans toutes les provinces
N
^(4 C H I: K E.
4e l'Empire par les Vice^Rofa , wSRSiit de tous tes MigîArats et leur dé-
partement j oc toujours en préfence d'un grand nombre de laboureurs de
la province.
L'agriculture Chinoife a bien d'autres encouragemens. Chaque année les
Vice-Rois de chaque province, envoyent à la cour les noms des labou-
reurs, qui fe font les plus diffingués dans leur culture, foie en défrichant
& faifant valoir des terreins regardés comme ftérites,, (bit en Êiifant rap-
poner davantage par une meilleure culture, un terrein anciennement mis
en valeur.
Tous ces noms font préfentés à l'Empereur qiii accorde aux cultivateurs
nommés, des titres honoraires pour les difiinguer du commun» Si un la*
boureur a hix, quelque découverte importante , & -qui puiflc influer fur
^amélioration de PagricuUure publique, ou fi ^par quelque endroit il mérite
des égards plus diftingués que les autres, l'Empereur l'appelle* à Pékin, le
kXx voyager auf &ais de l'Empire & avec dîgnné , le reçoit dans Ton pa«
lais, Finterroge fur fes talens, fur fon âge, fur le nombre de fes enfans;
fur rétendue & la qualité de fes terres, l'accable de bontés & le renvoyé
a fa culture avec un titre honorable & comblé de bienfaits.
lequel eft le plus heureux, ou du Prince qui fe conduit ainfi, on de
la nation qui eu ainfi gouvernée ? Chez un peuple où tous ibnt égaux
& où tons afpirent après les diftinâions, de tels encouragemens doivent
bien infpirer l'amour du travail & l'émulation pour la culture des terres.
En général toute l'attention du gouvernement Chinois eft dirigée vers
l'agriculture. Le (bin principal d'un père de famille doit être de penfer à
la ^fubfiflance de fes en&ns. Aînfî l'état des campagnes eft le grand ob«-
jet des travaux , des veilles & des follicitudes des Magiftrats. On cooçqic
facilement qu'avec de telles difpofitioiis le gouvernement n'a pas négligé
d'afturer aux cultivateurs, la liberté, la propriété & l'aifadce qui (ont les
ieuls fondemens d'une bonne agriculture.
Les Chinois jouiflent librement de leurs poffeffions particulières & des
biens «qui ne pouvant être partagés par leur nature appartiennent à tous,
tels que la mer, les fleuves, les canaux, le poiflbn qu'ils contiennent &
coûtes les bêtes fauvages ; aiufi la navigation , la pêche & la chafte font
libres. Celui qui acheté un champ ou qui le reçoit en héritage de fes pe^*
tts^ en eft le feul feîgneur & maître.
' Les terres font libres comme les hommes, par conféquent point de fer^
vices & jpartages^ point de lods & ventes, point de ces hommes intéref*
(es à dénr^r le malheur public » de ces fermiers qui ne s'enrichiflent ja-
mais plus que lorfqu'un défaut de récolte a ruiné les campagnes^ & réduit
le malheureux laboureur à mourir de faim,' après avoir fué toute l'année
pour nourrir fes frères ; point dé ces hommes dont la profèftion deftruc«
tive a été enfantée dans le délire des loix féodales, fou^ les pas defquék
Miffenc des milliers de procès qui arrachent je cukiuateur a la chamie
pour renvoyer dans les retraites obfcures & dangerQufes dç la chicane ^
défendre Ces droUs & perdre un temps précieux pçur la nourriture de^
hommes* . 1 ^ . r2
Enfin il nV a point d'autre feîgneur , d'autre décinïateur^ qp'e le peçf
commun de la famille , TEmpereur. Les bonzes accoutumés à, recevoir) les
aumônes d'un peùplç charitable, feroient mal reçus 4p pr^endre^quç "^
cette aumône elï un droit que le Ciel leur a donné. ,,
La dime qui fi'efl pas exaâemenc la dixième partie du produit, eft réfr
glée fuivant la nature des terres } dans le mauvais fol ce n'eft que U
trentième partie, &c. La dixième portion de tous les biens de la ferr^
appartient a l'Empereur. VoiU le (eul & unique droit impofé fur Içs ter^
reS| le féul tribut connu à la Chine depuis l'origine de la monarchie; &
ce qu'il y a d'heureux, le refpeâ des Chinois pour les ufages anciens e^
tel , qu'il ne fauroit tomber dans l'efprit de l'Empereur de vouloir l'auge .
xnenter, ni dans celui des fujets de craindre cette augmentation.
Le peuplé le paie en nature , non à des fermiers avides , qiàis ^ .des
Magistrats intègres qui en font les régiffeurs naturels.. Qui pourroic calculer
le montant de ce tribut qui paroit fi modique ; mais qui eft levé fur (out
tes les terres d'un au(H vafle Empire^ le. mieux cultivé qu'il y ait ai|
monde ? ] ■
Ce tribut eft payé avec d'autant plus de fidélité qu'on connoît l'ufagç
auquel il efl deftiné. On fait que la partie de cette dime eft renfermée
dans des magafins immenfes, diflribués dans toutes les provinces de l'Eça^
pire, >& réfervée pour la fubfiftaoce des Magiilrats & des foldats : oi) fait
ue dans le cas de difette, ces magafins font ouverts à un peuple qui ef|
ans le befoin d'une denrée qu'on a tirée de lui dans fon aopndance. ,
Enfin toute ^a nation fait que l'autre partie de cette dime eft vendue
dans les marchés publics , & que le produit en eft porté fidèlement dans
les tréfors de l'Empire, dont la garde eft confiée au tribunal refpeâable
du ho-pou , pour n'en fortir que dans les befoins communs 4fi la famiUe. ^
Vc la forme du Gouvernement de la Chine -, .]
E grand Etat eft' gouverné par un Empereur donK le pouvoir eftlàn^
bornes. Le refpeâ de fes fujets pour lui, va prefque jufqu'à Fadoratioo»
On le -nomme fils du ciel, & l'unique maître du mond)e. On le voit rare^
ment, & on ne lui parle qu'à genoux. Les Grands de fa. c^yi:, les Prin^
ces du fang , fes propret frères , fe .courbent jufqu'à terre , hop-fèulie^ieot
en fa pré fence , mais encore devant fon trône. Toutes les. charges de l'E-r
tat font à fa difpofiUoh; Il peut ôter la vie at^ Princes du faitg ,,& difr
pofer , À plus forte raifèn , de tous fes autres ffujets. Il peut décjareir J^
guerre, concliireia paix, & faire des traités aux conditions qu'il lui plait,
pourvu qu'en tout cela il conferve la xnajefté de l'Empife. ILpeut^commç
I
6^S CHINE.
• _
nous IVo'ns déjà dit cî-defTus , fe ehoifir un fuccefTeur, son-feutement paN
jnï les Princes de la MaifoQ Royale , mais même parmi fes fujecs. Il peur
même , après avoir dé(igné Ton fuccefleur , l'exclure & en prendre un au^
tre ; mafs il fkut de fortes raifons pour cela.
'" Ce pouvoir fans bornes du Gouvernement de ce vaffe Empire de**
vroit, ce femble , produire de méchans effets, & il en produit quel*-
auefois , tout comme dans les gouvernemens les plus modérée. Cepeo»
anc'ies fôix y ont apporté tant de remèdes, & on a pris de fi iages
brécautions, que pour peu qu'un Prince foit fendble, ou à fa réputation,
ou à fés intérêts, ou au bien public, il ne fauroit long -temps abufer de
Ion autorité.
• Du côté de fa réputation , trois réflexions peuvent le porter \ fe cod-*
duire fans paffion. i^. Les anciens légiflateurs ont établi, dès le commeo*
tement de la monarchie , comme un premier principe du bon gouverne*
mçnt , que ceux qui régnent , font proprement les pères du peuple , &
non pas des maîtres établis fur le trône pour être fervis par des efclaves.
C^eft pour cela que de tout temps on appelle l'Empereur Ta-fou^ c^eft-1-
dird, le grànd-pere; & parmi les titres d'honneur, il n'en reçoit aucua
Îilus volontiers que celui-U. z^. Il eft permis à chaque mandarin d'avertir
'Empereur de fes défauts, pourvu que ce foit avec les précautions que
démande le profond réf^ea qu'on doit lui porter. Voici comme cela fe
jpratique. Le Mandarin qui trouve quelque chofe à redire à fa conduite ,
par rapport au gouvernement, drefle une requête, dans laquelle, après
avoir témoigné la vénération qu'il a pour la Majefté Impériale , il prie très-
hgtnblement le Prince de faire réflexion aux anciennes coutumes & aux
exemples des fatnts rois qui l'ont précédé. Enfuite il marque en quoi il
paroit s'en éloigner. Cette requête fe met fur une table, avec plufieurs
autres placets qu'on préfente tous les jours , & l'Empereur efl obligé de
la lire. S'il ne change point de conduite , on y revient de temps en temps,
félon le zèle &, le courage des Mandarins ; car il en faut avoir beaucoup
pour s'expofer ainfi à fon indignation. 30. On compofe l'hifloire de leur
règne d'une manière qui eft feule capable de les modérer , s'ils aiment
tant foit peu leur gloire & leur réputation. Un certain nombre de doc-
teurs chôifis & : défintéreffés , remarquent avec foin toutes leui-s paroles &
toutes leurs; aâions ; chacun d!eux en particulier , & fans le communi-
quer aux autres, les écrit fur une feuille volante, à mefure que les cho-
fès fe paflTent , & les* jette dans un bureau, par un trou lait exprès. Le bien
& le mal y font- raiîontés fimplement. Afin que la crainte ou refpérance
n'y aient aucune- part, ce bureau ne s'ouvre jamais, ni durant la vie du
Prince, ni f^endant le temps que fa famille led fur le trône. Quand la
Couronne pafTe dans une autre maifon,oomme cela arrive fouvent, on ra*
maiTe tous ces mémoires particuliers , & après les avoir Confrontés les uns
av$c les autres, pour en mieux démêler la vérité, on en compofe l'hif^
toire
C H I N R . 6i7
ttûre de rEmpereur , afin qu'elle ferve d'exemple à la poftérité , s*il a fage-
fnenc gouverné , ou qu'elle foie l'objet de la cenfure publique s'il a man-
qué à Ion devoir.
' Voici en général ce que fes loix ont déterminé pour la forme ordinaire
du gouvernement. L'Empereur a deux Confeils fouverains ; l'un extraordi-
naire » & compofë des Princes du fang ; l'autre ordinaire , où entrent les
Minifires d'Etat qu'on nomme Cotaos. Ce Ibnt eux qui examinent toutes
les grandes affaires, qui en font le rapport, & qui reçoivent les dernières
déterminations de l'Empereur. Outre cela il y a à Pékin fix Cours fouve-*
raines dont l'autorité s'étend fur toutes les provinces de la Chine, quoi^
qu'elles connoiflent de différentes matières. En voici le nom & l'emploi*
Le Lipou a vue fur tous les Mandarins i il peut leur donner ou leur ôter
leurs charges. Le Houpou levé tous les tribus, & tient compte de l'emploi
des finances. Le Conieil des rites doit conferver les anciennes coutumes^
il règle tout ce qui regarde la religion, le» fciences, les arts, les affaires
étrangères. Le Pimpou étend fa jurifdiâiôn fur les troupes & fur les offi-
ciers qui les commandent. Le Himpou juge fouveraioemenC des crimes.
Le Compou ordonne des ouvrages publics & des bâtimens royaux. Cha-
que tribunal renferme plufieurs chambres ; il y en a jufqu'à quinze en quel^
2ues-UAs , dont la première ne confifle qu'en trois perfonnes , un Préndenc
i deux Aileffeurs , à qui toutes les matières importantes reviennent en
dernier refibrt ; les autres font fubalternes , compofées d'un Préfident & de
plufieurs Confeillers , tous foumis au Préfident de la grand-chambre , qui
a fenl , quand il veut , l'autorité définitive. Mais parce qu'H eft de l'intérée
de l'Empereur , que àcs coq^ auffî puiffans que ceux-là ne fbient pas en
état d'aftbiblir l'autorité royale, & de tramer quelque chofe coBtre PEtat,
on a voulu premièrement, que les matières de leurs jugemens fuffent tel'
lemenc partagées , qu'ils eufient tous belbin les uns des autres. Ainfi quand
il s'agit de la guerre , le nombre des troupes , la qualité des Officiers , ta
précait-i
qui fe
néanmoins à toutes les alfemblées , & on lui en communique les aAes.
C'efl proprement ce que nous appelions un infpeâeur. Il avertit fecrete-
leurs mœurs, rien ne lui échappe. Les Officiers qu'on nomme Colis ^ fi>nt
trembler jufqu'aux Princes du lang.
Pour ce qui eft des provinces, elles font immédiatement gouvernées par
J(9ms XI. Oooo
f5* CHINE-
deux fortes de Vice- Rois; Les uns en gouvernent une feule. Ainfi il y a un
Vice-Roi à Pékin , à Çantpn , à Nankin^ ou dans une autre ville peu éloignée
de cette capitale. Mais outre cela ces mêmes provinces obéiflent à d'au-
tres Vice-Rois qu^ontkomme Tfounto ^ & qui en gouvernent en même-temps
deux ou trots , & même quelquefois jufqu'à quatre. Il n'y a guère de
Rois en Europe , dont les Etats foient fi étendus que ceux de ces Officien
généraux % mais quelque grande que paroiffe leur autorité , elle ne dimi-
nue en rien celle .des Vice-Rois particuliers, & leufs droits font fi bien ré^
glés qu'il n'y a jamais entr'eux de conflit de jurifdiâion.
. Liaijbns des Européens avec la Chine. Etat de cet Empire relativement
au commerce.
JLi A C^ne eft le pays de la terre où il y a le moins de gens oi(£ » le
feul peut-être ou il n'y en ait point. Quoiqu^>n y ait le fecours de l'impri-
merie , & tous les moyens généraux de Téducation , on n'y voit cependant
ni grand édifice, ni belle llatue, ni poème, ni éloquence, ni mufique,
ni peinture, ni même aucune des connoiflànces qu'un homme (èul , i(olé,
méditatif, pourroit porter par fes efforts à un grand point de perfeâîoo.
Comme les mœurs ne permettent^ pas l'émigration , & que la popidation de
TEmpire eft exceHîve , le néceffaire eft la limite des travaux. Il y a -plus de
profit à l'invention du plus petit art utile , qu'à la plus fublime découverte
' qui ne montre que du génie. On fait plus de cas de celui qui lait ôrer
parti des recoupes de la gaze , que de celui qui réfoudroît le problême des
(rois corps. C'efl-là. fur-tout que k fait la queftion , qu'on n'entend que
trop fréquemment parmi nous : à quoi cela feH-ill L'attente de la difette
(pii s'avaoce , remplit tous les citoyens d'aâivité, de mouvement & d'in-
quiétude. Il n'y a pas un inftanc qui n'ait fa valeur. L'intérêt doit être le
mobile fecret ou public de toutes les aéHons. Il eft imp<^ble que les raen-
fonges, les fraudes, les vols ne fe multiplient : les âmes y doivent être
bafies , l'efprit y doit être petit , iméreflé , rétréci & mefquto.
. Un Européen acheté des étoffes à Canton ; il efl trompé fur la quantité ,
la qualité & le prix. Les marchandifes font dépofées fur fon bord. La fri*
ponnerie du tnarchand Chinois eft déjà reconnue , lorfqu'il vient cherchée
ion argent. L'Européen lui dit : Chinois , tu m'as trompé ; le Chinois ré-
pond , cela fe peut , mai& il faut payer. L'Européen : Mais m es un fii-
pon, un gueux, un miférable. Le, Chinois : Européen ,. cela fe f eut, mais
il faut payer. L'Européen paie ; le Chinois reçcMt fon argent y & dit en fe
féparant de fa dupe : A quoi t'a fervi ta colère? Qu'ont prodiiit tes ifiju*
res ? N'aurois-tu pas beaucoup mieux fait de payer tout de fuite , & de te
t»ire? P;»rrt(H}t:OÙ l'on efi iiîfenfible à l'infulte, par-tout où Ton rougit fi
peu de la friponnerie , l'Empire peut être très-bien gouverné \ mais les
iQœurs .particulières font très«vicieufes«
CHINE. 6^^
Cet efprit d*avidité réduiitt les Chinou à renoncer dans leur commerce
intéiieiir aux monnoies d'or & d'argent qui étoient d'un ufage géoéral. Le
nombre ^s" faux*moanoyeur$ , qui augmentoit chaque jour , ne permettoit
pas une autre conduite ; on ne ^briqua plus que des efpecesr de cuivre.
Le cuivre étant devenu rare , par des événemens dont l'hiftoire ne rend
pas compte , on lui aflbcia les coquillages , fi connus fous le nom de eau-*
ris. Le Gouvernement s'étant apperçu que le peuple fe dégoûcoit d'un ob-
jet fi fragile , ordonna que les ulteniiles de cuivre répandus dans tout l'Ern*
pire y fuflent livrés aux hôtels des monnoies. Ce mauvais expédient n'ayant
pas fourni des reflburces proportionnées aux befoins publics, on fit rafer
environ quatre cents temples de Foé , dont les idoles fiirent fendues. Dans
la fiiite^ la cour paya les Magifirats & l'armée , partie^n cuivre, & par«^
tie en papier. Les efprits fe révoltèrent contre une innovation fi dangereu-
iè ^ & il fiiUut y renoncer. Depuis cette époque qui remonte à trois fie-'
des , la monnoie de cuivre eft la feule monnoie légale.
Malgré le caraâere intéreilë des Chinois , leurs liaifons extérieures furent
loog^temps trés*peu de chofe. L'éloignement oii cette nation vivoit des
autres peuples , venoit du mépris qu'elle avoir pour eux. Cependant on dé*
fira plus qu'on n'avoit fiist de fréquenter les ports voifins ; & le Gouver-
nement Tartare , moins zélé pour le maintien des mœurs , que l'ancien
Gouvernement, Avorifa ce moyen d'accroître les richefles de la nation.
Les expéditions qui , jufqu'alors , n'avoient été permifes que nar la tolé-
rance intéreffée des Commandans des Provinces maritimes , fe nrent ouver-
tement. Un peuple dont la fageffe étoit célèbre , ne pouvoit manquer d'ê-
tre accueilli fiivorablement. Il profita de la haute opinion qu'on avoit de
lui pour établir le goilt des marchandifes qu'il pouvoit fi>urnir ; & fon ac*
tivité embrafla le continent comme les mers.
Aujourd'hui la Chine trafique avec la Corée» qu'on croit avoir été ori-
ginairement peuplée par les Tartares, qui a été furement plufieurs fois con«
Îuife par eux , & au'on a vue, tantôt efclave , tantôt indépendante des
hinois dont elle eft aâuellement tributaire. Ils y portent du thé, de la
porcelaine^ des étoflfi» de foie , & prennent en échange des toiles de chan-
vre & de coton , & du ginfëng médiocre.
Lts Tartares , ou'on peut regarder comme étrangers , achètent des Chi-
sois des étoffes de laine, du riz, du thé, du tabac, qu'ils paient avec
des moutons, des bcrafe, des fourrures , & fur-tout do ginfeng. Cet arbu*
fie ne croit que fur les montagnes les plus efcarpées , au milieu des forets
les plus épaifles , autour des rochers les plus affreux. Sa tige hérifiee d'une
e(pece de poil, eft d'ailleurs unie, ronde, & d'uii rouge foncé, excepté
dans la partie infiSrieure où elle blanchit un peu. Elle a'éleve à la hauteur
d'environ dix-hnit pouces. Vers la cime, elle jette des rameaux d'où for*
tenr des feuilles oblongues , menues , cotoneufes , dentelées , d'un yerd
obfcur par*defluS) blanchâtres & luifant par-deflS>us. On connoit fon âge par
Oooo 2
66o CHINE.
fes bfjiocbes, & foh âge augmente fon prix. Le ginfeng a plufienn vertus ,
dont les plur reconnues font de fortifier l^eftornac & de purifier le (àng*
Il eft fi précieux aux yeux des Chinois , qu'ils ne le trouvent jamab trop
cher. Le Gouvernement fait cueillir tous les ans cette plante par dix mille
ibldats Tartares, donc chacun doit rendre gratuitement deux onces du metl*
leur ginfeng. On leur donne pour le refte un poids égal en argent. Cette
récolte eft mterdite aux particuliers. Une défenfe fi odieufe ne les empê-
che pas d'en chercher. Sans cette contravention à une loi intufte , ils fe-
roiept hors d'état de payer les marchandifes qu'ils tirent de r£mpire , &
réduits par conféquent à s'en palier.
On a déjà fiiitconnoltre le commerce de la Chine avec les Rudes. Ac*
tuelkment il n'eft pas important ; mais il peut & il doit le devenir»
Celui qu^ellé fiiit avec les habitans de la petite Bucharie , le réduit à
leur donner du thé, du tabac, des draps, pour les grains d'or qu'ils troa«
vent dans leurs torrens , quand la nçige commence à fi>ndre. Si jamais ces
barbares apprennent à exploiter les mines dont leurs montagnes font rem-
plies , on verra des liaifons , aujourd'hui languiilântes , prendbre un accroif-
fement , dont il ' n'eft pas poflible de fixer les bornes.
L'£mpire eft féparé des Etats du Mogol & des autres contrées des Indes
par des fables , des montagnes , des rochers qui rendent toute communica-
tion impraticable. Audi (on commerce de terre eft-tl fi borné , qu'il ne
pafle pas huit ou neuf millions. Celui qu'il fait par mer eft plus confidérable*
C'eft avec fes foieries, fon thé, fa porcelaine, & quelques autres objets
de moindre importance , qu'il le (butient. Le Japon paie les CUnois
avec du cuivre & de l'or; les Philippines, avec des piaftres; Batavia,
avec des poivres & des épiceries ; Siam , avec des bois de teinture & des
vernis ; le Tonquin, avec des foies; la Cochinchine, avec du fucre&de
l'or. Toutes ces branches réunies peuvent monter à trente millions , &
occuper cent cinquante batimens. Les Chinois gagnent au moins cent poiir
cent dans ces différentes affaires , dont la Cochinchine fournix la nioiri^ Ils
ont pour correfpondans dans la plupart des marchés qu'ils fi^quentent,
les defcendans de ceux de leurs compatriotes qui s'exilèrent de leur patrie
lorfque les Tartares s'en rendirent maîtres.
Le commerce de la' Chine qui, du coté du Nord^ ne s'étend pas plus
loin que le Japon» ni du côté de l'Orient, au-delà des détroits deMaUca
& de la Sonde , autoit vraifemblablement acquis une plus grande exten*
fion ; fi les conftruâeurs ChincHs , moins aifervis aux anciens uteges , avoient
daigné s'inftruire à l'école des navigateurs Européens.
Ceux d'entre eux qui pararent les premiers fur les côtes de la Chine,
furent admis dans toutes les rades indifféremment. Leur extrême
avec les femmes ; leur violence avec les hommes ; des aâes répétés de
hauteur Ac d'indifcrétion les firent concentrer depuis à Canton , le port le
plus méridional de l'Empire.
/
2
C H IN B; 66t
Cette ville eft fituëe fur tes bords du Tigre, rivière coofidërable qui
comnranique i d'an côté par divers canaux avec les Provinces les plus re*
culées 9 & qui de Tautre conduit au pied de fes murs les plus grands vaif-
ieaux. On y voyoit nos pavillons mêlés avec ceux du pays. Dans la fuite
Von a obligé les naviresi Européens de s'arrêter à Hoaung-pon , à quatre
lieues de la place. Il eft douteux fi ce fut la crainte de quelque furprife
qui infpira cette précaution , ou fi ce fut un moyen imaginé par les gens
en place pour leurs intérêts particuliers. La défiance & l'avidité des Chinois
autorffent les deux conjeâures.
- Cet arrangement ne changea rien à la fituation perfonnelle des naviga^-.
teurs. Us continuèrent à jouir dans Canton de toute la liberté qui ne cho-
quoit pas l'ordre public. Leur caraâere les portoit à en abufer ; & ils fe
lafferent bientôt de la circonfpeâion néceflaire, dans un Gouvernement
rempli de formalités. On les punit de leur imprudence ; tout accès chez les
gens en place leur fut fermé. Le Magiftrat» &tigué de leurs plaintes con-^
dnnelles , ne voulut plus les recevoir que par le canal des interprètes dé*
pendans des marchands Chinois. Tous les Européens eurent ordre d'habiter
dans un quartier qui leur fut afligné. On ne difpenfa de cette obligation
ue ceux qui trouvoient ailleurs un hôte qui répondoit fle leurs mœurs &
e leur conduite. Les gênes augmentèrent encore en 1760, La cour avertie
pair les Ânglois que le commerce éprouvoit des vexations criantes ^ fit par*
tir de Pékin des * Commiflaires , qui fe laifièrent féduire par les accufés.
Sur le rapport de ces hommes corrompus , tous les Européens furent con-
finés dans im petit nombre de maifons , d'où ils ne pou voient traiter
qu'avec quelques négocians munis d'un privilège exduuf. Ce monopole
vient de cefler; mais les autres gênes font toujours les mêmes.
' Ces humiliations ne nous ont pas dégoûtés du commerce de la Chine..
Nous continuons d'y aller chercher du thé, de la porcelaine, des foies,
des foiertes , du vernis , du papier , & quelques autres objets moins con«
fidérables.
Le thé eft un arbrifleau de fa hauteur de nos grenadiers ou de nos myr*
thés. Il vient des -^graines femées dans des trous de trois ou quatre pouces
de profondeur. On n'eftime de lui que fes feuilles. A trois ans il en oflfre
en abondance ; mais il en donne moins à fepr. On le coupe alors à la tige
pour obtenir des rejetions , dont chacun fournit à peu de chofe près autant
de produit qu'un arbufie entier.
La plupart des Provinces de la Chine cultivent le thé : mais il n'a pas
le mêine degré de bonté par-tout ; quoique par*tout on ait l'attention de
le placer au midi & dans les vallées. Celui qui croit fur un fol pierreux eft
fort fupérieur à celui qui fort des terres légères , & plus fiipérieur encore
à celui qu'on trouvé dans les terres jaunes.
. La di^rence des terreins n'eft pas ia feule caufo de Ja perfèâion plus oq
moins grande du thé : les faifons oili la feuille eft ramaflTée y inQuent en«
cote davantage.
66z C H I N B.
La première récolte fe fait au cooMneacetnedC de Mars.: Les feuiUei ^jilert
1 _ o- j^i: — -.. c * „ — » — 11-. I-. jjj^ impérial^
gens en pUce.
qui eft au mois d'Avril , Ibnt plus grao*
des & {>lus développées; mais de moindre qualité que les premières. EuBa
le dernier & le moins eftimé des thés , fe recueille dans le mois fuivant
Les uns & les autres font enfermés dans des boetes d*écain grofiier » pour
les garantir de Timprelfion de Tair qui leur fèroit perdre leur parfum.
Le thé eft la boiflbn ordinaire des Chinois. Ce ne fut pas un vain ca«.
f^rice qui en introduifit Tufage. D^ns prefque tout leur Empire ^ les eaua
ont mal-faines & de mauvais goûc. De tous les moyens qu'on imagina
pour les améliorer , il n'y eut que le thé qui eut un fuccés entier. L'ezpé*
rience lui fît attribuer d'autres vertus. On fe perfuadaque c'étoitun excel-.
lent diflblvant , qui purifioit le faog ^ qui fbrtifioit la tète & l'eftomac » qui
facilitoit la digeltion & la tranfpiration^
La haute opinion que les premiers Européens qui pénétrèrent à la Chi*
ne 9 (e formèrent du peuple qui Thabite ^ leur fit adopter l'idée , peut-être
exagérée , qu'il avoir du thé. Ils nous communiquèrent leur enthoufiafme,
& cet enthoufiafme a été toujours en augmentant dans le nord de l'£tt«
rope & de l'An\érique ^ dans les contrées cii l'air eft groffier & chargé
de vapeurs.
Quelle que foit en général la force des préjugés , on ne peut guère éon*
ter que le thé ne produife quelques heureux effets chez les nations cpû en
ont le plus univerfellement adopté l'ufage. Ce bien ne doit pas être pour-'
tant ce qu'il eft à la Chine même. On fait Que les Chinois gardent pour
eux le thé le mieux chcùfi & le mieux foiené. On fait qu'ils mêlent lon-t
vent au thé qui fort de l'Empire d'autres feuilles , qui ^ quoique reflem-
blances pour la forme , peuvept avoir des propriétés difiërentes. On fait que
la grande exportation qui fe fait du thé, les a rendus moins difficiles furie
choix du terrein , & moins exaâs pour les préparations. Notre manière de
le prendre , fe joint à ces négligences ^ à ces infidélités. Noos le buvons
trop chaud & trop fort. Nous y mêlons toujours beaucoup de fîicre » fou«^
vent des odeurs ^ & quelquefois des liqueurs nuifibles. Indépendamment
de ces confidératiov • ^^ long trajet qu'il fait par. mer fiiffinoit pour faiifeire
perdre la plus grande. partie de fes fels bienfeilàvs.
On ne pourra juger définitivement des vertus du. ûté ^ que lorsqu'il aura
été tranfplanté dans nos climats. On commençoit à défefpérer dn fnccês ,
quoique les expériences n'eufTeat été tentées qu'avec des graines, &, à-ce
qu'on prérend , avec des graines mal choifies. Il a été erain porté un ar-
brifleau , dont la tige avo^ fix pouces ; & c'dl à M. Linnatus , au plus cé-
lèbre botanifté de l'Europe , qu'il a été remis. Cet habile homme eft par^
venu à le conferver ; & il efpere de le multiplier en pleyn air , enJSoede
même i puifcj^'il ne périt pas 'dans les régions les plus feptentriooales de
£
C H 1 N B. 66-i
la Chine. Ce fera un trës^*mnd avantagé de euldvêr nous^mémed une
plance qui ne peut que dimcilement perdre autam à changer de terrein^
qu'à moifir dans la longue trayerfée qu^elle ëtoic obligée de &ire. Il h^ a
as long'temps que nous étions tout auffi éloignés du fecret de fidre ^e
I porcelaine.
Il exiftoit il y a quelques années dans le cabinet du Comte de Caylus »
deux ou trois petits fragtnens d'un vafe crû Egyptien , qui , dans des eflàis
faits avec beaucoup de foins & d'intelligence <, îe trouvèrent être de por-
celaine non couverte. Si ce favant ne s'eft pas mépris ou it'a pas étéfromf*
Îéj ce bel art éfoit déjà connu dans les beaux temps de l'ancienne Egypte.
Eais il faudroit des monumens plus authenticpes qu'un fait ifolé , pour
en faire refîifer l'invention à la Chine » ou l'origine s'en perd dans la nuit
des temps.
Sans entrer dans le fyfléme de ceux qui veulent donner à l'Egypte une
antériorité de ÊMidsiton , de loix , de fciences & d'arcs de toute efpece ^
2ue la Chine a peut-être autant de droit de revendiquer en ia faveur ; qm
lit d ces deux Empires , égal^eitient anciens , n'ont jpas reçu toutes leurs
ioftitutions fociales d'un peuple formé dans le vafte etpace de terre qui les
Çépart ? Si les habttans iauvages des grandes montagnes de l'Afie ^ apoès
avoir erré durant plufieurs fiecles dans le continent^ qui fait le centre de
notre hémifphere , ne fe font pas difperfés infenfiblement v&% les co«^
tes des mers qui l'environnent , oi formés en corps de nation féparées à la
Chine, dans l'Inde, dans la Perfe , en Egypte? Si les déluges lucceffîfs,
qui ont pu défoler cette partie de la terre , n'ont pas emprifonné les hom^^
mes dans ces régions , coupées par des montagnes & des déferts l Ces
con^eâores font d'autans moins étrangères à l'biftoire du commerce , que
cdie-'Ci doit ,. toc ou caed , donner les plus grandes lumières lur fhiftoire gé-
nérale du genre humain, de fes peuplades, de (es opinions, & de fès ii>
vehtions de toute efpece;
Celle de la porcelaine eft , finon une des plus merveilleufes , du moins
l'une des plus agréables qui foient forties des mains de l'homme. C'efl la
propreté du laxe qui vaut mieux que fa richeile.
La porcelaine eft une efpece de poterie , ou plutôt c'eft la plus parfaire
de toutes les poteries. Elle eft plitt ou moins blanche, plus ou moins fo-^
lide, plus ou moins tranfpareme. La tranfparence ne lui effc pas mémo
tellement efièotteUe , qu'ii i^y en ait beaucoup^ & de fort belle fans cette
propriété.
La porcdatne eft couverte ordinairement d'un vernis blanc ou d'un ver^^
nts coloré. Ce vernis n'eft autre chofe qu'une couche de verre fondu &
glacé, qui ne dok jamai» avoir qu?une demi^ tranfparence. On donne le
nom de couverte à cette couche ,- qui conftitue proprement la |>orcelaine.
Celle qui n'a pas reçu cette efpece de vernis , fe nomme bilcuit de pbr^
cdatoe; Celle-ci a bien le mérite intrinfeque: de l'autre , mais elle n'en a
nr la pwfreté ^ ni l'éclat , ni la beauté.
N
66^ C H t N E.
Le mot de poterie convient k k défiotdon de la porcelaine, P^fce qWt
romme toutes les autres poteries plus communes ^ la matière eft prife im«
médiatement dans les fubftances de la terre même. Sans autre altéradqo
de l'art qu'une fimple iltvifion de leurs parties. Il ne doit entrer aucune
fubftance. métallique ni faline dans fk compofition , pas même dans &
couvene , qui doit fe £iire avec des matières aulli (impies ^ ou peu
s'en fiiut
-'^La meilleure porcelaine & communément la plus fblide, fera celle qui
fera faite avec le moins de matières différentes ; c'eft*à«dire , avec une pierre
vitrifîable^ & une belle argile blanche & pure. C'eft de cette dernière teire
que dépend la folidité & la confiftance de la porcelaine & de toute la po«
terie en général.
Les connoifleurs divifent en (ix claflès la porcelaine qui nous vient d'A«
£e : la porcelaine truitée, le blanc ancien , la porcelaine de Japon, celte
4le la Chine , le Japon Chiné & la porcelaine de J'Inde. Toutes ces déno*
minations tiennent plutôt au coup*d'œil qu'à un caraftere bien décidé.
La porcelaine traitée ,^ qu'on appelle ainfi fans doute parce qu'elle a de
la reflemblance avec les écailles de la truite , paroit être la plus ancienne »
& celle qui tient de plus près à l'enfance de l'art. Elle a deux tmperfeç*
tions. La pâte en eft toujours fort grife , & la couverte en efl gerfëe en
mille manières. Cette gerfure n'eft pas feulement dans la couverte , elle
prend aufli fur le bifcuit. De*là vient que cette porcelaine n'efl prefqiie
point tranfparente » qu'elle n'eft point fonore , qu'elle eft très*fragile , &
2u'elle tient au feu plus facilement qu'une autre. Pour cacher la difformité
e ces gerfures, on l'a bariolée de couleurs diftërentes. Cette bigarrure a
Ait (on mérite & fa réputation. La fiicilité avec laquelle M. le Comte de
Lauraguais l'a imitée, a convaincu les gens actentifi que cette efpece de por-
celaine n'eft qu'une porcelaine manqué.
Le blanc ancien eft certainement d'une grande beauté; foit qu'on s'en
tienne à l'éclat de fa couverte ; foit ou'on en examine le bifcuic Cette
porcelaine eft précieufe , afTez rare & de peu d'ufagei Sa p&te paroit très-
courte, & on n'en a pu faire que de petits vafes, ou des figures, &des
magots Û6nt la forme fe prête a fon de&ut. On la vend dans le commerce
comme porcelaine du Japon , quoiqu'il paroiife certain qu^il s'en &it de
très-belle de la même efpece à la Chine. Il y cin a de deux teintes diffi-*
rentes. Tune qui a le blanc de la crème précifément^ l'autre qui joint à (à
blancheur un léger coup-d'œil bleuâtre qui (emble annoncer plus de tranf»
parence. En effet la couverte femble être un peu plus fondue dans celle-ci.
On a cherché ii imiter cette porcelaine à faint Cloud , & il en eft fbrti des
pièces qui parojflbient fort belles. Ceux qui les ont examinées de plus près,
ont trouvé que c'étoir des ftittes , que c'étoit du plomb , & qu'elles nfi poD-
voient pas iûutenir le parallèle.
H e(t plus difficile qu'on ne penfe de bien diflinguer ce qu'on app^e
porcelaine
CHINE. 66 i
porcelaine du Japon, de ce que la Chine fournit de plus beau en ce genre.
Un fin connoifTeur que nous avons confulré , prétend qu'en général ee
qu'on appelle véricablemenc Japon, a une couverture plus blanche &
moins bleuâtre que la porcelaine de la Chine, que les ornemens y font
mis avec moins de pcofufion, que le bleu y. eft- plus éclatant, que les
deflins & les fleurs y font moins baroques , mieux copiés' de; la nature*'
Son témoignage paroit confirmé par les écrivains, qui difent que les Chi-
nois qui trafiquent aU Japon, en rapportent quelques pièces de porcelaino
qui ont plus d'éclat & moins de folidité que les leurs , & qu'ils s'en fer*
vent pour la décoration de leurs appartemens, mais jamais pour l'ufage,
parce qu'elles foutiennent difficilement le feu. Il croit de la Chine tout ce
qui efl couvert d'un vernis coloré, foit en verd céladon, foit en couleuc^
bleuâtre, foit en violet pourpre. Tout ce que nous avons ici du Japon'
nous eft venu , ou nous vient , par la voie des HoUàndois ; les feuls Eu^
ropéens à qui l'entrée de cet Empire ne foit pas interdite. 11 eft poffible
qu'ils l'ayèût choifi dans les porcelaines que les Chinois y apponent zn*
nuellement , qu'ils l'ayent acheté à Canton même. Dans l'un & l'autre
cas , la diftinâion entre la porcelaine du Japon & celle de la Chine, feroit
fàufle au fond, & n'auroit d'autre hafe que le préjugé. Il réfulte cependant
de cette opinion , que tout ce qui porte parmi nous le titre de porcelaine
du Japon , eft toujours de trés»beile porcelaine.
Il y a moins à douter fur ce qu'on appeUe porcelaine de la Chinft.
La couverte eil plus bleuâtre , elle eft plus chargée de couleurs , & les
deffins en font plus bifarres que dans celle qu'on nomme du Japon. La
pâte elle-même eft communément plus blanchç ^ plus liée ,. plus grafle ; (on
grain plus fin, plus ferré, & on lui donne moins' d'épaifteur. Parmi les
diverfes porcelaines qui le .fiibriquentc à la Chine ., il y en a une qui eft
fort ancienne. Elle eft^peinie en gi^os jbleu, en beau rouge & en verd de
cuivre. Elle eft (on groffiere , fort jifiaifive , & d'un poids fort confidéra**
ble. Il s'en trouve de cette efpece qui left truitée. Le grain en efl fou-
vent fec & gris. Celle qui n'eft pas truitéo eft lonore ; mais l'une & l'autre
ont très-peu de tranfparence. Elle fe vend fous le noin d'ancien Chine |'
& les pièces les pl^s'b^les* font cenfées venir du Japon. G'écoit originai-
rement une belle poterie plutôt qu'udie porcela^e véritable. Lé temps ât
l'expérience l'ont perfeâipnnée. Elle ^. acquis .plus de tranfparence, ot les
couleurs , appliquées ave^s, plus de. foin, ont. eu plus d'éclat. Cette porce-
laine diffère efientiellement des autres « en ce < qu'elle, eft laite d'une «pâte
courte , qu'elle eft très-dure & très-folide. Les pièces de cette porcelaine
ont toujours en- ^effous trois ou quapre traces de fupports, qui ont été mis
pour l'empêcher de -fléchir dans la ouiflbn. Avec ce;{ècours<on eft parvenu
à fabriquer des pièces d'une hauteur, d'un diamètre confidérables. Lespor*-
celaine^s qui ne font pas de cette efpece & qu^on appelle Chine moder^
ne, ont la pâte plus longue , le grain plus fin^ 6c la couverte plus gla-
Tomc XL PPPP
(66 CHINE.
cée, plus bknche, pttts belle; Elles ont rarement des fupporfs, & leur
tranfparence n'a rien de vitreux. Tout ce qui ett fabriqué de cette pâte eft
tourné facilement , en forte que la main de Touvrier paroit avoir gliflë
de (fus, ainfi que fur une excellente argile. Les porcelaines de cette efpece
varient à l'infini pour la. forme, pour les couleurs , pour la main-d'œuvre
& pour le prix.
Une cinquième efpece de porcelaine eft celle à qui nous donnons le
nom de Japon Chiné , parce qu'elle réunit aux ornemens de la porcelaine
qu'on croit du Japon , ceux qui font plus dans le goût de la Chine. Par*
mi cette efpece de porcelaine , il s^en trouve une , enrichie d'un très-beau
bleu avec des cartouches blancs. Cette couverte a cela de particulier ,
qu'elle eil d'un véritable émail blanc , tandis que les autres couvertes ont
vne demi -tranfparence; car les couvertures de la Chine ne font jamais
tcanfparentes tout-à^fàit.
* Les couleurs s'appliquent en général de la même manière fur toutes
les porcelaines de la Chine, fur celles mêmes qu'on a faites à fbn imita*
tion. La première , la plus folide de ces couleurs , eft le bleu qu'on retire
du fafFre qui n'eft autre chofe que la chaux de cobalt. Cette couleur s'ap*
plique ordinairement à crud fur tous les vafes, avant de leur donner la
couverte & de les mettre au four; en forte que la couverte qu'on met
enfuite par-deffus lui fert de. fondant. Toutes tes autres couleurs, Se même
le bleu qui enore dans la compofition de la palette , s'appliquent fur la
couverte , & ont befoin li'être unies préalablement avec une matière fa-
line .ou une chaux de plomb qui favorife leur ingrez dans la couverte,
yne manière particulière & affez fiuniliere aux - Chinois de peindre la por-
celaine , c'eft de colorer la couverte toute entière. Pour lors la couleur ne
s'applique ni deifus ni deflbus la couverte, mais on la mêle & on Pin-
çorpore dans la couverte ^elle^-même. Il fe &it des chofes de fkntaifie très*
extraordinaires en ce genre. De ^quelque manière que les couleurs foient
appliquées, elles fe tirent communément du cobalt, de l'or, du fer, des
terres martiales & du cuivre. Celle du cuivre eft ^s-délicate & demande
de grandes précautions.
Toutes les porcelaines dont nous avon& parlé fe font à King-to-ching ,
bourgade immenfe de la province de Kianfi. Elles y occupent cinq cents
fours & un million d'hommes. On a effayé à Pékin, ^. dans d'autres lieux
de l'Empire, de les imiter; & les expériences ont été malheureufes par-
tout, malgré la précaution qu'on avoir prife de n'y employer que les
mêmes ouvriers, les mêmes matières. Aum a**t*on universellement renoncé
à cette branche d'induftrie, excepté au voifinage de Canton oii on fabri-
2ue la porcelaine connue parmi nous fous le nom de porcelaine des Indes,
a pâte en eft longue & racile; mais en général les couleurs, le bleu fu^
tout & le rouge de mars , y font très^infërieurs à ce qui vient du Japon
& de l'intérieur de la Chine, Toutes les couleursi excepté le bleu , y re-
CHINE. 667
lèvent en boflci & (ont communément mal appliquées. On ne voit du
pourpre que fur cette porcelaine, ce qui a fait follement imaginer qu'on
le peignoit en Hollande. La plupart des talfes, des aifiettes, des autres va<*
fes que portent nos négocians, fortent de cette manufaâure» moins efti«
mée à la Chine que ne le font dans nos contrées celles de fayaoce»
Nous avons cherché à naturalifer parmi nous l'art de }a porcelaine. La
Saxe s'en efl occupée plus heureufement que les autres £rats. Sa porcelaine
eft de la vraie porcelame , & vraifemUablement compofée de matières
fort (impies, quoique dépendante furement d'une combinaifon plus recher*
chée que celle de l'Afîe. Cette combinaiibn particulière, & la rareté des
matériaux qui entrent dans fa compofîtton , doivent caufer la cherté de
cette porcelaine. Comme il ne fore de cette manufkéhire qu^une feule &
même efpece de pâte, on a penfé avec ailëz de vraifemblance que les
Saxons ne poflèdem que leur iecret , & n'ont point du tout l'arc de la
porcelaine. On eft confirmé dans ce foupçon par la grande reffemblance
qu'il y a entre la mie & le grain de la porcelaine de Saxe, & celles de
lues autres porcelaines d'Allemagne, qui paroiflènt faites par une com-*
ion à-peu-prés ièmblable.
Quoi qu'il en foit de cette comedure, on peut aflurer qu'il n'y a point
de porcelaine dont la couverte foit plus agréable à la vue, pins égale,
plus unie, plus folide & plus fixe. Elle réfine à un très- grand feu, beau«
coup plus long-temps que dîffêrentes couvertes de porcelaines de la Chine.
Ses couleurs jouent agréablement & ont un ton*trés-mâ1e. On n'en con-
nolt point d'aufli bien aflbrties à la couverte. Elles ne font ni trop» ni
trop peu fondues. Elles ont du brillant , fans être noyées & glacées , com-
me la plupart de celles de Sevré.
Ce mot nous avertit qu'il £iut pvler des porcelaines de France^ On
fait qu'elles ne font faites, ainfi que celles d'Angleterre, qu'avec des frit-
tes, c'eft-à-dire, avec des pierres infufibles par elles-mêmes, auxquelles
on Élit prendre un commencement de fufion , en y joignant une quantité
de fel plus ou moins confidérable. Aufli font-elles plus vitreufes , ptas fu«
fibles, moins fdides & plus caflàntes que toutes les autres. CeUe' de Se-
vré qui eft fans comparaifon la plus mauvaife de toutes, & dont la cou«
verte a toujours un coup-d'œil jaunâtre faley qui décelé le plomb dont elle
eft chargée, n'a que le mérite que peuvent lui donner des deffînareufs |
ées peintres du premier oi-dre. ces grands maîtres ont mis tant ^'art à
quelques-unes de ces pièces, qu'elleis feront précieufes pour la poftérité;
mais en elle-même , elle ne fera jamais qu'un objet de goAt, de luxe &
de dépenfes. Les fupports feront une des principales caufes de fa cherté..
Toute porcelaine, au moment qu'elle reçoit fon dernier coup de- feu^
f^ trouve dans un état de fufion commencée : elle ^ pouf lofsv de la
molleflè, & pourroit être maniée comme le^r lorfqu^l eft iwibmfë/On
n'en connoît point qui ne fouffire, qui nefe tourmente lorfqu'dle ef^ dans
Ppp-p 2 -
66%
CHINE.
cet état. Si l^es pièces qui font tournées ont plus d'épaifleur & de faillie
d'un côté que de Pautre, au(fî-tôt, le fort emporte le foible : elles ilé-
chiffent de ce côté, & la pièce eft perdue. On pare à cet inconvénient
par des raorceaux de porcelaines^ faits de la même pâte, de difSrentes
formes, qu'on applique au-deflbus ou contre les parties qui font plus de
faillie & courent plus de rifques de fléchir que les autres. Comme toute
porcelaine prend une retraite au feu à mefure qu'elle cuit, il faut non*
feulement que* la matière dont on fait les fupports puilTe fe retraire auffi \
mais encore que fa retraite ne foit , ni plus , ni moins grande que celle
de la pièce qu'elle eft defiinée à foutenir. Les diffërentes pâtes ayant des
retraites différentes, il s'enfuit que le fupport doit être de la même pâte
que. la porcelaine.
Plus une porcelaine efl tendre au feu, & fufceptible de vitrification,
plus elle à befoin de fupport. C'eft par cet inconvénient que pèche eifen-
tièllement la porcelaine de Sevré, dont la pâte efl d'ailleurs fort chère,
& qui en confomme fouvent plus en fupport, qu'il n'en entre dans la
pièce de porcelaine même. La néceffité de ce moyen difpendieux , en-
traîne encore un autre inconvénient. La couverte ne peut cuire en même-
temps que la porcelaine, qui efl obligée par4à, d'aller deux fois au feu.
La porcelaine de la Chine & celles qui lui refTemblent étant faites d'une
pâte plus folide, moins fufceptible de vitrification , ont rarement befoin
d'être foutenues, & fe cuifent avec la couverture. Elles confomment donc
beaucoup moins de pâte,* fouffirent moins de perte , demandent moins de
temps, de foins & de feu. :
Quelques écrivains ont cru bien, établir la prééminence de la porcelaine
d'Afie fur les nôtres , en difant quç ces dernières réfiftent moins au feu
que celle qui leur à fervi de ttiodële , que toutes celles d'Europe fondent
dans celle de Saxe, & que celle de Saxe finit par fondre dans celle des
Indes. Rieti n'efl plus faux que cette affertion, prife dans toute fon éten-
due. Il y a peu de porcelaines de la Chine» qui réfiflent autant au feu
que celle de Saxe. Elles fe déforment même oc fe bouillonnent au feu
qui cuit celle de M. de Lauraguais. Mais cela doit être compté pour rien
oM pour fort peu de chofe. La porcelaine n'efl pas faite pour retourner dans
les fours dont elle efl fortie. Elle n'eft pas defiinée à effuyer un fèa
de réverbère.
C'efl p^ là folidité que les porcelaines de la Chine l'emportent vérita-
blement fur celles d'Europe 4 c'efl par la propriété qu'elles ont d'être
échauffées plus promptement & avec moins de rifque, de fouffirir fans dan-
gèn l'impr^ffion fubite des liqueurs froides ou bouillantes; c'eft par la fe-
çilité ^.qu'elle^ offrent de les cuire & de les travailler : avantage incompa-
merce plus étçAdu.
CHINE. 66^
Un autre avantage bien rare de la porcelaine des Indes , c'eft que fà
pâte eft admirable pour Ëiire des creufets & mille autres ufleofîles de ce
genre , c^ui (ont d'une utilité journalière dans les arts. Non-feulement ces
vafes rëlifleat plus long- temps au feui mais ce qui efl bien plus précieux,
ils ne communiquent rien aux verres & aux matières qu'on y (ait fondre.
Leur matière eft fi pure, fi blanche, fi compaâe & fi dure, qu'elle n'en-
tre en fuûon que difficilement & ne porte point de couleur. ,
La France touche au moment de jouir de toutes ces commodités. Il
eft certain que M. le Comte de Lauraguais , qui a cherché long-temps
le fecret de la porcelaine de la Chine , eft parvenu à en faire qui lui ref-
femble. Ses matériaux ont le même caraâere ; & s'ils ne font pas exaâe-
nient de la même efpece , ils font au moins des efpeces du même genre.
Comme les Chinois, il peut &ire fa pâte longue ou courte, & employer
à fon choix fon procédé , ou un procédé différent. Sa porcelaine ne le
cède en rien à celle des Chinois pour la facilité k fe tourner, à fe mo-
deler, & lui eft fupérieure par la folidité de fa couverte, peut-être aufti
par fon aptitude à recevoir les couleurs. S'il parvient à lui donner la mê-
me fineue , la même blancheur du grain , nous nous paflerons . aifé-
ment.de la porcelaine de la Chine. Il ne fera pas fi âcilede renoncer
à fa foie.
' Les annales de cet Empire attribuent la découverte de la . foie à l'une
des femmes de l'Empereur Hoangti. Les Impératrices fe firent depuis une
agréable occupation de nourrir des vers, d'en tirer la foie & de la mettrt
en œuvre. On prétend même qu'il y avoit dans l'intérieur du Palais, un
terrein deftiné à la culture des mûriers* L'impératrice , accompagnée des
Dames les plus diflinguées de fa Cour, fe rendoit en cérémonie dans ce
verger & y cueilloir elle-même les feuilles de quelques branches qu'on
abaifibit à fa portée. Une politique fi fage, encouragea fi bien cette
branche d'induflrie, que bientôt la nation qui n'étoit couverte que de ipeaux,
fe trouva habillée de foie. En peu de temps , l'abondance fut fuivie de la
perfèâion. On dut ce dernier avantage aux écrits de plufîeurs hommes
éclairés , de quelques Miniflres même , qui n'avoient pas dédaigné de porter
leurs obfèrvations fur cet art nouveau. La Chine entière s^nfbuifit dans
leur théorie de tout ce qui pouvoit y avoir rapport.
L'art d'élever les vers qui produifent la foie , de filer cette produâion ,
d'en fabriquer des étoffes , pafËt de la Chine aux Indes & en Perfe , où il
ne fit pas des proerès rapides. S'il en eût été autrement, Rome n'eût pas
donné jufqu'à la nn du troifieme fiecle une livre d'or , pour une livre de
foie. La Grèce ayant adopté cette induftrie dans le huitième fiecle ; les
foieries fe répandirent un peu plus , fans devenir communes. Ce fiit long-
temps un objet de magnincence, réfervé aux places les plus éminentes 6c
aux plus grandes folemnités. Roger, Roi de Sicile, appeila enfin d'Athè-
nes des ouvriers en foie } & bientôt la culture des mûriers s'étendit de
y
ijo CHINE.
cette îflc au continent vbîfin. D'autres contrées de l'Europe voulurent
jouir d'un avantage qui donnoit des ricHefles à l'Italie , & elles y parvin-
rent après quelques efforts inutiles. Cependant la nature du climat, &
peut-être d'autres caufes , n'ont pas permis d'avoir par-tout le même
fuccès.
Les foies de Naples, de Sicile, de Reggio, font toutes communes, foit
en organfin , foit en trame. On les emploie pourtant utilement ; elles font
même nécefTaires pour les étofiès brochées, pour les broderies , pour
tous les ouvrages où l'on a befoin de foie forte.
Les autres loies d'Italie , celles de Novi , de Venife , de Tolbane , de
Milan, du Momfèrrat, de Bergame & du Piémont, font employées en
organfin pour chaîne , quoiqu'elles n'ayent pas toute la même beauté , la
même bonté. Les foies de Bologne eurent long-temps la préférence fur
toutes les autres. Depuis que celles du Piémont ont été perfeéUonnées ,
elles tiennent le premier rang pour l'égalité, la fineife, la légèreté. Celles
de Bergame font celles qui en approchent le plus.
Quoique les foies que fournit l'Ëfpagne loient en général fort belles,
celles de Valence ont une grande fupériorité. Les unes & les autres font
propres à tout. Leur feut défaut eft d'être un peu trop chargées d'huile ,
ce qui leur fait beaucoup de tort à la teinture.
' Les foies de France , fupérieures à la plupart des foies de l'Europe, ne
cèdent qu'à celles de Piémont & de Bergame pour la légèreté. Elles ont
d'ailleurs plus de brillant " en teint que celles de Piémont , plus d'égalité
& de neit que celles de Bereame. La France récoltoit il y a quelques
années, fix mille quintaux de foie. La livre de quatorze onces, fe vendoit
depuis quinze jufqu^ vingt & une livres. Au prix commua de dix-huit
livres , c'étoit un revenu de dix millions. Lorfque les nouvelles plantations
auront fait les progrès qu'on en doit attendre, cette puiflance le trouvera
déchargée du tribut qu'elle paie à l'étranger. II eft encore confîdérable.
La diverficé des foies que recueille l'Europe, ne l'a pas mile en état de
ie paffer de celle de la Chine. Quoiqu'en général fa qualité foit pefaote
&.lon brin inégal , elle fera toujours recherchée pour- fa blancheur. On
croit communément qu'elle tient cet avantage de la nature. Ne feroR*il
pas plus naturel de penfer, que' lors de la filature, les Chinois jettent
dans la bafline quelque ingrédient qui a la verm de chafler toutes les
parties hétérogènes, du moins les plus groflieres? Le peu de déchet de
cette foie, en comparaifon de toutes les autres, lorfqu'on la fait cuire
j)our la teinture, paroit donner un grand poids à cette conjeâure.
Quoi qu'il en ioit de cette idée, la blancheur de la foie de la Chine,
à laquelle nulle autre ne peut être comparée , la rend feule propre à la &-
brique des blondes & des gazes. Les efforts qu'on a faits pour lui fubfti-
tuer les nôtres dans les manufeâures de blonde, ont toujours été vains,
foit qu'on ait employé des foies apprêtées ou non apprêtées. Oa a^ été un
CHINE. iyi
peu moins malheurenx \ Tégard des gazes. Les foies les plus blanches de
France & d'Italie l'ont remplacée avec une apparence de fuccés; mais le
blanc & l'apprêt n'ont jamais été fi parfaits.
Dans le dernier fîecle, les Européens tiroient de la Chine fort peu de
foie. La nôtre étoic fuffifante pour les gazes noires ou de couleur , &
pour les marlis qui étoient alors d'ufage. Le goût qu'on a pris depuis qua-
rante ans , & plus généralement depuis vingt-cinq , pour les gazes blan-
ches & pour les blondes , a étendu peu-à-peu la confommation de cette
produâion orientale. Elle s'eft élevée dans les temps modernes à quatre-
vingt milliers par an » dont la France a toujours employé près. des trois
Quarts. Cette importation a fi fort augmenté, qu'en ijS6^ les Anglois
ieuls en tirèrent cent quatre milliers. Comme les gazes & les blondes ne
pouvoient pas la confommer, les manu&âuriers en employèrent une par-
tie dans leurs fabriques de moires & de bas. Ces bas ont , fur les autres »
l'avantage d'une blancheur éclatante & inaltérable , mais ils font infiniment
moins fins.
Indépendamment de cette foie d'une blancheur unique, qui fe recueille
principalement dans la province de Tdhe-Kiang, & que nous connoiffons
en Europe fous le nom de foie de Nankin , Lieu où on la febrique plus
{particulièrement;- la Chine produit des foies communes que nous appel-
ons foies de Canton. Contune elles ne font propres qu'à quelques trames,
& qu'elles (ont auflî chères que celles d'Europe qui fervent aux mêmes
ufages , on en tire très-peu. Ce que les Anglois & les Hollandois en impor-
tent ne palfe pas cinq ou fix milliers. Les étoffes forment un grand objet.
Les Chinois ne font pas moins habiles à mettre les foies en œuvre qu'à*
les recueillir. Cet éloge ne doit pas s'étendre à celles de leurs étoffes où
il entre de l'or & de l'argent. Leurs manufàéhiriers n'ont jamais fu paffer
ces métaux par la fSiere ; & leur induftrie s'eft toujours oornée à rouler
leurs foies dans des papiers dorés, ou à appliquer les étoffes fur les pa-
piers mêmes. Les deux méthodes font également vicieufes.
Quoique les hommes foient plus frappes en général du nouveau que de
l'excellent, ces étoffes, malgré leur brillant, ne nous ont jamais tentés.
Nous n'avons été euere moins rebutés de la défèâuofîré de leur deffîn«
On n'y voit que des figures eflropiées , & des erouppes fans intention.
Perfonne n'y a reconnu le moindre talent pour diltribuer les jours & les
ombres , ni cette grâce , cette facilité qui le font remarquer dans les ou-
vrages de nos bons artifies. Il y a dans toutes leurs produâions quelque
chofe de roide & de mefquin , qui déplaît aux gens d'un goût un peu dé-
licat. Tout y porte le caraâere particulier de leur génie, qui manque de
feu & d'élévation.
Ce qui nous fait fupporter ces énormes défauts dans ceux de leurs ou-
vrages qui repréfenrent des fleurs, des oifeaux, des arbres, c'eft qu'aucun
de ces objets ifeft en relief. Les figures font peintes fur les étoffes mêmes ,
^72 C H I NE.
avec des couleurs prefque inefBiçabl^. Cependant l'illufion eft fi entière ,
qu'on croiroit tous ces objets brochés ou brodés.
Les étoffes unies de la Chine li'ont pas befoin d'indulgence. Elles font
parfaites , ainfi que leurs couleurs , le verd & le rouge en particulier. Le
blanc ' du Damas a un agrément infini. Les Chinois n'emploient à cet ou-
vrage que des foies de Tche-Kiang. Ils font, comme nous, débouillir la
chaîne à fonds, mais ils ne cuifent la trame qu'à demi.. Cette méthode
conferve à l'étoffe un peu de corps & de fermeté. Les blancs en font
roux, fans être jaunâtres, & délicieux à la vue, fans avoir ce grand éclat
qui la fatigue. Elle, ne fe repofe pas moins agréablenienr fur le yemis
Chinois.
Le vernis eft une efpece de gomnie liquide de couleur rouflatre. Celui
du Japon eft préférable à ceux du Tonquin & de §iam, qui ont eux-méntes
une grande fupériorité fur celui de Camboge. Les Chinois en achètent
dans tous les marchés ; parce que celui qu'ils tirent de plufieurs de leurs
provinces ne fufHt pas à leur confbmmation. L'arbre qui le donne fe
nomme Tfi*chu , & a l'écorce, ainfi que la feuille du frêne. Sa plus grande
élévation eft de quinze pieds, & ùl grofteur commune de deux pieds &
demi. Il ne produit ni fleurs ni fruits, & fe multiplie ainfi :
Au printemps, lorfque la fève du Tfi*chu commence à fe développer,
il faut choifir le plus vigoureux des rejettons qui fortent du tronc de l'ar*
bre. On l'enduit d'une terre jaune que l'on enveloppe d'une natte propre
à le défendre des impreffîons de Tair, Si le rejetton poufiè rapidement des
racines, on le coupe èc on le plante en automne. Si la nature eft plus
tardive, on remet l'opération à un autre temps. En quelque faifon qu'elle
fe fiilTe, il faut garantir des fourmis le nouveau plant, en rempliflant de
Clsndres la fofle qui lui eft deftinée.
Ce n'eft qu'à (ept ou huit ans que le Tfi-cfau offre du vernis , & c'eft
en été qu'il le donne. Il coule de différentes incifions faites de diftance
en diftance à l'écorce feule. Une coquille reçoit la liqueur à chaque fente.
I.a récolte peut pafler pour bonne lorfque mille arbres rendent dans une
nuit vingt livres de vernis. Cette gomme eft fi dangereufe, que ceux qui
la mettent en œuvre font obligés, pour fe garantir de fa malignité, de
prendre les précautions les plus luivies. Les ouvriers fe fi-ottent les mains &
le vifage d'huile de rabette, avant & après le travail. Us ont un mafque,
des gants, des bottines, & un plaftron devant l'eftomac.
Le vernis s'emploie de deux manières. Dans la première, Ton frotte
le bois d'une huile particulière aux Chinois; & dès qu'elle eft feche, l'on
applique le vernis. Sa tranfparence eft telle que les veines du bois paroif*
ient peintes, fi l'on n'en met que deux ou trois couches. Il n'y a qu'à les
multiplier pour donner- ag vernis l'éclat du miroir.
L'autre manière eft plus compliquée. Avec le fecours d'un maftic , on
cqUç fur le bois une eipece de carton. Ce fonds uni & foUde reçoit fuc-
ceffivemcnt
CHINE. 67i
l:eifîvement plafiem conches de vernis. Il ne doit être ni trop épais , ni
trop liquide; & c'eft à fiùfir ce jufte milieu que confifte principalement le
mente de l'anitfe.
De quelque manière que le vernis foit employé, il rend le bois comme
incorruptible. Les vers ne s'y éublifTent que difficilement , & Phumidité
n'y pénètre prefque jamais. Il ne faut qu'un peu d'attention pour empêr
cher que l'odeur même ne s'y attache.
L'agrément du vernit répond à fà folidité. H fe prête à Vox y à l'argent ,
à toutes les couleurs. On y peint des hommes, des campagnes, des pa*
lais, des chaflès, des combats. Il ne laiilèroit rien à défirer , fi de mauvais
deflîns^ Chinois ne le déparoient généralement.
Malgré ce vice , les ouvrages de vernis exigent des foins extrêmement
fuivis. On leur donne au moins neuf ou dix couches, qui ne fauroient être
trop légères. Il fiiut laifler entre elles un intervalle fumiant , pour qu'elles
puiifent bien fécher. L'efpace doit être encore plus confidérable entre la
dernière couche , & le moment où l'on commence à polir , à peindre &
à dorer. Pour tous ces travaux , un été fuffit à peine \ Nankin , ^dont les
atteliers fbumiflent la cour & les principales villes de l'Empire. A Canton
on va plus vite. Comme les Européens demandent beaucoup d'ouvrages ;
qu'ils les veulent aflbrtis à leurs idées, & qu'ils ne ^nnent que peu de
temps pour les exécuter; tout fe fait avec -précipitation. L'artifie^ forcé de
renoncer au bon , borne fon ambition à produite des effets qui poiflent
arrêter agréablement la vue. Le papier n'a jamais les mêmes imperteâions»
Originairement , les Chinois écrivoient avec un poinçon de ter fur des
tablettes de bois, oui, réunies, formoient des volumes. Dans la fuite ils
tracèrent leurs caraaeres fîir des pièces de foie ou de toile , auxqueUes on
donnoit la longueur & la largeur dont on avoit befoin. Enfin le fecret du
papier fut trouvé il y a feize fiedes.
On croit cqpimunément que ce papier fe &it avec de la foie. Ceux aux-
quels la pratique des arts elt un peu Amiliere , n'ignorent pas qu'il eft im^
po(fîbIe de divifer fuffifamment fa foie pour en compofer une pâte unifor-
me. C'eft le coton qui efl la matière du bon papier Chinois, d'un papier
qui feroit comparable, peut-être même fupérieur au nôtre, s'il fe confer««
voit auffî long^temps. )
Le papier inférieur , celui qui n'efl pas àeS&tké\ récriture, efl compofé
de la première ou féconde écorce du mûrier , de forme , du cotonier , &
fur-tout du bambou. Ces matières , après avoir pourri dans des eaux bour«*
beufes, font enterrées dans la chaux. On les blanchit au foleil, & des chau*-
dieres bouillantes les réduifent en une pâte fluide qui eft étendue fur des
claies, d'oii il fort des feuilles de dix ou douze pieds, & même davan-
tage. C'efi de ce papier que font formés les ameublemens chinois. Il plaît
finguliérement par }es formes ^ l'éclat & la variété que l'indufirie a fçu lui
donner* . .
Tome XL Qqqq
«74 C H I N B*
Quoique ce piptef; fe coupe, qu^il prenne Phumidû^; & qtie les Vers
rettaqueot, il eft deveni} un objet de cpminerw. ;I<'SUrope a emjf^miité
de r.Afîe l'idée d^en meubler des cabinecs, d'en compoier des paravents.
Cependant ce goût commence à palTef. Dé'}^ les papiers Ânglois rempla-
cent ceux de la Chine , & les banniront fans doute lorsqu'ils auront atteint
Îilus de perfeâioo. Les François imitent cette nouveauté ^ & il efi vrai«
emblable que toutes les nations Tadopteront*
Outre les objets dont on a parlé, les Européens achètent à la Chine
de l'encre, du camphre, du borax, de la rhubarbe, de la gomme lacque^
du.rottin , efpece de canne qui fert à faire des fauteuils^ & ils y achecoiem
autrefois de l'or.
£n Europe un marc d'or vaut à-peu-près quatorze marcs & demi d'ar*
deux métaux fe trouvât à peu- près la même dans les deux contrées. Le
même intérêt fit envoyer long-temps à la Chine de l'argent pour le troquer
contre de l'or. On gagnoit à cette mutation quarante-cinq pour cent. Les
compagnies exclufives ne firent jamais ce commerce , P^ce qu'un pareil
Ibénéfice , quelque confidérable qu'il paroiflè , auroit été tort inférieur à ce*
lui qu'elles faiioient fur les' marchandifes. Leurs agens qui n'avoient pas !m
liberté du choix , fe livrèrent à ces fpéculatîons pour leur propre compte.
Ils pouiTerent cette branche d'induftrie avec tant de vivacité» que bientôt
ils ne trouvèrent pas un avantage fuffifant à la continuer. L'or eft plus ou
moins cher à Canton , fuivant la faifon où l'on l'acheté. On l'a à bien meil-
leur marché depuis; le conmiencement de Février jufqu'à la fin de Mai ,
que durant le refte de l'année où la rade eft remplie de vaifleaux étran-
gers. Cependant dans les temps les plus favorables il n'y a que dix^huit
rur cent à gagner , gain infuffilant pour tenter perfonne. Les employés de
compagnie de France font les feuls qui n'ayent pat fbuflërc de la ceffi-
tion de ce commerce, qui leur fut tou|ours défendu. Les direâeurs (è ré«
ièrvoient.exclufivemeat cette (burce de fbrmne. Piuiieurs y puifoient ; maia
Caftanier feul fe conduifoit en grand négociant. 11 expédioit des marchant
diCes pour 4e Mexique. Les piaftres qui provenoient de leur vsente « étoient
portées à Acapulco^ d'où elles paiToient aux Philippines , & de-là à la Chine
où on les convertiftbit en or. Cet habile homme , par une circulation lu*
mineufe , ouvroit une carrière dans laquelle il eft bien étonnant que per«
fonne n'ait marché, après lui.
' Toutes les nattons Européeimes qui paftent le Cap de Bonne-Kfpérance ;
vont à la Chine. Les Portugais y abordèrent les premiers. On leur céda
avec un: efpace d'environ trois milles de circonférence , Macao , ville bâ*
tie dans un terrein ilérile & inégal ^ fur la pointe d'une petite ifle fituée
CHINE- Spf
i r^mboiichurc de la rmere de Canton. Ils obtinrent la di(pofition de la
rade trop refftrrée^mais fûre Si commode, en s'aiFujeccifTant à payer à VEtoh
pire cous les droits d^entrée; & ils achetèrent la liberté d'élever des hrtjh
jfications , en s'engageant Ji un tribut annuel de 37,$oo livres. Tout le temps
Î|ue la cour de Liibonne donna des loiz aux mers des Indes , cette place
ut un entrepôt célèbre. Sa profpérité diminua dans les mêmes propor»
fions que la puiflance des rortugais. Infenfiblement elle s'eil anéantie.
Macao n'a plus de liaifon avec fa Métropole » & toute fa navigation (è
réduit à l'expédition de trois petits bâtimeas, un pour Timor , & deux pour
Goa. Jufqu'en 1744, les foibles reftes d'une colonie autrefois fi floriflante^
avoient joui d'une efpece d'indépendance.
L'aflTaflinat d'un Chinois détermina le Vice-Roi de Canton à demander
& fa cour un Magiftrat pour inftruire, pour gouverner les Barbares deMa«-
cao ; ce forent les propres termes de la requête. On envoya un Manda«-
rin , qui prit pofleflion de la place au nom de fon maître. Il dédaigna ha^
biter parmi des étrangers^ pour lefquels on a tm fi grand méprtsi & il a
établi fa demeure à une lieue de la ville.
Les Hollandois furent encore plus maltraités il y a près d'un fiecle. Ces *
Républicains qui , malgré l'afcendant qu'ib avoient pris dans les mers d'A^
fie , s'étoient vu exclus de la Chine par les intrigues des Portugais , par^
vinrent à s'en ouvrir enfin les ports. Mécontens de l'exiftence précaire qu'ils
y avoient, ils tentèrent d'élever un fort auprès de Houaug^pon, fous pré»
texte d'y bâtir un magafin. Leur projet étoit, dit-on, dp lè rendre mal-
très du cours du Tigre , & de fiiire également la loi aux Chinois & aur
étrangers qui voudroient négocier à Canton. On démêla leurs vues, plutôt
qu'il ne convenoit ï leurs intérêts. Ils forent maflacrés^ & leur nation
n'ofa de long- temps fe montrer fur les côtes de l'Empire. Elle y parut
vers l'an 1730. Les premiers vaifleaux qui y abordèrent, étoient partis de
Java. Ils portoient différentes produâions de l^Inde en général , de leurs
eolonies en paniculier , & les échangeoient contre celles du pays. Ceux qui
les conduifoient, uniquement occupés du foin de plaire au Confeil de Ba<»
tavia, de qui ils recevoient immédiatement leurs ordres, & dont ils Bt^
tendoient leur avancement , ne fongeoient qu'à fe défiiire avantageufement
dts marchandifès qui leur étoient confiées , fims s'attacher à la qualité de
celles qu'ils recevoient. La compagnie ne tarda pas à s'appercevoir que
de cène manière, elle ne foutiendroit jamais dans fes ventes la concur»
rence des nations rivales. Cette confidérarion la détermina à fitire partir
direâement d'Europe, des navires avec de l'argent. Ils touchent à Batavia,
oii ils fe chargent des denrées du pays propres pour la Chine , & revien**-
nent direôèement dans nos parages, avec des cargaifons beaucoup mieux
compofées qu'elles n'étoient autrefiHs, mais non pas aufl[i-*bien que celles
des Anglob.
De tous les peuples qui ont &it le commerce de la Chine , cette na*
Qqqqa
»7^ CHINE.
iioû eft celle qui'Pa le jplas fuivi. Elle avbit une loge datts l^e de Chu^
fan, du temps que les anaires fe traicoiem principalement à Emouy. Lorfr
que des circonf^nces particulières les eurent amenées à Canton , Ion aât-
vite fut toujours la même. L'obligation impofëe à fa compagnie d^exporter
des étoffes de laines , la détermina à y entretenir affez"^ conAamment des
employés chargés de les vendre. Cette pratique jointe au goût qu'on prit
dans les pofledibns Angloifes pour le thé , fit tomber dans fes mains vers
la fin du dernier fiecle prefque tout le commerce de 4a Chine avec l'Eu-
rope. Les droits énormes que mit le gouvernement fur cette confomma*
lion étrangère , ouvrirent les yeux des autres nations , de la France en par*
ticulier.
Cette Monarchie avoit formé en 1660 une compagnie particulière pour
ce commerce. Un riche négociant de Rouen, nommé Fermanel, étoit ï
la tête de l'entreprife. Il avoit jugé qu'elle ne pouvoit être exécutée utile-
ment qu'avec un fonds de deux cents vingt mille livres , & les foufcriptions
ne montèrent qu'à cent quarante mille \ ce qui fut caufe que le voyage fut
malheureux. L'éloignement qu'on avoit naturellement pour un Empire, qm
se voyoit dans les étrangers; que des hommes propres à corrompre les
maurs, à entreprendre (ur ià liberté, fut confîdérablement augmenté par
les pertes qu'on avoit faites. Inutilement les difpofitions de ce peuple chan-
gèrent vers l'an 1585, ^ ^^^ ^^^^^ ^^ manière dont nous étions traités.
Les François ne fréquentèrent que rarement fes ports. La nouvelle (bciéré
qu'on forma en 1698, ne mit pas plus d'aâivité dans Tes expéditions que
fa première. Ce commerce n'a pris de la confiftance que lorfqu'il a été
réuni à celui des Indes, & dans la même proportion.
Les Daiiois Sa les Suédois ont commencé à fréquenter les ports de la
Chine à-peu-près dans le même-temps, & s'y font gouvernés Suivant les
mêmes principes. Il efl vraifemblable que celle d'Embden les auroit adop-
tés , fi elle eût le temps de prendre quelque confiftance.
Les achats que les Européens font annuellement à la Chine , peuvent
s'apprécier par ceux de 1766 , qui font montés à 26,754, 494 livres. Cette
fomme , dont le thé feul abforbe plus des quatre cinquièmes , a été
£ayée en piafires ou en marchandi fes, apportées par vingt-trois vaiflëaux.
a Suéde a fourni, i , 935 , 16.8 livres en argent ; & en étain , en plomb, >
en autres marchandifes, 427, 500 livres. Le Danemarc, 2, 161, 630 li-
vres; & en fer/ plomb ^ & pierres ï fufil, 231, 000 livres. La France »
4,000, 000 livres en argent, & 400 ^ 000 livres en draperies. La Hollan-
de, x » 7 3 5 , 400 livres en argent , 44 , 600 livres en lainages , & 4 , 000 , i fo li-
vres en produâions de fes colonies. La Grande-Bretagne, 5, 443, 566 li-
vres en argent/ 2, 000, 47s livres en étoffes de laine, & 3, 375» 000 li-
vres, en pTuûeurs objets tirés de diverfes p^rtie^ de l'inde. Toutes ces (omr
mes réunies forment un total de 26, 754» 494 livres. Nous ne fàifonspas
entrer dans ce çacûl dix miUions en argent que les Anglois cm pprté de
CHINE. ^77
plus que nous n'avons dit; parce qu'ils étoient deftinés à payer les dettes
que cette nation avoit contraâées, ou à former un fonds cravance pour
négocier dans Tintervalle des voyages.
11 n'efl pas aifé de prévoir ce que deviendra ce commerce. Quelque
paflion qu'ait la Chine pour Parlent, elle parolt plus portée à fermer (es
J>orts aux Européens, que difpofee à leur faciliter les moyens d'étendre
eurs opérations. A mefure que l'efprit tartare s'eft âfFoibli , que les conque*
rans fe font nourris des maxinies du peuple vaincu , ils ont adopté fes idées ;
fon avertion , fon mépris en particulier pour les étrangers. Ces difpofitions
fe font manifëftées par des gênes humiliantes , qui ont fucceflîvement rem-
placé les égards qu'on avoit pour eux. De cette iîtuation équivoque à une
expulfion entière, il n'y a pas bien loin. Elle pourroic être d'autant plus
prochaine, qu'il y a une nation aâive, qui s'occupe peut-être en fecrec
des moyens de l'efFeâuer.
Lts Hollandois voient , comme tout le monde , que l'Europe a pris ua,
goût vif pour plufieurs produâions chinoifes. Ils doivent penfer , que l'im«
poflîbilité de les tirer direâement du lieu de leur origine^ n'en anéanti-
roit pas la confommation. Si nous étions tous exclus de l'Empire, fes fu«
jets exporteroient eux-mêmes leurs marchandifes. Comme l'imperfeâion de.
leur marine ne leur permet pas de pouffer loin leur navigation , ils ne
pourroient les dépofer qu'à Java ou aux Philippines ; & nous ferions ré^
duirs à les tirer de l'une des deux nations à qui ces colonies appartien-
nent. La concurrence des Efpagnols efl fi peu à craindre, que les Hollan-
dois feroient afTurés de voir ce commerce entier tomber dans leurs mains.
II éft horrible de foupçonner ces Républicains d'une politique fi baffe ;
mais perfonne n'ignore que des moindres intérêts les ont déterminés à des
aâions plus odieufes. .
Si les ports de la Chine étoient une fois fermés, il efl vraifemblable
qu'ils le feroient pour toujours. L'obflination de cette nation , ne lui per*
mettroit jamais de revenir fur fes pas, & nous ne voyons point que la force
pût l'y contraindre. Quels moyens pourroit-on employer contre un Etat
dont la nature nous a féparés par un efpace de huit mille lieues ? Il n*efl
point de gouvernement aflez dépourvu de lumières, pour imaginer que des
équipages fatigués o(affent tenter des conquêtes dans un pays défendu par
un peuple innombrable , quelque lâche qu'on fuppofe une nation avec la-
quelle les Européens ne fe font point mefurés. Les coups qu'on lui porte-
roit fe réduiroient à intercepter fa navigation dont die s'occupe peu & qui
n'intéreife ni les commodités ni fa fubfiflance.
• Cette vengeance inutile n'auroit même qu'un temps trop borné. Les
vaifTeaux deflinés à cette croifiere de piraterie , feroient écartés de ces pa-
sages une partie de l'année par les mouçons , & l'autre partie par les tem-
pêtes nommées typhons , qui font particulières aux mers de la Chine.
Hiftoirc Philofophiquc & Politique du Commerce & des EtabUJemtns des
Européens dans les deux Indes.
4yt C H O P P I N, ( Htné)
CHOPIN, (René) fameux Ligueur^ & Auteur PoUti^ut.
Jv^NÉ CHOPPIN, né dans le mob de Mai 1^37, aii Bailleul,
village auprès de la Flèche en Anjou , fut Avocat au Parlement de Pa«
ris, & mourut dans cette capitale le a de Février %6o6. Il avoit obtenu 9
en i$78« de Henri III des lettres de nobleflè, pour avoir publié, en 1574»
un Traité du Domaine du Roi , qui eft encore aujourd'hui eftimé ; il ob-
tint mille piftoles pour la première partie de fes Commentaires fur la cou*
tume d'Anjou. Parmi les ouvrages de ce Jurifconfulce imprimés en cinq
volumes in*folio en Latin & en François, on trouve un Traité de la ju«
rifdiâion eccléHaftique concentieufe , fous ce titre : De facré poluiA fortn*
fi. Paris , 1 577 in*40 ; item ibid 1 589 in-folio ; item , editio tertia^ibid 1601
in-folio ; item , traduit en François par Jean Tourner, Paris, 16 17 vor^^.
Ce traité efl aflez bon , mais le ftyle en efl ampoulé & peu intelligible 1
ce qui a fait comparer Choppin au Jurifconfulté Tubéron , qui avoit af-
feâe un langage ancien.
Cet écrivain s'engagea dans la Ligue qui défola fi long-temps la France
^us Henri III & ibus Henri IV, dans ces jours malheureux où le faux
sele de la religion montra , aux yeux des François , toute l'horreur de Hn*
fidélité & de la révolte. Il s'y engagea avec fureur, & il publia, en 1^91 ,
un livre contre le Roi & contre le Parlement, qui fut imprimé à Paris
chez Guillaume Bichon , rue St. Jacques , fous ce titre : Dt Fontificio Gre*
gorii XIV ad Gallos Diplomate y Senatufconfultis Parifienfibus à critica»
rum notis vindicatio gratulatoria oratio. Paris, 1591 in-4,0. Dans cet ou*
vraee , Choppin ne craint pas de foutenir que la Couronne de France eft-
élçâive , & ofe non-feulement mettre en doute l'indépendante de nos roîi
de toute puiflance fur la terre, mais livrer leur fouveraineté à Pambition
démefurée du Pape de ce temps-Ui. De ce principe : Chriftus dédit Petro
poteftatcm condonandi peccata^ il tire cette conclufion : Ergo Papa Grt'*
gorius Sfondratus XIV habet poteftatem deturbandi Henricum de fuo folie
^ dandi regnum Franciœ in prœdam primo occupanti. Pour ibutenir cette
horrible conféquence par une autorité aulli miférable que la conféquence
même , il y rappelle ces vers où Virgile , parlant de la deftiné^ des difB*
sens peuples , exalte celle des anciens Romains nés pour gouverner l'Unie
vers : Tu regere Imperio populos , Romane , mémento.
Jean Hotman,Sr. de Villiers, répondit à Choppin par un ouvrage ano-
nyme , en ,fiyle macaronique , dans lequel Choppin eft fort maltraité. Cer
ouvrage a 'pour titre : Anti Choppinus^ imd potius EpiBola congratulato^
ria magiftri Nicodemi Turlupini ad M. Renatum Choppinum , fanSœ unio^
nie Hifpan-'Itale^ Callicœ Advocatum incomparàbilijjimum in fuprtmd Cu^
C H O U - K I N G. ^79
rU Parlamenti Pafifitnfis p data Turonis %j Augufti t^$tf anno â Li^
gâ nati fcptimo & ftcundàm alios quinto * dccimo calculo Grigoriam
De Thou nous apprend que , lorfqu'après la réduâion de Paris , on fie
fortir de la ville ceux des Ligueurs qui s'ëroient portés à de plus grands
excès , Choppin qui étoit prelque le 2iedhAvocat qui fût ligueur , & qui
avoit compoié & publié fous fon notn , dans le temps des troubles, quel*
Sues libelles contre le Roi & contre le Parlement féant à Tours , eut or-*
re de fortir de Paris ^ mais que l'eftime qu'on avoit pour fa grande ca*
pacité & les prières de fes amis firent révoquer Tordre. L'ouvrage de cet
Avocat fut condamné au feu par un arrêt du Grand-Confeil , & brûlé par
la main du bourreau ; & fk remme « aufli bonne ligueufe qu'il étoit bon
ligueur t perdit, dit-on , abiblument l'efprit, le jour même que' Henri IV
rentra dans Paris.
CHOU-KING, Livn facrc des Chinois qui renferme les fondemens
de leur ancienne hiftoire^ les principes de leur morale & de leur gouyet-»
nenunt.
V^ E T ouvrage a été recueilli par Confiicius. Le P. Gaubil » jéfuire , l'a
traduit & enrichi de notes : M. de Guignes a revu & corrigé la traduâion ,
il y a joint i^. un difcours préliminaire , qui conrient des recherches fur
les tems antérieurs au Chou*idng; %^. une notice de PY-king, autre livre
facré des Chinois. Cet ouvrage a été imprimé en françois, in^^io. à Parin
chez TilUard, 1770.
Dans la Préfiice M. de Guignes obferve que , fur la fin du fiecle dernier ^
le P. Gaubil envoya à Paris la traduâion qu'il avoit faite du Chou-king ;
M. de Lifle en tira une copie qu'il mit dans la bibliotheoue du Roi de
France : la féconde copie eft parvenue à M. de Guignes; il l'a revue» con*
frontée , il l'a beaucoup abrégée pour lui rendre le iaconiiine fententieuz
de l'original.
M. dç Guignes dit quHl n'a pas ofé fupprimer les répétitions , mettre plus
d'ordre dans Tes chapitres , & retrancher certaine^ expreifions fingulieres qui
fe trouvent dails Poriginal ; il a feulement ajouté des fommaires à la tète
des chapitres. Cet auteur affure i^\ que les Chinois ont autant de vénéra«*
tton pour le Chou-king , que les Juifs ot tes Chrétiens en ont pour la Bible.
C'efl le livre dans lequel les Empereurs, les miniftres & le peuple vont
s^nfiruire de leurs devoirs ; i^. les Chinois ont Giit comme les Juifs , ils
cmt compté tous les caraâeres du livre fiicré ; ceux du Cbou*king mon-
tent à 25,700.
Lt% Empereunr Chinois ont fait grarer ce livre fur les momimens publics \
58o CHOU-KINO.
cependant ce Volume n^eft pas entier ; Pon y trouve des chapitres qui ne
font que des fragmens ; & Pon y reconnoit plufieûrs lacunes.
Le Chou-king prefcrit par^tout la vertu» rattachement le plus inviolable
au fouverain, comme à une perfonne mifè fîir le trône par le ciel , dont
il tient la place fur la terre; il ordonne un {^ofbnd refpeâ pour le culte
religieux; la plus parfaite foumiffion aux loix, & une aveugle obéiflànce
aux magiftrats : Pon y trouve encore les obligations du (buverain envers
les peuples, & celle des peuples envers le fouverain, à qui cet ouvrage
accorde à peine quelques délaflemens. •
M. de Guignes obferve , qu'Eufebe , dans le livre VL de fa Prépara^
tion évangiliquc , fait un éloge pompeux de la juftice de la chafteté , &
de la: fagelTe des Séres ou Chinois M. Paw, dans les deux volu-
mes m* 12. qu'il a publiés y fous le titre de Recherches fuf les Chinois
& fur les Egyptiens , foutient au contraire que les Chinois n'ont ni théorie •
de vraie morale , ni politique , ni vrais principes fur les arts & fur les
fciences ; il les accufe d'être infanticides , très*mauvais calculateurs ^ &c. Pline
le naturalifte , dans le livre VI. chap. xx. loue beaucoup les Chinois , & il
ne les blâme qu'en ce qu'ils ne commercent point avec les étrangers , ou
s'ils commercent ils le font en gardant le (îlence , & la bonne foi. M. de
Guignes dit , que c'eft encore le caraâere des Chinois. M« Pav eft d'un
avis très*oppo(ë.
Le Chou-kmg ne défend pas précifément le commerce avec les étrangers;'
mais il dit ^ qu^il rCy a que Us fages que Pon doive s^empreffer de recevoir.
Quoique le Chou«king ne nous apprenne rien de nouveau , cependant on
eft bien aife d'y vérifier quelles étoient les mœurs , les ufa^s , la manière
de penfer & de s'exprimer il y a 9000 ans; & fur-tout quel efl Pédifîce
de cette politique qui fait fubfiller le gouvernement Chinois depuis tant de
fiecles, malgré les révolutions.
Si Conflicius n'étoit pas mort long-tems avant la feâe des floïciens,
on croiroit qu'il y a puifé fon fiyle concis, & fes maximes détachées. Le
Chou-king a été compolë par . Confucius ^^o ans avant l'ère chrétienne:
cet ouvrage efl une compilation des livres que l'on regardoit pour lors coni«^
me facrés. 1
Les Chinois prétendent, que le chapitre, concernant Yao qui vivoit
2357 ans avant Jerus-Chrifl , a été compofé par les hifloriens de ce Prince:
mais le Chou-king nous apprend au contraire, que, jufques à Pan iizz,
les deux 4>remieres dynaflies de cet Empire paroifiènt s'être bornées à un
fujets de l'Empereur Chinois qu'
trôné; il leur donna de$ loix vil les civilifa autant qu'ille put, & il les
fit infîruire.
Tcheou-Jçoog , frère de Vou-vaog , perfcâionna l'ouvrage ; il poliça par-
£ùtement
C H O U • K I N a 6Zi
^téthetit la aatioti conquifë ; il en eft le vrai lé|iflaretir ; il lear infpira de
s'adooner à une philofophie qui eft à-peu«prés^lembUbie à celle d'Ocellt»
Lucanus; mais celle des Chinois eft moins par&ite. parce que pour lors
refpric humain n^écoic pas encore fiiftirammenc développé.
Depuis l'an 1122, avant Jefus^Chrifty jufqu'à Confucius, la Chine fut
agitée par des guerres ,. qui empêchèrent la philofophie de s'étendre ; mais
ConfûclUË raflembla dans un feul corps d'ouvrage tous les mémoires épars ;
il en forma une. efpece d'Encyclopédie, unique monument de l'ancienne
htftoire de la Chine , où la morale & la politique ne font placées que. par
forme de réflexions à la Tuite des événemens.
Il parbit ^ue ies héros de l'ancienne hiftoire grecque ne font que deî
brigands , m^^s ceux du Chou-king ne font occupés qu'à taire le bonheur des
hommes, à fe perfeâionner dans la pratique de la vernie & à établir des
loiz fages pleines d'humanité & de douceur.
Il y a peu d'ordre dans le Chou-king , Pon n'y rapporte des traits
d'hiftoire détachés que de vingt Empereurs : cette hiftoire ancienne eft
imparfaite : on commence par donner une notice d'Yao & de Chun, en-
fiiitè oh Vient à la première dynaftie npmmée ffya ; Conliiciut ne parle
que. de cinq Empereurs ; leurs douze fuccefleurs font omis.
La féconde dynaftie eft compofée de vingt-huit Empereurs ; mais l'oa
n'y &it mention que de huit de ces fouverains.
Dans la troifieme dynaftie, qui commence à Ping-Van, qui régnoit 770
ans avant Jefus-Chrift, il n'eft queftion que de ùx Empereurs ; l'on y
garde un profond ûlence fi}r les huit autres.
; En général, l'on n'y fixe ni époque, ni date, ni la durée des règnes:
i regard de quaife ou cinq Princes, l'on y défigne les jours & non pas
les années de leur adminiftration. Pluîleurs auteurs Chinois ont imitié Con«
Ibcius fur ces articles^
M« de Guignes a fuppléé aux omiftions de Confucius , en joignant à la
traduâion du Chou-king, des notes extraites du T$ou*Chou, ouvrage
compofé avant l'incendie, des livres, qui arriva 297 ans avant J. C. : il a
extrait également des notes du Kang-Mo, ouvrage précieux, qui fait con«
nokre les incertitudes de la çhroiiologie Chinoife; & M. de Guignes .a
ëealemem extrait plufi^rs. notes du diéUonnaire Tching-xfe-tong & du to*
kme-tou c'eft-à*dire , du recueil des figures qui fe trouvent dans les King ,
cyù l'on a gravé les habits 1 les vafes , les figures & le détail des Cérémonies :
enfin, c^efi de ce deitûier puvrage que M. de Guignes a tiré quatre cartes
iqu'il a inférées dans 1§ Chpu-king, conformément aux éditions Çhinoifes.
.. A l'égard du. ftyte du Chou-king, les Chinois difent, qu'il eu de l'an*
cîenne cpn>p^fition, & qu'il furpane en fimplicité, en noblefle & en élé-
vation',. tout autre ftyle, parce qu'il dit beaucoup en peu de roots; il
eft fententieux : l'on y voit régner la vérité dans les idées , & l'élégance
duns l'expreftion : foMvent les membres d'une phrafe du Chou-king nmen(
Toau XI. Rrrr
iti ^ CHaU-KING.
enfemble , & A>flit antî-thétii]ues ^ par exemple , fo^goei , g^^ù , c^eft4<«
dire, non tinttnii advcnit timor^ les moins peureux ont fouvenc peur,
Tça 6hen^ Kiàng^tcki pi-^^ang
Tço po^hcn ^ Kiang^tchk pé-yang^
c'eft-à-dire » celui qui fik le bien eft accablé de biens , celui qui fait le
mal eft comblé de maux. . •
langue Chinoife,
tems & de per«
q^c ^ Chinois
ibnt privés des moyens que noiik employons pour rendre Je ftyle clair. Si
Ton avoit voulu traduire littéralement Le fécond exemple que nous venons
de citer , il endroit dire :
Fairt bien ^arriver lui cent bonheurs \
Faire non bien , arriver lui cent malheurs.
fl.eft évident, que Tabfencë des formés grammaticales rend le fiyle
Chinois fentencieux ; parce qu^ils généralifent les idées que nous attribuons
)Pla première; féconde ou ttoiiteme perfbnne particulière.
Les Chinois, dans le Çhou<>ktng, ainfi que les Hébreux, dans la Bible»
& tes Arabes, dans PAIcoran, rimem (buvent leur profe à la fin ou au
milieu de chaque phrafe. On fait que prefque tous les ancien^ peuples em-
ployoient la rime & la mefure pour &ire chanter, & retenir tes infinie^*
tiôns qu'ils donnoient en profe : tous les ancitens écrits- font laconiques;
ils ne contiennent que Vindicétioii des faits* : à ce fiyle p*àrttculier notts les
diftinguons des ouvrages fuppofës. '
Les anciens Chinois écriyoient en fimple table chronologique ; les moder*
nés ont confervé ce goût pour le laconifme & fur-tout dans Phifloire.
M. de Guignes rapporte, que tes. anciens Égyptiens fbr<^ent leur fbuve^
i^ain d'entendre chaque jour rhiftoire de leur' Etat. Kbus ajoutons, que les
ëuples feroient heureux , fi les ? Princes tifoient hâbituettement aiwnoins
r gazettes , & s^ik permettotieiit dY dévoiler la véritéi
"'Chaque fouvéraih des deu3t premières dynafties de la Chiné, an^ojent an
moins deux hifloriens, Ji^un pour écrire les paroles & raUtre pou? décrire
lesaéHons du Prince : dans là fuite ^ Ton ajouta deux autres hiffcoriens, ils
écriveient fîdékment le& annales ; ils difoienr ta vérité, ^mis au ^péril dt
leur vie; ils étoient auifî confîdérés que te ptenner rainiftr^ V -qu^l^^^
ils étoient grands prêtres. • . Les guerres civiles, qui arrtVeréM^ dans la
Chine \ Cinq ou fix cents ans avant Jefbs-Chrift, llrènt rj^gliger^ ces v^ages
& ces précautions : bien plus. Pan 2rj avant J. C.j PEnfjpC^euî* Chi-Afôang-
*î, voulant changer le gouvernement, fk brûler tout ce qu'il pïit ti'ouver
de livres, & quatre ou cinq cents* lettrés qui s'étoient retirés dans les mon*-
i
CHOU-KING. 69}
Agnes pour leg coaferveri mais trente-fepc ans après cette perfécution,
l'Empereur Ven-ci fie rechercher les livres qui avoienc échappé à cet iôcen^-
die^ il rétablit les charges de grand hiflorien, & Se-ma-tfien qui en fut
revêtu, 97 ans avant 1*. C, raflèmbla tous les fragmens qu'il put trouver;
il en çompofa une iiiftoire générale de PEmpire ; il ferma un fyftéme de
chronologie qui fut contredit dans la fuite par d'autres hiAoriens.
Les Chinois ont ajouté au recueil de Se^ma-cfieo celyi de chaque dynaftie;
& ce beau monument renferme vingt-un lûftoriens ^ qui font aujourd^ut
confervés dans la bibliotheqiie du Roi de France ; c^ft l'hiftoire authentique
4es Chinois , &ite par des hiftoriens pubfics : Ton y trouve toutes les nou^
velles inventions dans les arts & dans les fciences : mais ce bcêu recueil
ne commence qu'environ, deux fiecles avant l^re des chrétiens.
Après cette première claflè d'hifioriens, les Chinois admettent les livres de
chroniques ctei &mtUesties fouverains : celle qu^a. compofée Contîtcius fert
:4e modete.
r Dans le feptSeme fiecte de l'ère dtrétieoDe, 00 rétabKl la charge d'hi^
torien de l'intérieur du Palais ; on la donna à une femme; dans la fuite',
on publia beaucoup de mémoires^ mais ils furent revus par leis miniftres &
par 1^ favans. Les Chinois ne recdmioîflent pour autheniiques que lek
hiftoriens du premier , du fécond & du tmifieme genres dont nous venods
de parler. Les auteurs, qui* ont écrit Êms^y être autorifés par le gouverne-
ment, font nMÎns confkwrés.
Les Chinois rangent dans la fisptieme claflb det écrivain^, ceux qui' dtfc
publié des diifertations critiques fur le caraâere des hiftoriens ; ou fur quel*
3ues points paniculiers. La huitième clofte eft réfervée pour les colle6tioifs
es r^Iemens, faits fous difKrentes dynaifties fur le commerce, les moti*
noiea, &c. , >
L'Empereur Kan-hi fît faire comme Juflinien, un code des loix de fé$
i>rèdéc^eur$ ; il V joignit des notes de fa snun en. écrittltç jaune , qui eft
la côuteiur de la dynameiréignante : vt recwil eft dans la bibliothèque dit
JS^oi de France. Dans la neuvième & la dixième clafTe des auteurs- amhen-
fiques , les Chinois coftiprennent l'hiftoire de tous les officiers publics & les
ordonnances décernées contre les criminels.
'. Les Cbitiois font richeren ouvrages de géographie ; ils ont décrit avec k
|)lu$ grande exsâitade leur pays ^ mais ils ne fàvent point faire les 'cartel
«exiges; : eUe»^ otatienneas un amas dé floms» qui^lt au nord oa au fud
4u<oi*s des fleuves ,' ou de h ligne de circonfcription de chaque province:
ibus l'Empereur Kah*hi on fit la ddcription de la Chine ; elle contient
Îlus de trois nulle Volsmes in-felio , qui font auffi dans la bibliothèque du
Loi de France; l'on y voit les plans des villes principales & des menu^
mens, dés pabis» des principales montagnes, l'état du ciet otfdeii étoiles,
«'dativeitient à la province:; une lutte, des événement remarquables ; le noni
dfs.magtftrats i& jdes femmes quà & Ibat* diftinguées dans les ato <ft dàds
Rrrr %
/
\
i
CHOU-KIÏfa
les fciences. Enfin , Ton y donne nàRairc de chaque - province , depus
Torigine. de la monarchie jufques au règne de Chan-bi.
La douzième, la treizième & la quatorzième clafle des livres hiftoriques,
contiennent les livres de généalogie ^ les calendriers, la connoillancè des
familles , les tablés chronologiques , & les DiéHonnaires hiftoriques.
. Les Chinois font réimprimer de tems en tems la coUeâion des petits
ouvrages curieux , qui pourroient fe perdre : le Roi de France poflede un
recueil qui contient x^ent quatre-vingt-quinze ouvrages de cette eipece.
En général , les Chinois divifent tous leurs livres en quatre claifes, i^.
en livres (acres ^ dans lefquels ils comprenent tout ce qui a rapport à l'étude
du langage ; la 2® renferme les hiiloriens ; la 3* les philofophes ; ta 4^ coo^
tient les mélanges de poéfie & d'éloquence , 6c.
Quoique des favans foient chargés d'écrire fôparément Phiftotre de dia«
que dyna^ie^ qui ne parôit en public que ibus la dynaftie foivante; ce*
pendant la faveur dès Princes , la crainte , &c. engagent les hiftortographes
A altérer lef traita d'hiftoire dans certains tems, ce quôiqi^en dife le père
du Halde, jéfuite, àdus fa, defiription de la CAm< ,' la chronologie Chinoife
n'eft point fuivie & exaâement circonllanciée ; eHe n'efl point toujours
vérifiée par des obfervations aftronomiques , & cette hiftmrs n'a pas tou-
;jQ^rs é^é: écrite par des auteurs : contemporains.
..j^;$j lîoi^ examine leurs annales, on voit qu'elles contiennent environ foo
volumes^ dont il y a quatorze petits volumes, qui renferment tous les roé-
^Dipires hifloriques , depuis Yao , )ufquès vers l'an aoo avant J.C*: 'tous les
.autres appartiennent aux tems pofiérieurs ; parmi les quatorze premiers volu*
i^es il y en a fept qui . ne contiennent que des tables généalogiques. Dans
4^ Chine Veni a Êiit.uo abrégé de ces 500 volumes en cent petits livres;
cette hiftoire univerfelle eft très-eHimée par les Chinois , on la^ nomme
.Tonrkien^kang^mà. ., . ^
i) L'hiftoire depuis Yao jufques au commencement de la troifieme dynaf-
itie I c'eft-à-dirts/ pendant réfpace de mille deux^ cents treote*(sx ans, oc
contient x}ue le premier volume; il en eft de même du fécond vcjluniei
qyijie. contient que 71; pages, &c. Les notes & les difcours moraux y
font plus confidérables que le tejcte de l'ouvrage. L'kîfioire de Iji troifierae
^ de ^la quatrième dynaftie , jufques vers l'an 207 9 avant J. C.\ Contient
^aflif, volumes; les autres quarante^quatre volumes contiennent^ lliiftoire , de^
^vHS; ao7 anSf^vapt J. C. jufques à l'an 13^' de l'ère 'Chrétienne ;^ une fi
grande difpr^cxportipo, dans les* recueils faif^oriques, eft tme (M'euve dénuooF-
trative , combien il refte peu de notices hiftoriques des antiquités Chinoi-
fesv d'ailleurs Ton y remarque peu d'exaâitnde dans les £iits & dans Itt
qbfervadons.aftronomiques, & quoiqu'en difent quelques>fav;asisde la Chine,
leur, hiftoire ne s'accorde point- avec les obfervations attronomiquos-;' en
effets dans le rccMcil des faits des douze preipiers fiâmes, il n'«ift J|Ktfle
qnft. ^>pe feuie éclipfçi énoncée, d'une manière tréi-oblciice ; elle ,eft rap>-
C»0 U •KïltJC é9^
KitéCi^dans la page 67 de la tradu^bn du Chou^king, par M. de Guignes;
n n'y a point remarqué Pan du Regae de l'Empereur Tchong-kangg
Tous lequel elle arriva, ni le jour du cycle: elle ne peut par conféquent écre
•regardée comme Tépoquè fondamentale de la chronologie Chiiioife , & les
aftronomes Chinois ne s'accordent point entr'eux ; l'un fixe cette éclipfe à
l'as 2154, avant J. C. ; l'autre la met à l'an 2007, &c. Nous rapporter-
tons le texte du Chou-kiog à la fin de cet article.
A l'égard de l'obfervation des folftices , &ite fous Yao , elle eft obfcure
& faiis détail : les aftronomes modernes ne peuvent pas s'accorder pour
leurs calculs fans partir d'hypothefés hafardées & incertaines.
Depuis le commencement de la troifieme dy naftie , c'eft «à - dire , de*
puis 1122 ans avant J. C, jufques à l'an 722 avant J. Ç. , c'eft-à-dire^
{rendant l'efpace de 400 ans , Ton ne cite aîucune^ éclipfe^ : enfuhe> fous
e règne de Vou-vang , vers l'an 1 1 04 ^ avant J. C. , l'on rapporte une
féconde obfervatîon de iblftice; c^ la première /dit M. Preret dé' l'Aca-
démie des infcriptions , qui ait quelque certitude : de-^là , jufques à l'an ^^6
avant J. C. , l'on ne trouvé l'indication que d'une feule éclipfe^ arrivée
fous le règne de Yeou^vang. Voilà en détail toutes les obfervations af«
tronomiques des feize premiers fiecfes de l'hiftoire Chinoife; celles des
douze premiers fiecles n'ont aucune certitude ; elles ne peuvent fervir
k fixer la chronologie; & celles des quatre fiecles fuîvans fignifient p^u
de chofe. ; '^
i Confticius eft le premier auteur qui ait marqué 722 ans zvàtk J/C;'Ies
éclipiçs avec exaâitude & d'une manière précile, & propre 'à confirméir
l'hiftoire : depuis cette époque , jufques à l'an 480 avant J. C. , Confu-
cius en a rapporté trente-fix , dont il y en à trente-une de parfaitement
conformes au calcul aftronomique : les vraies obfervations lifh'onotniqueis des
Chioois ne partent donc que de 722 ans avant J. C«|'-^e qui concourt
avec l'étabUlTement de l'ère de Nabonaftàr/ de laquelle kM 'aftronomes
grecs partoient pour le calcul de leurs obfervations; cette - ^péque é^oit
nxée au premier jour d'une' année égyptienne, qui avoit commericé le ^6
Février de l'an 747 avant J. C. , à midi fous le méridien de Bai9j|4(^tie •:
il eft à préfumer que Confucius , auteur du Chou-king , qui étoit né f*^
-ans avant J.: C, avoir eu cohnoifTance* des obfervations affaroiiomiques^
laites à Babylone, et qu'elles fefvirem! à augmenter le progrès de l'aftro*
-oomie k la Chine , comme «lies . a voient- £iit> dans ht Gtece ^ û eft * proba*
ble encore que les Chinois ont copié les obfervations^ des anciei» Chat-
;décns& dés Egyptiens y €^c;
-À l'égaré des regôes dès empereurs pendant, les^ doiize premiers fîecles,
ifaine tontiennçnt qu'incertitude; leur hiftoire n'eft qu'une (impie table
chronologique, deftituée de détails; par exemple, les uns .difiint'que
Fohi' régna 29^2^ d^uttudifebt'9300 ans ^ Savant J; Clamais âfucune'^o*
que né peut c«if|aterce9 règnes. . • •:• -; j: , ;fu /
6U <::HOU-KIN;G-
L'hiftoire, depuis Fohi jofqties à Yao ^ o^a été /écrite qu'après P^re chié-
tienne ; tout ce que Vàù en peut conclure, c'eft que ces Princes ont exis-
té, & que leur prétendue hifioire eft une &ble inventée par les bonzes.
A regard des événettiens qui précèdent Fohi^ c'eft le règne des élemens
perfonnifié^ ) les lettrés Chinbis rejettent tous ces temps mythologiques;
ils ne doutent notnt de Texiflance d'Yao & de Chun : mais les hifto-
riens Se * ma - tiien & Pan - kou difl^rent en^^eux de deux fiecles ; d^aur
très différent de trois (iecles^ dans certaines époques desjpremiers rois, ce
qui eft cependant le fMrincipal objet pour détennkier la fondation de leur
Empire.
L'iûftoire des deux dynafties fuivantes, fitvoir celle de Hia Se celle de
Chang , paroiiTent aufli incertaines que les précédentes. Quelques hiftoriens
difent que la*dyoftftie de Hia duHi 471 ant:, d'autres difent 48a d'au*
<res 440 «ns.
. la dynaftie de Chtàg^ «ft , fuivant cerr^tts hiAodena^ de 49^ ans, d'au-
tres Itti donnent 600 sms , d'autres y 64^ «ns. !
Les hiftoriens Chinois varient ^alecnent fiir la durée 'de chaque re*
S ne A cette iocertittide de la chronolc^e chinoife^ joignons la
érilité des détails vagties de l'hiftôire ; Ton n'y trouve que deux ou
•crois évéseiBiens dans chacuti ^des premiers règnes, le refte eft un amas
de.difi^oucs moraux. A la fin de cet article notts citeroas :qudques ex*
emples.
iSi l'on :COfifidere les ambres fénéalo^ques des trois premières races , on
voit qu'ils (ont évidemment &ux ; en effet , le fbndatenr de la troifieme race
eft au même degré de parenté du chef conmiun, c^e cehii de la feconde
race , tandis que celui de la troifieme race devoit être éloigné du chef
commun de feiae générations.
Dans le Chou-(cing ^ l'on rapporte une defçription de la Chine , fous
Yao; mftis'fes détails paroiflent impliquer comfàdtôian.
Ce n'efi donc .que Ims de la troifieme dynaftie-^ ijue 4'htftofre de la
Chine chaiige de race ; eUe eft phis déts^tUée i il y a cependant encore pour
tort é$s regbes , dont l'étendue eft incertaine ; il y a des fynchroniimes
^ne Ton ne peut pas Concilier : ce n'eft que vers la fin de la féconde
branche de cette troifieme dynaftie « c'(eft-&*dire^ vers le règne do Pring^
van^j où finit le Ghéurking^, que les, àuteors foht d?accord : cerce époque
remonte à .^20 ou>^2A ans, avant J« C, & c'eft l'année h laquelle Coo-»
Àcius commença tes annaleé^ :
que l'on ne pouvott remomer avec certitude
qu'à Taki 841 :l'hiAorien Lîeou*cliou. ce fixe la certin
ayant J. C. •'• :.j:.m . •), .
L'on doit remarquer^ que *la troifieme dynaftie ,; nommée iTcheou , qm
commença à régner vers l'an 11122 avant J.Ci «voit .peis. de poffid&ms.
. CHOU -K I^^'G. «87
L'Empire Chioffis ëtoit alors divifô en petits royaumes , & ce n^eft que
depuis rëre chrëtieoAe / que la Chine s'en accrue vers le midi & vers I'oc«
cidenc .-l'on a formé depuis quinze provinces des débris* de tous ces royau-
met. La lifte . de tous les petits rois qui les avoient gouvernés , e({ defti'-
tiiée 4e filits & de- dates : * le , nom de ces petits Souverains n'y efl pas
même toàjoorff indiqué. ' L'Empereur Chi-hoang-ti ^ qui fit brûler tous les
livres chinois , 213 ans avant 1. C. , étoit un petit Monarque de la prin-
cipauté de Tfin \ on prétend qu'il eicepta Tes livres de la généalogie de
fa famille, & cefux des «rts & des fctences : mus il né refte aux Chinois
aucmi de ces' anciens livres V rhfiloîre de la dynaftie dé Tfin n'çft ni
plus étendue^ ni plus fike, que celle des, autres dynaftîes; elle ne remonie
pas M*délà; (te'Sôa ans avant T. C. A Pégaré àt% dates chronologiques ,
ce tie^fur que - warance-quatre ans après la niort de Chi-hoang-ti , oue Se->
ina-tfien raffèmola lé pen de livres échappés à rincendie^ ce qui ett caufè
de la fiérilité des détails ibus les segnes précédens , & de l'incertitude des
règnes même. ,
L'on doit obfiîrver, que PEmperenr Tfin prit le nont de Chi-hçong-ti ^
ce qui figàifiê k premkr jfùuvtrain Seigneur -y c'eft Li-fé^ premier Miniftre
de ce Printé^ qui tulMeonfeiUa de brûler tous" les livres- 1 parce que !e^ écri^
Vains (ont contraires aux tyrans.
On étk que quarante-quatre an^ aprës^ la more de €hi-hoang-ti, Kong-*
gon-koiié trouva le Chou-kîng êans le creux d'un mur; it le publia^ & il
y joignit titï Comnà€nfaire.\ • /
M. de GHiigdts^ dans la favante^bréfiice que nous vetidn» d'atialyfer, ré^
lute , dans les page^ 1 9c Ir. /les Mifféréns- (yftémes de chronologie chinoi?
iè, qui font^ reÂonrérIéut'Erapii'eV les -tins à 9(6,961,74,8 atisV les autres ï
&C.W. de Guîgnés^ c*ferve^,^uèf Vhtftorieh Se-mia-tfien , qui vivoit 97 ans
avant J. C. , paflè dans la Chiné pour an menteur. - * ''
Il réfuhe de ces détails ^ que l'hiftoire de la Chine ne doi^ npint être
préfën^ à celle des autres nations qui oint écrit; que les Othmis* délirent
& ne s'accordent point fur la. durée de leur Empire} & que l'on ne doit
Rr# cette hiftoire ^ qu'avec circônfpeftion.-
M. de Guignes, dans la préface -du- Chou* liHg ^b^ferv^tiicôre,' au fujA
des aâiohs des premiers rpis, que dans le Chou-king, &c. l'on attribue à
dix Princes diflérens les n[lémes inventions & les mêmes réformes. Les
Chinois difent , que Yong-tching-chi , chef de la treizième famille des
Chi^ fupprima les c^rder^, qui fervoient^ alors * d'écriture comme les ouig-
pos du Pérou. ^ , ., - î
-\Êat«5 la page lxixvj'.,'*'îf; de Guignes nomme* phifieuf^ rois dtftôreAs»; a
q^ui ^èn attribué rnî^ntièti 'dès c^raâteres, de l'écriture., la civififàtich des
peuples^, l'invention de îa^guitarre, l'invention du feu pour cuire Ie$ vian-
des ,> les loiX'fu¥ le mâr&ge, les balances, les poidsj la' perception des^ tail-
les »- la botanique, la médeeifle, â^./
••1
«
V
^8 CHOU -KIN G.
Avant aue de finir cet article, je dois ajouter qu^lqtie^ dbfervatioos fur
les préjuges des Chinois ; elles font répandues dans le Chou*king , dans Ly-
king, &c. Les Chinois croient que, dans les premiers temps, le» hom«
mes avoient le pouvoir divin ou magique, de fe.'métamorpholer, de fe
faire yoiturer dans les ^rs fur des chars trahies par d^s cerfs jallés : qiie
rëmpereur Tcho«yong , onzième de fa race, inventa la mufique , donc le
charme pénétroit tout : Tchu-fiam-chi , quatorzième Empereur, fit une
guitarre a cinq cordes pour remédier aux dérangemens de Punivers, 4tc
pour conferver tout ce qui a vie. Ching*nong inventa une guitarre qui
calmoit U concupifcence & les pallions. L'Empereur Yn-kang-:.chi, voyant
flue les fleuves du royaume ne s'écouloient points ce qui occalionnoii quao:
tité de maladies, infiitua les danfes^ nomipées ra-yoi/ , qui appaiferent les
maux. Dans Li^ki , ouvrage moral , on fputient que , dans un règne pai«
fible, Ton ne voit point de maladies, mais que^ fous un méchant roi, tout
eft en défordre ; l'on ajoute que l'on peut juger d^un règne par les dan«
(es qui y (bnt en ufage , & l'on peut connoitre la vertu d'un .hpiiime pac
ta manière dont U touche le luth, ou dont il tire de l'arc. . ,.
Les Chinois écrivent , que Kong-kong , premier Miniftre de; Fo^hj , dit*
puta l'empire à pTchou-en-hio , & que défefpéré de, ne pouvoir le vainoe,
il donna un coup ' de corne contre Pou-tcheou ; qu'alors les colonnes du
ciel en furent bridées.; que le ciel tomba vers le nord^ouefl;^ &>que U
terre eut une brèche vers le fud-oueft ; que le tout, occàîtonoa un délu-
ge, ce qui obligea Tchou-en-hîo à le fiiire mourir : d'autres livres, met-
tent cet événement, fous Kao^fm , fuccejQTeui! de Kpeg-kong, On dit à la Chi*
ne, que l'Empereur Tchi-yeou avoir le corps d'un homme, les pieds d'un
bœuf, quatre yeux, fix mains,, quatrervingt^uo firer^ : on lui attribue
i'origine des révoltes & des tromperies^ On publie encore, que, (busPem-
pire de Hoang-ti,^ naquit une plante qui faifoit découvrir les fi>urbes,0Q
la nommoitJ:<2/-/iV, ou bien kiu-y. Enfin l'on dit» que, dans les anciens
temps, le fong^hoan, qui eft le .phœnix dçs Chinois, fit fon'nid dans le
palais^ .,
n me refte enfin à donner une idée précife du fond, & du fiyle des
chapitres V qui compolent le Chpu-king.
C H A P I T R,B II,
* - • - ' -, . *
Chun-iien pu la vie de Chtin^ ,
C- ' ' •■ ■• ■ ' '■'■ ' \ .:*
Et empereur fuccéda à, Yao, 2049 ^^ V^w J. jC. Churi fit obfer-
ver les cinq règles ou les devoirs des cinq étatf,.cisux des ; père» .envers
les en&ns, ceux du roi & des fujets , ceux des époua(^ceux des^ vieillards
& des jeunes gens , & ceux ^es amis ; il r^igla ce qui ^oit n^cefÔiire fur
l'inftrumeat qui repréfentoit les cinq planées. Il reçut , en préfence de
fes
/
C H O U - K I N G. ^89
fes tributaires, c^nq (brtes de pierres prëcieufes & trois pièces de foie; il
mit de l'uniformité dans la mulique , dans les mefures & dans les poids ;
il divifa l'empire en douze provinces. Four empêcher les eaux d'inonder
fes Etats , comme elles venoient de faire en palTant fur les montagnes ,
iU fit creufer des canaux pour faire écouler ces eaux ; il fit des loir
pour punir les crimes^ il ordonna que les fautes communes fulfent pu*
nies du fouet ; il permit de fe racheter des petites punitions par Par-*
gent ; il ordonna que les juges puniroient fans miféricorde la méchance*
té, &c.
Chapitre IIL
D
Ta yu mo , c'eft-à-dire , délibérations du grand Yu^
r^ON V obferve, que la vertu eft la bafe du bon jgouvernement : ce-^
lui qui elt bon adminiflrateur procure au peuple les chofçs néceffaires à
fa confervation , qui font, l'eau, le feu, les métaux > les bots & les grains;
il tâche enfuite de rendre le peuple vertueux ; de lui procurer l'ufage utile
des élémens, de le préfêrver de ce iqui peut nuire à fa fanté. Voilà les neuf
objets que le prince doit avoir en vue; ces objets doivent être la ma-
tière des chanions : ces neuf fortes de chanfons fervent à exhorter & à
que de s'expofer à punir
où l'on enfeignoit diix enfims l'art de la danfe.
Dans le quatrième chapitre, qui renferme les préceptes fur le gouver-
nement, l'on dit, fi un Prince eft véritablement vertueux, on ne lui ca-
chera rien dans les confeils : fes miniftres feront d'accord ; il commencera
par fe réformer lui-même & fa fiunille , enfuite il réformera le royaume
& l'empire, 1) y. a.neuf vertus à confidérer : il fkut favoir unir, 1^. la
retenue avec l'indulgence ; 2^. la fermeté avec l'honnêteté ; 3^. la gravité
avec la firancbife ; 40. la déférence avec les grands talens ; ^ ». la confiance
avec la complaifance ; 60. U droiture & l'exaâitude avec la douceur; 70.
la modération avec le difcernement ; 8<=>. l'efprit avec la docilité; 90. Se
le pouvoir avec l'équité. Celui, qui conftamment pratique trois de ces
vertais chaque jour, eft en état de diriger fa famille; celui, qui en prati-
que journellement fix , eft en état de gouverner un royaume , Oc
Le chapitre troifieme de la féconde partie du Chou-kine , a pour ritre :
Chanfon des cinq frères , contenant la critique de la conduite de Taing*
kong : le premier chanta^ voici ce qui efi dans les documens de notre au^
0uflc ayeul Yu : Ayc^ de la tendreffe pour U oeupU^ ne le méprifii pat^
il efi le fondement de HEtat; fi ce fondement efi ferme , V empire efi paifible.
Cette chanfon eft digne d'çtre entendue des rois.
Tome XL Sfff
S^o C H R É T I E N.
• *
Le chapitre quatrième eft intitulé Yn-tching , c^eft-à-dire , punition par
ordre de Yn. L'empereur » 20 1 2 ans avant J. C. , envoie déclarer la guerre
à fes deux ailronomes, nommés Hi & Ha : il ajoute; » tous les ans, ï
9 la première lune du princems , Tfieou-gin alloit par les chemins avertir,
JT . ' * « ^ - ''^g® -
y leurs talens d'aftronomes; ils ont agi contre les devoirs de leur çhar-
» ge ; ils font fortis de - leur état ; ils font les premiers qui ont mis le
V défordre & la confufion dans les nombres fixes du ciel , & qui ont aban-
» donné la commiffion qu'on leur avoir donnée. Au premier jour de la
» dernière lune d'automne , le foleil & la lune , en conjonâion , n^'ont pas
» été d'accord dans le Fang, ( conftellation chinoife ), Taveugle a frappé
» le tambour; les Officiers & le peuple ont couru avec précipitation;
» Hi & Ho, dans leur pofle, comme le Chi, ( c'efl-à-dire^ comme Ten*
» fànt , qui repréfente le mort , que l'on porte dans les funérailles ) n'ont
» rien vu ni entendu ; aveuglés fur les apparences célefles; ils ont encoom
» la peine portée par les loix : celui qui avance ou recule le temps , doit
» être mis à mort fans rémîflîon : aujourd'hui je veux me mettre à votre
9 tète & exécuter les ordres contre Hi & Ho. <c
Le Chou*king efl donc un recueil informe de traits d'hifloire & de maxi-
mes de morale & 4e politique, c'efl un monument de fageffe & de folie.
Tel efl l'efprit humain, un affemblage de bien & de md.
CHRÉTIEN.
p
t
REPUBLIQUE CHRixiBHNS.
t
Syjlémt de la République Chrétienne imaginé & fouunu par LeibUitz^
dans f on Traité àt Jure Suprematûs ac Legationis Frincipum Gennanix. (a)
J^EIBNITZ prétendoit que tous les Btats Chrétiens, du moins ceux
d'Occident, ne Soient qu'un corps, dont le Pape étoit le Chef fpiriniel ,
& l'Empereur le Chef temporel ; qu'il appartenoit à l'un & à Tautre une
certaine jurifdiAion univerielle; que TEmpereur étoit le Général né, le
idéfbnfeur, VAdyoué de TEglife, principalement contre
les mfiddes, &
' ' (f) Ctt ouvrage que Leibnitz coixipoik à l'âge de trente ans, parut fous le
Latin de Cefarinus FarfitMriuép Yoyet Taitick Leubkxtz»
_ •
fttti nom
C H R É T I E N. ^ .^91
»
qaé de-Ià lui venoit le titre de Sacrée Maje/tc^ & à l'Empire celui de
Saint Empire i & que quoique tout cela ne fut pas de droit divin c'étoit
une efpece de fyftéme politique formé par le confencement des peuples ^^
& qu'Ù feroit à fouhaicer quî fubfiftât en ^fon entier. Cette République
chrétienne , dont l'Empereur & le Pape font les Chefs , n'auroit rien d'é-
tonnant , fi elle étoit imaginée par un Allemand catholique , mais elle Té-
toit par un luthérien : refprit de fyfiéme <iu'il pofTédoit au fouverain de-
gré , avoit bien prévalu à l'égard de la religion fur l'efprit de parti. Voici
comment Leibnitz explique & développe fa penfée.
ConfiituttQn de la République Chrétienne^
E penfe que la dignité d'Empereur eft un peu plus élevée qu'on ne
croit communément ; que l'Empereur eft V Avoue ou plutôt le . Chef,
ou fi l'on aime mieux , le bras féculier de l'Eglife univerlelle ; que toute
la chrétienté ferme une efpece de République ,, dans laquelle l'Empereur
a quelque autorité , d'où vient le nom de Saint Empire , qui doit en quel-
que forte s'étendre auffî loin que l'Eglife catholique ; que l'Empereur efl
le Commandant (Imperator)^ c'eft*à-dire le Chef né des Chrétiens contre
les infidèles ; que c'eft à lui qu^il appanient principalement d'éteindre les
fchifmes , de procurer la célébration des conciles , d'y maintenir le bon
ordre , enfin d'agir par l'autorité de fa place ^ pour que l'Eglife Se la Ré-
publique chrétienne ne foufïrent point de dommage. Il eft conftant- que
plufieurs Princes font fèudataires ou valfaux de l'Empire Romain, ou du
moins de l'Eglife Romaine ; qu'une partie des Rois & des Ducs ont été
créés par l'Empereur ou par le Pape ^ & que les autres ne font pas facrés
Rois , fans faire en même-temps nommage à Jefiis-Chrift , à l'Eglife du-
quel ils promettent fidélité , lorfau'ils reçoivent l'onâion par la main de
l'Evéque : & c'eft ainfi que fe vérifie cette formule , Chrifius régnât^ vin--
citj imperat \ puifque toutes les hiftoires témoignent que la plvpart des peu»-
fles de l'Occident fe font foumis à PSglife avec autant d'empreffemenç
que de piété.
Je n'examine pmnt fi toutes ces chofes ibot de droit divin. Ce qu^l y
a de conftant , c'eft qu'elles ont été faites avec un confentemenr unani-
me, qu'elles ont très-bien pu fe faire, ou'elles ne font point oppofées
au bien commun 4e la chrétienté ; car ftmvefit lé falut des âmes & le
bien public font l'objet du même foin. Et je ne f^us pas fi, avec leur
oonfcience , les fceptres des Rois ne font pas auffi foumis \ PEglife unt-
verfeUe, non pour diminuer la çonfidération qui leur eft due, & Her aux
Princes des mains qui doivent toujours être libres pour admioiftrer la jus-
tice & gouverner heureufement les peuples; mais pour contenir, par une
plus gra»ie autorité , ces hommes turbulens, qui, fans égard à ce qui eft per^
mis ou ne Peft pas, font difpofës à iacrifier à leur ambition particulière
Sfffa
692 C H R E T I E N.
le fang des innocens^ & poufTent fouvenc les Princes à des a£Bon8 crimi*
nelles : pour les contenir « disrje, par cette autorité que je crois réfider
en quelque forte dans l'Eglife univerfelle, ou dans le Saint Empire ^ & fes
deux Chefs l'Empereur & uù Pape légitime ^ ufant légitimement de ùl puif-
fance. Ainfi à confidérer le droit ^ on ne peut pas rëfufer à PEmpereur
quelque autorité dans une ^ande partie d6 l'Europe, & une efpeoe de
Primauté analogue à la Prmiauté EccléfiafHque. Et de même que dans
notre Empire il y a des réglemens généraux qui concernent le maintien
de la paix publique , la levM des fûLfides contre les infidèles , l'admimf-
tration de la juftice entre les Princes ^eux-mêmes ; nous favons auffi que
l'Eglife univerfelle a fôuvent jugé les caUfes des Princes ; que les Princes
ont appelle aux conciles; qu'on a prononcé dans les conciles (ur leur
rang. oc leur préféahce; que des conciles ont , au nom de toute la chré-
tienté 9 déclaré la guerre aux ennemis du nom Chrétien. Et fi le concile
étoit perpétuel , ou s'il exifioit un fénat général des Chrétiens établi par
fbn autorité; ce qui fe fait aujourd'hui par des traités, & comme on dit,
par des médiations & des garanties , fe termineroit alors par l'interpc^tioa
de l'autorité publique, émanée des chefs de la chrétienté, le Pape& l'Em-
pereur, par amiable compofition, il eft vrai, mais avec bien plus de foli-
dite que n'en ont aujourd'hui tous les traités & toutes les garanties.
Autorité du Pape dans la République Chrétienne.
X\ O S Ancêtres regardoient l'Eglife univerfelle comme formant une ef-
pece de république gouvernée par le Pape , Vicaire de Dieu dans le fpiri-
tuel , & l'Empereur , Vicaire de Dieu dans le temporel. L'Empereur eft
effeâivement appelle dans la Bulle d'Or, le Chef* temporel de l'Eglife;
&. il n'y a rien de plus connu & de plus fi-éouemment (uppoCé dans les
aâes publics & les hifioires , ^ue fa qualité d'Avoué de l'Eglife Romai-
ne, c'efl-à«dire , de l'Eglife univerfelle. Il n'y a rien non plus dans cène
qualité qui puifle révolter les Proteftans, & leur faire ombra^; parce que
PAvoué de l'Eglife ne doit (a proteâion que pour des chofes juftes & hon-
nêtes ; & s'il s'efl par hazard gliffé des abus , on peut toujours y remé-
dier. Au contraire , il efl de (on. devoir d'empêcher de toutes fes forces
détruifent ce qu'il y a de principal dans la Puii&nce Impériale. Et les Sa-
vans qur font confifler la puiflance de l'Empereur des Romains dans le
droit qu'il a fur la ville de Rome & fur quelques petites Souverainetés
contigues , fe trompent fans doute. Le droit temporel de l'Empereur s'é-
tend au contraire aufli loin que le droit fpirituel de l'Evêque de Rome ,
c'eft-à-dire , par toute l'Eglife , dans laquelle les Anciens même ont reconnu
que le Fapeavoit qudique primauté , non-feulement de ranj^^ mais enqud*
CHRÉTIEN. 69}
que forte de jurifdiâion. Peu importe ici que le Pape ait cette prî*
maùté de droit divin ou de droit humain , pourvu qu'il foit confiant que
pendant plufieurs fiecles il a exercé dans l'Occident, avec le confentement
& l'applaudiflement univerfçl, une puifTance alTurément très-étendue. Il y
a même plufieurs hommes célèbres parmi les Proteflans qui ont cru qu'on
pouvoir laifler ce droit au Pape, & qu'il étoit utile à l'Eglife, fi on re-
cranchoit quelques abus. Il y a plus : Philippe Melanâhon , homme d'une
prudence & d'une modération reconnue de tous les partis , lorfqu'il foufcrivit
aux articles de Smalcade , ofa bien y joindre une proteftation , dans laquelle
il déclaroit qu'il étoit d'avis qu'on pourroit rendre aux Evêques leur jurif-
diâion fpiHtuelle, s'ils voulotent remédier aux autres maux de TEglife. Tel
a été encore le fentiment de George Calixte , cet excellent homm^ , dont
le favoir & le jugement font au-defius des éloges. Apurement on ne peut
pas nier que l'Eglife Romaine n'ait été long- temps regardée en Occident
comme lamaltreOe des autres Eglifes; ce qui eft d'autant moins étonnant,
qu'elle a été réellement leur mère. Car on fait que ce font des hommes
apodoliques envoyés de Rome en Irlande , en Angleterre , en Gaule & en
Germanie , qui ont porté la foi dans ces régions ^ & avec elle le refpeâ
pour l'Eglife Romaine. C'eft à cette Eglife que les Lombards & les Saxons^
les François, ou pour parler avec faint Rémi , les Sicambres fe font fbu«^
mis ; & les Evêques 01 les Moines ont reconnu d'autant plus volontiers
la jurifdiâion du Pape, qu'il les délivroit de l'opprefiion des Princes & des
Rois qui retenoient encore quelque chofe de leur première fërocité , &
qu'il les rendoit facrés & inviolables aux Barbares. Ainfi les Barbares ayant
reçu d'eux la foi , qui leur étpit fi avantageufe , il n'eft pas furprenant que
la puiflànce de l'Eglife Romaine ait été en même temps reconnue, &
l'Evêque (Ecuménique. Enfin il eft arrivé par la connexion étroite qu'ont
entr'elles les chofès fkcrées & les profiines , qu'on a cru que le Pape avoit
reçu quelque autorité fiir les Rois eux-mêmes. Et l'on peut juger quelle
étoit cette autorité , & jufqu'oii elle s'étendoit déjà dans les premiers
temps, par le trait du Pape Zacharie, qui confulté par l'affemblée générale
de la nation Françoife, décida que le Roi Childeric étoit indigne de la
xouroime, & ordonna qu'elle pafsât fur la tête de Pépin, avec l^pplaudiP»
fement de tous les ordres de l'£tat« Déjà auparavant le Roi Clotaire ayant ,
dans un premier mouvement de colère, maflàcré au pied des autels^ un
«tf%lll" fif^lotVIVtAl Tr«tir«A«* CA«#Vff%At«l" A^J%T£kff%f ^«1«« lut A»m^9%A^^ mmmf^^^ \\*Çïï\'W
avoir
indépendans du Royaume
de France. C'eft pour une caufe à-peu*près fimiblable , c'eft-à-dire le
meurtre d'Artur, Duc de Bretagne, que le Royaume d'Angleterre, fous
le Roi Jean , devint tributaire & même fief de l'Eglife Romaine ; & le
cens fiit augmenté dans la fuite , à l'occafion de l'aflafiînat de Thomas ,
Archevêque de Cantorberi , exécuté auifi par l'ordre , ou du moins avec
^94 chrétien;
l^grément du Roi d^Angleterre. Les Papes n\>b.ligerent-il5 pa^ le^ Soiiire»
raios de Pologne de quitter le titre de Roi , depuis que l'un d'entr^eui
eut fait mourir Staniflas , Archevêque de Gnefné? Et ce ne fut que long-
temps après ^ fous le Pontificat de Jean XXII, & par fon autorité, qu'ils
recouvrèrent leur ancien titre. Bodin dit avoir vu la formule par laquelle
Ladiflas I, Roi de Hongrie, fe déclaroit vaflal ou fèudataire de Benoit XII.
Ladiflas II fe confiitua aufli tributaire à Toccafion de l'excommunication dont
il avoit été tfrappé pour je ne fais quel meurtre. Pierre Roi d'Arragon , fit
encore hommage de fon Royaume avec une redevance annuelle an Pape
Innocent III. Quant au Royaume de Naples & de Sicile, il n^ a point
de doute fur leur dépendance. Il paroit même que la Sardaigne, les ifles
Canaries & Hefpérides , ont autrefois relevé de l'Eglife Romaine ; & les
Rois de Caftille & de Portugal ne fe font ils pas arrogé, le premier, les
indes Occidentales , & le fécond , les Orientales, comme une donation,
ou plutôt comme un fief qu'ils tenoient du Pape Alexandre VI. Je ne
cherche point aâuellement par quel droit ces chofes fe font fidtes , mais
quelle a été dans les fiecles précédens Popinion des honmies.
On appliquoit là les oracles de PEcriture qui concernent le Royaume
4e Jefus-Chrifl ; par exemple, qu'il dominera à\me mer à Pautre, &
qu'il gouvernera les nations avec un fceptre de fer. Et il eft remarquable
que lorfque l'Empereur Frédéric I , proflerné à terre demandoit grâce au
iPape Alexandre III , & ^ue ce Pontife ayant le pied fur fa tête pronon*
çoit ces paroles de l'écriture : Vous marcherez jur Pdfpic & le bafilic ;
alors à fon égard. Je fais que plufieurs favans hommes révoquent en
doute cette hiftoire • . . . & que le Pape Urbain VIII , qui fit ef&cer la
|>einture où elle étoit repréfentée, étoit dans lé même fentiment; mais il
eu pourtant inconceflable qu'on Ta crue pendant long^temps , ce qui me
fuffit. Au moins on ne doute pas que l'Empereur Henri IV n^air fait pé-
nitence à jeun & nuds pieds au milieu de l'hiver par ordre du Pape; que
tous les Empereurs & les Rois qui ont eu depuis phifieurs fiecleis des en«
trevuesLavec les Papes, ne les aient honorés avec les {dus grandes mar«
ques de fbumiffion , jufqu'à leur tenir quelquefois Pétrier l<Mlau'9s mon-
coient à cheval , les accompagner à pied dans leur cavalcade , oc leur ren-
dre plufieurs autres fervices de même genre. Un Doge de Venife défirant
faire lever l'interdit |etéé far la ville , & rentrer en grâce avec le Pape
Jules, il fe mit une corde au cou, & s'avançant en rempam vers le
Pape, lui demanda pardon, d'où lui vint le furnom de ekien de ta part
même de fes compatriotes. Les Efpa^nols doivent la Navarre & Pautortté
,du Pape. Cefl fur le même titre que Philippe H tenta de s'emparer à
main armée 4e l'Angleterre qui lui avoît été donnée par Sixie-Quioc
i
CHRÉTIEN. é95
Les Papes ont entendu les plaintes des fujets contre leurs Souverains.
Innocent III défendit au comte de Touloufe de charger Tes fujets d'impo<«
fitions trop fortes. Innocent IV donna un curateur à Jean , Roi de Portu-
gal. Urbain V légitima Henri-le-Batard., Roi de Caftille, qui depuis^
avec le fecours des François, enleva à Ton frère Pierre, héritier légitime,
la couronne & la vie. Il y a d'ailleurs deux articles de grande importance,
dont autrefois on n'a pas même douté qulls ne refTortiflent au tribunal
du Pape; je veux dire les caufes de ferment & celles de mariage. Henri IV
ne demanda-t-il pas au Pape & n'en obtint-il pas la cafTation de fon ma-
riage avec Marguerite de Valois? Et il nV a pas bien long- temps qu'une
Reine de Portugal a fait aufli déclarer fon mariage nul par l'autorité du
Cardinal de Venidômei légat à latcrc.Màis le Pape a-t-il le pouvoir de
dépofer les Rois , & d'abtoudre leurs fujets du ferment de fidélité i c'eft
un point qu'on a (bu vent mis en queftion ; & les argumens de Bellarmin»
2ui de la fuppofition que les Papes ont la jurifdiâion fur le fpirituel, in*
sre qu'ils ont une jurifdiâion au moins indireâe fur te temporel , n'ont
pas paru méprifables à Hobbes même. Efièétivement il efl certain que celui
qui a reçu une pleine puiflance de Dieu pour procurer le falut des âmes,
font pé-
I Pape a
reçu de Dieu une telle puiffance ; mais perfonne ne doute , du moini
parmi les Catholiques Romains , que cette puiflance ne réfide dans l'Eglife
univerfelle , à laquelle toutes les confciences font foumifes. Philippe»le-Bel,
Roi de France , pareit en avoir été perfuadé , lorfqu'il appella de la fen-
tence de Boni&ce VIII, qui l'excommunioit & le privoit de fon Royau*
me, au Concile général : appel qui a été fou vent interjeté par des Rois &
des Empereurs en de femblables circonflances.
Autorité de PEmpcreur dans U République Chrétienne.
JLiEs Chrétiens, outre le droit des gens commun à toutes les nations,
ont un autre lien qui les unit en^e eux , je veux dire , le droit divin po-
fitif qui eft contenu dans leurs livres facrés : à quoi l'on doit ajouter en«-
core les faints Canons reçus dans toute l'églife , & les droits acquis au
Pape en occident du confentement des Princes & des [^uples. Je vois e&
fëoivement qu'avant le fchifme du fiecle précédent , on s'accordoit depuis
long-temps , & certainement ce n'étoit pas fans raifon , à regarder les na*
rions Chrétiennes comme formant une efpece de république qui avoit
pour chef le Pape dans le fpirituel , 4c l'Empereur dans le temporel : &
l'on croyoit que ce dernier avoit , malgré le démembrement de l'ancien
Empire Romain , confervé une efpece d'autorité fur toutes fes parties, re-
lative au bien commun de la Chrétienté , fauf le droit des Rois & la li-
berté des Princes. C'eft fur ce fondement que le Pape Grégoire VUI écri*
6^6 CHRÉTIEN.
vant à Henri VI , Roi des Romains , fur la concorde du Sacerdoce & de
l'Empire , Tavertit de prendre carde que le peuple Chrétien ne fouffre ^ par
la divifion de ceux auxquels ion Gouvernement, a été principalement con-
fié ; & l'Empereur Sigilmond en 1 4 1 2 , accordant une eifpece de Vicariat
de l'Empire au Duc de Savoye , déclara que par la difpofition du Roi
éternel , il a été appelle , quoique indigne , au Gouvernement de tout l'uni-
vers. Il eft confiant que le même Empereur a préHdé dans deux Conciles
de tout l'occident, en ce fens qu'il en a eu, fi je peux m'exprimer ainfi ,
la dire£tion extérieure : & lorfqu'il s'abfentoit , il nommoit un Vice-Gé*
rent , ou comme on parloit alors , un Proteâeur du Concile : tel (ut par
exemple , dans le Concile de Bafle , Jean , Comte de Thierftein. C'eft en*
core fur le même principe que le Pape Pie II , préparant une expédition
contre les Turcs pour le recouvrement de Conftantinople , écrit de Man*
toue à l'Empereur Frédéric l'an 1460 , que le commandement de «oute
l'armée Chrétienne lui eft dévolu par le droit de l'Empire : ea cherchant,'
dit le Pape , quel feroit le chef de l'entreprife importante que nous mé-
ditons , vous vous êtes auffi-^tôt préfeaté à notre efprit. C'eft à vous effec-
tivement à titre d'Empereur qu'eft cenfé appartenir un commandement fi
glorieux & fi important ; c'efl à vous à qui toutes les nations ne dédaigne-
ront point d'obéir & d'être foumifes. Le Pape le déclare donc chef Se ca«
pitaine-eénéral des armées générales & particulières , que les Rois , les
souverains , les Princes quelconques enverroient au fecours & à la défbnfe
des Chrétiens , en forte que s'il ne peut commander en perfbnne , il
choifîra pour commander à fa place , celui des Princes Allemands qu'il en
jugera plus digne par fa valeur & fes exploits. L'Auteur du traité de Jun
fuprcmatûs a donc été fondé à dire que l'Empereur eft le chef né de tous
les Chrétiens contre les infidèles. Il eft aufti nommé trés-<*finéquemment
dans les aâes publics l'Avoué de l'Eglife Romaine & de l'Eglife Univer-
felle. C'eft encore , ce femble , par une fuite de cette liaifon entre les na*
tions Chrétiennes qui eft un refte de l'ancienne Monarchie Romaine , qu'il
eft arrivé que le droit Romain a été regardé en quelque manière comme
le droit commun des nations. Ainfi les Anglois qui ont des loix particu-
lières à leur ifle , adminiflrent la jufiice aux étrangers conformément aiix
loix Romaine^ ; & l'on voit par une multitude d'aâes , que àcs Princes
Souverains dans leurs traités , leurs teftamens & les autres aâes du droit
des gens ou du droit public» obfervoient les mêmes loix avec une ponc*
tualité qui parolt quelquefois exceffive. . » • . Mais je veux que l'inferdonde
ces claufes du droit Romain foit une précaution fuperflue des officiers
chargés de rédiger leurs aâes ; auimoins on ne peut gu^re coatefler que
les droits de l'Eglife ne fuffent alors cenfés s'étendre ï tous.
Ohfcrvatlons
o
C H R Ê T I E N. %
Obfirvations fur et fyfitmt de Leibniti.
Nf ne nous accufcra pas de donper quelque importance à ce fyilé-*
mè , & de vouloir l'accréditer , précifément parce que «nous avons raflem^
Ué quelques textes où TAuteur lui*même le propofe & le développe. Les
prétentions du Pape & de PEmpereur que Leibnltz ofoit défendre ^ fone
aujourd'hui . fi décréditées ; les efprits font fi peu difpofés à les reconnol*
tre ^ qu'on peut | fans inconvénient ^ les montrer au public , accompagnées
de toutes leurs preuves. Leibnitz fondoit la jurifdiâion ^temporelle du Pape
tas le confentement des peuples : c'eft efièâivement le fondement le plus
apparent qu'on puiile lui donner. Mais qui oferoit foutenir aujourd'hui que
ce confentement ait été bien donné ou du moins qu'il fuhfifte encore.
Nous ajoutons , pour déclarer notre penfte , qu'il eft bien plus raifon*
naUe d'adhérer aux maximes du Clergé de France ^ confignées dans fa
4éclaration de 1681. Nous la regardons cette déclaration, comme un mo«
nument précieux , même au faint Siège , dont nous ne doutons pas qu'il
sie loue un jour là {z!gt& , & ne réclame l'autorité : parce qu'en même
temps qu'on y rejette des prérogatives qui n'ont point de fondement dans
l'£vai^le ^ on y établit celles qui font de droit divin , & fur léfquelles
flepofeJ'immuable grandeur du faint Siège; & fi l'Eglife gallicane y in-
dique d'une main la partie de l'édifice qu'on peut abattre, elle montre de
l'autre celle qui doit être- à jamais facrée & inviolable. Le moment n'eft
peut-être pas éloigné , où l'on adoptera dans tous les Etats catholiques de
Mais pour entrer dans un examen ultérieur de l'opinion de Leibnitz fiir
la pniflance temporelle du Pape« nous obferverons 10. que quelques-un^
des fàîits qu'il cite en preuve ^ font contefiés.par les critiques : Tfi. qu'il
en eft d'autres dV>ù l'on peut feulement conclure que les Papes fe font ar*
fogé quelqu'autorité fur le temporel des Princes; ce que perfonne ne mçt
fn doute *. 30. ^ue le confentement des. Princes & des peuples fur lequel
Leibnitz fbiide la légitimité de cette autorité, n'ayant été donné que d'à*
f»nès les ftux préjugés du temps fur les prérogatives de St. Pierre , ne fau-
roit être valable : 4^. que ce confentement en d'autres circonfiançes - n'a
ifté 2|Ccordé que relativement à des cas particuliers, & fans deflein d'ac-
5|uérir au Pape un droit permanent : ^P. qu'on ne voit pas que ce con-
entement .ait été jamais univerfel, moins encore donné à perpétuité , &
qu'après tout il a été très*conftamment révoqué , ainfi. que démontrent les
léclamations des Princes & lés maxiniies régnantes. Il réfulte donc feule*
ment de ce que Leibnitz dit ici & ailleurs, qu'il a afligné à l'autorité des
Papes fur le temporel des Rois , un fondement ruineux , il eft vrai , mais
plus impofant & plus coloré que celui que les Ultramontains lui donnent :
Tome Xr. Tttt
<98 C H R t T' I E N.
Ju^on pourroit à là faveur (de {t$ principes, juftifier peuc^-écre quelques eâei^
'autorité exercés autrefois par fes Evéques de Rome : que le refpeâ a^ec
lequel il en a toujours parlé , tout proteftant qu'il étoit , le foin qu^ a
pns de les difculper , font une leçon à quelques catholiques qui s^p|di«^
qneni au contraire k charj?er ce qufil y a eu d^odieux dans^ la conduite ou
Us entreprifes des Papes t & qui OD^liem , en s'expliquant fur cette matière,
toutes les règles de cette décence & de cette n^odération , dont <m ne doit
jamais s'écartec, même lorfqu'on défend la vérité la plus importante.
RieQ de plus facile aufli à rehverfer que tes areumens dont Lèslmin
cherche à étajer fon opinion finguliere fur l'autorité de PEmpereur. Noua
nous contenterons de traduire à ce fujet une note d'un habile Jurifeon^
.eibnitz fur la
fiir les Princes
I la jurifdiâion
f& annexée : il a de plus\ comme chef de la république Germanique,
jurifdiâion fur les Princes qui font foumis it la même république : mais
a l'égard des autres Princes ^ il n'a aucune forte de jurifdiâion , il n'a qu'une
erééminence de dignité. Sa qualité i^ Avoué de l'Egtife Romaine lui donne
ien un droit de. la protéger dans fon propre territoire , que. les autres
Princes ont aufli dans leurs Etats : & hors de fon pn^re tenttmre « cette
Î|uâlité fuppofe encore en lui un droit plus particulier de la protéger par
es armes oc fes confeils ^ mais elle ne lui confère aucune forte de juriff
diâion fur les narions étrangères qui font attachées à la même Eglife. Les
Jurifconfultes Allemands difputent fi l'Empereur conferve encore quelques
droits fur là ville de Rome, nuleré la prefcription acquife aax Papes , ft
la ceffîon de tous les droits que l'Empire pouvoit conferver encore nir cette
ville ^ faite par l'Empereur Charles IV. Mais il feroit bien difficile de
prouver que la jurifdiâion fur tout l'univers catholique , eft attachée à la
domination temporelle de la ville de Rome. Il eft certain , fuivant les po^
miers principes du droit , qu'on n'acquiert de jurifdiâion fur les peuples
que par leur confentement ou le droit de la guerre ; & certains nsts ex^
traordinaires par lefquels quelques Princes» pour des raiions particulières^
auroient jugé a propos de demander à l'Empereur la confirmation de quel«-
ques aâeSy n'ont pu lui donner une jurifdiâion perpétuelle fur les mêmes
Princes , & à plus, forte raifon fur les autres. Si les Empereurs ont été
quelquefois créés che6 des armées Chrétiennes contre les Infidèles , cda
prouve feulement ce qu'il convient de faire dans certains cas de néceffité^
& npn point qu'ils aient une jurifdiâion univerfèlle fur tous les Chfériens.
/• B. Ban To^. IV. part. 5. Ptafat. étd paritm JurifprmUntim p. 55»
CHRISTIANIA, i JXoctfi dt ) «99
CHRISTIANIA, ( Diocefe de) Province de Norvège^ dans la partit
méridionale de ce Royaume.
JLi S Diocefe de Chriftiania ou d^Aggerhuùs, tju'on eppelloit atttitfets
Diocêfe de Hammer & enfbite d^Opflo^ eftle premier & le plus impor^
ttm des quatre Diocefes de la Norvège. Chriftiaoia en ell la capitale ^
le iiëge du Vice«Gouverneur du Bailli Diocéfain, du Confeil-Aulique-Su'^
- prérae de l'Evéque , & du Confeil Provincial. Cette ville eft paflabletnenc
grande & régulière; elle a un Prévôt municipal , une maifon de force /^
deux fauxbourgs, appelles Waterland & Pipervigen^ auxquels il fitut tn^
CQre joindre Opllo. Ses habitans ont un bon commerce. Chriftianiaa été
b4tie en 1624 par le Roi Chriftian IV, après quK)pflo eût été réduite
Cft cendres : elle eft entièrement dominée par le château d^Aggerhuus. Le
même Roi érigea Técole en Gymnafe, & fonda une communauté poui^
Pentretien àts profefTeurs & de 10 étudians : depuis 1653 ce Gymnafe a
repris le nom d'école.
Opfld* ou Aflo, fitué à l'Orient du Golfe, vis*3k*vb du chiteàu d'Agger^
* huuS| a été bid en 1060 par le Roi HaraM Hardraade^ qui y iît (a fèfi-
deflcCi ainfi que plufieurs de fes fuccefleun. Cette ville ayoit quatre Eglh»
fes. Il s'y tint un concile, en 1306. En 1589 Jacques VI» Roi d'Ecofle , y .
célébra fes noces avec Anne, Princeile de Danemarc. On y transféra
l'Evéché de Hammer lors de la réfbrmatioo. En 1 624 toute la ville Ait
réduite en cendres, à IVxception du palais épifcopal & d'un petit nombre
de malfons ; ce qui a refté eft fdinl à Chriftiania & eft appelle la vieille-^
, ville. On trouve dans la chambre -de cUriofités à Coppenhague, une an*
tienne médaille frappée par Nicolas , Evéque d'Aflo , i l'honneur du Duc
Fhil^pe.
A l'Occident du Golfe vis->l^-vis de ChrifKania, eft l'importante forte-'
relié d'Aggerhuus, que les Suédois aifiégerent inutilement en 1310, t%6j
& 171^. Hors des fortifications fonr des maifons, que l'on appelle Ho»
vediangen.
Bragemes & Stromfoe font deux villes appellées du nom commun At
Drammen^ parce qu'elles fontfituéei fur le fleuve de tt nom; fa tre«
vers le Nord ; la imt. vers le niidi : chacune de ces deux villes a foh Pré-
vôt municipal & fon éelile \ mais elles ne femient qu'une place de péage ap»
rsllée Drammens 2o^)iati, Ce péage eft le plus confidérable du Royaume ^
catde de la quantité de planches , de poutres & de fer , que Ton raffembltf
dans le voifinage des deux villes , & qu'on exporte par la Drammen.
Konfberg , ou Kooig(berg eft une bonne ville de montagne , fituée en«
tre les fleuves de Kobberberg & de Jorndal; elle a deux communautés»,
une DanoÂfe & UAe Allemande ; le nombre de fes habitans va de 10 juffp
Tctt %
yoo C K {lis T I A N I A. ( Dioetfedi )
oui^à 1(^00. c On ^. a 4uUi no hôtel des moAooies en i68^, & im Cou»
feil des mines en 1 68 9V Cette ville efl célèbre, par fes- mines d'argent^
qui font les plus confidérables- de tout )e Royaume. Elles fur^t décou-
vertes en lôz-^ 6c l'on bâtit en même- temps cette ville ^ que Ton peupla
de mineurs Allemands. En 17$! on exploitoic 41 minières & on travailloit
^ eti ouvrir 1% autres ^ ce qui occopott au deUi de 3^00 ouvriers. Où ne
iaurpu fixer Iç produit aniiuel de ces mines, parce qu'il eft des années où
elles ne rendent pas les frais d'exploiution ^ & que dans d'autres elles (ont
dW produit plus confid^rable. On trouve auffî de l'argent nfttif ou vierge.
On découvrit en 1 647 de l'or mêlé avec de L'argent : le Roi Chriftian IV ^
en fit frapper des ducats , appelles BriUcn ducaicn , avec cette infcription :
yidç mira domL On rencontra aufli en 1 697 une veine d'or , dont on fit
des du.ç^ts avec l'infcriptiop > Allemande tirée de Job : V^n Mitttm^cht
kommt Gold (.dij Septentrion vient de l'or). Frédéric. V.» établit dans
cette ville en 17 {7 une efpece dVcole, pour former la jeunefle dans la
connoilTance des mines ^ de l'agriculture, tfc.
Tonfberg e(l la plus ancienne ville de la Norvège. Elle eft fituée fur
un bras du Golfe de Tonfberg, & a tiré fon nom du viejix mot Tàm ou
Xu/2, oui 6gnifîe.)Un afTemblage de malfons & de bâtitiiens, & d'usé mon-
tagne ^fituée tout, près de là. C'étoit déjà use ville peuplée du temps de '
Harsdd liaarfagef^; ainfi elle exiftoit dès ayant. le 8«. fiecle* Elle étoit peau-i
coup plus grande /autreÇi^is I & çomprenoit 9.égliie5) aujpard'hui. on y
compte à peine 200 maifons, conflruites de bois & deux églifes. Tpn(-
berg a un Prévôt municipal, qui a en même-temps l'infpeâion du péage
appelle Holmejirandi it fait un bon.çp^t^erce en bois & ep .planches,
& comprend dans fqn diilrlâ quatre places ^ pour l'entrepôt- des mafcliaii-
difes. En 1259 la plyfi'B^^^^P^^^^^A^ J^ yiîU/vç brûlée^ & en. xfo6 les
Suédois, la réduiftrent en cendres , ^ec toutes fes églifes >& fes couvens^
depuis ce temps-là elle va en décadence, malgré les privilèges que ki
çccprda Frédéric III. En 1673 ChriflknV^ donna la ville & le bailliage
de Tonfberg en chef à titre de Comté , à ixxn Chancelier Pierre Greif£bn<«
feld. En 1739 Chriflian yi,: étfiblit dans le^ environs une tuilloie & dans
la peninfule de Valoe une faline , dont on exporte aimuellemeat quel-
que^charges de fel. ; . ^ . .
Xaurwigen ou, Larrigen éfl ui^q petite ville célèbre par fes forges de
fer de Larvigen les plus importantes de tout le Royaume : il y a une
'mine à Larvigen même & une autre à Nes«
Stavern , ou Friederichfwàrn efl un petit endroit fortifié pour la fureté
du port ; c'efl Frédéric V qui lui donoa Je nom de Friederifwarn.
^ Krageroei efl une petite ville très-peuplée i elle a un entrepôt, & efl
adniîj^iflicce jpar uti Prévôt muiucù^ ' , f ./i ! ♦ ,-
Skier), Schien, efl fituée fur le fleuve du même nipm , lequel foc( du
lac de Nordfée, Ce fleuve forme à peu de diflançe,|de la ville ,ttBe cafca*
C H'R IS Til A Kl a; (^IHùCtfe de ) y^t
ide, ^qpiièt amir" finétréMn'rùChtr^ kftaytfs^éaqutl on à, crèuré un paf-
.iage^ 'potir récoulemenc des eaux : à un* deÀii-miltè de là efl! le lac ap-
pelle Farfgtund^ qui fert pour le chargement des vaiileaux. Skieen a un
Prévôt nUmicipal. Le Confeil Provincial y tient fes fëances. "
Mo€^9 petife ville ouverte, a un bon commerce, & un Prévôt muhici-
tpal. La double dé&iteque les Suédois foufinrent près de tiette ville, & la
iperte des mags^as qu?îls y avotent établie ^^^ la rendirent Êufieure. *
Tout prés de là eu une bonne mine de fier j On y a auffi établi une fon*
derie de canons. '•
, : Bafmoe, fitué vers les. frontières de Suéde, eft fortifié par la nature &
.par Part. . . , . ;...,. ./. \ ^ . : ;
Friederichshald , ville & fbrterefle fàmeufe , eft fituée vers les frontières de
k Suçde.. à l!çftdr9Jft.^Qii le. Tlftfi^jil fis jetw«.4«?S fe:;SîânditfuL.Qn rapjj4-
loît anciennement Hàtdtn\ & étoit an bourg très-rtfédiorre dépôifdant'du
Magiiirat 4e Fr iederichftait/ Sd ij6^ & if 59 Jl téfifta aux' SUjSdbi^, à t^i-
de d'une redoute que Pon y avoir établie ; ce qui porta les Danois -à en
raugmeotei'les fbrtîBcatious au*point »/qu'en:ié$o^ les Suédois* Paffiégerent in.u-
.tileoient pour la troifîemip fois ; que^lle^uns croieoi que c'efl à ce fiege que
'Charlef Gii^ayei Roi4^ SMede^reçu^Uî^teiTurej (k((it ileAmom Foutprjx
.deTa? ré<iftawe Friçdfwh^h^W feU ^rigé ejd viUe^.ât ett h6U:Qtix)SAtu}f^
.y joignit la JFerme d'Ous* eat^^dâmn^agem^ft 4u domipefce 9iwc\H 5u^
de qui ayoitQté eoleyéjà fes bourgeois. Cent^ vilW fit entcore-ime ivigqn-
reufe défends contre l#s Suédois eti 17.16 ^ -en ,17 18, Ce fut le ii Dé*
cembre de cette dernière année que Choies XU'{. &c tu^ d^its Ittrai}-
■çh^ que^rjon avpU .oM^çrte devaat la p|9<^,.Fri^^)c \V jfir.étever «u itié*
^e fl^droiç^ MÇ^ pi^j^Me dç^aio, pieds-i^erhsmiitjC^rg^e.dU.aom^iu .B(«^,
,^;9rm/e»,4efStie4ç yi?t de bap^^icoup d'aftbtibnt^inulita/iiB^t; j&SiftjmH>niife
jiTi^np ,C9WOim.& dAr4|f« Aa.pjedçftM q«û.e^ revi^ d«t itn^Ueir.fonc «rÂis
MX 3aëd<ûs, fit ahaitr» ce monumeor. Freiderji$HaId i^ pa^iort parlut-
nénie; mais il y a près de là^ fur un haut rochçr, Ia,for(ere0i? èe
;^ixidiçôch<^i0.i dQi^tjlc» fot^çmensjSiireiit p^fë^^jeii ;i^($i ^ Je*. lôirM de
7StprfriTaar.n (ig»nde. 4^<W!). ^ ii*(iewerrBiergeç;: (lHWïia^e. fgp^rKwr^i <i«i
,qitt ch^ç^a-leiir commuvfa^ paraeHUeri!;l^(q)i|ilKf4^^d«at^^r^^^
JPfie'^^içhÔan, Jtl y .^.putrfiîfelajle petifjbtt d«rt(«uIdfDloj«9T$PhMitw, dose
Charles XII > s'étoit déjà rendu maître, Idrfqu'il fat tué d'un-.bipuleci^i
fVÎoj; d^ver->Ketget^ L^s trois petiu fi>rt^ ont été bâ^.eirri&ga. Au!ref>
tC) cette ville a an bon cpinmerce. Elle «ft ^mifiiArée jijir m^^^cév^c
Tiijupic^. If: /eu jf ç?M»fe yfl,4op»??»?g«) c^nfidéral^èien lijjjj^ié^ô, i^sqj
tm-'MM^M \\'9 eut qu?9|re^up incendia çiij 755., j , , .^^ .^;, -,-; ;!• ;
i , f téderifhslUtt » ell :^B9t,fiHe ^ bâflft ea. 1567. p^r» Fçétjérifi «o.Qï^^yia
.tfj^es^éf.le-tfl^uBî^I ptpylusiftl ^ui;éçoijtj^uoarAyant i. Hwré,: BHç «f un Pr.é-
ï»Pfc«Wic»P«k(?«»t cpfflpijpf cg, en bqi^j.çft |Copfid^«i|»lç.^féd^Wr Ww'ja
?^ C M R l S T I ANS AN D; }
forri&i, en i<^$ 4c fon^ep timiieau diim libifiiii« les. fe tu
poiiK^ que vu fa (icuation 4& U ccHiunuoîaaaoïi avec le ]3iaineiiiarc ^ dfe
eft aujourd^htjii la principale Ibrtereflè de la Nonrege. Elle fiic eBdéraneot
réduite en ceqdrea en i^6^. Ourre (es pfopres cuivrages , elle a pour lenn
parts» tvers l'ipt^rieur du paya f le fon de. Koalgftein.. Ifègram #: dapa Hfle
4e}ix^^t,o^iM à un quart d« mille le viUe:d'Aggecde, âtûéedaos^ùae
Ifle, vers la mer. Ces trois (fpcijs ont leim. ComioaDdaiis ftarâçulîers , qui
fpnt ibus: les ori^es de celui d4 FriederisfiaK^ : ; ;. c.
Ce Diocefe comprend , outre les villes & forterefles dont noua veooés
de parler 9 les 3ftilliages Royaux d!Aggerliutts , Opbfid^ Friderichftart ^
Schmaalenne, Bratsberg, Ringering, Eger & Bufcberad, avec quelques
Comtés, y : •
y
'i^HKlâTtAlfSAUt>yaumfoisSTAVAHGE^yDioetféÀNoryige.
E Diocefe comprend phlfieurs viHes & fintet-ellè^. Chriftianfand eh
ett la capitale, & h réfidence du B^ilfi & de PEvéque, fituée fur terre*
feqne 3k un demi-^milW de Friedericfcs^holm devant ^OcteriiSs & le fletivb
d^Otcer, ptès de fiflé d'Otterîie. B}le ftit bitie {lar les ordres dé Chri(^
tian IV en ié^t^ achevée en i^U & apwllée du riom de ce Prince,
-& du terrein iàblonneux ûir lequà elle eft placée. Elle eft ouverte /de
quanrée, elle a des rues larges & droites , de bonner maifons, un Prévôt
municipal, & fa Cathédrale a une école. Là fituation de cette ville dl
très-^emmode , le port Tentourant de trois côtés ^ vers le Sud-Oueft & le
Sud. Les vaiflèaux peuvent, pour ainfi-dirci approcher des tnagafins^ &
le 6ô^ Oriental^ où le fliéuvé àe Tofrldaf fy jettedans la mer, eft eh
< hiver un abri (&r péâr les vaiÀaux. Le4™^ cet» eft éétouré par la eâm^
pagne & en partie par des montagnes. Lés habitàns de Chrimanfand Ibnt
quelque commerce en bois/L^glife & la plus .grande partie de la vilfe
bnMerent en 1734. Lé terrein s^lccrolt aux environs de cette ville, par ht
grande quantité de fibles que les; ouragans amènent tous, les ans au bord
d0 la mer : .cet accroiftenient .augmente tnfénfibtement ^ & forcera bientôt
tes bàbiians de Chrklianfând* d'avaneer lênn màif^ mer, s%
veulent ' conférVer \t v<M(k)àgfè des eaux : on à- déjV bâd plufieurs nou*
-veOes tùts? ' •'' ^ "^ '[ ' ' "'•'* • . ; •*• ^ -• «■ . ■ r
L'ifle de Fteckeroe^ fituée vers le Sud ^ un nulle dK)ttem2s, a uki
dtiai-iiiille de circuit , & ferme avec la terre-ferme le £imeux pprt, oh
. Ton peut entrer d^uo côté & fortir de l'autre avec le même vent. Pour
afliirer ce port on commença* Aès i%^6'\' bâtit àti fert dam l^SQe de
FIe<^kerôéi tnais ce qui avc^t êti fi^ alors' dtaàttomM^èh ruine, lêHot
Chriftiâli ÏV fit en>«2f élever dànsf IMè ^d^Oheroe iih'ëhiteau entouté
d'une niurattle & Pappeik Ghrifthuisôe. X>an$^U fuite oà bâtît la fetteitflb
/■'•
dt Fl«ckerd6 » ùu FriedcBichsholm. ta plus grande flotte peiit fe mettrai
ici en fureté , foit contre les vents , foit contre l'ennemi
, Aradal eft une peme ville & place d'entrepôt, fituëe à TOrient du;
fleuve d'Ârndal, qui forme dans cet endroit un Golfe éloigné de la mer
d'un quart de nulle. La plus e^asde parne de Ja^vilte^ furntout celle. )qul
fe trouve aut fepteotriQn du Golfe » eft bâtie fur pilotis. Les grands vaii^i
fcaux peuvent arriver jufqu'au pont & à la douane , & on a pratiqué danr
la ville des canaux fur lefquels on fe fert de petits bateaux. On voit auffi>
des maifons fur les hautes montages placées vers le Nord-Eft & le Midi
dTAmdal. L'Ëglîfe eft dans la parae fep»ntrionale dé la ville. Amdai feft
tiès-hien firué pour le commerce, qoiconfifie priocipaSeme&t en bois^dt
les hab^cans agréent beaucoup de vàiflèaux que des marchands tlu paystow
des étrangers frètent* Cettç ville a ua Prévôt CDmhamvavec Biîsoér;^:cUei /
a depuis peu été érisée en^ ville. De Fautif côté du fleuve eftCoIbior-(
nensvig dont les maiions font bâties entre des rochers & la plupart occu-i
es par des martniérsi. A deux nulles deli eft la mine de fer de Bare-
le ^ appellée autreihenc Baafelandsverk ; eHe eft une; des plus ancienne*
du pays; mais die fe trouve dans un état tràs«*médioere» On voit encore
dans ces environs plufiéura amres mines de fer. A quatre^ milles delà, & à^
rOccident, eft Rusfier, ou Ôefier^iliisdek- ,
deux milles de GiemSès^ vers
autre petite ville d'entrepôt ^ dont le commerce eft aflez bon. Elle a ua
Prévôt commun avec Arndal.
Stavanger eft une ancienne ville fituée au bprd du Golfe de'' Buckne*-
Fiord^ ou Tuoge Fiocd : elle étoir phis grande >auçreloBi Sa Cathédrale
bâtie en 1013 eft après celle de Drontheim^ la plus belle du Royaume.^
Stavai^r a un Prévôt muntcipaL La ville ^yailt été détrmk& par les flain-
meaen 1^86 , Chriftian V, tranfporta le fiege éptfcopal à Chnftiahfai^.
Ce diocefe comprend encore les bailliages royaux de NedenSs Lifter,
Mandai, & Stavanger.
C H R I S T O P H B. Ç I/k tte Saint-^ )
ETTE ifle a été' le berceau de toutes les colonies Aiiglèifes ié
Françoifes du nouveau monde. Les deux nations y arrivèrent le même
jour en 1625. Elles fe partagèrent Pifle ^ elles fignerent une neutralité
perpétuelle ; elles fe promirent des * fecours mutuels contre Tennemi cotn^
mun : c'était PEfpagnol qui depuis^ un fieele , énvahiflbk 6q trbubibit les
deux hémtfphercs. M^is la jalofufie divifa bientôt ceàx que. 4'intérét^ AVtfit
mis. Le François vit avec chagrin prôfpérer les travaux de PÀhgldis, q^
de fon côté foufBroit impatiemment qu'un voifin oifeux, dont toute Poe-*
cupation étoit la chafle ou la galanterie, cherchât â lui débaucher fe fem-*
me. Cène inquiétude réciproque enfenta bientôt des querelles ^ des com-
bats, dej dévaftmdohs / nife fàhs projet* dé conquête. Ce ii*éroiéat qw
des animofités de fiiniiUe, 4iox«|uelle8 le gouvernèmekir ne prenoic aucone
part. Dè^ ûhtëréts plu$ grands ayant allumé ia guerre en: 1666 entre lea
deiQc méàropoiés ,' Saint Chtiftophe de^mt^|ltodallt l^fpace d^un demi-
fiede, un théâtre de camiqfe; Le plus fiiîble; obligé d^évacuer la colonie»
né tardbit pas 'dyrei«pirba force, autant j^ venger fes défaites que
pour recouvrer ies pertes. Cette alternative fi iong-'tenipff balancée de fuc-
cés & de difgraces finit en 1742 par Fexpulfion des François, à qui le
traité d'Utrecht ôta tout eipoir dé retour. 3
: Ce fiiorificeliétoitlmédickre alors pour une nation qui n'avoit, pour ainfi«
dbe;, exercé dws cette >pb4ibâion qu'un il/oit -de cham &- de carnage. Sa
papulation sY réduifoit à.667 blancs de tout; âge & de tout feze, à 19
iiéiss:^ires9 it 6f9/e(clavesr 157 cberauXiOéç bêtes à corne fermoient
tous Tes troupeaux. Elle ne cultivôit qu'un peu decotbn &*- d'indigo; die
n'avoit qu'une feule (ucrerie. -
' Quoique l'Angleterre eût fu^ depuis long-temps mieux fiiire valoir tu
droits dans- dette iflev'^Ue ne pipfita pas d'àboM ^fc la eeflion qui U kâ
hiflbit toute entière^. Sa conquête fut long^temps en proie à des Gouver-
neurs, avides qui vendoient les terres à leur pfofitv on qui les difiribuoient
3^ leurs créatures, fans pouvoir ^garantir la durée de^ la vente ou. dé la coo*
cdfîon au-delà du. terme de leur adnfiraftrarion. Le parlement d'Angle-
terre fit enfin ceflêr ce défordre. Il ordonna que tovites les terres faflënt
mifés à l'encan, & que' le prix en fôt porté aux caifles de l'Ftat. Depuis
cette fagé difpofidon, les ^fli^fions nouvelles furent ^ cultivées comme les
anciennes. . , » , .
L'ifle, prifedims fa totalité t peut avoir foixante-dix-^milles de circoofê-
rence. Le ceiûre en efi occupé par un grand nombre de mpiitagnes éle«
vées & ilériles. On voit éparfes dans la plaine des habitations agréables,
'^ ' ' " ets. Le
le dans
. , padion
à Saint Chrifiophe. JMnaif on ne fentit h ^oéçeflttè 4f (9 réunir en petites
afiemblées pour tromper l'eniiui ; & fi les François n'y avoient laiflë nne
bourgade ou leurs ma^ur^^fe confèrvent, en |i'y connpiiroit ipotnjt cet ef«
prit de fociété qui enfante plus de tracafl<;ries que de plaifirsv qui fc nour-
rit de galanterie, abputit à la djébauçhe, commence par les joies de la u^
bloj fi( fiiûtjiar les querelles du jeu. Au lieu de c^ fi^MiUcpe d^ueioo,
qû n!€ft qu'un germe de. divi^on^p les p^ppriéta^ès: vivent ifoléi, mais
contens; l'ame &, le firent fereins coifime: Içciel tempéré, oit ils reipirent
un air pur &: falutUfC , au milieu d^ leurs plantatîo|fs):^ parmi leurs ef«
claves qu'ils gouvernent fans doute en pères ^ puifqu'iU leur infpirent des
ientimens généreux & quelquefois héroïques.
Fin du Tome oniUme. ^ ^
^
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THB NEW YORK PUBUG UBRARY
RBFBRBNGB DBPARTMBNT
Thit book it under no oirouinttanoet to be
taken from tbe Building
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